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MÉDIATHÈQUE de CHÂTEAUNEUF

Journal
des lecteurs

« Books are lighthouses erected in the great sea of time »


(Les livres sont des phares dans la grande mer du temps)
Edwin Percy Whipple

Novembre 2022 N° 46


Sommaire

L’autre moitié du monde, de Laurine Roux .................................4


Un homme sans titre, de Xavier Le Clerc......................................5
Un jour viendra couleur d’orange, de Grégoire Delacourt .........6
Le livre des heures, d’Anne Delaflotte Mehdevi ............................7
Le Metropol, d’Eugen Ruge ...........................................................8
Trois étages, d’Eshkol Nevo...........................................................9
Les grandes marées, de Jim Lynch ..............................................10
La nuit des pères, de Gaëlle Josse ...............................................11
Nous nous aimions, de Kethevane-Davrichewy ..........................12
On était des loups, de Sandrine Collette ....................................13
Gros plan sur Sofi Oksanen ..........................................................14
Le parc à chiens
Purge
Quand les colombes disparurent
Gros plan sur René Frégni ...........................................................16
Coups de cœur
L’été des oranges amères, de Claire Fuller ..............................18
Femmes en colère, de Mathieu Menegaux................................18
La commode aux tiroirs de couleurs, d’Olivia Ruiz ...............19
Quand tu écouteras cette chanson, de Lola Lafon ..................19
BD, romans graphiques
Céleste. Bien sûr, monsieur Proust, de Chloé Cruchaudet ....20
T’Zée une tragédie africaine, par Appollo et Brüno ...............21
BD Coups de cœur
La guerre invisible, par Frank Giroud et Olivier Martin..........22
La princesse des glaces / le prédicateur/ le tailleur de pierre,
par Léonie Bischoff, Olivier Bocquet........................................22
Djemnah : les ombres corses,
par Philippe Donadille et Patrick Réglat Vizzanova..................23
Édito

“ Après avoir bien profité d’un été qui a joué les prolongations, le
temps de l’automne est venu avec son lot de questionnements :
que va-t-il advenir de la planète ? Comment allons-nous vivre la
« sobriété » énergétique imposée par la situation mondiale ?
C’est le temps du repli et de la réflexion pour une meilleure action :
faut-il faire des provisions ?
De livres, oui, sans aucun doute… Ils vont nous aider, nous éclairer ou
nous distraire. Jamais, ils n’ont été aussi indispensables face à une
information hachée et parcellaire.
Les thèmes abordés dans ce numéro reflètent nos préoccupations et
prennent souvent racine dans l’histoire : Nous nous aimions, le Metropol,
le Parc à chiens se déroulent sur fond de guerre et d’exil.
Mais vous allez également pouvoir vous réfugier en montagne avec « La
nuit des pères », « On était des loups » ou au bord des « Grandes marées »
comme si la nature, même hostile, devenait un lieu d’évasion et de
renaissance.
Et puis, des surprises, des Bandes Dessinées, toujours plus nombreuses
et diversifiées : T’Zée, Céleste qui vont vous étonner…
N’oubliez pas le Prix littéraire Marie-Anne Rouan (ce Journal lui doit
beaucoup) qui sera décerné au mois de juin par le jury et son président
René Frégni !
Alors ne vous refermez pas sur vous-mêmes, ouvrez un livre car « Les
livres restent, en définitive, avec le feu, la seule façon de combattre les


ténèbres ». ( Mathias Enard)

