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moment où le peuple ne pouvait plus comprendre les textes lus à haute voix. Ce sont
Henri-F. Muller, Helmut Lüdtke, Roger Wright, Michel Banniard, Marc Van Uytfanghe
et Marieke Van Acker qui ont développé cette idée. Du côté des latinistes, c’est James
N. Adams qui a définitivement écarté l’idée d’un latin uniforme, parce qu’il a démon-
tré la présence de variations régionales dès le début du latin écrit jusqu’au commen-
cement du Moyen Âge sur la base d’un vaste corpus d’inscriptions, tableaux de bois,
tabulae defixionum, ostraca, papyrus et naturellement de textes littéraires. La conti-
nuité lexicale entre le latin régional et les futurs idiomes romans existe, mais on ne
doit pas faire une rétroprojection des faits romans sur l’époque latine. Les sciences
historiques mettent en garde contre la théorie des catastrophes selon laquelle les
grandes migrations germaniques seraient l’événement clé dans la transition de l’Anti-
quité au Moyen Âge. Les historiens plaident toujours plus pour une continuité et pour
une transformation : il n’y a pas de rupture. De nouvelles perspectives sont envisagées
1 Introduction
La formation des langues romanes dudit « latin vulgaire » constitue l’enjeu principal
II) qu’il identifie à l’ancien occitan, la langue de la poésie des troubadours : « […] il a
existé, il y a plus de dix siècles, une langue qui, née du latin corrompu, a servi de type
commun à ces langages [français, espagnol, portugais, italien] » (Raynouard 1821, II).
Cependant, suite à cela, la recherche sur la protohistoire des langues romanes s’est
avérée difficile pour des raisons objectives : d’un côté les romanistes peuvent certes
recourir à une documentation abondante de la langue latine standard, qui fournit une
262 Lidia Becker
base solide pour l’étude des origines des langues romanes. De l’autre côté, la docu-
mentation de la langue latine d’immédiat, c.-à-d. la source directe des idiomes
romans, n’est que fragmentaire. Dès l’antiquité tardive jusqu’au passage à l’écrit des
langues romanes, seules des conclusions indirectes sur le langage de l’immédiat
peuvent être tirées des textes écrits en latin.1 C’était justement le manque de sources
directes qui a engendré une multitude d’interprétations du clivage évident entre les
textes latins tardifs et les textes romans depuis leur fixation graphique systématique.
Une présentation de « la protohistoire médiévale des langues romanes » doit donc
1 Pour des sources du latin tardif et médiéval du domaine de l’immédiat cf. Díaz y Díaz (21962), Pisani
(1960), Iliescu / Slusanski (1991), Stotz (2004, vol. 5), Kramer (2007), Kropp (2008). Frank/Hartmann
(1997) proposent un inventaire détaillé des premiers témoignages écrits des langues romanes à partir
de la fin du VIIIe siècle jusqu’à 1250. Selig/Frank/Hartmann (1993) réunissent des contributions sur ce
sujet. Pour le rôle des noms de lieu et de personne comme témoignage du changement linguistique cf.
Kremer (1988) et Dahmen et al. (2008).
2 Pour le changement linguistique interne cf. Maiden et al. (2011), la première histoire comparée des
langues romanes publiée en anglais (Maiden et al. 2011, XVII) : à côté des « innovations » et « chan-
romane, ce recueil examine aussi la « persistance » et la « continuité » des traits linguistiques latins.
« ancien portugais », etc.) jusqu’aux nombreux parlers et langues romanes modernes dans la tradi-
2011, XX) annoncé dans l’introduction n’a été que partiellement atteint. Dans leur argumentation,
Loporcaro (2011, 69s.), Salvi (2011, 381), Pountain (2011) et Stefenelli (2011) s’appuient entre autres
sur des données de sociolinguistique historique. Seul Manoliu (2011) ajoute une liste des sources
primaires.
