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Alain Roumestand

Fidel Castro Ruz

El Tactico
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Régis Debray dans la revue « Les temps
modernes » : « Le castrisme : une action
empirique et conséquente, qui a rencontré
le marxisme sur son chemin, comme sa
vérité ».

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Un professeur d’études latino-américaines à
l’université John Hopkins Maryland et ancien chef de
la mission diplomatique des Etats-Unis à La Havane,
s’exprime ainsi sur la révolution castriste et ses
résultats : « Par rapport aux objectifs que s’étaient fixés
les jeunes révolutionnaires, ils peuvent avancer des
succès tels que l’éducation et la santé gratuites pour
tous. En ce qui concerne le logement et l’alimentation,
il y a des pénuries… il existe toujours une certaine
loyauté à l’égard de la révolution car une partie des
promesses a été tenue. Au passif, il faut placer
l’agriculture qui ne fonctionne pas. Le système
universitaire forme des diplômés mais ils ne trouvent
pas de débouchés ».
Un professeur émérite d’université, dans un livre
réalisé à l’intention des étudiants candidats aux
concours nationaux, est louangeur avec le régime. Et
il écrit « La société cubaine s’était habituée à un
certain niveau de confort matériel » (avant la période
spéciale).

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Un écrivain, opposant, décrit une déambulation
dans la Havane : « Par O’Reilly, par Obispo, par
Empedrado, par toutes les rues qui débouchent sur la
baie, des gens en quête de la fraîcheur de la mer, après
une nouvelle journée monotone… et de petites
jouissances (… une paire de chaussures à la bonne
pointure, un tube de pâte dentifrice) qu’ils n’ont pas pu
satisfaire, de grandes aspirations (un voyage, une
maison spacieuse) qu’il serait même dangereux de
révéler… »
« Cuba respecte la liberté d’expression entre
citoyens… Mais le régime n’admet pas l’expression
médiatisée d’opinions contraires aux politiques définies
par l’Etat » écrit encore un professeur spécialisé dans
l’histoire de l’Amérique latine.
Une écrivaine née à La Havane en 1962, émigrée à
14 ans, universitaire, écrit : « Je me souviens de la
plaisanterie de Mama sur la révolution : les écoles, les
hôpitaux, les prisons ».
Une autre, farouche opposante : « Les amis de
notre pays qui étaient très souvent les plus médiocres
de toutes les gauches du monde, ceux que personne
n’écoutait dans leur propre pays et qui venaient ici
dans des hôtels cinq étoiles manger et boire à l’œil ».
La même opposante, qui a initié une
manifestation parisienne pour défendre « les dames
en blanc », femmes et filles de personnes
emprisonnées, s’est vue traitée d’organisatrice d’une

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« sauterie en faveur des mercenaires cubaines, qui a
rassemblé moins de cinquante adeptes de sa secte, une
machination initiée par les nostalgiques de la dictature
criminelle de Batista et ses affidés ».
Un auteur de polar français ne fait pas dans le
détail. « De jour, la Havane offrait un spectacle
déprimant, malgré la végétation tropicale jaillissant de
milliers de jardins laissés à l’abandon. Celui d’une
ville en pleine décomposition, rongée par l’humidité,
le manque d’entretien, et le socialisme… Sciemment
Fidel Castro avait laissé la Havane, symbole du
capitalisme, se dissoudre dans la chaleur humide des
Caraïbes ».
À la lecture de ces quelques lignes Cuba et sa
révolution apparaissent très clivants et le sang-froid
doit être de mise pour tout observateur un peu sérieux.
L’historien qui cherche à faire œuvre utile et
objective se doit de ne négliger aucune source. Mais il
doit se garder de privilégier l’un ou l’autre camp et
rechercher sa route en évitant les obstacles de la
détestation ou de l’hagiographie, mauvaises
conseillères.
Comme je l’avais fait dans une recherche sur
Robespierre, j’ai souhaité agir en toute impartialité en
appliquant les principes de la critique historique à
l’action révolutionnaire de Fidel Castro. Celui-ci a
voulu voir surgir parmi le peuple cubain « des foules
de Robespierre ». Dans une conversation avec

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l’auteur, Bertha Alvarez, historienne de l’université de
La Havane, a comparé la France de Robespierre, face à
l’Europe monarchique liguée contre elle, à la
République cubaine entravée par l’embargo
américain. Les deux hommes ont fait naître des
sentiments extrêmes. Ils méritent mieux dans
l’historiographie contemporaine. « Ni cet excès
d’honneur, ni cette indignité ».

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Les racines de l’enfance

Le point de départ de l’aventure est une région


située à l’est de la Grande Ile de Cuba, Biran et ses
familles pauvres et dignes, loin de la société de
Santiago de Cuba.
C’est dans une fratrie de 2 enfants, Angela et
Ramon, que naît, hors du mariage, Fidel Castro Ruz le
13 août 1926, soit trois ans avant la « grande
dépression » économique mondiale, qui verra des
centaines de travailleurs cubains se retrouver au
chômage. Castro serait né en fait le 13 août 1927 et
c’est à 12 ans qu’on lui aurait donné un an de plus,
pour avoir les 13 ans lui permettant d’accéder à
l’enseignement secondaire.
Angel Castro y Argiz, le père, est un émigré
pauvre, espagnol (son village natal Lancara, près de
Lugo, province de Galice). Il découvre Cuba en 1887,

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enrôlé dans les troupes hispaniques luttant contre les
nationalistes cubains qui désirent ardemment
l’indépendance de l’île. Carlos Manuel de Cespedes,
propriétaire terrien, avait lancé un appel à la liberté et
à l’insurrection.
Démobilisé et de retour en Espagne, il pense avec
ferveur à l’île, et, dès qu’il le peut, la rejoint en 1899,
alors que la domination espagnole a été vaincue par
José Marti, le héros national.
Sans argent, il s’emploie dans l’industrie. Il
travaille dans une briquetterie que possède son oncle.
Il vend aussi de la limonade, puis il loue des terres à
l’United Fruit Company, américaine, et devient
colono. Il économise pour acheter des terres. Il finit
par se constituer une grosse exploitation agricole, une
finca, près du célèbre champ de bataille de Dos Rios.
C’est là que périt, en 1895 le père de l’indépendance
cubaine, José Marti, l’auteur très anti-impérialiste du
« Manifiesto de Montecristi », cosigné avec le général
Maximo Gomez.
Sur plusieurs centaines d’hectares, plusieurs
dizaines d’ouvriers agricoles travaillent le sucre et le
bétail, pour Angel Castro. C’est le domaine Manacas.
Les banques étrangères, américaines, possèdent
80 % de la production de sucre ; les Etats-Unis ont par
ailleurs le monopole du chemin de fer, de l’électricité
et du téléphone.

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La mère de Fidel, Lina Ruz, qui sera épousée en
deuxième noce, est beaucoup plus jeune que son père
(28 ans de différence). C’est une femme solide et
travailleuse, issue d’une famille pauvre, catholique
dans l’âme, qui s’occupera avec attention de ses trois
fils et de ses quatre filles. Un autre fils Raul (en 1931)
et trois filles naîtront après Fidel.
Comme les parents de Fidel se sont formés eux-
mêmes, ils vont vouloir une bonne éducation pour
leur progéniture.
Après avoir passé sa petite enfance au grand air, à
monter à cheval, à nager et à l’école publique de Biran
où il se montre indiscipliné, quittant la classe… en
agitation permanente, Fidel intègre, au début de 1932,
l’école des frères maristes de Santiago. Il y rejoint son
frère aîné et son cadet Raul y sera lui aussi inscrit
quelques années plus tard.
Il sera interne chez une institutrice très démunie,
mais qui, d’origine haïtienne, l’initiera à une
éducation à la française. Il dormira sur un canapé
placé contre un mur dans un couloir. Après avoir vu
les ouvriers des grandes entreprises sucrières
américaines vivre dans la difficulté, il expérimente des
conditions de vie spartiate. Ce qui ne l’empêchera pas
de s’initier au « savoir vivre bourgeois » : « ne pas
parler la bouche pleine, ne pas aspirer la soupe, ne pas
mettre les coudes sur la table ». L’adolescent lira « Les
misérables » de Victor Hugo.

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A la Havane le dictateur Machado perd le pouvoir
à la suite d’une grande grève insurrectionnelle. Le
gouvernement provisoire qui le remplace est lui-
même renversé par une rébellion de l’armée avec un
leader qui va marquer l’histoire du Cuba
prérévolutionnaire, le sergent Fulgencio Batista.
En 1935 après avoir été baptisé dans la cathédrale
de Santiago, le jeune Fidel rentre à l’école catholique
de la Salle. Puis ce sera le collège jésuite Dolorès de
Santiago où il sera le condisciple de jeunes issus du
milieu aisé de la ville.
D’un naturel peu enclin au travail scolaire,
introverti, une certaine propension à l’ennui, Fidel
aime les sports et les pratique avec bonheur
(notamment le base-ball, sport national cubain, la
course à pieds, le ping-pong, la natation, le basket, la
boxe). Son père lui avait pourtant donné son premier
cigare à 14 ans ; il s’arrêtera de fumer à 60 ans.
Quand il faut donner un « coup de collier » pour
passer un examen, il sait mettre en œuvre les moyens
de réussir. Ne travaillant pas en cours, il veille jusqu’à
trois heures du matin pour rattraper son retard.
Il donne du fil à retordre à l’administration de
son école qui note son intelligence, son éveil, son
intérêt pour la presse, mais aussi son impulsivité.
C’est dans ses « années collège » qu’il écrit une
lettre au président américain Franklin Delano

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Roosevelt qu’il assure de son admiration pour les
U.S.A. La lettre réponse du président sera affichée au
tableau du collège.
En 1942, alors que Batista chef d’état-major de
l’armée est au pouvoir depuis deux ans après son
élection à la présidentielle de 1940, Castro quitte le
collège de Santiago pour le « nec plus ultra », le lycée
jésuite, établissement prestigieux de la capitale, La
Havane, dans le quartier résidentiel de Alturas de
Belen.
Les jésuites vont beaucoup le marquer par leur
enseignement : éthique (qu’il revendiquera comme
essentielle), honneur, ténacité, sacrifice, rigueur,
application, vie spartiate. Les jésuites, qui savent se
montrer très anti-américains, dénonçant le culte de
l’argent et qui opposent les USA à l’Amérique latine
aux intérêts divergents. Fidel Castro animera même
un cercle de réflexion aux côtés d’un père jésuite. Plus
tard, il aura parmi ses compagnons de la Sierra
Maestra, Guillermo Sardinas, père diocésain. Il
portera d’ailleurs sur lui le médaillon de la vierge del
Cobre.
Certes Fidel Castro, issu de la campagne, se
heurte à certains préjugés urbains, mais ses talents,
toujours sportifs, lui acquièrent la sympathie et le
respect de tous (il gagnera de nombreux trophées qui
enchanteront les autorités de son école, ravies de la
renommée acquise).

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L’étudiant Castro

Alors que le second conflit mondial se termine,


Fidel Castro obtient son baccalauréat littéraire et
s’inscrit en Droit et Sciences Sociales à l’université de
La Havane, en octobre 1945. Il travaille pour obtenir
ses diplômes mais sans acharnement.
Le combat politique dans la capitale l’attire. Il
commence sa carrière d’homme public dans les
organisations étudiantes. Le climat politique de Cuba
à ce moment de l’histoire du pays est délétère et
violent. Les leaders des organisations politiques et
syndicales sont souvent obligés de porter une arme
tant la violence exercée est forte.
Cuba avait obtenu des Espagnols l’indépendance
dans des conditions très particulières. A la suite d’un
conflit quasi-colonial entre les USA et l’Espagne, cette
dernière, après capitulation, laissa les américains

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s’installer à Cuba. Un gouvernement local pro-
américain fut mis en place mais les USA pouvaient
intervenir à n’importe quel moment militairement si
leurs intérêts étaient menacés. C’était l’amendement
Platt (1901) imposé par les américains à la
constitution cubaine, avec le contrôle économique de
l’île, le droit d’intervention, la mise à disposition de
terrains pour les bases navales américaines. Cet
amendement fut abrogé en mai 1934 par le président
Roosevelt, mais la pratique perdura.
Le pays fut mis en coupes réglées par de
nombreux affairistes qui, par le biais des casinos, des
salles de jeux, des villégiatures balnéaires,
s’enrichirent rapidement grâce à l’économie parallèle.
La population cubaine vécut dans cette période noire
en marge de tout développement social. La pègre
proliféra et dicta par moment ses conditions
économiques aux gouvernements en place. Cette
main-mise américaine développa dans la population
un sentiment anti-yankee qui transpirait partout.
Fidel Castro est bien l’homme de cette époque
troublée. Il a vingt ans. Il adhère à la nouvelle ligue
anti-impérialiste des étudiants latino-américains et,
en novembre 1946, il prononce un grand discours au
cimetière de Colon à La Havane, devant le panthéon
des martyrs, pour le soixante-quinzième anniversaire
de la lutte des étudiants contre l’Espagne colonialiste.
Il fonde le « Mouvement étudiant pour l’action dans

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les Caraïbes », s’investit en 1947 dans une expédition
qui voulait renverser le dictateur dominicain Trujillo,
après s’être entraîné à Holguin, dans l’Oriente. Il
manifeste dans La Havane, à la tête des étudiants. Il
proteste contre le gouvernement à la solde des USA. Il
rejette la répression lorsqu’elle s’abat sur les cortèges
de rue ou lorsqu’elle remet en cause
l’extraterritorialité de l’université. Il dénonce la
discrimination raciale avec un comité universitaire.
En 1947, toujours étudiant, il adhère au Partido
Ortodoxo(Parti du Peuple Cubain Orthodoxe), le
grand parti reconnu, qui lutte contre la corruption à
tous les niveaux de l’Etat. Il devient président de la
Fédération des Etudiants de l’Université (FEU).
Il fréquente une pension dans le quartier du
Vedado près de l’université. Il écrit des articles contre
les gangs politiques et syndicaux, dans un journal
étudiant « Saeta » (la flèche), qu’il a lancé avec les
communistes. Il participe à des émissions de radio.
Il dénonce toujours la situation des paysans sans
terre. La richesse du pays est toujours aux mains de
l’étranger.
Il prend souvent la parole pour des discours
imagés qui captent l’attention. Il a un sens théâtral
profond, une forte présence, une expression
volontaire. Il sait utiliser l’emphase, la répétition
nécessaire à l’argumentation.

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Et il fait preuve d’un réel courage physique, d’un
calme absolu, dans un pays où les assassinats
politiques sont nombreux. Il a toujours sur lui son
Browning, qu’il gardera très longtemps.
Il rend hommage, en janvier 1948, au milieu de
milliers de manifestants qui défilent devant son
cercueil, au dirigeant syndicaliste des ouvriers
sucriers, Jesus Menendez, communiste tué par l’armée
près de Manzanillo.
Il lit Marx (« Les guerres civiles en France »,
« Le dix-huit brumaire », « La critique du programme
de Gotha »), Engels, Lénine (« l’Etat et la révolution »,
« L’impérialisme, stade suprême du capitalisme »), les
marxistes, les socialistes utopistes, en fréquentant la
librairie du P.C., sur l’avenue Carlos III (actuellement
l’avenida Allende à La Havane). Il dira plus tard : « Les
gens naissent dans une société capitaliste et sont imbibés
du concept de propriété » ; « Je suis devenu communiste
en étudiant l’économie politique capitaliste » ; « En
1952, j’étais un marxiste léniniste convaincu ».
Il se marie en 1948 avec Mirta Diaz-Balart, jeune
étudiante en philosophie dont le père est un ami de
Batista. Leur voyage de noces aura lieu à New-York
où il achète dans une librairie « Le Capital » de Marx
dont il ne lira que peu de pages. Il devient père, en
1949, d’un fils que le couple nommera Fidelito. A
cette occasion il déménagera pour un modeste

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appartement du Vedado, proche du Malecon, le front
de mer de la capitale.
Ce mariage qui durera 6 ans et sa paternité ne
l’éloigneront pas de la lutte politique et de l’activisme,
même au-delà des frontières de Cuba. Il se lie avec des
leaders étudiants d’Amérique latine et participe à des
manifestations anti-américaines, au Panama, en
Colombie. Présent en mars avril 1948 dans ce pays,
pour un congrès d’étudiants à Bogota, il fait le coup
de poing lors du Bogotazo, véritable insurrection, à la
suite de l’assassinat du leader du parti libéral Jorge
Eliecer Gaitan. Il écrit : « L’influence la plus
importante que put avoir l’affaire de Bogota sur la
stratégie révolutionnaire cubaine consiste à nous
suggérer l’idée d’éduquer le peuple en même temps que
nous poursuivons la lutte ».
De retour de Bogota, il soutient aux élections
présidentielles le sénateur Chibas, fondateur du Parti
Orthodoxe auquel il avait adhéré. Il ne soutient pas le
P.C. Chibas sera battu par le ministre du travail
Carlos Prio Socarras.
Ces actions politiques ne l’empêchent pas de
réussir ses études, y compris en auditeur libre et en ne
dormant que deux heures par nuit. En 1950 il obtient
son doctorat en droit. En quatrième année, il s’était
montré brillant en législation du travail, spécialisé en
droit diplomatique et sciences sociales. Il devient
avocat.

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La même année, il signe l’appel de Stockholm
contre l’armement nucléaire lancé par les communistes
soviétiques, européens et leurs compagnons de route. Il
publie un article dans le quotidien « Alerta » pour
demander l’indépendance de Porto Rico.
En 1951, il se présente aux élections au Congrès
cubain dans l’Oriente où il a passé sa prime jeunesse.
Malgré son charisme d’orateur, son talent de
débatteur, son côté « beau gosse », il ne sera pas élu.
Cette même année, Eduardo Chibas qui lui avait
dévolu « les jeunesses du parti » se suicidait à la radio,
après avoir accusé le ministre des Affaires Etrangères,
Aureliano Sanchez Arango, sans preuves.
Fidel Castro restera membre du Partido
Orthodoxo jusqu’en 1956. Au sein de ce parti, il
fondera l’ARO « l’Action Radicale Orthodoxe », qui
réfléchira à une prise du pouvoir en dehors de la voie
électorale. Une brochure est éditée : « Accion
Universitaria ».

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La lutte contre Fulgencio Batista :
première étape : la Moncada

Fidel Castro commence sa carrière d’avocat par


des causes perdues, au bénéfice des pauvres qui paient
en nature, ou ne paient pas, dans son cabinet de
Habana Vieja, la vieille ville historique, quartier des
banques. Il est le défenseur du pauvre et de l’opprimé,
grand jeune homme volontaire à la barre de la
défense. Il représente en justice des milliers de
résidents pauvres de la Pelusa Habana, dont les
maisons doivent être rasées pour créer un vaste
ensemble municipal.
Parallèlement il continue sa militance, publie un
« J’accuse » dans « Alerta », en janvier 1952, pour
dénoncer le gouvernement Prio Socarras, « ses palais,
ses piscines, ses exploitations agricoles ». Il soutient une
campagne contre l’obligation faite aux soldats de

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travailler sur les propriétés des hauts fonctionnaires,
civils ou militaires.
Les soubresauts de la vie politique cubaine
continuent allègrement. Et l’acteur principal sur la
scène politique est Fulgencio Batista.
L’ancien sergent sténographe Batista Zaldivar
avait participé au renversement du gouvernement en
septembre 1933, avec l’appui du département d’état
américain, puis avait été élu président en 1940,
gouvernant avec le soutien de l’armée, des
conservateurs et des communistes. Juan Marinello et
Carlos Rafael Rodriguez étaient au gouvernement,
mais sans portefeuille ministériel. La troisième
internationale communiste, le Komintern,
pragmatique, prônait des fronts populaires partout où
la situation politique le permettait.
Il avait fait adopter une constitution très social-
démocrate garantissant les droits fondamentaux des
citoyens. Il avait réalisé des réformes sociales
progressistes et avait organisé des élections libres en
1944 qui avaient porté au pouvoir son opposant
Ramon Grau San Martin.
Le 10 mars 1952, Batista, s’appuyant sur la
volonté de la population (Cuba compte six millions
d’habitants) « décide d’en finir avec les magouilles et
la corruption ». Il prend le pouvoir depuis le camp
militaire Columbia à La Havane, quelques mois avant

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les élections générales que le Parti Orthodoxe devait
gagner sans coup férir.
Un nouveau coup d’état (le deuxième pour
Batista) contre le président Carlos Prio Socarras.
Depuis la création de la République, l’histoire cubaine
en est émaillée.
Fidel Castro, l’avocat, a déjà eu, dans un passé
proche, l’occasion de rencontrer Batista dans sa
propriété, grâce à son beau-frère Rafael Diaz Balart
qui fut le condisciple du militaire.
Conformément à son action passée, il en appelle à
la Cour Constitutionnelle de l’Etat pour qu’elle
condamne ce « golpe » indigne et exige l’arrestation
du dictateur en puissance. Cette lettre à la Cour sera
sans suite. Le journal « La Palabra » publiera une
féroce attaque de Castro et sera interdit.
Le gouvernement de Carlos Prio Socarras a vécu
et les sous-officiers fédérés autour de Batista
s’installent au pouvoir après s’être débarrassé des
officiers supérieurs de l’armée cubaine. Rafael Diaz
Balart est nommé vice-ministre de l’intérieur dans le
gouvernement formé par Batista.
Fidel Castro mène alors contre le nouveau régime
une seconde action, cette fois clandestine. Il veut à
terme se montrer, avec ses partisans, comme
l’alternative à la politique de Batista et des partis
existants qui n’ont pas apporté de véritable solution à

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la corruption, à la pauvreté. Le projet n’est plus de
transformer la société par les voies ordinaires mais
par l’intervention d’un projet révolutionnaire.
La détermination des opposants au régime trouve
une nouvelle force dans le côté sombre de l’action
gouvernementale. En 1952, Batista, qui avait
rencontré à Daytona Beach, en Floride le truand
Meyer Lansky, lui confie l’organisation des jeux à La
Havane. Une loi ultérieure de 1955 autorisera
l’ouverture légale d’un casino dans tout grand hôtel
ou night-club. L’hôtel Riviera, symbole de cette
époque, sera construit pour quatorze millions de
dollars dont six seront avancés par des banques
contrôlées par le gouvernement. Les machines à sous
seront contrôlées par Roberto Fernandez Miranda,
beau-frère de Batista.
Cette situation délétère met un point final à la
détestation du régime.
Durant l’hiver 52-53, les réunions secrètes vont
bon train. Des militants du Partido Ortodoxo suivent
Castro. L’obligation du secret s’accompagne de la
création de cellules de dix à vingt adhérents, d’une
instruction militaire, de la création d’un comité
militaire et d’un comité politique. Le quartier général
est situé dans le quartier du Vedado, dans un
appartement appartenant aux Santamaria, amis de
longue date de Fidel Castro (Haydée Santamaria

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fondera la « Casa de las Americas », institution
culturelle, après la prise du pouvoir).
Un journal diffuse les idées, « El Accusador ». Fidel
Castro écrit aussi dans la publication communiste
« Mella » et il signe Alejandro. A la mort de Staline en
mars 1953, il n’aura aucune réaction, malgré son
implication dans cet organe de presse. Une radio « Les
ondes libres de la résistance et du mouvement de
libération nationale » est créée.
Parmi les cadres du mouvement clandestin,
Franck Païs, Vilma Espin, épouse de Raul Castro,
Rafael Garcia Barcena et son MNR (Mouvement
National Révolutionnaire, Movimiento Nacional
Revolutionario), Melba Hernandez, juriste. Parmi les
militants, un employé d’une fabrique de
réfrigérateurs, un éleveur de poulets, le patron d’une
petite affaire commerciale, un charpentier, un maçon,
un cuisinier, un serveur, un employé de bureau, un
chauffeur, un boulanger, un chômeur.
Des centaines de kilomètres sont parcourus pour
réunir douze cents hommes environ. Les militants
havanais s’entrainent d’abord sur le campus de
l’université, dans les sous-sols. Fidel Castro choisit
ensuite une ferme située au sud-est de La Havane. Un
club de chasseurs est même sollicité pour pouvoir
faire tirer les militants à balles réelles, comme de
simples adhérents du club.

