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Introduction

Bienvenue, ami lecteur, dans la famille Martin ! La


correspondance de Louis et Zélie vous plonge dans le
quotidien d’une famille à la fois ordinaire et singulière.
Ils ont en effet vécu une vie normale, avec les événe-
ments joyeux et douloureux que la plupart d’entre nous
connaissons : partagés entre leur travail et l’éducation
de leurs enfants, ce sont des parents bien occupés. Ils
connaissent les joies et les difficultés de toute famille,
traversent des deuils et meurent de maladies qui nous
sont aujourd’hui encore familières : un cancer du sein
pour Zélie et une maladie dégénérative du cerveau,
cousine d’Alzheimer, pour Louis. Mais ils vivent tous
ces événements ordinaires d’une manière extraordi-
naire, avec une source et un but : l’amour de Dieu.
Louis et Zélie ne nous ont pas laissé de grandes
œuvres théologiques, comme leur fille Thérèse. Ils
n’ont écrit que des lettres : 218 pour Zélie, l’épistolière
familiale, et une quinzaine pour Louis, moins adepte de
la plume. Quoique Louis soit très présent dans la vie
de famille, Zélie occupe donc la place principale de cet
ouvrage. Leurs lettres sont en quelque sorte l’équivalent

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des mails qu’on envoie aujourd’hui pour donner des
nouvelles à ses proches. C’est dans la simplicité des
petits faits du quotidien qu’ils racontent aux leurs, que
nous découvrons le visage de Louis et Zélie, un visage
de sainteté très incarnée dans l’ordinaire de leur vie.
Pour bien entrer dans cette correspondance, il convient
de se faire l’un de leurs proches, c’est-à-dire de les
écouter avec affection, tout en découvrant le contexte
d’écriture. En effet, les lettres se concentrent sur une
période relativement courte qui ne couvre pas toute la
vie de Louis et Zélie, bien connue de leurs destinataires
originaux. Aussi proposons-nous d’emblée au lecteur
une courte biographie de nos auteurs, afin de poser les
grands jalons de la vie des Martin.

Petite vie de Louis et Zélie

Louis naît en 1823, Zélie en 1831, tous deux dans


des familles de militaires issues de la modeste bour-
geoisie catholique du xixe siècle, installées dans la
petite ville d’Alençon. Si Louis a une enfance plutôt
heureuse, on ne peut pas en dire autant de Zélie, qui a
cette phrase terrible : « Mon enfance, ma jeunesse ont
été tristes comme un linceul1. » Elle grandit en effet
dans une atmosphère de double insécurité : matérielle
d’abord, car son père, gendarme à la retraite, touche une

1. CF 15. Nous reprenons le référencement chronologique de l’édition


originale de la Correspondance familiale, parue en 1958 (carmel de
Lisieux).

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maigre solde – Zélie raconte qu’elle n’a même pas eu
de poupée – ; mais c’est surtout l’insécurité affective
qui blesse Zélie, sa mère étant une femme très dure,
dénuée de tendresse, et qui la délaisse.
Leurs deux familles sont profondément catholiques,
quoique marquées du rigorisme qui affecte cette
époque, directement héritière du jansénisme. Louis et
Zélie reçoivent donc tout naturellement la foi catho-
lique en grandissant, mais ils se l’approprient assez
pour manifester, dès leur jeunesse, un grand désir de
Dieu : « moi, je veux être une sainte », dit souvent Zélie,
tandis que Louis confie : « Oui, j’ai un but, et ce but,
c’est d’aimer Dieu de tout mon cœur. »
Mais il faut replacer ce désir de sainteté dans le
contexte de l’époque : pour monter sur les autels au
xixe siècle, mieux valait être prêtre ou religieux. Il faut
attendre l’avènement de la « petite voie » de Thérèse,
et surtout le concile Vatican II, pour que l’idée de la
sainteté des laïcs se répande dans l’Église. Et encore
pourrait-on se demander s’il ne reste pas aujourd’hui
dans notre inconscient collectif quelque chose de cette
conception selon laquelle seuls les consacrés et les
clercs peuvent être des saints… Quoi qu’il en soit,
Louis et Zélie sont tributaires de la mentalité de leur
époque et tous deux vont confondre leur désir de sain-
teté avec un appel à la vie consacrée. Vers l’âge de
vingt ans, chacun frappe à la porte d’un monastère dont
le choix est assez révélateur de la personnalité de nos
deux amis.

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Louis s’adresse au Grand-Saint-Bernard, qui est
aujourd’hui encore un magnifique monastère au cœur
des Alpes, où les chanoines se partagent entre une vie
quasi érémitique et le secours en montagne. Ce choix
semble couler de source : Louis est un homme très
intérieur, qui aime le silence, la solitude, il est doué
d’une âme profondément contemplative, marquée par
le romantisme de son temps : Victor Hugo, Lamartine,
Chateaubriand, etc. sont des auteurs que Louis recopie
scrupuleusement dans ses cahiers. Il partage leur sensi-
bilité : extrêmement réceptif à la beauté, il est souvent
ému aux larmes par la splendeur d’un paysage. Il
partage également la propension à l’héroïsme cher aux
romantiques : il sépare les hommes qui se battent au
couteau dans la rue, on ne compte pas les personnes
qu’il a sauvées de la noyade ou des flammes, etc. Alors,
le Grand-Saint-Bernard pour ce contemplatif sauveteur
en herbe, quoi de plus approprié ?
Zélie, elle, brigue l’habit des Filles de la Charité
d’Alençon, une communauté de sœurs apostoliques
qui s’occupent des malades et des plus pauvres. Là
encore, ce choix s’explique sans peine car Zélie est
une femme de prière, mais aussi une personnalité très
active, profondément généreuse. Elle est dotée d’un
véritable charisme pour s’occuper des malades, comme
cela se vérifie souvent dans sa vie.
Dans les deux cas, les supérieurs, bien inspirés, font
obstacle à leur admission : Louis parce qu’il ne connaît
pas le latin, langue dans laquelle le grand office était

