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L’ AGENCE DES
M AGICAL W ARGIRLS
P HŒNIX ’ S S HEPERD
YORAK
ILLUSTRATIONS : REN
S OMMAIRE
PROLOGUE...................................................................4
CHAPITRE 1................................................................31
CHAPITRE 2................................................................94
CHAPITRE 3..............................................................165
CHAPITRE 4..............................................................224
ÉPILOGUE.................................................................272
P ROLOGUE
Saginomiya, premier jour de l’Invasion au Japon, 21 août
2065.
4
— Maman ? Tu fais quoi à manger ce soir ?
5
Soudain, au-dessus des têtes de Maako et de sa mère passa un
escadron de chasseurs de combat de l’armée qui les obligea à se
boucher les oreilles. Ils étaient à pleine vitesse. Leur destination
était à l’ouest, au-delà de Kamishakujii.
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yeux de Maako, aussi calmes que d’habitude, ne quittaient pas la
colonne de fumée qui s’élevait au loin.
Maako s’arrêta :
— Maman. Regarde.
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fourmillait de messages tels que : « monstres » ou « créatures
d’autres mondes » et certains visionnaires parlaient déjà de
« créatures du Mythe de Lovecraft ».
8
Lorsque l’hiver arriva enfin, une nouvelle vague de monstres
plus coriaces et puissants encore l’accompagna. Les armes
conventionnelles commençaient à n’avoir plus aucun effet sur
eux.
***
9
L’année 2066 commençait sous les plus funestes augures et on
présumait fortement que ce serait la dernière.
10
Les cours se tenaient dans la salle commune qui servait
également de réfectoire. L’abri comprenant près de cinq mille
survivants, la classe de Maako accueillait une cinquantaine
d’enfants de six à treize ans. Les adolescents étaient dispensés d’y
participer mais, à la place, aidaient aux divers travaux de la base.
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Maako ne pouvait que considérer qu’ils avaient peur et
préféraient rester le plus près possible les uns des autres. De plus,
aux yeux des adultes, les enfants étaient des créatures fragiles et
impuissantes, sûrement devaient-ils se flatter de les surveiller.
— Mon mari m’a dit que même les USA sont à terre. La
situation est vraiment désespérée !
12
— Et bien sûr, le premier ministre ne dit rien pour ne pas
perdre la face… Tsssss !
Bien sûr, ils essayaient de ne pas parler trop fort pour ne pas
déranger la leçon.
Lorsque les adultes eurent achevé leur tâche, ils s’en allèrent,
et Maako n’eut d’autre choix que de reporter son attention sur sa
professeure.
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La leçon finie, les enfants étaient consignés à des devoirs
personnels ou à d’autres tâches récréatives afin de les garder
réunis au même endroit.
— Bouh !!! Maman elle dit que c’est pas bien ! continua un
autre garçon.
14
— Mais tu es une enfant aussi…
15
À son retour, Saito s’appuyait sur sa bêche et demanda à
Maako en plaisantant :
16
— C’est facile, il suffit de noter sur un calendrier les attaques
avec le nombre de morts. Cela permet de déduire une fréquence
et d’établir une moyenne de décès qui révèle les différentes
vagues et la puissance des monstres. C’est approximatif, par
contre.
17
que ceux apparus jusqu’à présent. Si l’auteur avait raison, la
victoire était impossible.
***
18
Mais soudain, un cri retentit dans la pièce. Il fut suivi d’un
autre : un dard sortait de la poitrine d’une des femmes qui
apportaient la nourriture à table. Le sang giclait abondamment.
19
Contrairement aux autres enfants, et même aux adultes, elle
ne pleurait pas. Son regard passait d’une scène de massacre à
l’autre, tandis qu’elle courait, emportée par Ayaka. Son cœur
pleurait mais rien n’échappait de ses yeux.
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chemin jusqu’à la sortie. Le respect et l’entraide étaient mis à
rude épreuve lorsqu’il s’agissait de survivre.
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— Inutile. Avec mes petites jambes, je ne peux pas y arriver
à temps. Regarde, c’est presque fermé.
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La mère et la fille se cachaient dans le désordre de la pièce,
elles étaient silencieuses et retenaient autant que possible leur
respiration et leurs mouvements. Elles étaient dans les bras l’une
de l’autre.
La fillette n’avait pas envie de suivre cet ordre. Elle savait déjà
qu’une horrible mort attendrait sa mère et sûrement qu’elle-
même mourrait tout de suite après.
23
Son cœur pleurait. Ses membres tremblaient face à cette
situation insurmontable. Elle avait beau être calme et froide, elle
restait une enfant.
Ayaka savait que Maako était attachée à elle plus que tout,
qu’elle se souciait d’elle sûrement plus que de sa propre
personne, mais c’était également son cas.
— Je sais !
24
Les dernières paroles d’Ayaka résonnèrent en boucle dans sa
tête : « Vis pour moi ! ».
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Malgré son âge, elle avait déjà perdu confiance dans le
gouvernement et ceux qui dirigeaient le pays. Avec cette
expérience, elle venait de perdre sa mère, ses émotions et le peu
d’insouciance enfantine qui restait en elle.
Cependant…
Cela devait faire plus d’une journée qu’elle se terrait dans cet
espace réduit : elle avait faim et surtout soif. Sa gorge était si
sèche.
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Maako espérait mourir de soif avant qu’un de ces monstres ne
vînt se repaître d’elle. C’était devenu son seul souhait. Elle ne
voulait pas entendre les bruits de cet immonde dîner.
Une voix. Dans sa tête. Puis une paire d’yeux fendus brillèrent
devant elle, au sol.
27
aux pouvoirs surpassant ton imagination et je deviendrai ton
familier. Je t’offre la clef, ce sera à toi de saisir l’opportunité de
franchir la porte.
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flammes noires tournaient autour d’elle et suivaient ses ordres.
Dans son esprit s’inscrivirent nombre de sortilèges.
29
Levy-kun, le familier serpentin, et quelques autres dieux se
rassemblèrent et expliquèrent la situation au gouvernement
japonais. Ils proposèrent leur aide pour affronter leurs ennemis
ancestraux, tout ce dont ils avaient besoin étant de jeunes filles
volontaires en qui ils pourraient réveiller d’incroyables pouvoirs.
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C HAPITRE 1
Los Angeles, c’était là que se rendaient les agences Tentakool
et NyuuStore.
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Le pays ne s’était pas contenté de la reconstruire, il l’avait fait
profiter des dernières avancées technologiques en en faisant la
cité la plus moderne au monde. Elle était bâtie sous de nombreux
dômes en verre et d’imposantes enceintes en protégeaient l’accès,
ainsi que de nombreuses tours équipées de canons.
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En raison de son architecture high-tech, la ville régulait sa
population, elle accueillait sur dossier seulement 2 millions
d’élus ; sa population avait été réduite de moitié depuis
l’Invasion.
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Irina était une fille insouciante, à la longue chevelure blanche
détachée, aux yeux verts et aux traits métissés kibanais ; elle
paraissait toujours s’amuser et ne s’encombrait pas des
convenances.
— Je vous l’avais pas dit que Jess est une bourge ? rappela
Elin en se grattant l’arrière de la tête et en se laissant tomber sur
la place passager à l’avant.
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coiffée en twin side up et aux yeux d’un bleu intense. Sa tenue
mettait en avant son opulente poitrine dont elle était fière. Elle
était certes élégante et séduisante, mais aussi particulièrement
colérique, surtout lorsqu’il s’agissait d’Elin.
— Merci, Hakocchi.
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Soudain, elle sentit une autre main : celle de la noble
Vivienne de la Grandière, une Amaryllienne d’origine
aristocratique française. Cette femme à la beauté époustouflante
avait une chevelure d’or et des yeux bleus. Elle dégageait un
raffinement extrême, chacun de ses mouvements était mesuré et
impérieux.
— Merci, Oneesama.
Voyant que les autres n’entraient pas, elle était ressortie. Elin
avait fait de même, ses épaules basses lui donnaient l’air de
pouvoir s’écrouler d’un instant à l’autre.
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Shizuka se sentait complexée face à l’expérience et aux
pouvoirs de ses collègues ; elle avait besoin de se conforter.
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— Jessica, can we stop at a Mallmart? It's been a long time, I
wanna eat some Rebornian potatoe chips.
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Elle réalisa à cet instant que la plupart des filles présentes
parlaient au moins deux langues, certaines même plus encore.
