Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LIBAN MODERNE
1516-1918
USEK – LIBAN
2011
1
Page
Table des matières
Mamelouk 6
A. Le relief géographique 6
B. Le relief social 7
5. L’élargissement de l’Imarat 43
Page
et le XVIIIe siècle 69
74
C. L’expédition de Bonaparte en Syrie 75
a. Le siège de ‘Akka 76
D. Le règne de Bachir II après la mort de Jazzar 1804-1818 79
E. Le règne de Bachir II entre 1819 et 1831 82
a. Le ‘Ammiyya d’Antélias (1820) 83
b. Le ‘Ammiyya de Lehfed (1821) 83
F. Le Liban sous l’occupation égyptienne (1831-1839) 87
a. La bataille de Baylan (29 juillet 1832) 91
b. La bataille de Konya (21 décembre 1832) 91
c. La question d’Orient (1774-1878) 91
d. Les conséquences politiques de l’occupation égyptienne du Liban 94
Bibliographie 141
5
Page
Chapitre I : Le relief géographique et social du Liban à la fin de la période mamelouk
A. Le relief géographique
Les cols qui permettent le passage vers la Béqâ‘ restent très élevés. Le col des Cèdres
est à 2550m ; au droit de Beyrouth, l’altitude diminue légèrement ; le col de Tarchiche se
trouve à plus de 1700m et celui de Daher al-Baïdar à 1550m. Au sud de Daher al-Baïdar, les
sommets se situent entre 2000 et 1700 m. L’obstacle montagneux s’amenuise rapidement à
partir de la latitude de Marjayoun. Dans le Nord, la montagne plonge vers les plateaux du
‘Akkar pour réapparaître, plus loin, avec le Jabal Nosaïri appelé aussi montagne des
‘Alaouites.
Quant à la côte libanaise, elle est peu accidentée dans l’ensemble. Nous comptons
seulement trois presqu’îles qui sont du Nord au Sud : les avancées sableuses de Tripoli-Mina,
la pointe rocheuse de Beyrouth et celle de nouveau, sableuse de Tyr.
6
Page
1
HADDAD Mouïne, 1981. Le Liban : milieu et population, Beyrouth, p.2.
1
B. Le relief social
Chez les Chi‘ites apparaissent les Hamadé et les Harfouche dans la région de
Baalbek. Tandis que les Kurdes dans la partie septentrionale du Liban apportent à l’histoire
du Liban leurs chefs traditionnels, les émirs Saïfa. Les sunnites sont sous l’influence de
Tanoukh ; ces fidèles des régimes musulmans n’ont jamais trahi, et les Mamelouks les
installent à Beyrouth en 1294, poste important dont certains d’entre eux, comme l’émir
Izzeddine Sodaqa, useront pour étendre encore leur autorité. Autour des Tanoukh se
reconstituent les deux partis Yéménite et Qaïsite : la branche Alam des Tanoukh, avec
7
Page
comme emblème le pavot et la bannière blanche, contrôle entre autres les Saïfa et les
Furaïkh ; la branche Jamal des Tanoukh se réserve les Ma‘en, les Chéhab dans la région de
Wadi al-Taïm, les Karam, qui portent œillet et bannière rouge. En réalité, les combats
s’acharnèrent entre les Yéménites et les Qaïsites depuis 683, date de la célèbre bataille de
Rahet près de Damas entre Marwan Ben el-Hakam prince des Yéménites et Douhak vice de
‘Abdallah Ben Zoubaïer prince des Qaïsites. Au Liban, la bataille de ‘Ain Dara en 1711 fut
décisive pour la victoire des Qaïsites sous les Chéhabites sur les Yéménites. Mais, avec la fin
des Ma‘en en 1697, les Yéménites reprirent le pouvoir en exterminant les Qaïsites et le
conflit passera entre les Joumblatis et les Yazbikis.
1
En réalité 4campagnes furent menées par les Mamelouks contre les Kisrwanites : 1292, 1299, 1302 et 1305.
8
Pour plus d’information voir : ABOU ZAHRAT Mhamad, 1958. Ibn Taymiyat, La Caire, Dar el-Fiker el-
Page
‘Arabi ; YAHYA BEN Saleh, 1969. Tarikh Beyrouth, Beyrouth, Dar el-Machreq ; MAQRIZI-el, 1939. Kitab el
Soulouk Li Ma rifat Dawr el-Moulouk, Le Caire.
L’ensemble de cette population Kisrwanite subissait en 1305 une violente attaque de
la part des Mamelouks qui cherchèrent à mettre de l’ordre au sein de leurs dissensions
religieuses et leurs querelles intestines. Après les avoir encerclés, 50.000 hommes de
différents corps d’armée commandés par le Wali de Damas et de Tripoli, se livrèrent à un
véritable massacre de la population de Kisrwan. ; ceux qui n’étaient pas tués furent dispersés.
libertés, en particulier quant à l’habillement des femmes ; cela n’empêche pas non plus les
massacres et le pillage du couvent de Meïphouq, en 1439, dans le niabat de Tripoli, les
Mamelouks ayant pris ombrage de l’enthousiasme des chrétiens à l’arrivée du frère Jean,
délégué apostolique suspecté de préparer une nouvelle croisade. Cependant un accord
intervint, vers le milieu du XVe siècle, entre les princes européens, et les Mamelouks pour la
protection des chrétiens orientaux, accord qui est l’ancêtre de futures capitulations. Le 4
février 1536, François Ier signe le traité des Capitulations avec le sultan Soliman le
Magnifique. Il offre aux navires battant pavillon français le privilège de commercer avec
toutes les côtes de l'empire turc, ce qui va assurer la prospérité de Marseille. Il confie aussi au
roi de France la protection des Lieux Saints et des chrétiens de l'Empire ottoman. Ce traité,
destiné à prendre de revers l'empereur Charles Quint, atteste que l'intérêt national l'emporte
désormais sur la solidarité des chrétiens face aux menaces ottomanes. L'empire turc est un
État comme un autre, avec lequel on s'allie, on fait la guerre et on commerce en fonction des
intérêts de chacun. Le traité des Capitulations restera en vigueur jusqu'à la Première Guerre
mondiale.
De tous les chrétiens libanais, les maronites étaient ceux qui profitaient le plus
largement des ouvertures faites par les Mamelouks ; aux circonstances générales s’ajoutèrent
pour eux les effets du massacre de 1305, le fait que leur aire d’extension, difficilement
contrôlable, jouissait d’une plus grande autonomie, et on les voyait petit à petit revenir de
Chypre, où ils s’étaient enfuis au cours de la débâcle.
Après la disparition du raïs, le pouvoir politique fut concentré entre les mains du
patriarche, entouré comme autrefois de moukaddems1, de seigneurs parmi lesquels on peut
signaler la prééminence de celui de Bcharré et de ‘Aqoura. Cependant, après les règne plutôt
bénéfiques des patriarches Simon, Jean, Gabriel de Hajjoula (mort en 1367), David-Jean
(mort en 1404), survint en 1439, sous le patriarcat de Jean de Jaj, l’affaire que provoque
l’arrivée du frère Jean, supérieur des franciscains de Beyrouth.
1
MAKKI A. Mhamad, 2006. Loubnan min el-Fateh el-‘Arabi ila Fateh el-‘Outhmany, Beyrouth, Dar An-
Nahar, 264-266.
26 avril 1442, à l’Union de Florence ; peu de temps après, en 1444, ils envoyaient une
ambassade au Saint-Siège pour solliciter son appui. Ce fut à la suite de cette dernière
mission à propos de laquelle les franciscains qui avaient récupéré leurs installations de
Beyrouth et de Tripoli, jouaient un rôle important, que le pape institue auprès des maronites
un commissariat apostolique permanent.
11
Page
Chapitre II : Le Liban et la conquête ottomane en 1516
Les Mamelouks1, ces esclaves turcs ou circassiens, achetés autrefois par les sultans
d’Egypte et qui avaient arraché le pouvoir à leurs maîtres tinrent à partir du Caire tout le
Moyen-Orient de 1291 jusqu’à 1516.
- Les Croisés qui restèrent tout le long du XIVe siècle à proximité, à Chypre, d’où
ils surveillèrent la côte de l’Asie Mineure, avec derrière eux l’Europe.
- Les Mongols, et les expéditions de Ghazan Khan qui ne cessèrent qu’avec la
bataille de Mardj as Soffar, en 1303. Aussi, au début du XVe siècle, les hordes de
Tamerlan furent plus effrayantes encore, s’emparant de Damas, et de là
atteignirent un moment le Liban où Baalbek fut mise à sac.
- Les ottomans, une puissance montante qui se leva vers l’Est. Héritiers et
continuateurs des Seldjoukides2, ils reprirent leur lutte diplomatique et militaire
contre Byzance, et leurs relations avec les Mamelouks se gâtèrent définitivement
après la prise de Constantinople par Mahomet II (dit el-Fatih) en 14533.
1
Les mamelouks (de l’arabe mamluk "possédé").
2
Les Seldjoukides étaient une dynastie turco-musulmane issue des turcs « Oghuzs ». A partir de la fin du Xe
siècle et au cours des deux siècles qui suivirent, ils parvinrent à asseoir et à affermir leur royaume de l’Hindou-
Kouch jusqu’en Anatolie de l’est, et de l’Asie centrale jusqu’aux eaux du golfe Persique. Ils avancèrent ainsi, en
partant de leur terre natale et de la mer d’Aral, vers la province du Khorâssân, aboutissant à la conquête de la
Perse.
3
Le 29 mai 1453 figure traditionnellement parmi les dates clés de l’Histoire occidentale. Ce jour-là,
12
Constantinople tomba aux mains du sultan ottoman Mahomet II. La ville, vestige de l’empire romain, était
l’ultime dépositaire de l’Antiquité classique. Elle faisait aussi office de rempart de la chrétienté face à la poussée
Page
de l’Islam. Voir YOUNG Georges, 1934. Constantinople depuis les origines jusqu’à nos jours, Paris, Payot ;
VASILIEV A., 1932. Histoire de l’Empire byzantin, Paris, Picard, t.1 et t.2.
Mahomet II - dit el-Fatih – 1432-1481
1
BACQUE-GRAMMONT J.-L., 1989. “L’apogée de l’Empire ottoman : les événements (1512-1606)», in
Page
Quelques jours de marche les séparaient lorsque Sélim 1er, prétendant que Qânsûh al-
Ghûrî lui interdisait le passage à travers ses possessions anatoliennes et s’était donc allié au
Chah et d’être les amis des hérétiques, et d’entraver le passage annuel du grand pèlerinage
vers La Mecque, déclara la guerre et le rejoignit à Merj Dabeq. Depuis longtemps, le rapport
des forces militaires entre Mamelouks et Ottomans2 penchait en faveur de ces derniers pour
plusieurs raisons et spécifiquement militaire. En effet, Alors que les Mamelouks, sous la
dynastie burdjite 3 , s’en tenaient encore à la cavalerie, les Ottomans possédaient déjà une
infanterie et ils disposaient d’une excellente artillerie.
La rencontre eu lieu le 24 août 1516, près du petit bourg de Merj Dabeq, en Syrie au
nord d’Alep. Sous le tir de l’artillerie ottomane, les Mamelouks se débandèrent. En réalité, la
bataille fut d’autant plus brève que, selon un plan convenu à l’avance, le na’ib d’Alep fit
aussitôt défection avec une partie de l’armée qui désorganisée, fut hachée par les canons
ottomans. Qânsûh al-Ghûrî resta mort sur le champ de bataille et Sélim 1er entra le 9 octobre
à Damas où Ghazali, gouverneur mamelouk de la ville, lui ouvrit les portes et se rallia. Sélim
1er s’empara de la Syrie.
1
BACQUE-GRAMMONT J.-L., 1989. “L’apogée de l’Empire ottoman : les événements (1512-1606)», in
MANTRAN Robert, Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 139158-420. BACQUE-GRAMMONT
1989 : 144.
2
Osman Ier (turc: Sultan Osman Gazi rahimahou llah. Osman déformation de l'arabe : ‘Ouṯmān, عُث َمان,
`Uthman. Alors qu'en turc : gazi signifie « triomphateur ; combattant de la foi ») est né en 1258 à Söğüt. Il est le
fils d’Ertugrul et lui succéda en 1281. C'est lui qui donne son nom à la dynastie Ottomane (turc : Osmanlı). Il est
14
mort en 1326 d'une crise de goutte à Bursa. Il eut deux épouses, une fille et sept fils : Pazarli, Coban, Hamit,
Orhan, Alaeddin, Ali, Melik, Savci. Il lui arrivait de donner ses vêtements à un pauvre après les avoir portés une
Page
seule journée.
3
En 1382, les Burdjites prirent à leur tour le pouvoir en Egypte en la personne du sultan Barkuk.
Sélim 1er – dit le Cruel – 1466-1520 Tombeau du Sultan Qânsûh al-Ghûrî – Le Caire.
Le Liban à son tour passa entièrement sous l’empire ottoman, tandis que Sélim 1er
poursuivit ses victoires. Le 22 janvier 1517, Le Caire tomba entre ses mains, et l’Egypte
devint une province turque, avec toutes les anciennes possessions des Mamelouks. Sélim 1er
se proclama à Alep devant le Calife « le serviteur de la Mecque et de Medina »1 . Cette
nouvelle situation ne changea pas grand-chose au début chez les libanais. Ce sont des
sunnites qui remplacèrent d’autres sunnites, et si le rite hanéfite – celui des Turcs - devint
officiel, déjà les musulmans libanais y étaient accoutumés.
1
INALCIK Halil, The Ottoman Empire. The classical age 1300-1600, London : Phoenix, 33-34.
Sultan Soliman le Magnifique (1494-1566)
B. L’administration ottomane
À son apogée, au XVIe siècle, les territoires de l'Empire englobent ce que sont
maintenant en Europe : la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, la Serbie, la Bosnie-
Herzégovine, le Monténégro, l'Albanie, la Grèce, la Bessarabie, l'Ukraine, la Crimée ; en
Asie, la Turquie, l'Irak, le Koweït, le Bahreïn, la Syrie, le Liban, la Palestine, la façade de
l'Arabie sur la mer Rouge, le Yémen, l'Oman ; en Afrique, l'Égypte, la côte du Soudan et de
l'Éthiopie, la Libye, la Tunisie, l'Algérie. L'espace maritime comprend le bassin oriental de la
Méditerranée (plus la partie orientale de l'Adriatique et de la mer Ionienne), le sud du bassin
occidental jusqu'aux frontières du Maroc, la totalité de la mer Noire et la quasi-totalité de la
mer Rouge, le sud-ouest de golfe Arabo-persique. La population est estimée à 22 millions
d'habitants, celle d'Istanbul, la capitale, à un demi-million, ce qui est considérable pour
l'époque. L'Empire ottoman n'est pas une entité monolithique, il rassemble des éléments
hétérogènes sans les fondre dans un moule unique. Les ethnies les plus diverses s'y côtoient,
sans discrimination. Les trois grandes religions monothéistes, dans leurs multiples variantes,
y sont représentées.
16
Page
Carte de l’expansion de l’Empire Ottoman au XVIe siècle.
Une fois les conquêtes achevées, l’Empire ottoman comprenait 32 wilayets, dont 24
étaient divisés en 279 sandjak. Mais cette organisation provinciale était, en fait, très
complexe. D’une part, le découpage était susceptible d’être modifié. D’autre part, il englobait
de circonscriptions plus réduites (sandjak, nâhiyat), dont la configuration était elle aussi
mouvante. Pour prendre des exemples dans Bilâd al-Châm, Hama et Homs formèrent d’abord
un seul sandjak (1527), puis deux (1568), dépendant de Damas, et furent ensuite rattachées
respectivement à Alep et à Tripoli (1578). Mais le sandjak de Homs, bien que rattaché à la
province de Tripoli, fut confié, à plusieurs reprises, au gouverneur de Damas. Saydâ, sandjak
de wilayet de Damas, en fut séparéd’abord temporairement, en 1614, puis définitivement
après 1660. Au XVIIIe siècle, Saydâ constituait un wilayet auquel fut rattachés les nâhiye de
Haïfa (en 1723) et de Mardj ‚Uyûn (à l’époque de Jazzar pacha)1.
Compte tenu de ces frortes différences qui existèrent localement, dès le début, dans
l’organisation administrative des provinces, compte tenu aussi de celles qui se développèrent
17
Page
1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 344.
progressivement ensuite, au fil d’une évolution historique très variée suivant les régions, nous
ne pouvons dresser un tableau global de l’administration provinciale que si nous restons à un
niveau de grande généralité. Avec cette réserve, nous povons considérer que l’administration
des provinces arabes reposa sur trois bases principales :
a. Les gouverneurs
1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 349.
18
2
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 349.
Page
3
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 349.
pour se dédommager rapidement des sommes que leur avait coûtées leur nomination, et peu
enclins à promouvoir une politique dont les résultats n’auraient été sensibles qu’à longue
échéance.
Les attributions des pachas étaient très vastes. Ils étaient en théorie, investis de
l’autorité suprême dans les domaines civil et militaire : ordre et sécurité publique, collecte
des impôts et préparation du tribut destiné à la Sublime Porte et à l’administration générale.
Mais cette autorité était limitée :
b. Les juges
A l’origine, les nominations étaient faites à vie, mais la présence des juges dans une
même ville pour une période indéfinie présentait des inconvénients évidents. À partir du
XVIIe siècle, les postes de juges dans les capitales des provinces eurent donc un caractère
annuel, la nomination partant habituellement du début de muharram, premier mois de l’année
musulmane.
Les provinces étaient divisées en plusieurs ressorts judiciares. Damas avait quatre
19
cours de districts, en plus de la cour principale. Il en allait de même à Alep et Tripoli. Les
Page
juges de second rang étaient en général recrutés parmi les indigènes. Les juges jouaient un
rôle considérable dans la vie sociale, économique et même politique des provinces.
Les influences des juges s’étendaient jusqu’au domaine politique. Les juges et un
certain nombre d’oulémas siégeaient dans les conseils qui assistaient les gouverneurs. Le
divan consultatif de Damas comprenait les pricipaux dignitaires de la province, aghas des
milices, daftardâr, juge, muftî. Ces divans avaient pour fonctions de conseiller le pacha, mais
il revenait plus particulièrement aux juges de s’assurer que les ordres envoyés d’Istanbul au
gouverneur étaient exécutés, dans le cadre de l’observance de la loi religieuse.
L’autorité du sultan reposait largement sur la milice des janissaires, dont les unités,
dispersées dans toutes les provinces, contribuaient à assurer l’ordre intérieur. Il n’est pas utile
d’insister sur les principes qui présidaient traditionnellement au recrutement de cette troupe.
Dès 1577, dans un firman adressé au gouverneur de Damas, la Porte se plaignait de ce que les
places vacantes dans le corps des janissaires fussent données non à des jeunes capables et
braves de Roum, mais à des riches et fortunés indigènes et à des étrangers2.
1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 352.
2
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
20
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 353. Nom francisé du principal
corps de troupe de l'Empire ottoman (Yeni Ceri, "nouvelle troupe"), dont la création se situe dans la seconde
Page
moitié du 15ème siècle, sous le règne du sultan Murat 1er (1362-1389). Le recrutement des janissaires, d'abord
effectué en prélevant un prisonnier de guerre sur cinq, se fait ensuite par le système de la devchirmé, ou
Les janissaires en parade Les Janissaire en armure
ramassage de jeunes enfants dans les familles chrétiennes des Balkans ; élevés en milieu turc et musulman en
Anatolie, ces enfants étaient ensuite affectés à l'odjak des adjemi (littéralement, le "corps des débutants") de
21
1. Le timâr
Le timâr1 consistait, dans la majorité des cas, dans l’octroi d’une ou de plusieurs
catégories de revenus contre la prestation d’un service bien défini. L’institution du timâr est
considérée comme l’un de fondements du système militaire mais aussi socio-économique. Le
bénéficiare était révocable et la cure non héréditaire. Les cas de transfert de timâr de père en
fils étaient très rares Les obligations des timariotes dépendaient du revenu annuel du timâr.
La première concernait l’armement du timariote, fixé en fonction de son revenu ; la seconde
regardait, toujours en fonction de ce revenu2. L’administration pouvait transférer un timariote
d’une cure à une autre ou le casser de sa cure pour des motifs divers :
1
Le terme timâr, d’origine persane, signifie « soigner, prendre soin de quelque chose ». L’institution du timâr
est d’origine pré-ottomane ; chez les Ottomans, l’attribution d’un timâr entraîne pour son détenteur, outre
l’obligation du service de guerre, celle de la mise en valeur de son timâr et la perception des revenus et taxes
qui y sont liés.
2
BELDICEANU Nicoara , 1989. “L’organisation de l’Empire Ottoman», in MANTRAN Robert, Histoire de
l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 117 - 138. BELDICEANU 1989 : 128 ; KHALIFE Issam, 2000. Al-Dara’eb
22
MEDITERRANEEN X-XIIIe siècles (10-13 octobre ; Rome) 1980. Le timâr dans l’Etat ottoman (XIV-XVe
siècles), Rome, Ecole française de Rome, 743-753. COLLOQUE DE ROME 1980 : 747.
fouleries, madragues, etc1. Mais si le timariote avait la jouissance des impôts versés par les
contribuables, cela signifie nullement qu’il avait un droit particulier sur les terres des Raïas ;
celles-ci étaient la propriété de la Porte.
Un autre classement peut être opéré d’après la nature du revenu fiscal. Il convient
de rappeler tout d’abord un trait caractéristique du système fiscal ottonman. Les impôts
étaient divisés en deux grandes catégories :
1
BELDICEANU Nicoara, 1976. Le monde ottoman des Balkans (1402-1566) : institutions, société, économie,
Paris, 237.
- Le timâr intégral caractéristique au système ottoman
- Le timâr de type divani. Le bénéficiaire ne percevait que les droits coutumiers.
- Le timâr composé des droits Cha‘iyé1 . Le timariote ne jouissait que des droits
religieux, c’est-à-dire de la dîme, mais ce genre de timars est exceptionnel.
Le critère du timâr est constitué par le montant du revenu annuel. Le revenu variait :
24
Page
1
COLLOQUE DE ROME 1980 : 750.
Source : KHALIFE 2000 : 29.
2. L‘emanet
L’emanet consistait dans la collecte des impôts par un préposé (emîn) qui versait la
totalité des sommes perçues à la Trésorerie, moyennant un salaire (ulûfe).
3. L‘iltizâm
25
Avec l’iltizâm, le fermier (multazim) achetait, pour une somme déterminée et pour
Page
une année, une muqâta‘a , se chargeait des tâches administratives et gardait le surplus
éventuel. La plupart des provinces arabes connurent ces différentes formes d’administration
fiscale, mais dès la fin du XVIIe siècle, le système de l’iltizâm était le plus communément
utilisé1. Ses avantages étaient évidents :
- Assurer à la Trésorerie des sommes fixes, sans l’obliger à mettre en place une
administration.
- Permettre de réviser périodiquement les conditions du fermage.
1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 357.
26
2
VEINSTEIN Gilles, 1989. “L’empire dans sa grandeur (XVIe siècle) », in MANTRAN Robert, Histoire de
l’Empire ottoman, Paris : Fayard 159-226. VEINSTEIN 1989 : 212 ; KHALIFE 2000 : 83-150.
Page
Source : KHALIFE 2000 : 120.
C’est ainsi que, au sein de la montagne où la coutume régissait les biens et les
personnes, la plupart des terres étaient mulks. Les émirs, soumis à l’investiture et au tribut,
pouvaient ausi instituer des taxes douanières ; ils avaient leur armée, leur drapeau.
27
Page
e. Les Capitulations
Parmi les forces qui jouaient au Liban un rôle pondérateur, atténuant les rigueurs
ottomanes et aidant à protéger les autonomies régionales, les privilèges de personnes ou de
communautés, il faut compter au premier rang les Capitulations.
1
Coran IX : 28.
2
Statut qui ne fut d’abord concédé qu’aux « gens du livre » chrétiens et juifs puis étendus, avec l’extension du
Page
Dar el-Islam, à d’autres religions. Voir FATTAL A., 1958. Le statut légal des non-musulmans en pays d’Islam,
Beyrouth.
invincible Grand Seigneur, sultan Soliman, empereur des Turcs, et
raisonnant avec le puissant et magnifique seigneur Ibrahim , cherlesquier
soltan (c'est lieutenant général d'exercite) du Grand Seigneur, des
calamités et inconvénients qui adviennent de la guerre, et au contraire du
bien, repos et sûreté qui procèdent de la paix, et par ce connaissant
combien l'un est de préférer à l'autre, se fait chacun d'eux fort des susdits
seigneurs leurs supérieurs, au nom et honneur desdits seigneurs, sûreté
des états et bénéfice de leurs sujets, ont traité et conclu les chapitres et
accords qui s'ensuivent.
Premièrement, ont traité, fait et conclu, traitent, font et concluent, bonne et
sûre paix et sincère concorde au nom des susdits Grand Seigneur et roi de
France, durant la vie de chacun d'eux, et pour les royaumes, seigneuries,
provinces, châteaux, cités, ports, échelles , mers, îles et tous les lieux
qu'ils tiennent et possèdent à présent et posséderont à l'avenir, de manière
que tous les sujets et tributaires desdits seigneurs qui voudront, puissent
librement et sûrement, avec leurs robes et gens, naviguer avec navires
armés et désarmés, chevaucher, venir, demeurer, converser et retourner
aux ports, cités et quelconques pays les uns des autres, pour leur négoce,
mêmement pour fait et compte de marchandise.
Item. Que lesdits sujets et tributaires desdits seigneurs pourront
respectivement acheter, vendre, changer, conduire et transporter par mer
et par terre d'un pays à l'autre toutes sortes de marchandises non
prohibées en payant les accoutumées et antiques daces et gabelles
ordinaires seulement, à savoir, les Turcs au pays du Roi comme payent les
Français, et lesdits Français au pays du Grand Seigneur comme payent les
Turcs, sans qu'ils puissent être contraints à payer aucun autre nouveau
tribut, imposition ou angarie .
Item. Que toutes fois que le roi mandera à Constantinople ou Péra et
autres lieux de cet Empire un baille , comme de présent il tient un consul
en Alexandrie, que lesdits bailles et consuls soient acceptés et entretenus
en autorité convenante, en manière que chacun d'eux en son lieu et selon
leur foi et loi, sans qu'aucun juge, cadi , sousbassy , ou autre en empêche,
doive et puisse ouïr, juger et terminer tant en civil qu'en criminel toutes les
causes, procès et différends qui naîtront entre marchands et autres sujets
29
bailles et consuls ne fussent obéies, et que pour les faire exécuter ils
requissent les sousbassy ou autres officiers du Grand Seigneur, lesdits
sousbassy et autres requis devront donner leur aide et mainforte
nécessaire, non que les cadis ou autres officiers du Grand Seigneur
puissent juger aucuns différends desdits marchands et sujets du roi,
encore que lesdits marchands le requissent, et si d'aventure lesdits cadis
jugeaient, que leur sentence soit de nul effet1.
Par contre, les Capitualtions de 1569 jetèrent les bases juridiques de la présence
française dans le Levant: les sujets du roi acquitteraient les taxes ordianires selon les
coutumes ordinaires d’entrée et seraient placés sous la protection de leur ambassadeur et de
leurs consuls établis à Istanbul, Alexandrie, Tripoli et Alger 2. Au Liban, la signature des
Capitulations mit fin au monopole du transit avec l’Europe que s’étaient arrogés les Vénitiens.
Jean Reynier, premier consul français établi au Levant, prit son poste à Tripoli en 1548 et, en
1550, les provencaux développèrent leurs affaires dans cette ville. Pourtant, la présence des
Ottomans entraînaient généralement une régression de l’économie du Liban. Beyrouth en
premier, les ports périclitèrent, tandis que le transit entre l’Europe et l’Asie mineure fut
détourné vers des ports syriens et des villes comme Alep, Homs ou Hamâ.
Subsidiairement, parmi les libertés concédées aux Français, prit place la liberté
religieuse : afin qu’elle fut effective, la France obtint la garde des Lieux saints. Peu à peu,
d’extensions en extensions, ce pays s’érigea en protecteur non seulement de tous ses
ressortissants chrétiens, commerçants ou missionnaires capucins ou jésuites qui se
multiplièrent à partir de 1578, mais des chrétiens autochtones3. La condition des chrétiens du
Liban resta dominée par plusieurs phénomènes. Ces les maronites qui profitèrent le plus des
1
Sources d’histoire de la France moderne, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, Paris, Larousse, 1994, p. 188.
2
VEINSTEIN Gilles, 1989. “L’empire dans sa grandeur (XVIe siècle) », in MANTRAN Robert, Histoire de
30
‘Outhmaniyat”, in PAHL, Minorités et nationalités dans l’Empire ottoman après 1516, Fanar, 33-51. P.
HOKAYEM 2001 : 40.
Capitulations, à la suite de la négociation menée par le savant maronite Assém‘âni auprès du
roi de France, dont il reclama la protection spéciale pour ses coreligionnaires.
1
Voir DANDINI Girolamo, 1675. Voyage du Mont-Liban, Paris : Louis Billaine.
2
Le Traité de Constantinople de 1700 mit fin à la Guerre russo-turque de 1686-1700. Il fut signé un an après le
Traité de Karlowitz, qui marque la défaite de l'Empire ottoman lors de la Deuxième guerre austro-turque (1683-
1699).
3
Voir ABOU AL-ROUSS Souad, 2001. “ Al-Roum al-Orthodoxe wa Himayat al-diniyat al- roussiyat fi al-
qarneïn al-thamen ‘Achar wa tase’ ‘achar”, in PAHL, Minorités et nationalités dans l’Empire ottoman après
1516, Fanar, 53-66 ABOU AL-ROUSS 2001 : 58. Le traité de Küçük Kaynarca (ou traité de Koutchouk-
31
Kaïnardji ou Kutchuk-Kaïnardji) est un traité de paix conclu entre la Russie et l'Empire ottoman le 21 juillet
1774. Il met fin à la guerre russo-turque de 1768-1774 qui vit le soulèvement d'une partie de la Grèce et
Page
l'expédition des frères Orloff. Ce traité est un des plus défavorables signés par les Ottomans. Il fut signé à
Koutchouk-Kaïnardji, aujourd'hui Kaïnardja, en Bulgarie.
