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Il a ététiré decetouvrageune édition deluxe :


Sur papier Afnor VII/i
avec une somptueuse reliure, tranchefile, signet
titres et motifs or
comportant 1z hors-texte couleur
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L e m u s é e

d e s

s u p p l i c e s
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Roland1;Villeneuve

L E M U S É E

DES
SUPPLICES

HENRI VEYRIER - PARIS


tMR' ROUEN
85 0/ 3524
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@ Henri Veyrier - Paris


Tous droits de traduction, de reproduction et
d'adaptation réservés pour tous pays ycompris l'U.R.S.S.
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L'auteur et l'éditeur sont reconnaissants


à M. Félix Labisse, de l'Institut,
à MM. Lorenzo Alessandri, François Béalu,
Hans Bellmer, Roland Cat,
Philippe Druillet, Jean Martin-Bontoux,
André Masson, Pierre Molinier
et Clovis Trouille, d'avoir bien voulu
participer .à l'enrichissement iconographique
de ce volume.
Ils adressent de vifs remerciements :
à Mme Simone Collinet,
à MM. Raymond Bellour, Michel Caen,
Van Craenenbroeck, Jean-Pierre Fontana,
Philippe Heinich, Pierre Lambert,
Georges Lenglet, Jacques Ricard,
Jacques Sadoul, Gérard Temey
et Roland Topor qui
ont bien voulu leur donner
accès à de précieuses collections.
Que soient également remerciés :
les Musées d'Amsterdam (Rijksmuseum),
d'Anvers, de Bâle, de Berne, de Besançon,
de Bruges (Musée Groeninge et
Musée Saint-Sauveur), de Bruxelles,
de Castres, de Chantilly (Musée Condé),
de Colmar, de Dijon, de Dresde,
de Florence (Galerie Pitti), de Gand,
de Marseille, de Montpellier,
de Paris (Musée du Louvre et
Musée Gustave Moreau), de Rouen,
de Sienne, de Valladolid et de Vicence ;
le Stâdel Institut de Francfort ;
la Commission Fédérale
de la Fondation Gottfried Keller ;
les Galeries Jeanne Bucher, Iolas,
Louise Leiris, André François Petit ;
le Centre Culturel américain à Paris ;
le Centre de Documentation Juive '
Contemporaine.
Photographies Alinari, Allix, Bühm,
Bulloz, Eche, Hyde, Jeannequin,
Joubert, Routhier, Viollet.
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DU MEME AUTEUR

GILLES DE RAYS, UNE GRANDE FIGURE DIABOLIQUE. Denoël


LE DIABLE DANS L'ART. Denœl
IL REGNO DEL DIAVOLO. Vallecchi
HELIOGABALE, LE CESAR FOU. Pierre Amiot
LE POISON ET LES EMPOISONNEURS CELEBRES. La Palatine
SATAN PARMI NOUS. La Palatine
LOUPS-GAROUS ET VAMPIRES. La Palatine
L'ENVOUTEMENT. La Palatine
LE DIABLE, EROTOLOGIE DE SATAN. J.J. Pauvert
HISTOIRE DU CANNIBALISME. Livre Club du Libraire

En collaboration :
BIBLIOGRAPHIE DEMONIAQUE. Satan, Revue des Etudes Carmélitaines
DICTIONNAIRE DE SEXOLOGIE. J.J. Pauvert
HISTOIRE DE LAMAGIE EN FRANCE, de GARINET. Réimpression au Livre Club du Libraire

Travaux divers :
LES PROCES DE BESTIALITE. Crapouillot, Les grands Procès, 2e série
INCUBAT ET SUCCUBAT. Crapouillot, L'Eglise et la Sexualité
LE COCUAGE DIABOLIQUE. Crapouillot, Les Cocus célèbres
L'AFFAIRE MARIE BESNARD. Crapouillot, Les Erreurs judiciaires
PANORAMA DE L'AMOUR AU MOYEN-AGE. Crapouillot, Histoire de l'Amour en France
L'ONGUENT DES SORCIERES. La Tour Saint-Jacques, N° sur La Drogue.
HUYSMANS ET GILLES DE RAYS. La Tour Saint-Jacques, N' sur Huysmans
LES ENFERS. N° spécial d'Æsculape, mai 1957
LES POSSESSIONS DIABOLIQUES. /Esculape, N° de novembre 1961
L'ANGOISSE DIABOLIQUE. N° spécial d'Æsculape, décembre 1962
LANDRU. N° spécial d'Æsculape, septembre 1963
EROS ET THANATOS. Histoire de la Médecine, Noi de janvier et avril 1963
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Avant Propos

«Les peuples
les plus civilisés sont
aussi voisins
de la barbarie
que le fer le plus poli
l'est de la rouille.
Les peuples,
comme les métaux,
n ont de brillant
que les surfaces; »
Rivarol
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GeorgesBecker:
cRaedspavharesdédfeensdeasntfils.
les

Depuis que le monde existe l'homme n'a


cessé de contempler son image qu'il prétend calquée sur celle d'un Dieuparfait. Il seproclame
le roi de l'univers, exalte sa science et milleformes d'art nées d'un géniefertile et prodigieux.
Et pourtant, l'homme est un loup pour l'homme, un monstre, dit Montaigne. Rien ne le
distingue plus des bêtes sauvages lorsque ses intérêts, sa vengeance, ses croyances entrent en
jeu. Il en vient même à surpasser lesfauves, ne connaissant nijour ni saison, pourpiller, violer,
dévorer sonprochain. Et, bien entendu, pour lefaire souffrir. Car la torture est du domaine de
l'homme et lui appartient : «Elle est une sorte d'inversion profanatoire de la pitié comme
l'obscénité est une inversion profanatoire de la pudeur. » (Thierry Maulnier).
Refoulée par la vie en société, la peur du gendarme et de l'acte gratuit, la cruauté
native de l'homme ne demande qu'à s'extérioriser. Les circonstances lui sont-ellesfavorables et
l'impunité assurée ? aussitôt éclatent les conflits armés, les famines, les exterminations
d'ennemis politiques ou de créanciers. Toujours une bonne raison vengeresse vientjustifier les
tueries, excuser les massacres. Qui donc voudra croire que l'exécution des Albigeois, des
Sorciers, des Juifs et des otages, entre dans les vues de Dieu et les plans de la Nature ? Quelle
fascination que celle de la guerre, quand on voit l'homme porter aux nues les hautsfaits des
conquérants, leurs carnages et leurs bains de sang ! Alexandre, César, Attila, Gengis Khan,
Hitler —plus récemment, ont eu d'innombrables adulateurs. Rien ne vient ternir la gloire de
Napoléon : ni les massacres de Jaffa, ni l'assassinat du duc d'Enghien, ni lesfusillades d'Es-
pagne, ni l'abandon des blessés pendant la campagne de Russie. Le sang des innocents écla-
bousse l'histoire de tous les peuples, mais l'amour de la Patrie l'emporte sur tout le reste. Le
forban qu'ils ont choisi pour maître, leur apparaît comme un surhomme digne d'admiration
et d'envie. Rares sont les voix qui, clamant dans le désert, comme celle de Barras, osent
ramener le héros aux justes proportions d'un barbare sanguinaire :
«Lorsque, dans l'histoire de ce monde, écrit-il dans ses Mémoires, on aperçoit
ces hommes, qui sous le nom de conquérants, se disent les chefs et les souverains de la vraie
gloire, se repaître de sang et de carnage sur les champs de bataille ; lorsqu'on verra dans la
suite des temps, un homme de ce caractère, destiné à les surpasser tous, raconterfroidement,
dans les bulletins officiels, comment viennent de périr sous ses yeux, par ses ordres, des
milliers de ses semblables, dont l'addition présente une récapitulation de plusieurs millions ;
lorsqu'on lira dans ces affreuses pages, où il croit dresser des trophées, que c'était un beau
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spectacle (notamment à Eylau) que le sang et la cervelle de tant d'hommes massacrés


