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Chapitre 5

Espaces vectoriels
normés
554 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Tout au long du chapitre, K désigne le corps R ou le


corps C, |λ| désignant suivant le cas la valeur absolue ou le
module du scalaire λ.
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 555

5.1 Notion d’espace vectoriel


normé

5.1.1 Norme et distance associée


Définition 5.1.1 Soit E un K-espace vectoriel . On ap-
pelle norme sur E toute application x 7→ kxk de E dans
R+ vérifiant
– (i) kxk = 0 ⇐⇒ x = 0 (séparation)
– (ii) kλxk = |λ| kxk (homogénéité)
– (iii) kx + yk ≤ kxk + kyk (inégalité triangulaire)
On appelle espace vectoriel normé un couple (E, k.k) d’un
K-espace vectoriel et d’une norme sur E.
556 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Exemple 5.1.1 Sur K nq , on définit trois normes usuelles,


X X
kxk1 = |xi |, kxk2 = |xi |2 , kxk∞ = sup |xi |. De la
même façon, on définit sur l’espace vectoriel des fonctions
continues de [0, 1] dans K, C([0, 1], K),strois normes
Z 1 Z 1
usuelles, kf k1 = |f (t)| dt, kf k2 = |f(t)|2 dt,
0 0
kf k∞ = sup |f(x)|.
x∈[0,1]

Proposition 5.1.1 Soit E un K-espace vectoriel normé.


L’application d : E × E → R+ définie par d(x, y) = kx − yk
est une distance sur E appelée distance associée à la norme.
La topologie associée à cette distance est appelée topologie
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 557

définie par la norme.

Remarque 5.1.1 Si E est un espace vectoriel normé, on


dispose de deux familles importantes d’homéomorphismes
de E sur lui même : les translations tv : x 7→ x + v et les
homothéties hλ : x 7→ λx (λ 6= 0). On constate que tous les
points ont les mêmes propriétés topologiques et que deux
boules ouvertes sont toujours homéomorphes.

Définition 5.1.2 On appelle espace de Banach un espace


vectoriel normé complet (pour la distance associée).
558 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Définition 5.1.3 Soit (E1 , k.k1 ), . . . , (Ek , k.kk ) des espaces


vectoriels normés. On définit une norme sur le produit E =
E1 × · · · × Ek en posant kxk = max kxi ki . L’espace vectoriel
normé (E, k.k) est appelé l’espace vectoriel normé produit.
Il est complet si chacun des Ei est complet.
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 559

5.1.2 Convexes, connexes


Définition 5.1.4 Soit E un espace vectoriel normé, a, b ∈
E. On pose [a, b] = {ta + (1 − t)b | t ∈ [0, 1]}. On dit qu’une
partie A de E est convexe si ∀a, b ∈ A, [a, b] ⊂ A.

Remarque 5.1.2 Le théorème d’associativité des


barycentres montre immédiatement par récurrence que si
A est convexe, a1 , . . . , an ∈ A et λ1 , . . . , λn sont des réels
positifs de somme 1, alors λ1 a1 + . . . + λn an est encore
dans A.

Proposition 5.1.2 Toute partie convexe est connexe par


arcs (et donc connexe).
560 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Démonstration 5.1.1 γ(t) = (1 − t)a + tb est un chemin


continu (l’application est kb − ak-lipschitzienne) d’origine a
et d’extrémité b.

Proposition 5.1.3 Dans un espace vectoriel normé, les


boules sont convexes (et donc connexes).

Démonstration 5.1.2 Montrons le par exemple pour une


boule ouverte B(a, r). Soit x, y ∈ B(a, r) et t ∈ [0, 1]. On a
alors

ktx + (1 − t)y − ak = kt(x − a) + (1 − t)(y − a)k


≤ tkx − ak + (1 − t)ky − ak
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 561

< tr + (1 − t)r = r

car t ≥ 0, 1 − t ≥ 0 et soit t, soit 1 − t est non nul.

Théorème 5.1.1 Dans un espace vectoriel normé, tout


ouvert connexe est connexe par arcs.

Démonstration 5.1.3 Soit U un ouvert connexe. Soit


R la relation d’équivalence sur U : aRb s’il existe un
chemin d’origine a et d’extrémité b. Soit C(a) la classe
d’équivalence de a et montrons que C(a) est ouverte.
Pour cela soit b ∈ C(a) ⊂ U. Il existe r > 0 tel que
B(b, r) ⊂ U . Mais la boule, étant convexe, est connexe par
562 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

arcs et donc pour tout x de B(b, r) on a x ∈ C(b) = C(a),


soit B(b, r) ⊂ C(a). Les classes d’équivalences
[ sont donc
ouvertes dans U. Mais on a alors c C(a) = C(x) est
x∈C(a)
/
ouvert dans U et donc C(a) est fermé dans U. Comme U
est connexe, les seules parties ouvertes et fermées dans U
sont ∅ et U, soit C(a) = U et donc U est connexe par arcs.
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 563

5.1.3 Continuité des opérations algébriques


Théorème 5.1.2 Soit E un espace vectoriel normé. L’ap-
plication s : E × E → E, (x, y) 7→ x + y est uniformément
continue, et l’application p : K × E → E, (λ, x) 7→ λx est
continue.

Démonstration 5.1.4 On a ks(x, y) − s(x0 , y 0 )k =


k(x − x0 ) + (y − y 0 )k ≤ kx − x0 k + ky − y 0 k ≤
2 max(kx − x0 k, ky − y 0 k) = 2k(x, y) − (x0 , y 0 )k, ce qui
montre que s est 2-lipschitzienne.
Soit (λ0 , x0 ) ∈ K × E, λ ∈ K et x ∈ E. On a

kp(λ, x) − p(λ0 , x0 )k = kλx − λ0 x0 k


564 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

= kλ(x − x0 ) + (λ − λ0 )x0 k
≤ |λ| kx − x0 k + |λ − λ0| kx0 k

Pour η ≤ 1, on a |λ − λ0 | < η ⇒ |λ| ≤ |λ0 | + 1. Soit


ε ε
donc ε > 0 et η = max(1, , ). Alors
2(1 + |λ0 |) 2(1 + kx0k)
k(λ, x) − (λ0 , x0 )k = max(|λ − λ0 |, kx − x0 k) < η
ε ε
⇒ kp(λ, x) − p(λ0, x0 )k ≤ + = ε
2 2
ce qui montre la continuité de p au point (λ0 , x0 ).