Chapitre III : L’Imarat du Liban au XVIe siècle
L’histoire moderne du Liban est forgée à l’époque des Emirs, qui s’étendait du XVIe
siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle. Durant cette période les diverses communautés et
groupements humains de la Montagne, qui vivaient jusque-là isolés et repliés sur eux-mêmes,
éprouvèrent la volonté et le besoin, de vivre ensemble sous la poussée de l’évolution et de la
menace, afin de protéger leurs intérêts collectifs et de leurs libertés.
Dans l’antiquité, cette montagne protégeait les ports phéniciens et leur servait de
rempart. Elle s’est transformée par la suite en une forteresse refuge. Sous Byzance et de tout
temps, constate Volney « ces montagnes étaient devenues l’asile des mécontents ou des
rebelles qui fuyaient l’intolérance des empereurs et de leurs agents ».
32
Page
1
Voir CHARAF Jean, 1996. 217-294.
B. La société du Mont-Liban au XVIe siècle
La Montagne du Liban offrait à l’habitat des zones distinctes, tout en n’étant pas
isolées, ce qui contribua à la répartition des communautés entre des secteurs géographiques
qui porteront leur cachet, sans exclusion des autres.
Ainsi, les Druzes dominaient dans le Chouf, le Gharb, Metn et dans le Wadi al-
Taym, berceau de la prédication de leurs missionnaires, où ils se sont répandus aux dépens
des Chi‘ites, surtout à l’époque des Mameloukes1. Les Chi‘ites représentaient une portion
importante de la population ; ils dominaient dans le Sud (Jabal ‘Amel) et le Nord de la
Béqâ‘ (Hermel Baalbek). Les maronites étaient concentrés surtout dans la partie nord du
Mont-Liban d’où ils s’étaient répandus dans la région de Jbeïl et dans la région de Kisrwan.
Les Melkites, majoritaires dans le Koura, bénéficiaient des garanties que les sultans avaient
consenties au patriarcat œcuménique du Phanar à Istanbul.
D’une manière générale, les plaines, riches et ouvertes, étaient sous la mainmise
directe des Ottomans, comme, avant eux, des Mamelouks.
1
Boutros Dib 311.
déroulée en deux phases. La première est liée à la construction de l'Empire et a évolué avec
sa montée en puissance. La seconde est due aux vastes réformes administratives de 1864 et
s'est terminée avec la dissolution de l'Empire.
Le Liban dans ces limites actuelles se voyait rattacher à deux wilayets : wilayet de
Tripoli au nord et wilayet de Damas à l’est. Celui de Tripoli comprenait l’actuel du Liban-
Nord, avec les nâhiyats de :‘Arqâ, ‘Akkar, Zawiyat, Bcharré, la ville de Tripoli, Koura,
Batroun, Jbeïl, Ftouh Bani Rahal et al-Manâssef, ainsi que les régions de Homs, Hama et la
côte 1 . Quant à celui de Damas, il avait dans sa dépendance les sandjaks de Beyrouth
(Beyrouth, Kisrwan, Metn, Ghareb), de Saïda (Saïda, Chouf Ibn Ma‘en, Iklim al-Kharoub,
Iklim al-Toufah, Iklim Jezzine) et de Safad (‘Arqoub, Wadi al-Taïm, Cheqif et Tibnine),
Baalbek, Karak Nouh, Chouf al-Bayada et Chouf al-Hradin.
La fondation de l’Imarat Ma‘enite par Fakher Eddine Ier, puis l’histoire de l’attaque
dans le territoire des Saïfa d’une caravane ottomane transportant vers Constantinople le
produit des impôts levés en Egypte n’ont pas de fondements historiques bien réels. Ces deux
versions restent du domaine de l’apologie historique, fondées par Ahmad Haïdar al-Chihabi2
et Tanous al-Chidiac3. En effet, pour ces deux historiens, les ottomans attribueront à Fakher
Eddine Ier Ma ‘an4 le titre de roi de la Terre, de grand émir. Si le titre n’est pas héréditaire, le
succès des Ma‘en fut d’avoir réussi à imposer que le grand émir soit toujours élu dans la
même famille, la leur, et d’avoir obtenu, chaque fois, l’investiture des Ottomans. Pendant
longtemps, les historiens libanais crurent à cette version de la fondation de l’Imarat Ma‘enite.
Les historiens libanais contemporains commencent à nier l’existence de Fakher Eddine Ier
comme un être historique existant5.
Quant à l’attaque dans la baie de Joun ‘Akkar d’une caravane ottomane, alors qu’elle
traversait le territoire des Saïfa, cet épisode fut relaté par le patriarche Doueihy dans son
1
Homs et Hama furent rattachées dans la province de Damas pour récompenser le gouverneur mamelouk el-
Ghazali. Après sa rébellion contre Soliman Le Magnifique, les deux Sandjaks furent de nouveau rattachées à
Tripoli.
2
CHIHABI Ahmad Haïdar, 1969. Le Liban à l’époque des Emirs Chéhabs, Beyrouth : Université Libanaise.
34
3
4
Pour Doueihy, ce fut l’émir Qorqomas le fils de l’émir Younes Ben Ma‘an qui se présenta avec une délégation
Page
1
2
MA‘LOUF ‘Issa Iskandar, 1934. Histoire de l’Emir Fakher-Eddine al Ma‘eny prince du Liban (1590-1635),
Page
Lorsque, profitant de l’accalmie qui suivre, leur mère les remettra enfin à leur
oncle, l’émir Saïf Eddine Tannoukh, ce passé ne sera jamais oublié ; le futur Fakher-Eddine
homme d’études autant que doué pour les combats, retiendra auprès de lui les sages Khazen
et Chaïban. Ce fut entre eux deux et sa mère que Fakher-Eddine II, sous la régence de son
oncle Tannoukh qui gouverna le Chouf en son nom, apprit peu à peu son métier de prince2.
Pour reconquérir son royaume, Fakher Eddine II élabora secrètement un plan à cinq
niveaux :
1. Intérieur
2. Militaire
3. Extérieur
36
Page
1
CHARAF 1996 : 185.
2
MA‘LOUF 1934 : 46-48.
4. Commercial
5. Elargissement de l’Imarat
1
DIB 2006 : 331.
2
DIB 2006 : 332-333.
service tant qu’ils restèrent fidèles et dévoués. Abou –Nader el-Khazen fut son fidèle
confident sans aucune défaillance. Le juif Abraham Nacmias était gérant de la caisse privée
et l’Emir ne trouvait aucun inconvénient à lui donner le titre de « cher ami »1.
2. La puissance militaire
L’armée de Fakher Eddine II était composée de deux éléments : les recrues
libanaises et les mercenaires sokmans2. Pour le recrutement des libanais, l’Emir tenait des
registres où étaient inscrits les noms de tous ses sujets et ce, tant pour la conscription que
pour la perception des impôts.
Quant aux sokmans, l’Emir s’en était servi et a eu largement recours à eux. Ce
recours aux mercenaires, d’une part, de sa politique d’alliance et d’entente avec certaines
puissances européennes, d’autre part, s’expliquent par sa pauvreté en hommes et en
territoires.
Les sokmans, soldats de métiers étaient l’armée permanente de Fakher-Eddine II. Ils furent
attirés au service de l’Emir libanais par sa bonne administration qui leur assurait la solde
large et la paie régulière3.
Ces troupes, qui avaient leurs usages propres et un habillement spécial, étaient
réputées pour leur courage guerrier. Après la bataille, elles se partageaient équitablement le
butin ou le produit de sa vente. Cette armée de Fakher Eddine II était surtout dépourvue
d’artillerie ; c’est pourquoi le grand souci de l’Emir était de l’en pourvoir. Après le retour
d’Italie et l’engagement des techniciens florentins, cet état a dû s’améliorer en ce qui
concerne notamment l’équipement, les armes et le ravitaillement.
Au début du règne de Fakher-Eddine II, l’effectif de l’armée fut estimé à quarante mille
hommes régulièrement payés. Ses ressources financières, dues à l’état prospère de son pays,
surtout de l’agriculture et du commerce, lui permettaient l’entretien assez coûteux de cette
armée. Il faut ajouter à cela le tribut qu’il levait au cours de ses campagnes. « la guerre
nourrit la guerre », disait Caton l’Ancien.
La paie du soldat était de trois écus par mois avec une partie de la nourriture. Ceux qui
tenaient garnison dans les forteresses laissaient leurs familles à la charge du prince. Le
38
1
CHEBLI Michel, 1984. Fakhereddine II Maan Prince du Liban (1572-1635), Beyrouth : Lib Orientale.
CHEBLI 1984 : 32.
Page
2
Le mot persan sokman ou sokban, veut dire “gardien de chien à la chasse »
3
CARALI 1992 : 73 ; CHEBLI 1984 : 33 ; CHARAF 1996 : 266-270.
cavalier avait droit au cheval et à un serviteur. Les gradés étaient encore plus largement
payés1.
3. La politique extérieure
Sur le plan des relations extérieures, faute de pouvoir nommer des ambassadeurs en
titre, l’Emir désignait pour le représenter des délégués résidents ou itinérants. Auprès de la
Sublime Porte, c’était Moustafa Chalabi ; il confiait aussi parfois des missions au Haje
Kiwan, apparenté à Chalabi qui le suivra dans la disgrâce. Auprès du chah de Perse, il
commit un uléma Chi‘ite, le cheikh Lutfallah al-Maysi al-‘Amili. Les affaires européennes
furent confiées à un prélat maronite Mgr Georges Maroun archevêque de Chypre et originaire
d’Ehden2 qui était efficacement secondé par la pléiade du Collège maronite de Rome, fondé
en 1584. Mgr Maroun obtint du Pape Urbain VIII, qui succéda en 1622 à Paul V, une lettre
datée du 20 octobre 1623, adressée à Philippe IV d’Espagne. Au juif Abraham Nahmias, il
confia l’administration de sa caisse privée ; il l’utilisait aussi dans ses négociations avec
l’étranger.
Sur le plan régional, Fakher Eddine II se mit en relation avec le wali d’Alep ‘Ali
Joumblatt. Plus d’une raison poussait les deux parties à s’allier. Tous les deux étaient
impatients de secouer le joug turc3. De plus, ils avaient comme ennemi commun Youssef
Saïfa, dont les domaines confinaient, du côté d’Alep, avec ceux de Joumblatt et, du côté du
Liban, avec ceux des Ma‘en4.
Sur le plan international, l’Emir se mit en 1608 en alliance avec la Toscane. A cet
effet, l’amiral Guadagni mit le cap sur le Liban et jeta l’ancre dans la rade de Tyr, d’où il
entra en rapport avec Fakher Eddine II qui se trouvait à Saïda. Après des mises en scène
destinées à camoufler les pourparlers, des accords furent conclus, au début de 1608. Ils
stipulaient notamment :
4. L’envoi d’une vingtaine de pièces d’artillerie avec des techniciens.
5. Une recommandation du pape aux Chrétiens relevant de lui, de servir
l’Emir5.
1
CHEBLI 1984 : 35.
39
2
CHEBLI 1984 : 117.
3
DIB 2006 : 349.
Page
4
Voir page …l’élimination de Youssef Saïfa
5
Voir supra
6. L’ordre à tous les vaisseaux toscans naviguant en Méditerranée
orientale de toucher le port de Saïda afin que l’Emir puisse leur confier
éventuellement toute commission qu’il jugerait utile.
7. La délivrance à l’Emir d’un sauf-conduit permanent lui permettant de
débarquer à tout moment sur les terres du grand-duc.
En 1609, Ferdinand Ier meurt. Son fils Cosme II montre moins d’enthousiasme pour une
entreprise militaire en Orient.
Pour les affaires commerciales, Fakher Eddine II prêta une attention particulière au
développement commercial au sein de sa principauté. L’ordre sous l’Emir avait bien assuré
deux conditions primordiales : Sécurité de la mer et de la terre et justice.
40
Page
1
CHEBLI 1984 : 37.
2
LAMMENS 1921 : 82.
Afin de sécuriser les voies commerciales maritimes et terrestres, Fakher Eddine II consacra
un travail colossal pour la construction de forteresses. Ces œuvrés défensives se divisent en
deux catégories : celles qui devaient servir de points d’appui dans la défense des frontières et
celles destinées à appuyer des opérations intérieures et à offrir, le cas échéant, d’ultimes
refuges1.
Dans l’un et l’autre cas, Fakher Eddine II s’est également contenté d’utiliser des
forteresses déjà existantes, en les restaurant et les dotant d’artillerie et de vastes dépôts
permettant d’emmagasiner, en prévision de longs sièges, quantité de munitions et de
provisions. Il confia les travaux de restauration à des ingénieurs européens, toscans pour la
plupart. Presque toutes ces places sont d’origine croisée. Erigées en des points stratégiques
commandant les voies d’invasion aboutissant à la côte, elles couvraient les ports, assurant les
liaisons avec l’Europe. Ainsi en est-il de Chekif Arnoun (Château de Beaufort) et du château
de Subbaybah (Banias, en Syrie) ; de ‘Ajloun et de Safad, positions avancées en terre
palestinienne ; de Markab qui domine le littoral syrien. Plus à l’intérieur du Liban, Baalbek et
Kab Elias défendaient la Béqâ‘ et les abords du Mont-Liban ; le point fortifié de Musaylihah
et de Chekif Tiroun (Niha Chouf), ainsi que les citadelles et tours des différentes villes
avaient une vocation plutôt interne2.
1
DIB 2006 : 335.
2
CARALI 1992 : 78-87.
Château de Beaufort – Liban Sud
Malgré l’ouverture avec la France, qui avait ouvert à Saïda un consulat, la place
privilégiée reste la Toscane. Cette relation caractérisa cette période par ce qu’elle fut intense
et amicale et par un fait un dominant. Elle se traduisit par la création d’un consulat toscan
auprès de l’Emir ; une mission de techniciens toscans était venue encore resserrer ces
relations. Dans ce but, la Cour de Toscane avait commis un certain Baron de la Legre,
comme agent d’affaires auprès de l’Emir. L’Emir Fakher Eddine II insista pour la nomination
d’un consul toscan avec la double mission de veiller aux échanges commerciaux entre les
deux pays et surtout d’assurer la liaison politique.
Le gouvernement grand-ducal finit par accéder à cette demande et par nommer consul à
Saïda le capitaine François de Verrazzano1.
Verrazzano nous laissa sur les relations commerciales à cette époque, des rapports
intéressants. Les marchandises, qui étaient offertes sur le marché de Saïda étaient notamment,
d’après lui : le lin, le coton, la soie, la laine ; et aussi les céréales, le riz, le raisin sec. L’huile
d’olive, le savon, le vitriol, les cendres alcalines, et la gomme arabique, etc. Quant aux
importations d’Europe, elles consistaient en draperies, velours, soierie, filets dorés et
argentés, papier, verrerie diverse, candélabres et ustensiles divers, pierres de corail pour
passe-temps, bouton dorés clous coutellerie, cloches, bonnets rouges, etc. Toujours, d’après
le Consul, les principales marchandises d’origine française étaient les draperies, le papier et
le tarbouche-fez2.
42
Page
1
CHEBLI 1984 : 37.
2
CARALI 1992 : 61.
5. Elargissement de l’Imarat
Une fois l’ordre dans la Montagne fut établi, L’Emir Fakher Eddine II jeta son
dévolu sur les ports naturels de Saïda et de Beyrouth. Il gagna le vieux wali de Damas, Murad
pacha, qui l’autorisa de s’occuper de Saïda. Cette ville fera désormais figure de deuxième
capitale. Murad pacha désirait de mettre fin à l’anarchie régnante dans la Béqâ‘ mit la main
sur Mansour Ibn Furaykh et ‘Ali Harfouche, les deux ennemis de Fakher-Eddine II. Murad
laissa ainsi l’Emir de la Montagne de s’étendre dans la région de la Béqâ‘. Désormais la
Béqâ‘ et la région de Jabal ‘Amel (Liban sud) graviteront dans l’orbite du grand Emir. Celui-
ci voyait ses revenus sensiblement augmenter, sa liaison avec les Chéhab de Wadi-al-Taïm
assurée et acquérait des positions avancées qui feront fonction avant-postes de défense de la
montagne1.
En 1598, près du fleuve de Nahr al-Kalb, Fakher Eddine II défia Saïfa et l’obligea à
évacuer la ville de Beyrouth ainsi que toute la région située entre cette ville et le fleuve, et
donnant ainsi la main à ses fidèles alliés, les Khazen du Kisrwan. En 1605, il battait encore
les Saïfa près de Jouneih et les refoulait hors de tout le Kisrwan.
Avec l’aide de son ami ‘Ali Joumblatt, l’Emir Fakher Eddine II refoula Youssef
Saïfa vers Damas regagnée par mer via la Palestine. Ce dernier tenta d’arrêter ‘Ali Joumblatt
et l’Emir Fakher Eddine II loin de la ville de Damas. La rencontre eut lieu, en 1606, dans la
43
Page
1
CARALI 1992 : 96-99.
2
DIB 2006 : 347.
région d’al- ‘Arrad, près de Hama. Battues, les forces ottomanes se replièrent en désordre sur
Damas1.
1
CARALI 1992 : 103-106.
Page
2
MA‘LOUF 1934 : 304-305.
3
KHALEDI 1936 : 5-7.
commença à partir de l’année 1612 par envoyer à Istanbul son agent habituel Moustapha
Chalabi, avec un riche cadeau dont trois cargaisons de savon libanais. Nassouh pacha reçut le
cadeau, mais jeta en prison l’émissaire de l’Emir. A la batille de Mzeirib, ‘Ali, le fils de
l’Emir battit l’armée ottomane. Nassouh pacha, nomma Hafez sirdar des troupes ottomanes.
Une grande concentration de troupes commença à Damas. Hafez pacha attaqua Baalbek.
Fakher Eddine II mesura toute la gravité de la situation entreprit une double démarche
politique. L’une fut l’envoi en Europe de Mgr Georges Maroun avec des lettres adressées par
l’Emir et le patriarche maronite à Florence et à Rome ; l’autre fut l’envoi d’une délégation
des notables auprès de Hafez pacha.
Mais Hafez pacha, wali de Damas décida d’investir par terre et par mer la
Montagne. La partie était cette fois bien compromise. Dans une ultime réunion à Damour, les
chefs restés fidèles à l’Emir ne manquèrent point de lui exposer qu’il leur était aussi inutile
qu’impossible, dans ces circonstances, de lutter jusqu’au bout.
Après 84 jours d’efforts désespérés et inutile, le pacha séduit par l’or avait accepté
de retirer ses troupes du Chouf et la levée de siège des forteresses. Mais, l’année suivante, en
1614, violant sans grand scrupule la parole donnée à Sitt Nassab, Hafez pacha envahit le
Chouf et mit le pays à feu et à sang. Ce fut l’année malheureuse, dite « année du Hafez ».
1
Voir l’arrivée de l’Emir à Livourne dans KHALEDI : 1936 : 208-241 ; MA‘LOUF 1934 : 133-204 ; CHEBLI
1984 : 51-60.
cadence rapide des décisions témoigne du grand intérêt avec lequel les chancelleries de
l’Europe suivaient les événements du Liban. La mission sera de retour le 10 avril 1614.
Le temps passait. L’Emir se trouve dans une situation vraiment angoissante. Fugitif,
il vit de la générosité du Grand-duc, dont certains ministres lui sont hostiles. La porte dévasta
son pays et persécuta ses partisans. Son frère est sans grande capacité, son jeune fils et
inexpérimenté et sa mère est détenue à Damas. La flotte ottomane avait appareillé et se
dirigeait vers les ports libanais ; l’armée de terre se préparait à une nouvelle invasion1.
Dans ces circonstances, le Grand-duc, envoya le 14 avril 1614 auprès de l’Emir une
délégation composée de quatre hauts dignitaires de sa cour. Différentes questions furent
débattues, se ramenant essentiellement à deux points : Fakher Eddine II est-il décidé de
rentrer au Liban ? Que demande-t-il à Cosme II ?
Le point de vue de l’Emir se résumait ainsi :
6. Rester en Toscane ? Ce séjour sera interprété par ses partisans comme un signe
de l’abandon de sa cause.
7. Il déconseilla au Grand-duc d’entreprendre seul la guerre contre l’Empire
Ottoman ; il faut qu’il soit soutenu par une coalition européenne.
8. Tant que l’armée de Hafez pacha occupe la Montagne, Fakher Eddine II ne doit
pas rentrer car son retour ne ferait que redoubler l’animosité de l’occupant.
9. En attendant, il préconise l’envoi de quelques 500 techniciens avec des
munitions pour les forteresses.
Parallèlement aux négociations menées par l’Emir, son conseiller Hajj Kiwan
entretenait des relations – pour son compte personnel ? – avec le ministre Guidi, détracteur
46
Page
1
CHEBLI 1984 : 57.
du prince libanais à la cour de Florence. Malheureusement nous ne disposons pas de
renseignements suffisants sur la nature de ces relations. Néanmoins deux faits méritent d’être
retenus :
10. Lorsque le duc d’Osuna, vice-roi de Naples, invitera plus tard Fakher-Eddine
II, au nom du roi d’Espagne, à lui rendre visite, il le priera de ne pas emmener
avec lui ledit Kiwan.
11. De retour au Liban, Fakher Eddine II finira par tuer de sa propre main Hajj
Kiwan.
En effet, cette politique de Kiwan était contraire à celle de Fakher-Eddine II, et ce dernier en
ignorait, certes, la trame.
L’été de l’année 1615, l’Emir entama secrètement un retour au Liban. Khaledi nous
raconte une curieuse histoire, concernant une absence en mer de sept mois1. Durant laquelle
l’Emir aurait visité le Liban. Les espagnols encouragèrent ce voyage pour en exploiter les
effets tant politiques que militaires2. L’Emir débarqua à Damour. La nouvelle de l’arrivée de
l’Emir en face des côtes libanaises se répandit très vite. Une foule immense accompagna
Younès Ma‘en à Damour où le signal convenu avec les galères fut donné par trois fusées
lumineuses précédemment remises à Khater Ibn al-Khazen3.
Au retour, l’Emir fut invité à visiter Malte. Il débarqua par la suite à Palerme, où il
allait rester un an. Enfin, Fakher Eddine II s’impatientait et avait hâte de renter dans son pays.
L’Europe qui allait se plonger en cette année 1616 dans la guerre de Trente Ans, ne pouvait
et ne voulait plus rien lui fournir. Ce fut en automne 1618 que l’Emir quitta le sol d’Italie
avec tous les siens Il débarqua à ‘Akka après cinq ans d’absence.
1
KHALEDI 1984 : 230.
Page
2
KHALEDI 1984 : 227.
3
KHALEDI 1984 : 227.
1. Les récriminations contre l’impôt
La population, exténuée par une longue succession de guerres et de troubles,
accueillit mal les nouvelles mesures de Fakher-Eddine II. Sa répugnance habituelle pour
l’impôt s’accommodait difficilement d’une politique trop pressurante. Au Liban-Sud, les
Métoualis se soulevaient. Fakher Eddine II marcha lui-même sur eux pour mater
énergiquement leur insurrection et les rebelles furent sévèrement châtiés.
Les échos de ces faits divers parvenaient à Istanbul singulièrement enflés. Nous y
parlons de mobilisation, de relèvement des fortifications, de complicités européennes
flagrantes, etc. La Sublime Porte inquiétée, envoya vers les eaux du Liban une cinquantaine
de galères. Le capodan ‘Ali pacha se contenta d’une simple réponse par l’Emir, mais surtout
de la somme offerte selon l’usage, ainsi que de la capture de deux vaisseaux dont l’un
flamand mouillé à Saïda et l’autre français à ‘Akka.
1
HITTI 1959 : 463.
Istanbul le trahissaient. Il fut remplacé de nouveau à Tripoli par un agent ottoman. Ce fut la
dernière phase de cette lutte qui dura plus de vingt-cinq ans. Le vieux Youssef Saïfa allait
mourir en 1624. La liquidation des Saïfa entraîna le ralliement officiel des maronites
maintenant libérés de cette tyrannie, et garantit au grand Emir son autorité de Tripoli à
Beyrouth.
3. La bataille de ‘Anjar
L’année 1623 fut marquée aussi par un haut fait militaire. Fakher Eddine II venait
de mettre un terme aux intrigues et aux méfais de Youssef Harfouche dans la Béqâ‘
l’obligeant à chercher refuge auprès du Wali de Damas Moustafa pacha. Ce dernier réserva
aux Harfouches un bon accueil.
1
KHALEDI 1984 : 149.
Page
2
Khaledi constata que cinquante seulement des colonnes du temple de Jupiter étaient encore debout à cette
époque. Mais une mission florentine en compta, en 1631, cinquante-quatre.
La Bataille de ‘Anjar
4. La vie commerciale
Dès son avènement, Fakher Eddine II, avec un esprit réaliste, prêta une attention
particulière au développement commercial de son Imarat. Dans ce sens, la politique menée
par l’Emir assura deux conditions primordiales pour l’épanouissement commerciale et
économique du Liban : sécurité et justice. Ces conditions n’étaient que profit pour le
commerce libanais.
La France ouvrit à Saïda un consulat. L’Emir lui offrit le fameux « Khan » dit « des
Francs », vaste bâtiment que nous pouvons visiter encore de nos jours. Mais la place
privilégiée devait être réservée à la Toscane. Elle se traduisit par l’ouverture d’un consulat
auprès de l’Emir ; une mission de techniciens toscans vint encore resserrer ces relations. La
Cour de Toscane avait commis un certain Baron de la Legre, comme son agent d’affaires
auprès de l’Emir. Mais l’Emir insista pour la nomination d’un consul avec la double mission
de veiller aux échanges commerciaux entre les deux pays et surtout d’assurer la liaison
politique. La lettre de créance du consul Verrazzano était datée du 24 septembre 1630. Ce
dernier arriva à Saïda vers mi-décembre 1630.
Dans cette rubrique sur les articles de commerce, nous devons réserver la place à
l’importation des pièces de monnaie. L’explication du trafic lucratif des pièces de monnaie
50
doit être recherchée dans l’article 7 des Capitulations de 1604 accordées par la Sublime Porte
Page
à la France, lequel article prescrit l’admission de la monnaie française. Or cette monnaie était
souvent frauduleusement altérée. Déjà en 1610, le voyageur anglais Sandeys signalait la
méfiance de la population à l’égard de la monnaie même « hollandaise en or pur ». Le consul
de la Cour de Toscane, Verrazzano conseillait à son gouvernement d’exporter au Liban des
pièces de monnaie. Ces pièces étaient facilement écoulées auprès des négociants français
avec un bénéfice de vingt-cinq pour cent.
5. La reconstruction urbaine
« Quand Fakher-Eddine revint d’Italie, il avait pris des idées et des goûts
occidentaux. Il construisit au Liban, des bains et des jardins inspirés de ceux de Florence,
ornés de peintures et de sculptures »1. Il construisit plutôt des palais, des monuments et de
nombreux ouvrages d’utilité publique. A cet effet, il engagea des techniciens toscans
(l’architecte Cioli, expert en constructions civiles et en fortifications, et son adjoint Fagni.
Aux travaux d’adduction d’eau qui nécessitaient de fortes dépenses, il faut ajouter
notamment la construction des ponts : à Beyrouth, au Nahr al-Kalb, à Saïda, etc. Il restaura
aussi le château des Hospitaliers à Saint-Jean-d’Acre. Aussi, dans cet aperçu, il faut réserver
une place aux travaux dont furent dotées les trois cités de Deïr al-Qamar, de Saïda et de
Beyrouth. À Deïr al-Qamar, l’Emir éleva le palais de Younès Ma‘en. Il comptait trois étage,
mais il n’en reste actuellement que deux ; le troisième fut démoli par l’Emir Youssef Chéhab
(1770-1789) pour en utiliser les pierres dans son palais avoisinant2.
1
CARRA DE VAUX, les penseurs de L’islam, vol. V, 71.
51
2
Le sérail de l’émir Youssef Chéhab abrite les locaux de la municipalité de Deïr al-Qamar. L’émir Melhem
Chéhab (1729-1754) y ajouta un étage et ses successeurs, les émirs Youssef Chéhab et Béchir II Chéhab, y
Page
résidèrent avant que ce dernier ne déménage dans son nouveau palais de Beit Eddine. La porte monumentale du
sérail comporte deux lions, emblèmes de la dynastie des Chéhab.
Le palais Younès Ma‘en – Deïr al-Qamar
Saïda doit son relèvement à l’Emir qui « a pu croire un instant qu’il était sur le point
de rendre à la vieille métropole commerciale sa proverbiale prospérité »1. Avant l’Emir, en
52
1598, Cotovicus, qui visita Saïda, la décrit comme « lamentablement ruinée, habitée par une
Page
1
RISTELHUEBER 1918 : 96.
poignée de musulmans et de druzes » 1 . La mosquée dite extérieure à Saïda abrite les
tombeaux des Ma ‘n2. Mais les plus importants édifices que l’antique cité leur droit sont le
palais de Fakher Eddine II et le Khan des Francs, offert par l’Emir au consul de France.
« Dans le bâtiment offert par l’Emir et tout autour de la demeure du consul, vinrent se
grouper nos commerçants avec leurs entrepôts et magasins. Les Missionnaires y trouvaient
également place pour leur couvent et leur chapelle. On voit encore à Saïda cet édifice des
plus curieux, en bon état grâce à certaines restaurations. Ce petit coin de France est protégé
par d’énormes portes bardées de fer, à l’abri desquelles bien des Maronites vinrent trouver un
refuge en s’enfuyant de la Montagne lors des massacres de 1860 »3.