répandus dans la neige, et que l'apparition du soleil rendait plus admirable, n'est-ott. pas
autorisé à penser que cette rage du conquérant n'est autre chose, aux yeux duphilosophe et du
physiologiste, qu'une expression déguisée du système atroce mais caché de M. de Sade, et
son application plus audacieuse sur une grande échelle ? Celui qui dans la su&*t-e,continuant
à s'enivrer de carnage renaissant et ne voulant point s'arrêter devant tant- de massacres, a
osé dire officiellement dans son «Moniteur » : «Mes inclinations et mon tempérament me
portent à la guerre », celui-là ne fut,-il pas régi par le même naturel que M. de Sade ? »,
Si l homme se contentait defaire la guerre et d'immol-erses ennemis sur les autels
de ses dieux et de son ambition !... Il luifaut, hélas ! les contraindre, les châtier, les humilier <
sans cesse. Alors que les animaux les plus féroces exilent du groupe les vieux mâles devenus
encombrants oujaloux, lui, cherche à martyriser l'adversaire, l'inférieu'r voire la progéniture
qu'il n'avait pas souhaitée. A l'abri d-une Science autoritaire et molochiste, il mutité des
armées de cobayes et sacrifie à une prétendue curiosité intellectuelle des hécatombes de^rà?
très et de mongoliens. «Je prétends que les neuf dixièmes de ces vivisections ne,servent
qu a satisfaire un besoin sadique chez mes aimables confrères », déclarait péremptoiremeritleC
Dr. R. Allendy. Tournant sa cruauté contre sonpropre ,--sang, il punit ses enfants, les séquestre,
les lie et les affame aussi. Il admet aisément dans son confort bourgeois, que des orphelins'et
des abandonnés soient conduits dans des bagnes oùfleurissent les brimades, la délation et la
pédérastie. Dans la vallée de larmes qu'il lui faut traverser il n'hésite pas à mordre/fÈkH
geller, piétiner sa compagne qui, à ce jeu, parfois, prend un certain pl'aisir. L'essence de
l érotisme est la souillure, écrit Bataillé, et Baudelaire affirme que la volupté uniquë et
suprême de l amour gît dans la certitude defaire le mal. La conquête. sexuelle ne s'accompa- S
gne-t-elle pas de rapts, de viols et de castration? ^
Par sado-masochisme, l'animal supérieur préconise mille tourments dans: un
but qu il prétend esthétique ou sacré. Il coupe leprépuce aux uns, allonge aux autres le crâne
ou les lèvres ; il fait sauter les incisives, déforme les pieds, ronge les doigts ; partout il incise,
sacrifie, tatoue, et semble vouloir changer l'ordre des choses. Lui-même se mortifie, se lacère,
s'inflige la discipline, pour attirer les grâces d'En-Haut ou raffermir sa vigueur sexuelle.
Dans toutes les religions, la sainteté passe par la voie de l'hystéro-épilepsie, semée d'embûr
ches diaboliques, de stigmates, de cilices, de possessions et d'abjections diverses. Battus par ..
les démons, harcelés de désirs brûlants, nourris de tentations, les postulants à l'auréole
n'ont plus à présenter qu'une chair exsangue et racornie.
La mort elle-mêmeparaît trop douce à l'homme, pusqu il invente un enfer peuplé
d instruments de supplice. Chacun se voit puni par où il a péché : aux gourmands les mets
fétides ; aux luxurieux les crapauds et les serpents qui dévorent les seins ou rongent les entrail-
les. Ce n est point assez de cette vie parsemée de crises et de maladies : il lui faut encore un
au-delà de soufre, de flammes et de vipères. Ces perspectives de douleur et de damnation
permettaient jadis d'enchaîner les peuples assez naïfs pour imaginer que les démons se
chargeaient de l'exécution des sentences divines. Leur enfer, dit Michelet «est une horrible
Sodome où ces esprits plus souillés que les pécheurs qu'on leur livre, tirent des tortures qu'ils
infligent d'odieuses jouissances... Sous prétexte de supplice, les diables assouvissent sur leurs
victimes les caprices les plus révoltants. Conception immorale ( et profondément coupable !)
d'une prétendue justice qui favorise le pire, inspire sa perversité en lui donnant un jouet,
et corrompt le démon même ! » (La Sorcière).
La cruention et la contemplation des affres du trépas procurent du plaisir à, cer-
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tains amateurs. Qu'est-ce-que la curée, sinon l'expression d'un sadisme mondain qui permet
à des hobereaux prétentieux defaire déchirer unpauvre cerfpar une meute de chiensféroces ?
A défaut d'un spectacle aussi distingué, la foule se rue aux matches de boxe, aux courses de
taureaux et, quand elle le peut, aux exécutions capitales. Elle ressent le besoin des dégra-
dations que lui procurent les monstres des baraques foraines, des tribunaux et des salles
obscures où l'on exhalte la vie trépidante des filles fatales et des bandits d'honneur. Rares
sont les films où n apparaissent pas les bagarres, les gifles et les torsions de membres; en
un mot : la violence bestiale armée du fouet et du révolver. Le cinéma d'épouvante offre
également un exutoire à la cruauté populaire qui, par transposition, approuve des supplices et
des horreurs que le spectateur n'oserait lui mêmeaccomplir. Lecrimefascine le voyeur, ébranle
ses nerfs, l'entraîne à rêver à d'impossibles meurtres. Il se voit dans la peau deBuffalo Bill et,
sûr de l'impunité, joue les Frankenstein ou les éventreurs. Il était jadis plus courageux
lorsqu'il se rendait au Cirque, à l'Hippodrome ou sur la place de Grève. Il participait alors
au spectacle, suivant avec passion l'écartèlement des régicides et trouvant exquis les cada-
vres des incestueux et des hérétiques.
Les foules ont toujours apprécié les sacrifices humains en l'honneur des dieux,
des rois ou des principes. A-Carthage et à Mexico, elles accompagnaient d'un long cri funè-
bre l'hécatombe des victimes ; à Rome, elles exigèrent l'égalité entre le pain et lesjeux ; puis
vinrent les autodafés et la visite enfamille des charniers de Montfaucon et de Tyburn. A la
rigueur, la passion vengeresse peut expliquer le supplice accompli en commun : le lynchage du
satyre ou du criminel, la mise à mort de Vitellius, d'Héliogabale et d'Andronic Comnène. Elle
nejustifie guère les applaudissements adressés au bourreau qui décolle d'un seul coup, ou sait
rouer avec art. Le peuple battit des mains pendant l'exécution de Lally, rapporte Madame du
Deffand, et si l'on en croit Casanova, les belles dames vinrent s'exciter à voir mourir Damiens.
La cruauté se teinte desensualité, chez lesfemmes, toujours prêtes à exiger la mort du coupable
et l'application immédiate du talion. Nefaut-il pas protéger le criminel reconnu ougrâcié con-
tre la foule hurlante, déchaînée, «ovarienne », incapable de refréner sa passion haineuse ?
Dans sa «Philosophie pénale » (pp.552-554), Tarde relève les inconséquences de la foule qui,
d'une part réclame l'abolition de la peine de mort et, d'autre part, n'hésite pas, à l'occasion,
à faire ce qu'elle appelle justice. De deux choses l'une, écrit-il, «ou le public continuera à
applaudir l'homme et lafemme qui, dans des circonstances intéressantes sefont bourreaux, et
alors il devra trouver bon que le bourreau légal fasse son office; ou bien il sera favorable
à la suppression de cet effrayant fonctionnaire, et, dans ce cas, il devra se montrer sévère
envers les simples citoyens qui usurpent son emploi. » Gavés de faits divers et de crimes
politiques où le supplice intervient souvent, les hommes en arrivent à excuser les horreurs
commises au nom d'une idée, tout en criant «A mort untel » ou « Untel au poteau ». Il est
à souhaiter qu'ils puissent défouler leurs instincts cruels dans les tirs forains et les jeux de
massacre !
Les esthètes et les amateurs d'âmes qui plaçent l'assassinat dans le domaine des
Beaux-Arts, regrettent les trépas sanguinaires et l'appareil magnifique des supplices d'antan.
Leur cœur se serre à l'idée qu'on ne fait plus souffrir; que le métier de bourreau se perd;
qu'ils n'ont plus que le secours de l'imagination pour évoquer les exploits d'Assourbanipal et
de Torquemada. Il leur reste pourtant les écrits de Sade, de Mirbeau, de Bataille et, mieux
encore, toute l'œuvre des peintres et des graveurs qui, sous prétexte de religion, ont défoulé
leurs tendances perverses et inventé des postures à faire pâlir les théologiens les plus hardis.
C'est dans cette optique très particulière qu'il faut contempler le châtiment de la sodomie
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par Michel-Ange; les enfers, d'Orèagna et de Taddeo di Bartolo, avec leurs incubes au
membre trifide; certaines images de la flagellation du Christ. Celle peinte par le Catalan
Luis Borrassa indique fortement la ressemblance existant entre lefouet du bourreau et une
virilité turgescente ( Musée de Castres). La situation même de l'instrument, lafaçon dont il
est tenu, la crispation voluptueuse des traits des tortionnaires démontrent clairement' la
volonté de l'artiste, de figurer une scène d'onanisme. Est-ce pour son plaisir ou celui d'un
acheteur ? Qui donc le pourra dire ? Toujours est-il que le spectacle incroyablement oséa pu
servir de modèle ou d'excitant à des amateurs de manuélisation. — Contemplonsàprésent la
flagellation, de Holbein, aujourd'hui au Musée de Bâle. Elle s'offre à nous comme un
microcosme, un compendium, une exposition d'aberrations érotiques. Le Chris,,, très andro-
gyne, croisant lesjambes ainsi qu'unejeune vierge effarouchée, est entoure par un bourreau
sadique à la braguette équivoque et unspectateur masochistequivoudrait bienqu'on lefouette
aussi. Le voyeur ne manque pas qui, dans un coin, épie la scène. Ici encore, l'artiste a
sciemment cherché à susciter de troubles sentiments chez l'amateur, incroyant ou dévot.
Aujourd'hui, l'amateur, le touriste,. l'on préfère, va au devant, des sensations. Il court
à Bénarès, à Rio et à Madrid contempler les dernières processions desflagellants. Eh Cette"
année 1967, le carême madrilène a revêtu unfaste particulier. Quinze tonnes de chaînes
huit mille croix de bois ont parcouru la ville, brandies par unefoule de mystiquesportant
des cilices confectionnés par des religieuses qui utilisent «non seulement le' crin, màiài
également des fils de fer qu'elles cornent dans les vêtements, pour les rendre plus durs et
plus rèches. Elles ne cousent pas à l'aide d'aiguilles mais avec des tenailles et des pinces j
d'ouvriers menuisiers.» (Combat, du 20 février 1967).
En lisant, si l'on peut dire, entre les lignes du graphisme sacré, on trouverait
bien d'autres figurations propres à soulever l'élan sensuel' et la curiosité morbide. L'art
nègre et l'art indien antique font une allusion constante aux sacrifices de virginité ou
de vie, rendus aux divinités telluriques. Lapose alanguie du Saint-Sébastien, de Sodoma; ;
les angelots de Caravage, couronnant les martyrs ; les innocents tant défais étripés, empalés,
châtrés et profanés, de la peinture allemande du Moyen-Age, sont bel et bien vo' I Leur
présence obéit aux canons d'un art pieusement ambigu, dont le secret dessein vise àfaciliter
le voyeurisme et à provoquer l'orgasme. Que de moines ont choisi la vie mystique, e n de
contempler le voile étroit du Christ, au sein des disciplines, des cilices et. desjeûnes 1Quede
filles affolées et fiévreuses ont voulu ressentir les extases de Thèrèse d'Avila, cellé-là' même
que le Bernin a sculptée, accueillant la rosée des flèches de l'amour. divin !
La composition des ouvrages érotiques recourt à des procédés analogues. Elle
décrit les flagellations, les morsures et les piquages — succédanés des viols et des déflo-
rations, que les énervés de la débauche sont incapables d'accomplir. Sade par exemple,
considère le supplice comme un indispensable piment d'amour, comme l'essence même Je
l'érotisme :
«Voilà ce qui explique la manie de cettefoule de libertins qui, comme nous, neparviennent
à l'érection et à l'émission de la semence, qu'en commettant les actes de la cruauté la plus
atroce, qu'en se gorgeant du sang des victimes. Il en est qui n'éprouveraient pas même
l'érection la plus légère, s'ils ne considéraient, dans les angoisses de la douleur la plus
violente, le triste objet vendu à leur hibriquefureur, s'ils n'étaientpas euxmêmeslespremières
causes de ces angoisses. On veutfaire éprouver à ses nerfs une commotion violente; on serit
bien que celle de la douleur sera plus forte que celle du plaisir on l'emploie, et l'on s'en
trouve bien» (Juliette). -
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Selon son habitude, le divin marquisforce la note, transformant un rêve vampi-