Corollaire 5.1.1 Soit X un espace métrique, E un espace


vectoriel normé, A une partie de X et a ∈ A.
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 565

(i) Si f et g sont deux fonctions de X vers E telles que


A ⊂ Def(f ) ∩ Def(g), si f et g ont toutes deux des limites
en a suivant A et si α, β ∈ K, alors αf + βg a une limite
en a suivant A et on a

lim (αf (x) + βg(x)) = α lim f (x) + β lim g(x)


x→a,x∈A x→a,x∈A x→a,x∈A

(ii) Si ϕ est une fonction de X vers K et f une fonction


de X vers E telles que A ⊂ Def(f) ∩ Def(ϕ), si f et ϕ
ont toutes deux des limites en a suivant A, alors ϕf a une
limite en a suivant A et on a

lim (ϕ(x)f (x)) = lim ϕ(x) lim f (x)


x→a,x∈A x→a,x∈A x→a,x∈A
566 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Remarque 5.1.3 Dans le cas de E = R, les opérations


algébriques sur R × R ne peuvent pas s’étendre de manière
continue à R × R, ce qui fait que certaines opérations sur
les limites ne sont pas valides en général. On a cependant
le théorème suivant qui permet d’étendre les opérations sur
les limites sauf dans les cas d’indéterminations ”∞ − ∞” et
”0 × ∞”

Théorème 5.1.3 (i) L’application s : R × R → R,


(x, y) 7→ x + y s’étend en une application continue de
R × R \ {(−∞, +∞), (+∞, −∞)} dans R en posant
x + (+∞) = +∞ si x 6= −∞ et x + (−∞) = −∞ si
x 6= +∞.
5.1. Notion d’espace vectoriel normé 567

(ii) L’application p : R × R → R, (x, y) 7→ xy s’étend en


une application continue de

R × R \ {(0, +∞), (+∞, 0), (0, −∞), (−∞, 0)}

dans R en posant x × (+∞) = sgn(x)∞ si x 6= 0 et x ×


(−∞) = − sgn(x)∞ si x 6= 0.

Démonstration 5.1.5 La vérification de la continuité est


tout à fait élémentaire. Remarquons que puisque R × R est
dense dans R × R, ces prolongements sont uniques.
568 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

5.2 Applications linéaires contin-


ues

5.2.1 Caractérisations et normes des ap-


plications linéaires continues
Théorème 5.2.1 Soit E et F deux espaces vectoriels
normés et u une application linéaire de E dans F . Alors
les conditions suivantes sont équivalentes
– (i) u est continue
– (ii) u est continue au point 0
– (iii) u est bornée sur la boule unité B 0 (0, 1)
– (iv) u est bornée sur la sphère unité S(0, 1)
5.2. Applications linéaires continues 569

– (v) il existe k ≥ 0 tel que ∀x ∈ E, ku(x)k ≤ kkxk


– (vi) u est lipschitzienne

Démonstration 5.2.1 (i)⇒(ii) est évident.


(ii)⇒(iii) Puisque u(0) = 0 et que u est continue en 0, il
existe η > 0 tel que kxk < η ⇒ ku(x)k ≤ 1 ; si x ∈ B 0 (0, 1),
η η η
on a k xk ≤ < η soit ku( x)k ≤ 1 soit encore ku(x)k ≤
2 2 2
2
.
η
(iii)⇒(iv) est évident puisque S(0, 1) ⊂ B 0 (0, 1)
(iv)⇒(v) soit k = sup ku(x)k et soit x ∈ E. Si x = 0,
x∈S(0,1)
x
on a ku(x)k ≤ kkxk ; si x 6= 0, on a ∈ S(0, 1), soit
kxk
570 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

x
ku( )k ≤ k, soit ku(x)k ≤ kkxk.
kxk
(v)⇒(vi) on a ku(x) − u(y)k = ku(x − y)k ≤ kkx − yk,
donc u est k-lipschitzienne.
(vi)⇒(i) est évident

Théorème 5.2.2 Soit u : E → F une application linéaire


continue. Alors on a l’égalité
ku(x)k
sup = sup ku(x)k = sup ku(x)k
x6=0 kxk kxk≤1 kxk=1

= inf{k ≥ 0 | ∀x ∈ E, ku(x)k ≤ kkxk}


Ce nombre est appelé la norme de l’application linéaire
u et noté kuk ; on a ∀x ∈ E, ku(x)k ≤ kuk kxk.
5.2. Applications linéaires continues 571

Démonstration 5.2.2 Appelons M1 , M2 , M3 et M4 les


nombres en question dans l’ordre ci dessus. On a claire-
x
ment M1 = M3 puisque S(0, 1) = { | x 6= 0}. Comme
kxk
0
S(0, 1) ⊂ B (0, 1), on a M3 ≤ M2 . La démonstration ci
dessus de (iv)⇒(v) nous a montré que ∀x ∈ E, ku(x)k ≤
M2 kxk, soit M4 ≤ M2 . Remarquons de plus que
\ ku(x)k
{k ≥ 0 | ∀x ∈ E, ku(x)k ≤ kkxk} = [ , +∞[
kxk
x6=0

est un fermé de R (intersection de fermés), donc contient


sa borne inférieure ; on a donc ∀x ∈ E, ku(x)k ≤ M4 kxk,
ku(x)k
soit pour x 6= 0, ≤ M4 et donc M1 ≤ M4 .
kxk
572 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Si on récapitule, on a montré que M1 ≤ M4 ≤


M2 ≤ M3 = M1 ce qui montre les égalités. On a vu
de plus que ∀x ∈ E, ku(x)k ≤ M4 kxk, soit encore
∀x ∈ E, ku(x)k ≤ kuk kxk.
5.2. Applications linéaires continues 573

5.2.2 L’espace vectoriel normé des ap-


plications linéaires continues de E
dans F
Théorème 5.2.3 L’application u 7→ kuk est une norme
sur l’espace vectoriel des applications linéaires continues de
E dans F .