Quant à Beyrouth, elle doit autant que Saïda son relèvement à l’Emir Fakher-Eddine
II4. Celui-ci fit de Beyrouth le dépôt de ses richesses et le temple favori de ses plaisirs5. Le
palais de l’Emir à Beyrouth, qui était situé à l’ouest du Petit Sérail actuel, suscita l’admiration
des voyageurs de l’époque. D’Arvieux qui a visité Beyrouth à l’époque sous la décrit comme
suit : « L’Emir regardait le territoire de Beyrouth comme son jardin de plaisance ; et comme
ses sujets étaient bien plus riches de son temps qu’ils ne le sont depuis qu’ils sont tombés
sous la domination des Turcs, ils tâchaient de l’imiter et avaient un soin particulier de cultiver
un terrain si bon, si abondant et si agréable. On y voit encore à présent de longues allées
d’oranges et de citronniers, qui faisaient les clôtures de leurs jardins à fleurs […] Quant au
1
LAMMENS 1921 : 73.
53
2
MA ‘LOUF 1934 : 345.
3
RISTELHUEBER 1918 : 96.
Page
4
LAMMENS 1921 : 65.
5
PUGET DE SAINT-PIERRE 1762 : 5.
Sérail de Beyrouth, ajouta-t-il, il est bâti par l’Emir II est de la même forme que celui de
Saïda »1.
Un autre voyageur anglais, Richard Pocoke, visita au début du XVIIIe siècle le palais
de Beyrouth, y admira la distribution de l’eau dans tous les appartements par des
canalisations « cachées dans les murs » et trouva notamment que les écuries étaient
somptueuses et bien aérées, avec plusieurs rangées d’arcades.
6. La tolérance religieuse
« L’esprit éclairé de Fakher Eddine II, sa loyauté répugnaient à l’intolérance. Son
libéralisme travaillait à favoriser la fusion des races ou plutôt des communautés. Dans le
choix de ses auxiliaires, il ne s’inquiéta jamais de leurs convictions religieuses » 2 . Les
Maronites furent les principaux artisans et les premiers bénéficiaires du régime. Le patriarche
le signala : « Sous le règne de Fakher-Eddine, les chrétiens ont pu relever la tête et acquérir
de l’influence. Ils ont construit leurs églises. Ils ont pu se servir de chevaux sellés, porter des
pantalons bouffants, des turbans et des voiles blancs. Ils ont pu porter des ceintures brodées,
des arcs et des fusils incrustés. Les missionnaires européens sont venus habiter la Montagne.
La garde de l’Emir, ses conseillers et son personnel étaient en majorité des Maronites »3.
En effet, les Maronites contribuèrent sincèrement tant au Liban qu’en Italie à la cause
nationale de l’Emir Fakher-Eddine II. Ce dernier allait trouver chez eux les hommes dont il
avait besoin pour son action. D’abord des personnalités aptes à participer au gouvernement
comme Abou Nader al-Khazen, nommé premier ministre, Abou Daher Hobeïche qu’il plaça
auprès de lui, et les multiples auxiliaires qui allaient être une des armatures du régime ;
ensuite, cette masse même de population maronite que Fakher Eddine II incita à s’étendre
vers le sud, à la fois pour repousser les attaques de Saïfa contre Beyrouth et le Chouf, et pour
contrecarrer les agissements ambitieux de certains féodaux druzes.
Mais l’un des aspects les plus importants de cette politique fut certainement la faveur
accordée à l’établissement des missions latines. Avec le renoncement de toute entreprise
militaire en Orient, l’Occident allait prêter désormais toute son attention ; d’une part à
l’extension de ses relations économiques et commerciales, et d’autre part à l’établissement et
54
1
D’ARVIEUX : 352.
Page
2
LAMMENS 1921 : 80.
3
DOUAIHI 1890 : 205.
à la protection de ses missionnaires. Fakher Eddine II se prêta sans réserve à cette double
politique. « Il admettait en son intimité les missionnaires, les consuls, les ingénieurs, les
commerçants européens pour profiter de leur expérience et de leurs suggestions »1.
Les ordres religieux arrivés les premiers au Liban furent par ordre chronologique les
Franciscains, les Jésuites et les Capucins. L’Emir les aida efficacement. De ce contact
prolongé, il pourrait être aussi pertinent de mesurer l’impact de la présence missionnaire sur
la société levantine. Cette présence multiforme et dense (Ecoles, Universités, Dispensaires,
Ouvroirs, Imprimeries, Associations, etc.) possède une capacité importante de
transformations.
« Fakher Eddine II Ma‘en avait atteint un tel degré de grandeur qu’il ne lui restait plus
qu’à prétendre au sultanat […] Sa superbe avait dépassé toutes les limites, et sa renommée
tous les horizons »2.
Pendant ce temps, l’Emir voyait sans sourciller son ami le sultan Osmam II être
remplacé à Istanbul par Murat IV (1612-1640), et sans s’inquiéter accéder au grand vizirat
son ennemi déterminé, l’albanais Mohamad Tabanyiyassi. Fakher Eddine II poursuivit
orgueilleusement sa voie, sans tenir compte de l’affaiblissement de ses alliés européens, du
55
1
LAMMENS 1921 : 81.
Page
2
MOHIBBI 1867 : 385.
3
D’ARVIEUX : 365.
fait qu’Espagnols et Français furent absorbés par la guerre de Trente Ans (1618-1648) et que
le Pape prépara sa lutte contre les protestants. Pourtant la peste qui ravagea Florence, en
1633, entraîna la raréfaction des convois toscans et même le rappel du consul. Ce fut Fakher
Eddine II qui envoya à son allié des bateaux de céréales.
Malgré toutes ces appréhensions Fakher Eddine II ne mit aucune modération dans
ses désirs expansionnistes ou dans son comportement indépendant, constituant un défi
permanent à la Sublime Porte qui décida à en finir avec un vassal en qui il ne voyait plus
qu’un sujet rebelle. Le Sultan Murat IV nomma au pachalik de Damas, au début de 1635,
Ahmet Kujuk qui s’était signalé par sa répression sanglante d’une révolte en Roumélie.
L’Emir Fakher Eddine II était réduit à ses seules forces, diminuées au surplus de
toutes les désertions que les Ottomans avaient réussi à provoquer, et éparpillées entre des
théâtres d’opérations suscités par les agents d’Istanbul et soigneusement dispersés. Ahmet
Kujuk recevait l’ordre d’attaquer le Liban. Une flotte de quarante galères que conduisit
l’amiral Giafer quitta Istanbul et se dirigea vers Saïda et Beyrouth. L’Emir convoqua sur les
bords du Damour l’assemblée des notables, espérant d’elle répit, conseils et aide pour
organiser la résistance. L’assemblée conseilla l’Emir de ne pas résister au débarquement,
tandis que les Saïfa se retiraient et entrèrent ouvertement en dissidence. Tyr, Saïda et
56
Beyrouth se rendirent. Fakher Eddine II tenta une négociation, envoya des présents à l’amiral
Page
turc et dépêcha son deuxième fils Mansour, en ambassade auprès de Ahmet Kujuk ; en même
temps il se détermina à livrer bataille avec les forces qui lui restaient, et expédia son fils ‘Ali
vers le nord. Il s’agissait d’empêcher la jonction de l’armée de Ahmet Kujuk, qui progressait
au travers le Liban, et des Saïfa.
Après avoir paru bien disposé et accepter 400. 000 piastres d’or pour reconnaître
Mansour comme grand Emir, Ahmet Kujuk le retint prisonnier, et de surcroît faisait étrangler
un des fils d’Abou Nader al-Khazen, le cheïkh Abou Khatter, Mansour fut envoyé captif à
Istanbul. Quant à ‘Ali, les pertes énormes qu’il subissait au cours d’une bataille à l’issue
incertaine, l’incita à s’enfuir dans le désert.
Battu une nouvelle fois, il l’est de façon définitive au Wadi al-Taïm. ‘Ali fut tué sur
le champ de bataille et Younès mourut épuisé par ses blessures ; Melhem s’enfuit alors au
Hauran. Les Chéhab se soumettaient afin de garder leur fief et l’Emir Fakher Eddine II se
réfugiait à Chaqif Tiroun, en haute montagne, où il trouva ce qui subsista de sa famille et de
ses trésors. Fakher Eddine II avait pris ses précautions en prévision d’une telle éventualité ;
des dépôts pour vivres et munitions taillés dans le roc regorgeaient de provisions pour deux
ans, et un canal souterrain et secret assurait l’alimentation en eau potable. Mais il avait
compté sans les trahisons qui livrèrent aux assiégeants le secret du tracé de l’adducteur d’eau.
S’en étant aperçu, le prince s’enfuit à la faveur de l’obscurité et chercha refuge, non loin de
Chaqif Tiroun, dans une grotte également taillée dans le roc. Mais le nouvel abri ne tarda pas
à être repéré et l’Emir dut se rendre.
L’Emir Fakher Eddine II fut aussitôt conduisit à Istanbul avec ses quatre fils
survivants. Il fut reçu par Murat IV avec les plus grands honneurs, aurait sans doute eu la vie
sauve si les événements au Liban n’avaient de nouveau rebondi. Les Qaïsites et Melhem
Mas‘n s’agitèrent et remportèrent des succès. Ces nouvelles entrainèrent la condamnation à
mort de Fakher Eddine II et de ses deux fils, qui furent décapités le 13 avril 1635. Ainsi
mourut le grand Emir Fakher-Eddine II, en exil, tandis que la guerre civile et la guerre
étrangère ravageaient le Liban.
Yaminite ‘Alameddine. Celui-ci inaugura son règne par un massacre général des
Tanoukhides, au cours d’un banquet organisé apparemment dans le but de sceller
Page
solennellement la réconciliation des deux familles rivales. Mais dans sa tâche de gouverner le
pays, il échoua lamentablement. L’indignation générale provoquée par le guet-apens dont
furent victimes les Tanoukh fit déborder le vase. La vague populaire allait ramener les
Qaïsites sur le trône en la personne de l’Emir Melhem Younès Ma‘en.
Quittant sous bonne escorte son repaire du Hauran, Melhem Ma‘en s’en venait à
‘Arna, où règne un certain mécontentement parmi les Yaminites. Profitant de l’effervescence
ou la provoquant, il reprit contact avec les Qaïsites et les réorganisa. De fait les ‘Alameddine
furent devenus impopulaires ; leur brutalité, leurs exactions, indisposèrent chaque jour
davantage un plus grand nombre de Libanais. Les loyalistes Chéhab, Abilama‘, Khazen,
Hamadé, entre autres se soulevèrent. Les Ottomans eux-mêmes voudraient maintenant se
débarrasser de l’Emir ‘Ali ‘Alameddine et de son clan. Melhem profita de cette situation et se
porta lui-même à l’attaque des ‘Alameddine, qu’il rencontra à Mejdel Ma‘ouche.
À la suite de cette bataille, Melhem fut maître de la situation, à condition que les
autorités ottomanes l’acceptent. Ce fut alors que, sur le conseil de leur représentant à Damas,
ils exécutaient Fakher Eddine II et ses deux fils, pour n’avoir en face d’eux que le seul
Melhem, qu’ils jugeaient un interlocuteur à la fois « valable » et point trop dangereux, et
qu’ils ne tardaient pas à investir des fonctions de grand Emir du Liban.
À la mort de Melhem, en 1657, les deux prétendants furent ses fils Qorqomas et
Ahmed.
libérales à l’égard de toutes les communautés qu’avaient léguées Fakher-Eddine II. Le fait de
régner à deux est doublement important. D’abord parce qu’il reflète la persistance des
Page
coutumes tribales et, à travers elles, l’attachement des Libanais aux traditions ancestrales.
Ensuite et surtout parce qu’il constituait une exception flagrante dans l’organisation
administrative ottomane ; en l’admettant, la Sublime Porte reconnaissait, une fois de plus,
que le Liban jouissait d’un statut spécial, que ses Emirs n’étaient pas des fonctionnaires
ordinaires, comme elle affectait parfois de les considérer.
En 1665, Qorqomas fut assassiné par Hassan Agha, et Ahmed continua à gouverner
seul. Vers la fin de l’année 1693, à la faveur d’une révolution de palais d’Istanbul, les
Ottomans essayaient de nouveau briser l’autonomie de la Montagne ; ils destituèrent Ahmed
et installèrent à sa place à Deïr al-Qamar Abou Mousabin, émir de la famille ‘Alameddine.
Cette tentative échoua rapidement ; les libanais ne voulaient pas les ‘Alameddine, ils
voulaient les Ma‘en, et leur attitude, que soutint une énergique intervention de Louis XIV,
imposa de nouveau Ahmed Ma‘en. Celui-ci mourra sans postérité mâle en 1697. Ainsi
s’éteignit la dynastie Ma‘en.
L’histoire des derniers Ma‘en coïncide avec la disparition des deux dynasties,
Page
celles des Tanoukh et celles des Saïfa. Les premiers furent massacrés par ‘Ali ‘Alameddine,
tandis que les autres meurent s’éteignirent sans descendance. Deux familles accentuèrent en
revanche leur rôle et leur coopération : les Khazen, particulièrement Abou Naufel, auquel fut
confié le fief du Kisrwan, et les Chéhab.
Au début du conflit, il fut question d’une conciliation entre les deux candidats : le
jeune Haïdar serait proclamé Prince de la Montagne sous la régence de Bachir. L’émir
Housseïn, fils de Fakher-Eddine II, alors dignitaire influent à Istanbul, aurait soutenu cette
solution.
La cour d’Istanbul, n’ayant pas réussi à imposer un Yaminite, préférait avoir affaire
à un Qaïsite mineur ; elle prit fait et cause pour Haïdar sous prétexte de légitimité. Mais à
Sumkaniyyeh, Bachir, par une manœuvre habile, réussit à écarter son jeune concurrent et à se
faire proclamer Prince du Liban par l’assemblée.
Bachir Ier proclamé par l’Assemblée de Sumkaniyyeh, fit une entrée solennelle à Deïr al-
Qamar et tout le pays lui obéit, à l’exception bien entendu des chefs du parti yaminite. En
effet, ces ches encouragés par la Porte, redoublèrent leur activité subversive. L’émir Bachir
devra poursuivre sans répit la lutte contre cette faction le long des neuf années que durera son
gouvernement. Cette lutte, la mena avec succès, et par sa victoire en 1698 sur les Métoualis
60
Yaminites du Sud, il prouva qu’il était le plus fort. C’est à la suite de cette campagne que
Page
Bachir resserra ses liens d’amitié avec ‘Omar Zeidani, le chef Qaïsite de Safad.
Hormis quelques conflits armés, le règne de Bachir se déroula dans le calme. Il
mourut en 1709 empoisonné selon le chroniqueur Haïdar1.
A Bachir Ier, succéda Haïdar Ier fils de Moussa Chéhab et petit fils du dernier
Ma‘en. A peine monté sur le trône, l’Emir Haïdar se vit en butte aux machinations du pacha
de Saïda qui cherchait lui enlever le gouvernement des districts du Liban-Sud, à forte
majorité Chi‘ite, les Banou al-Saghir.
La Porte se servit donc de cet agent, faute probablement de trouver un autre homme
de valeur par les Yaminites. Elle lui conféra le titre de pacha, et donna ordre au
gouvernement de Saïda de le seconder militairement dans ses menées contre Haïdar Ier.
Celui-ci apprenant le soulèvement de Harmouche, soutenu par les Ottomans, et pressentant
d’autre part la défection de certains chefs libanais, souvent opportunistes, se retira à Ghazir
dans le Kisrwan, où il croyait pouvoir compter sur les cheikhs maronites de la région.
Harmouche l’y poursuivit à la tête de forces supérieures, et s’empara de Ghazir en 1709, à la
suite d’un combat acharné. Nous expliquons cette défaite par la rivalité mal déguisée qui
surgit alors entre les deux familles maronites Khazen et Hobeïche2.
Abandonnant la Montagne avec les débris de ses partisans, l’Emir allait disparaître
de la scène politique pendant un an environ. Il se réfugia dans les grottes dites d’Izraël
(communément appelé ange de la mort), dans la région du Hermel, après avoir confié sa
famille aux Khazen.
1
HAIDAR : 7.
2
HAIDAR : 11.
nouvelle se répandit très vite dans le pays et les deux camps se mirent à se préparer
fébrilement à la guerre. Les pachas de Saïda et de Damas, alestés promirent un appui total
aux ‘Alameddine.
A la nouvelle du désastre subi par leurs alliés, Les forces des pachas de Damas et
de Saïda rebroussèrent chemin. Une bonne partie des Yamanites prit le chemin de l’exode
vers Beyrouth et vers le Hauran.
En 1732, Haïdar abdiqua en faveur de son fils Melhem qu’il avait déjà associé au
pouvoir. Il se retira à Beyrouth et mourut la même année, laissant neuf descendants mâles.
Son administration intelligente et ferme, permit au pays de traverser, sans les accros inhérents
à l’apparition des grands vides, la période qui suivit la brusque disparition des Yamanites
après ‘Aïn Dara.
Melhem succéda à son père Haïdar. Il régna pendant vint-deux ans ; prince fidèle
aux méthodes gouvernementales de ses ancêtres et à l’islamisme sunnite de sa lignée. Le
prestige qu’il acquit permit à la Montagne de rester fidèle à sa vocation de lieu de refuge.
Après avoir fait de son palais de Deïr al-Qamar sa résidence principale, il se retirera à
Beyrouth où il mourut six ans plus tard, en 1761.
Il consacra les premières années de son règne à reconstituer une force militaire
permanente à laquelle contribuaient toutes les communautés, dans laquelle le rôle des
féodaux était réduit autant que possible, et qui compta finalement près de 40.000 guerriers.
- Droit d’asile. En 1739, l’Emir accorda l’asile aux rescapés de la famille Farès, de
63
la région de Chekif (Beaufort), qui cherchaient refuge à Deïr al-Qamar. Plus tard,
Page
des janissaires, fuyant les poursuites du pacha de Damas, se réfugièrent chez les
Yazbakites Talhouk et ‘Abed al-Malak.
1
Lammens 100.
engagés dans le jeu, quoique avec moins de virulence. Relativement épargnés, ils
se répandirent dans toutes les régions du pays.
En 1754, Melhem atteint d’une maladie incurable et ne pouvant plus assumer les
responsabilités du pouvoir, il abdiqua en faveur des deux frères ambitieux, ses
propres fils étant encore mineurs. Il s’installa à Beyrouth dans une retraite
définitive. En 1759, Melhem mourut.
Les corégents, Ahmad et Mansour, après le décès de leur frère Melhem, crurent
garder facilement le pouvoir. Mais, Qassem se considérant le dépositaire de la dernière
volonté de Melhem, le revendiqua pour lui-même et s’empara de Beyrouth en 1760 avec
l’appui du pacha de Saïda. Son action fut sans lendemain, puisque le pays se montra hostile et
65
s’opposa à sa cause, d’autant plus que les troupes ottomanes, venues à son aide, semaient
Page
La mésentente qui ne tarda pas à éclater entre les deux émirs Ahmed et Mansour,
précipita la fin de la corégence. Ils eurent la faiblesse de se laisser attirer, l’un Mansour par le
clan Joumblatti, et l’autre Ahmed par le clan adverse des Yazbaki. Rentrant un jour d’une
partie de chasse ils eurent une vive altercation, à la suite de laquelle ils se séparèrent
définitivement, l’un d’eux Mansour regagnant sa ville de Beyrouth, et Ahmed, l’autre
capitale, Deïr al-Qamar.
Mansour, fort de ses nombreux partisans, chercha à éliminer par la force son frère
et associé d’hier. Il marcha à la tête de ses hommes sur Deïr al-Qamar. Ahmed qui pouvait
peut-être, les armes à la main, défendre à Deïr al-Qamar sa cause avec succès, préféra éviter
une lutte intestine et fratricide. Il céda et se retira, dans la localité voisine de Kfar-Nabrakh.
L’effet immédiat de son attitude fut la soumission des chefs yazbakis à Mansour, qui se
réconcilia également avec son frère. Celui-ci « pouvait rentrer et résider à Deïr al-Qamar à
son gré, mais sous condition de ne plus se mêler des affaires de l’Etat »1. Ces luttes des deux
régents ne nuisirent pas seulement à l’ordre public ; elles entraînaient des conséquences
considérables sur le plan politique et économique de l’Imarat.
1
Haïdar 60.
La brève période de seize ans qui s’étendit du règne de Melhem à celui de son fils
fut, comme presque toutes les régences une période de troublée. Fait capital, la dynastie prit
un tournant décisif, qui aboutira, sous Bachir II, à une préférence marquée en faveur des
Chrétiens. La dynastie de la famille Chéhab s’y renforça ; mais le mécontentement des
druzes, peu exprimé au début ira en s’accentuant. Après la victoire d’Ammioun, après le
reflux des chi‘ites et la réorganisation politique de la Montagne, le problème de ces derniers
devint un problème sudiste.
Les problèmes au Sud allaient devenir la plaie du règne de l’émir Youssef. ‘Ali
Bey, représentant des Ottomans se souleva contre eux en Egypte. Il entraina en 1771 le
dangereux Daher qui, appuyé des Chi‘ites du Bled Béchara, jeta de nouveau trouble dans
toute la région. L’émir Youssef se déclara loyaliste aux Ottomans et manifesta l’intention de
réprimer toute dissidence.
Mais Daher avec ‘Ali Bey soutenu par les Russes (la guerre turco-russe) et
quelques 800 mamelouks repoussèrent l’Emir et prirent la ville de Saïda. Pourtant, à peine
avai-il installé l’Algerien Dinkizli comme son représentant dans la ville que ses appuis
extérieurs venaient à lui manquer. ‘Ali Bey fut supplanté par un de ses lieutenants, Abou
Dhahab, lequel était fidèle à la Porte et se déclara contre Daher. Les Russes hésitaient et la
flotte turque bombarda la ville de Saïda, que Dinkizli évacua précipitamment. Daher se
retrancha à Acre, où alla le rejoindre Jazzar.
service. Aussi lorsque Daher se révolta en 1711, et mit en mouvement les Chi‘ites du sud, les
Page
Ottomans et l’émir Youssef étaient-ils d’accord pour confier la ville de Beyrouth à Jazzar.
Cependant dès qu’il avait fini de reconstruire les remparts de la ville, Jazzar se proclama
soudainement indépendant. A la demande de Youssef, le capitan Pacha ottoman et sa flotte se
présentèrent devant Beyrouth, qu’ils soumettaient à un violent bombardement. Puis, après
avoir résisté à un siège de quatre mois, la garnison se rendit en 1773, et Youssef rétablit son
autorité, tandis que Jazzar s’enfuit à ‘Akka où il retrouva Daher, lui-même réfugié de Saïda.
Pourtant, alors que Daher mourra en 1775 assassiné par ses propres soldats dans
son retranchement de ‘Akka, déconsidéré auprès de ses hommes, comme auprès des
Ottomans et du grand émir, Jazzar parvint au même moment à rétablir la situation à son
profit. Changeant de nouveau de camp, il alla faire sa soumission à Damas. Il obtint alors du
pacha d’être nommé au pachalik de Saïda, que la défection de Daher laissa libre. Les
Ottomans qui, sentaient leur autorité s’affaiblir sans cesse au Liban, voyaient là le moyen de
contrebalancer l’autorité de l’émir Youssef. Celui-ci ne pouvait que s’incliner et accepter que
Jazzar partageait avec les autres représentants ottomans de Tripoli et de Damas le contrôle de
l’autonomie libanaise.
Malgré l’hostilité de Youssef, qui lui tendit près du Dammour une embuscade à
l’occasion d’une brève révolte de ses soldats, et ne parvint qu’à s’attirer la haine du Jazzar ne
cessa, de 1780 à 1790 d’améliorer sa position auprès des Ottomans. Dès 1784, il faisait
d’Acre son centre principal ; et de cette forteresse extérieure au pays, qui retrouva alors
l’importance qu’elle avait connu au temps des croisades, il surveilla tout le Liban, achevant
de réduire dans la région Béchara les dernières tentatives de dissidence chez les Chi‘ites.
Mais les exigences de Jazzar étaient chaque jour plus fortes. Pour les satisfaire, Youssef
devait lui-même pressuré les Libanais et, perdit peu à peu à ce régime son ancienne
popularité.
L’évolution qu’avait connue l’Eglise maronite, fut mise en évidence par sa capacité à
jouer un rôle de premier plan et à utiliser l’influence française. Le clergé maronite s’affirmait
dans la direction de la communauté maronite, dans sa mobilisation et l’orientation de sa
68
conscience ; cette attitude procédait, d’une part, de son enracinement dans le milieu
Page
montagnard dont il était une expression typique, et, d’autre part, de son organisation qui avait
été réformé sous l’égide de Rome.
Si la sollicitude du Saint-Siège préserva les Maronites des Maux qui les menaçaient et
contribuait à l’amélioration de leur statut, la protection de la France continuait à leur être
prodigué. La protection de la France se fit sentir comme au siècle précédent. Le patriarche
69
Jacques ‘Awad vit son épreuve terminée grâce à l’appui de la France. Il rentra à Cannobin
Page
« escorté du consul Poullard en personne, qui avait prié le pacha de Tripoli de lui prêter à
cette occasion des chevaux richement harnachés ainsi que sa fanfare et des janissaires ».
Louis XV renouvela le 12 août 1737 les lettres de protection de Louis XIV, délivrées
un siècle environ auparavant. Il ordonnait à son ambassadeur ainsi qu’à ses consuls et vice-
consuls dans le Levant de favoriser de leurs soins et offices le Patriarche maronite et tous
ceux de sa nation afin qu’il ne leur fût plus fait de mauvais traitements et qu’ils pussent
continuer librement l’exercice de leur culte1
Toute cette efflorescence est dominée par la grande figure d'Étienne Douaïhy (1630 à
1704). Formé, dès son enfance, au Collège maronite romain, il est patriarche de 1670 à 1704,
engage et soutient les instigateurs d'un renouveau du monachisme maronite qui, sans rompre
avec la Tradition, érémitique ou cénobitique, s'ouvre à des activités tant pastorales
qu'éducatives et explicite les fondements caractéristiques de ce que certains appelleront la
« maronité ». Au terme de cette longue gestation, le concile maronite de 1736 donne à
l'Église l'organisation qui s'est maintenue jusqu'à nos jours.
La Révolution de 1789 qui avait emporté le trône en France, tenait cependant aux
traditions de la royauté au Levant. « La Convention qui faisait couper la tête aux évêques
français, écrivit Gabriel Charmes dans son Voyage en Syrie, s’employait en même temps à
faire respecter le catholicisme au Liban ». Sous le Consulat, Bonaparte, Premier Consul,
tenait à la même politique. Il envoya au Général Brune, nouvel ambassadeur à Istanbul, les
instructions datées de Saint-Cloud, du 18 octobre 1802, lui disant qu’il avait notamment pour
mission de protéger les chrétiens de Syrie et d’Arménie.
L’affaire Hendîyé donna lieu, chez les voyageurs occidentaux d’Orient, une littérature
copieuse. Volney, Poujade, Burckhardt, Lamartine et enfin Maurice Barrès, tous de passage
70
Page
1
RISTELHUEBER, 225.
au Liban, à des dates diverses nous laissèrent sur ce sujet des impressions et des
commentaires divers.
L’affaire Hendîyé, les dissensions et les cabales ne furent que des incidents dans la
vie de la communauté Maronite. Elles n’altérèrent son évolution. C’était ainsi qu’au moment
même de ces incidents la vie se manifestait dans le renouvellement et la faveur des ordres
religieux. Cette expansion des ordres retint particulièrement l’attention vue d’une part
l’orientation nouvelle donnée à l’activité des ordres religieux, et d’autre part la répercussion
profonde de cette activité sur le développement moral, social et économique du Liban.
Au cours du XVIIIe siècle, la vie monastique chez les Maronites allait connaître une
nouvelle organisation. Ce fut le patriarche Douaïhy, qui pensa le premier à unifier les
monastères et à les grouper sous une seule direction, régie par des règlements approuvés et
contrôlés par le Saint-Siège. La règle fut confirmée par le Saint-Siège en 1732 et qu’en 1768
l’ordre fut divisé en deux communautés : les Baladites dits Libanais et les Alépins
(Mariamites). Quant à l’ordre des Antonins, il fut fondé en 1700 par l’évêque Gabriel de
Blouza.
La fondation des couvents se faisait alors sur le plan économique soit par l’achat des
terres ; soit par location ; soit par metayage ; mais surtout par donation et legs.
- Par achat. Tel fut le cas du couvent de Machmouché, acheté en 1736 à Mgr Simon
‘Wad, lequel l’avait acquis par actes de la princesse veuve de l’émir Ahmed
Chéhab, et du Cheick druze Qabalan Harmouche. Celui-ci écrivit au Patriarche à
ce propos qu’il réservait aux religieux le meilleur accueil dans ses domaines, car
le fait d’honorer les religieux par amour pour Dieu sera récompensé par lui.
- Par location. Tel le cas de la location du village de Bsebhel au Liban-Nord, pour
un loyer annuel de 1500 piastres en numéraire, plus une demi-mesure d’orge,
quatre poulets et trois charges de bois1.
- Par métayage. Cas type le couvent Saint Maroun à Mejdel-Mé‘ouche au Chouf.
Les religieux y étaient déjà propriétaires d’un petit terrain avoisinant de vastes
71
Page
1
Bleïbel, I, 91.
domaines de l’émir Mansour. Sentant le besoin de s’étendre, ils obtinrent de
l’Emir en 1740 la concession de ses domaines aux conditions suivantes : « Les
religieux, dit l’acte, défricheront la terre et la planteront contre une redevance
annuelle de douze piastres à dater de 1752 jusqu’à 1760 ; après cette date un
nouvel accord interviendra ». Et en guise de protection l’émir Mansour ajoutait :
« Nous ne tolérons contre eux aucune agression ni empiètement […] Mais nous
punirons sévèrement tous ceux qui oseraient les inquiéter […] ».
