Vous êtes sur la page 1sur 145

UNIVERSITE SAINT-ESPRIT DE KASLIK

Faculté des Lettres


Institut d’Histoire

LIBAN MODERNE
1516-1918

Préparé par PR PAUL ZGHEIB

USEK – LIBAN

2011
1
Page
Table des matières

Chapitre I : Le relief géographique et social du Liban à la fin de la période

Mamelouk 6

A. Le relief géographique 6
B. Le relief social 7

Chapitre II : Le Liban et la conquête ottomane en 1516 12

A. La bataille de Merj Dabeq et la fin des Mamelouks 13


B. L’administration ottomane 16
a. Les gouverneurs 18
b. Les juges 19
c. Les milices des janissaires 20
d. La fiscalité 22
1. Le timâr 22
2. L’emanet 25
3. L’iltizâm 26
e. Les Capitulations 28

Chapitre III : L’Imarat du Liban au XVIe siècle 32

A. Le cadre géographique de l’Imarat 32


B. La société du Mont-Liban au XVIesiècle 33
C. Les divisions administratives des territoires conquis 34
D. La fondation de l’Imarat Ma‘enite 34
a. La campagne d’Ibrahim pacha en 1585 35
b. L’avènement de l’émir Fakher Eddine II 36
1. La politique intérieure de Fakher Eddine II 37
2. La puissance militaire 38
3. La politique extérieure 39
4. La politique commerciale 40
2

5. L’élargissement de l’Imarat 43
Page

c. La première guerre entre Fakher Eddine II et la Porte 44


d. L’émir Fakher Eddine II en Italie (1613-1618) 46
e. La deuxième période de gouvernance de Fakher Eddine II (1618-1635) 48
1. Les récriminations contre l’impôt 48
2. La guerre contre Youssef Saïfa 48
3. La bataille de ‘Anjar 49
4. La vie commerciale 50
5. La construction urbaine 51
6. La tolérance religieuse 54
f. Le deuxième conflit avec la Porte et la fin d’un règne 55
g. L’Imarat après Fakher Eddine II (1635-1697) 58
1. Le règne de Melhem Ma‘en (1635-1657) 58
2. Le duumvirat (1657-1697) 59

Chapitre IV : Le Liban sous le règne des émirs Chéhab (1697-1841) 60

A. La rencontre de Sumkaniyyeh et la passation du pouvoir à la famille Chéhab 60


B. Le règne de Bachir Ier (1697-1706) 60
C. Le règne de Haïdar (1706-1732) 61
a. La bataille de ‘Ayan Dara (1711) 62
D. Le règne de Melhem (1732-1754) 63
E. Le règne de Mansour et Ahmad (1754-1763-1770) 65
F. Le règne de Youssef Chéhab (1770-1790) 67
a. L’affaire ‘Ali Bey 67
b. L’émir Youssef Chéhab et Ahmed al-Jazzar 67

Chapitre V : Les transformations de la société du Mont-Liban entre le XVIIe

et le XVIIIe siècle 69

A. La renaissance de l’église maronite 69


B. La fondation de l’Ordre Libanais Maronite (OLM 1695) 71
C. La démographie du Mont-Liban 72

Chapitre VI : Le règne de Bachir Chéhab II (1788-1840) 73

A. La biographie de l’émir Bachir II 73


3

B. L’instabilité politique de la Montagne


Page

74
C. L’expédition de Bonaparte en Syrie 75
a. Le siège de ‘Akka 76
D. Le règne de Bachir II après la mort de Jazzar 1804-1818 79
E. Le règne de Bachir II entre 1819 et 1831 82
a. Le ‘Ammiyya d’Antélias (1820) 83
b. Le ‘Ammiyya de Lehfed (1821) 83
F. Le Liban sous l’occupation égyptienne (1831-1839) 87
a. La bataille de Baylan (29 juillet 1832) 91
b. La bataille de Konya (21 décembre 1832) 91
c. La question d’Orient (1774-1878) 91
d. Les conséquences politiques de l’occupation égyptienne du Liban 94

Chapitre VII : La situation du Liban de 1840 à 1858 100

A. L’année probante : 1840 100


a. Le Liban en effervescence 101
b. Méhémet ‘Ali et l’intervention de l’Europe 103
c. Les opérations militaires 106
1. Le bombardement de Beyrouth 107
2. L’attaque de Jbeïl 109
3. La prise de Tripoli 110
4. La chute de ‘Akka 111
d. L’abdication et l’exil de l’émir Bachir II 113
B. L’anarchie au Liban 115
a. L’avènement de Bachir III (1840-1841) et la fin 115
b. ‘Omar Pacha (1841-1842) : la fin d’un rêve 119
c. Le régime de Caimacamiya (1842-1860) 121
d. Le malaise social et la révolution paysanne (1858-1859) 124
C. Une guerre civile en 1860 126
a. Une année d’ébriété sanguinaire (1860) 126
b. L’étincelle 126
c. La défaite chrétienne dans le Metn 128
d. Un bain de sang dans l’Anti-Liban 129
4

e. La destruction et le pillage de Zahlé 131


Page

f. L’attaque sanguinaire de Deïr al-Qamar 132


D. Entre intervention et réorganisation : 1860-1861 135
a. Au nom des droits, de la justice et de l’humanité 135
b. Un nouveau statut politique 138

Bibliographie 141

5
Page
Chapitre I : Le relief géographique et social du Liban à la fin de la période mamelouk

A. Le relief géographique

La géographie a très tôt dicté au Mont-Liban ses particularités. Cette chaîne


montagneuse offre des conditions écologiques - en particulier de l’eau en abondance -
propres à favoriser l’installation des hommes. De plus, difficilement accessible, le Mont-
Liban a pu, à différentes reprises, servir de refuge naturel à diverses minorités persécutées.
De point de vue de son relief, nous y relevons surtout la présence de deux chaînes
montagneuses de direction subméridienne. Au total, le relief libanais se divise en deux longs
massifs séparés par un large sillon médian : la chaîne du Mont-Liban et celle de l’Anti-Liban
(Hermon dans le sud) situées de part et d’autre du couloir de la Béqâ‘. Le tout, long de 170
Km, est orienté SWW-NNE1.

La montagne occidentale se présente comme un ensemble massif de direction


parallèle à la côte et entrant brutalement en contact avec la mer. Elle culmine à 3088m au
Qornet es Saouda situé à moins de 30 Km du littoral. L’altitude moyenne est de 2200 m sur
170 Km de longueur, mais dans le Nord et le centre du pays elle se tient au-dessus de 2000 m
et dépasse souvent 2500m.

Les cols qui permettent le passage vers la Béqâ‘ restent très élevés. Le col des Cèdres
est à 2550m ; au droit de Beyrouth, l’altitude diminue légèrement ; le col de Tarchiche se
trouve à plus de 1700m et celui de Daher al-Baïdar à 1550m. Au sud de Daher al-Baïdar, les
sommets se situent entre 2000 et 1700 m. L’obstacle montagneux s’amenuise rapidement à
partir de la latitude de Marjayoun. Dans le Nord, la montagne plonge vers les plateaux du
‘Akkar pour réapparaître, plus loin, avec le Jabal Nosaïri appelé aussi montagne des
‘Alaouites.

Quant à la côte libanaise, elle est peu accidentée dans l’ensemble. Nous comptons
seulement trois presqu’îles qui sont du Nord au Sud : les avancées sableuses de Tripoli-Mina,
la pointe rocheuse de Beyrouth et celle de nouveau, sableuse de Tyr.
6
Page

1
HADDAD Mouïne, 1981. Le Liban : milieu et population, Beyrouth, p.2.
1

La carte du Liban version relief

B. Le relief social

Au cours du XIIIe siècle, sous l’occupation des Mamelouks s’acheva, ou presque, la


période pendant laquelle le Liban accueillit de nouvelles communautés ; on approche de
l’éventail final, et s’ouvre la période où ces populations s’organisent, prennent forme et vie.
C’est de cette époque que date la naissance ou l’affermissement des grandes familles qui
joueront plus tard un rôle déterminant dans l’histoire du Liban.

Chez les Chi‘ites apparaissent les Hamadé et les Harfouche dans la région de
Baalbek. Tandis que les Kurdes dans la partie septentrionale du Liban apportent à l’histoire
du Liban leurs chefs traditionnels, les émirs Saïfa. Les sunnites sont sous l’influence de
Tanoukh ; ces fidèles des régimes musulmans n’ont jamais trahi, et les Mamelouks les
installent à Beyrouth en 1294, poste important dont certains d’entre eux, comme l’émir
Izzeddine Sodaqa, useront pour étendre encore leur autorité. Autour des Tanoukh se
reconstituent les deux partis Yéménite et Qaïsite : la branche Alam des Tanoukh, avec
7
Page
comme emblème le pavot et la bannière blanche, contrôle entre autres les Saïfa et les
Furaïkh ; la branche Jamal des Tanoukh se réserve les Ma‘en, les Chéhab dans la région de
Wadi al-Taïm, les Karam, qui portent œillet et bannière rouge. En réalité, les combats
s’acharnèrent entre les Yéménites et les Qaïsites depuis 683, date de la célèbre bataille de
Rahet près de Damas entre Marwan Ben el-Hakam prince des Yéménites et Douhak vice de
‘Abdallah Ben Zoubaïer prince des Qaïsites. Au Liban, la bataille de ‘Ain Dara en 1711 fut
décisive pour la victoire des Qaïsites sous les Chéhabites sur les Yéménites. Mais, avec la fin
des Ma‘en en 1697, les Yéménites reprirent le pouvoir en exterminant les Qaïsites et le
conflit passera entre les Joumblatis et les Yazbikis.

A côté des Tanoukh, d’autres familles sunnites s’affirment : Les Mamelouks


installèrent 1306 les ‘Assaf sur la côte libanaise au nord de Beyrouth dans la région de
Kisrwan. Chez les druzes, citons les émirs Bohtor, du Ghareb, auxquels les Mamelouks
confieront longtemps, en dépit de leur confession, la garde de la côte méridionale du Liban ;
les Joumblat à Moukhtara, les Arslan dans le Chouf, et surtout les Ma‘en.

Les séfarades chassés d’Espagne, refluent en grand nombre – près de 100.000 au


Proche-Orient, provoquant un accroissement sensible des diverses communautés situées sur
la côte libanaise. Une population hétéroclite composée d’alaouites, druzes et métualis se
retrouvent installer dans le Mont-Liban central et méridional. Les Mamelouks leur donnent le
nom générique de Kisrwanites, expression tirée probablement de la province de Kisrwan. Ces
Kisrwanites se signalaient par leur turbulence entre eux se poursuivirent razzias et pillages -
et par le fait qu’ils se retrouvent tout à coup solidaires dès qu’il s’agit de s’opposer aux
musulmans orthodoxes sunnites et des Fatawas de Ibn Taymiyat1. Parmi les Kisrwanites, la
communauté dominante paraît être celle des métualis. Ceux-ci, avec à leur tête les Hamadé,
débordèrent d’ailleurs largement la montagne ; on trouvait à l’est, jusqu’à la Béqâ’, et à
l’ouest jusqu’aux environs de Beyrouth. Nombreux étaient les métualis aux abords de Saïda
et de Tyr au sud et de Jbeïl et de Batroun au nord. Les Druzes de Kisrwan séparés de ceux du
Chouf s’efforcèrent à l’époque de les rejoindre en remontant vers le Metn – formaient le
dernier élément.

1
En réalité 4campagnes furent menées par les Mamelouks contre les Kisrwanites : 1292, 1299, 1302 et 1305.
8

Pour plus d’information voir : ABOU ZAHRAT Mhamad, 1958. Ibn Taymiyat, La Caire, Dar el-Fiker el-
Page

‘Arabi ; YAHYA BEN Saleh, 1969. Tarikh Beyrouth, Beyrouth, Dar el-Machreq ; MAQRIZI-el, 1939. Kitab el
Soulouk Li Ma rifat Dawr el-Moulouk, Le Caire.
L’ensemble de cette population Kisrwanite subissait en 1305 une violente attaque de
la part des Mamelouks qui cherchèrent à mettre de l’ordre au sein de leurs dissensions
religieuses et leurs querelles intestines. Après les avoir encerclés, 50.000 hommes de
différents corps d’armée commandés par le Wali de Damas et de Tripoli, se livrèrent à un
véritable massacre de la population de Kisrwan. ; ceux qui n’étaient pas tués furent dispersés.

La propension des alaouites à redescendre vers le sud du Liban est définitivement


stoppée, et ils restèrent désormais fixés dans la région des ‘Alaouites, à laquelle ils donnaient
leur nom. Parallèlement, les druzes du Chouf sont momentanément arrêtés dans leur poussée
vers le nord, tandis que, pour la première fois de l’histoire du Liban, un certain nombre
d’entre eux quittèrent le pays et rejoignaient le Hauran, au sud de la Syrie. Enfin, l’expansion
des métualis était, elle aussi, entravée pour longtemps. Le grand vide démographique créé par
cette défaite laissa le champ libre aux maronites, qui pouvaient à la fois remonter vers le
nord, et s’étendre vers le sud. De là date le tournant décisif qui les rend, durant des siècles et
jusqu’à l’époque contemporaine, prédominants, au moins dans la montagne.

Source : MAKKI 2006 : 322-324.

En effet, les populations chrétiennes passèrent en même temps d’une situation


précaire à un état relativement privilégié. Cela n’empêche pas, par exemple le gouverneur de
Tripoli d’émettre en mars 1364 un édit (marsoum) contre les chrétiens et de restreindre leurs
9
Page

libertés, en particulier quant à l’habillement des femmes ; cela n’empêche pas non plus les
massacres et le pillage du couvent de Meïphouq, en 1439, dans le niabat de Tripoli, les
Mamelouks ayant pris ombrage de l’enthousiasme des chrétiens à l’arrivée du frère Jean,
délégué apostolique suspecté de préparer une nouvelle croisade. Cependant un accord
intervint, vers le milieu du XVe siècle, entre les princes européens, et les Mamelouks pour la
protection des chrétiens orientaux, accord qui est l’ancêtre de futures capitulations. Le 4
février 1536, François Ier signe le traité des Capitulations avec le sultan Soliman le
Magnifique. Il offre aux navires battant pavillon français le privilège de commercer avec
toutes les côtes de l'empire turc, ce qui va assurer la prospérité de Marseille. Il confie aussi au
roi de France la protection des Lieux Saints et des chrétiens de l'Empire ottoman. Ce traité,
destiné à prendre de revers l'empereur Charles Quint, atteste que l'intérêt national l'emporte
désormais sur la solidarité des chrétiens face aux menaces ottomanes. L'empire turc est un
État comme un autre, avec lequel on s'allie, on fait la guerre et on commerce en fonction des
intérêts de chacun. Le traité des Capitulations restera en vigueur jusqu'à la Première Guerre
mondiale.

De tous les chrétiens libanais, les maronites étaient ceux qui profitaient le plus
largement des ouvertures faites par les Mamelouks ; aux circonstances générales s’ajoutèrent
pour eux les effets du massacre de 1305, le fait que leur aire d’extension, difficilement
contrôlable, jouissait d’une plus grande autonomie, et on les voyait petit à petit revenir de
Chypre, où ils s’étaient enfuis au cours de la débâcle.

Après la disparition du raïs, le pouvoir politique fut concentré entre les mains du
patriarche, entouré comme autrefois de moukaddems1, de seigneurs parmi lesquels on peut
signaler la prééminence de celui de Bcharré et de ‘Aqoura. Cependant, après les règne plutôt
bénéfiques des patriarches Simon, Jean, Gabriel de Hajjoula (mort en 1367), David-Jean
(mort en 1404), survint en 1439, sous le patriarcat de Jean de Jaj, l’affaire que provoque
l’arrivée du frère Jean, supérieur des franciscains de Beyrouth.

La répression qui s’ensuivit décide le patriarche Jean de Jaj à transférer au couvent de


Qanoubin sa résidence principale comme les services ; les maronites s’y maintiendraient
jusqu’au XIXe siècle. D’autre part les relations avec Rome s’affermissaient : en 1403 et en
1445, les maronites renouvelaient solennellement leur allégeance au pape ; en 1439, ils furent
officiellement représentés au concile de Florence, la conséquence en étant leur adhésion, le
10
Page

1
MAKKI A. Mhamad, 2006. Loubnan min el-Fateh el-‘Arabi ila Fateh el-‘Outhmany, Beyrouth, Dar An-
Nahar, 264-266.
26 avril 1442, à l’Union de Florence ; peu de temps après, en 1444, ils envoyaient une
ambassade au Saint-Siège pour solliciter son appui. Ce fut à la suite de cette dernière
mission à propos de laquelle les franciscains qui avaient récupéré leurs installations de
Beyrouth et de Tripoli, jouaient un rôle important, que le pape institue auprès des maronites
un commissariat apostolique permanent.

À la fin de leur règne, les Mamelouks opérèrent un retournement sensationnel qui


dominait pratiquement toute l’époque. D’abord ils boudaient l’Europe et brimaient les
chrétiens libanais, accordant alors une confiance restrictive aux druzes de la côte ; puis ils
élevèrent les premiers au détriment de tous les minoritaires musulmans, tout en s’ouvrant de
plus en plus à l’influence de l’Ouest, et en laissant même s’installer de nouvelles colonies
européennes privilégiées. Pour la première fois, et en dépit des faiblesses de l’administration,
ces renversements politiques avaient des effets globaux. A la faveur du second mouvement
les chrétiens, et particulièrement les maronites ne redoutaient plus les druzes abaissés malgré
leur puissante féodalité, et un rapprochement de peuple à peuple pouvait s’effectuer qui
couronnait l’habile attitude des Ma‘en.

11
Page
Chapitre II : Le Liban et la conquête ottomane en 1516

Les Mamelouks1, ces esclaves turcs ou circassiens, achetés autrefois par les sultans
d’Egypte et qui avaient arraché le pouvoir à leurs maîtres tinrent à partir du Caire tout le
Moyen-Orient de 1291 jusqu’à 1516.

Qui menaçait les Mamelouks ?

- Les Croisés qui restèrent tout le long du XIVe siècle à proximité, à Chypre, d’où
ils surveillèrent la côte de l’Asie Mineure, avec derrière eux l’Europe.
- Les Mongols, et les expéditions de Ghazan Khan qui ne cessèrent qu’avec la
bataille de Mardj as Soffar, en 1303. Aussi, au début du XVe siècle, les hordes de
Tamerlan furent plus effrayantes encore, s’emparant de Damas, et de là
atteignirent un moment le Liban où Baalbek fut mise à sac.
- Les ottomans, une puissance montante qui se leva vers l’Est. Héritiers et
continuateurs des Seldjoukides2, ils reprirent leur lutte diplomatique et militaire
contre Byzance, et leurs relations avec les Mamelouks se gâtèrent définitivement
après la prise de Constantinople par Mahomet II (dit el-Fatih) en 14533.

1
Les mamelouks (de l’arabe mamluk "possédé").
2
Les Seldjoukides étaient une dynastie turco-musulmane issue des turcs « Oghuzs ». A partir de la fin du Xe
siècle et au cours des deux siècles qui suivirent, ils parvinrent à asseoir et à affermir leur royaume de l’Hindou-
Kouch jusqu’en Anatolie de l’est, et de l’Asie centrale jusqu’aux eaux du golfe Persique. Ils avancèrent ainsi, en
partant de leur terre natale et de la mer d’Aral, vers la province du Khorâssân, aboutissant à la conquête de la
Perse.
3
Le 29 mai 1453 figure traditionnellement parmi les dates clés de l’Histoire occidentale. Ce jour-là,
12

Constantinople tomba aux mains du sultan ottoman Mahomet II. La ville, vestige de l’empire romain, était
l’ultime dépositaire de l’Antiquité classique. Elle faisait aussi office de rempart de la chrétienté face à la poussée
Page

de l’Islam. Voir YOUNG Georges, 1934. Constantinople depuis les origines jusqu’à nos jours, Paris, Payot ;
VASILIEV A., 1932. Histoire de l’Empire byzantin, Paris, Picard, t.1 et t.2.
Mahomet II - dit el-Fatih – 1432-1481

A. La Bataille de Merj-Dabeq 1516 et la fin des Mamelouks

En 1516, l’Empire mamelouk pouvait apparaître comme la principale puissance du


monde islamique. Son territoire s’étendait de la Haute Egypte à l’Anatolie centrale, englobant
la Palestine et la Syrie. Le sultan mamelouk maintenait des garnisons dans les ports du
Hedjaz, avait pour vassal le chérif de La Mecque et entretenait au Caire un calife issu de la
lignée abbasside auquel les divers souverains musulmans allaient faire demander des brevets
d’investiture lors de leur avènement. L’examen de la situation géographique de l’Anatolie en
1516 montre qu’après les récentes annexions de Sélim 1er dans les régions du Zulk Adriyye et
du Diyarbakir les possessions ottomanes ne communiquaient plus entre elles qu’en
contournant le saillant mamelouk de haute Mésopotamie1. C’était là un obstacle stratégique
fort préoccupant pour le sultan, dans la perspective des opérations ultérieures vers l’Iran. De
plus, Sélim 1er savait que le Chah avait fait des propositions d’alliance à Qânsûh al-Ghûrî
(1501-1516) et que, malgré l’antipathie connue de lui-ci envers celui-là, la récente expansion
ottomane en Anatolie centrale et orientale pouvait inciter le sultan du Caire, inquiet quant à
13

1
BACQUE-GRAMMONT J.-L., 1989. “L’apogée de l’Empire ottoman : les événements (1512-1606)», in
Page

MANTRAN Robert, Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 139158-420. BACQUE-GRAMMONT


1989 : 144.
ses propres territoires septentrionaux, à adopter une attitude hostile. Pour le sultan ottoman, la
poursuite de la guerre à l’est débouchait ainsi sur des opérations préalables au sud1. Dans son
esprit, la route de Tabriz allait passer par le Caire. En outre, par ses clients en terre
mamelouk, en particulier le gouverneur d’Alep, le sultan d’Istanbul parvint à inquiéter
suffisamment celui du Caire pour le décider à se poster avec une armée dans la région prévue
alors que lui-même marchait vers l’est, officiellement vers l’Iran.

Quelques jours de marche les séparaient lorsque Sélim 1er, prétendant que Qânsûh al-
Ghûrî lui interdisait le passage à travers ses possessions anatoliennes et s’était donc allié au
Chah et d’être les amis des hérétiques, et d’entraver le passage annuel du grand pèlerinage
vers La Mecque, déclara la guerre et le rejoignit à Merj Dabeq. Depuis longtemps, le rapport
des forces militaires entre Mamelouks et Ottomans2 penchait en faveur de ces derniers pour
plusieurs raisons et spécifiquement militaire. En effet, Alors que les Mamelouks, sous la
dynastie burdjite 3 , s’en tenaient encore à la cavalerie, les Ottomans possédaient déjà une
infanterie et ils disposaient d’une excellente artillerie.

La rencontre eu lieu le 24 août 1516, près du petit bourg de Merj Dabeq, en Syrie au
nord d’Alep. Sous le tir de l’artillerie ottomane, les Mamelouks se débandèrent. En réalité, la
bataille fut d’autant plus brève que, selon un plan convenu à l’avance, le na’ib d’Alep fit
aussitôt défection avec une partie de l’armée qui désorganisée, fut hachée par les canons
ottomans. Qânsûh al-Ghûrî resta mort sur le champ de bataille et Sélim 1er entra le 9 octobre
à Damas où Ghazali, gouverneur mamelouk de la ville, lui ouvrit les portes et se rallia. Sélim
1er s’empara de la Syrie.

1
BACQUE-GRAMMONT J.-L., 1989. “L’apogée de l’Empire ottoman : les événements (1512-1606)», in
MANTRAN Robert, Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 139158-420. BACQUE-GRAMMONT
1989 : 144.
2
Osman Ier (turc: Sultan Osman Gazi rahimahou llah. Osman déformation de l'arabe : ‘Ouṯmān, ‫عُث َمان‬,
`Uthman. Alors qu'en turc : gazi signifie « triomphateur ; combattant de la foi ») est né en 1258 à Söğüt. Il est le
fils d’Ertugrul et lui succéda en 1281. C'est lui qui donne son nom à la dynastie Ottomane (turc : Osmanlı). Il est
14

mort en 1326 d'une crise de goutte à Bursa. Il eut deux épouses, une fille et sept fils : Pazarli, Coban, Hamit,
Orhan, Alaeddin, Ali, Melik, Savci. Il lui arrivait de donner ses vêtements à un pauvre après les avoir portés une
Page

seule journée.
3
En 1382, les Burdjites prirent à leur tour le pouvoir en Egypte en la personne du sultan Barkuk.
Sélim 1er – dit le Cruel – 1466-1520 Tombeau du Sultan Qânsûh al-Ghûrî – Le Caire.

Le Liban à son tour passa entièrement sous l’empire ottoman, tandis que Sélim 1er
poursuivit ses victoires. Le 22 janvier 1517, Le Caire tomba entre ses mains, et l’Egypte
devint une province turque, avec toutes les anciennes possessions des Mamelouks. Sélim 1er
se proclama à Alep devant le Calife « le serviteur de la Mecque et de Medina »1 . Cette
nouvelle situation ne changea pas grand-chose au début chez les libanais. Ce sont des
sunnites qui remplacèrent d’autres sunnites, et si le rite hanéfite – celui des Turcs - devint
officiel, déjà les musulmans libanais y étaient accoutumés.

Cependant, à la mort de Sélim 1er en 1520, Ghazali qui resta à la tête du


gouvernement de Damas se souleva et se proclama Malik – roi. Le nouveau Sultan Soliman
le Magnifique (1494-1566) successeur de Sélim 1er chargea Firhad Pacha d’abattre le rebelle,
et Ghazali fut tué le 27 janvier 1521, à Qaboun, près de Damas. Les janissaires exercèrent
une terrible répression ; tous les Mamelouks ralliés furent révoqués et il s’ensuivit une
réorganisation générale du territoire.
15
Page

1
INALCIK Halil, The Ottoman Empire. The classical age 1300-1600, London : Phoenix, 33-34.
Sultan Soliman le Magnifique (1494-1566)

B. L’administration ottomane

À son apogée, au XVIe siècle, les territoires de l'Empire englobent ce que sont
maintenant en Europe : la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, la Serbie, la Bosnie-
Herzégovine, le Monténégro, l'Albanie, la Grèce, la Bessarabie, l'Ukraine, la Crimée ; en
Asie, la Turquie, l'Irak, le Koweït, le Bahreïn, la Syrie, le Liban, la Palestine, la façade de
l'Arabie sur la mer Rouge, le Yémen, l'Oman ; en Afrique, l'Égypte, la côte du Soudan et de
l'Éthiopie, la Libye, la Tunisie, l'Algérie. L'espace maritime comprend le bassin oriental de la
Méditerranée (plus la partie orientale de l'Adriatique et de la mer Ionienne), le sud du bassin
occidental jusqu'aux frontières du Maroc, la totalité de la mer Noire et la quasi-totalité de la
mer Rouge, le sud-ouest de golfe Arabo-persique. La population est estimée à 22 millions
d'habitants, celle d'Istanbul, la capitale, à un demi-million, ce qui est considérable pour
l'époque. L'Empire ottoman n'est pas une entité monolithique, il rassemble des éléments
hétérogènes sans les fondre dans un moule unique. Les ethnies les plus diverses s'y côtoient,
sans discrimination. Les trois grandes religions monothéistes, dans leurs multiples variantes,
y sont représentées.
16
Page
Carte de l’expansion de l’Empire Ottoman au XVIe siècle.

Une fois les conquêtes achevées, l’Empire ottoman comprenait 32 wilayets, dont 24
étaient divisés en 279 sandjak. Mais cette organisation provinciale était, en fait, très
complexe. D’une part, le découpage était susceptible d’être modifié. D’autre part, il englobait
de circonscriptions plus réduites (sandjak, nâhiyat), dont la configuration était elle aussi
mouvante. Pour prendre des exemples dans Bilâd al-Châm, Hama et Homs formèrent d’abord
un seul sandjak (1527), puis deux (1568), dépendant de Damas, et furent ensuite rattachées
respectivement à Alep et à Tripoli (1578). Mais le sandjak de Homs, bien que rattaché à la
province de Tripoli, fut confié, à plusieurs reprises, au gouverneur de Damas. Saydâ, sandjak
de wilayet de Damas, en fut séparéd’abord temporairement, en 1614, puis définitivement
après 1660. Au XVIIIe siècle, Saydâ constituait un wilayet auquel fut rattachés les nâhiye de
Haïfa (en 1723) et de Mardj ‚Uyûn (à l’époque de Jazzar pacha)1.

Compte tenu de ces frortes différences qui existèrent localement, dès le début, dans
l’organisation administrative des provinces, compte tenu aussi de celles qui se développèrent
17
Page

1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 344.
progressivement ensuite, au fil d’une évolution historique très variée suivant les régions, nous
ne pouvons dresser un tableau global de l’administration provinciale que si nous restons à un
niveau de grande généralité. Avec cette réserve, nous povons considérer que l’administration
des provinces arabes reposa sur trois bases principales :

- Les gouverneurs (Wâli).


- Les juges (Qâdi).
- La milice des janissaires.

Un autre élément fondamental de cette organiation provinciale était l’administration


financière qui devait fournir les moyens nécessaires au fonctionnement de la province et
assurer le versement d’un surplus destiné au gouvernement central.

a. Les gouverneurs

Comme toutes les provinces de l’empire, la province de Damas(Wilâyet), d’Alep et


de Tripoli étaient confiées à des gouverneurs (Wàli) qui avaient rang de vizir et titre de
pacha.L’importance respectives des provinces avait naturellement des effets sur le statut de
ces gouveneurs. A titre d’exemple, la province d’Alep eut des titulaires de premier rang :
Muhammad Pacha Dûqakînzâde (1550-1552), qui fut un grand constructeur, avait étévizir du
sultan Sélim 1er et était apparenté à Soliman ; il fut ensuite pacha du Caire, comme plusieurs
gouverneurs d’Alep1.

Sur 148 gouverneurs de Damas, 21 atteignirent le rang de grand-vizir, 7 au XVIe


siècle, 12 au XVIIe siècle, 2 seulement au XVIIIe siècle, ce qui est dû, sans doute, au
développement de l’autonomie de la province2. La durée des fonctions des gouverneurs, qui
dépassait souvent trois ans au XVIe siècle, se réduisit sensiblement. Elle tombe de 47,9%
entre 1568 et 1574 à 10% entre 1632 et 16413. Cette pratique de remplacer les gouverneurs à
des intervalles rapprochés fut souvent aggravée par des convulsions politiques locales qui
eurent pour résultat une succession accélérée de pachas. Cette instabilité, qui était un des
signes et une des causes du déclin de l’empire ottoman, avait naturellement des effets
déplorables dans les provinces où les titulaires étaient tentés d’exploiter à outrance le pays

1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 349.
18

2
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 349.
Page

3
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 349.
pour se dédommager rapidement des sommes que leur avait coûtées leur nomination, et peu
enclins à promouvoir une politique dont les résultats n’auraient été sensibles qu’à longue
échéance.

Les attributions des pachas étaient très vastes. Ils étaient en théorie, investis de
l’autorité suprême dans les domaines civil et militaire : ordre et sécurité publique, collecte
des impôts et préparation du tribut destiné à la Sublime Porte et à l’administration générale.
Mais cette autorité était limitée :

- Par la précarité croissante des fonctions du gouveneur;


- Par les obstacles que le pouvoir sultanien avait disposés pour pallier les effets
d’une puissance excessive (le cas de Méhémet ´Ali en Egypte)
- Par la nomination directe des préposés de l’administration des finances, le
daftardâr ; le Qâdi, qui avait une large autorité sur les affaires judiciaires, et qui
pouvait communiquer directement avec la Sublime Porte, jouer un role de
contrepoids ; le commandement de l’odjak des janissaires était confié à un agha
nommé aussi par Istanbul ; le conseil- dîwân – était souvent dédoublé en
assemblée restreinte qui formait un groupe de pression.
- Par les groupes laissés en place et qui avaient dominés l’Etat avant la conquête et
qui constituaient un obstacle solide à la toute puissance de Wâli.

b. Les juges

L’institution judiciare ottomane était organisée suivant une hiérarchie au sommet de


laquelle se trouvaient le Cheïk el-Islam, qui avait un rang équivalent à celui de grand-vizir et
recevait comme lui, son investiture du sultan.

A l’origine, les nominations étaient faites à vie, mais la présence des juges dans une
même ville pour une période indéfinie présentait des inconvénients évidents. À partir du
XVIIe siècle, les postes de juges dans les capitales des provinces eurent donc un caractère
annuel, la nomination partant habituellement du début de muharram, premier mois de l’année
musulmane.

Les provinces étaient divisées en plusieurs ressorts judiciares. Damas avait quatre
19

cours de districts, en plus de la cour principale. Il en allait de même à Alep et Tripoli. Les
Page
juges de second rang étaient en général recrutés parmi les indigènes. Les juges jouaient un
rôle considérable dans la vie sociale, économique et même politique des provinces.

De l’étendue de leurs attributions les registres – daftar - des tribunaux – mahkama - ,


dont une quantité considérable ont été conservés dans presque toutes les provinces arabes,
donnent une idée impressionnante1. Pratiquement toutes les affaires concernant la population,
dans tous les domaines, pouvaient être évoqués devant ces cours :

- Le statut personnel (héritage, divorce...).


- La religion et les mœurs.
- Les affaires proprement judiciare (justice civile, affaires criminelles).
- Les questions concernant les activités économiques (transactions commerciales et
immobilières, organisation des corporations de métiers).
- Les problèmes liés à l’administration de la ville et à l’urbanisme, l’administration
des waqfs, etc.

Les influences des juges s’étendaient jusqu’au domaine politique. Les juges et un
certain nombre d’oulémas siégeaient dans les conseils qui assistaient les gouverneurs. Le
divan consultatif de Damas comprenait les pricipaux dignitaires de la province, aghas des
milices, daftardâr, juge, muftî. Ces divans avaient pour fonctions de conseiller le pacha, mais
il revenait plus particulièrement aux juges de s’assurer que les ordres envoyés d’Istanbul au
gouverneur étaient exécutés, dans le cadre de l’observance de la loi religieuse.

c. La milice des janissaires

L’autorité du sultan reposait largement sur la milice des janissaires, dont les unités,
dispersées dans toutes les provinces, contribuaient à assurer l’ordre intérieur. Il n’est pas utile
d’insister sur les principes qui présidaient traditionnellement au recrutement de cette troupe.
Dès 1577, dans un firman adressé au gouverneur de Damas, la Porte se plaignait de ce que les
places vacantes dans le corps des janissaires fussent données non à des jeunes capables et
braves de Roum, mais à des riches et fortunés indigènes et à des étrangers2.

1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 352.
2
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
20

Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 353. Nom francisé du principal
corps de troupe de l'Empire ottoman (Yeni Ceri, "nouvelle troupe"), dont la création se situe dans la seconde
Page

moitié du 15ème siècle, sous le règne du sultan Murat 1er (1362-1389). Le recrutement des janissaires, d'abord
effectué en prélevant un prisonnier de guerre sur cinq, se fait ensuite par le système de la devchirmé, ou
Les janissaires en parade Les Janissaire en armure

Chacune des provinces disposait d’une ou de plusieurs unités – orta – de l’odjak


des janissaires, identifiées par des numéros d’ordre. À Damas, ils étaient un millier au XVIe
siècle ; Alep, au XVIIIe siècle, trois ou quatre mille. Au total, trente-six grandes villes, en
1685, avaient 13793 janissaires en garnison1.

L’importance de plus en plus considérable du recrutement total transforma


progressivement, d’une manière profonde, le caractère de l’odjak des janissaires. Cette
évolution est remarquable à Damas. Dans cette province, comme ailleurs, les janissaires
n’avaient pas tardé à quitter leurs casernes, à prendre des métiers pour améliorer une solde
que la dévaluation de la monnaie avait dangereusement réduite. D’un autre côté, beaucoup
d’artisans et de marchands indigènes réussirent à se faire affilier au corps des janissaires pour
bénéficier de sa protection et profiter de ses immunités et privilèges.

Parallèlement aux changements qui avaient affecté, de l’intérieur, la structure


traditionnelle de la milice, qui avait été fortement « indigénisée », nous avons développé
l’utilisation de troupes locales, ce qui avait contribué à marginaliser les janissaires et à les
réduire, dans la plupart des cas, à un rôle assez secondaire.

ramassage de jeunes enfants dans les familles chrétiennes des Balkans ; élevés en milieu turc et musulman en
Anatolie, ces enfants étaient ensuite affectés à l'odjak des adjemi (littéralement, le "corps des débutants") de
21

Gallipoli, d'où ils passent dans l'armée.


1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVIe siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Page

Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 353.


d. La fiscalité

La perception des impôts, dans les provinces de l’empire, se faisait suivant le


système du fermage. Les unités fiscales (Muqâta‘a) étaient attribuées à des individus chargés
de lever le impôts, en général sur une base annuelle. Trois modalités furent utilisées : le
timâr, l’emanet et l’iltizâm.

1. Le timâr

Le timâr1 consistait, dans la majorité des cas, dans l’octroi d’une ou de plusieurs
catégories de revenus contre la prestation d’un service bien défini. L’institution du timâr est
considérée comme l’un de fondements du système militaire mais aussi socio-économique. Le
bénéficiare était révocable et la cure non héréditaire. Les cas de transfert de timâr de père en
fils étaient très rares Les obligations des timariotes dépendaient du revenu annuel du timâr.
La première concernait l’armement du timariote, fixé en fonction de son revenu ; la seconde
regardait, toujours en fonction de ce revenu2. L’administration pouvait transférer un timariote
d’une cure à une autre ou le casser de sa cure pour des motifs divers :

- non accomplissement du service militaire ;


- trahison ;
- délits d’ordre pénal ;
- mauvaise lecteure du livre sacré ;
- mis à la retraite ou exploitation injustifiée de biens non inscrits dans le bérat de
nomination ;
- en raison du bon plasir des autorités3.

Au niveau structure, le timâr se divise normalement en deux parties : réserve


timariale et droits et redevances versés par les Raïas. La réserve timariale consiste, suivant la
région, dans une ou plusieurs tenures, champs labourables, vergers, potages, moulins,

1
Le terme timâr, d’origine persane, signifie « soigner, prendre soin de quelque chose ». L’institution du timâr
est d’origine pré-ottomane ; chez les Ottomans, l’attribution d’un timâr entraîne pour son détenteur, outre
l’obligation du service de guerre, celle de la mise en valeur de son timâr et la perception des revenus et taxes
qui y sont liés.
2
BELDICEANU Nicoara , 1989. “L’organisation de l’Empire Ottoman», in MANTRAN Robert, Histoire de
l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 117 - 138. BELDICEANU 1989 : 128 ; KHALIFE Issam, 2000. Al-Dara’eb
22

al- ‘Ousmaniyat fi al-qaren al-Sadess, Beyrouth, KHALIFE 2000 : 16-33.


3
COLLOQUE DE ROME = STRUCTURES FEODALES ET FEODALISME DANS L’OCCIDENT
Page

MEDITERRANEEN X-XIIIe siècles (10-13 octobre ; Rome) 1980. Le timâr dans l’Etat ottoman (XIV-XVe
siècles), Rome, Ecole française de Rome, 743-753. COLLOQUE DE ROME 1980 : 747.
fouleries, madragues, etc1. Mais si le timariote avait la jouissance des impôts versés par les
contribuables, cela signifie nullement qu’il avait un droit particulier sur les terres des Raïas ;
celles-ci étaient la propriété de la Porte.

Sur le plan typologique, plusieurs classements sont possibles du timâr. D’après le


service dû par les bénéficiares, nous pouvons distinguer deux grandes catégories :

- Les timârs militaires;


- Les timârs civils

Les timârs militaires se divisent en trois sous-catégories :

- Les timârs concédés contre le service militaire.


- Les timârs militaires alloués à des soldats assurant la garde des forteresses.
- Les timârs concédés à des marins.

Les timàrs civils pouvaient être accordés à :

- Des gardiens de nuit dans une ville.


- Aux chefs des écuries impériales.
- Aux muhtessib.
- Aux Qâdi.
- Aux gardes forrestiers.
- Aux Imâms.
- Aux prédicateurs du venderdi (Khatib).
- Aux Muezzins.

Un autre classement peut être opéré d’après la nature du revenu fiscal. Il convient
de rappeler tout d’abord un trait caractéristique du système fiscal ottonman. Les impôts
étaient divisés en deux grandes catégories :

- Les droits prélevés en vertu du droit religieux.


- Les droit prélevés en vertu du droit coutumier.

Suivant le type de timâr, le bénéficiare percevait les deux catégories à la fois ou


uniquement l’une d’entre elles.
23
Page

1
BELDICEANU Nicoara, 1976. Le monde ottoman des Balkans (1402-1566) : institutions, société, économie,
Paris, 237.
- Le timâr intégral caractéristique au système ottoman
- Le timâr de type divani. Le bénéficiaire ne percevait que les droits coutumiers.
- Le timâr composé des droits Cha‘iyé1 . Le timariote ne jouissait que des droits
religieux, c’est-à-dire de la dîme, mais ce genre de timars est exceptionnel.

Le critère du timâr est constitué par le montant du revenu annuel. Le revenu variait :

- Les timariotes ordinaire de quelques centaines d’akçes à 14.000 akçes.


- Subachi, il jouissait de revenus qui évoluaient entre 14.000 et 132.000 akçes.
- Sangaqbeg, variait entre 300.000 et 467.000 akçes.

Le timâr de type intégral jouissait de la faveur de l’administration de la Porte,


tandis que le timâr de facture divani est une institution qui existait en dehors des provinces
arabes (Anatolie).

24
Page

1
COLLOQUE DE ROME 1980 : 750.
Source : KHALIFE 2000 : 29.

2. L‘emanet

L’emanet consistait dans la collecte des impôts par un préposé (emîn) qui versait la
totalité des sommes perçues à la Trésorerie, moyennant un salaire (ulûfe).

3. L‘iltizâm
25

Avec l’iltizâm, le fermier (multazim) achetait, pour une somme déterminée et pour
Page

une année, une muqâta‘a , se chargeait des tâches administratives et gardait le surplus
éventuel. La plupart des provinces arabes connurent ces différentes formes d’administration
fiscale, mais dès la fin du XVIIe siècle, le système de l’iltizâm était le plus communément
utilisé1. Ses avantages étaient évidents :

- Assurer à la Trésorerie des sommes fixes, sans l’obliger à mettre en place une
administration.
- Permettre de réviser périodiquement les conditions du fermage.

Son principal inconvénient venait de la précarité de la concession qui détournait le


titulaire d’entreprendre des efforts de développement à long terme. Aussi nous assistions
progressivement à une consolidation de l‘iltizâm sur la base du maintien de la concession
aussi longtemps que son titulaire s’acquittait de ses obligations envers la Trésorerie
impériale. Cette évolution, qui préparait le passage vers l’hérédité des concessions, aboutit à
partir de la fin du XVIIe siècle, sous la forme du malikâne. C’est dans le domaine des taxes
sur les personnes qu’apparaît la principale différence entre les régimes fiscaux des re‘âyâ
musulamns et non musulmans. Les libanais non musulmans s’acquittaient en sus une
capitation distinctive, la djizya (ou kharâdj), le plus souvent perçue directement au bénéfice
du Trésor et comprtant plusieurs taux, en fonction des capacités du contribuable. Par ailleurs
les zimmî étaient soumis à une autre taxe l‘ispendje en général 25 aspres au XVIe siècle2.

