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Série : LES QUATRE GÉNÉRATIONS DU LEADERSHIP

2e texte : Les théories universalistes


François Labelle

Avec ce second texte de la série portant sur le leadership, nous présentons les deux premières
générations de théories et de modèles au sujet du leadership. Nous avons décidé de les
regrouper, car elles sont campées dans une même perspective scientifique, à savoir
l’individualisme méthodologique et l’universalisme des résultats obtenus.

1. 1re génération : le « grand homme », ses traits de personnalité et ses habiletés


1.1 Les traits de personnalité

Les premières recherches (1920) sur le leadership se fondent sur l’hypothèse que des traits de
caractère innés expliqueraient la capacité de certains individus à en influencer d’autres. C’est
l’idée des « leaders naturels », comme Moïse menant les juifs hors de l’Égypte, Martin
Luther King inspirant le mouvement pour les droits civils des noirs aux États-Unis, etc. C’est
à l’identification de leurs traits de caractère que sont dévolues les recherches. Si ces traits
sont identifiables, ils pourront être utilisés comme outils de sélection dans l’armée, sur la
scène politique, dans les entreprises, etc.

Les recherches sont d’abord descriptives et surtout ambiguës quant à la définition à donner
aux « traits ». La personnalité, les tempéraments, les dispositions naturelles, les habiletés, les
qualités individuelles d’ordre physique, les structures neuropsychiques, etc., sont autant de
paramètres utilisés pour mener les recherches. À titre d’exemple, voici les résultats de la
première méta-analyse1 dirigée selon cette perspective :

1
Méta-analyse : analyse des autres recherches menées sur le sujet.
2

Tableau 1.1
Les traits personnels du leader selon Stogdill (1948)
Intelligent Perspicace Vigilant Responsable Entreprenant Persistant Confiant Sociable
(Tiré et adapté de Northouse, 2004)

Évidemment, les problèmes méthodologiques limiteront la portée des recherches portant


exclusivement sur les traits. Avec l’inclusion des facteurs situationnel et contextuel dans
l’élaboration d’une définition du leader (Gibb, 1947l Jenkins, 1947; tiré de Zaccaro, Kemp,
Bader, 2004), elles seront abandonnées au détour des années 1960 et 1970.

Cependant, à partir des années 1980, et particulièrement depuis les années 1990, il y a
résurgence de travaux axés sur les traits (tableau 1.2 du texte de présentation). Les études sur
le leadership charismatique ont aussi participé à la relance de cette perspective. Menées par
House (1977), Burns (1978), Bass (1985), Tichy et Devanna (1986), Conger et Kanungo
(1987), Sashkin (1988), ces recherches identifient les caractéristiques qui permettent de
définir le charisme des leaders. Parmi les plus déterminantes se trouvent les habiletés
cognitives, la confiance en soi, une propension au risque, des habiletés sociales, la volonté de
s’élever (Zaccarro, 2001; tiré de Zaccaro, Kemp et Bader, 2004). Nous en rediscutons à la
partie concernant la quatrième génération où il est question de leadership transformationnel.
Pour l’instant, soulignons que la perspective axée sur les traits, qu’elle soit présentée comme
telle ou sous une autre forme (ex. : charisme), est encore populaire, tant auprès des
chercheurs que des praticiens. Depuis quelques années, plusieurs recherches présentent les
traits de personnalité suivants comme les plus déterminants dans l’exercice du leadership :
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Tableau 1.2
Les attributs clés des leaders, 1990-2003

• Capacités cognitives
o Intelligence générale
o Capacité de pensée créative

• Personnalité
o Extroversion
o Consciencieux
o Stabilité émotionnelle
o Ouverture aux expériences
o Agréable
o Des résultats au test de Myers-Briggs Type Indicator (MBTI) qui tendent
vers l’extroversion, l’intuition, la pensée et le jugement

• Motivation et besoins
o Besoin de pouvoir
o Besoin d’accomplissement
o Motivation à mener

• Capacités sociales
o Autocontrôle
o Intelligence sociale
o Intelligence émotionnelle

• Habiletés en résolution de problèmes


o Construction des problèmes
o Capacité à générer des solutions
o Métacognition, soit apprendre à apprendre

• Savoir tacite

(Zaccaro, Kemp et Bader, 2004; traduction libre)

La personnalité est l’attribut le plus étudié parmi les 6 traits présentés. Entre autres, beaucoup
d’études ont examiné la relation entre le leadership et le Big Five Model, modèle très
populaire en psychologie. La plupart des études ont démontré un lien robuste entre le
leadership et chacun des facteurs de personnalité du Big Five.
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Tableau 1.3
Le Big Five : cinq grandes dimensions de la personnalité
Peu Beaucoup
Énergique
Tranquille Extroversion Besoin de
Retiré pouvoir