rique en une réalité sensible. Le monde serait vite désert, si tous les vicieux avaient comme
les douze Césars ou Erzebeth Bathory, le moyen de satisfaire leurs plaisirs parmi les billots
et les estrapades. Les abus dupouvoir absolu —le serait-il sans ces abus ?, donnentpourtant
raison à Sade. Peu de tyrans ont pu résister à l'appel voluptueux des larmes et du sang.
Phalaris et son taureau d'airain, Néron et ses torches vivantes, Louis XI et ses cages, le duc
d'Albe et ses bûchers démontrent amplement la vérité dufait. Ceux qui nepeuventsepasser de
telles fantaisies, se doivent contenter de la littérature. Leurs modèles préférés sont le Baron
Saturne, des «Contes » de Villiers de lIsle-Adam ; la belle Clara, du «Jardin desSupplices »
et, mieux encore, George Selwyn, qui eut au moins le mérite d'exister. Ce grand débauché
anglais qui paya fort cher le bonheur de voir Damiens rendre l'âme, éprouvait, nous dit
Horace Walpole, une sorte d'attirance physique pour l'horrible :
«Les détails les plus affreux et les plus ignobles d'un meurtre ou d'un suicide, le spectacle
d'un cadavre sauvagement mutilé, n'importe quelle dépouille attiraient et intéressaient
Selwyn.. Lorsque le premier Lord Holland fut à l'agonie, Selwyn, son ami intime, insista
pour le voir. Lorsqu'ilprit congé, LordHolland dit à son domestique : «Si M.Selwyn revient,
vous le laisserez entrer. Si je suis encore en vie,je serai content de le voir et, sije suis mort,.
c'est lui quisera heureux de meregarder. »
A un degré supérieur de dégénérescence, la représentationfigurative ( gravure,
peinture, sculpture), suffit à déclencher le mécanisme érotique. Gilles de Rays n'avoua-t-il
pas que sa névrose s'était développée après la contemplation d'une miniature représentant
des supplices infligés aux enfants ? Chez les «grands sadiques » la recherche des images
ou de certains instruments de torture (poinçons, haches, ciseaux, couteaux) a souvent pré-
cédé la collection des organes arrachés aux victimes. Incapables d'éprouver unejouissance
normale, Léger, Vacher, Verzeni, Jack-l'Eventreur ont toujours préféré le supplice au coït.
Gilles de Rays, éprouvait plus de plaisir à démembrer, qu'à posséder charnellement les
enfants. Il se contentait d'une pollution supra-ventrale et se vantait quelquefois «d'avoir
une plus grande délectation à tuer el à égorger ou à faire tuer lesdits garçons et filles, à
les voir languir et mourir, à couper leurs têtes et leurs membres et à voir le sang, que d'exer-
cer la luxure sur eux. » (Confession Poitou, du 17 octobre 1440).
Que le mobile initial soitjuridique, sexuel ou religieux, Eros nefait qu'un avec
Thanatos. De leur intime fusion naît la floraison iconographique dont cet ouvrage ne
donne qu'un modeste aperçu. Les représentations de supplices existent, en effet, en nombre
immense et certaines sont proprement insoutenables.
La nuance est bien subtile à opérer entre les supplies et les tortures. Littré
lui-même n'en fait guère. Il voit dans les supplices une punition corporelle ordonnée par
arrêt de Justice. Il ne définit la torture qu'en fonction des supplices (Torture : tourment,
supplice, et, dans un sens particulier, question). Il est en vérité impossible d'effectuer une
distinction réelle entre ces deux genres de peines. On ne saurait affirmer que le supplice
entraîne la mort : la marque, le pilori et le carcan l'excluent. Ou encore la mort rapide : les
châtiments par inanition, crémation lente et découpage apparaissent davantage comme
une torture prolongée. A l'inverse, la torture qui cherche à éviter la mort en vue de l'obten-
tion d'un maximum de renseignements tourne parfois court, sur une embolie ou une crise
cardiaque. En matière de morale ou de psychologie, la distinction est encore plus ardue;
dans quelle catégorie peut-on ranger, par exemple, le port du «Sanbenito » des condamnés
de l'Inquisition, de l'étoile juive ou du Reference Book, des noirs sud-afrt'cains ?
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Supplices et tortures s'inspirent de mobiles très complexes parmi lesquels


