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Nathalie Schon
L’utopie a la connotation d’un rêve impossible. D’ailleurs, il faut s’y habituer, l’utopie
en général finit mal : soit parce qu’elle est victime d’une société extérieure
corrompue (Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre), soit parce qu’il s’agit
d’une anti-utopie (Brave New World d’Aldous Huxley). Cependant, rien dans la
définition du concept n’indique la fin malheureuse comme inhérente au projet
utopique. Dans les littératures antillaises et hawaiiennes, la fin heureuse n’est
d’ailleurs pas abandonnée, même si elle est loin d’être évidente.
En ce qui concerne les littératures européennes, il faut distinguer deux types
d’utopie : les utopies “ naturelles ” chantant un mode de vie plus proche de la
nature, inspiré d’un bonheur “ primitif ” antérieur au besoin de conquête et les
utopies “ religieuses ”, sociétés organisées sur la base d’un enseignement, d’une
parole révélée, inspiration de bon nombre d’anti-utopies.
Du point de vue insulaire, les catégories ne sont pas tout à fait les mêmes. En effet,
l’utopie “ naturelle ” va de pair avec une sacralisation du passé, ce qui ne surprend
pas dans des sociétés dans lesquelles le religieux garde son importance. A ce passé
idéalisé privilégiant un milieu rural sacralisé, s’oppose une vision du futur, détachée
de tout contexte religieux.
Ces deux façons de penser l’utopie sont celles d’une part de Gisèle Pineau, Xavier
Orville, Lois-Ann Yamanaka, Lee A. Tonouchi et d’autre part de Patrick Chamoiseau,
Raphaël Confiant, John Dominis Holt, Carlos Andrade et Joe Balaz.
Dans les deux cas, l’utopie se distingue par deux thèmes majeurs : le sacré et
l’insularité ou la ville idéale ainsi que par la création d’un système qui englobe tous
les aspects de la société afin de la rendre crédible, “ réelle ”.
Dans L’exil selon Julia , contrairement à Texaco, on ne peut parler de religion révélée,
encore moins d’Eglise contrôlant cette révélation. Gisèle Pineau fait de la
désacralisation des idoles parisiennes la condition de l’utopie. L’état ante-religieux se
traduit par un retour effectif au paradis terrestre : le jardin de Guadeloupe. La scène
multiraciale du Sacré-cœur reflète un état antérieur à la création des races et à la
religion, devenue superflue.
Le Sacré-cœur, temple du catholicisme trône sur Paris. Sa position privilégiée au sein
de la capitale - elle est le point le plus élevé après la Tour Eiffel - suggère une
valorisation des valeurs qu’il représente et une organisation de la société
conformément aux dogmes de l’Eglise. Or, c’est en se rapprochant de l’édifice que
les symboles sont désacralisés à travers l’introduction et la valorisation d’un symbole
du péché selon l’exégèse biblique traditionnelle : le noir côtoie le blanc (la scène qui
se déroule au pied de la basilique illustre le caractère normatif du lieu, perturbé par
Man Ya et son petit fils : “ Un garçon noir ? Quel âge ? Sept ans. Connais pas…
Appelez les flics ! ”(3) ). En même temps, la couleur blanche de ce monument du
kitsch, commandé à Paul Abadié, artiste à la mode fin du XIXè siècle, ne suggère rien
— le kitsch et la mode ne sont-ils pas l’antithèse du sacré, du contexte noble et
intemporel ? — et c’est cette absence de sens qui contribue à détruire le Sacré, en
tant que norme incontournable, imposée de l’extérieur :
Le choix du Sacré-cœur n’est pas innocent. Si le pèlerinage de Julia avait eu pour but
Notre-Dame, monument intégré au patrimoine français depuis la réhabilitation du
style gothique au XIXè siècle, le sens de sa quête n’aurait pas été le même. Certes, la
vraisemblance veut que la famille de la narratrice, relativement modeste, n’habite
pas dans un quartier hors de prix, mais la bizarrerie architecturale a, semble-t-il,
attiré l’auteur. Le style du bâtiment, nous indiquent maints prospectus et guides
touristiques, s'inspire de modèles comme Sainte Sophie de Constantinople ou
encore San Marco de Venise ou Ravenne, c’est-à-dire du style romano-byzantin. Le
lien avec l’exotisme est établi de façon symbolique, confirmant la recherche d’un
ailleurs idéal, comme source d’orientation. L’utopie admet le nouveau, puisqu’elle a
rejeté le sacré, conservateur par définition. Cette référence à la sacralisation
utopique est-elle caractéristique des littératures antillaises, voire insulaires ou doit-
on rapprocher la présence systématique du sacré de la situation postcoloniale en
général ?
