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POUR UNE DÉMARCHE PRAGMATIQUE EN HISTOIRE DE LA GESTION

Nicolas Berland et Anne Pezet

Association Francophone de Comptabilité | « Comptabilité - Contrôle - Audit »


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2000/3 Tome 6 | pages 5 à 17
ISSN 1262-2788
ISBN 2711734153
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-comptabilite-controle-audit-2000-3-page-5.htm
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Nicolas Bnru-elqo etAnne PBæT
POUR IJNE DÉMARCHE PR^GMAnQUE EN HTSTOTRE DE r.A GESTTON

Pour une démarche


Pragmatique en histoire
de la gestion
Nicolas Bnruwp etAnne PEÆT
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(onespndonre: Nicolas Berland Anne Pszet


FacultéJean Monnet Crefiç - Université Paris-Dauphine
54, boulerrard Desgranges Place du Maréc-hal-de-Iattrede-Tâssigny
92331 - Sceaux Cedex 75775 - Paris Cedex 16
téI. : 0l 43 55 98 0l téf. : 0l 44 05 46 36
e.mail : nicolas.berland@wanadoo.fr e. mail : pezet@crefiç.dauphine.fr

CoMrrânurÉ - CoNrnôæ - Auorr / Numéro s@ial - décembre 2fi)0 (p. 5 à 17)


Nicolas BsRrÂNo et Anne Pezrr
POUR t'NE DÉMARCHE PMGMANQUE EN HISTOIRE DE IA GESTION
6
Uhistoire comme méthode de questionnement des pratiques de gestion est assez courante dans la
recherche anglo-saxonne. Depuis quelques années, des thèses d'histoire du contrôle et de la comPta-
bilité ont égâement été soutenues avec succès en France (Nikitin, 1992 ; Lemarchand, 1993 ;
Zimnovitch,1997).
Loin d'être un corps unifié, la recherche dans ce domaine comprend différents courants, tradition-
nels ou critiques (Iæmarchand,1994). Cette diversité soulève la question du lien entre recherche
contemporaine en gestion et approche historique. I-a démarche historique ne vise-t-elle qu à accumu-
ler des connaissances sans schéma dinterprétation et à répondre à la question : lYho dià whatfrx ?
La gestion et I'histoire ont entrepris, depuis quelques années, un jeu de u participations croisées >
qu'aaeit.nt de nombreux rravaux d'historiens et de gestionnaires. Au-delà d'échanges qui restent
porr"tu.lr, la gestion peur, avec le concours de I'histoire, réaliser un parcours méthodologique et épis-
iémologique à,, t t-. duquel conceptualisetion et acdon se rapprocheront dans une concePtion preg-
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matique de la recherche historique en gestion.
Cerre conception est illustrée par deux exemples. Le premier emPrunte à I'histoire du contrôle
parallèle ses fonctions, lors de son implantation dans les entreprises, et les problé-
", -.t "r,dà h recherche en contrôle. Le deuxième exemple tire de I'analpe historique des
budgétaire
matiques actuelles
pratiques de choix d'investissement une technologie de la décision d'investir et enrichit la théorie en
proposant une redéÊnition des fonctions des instruments de la décision.

ffi Pour une pragmatique de I'histoire en gestion


Les gestionnaires entretiennent avec I'histoire des relations ambiguës. Entre les partisans d'une
histoire de la gestion et les sceptiques quant à sa validité et à sa Peftinence' les débats rfont jusqu'à
présent débouché que sur un malentendu. Une approche pragmatique de notre discipline e$ de
,r"t,rt" à clarifier les relations avec I'histoire mais aussi les débats épistémologiques internes eux
sciences de gestion.

1lffi.,;*{,.,I$Ë.'$,ffi Les gestionnaires face à I'histoire s entre méfiance et gratuité


Sur les rapporrs enûe gesrion et histoire, les points de vue des gestionnaires divergent. Iæs positions
vont du rejet à une réelle pratique de l'histoire en passant par l'indifférence ou encore le doute. le
méfiance des gestionnaires à l'égard de I'histoire s'exprime d'abord par une interrogadon' commune
avec les qualitatives des organisations, sur les possibilités de généralisation des cas histo-
"ppt*ho
riques. En d'autres termes, l'histoire ne produit-elle que de I'anecdote ?
Comme pour les études de cas, la question de la généralisation se heurte à la singularité des phéno-
mènes observés. Plusieurs réponses sont possibles. Les historiens, conscients du problème en dehors
de toute considération de gestionr p€uvert avoir une approche volontariste comme Le Goff:
u Lhistoire comme toure science doit donc généraliser et expliquer u (1988, P.209).Ils peuvent ftale-
ment renverser le problème en insistant sur le rôle de la singularité comme renfort de la régularité :
u Le travail consiste à produire du négatifi, et qui soit significatif Il est spécialisé dans la fabrication de
ces différences pertinentes qui permettent de " sortir " une rigueur plus grande dans les Programma-
tions et leur exploitation qystématique o (Certeau, 1974, p. 57). Lécart devient le miroir dans lequel

CoMnTABIUTÉ - CoNrRôLE - Auott / Numéro spécial - décembre 2000 (p. 5 à 17)