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récité ; quant à Zélie, la supérieure des Filles de la
Charité lui explique clairement qu’elle ne distingue pas
de vocation religieuse chez la jeune femme. Il se dit que
si les supérieurs ont ainsi été inspirés, c’est surtout que
le bon Dieu ne s’imaginait pas passer son éternité sans
la petite Thérèse…
Mais pour Louis et Zélie qui n’ont pas ce recul, la
déception est grande. Il faut bien comprendre que dans
leur conception de la vie spirituelle, ce refus revient à
leur fermer la voie de la sainteté. À ce moment-là, le
mariage leur apparaît comme une « sous-vocation » ;
le chemin est encore long avant d’en arriver à être le
premier couple de toute l’histoire de l’Église canonisé
en tant que tel ! Tous deux s’organisent alors une sorte
de vie religieuse dans le monde, rythmée par le travail
et la prière.
Louis entreprend des études d’horlogerie ; après huit
années d’apprentissage passées à Nantes, Strasbourg et
Paris, il devient maître-horloger et ouvre une horloge-
rie-bijouterie à Alençon, où il est connu pour la qualité
et la probité de son travail. Il s’achète une petite tour à
la campagne, nommée le Pavillon, dont il orne les murs,
comme dans les monastères de l’époque, de pieuses
sentences (« L’éternité s’avance et nous n’y pensons
pas », « Dieu me voit », etc.) et il s’y retire souvent
pour lire ou prier. Il ne vit pas pour autant comme un
ermite : il évolue dans un cercle de très bons amis qu’il
retrouve régulièrement pour s’adonner au billard ou

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aux discussions métaphysiques. On le surnomme égale-
ment le « Martin pêcheur » en référence à son activité
favorite.
Zélie, elle, est d’une audace assez incroyable pour
son siècle. Jeune femme seule, sans ressources finan-
cières ni expérience commerciale, elle décide de lancer
sa propre entreprise de dentelle d’Alençon. Aujourd’hui
classée au patrimoine mondial de l’Unesco, cette
dentelle est un art plus qu’un artisanat. Elle y excelle
puisqu’elle reçoit le prix de la ville d’Alençon pour
son travail. Zélie connaît pendant des années les heurs
et malheurs des chefs de petites entreprises, soumises
aux aléas de la mode et de l’économie. Néanmoins, au
terme de vingt années d’activité, elle se retrouve à la
tête d’une entreprise d’une vingtaine d’ouvrières et gère
une honnête fortune.
Les années passent ainsi pour nos deux amis qui
continuent de caresser des rêves de vie religieuse et
refusent d’entendre parler de mariage. Jusqu’à ce que
l’Esprit Saint frappe un grand coup… Louis a 34 ans
et Zélie 26, quand, un beau jour de printemps 1858,
ils se croisent sur un pont d’Alençon. Zélie est vive-
ment impressionnée par la belle allure de Louis (car
tous deux sont beaux !) mais elle entend surtout une
voix intérieure lui dire : « C’est celui-là que j’ai préparé
pour toi. » Zélie n’est guère une mystique, elle confie
souvent combien sa prière est aride, mais par trois
fois au cours de sa vie, cette grâce à la fois simple et
particulière d’une parole reçue mystérieusement lui est

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donnée. Après cette rencontre, l’amour naît très vite,
et, comme cela se faisait à l’époque, ils se marient trois
mois plus tard, le 13 juillet 1858.
Le meilleur terme pour définir le couple que forment
Louis et Zélie est sans doute « amoureux ». Leur amour
repose sur un bel équilibre, notamment de leurs person-
nalités complémentaires : Zélie, marquée par son
enfance difficile, est une femme angoissée, qui ne cesse
de s’inquiéter pour son travail, ses enfants, l’avenir de
la France, etc. Elle se laisse parfois envahir, comme
elle le dit elle-même, par des « idées noires ». Ses
fragilités transparaissent dans ses lettres : comme il est
encourageant que l’Église canonise une femme comme
elle ! Elle nous montre ainsi que la sainteté n’a rien
à voir avec le fait d’être une superwoman. Vis-à-vis
de ses fragilités, Zélie trouve constamment en Louis
« un consolateur et un soutien1 ». Bien que doué d’un
fort caractère, Louis est un homme très calme, paisible,
doux, et il apaise beaucoup sa femme. Très concrète-
ment, il va jusqu’à renoncer à son propre travail, en
1870, pour se mettre au service de sa femme, débordée
par son entreprise de dentelle, en prenant en charge
tout l’aspect commercial. Néanmoins, quand les soucis
accablent la maisonnée, comme pendant la guerre de
1870 où les Martin sont menacés de tout perdre, ou
lorsqu’à l’annonce du cancer de son épouse, Louis est
lui-même effondré, Zélie, en véritable âme du foyer,

1. CF 192.

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porte alors sa famille avec une énergie qui impressionne
les siens.
L’équilibre du couple se retrouve également dans
l’exercice de l’autorité. Bien de leur siècle, ils se
partagent les domaines : Louis prend les grandes déci-
sions et gère les finances, tandis que Zélie s’occupe de
tous les menus choix du quotidien. Ceci doit bien sûr
être nuancé, et le proverbe « ce que femme veut, Dieu
veut » trouve aussi son application chez les Martin,
comme le montre la croustillante lettre CF 201.
Les Martin ne forment pas pour autant un couple
idéal. On trouve plusieurs exemples, dans les lettres de
Zélie, de disputes ou de frictions entre eux, sans que
cela nourrisse une amertume. Un jour que le ton monte
entre Louis et Zélie, leur fille Pauline, alors haute
comme trois pommes, se faufile près de sa mère et lui
murmure : « Maman, c’est ça un mauvais ménage ? »
Zélie éclate de rire, s’empresse de répéter le bon mot à
Louis qui en rit à son tour et cela devient une plaisan-
terie familiale : dès que Louis et Zélie commencent à se
disputer, il y en a toujours un pour rappeler à l’autre :
« Attention, nous allons être un mauvais ménage ! »
Leur amour, profondément ancré en Dieu, les aide à
dépasser les inévitables tensions de la vie de couple.
Cet amour, puisé dans la prière, les unit l’un à l’autre, à
leurs enfants, et enfin les lie à tous ceux qu’ils côtoient.
Louis et Zélie aspirent grandement à être saints et
prennent à leur compte la devise de Jeanne d’Arc,
« Dieu premier servi ». Mais ce désir de sainteté n’est

