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Première année
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CARTE
CHAPITRE UN
CHAPITRE DEUX
CHAPITRE TROIS
CHAPITRE QUATRE
CHAPITRE CINQ
CHAPITRE SIX
CHAPITRE SEPT
CHAPITRE HUIT
CHAPITRE NEUF
CHAPITRE DIX
CHAPITRE ONZE
CHAPITRE DOUZE
CHAPITRE TREIZE
CHAPITRE QUATORZE
CHAPITRE QUINZE
CHAPITRE SEIZE
CHAPITRE DIX-SEPT
CHAPITRE DIX-HUIT
CHAPITRE DIX-NEUF
CHAPITRE VINGT
CHAPITRE VINGT-ET-UN
CHAPITRE VINGT-DEUX
CHAPITRE VINGT-TROIS
CHAPITRE VINGT-QUATRE
REMERCIEMENTS
Leia Stone
Première année
Fallen Academy - T1
Teen Spirit
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Year One
ISBN : 9791038109032
À Hawkwind. Ne perds jamais ton imagination débordante.
CHAPITRE UN
Je balayai du regard les rides profondes autour de ses yeux – causées par
des années passées à s’inquiéter –, puis ses joues marquées de larmes
séchées, mais le plus remarquable, c’était le tatouage rouge en forme de
croissant de lune sur son front.
Mikey, mon petit frère, était assis sur le canapé, occupé à fixer les murs de
plâtre lisse comme si, par un pur effort de volonté, il pouvait changer le
présent. Rien ne pouvait changer ce que j’étais sur le point de faire, ce que
j’étais sur le point de devenir. Mon destin avait été écrit depuis longtemps.
— J’aurais voulu être l’aîné, marmonna mon petit frère d’une voix creuse
qui fit se serrer ma gorge.
Je n’aurais pas voulu qu’il soit né le premier. J’étais contente que ce soit
moi. Mon frère était trop tendre émotionnellement pour mener la vie d’un
esclave de démon. C’était mieux comme ça.
Je hochai la tête, même si c’était très peu probable. Quand les anges étaient
tombés du Paradis et avaient mené une guerre sur Terre contre Lucifer et ses
démons, une vague de pouvoir s’était répandue comme une aurore boréale,
infectant presque toute l’humanité. La Chute avait transformé la plupart
d’entre nous en sortes de créatures surnaturelles, alors que les autres étaient
restés humains. Votre don dépendait du pouvoir qui vous avait touché durant
la bataille, selon qu’il appartenait à un ange ou à un démon. C’était un hasard
complet et cela n’avait rien à voir avec le fait que vous soyez ou non une
bonne personne. Ma mère avait reçu le don de la Nécromancie par un démon,
et elle gagnait sa vie en réanimant les morts. C’était la seule chose qui nous
permettait de ne pas vivre dans la rue, comme la moitié de la population
humaine. Mais elles n’étaient pas vraiment en vie, les… choses qu’elle
réanimait ; elles ressemblaient plus à des zombies. Je tressaillis en songeant
aux fois où elle avait ramené du travail à la maison.
— Tais-toi ! le gronda-t-elle.
J’avais cinq ans quand la Chute avait eu lieu. Ma mère disait que quand la
magie m’avait frappée, mon corps avait plané dans les airs pendant cinq
minutes complètes, et qu’elle avait dû me plaquer sur le lit pour m’empêcher
de m’éloigner en flottant. Mikey avait quatre ans, il ne s’en souvenait donc
pas vraiment, mais elle avait mentionné le fait que sa peau était devenue verte
pendant plus d’une heure.
Cela ne m’aurait pas gênée, si mon père n’avait pas été heurté par un bus
six mois après que les démons l’aient débarrassé de son cancer. Six mois de
vie en plus, c’était tout ce que notre asservissement éternel, à ma mère et moi,
lui avait valu. La vie était abjecte, et j’avais appris à ne pas compter sur les
rayons de soleil et les arcs-en-ciel. Les licornes de mes rêves d’enfant étaient
mortes et dépecées.
Maintenant, l’été était terminé et j’avais dix-huit ans. Aujourd’hui, j’irais à
l’Éveil, une cérémonie magique mise en place par les anges déchus pour
amorcer complètement nos pouvoirs, pour révéler les dons ou les
malédictions que nous portions en nous. Soit la bénédiction d’un ange, soit le
présent d’un démon – en tout cas pour ceux d’entre nous qui possédaient l’un
ou l’autre. Quand la Chute avait eu lieu et que tous les pouvoirs avaient été
relâchés sur les humains, personne ne savait vraiment qui avait été frappé, ni
par quoi. Quand les anges avaient réalisé ce qu’ils avaient fait – altérer
l’humanité –, ils avaient contenu les pouvoirs donnés à ceux qui avaient
moins de dix-huit ans. Ils ne pouvaient les reprendre, mais ils pouvaient au
moins les tenir à distance pour que nous puissions profiter de notre enfance.
Une fois que mon pouvoir aurait été déterminé, je quitterais la scène par la
gauche, me ferais faire mon tatouage d’esclave de démon et m’inscrirais à la
Tainted Academy, notoirement dysfonctionnelle et effrayante, pendant que
les autres partiraient à droite et s’inscriraient à la Fallen Academy, avec le
reste des âmes libres. La Fallen Academy était une université réservée
exclusivement à ceux qui n’étaient pas liés à un démon par l’esclavage, la
plupart d’entre eux ayant été bénis par les anges. Les personnes possédant des
dons surnaturels étaient entraînées pendant quatre ans, avant d’être enrôlées
dans l’Armée Déchue, recevant un bon salaire pour leur service auprès de la
lumière. Nous étions encore en guerre, après tout, et j’étais sur le point de
m’enrôler du mauvais côté. Mon service à vie auprès des démons
commencerait aujourd’hui, et cela me rendait malade rien que d’y penser.
J’avais entendu ses excuses des centaines de fois, mais la suite, c’était
nouveau. Pensait-elle que je lui en voulais ? Nous étions tous d’accord pour
dire que le démon guérisseur chez qui elle s’était rendue l’avait piégée. Elle
n’avait aucune idée qu’un pacte de sang incluait son premier enfant. J’avais
douze ans et j’étais assez mature pour comprendre ce que je l’avais
encouragée à faire. Nous avions tous fait ça pour mon père.
— Bien sûr que je te pardonne, maman. C’est cette crapule de démon qui
n’aura jamais mon pardon.
Je les détestais. La rage grandit dans ma poitrine alors que je faisais le deuil
de mon futur, du futur que j’aurais eu s’ils n’avaient pas piégé ma mère de
manière à ce qu’elle sacrifie ma vie pour sauver celle de mon père. S’il avait
été encore en vie, cela aurait valu le coup, mais six mois ? Ce n’était pas
assez.
Quand le bus avait heurté mon père six ans plus tôt, j’avais supplié ma mère
de le réanimer pour pouvoir lui parler, lui dire à quel point je l’aimais, et pour
qu’il puisse me serrer à nouveau très fort contre lui. Elle avait refusé et, à
l’époque, je l’avais détestée pour ça. En grandissant, et après avoir interagi un
peu plus avec les réanimés, j’avais compris son choix. Ils n’étaient que des
zombies, une simple enveloppe de la personne qu’ils avaient été. Et puis, il
lui avait fait promettre de ne jamais le faire.
— Il n’y a de la place que pour un nul dans la famille, dis-je en lui donnant
un léger coup de poing sur le bras, et tu remplis très bien ce rôle.
Un nul était un être dénué de magie. Un humain. Ils étaient rares à Los
Angeles, vu que la Chute avait commencé ici, mais cela arrivait. Peut-être
que je serais vraiment une nulle, mais j’étais certaine que les démons
trouveraient une utilité à une humaine, tout comme j’étais certaine que mon
frère avait lui aussi des capacités magiques. Je gardais un souvenir très clair
de mon cadet, la nuit de la Chute, pendant que je flottais en l’air au-dessus de
mon lit et qu’il s’illuminait comme un arbre de Noël, vert vif.
***
Après cette nuit, les dons des adultes avaient commencé à se manifester
immédiatement, mais nos dons avaient dû être bloqués. Vous imaginiez un
Graisseux de cinq ans en train de manger les déchets dans la rue ? Au moins,
à ce niveau-là, ils s’étaient montrés justes. On nous avait accordé une enfance
relativement normale – si l’on pouvait qualifier de normal le fait de grandir
avec des démons et des anges déchus qui se promenaient dans les rues. Au
moins, on ne nous avait pas forcés à ressusciter les morts à sept ans.
Ma gorge se serra alors que des larmes emplissaient mes yeux. Mon père
me disait toujours ça. En fait, c’étaient les derniers mots qu’il m’avait dits
avant de partir travailler et de nous être enlevé.
J’allais devoir courir si je ne voulais pas rater le bus de cinq heures et quart.
J’enfilai ma parka grise et relevai la capuche. Il pleuvait quatre-vingt-dix
pour cent du temps, à Demon City. Personne ne savait pourquoi – peut-être
était-ce à cause de la concentration si importante de démons –, mais le soleil
brillait rarement, ici.
***
Je souris. Bernie était sans abri et complètement aveugle, mais il était doux
comme un agneau. C’était l’homme le plus gentil que j’aie jamais rencontré.
Une fois, il avait essayé de m’offrir son unique manteau parce que j’avais
froid.
Je sortis un muffin à la myrtille de mon sac, que j’avais caché là plus tôt, et
le laissai tomber dans sa main.
Il me tapota la main et sourit, arborant les trois dents qu’il lui restait. Il
arracha un morceau de muffin et le donna à Maximus.
— Je suis là ! m’écriai-je.
— Toujours en retard.
Je me contentai de sourire et nous nous précipitâmes toutes deux dans le
bus, croisant le regard noir de la femme esclave de démon assise derrière le
volant, son tatouage rouge en croissant de lune éblouissant sur son front au-
dessus de ses yeux furieux.
— La prochaine fois, je fermerai la porte sur ton joli petit pied ! grogna-t-
elle à l’intention de Shea.
Cette dernière haussa les épaules comme si elle s’en fichait. C’était
probablement le cas. Une cheville cassée lui permettrait d’échapper à son
travail pendant quelques jours, le temps qu’un démon guérisseur puisse la
soigner, et ce serait génial. Lorsque la mère de Shea était partie alors qu’elle
n’avait que treize ans, elle avait brisé son contrat d’esclave, ce qui signifiait
que si elle remettait un jour le pied à Demon City, elle était morte. Ils avaient
d’autres choses à faire que de pourchasser une junkie pour l’obliger à remplir
son contrat. À la place, ils avaient demandé à Shea de reprendre le poste de sa
mère. Elle travaillait pour des démons depuis tout ce temps.
— Ça a été au boulot ?
Sa façon de dessiner des guillemets dans les airs autour du mot danseuses
me faisait toujours rire.
— Comment est-ce qu’on fait passer un entretien à une « danseuse »,
exactement ?
Grim, son patron et le démon détenant son contrat, était aussi le propriétaire
de cinq clubs de strip-tease à Demon City. Il se faisait beaucoup d’argent et
possédait plus d’esclaves que je n’en avais jamais vus. Shea était son
assistante personnelle.
Elle pressa ses seins l’un contre l’autre et battit des cils, me faisant rire
encore plus fort. Même quand le monde partait en vrille, Shea réussissait
toujours à me faire rire.
— C’est triste. La plupart des filles ont à peine dix-huit ans. Certaines ont
des enfants à nourrir ou des contrats à honorer. J’ai de la chance que Grim ne
me fasse pas danser. Je suis surprise qu’il n’ait pas remarqué que j’étais
pourvue de seins absolument incroyables.
Je souris.
— Dans ce cas, nous serons les meilleures Graisseuses que Demon City ait
jamais vues.
Je souris à nouveau, mais cela ne monta pas jusqu’à mes yeux. Le jour où
nous étions censées obtenir des pouvoirs spéciaux et de nouvelles carrières,
nous vendions notre âme au mauvais camp.
Le soleil brillait devant nous, alors que le bus se dirigeait vers la frontière
d’Angel City. L’endroit où j’avais vécu, autrefois, jusqu’à ce que mon père
tombe malade. Je m’en souvenais à peine, désormais, mais je me rappelais
que la majorité des gens y étaient heureux.
Shea suivit du regard les traces de pluie le long de la fenêtre, ses yeux bleus
ressortant sur sa peau couleur bronze. Elle lâcha ma main.
C’était tellement vrai. Pour l’instant, nous pouvions passer pour des filles
normales dans la rue, mais après aujourd’hui, une marque d’esclave en forme
de croissant de lune rouge entacherait notre apparence pour l’éternité. Elle
montrerait à tout le monde qui nous étions, et ce pour quoi nous avions signé.
— Pas toi ?
Angel City était le côté normal, le côté où se trouvaient les gens bien.
— Je ne m’y sens pas chez moi comme ça peut être ton cas, répondit-elle
avec un haussement d’épaules. Je ne ressens rien de différent, que je sois
d’un côté ou de l’autre.
— J’ai vu un match des Lakers ici avec mon père. Je m’en souviens à
peine, mais nous avons une photo, dis-je à Shea.
— Pourquoi insistent-ils pour que nous nous mettions sur notre trente-et-
un ? Ce n’est pas un bal de promo, marmonna Shea tout en se mettant à
courir pour me rattraper.
Je n’avais pas envie de savoir ce qu’il se passait lorsque vous n’arriviez pas
à temps à l’Éveil. J’avais entendu des histoires, et elles n’étaient pas
engageantes.
Je baissai les yeux sur l’insigne en argent en forme de spirale sur sa veste.
Elle était une Mage de la Lumière. Elle avait aussi un écusson en argent
affichant les lettres AD juste au-dessous, le logo de l’Armée Déchue.
— J’ai entendu dire qu’il y avait une fontaine de chocolat à la fête qui suit
la cérémonie, dit Shea, ses yeux s’illuminant alors qu’elle répétait cette
rumeur.
Elle était obsédée par le chocolat – et les garçons, mais surtout par le
chocolat.
— C’est vraiment dommage de voir tant de premiers-nés vouer leur vie aux
démons.
Une autre femme devant nous avait commencé à appeler les gens par leur
nom devant des doubles portes. Shea s’arrêta et fit face à l’officier. Son sang
bouillonnait. Je le voyais à la façon dont elle serrait les poings, et j’espérais
ne pas avoir à la retenir. Frapper un officier était un délit.
Comment savait-elle que nous étions vouées à l’esclavage ? Elle avait
probablement regardé tous les dossiers à l’avance, cherchant spécifiquement
les personnes comme nous.
— Vous pensez qu’on leur a voué nos vies de notre plein gré ? Waouh,
vous êtes plus stupide que vous en avez l’air, cracha Shea.
Je sortis de la file, prête à dire à cette femme ses quatre vérités, mais
l’officier à l’avant appela alors le nom de Shea.
Je levai la main et haussai le menton bien haut. Oui, ma mère s’était vendue
pour une vie d’esclavage auprès d’un démon afin de sauver la vie de mon
père, mais quel autre choix avions-nous ? C’était le genre de choses que vous
faisiez par amour, pour votre famille. Les anges déchus ne guérissaient pas
les mourants – à cause du libre arbitre, de la destinée et toutes ces conneries.
Ils disaient que les humains en phase terminale étaient voués à mourir et que
personne ne devrait interférer. Salopards de dévots.
J’en avais vu un, une fois. Un déchu. J’avais neuf ans, c’était juste avant
que l’on diagnostique la maladie de mon père, pendant qu’il était à l’hôpital.
Raphaël, l’archange de la Guérison, se baladait et bénissait les malades – il
avait dû oublier mon père. Je n’oublierais jamais à quoi il ressemblait, et la
façon dont il m’avait regardée, comme s’il pouvait lire directement en moi.
Ça avait été perturbant.
— Les âmes libres, par ici. Les liés à un démon, par là, dit l’officier à la tête
des opérations.
Nous nous engageâmes tous dans le couloir. Les âmes libres commencèrent
à entrer dans la salle d’habillage située à droite alors que nous allions à
gauche, où une esclave de démon arborant le croissant de lune rouge nous
attendait. Elle avait un aiguillon électrique dans une main et Shea et moi nous
regardâmes en haussant les sourcils. Elle était une gardienne d’esclave. Si
l’un de nous se dégonflait ou tentait de fuir, il recevrait une décharge
électrique.
— Je parie cinq dollars que Steph est une Graisseuse, annonça Ben à la
cantonade.
Nous rîmes tous tandis que Stéphanie lui faisait un doigt d’honneur, avant
de lui donner une tape sur les fesses. Steph et Ben sortaient ensemble depuis
plus d’un an, désormais. Ils ne vivaient pas dans le même immeuble que Shea
et moi, je ne les voyais donc qu’à l’école, durant le cours que nous
partagions, mais ils étaient des gens cool.
— La vérité, c’est que nous pourrions tous être des Graisseux. Inutile de
s’inquiéter à ce sujet.
Je restai immobile. James avait le don de double vue. Quand les anges
déchus avaient rapidement verrouillé les pouvoirs de toutes les personnes de
moins de dix-huit ans, il y avait eu quelques ratés et tous les pouvoirs des
enfants n’avaient pas été réfrénés à cent pour cent.
Un jour, il était entré dans l’école et avait hurlé à tout le monde de sortir,
enclenchant même l’alarme incendie. Nous avions tous quitté le bâtiment en
courant et, moins de dix minutes plus tard, un hélicoptère de l’Armée Déchue
s’écrasait sur le côté et faisait exploser notre école. Il expliqua avoir rêvé de
cette scène, et qu’il savait sans pouvoir l’expliquer que c’était réel. Alors si
James avait fait un mauvais rêve hier soir, j’étais tout ouïe.
Distraitement, je pris une robe en soie noire à ma taille et suivis James dans
un coin de la pièce, où il était en train de se déshabiller. J’ôtai mon T-shirt et
il regarda ma poitrine.
Je me figeai net.
Qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire, et pourquoi moi ? Il avait dit
que je devais me montrer prudente. J’étais déjà nerveuse au sujet de cette
cérémonie, et maintenant mon cœur cognait à tout rompre dans ma poitrine.
James jeta un regard de côté au reste du groupe, qui riait alors que Shea
imitait l’officier de l’Armée Déchue, puis il se pencha plus près de moi.
— Tu es différente. Ils…
Nous étions assis à l’écart des âmes libres, par ordre alphabétique, et j’étais
donc installée à côté de la femme à l’aiguillon électrique. Cela signifiait que
je ne pouvais pas demander à James ce qu’il avait bien pu vouloir dire, pas
plus que je ne pouvais partager ma panique avec Shea. Je ne pouvais que
rester assise et laisser mon imagination débordante inventer les théories les
plus folles.
J’avais entendu une rumeur à propos d’un garçon qui avait fui la cérémonie
de l’Éveil. Il avait tenu environ deux ans sur les routes avant que ses
capacités commencent à émerger par eux-mêmes. Il avait le pouvoir d’un
Métamorphe Animal, à prédominance démoniaque, bien qu’il ait été une âme
libre. Sans personne pour l’entraîner, il avait attaqué une ville entière avant
d’être tué par l’Armée Déchue lorsqu’elle était venue contenir le désastre.
Morale de l’histoire : allez à l’Éveil, dévoilez votre pouvoir, et entraînez-vous
à l’académie qui vous sera indiquée. Les pouvoirs ne pouvaient rester
contenus éternellement.
Le démon fit un pas en avant, projetant son ombre large sur l’archange.
— Quand nous appellerons votre nom, vous monterez sur la scène et vous
avancerez vers la zone blanche. Lorsque Raphaël aura débloqué votre
pouvoir, vous sortirez par la droite et serez enrôlé dans la Fallen Academy si
vous êtes une âme libre, et laissé à la Tainted Academy si vous êtes lié à un
démon.
Il sourit, nous donnant à tous un aperçu de ses deux rangées de dents aussi
aiguisées que des rasoirs.
L’ange adressa au démon Torve un regard noir qui me donna des frissons.
Je savais qui était ce type. C’était ce Céleste qui avait fait parler de lui cinq
ans auparavant. Lincoln quelque chose. Il s’était retrouvé dans tous les
journaux. Il était très rare, parce qu’il possédait le pouvoir de deux Célestes
en lui, celui de l’archange Michel et celui de l’archange Raphaël. On disait
qu’il avait complètement changé la donne durant la guerre, que son record de
démons tués était l’un des plus élevés et qu’il avait repris toute une partie de
la vallée d’Angel City. Même si les démons et les déchus étaient réunis dans
la même pièce le temps de la cérémonie de l’Éveil, la guerre entre eux faisait
toujours rage en dehors de ces murs.
— Brielle.
Il m’avait appelée par mon prénom comme si nous étions de vieux amis.
Cela me rendait nerveuse et me réconfortait tout à la fois.
— Oui, Monsieur ?
Des robes ? Ils nous ont donné des robes pour traverser ça ? Où est la
Vicodine ? La morphine ? N’importe quoi !
Je levai la tête et plissai les yeux. Tout était trop lumineux, les bruits étaient
trop forts et les odeurs trop présentes.
— Elle est bénie par les anges, dit Raphaël, ses mots réduits à un murmure
si bas que je n’étais même pas certaine de l’avoir vraiment entendu.
Il n’y avait que quatre pouvoirs conférés par les anges, comparés aux quatre
choses que les dons démoniaques pouvaient vous faire devenir. Je baissai les
yeux sur mes mains, mais mis à part une lueur scintillante sur ma peau, elles
n’avaient rien de différent. J’essayai de me lever, mais perdis l’équilibre. Il
avait dû me pousser des cornes, ou quelque chose comme ça. Ou peut-être
que j’étais un Centaure, la partie inférieure de mon corps animale et la partie
supérieure humaine.
Oh merde.
J’avais des ailes. De foutues ailes noires. Je n’avais jamais entendu parler
d’un Céleste aux ailes noires. Ils avaient tous des ailes blanches. Tous.
Toujours.
Lincoln se rapprocha de moi et sortit une épée brillante alors que, sous le
choc, je fixai le démon Torve, dont les cornes avaient commencé à émettre de
la fumée noire.
— Vous honorerez les accords, où nous combattrons maintenant ! Donnez-
la-moi ! rugit le Torve.
Raphaël lui adressa un regard affligé, son expression se faisant plus tendue.
— Non, dit Raphaël, et sa voix fit trembler les murs comme si elle avait été
amplifiée une centaine de fois.
Je le regardai, incrédule.
— Lâchez-moi ! ordonnai-je, et je vis une expression blessée passer sur son
visage.
L’une des règles à laquelle je savais que les déchus tenaient beaucoup,
c’était le libre arbitre. Ils devaient respecter notre libre arbitre.
Il se mordit la lèvre.
Il laissa tomber mon bras, les yeux arrondis par la stupéfaction, et fit un pas
en arrière.
D’un geste plus rapide que l’éclair, le Torve leva le pouce et toucha mon
front, provoquant en moi une douleur fulgurante. Quand il recula, je savais
que je portais la marque rouge. La marque d’une esclave des méchants.
Quoi ?
— Pendant six heures par jour, répondit le Torve d’un ton renfrogné. Pas
plus.
— Qu’est-ce que je suis ? lui murmurai-je, sachant qu’un Céleste aux ailes
noires, ça n’existait pas.
— Je ne sais pas, mon bébé, mais je crois que c’est quelque chose
d’important, répondit-elle.
Un archange avait presque déclaré une autre guerre pour moi. À cet instant,
je préférerais être une Graisseuse.
***
Seule dans ma chambre avec mes pensées, les larmes montèrent. J’étais
étendue dans une position inconfortable sur mon lit, des oreillers sous mon
épaule pour que mes ailes ne me fassent pas mal. Elles étaient d’un noir
d’encre et très… réelles. Comme un bras ou un pied, je pouvais les sentir. Je
n’avais jamais entendu parler d’un esclave de démon qui soit aussi un Céleste
jusqu’alors. Les Célestes étaient très rares, et ceux qui se dévoilaient étaient
rapidement incorporés dans l’Armée Déchue, se voyant accorder les plus
hauts grades d’officiers. Cette tête de nœud de Lincoln était un genre de
commandant en second auprès des archanges, et il n’avait que vingt-deux
ans. Les Célestes étaient très importants, je le savais, mais qu’aurais-je pu
faire d’autre ?
La porte s’ouvrit, et j’étais prête à lui hurler dessus quand je vis qu’il
s’agissait de Shea, et qu’elle tenait dans les mains une boîte de donuts
Septième Ciel. Je me mis aussitôt à saliver.
Shea haussa les épaules, puis entra et referma la porte d’un coup de pied,
avant de poser la boîte de donuts devant moi. Elle arborait le tatouage rouge
en forme de croissant de lune, exactement comme moi.
— Un Mage ? hoquetai-je.
Une expression vulnérable passa sur ses traits avant de disparaître aussitôt,
et elle hocha la tête d’un air suffisant.
