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Société d'histoire et
d'épistémologie des sciences du
langage
Mazière Francine. Le Dictionnaire de l'Académie française (1694) : Initiation d'une pratique normative. In: Archives et
documents de la Société d'histoire et d'épistémologie des sciences du langage, Seconde série, n°11, 1995. La genèse de la
norme. Colloque de la SHESL, janvier 1994. Textes réunis par Francine Mazière. pp. 12-17;
doi : https://doi.org/10.3406/hel.1995.3398
https://www.persee.fr/doc/hel_0247-8897_1995_num_11_1_3398
LE DICTIONNAIRE
INITIATION
NORMATIVE
D'UNE PRATIQUE
Francine Mazière
lecteurs, beaucoup le parlent « comme des provinciaux » (le motif officiel pour
refuser d'admettre Pierre Corneille, dans un premier temps, est sa façon provinciale
de parler, à laquelle il pourrait remédier par de plus longs séjours à Paris) ? Que la
variation et la tolérance sont infiniment plus amples qu'aujourd'hui, tant dans
l'orthographe, que dans les constructions, que la querelle de l'uniformisation est
ouverte, et que l'enjeu est la maîtrise du discours d'État en passe de se stabiliser,
alors que la langue française ne préside pas à tous les actes officiels : on discute
encore des mérites respectifs du latin et du français pour la rédaction des devises du
royaume.
Dans ce contexte, l'Académie va inventer un ouvrage fondateur.
1 Ce qui existait
On peut regrouper les outils lexicographiques de l'époque en quatre types de
dictionnaires, multilingues ou monolingues :
• Les bi-ou plurilingues de langues vernaculaires accédant à l'autonomie —
Oudin, Nicot sont ici les grands auteurs pour la France — ou les bilingues de
langue française régionale (provençal / français, toulousain / français, breton /
français, etc.). Le plurilinguisme est le mode de production des lettrés, qu'ils
soient poètes, traducteurs, ou grammairiens et apparaît comme normal, non
seulement pour les langues anciennes, mais aussi pour les vernaculaires.
• Les latin-français, très nettement dominés par le Dictionnaire latin- français,
français-latin d'Estienne, développé par Nicot (les deux sont sur le bureau de
l'Académie). Ceux-ci, dans leur partie français-latin, commencent à insérer
des ébauches de définitions, essentiellement semble-t-il à cause du décalage
diachronique.
• Les florilèges rhétorico-lexicaux : dictionnaires des synonymes, des
meilleures épithètes, des dictons, des illustres proverbes, des curiosités... Ce
sont des recueils de « façons de parler » comiques, familières, burlesques,
triviales, communément admises, c'est à dire des sortes d'enquêtes
linguistiques dont les Académiciens sont très proches, qui « recueillent les
façons de parler » (Préface) en privilégiant les collocations.
• Les dictionnaires de spécialité, très abondants : termes de marine, de vénerie,
de droit, etc., outils qui peuvent être pédagogiques, parfois écrits par les
maîtres en la matière. Et des ouvrages plus nettement encyclopédiques,
proposant des entrées dans le monde des choses par l'illustration et la
définition (les ouvrages de P. Belon, dès le XVIe siècle, associent illustration
et définition descriptive) ou les Indiculi mundi utiles à l'enseignement de la
praelectio jésuite (cf. P. Pommier).
Seuls ces derniers ouvrages, de type encyclopédique, ne semblent pas avoir été
représentés dans la bibliothèque de l'Académie.
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Les Académiciens seront donc les premiers à travailler sur la mise en place
systématique des définitions de tous les mots d'une langue, à partir de leur intuition
linguistique. Ce travail est fondateur et normalisant à plus d'un titre.
2 Ce qui s'invente
2. 1 La synchronie
Au contraire des Académiciens de la Crusca et de Covarrubias, leurs prédécesseurs
italiens et espagnol dans la constitution des premiers monolingues, les
Académiciens français ne construisent pas des définitions philologiques, ils ne
prennent pas appui sur les « Autorités » littéraires, ils ne décrivent pas des emplois
préjustifiés par de grands noms. Le fait qu'ils ne citent pas interdit qu'ils
définissent à partir d'un corpus d'écrits forcément datés : ils débattent du sens à
partir de leur propre usage (cf. la séance sur amitié, en présence de Colbert,
rappelée dans la Préface) , et « dans la vie civile et dans le commerce ordinaire du
monde » (Vaugelas, Remarques, p. 19), « dans le commerce ordinaire des
honnêtes gens, des orateurs [c'est-à-dire des hommes politiques] et des poètes »
(idem, Préface).
Ceci distingue les Académiciens français non seulement des italiens et de la
concurrente Espagne, dont les ouvrages reflètent la langue littéraire du siècle
précédent, mais aussi de Richelet qui déclare s'appuyer sur « nos meilleurs
auteurs » et, par la collaboration de Ménage, ne dédaigne pas le recours au latin, et
même de Furetière, qui cite les auteurs dès qu'il le peut, tendance qui sera
hypertrophiée par son continuateur direct, le Trévoux.
Adresse de l'auteur
URA 381 - Histoire des théories linguistiques
Paris VII
Département de linguistique
Paris XIII 93430 Villetaneuse
Références