Démonstration 5.2.3 La formule ∀x ∈ E, ku(x)k ≤


kuk kxk montre que kuk = 0 ⇒ u = 0, la réciproque étant
évidente. La formule kuk = sup ku(x)k permet de montrer
kxk=1
sans problème l’homogénéité et l’inégalité triangulaire.
574 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Théorème 5.2.4 Soit u : E → F et v : F → G linéaires


continues. Alors kv ◦ uk ≤ kvk kuk.

Démonstration 5.2.4 On a kv ◦ u(x)k ≤ kvk ku(x)k ≤


kvk kuk kxk et on sait que kv ◦ uk est le plus petit k tel que
∀x ∈ E, kv ◦ u(x)k ≤ kkxk. Soit kv ◦ uk ≤ kvk kuk.

Remarque 5.2.1 Cette propriété (dite de sous multiplica-


tivité) de la norme est particulièrement commode pour ce
type de norme sur l’espace vectoriel normé des applications
linéaires continues de E dans F (normes dites subordonnées
à des normes sur E et F ) ; c’est ainsi que dans un es-
pace de matrices, on aura souvent intérêt à poser kAk =
5.2. Applications linéaires continues 575

sup kAXk de façon à disposer d’une inégalité kABk ≤


kX k=1
kAk kBk.

Théorème 5.2.5 Si F est un espace vectoriel normé com-


plet, l’espace vectoriel normé des applications linéaires con-
tinues de E dans F est complet.

Démonstration 5.2.5 Soit (un ) une suite d’applications


linéaires continues qui est une suite de Cauchy pour la
norme que l’on vient de définir. Soit x ∈ E, on a kup (x) −
uq (x)k ≤ kup − uq k kxk, ce qui montre que la suite (un (x))
est une suite de Cauchy dans F ; comme F est complet,
576 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

elle converge vers une limite qui dépend de x et que nous


noterons u(x). La relation un (αx + βy) = αun (x) + βun (y)
donne par passage à la limite u(αx + βy) = αu(x) + βu(y)
ce qui montre que u est linéaire. Soit ε > 0 et N ∈ N tel
que p, q ≥ N ⇒ kup − uq k < ε. Pour x ∈ E, q > n ≥ N , on
a kuq (x) − un (x)k ≤ εkxk. Faisons tendre q vers +∞ ; on
obtient ku(x) − un (x)k ≤ εkxk ; ceci montre tout d’abord
que u − un est continue et donc u = (u − un ) + un aussi, et
que n ≥ N ⇒ ku − un k ≤ ε, et donc que un converge vers
u au sens de la norme des applications linéaires continues ;
ceci achève la démonstration.
5.2. Applications linéaires continues 577

5.2.3 Equivalence des normes


Définition 5.2.1 Soit E un K-espace vectoriel . On dit
que deux normes k.k1 et k.k2 sur E sont équivalentes si les
distances associées sont équivalentes, c’est-à-dire s’il existe
α, β > 0 tels que

∀x ∈ E, αkxk1 ≤ kxk2 ≤ βkxk1

Théorème 5.2.6 Deux normes sont équivalentes si et


seulement si elles définissent la même topologie.

Démonstration 5.2.6 Si deux normes sont équivalentes,


les distances associées aussi et donc elles définissent
578 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

la même topologie. Inversement, supposons que les


deux normes définissent la même topologie. Alors
IdE : (E, k.k1 ) → (E, k.k2 ) est linéaire continue, donc
il existe k ≥ 0 tel que ∀x ∈ E, kIdE (x)k2 ≤ kkxk1 soit
encore ∀x ∈ E, kxk2 ≤ kkxk1 et il est alors clair que
k 6= 0. De même avec IdE : (E, k.k2 ) → (E, k.k1 ), on peut
trouver un k 0 > 0 tel que ∀x ∈ E, kxk1 ≤ k 0 kxk2 , soit
1
∀x ∈ E, 0 kxk1 ≤ kxk2 ≤ kkxk1 .
k
5.2. Applications linéaires continues 579

5.2.4 Caractérisation des applications


bilinéaires continues
Théorème 5.2.7 Soit E1, E2 et F des espaces vectoriels
normés et u une application bilinéaire de E1 × E2 dans F .
Alors les conditions suivantes sont équivalentes
– (i) u est continue
– (ii) u est continue au point (0, 0)
– (iii) u est bornée sur B 0 (0, 1) × B 0 (0, 1)
– (iv) u est bornée sur S(0, 1) × S(0, 1)
– (v) il existe k ≥ 0 tel que ∀(x1 , x2 ) ∈ E1 ×
E2 , ku(x1 , x2 )k ≤ kkx1 k kx2 k
580 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Démonstration 5.2.7 Tout à fait similaire à celle ef-


fectuée pour les applications linéaires, sauf en ce qui
concerne (v)⇒(i) (car il n’y a plus l’intermédiaire (vi)).
Mais on a, si (a1 , a2 ) ∈ E1 × E2

u(x1 , x2 ) − u(a1 , a2 ) = u(a1 − x1 , a2 − x2 ) + u(x1 − a1 , a2 )


+u(a1 , x2 − a2 )

(facile) et donc, si (v) est vérifiée

ku(x1 , x2 ) − u(a1, a2 )k ≤ kka1 − x1 k ka2 − x2 k


+ kkx1 − a1 k ka2 k + kka1 k kx2 − a2 k

ce qui montre clairement la continuité (non uniforme)


de u au point (a1 , a2 ).
5.2. Applications linéaires continues 581

Exemple 5.2.1 La formule kv ◦ uk ≤ kvk kuk montre que


l’application bilinéaire de composition est continue sur les
espaces d’applications linéaires continues adéquats.
582 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

5.3 Espaces vectoriels normés de


dimensions finies

5.3.1 Equivalence des normes


Lemme 5.3.1 Toutes les normes sur Rn sont équivalentes.

Démonstration 5.3.1 Posons kxk = max |xi | et


montrons que toute autre norme N est équivalente
à cette norme. Soit (e1 , . . . en ) la baseXcanonique
de Rn et x ∈ Rn . On a N (x) = N ( xi ei ) ≤
X X
|xi |N (ei ) ≤ max |xi | N (ei ) = βkxk. On en déduit
i
5.3. Espaces vectoriels normés de dimensions finies 583

que |N (x) − N (y)| ≤ N (x − y) ≤ βkx − yk ce qui démontre


que l’application N : (Rn , k.k) → R est continue. Soit
S = {x ∈ Rn | kxk = 1} ; S est une partie compacte de
(Rn , k.k) (fermée bornée), donc l’application N y atteint
sa borne inférieure. Soit α = inf N (x) = N (x0 ). On a
x∈S
x0 6= 0 (car x0 ∈ S) donc α > 0. Alors, si x ∈ Rn , x 6= 0,
x x
on a ∈ S soit N ( ) ≥ α soit encore N (x) ≥ αkxk.
kxk kxk
On a donc trouvé α et β strictement positifs tels que
∀x ∈ Rn , αkxk ≤ N (x) ≤ βkxk, ce qu’il fallait démontrer.

