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Éditions Kimé

Sonia Dayan-Herzbrun
L'Harmattan

Nation et ethnie : archéologie du probléme


Author(s): Pierre Ansart
Source: Tumultes, No. 11, Appartenances et ethnicité (octobre 98), pp. 11-22
Published by: Éditions Kimé; L'Harmattan; Sonia Dayan-Herzbrun
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24596523
Accessed: 07-04-2018 22:30 UTC

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TUMULTES, numéro 11,1998

Nation et ethnie :
archéologie du problème

Pierre Ansart
Université Paris 7

Pouvons-nous trouver, dans le passé, des situations et des


analyses que nous pourrions considérer comme significatives
pour le problème qui est ici posé, celui des rapports entre
« sentiment national » et « ethnie » ? Dès l'abord on peut prévoir
que la réponse à une telle question sera en demi-teinte : certes,
bien des situations comparables se sont produites, et cependant,
elles ne furent pas identiques à celles que nous connaissons.
C'est la réponse que nous pouvons faire pour tous les
phénomènes de contacts inter-culturels : les figures en sont
toujours différentes. Mais c'est cette ambiguïté entre le même et
le différent qui est féconde et qui peut nous fournir des éléments
de réflexion.

Le « et » que l'on peut faire fonctionner de façon


disjonctive entre sentiment national et ethnie, nous confronte à
un problème aux multiples versions, celui de l'altérité, et
éventuellement du conflit, entre une collectivité, quelle qu'elle
soit (cité, région, nation), porteuse d'une identité affective, et des
groupes désignés comme extérieurs, considérés comme tels ou
se considérant comme tels, en relation de coexistence ou
d'opposition. Pour illustrer cette histoire inépuisable, je
proposerai de relire quelques grands témoignages classiques
depuis l'Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ jusqu'à l'Europe

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du XIXe. Ces témoignages ont non seulement l'intérêt de nous


apporter des descriptions précises à caractère socio-historique,
mais aussi de nous offrir des exemples de l'interprétation de ces
situations et donc du sens que l'on a pu en proposer.

Athènes : Platon et Aristote

Premier cas de figure : l'Athènes des V« et IVe siècles


dont nous parlent Platon et Aristote, l'un dans La République,
l'autre dans La Politique. Tous deux tiennent pour évidents deux
faits fondamentaux : deux faits de pluralités sociales.

Il est évident, à leurs yeux, que les cités sont différentes


les unes des autres, fondées sur des constitutions différentes :
Athènes, Lacédémone, autant que la Crète ou la Sicile. Elles
sont, pour Platon, toutes imparfaites, plus ou moins éloignées de
la cité idéale, mais elles subsistent ou ont subsisté avant de
connaître une mutation. Et ces cités sont évidemment divisées
en catégories sociales, en classes, et ces classes sont
différenciées à la fois par leur rang et par des passions
différentes : à Lacédémone, par exemple, c'est l'orgueil et la
soif du pouvoir qui régnent dans les familles riches, alors que la
haine et le désir de révolution animent les familles dominées et
démunies. Les possédants et les pauvres se rapportent à leur cité
de façon radicalement opposée. Ce type d'observation vient, en
fait, de très loin et on peut l'attribuer, avant Platon, à Hérodote.

Seconde évidence, surtout exposée par Aristote, mais qui


n'était pas absente chez Platon : la pluralité politique au sein de
la cité et, par exemple, à Athènes. La population d'Athènes est
divisée en plusieurs groupements et classes, depuis les familles
puissantes, les hommes libres qui siègent ou sont représentés au
Conseil, jusqu'aux esclaves qui sont la propriété des citoyens et
qui assurent l'exécution des tâches manuelles. Entre ces maîtres
politiques et les esclaves vivent dans la cité des familles
d'origines diverses : les « étrangers » (xénoi), venus des cités
grecques ou d'Asie, et encore ceux qui, sans être nés à Athènes,
ont le droit, moyennant certaines obligations, de résider sur le
territoire de la cité et de s'y adonner à leurs activités
professionnelles (commerciales ou, comme Aristote,

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culturelles), sans êt
terme qui les désig
d'une autre maison »