— J’y crois pas… Pas une pour rattraper l’autre, dit Sandy en
haussant les épaules et en s’installant, les jambes croisées de
manière virile.
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— J’ai rien dit, moi ! Pou… pourquoi ça se finit comme ça ?
se plaignit Hakoto qui avait vu la scène se dérouler devant ses
yeux.
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— Ouais, tu me prends pour qui ? Si je t’engage, c’est à moi
de m’en charger.
— En fait… euh…
41
Shizuka prit son visage dans ses mains et se mit à pleurer.
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— C’est vrai ! J’ai lu ça dans son dossier ! s’exclama soudain
Shizuka.
***
43
Douze heures auparavant. Dans la cabine du Gulfstream
personnalisé de Jessica.
— Ah bon ?
Shizuka se tourna vers Elin qui venait de poser ses pieds sur
une table devant elle en bâillant. Elle prit dans une de ses
manches une console de jeux portable.
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— Pas moyen, ça coûte un bras à l’entretien. Puis ça nous sert
à rien. Notre agence intervient en général dans les affaires de la
métropole de Tokyo : il y a suffisamment de trains.
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n’avait aucun égard pour sa propre survie : nul doute que les
Anciens devaient prendre mal le fait qu’on ternisse à ce point
leur image.
— Oh my god! No bra?!
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— En attendant ta main continue de la tripoter. Et pareil pour
mon pied, heureusement que je suis pas chatouilleuse…
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— Tout est ta faute, espèce de demi-portion ! Je me fais
insulter par ton employée et le pire c’est qu’elle n’a pas tort : on
donne une mauvaise image !
***
48
Pendant quelque temps, les cinq autres filles observèrent le
spectacle avec des gouttes de sueur sur le visage. Lorsque Jessica
et Elin étaient ensemble, elles ne pouvaient s’empêcher de se
disputer. Leur attitude était indigne de chefs d’agence mais
c’était pourtant ce qu’elles étaient.
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Hakoto se leva et se dirigea vers un compartiment où elle
avait mis des affaires en montant.
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Shizuka ne put s’empêcher de rire, elle couvrit sa bouche de
son poing, puis leva le pouce pour faire comprendre à son
interlocutrice son approbation.
Jessica attrapa Elin par le col et posa son pied sur le siège à
côté d’elle. L’intéressée ne broncha pas, elle se laissa saisir sans
rien dire.
— Vous êtes si love love toutes les deux. Haha ! déclara Irina
en éclatant de rire.
51
— Calmez-vous toutes et prenez un peu de thé. Il y a
également quelques senbei pour accompagner et je vais apporter
aussi des daifuku.
— En fait…
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En tout cas, Shizuka ne put s’empêcher de déglutir.
— Cette fois, les choses iront peut-être mal et l’une d’entre nous
risque d’y passer. Je… je préfère ne pas y penser, se dit-elle un
peu trop tard, puisque son esprit venait déjà de soulever cette
éventualité.
53
— Pas envie…
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Néanmoins, cette dernière ne parut ni surprise, ni paniquée,
ni intéressée. Elle mit un casque sur ses oreilles et se mit à
naviguer sur son ordinateur portable.
55
Jessica marqua une brève pause et remarqua que toutes, à
l’exception de Gloria et Irina, la regardaient avec attention : elle
sourit, satisfaite.
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pourquoi nous ? Je pensais que nous allions nous concentrer sur
nos activités à Kibou.
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— Et de notre côté, pourquoi avoir accepté ? demanda
Vivienne à sa chef.
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Changeant soudain d’attitude, oubliant ses griefs envers sa
rivale et ancienne camarade d’unité, Jessica répondit :
Jessica avait mis les mains sur ses hanches tout en reprenant
l’impertinente Elin, qui répondit mollement :
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— Kyaaaa ! Je vais rencontrer Justice Eight ! Quel honneur !!
— J’crois qu’il y a un truc qui s’est collé sur l’avion, dit Irina
qui n’était pas bien captivée par la discussion.
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À peine eut-elle fini de donner ces instructions que Gloria, qui
se taisait depuis un moment, s’approcha d’elle et tourna un écran
d’ordinateur portable dans sa direction.
— Non, mais j’ai prévu des batteries de tir sur l’avion que je
peux enchanter pour abattre cette chose. Restez sur vos gardes,
on ne sait jamais.
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— Je viens avec toi, déclara Elin.
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Elin ne dit mot et se contenta de la fixer. Après quelques
instants, Jessica se retourna et quitta la pièce en l’ignorant avec
suffisance.
***
63
C’est pour répondre à cette configuration de combat
particulière et en combinaison avec ses propres capacités que
Jessica avait pensé à ce système de défense, bien qu’il fût loin
d’être parfait. Elle s’était simplement inspirée des bombardiers
de la Seconde Guerre Mondiale et de leurs ball turrets.
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Jessica sauta dans le siège et prit entre ses mains les manches
pour diriger le canon. Fermant les yeux, elle transféra sa magie à
l’ensemble du système de tir jusqu’à atteindre les obus qu’elle
chargea de magie ondulatoire.
— Rhooo, c’est bon. Je suis pas assez grande pour gêner ton
champ de tir. Tu vas pas me faire croire que je t’embarrasse
quand même ? T’as déjà deux fétichismes : les seins et les pieds.
J’ai pas de seins et je ferai attention à pas te mettre les pieds
dans la figure.
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— Tu… ton comportement m’énerve ! Je vais te faire la
peau !
Jessica sentait la tête d’Elin sur sa poitrine. Elle serra les dents
pour ne pas faire de remarques puis inspira profondément pour
reprendre son calme.
***
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— T’as peur de tout, Shi-chan, commenta Irina debout les
bras derrière la tête. J’ai trop envie d’aller friter du monstre aussi.
Ça me fait chier de rester ici…
— Tu ferais que les gêner, sois pas bête, lui reprocha Sandy.
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Irina tourna son visage vers Vivienne qui avait pris une
attitude encore plus hautaine que d’habitude. La première se mit
à réfléchir quelques instants, puis…
Sur ces mots, elle prit sa console en main et, comme si elle
avait complètement tourné la page, se mit à jouer. Shizuka ne
put s’empêcher d’avoir une expression désabusée alors qu’une
goutte de sueur se formait sur sa joue.
***
68
Puisque le moindre tir raté pouvait avoir des répercussions
désastreuses, Jessica reprit son calme et inspira avant de presser
brièvement la détente. Un seul projectile quitta le canon et
pénétra le corps spongieux de la créature.
— Par contre, tu vas faire comment pour ceux dans les angles
morts ?
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— Tsss ! Au lieu de te réjouir, faut que tu viennes me gâcher
mon plaisir, c’est ça ? Bah, je vais déjà en finir avec ceux-là et on
verra après.
— Eux ? Mais ils sont trop lents pour être une menace pour
ton avion, sauf si tu passes en plein milieu d’un essaim.
— C’est ce que toi tu dis ? J’ai déjà vu des Shantak aller aussi
vite que des avions de chasse.
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Peu de mahou senjo en connaissaient même l’existence.
Certains rares Shantak étaient doués d’une intelligence
supérieure aux membres de leur espèce, savaient utiliser des
sorts et étaient plus forts et résistants. On ne les croisait que dans
les airs et aucun sorcier que des mahou senjo avaient affronté à
ce jour n’en avait invoqué. Ils ressemblaient vraiment à des
irrégularités vivant uniquement dans les nuages.
Nul autre qu’elle n’aurait pu réussir une série de tirs avec une
précision aussi élevée ; ce n’était humainement pas possible. Si
sa visée était déjà remarquable sous sa forme normale, elle était
aberrante une fois transformée.
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Elin ne dit plus rien pendant quelques instants, puis elle finit
par rompre le silence :
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Le bruit de la rafale courte qu’elle tira couvrit ses insultes. Les
obus sifflèrent, puis explosèrent en plein vol, dans le vide,
dévoilant un instant la présence d’une créature plus grande que
leur avion.
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C’est à ce moment qu’un choc fit vibrer tout l’avion : une série
de tentacules venaient de le heurter.
— LA FERME !!!
Sur ces mots, Jessica lâcha l’un des manches qui lui
permettaient de tirer et commença à chercher quelque chose
devant elle, entre ses jambes. Ce faisant, tout ce qu’elle trouva
était le corps d’Elin qu’elle commença à palper malgré elle.
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— Désolée de revenir sur tes cours de biologie, mais je suis
une femme.
— J’ai pigé.
