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Série : LES QUATRE GÉNÉRATIONS DU LEADERSHIP

3e texte : Les approches situationnelles et de contingence


François Labelle

Avec cette 3e génération de travaux, nous nous éloignons des théories universalistes pour
nous rapprocher des théories particularistes. Ces recherches ne concernent plus simplement le
leader, mais abordent les situations dans lesquelles le processus de leadership s’accomplit. La
prémisse fondamentale à la base de ces travaux est la suivante : un leader ne l’est pas
nécessairement dans toutes les situations.

Ce qui importe avec les approches de contingence et situationnelles, c’est l’adéquation (Fit)
entre le comportement du leader, son style et la situation1. La distinction entre les deux
approches est plutôt ténue. Elle repose sur la direction des liens entre les variables. Avec
l’approche situationnelle2, c’est la situation qui détermine le style de leadership à adopter.
Avec l’approche de la contingence, les variables sont interreliées et la direction entre les liens
est indéterminée (Ayman, 2004). Cela dit, ces approches utilisent essentiellement les mêmes
variables, soit les divers types de comportement du leader de la deuxième génération
(comportement dirigé sur les tâches et/ou les personnes), les caractéristiques des subalternes
et de la situation. Nous présentons trois modèles qui ont marqué cette génération de travaux :
1. La théorie « Path-goal » de House (1971) ; 2. Le modèle de Hersey et Blanchard (1982) ;
3. Le modèle de Vroom et Yetton (1973), et de Vroom et Jago (1988-1998). Le modèle de
Hersey et Blanchard est certainement le plus représentatif de l’approche situationnelle. Les
deux autres sont plutôt associés à l’approche de la contingence.

1
Cette perspective à propos du leadership coïncide avec la théorie de la contingence suggérée par
Lawrence et Lorsh (1967), théorie qui a marqué la pensée en stratégie de gestion.
2
Pour approfondir cette approche, nous invitons le lecteur à consulter le texte de Antonakis, Avolio et
Sivasubramaniam de 2003 : « Context and leadership ».
2

1. La théorie « trajectoire-objectifs » (Path-goal)

Développée en 1971 par Robert House, cette théorie s’intéresse à la façon dont le leader
motive ses subalternes, comment il les incite à accomplir les objectifs établis. L’hypothèse de
base est la suivante : les subordonnés seront motivés s’ils se croient capables d’accomplir
leur travail, s’ils croient que leurs efforts seront productifs et récompensés à leur juste valeur.
Trois variables sont considérées déterminantes :
1. Le style du leader;
2. Les caractéristiques des subordonnés;
3. L’organisation du travail.

Le leader vise à bonifier la performance et la satisfaction de l’employé en stimulant sa


motivation. Le leader doit adapter son style aux besoins des subordonnés dans le cadre d’un
travail donné. Pour ce faire, il lui faut d’abord comprendre ce qui motive ses subordonnés.
Puis, il agit afin de compléter ou de suppléer à tout ce qui entrave l’employé dans l’atteinte
des objectifs souhaités dans le cadre du travail offert. À cet effet, le leader fournira
l’information, les récompenses, ou tous autres éléments susceptibles de contribuer au succès
de cette démarche. Par exemple, si les récompenses ne correspondent pas aux attentes des
subordonnés, le leader s’assurera de les ajuster. Le schéma suivant illustre les liens entre les
variables.
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Comportements du leader
Directif
Centré sur les résultats
Supporter
Participatif

Caractéristiques des subordonnés

Caractéristiques des tâches

Subordonné Objectifs
Motivation (productivité)

Figure 1.1 Les composantes majeures de la théorie « trajectoire-objectifs » (Tiré et adapté de


Northouse, 2004)

Pour bien comprendre le modèle et son fonctionnement, présentons les quatre styles de
leadership et les caractéristiques des subordonnés et des tâches.

1.1 Quatre styles de leadership

• Directif : laisser savoir aux subordonnés ce que l’on attend d’eux. Leur dire
comment les tâches doivent être accomplies. Fixer les règles, les procédures et rendre
les critères de performance limpides.
• Centré sur les résultats : établir des objectifs stimulants. Rechercher l’amélioration
de la performance. Favoriser l’excellence. Témoigner de la confiance à l’endroit des
subordonnés quant à leur capacité à atteindre de hauts niveaux de réussite.
• Supporter : créer un climat convivial dans l’unité de travail. Être attentif au bien-être
et aux divers besoins des subordonnés. Les traiter comme des égaux et avec respect.
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• Participatif : inviter les subordonnés à participer au processus de prise de décision.


Consulter, obtenir des opinions et intégrer les suggestions aux décisions.