nous avons relevé :
les séquelles de la guerre, qui comportent l'asservissement des vaincus après la section
d'un membre essentiel au maniement des armes ou à la reproduction des captifs;
la vengeance qui, chez les Primitifs s'accompagnefréquemment d'un scalpage, d'une chasse
aux têtes ou de l'ingestion de parties corporelles au cours de festins cannibaliques ;
la religion, qui exige le sacrifice des prisonniers et des enfants à des divinités censées
assurer la marche normale de l'univers (Quetzatcoalt, Baal) ou l'abondance des moissons
(Kâli) ;
la magie, qui veut que pour composer certains onguents, certaines potions, ou certaines
«cornes » on recoure, comme au Bassoutoland, à l'éventration des femmes enceintes ou à
l'arrachage d'organes sur des personnes pleines de santé;
le désir de punition, en vue d'accentuer l'horreur du châtiment, quifut longtemps en vigueur
en Chine et dans l'Europe médiévale;
le mobile utilitaire, qui consiste à extorquer de l'argent grâce à des procédés violents
(poire d'angoisse, brûlures, strangulation momentanée); qui admet l'exploitation des
jeunes (dislocation des acrobates, forcement de l'anus), la création de monstres «<L'Homme
qui rit », de Victor Hugo) et de mendiants infirmes. En 1448 rapporte le Journal d'un
Bourgeois de Paris, «on arrêta des mandiants, larrons et meurtriers. Sous la torture ou
autrement ils avouèrent avoir enlevé des enfants, crevé les yeux à l'un, coupé les jambes
ou les pieds à d'autres. Ces bourreaux étaient accompagnés defemmes pour mieux tromper les
familles. Ils restaient trois ou quatre jours logés dans les maisons pour repérer leur affaire.
Alors, en plein marché ou ailleurs, ils enlevaient les enfants et les martyrisaient comme
je l'ai dit. »;
Fobtention de l'aveu, jadis prépondérante dans l'instruction des procès, lorsque les juges
ne se gênaient aucunement pour recourir à la «question ». Cette recherche aujourd'hui plus
secrète, plus insidieuse, n'en demeure pas moins essentielle. Il faut bien se convaincre,
écrivait Louis Lambert dans la Revue de Criminologie et de police pratique, de décembre
1948 (p. 248), «de l'importance capitale de l'aveu dans une procédure criminelle. S'il est
une peine qui a sa récompense, c'est bien celle que le commissaire a prise pour obtenir la
confession du coupable....l'aveu reste, de loin, le plus puissant, le plus impératif des mo-
yens de conviction, et il s'impose en fait au juge au même titre que la preuve légale. »;
la recherche prétendûment scientifique, dont les résultats ne sont que trop connus.
On pourrait discuter sans fin de la vivisection que certains peuples ont exercée sur leurs
frères de race. Le Dr. Jules Regnault rapporte'que jaloux des connaissances anatomiques de
leurs confrères européens des médecins nippons torturèrent des condamnés pour mieux
connaître leurs réactions physiologiques (La Douleur, p. 155). Se trouvant à court de cadavres
à disséquer, le Dr. A. Gervais reçut un jour du gouverneur d'une province chinoise, cette
curieuse proposition, propre à calmer la superstition locale : «Il n'estpas question d'envoyer un
cadavre à l'école, on enverra un condamné, vivant et soigneusement enchaîné.
Je lui demandai, non sans une certaine anxiété, où l'exécution devait avoir lieu et comment on
transporterait le cadavre ? M. Shu, de plus enplus étonné, merépondit qu'à son simple avis, le
minitieux travail d'une dissection bien conduite entraînerait la mort du criminel, et que, sipar
le plus grand des hasards il n'en était pas ainsi, un soldat quelconque achèverait le misérable.
De toute façon, je n'avais pas à me préoccuper de ces détails... » (Souvenirs de Chine, in
«Cahiers de Marottes », décembre 1952);
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b\:-.■ '
Vérotisme, qui inspire la plupart des recours à la torture et satisfait une foule d'instincts
pervers, avec l'exposition des corps dépouillés, l'excitation des parties génitales et le ruis-
sellement du sang. Cet érotisme peut d'ailleurs revêtir un aspectpurement utilitaire -lorsque la
torture (séquestration,flagellation, brûlure, etc...) vise à obtenir la soumission d'unepersonne,
que l'on veut obliger à se prostituer.

S ' . ■
|g^ Il n'y a pas de partie du corps sur laquelle l'homme n'ait exercé sa
jjerve malicieuse. Au, temps des guerres de conquête, les pharaons d'Egypte et les rois d'Israël
Ifaisaient trancher les mains et le pénis a leurs prisonniers. Ainsi pouvaient-ils effectuer un
recensement et mesurer l'ardeur combative des troupes victorieuses. Plus tard idée naquit de
Supplices, prolongés : on rendit des personnes aveugles, d'autres pourrirent sur un pal; les
virent la terreur chez les asserv,is. Les supplices pour l'exemple eurent des origines
ïî:es : les déserteurs, les espions et les pillards firent les premiers frais des -,décaptt
is noyades et des ensevelissements. Lajustice reprit à son compte de si belles méthodes
à la torture aux plus hauts sommets de l'art. Le chevalet, l'estrapade, la roue, le bûcher-
pisté théorie de clous, de tenailles, de coins de tranchets et de cordesfont honneur à
^inventif des magistrats et des prêtres. Un même amour de l'ordre les rassemblait
I ' e s deséparpillés
échafauds : les
aux. premiers
quatre coinsles
desfaisaient
villes, l'a'dffreux
resser,rictus
les autres bénissaient
des têtes fichéesles
surcondamnés
une pique,
â mprt. Les ministres des religions n'hésitèrentjamais à jouer aux bourreaux ; au Mexique, ils
'incisaient les poitrines avec un couteau d'obsidienne; jetaient, aux Indes, les victimes sous
|%char de Kâli, ou apaisaient les morts du. Congo en étranglant desfilles impubères. Tous les
W^s.r'de fertilité réclamaient des viols 'et des meurtres : plus on pleurait, plus la pluie s'an-
Pçiïçait abondante. Méprisant ces coutumes de sauvages et ne songeant qu'au salut des âmes,
fiés inquisiteurs espagnols inventèrent le «quemadero » auprès duquel la chambre à gazfait
assez piètre tgure. Ayant horreur du sang, ils ne faisaient procéder à la torture qu'une
l seulefois - enplusieurs épisodes... On leur doit d'avoir perfectionné la délation et la traîtrise,
fle supplice, de l'e*au. l'emmurement, l'artach age des ongles et la brûlure des extrémités.
}Voluptueux exacerb"es, les inquisiteurs exigeaient que les patients leur fussent livrés dans le
[plus mple, appareil et qu'ils se pliassent aux fantaisies de leur imagination déréglée. Ils
1apparaissent cofnme lesparfaits modèles des vieillards des «Cent vingtJournées », dont lessens
•émoussés réclament sans cesse des plaisirs nouveaux. Ces hommes comme l'a dit Féréal
tdans ses «Mystères -de- l'Inquisition» (p. 37) avaient un si grand besoin d'émotions
dévorantes, qu'ils ne trouvaient que dans le sang et les bûchers un apaisement à leur insatiable
désir de sensations. Le démon s'était fait chair en eux, et on serait tenté de croire qu'après
l'incarnation d'un Dieu sous la figure du Christ, est venue l'incarnation de tous les esprits
infernaux dans la personne des inquisiteurs » \
Les juges laïques : qui le voudrait croire ? leur rendirent des points, dans la
l'poursuite des sorcières, notamment. Chargé au début du XVIIe siècle, d'une enquête sur la
tenue d'assemblées- diaboliques dans le Pays Basque, de Lancre, seplaint du nombre insigni-
f i a n t des autodafés, accomplis de l'autre côté de la frontière. Il s'étonne de la froideur des

moines espagnols et exalte son propre zèle, a créer le désert. E n bon hypocrite, il s u r v e i l l e

les é b a t s p o p u l a i r e s , f a i t d a n s e r �l e s f i l l e s toutes nues et les c o n d u i t a u bûcher sous prétexte


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que leurs gestes lascifs leurs sont dictés par le démon. Les grands Juges, ses collègues n'ont
rien à envier à sa férocité. Ils se délectent à décrire les turpitudes du sabbat et à recher-
cher la marque satanique, le «sigillum diaboli » entre les cuisses des stryges et des magi-
ciens. Louis Gauffridy et Urbain Grandier connurent les affres de ces piqûres profondes,
de cette question obscène et sadique. Peut-être a-t-onfait mieux depuis grâce aux électrodes
et aux bains d'eau glacée ?

Force est hélas ! de constater que la p'ratique des supplices raffinés s9est dévelop-
pée chez les peuples les plus évolués. «Dès que la civilisation fait une trouée quelquepart,
dit Arago, on est toujours sûr -devoir couler autour d'elle des larmes et du 'sang'. »LaFrance
et la Chine se- disputèrent longtemps le premier rang, la palme oscillant entre le pilori et
les carcans. -AParis on rouait les voleurs, on les coupait en morceaux à Pékin; mais-il'^é^
certain quepersonne n'en réchappait. Sans vouloirêtre chauvin, ilfaut reconnaître quela ques-
tion préalable assurait la supériorité à nosjuges : grâce à elle, les coupables ne manquaient
pas puisqu'il suffisait de les inventer. Et Dieu sait que tous lespretextes étaient bons : depuis
le sacrilège (dont les Chinois se, moquaient bien)jwqu'aux affaires de mœurs(que les Chinçis,
toléraient). Sous l'Ancien Régime, la torture était tellement ancrée dàns les esprits qu'on
l'appliquait pour un oui, pour un non. Nefallait-il pas peupler les galères et occuper des
magistrats qui achetaient leur charge ?Autemps duBienAimé, un coup de canifvous valait,
d'être écartelé et le bûcher vous attendait pour une atteinte ,à la divine majesté. De telles
pratiques expliquent, si elles ne les justifient, les massacres de septembre et les noyades dé:~
Nantes. «Les nations étrangères, écrit Voltaire,jugent de la Francepar les spectacles,par les
romans, par lesjolis vers, par lesfilles d'Opéra, qui ont les mœursfort douces, per nos dan-
seurs d'Opéra, qui ont de la grâce, par Mademoiselle Clairon qui déclame des vers à ravit. "
Elles ne savent pas qu'il n'y a point au fond de Nation-'plus cruelle que la française.
(Dictionnaire Philosophique.)
Vue sous l'angle dufanatisme et de la torture, notre Histoire, na rien de très"
enviable. A nos monstres sacrés: Frédégonde, Dagobert et Charles IX, nos magistrats
font pendant. Non contents de bouter le feu aux bûchers ils ont eux aussi masqué leur
cruauté sous des dehors de piété et d'amour de la paix. Ce sont de véritables légions dé
bourreaux qu'ils ont suscitées ; d'individus largement stipendiés, et capables d'assurer: un
emploi à leurs fils.