La protohistoire médiévale des langues romanes 263
reconstruction comparative
Raynouard (1816, II), indépendamment du fait qu’il entende par là l’ancien occitan,
n’était pas adopté par Diez (1836). En effet, ce dernier parle de manière différenciée
des mots « ancien romans » « après la mort de la langue des Romains » ainsi que
aucun principe de formation »,3 et il traite les unes après les autres les six langues
romanes (italien, valaque, espagnol, portugais, provençal et français) dans les chapi-
tres correspondants dédiés aux phénomènes grammaticaux (Diez 1836, 22s.). Hugo
Schuchardt critique explicitement l’avis de Raynouard sur la « domination d’une
décennies du XXe siècle – moment où le roman parlé prend la place du latin parlé.4
l’immense majorité de l’Empire, celle de l’aristocratie ». Certains latinistes croient encore pouvoir
distinguer « locuteurs natifs » du latin sur la base des sources écrites. Selon Burton (2011, 486), « la
plupart des textes en latin antérieurs au VIe siècle ont été rédigés par des locuteurs natifs résidant sur
le territoire de l’empire romain ; après cette date, un plus grand pourcentage de textes chrétiens est dû
264 Lidia Becker
parlée romane », « successeur du latin vulgaire » (Lausberg 1969, vol. 1, 75) et justifie
son approche comme suit : « La linguistique romane fait abstraction des différentes
langues romanes et du latin pour se former une image de la romanité ; cette abstrac-
berg 1969, vol. 1, 37). Par le terme « latin vulgaire », il entend non seulement « la
tres branches entre des niveaux et stades particuliers. L’hypothèse d’une diversifica-
tion régionale assez précoce, à partir de 250–200 av. J.-C., rend compte du caractère
innovateur de la théorie de Hall. Par la méthode de la « reconstruction purement
avec un système de flection nominale qui offrait au moins deux nombres, deux
genres, cinq cas (nominatif, accusatif, génitif, datif et vocatif) et de flection verbale
avec trois personnes, deux nombres, deux radicaux et au moins trois temps, en outre
différentes formes non-finies appartenant à chaque radical (Hall 1950, 234). Nonobs-
à des auteurs dont le latin n’était pas la langue maternelle, même si beaucoup d’entre eux le
maîtrisaient parfaitement ».
La protohistoire médiévale des langues romanes 265
dont le premier, selon lui, n’est pas un ancêtre direct du second, mais une « langue-
sœur » (Hall 1950, 234s.). Dans une publication postérieure (Hall 1960), il essaye de
mes Comparative Romance Grammar (1974–1983) se concentre avant tout sur les
domaines de la phonologie et de la morphologie.
Dans la romanistique actuelle, la méthode de reconstruction comparative est
représentée par Robert de Dardel, qui distingue le latin oral relativement uniforme
de « la langue mère historique des parlers romans » et du « protoroman » reconstruit
comparative avec la notion des « deux normes parallèles », une norme orale ainsi
qu’une norme « plus ou moins exclusive d’un niveau de langue élitaire ou savant »
norme du niveau inférieur » (Dardel 1992, 90). Dardel (1996b, 161) attire l’attention sur
la tradition comparative. Avec Jakob Wüest, il justifie les différences profondes entre
le « protoroman » et le latin écrit par « un processus sociolinguistique, la semicréoli-
ne veut simplement pas prendre notice des exemples attestés par les monuments
latins » (Kramer 2009a, 422 ; cf. aussi Herman 2001, 716).
dans la romanistique. Outre Schuchardt (1866–1868), qui est considéré, entre autres,
comme un des fondateurs de la sociolinguistique (Morpurgo Davies 1996, 389), il
convient de nommer les représentants de la géographie linguistique6 Jules Gilliéron
(1891), Matteo Bartoli (1925) et Gerhard Rohlfs (1971) ainsi que la « Columbia
school » de Henri-François Muller (1929). Schuhardt s’est fixé pour objectif de déter-
miner les traits du « latin vulgaire » par le travail philologique sur les sources.7 Bartoli
du latin aux différentes langues romanes. Yakov Malkiel (1976, 64) souligne les
concordances « polygénétiques » accidentelles entre la recherche de la géographie
plus longue durant l’évolution du latin aux langues romanes, et justifie son adhésion
en invoquant le critère sociolinguistique de la conscience linguistique. Selon Wright
(1982, 50, 170), les textes composés au haut Moyen Âge auraient été lus de manière
spontanée en variétés régionales orales selon le principe logographique, p.ex. saecu-
lum et placuit sur la Péninsule Iberique auraient été réalisés avant l’introduction de la
réforme carolingienne comme [ˈsjeglo] et [ˈploɣo]. Tout pendant que les locuteurs
estimaient parler et écrire une seule et même langue, il ne peut être question de « lan-
gues romanes » (Wright 2011, 62). Les nouvelles pratiques de la lecture à haute voix
nouvelle écriture « romane » (Wright 1982, 262 ; cf. les critiques de Berschin/Berschin
1987 ; Herman 1996, 369, note 5 ; Posner 1996, 153s.). Wright (1982, 261s.) propose des
tardif dans la Gallo-Romania (env. 800 apr. J.-C.) et Ibero-Romania (1080) en raison
des effets de la réforme carolingienne. Après deux courtes phases de transition, deux
langues, le latin et le roman, se distinguent dans la Gallo-Romania (depuis env. 1000)
et dans l’Ibéro-Romania (depuis env. 1228) (Wright 2011, 63).