1
RAYMOND André, 1989. “Les provinces arabes (XVI e siècle - XVIIIe siècle) », in MANTRAN Robert,
Histoire de l’Empire ottoman, Paris : Fayard, 341-420. RAYMOND 1989 : 357.
26

2
VEINSTEIN Gilles, 1989. “L’empire dans sa grandeur (XVIe siècle) », in MANTRAN Robert, Histoire de
l’Empire ottoman, Paris : Fayard 159-226. VEINSTEIN 1989 : 212 ; KHALIFE 2000 : 83-150.
Page
Source : KHALIFE 2000 : 120.

C’est ainsi que, au sein de la montagne où la coutume régissait les biens et les
personnes, la plupart des terres étaient mulks. Les émirs, soumis à l’investiture et au tribut,
pouvaient ausi instituer des taxes douanières ; ils avaient leur armée, leur drapeau.
27
Page
e. Les Capitulations

Parmi les forces qui jouaient au Liban un rôle pondérateur, atténuant les rigueurs
ottomanes et aidant à protéger les autonomies régionales, les privilèges de personnes ou de
communautés, il faut compter au premier rang les Capitulations.

En effet, le droit islamique est un droit révélé, transmis à la communauté des


croyants par le prophète Muhamed. Il repose principalement sur le Coran et la tradition des
interprétations attribuées à Muhamed. Il tire donc sa légitimité de la religion, y compris le
droit public. Dans ce système juridique, la communauté des croyants tient lieu de l'Etat. Nous
pouvons dès lors se demander quel est le statut réservé au non-musulman, lequel « n'est
qu'impureté »1. Autrement dit, si, étant en dehors de la religion, il est aussi en dehors du
droit? La réponse à cette question est ambiguë. Nous estimons, avec raison, que l'Islam a fait
preuve de tolérance en accordant un statut au sujet non-musulman, celui de protégé
(dhimmi)2. Il s'agit toutefois d'un statut inférieur, soumis à de nombreux interdits et l'un des
objectifs des puissances qui à partir du XVIe et surtout du XIXe siècle, était de parvenir à la
protection des Chrétiens de l'Empire ottoman, via celle des étrangers et du catholicisme. C'est
de fait une forme de souveraineté, et qui en outre donne une légitimité supplémentaire vis-à-
vis des autres Etats chrétiens.

Les chrétiens étrangers (Vénitiens, Génois, Ragusiens Moldaves, Valaques,


Polonais Moscovites) d’implantation plus au moins ancienne selon les cas et les nouveau
venus de l’Europe Ouest qui participèrent au commerce de l’Empire ottoman étaient l’objet
d’une protection pariculière. Sous l’effet de l’alliance politique et militaire entre Soliman et
François Ier, de premières Capitulations furent négociées en 1536 entre Ibrâhîm Pacha et
l’ambassadeur Jean de la Fôrêt, mais elles ne semblent pas avoir été ratifiées.

AU NOM DE DIEU TOUT- PUISSANT soit manifeste à un chacun, comme en


l'an de Jésus-Christ mil cinq cent trente et cinq, au mois de février, et de
Mahomet neuf cent quarante-un en la lune de [...], se retrouvant en l'inclite
cité de Constantinople, le sieur Jehan de La Forest, secrétaire et
ambassadeur de très excellent et très puissant prince François, par la
grâce de Dieu, roi de France très-chrétien, mandé au très puissant et
28

1
Coran IX : 28.
2
Statut qui ne fut d’abord concédé qu’aux « gens du livre » chrétiens et juifs puis étendus, avec l’extension du
Page

Dar el-Islam, à d’autres religions. Voir FATTAL A., 1958. Le statut légal des non-musulmans en pays d’Islam,
Beyrouth.
invincible Grand Seigneur, sultan Soliman, empereur des Turcs, et
raisonnant avec le puissant et magnifique seigneur Ibrahim , cherlesquier
soltan (c'est lieutenant général d'exercite) du Grand Seigneur, des
calamités et inconvénients qui adviennent de la guerre, et au contraire du
bien, repos et sûreté qui procèdent de la paix, et par ce connaissant
combien l'un est de préférer à l'autre, se fait chacun d'eux fort des susdits
seigneurs leurs supérieurs, au nom et honneur desdits seigneurs, sûreté
des états et bénéfice de leurs sujets, ont traité et conclu les chapitres et
accords qui s'ensuivent.
Premièrement, ont traité, fait et conclu, traitent, font et concluent, bonne et
sûre paix et sincère concorde au nom des susdits Grand Seigneur et roi de
France, durant la vie de chacun d'eux, et pour les royaumes, seigneuries,
provinces, châteaux, cités, ports, échelles , mers, îles et tous les lieux
qu'ils tiennent et possèdent à présent et posséderont à l'avenir, de manière
que tous les sujets et tributaires desdits seigneurs qui voudront, puissent
librement et sûrement, avec leurs robes et gens, naviguer avec navires
armés et désarmés, chevaucher, venir, demeurer, converser et retourner
aux ports, cités et quelconques pays les uns des autres, pour leur négoce,
mêmement pour fait et compte de marchandise.
Item. Que lesdits sujets et tributaires desdits seigneurs pourront
respectivement acheter, vendre, changer, conduire et transporter par mer
et par terre d'un pays à l'autre toutes sortes de marchandises non
prohibées en payant les accoutumées et antiques daces et gabelles
ordinaires seulement, à savoir, les Turcs au pays du Roi comme payent les
Français, et lesdits Français au pays du Grand Seigneur comme payent les
Turcs, sans qu'ils puissent être contraints à payer aucun autre nouveau
tribut, imposition ou angarie .
Item. Que toutes fois que le roi mandera à Constantinople ou Péra et
autres lieux de cet Empire un baille , comme de présent il tient un consul
en Alexandrie, que lesdits bailles et consuls soient acceptés et entretenus
en autorité convenante, en manière que chacun d'eux en son lieu et selon
leur foi et loi, sans qu'aucun juge, cadi , sousbassy , ou autre en empêche,
doive et puisse ouïr, juger et terminer tant en civil qu'en criminel toutes les
causes, procès et différends qui naîtront entre marchands et autres sujets
29

du roi. Seulement et au cas que les ordonnances et sentences desdits


Page

bailles et consuls ne fussent obéies, et que pour les faire exécuter ils
requissent les sousbassy ou autres officiers du Grand Seigneur, lesdits
sousbassy et autres requis devront donner leur aide et mainforte
nécessaire, non que les cadis ou autres officiers du Grand Seigneur
puissent juger aucuns différends desdits marchands et sujets du roi,
encore que lesdits marchands le requissent, et si d'aventure lesdits cadis
jugeaient, que leur sentence soit de nul effet1.

Par contre, les Capitualtions de 1569 jetèrent les bases juridiques de la présence
française dans le Levant: les sujets du roi acquitteraient les taxes ordianires selon les
coutumes ordinaires d’entrée et seraient placés sous la protection de leur ambassadeur et de
leurs consuls établis à Istanbul, Alexandrie, Tripoli et Alger 2. Au Liban, la signature des
Capitulations mit fin au monopole du transit avec l’Europe que s’étaient arrogés les Vénitiens.
Jean Reynier, premier consul français établi au Levant, prit son poste à Tripoli en 1548 et, en
1550, les provencaux développèrent leurs affaires dans cette ville. Pourtant, la présence des
Ottomans entraînaient généralement une régression de l’économie du Liban. Beyrouth en
premier, les ports périclitèrent, tandis que le transit entre l’Europe et l’Asie mineure fut
détourné vers des ports syriens et des villes comme Alep, Homs ou Hamâ.

Après le renouvellement des Capitulations en 1569, le courant reprit un peu avec la


France, puis avec d’autres pays européens (la Russie, l’Autriche, etc.). Une petite
communauté juive, renforcée des éléments venus d’Espagne, en profita et anima l’artisanat,
particulièrement la fabrication de la poudre et des armes à feu.

Subsidiairement, parmi les libertés concédées aux Français, prit place la liberté
religieuse : afin qu’elle fut effective, la France obtint la garde des Lieux saints. Peu à peu,
d’extensions en extensions, ce pays s’érigea en protecteur non seulement de tous ses
ressortissants chrétiens, commerçants ou missionnaires capucins ou jésuites qui se
multiplièrent à partir de 1578, mais des chrétiens autochtones3. La condition des chrétiens du
Liban resta dominée par plusieurs phénomènes. Ces les maronites qui profitèrent le plus des

1
Sources d’histoire de la France moderne, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, Paris, Larousse, 1994, p. 188.
2
VEINSTEIN Gilles, 1989. “L’empire dans sa grandeur (XVIe siècle) », in MANTRAN Robert, Histoire de
30

l’Empire ottoman, Paris : Fayard 159-226. VEINSTEIN 1989 : 222.


3
HOKAYEM Antoine, 2001. “Al-Himayat aal-Faranciyat lil-Aqaliyât Gheir al- Muslimat fi al-sultanet al-
Page

‘Outhmaniyat”, in PAHL, Minorités et nationalités dans l’Empire ottoman après 1516, Fanar, 33-51. P.
HOKAYEM 2001 : 40.
Capitulations, à la suite de la négociation menée par le savant maronite Assém‘âni auprès du
roi de France, dont il reclama la protection spéciale pour ses coreligionnaires.

Grâce à cet appui, le patriarche maronite échappa à l’investiture des Ottmans. Il


continua d’être élu par le clergé, et, encore à l’époque, par l’ensemble du peuple. D’autre,
nous assistons à une certaine latinisation du rite à l’occasion du concile tenu à Qanoubin les
15 et 16 août 1580, d’un synode libanais en 1596, et de la multiplication des échanges et des
contacts entre le Vatican et le patriarcat : Grégoire XII fonda à Rome, en 1584, le Collège
oriental, où furent aussitôt formés une vingtaine de jeunes clercs maronites. Cette latinisation
se poursuivit, sous le patriarche Sim‘ân (jusqu’en 1524), puis sous Moussa al-‘Akkâri (de
décembre 1524 à 1567), et sous Michel Risi ( de mars 1567 à septembre 1581). Le père
Jérôme Dandini acheva la réforme latine du baptême1.

Par ailleurs, les Capitulations s’étendaient à toutes les autres communautés


chrétiennes du Liban. Les Orthodoxes prirent la protection de la Russie, avec Pierre Le Grand
et surtout après la signature du traité de Constantinople de 1700 et celui de Belgrade en 17392.
Cette protection se confirma à la suite du traité de Kutchuk Kaïnardji signé le 21 juillet 17743
qui mit fin à la guerre russo-turc, reconnaît à l’Empire russe un droit de protection des
peuples chrétiennes de l’Empire ottoman. Àla suite de ce traité, La Russie devint en outre
protectrice des orthodoxes de l'Empire ottoman. Les îles grecques qui étaient passées sous
contrôle russe lors du conflit sont exonérées d'impôts. Un certain nombre de marchands et
armateurs grecs (d'Hydra par exemple) se placèrent sous la protection russe et font battre
pavillon russe à leurs navires. Ils commencèrent ainsi à faire fortune et préparèrent, sur les
plans financier et naval, la guerre d'indépendance grecque. De plus, ce traité permit à la
Russie d'intervenir dorénavant pour la protection des Moldaves et Valaques, ainsi que de
parler en leur nom.

1
Voir DANDINI Girolamo, 1675. Voyage du Mont-Liban, Paris : Louis Billaine.
2
Le Traité de Constantinople de 1700 mit fin à la Guerre russo-turque de 1686-1700. Il fut signé un an après le
Traité de Karlowitz, qui marque la défaite de l'Empire ottoman lors de la Deuxième guerre austro-turque (1683-
1699).
3
Voir ABOU AL-ROUSS Souad, 2001. “ Al-Roum al-Orthodoxe wa Himayat al-diniyat al- roussiyat fi al-
qarneïn al-thamen ‘Achar wa tase’ ‘achar”, in PAHL, Minorités et nationalités dans l’Empire ottoman après
1516, Fanar, 53-66 ABOU AL-ROUSS 2001 : 58. Le traité de Küçük Kaynarca (ou traité de Koutchouk-
31

Kaïnardji ou Kutchuk-Kaïnardji) est un traité de paix conclu entre la Russie et l'Empire ottoman le 21 juillet
1774. Il met fin à la guerre russo-turque de 1768-1774 qui vit le soulèvement d'une partie de la Grèce et
Page

l'expédition des frères Orloff. Ce traité est un des plus défavorables signés par les Ottomans. Il fut signé à
Koutchouk-Kaïnardji, aujourd'hui Kaïnardja, en Bulgarie.
Chapitre III : L’Imarat du Liban au XVIe siècle

L’histoire moderne du Liban est forgée à l’époque des Emirs, qui s’étendait du XVIe
siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle. Durant cette période les diverses communautés et
groupements humains de la Montagne, qui vivaient jusque-là isolés et repliés sur eux-mêmes,
éprouvèrent la volonté et le besoin, de vivre ensemble sous la poussée de l’évolution et de la
menace, afin de protéger leurs intérêts collectifs et de leurs libertés.

A. Le cadre géographique de l’Imarat

Le Liban comme un « être historique » doit surtout son existence politique à sa


nature de Montagne1 et à sa situation géographique : « La force géographique a transformé le
Liban en force politique […] ». Il est une montagne, et il est un carrefour mondial de
rencontre et de passage : « Aucune terre ne semblait mieux adaptée que ces montagnes
abruptes, profondément ravinées, cloisonnées, compartimentées par les agents
atmosphériques, pour servir d’asile aux minorités, aux croyances opprimées ». « Deux
circonstances, en apparence contradictoires, définissent cet espace : il s’agit d’un réduit ayant
toutes les caractéristiques d’une forteresse, mais cet en même temps une zone de passage […]
un carrefour naturel des routes internationales […] Cette montagne est un réduit politique et
militaire, générateur d’indépendance, mais par un développement naturel, elle est en outre
devenue un refuge religieux puis un refuge fiscal […]. Des enclos préparés par la nature
esquissés au moins par des hauteurs sont nécessaires pour assurer la stabilité d’une
communauté particulière, la résistance d’une vie locale à l’abri des convoitises et des attaques.
La nature au départ ne l’a guère comblé. En effet, les avantages du nombre ou de l’espace lui
ont été refusés ».

Dans l’antiquité, cette montagne protégeait les ports phéniciens et leur servait de
rempart. Elle s’est transformée par la suite en une forteresse refuge. Sous Byzance et de tout
temps, constate Volney « ces montagnes étaient devenues l’asile des mécontents ou des
rebelles qui fuyaient l’intolérance des empereurs et de leurs agents ».
32
Page

1
Voir CHARAF Jean, 1996. 217-294.
B. La société du Mont-Liban au XVIe siècle

La Montagne du Liban offrait à l’habitat des zones distinctes, tout en n’étant pas
isolées, ce qui contribua à la répartition des communautés entre des secteurs géographiques
qui porteront leur cachet, sans exclusion des autres.

Ainsi, les Druzes dominaient dans le Chouf, le Gharb, Metn et dans le Wadi al-
Taym, berceau de la prédication de leurs missionnaires, où ils se sont répandus aux dépens
des Chi‘ites, surtout à l’époque des Mameloukes1. Les Chi‘ites représentaient une portion
importante de la population ; ils dominaient dans le Sud (Jabal ‘Amel) et le Nord de la
Béqâ‘ (Hermel Baalbek). Les maronites étaient concentrés surtout dans la partie nord du
Mont-Liban d’où ils s’étaient répandus dans la région de Jbeïl et dans la région de Kisrwan.
Les Melkites, majoritaires dans le Koura, bénéficiaient des garanties que les sultans avaient
consenties au patriarcat œcuménique du Phanar à Istanbul.

D’une manière générale, les plaines, riches et ouvertes, étaient sous la mainmise
directe des Ottomans, comme, avant eux, des Mamelouks.

Source : MAKKI 2006 : 322-324.

C. Les divisions administratives des territoires conquis

Les autorités ottomanes à la fin des conquêtes, étaient conscientes de l’importance de


la situation géographique du Proche-Orient. Elles sentirent le danger que cela pourrait
représenter, si elles venaient à former un seul bloc uni, sous l’autorité d’un seul Gouverneur
fort. Elles décidèrent d’entamer la division de l’Empire en wilayets ou gouvernements
généraux, et en sandjak ou gouvernements de districts. En réalité, les provinces de l'Empire
ottoman étaient des divisions administratives fondées sur l'administration militaire et civile
ainsi que les fonctions exécutives. La mise en place de l'organisation administrative s'est
33
Page

1
Boutros Dib 311.
déroulée en deux phases. La première est liée à la construction de l'Empire et a évolué avec
sa montée en puissance. La seconde est due aux vastes réformes administratives de 1864 et
s'est terminée avec la dissolution de l'Empire.

Le Liban dans ces limites actuelles se voyait rattacher à deux wilayets : wilayet de
Tripoli au nord et wilayet de Damas à l’est. Celui de Tripoli comprenait l’actuel du Liban-
Nord, avec les nâhiyats de :‘Arqâ, ‘Akkar, Zawiyat, Bcharré, la ville de Tripoli, Koura,
Batroun, Jbeïl, Ftouh Bani Rahal et al-Manâssef, ainsi que les régions de Homs, Hama et la
côte 1 . Quant à celui de Damas, il avait dans sa dépendance les sandjaks de Beyrouth
(Beyrouth, Kisrwan, Metn, Ghareb), de Saïda (Saïda, Chouf Ibn Ma‘en, Iklim al-Kharoub,
Iklim al-Toufah, Iklim Jezzine) et de Safad (‘Arqoub, Wadi al-Taïm, Cheqif et Tibnine),
Baalbek, Karak Nouh, Chouf al-Bayada et Chouf al-Hradin.

D. La fondation de l’Imarat Ma‘enite

La fondation de l’Imarat Ma‘enite par Fakher Eddine Ier, puis l’histoire de l’attaque
dans le territoire des Saïfa d’une caravane ottomane transportant vers Constantinople le
produit des impôts levés en Egypte n’ont pas de fondements historiques bien réels. Ces deux
versions restent du domaine de l’apologie historique, fondées par Ahmad Haïdar al-Chihabi2
et Tanous al-Chidiac3. En effet, pour ces deux historiens, les ottomans attribueront à Fakher
Eddine Ier Ma ‘an4 le titre de roi de la Terre, de grand émir. Si le titre n’est pas héréditaire, le
succès des Ma‘en fut d’avoir réussi à imposer que le grand émir soit toujours élu dans la
même famille, la leur, et d’avoir obtenu, chaque fois, l’investiture des Ottomans. Pendant
longtemps, les historiens libanais crurent à cette version de la fondation de l’Imarat Ma‘enite.
Les historiens libanais contemporains commencent à nier l’existence de Fakher Eddine Ier
comme un être historique existant5.

Quant à l’attaque dans la baie de Joun ‘Akkar d’une caravane ottomane, alors qu’elle
traversait le territoire des Saïfa, cet épisode fut relaté par le patriarche Doueihy dans son

1
Homs et Hama furent rattachées dans la province de Damas pour récompenser le gouverneur mamelouk el-
Ghazali. Après sa rébellion contre Soliman Le Magnifique, les deux Sandjaks furent de nouveau rattachées à
Tripoli.
2
CHIHABI Ahmad Haïdar, 1969. Le Liban à l’époque des Emirs Chéhabs, Beyrouth : Université Libanaise.
34

3
4
Pour Doueihy, ce fut l’émir Qorqomas le fils de l’émir Younes Ben Ma‘an qui se présenta avec une délégation
Page

libanaise devant le Sultan Selim Ier


5
MALLAH ‘Abdallah, 2004. Fakher Eddine al-Awal : Haqiqa aw Oustoura,
ouvrage Tarikh al-Azminat1 et par Issa Iskandar al-Ma‘louf2. La version de cette attaque mit
le bédouin Foraïkh, auteur de l’agression et les Saïfa, manifestement de connivence qui
tentèrent de détourner la fureur des Ottomans vers le grand émir Qorqomas qui commença la
quatrième année de son règne et qu’ils accusèrent d’être l’instigateur du crime.

Dans ce contexte, la seule évidente historique, scientifiquement approuvable, reste


la réaction fulgurante et sanguinaire des autorités ottomanes en 1585 contre la Montagne du
Liban.

a. La campagne d’Ibrahim pacha de 1585


Nous pouvons à l’état actuel des documents historiques classée la campagne de
1585 dans la catégorie des campagnes punitives menées par les autorités ottomanes contre le
Chouf de Ibn Ma‘en depuis 1523 et ce jusqu’à 1585, date de la dernière campagne punitive
d’Ibrahim pacha contre l’émir Druze Qorqomas3. Les documents de l’Empire ottoman relatifs
au XVIe siècle expliquent les causes réelles de ces campagnes punitives contre le Chouf de
Ibn Ma‘en. En réalité, la période allant de 1554 à 1573 se caractérise par 4 facteurs
principaux :
1. La décision prise par les Druzes de ne plus payer les impôts aux autorités
ottomanes.
2. L’attaque régulière des collecteurs d’impôts.
3. L’échec de certaines campagnes (La défaite des ottomans à ‘Ayn Dârâ en 1565
et 1570 à Kfar Silwân).
4. La faiblesse politique et militaire de Wali Damas qui se manifesta par
l’impossibilité de collecter les impôts et de ramasser les armes de la Montagne.
Pour tous ces facteurs, la situation dans la Montagne demeura instable jusqu’à 1585 ; date à
laquelle Ibrahim Pacha mena une campagne dévastatrice contre les Druzes de la Montagne.
Sous prétexte de leur permettre de su justifier, les Ottomans convoquèrent les émirs druzes à
‘Ayn Sofar, où ils furent tous massacrés, sauf l’émir Qorqomas qui résista, mais devait
bientôt s’enfuir avec ses fidèles et chercher refuge en haute montagne. Les troupes ottomanes
l’y poursuivirent et s’emparèrent du château de Chaqif Tiroun, (château de Beaufort) où il
s’était retranché. Qorqomas se sauva plus loin et plus haut. Il trouva refuge au fond d’une
35

1
2
MA‘LOUF ‘Issa Iskandar, 1934. Histoire de l’Emir Fakher-Eddine al Ma‘eny prince du Liban (1590-1635),
Page

Jouneih : Imp. Des PP. Missionnaires Libanais. MA‘LOUF 1934 : 41-42.


3
CHARAF 1996 : 174-187.
grotte, où, finalement rattrapé par ses ennemis, il mourra enfumé. La mort et la destruction
couvrirent toute la Montagne ; plus de 24 villages détruits et incendiés. Le village de ‘Ayn
Dârâ et ses régions furent totalement démolis, les habitants druzes exterminés1.

b. L’avènement de l’émir Fakher Eddine II


Ce fut la ruine chez les Ma‘en, et elle serait décisive, si au moment même où
Qorqomas mourut dans sa grotte en 1585, une révolte éclata en Egypte, détournant Ibrahim
Pacha de la curée. Les Turcs, qui cherchèrent les fils de Qorqomas, dévastèrent encore le
nord du Liban et précisément le village d’Ehden, mais finalement, les croyants morts,
abandonnèrent la partie. La mère des deux enfants, Sitt Nassiba, une Tannoukh, femme
supérieure, les confiait alors secrètement à la garde d’un éminent Cheikh maronite Abou
Nader Khazen. Cachés dans la montagne et protégés par les Khazen et tout son clan, Younès
et le jeune Fakher-Eddine furent alors confiés au lettré maronite Chaïban.

Lorsque, profitant de l’accalmie qui suivre, leur mère les remettra enfin à leur
oncle, l’émir Saïf Eddine Tannoukh, ce passé ne sera jamais oublié ; le futur Fakher-Eddine
homme d’études autant que doué pour les combats, retiendra auprès de lui les sages Khazen
et Chaïban. Ce fut entre eux deux et sa mère que Fakher-Eddine II, sous la régence de son
oncle Tannoukh qui gouverna le Chouf en son nom, apprit peu à peu son métier de prince2.

Les Tannoukh, qui avaient été déportés à Constantinople, profitèrent de la situation


pour reprendre quelque crédit, se justifier et en revenir renforcés de leur exil. La longue
régence de l’émir Tannoukh, qui dissimulait aux yeux des Ottomans le petit Fakher Eddine II
se termina en 1598. Il fallait ce laps de temps pour que les Turcs oubliaient ou pardonnaient,
qu’ils acceptèrent d’investir Fakher-Eddine II, âgé de vingt-six ans, comme grand émir du
Liban et successeur de son père Qorqomas.

Pour reconquérir son royaume, Fakher Eddine II élabora secrètement un plan à cinq
niveaux :
1. Intérieur
2. Militaire
3. Extérieur
36
Page

1
CHARAF 1996 : 185.
2
MA‘LOUF 1934 : 46-48.
4. Commercial
5. Elargissement de l’Imarat

1. La politique intérieure de Fakher-Eddine II


Dans un Liban divisé en communautés confessionnelles multiples et parfois rivales,
se montrer sans sectarisme l’ami de toutes, telle fut la règle de conduite que se donna Fakher-
Eddine II. Il lui fallait agir avec prudence et ménager les Ottomans dont ses ancêtres avaient
sous-évalué l’efficacité militaire. Il lui fallait aider les Turcs et ne pas hésiter à se retourner
contre un vassal récalcitrant ; et il lui fallait surtout dissimuler son objectif final : le
rétablissement de l’autonomie. L’émir était servi par une intelligence brillante, un courage à
toute épreuve, un sens du réel entretenu par les traditions de la Montagne et renforcé par une
enfance passée sous le signe de l’adversité, une habileté1.

Les principes directeurs de la politique intérieure de Fakher Eddine II peuvent se


résumer ainsi :
- Restaurer le trône et le prestige de la famille Ma‘en.
- Récupérer les régions de leur mouvance directe.
- Etablir une ceinture de positions avancées protectrices du Chouf.
- Acquérir des régions qui garantissent une liaison permanente avec ses alliés
féodaux notamment les Khazen du Kisrwan, Abillama‘ du Metn et les Chéhab du
Wadi al-Taym.
- Créer une armée forte qui soit à la hauteur des missions auxquelles elle allait être
appelée.
- Faire prospérer l’économie afin d’élever le niveau de vie du peuple et s’assurer des
ressources suffisantes pour financer les grands projets politiques et militaires qu’il
méditait2.
Pour diriger une action efficace, Fakher Eddine II se distingua par le choix de ses
auxiliaires. Il ne s’inquiéta point de leurs origines, ni surtout de leurs convictions religieuses.
Ce sont la compétence et les services rendus qui comptent d’abord pour lui. Son principal
émissaire auprès de la Porte était Moustafa Chalabi, d’origine étrangère. Haje Kiwan, un
ancien chef janissaire, fut pendant plusieurs années son lieutenant et son conseiller. Houssein
Yazigi dut le sirdar des ses sokmans (Chef de l’armée). Ces personnages ont été gardés à son
37
Page

1
DIB 2006 : 331.
2
DIB 2006 : 332-333.
service tant qu’ils restèrent fidèles et dévoués. Abou –Nader el-Khazen fut son fidèle
confident sans aucune défaillance. Le juif Abraham Nacmias était gérant de la caisse privée
et l’Emir ne trouvait aucun inconvénient à lui donner le titre de « cher ami »1.

2. La puissance militaire
L’armée de Fakher Eddine II était composée de deux éléments : les recrues
libanaises et les mercenaires sokmans2. Pour le recrutement des libanais, l’Emir tenait des
registres où étaient inscrits les noms de tous ses sujets et ce, tant pour la conscription que
pour la perception des impôts.
Quant aux sokmans, l’Emir s’en était servi et a eu largement recours à eux. Ce
recours aux mercenaires, d’une part, de sa politique d’alliance et d’entente avec certaines
puissances européennes, d’autre part, s’expliquent par sa pauvreté en hommes et en
territoires.
Les sokmans, soldats de métiers étaient l’armée permanente de Fakher-Eddine II. Ils furent
attirés au service de l’Emir libanais par sa bonne administration qui leur assurait la solde
large et la paie régulière3.
Ces troupes, qui avaient leurs usages propres et un habillement spécial, étaient
réputées pour leur courage guerrier. Après la bataille, elles se partageaient équitablement le
butin ou le produit de sa vente. Cette armée de Fakher Eddine II était surtout dépourvue
d’artillerie ; c’est pourquoi le grand souci de l’Emir était de l’en pourvoir. Après le retour
d’Italie et l’engagement des techniciens florentins, cet état a dû s’améliorer en ce qui
concerne notamment l’équipement, les armes et le ravitaillement.
Au début du règne de Fakher-Eddine II, l’effectif de l’armée fut estimé à quarante mille
hommes régulièrement payés. Ses ressources financières, dues à l’état prospère de son pays,
surtout de l’agriculture et du commerce, lui permettaient l’entretien assez coûteux de cette
armée. Il faut ajouter à cela le tribut qu’il levait au cours de ses campagnes. « la guerre
nourrit la guerre », disait Caton l’Ancien.
La paie du soldat était de trois écus par mois avec une partie de la nourriture. Ceux qui
tenaient garnison dans les forteresses laissaient leurs familles à la charge du prince. Le
38

1
CHEBLI Michel, 1984. Fakhereddine II Maan Prince du Liban (1572-1635), Beyrouth : Lib Orientale.
CHEBLI 1984 : 32.
Page

2
Le mot persan sokman ou sokban, veut dire “gardien de chien à la chasse »
3
CARALI 1992 : 73 ; CHEBLI 1984 : 33 ; CHARAF 1996 : 266-270.
cavalier avait droit au cheval et à un serviteur. Les gradés étaient encore plus largement
payés1.

3. La politique extérieure
Sur le plan des relations extérieures, faute de pouvoir nommer des ambassadeurs en
titre, l’Emir désignait pour le représenter des délégués résidents ou itinérants. Auprès de la
Sublime Porte, c’était Moustafa Chalabi ; il confiait aussi parfois des missions au Haje
Kiwan, apparenté à Chalabi qui le suivra dans la disgrâce. Auprès du chah de Perse, il
commit un uléma Chi‘ite, le cheikh Lutfallah al-Maysi al-‘Amili. Les affaires européennes
furent confiées à un prélat maronite Mgr Georges Maroun archevêque de Chypre et originaire
d’Ehden2 qui était efficacement secondé par la pléiade du Collège maronite de Rome, fondé
en 1584. Mgr Maroun obtint du Pape Urbain VIII, qui succéda en 1622 à Paul V, une lettre
datée du 20 octobre 1623, adressée à Philippe IV d’Espagne. Au juif Abraham Nahmias, il
confia l’administration de sa caisse privée ; il l’utilisait aussi dans ses négociations avec
l’étranger.
Sur le plan régional, Fakher Eddine II se mit en relation avec le wali d’Alep ‘Ali
Joumblatt. Plus d’une raison poussait les deux parties à s’allier. Tous les deux étaient
impatients de secouer le joug turc3. De plus, ils avaient comme ennemi commun Youssef
Saïfa, dont les domaines confinaient, du côté d’Alep, avec ceux de Joumblatt et, du côté du
Liban, avec ceux des Ma‘en4.
Sur le plan international, l’Emir se mit en 1608 en alliance avec la Toscane. A cet
effet, l’amiral Guadagni mit le cap sur le Liban et jeta l’ancre dans la rade de Tyr, d’où il
entra en rapport avec Fakher Eddine II qui se trouvait à Saïda. Après des mises en scène
destinées à camoufler les pourparlers, des accords furent conclus, au début de 1608. Ils
stipulaient notamment :
4. L’envoi d’une vingtaine de pièces d’artillerie avec des techniciens.
5. Une recommandation du pape aux Chrétiens relevant de lui, de servir
l’Emir5.

1
CHEBLI 1984 : 35.
39

2
CHEBLI 1984 : 117.
3
DIB 2006 : 349.
Page

4
Voir page …l’élimination de Youssef Saïfa
5
Voir supra
6. L’ordre à tous les vaisseaux toscans naviguant en Méditerranée
orientale de toucher le port de Saïda afin que l’Emir puisse leur confier
éventuellement toute commission qu’il jugerait utile.
7. La délivrance à l’Emir d’un sauf-conduit permanent lui permettant de
débarquer à tout moment sur les terres du grand-duc.
En 1609, Ferdinand Ier meurt. Son fils Cosme II montre moins d’enthousiasme pour une
entreprise militaire en Orient.

Cosme II Ferdinand Ier


4. La politique commerciale
La richesse du Liban au temps de Fakher Eddine II était formée de l’agriculture et du
commerce. L’Emir fut considéré comme étant le propriétaire souverain des terres. Il les
distribua aux cultivateurs contres des redevances soit en argent, soit en nature, telles que le
tiers de la récolte du coton et des céréales. Le cheptel (bœufs, chameaux, chèvres, etc.) fut sa
propriété qu’il confia en participation aux paysans. Les peaux lui revenaient de droit. Un
paysan ne pouvait posséder plus de trois paires de bovins1.
Le Liban au temps de l’Emir, produisit une bonne qualité de soie, de l’huile et des raisins 2. Il
était riche en céréales et pâturages. Le miel et la cire abondent. Le littoral produisit le coton.
Cette prospérité assurait à l’Emir des revenus importants, provenant des récoltes de ses terres,
des dîmes assez élevées, des droits de douane ou des ports, ainsi que l’octroi des charges
publiques.

Pour les affaires commerciales, Fakher Eddine II prêta une attention particulière au
développement commercial au sein de sa principauté. L’ordre sous l’Emir avait bien assuré
deux conditions primordiales : Sécurité de la mer et de la terre et justice.
40
Page

1
CHEBLI 1984 : 37.
2
LAMMENS 1921 : 82.
Afin de sécuriser les voies commerciales maritimes et terrestres, Fakher Eddine II consacra
un travail colossal pour la construction de forteresses. Ces œuvrés défensives se divisent en
deux catégories : celles qui devaient servir de points d’appui dans la défense des frontières et
celles destinées à appuyer des opérations intérieures et à offrir, le cas échéant, d’ultimes
refuges1.

Dans l’un et l’autre cas, Fakher Eddine II s’est également contenté d’utiliser des
forteresses déjà existantes, en les restaurant et les dotant d’artillerie et de vastes dépôts
permettant d’emmagasiner, en prévision de longs sièges, quantité de munitions et de
provisions. Il confia les travaux de restauration à des ingénieurs européens, toscans pour la
plupart. Presque toutes ces places sont d’origine croisée. Erigées en des points stratégiques
commandant les voies d’invasion aboutissant à la côte, elles couvraient les ports, assurant les
liaisons avec l’Europe. Ainsi en est-il de Chekif Arnoun (Château de Beaufort) et du château
de Subbaybah (Banias, en Syrie) ; de ‘Ajloun et de Safad, positions avancées en terre
palestinienne ; de Markab qui domine le littoral syrien. Plus à l’intérieur du Liban, Baalbek et
Kab Elias défendaient la Béqâ‘ et les abords du Mont-Liban ; le point fortifié de Musaylihah
et de Chekif Tiroun (Niha Chouf), ainsi que les citadelles et tours des différentes villes
avaient une vocation plutôt interne2.

Syrie ; Banias, Château de


Subeibe, Basse cour vue depuis le
donjon
41
Page

1
DIB 2006 : 335.
2
CARALI 1992 : 78-87.
Château de Beaufort – Liban Sud

Malgré l’ouverture avec la France, qui avait ouvert à Saïda un consulat, la place
privilégiée reste la Toscane. Cette relation caractérisa cette période par ce qu’elle fut intense
et amicale et par un fait un dominant. Elle se traduisit par la création d’un consulat toscan
auprès de l’Emir ; une mission de techniciens toscans était venue encore resserrer ces
relations. Dans ce but, la Cour de Toscane avait commis un certain Baron de la Legre,
comme agent d’affaires auprès de l’Emir. L’Emir Fakher Eddine II insista pour la nomination
d’un consul toscan avec la double mission de veiller aux échanges commerciaux entre les
deux pays et surtout d’assurer la liaison politique.
Le gouvernement grand-ducal finit par accéder à cette demande et par nommer consul à
Saïda le capitaine François de Verrazzano1.
Verrazzano nous laissa sur les relations commerciales à cette époque, des rapports
intéressants. Les marchandises, qui étaient offertes sur le marché de Saïda étaient notamment,
d’après lui : le lin, le coton, la soie, la laine ; et aussi les céréales, le riz, le raisin sec. L’huile
d’olive, le savon, le vitriol, les cendres alcalines, et la gomme arabique, etc. Quant aux
importations d’Europe, elles consistaient en draperies, velours, soierie, filets dorés et
argentés, papier, verrerie diverse, candélabres et ustensiles divers, pierres de corail pour
passe-temps, bouton dorés clous coutellerie, cloches, bonnets rouges, etc. Toujours, d’après
le Consul, les principales marchandises d’origine française étaient les draperies, le papier et
le tarbouche-fez2.
42
Page

1
CHEBLI 1984 : 37.
2
CARALI 1992 : 61.
5. Elargissement de l’Imarat
Une fois l’ordre dans la Montagne fut établi, L’Emir Fakher Eddine II jeta son
dévolu sur les ports naturels de Saïda et de Beyrouth. Il gagna le vieux wali de Damas, Murad
pacha, qui l’autorisa de s’occuper de Saïda. Cette ville fera désormais figure de deuxième
capitale. Murad pacha désirait de mettre fin à l’anarchie régnante dans la Béqâ‘ mit la main
sur Mansour Ibn Furaykh et ‘Ali Harfouche, les deux ennemis de Fakher-Eddine II. Murad
laissa ainsi l’Emir de la Montagne de s’étendre dans la région de la Béqâ‘. Désormais la
Béqâ‘ et la région de Jabal ‘Amel (Liban sud) graviteront dans l’orbite du grand Emir. Celui-
ci voyait ses revenus sensiblement augmenter, sa liaison avec les Chéhab de Wadi-al-Taïm
assurée et acquérait des positions avancées qui feront fonction avant-postes de défense de la
montagne1.

Après la mort de Mansour Ibn Furaykh et la main-mise sur la ville de Beyrouth,


commença alors le duel avec Youssef Saïfa seigneur kurde de la région de Tripoli, un des
responsables de la catastrophe de 1585, et qui en profita pour s’étendre depuis Antioche
jusqu’à Beyrouth inclusivement2.

En 1598, près du fleuve de Nahr al-Kalb, Fakher Eddine II défia Saïfa et l’obligea à
évacuer la ville de Beyrouth ainsi que toute la région située entre cette ville et le fleuve, et
donnant ainsi la main à ses fidèles alliés, les Khazen du Kisrwan. En 1605, il battait encore
les Saïfa près de Jouneih et les refoulait hors de tout le Kisrwan.

Par la suite, l’Emir se retourna vers le Sud, où se trouve la forteresse de Chekif


Arnoun dont il se hâta de restaurer les murs. Il obtint la ferme du Sandjak de Safad,
s’assurant une couverture pour le Chouf et se mettant sur le chemin de Jérusalem, ce qui
n’était pas sans importance pour ses relations futures avec l’Europe.

Avec l’aide de son ami ‘Ali Joumblatt, l’Emir Fakher Eddine II refoula Youssef
Saïfa vers Damas regagnée par mer via la Palestine. Ce dernier tenta d’arrêter ‘Ali Joumblatt
et l’Emir Fakher Eddine II loin de la ville de Damas. La rencontre eut lieu, en 1606, dans la
43
Page

1
CARALI 1992 : 96-99.
2
DIB 2006 : 347.
région d’al- ‘Arrad, près de Hama. Battues, les forces ottomanes se replièrent en désordre sur
Damas1.

c. La première guerre entre Fakher Eddine II et la Porte


Dès 1610, l’anglais Georges Sandeys pouvait déjà prédire la guerre entre l’Emir et
la Porte et l’expliquer ainsi : « La Porte, constate-t-il, voit l’Emir de mauvais œil, non
seulement à cause de l’extension de ses territoires, mais plutôt à cause de ses relations avec
les Florentins qui se servent librement du port de Tyr et se ravitaillent facilement au Liban, le
tout sans parler des ouvertures pour un traité d’alliance auxquelles quelques-uns s’emploient
activement. Je crois que si l’Europe met à profit cette situation, l’Empire ottoman sera
sérieusement menacé et ébranlé. Des connaisseurs disent que les Ottomans vont concentrer
l’année prochaine toutes leurs forces contre l’Emir. Et c’est pourquoi, ils cherchent à
conclure la paix avec la Perse. Mais l’Emir n’est pas effrayé par ces nouvelles. Il cherche à
détourner l’orage par ses cadeaux, par l’action de ses agents et par sa bonne
administration »2.

En effet, après la mort du grand-vizir, ami de l’Emir Murad en été1611, la Porte


désigna Nassouh pacha pour lui succéda. Hafez pacha fut nommé wali de Damas. Il voua une
haine implacable à l’Emir et voulut à tout prix sa perte. Hafez pacha gardait rancune au
prince Fakher Eddine II pour les raisons suivantes :
- Parce que l’Emir avait une armée forte dont la Porte exigeait la dissolution en
même temps que la livraison des deux forteresses de Banias et du Chekif ;
- Parce que l’Emir n’avait pas répondu à l’appel de Nassouh pacha quand il était
gouverneur d’Alep et devait réprimer une révolte en Syrie ;
- Parce que l’Emir prêta son appui aux princes Chéhab et Harfouche contre Hafez ;
- Enfin, parce que le cadeau offert à Nassouh était inférieur à celui offert en 1606 à
son prédécesseur.

En outre, l’ultime argument présenté par Hafez au grand-vizir d’Alep pour le


déterminer à marcher contre Fakher-Eddine II, fut que « son pays est prospère et riche, et
qu’il est aisé d’y prélever de fortes sommes » 3 . Fakher-Eddine II, sentant le danger,
44

1
CARALI 1992 : 103-106.
Page

2
MA‘LOUF 1934 : 304-305.
3
KHALEDI 1936 : 5-7.
commença à partir de l’année 1612 par envoyer à Istanbul son agent habituel Moustapha
Chalabi, avec un riche cadeau dont trois cargaisons de savon libanais. Nassouh pacha reçut le
cadeau, mais jeta en prison l’émissaire de l’Emir. A la batille de Mzeirib, ‘Ali, le fils de
l’Emir battit l’armée ottomane. Nassouh pacha, nomma Hafez sirdar des troupes ottomanes.
Une grande concentration de troupes commença à Damas. Hafez pacha attaqua Baalbek.
Fakher Eddine II mesura toute la gravité de la situation entreprit une double démarche
politique. L’une fut l’envoi en Europe de Mgr Georges Maroun avec des lettres adressées par
l’Emir et le patriarche maronite à Florence et à Rome ; l’autre fut l’envoi d’une délégation
des notables auprès de Hafez pacha.

Mais Hafez pacha, wali de Damas décida d’investir par terre et par mer la
Montagne. La partie était cette fois bien compromise. Dans une ultime réunion à Damour, les
chefs restés fidèles à l’Emir ne manquèrent point de lui exposer qu’il leur était aussi inutile
qu’impossible, dans ces circonstances, de lutter jusqu’au bout.

Après 84 jours d’efforts désespérés et inutile, le pacha séduit par l’or avait accepté
de retirer ses troupes du Chouf et la levée de siège des forteresses. Mais, l’année suivante, en
1614, violant sans grand scrupule la parole donnée à Sitt Nassab, Hafez pacha envahit le
Chouf et mit le pays à feu et à sang. Ce fut l’année malheureuse, dite « année du Hafez ».

