TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 1
Vidéo 1
• Au cœur du tumulte, Guillaume Body Lawson a décidé, un
jour, de prendre son temps. Ex-directeur marketing, pendant
dix ans, il a couru du matin au soir. Aujourd'hui, il travaille à
son compte. Il a trouvé son équilibre.
Je choisis, aujourd’hui, de ne pas être pressé, de me dire que la
journée est trop courte. Je choisis les temps dans ma journée où
je suis consacré à quelque chose. Je suis investi dans quelque
chose. Quand j’ai une heure pour faire quelque chose, je passe
pas vingt minutes à me dire que j’ai qu'une heure pour le
faire, et je passe pas les quinze dernières minutes à me dire
que je vais pas réussir à le faire. Inspiration, on relâche bien
l’abdomen.
• Depuis 2013, il enseigne le yoga. C’est 50 % de son activité
professionnelle. Il invite ses élèves à reprendre leur souffle.
Une parenthèse pour soi.
Se retrouver, s’accorder un petit moment, c’est déjà beaucoup,
en fait, et c'est rare ces moments qu’on a, qu’on peut s’accorder,
en fait. Et on sent le brouhaha à l’extérieur et on sent le calme à
l’intérieur.
• Les Français sont de plus en plus nombreux à cultiver cet
art de vivre. Pour preuve, sur ce créneau, des magazines
fleurissent. Mieux comprendre ses émotions, fabriquer sa
déco, cuisiner sain… Dans ce groupe de presse, pas moins
de 5 titres sont édités, avec une progression de 12 % en 2016,
alors que la presse écrite est en crise. Plus qu’une mode, un
changement de mentalité.
‚‚ Je l’ai ressenti, au début des années 2000, quand je me suis
rendu compte que le rapport à la nourriture était en train de
changer, et c’est à ce moment-là que les magazines de cuisine
ont commencé à fleurir. On était en train, il commençait à y
avoir une conscience de « on ne veut pas bouffer, on veut se
nourrir ». C’est pas la même chose.
• Pas toujours facile de prendre soin de soi. Fabrice Midal,
philosophe, ose un conseil.
·
·Moi, je pense que la solution, aujourd’hui, c’est juste se foutre
la paix, juste se dire, à différents moments dans la journée
quand on est pris par la pression : « Je me fous la paix. » Juste
ça, j’ai remarqué que ça suffit à enlever la pression.
• Ce mode de vie exige aussi une certaine discipline pour ne pas
se laisser happer par le courant. Guillaume Body Lawson s’y
emploie chaque jour.
Vidéo 2
• Cent trente-sept mètres de long, 56 de haut, 18 étages et
337 appartements, ce gros paquebot en béton que vous voyez
derrière moi, est la bien nommée Cité radieuse du Corbusier.
Inauguré à Marseille en 1952, ce bâtiment révolutionne le mode
d’habitation collective. Bien plus qu’un architecte, Le Corbusier
est un véritable visionnaire, un utopiste qui voit les choses en
grand et en couleur.
L’histoire de la Cité radieuse commence au lendemain de
le Seconde Guerre mondiale. L’insalubrité et le manque de
logements est alors un problème politique et social, auquel
il est urgent d’apporter une solution. Le Corbusier est choisi
pour ses idées modernistes en matière d’architecture. À travers
ce choix, la ville de Marseille affirme aussi une volonté de
transformer l’habitat en un authentique service public.
Le Corbusier a donc carte blanche et profite de cette liberté
pour mettre en place des aménagements en rupture totale avec
le modèle du logement collectif traditionnel. Et c’est avec
Ora-ïto, l’un des designers les plus avant-gardistes de sa
génération, que nous allons en savoir plus. Bonjour Ora-ïto.
Bonjour.
• Comment ça va ?
Très bien, merci.
• Vous êtes designer, vous êtes marseillais, vous êtes très attaché
186 cent quatre-vingt-six
à l’œuvre du Corbusier.
Ouais.
• Et en l’occurrence vous aimez beaucoup ce bâtiment, cette unité
d’habitation.
Oui.
• Pourquoi ?
C’était un véritable ovni quand ce bâtiment a été érigé, c’est-à-dire
qu’à l’époque, il y avait une urgence pour loger les gens, et donc il
fallait construire en verticalité, donc le plus haut possible, donc
c’est un bâtiment qui est sur pilotis et qui est une véritable ville
verticale.
• Une ville verticale qui s’oppose aux traditionnelles villes
pavillonnaires de l’époque, et Le Corbusier va encore plus loin :
son unité d’habitation est la première à être dotée de services de
proximité, d’une école maternelle sur le toit-terrasse, d’espaces
collectifs d’échange et de balade à l’intérieur même de la cité. L’idée
du Corbusier est terriblement novatrice et tranchait : désormais,
c’est l’habitation qui doit s’adapter aux besoins de l’habitant.
Là, nous sommes dans ce que l’on appelle « la rue commerçante ».
Ici, il n’y a pas de notion de couloir ou de… C’est des rues. Et
à l’époque, il y avait toute une série de différents commerces
pour venir amplifier l’idée de vie dans la ville, et d’y apporter les
fonctions nécessaires à la vie, tout simplement. Pour l’époque,
c’était complètement révolutionnaire, déjà, d’avoir autant
d’équipements dans un même immeuble. Il appelait ça des
« machines à habiter ». Et ici, c’est le reflet parfait, je dirais de : et
sa vision de l’habitat collectif, et en même temps de comment vivre
ensemble et mieux.
• Et vivre mieux pour Le Corbusier, c’est vivre dans un espace
épuré, lumineux, coloré et bien sûr convivial. Dominique vit dans
la cité depuis treize ans. Pour elle, c’est sûr, Le Corbusier est un
véritable génie. Bonjour Dominique.
‚‚ Bonjour Louisa.
• Comment allez-vous ?
‚‚ Bien et vous-même ?
• Ben très bien, je suis très heureuse de vous rencontrer parce que
vous…
‚‚ Je suis ravie de vous accueillir.
• Merci. Vous, vous travaillez, vous vivez au Corbusier et on est
d’ailleurs ici dans un endroit stratégique de la Cité radieuse.
‚‚ Oui, tout à fait.
• Racontez-moi un petit peu ce lieu. Qu’est-ce que c’est ?
‚‚ C’était vraiment le cœur de la cité, ce cœur de la cité qui est voulu
au sens, je dirais presque, de forum d’une cité au sens grec, où les
gens se rencontrent, où ils viennent discuter. Au départ, ça devait
être un restaurant communautaire et puis, dans les années 1960,
il a été acheté par une société pour être un véritable restaurant.
[…]
• Bonjour monsieur Sbriglio.
·
·Bonjour.
• Comment allez-vous ?
·
·Très bien, merci.
• Ah, je suis contente d’être là ! Alors là, on est dans l’appartement
type, tel que Le Corbusier l’avait conçu et imaginé pour la Cité
radieuse.
·
·Absolument, ces appartements complètement révolutionnaires
en 1945, qui sont en fait conçus comme des petites maisons, et
vous le voyez, on est ici dans un système de duplex avec cette
première séquence qui allie la cuisine, le coin repas et le séjour et
puis un escalier qui permet, comme dans n’importe quelle maison
individuelle, de monter dans les chambres.
• Et le duplex est complètement révolutionnaire.
·
·C’est une véritable conception nouvelle. En fait, il appelle ça « la
cité-jardin verticale », c’est-à-dire, le vrai projet du Corbusier
c’est d’essayer de construire des logements collectifs en ayant
les mêmes qualités que les maisons individuelles, et d’ailleurs,
quand il parle de l’unité d’habitations, il ne dit pas : « J’ai construit
350 logements. » Il dit : « J’ai construit 350 maisons. »

• Des logements sociaux dotés des techniques les plus innovantes.
Du jamais-vu pour l’époque. Entre autres nouveautés,
Le Corbusier met en place un système d’isolation thermique et
phonique très performant, comme avec les portes-fenêtres, les
premières de la ville à être dotées de double vitrage.
·
·Comme vous pouvez le voir, si j’ouvre la porte, avec cette
menuiserie, celle-ci vient se replier, en fait, contre le mur de la
loggia et transforme cette loggia en véritable jardin suspendu,
ouvert sur la nature.
• C’est incroyable ! Et en même temps, ça permet de prolonger
l’espace de l’appartement.
· le prolonger et c’est le même principe que le duplex : chaque
·De
fois qu’on veut donner plus de sensation d’espace par rapport à la
superficie, Le Corbusier va jouer là-dessus.
• Et l’autre rupture du Corbusier dans ces appartements, c’est cette
cuisine ouverte.
·
·Bien évidemment, parce que Le Corbusier avait remarqué que,
traditionnellement, la maîtresse de maison était aliénée à l’autre
bout du logement, puisque dans l’habitat traditionnel marseillais,
la cuisine est une pièce fermée. Et avec cette cuisine ouverte, il
permet la réinstallation d’une relation plus forte entre la maîtresse
de maison et les autres membres de la famille. […]
• Le rêve du Corbusier est donc de faire de sa cité un lieu idéal
d’épanouissement social, familial et individuel. Sur le toit-terrasse,
le premier du genre, l’habitant peut prendre soin de son corps et
de son esprit : Le Corbusier y installe un gymnase, un théâtre en
plein air et offre aux habitants, une vue à 360 degrés sur la ville,
époustouflante.
Je suis sur le toit-terrasse de la Cité radieuse du Corbusier, la cerise
sur le gâteau de cet ovni architectural. Une machine à habiter,
OK, mais aussi à vivre, avec une pataugeoire pour les enfants, un
atelier pour les artistes, des tables et des bancs pour pique-niquer
et prendre le soleil, et surtout, un terrain pour courir.
Piste 1
• 7 h 38 sur France Culture, c’est la suite du journal de Catherine
Duthu, avec le choix de la rédaction. Il s’arrête, ce matin, sur
l’économie sociale et solidaire : les coopératives d’habitants.
Un modèle alternatif pour faire face aux difficultés de logements,
mais il n’en est pas question, pourtant, dans le vaste projet de
loi ELAN. Les coopératives d’habitants consistent à construire
un immeuble pour l’habiter ensuite. Ces coopératives poussent
comme des champignons à Berlin, à Londres, Barcelone
notamment, mais l’idée tarde à faire son chemin en France.
Bonjour Annabelle Grelier.
‚‚ Bonjour Catherine.
Vous signez, ce matin, le choix de la rédaction sur les coopératives
d’habitat, donc, qui pourraient pallier le manque de logements
pour les classes moyennes, notamment.
‚‚ Une coopérative d’habitation, c’est vivre mieux et moins cher, si
tant est que l’on n'ait pas peur de l’engagement et de la collectivité,
car la coopérative d’habitat c’est surtout une autre façon de penser
la propriété. Adrien Poullain est ingénieur et architecte, et auteur
du livre Choisir l’habitat partagé.
·
·Dans la coopérative d’habitants, on est propriétaire collectivement
de son immeuble mais on reste locataire de son appartement, c’est-
à-dire qu’on va amener une loi acquisitive qui vaut, à peu près, 6 %
du coût de l’appartement, et puis, on paye un loyer chaque mois,
qui équivaut aux mensualités de remboursement de l’emprunt
bancaire.
‚‚ La coopérative d’habitat a également pour principe de ne pas être
spéculative. Quand un coopérateur décide de déménager, il vend
sa part au prix qu’il l’a payé. À travers l’exemple de Kraftwerk à
Zurich, l’une des coopératives les plus abouties – Zurich où plus
de 20 % de l’habitat est constitué de coopératives –, on comprend
que c’est aussi une autre façon de vivre avec ses voisins.
·
·Dans ces coopératives d’habitants, on trouve souvent des espaces
partagés. Ça va de la buanderie à la chambre d’hôte. Il y a
également des épiceries, des cafés. On a tous ces services-là qui
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
sont disponibles, auxquels tous les habitants participent, et
donc, ça permet, d’une certaine manière, d’avoir des services en
plus, auxquels on ne pourrait pas accéder si on était tout seul
dans sa petite copropriété ou dans son simple appartement.
‚‚ Cela peut être aussi un atelier, des terrasses, un sauna, une
crèche, bref… tout est possible, du moment où les coopérateurs
sont d’accord. Communication et tolérance sont les maîtres-
mots des coopérateurs.
Piste 2
• Vous voyez, le « soyez zen » c’est une stupidité. Pourquoi ?
Parce que, on le voit sur les affiches de métro, ça met « zen »
à l’impératif. Or le zen, c’est justement quelque chose qui
ne se met pas à l’impératif. Ce n’est pas une morale de pays
fatigué et qui va emprunter une sorte d’idéologie, comme ça,
de la sérénité à bon marché, c’est pas ça du tout, hein. Donc,
si vous voulez, moi je n’ai rien contre ces expressions-là mais
je crois qu’il y a une certaine, parfois… Ce n’est pas tant de la
connaissance qu’une certaine… parfois de facilité, là encore à,
parce que c’est loin, penser que ça peut être une solution. Non,
je pense que les solutions, elles sont toujours d’ici. Il faut éviter
les fantasmes culturels. Il faut éviter de prendre quelque chose
qu’on connaît mal pour, disons, le paradis. Je crois simplement
qu’il y a une intelligence dans la tradition bouddhique, très
diverse comme elle est, mais qu’il faut la considérer de près,
elle aussi est exigeante, et que ce qu’on en a fait, comme ça,
idéologiquement, du genre « soyez zen », par contre c’est de la
stupidité.
Et alors justement, le zen si…
• Et ça rejoint quelque chose qui est horrible qui est le
développement personnel, qui est donc cette sorte de marché
du bonheur qui prolifère aujourd’hui au détriment d’une
pensée intelligente et qui, là aussi par facilité, bah encombre le
marché, oui.
Piste 3
• Salut Camille ! T’as passé un bon week-end ? Prête à attaquer
cette nouvelle semaine de boulot ?
Salut Ali ! Oui, ça va très bien ! Justement, je me sens plus que
prête ! Hier soir, j’ai regardé une conférence TED sur YouTube.
Le type parlait de la notion d’harmonie, et de comment mettre
de l’ordre dans sa vie de manière poétique, bref, ça m’a fait du
bien, je me sens reboostée !
• Ah oui… Pfff… Tu sais, moi ces trucs… C’était qui le
conférencier ?
Il s’appelle Vincent Avanzi, et il se définit comme poète, enfin
plus exactement comme Chief Poetic Officer, un genre de
mélange entre le poète et l’homme d’affaires, quoi. Il a écrit
plusieurs bouquins, je pense que je vais acheter celui dont il
parlait hier !
• Comment tu dis ? Vincent Avanzi, Chief Poetic Officer ? .
Ah oui !!! Oh la la, c’est un poète un peu particulier… C’est la
première fois que j’entends parler de cette « profession » entre
guillemets ! Bon et alors, il racontait quoi dans sa conférence ?
Alors déjà, comme c’est un poète, il a commencé par raconter
sa rencontre avec le mot « harmonie » en disant que c’est son
mot préféré et qu’il a changé sa vision de la vie. Il en parle
comme d’une personne, en fait. Tiens, j’ai noté ce qu’il a dit,
attends…
• Et t’as noté ça sur une feuille que tu gardes dans ta poche ?
Ben ouais, j’avais envie de m’en souvenir et de pouvoir le
relire régulièrement. Ah voilà, ça c’est sa définition du mot
« harmonie » : « Pour moi c’est le mot le plus essentiel, le plus
fondamental pour l’humanité, parce que c’est le mot le plus
doux et le plus puissant, le plus convergent, le plus tolérant,
le plus fluide, le plus naturel, le plus humaniste, le plus reliant,
le plus interdépendant, le plus inspirant et le plus apaisant. »
• Tout ça pour le mot « harmonie » ? Ben dis donc ! Je ne vois pas
trop comment un mot peut être tolérant, mais OK ! Et quoi
d’autre ?
cent quatre-vingt-sept 187
TRANSCRIPTIONS
DELF A1  DES ENREGISTREMENTS
Ben après, il rappelle que l’harmonie est ou devrait être
omniprésente : que ce soit en nous, avec les autres, avec la
nature, avec les organisations, les entreprises. En fait, j’aime
bien comment il le résume, quoi : « Dans l’être, le faire, le vivre-
ensemble… Pour prendre soin de soi, des autres et de la Terre. »
Tu vois, je trouve que ça m’a fait reprendre conscience du fait
que l’on fait partie d’un tout ! Et que, pour aller bien, il faut
que ce qui nous entoure et les autres aillent bien aussi, et que,
finalement, c’est notre responsabilité. Tu vois.
• Oui c’est sûr, je suis d’accord ! C’est pour ça qu’au bureau on
essaye de maintenir une bonne ambiance entre nous, comme
ça tout est plus fluide !
Exactement ! Ah, et après, il a fait un truc vraiment chouette,
et là on voit bien qu’il est poète : il a décomposé le mot, lettre
par lettre, pour nous montrer tout ce que l’harmonie contient.
Écoute ça : l’humain en amour, qui rêve d’un monde en osmose
avec le nous, dans l’invisible des étoiles. Tu vois ? Un acrostiche
du mot « harmonie » !
• Vas-y, répète.
D'accord. L’humain en amour, qui rêve d’un monde en osmose
avec le nous, dans l’invisible des étoiles… C’est beau, non ?
• Euh…. Mouais… mais je trouve ça un peu kitsch… Et je ne suis
pas sûr de bien comprendre où il veut en venir avec tout ça !
Mais si ! Il explique que c’est vraiment le mot le plus important
pour être apaisé, et se sentir bien. D’ailleurs, après il continue
en expliquant qu’il avait pensé à d’autres mots comme
« vérité », « amour », « raison », « humanité », mais, selon lui
ça ne fonctionne pas. Il n’y a que le mot « harmonie » qui
représente un tout.
• Ouh la… il va loin le mec… Bon, mais alors, concrètement,
on fait quoi ? Comment on met de l’harmonie dans nos vies ?
Comment on sauve le monde ?
Roooh, te moque pas ! J’ai trouvé ça passionnant ! Il finit en
disant que ce qu’il faut c’est « vivre et laisser vivre » ! Attends,
j’ai noté une citation de Gandhi qu’il a reprise : « Le bonheur
c’est quand nos pensées, nos paroles et nos actes sont en
harmonie. »
• Reste à savoir comment on met tout ça en œuvre ! Je retourne
bosser, voir si mes pensées et mes actes professionnels sont en
harmonie !
Ha ha ha ! Je vais acheter son livre et je te le prêterai, tu me
diras ce que tu en penses !
Piste 4
• Alors aujourd’hui, je voudrais vous parler de la prise de
notes parce que c'est vraiment une technique que vous
devez maîtriser maintenant en tant qu'étudiant, mais c'est
aussi quelque chose qui vous sera utile dans votre vie
professionnelle. J'en vois encore trop souvent parmi vous qui
sont vite distancés, voire complètement perdus pendant le
cours et donc je voudrais vous donner quelques conseils qui,
j'espère, vous aideront à mieux maîtriser cette technique. Je
vais d'ailleurs vous demander de prendre en notes ce que je
vais dire pour qu'on puisse voir tout à l'heure ce qui va et ce
qui va pas. Alors je vais d'abord aborder les objectifs de la prise
de notes.
D'abord, pourquoi on prend des notes ? Eh bien, la première
chose, c'est qu'on a besoin de conserver des informations.
Quand vous faites des recherches pour un exposé ou pour
une dissertation, vous devez conserver les informations qui
vous seront utiles pour la suite. Quand vous assistez à un
cours, vous avez besoin de conserver ce qui est dit par le prof
pour pouvoir le réviser plus tard, notamment au moment des
examens. Alors… certains étudiants me demandent parfois
s'ils peuvent enregistrer le cours et moi ce que je réponds
toujours, c'est que c'est une perte de temps. Pour un cours
d'une heure, vous aurez besoin d'une heure pour le réécouter
alors qu'avec des notes, on n'a pas besoin de plus de cinq
ou dix minutes pour les relire. Alors bon… l'enregistrement
188 cent quatre-vingt-huit
ça peut être un bon complément, si vraiment vous avez peur de
perdre des informations, mais ça ne remplace en aucun cas une
prise de notes.
Le deuxième objectif de la prise de note, vous l'avez compris,
c'est de résumer les informations que vous lisez ou que vous
écoutez. Ça va vous permettre de gagner du temps au moment des
révisions par exemple, mais aussi, surtout, ça va vous permettre
de vous concentrer sur l'essentiel. J'y reviendrai tout à l'heure. Et
résumer ce que vous prenez en notes, c'est un objectif, mais c'est
aussi une contrainte. Parce que prendre des notes, ce n'est pas
noter tout ce qui est dit dans le cours. Et c'est le principal problème
des étudiants hein, qui essaient d'écrire tout ce que dit le prof
et qui sont perdus après deux phrases. C'est impossible à faire.
Le débit moyen d'un prof ou d'un conférencier, c'est entre 150 et
200 mots à la minute. Par contre, la vitesse d'écriture c'est entre 25
et 40 mots pour minute. Donc le calcul est vite fait, hein. Vous ne
pouvez pas noter tout ce que dit le prof. Vous devez résumer, vous
devez sélectionner les informations et les reformuler ou même les
schématiser.
Et c'est très bien comme ça, parce que ce serait contreproductif de
faire autrement : si vous triez les informations que vous notez, et
que vous les reformulez, vous devez d'abord les avoir comprises.
Ça veut dire que vous êtes concentré sur ce que dit le prof, et que
vous l'analysez. Vous êtes dans une démarche active et ça, ça va
aussi vous permettre de mémoriser le cours. Parce que quand
on essaie de tout noter, on n'est pas vraiment concentré sur le
contenu, on est concentré sur les mots, sur les phrases mais pas
vraiment sur le cours. On peut très bien noter des choses qu'on
ne comprend pas. Alors qu'une prise de notes sélective, c'est 80 %
d'attention en plus pendant le cours. C'est avoir déjà compris le
cours et donc l'avoir en partie mémorisé. Ça va vraiment vous
faire gagner beaucoup de temps et d'énergie. Et c'est vraiment ça
l'intérêt de la prise de notes : être attentif au cours, le comprendre
et le mémoriser en partie. Et c'est ça le troisième objectif de la
prise de notes, hein. Et si vous ne maîtrisez pas la technique, vous
passez à côté.
Je fais une petite parenthèse sur la prise de notes sur ordinateur
ou sur tablette. Alors, c'est vrai qu'on écrit plus vite sur un clavier
qu'avec un stylo, mais des études ont montré que ça n'aidait
pas à mémoriser le cours parce qu’on a tendance à écrire sans
réfléchir. Une autre étude a d'ailleurs montré que les étudiants qui
utilisaient un ordinateur passaient 40 % des cours sur Internet.
Bon, vous êtes grands, vous choisissez, mais au moins vous
connaissez mon point de vue. Je ferme la parenthèse.
Alors la dernière chose, qui semble évidente, mais qui mérite
d'être rappelée. Les notes sont faites pour être u-ti-li-sées. Donc,
vous devez faire en sorte que vos notes soient pratiques à relire
et à consulter. Prenez toujours des feuilles du même format que
vous pourrez ranger ensemble et retrouver facilement. Numérotez
bien vos feuilles si vous n'utilisez pas de cahier. Faites un effort
sur la présentation de vos notes. Pensez à écrire l'intitulé du cours
et la date en haut de la feuille. À droite, à gauche, peu importe,
mais toujours à la même place. Notez le titre du cours, bien sûr,
mais aussi, juste en dessous, le plan du cours. Pensez à laisser
un espace pour le compléter après le cours si le prof ne l'annonce
pas clairement. Et pensez aussi à bien aérer vos notes : laissez
des espaces entre les paragraphes, sautez des lignes. Pensez à
laisser une marge importante, au moins un tiers de la largeur de
la feuille. Et de préférence à droite si vous êtes droitier, et à gauche
si vous êtes gaucher. Ça vous servira à compléter vos notes, si
vous en avez besoin. Hiérarchisez les informations : utilisez des
points, des tirets, des numéros. Ça facilitera votre lecture et votre
mémorisation par la suite.
Et surtout, après le cours, prenez le temps de relire vos notes.
Faites-le dès que possible, tant que les informations sont fraîches.
Au-delà de 24 h, c'est trop tard. Corrigez les erreurs que vous avez
pu laisser, réécrivez les mots qui ne sont pas lisibles et complétez
avec les informations que vous n'avez pas eu le temps de noter.

Soulignez les titres. C'est aussi le moment de mettre des couleurs
parce que, quand on prend des notes, on ne perd pas de temps à
changer de stylo ! Et utilisez toujours la même couleur pour chaque
type d'information. Cherchez et notez la définition des mots
inconnus. Notez dans la marge les questions qui vous viennent
à l'esprit et que vous pourrez poser au prof au cours suivant.
Bref, vérifiez que vos notes soient compréhensibles et pratiques à
utiliser. Vous gagnerez du temps par la suite, et en plus, vous ferez
un pas de plus vers la mémorisation. Voilà pour les objectifs. Vous
avez des questions ?
Piste 5
• Bien… je vais vous parler maintenant d'une tendance qui est
apparue relativement récemment dans le monde de l'entreprise :
c'est le happy management.
Alors… On a longtemps organisé le travail dans le seul but
d'améliorer la productivité et donc les profits de l'entreprise.
C'est pourquoi le management consistait, et consiste encore
trop souvent, à mettre la pression sur les travailleurs pour qu'ils
améliorent leurs performances. Et ça, sans jamais se soucier
des conséquences que ça peut avoir sur les travailleurs. Dans
les années 2000, on a commencé à vraiment réfléchir à ces
conséquences et on s'est aperçu que plus les employés se sentent
bien dans une entreprise, plus la productivité de l'entreprise
s'améliore. De nombreuses études ont montré que non seulement
les travailleurs heureux sont plus motivés et plus perfor-mants,
mais en plus ils sont moins souvent absents pour maladie et ils
restent plus fidèles à l'entre-prise. Et c'est pour cette raison que de
plus en plus d'entreprises s'intéressent au happy management.
Alors euh… concrètement : qu'est-ce qu'un happiness manager et
en quoi consiste son travail ?
Le happiness manager, c'est l'équivalent d'un directeur des
ressources humaines ou d'un chef du personnel, mais son
objectif premier, c'est le bonheur et le bien-être des différents
collaborateurs de l'entreprise. Comme tout responsable des
ressources humaines, le happiness manager remplit toutes
les tâches en lien avec la gestion du personnel, notamment
administratives. Mais toutes ces tâches sont redéfinies pour
répondre à cet objectif principal qui est l'épanouissement, le
bonheur des employés.
Alors comment on fait pour rendre un travailleur heureux ? Eh
bien la première chose, c'est de s'assurer que tous ses besoins sont
respectés. Le hapiness manager doit donc identifier les besoins
de l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise, chercher des
solutions pour y répondre et les mettre en place. Pour identifier
ces besoins, pas question d'arriver avec des idées toutes faites et
des certitudes en disant « je sais ce dont vous avez besoin et on
va faire ça ». Non ! Si on vise le bonheur euh… le bonheur, c'est
quelque chose de très… personnel et subjectif. Donc il s'agit d'être
à l'écoute des salariés, d'être disponible, bienveillant, et de savoir
mettre en place une relation de confiance. Il faut aussi, bien sûr,
donner l'opportunité aux salariés de s'exprimer en organisant des
entretiens, par exemple.
Alors, voyons maintenant quels sont les différents types de
besoins des travailleurs et comment on peut y répondre.
Le premier type de besoin, ce sont des besoins primaires,
autrement dit des besoins physiologiques : manger, boire, dormir.
Alors là, les solutions, ce sera par exemple de faire installer une
fontaine à eau dans l'espace de travail ou encore de mettre à
disposition un espace de détente où les salariés pourront dormir
un peu, s'ils en éprouvent le besoin. On peut aussi permettre
aux salariés de travailler à distance pour leur éviter de longs et
fatigants trajets en voiture.
Maintenant, le deuxième type de besoin concerne la sécurité des
collaborateurs. Alors, on parle de la sécurité physique, bien sûr. Et
là, les risques qui pèsent sur les travailleurs dépendent beaucoup
des postes de travail, pour donner un exemple : un happiness
manager peut décider d'investir dans un mobilier de bureau plus
ergonomique parce que les salariés se plaignent d'avoir mal au
TRANSCRIPTIONS
COMPRÉHENSIONDES
DE ENREGISTREMENTS
L'ORAL DELF
dos. Mais on parle aussi et c'est très important de la sécurité
psychique des salariés. Et la première menace là, c'est le stress
et la pression que subissent de plus en plus les travailleurs.
Alors il faut analyser la situation finement, mais on peut
réduire cette pression en adaptant le planning d'un projet par
exemple, ou en embauchant un salarié supplémentaire. On
peut aussi assouplir la politique de l'entreprise concernant les
fautes professionnelles. Donner le droit à l'erreur, c'est une très
bonne piste hein, parce qu'un salarié qui a peur de faire des
erreurs, parce qu'il craint la sanction, n'est jamais vraiment
serein.
Alors maintenant, le troisième type de besoin, c'est le besoin
d'être considéré et respecté. Le happiness manager doit veiller
à ce que la parole de chaque salarié soit écoutée, et surtout que
cette parole compte vraiment dans les prises de décisions et ce,
quel que soit son niveau dans la hiérarchie de l'entreprise. Un
simple stagiaire peut très bien avoir des remarques pertinentes
à faire pour résoudre un problème récurrent de l'entreprise. Et
c'est pourquoi chacun doit être entendu.
Le quatrième type de besoin, c'est le besoin de se sentir bien
avec ses collègues de travail. Et ça, c'est vraiment essentiel
pour le travailleur, mais aussi pour l'entreprise parce que la
capacité d'une équipe à travailler ensemble, c'est vraiment un
moteur de performance. Alors, pour travailler sur la cohésion
des équipes, le happiness manager peut mettre en place des
activités conviviales entre collègues, comme des rencontres
sportives ou des petits déjeuners, par exemple. Mais avant
d'organiser ce type d'événements, la première chose à faire,
c'est de garantir des moments où les collaborateurs vont
vraiment pouvoir échanger de manière à la fois libre et
constructive.
Enfin, le dernier type de besoin, c’est le besoin de s'accomplir
professionnellement. Il est essentiel pour un travailleur de
sentir qu'il progresse, qu'il apprend, qu'il se perfectionne et
qu'il a la possibilité de vraiment évoluer dans l'entreprise.
Et pour ça, il faut mettre en place une politique qui favorise
l'évolution de carrière dans l'entreprise. Organiser un
système de coaching pour que le salarié soit accompagné
dans la réalisation d'une nouvelle tâche. Permettre à chacun
de participer régulièrement à des formations. Mettre à profit
ces formations en permettant l'accès à un nouveau poste de
travail. Et tout ça, c'est vraiment des choses très importantes
pour le salarié, mais aussi pour l'entreprise, parce que ça va lui
permettre d'utiliser de manière optimale son capital humain.
Alors maintenant voyons un peu comment cette démarche…
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 2
Piste 6
• C'est le café où vous avez vos petites habitudes après une nuit
de travail ?
Exactement !
• Alors Nabil, vous travaillez depuis presque deux ans pour des
sociétés de transport dont Uber, notamment. Vous en êtes où
avec ce qui vous colle à la peau, vous les chauffeurs, cette note ?
Moi, je suis à 4,51 exactement. Donc c'est vraiment limite, hein.
4,51 sur 5, c'est pas sur 10 ou sur 20, c'est sur 5. Donc, ça paraît
être une bonne note. Quand on la rapporte sur 10, ça fait 9
quand même. Mais non, c'est une mauvaise note pour Uber.
C'est une très mauvaise note.
• Pour quelles raisons ?
Ils suspendent le compte en fait à 4,50. Si vous voulez que je
vous montre ma note. Voilà, donc…
• 1 700 courses.
Il y a le pourcentage. Vous voyez. 76 % de 5 étoiles. C'est
énorme. C'est-à-dire : plus de trois quarts de mes courses ont
été 5 étoiles, ce qui peut paraître correct. Mais non. En dessous
de 4,50, automatiquement… C'est automatique. Il y a même pas
de… ils ne vous appellent même pas, c'est automatique. Vous
cent quatre-vingt-neuf 189
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
êtes suspendu.
• Ça vous est déjà arrivé ?
Oui. Deux fois. La première fois, ils vous envoient faire un
stage. Un stage où on vous apprend comment se comporter
avec les clients, comment les mettre à l'aise. Et la deuxième
fois, vous êtes suspendu. Mais après, vous réactivez au bout
de deux, trois mois. Et ils vous donnent une cinquantaine de
courses pour remonter votre note. Si vous la remontez pas :
bloqué. Il faut encore attendre deux, trois mois.
• Alors ce stage : comment on apprend à avoir des bonnes notes,
comment on apprend à être un bon élève en quelque sorte ?
En fait, ils font appel aux meilleurs chauffeurs, ceux qui ont
les meilleures notes. C'est eux qui sont censés vous apprendre
comment améliorer votre note. Ils vous disent de mettre à
disposition chargeurs, bouteilles d'eau, bonbons. Il faut ouvrir
la porte, avoir une tenue assez professionnelle, costard cravate.
Ça peut améliorer la note, mais bon après, ça suffit pas. Je vous
dis clairement, il suffit que vous tombiez sur un client avec qui
ça se passe mal. Même si ça se passe pas mal. Il suffit qu'il vous
demande : « Est-ce que je peux fumer dans votre voiture ? ».
Vous lui expliquez clairement que c'est une voiture non-
fumeurs : « Je ne fume pas et pour conserver la bonne odeur du
véhicule, je préfère ne pas vous laisser fumer mais je peux vous
attendre cinq minutes. Vous allez fumer dehors, il n'y a pas de
problème. Lui, il va dire : « Non, je suis pressé, je vais au travail.
Donc non, c'est pas grave, je fume pas. » Comme ça, ça se passe
très bien, vous avez l'impression que ça se passe bien. Mais une
fois qu'il sort du véhicule, la note, il vous met une mauvaise
note. Et même s’il vous met 4 : 4 sur 5, ça paraît être une bonne
note, 4 sur 5. Mais c'est une mauvaise note, 4 sur 5. Ça m'est
déjà arrivé que quelqu'un me dise : « Ouais, ça s'est très bien
passé, je vous mets 4. »
• Et vous expliquez dans ces cas-là au client : « Écoutez, 4, je
comprends l'intention. Merci beaucoup. C'est pour vous une
bonne note mais sachez que… » Vous leur dites ça ?
Oui, je leur explique et ils sont surpris. Mais ils sont pas au
courant eux, en fait, de la note. Ils savent pas qu'on est bloqué
à 4,50. Il le savent pas.
• Est-ce que vous vous sentez sous pression avec cette note ?
Ah oui. Oui, oui, oui. Ah oui, une grosse, grosse pression.
Y a des jours où je vais pas travailler. Quand je suis pas bien,
je vais pas travailler.
• De peur d'avoir la note qui baisse.
Ou je me connecte pas avec Uber, je fais d'autres applis. Moi
j'ai 4,50 donc le moindre truc, je saute.
• Vous vous sentez piégé par cette note ?
Bien sûr. Mais bien sûr. Mais bien sûr. Uber, c'est des prix
fixes. Vous payez de… par exemple d'ici, de Pantin à porte
Maillot par exemple. C'est un prix qui fait 17 euros. Donc,
ils payent, pour aller de Pantin à porte Maillot, ils payent
17 euros. Peu importe le temps. Donc, s’ils sont deux, voyez, il
va vous dire : « Ouais, mais ma copine, ou mon camarade là,
habite juste à côté, est-ce que vous pouvez le déposer ? » Vous
lui expliquez que non, parce que vous avez payé pour aller de
Pantin à porte Maillot, même si c'est deux rues à côté. Il me dit :
« Oui, mais rallongez euh… » Ils pensent que c'est un compteur,
que c'est comme un taxi. Mais non, moi, y a pas ça. Donc, je lui
explique que non. Il faut recommander. Ou refaire une autre
course ou ben, descendez. Et ça, ils le prennent mal. Ils pensent
que je n'ai pas envie de les déposer. Mais moi, je me suis fait…
Je suis perdant dans l'histoire. C'est un prix fixe, je peux pas, ça
va pas… Le fait que même si je vous dépose plus loin, ça va pas
changer le prix. C'est triste mais c'est comme ça.
Piste 7
• Troisième arrondissement de Paris. On se dirige vers
les locaux de la société Uber France, qui ne présente pas,
évidemment, ce système de notation, d'évaluation comme un
moyen de pression exercée sur les chauffeurs. Au contraire, la
190 cent quatre-vingt-dix
société se défend en disant que c'est le moyen de rendre la qualité
de service homogène pour les 25 000 chauffeurs qui travaillent en
partenariat avec la société.
‚‚ Rym Saker, porte-parole d'Uber France.
• À quoi ça vous sert, très concrètement, ces notes ?
‚‚ La note, ça permet, effectivement, de proposer une expérience
pour les passagers qui soit uniforme. Ça permet aussi de créer un
cadre de confiance et de sécurité. Rouler avec un inconnu peut
être, pourquoi pas, angoissant, et la notation permet de créer cette
espèce de confiance entre le passager et son chauffeur lors de cette
course qui peut durer vingt minutes ou plus.
• Alors, vous avez mis un curseur quelque part ?
‚‚ Il n'y a pas les bons et les mauvais. La notation, elle est chez
nous, effectivement, entre 4 et 5. Plus proche des 5 que des 4,
tout simplement parce que, lorsqu'un passager va noter 5 sur
5 son… le chauffeur avec qui il a eu la course, il n'y aura pas de
message qui va prompter. Cependant, lorsqu'il met une note de
4 ou inférieure à 4, on va lui demander de nous expliquer les
raisons qui l'ont poussé à donner cette note. Ça peut être des
raisons liées à la propreté du véhicule, mais aussi à des facteurs
totalement externes comme, par exemple, l'état de la circulation.
Le prix. Et alors là, sachez que pour ce type de facteur externe
qui ne concerne pas le service à proprement parler, rendu par le
chauffeur mais, par exemple, des conditions liées à la circulation,
au mauvais trafic, etc. La notation ne va pas être prise en compte.
Ce qu'on veut avec la notation, c'est vraiment connaître la qualité
du service rendu par le chauffeur. Tout ce qu'on a mis en place,
ce sont des équipes dédiées pour accompagner le chauffeur. Il
faut bien comprendre que le succès du chauffeur, c'est le succès
d'Uber. Sans chauffeur réussissant dans leur mission, il n'y a pas
d'Uber. La note, c'est un élément de valorisation extrêmement
important pour les chauffeurs, c'est un élément de fierté, c'est un
élément de reconnaissance. Ça met la pression. Certains vont le
vivre assez péniblement, mais c'est un élément qui leur permet de
voir où ils en sont. Être indépendant, c'est aussi être seul.
Vous voyez ? Ce sont des personnes qui roulent seules, qui
exercent leur métier seules, qui gèrent leur entreprise seules.
Elles ont besoin de ces retours de la part des passagers, de leurs
clients, pour voir où est-ce qu'elles en sont. Pour voir comment
elles comparent par rapport à leurs pairs. Et elles ont besoin de
ces retours-là. Donc, il n'y a pas de sanction à proprement parler.
Il y a vraiment accompagnement, écoute. La note, c'est un élément
de valorisation. C'est un élément qui peut générer du stress. Ça,
on peut l'entendre. Plutôt qu'un moyen d'oppression, c'est un
outil d'accompagnement et ça fait partie d'un ensemble que nous
avons mis en place d'écoute, de conseil et de soutien à l'activité des
chauffeurs.
Vidéo 3
• Si on se faisait une bonne table ? Au moment de réserver, quand on
cherche le site ou le numéro d'un restaurant, impossible désormais
d'échapper à la note de l'établissement, gracieusement mise en
avant par les différents sites de notation, dont le tout-puissant
TripAdvisor. Des avis de clients souvent anonymes, pas toujours
bienveillants, parfois fantaisistes qui mettent une pression
indéniable sur les professionnels de la restauration. Si certains
s'y adaptent tant bien que mal, d'autres ont décidé de réagir. Yves
Godel les a rencontrés.
Elle n'a pas de frontières. À Bursins, sur la côte lémanique, la
chouette est passée par là. Jean-Michel Colin dirige l'auberge
communale depuis trente-deux ans. Les avis sur Internet, il n'y
prête pas attention. L'essentiel est dans l'assiette. Une cuisine
gourmande et soignée qu'il adapte au fil des saisons. Cet ancien
second de Frédy Girardet a croisé du beau monde :
‚‚ Richard Nixon, monsieur Girardet.
Alors c'est quoi l’histoire de cette photo ?
‚‚ Ben, il était venu, il était venu en cuisine. Et puis… ben j'en ai une
dans la cuisine où je suis seul avec lui, là.
Depuis qu'il vole de ses propres ailes, Jean-Michel Colin a

