Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
MRL 4
Manuals of
Romance Linguistics
Manuels de linguistique romane
Manuali di linguistica romanza
Manuales de lingüística románica
Edited by
Günter Holtus and Fernando Sánchez Miret
Volume 4
Manuel
de la philologie
de l’édition
Édité par
David Trotter
ISBN 978-3-11-030246-2
e-ISBN [PDF] 978-3-11-030260-8
e-ISBN [EPUB] 978-3-11-039511-2
www.degruyter.com
Manuals of Romance Linguistics
Les Manuals of Romance Linguistics, nouvelle collection internationale de manuels de
linguistique romane (en abrégé MRL), présentent un panorama encyclopédique, à la
fois synthétique et systématique, de la linguistique des langues romanes tenant
compte des derniers acquis de la recherche.
Prenant le relais des deux grands ouvrages de référence disponibles jusqu’alors
aux éditions De Gruyter, le Dictionnaire de linguistique romane en huit volumes (Lexi-
kon der Romanistischen Linguistik, LRL, 1988–2005) et l’Histoire des langues romanes en
trois volumes (Romanische Sprachgeschichte, RSG, 2003–2008), qu’il aurait été impen-
sable de réviser dans des délais raisonnables, les MRL se sont donnés comme objectif
d’offrir une présentation actualisée et approfondie de ces vues d’ensemble, et de les
compléter en y intégrant des domaines et des courants de recherche nouveaux et
importants ainsi que des thèmes qui, jusqu’à présent, n’avaient encore jamais fait
l’objet d’un traitement systématique.
La collection des MRL a par ailleurs une structure par modules nettement plus
souple que celle des anciens ouvrages de référence. 60 volumes sont prévus, qui
comprennent chacun entre 15 et 30 articles environ, soit un total de 400 à 600 pages.
Chacun d’entre eux présente les aspects essentiels d’un thème donné, de façon à la
fois synthétique et clairement structurée. La réalisation de chaque volume séparé
exigeant moins de temps que celle d’une grande encyclopédie, les MRL peuvent
prendre plus aisément en considération les développements récents de la recherche.
Les volumes sont conçus de manière à pouvoir être consultés indépendamment les
uns des autres tout en offrant, pris ensemble, un aperçu général de tout l’éventail de
la linguistique actuelle des langues romanes.
Les volumes sont rédigés en différentes langues – français, italien, espagnol,
anglais, voire, exceptionnellement, portugais –, chacun d’entre eux étant intégrale-
ment rédigé dans une seule langue dont le choix dépend du thème concerné. L’an-
glais permet de donner une dimension internationale et interdisciplinaire aux thèmes
qui sont d’un intérêt plus général, dépassant le cercle des études romanes stricto
sensu.
La collection des MRL est divisée en deux grandes parties thématiques : 1) langues
compris les créoles), chacune d’entre elles faisant l’objet d’un volume à part entière.
Les MRL accordent une attention particulière aux petites langues, aux linguae minores,
qui jusqu’alors n’avaient pas été traitées de manière systématique dans le cadre de
panoramas d’ensemble : on y trouvera des volumes portant sur le frioulan, le corse, le
Juin 2015
Günter Holtus (Lohra/Göttingen)
Fernando Sánchez Miret (Salamanca)
Table des matières
David Trotter
0 Introduction : état de la question
1
Francesco Carapezza
1 Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 21
Nadia R. Altschul
3 L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 81
Alexandru Mareş
4 L’édition des textes roumains anciens 95
Raymund Wilhelm
5 L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 131
L’édition électronique
Andrea Bozzi
8 Entre texte et image : la méthode de Pise
194
Marc Kiwitt
9 L’ancien français en caractères hébreux 219
VIII Table des matières
Guido Mensching
10 Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 237
Textes non-littéraires
Martin Glessgen
11 L’écrit documentaire médiéval et le projet des Plus anciens documents
linguistiques de la France 267
Anja Overbeck
12 L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
296
Textes particuliers
Claude Buridant
13 Édition et traduction 319
Frédéric Duval
14 Les éditions de textes du XVIIe siècle 369
Au-delà du texte
Frankwalt Möhren
15 L’art du glossaire d’édition 397
Gilles Roques
16 Défense et illustration du compte rendu scientifique 438
Index 464
David Trotter
0 Introduction : état de la question
ce qui se fait dans le monde des éditions de textes aujourd’hui. L’on constate qu’il
existe un panorama assez diversifié d’éditions, parfois même dans une seule tradition
nationale. Car la variation concerne non seulement les pays et les traditions différents
au sein desquels se poursuit l’édition de textes, mais aussi (dans le temps) l’évolution
des philosophies éditoriales qui sous-tendent les décisions concrètes de l’éditeur. Il
est remarquable de constater dans quelle mesure – en dépit du développement
parallèle des langues romanes et de la discipline « pan-romane » de l’édition de
tique
philologie linguistique
La philologie est une science de l’écrit – fait qu’on lui reproche parfois, à tort – qui
s’occupe de tout ce qui tourne autour du texte. Le mot « philologie » lui-même n’est
pas entièrement sans poser de problèmes car le sens exact qu’il revêt est variable
suivant la langue qu’on parle : la filologia italienne ne correspond pas exactement à la
certes un rôle chez les philologues) que le désir de comprendre le texte, parfois
1 Logos reste évidemment ambigu : c’est toute la complexité de la quête du sens qui s’y cache. Cf.
Möhren (2012, 2 n. 3) : « À la fin de son grand article sur le Renard (RLiR 75, 2011, 127–189), François
Zufferey cite Jean Rychner : ‹ l’amour exigeant des textes qui vit au cœur de la philologie › […] », où le
la fois linguistique et littéraire). C’est cette dernière qui est surtout impliquée dans la
discussion des éditions de textes, même si très souvent, l’édition elle-même est
conçue avec des buts littéraires et aura été établie par un spécialiste littéraire.
La philologie linguistique a été définie de la manière suivante :
« Dans le sens étroit, plus actuel, [le terme de ‹ philologie ›] se réfère à la théorie et la pratique
éditoriales qui comportent la critique textuelle, mais également des pans interprétatifs. Il existe
une distinction de fait entre une philologie ‹ littéraire › (plus intéressée par les aspects de
déjà avant, d’A. Vàrvaro), mais elle n’a jamais été érigée en système. Sa conceptualisation est
toutefois indispensable : c’est seulement une fois admise la scission entre philologie littéraire et
linguistique qu’il devient possible de définir le rôle de la philologie linguistique autant dans
l’établissement et la compréhension du texte que dans la définition de son ancrage spatio-
temporel. […] Mettre en relief l’importance de la linguistique pour la philologie éditoriale et
préciser les interactions entre l’analyse linguistique et l’établissement des textes, contient pour-
tant un potentiel notable pour la philologie des prochaines années.
Indépendamment de ses orientations plus spécifiques, la philologie éditoriale est une science
moins doctrinale que pratique : elle s’exprime par la publication d’éditions de textes et par la
réflexion sur les problèmes qui lui sont inhérents bien plus que par une réflexion abstraite et
théorique. La complexité de la philologie s’explique par la multitude des cas de figure concrets,
par la diversité des disciplines impliquées (littérature, linguistique, histoire) et par les différentes
finalités de chacune d’entre elles. S’ajoute par ailleurs sa dimension internationale : la philologie
dont la langue d’objet est le français est exercée notamment, en dehors des pays francophones, en
Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves et anglo-américains (cf. Duval
2006). Les nombreuses traditions nationales suivent partiellement des voies différentes, générant
ainsi une science ‹ pluricentrique ›. L’absence de méthodologie commune a été souvent reprochée
à la philologie, mais cette absence est intrinsèque à la discipline ; la philologie consiste plus en un
De cette analyse, l’on peut relever les éléments suivants qui ont une pertinence
particulière pour l’édition de textes :
2 Il ne faut pas sous-estimer cette tâche surtout dans le cas d’une langue ancienne. Bien des analyses
littéraires exquises montrent clairement que leurs auteurs n’ont pas compris « leur » texte au sens le
plus … littéral. Vouloir comprendre son texte est une chose (↗15 L’art du glossaire d’édition) ; pouvoir
Cette étude importante n’était pas à notre disposition avant de lancer ce volume mais
il est clair qu’elle se base sur des principes qui sont également visibles dans les pages
qui suivent. La séparation entre « littéraires » et « linguistes » a le résultat souvent
néfaste que les éditions sont fabriquées par des spécialistes des études littéraires qui
n’ont pas toujours une formation adéquate devant les problèmes que peuvent poser
des textes anciens. Et même des textes moins anciens : dans le cas des textes français
du XVIIe siècle, mais sans doute aussi dans d’autres, cela entraîne une modernisation
éditoriale, science qui cherche surtout des solutions concrètes à des cas de figure
différents, manifeste une variabilité importante, tant entre les traditions nationales
qu’à l’intérieur de celles-ci (voir section 3, infra). D’une part cette variabilité est le
résultat de l’évolution de la science, variable suivant les pays ; d’autre part elle est
sans doute aussi un produit de choix éditoriaux et en fin de compte, parfois tout
simplement de goûts personnels.
et dans l’espace
Si la philologie, au moins dans certaines visions nationales, englobe l’intégralité de la
tradition écrite, de son début jusqu’à l’actualité, elle est souvent comprise comme
ayant une valeur particulière et un rôle particulièrement important pour l’étude des
documents les plus anciens ou plus généralement des origines jusqu’au Moyen Âge.
Ce n’est pas que les textes postérieurs soient sans problème mais l’arrivée en scène de
l’imprimerie (au XVe siècle) est un changement décisif dans la production textuelle et
dans la méthodologie de son analyse. Ce qui reste après cette innovation, est cepen-
dant le rôle de l’auteur-créateur devant ses manuscrits, et parfois la nécessité de
reprendre une par une les versions successives de ce qu’il est convenu d’appeler un
« texte » pour suivre sa genèse, son évolution et sa production. Des cas classiques : les
versions des Essais de Montaigne, dont les couches successives montrent le philo-
sophe en plein développement, ou encore, les manuscrits d’un Flaubert ou d’un
Becket, qui seront examinés par les spécialistes de la génétique textuelle.
En ce qui concerne le temps, cependant, et la diachronie, le présent volume reste
fidèle à une conception assez traditionnelle de la philologie. Pour les éditions des
textes fournis par la majorité des écrivains modernes – post-Gutenberg – confection-
ner une bonne édition ne nécessite pas de se plonger dans les multiples manuscrits
d’un auteur, en tout cas pas comme pour le Moyen Âge. Cela tient sans doute en partie
au fait que depuis le Moyen Âge, la conception de l’auteur a elle-même changé : il
C’est ainsi que les contributions de ce volume s’adressent presque toutes aux ques-
tions que pose cette philologie du Moyen Âge.3
Deuxième aspect du temps : l’évolution de la philologie elle-même, depuis ses
c’est d’évoluer. La philologie de l’édition des langues romanes, née dans le sillage
d’une part de la critique textuelle classique et biblique, d’autre part comme partie
constituante de la linguistique comparée allemande du XIXe siècle, a sa propre
histoire. Marquée par l’intervention des grands savants de notre discipline (Bartsch,
Suchier, G. Paris, Meyer au XIXe siècle ; mais aussi Menéndez Pidal, Bédier, Contini au
des langues romanes, sujet éminemment lié au temps, est aussi de par sa nature une
discipline qui tient obligatoirement compte de l’évolution et de la distribution dans
l’espace linguistique où vinrent s’installer les langues romanes. La linguistique ro-
mane est irrémédiablement diachronique (« du latin aux langues romanes ») mais
aussi fatalement diatopique. Une langue romane est une langue née du voyage.
Étudier la philologie de l’édition des langues romanes implique donc une certaine
couverture des différentes langues de la Romania. En même temps, puisque les
romanistes médiévistes se conçoivent souvent autant comme médiévistes (c’est-à-
dire : comparatistes) que romanistes (idem), il est – ou il était – normal qu’un
ce qui concerne l’édition des textes (nous le verrons). Mais une ouverture inévitable
(car essentielle sur le plan intellectuel si l’on veut comprendre la culture médiévale,
mais aussi les langues romanes dans leur ensemble) vers des textes dans d’autres
langues, allège au moins parfois l’effet réducteur d’un esprit d’école trop sévère. Au
niveau de l’étude des textes du Moyen Âge, en tout cas, s’il existe des razze romanze,
esiste aussi la romanità. Les textes s’influencent à travers les frontières linguistiques et
le concept d’une romanité des textes médiévaux est aussi réel que celui de la latinité
sous-jacente des langues romanes.
3 Un chapitre de Frédéric Duval (↗14 Les éditions de textes du XVIIe siècle) montre dans quelle mesure
(et en dépit de ce qu’on croit trop souvent) les mêmes difficultés se posent au XVIIe siècle français,
même si elles sont subrepticement occultées par la majorité des éditions même « savantes ».
Introduction : état de la question
5
moins évidente que l’on ne pourrait le croire. Car ce constat visiblement (et par trop)
réducteur cache une complexité redoutable : les concepts de « fiabilité » et de « fidé-
discussion. Même au niveau apparemment le plus simple – l’edition d’un texte dont il
ne subsiste qu’un manuscrit unique – ce ne sont pas des paramètres univoques.
« Fiabilité » et « fidélité » aux intentions de l’auteur, ou à la réalité manuscrite que
fournit le copiste ? C’est un débat qui a probablement fini car relativement peu
de là, car ici il ne s’agit que du cas relativement simple du manuscrit unique. Devant
des textes avec une transmission plus compliquée, une approche plus lachmannienne
est encore très visible, soit parce que l’éditeur peut se permettre de trouver une leçon
plus compréhensible dans un autre manuscrit, soit en permettant la (re)construction
d’un texte assez éloigné de tous les manuscrits qui ont survécu (↗2 L’édition critique
des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois ; cf. Palumbo 2014). En romanis-
Moyen Âge (dirigée par Mario Roques), à la différence de la Société des Anciens Textes
Français, a adopté une politique bédiériste, et l’influence des CFMA a sans doute
contribué à une certaine perception de ce que c’est qu’une édition de texte. C’est dire
que la philologie de l’édition, produit de l’éclosion des philologies nationales du
XIXe siècle, connaît des dimensions qui sont en dernière analyse nationales, et qui
4 Voir Duval (2006) pour une présentation des principales pratiques aujourd’hui.
6 David Trotter
La romanistique a presque deux siècles et il n’est pas surprenant qu’elle ait évolué au
cours de cette période. En dépit de l’existence inévitable – et saine – de différentes
« écoles » qui parfois s’affrontent, mais surtout se complètent,5 l’on peut dire que sur
le fond, il règne un accord certes tacite mais néanmoins réel sur au moins les aspects
centraux de la discipline. Mais chose curieuse : ce n’est pas vraiment le cas pour ce
habitudes des spécialistes du moyen haut allemand ne sont pas les nôtres : ils sont
beaucoup plus « lachmanniens ». Les anglicistes tendent vers des éditions qui aux
exemple entre les u et les v, les i et les j, les caractères maintenant périmés de
l’alphabet du Moyen Âge (ð, þ, Ʒ) sont préservés, et l’édition classique d’un texte en
moyen anglais exige du lecteur un effort assez important.6
5 Voir les observations perspicaces de Robert Martin sur les « écoles qui superbement s’ignorent »
important : la datation des anglicistes suit la date du manuscrit, non pas celle du texte qu’il conserve.
C’est bien entendu particulièrement important quand il s’agit d’analyser les rapports entre l’anglais et
l’anglo-normand.
Introduction : état de la question
7
la critique textuelle), d’un Contini7 ou d’un Segre en italien (↗1 Entre théorie et
même s’il s’agit d’un texte en ancien français – dans la tradition italienne. Une
entreprise comparable serait difficile à envisager en France.8 L’évolution de la pra-
tique de la philologie de l’édition dépend évidemment surtout de la production
textuelle elle-même – comme on le sait, c’est l’expérience du travail direct sur le Lai
de l’Ombre qui aura permis à Bédier de développer sa doctrine devenue depuis
hégémonique, au moins dans certains pays. Voici un exemple de ce que Carles/
Glessgen appellent un cas de figure concret qui exige une solution concrète (Carles/
Glessgen, à paraître). L’importance du Poema de Mio Cid (manuscrit unique) pour la
culture castillane, et les théories traditionalistes auxquelles la discussion autour du
poème a donné naissance, a profondément marqué la conception de l’édition en
Espagne (↗3 L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle). Il est probable que
ment, pour faire des progrès, du dialogue qui s’instaure entre les éditeurs et la
communauté scientifique plus large. C’est là aussi qu’intervient le compte rendu de G.
Roques (↗16 Défense et illustration du compte rendu scientifique), qui continue (et à
raison) à occuper une place importante dans nos grandes revues de romanistique. Si
tous les médiévistes sont des consommateurs d’éditions, tous ne sont pas des pro-
ducteurs : l’édition de textes est devenue une affaire de spécialistes, et l’idée (jadis
courante) de proposer une édition comme sujet de thèse semble beaucoup moins
fréquente aujourd’hui. C’est dommage. Faire une (bonne) édition, signifie aborder
d’un coup et incontournablement la quasi-totalité des grandes questions que pose la
langue médiévale, et l’histoire de la langue, que ce soit au niveau du lexique, ou en
matière de paléographie/codicologie, ou encore en analyse littéraire.9 D’ailleurs,
comme le montre Wilhelm (↗5 L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et
littéraire), une édition de texte littéraire implique aussi une approche et une compré-
temps qui courent. L’on remarquera cependant que parmi les équipes des grands dictionnaires
historiques et médiévistes des langues romanes, l’on retrouve très souvent des éditeurs de texte (DEAF,
AND, TLIO, DOM).
8 David Trotter
hension … littéraires, en même temps que linguistiques : c’est déjà un pas vers l’unité
mes spécifiques mais fournissent aussi des renseignements supplémentaires sur l’état
de la langue, car une comparaison systématique entre texte-source et texte-cible est
souvent possible (↗13 Édition et traduction). Une catégorie à part (et à laquelle sont
consacrés trois chapitres) est formée par des textes en caractères non-romans : soit, le
cas du roumain, dont les premiers textes (déjà, dans une perspective romaniste,
tardifs, car ils ne remontent qu’au XVIe siècle) sont écrits en caractères cyrilliques.
tères hébraïques sont traités de la même façon grâce à une translittération en lettres
romanes qui essaie de respecter à la fois les graphies de l’hébreu et la phonétique de
la langue romane dont il est question, ici l’occitan (↗10 Éléments lexicaux et textes
res hébreux). Par rapport aux éditions bien plus simples des textes déjà en langue et
alphabet romans, le travail de l’éditeur comporte un élément d’interprétation beau-
coup plus important (sans parler des compétences linguistiques supplémentaires
qu’impliquent les éditions de ces textes).
Et puis, il y a le numérique. L’arrivée de l’informatique dans les sciences humai-
nes à partir des années 1980, époque à laquelle pour la première fois l’ordinateur
personnel (PC) commença à devenir une réalité, a profondément marqué la philologie
de l’édition. D’une part, l’informatique a permis la mise en ligne d’une quantité de
textes (souvent avec des images de manuscrits à l’appui), d’autre part, elle a facilité
des « éditions » qui juxtaposent tous les manuscrits d’un ouvrage, ce qui n’est pas,
(qui aura le temps ou l’envie de parcourir en même temps tous les manuscrits d’un
seul texte médiéval sur l’écran ?).10 Néanmoins, devant les restrictions surtout d’ordre
taculaire, le projet Rialto (napolitain, malgré son nom …) qui propose des textes
occitans, dont quelques-uns comportant également des interprétations musicales
(↗7 Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux). Le numérique permet
ainsi des ajouts importants au texte d’une édition, ce qui est le cas aussi dans
l’application élaborée à la Scuola Normale de Pise (↗8 Entre texte et image : la
méthode de Pise), qui fournit un système permettant non seulement de gérer texte et
image (du manuscrit), mais aussi de concevoir et de construire l’apparat critique de
l’édition : le numérique au service de la philologie. Comme dans la Queste del Saint
Graal telle qu’elle est conçue à Lyon (↗6 Édition électronique de la Queste del saint
Graal), qui fournit également des images mais aussi des outils d’interrogation synta-
xique et autres, l’on peut parler d’éditions informatiques de la deuxième génération,
enrichies et offrant au lecteur une gamme de possibilités qui va bien au-delà du texte
lui-même. L’on est bien loin de l’édition préparée à l’ancienne et (ensuite) informati-
sée : ce sont des éditions de texte conçues par et pour l’informatique.
documents linguistiques de la France, en revanche, ont été lancés à la fin du XIXe siè-
cle, bien entendu sous forme d’un projet d’éditions papier. La collection, en ligne sous
forme d’une base de données (↗11 L’écrit documentaire médiéval et le projet des Plus
italien permet l’exploitation de tout texte médiéval : seuls l’apparat critique, l’intro-
duction, etc., bénéficient du droit d’auteur moderne. Cela facilite bien entendu la
création d’une grande banque de données de textes et de documents médiévaux
comme celui du corpus textuel du Tesoro della lingua italiana delle origini (TLIO),
hébergé par l’Opera del Vocabolario Italiano (OVI).11
11 http://www.ovi.cnr.it/index.php?page=la-banca-dati (12.01.2015).
12 Pour la théorisation de la démarche du DÉRom, voir Buchi (2010), Chambon (2007).
13 Cf. la discussion dans la Revue de Linguistique Romane en 2011 (Buchi/Schweickard 2011a ; 2011b ;
Vàrvaro 2011a ; 2011b), et aussi les contributions de Kramer (2011) et de Möhren (2012).
Introduction : état de la question
11
Ce qui est cependant clair, quoique l’on pense des mérites respectifs du recours
au latin écrit et à la reconstruction déromienne,14 c’est qu’aucune histoire de langue
ne peut se passer de l’écrit. S’il est vrai que la naissance d’une langue est par
définition une opération orale, dès que cette langue est couchée par écrit (moment à
ne pas confondre avec sa naissance)15 son histoire est récupérée par le biais des
documents et des textes. Décrire l’histoire progressive de la langue française ou
castillane, est une opération impensable sans le recours à l’écrit. Il en résulte parfois
et même très souvent des histoires d’une langue qui ne sont en réalité que l’histoire de
la langue littéraire ; c’est même le cas le plus fréquent. Mais dépasser l’écrit, à
l'époque précédant l’invention de l’enregistrement sonore, n’est pas chose simple. Les
tentatives de retrouver l’oralité du Moyen Âge, par exemple, n’ont fourni que des
résultats assez limités, et il faut sans doute accepter qu’au maximum, l’on atteindra
non pas l’« oral », mais un « oral représenté » qui en est un reflet assez éloigné et
somme toute artificiel (Marchello-Nizia 2012).16 Le rapport entre écrit et oral du Moyen
Âge, que l’on a pu théoriser comme une manifestation d’un continuum entre proxi-
mité et distance de la communication (Nähe-Distanz-Kontinuum, Koch/Oesterreicher
1985) n’est pas sans rappeler la question des scriptae médiévales, à la fois reflet
(éloigné et partiel) des dialectes oraux, et produits d’un processus conscient de mise
par écrit.17 Pour une période plus récente, la découverte d’une langue des « peu-
lettrés » – de personnes qui savaient écrire, mais qui ne maîtrisaient pas les règles de
l’écrit standardisé – nous a permis d’entrevoir moins l’oral que la variation existant à
l’intérieur d’une langue que l’on croyait très figée (en l’occurrence, le français écrit
classique) mais qui en réalité jouissait d’une marge de liberté assez grande (Ernst
2010 ; Ernst/Wolf 2001–2005). Même phénomène : les lettres des Poilus de la Grande
Guerre, dans lesquelles des soldats, surtout du Midi, font montre d'une maîtrise de la
langue française partielle mais qui n’entrave pas la communication (Pellat, à para-
ître).
La linguistique historique dépend forcément des éditions, et ainsi, la philologie
des éditions joue un rôle parfois déterminant dans la constitution de cette histoire
14 Cf. la conclusion de Maggiore/Buchi (2014, 322) : « d’aucuns seront peut-être tentés de militer en
faveur d’une utilisation conjointe des deux principales méthodes de connaissance du latin global, la
reconstruction comparative et la philologie latine ». Je serais porté à adopter précisément cette solution
de compromis – ou d’éclecticisme, si l’on veut, car elle permet de sauvegarder le meilleur des deux
approches.
15 La naissance d’une langue, nous le rappelle Hélène Carles dans un livre magistral (Carles 2011,
541), a lieu quand on la parle, non pas quand on se met à l’écrire. Le travail pionnier de Carles sur
l’occitan « pré-textuel » sera bientôt développé et étendu à l’intégralité du gallo-roman dans Carles (en
préparation).
16 À consulter aussi : Diachroniques 3 (2013), sur l’oralité en français médiéval (Rodríguez Somolinos
(Selig 2005). Sans philologie, aucune datation n’est possible, même si cette datation
est loin d’être facile. Elle a sa propre problématique : fournit-on et suit-on une
datation par auteur, ou par manuscrit ? Et dans ce dernier cas, faut-il distinguer textes
plus centrale, l’histoire d’une langue ne pourrait que difficilement se concevoir sans
une masse de données publiées, donc sur une série diachronique de témoignages de
la vie de la langue. Pour des raisons essentiellement pratiques, cela implique l’accès à
des éditions, qu’elles soient de textes littéraires ou, de plus en plus, de textes non-
littéraires (juridiques, administratifs, financiers …). L’irruption de l’informatique dans
notre discipline ne change rien à cette nécessité car le numérique ne présente, au
fond, que les mêmes données sous une forme radicalement différente et surtout, sous
une forme susceptible de permettre des analyses quantitatives.18
cette même histoire exerce un pouvoir parfois remarquable sur les décisions des
éditeurs de textes. Il est bien sûr inévitable qu’il existe un va-et-vient entre éditions et
histoire linguistique : un nouveau texte, renfermant des mots ou des tournures insolites
voire inconnus, modifiera la vision que l’on aura de la langue de l’époque. Inévitable
aussi, un décalage entre l’apport de cette édition dans la littérature scientifique de
première main et les ouvrages de seconde main comme les manuels ou les dictionnai-
res. Il est clair qu’un éditeur de texte qui fait honnêtement son travail et qui consulte
assidûment ces ouvrages de référence (tous ne le font pas, bien entendu …)19 sera
influencé par les graphies et les formes qu’il y trouvera. Mais là est le hic, ou plutôt, hic
iacet lepus. Car très souvent, et bien plus souvent que l’on ne le croit, les manuels et les
dictionnaires reprennent des éditions pour lesquelles, standardiser (l’on disait corri-
ger) faisait partie du travail de l’éditeur. D’où une profusion de lemmes de dictionnaires
18 Des études basées sur les corpus électroniques peuvent bien entendu fournir des résultats que l’on
ne saurait atteindre sans l’aide de l’outil informatique, mais il ne faut pas perdre de vue que la très
grande majorité des bases de textes actuellement disponibles pour le Moyen Âge ont comme point de
départ des éditions traditionnelles ensuite numérisées. Or, le fait de numériser ne change rien à la
qualité ou à la fiabilité d’une édition et il faut en tenir compte dans l’usage que l’on en fait, plutôt que
de se fier aveuglément aux résultats certes impressionnants et séduisants que livre un ordinateur qui,
lui, a le droit d’être aveugle.
19 Le FEW brille par son absence dans beaucoup (trop) d’éditions de textes du domaine gallo-roman.
Introduction : état de la question
13
qui incarnent et perpétuent des formes … inexistantes. Or, modifier, à son insu ou
explicitement, son texte pour le ramener aux graphies proposées par des ouvrages de
référence qui contiennent des formes qui sont en fait le remodelage de textes selon des
critères établis au XIXe siècle, c’est tourner éternellement en rond. Le processus mental
ressemble à celui de Marco Polo devant un rhinocéros sumatrien, qu’il essaie en vain de
comprendre et d’expliquer par rapport à la licorne (fantastique) qu’il connaît du monde
livresque ; ou encore, aux réactions des scientifiques du XVIIIe siècle face à l’ornitho-
rynque, animal tellement peu facile à faire entrer dans les taxinomies du temps qu’au
début l’on croyait à une création factice produite en Chine.20 Éditer un texte ancien sans
connaître l’histoire de la langue, serait une entreprise périlleuse ; corriger les formes
que l’on retrouve dans son texte pour qu’ils ressemblent à ce qui existe déjà, c’est
réduire drôlement l’apport à la science d’une édition. La question du lexique, et du
glossaire des éditions, a fait l’objet de plusieurs études récentes (Chambon 2006 ;
Möhren 2012 ; ↗15 L’art du glossaire d’édition) mais en réalité, tous les domaines de la
langue sont concernés et tous exigent de l’éditeur non seulement une attention particu-
lière et la patience de vérifier toutes les possibilités déjà entérinées dans les ouvrages
de référence, mais surtout le courage de présenter une nouveauté comme telle.21
Sinon, la science n’avance pas. Le nain s’installe sur les épaules du géant précisé-
ment pour voir plus loin que s’il était resté les pieds sur la terre.
quelques souhaits …
Comment se porte de nos jours la sous-discipline « l’édition de textes » ? Une chose est
sûre : avec le temps, les éditeurs commencent à avoir édité un pourcentage plus
important de ce qui est disponible sous forme de manuscrits, en tout cas pour la
production dite « littéraire ». Ce qui ne les empêche pas de donner leur préférence aux
mêmes textes dont il existe souvent une multitude d’éditions, parfois très divergentes.
Un exemple classique : la Chanson de Roland. La bibliographie du DEAF en dénombre
une quarantaine d’éditions qui vont des dix volumes de textes quasi-diplomatiques
fournis par Mortier pour chaque manuscrit (Mortier 1940–1944) au texte critique et
classique de Segre (21989). L’entreprise de Mortier a été reprise par Duggan et al. (2005)
et pour la seule version d’Oxford, il existe des dizaines d’éditions, la plupart assez
« bédiéristes », avec ou sans traduction en français moderne. Le lecteur a l’embarras du
20 L’épisode du rhinocéros se trouve dans MPolGregM 6, 165 ; analyse dans Eco (1997, 83) ; et cf. ibid.,
une. Il faut aussi que les éditeurs consacrent du temps à tous les aspects linguistiques de leur texte, au
lieu de s’accrocher à une reformulation de type morpho-phonétique, ce qui est (trop) souvent le cas.
14 David Trotter
choix et se trouve devant l’embarras des méthodes. Il en est de même pour la plupart
des textes les plus célèbres. Du point de vue quantitatif, les documents non-littéraires
sont sans doute plus nombreux que les textes de la littérature d’imagination. Ces
documents ont longtemps été négligés mais comme nous l’avons déjà signalé, depuis
quelques décennies ils sont aussi l’objet d’éditions. De même, les textes scientifiques
(sensu largo) connaissent un regain d’intérêt dans tout le domaine roman, donnant lieu
à la publication de documents occitans, catalans, italiens et français (à titre d’exem-
ple : Baker 2010 ; Corradini/Periñán 2004 ; Dehmer 2007 ; Ferragud Domingo 2009 ;
Hilty/Vicente García 2005 ; Hunt 2008 ; Piro 2011). Si la production d’éditions de textes
un accès à la fois direct, aisé et sûr à la littérature du Moyen Âge. Un accès direct en
mettant sous les yeux du lecteur le texte original, un accès aisé grâce à la traduction
en français moderne proposée … »22). Mais les éditions bilingues témoignent égale-
doctorants (par exemple dans la série des Plus anciens documents linguistiques,
↗7.4.1 ; ou encore, Grübl 2014 ; Mazziotta 2009 ; Videsott 2013), ou l’accueil d’une
école d’été sur l’édition de textes organisée en septembre 2014 à Klagenfurt par
Raymund Wilhelm, et où ont assisté plus de vingt doctorants ou post-doctorants.23 En
tion-lettres-gothiques (12.01.2015).
23 Cf. http://www.uni-klu.ac.at/rom/inhalt/1147.htm (12.01.2015).
Introduction : état de la question
15
même temps, l’on peut déplorer que la pratique de l’édition est (sauf peut-être à
l’École des chartes à Paris, établissement strictement en dehors de l’université fran-
çaise24) absente de l’enseignement universitaire.