Si l’on prend l’exemple d’une littérature insulaire non-antillaise comme la littérature
hawaïenne on se rend compte que les deux littératures partagent cette sacralisation
avec des conséquences différentes toutefois. Cette différence s’explique sans doute
par l’histoire, la situation postcoloniale n’étant pas du tout la même dans les deux
groupes d’îles. En effet, Hawaii a été annexée de force en 1898 ; la population
indigène a ainsi été marginalisée dans son propre pays, tandis que les Antilles étaient
françaises avant le développement des sociétés actuelles : les colons européens et
africains sont arrivés presque en même temps.
Ainsi, les romans de Patrick Chamoiseau, comme ceux de Raphaël Confiant, marginalisent
l’élément perturbateur de leur société idéale : le béké, mais aucun des deux ne l’éliminent
du paysage. Au contraire, tous deux admettent finalement son antillanité.
Dans la littérature hawaiienne, l’Américain du continent est un étranger, parfois même les
immigrés installés de longue date et constituant actuellement la majorité de la population
dans un archipel fortement métissé sont ignorés dans des œuvres prônant le retour à la
société d’origine : la monarchie polynésienne. L’utopie prend naturellement un visage
différent lorsqu’elle est mise en scène par une descendante d’immigrés japonais à Hawaii,
comme Lois-Ann Yamanaka. Dans les deux cas, l’utopie et avec elle la sacralisation, ironique
ou non, de la société idéale est omniprésente dans la littérature hawaiienne.
Lois-Ann Yamanaka s’en sert abondamment pour se moquer des utopies superficielles
imposées aux Hawaiiens par la publicité et les médias américains:
Le jour n’est pas choisi au hasard. C’est le dimanche, pendant la messe, que les enfants
rêvent d’un monde meilleur à la Hollywood. Tel que l’épisode est raconté, il est absurde. Le
bonheur n’est pas expliqué et l’utopie consiste donc en un sentiment magnifié, détaché de
toute culture, de toute société. L’Amérique des clichés, entre Coca-Cola et Malibu Barbie, et
des publicités béates des années 50 est sacralisée, tandis que l’Eglise laisse les enfants
indifférents. Le rapprochement des deux sphères n’est pourtant pas gratuit, car ce sont les
missionnaires qui les premiers ont cherché à modifier les coutumes hawaiiennes. Si Lovey
aspire à recréer dans son île la société américaine imaginée, celle des “ haole ”, l’Eglise y est
pour beaucoup :
L’utopie consiste ici en un retour aux sources. L’ancienne société est perçue comme
parfaite. Rien n’est remis en question ou critiqué : “ Under clouds at midnight, the
poet sees the looming lights of home. Note the traditional references to Hilo as the
home of the chief, Hanakahi ; to the Hawaiian name for home as one hanau, or
birthsands ; and to the canoe as the returning bird, or manu ” (8) Réaliser l’utopie
paraît simple : la perfection existe déjà ; il suffit de se débarrasser de ce qui est
étranger, destructeur. L’utopie n’est donc pas projetée dans le passé (Paul et
Virginie) ou l’ailleurs (Robinson Crusoe), mais dans le présent et le pays natal, ce qui
distingue cette utopie des utopies américaines, antillaises et européennes :
I dream of
The ways of the past-
I cannot go back.
I hike the hills
and valleys of Wahiawa,
walking through crystal
streams,
and scaling green cliffs.
(…)
I cannot go back.
L’utopie, si elle idéalise le passé, n’est donc pas illusion, mais un rêve dont chacun de
ces auteurs sait qu’il est difficile à atteindre, mais aussi qu’il est nécessaire afin de
progresser vers une société hawaiienne autonome.
