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Archivum Latinitatis Medii Aevi

Le Prosimetrum des Artes Dictaminis médiévales (XIIe-XIIIe s.)


Anne-Marie Turcan-Verkerk

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Turcan-Verkerk Anne-Marie. Le Prosimetrum des Artes Dictaminis médiévales (XIIe-XIIIe s.). In: Archivum Latinitatis
Medii Aevi, tome 61, 2003. pp. 111-174;

doi : https://doi.org/10.3406/alma.2003.1813;

https://www.persee.fr/doc/alma_0994-8090_2003_num_61_1_1813;

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LE PROSIMETRUM
DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES
(XIIe - XIIIe s.)

A partir de la fin du XIe siècle, apparaissent des traités consacrés


spécifiquement à l’écriture en prose contemporaine, qui restrei¬
gnent leur domaine à la rédaction des lettres: ce sont les artes
dictaminis ou artes dictandi l. La formule en est conçue au Mont
Cassin2 sous le pontificat de Grégoire VII, à une époque où l’ac¬
croissement d’activité des chancelleries et le souci de codifier la
communication au sein de la societas Christiana rendent urgente la
diffusion de normes écrites3. Ces manuels appliquent donc les
préceptes de la rhétorique classique à un objet particulier. Soucieux
de clarifier cette restriction, l’un des refondateurs du genre dans les
années 1120, Hugues de Bologne, propose une première classifica¬
tion des types de dictamina destinée, par différenciation et élimi¬
nation, à situer le dictamen épistolaire par rapport à l’ensemble de
la production écrite. L’une de ses innovations à l’égard d’une rhéto¬
rique traditionnelle qui connaissait les genres prosaïque et métrique
est la notion de genus mixtum qui, avec des hésitations (nous y
,

reviendrons dans un instant), reçoit alors le nom de prosimetrum,


terme que nous voyons apparaître pour la première fois dans la
littérature latine.

1 Pour la définition du genre de la lettre, G. Constable, Letters and Letter-Collec¬


tions, Turnhout, 1976 (Typologie des sources du moyen âge occidental 17), p. 11-25,
et pour Vars dictaminis médiévale, M. Camargo, Ars dictaminis. Ars dictandi, Turn¬
hout, 1991 (Typologie des sources du moyen âge occidental 60), avec la bibliographie
citée. Les références des artes dictaminis mentionnées dans cet article sont données en
annexe, sous la forme d’un répertoire classé chronologiquement.
2 W ORSTBROCK, Die Anfänge der mittelalterlichen Ars dictandi , dans FMS, 23,
F. J.
1989, p. 1-42 (p. 28-29 en particulier).
3 C’est l’idée exposée dans la première partie de A.-M. Turcan-V., Forme et

réforme. Enjeux et perceptions de V écriture latine en prose rimée (fin du Xe - début du


XIIIe s.), Rome (BEFAR), à paraître (récriture d’une thèse soutenue en 1995).
112 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Ce texte a été récemment analysé par B. Pabst dans le cadre


d’une recherche sur ce que nous appelons aujourd’hui «prosi
mètre » (substantif trop récent et trop spécialisé pour figurer dans
les dictionnaires courants) : une œuvre littéraire dans laquelle un
auteur exprime sa pensée à travers l’alternance de pièces en prose
et de pièces en vers4. E. Norden est le premier des modernes à
avoir rapproché, en 18985, la terminologie des artes dictaminis
publiées par L. Rockinger en 1863 1864 6 et la forme dont les
œuvres de Martianus et Boèce sont devenues comme les para¬
digmes, rapprochement apparu, nous le verrons, en Italie du Nord
vers la fin du XIIe siècle. L’adoption du terme médiéval dans le
vocabulaire de la critique littéraire moderne et son application
stricte à ce que les Anciens appelaient satura remonte apparem¬
ment à O. Immisch, qui, en 1921, introduisit cette nouveauté
comme en passant : « Diese ‘gemischte Form’ ... will ich mit einem
mittelalterlichen Ausdruck Prosimetrum nennen»7. Ce mot
hybride dont le sens nous paraît clair, tant notre culture occidentale
croit savoir ce que sont la prose, la poésie, et leur mélange, est
devenu d’un emploi général, mais on semble avoir oublié que le
prosimetrum d’Hugues de Bologne et ses successeurs ne désignait
pas la même réalité que notre « prosimètre » 8. Cela explique
d’ailleurs très simplement que le terme prosimetrum n’ait jamais
été employé par les commentateurs médiévaux pour désigner ce

4 B. Pabst, Prosimetrum. Tradition und Wandel einer Literaturform zwischen


Spätantike und Spätmittelalter, Köln - Weimar - Wien, 1994 (Ordo. Studien zur Lite¬
ratur und Gesellschaft des Mittelalters und der frühen Neuzeit 4/1-2), tentative de défi¬
nition du prosimètre p. 11-17.
5 E. Norden, Die antike Kunstprosa vom VI. Jahrhundert v. Chr. bis in die Zeit der

Renaissance , t. 2, Leipzig, 1898, p. 756 et n. 4.


6 L. Rockinger, Briefsteller und Formelbücher des 11. bis 14. Jahrhunderts,
München, 1863-1864, réimpr. Aalen, 1969 (Quellen und Erörterungen zur bayerischen
und deutschen Geschichte 9).
7 O. Immisch, Über eine volkstümliche Darstellungsform in der antiken Literatur,
dans Neue Jahrbücher für das klassische Altertum, Geschichte und deutsche Literatur,
24, 1921, p. 409-421 (p. 409 ; sur la littérature médiolatine, quelques remarques p. 419
420). Voir à ce sujet D. Bartonkova, Prosimetrum, the mixed style, in ancient litera¬
ture, dans Eirene, 14, 1976, p. 65-92 (p. 65).
8 Cette analyse a déjà été faite par P. von Moos en 1969 dans une conférence d’ha¬

bilitation consacrée au prosimètre, restée malheureusement inédite. Je remercie vive¬


ment P. von Moos pour ses courriels toujours très stimulants, et pour avoir bien voulu
lire et commenter cette étude.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 113

type d’œuvre9. Ils disposaient pour cela d’un terme antique,


satura/ satira 10, et de périphrases qui rendaient inutile la création
d’un terme nouveau : ce qui signifie bien que, si un terme différent
a été inventé au moyen âge, c’était probablement pour désigner
autre chose n.
Je voudrais montrer ici que la Consolation de Boèce n’est
devenue le modèle du prosimetrum dans les artes dictaminis du
XIIe siècle finissant que par un glissement auquel la terminologie
des commentaires de la Consolation , largement analysée par
B. Pabst, n’a sans doute pas été étrangère. A l’origine en revanche,
prosimetrum et l’adjectif dérivé prosimetricum semblent avoir
traduit l’ambiguïté d’un mode d’expression lisible à la fois comme
des vers et comme de la prose, passé à peu près inaperçu aux yeux
des modernes. Les plus habiles ont pratiqué au moyen âge une
prose d’art qui était en même temps poésie métrique et parfois
rythmique, que nous ne sommes plus capables de reconnaître à la
simple lecture, écriture polyvalente indissociable d’un mode de
lecture à plusieurs niveaux, dont nous n’avons plus conscience
aujourd’hui.

9 D’après les relevés de B. Pabst (cf. p. 269, n. 198 p. 271 : «Es ist keine Stelle
bekannt, wo ein prosimetrisches Werk des Mittelalters von einem anderen mittelalter¬
lichen Autor als ‘prosimetrum’ bezeichnet würde», et encore p. 273).
10 Avant B. Pabst, voir les exemples cités par U. Kindermann, Satyra. Die Theorie
der Satire im Mittellateinischen. Vorstudie zu einer Gattungsgeschichte, Nürnberg,
1978 (Erlanger Beiträge zur Sprach und Kunstwissenschaft, 58), p. 21 sqq: satira
semble avoir été réservé par les commentateurs à Sénèque, Martianus et Boèce
(ibidem, p. 22 et p. 30).
11 J. Ziókowski pense que le terme satura était devenu ambigu au moyen âge, à

cause du glissement de sens vers la « satire » au sens moderne : satura ne désignait pas
nécessairement un texte formé d’une alternance de prose et de vers, et de tels textes
n’étaient pas nécessairement satiriques (la référence principale aurait dû être à ce
propos U. Kindermann, Satyra...), mais les textes cités par Kindermann montrent bien
que satura / satira, au IXe comme au XIIe siècle, désigne régulièrement trois grands
paradigmes du «prosimètre» (Sénèque, Martianus, Boèce), et que les différentes
acceptions du terme sont parfaitement connues et assumées au moyen âge ; en outre,
J. Ziókowski ne semble pas conscient du fait que prosimetrum est certainement une
création médiévale (J. Ziókowski, The Prosimetrum in the Classical Tradition, dans
Prosimetrum. Crosscultural Perspectives on Narrative in Prose and Verse, cur.
J. Harris - K. Reichl, Cambridge, 1997, p. 45-65 [p. 45-48]).
114 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Une idée d’Hugues de Bologne

Dans les artes dictaminis conservées, la première distinction


formelle entre les différents types de dictamina, qui deviendra un
passage obligé des manuels, apparaît chez le chanoine Hugues de
Bologne12. Devant l’obligation d’adapter la distinction antique
entre prose et mètre aux développements médiévaux de la poésie
rythmique et de la prose d’art, elle se heurte d’emblée à un
problème de vocabulaire :
§ II. Duo quidem dictaminum genera novimus, unum videlicet prosaicum,
alterum quod vocatur metricum.
Metricum vero a greco metron trahitur, quod latine mensura dicitur; inde
metricum id est mensuratum dictamen latina lingua exprimitur. Hoc autem
reperitur tripliciter: aut cum pedum mensura et carmen vocatur ; vel numero
dumtaxat sillabarum cum vocum consonantia et tunc riddimus appellatur; seu
utroque mixtum quod quidem prosimetrum compositione dicitur, ut sequentia
declarant exempla.
Est enim carmen : « Bella per Emathios ».
Riddimus solus ut hic : « hostis Herodes impie », et cetera, et est cantui satis
congruus quia utrobique repperitur octogonus.
Ceterum prosimetrum possumus dicere quando pars versifice pars vero
profertur prosaice, ut exempla declarant : « Ugo patris matrisque loco quem
habui semper, quicquid habet quecumque valet dat mihi libenter ».
Sed de his alias. Nunc ad prosaicum revertamur.
§ III. Est autem prosaica oratio a lege metri soluta, ut : « nostra lingua inter¬
pretamur» (...) (éd. Rockinger, p. 54-55).

On notera la gêne d’Hugues de Bologne : prosimetrum possumus


dicere, comme si le terme n’était pas tout à fait approprié13, ut
exempla declarant, comme si cela n’était pas clair en soi.
Hugues appelle donc prosimetrum un type de dictamen qui
semble, au premier abord, appartenir au genre métrique ; il en traite
en effet pour la première fois dans le genus metricum : utroque
mixtum signifie dans ce contexte que le prosimètre est un énoncé

12Les Rationes dictandi éditées par L. Rockinger, p. 9-28, pouvaient passer pour
l’exemple le plus ancien tant qu’elles étaient attribuées à Albéric du Mont-Cassin, mais
la datation de ce texte dans les années 1138-1143 et leur attribution à Bernard de
Bologne ont changé les données du problème.
13 B. Pabst pense, avec raison je crois, que possumus dicere pourrait signifier

qu’ Hugues est le créateur du terme (p. 270) ; en tout cas, on n’en trouve aucune trace
avant lui.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMIN1S MÉDIÉVALES 115

poétique mixte, à la fois carmen et rithmus. Hugues passe ensuite


aux exemples, et donne du prosimetrum une seconde définition,
plus étymologique: quando pars versifice pars vero profertur
prosaice ; cette définition semble décrire parfaitement les « prosi
mètres» que l’on connaît par ailleurs dans les pratiques littéraires,
et dont les modèles sont Martianus et Boèce. Mais à ce point du
discours, se révèle l’inadéquation de l’exemple à la seconde défini¬
tion, si du moins on la comprend comme une allusion à la forme
héritée de la satura. Le prosimetrum d’Hugues de Bologne semble
en effet, autant qu’un mixte de poésie rythmique et de poésie quan¬
titative, un mélange de rithmus (par opposition à Riddimus solus)
et de prose 14, caractérisé par la rime et la parité du nombre des
syllabes, mais pas du tout une alternance de pièces en vers et de
pièces en prose.
Comme l’a remarqué B. Pabst, l’exemple donné par Hugues est
formé de deux hexamètres imparfaits 15, dont le dactyle cinquième
est remplacé par deux brèves et une longue dans le premier, par trois
brèves dans le second, ce qui reproduit la structure rythmique de la
fin d’hexamètre. En ce sens, et comme l’a annoncé Hugues de
Bologne, il correspond exactement à la première définition : c’est un
mélange de poésie quantitative et de poésie rythmique, qui en partie
respecte la mesure des pieds, en partie le seul nombre des syllabes,
la structure rythmique et la consonantia. Mais on peut dire aussi
que cet exemple est formé de deux commata rimant ensemble, se
composant de 15 syllabes chacun, et se divisant chacun en trois
groupes de 4, 5 et 6 syllabes, dans lesquels les accents toniques
se répartissent de la même façon : ¿ - ¿ - - ¿—
¿ //¿ -L - -L - J— -¿-.Il peut donc être analysé
comme un compar parfaitement réussi, dont le parallélisme est
souligné par un similiter desinens : en un mot, une prose d’art
rimée très élaborée 16. Il pourrait même s’agir de prose rythmée, le

14 Bourgain, Qu'est-ce qu'un vers au Moyen Age?, dans BEC , 147, 1989,
P.
p. 231-282 (p. 232 n. 7), ne retient que cette définition, sans la commenter.
15 B. Pabst, p. 270, n. 195 ; quem peut subir un allongement devant habui dans le
premier vers.
16 Tout en analysant correctement ce texte ( Das von ihm benutzte Beispiel, eine
Art Mischprosa aus unvollständigen Hexametern und prosaischen Abschnitten (...)»),
B. Pabst continue manifestement de penser que le terme forgé par Hugues de Bologne
correspondait en fait au « prosimètre » (p. 270). Il passe ensuite directement, par un
116 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

second comma se terminant par un cursus planus, voire de prose


métrique: car ces «hexamètres imparfaits», si l’on conserve à
quem sa quantité brève, se terminent par des clausules cicéro
niennes, respectivement un péon 4e — trochée et un péon 1er —
trochée 17 . Le premier comma, ne possédant pas de rime intérieure
à la fin de ces groupes de 4, 5 et 6 syllabes, peut être lu comme de
la prose pure; en revanche, le second, en possédant, peut être
également décrit comme une petite strophe rythmique fonctionnant

saut un peu anhistorique, au «De competenti dictaminum et grata scientia... », qui par
son renvoi à Boèce semble lui donner raison (cf. infra ) ; B. Pabst s’appuie là sur l’idée
que le monde des dictatores était étroit, ce qui lui confère à ses yeux une certaine
unité : mais la réalité était bien différente. Le traitement du prosimetrum dans les artes
dictaminis montre justement la diversité des écoles et l’importance de la chronologie.
B. Pabst dépend d’une bibliographie ancienne (comme l’ont souligné plusieurs recen¬
sions, par exemple D. Shanzer, dans Speculum , 71/3, 1996, p. 749-752, et P. Dronke,
dans MIJb, 31/1, 1996, p. 155-159) ; pour Yars dictandi, il s’en tient, pour l’essentiel,
au recueil ancien de L. Rockinger et à la mise au point de H. J. Beyer, Die Frühphase
der «Ars dictandi», dans SM, 18/2, 1977, p. 19-43, ce qui limite son propos, faute de
sources (B. Pabst, p. 269-273 ; P. Dronke, Verse with Prose From Petronius to Dante.
The Art and Scope of the Mixed Form, Harvard University Press, Cambridge [Mass.] -
London, 1994, p. 2, s’est encore moins penché sur le problème ; les artes dictaminis
n’entraient pas dans la revue de U. Kindermann, Laurentius von Durham, Consolatio
de morte amici. Untersuchungen und kritischer Text, Diss. Erlangen - Nürnberg, 1969,
p. 56-82, ni dans celle de K. Friis-Jensen, Saxo Grammaticus as Latin Poet. Studies in
the Verse Passages of the Gesta Danorum, Roma, 1987 [Analecta Romana Instituti
Danici. Suppl. XIV], p. 28-63). Or de nombreux textes ont été mis au jour depuis les
années 1970, en particulier à Münster jusqu’à la parution d’un répertoire analytique des
premières productions de Yars dictaminis jusqu’en 1200 (F. J. Worstbrock - M. Klaes
- J. Lütten, Repertorium der Artes dictandi des Mittelalters. Teil I : Von den Anfängen
bis um 1200, München, 1992 [Münstersche Mittelalter-Schriften 66] ; voir les additions
proposées par E. J. Polak, dans Arbitrium, 1997, p. 24-26), grâce à E. J. Polak,
Medieval and Renaissance Letter Treatises and Form Letters. A Census of Manuscripts
Found in Eastern Europe and the Former U.S.S.R., Leiden - New York - Köln, 1993,
et A Census of Manuscripts Found in Part of Western Europe, Japan, and the United
States of America..., Leiden - New York - Köln, 1994 (University of California, Davis.
Davis Medieval Texts and Studies, 8-9), et M. Camargo, auteur de nombreuses éditions
critiques (dernièrement: M. Camargo, Medieval Rhetorics of Prose Composition. Five
English Artes Dictandi and Their Tradition. Edited with Introductions and Notes,
Binghamton - New York, 1995 [Medieval & Renaissance Texts & Studies 115]).
17 La connaissance des quantités était sans doute plus répandue qu’on ne le croit

au moyen âge. Ainsi, on s’aperçoit de plus en plus que les clausules métriques de la
prose d’art antique étaient connues et pratiquées par certains auteurs M. Cupiccia,
:

Clausole quantitative e clausole ritmiche nella prosa latina della Spagna visigotica,
dans Filologia mediolatina, 8, 2001, p. 25-110, et surtout W. Blümer, Arnulf von
Lisieux und der lateinische Prosarhythmus im Hochmittelalter, dans MIJb, 37/2, 2002,
p. 257-275.
LE PROSIMETRUM DES ARTES D1CTAMINIS MÉDIÉVALES 117

comme une séquence (4p 5p 6p) 18. Le parallélisme entre ces deux
commata de 4p5p6p obéit lui-même, à deux rimes près, au principe
de responsion des strophes qui fait la séquence 19 Le seul commen¬.

tateur qui, loin d’interpréter le prosimetrum d’Hugues à la lumière


de notre « prosimètre », ait cherché à le comprendre, F. Di Capua,
l’a décrit précisément comme les deux petites strophes d’une
séquence, un texte poétique appelé prosa 20 L’ambiguïté du prosi -
.

metrum se nourrit donc certainement de l’équivocité du mot prosa ,


qui peut aussi bien désigner la prose au sens où nous l’entendons
qu’un certain type de poésie rythmique21, longtemps perçu comme
de la prose22. En ce sens, l’exemple illustre aussi bien la seconde
définition que la première. Le nunc ad prosaicum revertamur
rejette cependant le prosimetrum , pour la seconde fois, dans le
domaine de l’expression versifiée.
Le prosimetrum d’Hugues de Bologne serait donc un énoncé
mêlant intimement poésie rythmique et poésie quantitative —
celle-ci pouvant d’ailleurs donner lieu à une analyse purement ryth¬
mique — , appartenant nettement au domaine de la poésie, mais
susceptible d’une lecture «en prose» (y compris en prose métri¬
que), en particulier au moment d’une lecture orale qui pourrait
permettre à l’auditeur de distinguer à l’oreille les degrés de prose
et de poésie, en particulier rythmique: ainsi pourrait-on com¬
prendre l’expression pars versifice pars vero profertur prosaice ,
profertur insistant particulièrement sur la notion de performance
orale. A moins que versifice ne se réfère à l’énoncé du vers quan

18 Cela dit, D. Norberg, Introduction à étude de la versification latine médiévale ,


Stockholm, 1958 (Acta Universitatis Stockholmiensis. Studia Latina Stockholmiensia
5), ne relève aucune strophe possédant cette structure.
19 Cf. P. Klopsch, Prosa und Vers in der mittellateinischen Literatur , dans MlJb, 3,

1966, p. 9-24 (p. 19).