La philologie de l’édition demeure, hélas, une activité minoritaire parmi les
romanistes : c’est dommage, car elle est, selon nous, non seulement importante pour
elle empêche d’autres à tourner vers le même texte et plus grave encore, ses défauts
passent souvent inaperçus par bon nombre de lecteurs. Qu’entend-on par « mauvaise
s’élève. Encore faut-il qu’il existe une formation dans l’art d’éditer, qui pour l’instant
n’existe pratiquement pas.26 Un deuxième espoir : il faut éditer surtout des textes …
électroniques en parallèle. L’existence d’un texte en ligne, très important pour les
linguistes, lexicographes et bien d’autres encore, ne nuit pas aux ventes d’un livre,
quand celui-ci inclut l’apparat critique dont aura besoin tout chercheur sérieux – un
texte en ligne peut même servir de publicité. La question épineuse des droits de
l’auteur et de la maison d’édition (réglée de façon radicalement divergente dans les
différents pays de l’Union Européenne) ne devrait pas en tout cas entraver les progrès
26 Sauf peut-être à l’École des Chartes (F. Duval). Une école d’été de l’université de Klagenfurt en
Autriche (organisée par R. Wilhelm) s’est instaurée en septembre 2014 pour tenter de pallier à l’absence
de formation dans ce domaine.
27 Vœu déjà formulé, pour l’ancien français, de manière assez directe sinon brutale dans la Biblio-
graphie du DEAF, première édition, en 1993. C’est évidemment le cas pour d’autres langues aussi : cf.
Schweickard 2012.
16 David Trotter
7 Bibliographie
Baker, Craig (2010), Le Bestiaire. Version longue attribuée à Pierre de Beauvais, Paris, Champion.
Buchi, Éva (2010), Cent ans après Meyer-Lübke : le « Dictionnaire Étymologique Roman » (DÉRom) en
tant que tentative d’arrimage de l’étymologie romane à la linguistique générale, XXVI ACILFR, 1,
141–147.
Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (2011a), Sept malentendus dans la perception du DÉRom par
Alberto Vàrvaro, Revue de Linguistique Romane 75, 305–312.
Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (2011b), Ce qui oppose vraiment deux conceptions de l’étymologie
romane. Réponse à Alberto Vàrvaro et contributions à un débat méthodologique en cours, Revue
de Linguistique Romane 75, 628–635
Carles, Hélène (2011), L’émergence de l’occitan pré-textuel. Analyse linguistique d’un corpus auver-
gnat (IXe–XIe siecles), Strasbourg, Éditions de Linguistique et de Philologie.
Carles, Hélène (en préparation), Trésor du Gallo-Roman des Origines, Habilitation, Paris-Sorbonne.
Carles, Hélène/Glessgen, Martin (à paraître), La philologie éditoriale et linguistique, in : Claudia
textes (français médiéval et préclassique, ancien occitan), Revue de Linguistique Romane 70,
123–141.
Chambon, Jean-Pierre (2007), Remarques sur la grammaire comparée-reconstruction en linguistique
romane (situation, perspectives), Mémoires de la Société de Linguistique de Paris 16, 57–72.
Corradini, Maria Sofia/Periñán, Blanca (edd.) (2004), Giornate di studio di lessicografia romanza. Il
linguaggio scientifico e tecnico (medico, botanico, farmaceutico e nautico) fra Medioevo e
Rinascimento. Atti del convegno internazionale, Pisa, 7–8 novembre 2003, Pisa, Edizioni ETS.
Dehmer, Verena Cäcilia (2007), Aristoteles Hispanus. Eine altspanische Übersetzung seiner Zoologie
aus dem Arabischen und dem Lateinischen, Tübingen, Niemeyer.
Duggan, Joseph J., et al. (2005), La Chanson de Roland – The song of Roland : the French corpus,
Turnhout, Brepols.
Duval, Frédéric (ed.) (2006), Pratiques philologiques en Europe. Actes de la journée d’étude organisée
à l’École des Chartes le 23 septembre 2005, Paris, École des Chartes.
Duval, Frédéric (2009), Le français médiéval, Turnhout, Brepols.
Eco, Umberto (1997), Kant et l’ornithorynque, trad. J. Gayrard de l’original italien Kant e l’ornitorinco,
Paris, Grasset.
Ernst, Gerhard (2010), « qu’il n’y a orthographe ny virgule encorre moins devoielle deconsol et
pleinne delacunne » : la norme des personnes peu lettrées (XVIIe et XVIIIe siècles), XXV ACILPR, 3,
543–551.
28 Malheureusement, Max Engammare des Éditions Droz, à qui nous avons proposé de rédiger un
chapitre portant sur des questions pareilles, s’est vu (pour des raisons de manque de temps) dans
l’impossibilité de concourir à ce volume. – Au moment d’écrire ces lignes (août 2014), le mouvement
vers l« accès libre » ou d’« Open Access » est dans le vent, ou a le vent en poupe, à la fois au niveau des
Ernst, Gerhard/Wolf, Barbara (2001–2005), Textes français privés des XVIIe et XVIIIe siècles, Tübingen,
Niemeyer.
Ferragud Domingo, Carmel (2009), La cura dels animals. Menescals i menescalia a la València
medieval, Catarroja/Barcelona, editorial afers.
Grübl, Klaus (2014), Varietätenkontakt und Standardisierung im mittelalterlichen Französisch. Theo-
rie, Forschungsgeschichte und Untersuchung eines Urkundenkorpus aus Beauvais (1241–1455),
Tübingen, Narr.
Hilty, Gerold/Vicente García, Luis Miguel (2005), Aly Aben Ragel, El libro conplido en los iudizios de
las estrellas. Partes 6 a 8, Zaragoza, Instituto de Estudios Islámicos y del Oriente Próximo.
Hunt, Tony (2008), An Old French Herbal (ms. Princeton U.L. Garrett 131), Turnhout, Brepols.
Ingham, Richard (à paraître), Spoken and written register differentiation in pragmatic and semantic
functions in two Anglo-Norman corpora, in : Ralf Gehrke (ed.), Proceedings of Historical Corpora
Proceedings of the Aberystwyth Colloquium, July 2011 / Actes du Colloque d’Aberystwyth, juillet
2011, Aberystwyth, Anglo-Norman Online Hub, 1–13.
Mortier, Raoul (1940–1944), Les textes de la Chanson de Roland, Paris, Éditions de la Geste francor.
Palumbo, Giovanni (2014), Sur les pas de Paul Meyer : l’édition des textes médiévaux entre théorie et
Poilus, in : Andres Kristol (ed.), Actes du 3e colloque « Repenser l’histoire du français » : La mise
Reid, T.B.W. (1984), The Right to Emend, in : Ian Short (ed.), Medieval French Textual Studies in
Memory of T.B.W. Reid, Londres, Anglo-Norman Text Society (ANTS Occasional Publication
Series 1), 1–32.
18 David Trotter
Rodríguez Somolinos, Amalia (ed.) (2013), Diachroniques 3 : Marques d’oralité en français médiéval.
Schweickard, Wolfgang (2012), Filologia editoriale e lessicografia storica, Critica del testo 15/3,
229–243 [= Roberto Antonelli/Paolo Canettieri/Arianna Punzi (edd.), Fra Autore e Lettore. La
filologia romanza nel XXI secolo fra l’Europa e il mondo, Roma : Viella/Sapienza Università di
Roma].
Segre, Cesare (21989), La Chanson de Roland, nouvelle édition revue, traduite de l'italien par
M. Tyssens, vol. 1 Introduction, texte critique, variantes de O, index des noms propres, vol. 2
Apparat de la rédaction β et recherches sur l'archétype, Genève, Droz [Première édition 1971].
Segre, Cesare (à paraître), Lachmann et Bédier : la guerre est finie, in : XXVII CILPR.
Selig, Maria (2005), Edition und sprachliche Variation. Die Edition mittelalterliche Texte aus sprach-
wissenschaftlicher Perspektive, in : Kurt Gärtner/Günter Holtus (edd.), Überlieferungs- und
Aneignungsprozesse im 13. und 14. Jahrhundert auf dem Gebiet der westmitteldeutschen und
ostfranzösischen Urkunden- und Literatursprachen. Beiträge zum Kolloquium vom 20.–22. Juni
français, in : Emilia Hilgert et al. (edd.), Les théories du sens et de la référence. Hommage à
un volume de mélanges.
Trotter, David (à paraître b), Coup d’œil sur les scriptae médiévales et les textes qui les représentent,
in : Maria Iliescu/Eugeen Roegiest (edd.), Manuel des anthologies, corpus et textes romans
Vàrvaro, Alberto (2011a), Il DÉRom : un nuovo REW ?, Revue de Linguistique Romane 75, 297–304.
Vàrvaro, Alberto (2011b), La « rupture épistémologique » del DÉRom. Ancora sul metodo dell’etimolo-
méthode généalogique
On pourrait définir l’histoire de l’ecdotique romane moderne comme un processus
d’adaptation, de révision et de perfectionnement de la méthode dite généalogique ou
lachmannienne, élaborée en Allemagne au cours du XIXe siècle dans la philologie
Timpanaro (1985) et Fiesoli (2000) avec Castaldi/Chiesa/Gorni (2004, 55–65). Pour les premières
applications dans le cadre roman, voir Formisano (1979), Stussi (1998, 21–23) et Leonardi (2009). Pour
une discussion générale des méthodes adoptées par les différentes traditions « nationales », voir Duval
(2006a).
22 Francesco Carapezza
« La critique des textes, ou du moins l’une de ses parties les plus essentielles, repose en effet sur
cette idée que des scribes différents, copiant un même texte, ne font pas les mêmes fautes ; pour
les œuvres du moyen-âge qui ont subi des renouvellements, il faut compléter cette formule par
celle-ci : des renouveleurs différents, travaillant sur un même poème, ne font pas les mêmes
entre la méthode des fautes communes et son application concrète au texte français du
Moyen Âge. Cette incohérence ouvrira d’une part la voie aux objections radicales
contre le lachmannisme éditorial soulevées quarante ans plus tard par Joseph Bédier,
et d’autre part elle aura des conséquences permanentes pour la stemmatique telle
qu’elle est appliquée encore aujourd’hui aux textes en langue romane.5
2 L’opposition entre tradition « quiescente » et tradition « attiva », introduite par Vàrvaro (1970), a été
ensuite incorporée dans les études théoriques sur l’ecdotique romane : voir notamment Antonelli
(1985, 188s.).
3 Contini (1970, 961) : « Paris soggiungeva addirittura che invece di errore (‹ faute ›) si può dire :
leurs ›) ».
5 Sur la question des stemmas fondés sur des leçons non erronées et qui ne sont donc pas fiables, voir
par ex. Avalle (1978, 47–49) ; Leonardi (2009, 290) ; Beltrami (2010, 97–98). Sur le processus d’intro-
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 23
C’est donc à l’intérieur de cette impasse entre une théorie de la classification des
témoins (recensio) non encore clairement formulée et une pratique de la reconstruc-
tion (emendatio) qui influe lourdement à la fois sur la substance et sur la forme du
texte historiquement transmis, que s’inscrit la réaction de Bédier contre la méthode
lachmannienne. Une réaction qui ne naquit pas du jour au lendemain comme le ferait
penser Bédier lui-même dans son introduction au Lai de l’Ombre de 1913,6 mais qui –
sous l’impulsion du compte rendu du maître, Gaston Paris, de sa première édition du
petit poème de Jean Renart (1890) – est venue lentement à maturation au cours de
vingt années de production éditoriale intense, pour se consolider définitivement dans
le long article paru dans la Romania de 1928 qui répond aux thèses de Dom Henri
Quentin (1926). Il est intéressant de constater, en fait, qu’après avoir publié le Lai de
l’Ombre en 1890,7 Bédier avait choisi d’éditer des textes pour la plupart transmis par
un seul manuscrit (le Tristan de Thomas, les Folies Tristan, le chansonnier de Colin
Muset, les chansons de croisade), auxquels l’on peut associer le cas particulier du
Roland d’Oxford.8 Dans un des rares cas où il s’attaque à une tradition manuscrite
complexe, c’est-à-dire pour six seulement des vingt-neuf chansons de croisade pu-
bliées avec le musicologue Pierre Aubry en 1909, il n’est pas difficile de constater, à y
regarder de près, quelque points de doute et des hésitations parfois explicites au cours
des courtes discussions ecdotiques (surtout lorsque il n’existe aucune classification
antérieure des manuscrits) qui conduisent à la définition de stemmas binaires à
l’exception de la chanson XVIII (trois branches : MTR1a/R3/OKVX), où l’éditeur re-
c’est-à-dire d’un archétype, et non pas de l’original.9 Sur un plan plus général, l’on
peut dire que dans le travail éditorial de Bédier, le modèle théorique de référence est
duction de la méthode généalogique dans la philologie romane, phénomène encore peu étudié d’une
perspective historiographique, voir par ex. le portrait scientifique du philologue belge Auguste Scheler
(1819–1890) fourni par Baker (2013).
6 Voir notamment le paragraphe intitulé « Du classement des manuscrits » dans l’éd. (Bédier 1913,
XXIII – XLV
XL V , à la p. XXV ).
7 L’analyse des six témoins connus à l’époque portait Bédier à définir un stemma binaire, AB-C (= y)/
DF-E (= z), auquel Paris (1890) oppose un stemma triparti : y/DF (= v)/E. Le ms. G, découvert plus tard,
s’avère être une version collatérale de C dans l’édition de 1913, où le stemma de 1890 est reformulé de
la façon suivante : AB-CG (= x)/DF-E (= y). Une classification divergente des témoins, c’est-à-dire
Archétype > AB (= x)/CG-DEF (= q), est maintenant proposée par Trovato (2013) qui, pour esquiver les
preuves principales alléguées par Bédier pour appuyer l’existence d’une famille ABCG, a recours au
concept, rarement évoquée en philologie romane, de contamination extra-stemmatique.
8 Cf. Corbellari (1997, 541–543).
9 Éd. Bédier/Aubry (1909, 200) : « Comme le ms. R3 ne se range ni dans l’un ni dans l’autre de ces
groupes, on s’attendrait à ce que la comparaison des trois familles donnât partout un bon texte. Par
malheur tous les manuscrits semblent remonter à une même copie déjà fautive ». Voir en outre les
classifications relatives aux chansons VIII (stemma binaire : MT-Aa-R-O/L-KNPVX) et XVI (idem :
toujours celui du lachmannisme (et le restera aussi après 1913 et même dans les écrits
où cette méthode est critiquée)10 tandis que dans la pratique, l’on retrouve la
tendance plus ou moins consciente d’éviter les critères de reconstruction de type
stemmatique, pour travailler selon un interventionnisme qui a été défini comme
pragmatique (et cela même dans le cas du manuscrit unique ou, dans l’édition de
1913, du bon manuscrit).11 En somme, l’on comprend comment la méfiance de Bédier à
l’égard de la méthode généalogique, ou mieux, pseudo-généalogique de son époque
s’est développée à travers une activité éditoriale assidue, débouchant premièrement
sur une critique radicale du lachmannisme dans l’édition de 1913, pour acquérir
ensuite une dimension théorique dans l’étude de 1928.
À propos de cette dernière étude, qui sera reçue à bon droit comme un manifeste
du bédiérisme éditorial, il est intéressant de constater que dans une lettre à Mario
Roques de l’été 1928, le savant la décrit, de manière certes réductrice mais non moins
significative pour autant, comme « ce mémoire sur le cas du Lai de l’Ombre ».12 En
effet, dans le préambule de l’article le petit poème de Jean Renart est présenté comme
« un exemple privilégié, typique, et comme symbolique » en vertu du fait que celui-ci
avait déjà fait l’objet de méthodes éditoriales diverses pratiquées auparavant, et qu’il
constituait ainsi dans une perspective théorique « un terrain d’observation singulière-
ment propice ». En réalité, il n’est pas difficile d’imaginer que le choix de reprendre le
cas d’école qui avait accompagné Bédier tout le long de sa carrière soit un choix
stratégique, dicté en premier lieu par son intention de critiquer les présupposés de la
méthode lachmannienne en même temps que les réclamations ecdotiques récentes de
Dom Quentin, cible principale de l’article. La tradition manuscrite du Lai de l’Ombre,
comme l’avait compris Bédier, se prêtait bien à cette intention à cause de l’impossibi-
lité d’établir avec certitude, au niveau supérieur du stemma, les rapports généalogi-
ques entre les témoins. Ainsi, il s’agit d’un cas paradigmatique mais certes pas absolu
de l’inapplicabilité de la méthode stemmatique en philologie romane, qu’il faudra
mettre en rapport avec la typologie du texte et de sa tradition manuscrite.13 En
11 Cf. Vàrvaro (1994) sur l’édition du Tristan de Thomas (éd. Bédier 1902–1905) et Corbellari (1997,
527 : définition de l’« interventionnisme pragmatique » ; 545–546 : corrections apportées au texte du
copisti del testo siano stati molto avveduti e competenti ; non fanno grossolani errori e sono capaci di
correggere quelli dei loro modelli ; se intervengono, lo fanno puntualmente e con discrezione. L’errore
vistoso e significativo [au sens technique maasien : Leitfehler] non si dà. Il filologo è costretto in questo
caso a considerare errori lezioni a ben vedere accettabili, e così gli stemmi proposti sono più d’uno, e
sostanzialmente attendibili, insomma indecidibili (come notò Bédier, autore lui stesso di edizioni di
quell’opera) ». L’on ajoutera, avec Vàrvaro (1999, 615), que « the Bédier of the Lai de l’Ombre studied
the tradition, contained within little more than a century and in a limited geographical area, of a text of
weak authorial distinction ».
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 25
revanche, la confiance accordée par Bédier au stemma biparti du ‹ Roland › établi par
Theodor Müller, qui lui garantissait la précellence du ms. d’Oxford (publié dans son
édition de 1921 de la ‹ chanson de geste ›) mais qui est en contradiction flagrante avec
14 Cf. éd. Segre (1971, X ) = éd. Segre (1989, I, 10) ; Segre (2005, 173–174). Sur ce paradoxe, voir les
modèle ecdotique proposé par Bédier n’est pas celui qu’il venait de réaliser pour la Chanson de Roland
[…]. Ce choix, qui aurait changé le cours de l’ecdotique romane, […] Bédier ne le fit pas : au contraire il
reprit ses arguments de 1913 contre Lachmann et Paris, contre toute possibilité de retracer la diachronie
d’une généalogie ». Dans ce sens, il est révélateur que le cas du Roland n’est pas cité dans les
conclusions de l’étude de 1928 : « Est-il légitime qu’il [scil. l’editeur] établisse le texte d’un ouvrage
d’après un classement des manuscrits que lui-même estimerait seulement ‹ acceptable ›, logiquement
‹ satisfaisant › ? Oui, si ce classement l’invite à imprimer tel quel l’un des manuscrits conservés, E dans
notre cas, par exemple, ou V dans le cas du Roman d’Yvain » (Bédier 1928, 354).
15 Cf. Froger (1968, 43s.), Avalle (1978, 47–49), Antonelli (1985, 192s.), Beltrami (2010, 97s.).
16 Cf. Lecoy (1978, 501 et 505) : « Il faut d’abord dire qu’il n’y a pas, à proprement parler, de théorie de
Bédier… Bédier, en dépit d’une première apparence, n’était ni un théoricien ni un dogmatique. C’était
avant tout un pragmatiste. […] Je parle toujours, bien entendu, dans la perspective de ce que l’on peut
appeler la ‹ méthode › de Bédier et qu’il vaudrait mieux sans doute appeler la ‹ pratique › de Bédier ».
17 Comme l’a observé Antonelli (1985, 167), la critique de Bédier contre le lachmannisme partait d’un
présupposé strictement « tecnico e pratico », et « proprio da questa sua qualità interna al metodo
filologico deriva del resto la propria forza, tanto da costituire ancora oggi il vero punto di svolta e di
26 Francesco Carapezza
de la méthode
À partir des années Trente, tandis qu’en Allemagne la production d’éditions critiques
de textes galloromans ralentissait considérablement, le bédiérisme s’imposait comme
la technique éditoriale hégémonique surtout en France (grâce à l’influence de Mario
Roques et ensuite de Félix Lecoy, réflétée dans la série prolifique des Classiques
français du Moyen Âge) et dans les pays anglo-saxons, provoquant une réduction
importante de la réflexion théorique.18 En Italie, cependant, la réception critique de
l’enseignement de Bédier, conjuguée à une tradition lachmannienne solide et influen-
cée par l’opus magnum du classiciste Giorgio Pasquali (Storia della tradizione e critica
del testo, 1934), produira un renouvellement théorique et méthodologique surtout à
partir des études de critique textuelle de Gianfranco Contini (1912–1990), chef d’école
du soi-disant néolachmannisme éditorial, et ensuite dans les travaux de philologues
éminents de la deuxième moitié du XXe siècle, notamment d’Arco Silvio Avalle (1920–
« Par ce terme il [sc. Contini] désignait cette configuration particulière de la tradition dans
laquelle une spécificité linguistique ou métrique de l’original, perçue comme difficile par les
copistes, est à l’origine d’une dispersion des leçons non modélisable au moyen du stemma. Le
concept de diffraction est l’un des concepts clés du néolachmannisme, ouvert à la récuperation
(y compris par le biais de la conjecture) de toute trace de lectio difficilior originelle, pourvu qu’elle
trouve sa légitimité, bien au-delà de la simple ‹ phénoménologie › matérielle du travail de copie,
18 Cf. Roques (1995) ; Ménard (2003, 64) ; Duval (2006b, 116–119 et 149).
19 Sur le néolachmannisme dans la philologie italienne médiévale, voir les bilans de Segre/Speroni
(1991) et de Zinelli (2006). Pour un aperçu des travaux de Contini, voir Leonardi (2014).
20 Le critère sera ensuite illustré de manière plus organique dans Contini (1968), développé dans
Contini (1971) et synthétisé dans Contini (1977, 26s.).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 27
Il s’agit donc d’un principe lié à la notion de la lectio difficilior qui, comme celle-ci, est
indépendant des rapports généalogiques entre les témoins manuscrits et se fonde
par contre sur le système linguistique et métrique des copistes et sur les séries de
variantes : cela permet dans de nombreux cas de proposer des restaurations convain-
Selon la théorie de l’hiatus, il est probable que la tradition ait réagi à un hiatus
transitoire original entre qui et en (*fox est quĭen veut parler) préservé dans le seul ms.
T mais empêché par l’insertion du pronom sujet dans CM et par la synalèphe dans les
mss. En et KOX, qui rétablissent la mesure heptasyllabique par des remplissements
monosyllabiques en début de vers (respectivement la conjonction car et l’adverbe
21 Voir en particulier le paragraphe dédié à la diffraction, avec des exemples tirés de la lyrique
provençale et italienne, dans les Principî di critica testuale d’Avalle (1978, 56–60), où l’on rappelle
d’ailleurs que des cas de diffraction « in assenza » et « in presenza » étaient déjà relevés par Maas (1952,
23s.). Dernièrement Lannutti (éd. 2012, XXXIII – XXXIV et CIV ) a recours au critère de la diffraction pour
démontrer l’archétype des quatre témoins d’un poème hagiographique occitan. En dehors de l’Italie le
critère continien est rappelé dernièrement par Ménard (2003, 65), champion d’une « voie moyenne »
dans la philologie française médiévale entre le conservatisme et la restauration, tandis qu’il n’est pas
présenté à l’intérieur du manuel de Bourgain/Vielliard (2002), qui représente cependant, comme l’a
souligné Segre (2005), un cas important d’ouverture au lachmannisme éditorial et à la réception du
néolachmannisme italien dans le monde français et francophone.
28 Francesco Carapezza
par Barbieri (2011, 222–224) dans le cadre d’un discours plus ample sur la typologie de
la diffraction dans ce répertoire. Il faut dire cependant que la théorie de l’hiatus a été
reçue avec quelques résistances par les philologues spécialistes des troubadours :
comme l’a fait remarquer Beltrami (2010, 146–148), en effet, la présence d’hiatus
transitoires après que et d’hiatus entre deux voyelles atones dans la tradition du
troubadour tardif Guiraut Riquier (1254–1292) laisse douter que de pareils phénomè-
nes métriques aient pu tomber en désuétude à l’époque de la compilation des
chansonniers, de sorte que « sarebbe più logico parlare di oscillazioni nella perce-
zione e nell’uso della dialefe e della dieresi (…) piuttosto che di un processo di
ricodifica orientato in una precisa direzione ».23 Si, d’une part, Perugi a réalisé le vœu
renga et Arnaut Daniel, sur lesquels ont porté – rien de surprenant – les études du
savant,24 tandis qu’elle sera destinée à décroître sensiblement pour les auteurs, et ils
sont nombreux, qui adhèrent au registre moyen du lexique courtois.
Aurelio Roncaglia (1917–2001) a également fourni une contribution théorique de
poids, avec comme titre Valore e giuoco dell’interpretazione nella critica testuale (1961,
traduction anglaise dans Kleinhenz 1976, 227–244), qui est en partie fondée sur son
expérience en tant qu’éditeur du troubadour moralisant Marcabru (huit études parse-
mées le long de la période 1950–1968). En s’appuyant sur les notions de « contesto
tions interprétatives pour une série de neuf extraits de textes médiévaux dans diffé-
rentes langues romanes pour lesquels le recours à la tradition manuscrite s’avère
22 Cette solution n’est pas envisagée dans l’édition lachmannienne de Lannutti (1999, III, 22 e 28) qui
se sert pour son texte de la leçon de la famille γ (KOX), contredisant pour la première partie du vers le
critère de la majorité, qui garantirait l’ordre fox est d’α (CMT) + β (En), comme l’avait déjà signalé
Contini (1978, 1057), découvreur du ms. En.
23 Dans l’éd. Squillacioti (1999) des poésies de Folquet de Marseille, par ex., les solutions de diffrac-
tion dues à l’hiatus proposées par Perugi (éd. 1978, t. I) sont reléguées au commentaire.
24 Voir en particulier Perugi (1995) et, dans un ouvrage de vulgarisation, Perugi (2011, 58–62).
25 « A rigore, costituisce contesto tutta la tradizione letteraria e linguistica in cui il testo s’inserisce :
insuffisant. De cette façon, il finit par déclarer que l’interprétation textuelle doit
prévaloir sur toute autre opération ecdotique.26 Dans son intervention présentée en
1974 à la table ronde du XIV Congresso internazionale di linguistica e filologia romanza
(ci-après CILFR), Roncaglia insistera sur le rapport circulaire et fondateur entre
critique textuelle et critique interprétative, en soulignant que « dove l’alternativa
possible, voire hypothétique, de l’original inaccessible » (éd. Segre 1971, XX – XXI = éd.
Segre 1989, I, 24–26). La méthode adoptée dans l’édition parvient dans ces essais à
être développé et généralisée, avec la formulation du concept de « systèmes » de
« virtuelle de l’archétype » perdu. Il faut souligner, comme le fait du reste Segre, que
26 « La distrazione non sempre ha una logica ; la composizione sì : e dunque per la critica testuale
belle réussite de l’école philologique italienne, qui a ouvert de nouvelles voies dans un domaine où
l’effort de la critique depuis des lustres visait à consacrer la supériorité du texte d’Oxford » ; et par
Vàrvaro (2008, 188), qui la décrit comme « le chef-d’œuvre de la philologie italienne de cette moitié du
siècle, […] destinée à rompre l’isolément national et à s’imposer partout comme l’édition standard,
grâce aussi à la version française procurée par M. Tyssens ».
30 Francesco Carapezza
issues of textual criticism as a whole » (Ham 1946, 2), et il aura sa place dans l’histoire
pour son éclecticisme pragmatique, c’est-à-dire pour le principe que chaque texte
exige un traitement éditorial spécifique.29 En réalité, l’on constate dans les travaux
éditoriaux de Ham, même dans des cas dans lesquels il serait possible d’envisager
une reconstruction textuelle sur base stemmatique, une adhésion inébranlable au
conservatisme bédiériste, où le problème du choix du bon manuscrit occupe toujours
une position centrale et où l’on réfléchit sur la nécessité de rendre compte non
seulement des interventions de l’éditeur, mais également de certains endroits tex-
tuels, définis comme des « twilight zones of emendation » (Ham 1946, 18), où le
témoin sélectionné est seulement susceptible d’être corrigé. En fait, l’essentiel, c’est
que l’éditeur fournisse « enough evidence to enable the reader to control the facts and
thereby implement his own interpretation of any textual tradition » (Ham 1959, 200 ;
28 Voir notamment le compte rendu de T. Atkinson Jenkins (1923–1924) de l’édition Bédier du Roland
(1921) et la notice nécrologique du savant français signé par Edward C. Armstrong, Jeremiah D. M. Ford
et William A. Nitze (1939). Il est plus que probable que Lucien Foulet (1873–1958) aura joué un rôle clef
dans la diffusion du bédiérisme éditorial dans l’école d’outre-atlantique. Cf. Carapezza (2005, 620s. et
637s.).
29 Ce principe, exposé dans Textual Criticism and Common Sense (Ham 1959), sera probablement
appuyé dans la Nuova filologia di Michele Barbi (1938, signalée dans la bibliographie de Ham 1959, 211)
aussi bien que dans l’école de Princeton d’Armstrong (suivant Foulet/Speer 1979, 30–32).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 31
transmises par douze témoins, édition qui représente en elle-même un acquis métho-
dologique.
L’adoption du critère conservateur est justifié dans ce cas par la nature même de
la tradition manuscrite, dans laquelle Roach distinguait pour la Première Continuation
anonyme, sur la base d’études précédentes, deux rédactions distinctes : une rédaction
courte, représentée par les codex AS + LPR, et une rédaction longue, représentée par
EMQU, à laquelle viendrait s’adjoindre une troisème rédaction « mixte » (dans TVD)
qui participe aux deux.30 Les trois rédactions seront ensuite publiées comme des
textes autonomes basés respectivement sur les mss. LA, E et T (nettoyés des erreurs de
copiste et des malentendus discutés en note à la lumière des autres témoins), fournis-
sant dans l’apparat critique ou en appendice « all the significant elements in the text
l’éditeur est donc celui de présenter de façon claire et exhaustive toutes les données
textuelles de la tradition manuscrite, réalisant ainsi une base solide pour la discussion
autour de la chronologie relative des rédactions différentes. La réussite de l’édition de
Roach est démontrée par les études postérieures sur les Continuations concernant
l’identification de la rédaction la plus ancienne et le processus évolutif du texte dans
la tradition manuscrite. En outre, cette édition contribua à provoquer l’attention des
érudits sur les phénomènes de récriture des textes narratifs médiévaux, et sur la
critique de leur valeur littéraire (cf. Carapezza 2005, 634–650 ; 2007). Cet exemple
sûrement d’une importance capitale, dans le sens que les acquis théoriques n’arrivent
pas toujours à avoir une valeur universelle, mais s’appliquent au plus à une typologie
particulière de textes ou de tradition manuscrite. Reconstruction de l’original et
conservation d’un témoin ne représentent plus deux dogmes irréconciliables, mais
deux orientations opérationnelles qui ont des finalités bien distinctes et qui sont
avant tout suggérées par les conditions de la transmission manuscrite.31 Il est enfin
30 Des doutes bien-fondés sur l’existence d’une pareille « rédaction mixte » furent cependant avancés
par contre « orientata al testo ». Segre lui-même a représenté la résolution progressive, surtout dans
32 Francesco Carapezza
important de souligner que les savants qui sont réellement capables de proposer des
innovations méthodologiques ou encore des stratégies éditoriales conformes au type
de tradition manuscrite constituent, comme on le comprendra, des cas somme tout
rares dans l’histoire de l’ecdotique romane : normalement, les éditeurs critiques, qui
sont parfois de jeunes chercheurs, travaillent dans le cadre d’une tradition acadé-
mique nationale et subissent par là le conditionnement intellectuel de leurs prédéces-
seurs aussi bien que les directives explicites d’une collection éditoriale.
critiques
Tout comme l’on peut dire qu’il n’existe pas de méthode universelle en ecdotique
romane, de la même manière l’on peut dire qu’il n’existe pas d’édition critique
définitive. Un moment assez délicat et problématique du travail de l’éditeur est celui
où il applique dans la pratique les propositions de méthode, qui auront en général été
exposées dans l’introduction. Vàrvaro (1994) a dédié une contribution importante à la
question en examinant le Roman de Tristan fragmentaire de Thomas édité par Joseph
Bédier (1902–1905). Il s’agit donc d’une édition « pré-bédiériste » de Bédier, qui
certo meno prudente che nelle affermazioni di principio » (1994, 645), et il insiste
ensuite qu’il ne faut pas confondre, dans l’examen d’une édition, la théorie de la
recensio et la pratique de l’emendatio. En effet, dans la littérature critique il est rare de
rencontrer ce type de distinction, que l’on peut parfois inférer des comptes rendus
minutieux d’éditions – qui se font de plus en plus rares – mais qui revêt toutefois une
importance centrale dans l’évaluation des textes critiques individuels comme égale-
ment pour l’historiographie de l’ecdotique romane.
l’« après-Bédier » (2005) et en prenant comme titre de sa conférence plénière au XXVIIe CILFR (Nancy,
15 juillet 2013), Lachmann et Bédier : la guerre est finie (à paraître dans les Actes).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 33
« ormai la grande maggioranza delle edizioni di testi romanzi consiste nella trascrizione di uno
quella fortunata deriva del verbo bédieriano che è l’edizione di un manoscritto sottoposto a
correzioni in nome di un criterio pragmatico di ‹ evidenza › dell’errore. In entrambi i casi si parla
Cette dernière pratique éditoriale, qui s’est surtout imposée dans l’édition des textes
en ancien français publiés en France, permet à y regarder de près un compromis
empirique entre restauration et conservation,32 qui s’aligne paradoxalement avec les
critères en usage pendant l’époque pré-scientifique, c’est-à-dire avant l’adoption par
la philologie romane de la méthode lachmannienne, quand on publiait le texte d’un
seul manuscrit corrigé et complété sur la base d’autres témoins (cf. Leonardi 2011, 12 ;
2009, 279s.). Le problème central de la pratique du manuscrit de base est que le choix
de conserver, ou vice versa de corriger son texte, n’est pas dans la majorité des cas
déterminé par une évaluation globale de la tradition manuscrite et que cela risque de
fournir une image déformée de l’état du texte que l’on se propose de représenter.