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La première pierre du projet révolutionnaire est
posée le 26 juillet 1953 (seize mois après le coup
d’état), par l’attaque de la Caserne de la Moncada
(qui contient beaucoup d’armes), de la caserne
Carlos Manuel de Cespedes, du Palais de justice, de
l’hôpital, au centre de Santiago et l’attaque
simultanée de Bayamo. Fidel Castro groupe autour
de lui cent soixante-cinq companeros déterminés
qui partent à l’assaut de la caserne au nom du héros
José Marti, père de l’indépendance cubaine. Le
centième anniversaire de sa naissance a été fêté le
28 janvier par Batista, la F.E.U, le Parti Ortodoxo,
les Jeunesses Socialistes.
Les assaillants ont été choisis dans vingt-cinq
cellules des provinces de La Havane et de Pinar Del
Rio (à l’ouest de l’île).
Fidel Castro va rejoindre Siboney en Buick
(mille kilomètres de route, 48h sans dormir). Il
casse ses lunettes qu’il remplacera à Santa Clara. Et
il arrive sur place, à Santiago en plein carnaval. Il
retrouve autour de plats de poulet au riz, les
militants arrivés en train, en autocar ou en voiture.
À 4h du matin, il expose à tout son monde les
grandes lignes de l’assaut. L’attaque est fixée à
5h15 ; les hommes seront en tenue de l’armée de
Batista.
La Buick, qui devait prendre la tête des
attaquants, cale au pied de la forteresse de la Moncada

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et la rencontre, imprévue et inopportune, avec une
patrouille, tourne à la catastrophe.
Fidel Castro dira plus tard : « On peut s’emparer
d’une caserne avec une poignée d’hommes, si la garnison
est endormie ; mais pas d’une caserne où plus de mille
hommes tirent de partout comme des forcenés ».
L’assaut est repoussé par les troupes régulières.
Quatre-vingt-dix morts, une cinquantaine de
prisonniers exécutés.
Raul, le communiste inscrit aux Jeunesses
Socialistes de Lionel Soto, après avoir visité Bucarest,
Budapest, Prague dans l’Europe communiste, était
présent auprès de son aîné. Les frères Castro sont
arrêtés le 1 août, après avoir tenté de se réfugier dans
les montagnes de la Gran Piedra, avec quelques autres
attaquants de la Moncada, parmi lesquels des femmes
(dont Marta Rojas qui fera passer des pellicules photo
dans son soutien-gorge, pour le magazine
« Bohemia »).
Tous pourraient être exécutés sans autre forme de
procès. Ce n’est pas le cas. Ils sont enfermés à la prison
provinciale de Boniato. Fidel Castro est présenté
officiellement comme beau-frère du ministre des
transports. Il passe soixante-quinze jours au cachot.
Le 21 septembre, le procès s’ouvre face à un
public de soldats et d’officiers. Devant le tribunal
d’urgence de Santiago de Cuba, bâtiment investi par
Raul le jour du soulèvement. Fidel Castro assure lui-

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même sa défense en s’en prenant directement à
Fulgencio Batista.
Les autres détenus dénoncent, avec force détails,
la torture exercée contre certains prisonniers. Des
communistes arrêtés seront acquittés car ils se
désolidarisent des fidélistes. Très vite, il s’avère que
Fidel Castro doit être jugé, comme principal
instigateur, dans un autre procès.
C’est devant ses nouveaux juges, des
journalistes et une centaine de gardes qu’il
prononce, le 16 octobre, le discours emblématique
connu sous le titre de « L’histoire m’absoudra »
(« La historia me absolvera »). Il reconnaît sa
culpabilité dans une plaidoirie fleuve de plusieurs
heures apprise par cœur et qui dénonce la misère
des ouvriers des villes et des champs. Il présente un
véritable programme politique intégrant le partage
des terres, le logement, la santé, l’éducation, pour
les plus pauvres.
Cinq lois révolutionnaires sont présentées : la
constitution de Batista de 1940 rétablie, la propriété
non hypothécable et intransmissible de la terre à tous
les fermiers, métayers, le droit de participer à hauteur
de 30 % aux profits des grandes entreprises pour les
travailleurs et employés, pour tous les fermiers le
droit de participer à hauteur de 55 % au rendement de
la canne à sucre, la saisie de tous les biens appartenant
aux concussionnaires des gouvernements précédents.

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Avec la prise du pouvoir, suivraient la réforme
agraire, la réforme de l’enseignement, la nationalisation
des trusts (électricité, téléphone) et la création de
coopératives agricoles.
« Nous appelons peuple, lorsqu’il s’agit de lutte, les
six cent mille cubains sans travail, les cinq cent mille
ouvriers agricoles qui habitent des baraques misérables,
qui travaillent quatre mois par an, les quatre cent mille
travailleurs industriels et manœuvres dont la retraite est
compromise, les cent mille petits cultivateurs qui vivent
et travaillent sur une terre qui ne leur appartient pas, les
trente mille instituteurs et professeurs si dévoués, les
vingt mille petits commerçants écrasés de dettes, les dix
mille jeunes intellectuels, médecins, ingénieurs, avocats,
vétérinaires, pédagogues, dentistes, pharmaciens,
journalistes, peintres, sculpteurs, qui achèvent leurs
études remplis d’espoir et qui, une fois leurs diplômes
obtenus, se trouvent dans une impasse ».
Et Fidel Castro de citer « Le contrat social » de
Jean Jacques Rousseau : « Renoncer à la liberté, c’est
renoncer à la qualité d’homme… 0ter toute liberté à la
volonté, c’est ôter toute moralité aux actions ».
Et Fidel Castro de faire référence, pour appeler à
la révolte contre le despotisme, aux monarchies de la
Chine antique, aux penseurs de l’Inde, aux cités
grecques, à la république romaine, à Jean de Salisbury,
Saint Thomas d’Aquin, Martin Luther, Montesquieu,
John Locke, Thomas Paine, José Marti… Avant

29
d’analyser l’économie de son pays : « Nous exportons
du sucre pour importer des bonbons, nous exportons
du cuir pour importer des chaussures, nous exportons
du fer pour importer des tracteurs… Il faut améliorer
nos industries alimentaires pour pouvoir résister à la
concurrence des industries européennes, des
conserveries américaines ».
A la fin de cette plaidoirie, il est condamné à
quinze ans de prison. Le 5 octobre précédant, vingt-
neuf de ses camarades, dont Raul, avaient été
condamnés eux aussi à la prison (pour certains,
jusqu’à treize ans d’incarcération).
Cette défaite de la Moncada n’en sera pas moins
considérée comme un moment fort de la révolution
castriste : le 26 juillet deviendra fête nationale.
A l’aune des évènements qui suivirent on peut
penser que si l’attaque de la Moncada avait réussi, il
n’est pas sûr que l’URSS, qui se révélera indispensable
par la suite, aurait soutenu la jeune révolution. Staline
venait de mourir en mars 1953 et le pouvoir
soviétique était en pleine lutte interne. Fidel Castro
n’aurait pas pu résister à la pression des États Unis et
le nouveau pouvoir n’aurait été qu’un feu de paille.
L’échec fut donc salvateur.

30
4
Castro en prison sur l’île des pins

Pour Gabriel Garcia Marquez : « une chose est


sûre : où qu’il soit, avec qui que ce soit, Fidel Castro est
là pour gagner. Je ne crois pas qu’il y ait au monde un
plus mauvais perdant que lui. Son comportement
devant chaque défaite, jusque dans les plus petits
détails de la vie, semble obéir à une loi personnelle. Il
ne l’admettra jamais et il ne trouvera aucun repos tant
qu’il n’aura pas réussi à retourner la situation et à en
faire une victoire ».
C’est ainsi que Fidel Castro le détenu 4914, va
positiver ce passage dans la prison Modelo, sur l’Ile
des Pins, en espérant bien être libéré, sans avoir purgé
la totalité de sa peine.
Avec sa vingtaine de compagnons que l’on
retrouvera ultérieurement dans la Sierra Maestra, il

31
organise une véritable école révolutionnaire sur le lieu
de son incarcération.
Des cours pour former les « militants » sont
organisés, en tenant compte des compétences de
chacun. Au programme : philosophie, espagnol,
mathématiques, histoire du monde et de Cuba,
géographie, anglais, littérature internationale,
physique, économie politique, et même prise de parole
en public. Lui-même met la main à la pâte en se faisant
enseignant.
Ces grands thèmes sont ceux d’un révolutionnaire
pratique, interpellé par les injustices qu’il a pu
appréhender dès l’enfance sur les terres de son père,
d’un révolutionnaire sensible à la société sans injustices
prônée par José Marti. Il est marxiste, compagnon de
route des marxistes, sans être marxiste-léniniste,
hostile aux États Unis qu’il a vus à l’œuvre dans son île.
Mêlant idéologie et circonstances locales, contexte
régional, c’est bien « El practico », le praticien
pragmatique.
Il faut mettre à profit ces mois d’inaction pour
aguerrir les futurs combattants, quand ils reprendront
le combat à leur sortie de détention. Car la lutte
continue.
Grâce à une administration pénitentiaire honnête,
il obtient des livres. Une véritable bibliothèque est
créée, elle comptera jusqu’à 500 volumes. On y trouve
pêle-mêle Saint Thomas d’Aquin, Tourgueniev,

32
Dostoïevski, Kant, Freud, Thackeray, Cronin,
Somerset Maugham, Balzac dont « le style influence
Marx », Victor Hugo, Shakespeare, Romain Rolland,
Marx, Marti. Des ouvrages sur les révolutions
anglaise, américaine, française (Castro se déclare ému
par la « Marseillaise » et lit tout ce qui concerne les
Girondins) russe, la Commune de Paris achèvent la
formation historique des prisonniers.
Il alimente aussi le débat politique par des écrits
qu’il arrive à faire passer à l’extérieur de la prison. Des
textes avec une encre invisible à base de jus de citron,
des mots dans des boites d’allumettes, des messages
dans la nourriture cuisinée par les prisonniers, ou
dans des cigares. « L’histoire m’absoudra » va circuler
largement dans le pays.
Physiquement, les hommes s’astreignent à des
activités sportives nombreuses et variées. Les journées
commencent tôt. Rien d’émollient dans le timing
quotidien ; l’emploi du temps est serré.
Fidel Castro en arrive même à préparer la
coordination précise de son « Mouvement Révolu-
tionnaire du 26 juillet » (Movimiento Revolu-
cionario 26 de julio, M-26-7). Peu à peu, se
dessinent les contours d’une structure
révolutionnaire capable de mobiliser la population
et d’apporter au pays une transformation radicale.
En germe aussi la création du « Directorio
Revolucionario » avec le mouvement étudiant.

33
Un hymne du Mouvement est même composé,
que les détenus chantent à certains moments
d’exaltation.
Mais cette période n’est pas seulement un temps
enthousiasmant d’étude et de dure préparation. Les
conditions de détention peuvent être pénibles. Les
jours de cachot, pour manquements au règlement,
sont longs. Les rappels à l’ordre du pouvoir central
peuvent durcir la situation des prisonniers.
A l’extérieur de la prison, Celia Sanchez, que Fidel
a connue alors qu’elle était membre fondatrice du
Parti Ortodoxo en 1947, mène une véritable
campagne pour l’amnistie des prisonniers. (Toujours
très proche de Castro, vraie « close friend », elle
mourra en janvier 1980, « notable du régime »).
En 1955, le comité des parents en faveur de
l’amnistie des prisonniers politiques, rejoint par Lidia,
sœur de Fidel, Vilma Espin, arrive à faire pression.
La vie personnelle de Fidel Castro est touchée par
une demande de divorce de sa femme qui obtiendra la
garde de leur fils. Mirta a accepté un poste au
Ministère de l’Intérieur pour pouvoir assurer le
quotidien. Elle se plaint d’une correspondance non
équivoque de son mari avec une amie de la famille,
riche épouse d’un cardiologue, Natalia Revuelta,
« Naty », qui avait accueilli dans sa maison de La
Havane les réunions politiques de Castro. Castro aura

34
un enfant avec elle, Alina, née en 1956, qui quittera
Cuba pour l’Espagne et Miami en 1993.
Une loi d’amnistie, proposée par le Congrès
fraîchement élu dans une période batistienne plus
libérale, est définitivement votée en mai. Le 15 mai
1955, les condamnés sortent de prison.
Fidel Castro n’accepte pas l’amnistie qui a pour
clause le renoncement à la lutte armée. Le bateau El
Pinero ramène les prisonniers à Batabano.
Castro pense s’appuyer sur le Parti Ortodoxo
pour lancer son mouvement du 26 juillet, alors qu’à
La Havane la violence fait rage : des assassinats, des
attentats à l’explosif, des brutalités en tous genres.
Fidel Castro s’installe chez sa sœur Lidia qui le
recueille alors qu’il est dans un état de grande
pauvreté.

35
36
5
La « traversée du désert » mexicain

Après cette libération, Fidel Castro, de retour


pour quelques semaines à La Havane, crée
officiellement et clandestinement le 12 juin le
« Mouvement du 26 juillet » (M-26-7). Il veut pouvoir
élargir la base de ses partisans et recruter parmi les
déçus des partis politiques cubains.
Il lui faut donc se faire connaître, se faire
reconnaître, par tous les moyens : presse, radio,
meetings, dans une ville où se déchaînent les violences
politiques. Il commence par publier un manifeste du
peuple cubain qui doit populariser les idées qu’il a
développées pendant son incarcération dans l’Ile des
Pins.
Mais très vite, il se rend compte qu’il ne peut
amplifier la lutte depuis Cuba cadenassé. Des
journaux d’opposition à Batista et à son régime sont
interdits. Le SIM, Service d’Information Militaire, le

37
BRAC, Bureau de Répression des Activités
Communistes, fonctionnent à plein régime.
Sa vie est constamment menacée (deux mandats
d’arrêt sont lancés contre lui). A vingt-neuf ans, le
7 juillet 1955, il est donc obligé de s’exiler. Il avait
demandé à Raul de faire le nécessaire pour obtenir
l’asile politique à l’ambassade du Mexique à La
Havane. Il choisit donc le Mexique. Il confie à
quelques compagnons la direction, quasi-clandestine,
des cellules du mouvement dans l’île, en annonçant
qu’il reviendra, confiant en l’avenir malgré sa
situation. Parmi ces compagnons, Franck Pais, très
jeune homme chargé d’organiser les actions
révolutionnaires dans l’est de l’île.
Fidel Castro a réfléchi à son retour qui pourrait
s’effectuer en Oriente, comme Marti. Une
reconnaissance des lieux est effectuée et des cartes
sont achetées pour étudier les plages. Car Fidel, après
avoir pensé s’appuyer sur le Parti Ortodoxo et se
présenter dans la ligne du regretté Eduardo Chibas,
envoie en août 1955 une adresse au congrès du parti,
en prônant l’insurrection armée et le refus des
élections parlementaires (un leurre) proposées par
Batista.
Un manifeste au peuple cubain va être publié ; il
propose une distribution de la terre aux paysans, le droit
des travailleurs de participer aux profits des grandes
entreprises, un plan d’état pour l’industrialisation du

38
pays, la réduction des loyers, la construction de quatre
cent mille logements, l’électricité dans les campagnes, la
nationalisation du gaz, de l’électricité, du téléphone,
l’éducation pour tous, la réforme fiscale, une nouvelle
administration publique, la suppression de la peine de
mort dans le code pénal pour les crimes en temps de
paix, la lutte contre la discrimination raciale et sexuelle,
une nouvelle justice.
Des bulletins envoyés à Cuba présentent ces
propositions et les militants sur place reçoivent des
instructions pour populariser les mesures révolu-
tionnaires. Et toujours une organisation secrète et très
compartimentée.
Castro interdit les attentats à la bombe, que
certains de ses militants ont trouvé judicieux, car il ne
veut pas se couper des modérés. Seuls les sabotages de
centrales électriques, par exemple, sont tolérés.
A Mexico, il a retrouvé son frère Raul. C’est là
aussi qu’il rencontre le médecin argentin Ernesto
Guevara de la Cerna, volontaire pour combattre, en
Amérique latine, l’impérialisme yankee. Le futur
« Che », grand lecteur des ouvrages marxistes
léninistes, a déjà « bourlingué » au Mexique et au
Guatemala, passionné par l’inconnu et l’aventure.
Pensant agir peut être en France ou bien en Chine,
il va s’enthousiasmer pour Cuba. Ils tombent
d’accord sur le mode d’action pour libérer Cuba de
Batista.

39
D’abord il est indispensable de trouver les fonds
pour financer et équiper les troupes nécessaires.
Ensuite, il est impératif de préparer militairement ces
troupes. Enfin, reprendre contact avec la terre cubaine
pour lutter pied à pied contre le pouvoir en place, est
l’exigence finale.
Pour entraîner la troupe, il fait appel à un ancien
combattant de la guerre civile espagnole Alberto
Bayo, d’origine cubaine, expert en techniques
militaires de guérilla.
A partir de 1956, l’entraînement peut commencer
dans une ferme au sud de Mexico, propriété d’un
ancien révolutionnaire, compagnon d’armes de
Pancho Villa.
Des fonds ont été collectés, notamment aux USA,
par une campagne menée par Fidel Castro lui-même,
en costume-cravate, lors de conférences face à des
exilés cubains à New York, Philadelphie, Tampa, Key
West, Miami en Floride. Il s’inspire en cela du héros
national cubain, José Marti, dont il suit l’itinéraire
emprunté pour une tournée identique en 1895. Il
garde aussi en mémoire le fait que Marti, en avril
1895, avait débarqué sur la côte sud-est de Cuba, dans
la baie de Guantanamo, pour lutter contre l’occupant
espagnol.
Mais la police mexicaine veille et Castro est arrêté
avec une quarantaine de ses partisans. Fidel Castro et
Ernesto Guevara seront pendant deux mois dans la

40
même cellule. Des armes sont saisies. Castro est
cependant relâché, sans être expulsé vers Cuba et il
reprend ses activités.
Pendant ce temps, à Cuba, le Directoire
Révolutionnaire, formé au sein du mouvement
étudiant et très indépendant, attaque en avril 1956,
sans rien demander à personne, la caserne de
Matanzas. Soixante-six tués parmi les assaillants.

41
42
6
L’épopée « Granma »
et la Sierra Maestra
Du naufrage à l’épopée

Une fois les troupes prêtes, Fidel Castro fait


acheter un rafiot, vieux bateau de plaisance, qui ne
peut embarquer qu’une trentaine de passagers. Ce
bateau, en bois, de douze mètres de long, appartenant
à un américain-mexicain, avec ses réservoirs de
carburant insuffisants, avait été coulé par un cyclone
avant d’être radoubé.
Il y loge quatre-vingt une personnes armées. Il a
lui-même calibré les fusils. Quatre-vingt-un
baroudeurs sont donc présents, avec un seul objectif :
Cuba. Che Guevara se souvient : « Quand on nous a
demandé qui il faudrait prévenir en cas de décès, nous
avons tous ressenti un choc ». Ils partent du port
mexicain de Tuxpan, état de Vera Cruz.

43
Sur l’île, Franck Païs, avec le Mouvement du
26 juillet, a préparé la réception des insurgés par un
soulèvement, le 30 novembre 1956. Le 28 octobre, le
père de Fidel était mort dans sa propriété de Biran.
Le périple maritime dure plus longtemps que
prévu et c’est à l’aube d’un 2 décembre froid que les
rebelles du « Granma » débarquent. Après échouage du
bateau, près de la plage Las Coloradas, les combattants
se retrouvent dans une zone de marécages touffus
couverts de mangrove, proche de la Sierra Maestra et
de ses pistes de montagne serpentant dans la « jungle ».
Un feu nourri les y attend (bombardements aériens,
armes automatiques). L’armée de Batista, avec les
douzième et treizième escadrons de la garde rurale, des
corps de gendarmerie, porte un coup sévère à la troupe
castriste, à Alegria de Pio. Une vraie débandade.
Le 5 décembre l’agence UPI (United Press
International) annonce la mort des deux frères
Castro. Vingt hommes sont arrêtés et passés par les
armes ; vingt hommes sont emprisonnés. Fidel Castro
conserve auprès de lui une quinzaine de combattants
qui vont se nourrir de saucisses et de biscuits, en
buvant le produit des pluies nocturnes et des tiges de
canne à sucre.
Avec lui, son frère Raul, Ernesto Guevara, blessé à
Alegria de Pio et asthmatique, ce qui freine la troupe,
Camilo Cienfuegos, Ramiro Valdès Menendez, Juan
Almeida. Des combattants sur lesquels il peut

44
compter et douze fusils pour commencer, mais avec la
confiance : « On va gagner ».
Le découragement n’atteindra jamais ces
hommes.
La guérilla est lancée et ses premières victoires
seront la prise de la caserne de La Plata Abajo et à
Llanos del Infierno la lutte victorieuse contre des
troupes batistiennes commandées par le colonel
Angel Sanchez Mosquera.
Les « barbudos », cheveux longs et barbus en
signe de reconnaissance, la Sierra guerrière, nouent le
contact avec les révolutionnaires de l’intérieur, le
Llano subversif des villes, qui organisent leur propre
combat contre le régime. Ces derniers luttent contre
la Confédération des Travailleurs Cubains liée au
pouvoir et forte d’un million d’adhérents. Ils
recrutent des volontaires et transportent des armes
vers la Sierra. Beaucoup de cubains sont passés par un
service militaire et ils connaissent le maniement des
armes.
Les communistes cubains, dès le début, ont été
hostiles à cette technique d’insurrection, considérant
que les conditions objectives n’étaient pas réunies.
Interdits par Batista après son coup d’état de mars
1952, ils organisent des grèves, cherchent des
alliances, y compris avec des opposants « bourgeois »,
pour créer un vrai front populaire.