Les Mages étaient juste derrière les Célestes sur l’échelle des pouvoirs, et
ils allaient normalement à la Fallen Academy ; mais si vous étiez lié à un
démon, vous alliez à la Tainted Academy pour apprendre la magie noire.
Je déglutis, priant pour qu’elle me dise que Raphaël s’était battu pour
qu’elle s’entraîne à la Fallen Academy, elle aussi.
Je lui adressai un faible sourire. C’était une vieille blague entre nous. Le
jour où nous nous étions rencontrées, elle m’avait demandé ce qui me
manquait le plus de ma vie à Angel City. J’avais déclaré que c’étaient les
donuts Septième Ciel. Ce n’étaient pas des donuts ordinaires. Ils étaient
emplis de magie ; le propriétaire était un Mage de la Lumière et toutes les
pâtisseries étaient enchantées. La bombe de bonheur était ma préférée. Une
bouchée et vous vous mettiez à rire de manière hystérique pendant dix
minutes. Shea préférait les melons moelleux. Un demi-donut, et vous
somnoliez pendant deux heures. Sans parler de leur goût délicieux.
Il fallait faire la queue pendant des heures pour en acheter, et ils coûtaient
une fortune. Shea n’en avait mangé qu’une fois, pour célébrer son seizième
anniversaire. Ma mère nous avait juste acheté un donut chacune. Elle avait dû
prendre une journée de congé pour se rendre à Angel City, et j’étais certaine
qu’elle avait économisé pendant des mois. Ce fut notre seul cadeau, cette
année-là. Je n’en avais jamais vu une boîte pleine jusqu’à aujourd’hui. Elle
avait dû coûter au moins mille dollars.
Elle sourit.
— Ils en servaient au banquet. J’ai flirté avec le serveur et j’ai caché une
boîte sous ma robe.
Certains donuts semblaient écrasés les uns contre les autres. Maintenant, je
comprenais pourquoi.
J’attrapai une bombe de bonheur tandis qu’elle prenait un donut orange vif
que je ne pus identifier.
— À la tienne.
Nous cognâmes nos donuts l’un contre l’autre et mangeâmes une bouchée.
À la seconde où le goût de cerise acidulée atteignit ma langue, je me
retrouvai submergée par l’euphorie. Un sentiment de joie gonfla en moi et
j’éclatai de rire. Shea mâchonnait le sien, l’air perplexe.
***
Nous passâmes l’heure suivante à faire une overdose de donuts, leurs effets
ne durant que quelques minutes. Nous avions gardé le melon moelleux pour
la fin.
— Totalement prête.
Nous plongeâmes toutes deux nos dents dans le donut, et une sensation de
calme nous envahit aussitôt. J’aurais dû commencer par celui-là, car c’était la
seule chose capable d’altérer mon anxiété bourdonnante.
Shea posa sa tête à mes pieds, levant les yeux vers moi depuis le bout du lit.
— Je te tuerai plutôt que de te laisser devenir une Mage Noire, lui promis-
je.
Elle sourit.
— Bien.
Une douleur aiguë m’alerta que j’avais toujours d’énormes ailes d’ange et
que je ne pouvais pas simplement rouler sur elles.
— Lève-toi. Une voiture vient d’arriver pour toi, envoyée par la Fallen
Academy, murmura-t-elle pour ne pas réveiller Shea. Tes cours auront lieu de
six heures du matin à midi chaque jour, pour ne pas interférer avec tes
obligations professionnelles auprès du démon.
— Tu plaisantes ?
Je bondis sur la route et fis la première chose qui me vint à l’esprit : je jetai
mon gobelet de café et le regardai avec délectation s’écraser sur la vitre
arrière du SUV de Lincoln, les feux arrière s’illuminant d’un rouge furieux.
Je m’avançai ensuite calmement vers la portière passager et l’ouvris
vivement, me retrouvant face à face avec le Céleste.
— Écoute, mon pote. J’ai passé la pire nuit de ma vie, hier, je me remets
encore d’une overdose de donuts Septième Ciel, et je viens de gaspiller un
excellent gobelet de café, alors il va falloir que tu te calmes.
— C’est toi qui vas m’écouter, princesse. Chaque minute que je passe à
Demon City me donne l’impression qu’une centaine de couteaux me
déchirent le dos, alors monte dans la voiture ou rentre chez toi.
— Je ne peux pas rentrer là-dedans avec mes ailes, lui dis-je, croisant les
bras et fixant le petit espace dans lequel il s’attendait à ce que je rampe.
— Tu me dois un café.
Le véhicule était flambant neuf, il y avait même encore des autocollants sur
le côté de la vitre.
Crétin. Il était exactement comme tous les autres, toujours en train de juger.
Juger ma mère pour avoir endossé la marque des esclaves, me juger, moi,
pour avoir franchi la limite hier. Je croisai les bras et décidai de l’ignorer tout
le reste du trajet.
— Ça, et pire.
— Oh, je t’en prie. Ne te mets pas soudainement à jouer les types sympas,
lui lançai-je, et il se hérissa.
Parmi toutes les choses qui avaient pu être dites, ce fut celle-là qui me
blessa.
— Je ne suis pas une mauvaise personne. Ma mère n’est pas une mauvaise
personne. Nous travaillons simplement pour des gens mauvais.
N’est-ce pas ? Mes codes moraux s’étaient brouillés depuis que j’avais
emménagé à Demon City pour sauver la vie de mon père.
Lincoln s’arrêta devant le portail gardé et, une fois encore, ils le laissèrent
passer après lui avoir jeté un regard. Alors que le portail s’ouvrait, je pris une
brusque inspiration face à la vue s’offrant à moi. Je n’étais jamais entrée ici,
je n’avais vu que des photos. Le terrain bien entretenu et les bâtiments de
pierre renvoyaient une impression majestueuse et immémoriale. C’était à
couper le souffle.
Alors j’avais vraiment eu le choix, hier ? Si je n’avais pas passé cette limite,
Raphaël aurait, je ne sais comment, annulé mon contrat avec le démon ? Ma
mère aurait été massacrée.
Je fixai mes mains vides de tout bagel ou café alors que la rage bouillonnait
en moi. Je ne tiendrais pas quatre ans avec ce type. Je ne tiendrais pas une
heure de plus. Je m’accordai cinq minutes seule dans la voiture, pratiquant les
techniques de respiration relaxante que mon petit frère m’avait apprises.
Quand je fus prête, je sortis du véhicule et me dirigeai vers la porte par
laquelle Lincoln était entré.
— Ce n’est rien, Brielle. Viens avec nous, s’il te plaît, demanda Raphaël en
m’invitant d’un geste à les rejoindre là où ils se tenaient, dans un grand
bureau.
J’étudiai les anges devant moi. Je savais que celui avec l’épée était Michel,
mais je ne reconnaissais pas les deux autres. Quoi qu’il en soit, j’étais morte
de peur. Allaient-ils me faire du mal ? Pour purger le mal qu’il y avait en
moi ?
— Raph n’est pas sûr de savoir lequel d’entre eux t’a conféré son don, alors
il va devoir y avoir une petite cérémonie avant que tu puisses recevoir ton
tatouage de lumière, expliqua-t-il depuis l’endroit où il se tenait.
Cérémonie ? Tatouage ?
Je réalisai alors que je ne savais rien de cette vie. De ces gens. J’avais été
entourée de démons durant toute mon adolescence, et les Célestes étaient trop
rares pour que je sache quoi que ce soit d’autre que des rumeurs. Je devais
avoir l’air paniquée, parce que l’archange avec les longs cheveux blonds
s’approcha de moi. Ses ailes étaient massives et il était difficile de les
regarder trop longtemps.
Il fit un geste vers un ange aux cheveux brun foncé qui se tenait devant la
cheminée.
— J’ai pris la responsabilité de former les personnes bénies par les anges, et
je suis le gardien de cette école, mais Michel, Gabriel et Uriel ne nous
rendent pas souvent visite, sauf lors de circonstances spéciales. On a besoin
d’eux ailleurs, pour tout ce qui a trait à la guerre.
Il ouvrit les boutons pression d’un étui sur son bureau et repoussa le rabat,
révélant une dague en or couverte de gravures.
— Attendez, quoi ?
— Tu lui as fait peur, dit Michel, qui avait l’air agacé par Raphaël.
— Puis-je ? proposa Lincoln. Il faut expliquer les choses en détail, avec les
humains. Ils n’accordent pas leur confiance de manière absolue comme vous
le faites.
Est-ce qu’il vient de dire à une pièce remplie d’archanges que je ne leur
faisais pas confiance ?
Je vais le tuer.
Oh. Waouh. Je n’avais même pas réfléchi au pouvoir que j’avais, mis à part
celui de voler avec mes ailes noires bizarres. Shea me manquait, à cet instant.
C’était elle, la fille forte, capable de tendre son poignet et de dire « Finissons-
en ! ».
Lincoln se tortilla.
Michel se redressa.
Je déglutis et mes yeux se tournèrent vers Lincoln, qui fixait toujours ses
chaussures. Je n’avais pas manqué de remarquer qu’il n’avait pas répondu à
ma question à propos du fait d’être un arch-démon.
Il pouvait faire ça ? Bien sûr qu’il pouvait, il était une sorte d’égérie
hybride entre le guerrier et le guérisseur.
— Ah, merveilleux, dit Raphaël d’un ton enthousiaste. Michel, c’est l’une
des tiennes.
J’étais sur le point de dire quelque chose quand un autre symbole s’alluma,
un crayon, puis un autre, une flamme. Finalement, un cinquième commença à
s’allumer, mais Raphaël couvrit la dague de sa paume et la rejeta dans l’étui
avant que j’aie pu voir ce que c’était. Il arborait une expression complètement
stupéfaite, mais il y avait aussi autre chose.
De la peur.
— Elle est bénie par nous tous, déclara-t-il d’une voix tourmentée.
— Est-ce que tu crois qu’elle est la personne dont parle la prophétie ? dit
une voix que je reconnus comme étant celle de Michel.
— Aucune idée, mais ce que je sais, c’est qu’il s’agit d’une enfant
innocente dans cette histoire, et que nous devrions faire de notre mieux pour
la protéger et la guider.
— N’implique pas nos frères dans tout ça. Métatron a clairement choisi son
camp. Nous nous occuperons de ça nous-mêmes.
— Elle est réveillée, dit Gabriel, et mes yeux s’ouvrirent d’un coup.
— Brielle, est-ce que tu te sens bien ? demanda Raphaël, son visage venant
flotter devant moi.
— Je vais bien.
L’archange sourit.
Je rougis, et
— Je suis prête, dis-je en me levant, les poings serrés le long de mon corps.
Michel regardait derrière moi, l’air triste et impatient en même temps. Je fis
volte-face, m’attendant à voir Lincoln, mais il n’était nulle part en vue. Au
lieu de cela, je vis mes ailes. Elles devaient être sorties dans une sorte de
mécanisme de défense.
Je remuai inconfortablement.
J’étais si près de lui que je pouvais sentir son pouvoir m’envelopper comme
une couverture lourde. Il dut le sentir, car dès l’instant où je formulai cette
pensée, il retira sa main et recula pour se diriger vers le bureau, où Raphaël
avait disposé quatre gobelets en or.
— Sang de mon sang, dit Raphaël, avant de passer la lame de la dague sur
son poignet.
— Tu vas bien ?
— Du s… s… s… sang.
Il était hors de question que je boive du sang d’ange. Hors. De. Question.
Il jeta un œil derrière moi et la compréhension se lut sur son visage.
— Oh, c’est vrai. Je suis désolé. Brielle, notre sang va être mélangé à de
l’encre de tatouage, et cette mixture sera utilisée pour t’aider à canaliser ton
pouvoir, expliqua gaiement Raphaël.
Je vais avoir des tatouages faits avec du sang d’ange ? Hum, pardon ?
C’était probablement une question stupide ; c’étaient des anges, nom d’un
chien.
— Que la paix soit avec toi, mon enfant, annonça Uriel, joignant les mains
en prière, avant de sortir à la suite de Michel.
— Brielle, ces quatre jeunes gentlemen seront tes maîtres guides durant tes
études à la Fallen Academy, m’informa Raphaël.
— Brielle, répondis-je.
Un autre type s’avança, super grand avec des cheveux blonds et des yeux
bleus. Il ressemblait à un dieu nordique, et ses muscles se contractèrent le
long de ses bras lorsqu’il tendit la main.
Le dernier jeune homme s’avança. Il semblait avoir environ vingt ans, les
cheveux brun foncé et des yeux d’un vert frappant.
J’entendis un petit rire derrière moi alors que Raphaël s’avançait avec un
plateau sur lequel étaient posés les gobelets de sang.
— Tu travailles encore sur ton humilité, n’est-ce pas, mon garçon ? lança-t-
il à Noah.
— Oui, eh bien, elle n’est autorisée à rester ici que jusqu’à midi, alors nous
devons nous dépêcher. Je n’ai même pas envie d’imaginer ce qu’il se
passerait si nous la renvoyions à Demon City avec des tatouages de lumière
pas tout à fait terminés.
Noah frissonna comme si c’était une idée affreuse. Au point où j’en étais, je
m’étais résignée à être choquée. Je savais qu’être une Céleste aux ailes noires
ne serait pas une vie facile, mais je ne m’étais jamais imaginé que mon
premier jour à l’académie impliquerait que je me fasse tatouer.
Darren rit, arborant une jolie rangée de dents blanches bien alignées.
Raphaël tendit les mains en avant et les doubles portes devant nous
s’ouvrirent en grand. Je reculai en trébuchant et mes ailes se cognèrent contre
Lincoln.
— Désolée, marmonnai-je.
Son souffle chaud dévala ma nuque, me donnant des frissons. Ses doigts
glissèrent le long de mon aile gauche, la caressant du haut jusqu’au milieu.
Avec un frémissement, elles se rétractèrent, et il passa devant moi.
— Viens, suis-nous. C’est une mission dangereuse, dit-il d’un ton cassant.
Une fois que j’eus réussi à reprendre mes esprits après ce petit massage
d’aile, je le rattrapai en courant.
En sortant dans l’atrium ouvert, je ne vis pas moins de vingt gardes armés
de l’Armée Déchue, en train de recevoir les ordres de Raphaël.
— Pourquoi ?
Je détestais lui poser des questions, parce que chacune d’elles lui donnait
l’opportunité de se comporter comme un crétin, mais j’étais curieuse par
nature, et j’avais besoin de savoir.
— Tes amis démons les achètent pour les vendre à des Mages Noirs qui
font de la magie maléfique avec. Ne fais pas comme si tu ne le savais pas.
Une vague de colère me traversa et mes ailes surgirent dans mon dos alors
que je me plaçais devant lui.
Je regrettai soudain d’avoir laissé sortir mes ailes, parce que maintenant, les
gardes me dévisageaient comme si j’étais l’ange de la mort, la fascination se
mêlant à la peur dans chacun de leurs regards. Sachant que l’un des gardes
était un Centaure, la moitié de son corps ayant la forme d’un cheval blanc, je
n’aurais pas dû être la bête de foire du groupe.
— Si je venais, ce serait comme peindre une cible sur votre dos. Il vaut
mieux que Lincoln et les autres s’occupent de toi, pour l’instant.
— Sois patiente avec ceux qui semblent être contre toi, me murmura-t-il à
l’oreille tout en me tapotant l’épaule. Tout n’est pas ce qu’il paraît être.
Je poussai un soupir.
— J’imagine que le moment est mal choisi pour vous faire part de ma peur
des aiguilles, non ? annonçai-je.
Noah fut le premier à rire, mais bientôt, tous les autres l’imitèrent, sauf
Lincoln.
— Noah, es-tu capable de ne pas flirter avec une femme ? Je veux dire, est-
ce que c’est censé faire partie de ton domaine de compétences ?
Cette fois, je souris. Je devinais, à leurs plaisanteries, que les quatre garçons
étaient des amis proches.
— Et puis, Brielle est trop bornée pour accepter ton aide, continua Lincoln.
— Ooooh.
Les moqueries des garçons envers Lincoln emplirent l’habitacle face à mon
regard suffisant. Quand les yeux meurtriers de l’intéressé se tournèrent vers le
rétroviseur, je ne baissai pas les miens.
— Cette rue est ensorcelée pour ressembler à un trou à rats, pour que
personne ne s’y engage. On l’appelle l’Avenue des Anges. C’est ici que nous
faisons toutes nos courses magiques, expliqua Noah avec un clin d’œil.
Ce garçon était un expert des clins d’œil. Quelque chose me disait qu’il
avait du succès auprès des filles.
Lincoln scruta l’endroit. Les trois autres SUV s’étaient garés, et des
officiers de l’Armée Déchue en sortaient.
Mes yeux détaillèrent leurs armes : des pistolets, des épées, des arcs et des
flèches. Elles étaient variées et complètement démentes.
— Blake, tu apportes ces gobelets à l’intérieur, ordonna Lincoln. Nous la
protégerons.
— Allons-y.
Blake venait de la rejoindre avec les gobelets quand une ombre sombre
passa au-dessus de nous, cachant momentanément la lumière du soleil.
Il passa son grand bras autour de ma taille et me serra contre son corps alors
que ses énormes ailes blanches se déployaient. Il s’agenouilla, m’attirant au
sol avec lui, tandis que ses ailes se recourbaient autour de nous pour
m’abriter. Des balles et des cris s’élevèrent alors que je restais clouée sous
son corps, les yeux grands ouverts comme des soucoupes.
J’avais grandi parmi les voyous. Les gangs de démons étaient les plus viles
créatures sur Terre, et Shea et moi avions connu notre lot d’altercations avec
eux. Je me faisais voler quatre fois par an, alors je savais que nous étions en
train de nous faire attaquer, et je n’avais pas l’intention de me cacher derrière
ce connard ou de me faire tuer. Il sentait bon, et ses pectoraux contre mon dos
faisaient faire des sauts périlleux à mon estomac, mais il restait quand même
un connard.
Lincoln sortit son épée et se redressa à genoux tout en gardant les ailes en
avant pour me protéger. Ou pour m’emprisonner, selon la façon dont on
voyait les choses.
Merde.
Les démons Aconit étaient de loin la race la plus flippante. Ils n’avaient pas
de langue, et ne pouvaient donc pas parler. Ils portaient des manteaux à
capuche pour couvrir leur corps déformé, mais leurs cornes rouges noueuses
sortaient au-dessus de leurs têtes, et ils étaient des experts de la manipulation
mentale. Les yeux du démon étaient d’un bleu étincelant, ce qui, je le savais,
voulait dire qu’il était en train d’utiliser son pouvoir de manipulation. Lincoln
le dévisagea d’un air rêveur tout en baissant son épée. Ils n’avaient même pas
besoin de parler pour utiliser leur pouvoir, ce qui en disait beaucoup sur
l’étendue de leur puissance. Ils n’avaient besoin que de croiser votre regard
pour faire leur travail.
L’un des soldats de l’Armée Déchue était une Mage de Lumière et ses
mains étincelaient d’un jaune doré alors qu’elle faisait naître un sort puissant
entre elles. Avec un cri de guerre, elle projeta ses paumes en avant et la
lumière explosa. Je tressaillis, ne sachant trop quoi faire. Les démons et les
Mages Noirs encore debout se mirent tous à hurler et à siffler, leur peau se
teintant d’un rouge furieux et se mettant à fumer.
Je me contentai de hocher la tête alors que ses yeux se posaient sur le canif
dans mes mains.
— Waouh.
L’homme leva la tête, plissa les yeux en regardant Noah et fronça les
sourcils.
La femme tatouée nous mena vers son bureau. Il y avait une table de
massage en cuir à côté et un pistolet de tatouage se trouvait sur le bureau,
près des quatre gobelets de sang. Mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine.
— Oui… En parlant de ça, j’ai un peu peur des aiguilles. Est-ce que je
pourrais, genre, m’en faire un aujourd’hui et les autres la semaine prochaine ?
proposai-je avec un rire nerveux.
Je ne savais pas si faire jaillir du feu par mes yeux ferait partie de mes dons,
mais j’en avais assurément très envie à cet instant. J’aurais voulu le
carboniser sur place. J’avais ce foutu tatouage rouge sur mon front,
absolument tout le monde savait ce que ça signifiait. Il n’avait pas besoin de
l’expliquer aux gens.
De la pitié. Super.
Elle se sentait désolée pour moi. Quelle affreuse sensation, de voir les gens
avoir pitié de vous.
Elle sourit.
— C’est un euphémisme.
Lincoln roula des yeux et tapota la table de massage.
Je souris.
— Alors voilà le truc, continua Mar. Les tatouages de lumière ne sont pas
comme des tatouages ordinaires. Ils se lient à ton âme et ça peut être assez
douloureux. Est-ce que tu as tendance à t’évanouir facilement ?
— S’il te plaît, dis-moi que m’entraîner à te botter les fesses fera partie de
ma formation, dis-je entre mes dents serrées.
Il poussa un soupir.
— Oui, si ça lui va ?
Si ces mecs croyaient que j’avais besoin d’un guérisseur pour un tatouage,
ils me traiteraient toujours comme si j’étais en verre. Ils étaient mes maîtres
professeurs, ou je ne savais plus quoi, et je voulais qu’ils sachent que je
n’étais pas faible.
Marleen sourit.
Un rayon blanc jaillit du pistolet à tatouage pour pénétrer dans mon bras.
L’aiguille se baissa et une douleur fulgurante, pire que tout ce que j’avais
connu auparavant, s’abattit sur moi.
Cela faisait mal partout ! Chaque cellule de mon corps était en feu.
Lincoln tendit sa main, qui commença à prendre une lueur orangée, et je
tournai vivement la tête vers lui.
Je sus, dès l’instant où je vis une expression blessée traverser son visage,
que j’avais peut-être été trop loin. Le peu de gentillesse qu’il restait en lui à
mon égard s’évanouit.
Quand la douleur monta d’un cran, j’envisageai de hurler son nom, mais me
contentai de me mordre la lèvre. J’avais connu pire ; je pouvais m’en sortir.
Et puis, ce type se comportait comme un vrai con avec moi, je n’allais pas lui
donner la satisfaction de lui faire savoir que j’avais besoin de lui.
Nous venions tout juste de terminer le premier tatouage. Il m’en restait trois
autres et j’avais envie de mourir, mais ma fierté tenait bon.
Intéressant.
Après avoir ressenti une douleur extrême pendant plus d’une heure, c’était
un soulagement bienvenu, qui me rendait même un peu somnolente. Pas
assez pour m’endormir, mais assez pour me faire poser la tête sur la table et
fermer les yeux, permettant à mon système nerveux à vif de se reposer.
— OK, je n’ai jamais fait plus de deux tatouages, alors où est-ce qu’on met
les autres ?
— Oh, mon Dieu, non. Les tatouages sur les mollets, c’est pour les hommes
en surpoids qui font partie de gangs de bikers.
Marleen éclata de rire.
Lincoln et moi réalisâmes en même temps que nous nous tenions toujours la
main. Il retira la sienne et la douleur revint d’un coup. Il essuya sa main sur
son jean et regarda Marleen.
— Pas du tout.
Je levai les yeux vers une photographie accrochée au mur, représentant une
fille vêtue d’un bikini et arborant un tatouage en forme de cœur sur les côtes
avec le mot « Maman » à l’intérieur.
— C’est une blague ? C’est vraiment plus ou moins douloureux selon les
emplacements ? Tu enfonces une aiguille de lumière brûlante sous ma peau.
Je pense que c’est partout pareil.
— J’aimerais pouvoir te dire que l’université est mieux que le lycée et que
le harcèlement n’existe pas, mais je mentirais. La Fallen Academy ressemble
au lycée sous stéroïdes.
Je l’avais fait. J’avais réussi à faire sourire Lincoln, et bon sang, il avait des
fossettes. À la seconde où il me surprit à le regarder, il transforma habilement
son sourire en grimace renfrognée dans une tentative de le dissimuler. Mais je
l’avais vu. Il me trouvait drôle.
J’avais oublié à quel point il était méchant parce qu’il avait passé la
dernière heure à me soigner. Ça me troublait l’esprit et ça jouait des tours à
mes émotions.
De mes doigts de pieds à mon coccyx et jusqu’à mon crâne, des aiguilles
chauffées à blanc me perforaient douloureusement jusqu’aux moindres
recoins de mon âme.
Je soupirai.
— Il est onze heures quatorze, annonça Lincoln alors que Marleen terminait
et éloignait le pistolet.
— Reviens demain à six heures. Tu étudieras avec nous quatre jusqu’à ton
premier cours à huit heures.
— Six heures, c’est un peu raide. On ne pourrait pas dire sept heures et
demie ?
Noah avait quitté son coin de la pièce pour s’avancer vers nous et regardait
Lincoln avec intensité.
J’avais les bras serrés autour de mes côtes et je me balançais comme une
fille bourrée au bal de promo.
Quel bonheur.
Pourquoi ferait-il ça ?