Derrière elle, Jessica avait les larmes aux yeux. Elle avait
rarement été aussi embarrassée.
— OK ! J’y vais !
— La fermeeeee !!!
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Le viseur dans la tourelle changea et une nouvelle manivelle
de tir à l’allure étrange sortit de la paroi à leur droite.
— Mange ça !!
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Prise d’une sorte de frénésie meurtrière, Jessica chargea le
second missile et, tout en riant aux éclats, le dirigea vers le
second Polype.
—…
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Rapidement son cadavre flottant sortit du champ visuel des deux
mahou senjo.
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Heureusement, le reste du voyage se déroula sans autre
mauvaise rencontre.
***
De retour au présent.
79
— Calme-toi, idiote, dit Elin. On aura le temps de faire du
tourisme après la mission, c’est promis.
— Promis ? Vraiment ?
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Jessica s’arrêta sur un parking qui avait la taille d’un stade de
foot, et dit :
81
ville. Sinon, j’ai deux agences de mahou senjo, une à Denver et
l’autre à Tokyo. Voilà, tu sais tout, ma chérie.
— Ouais, encore une fois, Jess est super riche, dit Elin sans
motivation. Bon, bah, on te suit. On est sur ton territoire au final.
Mais pas de trucs pervers sur mes employées, OK ?
***
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— Chut ! Ne les réveillons pas, dit-elle à voix basse.
— Quoi, vraiment ?!
— Shizuka-chan ?
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— Tout est allé si vite. Je ne pensais pas te revoir un jour,
puis nous avons combattu ensemble et maintenant nous sommes
à Los Angeles. Tout me paraît tellement fou au final.
— Oui, tu as raison…
***
84
Après avoir quitté le centre-ville, la voiture continua sa route
en grimpant une colline, ce qui la mena dans le célèbre quartier
de Beverly Hills.
Sans surprise, les loyers y étaient parmi les plus chers de Los
Angeles. Il allait sans dire que ses habitants attisaient la jalousie
des plus démunis. Nombre des riches du quartier payaient leur
propre milice de sécurité, engageant même des magical wargirls
pour les protéger aussi bien des Anciens que des criminels.
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L’édifice où la voiture s’arrêta était une belle villa à plusieurs
étages, délimitée par une grille en fer forgé. Elle était plutôt
simple comparée au voisinage mais restait luxueuse malgré tout.
Elin, pour sa part, n’en avait que faire. Elle n’était jamais
venue en ce lieu, mais n’était pas le genre de personne
impressionnée par la richesse et les choses superficielles.
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— Désolée, c’est peut-être un peu poussiéreux, s’excusa
Jessica en portant deux sachets de courses. Je paie une femme de
ménage pour qu’elle nettoie toutes les semaines, mais puisque
personne n’y vit, on ne peut pas empêcher la poussière de
s’accumuler.
Jessica ouvrit les portes et les invita à entrer. Les filles furent
encore plus émerveillées par l’intérieur. Shizuka n’arrêtait pas de
lâcher des « oh ! » à chaque nouvelle pièce où elle entrait ou
chaque décoration qu’elle apercevait.
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Elle entra dans un couloir et referma la porte derrière elle.
88
— J’m’en fous, j’veux nager !
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Elles commencèrent à cuisiner des apéritifs, des amuse-
gueules et des plats plus consistants.
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— Espèce de bonne à rien ! Pourquoi tu as ramené ça ?! Moi,
je me casse le cul à cuisiner avec Shizuka et Hakoto et vous vous
coupez l’appétit en mangeant ces cochonneries ?
Jessica serrait fort ses poings, faisant preuve d’un self control
incroyable pour une fois. Shizuka se demandait vraiment quand
elle allait exploser.
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— Bah, reprenons la partie. Faut profiter de la télé de Jess.
Avec elle, tout est aussi gros que ses nichons.
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— Oh my Gosh! dit-elle en se pinçant le nez.
93
C HAPITRE 2
Cela faisait plus d’une semaine que la rentrée avait eu lieu à
l’école municipale élémentaire Sakanoue de Nagaoka. Comme
nombre de bâtiments publics, elle avait été remise à neuf moins
d’une décennie plus tôt, suite à une attaque d’Anciens.
Les deux filles tendirent l’oreille. Elles étaient moins sûres que
leur amie.
94
— Hakoto, vous n’allez pas… ?
« Dégage ! »
« Tu pues ! »
« Caca ! »
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Plus jeune, on lui avait conté l’histoire du « vilain petit
canard ». Malgré ses difformités, ce canard rejeté s’était avéré
être un magnifique cygne au final.
96
silencieuse et effacée, elle savait se montrer têtue. Et malgré les
moqueries des autres enfants, les menaces de « ne plus être
copines » de Sakura et d’Asuka, malgré les réticences de
Shizuka, cette dernière lui saisit la main.
97
revirement total suite à cet événement qui avait failli coûter la vie
de leur fille.
98
feignant l’indifférence. Hakoto avait toujours été une enfant sage,
elle n’avait jamais subi de sanctions ou de réprimandes de la part
de ses parents sauf lorsqu’il était question de Shizuka, l’enfant
maudite.
99
— Tu as essayé de m’éloigner de mon soleil, femme horrible ?
Comprends donc ce que cela fait !
***
100
Shub-Niggurath, également nommée la Chèvre Noire, était
connue comme la Mère des Monstres. Même pour les autres
Anciens, c’était un être au mode de pensée abscons.
101
Trois points d’intérêt majeurs ressortaient au Mexique : les
bases reborniennes qui y avaient été établies. L’une au sud de
Tijuana qui servait de couloir pour s’étendre vers le sud. Une
autre à proximité de Hermosilo. Et la dernière à proximité de
Chihuahua. Cette dernière était en pleine zone de conflit, un
périmètre de quelques kilomètres autour avait été sécurisé.
102
Elles n’étaient pas les seules, d’autres agences avaient répondu
à l’appel et attendaient l’ordre de mission. Les filles les avaient
croisées subrepticement.
Elle était magnifique, plus encore que dans les magazines. Son
air sérieux et digne imposait le respect. Son aura était palpable et
irradiait la pièce !
103
La soldate inconnue toussota volontairement pour faire part
de leur entrée. Elle salua de manière très protocolaire, puis se
plaça debout derrière le siège où s’installa Justice VIII. Cette
dernière salua l’assemblée d’un hochement de tête, puis croisa les
mains devant elle :
104
La tête de Shizuka s’effondra sur la table alors que des larmes
s’écoulaient de ses yeux. Elin ! Mais pourquoi lui parlait-elle
comme cela ?
105
La colonelle Lyons était au moins aussi furieuse que Jessica.
Elle se retenait d’éclater de colère, ce qui se lisait facilement sur
son visage.
106
— Ne t’inquiète pas, Jessica-kun, je ne crois pas à la chance.
Ta préoccupation me fait plaisir, Elin-kun, je ne savais pas que
tu pensais à moi comme ça.
107
Jessica et Elin, personne n’avait pensé un jour voir la générale
Hamilton faire de même.
108
informations secrètes et que vous n’êtes pas en droit d’en parler
avec des personnes extérieures, mais je suppose que vous le
savez déjà.
109
— C’est donc vrai que les US Reborn sont sur les rotules…,
marmonna Elin.
— Plaît-il, Elin-kun ?
— Je n’y peux rien si son point de vue est faussé par une
mauvaise connaissance des contraintes d’une guerre continentale.
La guerre sur les îles suit un schéma différent.
110
La colonelle ne comprenait apparemment pas le japonais. Elle
se tenait droite derrière sa supérieure et observait les filles d’un
œil inquisiteur.
— Mais… ?
— Votre peuple vit dans bien trop de luxe. Si vous avez des
problèmes de pétrole, inutile de continuer à vendre des voitures
aussi puissantes que les vôtres. Investissez dans les métros, les
vélos ou autres.
111
— Mais c’est au nom de la liberté et de la justice qu’il y a un
intérêt à combattre.
— Les filles, c’est bon ? Vous avez dit ce que vous aviez à
dire ? On peut reprendre le briefing ? intervint Jessica qui était
sûrement la seule à pouvoir se permettre une telle intrusion.
112
importante que tout. Si on manque de pétrole, suffit de défoncer
des monstres et de le récupérer.
113
feras-tu l’honneur d’accepter le commandement, toi qui détestes
la hiérarchie ?
— Laquelle ?
114
— Je veux qu’officiellement, sur papier j’entends, ça soit Jess
la commandante. J’accepte de donner les ordres réels mais pas
d’être tenue officiellement responsable. Ça vous va ?