45
La stratégie des castristes est de combattre dans la
Sierra Maestra contre les troupes officielles.
Deux années au cœur de la Sierra s’ouvrent, de
forêt en forêt, « le long de sentiers boueux où les pieds
roulent sur les pierres ». Le climat dur des sommets et
la moiteur repoussante des marécages, les moustiques,
la malaria, des conditions plus que précaires, des nuits
sur le sol, des jours sous le feu adverse. Castro
s’inspire des guerres d’indépendance contre le
colonialisme espagnol au milieu du XIXème siècle et du
mythe de Bolivar libérateur de l’Amérique latine. Il lui
faut créer une enclave révolutionnaire dans laquelle
les habitants, essentiellement des cultivateurs,
puissent voir comment les guérilleros modifient la
donne en supprimant les injustices.
L’armée rebelle met la main à la pâte et travaille
avec les paysans. Hôpitaux, écoles, boulangeries,
ateliers de confection, armureries sont créés. Les
armes arrivent peu à peu dans la Sierra. Les femmes
vendent des bons de la révolution, collectent des
vivres et transportent les armes. En même temps les
nouveaux adhérents affluent et il faut les former au
maniement des armes. Les guérilleros racontent
comment leur amateurisme, au départ, les fait
souffrir : « Une fois, j’ai porté de la dynamite attachée
entre les jambes ; le paquet s’est déchiré ; à l’arrivée,
j’avais la peau brûlée par la poudre »… « Nos bombes
n’explosent pas, les mèches s’éteignent. Alors on invente

46
des systèmes. Un sac avec des bouteilles d’essence, dont
l’une cassée, met le feu à l’ensemble. »
Fidel Castro communique beaucoup : un journal
« El Cubano libre », une radio « Radio rebelde »
dirigée par Carlos Franqui, avec la voix de la Sierra,
une actrice très connue, Violetta Casal. Des
journalistes, y compris étrangers, sont conduits dans
la Sierra pour observer la réalité sur le terrain, les
combats et pour s’imprégner des idées nouvelles des
révolutionnaires. Les articles sont dupliqués et ils
servent à la diffusion des propositions et de l’action.
Celia Sanchez s’emploie à collationner tous les
documents qui serviront plus tard à écrire l’histoire
(lettres, ordres écrits…).
C’est ainsi que des journalistes américains
débarquent à leur tour dans les camps guérilleros.
En février 1957 Herbert Matthews du New-York
Times (le Robert Jordan héros de « Pour qui sonne le
glas » – « For whom the bell tolls » de Ernest
Hemingway) fait une première interview retentissante
du chef des guérilleros, « Rebelle cubain dans sa
cachette ». Herbert Matthews qui ne pouvait pas
savoir que Fidel Castro était loin d’avoir une
deuxième compagnie. Fidel Castro, pour faire
nombre, faisait sans cesse défiler sa petite troupe
autour de la cabane de commandement.
Les militaires faits prisonniers puis relâchés
seront aussi des vecteurs pour faire passer un message

47
politique. Quelques grands patrons, quelques
banquiers soutiennent même les rebelles, aspirant à
une rénovation de l’état cubain, pour une plus grande
stabilité sociale et surtout contre la corruption. Des
soldats de l’armée régulière se rallient aux fidélistes.
Des dizaines d’officiers, après discussions avec les
rebelles, passent dans le camp adverse.
En mars 1957, à La Havane le palais présidentiel
est attaqué par une cinquantaine d’étudiants du
« Directorio Revolucionario », menés par José
Antonio Echeverria, président de la F.E.U.
(« Federacion Estudiantil Universitaria ») qui sera tué
dans l’assaut. L’université est occupée.
Fidel Castro perd un de ses plus importants
lieutenants. Franck Païs est arrêté et assassiné par la
police de Santiago. Il avait réussi à fédérer le
mouvement étudiant de l’Oriente aux luttes des
paysans et ouvriers.
Fidel Castro intègre à son staff Celia Sanchez qui
devient sa compagne. Elle rejoint Vilma Espin
Guillois, la femme de Raul Castro, que ce dernier a
connu jeune diplômée du MIT, Massachusetts
Institute of Technology. Dès la fin 1957, Celia entre
au commandement général de l’armée rebelle. Tout a
été fait dans la Sierra pour favoriser les unités de
femmes, les marianas.
Dans la Sierra, la direction du mouvement discute
beaucoup organisation et tactique. Ernesto Guevara

48
reconnaitra plus tard que des dissensions existaient
(« ma faute est de ne pas avoir eu entière confiance en
toi, Fidel, depuis les premiers temps dans la Sierra
Maestra, et de ne pas avoir compris assez vite tes
qualités de leader et de révolutionnaire »). Le frère
d’Eduardo Chibas, Raul, a rejoint la guérilla et les
discussions avec lui sont vives. Un programme
politique au long cours est discuté. Les hommes ne
sont pas tous d’accord sur l’échéancier, la
hiérarchisation des mesures à prendre une fois la
victoire obtenue, même si tous s’entendent sur
l’essentiel : libérer Cuba, éliminer la misère.
Périodiquement, les forces révolutionnaires
rentrent en contact violent avec les forces officielles.
El Uvero, Palma Mocha, Pino del Agua, Mota,
Gabiro, El Salto, Mar Verde, sont autant de noms de
confrontations victorieuses pour la guérilla.
L’espionnage va bon train du côté du
gouvernement, pour en finir avec Castro. L’aviation
gouvernementale bombarde plusieurs fois les camps
où Castro est censé être présent. Le Camp de La Plata
sera la dernière base avant l’insurrection finale, situé
tout près de l’Alto de Naranjo.
À tout nouvel arrivant rallié à la cause on raconte
que l’instructeur annonçait : « Pour les besoins
naturels, tu as le choix entre les chiottes collectives et
un coin discret derrière les arbres. Pour l’hygiène, il y a
la douche collective, les hommes d’un côté, les femmes

49
de l’autre ». Les sacs de riz, de haricots rouges et noirs,
les patates douces, les ignames, les pâtes italiennes, les
mangues, les bananes, les ananas, constituent le
quotidien des soldats de la révolution. Les guérilleros
paient chaque denrée.
Ceux qui violent sont fusillés. Fidel Castro
interdit tout vandalisme ou acte de vengeance, même
envers les maisons des militaires gouvernementaux.
D’ailleurs jamais les castristes n’auront recours à des
attentats suicides, à l’exécution de non combattants.
La guérilla peut brûler la canne des grands
propriétaires, saboter les voies de communication,
attaquer les camions de l’armée officielle sur les routes
de montagne, placer des mines pour faire sauter les
blindés, mais elle n’attaque pas les banques très
respectées dans l’île même au sein du petit peuple des
campagnes.
Le père Guillermo Sardinas baptise ceux qui le
souhaitent. Et Che Guevara lit, pour les combattants,
des passages du « Chant général » du poète chilien
Pablo Neruda, le soir à la veillée.

50
7
1958, l’année charnière

L’année 1958 s’ouvre, le 23 janvier, sur l’enlèvement


du pilote automobile argentin mondialement connu,
Juan Manuel Fangio, par des militants havanais du
Mouvement du 26 juillet (il sera très vite libéré, le coup
médiatique ayant pleinement réussi).
Le gouvernement de Batista, tout en menant la
lutte contre la guérilla (des bombes au napalm seront
utilisées) s’efforce de libéraliser le régime en jouant
sur l’extrême division du personnel politique cubain,
y compris au sein de son opposition la plus radicale. Il
sait qu’il lui faut composer pour pouvoir durer, dans
une période où de nombreux gouvernements
d’Amérique latine vacillent.
Batista propose des élections pour juin. La justice
peut même contrecarrer les actions trop extrêmes de
l’appareil répressif. Des représentants des forces de

51
l’ordre sont trainés devant les tribunaux. Castro n’est
pas dupe de cette politique et considère que l’action
contre le régime est indispensable en liant le
mouvement populaire et l’action armée.
La libéralisation façon Batista est de courte durée.
Un appel à la grève générale est lancé dans le pays par
différentes organisations de travailleurs, en accord
avec le mouvement castriste clandestin. Cet appel est
un échec total. Le 9 avril, des mouvements ont bien
lieu mais de manière désordonnée, sans coordination.
Seuls les étudiants sont en mesure de faire nombre,
mais la police veille.
Le Mouvement du 26 juillet est accablé par cet
échec. Fidel Castro lui-même tance vertement les
membres de la direction du mouvement qui œuvraient
dans les villes. L’impréparation, mais aussi l’absence
réelle de volonté politique des cubains sur ce type
d’action sont analysées. La clandestinité brouillonne
des réseaux urbains a sans doute une grande part de
responsabilité dans les erreurs commises.
Fidel Castro tire tous les enseignements de ce
grave contretemps. Il prend contact avec le Parti
Communiste PSP (Parti Socialiste Populaire) force
organisée qui, jusqu’à présent, dans sa sphère
dirigeante, n’avait pas manifesté d’intérêt particulier
pour le parti castriste. Certains communistes, qui ne
juraient que par la grève générale, l’action de masse et
un front commun des prolétaires, voyaient Castro

52
comme un idéaliste opportuniste et dangereux.
Comme l’écrit Nelson Mandela dans ses mémoires,
« Un long chemin de liberté » : « le Parti Communiste
de Cuba avait insisté en disant que les conditions
n’étaient pas réunies et il attendit parce qu’il suivait
simplement le manuel des définitions de Lénine et de
Staline. Castro n’attendit pas, il agit et il triompha ».
Des dirigeants communistes, malgré tout,
intègrent l’armée de Castro : Carlos Rafael Rodriguez
et Antonio Nunez Jimenez.
La lutte continue pendant tout l’été et l’automne
58. Batista augmente les moyens en hommes,
matériel lourd, aviation, surtout après l’échec de la
contre-offensive batistienne engagée dès le mois
d’avril (avec « l’Operacion Verano » pour « mettre
fin à Fidel »).
Fidel Castro resserre le commandement de son
armée et n’hésite pas à tancer vertement les
manquements de tel ou tel de ses lieutenants. A
Camilo Cienfuegos il écrit « Camilo, comme les autres,
tu as tendance à créer le maximum de pagaille et à me
la laisser sur les bras. Tu ne t’es pas donné la peine de
me faire parvenir la liste des hommes et le nombre de
balles dont tu disposes. N’oublie pas que la célébrité, le
pouvoir et le succès font tourner la tête aux gens ».
Il joue le patriotisme cubain, il rencontre même
certains officiers de l’armée régulière, tout en

53
continuant de faire harceler par ses troupes les
militaires envoyés par le gouvernement.
Un accord est signé entre la guérilla et des
organisations politiques d’opposition. Avec réussite.
Deux nouveaux fronts sont ouverts dans la
province centrale de Las Villas par Camilo Cienfuegos
et Ernesto Guevara. Cienfuegos devra ensuite mener
ses hommes de la Sierra à Pinar del Rio dans l’ouest.
Raul Castro et Juan Almeida ont quitté la Sierra pour
« travailler » d’autres montagnes de l’Oriente. Le
combat se déplace de Mayari à Baracoa, de Baya à
Victoria de Las Tunas dans la Sierra Cristal. La route
de Santiago de Cuba est ouverte dès la fin novembre.
Le 30 décembre, les castristes, avec à leur tête,
Ernesto Guevara, s’emparent de Santa Clara, grosse
capitale régionale, après avoir détruit le train blindé
de Batista. Cienfuegos et Guevara suivent la même
route que Marti, Maceo et Maximo Gomez en 1895.
Raul Castro s’empare de Guantanamo et Fidel Castro
entre dans Santiago.
Le 31 décembre, Batista est lâché par certains de
ses généraux. Les Etats Unis essayaient en coulisses de
le remplacer, lui reprochant son manque d’envergure,
son isolement et l’absence de résultats. Même si Cuba,
en dépit de ses inégalités sociales, a un revenu par tête
équivalent à celui de l’Italie et connaît une croissance
régulière comme l’Argentine, le Chili ou l’Uruguay. Il
démissionne et quitte l’île, subrepticement, à deux

54
heures du matin, avec sa famille, pour rejoindre Saint
Domingue. Il mourra en août 1973 en Espagne. Son
régime s’effondre, gangrené depuis longtemps.
Dans les semaines qui suivent, le M-26-7 et ses
cadres relèvent le défi de l’effondrement du pouvoir et
constituent des embryons d’administration. Fidel
Castro s’était attelé à la tâche dans la Sierra avec
l’ACTL, l’Administration Civile du Territoire Libre,
mise en place pour les affaires scolaires, la santé,
l’agriculture, la justice, dans le « territoire libéré de la
dictature ».
Le premier janvier 1959, « Cinq ans, cinq mois,
cinq jours après l’échec de la Moncada, après deux
ans de prison, deux ans à l’étranger, deux ans et un
mois de guerre », alors qu’une grève générale est
décrétée dans tout le pays, les casquitos de Batista se
rendent, les castristes sont à Santiago. Camillo
Cienfuegos s’empare du Camp Columbia à La
Havane, haut lieu de la dictature de Batista, quartier
général des forces gouvernementales, après être
rentré dans la capitale par la Carretera Central (la
grande route centrale). Du 5 au 8 janvier, de
Santiago à l’est, à La Havane à l’ouest, les troupes
castristes (soldats rebelles et gouvernementaux
ralliés), parcourent plus de mille kilomètres, avec des
tanks Sherman qu’elles apprennent à conduire. Elles
rencontrent dans chaque localité des foules
informées des évènements et qui se réjouissent du
nouveau cours des choses.

55
Ernesto Guevara s’adjuge la prison de La Cabana,
à l’entrée de la baie havanaise, dans laquelle il
commencera l’épuration des opposants.
Le 8 janvier 1959, Fidel Castro, « avec sa barbe
romantique et son allure de Christ en goguette », selon
la description de Carlos Franqui, fait son entrée à La
Havane, une semaine après les premiers companeros.
Il est acclamé par des milliers de personnes, qui
crient : « Tu as toujours raison Fidel ». Il passe un long
moment, juché sur un véhicule militaire, entouré de
quelques companeros dont Camilo Cienfuegos et
Huber Matos qui raconte : « Fidel a joué toute la nuit
avec les armes, tirant des balles sans pouvoir s’arrêter,
comme un enfant le jour de Noël ». Fidel Castro
promet de se retirer sa tâche accomplie. Le 9 janvier,
les troupes défilent sur le front de mer, le Malecon, et
Fidel se rend au palais présidentiel.
Dans les jours qui suivent, les parcmètres, qui
sont aux dires des Havanais le revenu de Madame
Batista, sont pillés.
A partir de ce moment, le temps s’accélère ; les
longues journées de travail, les nuits de discussion
pour aboutir à des solutions, vont se succéder. Des
tonnes de tâches à effectuer chaque jour. Che Guevara
et Fidel Castro commencent leurs journées en milieu
de matinée et les terminent à quatre heures du matin
le lendemain.

56
Fidel Castro ne se séparera jamais de son
uniforme pendant ces années intenses : gain de temps
le matin pour s’habiller, pas de choix à faire en ce qui
concerne le costume, la chemise, et « le problème de
tout combiner ». Vie spartiate qui dure encore
cinquante-trois ans plus tard. Fidel Castro avec ses
« maigres besoins » gagne trente dollars par mois, ses
frais étant pris en charge par l’Etat ; contrairement à
ce qu’affirme « Forbes Magazine » qui pointe une
fortune de neuf cent millions de dollars.

57
58
8
Nuevo Cuba

Des colombes sont lâchées à la lueur des


projecteurs par les autorités nouvelles lors du premier
discours de victoire de Fidel Castro au Camp
Columbia de La Havane. Elles présagent une ère de
paix et de bonheur social, chèrement acquise. Sept
heures de discours de Fidel Castro !
Il ne va pas exercer le pouvoir directement, même
si son omniprésence, qui lui permet d’orienter en
parlant, supplée à l’insuffisance de cadres. Il prend
soin de proposer le poste de Président de la
République cubaine à Manuel Urrutia, magistrat, et le
poste de chef de gouvernement à José Miro Cardona,
professeur de droit à l’Université de la Havane. Le
ministère est formé de membres du Parti Ortodoxo.
Une majorité des ministres est libérale et réformiste.
Ces hommes ne sont pas castristes. Dans le
gouvernement le M-26-7 apparaît à peine. Le

59
7 janvier, la loi fondamentale de la république
organise l’état nouveau.
Mais Fidel Castro devient officiellement le
commandant en chef des forces armées, qu’il va
restructurer. Plus exactement, son titre est : délégué
général de la présidence auprès des forces armées. Et
c’est depuis ses appartements dans la suite 2324, au
vingt troisième étage de l’hôtel Hilton, rebaptisé
Habana Libre, qu’il dirige. Il prend garde de ne pas
donner, au tout début, de prétexte aux États Unis
pour intervenir. Il se rappelle la réforme agraire du
Président Jacobo Arbenz au Guatemala qui provoqua
en 1954 un coup d’état pro américain.
Au milieu d’une grande effervescence
révolutionnaire, des personnalités étrangères débar-
quent à La Havane : les acteurs Errol Flynn à l’hôtel
Nacional pour tourner un film, Georges Raft à l’hôtel
Capri dont il est l’un des propriétaires du casino. Le
comédien français Gérard Philipe, peu avant sa mort, se
rend lui aussi à Cuba, invité par l’Institut Cubain de
l’Art et de l’Industrie Cinématographiques (ICAIC).
Une justice révolutionnaire se met en place avec
des tribunaux spéciaux qui vont juger les responsables
de l’ère batistienne. Trois cent personnes, selon les
chiffres officiels, sont exécutées publiquement, en tant
que criminels de guerre, après jugement, avec des
avocats commis d’office. La presse locale publie des

60
photos des assassins de l’ancien régime, avec, pour
chacun, le nombre de morts qui lui est attribué.
Des dissidents dénoncent encore aujourd’hui
l’action d’Ernesto Guevara depuis la vieille forteresse
de la Cabana, dans son bureau peu éclairé sous les
voûtes ancestrales. L’épuration des tenants de l’ancien
régime touche aussi des malheureux pris dans les
filets de la sécurité révolutionnaire. Les opposants au
castrisme décrivent les pelotons d’exécution organisés
dans les fossés de la forteresse, avec le « paredon »,
mur des fusillades, à proximité des cellules des
détenus, pour les terroriser.
Des journalistes, dont celui du « Monde », français,
expliquent : « A circonstances exceptionnelles, justice
exceptionnelle ». Ce qui n’empêche pas d’autres
journalistes, assistant à « l’opération de vérité »,
préparée par Fidel Castro, fin janvier, d’être effarés par
le comportement des quinze mille spectateurs du palais
des sports qui hurlent contre d’anciens officiers de
Batista. Parmi ces officiers, Jesus Sosa Blanco, chef de
la police de Batista, coupable de cent huit assassinats.
Les premières années de la révolution, près d’un
million de cubains gagnent l’exil américain, des
avocats, des médecins, des commerçants, des
étudiants. Ils fonderont, entre autres, « Little
Havana » à Miami, en Floride.
L’opération Peter Pan, menée avec des prêtres
catholiques, évacuera vers les Etats Unis des centaines

61
d’enfants, des familles craignant de perdre l’autorité
parentale.
Très vite le gouvernement mis en place se trouve
face à une double pression, celle des cubains qui ont
bien entendu les messages politiques du M-26-7, celle
des castristes qui ne veulent pas en rester aux
premières mesures, limitées, prises par le premier
ministre, pour assurer le ravitaillement et pour mettre
à bas le système mafieux.
L’éradication de la prostitution devient une vraie
cause nationale dans l’optique de la libération de la
femme. Et les trafics en tous genres, le Jeu avec un
grand J, sont déclarés hors la loi.
Le 13 février 1959, alors que le ticket Eisenhower-
Nixon arrive au pouvoir aux États Unis, Fidel Castro
remplace le chef du gouvernement Cardona, jugé trop
libéral.
Le Parti Communiste Cubain est associé au pouvoir
après des négociations serrées. Raul Castro, qui devient
ministre des Forces Armées, sert de lien avec lui. Les
négociations avec le PC permettent à Fidel Castro de
garder la main entière sur le gouvernement où l’on
compte cependant des indépendants.
En février 1959, Ernesto Guevara était devenu
citoyen cubain et avait épousé Aleida March avec
laquelle il aura quatre enfants. En novembre, Fidel
Castro le nomme gouverneur de la Banque Centrale

62
Cubaine en remplacement d’un économiste modéré,
Felipe Pazos. Il fait référence auprès de ses
interlocuteurs à Lénine, à octobre 1917.
Auparavant, il était parti pour un long voyage en
Égypte, Japon, Inde, Pakistan, Yougoslavie. Son
inexpérience en matière de gestion fera perdre
quelques millions de dollars à Cuba, dollars gelés aux
États Unis, non retirés à temps des banques
américaines par l’Etat cubain.
Raul Castro fait figure de grand organisateur qui
fait tourner la machine. Il va impliquer l’armée dans
l’économie, tout en consolidant l’appareil de sécurité,
en collaboration avec Camilo Cienfuegos, le préféré
de l’armée.
Le gouvernement remanié met en place les
réformes annoncées pour améliorer le quotidien de la
population, tâche essentielle pour Fidel Castro : baisse
des loyers de 50 %, alors que dès janvier les expulsions
de locataires étaient suspendues ; contrôle des prix sur
les produits de première nécessité, les produits
alimentaires, l’électricité (en août une nette baisse des
prix), les médicaments ; salaire minimum ; restitution
des plages privées à la nation en avril.
Et une grande réforme agraire est mise en place le
17 mai 1959 avec la création d’un « Institut National
de la Réforme Agraire » (« Instituto Nacional de
Reforma Agraria » – INRA présidé par Fidel Castro
lui-même).

63
Les grandes propriétés sont morcelées. Les
paysans reçoivent leurs titres de propriété sur les
parcelles créées à partir des terres nationalisées. Dès
janvier 1959, les paysans pauvres de l’Oriente avaient
reçu des terres d’état : deux caballerias par paysan. Les
terres de la famille Castro sont elles aussi nationalisées
(pendant la guérilla, les champs de canne des Castro
avaient été incendiés).
Les entreprises sucrières étrangères, dont la toute
puissante Cuban Atlantic Sugar Corporation,
abandonnent leurs plantations de canne. Les
expropriations sont indemnisées avec des bons de
l’état cubain à vingt ans. Il n’y a donc pas spoliation.
Sur l’ensemble du territoire la superficie des
exploitations agricoles est limitée à trente caballerias,
soit environ 402 hectares. La superficie minimale est
portée à deux caballerias, soit 27 hectares. Fidel
Castro très au fait des questions agricoles et de
productivité, veut éviter les exploitations trop petites.
À la fin 1962, cent mille paysans ont reçu un titre
de propriété et l’état est propriétaire de 44 % des terres.
Une règle est édictée : si un agriculteur n’a pas
d’héritier pour cultiver sa terre, il la remet à l’état. En
1961, une « Asociacion Nacional de Agriculturos
Pequenos » (les petits propriétaires) est créée et
propose des crédits à taux d’intérêt très bas ; la garantie
du prix d’achat des récoltes est instaurée, ainsi que
l’accès gratuit à l’école et aux soins médicaux.

64
Des étrangers, amis sont venus porter un
diagnostic sur l’agriculture cubaine. Des discussions
âpres et animées sont engagées. Parmi ces spécialistes,
le français René Dumont.
Un débat a eu lieu dans les plus hautes
instances du pouvoir, sur la généralisation du
partage des terres. Fidel Castro a laissé s’opposer
Humberto Sori-Marin ministre de l’agriculture,
partisan d’une loi agraire libérale et Ernesto
Guevara, moins modéré et partisan avec Raul
Castro d’un partage des terres organisé par les
paysans eux-mêmes. Au final, Castro tranchera,
Sori-Marin démissionnera et Castro, depuis la
Sierra Maestra, promulguera la loi. Dans l’avion qui
l’y conduit, il réglera les derniers détails du texte.
D’une part on a voulu éviter la baisse de la
production agricole, d’autre part les ouvriers agricoles
se sont révélés surtout sensibles à la garantie de leur
emploi.
Trois types de structures vont cohabiter :
coopératives de gestion (« Cooperativas
Agropecuarias »), avec école, équipements médical
et sportif intégrés ; grandes entreprises d’état
(« Granjas del Pueblo ») ; et exploitations issues de
terres distribuées.
Le manque de formation à la gestion et à
l’administration se faisant très vite sentir, le
gouvernement va inciter au regroupement de

65
plusieurs coopératives en fermes d’état. Il s’agit
d’éviter aussi les distorsions entre les ensembles qui
réussissent et ceux qui ont de moins bons résultats.
C’est aussi l’époque où Ernesto Guevara, fasciné
par les nouvelles pharmacopées, veut fonder des
fermes laboratoires et crée la première ferme
phytothérapique. Le Che a compris le pouvoir
thérapeutique des plantes qui permet de réduire le
coût de la santé, en évitant des importations de
molécules pour la fabrication de médicaments.
En mars 1959, la Compania Cubana de Telefonos,
dont les capitaux sont américains, est nationalisée. Il en
va de même, en 1960, pour le système bancaire, les
raffineries de pétrole (Standard Oil, Texaco et Shell), les
compagnies d’électricité et ITT (téléphone). Soit près
d’un milliard de dollars au total. Suivront plus tard Coca
Cola, General Electric, Remington, et Woolworth.
L’INRA avait préparé les lois de nationalisation et
de planification économique, avec, à la clé, la création
de la Junte centrale de planification.
En octobre 1960, une loi de réforme urbaine
prévoit plusieurs étapes successives. Dans l’immédiat,
l’état entreprend la construction massive de logements
qui seront cédés en usufruit permanent contre des
paiements mensuels qui ne pourront excéder dix pour
cent des revenus de la famille. A moyen et à long
terme, l’état, avec ses ressources propres, construira des
logements qu’il cédera en usufruit permanent et gratuit

66
à chaque famille. Les propriétaires de plus de deux
maisons sont expropriés.
Dans le domaine de la santé, la nationalisation a
également cours. Tous les services de santé sont
regroupés au sein du MINSAP, Ministerio de Salud
Publico. Les médecins, formés par l’état, renonceront
à l’exercice privé. Les cabinets privés sont peu à peu
remplacés par des centres de soins regroupant les
spécialités. Les maladies infectieuses endémiques,
comme la poliomyélite, le paludisme, la diphtérie, le
tétanos, la rougeole, la coqueluche, l’hépatite B, la
lèpre, la méningite, la tuberculose, seront éradiquées.
En 1960, la mortalité infantile était de 37,3 pour
mille ; trente ans après, elle sera de 10,7 pour mille et
en 2004, malgré la « période spéciale », 5,4 pour mille.
À chaque fois, Fidel Castro, qui avait réfléchi aux
transformations nécessaires, notamment en prison
avec ses co-détenus, et qui est omniprésent, impose
ses vues après discussion intense avec les membres du
gouvernement et les plus hautes instances
administratives créées de toutes pièces.
Il ne faut jamais oublier que dans toute l’histoire
castriste de Cuba, la révolution a toujours eu une
direction collégiale. Fidel Castro se montrera toujours
très sévère avec lui-même, faisant souvent son
autocritique, reconnaissant les erreurs tactiques.
Les cadres manquent pour diriger les entreprises
et l’état a recours à de très jeunes responsables formés

67
à la gestion, à la va-vite. Certains responsables
considèrent même que l’on a trop vite nationalisé et
confié aux responsables de l’état la direction de
l’économie.
Une milice nationale révolutionnaire, largement
composée de simples citoyens, est créée pour
défendre le pays et l’administration qui a mis sur
pieds cette politique. Elle remplace l’ancienne armée
cubaine démantelée.
Les CDR, Comités de Défense de la Révolution,
eux aussi formés de citoyens encadrés, lutteront dans
les quartiers contre les sabotages, s’occuperont des
problèmes de santé, des dons du sang, de la lutte anti-
moustiques, diffuseront les informations, organiseront
le travail bénévole pour la patrie, mettront en place des
tours de guet-surveillance. Ils quadrilleront peu à peu
le pays, maison par maison, rue par rue, usine par
usine.
En cas de risque extérieur grave, il est prévu que
Guevara commande la province de Pinar Del Rio,
Almeida la région centre, Raul Castro l’est de l’île et
Fidel Castro La Havane. Le contre-espionnage est
réorganisé au sein du G2 par Ramiro Valdes, avec
l’aide de conseillers du KGB soviétique.
Cette politique soulève force protestations des
entreprises américaines qui avaient pourtant au début
de l’année 1959 consenti une avance de un milliard et
demi de dollars à Cuba (United Fruit, Nicaro-Nickel,

68
Colgate Palmolive, First National Bank of Boston,
International Harvester, First National City Bank of
New York s’étaient engagées).
Une campagne est menée aux U.S.A. pour
déconsidérer la révolution cubaine en s’appuyant sur
les exécutions capitales des partisans de Batista.
Fidel Castro, dès le mois d’avril, part pour les Etats
Unis pour un voyage d’explications auprès des médias,
des associations amies. Il donne même meeting à
Central Park. Il promet « la liberté sans la terreur », des
élections générales libres, pour plus tard, et une
république démocratique et humaniste. Castro va aussi
rencontrer le vice-président Richard Nixon, à défaut de
Dwight Eisenhower. Il insiste sur l’indépendance
nationale de Cuba et sur son programme social pour
améliorer la vie de ses concitoyens.
Ce qui n’empêchera pas la décision du
gouvernement américain de renverser le nouveau
régime jugé trop proche des communistes. Cuba est à
130 kilomètres des côtes de Floride, à une demi-heure
de Key West en avion, à une heure de Miami en ferry-
boat.
Dans les instances dirigeantes de La Havane, mois
après mois, ceux qui ne sont pas d’accord avec le
nouveau cours radical des réformes ou l’alliance
communiste quittent l’administration centrale. Pedro
Luis Diaz Lanz, commandant en chef de l’armée de
l’air est de ceux-là.