Un autre représentant de la sociolinguistique historique, dite « rétrospective »,
toroman » jusqu’au IXe siècle au plus tôt (Banniard 22005, 8). Sur la base des phéno-
tuelle entre le latin écrit et le roman parlé par un « continuum variationnel » ou bien
un « diasystème »,9 entre autres avec une différenciation entre le « latin parlé culti-
parlé » (Banniard 22005, 20s.). En outre, Banniard analyse les pratiques communicati-
9 Le terme « diasystème » a été amené par Weinreich (1954), a été introduit dans la romanistique par
simple prononcé sans apprêt (sermo humilis ou rusticus) à l’intention d’un public
d’illettrés (illitterati) » (Banniard 22005, 37), signifierait la fin du latin parlé et le début
(VIIIe–XIIe s.) », etc. (Banniard 2003, 552). Les isoglosses diachroniques s’accumulent
autour de 750–800 (avec un point d’interrogation) en Afrique (Banniard 22005, 37). Les
thèses de Banniard, surtout la notion de la « communication verticale » entre les « lit-
terati » et « illitterati », ont été favorablement accueillies par la plupart des spécialistes
(cf. Wright 1993 ; Kramer 1998b ; Selig 2008a ; Koch/Oesterreicher 2008, 2577–2580).
Cependant, quelques voix critiques se sont également élevées (cf. O’Donnell 1995 ;
communication » récente, il faut nommer Michael Richter (1983) et Marc Van Uytfan-
ghe (1984 ; 1985 ; 1987). Van Uytfanghe applique le terme de la diglossie, en référence
2008, 2578s.).
József Herman (1996, 365s.), un des meilleurs experts de la problématique du « la-
il réunit les découvertes les plus récentes dans les domaines de la théorie du change-
ment linguistique, de la recherche en communication, de l’acquisition des langues, en
linguistique de contact, en linguistique textuelle, en pragmatique linguistique, etc.
qu’il met en relation avec les données de la grammaire historique. La présentation est
complétée par une analyse des facteurs historiques, géographiques et sociaux de
l’acculturation linguistique. Il développe ses idées concernant les pratiques de la
lecture à haute voix, la distinction entre les textes destinés à la lecture et les textes
protocolaires ainsi que les conséquences de la réforme carolingienne en appliquant
les concepts de Banniard et Van Uytfanghe (cf. Lüdtke 22009, 578–681). À côté des
langues romanes majeures, il traite de manière systématique les parlers mineurs
comme le sarde, le sicilien, l’aragonais, l’asturien, etc. La notion du « tabou linguisti-
que » proposée par Lüdtke (des phénomènes courants dans la langue d’immédiat
sens opposé à la complexité naturelle de la langue. Bien que Vàrvaro (2011a, 299) ne
refuse pas catégoriquement la méthode de la reconstruction, il plaide pour son
imbrication continue avec la documentation historique, le contexte socioculturel et
le spectre complexe des variétés linguistiques (Vàrvaro 1972–1973 ; Vàrvaro 1980,
ne devrait pas masquer le fait que l’étude des langues romanes et l’étude du latin
10 Pour la continuation du débat, cf. Vàrvaro (2011b) ; Buchi/Schweickard (2011b) ; Kramer (2011).
270 Lidia Becker
nes » (Stefenelli 2003, 533) qui a suscité des critiques (cf. Mohrmann 21961, 145).