20 F. Di Capua, Il «prosimetrum» del maestro Ugo da Bologna , Vème partie de
Per la storia del latino letterario medievale e del « cursus », 1951, réimpr. dans Id.,
Scritti minori, t. I, 1959, p. 549-553 (un article malheureusement ignoré de B. Pabst).
F. Di Capua conclut en . 13 p. 553: «Il dettatore Tommaso da Capua (...) chiama
prosimetricon un componimento composto di prose e poesie, come la Consolatio
philosophiae di Boezio. In un primo tempo credetti che anche il prosimetrum di Ugo
avesse tale significato, ma Tesempio ch’egli porta esclude una tale interpretazione».
21 Cf. la présentation d’E. R. Curtos, La littérature européenne et le Moyen Âge
latin , chap. Vili, Poesie et rhétorique , trad. fr. de J. Bréjoux, Paris, PUF, Coll. Agora,
1986, 1. 1, p. 252-253. Plus récemment, cf. D. Norberg, Carmen oder Rhythmus ?, dans
MlJb , 19, 1984, p. 63-72 (n. 5 p. 63-64).
22 Cf. P. Bourgain, Qu’est-ce qu’un vers..., p. 255 sqq, sur la copie en continu de
ce type de textes.
118 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

titatif et prosaice l’énoncé de la mini-séquence rythmique ou


à
prosa, dont le texte est construit sur une mélodie et non pas
d’abord selon le schéma d’un vers — et donc le plus souvent copié
en continu comme de la prose 23. Les unités de sens iso ou pariso
syllabiques accentuées de la même façon et liées par la rime,
conçues pour une pronuntiatio publique, étaient en soi mélodiques,
le passage de la parole au chant n’étant qu’une question d’intensité
dans l’exécution24. Les passages plus intensément poétiques
faisaient parfois l’objet d’une lecture non seulement cantillée, mais
chantée sur une mélodie, comme l’attestent par exemple les deux
tentatives de neumatisation d’un passage en vers rythmiques de la
Rhetorimachia d’Anselme de Besäte25. Faut-il choisir entre les
deux définitions d’Hugues et entre leurs significations possibles,
telles qu’elles apparaissent à la lumière de son exemple? On ne
saurait les rejeter comme un contresens ou une mauvaise approxi¬
mation, si leur apparente inadéquation à notre notion de «prosi
mètre» ne provient que de notre cadre d’interprétation. Je crois
qu’il faut conserver à la double définition d’Hugues de Bologne
une ambiguïté qui nous dérange, car elle n’est une ambiguïté qu’à
l’égard de notre système de description prose / vers. En effet, cette
ambiguïté est le propre d’un certain nombre de textes, qui résistent
à la classification distinguant la prose rimée de la prose rythmée,
de la prose mêlée de vers isolés, du prosimètre (au sens moderne
du terme), et même des formes versifiées26. Ces textes posent

23 Sur ce lien fondamental, cf. P. Bourgain, Qu’est-ce qu’un vers..., p. 255, et


surtout Ead., Le vocabulaire technique de la poésie rythmique , dans ALMA, 51, 1992
1993, p. 139-193 (p. 142-143), qui décrit la technique des «proses et séquences»
comme une «prose d’art adaptée au chant», soulignant que «la souplesse d’un texte
mis en musique devait atténuer ces différences ».
24 F. Della Seta, Parole in musica, dans Lo spazio letterario del Medioevo. 1. Il
Medioevo latino. II. La circolazione del testo, Roma, 1994, p. 537-569 (p. 538-544 en
particulier).
25 Ed. K. Manitius, MGH Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, 2, 1958.
Cf. infra.
26 Voir, par exemple, les nombreux vers et quasi vers repérés par E. D’Angelo dans
la prose de Pierre sous-diacre, et sa réflexion sur cette forme de «prosimètre»:
E. D’Angelo, Prose et vers dans V œuvre de Pierre sous-diacre , dans ALMA, 53, 1995,
p. 187-199. Au début du XIIIe s., Jean de Garlande donne plusieurs exemples de
phrases apparemment en prose qui, telles quelles ou dans l’ordre inverse, sont en réalité
des vers métriques, parfois impossibles à reconnaître « parce que la rime ( consonantia )
n’est pas visible» (parce que située au cœur des mots): éd. Lawler, p. 187-188, 1.
1198-1215.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 119

d’ailleurs de grands problèmes éditoriaux liés en partie à notre


incapacité de reconnaître à la simple lecture des vers quantitatifs et
même des vers rythmiques: or cette difficulté, au moyen âge,
devait être en partie levée par la lecture à haute voix, ses tech¬
niques, et les gradations séparant la lecture « en prose » du chant (je
renvoie au profertur d’Hugues de Bologne)27.
Hugues de Bologne semble être le premier, en Europe occiden¬
tale, à avoir analysé et nommé une mixité qui, sous différentes
formes, existe en fait dans nombre de littératures : un style narratif
qui, étant d’abord lié à la performance orale — comme l’indique
sans ambiguïté le profertur du maître bolonais — , obéit nécessai¬
rement aux lois de ce type de transmission, fournissant à l’auditeur
des points de repère pour la compréhension et la mémorisation 28 :
découpages de la phrase en sections identifiables, parallèles ou
syntaxiquement articulées, ponctuations orales par les clausules
rythmées et / ou rimées, effet de rythmisation générale29. Or la
régularité ou la quasi-régularité des césures et les jeux de concor¬
dance ou discordance des marqueurs que sont la rime ou la clau¬
sule rythmique confèrent inévitablement à cette prose une
empreinte poétique, puisque le nombre, puis la consonantia des
rythmes et des rimes sont les caractéristiques des vers contempo

27 Le détour par d’autres civilisations permet de mieux comprendre ce phénomène :

voir par exemple la tripartition « speech mode » correspondant à la prose, « recitation


mode », mode intermédiaire plus proche des vers que de la prose, et « song mode »
correspondant aux vers, évoquée par K. Reichl - J. Harris, Introduction, dans Prosi
metrum. Crosscultural Perspectives..., p. 1-16 (p. 5 ; à propos de la tradition littéraire
chinoise, cf. p. 13) ; sur le fait que, dans la poésie épique orale turque, la différence
entre prose (souvent rimée et isocolique) et poésie ne soit pas seulement métrique,
mais surtout liée à la structure musicale et à la performance, cf. K. Reichl, The Mixture
of Verse and Prose in Turkic Oral Epic Poetry , ibidem, p. 321-348, en particulier p. 334
sqq sur les degrés de chant, et conclusion p. 343. Cela dit, il semble qu’il y ait toujours
eu une tendance à glisser de la lecture « en prose » (éventuellement cantillée) vers le
chant proprement dit, déjà plusieurs fois soulignée dans la Règle des abbés Paul et
Etienne ( CPL 1850, VIe s.) et ea cantare debemus quae, sicut beatus Augustinus dicit,
:

ita scripta sunt ut cantentur: quae autem non ita scripta sunt, non cantemus. (...) ne
quae cantanda sunt in modum prosae et quasi in lectionem mutemus, aut quae ita
scripta sunt ut in ordine lectionum utamur, in tropis et cantilenae arte nostra prae¬
sumptione vertamus. (§ xrv, PL 66 col. 954A). Voir F. Gégou, Son, parole et lecture au
Moyen Age , dans Mélanges de langue et de littérature du Moyen Age offerts à Temo
Sato, Nagoya, 1973, p. 35-40 (Cahiers d’études médiévales, numéro spécial).
28 Et ce, que le texte soit d’abord oral, comme dans les traditions africaines ou
turques, ou d’abord écrit, comme dans le moyen âge latin.
29 K. Reichl - J. Harris, Introduction..., p. 7-8.
120 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

rains. De nos jours, les livres pour enfants, destinés à une réception
uniquement auditive, pédagogiques au sens le plus fort du terme en
même temps qu’ils agissent sur le plan intuitif et inconscient dont
la langue est la poésie, pourraient en fournir le meilleur exemple.
Ce prosimetrum est la langue des littératures non écrites, dans
l’histoire de l’individu comme dans celle des civilisations. Aussi le
point de vue le plus utile pour nous n’est-il pas celui des latinistes,
mais des spécialistes de littératures qui nous semblent plus
exotiques, auxquelles on peut trouver de passionnantes introduc¬
tions dans le recueil Prosimetrum. Crosscultural Perspectives. L.
Haring, à propos des traditions africaines, fait ainsi d’emblée la
distinction entre texte écrit et texte oral, montrant que la question
du «prosimètre» ne peut se poser de la même façon pour l’un et
l’autre ; comme chez Hugues, la distinction principale entre prose
et vers s’opère au niveau de la performance : la prose serait parlée
(pars vero profertur prosaice ), le vers serait chanté30 (pars versi¬
fice ... profertur ), cette distinction n’étant pas pertinente au niveau
de l’écrit, puisque les procédés employés et la structure de la
phrase ne sont pas différents. Si L. Haring peut écrire «African
artistic practice, in fact, undermines the whole notion of ‘prosime¬
trum’ »31, c’est parce que cette pratique correspond parfaitement à
la notion de prosimetrum telle qu’elle avait été énoncée dans le
premier quart du XIIe siècle, mais non pas à celle de « prosimètre ».
Il est d’ailleurs amusant que des africanistes, cherchant à traduire
graphiquement l’éventail des modulations de cette «hybridization
of ‘verse’ and ‘prose’ », ne fassent pas autre chose que ce qu’a
proposé F. Ohly pour traduire graphiquement les recherches de la
prose d’art médiolatine, utilisant en particulier les ressources de
l’alinéa, de la ponctuation, des capitales32. Cela rapproche évidem¬
ment, pour un européen, cette écriture orale du vers typographique.

30 L. Haring, The African Challenge , dans Prosimetrum..., p. 213-223 (dès la


p. 213).
31 L. Haring, The African Challenge..., p. 214.
32 D’après L. Haring, The African Challenge..., p. 218; cf. F. Ohly, Textkritik als
Formkritik , dans FMS, 27, 1993, p. 167-219. Certains éditeurs ont déjà recouru à ce
type de présentation, mais dans leurs études littéraires plus que dans leurs éditions :

pour les plus célèbres, voir l’analyse strophique de certains passages des sermons de
Bernard de Clairvaux par J. Leclercq, étude citée infra, n. 107 ; cf. aussi R. Baron,
Etudes sur Hugues de Saint-Victor, Desclée de Brouwer, 1963, chapitre IV (Le style de
Hugues de Saint-Victor, p. 91-120).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 121

Cela permet aussi de comprendre pourquoi le prosimetrum des


origines fait partie du genre métrique et non du genre prosaïque.

U interprétation d’Henricus Francigena


Henricus Francigena a reçu la définition d’Hugues de Bologne
— tout son passage sur les genera dictaminis s’inspire directement
des Rationes dictandi prosaice ( nostris a magistris tradita) — et a
tenté de la clarifier :

De duobus generibus dictaminum


Duo quidem genera dictaminis principalia nostris a magistris tradita novimus.
videlicet prosaicum unum, alterum metricum.
Metron grece latine dicitur mensura. Quod membrum [sic pour metrum ou
metricum] dividitur in tres partes, in carmen, in Rithmum [rimum nal 610]. in
utrumque.
Cum enim observas mensuras pedum carmen vocatur, id est. cum versifice
dictamus sic. Mos est stultorum reprehendere facta bonorum.
Rithmus [rimus nal 610] est quando pares sillabe sunt cum consonantia et
leonitate. Verbi gratia. Creatori creatura / benedicat mente pura, et multis aliis
modis.
Utrumque quandoque metrum et rithmus ut hic. Ordo monasticus ecclesias¬
ticus esse solebat33. Hic enim est mensura pedum et consonantia cum leoni¬
tate. sed de his alias tractabimus, nunc redeamus ad prosaicum.
Est autem prosa oratio a lege metri soluta. Quod dictamen utile diximus sic
dividere, id est. In prosam tantum aliquando, quandoque in prosam simul et
epistulam. Prosam tantum, ut Sallustii omnes libros, et ciceronis. prosam et
epistulam, ut pauli, et que amicis mittuntur, non quibuscumque sed quibus voce
non loquimur (Erlangen 396 f. 48 ; cf. Paris BNF nal 610 f. 33r-v).

Henricus Francigena, gêné par l’ appellation prosimetrum , l’a


tout simplement supprimée. La suppression de cette dénomination
lui permet d’éviter l’ambiguïté du mot prosa , et donc d’éviter la

33 Ce vers provient d’une célèbre satire (cf. v. 2 composui satyram, carmen per
saecula clarum, où satyra désigne bien un poème dans la veine des satiriques latins,
sans aucune allusion au « prosimètre ») contre les moines simoniaques (éd. MGH
Libelli de lite, 3, p. 700-701, v. 5). Erlangen UB 396 f. 48 donne aussi une variante du
vers suivant : Dura cibaria que per agrestia rura legebat. Sans parler de prosimetrum ,
Albéric du Mont-Cassin évoquait déjà dans le De rithmis l’existence de vers ryth¬
miques obéissant aussi aux lois de la poésie métrique : Alii sunt in quibus cum certo et
determinato numero sillabarum etiam longitudo et brevitas est prospecta. Quod est
apertius dicere: rithmi pariter sunt et metra (éd. H. H. Davis, The ‘De rithmis’ of
Alberic of Monte Cassino : A critical Edition, dans MS, 28, 1966, p. 198-227 [p. 208,
§ U).
122 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

seconde définition d’Hugues de Bologne. Désireux néanmoins de


conserver les distinctions d’Hugues, il leur a donné un contenu
plus «canonique» à l’aide d’exemples adaptés. Le genre mixte
(utrumque), qui n’appartient qu’à la catégorie métrique, est donc
maintenant illustré par un hexamètre possédant les qualités propres
à la poésie rythmique, l’identité de rythme et de rime: Ordo
monasticus ecclesiasticus esse solebat est un hexamètre à rime
intérieure passible d’une lecture rythmique (-us 6pp - us 6pp —
-at 5p) 34. Même s’il se trouve que chacun de ces éléments peut être
décrit comme une clausule rythmique de la prose : ordo monasticus
(cursus tardus) ecclesiasticus (cursus tardus) èsse solébat (cursus
planus), aucune confusion ne semble possible avec un énoncé en
prose. Le quandoque fait sans doute allusion à l’emploi sporadique
de ce type d’énoncé : nous verrons que c’est l’une des caractéris¬
tiques du prosimetrum des origines, qui désignait encore un mode
d’écriture non systématique et non pas un type de texte.

Reprise par le Traité Lombard


Le Traité lombard, qui reprend à Adalbert de Samarie sa défini¬
tion de la lettre, s’inspire directement d’Hugues de Bologne pour
les genera dictaminum :
Duo princip [a]lia genera dictaminum novimus. Vnum videlicet prosaice.
alterum metrice. Metricum vero a greco, metron trahitur, quod latine mensura
dicitur, inde metricum, id est. mensuratum, dictamen, exprimitur. Hoc autem
tripliciter reperitur. aut cum pedum mensura carmen vocatur, vel numero
tantum. Rithmus dicitur, seu utroque mixtum, quod prosimetrum dicimus.
Carmen Vt Bella per emathios.
Rithmus. Vt Hostis Herodes impie, et est concreatum [sic ; Hugues donne « et
est cum cantu satis congruum »] et congruum, quia ubique reperitur octaga
nius [sic].
Ceterum prosimetrum possumus dicere, quando pars versifice, pars prosaice
profertur. Vt exempla declarant. Hugo patris, matrisque loco quem semper
habui . Quicquid habet quodcumque valet, dat mihi libenter. Sed de his alias.
Nunc [f. 9] autem ad prosaicum redeamus. Dicendum est quid sit prosa.
Est autem prosa oratio a lege metri soluta. Vt nostra lingua interpretatur, quod
partitione tali congrue dividimus, cum aliud prosam tantum, aliud prosam et

34 D. Norberg mentionne ce type de vers dans son Introduction ..., p. 106, comme
un vers rythmique dont les accents sont «liés ... de la même manière que dans les
modèles quantitatifs». Ici, nous avons un véritable hexamètre, mais qui s’offre à
l’oreille comme une poésie purement rythmique.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 123

epistulam nominamus. Prosa tantum, ut opus salustii. et ciceronis. Prosa, et


epistula, ut pauli, et que mittuntur amicis, vel quibuscunque quibus viva voce
respondere non possumus (Wien ÖNB 2507 f. 8v-9).

En fait, la reprise d’Hugues n’est pas littérale. Le texte du Traité


Lombard semble plus explicite dans sa première définition, qui fait
bien du prosimetrum un énoncé versifié possédant à la fois les
caractéristiques de la poésie quantitative ( mensura ) et de la poésie
rythmique (numerus ) : cette définition correspond au mode de
lecture médiéval de certains vers quantitatifs expliquant historique¬
ment la naissance de certaines formes rythmiques. Le Traité
Lombard, sensible au «possumus dicere» de son modèle, a pris
soin de suggérer l’étrangeté du terme prosimetrum 35 en substituant
à dicitur un dicimus plus subjectif. Comme son modèle, le Traité
Lombard propose lui aussi la définition étymologique du terme, qui
semble bien renvoyer aux deux grands genera, prosaicum et
metricum, et l’entraîne ainsi vers l’extension d’une définition qu’il
sent un peu inadéquate. Sa principale innovation est d’intervertir
les mots habui et semper: cela n’est sans doute pas le fait du
copiste, car, d’une façon générale, le Traité Lombard semble atta¬
cher moins d’importance à la rime que ses deux modèles, et inter¬
vertit souvent les deux mots d’une clausule rimée. En agissant
ainsi, il supprime tout effet de prose rimée, mais aussi de poésie
rythmique ; s’il gommait de sa définition du rithmus toute allusion
à la leonitas, il conservait l’idée de numerus : or habui et libenter
n’ont en commun ni la rime ni l’accent tonique. L’effet paradoxal
de cette petite modification est de donner à la phrase un tour peu
gracieux, prosaïque en un mot, mais de rétablir dans le premier
comma un dactyle cinquième précédé d’un quem long par position
(tout en supprimant le trochée final) — ce qui brise le parallélisme
de la mini-séquence : on glisse de plus en plus vers un mélange de
prose et de mètre.

35Contrairement aux affirmations de B. Pabst, qui n’en tire d’ailleurs aucune


conclusion, Hugues n’est donc pas le seul dictator à avoir employé le substantif prosi¬
metrum.
124 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Les Auree gemme

Les Auree gemme ont une attitude plus radicale. AGB 4-6
reprend le début de la définition d’Hugues de Bologne, de même
qu ’AGO 26-30, mais toutes deux s’abstiennent soigneusement de la
moindre allusion au prosimetrum, se contentant d’une distinction
entre prosaicum et metricum. Contrairement au mètre, qui est
enfermé dans le carcan de la mensura, la prose se définit par ses
possibilités d’extension: Prosa est prolixa locutio absque lege
metri composita. Dicitur autem prosa apo tou poson, hoc est a
prolixitate verborum. Non enim certo numero pedum et syllabarum
constringitur, sed quantum vis convenienter extenditur (AGB 7-8).
Cette définition, reprise dans AGW 21-22, est absente d 'AGO. Le
genus mixte disparaît donc totalement de la définition des genres,
à moins qu’il ne faille voir dans cette «prolixité» une allusion à la
prose prolixe encore en vogue au début du XIIe siècle, la prose
rimée.

Albertus Astensis de Sancto Martino

Albert d’ Asti, qui pourtant suit habituellement Hugues de


Bologne avec fidélité, s’écarte un peu de son texte précisément au
sujet du prosimetrum, comme s’il avait été troublé par les formula¬
tions de son prédécesseur. Albert donne les deux définitions
d’Hugues, mais, incapable d’en résoudre l’énigme, il se tire de ce
mauvais pas en supprimant l’exemple donné par Hugues, qui seul
faisait problème, en particulier par ses allures de prose rimée :
hoc [genus metricum] autem tripliciter invenitur, aut cum pedum mensura, et
tunc carmen vocatur, vel numero dumtaxat sillabarum. cum vocum conso¬
nanda. et tunc rithmus appellatur, seu ex utroque commixtum quod quidem ex
utriusque composicione ostenditur, hoc autem consequenda exempla decla¬
rant. Et enim dicitur, «bella per emathios » et cetera. Rithmus solus ut hic.
«hostis herodes impie christum venire quid times» //// iste [f. 2v] satis
congruus, quia utrobique reperitur octoganus. Item. «Ave maris stella dei
mater alma ». Nam et iste ex omni parte invenitur exaganus. Ceterum siquidem
prosimetricum possumus dicere, quando pars alicuius dictaminis metrice, pars
prosaice scribitur, sed de his huc usque licet. Nunc ad prosaicum genus reverti
oportet (Paris BNF nal 610 f. 2r-v).

Le prosimetricum fait encore partie du genre métrique. La


suppression de l’exemple prépare la spécialisation du terme, qui
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 125

bientôt ne sera plus compris que selon l’étymologie ( quod quidem


ex utriusque composicione ostenditur). Cette évolution est favo¬
risée par le passage de profertur (performance orale) à scribitur
(acte d’écriture), de la matière vivante de textes faits pour l’oreille
à des textes couchés sur le parchemin, ce qui change complètement
les perspectives et porte en germe les déplacements de sens futurs.
Peut-être le passage du nom à l’adjectif dérivé traduit-il cette
évolution, comme s’il ne s’agissait déjà plus du prosimetrum
proprement dit, mais seulement d’un dictamen ayant quelque chose
du prosimetrum : le substantif lui-même n’apparaîtra plus jamais
dans nos sources.
Bernard de Bologne, responsable d’un renouvellement majeur
de Yars dictandi au milieu du XIIe siècle, n’évoque pas le prosi¬
metrum dans les Rationes dictandi. Tout juste peut-on remarquer
que sa définition de la prose est écrite en prose rimée 36, style que
Bernard n’emploie pas fréquemment dans ce texte. Dans les rédac¬
tions A et B de la Summa , on ne trouve qu’une bipartition : Dicta
minum siquidem duo sunt genera. Metricum et prosaicum (...)
(Vaticano Pal. lat. 1801 f. 1 ; Poitiers BM 213 f. 1); en revanche,
le recueil de Savignano di Romagna Acc. dei Filopatridi 45 trans¬
mettant la rédaction C de la Summa , lié à Bernard ou à l’un de ses
disciples, offre sous le nom du maître un traitement complet des
trois types de dictamina, prosaïque, métrique et rythmique37. La
mention très curieuse du genus mixtum semble donc caractéristique
des artes dictaminis dépendant d’Hugues de Bologne, qui, devant
traiter de ce je ne scay quoi , ont fait subir à la notion de prosime¬
trum une évolution qui en modifiait le sens, préparant l’interpréta¬
tion moderne du terme médiéval.

36 §II, éd. L. Rockinger, p. 10.


37 Voir la description d’E. Faral, Le manuscrit 511 du «Hunterian Museum» de
Glasgow , dans SM, n. s. 9, 1936, p. 18-119 (p. 80-83).
126 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Patronage de Boèce et glissements de sens


(début du XIIIe siècle)

Pas plus que chez Bernard de Bologne le prosimetrum n’apparaît


chez les dictatores français du XIIe siècle, qu’ils aient développé une
ars dictaminis praticienne ou «rhétorico-poétique»38, une spécifi¬
cité sensible dès Y Aurea gemma gallica. Je n’en citerai que quelques
uns: Raoul de Vendôme, l’auteur de Y «Erudiendorum instruc¬
tioni... »39, Bernard de Meung40, Y Ars dictandi Aurelianensis attri¬
buable peut-être à Raoul de Tours, ou même le « Floribus rethori
cis ... », pourtant écrit dans un style fleuri41, les Introductiones de
Transmundus. Pierre de Blois, qui dépend de Bernard de Bologne et
de la tradition tourangelle, n’y fait aucune allusion, pas plus que
Magister Gaufridus, un maître de passage à Bologne entre 1188 et
1 190, identifiable sans doute avec Geoffroy de Vinsauf.