construit sa réputation. Récemment encore, sa cuisine était
recommandée par le Gault & Millau. Mais le chef n'est pas à l'abri
des critiques. Sur TripAdvisor, sa moyenne est modeste, la faute à
quelques avis de clients mécontents. Nous lui faisons découvrir le
dernier en date : « Une déception incroyable. Une catastrophe sans
nom. Jamais mangé aussi mal de ma vie pour un prix énorme !
Une selle à 64 francs avec un seul service et très peu de garniture,
assiette à moitié pleine et un service désagréable comme jamais vu.
À éviter à tout prix. » Qu'est-ce que ça vous fait, ça ?
‚‚ Ben rien. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Tout
est négatif. Il a employé des termes qui, je sais pas, qui ne
correspondent pas à une analyse saine et je dirais, productive.
Ça fait trente-deux ans que je tiens debout. Il y a longtemps que
j'aurais fermé sinon.
Vous allez répondre ?
‚‚ Non, rien du tout. Alors pas du tout. Ça va mettre en valeur
TripAdvisor et puis ces gens-là, je veux dire. Alors là, jamais.
Même si c'est bon, je réponds pas. Pas parce que j'ai pas envie,
mais je veux pas mettre en valeur le… ce fameux organisme, là,
qui se gagne des millions en plus. Ou des milliards. Sur le dos de
ces gens-là…
Mais ça vous agace.
‚‚ Ça m'agace parce que… ouais, un petit peu quand même. Un petit
peu beaucoup même.
Et il n'est pas le seul. La menace d'être mal noté sur Internet
met toute la profession sous pression. Au point que GastroVaud
propose à ses adhérents de les aider à soigner leur e-réputation.
Dans la classe, des patrons de restaurants, d'hôtels et même de
boulangeries. La formation a lieu plusieurs fois par année. Elle a
du succès.
·
·Oui, il y a une pression très très forte parce qu'ils n'ont pas le
choix d'être présents. Donc c'est ces plateformes qui font que des
personnes peuvent laisser des avis. Donc, ça, ils ont pas le choix.
Du moment que ces avis existent, ils doivent y répondre.
Mais c'est ça un peu le problème, c’est que t'es dessus sans le
savoir. Ils te créent une page. TripAdvisor au début, c'est ça.
Google, c'est la même chose. Tu sais même pas que t'as un
Google Business, et tu la gères pas et puis après ben, c’est déjà la
catastrophe.
·
·Ouais ça, c'est vraiment une problématique majeure de ces avis.
Les gens peuvent vous faire exister sans que vous le sachiez. Parce
que les plateformes leur permettent de faire ça.
Au menu du jour : identifier les plateformes où ils figurent malgré
eux. Après, il faudra apprendre à répondre aux commentaires des
clients.
·
·Les principaux conseils, d'une manière générale, c'est d'être
présent sur les plateformes majeures : TripAdvisor, Google,
FaceboOK. Très, très important de répondre aux avis, qu'ils soient
positifs ou négatifs, en personnalisant la réponse, vraiment. Qu’ils
soient… C’est une opportunité de mettre en avant ses points forts,
de tenir compte aussi de ce qui s'est passé, de montrer, de prendre
acte, et de ne pas se laisser emporter par l'émotion si c'est un avis
négatif, d'attendre, d'attendre 24 h avant de répondre.
ÑIl Ñ y en a un, il met une annotation. La notation est bonne. Il
met : « Sympa, accueillant, pas très cher, on mange très bien, je
le recommande. » Par contre, la note il met 3 sur 5. Il se rend pas
compte! On a souvent ce cas avec l'hôtel aussi.
Jean-Claude Volery dirige une auberge dans le canton de Vaud.
Depuis peu, il a pris conscience que certains clients publient des
avis dans son dos.
ÑLà, Ñ je suis en train de rechercher la petite icône « avis » pour
pouvoir consulter mes avis sur TripAdvisor mais comme je suis
pas très doué… Ah, tu peux choisir avec qui tu peux le faire. Alors,
il y en a qui mettent 5, ils sont super sympas, puis il y en a un autre,
par exemple, qui met 2. Et lui, qu'est-ce qu’il met ? Ouais… J'ai
pas vraiment envie de… « Dommage avec peu, cela aurait pu être
beaucoup mieux. Le prix ne vaut pas la qualité servie. »
Ça vous fait quoi de lire ça ?
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
Ñ
ÑBen ça me fait mal. Ça me fait mal parce que, je veux dire, on
maîtrise plus rien. On maîtrise plus rien. Ils font… Le client fait
ce qu'il veut.
Face à une clientèle devenue juge, le malaise est profond.
Des fois, c'est difficile à vivre, parce qu'on a l'impression
de faire les choses bien, et puis c'est peut-être… Ça fait
mal au cœur des fois. C'est vrai des fois, quand on voit des
commentaires qui sont très négatifs, qui peuvent être très
agressifs aussi parce que les gens, ils écrivent derrière des
pseudonymes, donc ils osent vraiment un peu se lâcher.
Loris Courvoisier a repris la direction d'un célèbre restaurant
à Lausanne, une affaire de famille tenue par son père pendant
trente ans.
Í
ÍAlors à l'époque, quand les clients étaient pas satisfaits, on
parlait avec eux, on avait un dialogue, et puis, si ça passait pas,
on essayait de se retéléphoner et puis on les invitait avec un
don, de façon qu'ils reviennent, et en général ça se passait bien.
Sur l'ancien Boccalino, on avait aucun suivi donc c'était : « On
s'en fiche, on prend pas compte. De toute façon, nous, ce qui
compte, c'est le client qui nous dit que c'est bien sur place. »
Donc on s'est un petit peu détachés de ça, mais avec le nouveau
concept, avec la nouvelle direction, on a dit qu'on allait
prendre les choses en main, et puis répondre maintenant aux
avis, que ce soit sur Google, sur TripAdvisor, sur FaceboOK,
parce que maintenant, c'est vraiment quelque chose qui
est très important, il faut que ce soient nos amis et pas nos
ennemis. Faut pas prendre ça comme une menace, et puis
vraiment essayer… C'est un outil marketing qui est devenu très
important.
Nouveau concept, nouvelle déco et surtout nouveau patron,
c'est ce qui lui a permis de faire effacer de son ardoise tous
ses anciens commentaires sur TripAdvisor. Mais depuis, les
clients ont recommencé à noter.
Sur TripAdvisor, je pense que maintenant on a une moyenne
de 4, ce qui est… On peut toujours faire mieux mais c'est
compliqué de, même avec plusieurs avis positifs 5 étoiles, de
pouvoir monter, donc la moyenne reste… Acceptable, et puis,
non, on est contents, maintenant il y aura toujours des avis
négatifs. Ça, je pense que… On est obligés de faire avec.
Piste 8
• (Tous notés, les enjeux économiques et politiques de l'évaluation
permanente, bienvenue dans Éco sans frontières !) (Alors, vous
avez peur ? Vous avez peur du résultat ? Eh bien, vous avez tort
car vous avez 16 !) Alors, avant de recevoir notre invitée,
Laurence Allard, maître de conférences en sciences de la
communication, nous allons revenir à la source de ce qu'est
un avis client, soit une arme de défense du consommateur
à l'image de ce que proposent le magazine 60 millions de
consommateurs en France, l'association UFC-Que choisir ou
l'ONG Foodwatch. Notre correspondant à Paris, Aurélien
Devernois, s'est intéressé au marché des cosmétiques.
Plusieurs applications notent la qualité des cosmétiques qui
sont vendues dans le commerce et ces applications rencontrent
un succès grandissant. Reportage.
Ah, ça c'est vert foncé.
‚‚ Une fleur vert foncé : le signe d'un produit de bonne qualité.
Ayou est en pleine opération de tri de ses cosmétiques dans sa
salle de bains.
Je commence à prendre soin de moi, mieux qu'avant, et du
coup, je veux savoir qu'est-ce qu'il y a dans le produit. Est-ce
que c'est, c'est les produits qui sont bons pour ma santé, est-ce
que c'est les produits qui sont bons pour ma peau.
‚‚ L’arme de sélection massive de cette directrice artistique dans
une agence de publicité parisienne : l'application INCI Beauty,
installée sur son téléphone.
Il y a ce bouton-là qui s'appelle « Scanner un produit ». Donc
normalement, je tape ici. On va tester, c’est un produit, c'est un
déodorant que j'ai acheté dans un magasin spécifique beauté
cent quatre-vingt-onze 191
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
bio. Du coup, il faut qu'on trouve le code barre.
‚‚ On utilise la caméra en fait du téléphone c'est ça ?
C'est ça ! Et du coup, ici la note c'est 12 sur 20. On peut aussi
voir, il y a un bouton qui s'appelle « Alternatives » et, du coup,
quand on clique dessus, il y a tous les autres produits qui sont
mieux notés. Il y a un déodorant qui est noté 17 sur 20. Voilà,
j'ai jamais vu ce produit-là mais ça m'intéresse.
‚‚ Lister et évaluer, un travail que connaît parfaitement
Jean-Christophe Janicot, auparavant à la tête d'un site de
comparateur de prix, c'est lui qui a lancé cette application en
début d'année. Son objectif : offrir un guide de compréhension
des produits cosmétiques.
·
·Autant en alimentaire, c'est assez simple, on se représente
assez facilement ce qu'est des graisses, des sucres. Autant en
cosmétique, là on est, pour le coup, sur des ingrédients très
complexes qui ont des noms chimiques, des noms latins, et ils
sont impossibles à décrypter comme ça, facilement.
‚‚ Bref, le consommateur s'y perd et les marques en profitent
pour faire un peu ce qu'elles veulent. INCI Beauty a donc
fait le choix de la précision, classant les composants selon
leur nocivité, mais aussi ceux qui sont peu respectueux
de l'environnement ou encore les ingrédients susceptibles
de provoquer des allergies, tout en essayant de coller aux
habitudes de consommation des Français.
·Il· y a, malheureusement, certaines gammes de produit, des
déodorants, par exemple, où la note moyenne en grande
surface c'est 4 sur 20 parce qu’il y a du sel d'aluminium tout le
temps, et on est obligé de vous proposer du bio. Mais le top du
top, c'est de vous dire : ben vous scannez un Garnier, pour pas
citer, qui a une note de 9 sur 20 qui est pas terrible. On pourrait
vous proposer du 11 ou 12 sur 20 dans le même point de vente et
sur une même gamme de prix.
‚‚ Pour l'instant, les utilisateurs de ces applications sont
comme Ayou, surtout des urbains et disposant d'un capital
financier leur permettant de pouvoir s'offrir des alternatives
plus coûteuses. Des premiers de cordée, chargés d'ouvrir la
voie selon Stephan Marette, enseignant à AgroParisTech et
ancien membre de la Commission française d'évaluation et de
classification des aliments.
·Le· problème, c'est que, quand vous allez vers des produits
verts, bons pour l'environnement, il y a un certain coût et
les consommateurs les plus modestes peuvent se retrouver,
disons, exclus de certains produits. Tout l'enjeu, c'est, à mon
avis, que les consommateurs qui sont assez dynamiques sur
ces applications procurent une externalité positive, c'est-à-dire
poussent l'ensemble des producteurs à changer la composition
de leurs produits.
‚‚ Cet effet sur les producteurs, Jean-Christophe Janicot a déjà
pu le constater : une chaîne d'institut de beauté s'est appuyée
sur son application pour faire pression sur l'un de ses
fournisseurs.
· ont carrément refait leur composition, c'est-à-dire qu'ils
·Ils
ressortent une gamme de 8 produits, ils ont fait sauter tous ces
conservateurs et normalement INCI Beauty, le logo, devrait
apparaître sur le packaging.
‚‚ Optimisme également chez Ayou qui a constaté que des
alternatives bon marché commençaient à être disponibles.
Quand j'ai cherché du dentifrice qui est bien pour moi et aussi
pour mon mari, du coup, j'ai scanné chaque produit pour
savoir qu’est-ce que j’allais acheter. Le produit qu'à la fin j'ai
acheté, c'est un produit qui coûtait 2 euros. C'est noté 17,4
sur 20.
‚‚ Il faut dire que les applications d'évaluation sont en train de se
répandre à grande vitesse dans les téléphones des Français.
5 millions de téléchargements depuis l'an passé pour le poids
lourd du secteur, Yuka, qui a débuté dans l'alimentaire et
propose désormais des évaluations cosmétiques. 250 000 en
six mois pour INCI Beauty, et Jean-Christophe Janicot pense
192 cent quatre-vingt-douze
déjà à la prochaine étape :
·
·C’était d'intégrer la possibilité, dans le profil de l'utilisateur,
de dire « ben moi, je veux parcourir la base sans silicones, sans
parabens, sans perturbateurs endocriniens, sans… » Voilà et du
coup…
‚‚ Un système de filtres, en fait ?
·Un· système de filtres par défaut que l'utilisateur pourra activer,
désactiver, directement dans les résultats de recherche. Voilà, et du
coup, vous pourrez naviguer directement dans une base saine.
‚‚ Une option qui pourrait être payante car le financement reste
l'écueil principal de ces applications et leurs revenus sont le
gage de leur indépendance. INCI Beauty espère à terme devenir
un label qualité et nouer des partenariats. Yuka, de son côté, se
base toujours sur les dons des utilisateurs et sur la vente d'un
programme de nutrition.
• Les cosmétiques sous le scanner des consommateurs, c'est un
reportage d'Aurélien Devernois à Paris. Pour rentrer maintenant
dans le vif du sujet, la dérive de la notation, nous sommes en direct
par téléphone avec vous, Laurence Allard, bonjour.
Bonjour.
• Vous êtes maître de conférence en sciences de la communication
à l'université Lille 3. Dans le reportage que l'on vient d'écouter, la
notation, elle est plutôt vertueuse, elle renseigne le consommateur
sur des questions de santé, sur des questions d'environnement. Ici
le système de notation, il permet même de faire pression sur des
groupes industriels pour qu’ils transforment leurs produits. On est
finalement à l'origine de ce qu'est la notation. À l'origine, c'est une
arme au service du consommateur.
À l'origine, oui, c'est lié à tout ce qui est le nouveau pouvoir du
consommateur donné par, notamment, donc, le réseau Internet et
la possibilité, justement, de noter ou de recommander des services,
des biens, pour d'autres consommateurs, donc c'est bien cette
logique finalement de… La logique de recommandation entre pairs,
qui est aussi à l'œuvre dans les premiers temps, justement, de tous
ces services de recommandation qui supposaient d'abord de noter
des biens et des services, etc.
Piste 9
• J'ai encore eu une mauvaise note sur TripAdvisor avec un
commentaire au vitriol. Ça fait encore baisser ma moyenne, mais
même pas mal : le resto affiche complet tous les jours, les habitués
sont contents et les autres, je m'en fous ! Mais quand même, ça
m'énerve : parce qu'ils regardent Top Chef à la télé, les clients se
prennent pour des journalistes gastronomiques ou un truc du
genre… Le type, il écrit que je fais « une cuisine sans émotion ».
Non mais, sérieusement ! Il prend un menu à 12 euros et il veut de
l'émotion dans son assiette, rien que ça ! Moi, je veux bien admettre
que ma cuisine casse pas trois pattes à un canard, mais qu'est-ce
qu'ils croient ces gens-là ? Qu'on va leur servir un menu 3 étoiles
pour 12 euros ? Et une coupe de champagne avec ça ? Le type, il se
plaint aussi que la serveuse a fait tomber son dessert alors qu'elle
lui en a ramené un autre deux minutes plus tard. Comme si c'était
fait exprès ! Avant, les clients, quand ils étaient pas contents,
ils venaient nous voir directement, on discutait, on trouvait un
arrangement. Mais tout fout le camp ! Aujourd'hui, c'est sourire
devant et commentaire venimeux derrière. C'est déprimant !
Piste 10
1 • T'as écouté le dernier album d'Orelsan ? Je suis trop fan !
Ouais… Bof… je le trouve pas gégé, moi.
2 •D'habitude, j’aime pas trop les films de Xavier Dolan, mais alors
son dernier film, il est vraiment pas pire ! Tu devrais aller le voir.
Tu passeras un bon moment !
3 • T'es déjà allé au nouveau resto éthiopien près de la gare ?
Non, j'en ai même jamais entendu parler.
• Il faut absolument que tu y ailles ! C'est une tuerie !
4 • Le dernier film de Didier Bourdon est au ras des pâquerettes : des
dialogues idiots, un scénario inexistant et des gags vus et revus.
Nul et archi nul !
5 • Hum… Je peux reprendre une part de pizza ? Elle déchire !

6 • J'ai acheté une clé USB à 3 euros.
Eh ben, à ce prix, ça doit pas être de la très bonne qualité !
• Ben écoute, elle est pas mal bien. En tout cas, pour le moment, elle
fonctionne.
7 • Alors, finalement, tu as décidé quoi ? Tu l'as suivie, cette
formation ?
Ouais ! Super ! Elle m'a déçue en bien. Le formateur était vraiment
incroyable, très bon pédagogue.
• Ah ben, je suis contente pour toi !
8 • Toi qui travailles à la maison, tu fais des sauvegardes de tout ce
que t’as sur ton ordinateur ?
Oui, oui, il vaut mieux ! Je stocke tout sur un cloud et sur un disque
dur externe, ça mange pas de pain.
• Ouais, t’as raison.
9 • Le nouveau logiciel de gestion au boulot, c'est vraiment de la
daube ! Il est pas du tout intuitif ni ergonomique. Tout le monde
est perdu. Résultat : on perd un temps fou et on est retard sur les
dossiers.
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 3
Piste 11
• Bonjour à tous, c’est Un jour en France, jusqu’à 11 h. 42,195 km, ils
sont plus de 50 000 à se préparer à courir cette distance mythique
dimanche prochain au marathon de Paris, des professionnels,
mais aussi beaucoup d’amateurs. Qu’est-ce qui nous pousse, vous
et moi, vous surtout à vrai dire – moi pas tellement –, à nous lancer
dans des épreuves de cette nature : marathon, triathlon, ultra-trail
et plus encore. Besoin de se prouver des choses, de rester jeune,
d’éprouver des sensations uniques ? En quoi cela nous aide-t-il
dans notre vie quotidienne ?
Jean-François Toussaint, il y aura 50 000 participants au marathon
de Paris. Il y en a de plus en plus qui participent à des semi-
marathons, des marathons complets. Je mets de côté les gens qui
ont de vrais problèmes physiques, est-ce que c’est à la portée de
tout le monde ?
Quasiment oui, il n’y a pas d’éléments de contre-indication,
à partir du moment où vous vous êtes déjà testé sur, d’abord,
la pratique, s'il n’y a pas de blocage mécanique, premier point
important, et puis le deuxième qui est le risque cardio-vasculaire,
donc on ne reprend pas un marathon ou un entraînement au
marathon à 50 ans après trente ans sans avoir fait aucun effort.
On s’y prépare, on s’y adapte progressivement et c’est vraiment
une adaptation pour toutes les distances, mais pour tous les types
d’effort aussi, donc ça il faut progressivement s’y remettre, et avec
cet entraînement, à ce moment-là, tout le monde peut y participer.
Rappelez-vous qu’on était quand même à huit à dix heures
d’activités physiques pendant 200 000 ans…
• Ah oui.
Et qu’il n’y a que depuis quelques décennies seulement qu’on est là
autour de nos tables à discuter.
Piste 12
• Jean-François Toussaint, on entendait une dame, là, dans
le reportage de Stéphane Cosme, dire qu’elle avait vaincu la
dépression en se mettant à courir, qu’elle avait fait une dépression
et qu’elle s’était mise à courir et que voilà, ça l’aidait sacrément.
Oui, c’est une vraie… On retrouve un équilibre extrêmement
important sur l’ensemble des capacités physiques et mentales,
et donc on a des gains très mesurables, vraiment, sur l’ensemble
des orientations métaboliques du corps, sur les maladies cardio-
vasculaires, sur les cancers, etc., mais surtout sur la santé mentale.
Et sur cette thérapeutique qui devient… Et qui est entraînée
hein, on a la mesure aussi de la sérotonine, de la dopamine,
des endorphines, qui sont sécrétées pendant la course et après
la course. Et donc cette habituation, ces cycles qu’on retrouve,
participent aussi de ce que sont ces notions qu'on ressent : le
partage de l’effort, le travail dans le groupe hein, et c’est ce que
décrivaient ces personnes à l’entraînement, ce partage de l’effort
dans le déplacement, et puis on a, pendant la compétition, ce
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
déplacement de masse, on vit la nuée. On vit la nuée. C’est
quelque chose qui est extraordinaire dans lequel on va tous
ensemble, par milliers, à un moment donné, créer un geste
identique, créer un mouvement identique et créer le propre
cycle de cette foule qui devient quelque chose dans lequel ce
partage est tellement unique, qu’il devient aussi porteur lui-
même de ce que l’on a envie de retrouver à l’épreuve suivante.
• Ça, manifestement, ça vous parle Guillaume le Blanc.
‚‚ Oui, oui, tout à fait, c’est exactement ce que l’on ressent quand
on court des marathons, etc. C’est, au fond, on participe à une
création collective dans l’espace et dans le temps, on occupe
à un moment l’espace, un bout d’espace et un bout de temps,
et c’est une occupation pacifique qu’on sent effectivement
complètement, on se sent lié aux autres. J’ai l’habitude de
dire que, les individualités, elles se réinventent par la tête
de course, forcément, et par la queue de course où on a, à
chaque fois, des individus, qui émergent ou des individus
qui s’arrêtent, et au milieu il y a comme une espèce de groupe
en fusion. Au fond, cette expérience de la fusion alors même
qu’on est seul dans son effort, il y a quelque chose de propre à
la course en nuée effectivement, la notion de meute…
• Alors, vous dites ça et en même temps, hors micro, vous me
disiez, à la limite le plaisir le plus grand, c’est l’entraînement
avant. Je pourrai, à la rigueur, me passer du marathon, mais le
plaisir c’est dans l’entraînement.
‚‚ Parce qu’en ce qui me concerne, je ne cours pas pour faire un
exploit, etc., c’est une dimension existentielle, au fond c’est une
philosophie de l’existence que j’essaie de pratiquer.
• Et c’est-à-dire, c’est-à-dire ?
‚‚ Une philosophie de l’existence, c’est-à-dire une philosophie
dans laquelle je peux, mobile, quand je cours, je peux tester
un peu ma liberté, ma volonté. Je me pose des questions,
j’invente des idées de livre en courant et je suis, au fond,
c’est une espèce de rapport à moi-même, de souci de soi. Les
Grecs avaient inventé cette idée de… philosophie du souci de
soi, prendre soin de soi. En prenant soin de moi, je peux me
rapporter effectivement, réellement, à mon monde intérieur
et savoir ce qu’il en est, et au fond, c’est un des rares moments,
c’est pour ça que j’aime bien, moi je plaide pour que l’on
court complètement débranché, c’est-à-dire en dehors de tout
instrument, etc.
• Oui. Y compris rien dans les oreilles ?
‚‚ Oui, rien dans les oreilles, on s’ouvre au monde, on est, au
fond, en espèce de déplacement entre soi et le monde, on
découvre des visions, on a des odeurs, le toucher du sol n’est
pas le même selon que l’on court sur du gravier ou selon que
l’on court sur un peu de sable fin ou sur du bitume. On a des
sensations de toucher. On renaît au monde en renaissant à
son propre paysage intérieur, et je crois que ça, c’est vraiment
une expérience d’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’aujourd’hui,
nous savons nous connecter par Internet, etc. à l’autre bout
du monde, nous sommes dans l’immatériel, dans l’illimité.
Et renaître à la liberté du limité, de ce qu’est un corps, de ce
que peut un corps, allier la question de Spinoza : « Nul ne
sait ce que peut un corps. » C’est, je crois, l’une des questions
philosophiques majeures d’aujourd’hui, c’est-à-dire au fond
qui sommes-nous ? Testons-nous. Et je crois que la course,
c’est une formidable machine philosophique à tester sur soi-
même, son rapport au monde, aux autres.
Vidéo 4
• Les Québécois sont reconnus à l’international pour différentes
choses comme Céline Dion, la poutine et disons, notre franc-
parler. Câlice, hostie, tabarnac ! Désolé maman, c’était pour le
bien de l’exemple, OK ? Je suis Julien à Montréal, au Québec
et aujourd’hui je vais vous parler de l’importance qu’ont eu
et ont toujours les jurons dans le développement de l’identité
québécoise. Avant de commencer là, j’aimerais juste dire que je
ne suis pas linguiste, puis là je vais survoler plein de concepts,
cent quatre-vingt-treize 193
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
tout ça, mais c’est vraiment juste pour en tirer une théorie qui
m’appartient à moi. On se comprend ?
Dans mes recherches j’ai compris un truc, c’est que les jurons
sont propres à chaque culture. Ils sont en fait représentatifs
des tabous d’une société. Par exemple, en France, les jurons les
plus populaires sont tirés du lexique des excréments et de la
sexualité. Dans d’autres pays ça peut être lié à d’autres tabous
comme la religion, l’éducation. Vous comprenez le principe.
Voilà pourquoi au Québec, nos jurons sont tirés de nos tabous
à nous. Si vous avez remarqué, ils sont pratiquement tous
tirés du lexique de l’église, même qu’ici nos jurons on les
appelle les « sacres » parce qu’on parle de ce qui est sacré. Que
voulez-vous, on est bien logiques, les Québécois. Notre fameux
« tabarnac » vient en fait du mot « tabernacle » qui est la maison
de Dieu sur Terre. Ça m’a l’air que Dieu, c’est un amateur de
camping. Le tabernacle c’est aussi le meuble à l’église où on met
le ciboire qui, lui, contient les hosties. D’ailleurs, le mot ciboire
et le mot hostie sont aussi deux de nos sacres favoris. Ce qui est
fou c’est que, juste au Québec, tu peux entendre quelqu’un qui
vient juste de se cogner le petit orteil crier « Hostie de câlice de
saint-ciboire de tabarnac ! » Encore désolé, maman.
Pourquoi nous, nos jurons sont principalement liés au
vocabulaire de l’église ? Déjà la Bible interdit clairement de
jurer à partir du sacré : « Tu ne prononceras pas le nom de Dieu
en vain. » Bon, c’est pas la Bible, c’est un roman policier, mais
on se comprend. En gros, ce que je veux dire, c’est que, selon
la religion, c’est tabou. En France, ça appartient un peu à une
autre époque de jurer « Nom de Dieu ». Chez nous les sacres
sont restés des gros mots, parce que l’église a une importance
particulière dans notre histoire. Les institutions religieuses
ont joué plusieurs rôles, dont celui de filet social. Par exemple,
les écoles, les hôpitaux et autres services sociaux étaient gérés
par des religieuses. Aussi, l’église a une importance majeure
dans le sentiment d’appartenance que les francophones avaient
envers leur communauté, et disons que c’était très important
pour eux, qui étaient entourés d’anglophones principalement
protestants.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’église perd beaucoup
d’importance dans les sociétés occidentales, par contre, ici, en
réaction au progressisme, il se crée un conservatisme assez
intense. On va appeler cette période-là la Grande Noirceur.
Le Premier ministre de l’époque, Maurice Duplessis, va se
faire élire par les institutions religieuses pour le maintien
des traditions. En 1959, le gouvernement veut changer et en
une seule décennie, le Québec va rattraper le retard socio-
économique pris. On appelle cette période La Révolution
tranquille. C’est vraiment là que l’église va se séparer de
l’État. Il y aura beaucoup de changements dans la société :
la nationalisation de l’électricité, la réforme en éducation,
expo 67 qui nous ouvrira sur le monde, et j’en passe. Donc si
vous avez bien suivi, l’église perd beaucoup de son influence.
Mais pourquoi alors nos gros mots sont encore liés au lexique
religieux ? Bah, en fait, c’est qu’avec la Révolution tranquille,
il y a eu le développement d’une identité nationale québécoise
forte. Cette identité-là se base, entre autres, sur notre
langue. C’est quand même ça qui nous différencie du reste
de l’Amérique du Nord. Et qui est-ce qui fait partie de notre
langue ? Les sacres, bien sûr. « Eh baptême. »
Vous comprendrez donc que, oui, les sacres sont représentatifs
des tabous d’une société, mais il faut aussi noter que ces sacres-
là donnent une couleur à notre vocabulaire, ce qui est très
important finalement pour notre identité québécoise. Donc la
prochaine fois que vous entendez un bon vieux « tabarnac »
– maman, je t’aime, ne me déshérite pas –, eh bien, souvenez-
vous qu’il est porteur d’une histoire et d’un bagage culturel.
Donc comme je disais au début, tout ça c’est un survol de plein
d’informations. Je laisse plusieurs liens disponibles pour les
curieux qui veulent en savoir plus. J’espère que vous avez
194 cent quatre-vingt-quatorze
– christiquement – aimé cette vidéo et je vous invite à – ciboire –
aller voir d’autres contenus des Hauts-Parleurs. Salut
mes tabarnacs !
Piste 13
• (France Inter. Ils ont promis de faire…) L’enquête de la semaine
commence ici, dans le bureau de Pour Suite. (Des actions
spectaculaires, quitte à être hors-la-loi…) Je suis devant l’ordinateur
et en même temps j’écoute le journal de 18 h de France Inter.
Fabienne Sintes, Amélie Perrier. (Les militants écologistes
d’Extinction Rebellion ont lancé aujourd’hui deux semaines d’actions…)
Extinction Rebellion, qu’est-ce que c’est que cette nouvelle forme
de contestation écolo ? J’ai vu passer les marches pour le climat,
les pétitions et là, maintenant, voilà des militants qui bloquent les
carrefours, qui s’allongent dans la rue et parlent de désobéissance
civile. Leur conviction c’est qu’il faut aller plus vite, plus fort pour
lutter contre le changement climatique. Les gouvernements n’en
font pas assez, il faut leur mettre la pression. Extinction Rebellion,
quelle importance réelle a ce mouvement et quelle efficacité ? (Je
mets pas de casque alors ? Je suis invitée ? Ouais.) Vous écoutez Pour
Suite, je suis Bruno Duvic.
Je pense que ce qui est nouveau c’est la fraîcheur du mouvement,
dans le sens où on n’est pas sur des personnes qui militent dans
les ONG, qui adhèrent à des associations. On est vraiment sur des
citoyens lambda qui en ont assez d’un sentiment d’impuissance
et qui veulent passer de l’opinion à l’action. C’est ce qu’on appelle
les primo-militants. Pas de carte dans un parti, pas de cotisations
à une association, ils ont fait des marches climat pour la plupart,
mais ils veulent aller plus loin.
• Et Delphine [Evenou] apporte cette précision importante à propos
des militants qu’elle a rencontré : aucune violence physique ! C’est
leur mot d’ordre. Rien à voir avec les black blocs : pas de casse,
pas d’agression de qui que ce soit, zéro violence physique pour
des raisons philosophiques mais aussi pour s’attirer la sympathie.
Ce ne sont pas les Extinction Rebellion qui iront à la castagne
avec la police, mais les forces de l’ordre qui interviennent plus
ou moins fermement pour les expulser des lieux qu’ils occupent.
Ça n’empêche que ce qu’ils font est illégal. Désobéissance civile,
comme lorsqu’ils occupent le grand centre commercial place
d’Italie à Paris pour dénoncer notre frénésie d’achat. C’était le
premier week-end d’octobre. Le lundi suivant sur France Inter, il y
avait le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Légitime pour
lui les happenings d’Extinction Rebellion ?
‚‚ Non, je pense que ça n’est pas légitime. Je pense que samedi,
dimanche, il y avait des commerçants qui ont des franchises ou
des commerces individuels qui n’ont pas pu travailler, qui ont été
empêchés de travailler. Je ne vois pas en quoi empêcher celui qui a
une boutique dans une galerie marchande de travailler contribue
à une revendication politique.
Piste 14
• Et les rebelles d’Extinction ont aussi des revendications concrètes :
la neutralité carbone de la France dès 2025, par exemple, pas
2050. Mais font-ils vraiment avancer la cause en prônant la
désobéissance ? Avec Delphine et Thibaut, le rédacteur en chef
de Pour Suite, on a sollicité deux grands témoins. Le premier,
c’est José Bové. Il y a tout juste vingt ans, il démontait le McDo
de Millau pour dénoncer la malbouffe. (La cible : un restaurant en
construction de la chaîne McDonald’s. Plusieurs dizaines de personnes,
essentiellement des producteurs de lait de brebis, pour saccager le
chantier.)
· on s’attaque aujourd’hui à McDo, c’est parce que McDo est le
·Si
symbole de ces multinationales qui veulent nous faire bouffer de la
merde et qui veulent faire crever les paysans.
• Autant dire que sa moustache frise de plaisir quand il voit ses
héritiers.
· dirais que si on veut gagner ces combats qui sont essentiels
·Je
pour l’humanité, il faut que chacun s’engage et soit prêt à assumer
de sortir, parfois, des lois, quand les lois ne permettent pas
de changer les choses. Mais on a souvent ces responsabilités.

Quand on a démonté le McDo ou quand on a commencé à
faucher des champs d’OGM, on savait pertinemment qu’on
était dans l’inégalité mais que, par rapport à l’intérêt collectif,
ces actions étaient légitimes. Elles le sont d’autant plus qu’on a
toujours assumé, en agissant à visage découvert, sans violence
envers les personnes et en assumant les sanctions qui pouvaient
arriver. Donc aujourd’hui, il faut intensifier ces mouvements. Ils
peuvent prendre différentes formes. Je pense, par exemple, à ces
décrochages du portrait du président de la République, ça se sont
des actions de sensibilisation, mais il arrive un moment, peut-être
qu’il va falloir inventer des actions qui soient plus fortes encore.
Est-ce que ça passera par le refus de l’impôt ? Est-ce que ça passera
par des formes de désobéissance ? Là, c’est les mouvements
qui doivent en décider mais, très clairement, on ne peut pas
simplement rester aujourd’hui dans la dénonciation. Il va falloir
clairement que les choses changent. Si ce qu’on a fait il y a vingt ans
a eu un écho au-delà des frontières, c’est parce que, effectivement,
le symbole était fort et que ça a mis des gens en mouvement et
je dirais qu’aujourd’hui, il y a d’autres Bastille à prendre, il y a
d’autres McDo à démonter et c’est à chacun de l’assumer.
• Le second grand témoin a un regard beaucoup plus circonspect
sur le mouvement. Il s’appelle Arnaud Gossman, ancien militant
de France Nature Environnement, il intervient souvent dans les
médias. Thibaut l’a rencontré. Arnaud Gossma, c’est important, est
avocat.
C’est vrai qu’en tant que juriste, je pense qu'agir en violant le
droit risque de produire l’effet inverse de celui qui est recherché.
Je pense que le fait de se saisir du droit comme d’une arme, de
l’opposer à l’État, par exemple, est beaucoup plus pragmatique
que de faire des manifestations, dont, objectivement, je ne vois
pas les débouchés à très court terme. Aujourd’hui, je pense que
le principal problème, c’est pas d’avoir de nouvelles lois, d’avoir
de nouvelles normes. Le principal problème c’est d’appliquer
l’ensemble des textes existants, c’est d’avoir des moyens humains et
matériels, des fonctionnaires, des policiers, des juges, qui puissent
appliquer ce droit de l’environnement, c’est ça notre priorité
aujourd’hui. Lorsqu’on est militant, on peut aller rencontrer
son député, son maire, pour lui faire part de ses préoccupations
environnementales, en restant dans le cadre du droit. Si je regarde
l’histoire : qui a fait progresser la protection de l’environnement ? Je
pense que ce sont des associations qui ont saisi le juge, grâce à cette
saisie du juge et à toutes les décisions de justice qu’ils ont obtenues,
ils ont fait progresser la loi, ils ont fait progresser l’application
du droit, ils ont eu des résultats extrêmement concrets et surtout
ils n’ont pas clivé, ils n’ont pas créé de polémique, ça s’est fait de
manière beaucoup plus consensuel et beaucoup plus pragmatique.
• Alors, enfoncer quelques portes ou jouer le jeu de la loi ? En fait,
cela fait des années que les militants écologistes sont confrontés à
cette question.
Vidéo 5
• Si le surmené d’aujourd’hui avait des leçons à avoir du surmené
d’hier, la première injonction c’est la détente. Dans Saint-Simon,
vous trouvez parfaitement des ministres épuisés qui peuvent
mourir, d’ailleurs, à la tâche. L’homme de robe du xviie, l’avocat,
on le voit très bien dans un passage de La Bruyère, c’est celui qui
est en mesure de montrer qu’il est occupé, vous voyez, par rapport
aux autres, donc il se différencie et du coup, effectivement, il se
valorise. La première occurrence du surmenage, c’est au début
de la deuxième moitié du xixe, aux environs des années 1860-
1870. La société s’est considérablement accélérée. Brusquement,
les individus sont confrontés à une vitesse croissante, à une
nécessité de concurrence de plus en plus forte : struggle for life.
Et il y a un troisième point qui est lié, mais qui est quand même
spécifique, c’est une considérable accumulation d’informations
et de savoirs. Et alors vous commencez à avoir des auteurs qui
vous disent : « Mais comment peut-on lire la presse en restant
serein ? » Aujourd’hui aussi, le mot reste mais il s’est adjoint
d’autres mots : le stress, le burn out, etc. Ça s’est complexifié
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
dans la façon même de faire fonctionner le vocabulaire. Nous
sommes face à des problèmes d’accélération, nous sommes
face à des problèmes d’ubiquité, de surcharge. Simplement,
les surcharges aujourd’hui ne sont pas les mêmes. Ce n’est
pas simplement la stimulation. C’est le fait que nous sommes
face à des flux informationnels et qui, c’est vrai, ont tendance
à nous déborder. La fragilité ancienne, c’est une sorte de
vulnérabilité nerveuse, la fragilité d’aujourd’hui, c’est une
vulnérabilité psychologique qui pose la question beaucoup
plus profonde, la question de l’identité. Le surmené d’hier,
par exemple, est soigné avec des systèmes qui sont ceux du
thermalisme, qui sont liés à la réassurance, les procédures
d’autosuggestion « réassurez-vous », « affirmez-vous », etc.
Et dans une certaine mesure aussi « détendez-vous ». Mais
le surmené d’aujourd’hui, c’est « ne subissez pas, changez et
protégez votre propre identité ». C’est « reconstruisez-vous »
sur le mode de votre propre affirmation. C’est une immense
conquête par rapport à la fin du xixe siècle, c’est la conquête
de l’individualisme. C’est un individualisme qui est beaucoup
plus exigeant, qui est beaucoup plus profond et qui, dans
une certaine mesure, attend une construction beaucoup plus
élaborée que celle qui existait auparavant. Au fond, il y a un
univers psychologique qui s’est constitué et qui n’existait pas.
C’est, par exemple, en termes physiques, les raids. C’est se
proposer un défi qui est tel que, à travers lui, on arrive à aller
au plus loin de soi-même. La tradition c’était : cherchez en
vous-même ce qui vous permet d’aller au plus loin, de mieux
vous connaître, la transcendance, etc. Là, c’est : cherchez
en vous-même, mais à travers des expériences physiques, à
travers des expériences corporelles, à travers des exigences,
des défis, lancez-vous des défis. C’est au fond, à travers le
surmenage, de trouver des modes nouveaux d’affirmation et
c’est ça qui conduit au burn out, voyez-vous ? C’est le fait de
ne plus pouvoir assumer sa propre identité, et l’exigence de
l’identité aujourd’hui est infiniment plus forte, c’est ce qui
rend beaucoup plus douloureux ces situations de domination,
qui étaient dans une certaine mesure, traditionnellement
supportées, alors qu’aujourd’hui, ce qui est beaucoup moins
accepté, ce sont les systèmes de domination, ce sont les
systèmes de harcèlement, ce sont les systèmes qui conduisent à
une diminution de soi.
Piste 15
1 • J’aimerais bien faire le marathon de Paris l’an prochain. Ça te
dirait de le préparer avec moi ?
Ah non, trop long, trop difficile, j’ai du mal à courir plus de
deux heures.
• Alors, on pourrait faire le semi-marathon ?
Oui, à la limite…
2 • T’as vu ce qui s’est passé hier au supermarché sur la Grand-
Place ?
Ouais, j’ai vu, ils ont cassé des vitrines et insulté le directeur
pour dénoncer la hausse des prix de l’alimentation.
• Je comprends qu’ils soient en colère, mais casser et insulter,
c’est limite.
3 • Jojo et Carly sont passés dimanche soir, ils étaient au bout du
rouleau !
Ah bon ? Comment ça se fait ?
• Dimanche, ils ont fait un ultra-trail de 160 kilomètres et ils se
sont donnés à fond ! T’aurais dû les voir sur mon canapé, ils
étaient épuisés !
4 • Mes enfants ont décidé de s’occuper de la décoration du salon
vendredi dernier… J’étais furieux.
Mince ! Ils ont fait quoi ?
• Ils ont cassé une lampe en faisant tomber une table.
Oh les monstres !
• Mais attends, quand je suis arrivé, ils étaient en train de
dessiner sur le mur ! Ça, c’était la goutte d’eau qui a fait
déborder le vase : je suis entrée dans une colère noire !
cent quatre-vingt-quinze 195
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
5 • Si tu vas dans la cuisine, tu peux me rapporter un fruit, s’il te
plaît ?
Ça marche !
• Et une bouteille d’eau pétillante ! Merci !
OK, j’y vais !
• Si tu me prends une pomme, tu peux la laver et l’éplucher
aussi ?
• Alors là, tu pousses le bouchon un peu trop loin !
6 • Tu vas pas le croire ! Pendant que j’étais en vacances, mon
collègue m’a appelée pour me demander de l’aider sur un
dossier.
J’hallucine ! Tu lui as dit quoi ?
• La première fois, ça allait, je l’ai aidé, mais il a rappelé la
semaine suivante et là, je lui ai dit qu’il dépassait les bornes !
T’as bien fait.
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 4
Piste 16
• « À table ! » Les Robinson mangent et quand ils mangent, ils
parlent de nourriture. Ils se confient des recettes, des adresses
de restaurants. Avant le repas, Henri va chercher dans la cave
des bouteilles de vin qui sont accueillies par de grands « Ah »
d'excitation. Tout le monde le regarde ouvrir la promise,
verser le nectar dans une carafe, commenter la couleur. On fait
silence. Henri verse un peu de vin dans un verre, en apprécie
le nez. Il goûte. « Ah, mes enfants… » Au petit déjeuner, où
les enfants mangent sur les genoux de leurs parents, Odile
prend un air grave. « Maintenant, il faut me dire. Qu'est-ce
que vous voulez manger à midi ? articule-t-elle lentement. – Ce
que tu veux », ont coutume de répondre Clémence et Richard,
habitués au manège de leur mère. À midi, alors qu'Henri
ouvre la troisième bouteille de ce petit vin espagnol « qui passe
bien », les lèvres encore grasses des terrines et des fromages
qui se sont succédé, Odile se lève et, son cahier à la main, elle
se lamente. « Je n'ai aucune inspiration pour le menu de ce soir.
De quoi vous avez envie ? » Personne ne répond, ou mollement.
Éméché, engourdi par une furieuse envie de faire la sieste,
Henri finit parfois par s'énerver. « On n'a même pas terminé
de déjeuner que déjà tu nous emmerdes ! » Odile se tait et fait
la tête comme une jeune fille. Ce manège fait rire Adèle autant
qu'il l'irrite. Elle ne comprend pas cet hédonisme de bon ton,
cette obsession qui semble avoir gagné tout le monde du « bien
boire » et du « bien manger ». Elle a toujours aimé avoir faim.
Se sentir fléchir, chavirer, entendre son ventre se creuser et
puis vaincre, ne plus avoir envie, être au-dessus de ça. Elle a
cultivé la maigreur comme un art de vivre.
Piste 17
• (Les Pieds sur Terre. Sonia Kronlund. Personne ne sait ce qui se passe
aujourd’hui parce que personne ne veut qu’il se passe quelque chose.)
Les dates d’ouverture de la chasse varient selon les régions
entre la fin août en Corse et la fin septembre dans la Sarthe.
La chasse est donc entrée dans une nouvelle saison en France,
cette année. On en parle aujourd’hui dans Les Pieds sur Terre
mais, pour ambiancer les trois récits, je commence par
quelques chiffres. Il y a en France 1,1 million de chasseurs. C’est
une pratique très masculine puisqu’on compte 2,2 % de femmes
licenciées, et c’est aussi une activité qui semble plaire plutôt
à une population vieillissante, explique Le Monde, puisque
53 % des chasseurs sont âgés de 55 ans ou plus, et 29 % ont
même plus de 65 ans en 2018. En incluant les emplois directs
et indirects, la Fédération nationale de la chasse évalue les
retombées économiques de cette activité à 3,8 milliards d’euros.
Les chasseurs, ce sont aussi près de 5 millions d’électeurs en
tout. Faut-il y voir un lien avec la baisse de moitié du permis
national de chasse passé il y a un an de 400 à 200 euros ? Un
geste fort et très contesté au sein même du gouvernement.
Ensuite, il faut savoir que la chasse a fait, durant la saison
196 cent quatre-vingt-seize
2018-2019, 132 victimes en France dont 7 morts. Un chiffre en
nette augmentation par rapport aux 115 cas de l’année précédente.
Samedi dernier encore, le 16 novembre, une femme enceinte qui
se promenait dans une forêt de l’Aisne a été retrouvée morte,
tuée par des chiens. Une chasse à courre qui se déroulait non loin
pourrait être en cause. Pour finir, rappelons que la chasse ce sont
40 millions d’animaux tués chaque année, plus environ 5 millions
de blessés et non retrouvés selon les organisations de défense
des animaux. On notera qu’une proportion significative de ces
animaux tués à la chasse ont été élevés à cet effet. Certains parlent
de 25 % mais le chiffre est contesté.
Piste 18
• Je suis Marius. J’ai 21 ans. Je suis chasseur. Je suis né à Nantes.
J’habite actuellement dans la banlieue nantaise, juste à côté du lac
de Grand-Lieu, le plus grand lac de plaine de France. Mon père
y chassait, donc, forcément j’y chasse encore aujourd’hui. Alors,
comme en France on a le droit de passer son permis de chasser à
l’âge de 15 ans, avec la chasse accompagnée, donc en fait c’est un
fusil pour deux personnes, donc avec un tuteur, donc c’est le même
principe qu’on peut avoir avec la conduite accompagnée. Donc moi,
c’est mon père qui a été mon tuteur et, ensuite, j’ai passé mon vrai
permis de chasser à l’âge de 16 ans, l’âge minimum pour le passer
en France. Donc voilà, j’ai actuellement 20 ans, bientôt 21 ans, donc
ça fait presque cinq-six ans que je chasse durablement. Voilà. Je
suis vraiment quelqu’un d’extrêmement passionné par un type
d’oiseau en particulier, ce sont les canards. Alors, oui ça peut être
très étrange comme ça. Alors en fait, j’ai une chaîne YouTube où je
partage mes aventures de chasse. Alors, comment ça m’est venu ?
Euh, tout simplement donc, quand j’étais au collège, depuis bien
longtemps passionné de chasse, en me baladant sur Internet,
je suis tombé la première fois sur des petites vidéos de gens qui
faisaient des vidéos de chasse, tout ça, alors j’en ai regardé une,
deux, trois, cinq, dix, vingt, cent et, au fur et à mesure du temps,
forcément, je commençais à chasser par moi-même, bah je me
suis dit : « Ah ouais, pourquoi pas ? Je vais prendre une petite
caméra sur moi. » C’est une GoPro que je mets sur ma tête pour
filmer mes actions de chasse, pour avoir un souvenir vraiment de
ça, parce que si on les filme pas, c’est des souvenirs vraiment très
éphémères. Les revoir après chez soi, c’est un deuxième plaisir
et puis bah, voilà, à force de regarder des vidéos de chasse, je me
suis dit : « Oh bah pourquoi pas les partager ? » Donc voilà. Au fur
et à mesure, je postais des vidéos, les gens ont commencé à me
suivre et de plus en plus, et de plus en plus, et de plus en plus, donc
c’est vrai qu’aujourd’hui, là, ça fait quatre ou cinq ans, oui, quatre
ans, que je fais des vidéos sur Internet. J’ai aujourd’hui presque
50 000 personnes qui me suivent. Et pouvoir partager ça à une
communauté de chasse et de non-chasse, je trouve ça magnifique.
Mon premier souvenir d’animal que j’ai pu prélever, c’était de
manière classique, un canard, qui avait vraiment bien tourné,
qu’on avait bien réussi à leurrer. J’étais très content de mon tir, je
l’ai tiré et tué proprement, donc c’est un animal qui n’a pas souffert.
C’est le but premier de l’acte de chasse, c’est de tuer l’animal sans
qu’il s’en rende compte, c’est être confiant avec son arme, donc
bien, voilà. C’est vraiment ça le but premier d’un acte de chasse.
Une belle action de chasse, c’est avant tout un animal qui est
respecté dans sa mise à mort, qui est mort sans s’en rendre compte,
parce que c’est vraiment le cas quand c’est bien fait. Vraiment,
l’action de tirer c’est 1 % de l’action de chasse, et encore, et encore !
Tirer, vraiment, l’acte de tir, c’est la consécration. Bien sûr, une fois
que vous avez réussi à tuer votre animal, vous êtes content, vous
le prenez dans vos mains, vous l’observez, vous l’admirez, vous lui
rendez les honneurs, vous le respectez. Parce qu’il y a vraiment ça,
une part, très, je dirais très, presque humaine là-dedans, vous lui
rendez les honneurs, le remercier de vous avoir, entre guillemets,
donner sa vie pour notre plaisir.
Piste 19
• Bonjour Nafissatou Dia Diouf.
Bonjour.