Oscillant entre la vérité du témoin et la vérité de l’auteur sans un ancrage sûr dans la
diachronie de la tradition, le texte qui résulte de cette pratique finit en somme par
proposer une troisième vérité, celle de l’éditeur. En réalité, la polémique de Leonardi
se retourne principalement contre ces cas dans lesquels l’étendue du texte et la
complexité d’une tradition ample et réélaborée ont rendu partiale ou irrationnelle
l’utilisation de ces données au moment d’établir le texte critique. Ainsi, dans les
éditions de romans français en prose qui sont discutées (notamment Tristan en prose
et Mort Artu), le choix de préserver ou de corriger le manuscrit de base entre parfois
en contradiction flagrante avec les données fournies par la tradition, avec le résultat
que l’éditeur laisse dans le texte des leçons inacceptables ou, pire, qu’il introduit des
émendations ope ingenii inutiles. Dans la partie constructive de son article, Leonardi
32 Voir les observations sur le concept hautement problématique de « faute évidente » dans Duval
propose un modèle de texte critique – mis à point dans le cadre d’un projet d’édition
collective du vaste cycle romanesque en prose de Guiron le Courtois – qui n’aura pas
recours à un manuscrit de base mais qui a l’intention par contre de représenter, à
l’aide d’un stemma (en partie encore en voie d’être défini), l’état textuel plus ancien
au fur et à mesure accessible dans la diachronie de la tradition : il s’agit donc d’un
l’éditeur dans la majorité des cas au risque de préserver (et de présenter au lecteur)
des innovations banales ou de véritables erreurs de copiste. Au-delà des leçons
endommagées et des probables sauts du même au même non-corrigés dans les
éditions examinées par Leonardi, et au-delà des cas de « lezioni certamente erronee »
ou pour le moins discutables relevées par Beltrami (2010, 120–123), l’on peut encore
signaler ici le cas du Perlesvaus, important roman en prose française XIIIe siècle,
publié par William A. Nitze, le maître de Roach, et par T. Atkinson Jenkins (1932–
1937), qui se décidèrent de reproduire fidèlement le texte du ms. O (Oxford, Bodleian
Library, Hatton 82) en tant qu’unique témoin complet d’une rédaction jugée la plus
ancienne.34 La suprématie accordée par les éditeurs au ms. O n’empêche évidemment
pas à son copiste de transmettre des malentendus et des erreurs, par example quand
Gauvain, qui réussit à pénétrer dans le château du Roi Pêcheur, retrouve un lit
réhaussé au milieu de la salle : « au chief de cele couche avoit un eschequier molt bel
et molt riche, et un orillier d’or tot plain de pierres precieuses, et estoient li point d’or
et de bone ovre » (ms. O = éd. Nitze/Jenkins 1932–1937, I, r. 2338). Évidemment, le
coussin d’or déposeé à la tête du lit et rempli de pierres précieuses est une invention
de l’ancêtre commun des mss. OC qui s’explique sur la base de la leçon transmise par
l’autre branche de la tradition : « al pié de cele couche avoit un eschekier molt bel(e)
et molt riche a un orle [c’est-à-dire : le bord de l’échiquier] d’or tot plain de pieres
precieuses, et estoient li point [c’est-à-dire : les carrés du jeu des échecs] d’or et
33 Outre les éditions récentes mentionnées par Giannini (2009b, 520s.), au cours de ces dernières
années ont été lancés des projets collectifs d’éditions critiques pour Guiron le Courtois, pour l’imposant
Ovide moralisé en vers et pour la Chanson d’Aspremont, projets dont l’état actuel a été présenté dans la
section « Philologie textuelle et éditoriale » du XXVIIe CILFR de Nancy, 15–20 juillet 2013 (à paraître
dans XXVII ACILPR). Une édition critique, en dehors des projets collectifs, de la troisième branche du
cycle de Guiron et d’une Continuation préservée dans un manuscrit unique est d’ailleurs annoncée pour
juin 2016 (éd. Bubenicek, à paraȋtre).
34 Je reprends ici Carapezza (2005, 615–619).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 35
d’asur » (mss. P e Br). L’erreur avait été signalée, ensemble avec d’autres cas de leçons
mis, mais celle-ci persiste dans le texte d’une édition qui « depuis trois-quarts de
siècle […] a nourri les analyses critiques et suscité des traductions » (éd. Strubel 2007,
103).35
Sur les problèmes liés à la réception d’un texte critique conservateur qui s’est
imposé comme texte de référence (vulgata), l’on lira les réflections récentes de Gianni-
ni (2009a), qui examine l’édition bédiériste du Roman d’Eneas de Salverda de Grave
(1925–1929), produit d’un « retournement » méthodologique de l’éditeur néerlandais
qui avait fourni une édition lachmannienne du même roman en 1891. Après avoir
l’autographe livré par l’auteur », beaucoup des études littéraires successifs, sans
révélateur est fourni par la variante minoritaire d’AB, rejetée par Salverda de Grave
dans les deux éditions, qui se trouve au début de la description de la Sibylle : « Ele
seoit devant l’antree, / tote [espace avant et après la barre] chenue [tote nus piez AB],
eschevelee » (Eneas, vv. 2267–2268). Comme le fait remarquer Giannini, l’association
entre pieds nus et cheveux échevelés se rencontre dans d’autres textes français du
Moyen Âge (Roman de Thèbes, Floovant, Lai de Désiré), typiquement dans des référen-
ces à des demoiselles séductrices, mais l’implication herméneutique contenue dans la
variante d’AB n’a pas été développée par les érudits qui se sont occupés de l’évolution
du personnage de la Sibylle dans la littérature médiévale, simplement parce que cette
variante, peut-être originale, a été reléguée à l’apparat critique par l’éditeur.
Une limite intrinsèque des éditions de type conservateur, inspirées plus ou moins
explicitement par les principes bédiéristes, est donc celle de donner au lecteur le texte
d’un seul manuscrit (le bon manuscrit sélectionné et corrigé sur la base de critères
souvent discutables), qui représente un seul moment de l’histoire de la tradition et qui
trahit inévitablement en plusieurs points la volonté de l’auteur : la solution, suivie par
certains éditeurs, de publier des témoins différents du même ouvrage, est sans doute
utile du point de vue linguistique et notamment lexicographique, mais elle ne résout
cependant pas les problèmes liés à la réception et à l’exégèse du texte. À ce propos, il
faut dire qu’il reste deux conceptions de l’édition radicalement opposées : celle,
35 L’édition vulgarisante de Strubel (2007) basée, selon le conseil bien-fondé de Nitze lui-même
(1932–1937, II, XI ), sur le ms. P (Paris, BnF, fr. 1428), n’a évidemment pas l’ambition de remplacer
l’édition américaine, mais constitue tout de même un complément utile.
36 Francesco Carapezza
représentée par exemple par Roques (2000), pour qui l’édition est surtout comprise
comme aide à la linguistique historique, et qui voit donc dans la pluralité d’éditions
du même ouvrage basées sur des manuscrits différents un résultat positif, et celle,
représentée par exemple par Leonardi (2011), qui comprend par contre l’édition en
fonction de son importance pour la philologie et l’histoire littéraire et qui retient par
là nécessaire l’unicité du texte, reconstruit de façon critique sur la base de toute la
tradition manuscrite. À l’intérieur de ce désaccord sur le rôle de l’édition s’insèrent les
observations critiques émanant d’éminents romanistes lexicologues et lexicographes
concernant la conception et la réalisation du glossaire (glossaristique) dans les
éditions de textes médiévaux galloromans, un « genre » qui se trouve au carrefour
l’éditeur est tenu à justifier ses choix textuels, l’on peut constater avec Vàrvaro (1987,
10s.) que face à l’effort intellectuel déployé dans les discussions portant sur la
recensio et sur la constitutio textus, qui occupent parfois une partie prédominante
de l’édition, il manque souvent une interprétation adéquate du texte, qui (et c’est
révélateur) ne sera ni traduit, ni accompagné par un commentaire herméneutique
détaillé. Tout dernièrement, Michel Zink (2012) a exprimé une critique motivée à
propos de la sophistication excessive de certaines éditions de l’école italienne, qui
risquent de repousser le public des lecteurs devant les produits d’une critique
textuelle hautement spécialisée, où les questions de méthode sont souvent traitées de
façon hypertrophique au détriment de l’explication du texte.37
Dans le champ des éditions reconstruites se pose évidemment aussi la question
du texte critique qui devient la vulgata. Dans le contexte troubadouresque, par
exemple, où se préparent des éditions de type lachmannien depuis l’époque fonda-
trice de la philologie provençale en Allemagne et selon une tradition qui s’est imposée
surtout en Italie, le chansonnier important de Bernart de Ventadorn se lit encore de
nos jours dans le texte établi par Carl Appel (1915) dans une édition reconnue pour
son excellence et que personne, jusqu’à nos jours, n’a osé refaire. L’édition d’Appel
adopte cependant des critères formels, comme celui de la normalisation graphique,
qui étaient légitimes dans la philologie de l’époque mais qui sont maintenant tombés
en désuétude (la nécessité de s’attacher à la graphie d’un manuscrit de base domine
aujourd’hui) ; au niveau textuel, en outre, la tradition manuscrite est conçue comme
36 Pour une mise au point de la question, voir Chambon (2006) ; ↗15 L’art du glossaire d’édition.
37 Un autre sujet de réflexion fourni par Zink (2012, 185) est que « le triomphe de la méthode
italienne » au tournant du nouveau millénaire se montre « par abandon des autres ». Il s’agit d’un cri
d’alarme à ne pas sous-estimer : est-ce que la diaspora toujours grandissante des romanistes italiens
dans des universités à l’étranger sera capable de réanimer à long terme la philologie textuelle, même
en dehors de l’Italie ?
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 37
tradizione di Rigaut » (ed. Braccini 1960, 11), les deux éditeurs arrivent dans plusieurs
variable des rapports entre les témoins d’une chanson et l’éventuelle possibilité de
remonter à des stades textuels antérieurs aux familles identifiées (Braccini se montre
en général plus sûr dans la démonstration d’un archétype, qu’il a tendance à recon-
struire, là où Vàrvaro se limite plus prudemment à présenter le texte de la famille IK),
jusqu’à la sélection de variantes neutres sur la base d’arguments non-stemmatiques
mais stylistiques ou qui obéissent à une logique de cohérence interne.39
38 Une « représentation efficace et novatrice des états rédactionnels en présence » (Giannini 2009b,
522 n. 17) est offerte dans l’édition de Folquet de Marseille due à Squillacioti (1999) et longuement
discutée par Zinelli (2003), qui en souligne l’importance au niveau théorique. Des présupposés
théoriques similaires à ceux mis en œuvre par Squillacioti sont visibles maintenant dans les critères
proposés pour une nouvelle édition de la Chanson d’Aspremont, qui vise la « restitution critique des
subarchétypes des trois versions » et qui est donc « orientée vers la tradition » : cf. Palumbo/Rinoldi
(2014). Sur la physionomie de la tradition manuscrite de Bernart de Ventadorn, voir en dernier lieu
Meliga (2003).
39 Les résultats ecdotiques des deux savants furent en partie revus et implémentés par Avalle (1961).
Pour un catalogue détaillé des difformités textuelles qui se rencontrent dans les deux éditions, je me
permets de renvoyer aux fichiers des poésies de Rigaut de Berbezilh préparées en 2004 pour le
Repertorio informatizzato dell’antica letteratura trobadorica e occitana (Rialto) et consultables à partir
38 Francesco Carapezza
Un cas particulier qui permet d’évaluer pleinement dans quelle mesure un texte
critique reconstruit est hypothétique ou susceptible d’être perfectionné est fourni
maintenant par l’« edizione e commento ecdotico » par Roberto Crespo du premier
jadis par Ernest Langlois, qui était arrivé à dresser un stemma triparti.40 L’éditeur le
plus récent dépend, pour la reconstruction textuelle, du stemma de Langlois mais,
comme il nous avertit dans l’introduction, « il testo da me costituito non sempre
coincide, nella sostanza, col testo costituito, utilizzando lo stesso stemma a tre rami,
da Langlois » (éd. Crespo 2012, 13).
Parcourant les commentaires ecdotiques très raffinés sur les sept laisses qui sont
présentes dans toutes les trois branches (I–IV, VII–VIII, XI), l’on se rend compte en fait
que le texte de Crespo s’éloigne de celui de Langlois dans une quinzaine de cas, où, à
dire vrai, la nouvelle hypothèse de reconstruction ne change pas grand’chose au sens
du texte.41 Il s’agit pour la plupart de cas dans lesquels il est impossible d’appliquer le
principe de la majorité, tandis que dans au moins deux cas Crespo s’éloigne de Langlois
parce qu’il estime que la leçon qui coïncide dans deux des trois branches du stemma
résulte de la polygenèse (vv. 2–3 et 122). L’on peut se demander si pareil « rifacimento »,
en plus partiel, de l’édition qui fait autorité de Langlois, constitue un progrès réel pour
la compréhension du texte du Couronnement. En réalité, l’édition de Crespo, malgré
l’understatement avec lequel il opte pour la reconstruction après avoir passé en revue
les éditions conservatrices de la geste,42 semble constituer à y regarder de près un
exercice ecdotique militant, sur un texte délibérément court, avec comme but celui de
réaffirmer la centralité du stemma dans le processus de constitution du texte critique,
et en même temps l’autonomie scientifique de la critique textuelle, comprise comme un
exercice d’approximation progressive et hypothétique du texte original. Si, comme
l’impliquait la fin du paragraphe précédent, l’on peut croire que le conflit entre
Lachmann et Bédier est apaisé sur le plan théorique, sur le champ de la pratique
éditoriale les deux positions semblent encore destinées à s’affronter.43
40 A1A2A3A4-B1B2 (= x)/CC2 (= C*)/D : cf. éd. Langlois (1888, CXXVII – CXXVIII ; éd. Langlois 1925, XV ) . Le
travail de Langlois représente, ensemble avec le Roman de Troie monumental de Léopold Constans
(1904–1912) et le Roman de la Rose, encore de Langlois (1914–1924), une des plus importantes éditions
lachmanniennes produites en France avant l’arrivée du bédiérisme éditorial.
41 Voir en particulier les commentaires aux vv. 2–3, 4, 5, 29, 70, 79, 81, 83, 85, 86, 97, 100, 110, 122,
146.
42 « I principi cui per la costituzione del testo Langlois si ispirò sono oggi desueti […] Per parte mia,
credo che i principi cui Langlois si ispirò per la costituzione del testo siano ancor oggi validi » (éd.
De ce passage en revue, très sélectif et partiel, sur les rapports et sur les implica-
tions réciproques entre les aspects théoriques et pratiques de l’ecdotique galloro-
mane, l’on peut déduire qu’un élément de base caractéristique de la discipline a
toujours été la recherche expérimentale de solutions adéquates aux problèmes posés
par la variabilité constitutive et parfois extrême des textes littéraires en langue
romane, pour répondre à l’exigence de fournir un texte fiable et compréhensible au
lecteur moderne. En particulier, l’on peut déjà voir comment les recherches menées
ces dernières vingt années sur les aspects matériaux (typologie du codex et des
copistes), linguistiques (études graphématiques et scriptologiques), historiques et
géographiques (patronage, contextes ou ateliers de copistes) de traditions manuscri-
tes spécifiques ont contribué et continuent de contribuer à la mise au point de critères
éditoriaux assez différents par rapports à ceux du passé. L’ecdotique romane, qui a
mûri à travers des époques historiques différentes, en suivant des paradigmes cultu-
rels et des écoles nationales différents, est encore en pleine évolution.
4 Bibliographie
4.1 Éditions
Appel, Carl (ed.) (1915), Bernart von Ventadorn, Seine Lieder, Halle a.S., Niemeyer.
Bédier, Joseph (ed.) (1890), Le Lai de l’Ombre, Fribourg, Imprimerie et librairie de l’œuvre de Saint-
Paul.
Bédier, Joseph (ed.) (1902–1905), Thomas, Le roman de Tristan, 2 vol., Paris, Firmin-Didot (SATF).
Bédier, Joseph (ed.) (1913), Le Lai de l’Ombre par Jean Renart, Paris, Firmin-Didot (SATF).
Bédier, Joseph (ed.) (1921), La Chanson de Roland, publié d’après le ms. d’Oxford et traduite par
Joseph Bédier, Paris, Piazza.
Bédier, Joseph/Aubry, Pierre (edd.) (1909), Les chansons de croisade avec leurs mélodies, Paris,
Champion.
Braccini, Mauro (ed.) (1960), Rigaut de Barbezieux, Le canzoni. Testi e commento, Firenze, Olschki.
Bubenicek, Venceslas (ed.) (à paraȋtre), Guiron le Courtois. Roman arthurien en prose du XIIIe siècle,
Langlois, Ernest (ed.) (1888), Le Couronnement de Louis, publié d’après tous les manuscrits connus,
Paris, Didot (SATF).
Langlois, Ernest (ed.) (1914–1924), Le Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jean de Meun,
publié d’après les manuscrits, 5 vol., Paris, Didot (SATF).
Langlois, Ernest (ed.) (1925), Le Couronnement de Louis, chanson de geste du XIIe siècle, Paris,
Champion (CFMA).
Linguistique et de Philologie Romanes de Nancy (2013) ; les actes sont sous presse (publication de la
Lannutti, Maria Sofia (ed.) (1999), Guiot de Dijon, Canzoni, Firenze, Sismel/Galluzzo.
Lannutti, Maria Sofia (ed.) (2012), Vita e passione di santa Margherita d’Antiochia. Due poemetti in
lingua d’oc del XIII secolo, Firenze, Galluzzo.
Nitze, William A./Jenkins, T. Atkinson (edd.) (1932–1937), Le Haut Livre du Graal : Perlesvaus, vol. I :
Text, Variants and Glossary, vol. II : Commentary and Notes, Chicago, University of Chicago
Press.
Paris, Gaston/Pannier, Léopold (edd.) (1872), La Vie de saint Alexis, poème du XIe siècle et renouvelle-
Perugi, Maurizio (ed.) (1978), Le canzoni di Arnaut Daniel, 2 tomes, Milano/Napoli, Ricciardi.
Perugi, Maurizio (ed.) (2000), La Vie de saint Alexis, Genève, Droz.
Roach, William, et al. (edd.) (1949–1983), The Continuations of the Old French « Perceval » of Chrétien
de Troyes, vol. I : The First Continuation. Redaction of Mss TVD (1949), vol. II : The First Continua-
tion. Redaction of Mss EMQU (1950), III/1. The First Continuation. Redaction of Mss ALPRS (1952),
vol. III/2 : Glossary of the First Continuation (1955), vol. IV : The Second Continuation (1971),
vol. V : The Third Continuation (1983), Philadelphia, University of Pennsylvania Press – The
pion (CFMA).
Segre, Cesare (ed.) (1971), La Chanson de Roland, Milano/Napoli, Ricciardi.
Segre, Cesare (ed.) (1989), La Chanson de Roland, nouvelle édition revue, traduite de l’italien par
Madeleine Tyssens, 2 vol., Genève, Droz.
Squillacioti, Paolo (ed.) (1999), Le poesie di Folchetto di Marsiglia, Pisa, Pacini.
Strubel, Armand (ed.) (2007), Le Haut Livre du Graal (Perlesvaus), Paris, Le Livre de Poche (Lettres
gothiques).
Vàrvaro, Alberto (ed.) (1960), Rigaut de Berbezilh, Liriche, Bari, Adriatica.
Antonelli, Roberto (1985), Interpretazione e critica del testo, in : Alberto Asor Rosa (ed.), Letteratura
Armstrong, Edward C./Ford, Jeremiah D. M./Nitze, William A. (1939), Joseph Bédier, Speculum 14,
411–412.
Avalle, d’Arco Silvio (1961), Di alcuni rimedi contro la contaminazione. Saggio di applicazione alla
tradizione manoscritta di Rigaut de Berbezilh, in : La letteratura medievale in lingua d’oc nella
ACILFR 7, 489–500.
Barbi, Michele (1938), La nuova filologia e l’edizione dei nostri scrittori, da Dante al Manzoni, Firenze,
Sansoni.
Barbieri, Luca (2011), Contaminazioni, stratificazioni e ricerca dell’originale nella tradizione mano-
scritta dei trovieri, in : Lino Leonardi (ed.), La tradizione della lirica nel medioevo romanzo.
Problemi di filologia formale, Atti del Convegno internazionale (Firenze-Siena, 12–14 novembre
2009), Firenze, Galluzzo, 179–240.
Bédier, Joseph (1928), La tradition manuscrite du « Lai de l’Ombre ». Réflexions sur l’art d’éditer les
Beltrami, Pietro G. (2010), A che serve un’edizione critica ? Leggere i testi della letteratura romanza
Castaldi, Lucia/Chiesa, Paolo/Gorni, Guglielmo (2004), Teoria e storia del lachmannismo, Ecdotica 1,
55–81.
Cerquiglini, Bernard (1989), Éloge de la variante. Histoire critique de la philologie, Paris, Seuil.
Chambon, Jean-Pierre (2006), Lexicographie et philologie : réflexions sur les glossaires d’éditions de
textes (français médiéval et préclassique, ancien occitan), Revue de linguistique romane 70,
123–141.
Contini, Gianfranco (1968), Scavi alessiani, in : Cesare Segre (ed.), Linguistica e filologia. Omaggio a
Benvenuto Terracini, Milano, Saggiatore, 59–95 ; ensuite dans Contini (1986), 99–134 ; réimpres-
in : Un augurio a Raffaele Mattioli, Firenze, Sansoni, 343–374 ; ensuite dans Contini (1986),
Contini, Gianfranco (1971), La critica testuale come studio di strutture, in : La critica del testo, Atti del II
Congresso internazionale della Società italiana di Storia del diritto (Venezia, 18–22 settembre
1967), Firenze, Olschki, 11–23 ; ensuite dans Contini (1986), 135–148 ; réimpression dans Contini
(2007), I, 63–74.
Contini, Gianfranco (1977), Filologia, in : Enciclopedia del Novecento, vol. II, Roma, Istituto dell’Enci-
clopedia italiana, 954–972 ; ensuite dans Contini (1986), 3–66 ; réimpression dans Contini
(2007), I, 3–62.
Contini, Gianfranco (1978), Fragments inconnus d’un ancien chansonnier français à Einsiedeln, in :
1990.
Contini, Gianfranco (2007), Frammenti di filologia romanza. Scritti di ecdotica e linguistica
(1932–1989), ed. Giancarlo Breschi, 2 vol., Firenze, Galluzzo.
Corbellari, Alain (1997), Joseph Bédier. Écrivain et philologue, Genève, Droz.
Duval, Frédéric (ed.) (2006a), Pratiques philologiques en Europe. Actes de la journée d’étude organi-
sée à l’École des chartes le 23 septembre 2005, Paris, École des chartes.
Duval, Frédéric (2006b), La philologie française, pragmatique avant tout ? L’édition des textes médié-
Froger, Dom Jacques (1968), La critique des textes et son automatisation, Paris, Dunod.
Giannini, Gabriele (2009a), Interprétation, restitution et réécriture du texte médiéval, Littérature
Histoire Théorie (LHT) 5 (« Poétique de la philologie »), http://www.fabula.org/lht.
Giannini, Gabriele (2009b), compte rendu de Duval (2006a), Romania 127, 515–522.
Ham, Edward B. (1946), Textual Criticism and Jehan le Venelais, Ann Arbor, University of Michigan
Press.
Ham, Edward B. (1959), Textual Criticism and Common Sense, Romance Philology 12, 198–215.
Jenkins, T. Atkinson (1923–1924), compte rendu de l’édition Bédier (1921), Modern Philology 21,
103–111.
Kleinhenz, Christopher (ed.) (1976), Medieval Manuscripts and Textual Criticism, Chapel Hill, Universi-
ty of North Carolina.
Lecoy, Félix (1978), L’édition critique des textes, in : XIV ACILFR 1, 501–508.
Leonardi, Lino (2009), L’art d’éditer les anciens textes (1872–1928). Les stratégies d’un débat aux
origines de la philologie romane, Romania 127, 273–302.
Leonardi, Lino (2011), Il testo come ipotesi (critica del manoscritto-base), Medioevo romanzo 35, 5–34.
Leonardi, Lino (2014), Gianfranco Contini : Filologia, Bologna, il Mulino.
Scène, évolution, sort de la langue et littérature d’oc, Actes du Septième Congrès International de
l’AIEO (Reggio Calabria/Messina, 7–13 juillet 2002), vol. I, Roma, Viella, 533–541.
Ménard, Philippe (2003), Histoire des langues romanes et philologie textuelle, in : Gerhard Ernst et al.
Branch, 549–576.
Paris, Gaston (1890), compte rendu de l’édition Bédier (1913), Romania 19, 609–615.
Pasquali, Giorgio (1934), Storia della tradizione e critica del testo, Firenze, Le Monnier.
Perugi, Maurizio (1993), Patologia testuale e fattori dinamici seriali nella tradizione dell’ « Yvain » di
Roncaglia, Aurelio (1961), Valore e giuoco dell’interpretazione nella critica testuale, in : Studi e
problemi di critica testuale, Convegno di studi di filologia italiana nel centenario della Commis-
sione per i testi di lingua (Bologna, 7–9 aprile 1960), Bologna, Commissione per i testi di lingua,
45–62.
Roncaglia, Aurelio (1975), Principî e applicazioni di critica testuale, Roma, Bulzoni.
Roncaglia, Aurelio (1978), La critica testuale, in : XIV ACILFR 1, 481–488.
Roques, Gilles (1995), L’édition des textes français entre les deux guerres, in : Gérald Antoine/Robert
Segre, Cesare (1991a), Metodologia dell’edizione dei testi, in : Due lezioni di ecdotica, Pisa, Scuola
Segre, Cesare (1991b), Esperienze di un editore critico della « Chanson de Roland », in : Due lezioni di
ecdotica, Pisa, Scuola Normale Superiore, 33–53 ; réimpression dans Segre (1998), 11–21.
Segre, Cesare (1998), Ecdotica e comparatistica romanze, ed. Alberto Conte, Milano/Napoli, Ricciardi.
Segre, Cesare (2001), compte rendu de Corbellari (1997), Revue critique de philologie romane 2,
82–91.
Segre, Cesare (2005), L’« après Bédier » : due manuali francesi di critica testuale, Ecdotica 2, 171–182.
Segre, Cesare (à paraître), Lachmann et Bédier : la guerre est finie, in : XXVII ACILPR.
Segre, Cesare/Speroni, Gian Battista (1991), Filologia testuale e letteratura italiana del Medioevo,
Romance Philology 45, 44–72.
Stussi, Alfredo (1998), Introduzione, in : Alfredo Stussi (ed.), Fondamenti di critica testuale, Bologna,
il Mulino, 7–45.
Timpanaro, Sebastiano (31985 [1963]), La genesi del metodo del Lachmann, Padova, Liviana.
Trovato, Paolo (2013), La tradizione manoscritta del « Lai de l’ombre ». Riflessioni sulle tecniche
Linguistica e filologia, Atti del VII Convegno internazionale di Linguisti (Milano, 12–14 settembre
1984), Brescia, Paideia, 83–106 ; réimpression dans Vàrvaro (2004), 5–27.
Vàrvaro, Alberto (1994), Per la storia e la metodologia della critica testuale : Bédier editore di
Tommaso, in : Saverio Guida/Fortunata Latella (edd.), La filologia romanza e i codici, Atti del
Convegno di Messina (19–22 dicembre 1991), vol. 1, Messina, Sicania, 29–40 ; réimpression dans
Annual of Textual Studies 12, 49–58 ; réimpression dans Vàrvaro (2004), 613–622.
Vàrvaro, Alberto (2004), Identità linguistiche e letterarie nell’Europa romanza, Roma, Salerno.
Vàrvaro, Alberto (2008), Bilan des études épiques en Italie et des recherches sur l’épopée franco-
italienne menées depuis 1955, in : Nadine Henrard (ed.), Cinquante ans d’études épiques. Actes
du Colloque anniversaire de la Société Rencesvals (Liège, 19–20 août 2005), Liège, Université de
Liège, 183–197.
Zinelli, Fabio (2003), À propos d’une édition récente de Folquet de Marseille : réflexions sur l’art
Zink, Michel (2012), Le triomphe du texte et la disparition du lecteur, Critica del testo 15/3, 181–188.
Lino Leonardi et Richard Trachsler
2 L’édition critique des romans en prose :
ont été édités de façon plutôt homogène : l’éditeur édite d’abord un manuscrit de base
témoin d’une version vulgate, et ensuite les rédactions divergentes dans des volumes
à part. Le « manuscrit de base » n’est corrigé que dans les cas d’« erreur évidente »,
car face à la fluctuation des textes, un stemma serait impossible à établir. Guiron le
Courtois, dernier roman arthurien en prose à rester inédit, avec ses innombrables
« versions », conforte en l’apparence la conviction bien ancrée dans la communauté
scientifique que la tradition textuelle des ces romans est impossible à maîtriser. Grâce
aux travaux d’une équipe de jeunes chercheurs, on propose ici une approche qui
rompt avec cette idée reçue. On démontre, d’abord, qu’un classement des manuscrits
est bien possible et que, ensuite, le manuscrit qui avait jusqu’alors été pressenti
comme base est contaminé. À l’aide du stemma, on peut établir le texte critique : on
Courtois
Toutefois, les textes ne faisaient pas vraiment l’objet d’une attention philologique
soutenue. On les lisait, on en parlait, mais on ne comparait pas entre elles les
différentes versions contenues dans les manuscrits et éditions imprimées. C’est pour
cela qu’on ne surestimera jamais l’apport de Paulin Paris, qui, dans le sillage des
poètes romantiques, se mit réellement à lire les manuscrits des romans de la Table
Ronde conservés à la Bibliothèque Impériale où il travaillait, laissant sans complexe à
1 Nous remercions Claudio Lagomarsini et Nicola Morato, à qui ces pages doivent beaucoup. Dans le
cadre d’une conception et d’un travail de réflexion communs, les §§ 1–2 ont été rédigés par Richard
Trachsler, les §§ 3–5 par Lino Leonardi, qui remercie Anna Constantinidis pour la version française de
ses pages.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
45
l’encre noire ses annotations dans les marges des documents pour renvoyer aux
feuillets d’autres manuscrits qui contenaient la même chose, des versions divergen-
tes ou, simplement, d’autres noms propres. Ses catalogues et, surtout, son célèbre
ouvrage Les Romans de la Table Ronde, témoignent de l’attention soutenue de
l’érudit, doublée de celle du poète romantique, à la « bonne » version du texte, c’est-
surtout mal composés, leurs lecteurs voyaient là ce qu’au fond ils étaient : les
Paris et Paul Meyer, allait inverser les rapports chronologiques entre les romans en
prose et ceux en octosyllabes, elle allait du même coup, dans un contexte académique
très attaché à la recherche des origines et des sources, fixer de nouvelles priorités, où
les romans de Chrétien de Troyes allaient occuper le devant de la scène au détriment
des grands ensembles en prose. Leur édition n’était plus une urgence de premier
ordre.
