Vous êtes sur la page 1sur 1

La croix et le pardon

Iouri DOMBROVSKI
— Le Christ, Vladimir Mikhaïlovitch — c'est ainsi qu'on vous nomme, si je ne me trompe ?—
le Christ, lui, avait le pouvoir de pardonner et d'absoudre. Aussi l'appelons-nous le Rédempteur.
Mais, étant Dieu unique en trois personnes, Dieu, c'est-à-dire Tout-Puissant, n'aurait-il pu rédimer
sans descendre du Ciel sur la Terre ? Ou plutôt, sans même racheter, pourquoi n'aurait-il pas pu
remettre les péchés ainsi que nous le faisons ? Pourquoi lui a-t-il fallu souffrir et mourir ? Y avez-
vous réfléchi ? Non, bien sûr ! Pour vous, le Christ, la Trinité, le Père qui envoya son Fils au
supplice, et le Fils qui implorait le Père : « Faites que ce calice s'éloigne de moi ! », pour vous, ce ne
sont que des fables. Soit ! Mais ces fables doivent receler un sens. Quelle est, selon vous, la morale
de celle-ci ?
— Le Christ n'est pas une fable, dit Kornilov. Je crois que cet homme a existé, qu'il a vécu,
enseigné, et que, pour cet enseignement, il a été crucifié.
— Voilà qui est mieux : vous croyez donc au Christ-Homme. Mais moi, je crois aussi au
Christ-Dieu, au Verbe de saint Jean : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu. » Or,
si cela est vrai, la moralité de cette fable tombe sous le sens : même Dieu, vous m'entendez, même
Dieu n'a pas osé pardonner aux hommes du haut des cieux, parce que la valeur d'un tel pardon eût
été nulle. Non, descends de ton Sinaï, mets-toi dans la peau infâme de l'esclave, vis et fais pendant
trente-trois ans le métier de charpentier dans une bourgade crasseuse, subis tout ce qu'un homme
peut subir venant d'autres hommes, et quand ils se seront bien moqués de toi, quand ils t'auront
flagellé à coups de fouet et de chaînes, des chaînes, vous ne le savez peut-être pas, terminées par
de petites boules métalliques qui mettaient les entrailles à nu, donc, quand tu auras été ainsi
lacéré, puis traîné au bout d'une corde et cloué nu — nu, entendez-vous, nu — au poteau d'infamie
et de dérision, alors, du haut de ce gibet atroce, demande-toi  : et maintenant, aimes-tu les hommes
comme avant ? Et si, même alors, tu réponds : « Oui, maintenant encore je les aime, je les aime
tels qu'ils sont, je les aime malgré tout », alors, pardonne ! Car ton pardon sera chargé d'une si
formidable puissance que quiconque croira qu'il peut être pardonné par toi, celui-là sera pardonné.
Pardonné parce que l'absolution ne lui a pas été accordée par un Dieu trônant dans les cieux, mais
par un esclave crucifié, et non pas au nom d'une entité mystérieuse, mais en son propre nom.
Voilà ce que signifie la fable de la Rédemption.
La faculté de l'inutile, Albin Michel, 1979, pp. 184-185.
Christus n° 170 HS, Pratiques ignatiennes, p. 95-96.

Vous aimerez peut-être aussi