Théorème 5.3.1 Sur un K-espace vectoriel normé de di-


mension finie toutes les normes sont équivalentes.
584 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Démonstration 5.3.2 Tout C-espace vectoriel normé


étant aussi un R-espace vectoriel normé, il suffit de le
montrer lorsque le corps de base est R. Soit N1 et N2
deux normes sur E ; soit E = (e1 , . . . , en ) une
X base de E
et u : Rn → E définie par u(x1 , . . . , xn ) = xi ei (u est
un isomorphisme d’espaces vectoriels). Alors N1 ◦ u et
N2 ◦ u sont deux normes sur Rn (facile), elles sont donc
équivalentes, et donc il existe α et β strictement positifs
tels que ∀x ∈ Rn , αN1 (u(x)) ≤ N2 (u(x)) ≤ βN1 (u(x)).
Mais tout élément de E s’écrivant sous la forme u(x), on
a, ∀y ∈ E, αN1 (y) ≤ N2 (y) ≤ βN1 (y), ce qu’il fallait
démontrer.
5.3. Espaces vectoriels normés de dimensions finies 585

5.3.2 Propriétés topologiques et métriques


des espaces vectoriels normés de di-
mension finie
Remarque 5.3.1 Tout C-espace vectoriel normé étant
aussi un R-espace vectoriel normé, il suffit de considérer le
cas où le corps de base est R. Soit (E, k.k) un espace vecto-
riel normé de dimension finie, soit E = (e1 , . . . , en ) une
Xbase
de E et u : Rn → E définie par u(x1 , . . . , xn ) = xi ei
(u est un isomorphisme d’espaces vectoriels). Alors
N : x 7→ ku(x)k est une norme sur Rn qui est équivalente à
la norme k.k∞ ; de plus l’application u : (Rn , N ) → (E, k.k)
est une isométrie ; on en déduit que (E, k.k) a, en tant
qu’espace vectoriel normé, les mêmes propriétés que
586 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

(Rn , k.k∞ ) c’est-à-dire

Théorème 5.3.2 Tout espace vectoriel normé de dimen-


sion finie est complet ; les parties compactes en sont les
fermés bornés.

Corollaire 5.3.1 Tout sous-espace vectoriel de dimension


finie d’un espace vectoriel normé est fermé.

Démonstration 5.3.3 Muni de la restriction de la norme,


il est complet, donc fermé.
5.3. Espaces vectoriels normés de dimensions finies 587

5.3.3 Continuité des applications linéaires


Théorème 5.3.3 Soit E et F deux espaces vectoriels
normés, E étant supposé de dimension finie. Alors toute
application linéaire de E dans F est continue.

Démonstration 5.3.4 Soit E = (e1 , . . . , en ) une base de


E ; comme toute les normes sur E sont équivalentes,X on peut
prendre la norme définie par kxk = sup |xi | si x = xi ei .
On a alors
X X
ku(x)k = k xi u(ei )k ≤ |xi | ku(ei )k
X
≤ kxk ku(ei )k = Kkxk
588 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Ceci montre la continuité de l’application linéaire u.

Remarque 5.3.2 Ce résultat s’étend sans difficulté aux


applications bilinéaires de E1 × E2 dans F à condition que
E1 et E2 soient de dimensions finies ; de même pour des
applications p-linéaires.
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 589

5.4 Compléments : le théorème de


Baire et ses conséquences
5.4.1 Le théorème de Baire
Théorème 5.4.1 (Baire). Soit E un espace métrique com-
plet
\ et (Un )n∈N une suite d’ouverts denses dans E. Alors
Un est encore dense dans E.
n∈N

Démonstration 5.4.1 Rappelons qu’une partie est dense


si et seulement si elle rencontre tout ouvert non vide. Soit
donc U un tel ouvert de E, soit x0 ∈ U ∩ U0 (qui est non
vide par densité de U0 et ouvert comme intersection de
590 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

deux ouverts). Soit r0 > 0 tel que B 0 (x0 , r0 ) ⊂ U ∩ U0 .


Supposons xn et rn construits et voyons comment nous
allons construire xn+1 et rn+1 . Comme Un+1 est dense
et B(xn , rn ) est un ouvert, Un+1 ∩ B(xn , rn ) est ou-
vert et non vide ; soit donc xn+1 ∈ Un+1 ∩ B(xn , rn ) et
rn
rn+1 < tel que B 0 (xn+1 , rn+1 ) ⊂ Un+1 ∩ B(xn , rn ) .
2
On construit ainsi une suite de boules fermées B 0 (xn , rn )
0 0 r0
telles que B (xn+1 , rn+1 ) ⊂ B (xn , rn ) avec rn < n .
2
Le
\ théorème des fermés emboı̂tés nous garantit que
B 0 (xn , rn ) 6= ∅ (car δ(B 0 (xn , rn )) < 2rn tend vers
n∈N
0). Mais on a B 0 (x0 , r0 ) ⊂ U ∩ U0 et pour n ≥ 1,
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 591
\
0
B (xn , rn ) ⊂ Un . On en déduit que U ∩ Un 6= ∅, ce qui
n∈N
achève la démonstration.

En passant au complémentaire, on obtient une version


équivalente

Théorème 5.4.2 (Baire). Soit E un espace métrique com-


plet et [
(Fn )n∈N une suite de fermés d’intérieurs vides de E.
Alors Fn est encore d’intérieur vide dans E.
n∈N

Exemple 5.4.1 On montre facilement qu’un sous-espace


vectoriel de E distinct de E est d’intérieur vide (exercice).
592 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

On en déduit que, si E, espace vectoriel normé de dimension


infinie, est complet, E (qui n’est pas d’intérieur vide) ne
peut pas être réunion dénombrable de sous-espaces vecto-
riels de dimension finie (dont on sait qu’ils sont fermés). En
particulier E ne peut pas admettre de base dénombrable.
C’est ainsi que R[X] (qui admet une base dénombrable)
n’est complet pour aucune norme.
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 593

5.4.2 Les grands théorèmes


Nous en citerons trois qui concernent tous des applica-
tions linéaires dans des espaces vectoriels normés complets.