38 Sur ces deux directions prises par Yars dictandi française, la première
représentée par les grands maîtres Orléanais, la seconde par des traités plutôt liés
à Tours et par maître Gaufridus, F. J. Worstbrock, Die Frühzeit der Ars dictandi in
Frankreich , dans Pragmatische Schriftlichkeit im Mittelalter. Erscheinungsformen und
Entwicklungsstufen , cur. H. Keller - K. Grubmüller, München, 1992 [Münstersche
Mittelalter-Schriften 65], p. 131-156, en part, sa conclusion p. 154.
39 (...) dictaminum aud metricum aud ricmicum aud prosaicum, metricum est lite
ralis edicio que certis mensuris pedum seu temporum distinguitur et dicitur a metros
quod est mensura, ricmicum est literalis dictio certo numero sillabarum concordans et
dicitur a ricmos quod est numerus, prosaicum est literalis ed. legem metrorum
respuens; longa congruaque continuatione procedens proson enim longum dicitur;
huius pars est epistula, epistula dicitur ab epi quod est supra et stolon quod est missio
quoniam supra vocem deferentis missa, epistula est oratio ex constitutis sibi partibus
mentem delegantis insinuans (Paris BNF lat. 15170 f. 20v).
40 (...) Due sunt species dictaminis. metricum et prosaicum, metricum est in quo
observatur correptio et productio sillabarum. quale est virgilianum et Ovidianum et
cetera, prosaicum est ubi ratio metri non observatur, quale est tullianum. gregorianum.
salustianum. et aliorum prosaice scribentium, prosaici dictaminis multe sunt species.
decretum, preceptum. privilegium, omelia, epistule et plures alie Pretermissis aliis
agamus de epistula (Paris BNF lat. 15170 f. 16). Texte également cité par J. J. Murphy,
La retorica nel Medioevo. Una storia delle teorie retoriche da s. Agostino al Rinasci¬
mento (trad. italienne de Rhetoric in the Middle Ages , Berkeley - Los Angeles, 1974),
cur. V. Licitra, Napoli, 1983 (Liguori Editore, Nuovo Medioevo 17), n. 66 p. 260-261,
d’après L. Delisle, Notice sur une «summa dictaminis» jadis conservée à Beauvais ,
dans Notices et extraits.., 36/1, 1899, p. 171-205 (p. 179).
41 II semble qu’en France, en particulier dans les milieux ligériens, on ait préféré
la simple bipartition prosaicum / metricum (cf. G. C. Alessio, Bene Fiorentini Cande¬
labrum..., p. 332; pour ne prendre qu’un exemple inédit, les autres étant plus acces¬
sibles, on la trouve dans une ars orléanaise du milieu du XIIIe s. inc. Quoniam tam
veteres quam moderni..., dans Paris BNF lat. 1093 f. 81v, premières lignes de la
première colonne).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 127

La théorie en Italie du Nord au début du XIIIe siècle

En revanche, la théorie du dictamen mixte reparaît en Italie du


Nord vers l’extrême fin du XIIe siècle, quand Yars dictaminis
fleurit de nouveau dans la Péninsule42. On trouve dans le manus¬
crit Vaticano Vat. lat. 2776, propriété d’un maître de Plaisance43
travaillant sous l’épiscopat de G. (Grumerius, év. de Plaisance de
1199 à 1210?), faisant également allusion à Crémone, une ars
dictaminis qui ressemble à une préparation de cours, peu soignée,
dans laquelle des mots sont barrés. Cette préparation semble
s’inspirer de Bernard de Bologne dans sa définition de la prose44,
mais aussi, pour la définition de la lettre, d’Hugues de Bologne
(mention du secret et de l’incapacité du messager). Le professeur
évoque l’idée d’un genre mixte, mais sans donner de détails:
Dictaminum species sunt tres silicei prosaicum. Metricum.
riimicum. aditur enim quartum silicei mixtum quod ex comistione
predictorum habet fieri, de ceteris ad presens [ce demier groupe
est un ajout] dimitamus, de sola prosaico [sic] agamus... Dans
son resume très fruste, il ne traite pas de ce genre particulier,
mais témoigne de la diffusion locale d’une théorie renouvelée du

42 Après Bernard de Bologne, la production d 'artes dictaminis est essentiellement


française ; on associe en général sa véritable reprise en Italie avec l’enseignement de
Boncompagno, à partir des années 1190 (cf. F. J. Worstbrock, Die Frühzeit...,
p. 132).
43 Au f. 56v, liste des élèves devant le salaire
de leur maître, peut-être plus tardive
que le cours : Isti sunt illi qui debent dona magistri ; une bonne trentaine de noms
effacés suivent cette indication (Vat. lat. 2776 f. 56v), copiée d’une main du début du
XIIIe siècle à ce qu’il semble. Le reste du manuscrit est une espèce de livre du maître,
parfois annoté de la main de notre professeur (notes sur le sens des mots, sur la gram¬
maire): deser, dans Les manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, 3/1,
Paris, 1991, p. 600-601.
44 Vat. lat. 2776 f. 56 : dictamen est congrua et aposita literalis composicio. de
aliquo [quod] vel mente vel Uteris continetur, vel voce significatur : cf. Gervais de
Melkley, qui reprend les Introductiones bernardines : Dictamen est congrua et apposita
litteralis compositio de aliquo quod vel mente retinetur, vel litteris seu voce signifi¬
catur, secundum Bernardi sentenciam (éd., p. 217). Comme Bernard, le maître
anonyme divise la lettre en cinq parties. D’après un inventaire (dont l’original est
aujourd’hui perdu), la basilique Sant’Antonino de Plaisance possédait à la fin du
XIIe ou au début du XIIIe s. des « rationes dictandi multiplices », identifiables avec un
traité de l’école de Bernard de Bologne (cf. Savignano di Romagna 45 f. 87v Incipiunt
multiplices epistole ...a Bernardino composite ) : éd. A. Riva, La Biblioteca capitolare
di S. Antonino di Piacenza : secoli XII-XV, Piacenza, 1997 (Biblioteca Storica Piacen¬
tina, n. s., Strumenti, 7), p. 52-63, arguments pour une datation postérieure à la date
traditionnelle de 1160 ca p. 43.
128 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

genus mixtum qui inclut nettement la prose dans le mélange des


,

species dictaminum.
Or l’Archivio di stato de Plaisance conserve aujourd’hui dans un
petit manuscrit qui semble de la fin du XIIe siècle une ars dicta
minis , peut-être liée à l’activité de ce maître de Plaisance (qu’il en
soit l’auteur ou qu’il l’ait utilisée), inc. Ut congruam doctrinam
dictaminum habere valeamus... 45 On y trouve cette définition des
trois types de dictamina , qui curieusement élimine le dictamen
rythmique :

Dictamen ita dividitur, dictaminum. aliud est prosaicum, aliud est metricum.
aliud prosimetricum. prosaicum dictamen illud, quod fit sine ulla considera
cione longitudinis et brevitatis, solummodo, et dicitur prosaicum apo toi 46
proson. id est a prolixitate verborum. Veluti dictamen salustii et ciceronis.
Metricum dictamen est illud, quod fit cum consideracione longitudinis et brevi¬
tatis. et dicitur metricum a metron, id est a mensura quia certo numero pedum
et sillabarum constringitur. Sicuti dictamen ovidii. et virgilii. prosimetricum
dictamen est illud, quod partim fit cum consideracione longitudinis et brevi¬
tatis. et partim non. Vt dictamen boetii de consolacione. et dictamen porsperi
[s/c]. De metrico autem et de prosimetrico. nichil ad presens negotium Sed de
prosaico agamus (Piacenza Arch, di Stato, Diversorum Volumen Mp. 155
[XII ex] f. 1 47).

D’après le début du traité, dont A. Riva donne une photographie,


cette ars est particulièrement proche du De competenti dictaminum
et grata scientia..., que l’on date maintenant du tout début du
XIIIe siècle, qui serait originaire du sud de la France, mais qui s’est
largement inspiré de l’enseignement de Bernard de Bologne (au
point qu’on le considérait jadis comme un témoin de la Summa de
Bernard); il s’en est cependant séparé parfois, en particulier en
ajoutant une définition du «prosimètre» qui pourrait procéder
d’une relecture d’Hugues de Bologne48 :
Dictaminum quatuor sunt genera. Nam aliud est prosaicum , aliud metricum,
aliud proseumetricum, aliud rithmicum. De metrico et rithmico alibi dicetur.

45 L’idée de Congrua doctrina apparaît dès l’incipit de Vars du Vat. lat. 2776.
46 Signe que le texte copié ici portait une transcription du grec, toy.

47 Feuillet reprod. par A. Riva, La Biblioteca capitolare di S. Antonino di


Piacenza..., pi. XLIV, notice p. 226-227 ; je n’ai pas encore eu la possibilité d’étudier
l’ensemble du témoin.
48 Sur l’utilisation de ce texte par l’auteur du De competenti..., cf. M. Klaes, dans
Repertorium, p. 125.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 129

Proseumetricum ut dictamen Boecii est, quod constat partim ex prosa, partim


ex metro (éd. Brini Savorelli, p. 202).

Le témoin de Plaisance est étroitement apparente à un petit traité


dans lequel M. Klaes a vu une esquisse ou un condensé du De
competenti dictaminum et grata scientia... (inc. Ut compendiosam
et congruam doctrinam...), qui ne lui est connu que par l’un des
témoins des Introductiones prosaici dictaminis de l’école bernar¬
dine, Zaragoza BU 225 (olim 41) (XIIIe s.) :
[U]t compendiosam et congruam doctrinam dictaminis habere possimus.
primo videndum est quid sit dictamen. Secundo qualiter dividatur, ut illam
speciem dictaminis de qua intendimus, exequamur.
Dictamen est congrua verborum ordinacio. facta ad exprimendum id quod est
in mente conceptum. Dictaminum vero IHIor sunt genera, nam aliud
prosaicum, aliud rithmicum. aliud metricum, aliud prosimetricum. Prosaicum
dictamen est id quod fit sine ulla consideratione productionis et corruptionis.
Sicut dictamen Salustii. et dicitur prosaicum, a proson greco, quod est longum
in latino, et inde dicitur prosa, prosa est oratio producta a lege metri soluta.
[R]ithmicum dictamen est id. quod fit cum quadam consideratione numeri
sillabarum. et similitudinis terminationum. Ut cum dicitur. « Taurum sol intra¬
verat. et ver parens florum, caput exeruerat. floribus decorum», et dicitur, rith¬
micum a rithmos. greco, quod est simile vel idemticus [sic] in latino 49. et inde
rithmus.mi et rithmicus.a.um.
[MJetricum dictamen est illud, quod fit cum quadam consideratione longitu¬
dinis et brevitatis. Sicut dictamen Lucani, et dicitur metricum, a metros greco
quod est mensura in latino, quia mensuratum habet fieri.
[PJrosimetricum dictamen est id. quod constat partim ex prosa, partim ex
metro. Sicut dictamen prosperi et dicitur prosimetricum a prosa.se. sive a
prosaicus. a.um. et metricus. a. um. quia fit ex prosaico et metrico. De rithmico
et metrico, et prosimetrico dictamine nichil ad presens (Zaragoza BU 225
[olim 41] f. 64 v 50).

S’il est plus proche du De competenti... par sa définition du


prosimetricum dictamen, 1’ Ut compendiosam et congruam
doctrinam... » est manifestement une autre rédaction du manuel de

49 On peut rapprocher cette étymologie d’une définition comme celle d’Arseginus


de Padoue en 1217, à ajouter au dossier constitué naguère par P. Bourgain {Le voca¬
bulaire technique..., en part. p. 146-149), où le rythme est toujours lié à l’isosyllabie :
est autem rithmus paritas consonans sillabarum. et dicitur a rimor rimaris eo quod
sillabarum numerus et consonantia veluti per rimam subtiliter inquiratur (Padova BU
1182 f. 161v).
50 Je remercie Ch. Vulliez de m’avoir généreusement prêté le microfilm de ce
manuscrit.
130 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Plaisance, comme le montrent l’ampleur de sa classification et, au


niveau du détail, le choix de Prosper comme exemple de prosime
tricum dictamen. Pour la définition du rithmus, il utilise un
exemple en vers goliardiques du dernier tiers du XIIe siècle qui
n’apparaît à ma connaissance dans aucune ars dictaminis anté¬
rieure, Y Altercatio Ganimedis et Helene 51 ; ces deux vers sont cités
par Jean de Garlande (éd. Lawler, p. 166 1. 619-620), mais, 1’ Ut
compendiosam... » ne devant rien à la Parisiana Poetria , il est
certainement antérieur: nous verrons d’ailleurs qu’il a sans doute
été utilisé par un maître padouan dès 1217 (cf. infra)52. Le témoin
de Plaisance, très proche textuellement, datant de la fin du XIIe s.,
il est même probable que nous avons là un état antérieur à celui du
De competenti dictaminum et grata scientia... composé en France :
comme nous le verrons en parlant de Y Ars dictandi Palentina , c’est
peut-être cette version qui a assuré la translation de la théorie du
prosimetricum dictamen de la Lombardie vers le sud de la France.
Grâce aux deux témoignages les plus anciens, liés à Plaisance,
nous savons ainsi que c’est encore en Italie du Nord, dans le cercle
très limité de certains héritiers de Bernard de Bologne, que renaît
au tournant des XIIe et XIIIe siècles la théorisation du prosime¬
tricum dictamen , et que c’est là que Boèce est devenu le patron du
« prosimètre ».
L’un des relais les plus importants de la diffusion de cette
nouvelle forme de la classification est le manuel de Thomas de
Capoue, qui pourrait en avoir eu connaissance au cours de ses
études à Vicenza. E. Heller a en effet noté dans ce traité longtemps
utilisé à la chancellerie pontificale l’influence de l’école bolonaise
du dictamen 53. Comme le maître du Vat. lat. 2776, Thomas reprend
à Hugues de Bologne l’idée du genre mixte, mais par l’explication

51 Tradition manuscrite et éd. critique: R. Lenzen, «Altercatio Ganimedis et


Helene». Kritische Edition mit Kommentar, dans MIJb, 7, 1972, 161-186.
52 Jean de Garlande ayant enseigné à Toulouse entre 1229 et 1232, il a pu connaître
en revanche Y «Ut compendiosam... ».
53 E. Heller, Die Ars dictandi des Thomas von Capua. Kritisch erläuterte Edition ,

dans Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften. Philosophisch¬


historische Klasse , 1928-1929, 4. Abhandlung, p. 49, p. 52 et passim; ce détail pour¬
rait plaider pour l’identification de Thomas avec un homonyme cité en 1209 par un
document de Y Universitas scholarium de Vicenza, bien que les traités bolonais aient
connu une large diffusion ; H. M. Schaller, Studien zur Briefsammlung des Kardinals
Thomas von Capua, dans DA , 21, 1965, p. 371-518 (p. 387; sur la biographie de
Thomas de Capoue, p. 371-394), reste très prudent.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 131

étymologique développée dans les manuels les plus récents, qui


s’appuie sur un renvoi à Boèce, il en change radicalement le sens :
(...) Prosaicum ut Cassiodori, metricum ut Virgilii, rhythmicum ut Primatis (...)
Quod si ex hiis fiat commixtio, ex tali mixtura (var. commixtione) denomina¬
tionem assumit, ut dicatur prosimetricum sive mixtum, unde dictamen Boethii
veteres prosimetricum appellarunt (éd. Heller, p. 13-15; citation avec
variantes par K. Polheim, Die lateinische Reimprosa , Berlin, 1925 et 19632,
p. 430).

On trouve chez Arseginus de Padoue, en 1217, une théorie du


prosimetricum dictamen qui semble dériver autant de celle de
Thomas de Capoue (avec qui Arseginus cite Hugues Primat comme
exemple de dictamen rythmique) 54, que des doctrinae de Plaisance
et Saragosse :

Species dictaminis sunt tres, scilicet prosaichum. ut tullii et salustii. Metricum


ut virgilii et lucani, ritimichum ut primatis, invenitur alia species dictaminis.
scilicet prosmetrichum quod constat ex prosa et metris, ut dictamen boetii et
marcialis capelle [s/c] (...) (Padova BU 1182 f. 161r-v55).

La mention de Cicéron, Salluste et Lucain montre bien que la


source d’ Arseginus n’est pas le De competenti dictaminum et grata
scientia ..., mais l’une des deux «Congruae doctrinae », voire une
troisième rédaction de celles-ci (on retrouve chez lui le mot species
employé par le maître de Plaisance du Vat. lat. 2776, et que
reprendra Bene de Florence). Cette parenté permet d’ailleurs de
supposer que la version connue par le manuscrit de Saragosse n’a
pas été élaborée dans le sud de la France ou en Espagne, mais sans
doute encore en Italie du Nord56. Padoue est très proche de
Vicenza : il est très possible que cet auteur ait été en contact avec
Thomas de Capoue. Leurs deux traités témoignent de l’essaimage
de la théorie du prosimetricum vers le Nord de l’Italie.

54 Sur ce lien avec Thomas de Capoue, dont il sent bien qu’il n’est pas exclusif, cf.
G. C. Alessio, Postilla per Arsegino , dans Storia e cultura a Padova nell’età di
Sant’Antonio , Padova, 1985 (Fonti e ricerche di Storia ecclesiastica Padovana, 16),
p. 325-341 (p. 334-336).
55 Citation partielle (sans les exemples) par P. Marangon, La «Quadriga» e i
«Proverbi» di Maestro Arsegino. Cultura e scuole a Padova prima del 1222, dans
Quaderni per la storia dell’ Università di Padova, 9-10, 1976-1977, p. 1-44 (p. 25).
56 P. Marangon ( ìbidem , p. 26) ne suppose un lien entre Hugues de Bologne et
Arseginus que faute de connaître les allusions des artes dictaminis antérieures au genre
mixte.
132 ANNE-MARIE TURCAN-VERKERK

Le fait nouveau, dans ces artes de la fin du XIIe et du début


du XIIIe siècle, qui cherchent de plus en plus à placer les modes
d’écriture sous le patronage de tel ou tel auteur, n’est donc pas
dans la définition du genus mixtum, que l’on pourrait toujours
comprendre comme celle d’Hugues de Bologne, mais dans le
déplacement de sens qu’induit le patronage de Boèce. Il se trouve
que la seconde définition d’Hugues de Bologne coïncidait exac¬
tement avec ce qu’avaient coutume d’écrire, non pas les com¬
mentateurs de Martianus Capella (qui n’est d’ailleurs jamais cité
par les artes dictaminis, à ma connaissance, à l’exception d’Arse
ginus et Giovanni del Virgilio), mais justement, comme l’a bien
montré B. Pabst, ceux de Boèce. Depuis la Vita I, Conrad de
Hirsau et Guillaume de Conches, et jusqu’au XVe siècle, on
retrouve des termes voisins de ceux d’Hugues de Bologne et ses
successeurs: partim ... partim, nunc .. nunc, etc.57, la notion de
mixité et de mélange ne reparaissant, me semble-t-il, qu’assez
tardivement, peut-être sous l’influence inverse des artes dic¬
taminis 58. Je crois que c’est la place grandissante de Boèce et de
ses commentaires dans la formation des esprits qui s’est ainsi
répercutée, à la faveur d’automatismes lexicaux, dans la définition
des genres donnée par Yars dictandi. Elle a fait apparaître, aux
côtés de l’ancienne définition d’un genre mixte, sous-catégorie du
genre métrique désormais de moins en moins reconnaissable, le
moderne « prosimètre », genus dictaminis à part entière, hybride
des deux ou des trois autres genera. Ce patronage de Boèce, que
Thomas attribue aux veteres, n’est en fait (d’après la docu¬
mentation conservée) qu’une innovation de l’extrême fin du
XIIe siècle, que nous ne voyons se répandre au début du
XIIIe siècle qu’en Italie du Nord, à l’exception du De compe¬
tenti..., qui s’inspire cependant largement de la Summa de
Bernard de Bologne et dépend d’un enseignement dont nous trou

57 Par exemple Sigebert de Gembloux à propos de Liutprand : scripsit luculento et


alterno stylo (Pabst, p. 274), la Vita I de Boèce : partim prosa partim metro ... compo¬
nens (Pabst, p. 284), Conrad de Hirsau : nunc prosaice nunc opus exsequens versifice
(Pabst, p. 284), le commentaire de la Consolation faussement attribué à Thomas
d’Aquin: nunc utitur metro, nunc prosa, quia alternatis uti delectabilius (Pabst,
p. 296) etc. On peut en outre noter l’emploi de verbes comme interserit (Pabst, p. 298,
n. 318), interponendo (Pabst, p. 301).
58 Voir les nombreux commentaires cités par B. Pabst, p. 284-307.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINÌS MEDIEVALES 133

vons auparavant les échos à Plaisance et dans l’œuvre de Thomas


de Capoue59.

59 Nous ne connaissons le De competenti... que dans une version adaptée à l’espace


germanique et par un manuscrit de provenance bavaroise. Or on retrouve l’ordre de sa
classification, dont il est le seul représentant, dans le CB 65, seul texte selon U. Kinder¬
mann 0Satyra ..., p. 22), en-dehors de ceux consacrés à Sénèque, Martianus et Boèce, à
utiliser le mot satira dans le sens de « prosimètre ». En effet, dans la strophe 10a Hilka
Schumann, l’auteur parle de la multiformis hactenus harmonia dont il a usé, et précise
(je respecte la ponctuation du manuscrit) : prosa, versu, satira, psallens et rithmachia.
/ te per orbem intonat scolaris symphonia. L’influence évidente de Vars dictaminis
montre bien que satira est pris ici comme synonyme de prosimetrum, ce qui tendrait à
montrer que le texte n’est pas antérieur à l’époque où Boèce est devenu le représentant
du prosimetricum dictamen , c’est-à-dire la fin du XIIe ou le début du XIIIe siècle. Ce
détail permet, accessoirement, de dater le CB 65 entre 1200 et 1230 environ (le manus¬
crit des Carmina Burana ayant été copié vers 1220-1230). Curieusement, on ne semble
pas avoir pris au sérieux cette indication du poète, et on lit partout que ce poème est
un mélange de vers quantitatifs et de vers rythmiques, voire de « vers libres », expres¬
sion dont le sens n’est pas défini pour le moyen âge latin (E. Wolff, Carmina Burana ,
Paris, 1995, p. 495). Mais personne, à ma connaissance, n’a exactement indiqué la
nature de ces vers, pas même B. Pabst (cf. p. 284-285), la présentation de ce texte
complexe étant un casse-tête éditorial (dans l’édition de J. A. Schmeller, Breslau,
18943, n° 39, p. 127-129, l’ensemble est présenté comme de la poésie rythmique, en
vers courts). La mise en page de München BSB lat. 4660 f. 24v-25v apporte pourtant
des éléments de clarification, l’usage et la place des capitales permettant de distinguer
quatre blocs de texte : le premier, de rythmes alternativement iambiques et trochaïques,
ne présente en réalité aucune réitération de structures quantitatives. Les deux premiers
membra peuvent au maximum être décrits comme deux vers 13pp, respectivement
structurés 7p6pp et 8p5pp, ou deux commata de clausules p3pp. Les deux ensembles
qui suivent sont structurés globalement en miroir, mais avec de petits décalages dans
le nombre des syllabes ou dans les cadences finales (5p6p + 5pl4p + 17p + 16p + 15p
// 5p7p + 5pl4p + 17pp + 17p + 15p). La longueur de ces membra , qui ne sont pas
coupés de rimes intérieures, n’est pas propice à l’émergence d’une structure connue
dans la poésie rythmique, même à la lecture à voix haute. Une lecture ne prêtant atten¬
tion qu’aux clausules rythmiques de la prose ferait apparaître de petits décalages
supplémentaires dans l’alternance de p3p, pp3p, p3pp, avec à la fin de l’ensemble un
cursus trispondaïque (p4p). S’il ne s’agit ni de poésie rythmique, ni de poésie quanti¬
tative, je crois qu’il faut se résigner à ne voir dans ces membra que de la prose : une
prose rythmée, isosyllabique ou parisosyllabique selon les cas, dont chaque période est
distinguée par une rime. Puisque l’auteur indique qu’il a écrit prosa , qui a ici nettement
le sens de « prose », je ne vois pas de raison d’en douter. Le bloc suivant (strophes 3a
3b Hilka-Schumann), qualifié de carmen par l’auteur, semble, comme le dernier
(strophes 10a-10b Hilka-Schumann), former une strophe et une antistrophe à la façon
des séquences, avec plus de régularité dans le dernier ensemble (cf. psallens et rith¬
machia). Dans le troisième ensemble (strophes 4a à 9b Hilka-Schumann), les capitales
n’introduisent plus des blocs de texte assez importants, mais des phrases courtes rimant
entre elles, ou à rime intérieure. Ce changement marque la présence de vers quantita¬
tifs plus ou moins corrects, de formes différentes (hexamètres + adoniques, penta¬
mètres, saphiques...), dont l’usage dessine des sous-ensembles (versu). Comme le
suggère la classification à laquelle se réfère le poète, satira peut désigner l’alternance
de ces pièces ; mais en même temps, le terme semble mis sur le même plan que la
prose ou les vers, comme si, dans la tradition de l’ancien prosimetrum, il désignait tous
les phénomènes de presque vers quantitatifs ou rythmiques dont ce poème regorge.
134 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Passage par le sud de la France

Au XIIIe siècle, on pourrait penser que la définition du genre


mixte au sein des genera dictaminis est devenue un topos des
traités, mais seule une lecture trop rapide peut donner l’impression
d’une unanimité. Pons le Provençal, dans le deuxième quart du
siècle, donne une définition générale sur le mode du partim...
partim ..., comme dans le De competenti... et les «Congruae
doctrinae », mais avec les adverbes d’Hugues de Bologne, et sans
renvoi à Boèce.

Dictamen est literalis edictio venustate sermonum egregia, sententiarum colo¬


ribus adornata. Dictaminum aliud metricum, aliud prosimetricum, aliud ricti
metricum, aliud prosaicum. Metricum est illud quod pedum numero et vocum
attenditur scansione. Prosimetricum est quod partim prosaice partimque
metrice compilatur. Rictimicum est quod sillabarum numero et vocum conso¬
nantiis est contextum. Prosaicum est quod, solutum a lege metrica, longa set
continuacione congrua procedit. Dicitur aliter prosaicum a proson quod est
longum sive prolixitas. Cuius sunt due species : epistolaris et non epistolaris...
(Paris BNF lat. 8653 f. 2; éd. Fierville, p. 175, d’après ce même manuscrit).

Il n’est pas l’auteur de cette classification des quatre types de


dictamina, que l’on trouve déjà presque textuellement dans Yars
dictandi dite palentina, datable autour de 1220 et très liée au milieu
toulousain 60 :

Dictaminum vero aliud metricum, aliud ritmicum, aliud prosimetricum, aliud


prosaicum. Metricum est quod pedum in numero et pedum attenditur scan¬
sione, et dicitur a « metron » quod est mensura, inde metricum quasi mensu¬
ratum ; ritmicum, quod numeris sillabarum et voce consonandis est
contextum. Prosimetriicum est quod partim prosaice partim metrice compo¬
nitur. Prosaicum est quod longa et congrua continuatione procedit et a lege
metrica est solutum ; et dicitur a « proson » quod est longum, inde prosaicum
quasi longua continuatione prolatum (éd. Gómez Bravo, p. 126, comm.
p. 113-114).