Nicolar BBruruo et Anne PszE'r
POURUNE DEMARCHE PRÂGMANQUE EN HISTOIRE DE L/q, GESTION

dun phénomène ou encore sa modélisation. Il contribue à la rigueur


se reflète la régularité supposée
d'une démonstration en donnant une profondeur et une réalité à des lois qu'il ne nie pas.
Une autre réponse est de refi.rser toute idée de généralisation. læ cas, qu'il soit historique ou non,
produit de la connaissance n indispensable plutôt qu utile u selon l'enpression de Nikitin (I994a, p.5O :
u Lhistoire n'est donc pas pour le gestionnaire un outil de vérification empirique de ses théories,
comme peut l'être le laboratoire pour le physicien. ks érudes de terrain nous fournissent des infor-
mations précieuses sur la réalité des entreprises, mais ne garantissent jamais que les choses iront de
même dans le futur o (p. 55).

Dans sa th&e cependant, Nikitin proposait une alternative. S'inspirant de Chandler, il iatachait
à étudier des cas rypiques et représentatiÊ : u Nous evons constaté que les méthodes de gestion appa-
raissaient tout d'abord dans les grandes entreprises avant de se diffi.rser (1992, p. 492).
"
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l.e historique ne relève donc pas du domaine de I'anecdote. Au-delà du problème de la généra-
cas
lisation, il permet de dégager des configurations, des agenaements certes singuliers mais contextuali-
sés et situés dans une construction temporelle. Cette approche donne une épaisseur aux phénomènes.
Le temps n'est pas traité comme une variable, c'est une consûuction d'événements organisés en
séquences. Le cas historique comble les lacunes de I'absuaction en enrichissant les concepts par la
prise en compte de situations et d'évolutions dans le temps et dans I'espace. Prenant le cas de la déci-
sion, Mintzberg a al. soulignent I'urgence d'ouvrir un concept jusqu ici traité de manière abstraite et
isolée : oVe arguefor rnore uaried approaches n resea.rch, so that justice can be dnne to the histories oforga-
niu.tions, the people inuolued in them, and tbe intricate webs of isues they experience [.,,J today's concep-
nal worlà of organizttional dzcision mabing hohs a&lb blzch and white, Is it not time to o?en it up to
tbe rich world of cohr ? > (1995, p.277)

Ils proposent d'approcher la décision, mais ceci est valable pour d'autres concepts, < in toto > et
< in aiao ,) et non plus seuleme nt o dz noao > et * in uitro ,. Lhistoire est à même de jouer ce rôle dans
les meilleures conditions puisque qu'elle refuse d'extraire arbitrairement des phénomènes mais, au
contraire, les situe dans le rcmps et dans I'espace de l'organisation et du conte:ûe plus général.
Outre la question de la généralisation, des gestionnaires réfutent I'utilisation même de la méthode
historique. Marmonnier etThiétart, tout en reconnaissant qu' u information et méthode sont proba-
blement les deux âspects majeurs de I'apport potendel de I'histoire à la gestion , (1988, p.171),
doutent de la capacité du gestionnaire à utiliser la méthode historique de manière rigoureuse. Aux
historiens donc de faire I'histoire des entreprises. Aux gestionnaires de I'utiliser dans sa u fonction
rhétorique > mais non en lui conférant un ( staû,rt de preuve o.'\ù?'acheux, sâns opposer un refus de
scientificité à I'histoire, rejoint ce courant dubitatif Alors qu il argumenre en faveur de la rigueur des
méthodes qualitatives, il met à part l'histoire qui u consiste à udliser les archives des entreprises pour
reconstruire méthodiquement une situation passée. C'est donc un travail d'historien. Il ne faut pas
confondrc I'histoire et les sciences de gestion , (1996, p.223-224).Il ne s'agit pas de confondre mais
d'enrichir. læs historiens, de leur aveu même, n'ont pas la compétence pour étudier les pratiques de
gestion dans leurs aspects proprement techniques.

Si l'on veut, comme on I'affirme souvent (Marmonnier et Thiétart, 1988), favoriser le rapproche-
ment entre les deux disciplines, il faut bien que des historiens fassent de la gestion (Fridenson, 1989)
ou que des gestionnaires fassent de I'histoire tout en conservant les problématiques et les questionne-

@MI'EABTUTÉ - Covreôæ - Auotr / Numéro spécial - décembre 20ffi (p, 5 à 17)


Nicolas BPP.LaNo et Anne Pezrr
POUR UNE DÉMARCHE PRAGMANQUE EN HISTOIRE DE LA GESTION

ments de leur propre discipline. Nous revendiquons ici une utilisation rigoureuse de la méthode
critique de I'histoire pour répondre à des inærrogations et à des problèmes de la science de gestion
contemporaine.