- Par legs et donations. Mais ce fut particulièrement par les legs pieux que les
ordres religieux s’étaient enrichis. Les principales grandes familles maronites, la
famille Khazen en premier lieu, se faisaient un devoir de fonder et de doter les
monastères. Les émir Chéhab et Abilama‘ surtout à partir de leur conversion
faisaient aux couvents les dons les plus généreux. L’émir Youssef par une
mention spéciale de générosité, provoquée sans soute par son chancelier Sa ‘ed al-
Khoury, qui assura à la communauté maronite, la propriété de la plupart des
couvents de la région de Jbeïl et de l’église des Croisés.
72
Page
Chapitre VI : Le règne de Bachir Chéhab II (1788-1840)
Le règne de Bachir Chéhab II fut, avec celui de Fakher Eddine II, le plus long de
l’histoire moderne du Liban. Il fut aussi un des plus marquants.
Bachir Chéhab II naquit à Ghazir le 6 janvier 1767, fête de l’Épiphanie. Son père
Qassem fils de Melhem et petit fils de Haïdar I, s’était proclamé gouverneur de la Montagne
en 1760, mais sans prendre effectivement le pouvoir. Qassem et ‘Ali passaient pour être les
arbitres set les sages conseillers dans les conflits fréquents entre les membres de la famille.
Ils étaient tous deux maronites.
Orphelin de père en bas âge, peu soigné par sa mère qui s’était vite remariée, il fut
pris en charge par la famille maronite des Chidiac, son frère aîné Hassan, l’assistant
sporadiquement dans la mesure de ses moyens. Mais ambitieux et conscient de sa propre
valeur, il trahit son protecteur, son cousin Youssef et réussit à lui arracher le pouvoir dans des
circonstances dramatiques : « Bachir prit le gouvernement de la Montagne pour garder une
cinquantaine d’années avec des fortunes très diverses qui l’amenèrent à abandonner plusieurs
fois le Liban pour y entrer d’ailleurs chaque fois avec un nouveau prestige. Sans cependant
avoir l’envergure d’un Fakher Eddine II, il était parvenu à acquérir une situation
prépondérante »1.
Vers l’âge de treize ans, il quitta Ghazir pour s’installer à Beit Eddine, pratiquant
un petit négoce et jouissant de la bienveillante protection de son grand cousin l’émir Youssef.
Le clan Joumblatt, en quête d’un Chéhab à opposer à l’émir Youssef, vit en Bachir l’homme
valable. A partir de 1787, à la faveur d’un riche mariage, il put mener un train de vie princier,
se constituer un petit clan et se monter plus sensible aux démarches des Joumblatt.
L’occasion n’allait pas tarder à venir. En 1788, ce fut l’assemblée de Barouk qui le porta au
trône de l’Imarat.
73
Page
1
RISTELHUEBER , 24.
B. L’instabilité politique de la Montagne
Aussitôt élu, Bachir prit le chemine de ‘Akka, où le gouverneur Ahmad pacha al-
Jazzr l’accueillit avec égards, le reconnut prince suprême de son pays et lui recommanda
d’éloigner l’émir Youssef, son prédécesseur.
Ce n’était que l’ouverture d’un scénario qui se répétera et durera autant que le
pacha. La tactique de ce dernier sera d’éviter à tout prix l’union des Libanais. Il saura
exploiter, avec un art consommé, leur soif du pouvoir que décrit avec finesse le missionnaire
américain John Carne. Sa politique sera celle de la bascule qu’il allait manipuler avec
beaucoup d’adresse, dressant les uns contre les autres, soutenant l’un puis l’autre et arrachant,
à chaque volte-face, un surplus de tribut. De retour à Deir al-Qamar, l’émir Bachir en
recevant l’hommage des principaux féaux, fit par à l’émir Youssef des mauvaises
dispositions de Jazzar à son égard et lui conseilla de partir pour le Kisrwan. Puis, il se mit en
marche comme s’il le pourchassait en exécution de la volonté de Jazzar. De son côté, l’émir
Youssef se retira à distance devant les troupes du nouvel émir.
Sous la pression des ses partisans, l’émir Youssef décida de reconquérir le trône.
La région de Jbeïl lui était restée fidèle ainsi qu’une partie du Metn, du Kisrwan et de
Bcharré. La réaction de Bachir ne se fit pas attendre. A la tête de ses hommes et des renforts
envoyés par Jazzar, il marcha contre Youssef qui se hâta de quitter le Liban. Il s’établit pour
un moment, dans la région de Zabadani, non loin de Damas.
Après huit mois d’exil, l’émir Youssef réapparut dans la région de Jbeïl. De là, il se
dirigea vers ‘Akka. Il séjourna 5 mois chez le Jazzar. Moyennant la promesse d’un tribut plus
élevé, il obtint l’appui de Jazzar contre Bachir ; puis laissant à ‘Akka, un peu comme otage,
son conseiller Cheikh Ghandour al-Sa‘ed, il réintégra Deir al-Qamar où il fit une entrée
solennelle.
trouvait à ‘Akka, la révolte éclata au Liban contre les exigences fiscales de Bachir. Celui-ci
Page
se plaignit à Jazzar, accusant les partisans de Youssef de fomenter la désobéissance. C’est
alors que Jazzar, furieux, fit exécuter Youssef et son conseiller Sa‘ed.
Jazzar accourut au secours de Bachir. Mais, suite à plusieurs défaites dans la Béqâ‘
et dans la Montagne, il s’inclina. Il reconnut les corégents moyennant le versement de 50.000
piastres. Ces événements se déroulèrent dans le courant de l’année 1791. Cependant les
armes des vainqueurs n’arrivaient pas à surmonter la crise socio-économique. Des difficultés
nouvelles surgissaient chaque jour. Une disette horrible, venue s’ajouter au poids des impôts,
fit déborder le vase. A la fin de l’année 1791, Haïdar et Qa‘dan abdiquèrent en faveur des fils
de l’émir Youssef. Cependant, les partisans de l’émir Bachir se préparèrent dans le plus grand
secret à reconquérir le pouvoir. Les Joumblatt se tenaient prêts. Avec leur appui et celui de
Jazzar, l’émir Bachir marcha sur la Montagne. Une série de victoires (Moukhtara, Kahalé,
etc.) facilitées par la mésentente de ses adversaires et le manque d’expérience des fils de
Youssef, lui amena d’abord la soumission de Haïdar et Qa‘dan, pui celle ses fils de Youssef
et de leurs alliés, les Abilama‘.
rade d’Aboukir le 1er août 1798. L’hiver suivant, il entreprit la conquête du Levant asiatique.
Page
Il quitta Le Caire le 10 février 1799 pour rejoindre ses troupes qui s’étaient déjà mises en
marche. Le 19 février il s’empara d’al-‘Ariche. Le 24, il prit Gaza et le 6 mars suivant Jaffa.
Le 14 mars, l’arriva au pied de ‘Akka (Saint-Jean-d’Acre).
a. Le siège de ‘Akka
Les effets immédiats du siège de ‘Akka par Bonaparte sont faciles à identifier. L’un
deux est le déplacement de l’équilibre du pouvoir entre la Montagne et la côte, processus qui
continua pendant tout le XIXe siècle. La puissance ottomane étant alors centrée sur la côte, ce
déplacement accentua la soumission de l’émir Bachir Chéhab à l’autorité ottomane,
soumission qui fut complète en 1842 quand l’Imarat fut remplacé par un système
administratif qui rendit la Montagne plus dépendant du pouvoir ottoman. L’Imarat Chéhab
76
Les conséquences du triomphe de Jazzar ne firent pas attendre. Dans les quatre ans
qui suivirent le siège de ‘Akka, l’ingérence de Jazzar au Liban « atteignit son apogée et causa
une confusion indescriptible »3. Le premier à subir l’humeur vindicative de Jazzar fut Bachir
II. Pendant le siège, Jazzar avait ordonné à l’émir Bachir de venir à son aide avec ses troupes,
mais Bachir s’était désisté sous prétexte qu’il se trouvait en position de faiblesse et manquait
d’autorité sur son peuple4 – critique à l’adresse du gouverneur qui avait excité les cheikhs
druzes contre lui et l’avait déjà déposé une fois.
Cependant, Bachir mena son jeu très prudemment. Il essaya d’apaiser la colère du
gouvernement en étant tout aussi peu enthousiaste vis-à-vis de Bonaparte qui cherchait
également son alliance. De plus, Bachir se donna beaucoup de mal pour accueillir
chaleureusement Kor Yusuf Zaiyaulddin pacha, le grand vizir ottoman envoyé pour repousser
l’envahisseur français : il lui offrit des chevaux à Hama, du blé à Damas, et mit le grenier de
Baalbek et de Béqa‘ à la disposition des troupes turques5. Malgré cela, Jazzar lui fit payer sa
neutralité en le déposant une seconde fois et en donnant le titre d’émir à cinq différents
princes de la famille Chéhab. Bachir II dut quitter la Montagne pour les régions d’al-Hisn et
de ‘Akkar, puis de Tripoli, il embarqua sur un navire britannique à destination de Chypre 6,
puis d’al-‘Arich à la frontière égyptienne, afin de plaider sa cause auprès du grand vizir.
Celui-ci rétablit Bachir comme émir du Liban, lui donna l’autorité de négocier directement
1
HITTI, Lebanon in History, p. 414 ; HAIDAR, I, 192-193.
2
LOCKROY Ahmed Le boucher, p. VIII
3
SALIBI, The Modern History of Lebanon, p. 21.
77
4
HAIDAR I, 192. Dominique CHEVALIER, 1971. La société du Mont Liban à l’époque de la révolution industrielle
en Europe, Paris, 96-97.
Page
5
HITTI, Lebanon in History, 413-414 ; HAIDAR I, 194-195.
6
Voir la relation de l’émir Bachir et les Anglais, dans DIB, 426-427.
avec la Porte et promit d’intercéder en sa faveur auprès de Jazzar. Mais ce n’est que la mort
de Jazzar en 1804 qui mettra fin aux difficultés de Bachir II1.
Le succès de Jazzar sur les Français accentua également la tyrannie dont souffrait
la population sous sa domination. Cette oppression s’exerçait sur tous les citoyens, quelle que
soit leur religion. Mais ce sont les Chrétiens qui craignaient le plus les effets de l’invasion
manquée des Français. Puisque la neutralité ou le contact, intéressé ou non, avec l’ennemi
équivalait à une fraternisation aux yeux de Jazzar pacha, les plus prudents des Chrétiens
quittèrent la côte pour la Montagne afin d’échapper aux représailles. Naturellement, les
marchands français et les intérêts commerciaux français sur la côte syrienne n’échappèrent
pas à la colère de Jazzar qui confisqua leurs richesses et les chassa de ses territoires. Ils
n’osèrent s’établir le long de la côte ou y retourner qu’après la mort de Jazzar en 1804, mais
le réseau commercial français de cette région s’était alors détérioré.
Les relations entre les communautés locales s’étaient en partie détériorées : le siège
de ‘Akka avait exposé leurs loyalismes divergents. Les Sunnites des villes côtières avaient fui
vers l’intérieur tandis que les Chrétiens et les Chi‘ites avaient accueilli les Français2. Les
Chrétiens du Mont Liban en général fait de même, mais non les Druzes, ce qui provoqua des
hostilités qui aboutirent à des oppositions communautaires devenues si communes à partir
des années 1830.
1
SALIBI, The Modern History of Lebanon , 22 ; CHURCHILL Charles, 1973. The Druzes and the Maronites under
Page
Après la mort de Jazzar en 1804, Bachir allait tranquillement renforcer son pouvoir.
A ‘Akka, la mort de Jazzar donna lieu à des sanglantes disputes autour de sa succession, ou
autour de ses trésors réputés immenses. La Porte commença par nommer au poste Ibrahim
pacha, le pacha d’Alep, et par dépêcher en même temps sur les lieux un haut dignitaire,
Ragheb effendi, aux fins de recueillir les trésors du Jazzar. Mais le courtisan de Jazzar, Taha
avait déjà pris ses mesures, sans se soucier de la volonté de la Porte. Il avait pour candidat à
la succession, un ancien esclave de Jazzar, Ismaïl pacha, qui se trouvait à la mort de son
maître jeté dans un cachot. Taha amena discrètement Ismaïl au Sérail, lui fit porter les
vêtements mêmes du Bosniaque et le proclama pacha de ‘Akka en attestant lui-même que
telle était la dernière volonté du pacha disparut. En même temps, Taha fit libérer un autre
détenu, le juif Haïm, ancien trésorier de Jazzar. Tout cela lui permit de s’emparer aisément
des trésors du sérail et de conserver son précédent prestige.
Sollicité à la fois par Ibrahim pacha et par le tandem Taha-Ismaïl, Bachir évitait de
se déclarer trop ouvertement. Sa place naturelle était aux côtés d’Ibrahim, seul représentant
légal de la Porte. Mais Ismaïl disposait de troupes solides et de remparts prestigieux de
‘Akka. Sans rompre avec le tandem, il envoya Georges Baz à la tête d’une nombreuse
délégation présenter ses félicitations à Damas, laissa Cheick Bachir Joumblatt prêter
assistance à l’opposition armée, qui s’était dressée contre Ismaïl dans le Wadi al-Taym, et
assura le ravitaillement et la sécurité aux troupes ottomanes qui marchaient sur ‘Akka et
s’emparèrent de la place à la suite d’une mutinerie : Taha fut tué et Ismaïl exécutait à
Istanbul. Quant à Bachir II, son attitude lui valut les vives félicitations des autorités
ottomanes.
Sulaiman pacha succéda à Ibrahim pacha avant même la prise de ‘Akka. À peine
arrivé, le nouveau Wali eut deux sujets de conflit avec Bachir II.
1
Le Kharaj désignait à la fois l’impôt foncier et la capitation (Jiziah) et était perçu sur les non-musulmans.
compromis : l’assiette de l’impôt ne subissait pas de modification, mais les
Libanais payaient sur surplus de redevances à titre de contribution au
renflouement des finances impériales.
- Le deuxième. Lors de l’examen de la comptabilité de Jazzar, celle-ci révéla un
arriéré dû par l’Imarat au pachalik de ‘Akka. Les turcs exhibaient des
engagements écrits signés tant par Bachir II que par les autres Chéhab qui
s’étaient succédé, pendant les périodes d’alternance, au pouvoir. Heureusement
l’atmosphère de liesse et de confiance mutuelle à laquelle on tenait des deux côtés
permit, une fois de plus, une transaction à l’aimable.
L’alliance étroite entre Sulaiman pacha et l’émir Bachir tous deux hommes
d’initiative amènera ce dernier à jouer un rôle de premier plan dans la Montagne. Ce rôle sera
surtout celui de pacificateur à l’intérieur du pays. La pacification était recherchée dans le
rétablissement de l’ordre et de la prospérité, mais surtout par la suppression de toute
compétition au pouvoir et de toute menace d’éviction.
En effet, une fois son pouvoir définitivement assis, Bachir II devenait de plus en
plus autoritaire et ombrageux. ; il s’accommodait mal de toute velléité ou possibilité
d’opposition. Dans ce sens, le 15 mai 1807, Georges Baz fut assassiné à Deir al-Qamar et son
frère ‘Abbd al-Ahad, à Jbeïl. Forfait si choquant que Bachir éprouva le besoin de justifier aux
yeux de Sulaiman pacha, en usant du prétexte bon marché mais devenu classique dans
ll’ensemble du Levant de relations suspectes que les Baz entretenaient avec les étrangers, en
l’occurrence les Anglais. Les fils de Youssef auront les yeux crevés et seront assignés à une
résidence forcée dans le Kisrwan.
Plus Tard l’émir Bachir frappera les autres grandes familles tant druzes que
chrétiennes : les Arslan, les Talhouk, les ‘Abd al-Malek, les ‘Imad, les Khazen…Il mettra à
profit les divisions dans la famille princière des Harfouche pour renforcer son autorité sur la
Béqâ‘. Les Nakad avaient déjà été durement frappés en 1797. De la sorte, seule la famille
Joumblatt – et pour un temps seulement – était épargnée. Elle polarisera naturellement
l’opposition au grand Emir, parmi les Druzes surtout ; tout se passera comme si une fatalité
poussait les deux Bachir, si longtemps amis, au conflit, et ce au grand dam du Liban.
pas suffisamment compte des susceptibilités libanaises aux innombrables nuances, Bachir
Page
affaiblira la capacité de résistance du pays en général dans les grandes tourmentes qui allaient
se déchaîner. La crise internationale de 1840 et ses suites emporteront l’Imarat.
Sur un autre plan, un conflit éclata en 1808 entre le gouverneur de Damas Youssef
pacha, dont la Sublime Porte comptait beaucoup sur sa fermeté pour contenir les incursions
wahhabites qui menaçaient la Damascène et le gouverneur de Tripoli Moustafa Agha Barbar,
de Qalamoun – homme à poigne, il fit régner avec énergie la paix dans la région. Sollicité par
les deux gouverneurs, Bachir se tint sur une prudente réserve. Le gouverneur Youssef occupa
la ville de Tripoli, mais ne put s’emparer de sa citadelle. A la suite de la médiation de
Sulaiman pacha, à laquelle la diplomatie de Bachir II n’était pas étrangère, lui apporta une
solution appropriée : Moustafa Agha fut autorisé à quitter Tripoli par voie de mer pour
‘Akka ; il échappait à la capture et Youssef pouvait se dire vainqueur.
La période qui s’ouvre à partir de 1810 et jusqu’en 1818 forme peut-être l’âge d’or
du gouvernement de Bachir II. Cette ambiance attira une bourgeoisie syro-palestinienne, en
majorité chrétienne, venue mettre sa fortune et son expérience à l’abri des aléas, sous l’égide
de Bachir II. Dans le même ordre d’idées, se situe l’exode vers le Liban des familles druzes
du Jabal al-‘Aala.
En 1820, un groupe de Maronites tint une réunion à Antélias, prit pour chef le
cheikh Fadl al-Khazen, l’évêque Youssef Istéphan jouant le rôle de conseiller ou guide du
mouvement. Des délégués du peuple furent élus à raison d’un représentant par village.
Comme ils craignaient que le surplus de contributions qu’on voulait leur extorquer n’aboutît,
en fin de compte, à la modification de l’assiette même de l’impôt, ils prêtèrent serment de
rejeter toute transformation de cette assiette, donc de n’accepter qu’un seul impôt, payable
par tous les Libanais sans distinction. En d’autres termes, ils craignaient des manœuvres
turques visant à étendre à l’ensemble du Liban les discriminations fiscales à base
confessionnelle, en vigueur ailleurs dans l’Empire ottoman. Des habitants d’autres régions,
hormis le Chouf, vinrent grossir leurs effectifs. Ce mouvement prenant de l’ampleur et
d’importance, l’émir fut contraint de s’exiler en 1821 dans le Haurân, mais sans cesser de
nouer des intrigues. Ses cousins les émirs Hassan et Salmân Chéhab qui le remplacèrent, se
montrèrent incapables de faire rentrer les redevances et de ramener le calme dans la
Montagne avec le seul concours du parti yazbakî.
L’émir Bachir revint dans le Liban méridional pour avoir l’appui des familles
notables ; les membres de celles-ci, assemblés selon l’habitude à Sumqâniya dans le Chouf,
le choisirent à nouveau, avec l’approbation de ‘Abdallah pacha. Puis l’émir Bachir,
promettant, divisant, menaçant, tuant, se dirigea vers la région de Jbeïl, eut l’aide du cheikh
Bachir Joumblatt et de ses hommes pour réprimer durement l’insoumission maronite du
centre du Liban – Ammiyya de Lehfed au cours de l’été 1821.
Les revendications formulées à Antélias étaient l’expression, non d’un mouvement d’humeur
passager, mais d’un malaise sociopolitique profond. Le peuple refusait d’obéir aveuglément à
des décisions arrêtées au seul sommet de la pyramide et n’entendait pas être tenu en marge de
la vie publique. A ce stade, il faut faire entrer en ligne de compte plusieurs facteurs :
1
Ce terme d’Ammiyya veut dire mouvement populaire ; au XIXe siècle : en particulier, on l’appliqua à des
genres de bouillonnement sociopolitique qui rappellent l’agitation communale contre la féodalité en Europe.
- usages commerciaux et industriels qui contribuèrent à révolutionner les esprits (la
propriété privée comme un défi à la puissance terrienne des féodaux).
Bachir II dut marcher en personne à la tête de 3000 hommes. Mais, trouvant les
insurgés supérieurs en nombre, il campa en face d’eux et, dans l’attente de renforts, entama
de nouveaux pourparlers. Leurs doléances lui furent soumises par écrit à Lehfed. Dans
l’ensemble, elles étaient relatives surtout au domaine fiscal, notamment au refus de payer un
double impôt, et au maintien des coutumes traditionnelles : un seul impôt payable par tout le
monde.
L’insurrection n’était pas étouffée. Elle attendit les renforts du sud, promis par les ex-
corégents. De son côté, l’émir Bachir se replia sur ‘Amchit e attendait aussi les renforts du
Chouf. Ils lui arrivèrent nombreux grâce à l’action militaire menée par Bachir Joumblatt qui
força le passage du Nahr al-Kaleb, défendu par les insurgés. Le succès du cheikh Bachir
Joumblatt et son arrivée auprès de l’émir Bachir II, permit à celui-ci d’étouffer définitivement
dans le sang, et de pacifier tout le Nord en usant tour à tour de violence et de générosité selon
son habituelle sagacité.
Par la suite, l’émir Bachir II fut rapidement engagé dans une nouvelle action ;
contre le gouverneur de Damas, Darwich pacha, qui lui disputait le contrôle de la riche plaine
à blé de la Béqâ‘. Il soutint les entreprises de ‘Abdallah pacha, dont l’ambition était
d’adjoindre à son pachalik celui de Damas. Cependant, après les premiers succès de
‘Abdallah pacha, la Porte condamna son initiative, et elle réunit contre lui les troupes des
pachas de Damas, Alep et Adana qui l’assiégèrent dans ‘Akka. Tandis que le cheikh Bachir
Joumblatt se ralliait à la politique ottomane, l’émir Bachir, refusant un compromis qui aurait
affaibli à ses dépens la position du gouverneur de ‘Akka, rompit en 1822 avec le parti
Joumblatt et s’enfuit en Egypte. Là, il obtint que Mohammad ‘Ali qui cherchait à intervenir
dans les affaires de Syrie, intercédât, avec des arguments financiers, en sa faveur et en faveur
de ‘Abdallah pacha auprès de la Porte : celle-ci devait alors faire face à l’insurrection grecque
et à ses répercussions internationales, et avait besoin pour la combattre des troupes
modernisées de Mohammad ‘Ali. Le gouvernement de Constantinople finit par accorder son
pardon, préférant aussi maintenir à ‘Akka un homme dont la résistance prouvait l’énergie
pour s’opposer aux desseins du gouverneur d’Egypte.
84
l’émir Bachir se sentit assez fort pour achever de ruiner ses concurrents. Au cheikh Bachir
Joumblatt qui, en son absence, avait soutenu et aidé à mettre à la tête de la Montagne l’émir
‘Abbas Chéhab, il réserva un accueil rude, et, suivant la vieille méthode, il lui imposa de
verser de grosses sommes d’argent. Ne pouvant satisfaire ces exigences, le cheikh Bachir
Joumblatt tenta de regrouper ses partisans, de négocier, puis, ne trouvant pas de secours,
auprès de pachas de ‘Akka et de Damas, il se réfugia à Hauran. L’émir Bachir détruisit sa
demeure à Moukhtara, et s’empara de se biens et revenus dans le Chouf. Le chef druze
répondit à ces spoliations par la révolte, en janvier 1825. Mais ayant regagné le Chouf,
Bachir Joumbaltt se heurta aux hommes de l’émir Bachir Chéhab appuyés par les canonniers
du pacha de ‘Akka. Battu, il s’enfuit à Damas où il fut capturé, et de là envoyé dans la prison
de ‘Akka ; ‘Abdallah l’y fit étrangler à la demande de l’émir Bachir. Celui-ci compléta sa
victoire en faisant ébouillanter les yeux et couper la langue à ses cousins les émirs ‘Abbas,
Salmân et Fâris Chéhab qui avaient suivi le mouvement du cheikh Bachir Joumblatt, et
auraient pu encore lui porter ombrage. « C’est ainsi que l’émir Bachir s’est fait un repos »,
ironisait un voyageur français1.
Mais ce succès était chargé de menaces. Le plus puissant des chefs druzes venait de
disparaître, et les Druzes ne pardonnèrent cet affaiblissement de leur communauté ni à l’émir
Bachir, ni à ses trois fils, Khalil, Qassim, et Amin dont il s’entoura pour gouverner, ni en
général à tous les membres chrétiens de la famille Chéhab. Plusieurs années après, les
événements s’accumulant, un simple rappel des faits suffisait au consul Bourée pour dire,
sinon pour expliquer véritablement, la gravité de la situation : « l’émir Bachir, fut investi du
gouvernement de Djezine, du Teffah, du Harroub et des deux Choufs qu’il gouverna sans
trouble jusqu’en 1840. La famille Amad qui avait suivi la cause de cheikh Bachir Joumbaltt
perdit de même l’Arkoub qui fut confié à l’émir Qassem fils aîné de l’émir Bachir. A la
même époque le Sahel et le Garb furent ôtés à la famille Erslân compromise dans la révolte
du cheikh Bachir, et donné à l’émir Qassem devenu grand Prince. En 1831 les Abounakads se
refusèrent à embrasser, comme la famille Chéhab le parti d’Ibrahim pacha et rejoignit
l’armée turque à Homs. L’émir Bachir prit alors le gouvernement direct du Ménassef et du
Chahar. Les deux familles druses qui gouvernaient le Gharb et le Djurd restèrent seules en
possession de l’administration de leurs districts. Ainsi sur les douze districts, deux seulement
85
Page
1
MICHAUD et POUJOULAT tVII, p. 353.
sont restés druses, deux ont pendant dis ans eu des gouverneurs chrétiens, et dans les huit
autres l’autorité druse a été oubliée pendant dix neuf ans »1.
La question communautaire, dans les districts du Sud Liban, n’avait pas été réglée,
mais au contraire aiguisée par la tentative de mise à l’écart des familles dominantes druzes.
Certes la violence du fait avait de quoi frapper. Avec l’aide de son troisième fils Amin, l’émir
Bachir supervisait aussi plus étroitement la perception de l’impôt dans les régions maronites,
au nord du Nahr al-Kelb ; mais ce qui, à l’échelle de toute la population montagnarde,
aboutissait à réunir au profit de la communauté numériquement la plus forte, contribuait, au
niveau des familles notables, à affaiblir une direction sociale aux dépens de la communauté la
moins nombreuse. La tension ainsi créée s’aggravait et se compliquait de ce que les
Chrétiens, solides dans le Liban mais sujets du Sultan, n’en restaient pas moins minoritaires
dans l’Empire, comme dans l’ensemble de la Syrie. Des familles, des clientèles, des factions,
le débat se dramatise en s’élevant aux communautés confessionnelles.
L’émir Bachir n’avait rien d’un novateur. Il n’était nullement un genre de despote
éclairé et centralisateur à la mode européenne, comme ont tenté de l’avancer certains de ses
apologistes contemporains. A-t-il pris figure de réformateur, à l’exemple de ce qui se passait
au Caire ou à Constantinople, parce qu’il abaissait les notables ?
L’émir Bachir n’agissait que selon les moyens et les habitudes d’un milieu. Il ne
détruisit pas une structure sociale qui était la seule base de son prestige et de son action. Il
avait simplement, en essayant de s’en réserver tous les privilèges et tous les avantages,
aggravé inconsciemment l’ébranlement et la crise des hiérarchies sociales, et contribué à
exacerber les conflits communautaires ; mais, dans l’ensemble de la population, les rapports
familiaux ne cessèrent jamais d’être réglés par un système de parenté dont la fonction était
fondamentale.
1
AÉ Correspondance commercial, Beyrouth, 4, f.110, dépêche de Bourée, 28 avril 1843.
ample robe fourrée, la manche richement orné d’un poignard sortant de sa ceinture de
cachemire, égrenant son chapelet, accroupi sur un divan de velours rouge au fond d’une vaste
pièce où se pressent secrétaires, serviteurs et officiers égyptiens vêtus d’une veste européenne
et coiffés d’un tarbouch.
Méhémet ‘Ali naquit en 1769 à Kavala, vint en Egypte en 1798 à la tête d'un corps
d'Albanais pour combattre les Français. Il prit le pouvoir en 1804 à l'issue d'une lutte contre
les Mamelouks, et se fit reconnaître pacha. Au printemps de 1807, il repoussa un
débarquement anglais ; en 1811, il mit un terme aux rebellions des Mamelouks, en les faisant
massacrer en masse dans la citadelle du Caire. De 1811 à 1815, il combattit les Wahhabites et
leur enleva les villes saintes de l'Arabie, acquérant ainsi un prestige immense dans le monde
musulman. Avec l'aide d'officiers français, parmi lesquels Sèves, dit Soliman Pacha, il mit
sur pied une armée et une marine modernes, ce qui lui permit de faire la conquête du Soudan.
Il tenta de s'affranchir de la tutelle ottomane et conquit la Syrie, mais les pressions de
l'Angleterre l'obligèrent à renoncer à ses conquêtes, en échange de la reconnaissance par la
87
Page
Porte de la possession héréditaire de l'Egypte et du Soudan en sa faveur(1841). On a pu dire
de lui qu'il fut le fondateur de l'Egypte contemporaine et le précurseur du réveil arabe.
Méhémet ‘Ali leva six régiments d’infanterie, à la tête desquels était placé son fils
Ibrahim pacha qui vint justement de recevoir de la Porte le titre de prince de La Mecque. La
88
Sublime Porte essaya de renouer encore une négociation, de se poser en médiateur entre
Page
Méhémet ‘Ali et ‘Abdallah, tandis que les puissances européennes observaient avec attention
les événements : les Français, les Anglais et les Allemands avaient en effet leurs agents au
Liban, et, si les Français s’appuyaient particulièrement sur les maronites, les Anglais et les
Allemands utilisaient leurs missions protestantes, dont l’œuvre politico-religieuse réussit
surtout en milieu grec orthodoxe.