115
Assister à cet échange entre anciennes combattantes était
sûrement un spectacle d’une grande rareté. Shizuka réalisa avoir
eu une chance dont peu pouvaient se vanter et décida de graver
en elle ce souvenir.
***
— Pourquoi tu as fait ça ?
116
expression faussement naïve qui ne pouvait être interprétée que
comme provocatrice.
117
dénoncées, elle devait être humiliée et payer pour ce qu’elle avait
fait.
118
À cet instant, Hakoto frappa de sa main le mur à côté de Nico
tout en la fixant et en plongeant au plus profond de ses yeux.
Hakoto n’eut pas besoin d’en dire plus. Elle avait été
parfaitement comprise. Aussi, elle fit volte-face et se retira tandis
que Nico se laissa glisser à terre le long du mur ; elle se mit à
pleurer sans retenue.
***
119
Depuis que Shub-Niggurath avait envahi Monterrey, le
paysage urbain avait fortement changé.
120
teinte jaune évoquant somme toute l’urine. C’était un effet des
nombreux gaz et pollens surnaturels émis par cette flore absurde.
121
— Désolée, Hakocchi, mais cette odeur… j’ai envie de
vomir.
Sur ces mots, elle courut à l’intérieur d’une des grandes tentes
militaires qui avaient été installées dans le campement. Shizuka
ne put s’empêcher de se dire qu’Irina était telle une tempête : elle
semait la destruction où elle passait et allait où bon lui semblait.
122
— Ne déprime pas, Shizuka-chan, dit Hakoto. Nous avons
toutes débuté un jour, personne ne naît fort, tu sais ? Essaye
plutôt de te dire que c’est une bonne occasion pour t’améliorer.
Plus l’adversité est forte, plus tu progresses, non ?
123
— La durée n’est pas forcément gage de qualité, ne le saviez-
vous point, Yamagata-san ? Ne vous a-t-on point enseigné cela
aux US Reborn ?
124
Aussitôt, les deux femmes vinrent à sa rescousse et lui
tapotèrent le dos, tout en se défiant du regard par-dessus son
épaule.
***
Six filles étaient attablées. En tête, les pieds posés sur la table,
les jambes nues et uniquement vêtue d’un large pull qui ne
parvenait pas à dissimuler sa culotte imprimée se trouvait Elin, la
dirigeante de l’opération.
125
Vêtue d’une combinaison moulante qui révélait sa généreuse
poitrine et équipée d’un casque avec micro sur sa tête, elle
utilisait une console reliée à nombre d’équipements dont un
grand écran souple où était affiché la battle grid, une carte de la
région quadrillée avec divers points lumineux.
126
— Toujours pas de signe des Rainbow ? demanda Hatsume
qui ne comprenait manifestement pas l’anglais.
Sur ces mots, Jessica leva le pull d’Elin, qui couvrait déjà
difficilement ses sous-vêtements, et les dévoila entièrement.
Cette fois, c’était une culotte blanche avec une tête de chèvre
noire dessinée dans un style kawaii.
127
— Voilà ! Ça c’est la légendaire Elin des Flammes Noires !
La plus puissante majo de Kibou ! Hahaha ! Vous êtes vraiment
impressionnées ?
Bien sûr, Elin n’avait que très peu de pudeur, et sans rougir,
elle laissa Jessica faire. Plus encore, elle fit un signe de victoire
en direction des deux spectatrices.
128
En effet, l’un des avatars de Shub-Niggurath était la chèvre
noire qui avait sûrement inspiré les représentations de Satan dans
le folklore chrétien.
129
Cette combinaison de pouvoirs était une providence, avait
pensé Elin lorsqu’elle avait fait la connaissance des deux agences.
— Vous avez vu juste. Avec son autorisation, j’ai posé sur elle
diverses caméras reliées à des transmetteurs d’ondes longues. Et
je complète les données grâce à des drones furtifs. J’avais un peu
peur que ça attire l’attention des monstres, mais finalement non.
130
Hatsume prit la pose et continua de rire de manière exagérée.
D’un seul coup, Sueno avait envie de se cacher de honte. Sa chef
en faisait toujours bien trop…
— Elles les méritent toutes les deux. Bref, passons, dit Elin.
Je suis contente de voir que vous avez des compétences qui
manquent à nos agences purement offensives.
131
— Ah euh… désolée !! Voi… voici le dernier rapport de
terrain. Quels sont les ordres ?
— Kyaaaaa !!
132
Elin était la seule à avoir un niveau d’anglais suffisant pour
comprendre deux natives, mais elle ne paraissait pas les écouter.
133
dos. Bon, tu lâches Sueno-chan ou il faut que je te passe en cour
martiale ?
134
Les ignorant, Elin se rapprocha de Sueno :
— Entendu !
***
135
Shizuka grimaça malgré elle. Manger. Descendre la colline
pour entrer dans cette jungle infernale. Elle avait envie de vomir
rien que d’y penser. Malheureusement, c’était la mission.
— Euh… peut-être…
Une autre main vint également se poser sur elle et lui caressa
le front : c’était celle d’Hakoto. Les deux mains étaient douces et
délicates, c’était des mains de jeunes femmes de bonne naissance
qu’on ne pouvait suspecter à première vue d’appartenir à des
combattantes.
136
Au fond, Shizuka aimait plutôt bien être couvée de la sorte.
— Aaaaahhhh !
— Qui… ? Qui… ?
137
— Il y a un problème ici ?
— Vous avez fait des cochonneries toutes les deux ? Faut que
je vous laisse ?
138
Ce faisant, elle finit par involontairement heurter la tête de
Shizuka ; accompagnées d’un son sourd, elles tombèrent toutes
deux à terre.
— Vous êtes trop drôles, toutes les deux ! Vous faites un duo
comique ? Hahahaha !
139
— Vous avez toutes les deux des cheveux super doux ! Je
pourrais continuer toute la journée. Au fait, vous embêtez pas
avec les formules de politesse, je suis plus jeune que vous…
140
Shizuka soupira intérieurement : encore un record battu par
Elin. Combien d’autres en avait-elle battus ? se demanda-t-elle.
— Ça va ? demanda Kei.
141
— Héhé ! Tu peux le dire ! dit Anna. C’est notre fierté
nationale ! T’as de la chance de travailler avec elle !
C’était logique.
142
Sur ces mots, Shizuka commença à se mettre à sangloter. Elle
venait d’exposer ce qu’elle avait sur le cœur et se sentait donc
vulnérable.
— Kei-chan !
— Shizuka-chan !
143
Tout en pleurant, elles s’enfoncèrent dans l’imposante poitrine
d’Anna. Cette douceur était à même de leur rappeler les câlins
maternels, quand bien même elles ne les auraient pas connus (ce
qui n’était pas le cas de Shizuka).
Puis…
— Moi aussi…
144
En les mettant en bouche, les deux filles cessèrent de pleurer
comme par magie. De doux souvenirs leur revinrent, elles en
oublièrent même la puanteur ambiante.
145
— Absolument pas. C’était « kagayaki ».
146
« filles adorables » à… à… « meufs en sueur », quelque chose
comme ça…
147
***
148
En cette fin d’après-midi hivernale, à quelques jours de Noël,
sous un ciel blanc qui annonçait une probable tombée de neige,
les deux filles s’étaient rendues au centre commercial à
l’architecture moderne : le City Hall Plaza Aore Nagaoka.
149
— Shizuka, en fait, je t’aime ! Je sais que c’est bizarre et que
nous sommes deux filles, mais depuis longtemps, je t’aime à la
folie !
150
Sur ces mots qui cachaient une profonde tristesse, sans laisser
à Shizuka le temps de prononcer la moindre phrase, Hakoto la
serra dans ses bras avant de s’enfuir.
***
151
Même si Hakoto s’était proposée pour préparer à manger, elle
n’avait pas d’ingrédients ni d’ustensiles, aussi durent-elles se
contenter de rations militaires fournies par l’armée.
— T’es une gentille fille, toi, dit Anna en souriant. Cela dit,
personne ne mange les rations reborniennes…
152
Hakoto, d’habitude si bienveillante, affichait une expression de
sincère dégoût et parlait avec des mots plutôt durs. Shizuka se
rendit compte que son amie d’enfance était non seulement plus
patriote que dans ses souvenirs, mais également exigeante en
matière gastronomique.
153
— J’ai pas dit ça !!!