-Ë$*u11*.$,H.ffiffi
La démarche pragmatique 3 pour une histoire utile à la gestion
contempofalne
Lladoption d'une démarche pr€matique donne un sens nouv€au à cet objectif au-delà du choix des
r,
methodes. k développemenr d'une raison pragmatique, qu'elle se fasse avec ou sans I'histoire ouvre
la possibilité d'erploiier la totalité du champ de recherche tant dans sa dimension méthodologique
que transdisciplin,aire. La raison pragmatique s'appuie sur la complémentarité de recherches diversi-
fié., rror, ,,rr l'élaboration d'un paradigme jusqu'ici hors d'atteinte. IJapproche pragmâtique ne
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signifie pas pour autanr I'adhésion à un relativisme sans bornes. Elle repose sur un double principe,
une double perrinence et une triple dimension.
Un premier principe condamne tout impérialisme d'une forme de recherche sur l'autre (Lepetit,
lg9r. L s'étend jusqu à une interdisciplinarité poftant sur un Paftage des champs
"o-ple-enreriré
de recherche ei des méthodes. La recherche en gesdon, à I'exemple des autres sciences sociales, rfa
eucun intérêt à se limiter à un espace clos. Le deuxième principe repose sur les Pratiques d'un métier.
Le métier d'historien tel que I'a décrit Marc Bloch permet à une communauté scientifique de trouver
ses cohérences en dépit de l'éclatement de la discipline (Lepetit, 1995 ; Noiriel, 1996). Les chercheurs
en gestion p€uvenr Qdement définir leur métier. IJapproche pragmatique qui réconcilie théorie et
pratique, méthode et résultats Peut les y aider.
Faire une histoire pragmarique de la gestion relève de deux niveaux de pertinence. læ premier
niveau est méthodologique : la pertinence des pratiques de recherche Par rapPort à leur objet est une
nécessité. læ deuxième niveau de pertinence concerne I'objet lui-même. Les pratiques de gestion méri-
tent d'être analysées dans une dimension temporelle qui dépasse I'immédiateté et les modes. Elles
suivent une évoiution faite de changements mais aussi de permanences et d'inertie. Une pratique de
gesrion n est jamais isolable d'un contsrte passé. IJapproche pragmatique réconcilie ainsi la méthode
àe recherche er son objet. [.a pratique d'un métier, repos:rnt sur Ia critique de documents écrits ou
oreux, aboutit à une enalyse des pratiques de gestion. Ceme double Pertinence dépasse un objecdf de
pure connaissance par le rôle anribué au présent. l,es questions adressées à I'histoire sont contempo-
i"it o. Iæs résultats peuvenr ainsi déboucher sur des propositions pour les Praticiens d'aujourd'hui
(voh infra).
I-lapproche pragmatique recouvre en effet une triple dimension. Associant les réflexions de Bloch
'W'eber,
et de Noiriel (1996) élabore une trilogie fondée sur le savoir, la mémoire et le pouvoir. Le
savoir est I'activité de production de la recherche. la mémoire est I'activité de diffision et de commu-
nication de cette recherche au sein d'un public large. Enfin, le pouvoir relève des activités de jugement
à l'intérieur de la communauté scientifique. Tout comme l'historien, le chercheur en gesdon est
capable de produire de la connaissance. Son rôle ne s'arrête pas là, il doit savoir diffirser cette connais-
sance auprès du public et particulièrement des gestionnaires d'entreprise en modiÊant, sans toutefois
I'altérer, son discours. Une première tension, entre monde social et nécessaire distanciation, apparait.
Parallèlement, le chercheur en gestion doit répondre aux normes de sa communauté scientifique' une
deuxième tension se superpose à la première.

CoMprABIurÉ - CoN'rnôrs - AuDn / Numéro spécial - décembre 2000 (p, 1 à 17)


Niolas BBnr.ero etAnne PBzE-r
POI,JR UNE DÉMARCHE PRÂGMANQUE EN HISTOIRE DE IAGESTION
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IJapproche pragmatique résout, au moins partiellement, ces tensions en officialisant le lien entre
le chercheur et ses pratiques, d'une part, et le monde social et ses pratiques, d'autre paft. On recon-
nalt alors aux sciences sociales une fonction socide, voire éthique : elles ont pour finalit& de proposer
des résultats engagés par rappoft aux problèmes que se posent les acteurs dans la société. Une épisté-
mologie de la réception (Bouilloud, 1997\ sous-tend cette fonction sociale. Le sens donné aux phéno-
mènes par la production de connaissance est subordonné à l'écho qu'il rencontre, à sa réception par
des audiences plus larges que le monde de la science. la recherche en gesrion répond à cette anente en
investissant les sphères de la recherche, de l'enseignement et de la pratique. Lhistoire peut servir à
amplifier cet écho en donnant du sens supplémentaire. Ainsi, la recherche des origines de modèles
différents, comptebilit& française et anglo-saxonne per exemple, peut conduire à des choix contem-
porains en termes de normalisation (Boyns, Edwards et Nikitin, 1997). Une approche pragmatique
de la recherche conêre ainsi à la gestion une pertinence quant à son objet et ses pradques : entre
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mémoire et action, elle peut se frayer une voie qui mène à la fois à une u connaissance de r et à une
u connaissance pour, (Bouilloud,1997, p.240).IJapport de I'histoire ne réside pas dans la seule
connaissance du passé, mais s'adresse aussi eux praticiens (Godelier, 1999). Ainsi, l'histoire peut
déboucher sur des apports théoriques féconds pour le prericien.

ffi Lhistoire et les théories du gestionnaire


Pour traiter d'un sujet de recherche en gestion, différentes démarches sont possibles. Ia plus classique
consisterait à étudier, dans des entreprises contemporaines, les multiples espects du sujet de recherche.
Mais les clés de la compréhension d'un sujet de recherche peuvent égdement être recherchées à travers
son histoire. En effet, selon Bouquin (1997), u I'amn&ie, cette pratique pas seulement française, mais
bien ancrée en gestion (notamment dans son enseignement), qui consiste à sonir les techniques de
leur contorte et à les prendre pour vérités scientifiques, I'amnésie se paie parfois cher n.