Ce que les contemporains de Paulin Paris avaient bien compris, par contre, était
que le « Cycle » du Lancelot-Graal, sur lequel se concentrait alors l’essentiel des
efforts, bien avant le Tristan, les Prophéties de Merlin et le Guiron, était une œuvre
due à plusieurs auteurs, et que les textes avaient été mis ensemble, à une époque
ultérieure, par des assembleurs (Paris 1868–1877, I, 90). Leurs successeurs, y compris
2 Paris (1868–1877). Je n’ai pas réussi à déterminer tous les manuscrits mis à contribution. Pour la
première partie, il a certainement eu recours aux fr. 747 et 749 (parfois il écrit, je crois par erreur,
« 759 ») et le fr. 2455, pour le Lancelot, il a dû utiliser, au moins en partie, le fr. 768 (olim 7185), dont il
donne des variantes. À propos des sources, voir aussi Lot (1918, 2, note 4).
à l’époque moderne, n’ont pas toujours voulu en tirer toutes les conséquences quand
il s’agissait d’établir l’édition de ces œuvres.
En raison de la longueur de ces romans, du nombre élevé des manuscrits conser-
vés et de la complexité de la tradition textuelle, il s’est assez rapidement imposé un
concept qui occulte d’emblée cette genèse du cycle en plusieurs strates, pour se placer
tout entier du côté de la réception : c’est la notion de version vulgate qui a servi
d’étalon aux éditeurs des textes arthuriens en prose. Ce concept, qui vise à rendre
accessible la version la plus diffusée, et donc – glissement subtil – la plus importante,
a certainement sa légitimité au sein de l’histoire de la littérature puisqu’il permet de
donner à lire une œuvre donnée sous une forme représentative, à un moment précis
de l’histoire de sa tradition, en général quand elle atteint son apogée. Toujours du
point de vue de l’historien de la littérature, le concept de vulgate a comme corollaire
celui de version, ou rédaction, alternative, qui sera, selon les cas, « longue »,
moins diffusée, plus marginale, souvent plus tardive, et donc moins importante que
la version vulgate.
C’est Heinrich Oskar Sommer, un savant scandinave installé à Londres, qui le
premier a donné corps à ce concept de vulgate lorsqu’il produisit une édition semi-
diplomatique du manuscrit Additional 10292–94 de la British Library contenant une
copie complète et lisible du cycle du Lancelot-Graal, rendant ainsi d’inestimables
services à des générations de chercheurs.4 Dans le domaine de l’édition des textes, le
besoin des historiens de la littérature de pouvoir lire le texte dans un livre moderne, et
non pas dans un imprimé du XVe siècle ou un manuscrit médiéval, se faisait nette-
ment sentir. Or, pour répondre à cette attente, il fallait aussi être efficace. Dès l’édition
de Sommer, l’éditeur d’un roman arthurien en prose revendique un certain pragma-
tisme : puisque les manuscrits sont nombreux, qu’ils sont conservés dans toutes les
bibliothèques du monde, que les textes qu’ils contiennent sont longs et qu’ils se
répartissent en plusieurs rédactions, impossibles à démêler en temps utile, il faut faire
des choix qui ne pourront s’appuyer sur la parfaite connaissance de la tradition
textuelle, mais qui seront guidés par ce qu’il est humainement possible de réaliser.
Ces contraintes matérielles expliquent donc l’essor de la notion de vulgate, un
textus receptus bien attesté, voire dominant, au détriment de tout ce qui est divergent.
Un deuxième aspect est étroitement lié à cette idée : cette version vulgate sera
4 Sommer (1908–1916). La leçon de l’Additional 10292–94 a été contrôlée et, le cas échéant, corrigée à
l’aide de deux autres manuscrits de la même bibliothèque : London, BL, Royal 14 E. III et London, BL,
Royal 19 C. XII.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
47
vulgates, malgré son indéniable réalisme, ne se serait pas aussi durablement imposée
sans l’enseignement, alors tout récent et révolutionnaire, de l’éditeur du Lai de
l’ombre. Avec Joseph Bédier, qui recommandait le respect d’un « bon manuscrit » et
plus simplement un pis-aller, ce qui pouvait se faire avec les moyens à disposition,
mais devenait la meilleure façon, parfois même la seule considérée comme légitime,
d’éditer un roman arthurien en prose.
En tout cas, on peut constater que la tradition éditoriale récente des romans de la
Table Ronde en prose se caractérise par la mise à disposition d’une version vulgate
d’après un « bon manuscrit », c’est-à-dire un témoin réputé plutôt ancien, « cohé-
mêmes critères. Même si, en raison de la longueur des textes, il arrive qu’un éditeur
ait été amené, parfois pour des raisons matérielles, à changer de manuscrit de base en
cours de route, cette façon de concevoir les éditions des grands ensembles en prose a
sans doute été la seule apte à éviter l’enlisement dès le départ, ce qui explique son
succès :5 pour le cycle du Lancelot-Graal, l’édition jadis procurée par Sommer a été
doublée, à presque un siècle de distance, par celle initiée par Daniel Poirion pour la
collection de la Pléiade. Basée sur le manuscrit de Bonn copié en 1286 par un scribe
picard, elle suit exactement le même principe efficace et pragmatique consistant à
prendre pour base un « bon manuscrit » relativement ancien et à le contrôler à l’aide
de quelques témoins proches (Poirion 2001–2009). La même chose a été faite pour le
« Petit Cycle », celui de Robert de Boron, édité dans sa totalité d’après le manuscrit de
leur consacre une édition à part, établie selon les mêmes critères. Au fil des décennies,
toute une série de versions divergentes du Lancelot a été rendue accessible dans des
éditions modernes.6 Pour le Tristan en prose, on dispose également des deux versions
principales, lisibles dans deux éditions collectives établies selon les mêmes règles de
l’art.7 Cette constance remarquable d’une pratique éditoriale dans un champ disci-
5 Voir, par exemple, l’édition de Micha (1978–1983) du Lancelot ou celle de Ponceau (1997) de l’Estoire
del Graal. Cf. Leonardi (2011a).
6 Kennedy (1980) et Micha (1978–1983). En dernier lieu, Annie Combes a édité une interpolation qui se
situe au niveau de la Charrette (Combes 2009).
7 Le début du roman est, à quelques exceptions près, toujours le même, il se lit dans l’édition Curtis
(1985). C’est ensuite seulement que la tradition se scinde en deux versions principales : la Vulgate
(V. II) et une autre (V.I) appelée, parfois, par la critique ancienne « non cyclique ». Pour V. II, voir
Ménard (1987–1997). Pour V. I., voir Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr. 757 de la
48 Lino Leonardi et Richard Trachsler
plinaire, qui n’a par ailleurs pas été sans se renouveler depuis les temps de Sommer,
peut surprendre. Le fait est que, soucieux de dépasser l’approche purement pragma-
tique qui caractérisait Sommer, on a certes réussi à dégager les différentes versions –
cycliques ou non, avec Charrette interpolée ou non –, mais on a buté sur la prose
arthurienne qui semblait, mieux que d’autres genres littéraires du Moyen Âge, illus-
trer les notions de mouvance et de variance.8
Alexandre Micha, qui a passé une bonne partie de sa vie à étudier les manuscrits
du Lancelot-Graal, formule, au moment de publier le premier volume de son œuvre
ponctuant deux décennies de travail préparatoire, le sentiment général :
« Il est impossible d’établir un stemma solide et immuable d’un bout à l’autre. Si l’on pousse le
scrupule jusqu’à relever sur un fragment d’une vingtaine de pages les variantes de tous les
manuscrits (nous nous sommes livrés à ce jeu aussi fastidieux qu’exténuant), on constate qu’une
infinité de groupements de détail est possible et que cette matière mouvante se fait et se défait
sans cesse ».9
d’une « instabilité fondamentale »10 qui paraissaient rendre vain tout effort pour
déterminer les étapes et les trajectoires de ces réécritures qui mènent d’une copie à
l’autre.
Si l’on a assez bien réussi à classer les récits, on a eu beaucoup moins de succès
avec les textes. Ou, plus précisément, on parvient aisément, en général, à reconnaître
des groupements parmi les témoins, mais plus difficilement à établir les rapports
entre les différents groupes. On voit bien que tel manuscrit et tel autre sont proches,
mais quand il s’agit d’expliquer les rapports entre les différents groupes, le sol se
dérobe sous les pieds de l’éditeur à qui s’offre une surabondance d’hypothèses.
Incapable d’expliquer les parties hautes du stemma codicum de façon satisfaisante, il
reste privé du seul outil scientifique qui pourrait lui permettre de dépasser le « bon
manuscrit ».
L’une des rares à s’être aventurée à représenter graphiquement et jusque dans les
détails les rapports entre les manuscrits est Renée L. Curtis, qui a proposé, pour le
début du Tristan en prose, le stemma suivant (« The Manuscript Tradition », Curtis
1985, I, 91) :
between MSS ».
10 La notion de mouvance a été problématisée par Zumthor (1972, 507). Voici la définition in extenso :
« Le caractère de l’œuvre qui, comme telle, avant l’âge du livre, ressort d’une quasi-abstraction, les
textes concrets qui la réalisent présentant, par le jeu des variantes et remaniements, comme une
incessante vibration et une instabilité fondamentale ».
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
49
ment de la rareté, dans la tradition textuelle, de fautes communes avérées, qui seules
peuvent garantir les relations de parenté que stipule l’arbre généalogique.11
À vrai dire, les éditeurs de romans en prose arthuriens, d’Albert Pauphilet à Jean-
Paul Ponceau, en passant par Alexandre Micha lui-même, ont proposé des stemmas
en s’aidant, certes, en grande partie des récits et non simplement des textes. Ces
stemmas sont néanmoins parfaitement à même de rendre compte, jusqu’à un certain
11 Ménard (2009, 137) a fait le même constat à propos de la tradition manuscrite du Devisement du
Monde de Marco Polo, en réponse au compte rendu de son édition par Giuseppe Mascherpa (2009).
50 Lino Leonardi et Richard Trachsler
point, d’une tradition textuelle. Ce qu’il est plus intéressant de relever, à ce propos,
c’est que le seul éditeur d’un roman arthurien en prose à se servir de son stemma pour
réellement aller à l’encontre de son manuscrit de base dans l’intention de reconstituer
un état textuel plus authentique a été Jean Frappier, travaillant à son édition de la
Mort Artu dans les années 1930.12 C’est comme si s’était installée, depuis, la conviction
que la tradition textuelle des romans arthuriens en prose était, dans ses origines,
impossible à maîtriser, et que chaque nouvelle édition, chaque nouvelle étude d’une
tradition textuelle consolidait cette conviction, alors même que, en dehors de la
France, des travaux portant eux aussi sur des romans arthuriens en prose, mais sur
des parties moins étendues, donnaient des résultats encourageants.13
Sans doute la communauté scientifique ne se serait-elle pas résignée aussi sim-
plement à renoncer à pousser l’enquête jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au stemma
opérationnel, s’il n’y avait eu, parallèlement, la montée de l’enseignement de Bédier.
En l’occurrence, pour l’éditeur d’un roman arthurien en prose, la leçon de Bédier
signifiait que tout le travail qu’il serait amené à fournir sur la tradition textuelle, non
seulement ne servirait à rien, mais serait même nuisible.
Il n’est donc pas étonnant que ce consensus général ait favorisé, pour la
sélection du manuscrit de base, l’émergence d’une certaine pratique et, avec elle, de
critères qui se perpétuent d’une édition à l’autre : une collatio en général bien faite
mais limitée aux faits d’ordre macro-narratif sert à distinguer les différentes rédac-
tions et à détecter un manuscrit cohérent du point de vue narratif, correct pour ce
qui est de la langue, de préférence complet, de manière à ne pas avoir à changer de
guide, et proche, d’un point de vue chronologique et géographique, du lieu de
naissance supposé du texte. Les « manuscrits de contrôle », ceux qui servent à
toujours les manuscrits les plus proches du « manuscrit de base », car l’émendation
doit se faire de façon chirurgicale, afin d’éviter de « réécrire le texte ». Cette façon de
procéder, frappée en apparence au coin du bon sens, élude l’axiome sur lequel elle
repose : la tradition textuelle des romans arthuriens en prose est impossible à
maîtriser.14
12 Voir, à ce propos, Leonardi (2003) et, dans une perspective toute différente, Plouzeau (1994).
13 Voir, par exemple, le classement proposé par Limentani (1962) ou celui de O’Gorman (1995), ce
dernier ayant été aidé par la présence d’un modèle en vers, dont dérive la version en prose, ce qui lui a
permis de hiérarchiser le classement.
14 Voir ici, de nouveau, Leonardi (2011a).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
51
arthuriens en prose n’est pas possible. Il n’est donc pas étonnant que l’étude de la
tradition manuscrite du Guiron ait été abordée en partant des prémisses élaborées
depuis un siècle à l’aide du Lancelot-Graal et du Tristan en prose.
Guiron le Courtois est le nom donné à un texte qui se retrouve, sous une forme ou
une autre, dans trente-huit manuscrits et fragments, dont voici la liste :15
112 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 112 (France, XVe siècle)
338 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 338 (France, fin XIVe–début XVe siècle)
340 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 340 (France [Paris ?], premier quart XVe siècle)
350 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 350 (Arras et Italie, fin XIIIe et début XIVe siècle)
355 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 355 (France, XVe siècle)
356–357 et 357* Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 356–357 (Paris, milieu du XVe siècle)
358–363 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 358–363 (Flandres, dernier quart XVe siècle)
12599 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12599 (Toscane, vers 1270 ou fin XIIIe siècle)
5243 Paris, Bibliothèque nationale de France, nouv. acq. fr. 5243 (Milan, 2e moitié XIVe siècle)
A1 Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3325 (Italie du Nord [Gênes ?], 2e moitié XIIIe siècle)
A2 et A2* Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3477–3478 (France ou Savoie, début XVe siècle)
An Paris, Archives nationales, Fonds privés, AB XIX 1733 [fragment] (France, XIVe siècle)
Be Berlin, Staatsbibliothek, Preussischer Kulturbesitz, Hamilton 581 (Flandres, troisième quart
XVe siècle)
Bo1 Bologna, Archivio di Stato, Raccolta mss., busta 1 bis, n. 11, 12, 13 [fragment] (Toscane/
15 Les sigles sont, en gros, ceux de Lathuillère (1966), complétés et homogénéisés par Nicola Morato
(2010).
52 Lino Leonardi et Richard Trachsler
Mar Marseille, Bibliothèque municipale, 1106 (Ca. 3-R. 396) (France, dernier quart du XIVe siècle)
Mn Mantova, Archivio di Stato [fragment]
Mod1 Modena, Archivio di Stato [fragments sans cote] (Italie du Nord, XIVe siècle)
Mod2 Modena, Biblioteca Estense, W.3.13 (France, début XVe siècle)
Mod3 Modena, Biblioteca Estense, R.4.4 [trois épîtres en vers] (Italie du Nord, 2e moitié XIIIe siècle)
N New York, Pierpont Morgan Library, M 916 (France, 1440–1460)
O Oxford, Bodleian Library, Douce 383 [fragment] (Flandres, fin XVe siècle)
Par Parma, Archivio di Stato [fragment] (France, XVe siecle)
Pi Pistoia, Archivio Capitolare, C 57 et C 128 [fragment] (France du Nord, fin XIIIe siècle)
Pr Privas, Archives départementales de l’Ardèche, n. 1 (F.7) (France, fin XIII–début XIVe siècle)
Q Collection privée (ex Librairie antiquaire Bernard Quaritch Ltd., London) [fragment]
T Torino, Biblioteca Nazionale e Universitaria, 1622 (France, XVe siècle)
V1 Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, fr. IX (Italie occidentale, fin XIIIe siècle)
V2 Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, fr. XV (Italie, milieu du XIVe siècle)
Vat Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. Lat. 1501 (Toscane/Ligurie, fin
XIIIe siècle)
X Collection privée (ex Alexandrine de Rothschild) [localisation actuelle inconnue] (Padoue [?],
milieu du XIVe siècle)
Cette liste cache, en même temps qu’elle la révèle, toute la difficulté que concentre en
lui le Guiron. Ces manuscrits contiennent certes des bouts de textes qui se rattachent à
la galaxie guironienne, mais dans des configurations très variées. Certains témoins
racontent plus d’aventures que d’autres, d’autres les disposent différemment, d’autres
encore remanient ce qui se lit ailleurs. Dans ces conditions, les contours mêmes de
l’œuvre se dérobent.16
Pour faire face à une telle situation et pour mettre de l’ordre au sein d’une
tradition textuelle aussi éclatée, les spécialistes des romans arthuriens en prose
disposent d’une méthode mise en place depuis l’étude d’Eilert Löseth sur le Tristan en
prose.17 Le chercheur norvégien, confronté à ce que nous appelons aujourd’hui les
différentes rédactions du Tristan, a d’abord dû les identifier et les isoler les unes par
rapport aux autres. Il a pour cela segmenté les récits que contenaient les différents
manuscrits en unités narratives plus ou moins cohérentes : une aventure, une es-
cependant qu’une fois de plus le classement des manuscrits se fait sur la base des
récits plus que sur le détail des textes.
et l’on peut comprendre cette réaction. Guiron le Courtois, « roman des pères », où
évoluent Méliadus, le père de Tristan, Lac, le père d’Erec, Urien, le père d’Yvain, puis
Ban et le Morholt, célèbres grâce au Lancelot et au Tristan en prose et d’autres, vierges
d’un passé littéraire, au premier rang desquels Guiron le Courtois, héros éponyme,
émerge dans le no man’s land temporel compris entre la fin du règne d’Uterpandragon
et le début de celui d’Arthur, cadre dans lequel prennent place les aventures des uns et
des autres. Dépourvu d’un axe porteur tels qu’ont pu l’être l’itinéraire du Graal ou les
étapes de la biographie d’un héros dans le Lancelot ou le Tristan en prose, Guiron
semble même par moments se présenter comme une suite de récits brefs. Quelques
longues aventures mises à part – mais qui restent sans lien véritable entre elles –, des
épisodes courts et autonomes se succèdent à maints endroits : telle anecdote plaisante
relatée par un personnage chasse un récit étiologique avancé par un autre, avant que le
narrateur, à son tour, n’annonce tel ou tel évènement connu du Lancelot-Graal ou du
Tristan. Cet éclatement thématique se retrouve dans la structure du roman même :
18 Lathuillère (1966). Il faudrait, pour être complet, évoquer aussi les travaux de Fanni Bogdanow, qui
s’est occupée vers la même époque des textes guironiens et qui supposait des pertes beaucoup plus
importantes d’une vaste fresque dont les manuscrits conservés ne couvrent plus qu’une petite partie.
Dans le cadre de la présente étude, qui se concentre sur l’édition au sens restreint, l’approche de
Bogdanow a eu moins d’impact. Pour une exposition de ses vues, voir, par exemple, son compte rendu
de l’étude de Lathuillère (Bogdanow 1968).
19 Cité par Albert (2010, 11).
54 Lino Leonardi et Richard Trachsler
l’entrelacement est surtout une facilité, et quand deux fils narratifs se croisent, il n’en
résulte rien, ou, plus précisément, rien de contraignant : la rencontre aurait tout aussi
contient une grande partie du matériel que renferment aussi d’autres témoins, et c’était
là un facteur important : « Il est clair que toute analyse, pour être complète, ne peut être
fondée que sur l’un de ces six manuscrits, Ar, 338, 350, 355, 356–357, 359–362 »
(Lathuillère 1966, 100). La coprésence de larges pans de récit dans plusieurs manu-
scrits était d’emblée perçue comme la garantie de l’authenticité d’un état textuel que
les autres manuscrits, plus « fragmentaires », avaient perdue. Parmi les six manuscrits
candidats, le fr. 350 était exempt d’un certain nombre d’incohérences narratives qui
affectaient d’autres manuscrits, et paraissait donc moins fautif que ses concurrents.20
Le fr. 350 semblait particulièrement fiable et authentique, digne, par conséquent,
d’être promu au grade de représentant d’un état textuel que Lathuillère appelait la
« version de base ». Dans l’univers du Guiron, la « version de base » correspond, en
privilégiée qu’il faut éditer en priorité. Comme le manuscrit fr. 350 de la BnF en est le
meilleur représentant, c’est lui qui s’approprie les numéros de paragraphe 1–135.
En vertu de la cohérence de sa trame, le fr. 350 est devenu le prisme à travers
lequel nous regardons le texte. Les autres manuscrits présentent des ajouts, des
omissions, des remaniements, tous dûment documentés dans des paragraphes addi-
tionnels de l’Analyse de Lathuillère. En bonne logique, cette approche, tributaire, il
faut le redire, du concept de « Vulgate », a conduit à une démarche calquée en tous
points sur celle des autres romans en prose. Il fallait donner une édition de la
« version de base » fondée sur son meilleur représentant et s’occuper ensuite des
versions moins importantes. C’est ce qui s’est fait, en Sorbonne, à partir de la fin des
années 1970 sous l’impulsion de Roger Lathuillère, dans une série de thèses pour
l’heure non publiées.21
20 Sur les raisons du choix du fr. 350, trop longues pour être reproduites ici, voir Lathuillère (1966,
100–106), puis (ibid. 107–122) pour une caractérisation de la version donnée par le fr. 350.
21 Après Geneviève Nemeth, qui a établi une édition partielle (Nemeth 1979), c’est surtout Venceslas
Bubenicek qui a repris le flambeau avec sa thèse de doctorat (Bubenicek 1985) puis sa thèse d’habilita-
tion (Bubenicek 1998).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
55
C’est aussi le chemin emprunté dans une petite anthologie qui a ainsi pu exami-
ner la cohérence du fr. 350 non pas au niveau du récit, mais, bien que très modeste-
ment, au niveau du texte. À plusieurs reprises, le travail tout à fait empirique portant
sur quelques épisodes choisis a mis au jour des passages incompréhensibles dans le
fr. 350, qui ont dû être amendés, de façon aussi empirique, par le recours à d’autres
témoins. Dans un autre contexte, impliquant une pièce lyrique, le texte donné par le
fr. 350 s’est même révélé inutilisable.22
Mais c’est seulement très récemment que le manuscrit fr. 350 et, par voie de
Des études récentes ont permis d’envisager les choses un peu autrement.23 On a
pu épingler les contradictions que présente la « version de base » telle que l’avait
décelée Lathuillère dans le fr. 350, en privilégiant non pas l’hypothèse d’une ligne
narrative cohérente dans – ou mieux : sous – la trame apparente des manuscrits, mais
celle d’une ligne autre, qui n’aurait, éventuellement, jamais été une, mais d’emblée
plurielle. Plutôt qu’à une intrigue qui se serait dégradée au fil de la transmission, on
aurait donc affaire à un assemblage de divers morceaux ayant mené une existence
autonome avant d’être mis ensemble, et de faire l’objet de remaniements et de
réajustements pour satisfaire aux besoins du cycle. Car c’est bien d’un cycle qu’il
s’agit, composé d’un Roman de Meliadus, d’un Roman de Guiron et d’une Suite Guiron,
c’est-à-dire une suite rétrospective, raccordée au Guiron de très bonne heure. L’étude
de la tradition textuelle révèle en outre que chacun des trois morceaux suit une voie
propre et que le fr. 350 se caractérise par son appartenance à deux traditions différen-
tes.24 En d’autres termes, il n’est pas seulement composite, mais contaminé. La
« version de base » qu’il représente ne peut donc occuper une place de choix parmi les
différentes versions.
22 Trachsler et al. (2004). Voir, en particulier, le compte rendu de l’édition (Plouzeau 2003/2004) et la
réponse de ce dernier (Trachsler 2004). Voir aussi Trachsler (2001), où il est fait état de quelques
problèmes concernant la métrique des pièces lyriques du fr. 350.
23 Morato (2010) ; Albert (2010) ; Wahlen (2010). Les deux premiers ouvrages ont fait l’objet d’un
excellent compte rendu par Lagomarsini (2011) ; voir aussi Mancini (2012) et Trachsler (2014).
Lathuillère n’ignorait pas les fractures qui segmentent le manuscrit 350 : œuvre de
la fois le Meliadus et le Guiron qui peut être daté de cette époque) ; et qu’il est, de
surcroît, exempt de plusieurs fautes communes à tous les autres témoins plus tardifs
du cycle entier (338 355 356–7 358–63 A2 C). Voilà le premier problème de fond dans
l’imposant travail de Lathuillère : la conviction que Meliadus + Guiron formaient à
350 – « à coup sûr la [version] plus ancienne » : (1966, 122) – avait tant de mérites
que Lathuillère a fini par oublier ses défauts, pourtant évidents. Le second problème
est plutôt méthodologique : une fois 350 choisi comme référence pour la version de
base, tout le reste de la tradition a été lu en fonction de ce texte, comme si 350 était
originaire, et comme si ce manuscrit ne pouvait être lui aussi le fruit d’une tradition
mouvante.
Pour aborder le problème textuel du Guiron, nous avons adopté, à partir du travail
de Morato (cf. Morato 2010), une perspective tout à fait différente. La tradition a été
examinée dans sa totalité, y compris les manuscrits contenant uniquement le Melia-
dus (L1 Fe V2) ou le Guiron (357 A2 L2 L4 Pr Mar), et sans accepter de qualifier a priori
25 Ce groupe, co-dirigé par les deux auteurs de ces pages, comporte Luca Cadioli, Fabrizio Cigni,
Claudio Lagomarsini, Sophie Lecomte, Francesco Montorsi, Nicola Morato, Elena Stefanelli, Marco
Veneziale, Barbara Wahlen ; collaborent en outre, pour la description des manuscrits, Anne Schoys-
man et Fabio Zinelli. En l’absence d’un financement spécifique, le groupe bénéficie de l’appui de la
Fondazione Ezio Franceschini de Florence (conjointement avec l’Università di Siena) et de l’Universität
Zürich.
26 Lathuillère (1966, 63) ; pour une synthèse récente, cf. Morato (2007).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
57
de versions particulières tout ce qui ne figure pas dans la présumée version de base
transmise par 350 (mais qui figure dans des manuscrits parfois très anciens tels que
A1), et cela dans le but de retracer les parcours ayant abouti à une tradition si
entropique. En effet, cette perspective nous est apparue comme la seule vraiment
adaptée à un objet textuel tel que le Guiron, qui manifeste de façon extrême la nature
mouvante de la textualité médiévale. Cette galaxie de noyaux textuels en accroisse-
ment continu, d’étendue différente dans chaque manuscrit, sollicite plus que jamais,
et rend même indispensable, une approche qui ne se limite pas à envisager le contenu
de chaque manuscrit dans sa synchronie, comme un texte donné, mais qui s’interroge
au contraire sur les processus en amont, sur la diachronie ayant donné lieu à un tel
résultat.
Interrogée de ce point de vue, la tradition guironienne a apporté des réponses
innovantes et de grand intérêt. L’analyse des structures narratives, de leur physiono-
mie et de leur cohérence dans les différents noyaux de la tradition manuscrite a
permis à Morato (et parallèlement à S. Albert, avec des résultats en grande partie
convergents27) de démontrer la nature cyclique de l’ensemble guironien. Celui-ci est
en réalité divisé en trois branches distinctes : le Meliadus (Lath. 1–49), isolé à l’ori-
gine ; le Guiron proprement dit (Lath. 58–132) ; et, enfin, une Suite Guiron (Lath. 161–
209), qui est un prequel de ce dernier, bien qu’elle ne nous soit parvenue qu’à travers
des témoins isolés qui la relient au Meliadus, sans transcrire ensuite le Guiron. C’est
seulement dans un deuxième temps – toujours au XIIIe siècle – que le Meliadus et le
Guiron ont été soudés par le biais d’un « raccord » cyclique (Lath. 152–158+52–57) qui
sement d’un stemma réunissant tous les manuscrits du Guiron le Courtois se révèle
aussi difficile qu’illusoire » (Lathuillère 1966, 106).28 En réalité, Limentani était
vant dans une typologie précise (par exemple, les variantes formulaires comme Or dit
le conte / Ci dit l’estoire, ou les hendiadys combinatoires comme fort et puissant / fort
et preux / grant et puissant etc.) ; nous nous sommes concentrés sur les fautes, peu
uniquement pour confirmer les convergences révélées par les fautes communes ; pour
plusieurs possibles, nous avons choisi celle qui nous paraissait la plus économique.
Pour les insertions poétiques – présentes surtout dans le Meliadus –, nous avons
opéré une classification plus détaillée, afin de pouvoir y trouver une confirmation des
résultats obtenus pour la prose.
Cette œuvre de recensio nous a permis, non sans surprise, de formuler des
hypothèses stemmatiques assez solides, autorisant une lecture généalogique de la
tradition. Avant d’être un instrument pour aider à la constitution du texte critique,
le stemma constitue, dans le cas de notre cycle, une clé pour l’interprétation des
processus de genèse des textes et pour la formation des macrotextes.
Afin d’exposer plus clairement et de manière synthétique les grandes lignes d’une
tradition aussi complexe, nous renvoyons le lecteur dans les pages qui suivent au
tableau 1, qui présente le contenu de chaque manuscrit et permet de visualiser les
différentes extensions ainsi que les fractures, et aux tableaux 2–4, pour les stemmas
des sections les plus importantes du cycle.
En ce qui concerne le Meliadus (voir tableau 2), les manuscrits qui contiennent le
texte non-cyclique (A1 Fe Fi L1 V2 5243, tous italiens et datant de la seconde moitié du
XIVe s., certains ne conservent toutefois qu’une partie du texte), constituent une
première famille, α, où se dessine avec certitude un sous-groupe α1 (A1 Fe V2), tandis
que l’existence d’un autre sous-groupe α2 (L1 5243 Fi) est incertaine ; l’état textuel de α
est témoigné aussi par 350, seul manuscrit ancien réalisé en France (même s’il
contient certaines insertions italiennes). Mais la nature composite de ce manuscrit est
confirmée par des indices de contamination (visibles lors des passages d’une main à
l’autre, mais aussi au sein de sections copiées par une même main) entre une source α
et une source β, c’est-à-dire entre la première famille et la seconde, qui réunit les
autres manuscrits, tous cycliques, français et tardifs. Au sein de β, on distingue
29 Nous nous basons, pour ce qui suit, sur : Morato (2010, 275–403) pour le Meliadus, confirmé par
Lagomarsini (2015) pour les textes poétiques ; sur Lagomarsini (2014b) pour le Guiron (en préparation
pour une publication intégrale) ; sur Leonardi et al. (2014) et sur le travail résumé dans Veneziale
(2014) (objet de sa thèse de doctorat, en cours) pour la conclusion en L4 et X et enfin, sur Lagomarsini
(2014a) pour la Compilation guironienne.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
59
à Lath. 49 alors que le texte de γ et 360 s’arrête à Lath. 41 ; suit une brève
49), δ1 passe en effet à une source de type α. Dans 350, au même endroit environ
(Lath. 41), on remarque l’une de ces insertions réalisées par des mains différentes
à partir d’une autre source (3503–4, à partir du f. 102r : v. supra). Dans les pages
immédiatement précédentes, à hauteur de Lath. 39, 3502 puise dans β (et, comme
toute la famille β, il donne à cet endroit un texte problématique qui dérive d’une
source détériorée), alors que les fascicules intégrés ultérieurement (3503–4) pren-
nent la rédaction longue de α. Les mouvements ayant produit de telles fractures
textuelles pourraient peut-être s’expliquer par un problème dans la diffusion
initiale du Meliadus (fascicules lacunaires ? lisibilité faible ?) : 350 recourt à β, puis
à α, tout comme le fait le plus récent δ1, abandonnant la rédaction abrégée qui
devait figurer dans β.
La rédaction longue du Meliadus s’achève sans donner de conclusion. Vers Lath.
49, 350 présente sa seconde fracture : le texte s’interrompt au beau milieu d’une
phrase (suit une page blanche : f. 141), sur le même mot clôturant L1. Mais cette
interruption ne se limite pas à ces deux témoins : plus ou moins au même endroit, δ1
alors que 355 insère une page blanche avant de continuer) ; Fe et V2 poursuivent
quant à eux le texte, mais avec un ajout probablement postiche ; les autres témoins de
α avaient déjà interrompu leur texte précédemment. C’est ainsi que s’achèvent,
incomplètes, les lignes narratives du Meliadus original.