Il me scruta de ses yeux noirs globuleux et sévères, ses cornes projetant une
ombre menaçante sur son visage. Quand il se mettait vraiment en colère, les
pointes de celles-ci fumaient. C’était vraiment flippant. Dans la hiérarchie des
démons, les Sulfures étaient en très bonne place. La rumeur disait qu’ils
étaient placés presque juste après le Prince des Ténèbres en personne. Dans
son cercle rapproché.
Je ne savais pas trop quelle réponse lui ferait le plus plaisir, alors je dis la
vérité :
— Pas vraiment.
Il hocha la tête et se leva son bureau, se dressant de tous ses deux mètres de
hauteur.
Je déglutis.
— Oui, Monsieur.
— Pour l’instant, tu vas assister ta mère, laver les corps, mélanger ses
potions. Une fois que tu seras formée, j’aurai de plus grandes tâches à te
confier – des choses qui pourraient faire tourner cette guerre en notre faveur.
Alors apprends à voler, et tout ce que vous pouvez faire d’autre, vous, les
Célestes, parce que je compte sur toi pour être puissante et me faire gagner
beaucoup d’argent en louant tes services.
Merde.
Maman.
J’avais déjà aidé ma mère une fois ou deux à la clinique, quand elle était
débordée, je connaissais donc le chemin vers l’arrière du bâtiment. Elle était
plongée jusqu’aux coudes dans un lavabo savonneux, occupée à frotter le
corps d’une femme d’environ cinquante ans avec une éponge.
— Oui, ils sont requis pour contrôler mes dons, ce genre de trucs. Chacun
d’eux est lié à un ange dont je possède les pouvoirs.
Elle grimaça.
— OK, tu as raison. Eh bien, les choses sont ce qu’elles sont. Est-ce que tu
peux terminer de nettoyer Mme Culpo ? Je dois préparer les potions pour
M. Denner.
J’imagine qu’il valait mieux ça que d’être une Graisseuse. Pour l’instant.
En baissant les yeux sur mes tatouages, je remarquai que les vilaines lignes
rouges étaient déjà presque guéries.
***
Mon service à la clinique durait de midi à seize heures, ensuite j’étais libre
de rentrer chez moi pour faire mes devoirs, ou que sais-je. Ma mère ne partait
pas avant dix-sept heures, je lui dis donc que j’irais récupérer Shea au boulot
et que je commencerais à préparer le dîner. Une fois remise du choc qu’elle
avait éprouvé en apprenant que j’étais maintenant la propriétaire d’une
voiture toute neuve, elle m’avait laissé partir.
— J’y crois pas ! S’il te plaît, dis-moi qu’elle est à nous, hurla-t-elle après
avoir ouvert la portière.
Je ris.
— Mis à part la nouvelle voiture, j’ai passé une journée affreuse, en fait.
Mes nouveaux professeurs célestes sont incroyablement sexy, mais celui qui
commande est un crétin. J’ai passé cinq heures de suite à subir une vraie
torture, puis j’ai passé ces quatre dernières heures à frotter des cadavres. Tu
veux sentir mes mains ?
Notre éducation à Demon City avait jusqu’ici été prise en charge par des
humains, grâce à un contrat que les déchus avaient établi pour nous. Toute
personne de moins de dix-huit ans recevait une éducation gratuite et pour le
moins normale – des maths, des sciences et toutes ces conneries, avec
quelques cours de magie pour rajouter un peu de charme. Mais j’avais
entendu dire qu’à la Tainted Academy, tout était permis. Les démons
donnaient les cours et les anges déchus n’avaient pas leur mot à dire.
Shea soupira.
Elle décroisa les bras et en tendit un vers moi. Là, sur son avant-bras, se
trouvait un gros tatouage représentant un crâne noir avec une tête de serpent
verte sortant de l’une des orbites.
— J’imagine que c’est pour la même raison que celle pour laquelle tu as
reçu tes tatouages si tôt. Pour nous revendiquer de leur côté. Peu importe, les
choses sont ce qu’elles sont.
Elle croisa les bras et fixa son regard sur la vitre alors qu’il commençait à
pleuvoir.
Non.
— Shea, j’ai une voiture. Tu n’as qu’un mot à dire et je nous conduirai loin
d’ici. Nous irons au Canada et vivrons dans les bois, ou quelque chose
comme ça, lui promis-je.
Je lui avais fait le serment que je ne la laisserais pas passer du côté obscur,
et j’étais sincère.
Alors que les larmes coulaient sur son visage, je m’efforçai de ne pas
m’effondrer. Je pouvais compter sur les doigts d’une main le nombre de fois
où j’avais vu Shea pleurer. C’était grave, tellement grave.
Nous mangeâmes notre dîner en silence. Les yeux de mon petit frère
n’arrêtaient pas de passer de mes tatouages à celui de Shea, mais lorsqu’il
tenta de nous interroger à ce propos, ma mère lui donna un coup de pied sous
la table.
Maintenant, Shea et moi étions couchées dans nos lits, dans la chambre que
nous partagions, les yeux fixés sur le plafond. Nous n’avions plus vraiment
parlé depuis la voiture, je sentais qu’elle était un peu déprimée et qu’elle avait
besoin d’être seule.
— Oui.
— Tu as dit que tes nouveaux professeurs étaient sexy. Sexy à quel point ?
— C’est dingue à quel point ils peuvent être canon. C’est aussi comme si
plus ils étaient sexy, plus ils étaient prétentieux et désagréables.
Je souris.
Je ris.
— Les filles de la Tainted Academy sont de vrais vagins. Elles ont déjà
essayé de me chercher.
Elle leva son bras pour montrer les bleus sur sa peau à l’endroit où
quelqu’un l’avait attrapée. Shea était une féministe, alors traiter des femmes
de trous du cul ou de glands ne lui convenait pas. Elle pensait qu’elles
devraient être appelées vagins ou salopes. Je me contentais de laisser couler.
Elle avait toujours été bagarreuse – elle possédait des canifs, des battes de
baseball et des bombes lacrymogènes –, mais un poing américain ! C’était
juste au-dessous du flingue, non ?
— Oh.
On pouvait acheter votre contrat ? Était-ce ce que Burdock allait faire avec
moi ?
Notre enfance était morte et enterrée. Demain serait le début d’un âge
adulte sinistre pour nous deux. Mais je ne pouvais nier que ma situation
semblait un peu meilleure que celle de Shea.
***
Je me réveillai le lendemain matin à cinq heures, au son infernal du réveil –
sans mauvais jeu de mots. Il était très exactement cinq heures sept.
Je pris une douche rapide, heureuse de ne pas avoir à gérer mes ailes, et
remarquai que mes tatouages avaient complètement guéri. Pas de
desquamation, pas de rougeur, rien. C’était à la fois étrange et génial.
Nous prenions soin les uns des autres. C’était ainsi que nous survivions.
J’avais enfilé un jean serré et un T-shirt. Après avoir attrapé une veste à
capuche et mon sac, j’étais prête à partir. Le fait de traverser le couloir avec
mes clefs de voiture me parut un peu surréaliste. J’avais une voiture, quatre
tatouages, et j’allais à la Fallen Academy. Est-ce que j’étais en train de
rêver ?
Brielle Atwater
Déjeuner : 11 h 05 – 11 h 30 (Réfectoire)
Lincoln
Puis j’appuyai sur la touche d’envoi. Qu’il réfléchisse un peu à ça. C’était
en partie vrai.
J’ouvris la porte menant à la rue et vis que Bernie dormait encore. Maximus
agita la queue et je déposai un morceau de pomme dans sa bouche, avant de
laisser le sac contenant le sandwich aux pieds de Bernie. L’heure était
tellement indue que même les sans-abris dormaient encore.
***
Je sortis de ma voiture avec mon sac et fixai mon regard sur les larges
marches de pierres menant à la partie principale du campus.
— Hatha ou Kundalini ?
Il afficha un rictus.
Oh. Merde.
J’émis un grognement.
Je hochai la tête.
— À quelle heure est-ce que les cours commencent pour les autres ?
— Huit heures.
— Je vais bien.
Oh. Mon. Dieu. Quand est-ce que j’ai oublié comment parler ?
Il hocha la tête.
J’entrai dans la pièce et vis une petite femme d’environ cinquante ans avec
de longs cheveux rouges. Elle était humaine, à en croire son allure et son
odeur – ne me demandez pas comment je pouvais sentir que quelqu’un était
humain, je pouvais le faire, c’est tout. Depuis que j’avais cinq ans. Elle était
enfouie sous des couches et des couches de tissu noir et argenté.
— Elle a plus de courbes que tu me l’avais dit. Je vais avoir besoin de ses
mensurations, mais ça devrait convenir pour aujourd’hui.
Je le regardai en souriant.
Il serra les dents, ce qui fit ressortir sa mâchoire carrée, et c’était plutôt
sexy, pour tout dire.
— Voilà une carte. Quand tu en auras terminé ici, rejoins-nous dans la salle
d’entraînement.
Puis il partit.
D’un coup, mon cœur cessa de battre. Lincoln avait vécu une tragédie.
J’avais envie de demander des détails à ce sujet. J’avais tellement envie de
savoir que cela creusait un trou dans ma langue, mais en même temps, je
n’avais pas envie de le découvrir. Je ne voulais pas le regarder différemment,
ressentir de la pitié, ou je ne sais quoi, ni entendre une histoire si intime de la
part d’une étrangère derrière son dos. Alors je gardai la bouche close pendant
qu’elle prenait mes mesures.
Dans un état second, je me dirigeai vers la salle d’habillage à l’arrière de la
pièce et enfilai un uniforme noir moulant orné de l’insigne avec les ailes en
argent de la Fallen Academy. Il n’était pas serré au point que je craigne de le
voir se déchirer, mais il l’était assez pour que quelqu’un puisse faire rebondir
une pièce sur mes fesses.
Dès l’instant où j’entrai dans la grande salle de sport, Noah se mit à siffler.
J’émis un reniflement alors que Lincoln lui donnait une tape sur l’arrière du
crâne.
— Il n’y a aucune loi contre ça, mon frère. Elle a dix-huit ans.
Je ne pourrais jamais sortir avec un mec qui avait des sourcils plus soignés
que les miens.
Noah sourit.
— Merci.
— Donc, quand est-ce qu’on commence ? Vous voulez que je vous montre
mes techniques ? J’ai grandi dans le ghetto, alors je suis probablement plus
avancée que vos étudiants standards.
— Je ne suis pas adorable. Les chatons sont adorables. Je suis une dure à
cuir. Regarde, il y a encore du sang séché dessus, après ce qu’il s’est passé
hier, dis-je en leur montrant la lame.
Rabat-joie.
— Allez, Miss Yoga, dit-il en claquant des doigts alors que les garçons
commençaient à étaler d’énormes tapis de soixante centimètres d’épaisseur
sur le sol.
Oh mon Dieu, c’est pour amortir ma chute.
Pas de chance.
OK…
— Quoi ? rugis-je.
Je jetai un œil derrière moi et vis que je n’avais réussi à sortir qu’une seule
aile.
Tuez-moi, je vous en prie.
— Est-ce que le moment est mal choisi pour vous dire que j’ai le vertige ?
1. Ils étaient clairement tous les quatre en train de mater mon cul.
Après avoir réussi à planer pendant deux secondes, durant lesquelles j’avais
giflé Lincoln en plein visage avec mon aile – complètement par accident,
bien sûr –, j’avais assisté à un cours d’histoire d’une heure. À mon grand
désarroi, tout le monde savait qui j’étais et avait passé presque toute l’heure à
me dévisager ou pointer du doigt vers moi. J’en avais même vu quelques-uns
articuler « Suppôt de Satan ».
Génial.
C’était intense.
— Aujourd’hui est l’un des jours les plus importants de votre vie. Vous
allez découvrir votre arme éternelle, et être lié à elle pour toujours.
Sa voix résonnait dans la pièce, nous parvenant de tous les angles à la fois.
— Est-ce que notre arme éternelle peut vraiment nous parler, après qu’on a
été lié à elle ?
Soit elle était défoncée, soit je n’avais pas bien compris ce qu’elle venait de
dire. C’était peut-être moi qui étais défoncée, parce que cette fille venait de
demander si nos armes allaient nous parler.
— C’est différent pour tout le monde. Une arme éternelle qui parle est
quelque chose de très rare, mais chaque arme possède effectivement une âme,
vous sentirez donc sa personnalité même si vous ne pouvez l’entendre.
Il baissa les yeux sur son registre, avant de les poser sur mon front.
— Brielle, c’est ça ?
Tiffany laissa échapper un rire irritant, poussant ses ouailles à rire avec elle.
— Dans ce cas, je pense que le café est mon arme éternelle, marmonnai-je
doucement, faisant pouffer de rire quelques étudiants près de moi.
— Bri.
Mon « gaydar » émettait des signaux assez forts, je ne craignais donc pas
qu’il soit en train de flirter avec moi, ou rien de louche dans le genre.
Il hocha la tête.
— Autant l’aborder tout de suite, dit-il en faisant un geste vers mon front.
Ma tante est liée à un démon, elle a ce truc sur le front aussi, alors je
comprends et je n’ai aucun souci avec ça.
Je souris. Sincèrement.
Super.
— Ah, les flèches de la vérité. Une très bonne arme, jeune homme. Tu peux
être honoré, remarqua M. Claymore.
Les deux derniers étudiants trouvèrent leur arme, et tous les yeux se
posèrent sur moi. Luke était le seul à m’adresser un regard de compassion ;
tous les autres semblaient… irrités, genre, Seigneur, pourquoi il faut qu’on
l’attende ?
Alors que je passai devant la dernière cage, je sentis quelque chose remuer
en moi. Mon estomac bouillonnait d’excitation et j’avais l’impression de me
tenir à côté d’une source d’électricité. J’étudiai la rangée de dagues, mon
cœur cognant à tout rompre dans ma poitrine.
— Par ici, jeune ailée, dit une petite voix féminine dans ma tête, me faisant
reculer vivement de deux pas.
Je sentais sa présence, comme si elle était une personne, une vieille amie.
C’était à la fois la chose la plus étrange et la plus réconfortante que j’ai
jamais connue.
— Une lame séraphique. Je ne savais même pas que nous en avions une ici,
lâcha M. Claymore.
Je fus contente de voir que mes yeux n’étaient pas les seuls à s’écarquiller.
Tiffany fut la première à percer la peau de sa main avec son épée géante,
comme si l’idée de nourrir une arme de son sang ne la gênait pas du tout. Puis
tout le monde l’imita. Luke me regarda et haussa les épaules, avant de se
piquer la paume avec l’une de ses flèches.
Alors que Luke et moi nous dirigions ensemble vers le cours de combat, je
tentai de faire rentrer mes ailes, mais elles ne se montraient pas très
coopératives. À un moment, mon aile effleura accidentellement Tiffany – que
j’appelai désormais amicalement Pouffany dans ma tête –, et elle poussa un
cri strident, avant de demander de l’eau bénite. Tout le monde se mit à rire. Je
gardai le menton levé et bien haut. Je ne la laisserais pas me démoraliser.
Il avait une sœur plus âgée, Angela, qui était Nécromancienne et deux
classes au-dessus de nous.
— Oh, mec, je me souviens encore du jour où j’ai reçu mon arme éternelle,
sourit-elle en regardant l’arc et les flèches de Luke. Maman sera très fière.
Il hocha la tête.
— Et papa ?
— Ma mère et mon père sont tous les deux bénis des anges, m’expliqua-t-il.
— Ah.
Certaines familles avaient ce besoin étrange que leurs enfants soient comme
eux. Ma mère avait voulu que je sois une Nécromancienne pour que nous
puissions travailler ensemble, mais c’était ce qui avait fini par arriver de toute
façon.
— Il n’a aucun problème avec le fait que je sois gay, mais il a piqué une
crise quand il a découvert que j’étais un Métamorphe Animal et que je
possédais un don démoniaque, dit-il à ses brocolis.
Angela se mordilla la lèvre. Elle avait de longs cheveux d’un noir d’encre et
était plutôt jolie avec ses yeux verts et ses pommettes hautes.
— Il s’en remettra.
Elle leva alors les yeux derrière moi et se redressa, droite comme un piquet.
La plupart des Célestes les gardaient rétractées sauf pour se battre ou pour
se la péter.
Bon sang. Je vais rester éveillée toute la nuit à fantasmer non pas sur le fait
de le voir nu, mais sur les nombreuses façons que je pourrais utiliser pour le
tuer et dissimuler son corps.
Je ne répondis pas et il leva une main pour caresser le haut de mes ailes
dans un geste lascif. Mes ailes se rétractèrent dans mon dos alors qu’une
vague de chaleur parcourait ma colonne vertébrale. Je n’allais pas mentir,
mon corps aimait son contact, mais je le supportais à peine. Bien sûr, il avait
peut-être traversé une tragédie, mais il était simplement… irritant. À tous les
niveaux.
— Ouais, d’accord.
— On se voit demain.
— Ouais.
Angela lui donna un coup de pied sous la table et ils arborèrent tous deux
un sourire de façade.
Bénie soit-elle.
Arf. Ce grand dadais est sympa à regarder, mais il commence à être comme
une grosse épine dans mon pied.
— Salut, Linc.
Linc. Ce doit être comme ça qu’elles l’appellent toutes après avoir couché
avec lui.
— Salut, Tiffany.
Était-ce de l’agacement que j’entendais dans le ton de sa voix ? Il la
connaissait, c’était sûr !
— C’est vraiment nul que Raphaël te force à jouer les baby-sitters pour
l’arch-démon, cracha-t-elle en m’adressant un regard noir.
La colère bouillonna dans tout mon corps. Comment osait-elle dire un truc
pareil ! Je m’avançai pour faire quelque chose d’impulsif et de fou, comme
lui arracher les yeux, mais Lincoln leva une main pour m’arrêter.
— Ouais, merci, papa, mais j’ai bien conscience de ça. Elle a été sur mon
dos toute la journée, soufflai-je.
Je haussai un sourcil.
— Et à toi, ça t’arrive ?
Il roula des yeux et se remit à marcher, me forçant à courir après lui comme
une idiote.
— Comment tu la connais, d’ailleurs ? Une ex-petite amie ?
Je ne savais trop quoi dire, alors pour une fois dans ma vie, je gardai le
silence.
Je souris.
— Oh, mon chou, tu me donnes déjà la clef de chez toi ? Mince alors, on
vient tout juste de se rencontrer.
— C’est quoi ton problème avec moi ? Honnêtement. Déballe ton sac.
J’avais décidé que cet instant, alors que j’étais en retard pour aller laver des
cadavres, était le moment idéal pour avoir une longue dispute interminable.
Il fit un pas vers moi, réduisant la distance entre nous, et mon souffle se
coinça dans ma gorge. Il toucha mon front avec son index.
J’émis un hoquet, les larmes emplissant mes yeux. Je n’étais pas prête à
entendre une réponse aussi haineuse. Son visage se décomposa alors que ma
lèvre inférieure se mettait à trembler, mais je ne comptais pas donner à ce
connard la satisfaction de me voir pleurer.
***
Je garai la voiture et en sortis, mais plutôt que de me diriger vers les portes
comme j’aurais dû le faire, je me figeai alors qu’une forte odeur de sulfure et
de pétrole m’atteignait. Un démon était proche, d’un genre dont je ne
reconnaissais pas l’odeur.
Je déglutis et traversai à grands pas le parking. Juste avant que j’aie atteint
les doubles portes, un authentique démon Abrus sortit de derrière le pilier,
faisant remonter mon cœur dans ma gorge et se déployer mes ailes dans une
attitude défensive. Les démons Abrus étaient les bras droits de Lucifer en
personne. Ils ressemblaient beaucoup à des humains, ne possédant que deux
petites cornes rouges sur le front, ainsi que des yeux jaunes brûlants. Ils
étaient tous des hommes incroyablement beaux, séducteurs et dangereux. Je
n’en avais rencontré qu’un seul dans ma vie, jusqu’ici.
Mon visage dut arborer une expression de totale stupéfaction, parce qu’il
sourit.
Mon cœur cognait si fort que j’étais à peu près sûre qu’il pouvait l’entendre.
J’espérais de tout cœur qu’il ne soit pas l’un de ces démons pouvant
détecter les mensonges. Cela ne semblait pas être le cas, parce qu’il hocha la
tête.
Je savais au plus profond de moi que je ne devrais pas dire ce que j’avais
vraiment choisi, alors je lui annonçai la première chose qui me vint à l’esprit.
Il hocha la tête.
— Ah oui ?
Il sourit, avant de tendre la main pour caresser les plumes de mon aile,
provoquant un frisson de répulsion le long de mon dos.
— C’est là que j’achèterai ton contrat, après quoi tu travailleras pour moi.
Assure-toi d’apporter tes flèches de la vérité pour la signature du contrat. Tu
ne retourneras pas à la Fallen Academy.
À : LincolnGrey@FallenAcademy.com
Mon maître vient de vendre mon contrat à un démon Abrus. Ce sera finalisé
durant la prochaine pleine lune. Il va me faire quitter l’académie. Tu ne
devrais peut-être pas t’embêter à venir demain matin.
Sincèrement,
La fille en qui tu n’as pas confiance, et qui fait clairement du yoga tout le
temps.
De : LincolnGrey@FallenAcademy.com
Sincèrement,
Ce matin-là, quand j’arrivai à l’école, Lincoln n’était pas là, et Noah, Blake
et Darren se comportèrent très bizarrement durant mon entraînement. Noah
avait apporté Sera et ils m’avaient fait faire des exercices basiques sur la
façon de la tenir, de la projeter en avant et d’autres choses que je savais déjà
faire après avoir grandi à Demon City avec toute une engeance infernale.
Quand j’avais demandé où était Lincoln, ils m’avaient simplement dit qu’il
avait un rendez-vous important. J’étais désormais en cours d’armes avec
M. Claymore et il nous faisait nous entraîner ensemble, Luke et moi. Le
Mage arriva derrière moi et je resserrai ma prise sur Sera.
Le professeur s’avança devant moi et plaça ses deux mains sur mes épaules,
me scrutant de son regard avisé et d’un blanc nébuleux.
— Une lame séraphique n’est pas une arme éternelle ordinaire. C’est une
arme de l’âme. Ouvre-toi à elle. Montre-lui tes peurs, tes espoirs et tes rêves,
et elle se battra pour eux. Elle renferme une magie extrêmement rare.
— Très bien, maintenant, je veux que vous pratiquiez tous des exercices de
protection. Nous allons nous séparer en groupes de trois. Une personne sera
le protecteur, une autre la victime, et la dernière l’attaquant. Ces exercices
vous prépareront pour l’examen final de l’année, lorsque vous passerez
l’Épreuve pour arriver en deuxième année.
La porte du fond s’ouvrit et Noah entra, au grand plaisir de toutes les filles
de la classe. Tiffany ronronnait presque littéralement.
— Je veux que cela vous paraisse réel, déclara le professeur. C’est la seule
manière d’activer votre arme. N’essayez pas de blesser qui que ce soit
sérieusement, mais si quelqu’un reçoit une petite coupure ou quelque chose
de ce genre, nous aurons un guérisseur sous la main.
Pouffany.
— Eh, Archie, me murmura-t-elle. Arch-démon, Archie. Tu comprends ? se
moqua-t-elle avec un sourire en coin.
Je sortis Sera et adoptai une position défensive devant Luke. Et pour faire
en sorte qu’il lui soit encore plus difficile d’atteindre Luke, je déployai mes
ailes. Ce matin même, avec l’aide et les conseils de Blake, j’avais réussi à
maîtriser la technique pour les déployer et les rétracter.
— S’il te plaît, protège-moi. J’ai vraiment peur d’elle, confessa Luke d’une
voix forte derrière moi, faisant éclater de rire toute la classe.
Je gardai les yeux fixés sur son visage, gardant ses bras dans mon champ de
vision. Les garçons m’avaient appris ce matin que j’avais une tonne de magie
à ma disposition, mais que nous apprivoiserions mes pouvoirs un par un.
Donc pour l’instant, mes ailes et la dague étaient ma seule magie.
— Lux, souffla Tiffany, et son arme s’illumina, émettant une lueur blanche
éclatante.
Les joues de Tiffany rougirent, mais quand elle plongea vers moi, j’étais
prête. Tout en plissant les yeux pour éviter d’être aveuglée par la lumière,
j’évitai son attaque et lui fis baisser son immense épée avec ma dague. Quand
les deux armes entrèrent en collision l’une avec l’autre, sa lumière s’éteignit
et ma dague envoya des rayons laser bleus vers son visage. Elle recula en
poussant un cri strident, son bras se levant vivement pour se couvrir les yeux,
et je souris.
Je tombai à genou, grimaçant, alors qu’elle pivotait sur le côté pour attraper
Luke par le col de son uniforme. Si elle réussissait à sortir du cercle, je
perdais.
— OK, ça suffira. Bien joué, toutes les deux. C’est un bon début dans
l’apprentissage de votre arme, lança le professeur.