***
154
Cette agence à la renommée internationale, établie aux US
Reborn, accueillait trente-trois membres ayant toutes des
compétences musicales : chant, danse, composition ou
instruments. De fait, en plus de leur métier de mahou senjo, elles
se produisaient fréquemment sur scène.
155
des troupes et, sans émotion, s’avança vers les nouvelles
arrivantes.
156
Ainsi, Chloe avait un look plus R&B, tandis que Paradise était
plutôt gothique.
157
Elle ne comprenait pas ce qui se passait réellement mais ces
rires ne lui présageaient rien de bon.
— Quoi ? Sérieux ?
158
— À titre personnel, je les déteste, reprit Hakoto. Ce n’est
pas la première fois que nous travaillons ensemble. En vrai, mis
à part le grand public, elles sont plutôt haïes par la plupart des
officielles et des agences du pays.
— À ce point ?
Elle aurait aimé croire que parmi les membres des Rainbow
ses amies n’avaient côtoyé que les pires. Elle aurait aimé se
raccrocher à cette idée mais celle-ci tomba tel un château de
cartes. Paradise était dans le top 5 de l’agence, sa réputation
n’était plus à faire. Si même elle se comportait ainsi…
159
— Du pipeau ! répondit Sandy. C’est sûr que quand on
allonge la monnaie, on peut prendre le rang qu’on veut…
160
Les filles de l’agence parurent choquées. Elles n’étaient pas
habituées à ce qu’on leur parlât de la sorte. Une fois surprise
passée, elles affichèrent des expressions pleines de colère. Alors
qu’elles allaient se mettre à protester, Paradise leva la main pour
leur intimer le silence.
— Je vois que notre petite blague n’a pas été comprise par la
grande Elin. J’en suis navrée ! L’agence Ultimate Rainbow ne
saurait être mise à l’écart de cette mission, nous avons un contrat
avec l’armée.
161
Invincibles, c’est ça ? Je ne me laisserai pas faire, je vous
préviens !
162
Jessica n’était plus d'humeur à rire. Elle était entrée dans le
jeu d’Elin et observait sa montre avec sérieux.
163
— Pour une fois que je te trouvais cool…, marmonna-t-elle en
soupirant.
164
C HAPITRE 3
— Tu te sens d’attaque, Yamare ? demanda Kowata.
165
supérieure juste au-dessus d’une bouche garnie de crocs. Elle ne
marchait pas mais rampait au sol du haut de ses deux mètres.
— C’est Yamare !
Sur ces mots, elle salua Yamare en levant les bords de sa jupe
et en fléchissant la jambe.
166
Shinno Yamare appartenait à l’archétype des « bizarres », les
inclassables. Son pouvoir était de type « nuée ».
— D’accord !
167
— Ch’suis Irina ! Dis dis ! J’peux te toucher ?
— Je passe !
168
Irina enlaça Yamare et y frotta même ses joues. Se rendait-
elle compte qu’elle touchait le corps d’une jeune femme et non
celui d’un monstre ?
169
Les autres filles ignoraient à quoi correspondaient ces
appellations, mais elles les avaient malgré tout repérées sur la
carte ; elles n’avaient pas besoin d’en savoir plus.
170
gants à fourrure avec des griffes. Plutôt qu’une fille-tigre, on
aurait plutôt dit un cosplay.
171
Sur ces mots, elle prit la tête du convoi et le groupe reprit sa
progression sur cette ancienne route à plusieurs voies à présent
envahie par la nature sauvage.
172
— Mmmmm, ce regard désemparé… implorant… il est
magnifique, dit Vivienne avec une expression joyeuse et la main
posée sur la joue.
***
173
Un grésillement, puis la voix monocorde d’Elin. À travers le
transmetteur, plus que jamais, Jessica eut l’impression de parler à
un robot.
174
Les rues et bâtiments étaient en grande partie détruits ou
intégrés au développement de cette folle végétation.
175
Pendant le temps d’attente, Jessica transmit ces informations
au groupe.
176
— Faut surtout rester à distance des Serviteurs et s’occuper
des Shub'thyres en premier, c’est des sorciers compétents pour la
plupart. Au pire, si ça devient trop difficile, nous procéderons à
une retraite. Notre mission n’est pas l’extermination, même si
c’est une stratégie envisageable.
177
— Hein ? Quel intérêt ?
178
Yueka, qui était en réalité plus jeune que son interlocutrice,
avait l’air bien plus mature avec son mètre soixante-quinze et sa
confiance en soi. Sous sa forme de combat, elle était une
« classique », ses vêtements étaient ceux d’une magical girl de
fiction. Ses cheveux à présent violets étaient attachés en deux
couettes dont la base était un chignon. En japonais, on appelait
cette coiffure dango twintail en raison du rapprochement des
chignons avec cette pâtisserie.
Kei était très appréciée par les filles de son agence. En tant
que « petite novice », elle passait pour la mascotte, bien qu’en
réalité, avec seulement trois mois d’engagement dans l’agence, ce
fût Yueka la plus jeune et la plus récente des recrues. Mais son
rang et surtout son style lui donnaient une tout autre place.
179
En observant les forts liens qui liaient les Kabayaki, Hakoto
se sentit un peu jalouse. Elle s’approcha de Gloria et lui dit en
anglais :
— Tu vas bien ?
180
— Tu ne t’en rends pas compte mais tu es une comique, dit
Hakoto en accompagnant ses paroles d’un geste de la main.
181
— Tsss ! N’importe qui le serait ! Mais bon, je connais ta
sombre personnalité, je ne vais pas m’en offusquer. Nous
discuterons de Shizuka une autre fois...
182
<< Nous sommes en place. Tu peux attaquer, Jess. >>
Sur ces mots, Jessica fit signe aux filles derrière elle et
l’opération débuta.
— À l’attaque !
Comme s’il s’agissait d’un rite bien connu, Kei, à ses côtés,
leva les mains et fit apparaître autour d’elle un cercle magique :
« Boost up!! ».
183
Son pouvoir était de type « vecteur » et son orientation,
« magicienne ». Bien qu’encore débutante, ses capacités lui
permettaient d’accélérer, ralentir et même renvoyer des attaques
cinétiques. Il y avait toutefois quelques limites : elle ne pouvait
pas l’utiliser sur son propre corps et elle devait impérativement
observer les vecteurs qu’elle voulait affecter. Ces limitations
faisaient d’elle une magicienne de soutien et de défense.
— Jess is awesome!
184
— Si c’est comme ça, va falloir mettre les bouchées doubles !
Sur ces mots, Riana fit apparaître des débris de verre devant
elle et les projeta sur les cibles les plus proches : deux Sombres
Rejetons qui se trouvaient à mi-chemin entre l’édifice et sa
position.
185
Après une profonde inspiration, le visage crispé et les
intestins remués par le stress, Kei se tourna vers les autres filles
et rassembla toutes ses forces :
186
— Hatsume-chan ! Hakoto-chan ! Concentrez vos tirs sur les
barrières ! Il faut ouvrir la voie avant que la vague magique de
flétrissement ne commence !
Mais, à ce moment-là…
187
Profitant de son accélération, Sandy se projeta sur la barrière.
Poing en avant, elle canalisa sa magie de gravité pour l’alourdir.
Mais ce qui vint percer cette défense fut une énorme lance.
Elle fit voler la barrière en éclats et poursuivit sa trajectoire en se
fichant dans la paroi de la tour.
188
— Je ne comprends toujours pas ton charabia, chef…, se
plaignit Kei d’une petite voix.
— À mon tour !
Sur ces mots, elle fit apparaître une sorte d’anneau métallique
autour d’un groupe de sorciers Shub'thyres et se laissa retomber
à l’intérieur.
— Vous voici pris dans mon piège. Nul n’en sortira vivant !
189
indépendamment chaque tête issue de ce faisceau, elle pouvait
créer une véritable tempête d’attaques.
Les attaques n’étaient pas suffisantes pour les tuer tous d’un
seul coup, d’autant plus qu’ils se régénéraient à vue d’œil, mais
elles étaient si imprévisibles et rapides que malgré leurs boucliers
magiques, les Shub’thyres ne pouvaient se défendre
correctement.
190
leurs tentatives d’attaque se soldaient par des échecs et ils étaient
enfermés avec un bourreau qui les tuait à petit feu.
191
Même s’ils ressemblaient à des primitifs, leurs armes n’étaient
pas de simples morceaux de bois et de silex, mais des objets
enchantés par la sombre magie de leur déesse.