Guiron, roman mettant en scène un nouveau héros arthurien, champion des Bruns,
confronté à la diaspora des anciens chevaliers, a été composé indépendamment du
Meliadus – bien qu’aucun témoin non-cyclique ne nous soit parvenu. Toutefois,
l’exigence d’unir les deux romans s’est vite manifestée : dans le manuscrit A1, très
ancien, Meliadus est suivi d’une Suite Guiron, caractérisée par un long et beau prequel
des aventures du second roman. Celle-ci n’a cependant pas joui d’un grand succès,
contrairement au « raccord » qui, abrégeant Meliadus et introduisant le personnage
Tableau 1 : Diagramme des manuscrits du cycle de Guiron le Courtois
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
61
Légende tableau 1 :
La jonction cyclique entre les deux romans s’est accomplie à la hauteur de β (ou plutôt
de son antécédent, que nous appellerons β°) : après que la rédaction brève du
Meliadus s’éloigne de la longue (Lath. 41), les témoins les plus authentiques de cette
branche, γ et 360, donnent un récit organique (Lath. 152–158+52–57) qui introduit le
second roman. Bien que la totalité du raccord ne nous soit parvenue que par des
manuscrits du XVe siècle (seul 338 date probablement de la fin du XIVe), celui-ci
remonte indiscutablement au XIIIe s., avant la date de confection des sections les plus
anciennes de 350, qui en transmet la deuxième partie. Le fait que 3505, après la
fracture du f. 141, omet la première partie du raccord et commence seulement à Lath.
52, s’explique facilement si β° a été divisé en deux volumes. Dans un tel cas, le texte
correspondant à la lacune entre 3502 et 3505 – comblée ensuite par des sections
copiées par d’autres mains (3503–4) – devait probablement occuper les derniers
fascicules du premier volume. Cette hypothèse est confirmée par la grande miniature
caractérisant Lath. 52 au début de 3505, qui semble destinée à une ouverture de
volume, et surtout par le contenu des deux manuscrits du Guiron remontant au XIIIe
s., Mar et Pr : bien qu’ils soient malheureusement acéphales, ces deux témoins
fait preuve d’une grande mobilité rédactionnelle pour le Meliadus) donne une rédac-
tion alternative, qui n’est vraisemblablement pas originaire (Lath. 159–160 ; mais les
rapports entre les deux redactions sont encore à eclairer).30 L’élaboration de cette
seconde rédaction n’est toutefois pas due à δ1, puisqu’elle se retrouve également dans
30 Au sein de δ1, C juxtapose aussi, en réalité, une partie de la première rédaction (tirée du modèle de
350), alors que le couple 357 et A2, après avoir copié la première rédaction puis l’intégralité du Guiron
sur son modèle γ, recommence à transcrire la seconde version de la « partie divergente » et continue
ensuite à recopier tout le reste du roman une deuxième fois, mais à partir de δ1 (357* A2*).
64 Lino Leonardi et Richard Trachsler
les trois manuscrits qui entament le texte à cet endroit précis, L2, L4 (XIVe s.) et V1
(XIIIe s.), et qui proviennent tous de sources plus anciennes (en particulier L4) : nous
s’interrompt au beau milieu d’une phrase et reprend à Lath. 103, après une page
blanche (f. 269), même si les indices qui relient la suite du texte à l’autre famille sont
pour le moment très faibles, voire insuffisants.
Le Guiron s’achève également sans conclusion, après que « tuit li bon chevalier furent
departi, les bons di ge, qui estoient a celui tens de haute renommee ; quar les uns
furent emprisonnés et les autres se furent partis del roiaume de Logres » (Lath. 132)
scrits, on lit le début d’une continuation : β en donne une petite partie (Lath. 133n4) ;
350 poursuit un peu plus loin et s’interrompt à la fin d’un fascicule (Lath. 135n1, avec
un rappel qui n’a pas de correspondant dans le fascicule suivant), avant de fournir le
texte des Prophecies de Merlin ; seul L4 poursuit la continuation, accompagné de X,
dont le texte commence justement à la fin du Guiron et se termine peu après la fin
tronquée de L4 (Lath. 133n2–151). L’analyse narrative nous confirme qu’il ne peut
s’agir d’une continuation originale ; mais la recensio du premier extrait, commun à β
L’ensemble de ces fouilles met à jour une stratigraphie généalogique bien plus
complexe que l’image qu’en donnait Lathuillère. Contrairement à sa vision photo-
graphique de la tradition guironienne, où tous les reliefs étaient ramenés à une
surface artificiellement aplatie par la version de base de 350, l’hypothèse Morato-
Lagomarsini présente une interprétation rigoureuse de la complexité des données
textuelles, en tentant de comprendre et d’expliquer les nombreux points de mobilité
du texte et du macrotexte. Avant de servir à des fins ecdotiques, les hypothèses
stemmatiques se révèlent utiles, voire indispensables, pour comprendre comment
s’est formé et développé cet immense corpus produit sur deux siècles entre la France
et l’Italie et portant le nom de Guiron le Courtois.
lacunes » (1966, 112), qui ont été soulignées aussi, plus tard, par R. Trachsler (2004,
même au sein de chaque section, n’est pas stable dans sa leçon, mais oscille entre
différents modèles ; un texte qui, du point de vue linguistique, présente une alter-
31 Les grandes lignes de notre méthodologie ont été élaborées lors de plusieurs séminaires internes et
ont été discutées publiquement à plusieurs occasions : à l’Université de Sienne et de Göttingen en
peut-être de Pr, qui transmettent la seconde partie du raccord). Dans ce cas, on serait
contraint de se baser principalement sur les témoins de γ, étant donné que δ1 change de
modèle tant pour le Meliadus que pour le Guiron ; et on devrait donc adopter un état
textuel qui ne nous est conservé dans son intégralité que par des copies de la fin du
XIVe ou du XVe siècle, qui présentent une foule de remaniements de détail.
L’alternative, autorisée et même suggérée par les stemmas, consiste à respecter,
au moment de l’édition, la stratification du cycle, en tenant compte de ses différentes
attestations dans les manuscrits. On publiera donc : pour le Meliadus, la rédaction
rédaction complète, attestée uniquement dans les témoins plus récents remontant à
β ; pour le Guiron, la première rédaction, transmise par 350 mais aussi par d’autres
manuscrits anciens comme Pr et Mar (et, pour sa seconde partie, L2 et L4), sans
compter les manuscrits cycliques plus tardifs ; pour la Suite Guiron, le texte de A1
(T en est descriptus) et de 5243. On intégrera à cette structure les éditions des princi-
paux compléments qui, à plusieurs occasions, ont été greffés tantôt aux romans
isolés, tantôt au cycle : la Continuation Meliadus de Fe et la Continuation Guiron de L4
33 Sur les problèmes liés à cette pratique éditoriale, outre nos nombreux comptes-rendus, cf. aussi
Duval (2006).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
67
Artu par J. Frappier (1936), qui est, rappelons-le, la seule édition d’un roman arthurien
en prose fondée sur un stemma.34 Nous envisageons plutôt d’appliquer le principe de
convergence (cf. Segre 1991, 9ss.) qui porte à sélectionner ce qui est originaire par
rapport à ce qui est le fruit d’une innovation, sans accorder la priorité au témoignage
d’aucun manuscrit en particulier. Notre objectif est de proposer un texte qui, à travers
le dialogue avec l’apparat des variantes, représente l’hypothèse de lecture de la
tradition manuscrite qui a émergé de la recensio.
Les critères que nous appliquons pour la constitutio textus exigent toutefois deux
restrictions. La première a trait à la nature des variantes concernées par ces critères :
34 Sur les qualités et les limites de cette édition, cf. Leonardi (2003).
68 Lino Leonardi et Richard Trachsler
Une fois ces limites posées, l’application du stemma au choix des variantes
adiaphores comporte les étapes suivantes :
(a) est retenu dans le texte critique ce qui est partagé par tous les manuscrits. Il s’agit
d’un critère lapalissien, certes, mais seule une perspective d’interprétation glo-
bale de la tradition permet d’enregistrer ce consensus et de mesurer ainsi le degré
de dynamicité de la tradition même (exception faite, rappelons-le, des passages
où la réélaboration du texte est extrême) ;
(b) est retenu dans le texte critique ce qui est partagé par tous les mss sauf un. Une
eliminatio lectionum singularium de ce type n’est elle aussi possible que si nous
avons une vision de toute la tradition. Elle offre d’importantes informations sur la
dynamique innovante des différents copistes, ou des différentes familles si un
manuscrit en est l’unique représentant ;
(c) est retenu dans le texte critique ce qui est partagé par une majorité certaine des
familles ou sous-familles, à savoir quand l’unanimité n’est désavouée que par
une seule des sous-familles, dont on mesure parallèlement le taux d’innovation
(pour le Meliadus : α1, γ, δ ou δ1 ; pour le Guiron première partie : β, γ, δ ; pour le
(d) quand le stemma permet de vérifier que deux variantes adiaphores réunissent
une branche contre l’autre, nous retenons toujours dans le texte la leçon de la
même branche, en général la plus conservatrice (α pour le Meliadus ; βy pour le
Guiron première partie ; ε pour le Guiron seconde partie) ; on prêtera une attention
(e) toutes les variantes substantielles non admises dans le texte seront regroupées
dans un seul apparat critique, où l’on précisera si elles se trouvent dans un
manuscrit, dans une famille ou dans une branche entière de la tradition ; dans ce
dernier cas, où le choix est donc plus aléatoire, les variantes seront mises en
évidence en gras.
Ces critères seront appliqués de manière systématique, mais il est à prévoir qu’aux
différents endroits de la tradition, la varia lectio ne se répartira pas toujours de façon
cohérente et qu’il y aura sans doute des passages où notre canevas sera difficile à
suivre. Pour tous ces cas, on appliquera l’indication générale selon laquelle, parmi
des leçons équivalentes, on adopte celle de la branche la plus conservatrice (comme
pour (d)), de façon à limiter l’inévitable hétérogénéité du texte critique.
Pour la même raison, nous choisirons au sein de cette branche le manuscrit qui
fournira l’apparence formelle du texte (manuscrit de surface), c’est-à-dire tous les
phénomènes linguistiques pouvant relever de la polygenèse, pour lesquels il serait
incorrect de recourir au stemma. Le choix de ce manuscrit privilégiera en effet la
compétence stemmatique (cf. Vàrvaro 1970, 590–595) – à savoir la fiabilité, garantie
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
69
prose arthurienne française. En nous basant sur une collation complète de quelques
échantillons de texte, nous avons inclus dans cette catégorie, outre les faits graphi-
ques et phonomorphologiques, une ample typologie de variantes, touchant aussi au
lexique et à la syntaxe, que nous détaillerons dans l’introduction à l’édition. Parmi
celles-ci, citons par exemple les oscillations entre les temps verbaux, la présence/
l’absence de pronom sujet (si furent il grant / si furent grant), l’alternance entre article
et adjectif démonstratif (la/cele pucele), l’alternance entre adverbes (mult/trop), pré-
positions (en la fin / a la fin) ou conjonctions (car/que), les alternatives lexicales (ex.
cheval/destrier, maniere/guise, veraiement/certainement), auxquelles on peut ajouter
les différences non significatives dans l’ordre des mots (qui Engleterre est orendroit
apellee / qi orendroit est Angleterre apellee), etc. Pour cette typologie de phénomènes,
on suivra le manuscrit de surface sans enregistrer les variantes dans l’apparat. Aux
endroits où la leçon substantielle retenue dans le texte n’est pas présente dans le
manuscrit de surface, celle-ci sera adaptée aux usages grapho-phonétiques de ce
manuscrit, selon une méthode employée par ailleurs dans les éditions établies sur un
manuscrit de base.35 Dans les cas où de telles insertions ne sont pas ponctuelles mais
étendues (par exemple dans le cas de lacunes importantes du manuscrit de surface),
on respectera par contre la forme du manuscrit ayant fourni la leçon, en signalant ce
changement par une typographie particulière (l’italique).
Si nous envisageons notre méthode selon l’angle d’approche habituel pour les
éditions de textes en ancien français, qui prévoient la transcription d’un manuscrit
avec corrections, nous pourrions dire que notre édition s’éloignera du manuscrit de
surface lorsque sa leçon substantielle, même si elle n’est pas inacceptable, sera jugée
innovante par le stemma. Nos critères permettent toutefois d’affirmer que dans tous
les autres cas, la leçon du manuscrit de surface retenue dans le texte critique ne
représente pas l’état du texte de ce manuscrit en particulier, mais remonte au niveau
le plus haut que l’on puisse atteindre dans la tradition manuscrite.
Le texte critique que nous publions ne se trouve donc, tel quel, dans aucun
manuscrit. Si ce principe était jugé problématique, le problème concernerait en réalité
toutes les éditions de textes médiévaux non diplomatiques (et même dans ce cas, cela
est discutable). À la différence de tant d’éditions fondées sur un manuscrit de base,
notre édition ne dépend pas de discutables fautes « évidentes » ni de « contrôles »
arbitraires effectués sur d’autres manuscrits ; elle fournit au contraire un texte qui
renouvelés dans le courant du XXe siècle (cf. essentiellement Contini 1977 ; Segre
l’apparat sont autant d’outils que nous tenons de cette ancienne philologie.
Nous croyons que les principes de cette philologie, repensés et adaptés aux
nouvelles exigences, sans automatismes et sans exagérations reconstructivistes, peu-
vent assurer aujourd’hui la possibilité d’un résultat nettement supérieur à des solu-
tions insuffisantes ou défaitistes qui se réduisent souvent à défendre la présumée
« réalité » d’un seul manuscrit. L’ancienne philologie permet de formuler et de motiver
des hypothèses sur l’évolution diachronique d’un texte, et donc d’en interpréter la
tradition dans son ensemble. Elle permet d’établir, sur cette base, un texte critique qui,
accompagné de l’apparat de variantes, rende compte de cette tradition. C’est elle, la
vraie fidélité que le philologue doit s’engager à respecter : la fidélité à l’histoire du
texte à travers ses témoignages manuscrits, ainsi que la responsabilité d’offrir une
édition qui ne trahisse pas la réelle nature de la textualité médiévale, à savoir sa
variation dans le temps.
Le fait que cette tentative se propose d’affronter et de résoudre le problème
ecdotique du cycle de Guiron le Courtois, le plus important inédit de la grande
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
71
La réponse la plus simple est que nous voulons faire une édition critique.
du Meliadus
Comme exemple du modèle ecdotique proposé, nous présentons ici l’édition du
Prologue précédant le Meliadus (« Prologue I » de Lathuillère), qui depuis Paulin Paris
a été transcrit plusieurs fois comme extrait représentatif de la prose guironienne :36
tantôt d’après 338, qui selon notre reconstruction est un témoin conservatif de la
famille β, tantôt d’après Fi, qui apparaît comme un témoin innovant de la famille α.
Le prologue présente certaines particularités par rapport à la situation « normale » à
laquelle est confronté l’éditeur du cycle du Guiron : les premiers feuillets de 350
constituent une des insertions faites par une autre main (parfois peu lisible) ; dans L1,
l’encre effacée a parfois été repassée par une main ultérieure ; certains manuscrits
omettent justement cette partie initiale (A1 5243 V2). Malgré tout, l’édition illustre bien
le résultat que nous voudrions obtenir.
Onze témoins présentent le Prologue I : dans α : L1 (2ra–3rb), 350 (1*ra–va), Fe
vb). L’apparat n’enregistre pas les variantes des témoins les plus innovants ou tardifs :
A2 dans γ, 359 355 Gp dans δ. Les groupes sont donc représentés dans l’édition de la
façon suivante : α = L1 350 Fe Fi ; γ = 338 356 ; δ = C L3.
Le texte critique est constitué d’après les procédés exposés précédemment : sont
consignées dans l’apparat les leçons singulares de tous les manuscrits, ainsi que les
leçons propres à l’un des groupes γ et δ. Le stemma les désigne comme innovantes, et
permet d’apprécier la dynamique de réception du texte. La famille γ apparaît comme
très conservatrice (4 variantes seulement, parmi lesquelles le titre de maistre pour
Gautier Map, 1.13), comme le sont ses descendants : 338 est presque impeccable (2.9,
2.16), 356 se révèle à peine plus actif (un saut du même au même, 1.14 ; des synonymes
36 Cf. P. Paris (1868–1877, vol. II, 346–51), éd. partielle d’après 338 ; Hucher (1875–1878, vol. I, 156),
d’après 338 ; Löseth (1891, 83), d’après Fi ; Curtis (1958), d’après 338 ; Lathuillère (1966, 175–180),
d’après 338 comme manuscrit de base, avec en apparat tous les manuscrits (sauf 350, Fe et C, qui lui
étaient inconnus) ; Cigni (2006, 106–108), d’après Fi ; Morato (2007, 279–285), d’après 3501.
72 Lino Leonardi et Richard Trachsler
1.19, 1.20, 2.8, 2.18). δ se révèle par contre un peu plus dynamique, avec une vingtaine
de variantes, dont la plus significative est le changement du titre du roman (de
Palamedes à Guiron, 2.23–27), alors que ses descendants, C et L3, sont eux aussi
presque immobiles, avec très peu de variantes chacun, jusqu’à ce que L3 introduise la
première vraie variante narrative (2.28).
Au sein d’α, Fi et surtout Fe sont beaucoup plus innovants et tendent souvent à
abréger le texte (1.4 1.5 1.11 2.1 2.5 2.6 2.18 2.24 2.26 2.27), alors que L1 et 350 présentent
majoritairement des fautes mécaniques de lecture, plus graves dans 350 (1.13 2.1, un
saut du même au même 2.5) ; dans certains cas, ils sont isolés par rapport au reste de
la tradition (un lemme à 1.6, une fois en commun avec Fi, à 1.18), indice de l’existence
d’un sous-groupe α2 qui les réunit (rappelons que les premiers feuillets de 350 sont
dus à une main italienne).
On compte 35 variantes qui opposent α et β, à savoir environ 8,5% de l’ensemble
du texte : pour les 91,5% restants, le stemma donne des indications fiables. Lorsqu’il y
a incertitude stemmatique, nous suivons toujours α et, en effet, β n’est pas meilleur ;
dans un passage, il est même clairement de qualité inférieure (1.3 : l’attribut conceus,
même après négation, n’est pas envisageable lorsqu’il est question de la trinité ;
a Patre et Filio, non factus, nec creatus, nec genitus, sed procedens »). Les variantes
l’auteur est absente (om. ensint com ge meesmes ai dit en mon lyvre), et à 2.15, on
relève une opposition entre deux attitudes de l’auteur : faire une compilysom α vs.
metre en auctorité β. On ne compte qu’un cas où la leçon d’α est améliorée par β, par
l’explicitation du sujet mon livre à 2.17 : mais il pourrait s’agir d’une banalisation.
L’utilisation des caractères gras dans l’apparat signale toutes ces leçons, qui pour-
raient être originaires.
Sur le plan linguistique, le choix de L1 comme manuscrit de surface implique de
le suivre pour tous les aspects formels (tels que nous les avons définis ci-dessus) ;37
l’apparat ne prend pas en compte les nombreuses variations à ce niveau. Dans les cas
où le texte de L1, pour des raisons liées à la substance de son texte (ou parce qu’il est
illisible : 1.10 meins), est laissé dans l’apparat, le texte assume la forme de 350 (dans
le passage édité ici, nous n’avons pas été confrontés à la nécessité d’adapter des
formes aux habitudes de L1).
37 On corrige seulement, sans les signaler dans l’apparat, les fréquentes confusions c/t : encor > entor,
parcie > partie, cel > tel, cesmoigne > tesmoigne, etc.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
73
1. 1A Deu, qui m’a doné pooir et engin et force et memoire de finer honoreement le
« Lyvre del Bret », entor cui ge ai tant anz travallié ententivement et curiosement,
ensint com ge meesmes ai dit en mon lyvre, 2rent graces et merciz et loenges teles com
chevalier pecheor, jolys et envoisiéz et ententis as deduit du monde puet rendre. 3Deu
merci ge, que nos devom tout premierement entendre el Pere, qui onques ne fu fet ne
concryéz ne engendriéz ; el Fill, qui fu del Pere solement ; el Saint Espryt, qui del Pere
et del Fill essiz, ne concriéz ne engendriéz. 4Ces trois persones, qui un Deu doivent
estre entendues simplement, merci ge et aor et suppli, et lor rent graces de ce que, par
lor benygnité et par lor debonaryeté, ai eu tens et loisir de mener a fin la riche ouvrage
del « Livre del Bret ».
5Aprés les merci ge autre fois de ce qu’il m’ont doné tel grace que ge en ai
conquesté la bone volenté del noble roi Henri d’Engleterre, a cui mon livres a tant
pleu, por les diz plaisant et dilletaules qu’i a trové dedenz, 6qu’il velt, porce qu’il n’a
trové dedenz cestui mon « Livre del Bret » tout ce qu’il i covenoit, que ge encommence
un autre livre de celle meemes matiere ; 7et velt que en cestui livre que ge ore
comencerai a l’onor de lui soient contenues toutes les choses qui en mon « Livre del
Bret » faillent, et en autres livres qui de la matiere del Saint Graal furent estrait ; 8car
bien est verité que alcuns saint home, clerc et chevaliers, se sunt ja entremis de
translater celui livre de latyn en langue françoyse. 9Missire Luces de Gau s’entremist
1.1. A Deu, qui m’a doné pooir L1 β] A celui qui m’a presté sen Fe ; [A] Deu qui ma(n)de pe | poder 350 ;
A D. en soit loenge qui m’a d. p. Fi ◊ et engin] om. Fi ◊ et force α] om. β ◊ de finer honoreement le lyvre]
et f. honoreementi le de lyvre (sic) 350 ◊ tant (cinc L1, om. Fi) anz travallié α] tr. moult lonc temps β ◊
et curiosement] om. δ ◊ ensint … rent α] dont je rent β 2. et loenges (longes 350) L1 350 Fi γ] om. Fe δ
◊ envoisiéz] emtanez (sic) 350 ◊ et ententis (et e. om. Fi) as deduit (deliz Fe) du monde] om. δ ◊ du
monde] monde L1 ◊ puet rendre. Deu merci ge α] puet ne doit rendre a son creatour β 3. fu fet L1 Fe
Fi] il (?) fait 350 ; fut β ◊ concryéz α (350 illisible)] conceus β ◊ ne concriéz ne engendriéz α] om. β
4. qui un (q. vit L1) Deu … merci ge L1 350 Fi] merci Fe ; ne doivent estre entendues que en Dieu le Pere
seulement et celui merci je γ ; ne d. estre e. que ung Dieu. Celui aour et merci δ ◊ et suppli β Fe Fi] om.
L1 350 ◊ lor rent L1 Fe] hor r. 350 ; rent Fi ; li r. β ◊ graces] g. et mercis Fi ◊ par lor (hor 350) benygnité
Fe) ouvrage α (350 illisible)] le r. o. que je ai empris a faire β 5. les merci L1 350 Fi] le m. β Fe ◊ autre
fois] moult humblement a. f. L3 ◊ qu’il m’ont doné L1 350 Fi] qu’il m’a d. β Fe ◊ plaisant] apleissant Fi
◊ dedenz (d. mon livre 356) … dedenz cestui mon ‘Livre del Bret’ tout ce qu’il i covenoit] dedenz le
Livre del Bret Fe 6. qu’il velt β Fi] il velt L1 350 ◊ il n’a trové … tout ce qu’il i (qu’il et L1, qu’il 350)
covenoit (add. et convient 350 Fi) α] il li samble que je n’ai encore mie mis tout ce que il y
apartenoit β ◊ Livre del Bret] l. de Luquet Fi ◊ encommence] conte L1 350 ◊ de celle meemes matiere]
del Brait a cele m. maniere Fe 7. en cestui livre] add. del Brait Fe ◊ a l’onor] add. de Deu et Fi ◊ Livre
del Bret] l. de Luquet Fi ◊ estrait α] estraites β 8. alcuns saint home L1 Fi 338] autre sage h. Fe ; a.
proudomme δ ◊ clerc et chevaliers] et […] Fe (illisible) ◊ se sunt ja entremis] se sa | […] enuen[…] 350 ◊
celui livre] estu (?) l. L1 9. L. de Gau (Gaut Fe) β Fi Fe] Luces del Gay L1 350 ◊ qui son estude i mist et sa
74 Lino Leonardi et Richard Trachsler
adonc tout premierement : cil fu li premiers chevaliers qui son estude i mist et sa cure,
bien le savom ; 10et cil translata en langue françoyse partie de l’estoyre monsegnor
Tristan, et meins asséz qu’il ne deust. 11Molt encomença bien son livre, mes il ne dist
mie asséz les ovres monseignor Tristan, ainz en leissa bien la gregnor partie. 12Aprés
s’entremist messire Gasses le Blont, qui parent fu del roi Henry ; 13aprés s’entremist
missire Gautier Map, qui estoit clerc le roi Henri, et devisa cil l’estoire de monseignor
Lancelot, que d’autre chose non parla il granment en son livre. 14Missire Robert de
Borron s’en entremist aprés.
15Ge Helys de Boron, por la priere de monseignor Robert de Boron et porce que
compaignons d’armes fusmes longuement, encomençai mon « Livre del Bret ». 16Et
quant ge l’oi mené dusqu’a la fin ensint com il apert encore, missire le roi Henri, a cui
mon livre atalanta, quant il l’ot regardé des l’encomencement dusqu’a la fin – 17et
porce qu’il avoit oï touz les autres livres qui del grant « Livre del Graal » estoient
estrait en françoys et devant lui les avoit touz, ne encor n’estoit dedenz tous ces livres
mis ce que le livre del latin devisoit, ainçois en remenoit a translater molt grant
partie –, 18velt que ge encomence un livre en françoys ou, a mon pooir, soit contenu
tout ce que en ces autres livres failloit. 19Ge endroit moi, qui por son chevalier me
tieng et bien le doi faire par raison, voill acomplir le suen comandement et li promet
que ge mon pooir i ferai. 20Et porce que ge voi que le tens est bel et cler, et l’ayr pur, et
la grant froydure de l’yver se est d’entre nos partie, voill ge comencier les premier diz
de mon livre en tel maniere.
2. 1Grant tens a ja que ge ai regardé et veu les merveilloses aventures et les estranges
fait que la halte « Ystoire del Saint Graal » devise tout apertement. 2Molt i ai curiose-
ment mise m’entente et le sens que nature m’a doné ; molt i ai pensé et veillié et
travaillié estudiosement, et molt m’esjois del travaill que ge ai soffert, 3car ge voi
cure (imistis sacure (sic) L1)] qi sa peine m. et sa entente Fe 10. en langue françoyse] om. Fe ◊ et meins]
L1 illisible. 11. ne dist] ne mis Fe ◊ ainz (mais L1, main tardive) en leissa bien la gregnor partie] et la g.
p. Fe 12. Aprés] Atent (?) L1 (main tardive) ◊ Gasses] Gase L1 (main tardive) 13. messire Gautier 350 Fe
Fi δ] messire Gracien L1 (main tardive), maistres Gautier γ ◊ estoit clerc] etoit clere L1 (avec inter-
ventions d’une main tardive) ◊ que d’autre chose] dauere (sic) ch. 350 ◊ gramment] gen[…]ent L1
14. s’en entremist aprés. Ge Helys de Boron] om. 356 ; s’en entremist. Aprés s’en entremist Jehelis (sic)
de Boron δ ◊ Borron] bonon L1 (main tardive) 15. et porce que] ensor […] L1 (main tardive ; dans la
marge, une main moderne annote : et porce) ◊ longuement] om. 356 16. atalanta α] ot tant pleu ainsi
comme je vous ai dit β 17. livres] om. L1 L3 ◊ et devant lui α] devant lui et le mien et les autres
β ◊ mis] om. δ ◊ le livre del latin devisoit] le latin devisoit du livre 356 18. encomence … contenu α]
m’entremeisse a m. p. de mener a fin β ◊ en françoys] en franco Fe ◊ ce que en] ce que L1 350 ◊
failloit] failloient L1 350 Fi 19. son chevalier] son homme 356 ◊ le suen comandement] le c. de Deu et le
suen Fi 20. bel et cler] b. et olers (sic) Fe ; doulz et c. 356 ◊ se est d’entre nos partie] est passee δ ◊ les
nature] Dex Fe ◊ soffert α] fait β 3. de l’ovre que ge ai traite (traitié L1 356) L1 350 Fi γ] de le livre que
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
75
adonc tout apertement que de l’ovre que ge ai traite et des diz plaisant et dilletaibles
que l’en i trove se vont esjoissant ausint li povres come li riches qui ont alcun
entendement a bien et a joie, 4quant il poent avoir pooir et aise de veoir et de regarder
ce que ge ai dit en langue françoyse.
5Molt ai conté estrange faiz, car estranges choses et merveilleuses ai trovees el
latyn ; tant ai dit que ge conoys que en touz les leux ou chevalier o langue françoyse
repairent sunt li mien dit chery et honoré sor touz autres diz françoys qui a nostre tens
fussent espenduz entre pople : 6honoréz sunt de cels qui a honor entendent et, se il ne
sunt molt prisiéz de cels qui ne conoissent ne l’onor ne le pris del monde, ce ne m’est
mie grant deshonor, car qui soi meesmes ne reconoist son povre estat, son povre fait,
malvaisement puet reconoistre alcun bon diz quant il le trove. 7Et se tex m’aloient
blasmant, ce me seroit un grant reconfort, car l’en dit tout apertement que blasme de
chetif home est loenge as bons et honor.
8Or donc, quant ge vois et conois que li sage et li plus prisiéz de la riche cort
d’Engleterre sunt ardant et desirrant d’escouter les miens diz, et a monseignor le roi
Henry plest que ge die encore en avant, et ge voi que la grant « Ystoire del Saint
encore ne l’ont mie traite a fin, et si en ont ja esté fait maint halte despens et maint
riche, et a moi meesmes en a ja missire li rois Henri doné deus chasteax, la soe merci –
10n’est encore del tout acomplye, huimés voill ge la main metre por acomplir ce que li
poi de mal qui trop ne soit a escolter. 14Ge laisse les malvés d’une part : en loing de
moi soient tous jours ; ja Dex ne voille qu’il m’aproichent. 15Des bons, dont auques sai
ge ai fraite (sic) Fe ; du livre que je ay traictié (trouvé C) δ ◊ que l’en i trove α] om. β ◊ a bien et a
joie, quant il poent avoir pooir α] qui ont pooir β 4. aise] aisement C ◊ de regarder ce que] de r. et
entendement de ce δ 5. molt ai conté (orrez Fi) estrange faiz] om. β ◊ estrange faiz, car estranges
choses] estranges cosses Fe ◊ ai trovees] i a trovees L1 350 ◊ el latyn] es livres en latin C ◊ ge conoys
que (q. om. 356) β Fi] ge c. en moi meemes q. L1 350 ; om. Fe ◊ touz les leux … et honoré sor] om. 350 ◊
repairent] soit Fe ◊ chery] chiers C ◊ touz autres diz françoys] om. Fe 6. se il ne sunt molt prisiéz] si
moult prisiez L3 ◊ ne l’onor ne le pris] ne l’or ne prise lo (sic) Fe ◊ soi meesmes α] en s. m. β ◊ son
povre estat, son povre fait] om. Fe ◊ malvaisement puet reconoistre alcun bon diz] ne poroit conoistre
biaus diz Fe 7. tex L1 350 Fi] telles gens β ; mauvés Fe ◊ apertement] plainement Fe ◊ de chetif] que
ch. 350 8. li sage] les plus nobles 356 ◊ de la riche cort d’Engleterre α] d’E. et de la riche (et de ceste
356) court γ ; d’E. δ ◊ ardant] acordant Fe 9. dont] et d. 338 ◊ et maint riche] add. don 338 10. n’est
encore α] et si n’est pas encore l’euvre β ◊ la main] la matin Fi ◊ por acomplir ce que li autre (li
mostre (sic) Fe) encomencerent] au (om. L3) commencier δ 12. par escrit (eserit 350) et par ovre veraie
(v. om. 356)] pas por e. mes par o. v. Fe ◊ furent] firent Fe 13. Del voir α] Des bons β ◊ car prodome
furent parfitemens α] om. β ◊ ne soit α] add. grief β 14. jours] iori L1 15. dont auques sai la vie] doing
76 Lino Leonardi et Richard Trachsler
la vie, les grant merveilles et les grant faiz que il firent a l’encyen tens, voill ge faire
une compilysom, un livre grant et merveilleux, tel come ge le voi en latyn.