69
La presse est en pleine transformation avec les
nouvelles autorités. Le directeur de « Bohemia
Magazine », Miguel Angel Quevedo, tombe en
disgrâce. Les journaux « Prensa Libre », « Carteles »
disparaissent sur intervention politique.
Dans les rangs des anciens rebelles très proches
des révolutionnaires au pouvoir, les défections
existent, comme celle d’Huber Matos, companero
émérite, professeur de collège, petit propriétaire, un
des artisans de la chute de Santiago. Démocrate, il
pose à Castro cette question : « As-tu, Fidel, l’occasion
de réfléchir à l’influence des communistes au
gouvernement et dans l’armée ? ». Il démissionne dès
octobre 1959 de son poste de gouverneur militaire de
Camaguey. Arrêté par Cienfuegos, il connaitra la
prison pour trahison, jusqu’en 1979. Il écrira « Et la
nuit est tombée ».
Camilio Cienfuegos, qui avait, lui aussi, des
différends politiques avec Fidel, meurt dans un
accident d’avion le 28 octobre : l’avion qui devait
relier, en survolant la terre, Camaguey à La Havane,
s’abîme en pleine mer.
La nouvelle Confédération des Travailleurs
Cubains, CTC, est assez proche des fidélistes de la
première heure, mais ne tolère guère le terrain gagné
par le PSP communiste. Le mécontentement ouvrier
est grand chez les anciens employés des ex-entreprises
américaines, car les salaires étaient plus élevés que
dans les nouvelles entreprises nationalisées.

70
Le Président de la République Urrutia, jugé trop
libéral et opposé aux réformes radicales, est remplacé
en juillet par Osvaldo Dorticos, avocat, bâtonnier,
proche des communistes. Il se plaignait trop de
l’influence des communistes et était en butte à des
manifestations hostiles, à La Havane. Il demande
l’asile politique à l’ambassade du Venezuela.
Fidel Castro, premier ministre, avait menacé de
démissionner face à la lenteur du changement et avait
provoqué une grande manifestation pour soutenir sa
ligne révolutionnaire.
Ces changements font prendre un tour nouveau à
la révolution de janvier. Peu à peu les rangs du
pluralisme politique s’éclaircissent. Le resserrement
politique s’effectue.
Faustino Perez, chrétien et dirigeant du
Mouvement du 26 juillet dans les villes, montre
clairement son allergie à la suite de la nationalisation
des écoles catholiques et à l’expulsion des prêtres. Le
démocrate Manuel Ray, responsable sous Batista de la
résistance civique des classes moyennes, s’oppose
maintenant à ses anciens alliés de la lutte contre la
dictature.
A l’université, la nomination du communiste
Juan Marinello et l’introduction du matérialisme
historique comme discipline sont mal perçues et
entraînent des oppositions.

71
Il n’y a pas que les propriétaires terriens, les
éleveurs qui refusent les nouvelles mesures sociales et
qui s’expriment à la radio pour dénoncer les
privations de liberté. L’église catholique réussit à
rassembler près d’un million de personnes pour le
respect de la liberté et de la propriété.
Les USA prévoient des actions armées contre la
révolution cubaine et soutiennent les organisations
contre-révolutionnaires, dans l’Escambray notamment,
avec Osvaldo Ramirez, Plinio Prieto, Edel Montiel,
Evilio Duque, officiers de l’armée rebelle contre Batista.
Dans cette province, comme dans d’autres, de véritables
maquis se forment. On dénombre près de deux cent
groupes rebelles et des mouvements fédèrent les
adversaires du régime : le MRR, « Movimiento de
Recuperacion Revolucionaria », le DRE, « Directorio
Revolucionario Estudiantil », le MRP, « Movimiento
Revolucionario del Pueblo ».
L’élimination physique des chefs révolutionnaires
est envisagée par ces mouvements qui disparaîtront
peu à peu. Mais on comptera quelques six cents
tentatives d’attentat contre Fidel Castro tout au long
de sa carrière de chef d’état (Dollan Cannell, sur
Channel 4, en novembre 2006, présentera les « 638
ways to kill Castro »).

72
9
De la coopération
avec l’U.R.S.S. à Playa Giron

L’opposition américaine à la jeune révolution,


l’inflexion communiste des derniers mois de l’année
1959, permettent un très fort rapprochement avec la
patrie du communisme international. L’Union des
Républiques Socialistes Soviétiques, qui ne cesse de se
mesurer à la première puissance mondiale capitaliste,
va aider les castristes au plan économique puis au
plan militaire.
Dès le début de 1959, les cubains et les russes
avaient noué les premiers contacts. Le ministre des
Affaires Etrangères de l’Union et vice-président du
conseil de l’URSS, Anastase Mikoyan, fait un voyage à
Cuba en février 1960, à l’occasion d’une présentation
des technologies soviétiques. Il rencontre Fidel Castro
qu’il trouve en plein combat pour asseoir son pouvoir

73
face à l’hostilité américaine. Il signe des accords
commerciaux favorables aux deux pays.
L’U.R.S.S. a besoin de sucre, Cuba de matières
premières et d’énergie, de techniciens pour
l’industrie comme pour l’agriculture. Un prêt de
cent millions de dollars, remboursable en douze ans
à un taux d’intérêt de 2,5 % est également octroyé à
Cuba. L’URSS, par la suite, enverra vers Cuba des
produits alimentaires, du papier, des camions, des
tracteurs, des équipements en tous genres, des
armes lourdes, des avions Mig, des tanks. Bientôt
viendront des usines clés en main, mais de qualité
très médiocre. Les soviétiques recevront des milliers
de stagiaires cubains en formation. Cinq millions de
tonnes de sucre cubain seront achetées
annuellement pendant cinq ans, au cours mondial.
En janvier 1964, les ventes et les tarifs du sucre sont
garantis jusqu’en 1970.
Des accords seront signés à l’identique avec la
Chine communiste et les pays satellites de l’Europe de
l’est. Dès mars 1960, une mission commerciale
permanente est ouverte par Cuba et la RDA. Les
pilotes cubains partent en Tchécoslovaquie pour
prendre en mains les avions achetés aux Russes.
Le fameux slogan lancé à La Havane « Cuba si,
Yanquis no » sera bientôt repris dans toute
l’Amérique latine. Pour bien marquer le refus du
pouvoir du puissant voisin de Cuba qui veut faire du

74
sud du continent un simple appendice dans la
géopolitique mondiale.
Les entreprises pétrolières américaines, parmi
lesquelles la Texas Oil Company, refuseront de
raffiner le pétrole russe, ce qui entrainera la prise de
contrôle des raffineries par l’état cubain, comme nous
l’avons vu.
La société productrice de rhum Bacardi sera elle
aussi dans la tourmente, alors qu’elle avait soutenu le
régime dans les premiers mois de la révolution. La
femme de Raul Castro, Vilma, était la fille de José
Espin, avocat de l’entreprise.
Le président Eisenhower promulguera une loi du
Congrès qui interdit l’achat de sucre de Cuba.
L’île se retrouve ainsi embarquée volontairement
dans la « guerre froide » que se livrent les U.S.A et
l’Union Soviétique.
Non content d’avoir nationalisé les entreprises
américaines, Fidel Castro en appelle à la lutte contre
l’impérialisme yankee qui empoisonne depuis le
début du siècle l’économie et la politique cubaines. Il
dénonce une action américaine de malveillance,
lorsqu’en mars 1960, un bateau français rempli de
munitions belges, « La Coubre », explose à La Havane,
ce qui tue une centaine de personnes.
Au printemps 1960, la section d’intervention de la
CIA va jusqu’à préparer une boîte de crème de soins
cachant des comprimés mortels destinés à Fidel

75
Castro. L’agente infiltrée Ilona Marita Lorenz est mise
à contribution. On citera aussi le cyanure mélangé à
un milkshake, le poison dans une boîte de cigares, la
combinaison de plongée imprégnée de bactéries
destinés au Lider Maximo.
Fidel Castro fait cependant la différence entre
l’administration américaine et le peuple américain. Il
met en évidence son amitié avec Ernest Hemingway,
auteur du « Vieil homme et la mer » dont le cadre est
La Havane, où il possède une propriété depuis 1939. Il
rencontre une fois le célèbre écrivain américain, en
1959 (prétexte à une photo symbole), lors d’un
concours réputé de pêche en mer, à Cojimar. Il aimait
tout particulièrement cette description du romancier :
« Pour l’honneur et parce que le poisson se vend bien
au marché de La Havane, vous le prenez à la gaffe et le
hissez à bord, mais ce n’est pas le fait de l’avoir à bord
qui est émouvant. Le moment enivrant c’est celui où
vous vous battez avec lui ».
Pour marquer son attachement à la culture
mondiale et son opposition à l’impérialisme, Fidel
Castro va même jusqu’à faire visiter l’île au couple
littéraire Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, à
leur demande. Les deux écrivains sont très marqués à
gauche en Europe et leurs liens avec l’URSS sont
patents. Sartre publie dans « France Soir » plusieurs
articles : « Ouragan sur le sucre ». Très élogieux sur ce
qu’il découvre, il déplore la climatisation dans sa suite

76
à l’hôtel Nacional alors qu’il regarde les passants au
dehors supportant les 33 degrés ! Et des photos le
montrent dominé par la haute stature de Fidel avec
son chapeau de paille ou par le Che imposant, assis
sur un fauteuil alors que Sartre, fatigué (il est minuit)
est recroquevillé dans un canapé ! Fidel, pour Sartre,
est un hidalgo qui lui fait penser à Saint Jean de la
Croix. Le voyage d’un mois se termine le 21 mars
1960 par une représentation de la pièce « La putain
respectueuse », au théâtre national de La Havane.
En septembre 1960, dans un discours fleuve de
quatre heures trente, Castro s’exprime à la tribune des
Nations Unies, lors de la quinzième assemblée
générale. Il a lui-même bâti le brouillon des grandes
lignes de son discours. Il dira plus tard que chaque
fois qu’il a demandé à quelque responsable de rédiger
un discours pour lui, « cela a été un désastre, texte nul,
données non pertinentes ».
A New York, il s’installe symboliquement avec la
délégation cubaine (dont le ministre des affaires
étrangères Raul Roa) dans le quartier noir de Harlem,
à l’hôtel Teresa.
Il rencontre le leader révolutionnaire noir
Malcolm X qui lutte contre l’establishment blanc. Il
s’entretient aussi avec les dirigeants des pays du tiers
monde décolonisés, Nasser l’égyptien, Nehru l’indien,
et longuement avec le premier ministre soviétique
Nikita Khrouchtchev. Ces rencontres au plus haut
sommet posent les fondements du mouvement des

77
pays non alignés, hostiles aux U.S.A. mais soutenus
par l’U.R.S.S. Les journalistes sont nombreux aux
points de presse organisés par la délégation cubaine.
Quelques mois après, en décembre 1960,
Armando Valladares, poète, ancien policier, accusé
d’avoir préparé des attentats, est incarcéré. Il sera
libéré en octobre 1982, après vingt-deux ans de prison
sur médiation du Président français François
Mitterrand après l’intervention de son conseiller
spécial Régis Debray. Il sera nommé, sous l’ère
Reagan, ambassadeur des États Unis à la commission
des droits de l’homme de l’ONU.
Renforcé dans son hostilité à la révolution
cubaine, le gouvernement américain, en octobre, a
enclenché un embargo, le bloqueo, qui s’étendra à
toutes les activités économiques de Cuba. Toutes les
exportations vers Cuba sont interdites, sauf les
aliments et les médicaments.
Les ponts sont donc définitivement rompus avec
l’Amérique du Nord et la lutte de David contre
Goliath commence. Les tentatives américaines sont
nombreuses par la suite pour faire tomber le régime
mais la plus dangereuse est le débarquement de
troupes sur l’île même, dans la fameuse baie des
cochons (à Playa Giron et Playa Larga), en avril 1961.
Les Etats Unis avaient auparavant rompu leurs
relations diplomatiques avec Cuba et fermé leur
ambassade à La Havane le 3 janvier 1961.

78
10
Playa Giron

Pour Cuba, l’année 1961 restera, côté face,


« l’année de l’éducation », avec la mise en application
d’un plan d’alphabétisation et d’enseignement, sans
aucune commune mesure avec les autres aspects de la
rénovation sociale et économique qu’a connus l’île
depuis le début 1959.
Il s’agit de permettre à l’ensemble de la
population d’accéder à la lecture, l’écriture et la
culture la plus générale, dont le pays a besoin pour
faire des citoyens mais aussi des travailleurs
compétents. Qui plus est, on ne peut parler de liberté
d’expression du peuple dans un pays qui compte un
nombre important d’analphabètes.
En juin 1961, à la Bibliothèque Nationale, Fidel
Castro et le ministre de l’Education Armando Hart,
reçoivent l’intelligentsia cubaine pendant trois jours.

79
Les « paroles aux intellectuels » prononcées par Fidel
Castro, à la fin de cette réunion, indiquent que pour la
création culturelle c’est « tout avec la révolution, rien
contre la révolution ». « Nous apprécierons toujours la
création au travers du prisme du cristal
révolutionnaire ».
Il insiste auprès de ses interlocuteurs étrangers
sur son amitié avec les grands écrivains Alejo
Carpentier (ami d’André Breton, Paul Eluard, Jacques
Prévert, Antonin Artaud), Nicolas Guillen (intronisé
poète national cubain en 1961). Les intellectuels
doivent se mettre au service du peuple.
L’Institut Cubain d’Art et d’Industrie
Cinématographiques est créé. Castro donne beaucoup
d’importance à l’image, au film qui permet
d’instruire. Il appuie le « CineMovil » qui projette des
films dans les campagnes. Des films sortent dont
« Historias de la Revolucion » de Tomas Gutierrez
Alea. Ce dernier réalisera en 1968, « Memorias del
subdesarrolo » (Mémoires du sous-développement),
mondialement connu.
Le Ballet National et l’Orchestre Symphonique
sont également créés. La danseuse Alicia Alonso
interprète « Le lac des cygnes » au Théâtre National
ouvert à tous et naturellement aux plus pauvres.
En 1953, l’état consacrait 25 % du budget à
l’éducation, pour des résultats très inégalitaires. Des
instituteurs noirs diplômés étaient sans travail. A la

80
campagne, des enfants se retrouvaient souvent sans
instituteur. Les maîtres de la ville, propriétaires de
leur emploi, payaient leurs remplaçants. Beaucoup
d’adultes étaient analphabètes. Situation largement
répandue en Amérique latine.
Fidel Castro choisit, en juin 1961, de
nationaliser l’enseignement et de le rendre gratuit
par la « Ley de nacionalizacion general y gratuidad
de la ensenanza ». Avec l’objectif d’éliminer en un
an l’analphabétisme, se référant à José Marti, « Être
instruit est la seule façon d’être libre », et en
s’appuyant sur ce qu’il avait fait avec Guevara dans
la guérilla avec les écoles de la Sierra. L’état fait
appel aux élèves en fin de secondaire pour devenir
les « maîtres volontaires ».
Une commission nationale de « l’année de
l’éducation » est présidée par le ministre Armando
Hart. Un manuel « Venceremos » (« Nous vaincrons »)
est tiré à un million cinq cent mille exemplaires.
En novembre 1961, un village cubain est mis en
avant pour avoir, le premier, vaincu
l’analphabétisme : Melena Del Sur, dans la province
de La Havane.
L’université de La Havane sera remodelée, ainsi
que celles de Santiago et de Las Villas. De nouveaux
centres universitaires verront peu à peu le jour,
notamment dans les villes industrielles comme Moa,
capitale du nickel. La moitié des étudiants cubains

81
suivront des cours de sciences ou de technologie, à la
demande expresse de Fidel Castro. Il est intimement
persuadé que les études scientifiques se doivent de
concurrencer les études littéraires. On notera le
chemin parcouru quand, dans les années 80, un
cubain sur sept aura un titre universitaire.
Cette politique de formation doit permettre à
Cuba de « décoller » économiquement. L’île doit faire
croître ce qui fait la richesse des nations qui
comptent : l’industrie.
Afin de déployer cette activité du pays (Cuba est
le cinquième producteur mondial de nickel et de
chrome), Ernesto Guevara prend la tête du
département industriel de l’Institut National de la
Réforme, alors qu’il ne voulait pas être ministre. Il va
faire se développer les « circulos infantiles » (jardins
d’enfants) pour libérer les femmes et afin d’utiliser
leur force productive.
De son voyage en Yougoslavie, il a rapporté une
vue précise mais négative du système
autogestionnaire dont il ne veut pas à Cuba. Ce
système obéit à la loi de l’offre et de la demande ; les
entreprises décentralisées sont en autarcie financière ;
les marchandises sont échangées au prix du marché ;
les conseils ouvriers participent à la vie économique.
Il se déclare favorable au financement budgétaire,
hostile à l’autogestion financière.

82
Fidel Castro se montrera très attentif à cette
expérience et en tiendra compte dans les débats sur le
modèle économique à faire émerger à Cuba. Il a
besoin de ces comptes rendus sur les réalisations
étrangères car l’île manque cruellement d’experts.
Ernesto Guevara se fait donc l’avocat de la
planification économique, fustigeant comme Fidel
Castro le mariage du socialisme et du marché. Ils
pensent que la planification et le marché sont
antagonistes ; ils critiquent les stimulants matériels
pour pousser chaque cubain à se dépasser ; ils
valorisent le travail volontaire des citoyens. L’homme
socialiste doit travailler pour la société et non pour un
gain personnel. La conscience socialiste des travailleurs
doit être stimulée, les récompenses doivent être
morales.
Mais l’industrialisation (industrie lourde et
électrification) tant souhaitée par Guevara et Castro
va être repoussée à plus tard. L’agriculture est la
priorité des priorités. Comme l’écrivait José Marti,
« Le peuple qui dépend pour sa survie d’un seul
produit est condamné ». Le gouvernement agit donc
dans l’urgence car il faut nourrir la population et
diversifier au maximum les productions agricoles.
On développe les engrais et les fertilisants, les
investissements pour construire les routes
approvisionnant les villes, pour bâtir des logements
décents pour les paysans.

83
Les investissements nécessaires pour
l’exploitation du sous-sol sont ajournés. Et pourtant
l’Oriente est riche en cuivre, manganèse, fer, sel. La
phrase d’Ernesto Guevara, reprise à son compte par
Fidel Castro : « Dans dix ans, Cuba aura le plus fort
PNB d’Amérique Latine » grâce à son développement
industriel, montre seulement le cap, la direction.
Même si le département industriel de l’INRA devient
un vrai ministère de l’industrie en février 1961.
La tâche, comme on le comprend bien, est
immense, la mobilisation de toutes les forces vives ne
souffre aucun délai. Rien ne doit interférer dans le
processus révolutionnaire de transformation de l’île.
Et pourtant…
Cette année 1961, c’est aussi, côté pile, une année
grave, dramatique, car la révolution aurait pu capoter.
Du moins était-ce la volonté des Etats Unis, avec
l’invasion décidée par le nouveau président américain
John Fitzgerald Kennedy, fraîchement élu en
novembre 1960 et entré en fonction le 20 janvier
1961.
JFK s’inscrit dans la continuité du plan mis en
place par son prédécesseur Dwight Eisenhower. Le
13 mars, il propose à l’Amérique latine (Cuba en fait
partie !) une « Alliance pour le progrès » avec l’aide
américaine.
Pour Kennedy, il ne faut pas que la révolution
cubaine fasse tache d’huile en Amérique du Sud ; elle

84
est trop dangereuse pour les intérêts et la liberté des
nord-américains.
Les anciens officiers de Batista, les cubains exilés à
Miami après la prise du pouvoir par les castristes, sont
naturellement aux avant-postes de ce coup d’éclat qui
doit tout emporter.
A Cuba même, des opposants, pour certains
surveillés par les autorités, sont aidés par le contre-
espionnage américain pour servir d’appui. Les contre-
révolutionnaires ont pour noms Rolando Masferrer,
Armentino Feria Perez, Roberto Herrera Tico,
Algimiro Fonseca, Octavio Lujo Padro.
Un soulèvement populaire est même envisagé,
préparé par le Front Révolutionnaire Démocratique et
par le Regroupement Catholique Universitaire. La
hiérarchie catholique était très proche, avant la
révolution, de l’oligarchie des latifundios, mais ce qui
pousse la jeunesse catholique à passer à la contre
révolution ce sont les procès contre les religieux
accusés de cacher et d’aider les « terroristes » anti
gouvernementaux.
Des opposants ont déjà réalisé des opérations de
sabotage d’installations industrielles ou agricoles. Et
les projets d’assassinat de « dignitaires » du régime
vont bon train.
Sabotages de raffineries, incendies de grands
magasins, bombardements d’aéroports se succèdent
en mars et début avril 1961. L’aéroport Antonio

85
Maceo de Santiago est ainsi touché, par des B26 de la
CIA camouflés aux couleurs cubaines.
Fidel Castro, qui s’attend à une invasion,
annonce, le 16 avril, que la révolution cubaine est
socialiste.
Des milliers de personnes susceptibles de
s’opposer à l’état cubain sont parqués dans des stades,
des casernes. Fidel Castro dans son quartier général
de La Havane coordonne les actions : Che Guevara
sur la côte ouest, Raul Castro sur la côte est.
La simulation d’une attaque des forces cubaines
contre la base américaine de Guantanamo au sud-est
de l’île déclenche l’intervention directe des USA.
Le 17 avril, l’invasion a lieu dans la zone
marécageuse de la Baie des Cochons. Un peu plus d’un
millier d’hommes (infanterie, parachutistes) avaient été
embarqués sur une dizaine de navires après avoir été
entraînés au Nicaragua. Des bombardiers de l’US Air
Force sont chargés de s’attaquer aux terrains d’aviation
pour détruire l’embryon d’aviation nationale voulue
par Castro. A quelques miles des côtes, des navires de
guerre croisent, dont le porte-avions USS Essex.
L’infanterie de marine est prête à intervenir à l’appel
espéré d’un gouvernement provisoire remplaçant les
castristes.
La faible aviation cubaine (des avions
d’entraînement) attaque et coule quelques bateaux de

86
« l’armada yankee ». Les batteries anti-aériennes
jouent leur rôle.
Au sol, la milice nationale est mobilisée,
supervisée par Castro et entraînée depuis plusieurs
mois dans l’éventualité d’une tentative d’invasion. Les
organisations de masse, y compris « les Travailleurs
Cubains » et « la Fédération des Femmes » sont sur le
pied de guerre. Les cubains se heurtent aux troupes
déjà débarquées et utilisent toutes les techniques de la
guérilla. Des chars soviétiques appuient les actions au
sol, sur les terrains où il est possible d’utiliser du
matériel lourd.
Le gouvernement américain avait imaginé que les
anti castristes de l’intérieur pouvaient assurer le lien
avec les troupes d’invasion. Il n’en est rien. Le 20 avril,
l’invasion est repoussée et ceux qui le peuvent
rembarquent. Les cubains font un millier de prisonniers.
Fidel Castro va utiliser cette invasion ratée pour
dénoncer devant les médias, notamment la télévision,
la « première puissance impérialiste du monde ». Il
rencontre les prisonniers au Palais des sports et
discute avec eux, pendant quatre heures, devant les
caméras, pour les convaincre du mal-fondé de leur
action et des bienfaits de la révolution : la terre aux
paysans, les coopératives…
Un procès a lieu, le 29 mars 1962 avec juges,
témoins, avocats commis d’office. La sentence
collective tombe : trente ans de prison pour tous. Plus

87
tard (décembre 1962), des négociations aboutissent à
la libération de prisonniers rapatriés contre des
produits alimentaires, des médicaments qui seront
acheminés par le cargo américain African Pilot. Des
incubatrices canadiennes pour l’activité avicole seront
livrées.
Les américains ne désarmeront pas pour autant et
sous l’impulsion du général Maxwell Taylor ils
lanceront un vaste programme pour déstabiliser l’île
communiste, dès la fin de l’année 1961 : ce sera
l’opération Mangouste, qui se concrétisera au premier
trimestre de 1962. Cette opération orchestrera encore
des actions de soutien aux forces d’opposition, des
tentatives contre l’économie locale (destructions de
récoltes, d’usines, d’infrastructures).
Les forces d’opposition intérieure qui s’opposent
au communisme officiel ont pu combattre dans un
passé récent auprès des castristes. Mais ils se sont vite
éloignés et ont « repris le maquis » de la Sierra pour
lutter pour une autre révolution. Lorsqu’ils capturent
des soldats castristes les nouveaux maquisards
exultent : « On leur peint sur les fesses et le sexe des
faucilles et des marteaux ». Parmi ces irréductibles,
ceux qui refusent l’entrée dans une coopérative et
veulent cultiver la terre librement. Le gouvernement
leur envoie les miliciens et ils rejoignent alors la
contre révolution.