• Est-ce que vous pouvez nous raconter en quelques mots la
nouvelle que vous avez écrite pour le recueil ?
Alors, la nouvelle qui est parue dans Volcaniques s’appelle Maître S,
qui est déjà un jeu de mots, parce que, entre « maîtresse » et
« maître », qui est le titre de mon héroïne. Ça met en scène une
jeune femme qui a tout pour être heureuse et qui, en fait, ne
l’est pas. Elle a une carrière épanouissante où elle est avocate au
barreau, elle a des relations amicales, etc. Mais pas de relation
amoureuse véritablement, au grand dam de sa mère avec qui
elle vit. Et dans cette nouvelle, ses nuits sont hantées par un
mystérieux fantôme qui lui fait vivre des nuits torrides, alors que
pendant la journée elle est absolument fatiguée, elle n’en peut plus,
parce que, justement, elle vit ces nuits qu’elle ne peut pas raconter,
et en même temps très épanouissantes physiquement et qui,
finalement, elle se dit : « Bon, est-ce que ce fantôme rentrera dans
ma vie un jour et quel rôle il a dans ma vie, quoi ? » Jusqu’à la fin
où… On verra.
• On verra, il faudra lire la nouvelle pour le savoir. Alors, il y a
un autre personnage qui est très présent, vous l’avez dit, c’est le
personnage de la mère. La mère joue, au Sénégal, un rôle dans la
vie amoureuse de son enfant ?
Alors, dans la vie tout court, hein ! La mère joue un rôle depuis la
base, qui est l’éducation, jusqu’à toujours, en fait, il n’y a pas de fin
à cette emprise de la mère sur ses enfants. Je vous dirais autant les
garçons que les filles, mais alors les filles encore plus, parce que
les filles sont censées s’identifier à leur mère, et leur mère est un
modèle de parcours, elles s’attendent à ce que les filles embrassent
ce même parcours, ce même rôle.
• Et l’éducation sexuelle passe par la mère également ?
Oui, par la mère et par la communauté en général, mais
essentiellement la mère qui, à la fois, permet à la petite fille et la
femme en devenir, d’abord d’apprendre la pudeur, la façon de
bien se tenir en société, mais aussi, subtilement, tous ces petits
secrets de séduction, de féminité, qui est propre à notre société et
dont la petite fille est parée et qui, donc, la prépare à son futur rôle
d’épouse, quoi, de femme épanouie.
• Est-ce que vous pouvez nous en donner un des petits secrets
sénégalais de féminité ?
Quelque chose de très courant chez nous : les petites filles, elles
ont toutes des colliers de perles autour des reins, même petites.
Ça peut sembler quelque chose de très suggestif, évidemment c’est
pas des choses qui se montrent, c’est sous le pagne et maintenant
sous le pantalon, mais c’est dès l’enfance. Alors, on explique ça par
le fait qu’il faut marquer la taille et que ça aide à marquer la taille
parce que ce sont parfois des perles assez grosses, donc ça permet
à la taille de se creuser pour donner une jolie silhouette, et souvent
nous, femmes sénégalaises, nous en avons toute notre vie.
• Est-ce que vous voyez, du coup, dans la manière dont vous avez
abordé ce thème, un côté très sénégalais ? Chez vous, est-ce que le
plaisir féminin est très culturel ?
• J’imagine, enfin moi, j’écris aussi avec ma culture et avec mon
éducation. C’est pas effectivement des choses dont on parle
beaucoup et pas beaucoup dans la littérature, en même temps !
Mais, j’ai voulu faire partie du projet parce qu’il était intéressant,
en tant qu’auteure, d’explorer des nouvelles voies, de parler de
nouvelles thématiques et pour autant rester ce que je suis. Cette
nouvelle-là m’a permis de parler de ce thème-là, qui est un thème
autour du fantasme et des… ce qu’on appelle dans d’autres pays
d’Afrique des « maris de nuit », et qui est complètement une réalité
chez nous. On appelle ça en wolof un djinn qui est son amant,
pas une personne réelle, qui empêche justement les femmes de
s’épanouir amoureusement, sexuellement dans une vie normale.
C’est quelque chose de complètement connu et reconnu dans notre
société, donc j’ai pas l’impression de me trahir en parlant de ceci.
Donc je suis restée moi-même tout en restant dans le cahier des
charges de ce recueil qu’est Volcaniques.
• Est-ce qu’on parle facilement de sexualité au Sénégal ?
On en parle facilement dans les cercles féminins, beaucoup même,
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
des petits secrets, des petites histoires parfois grivoises, des
astuces, mais on n'en parle pas en société, on n'en parle pas
dans des milieux mixtes, on n'en parle pas entre parents et
enfants. Tant que c’est sous le manteau de la discrétion et
de l’intimité, c’est un sujet complètement abordé, discuté et
partagé, mais il faudrait pas que ce soit révélé, que ce soit
explicite.
• Il y a des tabous ?
Oui, évidemment il y a des tabous comme dans toutes les
sociétés. Et là où il y a des tabous, il y a des transgressions. Il y
en en aussi au Sénégal. On n'en parle pas beaucoup, mais il y
en a.
• Autour de la sexualité de la femme particulièrement ou non ?
Autour de la sexualité tout court, y en a beaucoup. Si je prends
le cas de l’homosexualité, c’est un tabou, et pourtant ce qu’il
y a de paradoxal, c’est que c’est une réalité aujourd’hui. Dans
les cercles de femmes, il y a souvent un homme qui est un peu
l’amuseur de galerie, efféminé, qui aidera à la cuisine dans les
grandes réceptions, dans les grandes cérémonies et qui fera
rire par ses manières, etc. Pour autant, c’est des personnes
qu’on stigmatise par ailleurs, donc parfois on est assez
paradoxaux dans notre façon d’aborder cette question.
• Léonora Miano écrit : « Les hommes trouveront peut-être la
clé du grand mystère que semble être, pour certains, le plaisir
féminin » dans ce recueil de nouvelles, donc. Vous êtes d’accord
avec ça ?
Je pense qu’il y en a beaucoup qui le liront par curiosité
parce que c’est pas des choses dont on a beaucoup parlé, et
cette pluralité de regards et de générations, je pense, attirera
probablement beaucoup plus d’hommes que de femmes, pour
comprendre ce grand mystère qu’est la femme et notamment la
femme noire ou la femme africaine, oui.
• Merci Nafissatou Dia Diouf.
Merci Magali.
Piste 20
• Comment tu l’as vécu, toi, le confinement du printemps 2020 ?
Pas trop mal. Paradoxalement, j’ai même trouvé ça plutôt
agréable. J’ai entendu à la radio un psy qui disait qu’il fallait
profiter de la période pour se faire plaisir, se chouchouter, et
surtout, s’accorder une multitude de petits bonheurs sans se
sentir coupable. Pas facile en temps de pandémie, mais bon…
• Du coup, t’as fait quoi ?
Ben, au départ, j’ai pensé rattraper mon retard culturel, et
faire des trucs que j’avais jamais faits comme lire Proust, À la
Recherche du temps perdu, ou regarder des classiques du cinéma
muet. Mais j’avoue que, finalement, je me suis éclaté avec des
trucs moins glorieux.
• Ah OK, toi aussi, t’as succombé au plaisir jouissif de passer tes
journées en pyjama devant des films de merde, des séries des
années 1980 et des émissions de téléréalité ?
T’as fait ça, toi ?
• Ouais ! Et j’ai kiffé de regarder de la merde tout en sachant que
c’est de la merde ! Y a quelque chose de limite transgressif.
Moi, je me suis fait une méga playlist de la honte !
• Ouh la, ça consiste en quoi ?
Eh ben, c’est une playlist avec toutes tes chansons « plaisir
coupable ». Tu sais, les chansons que t’as honte d’écouter, celles
dont tu parles à personne, mais dont tu connais les paroles par
cœur !
• Ah oui, j’en ai plein ! Je les chante à tue-tête sous la douche
quand je suis seule.
Voilà, ce genre de chansons-là !
• Tu l’as, là, ta playlist pas glorieuse ? Fais voir.
Ouais, regarde.
• Les chansons des films Disney ! Oui, moi aussi, ça m’éclate de
les chanter… Ensuite… Dalida, Claude François… Ah ouais, moi
aussi je kiffe Dalida ! Par contre, attends, c’est quoi ce délire ?
T’as mis Céline Dion dans tes plaisirs coupables ?
cent quatre-vingt-dix-sept 197
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
Bah oui, Céline Dion, c’est assez nul comme musique, quand
même.
• T’es sérieux ? Mais je peux pas te laisser dire ça, Céline, c’est
une déesse ! Toi, tu vis entouré de snobs élitistes qui méprisent
tout ce qui est populaire, alors forcément, tu la snobes.
Mais Céline, elle est géniale, y en a pas une qui lui arrive à la
cheville ! Tiens, dis-moi une chanteuse qui a la voix, le succès et
la carrière de Céline !
Mais je la critique pas, je suis en train de te dire que j’ai du
plaisir à chanter ses chansons ! Mais en cachette, quoi…
• Tu te caches parce que t’es un con de snob, c’est tout !
Non, je suis pas snob.
• Ben si ! Si t’as honte d’aimer Céline, c’est que t’es snob.
Ben toi aussi, t’es snob ! Tu m’as dit l’autre jour que t’as honte
quand tu regardes des comédies romantiques américaines.
• Ah mais ça, c’est pas du snobisme, ce genre de films, c’est
objectivement nul ! Mais j’avoue que j’éprouve du plaisir à
regarder quelque chose, tout en sachant que c’est médiocre.
C’est un kif total !
Ben voilà, pareil. Moi, Céline Dion, je trouve que musicalement
c’est de la soupe, mais c’est vrai qu’y a des chansons que j’adore,
elles me donnent la chair la poule. Je kiffe trop de chanter J’irai
où tu iras ou On ne change pas, ça m’électrise à chaque fois. Et j’ai
honte, et c’est pour ça que c’est si bon, d’ailleurs.
• Mmm, c’est un peu dommage d’avoir honte de ses goûts.
De toute façon, cette notion de plaisir coupable, en fait, c’est un
peu con, je ne vois pas pourquoi on se censure sur ces petites
choses qui nous font kiffer.
• Ouais, on associe souvent plaisir et sentiment de culpabilité.
C’est peut-être parce qu’écouter Céline Dion ou manger du
chocolat, on le fait tout seul, que c’est un truc égoïste…
Il disait ça aussi le psy à la radio ! Profitez du confinement pour
faire plaisir à vos proches. Offrir des trucs, envoyer des mots
doux. Il disait que les plaisirs solitaires avaient des limites, que
se faire plaisir c’est bien, mais que le vrai plaisir réside dans
le partage avec des proches. Il prenait l’exemple de la chorale :
chanter, c’est un plaisir, mais chanter dans une chorale procure
infiniment plus de plaisir.
• Du coup, chanter du Céline Dion à plusieurs, pour toi, ce serait
l’extase ?!
Voilà ! Un pur moment de bonheur. Mais bon, en confinement,
c’était dur, la chorale !
• En vidéoconférence, t’imagines ?
Alors là, pour le coup, c’est tout sauf jouissif. Toute cette
communication numérique, ça gâche carrément tout le plaisir
qu’on peut ressentir.
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 5
Vidéo 6
• Bonsoir, bonsoir à toutes et tous, bienvenue dans Ce qui fait
débat, votre rendez-vous quotidien d’analyses, de perspectives,
de débats et de décryptages de l’actualité. Une actualité
marquée notamment ces derniers jours par des images assez
fortes de statues déboulonnées ou mises à terre par des coups
de massue, par des noms de rues ou d’avenues recouvertes
de peinture voire modifiés. Ces statues représentent le roi
Léopold II, ces rues portaient son nom. Le passé colonial
de la Belgique est remis en question, pointé du doigt depuis
plusieurs jours. Le deuxième roi des Belges est tantôt vénéré
pour son génie et son ambition, tantôt décrié pour certaines de
ses actions menées notamment à l’étranger. Alors, que faire ?
Que faire ? Cette année cela fait soixante ans que le Congo a
pris son indépendance. Est-ce l’occasion d’un mea-culpa pour
notre pays ? Les traces de notre histoire coloniale doivent-
elles disparaître de l’espace public ? Et puis, faut-il inscrire
l’histoire du Congo et de la colonisation dans nos programmes
scolaires ?
Chez nous, ce sont les plaies du passé colonial belge au Congo
198 cent quatre-vingt-dix-huit
qui ont été ravivées, soit l’héritage de Léopold II, roi des Belges
de 1865 à 1909, roi bâtisseur pour les uns, figure du colonialisme
dans ce qu’il a de plus terrible pour les autres. En tout cas un
roi encore présent dans l’espace public sous forme, vous l’avez
dit, de statues, de bustes, de noms de rues. Si certains veulent
conserver ces effigies de l’ancien souverain, plusieurs pétitions
circulent aujourd’hui pour réclamer leur retrait, alors certaines
ont été enlevées, déboulonnées en toute légalité, c’est le cas par
exemple à l’université de Mons. D’autres ont été vandalisées
par des activistes, une action illégale filmée par une équipe
de la RTBF la nuit de vendredi dernier à Auderghem. On va
réécouter ces témoignages de quelques activistes nous expliquant,
anonymement, leurs motivations.
‚‚ Il y a trop de symboles du colonialisme à Bruxelles. Pour nous
c’était important, ça fait des années qu’on milite et qu’on essaye de
se faire entendre par rapport à ça, de décoloniser l’espace public et
c’est quelque chose que, voilà, on a l’impression de prêcher dans le
désert, de dire des choses et qu’on ne nous écoute pas.
·
·L’actualité a réveillé le débat. Dans le communiqué qu’ils ont
préparé les activistes font référence à la mort de Georges Floyd.
Les récents événements aux États-Unis nous rappellent que le
racisme est un fléau important, impactant et global. Le racisme est
un héritage colonial qui colle à nos êtres, à nos interactions et à nos
manières de faire société. Sa violence s’incarne jusqu’aux noms de
nos rues, jusqu’au choix des statues qui ornent nos places.
·
·Direction Molenbeek : après la statue, des noms de rues, ici le
boulevard Léopold II, la plaque est effacée à coup de peinture mais
n’est-ce pas là effacer les traces d’une histoire qu’il conviendrait
plutôt d’expliquer ? Ce n’est pas l’avis des activistes.
Casser, flouter, c’est pas occulter l’histoire parce que l’histoire, elle
peut très bien se faire au musée.
• On va commencer avec vous Esmeralda de Belgique, ça vous fait
quoi quand vous voyez ces images, ces images de statues de votre
aïeul qui sont ainsi malmenées, ces noms de rues qui sont effacés,
comment vous réagissez ?
ÑJe Ñ pense que, on vient de l’entendre de la part des manifestants, il
y a énormément d’émotions pour le moment, il y a énormément
de frustrations parce que ça fait très longtemps qu’ils demandent
que la page du colonialisme soit expliquée dans nos écoles, que
ça fasse partie de la conversation et on l’a pas fait. Alors, bien
sûr, maintenant la rage se manifeste contre les statues et il faut
bien avouer que les statues ne sont pas neutres. Nous avons dans
notre espace public une incroyable succession de statues que
vous pouvez dire représentant la suprématie blanche, de la cause
blanche et des colonisateurs. Il y a très peu de monuments pour
les colonisés, donc tout ça est très très blessant. Bien sûr c’est
dommage que ça se passe par la violence, mais parfois c’est la
goutte qui fait déborder le vase et c’est le seul moyen.
• Donc vous entendez, vous comprenez une certaine frustration. De
votre côté Vincent Dujardin, j’ai envie de vous poser exactement
la même question à vous, l’historien : ça vous fait quoi de voir que
certaines personnes s’en prennent à des strates de notre histoire, à
des traces de notre passé ?
ÍJe Í dirais que bien évidemment les historiens seraient toujours
réticents à l’idée d’éliminer des traces du passé, mais cela
ne veut pas dire pour autant qu’il faut avoir des statues de
Léopold II à chaque coin de rue et que l’espace public est donc un
environnement qui est dynamique, qui est vivant, tout comme
les noms de rues peuvent aussi d’ailleurs évoluer, par exemple en
saluant la mémoire de protagonistes de l’émancipation congolaise,
c’est tout à fait une possibilité à laquelle on peut réfléchir aussi.
Mais faire table rase du passé ne va pas renforcer la cohésion de
nos sociétés. « Ce n’est pas en déboulonnant les statues qu’on va
déboulonner le racisme », pour reprendre le titre d’un bon éditorial
récent. Vous savez, on a aussi maintenant des débats alors sur
Napoléon, sur Churchill, sur Jules César, mais ceci dit…
• Des statues de toutes ces personnes ont d’ailleurs été attaquées
aussi récemment.

Í
ÍMais je dirais aussi que, en fait, ce qu’il faut bien entendre c’est, je
crois qu’il faut poser les bons remèdes aux bonnes questions et aux
bons diagnostics…
• Et ce serait quoi les bons remèdes ?
Í
ÍQue derrière ces revendications se cachent en fait des
discriminations à l’embauche qui restent persistantes, des actes
de racisme toujours présents et peut-être pas suffisamment
sanctionnés et donc ce sont ces défis-là auxquels il faut s’attaquer,
en sachant, en n’oubliant pas que tout ça est parti, au fond, de
l’assassinat de George Floyd et qu’on a un mouvement mondial, au
fond, autour de ces revendications.
Vidéo 7
• Et c’est vrai que cette question, elle aussi, ressurgit : la Belgique
doit-elle s’excuser pour son passé colonial, son passé notamment
au Congo ? La question sera sûrement d’ailleurs, Catherine Tonero,
sur la table d’une prochaine commission sur la colonisation au
Congo.
Effectivement une commission parlementaire qui a fait l’objet
d’un accord de tous les partis, sauf le Vlaams Belang. C’était
aujourd’hui même à la chambre. La commission Vérité et
Réconciliation, c’est son nom, sera chargée de faire toute la
lumière sur la colonisation du Congo par la Belgique. Donc, elle
entamera ses travaux à la rentrée avec des experts et sur la base,
notamment, d’une proposition de résolutions déposée récemment
à ce sujet par Ecolo-Groen. « Il est temps que la Belgique fasse la
paix avec son passé colonial », a de son côté déclaré le président du
parlement à l’Open Vld, Patrick Dewael. Plusieurs partis appellent
le gouvernement et la monarchie à présenter officiellement
des excuses, une reconnaissance en tout cas des aspects
problématiques de notre passé colonial. Ils ne sont pas les seuls,
comme nous l’explique Laurent Henrard.
Cela fait plusieurs années que le collectif Mémoire Coloniale
réclame des excuses. Il salue les avancées mais prévient.
Ù
ÙLes excuses, c’est une chose, mais après il faut savoir pourquoi on
s’excuse. C’est pour ça que pour nous la démarche doit être suivie
d’une décolonisation des mentalités en général. Donc l’idée c’est de
suivre un processus, que les excuses ne soient pas juste un « one
shot », que ce soit suivi d’autres choses, d’actes concrets : comme
dans l’enseignement, on enseigne l’histoire coloniale correctement,
dans l’espace public, que l’on contextualise un certain nombre de
choses.
Contacté, le Palais royal ne souhaite pas faire de commentaires.
Le roi devait se rendre en République démocratique du Congo fin
juin pour commémorer les 60 ans de l’indépendance. Un voyage
annulé en raison du coronavirus.
Voilà, et on précise que l’an dernier un groupe d’experts des
Nations unies avait recommandé à la Belgique de présenter
des excuses pour son histoire coloniale après avoir rencontré
représentants des autorités, d’ONG et de la société civile. Ces
experts parlaient d’un premier pas nécessaire de la part de l’État
belge pour, je cite « qu’il y ait une vraie réconciliation et que le
processus de décolonisation se poursuive ».
• Est-ce que vous partagez cet avis, Esmeralda de Belgique ? S’agit-il
d’un pas nécessaire ? Que doit faire aujourd’hui la Belgique ?
Présenter ses excuses ? Vous vous êtes déjà exprimée là-dessus
notamment dans une carte blanche qui a été publiée par le journal
L’Écho.
Ñ
ÑAbsolument, je suis même troublée qu’on se pose la question.
Je pense que tous les pays européens devraient présenter leurs
excuses à propos de la colonisation. Après tout l’Allemagne l’a fait
par rapport à l’Holocauste ou le président de Klerk par rapport à
l’apartheid. Tout le monde a trouvé ça parfaitement normal et ça
a permis de vraiment aborder le passé avec honnêteté et surtout à
bâtir l’avenir.
Vidéo 8
• Il est huit heures moins cinq minutes et si vous venez seulement
d’arriver, eh bien vous êtes tout pardonné car, aujourd’hui,
figurez-vous, c’est la Journée internationale du pardon. Une toute
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
première édition Laurence, bonjour, que l’on doit, c’est un
événement, que l’on doit à l’écrivain Olivier Clerc.
Oui, Olivier Clerc qui est traducteur du fameux opus Les Quatre
Accords toltèques, un ouvrage grand public très connu dans le
monde, de Don Miguel Ruiz, sur le développement personnel.
Alors Olivier Clerc a créé cette journée, 120 événements dans le
monde aujourd’hui dans 20 pays, et on aura une initiation à ce
qu’on appelle les cercles de pardon. Alors c’est très particulier
un cercle de pardon, ça vous apprend justement à vous
libérer de la rancœur et à réussir à pardonner. Un site www.
cerclesdepardon.fr. Alors le pardon, ça n’a rien de religieux. On
va parler des vertus du pardon sur le plan de la santé mentale
mais aussi de la santé tout court. Nous libérer du poids de
la rancœur et du ressentiment, eh bien c’est bon pour notre
système cardio-vasculaire. La rancœur, c’est un poison pour
la santé et un médecin américain qui s’appelle le docteur Fred
Luskin mène à l’université de Stanford, aux États-Unis, un
projet de recherches qui s’appelle Forgiveness Project et qui a
prouvé que pardonner ça diminuait le stress, les douleurs, la
dépression, la tension artérielle, voilà. Première journée du
pardon et un premier documentaire aujourd’hui sur Internet
en libre accès, ça s’appelle L’Effet pardon. Le réalisateur, que
nous avons rencontré, a pu filmer ces cercles et nous avons
rencontré Olivier Clerc.
‚‚ J’ai d’abord vécu un cercle de pardon en novembre 2015 et ça
a été un moment fort pour moi. Il y a un avant et un après, et
c’est ça qui m’a décidé à tirer le fil de l’écheveau et réaliser ce
documentaire.
·
·Pour filmer les cercles de pardon, Denis-Fabien Corlin s’est
tout naturellement tourné vers Olivier Clerc qui a créé, il y a
sept ans, ces expériences collectives.
Pardonner, c’est renoncer à tout espoir d’un passé meilleur,
c’est-à-dire c’est faire le deuil de l’enfance idéale, du couple
idéal, etc., et pouvoir se réconcilier avec ce que la vie nous a
vraiment donné et être en paix avec ça.
Ñ
ÑJ’étais venue sans savoir ce qui m’attendait, sans savoir
exactement ce qui allait s’y passer, qui était Olivier, très peu. Et
puis, je pensais avoir aussi pardonné déjà pas mal de choses,
en tout cas avoir réglé pas mal de choses avec le pardon. C’est
un cheminement que j’avais fait aussi et puis ça a été une
grande claque, quoi !
ÍEn Í fait c’est un cadeau qu’on se fait à soi-même, c’est très
égoïste de pardonner.
Alors on peut considérer ça comme égoïste effectivement ou
on peut voir ça différemment en se disant : « Si je suis rongé
par la haine, le remords, la rancune, le ressentiment, je fais
quel mari ? Je fais quel collègue de travail ? Je fais quel père
pour mes enfants ? » En réalité, à partir du moment où enfin
j’arrive à guérir mon cœur de tout ça, je deviens quelqu’un de
beaucoup plus sympa pour tout le monde autour de moi.
Je vivais des symptômes, assez puissants au niveau du cœur,
au niveau du péricarde, j’avais une péricardite voilà, et j’ai été
à ce cercle de pardon sans faire le lien, et en fait, j’ai vécu une
guérison énorme par rapport à ma mère.
ÍLa Í rancune, ça détruit ?
Ah oui, et alors c’est intéressant parce que j’ai fait venir le
docteur Fred Luskin qui est « monsieur Pardon » à l’université
de Stanford. Je l’ai fait venir en France. Et lui, il a fait des études
là-dessus et il dit : « Les gens qui n’arrivent pas à pardonner,
ils ont une espérance de vie en moyenne cinq ans plus courte
que les autres et ils vont développer des pathologies digestives,
musculaires, articulaires, y compris certaines formes de
cancer. » Donc, quand on dit que c’est un cadeau qu’on se fait
à soi, c’est pas une métaphore, c’est une réalité physiologique
dont on a aujourd’hui des statistiques très précises.
ÑÇa Ñ fait du bien et du coup son rapport à soi change et le
rapport aux autres change beaucoup aussi. J’ai l’impression
que j’aime beaucoup mieux les gens depuis que je m’aime,
depuis que je m’aime, waouh ! Je l’ai dit.
cent quatre-vingt-dix-neuf 199
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
Piste 21
• (Bonjour. Vous êtes bien sur le répondeur de Jessica. Laissez-moi
un message et je…) Je suis encore tombé sur sa messagerie. C’est
clair, elle refuse de me parler.
Pourquoi tu lui envoies pas un texto ?
• Pour dire quoi ?
Ben, que t’es désolé et que tu lui demandes pardon !
• C’est bon, j’étais pas si désagréable que ça quand même.
Pff…
• Me regarde pas comme ça… OK, j’ai déconné. Mais si je
m’excuse, je vais passer pour un naze !
Non, mais n’importe quoi ! Parce que tu penses que t’excuser
va te faire perdre ta virilité ? Bon, écoute, t’as mal agi, on
peut même dire que t’as complètement merdé. Mais savoir le
reconnaître et présenter tes excuses, c’est la meilleure façon de
montrer que tu es quelqu'un de bien.
• Mmm… T’as raison, p’tite sœur. Je lui dis quoi ?
T’as qu’à lui dire que ce que t’as fait, c'est impardonnable et que
t’as agi comme un idiot. Et puis, dis-lui que t’as eu tort et que tu
regrettes profondément.
• Si je dis que mon comportement est inexcusable, c’est un peu
bizarre de lui demander ensuite de l’excuser.
Bon ben alors, tu dis un truc du genre : « L’attitude que j’ai eue
envers toi était odieuse. Excuse-moi… Pardonne-moi. »
• Odieux ? Carrément ! Je ne vais pas non plus me répandre en
excuses !
Bon écoute frangin, je t’adore, mais tu vas mettre ton gros ego
de côté et tu écris ce que je te dicte si tu veux garder cette fille
génialissime. Et si c’est pour t’excuser à contrecœur, laisse
tomber, ça sert à rien, elle le verra.
• OK, OK, pas la peine de monter sur tes grands chevaux.
J’avoue : ce que j’ai dit à la soirée était irréfléchi. Mes mots ont
dépassé ma pensée.
Ben voilà, c’est très bien cette formule. Tu vois, quand tu veux,
tu sais très bien t’exprimer. Vas-y, écris !
• « Jessica, je ne voulais pas te faire souffrir. » C’est bien ça, non ?
Si c’est sincère, oui.
• « Je m’en veux tellement d’avoir agi ainsi. Ce que j’ai dit était
irréfléchi. J’étais fatigué, j’avais trop bu. »
Ah non ! N'essaie pas de te trouver de fausses excuses. Tu
prends tes responsabilités, cherche pas à te disculper.
• Ça va, j’efface… « Mes mots ont dépassé ma pensée. Je suis
navré. Qu’est-ce que je peux faire pour que tu me pardonnes ? »
Ça va ?
Message simple, sincère et concis. Tout bon, envoie-le !
• Elle a lu le message… mais elle répond pas… Je vais pas non
plus ramper à ses pieds pour la supplier de me pardonner !
Quand tu parles comme ça, je me demande vraiment si on a
été élevés dans la même famille. Papa nous expliquait toujours
qu’on commet tous des erreurs, mais ce qui nous différencie,
c’est la manière dont nous les réparons. Tu te souviens ? Il citait
toujours le duc de Lévis : « En avouant ses erreurs, on met la
raison au présent…
• … et le tort au passé. » Combien de fois il nous l’a dit ! Bon, j’ai
compris…
Et c’est pas parce que tu t’excuses, qu’elle est obligée de te
pardonner tout de suite.
• Quoi ?! Mais alors, ça sert à rien de s’excuser ! Ha ha ha ha,
je blague, t’aurais dû voir ta tête, frangine ! Allez, pour te
remercier, je te paye ton café.
Piste 22
• (Je comprends ton désespoir, Dantès. Ton histoire est très triste
mais ce n’est que ton histoire, ta fiancée, ton père, tes amis. C’était
toujours toi-même, ton bonheur. Tu vivais heureux dans une
société qui semblait t’oublier et toi-même tu oubliais que d’autres
étaient torturés, emprisonnés et mourraient… un peu victimes
de ton indifférence.) (Ça peut pas faire de mal) (– Je n’en avais
pas vraiment conscience. – N’as-tu jamais songé que des millions
200 deux cents
d’hommes ont souffert ce que tu souffres parce que des millions d’hommes
n’y ont jamais pensé. – Si je sors un jour de cette prison, ma vengeance
sera d’autant plus impitoyable. Elle sera la vengeance de tous.) (Lecture
proposée par Guillaume Gallienne. Ça peut pas faire de mal.)
Ce fut un beau jour. Le soleil se leva pur et brillant, et les premiers
rayons d'un rouge pourpre diaprèrent de leurs rubis les pointes
écumeuses des vagues. Il y avait autour de la table cette hilarité
bruyante et cette liberté individuelle qui accompagnent la fin des
repas. Tout le monde commençait à parler à la fois. Mercédès
commença de regarder l’heure au coucou de la salle et fit un petit
signe à Edmond.
– Partons-nous ? demanda-t-elle de sa douce voix ; voici deux
heures qui sonnent et l'on nous attend à l’église à deux heures et
quart.
– Oui, partons ! dit Dantès en se levant vivement. Au même
instant, le retentissement d’un pas pesant, une rumeur confuse
de voix mêlées à un cliquetis d'armes couvrirent les exclamations
des convives, si bruyantes qu'elles fussent, et attirèrent l'attention
générale, qui se manifesta par un silence inquiet. Le bruit
approcha. Trois coups retentirent dans le panneau de la porte.
Chacun regarda son voisin d'un air étonné.
– Au nom de la loi !, cria une voix vibrante, à laquelle aucune voix
ne répondit. Aussitôt la porte s'ouvrit, et un commissaire, ceint
de son écharpe, entra dans la salle, suivi de quatre soldats armés,
conduits par un caporal. L'inquiétude fit place à la terreur.
– Je suis porteur d'un mandat d'arrêt, et quoique ce soit avec
regret que je remplisse ma mission, il ne faut pas moins que je la
remplisse. Lequel de vous, messieurs, est Edmond Dantès ? Tous
les regards se tournèrent vers le jeune homme qui, fort ému, mais
conservant sa dignité, fit un pas en avant et dit :
– C’est moi, monsieur, que me voulez-vous ?
– Edmond Dantès, reprit le commissaire, au nom de la loi, je vous
arrête !
– Vous m'arrêtez !, dit Edmond avec une légère pâleur, mais
pourquoi m'arrêtez-vous ?
– Je l'ignore, monsieur, mais votre premier interrogatoire vous
l'apprendra. Le vieux Dantès se précipita alors vers l'officier. Il
y a des choses que le cœur d'un père ne comprendra jamais. Il
pria et supplia. Larmes et prières ne pouvaient rien et Edmond
avait, en souriant, serré la main à tous ses amis et s’était constitué
prisonnier en disant :
– Soyez tranquilles, l'erreur va s'expliquer et probablement je
n'irai même pas jusqu'à la prison. Et il descendit l’escalier entouré
par les soldats. Une voiture dont la portière était tout ouverte
attendait à la porte. Il y monta. Deux soldats et le commissaire
montèrent après lui. La portière se referma et la voiture reprit le
chemin de Marseille.
– Adieu, Edmond ! s'écria Mercédès en s'élançant sur la
balustrade. Le prisonnier entendit ce dernier cri, sorti comme
un sanglot du cœur déchiré de sa fiancée. Il passa la tête par la
portière et cria :
– Au revoir, Mercédès ! et disparut à l'un des angles du fort Saint-
Nicolas.
• Cet homme qui fait ses adieux à sa fiancée, c’est Edmond Dantès,
le personnage mythique du roman d’Alexandre Dumas : Le Comte
de Monte-Cristo. Ce jeune capitaine de bateau, accusé à tort de
haute trahison, va passer quinze années derrière les barreaux.
Emprisonné à 19 ans, libéré à 33, Dantès a failli perdre espoir,
mais a finalement résisté. Et à force de courage et de patience, il
va mettre en place sa vengeance et terrasser ceux qui ont voulu le
faire disparaître. Dumas écrit cet incroyable roman en 1846. Il y
fait le portrait d’un héros au lendemain de la chute de Napoléon, au
tout début du xixe siècle, et c’est un homme providence qu’il nous
décrit, un anonyme parti en guerre contre tout ce qui gangrène la
société : le pouvoir et l’argent. Roman de la justice et de la revanche,
Le Comte de Monte-Cristo est aussi un livre qui interroge l’idée du
bonheur. « Le bonheur, dira Dumas, c’est comme ces palais des îles
enchantées dont les dragons gardent les portes. Il faut combattre
pour le conquérir. »