Facilement
irritable Agréable Chaleureux
Pessimiste Bonne nature

Responsable
Impulsif Conscience Orienté sur
Téméraire l’objectif

Tendu
Faible confiance Stabilité Stable
en soi émotionnelle Confiant

Voit tout en noir Curieux


et blanc Ouverture aux Ouvert d’esprit
Peu de sujets expériences Orienté sur
d’intérêt l’apprentissage

(Hogan, Curphy et Hogan; adapté de Yukl, 2002 et Daft, 2005; traduction libre)

Les leaders obtenant des pointages élevés à toutes les dimensions sont ceux qui connaissent le
plus de succès.

Bien qu’il s’agisse de la première génération de modèles de leadership, elle est encore
populaire et pertinente ; les travaux qui présentent le leader comme la source du succès de
certaines entreprises, par exemple les travaux de Laurent Lapierre (1985-2005), sont souvent
campés dans cette perspective.
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2. 2e génération : les comportements et les styles du leader

Les études que nous catégorisons dans cette génération s’intéressent aux actions et aux façons
d’agir des leaders.

2.1 Les études de l’Université d’Iowa

À la fin des années 1930, Kurt Lewin et ses associés de l’Université d’Iowa ont identifié deux
styles de leadership de base :

1. Le leader autocratique : il prend les décisions, dit aux employés ce qu’ils doivent
faire et supervise ensuite leur travail.
2. Le leader démocratique : il encourage la participation dans les décisions, ne gère pas
les tâches dans le détail et collabore avec les employés pour déterminer ce qui doit
être fait. (Meda, 2005)

2.2 Les études de l’Université du Michigan

Les chercheurs de l’Université du Michigan, sous la direction de Likert, veulent dégager les
liens entre les comportements du leader, les processus et la performance du groupe.

Ils en arrivent également à une classification double :

1. Comportements centrés sur la personne : le leader encourage la participation des


subordonnés dans l’établissement des objectifs et dans les autres décisions
concernant le travail. Il aide aussi à créer une ambiance de confiance et de respect
mutuel.
2. Comportements centrés sur la tâche : il établit des standards pointus, organise les
tâches avec précision, prescrit les méthodes à suivre et supervise étroitement le
travail des membres du groupe.

Un résultat ressort de façon significative de leurs travaux : les groupes les plus productifs
travaillent sous la direction de leaders préoccupés par la personne.
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2.3 Les études de l’Université de l’Ohio

Après la 2e guerre mondiale, les chercheurs de l’Ohio concluent que les leaders adoptent deux
types de comportement :

1. Les comportements de considération : le leader est sensible à ses subordonnés,


respecte leurs idées et émotions, et établit une confiance mutuelle.
2. Les comportements liés à la structure : le leader est centré sur la tâche. Il oriente et
dirige le travail des subordonnés vers l’atteinte et l’accomplissement des objectifs.

Le fait que les deux comportements ne soient pas mutuellement exclusifs constitue la
différence entre les travaux des chercheurs de l’Ohio et les deux premières études présentées
Avec le modèle de l’Ohio, un leader peut maîtriser ces deux types de comportement. Il est
alors plus efficace que celui que ne les possède pas. Certaines situations peuvent exiger que
l’on mette davantage d’accent sur l’un ou l’autre des comportements.

2.4 Les travaux de Blake et Mouton

S’inscrivant dans la mouvance des travaux de l’Université d’Ohio, la grille de Blake et


Mouton est certainement l’un des modèles de comportement du leader le plus connu.
Développée d’abord en 1964, puis mise à jour quatre fois depuis, la grille est divisée en
quatre-vingt-une cases (9 * 9) qui représentent chacune une combinaison unique d’intérêt
pour l’élément humain et d’intérêt pour la production (la tâche, la structure). Blake et Mouton
ont décrit cinq de ces combinaisons.
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Tableau 2.1
La grille de Blake et Mouton
1,9 9,9
Gestion Gestion
de type par le
social travail
en
équipe

Intérêt
pour 5,5
l’élément Gestion de
humain type
intermédiaire

Gestion Gestion
de type centrée
anémique sur la
tâche
1,1 9,1
Intérêt pour la production

