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LA PLACE DES FEMMES DANS UN LEADERSHIP GLOBAL

Mélanie Trottier

Les dernières tendances relatives à l’étude du leadership sont résolument tournées vers une
conception plus large et éclatée de la notion. La globalisation des marchés, la pérennité
recherchée par les organisations, les nouvelles formes organisationnelles et la multiplicité des
acteurs, dont il faut prendre en compte les intérêts, ne sont pas étrangères à cet enthousiasme
pour un leadership dit global. Le leader nage alors dans un environnement à la fois politique,
économique, légal, écologique et social, ce qui le mène nécessairement à se préoccuper de
diversité. La notion de diversité renvoie entre autres aux différences d’ethnie, de religion, de
classe et de genre. Cette dernière variable a suscité maintes réflexions, revendications et
études au cours des dernières décennies. Bien que largement étudiée, la question des femmes
et du leadership est toujours d’actualité en raison du contexte de leadership global mentionné
plus haut et de la persistance de leur sous-représentativité à des postes de leader : 63% des
postes de gestion au Canada sont occupés par des hommes (Statistiques Canada, 2004) et
79% des parlementaires au Canada sont des hommes (UNECE, 2005).

Une réflexion sur les femmes et le leadership dans ce contexte soulève plusieurs
interrogations : où en est rendue la littérature dans sa réflexion sur la question? Quelle place
ont les femmes dans le leadership global? Quels sont les enjeux actuels dans les
organisations? Toutes ces questions sont d’un grand intérêt et constituent l’objet de ce texte.
Mais avant de s’y intéresser, il convient d’abord de discuter de ce nouveau concept qu’est le
leadership global.
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1. Le leadership global

Le leadership global est souvent défini par la dimension internationale du marché dans lequel
les organisations se trouvent (Bueno et Tubbs, 2004; Jokinen, 2005). À travers une littérature
de plus en plus prolifique sur le sujet, quelques auteurs proposent une définition plus
englobante, en y incluant les notions de société, de responsabilité corporative, de
développement durable et de multiplicité des environnements (internes et externes à
l’organisation) (European Foundation for Management Development, 2005) :

«Globally responsible leadership is the global exercise of ethical, values-based


leadership in the pursuit of economic and societal progress and sustainable
development. Il is based on a fundamental recognition of the interconnectedness of
the world.» (Globally responsible leadership, a call for engagement, European
Foundation for Management Development, p. 15.).

Cette conception plus large du leadership global est celle à laquelle il est fait référence dans
ce texte, puisqu’elle permet de traiter de la diversité qui se situe tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur de l’organisation, et ce autant au niveau des employés, des leaders que de toutes
les parties prenantes gravitant autour.

2. La littérature sur le leadership et le genre

Afin de jeter un regard sur la littérature relative au leadership et au genre, il est nécessaire
d’établir la distinction entre les notions de sexe et de genre. Le sexe renvoie au caractère
biologique (homme ou femme) des individus alors que le genre est un concept construit qui
confère certaines caractéristiques aux femmes (genre féminin) et d’autres aux hommes (genre
masculin) (Trinidad et Normore, 2005). Le genre féminin est généralement considéré comme
étant coopératif, intuitif, capable de synthèse et d’écoute, et le genre masculin comme étant
davantage agressif et compétitif (Capra, 1983 in Rigg et Sparrow, 1994).
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2.1. Des théories basées sur les hommes

L’approche positiviste, qui présume de l’existence d’une réalité à saisir, constitue la toile de
fond des premières théories concernant le leadership. En adoptant une telle approche,
l’objectif de la recherche est de découvrir le leader ou le style de leadership idéal. C’est dans
cet esprit que sont nées les théories qui ont mené à l’identification de traits, de
comportements et de situations typiquement masculins (Ford, 2005). On réfère d’ailleurs aux
premières théories sur le leadership comme étant les théories des grands hommes.

D’ailleurs, les théories des organisations et de la gestion élaborées au cours des dernières
décennies présument que les gestionnaires sont des hommes (Acker, 1990, 1998; Martin,
1994; Ford, 2005). Pourquoi? Parce qu’ils sont pour la plupart effectivement des hommes,
mais aussi parce qu’on leur attribue les compétences considérées nécessaires pour être
gestionnaire, soit la rationalité, la mesure, l’objectivité, le contrôle et la compétitivité. Les
femmes se voient davantage attribuer des caractéristiques telles la protection, l’aptitude à
soigner et le partage. La distinction entre les stéréotypes féminins et masculins est si forte et
les attentes dans les organisations si masculines, que les femmes qui ont des postes de gestion
tentent souvent d’adopter un style masculin (Rigg et Sparrow, 1994; Ford, 2005). Même si
les tâches demandées ne sont pas stéréotypées masculines et que les femmes candidates
démontrent des caractéristiques dites plus masculines telles la dominance, il y a encore une
tendance à promouvoir davantage des hommes à des postes de leader (Eagly et Karau, 2002;
Ritter et Yoder, 2004).

2.2. Une place pour les femmes dans les théories du leadership

Les premiers efforts fournis pour intégrer les femmes dans les théories du leadership ont été
dédiés à l’élaboration de typologies des styles de leadership des hommes et des femmes.
Dans cette perspective, le style de leadership des femmes a souvent été décrit comme étant
davantage démocratique et orienté vers les relations interpersonnelles (Eagly et Johnson,
1990). Une vague importante de littérature portant sur les femmes et le leadership a
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également vu le jour grâce aux approches féministes, abordant des sujets tels que la formation
des leaders, la dotation et la conciliation travail/famille. Des centaines d’articles ont été écrits
à ce sujet. Rosabeth Moss Kanter, professeure à Harvard Business School et chercheure
réputée entre autres quant à la question du leadership, est d’ailleurs une des pionnières de
l’étude des femmes et du leadership.