Vidéo 9
• Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Vivre ensemble, votre
rendez-vous de la laïcité. Surpopulation carcérale, taux de
récidives élevés, réinsertion compliquée, la politique pénitentiaire
menée actuellement en Belgique a déjà montré ses failles, et pour
la faire évoluer des solutions existent, mais il faut oser les mettre
en place. On pourrait réformer le code pénal, miser plus sur des
peines alternatives, miser aussi sur la justice restauratrice et
pourquoi pas s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, au Rwanda, par
exemple, où la justice réparatrice a pris une vraie place aujourd’hui
et a permis de renouer le dialogue.
Vidéo 10
Quand je suis arrivé ici, le génocide avait détruit toutes les
relations, les relations entre les gens au niveau des villages, au
niveau même des familles. Par exemple, dans les familles mixtes
vous avez des hommes ou des femmes qui ont été tués par leur
beau-frère, leurs beaux-parents, tout ça. J’ai constaté que l’État
ne pouvait pas reconstruire les relations entre les personnes,
les relations sociales. C’est les gens eux-mêmes qui pouvaient
reconstruire les relations, mais les gens ne peuvent reconstruire
leurs relations que dans la mesure où ils se parlent, il y a des
espaces. La justice réparatrice, c’est une justice qui va réunir tous
les membres de la communauté, tous les membres concernés
de la communauté, et comprendre ce qui s’est passé, ça c’est
très important. Refaire l’histoire, l’histoire des conflits et, petit à
petit, chacun découvrir sa part de responsabilité pour que petit
à petit ces trajectoires puissent s’unifier, s’harmoniser grâce aux
échanges, grâce aux souvenirs mais également grâce aux autres.
‚‚ Le Rwanda nous a montré que, même dans des pays qui ont
connu un tel niveau d’horreur, un tel cataclysme, eh bien la justice
a pu faire un chemin qui était immense à travers les juridictions
gacaca et en se disant, de toute manière, que le défi futur c’est de
vivre ensemble, et donc ce n’est pas de se dire que ces gens-là qui
ont commis le génocide, on ne va plus jamais les revoir ou ils vont
passer toute leur vie derrière les barreaux. Le défi, il est là, il est
dans le vivre-ensemble. Comment est-ce qu’on va faire quand
ces gens-là vont sortir de prison et qu’ils devront revivre aux
côtés des personnes qu’ils ont massacrées ? Donc c’est sûr que je
pense qu’il y a une forme de maturité émotionnelle que le Rwanda
a acquise du fait de l’histoire du génocide, et cette maturité
émotionnelle, on a pu rebondir dessus quand dans la communauté
les personnes se sont décidées à expérimenter l’expérience de
justice réparatrice dans le domaine des violences sexuelles et des
violences domestiques.
·Le· problème que j’ai avec Jean-Baptiste c’est en rapport au
génocide. Ils ont fait de très mauvaises choses, ils ont tué des gens
et détruit des biens. Jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont jamais demandé
pardon, ils ont refusé. Au moins cela aurait pu panser nos plaies.
Même si nous sommes voisins, nous ne nous sentons pas à l’aise
avec eux. Quand quelqu’un te fait du tort sans demander pardon,
surtout si c’est ton voisin, il blesse l’autre très fort. Même si on est
voisins, on ne peut pas se sentir à l’aise avec lui car on en a peur.
Nous avons les blessures cachées. Quand on a mal quelque part et
qu’on masse, ça soulage ou ça guérit. Je sais qu’il m’a fait du mal,
lui aussi le sait. Peut-être ne sait-il pas par où commencer ou alors
n’a-t-il pas envie de me demander pardon.
‚‚ En fait le mot « réparer », étymologiquement en latin reparare,
quand on le divise ça veut dire « redonner de la vie ». Et donc l’idée
n’est pas d’essayer de ramener ce qui a été perdu, parce qu’il y a
évidemment des choses qui sont irréparables, ça on le sait tous
en justice, mais l’idée c’est que la justice, quand elle intervient,
elle puisse quand même contribuer à travailler à la restauration
des personnes, à leur réhabilitation, à leur réinsertion, à la
pacification des relations, et donc quelque part à ramener une
forme de vie, même si ce sera pas la même vie qu’avant.
Vidéo 11
Mais nous, en Belgique, c’est la même chose. On oppose toujours
victime et auteur, mais après que la justice, peut-être que la
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
peine a été prononcée, et là il faut se poser la question du
sens de la peine, mais l’important c’est de rétablir le lien.
Parce que si vous restez dans l’exclusion, celui qui est exclu
n’a plus rien à perdre et là, quelque part, en opposition et
peut-être en agression par rapport évidemment à l’ensemble
de la société, avec évidemment la récidive à la clé. Donc la
justice restauratrice c’est l’idée géniale, donc vous voyez
que de « réparatrice » je vais à « restauratrice » parce que la
restauratrice, en fait, inclut la réparation, parce que ça c’est
plus le lien direct avec la victime, le passé, mais restauratrice
c’est aussi le lien avec la société, je veux dire avec le futur. Et
pour moi, la peine devrait être en fait un moment entre un
passé, peu glorieux, enfin en clair c’est une infraction, donc un
passé effectivement, ça ne va pas, mais aussi qu’est-ce qu’on fait
maintenant, aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on fait pour demain ?
‚‚ Ce qui intéresse en justice réparatrice c’est vraiment de se
dire : il y a eu ici une rupture des relations, il y a une situation
de traumatisme et donc il y a une série de questions auxquelles
il faut répondre et ces questions-là c’est : qui a été blessé ? Et
ça prend en considération l’ensemble des personnes qui ont
été blessées par cette situation de rupture des relations. Qui a
été blessé ? C’est évidemment la victime directe, les victimes
indirectes, l’auteur également, la famille de l’auteur, leur cercle
d’appartenance, leur communauté d’appartenance. C’est des
questions auxquelles on essaye de répondre : qui a été blessé ?
Quels sont leurs besoins ? Quels sont leurs besoins au pluriel ?
Et souvent ces besoins sont beaucoup plus complexes que ne
pourrait le laisser entendre la justice pénale qui répond à une
série de besoins, mais pas, en réalité, aux réels besoins que
les personnes ont quand elles ont traversé une situation de
traumatisme.
Moi je dis : le temps en prison, c’est un temps perdu. Alors,
vous savez, j’avais voulu dire à un moment donné : c’est un
temps mort. Mais même, c’est pas un temps mort comme dans
le sport. Le temps mort, c’est le coach qui va regalvaniser pour
reprendre les énergies, toutes les capacités positives, donc si
ça pouvait être un temps mort, ce serait, au sens sportif du
terme, ce serait peut-être pas mal. On apaise tout. Violence.
Maintenant on met les choses au calme. Mais qu’est-ce qu’on
fait pour que ça aille mieux ? Ça c’est le temps mort, mais non,
c’est un temps perdu, mais donc qu’est-ce qu’on attend d’une
personne quand elle sort de prison ? C’est qu’elle se prenne en
charge, qu’elle se réinsère, donc qu’elle rétablisse le lien, qu’elle
retrouve une place dans notre société, c’est les meilleures
garanties contre la récidive. Mais on attend de cette personne et
qu’est-ce qu’on fait avec cette personne ? On la déresponsabilise
complètement, on décide tout pour elle. En prison, vous ne
décidez pas de l’heure de votre lever, ni de votre repas, ni des
copains que vous avez dans votre cellule, ni de votre horaire.
Tout est minuté, c’est même très confortable en termes de
passivité. Vous n’avez rien à faire, vous subissez votre peine.
J’ai envie de dire : vous subissez, mais n’attendez pas que
quelqu’un qui subit une peine, qui est complètement passif, va
devenir tout à coup actif, miraculeusement à sa sortie.
ÑIl Ñ faut se rendre compte que la justice, c’est un moyen de
contrôle social et un moyen de faire passer un message. Or,
ce qui se passe chez nous, c’est que véritablement toutes
les tentatives d’alternatives à l’enfermement qui ont été
développées ont chaque fois été, quelque part, vouées à l’échec,
parce que chaque fois qu’il y a des situations qui créent une
émotion très vive dans la population et souvent à juste titre,
la réponse qui est donnée c’est la réponse de l’enfermement.
La société est devenue beaucoup plus intolérante par rapport
aux comportements déviants, aux autres façons de penser,
et ça se retrouve aussi dans le fait d’utiliser la prison. Donc
je pense véritablement que c’est un changement de société
plus générique qu’il faut. Certains pays sont arrivés à le
faire puisque certains pays sont arrivés à fermer certains
deux cent un 201
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
établissements pénitentiaires. On en est bien loin en Belgique.
· est dans un besoin de sécurité. Moi j’ai envie que quand je
·On
sors d’ici, je sois pas agressé. J’ai pas envie que mes enfants se
fassent agresser. J’ai pas envie que le citoyen se fasse agresser.
Mais la question qu’on doit se poser alors, c’est : qu’est-ce qu’on
fait aujourd’hui pour limiter ces agressions en cours ? Et là,
on sait que la réponse c’est la justice restauratrice, la justice
réparatrice, quand, tout du moins, elle est possible. J’ai pas dit
qu’elle est possible dans tous les cas mais, aujourd’hui, même
quand elle est possible, on l’utilise pas. C’est quelque chose
qui reste très marginal et là, voilà, alors qu’est-ce qu’il faut ?
Il faut un drame comme le Rwanda pour qu’on… ? Mais non.
Mais je trouve que c’est un très bel exemple et c’est un exemple
de modestie pour nous. Voilà un pays qui a été jusqu’au
plus… profond, je veux dire, de l’inhumanité, et qui en ressort
peut-être avec une humanité plus grande. C’est quand même
drôlement interpellant. Mais peut-être qu’il faut justement…
N’attendons pas de devenir complètement inhumains pour se
dire : l’humanité c’est quand même important.
• Une justice plus humaine, voici ce que demandent les acteurs
(?) aujourd’hui. Merci de nous avoir suivi et à très bientôt pour
un nouveau rendez-vous de la laïcité.
Piste 23
1 • Aïe ! Vous pouvez pas regarder où vous allez ?!
Pardon ! Je ne vous avais pas vu.
2 • On part à la mer avec ma voiture ?
Ben, non… elle est quand même vieille et pourrie ta voiture…
• Pardon ?
Oh, ça va…. J’rigole.
3 • Tu viens à la soirée ?
Pardon ?
• Tu viens à la soirée ?
Ah ! oui, oui, oui !
4 • (Porte de la Chapelle. Porte de la Chapelle.) Pardon, je descends
ici. Pardon, pardon !
Piste 24
• Bonjour à tous ! Alors, pour commencer, j'aimerais vous poser
une question. Imaginez que vous rentrez tranquillement
chez vous en voiture après une journée de travail. Vous vous
arrêtez à un feu rouge quand une autre voiture vous percute
violemment et votre voiture est très endommagée. Laquelle
de ces trois solutions vous semble la plus satisfaisante ?
Première solution : l'autre automobiliste s'en va sans rien dire
et vous rentrez chez vous à pied. Deuxième solution : l'autre
automobiliste s'excuse, puis il s'en va et vous rentrez chez vous
à pied. Troisième solution : l'autre automobiliste s'excuse et
contacte son assurance pour faire réparer votre voiture. Bon,
vous rentrez quand même chez vous à pied ! Qui préfère la
première solution ? … Personne. La deuxième ? … Personne. La
troisième ? Eh oui, bien sûr ! Car quand on subit un préjudice,
on veut qu'il soit réparé. C'est normal.
Alors moi, je ne vais pas vous parler de voiture. Je vais vous
parler d'un préjudice bien plus terrible que des millions de
personnes ont subi et que personne ne veut réparer. Je veux
vous parler de l'esclavage, et plus particulièrement de celui qui
a eu lieu en Haïti et pour lequel personne n'a jamais obtenu ni
d'excuses ni de réparations. J'aimerais vous convaincre que les
descendants d'esclaves doivent recevoir une réparation pour
ce que la France a reconnu être un crime contre l'humanité
en 2001. Pour cela, je commencerai par vous démontrer que
l'État français est responsable. Puis, j'évoquerai le préjudice
financier et enfin, le préjudice moral que subissent toujours les
descendants d'esclaves en Haïti.
Donc pour commencer, intéressons-nous à la question de la
responsabilité. Le premier argument de ceux qui s'opposent
à la réparation de l'esclavage, c'est que les responsables, les
esclavagistes, sont morts, qu'on ne peut pas demander à leurs
descendants de payer pour eux. Et je suis en partie d'accord
202 deux cent deux
avec ça. Les Français d'aujourd'hui ne sont pas responsables des
atrocités commises dans les anciennes colonies françaises. Par
contre, il y a une responsabilité de l'État français et c'est ça que je
vais vous démontrer maintenant.
Au départ, la traite des esclaves, autrement dit le commerce des
esclaves, était un trafic, donc une activité illégale, criminelle. Donc,
à ce moment-là, on ne peut pas dire que l'État était coupable de
quoi que ce soit. Mais, il se trouve que les esclaves travaillaient
dans les champs de canne à sucre, et la canne à sucre, à cette
époque, c'était comme le pétrole aujourd'hui. La moitié de la
production mondiale de sucre venait d'Haïti et Haïti, en tout cas
toute la partie occidentale de l'île, c'était une colonie française.
C'est cette partie qui apparaît en vert sur la carte que vous voyez.
Et ce qu'il faut savoir, c'est que le sucre, c'était la première source
de revenus de la France. Donc l'esclavagisme était essentiel pour
l'économie française, et c'est pour ça que la France a décidé
de légiférer à la fois sur la traite des esclaves et sur l'esclavage
lui-même. C’est ainsi qu’en 1685 la France a promulgué ce
qu'on appelle le Code noir, c'est-à-dire un ensemble de lois qui
expliquait, par exemple, comment on devait punir les esclaves,
quelle quantité de nourriture il devait recevoir, etc. Et voilà. L'État
Français aurait pu interdire l'esclavage, le condamner et le punir,
mais il a préféré l'intégrer à la législation et donc, le reconnaître
comme quelque chose de normal. Et c'est comme ça que la France
est devenue responsable.
Alors maintenant que j'ai démontré la responsabilité de l'État
et désigné le coupable, je vais parler du préjudice que subissent
toujours les descendants d'esclaves. Parce que l'autre argument
de ceux qui s'opposent aux réparations, c'est que les victimes
sont mortes depuis longtemps. Mais je voudrais vous démontrer
que les descendants des esclaves sont eux aussi victimes de
l'esclavage, et ceci, de différentes manières. Le premier type de
préjudice est financier. Il faut savoir que, même dans les anciennes
colonies qui sont devenus des territoires français, on constate
toujours aujourd'hui une pauvreté bien plus forte qu'en France
métropolitaine. Mais en Haïti, la situation est bien plus extrême.
La colonisation d'Haïti a pris fin en 1804. Cette année-là, les
esclaves se sont révoltés et ils ont réussi à obtenir l'indépendance
de l'île. À ce moment-là, la France a estimé que Haïti devait lui
payer une somme colossale, pour dédommager son préjudice
financier. Vous imaginez ça ? C'est comme si vous aviez dû donner
de l'argent à l'automobiliste de tout à l'heure. Alors, pour que la
France la laisse tranquille, Haïti a accepté de payer l'équivalent de
21 milliards de dollars ! Évidemment, ça a été très, très compliqué
pour Haïti de trouver autant d'argent. Elle n'a fini de payer cette
somme, avec les intérêts, qu'en 1947 ! Bien sûr, ça a empêché l'île
de se développer comme elle l'aurait dû mais, à côté de ça, tout cet
argent a permis que la France continue à s'enrichir et aujourd'hui,
elle fait partie des pays les plus riches du monde alors qu'Haïti,
elle, est un des pays les plus pauvres… Et de qui descendent les
5 % d’Haïtiens qui se partagent la quasi-totalité des richesses du
pays… des colons esclavagistes ou des anciens esclaves ? Je vous
laisse deviner… Donc on peut vraiment affirmer que le préjudice
financier de l'esclavage est actuel et qu'il pèse sur les descendants
des esclaves.
Ça va ? Vous me suivez ? Bon, alors je continue avec le deuxième
type de préjudice qui est d'ordre psychique et moral. Alors, comme
vous le savez, l'esclavagisme reposait sur l'idée que l'homme noir
était inférieur à l'homme blanc et devait lui être soumis. Il faut
bien comprendre que des générations et des générations d'esclaves
ont vécu de leur naissance jusqu'à leur mort dans un climat de
violence, de domination et d'humiliation, et ils ont fini par intégrer
cette idée qu'ils étaient inférieurs aux blancs. C'est logique : si on
vous dit toute votre vie que la Terre est plate et que rien ne vous
démontre le contraire, eh bien, vous finissez par croire que la
Terre est plate. Et cette idéologie raciste a vraiment infecté Haïti.
Toute la société haïtienne s'est construite autour de ça et c'est
toujours visible aujourd'hui. Il y a un vrai problème de racisme à

Haïti. Les Noirs sont dénigrés et pas seulement par les Blancs. Les
Noirs eux-mêmes sont racistes envers les Noirs. On dit même que,
dans une famille, si un enfant a la peau plus claire qu'un autre, il
est mieux traité que l'autre. La beauté, la réussite d'un mariage…,
tout se mesure à la couleur de la peau en Haïti. Le pire, c'est que
cette situation est normale là-bas. Enfin… disons plutôt qu'elle est
considérée comme normale. Si une personne blanche arrive dans
un magasin après dix personnes noires, elle va être servie avant
tout le monde et personne ne pensera à protester. Donc, voilà…
Comme dans beaucoup de pays hélas, il y a des discriminations
pour l'accès à l'emploi ou au logement, mais à Haïti, c'est bien
pire encore, et c'est vraiment à tous les niveaux de la société. Et
comme les mentalités ne changent pas vite, on peut craindre que
cette situation, qui est née de l'esclavage, perdure encore pendant
longtemps.
Alors, en conclusion, nous avons vu que l'état français s'est rendu
coupable en légiférant sur ce crime odieux qu'est l'esclavage et
que les Haïtiens en subissent toujours des préjudices financiers et
moraux considérables. Et j'espère que vous serez d'accord pour
dire que, tout comme n'importe quelle victime de préjudice, les
Haïtiens méritent de recevoir excuses et réparations de la part
de la France. Ce ne serait que justice et ils en ont vraiment besoin
pour sortir de la pauvreté et des injustices qui rongent leur pays
depuis si longtemps. On peut même imaginer que cela aiderait
aussi la France de soulager sa conscience en réparant en partie ses
erreurs. Je vous remercie ! Je me tiens à votre disposition si vous
avez des questions.
Piste 25
1 • Je commencerai par vous démontrer que l'État français est
responsable. Puis, j'évoquerai le préjudice financier et enfin, le
préjudice moral que subissent toujours les descendants d'esclaves
en Haïti.
2 • C'est cette partie qui apparaît en vert sur la carte que vous voyez.
3 • Et ce qu'il faut savoir, c'est que le sucre, c'était la première source
de revenus de la France.
4 • Ça va ? Vous me suivez ?
5 • Il faut bien comprendre que des générations et des générations
d'esclaves ont vécu de leur naissance jusqu'à leur mort dans un
climat de violence, de domination et d'humiliation.
6 • Enfin… disons plutôt qu'elle est considérée comme normale.
7 • Alors, en conclusion, nous avons vu que l'état français s'est
rendu coupable en légiférant sur un crime odieux et que les
descendants d'esclaves en subissaient toujours le préjudice.
8 • Et j'espère que vous serez d'accord pour dire que, tout comme
n'importe quelle victime de préjudice, les Haïtiens méritent de
recevoir excuses et réparations de la part de la France.
9 • Je vous remercie ! Je me tiens à votre disposition si vous avez des
questions.
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 6
Piste 26
• Le troisième personnage dont je voudrais qu’on parle, c’est celui de
Patrice qu’on a évoqué dans le premier épisode. Patrice, c’est donc
un mec violent, très violent. […] Je me demandais comment vous
aviez fait, en fait, pour vous approcher de ça, pour regarder ça en
face. […]
[…] La deuxième chose qui fait, je pense, que je connais des gens
qui sont violents et que je peux empathiser à ce point-là, c’est
que moi, je suis pas violente mais j’ai des vrais… j’ai une violence
verbale très forte, ça veut dire, je tape pas les gens mais je peux
rentrer dans des violences, pas d’insultes, mais de crises de rage
telles que même si je t’insulte pas, de toute façon, c’est comme si
je te démolissais et du coup, c’est comme si j’étais quelqu’un de
violent même si c’est pas violent avec des coups, mes états, en ce
moment, ça va mieux, je tiens à le préciser mais pendant, dans
plusieurs histoires, je sais que c’est, elle est insupportable mon
attitude parce que c’est trop de douleur et même si c’est de la
douleur, ce que ça fait à l’autre, c’est comme si tu le tabassais quand
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
même, même si c’est pas, tu casses rien, tu tapes sur personne
mais, tant de douleur, tu démolis l’autre, et du coup, je sais ce
que c’est, par rapport à des mecs violents, quand ta réaction,
elle va plus vite que ton intelligence, tu sais pas comment la
changer. Tu veux pas faire vivre à la personne en face de toi,
par exemple, ta détresse du mercredi matin, parce que tu sais
que la personne en face, elle en peut plus de ta détresse du
lundi matin, du mercredi matin, du jeudi soir, du… Mais tu le
mets en route quand même le… et tu sais que c’est destructeur
et donc du coup c’est, Patrice, c’est à la fois des gens qui ont été
très proches de moi et à la fois c’est moi dans certains aspects.
Ma colère à moi, c’est vrai, je te dis, ma colère, elle s’exerce pas
du tout en… ça me viendrait pas à l’esprit de mettre une claque
à quelqu’un, dans le cadre d’un rapport amical ou amoureux,
mais ma violence, je sais qu’elle est beaucoup plus forte que ce
que je peux contrôler. Et je te dis, moi aujourd’hui, parce que
je crois que, avec l’âge, tu te fatigues, donc ça baisse, donc là,
tu peux te contrôler mieux mais quand t’as, par exemple, des
trucs de colère, euh, c’est tellement, t’as aucun outil pour la
contrôler. Enfin, moi, c’est comme ça que je le vis. […]
• Patrice, il dit qu’il a pas envie de renoncer à sa violence, parce
que, en fait, ouais, qu’est-ce qui va lui rester, en fait, s’il n’a plus
sa violence ? Qu’en fait, il y a des situations où les gens sont
bien contents qu’il soit violent, que quand il y a un mec qui se
fait emmerder dans le métro et que, lui, il fait en sorte qu’il se
fasse respecter, bah, les gens sont très contents, en fait, qu’il
intervienne.
Ouais, là, c’est vraiment plus une réflexion sur la violence
en général, parce que, c’est vrai que c’est vachement… c’est
valorisé. Tout le monde respecte la violence, souvent pas la
violence conjugale, mais la violence dans la rue. Tout le monde
la respecte, il n’y a que ça qui fait qu’on te prend au sérieux.
Si les « Gilets jaunes » cassent pas tout, euh, c’est pas les
« Gilets jaunes », on les écoute pas quoi. Enfin, je veux dire, fait
vraiment… Sinon c’est des Catalans, les Catalans, tout le monde
s’en fout de leur combat, il est pacifiste, tu vois, personne va le
voir.
• Et du coup, tout le monde s’en fout.
Tout le monde s’en fout, donc c’est super compliqué et aussi,
je le sais justement parce que, moi, je peux faire des colères
spectaculaires, les gens adorent ça. Un, ça marche super bien.
• C’est efficace.
En général si tu fais une vrai grosse colère, mais il y a de fortes
chances pour que tu obtiennes ce que tu veux, et en plus les
gens autour de toi, je pense, c’est un des trucs, enfin moi je
l’ai remarqué mais de ça depuis que je suis enfant, euh, c’est
très valorisé. Bon, pour une fille, c’est un peu touchy mais c’est
quand même valorisé. Si ta colère est vraiment spectaculaire,
ça passera au-dessus de ton genre parce que c’est, il y a un
respect de la force.
• Vous êtes sûre ? Moi, j’ai l’impression que quand on est une
femme et qu’on se met en colère, on est juste hystérique, que ça
sert à rien, on n’est pas plus écoutée en fait.
Ça dépend de ton niveau de colère. Si t’as une colère vraiment
spectaculaire, il y a quelque chose qui est comme jouissif
pour les autres. Je le sais d’expérience, je te le disais, enfin,
pas pour tout le monde, il y a des gens qui n’aiment pas ça.
Mais, en général, c’est très bien accueilli. Et mais parce que,
c’est ce qu’on préfère, la force. C’est mal, je veux dire, je ne dis
pas « c’est bien », mais il y a un vrai respect pour la force et
l’ultra-brutalité. Réfléchissons, tous les gagnants sont les plus
brutaux. Tous les pays qui ont été gagnants, tout ce qu’on a
exterminé ça a été comme ça. Qui est le plus meurtrier ? Qui est
le plus violent ? Qui est le plus brutal ? Tout, tout est déterminé
comme ça dans la guerre, mais aussi dans le marché. […]
Piste 27
• Je suis arrivé dans l’année 2001, au mois de mai 2001, le 15 mai
2001… Que je suis rentré à l’abattoir. Au départ, j’ai mis…
deux cent trois 203
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
J’ai mis une bonne année pour m’y mettre, quoi. J’ai mis une
bonne année pour m’y mettre, pour me pencher vraiment sur
ce travail-là, quoi, enfin… Parce que c’est quand même assez
hard, quoi. Au départ, pour celui-là qui ne l’a jamais pratiqué,
c’est assez dur, hein. Ouais, j’ai mis… J’ai mis une bonne année,
ouais, pour m’y faire, à ce métier-là. Quand je suis rentré,
on commençait beaucoup de journées à 5 h et on finissait à
14 h, 14 h 30 ou 13 h, ça dépendait du travail, quoi. Parce que,
à l’époque, on faisait de la chèvre, beaucoup de chèvres,
énormément de chèvres. Je me réveillais le matin, j’avais
rêvé de l’abattoir, des chèvres, d’être sur le poste que j’étais.
À l’époque moi j’étais, au début que j’ai commencé, c’était la
saignée, la saignée à chèvres, quoi. Enfin, c’est… Je voyais tous
les jours, tous les jours, tous les jours, je faisais mille chèvres,
quoi. À tuer, quoi. Je veux dire à égorger, à tuer, à saigner.
C’était… J’en rêvais, quoi. Je rêvais du sang toute la nuit.
Piste 28
• J’ai l’impression de le faire depuis toujours. Déjà, c’est un
poste qui est physique, donc c’est pas donné à tout le monde
de le faire, parce qu’il faut soulever l’animal pour l’accrocher
à cette fameuse chaîne et le suspendre à un palan, donc il y a
une traction, donc faut déjà être physique. Mais c’était mon
poste depuis le début. Après, je me suis diversifié. Quand
on fait ce genre de poste-là, chaque animal qui arrive à toi,
faut pas le regarder comme si c’était le tien. Il faut se mettre
dans la configuration où c’est ton métier, que tu dois le faire.
Tu dois faire ce pour quoi tu es payé et faut pas réfléchir.
Forcément tu réfléchis à partir du moment où un animal, par
exemple, est réticent à arriver dans le piège de contention et
où là, tu te poses forcément la question, de dire : « Est-ce que
je le brutalise ? Est-ce que je le brutalise pas ? » Mais tu peux
pas raisonner en disant… Faut pas regarder l’animal comme
un animal, quoi, faut le regarder comme une pièce que tu dois
travailler. Je sais que c’est dur, hein, ce que je dis, mais tu peux
pas faire autrement, sinon tu fais pas ce métier, tu t’en vas en
courant à la vue du sang. La peur que tu lis aussi quelquefois
quand ils arrivent, que tu vois la peur qu’ils ont d’arriver là,
en terrain inconnu, ils sont… Non, faut vraiment le faire en
étant détaché de ça, sinon tu peux pas faire ce métier, c’est pas
possible. Il faut du détachement, parce que tu le fais pas par
vocation. C’est pas un métier que j’ai choisi par vocation, c’est
un métier dans lequel je suis arrivé, j’y connaissais rien du
tout, et c’est un métier que j’ai appris à découvrir, où je trouve
qu’il y a, même si ça paraît brutal pour les gens extérieurs, moi
je trouve que c’est un métier aussi qui a son charme.
Si j’étais à sa place, je pourrais pas, parce que si je croise le
regard de l’animal, j’en suis malade. Moi, je veux pas me mettre
à la place de l’animal, parce que je suis malade. Je sais que, à
des moments, c’est arrivé où il y a un animal qui s’en va, c’est
pas moi qui vais le rattraper. Je me dis : « Il a raison. » Des fois…
• Mais je te rejoins, je te rejoins à travers ça.
Faut pas réfléchir.
• Si tu réfléchis à l’animal qui arrive en face de toi, à ce moment-
là ça devient barbare. À ce moment-là c’est barbare parce que,
du coup, tu réalises que l’animal en arrivant là, il a du stress,
de l’angoisse, de la peur, et tu vas quand même faire ton geste
et c’est là que ça devient barbare, moi je trouve. Alors que si t’y
penses pas, finalement, tu… Je veux pas dire qu’on agit comme
des robots mais quelque part, tu as un détachement donc, du
coup, on se dédouane aussi un petit peu, en se disant : « Bah,
on fait ça parce qu’il faut le faire. » Mais je trouve que, si on
pense pas à l’animal qu’on a en face de soi, pour moi c’est plus
sain que d’y réfléchir, parce que sinon, je trouverais ça barbare,
parce que finalement tu réalises à ce moment-là, qu’à chaque
coup de pistolet que tu vas donner ou chaque impulsion
électrique que tu vas donner, si tu y penses, ça veut dire que
quelque part, c’est une sorte de plaisir. Tu ne penses qu’à ça
donc, pour moi, ça devient cruel. Ça devient « je suis là pour
204 deux cent quatre
tuer, je suis là pour tuer, je suis là pour tuer ». Et moi c’est pas ça,
je suis pas là forcément pour tuer, je suis là pour exercer un métier
et je sais que pour exercer ce métier, il faut que je tue des animaux.
Mais c’est pas « je tue des animaux pour satisfaire mon plaisir
personnel ». Je tue des animaux pour subvenir aux besoins de ma
famille, pour gagner ma vie, pour… Voilà.
Mais, c’est pas évident. C’est vrai qu’il faut pas regarder, faut pas
croiser le regard de l’animal.
• Moi j’irai plus loin que ça : tu peux pas être en deuil des animaux.
C’est comme si le gars qui travaille chez Renault, il est en deuil
du gars qui s’est tué avec la voiture qu’il a sorti de son usine. Je
veux dire c’est… Non, mais c’est ça. Le gars, il sort des bagnoles,
le gars se tue sur la route, il peut pas être en deuil de ça. Lui, on
lui demande de fabriquer des voitures, nous on nous demande de
fournir de la viande pour nourrir la population. On peut pas être
en deuil de ça, parce que quelque part, on tue des animaux mais
c’est pour en faire vivre d’autres : nous.
On enlève une vie. On enlève des vies.
• Ouais.
Faut pas y penser ?
• Non. Moi, j’y pense pas.
Moi, j’évite. Il faut pas que j’y pense.
• J’y pense de temps en temps, mais pas souvent, mais de temps en
temps ça m’arrive, de dire, quand même, tu enlèves des vies, mais
voilà, ça en reste là. Si tu commences à gamberger là-dessus tu t’en
sors pas, tu arrêtes le métier, tu fais autre chose.
Ah mais c’est dur à ce moment-là, voilà c’est des moments qui sont
durs.
• C’est sporadique.
De voir…
• C’est vraiment sur un instant. Dans une semaine, c’est un instant
comme ça. Tu vas porter les yeux là-dessus ?
C’est pour ça que, éviter les yeux des animaux… Voilà de voir une
vache avec les larmes c’est pareil, c’est horrible, ça me retourne,
donc c’est pour ça que j’évite d’aller à la tuerie. Parce que ça, je
peux pas.
Piste 29
Moi je me suis aperçu tout au long de ces années où j’ai fait ça,
que si tu… Le matin tu commences déjà en étant stressé, en étant
agacé, en étant… On s’aperçoit que les animaux le ressentent tout
de suite, et c’est vrai que le fait de leur parler, de siffler, parce
qu’on entend siffler des fois, on entend dire « arrête » ou « là, là,
doucement », mais c’est une façon aussi de, comment dire, de…
C’est peut-être idiot ce que je vais dire mais, sur les derniers
moments de cette bête, de se dire : « Je vais pas en rajouter, je vais
pas rajouter à son stress, le mien. » Moi j’ai pas de stress, je suis
là pour faire un travail. Forcément j’ai une cadence à tenir parce
que derrière moi découle aussi tout le reste de l’abattage. Mais le
fait de leur parler, c’est aussi, de se sentir un peu moins seul face à
l’acte final qui est la mise à mort, parce que tu te dis : « Bah voilà,
je me verrais pas voir arriver des animaux devant moi toute une
matinée sans jamais dire un mot et juste tuer, tuer, tuer. » C’est pas
possible pour moi. Donc le fait de parler un petit peu, de siffler
pour les calmer, bah tu t’aperçois que finalement, à l’arrivée ça
change rien pour l’animal. Quoique, on peut se poser la question,
parce que, on leur met de la musique dans les étables. Est-ce que
ça a vraiment un sens et une psychologie animale ? J’en sais rien,
mais tu t’aperçois qu’il y a des gestes aussi. Moi je m’aperçois, si
tu veux faire avancer des bêtes, tu as des gestes que tu fais, et tu
t’aperçois que ça va mieux que quand tu les fais pas. Donc, du
coup, mais tout ça c’est un apprentissage aussi, c’est un truc que tu
apprends en le pratiquant. Et puis moi, j’en ai tellement amené des
bêtes, et j’en ai tellement tué, que du coup tu te dis : « Bah qu’est-
ce que je vais pouvoir faire pour que ça devienne simple ? Pour
que ça devienne… » Pas facile, parce que ça serait méchant de dire
« facile », mais pour que ça devienne simple.

Piste 30
• (Voyou, égoïste, saligaud !) Confinés tous ensemble entre quatre
murs, des insultes, on risque d'en entendre beaucoup dans les
prochaines semaines. Laisser traîner son linge, ne pas avoir
nettoyé la table, ou encore avoir piqué le jouet de sa petite sœur, en
famille, beaucoup de choses peuvent être prétexte pour s'insulter.
Mais au fait, pourquoi est-ce qu'on s'insulte ? Les psychanalystes
et philosophes se sont beaucoup penchés sur la question. L'insulte
a pour but premier de blesser l'autre. Au point que, pour la
linguiste Laurence Rosier, l'insulte est même très saine pour la
société, puisque quand on insulte quelqu'un, au moins, on ne le
frappe pas. (Diplodocus, babouin, mégalomane !) L’insulte ou l'injure
ont un côté aussi transgressif : on nous a appris
qu'il ne fallait pas
dire de gros mots, alors, enfant, dire des gros mots, ça avait le goût
délicieux de l'interdit. Et ce goût délicieux, on le ressent toujours
un peu. Mais les insultes forment aussi une partie de notre identité
culturelle : chaque langue a ses propres gros mots.
Et tous ceux
qui la parlent s'y identifient : on forme un groupe commun où on a
décidé de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est
un gros mot et de ce qui n'en est pas un. La langue française passe
d'ailleurs pour la grande spécialiste des insultes. Et justement,
si nous sommes si doués pour ça, d'où viennent nos insultes
préférées ? Sachez que le mot « salope », c'est la contraction des
mots « sale » et « huppe ». La huppe est une espèce d'oiseau orange,
certes très mignon, mais qui dégage une odeur nauséabonde
de son nid : elle y laisse pourrir ses déjections pour éloigner les
prédateurs. Les insultes de « salope », comme d’ailleurs le mot
« putain », renvoient tous deux à la même notion de saleté, de
puanteur. Car oui, « putain » a la même racine latine que « puer »
et « puant ». Et ce sont deux insultes destinées aux femmes, et en
fait, vous remarquerez que toutes les insultes adressées à la gent
féminine ont une connotation de saleté et sexuelle, par-dessus
le marché. Alors que la version masculine de « salope », c’est-à-
dire le « salaud », est certes un méchant, mais la notion de saleté
et de dépravation n'y est pas du tout. Patriarcat, quand tu nous
tiens ! Les insultes visant les mamans, elles, existent dans toutes
les langues. « Fils de pute » existe même depuis le xe siècle. On
en a retrouvé la trace dans des chansons destinées à motiver les
hommes à partir en croisade. Parce que dans toutes les cultures,
insulter la mère c'est insulter toute la famille, ce qui est très lourd
de sens. Bref, ne vous privez pas d'être inventifs pour vous insulter
en confinement, cela a d’ailleurs de fortes chances de détendre
l'atmosphère en un clin d'œil. Mon meilleur conseil, c'est de vous
inspirer des langues étrangères : allez chercher chez les Allemands
le Du Lauch, littéralement « espèce de poireau », ou encore chez
les Britanniques , avec leur You spoon, autrement dit « espèce
de cuillère ». Bref, de quoi passer des prises de bec bien plus
agréables. (Je vous nomme commandeur dans l’ordre des jean-foutre !)
Piste 31
• Bonjour, installez-vous !
Merci. Je peux commencer ?
‚‚ Oui, allez-y.
L'école devrait être pour tous les enfants un lieu d'apprentissage et
de socialisation mais, pour ceux qui sont victimes de harcèlement
scolaire, c'est surtout un lieu de violence et de souffrance. À
l'occasion de la première Journée internationale contre la violence
et le harcèlement scolaire, un article du magazine Elle examine les
pistes d'action du gouvernement pour lutter contre ce phénomène
qui a des conséquences parfois dramatiques. En parallèle, le
journal Libération publie un entretien avec une pédopsychiatre qui
donne quelques conseils aux parents à ce sujet. Alors, comment
lutter contre le harcèlement scolaire ? Pour répondre à cette
question, je présenterai d'abord l'ampleur et les enjeux de ce
phénomène, puis j'examinerai les moyens de repérer et de gérer les
cas de harcèlement et enfin, j'évoquerai quelques pistes d'action
pour essayer de prévenir ce problème.
Pour commencer, il est nécessaire de se demander : qu'est-ce que le
harcèlement scolaire ? Il s'agit d'un ensemble de violences,
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
psychologiques, verbales et parfois même physiques qu'un ou
plusieurs élèves exercent sur un autre. Par exemple, des
moqueries, des insultes ou une mise à l'écart. Comme le
souligne Nicole Catheline, la pédopsychiatre interviewée par
Libération, ces comportements sont normaux chez les enfants
et font partie de leur développement. Mais lorsque ces
violences se répètent, ça devient du harcèlement. Alors
certains, comme Nora Fraisse, la maman d’une petite fille
harcelée, préfèrent l'expression « harcèlement entre pairs »
parce que le harcèlement scolaire ne s'arrête pas à la porte de
l'école, mais peut aussi affecter les enfants dans leurs loisirs ou
sur Internet. Par ailleurs, nous allons voir que ce phénomène
n'a rien d'anecdotique. Les chiffres que rapportent le magazine
Elle sont assez impressionnants. En France, plus de 10 % des
élèves du primaire et du collège seraient victimes de
harcèlement scolaire ce qui représente 700 000 victimes
chaque année, c'est énorme ! Et s’il existe une journée mondiale
contre le harcèlement scolaire, c'est bien parce que ce problème
ne s'arrête pas aux frontières françaises.
Alors, on peut imaginer que ce problème a toujours existé,
mais l'apparition des nouvelles technologies et surtout des
réseaux sociaux, c'est quelque chose qui a vraiment amplifié et
aggravé le phénomène. Enfin, les conséquences du
harcèlement sont très graves pour les victimes. D'une part, il
influe sur les performances scolaires : les enfants qui sont
harcelés, ils n'ont plus envie d'aller à l'école, ils ne sont plus
concentrés sur leur apprentissage parce qu'ils sont trop
préoccupés et angoissés. Donc le risque là, c'est le décrochage
scolaire. Et d'autre part, le harcèlement a des conséquences
extrêmement graves sur la psychologie des enfants. Ça peut
aller jusqu'à la dépression, et même au suicide. L'article de Elle
évoque le cas de la petite Marion. En Espagne, il y a eu celui de
Diego. Et hélas, ce ne sont pas les seuls. C'est vraiment très
choquant qu'un enfant soit assez désespéré pour mettre fin à
sa vie. Ça ne devrait jamais arriver. Donc, on voit que le
harcèlement scolaire est un problème majeur.
Voyons maintenant comment les acteurs de l'éducation
peuvent repérer et gérer les cas de harcèlement. La première
chose à faire, c'est de prendre le harcèlement au sérieux. Les
deux documents rappellent que pendant longtemps, le
harcèlement était considéré comme des histoires d'enfants qui
ne concernaient pas les adultes. Et aujourd'hui encore, certains
parents et certains enseignants considèrent que l'enfant doit se
débrouiller avec tout ça. Certes, l'enfant doit apprendre à gérer
les conflits à l'école, mais les adultes doivent intervenir quand
les choses vont trop loin. Tout le monde doit se sentir concerné.
Les parents bien sûr, mais aussi les professeurs, même si
certains considèrent parfois que ça ne fait pas partie de leurs
fonctions, c’est ce que souligne Olivia Mons, la porte-parole de
l'association France Victimes. La deuxième chose, c'est de
repérer les cas de harcèlement. Alors ça, ce n'est pas toujours
facile parce que les victimes ont tendance à cacher tout ça.
Elles ont honte ou peur des conséquences, comme le dit Nicole
Catheline. Elle invite les parents à s'alarmer quand leurs
enfants changent de comportement. Mais, ça aussi, ça peut être
compliqué. Mes parents, par exemple, ils tenaient un
restaurant et travaillaient beaucoup et, moi, j'étais seul à la
maison. Si j'avais eu ce genre de problème, je ne vois pas
comment ils auraient pu le deviner. Et pour les enseignants,
c'est pas évident non plus d'être attentifs à chaque élève. Donc,
si les enfants ne parlent pas, ça peut être très compliqué de
repérer un cas de harcèlement. Néanmoins, si un adulte en
connaît un, il doit absolument réagir et très vite. D'une part, il
faut accompagner la victime, lui apporter un soutien
psychologique, et même la protéger physiquement, si c'est
nécessaire. Et d'autre part, il faut absolument sanctionner
sévèrement le ou les coupables, par exemple en le renvoyant de
l'école, pour que tout le monde comprenne bien la gravité du
deux cent cinq 205
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
harcèlement. Dans les propositions du député Erwan
Balanant, il y a la création d'un délit spécifique de harcèlement.
Moi, je trouve que c'est une très bonne idée même si, bon, ça ne
va pas régler le problème. Ce n'est pas parce que le vol est
interdit qu'il n'existe plus. Mais en tout cas, le harcèlement ne
doit jamais rester impuni, et la sanction doit être vraiment
dissuasive. On voit que les cas de harcèlement ne sont pas
toujours faciles à repérer, et donc à gérer, et dans l'idéal, il
faudrait pouvoir les éviter. Donc, je vais vous parler
maintenant des moyens de prévenir ce problème.
Premièrement, il faut faire un travail de sensibilisation pour
que tout le monde soit conscient de la gravité de ces
comportements. Et aussi, il faut que chacun comprenne bien
qu'il a un rôle à jouer. Et là, je pense plus aux enfants. Parce
que dans une situation de harcèlement, il y a le harceleur et le
harcelé, mais il y a aussi des élèves qui sont témoins et qui
restent souvent passifs. Et on doit vraiment faire comprendre à
ces élèves que la passivité, c'est une forme de complicité. Parce
qu'il suffirait souvent que d'autres élèves soutiennent la
victime, qu'ils s'opposent aux harceleurs, ou qu'ils dénoncent
ce qui se passe à des adultes pour que la situation évolue
positivement. Deuxièmement, il faut qu'on éduque les enfants
au vivre-ensemble. Il faut qu'on leur enseigne le respect, la
tolérance et l'empathie. C'est ce que préconise notamment
Olivia Mons. Alors bien sûr, c'est le rôle des parents, mais c'est
aussi – et surtout – le rôle de l'école. C'est vrai, il y a des
mauvais parents et, ça, on ne peut pas y faire grand-chose. Par
contre, ce qui se passe à l'école, on peut le décider, et tous les
enfants peuvent en bénéficier. Donc je pense qu'il faudrait faire
des cours de vivre-ensemble, à tous les niveaux. On pourrait
développer l'entraide, la solidarité en montant des petits
projets, par exemple. C'est d'ailleurs quelque chose que le
gouvernement espagnol vient d'approuver.
Alors, ce serait utopique de penser que la prévention et
l'éducation régleront le problème du harcèlement. Donc je
crois qu'il faut aussi préparer les élèves à affronter au mieux
ces situations. On travaille beaucoup là-dessus dans la région
de Séville, en Espagne. En fait, l'idée c'est de développer la
capacité des élèves à répondre ou à réagir aux agressions. On
utilise le théâtre, par exemple. C'est un très bon outil pour
aider les élèves un peu timides à s'affirmer. Et moi, je pense
aussi qu'on devrait intégrer des cours de self-defense ou d'arts
martiaux dans les programmes scolaires. Ça pourrait
permettre aux enfants de mieux se défendre en cas de violence
physique.
Pour conclure, le harcèlement, c'est un phénomène de plus en
plus important et inquiétant. C’est donc très important que les
parents et les professeurs se mobilisent pour repérer et gérer
ces situations, mais ce n'est pas toujours évident. Il faut donc
absolument travailler en amont pour prévenir au maximum
ces situations. Un travail de sensibilisation et d'éducation me
semble indispensable, mais insuffisant. Moi, je pense qu'il faut
aussi préparer les enfants à affronter ces situations. Peut-être
que ce travail chez les plus jeunes permettra un jour de limiter
le harcèlement entre adultes parce que, sur Internet, au travail,
ou dans le privé, ils ne montrent pas toujours l'exemple à
suivre !
J'ai terminé. Je vous remercie de votre attention.
Piste 32
• Bien… alors, nous allons passer à la deuxième partie de
l'épreuve.
‚‚ Oui, on va vous poser quelques questions.
Oui, je vous écoute.
• Alors, vous avez dit que les réseaux sociaux ont amplifié et
aggravé le problème du harcèlement. Qu'entendiez-vous
exactement par là ?
D'abord, quand on est derrière un écran, c'est plus facile d'être
méchant et agressif que quand on est en face de la personne.
206 deux cent six
On peut le remarquer sur n'importe quel réseau social ! Et puis
aussi, avec les réseaux sociaux, il n'y a plus de limites de temps
et d'espace. Avant, le harcèlement se passait à l'école et, quand la
victime était chez elle, au moins elle était à l'abri. Mais maintenant,
on peut harceler quelqu'un n'importe où et n'importe quand.
Et ça, c'est quelque chose de vraiment terrible parce que, si la
victime ne se déconnecte pas, elle n'est jamais tranquille. C'est
plus seulement la journée à l'école, ou pendant les activités de
loisirs. C'est le week-end, c'est le soir en rentrant à la maison. C'est
partout et tout le temps, et on ne peut plus y échapper. Donc je
pense que, oui, ça augmente le risque de dépression et de suicide.
Pour moi, c'est évident que les réseaux sociaux amplifient et
aggravent le problème.
‚‚ Vous avez évoqué le cas des mauvais parents et vous avez
dit qu'on ne pouvait pas faire grand-chose contre ça. C'est
extrêmement pessimiste, non ?
Oui, c'est vrai, c'est un peu pessimiste. En fait, je crois qu’il y
aura toujours des parents négligents ou maltraitants, quoi qu'on
fasse. Je considère ça un peu comme une fatalité. Donc oui, je
suis relativement pessimiste sur ce point. Mais ce que je voulais
dire, c'est surtout que c'est plus facile d'agir sur ce qui se passe à
l'école plutôt que d'essayer d'agir sur ce qui se passe dans chaque
maison. Mais, ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas travailler avec
les parents. Certains sont des mauvais parents, entre guillemets,
parce qu’ils ne savent pas comment faire. Mais, s'ils ont la volonté
de s'améliorer, oui on doit les aider bien sûr, les accompagner, et
même les former.
• Dans l'entretien publié par Libération, la pédopsychiatre souligne
que les harceleurs sont aussi des enfants en souffrance. Dans
votre exposé, vous proposez seulement de les punir. Selon
vous, sanctionner des enfants en souffrance, c'est une réponse
appropriée ?
Oui, absolument, je considère même que c'est la seule réponse
possible. En tout cas, dans un premier temps. On a un coupable
et il doit être puni. L'objectif, ce n'est pas de trouver des excuses
au harceleur, sinon on ne s'en sort pas. Le harceleur a commis
une faute, et une faute grave. On doit absolument le punir pour
qu'il comprenne la gravité de son acte. Et aussi pour que tous
les autres élèves sachent que ce type de comportement ne peut
pas être toléré. Bien sûr, un enfant en souffrance devrait être
accompagné et soutenu, mais les enfants ont besoin que les adultes
leur montrent quelles sont les limites à ne pas franchir ; et harceler
quelqu'un, c'est dépasser les limites. Chacun doit assumer les
conséquences de ses actions.
• Alors vous…
Excusez-moi, mais si vous le permettez, je voudrais compléter sur
ce point.
• Bien sûr.
Je voulais simplement ajouter que, après la sanction, il faut que
les adultes cherchent à savoir s'il est lui-même en souffrance et si
on peut l'aider d'une manière ou d'une autre. L'idée, ce n'est pas
seulement de l'exclure de l'établissement et de lui dire « au revoir.
Maintenant tu peux aller harceler quelqu'un d'autre ailleurs ».
Non, il faut aussi essayer d’éviter qu’il recommence, comprendre
ce qui a pu entraîner ce comportement, c'est important. Et si cet
enfant est en souffrance, on doit l’aider. Mais en tout cas, l'urgence
face à une situation de harcèlement, c'est vraiment de sanctionner
ces comportements.
• Alors vous avez dit que…
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 7
Piste 33
• Allez, savourons notre « bonbon » du samedi avec vous Muriel,
bonjour.
Bonjour Stéphane. Amis des mots, bonjour.
• Alors, aujourd’hui, Muriel, vous nous parlez de l’art délicat du
tutoiement.
Eh oui, l’idée m’en est venue l’autre jour. J’avais pas le temps de