Contre toute attente, ces armes étaient plus puissantes que les
massues : deux d’entre elles transpercèrent le mur, l’une se ficha
dans le tapis volant d’Hakoto qui disparut aussitôt, tandis que
192
l’autre frôla le bras de cette dernière où il laissa une entaille
profonde.
Elle considéra son kimono, qui était rouge à présent. Elle dut
même s’essuyer les yeux pour dégager sa vue. Jessica souffla sur
le canon de son arme, afficha un regard de défi et garda le
silence. Hakoto grommela encore un bref instant, puis cessa de
se plaindre ; sa chef venait de la sauver.
193
La pointe en silex pénétra son flanc. Le sang jaillit
abondamment.
194
des silex, peut-être à cause de quelque obscure magie qui avait
imprégné l’arme de son assaillant.
Elle enfonça les doigts dans la plaie. Kei hurla encore plus
fort et agrippa cette fois les deux bras de sa chef. Jessica
semblait chercher quelque chose à l’intérieur des entrailles de la
pauvre fille.
195
Kei poussa un dernier cri de douleur puis, un peu soulagée,
bien que continuant à saigner abondamment, elle s’évanouit en
reprenant sa forme normale.
Hatsume avait les larmes aux yeux. Sans l’aide de Jessica, elle
aurait probablement perdu Kei, dans ses bras, incapable de la
sauver. Elle baissa sa casquette pour dissimuler ses traits tirés.
— Hein ?
196
— Ordre reçu ! Ouverture des hexagrammes alternatifs
maudits. Je… je retourne au combat. Protégez… Kei-chan…
— Aaaaaaaaaaaaaaahhhh !
— Mais…
197
Hakoto grimaça avec frustration, mais se rendit compte que
Jessica avait sûrement raison. Outre la probabilité d’une attaque-
surprise sur le campement, il était possible qu’elle fût
empoisonnée : elle se sentait un peu nauséeuse.
***
Les filles jetaient des œillades dans la direction des tirs, mais
Elin pointa le sol et leur désigna l’empreinte géante d’un sabot.
198
— C’est quoi, Elieli ?
Elin fit face à toutes les filles en même temps et donna les
instructions :
199
— Qu’allons-nous affronter ?
— Un avatar.
— À vos positions.
200
Même s’ils étaient plus faibles que les originaux, les avatars
étaient malgré tout classés en niveau de menace Élite. Souvent,
ils étaient même bien plus dangereux qu’un monstre Élite
normal, leur puissance se situant entre ce niveau et celui de
l’Ancien originel.
201
— Son sang est empoisonné, recouvre-toi de métal, Iri-chan.
Quant à toi, Yamare-chan, fais attention : son poil huileux risque
d’interférer avec ton acide. Vous toutes, s’il commence à rugir,
c’est qu’il va projeter un rayon laser par sa bouche. Quand ce
sera le cas, dispersez-vous et cachez-vous. Sauf toi, Shi-chan, si
ça arrive, tu rejoins Vivi-chan, OK ?
Lorsqu’elle leva les yeux vers ceux du monstre, elle frémit. Ils
étaient rouges et vitreux, ils exprimaient la bestialité. On ne
pouvait en aucune manière les rapprocher de ceux d’un humain ;
en face d’elle se trouvait une bête féroce et sanguinaire.
202
Autour d’elle, des dolmens formaient un cercle. Elle n’en avait
vu qu’en photographie sur internet, et elle ne savait même pas s’il
en existait encore dans le monde.
203
Shizuka blêmit. Elle avait peur de comprendre.
204
Elin s’envola et tourna autour de l’avatar en projetant des
boules de flammes noires. Elles désintégraient le pelage, mais
presque aussitôt il repoussait et les brûlures disparaissaient. La
régénération biologique de la Chèvre Noire était encore bien plus
rapide que celle des Shub'thyres et reflétait son lien étroit avec la
Puissante Ancienne.
— OK !!
205
C’est alors que Kowata bondit dans les airs et retomba avec
force sur le ventre de l’avatar. Son pied était entouré d’une vive
lumière blanche et produisit un flash à l’impact.
206
— Euh… je veux bien descendre et aider les filles.
207
Shizuka n’entendit pas tous les mots, mais devina clairement
de quoi il en retournait. Elle recula d’un pas, apeurée, tandis que
Vivienne s’inclina en levant les bords de sa jupe.
208
Elle inspira et expira calmement puis tenta de faire le vide
dans son esprit, comme le lui avait appris Elin. Il suffisait de se
concentrer sur les flux de magie et de ne pas laisser les mauvaises
pensées la perturber.
209
les attaques combinées de la seconde ligne. La Chèvre Noire ne
parvint pas à l’esquiver et poussa un cri de douleur avant de
contre-attaquer d’un coup de pied. Kowata interposa sa barrière
réactive qui se brisa presque immédiatement et fut projetée à son
tour par la violence de l’impact.
210
Les deux monstres étaient ses invocations, des créatures issues
du concept de « Chaos », la base de la magie de Naruru. Les
créatures qu’elle invoquait n’avaient jamais les mêmes allures,
jamais les mêmes capacités et pouvoirs. C’était une sorte de
tirage aléatoire. Tantôt elles maîtrisaient le feu, tantôt
l’électricité, tantôt elles avaient des carapaces, tantôt elles avaient
des ailes, elle ne pouvait jamais décider. Son pouvoir n’était
absolument pas prévisible, ce qui était à la fois sa faiblesse et sa
force.
211
Les deux bras en moins, la Chèvre Noire ne pouvait pas
défendre le trou dans sa poitrine provoqué par les précédentes
attaques.
212
Il hurla une fois de plus alors qu’une roquette d’Anna venait le
percuter au même endroit, creusant un large trou jusqu’à son
cœur. Le sang noir giclait partout et obligea Irina et Kowata à
reculer pour ne pas en être aspergées ; la Chèvre noire était
empoisonnée, d’après les dires d’Elin.
Sauf Shizuka.
Son dernier tir avait vidé ses réserves magiques, ses jambes
étaient devenues si molles et faibles qu’elle était tombée à genoux
et ne pouvait plus se relever.
213
Shizuka ne pouvait pas suivre les ordres, Elin serait sûrement
fâchée… Mais il y avait également le risque qu’elle ne survive
pas à l’attaque. En pleine panique, elle se mit à pleurer et essaya
de bouger son corps malgré tout, mais en vain.
« Samaël. »
214
Son corps s’enveloppa de flammes noires concentrées et, alors
que l’homme-chèvre ouvrait la bouche pour tirer le rayon laser
géant qui laisserait des marques de destruction sur les environs,
elle fonça droit sur sa cible. Le rayon et ses flammes se
heurtèrent, chacun se repoussant en cherchant à vaincre l’autre.
***
215
L’état de Kei était enfin stable mais elle avait besoin d’être
hospitalisée dans un environnement moins corrompu par les
spores et pollens de Shub-Niggurath. Même si le pouvoir de
Sueno lui donnait l’accès à une clinique propre et stérilisée, l’air
qui passait à travers les filtres de ventilation était chargé de
bactéries, de spores et de pollens surnaturels. Il était judicieux de
l’évacuer au plus vite.
216
Mais ces remerciements firent grincer des dents Jessica qui
fixait le sol.
217
sommes des guerrières, ainsi vont les choses. Ce… ce fut un
honneur d’être sous vos ordres à toutes les deux. Vraiment !
— Tu pleures ?
218
— Raconte pas n’importe quoi !! C’est juste ce pollen
bizarre…, protesta Jessica en s’essuyant avec ses manches.
Elin vérifia une fois de plus qu’il n’y avait personne hors des
tentes. Il était préférable qu’aucune des filles de NyuuStore ne vît
sa chef dans cet état de confusion.
— De quoi tu parles ?
219
Jessica eut un soubresaut et son visage s’emplit de désarroi.
220
La Major General eut un moment de surprise, puis une
expression de tristesse se dessina sur ses traits.
— Le lait de Shub-Niggurath.
221
sûrement au courant, et cet endroit aurait risqué de devenir un
bastion important de l’Ancienne. Mais ce qui m’inquiète plus
encore est la suite : les supérieurs comptent en faire quoi, du
lait ? Du carburant peut-être ? De l’engrais ?
— Quoi ?
222
— Ne t’inquiète pas, Aby, l’interrompit Elin. J’ai l’habitude de
ce genre de choses et Jess aussi. Dis à tes supérieurs de prendre
soin de Kei-chan et de payer les frais d’hospitalisation. On sera
quittes.