tes ont obtenu des résultats comparables depuis les années 1970 (cf. Pfister 1978 ;
Avec sa dernière étude sur la variation diatopique du latin tardif, Adams (2007) a
définitivement écarté la thèse traditionnelle ex uno plures, c’est-à-dire la formation de
plusieurs langues romanes à partir d’un latin uniforme. Particulièrement dans la
philologie romane, l’existence de dialectes latins est supposée déjà très tôt : elle est
évoquée pour la première fois par Schuchardt (1866, vol. 1, 101). L’idée de certaines
l’idée que la langue latine était monolithique jusqu’à une date très tradive, quand
quelques évents catastrophiques auraient provoqué une scission, ou qu’une diversifi-
cation régionale du latin existait au plus tôt depuis l’époque imperiale. Au contraire,
la variété régionale existait dans la langue latine dès les premières attestations, bien
que les attestations soient peu nombreuses (Adams 2007, 725).
Adams répond de façon contrastée à la question de la continuité du latin régional
dans les langues romanes formulée par Vàrvaro comme « Ammettiamo senz’altro che
11 Lorenzo (2009, 311) considère comme insoutenables plusieurs acceptations antérieures relatives à
l’influence du substrat au niveau phonétique, envisage cependant une influence possible des langues
préromaines dans le domaine de la phonétique. Kremer met en garde devant les « afirmaciones ‹ defini-
la constitución de la Iberoromania actual son difíciles de calificar y de cuantificar » (Kremer 2004, 133s.).
La protohistoire médiévale des langues romanes 271
lo studioso dimostri la variazione regionale del latino : c’è una continuità tra tale
variazione latina e la variazione romanza ? Questa mi pare, dal punto di vista del
entre la latinité, parfois de date ancienne, et la période romane » (Adams 2007, 698).
continuité régionale lexicale a été forte » (Adams 2007, 701). De toute façon, Adams
volume de The new Cambridge medieval history, c. 500–c. 700), ne reste en aucun cas
incontestée (cf. Collins 32010 avec le titre Early medieval Europe, 300–1000). En effet,
Goetz souligne « le caractère symbolique » de la datation conventionnelle : il s’agit,
en effet, d’un processus de mutation dont le noyau est à situer entre le IIIe et le
VIIIe siècle. « Vers 500 » est donc une date conventionnelle sur laquelle la plupart des
chercheurs s’est mis d’accord, bien que sans raisons impératives (Goetz 2003, 20).
Lüdtke résume les principaux arguments extralinguistiques, qui se sont établis dans
l’historiographie romanistique, de manière claire et concise. Si l’on considère le
272 Lidia Becker
« Pero, cuando en siglo V (476) el Imperio Romano de Occidente se desmorona y esos lazos políticos
se rompen, las distinas regiones van a vivir más o menos aisladas e independientes unas de otras
dentro de los límites de las nuevas organizaciones estatales de los bárbaros y, en consecuencia, el
latín vulgar de las diferentes partes de la Romania quedará abandonado a sus propias tendencias y
las diferencias lingüísticas se irán acentuando cada vez más hasta dar lugar a las nuevas lenguas
romances. La importancia de las invasiones germánicas […] está […] en que fueron el elemento
desencadenante de la fragmentación lingüística de la Romania » (Cano 2007, 82).
« Une première question fondamentale concerne le passage du latin aux langues romanes,
grandes migrations avec la contribution déterminante des Germains a été diffusée dans
l’historiographie déjà depuis la Renaissance. Dans les premières études de la philologie
romane, cette théorie a été mise en évidence avec la dichotomie de l’Antiquité tardive
« romaine » et le Moyen Âge « germain » (cf. Gauß 2009, 102s.) : les langues romanes
ont été jugées comme successeurs du « latin corrompu » (Raynouard 1821, II) par suite
vasions barbares » que le « déclin » de l’Antiquité de manière nuancée. Il est vrai que
