37-208-A-85

Impact des négligences parentales

chez l’enfant de moins de trois ans
N. Garret-Gloanec, A.S. Pernel, A. Parent

Alors qu’auparavant les enfants de plus de 3 ans présentant un retard de développement cognitif étaient
tous considérés comme « constitutionnellement » déficients, Misès a démontré que leurs troubles étaient,
pour certains, acquis, multidimensionnels, avec une forte participation de leur environnement, et que ces
enfants pouvaient bénéficier de soins avec des effets mutatifs. Aujourd’hui, la clinique du bébé nous montre
directement comment la négligence entrave le développement harmonieux de l’individu. La négligence est
l’absence de gestes appropriés pour assurer le développement de l’enfant dans des conditions de sécurité
psychique et physique. Lorsque cette absence de soins adaptés est provisoire, l’impact est réversible.
La négligence n’est pas circonstancielle ; elle est chronique, répétitive, s’installe très précocement pour
des effets à long terme. C’est, parmi les maltraitances, la plus fréquente, et celle qui a l’impact le plus
lourd sur le développement global de l’individu (cognition, croissance, développement psychomoteur,
langage, comportement, relationnel, etc.). Elle affecte profondément la parentalité et se transmet ainsi de
génération en génération. Nous tâchons de décrire ces familles dites carencées, « à problèmes multiples »,
les relations en leur sein, notamment la relation mère–bébé, leurs relations avec l’extérieur, les signes
de souffrance du bébé négligé et son devenir en l’absence d’accompagnement. Une connaissance de
cette clinique impose un partenariat multidisciplinaire, avec la protection médicale et infantile, l’aide
sociale à l’enfance parfois, pour soigner les individus touchés, mais surtout prévenir le développement de
troubles sévères. Or, ceci s’avère compliqué, notamment en raison de l’absence de demande et de prise
de conscience des troubles pour la plupart de ces familles. Cela pose des questions éthiques complexes.
Comment ne pas tomber dans la stigmatisation de ces familles, ne pas en ajouter à leurs souffrances,
sans pour autant fermer les yeux sur les bébés, les enfants qui en font partie ?
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Mots-clés : Négligence ; Carence ; Maltraitance ; États limites ; Bébés ; Enfants ; Parentalité

Plan ■ Prise en charge 6

Facteurs de variation et diagnostics 6
■ Introduction 1 Instruments d’aide à la prévention, au diagnostic et à la mise en
œuvre de soins 7
■ Définitions 2 Mise en œuvre d’une procédure diagnostique et thérapeutique 7
Définitions générales 2 Actions thérapeutiques 9
Définitions canadiennes 2 Éthique 10
Éléments déterminants 2
■ Conclusion 10
■ Épidémiologie 3
En France 3
Au Canada 3
Aux États-Unis 3
■ Caractéristiques des familles négligentes et de leur bébé 3
 Introduction
Caractéristiques socio-psycho-cognitives 3
Depuis quelques dizaines d’années, l’impact des négligences
Influence du père et/ou du compagnon 3
parentales sur le développement des bébés nous est apparu de
Souffrance des familles négligentes 3
façon flagrante et directement observable dès le très jeune âge. Ce
Type d’interactions entre les parents et leur bébé. Dynamique
constat venait étayer la clinique des enfants plus âgés consultant
relationnelle 4
en pédopsychiatrie pour certains, admis en institut médico-
Vignette clinique 5
éducatif ou institut thérapeutique, éducatif et pédagogique pour
■ Conséquences de la négligence sur les jeunes enfants 4 d’autres.
Reconnaître l’impact des négligences : une exigence 4 Au-delà de ce constat, il a fallu avancer autant dans le domaine
Signes cliniques essentiels à repérer chez le très jeune enfant 4 de la clinique des jeunes enfants négligés que dans celle des
Signes secondaires sur le plan cognitif 5 parents négligents.
Conséquences générales 6 Afin de mieux comprendre ce qui se déroule lors de négligences,
Effets des carences selon les neurosciences 6 une définition de celle-ci s’avère être un préalable. Elle inclut les
Données des recherches sur les effets de la négligence 6 situations, les contextes, qui concourent à la constitution de la

EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie 1
Volume 10 > n◦ 3 > juillet 2013
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(13)63428-8
37-208-A-85  Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans
négligence, c’est-à-dire les pathologies mentales des parents, les
effets des carences précoces sur le fonctionnement parental ulté-
rieur, les troubles larges de la personnalité.
Une fois l’environnement suffisamment considéré, l’impact sur
le jeune enfant peut être examiné. L’observation est possible à par-
tir d’une bonne clinique à la fois du bébé dans son développement
normal, mais aussi des pathologies infantiles, de leur retentisse-
ment précoce et de leur évolution.
L’évolution des signes cliniques secondaires aux effets de la
négligence parentale sur les enfants a déterminé notre intérêt pour
ce sujet. Il nous a semblé alors urgent d’agir, tant pour soigner que
pour prévenir ces signes de négligence.
En effet, les effets de la négligence parentale entravent le déve-
loppement harmonieux des enfants. Ils sont certes réversibles,
mais seulement sur une période limitée et dans une certaine
proportion dépendant de la précocité, l’intensité, la durée et la
chronicité des dysfonctionnements. Dès lors qu’ils sont recon-
nus, les soigner devient une urgence qui inclut un ensemble de
réponses complexes et multiformes.
Enfin, il apparaît plus encore souhaitable de prévenir ces effets.
La prévention passe par le dépistage des situations à risque de
négligence, dont la réalisation peut prendre différentes formes,
suivant des méthodologies plus ou moins efficaces qui toutes sont
difficiles à mettre en œuvre. Les questions éthiques soulevées à
chaque étape du processus ne sont pas plus simples à résoudre,
d’autant que certaines solutions ne sont pas précisément validées.
 Définitions
Définitions générales
La négligence est intégrée au concept de maltraitance et consi-
dérée comme sa forme la plus commune, mais aussi la plus floue.
C’est sans doute la nature de la négligence qui en rend la définition
mouvante, car elle est un concept en creux. Elle est due à l’absence
adéquate de soins, même si à cela s’ajoutent l’excès et la dysrégu-
lation. À l’inverse, la maltraitance active, faite de violence agie sur
l’enfant, comporte des causes et des effets dont le lien peut être
prouvé. La définition de référence pour la négligence est celle de
la loi sur la protection de la jeunesse adoptée au Québec en 1977.
Elle est précise et distingue abandon, négligence, abus sexuels et
abus physiques. La loi différencie ce qui appartient aux domaines
physique, sanitaire, éducatif, croisant les trois plans pour une défi-
nition globale. Cette loi spécifie les circonstances compromettant
le développement ou la sécurité de l’enfant.
Ce qui définit alors la négligence, c’est le manque de protection
de la part du parent ou de son substitut. La dimension chronique
ou répétée la caractérise.
En France, la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance
fait disparaître la notion de maltraitance au profit de la notion de
« mineur en danger ou en risque de danger ». Le terme de négli-
gence apparaît seulement dans l’article 375-7 de cette loi, sans la
définir.
Définitions canadiennes
Différentes définitions se succèdent [1] . La dernière, celle de
Trocmé et al. [2] , définit la négligence à partir de huit caractéris-
tiques :
• défaut de surveillance entraînant des sévices physiques ;
• défaut de surveillance entraînant des abus sexuels ;
• négligence physique ;
• négligence médicale ;
• défaut de soins pour un traitement psychologique ou psychia-
trique ;
• attitude permissive à l’égard d’un comportement criminel ;
• abandon ;
• négligence éducative.
Cette définition a l’intérêt de classifier les critères, mais elle a
aussi les torts, à nos yeux, de faire basculer la négligence dans la
maltraitance active, au moins pour son issue, et d’être peu discri-
minante lorsque l’on s’adresse à des bébés.
2 EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
Reprenons la définition de Gaudin [3] , intéressante car elle met
l’accent sur le ressenti de l’enfant : « Une situation dans laquelle
le responsable de l’enfant, de façon délibérée ou en raison d’une
inattention inhabituelle, lui fait éprouver des souffrances réelles
évitables et/ou ne lui donne pas un ou plusieurs des ingrédients
généralement considérés essentiels au développement des capa-
cités physiques, intellectuelles et émotives d’une personne. La
négligence envers les enfants est le terme le plus souvent uti-
lisé pour décrire l’incapacité des parents ou du responsable de
l’enfant d’assurer à celui-ci des soins de santé, de le surveiller, de
lui assurer une alimentation saine, de veiller à son hygiène per-
sonnelle, de lui manifester de l’affection, de l’éduquer ou de lui
assurer un logement sécurisé. Cette définition comprend égale-
ment l’abandon ou l’expulsion d’un enfant, ainsi que différentes
formes d’inattention aux besoins de celui-ci. »
Gaudin indique que, selon la deuxième National Incidence and
Prevalence of Child Abuse and Neglect Study [1] , les sous-catégories
de négligence sont :
• la négligence physique ;
• le manque de surveillance ;
• la négligence psychologique ;
• la négligence en matière d’éducation.
Dans le registre de la négligence psychologique, deux auteurs
ont étudié tout particulièrement la négligence émotionnelle.
Cette négligence survient très tôt lorsque l’enfant ne parle pas
encore. Elle a pour origine la personne qui lui dispense les soins
et dont il est totalement dépendant [4] . Dans ces cas de parents
psychologiquement non disponibles, cas pourtant moins sévères
que dans d’autres formes observées, les auteurs ont constaté un
déficit (ou un retard) de développement dont les conséquences à
long terme sont importantes.
Aussi, la négligence émotionnelle (enfant négligé émo-
tionnellement par indisponibilité psychologique de la figure
d’attachement [5] ) est celle qui nous intéresse car elle est à l’origine
des négligences psychologiques, physiques et développementales
graves, et se transmet souvent de génération en génération. C’est
sur celle-ci que nous allons mettre l’accent.
Éléments déterminants
Absence de ce qui est nécessaire
pour bien se développer
La négligence serait en premier l’absence (ou le dysfonction-
nement) de gestes appropriés pour assurer le développement de
l’enfant dans des conditions de sécurité psychique et physique.
La négligence est le plus souvent non intentionnelle et est le fait
d’omettre, ce qui la rend plus invisible. Contrairement à ce que
les auteurs notent, nous pensons qu’il ne s’agit pas d’un manque
d’amour, et quand cet amour est annoncé par le parent cela ne pré-
dit rien sur le soin porté au bébé. L’amour exprimé ne prévient ni
ne guérit aucun être. Il nous rassure, nous conforte dans nos repré-
sentations d’avoir été aimé, nous soutient narcissiquement, mais
il n’est en rien un principe clinique ou thérapeutique suffisant. La
négligence serait l’incapacité, de la part du parent, de répondre
aux besoins de l’enfant, de telle manière que son développement
serait entravé et sa sécurité malmenée.
Notion de répétition de l’absence de soins adaptés
Comme l’explique Roubergue [6] , lorsque cette absence de soins
adaptés est provisoire, l’impact est réversible. La négligence n’est
pas circonstancielle, elle est chronique, répétitive, s’installe très
précocement pour des effets à long terme.
Au-delà des définitions, pour comprendre le phénomène et
mieux l’appréhender en clinique, nous pouvons préciser que la
négligence est d’abord perceptible par les conséquences qu’elle
entraîne. Encore faut-il les attribuer à ce phénomène, car la ratio-
nalisation scientifique, somatique et génétique actuelle oriente
les médecins soit vers des explorations purement somatiques, soit
vers des évaluations fonctionnelles très en vogue car reliées aux
déficiences engendrées. Ces dernières sont, dans ce cadre, appré-
hendées comme originaires des comportements négligents et non
secondaires.
 Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans  37-208-A-85
 Épidémiologie
En France
Dans son rapport annuel de 2003, l’Observatoire de l’action
sociale décentralisée [7] recensait :
• 86 000 enfants signalés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), autre-
ment dit « en danger » (contre 65 000 en 1995) ;
• parmi eux, 49 000 (57 %) ont fait l’objet de mesures judiciaires
(contre 55 % en 1995) ;
• 18 300 étaient considérés comme réellement maltraités dont les
deux tiers âgés de moins de 4 ans :
◦ 5600 cas par sévices physiques (7000 en 1998),
◦ 5900 par abus sexuel (5000 en 1998),
◦ 5000 par négligences lourdes (5300 en 1998),
◦ 2000 par sévices psychologiques (1700 en 1998) ;
• la proportion de familles monoparentales parmi les familles
d’enfants en danger est trois fois plus importante que dans la
population générale.
Au Canada [8]
Parmi les quelques 21,52 enquêtes réalisées pour 1000 enfants
au Canada en 1998, on estime à 9,71 pour 1000 enfants
l’incidence des cas corroborés (c’est-à-dire confirmés ou vérifiés),
à 4,71 pour 1000 enfants l’incidence des cas présumés et à 7,09
pour 1000 enfants l’incidence des cas non corroborés.
Le motif principal d’enquête le plus courant est la négligence,
laquelle motive deux enquêtes sur cinq. La violence physique se
classe en deuxième position (31 %), suivie de la violence psycholo-
gique (19 %) et de l’abus sexuel (10 %). La violence psychologique
est toutefois celle pour laquelle le taux de corroboration est le plus
élevé ; elle concerne plus de la moitié des cas.
Aux États-Unis
Aux États-Unis, la négligence est la forme de maltraitance la
plus fréquente.
En 2008 [9] :
• 64 % des 905 000 cas rapportés aux services sociaux de protec-
