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LA RONDE DE LA CULTURE ENFANTINE DE MASSE

Gilles Brougère
in Gilles Brougère, La ronde des jeux et des jouets

Autrement | « Mutations »

2008 | pages 5 à 21
ISBN 9782746711150
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/la-ronde-des-jeux-et-des-jouets---page-5.htm
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1. LA RONDE DE LA CULTURE ENFANTINE DE MASSE
Gilles Brougère

Parmi toutes les images destinées aux enfants, certaines ont le don
d’ubiquité. On les trouve un peu partout, sous des formes diffé-
rentes, et tout particulièrement transformées en jeux ou en jouets.
Elles s’imposent non seulement parce qu’elles sont liées à une his-
toire ou parce qu’elles ont eu du succès, mais également parce qu’on
les trouve partout, jusque dans des endroits inattendus pour qui ne
connaît pas nos mœurs : un paquet de céréales, une paire de chaus-
settes, un cartable, un gobelet...

Pokémon ou la ronde des monstres de poche

Prenons – pas tout à fait par hasard – Pokémon, le grand succès


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mondial du changement de millénaire. De quel jouet s’agit-il ? Des
peluches de Pikachu, le personnage emblématique de l’ensemble,
ou des figurines des 151 monstres de poche, bientôt devenus 300
pour satisfaire un public sans cesse plus important ? Mais ces quel-
ques jouets, aux ventes certes phénoménales, ne peuvent à eux
seuls rendre compte de Pokémon. C’est avant tout un jeu vidéo
développé pour la console portable Game Boy, ayant rencontré un
succès inattendu. Très vite, la danse folle a commencé : série télé-
visée, premier film suivi de huit autres, jeu de cartes à collec-
tionner vendu dans le monde entier, puis autres jeux vidéo pour
la console de salon de Nintendo, peluches et figurines multiples,
sans oublier des jeux de société, mais aussi des vêtements, un
avion de la compagnie aérienne ANA, le Pokémon jet, des ali-
ments... Une ronde d’objets sans limites, tout support pouvant se

1. LA RONDE DE LA CULTURE ENFANTINE DE MASSE • 5


mettre aux couleurs du hit international jusqu’à ce qu’il rede-
vienne un jeu vidéo parmi d’autres 1.
Un travail chronologique permet de découvrir l’origine de ce
phénomène international. D’abord a été créé un jeu vidéo conçu sur
l’idée de la collection d’insectes, mais modifié et amélioré pendant
les six années de développement en fonction des recettes nécessaires
– selon Nintendo – pour en faire un succès. C’est à Tajiri Satoshi, un
concepteur indépendant sous contrat avec Nintendo, que l’on doit
le jeu sur Game Boy : il permet d’explorer un monde où l’on cherche
à collectionner des animaux fantastiques, les Pokémon ou monstres
de poche. Différents types de jeu sont sollicités : exploration d’un
univers virtuel à la recherche de monstres, échange avec la Game
Boy d’autres joueurs pour compléter sa collection, compétitions où
les monstres se défient et progressent grâce à leurs victoires.
Le concepteur n’a pas tout inventé, il a lié des éléments hété-
rogènes pour créer un produit ludique original. Parmi les sources du
jeu, l’une renvoie à l’enfance de Tajiri Satoshi, à l’époque où il allait
à la recherche d’insectes dans la nature pour les mettre dans des
boîtes, les collectionner et les échanger. Pokémon se veut une tra-
duction dans un monde virtuel de ce jeu issu de la culture ludique
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et traditionnelle des enfants, en mettant l’accent sur l’échange, la
communication des trésors accumulés.
Mais le concepteur est aussi un enfant de son époque, immergé
dans la culture numérique, vivant dans des univers virtuels qui
deviennent le milieu légitime de ses Pokémon. Il doit également, à
la demande de Nintendo, introduire des éléments de compétition
qui sont au fondement de la culture vidéoludique des jeunes gar-
çons, cibles du produit. On peut penser que Satoshi connaît un jeu
comme Magic, dont le principe (collectionner des cartes avant de
les utiliser dans des duels) semble structurellement semblable à celui

1. Pour une analyse du phénomène Pokémon, on se reportera à TOBIN JOSEPH (dir.),


Pikachu’s Global Adventure. The Rise and Fall of Pokémon, Durham, Duke University
Press, 2004, et à ALLISON ANNE, Millenial Monsters. Japanese Toys and the Global Imagi-
nation, Berkeley, University of California Press, 2006.