Depuis Robinson Crusoe et Paul et Virginie, la nouvelle société idéalisée est souvent
située sur une île déserte, mais celle-ci est parfois remplacée par une ville isolée. En
effet, la ville utopique reste très vague, coupée du monde extérieur comme l’île du
naufrage :
Chez Gisèle Pineau, l’utopie ne se manifeste non pas comme un projet urbain
rationnel, mais comme un rêve, dont la cartographie lui donne à la fois une réalité et
une ouverture sur un Ailleurs mystérieux : “ Tant d’images égarées drivaient dans
l’éternel retour des quatre-saisons de Là-Bas. Et la mémoire ne me rendait que ces
jardins de chimère. Je m’étais inventé une Guadeloupe pour moi seule. ” (15) Ainsi,
le labyrinthe parisien traduit l’insularité utopique : tous les chemins semblent mener
Man Ya au Sacré-cœur, tout comme l’on finit toujours par trouver sa route sur une
île. Cependant, chez Gisèle Pineau, les endroits restent toujours vagues, même si les
personnages finissent par trouver leur chemin.
Le labyrinthe est synonyme d’errance et ne participe pas à la perfection rêvée. Il est
bien plus un passage, un lieu et un moment à dépasser. Le dédale parisien ne révèle
à Man Ya aucun secret, aucune sagesse. Ce n’est que le but du pèlerinage qui fournit
l’image de la société idéale : ainsi, le Sacré-cœur se présente comme la
concentration d’idéaux. Il s’agit d’une abstraction et non pas d’un plan réaliste,
préservant de la sorte une part d’exotisme à cette cité dans les nuages. Le nom de la
ville n’a finalement que peu d’importance, car la description du cheminement de
l’héroïne à travers les rues de New York est comparable à celui de Man Ya dans Paris.
Gisèle Pineau ne cherche pas à identifier un lieu particulier comme source d’identité
ou d’exotisme, mais à offrir une cité idéale, Utopia irréelle :
La construction même de la ville créole est idéale : les cases s’organisent de façon
concentrique autour de celle de Marie-Sophie, pilier de la communauté. Or, le
paradis était dépeint au Moyen-Age comme un lieu entourant la Terre. Par ailleurs,
le quartier est présenté comme un sanctuaire que la municipalité n’aurait pas le
droit de détruire car son existence serait dans l’ordre des choses. L’organisation de
cette cathédrale est basée sur un chiffre d’or secret, que seul Marie-Sophie
comprend. Chez Patrick Chamoiseau, la ville est une utopie qui doit se protéger
contre la médiocrité supposée de la société mulâtre et békée. Sa taille et sa
complexité sont une force nouvelle. Chamoiseau utilise d’ailleurs la modernité en
reconstruisant l’ancienne société avec de nouveaux matériaux.
La figure maternelle trône comme pouvoir conservateur dans les souvenirs de
Patrick Chamoiseau, souvenirs d’un âge d’or condamné comme une utopie, dont on
sait qu’elle ne se réalisera jamais : "Dans le peu d’espace qui demeure, Man Ninotte
(la seule à y rester encore) cultive une jungle créole nourrie comme nous de cette
lumière, de cette humidité, visitée de libellules et de silences sertis dans les éclats
amoindris de la ville. " (19)
Ainsi, Patrick Chamoiseau, comme Raphaël Confiant, tend vers une société dans
laquelle tous se connaissent, à défaut de s’apprécier. Dans Chronique des sept
misères ou Solibo magnifique, chaque personnage est nommé (20) . L’anonymat n’a
pas sa place dans l’œuvre des écrivains martiniquais en particulier. Dans Solibo
magnifique, l’enquête de la gendarmerie, parallèle à celle des membres de la veillée
traduit ce besoin de famille. Celle-ci donne à chacun une fonction et une place très
précises dans la société, qu’il ne peut modifier sans mettre en péril l’ordre social.
Les auteurs hawaiiens, quant à eux, ne s’intéressent guère à la ville, ni à l’insularité
car la taille de l’archipel et les liens avec d’une part les nombreuses îles
polynésiennes et d’autre part avec le continent américain, n’isolent pas l’île. Tout
projet utopique prend des dimensions qui dépassent les limites de l’archipel pour
s’étendre aux “ cousins ” des îles du Pacifique.