déjeuner – « déjeuner » sans accent circonflexe, vous n’étiez pas là,
mais petite révision de la semaine dernière – et je suis allée acheter
un plat tout prêt, un couscous, pas si mauvais figurez-vous, j’étais
surprise même. Ce qui m’a déplu, c’est le mode d’emploi. Il disait :
« Retire le couvercle pour me chauffer au micro-ondes. »
• Alors quoi, ça vous défrise qu’une barquette de couscous s’adresse
à vous ?
Mais j’adore qu’on s’adresse à moi, et pourquoi pas, même, quand
on est une barquette de couscous, mais pas en me tutoyant. La
barquette de couscous et moi n’avons pas été présentées, elle n’a
pas à me tutoyer ! J’étais choquée en fait. J’avais l’impression que
le fabricant me manquait de respect avec un petit côté démagogue
aussi, peut-être, genre « je veux installer entre nous une conni-
vence », qui en vérité n’existe pas. L’autre interprétation possible
c’est qu’il s’adressait à moi comme à une enfant. Mauvaise pioche
également ! Je ne suis pas la copine du fabricant de couscous. Je ne
suis pas, non plus, une enfant.
• Alors, c’est vrai que le tutoiement ou le vouvoiement sont très
codifiés. À la radio, par exemple, on se vouvoie.
Et voilà, tout comme à la télé d’ailleurs, même si l’on se tutoie
parfois dès que le micro est fermé. Ce sont des conventions : se
vouvoyer à l’antenne permet de marquer un certain respect à
l’égard des auditeurs. Les conventions sont aussi très différentes
d’une langue à l’autre. En anglais, la distinction entre « tu » et
« vous », qui existait encore dans les pièces de Shakespeare, par
exemple, a disparu aujourd'hui. En français, selon Larousse.fr, le
vouvoiement – on peut aussi dire « voussoiement », c’est un peu
suranné, mais très chic –, c’est « l’action de s’adresser à quelqu'un
en utilisant la deuxième personne du pluriel, dite de politesse ».
Et c’est bien la politesse qui faisait défaut sur ma barquette de
couscous. Et pour ce qui est de l’usage, eh bien le tutoiement
est utilisé bien sûr pour les proches, famille et amis, les pairs,
notamment les collègues, les enfants, qui se tutoient spontanément
entre eux. Mais on tutoie aussi les animaux, par exemple.
• Oui, c’est vrai que j’ai rarement entendu quelqu’un vouvoyer son
chien ou sa vache.
Eh oui, ça serait classe, pourtant. Et avez-vous remarqué que l’on
tutoie également les personnes qui ne peuvent pas nous entendre ?
• Qui parle à des gens qui ne l’entendent pas ?
Eh bien tout le monde ! Tout le monde parle à des gens qui ne
l’entendent pas. Ça ne vous arrive jamais d’invectiver un quidam
à la télé ou celui qui, devant vous, ne démarre pas au feu vert ? Le
vouvoiement s'adresse, lui, à ceux à qui l’on doit ou désire montrer
un certain respect, ou bien pour maintenir une certaine distance,
notamment avec les inconnus.
• Comme les clients qui achètent des barquettes de couscous.
Je ne vous le fais pas dire ! Si vous voulez me vendre du couscous,
merci de me vouvoyer !
• Alors, je vous dis à demain. À demain évidemment.
À demain.
Vidéo 12
• Les règles qui régissent la politesse, la bienséance et les
comportements genrés, ça change selon les époques. En ce
moment, alors qu’on s’intéresse de plus en plus à la question du
harcèlement sexuel, on redéfinit tranquillement nos rapports
sociaux.
On se questionne sur les façons acceptables de se comporter en
société, et une règle est tranquillement en train de s’imposer : pour
toucher au corps des gens, ça prend leur consentement.
• Sauf que…
Dans les faits…
• On touche régulièrement au corps des autres sans leur demander
leur consentement, au nom, notamment, de la bienséance. Par
exemple, quand on sert la main de quelqu’un, on considère que
c’est un geste de politesse, qu’il n’y a pas de parties sexuelles, et que
donc c’est sécuritaire de le faire.
Mais qu’en est-il de la bise ? Madame Lussier et moi, on n’a pas
exactement le même rapport au bisou sur la joue.
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
• Contre !
Pour !
• Contre !
Pour !
• Contre ! Ça créé des malaises, ça propage des virus, puis c’est
une perte de temps. Beurk !
Pour ! C’est chaleureux, c’est un signe d’ouverture à l’autre, et
c’est le bourgeon de la fleur de l’amitié. Si on n’a pas le même
rapport au bisou, toutes les deux on s’entend quand même sur
quelque chose : la bise telle qu’on la pratique à l’heure actuelle,
c’est problématique.
• D’abord parce que c’est sexiste. Dans notre société, la coutume
veut que les femmes se font la bise entre elles et que les
hommes et les femmes se font la bise entre eux.
Mais il manque une configuration au bisou qui, elle, est taboue :
le bise entre hommes. Les hommes ne s’embrassent pas entre
eux, sauf en France, des fois. What the fuck ?! What the fuck ?!
• Est-ce que c’est parce que les hommes veulent pas avoir l’air
gay ? Ça serait de l’homophobie latente ?
Est-ce parce que les hommes ne veulent pas se montrer de la
chaleur humaine ? Ce serait de la masculinité toxique ?
• Ou est-ce que c’est parce qu’on considère que le corps des
femmes est un bar ouvert, et pas celui des hommes ?
En tout cas, c’est clairement une tradition qui repose sur un
double standard.
• Pendant qu’on fait des bisous aux femmes, les hommes,
eux, vont se hocher la tête, se serrer la main ou se faire des
fist bumps. Mais nous aussi on devrait avoir ces options-là.
L’autre problème avec la bise, c’est que ça devient parfois une
obligation pour les femmes. En France, une mairesse a lancé
un débat en annonçant à ses 73 collègues qu’elle ne voulait plus
les embrasser avant chaque réunion.
Ça s’est super bien passé.
• Il arrive aussi que ce soit carrément imposé à quelqu’un qui se
fait attaquer par un baiser forcé.
N’importe quel comportement qui a une intention comme ça,
où la personne veut s’imposer à l’autre, ça peut devenir très
problématique. Moi je me rappelle un homme qui était tout
le temps en train de me taponner. Genre tout le temps, tout le
temps. Puis, il savait que ça me rendait mal à l’aise : « Oh mais tu
sais Lili, moi je suis un toucheux, je suis un taponneux, je suis
comme ça… ». OK, fine, c’est sa personnalité. Mais non, c’était
pas sa personnalité ! Il faisait juste ça avec les filles, et puis il
faisait pas ça avec les femmes qui avaient comme du pouvoir
sur lui. C’est quand même un trait de personnalité assez sélectif.
• On peut aussi penser à toutes les fois où on impose à des
enfants d’embrasser des adultes alors qu’ils n’en ont pas envie.
Je hais ça quand les parents disent : « Va donner des becs à ma
tante Judith ». Non ! Moi, je suis dans l’équipe : « Donne moi un
fist bump. »
Comment est-ce qu’on peut parler aux jeunes de consentement
alors que pendant des années on les a forcés à faire des bisous
à ma tante Micheline ?
• Ou ma tante Judith. Tu as ton corps, alors laisse-moi le mien.
Bon, est-ce qu’on abolit ça, la bise, là, et puis on fait comme
dans d’autres cultures, là, et puis on se touche plus jamais ?
Bah moi, je pense quand même qu’on peut la garder. Tu
te rappelles de Stephen Harper, là, quand il était Premier
ministre, à un moment il avait serré la main de son fils pour lui
souhaiter une bonne journée, et puis ça avait été viral, parce
que tout le monde se moquait de lui parce que, c’est ça, il était
quand même super froid avec son enfant. Mais, est-ce que c’est
ça la culture qu’on veut aussi ? C’est le fun, la chaleur humaine,
c’est le fun, quand même de…
• Bon, est-ce qu’on peut s’entendre d’abord sur une politique du
bisou ?
OK.
• Ce serait quoi l’idéal ? Reconnaître que la bise n’est pas
deux cent sept 207
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
une obligation. Plus le contexte est formel, comme un lieu
de travail, mieux c’est de connaître déjà la personne. Et si
les hommes font la bise aux femmes, ils devraient la faire
également aux hommes. Les bisous, ça peut être tout à fait
légit, sauf que si on n’aime pas ça, on a le droit.
Et si on veut être sûr d’éviter tout malaise, on peut simplement
remplacer la bise par ça.
Piste 34
• Et on se demande ce matin à quoi sert la politesse. Pour
le philosophe Emmanuel Levinas, la formule de politesse
« après vous » devrait être la plus belle définition de notre
civilisation. La politesse, une valeur à laquelle les Français
accordent beaucoup d’importance, mais ressentie en net recul
dans la plupart de nos interactions sociales. Et pourtant, dans
un monde en crise morale, sociale, économique, la politesse
reste le ciment qui empêche la dislocation de nos sociétés, le
ciment qui permet de vivre ensemble. Ce vivre-ensemble, ô
combien galvaudé et moqué. Ce matin, je vous propose de
célébrer la politesse, celle qui met de l’huile dans les rouages
de la vie sociale. Comme le dit notre invité Frédéric Rouvillois :
« Quand tout va bien, c’est la cerise sur le gâteau ; quand les
choses deviennent plus difficiles, la politesse reprend toute
sa force. » Quelles sont les marques d’impolitesse qui vous
insupportent le plus ? Quel rôle joue la politesse dans votre
vie quotidienne ? Considérez-vous qu’elle est synonyme
d’hypocrisie et de convention sociale ? Nous attendons vos
questions et témoignages au 01 45 24 7000. Par courriel,
grandbienvousfasse@radiofrance.com, et sur notre page
Facebook.
Piste 35
• Bonjour, Dominique Picard.
Bonjour Ali, et bonjour Frédéric Rouvillois.
‚‚ Bonjour Dominique.
• Je suis ravi de vous accueillir. Vous êtes professeure émérite de
psychologie sociale et vous avez notamment publié Pourquoi
la politesse ? ainsi que Politesse, savoir-vivre et relations sociales
dans la collection Que sais-je ? au PUF, et vous êtes en ligne
à Bandol, dans le Var, et on risque d’entendre des travaux
derrière vous, peut-être ?
Oui, oui, j’ai des voisins qui font des travaux.
• Alors, qu’est-ce que la politesse pour la psychologie sociale,
Dominique Picard ?
Alors, la politesse pour la psychologie sociale – je ne reviens
pas sur ce qu’a dit Frédéric, parce qu’il a raison – je vais
simplement ajouter que la psychologie sociale s’intéresse aux
relations entre les gens ; et la politesse, c’est un code relationnel.
Et en fait, quand vous dites « la politesse, désuète, un petit peu
ridicule, etc. », vous avez raison, mais il faut bien comprendre
que, la politesse, c’est comme le masque de Janus : il y a deux
aspects et il y a toujours – depuis la nuit des temps – eu deux
aspects. Il y a un premier aspect qu’on a plus tard appelé la
politesse du cœur et qui est, si vous voulez, la possibilité de
faire attention aux autres et d’être bien avec eux, de faire que
les rapports soient faciles. Et puis, il y a un autre aspect qui est
plus guindé et ce qu’on appelle, si vous voulez, le petit doigt
en l’air quand on tient sa tasse. Et alors-là, c’est ce qui serait
une façon de montrer aux autres qu’on a des manières et une
façon de se distinguer du peuple, du vulgaire, de ceux qui ne
sont pas dans l’élite. Alors, il y a toujours ces deux aspects
dans la politesse, et c’est pour ça qu’il y a toujours eu plusieurs
mots pour définir la politesse. C’est selon les époques, un
mot signifiait la politesse du cœur, et un autre signifiait cette
politesse pincée qui servait à exclure. Est-ce que j’ai été claire ?
• Très claire, Dominique Picard. Si je vous ai bien lu, la politesse
c’est à la fois un outil de prévention, un grand facilitateur et
bien souvent un sauveteur.
Oui, oui, eh bien si vous voulez, c’est un outil de prévention. On
a pu dire aussi que c’était l’huile dans les rouages des relations
208 deux cent huit
sociales. Si vous voulez, la politesse, c’est une espèce de code, un
monde entier dans lequel chacun a sa place, chacun sait ce qu’il est
par rapport aux autres, et chacun fait ce qu’il doit faire, donc on ne
peut pas se tromper.
Piste 36
• Frédéric Rouvillois, la politesse c’est une vertu sociale ou une
source d’hypocrisie ?
‚‚ Alors, ce n’est pas une source d’hypocrisie, elle peut être
hypocrite, elle peut être sincère, mais voilà… Mais c’est pas le
problème. Effectivement, ça n’est pas… C’est pas une vertu, la
politesse. À la rigueur, elle échappe à la morale, elle est un… Elle
est une dimension sociale. Je parlais tout à l’heure d’une recette,
hein, c’est une recette, ni plus ni moins, une recette qui est capable
d’une infinité de variations, et effectivement quand on va dire
bonjour, on peut le faire d’un air revêche, avec un grand sourire,
avec des battements de cœur, de même qu’on peut le faire parce
qu’il y a son patron qui est là et qu'on n'a pas le choix, bref. C’est,
voilà, c’est un continent.
• Un cas concret : quand je croise quelqu’un dans les couloirs que je
n’aime pas, mais à qui je souris poliment tout en lui tenant la porte,
suis-je un fieffé hypocrite ou un homme civilisé qui met de l’huile
dans les rouages ?
‚‚ Vous êtes un homme civilisé, même si vous êtes hypocrite, par
ailleurs ! Vous savez bien que la civilisation et l’hypocrisie font
parfois très bon ménage, et un ménage indispensable. Vous savez,
Molière nous a tout dit sur nous-même et sur la société. Lorsque
dans Le Misanthrope, il nous montre Alceste qui fait la gueule
en permanence et qui, finalement, crée son propre malheur au
nom de la franchise, parce qu’il veut que chacun dise la vérité en
permanence, et que l’hypocrisie pour lui doit être bannie, et ben
il va à la catastrophe, et au fond c’est ça le problème. C’est que,
on se rend compte, je crois qu’on s’en est… Alors, on va peut-
être me contester cette interprétation historique, mais je pense
qu’on s’en est assez bien aperçu dans le courant du xxe siècle
et notamment après Mai 68, qui est un petit peu en France,
un peu le creux ultime, on va dire, de la politesse. Lorsque y a
plus ça, eh ben voilà, les rapports redeviennent compliqués,
redeviennent rugueux, et du reste, les pays, notamment les pays
totalitaires qui avaient aboli la politesse à certains moments, la
Chine par exemple ou la Russie, ou dans notre histoire la France
révolutionnaire, sont des pays dans lesquels les gens finissent
par se taper dessus parce qu'ils n’ont plus, effectivement, ces
intermédiations, ces codes, cette huile dans les rouages.
• Dominique Picard, j’aimerais que nous évoquions une marque de
politesse : les salutations. Très tôt, on inculque aux enfants, on leur
inculque d’être polis en disant bonjour, « dis bonjour à la dame ».
Ne pas dire bonjour, ne pas saluer peut être violemment ressenti.
Quelles sont les règles fondamentales en matière de salutations ?
Alors, les salutations, ça sert à se positionner les uns par rapport
aux autres, de mon point de vue de psychosociologue. Ça sert à
se positionner les uns par rapport aux autres, donc, la salutation,
première chose, elle sert à reconnaître l’existence de l’autre : « Je
vous ai vu. » Si vous ne dites pas bonjour à votre concierge quand
vous dévalez l’escalier à toute vitesse parce que vous êtes en retard,
elle le prendra mal et dira : « Il ne m’a pas vue, j’existe pas pour
lui. » Bon, donc ça sert à montrer aux gens qu’on les reconnaît
et c’est un code très pratique puisqu’on peut le faire en un seul
mot. Mais, il y a une deuxième chose qui est de se positionner
par rapport aux autres. Dire « bonjour monsieur », c’est dire – je
me place comme un enfant – dire : « bonjour monsieur », ça veut
dire que je donne une marque supplémentaire. À un copain, je
lui dis « bonjour », à mon voisin, je lui dis « bonjour monsieur ».
Ça signifie une marque de respect supplémentaire parce que moi,
enfant, je suis en position inférieure par rapport aux adultes.
Alors, après on continue. Dire « bonjour monsieur l’abbé », c’est
montrer que non seulement c’est un monsieur, mais c’est un
monsieur qui a un titre particulier qui le met peut-être, encore,
au-dessus des autres. Ou « bonjour monsieur le directeur » ou

« bonjour ». Vous voyez, c’est une façon de montrer la distance
et la position qu'on a par rapport aux autres. C’est fondamental,
c’est pour ça que ça fait partie des bases de l’éducation parce que
la salutation c’est l’entrée en contact, et donc c’est le premier… le
premier signe qu’on envoie aux autres et le premier signe qu’on
reçoit d’eux.
Vidéo 13
• Bonsoir Linda. Ça vous allait comme entrée en matière ?
Bonsoir. C’était trop, c’était trop mais c’est tellement gentil. Merci
Mohamed.
• Bonne année à vous, ma chère Linda ! Plein de bonnes choses !
Bonne année !
• Allez, la bise.
Bonne année ! Vous avez passé de belles fêtes ?
• Vous m’avez manqué quand même.
Ouais, ouais, bon. Je vous souhaite vraiment une très, très belle
année, Mohamed. Avez-vous remarqué qu’on entend beaucoup
« belle année ! » cette année ?
• C’est vrai.
Et moins souvent qu’avant « bonne année ! » hein ? Très tendance
en ce début de décennie, on le voit à la fin de nos courriels
professionnels, comme celui que j’ai ouvert ce matin : « J’attends
votre avis. Belle année 2020 ! » On le voit sur les réseaux sociaux :
le département du Gard, sur Twitter, en France, nous souhaite
une belle année. On le voit dans nos textos, comme celui que vous
m’avez envoyé à minuit pile, le 31 : « Belle année, Linda ! » Etc.,
etc. C’est bien simple, « belle année » est en train de concurrencer
notre bon vieux « bonne année » Que se passe-t-il ? En fait, c’est
exactement ce qu’il s’est produit avec « bonne journée ». On dit
de moins en moins « bonne journée », maintenant, on dit « belle
journée ». C’est tellement plus chic, c’est tellement plus esthétique.
« Belle journée à l’école, les enfants ! », « belle journée au travail,
mon amour ! ». À la radio, tous les matins, la présentatrice dit
à son invité : « Merci monsieur Machin, belle journée à vous ! »
J’ai l’impression, tout d’un coup d’avoir été téléportée au pays
des Bisounours. Alors, pour tenter de trouver une explication
rationnelle à ce changement de langage…
• C’est vrai, tiens, pourquoi ?
Eh ouais. J’ai consulté. J’ai consulté des linguistes et j’ai découvert
que nous sommes face au phénomène d’emphase, d’exagération
linguistique. Je m’explique : à la base, « bonne journée », c’est le
féminin de « bon jour », en deux mots, vous êtes d’accord avec
moi ?
• Logique.
Au xviiie siècle, quand on voulait souhaiter une bonne journée
à quelqu’un, on lui souhaitait un « bon jour », puis un beau jour,
« bon » et « jour » ont fusionné. « Bonjour », en un seul mot, est
alors devenu une formule de politesse « bonjour ». Du coup, pour
souhaiter un bon jour, on s’est mis à dire « bonne journée ». Mais,
notre langue étant vivante et soumise à toutes les tentations,
« bonne journée » aussi s’est banalisé. Avec « belle journée » vous
voyez, Mohamed, on remet de l’intention dans notre propos, on
exagère, on force le trait et on capte l’attention. « Belle journée »,
ça donne à l’autre le sentiment que nos mots ont été choisis
soigneusement pour lui. « Je te souhaite une belle journée ! J’espère
que ton soleil intérieur va irradier ton sourire. » Vous voyez, mais
là aussi, à force « belle journée » est en train de perdre du terrain
et on voit déjà fleurir, ici et là, des « jolie journée », « douce journée,
mon amour » et « merveilleuse journée » avec une marguerite sur
le « j » à la place du point. On disait quoi avant, déjà ?
• Bonne journée.
Bonne journée ! Et c’était bon ça, bonne journée ! Là-dessus, il ne
me reste plus qu’à vous souhaiter, bah… une délicieuse soirée,
une splendide fin de semaine, une sublime année 2020 et surtout,
surtout, une divine santé ! Vous savez que vous êtes une belle
personne, vous, Mohamed ?
• Merci beaucoup Linda, ce fut une très belle chronique. Alors, belle
soirée à vous. Je vais rester soft. Merci à vous.
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 8
Piste 37
• Quel est le point commun entre le calamar géant,
l’ornithorynque, le kraken, le yeti, le cœlacanthe, l’OKapi, le
monstre du Loch Ness et la bête du Gévaudan ? Eh bien, tous
ces animaux réels ou imaginaires relèvent ou ont relevé du
domaine de la cryptozoologie. Et en cette journée d’Halloween,
il nous a semblé juste et bon d’examiner le sort fait par la
science à ces bêtes légendaires qui parfois sont bel et bien
réelles. Qu’est-ce que le monstre du Loch Ness peut apprendre
à la science ? C’est l’énoncé très monstrueux du problème qui
va nous occuper dans l’heure qui vient. Bienvenue dans La
Méthode scientifique. Et qui mieux pour parler de cryptozoologie
que deux cryptozoologues ? Bonjour Benoît Grison.
Bonjour.
• Vous êtes docteur en sciences cognitives, biologiste et
sociologue des sciences, vous publiez Le Bestiaire énigmatique
de la cryptozoologie : du yéti au calamar géant, aux éditions
Delachaux et Niestlé. Nous sommes également avec Éric
Buffetaut, bonjour.
‚‚ Bonjour.
• Vous êtes, vous, paléontologue, directeur de recherche émérite
au laboratoire de géologie de l’École normale supérieure. Vous
publiez À la recherche des animaux mystérieux : idées reçues sur la
cryptozoologie qui paraîtra à la fin de la semaine, vendredi très
précisément, aux éditions Le Cavalier Bleu. Alors voilà, je vous
définis : « biologiste », « paléontologue » ça veut dire qu’on ne
dit pas « cryptozoologue », Benoît Grison ?
La cryptozoologie reste une parascience, c’est-à-dire que si on
veut s’en occuper sérieusement, il faut traiter les problèmes
cryptozoologiques à l’interface de disciplines existantes, qui
suffisent à traiter ces problèmes. Ça peut être de la biologie, de
la paléontologie, de la sociologie, voire même de la psychologie,
du folklore, etc. De l’anthropologie culturelle…
• Donc vous n’êtes pas… C’est abusif de vous définir comme
cryptozoologue, Éric Buffetaut ?
‚‚ Ah oui, tout à fait, c’est pas une discipline reconnue par
le CNRS. Il faut caricaturer un peu la situation. Non, les
cryptozoologues ce sont… Il y a un spectre énorme dans
les cryptozoologues, entre des gens, ben, comme Benoît et
moi, qui sommes des scientifiques professionnels, et que ça
intéresse ce genre de question, et puis aussi un grand nombre
d’amateurs, je dirais, entre guillemets, sans que ça soit
forcément péjoratif, qui s’intéressent à cette question avec plus
ou moins de bonheur, je dirais, ou plus ou moins de rigueur,
plus exactement.
• Alors qu’est-ce que c’est que cette cryptozoologie ? Comment
est-ce qu’on la définit si c’est une parascience, comment… ?
Quelles sciences ? On a entendu Benoît Grison dire qu'elle
en recoupait plusieurs. Qu’est-ce que c’est exactement, Éric
Buffetaut ?
‚‚ La définition qui en a été donné, enfin l’étymologie, pour être
plus précis, c’est la science des animaux cachés. C’est ainsi
qu’elle a été définie par son fondateur, même s’il n’a pas été le
premier à en faire, qui était Bernard Heuvelmans, qui est né il
y a tout juste cent ans, qui était un zoologue belge. Et donc c’est
une approche peut-être, plutôt qu’une science, qui essaye de
découvrir ou de comprendre ce que peuvent être des animaux
qui sont encore ignorés de la science, mais sur lesquels il y a
des rumeurs, des témoignages, parfois des indices tangibles
aussi, mais qui ne sont pas encore acceptés par la science
zoologique.
• C’est-à-dire que, Benoît Grison, en gros, ces animaux cachés
sont des animaux dont on trouve des traces, des signes
culturels ? culturalistes ?
Oui, il y a des données lacunaires, fragmentaires, qui peuvent
aller de la zoologie, de la pièce anatomique, de la biologie mais
deux cent neuf 209
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
problématique des empreintes, et puis, bien entendu, des
traces culturelles, ce qui veut pas dire forcément de la pure
mythologie, ça peut être des ethnosavoirs. Les gens disent : « Si,
si, cet animal fait partie de notre faune et nous le connaissons
depuis longtemps. » Bon, et le problème c’est d’approprier ces
données fragmentaires, ces données culturelles, qui ne sont
pas des données de sciences dures, pour essayer de voir la
vraisemblance zoologique de ces animaux-là, voilà.
• Ce qui est intéressant dans ce que vous dites finalement,
c’est que vous naviguez entre deux pôles qui semblent
pourtant relativement éloignés : d’une part, effectivement,
des écosystèmes préservés dont certains peuples, certaines
populations locales, vous disent « mais si, ça existe bien », et
de l’autre côté, des monstres légendaires qui ont parcouru
l’histoire de la littérature ou des mythologies locales. Éric
Buffetaut, c’est deux Charybde et Scylla très très lointaines
l’une de l’autre.
‚‚ Oui, parce que quand on passe en revue les créatures
mystérieuses qui sont l’objet de la cryptozoologie, on voit
assez bien qu’il y en a certaines qui ont… Qui peuvent avoir
une réalité tangible, d’autres qui sont beaucoup plus proches
du mythe, et que, entre les deux il y a des nuances, et qu’il
est souvent difficile de faire la part des choses. C’est bien le
problème général de la cryptozoologie : d’abord… D’ailleurs,
c’est de savoir qu’est-ce qu’on doit prendre au sérieux, si on
peut dire, dans… Au sujet de ces êtres. Quand je dis « au
sérieux » je veux dire : qu’est-ce qui est du zoologique là-
dedans et qu’est-ce qui n’en est pas ?
• Qu’est-ce qui est du folklore ? Ou du culturel ?
Oui voilà, on pourrait dire, en marchant vite, mais on
reviendra, on a le temps de revenir tous les deux, tous les trois
même, dans les détails de la cryptozoologie. La cryptozoologie
s’occupe d’animaux mythifiés, mais mythifiés ça peut vouloir
dire qu’on est vraiment dans l’imaginaire, la légende ou
l’accrétion de plusieurs animaux réels qui donne un animal
mythique hein, tel que le dragon chinois qui s’est beaucoup
nourri de l’alligator, tel que le dragon occidental, qui s’est
beaucoup nourri du python, hein, des rumeurs sur le python
qui survivent encore en Afrique du nord dans des zones
préservées, dans l'Antiquité. Alors à ce moment-là, on est dans
la créature imaginaire qui s’est nourrie de la réalité zoologique
qu'elle a recomposée. Et puis parfois, il y a des animaux réels
qui sont mythifiés parce qu’ils ont une allure pas possible ou
qu’ils ont disparu récemment. Alors, une allure pas possible,
vous citer l’ornithorynque, il y a aussi, bon, ces petits lézards à
membranes alaires du sud-est asiatique, de la région indo-
malaise, qu’on a surnommé, qu’on a nommé, d’un point de vue
non linnéen, « draco volans », qui ont des membranes qui leur
permettent de vaguement planer.
• Littéralement des dragons volants, donc.
Voilà, et c’est les premières descriptions de voyageurs et de
marchands hollandais au xviie siècle, les gens disaient : « C’est
complètement n’importe quoi ! » En réalité, non, l’animal
existait. Donc voilà, c’est pas toujours si simple, comme le
disait très bien Éric, de faire la part de ce qui serait purement
mythique et ce qui serait purement zoologique.
Piste 38
• (Bonjour monsieur. Bonjour madame. Je suis un garçon ou je suis
une fille ? Il y a une femme là-dessous ! Non ! Alors, qu’est-ce que
c’est ? C’est un homme ! Tu as dit à tout le monde que tu étais un
garçon ? Tu as menti ? Bah, oui, oui, oui, parce que j’ai des poils qui
me poussent sous le maquillage et je réclame le droit de vivre, voilà !)
Giulia Foïs, bonjour.
Mais bonjour Ali, bonjour tout le monde.
• Alors, ce qui nous interpelle aujourd’hui, plus encore que la
déprime du dimanche soir, c’est la fièvre du jeudi soir, de ce
soir en l’occurrence. On fête Halloween, et c’est un cortège de
monstres qu’on va voir défiler, sorcières en tête, évidemment.
210 deux cent dix
Elles seront laides et puis courbées, avec une pustule sur le nez.
Elles auront la bouche édentée, une sale peau, toute ridée, ou alors
elles ont la peau lisse, et toutes en seins et toutes en cuisses, lèvres
rosées, tenues osées, cheveux de feu, oui, rousses, allez ! À partir
de la fin du Moyen Âge, on les a chassées, écrouées, torturées et
puis violées, écartelées, et enfin on les a brûlées, sur le bûcher, en
place publique. On les entend encore hurler. Toutes les femmes
qui manifestaient une légère indépendance et toutes celles qui
possédaient le savoir et la connaissance, les guérisseuses, les
avorteuses, les accoucheuses devenaient des suppôts du démon. À
la base de l’accusation, suffisait d’une réputation. À tour de bras,
on en a tué, pendant deux siècles, fait disparaître, toutes celles
qu’on appelait « sorcières ». 50 000, on les a comptées. Peut-être
100 000, massacrées. C’était l’Église qui le voulait, et puis le peuple
applaudissait. Organisée, pensée, poussée, c’est une violence
systémique, on dirait « un féminicide » si c’était pas anachronique.
Nourrie par une haine antique et une crainte farouche. Des
femmes, à leur tour, les bûchers, leurs flammes, vont prendre, et
c’est un incendie, le terreau de la misogynie. Celles qui ont vu ces
femmes brûler reçoivent le message, c’est parfait. Baisse la tête,
regarde tes pieds. Tu veux la paix ? Tu te soumets.
• Mais, Giulia, les temps changent et les sorcières se remettent à
battre le pavé ?
Oui ! Vous les avez peut-être vues, ces manifestations dans les rues
de New York, du côté de Wall Street. Des militantes féministes,
chapeau pointu, visage grimé… Elles promettent la chute de la
bourse ou bien elles jettent des sorts à Donald Trump. En réalité,
depuis la deuxième vague féministe des années 1960, la sorcière
est un étendard pour les militantes, et son histoire révélatrice :
son supplice, c’est le résultat des violences millénaires faites aux
femmes ; le bûcher, c’est la brutalité du patriarcat ; et le balai,
une arme d’émancipation massive. Entre les jambes, il devient
phallique. Instrument grâce auquel les femmes défient l’espace,
le temps, la pesanteur… Grâce à lui, elles maîtrisent leur corps.
La liberté de mouvement, alors gagnée, est celle qui leur permet
d’échapper à la prison qu’est leur foyer, à l’autorité du mari, à la
tutelle d’une société qui préférerait les enfermer. Ce diable avec
qui on les accuse de coucher raconte juste qu’elles prennent leur
pied, et ce rire – oh mon dieu, ce rire – qu’on entend entre deux
soupirs, c’est la puissance de leur jouissance. C’est ça qu’on leur
a fait payer, en les traînant de force au bûcher. C’est cela que
viennent revendiquer celles qui reprennent l’habit de sorcière.
« Conservatisme, du balai ! » : c’est leur slogan, c’est bien trouvé.
• Et cette tribune, à paraître dimanche, n’est donc pas tout à fait un
hasard.
Publiée par le journal Le Soir en Belgique et par Le JDD en France,
elle a circulé aux États-Unis, en Australie, en Inde, en Espagne,
au Canada, partout. Signée au moment où l’on se parle, par une
centaine de militantes féministes, de politiques, d’artistes… Elle dit
par exemple : « Nous nous déclarons filles spirituelles des sorcières
libres et savantes, sœurs de toutes celles qui, aujourd’hui encore,
parce qu’elles sont femmes, risquent la violence et la mort. »
Sorcières d’hier, sorcières d’aujourd’hui. Sorcières, elles le sont par
le pouvoir qu’on leur prête depuis deux ans, depuis #MeToo, tous
ces fantasmes que l’on secoue, toutes ces menaces que l’on brandit.
Ironie des chiffres, ironie du sort encore. Aujourd’hui, Ali, au box-
office américain, les sorcières maléfiques de Disney viennent de
battre Le Joker. Victoire par KO sur grand écran. Super-héroïnes
contre super hétéros. Le vent serait-il en train de tourner ? Je
sais pas, mais un dimanche soir, soir de cafard, regardez donc
par votre fenêtre, vous verrez peut-être une sorcière en train de
danser.
Vidéo 14
• Aux Antilles, tout commence au pied du fromager. Cet arbre
majestueux aux racines apparentes est aussi le point de rendez-
vous de tous les mauvais esprits. La légende à la Martinique
raconte qu’à midi, les dorlis et autres démons se réunissent autour
de l’arbre, pour ruminer leurs projets diaboliques.