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de Pokémon. Sans aucun doute n’a-t-il pas été insensible non plus
au succès du Tamagotchi, l’animal virtuel qu’il faut nourrir et élever,
dont on retrouve l’idée dans le fait d’élever les monstres capturés.
On découvre donc en amont du produit une première circula-
tion d’éléments culturels recyclés qui proviennent autant de la
culture ludique de l’enfance des concepteurs que de celle des enfants
d’aujourd’hui, associant celle produite par les enfants à celle pro-
duite pour eux.
Mais Pokémon n’est pas resté un jeu pour Game Boy. La ronde
des supports a continué avec le succès et l’enthousiasme rencontrés
par le jeu au Japon. Une série télévisée et un jeu de cartes ont été
lancés. Il a donc fallu non pas simplement traduire sur d’autres sup-
ports (les possibilités graphiques de la Game Boy étant fort limitées)
le jeu vidéo, mais enrichir l’univers de référence en fonction de la
spécificité de chaque support. La série télévisée a permis de déve-
lopper l’histoire, le dessin des personnages, de produire le person-
nage central de Pikachu, et de viser ainsi un public plus large que
les garçons entre huit et douze ans, en s’adressant à des enfants plus
jeunes et aux filles. En proposant du matériel, des collections de
« vrais » objets, les cartes ont permis aux enfants de jouer aux
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Pokémon dans leur monde social, par exemple celui de la cour de
récréation, et non seulement dans un monde virtuel. Le jeu de cartes
a sorti le jeu de l’univers virtuel en l’inscrivant dans la sociabilité
enfantine quotidienne 2.
Si l’on veut comprendre ce qu’est Pokémon, on ne peut se
limiter au seul support originaire. Le jeu vidéo pour Game Boy n’est
pas Pokémon, il en est simplement l’origine et a défini une partie
de ses caractéristiques. La construction des significations propres à
cet univers ne s’est pas arrêtée à cette première étape et repose sur
un triptyque : jeu vidéo, série télévisée, jeu de cartes. Ce qui brouille
notre idée de ce qu’est Pokémon, c’est la circulation importante qui

2. Sur le jeu de cartes, voir BROUGÈRE GILLES, Jouets et compagnie, Paris, Stock, 2003,
chap. 13.

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va s’accélérer à partir de ce triptyque. Des films, affinant la narration
et rendant visible le succès du jeu par celui du film au box-office,
mais aussi des jouets au sens traditionnel (figurines, peluches), des
jeux de société, d’autres jeux vidéo et tout un ensemble de produits
destinés aux enfants ont porté ces images et ces valeurs dans toutes
les sphères de la vie de l’enfant : vêtements, objets scolaires, ali-
ments, etc.
On peut considérer que nombre de supports ne font que repro-
duire ce qui a été développé à travers le triptyque, à ceci près que
certains donnent une réalité aux personnages en les réalisant en
volume, les font exister dans un monde qui n’est plus seulement
celui du jeu vidéo, de la carte à jouer ou de la télévision. Ils permet-
tent à l’enfant de s’immerger dans l’univers fictionnel qui peut
l’entourer, se rappeler à lui à chaque moment de sa vie qu’il sature
ainsi. Pokémon, comme d’autres univers de la culture enfantine de
masse, devient une expérience globale, diffusant la logique ludique
dans d’autres sphères de l’existence considérées comme sérieuses.
À cela il faut ajouter la circulation internationale, circulation
qui a valu quelques modifications au jeu, à commencer par les noms
(à l’exception de celui de Pikachu), très importants dans la logique
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de Pokémon. C’est alors que l’ordre originaire est bouleversé, le
dessin animé sortant aux États-Unis avant le jeu, donnant à croire
qu’il serait à l’origine de tout.
Une autre circulation est aussi à découvrir : celle de l’imitation
ou de l’inspiration. De nouveaux univers de fiction ou de jeu qui
reprennent certains principes de ce hit international, comme les
Digimon, version plus combative et violente des monstres de poche,
se développent à sa suite.