Entretemps, le 15 septembre 1613, Fakher Eddine II grâce à l’amitié avec le


capoudan Méhémet pacha réussit à s’embarquer pour l’Italie, laissant le gouvernement du
pays entre les mains de son frère Younès. Cependant la satisfaction obtenue par les Ottomans
les porta à accepter l’accession de ‘Ali, fils de Fakher-Eddine II, au trône de Imarat.

d. L’émir Fakher Eddine II en Italie (1613-1618)


Parti du Liban avec une suite de soixante de ses partisans, le 15 septembre 1613,
Fakher Eddine II débarqua après bien des péripéties le 3 novembre à Livourne en Toscane 1.
Le 10 novembre, le cortège arriva à Florence. Le 23, le pape Paul V recevait l’ambassadeur
toscan afin de monter une commission d’information pour le Levant. Dans ce sens, Cosme II
demanda au Pape d’y adjoindre quelques membres du collège maronite de Rome. Cette
45
Page

1
Voir l’arrivée de l’Emir à Livourne dans KHALEDI : 1936 : 208-241 ; MA‘LOUF 1934 : 133-204 ; CHEBLI
1984 : 51-60.
cadence rapide des décisions témoigne du grand intérêt avec lequel les chancelleries de
l’Europe suivaient les événements du Liban. La mission sera de retour le 10 avril 1614.

Le temps passait. L’Emir se trouve dans une situation vraiment angoissante. Fugitif,
il vit de la générosité du Grand-duc, dont certains ministres lui sont hostiles. La porte dévasta
son pays et persécuta ses partisans. Son frère est sans grande capacité, son jeune fils et
inexpérimenté et sa mère est détenue à Damas. La flotte ottomane avait appareillé et se
dirigeait vers les ports libanais ; l’armée de terre se préparait à une nouvelle invasion1.

Dans ces circonstances, le Grand-duc, envoya le 14 avril 1614 auprès de l’Emir une
délégation composée de quatre hauts dignitaires de sa cour. Différentes questions furent
débattues, se ramenant essentiellement à deux points : Fakher Eddine II est-il décidé de
rentrer au Liban ? Que demande-t-il à Cosme II ?
Le point de vue de l’Emir se résumait ainsi :
6. Rester en Toscane ? Ce séjour sera interprété par ses partisans comme un signe
de l’abandon de sa cause.
7. Il déconseilla au Grand-duc d’entreprendre seul la guerre contre l’Empire
Ottoman ; il faut qu’il soit soutenu par une coalition européenne.
8. Tant que l’armée de Hafez pacha occupe la Montagne, Fakher Eddine II ne doit
pas rentrer car son retour ne ferait que redoubler l’animosité de l’occupant.
9. En attendant, il préconise l’envoi de quelques 500 techniciens avec des
munitions pour les forteresses.

Cependant l’Emir Fakher Eddine II commençait à craindre que les projets ne


fussent renvoyés sine die. Il sollicita la médiation du Grand-duc auprès du Sultan. Cosme II
accepta d’entreprendre la démarche et, par la même occasion, se déclara prêt à signer la paix
avec la Sublime Porte. Celle-ci accepta le principe de cette paix mais exigea la soumission
inconditionnelle de Fakher-Eddine II. Plus tard l’Emir recevra des assurances du Sultan
Ahmet Ier avait signé effectivement le décret de grâce.

Parallèlement aux négociations menées par l’Emir, son conseiller Hajj Kiwan
entretenait des relations – pour son compte personnel ? – avec le ministre Guidi, détracteur
46
Page

1
CHEBLI 1984 : 57.
du prince libanais à la cour de Florence. Malheureusement nous ne disposons pas de
renseignements suffisants sur la nature de ces relations. Néanmoins deux faits méritent d’être
retenus :
10. Lorsque le duc d’Osuna, vice-roi de Naples, invitera plus tard Fakher-Eddine
II, au nom du roi d’Espagne, à lui rendre visite, il le priera de ne pas emmener
avec lui ledit Kiwan.
11. De retour au Liban, Fakher Eddine II finira par tuer de sa propre main Hajj
Kiwan.
En effet, cette politique de Kiwan était contraire à celle de Fakher-Eddine II, et ce dernier en
ignorait, certes, la trame.

L’été de l’année 1615, l’Emir entama secrètement un retour au Liban. Khaledi nous
raconte une curieuse histoire, concernant une absence en mer de sept mois1. Durant laquelle
l’Emir aurait visité le Liban. Les espagnols encouragèrent ce voyage pour en exploiter les
effets tant politiques que militaires2. L’Emir débarqua à Damour. La nouvelle de l’arrivée de
l’Emir en face des côtes libanaises se répandit très vite. Une foule immense accompagna
Younès Ma‘en à Damour où le signal convenu avec les galères fut donné par trois fusées
lumineuses précédemment remises à Khater Ibn al-Khazen3.

Au retour, l’Emir fut invité à visiter Malte. Il débarqua par la suite à Palerme, où il
allait rester un an. Enfin, Fakher Eddine II s’impatientait et avait hâte de renter dans son pays.
L’Europe qui allait se plonger en cette année 1616 dans la guerre de Trente Ans, ne pouvait
et ne voulait plus rien lui fournir. Ce fut en automne 1618 que l’Emir quitta le sol d’Italie
avec tous les siens Il débarqua à ‘Akka après cinq ans d’absence.

e. La deuxième période de gouvernance de Fakher Eddine II (1618–


1635)
Pour Fakher-Eddine II, l’urgence pour cette deuxième période était de remplir son trésor
dépouillé et vidé, et de raffermir son pouvoir, en réduisant ses voisins turbulents ou
antagonistes, dont il faut citer en premier lieu le vieux Youssef Saïfa.
47

1
KHALEDI 1984 : 230.
Page

2
KHALEDI 1984 : 227.
3
KHALEDI 1984 : 227.
1. Les récriminations contre l’impôt
La population, exténuée par une longue succession de guerres et de troubles,
accueillit mal les nouvelles mesures de Fakher-Eddine II. Sa répugnance habituelle pour
l’impôt s’accommodait difficilement d’une politique trop pressurante. Au Liban-Sud, les
Métoualis se soulevaient. Fakher Eddine II marcha lui-même sur eux pour mater
énergiquement leur insurrection et les rebelles furent sévèrement châtiés.

Les échos de ces faits divers parvenaient à Istanbul singulièrement enflés. Nous y
parlons de mobilisation, de relèvement des fortifications, de complicités européennes
flagrantes, etc. La Sublime Porte inquiétée, envoya vers les eaux du Liban une cinquantaine
de galères. Le capodan ‘Ali pacha se contenta d’une simple réponse par l’Emir, mais surtout
de la somme offerte selon l’usage, ainsi que de la capture de deux vaisseaux dont l’un
flamand mouillé à Saïda et l’autre français à ‘Akka.

2. La guerre contre Youssef Saïfa.


En plein hiver de l’année 1620, l’Emir Fakher Eddine II entreprit une campagne
militaire contre Youssef Saïfa. A cet effet, il concentra ses hommes à Beyrouth et, de là, il
marcha sur la région de ‘Akkar par la voie montagneuse de Dennié. Youssef Saïfa pris au
dépourvu, ne dut son salut qu’à une fuite précipitée. L’Emir le poursuivit sans relâche,
chargeant à pied à la tête de ses hommes dans une région impraticable pour la cavalerie,
capturant un convoi où se trouvait le harem de Saïfa avec une partie de son trésor et
l’acculant à se réfugier dans le Krak des Chevaliers. Les jours suivants, l’Emir fut rejoint à
Chadra par le gros de son armée, ainsi que par des renforts expédiés par son fils ‘Ali. L’Emir
faute d’artillerie mit le blocus du château. Les pachas de Damas et d’Alep accoururent à la
rescousse de Saïfa, obligèrent Fakher Eddine II à lever le siège moyennant une indemnité. Il
ordonna la destruction et la démolition des demeures somptueuses des ses adversaires à
‘Akkar, afin de venger l’incendie de Deïr al-Qamar pendant son absence en Italie1.

Rien ne pouvait détourner l’implacable Emir de son dessein d’abattre Youssef


Saïfa. Ni les alliances matrimoniales, ni les relations mielleuses qu’avait voulu entretenir ce
dernier avec lui, ne l’adoucirent. En 1623, l’intervention de la flotte ottomane fit avorter une
nouvelle tentative contre Saïfa. L’autorité de Saïfa était bien ébranlée. Ses agents mêmes à
48
Page

1
HITTI 1959 : 463.
Istanbul le trahissaient. Il fut remplacé de nouveau à Tripoli par un agent ottoman. Ce fut la
dernière phase de cette lutte qui dura plus de vingt-cinq ans. Le vieux Youssef Saïfa allait
mourir en 1624. La liquidation des Saïfa entraîna le ralliement officiel des maronites
maintenant libérés de cette tyrannie, et garantit au grand Emir son autorité de Tripoli à
Beyrouth.

3. La bataille de ‘Anjar
L’année 1623 fut marquée aussi par un haut fait militaire. Fakher Eddine II venait
de mettre un terme aux intrigues et aux méfais de Youssef Harfouche dans la Béqâ‘
l’obligeant à chercher refuge auprès du Wali de Damas Moustafa pacha. Ce dernier réserva
aux Harfouches un bon accueil.

Réunissant une armée où se retrouvaient les ennemis de l’Emir, le Wali de Damas


marcha sur le Liban. La bataille était engagée à proximité de la source de ‘Anjar, et la fumée
de la poudre atteignit le ciel, quand arriva la cavalerie de l’Emir au son des tambours, des
cors et des cymbales, tous étendards déployés1. L’attaque de l’Emir Fakher Eddine II fut
décisive. Les Ottomans et leurs alliés désemparés prirent la fuite.

À la suite de cette victoire, l’Emir mit le siège devant la citadelle de Baalbeck et


s’en empara malgré une forte résistance de la part de la garnison 2. La victoire de ‘Anjar
ouvrit l’épanouissement du règne de l’Emir. En effet, Cette année de 1624 marqua l’apogée
de Fakher-Eddine II. Son autorité après la mort de son ennemi Yousse Saïfa dépassa les
frontières du Liban actuel. Elle s’étendait, au sud, en Palestine, sur les sandjaks de ‘Ajloun,
Safad, et Tibériade ; au nord, jusqu’aux confins de l’Anatolie ; à l’est, l’oasis de Palmyre ?

Le Liban de Fakher Eddine II rayonna vite au-delà du Proche-Orient. Le souverain


contracta non seulement des alliances politiques mais des traités commerciaux avec les pays
européens.
49

1
KHALEDI 1984 : 149.
Page

2
Khaledi constata que cinquante seulement des colonnes du temple de Jupiter étaient encore debout à cette
époque. Mais une mission florentine en compta, en 1631, cinquante-quatre.
La Bataille de ‘Anjar

4. La vie commerciale
Dès son avènement, Fakher Eddine II, avec un esprit réaliste, prêta une attention
particulière au développement commercial de son Imarat. Dans ce sens, la politique menée
par l’Emir assura deux conditions primordiales pour l’épanouissement commerciale et
économique du Liban : sécurité et justice. Ces conditions n’étaient que profit pour le
commerce libanais.

La France ouvrit à Saïda un consulat. L’Emir lui offrit le fameux « Khan » dit « des
Francs », vaste bâtiment que nous pouvons visiter encore de nos jours. Mais la place
privilégiée devait être réservée à la Toscane. Elle se traduisit par l’ouverture d’un consulat
auprès de l’Emir ; une mission de techniciens toscans vint encore resserrer ces relations. La
Cour de Toscane avait commis un certain Baron de la Legre, comme son agent d’affaires
auprès de l’Emir. Mais l’Emir insista pour la nomination d’un consul avec la double mission
de veiller aux échanges commerciaux entre les deux pays et surtout d’assurer la liaison
politique. La lettre de créance du consul Verrazzano était datée du 24 septembre 1630. Ce
dernier arriva à Saïda vers mi-décembre 1630.

Dans cette rubrique sur les articles de commerce, nous devons réserver la place à
l’importation des pièces de monnaie. L’explication du trafic lucratif des pièces de monnaie
50

doit être recherchée dans l’article 7 des Capitulations de 1604 accordées par la Sublime Porte
Page
à la France, lequel article prescrit l’admission de la monnaie française. Or cette monnaie était
souvent frauduleusement altérée. Déjà en 1610, le voyageur anglais Sandeys signalait la
méfiance de la population à l’égard de la monnaie même « hollandaise en or pur ». Le consul
de la Cour de Toscane, Verrazzano conseillait à son gouvernement d’exporter au Liban des
pièces de monnaie. Ces pièces étaient facilement écoulées auprès des négociants français
avec un bénéfice de vingt-cinq pour cent.

5. La reconstruction urbaine
« Quand Fakher-Eddine revint d’Italie, il avait pris des idées et des goûts
occidentaux. Il construisit au Liban, des bains et des jardins inspirés de ceux de Florence,
ornés de peintures et de sculptures »1. Il construisit plutôt des palais, des monuments et de
nombreux ouvrages d’utilité publique. A cet effet, il engagea des techniciens toscans
(l’architecte Cioli, expert en constructions civiles et en fortifications, et son adjoint Fagni.
Aux travaux d’adduction d’eau qui nécessitaient de fortes dépenses, il faut ajouter
notamment la construction des ponts : à Beyrouth, au Nahr al-Kalb, à Saïda, etc. Il restaura
aussi le château des Hospitaliers à Saint-Jean-d’Acre. Aussi, dans cet aperçu, il faut réserver
une place aux travaux dont furent dotées les trois cités de Deïr al-Qamar, de Saïda et de
Beyrouth. À Deïr al-Qamar, l’Emir éleva le palais de Younès Ma‘en. Il comptait trois étage,
mais il n’en reste actuellement que deux ; le troisième fut démoli par l’Emir Youssef Chéhab
(1770-1789) pour en utiliser les pierres dans son palais avoisinant2.

1
CARRA DE VAUX, les penseurs de L’islam, vol. V, 71.
51

2
Le sérail de l’émir Youssef Chéhab abrite les locaux de la municipalité de Deïr al-Qamar. L’émir Melhem
Chéhab (1729-1754) y ajouta un étage et ses successeurs, les émirs Youssef Chéhab et Béchir II Chéhab, y
Page

résidèrent avant que ce dernier ne déménage dans son nouveau palais de Beit Eddine. La porte monumentale du
sérail comporte deux lions, emblèmes de la dynastie des Chéhab.
Le palais Younès Ma‘en – Deïr al-Qamar

Le palais Youssef Chéhab – Deïr al-Qamar


À proximité, nous trouvons encore la vaste et longue construction massive dite « el-
Kharje », qui devait servir de casernement pour les sokmans. Le rez-de-chaussée comporte de
hautes voûtes bien conservées. La partie principale des étages supérieurs est abandonnée.
Nous signalons aussi à Deïr al-Qamar les vastes égouts voûtés, longs de deux kilomètres
environ, dont la reconstruction remonterait à cette époque.

Saïda doit son relèvement à l’Emir qui « a pu croire un instant qu’il était sur le point
de rendre à la vieille métropole commerciale sa proverbiale prospérité »1. Avant l’Emir, en
52

1598, Cotovicus, qui visita Saïda, la décrit comme « lamentablement ruinée, habitée par une
Page

1
RISTELHUEBER 1918 : 96.
poignée de musulmans et de druzes » 1 . La mosquée dite extérieure à Saïda abrite les
tombeaux des Ma ‘n2. Mais les plus importants édifices que l’antique cité leur droit sont le
palais de Fakher Eddine II et le Khan des Francs, offert par l’Emir au consul de France.
« Dans le bâtiment offert par l’Emir et tout autour de la demeure du consul, vinrent se
grouper nos commerçants avec leurs entrepôts et magasins. Les Missionnaires y trouvaient
également place pour leur couvent et leur chapelle. On voit encore à Saïda cet édifice des
plus curieux, en bon état grâce à certaines restaurations. Ce petit coin de France est protégé
par d’énormes portes bardées de fer, à l’abri desquelles bien des Maronites vinrent trouver un
refuge en s’enfuyant de la Montagne lors des massacres de 1860 »3.

Khan al-Franj - Saïda

Quant à Beyrouth, elle doit autant que Saïda son relèvement à l’Emir Fakher-Eddine
II4. Celui-ci fit de Beyrouth le dépôt de ses richesses et le temple favori de ses plaisirs5. Le
palais de l’Emir à Beyrouth, qui était situé à l’ouest du Petit Sérail actuel, suscita l’admiration
des voyageurs de l’époque. D’Arvieux qui a visité Beyrouth à l’époque sous la décrit comme
suit : « L’Emir regardait le territoire de Beyrouth comme son jardin de plaisance ; et comme
ses sujets étaient bien plus riches de son temps qu’ils ne le sont depuis qu’ils sont tombés
sous la domination des Turcs, ils tâchaient de l’imiter et avaient un soin particulier de cultiver
un terrain si bon, si abondant et si agréable. On y voit encore à présent de longues allées
d’oranges et de citronniers, qui faisaient les clôtures de leurs jardins à fleurs […] Quant au

1
LAMMENS 1921 : 73.
53

2
MA ‘LOUF 1934 : 345.
3
RISTELHUEBER 1918 : 96.
Page

4
LAMMENS 1921 : 65.
5
PUGET DE SAINT-PIERRE 1762 : 5.
Sérail de Beyrouth, ajouta-t-il, il est bâti par l’Emir II est de la même forme que celui de
Saïda »1.

Un autre voyageur anglais, Richard Pocoke, visita au début du XVIIIe siècle le palais
de Beyrouth, y admira la distribution de l’eau dans tous les appartements par des
canalisations « cachées dans les murs » et trouva notamment que les écuries étaient
somptueuses et bien aérées, avec plusieurs rangées d’arcades.

6. La tolérance religieuse
« L’esprit éclairé de Fakher Eddine II, sa loyauté répugnaient à l’intolérance. Son
libéralisme travaillait à favoriser la fusion des races ou plutôt des communautés. Dans le
choix de ses auxiliaires, il ne s’inquiéta jamais de leurs convictions religieuses » 2 . Les
Maronites furent les principaux artisans et les premiers bénéficiaires du régime. Le patriarche
le signala : « Sous le règne de Fakher-Eddine, les chrétiens ont pu relever la tête et acquérir
de l’influence. Ils ont construit leurs églises. Ils ont pu se servir de chevaux sellés, porter des
pantalons bouffants, des turbans et des voiles blancs. Ils ont pu porter des ceintures brodées,
des arcs et des fusils incrustés. Les missionnaires européens sont venus habiter la Montagne.
La garde de l’Emir, ses conseillers et son personnel étaient en majorité des Maronites »3.

En effet, les Maronites contribuèrent sincèrement tant au Liban qu’en Italie à la cause
nationale de l’Emir Fakher-Eddine II. Ce dernier allait trouver chez eux les hommes dont il
avait besoin pour son action. D’abord des personnalités aptes à participer au gouvernement
comme Abou Nader al-Khazen, nommé premier ministre, Abou Daher Hobeïche qu’il plaça
auprès de lui, et les multiples auxiliaires qui allaient être une des armatures du régime ;
ensuite, cette masse même de population maronite que Fakher Eddine II incita à s’étendre
vers le sud, à la fois pour repousser les attaques de Saïfa contre Beyrouth et le Chouf, et pour
contrecarrer les agissements ambitieux de certains féodaux druzes.

Mais l’un des aspects les plus importants de cette politique fut certainement la faveur
accordée à l’établissement des missions latines. Avec le renoncement de toute entreprise
militaire en Orient, l’Occident allait prêter désormais toute son attention ; d’une part à
l’extension de ses relations économiques et commerciales, et d’autre part à l’établissement et
54

1
D’ARVIEUX : 352.
Page

2
LAMMENS 1921 : 80.
3
DOUAIHI 1890 : 205.
à la protection de ses missionnaires. Fakher Eddine II se prêta sans réserve à cette double
politique. « Il admettait en son intimité les missionnaires, les consuls, les ingénieurs, les
commerçants européens pour profiter de leur expérience et de leurs suggestions »1.

Les ordres religieux arrivés les premiers au Liban furent par ordre chronologique les
Franciscains, les Jésuites et les Capucins. L’Emir les aida efficacement. De ce contact
prolongé, il pourrait être aussi pertinent de mesurer l’impact de la présence missionnaire sur
la société levantine. Cette présence multiforme et dense (Ecoles, Universités, Dispensaires,
Ouvroirs, Imprimeries, Associations, etc.) possède une capacité importante de
transformations.

L’ordre, la paix et la liberté sous l’Emir contribuèrent au développement de la vie


religieuse et l’on vit arriver au Liban de pieux personnages, comme ce Monsieur de Chasteuil
dont la vallée sainte de la Qadicha, où il choisit son ermitage, cacha jalousement les restes.

f. Le deuxième conflit avec la Porte et la fin d’un règne

« Fakher Eddine II Ma‘en avait atteint un tel degré de grandeur qu’il ne lui restait plus
qu’à prétendre au sultanat […] Sa superbe avait dépassé toutes les limites, et sa renommée
tous les horizons »2.

Son gouvernement s’étendait de Safad jusqu’à Antioche. « Il augmenta tellement ses


états par ses victoires, qu’il donna de la jalousie aux pachas de Damas et des provinces
voisines, qui n’étaient pas en état de mesurer leurs forces avec les siennes » 3 . Or, cette
extension du territoire de l’Emir allait bien être une cause de faiblesse et de manque de
cohésion pour ses forces, en même temps qu’un motif d’inquiétude pour la Porte, surtout que
les visées de Fakher Eddine II s’étendaient vers le Sud et les Lieux saints.

Pendant ce temps, l’Emir voyait sans sourciller son ami le sultan Osmam II être
remplacé à Istanbul par Murat IV (1612-1640), et sans s’inquiéter accéder au grand vizirat
son ennemi déterminé, l’albanais Mohamad Tabanyiyassi. Fakher Eddine II poursuivit
orgueilleusement sa voie, sans tenir compte de l’affaiblissement de ses alliés européens, du
55

1
LAMMENS 1921 : 81.
Page

2
MOHIBBI 1867 : 385.
3
D’ARVIEUX : 365.
fait qu’Espagnols et Français furent absorbés par la guerre de Trente Ans (1618-1648) et que
le Pape prépara sa lutte contre les protestants. Pourtant la peste qui ravagea Florence, en
1633, entraîna la raréfaction des convois toscans et même le rappel du consul. Ce fut Fakher
Eddine II qui envoya à son allié des bateaux de céréales.

Le sultan Osman II Le sultan Murat IV

Quand Sitt Nassab mourut, le mécontentement grondait chez les Yéménites et


atteignit l’entourage Qaïsite du souverain. Malgré cela, l’Emir refusa au général turc Repez
pacha, qui faisait campagne contre les Perses, de prendre ses quartiers d’hiver au nord de la
Béqâ‘, et le chassa au-delà d’Alep.

Malgré toutes ces appréhensions Fakher Eddine II ne mit aucune modération dans
ses désirs expansionnistes ou dans son comportement indépendant, constituant un défi
permanent à la Sublime Porte qui décida à en finir avec un vassal en qui il ne voyait plus
qu’un sujet rebelle. Le Sultan Murat IV nomma au pachalik de Damas, au début de 1635,
Ahmet Kujuk qui s’était signalé par sa répression sanglante d’une révolte en Roumélie.

L’Emir Fakher Eddine II était réduit à ses seules forces, diminuées au surplus de
toutes les désertions que les Ottomans avaient réussi à provoquer, et éparpillées entre des
théâtres d’opérations suscités par les agents d’Istanbul et soigneusement dispersés. Ahmet
Kujuk recevait l’ordre d’attaquer le Liban. Une flotte de quarante galères que conduisit
l’amiral Giafer quitta Istanbul et se dirigea vers Saïda et Beyrouth. L’Emir convoqua sur les
bords du Damour l’assemblée des notables, espérant d’elle répit, conseils et aide pour
organiser la résistance. L’assemblée conseilla l’Emir de ne pas résister au débarquement,
tandis que les Saïfa se retiraient et entrèrent ouvertement en dissidence. Tyr, Saïda et
56

Beyrouth se rendirent. Fakher Eddine II tenta une négociation, envoya des présents à l’amiral
Page

turc et dépêcha son deuxième fils Mansour, en ambassade auprès de Ahmet Kujuk ; en même
temps il se détermina à livrer bataille avec les forces qui lui restaient, et expédia son fils ‘Ali
vers le nord. Il s’agissait d’empêcher la jonction de l’armée de Ahmet Kujuk, qui progressait
au travers le Liban, et des Saïfa.

Après avoir paru bien disposé et accepter 400. 000 piastres d’or pour reconnaître
Mansour comme grand Emir, Ahmet Kujuk le retint prisonnier, et de surcroît faisait étrangler
un des fils d’Abou Nader al-Khazen, le cheïkh Abou Khatter, Mansour fut envoyé captif à
Istanbul. Quant à ‘Ali, les pertes énormes qu’il subissait au cours d’une bataille à l’issue
incertaine, l’incita à s’enfuir dans le désert.

Battu une nouvelle fois, il l’est de façon définitive au Wadi al-Taïm. ‘Ali fut tué sur
le champ de bataille et Younès mourut épuisé par ses blessures ; Melhem s’enfuit alors au
Hauran. Les Chéhab se soumettaient afin de garder leur fief et l’Emir Fakher Eddine II se
réfugiait à Chaqif Tiroun, en haute montagne, où il trouva ce qui subsista de sa famille et de
ses trésors. Fakher Eddine II avait pris ses précautions en prévision d’une telle éventualité ;
des dépôts pour vivres et munitions taillés dans le roc regorgeaient de provisions pour deux
ans, et un canal souterrain et secret assurait l’alimentation en eau potable. Mais il avait
compté sans les trahisons qui livrèrent aux assiégeants le secret du tracé de l’adducteur d’eau.
S’en étant aperçu, le prince s’enfuit à la faveur de l’obscurité et chercha refuge, non loin de
Chaqif Tiroun, dans une grotte également taillée dans le roc. Mais le nouvel abri ne tarda pas
à être repéré et l’Emir dut se rendre.

L’Emir Fakher Eddine II fut aussitôt conduisit à Istanbul avec ses quatre fils
survivants. Il fut reçu par Murat IV avec les plus grands honneurs, aurait sans doute eu la vie
sauve si les événements au Liban n’avaient de nouveau rebondi. Les Qaïsites et Melhem
Mas‘n s’agitèrent et remportèrent des succès. Ces nouvelles entrainèrent la condamnation à
mort de Fakher Eddine II et de ses deux fils, qui furent décapités le 13 avril 1635. Ainsi
mourut le grand Emir Fakher-Eddine II, en exil, tandis que la guerre civile et la guerre
étrangère ravageaient le Liban.

g. L’Imarat après Fakher Eddine II 1635-1697

La disparition de Fakher Eddine II et de ses enfants laissait le champ libre au


Yaminite ‘Alameddine. En effet, les Ottomans crurent pouvoir confier le pouvoir au
57

Yaminite ‘Alameddine. Celui-ci inaugura son règne par un massacre général des
Tanoukhides, au cours d’un banquet organisé apparemment dans le but de sceller
Page
solennellement la réconciliation des deux familles rivales. Mais dans sa tâche de gouverner le
pays, il échoua lamentablement. L’indignation générale provoquée par le guet-apens dont
furent victimes les Tanoukh fit déborder le vase. La vague populaire allait ramener les
Qaïsites sur le trône en la personne de l’Emir Melhem Younès Ma‘en.

1. Le règne de Melhem Ma‘en (1635 – 1657)

Quittant sous bonne escorte son repaire du Hauran, Melhem Ma‘en s’en venait à
‘Arna, où règne un certain mécontentement parmi les Yaminites. Profitant de l’effervescence
ou la provoquant, il reprit contact avec les Qaïsites et les réorganisa. De fait les ‘Alameddine
furent devenus impopulaires ; leur brutalité, leurs exactions, indisposèrent chaque jour
davantage un plus grand nombre de Libanais. Les loyalistes Chéhab, Abilama‘, Khazen,
Hamadé, entre autres se soulevèrent. Les Ottomans eux-mêmes voudraient maintenant se
débarrasser de l’Emir ‘Ali ‘Alameddine et de son clan. Melhem profita de cette situation et se
porta lui-même à l’attaque des ‘Alameddine, qu’il rencontra à Mejdel Ma‘ouche.

À la suite de cette bataille, Melhem fut maître de la situation, à condition que les
autorités ottomanes l’acceptent. Ce fut alors que, sur le conseil de leur représentant à Damas,
ils exécutaient Fakher Eddine II et ses deux fils, pour n’avoir en face d’eux que le seul
Melhem, qu’ils jugeaient un interlocuteur à la fois « valable » et point trop dangereux, et
qu’ils ne tardaient pas à investir des fonctions de grand Emir du Liban.

Le nouveau souverain poursuivra l’œuvre de son oncle ; pendant vingt-deux ans, il


dut souvent naviguer à contre-courant. Mais, à force de sagesse, de prodiges, d’habileté et
d’énergie, il parvint à asseoir son autorité à l’intérieur et à la faire reconnaître par la Sublime
Porte, qui admit même son extension au district de Batroun, mais pas à la Béqâ‘ ou aux
régions des forteresses. Néanmoins elle confia aux Abilama’, du Metn, la ferme des impôts
du territoire de Bcharré dans le Liban-Nord.

À la mort de Melhem, en 1657, les deux prétendants furent ses fils Qorqomas et
Ahmed.

2. Le duumvirat (1657- 1697)

Qorqomas et Ahmed Ma‘en régnaient d’abord de concert, maintenant les traditions


58

libérales à l’égard de toutes les communautés qu’avaient léguées Fakher-Eddine II. Le fait de
régner à deux est doublement important. D’abord parce qu’il reflète la persistance des
Page
coutumes tribales et, à travers elles, l’attachement des Libanais aux traditions ancestrales.
Ensuite et surtout parce qu’il constituait une exception flagrante dans l’organisation
administrative ottomane ; en l’admettant, la Sublime Porte reconnaissait, une fois de plus,
que le Liban jouissait d’un statut spécial, que ses Emirs n’étaient pas des fonctionnaires
ordinaires, comme elle affectait parfois de les considérer.

En 1665, Qorqomas fut assassiné par Hassan Agha, et Ahmed continua à gouverner
seul. Vers la fin de l’année 1693, à la faveur d’une révolution de palais d’Istanbul, les
Ottomans essayaient de nouveau briser l’autonomie de la Montagne ; ils destituèrent Ahmed
et installèrent à sa place à Deïr al-Qamar Abou Mousabin, émir de la famille ‘Alameddine.
Cette tentative échoua rapidement ; les libanais ne voulaient pas les ‘Alameddine, ils
voulaient les Ma‘en, et leur attitude, que soutint une énergique intervention de Louis XIV,
imposa de nouveau Ahmed Ma‘en. Celui-ci mourra sans postérité mâle en 1697. Ainsi
s’éteignit la dynastie Ma‘en.

Chapitre IV : Le Liban sous le règne des émirs Chéhab (1697-1841)


59

L’histoire des derniers Ma‘en coïncide avec la disparition des deux dynasties,
Page

celles des Tanoukh et celles des Saïfa. Les premiers furent massacrés par ‘Ali ‘Alameddine,
tandis que les autres meurent s’éteignirent sans descendance. Deux familles accentuèrent en
revanche leur rôle et leur coopération : les Khazen, particulièrement Abou Naufel, auquel fut
confié le fief du Kisrwan, et les Chéhab.

A. La rencontre de Sumkaniyyeh et la passation du pouvoir à la famille


Chéhab

A la mort d’Ahmed Ma‘en en 1697, l’accès au pouvoir dans la Montagne s’ouvrait


aux émirs Chéhab. Mais si le principe de cette succession n’était point contesté, la
compétition entre les deux prétendants chéhabites en présence était vive. L’assemblée se
trouvait en présence de deux candidats de la famille Chéhab : Haïdar, de la branche de
Hasbaya, et Bachir, de la branche de Rachaya, respectivement petit-fils et neveu d’Ahmed
Ma‘en. Haïdar devait être considéré comme le successeur légitime, mais il n’avait alors que
12 ans, tandis que Bachir doué de plus d’une qualité, était en pleine force de ses 40 ans.

Au début du conflit, il fut question d’une conciliation entre les deux candidats : le
jeune Haïdar serait proclamé Prince de la Montagne sous la régence de Bachir. L’émir
Housseïn, fils de Fakher-Eddine II, alors dignitaire influent à Istanbul, aurait soutenu cette
solution.

La cour d’Istanbul, n’ayant pas réussi à imposer un Yaminite, préférait avoir affaire
à un Qaïsite mineur ; elle prit fait et cause pour Haïdar sous prétexte de légitimité. Mais à
Sumkaniyyeh, Bachir, par une manœuvre habile, réussit à écarter son jeune concurrent et à se
faire proclamer Prince du Liban par l’assemblée.

B. Le règne de Bachir Ier (1697-1706)

Bachir Ier proclamé par l’Assemblée de Sumkaniyyeh, fit une entrée solennelle à Deïr al-
Qamar et tout le pays lui obéit, à l’exception bien entendu des chefs du parti yaminite. En
effet, ces ches encouragés par la Porte, redoublèrent leur activité subversive. L’émir Bachir
devra poursuivre sans répit la lutte contre cette faction le long des neuf années que durera son
gouvernement. Cette lutte, la mena avec succès, et par sa victoire en 1698 sur les Métoualis
60

Yaminites du Sud, il prouva qu’il était le plus fort. C’est à la suite de cette campagne que
Page

Bachir resserra ses liens d’amitié avec ‘Omar Zeidani, le chef Qaïsite de Safad.
Hormis quelques conflits armés, le règne de Bachir se déroula dans le calme. Il
mourut en 1709 empoisonné selon le chroniqueur Haïdar1.

C. Le règne de Haïdar (1709-1732)

A Bachir Ier, succéda Haïdar Ier fils de Moussa Chéhab et petit fils du dernier
Ma‘en. A peine monté sur le trône, l’Emir Haïdar se vit en butte aux machinations du pacha
de Saïda qui cherchait lui enlever le gouvernement des districts du Liban-Sud, à forte
majorité Chi‘ite, les Banou al-Saghir.

Haïdar inaugura son règne par la victoire de Nabatiyé en 1709. A la suite de ce


succès, il confia cette région de Jabal ‘Amel à l’un de ses lieutenants Mahmoud Harmouche,
un druze du Chouf. Or, sa confiance dans ce parvenu se révéla mal placée. Harmouche,
homme ambitieux et sans scrupule allait exploiter contre son maître et bienfaiteur, la fureur
que les Ottomans gardaient contre le parti des Chéhab.

La Porte se servit donc de cet agent, faute probablement de trouver un autre homme
de valeur par les Yaminites. Elle lui conféra le titre de pacha, et donna ordre au
gouvernement de Saïda de le seconder militairement dans ses menées contre Haïdar Ier.
Celui-ci apprenant le soulèvement de Harmouche, soutenu par les Ottomans, et pressentant
d’autre part la défection de certains chefs libanais, souvent opportunistes, se retira à Ghazir
dans le Kisrwan, où il croyait pouvoir compter sur les cheikhs maronites de la région.
Harmouche l’y poursuivit à la tête de forces supérieures, et s’empara de Ghazir en 1709, à la
suite d’un combat acharné. Nous expliquons cette défaite par la rivalité mal déguisée qui
surgit alors entre les deux familles maronites Khazen et Hobeïche2.

Abandonnant la Montagne avec les débris de ses partisans, l’Emir allait disparaître
de la scène politique pendant un an environ. Il se réfugia dans les grottes dites d’Izraël
(communément appelé ange de la mort), dans la région du Hermel, après avoir confié sa
famille aux Khazen.

L’exil volontaire de l’Emir Haïdar ne l’avait pas coupé de la réalité de la


Montagne. Il fit irruption sur la scène, chez les Abilama‘, ses puissants féaux du Metn. La
61
Page

1
HAIDAR : 7.
2
HAIDAR : 11.
nouvelle se répandit très vite dans le pays et les deux camps se mirent à se préparer
fébrilement à la guerre. Les pachas de Saïda et de Damas, alestés promirent un appui total
aux ‘Alameddine.

a. La bataille de ‘Yan Dara (1711)

Le gros des forces Qaïsites s’était concentré autour du village de Ras-al-Metn.


Haïdar décida de se jeter entre les trois colonnes des forces yamanites. La première cible
choisie fut le village de ‘Aïn Dara où les ‘Alameddines et les Harfouches étaient déjà arrivés.
Aussitôt le combat s’engagea. Les renforts affluèrent des deux côtés. Au bout de plusieurs
heures de lutte acharnée, le parti Qaïsite de l’Emir Haïdar remporta une victoire décisive. La
poursuite fut impitoyable. Une certaine tradition veut qu’aucun ‘Alameddine n’ait survécu à
la vague des liquidations.

A la nouvelle du désastre subi par leurs alliés, Les forces des pachas de Damas et
de Saïda rebroussèrent chemin. Une bonne partie des Yamanites prit le chemin de l’exode
vers Beyrouth et vers le Hauran.

Le triomphe de Haïdar était complet. Il en profita pour remanier profondément la


carte politique de la Montagne. Le parti Qaïsite n’allait pas tarder à disparaître. L’Emir créa
de nouveaux dignitaires féodaux en modifiant la distribution des terres entre les seigneurs. Il
faisait disparaître les moukaddems, augmenta le nombre des cheikhs et des émirs – parmi
lesquels il nomma les Abilama‘. Le Chouf était confié aux Joumblatt, le Metn aux Abilama‘,
le Gharb aux Arslan et aux Talhouk, le Manassef aux Nakad, l’Arkoub aux ‘Imad, le Jourd
aux Malek, tandis que les Khazen étaient confirmés dans le Kisrwan, les Hamadé dans le
Mouneïtrah, les Daher dans le Zaouïeh, les ‘Azar dans le Koura.

Fait notable, les maronites eux-mêmes étaient associés à l’ensemble de ce


remaniement, et leur noblesse fut promue pour la première fois dans le Kisrwan, les régions
de Jbeïl et de Batroun, avec les Hobeïche, les Dahdah et les Khoury. Les maronites
exercèrent dès lors une sorte d’attraction. Des membres de la noblesse libanaise, sont une
partie de la puissante famille Abilama‘, et même quelques Chéhab, se convertissaient au
christianisme maronite.
62
Page
Comme conséquence de cet ordre nouveau, la légitimité des Chéhab devint
incontestable et inattaquable. Un usage unanimement admis est respecté, voulut désormais
qu’aucune insurrection contre le Grand Emir chéhabite ne put prendre naissance sans qu’un
prétendant chéhabite se mit à la tête.

En 1732, Haïdar abdiqua en faveur de son fils Melhem qu’il avait déjà associé au
pouvoir. Il se retira à Beyrouth et mourut la même année, laissant neuf descendants mâles.
Son administration intelligente et ferme, permit au pays de traverser, sans les accros inhérents
à l’apparition des grands vides, la période qui suivit la brusque disparition des Yamanites
après ‘Aïn Dara.

D. Le règne de Melhem (1732-1754)

Melhem succéda à son père Haïdar. Il régna pendant vint-deux ans ; prince fidèle
aux méthodes gouvernementales de ses ancêtres et à l’islamisme sunnite de sa lignée. Le
prestige qu’il acquit permit à la Montagne de rester fidèle à sa vocation de lieu de refuge.
Après avoir fait de son palais de Deïr al-Qamar sa résidence principale, il se retirera à
Beyrouth où il mourut six ans plus tard, en 1761.

Il consacra les premières années de son règne à reconstituer une force militaire
permanente à laquelle contribuaient toutes les communautés, dans laquelle le rôle des
féodaux était réduit autant que possible, et qui compta finalement près de 40.000 guerriers.

Les événements marquants du règne sont :

- Intervention au Liban-Sud. En 1743, Sa‘d al-Din al-‘Azam, pacha de Saïda,


appela l’Emir Melhem au secours contre l’insubordination des Chi‘ites de Jabal
‘Amel, qui les armes à la main, refusaient de payer les impôts. Les Chi‘ites, sans
doute encouragés en sous-main par le pacha, procédèrent à une mobilisation
générale qui ne donna que plus de retentissement à la victoire de l’Emir Melhem à
Ansar en 1743.

- Droit d’asile. En 1739, l’Emir accorda l’asile aux rescapés de la famille Farès, de
63

la région de Chekif (Beaufort), qui cherchaient refuge à Deïr al-Qamar. Plus tard,
Page
des janissaires, fuyant les poursuites du pacha de Damas, se réfugièrent chez les
Yazbakites Talhouk et ‘Abed al-Malak.

- Récupération de la Béqâ‘. En 1748, l’émir Melhem entra en conflit avec le pacha


de Damas Assa‘d pacha al-‘Azm. Celui-ci crut pouvoir prendre son adversaire de
vitesse en opérant un raid éclair sur le Mont-Liban, à travers la Béqâ‘. Prévu à
temps, l’émir occupa aussitôt les points stratégiques donnant accès à la Montagne,
puis, ayant achevé sa mobilisation, il dévala les pentes et tomba sur les troupes du
pacha qu’il mit, après un combat acharné, en complète déroute.
La paix fut rétablie moyennant la cession du gouvernement de la Béqâ‘ à Melhem
contre le paiement par lui du tribut y afférant, sans oublier, bien entendu, de servir
le pacha de Damas, quoique vaincu, sa part du marché. Pour compléter sa
mainmise sur la fertile plaine, l’émir déposa le seigneur de Baalbek, l’émir Haïdar
Harfouche qui avait pris part, dans les rangs ottomans, à la bataille de Bar Elias, et
le remplaça par son frère l’émir Husseïn Harfouche.
La possession de la Béqâ‘ par l’émir Melhem présentait le triple avantage d’offrir
des avant-postes de défense de la Montagne, de faciliter les communications avec
le Wadi al Taïm et d’augmenter d’une façon substantielle les revenus de l’Imarat.

- Acquisition de Beyrouth (1749). Restait le problème de l’accès à la mer. Depuis


que Saïda était devenue le siège d’un pachalik (1660) et comme Tripoli l’était déjà
dès le début de la conquête ottomane, la Montagne ne disposait plus d’un grand
port pour son commerce extérieur et pour le contact, qu’elle voulait avec
l’Europe. Melhem jeta donc son dévolu sur Beyrouth qui était administrée par un
haut fonctionnaire turc, Yasin Bey. Ses hommes armés ayant pénétréen ville y
suscitèrent des troubles, et ce fut à la faveur de cette panique, que Melhem s’en
empara. « Beyrouth deviendra après Deïr al-Qamar la seconde résidence des
Chéhab »1.

- Joumblattiya-Yazbakiya. Au temps de Melhem, l’antagonisme entre ces deux


factions dégénéra souvent en violences qui finirent par affaiblir la communauté
druze. Vu les implications de la convivialité, les Chrétiens aussi se voyaient
64
Page

1
Lammens 100.
engagés dans le jeu, quoique avec moins de virulence. Relativement épargnés, ils
se répandirent dans toutes les régions du pays.

- Synode libanais (1736). Au temps de l’émir Melhem se tint à Louaïzé – Kisrwan,


un synode qui réorganisa l’Eglise maronite, proclama le principe de
l’enseignement obligatoire et gratuit et fit obligation aux diocèses, paroisses et
couvents d’entretenir les écoles et de subvenir aux besoins scolaires des enfants
peu fortunés. Les programmes adoptés et consignés dans les actes du Synode
étaient à la pointe du progrès pour l’époque. A cet effet, le pape Clément XII
choisit d’écrire pour lui recommander le synode et que l’émir réserva un accueil
des plus positif à la demande du pape. En même temps que des foyers culturels,
les couvents étaient des fermes modèles. Les moines furent des défricheurs
infatigables et des maîtres dans la bonification des terres. Les chefs féodaux de
toutes les confessions échangeaient avec eux d’immenses domaines incultes
contre des terres défrichées et bonifiées. Signalons aussi l’influence acquise par
France grâce au renouvellement des capitulations, notamment celles de 1740, et
dont les Maronites étaient les principaux bénéficiaires en Orient.

