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Nathalie Schon

Une francophonie des îles à sucre ?

Actes du colloque international de la AIEFCOI (Association Internationale


d’Etudes Francophones et Comparées sur l’Océan Indien), Le(s) discours
francophone(s) sur l’Océan Indien, University of Mauritius, Juillet 2002.

Dans les universités comme dans les médias la francophonie connaît un succès
croissant fait de nouveaux cursus et de collections littéraires diverses. Des
espaces aussi variés que le Québec et Tahiti se découvrent parents francophones
car locuteurs d’une même langue. A l’intérieur de la famille francophone, il faut
pourtant bien distinguer des divergences nées de l’Histoire ; ne peut-on pas ainsi
regrouper de façon plus précise et plus pertinente les îles à sucre de l’ancien
empire français qui partagent l’héritage de sociétés créolophones et
francophones de plantation ?
En effet, certains auteurs estiment que le cadre de la francophonie est parfois
restrictif voire étranger à leurs aspirations culturelles car il négligerait les
apports non francophones. Il paraît donc important d’étudier également les
alternatives proposées dans les départements français de l’Océan Indien et des
Antilles françaises.
Le statut du créole et du français et l’importance accordée à l’une comme à
l’autre langue est à cet égard révélateur, la francophonie se définissant comme
une famille culturelle née d’unrapport partagé à la langue française. Ce
rapprochement semble d’autant plus fructueux que l’auteur réunionnais Axel
Gauvin s’est joint à l’écrivain martiniquais Raphaël Confiant dans la défense de la
langue créole face à la suprématie du français dans les îles. Doit-on en déduire un
rapport identique à la francophonie ?
Les œuvres littéraires illustrent des approches différentes : les écrivains de
l’Océan Indien, Axel Gauvin en particulier, approchent la question identitaire
d’une façon plus individuelle, conciliant créolité et une certaine francophonie
universelle, non parisienne, qui se traduit par une description psychologique
plus importante des personnages, tandis que bon nombre d’écrivains
martiniquais comme Raphael Confiant s’intéressent plus à la défense du créole
comme langue authentique d’un milieu populaire en opposition au français : la
politisation de l’œuvre littéraire entraîne dans ce cas un rapport conflictuel avec
la métropole et ses institutions et la création d’une francophonie d’opposition, se
plaçant sous le signe d’une régionalisation linguistique et culturelle.

Le problème de la langue
La situation antillaise est très complexe, car le rapport à la francophonie
s’exprime non seulement à travers une littérature créole et une littérature
française en Guadeloupe, mais aussi à travers une littérature française
créolisante et une littérature française et créole en Martinique, le cas
martiniquais divergeant le plus de l’approche d’Axel Gauvin et de la plupart des
auteurs de l’Océan Indien d’ailleurs.
Ce qui frappe de prime abord le lecteur de littérature antillaise est la
réapparition récente des publications en créole : Raphaël Confiant, qui avait
abandonné l’écriture en créole dans une volonté d’être lu par un plus grand
nombre, renoue ainsi avec l’écriture en créole. La Martinique semble
particulièrement réceptive à présent à ce type de littérature. En tout cas, il s’agit
d’un nouvel essai jugé prometteur dans le cadre du développement du GEREC
(Groupe d’É tudes et de Recherches en Espace Créolophone créé en 1975 par Jean
Bernabé. Raphaël Confiant est le responsable des publications du GEREC). Dans
cette perspective, la logique des auteurs martiniquais est une logique de
confrontation idéologique et culturelle. Ainsi, la traduction en français “ standard
” des textes martiniquais en créole vise non pas la pluralité des langues au sein
de l’espace créole, mais la conquête de l’espace littéraire local par le créole, la
traduction étant considérée comme une béquille amenant le lecteur vers le texte
originel. Cette entreprise a pour objet de rendre une tradition orale par
l’écriture, à qui l’on accorde une fonction de transcription et non de création.
Cette volonté ethnologique se retrouve dans les œuvres créatrices des auteurs
martiniquais qui font une large part à l’enregistrement des traditions antillaises.
On ne peut donc pas parler de deux versions d’une histoire, mais d’une version
transposée dans une autre langue. Le récit créole est ainsi placé au centre, la
traduction étant par nature secondaire. Il n’est qu’à citer quelques passages de “
Pipich pawò l ”, “ Menus propos ” en français pour se rendre compte de la volonté
de reproduire le créole, afin d’amener le lecteur vers le texte “ premier ” :

Texte en créole :
Doubout ora isiya menm, wou
kika chaché bon nyouz ki ké sa
fè’w tjenbé londjè chenn la
jounen-an. Wou ki lé jwenn ti
listwa grandisèz ki ké sa ba’w
lanmen pou monté mach la
konésans. Wou ki sa koumandé
pawò l – ba’w lè – pou risouvrè’w
grangrèk. (1)

Traduction en français :
Arrêtez-vous ici même, sans
autres limites, vous qui êtes à la
recherche de grandes épopées
capables de vous faire tenir la
mesure d’une journée sans vous
lasser de sa longueur. Vous qui
recherchez des histoires
performantes qui vous aideront à
grimper les hauteurs de la
connaissance. Vous qui savez
faire pression sur la parole pour
qu’elle sache vous recevoir aux
rangs des érudits grands grecs.
(2)
Il n’est pas inutile de savoir que Térèz Léotin est un membre fondateur du
journal créole Grif-an-tè, qui parut de 1977 à 1982, et dont le but était de
promouvoir l’écriture du créole dans l’esprit du GEREC (Groupe d’É tudes et de
Recherches en Espace Créolophone) créé en 1975 par Jean Bernabé. Raphaël
Confiant, responsable des publications du GEREC fut un contributeur régulier
aux pages littéraires et auteur de reportages sociaux pour Grif-an-tè. À l’heure
actuelle, le GEREC contribue à travers ses publications et son engagement en
faveur du CAPES de créole à défendre cette langue, même si les auteurs békés
n’adhèrent pas souvent à cette position :

Notre créole est assurément un


signe de reconnaissance, un lien
intangible et vivace de notre
société antillaise. Pour toutes ces
raisons, je ne le considère pas en
danger d’extinction. Que tous ceux
qui souhaitent s’enrichir en
l’apprenant, en l’enseignant, en
passant CAPES ou agrégations
soient libres de le faire, mais le
dispositif législatif actuel semble
amplement suffisant pour cela. (3)