Qu'on ne viennepas nous dire qu'en vertu d'une résistancephysique supérieure à ■ "
la nôtre nos aïeux se pliaient volontiers à des supplices qui leur paraissaient bénins.. Cet
argument ne nous paraît guère convaincant. A la rigueur on peut admettre que certains
criminelsfaisaient preuve le moment venu, d'une tranquillité d'ârriè et d'un sangfroid éton-'
nants. Cette attitude est exceptionnelle. En vérité les procès de sorcellerie, la plupart. des
affaires jugées et l'iconographie infligent un singulier démenti à cette interprétation opti-
miste. Elle, est aussi peu défendable que la négation pure et simple de l'application de
tortures pendant la Résistance ou les guerres coloniales. Rien, enfait, ne saurait justifier
des turpitudes que Voltaire croyait reléguées dans les ténèbres médiévales. Surtout pas le
racisme qui, tend à remplacer aujourd'hui le paternalisme et faction prétendument civilisar
trice des missionnaires.
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L'attitude philosophique quis'inspire des théories du Comtede Gobineausur l'iné-


galité des races humaines, sans promouvoir la contrainte corporelle, en vient à l'admettre
aisément. Les races foncées qui, d'après D.H. Lawrence, ne pourront jamais atteindre le
niveau de l'homme blanc, «nepeuvent que suivre de loin commedes esclaves »(« LeSerpent à
plumes »). Jamais le nègre, l'indien, leprimitifparesseux et méprisable, nepourront atteindre
le niveau intellectuel et moral où la divinité a voulu placer le maître à la peau claire. L'es-
clave qu'ilfaut savoir mettre au pas en leflagellant, aussi souvent que sa peau dure l'exige,
doit avoir conscience du gouffre qui le sépare de son supérieur ; d'un ordre de choses immua-
bles ; d'un pacte établi de toute éternité. On est parfaitement en droit d'admettre, dit Gobi-
neau, «que de tels 'rapports s'établissent entre le fort et le faible, ayant tous deux pleine
conscience de leur position mutuelle, et ravalent ce dernier à une sincère conviction que son
abaissement est justifiable en saine équité. » Voilà qui explique le péché originel, la lutte
des classes et l'application du supplice pour l'exemple.
Une autre attitude, celle-là politique ou religieuse, consiste à excuser la
torture ou à la nier en bloc. Joseph de Maistre, par exemple, trouve tout-à-fait normales
les méthodes de l'Inquisition médiévale et l'historien F. Hayward présente Torquemada
comme la victime des écrivains romantiques. Certains auteurs décrivant l'univers concentra-
tionnaire en ontfait une sorte de paradis de l'ordre et de la méthode. A les en croire, les
camps de la mort, simples Musées Grévin de la torture, furent crées de toutes pièces pour
impressionner les troupes américaines. On eut la bonne fortune, écrit Maurice Bardèche,
«de découvrir en janvier 1945 ces camps de concentration dont personne n'avait entendu
parler jusqu'alors, et qui devinrent la preuve dont on avait précisément besoin, le flagrant
délit à l'état pur, le crime contre l'humanité quijustifiait tout. On les photographia, on les
filma, on les publia, on les fit connaître par une publicité gigantesque, comme une marque
de stylo. La guerre morale était gagnée. La monstruosité allemande était prouvée par ces
précieux documents. Le peuple qui avait inventé cela n'avait le droit de se plaindre de
rien. Et le silence fut tel, le rideau fut si habilement, si brusquement dévoilé, que pas une
voix n'osa dire que tout cela était trop beaupour être parfaitement vrai. » «Nuremberg ou la
Terre promise », p. 23) Diffamations assurément, qui portent leurs fruits, puisque les juges
sont obligés de rappeler aujourd'hui que les méthodes d'extermination dans les camps de
concentration (« Camps déformation politique » d'après EmmyGoering), sont historiquement
et judiciairement établies. Unjour ou l'autre des faits matériels et des témoignages irré-
cusables, viennent détruire des thèses péniblement échaffaudées. Pourquoi vouloir défendre
'à tout prix ce qui n'est pas défendable ? Comme si chacun de nous ignorait que la violence
engendre la violence et que la haine se nourrit de sa propre substance. Comme si tous les
torts devaient être portés au passif de l'adversaire, féroce par définition, et seul capable de
recourir à des pratiques barbares.
Les policiers ont au moins le courage de dire comment se passent les interro-
gatoires, et c'est vraiment jouer sur les mots que de prétendre qu'il n'y eutjamais de sévices
en Algérie, en Indochine, ou ailleurs, sous prétexte qu'on ne retrouva pas d'ordres écrits !
«La véritable sauvegarde des colons est dans l'humant»té » écrivait prophétiquement Arago,
«mats bien peu d'entre eux ont voulu le comprendre ».
Hélas ! l'homme est incapable de comprendre, commedepardonner. L'expérience
de la cruauté ne l'incite qu'à réclamer des souffrances nouvelles. Après la Terreur et les
hécatombes de l'Empire, le comte de la Bourdonnaye, retrouvant des accents dignes deMarat,
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exigeait le châtiment exemplaire des conspirateurs : «Pour arrêter leurs trames criminelles,
il faut des fers, des bourreaux, des supplices. La mort, la mort seule peut effrayer leurs
complices et mettre fin à leurs complots... Défenseurs de l'humanité, sachez répandre quel-
ques gouttes de sang pour en épargner des torrents. »
Plus près de nous, Henri Alleg qui, avec un magnifique courage, s'était élevé
contre les tortures en Afrique du Nord, est obligé de reconnaître avec amertume que les
victimes de jadis sont devenues des bourreaux fratricides.
« Tant de sang versé durant sept années, tant de souffrances endurées par des millions
d'Algériens, tant d'espoir soulevé, tant de batailles livrées là-bas et ici pour en arriver à ce
retour en arrière où les conquêtes de la révolution sont remises en question et où les tortion-
naires peuvent de nouveau s'en donner à cœur joie... »
Auxforcénés qui regrettent le bon temps du bagne ; aux nostalgiques des carcans
et du pilori, l'abolition de la torture. apparaît comme une erreur, voire une aberration.
Ce sont à les entendre, les nations énervées et agonisantes, qui renoncent aux traditions
de leurs mâles ancêtres. Les ennemis politiques, les intellectuels décadents, les pacifistes
à tout crin, sont-ils dignes de la moindre pitié ? La vengeance attirant la vengeance, l'ap-
plication de la peine en arrive à relever de la morale et «l'œil pour œil, dent pour dent », se
maintient dans les moeurs, indéfiniment. Simplistes en apparence, ces raisonnements impré-
gnent les esprits grâce auxjournaux cocardiers et auxfilms de gangsters. Les massesfinissent
par admettre que la violence est normale et qu'elle fait recette. Les assassins ne trouvent-
ils pas defervents admirateurs ? Ne vànte-t-on pas les gens qui ontfait « une belle guerre » ?
A beaucoup l'image des camps de concentration, des potences et des crématoires ne cause
aucune surprise. Entendez les rires gras des visiteurs des cachots et des oubliettes; les propos
égrillards que suggèrent les ceintures de chasteté et les colliers à clous. Ils ont des yeux
et ne voient pas, se refusant à rapprocher les horreurs d'un passé récent de celles des siècles
révolus. La méchanceté de l'homme pourtant demeure dans la traite des blanches, les trafics
d'esclaves, la vivisection.

Trop souvent dévoyé de sesfins véritables, le progrès vient au secours du sadisme.