En 1754, Melhem atteint d’une maladie incurable et ne pouvant plus assumer les
responsabilités du pouvoir, il abdiqua en faveur des deux frères ambitieux, ses
propres fils étant encore mineurs. Il s’installa à Beyrouth dans une retraite
définitive. En 1759, Melhem mourut.

E. Le règne de Mansour et Ahmad (1754-1763-1770)

Les corégents, Ahmad et Mansour, après le décès de leur frère Melhem, crurent
garder facilement le pouvoir. Mais, Qassem se considérant le dépositaire de la dernière
volonté de Melhem, le revendiqua pour lui-même et s’empara de Beyrouth en 1760 avec
l’appui du pacha de Saïda. Son action fut sans lendemain, puisque le pays se montra hostile et
65

s’opposa à sa cause, d’autant plus que les troupes ottomanes, venues à son aide, semaient
Page

dans le pays la peste et la misère.


Qassem devant son échec et avec un réalisme méritoire, se réconcilia vite avec ses
oncles duumvirs, se fit concéder comme fief la riche localité de Qab-Elias, dans la Béqâ‘ et
épousa la fille de Mansour. Il alla d’abord s’installer durant quatre ans à Bchamoun, pour se
fixer ensuite à Ghazir où il mourut à l’âge de 40 ans, converti au maronitisme et laissant deux
fils : Bachir et Hassan.

La mésentente qui ne tarda pas à éclater entre les deux émirs Ahmed et Mansour,
précipita la fin de la corégence. Ils eurent la faiblesse de se laisser attirer, l’un Mansour par le
clan Joumblatti, et l’autre Ahmed par le clan adverse des Yazbaki. Rentrant un jour d’une
partie de chasse ils eurent une vive altercation, à la suite de laquelle ils se séparèrent
définitivement, l’un d’eux Mansour regagnant sa ville de Beyrouth, et Ahmed, l’autre
capitale, Deïr al-Qamar.

Mansour, fort de ses nombreux partisans, chercha à éliminer par la force son frère
et associé d’hier. Il marcha à la tête de ses hommes sur Deïr al-Qamar. Ahmed qui pouvait
peut-être, les armes à la main, défendre à Deïr al-Qamar sa cause avec succès, préféra éviter
une lutte intestine et fratricide. Il céda et se retira, dans la localité voisine de Kfar-Nabrakh.
L’effet immédiat de son attitude fut la soumission des chefs yazbakis à Mansour, qui se
réconcilia également avec son frère. Celui-ci « pouvait rentrer et résider à Deïr al-Qamar à
son gré, mais sous condition de ne plus se mêler des affaires de l’Etat »1. Ces luttes des deux
régents ne nuisirent pas seulement à l’ordre public ; elles entraînaient des conséquences
considérables sur le plan politique et économique de l’Imarat.

Débarrassé d’Ahmed, Mansour devait tenir compte d’une autre compétition au


pouvoir plus sérieuse encore : celle des fils de Melhem. En effet, celui-ci avait laissé des
enfants mineurs qu’il confia sur son lit de mort au cheikh Sa‘ed al-Khoury. Ce dernier était le
descendant du P. ‘Abdallah Moubarack de Richmaya qui s’était distingué dans la bataille de
‘Ayen Dara. En 1756 eu lieu la conversion au maronitisme des enfants de Melhem Chéhab,
dont le jeune Youssef, et de Qassem, suivie de nouvelles conversions chez les familles
Abilama‘. Pour la première fois, un certain mécontentement se manifesta en milieu druze,
non seulement à l’égard de leurs princes mais à l’égard des maronites. De vieilles familles
druzes dénoncèrent ces conversions comme des trahisons, et jeter la méfiance parmi les deux
communautés.
66
Page

1
Haïdar 60.
La brève période de seize ans qui s’étendit du règne de Melhem à celui de son fils
fut, comme presque toutes les régences une période de troublée. Fait capital, la dynastie prit
un tournant décisif, qui aboutira, sous Bachir II, à une préférence marquée en faveur des
Chrétiens. La dynastie de la famille Chéhab s’y renforça ; mais le mécontentement des
druzes, peu exprimé au début ira en s’accentuant. Après la victoire d’Ammioun, après le
reflux des chi‘ites et la réorganisation politique de la Montagne, le problème de ces derniers
devint un problème sudiste.

f. Le règne de Youssef Chéhab (1770-1790)


a. L’affaire ‘Ali Bey.

Les problèmes au Sud allaient devenir la plaie du règne de l’émir Youssef. ‘Ali
Bey, représentant des Ottomans se souleva contre eux en Egypte. Il entraina en 1771 le
dangereux Daher qui, appuyé des Chi‘ites du Bled Béchara, jeta de nouveau trouble dans
toute la région. L’émir Youssef se déclara loyaliste aux Ottomans et manifesta l’intention de
réprimer toute dissidence.

Mais Daher avec ‘Ali Bey soutenu par les Russes (la guerre turco-russe) et
quelques 800 mamelouks repoussèrent l’Emir et prirent la ville de Saïda. Pourtant, à peine
avai-il installé l’Algerien Dinkizli comme son représentant dans la ville que ses appuis
extérieurs venaient à lui manquer. ‘Ali Bey fut supplanté par un de ses lieutenants, Abou
Dhahab, lequel était fidèle à la Porte et se déclara contre Daher. Les Russes hésitaient et la
flotte turque bombarda la ville de Saïda, que Dinkizli évacua précipitamment. Daher se
retrancha à Acre, où alla le rejoindre Jazzar.

b. L’émir Youssef Chéhab et Ahmed al- Jazzar.

Jazzar – le Boucher, Albanais d’origine et soldat de fortune, devait son surnom à sa


brutalité. Il débuta sa carrière en Egypte, auprès de ‘Ali Bey : mais, brouillé avec celui-ci, il a
été ensuite accueilli par l’émir Youssef au temps de la régence de Mansour et introduisit chez
le pacha de Damas. Ce dernier, lorsque Youssef devint grand émir, l’utilisa encore à son
67

service. Aussi lorsque Daher se révolta en 1711, et mit en mouvement les Chi‘ites du sud, les
Page

Ottomans et l’émir Youssef étaient-ils d’accord pour confier la ville de Beyrouth à Jazzar.
Cependant dès qu’il avait fini de reconstruire les remparts de la ville, Jazzar se proclama
soudainement indépendant. A la demande de Youssef, le capitan Pacha ottoman et sa flotte se
présentèrent devant Beyrouth, qu’ils soumettaient à un violent bombardement. Puis, après
avoir résisté à un siège de quatre mois, la garnison se rendit en 1773, et Youssef rétablit son
autorité, tandis que Jazzar s’enfuit à ‘Akka où il retrouva Daher, lui-même réfugié de Saïda.

Pourtant, alors que Daher mourra en 1775 assassiné par ses propres soldats dans
son retranchement de ‘Akka, déconsidéré auprès de ses hommes, comme auprès des
Ottomans et du grand émir, Jazzar parvint au même moment à rétablir la situation à son
profit. Changeant de nouveau de camp, il alla faire sa soumission à Damas. Il obtint alors du
pacha d’être nommé au pachalik de Saïda, que la défection de Daher laissa libre. Les
Ottomans qui, sentaient leur autorité s’affaiblir sans cesse au Liban, voyaient là le moyen de
contrebalancer l’autorité de l’émir Youssef. Celui-ci ne pouvait que s’incliner et accepter que
Jazzar partageait avec les autres représentants ottomans de Tripoli et de Damas le contrôle de
l’autonomie libanaise.

Malgré l’hostilité de Youssef, qui lui tendit près du Dammour une embuscade à
l’occasion d’une brève révolte de ses soldats, et ne parvint qu’à s’attirer la haine du Jazzar ne
cessa, de 1780 à 1790 d’améliorer sa position auprès des Ottomans. Dès 1784, il faisait
d’Acre son centre principal ; et de cette forteresse extérieure au pays, qui retrouva alors
l’importance qu’elle avait connu au temps des croisades, il surveilla tout le Liban, achevant
de réduire dans la région Béchara les dernières tentatives de dissidence chez les Chi‘ites.
Mais les exigences de Jazzar étaient chaque jour plus fortes. Pour les satisfaire, Youssef
devait lui-même pressuré les Libanais et, perdit peu à peu à ce régime son ancienne
popularité.

Ce fut alors qu’entre en scène le futur Bachir II.

Chapitre V : Les transformations de la société du Liban entre le XVIIe et le XVIIIe


siècle

L’évolution qu’avait connue l’Eglise maronite, fut mise en évidence par sa capacité à
jouer un rôle de premier plan et à utiliser l’influence française. Le clergé maronite s’affirmait
dans la direction de la communauté maronite, dans sa mobilisation et l’orientation de sa
68

conscience ; cette attitude procédait, d’une part, de son enracinement dans le milieu
Page
montagnard dont il était une expression typique, et, d’autre part, de son organisation qui avait
été réformé sous l’égide de Rome.

A. La renaissance de l’église maronite

Sous la double influence de la Renaissance romano-florentine et de la papauté, une


vaste entreprise de rénovation s'amorce, tant pour l'Église maronite que pour l'ensemble de la
communauté, durant les dernières décennies du XVIe siècle. Le rôle du pape Grégoire XIII
(1572-1585) s'avère déterminant. Les légations confiées à des jésuites, le P. J-B. Eliano
(1578-1582) puis le P. G. Dandini (1596-1597), ouvrent le champ à des décisions tant
doctrinales que disciplinaires dans une Église dont le statut et l'organisation étaient restés
jusqu'alors embryonnaires. Issue de communautés monastiques de tradition antiochienne –
enracinées dans une culture d'expression araméenne mais inébranlablement fidèles aux
décisions du concile de Chalcédoine – contrainte à des migrations à Chypre et surtout au
mont Liban, elle n'a pu encore se donner les structures communes depuis des siècles à
l'ensemble des Églises chrétiennes. Le patriarche est, de fait, le supérieur d'un monastère qui
dirige son Église avec la collaboration d'un collège monastique composé d'une douzaine
d'évêques n'ayant pas juridiction sur un diocèse particulier.

La création, en 1584, du Collège maronite romain, confié aux Jésuites, permet la


formation d'un clergé non monastique selon les directives engagées par le concile de Trente
(1542). Cet établissement deviendra, par ailleurs, une pépinière d'orientalistes qui seront, en
Italie mais surtout en France, les pionniers d'un accès à la culture syriaque en même temps
qu'à l'arabe. Deux d'entre eux, Gabriel Sionite (1577-1648) et Abraham Ecchellensis (mort en
1664), enseignent au Collège de France. Par ailleurs, avant 1585, une première imprimerie
syriaque est créée au Liban nord dans le monastère Saint-Antoine de Qozhayya. Par la suite,
durant le XVIIIe siècle, ce sont encore des Maronites qui, avec des membres de la famille
Assémani, ouvrent l'Occident à la connaissance d'un Orient chrétien autre que byzantin ou,
avec un Germanos Fahrat, évêque d'Alep, sont les initiateurs de la renaissance arabe, la
nahda.

Si la sollicitude du Saint-Siège préserva les Maronites des Maux qui les menaçaient et
contribuait à l’amélioration de leur statut, la protection de la France continuait à leur être
prodigué. La protection de la France se fit sentir comme au siècle précédent. Le patriarche
69

Jacques ‘Awad vit son épreuve terminée grâce à l’appui de la France. Il rentra à Cannobin
Page
« escorté du consul Poullard en personne, qui avait prié le pacha de Tripoli de lui prêter à
cette occasion des chevaux richement harnachés ainsi que sa fanfare et des janissaires ».

Louis XV renouvela le 12 août 1737 les lettres de protection de Louis XIV, délivrées
un siècle environ auparavant. Il ordonnait à son ambassadeur ainsi qu’à ses consuls et vice-
consuls dans le Levant de favoriser de leurs soins et offices le Patriarche maronite et tous
ceux de sa nation afin qu’il ne leur fût plus fait de mauvais traitements et qu’ils pussent
continuer librement l’exercice de leur culte1

Toute cette efflorescence est dominée par la grande figure d'Étienne Douaïhy (1630 à
1704). Formé, dès son enfance, au Collège maronite romain, il est patriarche de 1670 à 1704,
engage et soutient les instigateurs d'un renouveau du monachisme maronite qui, sans rompre
avec la Tradition, érémitique ou cénobitique, s'ouvre à des activités tant pastorales
qu'éducatives et explicite les fondements caractéristiques de ce que certains appelleront la
« maronité ». Au terme de cette longue gestation, le concile maronite de 1736 donne à
l'Église l'organisation qui s'est maintenue jusqu'à nos jours.

La Révolution de 1789 qui avait emporté le trône en France, tenait cependant aux
traditions de la royauté au Levant. « La Convention qui faisait couper la tête aux évêques
français, écrivit Gabriel Charmes dans son Voyage en Syrie, s’employait en même temps à
faire respecter le catholicisme au Liban ». Sous le Consulat, Bonaparte, Premier Consul,
tenait à la même politique. Il envoya au Général Brune, nouvel ambassadeur à Istanbul, les
instructions datées de Saint-Cloud, du 18 octobre 1802, lui disant qu’il avait notamment pour
mission de protéger les chrétiens de Syrie et d’Arménie.

Les Maronites cherchèrent donc le renforcement des liens avec le Saint-Siège et la


France ; une vitalité nouvelle leur était ainsi communiquée, mais sans que disparût
l’originalité de leur comportement. Ils furent les premiers à connaître un trouble de
conscience provoqué par la soumission à un ordre européen. L’histoire de Hendîyé - la
religieuse visionnaire de Bekerké - fut comme la parabole d’une Eglise qui reçut des forces
d’Occident, mais resta d’Orient.

L’affaire Hendîyé donna lieu, chez les voyageurs occidentaux d’Orient, une littérature
copieuse. Volney, Poujade, Burckhardt, Lamartine et enfin Maurice Barrès, tous de passage
70
Page

1
RISTELHUEBER, 225.
au Liban, à des dates diverses nous laissèrent sur ce sujet des impressions et des
commentaires divers.

L’affaire Hendîyé, les dissensions et les cabales ne furent que des incidents dans la
vie de la communauté Maronite. Elles n’altérèrent son évolution. C’était ainsi qu’au moment
même de ces incidents la vie se manifestait dans le renouvellement et la faveur des ordres
religieux. Cette expansion des ordres retint particulièrement l’attention vue d’une part
l’orientation nouvelle donnée à l’activité des ordres religieux, et d’autre part la répercussion
profonde de cette activité sur le développement moral, social et économique du Liban.

B. La fondation de l’Ordre Libanais Maronite (OLM - 1695)

Au cours du XVIIIe siècle, la vie monastique chez les Maronites allait connaître une
nouvelle organisation. Ce fut le patriarche Douaïhy, qui pensa le premier à unifier les
monastères et à les grouper sous une seule direction, régie par des règlements approuvés et
contrôlés par le Saint-Siège. La règle fut confirmée par le Saint-Siège en 1732 et qu’en 1768
l’ordre fut divisé en deux communautés : les Baladites dits Libanais et les Alépins
(Mariamites). Quant à l’ordre des Antonins, il fut fondé en 1700 par l’évêque Gabriel de
Blouza.

La fondation des couvents se faisait alors sur le plan économique soit par l’achat des
terres ; soit par location ; soit par metayage ; mais surtout par donation et legs.

- Par achat. Tel fut le cas du couvent de Machmouché, acheté en 1736 à Mgr Simon
‘Wad, lequel l’avait acquis par actes de la princesse veuve de l’émir Ahmed
Chéhab, et du Cheick druze Qabalan Harmouche. Celui-ci écrivit au Patriarche à
ce propos qu’il réservait aux religieux le meilleur accueil dans ses domaines, car
le fait d’honorer les religieux par amour pour Dieu sera récompensé par lui.
- Par location. Tel le cas de la location du village de Bsebhel au Liban-Nord, pour
un loyer annuel de 1500 piastres en numéraire, plus une demi-mesure d’orge,
quatre poulets et trois charges de bois1.
- Par métayage. Cas type le couvent Saint Maroun à Mejdel-Mé‘ouche au Chouf.
Les religieux y étaient déjà propriétaires d’un petit terrain avoisinant de vastes
71
Page

1
Bleïbel, I, 91.
domaines de l’émir Mansour. Sentant le besoin de s’étendre, ils obtinrent de
l’Emir en 1740 la concession de ses domaines aux conditions suivantes : « Les
religieux, dit l’acte, défricheront la terre et la planteront contre une redevance
annuelle de douze piastres à dater de 1752 jusqu’à 1760 ; après cette date un
nouvel accord interviendra ». Et en guise de protection l’émir Mansour ajoutait :
« Nous ne tolérons contre eux aucune agression ni empiètement […] Mais nous
punirons sévèrement tous ceux qui oseraient les inquiéter […] ».
- Par legs et donations. Mais ce fut particulièrement par les legs pieux que les
ordres religieux s’étaient enrichis. Les principales grandes familles maronites, la
famille Khazen en premier lieu, se faisaient un devoir de fonder et de doter les
monastères. Les émir Chéhab et Abilama‘ surtout à partir de leur conversion
faisaient aux couvents les dons les plus généreux. L’émir Youssef par une
mention spéciale de générosité, provoquée sans soute par son chancelier Sa ‘ed al-
Khoury, qui assura à la communauté maronite, la propriété de la plupart des
couvents de la région de Jbeïl et de l’église des Croisés.

72
Page
Chapitre VI : Le règne de Bachir Chéhab II (1788-1840)

Le règne de Bachir Chéhab II fut, avec celui de Fakher Eddine II, le plus long de
l’histoire moderne du Liban. Il fut aussi un des plus marquants.

A. La biographie de l’émir Bachir II

Bachir Chéhab II naquit à Ghazir le 6 janvier 1767, fête de l’Épiphanie. Son père
Qassem fils de Melhem et petit fils de Haïdar I, s’était proclamé gouverneur de la Montagne
en 1760, mais sans prendre effectivement le pouvoir. Qassem et ‘Ali passaient pour être les
arbitres set les sages conseillers dans les conflits fréquents entre les membres de la famille.
Ils étaient tous deux maronites.

Orphelin de père en bas âge, peu soigné par sa mère qui s’était vite remariée, il fut
pris en charge par la famille maronite des Chidiac, son frère aîné Hassan, l’assistant
sporadiquement dans la mesure de ses moyens. Mais ambitieux et conscient de sa propre
valeur, il trahit son protecteur, son cousin Youssef et réussit à lui arracher le pouvoir dans des
circonstances dramatiques : « Bachir prit le gouvernement de la Montagne pour garder une
cinquantaine d’années avec des fortunes très diverses qui l’amenèrent à abandonner plusieurs
fois le Liban pour y entrer d’ailleurs chaque fois avec un nouveau prestige. Sans cependant
avoir l’envergure d’un Fakher Eddine II, il était parvenu à acquérir une situation
prépondérante »1.

Vers l’âge de treize ans, il quitta Ghazir pour s’installer à Beit Eddine, pratiquant
un petit négoce et jouissant de la bienveillante protection de son grand cousin l’émir Youssef.
Le clan Joumblatt, en quête d’un Chéhab à opposer à l’émir Youssef, vit en Bachir l’homme
valable. A partir de 1787, à la faveur d’un riche mariage, il put mener un train de vie princier,
se constituer un petit clan et se monter plus sensible aux démarches des Joumblatt.
L’occasion n’allait pas tarder à venir. En 1788, ce fut l’assemblée de Barouk qui le porta au
trône de l’Imarat.
73
Page

1
RISTELHUEBER , 24.
B. L’instabilité politique de la Montagne

Aussitôt élu, Bachir prit le chemine de ‘Akka, où le gouverneur Ahmad pacha al-
Jazzr l’accueillit avec égards, le reconnut prince suprême de son pays et lui recommanda
d’éloigner l’émir Youssef, son prédécesseur.

Ce n’était que l’ouverture d’un scénario qui se répétera et durera autant que le
pacha. La tactique de ce dernier sera d’éviter à tout prix l’union des Libanais. Il saura
exploiter, avec un art consommé, leur soif du pouvoir que décrit avec finesse le missionnaire
américain John Carne. Sa politique sera celle de la bascule qu’il allait manipuler avec
beaucoup d’adresse, dressant les uns contre les autres, soutenant l’un puis l’autre et arrachant,
à chaque volte-face, un surplus de tribut. De retour à Deir al-Qamar, l’émir Bachir en
recevant l’hommage des principaux féaux, fit par à l’émir Youssef des mauvaises
dispositions de Jazzar à son égard et lui conseilla de partir pour le Kisrwan. Puis, il se mit en
marche comme s’il le pourchassait en exécution de la volonté de Jazzar. De son côté, l’émir
Youssef se retira à distance devant les troupes du nouvel émir.

Sous la pression des ses partisans, l’émir Youssef décida de reconquérir le trône.
La région de Jbeïl lui était restée fidèle ainsi qu’une partie du Metn, du Kisrwan et de
Bcharré. La réaction de Bachir ne se fit pas attendre. A la tête de ses hommes et des renforts
envoyés par Jazzar, il marcha contre Youssef qui se hâta de quitter le Liban. Il s’établit pour
un moment, dans la région de Zabadani, non loin de Damas.

Après huit mois d’exil, l’émir Youssef réapparut dans la région de Jbeïl. De là, il se
dirigea vers ‘Akka. Il séjourna 5 mois chez le Jazzar. Moyennant la promesse d’un tribut plus
élevé, il obtint l’appui de Jazzar contre Bachir ; puis laissant à ‘Akka, un peu comme otage,
son conseiller Cheikh Ghandour al-Sa‘ed, il réintégra Deir al-Qamar où il fit une entrée
solennelle.

De son côté, l’émir Bachir, quitta précipitamment sa capitale pour ‘Akka où il


surenchérit, à son tour, sur Youssef. Or, Jazzar avait gardé rancune à Youssef de leurs
démêlés antérieurs et, tout compte fait, lui préférait Bachir. La promesse d’un tribut surélevé
acheva de le convaincre. Jazzar convoqua Youssef à ‘Akka et laissa Bachir reprendre le
chemin de Deir al-Qamar. Youssef eut le tort de répondre à la convocation. Pendant qu’il se
74

trouvait à ‘Akka, la révolte éclata au Liban contre les exigences fiscales de Bachir. Celui-ci
Page
se plaignit à Jazzar, accusant les partisans de Youssef de fomenter la désobéissance. C’est
alors que Jazzar, furieux, fit exécuter Youssef et son conseiller Sa‘ed.

A la nouvelle de l’exécution de l’émir Youssef et de son conseiller, l’opinion


libanaise s’émut vivement et un doigt accusateur désigna Bachir. Haïdar, le frère de l’émir
défunt, et son neveu Qa‘dan furent désignés en 1790 par le peuple comme corégents. Bachir
et son frère durent quitter la Montagne.

Jazzar accourut au secours de Bachir. Mais, suite à plusieurs défaites dans la Béqâ‘
et dans la Montagne, il s’inclina. Il reconnut les corégents moyennant le versement de 50.000
piastres. Ces événements se déroulèrent dans le courant de l’année 1791. Cependant les
armes des vainqueurs n’arrivaient pas à surmonter la crise socio-économique. Des difficultés
nouvelles surgissaient chaque jour. Une disette horrible, venue s’ajouter au poids des impôts,
fit déborder le vase. A la fin de l’année 1791, Haïdar et Qa‘dan abdiquèrent en faveur des fils
de l’émir Youssef. Cependant, les partisans de l’émir Bachir se préparèrent dans le plus grand
secret à reconquérir le pouvoir. Les Joumblatt se tenaient prêts. Avec leur appui et celui de
Jazzar, l’émir Bachir marcha sur la Montagne. Une série de victoires (Moukhtara, Kahalé,
etc.) facilitées par la mésentente de ses adversaires et le manque d’expérience des fils de
Youssef, lui amena d’abord la soumission de Haïdar et Qa‘dan, pui celle ses fils de Youssef
et de leurs alliés, les Abilama‘.

En 1798, le pacha de ‘Akka prépara un nouveau coup de théâtre contre Bachir,


convoquait les fils de l’émir Youssef à qui il réserva un accueil flatteur, quand il apprit le
débarquement le 1er juillet 1798 du général français Bonaparte dans le delta du Nil.
L’expédition française d’Égypte, suivie de la marche sur ‘Akka, allait absorber tous les
efforts de Jazzar et bouleverser bien des données sur l’ensemble de la scène proche-orientale.

C. L’expédition de Bonaparte en Syrie

Le 1er juillet 1798, Napoléon Bonaparte débarquait à Aboukir, à l’est d’Alexandrie


en Egypte, poussant en les bousculant les pays du Levant sur la scène internationale dont ils
allaient garder souvent le devant. Trois semaines plus tard, il occupait Le Caire, pour se voir
presque aussitôt prisonnier dans sa conquête après la destruction de sa flotte dans la même
75

rade d’Aboukir le 1er août 1798. L’hiver suivant, il entreprit la conquête du Levant asiatique.
Page

Il quitta Le Caire le 10 février 1799 pour rejoindre ses troupes qui s’étaient déjà mises en
marche. Le 19 février il s’empara d’al-‘Ariche. Le 24, il prit Gaza et le 6 mars suivant Jaffa.
Le 14 mars, l’arriva au pied de ‘Akka (Saint-Jean-d’Acre).

a. Le siège de ‘Akka

Les effets immédiats du siège de ‘Akka par Bonaparte sont faciles à identifier. L’un
deux est le déplacement de l’équilibre du pouvoir entre la Montagne et la côte, processus qui
continua pendant tout le XIXe siècle. La puissance ottomane étant alors centrée sur la côte, ce
déplacement accentua la soumission de l’émir Bachir Chéhab à l’autorité ottomane,
soumission qui fut complète en 1842 quand l’Imarat fut remplacé par un système
administratif qui rendit la Montagne plus dépendant du pouvoir ottoman. L’Imarat Chéhab
76

connut sa plus grande puissance sous le gouvernement de Bachir II à la fin du XVIIIe et au


Page
début du XIXe siècle ; il s’écroula peu après. La lutte pour le pouvoir entre Jazzar et l’émir
contribua à ce résultat et, dans cette lutte, le siège de ‘Akka joua en faveur de Jazzar.

Sa victoire lors du siège amena Jazzar à l’apogée de sa puissance. Celui-ci, en effet,


semblait invincible, « la tête auréolée par sa victoire sur Napoléon »1. Peu importe, que la
vraie raison de la défaite de Bonaparte puisse être attribuée à la flotte britannique ou à une
politique interne qui empêcha le ravitaillement. Aux yeux de la population locale et
certainement en ce qui concerne l’équilibre du pouvoir, la retraite française amena le
gouvernement de ‘Akka au faîte de sa puissance2.

Les conséquences du triomphe de Jazzar ne firent pas attendre. Dans les quatre ans
qui suivirent le siège de ‘Akka, l’ingérence de Jazzar au Liban « atteignit son apogée et causa
une confusion indescriptible »3. Le premier à subir l’humeur vindicative de Jazzar fut Bachir
II. Pendant le siège, Jazzar avait ordonné à l’émir Bachir de venir à son aide avec ses troupes,
mais Bachir s’était désisté sous prétexte qu’il se trouvait en position de faiblesse et manquait
d’autorité sur son peuple4 – critique à l’adresse du gouverneur qui avait excité les cheikhs
druzes contre lui et l’avait déjà déposé une fois.

Cependant, Bachir mena son jeu très prudemment. Il essaya d’apaiser la colère du
gouvernement en étant tout aussi peu enthousiaste vis-à-vis de Bonaparte qui cherchait
également son alliance. De plus, Bachir se donna beaucoup de mal pour accueillir
chaleureusement Kor Yusuf Zaiyaulddin pacha, le grand vizir ottoman envoyé pour repousser
l’envahisseur français : il lui offrit des chevaux à Hama, du blé à Damas, et mit le grenier de
Baalbek et de Béqa‘ à la disposition des troupes turques5. Malgré cela, Jazzar lui fit payer sa
neutralité en le déposant une seconde fois et en donnant le titre d’émir à cinq différents
princes de la famille Chéhab. Bachir II dut quitter la Montagne pour les régions d’al-Hisn et
de ‘Akkar, puis de Tripoli, il embarqua sur un navire britannique à destination de Chypre 6,
puis d’al-‘Arich à la frontière égyptienne, afin de plaider sa cause auprès du grand vizir.
Celui-ci rétablit Bachir comme émir du Liban, lui donna l’autorité de négocier directement

1
HITTI, Lebanon in History, p. 414 ; HAIDAR, I, 192-193.
2
LOCKROY Ahmed Le boucher, p. VIII
3
SALIBI, The Modern History of Lebanon, p. 21.
77

4
HAIDAR I, 192. Dominique CHEVALIER, 1971. La société du Mont Liban à l’époque de la révolution industrielle
en Europe, Paris, 96-97.
Page

5
HITTI, Lebanon in History, 413-414 ; HAIDAR I, 194-195.
6
Voir la relation de l’émir Bachir et les Anglais, dans DIB, 426-427.
avec la Porte et promit d’intercéder en sa faveur auprès de Jazzar. Mais ce n’est que la mort
de Jazzar en 1804 qui mettra fin aux difficultés de Bachir II1.

Le succès de Jazzar sur les Français accentua également la tyrannie dont souffrait
la population sous sa domination. Cette oppression s’exerçait sur tous les citoyens, quelle que
soit leur religion. Mais ce sont les Chrétiens qui craignaient le plus les effets de l’invasion
manquée des Français. Puisque la neutralité ou le contact, intéressé ou non, avec l’ennemi
équivalait à une fraternisation aux yeux de Jazzar pacha, les plus prudents des Chrétiens
quittèrent la côte pour la Montagne afin d’échapper aux représailles. Naturellement, les
marchands français et les intérêts commerciaux français sur la côte syrienne n’échappèrent
pas à la colère de Jazzar qui confisqua leurs richesses et les chassa de ses territoires. Ils
n’osèrent s’établir le long de la côte ou y retourner qu’après la mort de Jazzar en 1804, mais
le réseau commercial français de cette région s’était alors détérioré.

Le siège de ‘Akka eut également d’autres effets durables. Après le siège et le


triomphe de Jazzar, le centre du commerce côtier se déplaça de ‘Akka et de Saïda vers
Beyrouth. Les commerçants français et les commerçants chrétiens de la région qui avaient été
chassés de ‘Akka par Jazzar revinrent finalement vers la côte syrienne – en fait en plus grand
nombre qu’avant – après 1830, mais ils s’établirent à Beyrouth plutôt qu’à ‘Akka ou à Saïda
dans les années 1830.

Les relations entre les communautés locales s’étaient en partie détériorées : le siège
de ‘Akka avait exposé leurs loyalismes divergents. Les Sunnites des villes côtières avaient fui
vers l’intérieur tandis que les Chrétiens et les Chi‘ites avaient accueilli les Français2. Les
Chrétiens du Mont Liban en général fait de même, mais non les Druzes, ce qui provoqua des
hostilités qui aboutirent à des oppositions communautaires devenues si communes à partir
des années 1830.

La croissance des tensions résultant du siège de ‘Akka et, plus généralement, de la


pénétration occidentale au XIXe siècle causa des dissensions entre les groupes confessionnels
locaux qui cherchaient une protection auprès des grandes puissances européennes, au
moment où la puissance politique et économique de l’Occident augmentait et que déclinait
celle de l’Empire ottoman.
78

1
SALIBI, The Modern History of Lebanon , 22 ; CHURCHILL Charles, 1973. The Druzes and the Maronites under
Page

the Turkish Rule from 1840 to 1860, New York, 23-24.


2
HAIDAR : 192-193.
D. Le règne de Bachir II après la mort de Jazzar 1804-1818

Après la mort de Jazzar en 1804, Bachir allait tranquillement renforcer son pouvoir.
A ‘Akka, la mort de Jazzar donna lieu à des sanglantes disputes autour de sa succession, ou
autour de ses trésors réputés immenses. La Porte commença par nommer au poste Ibrahim
pacha, le pacha d’Alep, et par dépêcher en même temps sur les lieux un haut dignitaire,
Ragheb effendi, aux fins de recueillir les trésors du Jazzar. Mais le courtisan de Jazzar, Taha
avait déjà pris ses mesures, sans se soucier de la volonté de la Porte. Il avait pour candidat à
la succession, un ancien esclave de Jazzar, Ismaïl pacha, qui se trouvait à la mort de son
maître jeté dans un cachot. Taha amena discrètement Ismaïl au Sérail, lui fit porter les
vêtements mêmes du Bosniaque et le proclama pacha de ‘Akka en attestant lui-même que
telle était la dernière volonté du pacha disparut. En même temps, Taha fit libérer un autre
détenu, le juif Haïm, ancien trésorier de Jazzar. Tout cela lui permit de s’emparer aisément
des trésors du sérail et de conserver son précédent prestige.

Sollicité à la fois par Ibrahim pacha et par le tandem Taha-Ismaïl, Bachir évitait de
se déclarer trop ouvertement. Sa place naturelle était aux côtés d’Ibrahim, seul représentant
légal de la Porte. Mais Ismaïl disposait de troupes solides et de remparts prestigieux de
‘Akka. Sans rompre avec le tandem, il envoya Georges Baz à la tête d’une nombreuse
délégation présenter ses félicitations à Damas, laissa Cheick Bachir Joumblatt prêter
assistance à l’opposition armée, qui s’était dressée contre Ismaïl dans le Wadi al-Taym, et
assura le ravitaillement et la sécurité aux troupes ottomanes qui marchaient sur ‘Akka et
s’emparèrent de la place à la suite d’une mutinerie : Taha fut tué et Ismaïl exécutait à
Istanbul. Quant à Bachir II, son attitude lui valut les vives félicitations des autorités
ottomanes.

Sulaiman pacha succéda à Ibrahim pacha avant même la prise de ‘Akka. À peine
arrivé, le nouveau Wali eut deux sujets de conflit avec Bachir II.

- Le premier conflit est de type financier. Les besoins financiers de la Porte


poussèrent Sulaiman à exiger une hausse du tribut versé par la Montagne. À cette
fin, il voulut imposer de nouvelles contributions, comme le Kharaj1 auxquelles la
Montagne n’était pas traditionnellement assujettie. Devant les protestations
énergiques de l’émir, l’affaire fut réglée à l’aimable selon une formule de
79
Page

1
Le Kharaj désignait à la fois l’impôt foncier et la capitation (Jiziah) et était perçu sur les non-musulmans.
compromis : l’assiette de l’impôt ne subissait pas de modification, mais les
Libanais payaient sur surplus de redevances à titre de contribution au
renflouement des finances impériales.
- Le deuxième. Lors de l’examen de la comptabilité de Jazzar, celle-ci révéla un
arriéré dû par l’Imarat au pachalik de ‘Akka. Les turcs exhibaient des
engagements écrits signés tant par Bachir II que par les autres Chéhab qui
s’étaient succédé, pendant les périodes d’alternance, au pouvoir. Heureusement
l’atmosphère de liesse et de confiance mutuelle à laquelle on tenait des deux côtés
permit, une fois de plus, une transaction à l’aimable.

L’alliance étroite entre Sulaiman pacha et l’émir Bachir tous deux hommes
d’initiative amènera ce dernier à jouer un rôle de premier plan dans la Montagne. Ce rôle sera
surtout celui de pacificateur à l’intérieur du pays. La pacification était recherchée dans le
rétablissement de l’ordre et de la prospérité, mais surtout par la suppression de toute
compétition au pouvoir et de toute menace d’éviction.

En effet, une fois son pouvoir définitivement assis, Bachir II devenait de plus en
plus autoritaire et ombrageux. ; il s’accommodait mal de toute velléité ou possibilité
d’opposition. Dans ce sens, le 15 mai 1807, Georges Baz fut assassiné à Deir al-Qamar et son
frère ‘Abbd al-Ahad, à Jbeïl. Forfait si choquant que Bachir éprouva le besoin de justifier aux
yeux de Sulaiman pacha, en usant du prétexte bon marché mais devenu classique dans
ll’ensemble du Levant de relations suspectes que les Baz entretenaient avec les étrangers, en
l’occurrence les Anglais. Les fils de Youssef auront les yeux crevés et seront assignés à une
résidence forcée dans le Kisrwan.

Plus Tard l’émir Bachir frappera les autres grandes familles tant druzes que
chrétiennes : les Arslan, les Talhouk, les ‘Abd al-Malek, les ‘Imad, les Khazen…Il mettra à
profit les divisions dans la famille princière des Harfouche pour renforcer son autorité sur la
Béqâ‘. Les Nakad avaient déjà été durement frappés en 1797. De la sorte, seule la famille
Joumblatt – et pour un temps seulement – était épargnée. Elle polarisera naturellement
l’opposition au grand Emir, parmi les Druzes surtout ; tout se passera comme si une fatalité
poussait les deux Bachir, si longtemps amis, au conflit, et ce au grand dam du Liban.

En ébranlant les structures fondamentales sans pouvoir les remplacer, en ne tenant


80

pas suffisamment compte des susceptibilités libanaises aux innombrables nuances, Bachir
Page
affaiblira la capacité de résistance du pays en général dans les grandes tourmentes qui allaient
se déchaîner. La crise internationale de 1840 et ses suites emporteront l’Imarat.

Sur un autre plan, un conflit éclata en 1808 entre le gouverneur de Damas Youssef
pacha, dont la Sublime Porte comptait beaucoup sur sa fermeté pour contenir les incursions
wahhabites qui menaçaient la Damascène et le gouverneur de Tripoli Moustafa Agha Barbar,
de Qalamoun – homme à poigne, il fit régner avec énergie la paix dans la région. Sollicité par
les deux gouverneurs, Bachir se tint sur une prudente réserve. Le gouverneur Youssef occupa
la ville de Tripoli, mais ne put s’emparer de sa citadelle. A la suite de la médiation de
Sulaiman pacha, à laquelle la diplomatie de Bachir II n’était pas étrangère, lui apporta une
solution appropriée : Moustafa Agha fut autorisé à quitter Tripoli par voie de mer pour
‘Akka ; il échappait à la capture et Youssef pouvait se dire vainqueur.

Trois ans après la nomination de Youssef gouverneur de Damas, les incursions


wahhabites atteignirent les confins de la Damascène. La reprise de la guerre avec la Russie
(avril 1809) empêchait le sultan d’envoyer du secours au pacha de Damas. Celui-ci se tourna
vers son collègue et voisin, le pacha de ‘Akka, Sulaiman pacha, lequel, contrairement à
Jazzar, n’entretenait pas de troupes permanentes. Sulaiman pacha fit donc appel à Bachir II
tout en se mettant immédiatement en marche avec les troupes dont il disposait. Bachir II ne
tarda pas à le rejoindre à la tête de quelque 15 000 hommes.

Le problème de wahhabite concernait la majorité des gens, gémissant sous le poids


d’une administration ottomane décadente qui aspiraient à un renouveau. Les Wahhabites
semblaient répondre à ces aspirations, ce qui leur gagnait les sympathies du peuple. Leur
puritanisme contrastait avec le relâchement des mœurs des grands dignitaires de
l’administration. Youssef pacha s’est cru obligé de jouer au réformateur :

- Fermeture des souks aux heures de la prière ;


- proscription de l’alcool ;
- Proscription du tabac ;
- Interdiction de multiples formes de distraction (chants, musiques…).

Le gouverneur se retournera aussi contre les Juifs et les Chrétiens, ressuscitant de


jeux règlements tombés en désuétude, tels le ports d’habits de certaines couleurs,
81

l’interdiction de harnacher les montures, de construire ou de réparer des églises, d’exhiber la


Page

croix, de sonner les cloches.


Pendant que Bachir et Sulaiman pacha étaient en route pour rejoindre Youssef, il
était arrivé un firman en 1810 investissant Sulaiman pacha du gouvernement de Damas. Il
communiqua l’édit impérial à son allié libanais et lui demanda de l’aider à prendre possession
de son nouveau poste, sûr qu’il était que Youssef pacha allait s’y opposer, au besoin par la
force. Youssef pacha fut obligé de quitter Damas et se réfugie en Egypte, où il fut emporté
par la peste. Les vainqueurs firent une entrée triomphale à Damas, ce qui indisposa la
population dont les sentiments religieux étaient survoltés par une active propagande et toute
une série de mesures de nature à exciter le fanatisme.

La période qui s’ouvre à partir de 1810 et jusqu’en 1818 forme peut-être l’âge d’or
du gouvernement de Bachir II. Cette ambiance attira une bourgeoisie syro-palestinienne, en
majorité chrétienne, venue mettre sa fortune et son expérience à l’abri des aléas, sous l’égide
de Bachir II. Dans le même ordre d’idées, se situe l’exode vers le Liban des familles druzes
du Jabal al-‘Aala.

E. Le règne de Bachir II 1819-1831

En 1819, décéda le pacifique Sulaiman pacha. Il lui succéda ‘Abdallah pacha, un


jeune ambitieux pacha. On assista presque aussitôt à une dégradation rapide des relations
entre lui et l’émir Bachir II. Le nouveau ‘Abdallah pacha, que pressaient les besoins d’argent
se montra d’une grande exigence à l’égard du Liban et chercha à arracher plus que le tribut
habituel de 3500 bourses. Le grand émir essaya d’abord de lui résister, mais soucieux avant
tout d’éviter les frictions, il s’inclina et s’efforça de le satisfaire. La situation devint assez
rapidement intenable ; les Libanais, accablés d’impôts s’agitaient, et Bachir II devant ces
difficultés accumulées, ne voyait de nouveau d’autre recours que d’accéder aux exigences du
pacha et ébaucha un commencement d’exécution. Mais le peuple, qui n’avait ni les moyens
de satisfaire l’appétit de ‘Abdallah pacha, ni l’envie de revivre les pratiques de Jazzar,
réagissait, poussé en sous-main par des prétendants chéhabites, ainsi que par certains
membres du clergé dont le rôle ira désormais grandissant en raison des mutations profondes
sociopolitiques que connaissait alors la société libanaise.
82
Page
a. Le ‘Ammiyya1 d’Antélias (1820)

En 1820, un groupe de Maronites tint une réunion à Antélias, prit pour chef le
cheikh Fadl al-Khazen, l’évêque Youssef Istéphan jouant le rôle de conseiller ou guide du
mouvement. Des délégués du peuple furent élus à raison d’un représentant par village.
Comme ils craignaient que le surplus de contributions qu’on voulait leur extorquer n’aboutît,
en fin de compte, à la modification de l’assiette même de l’impôt, ils prêtèrent serment de
rejeter toute transformation de cette assiette, donc de n’accepter qu’un seul impôt, payable
par tous les Libanais sans distinction. En d’autres termes, ils craignaient des manœuvres
turques visant à étendre à l’ensemble du Liban les discriminations fiscales à base
confessionnelle, en vigueur ailleurs dans l’Empire ottoman. Des habitants d’autres régions,
hormis le Chouf, vinrent grossir leurs effectifs. Ce mouvement prenant de l’ampleur et
d’importance, l’émir fut contraint de s’exiler en 1821 dans le Haurân, mais sans cesser de
nouer des intrigues. Ses cousins les émirs Hassan et Salmân Chéhab qui le remplacèrent, se
montrèrent incapables de faire rentrer les redevances et de ramener le calme dans la
Montagne avec le seul concours du parti yazbakî.