Une polémique s’est dégagée confrontant les créolistes aux chercheurs


métropolitains jugés hostiles à leur cause. Ainsi, une publication de Robert
Chaudenson qui exprime ses réserves dansLibération en ce qui concerne les
modalités du choix d’un créole “ standard ” est aussitô t suivie par des prises de
position extrêmement violentes de la part du GEREC, notamment dans l’article
“Chaudenson et le mammouth”. Ces articles soulèvent la question d’un standard :
sera-t-il fondé sur le créole martiniquais ? le guadeloupéen ? le guyanais ? Le
créole basilecte ? acrolecte ? mésolecte ? Ces interrogations qui semblent relever
du détail adressent de fait une politique culturelle précise : le choix d’un créole “
standard ” commun aux trois régions qui conserveraient leur dialecte ne met pas
un terme au débat, puisqu’il faut bien choisir un “ standard ” qui finira par
s’imposer. Aussi, la question des modalités du choix de ce créole est bel et bien
fondée. L’importance du GEREC dans l’organisation du CAPES de créole et la
virulence des échanges laissent augurer d’un choix politique conflictuel (4). On
notera toutefois que cette stratégie de promotion du créole est également
critiquée par certains linguistes, notamment par Lambert-Félix Prudent. En effet,
celle-ci a tendance à imposer au débat une alternative : créole régionalisé (créole
martiniquais et créole guadeloupéen) ou hégémonie du créole martiniquais
occupant ainsi la place tant décriée du français. Or, il n’y a pas un créole, mais des
créoles. Il semble donc difficile d’établir un programme national de créole.
Lambert Félix Prudent doute de l ‘efficacité de la transcription du créole adoptée
par le GEREC, à partir des travaux de Jean Bernabé, même auprès d’un lectorat
local, d’une part peu habitué à cette orthographe et d’autre part dérouté par les
néologismes de Raphaël Confiant et de Patrick Chamoiseau. Roger Toumson,
enfin, s’appuyant sur Aimé Césaire, ne considère pas la langue créole comme
unique expression de la culture antillaise, ni comme vecteur privilégié de la
subversion. En effet, le danger de la création d’une nouvelle norme créolisante
existe. Une telle entreprise signifierait institutionnaliser la révolte et ainsi établir
une négation de toute différence à l’intérieur de la société antillaise : “ L’idée est
de doter la communauté d’un corpus de textes reflétant une norme immanente,
découplée de l’étymologie et permettant de lutter contre la gallicanisme ” (5). La
conquête du centre français semble donc présenter bien plus de périls que de
gain.
Ce point de vue est repris dans des revues dissidentes comme la Nouvelle Revue
des Antilles, radicalement opposée au discours du GEREC, tant du point de vue
politique que linguistique. Ainsi, la symbolique des Lumières est reprise pour
distinguer un camp progressiste éclairé et un camp réactionnaire incohérent,
comme l’indique le titre d’un article éditorial d’Edouard De Lépine : “ Contre
l’obscurantisme, oser dire tout ce qu’on croit vrai ” :

L’ignorantisme d’aujourd’hui, qui


considère l’enseignement comme un des
plus dangereux produits d’exportation
du colonialisme, n’est pas à une
contradiction près. La première de ces
contradictions, c’est que les meilleurs
d’entre les ignorantistes sont des
diplô més, souvent de haut niveau et pas
peu fiers de l’être, de l’enseignement
qu’ils condamnent. Par quel miracle ont-
ils échappés aux effets d’un poison
absorbé pendant si longtemps et à si
haute dose ? (6)

Le comité de lecture était en outre composé de l’écrivain Xavier Orville,


récemment décédé, et des universitaires Lambert Félix Prudent et Roger
Toumson, peu favorables aux thèses du GEREC. Xavier Orville, influencé dans ses
romans par le réalisme merveilleux latino-américain, opte pour une écriture
poétique en français, dont l’onirisme et non pas l’origine sociale subvertit l’ordre
établi :

(…) les miroirs n’eurent plus de reflets ;


les couverts transpirèrent dans les
tiroirs ; les toiles d’araignées relièrent les
rues et, de part et d’autre du marché, les
disques d’interdiction de stationner
s’inversèrent, en invitant les rêves à se
coaguler sur place. (7)

Si les revues guadeloupéennes sont moins présentes sur le devant de la scène


littéraire, elles parviennent néanmoins à articuler un discours divergent de la
majorité des publications martiniquaises. Ainsi, Dérades, “ revue caribéenne de
recherches et d’échanges ”, dont le titre est inspiré par le poème “ Dérade ” de
Daniel Maximin, publié dans le premier numéro, exprime un refus de la
problématique centre-périphérie, telle qu’elle est abordée en Martinique :

(…) ces îles plus invisibles encore que


jamais et qui comptent peut-être de
moins en moins pour elles-mêmes,
aspirées peu à peu par un béton
anarchique, vouées semble-t-il à être le
lieu de l’oisiveté des autres, n’ayant
progressivement que des coutumes
perdues, des traditions muettes après
avoir sans doute raté cette présence à soi
que l’on nomme identité.
Mais le monde va, les Antilles avec lui, et
nous ne voulons pas être les orphelins du
sens de ces cheminements. Tout n’est
peut-être pas explicable, et sans doute les
concepts s’effraient-ils devant ce qu’il y a
à penser. Mais enfin, il y a autre chose à
faire qu’à se laisser saisir par les choses,
qu’à se laisser faire et transformer par
elles, c’est-à -dire en choses.
Dérades, donc. (…)
Notre revue sera ainsi portée par ce refus
des illusions, pied à pied, à l’inverse de
ces recherches de projet qui se sont
lassées, je crois, dans ce va et vient du
paradis perdu au paradis retrouvé. Nous
voudrions que cheminent ici les désirs
multiples et intenables, délivrés à la fois
de la querelle des origines, des nécessités
d’un destin, de la rigidité de la norme. (8)