Avant de poursui
Chine et ce détour
n'en sont pas. La pr
grands traits, de Soc
place à des familles,
d'autres mœurs, et a
qu'il importe de rap
la fois une éthique,
du lien social légitim
politique, ce sont l
bonne, qui sont val
par des formes de
rituels qui concern
comme l'Empereur,
la famille comme l
rites, sont tout à la
s'il est précisé que
éventuellement redoutables) et conformes à la nature. Il est
naturel d'honorer ses parents, d'effectuer les rites du deuil et ces
obligations s'appliquent à tous et selon des formes, selon des
gestes et des paroles précis. Il n'y a pas d'ordre social, pas de
vie sociale heureuse sans l'exécution de ces usages. Par voie de
conséquence, il n'y a pas de place dans cette morale pour
d'autres légitimités. Dans notre langage nous pourrions dire que,
dans le confucianisme, et quelle que soit sa tolérance, sa
répugnance proclamée à l'égard de toute violence, l'altérité
culturelle n'est pas pensée, n'est pas pensable. Celui qui
n'accomplit pas les rites, tous ceux qui ne réalisent pas les
usages, font partie des non-civilisés qu'il conviendra de placer
en dehors, de « placer hors du Ciel », comme le dit un passage
des Entretiens, puisqu'ils ne sont pas des fils du Ciel. Le
pluralisme n'a pas de statut social ou moral dans une telle
conception. Le problème de l'ethnie en rapport avec un
sentiment majoritaire, n'est pas envisageable.

Revenons donc à Athènes et à cette reconnaissance


originale qui est faite des métoikoi. On accède à ce statut par une
demande patronnée par un citoyen athénien. Au V« siècle, la

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démocratie athénienne favorise leur situation, l'activité


économique rend leur présence nécessaire. N'étant pas
normalement propriétaires fonciers, ils acquièrent souvent un
rôle éminent dans les activités artisanales et commerciales. Ils
sont protégés par la loi, payent les impôts et une contribution
spéciale. En temps de guerre, ils font partie de l'année et servent
dans la marine. Cette situation ne marque pas une origine pour
notre problème mais elle en esquisse quelques très grandes
lignes et des particularités.

Pour le premier terme (le sentiment national). Il n'existe


pas de nation au sens moderne du terme, mais des cités,
éventuellement en conflits les unes contre les autres. Peut-on
parler d'un sentiment d'attachement, de préférence,
d'identification à, de culpabilité envers sa cité ? A n'en pas
douter, et Platon (qui n'est pas particulièrement respectueux de
la démocratie d'Athènes) en fait une analyse que l'on peut
qualifier de pré-psychanalytique dans le Phédon lorsqu'il
développe le monologue de Socrate condamné à boire la ciguë.
Critias offre à Socrate la possibilité de s'échapper de la prison et
de fuir la cité, mais Socrate évoque alors longuement son
attachement, les raisons de sa fidélité à sa cité, dont il fait, selon
ses termes, son père et sa mère. Il préfère mourir dans Athènes,
selon les lois de sa cité, lui qui, en d'autres circonstances, avait
lutté pour la liberté de sa ville et avait toujours été loyal à son
égard. Et, assurément, nous trouvons de multiples expressions
comparables au cours de l'histoire romaine.

Pour le second terme (ethnie). Les réponses sont loin


d'être simples, tant les statuts de non-citoyens sont nombreux à
Athènes, et plus encore dans les cités grecques de cette période.
La distinction exprimée dans le titre de cet article (sentiment
national et ethnie) est apparente, elle transparaît dans le langage
qui désigne une altérité politique, et non des groupes désignés
par leur unité biologique. Les métoikoi sont bien loin d'être
désignés par une identité biologique. Le ternie « ethnos », dont
le français fera ethnie, s'applique alors à toute classe de
personnes ayant des conditions communes et est le plus souvent
traduit par les termes « groupe, tribu, peuple ». Après Hérodote,
Platon use de ce terme pour désigner le peuple des artisans, des
rhapsodes. C'est ultérieurement, dans le vocabulaire judéo

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Pierre Ansart 15

chrétien, que ce mo
idoles.

La crise des iden

Ne cherchons pas
siècles et retenon
Confessions de Sai
ville de Rome (LA v
Pourquoi cette œuv
la vie d'Augustin
romaine ? C'est un
tenter de faire fo
exclut les généralis

L'Empire romai
exemple privilégi
social puissant, n
juridiquement, poli
un modèle forteme
part et en fait, un
où les identités sont contradictoires, où des autonomies
multiples se développent, où des révoltes ne cessent de surgir,
mais aussi des émeutes, des mécontentements subits. Les
stigmatisations se multiplient (qui est « barbare » ?). Des
exclusions interviennent, suivies de réconciliations, des
mouvements alternatifs de décomposition et de recomposition,
où se déplacent des frontières, les alliances et les violences, dans
un climat d'incertitude généralisé. Qui sommes-nous ? En qui
pouvons-nous avoir confiance ? De qui devons-nous nous
méfier ? Augustin va, peut-on dire, vivre là, dans des limites
mouvantes, non comme un sujet inactif, mais bien comme un
acteur militant, entreprenant.