16Se mon « Livre del Bret » est grant, cestui ne sera mie menor, car a force le
ment ge n’ai fors a parler de cortoisie. Et quant cortoisie est li chief de cest mien livre,
or seroit bien raison et droit que ge de cortois chevaliers encomençasse ma matiere, et
ge si ferai se ge onques puis.
21De cui dirai ? De cui encomencerai ge cest mien livre ? Ce n’iert mie de Lancelot :
mesire Gautier Map en parla bien soffissement en son livre. 22De monseignor Tristan
n’iert mie cestui mien livre, car el « Bret » en ai auques dit et de lui a l’en proprement
un livre fet. 23Quel nom li porrai ge doner ? Tel com il plera a monseignor le roi Henri :
il velt que cestui mien livre qui de cortoisie doit nestre doie apeller « Palamedés »,
24porce que si cortois fu toutevoies Palamedés que nul plus cortois chevaliers ne fu au
tens le roi Artus, et tel chevalier et si preuz come l’estoyre veraie tesmoigne. 25Or donc,
quant a mon segnor plest que cest mien livre encomence el nom del bon Palamidés, et
ge le voill encomencier.
26Deu merci ge premierement de ce que ge ai, soe merci, la grace et la bone
volenté del noble roi Henry mon seignor, 27et Deu pri ge de tout mon cuer que il me
doint pooir et force de finer honoreement, o grant joie e o grant leesce, o bone
aventure, ceste moie ouvraigne, qui el nom de Palamedés par la volenté del noble roi
compilysom (complision Fi) α (350 part. illisible : f. une con[…])] metre en auctorité β 16. force] fore
338 ◊ estre] om. Fe 17. Bien sai ge] add. | ge tout veraiment L1 ; add. enterinement 350 ◊ translater α] si
mon livre t. β 18. escolteront les beax diz] escouteront (escouterent C) l. mien d. δ ◊ se conforterunt
soventes foiz et sovent en (s’en δ) osterunt lor cuers (l. c. om. δ) … et de gravox (greigneurs 356,
diverses δ) penser] et osteront soventes foiz de lor cors les anoioses pensees Fe 19. prendra … se
definera] prendrai … finerai Fe ; prenderai … se definera Fi 20. li chief] le commencement δ 21. De cui
(oui L1) dirai ? De cui encomencerai α] De cui dirai je ? Je commencerai β ◊ mesire α] maistre β ◊
soffissement] soutilment Fe 23. doner] donetur Fe ◊ Tel com] Tel nom c. Fi ◊ nestre] estre δ ◊
Palamedés] de Guiron δ 24. porce que si cortois fu toutevoies Palamedés (P. om. Fi L3 ; ledi Gui-
ron C)] om. Fe 25. plest] om. Fi ◊ Palamidés] Guiron δ 26. Deu merci] nuovo par. Fe ◊ Deu merci ge
premierement … mon seignor L1 350 Fe] Deu en m. je pr. Fi ; puisqu’il plest au noble roi Henri mon
seigneur, si proi Dieu (p. Nostre Seigneur Jhesu Crist δ) β ◊ soe merci 350 Fe] sor m. L1 27. de tout
mon cuer α] om. β ◊ que il me doint pooir … encomenciee α] qu’il me doint (doient L3) ceste moie
ouvrage qui el non de Palamedés (dudit Guiron C, du bon chevalier L3) est comenciee de finer a
m’onneur β ◊ honoreement … bone aventure L1 350] h. et par b. aventure Fe ; om. Fi ◊ qui el nom de
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
77
Henry doit estre encomenciee. 28Or encomencerai donc mon livre, el nom de Deu et de
la Sainte Trinité, qui ma jovente tiegne en joie et en santé et en la grace mon seignor
terrien, et dirai en tel maniere.
7 Bibliographie
7.1 Textes primaires
Beltrami, Pietro G., et al. (2007), Brunetto Latini, Tresor, Torino, Einaudi.
Blanchard, Joël/ Quéreuil, Michel (edd.) (1997), Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit
fr. 757 de la Bibliothèque nationale de Paris), t. I, Paris, Champion.
Bubenicek, Venceslas (1985), Guiron le Courtois. Roman arthurien du XIIIe siècle. Édition critique
partielle de la version particulière, contenue dans les mss. de Paris, Bibliothèque de l’Arsenal,
n. 3325, et de Florence, Biblioteca Mediceo-Laurenziana, Codici Ashburnhamiani, Fondo Libri,
Bubenicek, Venceslas (1998), Guiron le Courtois. Édition critique de la version principale, Ms B.N.F. f.
fr. 350, Thèse d’habilitation, Université de Paris IV-Sorbonne.
Cerquiglini, Bernard (ed.) (1981), Le Roman du Graal, manuscrit de Modène par Robert de Boron, Paris,
Union générale d’édition.
Combes, Annie (ed.) (2009), Le Conte de la charrette dans le Lancelot en prose : une version divergente
sion de l’édition München, Huber, 1963. vol. II : réimpression de l’édition Leiden, Brill, 1976].
Ferlampin-Acher, Christine (ed.) (2007), Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr. 757 de
la Bibliothèque nationale de Paris), t. V, Paris, Champion.
Frappier, Jean (ed.) (1936), La Mort le Roi Artu, roman du XIIIe siècle, Paris, Droz.
Furnivall, Frederick James (ed.) (1861–1863), Seynt Graal, or the Sank Ryal. The History of the Holy
Graal, partly in English verse, by Henry Lonelich, and wholly in French prose by Sires Robiers de
Borron, from the original Latin, London, J.B. Nichols.
Hucher, Eugène (ed.) (1875–1878), Le Saint Graal ou Le Joseph d’Arimathie, première branche des
romans de la Table ronde, publié d’après des textes et des documents inédits, 3 vol., Le Mans,
Monnoyer.
Jonckbloet, Willem J.A. (ed.) (1846–1849), Roman van Lancelot, ‘s Gravenhage, W.P. van Stockum.
Jonckbloet, Willem J. A. (ed.) (1850), Le Roman de la charrette, d’après Gauthier Map et Chrestien de
Troies, La Haye, Belinfante.
Kennedy, Elspeth (ed.) (1980), Lancelot do Lac. The non-cyclic old French Prose Romance, vol. I : The
Text, vol. II : Introduction, Bibliography, Notes and Variants, Glossary and Index of Proper Names,
Palamedés … Or encomencerai donc mon livre L1 350 Fe] qe ge encomence Fi 28. Or encomencerai
donc … dirai en tel maniere] L3 insère une formule de transition et commence sa propre « version
en l’amor Fi ◊ mon seignor terrien] de monseignor le roi Henri d’Engleterre que Dex mantiegne Fe ; del
mien seignor Jhesu Crist. Amen Fi ◊ en tel maniere L1 350 Fe δ] om. Fi ; add. con vous orrois γ.
78 Lino Leonardi et Richard Trachsler
Laborderie, Noëlle/Delcourt, Thierry (edd.) (1999), Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit
fr. 757 de la Bibliothèque nationale de Paris), t. II, Paris, Champion.
Lagomarsini, Claudio (2014a), Les Aventures des Bruns. Compilazione guironiana del secolo XIII
attribuibile a Rustichello da Pisa, Firenze, Edizioni del Galluzzo.
Lagomarsini, Claudio (2015), Lais, épîtres et épigraphes en vers dans le cycle en prose de Guiron le
Courtois. Étude et édition critique, Paris, Garnier (sous presse).
Larousse, Joël (1985), Guiron le Courtois. Édition partielle d’après le ms. f. fr. 350 de la Bibliothèque
Nationale, Mémoire de maîtrise, Paris, Université de Paris IV-Sorbonne.
Lathuillère, Roger (1966), Guiron le Courtois : étude de la tradition manuscrite et analyse critique,
Genève, Droz.
Léonard, Monique/Mora, Francine (edd.) (2003), Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit
fr. 757 de la Bibliothèque nationale de Paris), t. IV, Paris, Champion.
Limentani, Alberto (1962), Dal « Roman de Palamedes » ai « Cantari di Febus-el-Forte ». Testi francesi
la collaboration d’Anne Berthelot, Robert Deschaux, Irène Freire-Nunes et Gérard Gros, Paris,
Gallimard, 2001, vol. II : avec la collaboration d’Anne Berthelot, Mireille Demaules, Robert
Deschaux, et al., Paris, Gallimard, 2003, vol. III : avec la collaboration de Gérard Gros, Maire
Ponceau, Jean-Paul (ed.) (1997), L’Estoire del Saint Graal, Paris, Champion.
Ponceau, Jean-Paul (ed.) (2000), Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr. 757 de la
Bibliothèque nationale de Paris), t. III, Paris, Champion.
Roussineau, Gilles (1991), Le roman de Tristan en prose, t. IIII : Du tournoi du Château des Pucelles à
l’admission de Tristan à la Table Ronde, publié sous la direction de Philippe Ménard, Genève,
Droz.
Sommer, Heinrich Oscar (ed.) (1908–1916 [1979]), The Vulgate Version of Arthurian Romances, 7 vol.,
dell’Orso.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
79
Cigni, Fabrizio (2006), Mappa redazionale del « Guiron le Courtois » diffuso in Italia, in : Modi e forme
della fruizione della « materia arturiana » nell’Italia dei sec. XIII–XIV. Atti del convegno di Milano,
336–338.
Duval, Frédéric (2006), La philologie française, pragmatique avant tout ? L’édition des textes médié-
vaux français en France, in : Frédéric Duval (ed.), Pratiques philologiques en Europe. Actes de la
journée d’étude organisée à l’École des Chartes (23 septembre 2005), Paris, École des Chartes,
115–150.
Frappier, Jean (1954–1955), Plaidoyer pour l’« architecte », contre une opinion d’Albert Pauphilet sur
tois », compte rendu de Morato (2010) et Albert (2010), Acta Fabula 12/3 : http://www.fabula.
org/revue/document6227.php (25.05.2014).
Lagomarsini, Claudio (2012), La tradizione compilativa della Suite Guiron tra Francia e Italia : analisi
Leonardi, Lino (2003), Le texte critique de la « Mort le roi Artu » : question ouverte, Romania 121,
133–163.
Leonardi, Lino (2011a), Il testo come ipotesi (critica del manoscritto-base), Medioevo romanzo 35,
5–34.
Leonardi, Lino (2011b), Il ciclo di « Guiron le Courtois » : testo e tradizione manoscritta. Un progetto in
Morato, Nicola (2010), Il ciclo di « Guiron le Courtois ». Strutture e testi nella tradizione manoscritta,
Francesco Benozzo et al. (edd.), Culture, livelli di cultura e ambienti nel Medioevo occidentale.
Atti del IX Convegno della SIFR (Bologna, 5–8 ottobre 2009), Roma, Aracne, 729–754.
Plouzeau, May (1994), À propos de « La Mort Artu » de Jean Frappier, Travaux de Linguistique et de
Recherches sur la mémoire et l’oubli dans le chant médiéval. Hommage à Michel Zink, Orléans,
Paradigme, 133–150.
Trachsler, Richard (2004), Réponse à May Plouzeau, Revue Critique de Philologie Romane 4/5,
165–174.
Trachsler, Richard (2005), Fatalement mouvantes : quelques observations sur les œuvres dites « cy-
2004, 567–612.
Veneziale, Marco (2014), La tradition textuelle de la Continuation du « Roman de Guiron », in :
27 ACIPLR (à paraître).
Wahlen, Barbara (2010), L’Écriture à rebours. Le Roman de Méliadus du XIIIe au XVIIIe siècle, Genève,
Droz.
Zumthor, Paul (1972), Essai de Poétique médiévale, Paris, Seuil.
Nadia R. Altschul
3 L’espagnol castillan médiéval et la critique
textuelle
Abstract : Cette étude examine l’introduction de la méthodologie de la critique tex-
scepticisme méthodologique
1 Introduction
1.1 La publication d’éditions de textes médiévaux en espagnol castillan commença de
bonne heure. Tandis que les premières éditions des poèmes épiques fondateurs datent
pour Beowulf de 1815, pour la Chanson de Roland de 1836, pour Karel ende Elegast de
1824 ou encore la Nibelungenlied de 1826, le Poema del Cid espagnol avait déjà été
publié en 1779 (Leerssen 2004, 114). En outre de la collection de poésies médiévales
où parut le Cid – la Colección de poesías castellanas anteriores al siglo XV –, tout au
long des années 1780, l’imprimeur Antonio de la Sancha publiait d’autres textes
médiévaux, pour la plupart de type historiographiqe (de la Campa Gutiérrez 2004, 46
n. 6). De même, le XIXe siècle vit la production d’éditions monumentales d’œuvres du
Moyen Âge, telle la Biblioteca de Autores Españoles (plus de soixante-dix volumes) qui
fut lancée en 1846 par Manuel Rivadeneyra, et que les éditeurs et les érudits conti-
nuaient à utiliser jusqu’à une époque récente. En dépit de cette naissance ancienne,
l’histoire de la critique textuelle en Espagne montra dès le début une séparation nette
et consciente par rapport aux premières éditions de textes médiévaux du XVIIIe et du
début du XIXe siècle.
1.2 Comme on le sait, la critique textuelle n’est pas seulement le fait de donner des
éditions de vieux textes manuscrits, mais aussi l’application d’une méthodologie
spécifique qui relève de croyances particulières sur le caractère de textes, de composi-
tions fournies par un auteur, et de leur transmission à travers le temps. Avant de
décrire l’introduction de la méthodologie de la critique textuelle dans l’espagnol
castillan du Moyen Âge, nous commencerons donc par une description des principa-
82 Nadia R. Altschul
1.3 Comme le savent très bien les lecteurs de ce volume, la science éditoriale médié-
viste est divisée depuis le début du XXe siècle entre deux positions : celles du
appliquée dans les domaines bibliques et gréco-romains, et tout comme dans le cas de
ces œuvres plus prestigieuses, elle rechercha l’ancêtre commun de la tradition
textuelle médiévale. Dans le cas des textes en langues vernaculaires, cependant,
composés à une époque beaucoup plus récente, cette école croyait que la méthode
pouvait récupérer un original au-delà des manuscrits existants, pour arriver jusqu’au
premier vrai ancêtre, l’Urtext (cf. Timpanaro 1963 ; Schmidt 1988 ; Foulet/Speer 1979 ;
Ganz 1968).
1.4 La deuxième école prend son nom de celui du savant français du XXe siècle,
Joseph Bédier (1864–1938), qui s’opposa à la méthode « scientifique » et mécanique
1 J’ai discuté, au cours de plusieurs publications, ces thèmes, en même temps que les théories de la
textualité et de la critique textuelle dans le domaine de l’espagnol castillan. Pour une discussion
portant sur les théories de la textualité sous-jacentes, voir Altschul (2003) et (2005) ; pour la terminolo-
gie, voir Altschul (2005, ch.2) et Altschul (2010) ; pour une approche des écoles de la philologie
nationale, voir Altschul (2006a ; 2008) ; pour une approche non-sceptique de lédition des textes
témoins qui avaient survécu, et ensuite présenter ce « meilleur » texte tout seul, avec
des émendations minimales (Bédier 1913 ; 1928 ; cf. aussi Foulet/Speer 1979). Bien que
2 La « Nouvelle Philologie »
nant l’idée de la mouvance des textes médiévaux, à l’origine lancée par Paul Zumthor
au début des années 1970, la théorie prônée par la New Philology, qui s’opposa ainsi à
la division éditoriale lachmannisme-bédiérisme, fut la promotion de la variance
linguistique (selon Bernard Cerquiglini) comme la principale caractéristique inhé-
rente à la textualité des manuscrits médiévaux (Zumthor 1972, 65–79 ; Cerquiglini
2.2 Ce sentiment d’un changement, voire même d’une crise dans l’édition de textes
médiévaux, atteignit un public important. Cela était surtout vrai après la traduction
en anglais du livre de Cerquiglini en 1999, sous le titre d’In Praise of the Variant,
ouvrage publié dans une série éditée par Stephen G. Nichols, également responsable
du numéro spécial de Speculum sur la « New Philology ». Dans la théorie espagnole de
84 Nadia R. Altschul
l’édition, les idées que l’on associait à Cerquiglini et à la New Philology se répandirent
comme les feux de brousse à la suite de la publication en 1994 du livre de John
Dagenais, The Ethics of Reading in Manuscript Culture : Glossing the Libro de Buen
Amor. L’impact de cet ouvrage sur la manière de penser des éditeurs de textes en
espagnol castillan est très visible dans les réactions du groupe international d’experts,
et dans la quantité de pages consacrée à la question, qui parurent dans deux forums
différents de la revue La corónica, publication très largement lue de la Medieval
Spanish Division de la Modern Languages Association. Malgré le fait que la mouvance
était déjà un concept bien connu parmi les philologues éditeurs, le numéro de 1990 de
Speculum avait créé l’impression générale d’une nouvelle révolution éditoriale à
l’instar de celle provoquée par Bédier au début du XXe siècle. Comme l’école inspirée
par la mouvance / variance relançait le scepticisme fort de Bédier concernant les
questions de méthode, il semblait aux philologues éditeurs espagnols qu’un renou-
veau de scepticisme à la fois de la part de la New Philology, et dans la culture
manuscrite telle que la présentait Dagenais annonçait un « nouveau » bédiérisme.
Dans les travaux hispanophones portant sur l’édition, une explication de ce change-
ment théorique était donc, dès son apparition, qu’il s’agissait du « néo-bédierisme ».
genérale que la philologie de l’édition était pour l’essentiel divisée entre l’école
lachmannienne (généalogique) et celle de l’école bédiériste (le meilleur manuscrit).
Par exemple, dans leur préface au tome 45.1 de la Romance Philology (parue en 1991),
également dédié à la critique textuelle, Charles Faulhaber et Jerry Craddock séparè-
rent le champ d’études selon la « long-standing antithesis that opposes the editorial
1991, 1). Ce numéro de la revue, qui publia des essais critiques par Alberto Blecua et
par Germán Orduna, eut une importance particulière pour la philologie de l’édition de
textes en espagnol castillan. En premier lieu, parce que l’espagnol castillan était
rarement présent dans des volumes de ce type ; et deuxièmement, parce que même si
groupe néo-lachmannien (Blecua 1995, 476).2 La même position est adoptée par Mary
B. Speer lorsqu’elle déclare que « most theoretical discussions on editing were anima-
2 L’étude de Blecua de 1991 fut traduite en anglais en 1995. Je cite ici la traduction anglaise.
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 85
mannian) editions and proponents of conservative (Bédierist) ones » (1991, 8). Cette
dichotomie s’est reproduite même dans les sources du champ de travail, dans le cas
de D.C. Greetham, qui remonte le fleuve de la science pour discuter des écoles
d’édition concurrentes d’Alexandrie et de Pergamum (1992a, 300 ; voir également
1992b, 105–106).
2.4 Avec deux écoles opposées comme seules possibilités, et en comparaison avec la
recherche lachmannienne qui tentait de reconstruire l’ancêtre commun perdu, la
remontée d’intérêt pour les manuscrits conservés, liée aux idées de variance et de
mouvance, se rattachait plus naturellement à l’école bédiériste. Ce rattachement,
cependant, se basait sur une mécompréhension du bédiérisme comme présentation
du texte du copiste et non pas celle du meilleur texte de l’auteur que l’éditeur
bédiériste croyait retrouver parmi les témoins conservés et qu’il avait à sa disposition.
Ainsi, si le bédiérisme était compris comme une présentation d’un seul manuscrit de
copiste, la nouvelle prise de position de la New Philology et de la « culture manusc-
rite » était, elle aussi, mal identifiée comme une sorte de néo-bédiérisme qui présen-
tait une pluralité de manuscrits de copiste au lieu d’en offrir un seul. Le mot « néo-
2.5 Après Contini, le monde de l’édition se divisait non seulement entre les deux
positions principales, mais les représentants se situaient aussi par rapport à des
critiques théoriques importantes concernant les langues vernaculaires du Moyen
Âge : qui avaient commencé dans un lachmannisme du XIXe siècle, directement
du XXe siècle, portant très exactement sur les langues vernaculaires médiévaux ;
l’intérêt porté à la mouvance / variance dans la variation scribale se base sur une
redéfinition de la textualité médiévale qui la sépare à la fois de la présentation
lachmanniste ou bédiériste d’une version privilégiée qui serait l’œuvre d’un auteur
individuel.
renouvelé était limité à l’espagnol castillan. Bédier luttait non seulement au sein de
disputes éditoriales contre ce qui’il appelait la méthode lachmannienne. Une deu-
xième dispute centrale au cours du XXe siècle fut celle qui opposa les théories néo-
traditionalistes de Menéndez Pidal à la théorie individualiste de Joseph Bédier. Le
bédiérisme et le lachmannisme étaient en désaccord sur certaines sujets éditoriaux
mais ils partageaient une seule et même conceptualisation des textes littéraires
médiévaux comme étant créés par des auteurs individuels (Bédier 1912 ; 1921 ; Aarsleff
les œuvres ont plus d’un auteur individuel et la collaboration à travers l’espace et le
temps est inhérente au processus de la créativité littéraire. Sous pression de la part
d’autres critiques, Menéndez Pidal modifia ses idées sur l’« auteur-légion » du tradi-
continuait à croire que les textes médiévaux ne sont pas des créations individuelles et
fixées, mais le résultat d’une entreprise collective qui est toujours susceptible d’être
modifiée (cf. Wood 1999, 212 ; Lacarra 1980, 97–98 ; Catalán 1982, 50). Cette continuité
3 L’école éclectique anglo-américaine est surtout associée aux travaus de W.W. Greg, de Fredson
Bowers, et de Thomas Tanselle. Il s’agit d’une branche indépendante de l’école lachmannienne qui ne
s’associe pas aux révisions du néo-lachmannisme italien. Elle travaille sur des textes post-médiévales
et une de ses caractéristiques les plus saillantes est une tentative de dépasser les témoins conservés
pour atteindre le texte idéalisé tel que l’auteur aurait voulu le rédiger (cf. Tanselle 1996, 59).
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 87
ly out of his efforts to extend to lyric poems the neo-traditionalist conception which
regards the medieval epic as an anonymous, collective, oral work that lives through
its variants in a state of perpetual re-creation » (1980, 318). Comme l’explique Hans
anticipated certain aspects of New Philology through the specific attention it paid to
variants and textual detail » (1994, 36). Pour ce qui est de la pratique éditoriale, Speer
a souligné que Menéndez Pidal « urged publishing separately each epic manuscript or
at least a representative of every group » (1980, 319). Tandis que Alberto et Fernando
Montaner Frutos firent remarquer que Menéndez Pidal éditait des recréations et des
reécritures des mêmes textes dans ses livres, telles les versions différentes de la
Leyenda de los Infantes de Lara en 1896, de la légende du roi Rodrigo en 1925–1927, et
les « reliques » de poèmes épiques en 1936 (1998, 175). Gumbrecht précisa encore dans
editions that included the broadest possible range of variants, instead of sacrificing
them, in the style of ‹ critical editions, › to hypotheses about the intentions of possible
3 La philologie espagnole
3.1 Comme on l’a déjà indiqué, et avec deux possibilités éditoriales seulement à leur
disposition, la philologie nationale de l’édition de textes en espagnol castillan,
fortement imprégnée de néo-traditionalisme, était comprise comme une entreprise
bédiériste. L’association avec le bédiérisme n’est pas flatteuse : le bédiérisme a en
88 Nadia R. Altschul
derado como una forma débil (y a menudo ignorante) de bedierismo » (1994, 624).
D’autres raisons que l’on a pu citer pour expliquer l’absence d’une méthodologie
éditoriale bien réfléchie sont le manque de témoins conservés dans la tradition
manuscrite de textes médiévaux les plus importants pour la tradition espagnole
castillane, et l’absence d’attention portée à la critique textuelle dans les programmes
universitaires (Blecua 1991, 74s.). D’autres commentateurs ont signalé des difficultés
importantes en ce qui concerne l’hispanistique dans l’université espagnole, où une
structure hiérarchisée et endogamique – qui comprend la pratique d’attribuer des
postes à ses propres élèves – entrave l’indépendance intellectuelle et le pluralisme, en
ce qui concerne des candidats venus de l’extérieur, y compris en philologie éditoriale
(cf. del Pino/La Rubia Prado 1999).
4 Voir aussi Pérez Priego (1997, 17), selon lequel ce fut dans l’Escuela de Filología Española, à travers
son maître Menéndez Pidal et quelques-uns de ces disciples, que les progrès les plus importants en
matière d’éditions critiques ont eu lieu dans le domaine de l’espagnol castillan.
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 89
littéraire, El libro de buen amor (Blecua 1991, 79). Cette méthode rigoureusement néo-
lachmannienne fur ensuite appliquée à l’université de Barcelone par Alberto Blecua,
devenant très largement répandue grâce à son Manual de crítica textual, publié en
1983. Le néo-lachmannisme fut également introduit pendant les années 1970 au
SECRIT – le Séminaire de Critique Textuelle – à Buenos Aires, en Argentine, par
Germán Orduna, qui forma un groupe d’éditeurs néo-lachmanniens de premier ordre.
Orduna fut le promoteur principal de l’avis selon lequel le néo-lachmannisme n’était
introduit en espagnol castillan qu’à travers les maîtres italiens. Comme il l’explique,
au moment où la philologie de l’édition française, allemande et italienne introduisait
le lachmannisme dans l’édition de textes en langue vernaculaire du Moyen Âge, la
philologie de l’édition des textes en espagnol castillan restait en dehors de cette
tendance méthodologique. Pour la même raison, l’espagnol castillan ne connut ni la
réaction méthodologique de Joseph Bédier vers la fin des années 1920 – le bédié-
risme – ni la contre-réaction italienne des années 1930 – c’est-à-dire, le néolachman-
nisme (Orduna 1991, 89). Il est cependant intéressant de constater qu’à une époque où
le néo-lachmannisme était mieux établi dans les études sur l’espagnol castillan,
Orduna adoucit sa position quant à son opinion du travail éditorial de Menéndez
Pidal. Ayant entrepris un enseignement portant sur les éditions du Poème du Cid, il
déclara qu’il ne fallait pas demander à Menéndez Pidal d’appliquer le lachmannisme
à un codex unicus comme le Cid ; il était d’autant moins raisonnable de s’attendre à ce
qu’il s’engage dans son édition – produite de 1908 à 1911 – avec le scepticisme de
Bédier des années 1920, ou encore avec la méthodologie italienne du néo-lachman-
nisme développée dans les années 1930 (Orduna 1997, 6). Reprenant la terminologie
d’une discussion antérieure, nous pouvons également faire remarquer que tout
comme Blecua, Orduna traitait l’école de la mouvance / variance comme si elle
adoptait une position éditoriale soucieuse de présenter toutes les versions de copistes
conservées du texte de l’auteur, non pas comme un changement dans la manière de
comprendre la textualité médiévale. Dans un choix aussi erroné (mais plus heureux)
de terminologie, Orduna donna le nom de « versionisme scribal » à la position
3.4 En ce qui concerne la parution de la critique textuelle dans les études sur
l’espagnol castillan, il importe de souligner que le néo-traditionalisme et le néo-
90 Nadia R. Altschul
3.5 Il faut également souligner que la critique textuelle espagnole, associée au néo-
traditionalisme de Menéndez Pidal et à sa position centrale en tant que fondateur de
la philologie nationale, souffrait longtemps d’un sentiment d’insécurité et de retard
par rapport aux écoles européennes avoisinantes de l’édition de textes. L’influence de
Menéndez Pidal commença avec ses éditions de la Leyenda de los infantes de Lara
(1896) et du Poema del Cid en 1898, et resta très forte tout au long du XXe siècle,
jusqu’à la parution de son dernier livre en 1959, également sur le néo-traditionalisme.
Comme exemple à la fois de son influence et du manque d’alternatives intellectuelles
à l’intérieur de la philologie nationale espagnole, l’on peut mentionner le fait que la
première édition du Poema del Cid à s’y opposer fut celle, individualiste, de Colin
Smith en 1972. En dépit, donc, de la position de Menéndez Pidal comme le plus
distingué des médiévistes travaillant sur l’espagnol castillan, le sentiment d’insécu-
rité de l’Espagne, et son retard dans le développement de la critique textuelle,
peuvent être expliqués par le néo-traditionalisme de son école de philologie. Si l’on
considère la longue histoire du néo-traditionalisme, et le peu de temps depuis l’in-
troduction de la méthodologie plus prestigieuse néo-lachmannienne dans la philolo-
gie nationale, l’irruption dans les années 1990 de la New Philology / culture manuscrite
et son refus de la critique textuelle néo-lachmannienne créèrent pour la philologie de
l’édition en espagnol castillan une situation très difficile. Au fond, les « nouvelles »
nante pendant quelques décennies seulement. Malgré le prestige des théories qui
jouissaient du soutien des centres de pouvoir de la discipline, le retour à une
« nouvelle » philologie qui rejetait le néo-lachmannisme en faveur d’une approche
4 La culture manuscrite
4.1 Et cependant, la teneur générale de la critique textuelle de l’espagnol castillan
aujourd’hui est telle qu’il n’est pas possible de renier l’importance des principes
éditoriaux qui ont leurs origines dans la mouvance et la culture manuscrite. Il n’y a
pas eu un retour aux théories, basées sur la mouvance, de la textualité médiévale –
qui sentait sans doute dans l’école de Menéndez Pidal le nationalisme castillan – mais
la recherche néo-lachmannienne pour le texte le plus proche de l’auteur n’a pas
entièrement remplacé l’intérêt des versionnistes pour les témoins conservés. Ainsi,
Lucía Megías – disciple espagnol d’Orduna que nous avons déjà cité –, décrit l’intérêt
actuel pour les « leçons coévales » comme d’un aspect respecté des textes médiévaux
que les éditeurs ont bien le droit d’introduire. Dans le passé, les éditeurs néo-
lachmanniens dirigeaient le lecteur vers l’apparat critique pour tout ce qui intéressait
la variation linguistique, les témoins conservés, et les leçons contemporaines. Mais,
en montrant une solution pour incorporer la critique de la mouvance, tout en gardant
intacte la théorie sous-jacente de la textualité médiévale qui nourrit le néo-lachman-
nisme, ce savant espagnol perspicace continue à considérer l’avenir de la philologie
de l’édition au XXIe siècle comme étant essentiellement liée à la critique textuelle et
au texte critique néo-lachmannien (Lucía Megías 2003).5 Une approche différente est
visible dans le cas de Leonardo Funes, l’un des disciples argentins d’Orduna, qui a
développée une méthode que j’ai appelée l’édition « palimpsestiste ». Puisqu’une des
et le croit aussi proche du texte de l’auteur qu’il est possible d’accéder en tant
qu’éditeur ; la mouvance abandonne la recherche du texte de l’auteur et présente tous
les versions existantes comme des témoins d’un temps et d’un lieu réels. Comme j’ai
indiqué ailleurs, l’approche éditoriale inspirée de la mouvance laisse toujours en
suspens la question de ce qui constitue à partir de matériaux différents écrits, une
tradition textuelle, et une constellation reconnaissable de versions du « même » texte.
5 Voir aussi Lucía Megías (1998) pour un compte rendu utile de la philologie éditoriale des textes en
espagnol castillan.
92 Nadia R. Altschul
4.2 Enfin, comme dans la plupart des langues et des traditions nationales, l’édition
électronique a donné naissance à une activité très importante. Pour ce qui est de
l’intérêt aux rapports entre la philologie de l’édition et la compréhension sous-jacente
de la textualité médiévale, tels que la présente étude les a présentés, nous sommes
loin de pouvoir conclure dans quelle mesure l’édition électronique va modifier les
positions théoriques. Le temps décidera aussi – comme c'était le cas pour le nationa-
lisme castillan des théories de Menéndez Pidal – quels sont les points morts de notre
intérêt actuel aux versions conservées, qui dans la perspective la plus optimiste
soulignent le pouvoir de participation du commun des mortels du passé.
5 Références bibliographiques
Aarsleff, Hans (1985), Scholarship and Ideology : Joseph Bédier’s Critique of Romantic Medievalism,
in : Jerome J. McGann (ed.), Historical Studies and Literary Criticism, Madison, University of
Altschul, Nadia (2010), What is Philology ? Culture Studies and Ecdotics, in : Sean Gurd (ed.), Philology
and its Histories, Columbus, The Ohio State University Press, 148–163.
Bédier, Joseph (1912), De la formation des Chansons de geste, Romania 41, 5–31.
Bédier, Joseph (1913), Introduction, in : Le Lai de l’Ombre, ed. Jean Renart, Paris, Firmin-Didot, I–XLV.