La revue Caré, qui exprimait une sensibilité comparable et à laquelle avait


contribué Daniel Maragnès, exprimait en 1975 déjà son refus des définitions
identitaires : “ Que le lecteur ne s’étonne pas si un texte dit autre chose que celui
qui le précède : chacun parle d’où il est, et va où il veut. Nous ne sommes pas des
partisans du dogmatisme théorique. ” (9)
L’usage guadeloupéen du créole n’est pas systématique et lorsqu’il est utilisé
comme langue unique d’un récit, il représente une alternative, un usage
complémentaire comme le suggère la variante française du récit créole de
Sylviane Telchid, car les libertés de la transposition contredit une intention de
traduction :

Version créole :
Si yo té di Titin on jou tousa biten té
ké rivé-y an vi a-y, i pa té ké jen kwè
sa. Pas, dépi i té toupiti, pou-y vi a-y
té ja tou trasé : i té ké travay asi
bitasyon dépi i té ké pran on ti laj é
plita, i té ké mayé épi Tijò j. (10)

Version française :
Titine aurait-elle pu s’imaginer qu’un
jour tant de bouleversements
surviendraient dans sa vie ? Elle qui
pensait que cette vie n’était qu’un
sillon tout droit qui ne regardait ni
devant ni derrière. Elle qui croyait
que sitô t sa nubilité atteinte, sa
deuxième existence commencerait
sur la grande habitation ; là où sa
sueur coulerait du petit matin
jusqu’au finissement du jour ; là où la
sueur de ses parents et de ses arrière-
parents n’avait pas arrêté de se
répandre du lever au coucher du
soleil. (11)

L’usage divergent du créole et sa théorisation dans les revues antillaises


reproduisent donc bel et bien le clivage culturel entre la Martinique et la
Guadeloupe ; toutefois, l’on peut penser qu’avec l’internet de nouvelles revues
verront le jour, moins liées aux institutions qui les publiaient jusqu’alors,
nuançant ainsi le rô le accordé au créole.
Axel Gauvin, Président de Tangol, Haut Conseil de la Langue Réunionnaise,
défend donc une francophonie plurielle, c’est-à -dire la conciliation d’une
promotion du français, de la culture métropolitaine et des langues et cultures
locales. Il ne rejette pas le lien avec la métropole, mais une francophonie aussi
opportuniste que dominatrice :

…une certaine francophonie : celle du


rouleau compresseur, celle de
l’éradication des langues au profit du
monopole du français, celle de la
glottophagie, celle du colonialisme
linguistique.
L’intérêt bien compris de la langue
française est tout autre. Celle-ci peut
et doit se développer dans le respect
des langues locales, dans leur
reconnaissance, dans leur
développement propre.
Aussi vrai qu’il faut un enseignement
nouveau du français à la Réunion, cet
enseignement ; si l’on ne veut pas aller
vers la mort de notre langue créole,
mais aussi vers d’interminables
conflits, des plaies qui ne se
refermeront pas ; doit être
accompagné, pour tous ceux qui le
désirent, de celui de la langue créole
(12)

Dans son ouvrage Du créole opprimé au créole libéré, Gauvin était allé plus loin
en insistant sur l’antériorité du créole pour les Réunionnais et donc l’usage plus
naturel et à partir de là plus efficace de cette langue :

Mais l’aspect essentiel du problème


reste l’inintelligence par les masses
populaires réunionnaises de la langue
française, car aujourd’hui cette langue
a la monopole de l’enseignement, des
mass media, du pouvoir. Les
monolingues créoles qui forment
l’immense majorité de la population
se retrouvent ainsi, comme l’aurait dit
Albert Memmi, « munis de leur seule
langue, étrangers dans leur propre
pays. » (13)

Le créole apparaît donc comme véritable langue de la Réunion, dénigrée par le


« colonisateur » (propos nuancé par la suite). La référence à la colonisation
linguistique n’est pas très heureuse, puisque la Réunion est à l’origine une île
francophone. Selon Robert Chaudenson le français ne se superpose pas au créole,
le français étant antérieur à ce dernier. Elle contredit la thèse du créole comme
langue « authentique » des îles opposée au français d’une métropole
colonisatrice. Ce que critique d’ailleurs Robert Chaudenson est une désaffection
du français considéré par certains chercheurs locaux comme une langue
importée, donc étrangère. Ce sont surtout les conclusions de ce chercheur
concernant une certaine promotion du créole, suggérant un rô le culturel
négligeable de cette langue, qui sont à l’origine de son désaccord avec Axel
Gauvin :

En effet, s’il est utopique de songer à


donner aux créoles un statut égal à
celui du français (ou de l’anglais), il
est, en revanche, possible à la fois de
procéder à un aménagement
linguistique (instrumentalisation,
normalisation, enrichissement) et à
une certaine promotion de ces
parlers, tout en assurant également
un accèsréel à la connaissance et à la
pratique de la langue européenne.
(14)
Axel Gauvin entend certes décrire des comportements qui s’apparentent bel et
bien à celui du colonisateur mais la comparaison avec d’autres peuples,
culturellement soumis par la France, enferme le débat dans une logique binaire
(le Français, langue imposée à une population créolophone à l’origine) qui ne
rend pas justice à la complexité linguistique et culturelle de la Réunion.
Néanmoins, malgré un discours autonomiste, Axel Gauvin n’entend pas opposer
un essentialisme de la langue créole des nobles origines à celui de la langue
française des fourbes colons, même si la définition du français comme langue
étrangère aux Réunionnais laisse assez perplexe :

Il est évident que dans une Réunion


autonome le français aura toujours sa
place, car c’est dans la logique du
nouveau statut : les liens politiques,
économiques, culturels, que nous
aurons avec la France entraîneront la
nécessité du maintien de la langue
française. Mais une large place doit
être faite au créole… (15)
Et, obliger à changer de langue, c’est
obliger à couler la pensée dans un
moule qui est étranger. Pour les
enfants, cela peut être grave sur le
plan psychologique …- Lorsque le
changement se fait à un moment où la
personnalité de l’enfant ne s’est pas
encore structurée. (16)

Malgré l’attachement de l’auteur à une certaine représentativité, l’approche


herdérienne de la langue que l’on retrouve dans les revendications
institutionnelles passées n’apparaît pas dansTrain fou. Ponctué d’expressions
créoles, sans pour autant être créolisé, le style d’Axel Gauvin confère à chaque
protagoniste son langage. La Réunion parle ainsi plusieurs langages comme elle
parle plusieurs langues. Ce roman marque ainsi une évolution de l’auteur vers
une symbolique plus globale que dans ses premiers ouvrages :