Ce faisant, ce mécanisme d'explication des problèmes actuels de gestion est désormais classique. Il
appartient à ce que nous pourrions appeler u la théorie de I'dtération n. [a pratique initiale d'un outil
de gestion est d'abord considérée comme pertinente et rationnelle. La garantie de certe pertinence
r&ide essentiellement dans les succès qu'il ne doit pas menquer de rencontrer face à ses déuacteurs.
Cette démarche a déjà été empruntée parJohnson et Kaplan (1987) pour ne citer que les plus connus.
Il s'agit d'opposer les pratiques actuelles à leur histoire afin d'enrichir notre compréhension des
phénomènes présents. Cela permet de relativiser les pratiques de gestion en les étudiant dans leur
contexte historique. Ia remise en cause de présupposés, intériorisés par la communaucé sciendfique,
s'en trouve facilitée. Nous pouvons illusûer cette conception de l'utilisation de I'histoire en gstion au
travers de deux exemples.

.ffi,ff#.âtl,fl texemple du contrôle budgétaire

Ce premier travail (Berland, 1999) cherchait à répondre à deux questions : À quoi sert le contrôle
budgéaire ? Quelles sont les conditions de son développement ?

CoM!'rABtuTÉ - CotvrRôrr - AUDIT / Num&o spé"irl - décernbre 20fi) (p. 5 à 17)


Mcolas BBrulno etAnne Pr.zgr
POUR UNE DÉMARCHE PRAGMANQT'E EN HISTOIRE DE LA GESTION
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Si les budgets ont plusieu$ fonctions (question 1) et nécessitent qu'un cersain nombre de condi-
tions soient remplies pour se développer (question 2), alors nous Pouvons suPPoser que les critiques
qui leuruont adressée, trouvent leurs sources dans une utilisation inadéquate. Au moment otr le
contrôle budgétaire apparalt, it existe sans doute des configuretions économiques et sociales qui
perme6enr sàn développement. Sur le moment, peu de prâticiens y Prennent garde et oublient
progressivemenr que le contrôle budgéaire est un outil contingent. Son succès historique peut même
iArr.t penser temps qu il s'agit d'une solution universelle. Pour comprendre les difficultés que
""..1.
renconûenr maintenant les budgets, il est alors nécessaire de s'intéresser aux conditions qui ont permis
leur éclosion.
De nombreuses variables ont été mobilisées par la littérature de gestion Pour comPrendre le
contrôle budgétaire. Elles regroupent, entre eutres, la technologie, I'envitonnement, la stratégie de
I'entreprise, lïnfluence culturelle du pays, le style de management, etc. Tilois de ces variables se sont
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révdéÀ être paniculièrement pertinentes. Le degré de prévisibilité de I'environnement et le contexte
idéologique p.r-".r"ot tour d'abord de comprendre pourquoi le contrôle budgétaire se développe à
ur, -o-r*rrt donné. Ce n'est pas tant parce que des managers le souhaitent que Parce que cela est
rendu possible techniquement et intellectuellement. L" typ. de management stratégique rend
compte, quant à lui, de la diversité des usages du contrôle budgétaire.
l. Les nouvelles idéologies managériales qui se développent à pardr du début du >oc siècle justi-
fient de nouverux modes de contrôle social et donnent du sens à I'attribution individuelle de respon-
sabilit& dans le cadre de cenrres autonomes. læ découpage de lentreprise est rendu possible Par un
changement d'état d'esprit vis-à-vis de I'autorité. C'est le passage d'une conception autocratique du
pouvoir à une délégation négociée qui permet le développement du conrôle budgétaire.
2. Ia, prévisibilitéde I'environnement rend possible un contrôle cybernétique s'appuyant sur la
fixation dbbjeaifs plus faciles à définir et à vérifier. Il suffit que l'environnement soit moins prévisible
pour que le contrôle budgétaire perde de sa pertinence. En retour, un environnement prévisible
p.t-.i plus facilement de diversiÊer I'entreprise car sa gestion devient moins complexe. Cela entralne
un changement d'attitude vis-à-vis des subordonnés dont la supervision est plus facile et autorise ainsi
une plus grande décentralisation.