60 Ch. Faulhaber, Las retóricas hispanolatinas medievales (s. XIII -XV), dans
Repertorio de historia de las Ciencias eclesiásticas en España, 1, Salamanca, 1979
(Instituto de Historia de la Teología Española. Corpus scriptorum sacrorum Hispaniae.
Estudios 7), p. 11-65 (p. 15-18), présente ce manuel comme la première ars dictandi
écrite en Espagne, et la situe à Palencia à cause des lieux cités dans le formulaire de
lettres qui la précède dans le manuscrit unique, mais reconnaît qu’il s’agit d’un traité
sous influence française. Peut-être pourrait-on dire plutôt qu’il s’agirait de l’un des
premiers traités d 'ars dictaminis lus en Espagne ?
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 135

Pons pourrait en avoir eu connaissance alors qu’il enseignait à


Toulouse, sans doute au début de sa carrière61. Or Y ars de Palencia
s’avère souvent proche du De competenti dictaminum et grata
scientia... 62 . Il vaudrait la peine de se demander si sa source immé¬
diate n’était pas plutôt le petit traité transmis par Zaragoza
BU 225 : le dossier de manuels Orléanais et italiens recopié dans ce
manuscrit, très lié à Toulouse et à la région circumpyrénéenne63,
pourrait avoir été utilisé par l’auteur de Y ars dite de Palencia. On
peut même soupçonner que ce dossier, dont les textes les plus
récents datent de la fin du XIIe ou du tout début du XIIIe siècle,
aura servi à la composition du De competenti dictaminum et grata
scientia ... lui-même. Quoi qu’il en soit, on voit nettement se
dessiner le fil, ténu, qui relie ces traités toulousains à un cercle
étroit de dictatores lombards : à ces quelques exceptions près, le
prosimetricum dictamen est encore ignoré de toutes les artes dicta
minis européennes 64 .
Sous la plume de Pons le Provençal, les définitions de Yars
Palentina subissent un infléchissement important, qui les replace en
partie dans la tradition d’Hugues de Bologne: Pons déplace le
prosimetricum , qui vient à la suite du dictamen métrique. Cette
modification a pour effet de décrire un éventail d’ énoncés allant de
la poésie métrique à la prose, de ce qui se scande à ce qui ne se
scande pas, en passant par l’énoncé rythmique: en somme, de ce
qui est nombre à ce qui ne l’est pas, du numerus des pieds, qui
demande la plus grande attention car il n’est pas naturel (< atten¬
ditur ), au numerus des syllabes qui obéit, avec la rime, à un prin¬
cipe de responsion et de répétition analogue à un tissage (ricti

61 Sur ce point, Ch. Vulliez, Des écoles de T Orléanais à université d'Orléans


(Xe -début du XIVe siècle ), thèse dact., Paris, 1993, t. II, p. 715-716 et n. 345. Je
remercie Ch. Vulliez, qui m’a autorisée à utiliser son travail avant sa publication.
62 A. M. Gómez Bravo, El latín de la Clerecía..., p. 121 et passim (avec attribution
constante de ce traité à Bernard Silvestre, ce qui conduit l’auteur à supposer des liens
avec Tours).
63 Deser. M. Klaes, dans Repertorium , p. 40-41 (sous la cote erronée, mais partout
présente, 41 [olim 225]).
64 II est remarquable que les 17 lignes inc. Duo sunt genera dictaminis..., trans¬
mises par Salzburg St. Peter Cod. a.V.13 (Allemagne du Sud, XII) f. 12v, dont le
contenu est largement emprunté à Hugues de Bologne, aient supprimé du passage sur
les genera dictaminis toute allusion au prosimetrum (première mention de ce texte par
F. J. Worstbrock, dans Repertorium, n° 29, p. 131).
136 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

micum65 ... contextum ), en passant par le mélange ou la juxtaposi¬


tion du métrique et du prosaïque (prosimetricum ... compilatur ),
pour en arriver à l’énoncé libre avançant sans entrave, la prose. Le
prosimetricum est donc encore senti comme un type d’ énoncé plus
proche de la poésie que de la prose, contrairement à l’énoncé ryth¬
mique, plus proche de la prose et dont cette définition, certes tradi¬
tionnelle pour la poésie rythmique, ne permet pas en elle-même de
dire s’il concerne la seule poésie, ou également la prose rythmée et
rimée. Cependant, et malgré l’absence d’une mention de Boèce,
l’idée de juxtaposition de la prose et des vers fait son chemin, à
travers le componitur et le compilatur de ces deux traités.

Lecture en vers et lecture en prose : V exposé de Bene de Florence


L’arrière-plan de cette classification et de cette création verbale
(si rictimetricum ne relève pas de la seule faute de copie), datables
entre 1238 et 1252, nous est donné par Bene de Florence66, dans la
Summa dictaminis. Ce texte atypique, dont il est impossible de dire
s’il est antérieur ou postérieur au Candelabrum61 , n’a connu appa¬
remment aucune diffusion, puisque nous ne le connaissons que par
un manuscrit du XVe siècle, Venezia Bibl. Naz. Marciana Lat. XI,
7 (4506). Dans le Candelabrum , dont la rédaction s’est échelonnée
de 1220 à 1226 (le livre III datant sans doute de 1220-1223 68) et
qui, lui, sera souvent copié, Bene de Florence évite de définir un
seul des genera dictaminum , le quatrième, qui n’en est pas vrai¬
ment un: illud in primis dicere nos oportet quod tria dictandi
genera distinguntur, scilicet prosaicum , metricum et rithmicum vel
etiam aliquod ex his mixtum 69 . En revanche, la Summa dictaminis

65 Dans Paris BNF lat. 8653, le terme rithmicum est transformé lors de sa première
apparition en rictimetricum, un mot-valise nouveau formé sur le modèle de prosime¬
tricum . Malheureusement, il ne s’agit sans doute que d’un lapsus de copiste, le terme
n’apparaissant pas dans les quelques autres témoins que j’ai pu consulter — il n’en est
pas moins intéressant.
66 Des trois grands maîtres bolonais du premier quart du XIIIe siècle, Boncom
pagno da Signa, Bene da Firenze et Guido Faba, Bene est le seul à développer la défi¬
nition des différents types de dictamen.
67 G. C. Alessio, Bene Florentini Candelabrum..., p. XXVIII-XXIX.

68 G. C. Alessio, Bene Florentini Candelabrum..., p. XXIX.

69 Candelabrum , III, 3, éd. G. C. Alessio, p. 89. Les trois genera font l’objet de
développements en III, 4-20. D’après l’ensemble de la classification, G. C. Alessio
pense que Bene tient la notion de genus mixtum de Thomas de Capoue (éd., notes au
livre III, p. 331) ; la formulation est vague.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 137

pose d’emblée le problème de la classification des types de dicta¬


mina et de leurs relations, leur consacrant un ample développement
parfois malaisé à comprendre, dont le vel etiam aliquod du Cande¬
labrum sonne a posteriori comme un résumé un peu pince-sans
rire. Voici les premiers mots du traité :
Species dictaminis sunt tres, scilicet. Prosaycum. Metricum, et Rithmicum. Nam
prosa, metrum, et rithmus. sive prosaycum dictamen et metricum et rithmicum.
Ipsi dictamini tamquam species suo generi subiciuntur (Venezia Bibi. Naz.
Marciana Lat. XI, 7 [4506] f. 3 col. 1).

S’il n’est pas rare de lire que tout mètre est rythme70, il me
paraît moins banal de voir assimilés l’un à l’autre les énoncés
prosaïque, métrique et rythmique. Cette affirmation est développée
par la suite, en relation étroite avec le prosimetricum. Après avoir
défini la prose par l’absence de nombre et la liberté d’extension, le
rythme selon deux acceptions, l’une antique et l’autre
« moderne » 71, Bene s’attache à la définition du dictamen métrique.
Dans ce long développement parfois un peu mordant72, il montre
que tout dictator doit connaître la métrique, ne serait-ce que pour
prononcer correctement le latin, et conclut: Ambulat in tenebris
errando clericus omnis; Qui sine metrorum lege legenda legit 13 .
Suit un paragraphe sur le mélange des trois species , qui constitue
l’exposé le plus développé que je connaisse sur le prosimetricum :
Quare predicte species quandoque comisceantur.
Causa maioris delectationis quandoque predicte species admiscentur, quia
consonat et redolet melius iunctura bonorum, quia gratior est flos cum flore,
color cum colore1 4 ; unde potest dici prosimetricum dictamen, ut boetii, vel

70 P.Bourgain, Qu’est-ce qu’un vers..., p. 244.


71 Sed a modernis aliter sumitur, scilicet, quod rithmus est distinctionum consona

et determinata iunctura certam et regularem similiter continens equalitatem. ut sunt


rithmi primatis (la mention de Primat existe chez Thomas de Capoue et Arseginus de
Padoue).
72 Ce passage, de lecture assez difficile sur microfilm (le manuscrit étant détérioré),
a été transcrit pour l’essentiel par P. Rajna t, Per il «cursus» medievale e per Dante,
1932, réimpr. dans Id., Scritti di filologia e linguistica italiana e romanza, cur.
G. Lucchini, t. II, Roma, 1998 (Pubblicazioni del Centro Pio Rajna, Sezione II, 1),
p. 825-897 (p. 884-885).
73 H. Walther, Proverbia, n° 933.

74 Ces vers (cf. H. Walther, Proverbia, n° 3199) sont également cités dans le
Candelabrum III, 1, 16 (éd. Alessio, p. 91 ; ... colore color ed., color cum colore dans
trois témoins), mais à propos de la poésie rythmique.
138 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

prosyrithmicum velut in sermonibus, vel potest dici trimembre, scilicet cum ille
tres species in aliquo tractatu concurrunt (Venezia Bibi. Naz. Marciana
Lat. XI, 7 [4506] f. 3 coi. 2).

II me semble que cette présentation, avec sa mention précise de


la delectatio, correspond exactement à nombre de textes qui, dans
les moments d’acmè (cf. quandoque , que l’on trouvait déjà chez
Henricus Francigena), sont écrits dans une prose poétique destinée
à toucher le lecteur ou l’auditeur. Cette fonction de delectatio , de
repos du lecteur dans la douceur du vers était déjà celle des pièces
de vers dans la Consolation de Boèce, et sera soulignée par
d’autres auteurs de prosimètres au moyen âge75. Bene opère ici la
synthèse des deux façons antérieures de comprendre le prosime
trum. Cet éloge du plaisir qui associe grâce au rythme et à la rime
l’ouïe, l’odorat et la vue reprend aux artes développant l’idée d’un
dictamen unique lisible de plusieurs façons le vocabulaire du
mélange homogène, comisceantur. Cependant, admiscentur et
iunctura insistent davantage sur la juxtaposition76. De fait, il s’agit
aussi des interférences naissant de la juxtaposition: les sons
forment des accords, les fleurs et les couleurs sont indissociable¬
ment unies en bouquet, les parfums se marient. En ce sens, Bene
exprime mieux que ses prédécesseurs le spectre des degrés de
mixité du dictamen orné, de l’énoncé unique lisible de plusieurs
façons à l’énoncé panaché, ou même, comme on le verra bientôt, à
l’énoncé double qui dit une même chose en vers et en prose. De ce
fait, conformément à la tradition italienne contemporaine, il inclut
dans sa définition les textes formés d’une alternance de prose et de
vers, comme la Consolation de Boèce.

75 Voir les textes cités par U. Kindermann, Laurentius ..., p. 63, 66, 73, 78. Sans
parler de prosimetrum, Jean de Garlande exprimera cette idée en termes de variatio :
Variatio materie in prosa fit per versus, ut in presenti dictamine, aut variatur materia
per nuditatem Cupidinis, que materie adaptatur (éd. T. Lawler, chap. V, 1. 174-176, à
la suite d’un exemple de Littere scolastice contenant une pièce de 5 distiques
élégiaques).
76 Je note chez Laurent de Durham le mot admixtio pour parler du « prosimètre » :
... crebra versuum admixtione dulcescet (d’après la citation qu’en fait P. von Moos,
Consolatio. Studien zur mittellateinischen Trostliteratur über den Tod und zum
Problem der christlichen Trauer, München, 1971 [Münstersche Mittelalter-Schriften
3/2], Anm. 1101).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 139

Avec son potest dici prosimetricum dictamen , Bene marque,


dans la lignée d’Hugues de Bologne, qu’il est conscient d’utiliser
un terme n’appartenant pas au vocabulaire traditionnel. Apparem¬
ment frappé par la relative inadéquation du terme prosimetricum à
de nombreux textes médiévaux incluant également des composi¬
tions poétiques n’obéissant pas aux lois du mètre, il forge sur le
même modèle un autre néologisme, prosyrithmicum 11 La forma¬ .

tion de ce nouveau terme montre que Bene voit dans prosa non pas
la poésie rythmique, comme ce pouvait être le cas chez Hugues de
Bologne, mais bien la prose. Pour les textes faisant alterner prose,
poésie métrique et poésie rythmique, il adapte ( vel potest dici ) un
adjectif existant, trimembre . Peut-être n’est-ce pas un hasard qu’au
lieu de choisir un adjectif comme triplex ou trinus, il ait opté pour
un terme évoquant un monstre à trois corps78 autant que techni¬
quement connoté, puisqu’il peut être utilisé à la même époque pour
indiquer le nombre de vers formant la strophe d’un poème ryth¬
mique79. Si trimembre traduit bien l’unité d’un texte formé de trois
éléments différents, et désigne donc un «prosimètre» au sens
moderne du terme, prosyrithmicum semble plutôt s’inscrire dans la
tradition du prosimetrum originel.
La précision velut in sermonibus est en effet particulièrement
intéressante, car l’insertion de pièces rythmiques dans la prose ne
semble pas particulièrement caractéristique des sermons: B. Pabst
en tout cas n’en a pas mentionné un seul dans son relevé des
prosimètres utilisant des formes rythmiques 80. En revanche, alors
que l’usage de la prose rimée n’était pas propre à la littérature

77 Si je comprends bien G. C. Alessio, Bene Florentini Candelabrum ..., p. 331


332, qui fait allusion à ce texte, ce terme apparaîtrait selon lui chez Giovanni del
Virgilio, mais ce n’est pas le cas. G. Vecchi, auteur d’une édition introuvable de la
Summa , a indiqué dans un article de 1967, avec des italiques — donc comme s’il
s’agissait d’une citation de la Summa de Bene — , qu’il y traitait de la commixtio des
trois species , dont « dérivent » le prosymetricum dictamen ou le prosyrithmicum melos,
mais Bene n’emploie à aucun moment le mot melos (G. Vecchi, Giovanni del Virgilio
e Dante. La polemica tra latino e volgare nella corrispondenza poetica , dans Dante e
Bologna nei tempi di Dante, a cura della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’ Università
di Bologna, Bologna, 1967, p. 61-76 [p. 67, n. 34]).
78 Cf. l’ hippocentaure, l’espèce de évoqué par Lucien de Samosate,
cité par B. Pabst, p. 1.
79 Voir P. Bourgain, Le vocabulaire technique..., p. 154 et p. 156.
80 B. Pabst, p. 1128-1132.
140 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

homilétique81, il semble que les théoriciens de la fin du XIIe et


du début du XIIIe siècle (au moins) aient particulièrement associé
à la prédication l’usage d’une prose isocolique et rimée qui leur
paraissait par trop semblable à la poésie rythmique. On trouve
cette assimilitation réprobatrice entre la prose rimée et rythmée
des sermons et la poésie rythmique chez Etienne Langton, sans
doute avant 1200 82. Alain de Lille, dès le premier chapitre de son
traité sur la prédication, souligne l’incompatibilité entre un style
poétique et le but de la prédication, morum et fidei instructio ; le
prédicateur peut faire venir les larmes aux yeux du public, mais
il ne doit pas lui donner le plaisir coupable d’une prédication où
« est aqua vino mista , in qua puerilia et scurrilia verba et animos
quodammodo effeminantia ponuntur ». Cette prédication «non
debet habere verba scurrilia vel puerilia vel rhythmorum melo¬
dias et consonantias metrorum quae potius fiunt ad aures demul¬
,

cendas quam ad animum instruendum (...)»83. Si c’est l’une des


premières recommandations d’Alain de Lille, c’est sans doute que
ce vice apparaissait comme une caractéristique de la prédication
contemporaine, et qu’elle était en tout cas un lieu commun des
théoriciens.
Cette perception de la prose homilétique s’exprime clairement
sous la plume de Boncompagno da Signa — un contemporain de
Bene, les deux dictatores s’étant peut-être trouvés en concurrence
directe à Bologne 84 — , dans la version définitive de la Rhetorica
antiqua en 1226. Boncompagno décrit six types á' artificiosa ordi¬
t

natio dictionum , dont cinq types de prose rythmée, et un sixième


qui correspond à ce que nous appelons prose rimée :

81 Cf. K. Polheim, Die lateinische Reimprosa , Berlin, 1925 et 19632, p. 363-435,


p. 383-392 sur la prédication.
82 Sed qui in predicatione sua magis venatur omatum et vocum concidentiam et
verba similiter cadentia quam propriam voluntatem et utilitatem subditorum , non bene
clangit. Assumit enim ritmici carminis officium, et relinquit officium predicationis
(extrait de la Tropologia super XII prophetas, cité par J. J. Murphy, La retorica..., . 58
de la p. 181).
83 Summa de arte praedicatoria, PL 210, col. 112C et 112BC. Cf. K. Polheim,

p. 388.
84 Suggestion prudente de G. C. Alessio, Bene Florentini Candelabrum...,
p. XXIX-XXX.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 141

In sexta varietate sermocinatores aliquando speciem rithmicam imitantur, hoc


modo :
Est

terra doloris [5p], terra peregrinationis [9p],


terra laboris [5p], terra deplorationis [8p],
et terra consolationis [9p].
Item : Plus fulgent calcaria quam altaria.
Item : Vos enim taliter faciatis [c. velox, ou décasyllabe 3p7p],
quod ad nos Páduam veniatis [c. velox, ou décasyllabe 3p7p],
et ibi dábimus vobis satis [c. velox, ou décasyllabe 3p7p].
Hec autem vel consimilis posicio dictionum est penitus contempnenda 85 .

Bien qu’aucun des schémas de cola ou strophes rythmiques dont


Boncompagno donne l’exemple ne semble se retrouver dans la poé¬
sie rythmique médiolatine, Boncompagno souligne le lien que l’iso
colie et la rime établissent entre la prose rimée et la poésie ryth¬
mique, à laquelle la première chercherait à ressembler. Si les cola
donnés dans le premier exemple n’ont pas rigoureusement le même
nombre de syllabes, ils sont néanmoins construits selon les mêmes
schémas rythmiques ; le troisième exemple peut être analysé indiffé¬
remment comme une strophe de trois décasyllabes paroxytons par¬
faitement identiques, ou comme une prose formée de membra de
même longueur, ornés de similiter cadens et desinens et se terminant
par du cursus velox . De son stilus Hysidorianus , qui est en réalité la
prose rimée, Jean de Garlande dit à peu près à la même époque qu’il
est valde motivus ... ad pietatem vel ad leticiam 86. Ce style, en ce
qu’il semble agir sur la sensibilité et le sentiment religieux, est
implicitement rattaché par Jean à la prédication. L’exemple qu’il
donne est une diatribe, mais telle qu’un Jacques de Vitry pouvait en
écrire. Si la confusion entre poésie rythmique et prose rimée est pos¬
sible, c’est précisément parce que la pronuntiatio publique met en
évidence effets de césures et de répétition des rythmes et des
voyelles finales — et peut-être, comme nous l’avons dit plus haut,

85 Citation d’après F. Di Capua, Fonti ed esempi per lo studio dello «stilus Curiae
Romanae» medioevale, Roma, 1941, p. 83-84 (Testi medievali 3). Voir le texte mis en
ligne par S. M. Wight, Medieval Diplomatie and the (Ars dictandi \ Los Angeles, 1998,
sur le site de Scrineum à l’Université de Pavie (http://dobc.unipv.it/scrineum/wight).
86 Ed. T. Lawler, chap. V 1. 450 et suivantes. Nous nous en tenons à cette édition,
beaucoup plus fiable que les restitutions de M. Plezia (M. Plezia, Quattuor stili moder¬
norum. Ein Kapitel mittellateinischer Stillehre , dans Orbis Mediaevalis [Mel.
A. Blaschka], Weimar, 1970, p. 192-210 [p. 195]), qui donne ici ... et ad intelligentiam.
142 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

parce que cette pronuntiatio avait constamment tendance à se trans¬


former en cantilena . C’était sans doute dans la prédication que cette
prose à effets agissant sur l’affectivité étalait le plus son clinquant
autant que ses possibilités : prédication de second ordre en ce qu’elle
soignait la forme au détriment du fond, comme l’indiquent le dépré¬
ciatif sermocinatores et le penitus contempnenda de Boncompa
gno 87. De cette prédication, l’abbé Louis Bourgain rougissait encore
en 1879 88.
De tels jugements de valeur sont en partie liés aux connotations
de la poésie rythmique contemporaine, dont les connotations de la
prose rimée ne sont certainement pas dissociables. Comme le
montrent les remarques d’Etienne Langton et d’Alain de Lille, la
prose rimée est sentie comme une prose affective et émotionnelle
par excellence — la puerilis elocutio de la Rhétorique à Herennius
(IV, 32 89) — et, comme telle, une prose féminine, dont les effets