Mais le plus intéressant y était le


curieux travail du romancier sur le
français, pour constituer une langue
littéraire rendant le créole visible et
audible, par des démarquages
syntaxiques et beaucoup d’emprunts
de mots ou par des transpositions
d’expressions imagées. Ce qui suscita
d’ailleurs un débat animé : on
reprochait à Gauvin de fabriquer ainsi
une langue artificielle, un pseudo-
français régional, au lieu de passer
franchement à l’écriture en créole.
(17)

Faims d’enfance est le dernier roman d’Axel Gauvin a être paru également en


créole sous le nom de Bayalina en 1995 après Kartié-trwa-lèt, version créole
de Quartier Trois-Lettres, parue en 1984. Peut-on parler d’une traduction
destinée à restituer le texte originel créole ? Rien n’est moins sû r. En effet, Axel
Gauvin semble hésiter et expérimenter en passant du français au créole et vice-
versa, ce qui suggère l’existence de plusieurs versions distinctes. Dans le cas
de Quartier 3 Lettres, il n’y a pas moins de deux versions créoles et trois façons
d’intégrer le créole dans son écriture : traduction en créole, ajout de descriptions
en créole et créolisation du texte français. Le texte originel est tantô t le texte
français, tantô t le texte créole :

Quartier 3 Lettres a connu cinq


versions. La première version, (1970)
en « français standard ». Axel Gauvin
publie ensuite son essai Du créole
opprimé au créole libéré. Défense de la
langue réunionnaise (L’Harmattan,
1977), où il théorise la nécessité
d’écrire des oeuvres littéraires en
créole. Il produit donc une deuxième
version du roman, en créole, à partir
de la traduction du premier texte, en y
ajoutant des descriptions directement
en créole. L’éditeur exigeant un texte
en français, Axel Gauvin produit un
troisième texte qui est la traduction
française de la deuxième version.
Mécontent du résultat, il créolise le
texte. Cette quatrième version étant
inacceptable pour l’éditeur, il la
décréolise, ce qui donne la version
éditée du roman (18)

On le voit, l’attachement au français et au créole coexiste. Même s’il y a une


certaine pression de l’éditeur français, Axel Gauvin ne livre pas un texte en
français “ standard ”, quitte à publier une version créole authentique plus tard,
mais il offre deux textes dont chacun reflète la culture réunionnaise à part
entière.

Littérature antillaise, littérature mascareigne


- Langues d’écriture : négociations et conflits
L’usage du créole reflète dans la littérature martiniquaise de Raphaël Confiant le
combat culturel à travers le rapport aux institutions de la francophonie :

Enfin, il convient d’affirmer qu’Espace


créole / Espaces francophones
considérera comme faisant partie de
son champ légitime d’études toute la
littérature antillo-guyanaise de
langue française, tant celle d’hier que
celle d’aujourd’hui, et n’omettra pas
de s’intéresser de près aux
littératures francophones du Québec,
d’Afrique noire et du Maghreb.
Enfin, toujours dans le même ordre
d’idées, la didactique du Français-
Langue Etrangère constituera l’un des
axes privilégiés de notre réflexion et
de nos publications. (19)

La francophonie est clairement présentée ici comme une politique culturelle


stratégique (le français est une langue utile) et non identitaire (le français
n’apparaît pas comme langue maternelle ou même seconde des Antillais). Aussi,
chez Raphaël Confiant une utilisation du créole dans les dialogues souligne
l’aspect naturel du créole, qui contamine le français plus qu’il ne s’allie à lui dans
les passages en français créolisé :

“ Sacré vyé chaben ki ou yé ! Sakré


chaben prèl si ! Chaben, tikté kodenn !
Chaben tikté kon an fig mi ! Foutém-
walikan, chaben sé an mové ras
Bondié pa té janmen dwèt mété anlè
latè ! ” (Espèce de mauvaise race de
chabin ! Espèce de chabin aux poils
suris ! Chabin au visage tacheté
comme un coq d’Inde ! Chabin tiqueté
comme une banane mû re ! Fous-moi
le camp, les chabins sont une
mauvaise race que Dieu n’aurait
jamais dû mettre sur la terre !) (20)
Le créole est employé dans une volonté de réalisme local, et ce dans le but
d’affirmer la validité du centre antillais. L’usage du créole comme langue
exclusive de l’écriture littéraire et la conjugaison du créole et du français créolisé
procède d’une même logique de subversion du français “ standard ” par le créole.
On se souviendra que Raphaël Confiant a écrit ses premiers romans en créole,
pour adopter ensuite le français créolisé de Patrick Chamoiseau (21). Ce geste
s’explique par un pragmatisme économique et culturel, car écrire en français
créolisé signifie aux yeux de Confiant atteindre un public antillais et français (“
français ” étant entendu comme dénomination culturelle et non politique ; elle
désigne l’identification au continent). Le créole subit donc une métamorphose
par soucis d’efficacité. D’aucuns reprocheront à Confiant ce choix jugé
autodestructeur.
Le créole s’affirme, certes, comme identité ancrée dans le langage du romancier –
son indépendance se traduit par son usage irrévérencieux du français – mais
l’écrivain fait plus que traduire une quelconque “ â me ” créole : le français, qui ne
domine plus le récit, occupe encore une place de choix dans les œuvres de ces
deux auteurs :

Chamoiseau insère le plus souvent la


traduction dans le texte, l’isolant
cependant dans une parenthèse. La
traduction n’est pas systématique,
même celle des phrases (par exemple
la formule “ apa couyonnad ” qui
signifie “ c’est pas de la blague ” n’est
pas traduite). (…) Mêmes traduites,
les phrases ne le sont jamais
littéralement, ni complètement : la
traduction se contente d’en donner la
teneur. (..) Chamoiseau laisse le
créole exister par lui-même. C’est un
choix différent que fait Gauvin,
tentant d’intégrer davantage le créole
au français. (22)