Les gaz délétères, les cigarettes brûlantes, les scalpels d'acier, qui eussent comblé d'aise
les bourreaux d'autrefois, sont à notre portée, avec la baignoire, et l'électricité. Le moindre
conflit armé s'accompagne à présent de massacres, de génocides et de tortures mentales.
Partout errante et anonyme, la haine tourne à la double humiliation du bourreau et de la
victime. Le but de la question, remarque Jean-Paul Sartre « n'estpas seulement de contraindre
à parler, à trahir : ilfaut que la victime se désigne elle-même,par ses cris etpar sa soumission,
comme une bête humaine. Aux yeux de tous et à ses propres yeux. Il faut que sa trahison la
brise et débarrasse à jamais d'elle. Celui qui cède à la question, on n'a pas seulement voulu
le contraindre à parler; on lui a pour toujours imposé un statut : celui de sous-homme. »
De toute évidence le rapport sado-masochiste s'établit : c'est l'« Histoire d'O » transposée
sur le plan politique. L'Enfer a gagné la Terre, avec sa justice expéditive, ses lavages de
cerveau et ses honteux sévices. Les tortionnaires abondent, cruels par essence, ou par désœu-
vrement. C'est par bandes qu'ils vont «casser du Viet », «enfiler les moukères » ou «tabasser
les fellouses ». Ils ont leur langage, leurs mœurs et leurs coutumes, leur manière aussi
d'obtenir des aveux. Evidente regression puisque l'emploi de bourreau n'est plus un
emploi réservé. Ce qui nous reste du progrès «c'est la vertigineuse multiplication de la
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barbarie par la puissance, et la création d'un nouveau type de meurtrier : le bourreau-


ingénieur, l'exterminateur aux mains toujours propres et à la conscience en paix, qui tue
de loin et de haut, sans voir et sans vouloir imaginer ce qu'il fait. Si le démon est propre-
ment l'énergie surnaturelle de l'esprit se révoltant contre l'être et affligeant la vie, onpeut
dire que, de l'homme qui se croyait en voie de devenir Dieu, le démoniaque est né. » (Pierre-
Henri Simon). Depuis le début du siècle, l'Humanité est rassasiée de tant de crimes qu'elle en
est devenue insensible et prête à tous les compromis. Broyé dans la masse aveugle etpassive;
contraint de défendre des causes plus ou moins douteuses qui ruinent et sa santé et sesfacul-
tés intellectuelles, l'individu cesse d'exister en tant que tel. Onle conditionne dès sa naissance
aux règles d'un univers concentrationnaire, qui impliquent la tyrannie du nombre et l'aliéna-
tion de la liberté. Les Partis s'emploient à susciter des complots pour tenir les peuples en
haleine. Tous entretiennent des mouchards, des dénonciateurs, des tortionnaires prêts à
venger le crime de lèse-Etat. La lâcheté générale laisse faire le reste et si la vertu meurt,
comme l'écrivait Albert Camus, elle renaît plus farouche encore : «Un jour vient où elle
s'aigrit, la voilà policière et, pour le salut de l'homme, d'ignobles bûchers s'élèvent. Au
sommet de la tragédie contemporaine, nous entrons dans lafamiliarité ducrime... Leroyaume
de la grâce a été vaincu, mais celui de la justice s'effondre aussi. » (Révolte et Meurtre,
p. 345). De cette destruction des valeurs résulte une confusion mentale et des inconséquences
permanentes. Prôner la torture dans un dessein pragmatique, ou la nierpar politique, corres-
pond à une attitude peut-être discutable, mais logique. Il en va différemment quand unepolé-
mique bien menée ou un spectacle excitant déchaînent des réactions imprévues. On a vu des
campagnes bien orchestrées transformer la haine portée à un uniforme déterminé en un
fétichisme du cuir, tournant à la gloire des blousons noirs et des «anges sauvages », dont la
vitalité orgiastique séduit d'innombrables gens. Ainsi, la vision d'horreurs encore proches,
cède-t-elle le pas à une mode ou aux expressions d'un folklore juvénile.
Lafaculté d'oubli est immense, mais l'écart spirituel estplus net encore lorsqu'on
aborde les rapports de l'homme avec les enfants ou les animaux. La Presse accorde de nos
jours une large place à nos frères inférieurs et néglige les bourreaux d'enfants qu'une
législation discrète protège de manière scandaleuse. Des journaux spécialisés nous entre-
tiennent des amours contrariées de telle princesse ou des embarras gastriques de tel milliar-
daire, tout en se gardant d'aborder le problème de la faim dans le monde, des guerres
fratricides et de la misère. Un inquiétant déplacement de la sensibilité se manifeste donc, au
détriment des faits véridiques et des valeurs primordiales. Faut-il d'abord sauver le chien
ou l'enfant ? Pratiquer une charité à l'égard du «bonsauvage », quand on le sait capable de
mordre son bienfaiteur prétendu ?

On ne trouvera ici ni l'apologie du crime ni celle de la répression de ce que


Taine appelait lafureur meutrière et carnassière de l'homme.Au-delà du bien et du mal, notre
travail visera à l'objectivité historique, en évitant de susciter une curiosité morbide envers des
phénomènes qui n'ont que trop tendance à s'insérer dans notre existence quotidienne. Après
une vue d'ensemble des supplices par genres, nous étudierons lesfonctions du bourreau,puis la
suppression de la torture et sa résurrection contemporaine. Nous examinerons ensuite les
rapports existant entre les supplices, la religion, l'érotisme et la littérature. Enfin une biblio-
graphie viendra clore cet ouvrage que nous avons essayé d'illustrer d'une manière aussi
parlante que possible.
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Le Musée
des Supplices