Il y avait une méchante marque rouge sur le côté du bras de Tiffany et elle
me fusillait du regard, s’imaginant probablement en train de me couper la tête
avec son énorme épée.
Qu’une dague vous envoie une image mentale était plutôt cool.
— Je suis une extension de toi, mon enfant. Cela fait de toi une dure à cuir
aussi, répondit-elle.
***
Une petite rousse se glissa à côté de moi. Je l’avais vue dans plusieurs de
mes cours, une Enfant de la Nuit. Elle portait une capuche sur ses cheveux,
une seule mèche rouge en dépassant. Ses mains étaient gantées, malgré le fait
que les fenêtres de la cafétéria étaient couvertes d’un « revêtement anti-UV
très performant » – selon les mots de Luke – pour qu’elle et les autres Enfants
de la Nuit puissent se joindre à nous.
— Je suis Chloé. Nous avons tous trouvé que ce que tu avais fait à Tiffany
en cours d’armes était dément.
Elle fit un signe de tête vers ses amis, qui se tenaient derrière elle. Ils
hochèrent la tête à leur tour avec des sourires encourageants.
— Oh… merci.
Ce n’était pas vraiment moi, juste mon arme, mais si cela pouvait m’aider à
me faire plus d’amis, je voulais bien accepter le compliment.
— Bref, reprit-elle en faisant glisser un flyer violet sur la table. Mon père
est le propriétaire de la Lune du Troisième Œil. C’est une boîte de nuit
souterraine. Il me laisse la louer pour mon dix-neuvième anniversaire, et
j’aimerais que tu viennes. Amène tes amis, si tu veux.
Waouh. Je n’avais jamais vraiment été invitée à une grande fête en boîte de
nuit jusqu’ici. Mon cœur se serra lorsque j’étudiai le flyer. La fête aurait lieu
ce vendredi soir. À dix heures.
— Très bien, je vais faire ce que je peux, lui répondis-je avec un sourire.
Puis elle partit, emmenant ses amis Enfants de la Nuit avec elle.
Il hocha la tête.
Lincoln.
Je ne lui dirais pas que j’étais en sursis jusqu’à mon dernier jour.
Je ris, sortis mon téléphone et pris une photo du flyer pour avoir l’adresse.
Je ne savais pas quoi dire. J’étais toujours collée contre son corps ferme, ce
qui était un tout petit peu perturbant.
Il m’avait dit plus tôt que les quatre archanges ne se réunissaient que lors
d’occasions spéciales, alors pourquoi étaient-ils tous de retour ?
— Mais…
— S’il te plaît, pour une fois dans ta vie, fais ce que je te dis. C’est
important.
Il garda le silence.
Oh merde.
— J’ai entendu dire qu’il pouvait créer des portails menant directement à
Lucifer, et qu’il était impossible à tuer à moins de couper d’abord ses cornes.
Elles possèdent un genre de pouvoir régénérant ou quelque chose comme ça.
Mais ce sont juste des rumeurs.
Je ne voulais pas qu’il pense que je n’avais pas confiance en lui, mais…
c’était le cas. J’avais peur pour lui. D’accord, c’était un Céleste, mais il avait
vingt-deux ans, et il allait s’en prendre à un démon de plusieurs centaines
d’années.
Bon sang.
— Et j’ai la bénédiction de tous les archanges pour faire ça. Ils m’ont
choisi, et j’en suis honoré, me dit-il sur un ton de défi.
Bon, d’accord.
Tout mon corps fondit, une sensation de chaleur se répandant dans mes
entrailles.
— Je veux dire, pour la guerre et pour les anges déchus. Tu es spéciale pour
eux, et je travaille pour eux, cela te rend donc spéciale pour moi.
— Bien sûr, répondis-je alors que la flamme qu’il avait allumée en moi
mourait entièrement.
— OK…
Il déglutit.
— Si je te détestais, la première fois que je t’ai vue, c’est parce que mes
parents et ma petite sœur ont été tués dans une attaque, et que tu me rappelles
ce moment.
Ce fut comme si tout l’air était aspiré hors de la voiture dans un trou noir.
C’était ça, le traumatisme qu’il avait traversé. Tout mon corps se figea.
Pourquoi est-ce que je lui rappellerais la mort de ses parents ?
Je posai une main sur son bras, et il ne s’écarta pas. Je m’étais mise à
respirer par hoquets irréguliers alors que je luttais pour garder mon calme. Il
avait perdu toute sa famille, je ne pouvais même pas imaginer ce que ça
pouvait être.
Sa voix se brisa et je ne pus retenir mes larmes avant qu’elles ne coulent sur
mon visage.
Il secoua la tête.
— Tu n’aurais pas le choix. C’est là que je voulais en venir. Je suis ici pour
te donner le choix.
— Si… S’il m’arrive quelque chose, assure-toi que mon corps revienne à
l’académie. Je ne veux pas être réanimé.
Je me figeai sur place, m’aplatissant contre le mur. Lincoln sortit son épée
et la pointa vers le torse de mon maître.
— Mais je vais te tuer pour être entré ici sans y avoir été invité.
Lincoln ne parut pas du tout intimidé. Il tendit la main derrière son dos et
sortit une autre arme. Celle-ci était incroyablement plus grande et plus
brillante. Elle irradiait d’une puissance certaine, et quand la fumée de
Burdock l’approcha, elle fuit, comme effrayée.
— Je te présente l’épée de l’archange Michel. Elle sera offerte librement au
gagnant de ce combat.
— J’accepte.
Lincoln passa les portes en reculant, sans jamais tourner le dos à Burdock.
Je fis de même. L’épée de Michel et les deux parchemins restèrent sur le sol
de la clinique de réanimation.
— Kate, surveille le gage. S’il lui arrive quoi que ce soit, je te tue, dit-il à
ma mère.
Je me tournai face à Burdock et vis que son témoin était en effet arrivé. Il
avait appelé le patron de Shea, Maître Grim. Et mon amie se trouvait sur le
siège conducteur, à côté de lui. Lincoln transpirait un peu, s’affaiblissant
clairement à chaque moment passé dans la ville.
Grim hocha la tête tout en détaillant le Céleste de haut en bas, comme s’il
était un repas. Puis il cracha au sol, le trottoir se mettant à fumer là où sa
salive était tombée.
— Finissons-en.
Burdock sourit.
— Avec plaisir.
Lincoln adressa un regard noir à mon maître et fléchit le dos, déployant ses
magnifiques ailes blanches. Elles s’étendaient sur presque quatre mètres
d’envergure et il les fit battre avec force de haut en bas, éteignant la moitié du
cercle de feu de l’Enfer.
Oh merde.
Burdock bougea si vite que ses mouvements étaient flous. Comme un foutu
vampire, il était là une seconde, et se trouvait juste devant Lincoln la seconde
suivante. Il se propulsa de tout son poids et frappa le torse du jeune homme,
entrant en collision avec son armure et déchirant son T-shirt.
Oups.
Mon regard effrayé croisa celui de Shea à l’autre bout du parking ; elle
semblait complètement sous le choc et perplexe. Sa mâchoire pendante et son
tatouage en forme de tête de mort firent se former une idée dans mon esprit.
Une idée folle. Une idée qui pourrait me faire tuer.
J’avais envie de protester, de me précipiter là-bas pour aider, mais elle avait
raison. Cela allait probablement à l’encontre des règles, et il était si près de
réussir. Il semblait vraiment avoir une chance.
Waouh.
Le contrat d’un rouge luisant dans les mains de ma mère tomba en cendres,
nous faisant émettre à toutes deux un hoquet de surprise.
J’étais libre. J’étais une âme libre.
C’était plutôt librement volée, mais j’espérais que cela n’ait pas
d’importance.
Il sourit.
— Très bien ! répliquai-je entre mes dents serrées, avant que ma nervosité
ne prenne le dessus.
Le couteau était toujours enfoncé dans sa jambe, le bout de ses ailes était
brûlé et ses mains semblaient ensanglantées et meurtries. Il passa une main
sous mon bras et commença à me traîner vers ma voiture.
Je crispai la mâchoire et pointai du doigt vers mon amie, qui se tenait avec
ma mère au bord du cercle, sous le choc.
Il fronça les sourcils, ses yeux passant de mon teint pâle à sa peau brune.
— Et je sais que tu ne me fais pas confiance, ou que tu ne me connais pas
encore très bien, mais s’il y a une chose que tu dois savoir, c’est que je suis
loyale, et je ne la laisserai pas tomber, je préfère encore mourir !
— Dans ce cas, ton souhait risque bien de se réaliser, dit Lincoln, avant de
s’effondrer contre l’arrière de ma voiture, du sang s’écoulant de sa jambe.
Il ricana et frappa dans ses mains, faisant apparaître le contrat de Shea, qu’il
tendit à ma mère.
Il secoua la tête.
Merci de ta confiance.
Je secouai la tête.
— Je ne partirai pas sans toi. Tu vas passer du côté obscur, nous allons
cesser de nous parler et ma mère pleurera tout le temps. Alors non.
Elle aboya un rire à travers ses larmes et se jeta dans mes bras, m’étreignant
assez fort pour me briser les os.
Super.
— Quoi ?
Mais je n’eus pas le temps de protester ; il allait être sur moi dans une
seconde.
Je mis son élan à profit et tombai à genoux. Alors qu’il volait au-dessus de
moi, j’arquai le dos et enfonçai Sera dans son entrejambe. Je touchai quelque
chose, mais je n’aurais su dire si j’avais infligé beaucoup de dégâts. Il ne
hurla même pas et la dague ressortit propre.
Je me remis debout et battis des ailes deux fois, me mettant à planer. Grim
se précipitait vers moi très vite.
La seule chose nous empêchant d’être des âmes libres toutes les deux,
c’était lui. Il était hors de question que je laisse cela arriver.
Il vola vers moi, tendant sa longue épée enflammée devant lui. Nous allions
entrer en collision et il n’y avait rien que je puisse faire contre ça. Sans
bouclier ni armure, cette épée pouvait m’étriper comme un poisson.
— Tends les jambes ! lança Sera.
Il sourit avant de voler en arrière pour prendre plus d’élan, mais je ne lui en
laissai pas l’occasion. Poussant un cri de guerre, je battis des ailes plus fort
que jamais et fonçai sur lui, dans l’intention de plonger ma lame dans son
cou. Alors que je plongeai vers lui, il baissa la tête et ma dague traversa son
œil à la place.
Ça me va aussi.
La dague s’illumina d’une couleur bleu vif brûlante et les cris suraigus de
Grim emplirent l’air. Il commença à donner des coups à l’aveugle, tentant de
me taillader. Je dus lâcher prise et laisser la dague dans son orbite pour éviter
d’être à nouveau blessée, abandonnant ma seule arme. Des rayons de lumière
blanche jaillirent de ses oreilles alors qu’il continuait à hurler.
— Shea fait partie de la famille, déclara Sera d’un ton féroce. Elle est à
nous, pas à lui.
Voilà la Shea que je connaissais, l’esprit passionné qui avait été brisé ces
derniers temps.
Il laissa tomber son épée et, alors que le démon s’effondrait, Sera m’envoya
tout un tas d’images mentales, qui traversèrent mon esprit en un éclair et qui
décrivaient ce qu’elle voulait que je fasse. Je n’eus pas le luxe de prendre le
temps d’y réfléchir, ou de les questionner. Je ne voulais pas non plus qu’il ait
le temps de déclarer forfait et de partir. Je me jetai sur lui et attrapai le
couteau, dont la garde était froide pour moi. Je l’ôtai de son œil avec un bruit
de succion dégoûtant et m’apprêtait à l’enfoncer dans sa gorge.
Son front était libéré du tatouage en forme de croissant de lune. Son contrat
était en cendres sur le sol.
Bon sang.
— Je suis très fière de toi. Appelle-moi plus tard, mais ne reviens plus
jamais ici.
Que va-t-il lui arriver ? Pourquoi sa marque est-elle encore là alors que
notre patron est mort ?
J’avais une centaine de questions dans la tête, mais une vague de vertige
m’envahit à nouveau. Quand je baissai les yeux, je vis que je me tenais dans
une mare de mon propre sang.
Merde.
Mon dos était contre le torse de Lincoln, son souffle chaud sortant de sa
bouche par à-coups rapides et râpeux contre mon cou.
Il tendit la main vers moi, sa paume d’un orange luisant. La voiture démarra
en trombe avec un soubresaut, et je me souvins que Shea n’avait pas le
permis.
Trop faible pour m’en soucier, je me contentai de fixer la main d’un orange
brillant alors qu’il la posait sur ma cuisse en sang. Il essayait de me soigner.
Il était en train de se vider de son sang, plus faible que jamais, et il essayait
quand même de me soigner.
La perte de sang m’avait clairement mise dans les vapes, et m’avait fait
perdre mes inhibitions.
Un rire grave franchit mes lèvres, puis un mur noir s’écrasa sur moi alors
que je perdais connaissance.
CHAPITRE DIX
À cet instant, je pouvais sentir des draps sous mon corps ; mes côtes, ma
cuisse et mon coccyx m’élançaient. Je tentai de parler, mais ne pus
qu’émettre un gémissement. J’ouvris les yeux et grimaçai sous la lumière
vive.
— Ça, je te le garantis.
Je hochai la tête.
Nous étions des âmes libres, mais sans travail, nous ne pourrions vivre à
Angel City, et maintenant nous étions bannies de Demon City. Nous étions
plus ou moins sans abri, s’ils refusaient de nous garder.
Je souris. Raphaël.
— Tu veux parler du beau gosse qui s’est battu pour ta liberté ? Ouais, ses
blessures étaient assez mineures. Le fait de se trouver à Demon City drainait
simplement son énergie, ou je ne sais quoi. Dès que nous avons passé la
frontière, il s’est redressé d’un coup. Une perte de sang modérée et quelques
points de suture, d’après ce que j’ai entendu dire.
Elle pointa du doigt le trou dans le plâtre. Je grimaçai, et elle posa une main
sur mon épaule.
J’avais presque tué un démon, alors j’étais sans doute une guerrière, mais je
ne comptais pas le dire à voix haute. Shea prendrait son ton de Portoricaine et
se mettrait à jurer en espagnol tout en agitant ses mains devant mon visage
d’un air furieux. Je me contentai donc de hocher la tête, avant de regarder
mes vêtements empilés sur la chaise, remarquant pour la première fois que je
portais une chemise de nuit en coton blanc, et rien d’autre.
— Qui ?
— Ma dague.
Ce fils de…
— Je sais, mais…
— Mais c’était aussi admirable. Je suis très touché par cette histoire. Sauver
ainsi ta sœur d’une vie d’esclavage. C’est très émouvant.
— Ma sœur ? demandai-je.
Lincoln leur a dit ça ? Hum. Ils ne peuvent peut-être la laisser rester que si
elle est de ma famille.
— Nous n’allons pas vous mettre dehors, me rassura Raphaël. J’ai amené
M. Claymore pour voir s’il était possible d’effacer la marque de mort de
Shea. À supposer que ce soit ce qu’elle veut. Ainsi, elle pourrait devenir
étudiante ici. Le logement et le repas sont inclus, bien sûr.
J’avais envie de me montrer forte, mais j’en fus incapable, et des larmes
coulèrent de mes yeux.
— Oui ! C’est ce que j’ai toujours voulu. J’ai pris la marque contre mon
gré. Ils m’ont clouée au sol et…
— Dans ce cas, c’est réglé ! Je suppose que vous aimeriez partager une
chambre, toutes les deux ? Je vais demander au gardien de préparer les lieux
pour que vous puissiez vous installer. Est-ce que vous avez pu amener
quelques affaires personnelles ?
Ouais, bien sûr. On s’est enfuies comme si on avait le diable aux trousses.
Vous avez le jeu de mots ?
Je hochai la tête.
— Et une étudiante mage me serait bien utile pour garder mon matériel en
ordre, écraser mes poudres, m’aider avec les potions.
Nous étions enfin libérées des ténèbres qui nous avaient menacées toute
notre vie. Nous n’étions plus esclaves de personne. Nous étions des âmes
libres, et cela faisait du bien.
Raphaël s’apprêtait à quitter la pièce quand je me redressai.
Il se retourna.
— Hum, Lincoln m’a pris Sera, ma lame séraphique. Est-ce que je peux la
récupérer ?
Grrr. Lincoln profitait du pouvoir qu’il avait sur moi, mais mince, il
m’avait rendu ma liberté, alors j’allais devoir faire ce qu’il me disait.
Oh, Seigneur.
— Si, bien sûr. Mais c’est étrange. J’avais oublié ce que ça faisait d’être
heureuse.
Elle sourit.
Elle posa le panier au sol et appuya les béquilles au bout de mon lit. Je
reconnus le tatouage de Raphaël sur son avant-bras.
Je hochai la tête.
— D’accord.
— Vous êtes libres de partir, les filles. Le personnel d’entretien est en train
de mettre des draps sur vos lits. Voici une carte avec l’emplacement de votre
chambre. Reviens si tu sens tes douleurs s’aggraver, et prenez tout ce que
vous voudrez parmi les objets trouvés.
Elle sourit avant de quitter discrètement la pièce. Shea jeta un œil à la carte.
— Mince alors, cet endroit est immense. Bien plus grand que la Tainted
Academy.
Je n’arrivais toujours pas à croire que j’avais réussi à la tirer de là-bas. Que
je m’en étais moi-même tirée. Je me frottai le front, incrédule à l’idée que la
marque d’esclave ait disparu. Je passai mes jambes hors du lit avec prudence
et fis un geste vers la pile.
Après avoir rempli le sac à dos avec une bouteille d’eau, des écouteurs, une
veste à capuche, deux T-shirts de sport et un parapluie, nous quittâmes la
clinique et fouillâmes les environs à la recherche de notre chambre. Nous
nous perdîmes rapidement et réalisâmes que Shea lisait la carte à l’envers.
Une fois que j’eus pris le relais, nous trouvâmes Bright Hall. La salle
commune était remplie d’étudiants, et cette pièce est accessible à la fois aux
résidentes de Bright Hall, bâtiment réservé aux filles, et aux garçons, qui était
eux logés à Stone Hall. Je fus ravie d’apercevoir Luke et Angela, à qui je
présentai Shea, avant de leur faire un rapide résumé de ce qu’il s’était passé.
Une fois leur stupéfaction retombée, ils se montrèrent très enthousiastes à
l’idée que nous puissions étudier à l’académie à plein temps.
— Oh, mon Dieu, les filles, maintenant j’ai quelqu’un avec qui paniquer au
sujet du Défi, couina Luke.
— Nous avons tous été ensorcelés pour ne rien pouvoir dire. Mais fais-moi
confiance, tu auras besoin de tous les atouts à ta disposition, alors travaille
dur. C’est tout ce que je peux dire.
Quand ses yeux se posèrent sur moi, ils se plissèrent, passant de ma tenue à
la marque de mort de Shea, puis à mes béquilles. Finalement, ils se posèrent
sur mon front.
Je jetai un œil à Shea, qui arborait un air de bête sauvage, avant de hausser
les épaules.
Tout son visage prit une teinte écarlate, la colère émanant d’elle par tous les
pores.
— Je peux faire tomber tous ses cheveux, gronda Shea. J’ai appris à le faire
à la Tainted Academy.
J’agitai la main.
— Elle n’en vaut pas la peine. Elle est obsédée par Lincoln, alors je suis à
peu près sûre que je viens de gâcher sa soirée.
Shea sourit.
Quand mes yeux tombèrent sur le nouvel horaire de début des cours, huit
heures, j’eus envie de pleurer. Mais après avoir lu plus avant, je me mis à
rire. C’était clairement Lincoln qui avait fait mon emploi du temps.
Brielle Atwater
Déjeuner : 11 h 05 – 11 h 55 (Réfectoire)
Il était si grognon.
Après avoir comparé nos emplois du temps, je fus attristée de voir que je
n’avais que deux cours en commun avec Shea, les cours de combat et
d’armes, mais il se faisait tard et j’avais l’impression d’avoir été heurtée par
un camion. Je sortis mon téléphone déchargé de mon sac en bandoulière et
poussai un grognement ; il était inutile sans le chargeur posé juste à côté de
mon lit, chez moi. Je devrais emprunter le téléphone de quelqu’un d’autre
demain pour appeler ma mère et m’assurer qu’elle et Mikey allaient bien, et
qu’elle pouvait continuer de s’occuper de Bernie et Maximus sans moi.
Elle me scruta.
Shea et moi fûmes soulagées d’apprendre que trois repas et deux encas par
jour étaient inclus dans la scolarité gratuite, il semblait donc que nous ayons
uniquement besoin de gagner assez d’argent pour nous acheter nos affaires
personnelles.
J’étais si nerveuse à l’idée de revoir Lincoln après tout ce qu’il s’était passé
que j’en vomis presque ce matin-là, durant le petit déjeuner. J’avais avalé
deux bouchées de mes céréales, puis mon estomac avait menacé de tout
renvoyer, alors j’avais repoussé le bol. J’avais découvert en me réveillant que
je n’avais plus besoin de mes béquilles, et qu’à part un léger élancement –
une pointe de douleur quand je marchais et une démangeaison autour de mes
points de suture –, j’étais guérie. Il me faudrait un moment pour m’habituer à
ça.
Shea disait qu’elle n’était pas nerveuse, mais je savais qu’elle l’était.
Nous étions toutes les deux allées voir la couturière pour obtenir de
nouveaux uniformes tôt ce matin, mais Rose n’en avait plus à manches
longues. Ce qui signifiait que la marque de mort de Shea était complètement
exposée.
Elle continua tout en pointant du doigt vers une affiche comportant des
illustrations des différents anges, dans une sorte de hiérarchie.
— Ici, tout en haut, nous avons les Séraphins, les gardiens du trône du
Créateur.
Elle leva la main, pointant du doigt vers l’image d’un ange tenant une
balance.
— Les Vertus, les anges du Choix ; les Puissances, qui sont mes préférés,
personnellement, ronronna-t-elle. Ce sont des anges guerriers.
Waouh. Je ne savais absolument pas qu’il y en avait tant que ça. Je levai la
main et elle fit un geste vers moi.
— Brielle ?
— Il est l’un des anges les plus bas sur l’échelle, et pourtant les plus nobles.
Un archange, qui sont les protecteurs de l’humanité.
— Je ne sais pas, mais une guerre a éclaté au royaume des anges à ce sujet.
Il y a beaucoup de règles, et Raphaël et les autres archanges en ont enfreint
certaines pour venir ici.
Lincoln était assis à la table de la salle à manger, en train d’avaler des œufs
brouillés et une pomme. Ma dague se trouvait sur le banc à côté de lui.
— Bon sang ! Tu es obligée de faire irruption ici comme un flic ? N’hésite
pas à frapper, la prochaine fois, pour vérifier si je suis chez moi, grogna-t-il.
Je haletai comme une bête sauvage, la bouche sèche après avoir respiré la
bouche ouverte sur le chemin jusqu’ici. Je ne m’attendais pas à ce que
Lincoln soit là. Je ne savais pas quoi lui dire. Il se comportait de façon tout à
fait normale, comme si nous n’avions pas tous les deux failli mourir. Comme
si je ne l’avais pas qualifié de sexy.
— Je ne pensais pas que tu serais chez toi, dis-je entre deux halètements.
Il hocha la tête.
Il hocha la tête.
J’émis un grognement.
— Je suis désolée de nous avoir presque fait tuer, mais Shea fait partie de
ma famille ! Je ne pouvais pas l’abandonner.
— Et quoi ?
Bien sûr que je n’allais pas prendre pour habitude de combattre des démons
de niveau supérieur et de manquer de me faire tuer.
Il sourit.
— Tu en es sûre ?
Lincoln Grey enflammait tous mes sens. Je n’aurais su dire si c’était d’une
bonne ou d’une mauvaise façon, mais j’étais submergée par cette chaleur.
***
Shea fit retirer sa marque de mort, mais pas avant que tout le monde l’ait
vue. Tiffany nous appelait désormais respectivement Archie et Darky. Shea
étant une femme de couleur, elle ne prit pas très bien ce surnom et trébucha «
accidentellement » dans le réfectoire, renversant sa soupe brûlante sur la
poitrine de Tiffany. Ce fut le point fort de ma semaine. En temps normal,
mon amie lui aurait refait le portrait, mais les choses se passaient bien à
l’école et elle n’allait pas tout foutre en l’air et se faire virer pour un surnom
injurieux. En tout cas, pas pour l’instant. Tiffany ne l’avait plus appelée
Darky depuis lors, alors j’imagine que ça avait fonctionné.