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pas velléitaire, ils prennent tous les moyens pour y
parvenir. Or, le moyen privilégié de la sainteté, c’est
la prière. Louis et Zélie choisissent donc de la mettre
au centre de leur existence, et mènent une intense vie
de prière paroissiale, familiale, et personnelle.
Tous les matins, Louis et Zélie se rendent à la messe.
Ils sont fidèles à ce rendez-vous quotidien jusqu’à
l’héroïsme puisque chacun d’eux, lors de leur dernière
maladie, use ses dernières forces pour s’y rendre.
L’eucharistie semble être le secret de la sainteté de
Louis et Zélie. Ainsi, Louis, par exemple, pratique une
ascèse assez sévère : il ne fume plus, ne boit pas entre
les repas, mange un pain de très basse qualité, voyage
toujours en 3e classe, etc. Un jour que sa fille Marie
s’en étonne et lui demande : « mais enfin Papa, pour-
quoi tant d’austérité ? », Louis lui répond en substance :
« Ma fille, c’est parce que j’ai le bonheur de communier
souvent. » Tous ses efforts, qui n’ont pas d’intérêt en
eux-mêmes, sont autant de moyens pour Louis de faire
de la place à Dieu. Louis et Zélie n’assistent pas à la
messe comme des consommateurs venant recevoir leur
dû, mais avec un amoureux respect : ils s’y préparent
avant et prennent ensuite un temps d’action de grâce.
L’eucharistie est vraiment le centre et la source de toute
leur journée, ce autour de quoi tout s’organise.
Si les Martin manifestent un tel attachement à l’eu-
charistie, ce n’est pas parce qu’ils y vivent des choses
extraordinaires. Zélie est très claire sur ce sujet : « Ce
matin, écrit-elle, je dormais en m’habillant, je dormais

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presque en marchant, je dormais à la messe, debout,
assise, en priant1. » Ou encore : « Il y avait un sermon,
mais je ne sais pas sur quoi on a prêché tant j’étais
absorbée dans mes pensées2. » Ce n’est pas une ferveur
sensible qui explique leur fidélité à l’eucharistie, mais
un acte de foi : ils reconnaissent dans ce mystère où
Dieu descend jusqu’à eux dans une petite hostie, « la
source et le sommet de la vie chrétienne », selon l’ex-
pression du concile Vatican II. Ils y reconnaissent aussi
la prière la plus puissante ; aussi déposent-ils sur la table
eucharistique tous leurs soucis, et ils aiment faire dire
des messes à leurs intentions. Ils participent également
aux autres activités de la vie paroissiale : processions,
groupes de prière, adoration nocturne pour Louis, etc.
Leur vie de prière s’incarne également dans le quoti-
dien familial : les Martin prient avant chaque repas et
tous les soirs, ils se réunissent autour de la statue de la
Vierge (celle qui deviendra la Vierge du Sourire) pour
un temps de prière en famille. Ensuite, Louis et Zélie
prennent chacun un temps seul à seul avec Dieu.
À travers ces petits rendez-vous avec le Seigneur,
c’est finalement toute la journée que Louis et Zélie
vivent sous le regard de Dieu et en sa présence. Dieu,
pour eux, n’est pas le dieu lointain et vengeur qu’on
dépeignait parfois à leur époque. Au contraire, Il est
pour eux, selon l’expression préférée de Zélie, « un bon

1. CF 156.
2. CF 128.

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Père ». On a souvent l’impression, en la lisant, que Dieu
est comme un membre de la famille bien présent dans
la maisonnée.
Les Martin vivent sous le régime de la Providence.
Cela est particulièrement vrai sur le plan professionnel
par exemple : l’activité de Zélie, toujours en dents de
scie, connaît des heures difficiles en ses débuts, ce qui
la rend malade d’angoisse. Et petit à petit, d’actes de
foi en actes de foi où elle confie à Dieu le gouvernail de
son entreprise, elle en vient à écrire après quinze ans de
pratique, un jour de gros souci : « Je me dis que le bon
Dieu le permet comme cela et puis je n’y pense plus1. »
Louis et Zélie apprennent ainsi à reconnaître et à
chercher dans tous les événements de leur vie la
« volonté de Dieu », une autre expression qui revient
sans cesse sous la plume de Zélie, tout simplement
parce que c’est ainsi qu’ils définissent la sainteté :
faire la volonté de Dieu. Cependant, Louis et Zélie ne
sont pas simplement des braves gens qui prient sans
cesse et couvriraient un certain fatalisme du masque
de leur abandon à la volonté de Dieu. On peut affirmer
au contraire que les Martin pratiquent une spiritualité
très active. D’un côté, ils vont puiser à la source de la
prière et de l’autre, grâce à cela, ils se donnent et vivent
ce qu’on pourrait appeler une spiritualité de l’offrande.
Ce terme a aujourd’hui mal vieilli mais voici un extrait

1. CF 26.

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de l’encyclique Spe salvi de Benoît XVI qui décrit bien
ce que vivent les Martin :

La pensée de pouvoir « offrir » les petites peines


du quotidien, qui nous touchent toujours comme
des piqûres plus ou moins désagréables, leur attri-
buant ainsi un sens, était une forme de dévotion,
peut-être moins pratiquée aujourd’hui, mais encore
très répandue il n’y a pas si longtemps. […] Que
veut dire « offrir » ? Ces personnes étaient convain-
cues de pouvoir insérer dans la grande compassion
du Christ leurs petites peines, qui entraient ainsi
d’une certaine façon dans le trésor de compassion
dont le genre humain a besoin. De cette manière
aussi, les petits ennuis du quotidien pourraient
acquérir un sens et contribuer à l’économie du bien,
de l’amour entre les hommes. Peut-être devrions-
nous nous demander vraiment si une telle chose ne
pourrait pas redevenir une perspective judicieuse
pour nous aussi1.