«Là où les supplices


les plus cruels ont existé9
les crimes les plus atroces
se sont manifestés. »
Faustin Hélie
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1
Les chauffeurs d'Orgères,
ou les moyens
d'obtenir les aveux.
Supplément illustré
du Petit Journal.
2
«Les chauffeurs »,
ou l'obtention des aveux
au XVIe siècle.
Gravure populaire
extraite de
La Jeunesse du Roi Henri
(fin XIXe siècle)
3
La poire d'angoisse.
Gravure extraite de
l'Histoire des Bagnes
(tome 11, p. 313)
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Il semble bien, à en croire Voltaire des mimes, des jongleurs, des parasites, des
et les exemples tirés de la Mythologie, que histrions et des flatteurs, vrais chiens de cour,
les voleurs de grands chemins furent les pre- qu'ils dépouillent et torturent ces malheureux. »
miers à pratiquer la torture sur les marchands Parfois, les champions de la Morale
et les voyageurs égarés. «J'ai toujours présumé et du Bien, allaient dénicher les méchants
écrit Voltaire dans son Dictionnaire Philo- dans leurs profonds repaires. Thésée, jaloux
sophique, que la question, la torture, avait été des travaux d'Héraklès, voulut mettre un terme
inventée par des voleurs qui, étant entrés chez aux œuvres criminelles. On le vit tuer Co-
un avare, et ne trouvant point son trésor, lui rynète, qui assommait les passants ; Sinio,
firent souffrir mille tourments jusqu'à ce qu'il le qui les écartelait entre deux pins; Sciron qui
découvrît. » En brûlant la plante des pieds aux les jetait du haut d'un précipice; Procuste,
fermiers, les brigands obtenaient la révélation enfin, qui «contraignait les voyageurs de
d'un trésor caché. Ils les empêchaient égale- se jeter sur un lit, leur coupait les membres
ment d'appeler au secours en leur plaçant une trop grands et qui dépassaient du lit, et
poire d'angoisse dans la bouche. D'autres étirait les pieds de ceux qui étaient trop petits ».
procédés restaient à leur disposition : le garrot, (Diodore IV, 59).
le serrage du front, le tisonnier, la pendaison Seules, des exécutions sommaires et
momentanée, les coups de poignard et les spontanées étaient capables de répondre à de
mutilations corporelles les plus diverses, dont la tels forfaits. Expéditive chez les peuples
section des jarrets ou celle des tendons. En primitifs la peine du talion fit place cependant
recourant à ces mesures intimidatoires, les à tous les raffinements de la méchanceté. En
brigands, non seulement s'enrichissaient, développant leurs connaissances, les peuples
mais formaient encore des disciples, mis à la inventèrent la justice, en répandirent l'idée,
rude épreuve. Les «routiers » déclare Damhou- découvrirent le recours aux aveux, impliquant
dère dans sa Praxis, cherchaient à s'endur- la torture. Assez vite, la question remplaça
cir par tous les moyens et entretenaient l'ordalie, et elle continue de sévir parmi nous,
leur forme physique par de fréquents combats. puisque, suivant le mot de Nietzsche, presque
Certains éprouvaient un plaisir franchement tout ce que nous appelons la culture supérieure
sadique à supplicier les malheureux tombés vise à spiritualiser et à intensifier la cruauté.
entre leurs mains : leurs cris, leurs larmes, Confondant le civil et le criminel,
leurs contorsions, les réjouissaient sans fin. l'ancien Code Chinois ne renfermait que des lois
Ces brigands parfois étaient de noble race; pénales, punissant les fautes dans le plus grand
Thomas de Coucy, pour ne citer que lui détail. La question tenue fort à l'honneur par
n'hésitait pas à brancher la virilité des pélerins un peuple supérieurement intelligent, s'ac-
aux arbres des forêts : «testiculis appendebat compagnait de mutilations et de tortures
propria aliquotiens manu », écrit Guibert de variées à l'infini. On peut soutenir sans grand
Nogent. Et Jacques de Vitry qui fut légat du risque d'erreur que les Célestes cultivaient un
Pape en France, au XIIIe siècle, rapporte immense jardin où tous les supplices fleuris-
de bien étranges choses : saient. L'Occident médiéval, l'Inquisition, les
«Les nobles sont semblables aux chiens juges de Sorcellerie marquèrent des préfé-
immondes qui, toujours affamés, disputent aux rences à l'égard de certains supplices, limités
corbeaux voraces la chair des cadavres. dans le temps ou propres à une région déter-
Par le ministère de leurs prévôts et de leurs minée. Untel choix ne pouvait exister en Chine
satellites, ils persécutent les pauvres, dépouil- puisqu'à chaque délit était attachée une peine
lent les veuves et leurs orphelins, leur tendent bien précise. D'où un tableau d'horreurs,
des pièges, leur suscitent des querelles, allant de la torsion des cartilages pour une faute
leur supposent des crimes imaginaires afin vénielle, jusqu'au dépeçage et à l'écorchement.
de leur extorquer de l'argent. Ils font ordinai- La réduction des os en bouillie, l'aveuglement
rement mettre en prison et charger de chaînes à la chaux vive, la décapitation, l'écrasement
des hommes qui n'ont commis aucun délit et font sous un poids énorme, la précipitation dans une
endurer à ces innocents de cruelles tortures chaudière, la transfixion, le piétinement, la
pour en tirer quelque somme d'argent. C'est lacération par des bêtes sauvages, se trouvaient
pour payer leurs usuriers, pour entretenir on ne peut plus courants. Et la populace l'avait
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belle de donner libre cours à ses instincts en palités firent construire de petites tourelles
regardant défiler les condamnés liés au carcan à un étage où paraissait la tête des coupables
et à la cangue, ou périssant d'inanition dans comme à une sorte de lucarne. Aux halles de
une cage transparente aux bâtons de bambou. Paris, par exemple, on exposait pendant trois
En France aussi, à la fin de l'Ancien Régime, les jours, à raison de deux heures par jour, les
juristes avaient, comme nous le verrons, valets insolents, les soldats indisciplinés, les
effectué une subtile classification des peines. mendiants, les voleurs et les bigames. Lepeuple
Cependant, par leur variété, leur imprévu et les venait insulter ou réconforter, quand ils
surtout, leur durée, les supplices chinois les étaient victimes d'une conspiration ou de
dépassaient de cent coudées. Eurent-ils le l'arbitraire d'un ministre. Le pilori, nous
monopole de la douleur; furent-ils les maîtres apprend un ouvrage anonyme du XVIII< siècle
uniques des souffrances atroces ? Absolument «est un petit bâtiment carré, muré jusqu'à
pas. Chaque peuple ajouta sa pierre à l'édifice la moitié de sa hauteur; le surplus est à jour
commun de l'épouvante et s'efforça d'améliorer au moyen de piliers de charpente qui soutien-
l'invention du voisin. Les uns raffinèrent sur le nent le toit. Au centre du bâtiment est à Paris
fouet, les autres sur le bûcher, au point de les une poutrelle debout qui tourne sur son pivot,
transformer en oeuvre d'art ou en concert laquelle soutient un plancher rond entouré
mélodieux. Tour à.tour redouté, admiré ou haï le d'une espèce de balcon auquel il y a trois
bourreau devint l'indispensable instrument de trous ronds, celui du milieu où on fait passer
l'Ordre. Dans l'univers tout entier il satisfit la tête et un de chaque côté pour les mains.
des besoins de justice et de vengeance, et ses On fait tourner de temps en temps le pivot et le
exécutions attirèrent des foules toujours plus patient pris par la tête et les mains, tourne
avides de larmes et de sang. On se rendit au avec et présente la face de tous côtés ».
supplice comme au spectacle, et on finit par ne En France, les exécutions n'avaient
plus savoir ce qu'il fallait admirer davantage : pour ainsi dire, presque jamais lieu au
de l'adresse du tortionnaire ou du courage pied du pilori : la décapitation de Jacques
des condamnés. Même dans le domaine des d'Armagnac, duc de Nemours, le 4 Août 1477,
peines infamantes : exposition des coupables est une exception à cette règle, tout comme les
au pilori, recours au marquage et aux muti- supplices de Jean Desmarets et de Jean de
lations, la sauvagerie humaine apparut dans Montaigu. LaRévolution entraîna la suppression
toute sa noirceur. Elle apparaît toujours, du pilori et l'exposition publique ne fut plus
hélas ! dans les tortures, qui n'ont point déserté réservée qu'aux forçats. Ce qui ne l'empêcha
la terre : leur nombre a regressé, mais non point pas d'être pénible, à en juger par cet extrait des
leur ampleur. Le Musée ou, si l'on préfère, le Mémoires de Poulmann :
panorama qui s'offre à nos yeux, donne une «A midi sonnant, nous fûmes amenés sur la
piètre idée des us et coutumes de l'animal petite place qui se trouvait devant le Palais
supérieur. de Justice.
L'exposition des coupables au pilori, le Elle était pleine de monde.
port du carcan, la séquestratiom-dans une cage Les hommes, les femmes, les enfants formaient
appartiennent au domaine des supplices une masse compacte qui donnait à cet espace
mineurs, qui font davantage appel à la moquerie l'aspect d'une fourmilière humaine.
ou à l'infamie, qu'à la souffrance exagérément Toutes les croisées des maisons avoisinant la
prolongée. Le Pilori a existé sous toutes les place étaient également garnies de spectateurs. -
latitudes et sous diverses formes. En Chine, les Au milieu de la place s'élevait une estrade
individus mal famés ou irrespectueux à l'égard en planches, soutenue par des poteaux plantés
des riches et des nobles étaient cloués par dans le sol, et sur cette estrade, ou, pour
l'oreille à un poteau. C'est en l'air qu'on mieux dire, sur cet échafaud, se dressaient
suspendait les commerçants fripons dans une neuf poteaux placés à des distances égales, un
sorte de nasse dénommée brandillotte. En pour chacun de nous. Onnous attacha à ces po-
Europe, dès l'époque féodale, les seigneurs exer- teaux avec de grosses cordes qui s'enroulaient au-
çant la haute justice faisaient attacher les tour du corps, depuis les genouxjusqu'aux épau-
manants à des pieux ou à des piliers garnis les. Latête était maintenue droite contre lepoteau
d'anneaux de métal. Par la suite des munici- à l'aide d'un collier en fer passé autour du cou.
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Le pilori des Halles de Paris, d'après une estampe populaire du XVIIIe siècle représentant l'exposition de l'exacteur Gruet. (Cliché Bulloz).
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On appelait cela la cravate des forçats. Les forçats portaient à la jambe un


Je restai près d'un quart d'heure les yeux anneau de fer appelé «manille », auquel on
fermés. Ma honte et ma confusion étaient si attachait une chaîne de neuf maillons. Cette
grandes que je n'osai pas regarder autour de manille pesait environ un kilo et la chaîne 1.350
moi. grammes. Accouplés, «mariés » disait-on,
Mais l'implacable multitude dont j'étais entouré suivant le caprice du maréchal des logis ou le
faisait entendre de tels quolibets et de tels rires, désir de l'un des condamnés, certains forçats
que je pris le parti de la braver, pour ainsi dire, subissaient une peine de plus : «c'était un
en jetant sur elle un regard d'audace et de défi. supplice ajouté à un supplice que cette
Je crois, Dieu me pardonne, que je fus applaudi obligation dans laquelle se trouvait le condamné
comme au théâtre on applaudit un acteur qui de vivre côte à côte de celui dont souvent la
joue bien son rôle... » plus violente antipathie l'écartait, — cette
L'exposition publique disparut à son tour, fraternité de chaîne a quelque chose qui
en 1832, sauf en Grande-Bretagne où certains répugne. — Il est douloureux de penser
pauvres diables sortaient du carcan avec les à l'influence que pouvait avoir sur un ca-
dents brisées. On a remarqué plaisamment à ce màrade faible, le mauvais traitement d'un
sujet, imprime l'anglophobe «Larousse du accouplé plus fort, plus cruel ou plus pervers.
XIXe siècle », que les Anglais «ne laisseraient Que de fois, dit Maurice Alhoy, ai-je été témoin
pas impunément maltraiter à ce point un de ces actes de despotisme d'une part et de
simple cheval de fiacre : la Société protectrice basse soumission de l'autre ! Combien ai-je vu
des animaux y mettrait bon ordre ». Voilà qui de ces luttes de chaînes où la volonté de l'un
se passe de tout commentaire quand on pense entraînait l'autre vers un point où son désir
à Cayenne et à l'Algérie... ne le portait point ! Que de tourments, que
d'humiliations, que de contrariétés, que de tra-
casseries exercées sans que l'oeil du gardien
puisse les surprendre ! L'inspiration du crime
et l'invitation aux plus honteuses passions,
sont la leçon de morale qu'on retire du
système d'accouplement ! Mais le forçat
réclamerait en vain, la loi du bagne lui
impose ce sinistre' compagnon, et bientôt
le bourreau s'approche du patient avec son
épouvantable attirail de souche, d'enclumes et
de marteaux. » (Histoire des Bagnes. Ire
partie, page 26).
Le collier des forçats n'est qu'une survivance
du Carcan, comparable à la cangue chinoise ou
au joug dont les Hébreux usaient aux premiers
temps bibliques. Ce joug dans lequel on faisait
une entaille pour passer le cou du criminel,
Jérémie l'adresse à plus d'un souverain,
en lui annonçant sa captivité à venir, entre,
les mains du roi de Chaldée. Une variété
particulière de carcan, le cep, (de «cippus »,
entrave) enserrait les jambes dans deux
planches de bois trouées. Les mains reliées
l'une à l'autre par deux menottes et une chaîne
laissaient un semblant de liberté au patient
ou, mieux encore, un peu d'aisance. Une gra-
vure fameuse représente Damiens, prisonnier
Enchaînement d'un brahmane. Gravure extraite de l'ouvrage de de cet étau dont les Romains connaissaient
Bernard Picart (Amsterdam 1723-1743). l'emploi, à en juger par ces vers de Properce :
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« Lignoque plantas inferit