Il est né à Hippone dans une famille de fonctionnaires


romains. Il est donc citoyen romain et va, à près de trente ans,
parfaire sa formation en Italie. Il connaît très bien l'histoire de
Rome, l'histoire glorieuse de la fondation et de l'expansion
conquérante. Néanmoins, il condamne certains aspects de la
société romaine ; les spectacles de cirque le scandalisent. De

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retour à Hippone, il se convertit au christianisme qu'il associe à


une vie de méditation rompant avec la richesse, le luxe, la
sensualité. Situation riche d'ambiguïté : il rejette les jouissances,
l'hédonisme, la cruauté romaine, mais nous sommes en 395
après J.-C., le christianisme a déjà été reconnu par l'Empereur
Constantin religion officielle, et cependant les persécutions ont
continué. Nous ne sommes ni exactement dans Rome, au cœur
du système, ni dans l'idéologie romaine traditionnelle, mais pas
non plus dans un conflit ouvert. En marge, peut-on dire. Il se
produit alors un changement décisif dans ses rapports à autrui :
l'Evêque d'Hippone étant décédé, Augustin est présenté par des
amis comme successeur ; il est élu Evêque car nous sommes
encore dans cette période fondatrice où les évêques étaient élus
par les fidèles. Mais de qui est-il l'Evêque ? Et quel va être le
rôle de la religion à Hippone en cette fin du IVe siècle ? Nous
allons voir se constituer une nouvelle figure de la relation entre
sentiment national et ethnie, sous la forme de la relation entre
religion et ethnie. La population de l'Afrique du Nord en sa
partie Est, constitue un ensemble fortement divisé :
commerçants riches des villes, paysans dont certains sont
dépourvus de terre, citoyens romains dans les villes, paysans
peu romanisés dans les campagnes et qui poursuivent leur mode
de vie traditionnel. Ces paysans sont christianisés mais se
revendiquent d'un ancien évêque nommé Donat ; ils forment le
mouvement social qu'on appellera « donatiste ». Ce mouvement
a une histoire, il est issu d'une résistance aux persécutions de
Dioclétien au début du IVe siècle, et il réunit d'anciens résistants
qui avaient reproché à l'Eglise officielle un certain laxisme à
cette occasion. Ils se réfèrent à une théologie rigoriste et
refusent les sacrements conférés par des prêtres à leurs yeux
indignes de leur charge. Mouvement donc de revendication
religieuse, institutionnelle, mais simultanément mouvement
social, car ces paysans pauvres sont pour la plupart des Berbères
employés par les grands propriétaires romanisés ; ils résident à
l'extérieur et autour des villes, ils sont désignés comme les
« circoncellions ». Ce mouvement donatiste est à la fois
religieux (« schismatique » dans la perspective de l'Eglise
romaine), socio-économique, linguistique (ces paysans parlent
peu le latin), politique (ils s'opposent davantage à l'Empereur de
Rome) et ethnique (ils sont des Berbères et non des Romains).

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L'essentiel à rete
exemplaire, réside
l'Eglise d'Hippone et
par ses prédicatio
idéologique visant
église, dans le giro
1'« assimilation » d
lieu des dialogues, d
lequel se formulent
gens d'Hippone vont
qu'ils considèrent c
plusieurs stratégies

Il tente tout d'abor


convaincre les donat
deux Eglises et Augu
langage qui leur es
évangéliques, le fait
les races, les ethni
discours qu'il tente
En fait, les prêtres,
polémiquent pas : i
que nous pourrions

C'est alors qu'il


d'organiser une co
Carthage (en 411)
catholiques et 279 donatistes, sous la présidence d'un
représentant de l'empereur. Débats, opposition des
argumentations, discussions se déroulent pendant trois journées.
Les représentants religieux négocient, par le biais des querelles
sur les sacrements et les investitures, l'unité ou le maintien des
différences. Comment définir un tel conflit ? Il a tous les
caractères d'un débat religieux et c'est, en effet, au sein de la
symbolique religieuse que se formulent les affrontements ; mais
il est aussi social, car ce sont des populations différentes qui
sont en présence ; et c'est aussi un conflit que l'on peut dire
ethnique si l'on veut souligner l'opposition culturelle entre une
majorité (romaine) et une minorité berbère. Enfin, c'est un
conflit politique qui se déroule sous le regard de l'autorité de
Rome.