tion de l’enfance étaient des cas de négligence ;
• 2,2 % dénonçaient une absence de soins médicaux ;
• 16 % des cas souffraient de maltraitance physique ;
• 8,8 % d’abus sexuels ;
• 6,6 % de maltraitance psychologique.
Huit enfants sur 1000 seraient considérés comme souffrant
de négligences, proportion qui ne varierait pas depuis les
années 1990. La négligence est probablement sous-estimée, les cas
n’étant pas tous rapportés auprès des services sociaux [10] .
 Caractéristiques des familles
négligentes et de leur bébé
Il est nécessaire de définir les caractéristiques des familles
négligentes, les caractéristiques relationnelles parents–bébé et les
signes cliniques que nous retrouvons chez l’enfant [11, 12] .
Caractéristiques socio-psycho-cognitives
Caractéristiques sociales
Les facteurs de risque sont multiples et ne sont pertinents
qu’une fois réunis. La pauvreté est un facteur de risque mais
n’existe pas seule. Elle est un facteur de risque d’émergence des
autres facteurs qui, eux, influent directement sur la construction
psychique de l’enfant. La pauvreté agit lorsqu’elle est présente
dans un contexte de déstructuration psychique et environnemen-
tale. Dans cette pauvreté, ce qui est marquant c’est l’isolement
social, le manque de soutien ou la limitation du soutien à un
seul grand-parent, et en particulier la grand-mère maternelle,
lorsque celle-ci a été elle-même en grandes difficultés pour élever
EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
ses enfants (enfants placés). La situation économique doit être
envisagée dans ses caractéristiques associées. Les critères socio-
démographiques comptent également, comme le jeune âge des
parents. Nous retrouvons fréquemment des femmes seules avec
des conjoints successifs. Leurs enfants vivent des situations de
négligence qui sont de plus en plus graves d’une naissance à
l’autre. Elles sont également accentuées si l’enfant présente des
atteintes somatiques (conséquences de la prise de toxiques par la
mère, prématurité, trouble sensoriel, etc.).
Caractéristiques psychologiques [13]
Les caractéristiques psychologiques sont déterminantes mais
pas nécessairement associées à une pathologie mentale avérée
(c’est-à-dire reconnue et soignée par les psychiatres d’adultes). Les
mères sont vulnérables, souvent carencées elles-mêmes, parfois
borderline. Elles sont soumises à un haut niveau de stress, ont
le plus souvent des signes de dépression, une histoire de soins
inadéquats, de violence, etc. Nous retrouvons des consomma-
tions excessives en tout genre : alcool, médicaments, drogues. Elles
cumulent des difficultés à maîtriser leurs impulsions et à chercher
de l’appui. Les capacités de créer des liens durables sont entra-
vées. Ces mères sont elles-mêmes dans des modèles d’attachement
insécures, ambivalents et désorganisés.
Caractéristiques cognitives
Souvent, nous constatons des difficultés cognitives, parfois mas-
quées par une façade acquise par une longue fréquentation des
travailleurs sociaux et des psychologues ou éducateurs, et ce
depuis leur enfance. Ces mères peuvent avoir le discours attendu
des professionnels. Ceci laisse apparaître secondairement un faible
niveau intellectuel les rendant très démunies. Les conditions
de stress et de pauvreté, tout comme les expériences de négli-
gence vécues dans l’enfance qui coexistent fréquemment avec
un faible niveau intellectuel [14] , sont autant de facteurs associés à
l’incompétence parentale [15] .
Influence du père et/ou du compagnon
La présence du père joue un rôle crucial dans le degré de répé-
tition de la négligence. Lorsque nous sommes confrontés aux
difficultés d’enfants dans le cadre de négligence, nous retrou-
vons régulièrement un compagnon de la mère (pas toujours le
père biologique de l’enfant), qui présente divers problèmes : abus
d’alcool, d’autres substances ; absence de statut professionnel ;
usage intensif de jeux vidéo et de DVD violents ; inversion des
rythmes nycthéméraux. Nous notons dans ces cas de négligence
une grande dépendance de la mère au compagnon. L’enfant doit
souvent s’attacher et subir aussi vite la perte des figures paternelles
successives.
La dynamique relationnelle parent–enfant révèle une perturba-
tion sévère qui se retrouve dans les rapports entre la famille et la
collectivité.
Souffrance des familles négligentes
Ces parents sont souvent d’anciens enfants ayant souffert, mar-
qués par une histoire de carence et de discontinuité. Ils sont
fréquemment isolés dans leurs liens familiaux et sociaux, et la
psychopathologie qui les touche entrave leur processus de paren-
talité et leur perception du bébé avec ses besoins propres. Les
parents ne perçoivent pas le signal adressé par le bébé ou alors
ils l’interprètent mal, comme ne nécessitant pas de réponse de
leur part. Ils ne parviennent pas à mettre en œuvre une réponse
adaptée, ou plus encore n’en disposent pas.
Ils sont souvent dans une grande détresse et ont beaucoup
de mal à faire confiance en l’autre. La représentation qu’ils ont
d’eux-mêmes est celle d’une personne non digne d’intérêt. Ils sont
en grande difficulté pour verbaliser cette détresse. Cet ensemble
constitue une souffrance contenue mal exprimée et non reconnue
qui se révèle à travers une désorganisation de la vie quotidienne,
une fréquence de crises. Face aux pleurs ou aux expressions des
besoins de leur jeune enfant, ils sont peu tolérants, s’expriment
3
37-208-A-85  Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans
par des lâchages alternant parfois avec des passages à l’acte,
des demandes d’aide déguisées sous des appels aux médecins
d’urgences ou par des passages aux urgences pédiatriques.
Les parents négligents affrontent avec leur bébé des menaces
liées à la reviviscence de leurs blessures, de leur propre histoire,
renforcées par leur maigre capacité à différencier les appels de leur
enfant. Interviennent également leur soumission à leurs besoins
personnels, leur incapacité à soutenir leur attention et à tenir
une relation continue, rythmée, régulée avec leur bébé. Enfin,
dès que cet enfant commence à se différencier (vers l’âge de
6 semaines), il ne peut plus combler sa mère ni colmater ses
angoisses narcissiques. Elle a de plus en plus de mal à surseoir
à ses propres exigences pulsionnelles internes, à assouplir, diffé-
rer, nuancer ses réponses dans l’interaction pour offrir d’autres
modalités d’échanges et de satisfaction mutuels.
Type d’interactions entre les parents
et leur bébé. Dynamique relationnelle
Les interactions sont perturbées entre la mère et le bébé dans
une alternance du tout au rien, d’excitation et d’oubli du bébé. Les
soins corporels et nourriciers sont déficients, signant la difficulté
des mères à investir le corps de l’enfant. Elles s’adressent peu à
lui et ne le différencie pas d’elles-mêmes (ce qui peut faire croire
qu’elles en sont proches). Elles ne parviennent pas à le considérer
pour lui-même.
La dynamique relationnelle est dominée par la disconti-
nuité [16] , l’absence de rythmes temporels et spatiaux, une relation
proximale excessive associée à des lâchages. Si la relation paraît
fusionnelle, une observation fine, sur la durée, constate le peu
d’échanges de regard, une disjonction entre les différents canaux
d’accordage, un langage qui n’est pas adressé et un parent qui
n’attend pas de réponse de la part de l’enfant. Les interactions
sont souvent répétitives et vides. Les parents ont beaucoup de
mal à identifier les émotions de leur enfant, à les contenir et à
leur donner du sens. Les situations à haut risque pour l’enfant
ont en commun une pathologie du lien associée à des troubles
graves de la personnalité du parent (ou des parents).
Dans la réalité quotidienne de la négligence, la discontinuité
manifeste, concrète ou plus subtile imprègne les interactions. Les
réponses maternelles ne s’articulent pas toujours aux besoins de
l’enfant. Les rythmes temporels ne s’organisent pas. Les repères
spatiaux sont variables, ces mères supportant mal de rester à
domicile, transportant le bébé dans sa poussette à longueur de
journée. L’enfant est en permanence en insécurité. La relation est
proximale durant ses premières semaines, puis les lâchages sont
brutaux, impossibles à anticiper et liés à des besoins maternels
comme celui de sortir, de fumer ou de répondre au téléphone
portable tenu continuellement en main.
La relation fusionnelle primaire ne comporte pas ou peu
d’échanges de regards et les jeux interactifs ne se calquent pas
sur les initiatives de l’enfant pour les relancer ou les embellir.
Ils sont plutôt du registre de la répétition vide avec disjonction
des deux canaux (la mélodie est belle quoique répétitive mais
la mère ne croise pas le regard, ou les deux sont présents mais
l’enfant est porté à distance, raide ou glissant), ou bien de l’ordre
de l’excitation vite sexualisée, visant à satisfaire le parent ou à
produire des rires, signe pour lui de plaisir et d’amour. L’enfant
se replie, n’investit pas son corps ou recherche l’excitation paren-
tale tout en détournant le visage. Il peut aussi rester comme un
bloc en quête de succion frénétique d’une tétine bloquée, dès les
premières heures de vie, dans la bouche.
Les préoccupations corporelles sont souvent inadéquates, avec
des intérêts pour des zones privilégiées (ou des phobies). L’enfant
subit alors un nettoyage appuyé répétitif et douloureux durant
lequel il s’abandonne. Les habits ne sont pas toujours adaptés à
la taille ou à la température ambiante. Les soins et l’alimentation
répondent à des repères extérieurs, souvent opératoires, dans le
désir de bien faire (application des consignes de la puéricultrice).
L’interprétation des pleurs est faussée avec des réponses en contre-