Mikey était venu déposer deux énormes sacs avec nos affaires, y compris
des cookies faits maison et un mot doux de la part de ma mère. Maintenant
que j’avais récupéré mon chargeur de téléphone, je pouvais l’appeler et lui
envoyer des messages. Son nouveau patron était Grim, le démon que j’avais
presque tué pour libérer Shea. Oups. Lui et Maître Burdock avaient un accord
selon lequel, s’il était tué, Maître Grim hériterait de sa clinique et de ses
contrats. J’imagine que, vu que Lincoln avait coupé les cornes de Burdock, il
ne pouvait pas être réanimé. Dieu merci. Ma mère mentionnait que Maître
Grim était si occupé avec ses clubs de strip-tease qu’il la laissait diriger la
clinique, elle était donc seule là-bas la plupart du temps, ce qui lui convenait
tout à fait.
— Mince, c’était quand la dernière fois qu’on est allé dans un club ?
demanda Shea en lorgnant sur le flyer pour la fête d’anniversaire de Chloé au
club de son père, ce soir même.
— Vous pouvez fouiller dans mon armoire. Tu es un peu plus grande que
moi, Bri, mais à part ça, nous faisons à peu près la même taille.
Elle avait bien passé six heures après les cours, la veille au soir, à faire des
boucles dans ses cheveux, avant de dormir sur un oreiller en soie.
Maintenant, lesdites boucles tombaient au niveau de son menton en parfaites
petites mèches enroulées sur elles-mêmes. Elle était clairement plus
enthousiasmée par la fête que moi. Elle avait rencontré mes maîtres
professeurs célestes et avait un gros faible pour Noah.
— Je suis sûre que j’ai une salopette sexy en soie rouge qui irait super bien
avec ta teinte de peau, l’encouragea Angela.
Nous ne nous le fîmes pas dire deux fois. Nous traversâmes le couloir en
courant et en riant, puis passâmes les trente minutes qui suivirent à tout
retourner dans son placard. Shea jeta en effet son dévolu sur la salopette
rouge. Le pantalon était droit et serré au niveau des fesses et le haut n’avait
pas de manches. Nous allions devoir enrouler du ruban adhésif autour de
l’imposante poitrine de Shea, parce qu’apparemment, ma mère ne pensait pas
qu’un soutien-gorge sans bretelles était une nécessité.
Après avoir beaucoup délibéré, je choisis un short bleu roi en soie cerclé
d’un ourlet en dentelle et un corset de soie noire. C’était plus déshabillé que
ce que je portais habituellement, mais Shea m’assura que j’avais l’air
complètement baisable – c’étaient ses mots, pas les miens. Sachant que je
n’avais « baisé » qu’un seul type, et que ce furent les trente secondes les plus
embarrassantes de ma vie – merci le bal de promo –, je ne comptais pas
essayer de recommencer avec qui que ce soit ce soir.
Shea avait choisi son arme éternelle en classe, une petite lame circulaire qui
tenait dans le poing et que vous pouviez tenir comme des griffes de
Wolverine. Elle était en train de ranger la lame dans son sac à main. Même
Angela emmenait la sienne.
— Est-ce que je devrais récupérer Sera ? leur demandai-je.
Alors que je traversais le parking en courant, je vis que les lumières étaient
allumées dans la caravane, mais que sa moto n’était pas là.
Hum…
Rien.
J’utilisai ma clef pour ouvrir la porte et me faufilai à l’intérieur comme une
voleuse, regardant à droite et à gauche.
Je fermai la porte derrière moi et traversai la pièce sur la pointe des pieds
pour attraper la dague posée sur la table de la cuisine, là où je l’avais laissée
cet après-midi.
Je me figeai, la bouche ouverte, fixant son torse ciselé. Quand une goutte
d’eau perla de son cou à ses abdominaux et jusqu’à ses hanches en forme
de V – mon Dieu, elles sont en forme de V –, je poussai un soupir plus
bruyant que je ne l’aurais dû. OK, c’était un gémissement. Un foutu
gémissement.
— Brielle !
Son regard se déplaça de mes épaules nues à mes jambes exposées, avant de
remonter vers mon visage.
Son regard se posa sur ma dague, dans ma main, et ses yeux se plissèrent.
Je passai une main dans mes longs cheveux blonds, aplatissant les boucles
avec ce geste nerveux.
— Il y a une fête ce soir dans un club, et Angela a dit qu’il pouvait y avoir
des attaques, alors je me suis dit…
Quelques-uns. Quatre.
Il hocha la tête.
— Si tu veux bien te décider à partir, pour que je puisse m’habiller.
Elle accueillait les gens à l’entrée, qui n’était en fait qu’une porte bleue
donnant sur deux volées de marches menant sous terre.
Dès l’instant où nous entrâmes dans la pièce, je fus assaillie par la musique,
les lumières et les corps chauds pressés contre le mien. Il y avait une scène où
se trouvait une chanteuse aux cheveux violets, et au-dessus de sa tête pendait
le logo du club, une lune avec un troisième œil à l’intérieur. Au-dessous se
trouvait une banderole avec écrit « Joyeux anniversaire, Chloé ».
Je ris.
Je fis claquer les tickets VIP sur son bras et elle sourit.
— Bon, je suis complètement fauchée, alors allons trouver des mecs prêts à
nous payer des verres.
C’était un club pour les dix-huit ans et plus, mais j’étais à peu près sûre
qu’ils vérifiaient les cartes d’identité au bar.
Elle s’avança vers l’entrée de la section VIP entourée d’un cordon rouge.
Noah, Darren et Blake étaient tous appuyés au bar. Lorsque nous entrâmes,
Blake croisa mon regard et m’invita à approcher d’un geste.
Je hochai la tête.
Je roulai des yeux. Elle disait ça maintenant, mais quand elle s’endormirait
en pleurant parce qu’il l’avait trompée, ce serait une autre histoire. Nous
rejoignîmes les garçons et je présentai à nouveau tout le monde, Luke et Shea
n’ayant rencontré les garçons qu’une fois.
— Qui veut un verre ? demanda Noah, les yeux posés sur Shea.
— Bri et moi allons prendre une bombe d’allégresse, lui dit-elle avec un
sourire mielleux.
Elle rit.
Elle suça son doigt et le fourra dans son oreille, lui faisant émettre un
couinement. Ils étaient si mignons. Rien à voir avec Mikey et moi, qui étions
toujours en train de nous chamailler. Ma mère disait qu’elle avait eu le choc
de sa vie en découvrant qu’elle était enceinte de Mikey, alors que je n’avais
que dix semaines. Je n’arrivais pas à croire que l’année prochaine, Mikey irait
déjà à l’école avec moi.
Les boissons arrivèrent et, après quelques gorgées, je me mis à rire. Elles
étaient exactement comme les donuts.
— Dansons ! m’écriai-je.
Je secouai la tête.
Son corps demeurait raide et il me laissait danser avec son bras mou.
Noah sourit.
Lincoln se contenta de fusiller son ami du regard, avant de glisser son bras
hors de mon étreinte et d’emmener son corps chaud au bout du bar, où il
sirota une bouteille d’un liquide clair ressemblant de manière suspecte à de
l’eau.
— Je reviens tout de suite ! dis-je à Shea, qui se frottait contre un Noah très
heureux.
Ma poitrine et mon front étaient luisants de sueur, et j’aurais tué pour avoir
un peu d’eau. Je me laissai tomber sur le siège à côté de Lincoln et attirai
l’attention du barman.
Il secoua la tête.
— Il n’y a que des bouteilles. Elles sont à quatre dollars. Tu peux avoir des
verres d’eau gratuits à l’extérieur de la section VIP.
Lincoln fit glisser un billet de cinq dollars vers le barman sans un mot.
L’homme l’attrapa et lui donna la bouteille d’eau, que Lincoln me tendit.
Qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce que c’est la fin du monde ? Est-ce que
Lincoln Grey vient de faire quelque chose de gentil pour moi ?
Oh. Mon. Dieu. Les clins d’œil de Lincoln n’avaient rien à voir avec ceux
de Noah. Ceux de ce dernier étaient grossiers et ridicules, et il les distribuait
tout le temps. Lincoln ne m’avait encore jamais fait de clin d’œil, et
maintenant qu’il l’avait fait, j’avais l’impression que mon cœur allait bondir
hors de ma poitrine.
Oh merde. Je l’aime bien, c’est clair. Comment cela a-t-il bien pu arriver ?
Lincoln se leva, sortit son épée et se plaça devant moi alors que la musique
s’arrêtait d’un coup.
Lincoln était pris dans une sorte d’empoignade avec le démon Sulfure.
Leurs épées claquaient l’une contre l’autre pendant que les gens couraient
vers la sortie en hurlant. Je tendis la main dans ma botte et en sortis Sera.
Lincoln avait déployé ses ailes, et Darren avait bondi à ses côtés alors que
le second démon Sulfure tentait de l’attaquer. De tous les endroits possibles
où aller dans le bar, ils avaient attaqué ce côté. Je ruminais cela quand une
main forte vint m’attraper par les cheveux, me faisant me redresser. Une
sensation de douleur envahit mon cuir chevelu et je hurlai, m’accrochant au
bras de mon agresseur pour diminuer la tension sur mon crâne.
Une vague de peur me traversa alors que je réalisai qu’il devait être là pour
moi.
Il était en train de venir à bout du démon Sulfure, mais pas assez vite. Le
démon Abrus me jeta en arrière et commença à me traîner vers la sortie. Je
donnai des coups avec ma dague, mais alors qu’il se trouvait derrière moi et
qu’il me traînait d’une main de fer, je n’avais aucune stabilité. Je décidai
alors de déployer mes ailes pour voir si cela pouvait m’aider à me libérer de
sa poigne, mais lorsque je tentai de les déplier, je sentis un claquement
douloureux entre mes omoplates, et elles restèrent à l’intérieur. Il possédait
un genre de magie capable de les empêcher de sortir, ou quelque chose
comme ça.
Oh Seigneur.
Mes yeux s’arrondirent alors qu’elle fendait l’air et, à en croire le son
qu’elle fit, s’enfonçait dans le dos du démon.
— Euh, pardon ?
Lincoln apparut alors, Darren à ses côtés. Ils étaient tous deux couverts de
sang de démon d’un noir d’encre et tenaient leurs épées levées, prêts au
combat.
Le démon Abrus soutenait le regard de Lincoln, mais l’un des Mages Noirs
avec qui il était venu le tira par le bras pour l’attirer à la porte. Je m’accrochai
à Sera alors qu’elle était arrachée de son mollet, et il disparut. Un crissement
de pneus annonça leur départ.
— Tu es blessée ? demanda-t-il.
Noah s’agenouilla au-dessus d’elle, ses mains prenant une lueur orange.
Ses yeux étaient larmoyants à force de tousser, mais elle croisa mon regard
et hocha la tête.
Non.
— Oui.
— Ils étaient là pour elle ? demanda-t-il à Darren, qui était à côté de lui.
— C’est le type qui était censé acheter mon contrat. Il voulait peut-être me
vendre, ou quelque chose comme ça.
Un coup sourd fut frappé de l’autre côté de l’issue de secours du salon VIP
et Lincoln l’ouvrit vivement. Blake se tenait de l’autre côté, après avoir fait
reculer sa voiture jusque devant l’encadrement de la porte. Un autre type était
avec lui, grand, aux larges épaules et aux cheveux brun clair.
— Brisbane ! Est-ce que tu peux me récupérer la vidéo surveillance de ce
soir ? Je veux savoir comment ils sont entrés et quel était leur plan, aboya
Lincoln.
— Je m’en occupe.
Luke et Angela apparurent avec Shea dans les bras et s’avancèrent vers
moi. Les yeux de ma meilleure amie étaient larmoyants et elle semblait avoir
reçu une bombe lacrymogène. Je n’avais absolument aucune idée de quel
genre de magie les démons Abrus possédaient, mais de ce que j’avais pu voir
ces quelques derniers jours, c’était une magie vraiment effrayante.
— Ça va aller.
Alors que Darren me guidait jusqu’au véhicule qui nous attendait, Lincoln
m’appela.
— Trois soirées par semaine, de sept heures à huit heures, je veux que tu
subisses un entraînement au combat supplémentaire avec moi. Ça pourrait se
reproduire. Jusqu’à ce qu’on sache pourquoi ils te veulent, nous devons y être
préparés.
Cela faisait six semaines que l’incident au night-club avait eu lieu. J’étais
officiellement employée à la clinique de soins et j’adorais mon travail, qui
consistait surtout à faire l’idiote avec Noah, et parfois à vraiment aider à
guérir un patient.
Mes sessions d’entraînement privées avec Lincoln étaient une vraie torture,
de bien des manières. La tension sexuelle était à couper au couteau.
Évidemment, je ne savais absolument pas s’il la ressentait aussi, vu qu’il
passait son temps à m’aboyer des ordres et à se renfrogner quand je tenais
mal une arme. De mon côté, je trouvais toutes les excuses possibles pour le
toucher – un bras effleuré par-ci, une bousculade par-là. J’en pinçais
sérieusement pour lui, et c’était pathétique.
— Mlle Atwater ?
Le problème, avec mes cours d’étude de la lumière, c’était qu’il n’y avait
que deux étudiants, un dernière année nommé Fred, qui possédait les
pouvoirs de Gabriel, et moi. M. Rincor était son maître professeur. Comme il
n’y avait que deux étudiants dans la salle, il était facile pour lui de remarquer
lorsque je n’étais pas attentive.
— Faites un essai.
Je fixai mes mains, fléchissant tous les muscles de mon corps et poussant.
Fred rit.
— Tu as l’air constipée.
Je pris mon stylo et le lui lançai, mais il le rattrapa en plein vol. Frimeur.
M. Rincor s’avança et vint s’asseoir à côté de moi.
— Vos tatouages ont créé un pont vers les pouvoirs déjà présents en vous.
Vous devez simplement les laisser s’écouler. Ne forcez pas à ce point.
Si un regard pouvait tuer, le mien aurait abattu M. Rincor sur le coup. Rien
de ce qu’il disait n’avait de sens. Jamais.
— J’ai entendu dire que vous étiez douée avec les armes. C’est très bien,
jusqu’à ce que vos armes vous soient enlevées et que vous n’ayez plus que
vos mains à votre disposition.
Puis il s’éloigna.
Rabat-joie.
Après m’être pomponnée, me sentant assez minable pour avoir pris la peine
de le faire, j’allai retrouver Lincoln sur le terrain. Il se tenait là, les bras
croisés et l’air aussi renfrogné que d’habitude.
— Tu es en retard.
— Ah oui ? croassai-je.
Le bal d’hiver était un genre d’œuvre de charité organisé par Raphaël. Les
étudiants profitaient d’un dîner offert par les riches bienfaiteurs, et des
enchères silencieuses avaient lieu tout le long de la soirée.
Il hocha la tête.
— Compris.
Ce fut à peu près la seule chose intelligible que je pus songer à répondre à
cet instant.
Je souris.
Cette fois, il sourit, mais c’était un sourire sadique qui dévoilait ses dents.
— Mais. Tu. Ne. Peux. Toujours. Pas. Voler, dit-il, enfonçant les mots en
moi un par un.
Je n’avais pas envie de quitter l’école. Shea et moi nous en sortions plutôt
bien, ici. Je me faisais assez d’argent avec mon emploi à mi-temps pour me
payer tous les petits luxes coûteux de la vie, comme les tampons et le
chocolat, et j’avais la chance de partager une chambre avec ma meilleure
amie. En bonus, ils n’avaient pas demandé à récupérer la voiture. Non pas
que je sois autorisée à la conduire, à part pour faire le tour du campus, bien
sûr.
Il plaça une main sur chacune de mes épaules, provoquant une sensation de
chaleur jusqu’à mon nombril.
— Lincoln ! hurlai-je en déployant mes ailes, mes yeux scrutant le sol alors
que ses mains passaient de mes épaules à ma taille.
Nous nous envolâmes de plus en plus haut, moi, me débattant dans les bras
de Lincoln, lui, arborant une grimace déterminée.
Il secoua la tête.
— Les garçons et moi, nous avons été trop tendres avec toi. Ça ne marche
pas. Tu as besoin d’être mise face à la réalité.
— Aaaah !
J’avais fermé les yeux en commençant à tomber, mais je les rouvris, parce
que selon mes calculs, j’aurais dû me briser le cou et être morte, désormais.
Lincoln planait devant mon visage, un sourire dément sur les lèvres.
— Tu l’as fait.
— Attrape-moi ! lança-t-il.
Oh, j’allais le faire, j’allais l’attraper et le pulvériser. Fonçant après lui dans
le ciel en accélérant, je battis des ailes comme une folle pour le rattraper.
Je battis en arrière avec mes ailes, stoppant mon avancée pour planer en
suspens alors qu’il approchait de moi.
— Pourquoi ?
— Oui. Mais je ne peux pas tous les sauver. C’est une dure réalité que tu
devras apprendre.
Il y avait autre chose, je le sentais, il avait envie d’en dire plus, mais ne le
fit pas.
Elle rit.
— Presque. Noah vient de nous inviter à un genre de truc super sélect qu’il
fait chaque année et qui s’appelle « les jeux de plage ». Le gagnant remporte
une photo signée de lui complètement ringarde, mais c’est censé être très
drôle.
— Je n’ai pas été invitée l’année dernière, mais j’ai entendu dire que c’était
énorme. Ça dure toute la journée et toute la nuit, avec des feux de joie et tout
le toutim.
Lincoln arborait un air renfrogné.
— Noah vous a invités aux jeux de plage ? dit-il, comme s’il s’agissait des
Emmy Awards.
— Eh bien, je ne sais lire que depuis que j’ai cinq ans, mais ouais, je crois
que c’est ce qui est écrit.
J’arrachai le flyer des mains de Shea. Rien ne m’aurait fait plus plaisir que
de battre Lincoln à quelque chose pour pouvoir ensuite le lui rappeler pour le
restant de ses jours.
Quand : Ce vendredi
Oh, ce flyer était du Noah tout craché, ce petit vicieux, mais ça avait l’air
génial. Je levai les yeux vers mes amis.
Je pensais qu’il s’agirait d’un genre de match magique bizarre, mais des
jeux de plage normaux ? J’étais complètement partante. Mon côté
compétitrice était prêt à se jeter dans la mêlée.
CHAPITRE QUATORZE
Les jeux de plage auraient lieu demain après les cours, et j’étais si nerveuse
et excitée à cette idée que j’avais à peine réussi à dormir la nuit dernière. Ma
préparation à la compétition de châteaux de sable était en béton. J’avais
emprunté du matériel pour décorer les gâteaux à la mère d’Angela et tracé un
concept dans mon esprit. Pour couronner le tout, grâce à ses talents de
Nécromancienne, Angela allait ajouter à mon projet quelque chose dont
j’étais certaine qu’il me ferait gagner cette étape.
Nous nous étions renseignés et avions appris qu’il y avait cinq manches,
chacune valant un certain nombre de points : le beach-volley, la conception
de château de sable, le tir à la corde, la course de natation, et un nouveau jeu
mystère choisi par Noah chaque année. Nous nous étions entraînés au beach-
volley tous les soirs et j’avais déjà fabriqué et détruit mon château de sable, je
me sentais donc complètement préparée. Pour les compétitions de tir à la
corde et de natation, il faudrait improviser dans le feu de l’action, mais je me
disais que nous pouvions le faire.
— Donc, on est payées demain matin. Je pense qu’on devrait partir une
heure plus tôt, encaisser notre chèque et nous acheter de nouveaux bikinis,
proposa Shea alors que nous entrions dans le vestiaire de la salle de gym pour
nous changer en vue du cours de combat.
Bikini. Ce mot faisait hurler intérieurement toutes les filles. Peu importe à
quel point j’avais l’impression que mon corps était en bonne forme physique,
cela me terrifiait. L’idée de porter un maillot de bain devant Lincoln me
donnait envie de mourir.
Je souris.
— Évidemment que si. Mais je ne pourrai pas y aller. Et puis, j’ai entendu
dire qu’ils avaient dérogé à leur règle « réservé aux personnes bénies par les
anges » pour inviter la racaille. Maintenant que je vois que c’est vrai, je suis
contente de ne pas y aller.
— Quelle garce ! rugit Shea en chargeant après elle, mais je la rattrapai par
le bras.
N’est-ce pas ?
— Noah m’a envoyé un message pour me dire qu’il trouvait que le rouge
m’allait bien.
Je ris alors que nous nous rendions à la salle de sport. Noah et Shea se
pelotaient sur le parking tous les mercredis soir, après son service à la
clinique et le sien avec M. Claymore. Ils avaient déjà eu la conversation
s’assurant qu’ils ne faisaient que prendre du bon temps, sans exclusivité,
alors je ne m’inquiétais plus de la voir le cœur brisé.
— Oh, je t’en prie. Il le sait. C’est tellement évident que vous vous
appréciez, tous les deux.
Shea sortit son téléphone et me montra le message. Noah avait ramené son
grain de sel sans même qu’elle prenne la peine de le mentionner.
Je relevai vivement les yeux vers le tableau, et vis que j’étais en binôme
avec Tiffany.
Tiffany entra d’un pas dansant dans la zone de combat, un cercle de trois
mètres de diamètre tracé au sol avec de l’adhésif bleu, avant de s’accroupir
dans une position de catch tout en me souriant comme une folle. Shea
partageait presque tous ses cours avec elle et disait qu’elle était une Mage
avancée pour son âge. Sa mère était une Mage de Lumière et son père un
Céleste. Ils l’aidaient en dehors des cours, elle était donc à cent pour cent sur
le point de me botter les fesses avec sa lumière. Quand j’avais Sera, ou
n’importe quelle autre arme, j’étais clairement sur un terrain d’égalité, mais
en n’utilisant que ma magie ? J’étais complètement foutue.
— C’est peut-être la seule opportunité que l’une de nous aura de lui botter
le cul sans avoir d’ennuis.
Puis elle me fit un clin d’œil.
Nous nous mîmes à tourner l’une autour de l’autre, les mains tendues et le
regard rivé l’un sur l’autre.
Elle émit un grognement et plongea sur moi, me projetant au sol. Bon sang.
D’un jeu de jambes rapide et brutal, elle me cloua sous elle.
— Parce que mes parents étaient très amis avec les siens. Je le connais
depuis toujours, et il sera à moi un jour, alors bas les pattes.
Ma peau se réchauffa.
Je propulsai vivement mon bassin en avant, tentant de la faire basculer
comme M. Bradstone nous l’avait montré, mais sans succès. Elle était dans sa
zone de confort. Elle planifiait probablement ce moment depuis le jour où
elle m’avait rencontrée.
Elle sourit.
Lorsque je lui hurlai à nouveau au visage, une fumée d’un noir d’encre
quitta ma bouche et s’enroula autour de son cou.
Oh mince.
— M. Bradstone ! hurlai-je.
M. Bradstone lui adressa un regard, au sol, puis tourna les yeux vers moi,
avant de passer à l’action. Il courut vers l’armoire contre le mur, en sortit une
bouteille d’eau bénite et son arme éternelle, une lame couverte d’une lueur
orange. Il aspergea la lame d’eau bénite, avant d’appliquer la face plate
contre son cou. À la seconde où le métal froid la toucha, la noirceur se
désagrégea et disparut.
J’étais démoniaque.
Mes ailes se déployèrent dans mon dos et je m’élevai vers le ciel. Ce n’était
que la troisième fois que je volais, mais cela me revint comme si c’était
inscrit dans ma mémoire musculaire. Je montai de plus en plus haut,
m’éloignant de l’école. La nuit de la Chute, quand les archanges étaient
tombés du Paradis et avaient combattu les démons, les pouvoirs s’étaient
déchaînés au hasard. Des monstres avaient été créés, et j’étais l’un d’eux.
— Brielle !
— Brielle.
— Shea m’a expliqué ce qui était arrivé. Tout va bien se passer. Reviens
simplement à l’école, où tu seras en sécurité. S’il te plaît.
Je secouai la tête.
— Non, Lincoln. J’ai failli tuer Tiffany avec de la magie noire qui est sortie
de ma gorge. Ce ne sont pas des pouvoirs conférés par un démon. C’est un
truc maléfique d’un niveau bien plus élevé.
Mon souffle se coinça dans ma gorge. Sa main sur mon menton provoquait
des picotements le long de ma colonne vertébrale, et il ne s’écartait pas. Mes
larmes se tarirent soudain et je déglutis.
— Parce que le pire que tu aies fait depuis que je te connais, c’est sauver ta
meilleure amie et me voler un fruit. Tu es inoffensive.
C’était peut-être à cause du son des vagues, ou de sa main sur mon cou. Ou
peut-être était-ce la façon dont il regardait mes lèvres, comme s’il avait envie
de les goûter, mais je me sentis soudain audacieuse. J’enroulai ma main
autour de son biceps, me penchai en avant et l’embrassai. À la seconde où
mes lèvres touchèrent les siennes, il les ouvrit, approfondissant le baiser. Une
vague de plaisir se répandit dans mon corps et des papillons se mirent à
danser dans mon ventre. Alors que sa langue chaude caressait la mienne, sa
main se glissa le long de mon cou et de mon bras, avant de se poser
fermement sur ma taille.
— Pourquoi ?
Est-ce qu’il est fou ? J’ai envie de faire ça toute la journée, tous les jours.