87 Au XIVe siècle, on retrouve sous la plume de Thomas de Todi O.S.A. des règles à
l’usage du sermocinator (le mot est alors tout à fait positif) pour la rédaction de sermons
en prose rimée et rythmée. Prima regula : ritimus sic debet esse formatus quod quadam
sui dulcedine et delectacione auditorum allidat aures. Ces règles détaillent des tech¬
niques très précises quant à la longueur des mots, la longueur des cola , la répartition des
rimes ; elles exigent une isosyllabie totale, une répartition des accents identique dans
tous les cola, des rimes implacables (voir le texte édité et commenté non sans humour
par L. Bourgain, Les sermons latins rimes au Moyen Age , dans Mémoires de la Société
nationale d’Agriculture, Sciences et Arts d’Angers , nouvelle période t. 22 [1880],
Angers, 1881, p. 215-231 [p. 220-227] d’après Paris BNF lat. 15965 ; cf. Th.-M. Char
land, Artes praedicandi. Contribution à histoire de la rhétorique au Moyen Age, Paris
Ottawa, 1936 [Publications de l’Institut d’études médiévales d’Ottawa 7], p. 92-93). Si
l’on peut souligner la continuité avec les pratiques du XIIe siècle, comme le fait l’abbé
Bourgain, c’est un complet retournement que, dans la théorie, on fasse passer avant le
contenu le principe de plaisir... L. Bourgain cite ensuite une ars sermocinandi de la
même veine contenue dans le même manuscrit, du franciscain Astazius (flor. 1352
1368 ; il s’agit de l’abrégé d’une œuvre plus ample : cf. Charland, p. 27-28), qui fait de
la forme le premier souci du prédicateur, y compris dans la citation de l’Ecriture sainte :
Verba Scripture sacre debent esse ornata et poni curiose, ut allidant audientes, et ut sint
magis solliciti ad audiendum et intelligendum eorum informacionem et ad ea avidius
retinenda. Lui aussi donne en exemple de véritables strophes qui ne se distinguent nul¬
lement de la poésie rythmique (extraits ibidem , p. 227-231).
88 Lui qui parlait, à propos de la prose rimée si fréquente dans les sermons du
XIIe siècle, de « goût dépravé » et de « rimes qui font rougir » : L. Bourgain, La chaire
française au XIIe siècle d’après les manuscrits , Paris-Bruxelles, 1879, p. 225-232.
89 Haec tria proxima genera exornationum, quorum unum in similiter cadentibus,
alterum in similiter desinentibus verbis, tertium in adnominationibus positum est,
perraro sumenda sunt cum in veritate dicimus (...) et non modo tollitur auctoritas
dicendi, sed offenditur quoque in eiusmodi oratione, propterea quod est in his lepos et
festivitas, non dignitas neque pulcritudo. (...) Quomodo igitur, si crebro his generibus
utemur, puerili videbimur elocutione delectari (...).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 143

s’apparentent à ceux des cantilenes en vulgaire. Amollissante,


privilégiant la forme au détriment du sens, on peut presque dire
qu’elle procure un plaisir sensuel, ce qui explique les jugements
dont elle a fait l’objet au cours des siècles90. Or il est frappant que
Bene définisse la delectatio procurée par le prosimetricum comme
un plaisir des sens, y compris l’un des plus ambigus, le sens
olfactif91. Dans ce contexte, il se pourrait bien que le prosyrith
micum de Bene de Florence correspondît non pas à un énoncé
faisant alterner des pièces en prose et des pièces en vers ryth¬
miques, mais à une prose poétique comme celle qu’évoque Alain
de Lille, énoncé particulièrement ambigu lors d’une performance
orale — comme l’indique le choix du mot sermo plutôt que trac¬
tatus ou même homelia — , pouvant être analysé à l’oreille comme
de la prose ornée ou comme des vers rythmiques92 (mais non
comme de la poésie métrique).
On pourrait donc employer prosimetricum ou prosyrithmicum
selon, si l’on ose dire, le type de vers dans lequel on écrit la prose,
le prosimetricum n’excluant pas, au contraire, le mariage de pièces
en vers et de pièces en prose. Trimembre en revanche évoque nette¬
ment le mélange par juxtaposition, l’hybridation, et ne paraît pas
pouvoir décrire le prosimetrum d’Hugues de Bologne, mais bien
plutôt des « prosimètres » faisant alterner prose, poésie métrique et
poésie rythmique, comme par exemple l’œuvre de Benzo d’Albe.
Le corollaire de cette théorie de la prose versifiée est une
approche de la prose et des vers qui peut nous surprendre, mais qui
n’est pas entièrement nouvelle au début du XIIIe siècle :

90 Cet aspect du problème, qu’il est impossible de développer ici, est détaillé dans
A.-M. Turcan-V., Forme et réforme..., première partie, à paraître.
91 Le proverbe ne fait référence qu’aux trois sens les plus nobles (vue, ouïe,

odorat), l’odorat occupant cependant une place intermédiaire, d’interprétation ambiva¬


lente (voir les communications éditées dans Micrologus, 10, 2002 [/ cinque sensi]).
92 On trouve chez Gaufridus de Everseley, anglais écrivant à la cour d’Alphonse X,
une classification dans laquelle le dictamen rythmique est défini comme le genre mixte,
où il tient donc la place du prosimetrum : Iterum a Gondiçalino dividitur sic dictamen :
dictaminum aliud metricum, aliud prosaycum, aliud rithmicum sive mixtum, etc. (cita¬
tion Bertolucci Pizzorusso, p. 43-44). On peut rapprocher cette définition, dont l’édi¬
trice n’a pas trouvé la source, de ce que Gaufridus dit au chapitre 11.1, que je cite
d’après la reprod. de Perugia BC F. 62 (388) (XIII) f. lOv donnée ibidem entre les p. 10
et 1 1 : stilus vero dicitur scribendi prosayce. metrice, sive mixtim. sed hic intendimus
de stilo prosayco et epistulari ornatui deputato. Malheureusement, ce traité étant
encore inédit, il est difficile de l’exploiter, comme de le replacer dans une tradition.
144 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Sed potest queri an metricum sit prosaycum: videtur enim quod sic, quia
metricum semper resolvitur in prosaicum, ut arma virumque cano, id est, cano
arma et virum; hoc autem non est aliud quam precedens, et patet quod
secundum hunc ordinem est prosaycum ; ergo metricum est prosaycum, ergo
iste species non sunt divise nec diverse. Si dicat hoc, scilicet cano arma
virumque, alium [sic : sous-entendre versum ?] esse quam arma virumque cano,
ergo duo dictamina faciebat poeta, et sic virgilius prosimetricum faciebat
dictamen. [S]i vero dicat istud quod est resolutum esse tale dictamen quod
[auctor] non fecit, maius inconveniens sequitur, scilicet aliquod dicta[men]
esse quod a nullo compositum est, quia non ipse auctor nec ali[us] illud
composuit, ergo: nemo. Soll[uti\o [?] potest dici quod eadem oratio est
metricum dictamen et prosaycum, non tamen prosaycum est metricum, sicut
eadem vox est nomen et verbum, non tamen nomen est verbum. Nam alia est
hec consideratio, et alia illa. Et sic poeta duo dictamina componebat. Sed ad
unum principaliter intentionem suam dirigebat. Sicut aliquis scribendo hoc
nomen roma, scribit hoc nomen amor, quamvis hoc non intendat. Vel potest
dici quod est quoddam naturale dictamen in quod omnia dictamina resolvuntur
et hoc pertinet ad expositorem tantum et numquam ad compositorem, quod
proprie. dicit[ ur] ordinatio constructionis et non dictamen. Vel potest dici quod
metricum dictamen ad ordinationem reductum nichilhominus est metricum
quamvis tali ordine metrum non faciat. Nam qui prius illud composuit
respectum semper habuit ad iuditium pedum et sillabarum et versuum (Venezia
Bibi. Naz. Marciana Lat. XI, 7 [4506] f. 3 coi. 2).

« ergometricum est prosaycum ergo iste species non sunt divise


,

nec diverse » : cette affirmation apparemment paradoxale renvoie


aux premières lignes de la Summa ; elle tente d’expliquer en
profondeur comment pouvaient être sentis les différents types de
dictamina et éclaire par conséquent les pratiques d’écriture médié¬
,

vales (non moins que la présentation de certains vers dans les


manuscrits). Fondamentalement, tout est prose, tout peut être lu, et
est lu comme de la prose, le dictamen prosaicum étant une espèce
de degré zéro en même temps qu’un absolu de l’énoncé93. L’assi¬
milation de l’énoncé rythmique avec l’énoncé prosaïque ne fait
manifestement pas problème, car tous deux sont affranchis des lois
de la poésie quantitative, et ne se distinguent fondamentalement

93 Bene rejoint là ce que disait Boncompagno dans la Palma probablement une


vingtaine d’années plus tôt, une citation que je dois à l’amitié de P. von Moos: Vel
prosaicum dictamen est ars (...). Sed non debet dici ars, immo artium mater, quia tota
scriptura trahit originem a prosa, nam ridimi et metra sunt quedam mendicata
suffragia, que a prosa originem trahunt (éd. C. Sutter, p. 106).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 145

que par l’agencement des membra en strophes94. En revanche, l’as¬


similation de la prose avec l’énoncé quantitatif demande plus d’ex¬
plications. Bene s’appuie sur le fait que tout vers métrique peut être
lu comme un comma en prose (l’inverse n’étant évidemment pas
vrai), et sur une théorie du prosimetrum qui ne peut justifier son
propos, à mon avis, que si on l’entend dans le sens que lui donnait
Hugues de Bologne.
L’auteur d’un vers métrique, même s’il concentre toute son
attention sur la succession des longues et des brèves, et donc sur
l’ordre artificiel des mots formant son vers, écrit en même temps
une phrase en prose. Cela s’entend à deux niveaux: celui de la
lecture et de l’interprétation, telle que peut la donner un commen¬
tateur, et celui de la composition. L’arrière-plan de cette dernière
idée est sans doute une théorie formulée pour la première fois, à
ma connaissance, dans la Summa de Bernard de Bologne, qui l’at¬
tribue à Bède le Vénérable (chez qui l’on n’en trouve pas la
trace 95) :

94 D’après les exemples de plusieurs dictatores (Guido Faba par exemple), il


semble que la prose rimée ne puisse être confondue avec la poésie rythmique qu’à
partir du moment où des cola ou commata strictement isosyllabiques forment des
séries analogues à la strophe d’une poésie, en particulier chantée. En effet, des unités
de rythme et de timbre identique seront le support d’une même exécution mélodique :
or la répétition mélodique est le propre de l’hymnodie (pour ces questions, se reporter
à F. Della Seta, Parole in musica..., cité supra). Dans le manuscrit de Benzo d’Albe,
réalisé pour le moins sous la direction de l’auteur (c’est la conclusion de H. Hoffmann,
dans H. Seyffert, MGH Script, rer. germ, in usum schol. 65, Hannover, 1996, p. 50
51, qui remet donc partiellement en cause, mais prudemment, l’ancienne thèse de l’au
tographie du manuscrit), une analyse de la ponctuation et de la mise en page permet de
lever le doute sur le caractère prosaïque ou non de certains passages, le texte faisant
alterner prose rimée, poésie rythmique et poésie quantitative : mais il est remarquable
que Benzo ait fait copier de la même façon (le point après la rime finale du comma ou
du vers dans une copie en continu) les passages en prose rimée et les répliques ryth¬
miques du septénaire trochaïque (8p7pp) lorsqu’elles n’étaient pas organisées en
strophes (voir la différence entre les f. 2 et 120v; reprod. des ff. 1, 2, 80v et 120v:
éd. Seyffert, entre les p. 54 et 55). Cette ponctuation, en particulier dans les passages
en prose rimée, n’a été que partiellement respectée par l’éditeur moderne (cf. ses
remarques à ce sujet, ibidem , p. 70-71). La poésie rythmique ne commencerait-elle
qu’avec la strophe, la structure d’un vers non rédupliqué ne se distinguant pas encore
de la prosa rythmique? Selon P. Bourgain, Le vocabulaire technique..., p. 153-157 et
passim (en particulier p. 190-191), la strophe est l’élément caractéristique du poème
rythmique aux yeux des théoriciens, après le poème envisagé comme une unité.
Cf. aussi infra, n. 136.
95 Les textes ayant reçu et tenté de clarifier cette théorie sont analysés dans
A.-M. Turcan-V., Forme et réforme..., première partie, à paraître.
146 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Oportere igitur arbitramur, ut prosaicum dictamen tantum congrue progredia¬


tur in longum quantum ex eisdem verbis sive sententia ad unius carminis consti¬
tutionem ad minus sufficiat. Illam igitur congruam literalem editionem prosam
vel prosaicum dictamen esse concedimus que ex verbis sive sententia unius car¬
minis assumi potest. Vel ex qua versum unum exametrum. vel pentametrum
constitui possibile est. ut pote ex hoc versu notissimo. « pluribus intentus minor
est ad singula sensus ». tale prosaicum dictamen [f. 2] competenter assumitur.
«dum cuiuslibet sensus ad plura intenditur (14pp, c. tardus), minor ad singula
reperitur (10p, c. velox). » Item hec prosa non inconveniens est. « is recte falli¬
tur (6pp, c. p3pp) qui sua mente aperte decipitur (12pp, c. tardus)», ex qua
congrue satis hic versus elicitur, «fallitur is recte quem mens sua fallit aperte ».
Hoc autem Beda in libro de arte videtur significare voluisse cum diceret hec
verba. « Dicitur autem prosa longa oratio a lege metri soluta que infra heroicum
non debet quantitate mutilari, ultra vero quantumlibet haberi » (d’après Vati¬
cano Pal. lat. 1801 f. 1-2 ; menues variantes dans Poitiers BM 213 f. lv).

D’après le texte de Bernard de Bologne, l’énoncé en prose et en


vers utilise, pour l’essentiel, le même vocabulaire (ex eius verbis )
et exprime la même idée ( vel sententia ) : on peut — on doit — du
vers tirer une phrase en prose, et vice versa. Bernard de Bologne
instaure un va-et-vient et un rapport de nécessité non seulement
entre la longueur, mais aussi entre le lexique et le sens d’une
phrase en prose et d’un vers quantitatif, comme si tout énoncé était
dépendant d’un énoncé non-exprimé, comme si tout énoncé était
l’un des éléments interchangeables d’une paire vers / prose. Cela
semble signifier que l’écriture d’une phrase en prose ne peut pas
être dissociée de l’écriture d’un vers quantitatif et vice versa, puis¬
qu’il faut vérifier la correspondance entre les deux énoncés, qui se
définissent l’un par l’autre. Le copiste du manuscrit Copenhague
BR Fabricius 91 4° (Paris, 1170-1180) f. 99v a d’ailleurs joliment
intitulé ce paragraphe Prosayci carminis diffinitio. Or, si je le
comprends bien, c’est cela que Bene appelle maintenant « faire un
prosimetricum dictamen », la composition simultanée d’un double
énoncé, l’un d’eux, le quoddam naturale dictamen in quod omnia
dictamina resolvuntur, étant sous-jacent et mis en évidence par
l’analyse du commentateur. Il s’agit d’un sens encore différent, qui
rappelle davantage la pratique de Y opus geminum que celle du
« prosimètre » 96. Peut-être était-ce la théorie bernardine de la

96 Cf. dans certains « prosimètres » les phénomènes de micro-opus geminum


relevés par B. Pabst, p. 1028-1029.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 147

composition en prose qui avait poussé ses successeurs de la fin du


XIIe siècle à augmenter la triade prosaicum - metricum - rithmicum
d’un genus mixtum , analysable tantôt comme un énoncé intrinsè¬
quement mixte, tantôt comme une alternance de prose et de vers à
la façon de Boèce.
Comme souvent, Bene est celui qui développe le plus l’analyse
du dictamen , sans occulter la complexité des problèmes. Cela rend
ses explications à première vue difficilement compréhensibles,
mais elles ne font que refléter la richesse d’une écriture et d’une
perception des styles qui nous sont devenus étrangers. Bene au
fond ne se contredit pas, mais explore autant qu’il le peut les
degrés de mixité de l’écriture ornée, du «prosimètre» des
modernes au prosimetrum d’Hugues de Bologne, en cherchant à
l’expliquer globalement par une analyse des processus de l’écriture
littéraire et de la lecture qu’on peut en faire.

Derniers avatars

En 1275, Conrad de Mure ne s’attarde guère d’abord sur ces


définitions :

Omnis dictaminis seu locutionis apud nos tria sunt genera : Prosaicum, rith¬
micum, metricum. Ex quibus tribus quandoque efficitur mixtum, quod habet
fieri ex duobus, vel trium commixtione (éd. W. Kronbichler, p. 28).

Comme Bene, Conrad de Mure suggère la possibilité d’une


alliance de deux ou de trois des genera qu’il a définis, mais contrai¬
rement à lui n’insiste aucunement, dans ce dernier cas, sur la sépa¬
ration des éléments du genus mixtum : bien au contraire, il parle de
commixtio , terme technique indiquant l’usage simultané, en un
énoncé unique, de plusieurs couleurs de rhétorique97. Plus proba¬
blement qu’une définition d’un «prosimètre» admettant l’alter

97 La notion de mixité, à la base, implique un mélange homogène de plusieurs


ingrédients, donnant naissance à un objet unique ainsi, quand les rhétoriciens médié¬
:

vaux traitent des couleurs, en particulier du similiter cadens et du similiter desinens et


de leur commixtio , leurs exemples montrent bien qu’il ne s’agit pas d’une alternance
des deux couleurs, mais d’un mélange intime dans lequel les homéoptotes sont en
même temps des homéotéleutes (par exemple Marbode, PL 171, col. 1690, exemple de
commistum : Commistum est, in quo duo superposita conveniunt. Même chose chez
Conrad de Mure, éd. Kronbichler, p. 87, Permixtio: Ex hiis ambobus color est
permixtus, eique / ex hoc fit nomen, quia se conformat utrique ).
148 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

nance de pièces en prose avec des pièces métriques et ryth¬


miques98, comme le trimembre de Bene, il s’agit bien encore d’une
définition s’inspirant des textes en prose mêlée de vers, ou de textes
susceptibles d’une double ou triple lecture, prosaïque, rythmique
ou quantitative. On n’a pas assez pris garde au quandoque de
Conrad, qui fait écho à ceux d’Henricus Francigena et de Bene : à
mon avis, il ne signifie pas que certains auteurs, de temps à autre,
choisissent de donner à leur œuvre la forme du « prosimètre », mais
que l’on peut faire usage sporadiquement de vers métriques, de
vers rythmiques, ou bien d’une prose teintée de poésie quantitative,
de poésie rythmique, ou des deux. En effet, vers la fin de son traité,
Conrad de Mure revient sur ce type d’écriture, à propos d’abord
des langues employées dans la lettre, et de l’insertion de proverbes
ou d’expressions dans une langue étrangère, en particulier le grec.
Il poursuit :

Item convenienter queritur, utrum epistolaris littera interdum possit scribi


metrice vel rithmice vel mixtim, scilicet prosayce, rithmice et metrice.

Interdum répond à quandoque : de temps à autre, la lettre peut


être interrompue soit par un passage en poésie purement métrique,
soit par une pièce de poésie purement rythmique, soit par un
énoncé mixte, c’est-à-dire en prose versifiée: interdum est en
facteur commun, tandis que les deux vel mettent sur le même plan
les trois possibilités; on note en revanche dans mixtim scilicet
prosayce rithmice et metrice un mode de coordination par et qui ne
traduit pas, comme vel, des options, mais au contraire l’unité du
mélange.
Réponse: il faut éviter d’écrire des documents en vulgaire,
surtout s’ils doivent être produits en justice; on peut insérer de
temps en temps un proverbe ou une expression en langue étrangère,
suivis d’une traduction... illud idem sentias de metricis et rithmicis
versiculis proverbialibus seu auctorabiUbus, si tales casus vel
necessitas prosaico dictamini fecerit inseri. Inseri répond bien à
interdum : il s’agit d’insertion d’éléments tranchant par leur forme
dans un développement en prose. L’écriture mixte n’est plus
évoquée ici, sauf si l’exemple du scolasticus de Mayence y fait

98 C’est l’interprétation de B. Pabst, p. 272-273.


LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 149

allusion ; il arrive en effet que l’on déroge à la règle, et qu’au lieu


de se contenter d’entrecouper sa lettre d’éléments versifiés, on
l’écrive entièrement versibus :

Tamen scolasticus Maguntinus vel causa urbanitatis , vel causa novitatis, vel
causa iactantie mihi quandoque scripsit litteras satis prolixas a primo verbo
salutationis usque ad finem littere versibus conscriptas inexcepte (éd.
W. Kronbichler, p. 165 [Quo ydy ornate littera sit apud nos scribenda]).

Le correspondant de Conrad semble avoir commis une faute de


goût en écrivant une épître intégralement « en vers » On peut se
demander s’il s’agit d’une lettre entièrement en vers rythmiques ou
métriques, ou si Conrad ne songe pas plutôt à une épître écrite
entièrement à la façon du prosimetrum d’Hugues de Bologne,
mixte d’un bout à l’autre. En effet, l’idée de prolixitas a toujours
été associée, et ce jusqu’aux Bollandistes, aux excès de la prose
rimée systématique des XIe et XIIe siècles 10°, dont on a évoqué les
liens avec la poésie rythmique 101. Quoi qu’il en soit, si Conrad de
Mure est un promoteur du «prosimètre» dans l’épistolographie, ce
n’est pas comme le croit B. Pabst: l’écriture mixte n’est pas pour
lui le «prosimètre» lui-même, mais l’un des modes d’écriture
utilisés pour interrompre parfois le cours de la prose, sans doute
perçu comme essentiellement poétique ( quod habet fieri ex duobus,
vel trium commixtione : prose métrique, prose rythmique, poésie
métrico-rythmique, prose métrico-rythmique). On retrouve ici

99 L’usage du vers dans la lettre semble être une privauté à manier avec précaution :
c’est ainsi que Bernard de Bologne, après avoir présenté dans sa Summa une série de
salutationes en vers léonins, précise Hec vel his similia delectationis causa plerumque
mandare consuevimus, his presertim quos versus non ignorare cognoscimus. He
quoque salutationes non indiscrete inter amicos, propinquos, socios, familiares ordinis
utriusque mutuantur [mittuntur P] iuxta congruitatem personarum et varietates nego¬
tiorum (d’après Vaticano Pal. lat. 1801 f. 13 et 13v ; cf. Poitiers BM 213 f. 5 v et Savi
gnano 45 f. 15-15v). On notera que la salutatio en vers est de l’ordre du jeu littéraire
destiné aux happy few, car Bernard semble penser qu’on peut glisser un vers dans une
épître à l’insu de son destinataire : ses exemples sont d’ailleurs passibles d’une lecture
rythmique et prosaïque, qui ne les différencie pas fondamentalement de nombre de
salutationes rimées des XIe-XIIe siècle (C. D. Lanham, « Salutatio » Formulas in Latin
Letters to 1200: Syntax, Style, and Theory, München, 1975 [Münchener Beiträge zur
Mediävistik und Renaissance-Forschung 22], p. 45-48, qui n’utilise pas Bernard de
Bologne).
100 Détails dans Forme et réforme..., seconde partie, à paraître.

101 Faut-il comprendre que graphiquement aussi la lettre était écrite versibus, c’est

à-dire avec des alinéas comme dans les témoins du Speculum humanae salvationis ,
chaque comma formant un versus ?
150 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

l’identité de fonction du vers et du prosimetricum dictamen


évoquée plus haut: le repos du lecteur par le plaisir poétique.
Conrad de Mure définit bien une méthode du « prosimètre », mais
ne confond pas ce dernier avec le genus mixtum 102.

Prosimetrum et « prosimètre »

En fait, Conrad de Mure permet de clarifier le principal malen¬


tendu de l’histoire du prosimetrum . Si le «prosimètre», comme le
laisse comprendre l’identification avec l’œuvre de Boèce, doit être
entendu comme un type de texte, le prosimetrum d’Hugues de
Bologne comme de Conrad de Mure est un type de style, un mode
d’écriture. Il n’est pas destiné à être utilisé à l’échelle d’un texte
entier, bien que cela, «vel causa urbanitatis , vel causa novitatis ,
vel causa iactantie », soit peut-être possible (si c’est le cas, encore
est-ce la brièveté de la lettre qui permet de réaliser ce petit exploit).
Cette union particulièrement virtuose de la prose et des vers en un
seul énoncé, difficile à soutenir du début à la fin d’une œuvre de
grande ampleur, est réservée à des moments particuliers — quan¬
doque , interdum , et causa maioris delectationis — , souvent
intenses émotionnellement. Hugues de Bologne a en réalité donné
un nom précis au phénomène, si troublant pour l’éditeur de textes,
du «presque-vers», ou de certaines proses extrêmement proches
des formes de la poésie rythmique 103 . Comme l’avait déjà suggéré
E. R. Curtius, la prose d’art rimée (on pourrait ajouter : et rythmée),
dont les ressemblances avec la poésie rythmique ont été si souvent
dénoncées par les théoriciens médiévaux du style, est l’une des

102 Pas plus que Jean deGarlande, pour qui ce procédé relève de la variatio : cf.
supra, n. 75. Pour l’alternance de prose et de vers dans les épîtres médiévales et le lien
de ce procédé avec les relations affectives, voir les exemples et la bibliographie cités
par P. von Moos, Die Epistolae duorum amantium und die säkulare Religion der Liebe.
Methodenkritische Vorüberlegungen zu einem einmaligen Werk mittellateinischer Brief¬
literatur , dans SM, 44, 2003, p. 1-115 (n. 149 p. 48-49), et supra, n. 99, où l’on voit
que Bernard de Bologne réserve précisément cette alternance aux lettres privées, aux
lettres d’amitié.
103B. Pabst, p. 15 n. 39, fait remarquer que les éditeurs des MGH en particulier
ont trop souvent présenté comme de la poésie rythmique des passages en prose rimée
serrée observant l’isocolie: aussi n’admet-il comme poésie rythmique, dans ses
analyses de prosimètre, que les passages construits selon une forme très réglementée,
de préférence alternante. Cf. le cas du CB 65, exposé supra.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 151

formes achevées de ce prosimetrum défini par Hugues 104, qui, dans


ses outils d’analyse du dictamen, n’a trouvé ni dans le metricum, ni
dans le rithmicum, ni dans le prosaicum le moyen de décrire un
style d’une complexité qui dépasse ces catégories 105. C’est à cette
façon d’écrire aussi riche que méconnue que F. Ohly a consacré un
article fondamental, mais peu cité106. Ce que nous exprimons
souvent en termes d’imperfection formelle, de manque («hexa¬
mètre imparfait», «presque-vers»), était en fait une recherche
poussée, et positive, de plénitude stylistique 107.