88
Des vétérans de l’invasion de Playa Giron
formeront une organisation installée en Floride pour
préparer et exécuter des attentats à la voiture piégée
en s’appuyant sur les cubains de l’intérieur de l’île.
En janvier 1962 les Etats-Unis ont obtenu
l’exclusion de Cuba de l’Organisation des Etats
Américains.
Du côté du pouvoir révolutionnaire des mesures
sont prises pour rendre encore plus cohérentes les
actions de défense du régime.
Pour renforcer l’organisation politique de Cuba,
« Les Organisations Révolutionnaires Intégrées » sont
créées en juillet 1961, en réunissant toutes les
organisations soutenant le régime. Elles voient leur
concrétisation sur le terrain dès 1962 avec la
formation du PURSC, le Parti Uni de la Révolution
Socialiste Cubaine. Celui-ci regroupe le Mouvement
du 26 juillet, le Parti Socialiste Populaire, le Directoire
Révolutionnaire des Etudiants.
Le 3 février 1962, sur l’ordre numéro 3447 du
président américain JFK, c’est l’embargo total sur le
commerce. Au mois de mars 1962, face à ces mesures
américaines, un carnet de rationnement, la libreta, est
institué avec une distribution de produits alimentaires
pour faire face aux besoins de consommation
courante.

89
90
11
La guerre mondiale n’aura pas lieu

La « guerre froide » entre l’Union soviétique et les


Etats Unis est exacerbée, on l’a vu, par la présence, à
quelques encablures de la première puissance
mondiale, d’une île dont le gouvernement mène de
jour en jour une politique communiste de plus en
plus marquée.
Et une révolution qui s’installe, qui se défend
contre l’influence américaine, est un attrait ou un
repoussoir, selon le point de vue et le pays d’où l’on se
place, U.R.S.S. ou U.S.A.
Les soviétiques ont un « navire amiral » dans la
mer des Caraïbes : le Cuba de Fidel Castro. Ils veulent
l’utiliser en installant des fusées nucléaires à moyenne
portée pour inquiéter le Président Kennedy et
montrer que les U.S.A. n’ont pas de légitimité à

91
maintenir, sur le continent européen, des fusées
pointées sur « la patrie du socialisme réel ».
Pour Fidel Castro, le choix d’accepter ces missiles
sur son sol est rapide. Le nouveau régime étant
maintenant installé, il a tendance à privilégier, avec les
coopérants soviétiques sur place, des méthodes
d’organisation du travail et de la production, une
gestion, à la soviétique, à la mode Caraïbes, avec sa
kyrielle de mesures bureaucratiques. Il faut aussi
parer au plus pressé.
Il a besoin de l’aide soviétique, y compris en
matière de défense. La fuite de cerveaux et de
compétences vers les Etats Unis, liée à un embargo
prégnant, handicape le développement du pays.
L’installation des missiles est réglée par Raul
Castro et Ernesto Guevara qui se déplacent à Moscou.
Des batteries de missiles sol-air et des missiles
nucléaires à moyenne portée sont livrés et mis en
place sans coup férir.
Très vite les américains ont des preuves
photographiques grâce à leurs avions espions. Le
14 octobre 1962 un avion de reconnaissance U2
rapporte d’un vol de routine les clichés des rampes de
lancement soviétiques près de San Cristobal. Et c’est
l’enchaînement fatidique. De part et d’autre on
mobilise. Quarante mille marines et cent mille
hommes de troupe sont rassemblés en Floride, dont
deux divisions d’élite aéroportées, avec cent-quatre-

92
vingt-trois navires de guerre, huit porte-avions, cinq-
cent-soixante-dix-neuf avions de combat prêts à
intervenir. Les russes mettent en route vers Cuba
vingt-trois navires.
Le Pentagone plaide pour un raid aérien puissant
et abandonne très vite l’idée d’inspecter l’île, proposée
par le secrétaire général de l’O.N.U.
Fidel Castro, craignant une nouvelle tentative
d’invasion, mobilise cinq cent mille cubains pour
assurer l’indépendance et la survie de l’île :
« Venceremos ! ».
Le 22 octobre 1962, impossible d’entrer à Cuba ou
d’en sortir. La flotte américaine qui croise au large
l’interdit.
Au Conseil de Sécurité des Nations Unies, les
soviétiques nient la présence de fusées sur le sol
cubain.
Un missile soviétique abat un U2 américain qui
survolait Cuba. La crise est à son paroxysme.
L’Occident s’attend, depuis plusieurs jours, à une
confrontation nucléaire imminente entre les « deux
grands » qui ne veulent céder ni l’un ni l’autre. La
tension est palpable dans les chancelleries du monde
et la presse se fait l’écho des peurs collectives face au
danger thermo-nucléaire.
Le 28 octobre, après des tractations
téléphoniques, engagées par des intermédiaires, entre
les 2 K, John Kennedy et Nikita Khrouchtchev, les

93
U.S.A. acceptent de démanteler leurs fusées de
Turquie et d’Italie. Les soviétiques retirent leurs fusées
et leurs bombardiers de Cuba. Une inspection
aérienne devra prouver que les sites ont réellement
disparu. Cette inspection voulue par les USA sera
refusée par Fidel Castro. Moscou obtient de
Washington la promesse de ne pas envahir Cuba. La
crise se termine, le monde reprend son souffle.
Fidel Castro, fin 63, est invité en U.R.S.S où il est
déclaré « héros de l’Union Soviétique ». Il y
entreprend une véritable tournée qui va durer un
mois et demi, alors que la même année, des groupes
anti castristes multiplient sur l’île les sabotages contre
des installations industrielles ou agricoles.
Le périple en URSS doit rétablir la confiance
ébranlée, après cette crise des missiles qui laisse un
goût amer dans la bouche des cubains, invités à
accepter sans mot dire les décisions de leur allié. Les
observateurs de l’époque se rappellent les invectives
de la population cubaine : « Nikita Marikita ; lo que se
da no se quita » (« Nikita PD, on ne reprend pas ce
qu’on a donné »). Ce lâchage soviétique n’améliore
pas l’opinion de nombreux cubains qui ont vu
pendant des années débarquer à l’aéroport
international José Marti « des groupes de russes
rougeauds qui parlaient fort, en propriétaires ».
Au cours de l’été 1963 Fidel Castro aura la
douleur de perdre sa mère.

94
Le Président Kennedy est assassiné le
22 novembre 1963. Entre autres pistes, Cuba est
accusé d’implication dans l’attentat de Dallas alors
que des proches du président américain, comme le
conseiller Schlesinger, ont reconnu, plusieurs années
après, que le rapprochement des USA et de Cuba était
une volonté du gouvernement fédéral. Fidel Castro
rendra une sorte d’hommage au président américain,
la crise des missiles s’étant conclue sur une promesse
de Kennedy de ne pas attaquer Cuba. Pour Castro,
Kennedy assassiné a été victime « vraisemblablement »
de la Mafia et d’une partie de la CIA, car il voulait
changer l’Amérique. Castro va entretenir des relations
amicales avec la famille Kennedy. Et John John, fils du
président américain, une fois adulte, dînera avec
Castro à La Havane.
Le successeur de Kennedy, son vice-président
Lyndon Johnson, signe le « Foreign Assistance Act »
qui supprime l’aide américaine à tous les pays qui
n’acceptent pas le « bloqueo » contre Cuba. Juanita,
sœur de Castro, quittera Cuba en 1964, après avoir
dénoncé la trahison des principes démocratiques dont
se réclamait son frère au début de la révolution.
Pendant trois ans, de 61 à 64, elle aurait collaboré avec
la CIA.
L’embargo américain se durcit encore et pénalise
le pays en voie de développement, par privation de
devises, de biens de consommation et d’équipement,

95
de ressources énergétiques. Après avoir reçu des
émissaires envoyés par Fidel Castro, l’Espagne livre
malgré tout des bateaux de pêche, la Grande Bretagne
des autobus, l’Italie une usine de pâtes alimentaires, la
France du matériel agricole et ferroviaire.
En novembre 1966, avec le « Cuban Adjustment
Act », tout immigrant illégal cubain aux USA devient
un réfugié politique et obtient un permis de séjour
permanent sur le sol américain. L’émigration cubaine
est donc encouragée.

96
12
1962-1989 :
Les années glorieuses : Cuba
un Etat communiste

A partir du moment où les deux grands se sont


mis d’accord pour éviter tout conflit nucléaire et pour
créer une coexistence pacifique, ce qui n’empêche pas
les crises ponctuelles, Cuba va chercher à se
développer avec l’aide de l’Union soviétique.
Fidel Castro avouera plus tard qu’il n’aimait pas le
modèle soviétique trop bureaucratique. Mais la
coopération avec l’URSS permet à Cuba de prendre
toute sa place dans le concert des nations, aux côtés
de la deuxième puissance mondiale.
La volonté d’être reconnu comme puissance à
part entière n’empêchera pas Fidel Castro de montrer
son inflexibilité en quittant le FMI (Fonds Monétaire
International) en avril 64. Le FMI pour le leader

97
cubain est l’instance de régulation du système
capitaliste mondial et il faut, pour un état
révolutionnaire, le combattre. Car ses décisions sont
négatives pour tout état socialiste.
Le développement d’un pays agricole passe par
une amélioration substantielle des productions pour
nourrir la population. Fidel Castro observe les
lenteurs du développement des productions et tente
d’accélérer le mouvement. Sans jamais remettre en
cause la structure agricole, produit de la révolution.
Fidel Castro a toujours apprécié la terre et ses
travailleurs. Il a aimé se faire expliquer dans les détails
les techniques agricoles. Il va impulser la création de
nombreuses écoles agricoles pour développer la
recherche agronomique. Une Ecole Nationale des Sols
est créée.
En octobre 1963, pour faire face à la création d’une
classe moyenne agricole qui pourrait se tourner vers la
contre-révolution (notamment dans l’Escambray), une
nouvelle réforme agraire est initiée par Fidel Castro. La
propriété privée est limitée à la moyenne propriété
(soixante-sept hectares). Au-delà, c’est l’expropriation.
Le secteur d’état atteint près de 63 % des terres
cultivées ; les fermes d’état sont regroupées en grands
ensembles et les coopératives se spécialisent.
Des ingénieurs agronomes viennent de France,
d’U.R.S.S. pour étudier les conditions agricoles
cubaines, faire des propositions, enclencher des

98
actions pour augmenter la productivité bien faible
dans l’île. Trop de pénuries existent. Les autorités
veulent aussi faire fructifier le cheptel. L’adaptation de
vaches laitières européennes aux conditions
climatiques tropicales est envisagée avec sérieux. La
canne à sucre est l’objet de toutes les attentions,
toujours avec l’aide de l’étranger.
Les incitations matérielles peu nombreuses
freinent l’activité. La centralisation à la soviétique est
un poids non négligeable.
Au plan politique, en octobre 1965, Fidel Castro
lance la création du Parti Communiste Cubain, même si
ses options politiques n’ont pas toujours été en
concordance avec celles des Lénine, Staline ou
Khrouchtchev et si le PC historique de Cuba (PSP) a
toujours regardé le Castrisme avec méfiance. Il en prend
la tête en tant que premier secrétaire du Comité Central.
Le parti comptera, dix ans plus tard, deux cent mille
membres. Il ne doit pas avoir un rôle d’administration.
Mais il contrôle la croissance du pays, les orientations
gouvernementales, et il est force de proposition.
Un nouveau journal, « Granma », du nom du
bateau de l’insurrection débutante, est alors créé par
la fusion des quotidiens du Mouvement du 26 juillet
(« Revolucion ») et du PSP (« Hoy »).
Ernesto Guevara a déjà quitté Cuba et sa lettre
d’adieu, qui explique sa volonté d’action hors des

99
frontières de l’île, est lue par le premier secrétaire au
congrès fondateur du PCC.
L’organisation du P.C.C. est sans faille (Anibal
Escalante, ancien leader du PSP et ses « camarades »
en feront les frais en 1968 dans le procès fait à la
fraction prosoviétique).
Le puissant syndicat CTC, « Centrale des
Travailleurs de Cuba », nouvelle manière, épuré des
éléments contestataires, et les organisations de masse
liées au parti, permettent de combattre avec efficacité
les contre-révolutionnaires à l’intérieur comme à
l’extérieur.
Un tour de vis est donné pour lutter contre ceux
qui étaient en liaison avec les anti castristes basés à
Miami.
Cette organisation stricte amène indirectement
Cuba à fossiliser la création culturelle et artistique.
Elle prive Fidel Castro de l’assentiment de nombreux
intellectuels qui l’avaient soutenu.
En 1971, le poète Padilla, accusé d’agir contre la
sécurité de l’Etat, sera arrêté, enfermé pendant près de
deux mois dans les locaux de la Sécurité d’état. Il fera
son autocritique publique, accusant sa famille, ses
amis, devant l’Union des Écrivains et Artistes de
Cuba. Il sera remis en liberté après une mobilisation
internationale d’intellectuels.
D’autres opposants, pour des opinions
incorrectes, deviennent les « plantados », les

100
irréductibles qui refusent l’uniforme des prisonniers
et la rééducation idéologique. Mais ils n’échappent
pas aux Unités Militaires d’Aide à la Production,
créées pour les objecteurs de conscience, les
homosexuels qui échappent par là-même au service
militaire obligatoire.
En Occident, des listes de centres de détention à
régime sévère circulent, vieilles prisons militaires
espagnoles ou nouvelles constructions : la Cabana, El
Morro, El Principe, Isla de Pinos, Boniato, Boniatico,
Guanajay, Cominado del Este, El Condado, la
Campana, la Sierrita, Kilo 5 y Medio, Manto Negro,
Nuevo Amenecer, Baracoa, ainsi que l’hôpital
psychiatrique de Mazorra à La Havane, ou la villa
Marista, siège de la sécurité d’état.
Le 23 août 1968, Fidel Castro approuve sans
détour l’intervention des troupes du Pacte de
Varsovie, sous la direction soviétique, qui met fin au
« printemps de Prague ». Castro dénonce dans ce
printemps mené par Alexandre Dubcek, « les
stimulations de l’individualisme et de l’égoïsme, le
profit, les incitations matérielles ». Mais il reconnaitra
après coup les erreurs du dirigeant évincé Antonin
Novotny, « les méthodes de gouvernement, la politique
bureaucratique ».
Ce soutien aux soviétiques, n’empêchera pas Olof
Palme, premier ministre socialiste suédois et Willy
Brandt, chancelier socialiste allemand en octobre

101
1969 de nouer des relations avec Cuba. Ils
reconnaissent l’un comme l’autre les avancées sociales
de la révolution castriste.
L’effort en matière d’enseignement est poursuivi
du plus jeune âge à l’âge adulte. Fidel Castro peut se
vanter d’avoir plus de 10 % de la population qui
étudie. Il n’y a plus guère d’analphabètes ou d’illettrés.
Des facultés ouvrières et paysannes, qui vont travailler
sur les outils statistiques et la planification,
permettent de créer un vivier de cadres employables
dans la production.
Les relations hommes / femmes, qui ont
toujours préoccupé Fidel Castro depuis les combats
communs dans la Sierra, sont codifiées
définitivement dans le « Codigo de la Familia » de
1975 qui pose l’égalité intangible des droits et des
devoirs et la responsabilité partagée dans
l’éducation. Les études scientifiques sont largement
ouvertes aux femmes qui, vingt ans plus tard,
représenteront cinquante pour cent des
scientifiques. Le modèle machiste espagnol restera
malgré tout ancré dans bon nombre d’esprits (les
« machistes léninistes » dénoncés par la
« Federacion de Mujeres Cubanas »).
L’éducation nationale permet au pouvoir de faire
passer des mots d’ordre incitatifs et quand on connaît
l’autorité charismatique de Castro, on comprend
mieux l’utilité de la méthode.

102
Après avoir mobilisé les compagnons pour
l’expropriation, en 1967, de tous les commerces privés
qui restaient dans le pays et pour la création des
« tiendas del Pueblo » qui succèdent aux bodegas,
magasins locaux des grands propriétaires nationalisés,
Fidel Castro utilise la force du verbe à grande échelle
pour la campagne de coupe de la canne à sucre de la
récolte de 1970 (la « Zafra » 70). Avec l’objectif
impérieux et difficile à atteindre de dix millions de
tonnes, chiffre que l’île n’a jamais atteint auparavant
dans le plan 64-70. La meilleure récolte de tous les
temps ayant été celle de 1952.
Les forces vives de la Nation, mises à
contribution, sont chauffées par des discours
enflammés. Fidel Castro met aussi la main à la pâte.
De multiples photos et films le font apparaître
machette à la main et tiges de canne dans les bras.
Cependant, en juillet 1970, il faut se rendre à
l’évidence : la récolte donne 8,5 millions de tonnes de
canne, bien loin des chiffres escomptés. Certes le
matériel a sans doute été souvent défaillant ; la météo
a contrecarré les prévisions. Mais Fidel Castro fait son
autocritique et prend toute la responsabilité du semi-
échec et de ses conséquences : la canne à sucre mise
en avant au détriment du reste de l’agriculture, du
reste de l’économie. Les investissements ont été trop
centrés sur les transports. L’emploi de la main
d’œuvre des autres secteurs agricoles, exclusivement

103
pour la coupe de la canne, a affecté toute la
production alimentaire.
Castro reconnaît : « Nous payons un lourd
héritage et d’abord l’héritage de notre ignorance ».
Trop de volontarisme tue le volontarisme. Ce
récit d’un petit responsable local de l’époque face à la
mobilisation générale en atteste : « Des mères se
plaignent à moi. Elles disent qu’elles ne peuvent quitter
leur foyer et leurs enfants pour s’engager à couper la
canne à sucre le dimanche… Voilà un problème facile
à résoudre… Les companeros les plus âgés, les malades,
surveilleront les enfants du quartier le dimanche. Ce
sera leur contribution ».
L’accord avec l’U.R.S.S. permet de maintenir le
prix du sucre à un haut niveau tant pour Moscou que
pour les pays du bloc de l’est européen.
L’U.R.S.S. accepte en 1972 que Cuba devienne
membre à part entière du COMECON (le CAEM
des pays de l’est européen, Conseil d’Assistance
Economique Mutuelle) qui garantit des prix
contractuels de longue durée et des accords de
compensation. Une conférence annuelle du
COMECON se tiendra à La Havane en 1977.
Le 3 décembre 1976, Fidel Castro est élu à la tête
du Conseil d’Etat, cumulant les fonctions de chef de
gouvernement et de chef d’état. Mais toujours pas de
culte de la personnalité. Pas une école, pas une usine,
pas une rue, pas un hôpital, ne porte le nom de

104
Castro. Aucune statue officielle, aucun portrait
officiel. La nouvelle constitution socialiste est
proclamée après référendum. Une assemblée
nationale est instituée, ainsi que des élections pour les
assemblées municipales et provinciales. Dès 1973, une
expérience avait été menée dans la province de
Matanzas, avec des élections au suffrage universel.
Mais la bureaucratie routinière perdure : elle est
aussi, nous l’avons vu, un moyen facile de diriger tous
les échelons de l’économie et de la politique, sans trop
se poser de questions. En novembre 1978, Fidel
Castro prend malgré tout contact avec des dirigeants
modérés en exil et fait libérer plus de trois cents
détenus pour leurs opinions politiques inconciliables
avec le régime.
Une crise migratoire intervient au printemps et à
l’été 1980, pendant la présidence américaine de
Jimmy Carter. Cent-vingt-cinq-mille cubains, les
marielitos, fuient les conditions de vie politique et
économique qui leur sont faites. Leur départ est
autorisé. Peuvent officiellement partir les marginaux,
les opposants au régime, les homosexuels. Certains
observateurs parlent d’une expulsion de contre-
révolutionnaires. Dans un premier temps,
l’ambassade du Pérou est prise d’assaut par dix mille
candidats à l’émigration.
La crise a débuté par un minibus forçant l’entrée
de l’ambassade dans le quartier havanais de Miramar ;

105
six cubains courent se réfugier dans les locaux et
demandent l’asile politique. De la Havane la crise
gagne le port de Mariel, à l’ouest, localité par laquelle
près de deux mille embarcations venues des U.S.A.
repartent vers la Floride. Là les attendent les anciens
réfugiés floridiens trop contents d’accueillir leurs
compatriotes. Ceux qui sont venus pour des raisons
économiques (travail notamment, comme cela se
passe pour de nombreux pays des Caraïbes à
l’époque) sont reçus sans problème. Mais les
américains sont très remontés contre la présence de
prisonniers qui ont été mêlés au flot migratoire, des
condamnés pour viol ou assassinat. Leur présence,
fera perdre, en partie, à Jimmy Carter sa réélection,
car l’opinion publique, en demande sécuritaire,
s’insurge.
Les occidentaux se rappellent encore aujourd’hui
les vrais candidats à l’exil marchant entre deux haies
de manifestants castristes déchainés, insultant et
lançant œufs, tomates et coups de pieds. L’écrivain
Reinaldo Arenas fait partie de ces réfugiés. Il a publié
« Le monde hallucinant », l’histoire réelle d’un prêtre
mexicain luttant pour la révolution puis contre la
nouvelle dictature mise en place. Critique à peine
voilée du régime. Dans un premier temps, les
autorités lui ont interdit de publier à l’étranger.
La C.A.N.F., la « Cuban American National
Foundation » établie à Miami, si active pour la prise
en charge des cubains en exil, soutient les candidats

106
à la présidentielle américaine, démocrate et
républicain, au cas où… Elle a constitué un
véritable fief anti-castriste en Floride. Les opposants
au régime cubain ont leurs propres élus au Congrès
américain, avec, en tête, Lincoln Diaz Balart, neveu
de la première femme de Fidel.
La C.A.N.F. finance aussi des actions
terroristes. Quatre ans plus tôt, en 1976, les exilés
cubains enrôlés par la C.I.A. Posada Carriles et
Orlando Bosch sont impliqués dans la mort, au
large de La Barbade, de plus de soixante-dix
personnes, sportifs et étudiants, dans l’explosion
d’un avion civil cubain saboté. Cette même année,
meurt à La Havane le grand romancier et poète José
Lezama Lima, que le régime ne reconnaîtra jamais à
sa juste valeur.
En septembre 1980, l’organisation Omega
7 provoque l’assassinat d’un diplomate cubain, Félix
Garcia Rodriguez, à New York.
Fidel Castro laisse se développer par les médias
cubains une campagne d’accusations contre les États
Unis qui propageraient sur l’île des maladies de la
canne à sucre et du tabac, la fièvre porcine et la
dengue.
En face, le président Ronald Reagan encourage la
création d’une radio cubaine d’opposition, Radio
Marti (qui verra le jour en 1987), suivie cinq ans plus
tard par une chaîne de télévision.