L’émir Bachir revint dans le Liban méridional pour avoir l’appui des familles
notables ; les membres de celles-ci, assemblés selon l’habitude à Sumqâniya dans le Chouf,
le choisirent à nouveau, avec l’approbation de ‘Abdallah pacha. Puis l’émir Bachir,
promettant, divisant, menaçant, tuant, se dirigea vers la région de Jbeïl, eut l’aide du cheikh
Bachir Joumblatt et de ses hommes pour réprimer durement l’insoumission maronite du
centre du Liban – Ammiyya de Lehfed au cours de l’été 1821.

b. Le ’Ammiyya de Lehfed (été 1821)

Les revendications formulées à Antélias étaient l’expression, non d’un mouvement d’humeur
passager, mais d’un malaise sociopolitique profond. Le peuple refusait d’obéir aveuglément à
des décisions arrêtées au seul sommet de la pyramide et n’entendait pas être tenu en marge de
la vie publique. A ce stade, il faut faire entrer en ligne de compte plusieurs facteurs :

- éducationnel (l’enseignement obligatoire gratuit) ;


- propagation des idées de la Révolution française (expédition de Bonaparte) ;
83
Page

1
Ce terme d’Ammiyya veut dire mouvement populaire ; au XIXe siècle : en particulier, on l’appliqua à des
genres de bouillonnement sociopolitique qui rappellent l’agitation communale contre la féodalité en Europe.
- usages commerciaux et industriels qui contribuèrent à révolutionner les esprits (la
propriété privée comme un défi à la puissance terrienne des féodaux).

Bachir II dut marcher en personne à la tête de 3000 hommes. Mais, trouvant les
insurgés supérieurs en nombre, il campa en face d’eux et, dans l’attente de renforts, entama
de nouveaux pourparlers. Leurs doléances lui furent soumises par écrit à Lehfed. Dans
l’ensemble, elles étaient relatives surtout au domaine fiscal, notamment au refus de payer un
double impôt, et au maintien des coutumes traditionnelles : un seul impôt payable par tout le
monde.

L’insurrection n’était pas étouffée. Elle attendit les renforts du sud, promis par les ex-
corégents. De son côté, l’émir Bachir se replia sur ‘Amchit e attendait aussi les renforts du
Chouf. Ils lui arrivèrent nombreux grâce à l’action militaire menée par Bachir Joumblatt qui
força le passage du Nahr al-Kaleb, défendu par les insurgés. Le succès du cheikh Bachir
Joumblatt et son arrivée auprès de l’émir Bachir II, permit à celui-ci d’étouffer définitivement
dans le sang, et de pacifier tout le Nord en usant tour à tour de violence et de générosité selon
son habituelle sagacité.

Par la suite, l’émir Bachir II fut rapidement engagé dans une nouvelle action ;
contre le gouverneur de Damas, Darwich pacha, qui lui disputait le contrôle de la riche plaine
à blé de la Béqâ‘. Il soutint les entreprises de ‘Abdallah pacha, dont l’ambition était
d’adjoindre à son pachalik celui de Damas. Cependant, après les premiers succès de
‘Abdallah pacha, la Porte condamna son initiative, et elle réunit contre lui les troupes des
pachas de Damas, Alep et Adana qui l’assiégèrent dans ‘Akka. Tandis que le cheikh Bachir
Joumblatt se ralliait à la politique ottomane, l’émir Bachir, refusant un compromis qui aurait
affaibli à ses dépens la position du gouverneur de ‘Akka, rompit en 1822 avec le parti
Joumblatt et s’enfuit en Egypte. Là, il obtint que Mohammad ‘Ali qui cherchait à intervenir
dans les affaires de Syrie, intercédât, avec des arguments financiers, en sa faveur et en faveur
de ‘Abdallah pacha auprès de la Porte : celle-ci devait alors faire face à l’insurrection grecque
et à ses répercussions internationales, et avait besoin pour la combattre des troupes
modernisées de Mohammad ‘Ali. Le gouvernement de Constantinople finit par accorder son
pardon, préférant aussi maintenir à ‘Akka un homme dont la résistance prouvait l’énergie
pour s’opposer aux desseins du gouverneur d’Egypte.
84

Rentré au Liban au printemps 1823 comme protégé et ami de Mohammad ‘Ali,


Page

l’émir Bachir se sentit assez fort pour achever de ruiner ses concurrents. Au cheikh Bachir
Joumblatt qui, en son absence, avait soutenu et aidé à mettre à la tête de la Montagne l’émir
‘Abbas Chéhab, il réserva un accueil rude, et, suivant la vieille méthode, il lui imposa de
verser de grosses sommes d’argent. Ne pouvant satisfaire ces exigences, le cheikh Bachir
Joumblatt tenta de regrouper ses partisans, de négocier, puis, ne trouvant pas de secours,
auprès de pachas de ‘Akka et de Damas, il se réfugia à Hauran. L’émir Bachir détruisit sa
demeure à Moukhtara, et s’empara de se biens et revenus dans le Chouf. Le chef druze
répondit à ces spoliations par la révolte, en janvier 1825. Mais ayant regagné le Chouf,
Bachir Joumbaltt se heurta aux hommes de l’émir Bachir Chéhab appuyés par les canonniers
du pacha de ‘Akka. Battu, il s’enfuit à Damas où il fut capturé, et de là envoyé dans la prison
de ‘Akka ; ‘Abdallah l’y fit étrangler à la demande de l’émir Bachir. Celui-ci compléta sa
victoire en faisant ébouillanter les yeux et couper la langue à ses cousins les émirs ‘Abbas,
Salmân et Fâris Chéhab qui avaient suivi le mouvement du cheikh Bachir Joumblatt, et
auraient pu encore lui porter ombrage. « C’est ainsi que l’émir Bachir s’est fait un repos »,
ironisait un voyageur français1.

Mais ce succès était chargé de menaces. Le plus puissant des chefs druzes venait de
disparaître, et les Druzes ne pardonnèrent cet affaiblissement de leur communauté ni à l’émir
Bachir, ni à ses trois fils, Khalil, Qassim, et Amin dont il s’entoura pour gouverner, ni en
général à tous les membres chrétiens de la famille Chéhab. Plusieurs années après, les
événements s’accumulant, un simple rappel des faits suffisait au consul Bourée pour dire,
sinon pour expliquer véritablement, la gravité de la situation : « l’émir Bachir, fut investi du
gouvernement de Djezine, du Teffah, du Harroub et des deux Choufs qu’il gouverna sans
trouble jusqu’en 1840. La famille Amad qui avait suivi la cause de cheikh Bachir Joumbaltt
perdit de même l’Arkoub qui fut confié à l’émir Qassem fils aîné de l’émir Bachir. A la
même époque le Sahel et le Garb furent ôtés à la famille Erslân compromise dans la révolte
du cheikh Bachir, et donné à l’émir Qassem devenu grand Prince. En 1831 les Abounakads se
refusèrent à embrasser, comme la famille Chéhab le parti d’Ibrahim pacha et rejoignit
l’armée turque à Homs. L’émir Bachir prit alors le gouvernement direct du Ménassef et du
Chahar. Les deux familles druses qui gouvernaient le Gharb et le Djurd restèrent seules en
possession de l’administration de leurs districts. Ainsi sur les douze districts, deux seulement
85
Page

1
MICHAUD et POUJOULAT tVII, p. 353.
sont restés druses, deux ont pendant dis ans eu des gouverneurs chrétiens, et dans les huit
autres l’autorité druse a été oubliée pendant dix neuf ans »1.

La question communautaire, dans les districts du Sud Liban, n’avait pas été réglée,
mais au contraire aiguisée par la tentative de mise à l’écart des familles dominantes druzes.
Certes la violence du fait avait de quoi frapper. Avec l’aide de son troisième fils Amin, l’émir
Bachir supervisait aussi plus étroitement la perception de l’impôt dans les régions maronites,
au nord du Nahr al-Kelb ; mais ce qui, à l’échelle de toute la population montagnarde,
aboutissait à réunir au profit de la communauté numériquement la plus forte, contribuait, au
niveau des familles notables, à affaiblir une direction sociale aux dépens de la communauté la
moins nombreuse. La tension ainsi créée s’aggravait et se compliquait de ce que les
Chrétiens, solides dans le Liban mais sujets du Sultan, n’en restaient pas moins minoritaires
dans l’Empire, comme dans l’ensemble de la Syrie. Des familles, des clientèles, des factions,
le débat se dramatise en s’élevant aux communautés confessionnelles.

L’émir Bachir n’avait rien d’un novateur. Il n’était nullement un genre de despote
éclairé et centralisateur à la mode européenne, comme ont tenté de l’avancer certains de ses
apologistes contemporains. A-t-il pris figure de réformateur, à l’exemple de ce qui se passait
au Caire ou à Constantinople, parce qu’il abaissait les notables ?

L’émir Bachir n’agissait que selon les moyens et les habitudes d’un milieu. Il ne
détruisit pas une structure sociale qui était la seule base de son prestige et de son action. Il
avait simplement, en essayant de s’en réserver tous les privilèges et tous les avantages,
aggravé inconsciemment l’ébranlement et la crise des hiérarchies sociales, et contribué à
exacerber les conflits communautaires ; mais, dans l’ensemble de la population, les rapports
familiaux ne cessèrent jamais d’être réglés par un système de parenté dont la fonction était
fondamentale.

Une telle politique provoqua une cristallisation des antagonismes communautaires.


L’émir Bachir n’en était plus que l’agent. Dans ces conditions, son pouvoir apparaissait
d’autant plus oppressif aux montagnards qu’il était dépouillé de son autonomie. Le symbole
de sa puissance ne devenait qu’un coûteux décor. Les voyageurs qui, après Lamartine,
traçaient de lui des portraits à cette époque, le présentaient dans son palais de Beit-Eddine
comme un beau vieillard à l’œil animé, à la vénérable barbe blanche, enveloppé dans une
86
Page

1
AÉ Correspondance commercial, Beyrouth, 4, f.110, dépêche de Bourée, 28 avril 1843.
ample robe fourrée, la manche richement orné d’un poignard sortant de sa ceinture de
cachemire, égrenant son chapelet, accroupi sur un divan de velours rouge au fond d’une vaste
pièce où se pressent secrétaires, serviteurs et officiers égyptiens vêtus d’une veste européenne
et coiffés d’un tarbouch.

F. Le Liban sous l’occupation égyptienne (1831-1840 )

Méhémet ‘Ali naquit en 1769 à Kavala, vint en Egypte en 1798 à la tête d'un corps
d'Albanais pour combattre les Français. Il prit le pouvoir en 1804 à l'issue d'une lutte contre
les Mamelouks, et se fit reconnaître pacha. Au printemps de 1807, il repoussa un
débarquement anglais ; en 1811, il mit un terme aux rebellions des Mamelouks, en les faisant
massacrer en masse dans la citadelle du Caire. De 1811 à 1815, il combattit les Wahhabites et
leur enleva les villes saintes de l'Arabie, acquérant ainsi un prestige immense dans le monde
musulman. Avec l'aide d'officiers français, parmi lesquels Sèves, dit Soliman Pacha, il mit
sur pied une armée et une marine modernes, ce qui lui permit de faire la conquête du Soudan.
Il tenta de s'affranchir de la tutelle ottomane et conquit la Syrie, mais les pressions de
l'Angleterre l'obligèrent à renoncer à ses conquêtes, en échange de la reconnaissance par la
87
Page
Porte de la possession héréditaire de l'Egypte et du Soudan en sa faveur(1841). On a pu dire
de lui qu'il fut le fondateur de l'Egypte contemporaine et le précurseur du réveil arabe.

Portrait de Méhémet ‘Ali

Méhémet ‘Ali alla donc réclamer en 1828 le gouvernement général de la Syrie et du


Liban. C’est ‘Abdallah, à la disposition de qui Bachir vint d’ailleurs de mettre un contingent
pour réduire une révolte à Naplouse, en 1829, qui, là-dessus, fournit l’occasion du conflit.
‘Abdallah était mal considéré des Egyptiens, entre autres raisons parce qu’il refusait de leur
rembourser 11 000 bourses qu’il leur avait empruntées en 1822. A cela s’ajoutait un fait plus
récent : 6000 paysans, fuyant l’oppression de Méhémet ‘Ali s’étaient réfugiés à ‘Akka, et
‘Abdallah, malgré les sommations du Caire n’accepta pas de les livrer. Méhémet ‘Ali réclama
l’appui du Sultan ; celui-ci, bien au contraire, le destitua par un firman solennel et le déclara
déchu et rebelle.

Méhémet ‘Ali leva six régiments d’infanterie, à la tête desquels était placé son fils
Ibrahim pacha qui vint justement de recevoir de la Porte le titre de prince de La Mecque. La
88

Sublime Porte essaya de renouer encore une négociation, de se poser en médiateur entre
Page

Méhémet ‘Ali et ‘Abdallah, tandis que les puissances européennes observaient avec attention
les événements : les Français, les Anglais et les Allemands avaient en effet leurs agents au
Liban, et, si les Français s’appuyaient particulièrement sur les maronites, les Anglais et les
Allemands utilisaient leurs missions protestantes, dont l’œuvre politico-religieuse réussit
surtout en milieu grec orthodoxe.

Ibrahim pacha

L’assassinat de Wali de Damas Salim pacha donna le signal de la conquête de la Syrie


par les troupes de Méhémet ‘Ali. En octobre de l’année 1831, Ibrahim pacha reprit la route
suivit par Bonaparte trente ans plus tôt. Il déborda de toutes parts les Ottomans, prit Gaza,
Jaffa, Jérusalem, Naplouse et mit, le 26 novembre, le siège devant ‘Akka, où ‘Abdallah
l’attendit de pied ferme. Il résista sept mois, mais il prit la fuite le 8 juin 1832. Ibrahim pacha
s’installa à sa place. ‘Abdallah, ami des Anglais, suivi de son harem chercha refuge chez un
agent anglais, lady Esther Stanhope (1776-1839)1.
89
Page

1
Voir Michel CHIHA 311-342
Lady Esther Stanhope (1776-1839)

Au Liban, l’émir Bachir resta apparemment neutre, et ne répondit que mollement aux
sollicitations des Egyptiens afin de ne pas mettre les Druzes, qui, comme en 1799,
s’inquiétèrent fort des événements, remettre en question leur soumission, si difficilement et
récemment acquisse. Ces raisons tombèrent finalement au lendemain de la prise de ‘Akka, et
le grand émir, rompant alors ses allégeances ottomanes, se déclara ouvertement au service
d’Ibrahim pacha. La joie populaire éclata chez les Libanais : 5000 d’entre eux se mettaient à
la disposition d’Ibrahim pacha, dont l’émir Bachir devint le véritable bras droit.

Appuyée de la sorte, l’offensive égyptienne se déploya jusqu’à Tripoli. Bachir II, qui
accepta des gouverneurs pro-égyptiens pour Tyr, Saïda, Beyrouth, assuma la garde de la côte.
Son fils Khalil se heurta à la première réaction des Ottomans. Mais la résistance ne dura pas,
et aboutit à associer plus étroitement encore l’émir Bachir et les Egyptiens, dont les troupes
arrachèrent finalement de concert la ville aux Turcs. La collaboration libano-égyptienne
devenait chaque jour plus étroite. Si bien qu’Ibrahim pacha, pour mieux se consacrer aux
opérations militaires, laissa à Bachir la haute main sur toutes les affaires relevant de la
politique intérieure et leui confia son sceau.
90
Page
a. Bataille de Baylan (29 juillet 1832)

Husseïn pacha accourait d’Antioche au secours de pacha de Homs. Il rencontra


l’avant-garde des fuyards de Homs qui refluaient en désordre. Il décida de se replier sur les
défilés de Baylan, position stratégique considérée depuis l’Antiquité comme la clé du nord de
la Syrie. Quand Ibrahime atteignit Baylan, il engagea aussitôt le combat. Une manœuvre
habile lui permit de rompre, en trois heures, le front turc et de s’emparer d’un immense butin.
Les portes de l’Anatolie étaient ouvertes.

Sur le plan intérieur, au Liban, les suites de Baylan ne se firent pas attendre. Les chefs
qui avaient rejoint le camp ottoman se dispersèrent. Les Joumblatt et les Arslan se réfugièrent
en Anatolie.

b. Bataille de Konya (21 décembre 1832)

Les scrupules du vieil Ottoman qu’était Méhémet ‘Ali et son souci de ménager
l’Europe avaient retenu son fils Ibrahim à l’entrée de l’Anatolie. Le Sultan mit profit ce
nouveau répit pour former une nouvelle armée. Lorsque Méhémet ‘Ali vit le Grand vizir se
mettre en marche en direction du camp égyptien, il céda aux instances de son fils Ibrahim et
l’autorisa à prendre l’offensive. Le choc eut lieu le 21 décembre 1832, au nord de la ville de
Konya. L’armée du grand vizir plia sous le choc, son recul se transforma vite en déroute et
son chef fut prisonnier. La route d’Istanbul était ouverte.

L’émotion de l’Europe était à son comble et le conflit allait prendre des dimensions
internationales.

c. La question d'Orient (1774-1878)

Au moment où le sultan Selim III arrive au pouvoir (avr. 1789), l’Empire ottoman est
une nouvelle fois en guerre avec les Russes et les Autrichiens : avec ceux-ci la paix de
Svitchov (août 1791) marque pour près d’un siècle la fin des hostilités et le statu quo
frontalier ; avec les Russes, par contre, ce sont de nouveaux territoires qui doivent être
91

concédés à la paix de Jassy (janv. 1792). Selim III veut alors apporter des réformes dans
Page

l’Empire, en particulier dans l’armée: la promulgation du Nizam-i djedid (le nouveau


règlement, 1793) en est un signe, mais insuffisant car il ne rénove pas de façon profonde le
corps des janissaires, trop souvent à l’origine des troubles. D’autre part, dans plusieurs
provinces des rébellions éclatent: en Syrie, au Hedjaz, en Bulgarie, en Serbie. À cela s’ajoute
l’expédition de Bonaparte en Égypte qui provoque une crise sérieuse dans les relations turco-
françaises (1798-1802). Lorsque, à nouveau, Selim III cherche à réorganiser l’armée, les
janissaires se révoltent, marchent sur Constantinople, déposent le sultan qui est exécuté peu
après (juin 1808); à Mustafa IV, sultan pour quelques semaines, succède Mahmud II
(Mahmut, 1808-1839) qui va être l’initiateur des réformes.

Ayant signé avec les Russes la paix de Bucarest (mai 1812) qui octroie à ceux-ci la
Bessarabie et reconnaît aux Serbes une certaine autonomie, Mahmud II entreprend sans se
hâter une série de réformes, dont la principale se situe en juin 1826 avec la suppression des
janissaires qui sont massacrés. Mais ces réformes sont encore limitées: par la suite elles sont
reprises et complétées par le sultan Abdul-Medjid (Abdülmecit) qui, par la promulgation du
hatt-i sherif (édit auguste) de Gül-Hané (3 nov. 1839), inaugure véritablement la période des
réformes, les Tanzimat. Par cet édit, il est décidé que tous les sujets de l’Empire sont égaux,
sans distinction de religion ou de nationalité, que la loi est la même pour tous, que chacun
versera directement à l’État des impôts en proportion de sa fortune, que le service militaire
est institué et effectué par tirage au sort. Des réformes sont également introduites dans
l’enseignement traditionnel: elles ne commencent à être effectivement appliquées que sous le
règne du sultan Abdul-Aziz (Abdülaziz, 1861-1876). Le pouvoir central est organisé à
l’européenne, avec départements ministériels et ministres responsables; en mai 1868 sont
créés un Conseil d’État et une Cour suprême de justice, tous deux composés de musulmans et
de chrétiens; enfin, il faut noter l’apparition de journaux, d’abord officiels, ensuite privés.

Toutes ces réformes ont lieu alors que l’Empire est secoué par de graves crises, plus
spécialement par des soulèvements à caractère national; en Serbie où, après quinze années de
lutte, les Serbes obtiennent que leur province soit reconnue comme principauté autonome,
sous suzeraineté turque; en Épire, où Ali de Tépédélen (ou Tébélen) tient tête aux Ottomans
pendant vingt ans (1803-1822); en Égypte où Méhémet ‘Ali se fait proclamer gouverneur
(1805), liquide le régime féodal et militaire des Mameluks (1811), puis impose son autorité
au Hedjaz (1812) aux Wahhabites d’Arabie (1818) et au Soudan (1821).
92

Émancipation de l’Égypte et de la Grèce (1797-1830) Les deux crises les plus


Page

sérieuses se produisent successivement à propos de la Grèce et de l’Égypte. Au mouvement


idéaliste de libération lancé par Rhigas en 1797 succède en 1821 une insurrection nationale
qui vise à l’indépendance totale de la Grèce. Cette insurrection est vivement soutenue par le
tsar Nicolas Ier, plus mollement par les Anglais, peu soucieux de favoriser la pénétration
russe, et par les Français, en bons termes avec les Ottomans. Ceux-ci font appel aux troupes
égyptiennes de Mehmed Ali qui occupent la Crète, puis la Morée (1822-1825). Lorsque, en
mars 1826, par le traité d’Akkerman, en Ukraine, Nicolas Ier obtient des Turcs d’importantes
concessions, l’Angleterre réagit et suscite une médiation internationale, repoussée par le
sultan: il en résulte un conflit qui, marqué notamment par la destruction de la flotte ottomane
à Navarin (oct. 1827) et par une progression sensible des Russes en Anatolie orientale et en
Thrace, aboutit au traité d’Andrinople (sept. 1829) et à la Conférence de Londres (févr.
1830). La Grèce est alors proclamée indépendante et les Russes obtiennent la Podolie. La
Serbie, la Moldavie et la Valachie deviennent autonomes, les détroits sont ouverts à tous les
navires marchands.

La crise grecque à peine réglée, survient la crise égyptienne: Méhémet ‘Ali,


mécontent de l’ingratitude du sultan à son égard, envahit la Syrie, le Liban et même une
partie de l’Anatolie. Une fois encore, les Russes interviennent et, par le traité de Hünkar-
Iskelessi (8 juill. 1833), obtiennent des privilèges militaires importants, tandis que par le
traité de Kutahya (mai 1833) le sultan a cédé la Cilicie et la Syrie à Méhémet ‘Ali. Ces traités
n’ayant satisfait personne, les hostilités reprennent, avec interventions diplomatiques des
Anglais (qui occupent Aden en 1839) et des Russes en faveur du sultan, des Français en
faveur des Égyptiens. Finalement, en novembre 1840, Mehmed Ali renonce à la Syrie, mais
est reconnu comme chef héréditaire de l’Égypte; quant aux Anglais, ils obtiennent par la
Convention des détroits que le Bosphore et les Dardanelles soient fermés à tous navires de
guerre non turcs.

Démembrement de l’Empire (1840-1878) Après une période de paix d’une dizaine


d’années au cours desquelles les réformes de 1839 sont mises en application, les difficultés
surgissent à propos des Lieux saints, dont la protection, alors détenue par les Russes, est
réclamée par les Français au nom des capitulations. Le différend dégénère en conflit en raison
des exigences russes: le siège de Sébastopol est l’épisode essentiel de la guerre de Crimée
(1854-1855) qui se conclut par le traité de Paris (30 mars 1856) et la promulgation d’un
93

nouvel édit de réformes par le sultan (hatt-i hümayun de février 1856). De ce traité découle
aussi l’union de la Moldavie et de la Valachie qui, en 1862, fusionnent et constituent la
Page
Roumanie. Vers la même époque, une insurrection locale donne l’occasion d’octroyer au
Liban un statut spécial (1861-1864).

Les années suivantes sont marquées par la lutte d’influence que se livrent au Caire et
à Constantinople Français et Anglais: les premiers l’emportent et connaissent le
couronnement de leurs efforts avec l’inauguration solennelle du canal de Suez, le 17
novembre 1869, à laquelle participe le sultan Abdul-Aziz. Peu auparavant, une insurrection
en Crète a abouti à la promulgation d’un statut qui place l’île sous une administration mixte
chrétienne et musulmane. Puis, aux alentours de 1870, de nombreux incidents éclatent en
Bulgarie, en Serbie, en Bosnie, en Roumanie, incidents auxquels la Russie n’est pas
étrangère; malgré des tentatives de médiations occidentales, malgré la libéralisation du
régime ottoman avec l’avènement du sultan Abdul-Hamid II (Abdülhamid, 1876), l’arrivée
au pouvoir des libéraux conduits par Midhat pacha et l’octroi d’une constitution (déc. 1876),
la guerre éclate, d’abord entre Serbes et Turcs, puis entre Russes et Turcs; ceux-ci, en dépit
d’une valeureuse défense, sont vaincus et doivent signer la paix de San Stefano (3 mars 1878)
qui marque le triomphe de la Russie et son hégémonie sur l’Europe balkanique. Mais, devant
l’inquiétude de l’Angleterre et de l’Autriche, Bismarck intervient et réunit le congrès de
Berlin (juin 1878) qui constitue une nouvelle étape dans le démembrement de l’Empire
ottoman: la Serbie et la Roumanie deviennent des États totalement indépendants. Une
nouvelle province autonome est créée au nord du Rhodope, la Roumélie orientale, peuplée de
Bulgares. La Grèce annexe la Thessalie et une partie de l’Épire, et l’Autriche peut occuper la
Bosnie et l’Herzégovine. Quant à la Russie, elle obtient les régions de Kars, Ardahan et
Batoum. La Macédoine reçoit un statut comparable à celui de la Crète. L’Angleterre, pour
prix de son alliance avec la Turquie, se fait céder l’île de Chypre, tandis que, par des accords
secrets, l’Angleterre, la France et l’Italie se partagent à l’avance l’Afrique du Nord, de la
Tunisie à l’Égypte. C’est bien alors que l’on a pu définir l’Empire ottoman comme «l’homme
malade» de l’Europe.
94
Page
d. Les conséquences politiques de l’occupation égyptienne du Liban

Le traité de Kutayeh (1833) avait donné toute la Syrie à Méhémet ‘Ali, et l'émir
Béchir. qui avait accepté la domination égyptienne, gouvernait au nom de Méhémet ‘Ali tout
le Liban, le Kisrwan, le Chouf et les districts mixtes, avec une autorité plus grande et, il faut
bien le dire, plus violente que jamais

Sur le plan interne, le premier acte d’Ibrahim était de confirmer Bachir II dans son
Imarat, qui s’étendait à toutes les provinces libanaises, de Tripoli à Tyr, de la Béqâ‘ au Wadi
al-Taïm, des districts chrétiens aux districts musulmans ou mixtes ; avec une surveillance
policière de la plaine de Damas.

Dans ce cadre nouveau, le grand émir fut à la fois plus fort et moins libre. Plus fort,
puisqu’il était protégé par les baïonnettes égyptiennes qui écartèrent les compétiteurs
éventuels, et tenaient en respect la population libanaise ; Bachir pouvait collecter le
quadruple du tribut officiel de 6782 bourses imposé au Liban et amasser de grands trésors ;
moins libre, parce que la surveillance exercée de Beyrouth fut incontestablement plus
astreignante.

95
Page
Cela l’incita naturellement à se rapprocher encore du clergé maronite, à développer,
avec son aide, la lutte contre la féodalité. Les mesures humiliantes qui subsistaient furent
levées : ils ne n’étaient plus astreints au Liban au port d’un costume particulier et pouvaient
monter à cheval. Les maronites consolidaient encore leur organisation religieuse au concile
de ‘Aïn Trez, en 1835, qui codifia leur rite en 25 canons. Les arméniens catholiques
obtenaient à la même date leur reconnaissance officielle, et une communauté arméno-
protestante se forma à Saïda. Ce fut donc un foisonnement général chez les chrétiens qui
s’étendaient dans les territoires réservés jusque là aux druzes. Le bourg de Deïr al-Qamar se
développa, en plein centre druze.

Les Maronites s'étaient multipliés dans le Kisrwan. Ils s'étaient répandus dans les
populations du Jbeïl, et du Chouf. De mœurs paisibles, laborieux et industrieux, ils cultivaient
comme fermiers les terres que négligeaient les Druzes, exploitaient leurs mûriers,
fabriquaient la soie, et, dans des districts où ils avaient pénétré, ils étaient parvenus à former
la majorité. Avec le temps, les cheiks chi‘ites, ennemis de l’émir Béchir, chassés ou forcés de
s'enfuir, les Maronites établis dans les villages druzes devinrent propriétaires des terres qu'ils
cultivaient comme fermiers, des maisons abandonnées par leurs propriétaires druzes, et des
cheiks chrétiens furent mis à la tète des districts mixtes.

Cette révolution favorable aux chrétiens ne pouvait se faire sans exciter des haines
entre les nouveaux possesseurs et les dépossédés. Elle divisa, en effet, les districts mixtes en
deux classes ennemies : les Maronites et les Druzes, auxquels se rallièrent les débris des
diverses races musulmanes. D'autre part, aussi bien que les cheiks druses, les chefs chrétiens
du Kisrwan subissaient avec impatience les atteintes que l'émir Béchir ne cessait d'apporter à
ce qu'ils considéraient comme des droits séculaires. De là, dans le Kisrwan, d'ordinaire si uni,
des germes de révolte, contenus par la rude main de Béchir, mais faciles à discerner.

L’émir Bachir II profita également de l’appui égyptien pour réaliser de nouvelles


réformes. Il chercha alors à consolider l’administration centrale dont il jeta les premières
bases de son palais de Beït Eddine. Poursuivant acharnement sa lutte contre les féodaux, il
leur substitua, partout où il pouvait des membres de sa famille. Puis, tout en continuant les
réformes déjà entreprises afin d’assurer la sécurité, régulariser les finances – mais l’impôt
96

resta fort et mal réparti et le petit peuple en souffrait – l’émir Bachir lança deux réformes
Page

capitales. D’abord, il établissait partout des conseils municipaux, composés de représentants


de chacune des communautés, et réussissait à promouvoir de la sorte une administration
régulière.

Les pouvoirs en étaient retirés aux seigneurs ou prélats, et transférés, au civil et au


contentieux, à trois juges spéciaux que nomma le grand émir. L’un d’eux, toujours druze,
résidait à Deïr al-Qamar, les deux autres étaient à Zouk et à Zghorta ; tous trois jugeaient
selon le droit musulman des Chaafiées – le plus favorable aux non-musulmans - et cela
marqua un nouveau recul de l’autonomie particulière conservée jusque là au sein de la
communauté maronite.

Cependant la situation se dégrada à l’intérieur du pays où non seulement les féodaux


druzes, écartés du pouvoir, rongeaient leur frein, mais où les masses druzes elles-mêmes en
venaient à partager leurs sentiments. Refoulées de leurs villages, elles voyaient les paysans
chrétiens s’y établir à leur place, et cette hostilité, tournée d’abord contre le grand émir,
premier responsable de leurs malheurs, s’adressait maintenant directement aux Chrétiens qui
en profitaient. Le fossé entre les communautés s’élargissait. Un mécontentement général
alimenta un sentiment national et territorial. Cette présence même de l’Egypte au Liban et en
Syrie, acceptée en 1833 par les Ottomans et leurs amis européens sous le coup de la menace
directe que faisaient peser les victoires d’Ibrahim pacha est maintenant remise en question.
Les Ottomans se réorganisaient et les adversaires européens de l’influence française
reprenaient peu à peu courage.

Dans une telle situation, le régime égyptien fut obligé de garder au Liban de façon
permanente des troupes importantes afin de maintenir l’ordre, répondre à une poussée
éventuelle des Ottomans et s’affirmer face à l’opinion internationale. Cela supposait la
restauration des ouvrages militaires, la construction de nouvelles fortifications, la fourniture à
l’armée de matériaux divers. La population libanaise fit astreinte à des corvées de toute
sorte ; elle devait par exemple extraire le lignite de la mine de Qornaïl, au Metn, puis la
transporter à Beyrouth. S’ajoutait à cela le ravitaillement de l’armée : non seulement les
montagnards devaient prêter leurs bras, mais aussi livrer leur bétail.

Les Egyptiens avaient également besoin d’argent. Pour s’en procurer, ils inventaient
un système de monopoles qui couvrit, petit à petit, tout le trafic commercial : de la soie, des
légumes et des poissons. Chacun souffrait de ce lourd appareil qui entravait l’économie, et
97

l’argent manquait toujours. Alors, Ibrahim pacha décida de réviser le cadastre, d’augmenter
Page

les taxations, et d’instituer un impôt par tête, le ferdé, capitation supplémentaire qui s’abat sur
tous les Libanais, sans distinction de religion. Cela provoquait dans l’économie une grave
récession. Accablés de dettes, les paysans empruntaient aux usuriers. Des fortunes
gigantesques s’échafaudaient ainsi, ajoutant aux causes de mécontentement des motifs
sociaux.

Le pont de rupture fut atteint lorsque, fait sans précédent au Liban, les Egyptiens
instaurèrent la conscription chez les ‘Alaouites, les Druzes et les Chi‘ites. Bachir II essaya
bien d’éviter l’application de cette décision, mais il devait finalement céder à la pression
irritée d’Ibrahim. Pourtant cette mesure s’adressant à ceux qui en tant que minoritaires,
étaient déjà les plus mal disposés, n’allait pas tarder à provoquer des remous. Les Chi‘ites se
soulevaient et l’émir Amine Chéhab devait se porter au-devant d’eux, tandis que l’émir Khali
Chéhab et le pacha de Tripoli coopéraient au nord à la répression des ‘Alaouites. En même
temps, les Druzes du Wadi Taïm refusèrent l’incorporation. Ainsi, aux trois extrémités du
pays la dynastie fut-elle obligée de se compromettre, à l’occasion d’une mesure très
impopulaire, dans une dangereuse collaboration avec l’occupant égyptien. Les insurgés ne
parvinrent pas à conjuguer leurs efforts et, cinq mois plus tard, l’ordre règne de nouveau.
Pourtant si les enrôlements forcés se poursuivaient, la résistance larvée resta vivace, et les cas
de mutilation volontaire nombreux.

Bachir II semblait avoir conscience du péril. En 1837, l’émir demanda à Méhémet


‘Ali 10 000 soldats pour le protéger à Beït Eddine. Presque immédiatement, une nouvelle
révolte éclata chez les Druzes et les Chi‘ites. Cette fois, ils s’étaient concertés. Bachir II lança
un appel sans équivoque à ses fidèles troupes chrétiennes et leur demanda d’engager le
combat contre les Druzes. En 1838, quelques milliers de Maronites, armés par les Egyptiens
et agissant en liaison avec leurs troupes allaient poursuivre les bédouins, les Druzes, et leurs
alliés jusque dans le Hauran, les rejoindre et les écraser. Les Druzes de Syrie furent délogés,
rejetés dans la plaine, et plusieurs d’entre eux furent massacrés La révolte des Druzes (1817-
1838).

Devant ces nouveaux troubles, beaucoup de Maronites protestèrent. Méhémet ‘Ali se


retourna alors brusquement contre eux et procéda au désarmement de ses partenaires de la
veille. Ces troubles ne pouvaient qu’encourager les Ottomans, qui contestaient les modalités
d’application des accords de 1833. La discussion tourna à la petite guerre, quand, en 1837, les
98

Egyptiens allèrent jusqu’à armer secrètement les Kurdes d’Anatolie en révolte contre
Page

l’autorité d’Istanbul et interdisaient aux bateaux ottomans de mouiller dans les ports libanais.
La Sublime Porte s’empressa de chercher à exploiter la situation. Elle entra en contact
avec nombre de notables et de chefs locaux, particulièrement au Liban où même Bachir II
recevait des appels et des offres de sultan. Mais le prince libanais se contenta de livrer à
Ibrahim pacha les messagers d’Istanbul. Cependant, du côté de la Montagne, et en dépit de la
détestation séculaire de la population pour les Turcs, l’appel fut entendu.

L’ « Homme malade » menaçait à chaque instant de disparaître. L’ouverture de sa


succession hantait l’Europe. Les Grandes Puissance cherchaient à occuper une place voisine
des lieux à partager afin de se tailler, en vertu d’une sorte de droit de préemption, une bonne
part dans le tas. Ce voisinage ouvrait aussi – en attendant la liquidation en perspective - une
porte à l’ingérence dans les affaires ottomanes. Ce fut ainsi que les Anglais qui tenaient à
s’assurer des jalons sur la route des Indes, avaient aussi au Liban – en dehors des
missionnaires protestants – des agents qui, sous prétexte d’affaires commerciales, répandaient
les bruits les plus alarmants. Un certain Richard Wood s’adressa, sous couvert d’études
bibliographiques, au patriarche maronite, Mgr Hobeïche, et l’invita à embrasser la cause
britannique. Il se heurta à un refus très catégorique. Lord Ponsonby, ministre des affaires
étrangères se tourna alors vers les Druzes ; le colonel Rose et Lady Stanhope furent chargés
de mener ces affaires à bien.

Prêts à reprendre ouvertement la lutte, les Ottomans attendaient l’occasion favorable


(la violation par les Egyptiens du traité de Kutahya). Comme rien de la sorte ne se produisit,
le sultan Mahmoud céda à son impatience et, le 21 avril 1839, faisait avancer ses troupes en
Syrie, sous le commandement de ‘Fifz pacha. Le 7 juin, un manifeste déclara Mohamad ‘Ali
traître à l’Empire, et, le 24 avril les armées égyptienne et turque se rencontrèrent à Nizib au
bord de l’Euphrate, non loin d’Alep. Environ 50 000 hommes furent engagés de part et
d’autre. Mais les Ottomans, écrasés par la suprématie technique des Egyptiens, laissèrent sur
le champ de bataille 4000 tués, 12 000 prisonniers et un butin de 20 000 fusils. L’affolement
régna de nouveau à Istanbul, d’autant que le Capitan pacha Ahmed, amiral de la flotte, profita
de la circonstance pour trahir ses maîtres et passer dans le camp ennemi.
99
Page
Chapitre VII : La situation du Liban de 1840 à 1858
La deuxième moitié du XIXe siècle resta dans la mémoire du Liban une période marquante de
son histoire moderne. Au cours de ces années, le pays se balançait entre différentes occupations et
révoltes. L’émir du Liban, Bachir Chéhab II (1767-1850)1 après des rapprochements et des promesses
au vice-roi d’Égypte se ralliait à partir des années 1833 à Ibrahim Pacha le fils de Méhémet Ali en
rejetant la suzeraineté de la Sublime Porte sur la Montagne2. Mais la mutation sociale et les
transformations politico-sociales opérées dans la Montagne au cours de la première moitié du XIX e
siècle et les exactions de l’administration égyptienne ne tardèrent pas à délayer un malaise général
dans le pays.

A. L’année probante : 1840

Une insurrection populaire implosait sous l’action des agents et des consuls européens pour
harasser la puissance du Pacha d’Égypte. En 1840, l’émir Bachir II fut déposé et alla finir sa vie en
exil. Bachir Chéhab III ( ?-1860), le successeur dut à son tour abdiquer après une période conflictuelle
qui amena le pays à la ruine quasi totale.

Au cours des années subséquentes le Liban passa sous l’administration directe ottomane. En
1842, la solidarité entre les Maronites et les Druses sur laquelle l’autonomie du Liban avait longtemps
reposé n’était déjà plus que du passé et il ne subsistait pratiquement aucune possibilité d’action
commune contre les nouvelles dispositions ottomanes. Des explosions meurtrières éclatèrent
sporadiquement, mais la plus sanglante des explosions se produisit à partir de l’année 1859. Un
massacre général de la population chrétienne de la Montagne et ceux de la Côte provoquèrent une
action politique européenne et ottomane ainsi qu’une intervention militaire de la France (août 1860).
La phase violente cessa. L’ordre fut finalement rétabli. La Sublime Porte sous la pression
internationale et à la suite des accords de 1861, publia le Règlement Organique qui accordait au

1 Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism in Ottoman Lebanon, 1830-1861, London, New York,
The Center for Lebanese Studies,
Oxford I.B. Tauris, 2000, p. 15 : « In Keeping with administrative changes being introduced, in the autumn of 1832
the vali of Egypt (and now of Syria) offered Bashîr the title of ‘Hükümdarship of Arabistan, which would have
implied the entire Syrian region, but the grand emir declined it ».
2
Colonel Churchill, Mount Lebanon, A ten years’ residence from 1842 to 1852, vol. 3, Third Edition, London,
Saunders and Otley, Conduit Street, 1853, pp. 344-345 : « It will naturally be supposed, that the Emir Bechir
had not now been some months in Cairo, without having had various occasions presented to him, of making
Mehemet Ali intimately acquainted with the exact state of affairs in Syria, nor without having succeeded in
100

getting him to exert his influence, to bring about an arrangement coinciding with his own views and interests ».
Kamal Salibi, Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988, p. 77 : « En arrivant à Acre,
Ibrahim Pacha demanda à Bashir II son assistance. L’émir hésita et essaya de se dérober,…Dans un message
Page

abrupt, il (Méhémet Ali) rappela brutalement à Bachir II ses promesses, le menaçant d’envahir le Liban s’il
hésitait à les tenir ».
Mont-Liban un nouveau statut d’autonomie garanti par les Grandes Puissances. « L’Europe, en 1840,
avait rendu la Syrie à la Porte Ottomane, c’est-à-dire à l’anarchie. C’était surtout dans le Liban que les
effets de cette restauration de l’anarchie devaient se faire sentir »1 esquissait le journal français dans
son éditorial.

En effet, suite à l’occupation du Liban par les troupes égyptiennes en 1831, une
mésintelligence s’installa progressivement entre Méhémet ‘Ali2 (1769-1849) le vice-roi d’Égypte et
les libanais Maronites et Druses à partir des années 1833. C’est que le Liban durant la deuxième
période du règne de l’émir Bachir II (1804-1830) affrontait une réalité doublement changeante : d’une
part, une sorte de prise d’engagement dans un mouvement historique fondé sur une réalité dans
laquelle se perpétuaient des mentalités, s’élaborait un sens de l’histoire, une conception de la société,
et d’autre part, une administration égyptienne centralisatrice. Or, centralisation, imposition,
monopoles d’État et conspiration insurgèrent les Libanais contre leur Émir et le vice-roi d’Égypte.

a. Le Liban en effervescence

Un sourd mécontentement naquit, à la faveur duquel s’exerçait la propagande d’agents


anglais et ottomans hostiles à la présence égyptienne en Syrie. Une présence qui prenait de
l’envergure après le désastre des Ottomans à la bataille de Nizib (24 juin 1839) menaçant directement
les voies de communication de la Grande-Bretagne vers l’Inde ; surtout que derrière la réussite et la
force militaire de Méhémet ‘Ali se pointait la France, avec le vieux rêve napoléonien d’établir une
colonie en Égypte et en Syrie.