Cette démarche se distingue de celle des auteurs guadeloupéens dont les textes
en français offrent des traces sporadiques de créole, comme une reconnaissance
de plusieurs héritages, plus qu’un affrontement de deux univers. Les auteurs
guadeloupéennes se distinguent ainsi de bon nombre de leurs homologues
martiniquais par une approche moins exclusive de la langue d’écriture : Maryse
Condé et Gisèle Pineau ont choisi le français, Sylviane Telchid le français et le
créole de façon simultanée (sa version française ne comporte que peu
d’expressions créoles et ce de manière irrégulière ; on ne peut donc parler de
français créolisé comme le pratiquent Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant).
Cependant, au delà de ces différences, les littératures antillaises ont comme point
commun une présence évidente du créole dans l’écriture. Qu’il s’agisse de
revendication littéraire contre une francophonie jugée menaçante ou d’une
écriture bipolaire alliant créolophonie et francophonie dans la compréhension de
la culture antillaise, les littératures martiniquaises et guadeloupéennes intègrent
le créole et la question francophone de façon systématique jusque dans la
structure même de la phrase chez Raphaël Confiant qui intègre comme Patrick
Chamoiseau le style direct au sein d’une phrase en style indirect :

Tout le monde avait conscience que le


pays venait de descendre une marche
supplémentaire vers la décadence et
qu’un beau jour, assurément et pas
peut-être, il se retrouverait les quatre
fers en l’air. (23)

ou de façon répétitive dans le choix de certains mots-clefs, véhiculant des


concepts phare de la culture antillaise : La grande drive des esprits de Gisèle
Pineau.
L’auteur réunionnais Axel Gauvin, également défenseur du créole, se démarque
de la plupart des écrivains antillais, car il utilise le créole de façon irrégulière,
suggérant une opposition à la francophonie moins forte a priori :

Dans Quartier Trois Lettres la


créolisation est un marqueur
d’identité. Je pose mes bornes : voilà
ma maison, voilà mon jardin et que
mes bornes vous empêchent de
passer, ce n’est pas mon problème. En
fait, cela n’a rien à voir avec la
littérature. (…) Dans Faims
d’enfance et dans le troisième roman,
L’Aimé la créolisation reste, sans
aucun doute possible, un marqueur
d’identité, mais n’exclut pas : la porte
est ouverte et qui veut bien entrer le
peut.(24)

La violence de Train fou, le dernier roman d’Axel Gauvin, prend le lecteur par
surprise, car le rapport à la francophonie en général semble malgré tout moins
problématique. En effet, l’auteur cible parfaitement sa critique en isolant les
parangons d’une francophonie limitée à un groupe social, celui de Bernard
Montcorbeil, fonctionnaire raciste et inculte. Ainsi, deux approches de la
francophonie se heurtent : une francophonie multiculturelle dans laquelle
l’écrivain se reconnaît et une francophonie centralisée colonisatrice qui serait
celle défendue par certains chercheurs métropolitains. Axel Gauvin n’offre pas
d’alternative particulière mais lance des suggestions d’ordre général, l’essentiel
étant de préserver la culture réunionnaise. Le dernier roman de cet auteur se
distingue plus par l’illustration de principes moraux et culturels, valables pour
toute communauté opprimée, que par une revendication linguistique et politique
définie qui serait comparable au modèle antillais de la créolité. Train fou est le
récit d’une grotesque farandole nocturne menée par Bernard Montcorbeil,
conquérant parisien, venu faire carrière dans les îles. Après une série d’échecs en
métropole, la vengeance autant que la soif de réussite sont devenues les
principales motivations de cet homme, “héros ” d’une farce néocoloniale. Celui-ci
se met, une nuit, à la tête d’une chenille humaine errant à travers les rues de la
ville. Le périple de trois Réunionnais, qui, tels des wagons, s’accrochent à la
locomotive France pour exister, illustre la marginalisation de l’île par rapport au
centre parisien, représenté par ses directions et sous-directions aux noms
barbares.
Les nombreux monologues intérieurs de Bernard Montcorbeil, personnage
principal du récit, sont l’expression de son égocentrisme, car ils dominent le
récit, comme l’homme domine le déroulement des événements. Le passage du
registre de la politesse hypocrite à un argot ordurier donne dès le début du
roman le ton du racisme et de la vulgarité de cet antihéros, qui ne perçoit la
Réunion que comme un de “ces amuse gueules tropicaux probablement bourrés
de piment ” (25). Le trio des Réunionnais quant à lui – composé de personnages
aux noms évocateurs, véritable résumé des causes de leur perte : Pan, le
vaniteux, ParlePas, le passif et Noiseau, le nomade – est condamné à périr dès
lors que le “ vaza ” – l’étranger – s’en désintéresse. Le ton est donné, le langage
imposé. Les personnages locaux sont là pour faire tapisserie fantaisiste. Ne
compte que ce « Bernard » ressassé dix fois en l’espace de deux pages, multiplié
au rythme des possessifs et d’une troisième personne qui marque l’importance
que le bonhomme revêt à ses propres yeux :

Claudiquant d’abord, puis de moins en


moins malaisément, Bernard gagne la
lumière. (…) Heureusement ! Bernard a
pensé : Heureusement ! L’inopportunité
de cet optimisme le ramène à la réalité.
(…) Bernard reste, bien évidemment,
fonctionnaire de son poste – et de son
grade ! Son emploi… sa situation plutô t…
son salaire, pour être net, n’est donc pas
en jeu. Mais merde ! Croupir, minable
parmi les minables, éternel second,
Poulidor de l’ADE…
(…) Mais enfin, qu’a-t-il fait, Bernard, de
répréhensible ? Rien! Rien, sinon qu’il a
fait face.
(…) Mais que faire, Bernard ? (26)