Exister au-delà d’une seule incarnation

Mais qu’est-ce que Pokémon ? Un jeu, un jouet, une fiction ? Aucun


des trois et les trois à la fois. Ce que cet exemple montre à l’extrême, du
fait du nombre de produits concernés et du succès international, c’est

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la circulation de ce que nous ne pouvons nommer. En effet, cet
exemple nous interdit de penser qu’il y a quelque part un référent qui
s’incarnerait dans différents produits. Comme nous l’avons déjà
montré, Pokémon ne peut être considéré uniquement comme un jeu
vidéo. Si tel était le cas, on n’y trouverait ni Pikachu ni son entraîneur,
Sacha, tous deux développés sur d’autres supports. Les différents pro-
duits participent à la construction de Pokémon, surtout ceux qui
constituent ce que nous avons appelé le triptyque originaire, support
de la production de la logique tant fictionnelle que ludique de l’uni-
vers. Pokémon, ce n’est pas seulement une histoire, c’est tout autant
un jeu, c’est la rencontre complexe d’un jeu ou d’une histoire, ou plus
encore d’une histoire dont le script, la structure sous-jacente, est un
jeu. Pokémon est l’articulation entre jeu et fiction.
Reprenons l’histoire : la création d’un jeu à partir d’une hybri-
dation de logiques ludiques diverses, aussi bien celle issue du patri-
moine ludique des enfants (la collection d’insectes) que celles liées
au monde contemporain du jeu. L’origine est un jeu (un jeu vidéo
avec les contraintes du genre, un jeu d’exploration spatiale) issu
d’autres jeux. Mais ce faisant se développe une histoire minimaliste,
composée d’éléments narratifs pour donner sens au jeu : une pré-
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sentation scientifique des monstres, des relations entre des enfants
et des scientifiques étudiant les monstres, etc. La série télévisée déve-
loppe le potentiel narratif mais aussi représentatif en produisant des
histoires et des images. La logique ludique reste présente mais sans
doute moins visible, enrobée dans une fiction plus complexe que
celle d’un jeu vidéo où l’action du joueur prime. Elle va alimenter
de nouveaux jeux, se transformer en jouets porteurs d’autres jeux.
Le jeu de cartes va plutôt développer le potentiel ludique de l’histoire
en la traduisant dans l’univers du quotidien. La collection devient
réelle (comme celle des insectes) à travers les cartes possédées, échan-
gées, volées, jouées. Le jeu se fait matériel dans un duel entre deux
enfants. Il suffira avec Yu-Gi-Oh de faire de cela le scénario d’un
manga puis d’un dessin animé pour relancer la machine ; les jeux
de cartes deviennent à leur tour le support d’une nouvelle logique

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ludique ou le révélateur de la dimension ludique déjà présente dans
la série télévisée « Pokémon ».
Pokémon ne peut être considéré et défini seulement comme un
jeu vidéo car il s’agit là d’un point de départ que la transformation
en d’autres médias va enrichir. Serait-ce alors une pure essence,
quelque chose existant au-delà des métamorphoses ? Vision trop
idéaliste pour des produits aussi matérialistes. Il n’y a rien d’autre
qu’un ensemble d’objets, de supports qui produisent, reproduisent,
transforment, enrichissent ou appauvrissent Pokémon. Pokémon est
l’ensemble de tous les supports, ou plutôt, car il n’est pas besoin
d’avoir rencontré tous ses avatars pour en saisir la logique, la circu-
lation même, le mouvement qui conduit à passer d’un support à
l’autre, ce principe de transformation continuelle, pris entre la repro-
duction et la transformation. Pokémon est une ronde.

Répétition et transformation

Chaque support reproduit, souvent de façon très fidèle, ce qui vient


d’un autre support, tout particulièrement le support d’origine, et ce
pour de multiples raisons, sans doute par simplification, mais aussi
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du fait qu’il y a des enjeux de propriété de marque et de dessin. Les
propriétaires veillent au grain, vérifient, quand ils en ont les moyens,
que la reproduction est fidèle. Mais le public aussi attend d’un nou-
veau support de lui donner ce qu’il a apprécié chez les autres. Le
lecteur des aventures de Harry Potter ne semble pas chercher à décou-
vrir dans le film une interprétation originale, une lecture singulière
du roman, mais ce qu’il a lu, simplement mis en images.
Ce principe général achoppe à l’évidence sur l’impossibilité
d’une traduction fidèle, thème largement développé dans les diffé-
rentes analyses de cet ouvrage. Chaque média dispose de moyens
spécifiques, a ses propres contraintes, transforme en profondeur ce
qui vient d’un autre support et apporte une touche singulière à la
caractérisation de l’univers. C’est une des raisons pour lesquelles ce
qui circule n’existe pas en dehors de la circulation même.