Ibrahim pacha
1
Voir Michel CHIHA 311-342
Lady Esther Stanhope (1776-1839)
Au Liban, l’émir Bachir resta apparemment neutre, et ne répondit que mollement aux
sollicitations des Egyptiens afin de ne pas mettre les Druzes, qui, comme en 1799,
s’inquiétèrent fort des événements, remettre en question leur soumission, si difficilement et
récemment acquisse. Ces raisons tombèrent finalement au lendemain de la prise de ‘Akka, et
le grand émir, rompant alors ses allégeances ottomanes, se déclara ouvertement au service
d’Ibrahim pacha. La joie populaire éclata chez les Libanais : 5000 d’entre eux se mettaient à
la disposition d’Ibrahim pacha, dont l’émir Bachir devint le véritable bras droit.
Appuyée de la sorte, l’offensive égyptienne se déploya jusqu’à Tripoli. Bachir II, qui
accepta des gouverneurs pro-égyptiens pour Tyr, Saïda, Beyrouth, assuma la garde de la côte.
Son fils Khalil se heurta à la première réaction des Ottomans. Mais la résistance ne dura pas,
et aboutit à associer plus étroitement encore l’émir Bachir et les Egyptiens, dont les troupes
arrachèrent finalement de concert la ville aux Turcs. La collaboration libano-égyptienne
devenait chaque jour plus étroite. Si bien qu’Ibrahim pacha, pour mieux se consacrer aux
opérations militaires, laissa à Bachir la haute main sur toutes les affaires relevant de la
politique intérieure et leui confia son sceau.
90
Page
a. Bataille de Baylan (29 juillet 1832)
Sur le plan intérieur, au Liban, les suites de Baylan ne se firent pas attendre. Les chefs
qui avaient rejoint le camp ottoman se dispersèrent. Les Joumblatt et les Arslan se réfugièrent
en Anatolie.
Les scrupules du vieil Ottoman qu’était Méhémet ‘Ali et son souci de ménager
l’Europe avaient retenu son fils Ibrahim à l’entrée de l’Anatolie. Le Sultan mit profit ce
nouveau répit pour former une nouvelle armée. Lorsque Méhémet ‘Ali vit le Grand vizir se
mettre en marche en direction du camp égyptien, il céda aux instances de son fils Ibrahim et
l’autorisa à prendre l’offensive. Le choc eut lieu le 21 décembre 1832, au nord de la ville de
Konya. L’armée du grand vizir plia sous le choc, son recul se transforma vite en déroute et
son chef fut prisonnier. La route d’Istanbul était ouverte.
L’émotion de l’Europe était à son comble et le conflit allait prendre des dimensions
internationales.
Au moment où le sultan Selim III arrive au pouvoir (avr. 1789), l’Empire ottoman est
une nouvelle fois en guerre avec les Russes et les Autrichiens : avec ceux-ci la paix de
Svitchov (août 1791) marque pour près d’un siècle la fin des hostilités et le statu quo
frontalier ; avec les Russes, par contre, ce sont de nouveaux territoires qui doivent être
91
concédés à la paix de Jassy (janv. 1792). Selim III veut alors apporter des réformes dans
Page
Ayant signé avec les Russes la paix de Bucarest (mai 1812) qui octroie à ceux-ci la
Bessarabie et reconnaît aux Serbes une certaine autonomie, Mahmud II entreprend sans se
hâter une série de réformes, dont la principale se situe en juin 1826 avec la suppression des
janissaires qui sont massacrés. Mais ces réformes sont encore limitées: par la suite elles sont
reprises et complétées par le sultan Abdul-Medjid (Abdülmecit) qui, par la promulgation du
hatt-i sherif (édit auguste) de Gül-Hané (3 nov. 1839), inaugure véritablement la période des
réformes, les Tanzimat. Par cet édit, il est décidé que tous les sujets de l’Empire sont égaux,
sans distinction de religion ou de nationalité, que la loi est la même pour tous, que chacun
versera directement à l’État des impôts en proportion de sa fortune, que le service militaire
est institué et effectué par tirage au sort. Des réformes sont également introduites dans
l’enseignement traditionnel: elles ne commencent à être effectivement appliquées que sous le
règne du sultan Abdul-Aziz (Abdülaziz, 1861-1876). Le pouvoir central est organisé à
l’européenne, avec départements ministériels et ministres responsables; en mai 1868 sont
créés un Conseil d’État et une Cour suprême de justice, tous deux composés de musulmans et
de chrétiens; enfin, il faut noter l’apparition de journaux, d’abord officiels, ensuite privés.
Toutes ces réformes ont lieu alors que l’Empire est secoué par de graves crises, plus
spécialement par des soulèvements à caractère national; en Serbie où, après quinze années de
lutte, les Serbes obtiennent que leur province soit reconnue comme principauté autonome,
sous suzeraineté turque; en Épire, où Ali de Tépédélen (ou Tébélen) tient tête aux Ottomans
pendant vingt ans (1803-1822); en Égypte où Méhémet ‘Ali se fait proclamer gouverneur
(1805), liquide le régime féodal et militaire des Mameluks (1811), puis impose son autorité
au Hedjaz (1812) aux Wahhabites d’Arabie (1818) et au Soudan (1821).
92
nouvel édit de réformes par le sultan (hatt-i hümayun de février 1856). De ce traité découle
aussi l’union de la Moldavie et de la Valachie qui, en 1862, fusionnent et constituent la
Page
Roumanie. Vers la même époque, une insurrection locale donne l’occasion d’octroyer au
Liban un statut spécial (1861-1864).
Les années suivantes sont marquées par la lutte d’influence que se livrent au Caire et
à Constantinople Français et Anglais: les premiers l’emportent et connaissent le
couronnement de leurs efforts avec l’inauguration solennelle du canal de Suez, le 17
novembre 1869, à laquelle participe le sultan Abdul-Aziz. Peu auparavant, une insurrection
en Crète a abouti à la promulgation d’un statut qui place l’île sous une administration mixte
chrétienne et musulmane. Puis, aux alentours de 1870, de nombreux incidents éclatent en
Bulgarie, en Serbie, en Bosnie, en Roumanie, incidents auxquels la Russie n’est pas
étrangère; malgré des tentatives de médiations occidentales, malgré la libéralisation du
régime ottoman avec l’avènement du sultan Abdul-Hamid II (Abdülhamid, 1876), l’arrivée
au pouvoir des libéraux conduits par Midhat pacha et l’octroi d’une constitution (déc. 1876),
la guerre éclate, d’abord entre Serbes et Turcs, puis entre Russes et Turcs; ceux-ci, en dépit
d’une valeureuse défense, sont vaincus et doivent signer la paix de San Stefano (3 mars 1878)
qui marque le triomphe de la Russie et son hégémonie sur l’Europe balkanique. Mais, devant
l’inquiétude de l’Angleterre et de l’Autriche, Bismarck intervient et réunit le congrès de
Berlin (juin 1878) qui constitue une nouvelle étape dans le démembrement de l’Empire
ottoman: la Serbie et la Roumanie deviennent des États totalement indépendants. Une
nouvelle province autonome est créée au nord du Rhodope, la Roumélie orientale, peuplée de
Bulgares. La Grèce annexe la Thessalie et une partie de l’Épire, et l’Autriche peut occuper la
Bosnie et l’Herzégovine. Quant à la Russie, elle obtient les régions de Kars, Ardahan et
Batoum. La Macédoine reçoit un statut comparable à celui de la Crète. L’Angleterre, pour
prix de son alliance avec la Turquie, se fait céder l’île de Chypre, tandis que, par des accords
secrets, l’Angleterre, la France et l’Italie se partagent à l’avance l’Afrique du Nord, de la
Tunisie à l’Égypte. C’est bien alors que l’on a pu définir l’Empire ottoman comme «l’homme
malade» de l’Europe.
94
Page
d. Les conséquences politiques de l’occupation égyptienne du Liban
Le traité de Kutayeh (1833) avait donné toute la Syrie à Méhémet ‘Ali, et l'émir
Béchir. qui avait accepté la domination égyptienne, gouvernait au nom de Méhémet ‘Ali tout
le Liban, le Kisrwan, le Chouf et les districts mixtes, avec une autorité plus grande et, il faut
bien le dire, plus violente que jamais
Sur le plan interne, le premier acte d’Ibrahim était de confirmer Bachir II dans son
Imarat, qui s’étendait à toutes les provinces libanaises, de Tripoli à Tyr, de la Béqâ‘ au Wadi
al-Taïm, des districts chrétiens aux districts musulmans ou mixtes ; avec une surveillance
policière de la plaine de Damas.
Dans ce cadre nouveau, le grand émir fut à la fois plus fort et moins libre. Plus fort,
puisqu’il était protégé par les baïonnettes égyptiennes qui écartèrent les compétiteurs
éventuels, et tenaient en respect la population libanaise ; Bachir pouvait collecter le
quadruple du tribut officiel de 6782 bourses imposé au Liban et amasser de grands trésors ;
moins libre, parce que la surveillance exercée de Beyrouth fut incontestablement plus
astreignante.
95
Page
Cela l’incita naturellement à se rapprocher encore du clergé maronite, à développer,
avec son aide, la lutte contre la féodalité. Les mesures humiliantes qui subsistaient furent
levées : ils ne n’étaient plus astreints au Liban au port d’un costume particulier et pouvaient
monter à cheval. Les maronites consolidaient encore leur organisation religieuse au concile
de ‘Aïn Trez, en 1835, qui codifia leur rite en 25 canons. Les arméniens catholiques
obtenaient à la même date leur reconnaissance officielle, et une communauté arméno-
protestante se forma à Saïda. Ce fut donc un foisonnement général chez les chrétiens qui
s’étendaient dans les territoires réservés jusque là aux druzes. Le bourg de Deïr al-Qamar se
développa, en plein centre druze.
Les Maronites s'étaient multipliés dans le Kisrwan. Ils s'étaient répandus dans les
populations du Jbeïl, et du Chouf. De mœurs paisibles, laborieux et industrieux, ils cultivaient
comme fermiers les terres que négligeaient les Druzes, exploitaient leurs mûriers,
fabriquaient la soie, et, dans des districts où ils avaient pénétré, ils étaient parvenus à former
la majorité. Avec le temps, les cheiks chi‘ites, ennemis de l’émir Béchir, chassés ou forcés de
s'enfuir, les Maronites établis dans les villages druzes devinrent propriétaires des terres qu'ils
cultivaient comme fermiers, des maisons abandonnées par leurs propriétaires druzes, et des
cheiks chrétiens furent mis à la tète des districts mixtes.
Cette révolution favorable aux chrétiens ne pouvait se faire sans exciter des haines
entre les nouveaux possesseurs et les dépossédés. Elle divisa, en effet, les districts mixtes en
deux classes ennemies : les Maronites et les Druzes, auxquels se rallièrent les débris des
diverses races musulmanes. D'autre part, aussi bien que les cheiks druses, les chefs chrétiens
du Kisrwan subissaient avec impatience les atteintes que l'émir Béchir ne cessait d'apporter à
ce qu'ils considéraient comme des droits séculaires. De là, dans le Kisrwan, d'ordinaire si uni,
des germes de révolte, contenus par la rude main de Béchir, mais faciles à discerner.
resta fort et mal réparti et le petit peuple en souffrait – l’émir Bachir lança deux réformes
Page
Dans une telle situation, le régime égyptien fut obligé de garder au Liban de façon
permanente des troupes importantes afin de maintenir l’ordre, répondre à une poussée
éventuelle des Ottomans et s’affirmer face à l’opinion internationale. Cela supposait la
restauration des ouvrages militaires, la construction de nouvelles fortifications, la fourniture à
l’armée de matériaux divers. La population libanaise fit astreinte à des corvées de toute
sorte ; elle devait par exemple extraire le lignite de la mine de Qornaïl, au Metn, puis la
transporter à Beyrouth. S’ajoutait à cela le ravitaillement de l’armée : non seulement les
montagnards devaient prêter leurs bras, mais aussi livrer leur bétail.
Les Egyptiens avaient également besoin d’argent. Pour s’en procurer, ils inventaient
un système de monopoles qui couvrit, petit à petit, tout le trafic commercial : de la soie, des
légumes et des poissons. Chacun souffrait de ce lourd appareil qui entravait l’économie, et
97
l’argent manquait toujours. Alors, Ibrahim pacha décida de réviser le cadastre, d’augmenter
Page
les taxations, et d’instituer un impôt par tête, le ferdé, capitation supplémentaire qui s’abat sur
tous les Libanais, sans distinction de religion. Cela provoquait dans l’économie une grave
récession. Accablés de dettes, les paysans empruntaient aux usuriers. Des fortunes
gigantesques s’échafaudaient ainsi, ajoutant aux causes de mécontentement des motifs
sociaux.
Le pont de rupture fut atteint lorsque, fait sans précédent au Liban, les Egyptiens
instaurèrent la conscription chez les ‘Alaouites, les Druzes et les Chi‘ites. Bachir II essaya
bien d’éviter l’application de cette décision, mais il devait finalement céder à la pression
irritée d’Ibrahim. Pourtant cette mesure s’adressant à ceux qui en tant que minoritaires,
étaient déjà les plus mal disposés, n’allait pas tarder à provoquer des remous. Les Chi‘ites se
soulevaient et l’émir Amine Chéhab devait se porter au-devant d’eux, tandis que l’émir Khali
Chéhab et le pacha de Tripoli coopéraient au nord à la répression des ‘Alaouites. En même
temps, les Druzes du Wadi Taïm refusèrent l’incorporation. Ainsi, aux trois extrémités du
pays la dynastie fut-elle obligée de se compromettre, à l’occasion d’une mesure très
impopulaire, dans une dangereuse collaboration avec l’occupant égyptien. Les insurgés ne
parvinrent pas à conjuguer leurs efforts et, cinq mois plus tard, l’ordre règne de nouveau.
Pourtant si les enrôlements forcés se poursuivaient, la résistance larvée resta vivace, et les cas
de mutilation volontaire nombreux.
Egyptiens allèrent jusqu’à armer secrètement les Kurdes d’Anatolie en révolte contre
Page
l’autorité d’Istanbul et interdisaient aux bateaux ottomans de mouiller dans les ports libanais.
La Sublime Porte s’empressa de chercher à exploiter la situation. Elle entra en contact
avec nombre de notables et de chefs locaux, particulièrement au Liban où même Bachir II
recevait des appels et des offres de sultan. Mais le prince libanais se contenta de livrer à
Ibrahim pacha les messagers d’Istanbul. Cependant, du côté de la Montagne, et en dépit de la
détestation séculaire de la population pour les Turcs, l’appel fut entendu.
Une insurrection populaire implosait sous l’action des agents et des consuls européens pour
harasser la puissance du Pacha d’Égypte. En 1840, l’émir Bachir II fut déposé et alla finir sa vie en
exil. Bachir Chéhab III ( ?-1860), le successeur dut à son tour abdiquer après une période conflictuelle
qui amena le pays à la ruine quasi totale.
Au cours des années subséquentes le Liban passa sous l’administration directe ottomane. En
1842, la solidarité entre les Maronites et les Druses sur laquelle l’autonomie du Liban avait longtemps
reposé n’était déjà plus que du passé et il ne subsistait pratiquement aucune possibilité d’action
commune contre les nouvelles dispositions ottomanes. Des explosions meurtrières éclatèrent
sporadiquement, mais la plus sanglante des explosions se produisit à partir de l’année 1859. Un
massacre général de la population chrétienne de la Montagne et ceux de la Côte provoquèrent une
action politique européenne et ottomane ainsi qu’une intervention militaire de la France (août 1860).
La phase violente cessa. L’ordre fut finalement rétabli. La Sublime Porte sous la pression
internationale et à la suite des accords de 1861, publia le Règlement Organique qui accordait au
1 Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism in Ottoman Lebanon, 1830-1861, London, New York,
The Center for Lebanese Studies,
Oxford I.B. Tauris, 2000, p. 15 : « In Keeping with administrative changes being introduced, in the autumn of 1832
the vali of Egypt (and now of Syria) offered Bashîr the title of ‘Hükümdarship of Arabistan, which would have
implied the entire Syrian region, but the grand emir declined it ».
2
Colonel Churchill, Mount Lebanon, A ten years’ residence from 1842 to 1852, vol. 3, Third Edition, London,
Saunders and Otley, Conduit Street, 1853, pp. 344-345 : « It will naturally be supposed, that the Emir Bechir
had not now been some months in Cairo, without having had various occasions presented to him, of making
Mehemet Ali intimately acquainted with the exact state of affairs in Syria, nor without having succeeded in
100
getting him to exert his influence, to bring about an arrangement coinciding with his own views and interests ».
Kamal Salibi, Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988, p. 77 : « En arrivant à Acre,
Ibrahim Pacha demanda à Bashir II son assistance. L’émir hésita et essaya de se dérober,…Dans un message
Page
abrupt, il (Méhémet Ali) rappela brutalement à Bachir II ses promesses, le menaçant d’envahir le Liban s’il
hésitait à les tenir ».
Mont-Liban un nouveau statut d’autonomie garanti par les Grandes Puissances. « L’Europe, en 1840,
avait rendu la Syrie à la Porte Ottomane, c’est-à-dire à l’anarchie. C’était surtout dans le Liban que les
effets de cette restauration de l’anarchie devaient se faire sentir »1 esquissait le journal français dans
son éditorial.
En effet, suite à l’occupation du Liban par les troupes égyptiennes en 1831, une
mésintelligence s’installa progressivement entre Méhémet ‘Ali2 (1769-1849) le vice-roi d’Égypte et
les libanais Maronites et Druses à partir des années 1833. C’est que le Liban durant la deuxième
période du règne de l’émir Bachir II (1804-1830) affrontait une réalité doublement changeante : d’une
part, une sorte de prise d’engagement dans un mouvement historique fondé sur une réalité dans
laquelle se perpétuaient des mentalités, s’élaborait un sens de l’histoire, une conception de la société,
et d’autre part, une administration égyptienne centralisatrice. Or, centralisation, imposition,
monopoles d’État et conspiration insurgèrent les Libanais contre leur Émir et le vice-roi d’Égypte.
a. Le Liban en effervescence
1
Le Constitutionnel, samedi 28 juillet 1860.
2
Méhémet Ali prit le pouvoir en Égypte en 1804 et se fit reconnaître Pacha. Il massacra les
mamelouks et fit de l’Égypte une puissance régionale organisée à l’européenne. Il sut avec force et
ruse s’affranchir de tutelle ottomane. Les troupes du vice-roi sous le commandement de son fils
Ibrahim conquéraient la Palestine, La Syrie, le Liban et pénétraient l’Anatolie. Pour l’Angleterre,
Méhémet Ali, alliée de la France fut une menace directe et dangereuse sur la route des Indes. Elle
101
poussa le Sultan à reprendre les armes pour reconquérir la Syrie, le Liban et la Palestine. En 1841 le
pacha d’Égypte, malade mais ayant fait reconnaître par le Sultan le caractère héréditaire de sa
dynastie, il abandonna en 1849 la régence de l’Égypte moderne à ses héritiers. In, Michel Mourre, Le
Page
Mais, pour que le Liban se soulevât, « il fallut en somme, la coalition de l’Angleterre avec la
Russie, l’Autriche et la Prusse contre Méhémet ‘Ali, leur coopération matérielle avec les Turcs pour
le chasser de Syrie, enfin l’activité redoublée de la propagande anglaise sur les lieux »1. Tout
commença à la mi-mai 1840 ; de ce moment et jusqu’à novembre de la même année quand ses troupes
se trouvèrent forcées d’évacuer la Syrie et le Liban, Méhémet ‘Ali avait sur le dos l’insurrection des
Libanais. La conjoncture se manifesta rapidement en plusieurs événements qui contribuèrent à hocher
la Montagne à partir de la fin de l’année 1839.
Bachir II reçut l’ordre le 17 mai 1840 de râteler tous les fusils donnés aux Chrétiens en
18382. Le but fut le désarmement du Liban comme prélude à la conscription. Une affaire qui marquait
manifestement l’impuissance de l’émir face au despotisme d’Ibrahim pacha, et la fin du rôle
autonome de l’émir Bachir II. Il ne fallait pas moins de cette demande pour que l’opposition
s’organisât et que l’insurrection éclatât. Devant ce soulèvement, Ibrahim Pacha commença à se sentir
débordé. Richard Wood, l’agent anglais au Mont-Liban, sut habilement profiter de ces germes de
mécontentement « pour soulever contre l’émir Bachir les Maronites eux-mêmes »3.
Devant cette sérieuse tournure des affaires du Liban, le vice-roi d’Égypte faisait circuler le
bruit que l’insurrection était le résultat d’un malentendu et de la fausse interprétation de l’ordre (de lui
2
Napoléon Aubanel, La France Maronite, Fédération française de protection en Orient, Nice, Imprimerie
Niçoise, Descente Grotti, 1892, p. 4.
3
Louis de Baudicour, La France en Syrie, Paris, E. Dentu et Challamel Ainé, 1860, p. 12.
1
F. Charles-Roux, France et Chrétiens d’Orient, fac-similé, p. 155.
2
Karam Rizk P. Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 79 : « Lors de la révolte des Druzes du Hauron sous le
commandement de Cheik Chébli al-Harian et après avoir perdu des milliers de ses meilleurs soldats, Ibrahim ne
trouva d’autre moyen pour arriver à son but, que d’opposer aux Druzes les Chrétiens Maronites. Il s’adressa à
l’émir Béchir, alors gouverneur du Liban, qui lui promit l’appui des Maronites, s’il voulait lui donner des
armes » ; Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie, depuis 1840 jusqu’en 1842 ; statistique
générale du Mont-Liban, et procédure complète dirigée en 1840 contre des Juifs de Damas, Paris, Gaume
102
frères, Librairies-Éditeurs, t.1, 1846, p. 18 : « La confrontation de 1838, dans le Hauran et l’Anti-Liban, fut la
plus grave et la plus lourde de conséquences…Après neuf mois de durs combats, les coalisées eurent raison des
rebelles, en août 1838… ; les Chrétiens reçurent du vice-roi 10.000 fusils en remerciement des services
Page
rendus ».
3
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 30.
envoyer les armes renfermées dans la citadelle de ‘Akka) mal accompli par son fils Ibrahim Pacha :
« Son Altesse, voulant compléter l’armement du rhéthiff (garde nationale) de l’Égypte, qui est de
quatorze régiments, demanda à Ibrahim-Pacha les fusils qui devaient se trouver à Saint-Jean d’Acre.
Or, beaucoup de ces fusils ont été donnés aux Maronites, il y a deux années. Ibrahim-Pacha interpréta
mal les ordres de son Altesse, et réclama les armes données aux Maronites ; ceux-ci refusèrent de les
rendre, et de là une révolte »1.
Les révoltés libanais désignèrent le 29 mai 1840 comme le jour J pour déclencher une
insurrection qui devait embrasser les provinces comprises depuis « le mont Akkar, au nord, qui, en
longeant le Liban, s’étendent vers le sud de Naplouze, et appuyée au nord-est par un mouvement dans
l’Anti-Liban ou Djebel-el-Schark ; à l’Est par la province d’el-Beka‘ habitée par les Métoualis »2.
1
Extrait d’une lettre adressée à un négociant de Marseille, par son correspondant d’Alexandrie, in Achille
Laurent, Relation historique des affaires de Syrie, depuis 1840 jusqu’en 1842…, p. 61.
2
Ibid., pp. 27-28.
Page
1
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 43.
2
Le Constitutionnel, jeudi 1eroctobre 1840, p. 1.
mesure d’intimidation et de pression sur les troupes égyptiennes cantonnées à Beyrouth se profila à
l’horizon. Ce mouvement déchaîna dans la ville une panique générale poussant les habitants ainsi que
les soldats de Soliman Pacha à fuir la ville dans la crainte des bombardements3.
- que la Syrie retourne sous la domination du sultan après la mort de Méhémet Ali,
Il va sans dire que cette politique brumasse du gouvernement français en Syrie fut
ouvertement attaquée et désavouée par une partie des députés du Parlement français. M. Alphonse
Marie Louis de Lamartine (1790-1869), poète et voyageur3, député de Saône-et-Loire et grand
opposant au ministère de Pierre Guillaume François Guizot (1787-1874) résuma toutes ses objections
contre la politique orientale ministérielle. Il revenait « sur son idée de Syrie française avec opiniâtreté
monomane, et sans tenir compte de tous les arguments qui ont fait évanouir sa chimère »1.
3
Achille Laurent, Relation historique…, p. 126.
1
Le Constitutionnel, vendredi 2 octobre 1840, p. 2 : « Les quatre puissances (européennes) ont décidé que ce
nouveau despotisme militaire qui a pris un grand développement sous les auspices du vice roi ne doit pas être
consolidé de manière à pouvoir, un jour ou l’autre, ruiner l’équilibre nécessaire en Orient. Les puissances
veulent réduire Méhémet Ali au pachalik héréditaire d’Égypte et obtenir la restitution de la flotte turque ».
2
Le Constitutionnel, jeudi 1er octobre 1840, p. 2.
3
Alphonse de Lamartine entama en juillet 1832 un voyage en grand seigneur vers le Levant. Il écoula une année
104
dans les contrées orientales. De retour en France, il publia son Voyage par besoin. Ce séjour oriental marqua le
reste de sa vie, non seulement sur le plan sentimental (par la perte de sa fille malade le 5 décembre 1832), ni
financièrement mais aussi par ses conclusions politiques. Lamartine fut un défenseur exalté de l’idée de Syrie
Page
française. Cité par Hyam Mallat, L’Académie Française et le Liban, Beyrouth, Dar an-Nahar, p. 53.
1
Le Constitutionnel, vendredi 2 octobre 1840, p. 1.
À l’expiration du premier terme, le refus de Méhémet Ali tomba sur les instances
européennes sans surprise. Il accepta avec reconnaissance l’hérédité de l’Égypte pour sa famille, mais
en ce qui concernait la Syrie, il ne pouvait croire que « son Souverain voulut arracher à son
administration un pays dans lequel il avait introduit tant et de si salutaires réformes »2.
L’intervention militaire des troupes alliées fut inéluctable. Au Liban, le Major général des
troupes de Méhémet Ali, Soliman Pacha informa par une lettre les consuls des puissances
européennes résidant à Beyrouth du refus de son Altesse des conditions et des arrangements proposés
par le Sultan avec l’accord de la Grande-Bretagne, de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche. Il ajouta
au nom de S.A. Méhémet Ali : « que ce qu’il avait conquis par les armes ne pourrait lui être enlevé
que par les armes » 3.
Dans la montagne du Liban, l’émir Bachir II fut informé des décisions du congrès de
Londres. Les Puissances européennes lui proposèrent de s’allier politiquement et militairement au
plan d’action mené contre Ibrahim Pacha en soulevant la Montagne face à la présence égyptienne.
Entre le zist et le zest, l’émir avisa Ibrahim Pacha de la ténuité de la situation dans la Montagne.
Celui-ci s’empressa par la ruse et par la force d’apaiser l’insurrection en coupant les ponts entre les
insurgés et les forces d’intervention. À cette fin, et pour mettre en garde les habitants du Mont-Liban
contre toute désobéissance, il publia le firman suivant : « Si vous persistez dans vos coupables
intentions, l’armée victorieuse expédiée avec l’aide de Dieu, détruira votre parti comme vous l’aurez
mérité. Pensez bien et réfléchissez à vos intérêts, et, en choisissant la soumission, soyez obéissants à
votre prince, afin que ce dernier prévienne les chefs de son armée de ne pas avancer, et par là vous ne
serez pas exposés aux dangers »1.
Sans résultat apparent, le mouvement des insurgés libanais se généralisa sous l’impulsion des
agents anglais et ottomans ainsi que des consuls des quatre Puissances, le tout sous le bruit d’une
armada invincible.
La manipulation anglaise des éléments de la révolte fut nettement mise en évidence par un
article révélé par Le Constitutionnel2 qui soulignait avec évidence le rôle que jouait dans cette affaire
105
2
Ibid.
3
Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie…, p. 128.
1
Firman publiait le 5 juin 1840 par Ibrahim Pacha à l’intention des habitants de la Montagne du Liban, in,
Page
Devant cette propagande, l’émir Bachir II répliqua en publiant partout dans la Montagne un
ordre sévère interdisant aux habitants tout contact avec les Anglais : « Quiconque recevra des écrits
révolutionnaires de leur part (les alliés), devra les remettre à mes fils les émirs ; en cas contraire, il
sera puni de mort. Quiconque recevra des armes, des munitions ou des provisions sans l’autorisation
de mon gouvernement sera puni de mort »3.
Kamal Salibi ajouta que « La Russie et l’Autriche se mirent aussi à encourager les rebelles, surtout les Chrétiens
parmi eux, la Russie cherchant à renforcer sa position de protectrice des grecs orthodoxes de Syrie, alors que
l’Autriche profitait de l’embarras de la France pour essayer de prendre sa place de protectrice des Catholiques
libanais ». In, Kamal Salibi, Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988, p. 97.
3
D’après Le Constitutionnel, le comte d’Onffroy un garde du corps de Charles X (1757-1836) ne fut qu’un
simple aventurier au service d’un diplomate anglais très rusé. Il débarqua à trente ans à Constantinople pour une
aventure, dans le dessein de faire fortune, n’ayant pour toute espérance que les prétentions qu’il faisait valoir sur
la Syrie et le royaume de Palestine. Le comte fut habillement exploité par le diplomate anglais. M. Onffroy, fort
d’une si haute protection marcha à la conquête de la Syrie. Dans la montagne du Liban en ébullition, beaucoup
des émirs se rallièrent à lui. Une révolte qui s’organisa autour de son chef le comte d’Onffroy allait bientôt subir
la colère d’Ibrahim pacha. En effet, les insurgés éprouvèrent une défaite cuisante dans les plaines de Tripoli. Le
106
comte Onffroy prit la fuite avec son chef d’état-major M. Chézel et son aide de camp M. Fasollis. Une corvette
française vint sauver le comte et le conduisit à Chypre puis à Constantinople.
1
Pour la composition de l’escadre des forces navales alliées, voir annexe II p. 282.