« L’Angleterre résolut de dominer le pays (Mont-Liban) en substituant son protectorat à celui


de la France »1. Elle songea clairement et à l’aide d’autres pays européens à réduire l’influence de la
France dans cette région du monde ; « notamment dans la partie qui comprend le Mont-Liban et le

1
Le Constitutionnel, samedi 28 juillet 1860.
2
Méhémet Ali prit le pouvoir en Égypte en 1804 et se fit reconnaître Pacha. Il massacra les
mamelouks et fit de l’Égypte une puissance régionale organisée à l’européenne. Il sut avec force et
ruse s’affranchir de tutelle ottomane. Les troupes du vice-roi sous le commandement de son fils
Ibrahim conquéraient la Palestine, La Syrie, le Liban et pénétraient l’Anatolie. Pour l’Angleterre,
Méhémet Ali, alliée de la France fut une menace directe et dangereuse sur la route des Indes. Elle
101

poussa le Sultan à reprendre les armes pour reconquérir la Syrie, le Liban et la Palestine. En 1841 le
pacha d’Égypte, malade mais ayant fait reconnaître par le Sultan le caractère héréditaire de sa
dynastie, il abandonna en 1849 la régence de l’Égypte moderne à ses héritiers. In, Michel Mourre, Le
Page

petit Mourre, Dictionnaire de l’Histoire, Paris, Larousse, 1998, p. 735.


1
Louis de Baudicour, La France au Liban, Paris, E. Dentu et Challamel, 1879, p. 28.
pied de la montagne où se trouve la grande ville de Beyrouth, appelée à devenir le port le plus
important de la Syrie »2.

La domination égyptienne en Syrie était le principal obstacle que rencontrait le gouvernement


anglais. Il fallait par tous les moyens enrayer cette présence embarrassante ; pour enfin établir un
service de bateaux à vapeur sur l’Euphrate reliant ce fleuve à la Méditerranée par un canal ou un
chemin de fer. « Des études furent faites, et à travers les vallées de l’Oronte, qui débouchent sur la
Méditerranée après avoir tourné le Mont-Liban »3.

Mais, pour que le Liban se soulevât, « il fallut en somme, la coalition de l’Angleterre avec la
Russie, l’Autriche et la Prusse contre Méhémet ‘Ali, leur coopération matérielle avec les Turcs pour
le chasser de Syrie, enfin l’activité redoublée de la propagande anglaise sur les lieux »1. Tout
commença à la mi-mai 1840 ; de ce moment et jusqu’à novembre de la même année quand ses troupes
se trouvèrent forcées d’évacuer la Syrie et le Liban, Méhémet ‘Ali avait sur le dos l’insurrection des
Libanais. La conjoncture se manifesta rapidement en plusieurs événements qui contribuèrent à hocher
la Montagne à partir de la fin de l’année 1839.

Bachir II reçut l’ordre le 17 mai 1840 de râteler tous les fusils donnés aux Chrétiens en
18382. Le but fut le désarmement du Liban comme prélude à la conscription. Une affaire qui marquait
manifestement l’impuissance de l’émir face au despotisme d’Ibrahim pacha, et la fin du rôle
autonome de l’émir Bachir II. Il ne fallait pas moins de cette demande pour que l’opposition
s’organisât et que l’insurrection éclatât. Devant ce soulèvement, Ibrahim Pacha commença à se sentir
débordé. Richard Wood, l’agent anglais au Mont-Liban, sut habilement profiter de ces germes de
mécontentement « pour soulever contre l’émir Bachir les Maronites eux-mêmes »3.

Devant cette sérieuse tournure des affaires du Liban, le vice-roi d’Égypte faisait circuler le
bruit que l’insurrection était le résultat d’un malentendu et de la fausse interprétation de l’ordre (de lui

2
Napoléon Aubanel, La France Maronite, Fédération française de protection en Orient, Nice, Imprimerie
Niçoise, Descente Grotti, 1892, p. 4.
3
Louis de Baudicour, La France en Syrie, Paris, E. Dentu et Challamel Ainé, 1860, p. 12.
1
F. Charles-Roux, France et Chrétiens d’Orient, fac-similé, p. 155.
2
Karam Rizk P. Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 79 : « Lors de la révolte des Druzes du Hauron sous le
commandement de Cheik Chébli al-Harian et après avoir perdu des milliers de ses meilleurs soldats, Ibrahim ne
trouva d’autre moyen pour arriver à son but, que d’opposer aux Druzes les Chrétiens Maronites. Il s’adressa à
l’émir Béchir, alors gouverneur du Liban, qui lui promit l’appui des Maronites, s’il voulait lui donner des
armes » ; Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie, depuis 1840 jusqu’en 1842 ; statistique
générale du Mont-Liban, et procédure complète dirigée en 1840 contre des Juifs de Damas, Paris, Gaume
102

frères, Librairies-Éditeurs, t.1, 1846, p. 18 : « La confrontation de 1838, dans le Hauran et l’Anti-Liban, fut la
plus grave et la plus lourde de conséquences…Après neuf mois de durs combats, les coalisées eurent raison des
rebelles, en août 1838… ; les Chrétiens reçurent du vice-roi 10.000 fusils en remerciement des services
Page

rendus ».
3
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 30.
envoyer les armes renfermées dans la citadelle de ‘Akka) mal accompli par son fils Ibrahim Pacha :
« Son Altesse, voulant compléter l’armement du rhéthiff (garde nationale) de l’Égypte, qui est de
quatorze régiments, demanda à Ibrahim-Pacha les fusils qui devaient se trouver à Saint-Jean d’Acre.
Or, beaucoup de ces fusils ont été donnés aux Maronites, il y a deux années. Ibrahim-Pacha interpréta
mal les ordres de son Altesse, et réclama les armes données aux Maronites ; ceux-ci refusèrent de les
rendre, et de là une révolte »1.

Les révoltés libanais désignèrent le 29 mai 1840 comme le jour J pour déclencher une
insurrection qui devait embrasser les provinces comprises depuis « le mont Akkar, au nord, qui, en
longeant le Liban, s’étendent vers le sud de Naplouze, et appuyée au nord-est par un mouvement dans
l’Anti-Liban ou Djebel-el-Schark ; à l’Est par la province d’el-Beka‘ habitée par les Métoualis »2.

b. Méhémet ‘Ali et l’intervention de l’Europe

Ce bouillonnement interne libanais accompagnait une action politique et militaire de la part


de l’Angleterre avec la Russie, l’Autriche et la Prusse. Politiquement, l’Angleterre cherchait à
rassembler autour de sa politique les puissances européennes y compris la France. La Russie de sa
part, en se joignant à la coalition anti-égyptienne chinait une rupture de la France avec l’Angleterre.
Elle persuadait la Porte de maintenir la déchéance du vice-roi dans le but d’amener les deux
puissances européennes à la collision. Quant à l’Autriche, puissance chrétienne ayant les mêmes
intérêts religieux et commerciaux que la France en Orient, elle se déclarait à côté de l’Angleterre
uniquement pour flatter les Anglais. Les agents autrichiens, bien des années auparavant, se donnaient
« la tâche odieuse de fomenter le désordre entre les Maronites et les Druses, et pour conquérir, par
cette complaisance, à Constantinople, le droit de dominer à Rome, pour obtenir du bon vouloir de
l’Angleterre des pleins pouvoirs en Italie »1.

Le bateau à vapeur français, le Lavoisier apporta le 4 juillet, la nouvelle de l’arrivée


prochaine de vaisseaux militaires anglais dans la rade de Beyrouth afin d’amorcer un blocus maritime
des côtes libanaises, et de couper les voies de communication d’Ibrahim ; tous les moyens étaient
permis pour arriver à extraire la présence égyptienne de la Syrie2. En vue d’appliquer la volonté du
cabinet anglais, le commodore Sir Napier se présenta devant la rade de Beyrouth le 14 août. Une
103

1
Extrait d’une lettre adressée à un négociant de Marseille, par son correspondant d’Alexandrie, in Achille
Laurent, Relation historique des affaires de Syrie, depuis 1840 jusqu’en 1842…, p. 61.
2
Ibid., pp. 27-28.
Page

1
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 43.
2
Le Constitutionnel, jeudi 1eroctobre 1840, p. 1.
mesure d’intimidation et de pression sur les troupes égyptiennes cantonnées à Beyrouth se profila à
l’horizon. Ce mouvement déchaîna dans la ville une panique générale poussant les habitants ainsi que
les soldats de Soliman Pacha à fuir la ville dans la crainte des bombardements3.

Les efforts diplomatiques du gouvernement anglais allaient aboutir à la signature le 15 juillet


1840 à Londres d’une convention à l’insu de la France. Les pays signataires s’engageaient à imposer,
au besoin par la force, l’ultimatum de la Sublime Porte ; Méhémet Ali devait évacuer les provinces
usurpées en Anatolie, en Syrie, en Palestine et en Égypte dans un délai de 10 jours. À cette condition,
les Puissances accordaient au vice-roi une souveraineté héréditaire sur l’Égypte et sur la partie sud de
la Syrie y compris le pachalik d’Akka1. Cette proposition chaperonnait une menace d’expulsion et de
destitution au cas où il refuserait les décisions. La France de son côté continuait à soutenir Méhémet
Ali, mais sa politique confuse en Orient enhardit les alliés dans leur action. Elle serait disposée à se
joindre aux autres puissances « pour garantir l’empire turc contre les réactions ultérieures de la part de
Méhémet Ali, pourvu qu’on assure à ce dernier :

- la possession viagère de la Syrie,

- que la Syrie retourne sous la domination du sultan après la mort de Méhémet Ali,

- et que Candie, Adana et Acre soient restitués sans condition à la Porte-Ottomane. Si la


France ajoutait à ses propositions de pareilles assurances, on pourrait arriver à la solution de la
question égyptienne, sans courir de risque de compromettre la paix européenne »2.

Il va sans dire que cette politique brumasse du gouvernement français en Syrie fut
ouvertement attaquée et désavouée par une partie des députés du Parlement français. M. Alphonse
Marie Louis de Lamartine (1790-1869), poète et voyageur3, député de Saône-et-Loire et grand
opposant au ministère de Pierre Guillaume François Guizot (1787-1874) résuma toutes ses objections
contre la politique orientale ministérielle. Il revenait « sur son idée de Syrie française avec opiniâtreté
monomane, et sans tenir compte de tous les arguments qui ont fait évanouir sa chimère »1.

3
Achille Laurent, Relation historique…, p. 126.
1
Le Constitutionnel, vendredi 2 octobre 1840, p. 2 : « Les quatre puissances (européennes) ont décidé que ce
nouveau despotisme militaire qui a pris un grand développement sous les auspices du vice roi ne doit pas être
consolidé de manière à pouvoir, un jour ou l’autre, ruiner l’équilibre nécessaire en Orient. Les puissances
veulent réduire Méhémet Ali au pachalik héréditaire d’Égypte et obtenir la restitution de la flotte turque ».
2
Le Constitutionnel, jeudi 1er octobre 1840, p. 2.
3
Alphonse de Lamartine entama en juillet 1832 un voyage en grand seigneur vers le Levant. Il écoula une année
104

dans les contrées orientales. De retour en France, il publia son Voyage par besoin. Ce séjour oriental marqua le
reste de sa vie, non seulement sur le plan sentimental (par la perte de sa fille malade le 5 décembre 1832), ni
financièrement mais aussi par ses conclusions politiques. Lamartine fut un défenseur exalté de l’idée de Syrie
Page

française. Cité par Hyam Mallat, L’Académie Française et le Liban, Beyrouth, Dar an-Nahar, p. 53.
1
Le Constitutionnel, vendredi 2 octobre 1840, p. 1.
À l’expiration du premier terme, le refus de Méhémet Ali tomba sur les instances
européennes sans surprise. Il accepta avec reconnaissance l’hérédité de l’Égypte pour sa famille, mais
en ce qui concernait la Syrie, il ne pouvait croire que « son Souverain voulut arracher à son
administration un pays dans lequel il avait introduit tant et de si salutaires réformes »2.

L’intervention militaire des troupes alliées fut inéluctable. Au Liban, le Major général des
troupes de Méhémet Ali, Soliman Pacha informa par une lettre les consuls des puissances
européennes résidant à Beyrouth du refus de son Altesse des conditions et des arrangements proposés
par le Sultan avec l’accord de la Grande-Bretagne, de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche. Il ajouta
au nom de S.A. Méhémet Ali : « que ce qu’il avait conquis par les armes ne pourrait lui être enlevé
que par les armes » 3.

Dans la montagne du Liban, l’émir Bachir II fut informé des décisions du congrès de
Londres. Les Puissances européennes lui proposèrent de s’allier politiquement et militairement au
plan d’action mené contre Ibrahim Pacha en soulevant la Montagne face à la présence égyptienne.
Entre le zist et le zest, l’émir avisa Ibrahim Pacha de la ténuité de la situation dans la Montagne.
Celui-ci s’empressa par la ruse et par la force d’apaiser l’insurrection en coupant les ponts entre les
insurgés et les forces d’intervention. À cette fin, et pour mettre en garde les habitants du Mont-Liban
contre toute désobéissance, il publia le firman suivant : « Si vous persistez dans vos coupables
intentions, l’armée victorieuse expédiée avec l’aide de Dieu, détruira votre parti comme vous l’aurez
mérité. Pensez bien et réfléchissez à vos intérêts, et, en choisissant la soumission, soyez obéissants à
votre prince, afin que ce dernier prévienne les chefs de son armée de ne pas avancer, et par là vous ne
serez pas exposés aux dangers »1.

Sans résultat apparent, le mouvement des insurgés libanais se généralisa sous l’impulsion des
agents anglais et ottomans ainsi que des consuls des quatre Puissances, le tout sous le bruit d’une
armada invincible.

c. Les opérations militaires

La manipulation anglaise des éléments de la révolte fut nettement mise en évidence par un
article révélé par Le Constitutionnel2 qui soulignait avec évidence le rôle que jouait dans cette affaire
105

2
Ibid.
3
Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie…, p. 128.
1
Firman publiait le 5 juin 1840 par Ibrahim Pacha à l’intention des habitants de la Montagne du Liban, in,
Page

Achille Laurent, Relation historique…, pp. 33-34.


2
Le Constitutionnel, vendredi 2 octobre 1840, p. 1.
le comte Onffroy3 pour le compte du lord Ponsonby. Mais l’intervention de l’Angleterre ne fut statuée
qu’en fonction de l’insurrection et de l’évolution de la situation sur le plan diplomatique et militaire,
notamment sur l’application du traité de Londres.

Le 15 août quatre vaisseaux anglais se détachèrent de l’escadre1 et vinrent effectuer une


manœuvre de débarquement la nuit dans le petit port de Joûnié. Auparavant, le gouverneur de
Beyrouth Mahmoud Bey tenta une action meurtrière sans succès de débarquement sur la même plage,
afin de couper toute tentative anglaise de débarquement. Les chaloupes anglaises mirent sur terre des
émissaires chargés de répandre dans le Liban la proclamation du Sir Charles Napier, commandant des
forces navales des alliés : « la Grande-Bretagne, l’Autriche, la Russie et la Prusse, conjointement avec
le Sultan, ont décidé que le gouvernement de Méhémet Ali, pacha, devait cesser en Syrie »2.

Devant cette propagande, l’émir Bachir II répliqua en publiant partout dans la Montagne un
ordre sévère interdisant aux habitants tout contact avec les Anglais : « Quiconque recevra des écrits
révolutionnaires de leur part (les alliés), devra les remettre à mes fils les émirs ; en cas contraire, il
sera puni de mort. Quiconque recevra des armes, des munitions ou des provisions sans l’autorisation
de mon gouvernement sera puni de mort »3.

Avant d’entamer la canonnade de Beyrouth, les forces alliées épuisèrent pendant un


mois, tous les moyens de ruse, soit auprès de Soliman Pacha, de Mahmoud Bey, gouverneur
de la ville ou auprès des principaux chefs des troupes.
Devant l’insuccès des moyens diplomatiques et avec la fin de la mise sur pied du
dispositif militaire tout le long des côtes du Liban, L’Angleterre et ses alliés européens et
turcs étaient au début de septembre 1840 prêts à franchir le pas vers l’application par la force
des clos du traité de Londres. C’est ainsi que Beyrouth allait subir la volonté atterrante de ce
traité par le feu et le sang.

Kamal Salibi ajouta que « La Russie et l’Autriche se mirent aussi à encourager les rebelles, surtout les Chrétiens
parmi eux, la Russie cherchant à renforcer sa position de protectrice des grecs orthodoxes de Syrie, alors que
l’Autriche profitait de l’embarras de la France pour essayer de prendre sa place de protectrice des Catholiques
libanais ». In, Kamal Salibi, Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988, p. 97.
3
D’après Le Constitutionnel, le comte d’Onffroy un garde du corps de Charles X (1757-1836) ne fut qu’un
simple aventurier au service d’un diplomate anglais très rusé. Il débarqua à trente ans à Constantinople pour une
aventure, dans le dessein de faire fortune, n’ayant pour toute espérance que les prétentions qu’il faisait valoir sur
la Syrie et le royaume de Palestine. Le comte fut habillement exploité par le diplomate anglais. M. Onffroy, fort
d’une si haute protection marcha à la conquête de la Syrie. Dans la montagne du Liban en ébullition, beaucoup
des émirs se rallièrent à lui. Une révolte qui s’organisa autour de son chef le comte d’Onffroy allait bientôt subir
la colère d’Ibrahim pacha. En effet, les insurgés éprouvèrent une défaite cuisante dans les plaines de Tripoli. Le
106

comte Onffroy prit la fuite avec son chef d’état-major M. Chézel et son aide de camp M. Fasollis. Une corvette
française vint sauver le comte et le conduisit à Chypre puis à Constantinople.
1
Pour la composition de l’escadre des forces navales alliées, voir annexe II p. 282.
Page

2
Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie…, p. 123.
3
Ordre signé par l’émir Bachir, Ibid., p. 127.
1. Le bombardement de Beyrouth

La ville de Beyrouth fut canonnée impétueusement chaque jour du 9 septembre au 10 octobre


1840, « à portée de fusil » par les vaisseaux autrichiens et anglais. Un courrier de Marseille 1
apportait des détails sur les événements de Beyrouth. Il confirmait la violence de l’attaque sur la ville.
Ainsi, « l’hôpital de la ville a été incendié par des fusées, bien qu’un drapeau noir signalât sa
destination »2. Après cette première journée de violence, l’indignation fut générale. La France exigeait
de son ancien allié (Angleterre) un droit aux égards. Soliman Pacha rappela énergiquement « que
depuis quarante ans qu’il faisait la guerre, il n’avait jamais rien vu de semblable, et que les Anglais
qui se disent régénérateurs, veulent régénérer la guerre dans ce qu’elle a de plus barbare »3.

Le 15 octobre, « Les Princesses Charlotte, le Powerfull, le Gange, le Thunderer, le Wasp, le


Cyclope, le Gargon, l’Hydra, le Phœnix »4 ; l’amiral autrichien Bandiera sur la Médée avec la
Guerrière, un vaisseau de ligne et une frégate turque avec quelques petits navires, étaient à l’ancre à
Joûnié. Cette force se composait de 6500 soldats turcs, 1500 hommes de la marine anglaise, 250 de la
marine autrichienne, des artilleurs et des mineurs, était commandée par l’amiral anglais Sir Napier. La
petite localité maronite au bord de la mer à quelques lieues au nord de la ville de Beyrouth offrait un
lieu accessible et sûr pour le débarquement des forces.

Les montagnards libanais étaient au rendez-vous ; ils affluèrent en grand nombre (3000
hommes) au camp des alliés. Soliman Pacha à la vue de cette concentration de force combinée
d’Européens, de Turcs et de Libanais, envoya un parlementaire pour demander un armistice de deux
jours. La réponse fut catégorique : « not for two hours »5, pas même pour deux heures.

Le bombardement de la ville recommença de plus belle. Pendant deux heures, les vaisseaux,
le Bellerophon, L’Edimbourg et le Benboto avec le vaisseau de l’amiral autrichien, avaient battu en
brèche la ville. « Le navire autrichien a surtout lancé sur la ville des fusées à la Congrève avec une
admirable précision »1.

Les bâtiments alliés jetèrent quelques bombes et des fusées de temps à autre sur la place de
Beyrouth le 16 septembre, en visant surtout les endroits de rassemblement des troupes égyptiennes.
La perte humaine causée par les bombardements fut énorme. Il périt dans les flammes et sous les

1
Le Constitutionnel, mardi 6 octobre 1840, p. 1
107

2
Ibid.
3
Ibid.
4
Le Constitutionnel, jeudi 8 octobre 1840, p. 1.
Page

5
Ibid.
1
Le Constitutionnel, jeudi 8 octobre 1840, p. 1.
ruines un millier d’individus2. Le désastre touchait de pleines destructions le pavillon des Consuls des
États-Unis, de Danemark, d’Espagne et de Grèce. Les troupes de Soliman Pacha présentes dans la
ville martyrisée pillèrent les consulats, les maisons et les magasins des négociants étrangers.

L’état chaotique de l’armée égyptienne fut relaté par une lettre de l’émir Bachir II, en
précisant que « l’on ne peut pas compter sur l’armée (égyptienne) »3; la désertion des troupes4
obligeait Soliman Pacha à ne pas attaquer la tête du pont et les positions des alliés aux alentours de
Beyrouth.

Ces signes de faiblesse encourageaient les montagnards libanais à rallier la côte et à seconder
massivement les troupes du sultan et de ses alliés. Trois navires de l’armada (Le Casto, le Carysford
et la Pique) se chargèrent de la distribution des armes aux montagnards. Le nombre des libanais
armés s’articula entre 10 000 et 12 000 hommes. Les actions militaires menées par les insurgés contre
les troupes égyptiennes furent décisives sur le sort de la présence de Méhémet Ali en Syrie. Le 17
septembre, les hommes de la montagne attaquèrent un corps d’armée qui allait rejoindre Ibrahim
Pacha et tuèrent 400 hommes1.

De son côté, l’émir al Qassem el Chéhabi dit Bachir III, à la tête de 5000 de ses hommes
menaient des campagnes d’harcèlement contre les Égyptiens. Une première se déroula le 24
septembre 1840 dans une localité de la montagne de Kisrwane dite Wata el Jawz, et la deuxième, le 9
octobre à Bher Saf dans le Metn. Ces manœuvres obligèrent Ibrahim Pacha à se replier vers le sud du
pays en quittant des positions stratégiques dans le Mont-Liban.

Une dépêche de Soliman Pacha datée du 20 septembre précise que depuis trois jours, les alliés
ne tiraient plus sur Beyrouth ; une conséquence évidente du bombardement des navires, obligeant la
population à se démettre et les soldats égyptiens à décamper de la ville. Autour de Beyrouth, les
insurgés libanais qui descendaient de toutes les directions de la montagne réussissaient le blocus de la
ville, en avançant jusqu’à la forêt des pins située à l’entrée Est de la ville. Afin d’éviter tout
étouffement, Soliman pacha poussa ses troupes vers le fleuve du Nahr el-Kalb au nord de Beyrouth,
où une bataille se déchaîna déroutant ce dernier et lui faisant perdre 1500 hommes 2.

2
Le Constitutionnel, mardi 6 octobre 1840, p. 1.
3
Le Constitutionnel, jeudi 8 octobre 1840, p. 1.
108

4
Ibid : « 80 hommes des avant-postes d’Ibrahim commandés par un major polonais, ont passé aux alliés. Les
Égyptiens sont, dit-on très mécontents, mal nourris, mal traités et mal payés. Les Albanais, élite de l’armée
d’Ibrahim, rejoindraient les alliés si on leur accordait le pillage ».
Page

1
Le Constitutionnel, vendredi 16 octobre 1840, p. 2.
2
Le Constitutionnel, vendredi 23 octobre 1840, p. 1.
Méhémet Ali qui jusque-là avait montré une modération et une souplesse diplomatiques dans
l’affaire de la Syrie s’était emporté brutalement en apprenant la difficulté de la situation militaire sur
les rives Est de la Méditerranée et surtout à Beyrouth. Une correspondance de Toulon (France) datée
du 2 novembre divulguait la réaction du vice-roi qui paraissait « disposé à jouer son va-tout »3.

La majorité des villes de la côte libanaise tombaient l’une après l’autre sous l’emprise des
forces des alliés. Méhémet Ali donna l’ordre à son fils de concentrer les troupes à l’intérieur du pays
autour de la plaine de la Béka’ afin de protéger la ville de Damas. Le correspondant du
Constitutionnel citant des lettres d’Alexandrie donnait des nouvelles de cette manœuvre militaire en
affirmant le rassemblement des troupes autour de la ville de Zahlé : « Ibrahim Pacha et Soliman Pacha
se trouvaient (vers le milieu du mois d’octobre 1840) près de Zahli, commandant la route de Damas.
Ce point a été fortifié, et toutes les forces qui étaient répandues sur le littoral, et dans quelques autres
positions ont reçu l’ordre de venir stationner à Zahli. C’est ainsi que Moustapha Bey après avoir fait
sauter la citadelle, a évacué Tripoli, et malgré les attaques des montagnards est arrivé à Zahli »1.

Parallèlement au bombardement et à la prise de Beyrouth, d’autres villes et villages de la côte


libanaise subissaient le même sort que Beyrouth. Trâblous (Tripoli) fut également canonnée. Akka
(Saint-Jean-d’Acre), Saïda (Sidon), Batroun et Jbeïl (Byblos) furent occupées sans grande résistance.

2. L’attaque de Jbeïl

L’attaque meurtrière de Jbeïl au nord de Beyrouth débuta au cours de la dernière semaine du


mois de septembre de l’année 1840. Trois navires de la force navale des alliés, Le Carysford, Le
Cyclope et La Didon furent chargés de venir au bout de la résistance des Arnaoutes calfeutrés dans la
citadelle. « Djibail est un village dominé par une citadelle très forte ; cette citadelle était défendue par
300 Arnaoutes »2.

Ces navires battirent en brèche pendant deux heures la place. La partie supérieure de la
citadelle subit d’énormes dégâts. La résistance des soldats égyptiens se concentra dans la partie
inférieure du bâtiment, « à l’abri derrière un énorme rocher qui semblait défier tous les projectiles des
navires anglais »1.

3
Le Constitutionnel, mardi 10 novembre 1840, p. 1.
109

1
« Durant la nuit du 9 octobre 1840, Soliman Pacha recevait l’ordre d’abandonner la place de Beyrouth. Le
lendemain, les forces anglaises et turques prirent possession de la ville ». In, Le Constitutionnel, mardi 24
novembre 1840, p. 1.
Page

2
Le Constitutionnel, vendredi 9 octobre 1840, p. 2.
1
Le Constitutionnel, vendredi 9 octobre 1840, p. 2.
Devant cette résistance, le commandant anglais Austin donna l’ordre d’un débarquement afin
de déloger les défenseurs de la citadelle, des montagnards qui aussitôt après le débarquement, se
glissèrent dans le bois en lignes espacées sans profondeur et en tirailleurs. Quant aux marins anglais,
ils s’avancèrent par le bois, franchissant les murailles sans rencontrer d’obstacles jusqu’à une portée
de pistolet de la citadelle. Un feu terrible fut alors ouvert contre les Libanais et les soldats anglais, qui
dans leur position, « ne pouvaient pas répondre au feu. Aucun des ennemis ne s’étant montré. Le feu
partait des meurtrières à la base de la citadelle, et une partie du terrain paraissait être minée »2.

Les marins anglais sous l’intensité du feu s’empressaient de se réfugier derrière une muraille
de pierre. Un sergent anglais tomba frappé d’une balle. Devant cette résistance et l’impossibilité
d’accéder à l’intérieur de la citadelle, les marins anglais se voyaient obliger de se retirer dans la nuit
vers les navires. Tandis que les Libanais restaient dans la soirée, au milieu des bois, pour garder les
issues3.

Malgré la réussite des Arnanoutes à repousser les attaques, ils préférèrent se décrocher et se
sauver, profitant de l’obscurité. Le lendemain matin, « le drapeau turc flottait sur la citadelle »4. Les
pertes des alliés dans l’affaire de Jbeïl furent estimées à six marins anglais tués et seize autres blessés
dont six graves. Dans les rangs des Libanais, aucune précision ne fut avancée par les services des
alliés.

3. La prise de Tripoli

Plus au nord, à quelque quarante kilomètres de Jbeïl, les Anglais alignaient un blocus
maritime de la ville de Trâblous. Entre temps, les insurgés Libanais stationnaient dans le village de
Zgharta « dans un bois d’oliviers entouré de deux vallons et d’une rivière, dans une position
inexpugnable si elle était dominée par quelques petites élévations à portée de canon »1.

À partir de ce camp, les montagnards se livrèrent à de nouvelles expéditions éclairs contre la


garnison du fort ; ils en rapportaient toujours quelques prises, enlevant aux Égyptiens des chevaux, la
farine, toute chose utile à l’approvisionnement du camp. Du reste, les insurgés étaient maîtres de tous
le pays environnant et parfaitement secondés par la population entière. Dans des expéditions
aventureuses, les Libanais dans leur ardeur à poursuivre les Égyptiens s’aventurèrent trop avant dans
110

2
Ibid.
3
Ibid.
Page

4
Ibid.
1
Achille Laurent, Relation historique des affaires de Syrie…, p. 94.
la plaine, et s’y firent charger par deux escadrons de cavaleries régulières de Mustapha Bey. C’est
ainsi que par un mouvement de panique et de débandade, « la cavalerie et l’artillerie légères
égyptiennes eurent le temps de se porter sur Sgortah et d’y incendier plusieurs maisons avant le
ralliement des montagnards »2.

Ce va et vient dominait l’activité militaire sur le front de Trâblous, étayée par les
bombardements sporadiques des vaisseaux anglais et autrichiens. Le gouverneur de la ville
Moustapha Bey sentait le danger d’un tel encerclement et préféra la fuir en faisant exploser la
citadelle et rejoignant Ibrahim Pacha dans la Béka’3. Presque la totalité des troupes de Méhémet ‘Ali
quitta le littoral libanais.

La seule ville qui restait encore sous la domination égyptienne et qui résistait au blocus était
Akka au sud de la ville de Soûr (Tyr). Une bataille décisive et meurtrière allait décider du sort de la
présence du vice-roi en Syrie.

4. La chute de ‘Akka

Une fois l’affaire de Beyrouth, de Jbeïl et de Trâblous achevée, les alliés concentrèrent leur
force sur ‘Akka ; la ville à position stratégique entre le Nord et le Sud, entre l’Égypte, la Palestine et
l’Anatolie. Le but de cette campagne était de couper toute communication logistique entre les troupes
d’Ibrahim Pacha stationnées en Anatolie avec la Syrie et les magasins d’approvisionnements situés en
Égypte et en Palestine. La décision était prise d’en finir le plus vite possible par le cabinet anglais car
l’hiver approchait rendant la mer impraticable.

À cet effet tous les préparatifs furent pris, une flotte de vingt bâtiments de guerre reçut l’ordre
de se rendre devant ‘Akka. « Les bâtiments à vapeur le Phénix, le Gorgon, le Stromboli et le Vésuve
arrivèrent les premiers sur les lieux ; ils avaient à bord environ 3000 Turcs ; les bâtiments à voile qui
arrivèrent successivement avaient aussi à bord des troupes de débarquement »1.

L’attaque fut dirigée le 1er novembre 1840 par l’amiral Stopford ; ayant sous ses ordres le
commandant Napier et l’amiral Walker. À peine la frégate anglaise le Phénix ouvrît le feu que
l’action devint générale ; la forteresse de la ville répondit au tir des alliés. Un feu effroyable
commença et continua pendant trois heures consécutives ; les bombes et les boulets pleuvaient de
111

2
Ibid., p. 95.
3
Le Constitutionnel, mardi 24 novembre 1840, p. 1 : « Mustapha Bey après avoir fait sauter la citadelle, a
Page

évacué Tripoli, et malgré les attaques des montagnards est arrivé à Zahli ».
1
Le Constitutionnel, dimanche 29 novembre 1840, p. 1.
toutes parts. Les canonniers égyptiens donnèrent la réplique et les boulets de leurs canons tombèrent
près des bâtiments anglais et autrichiens, mais sans faire trop de dégâts. Par contre, les bombes jetées
par les navires à vapeur causèrent un effet discrétionnaire sur les bâtiments et les maisons de la ville2.

Le lendemain, ‘Akka paraissait en feu. Les bombes continuèrent à pleuvoir toute la journée.
La citadelle riposta et résista à toutes les tentatives de débarquement du côté allié. Les défenseurs
obligèrent même les navires anglais de jeter « l’ancre hors de portée de la forteresse pour y passer la
nuit »1.

Dans la matinée du 3 novembre, les navires alliés amorcèrent de grands préparatifs en vue
d’un débarquement de troupes ; parallèlement, quelques heures auparavant, une force anglo-turque
partie de Beyrouth par voie de terre arriva aux environs de la ville. L’amiral Stopford donna l’ordre au
comandant Napier d’attaquer la ville. « L’escadre prit position en assez bon ordre, quoi que sous un
feu meurtrier, et les bâtiments ne se servaient encore que de leurs canons de proue ; le feu commença
et se maintint sur toute la ligne ; c’était un horrible spectacle ; on ne pouvait penser sans frémir aux
ravages que l’on aurait ensuite à déplorer »2. Ce terrible déluge du feu continua jusqu’au soir ; une
masse de fumée et de débris de toutes espèces couvrait le ciel de la ville. C’était le résultat direct de
l’explosion d’un magasin à poudre dans la forteresse. Une photo en lettres que Le Constitutionnel
imprima sur ses pages.

Le lendemain, L’amiral Walker descendit à terre afin de s’assurer de l’état de la ville. À la


suite d’une inspection rapide, il donna immédiatement l’ordre aux troupes de débarquement de se
déployer rapidement autour des points sensibles. Les troupes alliées s’emparèrent rapidement de la
ville malgré une légère résistance. Une inspection générale permettra d’évaluer les terribles effets du
bombardement ; « des morts et des mourants gisaient ça et là ; des hôpitaux avaient été brûlés ;
l’explosion du magasin de poudre avait occasionné la mort de plus de 1500 hommes. Presque toutes
les maisons étaient détruites ; c’était un spectacle déchirant »3.

L’attaque sur ‘Akka fut d’une violence inouïe ; les trois ponts de la Princesse
Charlotte tirèrent seulement dans l’espace de trois heures cinquante minutes près de 5000
bombes ou boulets1. Au total, soixante mille boulets furent lancés par 480 grosses pièces
d’artillerie2 écrasant la ville sous un ouragan de feu. Le drapeau turc flotta à côté des

2
Ibid.
1
Le Constitutionnel, dimanche 29 novembre 1840, p. 1.
112

2
Ibid.
3
Ibid.
1
Le Constitutionnel, dimanche 29 novembre 1840, p. 1.
Page

2
H. Lammens S.J., La Syrie, précis historique, Beyrouth, Imprimerie Catholique, Deuxième volume, 1921, p.
168.
drapeaux anglais et autrichiens sur la citadelle d’Akka entièrement détruite. Ibrahim Pacha
perdit 6000 hommes et d’énormes quantités de munitions. Il évacua la place à la faveur des
ténèbres en se dirigeant vers la Béka’ pour rejoindre Solimam Pacha et les autres généraux
qui se rassemblèrent autour de la ville de Zahlé.

La retraite de l’armée égyptienne de la Syrie et du Liban s’opéra au milieu


d’indicibles souffrances et de débandades. Cette évacuation militaire de Méhémet Ali
sombrait politiquement le Prince du Liban dans une fin dramatique. En effet, l’émir Bachir II,
avant même la chute totale du littoral libanais sous les canons des Anglais et des Autrichiens
prit la décision difficile de quitter Beit ed Dine.

d. L’abdication et l’exil de l’émir Bachir II

Avec le lancement des premiers boulets par les bâtiments de guerre anglais sur Beyrouth et le
débarquement d’un corps de troupes à Joûnié et à Jbeïl, l’insurrection des Libanais se transformait en
révolte générale. L’émir Bachir II pressentait la fin de Méhémet ‘Ali en Syrie et par conséquent celle
de sa domination politique et militaire sur la Montagne. Il n’avait jamais cessé d’exprimer à Ibrahim
Pacha la fragilité de la situation et l’incapacité de l’armée égyptienne affaiblie par la faim, la maladie
et la désertion de s’opposer à une volonté internationale et à une révolte nationale. Cette vision menait
directement le Prince à débrider le joug égyptien et exhala l’intention de se rendre aux Anglais et aux
Turcs malgré les appels d’Ibrahim Pacha de rejoindre le camp égyptien. Dans cette démarche, l’émir
Bachir II crut atteindre son but en étreignant la cause anglaise, afin de sauver son trône, ses biens et sa
famille.

Vers le début du mois d’octobre de l’année 1840, l’émir semble avoir cédé au torrent anglais.
Avant d’entamer dans ce sens des négociations avec Izzet Pacha et l’amiral anglais Stopford pour
s’aligner à la volonté des Alliés, il envoya prendre l’avis du consul de France ; « ne recevant pas de
réponse de ce dernier, il comprit que le gouvernement français n’osait s’opposer à l’Angleterre, et que
dès lors toute lutte devenait inutile ; il fit donc savoir à l’amiral anglais qu’il était disposé à traiter »1.

L’émir Bachir II conclut une convention le 5 octobre 1840, où il posa pour conditions que
« ses biens et sa vie fussent en sûreté ; par contre, il s’engage à servir fidèlement son souverain et
maître, le Sultan Abdul-Medjid »2. Selon les clauses de cette convention, le Prince du Liban devait
113

envoyer le 8 octobre deux de ses fils en otage à Saïda dans le camp des Anglais, jusqu’à ce qu’il pût
Page

1
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 31.
2
Le Constitutionnel, jeudi 5 novembre 1840, p. 1.
se joindre aux alliés, « ce dont il est empêché pour le moment par le voisinage d’Ibrahim Pacha »3;
qui en se démettant de différentes positions, se mettait en marche à la tête de 4000 hommes vers Beit
ed Dine, la résidence de l’émir Bachir II. Une fois que l’accord fut conclu, selon les conditions
mentionnées et qu’Ibrahim Pacha dégagea ses positions de la Montagne pour se concentrer dans la
Béka’, l’émir se rendit le 11 octobre avec le reste de sa famille à Saïda. De son côté, le gouvernement
français recevait des dépêches d’Alexandrie concernant la résignation de l’émir Bachir. Ces dépêches
confirmaient la date du 11 octobre, et le contenu de l’accord.

À Saïda, Izzat Pacha, fit à l’émir Chéhab un sauf-conduit pour lui et sa famille, puis il lui
donna à choisir le pays où il voulait se réfugier. « L’émir Béchir se récria en disant qu’il n’était venu
que sur la promesse qui lui avait été faite qu’il garderait sa position »4. La réponse de l’amiral anglais
à la stupéfaction de l’émir fut claire et ferme ; l’amiral n’allégua « qu’il en eût été ainsi s’il se fût
décidé dès son premier avis, mais que maintenant il était trop tard et que l’on avait pourvu à son
remplacement »1.

L’émir Bachir II demanda l’exil en France, mais, l’amiral anglais lui proposa l’Angleterre ou
Malte comme pays d’accueil2. Le bâtiment anglais Le Cyclope amena finalement l’émir Bachir et sa
famille en exil à Malte. Une lettre de l’île publiée par Le Constitutionnel décrit l’arrivée de l’émir et
sa famille sur l’île en dressant minutieusement comme à la manière d’une photographie le portrait de
l’émir : « L’émir Béschir, qui est arrivé ici récemment avec sa famille, est un homme âgé d’environ
75 ans ; il porte le costume de son pays, mais sans décoration. L’expression de sa physionomie dénote
un caractère despotique ; un nez aquilin, des yeux scrutateurs ; un teint brun complètent le portrait du
prince des Druses. Sa parole est laconique et précise ; il ne prononce jamais que trois mots à la fois, il
s’efforce de donner un caractère majestueux à son langage. Il fume toute la journée ; il est très bigot.
Dès son arrivée, il est allé à la messe, et a accompli un vœu qu’il avait fait à la Madona del Carmine
avant de se mettre sous la protection de l’Angleterre »3.

Le séjour de l’émir à Malte fut de courte durée. Il songea plusieurs fois à quitter l’île pour
Istanbul. Cette manœuvre fut bloquée à chaque fois par les autorités à la demande de l’agent anglais

3
Ibid.
4
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 31.
114

1
Louis de Baudicour, La France au Liban…, p. 31.
2 Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…
, p. 45 : « The deposed grand emir also left the capital and surrendered to the
Ottoman pasa (pacha)on 11 October. He asked to be exiled to France, offering four million piasters in return,
Page

but was allowed to choose only between Malta and London ».


3
Le Constitutionnel, mardi 24 novembre 1840, p. 1.
Rose qui craignait un come-back de l’émir sur la scène politique libanaise via la Turquie4. L’émir
Bachir II mourut à l’âge de 83 ans, après 51 ans de règne sur le Liban.

Les partisans de l’émir furent outrés de la conduite que les Anglais avaient tenue avec le
prince de la Montagne. L’élimination de l’émir était le prix qu’il fallait payer pour son ralliement à la
cause du Pacha d’Égypte qui avait si facilement apporté la totalité de la Syrie sous le contrôle
égyptien. Dans le but de remplacer Bachir II, les Anglais préparèrent un autre émir Shéhab, neveu de
Youssef Shéhab prédécesseur de Bachir II, et cousin germain de l’émir abdiquant.

B. L’anarchie au Liban

La situation au Liban après la chute de Bachir Chéhab II était précaire et remuante. À


peine le successeur de l’émir vint-il s’installer à Beit ed Dine que les troubles
recommencèrent et une instabilité politique et sociale mena le pays vers une anarchie totale
culminante en 1860 par un épisode apocalyptique avec les massacres des Chrétiens du Liban
et de la Syrie.

a. L’avènement de Bachir III (1840-1841) et la fin des Chéhab

Avec la désignation officielle le 13 octobre 1840 par la Porte de Bachir el Qassem


Chéhab dit Bachir III ou Bachir le petit, gouverneur de la Montagne comme successeur de
Bachir II, le Liban entra dans une phase d’instabilité politique et sociale ; soutenue par une
volonté extérieure de garder les factions libanaises en état de désunion. « Pourquoi cela ?
Plaisait-il donc à l’Europe d’entretenir l’Orient dans l’état précaire et incertain où il se trouvait et où il
se trouve plus que jamais ? La Turquie lui semblait-elle utile pour l’entretenir dans cette incertitude
qui ne désespérait l’ambition de personne ? » s’interrogeait le Journal des Débats1.

Alors quel était l’argument des pays européens désireux d’empêcher la régénération
du nationalisme en Orient ? Tout simplement l’argument de l’intégrité de la Turquie.
115

4 Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…


, p. 93 : « The deposed emir was still in Malta, but maneuvering to remove
himself to Istanbul for ‘reasons of health’. Rose had urged Aberdeen to block the move, for news of his
departure had aroused a great deal of excitement on the Mountain and fear that the move would signal to his
Page

followers the emir’s return to power in Lebanon with all its attendant consequences for his opponents ».
1
Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860.
À cette fin fut désigné L’émir Bachir III pour sa faible personnalité et son caractère
indécis. Il se trouvait dès novembre, en butte à une hostilité ouverte des Druzes et une partie
des Maronites. Les chefs druzes de retour d’exil en mars 1841 espéraient non seulement
retrouver leurs privilèges et les propriétés confisquées par Bachir II et Ibrahim Pacha, et ceci
conformément aux promesses ottomanes, mais ils avaient aussi une intention claire
d’éliminer de la scène politique toute trace de la famille Shéhab. Bachir III fut donc pour les
Druze le symbole à abattre1. Rapidement, les relations entre l’émir et les Libanais allaient
devenir très tendues, au fur et à mesure que l’émir essayait de supprimer ce qu’il restait de
leur puissance féodale.
S’il régnait sur un territoire approximativement égal à celui que gouvernait son
prédécesseur, la situation de Bachir III restait instable et fragile. Imposé par les Anglais,
incertain de la fidélité de ses sujets, il ne disposait que d’une autonomie très restreinte. Le
nouveau gouverneur Turc Méhémet Izzat Pacha surveillait de près l’évolution de la situation
au Mont-Liban. De Beyrouth, sa nouvelle résidence, il contrôlait effectivement l’ensemble du
territoire tandis que ses troupes régnaient sur toute la Syrie.