107
Le combat contre l’extérieur que mène Fidel
Castro doit se doubler d’une vigilance accrue sur les
questions intérieures, pour renforcer la solidité du
système face au puissant voisin, irréductible ennemi.
En avril 1986, Fidel Castro, en s’appuyant sur le
troisième congrès du PC qui publie « Erreurs et
déficiences », décide une campagne de rectification
pour purger le système de ses dysfonctionnements qui
asphyxient des pans entiers de l’économie cubaine.
Economisme, bureaucratie, corruption sont
dénoncés. Dès janvier 1985, devant l’assemblée
nationale, il avait critiqué le sectarisme des
organisations issues du régime et des ministères, le
carriérisme et le profit personnel. Il décide de revenir
aux principes marxistes léninistes, à la planification
quinquennale, au contrôle de l’économie. Les
vendeurs ambulants qui avaient fait surface en 1976,
la libéralisation des marchés agricoles de 1980 sont
remis en cause.
En juin 1987, le président de l’Institut de
l’Aéronautique Civile, Luis Orlando Dominguez, est
arrêté pour malversation. Il purgera une peine de
vingt ans de prison.
En juin 1989, le ministre des transports, Diocles
Torralba, est limogé et condamné à vingt ans de
prison pour malversation.
La bureaucratie et la liberté décisionnelle de
certains dignitaires du régime entraînent la plus grave

108
crise interne au régime depuis la création de la
république castriste. Le général Arnaldo Ochoa, le
ministre de l’intérieur José Abrantes, Tony et Patricio
de la Guardia, colonels, et dix autres personnes sont
arrêtées pour trafics à grande échelle. Arnaldo Ochoa,
vétéran de la Sierra, combattant au Venezuela et au
Nicaragua, et Patrico de la Guardia, glorieux
militaires de l’expédition angolaise, Tony de la
Guardia, personnalité importante du ministère de
l’intérieur, trempent dans des trafics d’armes, de
drogue. Fidel Castro avait fait du cordon sanitaire
autour de Cuba contre les narco-trafiquants une
priorité révolutionnaire.
L’embargo américain et les moyens détournés
pour obtenir les équipements dont le pays a besoin,
ont permis la mise en place de réseaux parallèles
favorisant les trafics illicites. Des entreprises
administrées par le ministère de l’intérieur vendent
des cigares, des produits cubains. Elles récupèrent des
devises qui permettent d’acheter des pièces
manquantes dans les transports, les communications,
pour les revendre aux entreprises. De là à échanger de
la drogue contre des pièces de rechange, il n’y a qu’un
pas à franchir.
Après un procès retentissant, les condamnations à
mort tombent pour Arnaldo Ochoa et Tony de la
Guardia, exécutés les 13 juillet 1989. Les
condamnations à mort pour attentats contre-

109
révolutionnaires n’avaient pas été exécutées
auparavant. Trente ans de prison sont décidés pour
Patrico de la Guardia, et vingt ans pour le ministre de
l’intérieur. Il mourra en détention.
Les trente et un membres du Conseil d’Etat,
transformés en juges suprêmes, se sont prononcés à
l’unanimité. Fidel Castro a été présent, pendant toute
la durée du procès, aux réunions au ministère des
Forces Armées, avant de rejoindre en grande
souffrance personnelle, le siège de la présidence au
Palais de la Révolution.

110
13
1962-1989 :
Les années glorieuses :
Cuba leader du tiers-monde

La politique étrangère menée par Fidel Castro


pendant ces vingt-sept années ne peut se résumer à
l’alliance avec l’Union soviétique. Afin de ménager
l’indépendance de Cuba, le Lider Maximo entreprend
aussi une action originale et va apparaître peu à peu
comme un leader des pays en voie de développement.
Cette politique se fait jour lorsque l’Algérie
socialiste qui a obtenu son indépendance est attaquée
dans un conflit frontalier, en 1963, par le Maroc avec
l’appui verbal des USA. Les cubains envoient un
détachement commandé par un ancien passager du
Granma, devenu chef de la Police Révolutionnaire, le
comandante Efigenio Ameijeiras.

111
Cuba devient un centre de la révolution
internationale. Fidel Castro s’appuie sur la
détermination active de Ernesto Guevara qui s’est vite
lassé de ses fonctions administratives et institutionnelles.
Celui-ci n’apparaît plus, à sa demande, dans les
organigrammes du pouvoir cubain, après avoir fait
fructifier le conseil national de planification. Il reçoit à
La Havane de nombreux représentants des mouvements
politiques de libération venant de toute la planète.
Des guérillas sont lancées en Afrique, au Congo,
dans la zone occidentale du lac Tanganyka, pour aider
les rebelles congolais contre les mercenaires blancs du
général Mobutu Sese Seko, en Amérique latine
(Pérou, Bolivie, Argentine). Che Guevara considère
que la révolution cubaine est l’avant garde d’un
mouvement qui va embraser l’Amérique. Il appelle à
créer deux, trois, plusieurs Vietnam en lutte, sur la
surface de la terre, en prenant appui sur le combat du
Vietcong contre l’intervention américaine.
En mars 1965, Ernesto Guevara quitte
définitivement Cuba. On le retrouve, véritable Don
Quichotte pour de jeunes occidentaux, dans plusieurs
expéditions. Il mourra en 1967, abattu à La Higuera
en Bolivie. En octobre 1997, un mausolée sera élevé à
Santa Clara en sa mémoire ; en octobre 2007 un
million de personnes participeront à une veillée
funèbre place de la Révolution. Fidel dira, après sa
mort, que le Che hante son sommeil et ses rêves
pratiquement toutes les nuits.

112
Même si la lutte armée aboutit à l’échec, Cuba
récolte les fruits de sa persévérance. L’image de l’île
révolutionnaire s’impose partout.
Institutionnellement, Fidel Castro lance la
première conférence tricontinentale. Cinq cents
délégués de gouvernements et de mouvements de
libération d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine sont
en 1966 à La Havane. La Havane devient le siège
provisoire de l’Organisation Tricontinentale de
Solidarité des Peuples. Les conséquences positives
pour lui ne se font pas attendre. Il apparaît même aux
yeux du monde comme le dirigeant de l’action armée
face à la voie constitutionnelle et légale que prône la
gauche latino-américaine.
La première conférence de l’OLAS, Organisation
Latino-Américaine de Solidarité, est également un
grand succès. Ses bureaux sont aussi à La Havane.
Certains partis communistes, et le premier d’entre
eux en U.R.S.S., critiquent ce type d’action. Pour le
dixième anniversaire de la révolution, Fidel Castro
proclame son indéfectible soutien au changement
radical et solidaire face à l’impérialisme américain. Il
proclame à la face du monde sa conception des droits
de l’homme qui regroupe le droit de se nourrir, de
s’éduquer, de se soigner, avec l’égalité de tous devant
la concrétisation de ces droits.
Les soviétiques laissent faire : tout ce qui peut
gêner les U.S.A. doit être utilisé, même si le radicalisme

113
dérange le nouveau dirigeant Leonid Brejnev qui a
succédé à Khrouchtchev en 1964 comme premier
secrétaire du P.C.U.S.
Fin 1971, Fidel Castro, toujours pragmatique,
fait une longue visite au Chili qui vient de porter
au pouvoir, par des élections libres, Salvador
Allende. Lors de ce voyage il rencontrera le
président français François Mitterrand. Salvador
Allende nationalise, réforme le pays et devient un
allié de Cuba sur le continent sud-américain. Et
Fidel Castro applaudit à ce changement et à ce
processus novateur, différent de l’expérience
cubaine de 1959.
Salvador Allende se rend à La Havane fin 1972. Il
sera renversé et tué le 11 septembre 1973 lors du coup
d’état du général Augusto Pinochet.
Le Pérou, l’Argentine, Panama, le Venezuela, la
Colombie ont rétabli leurs relations diplomatiques
normales avec Cuba.
En février 1972, Cuba ratifie la convention
internationale sur l’élimination de la discrimination
raciale. Dès le 25 mars 1959, Fidel Castro à la
télévision, face à la société cubaine multiraciale,
avait pris soin de dire : « Il nous faut lutter contre
nous-mêmes avec la plus grande énergie…. Il existe
des problèmes d’ordre mental qui, pour une
révolution, constituent des barrières aussi difficiles à
franchir que les plus puissants intérêts ».

114
En 1973, le sommet d’Alger regroupe les états du
mouvement des pays non alignés. Ces pays réunis en
1955 à Bandung en Indonésie avec l’Inde, la Chine,
l’Egypte ne voulaient dépendre ni de l’ouest, ni de
l’est. A Alger, Fidel Castro insiste sur le fait que
« l’impérialisme soviétique » dénoncé par certains
états du Tiers-monde n’est pas une menace. Par
contre l’impérialisme américain…
Fidel Castro accueille en 1974 à La Havane Yasser
Arafat, le leader palestinien, alors que Cuba avait rompu
toutes relations avec l’état d’Israël, accusé de génocide
du peuple palestinien. La stature internationale de Cuba
est validée dans le monde arabe.
En 1974, la colonie portugaise d’Angola acquiert
son indépendance. Fidel Castro va soutenir le MPLA
(Mouvement Populaire de Libération de l’Angola),
mouvement communiste, alors que les Etats-Unis
interviennent auprès de l’Unita (Unité pour
l’Indépendance Totale de l’Angola), soutenue par
l’Afrique du sud, le pays de l’Apartheid.
L’opération Carlota est lancée en novembre
1975 par Fidel Castro alors que le sud de l’Angola est
envahi par des troupes zaïroises et sud-africaines. Il
déclarera à la journaliste américaine Barbara Walters :
« Les Angolais nous ont demandé de les aider, des
troupes sud-africaines ont envahi l’Angola ».
Les troupes cubaines en Angola, en un véritable
pont aérien, représenteront des dizaines de milliers

115
de combattants dans une guerre qui ne s’arrêtera
qu’en 1991, après signature des accords de paix.
L’’indépendance de la Namibie et la fin du régime
de l’Apartheid en Afrique du Sud seront
directement liées à cette guerre. En décembre 1988,
un accord avait été signé à New York sur le retrait
des cinquante-deux mille soldats cubains d’Angola.
Les soviétiques qui n’avaient jamais apprécié cette
intervention cubaine iront même jusqu’à exiger, par
la bouche de Mikhaïl Gorbatchev, le retrait de
toutes les troupes étrangères de l’Angola.
L’Angola n’est pas le seul pays soutenu
militairement par Cuba. En 1977, l’Ethiopie est
concernée elle aussi. Ce pays met fin à l’invasion de
l’Ogaden par la Somalie voisine, avec l’aide de Cuba.
Le président Menjitsu Haïlé Mariam se rend à Cuba
en avril et Castro à Addis Abeba en septembre. Des
cérémonies grandioses seront organisées pour le
rapatriement des combattants cubains tombés en
Afrique.
En 1978, comme l’écrit Bernard Henri Lévy
dans « La guerre sans l’aimer », le Mexique est
« fidelcastrisé ». La société mexicaine est traversée
par des courants de pensée inspirés par le castrisme.
La Havane reçoit le sommet du mouvement des
non-alignés en 1979. De nombreux mouvements de
libération y sont invités en même temps que les états.
Castro sera élu président du mouvement.

116
En 1979, Cuba aide également le Nicaragua, sous
la forme d’une assistance médicale et enseignante,
après la chute du dictateur Anastasio Somoza et la
victoire de la révolution sandiniste qui a utilisé Cuba
contre la « Contra » soutenue par les États Unis. Fidel
Castro est à Managua en juillet 1980.
En février, il avait épousé secrètement Dalia Soto
Del Valle, avec laquelle il avait eu cinq enfants : Alexis
(1963), Alex (1965), Alejandro (1967), Antonio
(1968), Angel (1974).
En 1983, lorsque les U.S.A. interviennent sur l’île
de la Grenade, à la suite de l’assassinat du premier
ministre Maurice Bishop, six cents techniciens
cubains actifs sur l’île sont renvoyés à Cuba.
En 1985, est organisée à La Havane une
conférence internationale sur la crise de la dette du
Tiers-monde, dette qui asphyxie les pays. Les U.S.A.
sont mis en accusation comme principal garant des
banques « occidentales ». Une trentaine de pays et un
millier d’experts participent à cette conférence.
Cette action tiers-mondiste n’empêche pas Fidel
Castro de penser à l’Europe. En février 1984, il
séjourne en Espagne pour la première fois, reçu par le
premier ministre socialiste Felipe Gonzales qui
visitera Cuba en novembre 1986.
Cette politique étrangère active, transparente ou
non a cependant bloqué pendant toute cette période,
le rétablissement de relations normales, d’état à état,

117
avec les U.S.A. Une rencontre a bien eu lieu, en
novembre 1974, pour trouver des solutions aux crises
migratoires qui touchent périodiquement Cuba. Mais
il faudra attendre décembre 1984 pour un premier
accord migratoire. Depuis 1977, après l’élection de
Jimmy Carter à la présidence, des bureaux
diplomatiques de représentation d’intérêts sont
installés dans l’un et l’autre pays. Ce ne sont pas de
véritables ambassades. Il faut dire que Fidel Castro
reste très hostile et méfiant à l’égard de la politique
américaine, jusque dans un article du magazine « Play
Boy » qui publie un entretien du leader cubain sur
« Reagan et la révolution ».
La politique interventionniste de Cuba fait que les
USA rendent à l’île la monnaie de sa pièce et
continuent de considérer le pays comme un ennemi
irréductible.
Etre impliqué dans les combats du tiers-monde a
entraîné pour Cuba des obligations, des contraintes,
notamment financières, qui ne sont pas sans apporter
des tourments à l’intérieur de l’île. Mais c’est aussi le
prix à payer pour une reconnaissance internationale
et pour avoir les moyens diplomatiques et solidaires
afin de tenir tête à la première puissance mondiale.

118
14
1989-2005 :
La période spéciale

Fidel Castro a toujours été dubitatif face à la


politique menée par Mikhail Gorbatchev dès 1985. En
1989, des élections libres ont lieu en Russie. Dès sa
première rencontre avec l’homme fort de l’U.R.S.S.
qui a ouvert son pays à la Perestroïka
(restructuration) et à la Glasnost (transparence) pour
lutter contre la bureaucratie et améliorer une
économie retardataire, Castro est méfiant.
Il est à Moscou en février 1986. Pour lui, tourner
le dos au marxisme léninisme est une erreur et
l’ouverture à l’économie de marché est une véritable
catastrophe. Il s’attend donc à un échec du nouveau
cours des choses en Russie et, par voie de
conséquence, à des difficultés quant aux accords

119
commerciaux entre Cuba et l’URSS et entre Cuba et le
COMECON.
Ce qui n’empêche pas Cuba de faire preuve de
solidarité sans faille quand, à la suite de la catastrophe
nucléaire de Tchernobyl en avril 1986, les enfants
ukrainiens irradiés viennent se faire soigner dans la
grande île.
Tout l’édifice révolutionnaire bâti depuis les
derniers mois de 1959 peut s’écrouler pan par pan du
jour au lendemain, avec les réformes non maîtrisées
de « Gorby », nom amical donné par les occidentaux
au dirigeant soviétique. Pour Fidel Castro, il n’est pas
envisageable que l’U.R.S.S. entraîne Cuba dans sa
chute.
En juillet 1989, il indique que si l’U.R.S.S.
disparaît, Cuba continuera. Alors qu’en septembre
1991, les russes avaient retiré sept mille militaires
détachés à Cuba (les derniers partiront en juillet 1993)
Boris Eltsine dissout en décembre le P.C.U.S. et
l’U.R.S.S. s’effondre. La chute du mur de Berlin le
9 novembre 1989, l’insurrection roumaine (qui
entraina l’exécution de Nicolae Ceausescu, le
25 décembre) avaient précédé ce cataclysme.
Dans le tiers monde, en avril 1990, c’est la fin de
la révolution sandiniste au Nicaragua ; en mai 1991,
Mengistu Haïle Mariam est renversé et s’enfuit
d’Ethiopie. Les cubains ont l’impression de se
retrouver seuls au monde.

120
Les exportations cubaines qui étaient presque
entièrement tournées vers le bloc de l’est cessent peu à
peu. Les marchandises et équipements nécessaires à
Cuba n’arrivent plus. Moins de 40 % des contrats
passés sont honorés la première année suivant
l’effondrement de l’Union soviétique. C’est la fin des
relations économiques et commerciales avec l’U.R.S.S.
Et de 1992 à 1994, le PIB cubain va chuter de 35 %. La
chute de la production et des salaires est plus forte
qu’en 1929 année de la Grande Dépression. Les salaires
baissent de 25 %. Les importations passent de huit
milliards à un milliard de dollars et les exportations
chutent de 75 %, la consommation de 27 %.
Des lopins de terre pris sur les grandes
exploitations sont distribués aux paysans pour qu’ils
approvisionnent les centres urbains. Les cultures hors
sol (cultures hydroponiques) sont mises en place dans
les villes. Elles se généraliseront et les jardins
organoponiques, avec engrais de paille et de déchets
agricoles, fourniront des milliers de tonnes de
légumes.
Fidel Castro avait envisagé toute une série de
crises provoquées par les U.S.A., mais pas la défection
de l’U.R.S.S. Il faudra attendre décembre 2000 pour
voir un chef d’état russe, Vladimir Poutine, de retour
à Cuba.
Fidel Castro veut mobiliser la population, lui
donner courage, l’appeler à résister. Il annonce ce

121
qu’il nomme « la période spéciale en temps de paix »
qui commence le 29 août 1990 par des mesures de
restriction de la consommation d’essence et
d’électricité et qui va se durcir fortement au fil des
mois. (Quelques jours auparavant, le 2 août, Fidel
Castro avait demandé à Saddam Hussein de quitter le
Koweit afin de déjouer la politique interventionniste
américaine. Une délégation cubaine, avec le vice-
président du conseil d’état José Ramon Fernandez,
avait apporté au président irakien une lettre
personnelle du leader cubain.)
Le pays est acculé. La révolution peut disparaître.
Il suffit de se rappeler la vision des passagers des
avions survolant de nuit, avant d’atterrir, une ville
fantomatique et dans le noir, La Havane soumise au
délestage électrique, pour comprendre que le pays est
atteint.
L’approvisionnement électrique restera longtemps
un problème pour La Havane puisqu’en septembre
2004, une panne de la principale centrale
thermoélectrique de l’île entraînera la fermeture de
plus de cent entreprises et quarante hôtels, des
coupures de courant de 6h par jour, quatre fois par
semaine et en définitive la démission du ministre des
industries de base, Marcos Portal, pourtant un des
initiateurs des réformes économiques.
Les femmes qui représentaient 35 % de la main
d’œuvre, loin des 12 % de 1950, se recentrent sur la

122
famille qu’il faut essayer de nourrir avec de maigres
moyens. L’alimentation est réduite de moitié en
nombre de calories et en taux de protéines.
Les cubains vont connaître la faim avec un
rationnement drastique, ce qui va provoquer les
départs des « balseros », ces émigrés embarqués sur
des énormes bouées en 1994. Fidel Castro ne s’oppose
pas au départ de ceux que la population pro castriste
traite de « gusanos », c’est à dire vermines, vers de
terre. Leonardo Padura, dans « L’homme qui aimait
les chiens » décrit : « Les transports cubains avaient
pratiquement disparu cinq jours par semaine, je
pédalais sur ma bicyclette chinoise pour aller de chez
moi à l’école vétérinaire, dix kilomètres à l’aller et
autant au retour. Au bout de quelques mois, j’étais
devenu si maigre que, plus d’une fois, en me jetant un
coup d’œil dans un miroir, je ne pus m’empêcher de me
demander si je n’avais pas été mordu par un cancer
vorace. […] Tandis que des groupes d’hommes et de
femmes, avec des planches, des jerrycans métalliques,
des chambres à air, des clous et des cordes,
s’appliquaient à donner forme aux engins sur lesquels
ils prendraient la mer, d’autres groupes arrivaient en
camion avec leurs embarcations déjà construites… »
En juillet de la même année, un remorqueur est
détourné par des émigrants illégaux. Trente morts à la
suite du naufrage. En août, la radio pro américaine
émet depuis Miami de fausses informations qui

123
provoquent des émeutes à La Havane. Fidel Castro
calme les émeutiers en se déplaçant lui-même.
Beaucoup de cubains évoquent la fin du castrisme,
le départ de Fidel Castro (même si l’historien de La
Havane Eusebio Leal sait que « Castro ne doit pas
partir, il va encore une fois réussir »).
La C.A.N.F. fait du lobbying direct et affûté
auprès des représentants des chambres américaines
pour faire voter en 1992 la loi Torricelli, et en mars
1996, la loi Helms-Burton signée par le Président
Clinton. Ces lois aggravent encore le bloqueo, en
étendant aux entreprises non américaines les règles
commerciales des entreprises américaines qui
travaillent avec Cuba. Cette politique ne permet
cependant pas de tarir les relations économiques avec
le Canada, l’Europe et l’Amérique latine qui passent
outre.
Des représailles sont instituées pour tout
investissement étranger dans l’île, ainsi que des
sanctions contre les entreprises étrangères qui
utiliseraient des propriétés nationalisées de citoyens
américains. Le commerce des filiales de sociétés
américaines établies dans des pays tiers est interdit
avec Cuba ; l’accès à des ports des USA est interdit à
des navires ayant traversé les eaux cubaines. Des
ordinateurs européens sont retirés de la vente aux
USA car la composition de leurs circuits comporte du
nickel cubain.

124
En juillet 1995 et janvier 1996, l’organisation anti
castriste « Hermanos Al Rescate » fait lancer des tracts
sur Cuba. Les avions cubains abattront deux appareils
venus de Floride.
En 1997, une série d’attentats à la bombe dans des
hôtels de La Havane (Melia Cohiba, Capri, Nacional,
Triton et Copacabana) et à Varadero font un mort, un
jeune touriste italien, Fabio Di Celmo. La
participation de Posada Carriles est attestée.
Fidel Castro est partout à la fois : dans les
instances gouvernementales pour trouver les
solutions à la pénurie, dans les provinces pour
galvaniser les énergies, à la tribune du congrès des
Jeunesses Communistes pour remercier les grands
leaders Ernesto Guevara, Camilio Cienfuegos, Julio
Antonio Mella qui ont fait Cuba et qui sont des
modèles.
La lutte contre les manquements de hauts
responsables continue pendant la période spéciale. En
octobre 1992, Carlos Aldana, membre du bureau
politique, chargé de l’idéologie, est renvoyé pour
« déficience dans son travail et graves erreurs ».
Fidel Castro voyage aussi à l’étranger car tous les
contacts sont bons pour sauver le pays et pour
poursuivre la lutte idéologique. Il participe, en juin
1992, au sommet de la terre, à Rio, et met en garde les
nations capitalistes contre les dangers
environnementaux. En juillet 1992, au sommet ibéro-

125
américain de Madrid, il reçoit l’invitation du
président de la Galice, Manuel Fraga, de se rendre à
Lancara, le village où est né son père. En mai 1994,
Fidel assiste à l’entrée en fonction de Nelson Mandela
en Afrique du sud. En juin 1996, il est à la conférence
de l’ONU sur l’habitat qui se tient à Istanbul.
Et « le tacticien » va réussir.
Le solaire, avec Cubasolar, est boosté par la pénurie
énergétique. Des panneaux solaires pour l’électricité
domestique, les ordinateurs, les moyens audiovisuels,
sont installés dans les zones reculées. Le Centre National
de Recherche Scientifique s’active, regroupant près de
200 instituts scientifiques très divers : physiologie
animale et végétale, recherche biologique, génie
génétique, immunologie moléculaire, recherche
pharmaceutique, ingénierie génétique, neurosciences.
En octobre 2001 les russes avaient fermé la base
de communications électroniques internationales,
véritable petite localité soviétique au sud de la
Havane. Le gouvernement cubain ouvre à sa place
l’Université des sciences informatiques pour
l’information et la communication.
Des produits pharmaceutiques sont créés (contre
la méningite à méningocoque, l’hépatite B), des
interférons anticancéreux pour le marché intérieur,
mais aussi pour les Pays en Voie de Développement
(auxquels sont fournis des vaccins à bas prix). On voit
même les États Unis acheter des vaccins cubains.