Marie-Claude
L’autre moitié du monde
Laurine Roux
Éditions du Sonneur

L’auteure nous transporte en Espagne dans le delta de l’Èbre, au


début des années 30.
Toya, une jeune fille de 12 ans, y grandit entre ses parents : Juan qui
trime dans les rizières et Pilar sa mère, cuisinière au château, exploitée et
abusée. Elle vit au grand air, sans fréquenter l’école, au contact de la
nature, des marais et de la faune.
Le château et les terres appartiennent à la famille Ibañez – une famille
riche composée de la méprisante Marquise dona Serena, son mari don
Ignacio et leur fils Carlos, un être répugnant. Ils maltraitent les paysans
qui s’éreintent dans les terres ingrates de l’Ebre, mais ailleurs dans le
pays, la révolte gronde. Petit à petit, les esprits s’échauffent jusqu’au
moment où un événement tragique accélère le tout… Toya, elle,
rencontre les mots et la musique grâce à la figure de l'instituteur,
Horatio ; son univers va être bousculé par la mort autant que par l'amour.
Lumineuse sauvageonne, espiègle et curieuse, elle reste de bout en bout
le « fil conducteur » du récit.
Laurine Roux s’est emparée de son histoire familiale pour réussir une
fresque historique à travers un petit bout d’Espagne qui reflète ce qui se
joue dans le pays et bientôt dans le monde : la création des syndicats et
la révolution sociale de 1936. Il y est question de liberté, celle qui se
conquiert puis se défend avec acharnement. Et puis d'amour, envers et
contre tout.
L’écriture est magique, à la fois sensuelle et tragique pour une histoire
et une héroïne qu’on n’oublie pas ! À lire !
Ce livre a reçu le prix Orange 2022
Marie-Claude

4
Un homme sans titre
Xavier Le Clerc
Gallimard

Sur le bandeau du livre (et à la fin), une photographie nous capte,


choisie par l'auteur : celle d'un bel homme de 25 ans au regard fier et
doux. Pendant la lecture, on s'y reporte souvent, comme aimanté. C'est la
photo officielle de son père. Elle est de 1962, date de l'indépendance de
l'Algérie, quand le père a fait la traversée de la Méditerranée, avec en
poche un certificat d'embauche déjà actée : sur les chantiers de France,
on avait besoin de bras et lui, avait hâte de partir. Mohand-Saïd Aït-Taleb
est un berbère de Kabylie ; il est analphabète.
En quête de ses racines, l'auteur, né en 1979 en Kabylie mais vite
emmené en France, a voulu connaître les conditions de vie de son père
sur cette terre déshéritée, d'où le grand-père et un grand oncle étaient
partis pour mourir à Verdun en 1940. Il avait 3 ans en 1939 quand le
jeune journaliste Albert Camus est venu en Kabylie faire le constat ter-
rible d'une terre caillouteuse où on mourait de faim. La lecture de ses
articles supplée aux souvenirs retenus par un père mutique, qui a bien
été un de ces « enfants les mains décharnées, tendues à travers les
haillons » qui ont bouleversé Camus, « un môme qui n'irait jamais à
l'école » dit le fils qui, lui, l'a tant aimée.
En France désormais, il faut tête baissée accepter cette autre vie, aux
conditions pourtant dures : les chantiers, la métallurgie, le logement som-
maire, les enfants en nombre ; la peur du manque le hante. Avec une cou-
sine cherchée au bled, ils en ont neuf, dont ce fils pas comme les autres,
qui abrite sa différence dans les livres, la poésie et les études ; qui ose
entrevoir l'autre vie que son père aurait pu avoir s'il avait su franchir la
barrière de son identité, aimer et être aimé en France ; qui n'a aucun sen-
timent de trahison, loin de là, quand il décide de franciser son nom en le
traduisant. « Je dois tout à la France… ». Pourquoi Xavier ?*
Livre choc de la rentrée littéraire ? Ce récit de petit format, mais de
grande portée humaine aurait mérité cette qualification !
Nicole
*Xavier Le Clerc : constatant une discrimination à l'embauche, Hamid Aït-Taleb (né en
1979) a demandé la francisation de son nom.

5
Un jour viendra couleur d’orange
Grégoire Delacourt
Grasset

L’action se déroule pendant la période des gilets jaunes, Pierre, le


père de Geoffroy, est révolté et survolté par tout ce qui se passe autour
de lui dans la société.
C’est un homme perdu et blessé, il n’arrive plus à communiquer avec
Louise, sa femme, son grand amour, depuis la naissance de leur fils,
Geoffroy, ce fils qui lui paraît inaccessible.
Geoffroy est un jeune garçon de 13 ans, il ne comprend la vie que par
les chiffres et les couleurs.
Louise est une maman très aimante et qui assume pour deux l’autisme
de son fils. Elle travaille beaucoup à l’hôpital où elle continue à donner
du bien-être et un tant soit peu du bonheur à ceux qui sont en fin de vie.
Djamila se prend d’amitié pour Geoffroy, elle l’aide à combattre les
autres qui ne supportent pas que l’on puisse être différent. Elle, jeune
fille adulée par un père faible qui ne se remet pas de la perte de sa
femme, mais surtout soeur de frères qui cherchent à l’enfermer dans un
monde dont elle ne veut pas.
À eux deux (Geoffroy et Djamila) arriveront-ils à surmonter les
épreuves de la vie et d’un monde si peu tolérant ?
C’est un livre qui traite de beaucoup de sujets d’actualités, qui ne
laisse pas indifférent et nous fait réfléchir sur le monde qui nous entoure.
Brigitte