— J’ai dix-neuf ans dans, quoi, deux mois ? Et tu es mon professeur une
demi-heure par jour.
Nous avions toutes les deux été payées ce matin, les chèques ayant été
laissés dans la boîte aux lettres sur notre porte.
Je hochai la tête.
Mais elle se leva et fit le tour de la table tout en envoyant des messages
comme une folle en marchant.
— Nous sommes à l’université, alors ce n’est pas vraiment sécher les cours.
Bisous,
Bri.
De : Noah
Il vibra à nouveau.
De : Blake
Les filles.
Nouvelle vibration.
De : Darren
De : Lincoln
— Mes seins ne sont pas minuscules, ils sont de taille modeste, dis-je à la
table tout en cognant du poing.
Luke sourit.
— Tu sais ce que ça veut dire ?
— Quoi ?
***
Trois heures. Ce fut le temps qu’il nous fallut à Shea et moi pour choisir
nos maillots. Nous étions allés dans un magasin à quelques pâtés de maisons
de l’école, et avions emmené l’un des agents de sécurité de la Fallen
Academy avec nous, vu que je n’étais pas censée quitter le campus sans
garde du corps, désormais. Luke et Angela étaient partis après avoir passé
une heure à mourir d’ennui. Maintenant, je portais un bikini échancré bleu
pastel qui, d’après Shea, était mortel, et un minuscule short en jean par-
dessus. Nous n’avions rencontré aucun problème au magasin, je pensais donc
que les complots pour me kidnapper étaient derrière moi.
Nous venions de nous engager sur la jetée de Santa Monica, cette même
jetée où j’avais embrassé Lincoln.
— Oh, mon Dieu, ça a l’air génial ! couina Shea en faisant une mini danse
sur son siège au rythme d’une musique invisible.
Deux énormes tentes blanches avaient été installées, dont les côtés étaient
ouverts.
— Oh, mon Dieu, le frère de Chloé est là, souffla Luke depuis le siège
arrière. J’aurais dû porter le short rouge. Angela, bouge. Je peux encore faire
vingt sit-ups de plus.
J’éclatai de rire.
— Allez, les gars. Nous nous sommes assez languis de ces imbéciles.
Lâchons-nous un peu et amusons-nous.
Cool.
Alors que nous avancions, je remarquai mon beau gosse aux cheveux
sombres aussitôt. Il était en train de proposer aux gens un plat d’épis de maïs,
de ribs et de quelques autres aliments que je ne pouvais voir de mon point de
vue.
Il hocha la tête.
— C’est normal.
Noah distribuait ses clins d’œil à la pelle. Lincoln regarda alors vers nous,
ses yeux parcourant rapidement mon corps de haut en bas, avant de revenir à
mon visage.
Je reportai mon attention sur la droite et vis Fred, mon camarade dans le
cours d’études de la lumière, en train de s’avancer vers moi.
— Oui, Darren est un bon ami. Pas mal, tes tatouages sur les côtes. Je me
suis toujours demandé où tu cachais les deux autres, dit-il avec un regard sur
mon abdomen.
Je fis passer mes doigts sur les tatouages et regardai derrière Fred pour voir
Lincoln debout juste derrière lui, qui distribuait de la nourriture sur son
plateau, mais aussi complètement en train d’écouter ma conversation.
— Oui, j’oublie qu’ils sont là, parfois, lui dis-je en toute honnêteté.
— Hé, écoute. Je voulais te le demander aujourd’hui, mais tu n’étais pas en
cours. Est-ce que tu vas au bal de l’hiver ?
Rien pour l’instant, à part environ quatre kilos de nourriture sur son plateau.
Il sourit.
Je levai les yeux et vis Lincoln tendre le cou vers notre discussion.
Fred sourit.
Il sourit, et cela le rendit charmant. Il n’était pas sexy, mais il était quand
même mignon.
Je hochai la tête, mais avant que j’aie eu le temps de répondre, Lincoln fit
volte-face et posa une main sur l’épaule de Fred.
— Fred, c’est ton tour ! hurla quelqu’un depuis l’endroit où un match avait
lieu sur le sable.
Lincoln et moi nous retrouvâmes à nous dévisager l’un l’autre. Ce fut à cet
instant que je remarquai que Shea et les autres m’avaient laissée.
Je fis un pas vers le Céleste et baissai la voix pour que personne d’autre
n’entende.
Je défis le bouton de mon short et l’ôtai sans jamais quitter son regard. Puis
je détournai les yeux et jetai mon short sur mon sac, avant de quitter la tente
en trombe. On m’avait dit plus d’une fois que mes fesses étaient mon plus
grand atout physique. Autant le lui jeter au visage pour qu’il sache ce qu’il
manquait.
***
Nous remportâmes deux des quatre matchs. Mon château de sable en forme
de gâteau de mariage était dingue, et il nous avait aidés à gagner cette
manche. Angela utilisa son don de Nécromancie pour faire pousser de vraies
roses sur le niveau supérieur. Nous perdîmes la course de relais de natation,
ainsi que notre manche de beach-volley. Il y avait un énorme tableau des
scores compliqué que je ne comprenais pas, et environ dix équipes
différentes, mais je ne m’en souciais pas vraiment. Je m’amusais comme une
folle, j’avais même réussi à m’ôter Lincoln et ma magie sortie tout droit de
L’Exorciste de la tête pour me concentrer sur le plaisir que me procurait cette
journée.
— Très bien, les fêtards. Un dernier jeu et l’équipe gagnante sera annoncée,
puis la fête autour du feu de camp pourra commencer ! s’écria Noah dans un
porte-voix.
Il se dirigea vers un petit seau d’eau et jeta une pomme rouge dedans.
C’était vrai. Nous organisions toujours une super fête d’Halloween dans
notre appartement, et j’avais eu beaucoup d’entraînement. Je regardai Angela
et Luke.
— Ça vous va ?
Après avoir jeté mon nom dans le panier, j’étirai mes jambes et me préparai
pour la course. Je devais juste récupérer la pomme en premier, avant de
courir à toutes jambes, en espérant que mon adversaire ne me pourchasse pas
pour me faire tomber. Nous avions perdu notre match de volley parce que des
personnes d’un niveau plus avancé que nous n’arrêtaient pas d’utiliser la
magie pour gagner. Je n’avais aucune magie à ma disposition pour m’aider, à
part peut-être traverser la ligne d’arrivée en volant une fois que j’aurais la
pomme.
— Très bien, hurla Noah dans son porte-voix, la première paire de
compétiteurs est…
— Brielle et Lincoln !
— Vous avez bien compris les règles ? Il y a une pomme. Le premier qui
fait passer la ligne d’arrivée à cette pomme gagne, nous dit Noah, la voix
légèrement traînante.
Il ne portait qu’un short de plage taille basse, exhibant son torse ciselé et
ses abdos, et il était clairement saoul.
Noah sourit.
Je m’élançai comme si j’avais le feu aux fesses, mais courir dans le sable
était difficile et mes mains étaient attachées derrière mon dos. Lincoln était
incroyablement rapide, il atteignit le seau en premier et se pencha en avant.
J’arrivais après lui et lui donnai un coup de hanche, le faisant tomber sur le
sable avec un grognement.
Oh, doux Jésus. Un éclair de désir s’éveilla entre mes jambes, mais je
repoussai tout cela hors de mon esprit. J’étais ici pour gagner, pas pour me
frotter à un type qui ne m’aimait pas.
Peu importe.
La foule devint folle. Je bondis sur mes pieds alors qu’elle scandait mon
nom, avant de traverser la ligne d’arrivée.
Je souris.
— Ouais.
Sauf que cela n’avait fait que me troubler encore plus concernant Lincoln.
Le reste de la journée passa en un clin d’œil, mais je ne pus sortir
suffisamment de mes pensées pour en profiter. Nous avions terminé en
deuxième position, avions fait la fête jusqu’à deux heures du matin, et je
n’étais pas plus près de trouver la solution au problème « Lincoln ».
Pour finir, je décidai de me concentrer sur mes études. L’Épreuve était dans
quelques mois, mais j’avais plutôt intérêt à mettre le nez dans le guidon si je
voulais réussir.
CHAPITRE SEIZE
Je souris tout en scrutant mon amie de haut en bas. Elle portait une robe de
bal bleue digne d’une princesse et elle était sublime.
— Toi aussi.
Shea allait au bal de l’hiver avec Luke. Simplement en tant qu’amis, bien
sûr.
J’avais dépensé un paquet d’argent pour cette robe, espérant que cela
améliorerait mon humeur plutôt morose de ces derniers temps. Fred était
incroyable, mais pour être honnête, je ne ressentais que de l’amitié envers lui.
Il me faisait rire et sourire, mais cette chaleur, cette passion, étaient tout
simplement absentes.
Il était sympa, l’exact opposé de Lincoln. Depuis les jeux de plage, Lincoln
avait adopté un comportement professionnel impeccable.
Je faisais la même chose avec mes études, je déchirais dans tous mes cours,
sauf les études de la lumière. Peu importe ce que je faisais, je n’arrivais pas à
faire jaillir de la lumière blanche de mes mains, et après que j’en ai fait sortir
de la fumée noire par deux fois, M. Rincor m’avait dit d’arrêter d’essayer. Je
me sentais comme une incapable.
Raphaël et M. Rincor avaient eu une réunion avec moi et m’avaient dit
qu’ils pensaient que ce que j’avais fait à Tiffany n’était qu’un pouvoir
conféré par un démon, ce que possédaient beaucoup d’étudiants, et qu’ils ne
comptaient pas encourager son développement. Je me contentais juste plus ou
moins d’écouter les leçons et, s’agissant de la mise en pratique, je regardais
Fred illuminer la pièce. C’était déprimant, mais mon camarade prenait les
choses avec légèreté et n’en avait parlé à personne. J’entendais encore le mot
arch-démon chuchoté plusieurs fois par semaine, cependant.
Je souris.
Il hocha la tête avant de me tendre le bras pour que j’y passe le mien.
Je souris.
— Est-ce qu’il te laisse parfois la conduire ?
— Mon père adorait les voitures. Avant la Chute, ma mère dit qu’il passait
des heures dans le garage à réparer de vieux tacots.
Trop bizarre.
Oh Seigneur.
Je ris.
Il hocha la tête.
— Attends un peu. On ne m’appelle pas Fred aux pieds légers pour rien.
Je ris à nouveau. Fred était drôle et toujours enjoué, il n’y avait aucun
nuage qui planait au-dessus de nos conversations, comme c’était le cas avec
Lincoln. Pourquoi ne pouvais-je pas avoir des sentiments pour lui ? Peut-être
qu’un jour, je pourrais… Ma mère disait toujours que les meilleures relations
prenaient racine dans des liens amicaux.
Sans que j’aie vu le temps passer, nous nous engageâmes bientôt vers
l’hôtel Beverly Hills. Il roula jusqu’au voiturier, avant de sortir son
téléphone.
— On fait un selfie pour mon père ? Pour lui prouver qu’il y avait une fille
sexy dans cette voiture avec moi ?
— Tu n’as aucun droit de faire ça. Tu n’as aucun droit de souffler le chaud
et le froid.
Oh non.
***
Shea, Luke, Angela, Chloé et tous les autres arrivèrent peu après nous. Le
bal de l’hiver était comme un incroyable mariage, sans la cérémonie. Il
s’agissait d’une collecte de fonds pour aider les familles défavorisées à être
transférées en dehors des zones de guerre et installées en sûreté à Angel City.
J’imagine que les tickets n’étaient pas donnés – Fred avait payé pour nous
deux.
Il y avait aussi des enchères silencieuses. Shea et moi avions fait une offre
pour des pédicures. Je doutais qu’on l’obtienne, vu que notre offre la plus
élevée était de vingt-cinq dollars et que le montant au détail était de soixante
dollars, mais on pouvait toujours rêver.
Lincoln ne me quitta pas des yeux de la soirée. Où que j’aille, ses yeux se
déplaçaient dans ma direction. C’était pour le moins perturbant. Darren,
Blake et Noah étaient un peu plus détendus. Noah prit des pauses pour danser
avec Shea, alors que Darren se goinfrait à la fontaine de chocolat. Un homme
comme je les aime. Blake, que je considérais comme le gentil de la bande, se
tenait près de Lincoln et faisait tout ce qu’il disait. Les coins de la grande
salle de bal étaient parsemés de gardes de l’Armée Déchue.
Shea prit une gorgée d’eau, avant de pointer du doigt vers l’un de nos
camarades de classe – Ryce, un Centaure super sexy. C’était étrange de le
qualifier de sexy alors qu’il était à moitié un animal, mais la partie supérieure
de son corps était pas mal du tout.
— Les Centaures restent entre eux pour l’accouplement, pour des raisons
évidentes.
Je n’allais pas rester assise là plus longtemps à écouter Shea parler de ses
pensées bizarres. En plus, j’avais l’air d’être enceinte de trois mois après
avoir avalé une énorme quantité de cette nourriture fantastique. Ce serait pas
mal de brûler un peu de calories.
Fred rit et me suivit sur la piste. Nous dansâmes pendant une heure, et il se
révéla effectivement très bon. Il faisait des pas chassés, des entrechats, du
moonwalk et tout ça, et pas d’une façon ridicule. Michael Jackson était
clairement son maître.
Il sourit.
— Ma mère a toujours voulu avoir une fille, mais elle a eu trois garçons à la
place. Alors elle m’a fait prendre des leçons de hip-hop quand j’avais trois
ans.
Je hochai la tête, impressionnée.
Fred hocha la tête et dansa en cercle autour de Shea, qui réalisait une
impressionnante danse à la Beyoncé. Depuis que je la connaissais, nous
avions toujours aimé danser. C’était notre truc, notre antistress, et nous nous
trémoussions sans nous soucier de qui nous regardait.
— Je vais aux toilettes. Je peux ? demandai-je en croisant les bras sur mon
buste.
— Passe devant.
— Écoute, je sais que tu penses que je suis exagérément prudent, mais fais-
moi confiance. Je sais de source sûre qu’il pourrait y avoir une attaque durant
cette fête. C’est pour ça que je suis si nerveux, murmura-t-il.
Je réalisai à la seconde où elle quitta mes lèvres que c’était une question
naïve et stupide.
Je m’agitai à nouveau.
— Il y a quelqu’un ?
Pas de réponse.
— Fille qui n’a rien contre les démons en approche, dis-je nerveusement.
D’autres cris.
Oh merde.
Je devais plisser les yeux pour voir, mais j’avais l’impression que Lincoln
se battait avec quelqu’un. Son bras armé était tendu et je pouvais voir des
gens courir et hurler derrière lui.
Shea.
— Tu es l’une d’entre nous. Ta place est avec moi. Je peux t’entraîner pour
t’aider à contrôler ta magie noire, dit-il d’une voix onctueuse et tentatrice.
Les yeux du démon Abrus sortirent de leurs orbites, puis tout son visage se
fit lugubre.
Une expression de surprise recouvrit son visage, puis il sourit. Il avait une
épée dans le ventre, il était en train de se faire étrangler par de la magie noire,
et il souriait.
Foutu psychopathe.
Je passai mon bras sous celui de Lincoln et le hissai sur ses pieds. Sa peau
était couverte de marques rouges, mais je remarquai que ses mains
étincelaient d’une lueur orange et qu’il travaillait déjà à se guérir. Il ôta son
épée du démon et passa son autre bras autour de moi. Le bal de l’hiver était
un vrai carnage, les gens couraient partout comme des fous.
— Shea ! hurlai-je.
— Tu fais vraiment un malheur ce soir. Je suis désolé que ton rencard ait
été gâché.
Il m’appréciait, clairement.
Le salopard.
Je souris.
Il émit un petit rire, mais à cet instant, un cri lui fit détourner le regard de
moi, et il prit une expression tendue.
Il regarda derrière lui. Le démon Abrus avait dissout le lien autour de son
cou et nous souriait d’un air diabolique.
— Je ne fuis pas devant les démons, Brielle. Pars. J’ai besoin d’être sûr que
tu es en sécurité.
Il secoua la tête.
— Non ! Lincoln !
La personne qui me tenait, qui qu’elle soit, avait une poigne de fer ; je ruai
et me débattis, en vain, avant de finalement abandonner pour tourner à
nouveau les yeux vers Lincoln.
M’ayant oubliée, il fit volte-face et projeta son épée en avant. Des éclats de
lumière bleue jaillirent du bout de la lame et les deux démons Sulfures se
retrouvèrent à genoux. Alors que j’étais attirée à travers la porte du fond, le
démon Abrus chargea vers lui.
— Lincoln !
Je n’avais pas réalisé que des larmes coulaient sur mon visage, jusqu’à ce
que la personne qui me retenait relâche sa prise et les essuie.
Puis il me poussa vers le SUV de Noah, dont la porte était ouverte, avant de
la refermer. Son visage triste fut la dernière chose que je vis ce soir-là, avant
que le SUV sorte du parking.
CHAPITRE DIX-SEPT
Ses yeux bleus parcoururent mon corps, comme s’il vérifiait que moi, je
n’avais aucune blessure.
— Vous devez me dire tout ce que vous savez. Je ne peux pas vivre comme
ça. Pourquoi est-ce qu’ils me veulent ? Pourquoi mes ailes sont-elles noires ?
Qu’est-ce que je suis ?
Je n’étais pas bénie par les anges. Je n’étais pas comme les autres Célestes.
— Juste après la guerre, quand nous avons réalisé ce qu’elle avait coûté aux
humains, nous avons trouvé notre première Voyante. C’était une femme âgée,
d’environ soixante ans, et elle nous a parlé d’une prophétie que tous les
Voyants après elle ont répétée mot pour mot, malgré le fait que personne ne
leur en avait jamais parlé.
Non.
Je regrettais de ne pas avoir Teddy avec moi, mon ours en peluche qui
n’avait qu’un seul œil et dont le cou avait été déchiré après que Mickey a
tenté de le tuer avec un arc. Il était quelque part dans un dépotoir, en ce
moment, mais j’avais désespérément envie de le revoir.
— Monsieur.
Lincoln ne prononça que cet unique mot, mais ce fut suffisant pour donner
le ton.
— La prophétie déclare qu’une jeune fille aux ailes noires ira dans le
monde souterrain et tuera Lucifer, mettant fin à la guerre.
— Cela ne veut pas dire que c’est toi, ou que la prophétie se réalisera. Le
futur change constamment…
— Pourquoi est-ce que j’ai des ailes noires ? Qu’est-ce que je suis ?
Raphaël arbora alors l’expression d’un père sur le point de dire à un enfant
que son chat s’est fait écraser.
— Lucifer.
Il l’avait dit, il avait prononcé à voix haute mon pire cauchemar. Non pas
que j’aie pu un jour concevoir une supposition aussi affreuse, mais c’était à
peu près la pire chose qui puisse arriver à un être humain – se retrouver
investi de pouvoirs provenant de Lucifer en personne –, et cela m’était arrivé,
à moi.
Hourra…
Mes yeux se tournèrent vers Lincoln, qui se tenait là, mâchoire pendante, à
me fixer comme s’il m’était poussé une seconde tête.
— Bien sûr.
Une vague de choc me traversa devant cette preuve concrète, mes yeux
s’emplissant de larmes alors que le déni se transformait en honte.
— Je n’ai pas demandé ça. Vous aimez parler du libre arbitre, eh bien je
n’ai absolument pas décidé de ça librement. J’étais une petite fille innocente
de cinq ans quand vous, continuai-je en le pointant du doigt alors que la rage
montait en moi, et le reste des anges avez lancé une guerre, infectant les
miens. Des êtres humains innocents ont été transformés en monstres à cause
de vous !
Lincoln grimaça.
— Brielle.
Vraiment ? Moi, une fille de presque dix-neuf ans, aller dans les
profondeurs de l’Enfer et tuer le Diable ? Je ris alors que d’autres larmes
coulaient sur mes joues.
— Non. Jamais.
Il me prit par les épaules et m’écrasa contre son torse pour m’étreindre avec
force. Alors que ses bras forts s’enroulaient autour de moi, son odeur me
submergea, se mélangeant à la chaleur renvoyée par ses muscles fermes. Je
me sentais tellement en sécurité, tellement à ma place.
Lincoln Grey était en train de m’enlacer. Avec force. Comme s’il voulait ne
jamais me relâcher.
Quoi ?
Je levai les yeux vers les siens alors qu’il baissait la tête vers moi, nos
lèvres douloureusement proches.
— Ensemble ?
Il hocha la tête.
Tu es à moi, maintenant.
Mon cerveau eut à peine le temps de digérer ces délicieuses paroles que ses
lèvres s’emparèrent des miennes dans un tendre baiser. Il n’était pas
passionné, comme celui que nous avions échangé sur la plage ; il était doux,
explorateur, et se termina bien trop tôt.
— Quand je t’ai rencontrée, j’étais dans une mauvaise passe, je venais tout
juste de perdre ma famille, mais quelque chose, chez toi, a ramené de la
lumière dans ma vie, m’a fait me soucier à nouveau de quelque chose. J’ai
essayé de le combattre, de trouver des raisons pour lesquelles ça ne pouvait
pas marcher, mais je ne peux plus continuer.
Mon esprit était encore accaparé par ce baiser, cette déclaration selon
laquelle moi, Brielle Atwater, j’avais mis de la lumière dans sa vie. Mais la
réalité me frappa alors à nouveau de plein fouet – j’étais la fille de Lucifer, à
tous les points de vue.
Il secoua la tête.
— C’est impossible.
Lincoln avait dû passer beaucoup de temps le nez plongé dans ces livres de
poésie que j’avais vus dans sa caravane. Et je ne m’en plaignais pas du tout.
Son rire me réchauffa le ventre et fit naître un sourire sur mon visage.
— Tu es le plus gros abruti que j’ai jamais rencontré, dis-je avec un clin
d’œil, retournant ce geste contre lui, pour une fois.
Lincoln Grey et moi formons une paire. Dans quel univers alternatif est-ce
que je suis ?
Il hocha la tête.
J’ai dormi sur un foutu canapé cette nuit et il est blessé, alors il n’a plutôt
pas intérêt à dire…
***
— Lève-toi ! rugit-il.
Mon petit copain se tenait au-dessus de moi, l’épée levée, le bout de la lame
légèrement pressé contre mon cou.
Nos sessions de pelotage, dans sa caravane, étaient épiques après une très
bonne session d’entraînement à nous insulter l’un l’autre. Je n’arrêtais pas
d’essayer d’aller jusqu’au bout avec lui, mais cette histoire d’âge le faisait
paniquer, même si j’avais eu dix-neuf ans deux mois plus tôt, en novembre.
J’avais aussi peut-être laissé échapper que je n’avais eu qu’une seule relation
sexuelle de trente secondes. Maintenant, il n’arrêtait pas de me qualifier de
vierge.
J’avais envie que ces parties m’aident à créer mes enfants un jour, alors ce
n’était pas une option. Dévier la lumière ? Il était bourré ou quoi ? C’était une
magie d’un niveau avancé que Darren tentait de m’apprendre, mais je n’étais
même pas encore capable de produire de la lumière. Et je n’allais pas utiliser
la magie noire. Hors de question. Plus jamais. Et clairement pas sur lui.
— Je suis enceinte, et c’est le tien, déclarai-je calmement.
— Quoi ? rugit-il.
Je souris depuis l’endroit où j’étais assise au sol, alors qu’il se tournait pour
m’adresser un regard noir.
— Idiot. Nous n’avons pas couché ensemble, je ne peux pas être enceinte.
— Je ne suis pas vierge ! Depuis quand une fille doit-elle supplier pour du
sexe ?
— Depuis maintenant.
La tension sexuelle entre nous était terriblement forte, et je savais que cela
le faisait souffrir autant que moi. Je n’avais jamais eu à ce point envie de
quelqu’un. Je le voulais lui, tout entier. Nous sortions ensemble de manière
exclusive depuis bientôt trois mois, désormais. Si nous nous protégions et que
nous étions tous deux des adultes consentants, nous pourrions totalement
nous y mettre !
Il se renfrogna.
— Ça marche ?
Il ajusta son pantalon.
Je souris.
CHAPITRE DIX-HUIT
— OK, donc mon père a laissé échapper que l’Épreuve ne servait pas juste
à vous garder dans cette école. Cela détermine aussi votre rang et quand vous
rejoindrez l’Armée Déchue, si vous la rejoignez. C’est chronométré, donc
plus votre temps est bon, meilleur est votre rang, expliqua Chloé, ses dents
crochues ressortant légèrement sur sa lèvre inférieure.
— Mais mon père dit qu’ils font en sorte que ça ait l’air réel. Il n’a pas pu
en dire plus, mais il a insinué que nos vies pourraient être vraiment en
danger.
— Tu places Raphaël sur un tel piédestal. Oui, ici l’école est gratuite, mais
c’est uniquement parce que les archanges recrutent pour leur armée.