3. Iæ style de management stratégique est la troisième variable d importance Pour une interpréa-
tion du conrôle budgétaire. Il peut êue matérialisé par deux mécanismes : fétendue de la participa-
tion des opérationnels à la planificadon et le type de contrôle exercé (Goold et Campbell, 1987). Ces
deux caractéristiques varient selon les problèmes que rencontrent les dirigeants et selon leur propre
psychologie. ks êntreprises disposent alors de trois idâux types ou modèles de conrôle budgétaire.
bfu."r d'.r,t . eux met en Guvre I'une des fonctions habituellement atuibuées au contrôle budgê
aire (planiÊcation, coordination, évduation, etc.).
la problématique de ce travail est à ranacher à différens courents théoriques qui permettent de
mieux comprendre encore les liens qui unissent nos différentes variables. Chandler (1962) e montré
la relation exisant enûe I'environnement et la suucnrre. Il fait intervenir une variable intermédiaire
qui prend en compre la stratégie retenue par chaque entreprise et redonne ainsi une part d'autonomie
aux dirigeants. Notre approche s'inspire de cette démarche. Nous relions une strucrure, définie par
l'adoption d'un type de management stratégique, à un environnement économique ou à un contexte
idéolàgique. Le càntrôle budgétaire, considéré comme un atribut de I'organisation, est utilisé de

CoMprÂBrurÉ, - Corvrnôre - AuDtr I Numéro spécial - décembre 2000 (p, 5 à 17)


Mcolas BBrulup et Anne PezET
POUR r.JNE DÉMARCHE pRÀcMAnQUE EN HTSTOTRE DE t GESTTON
ll
façon différente selon le qrye de strucnrre auquel il s'applique. En ourre, des stratégies sonr mises en
place par les dirigeants et interviennent, comme chez Chandler, enûe I'environnement et lâ structure
(participation à des caftels, formation d'un monopole ou développement sur des marchés à forte
croissance).
Pourquoi meftre en place ces différentes stratégies ? Iæ courant dela resource-dependence 2 nous
apprend que iest pour réduire la dépendance à l'égard de l'environnemenr. Les dirigeana gardent le
choix de plusieun stratQies de réduction des incenitudes (Thompson,1967).IJadaptation de I'en-
treprise à son environnement relève dun choix, résultant d'un processus politique. Celui-ci dépend
de la compréhension du monde par les dirigeants qui doivent metrre en place la suatfuie. L,es indivi-
dus ont une vue partielle de la situation qu ils rencontrent qr elle est filtrée par des institutions qui les
orienænt dans leurs analpes. Il faut érudier I'ensemble du contexte d'action des individusl < 6'sss-l-
dire les strucnrres d'interaction dans lesquels ceux-ci sont plac& , (Friedberg,1997). Selon le même
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auteur, il faut dépasser le cadre de I'analpe contingente des années soixante, et ( au lieu de s'interro-
ger sur une organisation soumise aux influences de son environnement, il faut d'emblée chercher à
comprendre les mécanismes de régulation qui gouvernent I'ensemble du système organisation/envi-
ronnement et qui conditionnent les réponses que les membres de I'organisation comme les acteurs de
l'environnement peuvent appofter aux contraintes et aux opportunités qu'ils perçoivent dans leur
cont€xte commun d'action u.
Appliqué au contrôle budgéaire, cela revient à étudier les différents usages qui sont faia de cette
technique en monffant qtià uois idéaux types de contrôle budgétaire correspondent des configura-
tions structurelles particulières. Ces configurations structurelles dépendent des stratégies mises en
place pour réduire l'incertirude de I'environnement politique et économique. Cet environnement
limite lui-même les choix des acteurs en leur imposant certaines stratégies et donc certaines voies
d'utilisation du contrôle budgéaire. Cela permet de comprendre pourquoi le contrôle budgétaire, en
tant qu attribut de la stmcrure, apparalt comme une solution idâle à un moment donné et peut être
critiqué quelques années plus tard.

'W, Ilexemple du choix dinvestissement


[æs r6ultats développés ici sont issus d'une analpe historique (de 1890 à 1990) réalisée à partir de
treize études de cas et poftant sur des constructions ou des extensions de sites de production d'alumi-
nium (Pezet, 1998a). La perspective historique met en valeur les permanences et les évolutions des
critères de choix et surtout leur insertion dans une organisation er un environnement qui changent.
Ainsi la décision se trouve-t-elle ( enciuitr& u (Granovetter, 1985) dans un jeu organisationnel et envi-
ronnemental mais aussi dans une perspective temporelle. Après avoir opéré une déconstruction artifi-
cielle en études de cas, on peut alors reconfigurer la décision selon deux dimensions : la première
reconsidère les fonctions jouées par les insuuments de choix et la seconde offre une nouvelle repré-
senation de la décision dinvestissement sous la forme d'un modèle u encasrré , dans un environne-
ment organisationnel, socio-économique et institutionnel.
la recherche des fonctions des techniques de gestion s'impose dès lors que I'on passe des théories
aux pratiques de gestion. la théorie peut travailler et améliorer le substrat proprement technique des
instruments de gestion. Iæ nombre des orwrages sur la rentabilité de I'investissemenr I'a$este sans diffi-
culté. En revanche, l'ernmen des pratiques montre que ls instruments ont des usâges imprévus. Nous

CoMrDADrurÉ - CorvrRôLB - AuDrr / Numéro spécial - décembre 2(X)0 (p. 5 à 17)