6
Le livre des heures
Anne Delaflotte Mehdevi
Buchet Chastel

e
Nous sommes transportés dans le XV siècle de 1468 à 1499.
Marguerite, fille et petite-fille d'enlumineurs, vit sur le pont Notre-
Dame. Son frère jumeau est épileptique. Marguerite le veille, le maintient
littéralement en vie. Mais sa mère lui en veut beaucoup d'être une fille :
elle préférerait que ce soit elle, la malade, plutôt que son fils. Elle harcèle
et accable sa fille. Marguerite a une échappatoire : toute petite, elle
découvre avec émerveillement la couleur dans l’atelier d'enluminure où
travaillent son père, son grand-père et de nombreux copistes. Au début,
elle se cache dans un coin de l’atelier mais peu à peu, elle apprend en
regardant, et gagne sa place dans ce monde masculin.
Sa mère ne le supporte pas et veut la marier dès ses 16 ans.
Marguerite résiste mais elle finit par céder à certaines conditions,
notamment celle de poursuivre son travail de copiste.
Elle montre vite des dispositions pour la peinture et se fabrique son
propre « livre d'heures ». Art de la minutie, art de l'imagination, art du
geste, c'est tout un univers de couleurs déployé aux yeux du lecteur.
Chaque jour elle traverse l'île de la Cité, de l'atelier d'enluminure à la
boutique de son parrain où elle vient s'approvisionner en pigments.
C’est là que la jeune femme, devenue veuve rapidement, va faire une
rencontre qui pourrait bien bouleverser sa vie…
Un très joli roman sur la condition féminine à la fin du Moyen-Âge,
société encore patriarcale mais qui nous laisse entrevoir le destin diffé-
rent de cette jeune femme qui veut vivre pleinement ses passions.
Une vision tout à fait contemporaine de la place des femmes, tout cela
dans une belle écriture très limpide.
Marie-Claude
Anne Delaflotte-Mehdevi en 2008, avait publié « La relieuse du gué », son premier
roman.

7
Le Metropol
Eugen Ruge
Jacqueline Chambon

À Moscou, en 1936, démarrent les grandes purges staliniennes.


Poursuivie pour sa participation en 1923 à l'insurrection communiste
de Hambourg, déchue de sa nationalité, Charlotte s'était enfuie, devenant
apatride. Wilhem, déjà installé à Moscou, lui avait trouvé un travail à ses
côtés dans les services de renseignements du Kommintern, fer de lance
de l'Internationale communiste.
Après y avoir travaillé des années, Charlotte et Wilhem ont du mal à
croire qu'on ait pu découvrir en eux des traîtres. Que peut signifier
d'autre pourtant cette assignation à résidence en plein Moscou, dans le
superbe hôtel Metropol ? Ils n'y sont pas seuls ; d'autres Européens et des
personnalités du régime occupent eux aussi les chambres confortables.
Ils cherchent à se rassurer ; d'ailleurs ils ne sont même pas prison-
niers, ils touchent encore assez d'argent pour se nourrir, aller même au
restaurant, ce qui réussit à les calmer un temps. Mais vite, livrés à eux-
mêmes, désœuvrés, ils gambergent, à la lecture dans la presse des
comptes rendus de procès d'anciens amis ; à l'écoute de bruits nocturnes ;
à la disparition de voisins de chambre. De quoi sont-ils coupables ?
Eugen Ruge, né en 1954 en URSS, revendique avoir écrit un roman
fondé sur des faits réels : le dossier sur sa grand-mère, retrouvé après la
chute du Mur, ne contient qu'une lettre écrite par elle du Metropol, où
le couple est resté 477 jours ! « J'invente, je présume, car raconter n'est
rien d'autre : tester si ça a vraiment pu se passer ainsi ».
Traduit de l'allemand, ce roman d'une exceptionnelle vitalité éclaire
la grande histoire. Un roman « saisissant, subtil, haletant » a-t-on pu lire
à son propos.