En cela aussi, la littérature hawaiienne se distingue de la littérature utopique “
classique ”. Il ne s’agit pas d’expérimenter de nouvelles solutions et de les comparer
à la société actuelle, mais de retrouver ce que les Hawaiiens pensent avoir perdu. Ils
savent déjà que le rêve est meilleur que la réalité. Les romans d’un même auteur se
déroulent ainsi sur différentes îles de l’archipel, ce qui n’est pas le cas chez les
auteurs antillais : Blu’s Hanging de Lois-Ann Yamanaka se déroule sur l’île paisible et
pauvre de Molokai, tandis que Heads by Harry met en scène Hilo, capitale de l’île
volcanique Hawaii (surnommée aussi The Big Island) (21) . Dans Blu’s Hanging, un
des jeunes protagonistes s’enfuit pour O’ahu, tenté par le prestigieux centre
commercial Ala Moana à Honolulu et par la vie de ses parents plus aisés. Le rêve de
la société de consommation est à portée de main. Seul le prix du billet retient les
personnages de Lois-Ann Yamanaka dans leur île. L’utopie n’est donc pas perçue
dans le cadre de l’île, ni même de la ville, puisque si Honolulu est symbole de la
société idéale, celle-ci ne se limite pas à la capitale. Le départ n’est pas perçu comme
une évasion, mais plutôt comme une fugue, tandis que le fait de quitter l’île est
compris dans la littérature antillaise comme un effacement ou un abandon : le
départ de la Martiniquaise Mayotte dans Je suis Martiniquaise de Mayotte Capécia
pour la Guadeloupe est présenté comme un adieu, chez Raphaël Confiant dans Le
nègre et l’amiral, le départ pour la Dominique est une fuite d’opposants au régime
de Pétain, dont on n’apprend plus grand chose. Enfin, Desirada, l’ancienne île des
lépreux est un exil dans Desirada de Maryse Condé (22). Dans la littérature
hawaiienne, l’utopie est le plus souvent la réunion d’une famille polynésienne ou
inter-communautaire.
Nostalgie et totalité
L’utopie chez Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, à travers son ancrage dans un
passé revisité et sa totalité idéale, semble devoir aboutir à la création d’un espace
rassurant, exempt de conflits identitaires, grâce à l’adoption d’une identité partagée
par tous.
Il peut paraître paradoxal de parler d’utopie chez Raphaël Confiant qui fait plutôt
œuvre d’historien dans ses romans, pourtant c’est bien une société “ idéale ” que
nous dépeint l’écrivain : celle des esclaves, qui malgré l’adversité préserveraient et
développeraient une culture individuelle, distincte de celle du maître. De fait, la
structure de cette société se lit entre les lignes, lui conférant ainsi une aura de
clandestinité : les personnages (la prostituée), la fête nocturne, les projets secrets
annoncent une alternative à la société békée. L’ancien monde corrompu comme le
nouveau monde idéal cohabitent dans le passé :
Le rhum est un véritable élixir, fondement de la société antillaise, la sève qui nourrit
le quartier de Texaco : l’eau de vie, comme le souligne le narrateur, a servi à ramener
à la vie le nourrisson. Son pouvoir purificateur en fait une eau de baptême qui
identifie les Antillais, seuls à savoir le goûter sans le “ contaminer ” par des produits
chimiques (pratique qui serait courante en métropole). En donnant le rôle principal à
un béké “ repenti ”, c’est-à-dire qui admet son métissage, l’écrivain tente l’utopie
d’une société sans races, mais au moment même où les personnages critiquent le
racialisme de la Martinique, ils le confortent en conservant les catégories de pensée
décriées :
Raphaël Confiant, comme Patrick Chamoiseau mettent en scène dans leur œuvre un
automatisme culturel, tel qu’il existe à leurs yeux en Europe. De la sorte, la question
de l’Autre ne se pose plus. L’exotisme est relégué dans un passé littéraire doudouiste
d’auteurs assimilés à une culture étrangère. La société idéale de Raphaël Confiant,
comme de Patrick Chamoiseau a chassé du jardin d’Eden les kalazaza, “ sans race ”, “
presque tout et (…) presque rien en même temps ” pour les remplacer par des “
créoles ” assurés de leur identité.