Y a l’arbre sacré ici ! Comment s’appelle-t-il ? Fromager !
• Une fois la nuit tombée, le dorlis, ce prédateur sexuel maléfique,
part arpenter les maisons, en quête de nouvelles proies. Pendant
l’esclavage, la visite du dorlis pouvait expliquer pourquoi le bébé
du foyer était né avec la peau claire du maître. Pour éloigner les
mauvais esprits, les Martiniquais répandent du sel autour des
maisons, par exemple. Et puis, petite astuce de grand-mère,
mesdames, toujours enfiler sa culotte à l’envers pour aller se
coucher : la créature « est comparaison », ça la rebute tout de suite.
Si je plante mon fromager en Guadeloupe, c’est aux soucougnans
que j’aurai affaire. On raconte que c’est dans les branches de
l’arbre qu’ils aiment cacher leur peau. Les soucougnans ce sont
des hommes et des femmes ordinaires, mais une fois la nuit
tombée, ils abandonnent leur peau pour prendre la forme de
créatures volantes, qui sillonnent l’île pour commettre des actes
maléfiques. Si le soucougnan se fait voler sa peau, il ne peut plus
retrouver forme humaine. Entre les branches du fromager, la
légende raconte que personne ne peut venir la chercher. Grand-
mère Kalle ? Nous voici de nouveau au temps des colonies, à La
Réunion cette fois. Grand-mère Kalle, une cruelle propriétaire
d’esclaves a commis la faute de trop : réprimer dans le sang une
tentative d’évasion. Le lendemain de la tuerie, une de ses captives
lui sert un thé empoisonné. La vieille femme est prise de douleurs
atroces, elle se transforme en rapace hideux et s’envole dans la
nuit. Depuis, grand-mère Kalle hante la Réunion et sème les
mauvais présages. Quand on entend son cri de papangue, c’est
qu’un malheur va bientôt frapper. Beaucoup de mythes et de
légendes d’outre-mer trouvent leur source dans la période sombre
de l’esclavage. Le fromager des Antilles, par exemple, c’est l’arbre
auquel les békés attachaient leurs esclaves pour les punir.
‚‚ Dans notre communauté créole, dans notre culture créole, c’est un
arbre qui n’est pas anodin. D’ailleurs, pour vous faire couper chez
vous un fromager, vous avez intérêt à plutôt trouver un bûcheron
suédois ou ukrainien plutôt qu’un gars d’à côté.
• L’univers de la nuit aussi revient souvent car les esclaves
attendaient que la lumière du jour s’éteigne pour tenter de
s’évader. Alors les maîtres répandaient ces histoires terrifiantes
qui se passaient la nuit pour les effrayer et les dissuader de
marronner. Les mythes et légendes des outre-mer offrent
un éclairage sur l’histoire de ces îles et permettent aussi d’en
comprendre les usages. Si vous allez à Mayotte, par exemple,
oubliez les bains de mer ou de rivière la nuit, personne ne fait ça,
c’est impensable : tout le monde sait que les Ouana Issa guettent les
imprudents pour leur jeter un mauvais sort.
Piste 39
• Salut ! Mmm, il a l’air bon ton gâteau, c’est quoi ?
Un mystère !
• Non, vas-y, dis-moi !
Je suis sérieuse, ça s’appelle vraiment un mystère : de la meringue
cachée dans de la glace vanille, recouverte de pralin… Ils les font
bien dans ce salon de thé, tu devrais en prendre un !
• Ça me tente bien, oui ! Mais je vais attendre que Simon arrive, on
commandera en même temps. D’ailleurs, il devrait déjà être là
depuis longtemps ! Il habite à deux minutes à pied, qu’est-ce qu’il
fabrique ?
Alors là, mystère…
• Je dirais même, mystère et boule de gomme !
Ouais, en attendant, les trois dernières fois qu'on s’est vus, il m’a
fait poireauter au moins une demi-heure !
• Oui, j’ai l’impression qu’il arrive encore plus en retard ces derniers
temps… La faute à sa nouvelle copine, tu crois ? Il va peut-être
enfin nous en parler…
‚‚ Salut, salut ! Désolé, je suis à la bourre !
Oui, on se faisait justement la remarque ! Ça devient répétitif !
‚‚ Ah oui… mais, en fait, euh… je voulais vous dire un truc… Ben…
enfin… voilà…
• Oh c’est bon ! C’est un mystère pour personne que tu sors avec
quelqu’un !
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 9
Piste 40
• (Art et spectacle avec Marika Bellavance.) Alors, l'Halloween,
ça c'est bien connu, c'est l'occasion pour plusieurs cinéphiles
de faire un marathon de films d'horreur et d'épouvante.
Mais pourquoi est-ce que les films d'horreur nous font peur ?
Eh bien Marika, ce matin, on va tenter de répondre à cette
question-là.
Ouais, des fois, on se le demande : comment est-ce que les
cinéastes arrivent à nous faire peur ? Eh bien, on en parle ce
matin avec un spécialiste en cinéma d'horreur et de science-
fiction, André Caron. Monsieur Caron, bonjour !
‚‚ Bonjour !
Des films d'horreur, il y en a plusieurs. Il y en a qui sont
meilleurs que d'autres. Qu'est-ce qui fait selon vous un bon
film d'horreur ?
‚‚ Ben d'abord, il faut dire que ça fait 120 ans qu'on fait des
films d'horreur. Qu'est-ce qui fait qu'un film d'horreur nous
marque tant. Puis, pourquoi il y en a tant ? Je pense que la
première chose qu'il faut faire, c'est se demander c’est quoi
l'horreur exactement au cinéma ? Pourquoi c'est si marquant,
pis pourquoi ça devient quelque chose qui est spontané ?
La première chose, c'est : on veut avoir peur. Y a l'idée de se
faire des peurs, se raconter des histoires qui vont nous faire
sursauter. Donc, y a cet élément-là mais si on creuse un peu
plus, il y a un critique canadien qui s'appelle Robin Wood, qui
a inventé une définition qui est vraiment parfaite, parce que
tous les films d'horreur rentrent dedans. Lui, sa définition
c'est : « La normalité est menacée par un monstre. » C'est très,
très simple. Sauf que, ce qui devient compliqué c'est : c'est
quoi un monstre ? Qu'est-ce qui est anormal dans le fond, pis
c'est quoi la normalité ? Et souvent, on se rend compte que ce
qui est, je dirais, fondamental dans toutes les cultures, c'est la
famille : les enfants, la maison… Et donc, quand on prend ces
éléments-là, qu'on les rend diaboliques, ou on les [?], on les
rend maléfiques, ben à ce moment-là, on tombe dans l'horreur
et là, ça nous attaque profondément, parce que ça vient
nous chercher dans nos valeurs, des fois sans qu'on le sache
vraiment.
Et justement, est-ce qu'il y a des techniques qui sont utilisées
par les cinéastes ? Parce que bon, moi quand je regarde un film
d'horreur, je sais que je vais avoir peur, je sais que je vais faire
un saut mais je fais un saut quand même. Est-ce qu'il y a des
techniques spéciales ?
‚‚ Ben, c'est ça, la première chose c'est, bien sûr, une question
de mouvements de caméra, de cadrages et de points de vue.
Alors souvent, si vous prenez, là présentement, Halloween, qui
vient de sortir. Quand on regarde dans le premier film, ben
on était souvent avec Laurie Strode, le personnage de Jamie
Lee Curtis, pis tout était orienté un peu selon ce que, elle,
percevait. À ce moment-là on est avec elle, pis la menace est
réelle pour elle. Donc, ce que le cinéaste va faire dans ce cas-là,
c'est qu'il va faire, il va nous déjouer en mettant la caméra,
soudainement, du point de vue de la créature, dans ce cas-là,
de Mike Myers. Et ces mouvements de caméra-là, insidieux,
qui se promènent un peu partout, sont devenus la norme, je
dirais, dans les films d'horreur. Et souvent, ces cadrages-là
sont très serrés, les mouvements sont très rapides et, ça aussi,
ça crée déjà une ambiance propice à l'horreur, à faire des
sauts. Mais, y a aussi des types de techniques qui reviennent
souvent. Par exemple, on s'en rend compte : ben tant qu'il y a
de la musique puis tout d'un coup, il y en a plus…
Ouais.
‚‚ Et puis le son baisse et là, tout d'un coup « bang ». Ça, c'est une
façon assez classique de nous faire faire un saut. Et le plan,
je te dirais, qui revient le plus dans le cinéma d'horreur, c'est
la main sur l'épaule. Un personnage qui marche de dos, tout
d'un coup y a une main qui rentre dans le cadre pour saisir
deux cent onze 211
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
l'épaule du personnage. Moi, j'avais un couple d'amis qui, à
toutes les fois que ça arrivait, ils s'embrassaient. Et des fois,
ils s'embrassaient souvent dans le cinéma en allant voir des
films d'horreur. Il y a tellement de plans comme ça dans les
films. Ou le classique je dirais, avant les cellulaires, c'était le
téléphone qui sonne. Le téléphone à cadran…
Ouais.
‚‚ Qui a un son bien particulier. Maintenant on a remplacé ça
par les bip bip des cellulaires, mais c'est pas aussi efficace que
ce son. C'est des techniques qu'on retrouve souvent dans les
films d'horreur.
Et en terminant, peut-être, une petite suggestion de film
d'horreur à écouter pour la nuit d'Halloween.
‚‚ Ben moi, je vous dirais, un des films qui m'a le plus marqué
dans les trente dernières années, peut-être, c'est Candyman.
C'est vraiment efficace. C'est un film qui est aussi fantastique.
Et évidemment, tous les classiques, là, comme Carrie, toute
la série Alien, tous les premiers, les deux premiers, là.
C'est encore très très efficace. Donc ça, c'est des films qui
continuent à nous marquer.
Certainement des films à ajouter dans notre collection.
‚‚ Exactement !
Merci beaucoup, Monsieur Caron, de nous avoir parlé ce
matin.
‚‚ Merci et bon Halloween !
Merci !
Vidéo 15
• (Et à la une : deux corps retrouvés dans le Var, c'est le bilan humain
des inondations. 71 incendies sont actuellement en cours dans tout
l'État. L'état d'urgence a été déclaré pour 8 d'entre eux. Tout ce que
j'ai vu et appris pendant mon périple m'a complètement terrifié.
Chaque année 8 millions de tonnes de plastique se déversent en mer.
Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que
je ressens tous les jours. Le pouvoir de Mère Nature est vraiment
incroyable mais est aussi effrayant.) Une quantité vertigineuse
d'avertissements sur l'état de la planète. Cette semaine, Élément
Terre enquête sur le nouveau mal du xxie siècle : l'éco-anxiété.
Je m'appelle Justine Davasse et je suis animatrice et
conférencière en zéro déchet et transition écologique. L'éco-
anxiété, ça regroupe un peu un panel de sentiments : la colère,
l'impuissance, la tristesse. Dès que je sens les premiers signes
de l'éco-anxiété, je fais ce qui est bien pour moi, c'est-à-dire
que je coupe les réseaux sociaux, je vais manger un carré de
chocolat, je vais prendre une douche chaude, je vais faire du
yoga, je vais dormir… Enfin, je vais faire des choses, en fait, qui
vont calmer mon métabolisme et qui vont me faire revenir à
la normale. Les éco-anxieux ont conscience de la destruction
de leur environnement, environnement qui conditionne notre
propre vie. Si on n'a plus d'eau à boire, si on n'a plus d'air à
respirer, si on n'a plus de nourriture de qualité à manger, c'est
normal de commencer à s'inquiéter pour sa propre vie. L'une
des manières d'appréhender son éco-anxiété ou de l'améliorer,
c'est d'en parler. Et en fait sur ce groupe Facebook que j'ai créé,
l'objectif, c'est quand même de pouvoir apporter du soutien à
des gens qui sont un peu en panique. J'anime des ateliers sur
le zéro déchet ou sur le plastique : c'est aussi un moment où
on peut échanger sur l'éco-anxiété, sur l'action individuelle et
l'action collective. Je pense que c'est plutôt les gens qui disent
qu'ils ne sont pas éco-anxieux qui ont du souci à se faire. Je
pense qu’être éco-anxieux, c'est être normal. Parce que, quand
on a autour de soi des choses qu'on aime et qui meurent, c'est
normal de se sentir un peu endeuillé.
• Le changement climatique est la plus grande menace du
xxie siècle pour la santé. Ce sont les plus grands médecins qui
nous le disent. Évidemment, on pense à la santé physique, aux
canicules, aux tempêtes, aux incendies, mais le changement
climatique présente aussi un risque pour la santé mentale.
Après le passage de l'ouragan Katrina, 1 personne interrogée
212 deux cent douze
sur 3 présentait des symptômes de stress post-traumatique. Et
c'est l'anticipation d'un futur sombre qui mine les esprits. Une
peur chronique devenue tellement commune qu'aujourd'hui les
psychologues parlent d'éco-anxiété, et jamais les patients n'ont été
aussi nombreux.
‚‚ Je suis Pierre-Éric Sutter. Je suis psychologue et psychothérapeute.
J'ai été interpelé par des patients, une patiente en l'occurrence.
J'ai découvert que c'étaient des peurs grandissantes dans
notre société. Les gens qui ont peur des symptômes liés au
réchauffement climatique. C'est des peurs classiques que les
psychologues connaissent bien. Des peurs somatiques par
exemple, la peur de ne plus bien manger. Donc c'est des peurs
assez primaires. Ensuite, vous avez des peurs plus secondaires
qui sont des anxiétés, c'est-à-dire je dors mal la nuit parce que
je m'imagine des choses vis-à-vis de mon destin. Tout le monde
a peur. C'est une loi universelle du genre. C'est pas parce que
certains ont peur par anticipation – et qu’ils sont presque, je
dirais, des prophètes, en fait, en ayant peur avant tout le monde –
qu'il faut les dénigrer. Moi, je pense qu'il faut les écouter. L'action
permet justement de lutter contre les phénomènes dépressifs, la
tristesse, la colère. C'est très important de se mettre en relation
avec des collectifs qui ont les mêmes préoccupations, parce que
l'action efficace ne sera que collective. Tout seul dans son petit
coin on s'épuise et on risque le burn out écologique, c'est-à-dire un
épuisement de ses propres ressources face à un épuisement des
ressources naturelles.
• Les psychologues le disent : pour aller mieux, l'idée c'est d'agir.
Seul ou en groupe. Et déjà, certains prennent des mesures
drastiques pour éviter le pire.
·
·Alors, je suis Bénédicte.
Je m'appelle Rémi.
·Et· nous habitons dans un petit village du Cantal. On a 3 enfants et
on pratique l'école à la maison. Nous sommes une famille qui vise
l'autonomie et la résilience. C'est pas un jour où on s'est réveillés
en se disant « tiens, si on devenait collapsologue ». Non. C'est
quelque chose qui s'est construit dans nos choix de vie, dans notre
fonctionnement. Voilà, il y a un terme aujourd'hui qui correspond
à ce qu'on fait et voilà, on a cette étiquette-là.
L'autonomie permet de se dire qu'on va être moins dépendant
de cette société qui, elle, va être déséquilibrée par ce changement
climatique. Au départ, c'est surtout l'alimentation. On a l'habitat,
évidemment. Après, c'est l'énergie. Donc on essaie de produire au
maximum notre énergie nous-mêmes. C'est des panneaux solaires
et une petite éolienne qui nous produisent ce dont on a besoin.
·Y · a la santé. Apprendre à se soigner avec ce qu'on trouve dans
notre jardin finalement, parce qu'on a des plantes locales qui sont
très très efficaces. On n’a pas besoin d'éléments extérieurs pour ça.
Pour nous, ça c'est primordial, c'est l'action, c'est le fait de faire et
d'interagir avec ces changements-là et ce climat qui, on ne sait pas
trop où ça va nous amener mais ça nous permet de ne pas avoir
cette anxiété-là, et de ne pas avoir ces angoisses.
Piste 41
• Bonjour à tous, soyez les bienvenus dans Grand bien vous fasse.
Loup y es-tu ? Gare au loup ! Si tu n’es pas sage, le loup va venir
te manger… La peur du loup reste encore vivace chez les enfants,
une frayeur qui prend racine dans un imaginaire où se mêlent
légendes, mythes, images et symboles. Coup de projecteur sur
un animal redouté, détesté, très présent dans les contes et fables
pour enfants, les histoires de loups-garous, les expressions du
quotidien : marcher à pas de loup, se jeter dans la gueule du loup,
quand on parle du loup… Qu’est-ce que le loup raconte de nos
sociétés à travers les époques ? Le grand méchant loup effraie-
t-il encore les enfants ? Pourquoi le craint-on encore quand on se
promène en forêt ou en montagne ? Pourquoi son retour naturel ou
sa réintroduction artificielle en Europe suscite parfois de violentes
polémiques ? Et puis, nous verrons quelles sont les qualités de cet
animal qui ressemble beaucoup au chien sur un plan physique
et génétique. Au fil des siècles, le loup est devenu, chez ses
défenseurs, une espèce à protéger, paré de toutes les vertus…

Piste 42
• Alors, chaque société construit son imaginaire du monde animal
autour d'un petit groupe d'espèces. En Europe : l’ours, le corbeau,
l'aigle, l'agneau et, bien sûr, le loup.
[Michel Pastoureau] Voilà, oui je pense qu'il y a dans, sinon
toutes, beaucoup de sociétés, ce que j'appelle un bestiaire central,
c'est-à-dire un petit groupe d'animaux qui, en effet, dans les
représentations, les symboles, l'imaginaire, comptent plus que les
autres. Il me semble qu'il y a une dizaine, une douzaine d'espèces
dans les sociétés européennes et quelques vedettes : l’ours bien
sûr, le corbeau, sans doute les deux vedettes, le sanglier, le cerf et
le loup qui fait partie de ce bestiaire central. Chez les domestiques,
sans doute : le taureau, le cheval, le chien, quelques autres, même
un animal qui n'est pas indigène en Europe, le lion. On peut le
mettre dans ce bestiaire central européen parce qu'il fait presque
partie de notre vie quotidienne depuis des temps très très anciens.
• Qu'est-ce qui vous passionne dans l'histoire du loup ?
Ce qui me passionne, c'est que, en tant qu'historien, j'ai affaire à
des documents extrêmement nombreux, ça n'est pas le cas de tous
les animaux. On parle du loup depuis une antiquité très reculée,
jusqu'à aujourd'hui, donc, l'historien a plutôt trop de documents
que pas assez. J'ai rencontré, d’ailleurs, cette même abondance
pour l'ours. Ce sont deux animaux qui laissent, dans la longue
durée, des traces dans l'imaginaire, qui sont très très importantes.
Donc, c'est vrai que c'est plus facile de travailler bien sûr sur le
loup qui est un animal ambivalent. Comme tous les animaux, du
point de vue symbolique, il y a toujours des bons et des mauvais
côtés, mais chez le loup, les mauvais côtés sont nettement plus
importants.
• Eh oui, c'est un fauve qui fut à la fois admiré et combattu. Et
pourquoi l'image du loup est plus négative que celle de l'ours ?
Elle est plus négative en effet. On reproche au loup d'être plus
cruel que l'ours, d'être lâche, d'attaquer en groupe et pas tout seul,
de manger plus qu'il n'a besoin pour assouvir sa faim, d'être rusé,
d'avancer à pas de loup. On ne le voit pas venir. Bref, il est couvert
d'adjectifs qui sont tous péjoratifs, sinon depuis l'Antiquité, en
tout cas depuis le Moyen Âge.
• À quand remonte, d’ailleurs, la peur du loup ?
Alors, cette peur du loup, elle va, elle vient en Europe, au fil du
temps. Elle est peu présente dans l'Antiquité gréco-romaine. Le
loup est dangereux pour le bétail, bien sûr, mais pas tellement
pour les hommes et les femmes ni les enfants. Elle arrive au Haut
Moyen Âge quand tout se disloque : y a plus d'Empire romain,
la forêt regagne du terrain, l'Occident est parcellisé donc tout le
monde a faim. En plus, le climat se dégrade. Les loups ont faim,
s'approchent des villages. Puis après l'an 1000, ça va mieux.
Le climat est favorable. L'expansion est démographique et
économique. Les loups ne semblent plus avoir faim. C'est l'époque
du Roman de Renart, par exemple, où on se moque du loup qui est
un animal ridicule. Et cette peur du loup revient à la fin du Moyen
Âge, et surtout au début de l'époque moderne, et va durer jusqu'en
plein xixe siècle. C'est la grande période, fin xve siècle, milieu
xixe siècle, de la peur du loup en Europe.
• Eh oui, c'est un animal malfaisant, vous le disiez, lâche, cruel,
rusé, à l'image du diable et sa proie préférée, c'est l'agneau.
Oui, bien sûr, il y a un contraste entre le loup et l'agneau. La fable,
d’ailleurs, existe depuis Ésope. Elle vient de très très loin. Ça finit
très mal, l'agneau est dévoré par le loup. « La raison du plus fort est
toujours la meilleure », dit La Fontaine. C'est un bel enseignement,
si je puis dire. Et donc, il y a un contraste entre l'animal qui est
la pureté, l'innocence, la virginité même, et puis la bête sauvage,
cruelle et redoutable.
Piste 43
• Alors, le loup se délecte de la chair de l'agneau, mais il est réputé
aimer, également, la chair humaine et en particulier la chair des
jeunes enfants. On se souvient évidemment du Petit Chaperon
rouge.
Voilà, ça finit très mal dans la version de Perrault, à la fin du
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
xviie siècle, le loup dévore, et la fillette et la grand-mère. Chez
les frères Grimm, au début du xixe siècle, ça finit mieux :
un gentil chasseur arrive, qui tue le loup, ouvre le ventre,
et miraculeusement la fillette et la grand-mère sont encore
vivantes.
• Béatrice Copper-Royer, pourquoi le loup cristallise-t-il les
peurs enfantines ? Et est-ce qu'avoir peur du loup, c'est une
étape essentielle dans la construction d'un enfant ?
‚‚ L'angoisse fait partie du développement de l'enfant, et cette
étape de peur, comme ça, du loup, comme par exemple aussi
des cambrioleurs, des voleurs, etc., fait partie vraiment
intégrante du développement de l'enfant, et donc c'est
absolument pas pathologique. Et c'est intéressant, parce
qu'à partir du moment où l'enfant commence à parler, il
va exprimer son besoin de sécurité intense et donc ses
peurs et la peur du loup, qui lui est contée aussi à travers
ces merveilleuses histoires qui sont là aussi pour lui faire
apprivoiser ses peurs, parce que l'enfant adore qu'on lui répète
des histoires qui font peur pour justement, tranquillement
assis sur les genoux de sa maman ou de quelqu'un d'autre, va
lui permettre d'apprivoiser comme ça des scénarios qui lui
font très peur.
• On y reviendra tout à l'heure, mais j'ai l'impression que chez
les enfants d'aujourd'hui, la peur du loup est nettement moins
puissante qu'autrefois.
‚‚ Oui, parce qu'en plus de ça, dans la littérature jeunesse
contemporaine, le loup, il est plutôt ridicule maintenant, il est
plus aussi vorace, féroce, imprévisible et méchant. Il est celui
qui se fait avoir, hein, qui est un petit peu ridicule de temps en
temps.
• Michel Pastoureau.
Oui, cette… Pas disparition, mais raréfaction de la peur du
loup, ouvrait dans la vie des campagnes, et dans l'imaginaire,
dans le livre pour enfants, dans la bande dessinée, ça date du
début du xxe siècle. Le loup se revalorise, il fait moins peur,
et aujourd'hui on a des très gentils loups dans la littérature
pour enfants, on inverse les histoires : Les Trois Méchants Petits
Cochons et le Grand Gentil Loup ou des choses comme ça. C'est
vraiment une revalorisation, et les polémiques autour de la
réapparition font partie de ce dossier.
• Et ces fables, ces contes qui mettent en scène le loup, bah, c'est
un instrument d'éducation ? Puisqu'on représente un loup
menteur, voleur, méchant, lâche, cruel, sanguinaire. Et c'est un
instrument pour éduquer et moraliser les enfants ?
Oui, il y a une double fin pédagogique : d’une part, faire
attention, le loup est très dangereux, il faut s'en méfier, il faut
être prudent. Et d'autre part, conjurer ce danger, en essayant
de mettre en scène des loups qui, finalement, sont inefficaces
dans leurs intentions très mauvaises.
‚‚ Moi, je crois que les enfants adorent les histoires justement,
qui leur permettent de maîtriser leurs peurs, et surtout de
mieux les identifier parce qu'au fond, l'enfant a du mal à
identifier ses émotions et il passe, dans toute cette période,
entre 3 et 6 ans… les émotions de l’enfant sont très complexes,
très ambivalentes, notamment par rapport à ses parents. Il
est dans une espèce de rivalité avec le parent du même sexe, et
donc, toutes ces émotions très très complexes, il aime au fond
les simplifier dans les histoires où il y a le gentil et le méchant.
Voilà, c’est assez… Les contes c'est comme ça, c'est noir et
blanc, quoi.
• Tiens, écoutons quelques enfants qui parlent de leur peur du
loup. C'est en 1967, au micro de Marguerite Duras.
·
·Qu'est-ce qui te fait peur dans la vie ? Qu'est-ce qui te rend
joyeux et qu'est-ce qui te fait peur, Sophie ?
J'aime jouer, ça me rend joyeux. Et ce qui me fait peur, c'est la
nuit parce que, avant de m'endormir, des fois, il fait tout noir.
·Et· toi, qu'est-ce qui te fait peur ?
Ñ
ÑC'est le loup. J'ai peur.
deux cent treize 213
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
Le loup ça n'ex… ça n'e…
Ñ
ÑNon. Dans la cave, eh ben, ils existent parce que, eux, ils sont
toujours dans les caves.
Oh ! Pas toujours. Dans ma cave, il y en a zéro. Même pas des
rats ! Les loups, c'est dans la forêt.
ÍJ'yÍ ai jamais été dans la forêt.
Ñ
ÑMoi, j'y ai été. Puis, j'ai jamais vu de loup.
• Béatrice Copper-Royer, les loups, c'est dans la forêt, mais c'est
dans les têtes des enfants aussi ?
‚‚ C'est dans la tête des enfants et c'est ça que je trouve
formidable avec les enfants, notamment de cet âge -là, c'est
que tout est possible. Et évidemment qu'il peut y avoir un loup
dans la cave dans la tête d'un enfant de 3 ans, et même derrière
son rideau, et même sous son lit. Donc, tout est possible et
ce qu'il a besoin à ce moment-là, c'est de, que les parents lui
rappellent que… il est en sécurité et qu'ils sont là pour le
protéger.
Piste 44
• Philippe Charlier, bonjour.
Bonjour Marina.
• Vous êtes médecin légiste et anthropologue. En l’occurrence,
c’est plutôt à l’anthropologue, là, que je m’adresse, puisque
vous publiez Zombis, enquête sur les morts-vivants chez
Tallandier, une enquête que vous avez menée, que vous êtes
allé mener en Haïti sur les traces, donc, de ces morts-vivants.
C’est vrai que pour tout le monde, en général, les zombis c’est
quelque chose de totalement fantasmatique qui n’existe que
dans les films, et pourtant, et pourtant, c’est une réalité.
Alors, ce qui est intéressant c’est d’explorer ce mythe avec un
regard qui est en effet, à la fois, médico-légal et anthropologue,
anthropologiste, et ce double regard permet d’appréhender
ça de façon très cartésienne. Moi, ce qui m’intéressait c’est un
retour aux sources. Que représentent ces individus considérés
socialement, en Haïti, comme des zombis, comme des morts-
vivants ? Il y a plusieurs explications possibles, plusieurs
regards possibles, mais il fallait vraiment aller enquêter dans
des cimetières, aller enquêter dans des temples vaudous, aller
enquêter également auprès de juristes, d’anthropologues et de
médecins qui soignent ces zombis.
• Mais, le terme, finalement, de « mort-vivant » est assez juste.
Le terme de mort-vivant est assez juste, c’est un mort social. Le
vrai terme c’est ça, c’est un « mort social », c’est quelqu’un qui
est… À qui on a infligé une sanction qui est pire que la mort. On
lui a fait vivre ses funérailles. On dit que les funérailles ont été
chantées.
• Mais comment ?
En fait, c’est une substance qui est une toxine, principalement
une neurotoxine qui est la tétrodotoxine, extraite d’un poisson,
le fugu, le fufu aussi, qui est distillé un petit peu, on en met
dans vos chaussures, par exemple, et on l’associe avec d’autres
substances qui vont être « urticariantes », qui vont provoquer
un franchissement de la peau de cette substance et, quelques
heures plus tard, ça va déclencher chez vous un état de mort
apparente, mais vous allez rester totalement conscient avec un
ralentissement complet de vos fonctions de survie : le cœur, la
respiration, etc. Et vous allez être enterré, vivre complètement
vos funérailles, donc vous êtes pleinement conscient, vous
pouvez même les raconter a posteriori. Vous êtes enterré
ensuite, les funérailles sont donc chantées et, dans la nuit,
le sorcier qu’on appelle le bokor, accompagné de ses aides,
va sortir le corps de la tombe, extraire le « cadavre », entre
guillemets, du cercueil, le réanimer en lui mettant la tête en
bas, en le flagellant. Il y a une analogie qui est sociale, cette
fois-ci, entre cet ancien mort – si on peut dire, qui est soi-disant
ramené à la vie mais en fait il n’est pas mort – et un esclave. On
va changer son nom et puis on va continuer à le maintenir dans
un état d’hébétude de façon prolongée. Il va travailler dans une
autre partie de l’île, dans des rizières, dans des cannes à sucre
214 deux cent quatorze
ou même dans des usines, mais on va le priver de sel, par exemple,
pendant toute sa deuxième existence et cette hyponatrémie
chronique, plus ou moins associée à la prise d’autres toxiques, va
le maintenir vraiment dans un état d’hébétude. Il va pas pouvoir
s’enfuir.
‚‚ Qu’est-ce qui vous fait dire que tout ça n’est pas une légende ?
Parce que, heureusement, j’ai des confrères médecins ou
anthropologues qui travaillent sur de tels patients, à l’hospice
psychiatrique de Port-au-Prince ou encore dans d’autres
institutions à Jacmel ou à Cap-Haïtien, donc respectivement au sud
et au nord de l’île. Il y a des patients qui sont retrouvés plusieurs
années ou mois après leurs funérailles et qui sont considérés
comme les bonnes personnes par leur famille. C’est ça qui est
intéressant.
• Et dans les tombes, on trouve quoi dans ce cas-là ?
Des cailloux. Des cercueils remplis de cailloux, remplis de
bouteilles vides ou par un autre corps. On enterre un enfant et
on retrouve un adulte dans le cercueil ou vice-versa, ce genre de
choses.
‚‚ On reste zombi toute sa vie ou est-ce qu’on peut être dézombéifié ?
Alors, on peut être dézombéifié à partir du moment où on est
reconnu par sa famille, à partir du moment où on est traité
médicalement, etc.
‚‚ C’est-à-dire qu’il faut traiter l’empoisonnement ?
Il faut traiter l’empoisonnement. Il faut aussi restituer une
existence sanitaire complète à l’individu. Mais une fois que le
certificat de décès a été établi, d’ailleurs généralement pas par un
médecin, mais par deux témoins…
• Oui, c’est ça qui explique aussi qu’on puisse aussi facilement
enterrer quelqu’un, d’autant que…
‚‚ Il n’y a pas besoin de médecin pour déclarer un décès en Haïti,
voilà.
Ce qui est amusant c’est de voir que ces critères qui définissent le
zombi socialement en Haïti, on pourrait également les exploiter
et les utiliser ici-même en France pour des individus jugés morts
socialement. Je pense à des sans domicile fixe, je pense à des exclus
ou autres. Donc, le mot « zombi », évidemment, il fait fantasmer
mais il faut aller au-delà, il faut aller dans la mort sociale. Ces
individus qui sont dans la rue présentent, non pas pour les mêmes
raisons, c’est pas des toxiques, c’est pas… c’est autre chose, mais
il y a cette exclusion de la société qui a deux facettes différentes,
une facette occidentale, on la connaît, et une autre facette qui est
caraïbe, mais qui tire ses origines d’Afrique noire, en l’occurrence,
et du Bénin.
‚‚ Alors, maintenant qu’on a compris ce que c’était qu’un zombi,
pourquoi est-ce que…
• On les zombifie ?
‚‚ Voilà, pourquoi est-ce qu’on les zombifie ? On rend zombi
certaines personnes en Haïti ?
C’est une sanction, c’est une sanction judiciaire. Alors, c’est pas
la justice légale, officielle, c’est une sanction du vaudou haïtien
qui est très spécifique, qui tire ses origines d’Afrique, avec un
fond catholique surajouté. Vous êtes en conflit avec quelqu’un,
on va essayer de rendre les parties heureuses, mais, finalement,
ça ne marche pas. Du coup, un des deux partisans va aller voir
une société secrète, comme les bizango, par exemple, qui sont les
descendants des anciens esclaves ayant obtenu la liberté de l’île
avec Toussaint Louverture. Et ces société secrètes vont condamner
à une sanction qui est pire que la mort, l’individu en cause. Et
donc, ils vont d’abord essayer de le raisonner, ils vont le convoquer,
de force, hein. Et puis, si jamais la personne tient tête, eh bien on
va provoquer cette zombification, qui est vraiment vécue comme
pire que la mort parce que la personne assiste à ses funérailles et
ensuite vit une deuxième existence qui peut être très longue. On
a rencontré une femme, par exemple, zombi qui est même tombée
enceinte de son ravisseur, puis d’autres qui ont été dézombifiés,
si on peut dire, comme Clairvius Narcisse, qui est assez célèbre,
et qui, lui, a même pu se remarier, il a même pu obtenir, lui, un

passeport et voyagé ensuite aux États-Unis.
• Mais pour ceux qui retrouvent leur famille ou que leur famille
reconnaît, en général, c’est quoi ? C’est un énorme soulagement,
c’est le bonheur ou est-ce que…
Ça dépend. Ça dépend. Il y a une femme considérée comme
zombie que j’ai rencontrée, qui a été reconnue par ses enfants, par
sa sœur qui est religieuse, mais son mari ne l’a pas reconnue, ne
veut pas la voir. Peut-être est-il en cause ? Je ne sais pas. On a pas
tous les détails, hélas, puis c’est difficile de délier les langues.
‚‚ Et vous avez rencontré des zombis qui sont sortis d’affaire et qui
vont bien ?
Et qui vont bien, notamment, un confrère médecin, Jacques Ravix.
Alors, il va bien, il a quand même quelques petites séquelles, hein.
Il était médecin à Besançon et ensuite il est reparti en Haïti et lui
a été, a priori, zombifié par sa belle-mère, en l’occurrence. Et il
va… Il a des séquelles neurologiques, mais comme il est médecin,
il est encore plus assidu et précis pour décrire tous les signes de
l’intoxication et ce qu’il a vécu directement dans son cercueil.
• Et à mener une enquête là-dessus, vous n’avez pas eu peur d’être
zombéifié ?
Non, parce que, non, je suis un intervenant extérieur et puis, je,
non, ça va…
‚‚ Même pas peur !
• C’est passionnant, honnêtement, je recommande cette lecture à
tout le monde, c’est un vrai choc. Philippe Charlier, Zombis, enquête
sur les morts-vivants, c’est au Tallandier, on apprend plein de
choses. Merci beaucoup.
• Merci.
Piste 45
1 • Hier, je suis allée chez ma pote Stella, tu sais celle avec qui j’étais
au lycée ? Elle organisait un apéro pour son anniversaire. Alors,
moi, je croyais qu’elle adorait le foot, mais hier devant ses collègues
de boulot super snobs – qui détestent le foot, bien sûr ! – elle a fait
plein de critiques sur le foot en général et sur les joueurs. C’était
super bizarre, je sais pas pourquoi elle a fait ça.
Ça me surprend pas tellement… elle hurle avec les loups. Pour
paraître cool devant ses collègues, tout simplement !
2 • Hier, j’ai eu la trouille de ma vie !
Raconte !
• J’étais dans le salon, je lisais une BD, je pensais être seule, mais
mes enfants sont entrés à pas de loup dans la maison, sont montés
dans leur chambre et ont commencé à faire du bruit en tapant par
terre. J’ai fait un bond !
Quoi ?! Mais pourquoi ils ont fait ça ?
• Pour me faire peur ! Ça les a bien fait marrer !
3 • Dis, t’as des nouvelles de Rémi ? Ça fait des mois que je l'ai pas
vu.
Euh oui, je l'ai vu la semaine… Oh ben tiens ! Quand on parle du
loup… Rémi ! Qu’est-ce que tu fais là ?
4 • Je vais juste prendre le plat du jour. Tu prends quoi, toi ?
Entrée, plat et dessert ! Je n’ai pas pris de petit déjeuner et j’ai une
faim de loup !
5 • Moi ce qui m'énerve dans les films d'horreur, c'est toutes ces
scènes pas du tout crédibles où le personnage se jette dans la
gueule du loup, alors que tout lui indique qu'il fait exactement ce
qu'il ne faut pas faire.
Ah mais moi, j'adore ça au contraire ! Quand tu peux pas
t'empêcher de hurler de ton canapé : « Non, fais pas ça ! Va pas
par là ! » C'est ça qui est génial !
6 • Tu connais l’origine de l’expression « à force de crier au loup » ?
Euh… non…
• Eh bien, c’est une fable dans laquelle un jeune berger qui
s'ennuyait s’amusait à crier inutilement au loup, histoire de voir
si les villageois venaient les secourir, lui et son troupeau. Comme
sa plaisanterie stupide avait très bien marché, il a recommencé
plusieurs fois avec le même résultat. Mais, un jour le loup attaqua
réellement son troupeau, et il eut beau crier, plus personne ne
bougea !
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
Piste 46
• Très bien. On continue ? Qui veut prendre la parole ?
Oui moi, je voudrais dire aussi que quand je vais faire mes
courses le soir, je passe devant le parc des Caribous et il fait
vraiment sombre. Surtout en hiver. Vraiment, on n'y voit
rien. Et je me sens vraiment pas en sécurité parce qu’on sait
pas ce qui peut arriver. Vraiment, j'ai très peur. Alors moi
maintenant, je vais même plus faire mes courses quand il fait
nuit, et l'hiver, c'est vrai qu'il fait nuit à 5 h, et c'est très tôt, 5 h,
alors parfois, c'est compliqué pour les courses.
• Oui. Très bien et donc, vous suggérez que…
Et ben qu'on y mette des lumières !
• Il fait vraiment si sombre que ça ?
Oh oui, on voit même pas où on met les pieds ! J'ai même
peur de tomber parfois parce qu'en plus les trottoirs sont en
mauvais état.
‚‚ Mais non pas du tout ! C'est très bien éclairé. Moi, j'habite juste
à côté, je peux vous le dire.
Oh ben c'est votre parole contre la mienne ! Je vous garantis
que je ne suis pas la seule à penser ça. J'en parlais avec ma
voisine pas plus tard qu'hier. Et elle non plus, elle ne va plus
au supermarché à pied quand il fait nuit. Mais moi, j'ai pas de
voiture hein, alors parfois j'ai pas vraiment le choix.
‚‚ Et ben faut aller faire les courses quand il fait jour, et puis c'est
tout !
·
·Monsieur Verne, s'il vous plaît ! Alors, madame euh… Leclerc,
c'est bien ça ?
Oui c'est ça.
·
·Alors madame Leclerc, je n'ai pas en mémoire l'emplacement
des différents luminaires autour du parc. Vous estimez qu'il
faudrait combien d'éclairage supplémentaires ?
Oh je sais pas, il faudrait voir sur place mais au moins six. Ou
dix peut-être… J'en sais rien ! Je me rends pas bien compte.
·Ce· n'est pas grave. Alors ce que je vous propose, c'est que…
Et tant qu'on y est on pourrait installer des caméras aussi !
Comme ça, on aurait moins peur.
‚‚ Mais peur de quoi bon sang ?! Il se passe rien dans ce quartier !
Mais si monsieur ! Il se passe des choses. Tiens la dernière
fois que j'y suis passé, toutes les poubelles de la rue du Vernet
étaient renversées.
‚‚ Oh, mais c'est des bêtises de gamins, ça ! Je vous parle
d'agressions, de vols, de trucs comme ça. On va pas avoir peur
d'une poubelle renversée quand même !
Alors je confirme les propos de monsieur Verne. De mémoire,
nous ne sommes pas intervenus dans ce secteur depuis très
longtemps. C'est un secteur vraiment très calme, surtout
depuis que le parc est fermé en soirée.
·
·Alors oui. Sans doute. Néanmoins, on peut tout à fait entendre
l'inquiétude de madame et l'implantation de caméras de
surveillance peut tout à fait être envisagée.
‚‚ Mais j'ai pas envie d'être épié par des caméras quand je sors
de chez moi, moi ! Tout ça parce que madame a peur de son
ombre !
·
·Monsieur Verne, s'il vous plaît. J'aimerais vraiment que
chacun ici comprenne que tous les points de vue sont
respectables et doivent être respectés !
Et dans mon immeuble aussi, ce serait bien des caméras, et
devant l'immeuble aussi. On se sentirait plus en sécurité. Et
puis ça ferait sûrement partir les trafiquants.
·
·Alors je vous arrête tout de suite Madame Leclerc, la mairie
n'a pas le pouvoir d'installer des caméras dans une résidence
privée. On peut y réfléchir pour en installer dans la rue, mais
certainement pas dans l'entrée de votre immeuble.
De toute façon, ce ne sont pas des caméras de surveillance qui
vont régler tous les problèmes. J'insiste Madame Leclerc, mais
encore une fois, vous devez vraiment déposer plainte pour que
la police municipale puisse intervenir dans votre immeuble.
Oui, oui. Je le ferai. Mais c'est vrai que des caméras, ce serait
deux cent quinze 215
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
rassurant quand même.
·
·Bon, le sujet ne fait pas l'unanimité et ce n'est pas une urgence
non plus. Il va être bientôt l'heure de clore la discussion. Donc,
ce que je vous propose, c'est que vous, madame Leclerc, et tous
ceux qui le souhaiteront d'ailleurs, vous y réfléchissiez d'ici la
prochaine réunion et que vous nous fassiez des propositions
pour l'éclairage et la vidéo surveillance.
Comment ça des propositions ?
· bien, quand vous êtes devant votre immeuble ou vers le
·Eh
parc des Caribous, vous regardez à quel endroit il manque des
éclairages, à quel endroit on pourrait mettre les caméras et
vous nous faites part de vos réflexions à la prochaine réunion.
Ça ne veut pas dire que la mairie n'y réfléchira pas de son
côté, mais c'est important d'avoir aussi des propositions qui
tiennent compte de l'expérience des habitants.
Très bien.
· on débattra tous ensemble sur l'opportunité de mettre ou
·Et
non des caméras de surveillance dans le quartier.
Mais je croyais que vous étiez d'accord ?
· ne m'y oppose pas madame Leclerc, mais encore une fois,
·Je
le sujet ne fait pas l'unanimité. La vidéosurveillance, ce n'est
quand même pas anodin. Et en plus, ça a un certain coût.
Donc, nous en discuterons ici avec vous tous, et ensuite, si les
habitants pensent unanimement que c'est quelque chose qui
peut être utile, nous en discuterons au conseil municipal. Bien,
sur ce, je vous informe que la prochaine réunion aura lieu
ici même le 17 juin, à la même heure. Ce sera aussi l'occasion
de faire un point sur les travaux de la rue Bernier. Comme
d'habitude vous recevrez une invitation dans vos boîtes aux
lettres en même temps que le compte rendu de cette réunion.
Très bien, la séance est levée. Je vous remercie.
Piste 47
• Bonjour à tous !
(Tous) Bonjour Frank !
• Alors avant de commencer je vous présente Mathilde qui fait
une formation en gestion de projets événementiels et qui va
faire un stage avec nous pendant un mois.
(Tous) Bonjour Mathilde ! Bienvenue.
Bonjour !
• Alors Mathilde, je te présente Amina qui est notre comptable,
Évelyne la secrétaire, et Lisette et Fabien qui animent
respectivement les ateliers d'arts plastiques et de cirque.
Bien. Alors c'est lundi, donc Max, notre animateur musique,
intervient à l'école Jules-Verne, mais tu le rencontreras demain.
Bon, on va commencer parce qu'on est tous pressés d'aller
manger ! Alors, l'objectif de cette petite réunion, c'est de
faire un point rapide sur la soirée qu'on organise la semaine
prochaine. J'ai chargé Mathilde de faire un compte rendu de
la réunion que vous recevrez tous par e-mail d'ici demain.
Évelyne, tu veux bien projeter le flyer s'il te plaît ? Merci. Alors
voilà le prospectus que Lisette a préparé. Qu'est-ce que vous
en dites ?
Mouais… Chais pas… C'est pas très lisible je trouve.
• Oh moi je le trouve pas mal. T'en dis quoi toi, Amina ?
·
·J'aime bien. C'est gai, c'est coloré. Mais c'est vrai que la date est
pas très lisible.
• Bon, OK. Lisette, tu revois ça, mais il faut absolument qu'il
soit prêt pour l'imprimerie mercredi, OK ? Évelyne, tu veux
bien présenter le projet en deux mots pour que Mathilde ait les
principales infos ?
‚‚ Oui, bien sûr Frank. Alors, la maison de quartier organise
traditionnellement une petite fête de fin d'année dont l'objectif
est à la fois de montrer ce qu'on fait dans les différents
ateliers pour promouvoir un peu nos activités, et puis aussi
de récolter de l’argent puisqu'on organise aussi une vente de
boissons et de petites choses à grignoter. Donc cette année,
on commence à 17 h avec une batucada qui sera animée par
Max et les participants de son atelier de percussions. Ensuite,
216 deux cent seize
à 18 h, le vernissage de l'expo des travaux qui ont été réalisés en
atelier d'arts plastique et aussi dans l'atelier photo. Après, à 19 h,
l'atelier cirque fera une petite démonstration, et ensuite Fabien
invitera les gens à s'essayer au jonglage et à de petites acrobaties.
Et puis à 20 h, on finit la soirée avec un concert de Zwoyld, le
groupe de Max. Voilà. Donc la fête aura lieu le samedi 18 de 17 à
21 heures, à la maison de quartier et aussi sur la place Saint-Jean
pour la batucada et la démonstration de l'atelier cirque. Chaque
animateur est responsable d'organiser la partie qui le concerne.
Donc Max pour la batucada, Fabien pour le cirque, etc. Pour ce
qui est restauration et buvette, ça c'est Amina qui s'en occupe,
mais tout le monde aide un peu, notamment les participants aux
ateliers.
• Oui d'ailleurs, Amina tu as fait le point ?
·
·Euh oui ! Donc, plein de gens vont cuisiner, on aura des crêpes
et des gâteaux, une salade géante, des fallafels, des sandwichs et
des pizzas. Voilà, je pense que ça suffira, non ? Et sinon, ce serait
bien que quelqu'un m'aide à tenir la buvette. Au moins pour les
quelques moments où y aura du monde. L'année dernière, j'étais
toute seule et c'était vraiment chaud parfois.
• Oui bien sûr. Ben euh… Fabien, tu peux l'aider de 17 h à 18 h 30 ?
Puis Max jusqu’à 19 h 30 et Lisette jusqu’à la fin ?
Ben non non, c'est pas possible. Max, il doit m'aider pour
l'initiation au cirque. C'est le seul qui sait un peu jongler.
• Bon, vous en discutez tous ensemble et vous me faites un planning
avant la fin de la semaine, OK ? Je ne veux pas qu'Amina reste
toute seule à la buvette, jamais. Et prévoyez des moments où vous
serez deux pour qu'elle puisse faire des pauses.
(Tous) OK !
• Bon. Eh Lisette, pour l'expo, tout est OK ?
Ñ
ÑPresque tout. On a préparé la liste des courses pour le vernissage,
on aura des boissons et des petites choses à grignoter. On a estimé
qu'on en aurait pour 30-40 euros maximum. De toutes façons, on
veut surtout que les gens consomment à la buvette ! On ira faire les
courses avec Amina le vendredi soir. Bon sinon, pour l'expo, on
a prévu d'installer les œuvres le samedi matin. Presque tous les
participants des ateliers peuvent venir, donc ça ira vite.
• Bon, très bien. Sinon pour la batucada, vous savez où il en est
Max ?
Ben je crois que ça va, mais il voulait dire aux spectateurs
d'amener des objets pour faire du bruit à la fin, comme des
casseroles, des seaux, des bâtons, ce genre de trucs. On pourrait
pas l'ajouter sur le flyer ?
• Oui, pourquoi pas. Lisette, tu peux l’ajouter ?
ÑOK. Ñ
• À ce propos, l'imprimerie m'a dit qu'on pourrait récupérer les
flyers dès jeudi matin. Alors, est-ce que quelqu'un pourrait y aller ?
Moi, je serai à Lyon toute la journée.
ÑOui,Ñ moi je peux y aller jeudi matin, je passe devant.
• Parfait, merci Lisette. Donc dès jeudi, chacun peut venir récupérer
un petit tas à distribuer. J'en veux partout où c'est possible avant le
week-end. On vise le quartier ou on s'élargit ?
ÑOn Ñ s'élargit !
Ah non Lisette ! S'il y a trop de monde, on pourra pas gérer.
ÑOui Ñ mais si on veut gagner de l'argent, il faut bien qu'on ait du
monde !
Mais si on n'a pas assez de matériel pour que tout le monde puisse
participer, ça va pas nous faire une très bonne publicité !
ÑOui Ñ mais au moins, y aura de l'ambiance, et ça c'est bien pour
notre image ! Et puis, y a toujours des gens qui préfèrent rester
spectateurs.
• Bon, je propose qu'on réserve une centaine de flyers pour les
quartiers alentours. Levez la main si ça vous va ! Bien. C’est décidé,
à l'unanimité. Désolée, Fabien. Par contre, organisez-vous un peu
pour la distribution hein. Je vous laisse régler ça entre vous. Bon et
sinon Fabien, pour le cirque, t'en es où ?
C'est bon tout est réglé. L'école de cirque a accepté de nous prêter
un peu de matériel.