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18 Nation et ethnie : archéologie du problème

Au terme de trois journées, il apparaît que les


négociations échouent ; le commissaire impérial décrète la fin
des débats et proclame vainqueurs les évêques dont Augustin a
été le porte-parole. Ce qui n'a pu être négocié au niveau
religieux est tranché au niveau politique, et la police impériale
interdit désormais les réunions donatistes. Vingt ans plus tard,
en 430, c'est l'invasion de l'Afrique du Nord par les Vandales,
le siège et le pillage d'Hippone au cours duquel Augustin trouve
la mort. Cette situation de conflit religieux, de négociations
symboliques, peut nous servir à illustrer ces relations si
fréquentes où se joue l'insertion (l'assimilation) négociée ou
l'exclusion, et dans laquelle l'ethnie peut aussi être en jeu. Le
discours religieux ambitionne de s'ouvrir à l'altérité, mais
l'inclusion est perçue comme menaçante, comme un processus
de désidentification. Augustin construit un espace de
communication, un interface de communication peut-on dire, un
espace de réversibilité symbolique où circulent les
argumentations dans une situation d'incertitude. Mais
l'entreprise est perçue par les donatistes comme une tentative de
dominatioa

La dilution des ethnies : Ibn'Khaldoun

Traversons dix siècles, et écoutons Ibn'Khaldoun qui écrit


son Histoire universelle au XIVe siècle, et en particulier ses
Prolégomènes. Il naquit à Tunis en 1332 dans une famille de
lettrés, et exerça des fonctions de diplomate de 1350 environ à
1372. Il séjourna en Oranie, puis au Caire pour y occuper une
chaire de droit. Il eut donc une expérience directe des
changements sociaux et politiques, des bouleversements, de
l'instabilité des pouvoirs dynastiques, mais ce sont surtout les
transformations sociales qui retinrent son attention. Il s'efforce,
dans ses Prolégomènes, de montrer et d'analyser les
bouleversements, l'historicité pouvons-nous dire, des lignages et
des clans. Le schéma historique qu'il propose est à peu près le
suivant. Une famille, un lignage est formé ; il se développe, se
renforce par cohésion interne, par l'identité des intérêts, par
« esprit de groupe », « esprit de clan » (ce qui est une traduction
possible de l'assabiya, ou « esprit de corps »). Et ce groupe
solidaire cherche à imposer sa souveraineté (mulk) sur ses

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Pierre Ansart 19

rivaux. Ces group


propre, une image
leur identité. Et l'h
rivalités, des conqu
des succès et des éc
que nous pourrions
bien la description
de ces lignages et l
d'Ibn'Khaldoun à
lignages par la séde
nomade à la vie
essentiellement par
ainsi une question
se transforme, s'a
clan, éventuellem
ensemble plus vast
se déconstruisent-i
de ces processus ?
dire qu'Ibn'Khald
Chicago).

De la démocratie en Amérique

Le demier auteur que je voudrais solliciter car il peut nous


apporter l'exemple d'un mode de réflexion sociologique sur des
rapports inter-ethniques au XIXe siècle, sera Alexis de
Tocqueville. Il avait séjourné un an aux Etats-Unis en 1831
1832, visité le Nord et le Sud, des grands lacs à la Nouvelle
Orléans, observé, interrogé, noté, avant de publier le premier
volume de De la démocratie en Amérique, en 1835. C'est dans
ce premier volume qu'il consacre la majeure partie du dernier
chapitre à la situation comparée des trois populations
américaines, blanche, noire et indienne, sous le titre : Quelques
considérations sur l'état actuel et l'avenir probable des trois
races qui habitent le territoire des Etats-Unis, (le terme de
« race » étant employé sans aucune connotation péjorative ou
polémique). La relecture de ce texte est d'un grand intérêt
aujourd'hui : nous connaissons la suite de cette longue histoire,
ce qui nous permet de juger de la pertinence des analyses de
Tocqueville et de leurs limites. Nous pouvons mesurer la