Nicole

8
Trois étages
Eshkol Nevo
Gallimard

C'est 2011. En arrière-plan, la société israélienne passablement


conflictuelle, hantée par ses secrets, est en train de subir des révoltes
menées surtout par les jeunes contre la cherté des logements et en faveur
de plus de justice sociale. Des « villages des tentes » poussent à Tel-Aviv
sur le boulevard Rothschild.
Au premier plan, un petit immeuble de trois étages que l'on a pu com-
parer aux trois divisions freudiennes, le ça, le moi et le surmoi - tant les
trois individus qui s'y racontent, se confessent ou tentent de se justifier,
semblent incarner les trois étapes du développement humain. D'abord
Arnon, ancien soldat, en proie à ses pulsions, qui soupçonne à tort son
voisin de pédophilie et finit par y tremper lui-même ; ensuite au second
Hani, grande mécontente qui lors de l'absence de son mari accueille son
beau-frère, mouton noir et escroc notoire, recherché à la fois par la poli-
ce et la pègre – tout en sachant que c'est la dernière chose à faire. En haut
au troisième, se trouve Déborah, veuve, juge retraitée, dont la vie était
réglée jusque-là par la raison et le qu'en-dira-t-on plutôt que par les sen-
timents.
Ces trois personnes, narrateurs pas tout à fait fiables, se confient à un
proche absent, donc à nous autres, lecteurs, et nous sommes suspendus
à leurs lèvres.
Tandis qu'Arnon et Hani restent où ils sont et feront face, ou pas, aux
conséquences de leurs actes, Déborah opte pour le changement et le
risque en décidant d'abord de se joindre aux manifestants en révolte et
de les aider dans leurs démêlés avec la justice, puis de vendre son appar-
tement, de déménager et d'héberger chez elle un jeune étranger.
Elle s'ouvre aux nouvelles rencontres, y compris amoureuses, voire
même à la possibilité de renouer le contact avec son fils qu'elle ne voyait
plus depuis longtemps. Et si c'était cela qu'il nous fallait, plus de toléran-
ce et d'écoute des autres ? La fin est ouverte.
Laissez-vous donc tenter par cette « fenêtre sur cour », qui donne un
aperçu percutant et drôle de la société israélienne (mais pas que).
Anne

9
Les grandes Marées
Jim Lynch
Gallmeister

Miles O'Malley, 13 ans, vit à Olympia, sur une plage de Puget Sound,
un bras de mer sur la côte nord du Pacifique. Il est passionné par l'Océan.
Il ne se lasse pas de le regarder, de le visiter sur son kayak ou à pied à
marée basse. Il connaît les dangers des vasières et ne s'aventure pas n'im-
porte où lors de ses récoltes de palourdes, bernicles et autres gastéro-
podes de mer qu'il vend aux restaurants.
Une nuit, ne pouvant trouver le sommeil, il sort. La marée est basse,
son œil expert décèle une forme étrange, une découverte qui va le rendre
célèbre. Célébrité parfois pesante pour cet adolescent solitaire mais pas
égoïste. Il prend soin de Florence sa vieille amie, de la belle Angie son
ancienne baby-sitter et s'inquiète d'un éventuel divorce de ses parents.
C'est dans cette période troublée que survient la grande marée…
« Il n'y a pas une goutte d'eau dans l'océan, pas même dans les
abîmes les plus profonds, qui ne connaisse et ne réagisse aux forces
mystérieuses qui créent les marées. Comment pourriez-vous lire cette
phrase, bâiller et éteindre la lumière ? ».
Un livre atypique !

Mireille

10
La nuit des pères
Gaëlle Josse
Notabilia

 « Tu ne seras jamais aimée de personne.


Tu m'as dit ça, un jour, mon père.
Tu vas rater ta vie.
Tu m'as dit ça, aussi.
De toutes mes forces, j'ai voulu faire mentir ta malédiction ».
Isabelle se remémore ces phrases au moment où elle va rencontrer
son frère Olivier. Ce dernier lui a demandé de venir voir leur père qui
habite un village des Alpes, là où ils sont nés. La santé de celui-ci, ancien
guide de montagne, décline. Sa mémoire lui joue des tours.
Après de longues années d’absence, Isabelle appréhende ce retour
qui, pourtant, représente peut-être une chance de comprendre ce père si
distant, irascible et difficile à aimer.
Un secret lui sera enfin révélé, qui permettra de comprendre combien
la grande Histoire peut changer un destin et peser sur toute une famille.
La montagne a toujours fasciné le père, l’océan attire la fille. La
nature, dans sa grandeur et son âpreté est omniprésente.
Comme dans le roman Une longue impatience, Gaëlle Josse se dis-
tingue par une écriture sobre, des mots taillés dans le vif, une analyse des
sentiments très juste qui nous renvoie à notre propre histoire.
Un roman court dont la présence vous habitera longtemps.
Thérèse

