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Série : LES QUATRE GÉNÉRATIONS DU LEADERSHIP

5e texte : Synthèse
François Labelle

A travers la suite de textes « les 4 générations du leadership », nous avons présenté les
principaux modèles et théories au sujet du leadership du 20e siècle. Les tableaux du texte
initial (hyperlien) constituent une revue des contributions théoriques significatives apportées
au concept de leadership.

Dans ce dernier texte, nous désirons attirer l’attention sur le caractère cumulatif des modèles
présentés. D’ailleurs, c’est cet aspect qui nous a incités à utiliser le terme « génération » pour
qualifier notre typologie. Cette approche cumulative procède des travaux de Sashkin (2004),
qui a comparé huit modèles de leadership transformationnel. Il en arrive au constat suivant :

« All the theories, approaches, and applications I have described cover some combination
of the three basic aspects of leadership: leaders’ personnal characteristics (traits), leader
behaviour, and the situational context of leadership. » (Sashkin, 2004, p. 188)

Ainsi, tous les modèles de leadership transformationnel étudiés par Sashkin sont développés
en considérant que le leader possède certains traits de personnalité (ex. le charisme), qu’il
adopte certains types de comportement (ex. il témoigne de la confiance) et qu’il considère les
situations qui lui sont présentées (ex. les éléments de la culture organisationnelle). Le leader
transformationnel cumule ces considérations et les intègre dans ses choix et décisions. Cela
lui permet de provoquer la transformation du subalterne et de susciter l’adhésion et
l’engagement de tous vers un objectif commun. Pour y arriver, le leader entretient des
relations de type transactionnel et de type transformationnel avec ses subordonnés (Bass,
1985). Les deux types de relation sont indépendants et peuvent être utilisés simultanément.

Cette perspective cumulative permet la remise en question d’une proposition théorique


répandue dans cette littérature, à savoir qu’un changement paradigmatique se serait opéré au
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cours du passage des modèles de type transactionnel vers les modèles de type
transformationnel. Ce changement est représenté par les dichotomies suivantes :
transactionnel versus transformationnel, gestionnaire versus leader, motivation versus
mobilisation.

La perspective cumulative et évolutive abordée dans les 4 textes précédents donne ces
concepts comme indépendants les uns des autres, plutôt qu’inscrits dans un même continuum.
Ainsi, le leader n’a pas à choisir entre l’un ou l’autre ; il peut combiner les pratiques.

Pour situer le propos, prenons un exemple. Certains auteurs, dont Burns, placent les
comportements du leader transformationnel en contradiction avec ceux du leader
transactionnel. Ils établissent une dichotomie entre ces deux formes de leadership. Pourtant,
et Bass l’a soutenu, les deux comportements peuvent être cumulés.

La différenciation entre le rôle du manager et celui du leader suggérée dans cette littérature
est de même nature. Le tableau suivant illustre cette distinction.
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Tableau 1.1
Distinction entre deux rôles primordiaux en organisation
Management Leadership
Ordre et constance Changement et mouvement
Planification / Budgétisation Établissement de la trajectoire
• Établir les agendas • Créer une vision
• Fixer les échéanciers • Clarifier l’image globale
• Allouer les ressources • Définir une stratégie

Se concentre sur les résultats immédiats Se concentre sur l’horizon


Organisation Orientation des gens
• Élaborer les structures • Établir les buts communicationnels
• Décrire des emplois • Susciter l’adhésion
• Établir les règles et procédures • Former des équipes et des coalitions
Contrôle / Résolution de problèmes Motivation / Inspiration
• Développer les incitations • Inspirer et stimuler
• Générer des solutions créatives • Renforcer (empower) les subordonnés
• Prendre des actions correctives • Satisfaire les besoins non comblés
Qualités personnelles Qualités personnelles
• Distance émotionnelle • Connexion émotionnelle (cœur)
• Souci de l’expertise • Ouverture d’esprit
• Orateur • Récepteur (communication)
• Connaissance intime de l’organisation • Non conforme (courage)
• Connaissance du « soi »
Résultats Résultats
• Maintien de la stabilité • Provoquer le changement
• Création d’une culture de l’efficience • Créer une culture d’intégrité
(Kotter 1996, Rost 1993, Dumaine 1993; adapté de Daft, 2005 et Northouse, 2004)

Pourtant, peut-on véritablement tracer une délimitation claire entre ces deux rôles ? Ne
devrions-nous pas, à l’instar des auteurs des modèles de 3e génération, considérer que certains
contextes et situations nécessitent l’un ou l’autre de ces rôles ou une combinaison des deux ?

Cette réflexion à propos de la scission paradigmatique présumée nous amène à nous


questionner sur la distinction entre motivation et mobilisation. C’est avec la notion de
leadership transformationnel qu’apparaissent les concepts d’engagement et de mobilisation.
Jusque-là, il était surtout question de motivation. Dans certains travaux, la motivation est
associée au leadership transactionnel, alors que l’engagement et la mobilisation sont associés
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au leadership transformationnel, donc distingués l’un de l’autre. Encore là, et comme le


suggèrent Tremblay et al. (2005), les deux concepts peuvent être considérés cumulatifs plutôt
qu’en rupture.