Bédier, Joseph (1921), Les légendes épiques : Recherches sur la formation des Chansons de geste,
Bédier, Joseph (1928), La tradition manuscrite du « Lai de l’Ombre ». Réflexions sur l’art d’éditer les
Editing : A Guide to Research, New York, Modern Languages Association of America, 459–485.
de la Campa Gutiérrez, Mariano (2004), Crítica textual y crónicas generales de España : ejemplifica-
ción de un método, in : Isaías Lerner/Robert Nival/Alejandro Alonso (edd.), Actas del XIV Congre-
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 93
la Cuesta, 45–53.
Catalán, Diego (1982), El modelo de investigación pidalino cara al mañana, in : Wido Hempel/Dietrich
Briesemeister (edd.), Actas del Coloquio hispano-alemán Ramón Menéndez Pidal : Madrid, 31 de
Forum : Letters on « Manuscript Culture in Medieval Spain » (1999), La corónica 27.2, 171–232.
Foulet, Alfred/Speer, Mary B. (1979), On Editing Old French Texts, Lawrence, Regents.
Funes, Leonardo (2000), Escritura y lectura en la textualidad medieval : notas marginales al libro de
Greetham, D.C. (1992b), Textual Scholarship, in : Joseph Gibaldi (ed.), Introduction to Scholarship in Mo-
dern Languages and Literatures, New York, Modern Languages Association of America, 103–137.
Gumbrecht, Hans Ulrich (1994), A Philological Invention of Modernism : Menéndez Pidal, García Lorca,
and the Harlem Renaissance, in : William D. Paden (ed.), The Future of the Middle Ages : Medieval
von der Walde Moheno (ed.), Propuestas teórico-metodológicas para el estudio de la literatura
hispánica medieval, México, Publicaciones de Medievalia, 417–490.
Menéndez Pidal, Ramón (1896), La leyenda de los infantes de Lara, Madrid, Imprenta de los hijos de
José M. Ducazcal.
Menéndez Pidal, Ramón (1898), Poema del Cid, Madrid, Imprenta de los hijos de José M. Ducazal.
Menéndez Pidal, Ramón (1908–1911), Cantar de Mio Cid : Texto, gramática y vocabulario, Madrid,
Baillo-Ballière.
Menéndez Pidal, Ramón (1922), Poesía popular y Poesía tradicional en la Literatura Española, Oxford,
Clarendon.
94 Nadia R. Altschul
Menéndez Pidal, Ramón (1925–1927), Floresta de leyendas heroicas españolas : Rodrigo, el último
Plaja (ed.), Historia general de las literaturas hispánicas, Barcelona, Barna, 1, XIII–LIX.
Menéndez Pidal, Ramón (1959), La « Chanson De Roland » y el neotradicionalismo (orígenes de la
The New Philology (1990), ed. Stephen G. Nichols, Special issue, Speculum 65.1.
Orduna, Germán (1991), Ecdótica hispánica y el valor estemático de la historia del texto, Romance
Philology 45.1, 89–101.
Orduna, Germán (1997), La edición crítica y el codex unicus : el texto del « Poema de Mio Cid », Incipit
17, 1–46.
Orduna, Germán (2000), Ecdótica : problemática de la edición de textos, Kassel, Edition Reichenberger.
Pasquali, Giorgio (1934), Storia della tradizione e critica del testo, Firenze, Le Monnier.
Pérez Priego, Miguel Ángel (1997), La edición de textos, Madrid, Síntesis.
del Pino, José Manuel/La Rubia Prado, Francisco (1999), Introducción, in : iid. (edd.), El hispanismo en
Pugliatti, Paola (1998), Textual Perspectives in Italy : From Pasquali’s Historicism to the Challenge of
« Variantistica » (and Beyond), Text : An Interdisciplinary Annual of Textual Studies 11, 155–188.
Sánchez, Tomás Antonio (1779), Colección de poesías castellanas anteriores al siglo XV, vol. I : Poema
Anthony Grafton/Jill Kraye (edd.), The Uses of Greek and Latin : Historical Essays, London, The
L’edizione critica dei testi volgari, by Franca Brambilla Ageno ; Medieval Manuscripts and Textual
roumains anciens a parcouru jusqu’à nos jours un chemin assez long, parsemé,
évidemment, de réussites et d’insuccès, comme dans tout autre domaine d’ailleurs,
mais ayant, en général, une évolution ascendente. Laissant de côté quelques excep-
tions honorables, des éditions diplomatiques et critiques réalisées à un niveau scienti-
fique supérieur ont commencé à être publiées seulement après la première décennie
du siècle passé. C’est toujours à cette époque qu’on a commencé à accorder une
attention spéciale aux principes techniques et méthodologiques concernant la struc-
ture des éditions, ainsi qu’aux problèmes liés à l’établissement et à la reproduction du
texte de base. Bien des points obscurs relevant d’une question toujours actuelle, à
savoir la transcription des textes et l’interprétation de la graphie cyrillique, ont été
élucidés de façon satisfaisante pendant la seconde moitié du siècle passé. À la même
époque apparaissent aussi quelques tentatives plus ou moins isolées de l’utilisation
de l’alphabet latin dans l’écriture roumaine. Cette littérature a été surtout l’expression
de la propagande calvine parmi les Roumains du Banat-Hunedoara (XVIe–XVIIIe siè-
deux phénomènes se sont avérés inséparables, car l’office liturgique avait besoin de
textes de culte en slavon. Après la constitution, au XIVe siècle, des États féodaux
roumains, le slavon élargira ses fonctions et deviendra également une langue « cour-
comme langue de culture, ainsi que par des traductions et des créations littéraires
dues aux Slaves, que les Roumains vont copier et imiter intensément, atteindra son
apogée au XVe siècle. Le slavon occupait à cette époque une position dominante en
Valachie et en Moldavie, où le latin était utilisé uniquement dans la correspondance
des chancelleries princières avec certaines chancelleries étrangères. En Transylvanie,
96 Alexandru Mareş
1.2 L’alphabet cyrillique, créé en Bulgarie par les disciples de Cyrille et de Méthode
sur le modèle des lettres majuscules grecques, a été adopté pour écrire des textes en
roumain vers le milieu du XIIIe siècle au plus tôt (l’argument linguistique pour cette
datation est la valeur de la lettre õ, qui ne note plus une voyelle nasale, comme dans
les textes slaves antérieurs à cette date). Cet alphabet n’était pas entièrement appro-
prié au roumain : d’une part, il disposait de plusieurs signes pour la notation d’un
même son, d’autre part il lui manquait les lettres pour noter certains sons spécifique-
ment roumains, tels que î, ğ. Durant la période d’emploi de l’alphabet cyrillique,
l’écriture roumaine s’est conformée à certaines règles orthographiques propres à
l’écriture médio-bulgare, auxquelles on a ajouté, après 1600, quelques solutions
orthographiques empruntées, surtout en Moldavie, aux textes slavons d’origine orien-
tale. Les signes spécifiques de la variante roumaine de l’alphabet cyrillique ont été
la lettre ä (= î, în) – une variante de õ – et la lettre Ô (= ğ) empruntée à l’écriture
bosniaque ou ragusaine. Parmi les éléments nouveaux caractérisant cette variante il
faut mentionner une distinction graphique (qui commence à être opérante vers la fin
du XVIIe siècle) en ce qui concerne la notation des voyelles centrales ă et î, la première
étant notée par ß et la deuxième par õ. En grandes lignes, on peut dire que les textes
imprimés présentent une orthographe beaucoup plus homogène que celle des textes
manuscrits. Pour la période prise en considération (du XVIe au XVIIIe siècle), l’exi-
stence d’un code orthographique normatif, imposé par l’intermédiaire de l’école, n’est
pas évidente.
1.3 La littérature qui se développe en employant cet alphabet dans l’intervalle 1532
(date à laquelle sont mentionnés deux monuments de la langue roumaine qu’un
savant moldave voulait imprimer, à savoir Evanghelia ‘L’Évangile’ et Apostolul ‘Les
Actes des apôtres’) – 1780 (date à laquelle commence la transition vers la littérature
moderne) compte peu de créations originales. Prédominantes s’avèrent les traduc-
tions des écrits religieux et ensuite les traductions des livres populaires (Alexandria
‘Alexandrie’, Floarea darurilor ‘La fleur des dons’, Varlaam şi Ioasaf ‘Varlaam et
Joassaf’). Les écrits scientifiques, toujours des traductions, appartiennent à des do-
L’édition des textes roumains anciens 97
driers, etc. La littérature juridique se remarque également par des textes dont les plus
importants sont traduits du grec et marquent l’introduction des lois byzantines dans
les pays roumains. Les premières traductions du XVIe siècle, la plupart des écrits
religieux, reposent sur des sources slavones, bien qu’il y ait eu des tentatives de
recourir aussi à des sources allemandes ou hongroises. À partir du XVIe siècle, à côté
des textes traduits du slavon dont le nombre diminue petit à petit, apparaissent les
textes traduits du grec (langue à laquelle on recourt de plus en plus fréquemment),
mais aussi du hongrois, du latin, du russe, du polonais, de l’italien et, vers la fin du
XVIIIe siècle, du français. Parmi les auteurs de textes originaux appartenant au
trait d’union pour détacher les syllabes des mots situés à la fin de la ligne.
Les livres imprimés sont pour la plupart des traductions d’ouvrages religieux.
Depuis le XVIe siècle déjà, les plus nombreux sont traduits d’une seule langue,
d’habitude le slavon, mais il y avait aussi quelques-uns qui avaient recours à deux ou
trois sources linguistiques : le slavon et l’allemand (Tetraevanghel ‘Les Quatre Évangi-
les’ Sibiu, 1551–1553, Apostol, Braşov, environ 1566), le hongrois, le latin et le slavon
(Palia ‘L’ancien Testament’, Orăştie, 1582). Au cours du siècle suivant, quand la
plupart des traductions proviennent du grec, on retrouve également des écrits qui
s’appuient sur plusieurs sources étrangères. Un tel exemple nous est offert par Noul
98 Alexandru Mareş
Testament ‘Le Nouveau Testament’ de Bălgrad (1648) dont le texte, traduit initialement
du grec, sera achevé après une confrontation avec une version latine du texte, en
utilisant, comme versions de contrôle, une édition slavonne et une autre hongroise,
peut-être une version allemande aussi ; subsidiairement, on a eu recours à quelques
surtout, de Biblia (‘La Bible’) parue à Bucarest en 1688 (Cândea 1964, 29–76).
1.5 Plusieurs textes littéraires reflètent un mélange de parlers, étant, selon une expres-
sion due à A. Rosetti, des textes mixtes (1968, 481). Copiés (imprimés) dans une
certaine zone du pays, à partir des originaux traduits dans une autre zone dialectale,
ces textes contiennent dans leurs pages, en proportions différentes, des particularités
qui n’appartiennent pas au parler des copistes ou des typographes en question. C’est
le cas de quelques manuscrits roumains du XVIe siècle étant parmi les plus anciens, à
savoir les textes rhotacisants, appelés ainsi parce qu’ils présentent le phénomène du
rhotacisme, c’est-à-dire le passage du n intervocalique à r dans les mots d’origine
latine. Ces textes contiennent des particularités propres aux parlers de la zone où ils
ont été copiés (la Moldavie), mais aussi des particularités caractérisant les parlers d’où
proviennent les textes originaux (Banat-Hunedoara) (Gheţie 1976, 257–268 ; 1982b,
152–172 ; Costinescu 1981, 25–43 ; 1982, 143s.). Ce mélange d’éléments dialectaux varie
de ces textes. De la même façon ont procédé au siècle suivant certains éditeurs
valaques qui, en englobant dans leurs écrits (Cazania ‘Recueil d’homélies’, Mănăstirea
Dealu, 1644 ; Îndreptarea legii ‘Le recueil de lois’, Târgovişte, 1652) des textes élaborés
et imprimés en Moldavie (Cazania de Varlaam, Iaşi, 1643 ; Pravila lui Vasile Lupu ‘Les
Lois de Vasile Lupu’, Iaşi, 1646), ils les ont soumis à un remaniement linguistique,
dont le résultat a été l’élimination des particularités moldaves. Mais les choses se sont
passées différemment en ce qui concerne l’ouvrage intitulé Răspunsul împotriva Cati-
hismului calvinesc (‘La réponse contre le Catéchisme calviniste’), rédigé par le métro-
polite de la Moldavie, Varlaam. Imprimé en Valachie, cet ouvrage a conservé en
grande mesure les normes littéraires moldaves. Dans ce cas, il est indubitable que
L’édition des textes roumains anciens 99
gique commune avec celle des Valaques non seulement en ce qui concerne le contenu,
mais aussi la forme » (Gheţie 1975, 427). Ainsi, entre 1750 et 1780, c’est par l’intermé-
diaire des livres religieux qu’a eu lieu la première unification du roumain littéraire.
românesc ‘Le livre roumain de lecture’, Vienne, 1862–1865), soit dans des éditions
autonomes (éditeurs : B.P. Hasdeu, I. Bianu, I. G. Sbiera, etc.). Jusqu’à la fin du siècle
vont paraître maintes éditions des livres populaires et juridiques, ainsi que des
documents que, faute d’espace, nous ne mentionnerons pas ici. Deux personnalités
sortent en évidence avant 1900 : B.P. Hasdeu et M. Gaster. Le premier a le mérite
d’avoir étudié et publié les livres populaires du Codex Sturdzanus (manuscrit copié
entre 1583 et 1619) dans le deuxième volume de Cuvente den bătrâni ‘Mots d’antan’
(Bucarest, 1879) et d’avoir édité Cronica (‘la Chronique’) de Moxa (1620), ainsi que la
partie roumaine de Psaltirea slavo-română (‘le Psautier slavo-roumain’) imprimé par
Coressi en 1577. L’influence de Hasdeu sur les philologues de son époque a été
considérable, car ils ont adopté sa conception et sa méthode d’interpréter les textes.
Quant à Gaster, on lui doit une anthologie intitulée Crestomatie română (‘la Chresto-
mathie roumaine’) en deux volumes parue en 1891. L’ouvrage contient une très riche
sélection de textes roumains anciens, à partir du XVIe siècle jusqu’à 1830, à côté d’un
100 Alexandru Mareş
de quelques auteurs du XVIIIe siècle, tels que Antim Ivireanul (1972), Nicolae Costin
(1976) et Ion Neculce (1982). Parmi les linguistes, il faudrait mentionner L. Onu,
surtout pour l’édition consacrée à la traduction de Herodotul (‘L’Hérodote’) attribuée
à Nicolae Spătarul Milescu (1984, en collaboration avec Lucia Şapcaliu). Le même
auteur signe l’ouvrage Critica textuală şi editarea literaturii române vechi ‘La critique
du texte et l’édition de la littérature roumaine ancienne’ (1973), où il met en discussion
avec compétence les questions concernant la critique textuelle soulevées par l’édition
des chroniques de Grigore Ureche et de Nicolae Costin. Les éditions faites par
N.A. Ursu de Gramatica românească (‘La grammaire roumaine’) d’Eustatievici Braşo-
veanul (1969), de Psaltirea în versuri (‘Le Psautier en vers’) de Dosoftei (1974 ; 1978) et
1.7 Le principal critère servant à classifier les éditions est la manière de reproduire le
texte destiné à la publication (Drimba 1985, 87). Selon ce critère, les éditions consa-
crées aux textes roumains anciens parues à partir du XIXe siècle jusqu’à nos jours
peuvent être réparties en trois types distincts.
Le premier type est représenté par l’édition diplomatique, entendue comme une
reproduction du texte avec tous les accidents matériaux et graphiques qu’il avait
subis du point de vue de l’orthographe et de la ponctuation (Masai 1950, 185–193). À
ce type d’édition sont subsumées deux manières différentes de reproduire le texte : en
seau analecte literarie (1858), Émile Picot, Chronique de Moldavie depuis le milieu du
XIVe siècle jusqu’à l’an 1594 (1878), M. Gaster, Crestomatie română, les Ier et IIe volumes
ment, les éditions qui reproduisent le texte en alphabet cyrillique accompagné par sa
transcription en alphabet latin, à savoir les éditions de B.P. Hasdeu, Cuvente den
bătrâni, les Ier et IIe volumes (1878–1879) et Codicele Voroneţean ‘Le Codex de Voroneţ’
de I.G. Sbiera (1885). Toutefois, il faudra remarquer que les éditions mentionnées ne
savent pas satisfaire intégralement aux exigences d’une édition diplomatique, car la
102 Alexandru Mareş
reproduction des textes ne reflète pas fidèlement l’original, donc elles ne ressemblent
pas à « une reproduction photographique des originaux » (Chiari 1951, 258) ; chacune
de ces éditions présente, à différents degrés, des lacunes : on descend dans la ligne,
sans attirer l’attention, les lettres supra-écrites, l’accent, l’esprit, le tilde n’y sont pas
marqués, les accidents graphiques ne sont pas enregistrés (il y a des suppressions, des
substitutions, des inversions ou des ajouts opérés par le copiste), les accidents maté-
riels ne sont marqués non plus (les pertes de feuilles, les taches d’encre, etc.).
D’autres éditions reproduisent le texte en translittération diplomatique, appelée
translittération par les philologues roumains ; c’est un système de reproduction
Ieud ‘Le manuscrit de Ieud’ (1925), Întrebare creştinească ‘Question chrétienne’ (1925),
Pravila sfinţilor apostoli ‘Les Règles des Saints Apôtres’ (1925), Lucrul apostolesc ‘Les
Actes des apôtres’ (1930) – éditions réalisées par I. Bianu, ensuite Evangheliarul slavo-
L’édition des textes roumains anciens 103
mény et E. Petrovici (1971), ainsi que Codicele popii Bratul (1559–1560) ‘Le codex du
prêtre Bratul’, texte en fac-similé (reproduit sur CD) qui est dû à C. Dimitriu (2005).
Il faut souligner que certains textes anciens ont été édités en combinant deux des
procédés susmentionnés de reproduction du texte : a) en alphabet cyrillique et en
1.8 La structure des éditions que nous avons mentionnées comprend en général
plusieurs sections : l’étude introductive, l’étude de langue, le texte proprement dit (y
compris une note concernant l’édition) et l’appareil critique (qui, à son tour, réunit
l’appareil proprement dit – celui des variantes, les notes et les commentaires, l’index
et le glossaire). Évidemment, toutes ces sections ne figurent pas dans toutes les
éditions parues durant la période examinée, même si, pour être complète et pour
répondre à toutes les exigences, une édition critique devrait englober toutes ces
sections.
L’étude introductive est en général une étude philologique qui varie d’une édition
à l’autre, en fonction des problèmes de critique textuelle soulevés par le texte et
parfois en fonction de la spécialisation de l’éditeur. Par exemple, dans les études
philologiques réalisées par des historiens on constate l’absence de toute préoccupa-
tion pour les questions concernant la localisation (préoccupation évidente, en revan-
che, dans les éditions préparées par des linguistes), car les historiens s’intéressent
surtout aux problèmes concernant la paternité et la filiation. De bonnes études
philologiques dans les éditions soignées par des linguistes appartiennent à G. Creţu
(Mardarie Cozianul. Lexiconul slavo-românesc şi tâlcuirea numelor din 1649, 1900), à
N. Drăganu (Două manuscripte vechi. Codicele Teodorescu şi Codicele Marţian, 1914), à
I.-A. Candrea (Psaltirea Scheiană, 1916), à A. Mareş (Liturghierul lui Coresi, 1969), à
I. Gheţie et Mirela Teodorescu (Manuscrisul de la Ieud, 1977), à Mariana Costinescu
Miron Costin (1958), par Aurora Ilieş – étude consacrée à l’édition de Istoria domniei
lui Constantin Basarab Brâncoveanul voievod ‘L’Histoire du règne du voïvode Constan-
tin Bassarab le Brancovan’ (1970), par L. Demény – étude concernant l’édition de
104 Alexandru Mareş
literatura românească (1922) et Cel mai vechi zodiac românesc : Rujdeniţa popei Ion
Românul ‘Le plus ancien zodiaque roumain : la Rujdeniţa du pope Jean (Ioan) le
riu et A. Procopovici, ne contient pas une étude sur la langue. Il est vrai que les
auteurs avaient promis dans la préface une étude sur la « grammaire » de Cazania a
II-a, mais le deuxième volume de l’édition où cette étude devrait être publiée n’est
plus paru. Même plus près de nos jours, les études linguistiques annoncées par
Florica Dimitrescu et par Viorica Pamfil dans les éditions du Tetraevangheliar de
Coressi (1963) et respectivement de la Palia de la Orăştie (1968) n’ont pas été publiées
non plus. La plupart des éditions élaborées par les membres du Département de
langue littéraire et de philologie de l’Institut de linguistique de Bucarest accordent
une place importante à l’étude minutieuse de la langue des textes édités. Nous
mentionnons quelques-unes de ces éditions : Pravila ritorului Lucaci ‘Les Lois du
rhéteur Lucaci’ (ed. I. Rizescu, 1971), Manuscrisul de la Ieud (ed. I. Gheţie et Mirela
Teodorescu, 1977), Codicele Voroneţean (ed. Mariana Costinescu, 1981), Codex Sturd-
zanus (ed. G. Chivu, 1993), Floarea darurilor ‘La fleur des dons’ (éd. Alexandra Moraru,
1996), Sindipa (ed. Magdalena Georgescu, 1996), Călătoria lui Zosim la blajini ‘Le
voyage de Zosim chez les bénins’ (ed. Maria Stanciu-Istrate, 1999), Lemnul crucii ‘Le
bois de la croix’ (ed. Emanuela Timotin, 2001), Psaltirea Hurmuzachi ‘Le Psautier
Hurmuzaki’ (ed. I. Gheţie et M. Teodorescu, 2005), Istoria Ţării Rumâneşti ‘L’Histoire
de la Valachie’ (ed. Otilia Dragomir, 2006). De très bonnes études linguistiques sont
L’édition des textes roumains anciens 105
aussi celles qui appartiennent à W. van Eeden (Învăţături preste toate zilele ‘Enseigne-
ments pour chaque jour’ Ier tome, 1985), à C. Dimitriu (Codicele popii Bratul, 2005) et à
V. Arvinte (Palia de la Orăştie, IIe tome, 2007).
En ce qui concerne la reproduction du texte, section qui constitue la partie centrale
de toute édition, les éditeurs se sont confrontés, dans la plupart des cas, avec deux
difficultés : comment repérer le texte de base et comment le restituer. Chacun de ces
aspects nécessite une discussion à part et par conséquent ils seront abordés un peu
plus loin. Nous nous contenterons ici de présenter quelques données qui relèvent de
la technique éditoriale visant la publication du texte et qui caractérisent certaines des
éditions publiées.
La reproduction du texte est accompagnée, dans certaines éditions, par l’indica-
tion, en marge de la page, du numéro de chaque page (feuille) de l’original ; on
indique aussi la fin de la page recto par une barre oblique (/) et la fin de la page verso
par deux barres obliques (//). Afin de faciliter les renvois à l’appareil critique, les
lignes du texte reproduit sont numérotées en marge de la page (toutes les cinq lignes).
D’autres éditeurs, moins nombreux, procèdent, dans le même but, à une numérota-
tion de chaque ligne du texte original par des chiffres mis entre parenthèses (par
exemple Codicele Voroneţean, édité par Mariana Costinescu). Nous mentionnons
également que certains éditeurs indiquent en marge du texte reproduit les sources du
texte ou, plus rarement, même les variantes de la version avec laquelle est comparée
celle qui a été choisie comme texte de base (c’est ainsi que procède, par exemple,
I. Bianu pour l’édition de 1889 de Psaltirea Scheiană) ; dans ce cas, l’appareil critique
éditeurs réalisent cette équivalence dans le texte même, notant entre crochets les
années d’après Jésus Christ (v. l’édition d’Aurora Ilieş pour Istoria domniei lui Cons-
tantin Basarab Brâncoveanu voievod).
Dans quelques éditions, appartenant en général aux historiens, les interpolations
établies par l’éditeur sont reproduites différemment par rapport au reste du texte,
avec des lettres d’un corps plus réduit, le nom de l’auteur de l’interpolation étant noté
entre parenthèses (v., par exemple, Letopiseţul Ţării Moldovei de Grigore Ureche,
publié en 1955 par P.P. Panaitescu). Si les textes contiennent de courts passages
reproduits en slavon (en général, des indications rituelles), ceux-ci sont reproduits en
translittération internationale (v., par exemple, Liturghierul lui Coresi édité par A. Ma-
reş). Pour les textes religieux qui connaissent aujourd’hui une division par versets,
l’indication de ceux-ci, absente dans les textes roumains anciens, est présente dans la
majorité des éditions modernes (v. Stela Toma, Coresi. Psaltirea slavo-română, 1976,
I. Gheţie et Mirela Teodorescu, Psaltirea Hurmuzachi, 2005).
La note sur l’édition est placée d’habitude devant la section destinée à la repro-
duction du texte. Elle comprend dans la plupart des cas des données essentielles
106 Alexandru Mareş
concernant la manière dont les textes ont été élaborés : indication du texte de base et
à l’appareil critique par des chiffres, notés comme exposants des mots dans le texte,
sans faire départager dans l’appareil les variantes par des blancs ou par des signes
spéciaux (Russo 1912, 60, 78). Les éditions de N. Iorga concernant Istoria Ţării
Rumâneşti ‘L’Histoire de la Valachie’ de Constantin Cantacuzino (1901) et Cronica
bălenilor ‘La Chronique de la famille Baleanu’ attribuée à Constantin Cǎpitanul (‘le
Capitaine’) Filipescu (1902) ne contiennent pas d’appareil critique, même si la publi-
cation des écrits mentionnés a eu lieu après l’examination de plusieurs manuscrits : 3
pour la première édition, 6 pour la seconde. Seulement dans les éditions de C. Giures-
cu consacrées aux chroniques moldaves (1913 ; 1914 ; 1916) l’appareil critique parvient
à satisfaire aux exigences de la philologie moderne. Parmi les linguistes, I.-A. Candrea
sera le premier qui, dans l’édition de Psaltirea Scheiană (1916), offrira un bon appareil
critique ; celui-ci sert aujourd’hui encore à ceux qui veulent comparer le texte du
second rang d’une famille, du troisième rang, etc. ; v. G. Ştrempel, Letopiseţul Ţării
Moldovei ‘La Chronique de la Moldavie’ de Ion Neculce (1982), dont l’appareil critique
a consigné des variantes des versions C, D, G, qui forment une famille avec la version
A, choisie comme texte de base. La deuxième remarque concerne la notation des
variantes phonétiques dans l’appareil critique. Étant donné que les variantes phonéti-
ques sont en général plus nombreuses que les variantes morphologiques, lexicales ou
syntaxiques, les éditeurs ne retiennent pas dans l’appareil critique les variantes qu’ils
considèrent moins importantes. Le choix est le plus souvent subjectif et il y a des
situations où dans l’appareil critique on n’enregistre pas les variantes phonétiques
qui présentent de l’importance pour les chercheurs. Voir, par exemple, la confusion
entre ¥ et z, þ et s, faite par le même copiste dans De neamul moldovenilor de Miron
Costin et dans Letopiseţul Ţării Moldovei de Ion Neculce, confusion non-signalée dans
l’appareil critique des éditions en question réalisées par P.P. Panaitescu (21958b) et G.
Ştrempel (1982), bien qu’elle fût susceptible de plusieurs explications : défaut d’arti-
Il convient d’ajouter aussi quelques remarques sur l’appareil critique des éditions
réalisées par des linguistes. Étant donné qu’ils soignent d’habitude une version sans
la comparer avec d’autres versions de l’ouvrage en question, les linguistes enregis-
trent dans leur appareil critique les fautes de graphie ou d’impression, les graphies
particulières, les interventions du copiste ou des autres correcteurs, d’autres lectures
possibles, la traduction des mots ou des contextes écrits dans une langue étrangère à
l’intérieur du texte roumain. Bien plus rarement les linguistes font appel à un second
appareil critique, afin de noter les différences que présentent d’autres versions par
rapport à celle qui est éditée (v. Manuscrisul de la Ieud, édité par I. Gheţie et Mirela
Teodorescu et le Codex Sturdzanus, édité par G. Chivu).
Dans les éditions consacrées aux textes roumains anciens, on a ajouté très
rarement la section notes et commentaires. Cela est tout à fait normal, étant donné que
les informations qui constituent l’objet de cette section sont incluses, d’habitude,
dans l’étude introductive. Cependant les exceptions ne manquent pas et elles concer-
nent quelques éditions parues ces dernières décennies. Dans la réédition de 1988 de
Biblia de la Bucureşti, on trouve, à la fin de l’édition, la section Note ‘Notes’ réalisée
par M. Moraru, section qui contient des commentaires philologiques traitant les
problèmes soulevés par la traduction du texte. De même, une riche section nommée
Note şi comentarii ‘Notes et commentaires’ et contenant des informations d’ordre
historique et littéraire se trouve à la fin de l’édition Învăţăturile lui Neagoe Basarab
către fiul său Theodosie, publiée par D. Zamfirescu et G. Mihăilă en 2010.
Nous allons mentionner, enfin, la dernière section d’une édition : l’index des
mots ou le glossaire (dans les éditions des linguistes), respectivement l’index des
noms propres, des toponymes, etc. (dans les éditions des historiens). Le premier
glossaire a été élaboré par G. Bariţiu dans l’édition de Catehismul calvinesc ‘Le
Catéchisme calviniste’ de 1656 (1879) et le premier index exhaustif apparaît dans
108 Alexandru Mareş
l’édition de Codicele Voroneţean, publiée par I.G. Sbiera (1885). Il faut signaler
encore, à la fin du XIXe siècle, un très bon glossaire réalisé pour Crestomatie română
par M. Gaster (1891), ainsi que l’index exhaustif élaboré par G. Creţu pour Lexiconul
pour l’édition de Codicele Teodorescu et pour celle de Codicele Marţian (1914), ainsi
que l’index réalisé par N. Cartojan pour l’édition d’Alexandria (1922). Le désir
d’élaborer des index exhaustifs a été exprimé par les linguistes pendant la seconde
moitié du siècle passé, visant surtout les anciens monuments de la langue rou-
maine. Les index exhaustifs qui apparaissent dans cette période ne diffèrent l’un de
l’autre qu’en ce qui concerne la manière de reproduire les mots : en translittération
est évident que les linguistes (surtout les spécialistes en phonétique historique) vont
profiter le plus en étudiant les index qui reproduisent les mots dans l’alphabet
original. Le recours à des glossaires caractérise en premier lieu les éditions des écrits
qui appartiennent au XVIIe et au XVIIIe siècles ; v., par exemple, l’édition de Noul
A. Mareş, 1994).
l’édition des écrits de Neculce, 1982), index des personnes, index géographique, index
des termes concernant l’état socioéconomique et culturel, index des auteurs et des
copistes (P.P. Panaitescu, dans l’édition des écrits de Miron Costin, 1958). Outre les
index signalés, la plupart des éditions élaborées par des historiens benéficient aussi
L’édition des textes roumains anciens 109
de glossaires, destinés à expliquer les termes et les sens peu connus ou absents en
roumain actuel.
Dans les éditions des anciens écrits roumains de droit civil et économique, on
trouve aussi des index des matières ; v., par exemple, l’édition de Carte românească de
învăţătură de 1646 (1961) et celle de Îndreptarea legii de 1652 (1962), les deux coor-
données par Andrei Rădulescu. Chacune des éditions en question bénéficient d’un
index des mots (ce sont des index sélectifs, car ils n’incluent pas tous les mots du
texte) où pour chaque terme enregistré on indique (par des chiffres romans et arabes)
la place occupée dans le texte. Pour les juristes, tout comme pour les historiens et les
linguistes, la sélection et la définition des termes dépend, en grande mesure, des
connaissances linguistiques de l’auteur du glossaire.
1.9 Repérer le texte de base, c’est le problème fondamental dans l’édition des textes
lorsqu’il s’agit en principe des écrits dont les variantes originales se sont perdues et
qui nous sont parvenus en deux ou plusieurs versions. Dans une situation pareille,
l’éditeur est obligé d’établir le texte de base, c’est-à-dire de choisir, parmi un nombre
plus ou moins grand de versions, celle qui peut être considérée comme la plus proche
de l’original perdu, du point de vue de l’intégrité du texte.