Pourtant, la recherche de l’utopie semble renvoyer au besoin de surmonter un
clivage difficile à vivre, parce qu’enlisé dans un conflit qui se serait figé selon les
critiques du mouvement de la créolité comme Xavier Orville :
Celui-ci parodie dans Moi, Trésilien-Théodore Augustin, l’utopie mythique des sagas
créolistes à travers l’histoire d’un coup d’Etat dans les Antilles françaises. Il est
significatif que l’écrivain fasse à peine allusion à la France : l’indépendance des îles
paraît chose acquise. Le roman prend donc comme point de départ une utopie
réalisée. Celle-ci se transforme rapidement en cauchemar. L’utopie antillaise rejoint
de la sorte bon nombre d’anti-utopies qui ont réalisé des idéaux séduisants sur le
papier mais désastreux dans leur application : “ Le paradoxe utopique n’est plus ici
dans la miraculeuse conciliation des contraires mais, au sens propre du terme, entre
les habitudes de vie, de pensée, les sentiments, ressentis comme “ naturels ” par le
lecteur, et les conséquences froidement logiques des principes qu’il a théoriquement
approuvés. ” (32) Toute utopie qui se respecte a un programme. L’utopie dont
témoigne Xavier Orville ne fait pas exception à la règle : les principes qui sous-
tendent la révolution du “ héros ”, Trésilien-Théodore Augustin, sont aussi absurdes
que grotesques. Les formules creuses se succèdent, enrichissant la sapience du “
peuple ” invoquée par les créolistes : “ Car aujourd’hui est un jour et demain n’est à
personne. ” (33)
Le roman est une critique de l’utopie créoliste. L’écrivain utilise la fiction afin de
dénoncer une théorie qu’il semble considérer comme une forme de totalitarisme. En
effet, outre les slogans martelés à longueur de récit par le personnage principal,
plutôt isolé au demeurant si l’on en croit l’étendue des grèves, la persécution du
linguiste Lambert-Félix Prudent, sceptique à l’égard des positions de Raphaël
Confiant, Patrick Chamoiseau et Jean Bernabé, renvoie à la monopolisation du
discours critique dont sont accusés ces derniers, présentés comme alter ego du
dictateur :
Ces descriptions du monde animal local sont nombreuses chez les deux auteurs. Elles
insistent sur une expérience “ créole ” et non française du monde. Elles tendent
également à donner une image globale de l’univers antillais, reprise dans Moi,
Trésilien-Théodore Augustin.
Le rapprochement entre géographie et culture est d’ailleurs fréquent dans la
littérature antillaise : Gisèle Pineau fait constamment référence, dans Un papillon
dans la cité, à la forme en papillon de la Guadeloupe, l’associant au pays idéal.
Dans la littérature hawaiienne, l’on trouve souvent des descriptions minutieuses des
traditions monarchiques. L’ancienne société hawaiienne était jusqu’à l’annexion par
les Etats-Unis une monarchie et les traditions de l’archipel sont toutes liées aux
valeurs et coutumes du roi et des ali’i, les nobles, “ chefs ” locaux. La vision de Mark
Hull dans Waimea Summer s’impose comme un rétablissement de l’ancienne société,
même si les sentiments du jeune homme sont partagés :
Bien que, tout comme les défenseurs de la créolité, de plus en plus de Hawaiiens
polynésiens réécrivent l’Histoire de l’archipel et tentent de revaloriser le passé, leur
peinture de l’ancienne société idéalisée est empreinte d’un malaise qui la différencie
de celle de Raphaël Confiant et de Parick Chamoiseau. Elle apparait souvent dans un
rêve, une vision d’un passé mythique déconnecté du présent et donc incapable de le
critiquer. Tandis que les romans de la canne de Raphaël Confiant ou les romans de la
ville de Patrick Chamoiseau ont des répercussions dans le présent, on doit deviner
chez les auteurs hawaiiens traditionnalistes les projets futurs. Dans Waimea
Summer, seule la connaissance des lois raciales de l’Etat permet de comprendre la critique
implicite et l’utopie que représente le retour à une conception généalogique de l’identité,
seule susceptible de préserver la communauté d’origine (actuellement pour être reconnu
comme Hawaiien d’origine, il faut avoir 50% de sang polynésien) (40) :
The central problem with which Mark
struggles is the oppositional way
missionary discourse and eugenics
structures hapa haole identity along the
construction of race and racial mixing in
contrast to the Hawaiian emphasis on
genealogy, which implies a connection
to ancestral history that guides future
action. (41)
Lois-Ann Yamanaka met en évidence avec une légère ironie cette préoccupation des origines
et la volonté de maîtriser à nouveau la signification de tous les aspects de la société :
Notes
(1) Hugues, Micheline L’utopie, Paris, Nathan, 1999, p.70. Les italiques sont dans le
texte.