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Les deux principes sont à prendre en compte ensemble. La tra-
duction d’un support à l’autre se veut reproduction fidèle tout en
étant interprétation. Il s’agit d’un processus de reproduction inter-
prétative, pour reprendre l’expression forgée par Corsaro 3 pour ana-
lyser les pratiques enfantines, tout particulièrement ludiques. Il me
semble traduire un mouvement culturel plus large, également à
l’œuvre dans notre cas.
Étudier le jouet, les jeux, la culture enfantine de masse, c’est
être confronté à cette circulation qui produit les éléments de cette
culture, cet ensemble de personnages, d’histoires, d’univers qui se
déclinent sur de multiples supports. Pokémon est un exemple limite
et récent qui montre l’avènement d’une culture mondiale de masse
dans laquelle le jeu et le jouet ont un rôle essentiel.
On véhicule souvent l’idée que jeux et jouets ne sont que pro-
duits dérivés de pratiques culturelles plus nobles, objets seconds qui
n’existeraient que pour rappeler à la mémoire le film, ou babioles
sans grande valeur culturelle qui n’auraient comme mérite que de
rendre possible l’équilibre budgétaire d’un film, ce que ne pourraient
permettre à elles seules les entrées en salle et les ventes de DVD.
Certes, on peut trouver des films qui ne font que laisser des
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traces sous forme de jeux vidéo ou de jouets et qui ne participent
pas à la production de l’univers. Je ne veux pas dire qu’une telle
dimension de pure déclinaison n’existe pas, mais il me semble
qu’aujourd’hui, sur le modèle exposé pour Pokémon, se développe
une autre logique, celle d’un univers culturel qui ne peut s’inscrire
dans un produit unique et qui n’existe que dans une logique de
circulation à fois commerciale et culturelle. L’intérêt commercial est
évident et plusieurs chapitres de ce volume y reviendront, dévoilant
stratégies de grands groupes et nouvelles formes de marketing syner-
gique. L’intérêt culturel ne semble pas toujours pris en compte tant
l’étude des contenus dépend d’une spécialité par contenant, par

3. CORSARO WILLIAM A., The Sociology of Childhood, Thousand Oaks, CA, Pine Forge
Press, 1997.

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média. L’enjeu est de comprendre les univers circulants, ce que la
circulation apporte. Il s’agit de décortiquer ces logiques d’hybrida-
tion, de saisir que la contribution des différents médias a pour effet
de produire quelque chose de différent. Il me semble en particulier
que les médias ludiques qui ont aujourd’hui un rôle important
(jouets, jeux vidéo, jeux de cartes, jeux de société, divers dispositifs
interactifs) contribuent fortement à la production de ces univers et
y laissent des traces. Le jeu est donc présent au sein des fictions, des
logiques propres aux univers en circulation. On peut retrouver ainsi
des logiques ludiques dans les constructions narratives des séries télé-
visées, parfois de façon totalement explicite, parfois de manière plus
cachée au niveau de la structure.

Généalogie de la circulation

L’histoire de cette circulation est sans doute ancienne. Ainsi, la lit-


térature de jeunesse a été maintes fois déclinée en jouets ou en jeux,
mais a également intégré des éléments relatifs aux jouets et aux jeux
dans sa narration. La relation entre cette littérature et les objets ludi-
ques n’a pas été à sens unique.
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Elle va toutefois prendre de nouvelles dimensions avec le déve-
loppement de médias qui permettent une autonomie de l’enfant 4.
Cela commence avec les comics books de la fin des années 1930 aux
États-Unis, et bien entendu continue et s’amplifie avec la télévision,
qui, par sa gratuité, sa facilité d’accès y compris pour des enfants
non lecteurs et sa logique (tout au moins dans sa version commer-
ciale aujourd’hui dominante), implique une recherche de l’audience.
De tels médias n’ont d’autre objectif que de fournir aux enfants ce
qui est à même de leur plaire. Ainsi, après la bande dessinée et la
radio, la télévision devient un carrefour essentiel de circulation, au
moins pour les enfants (les adolescents ou les jeunes adultes peuvent

4. Voir KLINE STEPHEN, Out of the Garden: Toys, TV and Children’s Culture in the Age of
Marketing, Toronto, Garamond Press, 1993, et BROUGÈRE G., Jouets et compagnie, op. cit.