Théorème 5.4.3 (Banach-Steinhaus). Soit E un espace


vectoriel normé complet et F un espace vectoriel normé.
Soit H un ensemble d’applications linéaires continues telles
que
∀x ∈ E, ∃Kx ≥ 0, ∀u ∈ H, ku(x)k ≤ Kx
Alors il existe K ≥ 0 tel que ∀u ∈ H, kuk ≤ K.

Démonstration 5.4.2 Posons pour x ∈ E, p(x) =


sup ku(x)k(≤ Kx ) et considérons En = {x ∈ E | p(x) ≤ n}.
u∈H
594 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Remarquons tout d’abord que En est fermé : en effet si (xq )


est une suite d’éléments de En qui converge vers x ∈ E, on
a pour tout u dans H, ∀q ∈ N, ku(xq )k ≤ n ; en faisant
tendre q vers +∞ et en utilisant la continuité de u, on
a encore ku(x)k ≤ n et donc x ∈ En . Maintenant notre
hypothèse implique que chaque x de E appartient à l’un
des En (par exemple pour n = E(Kx ) + 1). Donc E qui est
d’intérieur évidemment non vide est réunion d’une famille
de fermés. Le théorème de Baire implique que l’un des En
est d’intérieur non vide : soit donc N ∈ N, x0 ∈ E et r > 0
tel que B 0 (x0 , r) ⊂ EN . Prenons alors x ∈ B 0 (0, 1) et u ∈ H.
Alors x0 + rx ∈ B 0 (x0 , r) et donc ku(x0 + rx)k ≤ N . Mais
1 1
alors ku(x)k = ku(x0 +rx)−u(x0 )k ≤ (N +ku(x0 k) = K.
r r
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 595

On a donc ∀u ∈ H, kuk ≤ K.

Remarque 5.4.1 Sous les mêmes hypothèses, on mon-


tre alors facilement qu’une limite simple d’applications
linéaires continues est encore continue (attention à l’hy-
pothèse E complet) ; en effet le théorème de Banach
Steinhaus implique que la suite est équicontinue (le module
de continuité en x0 , η(ε, x0 ), ne dépend pas de n) et
on montre simplement qu’une limite simple d’une suite
équicontinue est continue.

Théorème 5.4.4 (théorème de Banach). Soit E et F deux


espaces vectoriels normés complets, et u : E → F linéaire,
596 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

continue, bijective. Alors u−1 est encore continue.

Démonstration 5.4.3 On va montrer que u(B 0 (0, 1)) ⊂


F contient une boule de centre 0 dans F , B 0 (0, r1 ). On aura
alors B 0 (0, r1) ⊂ u(B 0 (0, 1)), soit u−1 (B 0 (0, r1 )) ⊂ B 0 (0, 1)
r1
et donc si y ∈ F avec kyk ≤ 1, on aura u−1 ( y) ∈ B 0 (0, 1)
2
2
soit encore ku−1 (y)k ≤ ce qui montrera que u−1 est
r1
continue. [
Soit r > 0. On a E = nB 0 (0, r), on en déduit
[ n∈N
0
que F = u(E) = nu(B (0, r)) et a fortiori F =
n∈N
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 597
[
nu(B 0 (0, r)). L’espace vectoriel normé complet F
n∈N
qui est son propre intérieur est réunion d’une famille
dénombrable de fermés ; donc l’un d’entre eux (Baire) est
d’intérieur non vide. Mais si nu(B 0 (0, r)) est d’intérieur
non vide, il en est de même de u(B 0 (0, r)). Soit donc
y0 ∈ F et ρ > 0 tel que B 0 (y0 , ρ) ⊂ u(B 0 (0, r)). On a aussi
(puisque l’application x 7→ −x laisse invariante B 0 (0, r)),
B 0 (−y0 , ρ) ⊂ u(B 0 (0, r)), et alors, si y ∈ B 0 (0, ρ),

2y = (y − y0 ) + (y + y0 ) ∈ B 0 (−y0 , ρ) + B(y0 , ρ0 )

or

B 0 (−y0 , ρ)+B(y0 , ρ0 ) ⊂ u(B 0 (0, r))+u(B 0 (0, r)) ⊂ u(B 0 (0, 2r))
598 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

(facile) et donc y ∈ u(B 0 (0, r)). On a donc trouvé, pour


tout r > 0 un ρ > 0 tel que B 0 (0, ρ) ⊂ u(B 0 (0, r)). Les
translations étant des homéomorphismes, on a évidemment
pour tout x ∈ E, B 0 (u(x), ρ) ⊂ u(B 0 (x, r)).

Montrons alors que sous ces hypothèses B 0 (0, ρ) ⊂


u(B 0 (0, 2r)). Soit en effet y ∈ B 0 (0, ρ). Soit ρn le réel
r
associé à n par la propriété ci dessus. Quitte à remplacer
2
les ρn par des réels plus petits, on peut supposer que
ρn tend vers 0. On va construire un élément xn de E
r
par récurrence de manière à vérifier kxn+1 − xn k ≤ n
2
et ky − u(xn )k ≤ ρn . On pose x0 = 0 ; supposons xn
r
construit. On a donc y ∈ B 0 (u(xn ), ρn ) ⊂ u(B 0 (xn , n ))
2
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 599
r
et donc on peut trouver un point xn+1 ∈ B 0 (xn , n
) tel
2
que ky − u(xn+1 )k ≤ ρn+1 , soit y ∈ B 0 (u(xn+1 ), ρn+1 ),
ce qui achève la construction par récurrence. On a donc
r
pour tout n, kxn+1 − xn k ≤ n et ky − u(xn )k ≤ ρn . On
2
r r r r
a kxn+p − xn k ≤ n + n+1 + . . . + n+p−1 ≤ n−1 , ce
2 2 2 2
qui montre que la suite (xn ) est une suite de Cauchy.
Comme E est complet, elle converge. Soit x sa limite. On a
kx − x0 k ≤ 2r d’après l’inégalité ci dessus pour n = 0 et p
tendant vers +∞. D’autre part l’inégalité ky − u(xn )k ≤ ρn
et la continuité de u nous montrent que y = u(x), donc y
appartient à u(B 0 (0, 2r)).
ρ
On a alors aussi B 0 (0, ) ⊂ u(B 0 (0, 1)), ce qui montre
2r
600 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

comme on l’a remarqué, que u−1 est continue.