(2) Chamoiseau, Patrick Texaco, Gallimard, 1992, p.169.
(3) Pineau, Gisèle L’exil selon Julia, Paris, Stock, 1996, p.127.
(4) Pineau, Gisèle Op. cit., p.126.
(5) Yamanaka, Lois-Ann Wild meat and the bully burgers, San Diego, New York,
Harvest, 1997, p.4.
(6) Yamanaka, Lois-Ann Op. cit., p.20-22.
(7) “ What land is there?/It is the true, native land/It is Hilo of Hanakahi, of
the/sounding lehua./The canoe (bird) has arrived at our birthplace/…/The work of
the navigators is fulfilled. ”, Andrade, Carlos Ocean Road from Rarotonga to Hawai’i ,
inédit, cité par Haunani Trask “ Decolonizing Hawaiian Literature ” Inside Out.
Literature, Cultural politics, and identity in the New Pacific (Ed. Vilsoni Hereniko &
Rob Wilson), Lanham, Rownan & Littlefield Publishers, 1999, p.173 (8) Trask,
Haunani Op. cit., p.173.
(9) Balaz, Joe “ Moe ‘Uhane ” Ho’om_noa : An Anthology of Contemporary Hawaiian
Literature (Ed. Joe Balaz), Honolulu, K_ Pa’a, 1989, p.73.
(10) Tonouchi, Lee A. “ my girlfriend’s one star trek geek ”, da word, Honolulu,
Bamboo Ridge Press, 2001, p.87. Dans la série télévisée Star Trek Voyager, les Borgs
sont les pires ennemis de la Terre. Leur société s’apparente à celle des abeilles : en
dehors de leur Reine, les Borgs n’ont aucune individualité car leur mémoire a été
effacée au moment de l’assimilation. Ils assimilent toutes les espèces intelligentes
rencontrées. La phrase citée est, à de rares exceptions près, la seule que les Borgs
maîtrisent.
(11) Pour une liste plus détaillée des séries TV et longs métrages tournés à Hawaii ,
consulter le site de la Kauai Film Commission :
http://www.kauaifilm.com/based.html
(12) Holt, John Dominis Waimea Summer, Honolulu, Topgallant Publishing, 1976,
p.11.
(13) Najita Susan Y. “History, Trauma, and the Discursive Construction of “ Race ” in
John Dominis Holt's Waimea Summer ” Cultural Critique 47, Winter 2001, p.168-169.
(14) Hugues, Micheline Op. cit., p.38 ; les italiques sont dans le texte.
(15) Pineau, Gisèle Op. cit., p.241.
(16) Pineau, Gisèle L’âme prêtée aux oiseaux, Paris, Stock, 1998, p.180-181.
(17) Pineau, Gisèle Op. cit., p.215.
(18) Chamoiseau, Patrick L’esclave vieil homme et le molosse, Paris, Gallimard, 1997,
p.91-92.
(19) Chamoiseau, Patrick Op. cit., p.186.
(20) Chamoiseau, Patrick Chronique des sept misères, Paris, Gallimard, 1986 et Solibo
Magnifique, Gallimard, 1988.
(21) Yamanaka, Lois-Ann Blu’s Hanging New York, Farrar Straus & Giroux, 1997 et
Heads by Harry, Farrar Straus & Giroux; February 1999.
(22) Capécia, Mayotte Je suis Martiniquaise, Paris, Corrêa, 1948 ; Confiant, Raphaël
Le Nègre et l’Amiral, Paris, Grasset, 1988 et Condé, Maryse Desirada, Paris, Robert
Laffont, 1997.
(23) Godin, Christian “ D’une utopie à l’autre ” La renaissance de l’utopie, Magazine
littéraire, Mai 2000, Paris, p.42.
(24) Manguel, Alberto “ Pour la première fois, nous vivons dans une utopie ” La
renaissance de l’utopie, Magazine littéraire, Mai 2000, Paris, p.20.
(25) Confiant, Raphaël Commandeur du sucre, Paris, Écriture, 1994, p.81.
(26) Chamoiseau, Patrick/Delver, Gérard/Glissant, Edouard et Juminer, Bertène “
Manifeste pour refonder les DOM ” Le Monde, vendredi 21 janvier 2000.