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20 Nation et ethnie : archéologie du problème

connaissance que l'observateur perspicace pouvait avoir de


situations en 1830 - n'oublions pas que la guerre de Sécess
entre le Nord et le Sud, n'aura lieu que trente ans plus tard,
1861 à 1865. Mais surtout, nous pouvons tirer leçon d
méthode employée et des hypothèses générales qui sont posé
Comment procède Tocqueville ? Il ne cherche pas à instruire
procès, à condamner les uns ou les autres. Sa critique
vigoureuse mais il tente d'être un observateur impartial : il n'
lui-même ni citoyen américain, ni Indien, ni descendant
d'esclaves. Il choisit de mettre au point de départ de son anal
et de son exposé, le système socio-politique global, le syst
des relations dans lequel ces peuples sont positionnés, systèm
marqué par l'inégalité socio-politique. Ce système oppose
dominants et dominés dans une relation qu'il qualifie
« tyrannique ». Des Indiens et des Noirs, il écrit : * Ces d
races infortunées... occupent une position également inférieu
dans le pays qu'elles habitent ; toutes deux éprouvent les eff
de la tyrannie ». Cette tyrannie revêt deux formes différen
selon qu'elle pèse sur les Noirs ou sur les Indiens : dans le
des Noirs, la tyrannie prend la forme brutale de l'esclava
Dans le cas des Indiens, elle se traduit par un ensemble
pressions conduisant à l'exclusion, au refoulement, à
dépossession. Ces deux formes de violence conduisent à
résultats comparables : la misère (« ...et si leurs misères s
différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs »), e
désorganisation culturelle.

Comment analyser ces deux dépossessions ? Puisque


choix est fait d'analyser le système des relations conflictuell
Tocqueville décrit les dynamismes externes qui pèsent sur
populations : pressions, contrôles, actions des Blancs contre l
Indiens, par exemple. Certaines de ces actions ne sont que
conséquence de l'urbanisation : l'installation d'un centre urba
chasse les troupeaux sauvages et prive les Indiens de leur
chasses, les refoule dans les forêts. L'utilisation des armes à f
détruit rapidement le gibier. D'autres actions sont volontaire
menées par les Blancs contre les Indiens, comme l'achat
territoires à bas prix. Mais Tocqueville est aussi attentif
dynamiques internes, il s'interroge sur le passé de c
populations, sur leurs habitudes, leurs cultures, sur leurs usa
et leurs lois. Par exemple, au sujet des Indiens, il évoque l
difficulté à trouver place dans la société qui se développe, et f

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Pierre Ansart 21

cette remarque sur


et leur orgueil : <r
qui, sous sa hutte d
valeur individuelle.
un sillon ». Tocque
dimensions, des fac
ce qui le conduit à
pour l'Indien, les re
est faite de contac
pour les Noirs, au
étroits : « ...la des
dans celle des Euro
donc deux formes différentes.

Ajoutons deux remarques à ces indications. Tocqueville


ne se limite pas à souligner la puissance du système
d'oppression et ne fait pas de ces populations des masses
exclusivement soumises et dépossédées. Il s'interroge sur leurs
réactions, sur leurs initiatives et les résultats de celles-ci. Il note,
par exemple, au sujet des Noirs : * Le Noir fait mille efforts
inutiles pour s'introduire dans une société qui le repousse » et il
observe les initiatives d'une tribu indienne, les Creeks, pour
réaliser leur sédentarisation. De même, il est attentif à
l'interaction entre les trois groupes et s'interroge sur les effets
de ces situations sur les dominants : il note peu de répercussions
sur les Blancs de la présence des Indiens ; au contraire, dans son
chapitre consacré à l'esclavage (intitulé : Position qu'occupe la
race noire aux Etats-Unis : dangers que sa présence fait courir
aux Blancs), il pressent la montée d'un affrontement et,
éventuellement d'une guerre civile.

Avant d'aborder ces questions concernant les relations


entre « sentiment national et ethnie », il ne serait donc pas
inutile de revenir sur le passé et de considérer comment de
grands observateurs ont abordé ces problèmes qu'ils
rencontraient autour d'eux. On y découvrira bien des hypothèses
qui peuvent nous faire réfléchir, bien des modèles féconds
d'analyse, des erreurs, éventuellement, qu'il sera intéressant
d'expliquer. On peut aussi tirer leçon de leur finesse d'analyse,
des complexités qu'ils savaient suggérer en peu de mots. Citons,

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22 Nation et ethnie : archéologie du problème

pour terminer, l'une de ces brillantes synthèses de Tocqueville


sur les conséquences décivilisatrices du contact avec la
domination. Il écrit, au sujet des populations indiennes en
Amérique : « En affaiblissant parmi les Indiens d'Amérique du
Nord le sentiment de la patrie, en dispersant leurs familles, en
obscurcissant leurs traditions, en interrompant la chaîne des
souvenirs, en changeant toutes leurs habitudes, et en
accroissant outre mesure leurs besoins, la tyrannie européenne
les a rendus plus désordonnés et moins civilisés qu'ils
n'étaient. »

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