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disposer de leur côté d’autres logiques de circulation). Le dévelop-
pement d’Internet peut à terme changer la donne.
La télévision est le lieu de promotion de cette culture et de ses
objets à travers la publicité, mais c’est surtout un lieu quasi obligé
pour atteindre succès et expansion. On a vu ainsi à partir des années
1980 se développer des stratégies où les séries télévisées ne sont plus
des produits autonomes, mais des moments essentiels de la chaîne
de circulation. La série télévisée est d’emblée conçue comme l’élé-
ment initial d’une stratégie multisupport ou vient se greffer sur un
jouet ou un jeu vidéo (comme avec Pokémon) pour lui donner une
dimension supplémentaire.
Les exemples de la première stratégie sont légion et se sont déve-
loppés tout particulièrement avec la dérégulation de la télévision
américaine dans les années Reagan. On peut citer le travail d’Ame-
rican Greetings 5 et de sa filiale Those Characters from Cleveland
(aujourd’hui American Greetings Properties) qui, au-delà de fournir
des créations pour les cartes de vœux de la maison mère, a développé
des univers imaginaires avec d’emblée une logique multisupport
dans laquelle la série télévisée était la clé du succès. Tel fut le cas de
deux grands succès en dessin animé et en jouet : Charlotte aux fraises
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et Bisounours. D’emblée le dessin animé est conçu pour être décliné
en jouet avec un partenaire (le même dans les deux cas, Kenner)
spécialiste. Charlotte aux fraises est d’abord une image à succès pour
les cartes de vœux avant de devenir à la fois héroïne d’un dessin
animé et jouet en introduisant une thématique commune, celle du
dessert et du sucré, de façon spécifique sur les supports principaux :
le dessin animé en fait une fiction, le jouet parfumé contient les
odeurs qui s’y rapportent. Charlotte aux fraises, relancée en 2004
avec un nouveau dessin animé et de nouveaux jouets produits par
Bandai, est à la fois fiction, image, poupée, évocation de la gour-
mandise et de l’univers du sucré. Elle circule sur divers supports, sans

5. Société américaine spécialisée dans l’édition de cartes de vœux, grandes consom-


matrices de dessins humoristiques et de personnages.

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que l’un d’eux puisse être considéré comme dépositaire de la vraie
signification. La fiction n’a de sens que parce qu’elle s’articule à des
poupées et à des situations de jeu. Une nouvelle circulation apparaît,
une circulation entre les générations, née vingt ans après, qui peut
être vue comme une interprétation de l’univers dans un contexte
ludique et culturel différent.
Avec les Maîtres de l’univers, nous sommes dans le second cas
de figure, le jouet est premier, la série permettant de lui apporter
une profondeur narrative. Mais quel que soit l’ordre, c’est bien
l’ensemble des supports qui produit Charlotte ou les Maîtres de
l’univers – avec dans chaque cas des produits premiers qui donnent
le sens à l’univers et des produits qui relèvent plus de son expan-
sion sans en transformer en profondeur les significations. Avec
Charlotte aux fraises, nous avons sans doute un autre triptyque :
la carte de vœux (le dessin « romantique »), le dessin animé et la
série de poupées. Avec les Maîtres de l’univers, nous pouvons
trouver un nouveau triptyque si, aux jouets et au dessin animé,
nous associons les petits livrets fournis avec les jouets, qui propo-
saient des informations importantes pour la construction du sens
de l’univers des Maîtres.
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Après ces succès américains, le flambeau semble avoir été relevé
par les Japonais avec des univers comme Power Rangers. Ici l’image
réelle est plus proche du jouet. Chaque année, la série change de
nom et de thème pour rendre possibles le développement et la mise
en scène d’une nouvelle ligne de produits.
Arrêtons-nous sur cette série à la longévité exceptionnelle qui
connut pourtant un démarrage difficile aux États-Unis avant qu’une
chaîne du câble accepte de la diffuser. Sa narration semble affli-
geante, mais la simplicité du scénario ne renvoie-t-elle pas à un script
de jeu ? Sous le film, cherchons le jeu, bien que cela semble plus
difficile que dans le cas de Pokémon faute de disposer d’une origine
ludique précise et connue de tous. Cela permettrait de comprendre
un succès lié à une inscription forte dans la culture enfantine. La
transformation en jouets et en jeu aurait été d’autant plus facile que,