104 E. R. Curtius interprétait le genus mixtum venant s’ajouter aux dictamina


métrique, rythmique et prosaïque comme de la prose rimée (E. R. Curtius, La littéra¬
ture européenne ..., trad. fr. de J. Bréjoux, Paris, PUF, Coll. Agora, 1986, t. I, p. 250,
avec un renvoi à Thomas de Capoue). B. Pabst, n. 200 p. 271-272, trouve cette inter¬
prétation incompréhensible ( Wie Curtius (...) bei der klaren Ausdruckweise [s/c !] der
unten angeführten Stelle zu der falschen Ansicht gelangen konnte, das ‘dictamen
mixtum sive compositum’ (woher?) bezeichne die Reimprosa, ist unerfindlich»). La
citation, attribuée par E. R. Curtius à Thomas de Capoue, n’est pas exacte : c’est sans
doute l’un des textes qu’E. R. Curtius, comme il le dit dans sa première préface (1947),
n’a pu vérifier après la guerre.
105 Sur ce tertium genus des formes de la poésie qu’est le style synonymique, la
prose rimée parisosyllabique baptisée stylus isidorianus par Jean de Garlande, cf. les
analyses de J. Fontaine, Les trois voies des formes poétiques au VIIe siècle latin , dans
Le septième siècle. Changements et continuités. Actes du Colloque bilatéral franco
britannique tenu au Warburg Institute les 8-9 juillet 1988. The Seventh Century.
Change and Continuity. Proceedings of a joint French and British Colloquium held at
the Warburg Institute 8-9 July 1988, cur. J. Fontaine - J. N. Hillgarth, London, 1992,
p. 1-24 [Studies of the Warburg Institute 42]).
106 F. Ohly, Textkritik als Formkritik , dans FMS, 27, 1993, p. 167-219.

107 Pour transmettre une plénitude de contenu, c’est pourquoi on l’a utilisée pour
faire parler Dieu : voir les réflexions de F. Ohly, Textkritik..., p. 183 et p. 219 en parti¬
culier. Si l’on suit l’analyse d’U. Eco, Il segno della poesia e il segno della prosa, dans
Prosimetrum e spoudogeloion, Università di Genova, Facoltà di Lettere, 1982 (Pubbli¬
cazioni dell’Istituto di Filologia Classica e Medievale 78), p. 9-28, cette prose poétique
est donc bien avant tout une prose, puisque le contenu est premier, et de ce fait la forme
la plus élevée de l’écriture littéraire. Elle n’a rien de commun avec le ronronnement
mécanique de certaines proses limées, dans lesquelles la recherche facile d’assonances
systématiques semble primer sur le sens. Dès les années 1150, Y Aurea gemma gallica,
écrite en prose rimée, met en garde contre cette dérive : Hoc etiam sollerti vigilantia
observandum est, ut non solum verborum consonantia, set significationis ipsius
secundum rationem eorum attendatur consequentia (éd. S. M. Wight, § 1.13); une
remarque exceptionnelle, mais due à un auteur qui, rompu aux exercices stylistiques,
s’intéresse avant tout aux contenus (voir le classement des lettres par loci, annoncé en
1.51). Cette plénitude du sens traduite par celle du style musical qu’est la prose
poétique a été particulièrement mise en lumière chez Bernard de Clairvaux par
J. Leclercq, Sur le caractère littéraire des sermons de S. Bernard, dans SM, ser. 3a,
7/2, 1966, p. 701-744 (en particulier p. 722, p. 738-739 «les strophes célèbres sur le
nom de Marie », et la conclusion), réimpr. dans Id., Recueil d'études sur saint Bernard
et ses écrits, t. Ili, Roma, 1969 (Storia e Letteratura, 114), IV, p. 163-210.
152 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

La littérature médiolatine en offre maints exemples. Pour n’en


prendre qu’un, B. Pabst a parfaitement analysé, dans la prose d’An¬
selme de Besäte, des passages versifiés (en vers rythmiques ou
quantitatifs) ou quasiment versifiés (avec de petites fautes de
prosodie qui font de ces passages, intentionnellement, des
«presque vers») correspondant à des moments particulièrement
intenses du point de vue affectif ; de même, les deux passages en
vers rythmiques plus longs semblent-ils déteindre sur leur environ¬
nement plus nettement prosaïque 108, de telle sorte que le départ
entre prose versifiée et vers purs devient presque impossible: la
neumatisation médiévale de ces pièces montre d’ailleurs nettement
la subjectivité de la délimitation de la «prose» et des «vers» telle
que nous pouvons la faire, dans notre ignorance de la façon dont
certains textes étaient prononcés ou chantés, puisque la musique
commence dans le plus ancien des deux témoins, Paris BNF
at. 7761, là où l’éditeur voit encore de la prose109. C’est en cela
qu’ Anselme pratique le prosimetrum no. Ce cas n’est pas isolé ; on
en dénombre beaucoup dans l’hagiographie111,
et sans doute en
existe-t-il bien davantage112. Ainsi le prosimetrum peut-il être

B. Pabst, p. 385-387 en particulier. Voir les indications de l’éditeur, K. Mani¬


108

tius, MGH Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, 2, 1958, p. 85, en particu¬
lier n. 1.
109L’hymne du livre III, 5 sur le meurtre du petit enfant par Rotiland (éd. K. Mani¬
tius, p. 173), pour ceux qui, dans le manuscrit Paris BNF lat. 7761 (XI) f. 32 r et v,
l’ont neumé par deux fois (voir l’appendice à l’édition par N. Fickermann), commen¬
çait à «qui te clausis ianuis... », proposition considérée encore comme de la prose par
l’éditeur.
110 Savoir si la Rhetorimachia est un «prosimètre» est un autre problème;
D. Schalier lui conteste cette qualité, que lui reconnaît en revanche B. Pabst:
D. Schaller, Zu neueren Arbeiten über die prosimetrische Literatur des Mittelalters ,
dans DA, 54/2, 1998, p. 613-621 (p. 616).
111 J’analyse ailleurs la fin de la vie de saint Morand BHL 6019, présentée par

Conrad Janninck dans AA SS3 juin I, p. 344, comme une hymne rythmique, dont les
rimes forment une tirade avec la prose rimée très serrée qui précède : en fait, cette
prose est parsemée de vers « avant-coureurs », dont beaucoup sont purement quantita¬
tifs ( Forme et réforme..., seconde partie, à paraître). Sur ces fins de vitae versifiées, voir
B. Pabst, p. 1022 sqq. Cf. les réflexions de P. Dronke sur la Vita S. Ruperti d’ Hilde¬
garde de Bingen et la façon dont elle est copiée, sans solution de continuité, avec les
hymnes (P. Dronke, recension du livre de B. Pabst, dans MIJb, 31/1, 1996, p. 159).
112 Pour la prose d’art rimée, voir les réflexions de F. Ohly, Textkritik..., p. 176 et
passim, sur ces textes ensevelis dans le sommeil de l’oubli. Combien de belles au bois
dormant attendent-elles leur prince? D’autres exemples sont commentés par P. Bour
gain, La compositio et T équilibre de la phrase narrative au onzième siècle , dans Latin
Culture in the Eleventh Century. Proceedings of the Third International Conference on
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 153

défini comme une prose «prosodique» 113, une prose, certes, mais
qui, rythmée par des césures, une répartition des accents et des
effets spéculaires de rimes et de cadences analogues à ceux de
formes plus réglementées, ou même épousant certaines structures
de la poésie quantitative, s’apparente à la poésie: ce qui explique
qu’elle ait été rangée par Hugues de Bologne dans le metricum , et
que Conrad de Mure la juge encore l’équivalent de formes
métriques ou rythmiques venant relayer la simple prose. P. Dronke
aurait donc pu utiliser le témoignage de Conrad de Mure pour justi¬
fier son idée que, dans la Cosmographia d’Aethicus Ister, les
tirades de quasi-vers étaient l’équivalent des parties versifiées d’un
«prosimètre» plus classique114. Exclure de la catégorie des
« prosimètres » des textes médiévaux faisant usage par moments
d’un style suprêmement ambigu et raffiné témoigne sans doute
d’une certaine incompréhension de l’esthétique littéraire médié¬
vale, friande de polyvalence et destinée à un public familier de la
lecture à plusieurs niveaux, qu’il s’agisse de la forme ou du sens.
Cependant, l’évolution de Yars dictaminis et de la perception
des formes littéraires portait de plus en plus à considérer les styles
eux-mêmes comme des types de textes assez rigides plutôt que

Medieval Latin Studies, Cambridge, September 1998, cur. M. W. Herren - C. J. McDo¬


nough - R. G. Arthur, Turnhout, 2002 (Publications of the Journal of Medieval Latin),
t. 1, p. 83-108 (en particulier p. 101-107).
113 P. Dronke ( Verse with Prose..., p. 17) attire l’attention sur une expression parti¬
culièrement intéressante dans le cadre de notre analyse: Aethicus Ister aurait écrit
rethorico more stiloque prosodico valde obscure (éd. O. Prinz, MGH Quellen zur Geis¬
tesgeschichte des Mittelalters, 14, 1993, p. 223); en n. 45 p. 121, R Dronke renvoie à
un autre passage de la Cosmographia (éd. Prinz p. 150) : et ea metrico et prosodico
stilo Grecis caracteribus distinxit in enigmate rethorico, proposant de corriger en
prosaico la leçon de tous les manuscrits (cf. le passage de Grégoire de Tours cité par
Prinz, p. 150 n. 362), metrico et prosodico lui apparaissant comme un pléonasme. La
correction vise à montrer qu’Aethicus est présenté comme un auteur de «prosimètre»,
ce qui renforce l’idée que la Cosmographia est un «prosimètre» (cf. n. suivante). Mais
pourquoi ne pas conserver l’idée d’une «prose prosodique» analogue au prosimetrum
d’Hugues de Bologne ? M. W. Herren, dans sa recension de l’éd. Prinz, a bien montré
(comme P. Dronke) que certains passages de la Cosmographia en prose rimée
formaient des quasi vers, cependant qu’Aethicus est plusieurs fois présenté par l’auteur
anonyme comme l’auteur de versus et de carmina (dans Journal of Medieval Latin, 3,
1993, p. 236-245 [p. 243]).
114 P. Dronke, Verse with Prose..., p. 14-19, à la suite d’une suggestion de Lindsay.
Indépendamment de toute spéculation sur la satire ménippée, l’idée que l’insertion
dans la prose de passages en prose d’art particulièrement recherchée relevait du « prosi¬
mètre» était déjà exprimée en 1993 par F. Ohly, Textkritik..., p. 193-196 en particulier.
154 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

comme des agencements de figures à géométrie variable, comme le


montre un cas extrême, la théorie des quatre styles des modernes
élaborée par Jean de Garlande dans le premier quart du
XIIIe siècle 115. C’est aussi de cette tendance générale, qui s’appuie
sur le patronage de certains auteurs pour imposer à l’analyse litté¬
raire une structure mentale analogue à celle des inventaires de
livres, que participe le choix de Boèce comme figure tutélaire du
prosimetricum dictamen, aboutissement de l’évolution, au cours du
XIIe siècle, de l’esthétique de la mixité prose / vers. Ce patronage
permet également une clarification, la rigidification des styles s’ac¬
compagnant d’une distinction plus forte entre prose et vers.
Naguère signe de virtuosité, le mélange intime des species ou
genera dictaminum aura sans doute été de plus en plus perçu
comme un obstacle à la classification. Ce mélange, lié dans l’ima¬
ginaire littéraire au plaisir, deviendra bientôt synonyme d’une
confusion répréhensible (cf. Alain de Lille). Comme en réponse à
Hugues de Bologne, dont il permet d’ailleurs de bien comprendre
le texte, maître Gaufridus (vers 1188-1190) considère comme un
vitium l’usage d’une prose versifiée:
Item viciosum est dictamen quod rithmos vel versus imitatur. Versum ut hic :
« Vobis, sancte, quidem erubesco scribere pater ». Rithmum, ut hic : « Vestra,
clemens domine, novit celsitudo quod mea pauperies undique me ledit», et
certe imprudentis dictatoris est versus et rithmos ad epistolarem tractatum
admittere et stilo quo incepta est non concludere operis brevitatem.

Le premier exemple, comma de 15 syllabes paroxyton, forme un


hexamètre en partie rythmique, le -u á' erubesco étant compté
comme long, et pater se composant de deux brèves. Le second
exemple forme deux séquences 7pp6p imitant la structure du vers
goliardique, extrêmement répandu dans la poésie profane du
XIIe siècle. L’exemple choisi par Gaufridus offre exactement dans sa
première partie le système d’accentuation régulier du vers goliar¬
dique, mais s’en écarte dans la seconde 116 ; l’absence de rime, dont

115 Pour l’attribution de cette innovation à Jean de Garlande, cf. Forme et


réforme..., première partie, à paraître.
116 Anni parte flòrida // célo púrióre ; le second membre de phrase correspond
partiellement au système Nec stirpe nec fáciè // née ornátu viles ou Dixisti de clèrico
//quod indulget sibi, attesté lui aussi (cf. D. Norberg, Introduction..., p. 187 et 188).
Cette théorie est particulièrement développée par Jean de Limoges, dont le texte, peu
accessible, mérite d’être cité. L’exemple de prose métrique ne forme pas un presque
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 155

Gaufridus dira bientôt qu’elle suscite trop la confusion entre prose et


poésie rythmique, marque sans doute ici qu’il s’agit malgré tout de
prose. C’est au nom d’une fidélité de la prose à ses propres lois,
d’une «pureté» des modes d’expression littéraire, que des théori¬
ciens comme maître Gaufridus ou Gervais de Melkley — tradition
française contre tradition italienne ? — ont conseillé de séparer le
plus possible l’écriture en prose de la versification U7. Or, l’analyse
strictement étymologique du mot prosimetrum élimine de cette
notion toute ambiguïté, puisqu’elle rétablit la séparation entre la
prose et les vers, substituant leur juxtaposition à leur intime union.
Les textes médiévaux parlant du « prosimètre » insistent tous sur la
séparation de la prose et des vers, présentant les vers, dans la lignée
de Boèce, comme une récréation de l’esprit fatigué de la prose 118. Et
si ces modes d’écriture alternent, le prosimetrum ne peut plus être un
style à lui seul, il devient nécessairement un type de texte. C’est
ainsi que le pars... pars... d’Hugues de Bologne a pu être compris

hexamètre, mais une succession essentiellement dactylique, puis trochaïque ; l’exemple


de prose rythmique observe comme chez maître Gaufridus la structure du vers goliardi
que, dont il respecte le schéma accentuel régulier : Ineptitudo autem prolocutionis subo¬
ritur tribus modis , ut puta per vocalium collisionem , per asperam consonantium con¬
cussionem, per metrorum sive rhythmorum imitationem. (...) Tertium instat, quando,
honestamenta dictaminibus deputata nescientes sive negligentes, impertinentes usurpa¬
mus ornatus, dictamina nostra more metrorum sive rhythmorum cursitare sive claudi¬
care cogitantes, super quo vitio non mediocriter increpandi sunt scholastici seu gram¬
matici dictatores. Cursus autem metricus a dictaminibus arcendus observatur, cum
dicitur : « gratia vestra meis precibus semper fuit tractabilis et benigna ». Haec enim
clausula potius dictaminis metrici, quam prosaici vultum gerit. Rhythmica vero claudi¬
catio a dictaminibus amputanda exercetur hoc modo : « vestra liberalitas mihi declara¬
vit, quod ad meum commodum semper anhelatis », aut secundum grammaticalem con¬
suetudinem, immo veracius corruptelam, — quia nimirum sicuti iura definiunt, perversa
consuetudo non est consuetudo, sed potius corruptela, — cum sic scribitur : « si bene
considerem, quantum mihi profuit vestra liberalitas, vobis non sufficiam suppetentes
gratias pro tot beneficiis repensare ». Non solum autem finales coincidentias, sive leoni
nitates sive quascunque frequentes consonantias interdicimus, sed eminentes dispositio¬
nes metrorum, sive rhythmorum, sicut frequentem dactylorum interscalationem, ut patuit
in praeassignato exemplo. Licet enim observationes metricae seu rhythmicae in se mul¬
tum delectationis habeant, nihilominus inter septa dictaminis vitiosas et summo opere
praecavendas esse censemus (éd. C. Horváth, p. 17-19).
117 Chez Gaufridus: Nam, si versus et rithmi legi dictaminum subiacerent, tunc
versificari dictare et versificator dictator, quod absurdum est, diceretur (éd. Licitra,
p. 885-886) ; chez Gervais : In omni igitur prosa versus et metra, quicquid alii iudicent,
censeo fugienda, que, cum suis stringantur legibus, legem prosaicam faciunt claudicare
(éd. Gräbener, p. 221, 1. 5-7).
118 Cf. supra, n. 75. Voir, parmi les exemples cités par U. Kindermann, Lauren¬
tius..., les plus frappants p. 73 (Godefroid de Viterbe), p. 78 (Laurent de Durham).
:
156 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

comme un principe d’alternance dans la façon d’écrire et non dans la


prononciation du texte, moyennant un gauchissement de sa pensée
(passage à l’écrit: scribitur , compilatur) et sous l’influence de la
lecture de Boèce et ses commentateurs.
Aussi la définition du prosimetrum comme « prosimètre » a-t-elle
supplanté celle des origines. Je n’ai pas recherché systématiquement
les définitions du genre mixte dans les artes tardives ; elles ne sem¬
blent pas rares, bien que les exemples queje cite soient encore liés à
l’Italie du Nord119. Entre 1282 et 1295, probablement à Bologne,
Jacques de Dînant décrit comme troisième type de dictamen scrip¬
turale : prosametricum ut Boecianum qui prosa et metro loquitur 12°.
Vers la fin du XIIIe ou le début du XIVe siècle, le formulaire de
Baumgartenberg dit encore invenitur etiam prosimetricum, quod
constat ex metris et prosa , ut dictamen Boetii in quibusdam 121 , en
quoi il ne fait que suivre son modèle Thomas de Capoue 122 Vers
1320, Giovanni del Virgilio, dans Vars découverte par P. O. Kristel¬
ler, s’inscrit dans la même tradition: Dictaminis species sunt qua¬
tuor: metricum , ritimicum, prosaicum permistum. (...) Permistum ,
,

ut dictamen Boetii, Marciani et talium, dicitur quod ex illis vel illa¬


rum manerierum aliquibus constat123. Cependant, l’idée d’une
« langue spéciale, participant à la fois de la prose et des vers », pour
reprendre les mots de N. Valois en 1881, n’a pas tout à fait quitté les
artes dictaminis , puisque l’on en retrouve la trace vers 1310 chez un
maître développant la façon orléanaise de décrire le cursus 124.

119 Par exemple, on ne trouve qu’une tripartition chez Jean de Limoges (XIII2 ou
ex.) : Dictaminum prima partitio tripartita est ; sunt enim dictamina metrica, rhythmica
et prosaica, quorum duo preambula grammaticae seu musicae speculationi subsistunt,
sed tertium bipartitur in dictamen immobile et quietum, quod librorum scriptoribus est
indultum, et mobile, quod usualiter epistolare vocatur (éd. C. Horváth, p. 7).
120 Ed. E. J. Polak, 1. 123-124, p. 66.

121 Ed. L. Rockinger, p. 726.

122 Sur cette dépendance, E. Heller, Die Ars dictandi des Thomas von Capua...,
n. 5 p. 46.
123 Ed. P. O. Kristeller, Un' «Ars Dictaminis» di Giovanni del Virgilio, dans IMU,
4, 1961, p. 181-200 (p. 193-194).
124 L’anonyme va détailler les terminationes rythmées, qu’il décrira à l’aide du
vocabulaire de la poésie métrique — les « spondées » désignant tous les mots de deux
syllabes, qu’il s’agisse de pyrrhiques, de spondées, d’ïambes ou de trochées, les
«spondées et demi» les trissyllabes paroxytons (molosse, bacchée, antibacchée,
amphibraque), les « dactyles » les trissyllabes proparoxytons (tribraque, dactyle,
anapeste, amphinacus = crétique) — et commence ainsi sa présentation de la prose
rythmée : In hoc vero dictamine litteratorio, quod nec est ex toto prosaycum, nec ex
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 157

* *

On constate, dans la littérature médiolatine, l’extrême fréquence


de textes en prose où l’on insère des vers125, ce que K. Polheim
appelle les « Verseinlagen » ; de ces insertions, Polheim distingue
les textes en prose se poursuivant en vers, qu’il nomme «Misch
prosa », adaptant ainsi au domaine de la stylistique latine un terme
utilisé avant lui pour désigner le mélange de latin et d’allemand de
Williram et Notker l’Allemand126. Sans doute nombre de ces vers
ont-ils été méconnus, totalement ou partiellement 127, en particulier
quand il s’agissait de vers imparfaits mêlés au tissu de la prose
dans des passages plus ou moins marquants pour le sens du texte.
Or les exemples rassemblés par K. Polheim concernent presque
tous la « Blütezeit » de la prose rimée 128. Il se trouve que le « prosi
mètre » étudié par B. Pabst, lui aussi, paraît avoir eu exactement la
même heure de gloire que la prose rimée et la Mischprosa, puis¬
qu’il semble se raréfier à la fin du XIIe siècle. Il avait relayé une
forme séparant encore plus radicalement la prose des vers, V opus
geminum 129. On peut se demander si l’abandon de Y opus geminum

toto metricum, sed utrumque participat, omni dictione dissillaba dicimus utendum pro
spondeo... Texte cité d’après Paris BNF lat. 11384 f. 95, signalé par N. Valois, Etude
sur le rythme des bulles pontificales , dans BEC, 42, 1881, p. 161-198 et 257-272
(p. 164-165, n. 1 p. 165). Il s’agit d’un traité d 'ars dictaminis très complet,
commençant au f. 93 : De congrua situatione parcium dictaminis Inc. Quoniam de
litterarum dictamine negocium presens agitur. Quid sit dictamen et modus dictaminis
videatur, secundum quod in hoc loco sumitur..., assorti de très nombreux exemples et
d’un formulaire qui semble d’origine cistercienne, se terminant au f. 225 sur une
formule en français (brève allusion de Ch. H. Haskins, Studies in Mediaeval Culture,
New York, 19652, p. 34 n. 4 ; le témoin provient peut-être de Fontenay : A. Bondéelle
Souchier, Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale. Répertoire des
abbayes d'hommes , Paris, 1991 [DER], p. 110).
125 Cf. P. Klopsch, Prosa und Vers..., p. 18 sqq.