126
Cependant pour Cuba les médicaments se font
rares, les exportations étant privilégiées. Et les
médecins, durant la période spéciale, pour vivre, sont
obligés d’avoir une deuxième activité (chauffeur de
taxi ou employé d’hôtel). Ce qui n’empêche pas l’île
d’avoir l’un des taux de centenaires les plus
importants au monde.
Cuba développe aussi une technique
révolutionnaire pour supprimer la myopie (des
européens acceptent alors une opération peu onéreuse
et efficace). Une « école de médecine d’Amérique
latine » est financée à La Havane, conjointement avec le
Venezuela.
Dans les relations Cuba – Venezuela, Cuba
fournit les médecins et les enseignants contre le
pétrole vénézuélien. Les premiers accords sont
signés entre les deux pays en octobre 2000, avec la
fourniture vénézuélienne de cinquante-trois mille
barils de brut par jour, à des tarifs préférentiels et
avec des facilités de paiement. Cuba fournit les
équipements médicaux, les vaccins. Techniciens de
santé, entraîneurs sportifs cubains complètent la
collaboration.
Fidel Castro va aussi se tourner vers la Chine en
envoyant des émissaires auprès de l’état et des
entreprises. On est loin de la violente diatribe anti
chinoise de février 1966. Les chinois fournissent des
produits de consommation courante, comme les

127
téléviseurs, et agissent aux côtés des cubains dans les
domaines de l’énergie et de l’industrie du nickel.
Castro doit beaucoup au dirigeant chinois Jiang
Zemin, qui avait visité l’île en novembre 1993, au
dirigeant vénézuélien Hugo Chavez, au pouvoir dès
1998 (sa première visite d’état à Cuba aura lieu en
janvier 1999).
Pendant cette période spéciale, Cuba fait un effort
tout particulier pour se singulariser au plan sportif.
Fidel Castro est lui-même un grand sportif : il ne
s’affiche pas seulement au base ball, sport national. En
1992, lors des JO de Barcelone, Cuba se classe
cinquième au nombre des médailles, ce qui met un
peu de baume au cœur des victimes des restrictions
drastiques. Le Cuba révolutionnaire continue. En
2010 treizième championnat du monde d’athlétisme
en salle à Doha au Qatar : Cuba terminera troisième
derrière les USA et la Russie ; avec Dayron Robles –
haies –, William Collazo – 400 mètres –, Arnie David
Girat – triple saut.
Le gouvernement poursuit contre vents et marées
sa politique d’éducation pour que Cuba ne connaisse
jamais la situation de milliers d’enfants déshérités et
envoyés au travail plutôt qu’à l’école. De même il n’y a
pas de pause dans le domaine institutionnel pour
améliorer le système politique avec la volonté de faire
perdurer l’adhésion de la population au régime
quelques soient les circonstances. En juillet 92 une

128
nouvelle modification constitutionnelle est adoptée.
La constitution est réformée pour renforcer les
pouvoirs du président du Conseil d’état et en
prévision d’une élection au suffrage universel de
l’Assemblée nationale.

En décembre 1992, les premières élections


municipales au suffrage universel direct ont lieu. En
février 1993, c’est le tour des premières législatives au
suffrage universel direct pour la moitié de l’assemblée
nationale. Dans les deux cas, le PCC ne présente pas
de candidat. Fidel Castro, député de Santiago, est
réélu par l’assemblée, président du Conseil d’état et
du Conseil des ministres. En 1997, au cinquième
congrès du PCC, il est réélu premier secrétaire et
Raul, second secrétaire, comme successeur possible.
Les réformes économiques sont impulsées par la
direction du parti pour éviter l’asphyxie et lutter, de
l’intérieur, contre les pénuries.
En juillet 1993, afin de faciliter le ravitaillement
des villes largement entravé par les restrictions, les
marchés libres paysans sont autorisés, le travail pour
son propre compte est toléré. Les agriculteurs peuvent
réserver une part de récolte pour le marché libre.
L’interdiction des échanges en dollars est levée. La
possession et l’usage de devises étrangères sont
dépénalisés. Les cubains peuvent recevoir de l’argent
de l’étranger.

129
En août, c’est l’ouverture de l’économie aux
investissements étrangers. Les sociétés mixtes se
multiplient en association avec Sherritt International
pour le nickel, Nestlé, Altadis (Alliance Tabac
Distribution), Pernod Ricard. Les autorités développent
à marche forcée le tourisme. Dans l’hôtellerie des
entreprises espagnoles financent des complexes
flambant neuf ou rénovent l’ancien. Malheureusement
avec un cortège de prostitution, de délinquance de
consommation de drogue et la multiplication des
affaires de corruption et de vol dans les entreprises
d’état, maux que les autorités doivent combattre.
Des restructurations sont entreprises dans les
grands secteurs de l’économie urbaine. Les boutiques
ouvertes aux étrangers permettent de récupérer des
devises. En septembre, les petites entreprises privées
sont autorisées, petits restaurants, métiers artisanaux.
Raul Castro a largement incité cette politique et a
convaincu son frère sur certaines dispositions
d’ouverture.
Cette situation crée un groupe nouveau de
privilégiés, au contact de l’étranger. Des centaines de
milliers de touristes apportent des devises. Les
nouveaux riches cubains sont mal perçus par une
population qui dans son ensemble souffre peu ou
prou des restrictions.
Les USA, craignant une trop forte émigration
suppriment en 1995 le droit d’asile à tout immigrant

130
cubain arrivé dans l’illégalité dans le pays. Les
personnes interceptées en mer sont renvoyées. Il faut
dire qu’en août 1994 29000 émigrés cubains étaient
encore partis sur des embarcations de fortune pour
gagner la côte américaine.
Les USA et Cuba signent un accord : 20000 visas
annuels en échange de la lutte des autorités cubaines
contre l’émigration clandestine.
Toujours à la recherche de nouvelles cautions et
pour desserrer l’étau autour de son pouvoir, Fidel
Castro prépare, avec le cardinal archevêque de La
Havane Jaime Lucas Ortega Alamino, un voyage
officiel du Pape qui arrive à La Havane le 21 janvier
1998. Cuba compte trois-cent-quarante prêtres, six-
cent religieuses, six-cent-cinquante lieux de culte.
Une délégation américaine avec l’archevêque de New-
York à sa tête, John O’Connor, est du voyage. Une
messe est concélébrée sur la place de la Révolution,
qui a toujours accueilli les grandes manifestations
populaires castristes.
Le Pape anticommuniste s’engage contre
l’embargo imposé par les Etats Unis qui prive Cuba de
contacts extérieurs. Il dénonce le libéralisme aveugle
qui s’impose aux peuples les plus déshérités. Fidel
Castro rappelle son respect pour toutes les croyances.
Les heurts, dans les premières années de la
Révolution, entre l’église catholique et le pouvoir sont
mis de côté. Déjà en 1971, devant des prêtres à

131
Santiago du Chili, Fidel Castro avait reconnu : « il y a
dix mille fois plus de coïncidences entre christianisme
et communisme qu’entre christianisme et
capitalisme ». Il réaffirmera : « Avec les sermons du
Christ, on peut faire un programme socialiste radical ».
A l’occasion de ce voyage papal, trois cents
prisonniers politiques et de droit commun sont
libérés et il est décidé que le 25 décembre, le jour de
Noël, sera à nouveau férié à Cuba.
Toujours en 1998, en septembre, cinq cubains,
envoyés aux États Unis pour infiltrer les réseaux
terroristes anti castristes sont arrêtés par le FBI (ils
sont encore à ce jour emprisonnés ou retenus aux
USA). Dès le mois de mai, l’écrivain, prix Nobel, ami
de Fidel Castro, Gabriel Garcia Marquez, avait remis
à Bill Clinton un message des autorités de La Havane
sur les activités terroristes de Miami. Des
responsables du FBI avaient reçu des documents
probants. En juillet, une interview de Luis Posada
Carriles dans le « New York Times » apportait la
preuve de son implication dans la campagne
d’actions financée par Jorge Mas Canosa et la
Fondation Nationale Cubano-Américaine. En août,
le FBI avait mis à jour la préparation d’un attentat
contre Fidel Castro au sommet ibéro américain de
Porto.
En mars 1999, les dirigeants du Groupe de Travail
de la Dissidence Interne sont jugés à La Havane, pour

132
attentats contre la sécurité de l’Etat (trois à cinq ans
de prison).
Cette même année, Fidel Castro est
particulièrement actif dans l’affaire du jeune Elian
Gonzalez qui a survécu au naufrage d’une
embarcation d’émigrés non loin des côtes de la
Floride. Sa mère noyée, son père resté à Cuba, veut
retrouver l’enfant de 5 ans. De grandes manifestations
ont lieu à La Havane pour réclamer le retour d’Elian
qui est effectif en juin 2000, après plusieurs mois
d’attente face aux autorités américaines.
En septembre 2000, Fidel Castro rencontre Bill
Clinton à l’occasion du sommet de l’ONU sur le
Millenium. Clinton considère que Cuba n’est plus une
menace.
En mai 2002, l’ancien Président Carter se rend à
La Havane. Il joue au base ball avec Fidel Castro, sans
garde du corps de part et d’autre. Plus sérieusement, il
évoque les problèmes des droits de l’homme à Cuba
dans un discours télévisé à l’Université et propose un
premier pas vers Cuba.
Ce qui ne sera pas suivi d’effet, puisqu’après le
11 septembre 2001 et la catastrophe du World Trade
Center, Cuba a été inscrit, en mai 2002, par le
gouvernement de Georges W. Bush, sur la liste noire
des pays dangereux, au même titre que la Corée du
Nord et l’Iran. Fidel Castro avait pourtant proposé
une assistance logistique et l’accès aux aéroports

133
cubains aux autorités américaines, au lendemain de la
catastrophe des tours jumelles.
Depuis janvier 2002, la base américaine de
Guantanamo à l’est de Cuba est une prison pour
terroristes afghans et internationaux.
Alors qu’en 2003 – fait exceptionnel – des cubains
qui avaient détourné un bateau vers la Floride sont
renvoyés à la Havane par les autorités américaines, le
président Bush va décider de créer une commission
d’aide à un « Cuba libre » en privilégiant l’action
auprès des opposants au régime, ce qui va exaspérer
les autorités cubaines. Alors que deux-cent-trente-
mille américains se sont rendus dans l’île et que les
USA vendent à Cuba des produits alimentaires après
le passage de l’ouragan Michel.
Après le sommet ibéro-américain de La Havane
en 1999 auquel avait participé Juan Carlos, roi
d’Espagne, l’assemblée générale de l’O.N.U avait voté
en 2000 à une large majorité contre l’embargo
américain. Ce qui n’empêche pas de nouvelles
règlementations qui accentuent encore le blocus. Les
entreprises européennes et latino-américaines sont
pénalisées en cas de relations commerciales avec
Cuba. Mais certaines multinationales américaines
dans l’alimentaire obtiennent pour leurs produits un
desserrement du blocus.
En novembre 2002, un nouveau responsable du
Bureau des Intérêts Américains à La Havane, James

134
Cason, arrive dans la capitale cubaine, avec la volonté
de durcir les relations entre les deux pays.
En mars 2003, soixante-quinze opposants cubains
sont condamnés à de lourdes peines de prison pour
avoir collaboré à un plan du Bureau des Intérêts des
États Unis. Le poète Raul Rivero en fait partie. Raul
Rivero ancien secrétaire du poète officiel Nicolas
Guillen, avait signé en 1991 la lettre des dix
intellectuels demandant la fin des emprisonnements
politiques et la démocratie.
En avril, un groupe détourne un bac dans la baie
de La Havane. Il y aura trois condamnations à mort.
En mai, les USA expulsent quatorze diplomates
cubains.
La tension permanente entre les deux pays
n’empêchera pas le gouvernement cubain sous
l’impulsion du Lider Maximo de proposer, à nouveau,
une aide cubaine aux victimes de l’ouragan Katrina en
2005 ; les équipes de médecins et d’infirmières (plus
de mille sont proposés en médecine d’urgence) ne
pourront jamais intervenir, le gouvernement
américain s’y opposant.
Blocage étasunien mais l’Amérique latine qui
change et le Mouvement altermondialiste vont
fournir un grand nombre d’alliés à la république
castriste.
En novembre décembre 1999, le Mouvement
altermondialiste de lutte contre la globalisation

135
libérale est né en parallèle du sommet de l’OMC
(Organisation Mondiale du Commerce) à Seattle aux
États Unis. Fidel Castro, dès le premier janvier 1999,
prédit une crise économique mondiale imminente
provoquée par les spéculations, les récessions et les
guerres sanglantes, le saccage de l’environnement. Le
premier Forum Social mondial à Porto Alegre, en
janvier 2001, a été suivi avec intérêt par les autorités
cubaines. Fidel Castro étudie de près les analyses du
« Monde Diplomatique ». Pour Fidel Castro, il n’y a
plus de vrai capitalisme, plus de concurrence.
En octobre 2002, Luiz Inacio Lula Da Silva,
« Lula », ami de Cuba et président du parti des
travailleurs, est élu à la présidence du Brésil. Un appui
de plus pour Cuba.
Fidel Castro assiste, en mai 2003, à l’investiture
du président argentin Nestor Kirchner qui accepte
bien volontiers la venue du dirigeant charismatique.
En revanche, l’Europe pose problème à la
diplomatie cubaine. Si 44 % des échanges
commerciaux de l’île se font avec l’Europe qui fournit
également plus de la moitié des touristes, l’Union
Européenne ne se satisfait pas de la politique menée
par les autorités cubaines et de la manière dont les
emprisonnements sont justifiés. Même l’Espagne, qui
pourtant s’est investie financièrement dans des
« joint-ventures » avec Cuba, est très critique quand il
s’agit de dénoncer les atteintes aux droits de l’homme.

136
En juin 2003, les pays de l’UE invitent les
opposants cubains dans leurs ambassades à
l’occasion de leurs fêtes nationales. Cuba gèle alors
ses relations avec les ambassades. Le centre culturel
d’Espagne est fermé. Fidel Castro en personne est
au milieu des manifestants devant l’ambassade
espagnole pour protester contre l’Europe qui
s’immisce dans les affaires internes de l’île et donne
des leçons. Une pétition, qui doit établir la liberté
d’action de Cuba et son indépendance concernant
ses choix fondamentaux, est signée par huit
millions de cubains en juin 2003. Le socialisme est
déclaré irrévocable. L’Assemblée Nationale vote
pour inclure cette irrévocabilité dans les textes
constitutionnels.
En octobre 2003, l’Internationale Socialiste, sous
l’impulsion des socialistes européens, dénonce
l’embargo américain mais demande fermement aux
autorités cubaines la libération des détenus et des
réformes démocratiques d’ampleur.
Les autorités cubaines répondent à leurs
détracteurs en mettant en avant une déclaration du
chanteur Pablo Milanes : « A Cuba il y a des erreurs et
nous avons le droit de les dénoncer ». Etrangement,
pendant la période spéciale, les artistes et écrivains qui
reçoivent moins d’aide institutionnelle, jouissent
d’une plus grande liberté pour commercialiser leurs
œuvres dans le monde.

137
Osvaldo Paya Sardinas, opposant catholique, et
dirigeant du Mouvement Chrétien de Libération, qui
a obtenu en 2002 le prix Sakharov de la liberté de
pensée organisé par le Parlement européen, réussit à
rendre public son programme de transition politique.
Le « projet Varela » du nom d’un prêtre luttant pour
l’indépendance de Cuba au dix-neuvième siècle,
donne lieu à une pétition : dix mille citoyens veulent
des élections libres dans le cadre de la constitution
socialiste.
Le Comité pour la Défense des Droits de
l’Homme et pour la Réconciliation Nationale
d’Elizardo Sanchez se fait lui aussi une place.
Le patriarche de l’Eglise orthodoxe de
Constantinople Bartolomée 1 se rend à Cuba.
Mais en janvier 2004, l’accès à internet est limité
« pour des raisons d’infrastructure ».
L’Allemagne, en février, condamnant une fois
encore les arrestations des soixante-quinze opposants
de mars 2003, décide, bien qu’étant invitée, de ne pas
se rendre au salon du livre de La Havane. L’UNESCO
remet, le même mois, son prix mondial de la liberté
de la presse au poète Raul Rivero, condamné à vingt
ans de prison. Il sera remis en liberté et il créera une
agence de presse indépendante, Cuba Press.
Les opposants Eloy Gutierrez Menoyo (ancien
companero de Fidel Castro), Osvaldo Paya, Elizardo

138
Sanchez se déclarent contre les mesures prises par
G.W. Bush pour la transition démocratique.
L’économiste Marta Beatriz Roque, fondatrice en
1994 de l’Institut Cubain d’économistes indépendants,
arrêtée en mars 2003, et condamnée à vingt ans
d’internement, est libérée.
Parallèlement à ce dégel et à cette ouverture, les
autorités US limitent les visites des exilés cubains à
dix jours tous les trois ans, et pour les familles
uniquement. Le montant des sommes qu’ils apportent
à Cuba passe de trois mille à trois cents dollars ; les
dépenses quotidiennes de cent-soixante-quatre à
cinquante dollars par jour ; le poids des bagages à
27 kg ; et l’argent envoyé par eux à mille-deux-cents
dollars par an.

139
140
15
La transition :
de « El tactico 1 » à « El tactico 2 »

Fidel Castro avait déjà rencontré plus de 300 chefs


d’entreprises américains soucieux de voir évoluer les
relations bilatérales, lorsqu’en mars 2005, il annonce :
« nous sommes rentrés dans une nouvelle étape » ;
autrement dit, la période spéciale est finie.
Les autorités cubaines constatent de bons
résultats économiques. La réévaluation de 8 % du
peso cubain va donc prendre effet le 9 avril, six mois
après la suspension de la circulation du dollar
américain et l’annonce de la dédollarisation de
l’économie cubaine, le dollar étant remplacé par le
peso convertible (CUC : Cuban Unity Currency) en
novembre 2004.
Dans un discours, Fidel Castro annonce le
doublement du nombre de logements construits, un

141
renouvellement du parc des locomotives et des cars
et… la mise sur le marché de cinq millions
d’autocuiseurs !
Les accords avec le Venezuela portent leurs fruits.
Début 2005, les barrières douanières entre Cuba et le
Venezuela sont supprimées. Un prix minimal de
26 dollars par baril de pétrole est institué. Le
financement de projets énergétiques pour l’industrie
est assuré par des prêts vénézuéliens (y compris avec
de l’argent prêté à Caracas par les banques chinoises).
À Caracas, la chaîne latino-américaine Telesur est
lancée avec la participation du Venezuela, de Cuba, de
l’Uruguay et du Brésil. L’installation d’un câble sous-
marin de fibre optique pour les télécommunications
est décidée entre le Venezuela et Cuba, sur
1630 kilomètres, déroulé par le navire français Île de
Batz, avec l’entreprise mixte d’investissement
« Telecomunicaciones Gran Caribe ». Fidel Castro
s’est toujours enthousiasmé pour ces nouvelles
technologies de communication au long cours.
Avec Chavez, président du géant énergétique
vénézuélien qui a su faire profiter des richesses
pétrolières les plus pauvres de son pays, avec Evo
Morales, président indien de Bolivie depuis décembre
2005, et dirigeant du mouvement « Vers le
socialisme », qui a nationalisé les ressources du sous-
sol, Fidel Castro fonde en avril 2006 l’ALBA
(« Alternativa Bolivariana Para Las Americas » ou

142
« Alternative Bolivarienne pour les Amériques ») qui
lie les trois pays mais aussi la Colombie. L’ALBA est
sensée s’opposer à l’ALCA, zone de libre-échange des
Amériques, impulsée par les États Unis. Elle se
propose d’intervenir dans le secteur bancaire,
l’aéroportuaire, le naval, la construction, la culture.
En septembre 2006, à la conférence du
mouvement des pays non alignés à La Havane,
Chavez, Castro et Morales sont côte à côte. Castro
dénonce depuis plus d’un an les conséquences d’une
dette extérieure énorme des pays et la crise mondiale
qui n’est pas une crise limitée, comme dans le sud-est
asiatique en 1997.
Si la situation économique cubaine s’améliore, la
lutte contre la corruption ne diminue pas. Les
travailleurs sociaux, avec le viatique fidéliste d’une
nouvelle campagne anti-corruption, prennent en
octobre 2005 le contrôle des stations-service de La
Havane, pour mettre fin à la mise en place de circuits
parallèles de distribution de l’essence.
Le chef de l’état critique les nouveaux riches
parmi les cadres dirigeants du parti et de l’état. Les
familles qui possèdent les connaissances ont les
meilleures écoles, les meilleurs postes pour leurs
enfants, et leur groupe social « s’engraisse ». Le vol
généralisé de l’état est clairement identifié. Les
exemples sont légion. Comme ce véritable marché
organisé sur un chantier de construction par les

143
travailleurs qui revendent du ciment, du bois, de la
peinture, du grillage. Comme ce bulldozer qu’on
retrouve en plein centre de La Havane, conduit par un
employé qui l’utilise pour venir voir sa maîtresse !
Felipe Perez Roque, le ministre des relations
extérieures, considère que le vide de l’après Fidel sera
comblé « si les dirigeants donnent l’exemple par leur
conduite austère et par l’absence de privilèges ».
Dès le début de l’année 2006, des fonctionnaires du
parti sont envoyés contrôler les centres de production.
Des mises à pied ont lieu un peu partout sur le
territoire. Un dirigeant du bureau politique du PC est
limogé pour « abus de pouvoir et trafic d’influence » :
Juan Carlos Robinson Agramonte est condamné à 12
ans de prison. Puis c’est au tour de Lina Pedraza,
ministre en charge de la Cour des comptes.
Le parti et l’état font donc le ménage pour une
plus grande efficacité du système. Et avec l’opposition
(les oppositions de l’intérieur comme de l’extérieur),
les choses évoluent. Début 2005, une revue
numérique, consensocubano.org, voit le jour avec
l’accord du gouvernement. Elle est portée par des
opposants modérés.
Des contacts officiels ont lieu avec l’Allemagne,
l’Autriche, la France, la Grèce, l’Italie, le Portugal et la
Suède. L’Union Européenne demande à Fidel Castro
d’améliorer les conditions de vie des détenus
politiques. Le Parlement européen offre son prix

144
Sakharov aux « dames en blanc », au « Movimiento
Damas de Blanco » groupe d’épouses, de sœurs ou de
mères, des opposants arrêtés en mars 2003, lors du
« printemps noir », défilant, toutes de blanc vêtues,
sur la cinquième avenue de La Havane. Yolanda
Huerga est l’une des fondatrices du mouvement. Le
gouvernement cubain s’indigne mais les contacts ne
sont pas rompus avec l’Europe.
La Commission Cubaine pour les Droits humains
et la Réconciliation nationale, non reconnue par les
autorités, publie une liste de près de 300 prisonniers
dans l’île. Amnesty International demande la
libération de 71 prisonniers de conscience. Un forum
est organisé à La Havane avec 150 représentants de
groupes d’opposants, sans interdiction du pouvoir.
Un million de cubains se regroupe avec Fidel
Castro contre le gouvernement américain qui a arrêté
Luis Posada Carriles, non pour activités terroristes
qu’il a lui-même reconnues, mais… pour entrée
illégale sur le territoire américain.
Un groupe de travail de l’ONU sur les détentions
arbitraires dénonce l’emprisonnement des cinq
cubains de Miami dont le sort n’a toujours pas
changé.
Fidel Castro qualifie les dissidents de traitres et
mercenaires. Au même moment la secrétaire d’état
américaine Condoleezza Rice nomme un
coordinateur de la transition cubaine.