temps. L’enfant est très souvent nourri dès qu’il pleure et dès que
la tétine ne le calme plus. Le bébé est réveillé quand il dort et
inversement couché quand il est dans sa phase d’éveil.
4 EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
L’enfant mal porté, mal contenu, tombe brutalement dans le
sommeil, soumis à des stress perpétuels. Il présente des troubles
neurovégétatifs précoces : des marbrures, des cyanoses des extré-
mités suivies de vasodilatation avec des zones rouges, un grain
de peau efflorescent, une peau sèche et irritée, une diarrhée verte.
Le bébé est parfois gris, et le mot qui vient à la bouche est qu’il
n’est pas beau, ce qui n’a pas de valeur esthétique mais une valeur
d’épanouissement.
L’engagement dans la relation et l’accordage affectif mutuel ne
semblent pas en place. Les modulations maternelles sont pauvres,
les inflexions vives et parfois brutales, accusant le bébé d’actions
agressives. L’enfant finit, pour prévenir toute irruption ou modi-
fication brutale de l’humeur parentale, par rester prudent, aux
aguets, comme bloqué, sans expression de désir, de douleur, ni
de détresse. Si une embellie apparaît, il peut encore s’en emparer
à condition qu’il lui reste de l’énergie et que ses capacités vitales
aient été suffisamment bonnes à la naissance. Sinon, il se plaint
perpétuellement, « chouine » ou s’abandonne au besoin maternel.
 Conséquences de la négligence
sur les jeunes enfants
Reconnaître l’impact des négligences :
une exigence
Les conséquences de la négligence sont précoces. Ce phé-
nomène touche déjà la grossesse, avec des atteintes physiques
possibles de l’enfant à la naissance : retard de croissance intra-
utérin, risque accru de mortalité, troubles somatiques nombreux
qui sont retrouvés au cours de la petite enfance. Ces familles
utilisent préférentiellement les lieux médicaux d’urgences :
SOS Médecins, urgences pédiatriques. Leurs enfants souffrent
d’infections, fièvres inexpliquées, pathologies des voies respira-
toires, mauvaise croissance staturopondérale [17] .
Les troubles du bébé demandent, pour être reconnus, une
bonne connaissance des bébés, de leur développement, mais aussi
du temps et une formation à l’observation. Ceci ne peut se faire
ponctuellement, sur une consultation. L’observation en milieu
naturel est la plus éloquente car elle permet au professionnel de
ressentir les mêmes éprouvés que le bébé, en étant plongé dans
son environnement quotidien. Cette observation est celle de la
relation du bébé avec ses parents, mais aussi une observation de
ce qu’il est lui-même. Ce diagnostic est délicat à réaliser car la
mère (et/ou le père) prend le devant de la scène, nous occupe
physiquement et psychiquement. Il n’est pas rare de repartir du
domicile sans avoir vu le bébé. Aux premières semaines de la vie,
trois ou quatre visites sans avoir vu l’enfant peuvent avoir des
conséquences dramatiques.
Souvent les professionnels s’attachent à tout prix à créer et
maintenir une alliance dans l’espoir d’obtenir un changement
(qui devrait, selon les principes théoriques, arriver du fait des
potentialités transformatrices de la naissance sur le psychisme
maternel). Ils ont alors tendance à coller au discours parental
en évitant de reconnaître ce qui se passe sous leurs yeux pour le
bébé durant ses premiers mois de vie si fondamentaux. Cet aveu-
glement est une des difficultés et limites de notre travail. Seule
l’exigence d’observation de l’expression corporelle du bébé en
interaction mais aussi durant son sommeil ou en activité libre,
du rapport de la mère au corps de son enfant à travers les soins
primaires, nous permet de dire quelque chose de la réalité de
sa construction psychique, de son épanouissement, et ce quelles
que soient nos préconceptions s’agissant du maternage ou de la
fonction maternelle.
Signes cliniques essentiels à repérer
chez le très jeune enfant
Les premiers signes apparaissent très précocement, dès les pre-
miers mois. Ils sont subtils et non spécifiques, mais pourtant
évocateurs dans le contexte. Les signes essentiels et primaires sont
les suivants : le bébé se réfugie dans le sommeil, il dort plus que la
 Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans  37-208-A-85
normale et/ou tombe brutalement dans le sommeil, il ne regarde
pas dans les yeux (détourne le regard et le visage), il ne babille pas
ni ne gazouille, vocalise peu.
Le bébé négligé est parfois gris, état reflet des troubles neu-
rovégétatifs. Il n’investit pas son corps, recherche l’excitation
parentale tout en détournant le visage, mal porté. Il subit les soins
et l’alimentation, est soumis au stress perpétuel, ce qui le rend
prudent et vigilant. Ses lallations manquent de modulations.
Les premiers signes de souffrance des bébés négligés, lors des
premiers mois, s’expriment exclusivement par le corps.
Vignette clinique
La description peut se concentrer dans cette vignette clinique :
le petit Eric, deux mois, revient à l’unité mère–bébé pour retrouver
sa mère après le week-end passé chez son assistante familiale. En
arrivant il s’agrippe les deux joues, fronce les sourcils et l’assistante
familiale note qu’il a pleuré et s’est griffé toute la matinée après
qu’elle lui a annoncé son retour. Au passage dans le couloir, il
regarde autour de lui et se blottit dans les bras de l’infirmière.
Dans l’unité, avec sa mère, il régurgite, alors que durant le week-
end il avait bien bu et bien dormi. Avec sa maman, il se jette sur
le biberon, boit avidement une partie, puis s’endort brutalement,
maman retire la tétine, la lèvre trémule, il se réveille et se rejette
sur le biberon en basculant la tête de l’intérieur à l’extérieur. Il a les
yeux fermés au début puis il tourne la tête vers l’extérieur, regarde
l’infirmière, interrogatif. Il revient et tète mais sans que le lait ne
coule. Il s’autosaisit, s’accroche à son corps, est douloureux, a des
gaz et des régurgitations. La semaine suivante, il devient pâle, la
peau est abimée, très sèche, grisâtre.
Tonicité
Un signe précoce de négligence est le trouble de la tonicité, que
ce soit l’hypertonicité (enfant qui se « cabre » en arrière, qui a les
membres tendus), ou l’hypotonicité (poupée de chiffon).
Le bébé que la mère extrait de son lit, à la demande de
l’infirmière qui réalise l’observation thérapeutique à domicile, à
l’âge de 3 mois, présente une plagiocéphalie latérale (aplatisse-
ment unilatéral du crâne), une déformation du visage. Il donne le
sentiment de souffrir de torticolis. Il a une hypotonie des membres
et un retrait psychoaffectif. L’enfant, trop longtemps laissé dans
son lit, se moule dans le creux du matelas vieilli. Dans les bras,
il coule et est difficile à porter. Ces signes sont les conséquen-
ces d’une négligence grave préoccupante pour le développement
ultérieur.
Agrippements
Le bébé peut être, à l’inverse, hypertonique, s’agrippant à ses
muscles en les transformant en carapace. Il s’agrippe également
souvent à une fonction comme le regard, la digestion ; il tourne
le regard vers une source lumineuse et y reste fixé, il garde les
poings fermés et les orteils accrochés, il se raidit autour de l’axe
vertical, s’arc-boutant. Il se tend autour de son axe digestif en
provoquant des reflux parfois impressionnants. Les pleurs sont
fréquents dès qu’il est posé dans le lit, comme perdu dans le vide,
se calmant dans les bras qui le tiennent verticaux, en déséquilibre
et soumis à un mouvement qui se voudrait être un bercement
mais qui apparaît comme des secousses répétées, les seules à même
de le calmer. L’enfant refuse la position de bercement allongé et
regroupé que le soignant lui offre. Il se redresse au-delà de ses
forces. Sa nuque se raidit pour tenir une tête précocement ballotée.
Motricité
La motricité est pauvre. Le bébé n’explore pas son corps. Il
présente peu ces jeux de mains habituellement accompagnés de
vocalises. Il cherche des stimulations excitantes ou des agrippe-
ments provisoirement sécurisants, mais il n’a guère de répit pour
se détendre, s’engager dans des échanges mutuels, des percep-
tions amodales, des manipulations et découvertes d’objets. Ceux
mis à sa disposition par son entourage sont lumineux, sonores, et
concurrencent souvent une télévision trop proche, trop forte en
son et en lumière.
EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
Dans un second temps, il trouve dans des rythmes violents
la poursuite de ce qui l’apaise en lui donnant une sensation de
continuité d’être sans pensée, sans fantasme, sans douleur. La
régulation n’est pas modulée et l’enfant est soit trop, soit pas assez
réactif. Le choix pour le calmer est alors délicat à trouver pour le
professionnel entre le laisser tranquille ou le tranquilliser.
Le langage corporel, dans l’interaction comme chez le bébé seul,
au cours de son activité, est pauvre. Après ne pas avoir rassemblé
les deux hémicorps, c’est autour du bas du corps de ne pas être
investi. Le clivage horizontal dure longtemps par la suite, avec
un retard d’acquisition à la marche et parfois l’impression d’un
trouble musculaire ou neurologique entraînant des investigations.
Les vocalises ne sont pas modulées, les mouvements ne dansent
pas, ils sont raides ou explosifs ; l’éveil n’est pas de l’ordre du nar-
ratif, il est sans début ni fin progressifs et l’enfant ne se laisse pas
aller à la rêverie.
La lecture de l’état du bébé négligé est toute en nuances. Il s’agit
de tonalités, de convergences : celles du regard, des gestes, des
échanges, des jeux, des soins, du sommeil.
Régulation émotionnelle
Les troubles de la régulation émotionnelle sont marqués.
L’enfant n’est pas en capacité de contenir ses émotions ni de les
transformer, n’ayant pas à sa disposition un psychisme parental le
soutenant dans ce travail. Il utilise la sphère corporelle pour faire