Nicolas BSRLANo etAnne PBær
POUR rrNE DÉMARCHE PMGMÂnQUE EN HISTOIRE DE l GESÏON

avons ainsi déterminé trois fonctions principales, politique, culturelle et rhétorique, et six fonctions
secondaires qui approchent plus finement le réel. Chaque fonctionndité est liée à une ingénierie, iesç
à-dire à nt r"hé-" de mise en Guvre. Le u plan u fonctionnel se uaduit donc par un schéma de râli-
sarion concret repos{rnr sur une instrumentation de gestion, base de chaque ingénierie (tableau 1).
Chaque fonction domine dans une situation économique particulière. [.a période de démarrage
industriel, otr innovation technique et conquête du marché se conjuguent, est encore pleine d'incer-
titude. l.a coalidon est instable et politique, iest-à-dire qu elle est porteuse de conflits, entre aPPor-
teurs de capitaux et innovateurs puis entre financiers et techniciens. C'est durant cette période que se
bârit le ro"i. p.r-*ent des instnrments de choix de I'investissement d'abord dévolu à la résolution
des conflits ei des tensions entre les acteurs. Vient ensuite une phase de croissance s(cePdonnelle de
la demande. [,a gestion de I'investissement s'y fait dans I'urgence' urgence de conserver_sa position
commerciale d-r ,u marché qui ,. explose o puis urgence de conserver sa position technologique
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dominante afin de faire face auxconcurrents américains. la coalition se resserre autour d'une culture
commune qui autorise une fone réactivité face à l'urgence. Enfin, la crise et I'instabilité des marchés
qui lui.,toÂd" remeftent en cause I'investissement, car sa rentabilité esc loin d'être assurée, et la déci-
5io., celle-ci est discutée par les nouveirux partenaires issus de la nationalisation de 1982 (É-tet,
"",
syndicat), par les âppofteurs de capiaux et même par l'opinion (sur la quesdon de l'environnement).

res fonctions tatentl l':rt ;llrr rents de sestion

Fonctions Fonction Fonction Fonction


principales politique culturelle rhétorique

Ingénierie Ingénierie Ingénierie


Ingénieries de la connaissance de la communication
de l'accord
i
Situation
Émergence i Decollage Pénurie I
I
Croissance Crise i volatilite
économique I
I

i ._,............_..__._..........

Motif lmmobiliser I lmmobiliser Investir i Investir Moins investir, : Investir,

de la décision pour innover i pour conquérir pour survivre i pour dominer mieux investir i désinvestir

Rioupéroux Cameroun
LaPraz États-Unis Australie
Sites (cas) Sabart Noguères Lannemezan
Whitney Pays-Bas Canada
Champagnier Grèce
1960-1970 1977 '1980-1990
Période Avant 1920 1920-1930 1 950-1 960

lnstruments Socle* Procédure Veille Actualisation Plan Stratégie

Coalition** Polil rque Manar 1ériale Refo ldue

Fonctions Gérer
Faire l'accord Gérer le s/ack lmiter Convaincre Légitimer
secondaires I'information

* cott d'investissement à la tonne, prix de revient et rentabilité comptable.


** Nous avons fait le choix d'une lecture politique de I'organisation (Pezet, 1998a).

CoMpmsrtrÉ - CoNTRôLE - AuDn / Numéro spécid - décembre 2000 (p. 5 à 17)


Nicolas Brnr-aNo er Ânne PEzBr
POUR I.JNE DÉMARCHE PRAGMAnQUE EN HTSTOTRE DE t-A. GESTTON

Alors même que I'instrumentation ne répond pas aux objectifs de rationalité que la théorie lui
assigne, une question émerge : la décision d'investissement erdste-t-elle ? La décision d'investissement
chez Pechiney recèle une richesse et une complexité qui excluent I'application d'un modèle unique. l,e
choix résulte d'un ensemble de facteurs permanents ou mouvanrs er de leur interaction avec des
acteurs humains et non humains. Loin d'être un processus économico-rationnel comme le laisse
Penser I'utilisation d'une instrumentation quasi mathémadque, la décision d'investissement se
déroule dans un contelce humain, économique, social, politique, légal, idéologique, etc. Uérude du
temPs long permet de mettre au jour les formes d'influence de ce contexte pris au sens large. La
synth&e des treize études de cas portant sur le choix d'investissement dans I'aluminium (Pezet, 1998a)
autorise une tentative de modélisation. Modéliser iest ici conûibuer à une technologie du choix d'in-
vestissement car il s'agit bien de faire u l'analyse, le développement, I'application et l'évaluation des
techniques et des instruments de gestion en vue d'améliorer leur compréhension et leur efficacité >
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(Gilbert, L997, p.135). Ainsi, la proposition d'une nouvelle approche du choix d'investissemenr vise
à lui conférer efficacité et pouvoir prédictif
Afin de briser la vision purement processuelle du ôoix d'investissemenr, nous proposons de I'insérer
dans un environnement toal à la manière de Mark Granovetrer (1985 et 19941 etde Huault (1998).
IJapproche historQue pr6ente le risque de faire basculer le choix d'investissemenr d'un modèle théo-
rique sous-socidisé à une vision culturaliste, sur-sociali#e. Ia démarche de Granovetter vise précidment
à uouver un {uilibre entre I'abstraction et I'historicisme en ( encasrrant , (de la notion d'enbedlzdness)
le phénomène dans un cont€rfi€ large. Uhistoire ici, loin de tomber dans I'hisbricisme, débouche sur une
modélisation du réel sur la proposition d'une nouvelle approche théorique généralisable.
Figure 1.
Le choix d'investissement: un modèle tr encastré rt