La parole de l’Autre est inexistante dans son univers. Bernard Montcorbeil est là
pour prêcher la bonne parole, celle de son Ministère Divin des Belles Lettres et
de la Culture. Le créole, ce « patois des analphabètes », résonne entre les lignes,
débarrassé de son parfum d’opprobre face à l’argot méprisant de l’exilé parisien.
L’analphabète ici s’appelle Bernard Montcorbeil. La langue qu’il ne maîtrise pas
est celle de la pluralité linguistique et culturelle de la Réunion.
Le dernier roman d’Axel Gauvin se distingue également par la multitude des
points d’interrogation qui fait pendant aux points d’exclamation, faibles cache-
misères du doute. Le contenu anodin des phrases marque un contraste avec
l’urgence de la situation, signifiant ainsi l’importance du non-dit et des chocs
culturels invisibles (« Mon verre ! J’ai oublié de payer mon verre ! Je ne vais pas
partir sans payer mon verre ! » (27)). L’approche quasi psychanalytique du
narrateur semble être la clef d’un roman dans lequel les portes ne cessent de
claquer au nez des protagonistes.
- Psychologie de la “colonisation” dans les œuvres littéraires
Train fou est un roman de la quête identitaire, non pas celle de Bernard
Montcorbeil, qui est d’ailleurs bien plus symbole qu’individu, mais de Maxime
qui face au destin de ses amis réalise la nécessité de se débarrasser du regard de
l’autre et de déterminer l’avenir politique de l’île. L’exotisme béat de l’aventure
balisée qu’est censé fournir le roman réunionnais est subverti par le parcours
cynique de l’ambitieux et par le dénouement tragique du récit. Axel Gauvin
poursuit la déconstruction du regard pittoresque amorcé dans Cravate et
fils avec un sujet qui ne prêtait déjà guère à l’idéalisation et qui plongeait le
lecteur dans la psychologie de la désorientation et du déracinement : le suicide.
Dans Train fou, l’alcool et l’obscurité, symboles de l’abrutissement et de
l’anonymat des passagers de ce train fantô me lancé au rythme infernal des
phrases saccadées, révèlent l’espace de quelques heures l’envers du décor
paradisiaque. Le paysage aquatique, scène d’une pièce morbide, peuplée de
monstres – crapauds et grenouilles – noie les rêves dans l’eau croupie du bassin
aux nénuphars et dans les remous d’un océan hostile. Cette plongée dans
l’inconscient des personnages va à l’encontre des attentes d’un certain lectorat
métropolitain friand de francophonie très tropicale. Dans Cravate et fils, Axel
Gauvin envoyait déjà son héros prendre des vacances aux Seychelles, endroit
paradisiaque pour les Réunionnais. Le lecteur peu familier des îles de l’Océan
indien découvrait surpris que son regard n’était pas universel. Quelle
désorientation lorsqu’il découvrit que ce héros qui rêvait tout comme lui d’une
plage de sable blanc comme comble de l’exotisme, ne considérait pas son île
comme un club de vacances (on notera que l’exotisme qu’aborde Gauvin ici est
compris dans son acception la plus péjorative) !
A travers Train fou, une fois de plus, l’auteur n’accorde pas le droit au nouveau
venu de définir ce qui est exotique ou non pour un Réunionnais. Bernard
Montcorbeil dégrade tant la Réunion que la notion d’exotisme en la réduisant à
une définition des plus primitives : l’interdit provisoire, cette transparence
inconnue destinée à exciter les sens du touriste administratif, vite devinée,
encore plus vite délaissée. Au mieux, la Réunion est un malentendu, une
familiarité qui se déguise pour plaire, mais qui indiffère profondément :

Et cette étoupe fangeuse prise aux


boutons de nacre, comment – et
pourquoi ! – aurait-il pu admettre qu’il
s’agissait des racines d’une plante
aquatique appelée « Jacinthe d’eau » qu’il
ne connaît pas et ne connaîtra
probablement jamais ? (28)
Ce Messie de l’ombre impose un monologue culturel de la première page, mais
pas de la dernière. Le sacrifice final de Maxime peut apparaître à la fois comme
un geste expiatoire, afin de racheter les compromissions passées, et une volonté
de faire table rase et de développer un imaginaire propre, dans tous les sens du
terme : “ Usé ! Fini! Assez : Maxime en a assez de ce simulacre de vie! ” (29). La
violence discrète, sous-terraine, apparaît au grand jour, conséquence inéluctable
d’un malaise identitaire provoqué et ignoré par une armée d’exilés aigris. Par son
geste, Maxime vole la vedette à l’imposteur biblique et donne un sens, son sens, à
l’aventure réunionnaise. Le trio tragique se transforme en trinité de la
rédemption :

Et Maxime frappe, frappe, frappe, frappe !


Il a touché la hanche, la poitrine, c’est la
tête qu’il veut viser, la tête…
Un coup de feu claque. Un deuxième. La
troisième balle prend Maxime en plein
dos alors qu’il tombait déjà . (30)

Chez Raphaël Confiant, un rapport anormal à la culture et donc un potentiel


subversif est exprimé à travers la transgression linguistique. Pourtant, ce rapport
peine à se dégager du clivage dichotomique : dominé-dominant. Le créole est
donc perçu comme un vecteur d’authenticité, même si son opposition radicale au
français laisse deviner une ambiguïté, rejetée afin de mieux y remédier.
L’hégémonie d’un français jadis imposé par le Nord de la France au Sud de
l’hexagone, référence historique qu’amène le choix récurrent d’expressions aussi
châ tiées que désuètes, apparaît de tous points de vue en décalage avec le vécu
insulaire, d’autant plus que seule la stéréotypie du français, c’est-à -dire son
extériorité, est stigmatisée dans les romans de Raphaël Confiant :