baisser les tensions, et présente alors des expressions de désor-
ganisation et des colères. Il utilise aussi des mécanismes de repli
affectif qui peuvent être évalués par des grilles comme l’échelle
alarme détresse bébé [18] . Mais ce repli n’est pas l’unique issue à
l’expression de la souffrance du jeune enfant négligé, c’est pour-
quoi d’autres instruments doivent être utilisés pour en faire le
diagnostic. Les manifestations émotionnelles sont disproportion-
nées et inappropriées en ce qui concerne la peur et la colère. Ces
enfants ont des difficultés à reconnaître leurs propres émotions et
ont tendance à éviter les situations d’intimité.
Sur le plan de la construction de ses processus d’attachement,
l’enfant négligé réagit à la séparation soit en ne manifestant
que très peu de détresse, soit au contraire en se montrant
complètement inconsolable. Cette théorie de l’attachement attri-
bue au lien que le jeune enfant noue avec son parent négligent
une influence sur ses relations ultérieures. Ces enfants s’attendent
à ne pas obtenir des autres de satisfaction de leurs besoins et ne les
sollicitent pas. Ils découragent ceux qui viennent leur apporter de
l’aide ou entrer en relation avec eux. À maints égards, même si la
négligence émotionnelle [4] (indisponibilité psychologique de la
figure d’attachement) est la plus subtile, ses effets en sont autant
dévastateurs que ceux des autres formes de mauvais traitements [5] .
Les négligences mènent à une probabilité plus importante chez
les enfants de développer un attachement de type insécure voire
désorganisé qui persiste dans le temps [19] . Ils ne se perçoivent pas
dignes d’être aimés et ils ont une image des autres comme étant
indisponibles ou rejetants [20] .
Signes secondaires sur le plan cognitif
Le développement cognitif des jeunes enfants négligés est
altéré. Leur quotient de développement régresse entre les âges
de 9 et 24 mois. Ces enfants sont moins enthousiastes face aux
apprentissages, n’ont pas d’initiatives, apparaissent plus frustrés
avec des colères massives, difficilement consolables, dont la cause
du déclenchement n’est pas toujours perceptible. Ils ont du mal à
résoudre les tâches et abandonnent plus vite. Ils ne s’engagent pas
dans des jeux appropriés à leur âge. Ultérieurement, leur quotient
intellectuel est plus bas, et ce de manière définitive si la carence
dure au-delà des 24 premiers mois [21] .
Concernant le développement cognitif des jeunes enfants ayant
été négligés, Hildyard et Wolfe citent l’intéressant Minnesota
Mother-Child Project [22] : cette étude longitudinale a suivi le déve-
loppement de 267 enfants, premiers nés de mères identifiées à
risque concernant la parentalité. En comparaison avec les autres
groupes de maltraitances, les jeunes enfants ayant été émotion-
nellement négligés entre 9 et 24 mois présentaient les déclins à
l’échelle de Bayley les plus dramatiques, passant d’un quotient
5
37-208-A-85  Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans
de développement (QD) de 118 à un QD de 87 à 24 mois [23] . À
24 mois, les enfants ayant vécu une histoire de négligence phy-
sique étaient moins enthousiastes, plus frustrés et en colère durant
des tâches à résoudre que les autres enfants, quel que soit leur
groupe. De même, Gowan [24] a trouvé que l’adéquation de soins
reçus par l’enfant prédit son QI ainsi que sa capacité à s’engager
dans des jeux appropriés à son âge. À 12, 18, 24 et 36 mois, les
enfants qui ont reçu des soins psychologiques inadéquats ont
des QI plus bas que ceux ayant reçu des soins psychologiques
adéquats [19] .
Conséquences générales
Des séquelles développementales [25–27] directement attribuables
à la négligence parentale se retrouvent dans les quatre dimensions
suivantes :
• la découverte sensorielle du monde et le développement neu-
rocognitif ;
• l’engagement mutuel et la communication ;
• l’expression et la régulation des affects ;
• l’attachement et les représentations de soi et des autres [5] .
Effets des carences selon les neurosciences [6]
Les études récentes concernant les effets des négligences sur le
cerveau montrent une inscription lésionnelle précoce et rapide.
Les négligences privent l’enfant de stimulations dont il a besoin,
tant sur le plan général que pour le développement de son cerveau.
Certaines régions cérébrales peuvent s’atrophier, en particulier
les lobes temporaux qui relèvent les informations sensorielles et
régulent les émotions. Le processus atteint est celui de la synap-
togenèse. Il y a un manque de stimulations et d’interactions
spécifique aux négligences (dans l’ensemble plus large des maltrai-
tances), qui entraîne un sous-développement des aires corticales,
sous-corticales et limbiques. Le stress produit lors des négligences
induit, par hypersécrétion des corticoïdes, des modifications
durables sur l’hippocampe, lequel joue un rôle dans le compor-
tement, la mémoire et les apprentissages. La surproduction de
glucocorticoïdes atteint donc l’hippocampe, qui est non seule-
ment une région cruciale pour l’apprentissage et la mémorisation,
mais aussi un centre important pour le feed-back inhibiteur des
glucocorticoïdes sur leur propre libération, et une zone de régula-
tion de la sécrétion de la prolactine et de l’hormone de croissance.
Il est l’une des deux zones du cerveau où se trouvent des cel-
lules souches impliquées dans la neurogenèse. Cette capacité des
cellules souches de l’hippocampe à proliférer et à se différen-
cier est d’une importance vitale pour la régénération de cellules
lésées et participe à cette faculté assez exceptionnelle du cerveau
connue sous le terme de plasticité. Cette plasticité cérébrale liée
à la neurogenèse a été mise en évidence plus récemment que la
plasticité cérébrale liée aux synapses et à la reconfiguration des
contacts synaptiques. À l’inverse, de bons soins maternels favo-
risent l’expression du gène récepteur aux corticoïdes, les taux de
glucocorticoïdes baissent alors et l’effet du maternage est meilleur.
En comparant en neuro-imagerie des cerveaux d’enfants mal-
traités à ceux d’un groupe contrôle, les enfants souffrant de
négligences étaient ceux présentant un corps calleux de plus petite
taille. Une étude longitudinale a montré le lien entre négligence
chez l’enfant et leur santé en tant qu’adultes des décennies plus
tard (tels que plus haut risque de pathologies hépatiques, et patho-
logies ischémiques cardiaques) [28–30] .
Données des recherches sur les effets
de la négligence
Le constat fut posé en 1977 par Barnett et al. [31] comme quoi peu
d’études portaient sur les effets de la négligence sur le fonctionne-
ment des enfants. En France, Misès avait alerté et théorisé les effets
de l’environnement proche sur la construction psychique des
enfants. Il avait ainsi élaboré le concept de pathologies limites [32] .
La clinique portait alors sur des enfants de plus de 3 ans et c’est
ce travail remarquable qui nous a permis d’aller vérifier, auprès
6 EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
des bébés ou jeunes enfants de moins de 3 ans et de leur famille,
combien la théorisation de Misès était riche et dynamique.
Au regard des études, plusieurs problèmes sont associés à
la négligence : les difficultés sociales, intellectuelles, les pro-
blèmes affectifs et du comportement, ainsi que les conséquences
physiques [33] . Des auteurs ont démontré la proportion plus impor-
tante de l’anxiété chez les enfants négligés de 12 à 18 mois.
Hoffman-Plotkin et Twentyman ont noté que les enfants négli-
gés d’âge préscolaire avaient le moins d’interactions avec leurs
pairs [34] , en comparaison avec les enfants victimes de violence
physique et les cas témoins.
Dans un examen s’échelonnant de 1975 à 1995, Katz [35] a noté
qu’à la fois les enfants victimes de violence et les enfants négligés
accusaient des retards ou des troubles du langage, mais que le
problème était beaucoup plus grave chez les enfants négligés [36] .
Les enfants souffrant de négligences, surtout quand la négli-
gence s’accompagne d’autres formes de maltraitances, ont de
moins bonnes performances scolaires. Ils sont plus souvent
absents des cours et n’iraient pas aussi loin dans leur cursus sco-
laire que les enfants non négligés [37] .
Allen et Oliver ont constaté que la négligence, à elle seule,
peut entraîner des troubles de la communication auditive et de
l’aptitude verbale (cités par Sullivan [1] ).
Hanson [38] (cité par Sullivan) relève que les enfants qui ont
été négligés présentent une croissance plus lente, un développe-
ment moteur et du langage déficient, moins d’affects, des signes
de malnutrition, des problèmes médicaux non pris en charge par
les parents et un manque d’habileté à conceptualiser.
Plusieurs études ont identifié d’autres effets à long terme impor-
tants de la négligence à l’égard des enfants, dont le retard
staturopondéral, des déficits cognitifs, des habiletés sociales défi-
cientes (Egeland et al. [36] ; Fox et al. [39] ; Rivera et Widom [cités par
Sullivan [1] ] et Dubowitz [40] ).
Les résultats de l’étude du Minesota Mother-Child Project
(étude longitudinale menée sur un groupe de 267 enfants) ont
amené Erickson et Egeland [4] à conclure que la négligence affec-
tive semble être la forme la plus grave de mauvais traitements,
selon les conséquences observées. Même les formes les plus
subtiles de négligence affective ont un effet grave sur le déve-
loppement des enfants, en particulier lors des premières années
de leur vie. Pratiquement tous les enfants de ce groupe présen-
taient de l’anxiété dans leurs liens affectifs et la majorité d’entre
eux ont été classés comme angoissés–fuyants lors de chacune
des évaluations à 24 et 42 mois. Ils manifestaient de la colère,