Les Martin ont totalement intégré cette mentalité et


l’ont vécu dans les petites choses : une rage de dent ?
pour le repos de l’âme du grand-père ; des difficultés
sans fin pendant un pèlerinage ? pour notre fille Léonie,
etc. Ils offrent les petites peines de leur vie, mais

1. Benoît XVI, lettre encyclique Spe salvi, 30 novembre 2007, n° 40.

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aussi, nous le verrons, les grandes épreuves, et enfin
eux-mêmes.
C’est ainsi qu’ils se donnent à Dieu, et qu’ils se
donnent aussi aux autres. Louis et Zélie sont béatifiés
le 19 octobre 2008, qui était cette année-là la Journée
mondiale des missions, et ce choix ne doit rien au
hasard. Ils forment un couple véritablement mission-
naire et répandent autour d’eux une aide aussi bien
matérielle que spirituelle. Le lundi est ainsi le jour où
l’on reçoit les pauvres dans la maison Martin, et ils
ne repartent jamais sans argent, nourriture, quand ce
ne sont pas les propres chaussures de Louis, et bien
souvent l’un d’eux est invité à la table familiale.
Louis trouve du travail pour les chômeurs, ramasse
les ivrognes dans la rue pour les ramener chez eux ;
Zélie visite les malades et manque un jour se retrouver
en prison pour avoir voulu arracher une enfant des
griffes des personnes qui la maltraitaient. Il existe des
dizaines d’histoires de ce genre : ils vivent la charité au
quotidien. Louis et Zélie apportent aussi autour d’eux
une aide spirituelle. Bien souvent, la maison Martin
bruisse des rumeurs d’une véritable conspiration pour
la conversion d’une personne qu’on a rencontrée, dont
on a entendu parler… Tous les moyens sont alors bons :
neuvaines, offrandes de messe, prière des enfants,
discussions avec la personne, etc.
Louis et Zélie s’intéressent également aux missions
qui se déroulent à leur époque : ils sont passionnés
par la grande aventure de ces dizaines de milliers de

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jeunes qui quittaient tout et mouraient bien souvent en
route, pour aller évangéliser le bout du monde. Louis
et Zélie suivent de près leurs péripéties, les soutiennent
par la prière et de gros dons aux œuvres pontificales
missionnaires. Le couple rêve d’avoir un fils mission-
naire. Le bon Dieu les exauce à sa manière habituelle,
c’est-à-dire non celle qu’ils attendaient mais bien
mieux encore, puisque leur fille Thérèse est Patronne
des missions !
Mais la première mission des parents, selon le
Catéchisme de l’Église catholique, c’est l’éducation
des enfants. Louis et Zélie ont eu neuf enfants, dont
seules cinq filles ont survécu : Marie, Pauline, Léonie,
Céline et Thérèse. Zélie définit l’éducation par cette
belle formule : « élever les enfants pour le Ciel1 ». Ce
qui signifie que la priorité des parents Martin n’est pas
que leurs enfants soient parfaitement équilibrés psycho-
logiquement, ou qu’ils aient toutes les clefs pour réussir
dans la société ; il s’agit plutôt pour eux de donner à
leurs enfants tous les moyens de la sainteté. Ce n’est
pas antithétique avec l’équilibre psychologique ou la
réussite sociale, mais, Zélie le précise bien, selon elle,
les premiers pas dans la vertu sont plus importants que
les autres.
Il ne faut pas pour autant s’imaginer que les enfants
Martin grandissent dans une espèce de monastère : cinq
petites filles dans une maison font une ambiance tout

1. CF 192.

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sauf monastique. Vous découvrirez dans ses lettres
Zélie la plume dans une main, son aiguille de dente-
lière dans l’autre, un bébé qui pleure dans la troisième
main, sans compter les petites qui « dansent de joie à
en démolir le plancher1 » !
Toutes les filles Martin témoigneront plus tard de
l’ambiance chaleureuse et pleine d’amour dans laquelle
elles furent élevées. Zélie tient beaucoup à donner ce
qu’elle-même n’a pas reçu enfant, c’est-à-dire cette
ambiance de confiance et de tendresse dont elle inonde
ses filles. C’est une femme qui dit et redit à ses enfants
qu’elle les aime, qui le leur montre de mille manières.
Quant à Louis, il a un véritable don avec les enfants.
Thérèse raconte au début d’Histoire d’une âme quel
père attentif et présent il était. Il s’amuse avec elles,
leur fabrique lui-même des jouets, et ne se lasse pas de
faire des imitations et de chanter : on ne s’ennuyait pas
lors des soirées animées par Louis !
Tout en préservant un climat de confiance et de
tendre complicité, Louis et Zélie savent maintenir la
distance nécessaire à leur autorité parentale. Ils sont
très fermes et, toujours dans ce but de la sainteté, ils ne
passent guère de caprices à leurs filles. Mais toujours
avec discernement : il est impressionnant de voir, dans
ses lettres, combien Zélie est attachée à bien connaître
le caractère de chacune, à s’adapter à chaque enfant.
Ainsi, avec Pauline, qui manifeste toute petite un