1.2 Les caractéristiques des subordonnés

Pour simplifier la présentation, nous empruntons une terminologie connue dans le domaine
de la gestion des ressources humaines. Elle nous permet de distinguer quatre types de
subordonnés :
• Le subordonné avec un besoin de sécurité élevé
• Le subordonné avec un besoin social élevé
• Le subordonné qui a un besoin de contrôle élevé
• Le subordonné qui a un besoin de réalisation élevé

Le style de leadership devra être adapté à ces caractéristiques, en tenant compte toutefois des
particularités des tâches à accomplir.

1.3 Les caractéristiques des tâches

Il s’agit de l’organisation des tâches, de la structure formelle d’autorité, de la culture du


groupe de travail, etc. Certains environnements de travail permettent aux subordonnés de
trouver la trajectoire qui facilitera l’atteinte de leurs objectifs. À ce moment, le rôle du leader
s’en trouve diminué. Cependant, d’autres contextes rendent sa participation nécessaire. Par
exemple, dans une situation où les tâches sont répétitives, le support moral d’un leader sera
apprécié. Lorsque les tâches sont peu structurées et complexes, et que les subordonnés sont
inexpérimentés, un leader directif peut grandement aider à l’atteinte des objectifs de tous.

Le tableau suivant illustre l’ensemble des liens entre les variables (style du leader, tâches,
subordonnés), leurs dimensions respectives, et les cohérences à respecter.
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Tableau 1.1
Les liens entre les variables de la théorie « trajectoire-objectifs »
Comportements du leader Caractéristiques des Caractéristiques des tâches
subordonnés
Directif Besoin de sécurité - Ambiguës
- Règles imprécises
- Complexes
De support Besoin social et d’affiliation - Répétitives
- Mécaniques
- Non stimulantes
- Banales
Participatif Besoin d’estime de soi et de - Ambiguës
contrôler - Imprécises
- Non structurées
Centré sur les résultats Besoin de réalisation de soi - Ambiguës
- Stimulantes
- Complexes
(Adapté de Northouse, 2004)

2. Le leadership situationnel, Hersey et Blanchard (1969-1982)

Le style de leadership approprié dépend du niveau de maturité des subalternes dans la


situation donnée. Cette maturité est évaluée à partir des critères suivants :
- Leur besoin d’accomplissement
- Leur volonté de contribuer à l’atteinte des objectifs de l’organisation
- Leur compétence

En fonction de la maturité du subalterne, le leader sera parfois plus directif (dirigé sur la
tâche), parfois plus supportant (dirigé sur la personne). Le tableau suivant présente les liens
suggérés.
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Tableau 2.1
Théorie situationnelle du leadership (Hersey et Blanchard)
Degré de maturité des subalternes Style de leadership approprié
Faible Directif
- Très centré sur les tâches
- Peu centré sur les relations
Moyen Supporter (Coach)
• Très centré sur les tâches
• Très centré sur les personnes

Élevé Participatif
- Peu centré sur les tâches
- Très centré sur les relations
Très élevé Répartiteur
- Peu centré sur les tâches
- Peu centré sur les relations

(Adapté de Daft, 2005)

Ce modèle fait ressortir une variable fréquemment retenue dans les textes au sujet du
leadership : la participation des subalternes au processus de décision. Il est alors question de
« leadership participatif ». À ce sujet, nous présentons le modèle de contingence de Vroom et
Yetton, et de Vroom et Jago, modèle qui intègre cette dimension participative.

3. Le modèle de contingence de Vroom et Yetton (1973) Vroom et Jago (1988)

Ici, c’est le degré de participation des subalternes aux décisions qui varie en fonction des
situations. Le modèle est prescriptif puisqu’il indique quel type de participation s’impose en
fonction de la situation décrite. Le modèle est constitué de trois éléments centraux : les
stratégies possibles de prise de décision, les questions diagnostiques, les règles
décisionnelles.
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3.1 Stratégies de prise de décision

Cinq niveaux de participation des subalternes sont reconnus dans le modèle comme autant de
stratégies possibles de prise de décision. Le leadership passe alors d’un mode très
autocratique à un mode démocratique en fonction des situations.