14 • LA RONDE DES JEUX ET DES JOUETS


à l’origine des Power Rangers, il y avait déjà une structure ludique
sous-jacente, et ce à plusieurs niveaux :
– une histoire qui reproduit les logiques de jeu entre gentils et
méchants (proche des combats ludiques entre enfants) ;
– la transformation (celle d’un être ordinaire en superhéros) ;
– la fusion, principe de combinaison ludique proche du jeu de
construction et qui permet d’associer les différentes machines et les
versions robotisées des héros pour en faire une supermachine à
même de l’emporter face aux méchants 6.
Les trois éléments principaux et répétitifs de la narration appa-
raissent comme des structures ludiques : le jeu se déploie sur le prin-
cipe du combat entre deux camps bien avant que la télévision ne
s’en empare ; la transformation est la base même de la logique
ludique d’être autre ; et la fusion, principe plus novateur, apport
nippon par excellence, introduit dans ces univers des principes de
jeu de construction pour leur donner un autre sens, facteur du succès
à la fois de la série et des jouets. Ces principes se déclinent ainsi, de
façon spécifique, dans les films, les jouets et les jeux des enfants.
Des succès plus récents ont permis de voir l’importance de la
logique ludique sous-jacente aux scénarios quand ceux-ci l’ont affi-
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chée. Ainsi, avec Yu-Gi-Oh, le jeu est le thème même de la série
télévisée. Cette histoire, créée d’abord sous forme de manga, n’est
plus que la mise en scène d’un jeu, jeu de cartes proche de Magic.
Il propose un jeu, mais s’inspire d’un jeu, lui-même profondément
lié à l’interaction entre des créateurs-joueurs et des joueurs-créateurs.
Autre exemple moins riche sur le plan de la série télévisée, « Bey-
blade », le jeu des toupies, où la série permet de suivre les joueurs
dans leurs joutes.
Derrière tout cela, on peut trouver le bon vieux jeu de billes,
comme si on recyclait la culture ludique enfantine traditionnelle :
collectionner, échanger, mettre en jeu, défier. Le succès de bien des

6. Les dimensions de transformation et de fusion dans les séries et les jouets japonais
sont analysées dans ALLISON A., Millenial Monsters..., op. cit.

1. LA RONDE DE LA CULTURE ENFANTINE DE MASSE • 15


séries depuis « Pokémon » semble être dû au recyclage de structures
ludiques qui ont fait leurs preuves.
Il y a donc du jeu dans la culture enfantine de masse, et la
circulation semble porter une dimension ludique importante, qu’elle
soit, comme dans les derniers exemples évoqués, à l’origine du scé-
nario ou que la circulation enrichisse l’univers d’une dimension
ludique qui n’était peut-être pas présente à l’origine.

La preuve magique par Harry

On pourrait évoquer des contre-exemples, et dire que Harry Potter est


d’abord une série de livres portés à l’écran et déclinée sous forme de
produits dérivés multiples. Le livre définirait, sous le contrôle de son
auteur, le contenu. Harry Potter ne serait pas défini par la circulation.
Mais tout dépend de ce que désigne Harry Potter. S’il désigne
le titre d’une série de romans, cela est indéniable. Mais dans notre
vision, Harry Potter n’est plus uniquement cela, il est devenu un
produit de la culture enfantine de masse, et n’est pas réductible à la
série des livres. Bien au-delà de l’œuvre de Rowling, c’est le produit
d’une circulation où, si l’origine est indéniablement le roman, le film
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est le support de la plongée dans la circulation car il opère une tra-
duction visuelle, graphique sur laquelle s’appuient les autres sup-
ports comme les jeux vidéo, les jeux de société, de construction
(Lego), les jouets et tous les objets (vêtements, alimentation) qui y
font référence. Le roman, dans cette logique de la circulation, peut
être considéré comme une origine toute relative, qui met en circu-
lation des éléments préexistants, en particulier la magie, univers de
référence qu’il partage avec bien d’autres fictions.
Il ne s’agit pas de déconsidérer les romans de Rowling. Sans eux
et l’intérêt qu’ils ont suscité auprès des premiers lecteurs, il n’y aurait
pas eu de circulation ; c’est le moment premier, l’équivalent du jeu
sur Game Boy avec Pokémon, moment qui remet en circulation,
mais à travers un produit fortement original, des éléments antérieurs
et qui rend possible, par la richesse de l’univers produit, une nouvelle