145
La Virginie, le Nebraska, l’Arkansas, la Louisiane,
la Caroline du Nord signent un accord avec Cuba
pour la vente de produits agricoles (soja, blé, viande).
L’ONU condamne pour la quatorzième fois
l’embargo mis en place par les États Unis (par
182 voix contre 4). « Tant que Cuba subira le blocus et
les attaques des USA, nous ne pourrons pas accorder la
liberté de la presse aux alliés de nos ennemis », dira
Fidel Castro. Le blocus, depuis sa promulgation, a
coûté plus de soixante-dix milliards de dollars et des
dommages incommensurables à l’économie cubaine.
Pensons à cette entreprise danoise de gazomètres
utilisés dans des unités de soins intensifs, pour
l’analyse de gaz dans le sang, qui travaillait avec Cuba
depuis près de 40 ans. Elle a fermé, en 2005, sa
représentation à la Havane, après son rachat par une
compagnie nord-américaine.
Fidel Castro fait organiser, en janvier 2006, une
immense manifestation dite « de la forêt de drapeaux
noirs » en la mémoire des 3 478 cubains victimes du
terrorisme, pour contrer le mur d’informations
diffusées sur la façade du Bureau des Intérêts
Américains à La Havane.
Mais les problèmes de santé vont rattraper le
leader cubain. Le 26 juillet 2006, lors de la cérémonie
du 53ème anniversaire de l’assaut de la Moncada, Fidel
Castro est atteint d’une « crise intestinale aiguë avec
saignements permanents ». Dès le lendemain il est

146
opéré. Le 3 juin, le quotidien « Granma » avait publié
huit pages sur Raul Castro et son itinéraire.
L’annonce de sa maladie, qui peut entraîner sa
disparition, inquiète. La rue est silencieuse, aucun cri
hostile. La surveillance révolutionnaire n’explique pas
tout, la crainte de l’avenir se fait sentir partout.
Cette fois-ci la nouvelle est grave. Il y avait bien
eu en juin 2001 un évanouissement du leader, imputé
à la chaleur, lors d’un discours de 3h dans le quartier
de Cotorro, l’un des 15 municipios de La Havane. En
octobre 2004, il s’était fracturé le genou gauche et son
bras droit avait été fissuré, après une chute à la fin
d’un discours à Santa Clara. Sans conséquence
politique. Mais à la suite de l’opération en urgence, le
31 juillet Fidel Castro décide de déléguer ses pouvoirs
à Raul Castro… temporairement.
Le commandant en chef délègue officiellement ses
fonctions à sept hommes, une équipe que présidera
son frère Raul, avec José Ramon Balaguer, José
Ramon Machado Ventura, Esteban Lazo, Carlos Lage,
un des précurseurs des réformes économiques,
Francisco Soberon, Felipe Perez Roque.
La santé de Fidel Castro est déclarée secret d’état
car le pays est menacé par les États Unis. Une vidéo le
montrera avec son frère et le président Chavez.
Aussitôt les États Unis proposent de supprimer
l’embargo, si Cuba entame une transition

147
démocratique et si les frères Castro ne dirigent plus
l’état cubain.
En septembre, Fidel Castro, qui avoue avoir perdu
18,5 kilos, constate que le pouvoir est entre de bonnes
mains. Raul dément l’information qui annonçait pour
son frère un cancer en phase terminale. Une période de
quarante jours sans nouvelle va s’écouler et dans une
courte vidéo Fidel Castro annonce que la récupération
sera longue et risquée.
Le 28 novembre, jour de la fête de ses quatre-
vingt ans (le 13 août, jour de son anniversaire, Cuba
était encore sous le choc), il reconnaît qu’il n’est
toujours pas en état.
Raul Castro, lors de la commémoration du
ème
50 anniversaire du débarquement à bord du
Granma, affirme qu’il est prêt à des négociations pour
régler le différend prolongé entre son pays et les États
Unis. Il reçoit en décembre des membres du congrès
américain, à parité démocrates et républicains, et
annonce quelques jours plus tard que le PC doit
favoriser la promotion de nouvelles générations.
Un opposant du groupe arrêté en mars 2003,
Hector Palacios, est libéré (c’est le seizième).
Le chirurgien espagnol chargé de compléter
l’équipe médicale autour de Fidel Castro indique que
sa maladie n’est pas un cancer, mais pour la première
fois le parlement ouvre sa session sans message de
Fidel.

148
16
L’après Fidel

Le 24 février 2008, Raul Castro devient président


du Conseil d’état. Fidel Castro aurait pu arrêter toute
activité et se replier sur sa famille, ses fils, photographe
au journal Juventud Rebelde, médecin de l’équipe
nationale de base ball, ingénieur informaticien…, et ses
petits-enfants, dont l’un est un jeune physicien émérite.
Il n’en est rien.
Il publie régulièrement ses « Reflexiones »
(souvent de très longs articles) de politologue bien
sûr, mais aussi sur tous les sujets qui le préoccupent,
la crise sociale, la crise mondiale, les accords de libre-
échange entre « les requins et les sardines », les
technologies nouvelles, la guerre nucléaire, la planète
en danger (en 1992 au Sommet de la Terre à l’ONU, il
était apparu catastrophiste pour une bonne partie de
la presse occidentale). Mais aussi le capitalisme, les
rapports entre États Unis et Russie, la CELAC

149
(Communauté d’Etats Latino-Américains et
Caraïbes)… Pour lui, la préservation de
l’environnement est toujours incompatible avec la
politique de l’OMC Organisation Mondiale du
Commerce, permettant aux pays riches d’inonder le
monde avec leurs marchandises. « La société de
consommation est une des inventions les plus
diaboliques du capitalisme ».
Il va même jusqu’à stigmatiser la France
« troisième puissance nucléaire, avec Nicolas Sarkozy
qui a dans son attaché case les codes pour l’une des plus
de trois cents bombes nucléaires. De quel droit peut-on,
dès lors, lancer une attaque contre l’Iran, que l’on
condamne pour sa prétendue intention de fabriquer
une bombe atomique ? Supposons que Nicolas Sarkozy
perde soudain la tête. Que ferait le Conseil de sécurité,
de Sarkozy et de son attaché case ? »
Tous les matins et toutes les fins de journée, Fidel
Castro lit des dizaines de dépêches et d’articles de la
presse internationale et il reconnaît que les critiques
sont salvatrices alors que pendant des années il
pensait qu’elles étaient le venin des ennemis de la
Révolution. Il discute aussi avec ses voisins de
quartier.
Fidel Castro a dans son bureau trois compteurs
qui indiquent l’évolution de la population mondiale.
Et il constate une véritable explosion démographique
dans les régions les plus pauvres qui ne connaissent

150
aucun développement économique, seulement des
dettes et des calamités sans fin.
Il est régulièrement consulté par son frère et
semble approuver la politique menée, pragmatique et
adaptée à la situation du Cuba communiste, dans un
monde où le communisme s’est effondré partout ou
presque.
Fidel Castro, le 9 octobre 2009, considère que le
Prix Nobel décerné à Barack Obama est une bonne
décision, Obama dont il a lu « Les rêves de mon
père ». Mais Obama, le 14 septembre 2009, reconduit
l’embargo. Malgré tout, les américains d’origine
cubaine peuvent dorénavant se rendre dans l’île
autant qu’ils le veulent, contre une fois tous les trois
ans avant lui. Ils envoient autant d’argent qu’ils le
souhaitent, contre douze cent dollars par an à
l’époque de Georges W Bush.
Alors que se succèdent à Cuba des figures
d’Hollywood (Robert Redford, Robert De Niro, Jack
Nicholson, Francis Ford Coppola), que les cinq
cubains de Miami sont soutenus par Sean Penn,
Benicio Del Toro, Danny Glover, Susan Sarandon,
Martin Sheen, Fidel Castro reçoit, dans son fameux
survêtement Adidas blanc à bandes bleues, le
réalisateur américain Oliver Stone. Celui-ci,
réalisateur de « South of the Border », sur Hugo
Chavez et le Venezuela, a déjà rencontré Castro en
2003. Un troisième entretien filmé pour la chaîne

151
HBO, a été décidé entre les deux hommes, après
« Comandante » en 2003 et « Looking for Fidel » en
2004. Dans la maison de Castro, simple, tapissée de
nombreux tableaux, au milieu d’un jardin tropical,
Stone invite à New York « le retraité actif » et Fidel
Castro lui rétorque qu’il n’a pas envie d’aller aux
États Unis, car ce qu’il en voit tous les jours à la télé
ne l’attire pas.
Fidel Castro appuie la création d’UNASUR,
organisation économique et politique supranationale,
créée en mai 2008, l’Union des nations sud-
américaines (l’Amérique latine représentant quatre
cents millions d’habitants).
Il reçoit en novembre 2009 le président du comité
permanent de l’Assemblée populaire nationale
chinoise, Wu Bang Guo.
Il se déclare fan du footballeur Lionel Messi « le
petit qui se met en lumière ».
En septembre 2010, il dénonce la rhétorique
antisémite de Mahmoud Ahmadinejad, président
iranien qu’il avait reçu en 2006.
Après avoir déjeuné de poisson, de salade, de pain
trempé dans l’huile d’olive et bu un verre de vin, il
donne une interview, ce même mois, au magazine de
la gauche américaine « Atlantic Monthly ». Il annonce
que « le modèle cubain ne marche même plus pour
nous ». Il donne ainsi un satisfecit à son frère Raul et

152
aux réformateurs du régime qui instillent de la
privatisation dans l’économie cubaine.
Un des historiens de la révolution cubaine nous
confiait quelques mois plus tard que l’économie avait
été le point faible du castrisme. Appliquer des lois
politiques à l’économie est particulièrement
hasardeux.
Comme l’avait reconnu, dès 1995, Fidel Castro :
« Nous avons besoin d’efficacité et de rentabilité…
Nous avons démontré que nous ne sommes pas de bons
gestionnaires ».
Le bloqueo a certes été une contrainte qui a
formidablement pesé sur l’histoire de la révolution
castriste, mais il ne peut pas à lui seul expliquer la
situation économique.
Quoi qu’il en soit, le pragmatisme l’a toujours
emporté. Lorsqu’il y a échec, le gouvernement essaie
une autre politique. Des rectifications incessantes ont
eu lieu, préservant toujours le socialisme à la cubaine.
En 1960, la rupture avec les USA, alors que tout
venait de ce pays, a été évacuée en se tournant vers
l’URSS. En 1990, la rupture avec l’URSS, qui a éclaté,
a été évacuée en se tournant vers le Venezuela et la
Chine.
Raul, s’il est moins paternaliste, s’avère plus
pragmatique encore que son frère Fidel. Le 24 février
2008, président du Conseil d’état et du Conseil des
ministres, il demande devant l’Assemblée Nationale

153
du Pouvoir Populaire un renforcement de la
productivité. Le 11 août suivant, toujours devant
l’ANPP, il reconnaît que « l’égalité n’est pas
l’égalitarisme. Ce dernier, en fin de compte, est aussi
une forme d’exploitation : celle du bon travailleur par
un travailleur médiocre ou pis encore, par un
travailleur paresseux… Socialisme signifie justice
sociale et égalité, mais égalité de droits et
d’opportunités, non de revenus ».
A la fin 2012, Fidel Castro est resté plusieurs mois
sans se montrer. Certains ont même annoncé sa mort,
car ses « Réflexions » ont disparu. Ce qui l’a fait réagir
en octobre, sur le site officiel Cubadebate, où il
affirme qu’il est agacé par ses rumeurs et qu’il ne se
rappelle « même pas ce qu’est un mal de tête ». Il a
86 ans. Il se consacre à l’écriture de ses mémoires
« Guerillero del tiempo », avec la journaliste Katiuska
Blanco ; deux tomes sont parus, qu’il a présentés en
conférence de presse : « Les chemins de la victoire,
mémoires de 1926 à 1958 » et « La victoire de la
liberté, de la Sierra Maestra à Santiago de Cuba ».
L’argent tiré de ces publications à l’international va
aux écoles cubaines.
Fidel Castro a sans aucun doute la satisfaction du
devoir accompli. Comme l’écrit Jean Lamore, « La
liberté cubaine, conquise en 1898, et aussitôt
confisquée par le puissant voisin du nord, a été
légitimement rendue à Cuba en 1959 ».

154
Le tacticien, le praticien, a maintenu
officiellement l’essentiel du socialisme cubain. Alors
que le blocus financier nord-américain interdit à
Cuba le financement international, alors que les
achats alimentaires aux États Unis doivent être payés
au comptant, l’état a ouvert l’économie, pour sa
survie, aux investissements étrangers, en préservant
l’éducation, la santé et l’armée. L’état a permis que les
sociétés mixtes rapatrient leurs bénéfices dans les pays
d’origine et il a promis que ces entreprises ne seraient
pas nationalisées. Il a autorisé l’installation de
banques étrangères, avec des points de vente en
devises, des guichets automatiques à la manière
capitaliste. Des stimulations financières existent pour
les travailleurs, dans l’agriculture comme dans
l’industrie.
Ainsi, fidèle à son objectif de créer et maintenir
contre vents et marées un Cuba révolutionnaire et
socialiste, Fidel Castro peut dire, en bon tacticien et
praticien : « Ce que j’ai fait, personne d’autre ne l’a
fait ».

155
156
Epilogue

« En 2012, le mandat de Raul Castro et celui des


députés de l’Assemblée Nationale, dont est issu le
conseil des ministres, arrivent à leur terme. Des
élections ont lieu, avec d’abord la désignation des
délégués aux assemblées municipales. Les assemblées
publiques élisent ceux qui, par leur mérite individuel,
reçoivent la reconnaissance du peuple. Ces candidats
constituent la réserve à partir de laquelle sont
constituées les assemblées municipales, provinciales, et
le Parlement. Tous les 5 ans, les députés rejoignant
l’Assemblée Nationale sont élus en même temps que les
délégués des assemblées provinciales. Concernant
l’Assemblée Nationale, ce scrutin a également pour
objectifs d’élire le président, les vice-présidents, le
secrétaire et les autres membres du Conseil d’état de la
République. Dans le processus électoral, les candidats
sont choisis par le peuple au lieu d’être nommés par un
parti politique ».

157
C’est la réalité intangible du régime qui s’exprime
dans ce texte militant : surtout ne pas faire référence
au parti unique, mais au peuple, concept singulier.
Déclaration de Wilson Morell vice-président de la
grande entreprise sucrière cubaine : « le nouveau
groupe sucrier cubain Azcuba, créé en 2011 pour se
substituer au ministère du sucre, investit les deux tiers
de ses revenus annuels de l’exportation pour relancer sa
production. L’entreprise Azcuba veut faire passer de 9
à 27 % la superficie des terres irriguées ».
Qui aurait dit cela au moment de la grande Zafra
des dix millions de tonnes ?
« Parler de la réalité cubaine est notre manière de
faire la révolution. Il n’y a aucun mérite à critiquer
depuis Miami » : citation de Los Aldeanos, groupe de
rap cubain formé en 2003, qui dans ses chansons
pourfend la corruption, la bureaucratie, les difficultés
du quotidien, l’émigration, sans avoir maille à partir
avec les autorités.
Yoani Sanchez est devenue pendant un temps la
figure emblématique mais éphémère de la
blogosphère cubaine, blogueuse résidant à La Havane
et racontant sa réalité par bribes de 140 caractères,
twittant via SMS, avec une connexion hebdomadaire à
internet depuis un hôtel de la capitale. Elle fut
qualifiée de « héros de la liberté de la presse dans le
monde » par l’Institut International de la Presse (IPI).
Yoani Sanchez réside toujours à la Havane.

158
L’église cubaine a lancé un site « creerencuba.org ».
Le site est très régulièrement consulté.
Adela Hernandez, un homme biologique qui vit en
tant que femme, est élu déléguée locale, première
personne transgenre, emprisonnée dans les années
80 comme élément dangereux. Fidel Castro regrette le
traitement imposé aux homosexuels dans ces années-là.
Le groupe rock « Porno para Ricardo » ouvre son
site internet sur une faucille et un marteau
transformés en pénis, avec le mot d’ordre « Vive la
diversion idéologique ».
Le pouvoir cubain tolère mais ne rompt pas.
Le musicien Ry Cooder a été condamné aux États
Unis à cent mille dollars d’amende pour avoir créé et
produit le « Buena Vista Social Club » avec de vieux
musiciens cubains : Ibrahim Ferrer, Ruben Gonzales
et Compay Secundo…
Même dans les détails, les USA continuent.

159
160
Bibliographie

PIERRE VAYSSIERE : « Fidel Castro l’éternel révolté » –


Payot
FIDEL CASTRO : « Les chemins de la Victoire » –
Michel Lafon
FIDEL CASTRO : « La victoire de la liberté » – Michel
Lafon
TAD SZULC : « Castro 30 ans de pouvoir absolu » –
Payot
GEORGES GALLOWAY : « Castro » – Éditions
Autrement.
« Les événements dans le monde »
« 1959 Castro prend le pouvoir » – Seuil –
Présentation de Marcel Niedergang
JEAN CORMIER : « Che Guevara compagnon de la
révolution » – Découvertes – Gallimard
SERGE RAFFY : « Castro l’infidèle » – Fayard
MARIO MENENDEZ : « Cuba, Haïti et
l’interventionnisme américain » – CNRS

161
IGNACIO RAMONET : « Fidel Castro biographie à deux
voix – Fayard Galilée »
« Fidel Castro l’histoire en images du Lider Maximo »
sous la direction de Valeria Manferto de Fabianis
– Texte Luciano Garibaldi-Edition White Star
FIDEL CASTRO : « La crise mondiale, économique et
sociale » – Rapport au 7ème sommet des pays non
alignés – 1983 – Encre
JEAN LAMORE : « Cuba au cœur de la révolution
acteurs et témoins » – Ellipses
IVONNE LAMAZARES : « Oublier Cuba » – Belfond
JEAN FRANÇOIS FOGEL et BERTRAND ROSENTHAL :
« Fin de siècle à La Havane : les secrets du
pouvoir cubain » – Seuil – L’histoire immédiate
ZOE VALDES : « La fiction Castro » – Gallimard
WENDY GUERRA : « Tout le monde s’en va » – Stock –
Témoins
JACQUES VERGES : « Dictionnaire amoureux de la
justice – De la stratégie judiciaire-Plon »
NORBERTO FUENTES : « Hemingway en Cuba » –
Prologue de Gabriel Garcia Marquez – Citadel
Press
ALINA FERNANDEZ : « Fidel mon père » – Plon
MAURICE LEMOINE : « Cinq cubains à Miami » – Don
Quichotte
JORGE OLIVA ESPINOSA : « le temps qu’il nous a été
donné de vivre » – Hachette
LOUIS PHILIPPE DELAMBERT : « Le roman de Cuba » –
Éditions du rocher

162
TJ ENGLISH : « Nocturne à La Havane » – La table
ronde
GERARD DE CORTANZE et JEAN BERNARD NAUDIN :
« Hemingway à Cuba » – Éditions du chêne
FIDEL CASTRO « L’histoire m’acquittera » – Radio
Habana Cuba
PEDRO ALVAREZ TABIO : « Cienimagenes de la
Revolucion Cubana 1953 1996 » – Instituto
cubanodel libro
PACO IGNACIO TAIBO II : « Ernesto Guevara connu
aussi comme Le Che » Tome 2 – Metailié / PAYOT
PIERRE KALFON : « Che » – Point Seuil
JUANITA CASTRO : « Fidel et Raul mes frères » – Plon
VOLKER SKIERKA : « Fidel Castro, eine biographie » –
Kindler Verlagim Rowohlt Verlag
JEAN PIERRE CLERC : « Castro une vie » – L’archipel
JACOBO MACHOVER : « Cuba mémoires d’un
naufrage » – Buchet-Chastel
JEAN EDERN HALLIER : « Fidel Castro, conversation au
clair de lune » – Messidor
VICTOR FRANCO « Cuba la révolution sensuelle » dans
« Grands reportages » – Points actuels
EDUARDO MANET : « La maîtresse du commandant
Castro » – Robert Laffont
REINALDO ARENAS : « Adios a mama » – Le serpent à
plumes – Nouvelles
LEONARDO PADURA : « L’homme qui aimait les
chiens » – Métailié

163
GERARD DE VILLIERS « Visa pour Cuba »

Presse
Le monde, dossiers et documents – « L’histoire au
jour le jour » 4 tomes – 1944-1985
Dossier spécial Cuba « La naissance d’un mythe » – Le
Monde 31 décembre 2005
MARCEL NIEDERGANG : article « 10 ans de révolution »
– Le Monde 3 janvier 1969
SYLVIE KAUFFMAN : « Raul Castro le bras armé de
Fidel » – 11 août 2006 – Le Monde
Journal cubain Granma (Granma.cu)
Site internet Cubadebate
Site Cuba.cu/gobierno/reflexiones

Filmographie

« MemoriaCubana » (noticieros) Alice de Andrade et


Yvan Napoles
Oliver Stone « Comandante » et « Looking for Fidel »
« Fidel Castro ewiger revolutionär» film documentaire
chaînes ARD WDR
« 66 horas » Otto Miguel Guzman
« Muerte al invasor » Noticiero del ICAIC – Santiago
Alvarez
« Mémoires du sous-développement » Tomas Gutierrez
Alea
« Fraise et chocolat » Tomas Gutierrez Alea
« Se Permuta » Juan Carlos Tabio

164
« Cuba » Richard Lester avec Sean Connery
« Un hombre y un pueblo » DVD Mundo Latino.
Série Conozca Cuba
« Cuban Story » présenté par Errol Flynn, réalisé par
Victor Pahlen – DVD Zylo
« Fidèle Castro » Ricardo Véga – DVD
« Les amours de Cuba » – Thorsten Schmidt –
Allemagne
« Soy Cuba » de Mikhaïl Kalatozov
« Cuba année zéro » Xavier Villetard-Arte
« Las Razones de Cuba »

BANDES DESSINÉES

« Castro » Reinhard Kleist-Casterman


« Le commun des mortels » série « Le tueur » tome 7
Jacamon et Matz-Casterman

165
166
Table des matières

1 – Les racines de l’enfance ........................................ 9


2 – L’étudiant Castro .................................................. 15
3 – La lutte contre Fulgencio Batista :
première étape : la Moncada ..................................... 21
4 – Castro en prison sur l’île des pins....................... 31
5 – La « traversée du désert » mexicain .................... 37
6 – L’épopée « Granma » et la Sierra Maestra
Du naufrage à l’épopée ............................................... 43
7 – 1958, l’année charnière ........................................ 51
8 – Nuevo Cuba........................................................... 59
9 – De la coopération avec l’U.R.S.S.
à Playa Giron ............................................................... 73
10 – Playa Giron.......................................................... 79
11 – La guerre mondiale n’aura pas lieu .................. 91

167
12 – 1962-1989 : les années glorieuses Cuba :
un Etat communiste................................................... 97
13 – 1962-1989 : Les années glorieuses :
Cuba leader du tiers-monde ..................................... 111
14 – 1989-2005 : La période spéciale ....................... 119
15 – La transition :
de « El tactico 1 » à « El tactico 2 » ........................... 141
16 – L’après Fidel ....................................................... 149
Epilogue ....................................................................... 157
Bibliographie............................................................... 161

168
169
Alain Roumestand dresse ici le portrait du leader cubain Fidel
Castro. Il nous livre un travail d’historien, de qualité, objectif,
loin des livres hagiographiques ou de détestation sur le «  Lider
maximo ». Cette étude a amené l’auteur à Cuba pour y rencontrer
des historiens de La Havane, ainsi que des témoins de la révolution.
Alain Roumestand a également côtoyé la dissidence cubaine ainsi
que des proches des dirigeants cubains.

Après des études d’Histoire, Alain


Roumestand a enseigné puis est devenu
proviseur de lycée. Actuellement, il est
rédacteur Web Press.

PRIX 15.50 €
ISBN : 978-2-332-74450-0

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