11
Nous nous aimions
Kéthévane Davrichewy
Sabine Wespieser

Le début du livre relate une scène terrible qui se reproduit chaque


année à l'aéroport de Moscou. Deux petites sœurs géorgiennes y font
escale avec leur mère pour rejoindre la France après avoir rendu visite à
leur grand-mère en Abkhazie (Géorgie). Ce premier chapitre nous plonge
dans une ambiance tendue et crée l’atmosphère du livre.
C'est sur son fond d'exil et de guerre que s'écrit l'histoire de cette
famille. La mère a quitté la Géorgie pour s'installer en France. Dans les
années 1980, elle tient à emmener tous les étés ses deux filles sur ses
terres natales, chez leurs grands-parents. Bien longtemps après, le mari
décédé, l'harmonie du passé semble s'être fendillée : les deux sœurs, si
proches autrefois, se sont éloignées l'une de l'autre, et les rapports entre
elles, s'assombrissent. Que s'est-il passé ?
Tout au long du récit, l’autrice alterne, avec beaucoup de subtilité, les
scènes passées et présentes. Quelle belle fresque familiale ! Au fur et à
mesure des flash-back nous en apprenons plus sur cette famille (la mère,
le père et les deux sœurs) où aucun des membres ne vit les événements
de la même façon.
Avec peu de mots mais beaucoup de finesse, l’autrice nous décrit les
sentiments et les ressentis différents qui habitent les personnages. Un
livre empreint d'une grande nostalgie, autour du souvenir, de l'enfance,
des origines (ici la Géorgie), et qui aborde en profondeur les liens fami-
liaux, l'amour qui resserre mais aussi les blessures qui meurtrissent, la
mort, le temps…
À la fin du livre, on a presque des regrets qu’il ne comporte davantage
de pages pour nous emporter encore plus loin… peut-être le signe d’un
très bon livre ?
Éric

12
On était des loups
Sandrine Collette
J.-C. Lattès

L’histoire est dépouillée, comme la région montagneuse où vit Liam


en chassant et en vendant ses peaux. C’est un solitaire, un sauvage qui
fuit la compagnie des hommes. Une femme, pourtant, l’a suivi dans ce
coin désert par amour. Elle y élève leur fils de 5 ans, Aru, et passe ses
nuits seule, Ce soir-là, alors qu’il rentre des forêts où il est parti chasser,
il devine qu’il s’est passé quelque chose.
Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l’attend pas devant la maison.
Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours.
À côté, sous le corps inerte de sa femme, il trouve son fils. Vivant.
Au milieu des pensées qui se bousculent dans sa tête, Liam a une cer-
titude. Il ne veut pas de cet enfant Ce monde sauvage n’est pas fait pour
lui. Il selle alors deux chevaux et prépare un long voyage pour emmener
Aru ailleurs, loin de lui.
Commence alors, dans un style hypnotique, le récit d’une longue
errance, dans les bourrasques et les tempêtes. Le périple de deux êtres
que les liens du sang ne parviennent pas à unir, un père rongé par la colè-
re et la culpabilité et son fils mutique qui attend, ne serait-ce qu’un
regard de son père..
« En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes,
ça ne faisait pas de différence on était le monde. C’est pour ça que je vis 
: toucher du doigt, du bord du cœur le territoire sauvage qui survit en
moi et quand les loups hurlent dans la montagne, je sais que je ne suis
pas seul ».
La tension est permanente dans ce roman puissant et magnétique.
Marie-Claude
Née à Paris en 1970, Sandrine Collette a publié « Des nœuds d’acier » (grand prix de
littérature policière 2013), « Il reste le printemps » (prix Landerneau du polar 2016), « Et
toujours les forêts » (prix des libraires 2020, 35 000 exemplaires vendus). « On était des
loups » a été tiré à 30 000 exemplaires.