12 Avec le latin spontané/le roman comme la langue parlée et le latin comme la langue écrite.
13 Cano (2007, 82) souligne en revanche conformément à l’état actuel de la recherche que la « germa-
Moyen Âge (Goetz/Reimitz 2001, 211), voire des « tranformations » (Goetz 2003, 19) au
peut donc être considéré comme la cause du changement linguistique (cf. Stotz 2002,
vol. 1, 5). Aussi bien Stotz que Lüdtke (cf. aussi Kramer 1999) citent parmi les principa-
mène est souvent considéré, notamment par Mohrmann (21961, 149) et Janson (2006,
86), comme la cause immédiate du recul de l’écriture. Cette argumentation, qui touche
directement l’évolution linguistique interne, devrait également être mise en relation
avec la recherche médiéviste actuelle. En effet, les médiévistes estiment le domaine de
l’éducation, qui avait été patronnée dans l’Antiquité tardive par les autorités publi-
ques, tout du moins sous la forme d’un enseignement élémentaire (Gerberding 2005,
33), et maintenue par les couvents à partir du VIe siècle (Verger 1995, 1582s.),
comme « un problème de continuité difficile » (Goetz/Reimitz 2001, 213). La majorité
22005, 36) et lombarde (Everett 2000). Par ailleurs, une continuité de la tradition
éducative impériale dans le royaume wisigoth (cf. Gimeno Menéndez 2004, chapitre
5.2) a été prouvée. Certains médiévistes ont, en outre, supposé un emploi de l’écriture
latine dans la vie quotidienne des VIIIe et IXe siècles plus fréquent que jusqu’à présent
admise (Garrison 1999).
Tout en tenant compte des résultats récents de la recherche, Goetz fait un bilan
plutôt réaliste à l’égard de l’éducation et l’écriture médiévales : « Récemment, on
caractérise de plus en plus et à juste titre le haut Moyen Âge comme société orale, car
la forte majorité de la population ne savait ni lire ni écrire, et même si on ne doit pas
sous-estimer une certaine culture dans les cercles de la haute noblesse, l’éducation
était restrainte au clergé ou au moins à la transmission dans les écoles ecclésiastiques.
On ne doit pas mettre en doute les résultats et l’importance de la culture écrite pour la
société du haut Moyen Âge, mais la restriction de l’écriture à une élite intellectuelle
avait des conséquences pour les contenus des œuvres écrites (en première ligne de
caractère théologique), pour la paléographie (renoncement à une cursive) et pour la
langue écrite (normalement latine) » (Goetz 2003, 33).
5 Conclusion et perspectives
Les interprétations et datations de la transition du latin aux langues romanes présen-
tées jusqu’ici constituent une sélection nécessairement subjective d’études et de
citations, qui ne peuvent que démontrer certaines tendances dans l’histoire de la
recherche romanistique exceptionnellement riche en tradition. La synthèse déjà forte-
ment comprimée des argumentations et approches méthodologiques choisies ne peut
être préssée dans une typologie ou un tableau synoptique. En fin de compte, il y a
assez de preuves pour que, d’un côté, les représentants de la méthode traditionnelle
de reconstruction se soient montrés compréhensifs face à la diversité des variétés
diatopiques et diaphasiques, ainsi que face au contexte socioculturel du latin et, de
l’autre côté, que les représentants des approches philologiques et sociolinguistiques
soient évidemment dépendants des critères intralinguistiques et, en partie, de la
reconstruction des phénomènes linguistiques. Ainsi, Meyer-Lübke (1890, 6) reconnut
que le « latin vulgaire » incluait aussi « le langage familier des personnes cultivées ».
Bien que Hall (1960) ait même présenté un bref texte « protoroman », il ne suppose en
substituée par les idiomes romans, mais elle s’est dissoute en eux. Pour notre objectif
pratique nous fixons comme limite l’année 700 apr. J.-C., plus ou moins arbitraire-
ment, mais pas sans raison » et chez Rohlfs (1966, 18) : « Une limite précise entre le
latin vulgaire et le roman ne se laisse pas tracer. Le passage est graduel et impercep-
tible ».