Politiquement, le gouverneur Turc réussit à instituer à la Montagne « une sorte de monarchie


constitutionnelle : le grand émir est maintenant flanqué d’un divan, dont il a la présidence de droit, à
laquelle un procureur peut le remplacer au cas d’empêchement »2.

Effectivement le Diwan comprenait non seulement des Libanais (trois Maronites, un Melkite,
un Grec orthodoxe, trois Druzes et un Chi‘ite), mais un sunnite ottoman. Par cette formule, « la
Turquie substituait partout des fonctionnaires venus de Constantinople aux autorités et aux influences
locales »3. En réalité, la Porte après la défaite des Égyptiens en Syrie, voulait finir avec l’autonomie
de la Montagne en établissant une administration directe.

Sur le plan intérieur, les chefs druzes qui sortaient de leurs cachettes ou de retour d’exil 1
furent les adversaires les plus acharnés du grand émir ; ils lui reprochaient ses exactions, les vexations
subies sous Bachir II et les privilèges alors accordés aux Chrétiens à qui ils reprochaient en outre de
s’être emparés de leurs biens en leur absence.

1
P. Karam Rizk, Le Mont-Liban au XIXe…, p. 97.
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban, Paris, Téqui, 1997, p. 159.
3
Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860.
116

1
Pour Caesar E. Farah, le retour des chefs druzes d’exil d’Égypte fut une manœuvre française pour saboter
toutes tentatives de réconciliation anglaise dans la Montagne. In, Caesar E. Farah, The Politics of
Interventionism in Ottoman…, p. 93.
Page

Kamal Salibi soutient l’hypothèse de Farah en soulignant le rôle du consul de France dans cette affaire. In,
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 104.
Les Chrétiens, particulièrement les Maronites devaient être plus favorables au grand émir.
Mais ils étaient également devenus des sujets difficiles. En effet, depuis 1840, un fort mouvement
démocratique s’était développé au sein de la communauté, galvaudé par un refus farouche de laisser
se rétablir au Mont-Liban la vieille suprématie des Druzes. Les chrétiens s’identifiaient à leur grand
patriarche, Mgr. Youssef Hobeiche de Sâhel Aalma (Patriarche de 1823-1845) qui dans un
mouvement libérateur et social détruisit les structures ancestrales sans pouvoir encore leur substituer
un régime cohérent, « contribuant paradoxalement à l’affaiblissement de la nation maronite en son
ensemble »2.

Les Anglais dont les troupes stationnaient sur place soutenaient ouvertement par une politique
ambiguë l’émir Chéhab et les Druzes, sans pourtant jamais mettre en cause l’autorité ottomane, qui
restait leur principal garant3. En face, les Français voyaient leur propre influence « sérieusement
menacée en Syrie, notamment dans la partie qui comprend le Mont-Liban et le pied de la montagne où
se trouve la grande ville de Beyrouth appelée à devenir le port le plus important de la Syrie »1. La
France jugeait fort important sa présence politique, sociale et économique au Liban afin de mieux
contrôler toute la Syrie2.

Face à ces problèmes, les Ottomans échouèrent dans une situation d’arbitre heureux. Il
s’agissait à leurs yeux de démontrer l’absurdité et le danger du compromis passé en novembre 1840,
et d’aboutir in facto à la suppression de l’autonomie de la Montagne. Cela suppose que la situation
évoluait suffisamment mal pour qu’ils puissent intervenir directement, mais pas trop cependant de
crainte de provoquer une nouvelle internationalisation de la question libanaise : des troubles calculés
et contrôlés mais pas de massacres. C’était toujours la politique des gouvernements faibles de diviser
pour régner. « Grâce à cette machiavélique influence de la Porte, les populations différentes du Liban,
qu’unissait un danger commun autant que le souvenir de bienfaits réciproques, sont devenues
irréconciliables »3.

2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 159.
3
Melchior de Vogüé Comte, Les événements de Syrie, Paris, Douniol, 1860, p. 16 : « Soit par crainte de se voir
un jour intercepter la future route des Indes, soit par opposition à la politique française, l’Angleterre ne veut pas
souffrir en Syrie l’établissement d’un gouvernement fort ami de la France. Elle préfère à tout pouvoir, fût-il
Chrétien et réparateur, le régime oppresseur et sanguinaire de la Turquie, instrument docile de ses desseins ».
1
Napoléon Aubanel, La France Maronite. Fédération française de protection en Orient, Nice, imprimerie
Niçoise, 1892, p. 4.
2
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism in Ottoman Lebanon…, p. 170 : « The french were
determined to regain their position of influence and, despitewhat other powers considered unsound advice, were
undaunted by three months of failure in their steady attempts to brink back the Shihabs as the only means to that
117

end » ;William Harris, Faces of Lebanon, sects, wars, and global extensions, Princeton, Markus Wiener
Publishers, 1997, p. 34 : « The French, smarting from the reverse inflicted on their Egyptian friends and
worried about British commercial penetration, nurtured their relationship with the Maronites, encouraging
Page

Christian truculence ».
3
Camille Allard Dr., Souvenirs d’Orient. Les échelles du Levant, Paris, Adrien Le Clerc, Éditeur, 1864, p. 102.
À cet effet, et à fin d’y parvenir, les Turcs adoptèrent dès l’installation officielle de l’émir
Bachir III, une politique d’apparence plurivoque. Ils donnaient aux instances européennes des preuves
de leur souci de modernisation et d’efficacité : l’ordre régnait dans le pays et les Chrétiens n’étaient
plus menacés. Simultanément, ils s’efforçaient de maintenir les Druzes en agitation. Ils assistaient
leurs revendications quant à leur place au Liban et à leurs biens. Ainsi provoqués et soutenus, les
Druzes ne tardèrent pas à demander, en juin 1841, par une supplique aux Ottomans, qu’on leur donna
pour prince un musulman et déclarèrent ne plus vouloir obéir au dernier des Chéhab1.

Devant cette politique intrigante et la montée des périls, l’émir Bachir III, tout en
recherchant ouvertement le soutien de la France, s’efforçait à son tour de gagner les
Maronites et les Métualis par des faveurs spéciales. Quant à sa relation avec les Druzes, il
cherchait à les humilier de toutes les façons.

C’était dans les districts mixtes du Chouf où se posaient avec le plus d’acuité les
revendications des Druzes, et surtout, celle de la famille des Nakade qui cherchait à recouvrir
immédiatement son ancien apanage de Deïr el Qamar2. Elle avait été éliminée à l’occasion
de la poussée générale des Maronites vers le Sud qui aboutit à l’installation dans cette région
d’une forte enclave chrétienne.

Sous l’apparence d’une situation calme dans la Montagne, une animosité profonde
caractérisait la relation Druzo-Maronite centrée surtout à Deïr el Qamar ; où le 9 septembre
1841, une rixe opposa les habitants maronites de cette localité à ceux des Druzes du village
de Baaqlîne3. Une querelle de cause futile déchaîna une violence soutenue par une volonté
ottomane de profiter de l’occasion. L’émeute se détira rapidement et les clans s’organisèrent
de part et d’autre. L’émir par une réaction désespérée convoqua le 12 octobre 1841, à Deïr el
Qamar l’assemblée des notables. Les délégués maronites qui craignaient un guet-apens ne s’y
rendirent pas, et seuls se présentèrent les Druzes armés et menaçants. Bachir III fut alors pris
à son propre piège. Les Druzes passèrent à l’acte. Ils envahirent les quartiers chrétiens du

1
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 161.
2
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 102 : « The Abu Nakads, the traditional overlords of the
district in which Dayr is situated, had insisted all along that they had explicit powers to govern Dayr
118

immediately, while its Maronite inhabitants, with the incumbent grand emir’s support, maintained that the city
could be ruled only mediately ».
3
Ibid p. 101 : « Then, on 14 September, Yûsuf al Khâzin, a bolokbasi of the reigning prince, shot a partridge
Page

belonging to Nasif Abu Naked, which he was using to trap other partridged on property belonging to Nu’mân
Janblât in B’aqlîn. This led to a scuffle between a party of Maronites and Druzes ».
village, où ils entamèrent un pillage et un massacre organisés1. Les Maronites des alentours
ne tardèrent pas à répliquer. L’émeute s’empara de toute la Montagne, mais aussi du reste du
Liban.

L’émir Bachir III, molesté, désarmé, dépouillé de ses vêtements s’échappa miraculeusement à
la fureur des Druzes et se réfugia à Beit ed Dine2. Entre temps, le 6 novembre 1841, le village de
Zahlé la clef de la plaine de la Béka’ résistait énergiquement et courageusement à l’attaque des hordes
druzes venues du Hauran et de la Montagne3.

Face au péril d’une extermination générale après le triomphe des Druzes, le Patriarche
maronite qui venait d’adresser une protestation aux consuls européens décida de faire appel
directement à la Sublime Porte. Ce fut le moment tant attendu par les Ottomans qui sautèrent
sur l’occasion en dépêchant sur le lieu Mustapha Pacha à la tête d’une force militaire
dissuasive. L’impact de cette guerre pour les chefs druzes fut primordial pour regagner leur
autorité féodale dans les zones mixtes.

b. La fin d’un rêve : ‘Omar Pacha (1841-1842)

Dès son arrivée à Beyrouth, Mustapha Pacha prit une série de mesures en installant aux
principaux points stratégiques des troupes irrégulières albanaises afin d’étouffer toute idée de
mouvement ou d’action parmi les Maronites. Il marcha sur Deïr al-Qamar pour réduire leur résistance
et du coup, s’installa à Beit Eddine résidence de l’émir Bachir II. Du palais, le gouverneur turc
annonça en octobre 1841 la destitution de Bachir III. « Les troupes anglaises stationnées dans le pays
n’ont pas bougé. Les Ottomans sont arrivés à leurs fins »1.

Il obtint pour l’occasion le retrait des forces autrichiennes et anglaises. Sûr que le désaccord
régnait profondément entre les Libanais, et ne craignant plus une consultation nationale, le
gouverneur turc décida ensuite de convoquer l’assemblée des notables à une réunion. Après un mois
de vaines délibérations ce fut l’impasse. Le 15 janvier 1842, la Porte décréta « d’assimiler
officiellement le Liban à toutes les autres provinces ottomanes »2, et de nommer pour le gouverner,

1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 102-103 : « The Druze then laid siege to the city, but
the inhabitants managed to hold out. During this initial attack, The Druzes sustained more casualties than they
inflicted on their opponents . The grand emir’s palace was also besieged ; only one of the 15 couriers he
attempted to smuggle out to fetch help got through, the rest were all killed».
119

2
Ibid., p. 102. : « The chiefs came accompanied by 500 Druze cavalry ; but having been forewarned, Bashir III
managed to escape in the nick of time ».
3
Ibid., p. 113 : « Zahlé was, and still is, the key city or metropolis of the vast and rich lands of the Biqâ’ plain ».
Page

1
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 163.
2
Ibid, p. 164.
Umar Pacha3, un Croate de l’entourage de Mustapha Pacha. La Porte obtint ainsi satisfaction sur
toute la ligne ; « il lui reste à rassurer définitivement l’Europe et à adopter la preuve de son efficacité
dans l’administration directe »4.

Si le choix de ‘Omar Pacha fut facile et convaincant pour ses dons d’administrateur du côté
ottoman, rien ne semblait définitivement acceptable du côté des Puissances européennes. En effet, la
personnalité du nouveau gouverneur ne faisait pas l’unanimité au sein des pays européens ; le prince
Metternich1 « n’avait pas confiance en ce renégat »2 et l’Angleterre, par le non refus à cette
désignation, cherchait à ne pas offrir à la France la possibilité d’un retour sur la scène libanaise. Toute
la vie politique libanaise fut agitée, les pays européens, de crainte de voir le Liban sombrer de
nouveau dans l’anarchie, se ralliaient à l’idée de Metternich : l’établissement de deux Caimacams3, de
deux princes, l’un pour les Druzes, l’autre pour les Chrétiens (Maronites). Malgré les réserves de la
France, le principe fut finalement imposé aux Ottomans.

c. Le régime de Caimacamiya (1842-1860)

Le ministre des affaires étrangères turc informa le 7 décembre 1842 les consuls des pays
européens à Istanbul du partage du Mont-Liban en deux gouvernements distincts4. Cette idée de
partage de la Montagne était conçue par Metternich et fut acceptée par la Sublime Porte après le

3
P. Karam Rizk, Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 111 : « Michel Lettes ou Michael Latas (1806-1871) était
d’origine croate. Il adopta plus tard le nom d’Umar en se convertissant à l’Islam. Gouverneur du Mont-Liban du
15 janvier au 7 décembre 1842, où il prit le titre sous le nom d‘Umar pacha an-Namsawi (l’Autrichien). Il
décéda à l’âge de soixante-cinq ans à Constantinople » ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p.
139 : « Mustafa read them the firman deposing Bashir III and proclaiming the appointment of Omer Pasa al-
Majary (the Hungarian) as governor of Mount Lebanon with the title emiri livayi askeri muntazamiyi Sahane ve
emir ve Hükümdar Cebel-i Lübnan ».
4
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 165.
1
Le prince Metternich Klemens Wenzel (1773-1859), un homme politique autrichien rentra dans la diplomatie
autrichienne en 1794, devint ambassadeur à Paris, puis en 1809 ministre des Affaires étrangères. Il adopta dans
la question d’Orient une attitude dure envers la France et Méhémet Ali en se joignant à la coalition avec
l’Angleterre, la Russie et la Prusse. Il songea par sa politique orientale de remplacer la France comme
protectrice des Chrétiens au Liban. Les troubles de mars 1848 à Vienne l’obligèrent à fuir, et il n’exerça plus
aucune influence jusqu’à sa mort.
2
P. Karam Rizk, Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 111.
3
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, pp. 129-130 : « Le nouveau plan, suggéré par le chancelier autrichien le
Prince Metternich, était un compromis entre le point de vue des Français et celui des Ottomans. Pour la France,
la seule solution appropriée à la question libanaise était de restaurer l’Emirat dans le pays, de préférence avec un
120

émir Shihab ».
4
Au Liban, le nouveau régime fut annoncé le premier janvier 1843 devant une assemblée de notables libanais et
des consuls européens ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 256 : « The era of the kaim
Page

makamate, or the dual subgovernorship for Mount-Lebanon was formerly ushered in 1 January 1843 on a de
facto basis ; and on 7 March 1843 on a de jure basis ».
balourd échec d’Umar Pacha. Son intermède, d’ailleurs de courte durée, fut un coup fatal à l’ambition
turque d’une mainmise sur la Montagne.

Malgré cette concession, la Porte continuait à être présente politiquement et militairement au


cœur du Mont-Liban. Ces troupes présentes en plein centre du Liban surveillaient tout le pays, et le
gouverneur ottoman de Deïr el-Qamar dépendait lui-même du Pacha de Saïda. Même les Caimacams
du Nord et du Sud étaient nommés par les Ottomans et révocables par eux. Ainsi, l’autonomie
concédée de mauvais gré fut restreinte et friable.

Dans son développement, le régime de Caimacamiya offrait des lacunes et des déficiences
bien calculées afin de garder l’intervention ottomane nécessaire et vitale pour la survie des intérêts
des différentes puissances. Les concepteurs de ce régime souhaitaient assurer un semblant souffle de
paix entre les Maronites et les Druzes en assignant à chacune des deux communautés une
administration distincte et séparée. Mais, les investigateurs de ce règlement politique apprirent que la
coupure entre les deux communautés n’était pas si tranchante sur le plan territorial1.

Quelles étaient donc les conséquences de ce système sur la scène libanaise ? La principale
revendication druze se situait sur le plan territorial, du fait que la Caimacamiya maronite au nord était
beaucoup plus étendue que celle de Sud. Pour donner raison aux Druzes, le gouverneur ottoman
enleva la région de Jbeïl pour la confier administrativement à la wilayat de Tripoli. À cette mesure,
les Français rétorquèrent que ce n’était pas une question de superficie mais de population. Ils
obtinrent satisfaction, et en mars 1843, la région fut définitivement rattachée à la Caimacamiya
maronite. Mais l’affaire ne se terminait pas et bon nombre de litiges restait suspendu sur le principe de
la ligne de démarcation soulignée par la route de Beyrouth à Damas, les régions mixtes, le régime à
Deïr el Qamar. À cela s’ajoutait le problème des impôts qui attendait un règlement général, les
Ottomans levaient eux-mêmes l’impôt, ce qui bien entendu indisposa tout le monde.

Dès la fin de 1843, une année après la proclamation du régime de Caimacamiya, les troubles
confessionnels reprirent d’intensité. Si, au Nord les Maronites formaient l’immense majorité, par
contre au Sud les Druzes en position minoritaire cherchaient à consolider leur influence par le sang et

1
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 131 : « Malheureusement, les auteurs de ce règlement oublièrent ou
ignorèrent que, si les Druzes et les Maronites sont séparés par la religion et par la race, ils ne le sont point
121

toujours sur les territoires qu’ils occupent » ; Revue des Deux Mondes, XXIXe Année, Seconde période, t. 28,
Paris, 1860, pp. 502-503 : « Dès le début le double Kaymakamat présenta de sérieuses difficultés. Il avait été
institué sur le postulat erroné que la route Beyrouth-Damas divisait le Mont-Liban en deux zones distinctes : une
Page

région nord entièrement peuplée de Chrétiens et une région sud habitée uniquement par des Druzes. En réalité
beaucoup de Druzes vivaient parmi les Chrétiens dans le Matn… ».
le feu1. Des émeutes organisées par les chefs druzes éclatèrent particulièrement à Jezzine où les
paysans maronites et druzes s’opposèrent. À Deïr el Qammar, même les Chrétiens subirent de graves
sévices. Au total, « plus d’un millier de maisons maronites sont pillées, de nombreux couvents et
églises mis à sac ou incendiés »2.

Quant aux Européens, ils restaient au début des événements très circonspects. Personne ne
souhaitait la remise en cause du pseudo autonomie libanaise à laquelle furent ralliés si péniblement les
Ottomans. Mais la situation s’aggrava dans la Montagne vers le milieu de 1844 et l’opinion française
s’émut peu à peu. À la Chambre des députés, des voix s’élevaient et réclamaient au gouvernement des
exhortations pour arrêter les atrocités au Mont-Liban. Charles Forbes comte de Montalembert (1810-
1870) chef de l’opposition à la Chambre des pairs se demanda « par quelles garanties solides allez-
vous prévenir le retour de ces atrocités ? »3. Pierre Guillaume François Guizot (1787-1874), le
ministre français des Affaires étrangères répliqua dans une dépêche adressée au ministre de France à
Istanbul datée le 13 avril 1844, faisant apparaître que « l’institution des deux Caïmacams, maronite et
druze, n’a servi qu’à créer deux autorités impuissantes, sinon deux instruments de désordre entre les
mains du pacha ( le gouverneur général) »1. L’Autriche emboîtait le pas à la France ; par contre le
gouvernement de sa Majesté cherchait à protéger le statu quo.

Une nouvelle crise meurtrière faisait couler en abondance le sang dans cette région d’Orient.
Ces massacres démentaient dramatiquement les promesses que les agents anglais Wood, Rose,
Stopford et Napier leur avaient prodiguées en 1840. Le commodore Napier par une poussée de
protestation et d’indignation s’écria : « La plus grande douleur de ma vie, est d’avoir contribué à
chasser de la Syrie le pacha d’Égypte et d’avoir aidé les Turcs à établir parmi les Chrétiens du Liban,
dernier et noble débris du christianisme asiatique, le gouvernement le plus infâme qui ait jamais
existé »2.

Pendant ce temps, le développement de la guerre se faisait au détriment des Chrétiens dont, à


partir du mois de mai, les rassemblements à Deïr el Qamar, Zahlé, Saïda et Jezzine furent assiégés.
Les Ottomans débordés, ne réagissaient presque plus. Ils se contentaient d’affirmer que tout le mal du

1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 269 : « Complications lay in the mixed districts, most of
which werw located geographically in Druze territory. An estimated 10,000 Christians lived in the Druze and
about 1000 Druzes in the Christian Kaim makamate ».
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 169 ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 387 :
« The victory at ‘Abayh signalled a general dfeat for the Maronites and their Shihab leaders. They were now
122

clearly on the defensive. The three main centres of agitation, Dayr al-Qamar, Jizzin, and Zahlé, were silenced ».
3
F. Charles-Roux, France et Chrétiens d’Orient…, p. 161.
1
Ce qui affecta l’année 1860 toucha auparavant les années 1843 quand fut mis en application le régime des
Page

deux Caimacams et justifié par Le Journal des Débats du samedi 28 juillet 1860.
2
F. Charles-Roux, France et Chrétiens d’Orient…, pp. 161-162.
Mont-Liban venait des Européens. Mais au fond, l’objectif des Turcs restaient pourtant l’apaisement.
En ce sens et comme signe de bonne volonté, la Sublime Porte envoya en mission le 9 septembre
1845 Chékib Effendi, ministre en exercice des affaires étrangères qui, dès son arrivée à Beyrouth le
14 septembre, entreprit des mesures efficaces afin de mettre fin à la folie meurtrière des Libanais 3. Il
était envoyé pour exécuter rigoureusement le mémorandum qu’il adressa aux représentants des cinq
puissances : « Lorsque la Syrie fut délivrée du joug égyptien, la Porte promit aux Montagnards
certains privilèges ; ma mission est de les leur garantir »1.

Mais le haut-commissaire ottoman « se rendit surtout célèbre par le Règlement qui porte son
nom »2 et qui se situait dans le cadre des institutions créées en 1842 et en 1844. Il innova surtout en
instituant, auprès de chacun des deux Caimacams, un conseil consultatif et un autre tribunal. Ce
conseil aboutit à placer les Turcs en position d’arbitre entre les Caimacams et les membres du conseil.
Une position confortable qui permettait aux Turcs de manipuler et de contrôler en douceur la question
du Liban.

Si le Règlement de Chékib effendi donnait à la Montagne une certaine accalmie militaire et


politique à travers une série d’institutions et de mesures, la situation sociale par contre demeurait
chaotique par son développement dans les zones mixtes3 et surtout dans la Caimacamat Nord. Durant
l’occupation ottomane du Liban, la Sublime Porte75 a tout fait pour détruire l’autonomie libanaise. La
sagesse séculaire d’un peuple indépendant a toujours su percer les visées sournoises venant du Nord
comme du Sud. Après l’échec de l’administration directe, la Sublime Porte se résigne à rétablir
l’autonomie acquise en s’empressant d’ériger une certaine opposition indispensable entre deux
religions différentes76 en système politique, réussissant ainsi à miner le nouveau régime dont la
religion fournit une mèche facile à allumer. La Montagne par une décision prise le 29/11/1845 est
divisé en deux Kaïmakamats77, l’une aux maronites, à Bikfaya ; l’autre aux druzes à Beit-Eddine, la
ligne de démarcation est la route de Damas. Ce régime a pour nous le mérite d’avoir habitué le pays à
une organisation représentative aussi timide soit-elle. Chaque Caïmacamat est, en effet ; doté d’un
conseil consultatif dont les membres, représentants les confessions, jouissent de pouvoirs fiscaux et
juridictionnels. D’ailleurs, en face du Caïmacam, fonctionnaire désigné par la Sublime Porte et choisi

3
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p.117 : « Chekib Effendi partait le 9 septembre, et, le 14,
débarquaient presque simultanément avec lui, à Beyrouth, deux régiments d’infanterie régulière qui allaient
renforcer l’armée d’Arabie » ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 417 : « In a secret firman
from the sultan, Mehmet Nâmik Pasa was elevated to the rank of vizier and appointed overall müsür of the
Arabistan army. He was granted full powers to dispatch troops to Mount Lebanon as needed and to employ
force to pacify and stabilize the country ».
1
Revenir aux paroles de Chekib Effendi in, Richard Edwards, La Syrie. 1840-1862…, p. 106.
123

2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 117.
3
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 146 : « Les Chrétiens des districts druzes, comme les Druzes des
districts chrétiens, trouvaient que les nouveaux arrangements n’amélioraient en rien leur situation et
Page

continuèrent à se plaindre ; et les familles féodales dans tout le Liban considéraient le nouveau système comme
une menace pour leur position et essayaient d’y faire obstacle par tous les moyens ».
parmi les membres des familles indigènes, les instructions de 1845 prévoyaient un substitut du
Caïmacam et un Conseil se composant de onze membres à raison d’un juge et d’un conseiller par
confession et répartis à raison d’un juge et d’un conseiller par confession, et répartis comme suit :
un juge et un conseiller Musulmans
un juge et un conseiller Maronites
un juge et un conseiller Grecs Orthodoxes
un juge et un conseiller Grecs Catholiques
un conseiller Métouali79.
Ces membres exerceront sans interruption et avec persévérance leurs fonctions. Ils sont choisis
par l’intermédiaire des évêques et « okkals ».

Ainsi, le confessionnalisme administratif et politique a été semé par les ottomans et consacré.

d. Le malaise social et l’insurrection paysanne (1858-1859)

L’institution des Conseils développait dans la Caimacamiya Nord un mouvement populaire et


une transformation sociale profonde qui s’opéraient dans la Montagne au rythme des nominations et
des révocations des membres.

La contradiction augmentait chaque jour entre les institutions qui créaient ces classes
montantes et des coutumes qui restaient fort archaïques. Les paysans maronites supportaient mal les
redevances qui les accablaient, accusaient la noblesse de garder pour elle le fruit de leur labour et
allaient jusqu’à revendiquer la propriété de la terre. Jusqu’en 1845, ce bouillonnement ne menaça pas
sérieusement l’ordre établi1. Mais après la disparition de Haydar Abu al-Lama, le Caimacam chrétien
en 1854 et la nomination officielle de Bachir Ahmad Abu al-Lama gendre de Haidar la situation
intérieure des Maronites devint critique, car, le nouveau Caimacam fut désigné surtout pour son
dévouement à la Porte, mais en fait il était de notoriété publique et d’appartenance douteuse à la
communauté chrétienne. « Honnis par les paysans du Kisrwan, qui l’accusaient de favoriser les
Druses, ses anciens coreligionnaires, Béchir-Achmed, foulant aux pieds les intérêts de son pays et de
son peuple, se venge en soufflant partout la discorde. Par des menées sourdes et tristement habiles, il
pousse les fellahs à la révolte contre les cheiks »2.

La noblesse maronite des Khazen et certaines branches d’Abu al-Lama se liguèrent,


refusèrent obéissance et obligèrent Bachir Abu al-Lama à se réfugier à Beyrouth sans « que le pacha
124

1
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 51 : « Les paysans accusaient les Cheiks de n’être pas toujours
des modèles de justice et de douceur à leur égard…Il fallait leur baiser la main tout comme à leurs maris, tout
Page

comme on le fait pour les émirs, pour les membres du sacerdoce ».


2
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 55.
s’occupât de le rétablir, malgré les incessantes réclamations du consul français »3. À partir de cette
date, tout fut en mouvement. L’anarchie au sein de la communauté maronite s’étendait prestement et
devint complète. Les Khazens exigèrent la mise en accusation de Bachir Abu al-Lama. Le sang
coula ; les Ottomans maintinrent le Caimacam dans ses fonctions au détriment de la bonne entente
entre les puissances européennes.

Ce fut l’incertitude totale. Les paysans décidèrent de persister à réclamer l’égalité sociale et
politique, d’autant plus ardemment que le clergé les étançonnait ouvertement. Au même moment, le
18 février 1856, le Hatti hamayoun1 proclama à travers tout l’empire ottoman, l’égalité de tous devant
la loi. Les paysans insurgés se rassemblèrent à Aajaltun, un village du district de Kisrwan et
s’organisèrent dans plusieurs villages en donnant finalement à Tanius Shahine, un muletier et
maréchal-ferrant de son métier, le poste de Wakil général2.

Dans le Ftouh, le Kisrwane et le Metn, Tanius Shahine « qui ne sait ni lire ni écrire, qui se
distingue peu par la foi religieuse »3 devint tout à coup le maître et le Bey4 absolu du nouvel ordre. Il
régna comme un libérateur sur sa nouvelle « république populaire ». Des chants de triomphe lui
étaient aubadés : « O notre bey de Réifouns, tu es le père des glaives affilés ! tu as chassé les soldats
de Djouni ! Malheureuse est la famille Kazen qui a foulé le peuple ! Tu as écrit une lettre à l’ennemi,
et tu lui as dit : Viens à ma rencontre à Anthoura ! Moi, bey, j’ai là un moulin, des soldats, et de la
poudre et des balles en si grande quantité, qu’on ne pourrait pas les peser avec la romaine. Vite ! lève-
toi ! et marche aussi contre les Métualis ! »5.

De Bikfaïya, il incita les paysans à confisquer les domaines de la noblesse. Devant cette
jacquerie, les Khazens et les Hobeiches, les nobles de Kisrwane ne tardèrent pas à partir à leur tour.
Malgré les interventions de la France avec force en faveur du Caimacam et son rétablissement à
Bikfaïya, malgré les manifestations de solidarité de la noblesse druze à l’égard de leurs homologues

3
Louis de Baudicour, La France en Syrie, Paris, E. Dentu et Challamel Ainé, 1860, p. 18.
1
Michel Mourre, Le petit Mourre…,p. 1165 : « Le Sultan Abdul-Medjid Ier (1823-1861), qui devait faire face à
un grave déficit, donna cependant un nouvel élan à la politique de réformes en établissant l’égalité des sujets
musulmans et non musulmans de l’Empire ».
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe siècle…, p. 129.
3
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862, Paris, Amyot, 1862, p. 124.
4
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie et l’expédition française…, pp. 58-59. Le titre de Bey fut donné à
Tanius Shahine par Khurchid pacha dans une lettre qu’il lui avait écrite. Moustapha Gannoum alors gouverneur
de Jbeïl porta à son tour le même titre au chef des paysans lors d’une rencontre dans le Kisrwane. Le gouverneur
disait en s’adressant à Tanius Shahine « qu’il est des temps, où le grand Allah marque de son doigt tout puissant
125

les hommes dont il veut se servir pour l’accomplissement des grandes choses. Vous êtes, ô bey ! l’un de ces
hommes. Vous avez commencé une grande œuvre en brisant le pouvoir tyrannique et tracassier des cheiks de
ces montagnes, et puis en recommencer une autre, l’anéantissement du pouvoir des émirs, non moins
Page

tyranniques à l’égard des fellahs que les cheiks eux-mêmes ».


5
Ibid., p. 53.
maronites, la révolution paysanne non seulement se consolidait au nord, mais tendait à contaminer les
régions de la Caimacamiya druze au sud. Pour Baptistin Poujoulat, le fond de l’affaire ne se trouvait
« ni dans les cheiks, ni dans les paysans »1 mais précisément « dans la politique intéressée et
brouillonne de l’Angleterre »2.

Le champ était ouvert. Le régime des cheikhs maronites tomba sous le poids d’un pouvoir
abusé. Néanmoins, pour endiguer l’expansion de la révolution des paysans maronites vers le Sud, les
Druzes formèrent bloc autour de leurs chefs féodaux. Cette féodalité qui fut toujours plus forte que
celle des Maronites, était d’ailleurs moins considérée. De plus, chez les Druzes s’ajoutaient des
astreintes sociales et des attaches proprement religieuses. L’effervescence était à son comble dans la
Montagne. La révolution des paysans de Kisrwan prit, à partir de l’année 1859, le caractère d’une
opposition pure et simple entre les deux communautés druze et maronite. Un simple incident pouvait
déclencher un drame épouvantable.

Même la matière photographique était rare pendant la période des deux Caimacamiyas et
celle de la révolte paysanne du Kisrwan, le style journalistique employé décrivait les différents
événements à la manière d’un photographe.

C. Une Guerre Civile en 1860


À cette époque, une folie meurtrière souffla sur la Montagne. Les intentions des
Maronites et des Druzes s’assombrirent de haine et de mort. Une guerre d’élimination
mutuelle s’organisa entre les deux communautés dans les coulisses des consulats et des
différents ministères européens et ottomans. L’explosion de la Montagne était inéluctable.

a. Une année d’ébriété sanguinaire

Le drame lamentable des années 1860 dont le Liban avait été le théâtre n’éclatât pas
subitement. La situation politique et sociale dans le pays résultait d’un désordre et d’une soif de
vengeance passés à l’état normal entre les communautés religieuses, d’où, de temps à autre, sortaient
des éruptions sanglantes. L’excitation générale au cours de l’année 1859 se traduisit par des scènes
126
Page

1
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 51.
2
Ibid.
meurtrières dans les villages mixtes Druzo-Chrétiens, dans le pays du Chouf, Jezzine, Zahlé,
Hasbaïya et Rachaïya1.

b. L’étincelle

Les premiers coups de fusil retentirent dans le village de Beit Méri à une distance de deux
heures seulement de Beyrouth le 15 août 18592. Ce beau village aux alentours de Beyrouth était pour
les Européens d’un séjour agréable durant les mois d’été « à cause de son site pittoresque et de la
fraîcheur de ses ombrages »3.

Les scénarios4 de cette querelle différaient selon les sources et les intérêts de chaque partie
concernée dans le conflit. Les causes directes de cette algarade furent explicitées par un échange
d’horions entre enfants druzes et maronites dont les parents et amis prirent fait et cause pour leurs
gamins1.

L’affaire se compliqua à partir du 1er septembre 1859 avec les renforts druzes qui venant du
sud, « délogèrent les habitants chrétiens de Beit Méri et des villages voisins, pillèrent et incendièrent
leurs maisons »1. Les Druzes dans cette rixe perdirent 28 morts2 plus que les Chrétiens, et les
habitants du village demandèrent justice et punitions des coupables. Officiellement, l’affaire n’avait
pas de suites immédiates de la part des autorités ottomanes. Furent-elles au courant ou tout
simplement prises par surprise ? Le colonel Charles Henry Churchill souligna que l’autorité Ottomane
fut prise par surprise3, tandis que P. Karam Rizk mit l’accent sur l’absence volontaire de cette autorité

1
Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war, Civil conflict in Lebanon and Damascus in 1860, London, I.B.
Tauris, 1994, p. 61.
2
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862, Paris, Amyot, 1862, p. 130. Karam Rizk P. Le Mont-Liban au XIXe…,
p. 229 ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventtionism in Ottoman… p. 542 maintenaient cette date. Par
contre, d’autres sources indiquaient des dates assez distantes par rapport au 15 août. Un témoin oculaire français
avança la date de 14 août. In, Un Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie, Expédition francaise de 1860, Paris,
Plon-Nourrit, 1903, p. 12. D’autres poussèrent le 30 août 1859 comme date possible de l’incident à Beit Méri.
Parmi ces auteurs, se plaçait Chahine Makkarius, Hasser el Lissam an nakabat al Cham, Égypte, 1895, p.135.
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites under the Turkish rule, from 1840 to 1860, London, Garnet
publishing, 1994, p. 132 ; Kamal Salibi, in Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988,
p.168. Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war, Civil conflict in Lebanon and Damascus…, p. 45.
3
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 12.
4
Pour une ample couverture sur les intrigues du conflit : voir Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp.
229-230.
127

1
Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war…, p. 45.
1
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 229.
2
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites under the Turkish rule, from 1840 to 1860, London, Garnet
Page

publishing, 1994, p. 133 ; Chahine Makkarius, Hasser el lissam., p. 135.


3
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites under the Turkish rule, from 1840…, p. 135.
et que « le Gouverneur turc vint sur les lieux mais ne rendit pas justice aux réfugiés »4. Khurchid
Pacha, le gouverneur turc cherchait surtout à calmer les esprits des belligérants dans le dessein
d’ajourner l’explosion de cette guerre et non pas pacifier la Montagne.

Quoi qu’il en soit, les intermèdes de calme ne devaient pas être longs ; « les assassinats se
multipliaient, des bruits sinistres circulaient, l’attitude des musulmans des villes devenait menaçante ;
on voyait chaque jour des bandes de Druzes venir à Beyrouth et dans les autres échelles
s’approvisionner d’armes de munitions »5. Tout annonçait une explosion imminente, terrible. Dans ce
sens, Les deux communautés se préparaient à une guerre d’extermination ; les cheikhs druzes se
concertèrent avec les autorités turques et les autres chefs musulmans « sur la possibilité d’une
coalition pour exterminer les Chrétiens »6 et le clergé maronite des zones mixtes « faisait à ses
ouailles un tableau navrant des souffrances des Chrétiens du midi …, si les Maronites n’attaquaient
les Druzes sur leur propre territoire pour les expulser enfin du Liban »7. Dans cette optique les
Maronites qui cherchaient le soutien du clergé chrétien orthodoxe et catholique, et des chefs militaires
de Zahlé, Deïr el Qamar, Kisrwane et de Jezzine se réunissaient fréquemment pour établir les plans
d’attaque1.

L’année 1859 s’écoula au rythme des escarmouches et de vengeance surtout dans les zones
mixtes du Metn et dans le sud du Mont-Liban à la porte de Saïda. L’ardeur de l’hiver attiédit
momentanément les passions des montagnards ; « ils rentrèrent dans leurs foyers pour attendre le
printemps »2.

c. La défaite chrétienne dans le Metn

À partir de 1860, des événements graves se dessinaient assez nettement pendant tout l’hiver.
Durant cette période, les consuls européens sonnaient le tocsin à Istanbul. La Sublime Porte, par une
étrange incurie, réagissait avec complaisance et laxisme en dégarnissant des troupes régulières de la
Syrie comme signe de confiance et de cammouflage3. Ces mesures encourageaient les populations
turbulentes de cette vaste province qui allaient être pour ainsi dire abandonnées à elles-mêmes4. Les

4
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 229.
5
Melchior de Vogüe Comte, Les événements de Syrie, Paris, Charles Douniol, 1860, p. 5.
6
Ibid., p. 231.
128

7
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 26.
1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventtionism in Ottoman Lebanon…, p. 545.
2
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 14.
Page

3
Chahine Makkarius, Hasser el Lissam… p. 77.
4
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 49.
portes de l’enfer s’ouvrirent par une attaque armée contre le monastère catholique d’Aammîq situé
dans la plaine de la Béka’ un jour du mois de mars où le père supérieur Athanasius Naaum trouva la
mort5.

La violence s’enchaînait en distribuant sa semence dans tout le Liban. Dans le Metn, les
Druzes livraient une bataille d’extermination des Chrétiens. Ils les battaient sur tous les points,
« massacraient ceux qui n’avaient pas eu le temps de prendre la fuite, pillaient les maisons et les
livraient aux flammes »1. Durant trois jours du 29 au 31 mai « on apercevait de Beyrouth les flammes
qui dévoraient de nombreux villages ; plusieurs sont entièrement détruits »2. Plus de quarante villages
chrétiens du Metn devinrent ainsi la proie des flammes en quelques heures3.

À Beyrouth, le gouverneur turc Khurshid Pacha demanda des renforts des troupes régulières à
Istanbul. En attendant leur arrivée, et sous prétexte de s’interposer entre les combattants, il sortit de
Beyrouth le 29 mai au coucher du soleil avec un millier de soldats et vint camper à Hazmiyé près du
village chrétien de Baabda4. Le but affiché de ce mouvement était d’édifier un rempart de feu entre les
deux communautés de part et d’autre de la route Beyrouth-Damas séparant les deux Caimacamiyya. Il
exigea des Chrétiens et des consuls européens le retrait des troupes de Tanius Shahine campées aux
abords de Nahr el Kalb au nord-est de Beyrouth.

Par un geste inexplicable, le 30 mai, les Druzes profitant du retrait des forces chrétiennes de
Tanius Shahine tombèrent sur Baabda et Hadath. Les forces irrégulières ottomanes participèrent
activement au carnage en massacrant, pillant et violant les femmes1. Ils rivalisèrent avec les Druzes de
cruauté et de barbarie ; tout le district mixte de Metn fut ravagé, rien ne fut épargné 2. La mêlée devint
immédiatement générale dans toutes les régions y compris la ville de Beyrouth où le nombre et
l’audace des assassins dans les ruelles de la ville les mirent dans un état d’insécurité3.

5
Leila Tarazi Fawaz, An occasion for war…, p. 47.
Les sources se diffèrent sur la date exacte de l’attaque du monastère d’Aammîq. Si Chahine Makkarius…, p.
139 s’accordait avec Leila Tarazi Fawaz, le père Louis Blaybel in « Tabrir al Nasara mimma nusiba ilayhim fi
hawadith sanat 1860 », al Mashriq, vol. 26, 1928, p. 635 mentionna que le crime fut découvert le 19 mars 1860.
1
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 34.
2
Le Constitutionnel, 21 juin 1860, p. 2.
129

3
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 34.
4
Melchior de Vogüe Comte, Les événements de Syrie…, p. 5.
1
Col. Churchill, The Druzes and the Maronites…., p. 145.
Page

2
Melchior de Vogüe Comte, Les événements de Syrie…, p. 6.
3
Le Journal des Débats, jeudi 12 juillet 1860.
Dans une lettre datée du 21 juin 1860 le père jésuite Paul Riccadonna confirmait au père
Pierre Becks l’insécurité de la ville, en l’attribuant au gouverneur turc lui-même qui voulait
massacrer, non seulement les Chrétiens, mais aussi toute idée d’autonomie du Mont-Liban1.

Par la défaite des Chrétiens dans le Metn, la tourmente gagna des villages chrétiens dans la
vallée de la Béka’ et dans l’Anti-Liban où furent massacrés systématiquement des habitants sous le
regard perfide du gouverneur Ottoman de Beyrouth et de Damas. Les Druzes s’évertuaient à
exterminer les Chrétiens qui se trouvaient sur la route qui reliait le Mont-Liban avec la région du
Hauran où vivaient également des Druzes2.

d. Un bain de sang dans l’Anti-Liban

Pendant que ceci se passait dans les districts mixtes qui séparaient le territoire druze au sud,
du territoire maronite situé au nord, les chefs de guerre druzes se levaient et prêchaient dans l’Anti-
Liban la « Guerre Sainte ». C’était dans le voisinage du mont Hermon où des villages furent détruits
et leurs habitants chrétiens passés au fil de l’épée. La cause immédiate de cette boucherie n’était pas
connue. Elle se tramait probablement depuis fort longtemps3. Dans ce dessein, les hordes druzes du
Hauran sous la conduite de Méhémet al Atrach4 le fils d’Ismaïl al Atrach accoururent au rendez-vous
de Ouadi at-Taym avec une précision qui dénotait une mobilisation étudiée et synchronisée d’avance
avec leurs coreligionnaires du Mont-Liban et les autorités ottomanes5.

Au cours du mois de mai 1860, le village de Hasbaïya fut le terrain d’une sanglante
confrontation entre les Chrétiens et les Druzes. Après une série d’escarmouches et de batailles, les
chefs druzes décidèrent de finir avec les Chrétiens de Ouadi at Taym en arborant le prétexte d’une
lettre qui émanait de l’évêque orthodoxe Sophronius, évêque de Soûr et de Saïda. Cette lettre fut
publiée par le journal anglais Le Times du 12 septembre 1860 et reprise par Richard Edwards1.

Pour les Druzes, il ne pouvait y avoir aucun doute quant aux intentions des Chrétiens. Leur
rage ne connut plus de limites. « Il s’agit donc d’une guerre de religion, dirent-ils ; qu’il en soit ainsi.