1. CF 149.

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caractère bien trempé – « je fais ce que je veux, quand
je veux, comme je veux » –, Zélie ne cède en rien, quoi
qu’il en coûte à son cœur de mère. En revanche, avec
Thérèse, petite fille ultra-sensible qui pleure quand elle
a fait une bêtise, puis pleure d’avoir pleuré, ses parents
font preuve de douceur et d’encouragement. Louis et
Zélie s’efforcent de donner à chacune de leurs filles ce
qui lui convient le mieux, même s’ils se savent impar-
faits. On trouve ainsi plusieurs traces, dans les lettres,
de mots malheureux. Louis et Zélie ont aussi chacun
leur fille préférée, ce qui n’est facile à assumer, ni pour
les intéressées ni pour les autres.
Mais le grand « défi parental » de Louis et Zélie, qui
va les confronter pendant de longues années à leurs
limites en tant que parents, c’est Léonie, leur troisième
fille. Toujours malade, en retard intellectuellement,
isolée dans la fratrie, Léonie développe très tôt un
caractère bien difficile : elle ment, pique de terribles
colères, fait systématiquement le contraire de ce que
ses parents lui demandent quand bien même cela lui
ferait plaisir à elle aussi, et se ferme comme une huître.
Zélie raconte qu’elle en perd son latin et que c’est la
plus grande souffrance qu’elle ait éprouvée de sa vie.
Face à ces épreuves de l’éducation, Louis et Zélie
réagissent par la confiance, placée dans leur enfant elle-
même : Zélie, chaque fois qu’elle raconte un méfait
de Léonie – et ses lettres en regorgent –, conclut
toujours par une phrase telle que : « mais je sais qu’elle
est bonne », « mais je sais qu’elle a bon cœur ». Loin

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d’enfermer Léonie dans le rôle du vilain petit canard,
Louis et Zélie posent sur leur fille un regard d’encou-
ragement et créent autour d’elle une véritable solidarité
familiale. Mais une autre confiance anime les parents
Martin, qu’ils placent en Dieu : Zélie ne cesse de répéter
qu’elle sait que le bon Dieu ne laissera pas son enfant
se perdre. Elle prie pour la petite, l’emmène en pèle-
rinage (alors que Zélie a horreur de ça !), et offre les
souffrances de sa dernière maladie pour Léonie. Une
fois de plus, le Seigneur répond avec surabondance
à la confiance de ces parents dépassés, puisque non
seulement quelques mois avant la mort de Zélie, Léonie
se retourne vers ses parents de tout son cœur ; mais
surtout, elle meurt en odeur de sainteté au monastère
de la Visitation de Caen et elle est aujourd’hui la fille
Martin la plus aimée et la plus priée à travers le monde
après Thérèse. Son procès de béatification a été ouvert
en 2015. Si Thérèse est d’une certaine manière le chef-
d’œuvre de son père, Léonie est celui de sa mère : de
ses efforts, de sa prière, de son offrande enfin.
S’il fallait résumer en une phrase le maître-mot de
l’éducation selon Louis et Zélie, ce serait sans doute :
nos enfants ne nous appartiennent pas. Les époux
Martin ont une conscience aiguë que leurs enfants sont
un don de Dieu dont ils ne sont que les dépositaires. Dès
le moment de la naissance, Zélie dit qu’elle n’a jamais
eu plus de deux minutes de chagrin en découvrant le
sexe de son enfant, et Dieu sait pourtant qu’ils auraient
aimé avoir un fils. Ils ne veulent pas non plus imposer

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un avenir à leurs enfants. On a pu s’étonner de ce que
leurs cinq filles soient toutes devenues religieuses, mais
s’il est vrai que le terreau familial était propice à l’éclo-
sion de vocations, les filles Martin n’y ont jamais été
poussées, comme vous pourrez le voir dans les lettres.
Si c’est la volonté de Dieu, Louis et Zélie sont prêts à
lui offrir leurs enfants, et ils vivent cette offrande d’une
manière particulièrement douloureuse avec la perte de
quatre petits en bas-âge : Joseph-Louis (1866-1867),
Joseph-Jean-Baptiste (1867-1868), Mélanie-Thérèse
(1870) et Hélène (1864-1870). On a beau dire que
la mortalité infantile était élevée à l’époque, ce n’est
pas ce qui allège la douleur des parents, comme en
témoigne la terrible lettre où Zélie raconte la mort de
sa fille Hélène1. Elle précise : « Nous l’avons offerte
ensemble au Seigneur. »
Il faut ajouter que dans la famille Martin, les enfants
morts ne sont pas un tabou : ils sont des membres
bien vivants de la famille, dont on parle, à qui l’on
s’adresse et que l’on prie. Bien souvent, Louis et Zélie
font l’expérience de la puissante intercession de ceux
qu’ils appellent « leurs petits anges du Ciel ». Enfin, ce
qui console ces généreux parents, c’est de savoir leurs
enfants heureux auprès du Seigneur.
Louis et Zélie puisent, dans la prière, l’amour qui
leur permet de se donner à leurs proches et à Dieu ;
ils lui offrent les petits événements du quotidien, ce