16 • LA RONDE DES JEUX ET DES JOUETS


circulation sur de multiples supports qui vont procéder à une repro-
duction interprétative, à des transformations qui génèrent l’univers
circulant, celui qui est connu de tous ceux qui n’ont pas lu les
romans.
Si Harry Potter s’intègre si bien dans la culture enfantine, c’est
sans doute dû au talent de son auteur, capable de produire un récit qui
a un tel potentiel. Cela me semble également dû en partie à l’usage de
la référence magique. On peut en effet percevoir une relation étroite
entre jeu et magie : dans les deux cas, c’est la parole qui est l’acte, c’est
le domaine du performatif absolu. Dans la magie, et cela apparaît
fortement dans Harry Potter où celui qui gagne est celui qui dit le plus
tôt et/ou le plus vite la bonne formule (ce qui est enfantin), c’est la
parole qui permet d’agir, comme en partie dans les jeux. Le monde de
la magie est un monde de jeu, monde du second degré, qui suppose
des règles, une décision fondatrice de chaque acte, une incertitude sur
le résultat, la frivolité si nous supposons que l’on ne croit pas à la
magie 7. La magie est donc un jeu que l’on prend au sérieux dans ses
conséquences. Imaginons que le jeu devienne efficace, que ce que
l’enfant dit se produise et nous sommes dans la magie !
Dans l’idée d’une relation profonde entre jeu et culture enfan-
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tine, l’importance et le succès de la magie pourrait renvoyer à sa
structure ludique sous-jacente. On retrouve ainsi les raisons du
succès de Harry Potter au sein de la culture enfantine de masse dans
cette structuration ludique indirecte. Bien entendu, il est répété sans
cesse dans Harry Potter que ce n’est pas un jeu, que c’est de la magie,
c’est-à-dire le jeu efficient, le jeu pris au sérieux.
Cette relation du jeu à la magie est présente dans d’autres succès
que nous avons déjà évoqués (jeu de cartes Magic, Yu-Gi-Oh), mais
également dans l’univers de Tolkien 8, source de nombreux jeux. La

7. Les caractéristiques du jeu exposées ici sont présentées dans BROUGÈRE GILLES, Jouer/
Apprendre, Paris, Economica, 2005.
8. Voir, à ce sujet, BROUGÈRE GILLES, « De Tolkien à Yu-Gi-Oh. La culture populaire du
livre aux cartes », Faire sien. Emprunter, s’approprier, détourner, Communications, no 77,
2005, p. 167-181.

1. LA RONDE DE LA CULTURE ENFANTINE DE MASSE • 17


magie telle qu’utilisée dans Harry Potter prédisposerait l’univers à
être décliné à travers différents supports, en particulier les supports
ludiques. Huizinga ne désignait-il pas du terme de « cercle magique »
la dimension de temporalité et d’espace séparé du jeu 9 ?

Circulation et recyclage du jeu

La ronde de la culture enfantine de masse est dont bien circulaire,


au sens où le premier temps est déjà pris dans une logique de circu-
lation antérieure. Il n’y a pas de début, pas de fin mais un mouve-
ment de recyclage continu. Et si l’on découpe, au sein de ce
mouvement continu, des moments liés à l’émergence d’un univers,
on découvre ce premier temps relatif comme inscrit dans une culture
riche en éléments « ludo-compatibles » et dans une circulation qui
transforme l’univers, tout à la fois simplification et complexifica-
tion. Le passage d’un support à l’autre conduit souvent à couper,
trancher, supprimer, à ne prendre en compte que ce qui est compa-
tible avec le support, mais aussi à ajouter de nouvelles dimensions,
celles propres au support : l’image du film ou du dessin animé,
l’interactivité du jeu vidéo, etc.
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Les origines sont variées, il peut s’agir d’une série télévisée, d’un
livre, d’un jeu vidéo, d’un film ou d’un jouet. Films et séries télévi-
sées, si incontournables soient-ils, sont loin d’être toujours à la
genèse des univers. Le jeu vidéo l’est de plus en plus, et le jouet joue
un rôle plus important qu’on ne le pense. Ainsi Barbie, jouet à l’ori-
gine, a été enrichie progressivement d’éléments narratifs à travers
les publicités télévisées, les livres, les jeux vidéo et aujourd’hui les
dessins animés en images de synthèse diffusées sur DVD. La circu-
lation fut sans doute lente, née dans une époque antérieure à la
circulation accélérée dont Pokémon rend compte. Le résultat est
identique, Barbie n’est pas la poupée, elle n’est pas non plus une