Page
2
Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie…, p. 123.
3
Ordre signé par l’émir Bachir, Ibid., p. 127.
1. Le bombardement de Beyrouth
Les montagnards libanais étaient au rendez-vous ; ils affluèrent en grand nombre (3000
hommes) au camp des alliés. Soliman Pacha à la vue de cette concentration de force combinée
d’Européens, de Turcs et de Libanais, envoya un parlementaire pour demander un armistice de deux
jours. La réponse fut catégorique : « not for two hours »5, pas même pour deux heures.
Le bombardement de la ville recommença de plus belle. Pendant deux heures, les vaisseaux,
le Bellerophon, L’Edimbourg et le Benboto avec le vaisseau de l’amiral autrichien, avaient battu en
brèche la ville. « Le navire autrichien a surtout lancé sur la ville des fusées à la Congrève avec une
admirable précision »1.
Les bâtiments alliés jetèrent quelques bombes et des fusées de temps à autre sur la place de
Beyrouth le 16 septembre, en visant surtout les endroits de rassemblement des troupes égyptiennes.
La perte humaine causée par les bombardements fut énorme. Il périt dans les flammes et sous les
1
Le Constitutionnel, mardi 6 octobre 1840, p. 1
107
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Le Constitutionnel, jeudi 8 octobre 1840, p. 1.
Page
5
Ibid.
1
Le Constitutionnel, jeudi 8 octobre 1840, p. 1.
ruines un millier d’individus2. Le désastre touchait de pleines destructions le pavillon des Consuls des
États-Unis, de Danemark, d’Espagne et de Grèce. Les troupes de Soliman Pacha présentes dans la
ville martyrisée pillèrent les consulats, les maisons et les magasins des négociants étrangers.
L’état chaotique de l’armée égyptienne fut relaté par une lettre de l’émir Bachir II, en
précisant que « l’on ne peut pas compter sur l’armée (égyptienne) »3; la désertion des troupes4
obligeait Soliman Pacha à ne pas attaquer la tête du pont et les positions des alliés aux alentours de
Beyrouth.
Ces signes de faiblesse encourageaient les montagnards libanais à rallier la côte et à seconder
massivement les troupes du sultan et de ses alliés. Trois navires de l’armada (Le Casto, le Carysford
et la Pique) se chargèrent de la distribution des armes aux montagnards. Le nombre des libanais
armés s’articula entre 10 000 et 12 000 hommes. Les actions militaires menées par les insurgés contre
les troupes égyptiennes furent décisives sur le sort de la présence de Méhémet Ali en Syrie. Le 17
septembre, les hommes de la montagne attaquèrent un corps d’armée qui allait rejoindre Ibrahim
Pacha et tuèrent 400 hommes1.
De son côté, l’émir al Qassem el Chéhabi dit Bachir III, à la tête de 5000 de ses hommes
menaient des campagnes d’harcèlement contre les Égyptiens. Une première se déroula le 24
septembre 1840 dans une localité de la montagne de Kisrwane dite Wata el Jawz, et la deuxième, le 9
octobre à Bher Saf dans le Metn. Ces manœuvres obligèrent Ibrahim Pacha à se replier vers le sud du
pays en quittant des positions stratégiques dans le Mont-Liban.
Une dépêche de Soliman Pacha datée du 20 septembre précise que depuis trois jours, les alliés
ne tiraient plus sur Beyrouth ; une conséquence évidente du bombardement des navires, obligeant la
population à se démettre et les soldats égyptiens à décamper de la ville. Autour de Beyrouth, les
insurgés libanais qui descendaient de toutes les directions de la montagne réussissaient le blocus de la
ville, en avançant jusqu’à la forêt des pins située à l’entrée Est de la ville. Afin d’éviter tout
étouffement, Soliman pacha poussa ses troupes vers le fleuve du Nahr el-Kalb au nord de Beyrouth,
où une bataille se déchaîna déroutant ce dernier et lui faisant perdre 1500 hommes 2.
2
Le Constitutionnel, mardi 6 octobre 1840, p. 1.
3
Le Constitutionnel, jeudi 8 octobre 1840, p. 1.
108
4
Ibid : « 80 hommes des avant-postes d’Ibrahim commandés par un major polonais, ont passé aux alliés. Les
Égyptiens sont, dit-on très mécontents, mal nourris, mal traités et mal payés. Les Albanais, élite de l’armée
d’Ibrahim, rejoindraient les alliés si on leur accordait le pillage ».
Page
1
Le Constitutionnel, vendredi 16 octobre 1840, p. 2.
2
Le Constitutionnel, vendredi 23 octobre 1840, p. 1.
Méhémet Ali qui jusque-là avait montré une modération et une souplesse diplomatiques dans
l’affaire de la Syrie s’était emporté brutalement en apprenant la difficulté de la situation militaire sur
les rives Est de la Méditerranée et surtout à Beyrouth. Une correspondance de Toulon (France) datée
du 2 novembre divulguait la réaction du vice-roi qui paraissait « disposé à jouer son va-tout »3.
La majorité des villes de la côte libanaise tombaient l’une après l’autre sous l’emprise des
forces des alliés. Méhémet Ali donna l’ordre à son fils de concentrer les troupes à l’intérieur du pays
autour de la plaine de la Béka’ afin de protéger la ville de Damas. Le correspondant du
Constitutionnel citant des lettres d’Alexandrie donnait des nouvelles de cette manœuvre militaire en
affirmant le rassemblement des troupes autour de la ville de Zahlé : « Ibrahim Pacha et Soliman Pacha
se trouvaient (vers le milieu du mois d’octobre 1840) près de Zahli, commandant la route de Damas.
Ce point a été fortifié, et toutes les forces qui étaient répandues sur le littoral, et dans quelques autres
positions ont reçu l’ordre de venir stationner à Zahli. C’est ainsi que Moustapha Bey après avoir fait
sauter la citadelle, a évacué Tripoli, et malgré les attaques des montagnards est arrivé à Zahli »1.
2. L’attaque de Jbeïl
Ces navires battirent en brèche pendant deux heures la place. La partie supérieure de la
citadelle subit d’énormes dégâts. La résistance des soldats égyptiens se concentra dans la partie
inférieure du bâtiment, « à l’abri derrière un énorme rocher qui semblait défier tous les projectiles des
navires anglais »1.
3
Le Constitutionnel, mardi 10 novembre 1840, p. 1.
109
1
« Durant la nuit du 9 octobre 1840, Soliman Pacha recevait l’ordre d’abandonner la place de Beyrouth. Le
lendemain, les forces anglaises et turques prirent possession de la ville ». In, Le Constitutionnel, mardi 24
novembre 1840, p. 1.
Page
2
Le Constitutionnel, vendredi 9 octobre 1840, p. 2.
1
Le Constitutionnel, vendredi 9 octobre 1840, p. 2.
Devant cette résistance, le commandant anglais Austin donna l’ordre d’un débarquement afin
de déloger les défenseurs de la citadelle, des montagnards qui aussitôt après le débarquement, se
glissèrent dans le bois en lignes espacées sans profondeur et en tirailleurs. Quant aux marins anglais,
ils s’avancèrent par le bois, franchissant les murailles sans rencontrer d’obstacles jusqu’à une portée
de pistolet de la citadelle. Un feu terrible fut alors ouvert contre les Libanais et les soldats anglais, qui
dans leur position, « ne pouvaient pas répondre au feu. Aucun des ennemis ne s’étant montré. Le feu
partait des meurtrières à la base de la citadelle, et une partie du terrain paraissait être minée »2.
Les marins anglais sous l’intensité du feu s’empressaient de se réfugier derrière une muraille
de pierre. Un sergent anglais tomba frappé d’une balle. Devant cette résistance et l’impossibilité
d’accéder à l’intérieur de la citadelle, les marins anglais se voyaient obliger de se retirer dans la nuit
vers les navires. Tandis que les Libanais restaient dans la soirée, au milieu des bois, pour garder les
issues3.
Malgré la réussite des Arnanoutes à repousser les attaques, ils préférèrent se décrocher et se
sauver, profitant de l’obscurité. Le lendemain matin, « le drapeau turc flottait sur la citadelle »4. Les
pertes des alliés dans l’affaire de Jbeïl furent estimées à six marins anglais tués et seize autres blessés
dont six graves. Dans les rangs des Libanais, aucune précision ne fut avancée par les services des
alliés.
3. La prise de Tripoli
Plus au nord, à quelque quarante kilomètres de Jbeïl, les Anglais alignaient un blocus
maritime de la ville de Trâblous. Entre temps, les insurgés Libanais stationnaient dans le village de
Zgharta « dans un bois d’oliviers entouré de deux vallons et d’une rivière, dans une position
inexpugnable si elle était dominée par quelques petites élévations à portée de canon »1.
2
Ibid.
3
Ibid.
Page
4
Ibid.
1
Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie…, p. 94.
la plaine, et s’y firent charger par deux escadrons de cavaleries régulières de Mustapha Bey. C’est
ainsi que par un mouvement de panique et de débandade, « la cavalerie et l’artillerie légères
égyptiennes eurent le temps de se porter sur Sgortah et d’y incendier plusieurs maisons avant le
ralliement des montagnards »2.
Ce va et vient dominait l’activité militaire sur le front de Trâblous, étayée par les
bombardements sporadiques des vaisseaux anglais et autrichiens. Le gouverneur de la ville
Moustapha Bey sentait le danger d’un tel encerclement et préféra la fuir en faisant exploser la
citadelle et rejoignant Ibrahim Pacha dans la Béka’3. Presque la totalité des troupes de Méhémet ‘Ali
quitta le littoral libanais.
La seule ville qui restait encore sous la domination égyptienne et qui résistait au blocus était
Akka au sud de la ville de Soûr (Tyr). Une bataille décisive et meurtrière allait décider du sort de la
présence du vice-roi en Syrie.
4. La chute de ‘Akka
Une fois l’affaire de Beyrouth, de Jbeïl et de Trâblous achevée, les alliés concentrèrent leur
force sur ‘Akka ; la ville à position stratégique entre le Nord et le Sud, entre l’Égypte, la Palestine et
l’Anatolie. Le but de cette campagne était de couper toute communication logistique entre les troupes
d’Ibrahim Pacha stationnées en Anatolie avec la Syrie et les magasins d’approvisionnements situés en
Égypte et en Palestine. La décision était prise d’en finir le plus vite possible par le cabinet anglais car
l’hiver approchait rendant la mer impraticable.
À cet effet tous les préparatifs furent pris, une flotte de vingt bâtiments de guerre reçut l’ordre
de se rendre devant ‘Akka. « Les bâtiments à vapeur le Phénix, le Gorgon, le Stromboli et le Vésuve
arrivèrent les premiers sur les lieux ; ils avaient à bord environ 3000 Turcs ; les bâtiments à voile qui
arrivèrent successivement avaient aussi à bord des troupes de débarquement »1.
L’attaque fut dirigée le 1er novembre 1840 par l’amiral Stopford ; ayant sous ses ordres le
commandant Napier et l’amiral Walker. À peine la frégate anglaise le Phénix ouvrît le feu que
l’action devint générale ; la forteresse de la ville répondit au tir des alliés. Un feu effroyable
commença et continua pendant trois heures consécutives ; les bombes et les boulets pleuvaient de
111
2
Ibid., p. 95.
3
Le Constitutionnel, mardi 24 novembre 1840, p. 1 : « Mustapha Bey après avoir fait sauter la citadelle, a
Page
évacué Tripoli, et malgré les attaques des montagnards est arrivé à Zahli ».
1
Le Constitutionnel, dimanche 29 novembre 1840, p. 1.
toutes parts. Les canonniers égyptiens donnèrent la réplique et les boulets de leurs canons tombèrent
près des bâtiments anglais et autrichiens, mais sans faire trop de dégâts. Par contre, les bombes jetées
par les navires à vapeur causèrent un effet discrétionnaire sur les bâtiments et les maisons de la ville2.
Le lendemain, ‘Akka paraissait en feu. Les bombes continuèrent à pleuvoir toute la journée.
La citadelle riposta et résista à toutes les tentatives de débarquement du côté allié. Les défenseurs
obligèrent même les navires anglais de jeter « l’ancre hors de portée de la forteresse pour y passer la
nuit »1.
Dans la matinée du 3 novembre, les navires alliés amorcèrent de grands préparatifs en vue
d’un débarquement de troupes ; parallèlement, quelques heures auparavant, une force anglo-turque
partie de Beyrouth par voie de terre arriva aux environs de la ville. L’amiral Stopford donna l’ordre au
comandant Napier d’attaquer la ville. « L’escadre prit position en assez bon ordre, quoi que sous un
feu meurtrier, et les bâtiments ne se servaient encore que de leurs canons de proue ; le feu commença
et se maintint sur toute la ligne ; c’était un horrible spectacle ; on ne pouvait penser sans frémir aux
ravages que l’on aurait ensuite à déplorer »2. Ce terrible déluge du feu continua jusqu’au soir ; une
masse de fumée et de débris de toutes espèces couvrait le ciel de la ville. C’était le résultat direct de
l’explosion d’un magasin à poudre dans la forteresse. Une photo en lettres que Le Constitutionnel
imprima sur ses pages.
L’attaque sur ‘Akka fut d’une violence inouïe ; les trois ponts de la Princesse
Charlotte tirèrent seulement dans l’espace de trois heures cinquante minutes près de 5000
bombes ou boulets1. Au total, soixante mille boulets furent lancés par 480 grosses pièces
d’artillerie2 écrasant la ville sous un ouragan de feu. Le drapeau turc flotta à côté des
2
Ibid.
1
Le Constitutionnel, dimanche 29 novembre 1840, p. 1.
112
2
Ibid.
3
Ibid.
1
Le Constitutionnel, dimanche 29 novembre 1840, p. 1.
Page
2
H. Lammens S.J., La Syrie, précis historique, Beyrouth, Imprimerie Catholique, Deuxième volume, 1921, p.
168.
drapeaux anglais et autrichiens sur la citadelle d’Akka entièrement détruite. Ibrahim Pacha
perdit 6000 hommes et d’énormes quantités de munitions. Il évacua la place à la faveur des
ténèbres en se dirigeant vers la Béka’ pour rejoindre Solimam Pacha et les autres généraux
qui se rassemblèrent autour de la ville de Zahlé.
Avec le lancement des premiers boulets par les bâtiments de guerre anglais sur Beyrouth et le
débarquement d’un corps de troupes à Joûnié et à Jbeïl, l’insurrection des Libanais se transformait en
révolte générale. L’émir Bachir II pressentait la fin de Méhémet ‘Ali en Syrie et par conséquent celle
de sa domination politique et militaire sur la Montagne. Il n’avait jamais cessé d’exprimer à Ibrahim
Pacha la fragilité de la situation et l’incapacité de l’armée égyptienne affaiblie par la faim, la maladie
et la désertion de s’opposer à une volonté internationale et à une révolte nationale. Cette vision menait
directement le Prince à débrider le joug égyptien et exhala l’intention de se rendre aux Anglais et aux
Turcs malgré les appels d’Ibrahim Pacha de rejoindre le camp égyptien. Dans cette démarche, l’émir
Bachir II crut atteindre son but en étreignant la cause anglaise, afin de sauver son trône, ses biens et sa
famille.
Vers le début du mois d’octobre de l’année 1840, l’émir semble avoir cédé au torrent anglais.
Avant d’entamer dans ce sens des négociations avec Izzet Pacha et l’amiral anglais Stopford pour
s’aligner à la volonté des Alliés, il envoya prendre l’avis du consul de France ; « ne recevant pas de
réponse de ce dernier, il comprit que le gouvernement français n’osait s’opposer à l’Angleterre, et que
dès lors toute lutte devenait inutile ; il fit donc savoir à l’amiral anglais qu’il était disposé à traiter »1.
L’émir Bachir II conclut une convention le 5 octobre 1840, où il posa pour conditions que
« ses biens et sa vie fussent en sûreté ; par contre, il s’engage à servir fidèlement son souverain et
maître, le Sultan Abdul-Medjid »2. Selon les clauses de cette convention, le Prince du Liban devait
113
envoyer le 8 octobre deux de ses fils en otage à Saïda dans le camp des Anglais, jusqu’à ce qu’il pût
Page
1
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 31.
2
Le Constitutionnel, jeudi 5 novembre 1840, p. 1.
se joindre aux alliés, « ce dont il est empêché pour le moment par le voisinage d’Ibrahim Pacha »3;
qui en se démettant de différentes positions, se mettait en marche à la tête de 4000 hommes vers Beit
ed Dine, la résidence de l’émir Bachir II. Une fois que l’accord fut conclu, selon les conditions
mentionnées et qu’Ibrahim Pacha dégagea ses positions de la Montagne pour se concentrer dans la
Béka’, l’émir se rendit le 11 octobre avec le reste de sa famille à Saïda. De son côté, le gouvernement
français recevait des dépêches d’Alexandrie concernant la résignation de l’émir Bachir. Ces dépêches
confirmaient la date du 11 octobre, et le contenu de l’accord.
À Saïda, Izzat Pacha, fit à l’émir Chéhab un sauf-conduit pour lui et sa famille, puis il lui
donna à choisir le pays où il voulait se réfugier. « L’émir Béchir se récria en disant qu’il n’était venu
que sur la promesse qui lui avait été faite qu’il garderait sa position »4. La réponse de l’amiral anglais
à la stupéfaction de l’émir fut claire et ferme ; l’amiral n’allégua « qu’il en eût été ainsi s’il se fût
décidé dès son premier avis, mais que maintenant il était trop tard et que l’on avait pourvu à son
remplacement »1.
L’émir Bachir II demanda l’exil en France, mais, l’amiral anglais lui proposa l’Angleterre ou
Malte comme pays d’accueil2. Le bâtiment anglais Le Cyclope amena finalement l’émir Bachir et sa
famille en exil à Malte. Une lettre de l’île publiée par Le Constitutionnel décrit l’arrivée de l’émir et
sa famille sur l’île en dressant minutieusement comme à la manière d’une photographie le portrait de
l’émir : « L’émir Béschir, qui est arrivé ici récemment avec sa famille, est un homme âgé d’environ
75 ans ; il porte le costume de son pays, mais sans décoration. L’expression de sa physionomie dénote
un caractère despotique ; un nez aquilin, des yeux scrutateurs ; un teint brun complètent le portrait du
prince des Druses. Sa parole est laconique et précise ; il ne prononce jamais que trois mots à la fois, il
s’efforce de donner un caractère majestueux à son langage. Il fume toute la journée ; il est très bigot.
Dès son arrivée, il est allé à la messe, et a accompli un vœu qu’il avait fait à la Madona del Carmine
avant de se mettre sous la protection de l’Angleterre »3.
Le séjour de l’émir à Malte fut de courte durée. Il songea plusieurs fois à quitter l’île pour
Istanbul. Cette manœuvre fut bloquée à chaque fois par les autorités à la demande de l’agent anglais
3
Ibid.
4
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 31.
114
1
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 31.
2 Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…
, p. 45 : « The deposed grand emir also left the capital and surrendered to the
Ottoman pasa (pacha)on 11 October. He asked to be exiled to France, offering four million piasters in return,
Page
Les partisans de l’émir furent outrés de la conduite que les Anglais avaient tenue avec le
prince de la Montagne. L’élimination de l’émir était le prix qu’il fallait payer pour son ralliement à la
cause du Pacha d’Égypte qui avait si facilement apporté la totalité de la Syrie sous le contrôle
égyptien. Dans le but de remplacer Bachir II, les Anglais préparèrent un autre émir Shéhab, neveu de
Youssef Shéhab prédécesseur de Bachir II, et cousin germain de l’émir abdiquant.
B. L’anarchie au Liban
Alors quel était l’argument des pays européens désireux d’empêcher la régénération
du nationalisme en Orient ? Tout simplement l’argument de l’intégrité de la Turquie.
115
followers the emir’s return to power in Lebanon with all its attendant consequences for his opponents ».
1
Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860.
À cette fin fut désigné L’émir Bachir III pour sa faible personnalité et son caractère
indécis. Il se trouvait dès novembre, en butte à une hostilité ouverte des Druzes et une partie
des Maronites. Les chefs druzes de retour d’exil en mars 1841 espéraient non seulement
retrouver leurs privilèges et les propriétés confisquées par Bachir II et Ibrahim Pacha, et ceci
conformément aux promesses ottomanes, mais ils avaient aussi une intention claire
d’éliminer de la scène politique toute trace de la famille Shéhab. Bachir III fut donc pour les
Druze le symbole à abattre1. Rapidement, les relations entre l’émir et les Libanais allaient
devenir très tendues, au fur et à mesure que l’émir essayait de supprimer ce qu’il restait de
leur puissance féodale.
S’il régnait sur un territoire approximativement égal à celui que gouvernait son
prédécesseur, la situation de Bachir III restait instable et fragile. Imposé par les Anglais,
incertain de la fidélité de ses sujets, il ne disposait que d’une autonomie très restreinte. Le
nouveau gouverneur Turc Méhémet Izzat Pacha surveillait de près l’évolution de la situation
au Mont-Liban. De Beyrouth, sa nouvelle résidence, il contrôlait effectivement l’ensemble du
territoire tandis que ses troupes régnaient sur toute la Syrie.
Effectivement le Diwan comprenait non seulement des Libanais (trois Maronites, un Melkite,
un Grec orthodoxe, trois Druzes et un Chi‘ite), mais un sunnite ottoman. Par cette formule, « la
Turquie substituait partout des fonctionnaires venus de Constantinople aux autorités et aux influences
locales »3. En réalité, la Porte après la défaite des Égyptiens en Syrie, voulait finir avec l’autonomie
de la Montagne en établissant une administration directe.
Sur le plan intérieur, les chefs druzes qui sortaient de leurs cachettes ou de retour d’exil 1
furent les adversaires les plus acharnés du grand émir ; ils lui reprochaient ses exactions, les vexations
subies sous Bachir II et les privilèges alors accordés aux Chrétiens à qui ils reprochaient en outre de
s’être emparés de leurs biens en leur absence.
1
P. Karam Rizk, Le Mont-Liban au XIXe…, p. 97.
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban, Paris, Téqui, 1997, p. 159.
3
Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860.
116
1
Pour Caesar E. Farah, le retour des chefs druzes d’exil d’Égypte fut une manœuvre française pour saboter
toutes tentatives de réconciliation anglaise dans la Montagne. In, Caesar E. Farah, The Politics of
Interventionism in Ottoman…, p. 93.
Page
Kamal Salibi soutient l’hypothèse de Farah en soulignant le rôle du consul de France dans cette affaire. In,
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 104.
Les Chrétiens, particulièrement les Maronites devaient être plus favorables au grand émir.
Mais ils étaient également devenus des sujets difficiles. En effet, depuis 1840, un fort mouvement
démocratique s’était développé au sein de la communauté, galvaudé par un refus farouche de laisser
se rétablir au Mont-Liban la vieille suprématie des Druzes. Les chrétiens s’identifiaient à leur grand
patriarche, Mgr. Youssef Hobeiche de Sâhel Aalma (Patriarche de 1823-1845) qui dans un
mouvement libérateur et social détruisit les structures ancestrales sans pouvoir encore leur substituer
un régime cohérent, « contribuant paradoxalement à l’affaiblissement de la nation maronite en son
ensemble »2.
Les Anglais dont les troupes stationnaient sur place soutenaient ouvertement par une politique
ambiguë l’émir Chéhab et les Druzes, sans pourtant jamais mettre en cause l’autorité ottomane, qui
restait leur principal garant3. En face, les Français voyaient leur propre influence « sérieusement
menacée en Syrie, notamment dans la partie qui comprend le Mont-Liban et le pied de la montagne où
se trouve la grande ville de Beyrouth appelée à devenir le port le plus important de la Syrie »1. La
France jugeait fort important sa présence politique, sociale et économique au Liban afin de mieux
contrôler toute la Syrie2.
Face à ces problèmes, les Ottomans échouèrent dans une situation d’arbitre heureux. Il
s’agissait à leurs yeux de démontrer l’absurdité et le danger du compromis passé en novembre 1840,
et d’aboutir in facto à la suppression de l’autonomie de la Montagne. Cela suppose que la situation
évoluait suffisamment mal pour qu’ils puissent intervenir directement, mais pas trop cependant de
crainte de provoquer une nouvelle internationalisation de la question libanaise : des troubles calculés
et contrôlés mais pas de massacres. C’était toujours la politique des gouvernements faibles de diviser
pour régner. « Grâce à cette machiavélique influence de la Porte, les populations différentes du Liban,
qu’unissait un danger commun autant que le souvenir de bienfaits réciproques, sont devenues
irréconciliables »3.
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 159.
3
Melchior de Vogüé Comte, Les événements de Syrie, Paris, Douniol, 1860, p. 16 : « Soit par crainte de se voir
un jour intercepter la future route des Indes, soit par opposition à la politique française, l’Angleterre ne veut pas
souffrir en Syrie l’établissement d’un gouvernement fort ami de la France. Elle préfère à tout pouvoir, fût-il
Chrétien et réparateur, le régime oppresseur et sanguinaire de la Turquie, instrument docile de ses desseins ».
1
Napoléon Aubanel, La France Maronite. Fédération française de protection en Orient, Nice, imprimerie
Niçoise, 1892, p. 4.
2
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism in Ottoman Lebanon…, p. 170 : « The french were
determined to regain their position of influence and, despitewhat other powers considered unsound advice, were
undaunted by three months of failure in their steady attempts to brink back the Shihabs as the only means to that
117
end » ;William Harris, Faces of Lebanon, sects, wars, and global extensions, Princeton, Markus Wiener
Publishers, 1997, p. 34 : « The French, smarting from the reverse inflicted on their Egyptian friends and
worried about British commercial penetration, nurtured their relationship with the Maronites, encouraging
Page
Christian truculence ».
3
Camille Allard Dr., Souvenirs d’Orient. Les échelles du Levant, Paris, Adrien Le Clerc, Éditeur, 1864, p. 102.
À cet effet, et à fin d’y parvenir, les Turcs adoptèrent dès l’installation officielle de l’émir
Bachir III, une politique d’apparence plurivoque. Ils donnaient aux instances européennes des preuves
de leur souci de modernisation et d’efficacité : l’ordre régnait dans le pays et les Chrétiens n’étaient
plus menacés. Simultanément, ils s’efforçaient de maintenir les Druzes en agitation. Ils assistaient
leurs revendications quant à leur place au Liban et à leurs biens. Ainsi provoqués et soutenus, les
Druzes ne tardèrent pas à demander, en juin 1841, par une supplique aux Ottomans, qu’on leur donna
pour prince un musulman et déclarèrent ne plus vouloir obéir au dernier des Chéhab1.
Devant cette politique intrigante et la montée des périls, l’émir Bachir III, tout en
recherchant ouvertement le soutien de la France, s’efforçait à son tour de gagner les
Maronites et les Métualis par des faveurs spéciales. Quant à sa relation avec les Druzes, il
cherchait à les humilier de toutes les façons.
C’était dans les districts mixtes du Chouf où se posaient avec le plus d’acuité les
revendications des Druzes, et surtout, celle de la famille des Nakade qui cherchait à recouvrir
immédiatement son ancien apanage de Deïr el Qamar2. Elle avait été éliminée à l’occasion
de la poussée générale des Maronites vers le Sud qui aboutit à l’installation dans cette région
d’une forte enclave chrétienne.
Sous l’apparence d’une situation calme dans la Montagne, une animosité profonde
caractérisait la relation Druzo-Maronite centrée surtout à Deïr el Qamar ; où le 9 septembre
1841, une rixe opposa les habitants maronites de cette localité à ceux des Druzes du village
de Baaqlîne3. Une querelle de cause futile déchaîna une violence soutenue par une volonté
ottomane de profiter de l’occasion. L’émeute se détira rapidement et les clans s’organisèrent
de part et d’autre. L’émir par une réaction désespérée convoqua le 12 octobre 1841, à Deïr el
Qamar l’assemblée des notables. Les délégués maronites qui craignaient un guet-apens ne s’y
rendirent pas, et seuls se présentèrent les Druzes armés et menaçants. Bachir III fut alors pris
à son propre piège. Les Druzes passèrent à l’acte. Ils envahirent les quartiers chrétiens du
1
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 161.
2
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 102 : « The Abu Nakads, the traditional overlords of the
district in which Dayr is situated, had insisted all along that they had explicit powers to govern Dayr
118
immediately, while its Maronite inhabitants, with the incumbent grand emir’s support, maintained that the city
could be ruled only mediately ».
3
Ibid p. 101 : « Then, on 14 September, Yûsuf al Khâzin, a bolokbasi of the reigning prince, shot a partridge
Page
belonging to Nasif Abu Naked, which he was using to trap other partridged on property belonging to Nu’mân
Janblât in B’aqlîn. This led to a scuffle between a party of Maronites and Druzes ».
village, où ils entamèrent un pillage et un massacre organisés1. Les Maronites des alentours
ne tardèrent pas à répliquer. L’émeute s’empara de toute la Montagne, mais aussi du reste du
Liban.
L’émir Bachir III, molesté, désarmé, dépouillé de ses vêtements s’échappa miraculeusement à
la fureur des Druzes et se réfugia à Beit ed Dine2. Entre temps, le 6 novembre 1841, le village de
Zahlé la clef de la plaine de la Béka’ résistait énergiquement et courageusement à l’attaque des hordes
druzes venues du Hauran et de la Montagne3.
Face au péril d’une extermination générale après le triomphe des Druzes, le Patriarche
maronite qui venait d’adresser une protestation aux consuls européens décida de faire appel
directement à la Sublime Porte. Ce fut le moment tant attendu par les Ottomans qui sautèrent
sur l’occasion en dépêchant sur le lieu Mustapha Pacha à la tête d’une force militaire
dissuasive. L’impact de cette guerre pour les chefs druzes fut primordial pour regagner leur
autorité féodale dans les zones mixtes.