1. CF 152.

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qui les rend capables de lui offrir ensuite ce qu’ils ont
de plus précieux, leurs enfants, et enfin, de s’offrir
eux-mêmes. On peut en effet distinguer dans leurs fins
de vie une véritable passion à l’imitation de celle du
Christ. La veille de Noël 1876, alors qu’elle n’a que
quarante-quatre ans, Zélie se rend chez un médecin
à cause d’une douleur persistante à la poitrine. Il lui
apprend sans aucun ménagement qu’elle est atteinte
d’un cancer du sein qui la condamne à brève échéance.
Les nombreuses lettres écrites dans les mois précédant
sa mort nous font découvrir en détails le difficile mais
magnifique chemin que Zélie parcourt jusqu’à sa mort,
le 28 août 1877.
Louis demeure donc seul avec ses cinq filles. Quand
on sait à quel point il détestait les séparations, même
pour quelques jours, on imagine ce qu’a pu être pour
lui la souffrance du deuil. Il est très pudique à ce sujet,
seule une courte phrase, dans une lettre à ses filles, dix
ans plus tard, en témoigne : « La pensée de votre Mère
me suit constamment1. »
Pour rapprocher ses filles de leurs oncle, tante et
cousines, Louis décide de déménager à Lisieux. Ce
n’est pas un petit sacrifice pour lui, car cela le contraint
de quitter son travail, ses activités, ses amis, mais
comme l’écrit alors sa fille Marie, « il pense que c’est
son devoir et notre bien et cela lui suffit ». Pendant
quelques années, Louis et ses filles vivent à Lisieux le

1. CF 228.

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paisible bonheur que Zélie avait toujours désiré pour
les siens. Dans la première partie d’Histoire d’une âme,
Thérèse raconte comment son père avait joint, selon ses
propres termes, à son autorité paternelle une tendresse
toute maternelle, ce qui révèle à Thérèse quelque chose
du cœur de Dieu. À ce sujet, on découvre en filigrane
le formidable héritage humain et spirituel que Thérèse
a reçu de ses parents et sans lequel elle ne serait jamais
devenue la sainte que l’on connaît.
Puis, à partir de 1882, alors que Louis approche des
soixante ans, les filles Martin entendent les unes après
les autres résonner en leur cœur l’appel à la vie consa-
crée. Elles s’accordent à voir en leur père un Abraham
des temps modernes, gravissant la montagne du carmel
pour offrir ses filles à Dieu, dans la douleur de la sépa-
ration mais aussi dans la joie de l’abandon. Quand,
en 1888, Céline, la dernière restée auprès de lui, lui
annonce à son tour son désir d’entrer au carmel, Louis
s’exclame :

Viens, allons ensemble devant le Saint Sacrement


remercier le Seigneur des grâces qu’il accorde à
notre famille, et de l’honneur qu’il me fait de se
choisir des épouses dans ma maison. Oui, le bon
Dieu me fait un grand honneur en me demandant
tous mes enfants. Si je possédais quelque chose de
mieux, je m’empresserais de lui offrir.

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Et Thérèse commente : « Ce quelque chose de mieux,
c’était lui-même ». En effet, Louis se rend quelques
temps plus tard à Alençon, et explique à son retour à
ses filles au parloir du carmel :

J’ai reçu, dans l’église Notre-Dame, de si grandes


grâces, de telles consolations, que j’ai fait cette
prière : Mon Dieu, c’en est trop ! oui, je suis trop
heureux, il n’est pas possible d’aller au Ciel comme
cela, je veux souffrir quelque chose pour vous ! Et
je me suis offert…

Louis voit donc une réponse à cette prière dans les


premiers symptômes de sa maladie qui apparaissent
quelques semaines plus tard. Il est emporté par une
artériosclérose cérébrale avec des poussées d’urémie,
une maladie dégénérative du cerveau qui lui fait perdre
la tête. À la faiblesse générale et aux trous de mémoire
succèdent bientôt des crises de délire et le jour où il se
saisit d’un pistolet pour défendre ses filles qu’il croit en
danger, on est obligé de l’enfermer en hôpital psychia-
trique, dans un « asile », disait-on à l’époque, et il n’y
avait guère de plus grand opprobre. Tous les éléments
de la passion sont là : l’humiliation et la souffrance,
toujours offertes. Derrière les grilles du carmel, sa fille
Thérèse contemple la passion de son père, et c’est un
moment-clef dans l’itinéraire thérésien. À travers la
maladie de Louis, elle contemple la Passion du Christ
et elle y découvre la folie d’amour de Dieu pour elle.

27

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Ce n’est pas le moindre des fruits de la souffrance de
Louis. Soulignons également que c’est la première fois,
dans toute l’histoire de l’Église, que l’on canonise un
homme devenu fou. Cela en dit long sur la sainteté, et
c’est un grand encouragement pour toutes les personnes
malades psychiques et leurs proches, à notre époque qui
en compte tellement.
Louis est donc à l’hôpital psychiatrique. Il a encore
de longs moments de lucidité et lorsqu’il arrive, il dit
au médecin : « Je n’avais pas eu d’humiliation dans
ma vie, il m’en fallait une. J’ai toujours été habitué
à commander, et je me vois réduit à obéir, c’est dur.
Enfin, c’est la volonté de Dieu, je crois que c’est pour
abattre mon orgueil. » Il décide de faire de l’hôpital
son nouveau champ d’apostolat. Il refuse une chambre
à part pour vivre avec les malades les plus pauvres,
distribue à tous ce qu’il reçoit de sa famille, édifie le
personnel par sa bonté et dès qu’il le peut, se rend à la
chapelle. Même lors de ses grandes phases de délire,
on l’entend souvent répéter obsessionnellement : « Tout
pour la plus grande gloire de Dieu. »
Pendant les trois années passées à l’hôpital, Louis
baisse lentement jusqu’à revenir, selon sa fille Céline,
à « un état de très douce enfance, quoiqu’il comprenne
plus qu’un enfant ». À moitié paralysé, il ne représente
plus un danger et on le laisse sortir. Céline, qui avait
retardé son entrée dans la vie religieuse pour s’occuper
de son père, le conduit alors pour la dernière fois au
carmel voir ses filles. Louis n’est plus capable de parler