13
Gros plan sur Sofi Oksanen :

Le parc à chiens - Stock

L'Ukraine comme si vous y étiez ! C'est bien cela le


problème – rien de mieux pour comprendre de façon vis-
cérale le désordre physique et moral d'un pays en partie
occupé (par les Russes) et gangrené par la corruption que
de lire le dernier roman de la Finnoise Sofi Oksanen
(pour ne pas dire son œuvre entière).
Au premier plan, comme dans « Purge », un duo de
femmes, imparfaites, surtout victimes mais aussi bourreaux si la situation
l'exige, obligées comme tout le monde de s'accommoder au système pour
survivre.
En l'occurrence leur ticket de sortie, pensent-elles, est l'industrie de
la fertilité. Au lieu de devenir mannequin ou prostituée, on peut ne
vendre qu'une partie de son corps en devenant mère porteuse ou, mieux,
donneuse d'ovocytes. Entreprise hasardeuse dans un pays où il n'y a pas
de système de santé qui vaille ni de protection légale en cas de pépin, et
où l'individu est à la merci d'oligarques et de mafias sans cœur et sans
scrupule.
Nous sommes en 2016, avec les flashbacks jusqu'en en 2006 et même
au-delà pour ce qui concerne la vie des parents. Le livre est sorti en 2019
en Finlande, en 2021 en édition française, donc avant l'invasion russe,
mais son portrait de l'exploitation et de la misère humaine n'a rien perdu
de son actualité, au contraire. Le fait qu'il est construit comme un polar,
plein de suspense, de brouillages de pistes, de crimes crapuleux et impré-
gné d'une menace sourde et omniprésente ne gâche rien – si l'on peut
dire. À lire !
Anne

14
coups au cœur plutôt que coups de cœur

Purge - Stock
Quand les colombes disparurent - Stock

« Un roman vous donne de l'empathie et la


capacité de voir le monde du point de vue
d'une autre personne. Il laisse une marque
sur votre cœur, sur votre âme et cela crée
beaucoup plus d'empathie qu'un titre de
presse ».
Ainsi parla Sofi Oksanen lors d'une interview récente. Peut-être avez-
vous lu ses premiers livres à leur sortie il y a une dizaine d'années ? Même
si c'est le cas, ils méritent une relecture à la lumière de l'actualité. Car,
quoique bien ancrés dans la réalité âpre et tragique d'un pays occupé (en
l'occurrence l'Estonie, par les Allemands de 1941 à 1945 puis par les
Soviétiques durant les 50 ans qui ont suivi), ses romans ont une portée
universelle et mettent en scène des personnages emblématiques qui ne
vous lâchent plus.
« Purge », tiré de sa propre pièce de théâtre, est un huis clos claustro-
phobe où s'affrontent deux femmes, une aïeule restée au pays et la jeune
personne paumée qu'elle accueille bien malgré elle, qui fuit les criminels
russes qui l'ont trafiquée. La relation entre les deux est dévoilée au comp-
te-gouttes, ainsi que les sévices qu'elles ont subis. Mystères, mensonges
et menaces sont omniprésents et font partie intégrante de leur vie et de
celle du pays.
L'intrigue subtile et complexe avec beaucoup de va-et-vient entre
époques est caractéristique de l'auteur mais reste facile à suivre – davan-
tage que celle de « Quand les colombes disparurent », dont le sujet est le
tiraillement, voire l'effondrement moral des hommes forcés de choisir
entre collaboration et résistance dans leur pays occupé. Là, le mensonge
et la trahison prennent toute la place car, pour sauver sa peau un des pro-
tagonistes (basé sur un individu bien précis et un des propres grands-
oncles de l'auteur) décide d'aider les Nazis en dénonçant ses concitoyens,
puis tourne sa veste et devient un communiste convaincu et membre de
la police secrète à l'arrivée des Soviétiques. Au sein d'une même famille,
comme dans celle de l'auteur, coexistent imposteurs et partisans, ceux-là
responsables de la déportation de ceux-ci.
Inutile d'insister sur les liens entre ces époques et la nôtre. Qui a le
pouvoir et qu'est-ce qu'ils en font ? On ne finira jamais de se poser ces
questions.
Anne

15
Gros plan sur René Frégni

René Frégni sera le président du jury de notre prix littéraire Marie-


Anne Rouan 2023 qui récompensera les meilleures nouvelles écrites sur
le thème de L’évasion (sous toutes ses formes). Qui de mieux placé en
effet pour parrainer cette belle aventure littéraire organisée par les Amis
de la Médiathèque de Châteauneuf ?