Dès son arrivée à Beyrouth, Mustapha Pacha prit une série de mesures en installant aux
principaux points stratégiques des troupes irrégulières albanaises afin d’étouffer toute idée de
mouvement ou d’action parmi les Maronites. Il marcha sur Deïr al-Qamar pour réduire leur résistance
et du coup, s’installa à Beit Eddine résidence de l’émir Bachir II. Du palais, le gouverneur turc
annonça en octobre 1841 la destitution de Bachir III. « Les troupes anglaises stationnées dans le pays
n’ont pas bougé. Les Ottomans sont arrivés à leurs fins »1.
Il obtint pour l’occasion le retrait des forces autrichiennes et anglaises. Sûr que le désaccord
régnait profondément entre les Libanais, et ne craignant plus une consultation nationale, le
gouverneur turc décida ensuite de convoquer l’assemblée des notables à une réunion. Après un mois
de vaines délibérations ce fut l’impasse. Le 15 janvier 1842, la Porte décréta « d’assimiler
officiellement le Liban à toutes les autres provinces ottomanes »2, et de nommer pour le gouverner,
1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 102-103 : « The Druze then laid siege to the city, but
the inhabitants managed to hold out. During this initial attack, The Druzes sustained more casualties than they
inflicted on their opponents . The grand emir’s palace was also besieged ; only one of the 15 couriers he
attempted to smuggle out to fetch help got through, the rest were all killed».
119
2
Ibid., p. 102. : « The chiefs came accompanied by 500 Druze cavalry ; but having been forewarned, Bashir III
managed to escape in the nick of time ».
3
Ibid., p. 113 : « Zahlé was, and still is, the key city or metropolis of the vast and rich lands of the Biqâ’ plain ».
Page
1
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 163.
2
Ibid, p. 164.
Umar Pacha3, un Croate de l’entourage de Mustapha Pacha. La Porte obtint ainsi satisfaction sur
toute la ligne ; « il lui reste à rassurer définitivement l’Europe et à adopter la preuve de son efficacité
dans l’administration directe »4.
Si le choix de ‘Omar Pacha fut facile et convaincant pour ses dons d’administrateur du côté
ottoman, rien ne semblait définitivement acceptable du côté des Puissances européennes. En effet, la
personnalité du nouveau gouverneur ne faisait pas l’unanimité au sein des pays européens ; le prince
Metternich1 « n’avait pas confiance en ce renégat »2 et l’Angleterre, par le non refus à cette
désignation, cherchait à ne pas offrir à la France la possibilité d’un retour sur la scène libanaise. Toute
la vie politique libanaise fut agitée, les pays européens, de crainte de voir le Liban sombrer de
nouveau dans l’anarchie, se ralliaient à l’idée de Metternich : l’établissement de deux Caimacams3, de
deux princes, l’un pour les Druzes, l’autre pour les Chrétiens (Maronites). Malgré les réserves de la
France, le principe fut finalement imposé aux Ottomans.
Le ministre des affaires étrangères turc informa le 7 décembre 1842 les consuls des pays
européens à Istanbul du partage du Mont-Liban en deux gouvernements distincts4. Cette idée de
partage de la Montagne était conçue par Metternich et fut acceptée par la Sublime Porte après le
3
P. Karam Rizk, Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 111 : « Michel Lettes ou Michael Latas (1806-1871) était
d’origine croate. Il adopta plus tard le nom d’Umar en se convertissant à l’Islam. Gouverneur du Mont-Liban du
15 janvier au 7 décembre 1842, où il prit le titre sous le nom d‘Umar pacha an-Namsawi (l’Autrichien). Il
décéda à l’âge de soixante-cinq ans à Constantinople » ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p.
139 : « Mustafa read them the firman deposing Bashir III and proclaiming the appointment of Omer Pasa al-
Majary (the Hungarian) as governor of Mount Lebanon with the title emiri livayi askeri muntazamiyi Sahane ve
emir ve Hükümdar Cebel-i Lübnan ».
4
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 165.
1
Le prince Metternich Klemens Wenzel (1773-1859), un homme politique autrichien rentra dans la diplomatie
autrichienne en 1794, devint ambassadeur à Paris, puis en 1809 ministre des Affaires étrangères. Il adopta dans
la question d’Orient une attitude dure envers la France et Méhémet Ali en se joignant à la coalition avec
l’Angleterre, la Russie et la Prusse. Il songea par sa politique orientale de remplacer la France comme
protectrice des Chrétiens au Liban. Les troubles de mars 1848 à Vienne l’obligèrent à fuir, et il n’exerça plus
aucune influence jusqu’à sa mort.
2
P. Karam Rizk, Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 111.
3
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, pp. 129-130 : « Le nouveau plan, suggéré par le chancelier autrichien le
Prince Metternich, était un compromis entre le point de vue des Français et celui des Ottomans. Pour la France,
la seule solution appropriée à la question libanaise était de restaurer l’Emirat dans le pays, de préférence avec un
120
émir Shihab ».
4
Au Liban, le nouveau régime fut annoncé le premier janvier 1843 devant une assemblée de notables libanais et
des consuls européens ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 256 : « The era of the kaim
Page
makamate, or the dual subgovernorship for Mount-Lebanon was formerly ushered in 1 January 1843 on a de
facto basis ; and on 7 March 1843 on a de jure basis ».
balourd échec d’Umar Pacha. Son intermède, d’ailleurs de courte durée, fut un coup fatal à l’ambition
turque d’une mainmise sur la Montagne.
Dans son développement, le régime de Caimacamiya offrait des lacunes et des déficiences
bien calculées afin de garder l’intervention ottomane nécessaire et vitale pour la survie des intérêts
des différentes puissances. Les concepteurs de ce régime souhaitaient assurer un semblant souffle de
paix entre les Maronites et les Druzes en assignant à chacune des deux communautés une
administration distincte et séparée. Mais, les investigateurs de ce règlement politique apprirent que la
coupure entre les deux communautés n’était pas si tranchante sur le plan territorial1.
Quelles étaient donc les conséquences de ce système sur la scène libanaise ? La principale
revendication druze se situait sur le plan territorial, du fait que la Caimacamiya maronite au nord était
beaucoup plus étendue que celle de Sud. Pour donner raison aux Druzes, le gouverneur ottoman
enleva la région de Jbeïl pour la confier administrativement à la wilayat de Tripoli. À cette mesure,
les Français rétorquèrent que ce n’était pas une question de superficie mais de population. Ils
obtinrent satisfaction, et en mars 1843, la région fut définitivement rattachée à la Caimacamiya
maronite. Mais l’affaire ne se terminait pas et bon nombre de litiges restait suspendu sur le principe de
la ligne de démarcation soulignée par la route de Beyrouth à Damas, les régions mixtes, le régime à
Deïr el Qamar. À cela s’ajoutait le problème des impôts qui attendait un règlement général, les
Ottomans levaient eux-mêmes l’impôt, ce qui bien entendu indisposa tout le monde.
Dès la fin de 1843, une année après la proclamation du régime de Caimacamiya, les troubles
confessionnels reprirent d’intensité. Si, au Nord les Maronites formaient l’immense majorité, par
contre au Sud les Druzes en position minoritaire cherchaient à consolider leur influence par le sang et
1
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 131 : « Malheureusement, les auteurs de ce règlement oublièrent ou
ignorèrent que, si les Druzes et les Maronites sont séparés par la religion et par la race, ils ne le sont point
121
toujours sur les territoires qu’ils occupent » ; Revue des Deux Mondes, XXIXe Année, Seconde période, t. 28,
Paris, 1860, pp. 502-503 : « Dès le début le double Kaymakamat présenta de sérieuses difficultés. Il avait été
institué sur le postulat erroné que la route Beyrouth-Damas divisait le Mont-Liban en deux zones distinctes : une
Page
région nord entièrement peuplée de Chrétiens et une région sud habitée uniquement par des Druzes. En réalité
beaucoup de Druzes vivaient parmi les Chrétiens dans le Matn… ».
le feu1. Des émeutes organisées par les chefs druzes éclatèrent particulièrement à Jezzine où les
paysans maronites et druzes s’opposèrent. À Deïr el Qammar, même les Chrétiens subirent de graves
sévices. Au total, « plus d’un millier de maisons maronites sont pillées, de nombreux couvents et
églises mis à sac ou incendiés »2.
Quant aux Européens, ils restaient au début des événements très circonspects. Personne ne
souhaitait la remise en cause du pseudo autonomie libanaise à laquelle furent ralliés si péniblement les
Ottomans. Mais la situation s’aggrava dans la Montagne vers le milieu de 1844 et l’opinion française
s’émut peu à peu. À la Chambre des députés, des voix s’élevaient et réclamaient au gouvernement des
exhortations pour arrêter les atrocités au Mont-Liban. Charles Forbes comte de Montalembert (1810-
1870) chef de l’opposition à la Chambre des pairs se demanda « par quelles garanties solides allez-
vous prévenir le retour de ces atrocités ? »3. Pierre Guillaume François Guizot (1787-1874), le
ministre français des Affaires étrangères répliqua dans une dépêche adressée au ministre de France à
Istanbul datée le 13 avril 1844, faisant apparaître que « l’institution des deux Caïmacams, maronite et
druze, n’a servi qu’à créer deux autorités impuissantes, sinon deux instruments de désordre entre les
mains du pacha ( le gouverneur général) »1. L’Autriche emboîtait le pas à la France ; par contre le
gouvernement de sa Majesté cherchait à protéger le statu quo.
Une nouvelle crise meurtrière faisait couler en abondance le sang dans cette région d’Orient.
Ces massacres démentaient dramatiquement les promesses que les agents anglais Wood, Rose,
Stopford et Napier leur avaient prodiguées en 1840. Le commodore Napier par une poussée de
protestation et d’indignation s’écria : « La plus grande douleur de ma vie, est d’avoir contribué à
chasser de la Syrie le pacha d’Égypte et d’avoir aidé les Turcs à établir parmi les Chrétiens du Liban,
dernier et noble débris du christianisme asiatique, le gouvernement le plus infâme qui ait jamais
existé »2.
1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 269 : « Complications lay in the mixed districts, most of
which werw located geographically in Druze territory. An estimated 10,000 Christians lived in the Druze and
about 1000 Druzes in the Christian Kaim makamate ».
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 169 ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 387 :
« The victory at ‘Abayh signalled a general dfeat for the Maronites and their Shihab leaders. They were now
122
clearly on the defensive. The three main centres of agitation, Dayr al-Qamar, Jizzin, and Zahlé, were silenced ».
3
F. Charles-Roux, France et Chrétiens d’Orient…, p. 161.
1
Ce qui affecta l’année 1860 toucha auparavant les années 1843 quand fut mis en application le régime des
Page
deux Caimacams et justifié par Le Journal des Débats du samedi 28 juillet 1860.
2
F. Charles-Roux, France et Chrétiens d’Orient…, pp. 161-162.
Mont-Liban venait des Européens. Mais au fond, l’objectif des Turcs restaient pourtant l’apaisement.
En ce sens et comme signe de bonne volonté, la Sublime Porte envoya en mission le 9 septembre
1845 Chékib Effendi, ministre en exercice des affaires étrangères qui, dès son arrivée à Beyrouth le
14 septembre, entreprit des mesures efficaces afin de mettre fin à la folie meurtrière des Libanais 3. Il
était envoyé pour exécuter rigoureusement le mémorandum qu’il adressa aux représentants des cinq
puissances : « Lorsque la Syrie fut délivrée du joug égyptien, la Porte promit aux Montagnards
certains privilèges ; ma mission est de les leur garantir »1.
Mais le haut-commissaire ottoman « se rendit surtout célèbre par le Règlement qui porte son
nom »2 et qui se situait dans le cadre des institutions créées en 1842 et en 1844. Il innova surtout en
instituant, auprès de chacun des deux Caimacams, un conseil consultatif et un autre tribunal. Ce
conseil aboutit à placer les Turcs en position d’arbitre entre les Caimacams et les membres du conseil.
Une position confortable qui permettait aux Turcs de manipuler et de contrôler en douceur la question
du Liban.
3
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p.117 : « Chekib Effendi partait le 9 septembre, et, le 14,
débarquaient presque simultanément avec lui, à Beyrouth, deux régiments d’infanterie régulière qui allaient
renforcer l’armée d’Arabie » ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 417 : « In a secret firman
from the sultan, Mehmet Nâmik Pasa was elevated to the rank of vizier and appointed overall müsür of the
Arabistan army. He was granted full powers to dispatch troops to Mount Lebanon as needed and to employ
force to pacify and stabilize the country ».
1
Revenir aux paroles de Chekib Effendi in, Richard Edwards, La Syrie. 1840-1862…, p. 106.
123
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 117.
3
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 146 : « Les Chrétiens des districts druzes, comme les Druzes des
districts chrétiens, trouvaient que les nouveaux arrangements n’amélioraient en rien leur situation et
Page
continuèrent à se plaindre ; et les familles féodales dans tout le Liban considéraient le nouveau système comme
une menace pour leur position et essayaient d’y faire obstacle par tous les moyens ».
parmi les membres des familles indigènes, les instructions de 1845 prévoyaient un substitut du
Caïmacam et un Conseil se composant de onze membres à raison d’un juge et d’un conseiller par
confession et répartis à raison d’un juge et d’un conseiller par confession, et répartis comme suit :
un juge et un conseiller Musulmans
un juge et un conseiller Maronites
un juge et un conseiller Grecs Orthodoxes
un juge et un conseiller Grecs Catholiques
un conseiller Métouali79.
Ces membres exerceront sans interruption et avec persévérance leurs fonctions. Ils sont choisis
par l’intermédiaire des évêques et « okkals ».
Ainsi, le confessionnalisme administratif et politique a été semé par les ottomans et consacré.
La contradiction augmentait chaque jour entre les institutions qui créaient ces classes
montantes et des coutumes qui restaient fort archaïques. Les paysans maronites supportaient mal les
redevances qui les accablaient, accusaient la noblesse de garder pour elle le fruit de leur labour et
allaient jusqu’à revendiquer la propriété de la terre. Jusqu’en 1845, ce bouillonnement ne menaça pas
sérieusement l’ordre établi1. Mais après la disparition de Haydar Abu al-Lama, le Caimacam chrétien
en 1854 et la nomination officielle de Bachir Ahmad Abu al-Lama gendre de Haidar la situation
intérieure des Maronites devint critique, car, le nouveau Caimacam fut désigné surtout pour son
dévouement à la Porte, mais en fait il était de notoriété publique et d’appartenance douteuse à la
communauté chrétienne. « Honnis par les paysans du Kisrwan, qui l’accusaient de favoriser les
Druses, ses anciens coreligionnaires, Béchir-Achmed, foulant aux pieds les intérêts de son pays et de
son peuple, se venge en soufflant partout la discorde. Par des menées sourdes et tristement habiles, il
pousse les fellahs à la révolte contre les cheiks »2.
1
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 51 : « Les paysans accusaient les Cheiks de n’être pas toujours
des modèles de justice et de douceur à leur égard…Il fallait leur baiser la main tout comme à leurs maris, tout
Page
Ce fut l’incertitude totale. Les paysans décidèrent de persister à réclamer l’égalité sociale et
politique, d’autant plus ardemment que le clergé les étançonnait ouvertement. Au même moment, le
18 février 1856, le Hatti hamayoun1 proclama à travers tout l’empire ottoman, l’égalité de tous devant
la loi. Les paysans insurgés se rassemblèrent à Aajaltun, un village du district de Kisrwan et
s’organisèrent dans plusieurs villages en donnant finalement à Tanius Shahine, un muletier et
maréchal-ferrant de son métier, le poste de Wakil général2.
Dans le Ftouh, le Kisrwane et le Metn, Tanius Shahine « qui ne sait ni lire ni écrire, qui se
distingue peu par la foi religieuse »3 devint tout à coup le maître et le Bey4 absolu du nouvel ordre. Il
régna comme un libérateur sur sa nouvelle « république populaire ». Des chants de triomphe lui
étaient aubadés : « O notre bey de Réifouns, tu es le père des glaives affilés ! tu as chassé les soldats
de Djouni ! Malheureuse est la famille Kazen qui a foulé le peuple ! Tu as écrit une lettre à l’ennemi,
et tu lui as dit : Viens à ma rencontre à Anthoura ! Moi, bey, j’ai là un moulin, des soldats, et de la
poudre et des balles en si grande quantité, qu’on ne pourrait pas les peser avec la romaine. Vite ! lève-
toi ! et marche aussi contre les Métualis ! »5.
De Bikfaïya, il incita les paysans à confisquer les domaines de la noblesse. Devant cette
jacquerie, les Khazens et les Hobeiches, les nobles de Kisrwane ne tardèrent pas à partir à leur tour.
Malgré les interventions de la France avec force en faveur du Caimacam et son rétablissement à
Bikfaïya, malgré les manifestations de solidarité de la noblesse druze à l’égard de leurs homologues
3
Louis de Baudicour, La France en Syrie, Paris, E. Dentu et Challamel Ainé, 1860, p. 18.
1
Michel Mourre, Le petit Mourre…,p. 1165 : « Le Sultan Abdul-Medjid Ier (1823-1861), qui devait faire face à
un grave déficit, donna cependant un nouvel élan à la politique de réformes en établissant l’égalité des sujets
musulmans et non musulmans de l’Empire ».
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 129.
3
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862, Paris, Amyot, 1862, p. 124.
4
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie et l’expédition française…, pp. 58-59. Le titre de Bey fut donné à
Tanius Shahine par Khurchid pacha dans une lettre qu’il lui avait écrite. Moustapha Gannoum alors gouverneur
de Jbeïl porta à son tour le même titre au chef des paysans lors d’une rencontre dans le Kisrwane. Le gouverneur
disait en s’adressant à Tanius Shahine « qu’il est des temps, où le grand Allah marque de son doigt tout puissant
125
les hommes dont il veut se servir pour l’accomplissement des grandes choses. Vous êtes, ô bey ! l’un de ces
hommes. Vous avez commencé une grande œuvre en brisant le pouvoir tyrannique et tracassier des cheiks de
ces montagnes, et puis en recommencer une autre, l’anéantissement du pouvoir des émirs, non moins
Page
Le champ était ouvert. Le régime des cheikhs maronites tomba sous le poids d’un pouvoir
abusé. Néanmoins, pour endiguer l’expansion de la révolution des paysans maronites vers le Sud, les
Druzes formèrent bloc autour de leurs chefs féodaux. Cette féodalité qui fut toujours plus forte que
celle des Maronites, était d’ailleurs moins considérée. De plus, chez les Druzes s’ajoutaient des
astreintes sociales et des attaches proprement religieuses. L’effervescence était à son comble dans la
Montagne. La révolution des paysans de Kisrwan prit, à partir de l’année 1859, le caractère d’une
opposition pure et simple entre les deux communautés druze et maronite. Un simple incident pouvait
déclencher un drame épouvantable.
Même la matière photographique était rare pendant la période des deux Caimacamiyas et
celle de la révolte paysanne du Kisrwan, le style journalistique employé décrivait les différents
événements à la manière d’un photographe.
Le drame lamentable des années 1860 dont le Liban avait été le théâtre n’éclatât pas
subitement. La situation politique et sociale dans le pays résultait d’un désordre et d’une soif de
vengeance passés à l’état normal entre les communautés religieuses, d’où, de temps à autre, sortaient
des éruptions sanglantes. L’excitation générale au cours de l’année 1859 se traduisit par des scènes
126
Page
1
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 51.
2
Ibid.
meurtrières dans les villages mixtes Druzo-Chrétiens, dans le pays du Chouf, Jezzine, Zahlé,
Hasbaïya et Rachaïya1.
b. L’étincelle
Les premiers coups de fusil retentirent dans le village de Beit Méri à une distance de deux
heures seulement de Beyrouth le 15 août 18592. Ce beau village aux alentours de Beyrouth était pour
les Européens d’un séjour agréable durant les mois d’été « à cause de son site pittoresque et de la
fraîcheur de ses ombrages »3.
Les scénarios4 de cette querelle différaient selon les sources et les intérêts de chaque partie
concernée dans le conflit. Les causes directes de cette algarade furent explicitées par un échange
d’horions entre enfants druzes et maronites dont les parents et amis prirent fait et cause pour leurs
gamins1.
L’affaire se compliqua à partir du 1er septembre 1859 avec les renforts druzes qui venant du
sud, « délogèrent les habitants chrétiens de Beit Méri et des villages voisins, pillèrent et incendièrent
leurs maisons »1. Les Druzes dans cette rixe perdirent 28 morts2 plus que les Chrétiens, et les
habitants du village demandèrent justice et punitions des coupables. Officiellement, l’affaire n’avait
pas de suites immédiates de la part des autorités ottomanes. Furent-elles au courant ou tout
simplement prises par surprise ? Le colonel Charles Henry Churchill souligna que l’autorité Ottomane
fut prise par surprise3, tandis que P. Karam Rizk mit l’accent sur l’absence volontaire de cette autorité
1
Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war, Civil conflict in Lebanon and Damascus in 1860, London, I.B.
Tauris, 1994, p. 61.
2
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862, Paris, Amyot, 1862, p. 130. Karam Rizk P. Le Mont-Liban au XIXe…,
p. 229 ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventtionism in Ottoman… p. 542 maintenaient cette date. Par
contre, d’autres sources indiquaient des dates assez distantes par rapport au 15 août. Un témoin oculaire français
avança la date de 14 août. In, Un Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie, Expédition francaise de 1860, Paris,
Plon-Nourrit, 1903, p. 12. D’autres poussèrent le 30 août 1859 comme date possible de l’incident à Beit Méri.
Parmi ces auteurs, se plaçait Chahine Makkarius, Hasser el Lissam an nakabat al Cham, Égypte, 1895, p.135.
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites under the Turkish rule, from 1840 to 1860, London, Garnet
publishing, 1994, p. 132 ; Kamal Salibi, in Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988,
p.168. Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war, Civil conflict in Lebanon and Damascus…, p. 45.
3
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 12.
4
Pour une ample couverture sur les intrigues du conflit : voir Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp.
229-230.
127
1
Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war…, p. 45.
1
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 229.
2
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites under the Turkish rule, from 1840 to 1860, London, Garnet
Page
Quoi qu’il en soit, les intermèdes de calme ne devaient pas être longs ; « les assassinats se
multipliaient, des bruits sinistres circulaient, l’attitude des musulmans des villes devenait menaçante ;
on voyait chaque jour des bandes de Druzes venir à Beyrouth et dans les autres échelles
s’approvisionner d’armes de munitions »5. Tout annonçait une explosion imminente, terrible. Dans ce
sens, Les deux communautés se préparaient à une guerre d’extermination ; les cheikhs druzes se
concertèrent avec les autorités turques et les autres chefs musulmans « sur la possibilité d’une
coalition pour exterminer les Chrétiens »6 et le clergé maronite des zones mixtes « faisait à ses
ouailles un tableau navrant des souffrances des Chrétiens du midi …, si les Maronites n’attaquaient
les Druzes sur leur propre territoire pour les expulser enfin du Liban »7. Dans cette optique les
Maronites qui cherchaient le soutien du clergé chrétien orthodoxe et catholique, et des chefs militaires
de Zahlé, Deïr el Qamar, Kisrwane et de Jezzine se réunissaient fréquemment pour établir les plans
d’attaque1.
L’année 1859 s’écoula au rythme des escarmouches et de vengeance surtout dans les zones
mixtes du Metn et dans le sud du Mont-Liban à la porte de Saïda. L’ardeur de l’hiver attiédit
momentanément les passions des montagnards ; « ils rentrèrent dans leurs foyers pour attendre le
printemps »2.
À partir de 1860, des événements graves se dessinaient assez nettement pendant tout l’hiver.
Durant cette période, les consuls européens sonnaient le tocsin à Istanbul. La Sublime Porte, par une
étrange incurie, réagissait avec complaisance et laxisme en dégarnissant des troupes régulières de la
Syrie comme signe de confiance et de cammouflage3. Ces mesures encourageaient les populations
turbulentes de cette vaste province qui allaient être pour ainsi dire abandonnées à elles-mêmes4. Les
4
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 229.
5
Melchior de Vogüe Comte, Les événements de Syrie, Paris, Charles Douniol, 1860, p. 5.
6
Ibid., p. 231.
128
7
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 26.
1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventtionism in Ottoman Lebanon…, p. 545.
2
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 14.
Page
3
Chahine Makkarius, Hasser el Lissam… p. 77.
4
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 49.
portes de l’enfer s’ouvrirent par une attaque armée contre le monastère catholique d’Aammîq situé
dans la plaine de la Béka’ un jour du mois de mars où le père supérieur Athanasius Naaum trouva la
mort5.
La violence s’enchaînait en distribuant sa semence dans tout le Liban. Dans le Metn, les
Druzes livraient une bataille d’extermination des Chrétiens. Ils les battaient sur tous les points,
« massacraient ceux qui n’avaient pas eu le temps de prendre la fuite, pillaient les maisons et les
livraient aux flammes »1. Durant trois jours du 29 au 31 mai « on apercevait de Beyrouth les flammes
qui dévoraient de nombreux villages ; plusieurs sont entièrement détruits »2. Plus de quarante villages
chrétiens du Metn devinrent ainsi la proie des flammes en quelques heures3.
À Beyrouth, le gouverneur turc Khurshid Pacha demanda des renforts des troupes régulières à
Istanbul. En attendant leur arrivée, et sous prétexte de s’interposer entre les combattants, il sortit de
Beyrouth le 29 mai au coucher du soleil avec un millier de soldats et vint camper à Hazmiyé près du
village chrétien de Baabda4. Le but affiché de ce mouvement était d’édifier un rempart de feu entre les
deux communautés de part et d’autre de la route Beyrouth-Damas séparant les deux Caimacamiyya. Il
exigea des Chrétiens et des consuls européens le retrait des troupes de Tanius Shahine campées aux
abords de Nahr el Kalb au nord-est de Beyrouth.
Par un geste inexplicable, le 30 mai, les Druzes profitant du retrait des forces chrétiennes de
Tanius Shahine tombèrent sur Baabda et Hadath. Les forces irrégulières ottomanes participèrent
activement au carnage en massacrant, pillant et violant les femmes1. Ils rivalisèrent avec les Druzes de
cruauté et de barbarie ; tout le district mixte de Metn fut ravagé, rien ne fut épargné 2. La mêlée devint
immédiatement générale dans toutes les régions y compris la ville de Beyrouth où le nombre et
l’audace des assassins dans les ruelles de la ville les mirent dans un état d’insécurité3.
5
Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war…, p. 47.
Les sources se diffèrent sur la date exacte de l’attaque du monastère d’Aammîq. Si Chahine Makkarius…, p.
139 s’accordait avec Leila Tarazi Fawaz, le père Louis Blaybel in « Tabrir al Nasara mimma nusiba ilayhim fi
hawadith sanat 1860 », al Mashriq, vol. 26, 1928, p. 635 mentionna que le crime fut découvert le 19 mars 1860.
1
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 34.
2
Le Constitutionnel, 21 juin 1860, p. 2.
129
3
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 34.
4
Melchior de Vogüe Comte, Les événements de Syrie…, p. 5.
1
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites…., p. 145.
Page
2
Melchior de Vogüe Comte, Les événements de Syrie…, p. 6.
3
Le Journal des Débats, jeudi 12 juillet 1860.
Dans une lettre datée du 21 juin 1860 le père jésuite Paul Riccadonna confirmait au père
Pierre Becks l’insécurité de la ville, en l’attribuant au gouverneur turc lui-même qui voulait
massacrer, non seulement les Chrétiens, mais aussi toute idée d’autonomie du Mont-Liban1.
Par la défaite des Chrétiens dans le Metn, la tourmente gagna des villages chrétiens dans la
vallée de la Béka’ et dans l’Anti-Liban où furent massacrés systématiquement des habitants sous le
regard perfide du gouverneur Ottoman de Beyrouth et de Damas. Les Druzes s’évertuaient à
exterminer les Chrétiens qui se trouvaient sur la route qui reliait le Mont-Liban avec la région du
Hauran où vivaient également des Druzes2.
Pendant que ceci se passait dans les districts mixtes qui séparaient le territoire druze au sud,
du territoire maronite situé au nord, les chefs de guerre druzes se levaient et prêchaient dans l’Anti-
Liban la « Guerre Sainte ». C’était dans le voisinage du mont Hermon où des villages furent détruits
et leurs habitants chrétiens passés au fil de l’épée. La cause immédiate de cette boucherie n’était pas
connue. Elle se tramait probablement depuis fort longtemps3. Dans ce dessein, les hordes druzes du
Hauran sous la conduite de Méhémet al Atrach4 le fils d’Ismaïl al Atrach accoururent au rendez-vous
de Ouadi at-Taym avec une précision qui dénotait une mobilisation étudiée et synchronisée d’avance
avec leurs coreligionnaires du Mont-Liban et les autorités ottomanes5.
Au cours du mois de mai 1860, le village de Hasbaïya fut le terrain d’une sanglante
confrontation entre les Chrétiens et les Druzes. Après une série d’escarmouches et de batailles, les
chefs druzes décidèrent de finir avec les Chrétiens de Ouadi at Taym en arborant le prétexte d’une
lettre qui émanait de l’évêque orthodoxe Sophronius, évêque de Soûr et de Saïda. Cette lettre fut
publiée par le journal anglais Le Times du 12 septembre 1860 et reprise par Richard Edwards1.
Pour les Druzes, il ne pouvait y avoir aucun doute quant aux intentions des Chrétiens. Leur
rage ne connut plus de limites. « Il s’agit donc d’une guerre de religion, dirent-ils ; qu’il en soit ainsi.
1
Sami Kuri S.J., Une histoire du Liban à travers les archives des jésuites, 1846-1862, Beyrouth, Dar el-
Machreq, 1992, p. 263.
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 244-245.
3
Le Journal des Débats, jeudi 12 juillet 1860.
130
4
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 567.
5
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 244-247.
1
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862…, p. 137 : « Une assemblée de chrétiens de la Montagne et de la Béka’
Page
se réunissaient pour combattre et chasser les druzes corrupteurs. Une heure d’attaque fut fixée à Hasbaïya afin
d’entamer le plan d’action militaire prévu ».