9. HUIZINGA JOHAN, Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, traduction française,
Paris, Gallimard, 1951.

18 • LA RONDE DES JEUX ET DES JOUETS


réalité derrière la poupée qui n’a jamais existé, ni l’ensemble impos-
sible à saisir de ses avatars, mais ce qui circule d’un support à l’autre,
s’enrichit et se transforme de cette circulation.
En conséquence, il serait vain de chercher une cohérence
absolue. Elle peut exister, mais elle n’est pas essentielle du fait des
logiques propres à chaque support. Ce processus de reproduction
interprétative peut conduire à des logiques parallèles que l’on a du
mal à superposer. Chaque support développe une potentialité de
l’univers en adéquation avec sa propre logique, et aucun support
n’est a priori secondaire. Les livres, qui peuvent être à l’origine de
certains univers, entrent également dans la ronde à travers le prin-
cipe fort répandu de la novellisation. Des thématiques plus larges
comme celles des stars et de la chanson entrent dans la même
logique à travers des émissions de télévision qui certes présentent
les atours de la réalité mais relèvent tout autant de la fiction, avec
leurs intrigues et leurs protagonistes que l’on retrouve ensuite sur
les divers supports de la culture enfantine et adolescente, du jouet
à la presse, du vêtement aux CD. Les jeux vidéo « classiques » ou en
ligne produisent et consomment ces univers. La ronde pourrait
donner le tournis dans une production où chaque thème, chaque
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produit, chaque objet s’insère dans une chaîne qui lui donne sens.
On peut, au sein de cette circulation, considérer que le jeu et, plus
généralement, les logiques ludiques sont essentiels en articulant ces
univers à des pratiques. Il ne s’agit pas seulement de consommer ces
univers, mais de les faire vivre dans des jeux de différente nature. Le
jeu est souvent à la source de ces univers et en est tout autant la fin.
Ces univers sont aussi caractérisés par une relation indissociable
entre logique marketing (il est évident que la recherche de ventes et de
profits est le moteur du système) et logique culturelle. On peut saisir
des recettes marketing essentielles, mais tout autant des principes à la
base d’une culture postmoderne, hybride, ludique et polycentrée.
Certes, cela n’est pas vrai de tout, il reste des contenus culturels
liés à leur support qui n’entrent pas dans la ronde. Quand ces
contenus sont repris par un autre support, c’est alors pour produire

1. LA RONDE DE LA CULTURE ENFANTINE DE MASSE • 19


une œuvre originale et non développer une circulation. Mais une
part de plus en plus importante de la culture obéit à cette logique
qui semble aller au-delà des enfants, vers les adolescents et les jeunes
adultes, voire encore au-delà.
Tout cela a profondément transformé le jouet, témoin de
l’émergence et de l’expansion de cette culture. Le leadership améri-
cain (partagé de plus en plus avec les Japonais) sur le jouet et plus
encore sur le jeu vidéo montre que ce ne sont plus des industries
d’objets mais bien d’images. Derrière ces objets, c’est de la produc-
tion d’un monde imaginaire se développant sur différents supports
qu’il s’agit. Peu importe l’entrée (jouet, manga, télévision), l’objectif
est de maîtriser le cycle. Ainsi, Bandai, premier producteur japonais
et troisième producteur mondial de jouets, reconsidère sa spécificité
en se présentant comme un producteur de culture enfantine quel
qu’en soit le support 10.
Le résultat est de produire des univers immersifs. On sait qu’il
s’agit là de l’objectif de nombre de jeux vidéo, permettre l’immer-
sion dans l’univers du jeu, mais ne s’agit-il pas de l’effet de cette
culture enfantine de masse que de proposer une expérience
d’immersion ? Walt Disney, en avance sur son temps, avait bien
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perçu cette dimension en développant les parcs d’attractions pour
permettre cette expérience. Les jeux vidéo, parcs d’attractions vir-
tuels, ont développé cette dimension, mais elle est aussi le résultat
de la saturation obtenue par la multiplication des supports qui per-
mettent à l’enfant de passer des journées entières dans un même
univers, en voyant les films, en jouant avec les jouets et les jeux,
en consultant le site, en échangeant cartes et stickers, en utilisant
des outils scolaires à son image, en s’habillant avec des vêtements
à ses couleurs, en le mangeant quand il prend la forme de biscuits
ou de pâtes.

10. GALLIEN LAURENT et BROUGÈRE GILLES, « La grande dérive postmoderne du jouet »,


dans LA VILLE VALÉRIE-INÈS DE, L’Enfant consommateur. Variations interdisciplinaires sur
l’enfant et le marché, Paris, Vuibert, 2005, p. 215-233.

20 • LA RONDE DES JEUX ET DES JOUETS


Il en résulte que le jeu, moyen d’immersion par l’interactivité
qu’il propose, est au centre de cette culture alors même qu’elle peut
s’exprimer à travers des objets non ludiques. Si la diversité des sup-
ports est importante et produit la richesse de cette culture (et de ses
entreprises), le jeu vidéo en est – avant qu’Internet ne lui vole la
vedette dans un avenir très proche – l’emblème. Il est le croisement
du jeu et de l’image animée, les deux dimensions fortes de cette
culture, intégrées aujourd’hui dans un même support.
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