La perspective cumulative et évolutive nous incite donc à la prudence quant aux


recommandations à postuler pour un leadership efficace : un leader efficace possède certains
traits de personnalité, adopte certains comportements judicieux selon les circonstances, peut
motiver ou mobiliser en fonction du contexte, et jouer le rôle de gestionnaire et de leader
quand cela s’impose. Le tout peut être combiné ; une pratique efficace (ex. motiver) n’en
exclut pas nécessairement une autre (ex. mobiliser).

Épilogue

Dans le Journal of Management Inquiry de décembre 2005, Kouzes et Posner discutent du


leadership dans le contexte d’aujourd’hui. D’abord, ils constatent que le niveau de cynisme
est très élevé en société, mais encore plus dans le monde des entreprises. Ils présentent les
résultats de sondages (Maritz Research, 2003; Public Rate Nursing, 2003) qui indiquent que :
- 23% des employés congédieraient leurs patrons;
- 18 % des gens croient en l’honnêteté des gestionnaires;
- 27% des Américains sont mobilisés, c’est-à-dire loyaux, productifs, et
psychologiquement impliqués.
Kouzes et Posner considèrent cette situation particulièrement problématique pour la pratique
du leadership. Selon eux, le cynisme est pire que le scepticisme. Le sceptique peut être
convaincu si les informations pertinentes lui sont fournies. Le cynique ne croit pas en
l’intégrité des autres ni aux informations qui lui sont transmises. Cela confronte les leaders à
un défi de taille : comment inciter le cynique à se mobiliser et à s’engager envers un objectif
commun ? Pour relever ce défi, Kouzes et Posner suggèrent un retour à une question simple,
qu’il faut placer à la base de tout processus de leadership : « quelles sont les valeurs, traits ou
caractéristiques cruciaux que doit posséder une personne pour que vous soyez prêts à vous
joindre à elle volontairement? »
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En revisitant leurs données, Kouzes et Posner ont constaté qu’à cette question, sensiblement
la même réponse a été formulée au cours des vingt dernières années : « According to our
research, the majority of us looks for and admires leaders who are honest, forward-looking,
inspiring, and competent. » (2005, p. 359)

Ainsi, les gens admirent et respectent les leaders dynamiques, enthousiastes, positifs et
optimistes. Les individus interrogés, peu importe leur âge, les industries, les disciplines, et
même les continents, souhaitent que les leaders inspirent, qu’ils communiquent leurs rêves de
façon à encourager l’atteinte des objectifs. Finalement, les gens souhaitent s’engager dans la
cause d’un leader compétent et efficace.

Tout cela, nous l’avons déjà souligné dans le texte sur la 4e génération de leadership. Mais
une autre caractéristique déterminante est identifiée dans ce court extrait : l’honnêteté. Selon
Kouzes et Posner, cette qualité est absolument essentielle au leader en ces temps de cynisme
généralisé. En plus d’être compétent, charismatique, visionnaire, il doit maintenant être digne
de confiance. Ces qualités réunies sont source de crédibilité (O’Keefe, 1990; idem), seul
attribut qui soit en mesure de convaincre d’abord les sceptiques et ensuite les cyniques.

La 5e génération de leadership pourrait donc être celle du leadership authentique. C’est, entre
autres, ce dont nous discutons dans les autres textes présentés dans ce dossier.
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RÉFÉRENCES

Daft, R.L. (avec l’assistance de Patricia G. Lane).2005. The leadership experience, 3ème
edition, Mason, Ohio: Thomson/South-Western, 681 p.

Kouzes, James M. et Barry Z. Posner, décembre 2005. « Leading in cynical times », Journal
of Management Inquiry, vol. 14, no. 4, pp. 357-364.

Northouse, P.G. 2004. Leadership: theory and practice, 3ème edition. Thousand Oaks: Sage
Publications, 343 p.

Sashkin, M. 2004. « Transformational leadership approaches : a review and synthesis ».


Chapitre 8 dans The nature of leadership. Ed. par J. Antonakis, A. T. Cianciolo et R. J.
Sternberg. Thousand Oaks: Sage Publications, 438 p.

Tremblay, M., Chênevert, D., Simard, G., Lapalme, M.E. et O. Doucet. 2005. « Agir sur les
leviers organisationnels pour mobiliser le personnel : le rôle de la vision, du leadership,
des pratiques de GRH et de l’organisation du travail ». Gestion, Dossier : La mobilisation
des ressources humaines, vol 30 no 2, pp. 69- 78.

Yukl, G.A. 2002. Leadership in organizations, 5ème edition. Upper Saddle River, N.J.:
Prentice Hall, 508 p.

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