Mais cette fois-ci Inshallah ! Les Druzes campèrent aux portes de Tripoli. Le pays sera à eux ou à
nous »2. Ils déclarèrent la guerre des couteaux : tous les mâles chrétiens devaient passer sous le
couteau druze. Il fallait extraire la gangrène maronite du Liban3.
Tandis que se perpétrait sous les yeux des Ottomans le massacre des habitants de Hasbaïya,
un autre se pointa non loin de celui-ci dans le village des Shéhab à Rachaïya. Les habitants étaient
déjà dans le sérail depuis trois jours, dénudés de toute subsistance, lorsque, le dimanche 11 juin Ismail
al Atrash et Wakid Hamdan4 et leurs hommes arrivèrent devant la porte de la caserne.
Trois semaines après le début des hostilités entre Chrétiens et Druzes, ces derniers s’étaient
rendus complètement maîtres de la situation. Le Chouf, le Ouadi al Taym et une grande partie de la
Béka’ étaient sous leur domination. De toutes les places fortes des Chrétiens dans la Béka’ seul Zahlé,
« le bouclier des Chrétiens, la terreur des Druzes »3 n’avait pas été soumise.
L’affaire de la ville de Zahlé était particulièrement importante et délicate. Les Consuls des
pays européens sentaient venir l’orage de la haine4. Ils écrivirent plusieurs fois au gouverneur turc de
Beyrouth afin de prendre les mesures adéquates pour défendre la ville et éviter par tous les moyens le
film horrible de Hasbaïya et de Rachaïya.
2
Le Journal des Débats, jeudi 12 juillet 1860 ; Col. Churchill, The Druzes and the Maronites…, p. 159 : « One
of these letters was intercepted by the Druzes ; their rage knew no bounds. This then is a war of religion, said
they ; so let it be. The Maronites menace us with destruction ; let them come on. But this time, Inshallah ! the
Druze standards shall be planted on the gates of Tripoli. The country is ours or theirs ».
3
Ibid.
131
4
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 569.
1
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 187.
2
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 124.
Page
3
Kamal Salibi, Histoire du Liban… p. 188.
4
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 573.
Cette fois, c’était des milliers d’assaillants, unissant toutes les forces hostiles aux
Chrétiens qui se dirigeaient vers la ville ; avec le soutien logistique et la couverture politique
du Pacha turc de Damas et Beyrouth.
Les habitants de Zahlé repoussèrent à deux reprises les assaillants. Ils espéraient
l’arrivée des renforts de l’autre côté de la montagne, et ce furent les Druzes déguisés en
Maronites, leur bannière empruntée, déployée au vent, chantant les hymnes de la guerre à qui
les portes furent ouvertes. Et tandis que les habitants de la ville caressaient cette illusion, des
fusillades éclatèrent dans les quartiers de la ville. Ils s’aperçurent trop tard qu’ils étaient
assaillis de l’intérieur et de l’extérieur1. Par un acte de courage, les combattants de Zahlé
poussèrent les habitants devant eux, et réussirent à emprunter la route de Sannîne et d’autres
villages de Metn ; quelques-uns d’entre eux atteignirent la côte après plusieurs jours de
marche pénible2. Cette manœuvre de retrait des combattants et des habitants de la ville sauva
une grande partie de la population, mais toutes les maisons, les écoles et les couvents furent
incendiés et pillés.
Les pères jésuites perdirent cinq de leurs membres3. La congrégation des Sœurs du
Sacré-Cœur aliéna 21 sœurs violées et égorgées atrocement4. La perte humaine à Zahlé
s’éleva selon les sources à plusieurs centaines de victimes5. Elle reste relativement moins
élevée par comparaison avec les pertes à Ouadi al-Taym. Par contre, les dégâts matériels
furent énormes. Les maisons des pères Jésuites furent totalement brûlées et saccagées à
l’image de « toute la plaine de Baalbek en feu et en désolation »6.
La chute de la ville de Zahlé rendit presque total le triomphe druze. La seule ville
chrétienne du district mixte qui échappait à l’apocalypse de cette guerre était Deïr el-Qamar ;
s’étant rendue sans condition le 2 juin « les habitants n’avaient pas été forcés de quitter leurs
maisons »1.
1
Chahine Makharius, Mazbahat al Jabal…, pp. 213-214.
2
Ibid.
3
Ce sont le frère Alphonse Habeiche, les frères Bonacina, Jonas, Maksoud et le père Billotet, supérieur de la
mission à Zahlé. Tandis que le P. Riccadonna et le P. Canuti échappaient à la mort en prenant la fuite par la
montagne des cèdres pour rejoindre Beyrouth, in Sami Kuri, S.J., Une histoire du Liban…, p. 265.
4
Chahine Makharius, Mazbahat al Jabal…, p. 214.
5
Le père Karam Rizk avança le chiffre de plus de mille hommes. In Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…,
p. 254 ; Chahine Makharius de son côté estima la perte de Zahlé à 400 martyrs sans oublier les 500 de Baalbek
et de la Béka’. In Chahine Makharius, Mazbahat al Jabal…, p. 215 ; Quant à l’abbé Jobin, il estima le nombre
des victimes à 250.In Abbé Jobin, La Syrie en 1860 et 1861, Lettres et documents formant une histoire complète
132
et suivie des massacres du Liban et de Damas, des secours envoyés aux Chrétiens et de l’expédition française,
Lille, L. Lefort, 1862, p. 63.
6
Lettre du P. Louis Canuti au P. Pierre Beckx, in, Sami Kuri, S.J., Une histoire du Liban à travers les archives
Page
Un calme précaire régnait sur la ville quand des bandes druzes envahirent le 19 juin
1860 les quartiers par petits nombres sous l’allégation de protéger les Chrétiens1. La garnison
turque stationnée au Sérail de la ville demeura oisive devant ce mouvement suspect des
Druzes. Les Consuls européens et après une plainte de la part des habitants et la chute de
Zahlé doublèrent la pression diplomatique sur le gouverneur turc afin d’opposer une force
solide face aux intentions douteuses des cheikhs druzes et « de permettre aux Chrétiens de
revenir en paix dans leurs villages »2.
Malgré toutes les pressions et les initiatives des Consuls, les Druzes s’obstinèrent sous
une couverture turque à exécuter minutieusement leur plan d’attaque de Deïr el-Qamar. La
population de peur d’un massacre se réfugia dans le Sérail auprès des soldats turcs1. Le même
scénario de Ouadi al Taym se perpétra quand le 20 juin, avant le coucher de soleil, la fin
tragique des habitants de ce village se déroula sous le regard maudit des autorités turques. Il
était clair que la ville allait subir un sort terrible. Des hommes armés de Baaqlîne, Aarqoûb,
Aammatour, Aïn el-Tiné, Moukhtara et d’autres villages s’emparèrent de toute la localité.
Pendant six heures, le sang coula à flot dans différents endroits et quartiers de la
1
ville . « Pas un mâle ne fut épargné. Tout objet précieux fut enlevé. Les femmes furent dépouillées
de leur vêtement et maltraitées. Les soldats turcs participèrent au massacre et au pillage »2.
L’intensité du paroxysme de la cruauté resta longtemps incrustée sur les murs de la ville. Les
traces de sang marquaient toujours les lieux 4 mois après le carnage quand Édouard Lockroy
(1838- 1913) journaliste et illustrateur français pour le Monde Illustré accompagnait les
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 256.
133
1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 580.
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 257.
1
Col. Churchill, The Druzes and Maronites…, p. 189.
Page
1
Col. Churchill, The Druzes and Maronites…, p. 189.
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 257.
forces françaises en route à Deïr al Qamar trouva la ville pleine de cadavres et surmontée
d’une odeur horrible qui empoisonnait la vallée3.
Au total 2000 victimes4 furent la proie facile et froide d’une boucherie bien organisée
et minutieusement planifiée. Le village de Deïr el Qamar une fois saccagé et brûlé, les
Druzes, fumants de sang et de haine, « se portèrent à Béit-Eddin et immolèrent tous les Chrétiens
qui s’étaient réfugiés dans la caserne, y compris cent neuf personnes des villages de Béit-Eddin et de
Mohassar »1. Cependant après les scènes de carnage et la dévastation de Deïr el Qamar et des
villages chrétiens du Chouf, « le bruit se répandit que les Druzes et leurs alliés se disposaient à
remonter vers les districts du Nord, pour y mettre tout à feu et à sang »2.
Des milliers de réfugiés, femmes et enfants se précipitèrent plus morts que vifs sur la
côte entre Dâmour et Saïda. Des bâtiments anglais (le Gannet et le Mohawk) transportèrent
vers Beyrouth les fugitifs de la ville dévastée1.
3
Édouard Lockroy, Au hasard de la Vie. Notes et Souvenirs du XIX esiècle, fac-similis, pp. 87-89 : « Je
l’accompagnais [l’armée française] à Deir-el-Kamar que nous trouvâmes plein de cadavres séchant au soleil
depuis quatre mois. C’était un spectacle effroyable. Rien n’avait été changé depuis le jour du massacre. Les
Druzes massacreurs étaient retournés chez eux et les Chrétiens étaient tous morts. Une odeur horrible, qu’il me
semble sentir encore, empoisonnait toute la vallée. Des femmes, qui s’étaient évadées la veille de la tuerie,
accompagnaient les troupes. Le pays était désert. Quand l’état-major arriva sous la voûte de la porte principale,
les cadavres apparurent. Ils remplissaient entièrement la rue, entassés pêle-mêle entre deux rangées de maisons
sanglantes. Amalgamés par la pourriture, ils ne formaient plus qu’une sorte de bouillie humaine cuite à la
surface par le soleil. De grands vautours y plongeaient leurs becs. Nos chevaux s’y enfonçaient jusqu’aux
genoux. Les femmes s’élancèrent en avant elles cherchaient dans cette boue gluante à reconnaître les cadavres,
soulevaient les têtes qui se détachaient toutes seules du tronc, et remuaient le cloaque. Elles poussaient des cris
pour effaroucher les vautours, sans réussir à les faire s’envoler. Quelques-unes tombaient inertes, à demi
asphyxiées le long des maisons. Nos soldats étaient pâles, malades à la fois d’horreur et d’écœurement. Le long
du mur du sérail, il y avait un tas énorme de mains coupées, et près de là un tas non moins énorme de têtes. Des
créneaux où s’étaient faites les exécutions descendait une épaisse couche de sang figé. On croyait, de loin voir
un tapis de couleur sombre, cloué sur le mur. Dans les intérieurs on trouvait des membres humains épars.
L’incendie allumé après le massacre avait laissé intacts ces débris. Au milieu de l’église vide, mais encore
entière, le vent promenait les feuilles à demi consumées d’un Évangile. J’en ramassai quelques-unes que j’ai
encore ».
4
« 2200 victimes à Déir-el-Kamar ». In, François Lenormant, Histoire des massacres de Syrie en 1860, Paris,
Hachette et Cie, 1861, p. 89 ; La vie militaire du Général Ducrot d’après sa correspondance 1839-1871, t. 1,
Paris, Librairie Plon, 1895, p. 415 : « Un effroyable tableau surprit nos soldats à leur entrée dans Deïr el
Qamar … Parmi les débris des murs calcinés, achevaient de pourrir, depuis trois mois, les restes de dix-huit
cents cadavres dévorés par les chiens et les vautours » ; Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 193 ; Baptistin
Poujoulat, La vérité sur la Syrie …, p. 155.
1
Abbé Jobin, La Syrie en 1860 et 1861…, p. 45.
134
2
Camille de Rochemonteix P., Le Liban et l’Expédition française en Syrie (1860-1861), Paris, Auguste Picard, 1921, p.
54 ; Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860. À ce sujet aussi le P. Karam Rizk développa amplement les
intentions et le plan druso-turc pour finir avec le district chrétien de Kisrwane. Cf. Karam Rizk P., Le Mont-
Page
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 259.
3
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862…, pp. 159-160.
135
1
Le Constitutionnel, vendredi 27 juillet 1860, p. 1.
2
François Lenormant, Histoire des massacres…, p. 87.
3
La Revue des Deux Mondes, Paris, t. XXIX, p. 502.
Page
4
Ibid., XXXe année, seconde période, t. 28, Paris, 1860, p. 1014.
5
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 185.
Parallèlement, des événements sanglants eurent lieu à Damas, où des milliers de
Chrétiens furent massacrés et des quartiers rasés1 ce qui rendit vaines les tentatives de
Khurchid Pacha
Quand L’empereur Napoléon III apprit le 16 juillet les détails de l’affaire de Damas, il
décida incontinent d’intervenir par force militaire au Liban et en Syrie et le fit savoir aux
Anglais. Ceux-ci, « placés devant le fait accompli, n’ont plus qu’à s’y rallier, pour éviter que la
France n’en tire seule tout le bénéfice »2. Une valse diplomatique menée par la France aboutit à
l’acceptation de l’idée d’une intervention militaire Française3 en Syrie « pour châtier les auteurs
des massacres qui ont ensanglanté ce malheureux pays »4.
Après avoir reçu les instructions du Sultan, Fouad Pacha quitta Istanbul pour
Beyrouth le 12 juillet sur une frégate à vapeur le Taïf. Deux corvettes chargées de troupes et
de munitions faisaient route en même temps. Au moment de s’embarquer, Le ministre portant
1
Les événements de Damas se déchaînaient le 9 juillet 1860 à deux heures après-midi et le massacre dura une
semaine. La perte humaine s’éleva pour Damas à 8000 victimes. Col. Churchill, The Druzes…, p. 207 ; Le
Journal Des Débats, mercredi 18 juillet, 1860 ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 588-593.
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 186.
3
Col. Churchill, The Druzes…, p. 226 : « The callous stoicism of the british cabinet was at length affected, and
a tardy, though hesitating consent was given to the proposal of the Emperor of the French to send an
expeditionary force to Syria, for the purpose of aiding in restoring tranquillity, of giving security to the
Christians, and of supervising the work of retribution ».
4
Le Constitutionnel, vendredi 27 juillet 1860, p. 1.
5
Le Journal Des Débats, mardi 7 août 1860, p. 1.
136
1
H. Lammens. S.J., La Syrie, Précis Historique…, p. 184 : « Ancien Ambassadeur (Fouad Pacha) à Londres, à
Paris, son esprit délié, libre de préjugés, son énergie, ses connaissances variées, (il affectait de citer l’Évangile)
lui avaient valu la confiance des cabinets européens. Son patriotisme éprouvé, son zèle pour les réformes
Page
destinées à renforcer la centralisation et le prestige de l’Empire, lui assuraient d’autre part la confiance absolue
du Sultan ».
sur le bonnet la plaque de sa haute distinction1 invita le premier drogman de l’ambassade de
France à Beyrouth à rapporter au consul les paroles suivantes : « Dites à l’ambassadeur, qu’au
péril de ma vie, je laverai la tache faite à l’honneur de l’armée, et que les troupes feront leur
devoir »2.
En effet, dès le 17 juillet, le Haut Commissaire investi de pouvoirs illimités mit ses
paroles en action sans attendre ni le corps expéditionnaire français ni la commission
internationale. Il y dépensa toute l’énergie nécessaire visant à dénouer la crise du Liban et de
la Syrie avant le débarquement des Français. Il s’arrêta à Beyrouth le temps d’une assurance,
« des paroles pacifiantes et quelques secours d’argent, pressé de courir à Damas, d’arracher la
métropole islamiste au danger d’une occupation européenne »3.
1
Le Journal Des Débats, samedi 28 juillet 1860.
2
Le Constitutionnel, lundi 30 juillet 1860, p. 1.
3
H. Lammens. S.J., La Syrie…, pp. 184-185.
4
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 289.
5
Le journal en langue arabe Bargis de Paris confirmait que l’attitude perfide de Khourchid Pacha et des
officiers turcs au cours des événements du Liban et de la Syrie était dictée par le gouvernement turc ; in Bargis-
Paris, mercredi 10 octobre 1860, no 34, p. 1. Annexe III, p. 283.
1
Le général marquis de Beaufort d’Hautpoul, commandant le corps expéditionnaire de Syrie, naquit en 1804.
Élève des Écoles de Saint-Cyr et d’état-major de 1820 à 1824, il fit la première campagne d’Alger en 1830,
comme aide de camp du général du génie Valazé. De 1834 à 1837, le maréchal Soult, ministre de la guerre,
l’avait envoyé en Égypte et en Syrie en mission militaire. Pendant cette mission, le jeune et actif officier
137
français accepta d’être attaché, comme premier officier d’ordonnance, au général Soliman Pacha, chef d’état-
major d’Ibrahim Pacha. C’est en cette qualité qu’il prit part au brillant fait d’armes qui décida la prise de la
Smala d’Abd el-Qader. L’empereur Napoléon III le désigna en 1860, chef de l’expédition en Syrie. In
Page
L’avancée des troupes françaises fut tergiversée par un effroyable tableau de mort à
l’entrée de la ville de Deïr el Qamar4. Les soldats furent vivement impressionnés en arrivant
sur le théâtre des derniers massacres. « Les plus aguerris, ceux qui avaient vu de sang froid des
milliers de cadavres dans les champs de Crimée et de Solferino, n’ont pu retenir leur émotion en
arrivant à Deïr-el-Qamar »5. Après avoir traversé Beit ed Dine, la colonne s’enfonça davantage
dans le Mont-Liban, toujours à la poursuite des hordes druzes. Mais ceux-ci étaient « avertis et
protégés par les Turcs, qui, tout en ayant mission de les cerner, les aidaient au contraire à fuir »6 vers
le Hauran malgré le campement d’une compagnie près de Qabb Élias sur la route Beyrouth-
Damas. L’abbé Bazet de la maison des Lazaristes que le général avait demandé à Beyrouth
dit le dimanche 7 octobre la messe pour la première fois au milieu du camp7. Il fallut revenir
à Beyrouth vers la fin d’octobre « après une expédition inutile, qui fut, comme celle de Fouad-
Pacha, une simple promenade militaire »1.
1
Ernest Louet, Expédition de Syrie, Beyrouth, le Liban, Jérusalem, (1860-1861), Paris, Amyot, 1862, p. 91.
2
Camille de Rochemontex. S.J., Le Liban et l’Expédition Française en Syrie ( 1860-1861), Paris, Librairie
Auguste Picard, 1921,
3
Ernest Louet, Expédition de Syrie,…, p. 91.
138
4
Revoir les impressions d’Édouard Lockroy qui accompagnait l’armée française lors de cette campagne, p. 71.
5
Louis de Baudicour, La France au Liban, Paris…, p. 189.
6
Général Ducrot, La vie militaire du Général Ducrot…, p. 415.
Page
7
Ernest Louet, Expédition de Syrie,…, p. 121.
1
Général Ducrot, La vie militaire du Général Ducrot…, p. 415.
b. Un nouveau statut politique
La Commission diplomatique, dont la première séance s’était tenue le 5 octobre
1
1860 , avait mission de trouver des solutions aux problèmes laissés au Liban depuis 1842.
Désireux de marquer leur bonne volonté à l’égard de l’empire ottoman, les délégués
désignèrent à l’unanimité Fouad Pacha comme président de leurs travaux 2. Bien avant
l’échéance fixée au 5 mars 1861, comme date d’évacuation du corps expéditionnaire, la
France demanda une prorogation en faisant valoir que les troubles n’avaient pas totalement
cessé encore3. Enfin, après de pénibles tiraillements, « la conférence de Paris arriva à s’entendre
sur la prolongation de l’occupation jusqu’au 5 juin 1861 »4. C’était dans cette période que le
gouvernement français et son état-major furent accusés par les Anglais et les Turques de
vouloir se dédommager de leur inaction militaire sur le terrain de la politique5. La question de
la réorganisation du Liban subissait la répercussion de tout cet imbroglio.
1
« On dénombre 50 sessions étalées entre le 5 octobre 1860 et le 23 mai 1861 ». In, Karam Rizk P., Le Mont-
Liban au XIXe…, p. 299.
2
Ibid.
3
Ibid., p. 194.
4
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 287.
5
Ibid.
139
6
Ibid., p. 288.
7
Pour un exposé complet sur les différents projets proposés par les Commissaires pour la réorganisation du
Liban après les événements sanglants de 1860 ; voir Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 312-329 ;
Page
Une phase sanglante s’achevait sur une note incertaine dans le développement
politique et social de l’histoire moderne du Liban. « Le confessionnalisme est officialisé et
les charges du Liban seront réparties au prorata des communautés »1.
BIBLIOGRAPHIE
1 - SOURCES
ALLARD Camille Dr., Souvenirs d’Orient, Les échelles du Levant, Paris, Adrien le Clerc, Éditeur,
1864.
AMELINE Jean-Paul, Face à l’Histoire 1993-1996. L’artiste moderne devant l’événement historique,
Paris, Flammarion-Centre Georges Pompidou, 1996.
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 196.
3
Abdallah el Mallah, « Al ihsaa al dimographie al rassmi al awal fi quadaa Kisrwane 1867 », Al Massara, 1996,
no 824, p. 682.
4
Daoud Yaramian naquit à Istanbul en l’année 1818 d’une famille chrétienne arménienne. Après des études
juridiques, il poursuivit une carrière diplomatique comme chargé d’affaires à l’ambassade de l’empire ottoman à
Berlin. De retour à Istanbul, il fut chargé des missions au sein du ministère des affaires étrangères. Il fut nommé
140
en 1857 comme directeur général des imprimés, et ensuite celui du télégraphe. Pour l’ensemble de la période de
Daoud Pacha, voir Assad Rustum, Lebnan fi ‘Ahed al Moutassarifiya, Liban, Éditions Saint Paul, 1987.
5
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, pp. 294-295.
Page
1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 667-668.
1
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 196.
AUBANEL Napoléon, La France Maronite, fédération française de protection en Orient, Nice,
Imprimerie Niçoise, 1892.
AVIAU DE PIOLANT Vicomtesse d’, Au Pays des Maronites, Paris, H. Oudin, 1882.
AZAIS Abbé, DOMERGUE C., Journal d’un voyage en Orient, Avignon, F. Seguin Ainé, 1858.
BAUDICOUR Louis De, La France en Syrie, Paris, E. Dentu / Challamel, Ainé, 1860.
BERCHET Jean-Claude, Le voyage en Orient, Anthologie des voyageurs Français dans le Levant au
XIXesiècle, Éditions Robert Laffont, Paris, 1985.
BLONDEL Édouard, Deux ans en Syrie et en Palestine (1838-1839), Paris, Dufart, 1840.
CHAHINE Makkarius, Mazbahat al Jabal, Hasser el lissam an Nakabat al Cham, Égypte, 1895.
CHURCHILL C. Col., Mount Lebanon, A Ten Years’ residence from 1842 to 1852, vol. 1 & 3, Third
Edition, London, Saunders and Otley, 1853.
CHURCHILL C. Col., The Druzes and the Maronites Under the Turkish Rule, from 1840 to 1860,
London, Bernard Quaritch, 1862.
CLERCQ Louis De, Voyage en Orient, villes, monuments et vues pittoresques de Syrie. Recueil
photographique exécuté par Louis De Clercq (1859-1860), Premier album, [à compte d’auteur],
Imprimerie Laurent.
CLERCQ Louis De, Voyage en Orient. Châteaux du temps des Croisades en Syrie, recueil
photographique exécuté par Louis De Clercq (1859-1860), Second album, [à compte d’auteur],
Imprimerie Laurent.
CORTAMBERT Richard, Aventures d’un artiste dans le Liban, Paris, E. Maillet, 1864.
DUCAMP Maxime, Souvenirs littéraires, Flaubert, Fromentin, Gautier, Musset, Nerval, Sand, Paris,
Le Regard Littéraire, Éditions Complexe, 2002.
141
DUCROT Général Le, La vie militaire du Général Ducrot d’après sa correspondance 1839-1871,
Paris, Librairie Plon, 1895.
Page
DUSSAUD René, L’œuvre scientifique d’Ernest Renan, Paris, Paul Geuthner, 1951.
EDWARDS Richard, La Syrie (1840-1862), Paris, Amyot, Paris, 1862.
FARAH E. Caesar, The Politics of Interventionism in Ottoman Lebanon 1830-1861, London, New
York, The Center for Lebanese Studies, Oxford, I.B. Tauris, 2000.
FAVRE Yves Alain, L’identité : l’Orient de Nerval. Miroirs de l’altérité et voyage au Proche-Orient,
Genève, Éditions Slatkine, 1991.
FAWAZ Leila Tarazi, An Occasion for War-Civil conflict in Lebanon and Damascus in 1860,
London, New York, The Center for Lebanese Studies, Oxford, I.B. Tauris, 1994.
FLAUBERT Gustave, Voyage en Orient (1849-1851), fac Simili, distribué par le cercle du
Bibliophile.
FLAUBERT Gustave, Correspondance, Paris, Éd. J. Bruneau, t.I, 1830-1851, Gallimard, 1973 (
Bibliothèque de la Pléiade).
GASNIER Maurice, Ernest Renan, Hortense Cornu, Correspondance (1856-1861), Brest, CNRS,
Faculté des Lettres Brest.
GAUTIER Théophile, Constantinople et autres textes sur la Turquie, Paris, Éd. Sarga Moussa, La
boîte à documents, 1996.
GUYS Henri, Voyage en Syrie, peinture des mœurs, musulmanes, chrétiennes et israélites, Paris, Just
Rouvier, 1855.
JOANNE Adolphe & ISAMBERT Émile, Itinéraire d’Orient, Paris, Hachette et Cie, 1861.
JOBIN J.B. abbé, La Syrie en 1860 et 1861. Lettres et documents formant une histoire complète et
suivie des massacres du Liban et de Damas, des secours envoyés aux Chrétiens et de l’expédition
française, Lille, Lefort, 1862.
JOLY De LOTBINIÈRE Pierre, Journal de voyage 1839-1840, manuscrit conservé aux Archives
nationales du Québec, Université de Laval.
142
KURI Sami S. J., Une histoire du Liban à travers les archives des jésuites, 1846-1862, Beyrouth, Dar
el Mashreq, 1992.
Page
LACAN Ernest, Esquisses photographiques à propos de l’Exposition universelle et de la guerre
d’Orient, Paris, Grassart, 1856.
LALLEMAND Charles, La Syrie : costumes, voyages, paysages, Paris, Librairie du Petit Journal,
1865.
LAMMENS H. S.J., La Syrie, précis historique, Beyrouth, Imprimerie Catholique, vol.2, 1921.
LAURENT Achille, Relation historique des affaires de Syrie depuis 1840 jusqu’en 1842 ; Statistique
générale du Mont-Liban, et procédure complète dirigée en 1840 contre les Juifs de Damas à la suite
de la disparition du père Thomas, Paris, Gaume frères, Librairies-Éditeurs, t.1, 1846.
LENORMANT François, Histoire des massacres de Syrie en 1860, Paris, Hachette et Cie, 1861.
LOUET Ernest, Expédition de Syrie, Beyrouth, Le Liban, Jérusalem (1860-1861), Paris, Amyot,
1862.
MASSENOT E., Excursion à Saïda, fragment d’un voyage en Orient, Antibes, J. Marchand, 1873.
POUJOULAT Baptistin, Récits et souvenirs d’un voyage en Orient, Tours, 7e édition, Alfred Mame,
1864.
POUJOULAT Baptistain, la Vérité sur la Syrie et l’expédition française, Paris, Gaume frères et
J.Duprey, 1861.
REY Emmanuel-Guillaume, Voyage dans le Hauran et aux bords de la Mer Morte exécuté pendant
les années 1857-1858, Paris, Arthus Bertrand, vers 1861.
REY Emmanuel-Guillaume, Étude sur les monuments de l’architecture militaire des Croisés en Syrie
et dans l’île de Chypre, Paris, 1871.
143
RIZK Karam P., Le Mont Liban au XIXe siècle, De l’Emirat au Mutasarrifiya, 2ème édition, Kaslik,
Liban, 1994.
Page
ROCHEMONTEIX Camille de, S.J., Le Liban et l’Expédition française en Syrie (1860-1861), Paris,
A. Picard, 1921.
RUSTUM Assad, Lebnan fi Aahed al Moutassarifiya, Liban, Éditions saint Paul, 1987.
SAÏD Édward, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1980.
SALIBI Kamal, Histoire du Liban du XVIIème siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988.
SAULCY L.-F. CAIGNART De, Carnets de voyage en Orient, 1845-1869, Paris, Éd. Fernande
Bassan, PUF, 1955.
SAVIGNY DE MONCORPS Vicomte de, Journal d’un voyage en Orient (1869-1870), Égypte, Syrie,
Constantinople, Paris, Hachette et Cie, 1873.
SIMOËN Jean-Claude, Égypte éternelle. Les Voyageurs photographes au siècle dernier, Paris, J.
Clattès, 1993.
TÉMOIN OCULAIRE, Souvenirs de Syrie, Expédition française de 1860, Paris, Plon-Nourrit, 1903.
THORNTON Lynne, Du Maroc aux Indes, Voyages en Orient, Paris, ACR Éditions, 1998.
VOGÜÉ Melchior comte de, Les Événements de Syrie, Paris, Douniol, 1860.
VOLNEY C.-F. comte, Voyage en Syrie et en Égypte pendant les années 1783, 1784 et 1785, 2 vol.,
Paris, Volland, 1787.
2 - ÉTUDES
BLAYBEL Louis, « Tabrir al Nassara mimma nusiba ilayhim fi hawadith sanat 1860 », in, el
Mashriq, vol. 26, 1928, pp. 631-660.
LOCKROY Édouard, « À travers livres et journaux », in, Des Livres du Peuple, no 41, Paris, pp. 1-4.
MALLAH el Abdallah, « Al Ihsaa al dimographie al rassmi al awal fi quadaa kesrouane 1867 », in, Al
Massara, no 824, 1996.
MOUSSA Sarga, « Les Orients de Théophile Gautier : Peintres orientalistes et récits de voyage
(Espagne, Turquie, Égypte) », 48/14, la revue du musée d’Orsay, automne 1997, nº5, pp. 65-73.
4 - OUVRAGES GÉNÉRAUX
Page
Dictionnaire Encyclopédique Illustré, Paris, Hachette, 1993.
5 - REVUES ET JOURNAUX