J’éclatai de rire, pas seulement à cause de son langage, mais aussi devant
l’expression horrifiée qui passa sur le visage de Luke lorsqu’elle prononça
cette phrase.
— Très bien. Je ne veux pas que sa sale bite s’approche de moi. Il fréquente
trop de filles.
Elle lui fit un clin d’œil et lui donna une tape sur les fesses. Shea lui lança
un baiser, avant de se frotter les mains.
Oh, aïe. C’était assez effrayant. La forme bestiale de Luke était inquiétante,
mais le fait que ses cornes puissent transpercer la peau l’était plus encore.
Shea avait eu la brillante idée de faire en sorte qu’elles émettent du poison,
mais cela avait mal tourné et il avait fini en service de guérison pendant une
semaine.
— Très bien, mais fais ça par là, pour qu’on ne soit pas blessés si ça
explose.
Elle indiqua le coin de la pièce d’un geste.
Elle sourit.
— Très bien, Chloé, la force et la vitesse sont tes deux atouts principaux,
soulignai-je.
Je souris.
— Et ça. Donc, voyons si tu peux balancer l’ours de Luke sur ce matelas,
de l’autre côté de la pièce.
Les grands yeux bruns d’ours de Luke s’arrondirent, mais Chloé ne parut
pas intimidée. C’était une casse-cou qui aimait les défis ; c’était ce que
j’admirais le plus chez elle.
Il détestait qu’on l’appelle mon grand, alors à ses mots, il écarta les pattes
et se tint aussi immobile qu’une statue de cinquante kilos, lui adressant un
regard noir.
Shea avait créé un genre de trou dans le sol et un minuscule démon Reptile
était en train d’en sortir en rampant, l’air très énervé. Elle se raidit et
commença à reculer lentement, sachant très bien à quel point ces petites
bestioles pouvaient être vicieuses. Mieux valait ne pas les surprendre, vu
qu’un crachat au visage pouvait vous rendre aveugle pour le restant de vos
jours. J’avais une cicatrice d’acide sur mon pied qui prouvait à quel point ces
petites saletés pouvaient se montrer caractérielles.
Chloé fixait le démon avec une expression d’horreur totale. Elle n’avait
probablement jamais vu ce genre de chose de toute sa vie, à en croire le choc
qui recouvrait son visage. Luke semblait un peu plus détendu, déplaçant son
poids d’une patte à l’autre comme s’il essayait de décider s’il devait charger
ou pas.
Cela attira l’attention de la créature sur moi, et elle plissa les lèvres pour
cracher dans ma direction. Je bondis hors de sa trajectoire juste à temps, la
matière visqueuse et acide atterrissant à moins d’un centimètre de moi.
Cela ne servit à rien. L’acide entra en contact avec le bras de Shea juste au
moment où elle commençait à scander son sort, et un cri de douleur fendit
l’air.
— Shea, comment tu vas ? lui lançai-je sans quitter des yeux le cabot à
deux têtes devant moi.
Les Chiens des Enfers pouvaient vous arracher la gorge en un millième de
seconde, et manger votre cadavre en entier en une heure. Y compris les os.
Sa voix était rongée par la douleur, et je savais à quel point elle devait avoir
mal. J’étais passée par là.
L’une des têtes du Chien des Enfers m’adressait un regard noir, tandis que
l’autre avait les yeux fixés sur Luke. À cet instant, ils montrèrent tous deux
les dents et nous grognèrent dessus simultanément. Je n’en savais pas
beaucoup à leur sujet, sauf qu’ils étaient rares et que d’après la rumeur, ils
étaient la créature favorite de Lucifer. N’ayant aucune idée de comment les
tuer, j’avais un énorme désavantage.
Je grimaçai. Dégoûtant.
— Tu es sûre ? demandai-je.
Décapiter un chien loup aux yeux rouges n’était pas vraiment ma définition
d’un moment agréable.
Elle n’eut pas le temps de répondre, car le Chien plongea sur moi,
déterminant probablement que Luke était une plus grande menace. Je me
laissai tomber à genoux, exactement comme Lincoln me l’avait appris, et me
préparai à l’impact, mais la collision ne vint jamais. Alors que le chien se
projetait en l’air, Luke baissa la tête, avant de la relever d’un coup, encornant
le flanc de la créature. L’une de ses cornes perça la cage thoracique de
l’animal, et un hurlement s’échappa des deux bouches.
Il entra à grands pas et sortit deux épées, toutes deux étincelant d’un bleu
féroce.
Le Chien des Enfers tourna ses têtes vers lui et grogna tout en essayant de
se relever. Il y avait une mare de sang à ses pieds, mais il semblait encore prêt
à nous donner du fil à retordre.
Lincoln s’avança et, en deux coups nets, coupa les têtes de l’animal
démoniaque. Simple comme bonjour.
Ses petites narines se dilatèrent et un éclat avide passa dans ses yeux.
Lincoln recula de quelques larges pas et le démon commença à ramper au bas
du mur. Lorsqu’il toucha le sol, il attrapa un Skittle et le goba, un fin filet de
bave coulant de sa bouche.
Beurk.
— Explique-toi !
— Eh bien…
Je ne comptais pas balancer Shea devant Raphaël, et je ne savais pas si
Lincoln la protégerait. J’aimais à penser qu’il le ferait, mais je n’en étais pas
sûre. Ce serait donc les copines avant les mecs, et tout ça. Mais j’étais aussi
une très mauvaise menteuse.
— J’ai ouvert un portail vers l’Enfer par accident, confessa Shea avant que
j’aie pu ouvrir la bouche.
Je lui adressai un regard ébahi. La dernière chose dont nous avions besoin,
c’était de nous faire virer.
— Cela aurait pu être bien pire. L’ouverture de portails est un talent abordé
en quatrième année, dit-il à Shea.
— Je ne savais même pas qu’il était possible d’ouvrir des portails vers
l’Enfer. Je n’aurais jamais essayé de le faire, sinon.
— D’accord…
Je souris.
— Petite amie ?
— Peu importe.
Il secoua la tête.
Je m’arrêtai net.
Je n’avais soigné que des blessures très mineures, comme une infection
causée par un ongle incarné, la migraine de Mme Greely ou les crampes
menstruelles de Shea. J’étais plus une assistante qu’autre chose, très douée
pour récupérer les compresses et les bandages.
Il m’agrippa le bras.
— Les blessures causées par des démons sont très communes sur les zones
de conflit, et si on te confère une position de guérisseuse dans l’Armée
Déchue, tu devras savoir comment guérir une brûlure à l’acide de Reptile.
— Vraiment ? l’interrogeai-je.
Le moment ferait tout aussi bien l’affaire qu’un autre pour le sonder.
Lorsque nous entrâmes dans sa chambre, son regard féroce cloua Noah au
mur.
Je grimaçai.
— Je suis heureuse de voir que ton égo est encore bien vivant et
dynamique, ricana celle-ci. Contente-toi de te dépêcher. J’ai l’impression que
mon bras va se décrocher.
J’avalai ma salive.
— Bien sûr.
Noah se positionna derrière mon épaule droite, une main posée au bas de
mon dos et me poussant plus près de Shea. Je m’assis à côté d’elle dans la
chaise du guérisseur, où Noah, ou l’un des autres soignants, s’asseyaient
généralement.
Noah déposa un seau à mes pieds. Je fronçai les sourcils et levai les yeux
vers mon professeur.
Réveille-toi.
Je projetai cette pensée vers mes mains. Je l’avais fait très exactement trois
fois dans ma vie, j’espérais donc que cela marcherait encore.
— Ça marche !
Je m’efforçais de ne pas trop avoir l’air d’une bleue, mais j’étais assez
excitée.
— Ça brûle.
— Très bien, maintenant respire. Ton corps est fait pour ça. Le sang de
l’archange de la Guérison coule dans tes veines. Avec de l’entraînement et de
la concentration, il n’y a aucune maladie que tu ne pourras expurger.
Il savait. Il avait dû lire mon dossier, lui aussi, parce qu’il m’adressait ce
regard apitoyé. Je me contentai de hocher la tête.
Je fermai les yeux et plaçai mon autre main au-dessus du bras de Shea. Je
pris une profonde inspiration et aspirai un peu plus de sa blessure à travers
ma paume.
— Qu…
— Je te l’ai dit, ton corps est fait pour guérir, et tu as un talent naturel pour
ça. J’espère que tu songeras à te spécialiser en guérison l’année prochaine.
— Est-ce que ça veut dire que c’est toi qui me dois des Donuts Septième
Ciel ?
— Les Donuts Septième Ciel sont pour moi, ma belle. Je dois aller voir si
Lincoln a besoin d’aide.
Shea le suivit des yeux alors qu’il passait la porte, l’air confuse, les lèvres
pincées et les yeux plissés.
— Il a dit que tu te comportais comme une garce avec lui et qu’il aimait le
fait que tu le remettes toujours à sa place.
— Peu importe, il sort probablement avec cinq autres filles en même temps.
Le moment était probablement très mal choisi pour lui dire que Lincoln
m’avait qualifiée de petite amie, je décidai donc de garder ça pour une autre
occasion.
Elle grimaça.
— Oups.
Je frappai, même si j’avais une clef pour pouvoir arroser son unique et triste
plante grasse pendant qu’il était parti.
— Entre, marmonna-t-il.
Ses lèvres se posèrent alors sur les miennes et je me laissai tomber sur lui,
prenant garde de ne pas toucher son ventre. Je me maintins au-dessus de son
corps étendu, savourant la sensation de ses lèvres sur les miennes. Seigneur,
j’adorais l’embrasser ; c’était électrique et incroyable.
— J’irai mieux après une journée de repos. Les choses s’aggravent, dehors.
Lincoln rit, avant de grimacer en pressant la main sur son flanc, mais durant
les quelques secondes où il sourit, tout son visage s’illumina. Seigneur, qu’il
était beau. Des cheveux sombres et désordonnés, une mâchoire carrée, un
regard intense. Sa place était dans une romance, pas à mes côtés.
— Il dit que tu t’améliores aux piquets en vol avec ton épée.
— C’est parfait.
— Non.
Mes yeux s’arrondirent. Oh, mon Dieu. Je n’avais jamais songé à cela. Je
veux dire, j’avais entendu certaines histoires, mais…
C’était tout ce que je pouvais dire, face à une nouvelle aussi horrible.
— Pourquoi pas ?
Lincoln donna un coup léger dans le bras sur lequel je m’appuyai pour me
faire tomber sur lui. Je me rattrapai avant de m’écraser sur son visage, mais
nous étions désormais à quelques centimètres de distance. Il attrapa à
nouveau ma nuque, me maintenant contre lui.
— Tu m’as sauvé des heures les plus sombres de ma vie. Je vais prendre
soin de toi. Quoi qu’il arrive.
Il était parfait.
Je suis tellement amoureuse de lui.
Shea attendait que je la rejoigne pour que nous puissions nous entraîner à
exercer nos techniques, et je devais rendre un examen écrit le lendemain
après-midi que j’avais à peine commencé, mais je restai.
***
— L’Épreuve a lieu dans dix jours ! Dix jours et ton avenir sera joué !
aboya Lincoln alors qu’il m’envoyait un crochet du gauche en plein visage.
Oui, mon petit ami essayait de me donner une raclée. Tout le temps.
J’esquivai le coup, avant de projeter violemment mon genou dans sa cuisse.
— Je t’écoute.
Lincoln sourit.
— Je vais lui montrer de quoi on est capable ! s’exclama Sera depuis son
emplacement contre ma hanche.
— C’est un truc organisé par l’école, alors ça ne peut pas être aussi
dangereux que ça, répondis-je d’un ton désinvolte.
— Non, pas lui. Mais quelqu’un de très spécial va t’apprendre un talent qui
peut sauver des vies.
Je poussai un soupir.
Il était seize heures. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire pendant trois
heures ?
***
— Quand est-ce que l’une de vous deux ira jusqu’au bout avec son mec ?
J’ai besoin de détails sexuels croustillants, se plaignit Luke tout en recouvrant
ses doigts de pied de vernis vert citron.
Je levai les mains en l’air.
— Un homme qui a genre quatre ans de plus que toi, qui a peur de te faire
du mal et qui a eu beaucoup plus d’expériences sexuelles que toi.
— Noah est plus vieux que toi, et plus expérimenté, et pourtant il essaie de
coucher avec toi deux fois par jour.
Luke grimaça.
— Eh bien, je ne sais pas. Hier soir, il est devenu bizarre et il m’a demandé
si notre relation était exclusive, et ensuite il m’a dit que je pouvais emprunter
sa voiture si j’en avais besoin. C’était flippant.
Luke et moi cessâmes tous deux ce que nous étions en train de faire.
J’allais devoir avoir une conversation privée avec elle. Elle faisait ça
souvent, s’autosaboter. Grandir sans père, et avec une junkie en guise de
mère, avait laissé des cicatrices dans son cœur. Elle ne faisait confiance à
personne en ce monde à part ma mère, Mikey et moi. Cela devait changer, ou
elle mourrait seule.
— En ce moment, tout va bien. S’il rompt avec moi, je m’en sortirai
indemne, répondit-elle.
— Est-ce que tu t’imagines te frotter contre les seins d’une fille ? lui
demanda Luke en souriant.
— Beurk.
— OK, maintenant que nous avons tous remis en cause notre sexualité et
déterminé que nous avions des problèmes relationnels, je dois y aller,
annonçai-je en me levant.
Je dus détourner les yeux un instant, sa peau exsudait trop de lumière pour
que je puisse le regarder directement. La lueur s’estompa soudain alors qu’il
s’approchait.
Les yeux de Michel pétillèrent alors qu’un sourire dansait sur ses lèvres. Il
était incroyablement beau, et à ce qu’il paraissait, il avait pris une humaine
pour femme, mais ce n’était qu’une rumeur. Je ne l’avais encore jamais vue.
Je remuai à nouveau d’un pied sur l’autre, ne sachant trop quoi dire.
— Qui ?
— Bien sûr que oui, confirma Michel en riant. Les humains aiment le
concept des âmes sœurs, mais en réalité, les relations entre elles sont les plus
difficiles à vivre. Elles vous mettent au défi et vous forcent à grandir, bien
plus que n’importe quelle autre relation.
Dites-moi tout.
Je n’étais pas du genre religieux, mais j’étais curieuse à propos d’une chose.
Et ce moment semblait aussi propice qu’un autre pour poser la question qui
me taraudait.
— Alors… est-ce que ce sont les chrétiens qui ont raison ? Je veux dire…
L’archange s’esclaffa.
Hum, cette phrase avait un peu fait des nœuds dans mon cerveau. Je n’étais
toujours pas sûre de savoir ce que je pensais de la religion, mais cela me
sembla un peu plus tolérable après son explication.
J’étais sur le point de lui demander si les chiens allaient au paradis quand il
tendit la main vers moi.
— Euh, cool.
Je grimaçai.
— Désolée.
C’est vrai.
— OK, je ne vais même pas commencer à avoir cette conversation avec toi.
Quand Michel eut atteint le coin le plus éloigné de la salle, il la posa et fit
un pas en arrière.
Quel genre d’ange prend plaisir à voir quelqu’un échouer ? Pff, il passe
trop de temps avec Lincoln.
J’écartai les jambes, tendis les deux paumes vers le haut et pris une
profonde inspiration.
— Très bien, Sera. Montre-lui ce qu’on sait faire. Viens à moi, l’invitai-je.
Cela gâcha la vision très cool que j’avais d’elle volant vers moi à travers la
pièce. Je l’aurais prise dans ma main, l’aurais levée vers le plafond, et elle
aurait envoyé un éclat de lumière pour couronner le tout.
Il hocha la tête.
— Mais toi, tu peux.
— On m’a dit que tu n’étais pas très douée en études de la lumière, est-ce
correct ?
— Ridicule ! Je peux la voir en toi, et elle est plus éclatante que tout ce que
j’ai pu voir chez un humain.
— Ceux d’entre nous possédant une lumière intérieure plus intense attirent
plus de ténèbres. Ne l’oublie jamais.
Je ne l’oublierais pas. C’était la première fois, depuis que j’avais appris que
j’étais plus ou moins la progéniture de Lucifer, que l’on me redonnait de
l’espoir.
J’étais peut-être la lumière la plus intense que l’archange Michel ait jamais
vue chez un humain.
Ouais, ça me va.
CHAPITRE VINGT-ET-UN
Il me fallut trois jours pour apprendre à appeler Sera depuis l’autre bout de
la pièce. Michel m’avait appris tout ce qu’il avait pu ce soir-là, et ce ne fut
ensuite que grâce à un entraînement éreintant que je finis par être capable de
le faire trois jours plus tard. Je n’étais pas sûre de pouvoir y arriver dans une
situation de vie ou de mort, ou dans une pièce remplie de démons, mais
j’allais continuer à m’entraîner malgré tout, car c’était un talent utile à
posséder.
— Tu vas bien ?
Il était quinze heures et les cours étaient suspendus pour la journée. Chloé
avait enfilé ses longs gants noirs et épais et sa capuche dissimulait ses
cheveux rouge vif. Nous avions fermé les rideaux bloquant la lumière de
notre chambre pour qu’elle puisse entrer, et elle faisait désormais les cent pas
dans la pièce.
— Si l’un de nous échoue, nous échouons tous, cita-t-il d’un ton sinistre. Je
ne peux pas retourner vivre avec mes parents. Je ne peux pas.
— Si nous échouons, je suis sûre que mon père nous donnera un emploi au
club. Nous pourrons tous partager un appartement, ou un truc du genre.
Chloé sourit.
Luke fit mine de s’avancer vers la porte, mais je bondis pour l’intercepter.
Mon intuition me hurlait d’être prudente, même si je ne pouvais dire
exactement pourquoi.
— Qui est-ce ?
J’ouvris le mot.
Je t’aime
Lincoln
Bébé ? Je t’aime ? Lincoln ne parlait pas comme ça. Nous ne nous étions
pas encore dit que nous nous aimions et il ne m’appelait pas « bébé ». Il
aurait plutôt écrit quelque chose du genre :
L.
— Stop ! m’écriai-je alors que Luke se léchait les doigts, ayant déjà terminé
un donut.
Les filles avaient chacune une pâtisserie levée devant leur bouche.
Chloé et Shea laissèrent aussitôt tomber les leurs. Luke prit une teinte
franchement verte, avant de se plier en deux et de commencer à gémir.
Tiffany.
— Ne nous faisons pas suspendre juste avant l’Épreuve. Il faut qu’on laisse
couler. Je vais travailler sur un contre-sort pour guérir la maladie dont Luke
est atteint. Laisse couler.
C’était plutôt gonflé venant de Shea. Elle était toujours prête à se battre.
Inspire. Expire.
J’étais à peu près sûre que, pour une arme angélique, sa conscience n’avait
rien de celle d’un ange.
Elle fit les cent pas dans la pièce, marmonnant pour elle-même, sortant des
livres et examinant des bocaux d’herbes séchées. La clinique de soins était
fermée aujourd’hui, évidement, tout le personnel étant parti sur le site de
l’Épreuve. La plupart des professeurs avaient eux aussi quitté le campus.
Nous étions les seules à pouvoir aider Luke.
Mince.
— À quoi vont servir toutes ces herbes ? demanda Chloé tout en regardant
nerveusement du côté de la salle de bain.
— Allez-y !
— Oh mon Dieu, non ! l’arrêta mon amie en écarquillant les yeux. Laissez-
moi vous le noter, ou vous allez le tuer.
J’avais oublié son allergie au soleil et à quel point ce devait être difficile de
vivre dans la peur constante de sortir durant la journée.
Nous avions atteint une grande porte noire vernie munie d’un gros symbole
de lune quand elle tourna la tête vers moi.
Elle tira une clef attachée autour de son cou et déverrouilla la porte. Elle
s’ouvrit en grinçant, une odeur d’humidité me frappant immédiatement.
— Non.
Lorsque nous atteignîmes le bas des marches, elle m’informa que nous
étions désormais sous terre, avant de m’entraîner à travers les tunnels
sinueux.
Elle sourit.
— Euh, merci, marmonnai-je, soulagée de pouvoir enfin voir les murs et les
formes devant moi.
Les murs étaient faits de brique rouge et il n’y avait aucune lumière, ce que
je trouvais bizarre vu que les ampoules ne brûlaient pas les Enfants de la
Nuit. J’imagine que cela aiguisait leur vision nocturne, ou quelque chose
comme ça.
— Oui, une fin horrible. Mais nous avertissons les étudiants du danger et
nous leur donnons la possibilité de ne pas participer, rétorqua Raphaël.
— Mais peut-être que vous pourriez simplement dispenser Brielle. J’ai peur
que les démons soient à sa poursuite. L’Épreuve pourrait être
particulièrement dangereuse pour elle, plaida Lincoln.
— Mon garçon, tu me l’as déjà demandé, et ma réponse est non. Je sais que
c’est difficile à accepter pour toi, mais tu ne peux pas sauver Brielle de son
destin. L’Armée Déchue est la seule chose qui empêche les démons de
s’emparer d’Angel City. Nous avons besoin de nouvelles recrues. Nous
devons prendre le dessus, au risque de voir le monde sombrer dans les
ténèbres. Lucifer crée une centaine de nouveaux démons chaque jour, avant
de les lâcher sur Terre, et ils nous surpassent déjà considérablement en
nombre.
— Je sais tout ça, répondit Lincoln, l’air abattu. Mais ne pourriez-vous pas
vous contenter de la faire passer en deuxième année ?
— Elle est la meilleure arme dont nous disposions dans cette guerre. Nous
devons l’entraîner comme tous les autres, ou nous ne ferons que l’handicaper.
— Oui, Monsieur, répondit-il d’un ton pincé, avant de tourner les talons.
— Brielle est bien plus forte que tu ne le penses. Plus forte que la plupart
d’entre nous, confessa l’archange, et son regard glissa vers la porte derrière
laquelle nous nous tenions.
Chloé et moi prîmes une brusque inspiration et fîmes un pas en arrière, mais
nous entendîmes alors le bruit de pas qui s’éloignaient, et ils quittèrent le
couloir.
— Tu vas bien ?
— Je ne sais pas.
Le simple fait d’imaginer Lucifer créant cent nouveaux démons par jour me
rendait malade. Durant mon enfance à Demon City, ils ne s’en étaient pas
trop pris à nous, mais je savais qu’ils attaquaient constamment Angel City et
d’autres poches de civils.
— Mon père dit que Lucifer ne s’arrêtera pas avant que nous soyons tous
des esclaves de démons, murmura Chloé.
— Je vais la tuer ! Je vais lui arracher tous ses cheveux, et ensuite je vais
l’étrangler avec ! hurlait-il.
J’espérais que ça allait marcher et qu’il irait mieux pour l’Épreuve. Nous
l’avions déjà choisi comme coéquipier, et je ne le laisserais pas échouer.
— Bon travail.
— Il ne va plus aller aux toilettes pendant une semaine, mais c’est la seule
chose à laquelle j’ai pensé, nous expliqua-t-elle.
— Il me faut à manger. Et une fois que j’aurais repris des forces, j’irai
trouver Tiffany, dit-il d’une voix tremblante et faible.
Une fois que Luke eut mangé un tas de côtelettes et une demi-douzaine de
petits pains, il sembla aller beaucoup mieux. Il disait qu’il avait des crampes
au ventre de temps en temps, mais que ça finissait par passer, ce qui était bon
signe.
Nous attendions maintenant sur le parking, sous une énorme tente de soie
blanche. Il y avait une petite estrade, sur laquelle se trouvait l’archange
Michel. Autour du périmètre délimité par la tente se trouvaient plus d’une
centaine de gardes de l’Armée Déchue, dont Lincoln. Il était si élégant, dans
son uniforme noir. Sur son torse trônait fièrement l’insigne ailé dévoilant ses
origines célestes, avec les quatre étoiles correspondant à son rang.
— Merci à tous d’être venu à cet examen de fin d’année, qui a pris le nom
d’Épreuve.
Il parlait sans microphone, pourtant sa voix résonnait dans tous les coins de
la tente.
— Ce que nous ne vous avons pas encore dit, c’est que l’Épreuve est en
réalité un test d’admission pour l’Armée Déchue, déclara-t-il.
Les gens se mirent à murmurer et à jeter des regards aux soldats autour de
la pièce. Michel attendit que tout le monde se taise avant de se remettre à
parler :
— Il y a plus d’une décennie, quand nous avons mis en place la Fallen
Academy, notre but était de vous apprendre à utiliser vos pouvoirs, avant de
vous envoyer vivre votre vie, mais cela a changé lorsque les démons ont
commencé à envahir de plus en plus de territoires. Maintenant, nous luttons
pour notre survie, et la vérité, c’est que l’école a toujours été faite pour être
une académie militaire.
— Les diplômés se voyaient offrir des emplois dans notre armée, pour
combattre les démons et défendre l’humanité, continua-t-il. Mais nous ne
pouvons plus attendre quatre ans, le temps que vous obteniez votre diplôme
et que vous nous rejoigniez. C’est pourquoi, il y a sept ans, j’ai eu l’idée de
l’Épreuve, un test militaire grandeur nature. Si vous passez ce test, vous vous
verrez attribuer un emploi en tant que soldat de premier échelon enrôlé dans
l’Armée Déchue.