(27) Confiant, Raphaël Op. cit., p.294.
(28) Confiant, Raphaël Régisseur du rhum, Paris, Écriture, 1999, p.185.
(29) Confiant, Raphaël Op. cit., p.355.
(30) Confiant, Raphaël Commandeur du sucre, p.327.
(31) Orville, Xavier Moi, Trésilien-Théodore Augustin, Paris, Stock, 1996, p.40.
(32) Hugues, Micheline Op. cit., p.109.
(33) Orville, Xavier Op. cit., p.42.
(34) Orville, Xavier Op. cit., p.43.
(35) Orville, Xavier Op. cit., p.14.
(36) Orville, Xavier Op. cit., p.41-42.
(37) Confiant, Raphaël Op. cit., p.351.
(38) Confiant, Raphaël Régisseur du rhum, p.205.
(39) Holt, John Dominis Op. cit., p.195.
(40) “ J. Kehaulani Kauanui has aptly noted the difference between pedigree and
genealogy in the contemporary Hawaiian sovereignty struggle. The Hawai'i State
Constitution and the Hawaiian Homes Commission Act of 1920 define “ native
Hawaiian ” in terms of blood quantum, specifically, 50 percent Hawaiian blood.
Kauanui argues that this notion of pedigree is based upon the assumption of racial
purity and the suggestion that as racial mixing and intermarriage continue, “
Hawaiians ” as defined by blood quantum, will be bred out of existence, will “ vanish.
” ” (Najita Susan Y. Op. cit., p.167.)
(41) Najita Susan Y. Op. cit., p. 168,
(42) Yamanaka, Lois-Ann “ Glass ” Saturday Night at the Pahala Theatre, Honolulu,
Bamboo Ridge Press, 1993, p.107.
(43) Sumida, Stephen H. And the View from the Shore. Literary traditions of Hawai’i,
Seattle, London, University of Washington Press, 1991, p.163.
Bibliographie
Oeuvres :
- Andrade, Carlos “ Ocean Road from Rarotonga to Hawai’i ” , inédit, cité par Haunani
Trask dans “ Decolonizing Hawaiian Literature ” Inside Out. Literature, Cultural
Politics, and Identity in the New Pacific (Ed. Vilsoni Hereniko & Rob Wilson), Lanham,
Rownan & Littlefield Publishers, 1999.
- Balaz, Joe “ Moe ‘Uhane ” Ho’omanoa : An Anthology of Contemporary Hawaiian
Literature (Ed. Joe Balaz), Honolulu, Ka Pa’a, 1989.
- Capécia, Mayotte Je suis Martiniquaise, Paris, Corrêa, 1948
- Chamoiseau, Patrick Chronique des sept misères, Paris, Gallimard, 1986.
- Chamoiseau, Patrick Solibo Magnifique, Gallimard, 1988.
- Chamoiseau, Patrick Texaco, Gallimard, 1992.
- Chamoiseau, Patrick L’esclave vieil homme et le molosse, Paris, Gallimard, 1997.
- Condé, Maryse Desirada, Paris, Robert Laffont, 1997.
- Confiant, Raphaël Le Nègre et l’Amiral, Paris, Grasset, 1988.
- Confiant, Raphaël Commandeur du sucre, Paris, Écriture, 1994.
- Confiant, Raphaël Régisseur du rhum, Paris, Écriture, 1999.
- Holt, John Dominis Waimea Summer, Honolulu, Topgallant Publishing, 1976.
- Orville, Xavier Moi, Trésilien-Théodore Augustin, Paris, Stock, 1996.
- Pineau, Gisèle L’exil selon Julia, Paris, Stock, 1996.
- Pineau, Gisèle L’âme prêtée aux oiseaux, Paris, Stock, 1998.
- Tonouchi, Lee A. “ my girlfriend’s one star trek geek ”, da word, Honolulu, Bamboo
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- Yamanaka, Lois-Ann “ Glass ” Saturday Night at the Pahala Theatre, Honolulu,
Bamboo Ridge Press, 1993.
- Yamanaka, Lois-Ann Blu’s Hanging, New York, Farrar Straus & Giroux, 1997.
- Yamanaka, Lois-Ann Wild meat and the bully burgers, San Diego, New York,
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- Yamanaka, Lois-Ann Heads by Harry, Farrar Straus & Giroux; February 1999.
Oeuvres critiques :