Théorème 5.4.5 (théorème du graphe fermé). Soit E et


F deux espaces vectoriels normés complets, et u : E → F
linéaire. Alors u est continue si et seulement si son graphe
est fermé dans E × F .

Démonstration 5.4.4 Supposons tout d’abord que u est


continue et soit (xn , u(xn )) une suite du graphe qui converge
vers (x, y) ∈ E × F . Alors lim xn = x et par continuité
de u, lim u(xn ) = u(x) ; mais alors l’unicité de la limite
nécessite y = u(x), donc (x, y) est encore dans le graphe de
u, ce qui montre bien que le graphe est fermé (il s’agit là
5.4. Compléments : le théorème de Baire et ses
conséquences 601

d’une propriété tout à fait générale des espaces métriques,


mais la réciproque est fausse en général). Supposons main-
tenant que u est linéaire de graphe Γ fermé. Alors Γ est un
sous-espace vectoriel fermé de E × F , donc il est complet.
L’application Γ → E, (x, u(x)) 7→ x est linéaire continue
et bijective. D’après le théorème de Banach, sa réciproque
x 7→ (x, u(x)) est continue et donc x 7→ u(x) aussi.

Remarque 5.4.2 Il s’agit d’une technique importante ; il


est en effet considérablement plus facile de montrer qu’un
graphe est fermé plutôt qu’une continuité ; si (xn ) est une
suite de limite x, il s’agit de montrer non plus que la suite
u(xn ) converge vers u(x) mais plutôt que la suite u(xn ) ne
602 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

peut pas avoir d’autre limite que u(x) ; un exemple typ-


ique d’application linéaire de graphe fermé est la dérivation
pour la topologie de la convergence uniforme : le théorème
de dérivation des suites uniformément convergentes ne fait
que traduire la fermeture du graphe (si la suite des dérivées
converge uniformément, alors c’est vers la dérivée de la
limite) ; attention cependant que la dérivation n’est pas
continue pour la topologie de la convergence uniforme (le
théorème du graphe fermé ne s’applique pas car l’espace
des applications C 1 n’est pas complet).
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 603

5.5 Compléments : convexité dans


les espaces vectoriels normés de di-
mension finie
5.5.1 Jauge d’un convexe
Soit E un espace vectoriel normé réel et K un convexe
borné qui contient 0 dans son intérieur. On définit alors une
application jK de E dans R+ par
x
jK (x) = inf{λ > 0 | ∈ K}
λ
Cette définition a bien un sens, car si B(0, r) ⊂ K, on a
x kxk
∈ B(0, r) ∈ K dès que λ > .
λ r
604 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Définition 5.5.1 La fonction jK est appelée la jauge du


convexe K.

Proposition 5.5.1 Soit E un espace vectoriel normé réel


et K un convexe borné qui contient 0 dans son intérieur.
Alors l’application jK vérifie
– (i) jK (x) = 0 ⇐⇒ x = 0
– (ii) jK (µx) = µjK (x) si µ ≥ 0
– (iii) jK (x + y) ≤ jK (x) + jK (y)
Si de plus K = −K, alors jK est une norme.
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 605

Démonstration 5.5.1 ((i)) Puisque K est borné, soit


M ≥ 0 tel que ∀y ∈ K, kyk ≤ M . Si jK (x) = 0, il ex-
x
iste une suite λn tendant vers 0 telle que ∈ K, soit
λn
kxk ≤ M λn . On a donc x = 0. La réciproque est évidente.
x µx
((ii)) est évident puisque ∈ K ⇐⇒ ∈K
λ µλ
x y
((iii)) Supposons que et appartiennent à K.
λ µ
Comme K est convexe, λ et µ positifs, on a aussi
1 x y x+y
(λ + µ ) ∈ K soit encore ∈ K. On a donc
λ+µ λ µ λ+µ

x y x+y
{λ > 0 | ∈ K}+{µ > 0 | ∈ K} ⊂ {ν > 0 | ∈ K}
λ µ ν
606 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

En prenant les bornes inférieures on a donc jK (x + y) ≤


jK (x) + jK (y).
Si de plus, K = −K, on a jK (−x) = jK (x) et donc
∀µ ∈ R, jK (µx) = |µ|jK (x) qui était la seule propriété des
normes qui manquait.

Remarque 5.5.1 On a évidemment, x ∈ K ⇒ jK (x) ≤ 1


et jK (x) < 1 ⇒ x ∈ K, autrement dit BjK (0, 1) ⊂ K ⊂
Bj0 K (0, 1) ; si on suppose de plus que K est fermé, on a
facilement K = Bj0 K (0, 1) ; autrement dit un convexe, fermé,
borné et équilibré (K = −K) est une boule fermée pour une
certaine norme ; la réciproque étant évidente.
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 607

5.5.2 Projection sur un convexe fermé


Théorème 5.5.1 Soit E un espace euclidien et K une par-
tie non vide, convexe fermée de E ; pour tout x de E, il
existe un unique élément pK (x) de K tel que d(x, pK (x)) =
d(x, K). Pour y ∈ K, on a

y = pK (x) ⇐⇒ ∀z ∈ K, (x − y | z − y) ≤ 0

Démonstration 5.5.2 Nous allons donner une démonstration


de ce résultat qui ne fera pas appel à la dimension finie de
E, mais uniquement au fait qu’il est complet. Soit (yn ) une
1
suite de K qui vérifie kx − yn k2 ≤ d(x, K)2 + . L’égalité
n
608 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

de la médiane nous donne alors

kyp − yq k2
= k(yp − x) − (yq − x)k2
= 2kyp − xk2 + 2kyq − xk2 − k(yp − x) + (yq − x)k2
yp + yq
= 2kyp − xk2 + 2kyq − xk2 − 4k − x)k2
2
1 1
avec kx − yp k2 ≤ d(x, K)2 + et kx − yq k2 ≤ d(x, K)2 + .
p q
yp + yq yp + yq
Mais comme K est convexe, ∈ K et donc k −
2 2
1 1
x)k2 ≥ d(x, K)2 . On a donc kyp − yq k2 ≤ 2( + ). La suite
p q
(yn ) est une suite de Cauchy dans E, donc elle converge.
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 609

