Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Nous Sommes Toutes Du Lichen
Nous Sommes Toutes Du Lichen
Olga Potot
Érès | « Chimères »
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
© Érès | Téléchargé le 04/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 109.130.206.247)
« Nous sommes
« Nous sommes tou·te·s du lichen »1 – Histoires féministes d’infections
trans-espèces
tou·te·s du lichen »*
Histoires féministes d’infections trans-espèces
* Jan Sapp, Scott F. Gilbert, Alfred I. Tauber, « A Symbiotic View of Life : We have
Never Been Individuals », The Quarterly Review of Biology, vol. 87, no 4, 2012.
1. Anton De Bary, « De la symbiose », Revue internationale des sciences, III, 1879, p. 301.
2. Marc-André Selosse, La Symbiose : Structures et Fonctions, Rôle écologique et évolutif,
Vuibert, 2000, p. 5.
• Philosophe et féministe.
CHIMÈRES 137
Olga Potot
Tous les êtres vivants sont engagés dans des relations symbiotiques,
y compris les humain·e·s, dont le corps contient au moins dix fois
plus de bactéries symbiotiques que de cellules « propres ». De plus
les relations symbiotiques ont souvent un rôle fonctionnel, parfois
vital, pour les organismes qu’elles constituent, comme c’est le cas,
par exemple, de la relation entre les humain·e·s et leurs bactéries
intestinales. Enfin, à partir de la découverte, à la fin du xixe siècle, des
mitochondries et des chloroplastes – corps plus élémentaires que la
cellule constituant cette dernière en assurant différentes fonctions – et le
postulat de leur origine exogène, certains biologistes en viennent à postuler
l’origine symbiotique des cellules. Différents organismes seraient entrés en
symbiose pour former la cellule. Cette théorie endosymbiotique confère
un rôle majeur aux symbioses dans l’évolution. En effet, l’apparition de
nouveaux gènes et organismes ne viendrait pas de mutations aléatoires,
mais de la symbiogenèse (création d’un nouvel organisme par association
de deux ou plusieurs organismes entrant en relation symbiotique) et des
transferts horizontaux de gènes3 qui lui sont associés4.
Pourtant les symbioses seront considérées jusque dans les années 1970 –
date de leur réintroduction par la biologiste Lynn Margulis – comme des
exceptions, des aberrations, des anomalies, et leur étude marginalisée.
© Érès | Téléchargé le 04/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 109.130.206.247)
138 CHIMÈRES 82
« Nous sommes tou·te·s du lichen » Histoires féministes d’infections trans-espèces
CHIMÈRES 139
Olga Potot
10. Pour une analyse de ce que doivent les études sur les symbioses à une pensée
anarchiste et libertaire, cf. Jan Sapp, Evolution by Association, op. cit.
11. cf. l’épistémologie du positionnement dont les théoriciennes postulent que
différentes conditions matérielles d’existence mènent à différents modes de connaître.
12. The Biology and Gender Study Group, « The Importance of Feminist
Critique for Contemporary Cell Biology », Hypatia, Vol. 3, No. 1, Spring 1988, coll.
« Feminism and Science 2 », p. 68.
140 CHIMÈRES 82
« Nous sommes tou·te·s du lichen » Histoires féministes d’infections trans-espèces
à penser les corps selon des métaphores moins aux prises avec des visées
de domination et à chercher dans ces corps des tropes à même de dégager
des possibles pour des corps, des vies et des mondes plus vivables.
Fabulations symbiotiques
Scott Gilbert, Jan Sapp et Alfred Tauber, affirment que « nous
n’avons jamais été des individus »13 et que toutes les définitions
de l’individualité biologique sont mises à mal par le phénomène
symbiotique. L’individu anatomique est ce qui correspond à un tout
structuré. Pourtant, on sait que les cellules et les corps des animaux
cohabitent avec nombre de bactéries. 90 % des cellules de « notre »14
corps sont bactériennes, fongiques…
Un individu compris en termes de développement est ce qui se développe
à partir d’un œuf et forme un œuf qui devient un autre individu. Mais
cette entité qui se développe ne peut le faire que grâce à d’autres entités,
comme les bactéries. Chez les mammifères, par exemple, la colonisation
des intestins par des bactéries se fait à la naissance, ce qui induit
l’expression de certains gènes.
L’individu physiologique est compris en termes de parties fonctionnant
pour le bien être du tout. Ce tout est l’organisme censé provenir d’un
© Érès | Téléchargé le 04/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 109.130.206.247)
13. Jan Sapp, Scott F. Gilbert et Alfred I. Tauber, « A Symbiotic View of Life », op. cit.
Ce qui suit est tiré de leur article.
14. Les symbioses, puisqu’elles font du corps un collectif multi-espèces, rendent
difficile sa conception libérale en termes de possession : « mon » corps.
15. Ibid.
CHIMÈRES 141
Olga Potot
16. Donna Haraway, Manifeste des espèces de compagnie, op. cit., p. 57.
17. Donna Haraway, When Species Meet, University Of Minnesota Press, 2008,
p. 3-4.
18. Donna Haraway, Manifeste des espèces de compagnie, op. cit., p. 19.
19. Donna Haraway, When Species Meet, op. cit., p. 4.
20. Ibid., p. 313.
142 CHIMÈRES 82
« Nous sommes tou·te·s du lichen » Histoires féministes d’infections trans-espèces
CHIMÈRES 143
Olga Potot
144 CHIMÈRES 82