Tout du moins, les méthodes de travail des dits romanistes permettent de dégager
quelques lignes générales du développement de la recherche sur la formation des
langues romanes. D’abord, la conception dualiste du « latin vulgaire » ou le « roman
rente des lettrés, a été déterminante. Une série d’études a été effectuée dans le
domaine d’étude des romanistes. Les avancées dans les domaines de la philologie de
l’édition et, en particulier, de la sociolinguistique historique ont apporté des nouvel-
les conceptions du contexte socioculturel des langues romanes en voie de formation.
Les tendances plus récentes concernent, entre autres, les essais de tenir compte du
continuum complexe des variétés linguistiques ou bien du diasystème du latin,
indépendamment des approches méthodologiques (avec des résultats différents, cf.
Vàrvaro 1973 ; Coseriu 1978 ; Van Uytfanghe 1984 ; Dardel 1996b, 43–48 ; Banniard
sie » à l’égard du protohistoire des langues romanes (également avec des résultats
différents, cf. Wright 1982 ;14 Van Uytfanghe 1984 ; Banniard 1992 ; Gimeno Menéndez
2004 ; Lüdtke 22009 ; Moos 2008 avec les contributions de Banniard, Koch et Van
Uytfanghe ; Van Acker et al. 2008 ; Van Acker 2010 offre un aperçu des recherches)
ainsi que de décrire les pratiques communicatives du haut Moyen Âge (Richter 1983 ;
Van Uytfanghe 1985 ; Banniard 1992 ; Lüdtke 2009 ; Moos 2008 ; Garrison et al.
2013).15 Les essais de datation évoluent vers des périodes langagières tenant compte
des phases de transition et des différences régionales et abandonnant la fixation
d’une limite précise comme « 600 apr. J.-C. » (Wright 1982 ; Banniard 1992 ; Herman
14 Depuis 2002, Wright combine les méthodes philologiques avec les connaissances de la sociolin-
guistique moderne dans le domaine de ladite « sociophilology ».
15 Le rapport entre la langue et l’identité passe au premier plan de la recherche, cf. le recueil de Pohl/
Zeller (2012) comportant les contributions de Banniard, Richter, Wright, etc.
276 Lidia Becker
peut pas être analysée dans son ensemble comme l’état de la langue moderne avec
des méthodes scientifiques comparables (cf. Lebsanft 2003, 485 ; Schrott/Völker
par rapport au « latin parlé populaire ». Face à un autre problème central, relatif aux
Depuis Schuchardt, qui entendait par le terme « latin vulgaire » la « lingua roma-
moderne, « non pas une seule langue, mais une somme de niveaux linguistiques et de
péjoratif), diachronique (« latin tardif »), diatopique (« latin régional »), de concep-
tion médiale (« latin parlé ») et diaphasique (« latin spontané ») (cf. Seidl 2003, 528 ;
Stefenelli 2003, 530 ; Kramer 2009b, 4). L’extrait du système variationnel de la langue
latine, qui englobe plusieurs caractéristiques des futures langues romanes, pourrait
être exprimé le mieux dans sa totalité par le terme « langue de l’immédiat communi-
catif » (Koch 2003 ; Koch/Oesterreicher 2008, 2577s. ; Lüdtke 22009, 45). Les termes
« latin tardif », « latin parlé », « latin populaire », etc. à côté de « langue de l’immé-
diat » correspondent ainsi aux variétés concrètes de la langue latine. Cependant, par
sous le point de vue de la continuité dans les langues romanes » (Kramer 2009b, 20).
etc. ainsi que « langue de l’immédiat »), 2) certaines caractéristiques des variétés
16 Pour l’histoire du terme « latin vulgaire », voir Kramer (2009b) et Lüdtke (22009, 31–47).
La protohistoire médiévale des langues romanes 277
ques » n’est plus appropriée (cf. Grassi 2001, 207s. ; Lüdtke 22009, 394–397 ; Adams
2007, 728). Certes, de nombreux éléments, surtout au niveau du lexique, peuvent être
retracés jusqu’au latin régional à l’époque de la république naissante (Adams 2007,
698–701). Néanmoins, il est tout aussi juste d’affirmer qu’une grande partie des
caractéristiques morphosyntaxiques, qui confère aux langues romanes leur caractère
essentiel, ne s’est développée qu’à partir du haut Moyen Âge. Enfin, le changement
linguistique semble être « arbitraire, non-téléologique et multidirectionnel » (Wright
17 Dans les introductions aux études en philologie romane, la période entre la fin du Ve et le VIIIe
siècles est souvent citée comme déterminante pour la naissance des langues romanes (cf. Elcock 51975,
225 ; Gauger et al. 1981, 107 ; Cano 2007, 82s. ; 107 ; Roegiest 22009, 120, etc.).