• Il faudra être vigilant. Il faudrait pas qu'on s'en fasse voler. Ils sont
assurés à l'école de cirque ?
Je ne sais pas.
• Tu veux bien leur demander ? Sinon Évelyne pourra peut-être
négocier ça avec notre assurance.
OK. Je te tiens au courant, Évelyne.
• OK. Bon… Et qui peut être là le samedi 18, à 15 h, pour les derniers
préparatifs ?
(Tous) Moi !
• Tout le monde ? Ben c'est super ! Des questions ? Non ! Parfait. Je
vous libère. Allez, bon appétit!
(Tous) : Bon appétit !
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 10
Piste 48
• (Les Pieds sur Terre, Sonia Kronlund. Personne ne sait ce qu’il se passe
aujourd’hui parce que personne ne veut qu’il se passe quelque chose.)
C’est une histoire qui commence chaque vendredi et samedi soir,
depuis des lustres, et s’achève le lendemain au petit matin. Des
gens partent en Normandie, puis reviennent. Un car les attrape
à Paris, place d’Italie à 20 h 30, puis place de l’Étoile à 21 h 15. Ils
passent la nuit au casino de Forges-les-Eaux, puis reprennent
ce car, le portefeuille plus ou moins lesté. La semaine suivante,
les mêmes et d’autres reviennent. Le car est bondé. J’ai lu cette
histoire dans la revue Antidote, sous la plume de l’écrivain et grand
joueur de roulette, Côme Martin-Karl. Son récit, intitulé Une nuit
en Normandie, est saisissant. Il y raconte, notamment, que cette
navette diabolique date d’une époque où Forges-les-Eaux était le
casino le plus près de Paris. Une loi de 1920 interdisait, en effet,
les jeux de hasard dans un rayon de 100 kilomètres autour de la
capitale, probablement pour éloigner du mal les classes populaires
et autres masses laborieuses. Jusqu’en 1998 donc, la roulette n’était
pas autorisée au casino d’Enghien. Forges a alors profité de sa
position géographique exceptionnelle à seulement 113 kilomètres
de Notre-Dame, et c’est ainsi que l’établissement a pris l’habitude
d’organiser le déplacement des joueurs parisiens. Aujourd’hui,
il n’est plus que le quatorzième de France en termes de chiffre
d’affaires, mais le car reste peuplé d’habitués aux places attitrées
et de nouveaux, à peine intimidés. À l’arrivée, le casino s’organise
sur deux étages. Jadis strictement séparés des autres espaces, les
jeux de table se mélangent désormais aux bandits manchots et
machines à sous, sans distinction de rang ni de place. Au second
étage, une boîte de nuit accueille les jeunes Forgions et Forgionnes
et d’autres des alentours. Et vers 4 h 30, le bus repart enfin, et avec
lui son lot de désillusions ou de richesses nouvellement acquises.
Clément Baudet était là au début, au milieu et à la fin. Tout de suite,
c’est une nuit au casino de Forges-les-Eaux.
Piste 49
Allô, allô ? Bon, tout va bien ? Allez, arrivée 23 h 10, ça vous va ?
Bon, on est un peu en retard, hein.
‚‚ Junior, 27 ans, issu de Seine-Saint-Denis, plus précisément
Saint-Denis. Moi, je suis coursier et éducateur spécialisé avec
les personnes autistes à Saint-Denis, sur Paris. On va au casino
de Forges-les-Eaux, on se trouve actuellement sur Paris, dans
la navette spécialement conçue pour les clients du casino. J’ai
claqué, voire niqué, voire donné 20 à 30 000 euros au casino,
enfin, ça s’est fait sur plusieurs casinos. Je suis pas heureux de
le dire, mais bon, après c’est… Comme on vit ça, c’est une réalité.
Dans ce milieu, enfin, quand tu rentres au casino, mais, tu perds
la notion et la valeur de l’argent. C’est des jetons, enfin un billet
de 50, ça devient un jeton ou quelques jetons, c’est-à-dire que t’es
pas là à te dire « ouais, t’as placé 50 ou deux billets de 50 sur un
numéro, sur une case ou quoi ». Tu perds la notion et la valeur
de l’argent. Et c’est un truc de fou parce que c’est un engrenage.
Y a ceux qui vont là-bas pour jouer, s’amuser, y a ceux qui vont
là-bas pour chercher à vraiment gagner, comme moi, et quand
on est dans cette optique-là, c’est un autre délire, parce qu’on y
passe du temps là-bas. Comme je vous ai dit, moi j’ai commencé à
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
18-19 ans, j’en ai 27 aujourd’hui. Tout ce que j’ai perdu là-bas,
franchement, à l’heure actuelle j’aurais pu faire… C’est même
pas me dire « ouais, j’aurais pu acheter ou quoi », mais j’aurais
pu faire des voyages, enfin voilà, j’aurais pu me faire vraiment
plaisir, me mettre bien dans la vie actuelle, tu vois. C’est pas le
cas, donc ouais, c’est un vice pour moi. L’appât du gain, c’est
un vice. Comme je te l’ai dit, des fois, je ramène même pas une
pièce, genre pour me prendre une cannette à un euro quand
je rentre sur Paris. Ça fait mal. Enfin, c’est… ça m’arrive
fréquemment quand je vais avec le bus, parce que cette attente
du bus, ça nous met dans la panique. Pourquoi ? Parce qu’on
est obligé de jouer jusqu’à ce que le bus reparte. Donc, même
si on est en bénéfice, on est en train de gagner, on voudra
rejouer. Donc voilà, c’est con, mais c’est comme ça. Objectif de
ce soir : scalap, scalap ! Pour moi, ça veut dire 500 euros. Donc,
ouais, minimum 500 euros, ce serait très très bien, ou genre
200 euros. On se retrouve après, sur le chemin du retour, pour
voir si je pourrai encore te parler ou si j’en aurai plus envie.
C’est pas tous les jours que ça arrive. On approche de mon
objectif que je t’ai dit dans le bus.
·Y · a combien, là ?
615 euros. On s’en sort bien. Et voilà, 610.
‚‚ Merci. Franchement là, j’ai atteint mon objectif pour ce soir.
Ouais, j’ai atteint mon objectif, on va se contenter de ça, c’est
bon. Comme je t’ai dit dans le bus, j’ai fait le double de ce que,
enfin, je ramène de quoi… De ce que j’ai misé, je m’arrête là,
c’est bon, c’est atteint donc, voilà, fin de soirée. On va jouer à
la roulette électronique à un euro et on va laisser les choses se
faire tout seul. Pour être poli : pour une fois qu’ils m’ont pas
tout pris, ça va, franchement ça va.
Piste 50
• Au Téléphone sonne, ce soir : et si on parlait d’argent, de notre
rapport personnel et collectif à l’argent ? Vous allez me dire :
« On ne fait que ça dans ce pays : débattre des revenus des
uns et des autres, des inégalités, de la redistribution des
richesses, des impôts et des taxes, de la justice fiscale et j’en
passe. » Oui, mais ce soir, on va tenter d’aller un petit peu
plus loin. On va notamment s’interroger sur les raisons qui
font, qu’en France, on ne dévoile pratiquement jamais son
salaire, sauf si on est vraiment très pauvre, sur les raisons
pour lesquelles les riches sont montrés du doigt, y compris
lorsqu’ils sortent leur chéquier, comme cela s’est produit lors
de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, bref, on va
tenter de comprendre d’où viennent ces jalousies, qui n’ont pas
forcément cours dans d’autres pays, où l’on est parfois très fier
d’étaler sa fortune. On se demandera, au passage, si la France
est un pays plus inégalitaire que d’autres ou pas, et on verra
ce qu’il en est des processus de redistribution mis en place
pour lutter contre les inégalités. On va le faire, à l’occasion
de la publication par le magazine Challenges du traditionnel
palmarès des grandes fortunes, sachant que c’est encore une
fois Bernard Arnault qui s’affiche à la une, avec 90 milliards
d’euros cette année, soit 16 % de plus que l’an dernier. Avec
nous pour parler de tout cela, Vincent Beaufils, bonsoir.
Bonsoir.
• Directeur de la rédaction de Challenges. Louis Maurin, bonsoir
à vous.
‚‚ Bonsoir.
• Directeur de l’Observatoire des inégalités, et Janine Mossuz-
Lavau, bonsoir.
·
·Bonsoir.
• Sociologue, faut-il le rappeler ? Et vous avez publié, entre
autres parce que vous avez fait plein plein de choses, vous avez
publié L’Argent et nous, c’est aux Éditions de La Martinière, c’est
bien ça ? Pour intervenir et pour interpeler nos invités
le 01 45 24 7000. (Claire Servajean, Le Téléphone sonne.)
deux cent dix-sept 217
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
Piste 51
·
·D’une manière générale, en France, c’est vrai que la question
de l’argent et parler d’argent, c’est tabou. C’est encore tabou.
Ça s’est un peu, je pense, débloqué ces dernières années mais,
quand même, c’est tabou. Moi, j’ai pu le constater de plusieurs
façons, notamment quand j’ai voulu faire cette enquête sur
L’Argent et nous, il se trouve qu’avant j’avais fait une enquête sur
la vie sexuelle amoureuse, sexuelle et amoureuse des Français.
• Là, c’est plus facile.
·
·Voilà, eh ben, c’était plus facile. Là, j’ai notamment demandé
à des personnes qui avaient été volubiles et très ouvertes pour
parler de leur sexualité, en disant, j’ai commencé l’enquête
de façon soft, et on va faire l’enquête sur l’argent, et j’ai eu la
surprise de voir que non, il y avait des choses qu’ils n’arrivaient
pas à dire. Et même, il y en a un, un jour, qui a explosé en me
disant : « Mais vous posez des questions que personne n’aurait
osé poser ! », parce que je lui ai demandé de me dire son
patrimoine, simplement, c’était pas très très…
• On n'est définitivement pas les Américains, hein ?
·
·Voilà. Alors, non, ben les Américains…
• C’est le contraire.
·
·Aux États-Unis, les gens ils vous demandent : « Combien tu
gagnes ? » et même, c’est même pas seulement « combien tu
gagnes ? » c’est « combien tu vaux ? » et donc c’est valorisé, c’est
normal d’en parler, etc. Mais en France, bon, si vous voulez
que je dise un peu pourquoi, je pense que c’est tabou, si vous
voulez, c’est qu’il y a toute une histoire, tout un passé qui joue
encore, bon, même s’il va peut-être jouer de moins en moins,
mais enfin, qui joue encore. Je veux dire que d’une part, à
une, deux ou trois générations près, on vient tous du monde
rural, et dans le monde rural on ne mettait pas de l’argent à
la banque, on le mettait sous le matelas ou dans des endroits
cachés parce que fallait pas qu’on vous le vole, etc., etc. Et
puis parce que, bah, on savait très bien que si on avait eu une
bonne récolte une année, l’année d’après on pouvait en avoir
pas du tout, donc c’était vital d’avoir l’argent chez soi, contrôlé.
Il y avait ça, il y a, dans la tradition il y a le catholicisme qui, à
l’origine, bon bah faudrait pas l’oublier, c’est une religion pour
les pauvres hein, pour aider les pauvres, etc. Et puis il y a eu
l’influence aussi, pas sur toute la population, mais en tout cas
sur une partie, du marxisme qui disait que, en gros, ce que les
gens en ont retenu c’est, il n’ont pas lu Marx, mais ce qu’ils en
ont retenu c’est : « Le profit c’est pas bien. » Donc tout ça fait
que, ben, ça… Voilà.
• Tout ça mis bout à bout, on a du mal à en parler. […] On passe
au standard avec Éric qui nous appelle du Var, bonsoir Éric.
Ñ
ÑOui, bonsoir. Bon, ben moi, je vous avoue que je suis un
petit peu embêté parce que : peut-on faire fortune autrement
que sur le dos des pauvres ? Et puis d’où leur vient, en fin de
compte, leur fortune aux très riches ? Parce que le blues des
milliardaires, faut quand même pas exagérer ! On est quand
même dans un monde où on se rend compte que, globalement,
être milliardaire c’est pas moral parce que ce n’est penser qu’à
soi et vouloir payer moins d’impôts. C’est pas chrétien parce
que, normalement, on doit partager, et c’est pas écolo parce
qu’on sait très bien que les très riches produisent beaucoup
plus que les pauvres. Donc moi, je suis un petit peu, un petit
peu sur la théorie du ruissellement, ça fait pas mal de temps
qu’on nous le tartine. Globalement, même si on peut nous
expliquer qu’en France on vit mieux qu’en Ouganda ou en
Ukraine, il n’empêche qu’il y a des gens qui dorment dans la
rue, il y a des gens qui sont dans la merde, et moi de savoir
qu’il y a des gens qui possèdent 60 milliards, je trouve ça
inadmissible quand on est dans le monde dans lequel on est.
Et en plus c’est des gens qui polluent, donc indépendamment,
en utilisant des jets privés, ils polluent la planète et en plus ils
sont milliardaires et ils veulent pas partager. Pour moi, c’est
inadmissible.
218 deux cent dix-huit
• Merci beaucoup Éric, pour votre intervention. Sur le fait qu'on est
riche parce que les autres s’appauvrissent, Louis Maurin, c’est les
vases communicants ou pas ?
‚‚ Oui alors, plusieurs choses. Il faut entendre l’auditeur et ce qu’il
dit, c’est vrai qu’il y a une forme d’indécence. C’est vrai que
posséder une fortune équivalente à 4 millions d’années de travail
de smic, il y a un problème. On est une société qui a un problème
à ce niveau-là, il faut reconnaître ça. Après, ce que je trouve dans
la question, il est intéressant, c’est de se poser la question de
l’enrichissement sans avoir une vision mécanique : ils sont riches
parce que les autres sont pauvres. Il faut quand même que ces
grands patrons reconnaissent que leur fortune vient peut-être
de stratégies personnelles, peut-être aussi de coups de bol, on
l’oublie, de bons coups et de coups de bol boursiers ou autres, ou
d’entreprises, mais aussi que ceux qui suent pour que leur fortune
se fasse, c’est quand même les salariés, c’est quand même les gens
qui travaillent, pas dans toutes les entreprises, et notamment
dans les grandes entreprises c’est plutôt dans des bonnes
conditions, mais dans des conditions parfois extrêmement
difficiles et que, il n’est pas question seulement de richesse, mais
effectivement une question, on a là bien une question d’inégalité.
Songez qu'on vient de publier une note sur laquelle on a calculé
le montant qu’il faudrait pour qu'on puisse supprimer, entre
guillemets, statistiquement, la pauvreté pour faire en sorte que
chacun ait un revenu équivalent à 860 euros par mois, ce qui est
quand même très très modeste mais bon, à ce niveau-là, c’est le
seuil de pauvreté selon lequel, qu’on calcule, nous. Ça coûterait
à la collectivité 7 milliards d’euros, 7 milliards d’euros. Mettez-le
en regard de ces fortunes, soit de la baisse de la taxe d’habitation,
20 milliards d’euros, soit du plan riche qui a été adopté en 2017,
qui vaut 5 milliards d’euros. On comprend cet auditeur, on
comprend la tension que ça peut générer. Il y a deux poids deux
mesures, c’est-à-dire qu’on va trop loin dans les excès et à force, et
à force ça débouche sur des tensions sociales.
• Vincent Beaufils.
Je pense que, Louis Maurin, vous pouvez pas dire ça sans ne
pas rappeler que, en France, le taux de pauvreté est à un niveau
moins élevé que de pays bien comparables comme l’Allemagne,
la Suisse ou quelques autres. Donc je pense qu’il faut d’abord
dire ça et pourquoi est-ce qu’effectivement on a moins de pauvres
même s’il y en a toujours ? C’est parce que, encore une fois, on
a un système redistributif très élevé. Deuxième remarque par
rapport à ce que dit l’auditeur quand il dit : « C’est pas chrétien. »
Ça voudrait dire, là encore, que la religion a quelque chose à voir.
J’ajoute : je recommande aux chers lecteurs de lire Challenges cette
semaine et de lire l’excellente interview qu’on a fait de l’historien
Jacques de Saint Victor, qui dit que le problème qu’on a avec
l’argent n’a rien à voir avec les religions, d’ailleurs la preuve c’est
que des pays très catholiques comme l’Italie et l’Espagne n’ont
pas du tout cette même suspicion vis-à-vis des riches. Troisième
chose : quand, effectivement, on parle de Bernard Arnault, « c’est
inadmissible », mais c’est quelque chose, quand même, qui met
de côté le travail qui a été fait, je dis pas simplement par Bernard
Arnault, mais par tous les gens de LVMH. Cette boîte, c’était pas
grand-chose au moment où il l’a rachetée avec un coup de flair
formidable, effectivement Dior et quelques autres, dans les années
1980, et il en a fait le leader mondial du luxe. Et s’il est valorisé
maintenant près de 150 milliards en bourse, c’est pas parce que,
effectivement, y a rien, c’est pas du vent, ce sont des actifs, ce sont,
c’est du chiffre d’affaires et c’est des bénéfices, mais les bénéfices ça
fait partie de notre système, donc dire « c’est inadmissible » parce
que, effectivement, la personne qui possède 46 % de ça, arrive à
ce chiffre très élevé qu’on a dans notre classement de Challenges,
je trouve que c’est un peu facile et pour le dire même un peu
démagogique.

Piste 52
1  Une cathédrale 7  Un geste
2 Forcément 8  La générosité
3  Un processus 9 Étaler
4  Un observatoire 10  Un excès
5  Un chéquier 11  Une théorie
6  Un chèque 12 Interroger
Piste 53
• L’homme a un fils, et autant cet homme est courageux, valeureux,
autant son fils est paresseux. Autant cet homme est passionné,
autant son fils est oisif. Tout le monde sait que l’oisiveté est la
mère de tous les vices. Cet homme le sait, mais il a beau tenter
de transmettre le feu de sa passion à son rejeton, en plus il est
forgeron, son fils préfère manger, dormir, flâner, dilapider les
biens qui ne sont pas les siens. Alors, un matin, le père, à regret,
interpelle son fils. Il lui dit : « Tu es en pleine force de l’âge. Mérite
ton salaire, gagne ta vie, va, fructifie ta vaillance, ton courage,
travaille et rapporte 15 mouzounas – la monnaie d’alors – sinon,
à la maison, ne reviens pas ! » Le fils est interloqué, il contourne
la forge de son père et il va retrouver sa mère. Là, il soupire, il
pleure et il avoue son incapacité à trouver du travail. La mère a le
cœur compatissant et elle a aussi quelques économies, alors elle va
vers un coffret et elle prend 15 mouzounas qu’elle tend à son fils.
Son fils est ravi et il part vaquer à ses innombrables flâneries et,
le soir venu, il retrouve son père et, d’un geste vif, avec une voix
tonitruante, il lui tend les piécettes sonnantes et trébuchantes. Le
père prend cet argent, il ouvre la fenêtre et il jette l’argent par la
fenêtre. Le fils est surpris, il hausse les épaules. Silencieux, il quitte
les lieux. Mais le lendemain matin, le père, de nouveau, entreprend
son fils. Il lui dit : « Tu es en pleine force de l’âge. Mérite ton
salaire, gagne ta vie, va, fructifie ta vaillance, ton courage, travaille,
rapporte 15 mouzounas, sinon, dans la maison, ne reviens pas ! »
Le fils retrouve sa mère et lui fait part de nouveau de la requête de
son père et la mère, elle va vers son coffret, elle récolte péniblement
15 mouzounas qu’elle tend à son enfant. Et quand vient le soir,
celui-ci rejoint son père et d’un geste vif et d’une voix claironnante :
« Tiens, voilà tes 15 mouzounas ! » Et le père prend les quinze
mouzounas et sitôt l’argent dans sa main, il ouvre la fenêtre et il
envoie cet argent au loin. Le fils est ahuri, il reste silencieux, puis
il hausse les épaules et il quitte le lieu. Le lendemain matin, le père
va de nouveau vers son fils : « Tu es en pleine force de l’âge, va,
travaille, fructifie ta vaillance, ton courage, 15 mouzounas sinon, à
la maison, ne reviens pas ! » Le fils va voir la mère en traînant des
pieds et cette fois-ci sa mère, elle lui montre, elle n’a plus d’argent
à lui donner. Alors, il va vers la ville et là, il offre ses services. Il va
au port et il aide les pêcheurs à vider leurs filets. Il vend, il aide les
marchands et puis, péniblement, à la sueur de son front, il gagne
15 mouzounas et le soir, il est fourbu mais content et il retrouve
son père et il lui tend l’argent. Son père prend l’argent, il ouvre
la fenêtre mais cette fois-ci le fils se lève, s’interpose. Il attrape la
main de son père, lui dit : « Non, ne jette pas cet argent-là. » Et le
père comprend. Il sourit, il soupèse cet argent et il dit : « Cet argent-
là, tu l’as vraiment gagné. » Et en ouvrant les bras, il invite son fils
à descendre pour tranquillement aller dîner. (La nuit est à vous).
Vidéo 16
• Voilà plus de vingt ans que ces petites et grosses coupures font
partie de notre quotidien, de près ou de loin. Initialement, c’était
pourtant ces billets-là que le jury avait choisis.
J’ai pas travaillé pour la Banque nationale. J’ai travaillé pour vous,
pour moi, pour tout le monde qui a des billets de banque dans la
main.
• Mais la Banque nationale en décida justement autrement, laissant,
à l’époque, un Werner Jeker quelque peu amer.
Je constate maintenant qu’on veut pas un cuisinier qui fait un bon
plat, qu’on prend du McDonald’s. Quand vous perdez un concours,
on tape sur la table.
• Car dans ce monde discret mais impitoyable, les surprises bonnes
ou mauvaises sont monnaie courante.
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
‚‚ Bah oui, moi j’en ai vécu une. Moi, j’ai fait le concours en 69,
j’ai eu le premier prix, et puis quand ils ont vu que j’avais
25 ans, que j’avais pas de collaborateurs, pas de studio,
absolument rien, ils m’ont demandé de faire la série de
réserve.
• Des billets qui n’ont jamais été mis en circulation, mais qui ont
fait de Roger Pfund un expert en la matière.
‚‚ Ils m’ont régulièrement pris comme consultant.
• En Suisse, plus qu’ailleurs, le billet de banque, ça compte :
davantage qu’un papier-valeur, une carte de visite.
·La· Banque nationale donne l’exemple. Chaque année, elle
détruit 60 millions de coupures qui ne correspondent plus à
ses critères de propreté.
C’est le contraire du dollar. Le dollar, une grande partie, est
faux, et souvent ils sont sales. La Suisse doit avoir quelque
chose avec les billets de banque. Ça donne confiance.
‚‚ Moi, je dis toujours que le billet de banque est un ambassadeur
d’un pays.
C’est l’image de marque de la Suisse, comment elle veut se
présenter tous les 25 ans à d’autres priorités. Qu’est-ce qui est
important ? Et on peut lire ça, sur tous les billets de banque,
comment on a évolué.
• On est ainsi passé d’une vision patriotique à une vision
pastorale et quasi religieuse, on mit ensuite à l’honneur les
inventeurs, puis les personnalités culturelles, mais il y a du
changement dans l’air.
• J’ai parlé à la Banque et je leur ai dit : « Mais écoutez, vous
voulez pas, un jour, arrêter de… avec ces portraits où vous
regardez cent ans en arrière ou quatre-vingts, au moins quatre-
vingts. Pourquoi pas un billet où on regarde en avant ? »
• C’est ainsi que la nouvelle coupure vante l’air pur de la Suisse
et ses possibilités d’aventure, et là aussi le résultat final réserve
quelques surprises par rapport au projet initialement retenu.
Ironie de la petite histoire, c’est en France que Roger Pfund
s’est fait connaître du grand public, en signant les derniers
billets avant l’arrivée de l’euro.
‚‚ Le Saint-Exupéry avec Le Petit Prince, ça a eu beaucoup de
succès.
C’est bien hein, avec Le Petit Prince, et tout !
ÑAh Ñ c’est royal !
• Quant à Werner Jeker, il ne regrette rien finalement, lui qui a
continué à se consacrer à ses affiches.
Normalement, quand on a gagné, c’est vraiment travailler
quatre ans, et uniquement être dans cet univers. Ça m’a
toujours fait un peu peur, je m’arrange maintenant pour me
consoler.
Piste 54
1 • Les enfants, qui peut me dire quelle est la monnaie de
l’Algérie ?
Le dinar algérien, monsieur.
2 • Bonjour, vous pourriez me faire de la monnaie, s’il vous
plaît ? Je dois prendre mon billet de bus et je n’ai qu’un billet de
50 euros.
Pas de problème.
3 • Mince, j’ai pas un sou sur moi, j’ai oublié mon porte-monnaie.
T'aurais un peu de monnaie pour que je m’achète un croissant ?
J’ai pas eu le temps de prendre mon petit déj.
Je dois bien avoir quelques pièces dans ma poche. Tiens !
• Merci ! Je te rembourse demain, promis.
4 • L’addition, s’il vous plaît !
Ça fait 48 euros.
• Tenez 50, gardez la monnaie.
Merci bien, monsieur.
Piste 55
• Dis frangine, tu pourrais me prêter 200 euros s't'plaît, je suis
dans la dèche…
Encore ! Mais, t’es un vrai panier percé, toi ! Tu gagnes plus
que moi et tu finis toujours dans le rouge à la fin du mois. Tu
deux cent dix-neuf 219
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
claques ton argent en t’achetant n’importe quoi, mais apprends
à gérer ton budget !
• Pfff… Merci du conseil… Tu es tellement près de tes sous que tu
t’achètes jamais rien. Tu sais pas te faire plaisir.
Jeter l’argent par les fenêtres, c’est tout le contraire de se faire
plaisir, c’est stupide ! Faudrait vraiment que t’apprennes à
économiser un minimum. En tout cas, à ne pas tout dépenser
comme ça.
• Bon, tu me les prêtes ces 200 balles ou tu fais ta radine ?
Quoi ?! Hé ho ! C’est pas parce que je brûle pas la chandelle par
les deux bouts, que je suis une radine. OK ?
• Avoue que t’as du mal à dépenser de l’argent… Je t’invite
souvent à manger à la maison et tu viens toujours les mains
vides… Tout le monde le pense, eh bien moi, je te le dis : t’as des
oursins dans les poches.
Ah ouais ?! Ben tu peux toujours attendre pour que je te prête
200 boules. T’as qu’à continuer à dilapider ton argent sans
penser à l’avenir, mais ne compte plus sur moi pour te prêter le
moindre centime !
• Oh allez, sois cool…
Piste 56
• La France a une politique sociale qui protège mieux
les populations pauvres que la plupart des pays riches.
Cependant, il ne faut pas croire que la pauvreté épargne les
Français. Nous allons voir comment elle affecte différentes
catégories de Français à travers trois graphiques : le graphique
en courbe montre l'évolution de ce taux sur les vingt dernières
années, l'histogramme présente le taux de pauvreté de
chaque catégorie d'individus, et enfin le camembert indique
la répartition de la population pauvre selon l'activité des
individus.
Ces trois documents reflètent les données officielles de
l'enquête fiscale et sociale que l'Insee publie chaque année,
cette enquête se base sur un seuil de pauvreté établi à 60 % du
revenu médian, soit environ 1 060 euros mensuel. Pour rappel,
le revenu médian est le revenu qui sépare la population en
deux, c’est-à-dire qu’une moitié des Français gagne moins,
et l'autre moitié gagne plus. En 2019, il s’élevait à environ
1 800 euros par mois. Ajoutons que les revenus pris en compte
dans l'étude incluent les salaires, mais aussi les impôts payés et
les aides sociales perçues.
Pour commencer, je vais commenter la courbe en pointillé
qui montre l'évolution sur vingt ans du taux de pauvreté de
l'ensemble de la population, toutes tranches d'âge comprises.
On remarque que le taux de pauvreté est relativement stable
en France, mais notons quand même qu'il a augmenté d'un
point entre 1998 et 2018 pour atteindre 14,8 % de la population.
Cela équivaut à 1 454 000 pauvres de plus, ce n'est donc pas
anecdotique.
Je vais maintenant m'intéresser aux actifs, autrement dit les
salariés, les travailleurs indépendants et les chômeurs que
l’Insee classe dans cette catégorie s’ils sont en recherche active
d’emploi. On voit à droite sur le camembert que les actifs
représentent environ la moitié de la population adulte pauvre.
Un des faits les plus frappants de cette étude, c'est la part
importante que représentent les travailleurs dans la population
pauvre ; en effet un adulte pauvre sur trois a une activité
professionnelle. C'est considérable. Il faut bien comprendre
que la pauvreté des individus ne dépend pas seulement de
leur revenu individuel. Le calcul du niveau de vie de chacun
tient compte de l'ensemble des revenus du ménage, c'est-à-dire
qu'une personne avec un bon salaire peut très bien basculer
dans la pauvreté si elle est seule à élever plusieurs enfants,
par exemple. Or, le nombre de familles monoparentales est en
constante augmentation, et ça influence fortement les chiffres
qui nous concernent. Pour vous donner une idée, un quart des
familles sont des familles monoparentales.
Voyons de plus près comment la pauvreté affecte les personnes
220 deux cent vingt
en situation d’emploi. Commençons par les salariés. Globalement,
ils sont peu exposés à la pauvreté. L'histogramme fait apparaître
qu'ils ont le taux de pauvreté le plus faible, il est environ deux fois
moins important que celui de l'ensemble de la population. Par
ailleurs, on voit sur la courbe que ce taux est relativement stable.
Pourtant en regardant le camembert, on remarque que les salariés
constituent un quart de la population adulte pauvre, ce qui est
énorme. Le niveau de vie des salariés dépend bien sûr de leur
rémunération et de leur situation familiale, mais il est surtout très
affecté par la précarisation du travail qui frappe principalement les
plus jeunes.
Voyons maintenant les travailleurs indépendants. Cette catégorie
regroupe des professions très différentes : commerçant, médecin,
chef d'entreprise, agriculteur, artisan, etc. Bien sûr, toutes ces
professions ne sont pas concernées de la même manière par la
pauvreté. Il n'empêche que le taux de pauvreté des indépendants
est très important. Le taux fluctue beaucoup – on voit que la
courbe oscille entre 14,5 et 18,5 % – mais il reste toujours nettement
au-dessus du taux de pauvreté de l'ensemble de la population.
Observons maintenant le camembert : la partie en bleu figure
l’ensemble des travailleurs pauvres. Un quart d’entre eux sont des
indépendants, ils sont donc surreprésentés puisque, sur l’ensemble
de la population, ils ne constituent qu’un travailleur sur dix.
Pour finir avec la population dite « active », nous allons nous
intéresser au cas des chômeurs. On voit très bien sur la courbe et
l'histogramme que le taux de pauvreté des chômeurs est de loin
le plus élevé puisqu'il atteint 37,8 % selon les dernières données
disponibles. Il oscille sous l'effet de deux facteurs qui sont le taux
de chômage, d'une part, et les différentes réformes des allocations
chômage, d'autre part. Mais, ce taux est en constante progression.
Les chômeurs représentent 15 % de la population pauvre, un
chiffre important quand on sait qu'ils représentent moins d'un
actif sur dix.
Passons maintenant aux inactifs, c’est-à-dire les personnes
à la retraite ou au foyer, qui constituent près de la moitié des
personnes pauvres. Concernant les retraités, la France affiche le
taux de pauvreté le plus bas de l'Union européenne avec 8,7 %.
On voit sur la courbe que le taux de pauvreté des retraités est
relativement stable, à l'exception d'une baisse importante entre
2010 et 2012 et d'une remontée assez nette en 2018. En tout cas,
il reste largement inférieur au taux de pauvreté de l'ensemble de
la population. Malgré tout, on peut voir sur le camembert qu’un
adulte pauvre sur cinq est retraité. Et le problème, c'est que cette
pauvreté est plus durable que pour le reste de la population,
puisque les retraités sont à un âge où peu d'événements sont
susceptibles de les sortir de la pauvreté, contrairement à un jeune
actif, par exemple. Mais, parmi les inactifs qui vivent sous le seuil
de pauvreté, quasiment les deux tiers ne sont pas retraités. Ces
autres inactifs sont en âge de travailler, mais ne cherchent pas
activement un travail, on parle ici à la fois des étudiants qui vivent
chez leurs parents et aussi de personnes qui ne sont pas ou plus
dans le monde du travail : des jeunes qui n'arrivent pas à trouver
un premier emploi, des parents isolés confrontés aux problèmes
de garde d'enfants, ou encore des personnes découragées par les
mauvaises conditions de travail ou les difficultés de recherche
d'emploi. Quel que soit le profil, ces autres inactifs représentent
près d'un tiers de la population pauvre. C'est la part la plus
importante même si, on le voit sur l’histogramme, ils se classent
après les chômeurs en taux de pauvreté avec 32,7 % contre 37,8 %,
soit plus de 5 points d’écart. Mais, si l'on regarde la courbe, on
constate que ce taux de pauvreté augmente de manière inquiétante
depuis les années 2000 et, si le mouvement se poursuit, il devrait
dépasser le taux de pauvreté des chômeurs dans un avenir proche.
Pour conclure, on voit que, sans surprise, les chômeurs et les
inactifs sont de loin les plus touchés par la pauvreté. Mais, les
travailleurs ne sont pas vraiment épargnés, et cette pauvreté active
choque beaucoup de Français. Pour permettre à ces travailleurs
pauvres d'avoir un revenu décent, le gouvernement a mis en place
 TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS

une prime à l'activité. On n'en connaît pas encore les effets, pas ça, alors on se dit : « Ah bah nickel, c’est universel, voilà, ça
plus que ceux de la crise actuelle qui frappe de plein fouet les a toujours été comme ça, regardez, dans l’Antiquité aussi et
travailleurs précaires et les indépendants, et qui risque de faire aujourd’hui aussi. Et les rapports hommes-femmes, ils ont
passer sous le seuil de pauvreté un grand nombre de travailleurs toujours été comme ça, donc on peut plaquer notre grille de
modestes. lecture contemporaine sur les tombes de l’âge du fer qu’on
observe et déduire le sexe des défunts à partir des objets qui
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 11 sont exposés dans les sépultures. »
En gros, pour faire un peu résumé, s’il y a des armes, on
Vidéo 17
dit : « C’est un homme. » S’il y a des bijoux, on dit : « C’est
• Fin xixe siècle, des archéologues font des fouilles du côté de
une femme. » Et s’il n’y a ni l’un ni l’autre, on met ça dans la
Menton et, dans la grotte du Cavillon, on trouve un squelette
catégorie « indéterminé ». Bon, à première vue, ça semble
d’un homme préhistorique qui daterait d’il y a 24 000 ans, au
assez logique. Sauf que, des fois on trouve des tombes
paléolithique supérieur. C’est un squelette bien robuste, il est
où il y a des parures et des armes. Ah, on fait quoi du
enterré avec plein d’ornements, des trucs assez précieux, etc. On
coup ? C’est quoi alors ? Ou alors, quand on a la chance de
se dit waouh ! Ça doit être quelqu’un de très important, ça doit
pouvoir analyser le squelette, on voit qu’il y a des tombes
être un chef. Et plusieurs découvertes de ce type se succèdent,
de femmes sans parures et des tombes d’hommes sans
mais un jour on tombe sur une tombe – waouh – on découvre une
armes, et surtout très très très souvent, on trouve rien du
tombe de ce même type, en Italie, avec un squelette bien robuste,
tout, ou du moins pas d’objets connotés. Donc, la catégorie
etc., machin. Mais là, par contre, en y regardant de plus près,
« indéterminé » elle est très fréquente, c’est même souvent
il y a un fœtus dans le ventre du défunt. Ah, ah OK, ah ouais,
plus de la moitié des tombes qu’on retrouve sur un site
cool, cool, cool… Du coup, c’est peut-être pas un mec. Alors les
de fouilles. Et du coup, ces tombes, ben on peut pas en
paléontologues reprennent tous les squelettes des autres tombes
tirer grand-chose avec cette technique-là. Et c’est là que la
de ce même type et les regardent beaucoup plus en détail. Ils les
méthode est foireuse, parce qu’elle part du principe que
analysent d’une manière plus fouillée avec d’autres techniques et
la façon de différencier les hommes et les femmes, elle est
ils se rendent compte que c’est des femmes.
universelle, elle est intemporelle. Ouais, c’est naturel, c’est
L’archéologue Chloé Belard, qui a soutenu sa thèse en 2014, a
comme ça, c’est dans nos gènes, les hommes ils aiment
montré combien les schémas traditionnels d’interprétation sont
les armes, les femmes elles aiment les bijoux. Toutes les
encore très très présents dans la méthodologie scientifique des
sociétés ont été différenciées comme ça, c’est naturel. Mais
archéologues. Dans ses recherches, elle a travaillé sur l’exemple
ça, c’est pas du tout rationnel comme méthode. C’est avoir
des complexes funéraires de l’âge du fer, donc entre le vie et le
un présupposé en tête et l’appliquer au lieu de le prouver, au
iiie siècle avant notre ère, en Champagne et plus particulièrement
lieu de vérifier qu’il est bien valable pour d’autres époques
sur les tombes de femmes. Et elle utilise ce terrain d’études
et d’autres endroits.
pour montrer pourquoi les anciennes méthodes traditionnelles,
Donc, de plus en plus d’études considèrent que les femmes
pourtant toujours utilisées, ne fonctionnent pas, et elle propose
puissent avoir un rôle politique mais, d’après Chloé Belard,
une nouvelle méthode qui a pour but de se débarrasser des clichés,
c’est encore assez compliqué. L’archéologie en France
et donc des erreurs.
serait plutôt en retard sur les études de genre, alors qu’en
Cette méthode traditionnelle, elle date du xixe siècle et elle
Scandinavie, par exemple, c’est utilisé depuis les années 80.
fonctionne comme ça : quand on découvre une tombe, on regarde
Alors, je ne vous parle même pas d’envisager un rôle
avec quels objets sont enterrés les défunts et on regarde s’ils sont
guerrier aux femmes…
connotés masculin ou féminin pour déterminer le sexe du défunt.
Et un exemple très parlant qui a fait pas mal de bruits, c’est
Ça marche surtout avec les objets parce que, au xixe siècle, c’est ça
le cas du viking de Birka. En 1878 à Birka, en Suède, on fait
qui intéresse les archéologues : les objets pour faire des collections,
la découverte de la tombe d’un grand guerrier viking. Il a
pour faire des jolis cabinets de curiosités, etc. Et ces objets, ils sont
tous les ornements qui vont avec un grand chef de guerre et
interprétés avec le prisme des auteurs gréco-romains, parce qu’au
il aurait vécu au xe siècle. Et du coup, pour les spécialistes,
xixe siècle l’Antiquité, c’est la référence de prestige, et ces auteurs
hein c’est un exemple qu’on cite souvent pour illustrer ce
antiques, ils sont érigés comme modèles de pensée y compris
à quoi pouvait avoir droit un grand et valeureux guerrier
en science, voilà c’est quelque chose de très à la mode et partout,
viking dans sa tombe, d’une strate hiérarchique assez
pas que dans la science : en politique, en art, en philosophie, etc.
élevée. Mais il y a une bio-archéologue, Anna Kjellström
J’en sais quelque chose, j’ai fait ma thèse sur un sujet de ce type.
– désolée pour l’écorchage de son nom – donc cette bio-
Je ne sais pas pourquoi je parle comme ça, comme un doctorant
archéologue, elle analyse méticuleusement les os et elle dit :
insupportable probablement.
« Euh… les gars, le squelette là – dans la tombe du grand
Donc, on s’inspire beaucoup des modèles femmes-hommes
guerrier, machin et tout – c’est une femme, c’est des os de
véhiculés par les auteurs antiques. Par exemple, Aristote, il dit
femme ça. » Elle fait des conf en 2014, elle est publiée en
qu’il y a une opposition naturelle entre le froid et le chaud, le sec et
2016, et tout le monde s’en carre le cul, ou y a carrément des
l’humide, l’actif, le passif, etc. Ce qui correspond symboliquement
collègues qui remettent en cause son interprétation et qui
aux deux catégories homme et femme, et on s’inspire aussi du
disent : « Nan, mais peut-être qu’au xixe quand on a déterré
regard que les Grecs et les Romains, ils portent sur ces populations
les os – parce que c’est vrai que c’est un peu le bordel au xixe
gauloises où le guerrier c’est le chef de famille. Il a une place
les méthodes –, peut-être qu’on a mélangé des squelettes,
prépondérante, c’est lui qui a droit de vie et de mort sur femme et
peut-être aussi que le squelette à la base, il avait été
enfants, etc. Il a la tutelle. Mais ça, c’est les filtres de lecture gréco-
enterré avec d’autres personnes, etc. » Alors, l’archéologue
romains sur d’autres peuples. Par exemple, une des références
Charlotte Hedenstierna-Jonson – pareil, le nom, désolée –
vraiment super utilisée, et encore aujourd’hui, c’est La Guerre des
avec son équipe, elle fait des prélèvements ADN sur le
Gaules de César, et dedans il y a très peu d’infos sur les femmes :
squelette et la réponse est péremptoire : il n’y a qu’un seul
seulement 18 paragraphes sur les 8 volumes. Et les femmes, elles
squelette enterré là, et c’est un squelette de femme. Donc
y sont toujours présentées comme femme de, fille de, mère de –
ce grand guerrier viking, eh ben c’est une grande guerrière
merde – donc elles ont un rôle naturel de bonnes épouses prêtes
viking. Et forcément, ça bouleverse pas mal la vision qu’on
à tout pour défendre leur mari, d’ouvrière agricole et de mère
avait de ce peuple. Donc, encore en 2016, pour qu’on puisse
fertile. Et ça, ça parle aux auteurs du xixe parce que dans leur
concevoir qu’il peut y avoir une femme guerrière et qu’on
société à eux, les répartitions des rôles, ils sont beaucoup comme

deux cent vingt et un 221

TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
prenne au sérieux les travaux de quelqu’un qui analyse le
squelette, il a fallu un prélèvement ADN.
Vidéo 18
• Merci beaucoup, c’est gentil ! Merci, vous pouvez y aller, c’est
gentil.
Comment ça, qu’est-ce que je fais ? Eh ben, je cherche le dîner
de ce soir ! Je sais qu’y a des pommes de terre ici, y a des
patates, j’en suis sûr et certain.
• Merci beaucoup.
Tiens, regarde ! Tiens, tiens, tiens ! Allez, c’est parti pour le
gratin, là ! C’est bon, les pommes de terre, elles sont propres.
• Alors, hop là ! Tchac tchac ! C’est bientôt prêt !
Allez Sylvie, va me chercher le Zippo ! Ça part au barbecue !
• Barbecue ! Soja, végé, sans gluten.
Je vais faire le tour du jardin, j’en peux plus, il faut que je
m’aère. Je vais tourner autour là, autour du parc.
• Ça fait quinze jours que j’ai pas klaxonné, ça fait quinze jours
que j’ai pas insulté quelqu’un, faut que je trouve un truc, là !
Faut que je m’aère, j’en peux plus. J’en peux plus, je te le dis ! Je
tourne là une heure ou deux et puis après je rentre, hein.
• Allez, avance devant là ! Putain !
Là, j’en peux plus, j’en peux plus !
• Avance avec ta merde, allez ! Putain ça tape là, on est à
Marrakech, pfiou ! Attend deux secondes, je fais un house party
avec toute ma famille.
J’arrive, deux minutes, je fais un house party, là !
• Attend, y a Ivan qui vient de se connecter. Ça va, Ivan ?
Allô ?
‚‚ Coucou, tout va bien, ça va, ça va.
Allô ? Vous me voyez là ?
• Super, on est là cinq, six. Marie, ça va, Marie ?
·
·Oui, oui très bien.
Tu m’entends, là ?
·Et· vous, tout le monde va bien ?
• Super, tout le monde va bien.
Ça marche pas ce réseau de merde, là !
• Allez, je vais m’écouter un peu de musique moi.
Yes ! Talatata, talalatatata… !
Moins fort !
• Pardon, madame Goubert, pardon ! Elle casse les couilles elle,
putain !
Achik achik achik ! Vous êtes fatigués ?
Ah, bonjour.
• Ah, bonjour madame Goubert.
Oh bah, appelez-moi Nadège !
• Ah bah, d’accord OK. C’est vrai qu’on habite les uns à côté des
autres et on prend jamais le temps de se parler au final. Vous
faites quoi dans la vie d’ailleurs ?
Comptable.
J’ai plus de nouvelles de Sylvie. Elle t’a appelé ? Nan, mais te
casse pas, putain, y a que toi !
• Je vais rentrer, j’ai un truc sur le feu. Bonne soirée, madame
Goubert.
On se fait un petit apéro à 19 h ? Qu’est-ce t’en penses Lucky ?
T’es chaud ou quoi ? Oh, y en a pas un de chaud, là ? Il fait
toujours la gueule. Sylvain, arrête de faire la gueule aussi, toi !
• Je vais prendre l’air.
ÑT’asÑ une attestation ?
• Nan, nan, je descends juste les poubelles, t’inquiète !
Allez, je rentre. Oh, j’en ai plein le cul d’être dehors, allez !
Piste 57
• Comment est-ce qu’un mot, soudain, envahit notre champ
lexical alors qu’on ne l’employait pas du tout avant ? Est-ce
qu’on est manipulés ? Est-ce que c’est un environnement
général ? Comment vous expliquez l’apparition des mots ?
Eh bien, écoutez, la plupart du temps, les mots apparaissent
parce qu’on a besoin d’eux, en fait. Et là, je crois qu'y a pas
de doute, hein, on a eu une nouvelle réalité terrible qui s’est
222 deux cent vingt-deux
imposée à nous et il a fallu réagir linguistiquement, ce qu’on a
fait très vite. Et ce qui est fascinant, c’est la vitesse à laquelle tout
le monde s’est adapté, s’est emparé de ces nouveaux mots, donc
« Covid » étant un tout nouveau mot qu’on ne connaissait pas et
c’est un des mots les plus souvent employés aujourd’hui, donc
c’est la nécessité qui fait loi linguistique, si vous voulez, enfin, il
n’y a aucune manipulation. Après, y a des mots qui sont plus de
l’ordre de la manipulation, si on veut, et encore je mettrai un petit
peu des guillemets, c’est les mots de la métaphore, vous savez, des
mots qui sont un peu du langage rhétorique, un peu comme quand
le gouvernement a utilisé toutes les métaphores de la guerre, que
nous sommes en guerre, qu’il faut se mobiliser, que les soignants
sont en première ligne, sur le front, vous voyez tout ça, ça c’est plus
une rhétorique pour nous convaincre du bien-fondé des mesures.
Mais sinon, la plupart du temps, tous les mots qu’on s’est mis à
utiliser sans arrêt, c’est bien parce que la réalité, elle les nécessitait,
vous voyez, les requérait.
• Y a un mot, Julie Neveux, qui m’a frappé, c’est le mot de
« soignant », on ne parlait jamais de soignants, on parlait de
médecins, d’infirmières. Il fallait quoi, il fallait lisser, banaliser
le monde hospitalier ? Faire sauter les barrières entre les grands
pontes et les petites mains du travail hospitalier ?
Exactement, je ne dirai pas lisser mais plutôt « héroïfier », faire
de héros de ce corps, de ce corps qui nous défendait et, vous
avez raison, c’est tout à fait nouveau qu’on englobe tous ceux qui
travaillent à nous protéger en fait. Et donc il y avait que ce mot
qui était le plus générique, et puis aussi qui marche bien puisque
« soignant », vous savez, c’est un ancien participe présent : « en
soignant mes concitoyens », vous voyez ? Donc, en fait, il y a
cette idée d’activité, et ce sont ceux qui étaient au front, tout ça
est très cohérent, et c’est vrai que ça permettait de désigner ceux
qu’il fallait aider, ceux qu’il fallait soutenir en ne sortant pas de
chez nous, donc… Ce qui était très intéressant, c’est qu’on a eu un
ensemble de mots qui disaient, à la fois, ceux qui nous protègent
et ce qui nous contraint, donc les personnes qui nous protègent,
eh bien les soignants ; et tout ce qui nous contraint, eh bien toutes
les mesures : confinement, couvre-feu, masque, et tout ça était
très très contraignant. Et donc je pense que « soignant » a servi
à compenser un petit peu, vous voyez, à légitimer toutes ces
contraintes. Pour nous les rendre supportables, il a fallu dire :
« Regardez, il y a quelqu’un qui, lui, reste actif pendant que vous,
vous avez l’impression de ne plus pouvoir agir, donc vous agissez
d’une certaine façon, quand même. »
• Alors, vous parliez de confinement à l’instant, bon, qui était un
mot assez peu utilisé mais « déconfinement », c’est un mot qui
n’existait même pas.
Oui, c’est vrai, ça n’existait pas, donc la langue et toutes les
langues, d’ailleurs, pas que la langue française, continue sans arrêt
de se recréer pour s’adapter à de nouvelles situations. On a mis
ce préfixe « dé » pour dire que c’était la fin mais, vous voyez que
ce qui était très intéressant, c’est que, à chaque nouvelle mesure,
les hommes politiques hésitent, les journalistes aussi, car est-ce
que c’était vraiment un déconfinement ? Est-ce que c’était un
déconfinement partiel ? Après, est-ce qu’on a eu un reconfinement
ou un confinement light ? Vous avez vu que Macron n’a pas osé
dire « reconfinement », tellement le confinement avait été vécu
comme, finalement, une mesure inégalitaire puisque confinement,
qui, en fait, depuis le xviie, xviiie, xixe siècle, c’était un usage très
très restreint, c’étaient les malades dans leur chambre d’hôpital et
puis les prisonniers, c’était vraiment l’emprisonnement. Or là, c’est
devenu d’une extension inouïe, c’est-à-dire nous faire travailler
chez nous et cesser la rencontre physique avec les autres. Or, ce
sens très élargi a révélé toutes sortes d’inégalités. Évidemment,
ceux qui étaient dans des tout petits endroits, eh bien le
confinement est devenu très dur, donc il est devenu difficile de dire
« reconfinement » parce que « confinement » est devenu associé à
ce contexte très inégalitaire finalement et très mal vécu, donc on a
dit « confinement light », « nouveau confinement ». Voyez, donc il y

a sans arrêt des idéologies, enfin, des combats idéologiques qui se
jouent derrière la façon de nommer les choses.
• Et c’est le cas, par exemple, pour le fameux, la fameuse appellation
« gestes barrières » ?
Bien sûr, « gestes barrières », donc là, si vous voulez, mesure
qui existait déjà, enfin, le nom de cette mesure existait déjà pour
la plupart d’entre nous, moi je ne l’avais jamais entendu, par
exemple, et c’est vrai que c’était intéressant, puisque ce nom
composé, si vous voulez, essaye de nous transmettre l’efficacité
par la métaphore, une fois de plus. Les gestes pourraient servir
véritablement de barrière. La barrière c’est quelque chose qui est
en bois, en métal, qui est très solide, vous voyez, donc, c’était aussi
pour nous donner envie de les pratiquer, ces gestes.
Vidéo 19
• Salut, c’est Hugo, et aujourd’hui on va voir comment les cartes
peuvent déformer la réalité. Petite alerte : c’est pas vraiment un
sujet d’actualité mais plutôt un sujet de géographie, et certains
d’entre vous ont sûrement déjà, un petit peu, entendu parler de ça
en cours, mais là je vous ai préparé un certain nombre d’exemples
qui devraient vous plaire. Bon, on va aller droit au but, de toute
façon c’est assez évident : pourquoi est-ce que les cartes déforment
la réalité ? Eh bien, notre globe c’est une sphère, une carte c’est une
représentation aplatie, donc, forcément, la carte déforme la sphère.
Il existe différentes façons de représenter la surface de la Terre sur
une carte, et on appelle ça des projections.
La carte que vous voyez là, c’est une carte avec une projection
de Mercator, du nom du fameux cartographe Gérard Mercator
qui a conçu cette projection en 1569. C’est la projection de carte
la plus connue, celle qu’on a, en général, en cours d’histoire-géo
ou encore, aujourd’hui, sur Google Maps. Le problème, c’est que
cette projection de Mercator déforme énormément la réalité. Un
exemple de déformation assez frappant consiste à comparer le
Groenland et l’Afrique. Sur cette carte, avec la projection Mercator,
on est d’accord, le Groenland paraît aussi grand que l’Afrique.
La superficie du Groenland, merci Wikipédia, c’est 2 166 086
km2, mais la superficie du continent africain c’est 30 415 873 km2.
Oui, le Groenland est en réalité 14 fois plus petit que l’Afrique, et
pourtant, sur cette carte, ils paraissent de la même taille. D’ailleurs,
l’entrepreneur Kai Krause est connu pour cette fameuse carte qui
montre tous les pays que l’on peut faire rentrer dans le continent
africain. Oui, l’Afrique est en réalité immense, mais on ne dirait
absolument pas sur les cartes utilisant la projection Mercator.
Autre exemple assez dingue : sur la carte ici, on a l’impression
que l’Alaska est beaucoup plus gros que le Mexique. Mais là aussi,
c’est extrêmement trompeur, puisqu’en réalité, le Mexique est plus
grand. Encore un exemple : ici, la Russie semble immense et même
plus grande que l’Afrique. Alors, si effectivement la Russie est très
grande, elle est en réalité plus petite que l’Afrique, comme vous
pouvez le voir juste ici. Enfin, un dernier exemple pour la route :
ici, l’Antarctique paraît absolument massif, mais, en réalité, c’est
loin d’être le cas, puisque c’est seulement le cinquième plus grand
continent en terme de superficie.
En fait, la projection Mercator, c’est une projection qui avait été
conçue pour naviguer. Sans rentrer dans les détails, l’objectif
n’était pas vraiment de montrer les bonnes dimensions de tous
les pays, mais surtout de conserver les angles et les formes des
pays pour pouvoir naviguer à l’aide d’un compas, par exemple. Le
problème, comme on vient de le voir, c’est que, du coup, ça modifie
pas mal la taille des différents éléments de notre planète.
Il y a un très bon outil qui permet de voir à quel point les cartes
peuvent déformer la réalité : c’est l’indicatrice de Tissot. L’idée,
c’est de poser sur la carte des cercles qui ont tous 500 km de rayon,
autrement dit, qui ont tous la même taille. En posant les cercles sur
la carte, les cercles vont se voir appliquer les mêmes déformations
que les pays et on va donc voir comment la carte déforme la réalité.
Alors, très concrètement, que se passe-t-il si on pose ces cercles
sur une carte avec la projection de Mercator ? Comme vous voyez,
la projection de Mercator grossit tout ce qui se trouve éloigné de
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
la ligne de l’Équateur. Un cercle de 500 km de rayon va
paraître beaucoup plus gros très au nord ou très au sud. Je
vous l’ai dit, si cette carte déforme ainsi, c’est que c’était un
choix de Gérard Mercator : son objectif c’était de naviguer,
pas forcément de représenter fidèlement la taille des
différents pays. Mais, certains critiquent cette déformation
de la réalité, et notamment le fait, qu’ici, les pays les
plus riches apparaissent comme plus gros sur la carte.
Concrètement l’Europe, la Russie et les États-Unis, étant
pas mal au nord, ils se retrouvent grossis, contrairement
à des continents comme l’Afrique, comme on l’a vu. Cette
critique est peut-être un peu moins vraie aujourd’hui
puisque des pays comme la Chine ou l’Inde sont des super
puissances économiques et ne sont pas tant grossies par la
projection Mercator, mais le grossissement des États-Unis
ou de la Russie reste une vérité. Les altermondialistes,
c’est-à-dire ceux qui jugent que la mondialisation actuelle
creuse les inégalités et est injuste, préfèrent donc utiliser
une autre carte pour représenter la Terre. La projection
qu’ils privilégient souvent, c’est la projection Gall-Peters,
qui représente beaucoup plus fidèlement la taille des
pays et donc des continents, tels que l’Afrique, qui se
voient représenter à leur bonne taille. Son inconvénient à
elle, comme vous le voyez, c’est qu’elle déforme les pays,
contrairement à la projection de Mercator qui représente
fidèlement les formes des pays. En tout cas, ça commence
à bouger un peu et, à titre d’exemple, la ville de Boston a
décidé, il y a quelques mois, d’utiliser la projection Gall-
Peters dans toutes ses écoles.
Pourquoi est-ce que ça me semble important de vous
montrer tout ça ? Eh bien, simplement pour vous montrer
la dimension politique des cartes. Vous l’aurez compris, une
carte ça résulte forcément d’un choix et aucune carte n’est
parfaite. Selon ce que l’on veut montrer, selon si on veut que
notre carte soit précise sur la forme des pays ou sur la taille
des pays, on utilisera des projections différentes. Et il existe
des dizaines de projection. Si vous voulez en découvrir
davantage, je vous mets un lien dans la description, et si toi
aussi tu veux t’amuser à voir la taille réelle des pays quand
ils ne sont pas déformés par la projection de Mercator, je
t’invite à aller sur www.thetruesize.com, c’est très bien,
fait, c’est gratuit, c’est cadeau. C’est tout pour cette vidéo,
j’espère qu’elle vous aura plu. Si ce genre de vidéo vous
plaît, n’hésitez pas à me le dire dans les commentaires et
à déposer un maximum de pouces bleus ou pensez à vous
abonner si ce n’est pas encore le cas, à partager la vidéo à
vos proches si elle vous a plu, et nous on se dit à très vite !
Piste 58
• T’as vu Samuel récemment ?
Oui ! Il est venu dîner à la maison la semaine dernière… avec
sa nouvelle meuf !
• C’est pas vrai ! Alors ? Elle est comment ?
Franchement… je sais pas, c’est pas du tout son genre.
• Ah oui ? Caro m’a dit qu’elle avait mauvais genre, très
vulgaire, pas très intéressante…
Ah non, pas du tout ! Elle est sympa, elle est journaliste
sportive, plutôt talentueuse dans son genre, elle a de la
conversation, on a passé une bonne soirée, mais je sais pas,
y a un truc qui colle pas !
• Journaliste sportive ? Ah oui, effectivement, c’est pas du
tout le même genre que Samuel, notre intello de service !
Je l’aurais plutôt imaginé avec une fille BCBG, tu vois le
genre ?
Ben tu sais, le mélange des genres, ça peut avoir du bon !
• Oui, c’est sûr ! Mais tu crois que ça va marcher leur
relation ?
Aucune idée, je crois qu’eux-mêmes ne le savent pas, c’est
un genre de pari sur l’avenir !
deux cent vingt-trois 223
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS

• Bon, bah alors, on verra bien ! Si j’ai bien suivi, il admet qu’il y a une histoire et des références
Piste 59 communes à un groupe de population.
1 • T'as été voir ta cheffe pour demander une augmentation ? • Et tu trouves ça vrai, toi ?
Ouais. D’un côté oui, d’un côté non. Je me rends bien compte, si je
• Genre ! rencontre des homos d’autres pays, qu’y a des codes et des goûts
Mais si ! Elle a accepté. communs, indépendamment de la nationalité ou de la langue, donc
2 • Le prof est assez jeune, genre 30 ans. ouais, elle existe cette communauté. Mais à part ça, je suis hyper
3 • Elle a un super poste, genre directrice. d’accord avec lui quand il réfute l’idée d’une communauté une et
4 • Non mais, genre, les filles, vous vous croyez où ? indivisible. Y a des homos de droite, de gauche, des pauvres, des
riches, des blancs, des noirs, des croyants, des athées, et c’est loin
d’être un groupe homogène et solidaire ! Y a même des cons et des
AUDIO et VIDÉO – UNITÉ 12 racistes, figure-toi !
• Donc t’es d’accord qu’il n’y a pas de communauté gay ?
Piste 60
Mais si ! Y en a une, mais je crois que le mec, il dit juste que c’est
• Tiens, passe-moi ma tablette steuplait, y a un truc, je voulais
très con. Et je suis assez d’accord : c’est pas parce qu’on partage la
trop en parler avec toi, l’autre jour je suis tombé sur le blog
même orientation sexuelle qu’on est une communauté.
d’un type qui dit des trucs…
• Donc en fait, un homo et un hétéro qui seraient fans de la même
Quel genre de trucs ?
équipe de foot ont plus d’atomes crochus que deux homos qui ne se
• Attends, bouge pas, je cherche, je vais te lire… Alors, le mec il
connaissent pas.
s’appelle Dorian Gay…
Ben, ça me semble évident, non ?
Dorian Gray, non ?
• Je réfléchis en même temps que je te parle… ça dépend, en fait.
• Non non, Gay. C’est un jeu de mot… le titre de son blog est
Moi, si j’étais lesbienne, je crois que je serais contente d’avoir une
plutôt clair : Tribulations et réflexions d’un jeune gay caramel à
communauté.
Paris.
Sérieux ?
• Pourquoi caramel ? Il est métis ?
• Ben oui ! Déjà, l’union fait la force. Puis, chais pas, y a quelque
• J’en sais rien. C’est pas le sujet…
chose de nécessaire dans le fait de se retrouver avec des gens qui
C’est quoi ? Un blog ? Un journal intime ?
ont les mêmes problématiques au quotidien, subissent les mêmes
• Je sais pas, j’ai pas tout lu. En tout cas, là, c’est un post sérieux,
discriminations, ont les mêmes…
limite philo. Bon, je te passe l’intro… Hmm, ah voilà, c’est là que
… les mêmes loisirs ? Tu veux dire que si t’étais gay, tu trouverais
ça devient intéressant : « Communauté vous dites ? Cette notion
normal de fréquenter des bars homo ? D’aller dans des
de communauté nous divise ; cette notion de communauté
discothèques pour homosexuels ? Des plages pour homosexuels ?
interpelle. »
Tu serais contente d’avoir recréé un ghetto en t’enfermant dans ton
Quelle communauté ?
petit milieu ?
• Non, mais si tu m’interromps tout le temps, ça va être relou !
• Dis comme ça, c’est sûr que ça a l’air horrible, mais franchement, si
Je me tais. Vas-y.
ça peut m’éviter de me faire agresser…
• « Si j'admets, avec la relative subjectivité qu'induit ma jeunesse,
Ça, c’est un autre problème.
que ce que nous appelons "communauté gay" a permis au long
• Après, là où ça m’interpelle, c’est sur cette histoire d’étiquettes.
de l'histoire de nous façonner une culture, une identité, une
Moi, je suis ce qu’on appelle une geek. Enfin, moi je me vois pas
histoire et nous a permis de conquérir nos droits et notre place
comme ça, mais dans l’esprit des gens, une meuf qui fait des jeux
dans la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui, je reste
de rôle ou des jeux de vidéo, c’est une geek qui n’a pas de vie.
tout aussi persuadé qu'elle n'est pas universelle et qu'elle a ses
Le problème, c’est le regard des gens, t’auras toujours un
limites. »
imbécile pour te mettre dans une case. Moi, quand les gens ils me
Ah, là, ça devient intéressant.
présentent comme leur « ami gay », ça m’emmerde ! Tu peux pas
• Je t’avais dit ! Je continue : « Je refuse en effet l'idée même
imaginer.
de communauté gay au sens sociologique et historique du
• J’ai jamais fait ça, moi, si ?
terme. Admettre ainsi qu'un garçon, parce qu'il aime les
Non, je crois pas. Je te l’aurais dit !
garçons, et une fille parce qu'elle est attirée par d'autres filles,
• Bref, ça me fait super chier de le reconnaître, mais je vois bien que
fait inéluctablement partie d'une "communauté" et adhère
quand je parle à des potes geek comme moi, ben ils pigent tout de
forcément à une philosophie, à une culture et à une histoire
suite les références, ils connaissent ce que je connais, ils ont vu les
préétablies est absolument aberrant. »
mêmes films. Tout ça, quoi ! Quand je vois qu’on se comprend, y a
Carrément ! En même temps, rien de nouveau, ça fait des
un lien qui se crée, forcément.
années que je te le dis !
Et ?
• Écoute la suite : « Bien qu'homosexuels, je pense ne pas me
• Eh donc, je me dis, que… ben, que je le veuille ou non, y a
conforter dans mes convictions en affirmant que nous ne
une forme de communauté geek. Pourquoi y aurait pas de
nous définissons pas par notre sexualité – encore heureux.
communauté gay ? c’est peut-être exactement le même phénomène.
Cette idéologie communautariste basée sur ce seul lien
Bah… pff… sans doute, je sais pas, je suis pas sociologue. Si ça se
objectif qu'est la sexualité est profondément réductrice et si
trouve y a même une micro communauté de gays geek qui jouent
pauvre de réflexion. Imaginez-vous si tous les groupements
à Donjons et Dragons en écoutant Madonna ! Mais pour en revenir
d'individus s'érigeaient en communauté. Où serait donc la
au blog du mec, c’est pas complètement con de dire que y a quelque
limite : communauté de végétariens ? De gauchers ? De groupes
chose d’artificiel à parler de communauté gay. En tout cas, de
sanguins ? D'amateurs de saumon fumé ? » Il a de l’humour,
carrément réducteur. Idem pour les geeks !
non ?
• Ça c’est sûr ! De toute façon, dès qu’on essaie de mettre les gens
Et tu voulais mon avis parce que tu pensais que je serais
dans des cases, ça devient réducteur.
d’accord avec lui ?
Ah, c’est beau ce que tu dis !
• Non, mais moi ça m’interroge son truc.
• Arrête de te foutre de ma gueule !
Pourquoi ?
• Ben, au début, il dit qu’il existe une culture gay, puis en même
temps quelques lignes plus bas, il refuse l’idée de communauté.
Ça prête à confusion, non ?

224 deux cent vingt-quatre


Vidéo 20
• Trois statues royales, mi-hommes mi-animales, trésors du
royaume du Dahomey, l’actuel Bénin. Elle datent du xixe siècle
et ont été ramenées en France par l’armée coloniale du général
Dodds. Un butin de guerre, aujourd’hui exposé au musée du Quai
Branly à Paris, comme ces masques et ces portes du palais du roi
Behanzin.
Les portes du Palais, elles se décodent comme un rébus.
• Une histoire et des œuvres d’art, que connait bien Marie-Cécile
Zinsou.
Là, par exemple, on aperçoit un caméléon, qui est le symbole du roi
Akaba.
• Cette Béninoise milite depuis une douzaine d’années pour que ces
pièces retournent dans leur pays d’origine.
Je pense que ces objets sont pillés, que c’est écrit, c’est prouvé,
voilà. C’est un pillage qui a eu lieu pendant une guerre. Je pense
que ces œuvres sont légitimes dans le voyage de retour.
• Ses efforts viennent d’être couronnés de succès. Suivant les
conclusions d’une étude qu’il a commandée, le président Macron
a annoncé récemment la restitution de 26 œuvres réclamées par
le Bénin. Les auteurs du rapport recommandent à la France de
modifier ses lois pour faciliter la restitution de milliers d’œuvres
africaines arrivées en France pendant la période coloniale.
‚‚ Ce que met en exergue le rapport, c’est l’extrême déséquilibre qui
existe, alors que la presque totalité du patrimoine culturel africain
se trouve dans des musées en Europe. Le musée du Quai Branly,
par exemple, à Paris, compte à lui seul plus de 70 000 œuvres
d’origine africaine, mais la restitution est loin de faire l’unanimité.
·
·Dans le mot « restitution » il y a un concept de culpabilité et de
possession illégitime, ça c’est un vrai problème.
• Ce commissaire-priseur, spécialisé dans l’art africain, estime qu’il
faudrait pouvoir prouver que des œuvres ont été acquises de façon
illégale avant de penser à les rendre.
·Je· pense que 90 % du marché actuel n’a pas été pillé et dérobé, mais
a été, d’une part, troqué, donné, acheté, et cetera, mais surtout
préservé.
• Selon lui, son pays n’a pas à se sentir coupable. Ces œuvres
auraient sans doute disparu si la France ne les avait pas
préservées.
· regardez, là c’est typique : travail de termites.
·Là,
• Des arguments que réfute Marie-Cécile Zinsou. Si une étape
importante vient d’être franchie, l’historienne de l’art béninoise se
garde bien de crier victoire.
On va attendre que les œuvres soient présentées au public pour se
féliciter, pour féliciter la France et pour féliciter le Bénin, mais on
va attendre les actes.
• Ici Jean-François Bélanger, Radio Canada, Paris.
Vidéo 21
• Et pour évoquer ces questions autour de l’appropriation culturelle
et de l’invisibilité ou l’insuffisante visibilité des minorités, Caroline
Fourest, première invitée. Essayiste, réalisatrice, votre dernier
ouvrage Génération offensée à propos de la police de la culture et
de la police de la pensée, est paru très récemment aux éditions
Grasset, et puis je rappelle, je fais FNAC ce soir, que le DVD de
votre épopée, votre film de guerre Sœurs d’âmes est, en ce moment
et depuis peu, disponible partout dans tous les bons… Pas les
bonnes librairies mais à la Fnac, entre autres, voilà. Et vous
considérez, Caroline Fourest, que la logique de tribalisation de la
société constitue un cadeau inouï à la droite identitaire, comme
on l’a vu aux États-Unis récemment, avec le vote de revanche des
classes défavorisées blanches. À côté de vous, Louis-Georges
Tin, bonsoir, vous êtes président d’honneur du CRAN. Le CRAN
est le conseil représentatif des associations noires de France.
Vous êtes également Premier ministre de l’État de la diaspora
africaine, et vous estimez qu’idéalement, tous les acteurs, pour
en revenir aux Césars et donc au discours d’Aïssa Maïga, tous les
acteurs devraient pouvoir jouer tous les rôles, mais dans la réalité
les directeurs de casting ou les producteurs, ou les réalisateurs
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS
d’ailleurs, n’attribuent aux acteurs noirs que des rôles
noirs et confient par contre à Gérard Depardieu, comme
ce fut fait en 2010, le rôle d’un noir, enfin quarteron en
l’occurrence, qui s’appelait Alexandre Dumas, et vous vous
insurgez contre ce fait.
Le concept est apparu aux États-Unis, mais la réalité,
malheureusement, est universelle. Il y a appropriation
culturelle lorsque deux critères sont réunis : d’abord
deux cultures dont l’une est dominante et l’autre
dominée manifestement, et lorsqu’il y a une utilisation,
manifestement politique ou économique, de la culture
dominée. Je vais vous donner un exemple très simple :
imaginez que vous, voilà, vous décidiez demain matin de
créer ou d’écouter de la musique reggae. Tout va bien.
• Ça m’arrive.
Ça vous arrive sans doute, tout va bien. Si vous dites
demain matin « je veux créer un label de musique reggae »,
et que parmi les artistes que vous allez promouvoir, pas un
seul n’est d’origine antillaise, et que dans les revenus que
vous allez générer, rien ne va soutenir la culture antillaise
qui a promu le reggae, là, les gens diront : « Madame, vous
exagérez. » Il y a un petit côté récupération. Vous voyez, il y
a un rapport de domination entre la France et Les Antilles
et un rapport d’exploitation commerciale. Il y a là une
appropriation, mais ça c’est un exemple que je crois un peu
subtil…
• Exhaustif.
Mais l’exemple assez classique, sur lequel je travaille
beaucoup pour ma part, c’est, par exemple, les trésors
culturels pillés pendant la colonisation. 95 % des biens
classiques de l’Afrique sont en dehors de l’Afrique, au
Louvre, au Quai Branly, à Tervueren à Bruxelles, au British
Museum, à New-York, à Chicago, bref.
• Et vous militez pour la restitution.
Voilà et ça c’est de l’appropriation culturelle fondée sur le
vol, le massacre.
‚‚ Mais là, les exemples que vient de donner Louis-Georges
sont des exemples sur lesquels on peut s’entendre. C’étaient
les exemples précis, au début, sur lesquels on parlait
d’appropriation culturelle. Ce que je raconte dans mon
livre c’est que, malheureusement, cette définition a évolué
vers un peu tout et n’importe quoi, et qu’aujourd’hui, aux
États-Unis beaucoup, au Canada beaucoup, mais aussi ça
commence un peu ici, on se met à parler d’appropriation
culturelle dès que quelqu’un fait un clin d’œil à une autre
culture.
·
·Comme quoi par exemple ? Dans la cuisine, par exemple, ça
peut exister ?
‚‚ C’est Jamie Oliver qui a eu des campagnes…
• Un grand chef britannique.
‚‚ Qui est un chef très connu, anglais, parce que il fait un
riz « jerk » qui est pas exactement la recette authentique,
c’est un humoriste blanc mais qui justement porte des
dreadlocks parce qu’il a l’amour de la culture reggae,
dont les spectacles ont été interdits parce qu’il a été accusé
d’appropriation culturelle à cause de ses dreadlocks, c’est
une artiste blanche anti-raciste qui fait un tableau pour
rendre hommage à une photo qui montrait un jeune noir
en 55 qui avait été massacré par des blancs, qui voit son
tableau retiré parce qu’elle est blanche, et là on devient…
On est en plein délire, c’est-à-dire que le clin d’oeil,
l’hommage est vécu comme du pillage.
• On évoque l’appropriation culturelle et la mode.
·
·Dans la mode, ouais, parce que la mode c’est le territoire
de cette question de l’appropriation culturelle, elle est la
plus visible, la plus discutée, la plus éruptive peut-être. Il
y a plusieurs marques qui ont vécu des « bad buzz », vous
recensez certaines de ces affaires, donc des controverses
deux cent vingt-cinq 225
TRANSCRIPTIONS DES ENREGISTREMENTS

ces dernières années, des marques accusées de pillage parce 2 • Ce que vous dites est intéressant, mais là, on est en train de parler
qu’elles s’inspiraient d’un motif ou d’un vêtement appartenant d’autre chose.
à un groupe ethnique, parfois en opérant des contre-sens 3 • Ça m’ennuie un peu que vous continuiez à parler de moi
esthétiques, historiques ou encore géographiques. C’est ce qu’il exactement comme si je n’étais pas là.
s’est passé, par exemple, quand Nike a voulu commercialiser 4 • L’autre jour, je sors du métro, et là, qui je vois ? Céline Dion dans
cette paire de baskets en hommage à Puerto Rico, mais avec une boutique !
des motifs traditionnels empruntés sans leur consentement à 5 • Si vous le voulez bien, on va en rester là pour aujourd’hui.
une tribu du Panama, à 2 000 km près on était bon. Cette tribu, 6 • Bien sûr que je connais le musée du quai Branly, c’est là que j’ai
elle a d’ailleurs réussi à faire annuler la vente du produit par rencontré ma copine !
Nike, et il y a un autre cas très emblématique, là c’est en 2017, 7 • On se retrouve la semaine prochaine. D’ici là, n’hésitez pas à nous
quand Chanel met en vente un boomerang dans sa catégorie suivre en podcast.
jeux de plage, collection printemps-été, boomerang qui est
initialement, on le sait, une arme de chasse traditionnelle
des aborigènes d’Australie, un emblème très fort de cette
culture. Le fait, évidemment, que le boomerang Chanel était
vendu 1260 euros soit dix fois plus que le salaire moyen d’un
aborigène australien, ça a ajouté à la polémique. La marque
s’est excusée mais n’a pas retiré le produit de la vente. Et il y a
aussi, et ça c’est intéressant, des créateurs qui s’inspirent de
la culture d’un groupe ethnique mais avec son consentement,
avec sa participation, voire un intéressement, vous en parliez,
au bénéfice. C’est ce qu’a fait Dior, par exemple, en lançant une
collection avec des tissus africains mais qui sont fabriqués
par une entreprise basée à Abidjan et qui utilise toujours des
méthodes traditionnelles de confection, et c’est à cause ou grâce
à ces différents exemples que l’organisation mondiale de la
propriété intellectuelle réfléchit depuis quelques mois à une
nouvelle législation en matière de droit, en matière de propriété
intellectuelle. Caroline Fourest, si ça aboutit, ça veut dire qu’on
peut arriver à un point où on oblige un créateur à consulter
une ethnie avant d’utiliser des symboles. Est-ce que c’est
souhaitable ? Est-ce que ça changerait les choses ?
‚‚ Encore une fois, là on est dans le domaine de la
commercialisation, des marques. Que des marques qui
s’inspirent d’un motif ethnique particulier extrêmement
repérable et retraçable, associent la communauté d’origine
à sa commercialisation, je pense que tout le monde le trouve
souhaitable. C’est très bien.
Excuse-moi. Tu as raison, mais pas tout le monde.
‚‚ Là-dessus on s’entend et là-dessus on est complètement
d’accord. Là encore une fois où ça dérive c’est que, aujourd’hui,
on en est à, parce que si il y a des mannequins qui ont des
coupes afro, considérer que c’est de l’appropriation culturelle…
·
·Parce que la question, c’est : est-ce que le droit doit avoir
quelque chose à voir là-dedans ? La législation ?
‚‚ Le vrai problème de l’appropriation culturelle c’est qu’il y a
des avocats spécialistes du Copyright qui se sont mis là-
dessus, qui en ont fait un business et qui, honnêtement, ont
tellement étendu les définitions, qu’aujourd’hui des gens
réclament des crédits sur des inventions et des inspirations
qui sont pas retraçables, qui appartiennent depuis très
longtemps au métissage culturel commun.
Piste 61
• On ne heurte pas un peuple ou une culture quand on utilise
son œuvre. Au contraire, on lui rend hommage, à mon avis.
Mais ce n’est pas les déposséder si on s’enrichit sur leur dos ?
• Mais non mais on ne peut pas posséder la culture justement.
La culture est là, est universelle. Elle appartient à tout le
monde, partout dans le monde. C’est-à-dire, moi, par exemple,
je suis d’une culture arabo-musulmane, je ne veux pas la
posséder, cette culture. Libre à tout le monde de parler de
cette culture, de mettre en œuvre cette culture, et de… Pour
promouvoir cette culture. Et c’est dans mon avantage, au
contraire, que… c’est-à-dire… on utilise cette culture.
Piste 62
1 • Mon père vit au Sénégal, quand il vient en France et qu’il
nous raconte sa vie, il finit toujours ses anecdotes en disant :
« Tu sais, là-bas, c’est pas comme ici. »

226 deux cent vingt-six