Soit y sa limite dans E. Comme K est fermé, on a y ∈


K et on a évidemment en passant à la limite à partir de
1
d(x, K)2 ≤ kx − yn k2 ≤ d(x, K)2 + , l’égalité d(x, K) =
n
d(x, y).
Soit y ainsi trouvé et soit z ∈ K. Pour tout t ∈ [0, 1],
(1 − t)y + tz ∈ K et donc kx − (1 − t)y − tzk2 ≥ kx − yk2 . En
développant, on obtient t2 ky − zk2 − 2t(x − y | z − y) ≥ 0.
Pour t ∈]0, 1] on a donc tky − zk2 − 2(x − y | z − y) ≥ 0 et
en faisant tendre t vers 0, on obtient (x − y | z − y) ≤ 0.
Inversement supposons que ∀z ∈ K, (x−y | z−y) ≤ 0.
Alors
kx − zk2 = k(x − y) − (z − y)k2
= kx − yk2 + kz − yk2 − 2(x − y | z − y)
610 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

≥ kx − yk2

avec égalité si et seulement si z = y. Ceci montre à la fois


que d(x, y) = d(x, K) et que y est unique.

Remarque 5.5.2 La condition (x − y | z − y) ≤ 0 corre-


spond géométriquement à : l’angle (−
→ −
yx, → est obtus.
yz)
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 611

angle obtus

z
612 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

5.5.3 Hahn-Banach (version géométrique)


Remarque 5.5.3 Il existe plusieurs théorèmes à la Hahn
Banach. Certains sont de type analytique et concernent des
propriétés de prolongement de formes linéaires ou de semi-
normes d’un sous-espace vectoriel à l’espace tout entier.
D’autres sont de type géométrique et concernent des pro-
priétés de séparation d’un convexe et d’un point ou de deux
convexes. Nous avons choisi ici d’en présenter une version
géométrique simple.

Théorème 5.5.2 Soit E un espace vectoriel normé de di-


mension finie, K un convexe fermé non vide et x ∈ / K.
Alors il existe un hyperplan affine qui sépare strictement
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 613

x et K, c’est-à-dire que x et K sont dans les deux demi-


espaces ouverts définis par l’hyperplan.

Démonstration 5.5.3 Puisque toutes les normes sont


équivalentes, on peut supposer que E est muni d’une
norme euclidienne. Soit alors y la projection de x sur
le convexe K. L’hyperplan médiateur du segment [x, y]
convient évidemment.
614 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

angle
obtus

z
H

Remarque 5.5.4 Une autre façon de formuler le théorème


est de dire que si K est un convexe fermé et x ∈
/ K, il existe
une forme linéaire f sur E telle que f(x) < inf f (y).
y∈K
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 615

Corollaire 5.5.1 Soit E un espace vectoriel normé de di-


mension finie, K1 un convexe compact non vide et K2 un
convexe fermé non vide tels que K1 ∩ K2 = ∅. Alors
(i) il existe un hyperplan H qui sépare strictement K1 et
K2
(ii) il existe une forme linéaire f telle que sup f (x) <
x∈K1
inf f (x)
x∈K2

Démonstration 5.5.4 La fonction x 7→ d(x, K2 ) est con-


tinue sur le compact K1 , donc atteint sa borne inférieure
en x0 . Il suffit alors d’appliquer la méthode précédente à x0
et à K2 .
616 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

5.5.4 L’enveloppe convexe : Carathéodory


et Krein Millman
Définition 5.5.2 Soit E un R-espace vectoriel et A une
partie de E. L’ensemble des convexes contenant A admet
un plus petit élément appelé l’enveloppe convexe de A : c’est
encore l’ensemble des barycentres à coefficients positifs de
points de A.

Démonstration 5.5.5 L’intersection de tous les convexes


contenant A est encore un convexe contenant A et c’est le
plus petit. L’ensemble des barycentres à coefficients positifs
de points de A est un convexe (les barycentres à coefficients
positifs de barycentres à coefficients positifs sont encore des
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 617

barycentres à coefficients positifs) contenant A donc il con-


tient l’enveloppe convexe ; mais comme celle-ci est stable
par barycentrage à coefficients positifs, elle doit contenir
tout barycentre à coefficients positifs de points de A, d’où
l’égalité.

Théorème 5.5.3 (Carathéodory). Soit n = dim E. Alors


l’enveloppe convexe de A est encore l’ensemble des barycen-
tres à coefficients positifs de n + 1 points de A.

Démonstration 5.5.6 Il suffit évidemment de démontrer


que si x est barycentre à coefficients positifs de p ≥ n + 2
points de A, c’est encore un barycentre à coefficients positifs
618 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

p
X
de p − 1 points de A. Soit donc x = λi xi avec λi ≥ 0 et
X i=1
λi = 1. La famille (xi − xp )1≤i≤p−1 de E est une famille
de p − 1 ≥ n + 1 éléments dans E de dimension n, donc elle
est liée. On peut trouver α1 , . . . , αp−1 non tous nuls tels que
p−1
X
αi (xi − xp ) = 0. Posons αp = −(α1 + . . . + αp−1 ). On a
i=1
p p
X X
donc αi xi = 0 avec αi = 0. Soit t ∈ R+ . On a alors
i=1 i=1
p p
X X
x= (λi − tαi )xi avec (λi − tαi ) = 1. Il suffit alors de
i=1 i=1
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 619

choisir t de telle sorte que ∀i, λi − tαi ≥ 0 avec pour un


certain i0 , λi0 − tαi0 = 0 pour aboutir au résultat souhaité.
Or, si αi ≤ 0, on a évidemment λi − tαi ≥ 0. Il suffit donc
λi
de considérer les αi > 0 et de prendre t = min{ | αi >
αi
λi
0} = 0 .
αi0

Corollaire 5.5.2 Soit E un R-espace vectoriel de dimen-


sion finie et A une partie compacte de E. Alors l’enveloppe
convexe de A est encore compacte.
620 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Démonstration 5.5.7 Soit n = dim E,


X
n+1
C = {(λ1, . . . , λn+1 ) ∈ R | ∀i, λi ≥ 0 et λi = 1}

C est une partie compacte de Rn+1 (car fermée et


bornée dans un espace vectoriel normé de dimen-
sion finie) et l’enveloppe convexe de A est l’image de
l’application continue ϕ : C × An+1 → E définie par
n+1
X
ϕ(λ1 , . . . , λn+1 , x1 , . . . , xn+1 ) = λi xi . Comme C × An+1
i=1
est compacte, cette image est compacte.