2.3. La représentativité des femmes dans les postes de leader

Dans ce courant d’étude sur les femmes et le leadership, plusieurs se sont également
interrogés sur les raisons expliquant la représentation moins importante des femmes dans les
postes de leaders. Jadis, la faible présence des femmes dans ces postes pouvait être expliquée
par la moins grande disponibilité de femmes ayant une formation adéquate. Désormais, cette
explication ne peut être évoquée, puisque les taux de diplômation des hommes et des femmes
sont équivalents (Carli et Eagly, 2001).

Plusieurs autres facteurs explicatifs de la sous-représentation des femmes dans les postes de
leader peuvent être mentionnés, notamment, la difficile conciliation travail/famille, la
discrimination envers les femmes (sélection) et le «plafond de verre» (expression signifiant la
frontière invisible inhérente à la structure organisationnelle informelle qui crée obstacle à
l’avancement des femmes dans les organisations) (Eagly et Carli, 2004). Certains mettent en
cause la nature même de l’organisation, soutenant que les organisations ont un genre
masculin de par la conception même de ce qu’est un poste, un gestionnaire, une carrière
(Acker, 1990). Conséquemment, la mesure du leadership est teintée du genre masculin. Afin
rendre les organisations davantage neutres, il faudrait que les attentes et les façons d’évaluer
l’efficacité du leader reflètent des caractéristiques qui ne soient pas uniquement masculines,
et que s’y greffent des mesures autres que financière (Ford, 2005).

À ce sujet, Koch et al. (2005) ont étudié le changement de mentalité qui s’est opéré au cours
des vingt dernières années quant au genre du leadership. Plus spécifiquement, ces derniers
ont répliqué avec une étude réalisée dans les années 80 qui démontrait, par la méthode de
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proximité sémantique, que le concept de leadership était masculin. Il semble qu’en 2003, le
concept ait migré vers une signification davantage androgyne, bien que dans les
représentations mentales des individus ayant participé à l’étude, le concept d’homme demeure
plus près que celui de femme du concept de leadership. Mais, est-ce que ce changement des
représentations mentales se concrétise dans les environnements de travail? Selon plusieurs,
les leaders masculins ont encore la cote (Rigg et Sparrow, 1994).

Outre tous ces facteurs explicatifs à teneur plus psychologique, la question du nombre est
essentielle lorsque l’on porte une réflexion sur la représentativité des femmes dans des postes
de leader. Moins elles sont nombreuses, plus elles sont marginales et plus la pression est
forte pour qu’elles adoptent un style masculin. La clé de la solution, selon Claudine Baudoux
(professeure au département d’orientation, d’administration et d’évaluation en éducation de
l’Université Laval in Stanton, 1997), réside dans le nombre de femmes à de tels postes.

3. Le leadership global et les femmes

Bien que les perspectives féministes aient contribué à faire évoluer la réflexion et la
littérature sur le leadership et les femmes, il semble que d’autres impératifs fassent
aujourd’hui pression pour que plus de place soit faite aux femmes dans les postes de leaders.
La littérature et la pratique montrent de plus en plus la nécessité pour les leaders, dans un
contexte global, d’être sensibles, créatifs, honnêtes, intègres, collaborateurs, possédant une
intelligence émotionnelle, encourageant le travail en équipe et la collaboration, favorisant
l’engagement des employés, etc. (Bueno, 2004; Jokinen, 2005; Berger, 2002). Il semblerait
donc que ce qui nuisait aux femmes, selon une approche plus traditionnelle du leadership,
devienne un avantage pour elles dans le cadre d’un leadership global (Eagly et Carli, 2003).

Plusieurs des concepts compris dans la définition même du leadership global font appel à la
notion de genre. Il y a notamment la poursuite du progrès social, progrès qui ne peut que
passer par l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que l’éthique qui appelle à la non-
discrimination, notamment à l’égard du sexe. Pour que cette justice entre les sexes soit faite,
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elle doit non seulement passer par un leadership qui soit juste dans ses actions, mais par une
représentativité juste des femmes dans les postes de leaders (Baudoux in Stanton, 1997).

Conclusion

Le mouvement d’intérêt pour un leadership dit global ainsi que la sous-représentativité


persistante des femmes dans les postes de leader montrent la pertinence toujours actuelle de
la thématique des femmes et du leadership et surtout la nécessité d’y poser un regard sous un
angle nouveau.

Certains soutiennent à cet effet que, pour rendre les postes de leader accessibles aux femmes,
il faut revoir la conception même de ce qu’est le travail. Il faut également définir le
leadership de façon à ce que les femmes puissent également s’y identifier, sans avoir à se
changer (Ford, 2005). Le contexte actuel qui appelle à un leadership global constitue peut-
être cette occasion de redéfinir l’organisation, puisqu’elle doit revoir ses stratégies, ses liens
avec l’environnement et sa façon de gérer.

Bref, si l’un des défis de l’entreprise est désormais de gérer une main-d’œuvre diverse et de
desservir une clientèle toute aussi diverse dans un environnement mondial, ne va-t-il pas de
soi que les gestionnaires et leaders de ces organisations soient à l’image de cette clientèle?
Peut-être seront-ce donc les pressions du marché (profitabilité, croissance, etc.) qui
commanderont une juste représentation des femmes aux postes de leaders. Peut-être que les
nouvelles exigences de ce leadership global appelleront à davantage de caractéristiques
androgynes. Tel que le mentionnent Trinidad et Normore (2005), le véritable défi n’est pas
de trouver des femmes qui vont s’adapter aux styles de leadership recherchés, mais plutôt de
donner l’opportunité aux femmes d’exercer leur propre style de leadership.
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REFERENCES

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8
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