223
C HAPITRE 4
— Sandy, tu devrais vraiment en coller une à ton enfoiré de
vieux.
224
Parmi les plus pauvres, certains occupaient les ruines de
Tijuana, un endroit des plus délaissés, en proie à la criminalité et
refuge des pires cultistes qui y opéraient au grand jour. Malgré
les descentes des magical wargirls officielles, ces derniers
pullulaient et leurs rangs ne cessaient de croître. Pire encore, les
cultes attiraient les dépossédés tel un papillon à la flamme en
jouant sur le peu d’espoir qui leur restait.
Ce fléau prit une telle ampleur que les habitants de San Diego
inquiets obligèrent le gouvernement à bâtir une base militaire au
sud de Tijuana, à la sortie de la ville, afin de calmer l’opinion
publique. En vérité, sa principale fonction était simplement de
protéger la frontière en cas d’invasion par le sud, et la traque aux
cultistes était secondaire.
225
parler que dans les journaux à scoop sans y prêter plus
d’attention.
Sara avait elle aussi quinze ans à cette époque. Elle était un
peu plus petite que Sandy et son teint de peau hâlé indiquait des
origines hispaniques. Sa belle chevelure noire était ondulée.
226
Même si elle s’habillait de manière provocante, elle avait
toujours sur elle deux micro-uzis prêts à l’usage.
Les murs du vieil entrepôt qui leur servait de base avaient été
rebouchés grâce à des cartons et des planches de bois ; le sol
était irrégulier et l’intérieur plongé dans la pénombre.
— En même temps, t’en sais que dalle s’il ne fait rien de mal
là, juste maintenant, dit Sara en se réchauffant les mains.
Sandy savait que la réalité n’avait rien à voir avec son image
de normalité. Richard n’était pas l’homme que tous pensaient.
Son travail n’avait rien d’honnête : il était homme de main pour
la pègre locale. Trafic de stupéfiants et autres tâches illégales
ingrates étaient son lot quotidien.
227
C’était à l’âge de 10 ans qu’elle avait entendu par erreur une
discussion entre Richard et un de ses mystérieux associés. Elle
avait vu son vrai visage : son père était un homme hypocrite,
rongé par la honte et les remords. Il s’écrasait devant les
puissants et passait ses nerfs sur plus faible que lui.
228
reste. Cela faisait cinq semaines à présent que l’incident avait eu
lieu.
229
Tout comme Sara ou Sandy, il était issu d’une famille pauvre,
mais pas au point d’habiter à Tijuana ; rejoindre le gang était
donc son choix, qu’il n’avait jamais expliqué.
230
Puis il se retourna et annonça d’une voix forte à l’intention des
autres membres du gang :
— Eh, les gars ! Qui est chaud pour sauver la sis de notre
Sandy ?
231
gang, John. On attendait depuis un moment que tu demandes
notre aide, t’sais ?
232
— Bet… ty ? Qu’est-ce… ? Aaaaaaaaaaaahhhhhh !! cria
Sandy face à ce spectacle d’horreur.
233
Quant à Lidia, absente lors du rituel, elle avait perdu la raison
face à la vue de l’horreur qu’elle avait découverte en rentrant.
Elle s’était suicidée quelques jours plus tard dans l’hôpital
psychiatrique où elle avait été amenée.
***
234
La répartition avait été proposée par les deux chefs, et il y
avait bien sûr eu quelques protestations.
Lorsque, soudain…
235
Deux roquettes avaient touché les véhicules, trop faiblement
blindés pour y résister. Ils avaient été projetés dans le décor en
effectuant plusieurs tonneaux.
236
L’individu dégaina un objet brillant et métallique que l’œil de
Sandy reconnut sans mal être un couteau. Il saisit la tête de
Shizuka inconsciente.
Elle hésita.
*Bam Bam*
237
La première balle perfora la gorge de l’inconnu. Avec le recul,
la seconde ravagea son visage en entrant par sa bouche. Il
s’effondra aussitôt.
238
Déconcentrée, elle ne les aperçut qu’au dernier instant. Il était
trop tard pour se transformer et sous sa forme actuelle, elle
n’était pas suffisamment vive pour les esquiver.
Frappant les deux rayons de ses poings, elle les dispersa, puis
fonça à pleine vitesse sur ceux qui les avaient tirés : deux
individus perchés sur un toit à une vingtaine de mètres de là. Il
s’agissait de deux cultistes portant le même accoutrement que
celui que venait d’abattre Sandy. Mais à la place de la cagoule, ils
avaient des masques sur le visage.
239
Mais Irina, de manière tout aussi imprévisible, changea
également de cible et porta un coup de poing au sorcier numéro
deux. Privé de sa barrière, le violent coup le projeta contre un
mur voisin. Elle ne lui laissa pas le temps de se reprendre, et vint
lui broyer la tête d’un nouveau coup.
— Yeah !!
240
corps inconscients de ses amies. Plus loin, elle aperçut également
ceux des conducteurs.
Sur ces mots, elle attrapa d’abord ses deux collègues, puis les
deux soldats et les transporta tous en même temps, à l’intérieur
d’un bâtiment voisin qu’elle déblaya par le biais de sa magie de
gravité.
Elle les disposa les uns à côté des autres. Elle n’avait aucune
compétence médicale, simplement quelques notions apprises
avec son ancien gang.
Néanmoins, elle remarqua bien vite que l’un des deux soldats,
celui qui était assis du côté des explosions, ne respirait plus. Son
corps était en partie brûlé et de nombreux débris de verre y
étaient logés. Il était probablement déjà mort. Pour sa part, le
conducteur était encore en vie, bien que dans un sale état.
— Même si Sandy dit ça, elle ne sait pas quoi faire ! Vite,
Jess ! Viens nous aider !!
241
Pendant qu’elle faisait les cents pas dans cette pièce en se
demandant quoi faire pour les sauver, son optimisme habituel
une fois transformée disparut et elle reprit sa forme normale sans
s’en rendre compte.
Elle prit son pistolet dans une main, puis, de son autre main,
elle fouilla une de ses poches et en tira un paquet de cigarettes.
Elle ne fumait plus beaucoup. Autrefois, lorsqu’elle avait été
engagée par Jessica, elle achetait un paquet par jour au moins,
mais peu à peu, sa consommation s’était naturellement réduite.
242
Est-ce que cela voulait dire qu’elle se sentait mieux
mentalement ? Qu’elle n’avait plus besoin de cigarettes pour
calmer ses nerfs ?
Elle soupira.
***
243
L’horreur était encore fraîche dans les esprits de ceux qui y
avaient assisté. C’est pourquoi ils avaient décidé de purger
Tijuana.
244
Les autres gangs locaux en étaient venus à les éviter, leurs
effectifs devenant de jour en jour plus impressionnants.
Puisqu’ils ne menaient plus de guerre de territoires, les affronter
devenait inutile pour eux.
245
automatiques devinrent des fusils d’assaut et ils achetèrent
quelques fusils de sniper, armes particulièrement efficaces pour
prendre l’ennemi au dépourvu. En outre, ils employaient à
présent des charges de C4 pour faire s’écrouler les édifices sur
leurs cibles.
246
Le gang fut contraint de s’enfermer dans son QG avec les
survivants secourus en chemin et c’est ainsi que le piège se
referma sur eux.
Sous ses yeux impuissants, elle vit Antonio se faire étriper par
un Ancien, puis ce fut le tour de Sara, torturée par deux cultistes.
Sandy eut beau se débattre, hurler, elle ne parvint pas à se
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dégager de l’étreinte qui la retenait. Elle ne pouvait que regarder
ceux qu’elle aimait souffrir et mourir devant elle.
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Cette noirceur… ce mal… il ne pouvait être enfoui dans le
cœur des hommes. C’était impossible !
Leur défense fut vaine. Ils furent tout aussi impuissants que
ne l’avait été le gang de Sandy quelques heures auparavant.
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Un ange de mort avait répondu aux prières incomplètes de
Sandy : il se nommait Jessica Whitestone, une femme qui n’était
pas un Ancien mais une magical wargirl. L’image de Jessica et
des deux autres filles qui flottaient dans les airs, avec pour fond
un ciel rouge sang, s’imprima dans les rétines de Sandy, qui ne
tarda à sombrer dans l’inconscience.
Perdre son œil lui avait offert une nouvelle vision. Elle n’était
plus éblouie par les illusions que tout le monde superposait au
réel. Elle avait vu la face la plus sombre de l’Humanité, puis la
part la plus cruelle de la destinée.