de l’insoumission, un manque de persistance et des affects peu
positifs.
 Prise en charge
Facteurs de variation et diagnostics
Les signes de souffrance du bébé et de l’enfant sont souvent
discrets et difficiles à reconnaître. Leur aspect bruyant ou discret
n’est d’ailleurs pas corrélé à la gravité de leur impact. Comme pour
toute autre maltraitance, c’est l’association des signes et leur fixité
qui conduit au diagnostic [41] .
Les signes varient suivant l’âge de l’enfant et l’importance de la
négligence. Après 24 mois, les conséquences sont plus manifestes
et repérables. Elles touchent les dimensions cognitives, comporte-
mentales et le type d’attachement. L’enfant présente des retards du
développement affectif et cognitif, du langage, de la motricité, de
la socialisation [42] . Il a des attitudes d’autostimulation, des mou-
vements de balancement, des tendances à se frapper la tête soit
contre le sol, la tête du lit, soit aussi avec ses mains sur les tempes
pour s’accrocher à la sensation ou la fuir. Dans les cas graves,
le retentissement somatique est important, avec retard staturo-
pondéral, retard de croissance du périmètre crânien et nombre de
conséquences neurophysiologiques.
Les facteurs associés ne sont pas exclusifs les uns des autres
(donnée qui est souvent méconnue). Les enfants fragilisés par des
problèmes somatiques ou sensoriels sont à risque plus élevé de
négligence dans ces familles car ils s’expriment peu, ne sollicitent
pas leurs parents qui ne les ont pas dans leur tête tant qu’ils ne
 Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans  37-208-A-85
sont pas à proximité physique. Les effets sont plus graves encore,
laissant croire à une origine purement somatique des signes. Il a pu
être dit que l’enfant participait aussi au mécanisme de négligence.
Le diagnostic différentiel est parfois compliqué à poser et pour
cela des bilans somatiques doivent être réalisés. Ils permettent
d’évaluer les facteurs concourant à l’aggravation des effets des
troubles relationnels et leurs répercussions somatiques, de remé-
dier au plus vite aux déficits sensoriels, développementaux. Ces
bilans peuvent ainsi montrer des atteintes dans le développement
psychomoteur, dans la sphère somatique (visuelle, oto-rhino-
laryngologique), l’alimentation, le sommeil, mais aussi dans le
langage et la symbolisation, avec des conséquences graves et
durables dans la sphère cognitive.
Plus l’enfant est jeune et plus les mécanismes de défense sont
archaïques et peu différenciés suivant l’origine des manifestations.
Les troubles sont souvent intriqués. Le diagnostic de départ a
du mal à déterminer ce qui est de l’ordre de la dépression, de
conséquences de la négligence, de manifestations psychotiques,
d’atteintes dues à des défauts d’équipement. Dans les cas de négli-
gence, la mise en place de soin, de suppléances partielles au
maternage, permet l’amendement, au moins partiel, des signes
et la reprise de l’évolution.
Instruments d’aide à la prévention,
au diagnostic et à la mise en œuvre de soins
Le National Institute for Health and Clinical Excellence (équi-
valent de la Haute autorité de santé en Angleterre) [43, 44] a publié
en octobre 2012 une recommandation sur le thème du « Bien-être
social et affectif – les premières années ». Nous nous y référerons
pour mettre en évidence ce qui correspond, dans notre pratique
de plus de dix ans, aux préconisations apportées par ce travail. Il
est toutefois intéressant de voir que l’expérience croise le savoir
collecté par la recherche.
Nous retenons de l’ensemble de la recommandation (avec son
argumentaire) la nécessité d’identifier les enfants vulnérables et
leur famille, d’évaluer leurs besoins afin de mettre en œuvre des
interventions multimodales (médico-sociales, visites à domicile,
garde d’enfant, programme pour les parents). Plus les familles sont
vulnérables et à risque de négligence et moins elles se manifestent,
moins elles acceptent le suivi. Elles sont dites « invisibles ».
Le suivi à domicile est préconisé dès l’anténatal par les sages-
femmes avec un relais dans le postnatal direct (poursuite sur le
premier mois par la sage-femme) par des visites communes avec
l’infirmière. La cohérence et le fait que le suivi se fasse par une
même personne sont des points importants.
Les visites à domicile doivent être réalisées par des profes-
sionnels expérimentés et sur une durée intermédiaire (ni trop
courte ni trop longue, mais plus de 6 mois, 16 à 32 visites). Elles
sont d’autant plus pertinentes qu’elles sont précoces, qu’elles
s’appuient sur ce que les familles elles-mêmes perçoivent de leurs
besoins, et qu’elles apportent des informations et également une
aide pratique aux parents. Plus l’engagement des pères est fort et
durable, meilleur est le résultat.
Les crèches et les haltes-garderies sont indiquées précocement.
Leurs effets sont variables suivant les critères retenus : favorables
sur le plan cognitif, moins favorables sur le comportement et la
sécurité émotionnelle. Mais ces derniers sont plus marqués au-
delà de 30 à 35 heures passées par semaine à la halte-garderie.
Toutefois, dans les effets positifs interviennent la qualification des
professionnels et la qualité des lieux.
C’est globalement l’association de ces aides qui constitue une
meilleure prévention et un meilleur soin, l’impact des uns par
rapport aux autres étant plus difficile à déterminer.
Dans notre expérience, le fait d’avoir passé une convention
avec le Conseil général et la mairie, de travailler avec la Pro-
tection maternelle et infantile (PMI) (en pré- et postnatal), avec
les crèches, les associations de techniciens de l’intervention
sociale et familiale (TISF), nous a donné accès à ces familles
et nous a permis de centrer nos efforts, nos travaux, sur cette
vaste question. Nous avons pris des options que nous vous
soumettons.
EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
Pour le dépistage des enfants à risque de souffrances dues à
des négligences parentales et afin de mettre en œuvre le soutien
nécessaire, nous avons choisi de retenir la définition de Heaman
et al. [45] .
En effet, Heaman et al. ont retenu, pour faire partie du
programme Ensemble Travaillons Autour De La Petite Enfance
(ETAPE), certaines conditions. La famille identifiée doit être
définie à risque [43] , c’est-à-dire présenter au moins trois des
facteurs de risque parmi les suivants : abus de substances par
un parent ou les deux ; expérience de maltraitance et/ou de
négligence durant l’enfance d’un parent ou des deux ; manque
d’éducation ; domicile instable ; difficultés économiques et
sociales.
L’évaluation des situations de négligence [43] s’appuie sur le tra-
vail de Braconnier-Humbeeck, de l’Université de Mons-Hainaut,
en mai 2006 [46] . Les grilles ont été rapportées dans les différents
livres de Berger [47] . Elles font référence au guide d’évaluation des
capacités parentales chez les enfants de 0 à 5 ans de Steinhauer [48] ,
et à Paquette [49] .
Ces grilles standardisées et validées par les canadiens sont
extraites du Guide d’évaluation des capacités parentales (centre
jeunesse de Montréal et Institut de recherche) [50] :
• grille d’évaluation du réseau de soutien social des parents [51] ;
• Q-Sort : items du Q-Sort des comportements maternels de
Pederson et Moran [52] ;
• grille sur les compétences parentales [52] ;
• grille sur la capacité à soutenir la régulation interne du bébé [52] ;
• grille sur la capacité pour aider l’enfant à différencier les sensa-
tions corporelles des émotions [52] ;
• grille de maîtrise des impulsions des parents [52] .
Après avoir expérimenté ces grilles de façon comparative sur
deux groupes de dossiers, un groupe témoin et un groupe
d’enfants ayant subi des négligences, nous avons retenu comme
particulièrement significatif et prévalent l’association de certains
items. Nous avons élaboré avec la PMI des niveaux de fonction-
nement.
Mise en œuvre d’une procédure diagnostique
et thérapeutique
Nous procédons de la façon suivante.
Dans un premier temps, la famille, connue et déjà soutenue,
est identifiée comme à risque de négligence par les professionnels
de la petite enfance (PMI : sage-femme à domicile et/ou infirmière
puéricultrice, pédiatre, assistante sociale) (Fig. 1) car elle présente
trois facteurs de risque parmi :
• abus de substance par un ou les deux parents ;
• expérience de maltraitance et/ou négligence durant l’enfance
d’un parent ou des deux ;
• manque d’éducation ou domicile instable ;
• difficultés économiques et sociales.
Une aide intensive est préconisée par la PMI (avec visites à
domicile et consultations rapprochées par le pédiatre, proposition
d’aide par des travailleuses familiales, mise en crèche avec conven-
tion entre les partenaires), si l’une des conditions suivantes est
retrouvée :
• soit à la grille des problèmes de sensibilité maternelle concer-
nant des enfants de 0 à 12 mois [48] trois items significatifs sont
cochés conjointement, l’item 2 étant à lui seul prépondérant :
◦ (2) le parent interprète selon ses propres désirs et ses états
d’âme les signaux du bébé,
◦ (5) les réponses du parent aux efforts de communication du
bébé sont imprévisibles et incohérentes,
◦ (11) le contenu et la cadence des interactions avec le bébé
semblent être déterminés par le parent plutôt que par les
réponses du bébé ;
• soit dans la grille d’attachement précoce (0–24 mois) [50] les
items 1 et 4 sont atteints :
◦ (1) ne regarde pas dans les yeux (item précoce qui disparaît
ensuite),
◦ (4) a des troubles du sommeil dont la différence de nature
est significative : troubles du sommeil à type de refuge dans
le sommeil (l’enfant tombe brutalement dans le sommeil ou
7
37-208-A-85  Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans

Familles à risque de négligence

Trois facteurs de risque parmi :

– abus de substance par un ou les deux parents
– expérience de maltraitance et/ou négligence
durant l’enfance d’un ou des deux parents
– manque d’éducation ou domicile instable
– difficultés économiques et sociales
+

Grille des problèmes de sensibilité maternelle
(Q-sort) (pour les enfants de 0 à 12 mois)
Soit les trois items suivants, soit au moins le 2 atteint :
2– le parent interprète selon ses propres désirs et ses
états d’âme les signaux du bébé
5– les réponses du parent aux efforts de communication
du bébé sont imprévisibles et incohérentes
11– le contenu et la cadence des interactions avec le
bébé semblent être déterminés par le parent plutôt que
par les réponses du bébé
Grille d’attachement précoce (pour les enfants de
0 à 24 mois)
Deux items suivants atteints :
1– ne regarde pas dans les yeux (item précoce qui
disparaît ensuite)
4– a des troubles du sommeil dont la différence de
nature est significative : troubles du sommeil à type de
refuge dans le sommeil, l’enfant tombe brutalement
dans le sommeil ou dort beaucoup plus que la normale
dans le groupe d’enfants négligés, ce qui est différent des
difficultés d’endormissement observées dans le groupe témoin

Aide intensive PMI (visites à domicile, consultations

rapprochées avec le pédiatre, TISF, mise en crèche)

Évaluation à l’aide des quatre grilles suivantes :

– grille des compétences générales de la mère
– maîtrise des impulsions
– soutenir la régulation interne du bébé
– aider l’enfant à différencier les sensations
corporelles des émotions

Fonctions maternelles adéquates Items chutés

Suivi PMI seul PMI + pédopsychiatrie

Figure 1. Arbre décisionnel. Familles à risque de négligence, repérées par la Protection médicale et infantile (PMI). TISF : techniciens de l’intervention
sociale et familiale.

dort beaucoup plus que la normale dans le groupe d’enfants
négligés, ce qui est différent des difficultés d’endormissement
observées dans le groupe témoin).
Si, de plus, lors de la mise en place de ce dispositif de prévention
l’évaluation donne également un grand nombre d’items cochés
dans les grilles de compétence générale de la mère, mais aussi de
la maîtrise des impulsions, de la capacité à soutenir la régulation
interne du bébé et de la capacité pour aider l’enfant à différencier
les sensations corporelles des émotions, alors un soin complé-
mentaire est mis en place par l’unité consacrée aux tout-petits
en pédopsychiatrie [53] .
Signes d’alerte du côté des enfants
à tous les niveaux de la prise en charge
Lorsque nous sommes présents auprès de ces jeunes enfants
souffrant de négligence, nous considérons comme graves
l’association dans le temps des signes suivants au Q-Sort (indices
d’un problème d’attachement chez les enfants de 0 à 24 mois) [50] .
L’enfant :
• (1) ne regarde pas dans les yeux ;
• (4) a des troubles du sommeil ;
• (2) ne babille pas, ni ne gazouille. Vocalise peu ;
• (12) réagit à la séparation soit en ne manifestant que très peu
de détresse, soit (au contraire) en se montrant complètement
inconsolable ;
• (21) autostimulations, mouvements de balancement (rocking),
manies occupationnelles, tendances à se frapper la tête contre
un mur ;
• (24) divers retards de développement : langage, motricité, socia-
lisation, développement cognitif et affectif.
Les trois premiers items sont repérés chez les enfants
les plus jeunes (0 à 5 mois), le quatrième est intermé-
diaire et les deux suivants sont relevés surtout après 9 à
12 mois.
Puis, ultérieurement, les atteintes sont objectivées par une grille
plus générale, celle des indices d’un problème d’attachement chez
les enfants de 2 à 6 ans [50] :
• retards de développement ;
• problèmes de sommeil ;
• problème dans l’alimentation ;
• problèmes de santé fréquents : asthme, infections, etc.