18 Cf. Mohrmann (21961, 151), Burton (2011, 486) et Stotz (2002, vol. 1, 5–8). Le Thesaurus Linguae
Latinae saisit l’ensemble des écrits latins jusqu’aux environs des années 200 apr. J.-C., la limite entre le
latin classique et le latin tardif. Pour les textes latins entre 200 et 600 apr. J.-C., seuls les lexèmes
considérés pertinents ont été extraits (Bayerische Akademie der Wissenschaften online s. d.).
278 Lidia Becker
tardive à la situation linguistique au haut Moyen Âge, parce que « l’étude des fautes
soudains qui permettent le classement d’un texte dans une période déterminée. Le
vocabulaire correspond immédiatement aux changements culturels, scientifiques,
religieux et sociaux. Au moment où développements scientifiques ont lieu, on crée de
nouveaux termes, et ces termes trouvent acceptance dans les cercles scientifiques et
au-delà » (Adams 2011, 262). Selon Adams (2007, 724), au niveau lexical, le VIe siècle
n’existe pas et n’est pas encore en vue, quoique toutes les disciplines du Moyen Âge
le considèrent très nécessaire » (Kindermann 1998, 45). Le travail de Du Cange et al.
(1883–1887), qui avait été complété et publié entre le XVIIe et le XIXe siècles et qui
sera désormais numérisé par l’École nationale des chartes, reste encore le plus riche
lexique du latin médiéval. De même, la romanistique devrait certainement être
intéressée à mettre en relation les analyses lexicologiques avec celles de l’histoire
des « choses » en apportant une contribution à la recherche variée du haut Moyen
Âge.20 C’est la situation linguistique concrète du haut Moyen Âge et non pas
19 Stefenelli (1992, 88–97) cite quelques caractéristiques du latin régional dans le vocabulaire des
langues romanes modernes.
20 Stotz (2002, vol. 1) fournit une introduction dans le domaine « Wörter und Sachen » (‹ mots et
choses ›) pour le latin médiéval. Des initiatives de recherche comme le Glossar der altromanischen
Berufs- und Standesbezeichnungen, qui accueille explicitement les désignations de métier et d’état dans
La protohistoire médiévale des langues romanes 279
Wilhelm 2003, 223ss. ; Oesterreicher 2007, 13–21 ; Selig 2011, 256–258), qui devrait
temporelle entre le latin et les langues romanes ou entre le latin tardif et le latin
médiéval, ni la dynamique linguistique « accélérée ». Bien que le recul de l’éducation
les documents composés en latin médiéval et dans les langues romanes vernaculaires des origines à
1300 environ (Kremer 1984, 105), restent une exception.
21 Cf. un essai d’évaluation linguistique et culturelle des documents du haut Moyen Âge de Becker
(2009, 117–128).
280 Lidia Becker
et le latin classique ne devrait pas être transféré sur les stades médiévaux du dévelop-
pement linguistique, qui présentent une majeure continuité au niveau morphosynta-
xique (cf. Maiden 2011 ; Salvi 2011, 380).
rité de la population comme le facteur majeur dans le déclin des forces normalisantes
et, par conséquent, dans la « désagrégation » de la Romania ne reflète certainement
qu’une partie des processus transformatifs. D’autres influences possibles sur la lan-
gue de l’immédiat et la langue de la distance devraient donc être prises en compte et
analysées plus en profondeur selon la documentation disponible et à la lumière des
spécificités régionales respectives. Il pourrait s’agir de phénomènes médiévaux glo-
baux ayant des conséquences sur le changement linguistique comme le rapport
changeant entre la fragmentation et la consolidation politique ; l’exercice du pouvoir
trois ordres (les « oratores », les « bellatores » et les « laboratores ») ; la forme agraire
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