« J’avais été jadis un voyageur insouciant. Je devins un lecteur de


grand chemin, toujours aussi rêveur mais un livre à la main. Je lus,
adossé à tous les talus d’Europe, à l’orée de vastes forêts. Je lus dans des
gares, sur de petits ports, des aires d’autoroute, à l’abri d’une grange,
d’un hangar à bateaux où je m’abritais de la pluie et du vent. Le soir je
me glissais dans mon duvet et tant que ma page était un peu claire, sous
la dernière lumière du jour, je lisais ».

Le dernier roman de René Frégni « Minuit dans la ville


des songes » est le récit d’une vie d’errance et de lectures,
aussi dur que sensuel, aussi sombre que solaire. Le chaos
d’une vie, éclairée à chaque carrefour périlleux par la décou-
verte d’un écrivain.
René Frégni, conteur-né, ne se départit jamais de son
émerveillement devant la beauté du monde et des femmes.
« Fugueur, rebelle, passionné de paysages grandioses,
qui restent pour lui indissociables des chocs littéraires. Un
homme qui marche, un livre et un cahier à la main ». (Ed.
Gallimard)

16
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Nos coups
L'été des oranges amères - Claire Fuller - Stock : la Cosmopolite

Une rencontre entre trois personnages avec chacun ses zones


d'ombre et ses dysfonctionnements dans un lieu délabré, au milieu de
la campagne anglaise. Entre voyeurisme, alcoolisme, mensonges et
duperie, l'été bat son plein.
Un roman entre ombre et lumière, passé et présent, fin et subtil
thriller psychologique.

Marie-Christine

Femmes en colère - Mathieu Menegaux - Grasset & Fasquelle

Par le choix de ses sujets brûlants d'actualité et par la force et la


précision de son écriture qui happe le lecteur dès la première ligne et
ne le lâche plus, Mathieu Menegaux s'est fait remarquer par les
cinéastes et le public. (Un livre tourné au grand écran « Un fils
parfait » et un au petit « Est-ce ainsi que les hommes jugent ? ».
Basé sur une histoire vraie, Femmes en colère nous place à la cour
d'assises de Rennes en 2020. Mathilde Collignon est emprisonnée
depuis trois ans déjà pour avoir émasculé les deux hommes qui
l'avaient violée et on attend le verdict du jury, dont les débats passion-
nés alternent avec l'introspection de l'accusée et sa peur de perdre le
contact avec ses deux jeunes filles pendant 20 longues années.
Mesdames, Messieurs, quelle condamnation et quelle durée de
peine vous semblent justifiées ?
Anne

18
de cœur
La commode aux tiroirs de couleurs - Olivia Ruiz - J.-C. Lattès

Si vous cherchez un roman à l'eau de rose, détrompez-vous ; cette


rose est couleur rouge sang et elle a des épines.
Cela vous sera bien égal, pourtant, car vous serez emporté par
l'histoire de cette famille espagnole peuplée de pasionarias et de
beaux ténébreux, et vous leur envierez la commode bariolée qui
raconte leurs péripéties, à côté de laquelle nos meubles à nous ont
l'air bien fades.
Anne

Quand tu écouteras cette chanson - Lola Lafon - Stock

Quand on lui propose cette immersion nocturne dans un musée


de son choix, pour Lola Lafon, guidée par une impérieuse intuition,
c’est la Maison d’Anne Frank, à Amsterdam.
Tapie dans la chambre où Lola Lafon n’ose pas entrer, Anne Frank
est présente mais Lola n’ose pas pénétrer dans son intimité. Elle choi-
sit de rester en bordure, à l’écoute des échos qui lui sont
renvoyés. « L’histoire des juifs d’Europe centrale, je m’en suis écartée
à l’adolescence. J’ai tourné le dos à l’abîme. Je ne voulais pas
entendre, pas savoir. Leurs cauchemars ne seraient pas les miens ». 
En revenant sur les traces de l'existence de cette jeune fille juive
qui rêvait d'être publiée, Lola Lafon offre un portrait singulier d'Anne
Frank. Elle s'interroge sur la manière dont la postérité s’est emparée
du Journal, a manipulé la personnalité de la jeune fille.
À travers de courts chapitres et une écriture limpide, elle nous
livre un récit intimiste et touchant.
Marie-Claude