126 K. Polheim, Die lateinische Reimprosa..., p. XV. Sa définition de l’une et l’autre


proses semble se fonder, en définitive, sur la nécessité ou non du passage au vers pour
le sens du texte : ainsi, plus loin, Polheim donne une nouvelle définition de sa « Misch¬
prosa » qui ne semble se distinguer des « Verseinlagen » que par son caractère « unent¬
behrlich» (K. Polheim, p. 363). Dans son introduction, B. Pabst s’attache à définir le
prosimètre sans aborder vraiment le problème de la Mischprosa (p. 11-17).
127 Cf. l’exemple d’une séquence entière du ps. Richard de Saint Victor présentée
comme de la prose dans PL 196, col. 522-524, cité par F. Ohly, Textkritik..., n. 4
p. 169-170.
128 Cf. K. Polheim, p. 363-435 passim , et dans son introduction, p. XV-XVI.

129 Remarque de P. Klopsch, Prosa und Vers..., p. 18, reprise par B. Pabst puis
J. Ziókowski (p. 57).
158 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

au profit d’un mélange plus intime de prose et de vers, lui-même


délaissé vers la fin du XIIe siècle, n’est pas lié à l’esthétique d’une
certaine époque : « prosimètre », prose mêlée de vers, prosimetrum
ont été cultivés et ont connu leur apogée au même moment (milieu
XIe -milieu XIIe siècle), et ressortissent à une même esthétique;
alors qu’auparavant on écrivait la même chose séparément en prose
et en vers, on cherche de plus en plus à traduire sa pensée grâce à
l’usage simultané de la prose et du vers, selon des formules diffé¬
rentes dont le spectre a reçu dans certains milieux le nom de prosi¬
metrum ou prosimetricum dictamen.
Ce n’est sans doute pas par hasard que l’opus geminum a parfois
été confondu avec le « prosimètre », puisque certains maîtres citent
Prosper d’Aquitaine parmi les écrivains en ayant usé: en l’état
actuel de mes connaissances, c’est le cas des deux rédactions de
Yars de Plaisance, mais aussi d’Eberhard l’Allemand, qui, comme
l’a dit D. Schalier, n’était pourtant pas un «imbécile» 13°. Bene de
Florence, au niveau même du vers, décrit le processus de composi¬
tion littéraire comme l’élaboration d’un opus geminum en minia¬
ture, qu’il appelle... prosimetricum dictamen. Comme on l’a vu, la
prose mêlée de vers pourrait être un véritable prosimetrum selon
les premières définitions, dont les possibilités de lecture en vers, ou
inversement de lecture en prose n’auraient pas été reconnues par
les modernes, mais ne gênaient pas le public contemporain. On
peut regarder la prose d’art rimée et / ou rythmée comme l’accom¬
plissement le plus absolu de cette esthétique de la mixité, homogé¬
néité que l’un des premiers théoriciens de la prose épistolaire a
proposé de traduire par un terme-valise, prosimetrum, précisé au
XIIIe siècle par le prosyrithmicum de Bene de Florence. Plutôt que
de recenser les textes en prose rimée ou les « prosimètres » en rigi
difiant ces catégories, peut-être serait-il donc plus juste et plus
fécond d’appréhender ces modes d’écriture comme un éventail de
degrés de mixité prose / vers, et d’analyser ces degrés intermé¬
diaires 131, sans les séparer des contenus.

130 bestimmt kein Dummkopf » : D. Schaller, dans DA, 54/2, 1998, p. 614. Texte
«
cité et expliqué par B. Pabst, p. 291 et 292.
131 Sur T évanescence» des frontières entre prose et vers au moyen âge, voir les

remarques de F. Dolbeau, Un domaine négligé de la littérature médiolatine : les textes


hagiographiques en vers, dans CCM, 45, 2002, p. 129-139 (p. 135, p. 139).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 159

Le vocabulaire employé par les dictatores à propos du prosime


trum montre en effet qu’ils l’ont sans doute considéré comme un
mode d’écriture intermédiaire; on peut en cerner le sens à l’aide
d’emplois d’expressions identiques rencontrés dans un autre
domaine, celui des ordines de la société: quand dans la Summa
d’Henri de Suse on lit que les clercs séculiers forment un genus
permixtum , il s’agit d’un type d’hommes intermédiaire entre clercs
et laïcs ; on trouve la même idée de genre intermédiaire chez Bona
venture, qui distingue de 1’ actuosus et de Y otiosus Y ex utroque
permixtus132. La réalité de la composition médiévale de style
soutenu connaissait certainement, plutôt que des catégories très
figées, des degrés de mixité allant de la juxtaposition de deux
ensembles de sens identique, l’un en prose, l’autre en vers, à l’al¬
ternance de pièces continues en vers et en prose contribuant
chacune à sa façon au sens de l’œuvre, à l’insertion de vers dans la
prose, jusqu’à la création d’un énoncé à la fois vers et prose, qui
parfois peut se confondre avec ce que nous appelons, en nous limi¬
tant aux apparences, de la «prose rimée» et / ou de la prose
rythmée: le prosimetrum. L’écriture recherchée portait en elle une
mixité fondamentale, qui n’a fait l’objet d’une tentative de descrip¬
tion qu’à partir du moment où les dictatores ont voulu dégager la
spécificité de leur objet, la prose épistolaire, et se sont trouvés dans
l’obligation d’établir des classifications.
Jusque vers le milieu du XIIIe siècle (la période la plus créative
de Yars dictandi ), la théorisation du prosimetrum a cependant été
un phénomène limité — et d’abord dans l’espace — , et n’est
apparue que dans un petit nombre de manuels. Dans un monde où
le passage de la prose au vers faisait partie de l’apprentissage de
l’écriture littéraire, où l’on s’entraînait à penser et exprimer en vers
ce qui l’était en prose et vice versa 133, il n’est pas étonnant que les

132 Cf. G. Constable, Three Studies in Medieval Religious and Social Thought. The
Interpretation of Mary and Martha. The Ideal of the Imitation of Christ. The Orders of
Society, Cambridge, 1995, n. 230 p. 306 et p. 336.
133 Sur le caractère interchangeable de la prose et des vers, qui requièrent une
même formation, sont pratiqués dans les mêmes genres littéraires, avec les mêmes
contenus, appartiennent tous deux à la même catégorie du dictamen (etc.),
cf. P. Klopsch, Einführung in die Dichtungslehren des lateinischen Mittelalters , Darm¬
stadt, 1980, p. 70-73 en particulier. Sur les vies de saints en vers et leurs rapports avec
les textes en prose, ou en prose d’art, voir les analyses de F. Dolbeau, Un domaine
négligé... (supra, n. 131).
160 ANNE-MARIE TURCAN-VERKERK

phénomènes de mixité prose / vers n’aient pas suscité autant d’at¬


tention que chez des modernes plus préoccupés de différencier que
de comprendre : d’ailleurs les commentateurs de Martianus Capella
ne se sont absolument pas intéressés au problème de la forme du
texte, sans doute parce qu’elle ne leur posait aucun problème. Il en
va de même pour la présentation des vers dans les manuscrits.
Dans nos éditions, ce qui fait le vers, c’est son isolement sur une
ligne avec une présentation en retrait: le texte continu, lui, est
spontanément lu comme de la prose 134 . En revanche, lorsqu’il
s’agit d’un texte mêlant les énoncés versifiés et non versifiés, les
copies manuscrites peuvent ne faire aucune différence visible entre
une phrase en prose et un vers qui s’insère dans ce développe¬
ment135. Sans doute cela signifie-t-il autre chose, de la part des
copistes, que le désir d’économiser le parchemin136, puisque les
textes entièrement écrits en vers quantitatifs, à la même époque,
sont présentés le plus souvent à raison d’un vers par ligne. Ce que
nous mettons sur le compte de l’incompétence n’est peut-être que
le signe d’un manque de sensibilité à des catégories trop rigides,
inadéquates à une certaine esthétique littéraire, et peut indiquer en
revanche qu’il existait effectivement une sensibilité à des modes
d’écriture dépassant le clivage rigide entre vers et prose (les
séquences en sont un exemple), ainsi qu’un entraînement à la
lecture polyvalente comme celle que décrit Bene de Florence.

134 U. Eco, II segno della poesia e il segno della prosa..., qui analyse les raisons
pour lesquelles « la poesia va sempre a capo prima della fine del foglio ».
135 Voir les remarques de P. Bourgain, Qu'est-ce qu’un vers..., p. 254 sqq.

136 II me paraît bizarre et singulièrement réducteur de mettre sur le compte de


l’économie de parchemin les abréviations dont ont pu faire l’objet certains prosimètres
(cf. B. Pabst, p. 1134), et excessif d’expliquer par la seule incompétence du copiste
l’absence de mise en évidence des vers (cf. B. Pabst, p. 1135). Nous avons d’ailleurs
bien des progrès à faire dans la compréhension de la ponctuation médiévale : il peut
arriver qu’un copiste ait parfaitement reconnu des vers, délimités par un système cohé¬
rent de ponctuation, dans des manuscrits où les modernes n’ont vu qu’un fatras
prosaïque (cf. par exemple A.-M. Turcan-V., Le Formulaire de Tréguier revisité. Les
Carmina Trecorensia et l’ ars dictaminis, dans ALMA, 52, 1994, Paris 1995, p. 205
252). Sur la sensibilité des copistes au rythme et à la division strophique lors même
qu’ils copient la poésie rythmique en continu, voir dernièrement P. Bourgain, Les
manuscrits de poésie rythmique de Paris, dans Poesia dell’alto medioevo europeo :
manoscritti, lingua e musica dei ritmi latini. Poetry of early medieval Europe : manus¬
cripts, language and music of the latin rhythmical texts. Atti delle euroconferenze per
il Corpus dei ritmi latini (IV-IX sec.), Arezzo 6-7 novembre 1998 e Ravello 9-12
settembre 1999..., cur. F. Stella, Firenze, 2000 (Millennio Medievale 22, Atti di
Convegni 5), p. 263-273.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 161

Mais cette sensibilité semble s’être émoussée vers la fin du


XIIe siècle. Quand les théoriciens de la fin du XIIe et du début du
XIIIe siècle se sont penchés sur la prose d’art rimée, si propice à la
confusion des genres, comme sur un curieux objet du passé, son
ambiguïté intrinsèque n’a suscité chez eux que la méfiance et un
certain rejet: la grande période de l’esthétique de la mixité était
révolue, les temps de la taxinomie étaient advenus 137.

Répertoire des artes dictaminis


mentionnées au cours de l’article

Albéric du Mont-Cassin

Actif à partir des années 1060 - t avant 1105. Hagiographe; en 1079, il


combat Bérenger pour le compte de Grégoire VIL Albéric fait allusion à des
manuels de rhétorique qui n’ont pas été retrouvés. Outre un De longitudine et
brevitate sillabarum , un Liber de barbarismo, il est l’auteur de Dictaminum
radii et d’une série de textes rédigés entre 1077 et 1085, transmis en corpus,
constituant les premières artes dictaminis connues. 7 témoins du corpus (dont
un détruit), 2 fragmentaires.
% Dictaminum radii
Traité sur les figures de rhétorique, sans doute antérieur aux deux autres. 4
témoins.

Ed. D. M. Inguanez - H. M. Willard, Alberici Casinensis Flores rhetorici,


Montecassino, 1938 (Miscellanea Cassinese 14), p. 33-59, en ligne sur le
site de l’Archivio della latinità italiana del Medioevo (ALIM)
http://www.uan.it/alim/index.html.

f <Breviarium>
Entre 1077 et 1080 environ. Traité général de rhétorique appliquée. Je nomme
ainsi, selon d’anciennes habitudes, l’ensemble composé d’un Breviarium
proprement dit correspondant à une première semaine de cours (P. Ch. Groll,
Teil II, p. 25-49), d’ instructions pour la rédaction» {epistulae formatae ,
privilèges, actes des puissances séculières, salutationes ), et d’ annexes»
{inusitatae orationes, vitia orationis, exornationes) ; le De rithmis a fait
l’objet d’éditions séparées ; 1 Ars dictandi est jointe à ce corpus dans les
9

Petite notation sur le caractère péjoratif des mots «mélange» et «hybride»


137
propre aux européens lorsqu’ils essaient de caractériser les littératures orales africaines,
pour lesquelles la distinction prose / vers ne fait pas sens, sous la plume de L. Haring,
The African Challenge..., p. 218. Critique amusée de la taxinomie sous la plume de
Ch. Witke, dans Journal of Medieval Latin, 6, 1996, p. 226-232.
162 ANNE-MARIE TURC AN VERKERK

manuscrits, mais postérieure au premier ensemble, et munie d’une dédicace


qui lui est propre. Ces trois grands ensembles textuels forment un corpus,
transmis par les deux manuscrits les plus anciens, qui manifeste un projet
cohérent ; il est désigné globalement par la Chronique du Mont-Cassin III, 35
comme Librum dictaminum et salutationum (MGH Scriptores, 34, 1980,
p. 410-411).

Ed. P. Ch. Groll, Das Enchiridion de prosis et de rithmis des Alberich von
Montecassino und die Anonymi Ars dictandi , Diss. dact. Freiburg i.
Breisgau, 1963, Teil II, p. 25-100.

f <Ars dictandi>
Avant la mi 1085 (F. J. Worstbrock, dans Repertorium , p. 15-16). Worst
brock (1989) a démontré l’attribution de ce texte à Albéric, et l’a réédité,
après Groll, avec une dédicace différente. C’est le premier traité de rhétorique
strictement appliquée à la rédaction des lettres que nous ayons conservé. 4
témoins.

Ed. P. Ch. Groll, Das Enchiridion ..., Teil II, p. 101-108; F. J. Worst¬
brock, Die Anfänge der mittelalterlichen Ars dictandi , dans FM S, 23,
1989, p. 1-42 (texte p. 32-37).

Adalbert de Samarie

Originaire de Bologne, flor. 1111-1118.


f Precepta dictaminum
Transmis avec trois dédicaces différentes ; le recueil de lettres, lié dans la
transmission à la déd. 1, a été écrit entre 1112 et 1118, vraisemblablement
1115, à Bologne.
Ed. F. J. Schmale, Adalbertus Samaritanus. Precepta dictaminum , Weimar,
1961 (MGH Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters 3).

Hugues de Bologne

Chanoine de Bologne, notaire vers 1124.


il Rationes dictandi prosaice
Entre 1119 et 1124 (recueil de lettres datable entre 1125 et 1130).

Ed. L. Rockinger, Briefsteller und Formelbücher. .., p. 49-94.

Henricus Francigena
On ne sait rien de lui.
f Aurea gemma
1119-1124, Pavie.

Texte inédit, consulté dans Erlangen UB 396 (a. 1294) f. 47-54v et Paris
BNF nal 610 (XII) f. 27-36v (mutilé) ; quelques modèles de lettres ont été
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 163

édités (cf. J. Lütten, dans Repertorium , n° 13, p. 71-79); une partie du


prologue éd. par Haskins, Studies , p. 178-179.

<Traité Lombard>
Compilation des traités d’Adalbert de Samarie et Hugues de Bologne.
Texte inédit, consulté dans Wien ÖNB 2507 f. 7v-13; cf. aussi Vaticano
Vat. lat. 1358 (XIII) f. 104 105 v (J. Lütten, dans Repertorium, n° 36),
présenté jusqu’à présent comme un témoin d’Adalbert de Samarie et
Hugues de Bologne.

Aureae gemmae (AGB, AGW , AGO)


Trois manuels bolonais dépendant d’Adalbert de Samarie et d’Henricus Fran
cigena, datés par F. J. Schmale (dans DA, 13/2, 1957, p. 16-34) entre 1126 et
1140. Ordre chronologique proposé par Beyer: AGB , AGO , AGW. Ces
mêmes traités sont présentés par J. Lütten, dans Repertorium, n° 37, p. 144
151, sous le titre Oberitalienische Aurea gemma , traité unique dont on connaî¬
trait trois rédactions, ainsi réparties chronologiquement : Red. I = AGB , Red.
II = AGW , Red. Ill = AGO.
ì[ Aurea gemma dite « de Berlin » (AGB)
AGB tire son nom du manuscrit Berlin Deutsche Staatsb. Phillipps 1732 (Rose
181) (XII-XIII, dioc. de Sens) f. 56v-66v, qui en est le témoin principal. Vers
1130-1132. Elle est accompagnée dans le manuscrit de Berlin de trois recueils
de lettres, dont deux composés en contexte français.
% Aurea gemma Willehelmi (AGW)

Après 1125 (H. J. Beyer ); vers 1130 (J. Lütten, p. 147). 1 témoin, Praha
Statni Knihovna XXIII E 29 (Lobkowitz 480) (XII, Weissenau) f. 88v-95.
\ Aurea gemma dite «d’Oxford» (AGO)
AGO tire son nom du principal témoin, Oxford Bodl. Libr. Laud. Mise. 569
(837) (XII-XIII, France) f. 178v-190. 1132-1136 ou 1126-1135 (H. J. Beyer) ;
1130-1143 (J. Lütten, p. 148). Traité caractérisé par la présence de la déd. 3
d’Adalbert et d’emprunts à Henricus Francigena.
Ed. H. J. Beyer, Die Aurea Gemma’. Ihr Verhältnis zu den frühen Artes
dictandi , Diss. Bochum, 1973. Ed. synoptique des différentes rédactions
p. 60-132, histoire de la recherche sur les Aureae gemmae p. 24-27, étude
des manuscrits p. 40-48.

Bernard de Bologne (Magister Bernardus seu Bernardinus )


Flor. 1144-60. Langlois (BEC, 54, 1893) identifiait Magister Bernardus avec
Bernard de Meung. Wattenbach (Anzeiger für Kunde der deutschen Vorzeit,
N.F. 16, 1869), lui, avec Bernard Silvestre. Haureau (BEC, 54, 1893) de
même. Langlois faisait même un seul homme de Magister Bernardus ,
Bernard Silvestre et Bernard de Chartres. C’est Haskins (Ch. H. Haskins, An
164 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Italian Master Bernard , dans Essays in History presented to R. L. Poole ,


Oxford, 1927, réimpr. 1969, p. 211-226) qui prouve l’origine italienne de
maître Bernard. Cependant, il mêle dans son étude de la tradition les rédac¬
tions de la Summa et les remaniements postérieurs. L’ensemble du dossier a
été repris et clarifié par M. Klaes (M. Klaes, Die ‘ Summa* des Magister
Bemardus. Zu Überlieferung und Textge schichte einer zentralen Ars dictandi
des 12. Jahrhunderts , dans FMS, 24, 1990, p. 198-234). En particulier, elle
distingue de la Summa , dont on connaît trois rédactions, deux textes donnés
par Haskins comme des témoins de celle-ci : le % De competenti dictaminum...
de Wien ÖNB 246 f. 51-57v (ms I de Haskins, qui a cru qu’il s’agissait de la
Summa parce que cette ars en reprend le prologue en vers) et les f Introduc¬
tiones prosaici dictaminis a Bernardino utiliter composite de Mantova A II 1
(ms D de Haskins).
Maître Bernard est cité comme une autorité aux XIIe et XIIIe siècles.
% Rationes dictandi
1138-1143. Bernard serait aussi l’auteur des Rationes dictandi de Bologne,
première esquisse de la Summa.
Ed. du seul livre I par L. Rockinger, p. 9-28, sous le nom d’Albéric du
Mont-Cassin ; texte des livres I et II consulté dans le seul témoin complet,
München BSB lat. 14784 (XII) f. 3-35v — cf. M. Klaes, 1990, p. 215-224
(sommaire avec incipit p. 218-219) .

% <Summa>
Remaniement et systématisation des Rationes dictandi , transmis sous des
titres divers. Deux rédactions presque contemporaines (1144-1145), dont
l’une est centrée sur Faenza (réd. A) et l’autre intéresse toute la Romagne et
un peu la Vénétie (réd. C), la troisième étant une adaptation française datant
de 1160 environ (réd. B); le noyau de la théorie reste néanmoins stable
(sommaire avec incipit chez M. Klaes, 1990, p. 214-215). 8 manuscrits
complets et 6 fragmentaires. Plusieurs traités dérivés.
Texte inédit à l’exception de quelques extraits (cf. M. Klaes, dans Reper¬
torium, n° 7, p. 28-29), consulté entre autres dans Vaticano Pal. lat. 1801
,

(XII ex) f. 1-51, témoin de la réd. A, Poitiers BM 213 (XII) f. 1-32, témoin
de la réd. B, et Savignano di Romagna Accademia dei Filopatridi 45,
témoin de la réd. C.

Introductiones prosaici dictaminis


(Bernard de Bologne ? Guido ?)
1145-1152, sans doute Arezzo. Où Haskins voit une version amplifiée de sa
réd. 2 de Bernard de Bologne (cf. supra), M. Klaes ( FMS , 24, 1990, p. 202
205 et § V, p. 224-234) voit un texte indépendant, en partie développement
des Rationes dictandi , en partie texte original, œuvre d’un élève de Bernard
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 165

de Bologne, peut-être le Guido souvent cité dans les exemples (M. Klaes,
1990, p. 231, et dans Repertorium , p. 39). 4 témoins, dont 2 complets.
Texte inédit, consulté dans Mantova B Com. A II 1 (XII2) f. 73-122v et
Zaragoza BU 225 (olim 41) (XIII) f. 54-64 ; certains des modèles de lettres
ont été édités ou analysés par H. Kalbfuss, Eine Bologneser Ars dictandi
des XII. Jahrhunderts, dans Quellen und Forschungen, 16/2, 1914, p. 1-35
(p. 14-35) ; sommaire et incipit donnés par M. Klaes, 1990, p. 226-227.

Aurea gemma <gallica>


1153-1155, peut-être dans la région de Meaux, d’après une première rédac¬
tion tourangelle. C’est la plus ancienne ars dictaminis française connue.
2 témoins, correspondant à deux rédactions différentes (seconde rédaction
vers 1160). Cf. F. J. Worstbrock, Die Frühzeit..., n° 1, p. 133-134, IV, p. 140
146, p. 149-150, et Id., dans Repertorium , n° 24, p. 119-122.

Ed. et trad. S. M. Wight, Medieval Diplomatie and the (Ars dictandi ’, Los
Angeles, 1998, en ligne sur le site de Scrineum à l’Université de Pavie
(http://dobc.unipv.it/scrineum/wight).

Albert d’Asti

Chanoine de Saint-Martin à Asti, apparaissant dans les documents de 1150 à


1167.

%Flores dictandi
Datés traditionnellement de 1148-1153, sans doute vers 1153-1154
(F. J. Worstbrock, dans Repertorium , n° 4). 1 témoin.
Texte inédit, consulté dans Paris BNF nal 610 (XII) fol. l-25v; début du
prologue éd. par Haskins, Studies, p. 184 — F. J. Worstbrock en signale
des extraits dans une compilation anonyme (#Primo igitur ut sériât a...,
cf. J. Lütten, dans Repertorium, n° 40).

Raoul de Vendôme (?)


On ne sait rien de cet auteur.
f Summa (Cognito)
1 153-1166, région tourangelle (Ch. Vulliez, dans Bulletin de la Société natio¬
nale des Antiquaires de France , 1990, p. 218-231 [p. 219-221]). 6 témoins,
dont un seul offre une attribution ; explicit variable.
Texte inédit, consulté dans Soissons BM 8 f. 65-83, Bruges BP 549 f. 33
56v et Paris BNF nal 610 f. 37-68 (selon l’ordre restitué par F. J. Worst¬
brock, dans Repertorium , n° 18, p. 94-95).

«Floribus rhetoricis ... »

Entre 1160 et 1171, France (M. Camargo, p. 163). Ecrit sans doute par quel¬
qu’un qui avait fréquenté, à Tours ou dans les environs, Bernard Silvestre,
166 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Matthieu de Vendôme et Pierre de Blois (M. Camargo, p. 163-169).


6 témoins.

Ed. M. Camargo, A Twelfth-Century Treatise on ‘Dictamen’ and Metaphor,


dans Traditio 47, 1992, p. 161 213 (éd. p. 183-213 d’après Paris BNF
,

lat. 8314).