Tableau 3.1
La prise de décision et la participation des subalternes
Décide Consulte les Consulte Facilite Délègue
individus le groupe
Vous Vous Vous Vous présentez le Vous laissez le groupe
prenez la présentez le présentez problème au groupe prendre la décision à
décision problème aux le dans une rencontre. l’intérieur de certaines
seul et la membres du problème Vous agissez comme limites. Le groupe
« vendez groupe, au groupe facilitateur en identifie et diagnostique
» au considérez lors d’une définissant le problème le problème, développe
groupe leurs rencontre, à résoudre et les limites des solutions
suggestions considérez à l’intérieur desquelles alternatives et choisit
et prenez la les la décision peut être l’une des options. Vous
décision suggestions prise par le groupe. évitez de jouer un rôle
et prenez L’objectif est d’obtenir direct dans la
votre plusieurs points de vue. délibération si on ne le
décision Il faut vous assurer que demande pas. Mais vous
vos idées n’ont pas plus offrez votre soutien en
de poids que celles des fournissant les
autres en raison de ressources et les
votre position de encouragements
pouvoir nécessaires
(Tiré et adapté de Vroom, 2003)

3.2 Les questions « diagnostiques »

Pour choisir le bon style de leadership à adopter (autocratique à démocratique), il faut


réfléchir aux facteurs situationnels suivants :

a. Le degré de signification de la décision : plus celle-ci est significative pour


l’organisation ou le groupe, plus le leader doit s’impliquer;
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b. L’importance de l’engagement : plus la mise en application de la décision


demande un niveau élevé d’engagement des subordonnés, plus ceux-ci
devraient être impliqués dans la prise de décision;
c. L’expertise du leader : face à un problème donné, le niveau de participation
souhaitable des subalternes est inversement proportionnel à l’expertise du
leader;
d. La propension à l’engagement : lorsqu’un groupe s’engage aisément dans la
trajectoire suggérée par le leader, la participation du groupe aux décisions est
moins importante;
e. Le support du groupe aux objectifs : lorsque les subordonnés supportent peu
les objectifs de l’organisation, le leader ne devrait pas leur laisser prendre des
décisions;
f. L’expertise du groupe : en fonction du problème rencontré, plus le groupe est
compétent, plus grand est le pouvoir décisionnel qui peut lui être accordé;
g. La compétence d’équipe : lorsque l’équipe est compétente et les individus
prêts à travailler ensemble, les décisions peuvent leur être déléguées.

3.3 Les règles décisionnelles

Ayant identifié les sept facteurs situationnels qui influencent le niveau de participation des
subalternes aux décisions, Vroom et Yetton (1973) et Vroom et Jago (1988) suggèrent aux
leaders de réfléchir à chacune des situations dans l’ordre décrit. À chaque étape, des options
seront éliminées. À la fin, il ne devrait demeurer que peu de possibilités d’action. En fait, il
s’agit d’un arbre décisionnel qui permet aux leaders de progresser dans leur réflexion. Nous
présentons son fonctionnement au graphique suivant.
Importance Importance Expertise Propension à Partage Expertise Compétence Rôle du
« décision » « engagement » du leader l’engagement des du du groupe leader
objectifs groupe
H - - - Décide
H Délègue
H H H B
B B - Consulte
B - - le groupe
H H Facilite
H H B
H B - Consulte
B - - les
H (Haute) B individus
Définition H Facilite
du H H B
problème B B - Consulte
B - - le groupe
H - - - - Décide
H Facilite
B H H B Consulte
B - B - les
B - - individus
H - - - Décide
B (Basse) H - H Délègue
B - - B Facilite
Figure 3.1 Arbre décisionnel (Vroom, 2003; traduction libre)
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Pour conclure à propos du modèle de Vroom et Yetton et de Vroom et Jago, soulignons qu’il
a obtenu un support empirique suffisant pour valider ses prédictions. Ainsi, le niveau de
participation requis dans la prise de décision doit être fixé en fonction de la situation.

Ce modèle complète notre présentation des modèles de 3e génération de leadership. Dans cet
espace, le leader devait s’adapter aux situations et aux particularités des subalternes Avec les
modèles de 4e génération, les particularités des subalternes ne sont plus immuables, mais
transformables. Le rôle du leader s’en trouve modifié. Nous en discutons dans le prochain
texte.

RÉFÉRENCES

Ayman, R. 2004. « Situational and contingency approaches to leadership ». Chapitre 7 dans


The nature of leadership. Eds par J. Antonakis, A. T. Cianciolo et R. J. Sternberg.
Thousand Oaks: Sage Publications, 438 p.

Blais, A.-R. et B. Sinclair-Desgagné. 2002. Le leadership en 3C : Capacités, conduite,


circonstances. Rapport Bourgogne, Centre interuniversitaire de recherche en analyse des
organisations (CIRANO), 31 p.

Daft, R.L. (avec l’assistance de Patricia G. Lane).2005. The leadership experience, 3ème
edition, Mason, Ohio: Thomson/South-Western, 681 p.

Northouse, P.G. 2004. Leadership: theory and practice, 3ème edition. Thousand Oaks: Sage
Publications, 343 p.

Vroom, V. H. 2003. « Educating managers for decision making and leadership».


Management Decision, vol. 41 no. 10. pp. 968-979.

Yukl, G.A. 2002. Leadership in organizations, 5ème edition. Upper Saddle River, N.J.:
Prentice Hall, 508 p.

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