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mais quand ses filles lui disent au revoir, il lève l’index
et balbutie : « Au Ciel ». Louis passe encore deux ans
auprès de Céline et s’éteint le 29 juillet 1894. Sur son
image mortuaire, ses filles font inscrire : « Ne fallait-il
pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ? »
Si Louis et Zélie, comme la plupart d’entre nous,
ont connu la croix, ils n’en ont pas moins vécu une vie
assez ordinaire. Mais à bien les connaître, on découvre
qu’ils ont pleinement accompli la célèbre définition
de Thérèse : « Aimer, c’est tout donner et se donner
soi-même. » Préfigurant la « petite voie » de leur fille,
ils nous montrent que la sainteté est possible dans une
vie de famille, de laïcs ordinaires. En vivant simple-
ment cet amour en famille, au quotidien et jusqu’au
bout, Louis et Zélie participent à l’embrasement du
monde entier. Leur fécondité ne se limite pas seulement
à leurs proches ou leur fille Thérèse qui leur doit tant,
mais ils rayonnent sur ces centaines de milliers de gens
qu’ils ont su toucher ; les témoignages reçus à Lisieux
et Alençon de grâces reçues par leur intercession sont
innombrables : des guérisons, des conversions, des
réconciliations familiales, des grâces temporelles et
spirituelles… Comme leur fille, Louis et Zélie passent
leur ciel à faire du bien sur la terre et je vous encou-
rage à en faire l’expérience en vous confiant à eux,
croyez-moi, vous ne le regretterez pas.

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Les destinataires des lettres

Isidore Guérin (1841-1909)

Isidore est le petit frère de Zélie, de dix ans son cadet.


Toutes les lettres du début de la correspondance lui
sont adressées, alors qu’il est étudiant à Paris. À cette
époque, Zélie a une attitude très maternelle envers lui,
mais au fil des années, leur relation s’équilibre et il
devient avant tout un grand ami pour sa sœur. Isidore
s’établit à Lisieux, où il acquiert une pharmacie et se
marie en 1866. Avec son épouse Céline, ils ont trois
enfants : Jeanne (1868-1938), Marie (1870-1905) et
un petit Paul mort-né en 1871. Malgré de difficiles
premières années professionnelles, il devient petit à
petit un notable de la ville. Après la mort de Zélie, il
est d’une grande aide pour toute la famille Martin qu’il
invite à s’établir à Lisieux.

Céline Fournet, épouse Guérin (1847-1900)

Céline est une femme tout à fait selon le cœur de


Zélie et les deux belles-sœurs deviennent rapidement
très proches, partageant dans une correspondance
nourrie leurs joies et peines de mères de famille.

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Élise Guérin, à la Visitation
sœur Marie Dosithée (1829-1877)

Zélie était extrêmement attachée à sa sœur


aînée, entrée à la Visitation de Caen en 1858.
Malheureusement, toute leur correspondance a disparu,
à l’exception de la lettre CF 138. Une correspondance
en grande partie spirituelle, comme l’explique Zélie
à son frère : « Nous nous entretenons ensemble d’un
monde mystérieux, angélique1. » De même, les lettres
de Zélie destinées à préparer Marie et Pauline à la
première communion, qui faisaient l’admiration de
leurs maîtresses religieuses, ne sont pas parvenues
jusqu’à nous. À croire que la Providence n’a voulu
nous laisser de la spiritualité de Zélie que son incarna-
tion dans une vie quotidienne active.

Pauline Martin (1861-1951)

La deuxième fille de la famille Martin était la


préférée de sa mère, qui en fera dès ses treize ans sa
confidente privilégiée. De l’avis général, elle est celle
qui ressemble le plus à Zélie. Femme de caractère,
« idéal » de sa jeune sœur Thérèse qui la choisit pour
seconde mère, elle entre au carmel de Lisieux en 1882.
Elle en sera la prieure de 1909 à sa mort.

1. CF 12.

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Marie Martin (1860-1940)

L’aînée de la fratrie est de son côté la préférée de


son père. Plus sauvage et secrète que ses sœurs, elle en
sera néanmoins l’éducatrice après la mort de sa mère,
prenant en grande partie la responsabilité de la maison.
Elle entre à son tour au carmel en 1886, où elle provo-
quera la rédaction d’Histoire d’une âme.

Concernant la présente édition

La vie de Louis et Zélie est désormais bien connue du


grand public catholique, en particulier depuis leur cano-
nisation en 2015. Mais curieusement, la vraie merveille
qu’est leur correspondance reste peu lue. Éditée pour la
première fois en 1958 sous le titre de Correspondance
familiale (dont nous reprenons le sigle CF pour la
numérotation des lettres), elle était en effet peu acces-
sible : sa lecture nécessite de connaître au préalable leur
vie, mais aussi certaines formules et tournures d’esprit
propres à leur époque (dont vous trouverez les expli-
cations en notes de bas de page) ; enfin, sa longueur
en rendait parfois la lecture quelque peu fastidieuse.
Aussi avons-nous fait le choix de ne présenter que 135
des 234 lettres conservées, à nos yeux les plus intéres-
santes. Choix forcément subjectif, que le lecteur pourra
compléter par la lecture des lettres manquantes publiées
sur le remarquable site des archives du carmel de

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Lisieux1. Nous espérons présenter ainsi le cœur de ces
écrits magnifiques, dont la lecture vous fera découvrir
une famille ô combien attachante, ordinaire, enthou-
siasmante au sens étymologique du terme : elle nous
entraîne à sa suite dans les voies du plus grand amour.
Bon voyage !
Hélène Mongin

1. www. archives-carmel-lisieux.fr

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Lettres

Sauf indication contraire, l’expéditeur des lettres est


Zélie.
Les premières lettres conservées de Louis et Zélie
datent de 1863 : Louis a 39 ans, Zélie 31, ils sont mariés
depuis plus de quatre ans et sont déjà les parents de
Marie, née en 1860, et de Pauline, née en 1861. Zélie
est enceinte de Léonie, qui naît au mois de juin. Les
lettres de ces années-là sont essentiellement adres-
sées à Isidore, le petit frère de Zélie, un joyeux jeune
homme, étudiant en pharmacie à Paris.