Remarque 5.5.5 Soit maintenant K un convexe. On peut


essayer de trouver une partie minimale de K qui engendre
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 621

K, c’est-à-dire dont K soit l’enveloppe convexe. Une telle


partie doit évidemment contenir les points de K qui ne
sont pas barycentres d’autres points de K (autrement que
de façon triviale). Nous allons voir que pour un convexe
compact, ces points suffisent presque à engendrer K.

Définition 5.5.3 Soit K un convexe. Un point x de K est


dit un point extrémal de K si on a

∀y, z ∈ K, x ∈ [y, z] ⇒ x = y ou x = z

Un sous-ensemble S de K est dit extrémal si

∀y, z ∈ K, ]y, z[∩S 6= ∅ ⇒ y ∈ S et z ∈ S


622 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

Lemme 5.5.1 Soit K un convexe compact, f une forme


linéaire sur E, µ = sup f (x). Alors K 0 = {x ∈ K | f (x) =
x∈K
µ} est un sous-ensemble compact extrémal de K.

Démonstration 5.5.8 En effet, soit y, z ∈ K, x ∈


]y, z[∩K 0 ; on a f (x) = µ avec x = ty + (1 − t)z et t ∈]0, 1[.
Alors µ = tf (y) + (1 − t)f(z) avec t > 0, 1 − t > 0,
f(y) ≤ µ, f (z) ≤ µ ; ceci n’est possible que si f (y) = µ et
f(z) = µ, soit y ∈ K 0 et z ∈ K 0 .

Théorème 5.5.4 (Krein-Millman). Soit E un R-espace


vectoriel de dimension finie et K un convexe compact de
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 623

E. Alors K est l’adhérence de l’enveloppe convexe de ses


points extrémaux.

Démonstration 5.5.9 Nous montrerons ce résultat par


récurrence sur dim E (le cas de la dimension 1 est laissé
au lecteur). Soit P l’ensemble des compacts extrémaux non
vides de K. Remarquons que tout intersection d’éléments de
P est soit vide, soit encore dans P. Soit S ∈ P. Montrons
tout d’abord que S contient un point extrémal. Si toute
forme linéaire f est constante sur S, alors S est un sin-
gleton réduit à un point extrémal. Sinon, soit f une forme
linéaire non constante sur S, µ = sup f (x) et S 0 = {x ∈ S |
x∈S
0
f(x) = µ}. Alors S est un sous ensemble convexe compact
624 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

de l’hyperplan H d’équation f (x) = µ. En vectorialisant


cet hyperplan, on obtient par récurrence que S 0 admet un
point extrémal x.
Montrons par l’absurde que x est un point extrémal de
K. Si x ∈]y, z[ avec y, z ∈ K, on a ]y, z[∩S 6= ∅, donc y ∈ S
et z ∈ S. Mais comme S 0 est un sous-ensemble extrémal de
S et ]y, z[∩S 0 6= ∅, on a y, z ∈ S 0 ; ceci contredit le fait que
x soit un point extrémal de S 0 . On a donc montré que toute
partie compacte extrémale contenait un point extrémal.
Soit donc K0 l’adhérence de l’enveloppe convexe des
points extrémaux de K. On a K0 ⊂ K et puisque tout
ensemble extrémal contient un point extrémal, K0 rencon-
tre tout ensemble extrémal. Supposons que K0 6= K et
soit x ∈ K \ K0 . D’après le théorème de Hahn Banach,
5.5. Compléments : convexité dans les espaces vectoriels
normés de dimension finie 625

il existe une forme linéaire f telle que f(x) > sup f (y).
y∈K0
Soit µ = sup f (z) et S = {z ∈ K | f (z) = µ}. S est
z∈K
non vide (une fonction continue sur un compact atteint sa
borne supérieure), extrémal d’après le lemme précédent et
S ∩ K0 = ∅ (car si y ∈ K0 , f (y) < f (x) ≤ µ). Donc S
est un sous-ensemble extrémal qui ne contient aucun point
extrémal. C’est absurde. Donc K = K0 .

Exemple 5.5.1 Un polygone et plus généralement un


polyèdre est enveloppe convexe de ses sommets.

Remarque 5.5.6 En dimension finie, on peut affiner le


626 Chapitre 5. Espaces vectoriels normés

résultat en montrant qu’en fait K est l’enveloppe convexe


de ses points extrémaux, et pas seulement l’adhérence de
l’enveloppe convexe. Ceci nécessite une version plus fine de
Hahn-Banach.
Cours de mathématiques
0100100010000100
1011011101111011
0100100010000100
par Denis Monasse Ed.1011011101111011
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Table des matières 0100100010000100
1011011101111011
0100100010000100
• Plan général • Séries entières 1011011101111011
0100100010000100
• Algèbre générale • Formes quadratiques1011011101111011
0100100010000100
• Algèbre linéaire • Formes hermitiennes1011011101111011
0100100010000100
• Réduction des endomorphismes • Séries de Fourier 1011011101111011
0100100010000100
• Topologie des espaces métriques • Calcul différentiel1011011101111011
1.234,00 0100100010000100
• Espaces vectoriels normés • Equations différentielles
43.009,45 1011011101111011
0100100010000100
• Comparaison des fonctions • Espaces affines 1011011101111011
96.000.000 0100100010000100
• Suites et séries numériques
100.230,00 • Courbes 1011011101111011
0100100010000100
• Fonctions d’une variable réelle
1.234,00 • Surfaces 1011011101111011
0100100010000100
• Intégration
43.009,45 • Intégrales multiples
1011011101111011
0100100010000100
96.000.000
• Suites et séries de fonctions • Index 1011011101111011
0100100010000100

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