• « Le gestionnaire (1,1) est qualifié d’anémique. Il ne s’occupe de rien et tente


systématiquement d’éviter les décisions et les confrontations;
• Le gestionnaire (1,9) pratique une gestion de type « social ». Contrairement au
gestionnaire (9,1), il se désintéresse de la production et du rendement pour se centrer
uniquement sur le maintien de relations harmonieuses à l’intérieur de son équipe.
• Le gestionnaire (5,5) est l’intermédiaire entre les types (1,9 et (9,1). Il cherche un
compromis satisfaisant entre les besoins de l’employé et les besoins de
l’organisation. Il oscille d’une préoccupation à l’autre et, en bon politicien, manipule
les gens selon les situations.
• Le gestionnaire (9,1) est centré uniquement sur la tâche. Il considère son employé
comme un outil de production. Il organise son travail de façon minutieuse et le
contrôle par des normes, des procédures et des mesures disciplinaires à l’occasion.
• Le gestionnaire (9,9) préconise le travail en équipe. Il fait participer son équipe aux
décisions et accorde beaucoup d’importance et à la tâche et aux individus. »
• (Tiré de Côté et al., 1986, p. 214-215)

Selon Blake et Mouton, le type de leader 9,9 est le plus efficace dans toutes les situations. Les
tenants de cette théorie universaliste prétendent que l’adoption du type 9,9 permettrait
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l’amélioration de la performance, la diminution des taux d’absentéisme et de départ, et


l’augmentation de la satisfaction des employés (Manda, 2005).

Absents de la littérature scientifique depuis les années 1970, les modèles axés sur les
comportements demeurent populaires auprès des firmes de consultations et des gestionnaires
d’entreprises. À titre d’exemple, en 2000, D. Goleman a présenté les résultats d’une étude
menée par la société de conseil Hay/McBer, où l’on identifiait six types de comportement de
leadership ayant un impact sur les résultats financiers d’une entreprise. Pour présenter ces
résultats, nous empruntons le tableau suivant à Blais et Sinclair-Gagné (2002).

Tableau 2.2
Les conduites de leadership
Styles Caractéristiques Phrases typiques Impact sur le
climat de
travail
Galvanisant Mobilise en fonction « Vous serez fiers de Très positif
d’une vision pouvoir dire : j’y étais ! »
Partenaire Emphase sur les liens « Nous formons tous une Positif
affectifs et l’harmonie grande famille… »
Démocratique Cherche les consensus « Qu’en dites-vous ? Positif
par la participation Êtes-vous d’accord ? »
Entraîneur Développe les gens pour « Allez-y ! Vous en êtes Positif
l’avenir capables… »
Gagneur Véhicule des critères de « Faites ce que je fais, et Négatif
performance élevés tout de suite ! »
Autoritaire Exige des ajustements « Faites ce que je dis. » Négatif
immédiats
Blais et Sinclair-Gagné (2002) ©

Il ressort de cette étude que le style « galvanisant » produit l’impact le plus positif sur le
climat de travail et que les leaders performants adaptent leur style aux circonstances. Ce
constat nous permet d’enchaîner avec les prochaines générations de modèles, celles qui ne
concentrent pas exclusivement leur attention sur le leader, mais sur l’interaction entre lui, les
subalternes, la situation, le contexte, soit tout autant de variables pertinentes pour analyser et
comprendre le phénomène du leadership.
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RÉFÉRENCES

Blais, A.-R. et B. Sinclair-Desgagné. 2002. Le leadership en 3C : Capacités, conduite,


circonstances. Rapport Bourgogne, Centre interuniversitaire de recherche en analyse des
organisations (CIRANO), 31 p.

Côté, N., Abranavel, H., Jacques, J. et L. Bélanger. 1986. Individu, groupe et organisation.
Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 440 p.

Daft, R.L. (avec l’assistance de Patricia G. Lane).2005. The leadership experience, 3ème
edition, Mason, Ohio: Thomson/South-Western, 681 p.

Lapierre, L. 2006. « Enseigner le leadership ou former vraiment des leaders ? » Gestion,


Montréal, vol. 31, no 1. pp. 10-14.

Lapierre, L. 2005. « Jacques Matte and the festival du cinéma international en Abitibi-
Témiscamingue ». International Journal of Arts Management, Montréal, vol. 8, no. 1, pp.
72-84

Meda, A. K., mai 2005. The social construction of ethical leadership, Doctoral dissertation,
Benedictine University, Proquest information and learning company, 174 p.

Northouse, P.G. 2004. Leadership: theory and practice, 3ème edition. Thousand Oaks: Sage
Publications, 343 p.

Yukl, G.A. 2002. Leadership in organizations, 5ème edition. Upper Saddle River, N.J.:
Prentice Hall, 508 p.

Zaccaro, S. J., Kemp, C. et P. Bader. 2004. « Leader traits et attributes ». Chapitre 5 dans The
nature of leadership, Ed. par J. Antonakis, A. T. Cianciolo et R. J. Sternberg. Thousand
Oaks: Sage Publications, 438 p.

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