“ Madame Augustin, la loi fouançaise, c’est


la loi fouançaise. La Répiblique une et
indivisib’, c’est la Répiblique une et
indivisib’, en foi de quoi je me permets de
procéder à l’arrestation immédiate et
sans condition de vot’ filleul, susnommé
Raphaël, qui a commandité l’assassinat du
jambon officiel du grand bal annuel des
maîtres du feu, valeureux défenseurs de
notre intégrité maisonnière et
territoriale… ” Le temps qu’il brandisse
ses menottes et que tante Emérante
entreprenne de l’envoyer se faire péter
dans le nez par un ours, tu as déjà gagné
ton refuge de la plage de Grand-Anse.
(31)
La critique des institutions métropolitaines exercée à travers la peinture
grotesque d’un représentant de l’ordre républicain qui désacralise par la
prononciation créole des principes linguistiquement intouchables de la Nation
française fait pendant à celle que renvoie Axel Gauvin aux “ décideurs ” parisiens,
mais la différence demeure de taille : alors que Confiant use de l’impitoyable
simplification et systématisation du stéréotype pour désigner une culture
métropolitaine à rejeter, Axel Gauvin lui préfère une psychanalyse des individus
afin de dépeindre un milieu particulier au sein d’une francophonie beaucoup
plus large. Raphaël Confiant distribue des rô les sans ambiguïté, malgré l’esprit de
dérision, qui en fin de compte n’altère pas l’ordre social. Les personnages
pittoresques sont acceptés tels quels. L’auteur ne leur demande pas d’évoluer
mais d’être “ eux mêmes ”, donc créoles, donc opposés à la métropole. Alors que
les amis réunionnais représentent des aspects divers de la culture locale, les
personnages-types de Confiant se ressemblent. Tous symbolisent de la même
façon le Martiniquais, essence antillaise qui se concentre dans le chabin
autobiographique de Ravines du devant jour, au caractère vindicatif inchangé
voire inchangeable. Les personnages de Confiant sont la lutte. La thématisation
de la famille déjà récurrente chez Chamoiseau souligne l’identité unique de
l’Antillais. Ainsi, l’attachement de Confiant aux institutions de la francophonie
relève de la stratégie du Cheval de Troie plus que d’une reconnaissance
d’héritages complexes et multiples.
Les romans de Raphaël Confiant et ce depuis ses débuts sont destinés à créer un
contrepoids à une francophonie menaçante perçue avant tout comme plate-
forme stratégique afin de promouvoir le créole, ce qui révèle tout de même une
certaine confiance en la capacité de ces institutions à admettre les langues
minorées dérivées du français. Le retour au créole comme langue privilégié
d’écriture traduit néanmoins une volonté d’indépendance politique et culturelle
ou à défaut d’autonomie. En cela, l’écrivain est proche de bon nombre de ses
collègues martiniquais, et ce malgré des prises de position commune avec Axel
Gauvin pour la sauvegarde du créole.
En effet, ce dernier a abandonné les revendications autonomistes de ses débuts,
mais il n’en réclame pas moins une prise de conscience des Réunionnais afin de
lutter contre une assimilation pure et simple à la métropole. Le sacrifice de
Maxime prend certes des allures de martyr, mais il s’attaque non pas aux
représentants de l’ordre, mais d’un ordre qu’il rejette absolument car il ne lui
donne aucune possibilité d’articuler son désarroi et sa colère. La tête que
Maxime veut à tout prix atteindre est un mode de pensée hexagonal qui méprise
les particularités de la Réunion et écrase toute divergence. Il n’en est pas moins
vrai que Train fou est une mise en garde à certains politiciens et gardiens d’une
tradition figée qu’aux Réunionnais sombrés dans l’apathie, résignés à
l’assimilation aux valeurs d’une culture pseudoélitiste : “ Je suis un p’tit
sauvage/Du pays de BongoBongo! ” (32).