— Mais bien sûr, tout est sur la base du volontariat. Si vous ne voulez pas
rejoindre l’Armée Déchue et aider à lutter contre la surabondance de démons,
vous êtes libre de partir tout de suite. Vous ne pourrez pas suivre les cours de
deuxième année à l’académie, car nous n’avons plus les ressources
suffisantes pour entraîner les civils, mais nous vous octroierons un logement
provisoire et un coordinateur d’insertion professionnelle. Avec un peu de
chance, cela rendra la transition plus facile pour vous, lorsque vous entrerez
dans le monde avec vos nouveaux pouvoirs. Nous espérons que cette unique
année d’entraînement ici vous aura été utile pour que vous puissiez gérer
votre avenir avec vos nouveaux talents.
Tous parlaient à voix haute, désormais, tout en regardant autour d’eux dans
la pièce, l’air choqués. Shea se tourna vers moi.
— J’imagine, répondis-je.
Chloé retira sa capuche, vu qu’il faisait nuit noire, à présent, et que nous
étions abrités par la tente.
— Je veux rejoindre l’Armée Déchue depuis que j’ai cinq ans, je suis
complètement partante.
— L’armée a sauvé mon cousin. Ils vivaient à la frontière. Des démons ont
attaqué leur ferme, mais l’armée les a repoussés. J’en suis aussi.
— On est parfaitement prêts, dit Chloé. On s’est entraînés, et Brielle est une
leader incroyable.
Je pris une profonde inspiration et appelai Sera, qui était dans l’étui de ma
botte.
— Dans le pire des cas, on devient barman dans le club du père de Chloé
pour le restant de nos jours, continuai-je.
— Chérie, le pire des cas, c’est qu’on devienne tous de la nourriture pour
démon, ce soir.
Je blêmis.
Tout le monde nous dévisagea comme si nous étions une bande d’idiots.
Qu’ils aillent se faire voir. J’ai une équipe solide, avec une bonne
camaraderie. Je suis prête.
Il tenait un bloc-notes et avait l’air menaçant avec son épée accrochée à une
hanche, et un pistolet d’un noir brillant à l’autre.
Nous nous avançâmes lentement vers lui. Il y avait un autre groupe près de
lui, et mon estomac se serra en voyant que c’était celui de Tiffany. Lorsque
nous les rejoignîmes, il nous adressa à tous un hochement de tête.
Lincoln n’arrêtait pas de me lancer des regards en coin, mais son expression
demeurait sérieuse.
— Vous avez chacun une équipe de quatre, et chacun d’entre vous devra
combattre quatre démons de niveau inférieur pour réussir l’examen, continua-
t-il.
Une fois qu’il eut récupéré tous les formulaires, il les tendit à une femme
rousse et trapue qui le salua, avant de nous faire face à nouveau.
— Montez dans le bus numéro quatre. Je vous rejoindrai là-bas pour vous
expliquer les règles, dit-il aux deux groupes.
— Les bus sont de ce côté ! lança un soldat de la Fallen Academy plus âgé
et large d’épaules depuis l’arrière de la tente.
Nous nous mîmes en route dans cette direction, mais Lincoln m’attrapa par
le bras, me retenant en arrière.
— Mon bâillon magique a été levé pour quelques heures. Je voulais juste te
dire qu’il y a des soldats tout autour du périmètre des bâtiments. Tu n’as
qu’un mot à dire et ils fonceront à l’intérieur pour mettre fin à l’entraînement.
Ne joue pas les héros.
— Non, ce n’est pas ça du tout. Je pense que depuis que je t’ai rencontrée,
des démons sont à ta poursuite. Je crois qu’il y a une très forte probabilité
pour que les démons de ton entraînement sachent qui tu es et… je ne sais pas,
je suis peut-être juste parano. Sois prudente, d’accord ? Rejoindre l’Armée
Déchue est la meilleure chose qui soit pour toi, mais si tu sens que tu es en
grand danger là-dedans, tu arrêtes tout, d’accord ?
Il tendit la main vers mon visage, mais se ravisa. Nous étions dans une
pièce remplie de ses collègues, après tout.
Je croisai les bras et le regardai de haut en bas avec mon regard le plus
effronté.
Alors que je montais avec Lincoln, je vis qu’il y avait environ huit soldats
de l’Armée Déchue au fond. Je reconnus le frère de Chloé, Donnie, parmi
eux. Je savais qu’il faisait partie de la brigade de Lincoln. Ils avaient
probablement tous les deux demandé à s’occuper de notre équipe. Un rapide
regard vers Luke me laissa voir qu’il devenait complètement dingue à l’idée
d’être dans le même bus que lui.
C’est parti.
Une fois que Lincoln eut fini de parler au conducteur de bus, il se leva et
nous dévisagea.
— Très bien, que les deux chefs d’équipe lèvent la main, demanda-t-il.
Garce.
Je priai pour que Shea puisse concocter une potion de diarrhée qui fasse
exploser son postérieur.
— Les chefs seront équipés d’un appareil magique. Si, à n’importe quel
moment, ils estiment que l’entraînement est devenu trop dangereux, ils
peuvent presser le bouton et mon équipe entrera pour sauver la situation. À ce
moment-là, toute l’équipe échouera au Défi, alors ne pressez ce bouton que si
quelqu’un court un danger mortel.
— Tout ce que nous faisons dans l’Armée Déchue, nous le faisons en tant
qu’unité. En tant qu’équipe. Si vous ne pouvez travailler en tant qu’équipe,
vous n’avez pas votre place dans cette armée.
— Une fois que vous aurez tué les quatre démons, vous pourrez sortir du
bâtiment et nous rejoindre. Nous enverrons toute personne blessée à la tente
de soins, puis nous célébrerons tous votre victoire, expliqua Lincoln.
Tiffany sourit et donna une tape dans la main de ses moutons, comme si
elle avait déjà gagné.
Le bus avait déjà atteint les abords de la ville, le mur de béton menaçant
s’élevant comme une sentinelle dans la nuit.
Ses yeux se rivèrent à chacun d’entre nous, s’attardant plus longtemps sur
moi. Nous hochâmes tous nerveusement la tête.
— La bonne réponse est « chef, oui chef », nous informa Lincoln d’un ton
suffisant.
Oh, non. Je n’allais pas commencer à obéir à ses ordres, et l’appeler « chef
», en plus !
Tous les autres hurlèrent, « chef, oui chef », mais je ne fis que marmonner.
J’avais de gros problèmes avec l’autorité, ce qui ne m’aiderait probablement
pas beaucoup dans l’armée. J’allais vraiment devoir travailler là-dessus.
Au loin, une énorme explosion retentit, nous faisant tous sursauter. Lincoln
hocha la tête.
— Les démons adorent faire exploser des trucs. Vous apprendrez ça par
vous-mêmes. Cette zone de la ville est assez désertée, elle est donc
considérée comme à peu près sûre, mais à quinze kilomètres d’ici se trouve
une zone de guerre encore bien active.
Il hocha la tête tout en tournant les yeux vers le terrain dévasté couvert de
maisons brûlées.
Le bus se gara sur le parking d’un bâtiment industriel abandonné, sur lequel
avait été inscrit à la bombe le chiffre quatre. Il s’élevait sur quatre étages,
certaines fenêtres avaient explosé et le toit semblait prêt à s’effondrer.
— C’est ici. Un ancien atelier de couture. Un grand escalier sépare le
bâtiment en deux. L’équipe de Tiffany partira à gauche, et celle de Brielle
partira à droite. Les démons ont été relâchés il y a environ une heure et sont
sous le coup d’un sort qui les empêche de sortir par l’une des portes ou
fenêtres, ils doivent donc être assez énervés, déclara Lincoln.
Super.
Ils hochèrent la tête, s’assurant que leur peau n’était pas exposée où ce
n’était pas nécessaire. Tiffany roula des yeux.
Nous nous levâmes tous et sortîmes du bus alors que le reste des soldats de
l’Armée Déchue nous suivaient. Ils commencèrent à former un périmètre
autour de la maison, sortant leurs armes et levant les yeux vers le bâtiment
menaçant. Je regardai en hauteur, vers l’une des fenêtres, et vis une ombre
passer devant.
— Bien vu.
— Bonne chance, petite sœur, dit-il en l’attirant à lui pour une accolade.
Chloé sourit.
— Merci. Est-ce que maman t’a forcé à demander à surveiller mon équipe ?
demanda-t-elle en posant une main sur sa hanche.
— Évidemment.
À cet instant, Luke revint de derrière le bus. Son énorme ours brun, avec
ses grandes cornes noires recourbées, m’émerveillait et me terrifiait tout à la
fois. Le regard de Donnie parcourut Luke de haut en bas.
Je hochai la tête.
Lincoln aboya un ordre à son équipe, qui leva ses armes et prit une posture
rigide, clairement prête à s’introduire dans le bâtiment pour nous sauver les
fesses à tout moment. Puis il se dirigea vers la porte métallique et l’ouvrit.
Seules les ténèbres étaient visibles à l’intérieur, ce qui me remua l’estomac.
Tiffany s’avança vers Lincoln en balançant des hanches, et il lui tendit une
clef.
Chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, ma haine envers elle devenait de plus
en plus profonde, comme si je m’enfonçais dans une caverne.
Il hocha la tête et baissa la main, mais il avait l’air tout sauf convaincu.
— Bonne chance, Archie, lança Tiffany d’une voix mauvaise derrière moi,
alors que son équipe passait la porte de l’autre côté du couloir.
— Surveille tes arrières, espèce de garce ! cracha Shea d’un ton venimeux.
Les démons If crachaient du feu. Si vous les laissiez faire, ils ne s’arrêtaient
pas avant que tout le bâtiment soit en flammes. Leur seule faiblesse était
qu’ils étaient quasiment aveugles et super lents, se repérant aux sons.
Je savais qu’il y en avait trois de plus dans le bâtiment, je ne prêtai donc pas
beaucoup attention au démon If. Luke et Chloé s’en occupaient. À la place, je
tournai sur moi-même et étudiai le reste de la pièce. La partie avant était
assez ouverte et menait à une pièce principale pleine de bureaux de couture,
mais la partie arrière, derrière Chloé et Luke, semblait contenir une pièce de
bureau et un autre escalier.
Il détestait être traité comme un animal, mais je ne savais trop comment lui
parler lorsqu’il était sous sa forme bestiale.
— Attends une seconde, dis-je en plaçant une main sur son buste et en
passant devant elle.
Les démons de niveaux inférieurs étaient les Ifs, les Reptiles, les Pieds
d’Alouette et les Castors, ces derniers étant plus dangereux que les autres.
Même si n’importe lequel d’entre eux pouvait nous tuer, nous brûler le visage
ou faire de notre vie un vrai cauchemar.
Nous avions atteint le haut des marches, où il y avait une ouverture vers un
autre niveau.
Elle hocha la tête et me laissa passer devant. Je tins fermement Sera dans la
main droite et entrai.
Les démons Pieds d’Alouette avaient une carrure menaçante, avec leurs
deux mètres de hauteur et leur corps musclé. Si j’arrivais à illuminer la pièce,
il n’y avait aucune chance pour qu’il réussisse à se cacher.
Oh merde.
Ne perdant pas de temps, je bondis sur le dos du démon alors qu’il essayait
de se relever, et enfonçai Sera jusqu’à la garde entre ses omoplates. À
l’instant où je plongeai la lame dans sa chair, il rugit et arqua le dos, utilisant
sa force et sa vitesse incroyables pour essayer de me faire tomber. Je maintins
ma prise sur Sera alors que mon corps était rejeté douze mètres plus loin, à
travers l’usine de couture.
À la dernière seconde, mes ailes jaillirent et je pus les battre à peine deux
fois avant de m’écraser contre le mur du fond. Je le heurtai avec le côté
gauche de mon corps, très légèrement ralentie par mes ailes, et m’effondrai
au sol. J’évaluai rapidement la situation pour vérifier que rien n’était cassé,
puis tentai de me lever. Ma hanche gauche me lança violemment, mais elle ne
semblait pas déboîtée, au moins.
Elle était en mode combat, et moi aussi. Je ne perdrais aucun de mes amis
ce soir, et je n’échouerais pas à cette épreuve.
Je devins alors folle furieuse, faisant pleuvoir des coups de mes deux
poings sur son visage, son cou et tous les autres endroits que je pouvais
atteindre. Exactement comme Lincoln me l’avait appris, je propulsai tout le
poids de la partie supérieure de mon corps dans chaque coup pour les rendre
aussi puissants que possible.
Merde. J’avais oublié qu’elle était aux prises avec ce foutu démon Reptile.
Shea se redressa soudain sur ses pieds, l’air d’aller mieux, maintenant que
le démon Pied d’Alouette nauséabond était mort. Elle brandit sa lame
circulaire et s’avança à grands pas à travers la pièce pour aider Chloé, tandis
que je m’efforçais de retrouver mon équilibre. L’enfant de la Nuit avait cloué
la petite saleté sous sa botte, comme la dernière fois, maintenant fermement
son corps qui se tortillait. Sa chaussure noire semblait bouillonner – elle avait
été frappée par son acide.
Elle fit rapidement ce que je lui disais et je pris une profonde inspiration,
évaluant la prochaine épreuve.
— OK, il reste un démon. Mon intuition me dit que c’est un démon Castor.
Les démons Castors étaient les plus dangereux des quatre. Ils créaient de
petites salves ou vagues d’énergie qui vous faisaient tomber sur les fesses. Se
rapprocher à moins d’un mètre d’un démon Castor était quasiment
impossible, et leur peau était aussi épaisse qu’une armure, peu de choses
étant capables de la percer.
Chloé hocha la tête, faisant craquer son cou et sortant son épée de son
fourreau.
— Je peux le faire.
Dans le coin droit de la pièce, je vis une silhouette sombre courbée en deux.
Fronçant les sourcils, je regardai mon équipe et leur fis signe de me suivre
de près, plutôt que de suivre mon plan initial de charger pour l’étourdir. Je
m’avançai vers lui prudemment, sur la pointe des pieds. À chaque pas, je
tentai de distinguer ce que c’était, et pourquoi il faisait le mort. Ce n’était
peut-être pas un démon Castor, c’était peut-être un autre démon If, ou un Pied
d’Alouette.
L’Enfant de la Nuit fit rouler le démon sur le dos pour dévoiler son visage.
Ses yeux étaient devenus blancs et il ne respirait clairement pas.
Lincoln avait dit que nous devions tuer quatre démons, alors si celui-ci était
déjà mort, il devait forcément y en avoir un autre. Je pivotai sur moi-même.
— Un portail.
Tout en moi se révolta en voyant l’homme qui se tenait devant moi. Mes
poils se dressèrent sur mes bras et mes jambes et je sentis mes genoux faiblir.
Il faisait un mètre quatre-vingt, avait des cheveux sombres et luisants, des
yeux noirs lugubres et une peau fine et pâle. Il était séduisant, d’une manière
inquiétante, son apparence exsudant le danger, mais ce qui me terrifiait le
plus, c’étaient les ailes d’ange noires. Identiques aux miennes. Sur son avant-
bras se trouvait un tatouage, un crâne portant une couronne de travers et des
ailes noires derrière.
— Bonjour, Brielle.
Je déglutis.
— Qui êtes-vous ?
Il rejeta la tête en arrière et rit. Le son lancinant résonna sur les murs et fit
naître une vague de nausée dans mon estomac. Sa main se leva et il agita
deux doigts vers lui. Au même moment, mes pieds commencèrent à être
traînés malgré moi dans sa direction. Mon corps se souleva de quelques
centimètres du sol, contrôlé par une force invisible, et je me retrouvai à flotter
contre ma volonté vers le Diable.
Non.
— Tu sais, je trouve ça injuste que les autres t’aient marquée sans que je
puisse participer à la fête.
— Infirmi ! hurla Shea en projetant ses mains en avant, lançant un sort vers
Lucifer.
Lucifer claqua ses paumes l’une contre l’autre et une brume noire jaillit.
Mes trois amis furent propulsés dans une direction différente, s’écrasant
contre les murs autour de nous et plongeant dans l’inconscience. Je tentai de
bouger, mais j’en étais incapable. Mon regard examina le torse de chacun de
mes camarades et le soulagement m’envahit en voyant qu’ils respiraient tous.
— Je ne sais pas.
Oh, Seigneur. Elle n’avait jamais dit ça jusqu’ici. J’étais complètement
fichue.
Ses mains s’illuminèrent d’une lueur rouge, qui attira mon regard vers le
bas, là où elles étaient posées près de ma taille.
Une expression stupéfaite se peignit sur ses traits, avant d’être rapidement
remplacée par une fierté absolue. Ses yeux étincelèrent alors qu’il
m’examinait avec un regard de complète adoration.
Non.
Tu rêves.
À cet instant, Lincoln et son équipe firent irruption dans la pièce, hurlant
mon nom. Il adressa un regard au Prince des Ténèbres, debout devant le
portail vers l’Enfer, et tout le sang fut drainé de son visage.
La Mage de leur groupe hurla des mots dans une autre langue et une étoile
d’un bleu brillant jaillit de ses mains, avant d’exploser au plafond, envoyant
des étincelles scintillantes sur toute la pièce. Lorsqu’elles touchèrent la peau
de Lucifer, il poussa un cri et ramena son bras vers lui, me relâchant. Fort
heureusement, j’étais encore de mon côté du monde, et lui dans le sien, mais
mes doigts de pied étaient à quelques centimètres de tomber en Enfer,
littéralement.
Lincoln bondit en l’air et fit tomber son épée sur le bras tendu du Diable, le
coupant net.
Je tombai en arrière sur les fesses, le sort que le Prince des Ténèbres
m’avait jeté se brisant. La Mage bondit devant Lincoln et commença à fermer
le portail alors que Lucifer était assis au sol, un sang écarlate très sombre
giclant de son avant-bras.
Tout le monde se tourna vers moi pour me dévisager, les yeux arrondis de
stupéfaction. Je jetai un œil derrière moi et vis que Shea, Luke et Chloé
remuaient, en train de se réveiller. Dieu merci.
Au sol, haletante, je parvins à lever les yeux vers Lincoln, qui regardait ma
poitrine, bouche bée et une expression horrifiée sur le visage.
— Qu’est-ce que…, commençai-je.
Je baissai alors les yeux et un sanglot s’échappa de ma gorge. Là, gravé sur
ma poitrine, il y avait un crâne avec une couronne de travers, et des ailes
noires derrière lui.
— Il t’a marquée, dit Lincoln d’un ton légèrement répugné, comme si cela
me rendait maléfique.
Il m’adressa le même regard de pitié que celui que les gens adressaient à
mon père.
Lincoln s’accroupit et tendit la main vers moi, mais je reculai. Il soupira, les
yeux fixés sur le parquet, incapable de croiser mon regard.
Je pouvais entendre les voix étouffées se disputer dans la pièce, alors que
j’attendais derrière la porte du bureau de Raphaël. Ils avaient beau essayer de
rester discrets, j’entendais tout.
Une fois encore, j’avais été escamotée des festivités comme une bête
curieuse, exactement comme lors de la cérémonie de l’Éveil.
— Raphaël, tu ne vas pas la mettre dehors, n’est-ce pas ? Son équipe a tué
tous les démons. Quatre démons morts. Ça signifie qu’ils ont réussi
l’Épreuve, dit Lincoln d’une voix sèche, menaçante.
Béni soit-il.
— Elle porte sa marque sur le cœur. C’est une magie très profonde et très
noire, dit M. Claymore.
Je ne savais même pas qu’il était là. J’étais en état de choc depuis que le
Diable en personne avait ouvert un portail au beau milieu de mon examen de
fin d’année pour me marquer avec sa magie noire, j’imagine que j’avais donc
bien le droit de ne pas être très attentive.
Je baissai les yeux sur la marque et des larmes montèrent à mes yeux. La
peau était irritée et rouge après que je l’ai griffée en espérant pouvoir
l’arracher. Mais ce fut inutile.
— Je ne crois pas, mais je vais essayer. Ma magie ne fait pas le poids face à
celle du Prince des Ténèbres, soupira M. Claymore, résigné.
Je relevai mes genoux contre ma poitrine et les serrai contre moi. J’avais
envie que ma mère m’enveloppe dans ses bras et me frotte le dos tout en
chantant Brille, brille, petite étoile. Mais elle était à Demon City, et j’étais
coincée ici.
Je n’avais même pas envie d’être en vie, à cet instant. Tout semblait trop
difficile.
Il devait être dix heures du soir, et je n’avais pas faim, mais je ne pouvais
pas l’envoyer promener. Je lui adressai un faible sourire et hochai la tête. Il
n’y avait pas eu beaucoup de rencards durant lesquels Lincoln m’avait fait la
cuisine, nous étions tous les deux occupés la plupart du temps, moi avec mes
études et mon emploi à la clinique, lui avec son travail dans l’Armée Déchue.
La marque.
Jamais, au grand jamais, je n’aurais pu imaginer que quoi que ce soit puisse
être pire que la marque de mort apposée sur les Mages Noirs. Mais voilà que
j’étais marquée, moi aussi, et sans même l’usage d’une aiguille, par le Diable
en personne. La tristesse que j’avais ressentie lorsqu’il m’avait marquée
grimpa d’un cran. Je frottai furieusement la marque, mais je ne fis que
m’égratigner la peau.
Je ne pouvais retenir mes larmes plus longtemps. Mon corps. Il avait fait
quelque chose à mon corps contre mon gré. Je me sentais violée. Mes larmes
se transformèrent en sanglots alors que ma poitrine était serrée par l’émotion,
une douleur physique qui s’étendit dans tous mes membres.
Un sentiment de deuil.
Il m’aime.
Je ris.
— Oh, je t’en prie, on sait tous les deux que je suis amoureuse de toi depuis
des mois.
Je pense que nous prîmes tous deux conscience en même temps du fait que
j’étais trempée et nue, si l’on excluait une fine serviette, parce que tout l’air
sembla aspiré hors de la pièce. Ma respiration ralentit, la sensation de chaleur
se mit à pulser entre mes jambes.
— Brielle.
Je fis un pas vers lui, une main posée sur ma hanche dénudée. Il ne m’avait
jamais vue complètement nue jusqu’ici. Ce n’était pas passé loin, parfois,
mais je n’avais jamais été entièrement dévêtue.
— Lincoln, je suis une femme. Je n’ai peut-être que dix-neuf ans, et j’ai
peut-être moins d’expérience sexuelle que toi, mais je suis une femme. Et je
sais ce que je veux.
— Tu es sûre ? Maintenant ?
Ses mots étaient tendres et doux. Il ne voulait pas profiter de moi alors que
j’étais vulnérable, mais j’avais besoin de lui. J’avais besoin de notre amour
comme d’un radeau de sauvetage au milieu de l’océan. Maintenant plus que
jamais.
Je hochai la tête.
Il leva une main et la fit glisser le long de mon dos pour prendre mes fesses
en coupe. D’une légère étreinte, il m’attira contre lui. Mon bassin se pressa
contre le sien et mes mains passèrent autour de son cou, alors que nous
commencions à reculer vers la chambre.
Une fois à l’intérieur, je fis passer mes mains de sa nuque au bouton de son
pantalon. Ma bouche se repaissait avidement de lui alors que mon corps se
réchauffait, se préparant à ce qui était sur le point d’arriver. Je n’avais jamais
ressenti une telle chose pour personne de toute ma vie. Physiquement,
émotionnellement, spirituellement, Lincoln m’éveillait de l’intérieur. Il était
comme une autre moitié de moi-même, ce qui expliquait probablement
pourquoi nous étions si souvent en conflit, mais bon sang, j’aimais tellement
ce type que ç’en était douloureux.
Lincoln m’étendit sur le lit, ses lèvres posées sur la courbe de ma poitrine.
Il tendit le bras et fouilla dans le tiroir de sa table de chevet pour en sortir un
préservatif. Alors qu’il parsemait ma peau de baisers et de coups de langue, je
sentis mon désir grimper jusqu’à des proportions épiques.
Mon dos commença à s’arquer alors que mon corps partait dans tous les
sens.
— Lincoln, gémis-je.
Je suis la lumière.
***
Assise à table dans l’un des caleçons de Lincoln avec un T-shirt trop grand,
je pris une bouchée de céréales croustillantes, avant d’adresser un regard noir
à mon amant.
Les priorités. Je devais savoir si j’allais passer mes trois prochaines années
d’études avec ce démon. Je hochai la tête et pris une gorgée de jus de
canneberge.
Il poussa un soupir.
— Elle l’a réussi. L’une de ses amies a une vilaine brûlure à l’acide sur le
dos, mais elles ont eu leur examen.
J’émis un grognement.
— Oh merde.
À suivre…
REMERCIEMENTS