Institutions lndustrie

lJespace de la légltimhé

Opinion Finance

@MPtABrur! - CoNTRôI^E - AuDrr / Numéro spécial - décembre 2000 (p. 5 à 17)


Nicolas Bnru;lo etAnne Pszrt
POUR I.JNE DÉMARCHE PMGMATIQUE EN HISTOIRE DE LA GESTION
r4
Ce modèle veur spetio-remporel (figure 1). Il repose sur une représentation de la décision d'in-
se
vestissement sous la forme d'espaces, espaces encastrés les uns dans les autes car le choix d'investisse-
ment mobilise un r6eau d'acteurs, de ressources ou d'institutions intervenant dans les trois espaces de
décision. Le premier espace est I'espace du choix binaire : existe-t-il un marché ? Peut-on disposer de
capitaux ? La compétence existe-t-elle dans I'enueprise ? Les autres ressources matérielles sont-elles
disponibles ? La riponse est binaire, positive ou négative. Dlns I'industrie de I'aluminium, deux
teponro doivent impérativement être positives, sur la disponibilité des ressources matérielles (énergie
et alumine) ou inputs et sur I'existence d'un marché. Liindisponibilité des capitaux Peut constituer un
jamais
obstacle à I'invesiissement. En revanche, la main-d'æuûe peut être formée et les capitaux n'ont
constirué un véritable obstacle. Ces impératifs peuvent varier en fonction du secteur industriel
concerné. Le deuxième espace de décision est celui des modalités. Otr investir ? Quoi investir ? Avec
qui ? Comment ? C'est l;erpace des comparaisons, comparaison entre différents sites possibles et
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à-p"oiron entre les technologies. C'est I'espace des choix de râlisation : quelle taille d'usine ? quels
partenaires ? quel financemenr ? quelle organisation ?
-Linvestissem.rrt,
[r troisième esPace es1l'esqal de la légitimité.
po.r, être légitime, doit satisfaire certaines conditions à l'égard de u publics u très
différents. Vis-à-vis du monde industriel en général, I'enueprise doit présenter une surface suffisante
er se conformer à une idéologie des affaires. Vis-à-vis des autres producteurs du secteur, I'entreprise se
mer en position de partenariat ou de concurrence. À l'égard de la sphère financière, elle assure sa crédi-
bilité par la rentabilité de ses investissements. IJopinion la iuge dans des domaines comme l'écologie
ou I'emploi. Enfin, ses relarions institutionnelles avec les États, les agences publiques, les qyndicats,
etc., lui conêrent une insertion indispensable dans I'environnement. lÆ modèle a aussi une dimen-
sion temporelle. Celle-ci se ceracréristd'abord par la simultanéité. Lors du choix d'investissement, le
visite desdifférents espaces se fait simultanément. On peut être en train de réfléchir aux modalités de
I'investissemenr alors même que I'on se pose la question de la disponibilité énergétique. On Peut se
heurter aux réactions des populations alors même que le site définitif rfest pas choisi.
La formation du cæur sûatégique, propre à chaque activité, nécessite la construction de I'accord
au sein de la coalition. l,a fonction politique des instruments de choix d'investissement y ParticiPe
alors pleinement. Cet accord doit être maintenu ou amendé durant toute I'existence de I'organisation.
Danie cas de l'aluminium, l'énergie, la logistique, la technologie et le marché constituent les facteurs
clés de la stratégie d'investissement mais celle-ci peut avoir à intégrer d'autres phénomènes plus ou
moins conjonc-turels. Pour investir, la coalition doit réaliser I'accord autour de ces facteurs.
I-linstrumentation se mer au service de cette fonction. Vient ensuite l'ingénierie de la connaissance. Au
stade des réalisations, les questions de modalités trouvent des réponses de type culturel, autour d'une
coalition homogène. I-lorganisation utilise un système de références acquises afin de choisir le meilleur
investissement. Enfin, dânr une coalition ouverte, la communication devient indispensable pour
asseoir une crédibilité ou créer une légitimité. Si les espaces de la décision fonctionnent simultané-
ment, ils onr aussi connu une évolution historique qui se poursuivra peut-être par la crâtion d'un
quatrième espace, imperceptible aujourd'hui. Lhistoire de I'instrumentation du choix d'investisse-
À.rrt ch-, Pechiney rrôur p.r-is de proposer un modèle théorique généralisable ; un eutre travail de
"
recherche sera d'en tester la validité dans d'autres organisations et d'en rendre les concepts opération-
nels afin qu'ils soient directement utiles atrx praticiens de la gestion.