CF 1 À Isidore
Alençon, 1er janvier 1863

Mon cher frère,


Je te souhaite une bonne année, je désire de tout mon
cœur que tu réussisses dans tes entreprises et je suis
sûre que tu réussiras si tu le veux ; cela ne dépend que

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de toi, le bon Dieu protège tous ceux qui ont confiance
en lui, il n’y en a jamais eu un seul de délaissé.
Quand je pense à ce que le bon Dieu, en qui j’ai mis
toute ma confiance et entre les mains de qui j’ai remis le
soin de mes affaires, a fait pour moi et pour mon mari,
je ne puis douter que sa divine Providence ne veille
avec un soin particulier sur ses enfants.
Je suis, mon cher ami, dans une grande inquiétude
à ton sujet. Mon mari me fait, tous les jours, de tristes
prophéties. Il connaît Paris, et il me dit que tu seras
en butte à des tenta­tions auxquelles tu ne résisteras
pas, parce que tu n’as pas assez de piété. Il me raconte
ce qu’il a éprouvé lui‑même, et ce qu’il lui a fallu de
courage pour sortir victorieux de tous ces combats. Si tu
savais par quelles épreuves il a passé… Je t’en conjure,
mon cher Isidore, fais comme lui ; prie, et tu ne te lais-
seras pas entraîner par le torrent. Si tu succombes une
fois, tu es perdu. Il n’y a que le premier pas qui coûte,
dans cette voie du mal comme dans celle du bien ; après
tu seras entraîné par le courant.
Si tu consentais seulement à faire une chose que je
vais te dire, et que tu voulusses bien me la donner pour
étrennes, je serais plus heureuse que si tu m’envoyais
tout Paris. Voici : tu habites tout près de Notre-Dame

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des Victoires1. Eh bien ! entres‑y seulement une fois
par jour, pour dire un Ave Maria à la Sainte Vierge. Tu
verras qu’elle te protégera d’une manière toute spéciale,
et qu’elle te fera réussir en ce monde, pour te donner
ensuite une éternité de bonheur. Ce que je te dis là, ce
n’est pas de ma part une piété exagérée et sans fonde-
ment ; j’ai sujet d’avoir confiance en la Sainte Vierge :
j’ai reçu d’elle des faveurs que moi seule connais2.
Tu sais bien que la vie n’est pas longue. Toi et moi,
nous serons bientôt au terme, et nous nous saurons
bon gré d’avoir vécu de manière à ne pas rendre notre
dernière heure trop amère.
Maintenant, si tu as le cœur mauvais, tu vas te moquer
de moi ; si tu ne l’as pas, tu vas dire que j’ai raison.
Quand tu m’écriras, ne me parle pas de ce que je t’ai
dit plus haut sur les réflexions de Louis à ton sujet, cela
lui déplairait. Je suis toujours très heureuse avec lui, il
me rend la vie bien douce. C’est un saint homme que

1. Notre-Dame des Victoires est un sanctuaire marial parisien très aimé de


Louis. Toute la famille Martin est inscrite à l’archiconfrérie (sorte de pieuse
association) de ce lieu béni et Thérèse raconte dans son Histoire d’une âme
toutes les grâces qu’elle lui doit : la guérison de son « étrange maladie »
lorsqu’elle a dix ans par le sourire de la Vierge, et surtout la guérison de
sa « maladie des scrupules » qu’elle reçoit au pied de la statue de Notre-
Dame des Victoires, lors de son passage à Paris, en 1887.
2. Zélie pense certainement à la grâce de 1851, reçue un 8 décembre, jour
de fête mariale, où elle entend une voix intérieure lui souffler : « Fais faire
du Point d’Alençon. » Neuf ans plus tard, c’est également un 8 décembre
qu’elle prie avec insistance la Vierge de lui donner une deuxième fille,
prière pleinement exaucée par la naissance de Pauline, comme elle le lui
raconte quelques années plus tard (CF 147).

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mon mari, j’en désire un pareil à toutes les femmes,
voilà le souhait que je leur fais pour la nouvelle année.
Je t’enverrai mardi des rillettes d’oie et des pots de
confiture.
Mes petites filles sont bien mignonnes. Ta filleule1
ne veut plus marcher toute seule ; elle est tombée et elle
est devenue si peureuse que rien au monde ne peut la
décider à faire un pas sans appui ; elle se promène le
long des chaises et des meubles. Tu ne sais pas combien
elle est gentille et caressante. Elle vous embrasse sans
qu’on le lui dise, à toutes les minutes ; elle envoie
des baisers au bon Jésus ; elle ne parle pas, mais elle
comprend tout, enfin, c’est un phénix…

*
* *

Voici la seule lettre connue écrite à Zélie par Louis,


lors d’un voyage d’affaires à Paris. Petit chef-d’œuvre
de tendresse conjugale, elle résume en quelques
phrases toute la relation de Louis à son épouse.

1. Marie.

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CF 2 bis De Louis à Zélie
8 octobre 1863

Chère Amie,
Je ne pourrai arriver à Alençon que lundi ; le temps
me paraît long, il me tarde d’être près de toi.
Inutile de te dire que ta lettre m’a fait grand plaisir,
sauf d’y voir que tu te fatiguais beaucoup trop. Ainsi,
je te recommande bien le calme et la modération,
dans le travail surtout. J’ai quelques commandes de
la Compagnie Lyonnaise ; encore une fois, ne te tour-
mente pas tant, nous arriverons, Dieu aidant, à faire une
bonne petite maison.
J’ai eu le bonheur de communier à Notre-Dame des
Victoires, qui est comme un petit paradis terrestre.
J’ai aussi fait brûler un cierge à l’intention de toute
la famille.
Je vous embrasse tous de cœur, en attendant le
bonheur de vous être réuni. J’espère que Marie et
Pauline sont bien sages.
Ton mari et vrai ami, qui t’aime pour la vie.

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