(1) Léotin, Térèz “ Pipich pawò l ”, Ora lavi. À fleur de vie, Ouvrage bilingue
créole-français, Paris, L’Harmattan, 1997., p.11.
(2) Léotin, Térèz “ Menus propos ”, Op. cit., p.41, traduction : R. Jean-Baptiste-
Edouard.
(3) de Jaham, Roger “ Pinalie, touche pas à ma constitution ” Antilla, N°841, 16
juillet 1999, p.9.
(4) Voir Chaudenson, Robert “ Les créoles à l’épreuve du Capes ” Libération, 9
novembre 2000, http://kapeskreol.online.fr/articles/chaudenson.htm et
Confiant, Raphaël “ Chaudenson et le mammouth. Réponse de R. Confiant suite
aux attaques contre sa personne par R. Chaudenson dans le dernier numéro de “
Gazèt sifon blé ” ”,
http://kapeskreol.online.fr/articles/chaudensonmammouth.htm
(5) Prudent, Lambert Félix “ É crire le créole à la Martinique : norme et conflit
socio-linguistique ” Le créole français entre l’oral et l’écrit (Ed. Ralph Ludwig),
Tü bingen, Gunter Narr Verlag, 1989, p.72. Pour un recensement de la littérature
en créole voir : Prudent, Lambert-Félix “ Les problèmes d’émergence d’une
littérature créole antillaise ” Itinéraires et contacts de cultures, Littératures
insulaires : Caraïbes et Mascareignes, Vol.3, Paris, L’Harmattan, 1983, p.29-54.
(6) De Lépine, Edouard “ Contre l’obscurantisme, oser dire tout ce qu’on croit
vrai ” Nouvelle Revue des Antilles, N°1, Fort-de-France, 1988, p.1.
(7) Orville, Xavier Le marchand de larmes, Paris, Grasset, 1985, p.34-35.
(8) Maragnès, Daniel “ Editorial ” Dérades, N°1, décembre 1997, Guadeloupe,
http://www.multimania.com/derades.
(9) Maragnès, Daniel “ Editorial ” Centre Antillais de Recherche et d’Etudes, N°1,
mars 1975, Bourg Abymes, Guadeloupe, p.6.), la revue a cessé de paraître en
1982.
(10) Telchid, Sylviane “ Mondézi ” Op. cit., p.102.
(11) Telchid, Sylviane “ Mondésir ” Ecrire la “ parole de nuit ”. La nouvelle
littérature antillaise, Paris, Gallimard, 1994, p.95.
(12) Gauvin, Axel  » Chaudenson, l’éradicateur » Kapes
kreol, http://kapeskreol.online.fr/articles/eradicateur.htm
(13) Gauvin, Axel Du créole opprimé au créole libéré, Paris, L’Harmattan, 1977,
p.24.
(14) Chaudenson, Robert Créoles et enseignement du français, Paris,
L’Harmattan, 1989, p.156.
(15) Gauvin, Axel Op. cit., p.80.
(16) Gauvin, Axel Op. cit., p.82.
(17) Joubert, Jean-louis ‘Axel Gauvin ou la saveur réunionnaise’ Littératures de
l’Océan Indien, Edicef, Vanves, 1991, http://www.bibliotheque.refer.org/litoi/
(18) Marimoutou, Carpanin Le Roman réunionnais, Une problématique du Même
et de l’Autre. Essai sur la poétique du texte romanesque en situation de
diglossie. Université Paul Valéry-Montpellier, Thèse pour le Doctorat d’Etat, sous
la direction de Monsieur le Professeur Robert Lafont, 1990, tome 2, p. 251.
(19) Confiant, Raphaël Espace créole : Préface.
(20) Confiant, Raphaël Ravines du devant-jour, Paris, Gallimard, 1993, p.34
(italiques dans le texte).
(21) Raphaël Confiant a publié de nombreux nouvelles et romans en créole, dont
il prend en charge la traduction ou qu’il confie à des traducteurs proches de sa
sensibilité linguistique : Jik dèyè do Bondyé, Grif An Tè (1975), Bitako-a, Gérec
(1985), Kô d Yanm, K.D.P. (1986), Marisosé, Presses Universitaires Créoles
(1987), Jik dèyè do Bondyé, Ibis Rouge, 2000.
(22) Deltel, Danielle “ La créativité du créole dans le roman de langue française :
Patrick Chamoiseau et Axel Gauvin ” Convergences et divergences dans les
littératures francophones, Paris, L’Harmattan, 1992, p.185-186.
(23) Confiant, Raphaël Régisseur du rhum., p.294.
(24) Gauvin, Axel In « La langue métisse d’Axel Gauvin. Propos recueillis par
Bernard Magnier » Notre Librairie, N.128, p.103.
(25) Gauvin, Axel Train fou, Paris, Seuil, 2000, p.9.
(26) Gauvin, Axel Op. cit, p.40-41.
(27) Gauvin, Axel Op. cit., p.84.
(28) Gauvin, Axel Op. cit., p.154-155.
(29) Gauvin, Axel Op. cit., p.119.
(30) Gauvin, Axel Op. cit., p.172-173.
(31) Confiant, Raphaël Ravines du devant-jour, Paris, Gallimard, 1993, p.139-
140.
(32) Gauvin, Axel Op. cit., p.125.
Bibliographie
Œuvres :
Confiant, Raphaël Jik dèyè do Bondyé, Fort-de-France, Grif An Tè, 1975.
Confiant, Raphaël Bitako-a, Schoelcher, Gérec, 1985.
Confiant, Raphaël Kô d Yanm, K.D.P., 1986.
Confiant, Raphaël Marisosé, Schoelcher, Presses Universitaires Créoles, 1987.
Confiant, Raphaël Jik dèyè do Bondyé, Petit-Bourg, Ibis Rouge, 2000.
Confiant, Raphaël Ravines du devant-jour, Paris, Gallimard, 1993.
Gauvin, Axel Kartié-trwa-lèt, Saint-Leu, Presses de Développement, 1984.
Gauvin, Axel Bayalina, Saint-Denis, Grand Océan, 1995.
Gauvin, Axel Cravate et fils, Paris, Seuil, 1996.
Gauvin, Axel Train fou, Paris, Seuil, 2000.
Léotin, Térèz “ Pipich pawò l ”, Ora lavi. À fleur de vie, Ouvrage bilingue créole-
français, Paris, L’Harmattan, 1997.
Léotin, Térèz “ Menus propos ”, Op. cit., traduction : R. Jean-Baptiste-Edouard.
Orville, Xavier Le marchand de larmes, Paris, Grasset, 1985.
Telchid, Sylviane “ Mondésir ” Ecrire la “ parole de nuit ”. La nouvelle littérature
antillaise, Paris, Gallimard, 1994.
Telchid, Sylviane “ Mondezi ” Ecrire la “ parole de nuit ”. La nouvelle littérature
antillaise, Paris, Gallimard, 1994.
Ouvrages critiques :
- Chaudenson, Robert Créoles et enseignement du français, Paris, L’Harmattan,
1989.
- Chaudenson, Robert “ Les créoles à l’épreuve du Capes ” Libération, 9 novembre
2000, http://kapeskreol.online.fr/articles/chaudenson.htm
- Confiant, Raphaël Espace créole : Préface.
- Confiant, Raphaël “ Chaudenson et le mammouth. Réponse de R. Confiant suite
aux attaques contre sa personne par R. Chaudenson dans le dernier numéro
de Gazèt sifon blé ”,
http://kapeskreol.online.fr/articles/chaudensonmammouth.htm, 2000.
- Deltel, Danielle “ La créativité du créole dans le roman de langue française :
Patrick Chamoiseau et Axel Gauvin ” Convergences et divergences dans les
littératures francophones, Paris, L’Harmattan, 1992.
- Gauvin, Axel Du créole opprimé au créole libéré, Paris, L’Harmattan, 1977.
- Gauvin, Axel In « La langue métisse d’Axel Gauvin. Propos recueillis par Bernard
Magnier » Notre Librairie, N.128, Cinq ans de littératures. 1991-1995 : Haïti,
Océan Indien, Octobre-Décembre 1996.
- Gauvin, Axel  » Chaudenson, l’éradicateur » Kapes kreol,
http://kapeskreol.online.fr/articles/eradicateur.htm, 2000 ?
- de Jaham, Roger “ Pinalie, touche pas à ma constitution ” Antilla, N°841, 16
juillet 1999.
- Joubert, Jean-Louis « Axel Gauvin ou la saveur réunionnaise » Littératures de
l’Océan Indien, Edicef, Vanves, 1991, http://www.bibliotheque.refer.org/litoi/
- De Lépine, Edouard “ Contre l’obscurantisme, oser dire tout ce qu’on croit vrai
” Nouvelle Revue des Antilles, N°1, Fort-de-France, 1988.
- Maragnès, Daniel “ Editorial ” Dérades, N°1, décembre 1997, Petit-Bourg,
http://www.multimania.com/derades.
- Maragnès, Daniel “ Editorial ” Centre Antillais de Recherche et d’Etudes, N°1,
mars 1975, Bourg Abymes, Guadeloupe.
- Marimoutou, Carpanin Le Roman réunionnais, Une problématique du Même et
de l’Autre. Essai sur la poétique du texte romanesque en situation de
diglossie. Université Paul Valéry-Montpellier, Thèse pour le Doctorat d’Etat, sous
la direction de Monsieur le Professeur Robert Lafont, 1990, tome 2.
- Prudent, Lambert-Félix “ Les problèmes d’émergence d’une littérature créole
antillaise ” Itinéraires et contacts de cultures, Littératures insulaires : Caraïbes et
Mascareignes, Vol.3, Paris, L’Harmattan, 1983.
- Prudent, Lambert Félix “ É crire le créole à la Martinique : norme et conflit socio-
linguistique ” Le créole français entre l’oral et l’écrit (Ed. Ralph Ludwig),
Tü bingen, Gunter Narr Verlag, 1989.

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