19
BD et Romans
Céleste, vol 1 « Bien sûr, Monsieur Proust »
Scénario et dessin : Chloé Cruchaudet

Faut-il avoir lu Proust in extenso pour apprécier


cette délicieuse BD au dessin et au texte fine-
ment enlevés, sur lesquels flotte l'évocation inti-
me du grand écrivain ? Non, comme le confirme
une adolescente qui n'a eu jusque-là ni le temps
ni l'envie d'approcher le monument, mais « a
adoré » !
Au premier plan, Céleste, une jeune femme peu
éduquée venue de la campagne. Elle devient vite
indispensable à l'écrivain, jusqu'à l'abnégation,
peut-on penser ; par adoration, jusqu'à être
aimée aussi, certainement.
Si on est « profane », on aura fait un voyage
dans une autre époque, un autre monde, mais
aussi levé un voile sur l'œuvre, grâce à ce petit
bijou de finesse, de poésie et d'élégance ; aficio-
nados, on aura entrevu un peu de l'intimité du
génial écrivain.
Reste à écouter la voix de Céleste Albaret
(morte en 1984) dans les Archives de l'INA.
Pour adultes ? Pas exclusivement….

Nicole

20
graphiques
T’ZÉE - Une tragédie Africaine
Scénario : Apollo
Dessin : Brüno

Un pays imaginaire en Afrique.


Un vieux dictateur qui disparaît.
Est-il mort, est-il vivant?
En résulte une « tragédie » à l’africaine, faite de
rébellions sanglantes, de drames humains, de
croyances culturelles bien ancrées dans l’esprit des
tribus autochtones, de clans qui s’affrontent dans
une guerre civile…
La magie vaudou est omniprésente dans cette
ambiance pesante et chaotique.
Que devient le clan présidentiel réfugié au
palais?
Hippolyte, le fils du vieux tyran disparu ne sait
pas trop quel parti prendre.
Bobbi -sa belle-mère- tombe amoureuse de lui,
alors que lui est amoureux de la fille de l’opposant
indépendantiste assassiné par son père… (nous
sommes en pleine tragédie en 5 actes comme la
Phèdre de Racine).

Récit très réussi, prenant, difficile d’abandonner la


lecture avant la fin.
Graphisme très évocateur suivant les situations
racontées, il alterne entre le sombre et la lumière, le
chaud et le froid, mais toujours dans des tons mar-
ron, orange et jaune. Très beau !
Martine

21
BD.
La guerre invisible
Scénario : Franck GIROUD
Dessin : Olivier MARTIN

En pleine guerre froide, 2 agents de la CIA sont à la


recherche de Manfred Fürbringer, un ancien nazi en
fuite, et inventeur des systèmes de guidage de
fusées V2…

Cette BD d’espionnage
est passionnante, bien
menée du début à la fin.
Le dessin est clair, net et
explicite, le graphisme
bien classique est parfait.

Djemnah - Les Ombres Corses


Scénario : Philippe Donadille
Dessin : Patrick Réglat-Vizzavona

Ange, collectionneur, découvre le dessin d’une jeune


femme dans un livre consacré à la Corse.Il décide de
s’y rendre sur un coup de tête…

Très belle histoire, du suspense, des mys-


tères, mais surtout un graphisme qui ne
fait que sublimer l’idée que la Corse est…
magnifique de beauté.
22
coups de cœur
La princesse des glaces
Le prédicateur
Le tailleur de pierre

Scénario : Olivier Bocquet


Dessin : Léonie Bischoff
Adaptation très réussie des 3 polars de Camilla
Läckberg.
Nous retrouvons les personnages récurrents de
cette auteure, à savoir Erica Falk, biographe et
Patrick Hedström, son compagnon et inspecteur
de police.

Martine
23
Médiathèque Municipale
de Châteauneuf
1, rue du Baou
Tel. : 04 93 42 41 71
mediatheque@ville-chateauneuf.fr

Journal des Lecteurs


écrit par et pour les lecteurs

Mise en page :
L’esp@ce Multimédi@
Rédacteur en Chef :
Marie-Claude LAMBERT

Impression :
Zimmermann - Villeneuve-Loubet

Ils ont participé à ce numéro :


Thérèse Amoghli Mireille Jeanjean
Eric Bataillou Marie-Claude Lambert
Martine Deprez Nicole Leroy
Marie-Christine Garnier Brigitte Ruty
Anne Hannan

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