Divaricatis cruribus ». -
A l'inverse du pilori et du carcan, la Cangue
était mobile, ou plutôt, le prisonnier l'emportait
avec lui. Pièce de bois carrée de poids très
variable, on l'attachait autour du cou des voleurs
et on les promenait au bout d'une laisse en
criant leur nom et le méfait commis. Certaines
cangues chinoises comportaient deux ouvertures
et on y plaçait les gens querelleurs afin de leur
permettre de faire connaissance. Délicate
attention, que les Anglais réservaient aux
ivrognes : au XVIIe siècle, ils parcouraient les
rues dans un tonneau percé. A Valenciennes,
ce sort était réservé aux femmes de mauvaise
vie. On veut croire qu'abreuvés de quolibets et
d'insultes, souillés de crachats et de détritus,
les coupables n'avaient aucune envie de
recommencer.

1
Masques disciplinaires pourles calomniatrices et les diffamatrices.
Gravure extraite des Hexenprozesse, de E. Konig (Berlin 1928).
2
Muselière et carcan portés par un esclave, au Brésil, au XIXe
siècle. Gravure extraite du Voyage autour du Monde, de
Jacques Arago (Paris, tome 1, p. 76).
3
Lacangue des voleurs, des noctambules et des ivrognes. Gravure
extraite des Hexenprozesse, de E. Konig (Berlin 1928).
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Jan Luyken : Le carcan et la brûlure. Série des Persécutions religieuses (XVIIe siècle).
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Carcan double.
Gravure extraite des
Hexenprozesse,
de E. Konig
(Berlin, 1928).

Divers carcans,
extraits du
De Cruce,
de Juste Lipse.
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Ces promenades étaient cependant


beaucoup moins cruelles que la mise en
Cage, qui faisait les délices du bon roi Louis XI.
N'aimait-il pas à garder ses prisonniers à
portée de la main, pour les taquiner quand il
lui plaisait ? La séquestration s'étendait
d'ailleurs sur un très long terme et Philippe de
Commynes qui goûta un temps de l'appareil,
prétend que son inventeur, Guillaume de
Haraucourt, y passa quatorze ans. «Le roi
notre maître, écrit-il, avait fait de rigoureuses
prisons, comme cages de fer et d'autres de bois,
couvertes de plaques de fer par le dehors et
par le dedans avec de terribles ferrures de
quelque huit pieds de large et de la hauteur
d'un homme et pied plus. Le premier qui les
devisa fut l'évêque de Verdun qui en la pre-
mière qui fut faite fut mis incontinent, et y
a couché quatorze an's. Plusieurs depuis l'ont
maudit, et moi aussi qui ai tâté sous le roi du
présent (Charles VIII), l'espace de huit mois ».
(Mémoires. Livre VI, ch.XI).
Ces cages royales n'avaient aucun rapport avec
les «fillettes »: lourds anneaux de fer enserrant
la cheville et garnis d'un boulet. Qu'elle fut de
métal ou de bois, la cage se prêtait à quelques
variantes. On pouvait obliger le prisonnier à se
tenir accroupi dans un espace restreint, ou
recroquevillé dans un genre de sphère. Sir
Leonard Skeffington, lieutenant de la Tour de
Londres au temps de Henri VIII, avait inventé
une sorte d'étau auquel on donna le nom
déformé de «Scavenger ». Cet étau serrait la La cage sicilienne dans Torture Garden film anglais
tête du patient et l'obligeait à courber entière- de Freddie Francis.
ment le corps jusqu'à rejoindre la plante des
pieds ; une violente hémorragie nasale s'en- menottes empêchait tout mouvement des bras
suivait. et des mains. Ala jonction des cercles d'acier,
On pouvait agrémenter la cage de pointes au-dessus de la tête, un solide crochet main-
acérées et de menottes comme dans cette tenait tout l'appareil dans lequel le patient
machine barbare, jadis employée en Sicile : se trouvait suspendu. » (Journal «Once a
«Entourant les genoux, les hanches et la taille, week », du 26 mai 1866.)
passant autour des bras et du cou, des cercles Voilà une bien triste cage où l'inanition
d'acier serraient de près les différentes parties venait mettre un terme à la souffrance;
du corps. Des jantes d'acier croisaient ces parfois même les os du condamné se trouvaient
cercles depuis les hanches jusqu'au milieu de dispersés par une épouse économe qui les
la tête. Des barres et des plaques d'acier vendait aux amateurs de souvenirs macabres.
encerclaient et supportaient les jambes et aux L'exposition au pilori, le port des chaînes et du
extrêmités inférieures des étriers à l'ancienne carcan n'avaient rien d'aussi tragique. En
mode prenaient les pieds de telle façon que la peut-on dire autant des autres peines infa-
crucifixion aurait paru douce en comparaison. mantes ? Certes non, si l'on s'en rapporte
Dans chaque étrier, trois pointes acérées au marquage, aux mutilations et à la pratique de
perçaient la plante des pieds de la victime. la flagellation qui intéressent encore plus
Attachée à la bande médiane une paire de l'intégrité physique des sujets condamnés.
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La Marque qui, à l'origine ornait le front des récidive) une fleur de lys, une queue d'hermine,
esclaves et la paume des soldats fut, sous les lettres V, D ou GAL, signifiant : voleur
l'Ancien Régime, réservée aux voleurs et aux déserteur et galérien. La marque en forme de V
récidivistes. Elle ne disparut pas dans les était la plus fréquente, d'autant qu'elle
Colonies où l'article 38 du Code Noir, de s'appliquait aux voleurs débutants. «Ceux ou
Colbert (1685) prévoyait son application celles qui, n'ayant point été repris de Justice
à l'égard des serviteurs de couleur : « L'esclave déclare l'Ordonnance du 4 mars 1724, se
fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à trouveront, pour la première fois, convaincus
compter du jour que son maître l'aura dénoncé d'autres vols que ceux commis dans les églises,
en justice, aura les oreilles coupées et sera ou vols domestiques, ne pourront être con-
marqué d'une fleur de lys sur une épaule; s'il damnés à moindre peine que celle du fouet, et
récidive, un autre mois à compter pareillement d'être flétris d'une marque en forme de lettre
du jour de la dénonciation, il aura le jarret V, sans préjudice de plus grandes peines, s'il
coupé et il sera marqué d'une fleur de lys sur y échoit ». C'est en laissant pousser leurs
l'autre épaule; et la troisième fois, il sera puni cheveux et une barbe hirsute que les bandits
de mort. » Flétrissure indélébile, la marque cachaient le mieux cette infamie. Les mineurs
servait de véritable casier judiciaire (Margue- délinquants n'échappaient pas à la redoutable
rite Rateau), à une époque où ce système n'était brûlure. A Dinan, en 1780, un certain Pierre-
pas inventé. A l'aide d'un fer brûlant retiré de Jacques Pinson, domestique de ferme âgé de
la braise, le bourreau appliquait sur l'épaule treize ans, fut fustigé pendant trois jours,
droite, (ou sur les deux épaules, en cas de puis marqué, pour avoir volé de la menue

Jan Luyken. Marque, mutilation et décollation des hérétiques Peine de la marque appliquée à la veuve et complice
aux Pays-Bas, Série des Persécutions religieuses (XVIIe siècle). de l'empoisonneur Desrues, en 1779. (Cliché Roger Viollet).
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LeDuMuséemêmeauteur.delaBestialité"
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