— Je… J’sais pas qui t’es. J’connais pas ton nom, mais… S’il
te plaît, par tous les dieux et saints du ciel, aide-moi à me
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venger ! Je… j’vais les étriper, tous ces putains de sorciers…
jusqu’au dernier !
251
— Connais-tu le nombre de morts de la nuit du massacre à
Tijuana ?
Bien sûr, Sandy n’en savait rien. Elle avait été inconsciente.
Elle pouvait juste dénombrer la soixantaine de personnes qui
composaient son gang disparu.
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— Tu crois que ça aurait servi à quelque chose, bordel ? Tu
crois qu’une traîne-patins comme moi aurait été écoutée ?
répondit Sandy avec véhémence, le poing serré et les traits
encore plus déformés. Tu es complètement à côté de la plaque si
tu crois que les magical se seraient bougé le cul pour des gens
comme nous !
253
Jessica baissa les yeux et, d’une main, elle saisit son bras dans
une attitude qui exprimait une tension intérieure et des regrets.
Elle ne mentait pas, ce n’était pas la première fois qu’elle
intervenait de son propre chef à Tijuana, mais pour chaque
cultiste abattu, d’autres prenaient leur place.
254
Pendant quelques semaines, Sandy resta vivre aux côtés de
Jessica : elle n’avait nulle part où se rendre désormais.
— Te… rejoindre ?
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Ces paroles frappèrent Sandy et pénétrèrent au plus profond
d’elle. Elle garda le silence pendant quelques jours encore, puis
elle finit par accepter la proposition de Jessica.
Elle avait raison, il n’y avait qu’une seule bonne chose à faire :
empêcher d’autres personnes de devenir les victimes de ces
traîtres au genre humain.
***
256
Alors qu’elle se posait nombre de questions pour recomposer
ses souvenirs hésitants, une silhouette apparut dans son champ
de vision, une tête argentée qui lui souriait à pleines dents : Irina.
— Yahooo ! Ça va ?
— Irina ?
— Et tu vas bien ?
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renvoya un bruit étouffé tandis que sa main s’enfonça dans son
imposante poitrine.
Shizuka plissa les yeux. En vérité, plus que les seins, c’était
surtout ce corps incroyablement solide qu’elle lui enviait, mais
bien sûr, Irina n’était pas allée jusque-là dans la compréhension
de ses propos.
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— Et les autres ? s’enquit Shizuka.
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fondre en larmes. Elle réalisa soudain qu’elle aurait pu mourir
sans même réagir, sans même comprendre.
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— Réconforter une consœur dans le besoin est un acte
normal, vous savez ? Mais nous supposons à juste titre que votre
sensibilité est restée accrochée aux zones adipeuses de votre
anatomie au lieu d’arriver jusqu’à votre cœur.
261
Son attention était tournée vers Hakoto et Vivienne. Ces
dernières l’observèrent, puis se jetèrent une œillade complice.
Sans mot dire, elles l’ignorèrent et continuèrent de câliner
Shizuka.
262
— Mais j’veux savoir !!
***
263
Pendant qu’elles étaient toutes affairées à se préparer au
départ, Sandy observa le paysage par la fenêtre. Cette ville lui
évoquait tant de souvenirs…
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Un sourire triste et cynique apparut sur son visage. Elle perçut
enfin la petite voix qui l’interpelait pour la troisième fois.
Sandy se retourna.
— C’est grâce à toi que j’ai survécu et que je suis encore là.
Je… je… je t’en suis très reconnaissante !
— C’était flou… mais on m’a dit que nous avons été prises
pour cible par des sorciers, pas vrai ?
— Ouais et… ?
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— Pffff ! T’sais, j’étais pas seule à vous sauver : Irina aussi
s’en est occupée.
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— Ah… euh… d’accord. Comme je le disais, c’était
sûrement mon imagination… Désolée de t’avoir importunée avec
ça.
Sandy se leva et, les mains dans les poches, se dirigea vers la
sortie.
— Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai pas tout de suite percuté,
poursuivit-elle sous le regard des deux autres. Y avait le feu, j’ai
de suite pris les deux soldats avant que ça n’explose…
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— Ah bon ? J’savais pas ! Mais dans les films et les anime ça
explose tout le temps donc j’ai pensé qu’y z’étaient en danger…
— Tssss !!
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— Non, c’est juste l’émotion.
Sur ces mots, Irina frotta sa joue contre celle de Shizuka, puis
sans lui demander son accord, elle la souleva et la prit dans ses
bras. C’était à nouveau la manière de porter une princesse.
Sans écouter, elle se mit à courir avec Shizuka dans ses bras
comme si elle portait un simple sachet de courses.
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— Tant pis…
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C’était ce que Jessica lui avait appris : avancer en portant le
fardeau de ses péchés.
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É PILOGUE
— En fait, il semblerait que nous n’étions pas les cibles,
expliqua Jessica. Ce genre d’attaque arrive parfois, des cas
d’ésoterrorisme… Pas de chance pour eux, on leur a réglé leur
compte !
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— C’est Jess, que veux-tu ? dit Elin avec sa voix désabusée.
Ah tiens, au fait… On a eu des nouvelles : Kei va bien. Elle va
s’en tirer sans aucune complication.
— J’y passerai à leur place, dit Elin. On est sur ton territoire,
occupe-toi des formalités de l’hosto. Je m’occupe d’aller au
cimetière.
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Jessica ferma les yeux et retint sa colère.
— Yep.
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Elin la fixait droit dans les yeux. Shizuka ne parvint pas
longtemps à soutenir l’échange visuel.
— Je sais, Jess.
— COOOOOOL !!!
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Hakoto et Sandy sourirent, elles étaient à ce point habituées
au luxe de la villa qu’elles en avaient oublié l’émerveillement
d’une personne normale.
— Oneesama…
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Shizuka, malgré sa tristesse, ne put s’empêcher de faire de
même :
Cette gentillesse était l’une des choses qui avaient fait craquer
Hakoto depuis fort longtemps. À cet instant, elle darda dans sa
direction une œillade emplie de tendresse et de nostalgie.
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— C’est incroyable ! Pourquoi tu ne t’habilles pas toujours
comme ça, Elin ? demanda Shizuka.
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— C’est mieux que nue, non ?
***
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tandis qu’Elin, imitant les sénateurs romains des péplums, était
couchée sur le canapé.
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— Non ! C’est quoi ces menaces, demi-portion ? Mais, c’est
juste que… quand tu agis comme ça… on dirait que je ne
compte pas…
— J’ai pas mal de choses à dire, je ne sais même pas par quoi
commencer…
— Faire quoi ?
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pas, mais tu m’as sauvé la vie autrefois et j’ai voulu devenir une
mahou senjo pour un jour être comme toi.
— Vraiment ?
— J’avais raison. Mieux vaut tard que jamais, pas vrai ? J’en
ai mis du temps à découvrir que tu jouais la rebelle pour ne pas
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te laisser utiliser, sans Sandy je pense que je n’aurais pas encore
compris…
— Menteuse. Hahaha !
283
Jessica, le visage rouge, autant en raison de l’ivresse que de sa
gêne, finit par reculer et s’éloigner sur le canapé.
— Pourquoi ?
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— Lorsque je vois Shi-chan, je me demande parfois si ma vie
aurait été différente avec mes parents à mes côtés.
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Elle marqua une pause et posa sa canette vide sur la table
basse devant elle.
— Mais ton cas n’est pas aussi désespéré, j’en suis sûre.
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— Comme lorsque tu as affronté Vrexuh ?
Jessica se mit à rire une fois de plus. Elle trouvait fou à quel
point Elin semblait tout savoir. Jessica arrivait à tromper des
personnes haut placées mais elle n’arrivait pas à mentir à une
« gamine ». Le monde était vraiment devenu absurde.
— Évidemment !
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se renforcent de jour en jour. Je ne pense pas que perdre mes
pouvoirs est envisageable, à la place je perdrai la vie lorsqu’ils
n’auront plus rien à dévorer.
Des larmes étaient apparues dans ses yeux. Elle les essuya
rapidement.
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Jessica chercha à reprendre son calme. Elle humidifia ses
lèvres et dit :
A SUIVRE...
289
L'AGENCE DES MAGICAL WARGIRLS
Volume 5
Yorak édition
Haut-Rhin
Illustrations : Ren
ISBN 978-2-9566323-5-1
290