«Erudiendorum instructioni... »

Avant 1181. Traité d’origine française imitant très largement les Rationes
dictandi 1 témoin. Cf. J. Lütten, dans Repertorium , p. 132.
.

Texte inédit, consulté dans Paris BNF lat. 15170 f. 20v-22v.

Pierre de Blois

Auteur d’une collection de lettres très diffusée, dont la première version date
de 1184 ca.

% Libellus de arte dictandi rhetorice


1181-1185, composé en Angleterre. Il utilise les Rationes dictandi de
Bologne, Bernard de Bologne, le Floribus Rhetoricis... et Y Aurea gemma
gallica (cf. F. J. Worstbrock, Die Frühzeit , p. 149-150, Id., dans Reperto¬
rium, p. 121, et M. Klaes, dans Repertorium, n° 17, p. 90-91). La paternité de
Pierre de Blois est discutée, mais défendue par M. Camargo. 1 témoin,
Cambridge UL Dd.IX.38 (XIV, Reading) f. 115-121.
Ed. M. Camargo, Medieval Rhetorics of Prose Composition. Five English
Artes Dictandi and Their Tradition. Edited with Introductions and Notes,
Binghamton - New York, 1995 (Medieval & Renaissance Texts & Studies
115), p. 37-87 (texte p. 45-74).

Bernard de Meung

Maître dont on ne sait presque rien. Les modèles de lettres rattachés à son
nom concernent presque autant Paris que la région orléanaise. Il s’inspire de
l’école bolonaise du dictamen , mais confère à Y ars dictaminis un tour décidé¬
ment praticien qui fait son originalité et son succès (Ch. Vulliez). La
« Summa bernardine », ensemble de textes rattachés à Bernard de Meung mais
dont certains ont peut-être été rédigés par des disciples du maître, se compose
d’une ars dictandi théorique, un recueil de cartae , et deux formulaires de
lettres au contenu variable. 44 témoins de la Summa , dont 26 transmettent le
traité théorique (Ch. Vulliez).
ï <Flores dictaminum>
Titre variable. Le texte se présente avec deux incipit différents. La version Al
de Ch. Vulliez, inc. Ad doctrinam dictaminum accedentes..., est la plus
répandue (9 témoins), elle est datable de 1186 au plus tôt ; témoin principal :
Agen BM 4. La version B, inc. Ad doctrinam dictaminum accessuri..., peut
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 167

être plus ancienne (les noms cités donnent une fourchette 1159-1181), est
beaucoup moins diffusée.
Texte inédit, consulté entre autres dans Paris BNF lat. 15170, témoin de la
forme A, et Agen BM 4, témoin de la forme Al ; éd. partielle L. Delisle,
Notice sur une «summa dictaminis» jadis conservée à Beauvais, dans
Notices et extraits..., 36, 1899, p. 171-205 (Agen BM 4 est peut-être à
identifier avec un ms. à Beauvais au XVIIIe s.) — l’étude la plus complète
sur la Summa bernardina est celle de Ch. Vulliez, Des écoles de V Orléa¬
nais..., t. II, p. 554-674; cf. J. Lütten, dans Repertorium, n° 9, p. 43-62,
avec la bibliographie antérieure.

Ars dictandi aurelianensis (Raoul de Tours ?)


Vers 1180. 1 témoin, München BSB lat. 6911 (XIII, Fürstenfeld) f. 41-42v,
qui attribue à un magister Rudolf us Turonensis , et où Vars est suivie d’un
recueil de lettres du XIIIe siècle lié à la région de Tours ; Ch. Vulliez, Des
écoles de V Orléanais..., t. II, p. 619-621, se demande donc si Raoul de Tours
ne serait pas l’auteur de ce recueil, qu’il aurait fait précéder d’un aperçu théo¬
rique « antérieur d’un siècle, emprunté peut-être à une des anciennes versions
de l’œuvre de maître Bernard [de Meung] ». Cf. F. J. Worstbrock, dans
Repertorium , p. 96-98.
Ed. L. Rockinger, p. 103-114.

Magister Gaufridus (= Geoffroy de Vinsauf ?)


L’auteur donne son nom et se dit « hospes » à Bologne. Des coïncidences
particulières entre la Summa et la Poetria nova de Geoffroy de Vinsauf
feraient pencher pour l’identification des deux hommes, ainsi que la forme
très littéraire commune aux deux traités (F. J. Worstbrock, dans Repertorium ,
n° 11, p. 66).
H Summa de arte dictandi
1188-1190, Bologne. 5 témoins (dont un extrait), dont 2 utilisés par l’éd.
Ed. V. Licitra, La « Summa de arte dictandi » di Maestro Goffredo, dans
SM, 7, 1966, p. 865-913, en ligne sur le site de l’Archivio della latinità
italiana del Medioevo (ALIM) http://www.uan.it/alim/index.html.

Transmundus

Après avoir fait carrière dans la chancellerie pontificale (il signe des actes de
1185 à mars 1186), Transmundus est entré à Clairvaux; Magister Gaufridus
le mentionne en 1 188. A la présentation assez compliquée de S. J. Heathcote
(dans Analecta cisterciensia, 21, 1965, p. 35-109 et 167-238), A. Dalzell
substitue une histoire plus claire de la transmission de ses Introductiones.
T[ La réd. I ( Ysagoge dictaminum ad epistolas componendas secundum magi¬

strum tramundum — Introductiones dictandi composite a trasmundo clare


168 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

vallensi monacho et quondam romane curie notano ), qui ne fait aucune allu¬
sion aux théories françaises du dictamen , est transmise par 4 témoins, tous
variants ; dans le manuscrit le plus complet (Montpellier BISM 302 = B), le
texte a fait l’objet de remaniements, en France (peut-être est-ce l’œuvre de
Transmundus lui-même, à Clairvaux). Cette première version pourrait dater
des années 1180.
il La réd. II (Introductiones transmundi , sedis apostolicae protonotarii, de
arte dictandi) est largement augmentée, en particulier d’éléments sur le
cursus dans le style Orléanais, et de larges passages démarqués de Y Ars
dictandi aurelianensis ; elle est divisée en deux, un cours élémentaire et un
cours avancé. Cette révision pourrait être due à Transmundus, après 1206.
Certaines additions successives ne peuvent remonter à l’auteur. 10 témoins,
texte stable. C’est ce texte qu’édite A. Dalzell.
Ed. A. Dalzell, Introductiones dictandi by Transmundus. Text edited and
translated with annotations , Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval
Studies, 1995 (Studies and Texts 123).

« Ut congruam doctrinam dictaminum... »


Fin du XIIe Italie du Nord (Plaisance ?). Ce texte, dont je ne connais que
s.,
le début par la photographie donnée par A. Riva, est sans doute une première
rédaction du traité suivant.

Texte inédit, dans Piacenza Arch, di Stato Diversorum Volumen Mp. 155
(XII ex) un cahier, f. 1 reprod. par A. Riva, La Biblioteca capitolare di
S. Antonino di Piacenza ..., pi. XLIV, notice p. 226-227 ; je n’ai pas encore
eu la possibilité d’étudier l’ensemble du témoin.

« Ut compendiosam et congruam doctrinam dictaminis ... »


Fin du XIIe ou début du XIIIe s., Italie du Nord (sans doute utilisé par Arse
ginus de Padoue). M. Klaes (1990, n. 19 p. 202), présente comme une
esquisse du «De competenti dictaminum.... » ce petit traité suivi d’un recueil
de lettres dans Zaragoza BU 225 (olim 41), qui s’avère être une autre rédac¬
tion du manuel précédent. Ch. Faulhaber, Las retóricas hispanolatinas...,
p. 18, apparemment sur la foi d’exemples de lettres qui suivent, l’estime
contemporain de Y Ars dictandi Palentina : vers 1230 (il cite apparemment
Folquet de Marseille, évêque de Toulouse de 1205 à 1231), dans le Studium
de Toulouse.

Texte inédit, consulté dans Zaragoza BU 225 (olim 41) (XIII in) f. 64v-65v
(Faulhaber indiquait les f. 64v-68v parce qu’il incluait dans l’œuvre le
formulaire de lettres qui suit).
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 169

«De competenti dictaminum et grata scientia... »


Entre 1204 et 1214, sans doute sud de la France (M. Klaes, 1990, p. 201
202). Ce manuel utilise les Flores dictaminum de Bernard de Meung et VArs
dictandi Aure lianensis. Haskins (voir supra, Bernard de Bologne) a vu dans
ce traité une rédaction française de la Summa de Bernard de Bologne (il est
précédé du prologue en vers de la rédaction B de la Summa), M. Brini Savo
relli une copie allemande de ars de Bernard Silvestre (qui, en fait, n’est pas
encore retrouvée). Des mentions de Salzburg, Regensburg et Mainz sont les
indices d’un remaniement allemand plus tardif. 1 témoin, Wien ÖNB 246
(XIII) f. 51-57V.
Ed. M. Brini Savorelli, Il « dictamen » di Bernardo Silvestre, dans Rivista
critica di storia della filosofia, 20, 1965, p. 182-230, avec les corrections
de B. Löfstedt, dans Filologia mediolatina, 2, 1995, p. 243-247.

Thomas de Capoue

Etudes à Vicenza (selon E. Heller, mais cf. H. M. Schaller, dans DA, 21,
1965, p. 387 ; sur la biographie de Thomas de Capoue, p. 371-394). Card, de
Sainte-Sabine en 1216, il dirige de fait la chancellerie pontificale, à laquelle
il appartenait sans doute déjà auparavant (H. M. Schaller, p. 388), peu avant
la mort d’innocent III (juillet 1216) ; il perd cette direction sous Honorius III,
mais demeure actif à la chancellerie, f 1239. Il faut distinguer la <Summa
dictaminis>, important recueil de lettres constitué après la mort de Thomas,
de l’<Ars dictandi>, traité théorique.
<Ars dictandi>
Entre 1200 et 1210, traité sous influence bolonaise, utilisé à la chancellerie
pontificale jusqu’à la mort de Thomas. 48 témoins vus par l’éd., 7 utilisés.
Ed. E. Heller, Die Ars dictandi des Thomas von Capua. Kritisch erläu¬
terte Edition, dans Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der
Wissenschaften. Philosophisch historische Klasse , 1928-1929, 4. Abhand¬
lung, en ligne sur le site de l’Archivio della latinità italiana del Medioevo
(ALIM), http://www.uan.it/alim/index.html.

Gervais de Melkley (de Saltu lacteo)


Né vers 1185, mentionné encore en 1219. Disciple de Jean de Hanville, maître
de grammaire à Oxford. Cf. E. Faral, Les arts poétiques du XIIe et du XIIIe siè¬
cle, Paris, 1924, p. 34-37, et M. Camargo, Medieval Rhetorics..., p. 7-8.
f De arte versificatoria (sive <Ars poetica> )
1215-1216. Sur le titre, cf. Worstbrock, 1967, p. 99, n. 1, et la formule d’expl.
suivant Y «In componendis epistulis... ». 4 témoins, dont 3 utilisés par l’éd.
Ed. H. J. Gräbener, Gervais von Melkley, Ars poetica. Kritische Ausgabe,
Münster, 1965 (Forschungen zur romanischen Philologie 17); cf.
F. J. Worstbrock, dans ZfdA. Anzeiger, 78/1, 1967, p. 99-107.
170 ANNE-MARIE TURCAN-VERKERK

ï «In componendis epistulis... »


On trouve ce texte avant ou après Y Ars versificatoria dans les manuscrits,
deux d’entre eux le faisant suivre de la formule Explicit tractatus Gervasii de
saltu lacteo de arte versificatoria et modo dictandi. L’attribution à Gervais est
soutenue par Gräbener, p. XXIII-XXIV.
Ed. E. Faral, Le manuscrit 511 du «Hunterian Museum» de Glasgow ,
dans SM, n. s. 9, 1936, p. 18-119 [texte n° 37, p. 58-59] ; H. J. Gräbener,
Anhang, p. 224-229.

Arseginus

Notaire de Padoue, Arseginus dictus magister a enseigné la grammaire et la


rhétorique.
f Quadriga
Vers 1217 (date probable de la Quadriga , les proverbia ayant sans doute été
écrits juste après). 2 témoins, dont un fragmentaire. Utilisé par Bene de
Florence.

Texte inédit, consulté dans Padova BU 1182 (XV) f. 161 167 v;


P. Marangon, La « Quadriga » e i « Proverbi » di Maestro Arsegino.
Cultura e scuole a Padova prima del 1222, dans Quaderni per la storia
dell* Università di Padova, 9-10, 1976-1977, p. 1-44 (édition du prologue
et des têtes de chapitres p. 38-44, citations brèves au cours de l’article) —
G. C. Alessio, Postilla per Arsegino..., p. 325-326 sur la diffusion de
l’œuvre; citations d’extraits passim.

<Ars dictandi Palentina>

Début du XIIIe s., avant 1230 ca. Parmi les œuvres antérieures, les plus
proches sont celles de Bernard de Meung et le De competenti dictaminum et
grata scientia..., immédiatement antérieur et provenant du sud de la France.
Dans le manuscrit, Yars dictandi proprement dite est précédée d’un formu¬
laire (éd. par A. M. Barrero García, dans Anuario de historia del derecho
español, 46, 1976, p. 671-711) contenant des références à Toulouse, Sens,
mais aussi au studium de Palencia — d’où le nom de Yars — et suivie de
règles métriques sur la longueur des syllabes initiales, de règles sur les
accents, et de quatre lettres mentionnant Toulouse. 1 témoin, Barcelona Bibl.
de Catalunya 776 (XIII1) f. 1-6 (formulaire) et f. 6v-9v (ars).

Ed. A. M. Gómez Bravo, El latín de la Clerecía : Edición y estudio del Ars


dictandi palentina, dans Euphrosyne, n. s. 18, 1990, p. 99-144 (texte
p. 126-133).

BONCOMPAGNO DA SlGNA

Né vers 1170, il commence à enseigner à Bologne en 1195, vit et enseigne à


Rome en 1204, abandonne Bologne après 1215. A Venise de 1215 à 1220.
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 171

C’est l’année de rédaction de sa Rhetorica antiqua , publiée à Padoue en


1226-1227, après un bref retour à Bologne vers 1220. A Reggio entre 1229 et
1234. En 1235 à Bologne, où il publie la Rhetorica novissima, t après 1240
(se reporter à V. Pini, art. Boncompagno da Signa , dans DBI, 11, 1969). Les
œuvres de Boncompagno ont été mises en ligne par S. M. Wight, Medieval
Diplomatie and the ‘Ars dictandi ’, Los Angeles, 1998, sur le site de Scrineum
à l’Université de Pavie (http://dobc.unipv.it/scrineum/wight), certaines en
édition originale.
% Tractatus virtutum
1197 ca. 5 témoins.

Ed. S. M. Wight (cf. supra).

Palma
1198-1199. 6 témoins.

Ed. C. Sutter, Aus Leben und Schriften des Magisters Boncompagno,


Freiburg im Breisgau, 1894, p. 105-127, mise en ligne par S. M. Wight
(cf. supra), disponible aussi sur le site de l’Archivio della latinità italiana
del Medioevo (ALIM) http://www.uan.it/alim/index.html.

% Boncompagnus ( Rhetorica antiqua, Ars dictaminis pour Du Cange, Liber de


ordinatione dictionum artificiosa, Candelabrum, Pratum eloquentiae)
Donnée en lecture publique en mars 1215. Seconde rédaction en 1226,
version que donnent les manuscrits. 20 témoins mentionnés par S. M. Wight.
Ed. S. M. Wight (cf. supra); L. Rockinger, p. 128-174 (larges extraits).

% Rhetorica novissima
Ecrite sans doute pour la majeure partie à Venise, parution à Bologne en 1235.
Destinée aux étudiants de droit civil et canon. 3 témoins utilisés par l’éd.
Ed. A. Gaudenzi, dans Bibliotheca Iuridica Medii Aevi, 2, Bologna, 1892,
p. 249-297, mise en ligne par S. M. Wight (cf. supra).

Bene de Florence

Bene de Florence enseigne à Bologne à partir de 1218.


% Summa dictaminis

Pas avant 1199 (G. C. Alessio, Candelabrum, p. XXVIII-XXIX). 1 témoin.


Texte consulté dans Venezia Bibl. Naz. Marciana Lat. XI, 7 (= 4506) f. 3
lOv; éd. G. Vecchi, Bene da Firenze, Summa dictaminis, Bologna, 1954
(livre introuvable) ; F. Mariutto a édité le texte pour sa thèse de doctorat,
soutenue en nov. 2002, sous la dir. de G. C. Alessio (information sur le site
internet de l’Università degli Studi di Venezia, Facoltà di Lettere e Filo¬
sofia).
172 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

f Candelabrum
La rédaction s’est échelonnée de 1220 à 1226 (G. C. Alessio, p. XXIX
XXX). 18 témoins utilisés par l’éd.
Ed. G. C. Alessio, Bene Florentini Candelabrum, Padova, 1983
(Thesaurus Mundi. Bibliotheca scriptorum latinorum mediae et recentioris
aetatis 23).

Jean de Garlande
Vers 1195 - 1 1272, il enseigne à Paris à partir de 1213 ca. Œuvres poétiques,
grammaticales et rhétoriques, lexicographiques (voir le bilan de C. Jeudy,
dans Dictionnaire des Lettres Françaises. Le Moyen Âge, cur. G. Hasenohr -
M. Zink, Paris, 1992, p. 779-780).
ï Parisiana poetria
Ecrite vers 1220, elle aurait été révisée entre 1231 et 1235 (T. Lawler).
6 témoins.

Ed. T. Lawler, The Parisiana Poetria of John of Garland. Edited with


Introduction, Translation and Notes, New Haven - London, 1974.

Pons le Provençal
Maître actif dans le 2e quart du XIIIe siècle. Auteur d’une Summa dictaminis ,
d’une Summa de constructione (manuel de grammaire), d’un Epistolarium et
d’un De libellis qui le complète. Il existe trois états de Y Epistolarium : le
dernier, Orléanais, est daté de 1252; un état toulousain date sans doute du
début de la carrière de Pons, peut-être toulousain lui-même, on peut situer à
Paris un état intermédiaire (d’après Ch. Vulliez, Des écoles de T Orléanais...,
t. II, p. 707-716; je n’ai pas vu la thèse d’Ecole des Chartes inédite
d’H.-G. Le Saulnier de Saint-Jouan, Paris, 1957).
f Summa dictaminis de competenti dogmate (titre donné par l’auteur)
1238-1243 ca, peut-être à Paris (Ch. Vulliez, p. 714). 19 témoins cités par
Ch. Vulliez.

Texte consulté dans Paris BNF lat. 8653 f. 2-7 ; éd. d’extraits par Ch. Fier
ville, Une grammaire latine inédite du XIIIe siècle, extraite des manuscrits
n° 465 de Laon et n° 15462 (fonds latin ) de la Bibliothèque nationale,
Paris, 1886, p. 175-177.

Gaufridus de Everseley
(Cumseselz, Cumeselz, lectures fautives pour Everseley ?)
Anglais, clerc au service d’ Alfonse X de Castille et d’Edouard Ier d’Angle¬
terre; diplomate et notaire, f 1283.
ï <Ars epistolaris omatus>
Entre 1267 et 1275, à la cour d’Alphonse X. Le titre est tiré de l’inc. du livre
I. L’auteur annonce un livre V, pratica epistolaris ornatus , que nous n’avons
LE PROSIMETRUM DES ARTES DICTAMINIS MÉDIÉVALES 173

pas. Il utilise Boncompagno, Guido Faba, Dominicus Gundisalvi, Matthieu de


Vendôme. Les premières lettres des différents livres et chapitres forment
l’acrostiche: «Gaufridus anglicus hoc fecit opus in laudem domini Alfonsi
illustris regis Castelle ac etiam Legionis» (cf. V. Bertolucci Pizzorusso,
p. 20-21). 2 témoins.
Ed. d’extraits par Ch.-V. Langlois, Formulaires de lettres du XIIe, du
XIIIe et du XIVe siècle (5e article ), dans Notices et extraits..., 35/2, p. 427
434 (début du traité p. 429, extraits brefs passim), et V. Bertolucci Pizzo
russo, Un trattato di Ars dictandi dedicato ad Alfonso X, dans Studi
mediolatini e volgari, 15-16, 1968, p. 9-88 (Appendice, p. 65-88 : table du
contenu ; I, 3 De salutatione et speciebus salutationum diversis ; II, 6 de
stilaribus cadendis in distinctionibus singulis collocandis ; III, 8 de inven¬
tione et dispositione epistolaris ornatus ; IV, 6 quomodo seculares persone
gradus superioris ad invicem ac etiam suos inferiores salutant, et citations
passim).

Conrad de Mure

1210 ca - t 1281; premier chanteur au Grossmünster à Zürich en 1259. Il a


écrit et copié des chartes, est l’auteur de vies de saints en vers, d’un poème
héraldique, d’un De sacramentis, d’un Fabularius, d’un abrégé du De musica
de Boèce, et du Novus graecismus. Encyclopédiste et panégyriste.
H Summa de arte prosandi
1275. 1 témoin, München BSB lat. 5531 f. 137-182v.

Ed. W. Kronbichler, Die summa de arte prosandi des Konrad von Mure,
Zürich, 1968.

Jean de Limoges
Identifié par son éditeur comme un abbé cistercien de Zirc (1208-1218) passé
ensuite chez les Franciscains ; il semble qu’en réalité ce maître séculier,
devenu cistercien, n’ait écrit que dans la seconde moitié du XIIIe siècle
(cf. R. Aubert, dans DHGE, fase. 156-157, 1998, col. 230-231).
f Libellus de dictamine et dictatorio syllogismorum
Il fait allusion à Aristote, ce qui doit le situer dans la deuxième moitié du
XIIIe s. ; le seul nom de lieu cité dans les modèles est Paris (plusieurs
mentions du studium parisiense). 1 témoin complet connu de l’éd., Troyes
BM 893 (XIII?)138.
Ed. C. Horvath, Johannis Lemovicensis abbatis de Zirc 1208-1218 Opera
omnia, t. I, Veszprém, 1932 (Libri de Zirc 2), p. 4-68.

138 E. J. Polak en décrit un autre témoin, Bruges BP 381 (XIII) f. 5-16, où l’ou¬
vrage porte ce titre : Liber de dictamine et dictatorio sigillo.
174 ANNE-MARIE TURCAN VERKERK

Jacques de Dînant
Ses œuvres sur le dictamen sont transmises en corpus par Roma Bibl. Ange¬
lica D.8.19 (516) (XIV, Italie). Certaines ont été mises en ligne sur le site de
l’Archivio della latinità italiana del Medioevo (ALIM),
http://www.uan.it/alim/index.html.
ì[ Summa dictaminis
Ecrite entre 1282 et 1295, probablement à université de Bologne
(E. J. Polak, p. 15 et p. 19).
Ed. E. J. Polak, A textual Study of Jacques de Dînant* s Summa dictaminis,
Genève, 1975 (Etudes de philologie et d’histoire), p. 61-131.

Formularius de modo prosandi de Baumgartenberg


Tous les éléments du formulaire ne remontent pas à la même époque : de la
seconde moitié du XIIIe au début du XIVe s.

Ed. L. Rockinger, p. 725-838.

Giovanni del Virgilio

Tl Ars dictaminis
Vers 1320. 1 témoin, Napoli BN XIII G 33 (XV1) f. 61-67, texte mutilé de la
fin.

Ed. P. O. Kristeller,
Un* «Ars Dictaminis» di Giovanni del Virgilio, dans
IMU, 4, 1961, p. 181-200 (texte p. 193-200).

Anne-Marie Turcan Verkerk


IRHT, Paris-Orléans

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