8 EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
 Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans  37-208-A-85
Actions thérapeutiques
Selon les recommandations et les recherches
internationales
Les différentes études, canadiennes en particulier, montrent que
les parents négligents sont les moins à même de demander de
l’aide et de s’y tenir [53] . Elles constatent l’absence étonnante de
mise en place de programmes dans les négligences émotionnelles
tant que l’enfant ne présente pas de troubles évidents du déve-
loppement. Des efforts considérables ont été faits par les pouvoirs
publics pour la maltraitance active et les abus, mais pas pour les
négligences, question qui s’avère plus complexe. Les résultats des
actions sont globalement assez faibles, plus faibles que lors de
violences physiques [31] , et leurs effets n’apparaissent qu’en cas
d’interventions prolongées [4] (plus de 1 an [54] ) et cessent avec leur
arrêt.
La meilleure efficacité est liée à des aides multidisciplinaires,
multidimensionnelles [55] , écosystémiques. Elles nécessitent d’être
complètes, ciblées clairement en fonction des besoins évalués
(identification des troubles des parents, en particulier ceux qui
concernent l’alcool et la toxicomanie dont l’impact est le plus
grave). Les stratégies préventives sont très importantes et doivent
donc intervenir dès la grossesse [43] , mais aussi se poursuivre en
tenant compte des grossesses ultérieures [12] . Les aides à domi-
cile sont les plus efficaces, surtout si elles sont réalisées par des
professionnels formés et supervisés sur une durée suffisamment
longue [53] . Le soutien parental est indispensable, compliqué à
mettre en œuvre du fait de l’absence de demande et de cons-
cience des difficultés : non-perception des besoins propres et de
ceux de l’enfant. Le soin à ces parents et à ces mères en particulier
porte sur leur santé mentale (dépression, pathologie borderline,
psychose), la reconnaissance de leurs propres besoins émotifs et
une attention à leur bien-être : soutien à la confiance et à l’estime
de soi, très faible chez ces parents qui ont souvent été eux-mêmes
négligés dans l’enfance. Le soutien possible par les grands-parents
et l’environnement est rarement efficace et durable. De ce fait, il
prête à illusion quand la grand-mère agit dans une apparence de
réparation de ses échecs antérieurs.
Les interventions doivent être précoces [56] compte tenu de
l’impact des négligences sur le développement du jeune enfant, du
risque de fixité de ces troubles si l’environnement ne s’adapte pas
rapidement. Celles orientées sur les parents ne sont pas toujours
en mesure d’agir suffisamment vite, c’est pourquoi des soins thé-
rapeutiques en « garderie » sont fréquemment préconisés comme
action directe sur l’enfant et évalués comme relativement effi-
caces [1] . Les études suggèrent qu’une intervention précoce efficace
sur les familles vulnérables réduit les troubles externalisés et inter-
nalisés des enfants [56] .
Application locale
Dans l’unité, nous avons défini plusieurs formes de soins en
fonction de l’âge et de la gravité de la situation. Toutes ces familles
et ces bébés sont soignés en complémentarité avec la PMI. La PMI
est la référence la plus stable, la plus continue et la plus large.
Pour les enfants à naître, nous sommes sollicités lorsque d’autres
enfants de la fratrie sont déjà en souffrance ou lorsque les condi-
tions, appréciées pendant la grossesse, révèlent de nombreuses
carences, des difficultés dans le lien, une émergence du bébé réel
absente même à la fin de la grossesse, la future mère restant centrée
sur elle-même et un bébé idéal.
Nous proposons alors une hospitalisation mère–bébé dès la sor-
tie de la maternité. Il est bien rare que les parents en comprennent
la nécessité et s’appuient sur cette opportunité. Ils l’acceptent
d’autant plus facilement que nous avons été présents dans
l’anténatal. Si les circonstances sont alarmantes, une information
préoccupante, voire un signalement judiciaire, est rédigé(e) à la
naissance. Dans ce cas, il est indispensable que les professionnels
concernés (PMI, maternité, ASE) soient dans la même compréhen-
sion de la gravité de la situation, ce qui est rare. Un cadre établi
avant l’entrée en hospitalisation mère–bébé est pourtant le garant
d’un soin et d’une alliance de meilleure qualité.
Alors, le soin peut se mettre en place, laissant de côté la déci-
sion déjà prise. Dans le cas contraire, la mère peut se représenter
EMC - Psychatrie/Pédopsychiatrie
les soignants comme des évaluateurs, le soin maternel comme un
apprentissage, l’observation comme une surveillance, le pédopsy-
chiatre comme une personne qui peut les trahir.
Nous portons le soin sur la relation, sur le bébé, sur la mère
et le père. Mais, actuellement, c’est le bébé qui nous guide dans
l’orientation de notre projet. Lui seul peut nous dire si le style
interactif qui s’est créé entre lui et sa mère est à même de
l’épanouir [57] . Ce travail dans l’unité est couplé avec l’observation
à domicile.
Ce soin est mis en place également pour les enfants plus grands
en ambulatoire. Les visites à domicile sont complémentaires
d’autres soins, en particulier ceux prodigués par la psycho-
motricienne. Ces observations thérapeutiques à domicile sont
spécifiques et s’appuient sur un corpus théorique. En France,
d’autres projets sont en cours, en particulier celui dirigé par le
professeur Guedeney sous forme de visites à domicile en pré- et
postnatal dans un cadre différent de celui auquel nous faisons
référence [58] .
L’observation à domicile pour les enfants en situation de négli-
gence demande une régularité, une continuité et une durée. Dès
le début, pour que ce soin puisse se maintenir, un minimum
d’alliance doit pouvoir se créer avec l’infirmière. Un des motifs
est le bénéfice et la compréhension que le parent peut avoir direc-
tement (immédiatement presque) de ce travail [53] . Il est proposé
sur des temps limités et renouvelés afin de ne pas plonger ces
familles dans l’angoisse de la durée du lien.
Intervenir à domicile, pour ces familles, est rapidement moins
menaçant car plus compréhensible. L’infirmière offre une atten-
tion individuelle et particulière à la mère et à son bébé. L’infirmière
ne prodigue pas de conseils, mais son attitude instaure une
relation chaleureuse, empathique, sensible aux compétences
parentales. La formation et la supervision régulière des infirmières
sont des éléments déterminants quant à la qualité de ce travail.
L’observation, telle qu’elle est prodiguée, repose sur
l’observation selon Bick [59] et selon Pikler à Loczy [60] . Ce
choix du croisement des références conditionne la formation des
infirmières. L’observation de Bick est appliquée pour en faire un
instrument d’évaluation et de soin grâce à la capacité d’attention
et à la fonction de pare-excitation jouées par l’observateur devenu
à la fois récepteur et filtre. Cette formation met en jeu les émo-
tions, les éprouvés internes de l’observateur centré sur la relation
mère-bébé. L’observation selon Loczy se centre spécifiquement
sur le bébé. Elle place le soignant comme un acteur. L’infirmière
touche le bébé, s’en occupe, mais est attentive au monde affectif
et émotionnel de l’enfant.
Mais ce travail, pour intensif qu’il soit, touche parfois à ses
propres limites, comme le constatent les Canadiens. Nous deman-
dons un placement du bébé lorsque les signes de négligence
s’accentuent et deviennent patents sur le bébé aux yeux des pro-
fessionnels, malgré le déploiement d’aide.
Cependant, la plupart du temps, quand les troubles ne mobi-
lisent pas les responsables institutionnels (ASE ou judiciaires), le
travail multidimensionnel se poursuit : PMI, TISF, parfois éduca-
teur référent, souvent observation thérapeutique à domicile par
nos services. Le bébé reste en grande difficulté, il fait quelques
acquisitions, mais surtout les symptômes suivent le processus
développemental (laissant croire à une évolution positive). Nous
sommes dans l’entre-deux, du fait de la non-reconnaissance par
les partenaires des signes cliniques du bébé, en particulier par
l’ASE dont les professionnels ne sont pas alertés sur cette ques-
tion, non formés au développement du bébé, la PMI se trouvant
insuffisamment reconnue ou écoutée.
Pour améliorer nos actions préventives et de soins, nous met-
tons alors en place deux sortes de soins complémentaires en
partenariat avec d’autres institutions dont le Conseil général et
la ville.
La première étape est la réponse offerte par la PMI sous
forme d’un accueil en crèche avec convention tripartite
(parent/PMI/crèche). Elle n’est pas toujours suffisante, malgré le
soutien que nous apportons par des observations thérapeutiques
dans les lieux d’accueil en complément de celles effectuées à
domicile. Ces enfants demandent une attention particulière et
ces parents un accueil différencié. C’est pourquoi, pour certains
bébés, avec l’institution de la Croix Rouge nous élaborons un
9
37-208-A-85  Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de trois ans
projet de crèche thérapeutique, et avec une association de TISF
un projet d’aide à domicile renforcée (hospitalisation à domi-
cile) et complémentaire de l’observation thérapeutique réalisée
par les infirmières formées et supervisées. Nous pensons étoffer
ainsi l’aide multidimensionnelle en ayant des équipes d’origines
différentes, formées aux effets de la négligence, bénéficiant de
supervision, travaillant en collaboration afin de mieux répondre
à ces bébés et à leur famille.
Éthique
Nous avons constaté que les familles négligentes ont une
problématique autour des liens, souvent un passé de suivi médico-
social depuis la petite enfance, ce qui engendre une méfiance
générale à l’égard des professionnels de ce secteur. La gros-
sesse et la naissance pour ces femmes sont l’occasion pour elles
d’une projection positive dans le futur, l’espérance d’une vie
meilleure à partir d’un instant idyllique. Elles souhaitent avoir
pour une fois un projet de vie personnel dans un environne-
ment normalisé, puisque la maternité est considérée comme
ce qui est le plus naturel, assurant en outre un statut social
reconnu.
Intervenir précocement, c’est, face aux professionnels de
l’anténatal, venir comme un oiseau de malheur s’autorisant dans
la prévention à « prédire », attachant la famille à son passé alors
que grossesse et naissance sont des processus mutatifs.
Comment prévenir sans tomber dans le dépistage sur des
critères pseudo-prédictifs ? Probablement en s’appuyant sur
une appréhension globale pour envisager l’individu dans son
contexte. Ceci signifie aussi avoir une approche ouverte de notre
clinique et une compréhension des mécanismes permettant de
s’appuyer sur les points positifs pour entraîner la dyade dans une
dynamique progrédiente. La position éthique est d’engager un
dialogue constructif avec les parents, de chercher à créer un cli-
mat de confiance qui s’appuierait sur la recherche du « meilleur
souhaité » par eux pour leur enfant et par le fait qu’on « s’inquiète
ensemble ».
Les questions les plus pertinentes pour nous actuellement
sont : Quelle position éthique avons-nous à l’égard des bébés
et comment croiser notre positionnement éthique à l’égard des
parents ? Pouvons-nous assister en spectateur à l’atteinte marquée
dans leur corps sans essayer d’y remédier, par crainte ou respect
de la position parentale ?
Notre position se situe entre une position éthique conforme à
la recherche d’une alliance thérapeutique avec les parents basée
sur la confiance réciproque (difficile cependant à tenir), et celle
conforme au respect du développement le plus harmonieux pos-
sible d’un bébé et donc le respect de sa sécurité et de sa continuité
psychique, sans trop d’angélisme à cet égard. Les deux prin-
cipes mis en exergue par le Centre de liaison sur l’intervention
et la prévention psychosociale (CLIPP) du Québec [61] nous
paraissent une voie à tenir : le principe de la prépondérance
des besoins de l’enfant et le principe de nécessité de soutien
parental.
 Conclusion
La négligence est un phénomène fréquent, touchant profondé-
ment les individus, et se répercutant de génération en génération.
Elle est la source de nombreux troubles chez le bébé, puis
l’enfant, l’adolescent, l’adulte, le parent qu’il deviendra. Il est
donc nécessaire, en termes de santé publique, mais aussi en termes
économiques, d’y faire face. Cependant, construire des actions de
prévention, d’aide et de soin s’avère compliqué, car les familles
en question ne demandent pas, puis souvent n’acceptent pas
l’aide proposée. S’il peut être tentant de ne pas insister auprès
de ces parents, il est impossible de continuer à fermer les yeux
sur le développement de leurs enfants. Décider d’agir pour inflé-
chir l’évolution parfois catastrophique de l’enfant n’est-il pas
aussi, après coup, aider les anciens bébés en souffrance devenus
aujourd’hui parents à se réparer ?
10
Ces situations mettent les professionnels des secteurs de PMI
et de l’ASE dans de grandes difficultés, en particulier celle de
reconnaître qu’un passé douloureux peut entraîner un futur dou-
loureux.
La prise de conscience de la gravité des négligences parentales
chez les enfants par les professionnels ne suffira probablement pas
à proposer une prise en charge satisfaisante. Pour cela, il faudrait
une volonté politique importante de prévention, dans un cadre
adapté, encore à inventer, considérant le bébé non pas comme
devant se plier à une norme de bien-être, mais comme un être à
protéger, du seul fait qu’il est, et qu’il a donc le droit de prétendre
devenir.
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Garret-Gloanec N, Pernel AS, Parent A. Impact des négligences parentales chez l’enfant de moins de
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décisionnels supplémentaires Animations légaux
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46p http://www.clipp.ca/doc/fr/attachments/Bilans de connaissance/
negligence enfants.pdf.
Information Informations Auto- Cas
au patient supplémentaires évaluations clinique
11
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2 documents légaux

Docleg 1
Loi sur la protection de la jeunesse adoptée en 1977, mise à jour en juillet 2007. Québec.
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Docleg 2
o
Loi n 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance (France).
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6 informations supplémentaires

Infosup 1
Grille d'évaluation du réseau de soutien social des parents.
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