CrMpxABIurÉ- CoNTRôLE-AuDII / Numéro spécid - décembre 2000 (p. 5 à 17)


Nicolas BBmeHo et Anne Ppzs'r
POUR IjNE DEMARCHE PMGMATIQUE EN HISTOIRE DE IÂ GESTION

Conclusion

Notre apport réside sans doute dans I'utilisation de grilles thôriques d'interprétation des faits histo-
riques. Nous pouvons nous interroger avec Veyne (1971) et læmarchand (1994) pour savoir s'il s'agit
encore d'histoire. En effet, noue propos r'" p* été de traiter des cas particuliers, ce qui serait le propre
d'une science idiographique, mais plutôt de les analyser evec le filtre des concepts de gestion, plus
proche d'une nomographie. Si les historiens se reconnaissent dans ce rravail, ils y verront, selon les
termes de Le-rry-Strauss (cité par Veyne), le choix u d'une histoire qui explique plus et apprend moins o
plutôt que le choix u d'une histoire qui apprend plus et explique moins >. Il s'agissait surrout d'établir
des comparaisons entre les différentes expériences d'entreprises pour faire ressortir les traits saillans et
communs à chacune d'entre elles. Mais ce cap Êanchi, les outils conceptuels utilisés sont emprunrés à
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la gestion ou produits pour les sciences de gestion, en tant qu'ils ( permeûenr d'expliquer un intervalle
entre les intentions des agents et les r&ultats u (Veyne, l97l).

Utiliser des concepts contemporains de gestion, pour comprendre le développement de noue


discipline, nous fait courir le risque d'anachronisme. Peut-on, par exemple, parler librement de plani-
fication pour décrire I'histoire du contrôle budgétaire ? Peut-on utiliser le concept de planification
pour dc situations antérieures à l'époque otr il apparalt (les années soixante) ? l,a réponse est sans
doute négative si nous entendons par planification le processus formalisé de détermination des objec-
tifs et des stratégies. Mais la planification correspond à une notion très riche, dont le contrôle budgé-
taire riest gue l'une des composantes. Plus que le processus formel de planification, donr la déûnition
varie selon les auteurs (Mintzberg, L994), iest I'attitude des entreprises par repport à la prévision et
au futur qui est étudiée. Il n est pas possible d'affirmer qu'une entreprise fait de I'ABC ou de la gesrion
Par Processus, mais nous pouvons dire qdelle détnit des objectifs. Nous avons aussi conservé le voca-
bulaire de chaque époque. Ainsi, les entreprises ne calculent pas des cotm de revient mais des prix de
revient. Même si nous riignorons rien des conséquences des choix sémantiques effecués, le respect du
vocabulaire des acteurs est une garantie supplémentaire du respect des contingences historiques. Une
attention paniculière a donc été portée aux conceprs de référence utilisés.
latour (1998) se [x)se, dans les mêmes termes, la question de I'anadronisme à propos de l'étude
médicale, en L976, de la mort de Ramsès II. Iæ pharaon serait décédé des suites d'une tuberculose,
maladie < inventée > en 1882 par Koch. Le bacille existait pourtanr auparavanr, mais sans avoir été
expressément identifié. Il ne s'agit pas là dun anachronisme contrairement à l'affirmation visant à dire
que Ramsès II serait mort fauché par une rafale de mitrailleuse. Ce sont les progrès de la science qui ont
permis d'apponer des éléments nouveaux à notre compréhension de faits historiques. Selon l^atour,
< une année en effet ne se re$re pas grâce à une seule dimension, mais grâce à deux. [a première suit la
chronologie ; elle avance toujours dans le même sens irréversiblement; elle ftrène la série des nombres
entiers. La seconde, au contraire, modfie chaque année toutes celles qui I'ont précédée et, selon les
progrb des sciences, dote les années passées de traits plus ou moins nouveaux o. C'est la combinaison
de ces deux dimensions qui est inéversible et par rapport à laquelle doit s'inteqpréter I'anachronisme.
Utiliser les progr& récents de la science est donc rcut à feit légitime pour expliquer le passé.
Ijutilisation de cadres théoriques de gestion pour expliquer des phénomènes historiques est un
élément nouveau. Les historiens ne sont pas coutumiers de cette approche, sans doute parce qu'elle
aPPorte moins à l'histoire qu à la gestion. Des problématiques des sciences de gestion sont étudiées

CoMt'[AEn"rrÉ - CoNrRôtg - AJDrr / Numém st'cid - décembre 2000 (p.5 17)


^
NTcolas BBru,qNo et Anne PezE-f
pouR UNE DÉMARCHE PRAGMAilQUE EN HISTOIRE DE l GESTION
L6
mais mises en elrergue evec des données inhabituelles tirées de l'histoire. Iæ discours reste ainsi fami-
lier aux gestionnaires et s'insère d'autant mieux dans les autres courants de recherche. Il s'agit d en-
clencher-un mécanisme d'accumulation otr les connaissances d'aujourd'hui servent à I'interprétation
des phénomènes d'hier. Ces derniers doivent être utilisés pour relativiser les acquis des sciences de
gestion en les replaçant dans leur contexte historique.

Notes Gnexowrren M. (1985), n Economic Action and


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2. Analyse reprise de Friedberg (1997). miques comme constructions sociales : un cadre
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CoMprABrurÉ - CoNrRôLE - AuDtr / Numéro spécial - décembre 2000 (p. 5 ,l7)


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17
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