1
Sami Kuri S.J., Une histoire du Liban à travers les archives des jésuites, 1846-1862, Beyrouth, Dar el-
Machreq, 1992, p. 263.
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 244-245.
3
Le Journal des Débats, jeudi 12 juillet 1860.
130

4
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 567.
5
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 244-247.
1
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862…, p. 137 : « Une assemblée de chrétiens de la Montagne et de la Béka’
Page

se réunissaient pour combattre et chasser les druzes corrupteurs. Une heure d’attaque fut fixée à Hasbaïya afin
d’entamer le plan d’action militaire prévu ».
Mais cette fois-ci Inshallah ! Les Druzes campèrent aux portes de Tripoli. Le pays sera à eux ou à
nous »2. Ils déclarèrent la guerre des couteaux : tous les mâles chrétiens devaient passer sous le
couteau druze. Il fallait extraire la gangrène maronite du Liban3.

Tandis que se perpétrait sous les yeux des Ottomans le massacre des habitants de Hasbaïya,
un autre se pointa non loin de celui-ci dans le village des Shéhab à Rachaïya. Les habitants étaient
déjà dans le sérail depuis trois jours, dénudés de toute subsistance, lorsque, le dimanche 11 juin Ismail
al Atrash et Wakid Hamdan4 et leurs hommes arrivèrent devant la porte de la caserne.

Le même scénario s’appliqua : « Après quelques négociations avec l’officier turc


responsable, les portes furent ouvertes et les Druzes purent entrer sans rencontrer d’opposition »1.
Tous les membres de la famille Shéhab furent exterminés. À la fin du carnage, le nombre des victimes
immolées dans les deux localités s’élevait selon Baptistin Poujoulat à 2500 âmes entre hommes,
femmes et enfants2.

Trois semaines après le début des hostilités entre Chrétiens et Druzes, ces derniers s’étaient
rendus complètement maîtres de la situation. Le Chouf, le Ouadi al Taym et une grande partie de la
Béka’ étaient sous leur domination. De toutes les places fortes des Chrétiens dans la Béka’ seul Zahlé,
« le bouclier des Chrétiens, la terreur des Druzes »3 n’avait pas été soumise.

e. La destruction et le pillage de Zahlé

L’affaire de la ville de Zahlé était particulièrement importante et délicate. Les Consuls des
pays européens sentaient venir l’orage de la haine4. Ils écrivirent plusieurs fois au gouverneur turc de
Beyrouth afin de prendre les mesures adéquates pour défendre la ville et éviter par tous les moyens le
film horrible de Hasbaïya et de Rachaïya.

2
Le Journal des Débats, jeudi 12 juillet 1860 ; Col. Churchill, The Druzes and the Maronites…, p. 159 : « One
of these letters was intercepted by the Druzes ; their rage knew no bounds. This then is a war of religion, said
they ; so let it be. The Maronites menace us with destruction ; let them come on. But this time, Inshallah ! the
Druze standards shall be planted on the gates of Tripoli. The country is ours or theirs ».
3
Ibid.
131

4
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 569.
1
Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 187.
2
Baptistin Poujoulat, La vérité sur la Syrie…, p. 124.
Page

3
Kamal Salibi, Histoire du Liban… p. 188.
4
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 573.
Cette fois, c’était des milliers d’assaillants, unissant toutes les forces hostiles aux
Chrétiens qui se dirigeaient vers la ville ; avec le soutien logistique et la couverture politique
du Pacha turc de Damas et Beyrouth.
Les habitants de Zahlé repoussèrent à deux reprises les assaillants. Ils espéraient
l’arrivée des renforts de l’autre côté de la montagne, et ce furent les Druzes déguisés en
Maronites, leur bannière empruntée, déployée au vent, chantant les hymnes de la guerre à qui
les portes furent ouvertes. Et tandis que les habitants de la ville caressaient cette illusion, des
fusillades éclatèrent dans les quartiers de la ville. Ils s’aperçurent trop tard qu’ils étaient
assaillis de l’intérieur et de l’extérieur1. Par un acte de courage, les combattants de Zahlé
poussèrent les habitants devant eux, et réussirent à emprunter la route de Sannîne et d’autres
villages de Metn ; quelques-uns d’entre eux atteignirent la côte après plusieurs jours de
marche pénible2. Cette manœuvre de retrait des combattants et des habitants de la ville sauva
une grande partie de la population, mais toutes les maisons, les écoles et les couvents furent
incendiés et pillés.
Les pères jésuites perdirent cinq de leurs membres3. La congrégation des Sœurs du
Sacré-Cœur aliéna 21 sœurs violées et égorgées atrocement4. La perte humaine à Zahlé
s’éleva selon les sources à plusieurs centaines de victimes5. Elle reste relativement moins
élevée par comparaison avec les pertes à Ouadi al-Taym. Par contre, les dégâts matériels
furent énormes. Les maisons des pères Jésuites furent totalement brûlées et saccagées à
l’image de « toute la plaine de Baalbek en feu et en désolation »6.

La chute de la ville de Zahlé rendit presque total le triomphe druze. La seule ville
chrétienne du district mixte qui échappait à l’apocalypse de cette guerre était Deïr el-Qamar ;
s’étant rendue sans condition le 2 juin « les habitants n’avaient pas été forcés de quitter leurs
maisons »1.

1
Chahine Makharius, Mazbahat al Jabal…, pp. 213-214.
2
Ibid.
3
Ce sont le frère Alphonse Habeiche, les frères Bonacina, Jonas, Maksoud et le père Billotet, supérieur de la
mission à Zahlé. Tandis que le P. Riccadonna et le P. Canuti échappaient à la mort en prenant la fuite par la
montagne des cèdres pour rejoindre Beyrouth, in Sami Kuri, S.J., Une histoire du Liban…, p. 265.
4
Chahine Makharius, Mazbahat al Jabal…, p. 214.
5
Le père Karam Rizk avança le chiffre de plus de mille hommes. In Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…,
p. 254 ; Chahine Makharius de son côté estima la perte de Zahlé à 400 martyrs sans oublier les 500 de Baalbek
et de la Béka’. In Chahine Makharius, Mazbahat al Jabal…, p. 215 ; Quant à l’abbé Jobin, il estima le nombre
des victimes à 250.In Abbé Jobin, La Syrie en 1860 et 1861, Lettres et documents formant une histoire complète
132

et suivie des massacres du Liban et de Damas, des secours envoyés aux Chrétiens et de l’expédition française,
Lille, L. Lefort, 1862, p. 63.
6
Lettre du P. Louis Canuti au P. Pierre Beckx, in, Sami Kuri, S.J., Une histoire du Liban à travers les archives
Page

des Jésuites…, p. 145.


1
Kamal Salibi, Histoire du Liban…p. 192.
f. L’attaque sanguinaire de Deïr al-Qamar
Deïr al-Qamar, enclave chrétienne prospère dans le Caimacamya druze s’était rendu
militairement le 3 juin2 après que les forces druzes l’eurent encerclée et que les autorités
turques eurent désarmé la population. Aucune raison militaire ou politique n’engageait les
Druzes à se lancer vers la ville neutralisée.

Un calme précaire régnait sur la ville quand des bandes druzes envahirent le 19 juin
1860 les quartiers par petits nombres sous l’allégation de protéger les Chrétiens1. La garnison
turque stationnée au Sérail de la ville demeura oisive devant ce mouvement suspect des
Druzes. Les Consuls européens et après une plainte de la part des habitants et la chute de
Zahlé doublèrent la pression diplomatique sur le gouverneur turc afin d’opposer une force
solide face aux intentions douteuses des cheikhs druzes et « de permettre aux Chrétiens de
revenir en paix dans leurs villages »2.

Malgré toutes les pressions et les initiatives des Consuls, les Druzes s’obstinèrent sous
une couverture turque à exécuter minutieusement leur plan d’attaque de Deïr el-Qamar. La
population de peur d’un massacre se réfugia dans le Sérail auprès des soldats turcs1. Le même
scénario de Ouadi al Taym se perpétra quand le 20 juin, avant le coucher de soleil, la fin
tragique des habitants de ce village se déroula sous le regard maudit des autorités turques. Il
était clair que la ville allait subir un sort terrible. Des hommes armés de Baaqlîne, Aarqoûb,
Aammatour, Aïn el-Tiné, Moukhtara et d’autres villages s’emparèrent de toute la localité.

Pendant six heures, le sang coula à flot dans différents endroits et quartiers de la
1
ville . « Pas un mâle ne fut épargné. Tout objet précieux fut enlevé. Les femmes furent dépouillées
de leur vêtement et maltraitées. Les soldats turcs participèrent au massacre et au pillage »2.
L’intensité du paroxysme de la cruauté resta longtemps incrustée sur les murs de la ville. Les
traces de sang marquaient toujours les lieux 4 mois après le carnage quand Édouard Lockroy
(1838- 1913) journaliste et illustrateur français pour le Monde Illustré accompagnait les

2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 256.
133

1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 580.
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 257.
1
Col. Churchill, The Druzes and Maronites…, p. 189.
Page

1
Col. Churchill, The Druzes and Maronites…, p. 189.
2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 257.
forces françaises en route à Deïr al Qamar trouva la ville pleine de cadavres et surmontée
d’une odeur horrible qui empoisonnait la vallée3.

Au total 2000 victimes4 furent la proie facile et froide d’une boucherie bien organisée
et minutieusement planifiée. Le village de Deïr el Qamar une fois saccagé et brûlé, les
Druzes, fumants de sang et de haine, « se portèrent à Béit-Eddin et immolèrent tous les Chrétiens
qui s’étaient réfugiés dans la caserne, y compris cent neuf personnes des villages de Béit-Eddin et de
Mohassar »1. Cependant après les scènes de carnage et la dévastation de Deïr el Qamar et des
villages chrétiens du Chouf, « le bruit se répandit que les Druzes et leurs alliés se disposaient à
remonter vers les districts du Nord, pour y mettre tout à feu et à sang »2.

Des milliers de réfugiés, femmes et enfants se précipitèrent plus morts que vifs sur la
côte entre Dâmour et Saïda. Des bâtiments anglais (le Gannet et le Mohawk) transportèrent
vers Beyrouth les fugitifs de la ville dévastée1.

3
Édouard Lockroy, Au hasard de la Vie. Notes et Souvenirs du XIX esiècle, fac-similis, pp. 87-89 : « Je
l’accompagnais [l’armée française] à Deir-el-Kamar que nous trouvâmes plein de cadavres séchant au soleil
depuis quatre mois. C’était un spectacle effroyable. Rien n’avait été changé depuis le jour du massacre. Les
Druzes massacreurs étaient retournés chez eux et les Chrétiens étaient tous morts. Une odeur horrible, qu’il me
semble sentir encore, empoisonnait toute la vallée. Des femmes, qui s’étaient évadées la veille de la tuerie,
accompagnaient les troupes. Le pays était désert. Quand l’état-major arriva sous la voûte de la porte principale,
les cadavres apparurent. Ils remplissaient entièrement la rue, entassés pêle-mêle entre deux rangées de maisons
sanglantes. Amalgamés par la pourriture, ils ne formaient plus qu’une sorte de bouillie humaine cuite à la
surface par le soleil. De grands vautours y plongeaient leurs becs. Nos chevaux s’y enfonçaient jusqu’aux
genoux. Les femmes s’élancèrent en avant elles cherchaient dans cette boue gluante à reconnaître les cadavres,
soulevaient les têtes qui se détachaient toutes seules du tronc, et remuaient le cloaque. Elles poussaient des cris
pour effaroucher les vautours, sans réussir à les faire s’envoler. Quelques-unes tombaient inertes, à demi
asphyxiées le long des maisons. Nos soldats étaient pâles, malades à la fois d’horreur et d’écœurement. Le long
du mur du sérail, il y avait un tas énorme de mains coupées, et près de là un tas non moins énorme de têtes. Des
créneaux où s’étaient faites les exécutions descendait une épaisse couche de sang figé. On croyait, de loin voir
un tapis de couleur sombre, cloué sur le mur. Dans les intérieurs on trouvait des membres humains épars.
L’incendie allumé après le massacre avait laissé intacts ces débris. Au milieu de l’église vide, mais encore
entière, le vent promenait les feuilles à demi consumées d’un Évangile. J’en ramassai quelques-unes que j’ai
encore ».
4
« 2200 victimes à Déir-el-Kamar ». In, François Lenormant, Histoire des massacres de Syrie en 1860, Paris,
Hachette et Cie, 1861, p. 89 ; La vie militaire du Général Ducrot d’après sa correspondance 1839-1871, t. 1,
Paris, Librairie Plon, 1895, p. 415 : « Un effroyable tableau surprit nos soldats à leur entrée dans Deïr el
Qamar … Parmi les débris des murs calcinés, achevaient de pourrir, depuis trois mois, les restes de dix-huit
cents cadavres dévorés par les chiens et les vautours » ; Kamal Salibi, Histoire du Liban…, p. 193 ; Baptistin
Poujoulat, La vérité sur la Syrie …, p. 155.
1
Abbé Jobin, La Syrie en 1860 et 1861…, p. 45.
134

2
Camille de Rochemonteix P., Le Liban et l’Expédition française en Syrie (1860-1861), Paris, Auguste Picard, 1921, p.
54 ; Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860. À ce sujet aussi le P. Karam Rizk développa amplement les
intentions et le plan druso-turc pour finir avec le district chrétien de Kisrwane. Cf. Karam Rizk P., Le Mont-
Page

Liban au XIXe…, pp. 260-263.


1
Le Journal des Débats, samedi 28 juillet 1860 ; Col. Churchill, The Druzes…, p. 195.
À Deïr el Qamar, le gouverneur turc Khurchid Pacha annonça sur les corps des
victimes, « le vendredi 22, à 8 heures la paix-amen- aux cadavres, sous les halos railleurs des
Druzes »2. Le 6 juillet, une paix fut conclue entre les Maronites et les Druzes sous les auspices
de Khurchid pacha qui assura la tranquillité de la Montagne3. Selon le Constitutionnel, cette
paix signée entre les deux communautés « doit empêcher l’intervention de l’Europe dans les
affaires de Syrie. Ce résultat serait dû, aussi bien que l’énergie déployée par la Porte, à l’influence de
l’ambassadeur anglais à Constantinople, sir Henry Bulwer »1. Si à partir de cette date, la boucherie
cessa dans la partie méridionale du Mont-Liban faute de villages et d’habitants chrétiens, elle
se porta par contre à l’intérieur des terres là où les Chrétiens ne pouvaient pas opposer de
résistance. Depuis ce moment et « jusqu’à l’arrivée des troupes françaises, il y eut bien encore
dans le Liban des meurtres individuels assez multipliés, des scènes de pillage et de dévastation »2.

D. Entre intervention et réorganisation : 1860-1861


La situation apocalyptique des Chrétiens du Liban souleva en Europe et surtout en
France un immense cri d’indignation. Il y avait là « une question d’humanité qui ne laisse place à
aucune dissidence politique, à aucune rivalité d’influence entre les grandes puissances qui sont
obligées de surveiller sans cesse la Turquie »3. La priorité était de mettre un terme aux
événements qui avaient ensanglanté les deux pays en protégeant les Chrétiens contre le retour
de pareilles calamités et en donnant au Liban une organisation régulière, une autorité capable
de maintenir l’ordre4.
a. Au nom des droits, de la justice et de l’humanité
La Sublime Porte se pressa d’aboutir à une conclusion avant l’intervention des
puissances européennes. Khurchid Pacha multipliait les démarches auprès des uns et des
autres, rassemblait de gré ou de force quelques chefs maronites et druzes. Dans ces
rassemblements, chacun reconnaissait ses torts, préconisait l’oubli de ce qui était arrivé, le
niait au compte d’un laisser-aller général, et se recommandait à une meilleure administration
des Ottomans5.

2
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 259.
3
Richard Edwards, La Syrie 1840-1862…, pp. 159-160.
135

1
Le Constitutionnel, vendredi 27 juillet 1860, p. 1.
2
François Lenormant, Histoire des massacres…, p. 87.
3
La Revue des Deux Mondes, Paris, t. XXIX, p. 502.
Page

4
Ibid., XXXe année, seconde période, t. 28, Paris, 1860, p. 1014.
5
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 185.
Parallèlement, des événements sanglants eurent lieu à Damas, où des milliers de
Chrétiens furent massacrés et des quartiers rasés1 ce qui rendit vaines les tentatives de
Khurchid Pacha

Quand L’empereur Napoléon III apprit le 16 juillet les détails de l’affaire de Damas, il
décida incontinent d’intervenir par force militaire au Liban et en Syrie et le fit savoir aux
Anglais. Ceux-ci, « placés devant le fait accompli, n’ont plus qu’à s’y rallier, pour éviter que la
France n’en tire seule tout le bénéfice »2. Une valse diplomatique menée par la France aboutit à
l’acceptation de l’idée d’une intervention militaire Française3 en Syrie « pour châtier les auteurs
des massacres qui ont ensanglanté ce malheureux pays »4.

Le 3 août 1860, les plénipotentiaires de la France, de l’Autriche, de la Grande-


Bretagne, de la Prusse, de la Russie et de la Turquie se réunirent à Paris dans le cadre d’une
conférence internationale pour établir conformément aux intentions de leurs cours
respectives, le véritable caractère du concours prêté à la Sublime Porte5. Ils fixèrent la durée
de l’intervention militaire de la France à six mois.

Le gouvernement ottoman comprit qu’il importait de gagner l’Europe de vitesse, de la


surprendre par un étalage inaccoutumé de fermeté et, dans la répression, de la mettre devant
le fait accompli. Pour cette mission complexe, La Porte possédait alors en son ministre des
affaires étrangères, Fouad Pacha1, un homme de premier plan.

Après avoir reçu les instructions du Sultan, Fouad Pacha quitta Istanbul pour
Beyrouth le 12 juillet sur une frégate à vapeur le Taïf. Deux corvettes chargées de troupes et
de munitions faisaient route en même temps. Au moment de s’embarquer, Le ministre portant

1
Les événements de Damas se déchaînaient le 9 juillet 1860 à deux heures après-midi et le massacre dura une
semaine. La perte humaine s’éleva pour Damas à 8000 victimes. Col. Churchill, The Druzes…, p. 207 ; Le
Journal Des Débats, mercredi 18 juillet, 1860 ; Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 588-593.
2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 186.
3
Col. Churchill, The Druzes…, p. 226 : « The callous stoicism of the british cabinet was at length affected, and
a tardy, though hesitating consent was given to the proposal of the Emperor of the French to send an
expeditionary force to Syria, for the purpose of aiding in restoring tranquillity, of giving security to the
Christians, and of supervising the work of retribution ».
4
Le Constitutionnel, vendredi 27 juillet 1860, p. 1.
5
Le Journal Des Débats, mardi 7 août 1860, p. 1.
136

1
H. Lammens. S.J., La Syrie, Précis Historique…, p. 184 : « Ancien Ambassadeur (Fouad Pacha) à Londres, à
Paris, son esprit délié, libre de préjugés, son énergie, ses connaissances variées, (il affectait de citer l’Évangile)
lui avaient valu la confiance des cabinets européens. Son patriotisme éprouvé, son zèle pour les réformes
Page

destinées à renforcer la centralisation et le prestige de l’Empire, lui assuraient d’autre part la confiance absolue
du Sultan ».
sur le bonnet la plaque de sa haute distinction1 invita le premier drogman de l’ambassade de
France à Beyrouth à rapporter au consul les paroles suivantes : « Dites à l’ambassadeur, qu’au
péril de ma vie, je laverai la tache faite à l’honneur de l’armée, et que les troupes feront leur
devoir »2.

En effet, dès le 17 juillet, le Haut Commissaire investi de pouvoirs illimités mit ses
paroles en action sans attendre ni le corps expéditionnaire français ni la commission
internationale. Il y dépensa toute l’énergie nécessaire visant à dénouer la crise du Liban et de
la Syrie avant le débarquement des Français. Il s’arrêta à Beyrouth le temps d’une assurance,
« des paroles pacifiantes et quelques secours d’argent, pressé de courir à Damas, d’arracher la
métropole islamiste au danger d’une occupation européenne »3.

Ces mesures draconiennes et promptes visaient surtout à impressionner les


Occidentaux4 et ôter aux Français la tentation d’occuper définitivement le Liban et de visiter
Damas. Mais aussi, par ses condamnations publiques et clandestines des civils syriens et des
militaires turcs, le Haut Commissaire cherchait à bornoyer la vérité et les révélations
indiscrètes5. En même temps que l’action répressive de Fouad Pacha se poursuivait
impétueusement à Damas, un débarquement d’une petite armée française sous les ordres du
général de Beaufort d’Hautpoul1 le 16 août 1860 devait assurer le triomphe des droits de la
justice et de l’humanité. Une fois à terre, ces troupes furent frappées dès l’abord par la vue de
toutes les misères qui s’étaient réfugiées à Beyrouth. Une foule de malheureux sans abri
campaient au milieu des ruelles. « Les hommes, écrasés par de cruelles épreuves, reprirent un peu
d’espoir en voyant nos soldats. Mais les femmes, infiniment plus nombreuses, la plupart veuves ou
orphelines, ne savaient que pleurer en faisant le signe de la croix »1.

1
Le Journal Des Débats, samedi 28 juillet 1860.
2
Le Constitutionnel, lundi 30 juillet 1860, p. 1.
3
H. Lammens. S.J., La Syrie…, pp. 184-185.
4
Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, p. 289.
5
Le journal en langue arabe Bargis de Paris confirmait que l’attitude perfide de Khourchid Pacha et des
officiers turcs au cours des événements du Liban et de la Syrie était dictée par le gouvernement turc ; in Bargis-
Paris, mercredi 10 octobre 1860, no 34, p. 1. Annexe III, p. 283.
1
Le général marquis de Beaufort d’Hautpoul, commandant le corps expéditionnaire de Syrie, naquit en 1804.
Élève des Écoles de Saint-Cyr et d’état-major de 1820 à 1824, il fit la première campagne d’Alger en 1830,
comme aide de camp du général du génie Valazé. De 1834 à 1837, le maréchal Soult, ministre de la guerre,
l’avait envoyé en Égypte et en Syrie en mission militaire. Pendant cette mission, le jeune et actif officier
137

français accepta d’être attaché, comme premier officier d’ordonnance, au général Soliman Pacha, chef d’état-
major d’Ibrahim Pacha. C’est en cette qualité qu’il prit part au brillant fait d’armes qui décida la prise de la
Smala d’Abd el-Qader. L’empereur Napoléon III le désigna en 1860, chef de l’expédition en Syrie. In
Page

L’Illustration, Journal Universel, Paris, 28 juillet 1860, p. 84.


1
Général Ducrot, La vie militaire du Général Ducrot d’après sa correspondance…, p. 395.
L’audace et l’intrigue poussèrent le Haut Commissaire à avancer dans une lettre datée
le 20 septembre au général de Hautpoul « d’aller prendre position avec son armée dans le
Kisrwan…, tandis que les troupes turques se rendraient par mer à Saïda pour se diriger de là sur les
districts du Djebel Es-Sheikh et attaquer les Druzes qui s’étaient réfugiés »1. Le général de
Beaufort, blessé dans son honneur, indigné2, signifia à son envoyé que ses soldats étaient
venus en Syrie pour aider les troupes de la Sublime Porte. Il ajouta que, le 25 septembre, « les
Français quitteraient leurs campements et se dirigeraient vers Deïr-el-Qamar, que Fouad n’avait qu’à
se rendre à Saïda, que de là il marcherait sur le Liban, afin de coopérer avec les troupes françaises à
cerner les bandes des druzes encore en armes dans leur repaire, leur couper la retraite vers le Hauran
et les rejeter sur les bataillons français »3.

L’avancée des troupes françaises fut tergiversée par un effroyable tableau de mort à
l’entrée de la ville de Deïr el Qamar4. Les soldats furent vivement impressionnés en arrivant
sur le théâtre des derniers massacres. « Les plus aguerris, ceux qui avaient vu de sang froid des
milliers de cadavres dans les champs de Crimée et de Solferino, n’ont pu retenir leur émotion en
arrivant à Deïr-el-Qamar »5. Après avoir traversé Beit ed Dine, la colonne s’enfonça davantage
dans le Mont-Liban, toujours à la poursuite des hordes druzes. Mais ceux-ci étaient « avertis et
protégés par les Turcs, qui, tout en ayant mission de les cerner, les aidaient au contraire à fuir »6 vers
le Hauran malgré le campement d’une compagnie près de Qabb Élias sur la route Beyrouth-
Damas. L’abbé Bazet de la maison des Lazaristes que le général avait demandé à Beyrouth
dit le dimanche 7 octobre la messe pour la première fois au milieu du camp7. Il fallut revenir
à Beyrouth vers la fin d’octobre « après une expédition inutile, qui fut, comme celle de Fouad-
Pacha, une simple promenade militaire »1.

À défaut d’un rôle militaire dissuasif et punitif, le corps expéditionnaire accepta


ouvertement la mission humanitaire. Les troupes éparpillées dans leurs campements
s’occupaient partout à effacer les traces de la guerre.

1
Ernest Louet, Expédition de Syrie, Beyrouth, le Liban, Jérusalem, (1860-1861), Paris, Amyot, 1862, p. 91.
2
Camille de Rochemontex. S.J., Le Liban et l’Expédition Française en Syrie ( 1860-1861), Paris, Librairie
Auguste Picard, 1921,
3
Ernest Louet, Expédition de Syrie,…, p. 91.
138

4
Revoir les impressions d’Édouard Lockroy qui accompagnait l’armée française lors de cette campagne, p. 71.
5
Louis de Baudicour, La France au Liban, Paris…, p. 189.
6
Général Ducrot, La vie militaire du Général Ducrot…, p. 415.
Page

7
Ernest Louet, Expédition de Syrie,…, p. 121.
1
Général Ducrot, La vie militaire du Général Ducrot…, p. 415.
b. Un nouveau statut politique
La Commission diplomatique, dont la première séance s’était tenue le 5 octobre
1
1860 , avait mission de trouver des solutions aux problèmes laissés au Liban depuis 1842.
Désireux de marquer leur bonne volonté à l’égard de l’empire ottoman, les délégués
désignèrent à l’unanimité Fouad Pacha comme président de leurs travaux 2. Bien avant
l’échéance fixée au 5 mars 1861, comme date d’évacuation du corps expéditionnaire, la
France demanda une prorogation en faisant valoir que les troubles n’avaient pas totalement
cessé encore3. Enfin, après de pénibles tiraillements, « la conférence de Paris arriva à s’entendre
sur la prolongation de l’occupation jusqu’au 5 juin 1861 »4. C’était dans cette période que le
gouvernement français et son état-major furent accusés par les Anglais et les Turques de
vouloir se dédommager de leur inaction militaire sur le terrain de la politique5. La question de
la réorganisation du Liban subissait la répercussion de tout cet imbroglio.

Entre l’idée d’une administration unique et chrétienne du Liban dont le gouverneur


était indigène et la préférence d’un Chrétien étranger à la Montagne, « le bâtiment français le
Roland apporta les membres de la Commission dans le courant de mai 1861 à Constantinople »6 afin
de soustraire ces pourparlers aux influences locales. La conférence tenue à Istanbul laissant
de côté le projet des trois qu’aymmaqam7 prit le projet qui était ébauché sur la base de l’unité
du Liban avec un gouverneur chrétien non indigène. Les travaux de la Commission
avancèrent rapidement. Il fallait finir avant le départ des troupes françaises. D’ailleurs sur le
terrain, le général Beaufort de Hautpoul donna ces ordres le 22 mai pour activer le processus
préparatif de l’évacuation du territoire libanais1.

Mais avant le départ, le général de Hautpoul s’assura de l’aboutissement des travaux


de la conférence à Istanbul et, le 9 juin 1861, le protocole du nouveau règlement organique
fut signé à Péra (Turquie) par le ministre ottoman des affaires étrangères et les représentants
des puissances garantes. Il portait sur l’administration du Liban par un gouverneur chrétien

1
« On dénombre 50 sessions étalées entre le 5 octobre 1860 et le 23 mai 1861 ». In, Karam Rizk P., Le Mont-
Liban au XIXe…, p. 299.
2
Ibid.
3
Ibid., p. 194.
4
Témoin Oculaire, Souvenirs de Syrie…, p. 287.
5
Ibid.
139

6
Ibid., p. 288.
7
Pour un exposé complet sur les différents projets proposés par les Commissaires pour la réorganisation du
Liban après les événements sanglants de 1860 ; voir Karam Rizk P., Le Mont-Liban au XIXe…, pp. 312-329 ;
Page

Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 675-698.


1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, p. 667.
turc, nommé par le Sultan pour trois ans avec l’assentiment des puissances européennes et
relevant directement de la Sublime Porte2. Un Conseil, composé des éléments constitutifs de
la population de la Montagne, devait représenter l’ensemble des composantes de la société
libanaise. La Porte accorda le 10 juin 1861 l’investiture à Garabet Artine Yaramian 3 dit
Daoud Yaramian4 pour trois ans en lui assignant le grade de Muchir et de Mutassaref. Le
Haut Commissaire ottoman, Fouad Pacha fit lire le firman d’investiture du nouveau
gouverneur avec une certaine solennité. « Des tentes avaient été dressées, à cet effet, dans la
forêt de pins de Beyrouth. Les membres de la commission européenne, revenus de
Constantinople à leur poste, se trouvaient présents à la cérémonie »5. Le 11 juin 1861, Le
général Fraser, de l’armée royale britannique, ainsi que Lord Dufferin rapportèrent au
Forgein office la confirmation de l’évacuation totale du Liban par les troupes françaises1.

Une phase sanglante s’achevait sur une note incertaine dans le développement
politique et social de l’histoire moderne du Liban. « Le confessionnalisme est officialisé et
les charges du Liban seront réparties au prorata des communautés »1.

BIBLIOGRAPHIE

1 - SOURCES

ALLARD Camille Dr., Souvenirs d’Orient, Les échelles du Levant, Paris, Adrien le Clerc, Éditeur,
1864.

AMELINE Jean-Paul, Face à l’Histoire 1993-1996. L’artiste moderne devant l’événement historique,
Paris, Flammarion-Centre Georges Pompidou, 1996.

2
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 196.
3
Abdallah el Mallah, « Al ihsaa al dimographie al rassmi al awal fi quadaa Kisrwane 1867 », Al Massara, 1996,
no 824, p. 682.
4
Daoud Yaramian naquit à Istanbul en l’année 1818 d’une famille chrétienne arménienne. Après des études
juridiques, il poursuivit une carrière diplomatique comme chargé d’affaires à l’ambassade de l’empire ottoman à
Berlin. De retour à Istanbul, il fut chargé des missions au sein du ministère des affaires étrangères. Il fut nommé
140

en 1857 comme directeur général des imprimés, et ensuite celui du télégraphe. Pour l’ensemble de la période de
Daoud Pacha, voir Assad Rustum, Lebnan fi ‘Ahed al Moutassarifiya, Liban, Éditions Saint Paul, 1987.
5
Témoin oculaire, Souvenirs de Syrie…, pp. 294-295.
Page

1
Caesar E. Farah, The Politics of Interventionism…, pp. 667-668.
1
Jacques Nantet, Histoire du Liban…, p. 196.
AUBANEL Napoléon, La France Maronite, fédération française de protection en Orient, Nice,
Imprimerie Niçoise, 1892.

AVIAU DE PIOLANT Vicomtesse d’, Au Pays des Maronites, Paris, H. Oudin, 1882.

AZAIS Abbé, DOMERGUE C., Journal d’un voyage en Orient, Avignon, F. Seguin Ainé, 1858.

BAUDICOUR Louis De, La France au Liban, Paris, E. Dentu, 1879.

BAUDICOUR Louis De, La France en Syrie, Paris, E. Dentu / Challamel, Ainé, 1860.

BERCHET Jean-Claude, Le voyage en Orient, Anthologie des voyageurs Français dans le Levant au
XIXesiècle, Éditions Robert Laffont, Paris, 1985.

BLANCHON P., Eugène Fromentin, lettres de jeunesse, Paris, 1909.

BLONDEL Édouard, Deux ans en Syrie et en Palestine (1838-1839), Paris, Dufart, 1840.

BRAUDEL Fernand, Civilisation matérielle, économique et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles, Paris,


Armand Colin, 3 vols., 1979.

CHAHINE Makkarius, Mazbahat al Jabal, Hasser el lissam an Nakabat al Cham, Égypte, 1895.

CHARLES-ROUX F., France et Chrétiens d’Orient, Fac-similé.

CHURCHILL C. Col., Mount Lebanon, A Ten Years’ residence from 1842 to 1852, vol. 1 & 3, Third
Edition, London, Saunders and Otley, 1853.

CHURCHILL C. Col., The Druzes and the Maronites Under the Turkish Rule, from 1840 to 1860,
London, Bernard Quaritch, 1862.

CLERCQ Louis De, Voyage en Orient, villes, monuments et vues pittoresques de Syrie. Recueil
photographique exécuté par Louis De Clercq (1859-1860), Premier album, [à compte d’auteur],
Imprimerie Laurent.

CLERCQ Louis De, Voyage en Orient. Châteaux du temps des Croisades en Syrie, recueil
photographique exécuté par Louis De Clercq (1859-1860), Second album, [à compte d’auteur],
Imprimerie Laurent.

CORTAMBERT Richard, Aventures d’un artiste dans le Liban, Paris, E. Maillet, 1864.

D’ANCRE Alfred, Silhouettes orientales, Iskenderieh, Paris, Dentu, 1869.

DUCAMP Maxime, Souvenirs et paysages d’Orient, Smyrne, Ephèse, Magnésie, Constantinople,


Paris, Scio, Arthus Bertrand, 1848.

DUCAMP Maxime, Souvenirs littéraires, Flaubert, Fromentin, Gautier, Musset, Nerval, Sand, Paris,
Le Regard Littéraire, Éditions Complexe, 2002.
141

DUCROT Général Le, La vie militaire du Général Ducrot d’après sa correspondance 1839-1871,
Paris, Librairie Plon, 1895.
Page

DUSSAUD René, L’œuvre scientifique d’Ernest Renan, Paris, Paul Geuthner, 1951.
EDWARDS Richard, La Syrie (1840-1862), Paris, Amyot, Paris, 1862.

FARAH E. Caesar, The Politics of Interventionism in Ottoman Lebanon 1830-1861, London, New
York, The Center for Lebanese Studies, Oxford, I.B. Tauris, 2000.

FAVRE Yves Alain, L’identité : l’Orient de Nerval. Miroirs de l’altérité et voyage au Proche-Orient,
Genève, Éditions Slatkine, 1991.

FAWAZ Leila Tarazi, An Occasion for War-Civil conflict in Lebanon and Damascus in 1860,
London, New York, The Center for Lebanese Studies, Oxford, I.B. Tauris, 1994.

FLAUBERT Gustave, Voyage en Orient (1849-1851), fac Simili, distribué par le cercle du
Bibliophile.

FLAUBERT Gustave, Correspondance, Paris, Éd. J. Bruneau, t.I, 1830-1851, Gallimard, 1973 (
Bibliothèque de la Pléiade).

FLAUBERT Gustave, Correspondances, Gustave Flaubert / Alfred Le Poittevin, Gustave Flaubert /


Maxime Du Camp, Paris, Flammarion, 2000.

FOURNIÉ Pierre et RICCIOLI J.-L., La France et le Proche-Orient, (1916-1946), Paris, Casterman,


1996.

FROMENTIN Eugène Correspondance, Paris, Éd. Barbara Wright, CNRS, 1995.

GASNIER Maurice, Ernest Renan, Hortense Cornu, Correspondance (1856-1861), Brest, CNRS,
Faculté des Lettres Brest.

GAUTIER Théophile, Constantinople et autres textes sur la Turquie, Paris, Éd. Sarga Moussa, La
boîte à documents, 1996.

GOUPIL-FESQUET Frédéric, Voyage d’Horace Vernet en Orient, Paris, Challamel, 1843.

GUYS Henri, Voyage en Syrie, peinture des mœurs, musulmanes, chrétiennes et israélites, Paris, Just
Rouvier, 1855.

ISAMBERT Émile, Itinéraire descriptif, historique et archéologique de l’Orient, Paris, Hachette,


1873-1882, 3 vols. (Coll. des Guides Joanne).

JOANNE Adolphe & ISAMBERT Émile, Itinéraire d’Orient, Paris, Hachette et Cie, 1861.

JOBIN J.B. abbé, La Syrie en 1860 et 1861. Lettres et documents formant une histoire complète et
suivie des massacres du Liban et de Damas, des secours envoyés aux Chrétiens et de l’expédition
française, Lille, Lefort, 1862.

JOLY De LOTBINIÈRE Pierre, Journal de voyage 1839-1840, manuscrit conservé aux Archives
nationales du Québec, Université de Laval.
142

KURI Sami S. J., Une histoire du Liban à travers les archives des jésuites, 1846-1862, Beyrouth, Dar
el Mashreq, 1992.
Page
LACAN Ernest, Esquisses photographiques à propos de l’Exposition universelle et de la guerre
d’Orient, Paris, Grassart, 1856.

LALLEMAND Charles, La Syrie : costumes, voyages, paysages, Paris, Librairie du Petit Journal,
1865.

LAMARTINE Alphonse De, Voyage en Orient. Souvenirs, impressions, pensées et paysages,


Bruxelles, Société belge de Librairie, Hauman et Cie, 1838.

LAMMENS H. S.J., La Syrie, précis historique, Beyrouth, Imprimerie Catholique, vol.2, 1921.

LAURENT Achille, Relation historique des affaires de Syrie depuis 1840 jusqu’en 1842 ; Statistique
générale du Mont-Liban, et procédure complète dirigée en 1840 contre les Juifs de Damas à la suite
de la disparition du père Thomas, Paris, Gaume frères, Librairies-Éditeurs, t.1, 1846.

LENORMANT François, Histoire des massacres de Syrie en 1860, Paris, Hachette et Cie, 1861.

LOCKROY Édouard, Au hasard de la vie. Notes et Souvenirs du XIXe siècle, Fac-similé.

LOUET Ernest, Expédition de Syrie, Beyrouth, Le Liban, Jérusalem (1860-1861), Paris, Amyot,
1862.

MALLAT Hyam, Renan au Liban, 1860-1861, Beyrouth, FMA, 1996.

MALLAT Hyam, L’Académie française et le Liban, Beyrouth, Dar An-Nahar, 2001.

MASSENOT E., Excursion à Saïda, fragment d’un voyage en Orient, Antibes, J. Marchand, 1873.

NANTET Jacques, Histoire du Liban, Paris, Téqui, 3e édition, 1992.

NERVAL Gérard De, Voyage en Orient, Paris, Gallimard, 1984.

PELTRE Christine, Les Orientalistes, Paris, Hazan, 1997.

POUJOULAT Baptistin, Récits et souvenirs d’un voyage en Orient, Tours, 7e édition, Alfred Mame,
1864.

POUJOULAT Baptistain, la Vérité sur la Syrie et l’expédition française, Paris, Gaume frères et
J.Duprey, 1861.

RENAN Ernest, L’Avenir de la Science, pensées de 1848, Paris, Lévy, 1890.

RENAN Ernest, Mission de Phénicie, Paris, Imprimerie Impériale, 1864.

REY Emmanuel-Guillaume, Voyage dans le Hauran et aux bords de la Mer Morte exécuté pendant
les années 1857-1858, Paris, Arthus Bertrand, vers 1861.

REY Emmanuel-Guillaume, Étude sur les monuments de l’architecture militaire des Croisés en Syrie
et dans l’île de Chypre, Paris, 1871.
143

RIZK Karam P., Le Mont Liban au XIXe siècle, De l’Emirat au Mutasarrifiya, 2ème édition, Kaslik,
Liban, 1994.
Page
ROCHEMONTEIX Camille de, S.J., Le Liban et l’Expédition française en Syrie (1860-1861), Paris,
A. Picard, 1921.

RUSTUM Assad, Lebnan fi Aahed al Moutassarifiya, Liban, Éditions saint Paul, 1987.

SAÏD Édward, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1980.

SALIBI Kamal, Histoire du Liban du XVIIème siècle à nos jours, Paris, Naufal, 1988.

SAULCY L.-F. CAIGNART De, Carnets de voyage en Orient, 1845-1869, Paris, Éd. Fernande
Bassan, PUF, 1955.

SAUVAIRE Henry et MAUSS Christophe, De Karnak à Chaubak, Martinet, Paris, 1867.

SAVIGNY DE MONCORPS Vicomte de, Journal d’un voyage en Orient (1869-1870), Égypte, Syrie,
Constantinople, Paris, Hachette et Cie, 1873.

SIMOËN Jean-Claude, Égypte éternelle. Les Voyageurs photographes au siècle dernier, Paris, J.
Clattès, 1993.

TÉMOIN OCULAIRE, Souvenirs de Syrie, Expédition française de 1860, Paris, Plon-Nourrit, 1903.

THORNTON Lynne, Du Maroc aux Indes, Voyages en Orient, Paris, ACR Éditions, 1998.

VOGÜÉ Melchior comte de, Les Événements de Syrie, Paris, Douniol, 1860.

VOLNEY C.-F. comte, Voyage en Syrie et en Égypte pendant les années 1783, 1784 et 1785, 2 vol.,
Paris, Volland, 1787.

2 - ÉTUDES

BLAYBEL Louis, « Tabrir al Nassara mimma nusiba ilayhim fi hawadith sanat 1860 », in, el
Mashriq, vol. 26, 1928, pp. 631-660.

LOCKROY Édouard, « À travers livres et journaux », in, Des Livres du Peuple, no 41, Paris, pp. 1-4.

MALLAH el Abdallah, « Al Ihsaa al dimographie al rassmi al awal fi quadaa kesrouane 1867 », in, Al
Massara, no 824, 1996.

MOUSSA Sarga, « Les Orients de Théophile Gautier : Peintres orientalistes et récits de voyage
(Espagne, Turquie, Égypte) », 48/14, la revue du musée d’Orsay, automne 1997, nº5, pp. 65-73.

ROUBERT Paul-Louis, « Nerval et l’expérience du daguerréotype », in Études photographiques, mai


1998, nº4, pp. 6-26.
144

4 - OUVRAGES GÉNÉRAUX
Page
Dictionnaire Encyclopédique Illustré, Paris, Hachette, 1993.

Encyclopédie Française, Paris, Librairie Larousse, 1975.

Grand Larousse Universel, Paris, t.4.

Guide en Orient Le , Itinéraire scientifique, artistique et pittoresque, Paris, L. Maison, 1844.

LAMI, Dictionnaire Encyclopédique et Biographique de l’Industrie et des Arts Industriels, Paris,


1883 et 1887.

Larousse Petit de la Peinture, Paris, 2 vol., Librairie Larousse, 1979.

MOURRE Michel, Dictionnaire de l’Histoire, Paris, Larousse, 1998.

5 - REVUES ET JOURNAUX

Bargis de Paris, de 29 mai 1860 jusqu’à 7 juin 1861.

Le Constitutionnel, d’octobre à novembre 1840, et de juillet à août 1860.

Hadiqat al akhbar, Beyrouth, no 500, 21 mars 1868.

L’Illustration, Journal Universel, juillet 1860.

Le Journal des Débats, de Juillet à août 1860.

Le Journal des Journaux, Vol. 1, janvier 1840.

La Lumière, de 1851, 1852, 1859.

Le Monde Illustré, août et septembre 1860.

Le Monte-Cristo, 5 janvier 1860.

La Revue des Deux Mondes, t. 28, 1860.

Usbù al Aarabi, Beyrouth, no 708, 1er janvier 1973.


145
Page

Vous aimerez peut-être aussi