M. Kogǎlniceanu, auquel revient le mérite de nous avoir donné les premières
collections de documents et de chroniques internes, a publié dans Letopiseţele Ţării
Moldovei des chroniques en employant plus de 35 manuscrits. Pour la réalisation de
cette entreprise, l’historien roumain a initié une vaste action de recherche, en
comparant toutes les versions qu’il a eues à sa disposition. Malheureusement les
résultats de ses investigations n’ont pas été rendus publics. Il ne mentionne nulle
part dans son édition les versions qu’il a employées pour reconstituer le texte
(Tocilescu 1876, 394–405). Plus encore, la langue des chroniques est en grande
mesure modernisée, tandis que dans d’autres situations Kogǎlniceanu a introduit
des formes archaïques absentes dans les manuscrits étudiés (Russo 1912, 29, note 1).
C’est le défaut qui caractérise aussi les chroniques publiées par A.T. Laurian et par
N. Bălcescu dans Magazin istoric pentru Dacia ‘Le Magazine historique pour la
Dacie’, du Ier au Ve volumes, Bucureşti, 1845–1847). Les éditeurs n’ont précisé ni la
manière dont ils avaient établi le texte de base des chroniques, ni s’ils avaient
employé dans ce but un seul manuscrit ou plusieurs (Tocilescu 1876, 405s.).
G.G. Tocilescu a le mérite de s’être prononcé le premier en faveur d’une édition
critique des chroniques, en établissant aussi une séries d’exigences (dont certaines
sont encore valables) que devaient respecter les éditions futures. Ayant une intuition
correcte du principe fondamental que doit respecter le philologue dans l’édition
d’un texte, G.G. Tocilescu a recommandé « qu’on imprime avec un respect filial le
texte des chroniques, en conservant la langue dans laquelle elles ont été écrites, et
même leur orthographe ; et si l’on y fait des corrections, concernant évidemment les
fautes du copiste, il ne faut pas le faire tacitement, mais dans les notes » (Tocilescu
1876, 419).
110 Alexandru Mareş
procède D. Grecianu, l’éditeur de Viaţa lui Constantin vodă Brâncoveanu. Bien qu’il ait
prétendu posséder l’autographe de la chronique (ce qui ne correspond pas à la
réalité), D. Grecianu a établi le texte en se servant d’une copie et offrant dans les notes
les lectures de l’original supposé (Russo 1912, 78). Bien plus, il a corrigé beaucoup de
fautes du manuscrit de base sans noter pour autant ses interventions (Ilieş 1970, 40).
N. Iorga n’a pas procédé lui non plus d’une manière plus recommandable. Pour Istoria
Ţării Româneşti attribuée au dignitaire Costantin Cantacuzino, l’historien a reconsti-
tué le texte à partir des éditions précédentes et de deux manuscrits gardés à la
Bibliothèque de l’Académie. Tel qu’il le souligne lui-même dans la préface de l’édi-
tion, Iorga a respecté en tant que seul repère le critère subjectif : « Laissant ici de côté
toute pédanterie inutile, j’ai essayé tout simplement de produire le texte comme je
sentais que le Dignitaire aurait pu l’écrire » (Iorga 1901, XLII). N. Iorga a édité de la
même façon, toujours guidé par son bon sens, la chronique de Constantin Căpitanul
Filipescu, en fait Cronica bălenilor (Russo 1912, 80). I.N. Popovici a essayé à son tour,
en s’appuyant sur les copies manuscrites, de reconstituer le texte original de la
chronique de Grigore Ureche. Dans ce but, il a introduit dans le texte reconstitué des
phonétismes et des formes grammaticales provenant des écrits d’Eustatie Logofătul et
de Varlaam, les contemporains d’Ureche. Le procédé s’avère arbitraire et par consé-
quent dépourvu de toute valeur scientifique (Russo 1912, 29, note 1).
recouru, lui aussi, à la reconstitution. Dans l’édition de Psaltirea Scheiană (vol. II,
1916), Candrea a essayé d’offrir un texte qui fût le plus proche possible du prototype
de la traduction. C’est pourquoi il a remplacé les phonétismes les plus récents par les
plus anciens lorsque ces derniers étaient prépondérants dans le texte ; il a aussi
cours d’eau’ du manuscrit a été remplacé par la variante turbura-s-vor apele lor ‘il
naîtra des remous dans leurs cours d’eau’ qui figure dans Psaltirea de Şerban Coresi
(1588), bien que la première variante figure également dans Psaltirea coresiană de
1570 (Candrea 1916, II, 89 et les notes sur la même page). I.-A. Candrea a désavoué
plus tard la méthode dont il s’est servi afin d’établir le texte, en soutenant que cette
méthode lui avait été imposée par Comisia Istorică a României ‘La Commission
L’édition des textes roumains anciens 111
Historique de la Roumanie’. Il est probable que les choses se sont passées ainsi.
Toujours est-il qu’au début du XXe siècle nos spécialistes respectaient encore l’idée
lachmannienne de la reconstitution de l’archétype. D. Russo l’affirme clairement en
1912 : « afin de pouvoir restituer le texte presque tel qu’il a été écrit par son auteur,
nous devons prendre tous les manuscrits, fixer leur filiation, éliminer tout ce que les
copistes ou les correcteurs ont introduit dans le texte et rétablir un texte, qui, même
s’il n’est pas l’archétype perdu, devra se rapprocher de celui-ci autant que les manu-
scrits le permettent et autant que la perspicacité de l’éditeur peut aider, donc nous
devons faire une édition critique » (Russo 1912, 38). Une telle influence est décelable
également dans l’édition de Letopiseţul Ţării Moldovei de Grigore Ureche, publiée par
C. Giurescu en 1916. Le texte que l’éditeur a établi se présente comme une mosaïque
de lectures comparatives prises dans différents manuscrits (Panaitescu 21958b, 53).
Une nouvelle orientation apparaîtra bientôt parmi les éditeurs des textes anciens,
qui vont renoncer à l’idée des éditions critiques dans le sens classique du terme. La
restitution de l’archétype s’est avérée une utopie et les tentatives faites dans cette
direction, si brillantes qu’elles eussent été du point de vue scientifique, ne pouvaient
aboutir qu’à des modifications arbitraires du texte, dont ni l’historien, ni le philologue
n’auraient pu profiter. Il devenait par conséquent plus réaliste et plus près des
nécessités pratiques d’adopter un point de vue selon lequel on devait recourir à un
seul manuscrit pour établir le texte de base d’un écrit. L’idée de la reconstitution de
l’archétype est donc abandonnée et les éditeurs adoptent la solution d’établir le texte
de base en s’appuyant sur le manuscrit considéré le plus proche de l’original. La
nouvelle exigence (« on publie un texte, on ne le refait pas » ; Panaitescu 21958b, 53)
est adoptée par la plupart des éditeurs des textes anciens. Il est évident que cette
nouvelle orientation ne simplifie pas le travail de l’éditeur. Celui-ci continue de
chercher la filiation des manuscrits, il détermine les particularités de chaque famille
de manuscrits, il établit la famille qui représente le plus fidèlement l’archétype et
enfin il choisit dans cette famille le manuscrit qui lui servira comme texte de base.
C’est ainsi qu’ont procédé après 1900 les éditeurs recrutés parmi les historiens. Pour
l’établissement du texte de base, la classification des manuscrits et la reconstitution
de leurs stemmas se sont avérées des opérations indispensables. Par des stemmas
bien établis se sont remarqués C. Giurescu, I. Şt. Petre, P.P. Panaitescu, L. Onu, D. Si-
découvert par G. Creţu, manuscrit qui conserve la version la plus ancienne (c. 1660–
112 Alexandru Mareş
1670), L. Onu a rectifié son point de vue initial. Par rapport au manuscrit de Cons-
tantin Vladulovici, le manuscrit découvert par G. Creţu présente l’avantage d’être plus
représentatif pour la langue d’Ureche. Mais ce manuscrit a le désavantage d’être
lacunaire. Par conséquent, L. Onu précise que l’éditeur qui prendra pour base ce
manuscrit devra lui compléter les lacunes en utilisant d’autres manuscrits, en premier
lieu celui de Constantin Vladulovici (Onu 1967, 118).
En ce qui concerne les écrits contenant des versions interpolées, le choix du texte
de base s’est avéré parfois plus compliqué. Une telle situation a dû affronter par
chapitres, et une autre avec des interpolations, en sept chapitres. P.P. Panaitescu a
choisi comme texte de base de la chronique un manuscrit de la rédaction non-
interpolée, dont il a complété les lacunes en recourant à trois autres manuscrits
(Panaitescu 1958a, 401). L. Onu qui considérait que la rédaction en sept chapitres
représente l’élaboration ultime de Miron Costin n’a pas été d’accord avec la solution
de Panaitescu (Onu 1972, 115) et il a proposé en tant que texte de base un manuscrit
appartenant à cette rédaction.
Ce qu’il faut retenir effectivement, c’est que si l’établissement du texte de base n’a
pas pu s’appuyer sur un seul manuscrit (c’est le cas des écrits qui se sont transmis par
des manuscrits lacunaires), les éditeurs ont choisi le manuscrit le plus rapproché de
l’archétype et, en même temps, le plus complet, en remplissant les lacunes à l’aide
d’un autre manuscrit (voire de plusieurs autres manuscrits). Les seules interventions
que les éditeurs se sont permises se sont limitées à peu de choses : éliminer les
interpolations, compléter les lacunes et corriger les formes des noms propres, les
dates du calendrier ainsi que les erreurs évidentes de transcription. Dans les grandes
lignes, les éditeurs se sont orientés d’après la recommandation de J. Bédier : « Il faut
la Palia d’Orăştie de 1582, la Cazania de 1643 (Gheţie/Mareş 1974, 140s., 157s.). Parmi
ceux qui se sont préoccupés du problème des tirages et qui ont publié le texte de
l’exemplaire appartenant au dernier tirage, nous mentionnons A. Goţia pour l’édition
du Sicriul de aur de 1683 (1984) et W. van Eeden pour l’édition de l’ouvrage Învăţături
preste toate zilele ‘Les Enseignements pour tous les jours’ de 1642 (1985).
1.10 Comme il a été montré plus haut, la reproduction des textes dans les éditions
élaborées du XIXe siècle jusqu’à nos jours a été réalisée en recourant à trois procédés :
roumaine’ (1841) et dans Magazinul istoric pentru Dacia (1845–1847) par M. Kogălni-
ceanu et respectivement par N. Bălcescu et A.T. Laurian ; l’édition des Letopiseţele
Ţării Moldovei (parue à Iaşi entre 1845–1852) soignée par Kogǎlniceanu. Réalisées par
des personnes qui n’avaient que des connaissances sommaires dans le domaine de la
philologie, ces éditions contiennent de nombreuses inexactitudes, des omissions ou
des interventions non-justifiées. Même T. Cipariu, un partisan fervent du remplace-
ment de l’alphabet cyrillique par l’alphabet latin, n’a pas procédé autrement. Sa
célèbre Crestomatie seau analecte literarie (1858), qui marque en fait la date de
naissance de la philologie roumaine, reproduit les textes en alphabet cyrillique.
L’édition des textes dans l’alphabet original a continué jusque pendant la troisième
décennie du XIXe siècle. On peut mentionner aussi des éditions qui joignent au texte
reproduit en lettres cyrilliques une transcription en lettres latines (par exemple
B.P. Hasdeu, dans Cuvente den bătrâni, 1878–1879).
(c’est-à-dire avec des lettres cyrilliques), alors que les textes du XVIIIe siècle devraient
être édités « avec l’orthographe moderne latino-roumaine, comme des écrits qui ne
présentent plus l’intérêt de l’authenticité » (Hasdeu 1864b, 1). C’est toujours à une
reproduction en alphabet cyrillique des textes qui précèdent 1688 qu’avait pensé à un
114 Alexandru Mareş
moment donné I. Bogdan, conscient des difficultés liées à l’interprétation des lettres
(Bogdan 1907, 382). En général, l’édition des textes avec des lettres cyrilliques a été
critiquée, entre autres, par P.P. Panaitescu (1938, 342) et par N. Drăganu (1941, 48)
comme étant « non-pratique », car la lecture des lettres posait des problèmes difficiles
à bien des chercheurs moins habitués à l’ancien alphabet roumain, ce qui n’est pas
une remarque entièrement non-fondée. Il n’en est pas moins vrai que la reproduction
des textes en lettres cyrilliques était « la manière la plus commode de procéder », tel
En dehors de toutes ces prises de positions, il devient évident que le procédé ici
discuté s’était périmé et qu’il entraînait inévitablement une restriction du nombre des
personnes qui, dans ces conditions, avaient accès au texte. Nous pensons évidem-
ment à la reproduction du texte en fac-similés et non à son impression en lettres
cyrilliques, celle-ci n’étant plus pratiquée depuis longtemps. D’ailleurs même la
reproduction en fac-similé d’un texte non-accompagnée de la transcription en lettres
latines a été abandonnée de nos jours.
b) Un autre procédé utilisé dans la reproduction des textes roumains anciens est
représenté par la translittération. Conformément à ce procédé, chaque lettre cyrillique
devrait être toujours considérée l’équivalent d’un seul et même signe de l’alphabet
latin ; cette opération devrait permettre à tout moment, par l’application des normes
Ces normes seront respectées dans certaines éditions telles que Catehismul calvi-
nesc de 1656, soigné par G. Bariţiu (1879), Pravila de la Govora de 1640 éditée par
A. Odobescu (1884). Le système de transcription adopté par B.P. Hasdeu dans Cuvente
den bătrâni (1878–1879) est lui aussi, jusqu’à un certain point, une sorte de translitté-
ration ; il a été nommé d’ailleurs « translittération modérée, partielle » (Vîrtosu 1968,
258), car, dans certains cas, une lettre cyrillique a été transcrite par deux lettres de
l’alphabet latin (´ = â, ŭ, ä = î, în), alors que, dans d’autres situations, deux lettres
cyrilliques ont été transcrites par le même signe latin (Õ et å = ĭa, ¶ et u = u). Le
système de B.P. Hasdeu a été adopté, avec des modifications, par d’autres éditeurs
aussi, par exemple par I. Bianu (Psaltirea Scheiană, 1889).
Les inconséquences de ces systèmes de translittération ont été relevées par les
philologues groupés dans Asociaţia pentru editarea textelor vechi ‘l’Association pour
L’édition des textes roumains anciens 115
l’édition des textes anciens’ constituée en 1926, à laquelle appartenaient aussi A. Ro-
setti et J. Byck. Ils considéraient que la transcription d’un texte ancien se réduisait à
« la transposition exacte et de manière mécanique, en lettres latines, de l’original
cyrillique » (Rosetti 1931, 428). Dans ce but, les deux éditeurs se sont créé des systèmes
difficile à préciser (ß, ´, å, ä, etc.), ce que N. Iorga avait fait partiellement lui aussi à la
fin du XIXe siècle, lorsqu’il a publié les lettres des archives de Bistriţa (1899–1900) ou
les actes de Petru Şchiopul (Pierre le Boiteux) et de Mihai Viteazul (Michel le Brave)
(1898) ; 2) ils transposent certaines lettres cyrilliques en lettres latines surmontées de
« Aussi longtemps que les éditeurs transcriront une lettre par une autre sans tâcher de
(Panaitescu 1938, 342 ; A. Oţetea 1958, 24 ; Vîrtosu 1968, 259) et certains linguistes
(Bărbulescu 1904, 488–493 ; Drăganu 1941, 48s. ; Iordan 1960, 25–27 ; Ursu 1960, 34).
Quelques-unes des critiques faites par les linguistes aux systèmes de translittération,
à savoir celle de falsifier la langue et de ne pas contribuer au progrès des études
d’histoire de la langue, ne sont pas justifées ; ces critiques ne prennent pas en compte
le but de la translittération, notamment celui d’offrir (dans les limites qu’on s’était
proposées) l’équivalent le plus exact d’un texte écrit dans cet alphabet (Gheţie/Mareş
1974, 168). Mais ce qu’on peut reprocher effectivement aux éditeurs qui avaient utilisé
ce système c’est qu’ils n’ont pas appliqué assez rigoureusement le principe de la
translittération. Et ce reproche ne concerne pas seulement les partisans de la trans-
littération « modérée », mais aussi les éditeurs qui avaient soutenu et défendu le
de cette méthode servant à reproduire les textes. Ce point de vue a été amplement
soutenu par des historiens, tels que I. Bogdan (1915), P.P. Panaitescu (1938), A. Oţetea
(1958), ainsi que par des linguistes, tels que N. Drăganu (1941), V. Pamfil (1959),
I. Iordan (1960), N.A. Ursu (1960). Les premières éditions, dues à des linguistes, où a
été appliquée (dans la plus grande partie du texte) la transcription interprétative, sont
Diaconul Coresi, Cartea cu învăţătură de S. Puşcariu et A. Procopovici (1914) et la
Psaltirea Scheiană de I.-A. Candrea (1916). Parmi les juristes, nous mentionnons
S.G. Longinescu, qui a soigné Legi vechi româneşti şi izvoarele lor (1912), et parmi les
XVIe ou du XVIIe siècle en transposant en lettres latines les sons tels qu’il croit que
l’écrivain les aurait prononcés et non pas en substituant aux anciennes lettres cyrilli-
ques les caractères latins fera un énorme service à la philologie » (Russo 1912, 26).
aussi tenir compte de certains aspects que Russo n’a pas pris en considération, tels
que la question de la tradition qui implique également la volonté de l’auteur, le
problème de la norme littéraire locale respectée par le texte en question et, pour les
textes mixtes, la question du mélange d’habitudes orthographiques caractérisant des
époques ou des régions différentes. Quand nous publions un texte en transcription
phonétique interprétative, nous essayons d’établir la langue du texte, non pas la
langue de l’auteur. La prononciation de l’auteur ne fait partie que dans une certaine
mesure de la langue du texte, car le texte contient aussi des éléments de langue
absents à l’époque où vit l’auteur ou présents dans d’autres aires dialectales. Il en
résulte que l’éditeur doit retenir toutes les graphies auxquelles correspondent ou
auxquelles ont correspondu autrefois des prononciations du roumain (et de ses
parlers). Cela prouve que les unifications, quelle que soit leur nature, sont inaccepta-
L’édition des textes roumains anciens 117
doit aussi le fait d’avoir fixé les normes de transcription pour l’édition de Biblia de la
Bucureşti, 1988). En ce qui concerne les historiens qui, à leur tour, font appel à cette
méthode, faute de connaissances nécessaires pour l’interprétation de la graphie
cyrillique, ils se limitent à suivre, en dernière analyse, un système universel de
correspondances, valable à toute époque et en tout lieu. La plupart d’entre eux
recourent aussi, dans leur soi-disant transcription interprétative, à une équivalence
empruntée au système de translittération : h = é dans des mots du type lege (écrit lhÔe,
transcrit lége) ; v., par exemple, les éditions dues à Aurora Ilieş, G. Ştrempel, D. Simo-
Pendant le siècle suivant, l’emploi de l’alphabet latin persistera dans les écrits des
Roumains du Banat, adeptes du calvinisme, écrits qui vont engendrer une vraie
littérature. On publiera un Catehism ‘Catéchisme’ calviniste traduit du hongrois
(1648), on amplifiera le contenu de Carte de cântece de Cluj par la traduction de
nouveaux chants, on traduira, toujours du hongrois, un psautier – Psaltire – en vers
qui sera copié, on va élaborer des dictionnaires bilingues (roumain-latin) et trilingues
(latin-roumain-hongrois) et on va composer même des vers, telle que l’ode – Odă – de
Mihail Halici-le fils (1674), si fréquemment citée. Après le début de la domination
autrichienne en Transylvanie, ce mouvement dont le dernier produit littéraire est une
copie de 1703 de la Psaltirea en vers cessera son activité.
Toujours de la zone du Banat proviennent deux adeptes du catholicisme qui, à
leur tour, vont recourir à l’alphabet latin pour leurs écrits en roumain : Francisc
Lovas, auteur d’un sermon tenu à Rome (1608), et Gheorghe Buitul, le traducteur d’un
catéchisme – Catehism – catholique publié à Pozsony (Bratislava) en 1636 et réédité
par les jésuites à Cluj en 1703. Après le passage de la Transylvanie sous la suzeraineté
des Habsbourgs, bien des nobles calvinistes de Banat passeront au catholicisme, tel
que Ioan Duma de Bărăbanţ, qui a soigné à Bǎlgrad la publication du catéchisme
catholique Pânea pruncilor ‘Le pain des enfants’ (1702).
On doit à la propagande catholique exercée par les missionnaires italiens en
Moldavie après 1650 toute une série d’écrits roumains avec l’alphabet latin. On peut
en mentionner le catéchisme traduit par Vito Piluzio, vicaire pour la Moldavie,
Dottrina Christiana (Rome, 1677), les travaux du franciscain Silvestro Amelio – un
catéchisme et un glossaire italien-roumain rédigés en 1719, un recueil d’homélies
Conciones latinae-muldavo élaboré entre 1725–1737 – les travaux d’Antonio Maria
Mauro, franciscain lui aussi – le manuel de conversation italien-roumain intitulé
Diverse materie in lingua moldava et rédigé en 1760, un abrégé de grammaire et le petit
guide de conversation rédigés vers 1770 (connus aussi comme Ms. romeno Asch 223 di
Göttingen). Ces ouvrages étaient destinés aux missionnaires italiens et non pas aux
catholiques de Moldavie recrutés parmi les Hongrois, les Allemands et les Roumains
(le nombre de ces derniers augmente légèrement suite aux migrations de leurs
conationaux de Transylvanie vers la fin du XVIIIe siècle ; Ferro 2004, 16s., 21s.). C’est
Kájoni a copié des chansons populaires roumaines dans le Codex Kájoni (durant la
seconde moitié du XVIIe siècle). Il est aussi possible qu’une initiative catholique ou
120 Alexandru Mareş
bien due à l’Église Unie se trouve derrière la publication à Cluj en 1768 d’un recueil de
poésies populaires roumaines intitulé Cântece câmpeneşti.
Quelques autres écrits roumains employant l’alphabet latin pourraient être attri-
bués à des initiatives privées (Tatăl nostru ‘Notre père’ imprimé à Frankfurt en 1603,
Glosarul româno-latin ‘Le Glossaire roumain-latin’ publié par l’historien dalmate
Joannes Lucius en 1668, Cântecul de dragoste ‘La chanson d’amour’ et Tatăl nostru du
Petrovai Codex copié en 1672, les vers composés d’après Ovide par Valentin Franck
von Franckenstein et publiés en 1679, Tatăl nostru imprimé par Christoph Hartknoch
en 1684) ou à des initiatives officielles (Decretul ‘Le décret’ de l’empereur Léopold I,
de 1701).
On doit enfin à quelques personnes instruites appartenant aux milieux orthodo-
xes quelques tentatives d’écrire en roumain avec des lettres latines : Tatăl nostru écrit
par le chancelier Luca Stroici et publié par Stanisław Sarnicki à Varsovie en 1594, les
annotations d’Ilinca Leurdeanu, la nièce du voïvode Michel le Brave, sur quelques
documents datant de 1640–1660, Tatăl nostru attribué à Nicolae Spătarul (Milescu) et
publié par Georg Stiernhielm à Stockholm en 1671, le glossaire italien-roumain et les
listes contenant des noms géographiques destinées au comte Ferdinando Marsigli et
attribuées au dignitaire Constantin Cantacuzino, etc.
2.2 En fonction de leur emplacement dans l’espace, ainsi que de certaines influences
culturelles, les écrits roumains en alphabet latin recourent à l’un des systèmes
d’orthographe suivants : hongrois, polonais, italien (parfois on constate aussi la
lettres, alors que les sons spécifiquement roumains sont notés par des lettres utilisées
dans l’orthographe hongroise pour reproduire des sons proches.
Les Moldaves ont recouru à l’orthographe polonaise. Le premier à l’avoir fait a
été Luca Stroici, dans son Tatăl nostru, dans lequel on retrouve également quelques
solutions propres à l’orthographe italienne. Ensuite, Miron Costin dans Cronica polonă
‘La Chronique polonaise’ a reproduit les mots roumains en orthographe polonaise.
Les missionnaires catholiques qui ont œuvré en Moldavie ont utilisé l’orthographe
italienne pour écrire en roumain. Chez Vito Piluzio et, dans une moindre mesure, chez
Silvestro Amelio, cette orthographe contient aussi quelques solutions appartenant à
l’orthographe polonaise et hongroise. Par les écrits d’Antonio Maria Mauro, l’ortho-
graphe de ces textes devient intégralement italienne. Les textes attribués à Constantin
Cantacuzino, donc à un Valaque, sont également écrits avec l’orthographe italienne.
2.3 Étant surtout l’expression des courants religieux qui ont été actifs en Transylvanie
et en Moldavie, cette littérature écrite avec l’alphabet latin s’est naturellement concré-
L’édition des textes roumains anciens 121
tisée dans des écrits religieux divers : le catéchisme, le livre des cantiques, le recueil
conversation bilingues, des chansons et des poésies populaires, des poésies savantes
et même un acte administratif (Decretul ‘Le décret’ impérial de 1701).
Certains de ces écrits nous sont parvenus sous une forme imprimée : Cartea de
cântece ‘Le livre des cantiques’ (Cluj, 1571–1575), Tatăl nostru (Varsovie, 1594), Tatăl
nostru (Frankfurt, 1603), Catehismul ‘Le catéchisme’ catholique (Poszony, 1636 : on
n’en possède pas d’exemplaires), Catehismul calviniste (Alba Iulia, 1648), Glosarul
româno-latin (Amsterdam, 1668), Tatăl nostru attribué à Nicolae Spǎtarul (Stockholm,
1671), Oda de Mihai Halici-le fils (Basel, 1674), Catehismul ‘Le catéchisme’ catholique
(Rome, 1677), Tatăl nostru (Frankfurt, Leipzig 1684), les vers composés par Valentin
Franck von Franckenstein (Sibiu, 1679), le Decret de l’empereur Léopold I (1701),
Catehismul ‘Le catéchisme’ catholique (Cluj, 1703), Cântecele câmpeneşti ‘Les chan-
sons champêtres’ (Cluj, 1766), Evanghelie (Kálocsa, 1769).
Les livres imprimés en Transylvanie reproduisent, pour la plupart, des sources
hongroises qui entre temps ont été identifiées. Les vers de Valentin Franck von
Franckenstein observent en général le modèle des sentences latines d’Ovide ; une
seule poésie reproduit une source allemande. D’autres écrits sont de simples réédi-
tions, contenant parfois des modifications de nature linguistique. Ainsi, Catehismul
‘Le catéchisme’ catholique imprimé à Cluj en 1703 reproduit le texte du Catéchisme
catholique imprimé en 1636 ; ce dernier avait déjà été réédité à Rome en 1677 après
2.4 Parmi les premières valorisations de cette littérature, réalisées au XIXe siècle,
comptent Oda de Mihail Halici-le fils (Bariţ 1847, 2 ; Cipariu 1860, 135), Catehismul
catolic de Vito Piluzio (Cipariu 1858, 254–256 ; Sion Gherei 1875), Tatăl nostru, la
version Luca Stroici (Hasdeu 1864a, 26), Tatăl nostru imprimé à Košice en 1614 (Veress
1931, 67s.), des fragments de la Psaltirea en vers de Ioan Viski (Silaşi 1875, 141–145) ;
de 1648 et de Catehismul catolic de 1677 (Gaster 1891, 124, 226–227), Tatăl nostru
attribué à Nicolae Spǎtarul (Şăineanu 21895, 12). Au début du XXe siècle ont été
réédités les vers de Valentin Franck von Franckenstein (Docan 1901, 227–232), Cartea
de cântece de 1571–1575 (Sztripszky/Alexics 1911, 146–167) et on a publié les textes de
Petrovai Codex (Alexici 1912, 279–281). Ceux-ci ont été suivis bientôt par les écrits de
Silvestro Amelio de 1719 (Densusianu 1934–1924, 291–293, 294, 297–299, 300–311), par
des fragments de Cartea de cântece copiés par Sandor Gergely de Agyagfalva (Drăga-
122 Alexandru Mareş
nu 1927, 86, 91), Tatăl nostru publié par Christoph Hartknoch (Muşlea 1927, 965s.),
Predica ‘Le sermon’ de Francisc Lovas (Isopescu 1925–1926, 280–282), le glossaire
italien-roumain et les listes des noms géographiques attribuées à Constantiin Canta-
cuzino (Tagliavini 1927), Lexicon Marsilianum (Tagliavini 1930, 187–255), Diverse
materie in lingua moldava (Tagliavini 1929–1930), Catehismul ‘Le catéchisme’ calvi-
niste de 1648 (Tamás 1942, 43–65), etc. Au cours des dernières décennies du siècle
passé et pendant la première décennie de notre siècle, ont été publiés : Glosarul
cântece (“Le livre des cantiques”) din 1571–1575 (Gheţie 1982a, 336–343), Catehismul
catolic de 1719 de Silvestro Amelio (Picillo 1992–1993, 433–538), Cartea de rugăciuni
de 1776 (Mărtinaş 1985, 107–109), l’abrégé de grammaire et le petit guide de conversa-
tion attribués à Antonio Maria Mauro (Picillo 1987, 89–148), Dictionarum valachico-
latinum, connu antérieurement sous le titre d’Anonymus Lugoshiensis ou Anonymus
Caransebesiensis (Király 2003, 317–391 ; Chivu 2008, 71–178), Psalterium Hungaricum
2.5 Dans les éditions modernes, la plupart des écrits roumains en alphabet latin ont
été publiés en transcription diplomatique, c’est-à-dire dans une reproduction exacte
du texte du point de vue de l’orthographe. Font partie de cette catégorie, entre autres,
l’Ode (Oda) de Mihail Halici-le fils (Bariţ 1847 ; Cipariu 1860), Tatăl nostru, la version
fragments de Psaltirea en vers de Ioan Viski (Silaşi 1875), les textes de Petrovai Codex
(Alexici 1912), Cartea de cântece (Sztripszky/Alexics 1911), le catéchisme (Catehismul)
calviniste de 1648 (Tamás 1942) ; dans les dernières éditions les textes sont reproduits
aussi en fac-similés.
On a recouru plus rarement à la reproduction du texte en transcription phoné-
tique interprétative : Oda de Mihail Halici-le fils (Pumnul 1865), Cartea de cântece
tion d’A. Pumnul, les autres éditeurs ont publié aussi les fac-similés des textes en
question.
On n’a qu’un seul cas de reproduction du texte uniquement en fac-similé : Decretul
de l’empereur Léopold I de 1701 (Ursu 1912, post p. 1063 ; Veress 1931, 147–148).
2.6 Dans bien des cas, les textes roumains écrits en alphabet latin ont été publiés
dans des articles ou dans des anthologies. Plus rarement ils ont été reproduits dans
des éditions où la mise en valeur du texte a été accompagnée d’études philologiques
L’édition des textes roumains anciens 123
et d’études linguistiques, d’un appareil critique, d’index des mots, etc. Quand de
telles situations existent, les éditions en question présentent des études destinées à
clarifier l’histoire de l’écrit (la source, la personne de l’auteur ou du traducteur, la date
de l’élaboration, etc.). En revanche, les éditions qui accordent de l’importance aux
problèmes de la langue sont peu nombreuses. Pour la première moitié du siècle passé,
peuvent être mentionnés sous cet aspect Cartea de cântece (H. Sztripszky/G. Alexics),
Petrovai Codex (G. Alexici), Lexicon Marsilianum (C. Tagliavini), Catehismul calviniste
(L. Tamás). Les éditions plus récentes ne sont pas plus nombreuses elles aussi,
bénéficient aussi d’une Note sur l’édition, qui donne les informations essentielles
concernant la manière dont a été réalisée l’édition en question.
À propos de la reproduction du texte nous n’allons pas répéter les informations
susmentionnées. Nous tenons tout de même à préciser que dans les éditions qui
reproduisent le texte en transcription diplomatique accompagnée d’une transcription
interprétative, cette dernière modernise parfois la langue, afin de faciliter au lecteur
la compréhension du texte. En ce qui concerne la transcription interprétative, l’exi-
gence d’observer rigoureusement la réalité linguistique du texte, c’est-à-dire ses
particularités phonétiques, morphologiques, syntaxiques et lexicales par rapport à
l’espace et à l’époque de l’écriture, est respectée par peu d’éditeurs : I. Gheţie, Fr. Kirá-
ly et G. Chivu.
Le contenu de l’appareil critique varie dans ces éditions en fonction de la manière
de la reproduction. Dans les éditions diplomatiques, on note dans l’appareil critique
les graphies sur lesquelles l’éditeur est intervenu en séparant les mots, en éloignant
des lettres (pour les lettres doubles), en introduisant des lettres omises (Psalterium
Hungaricum) ou en signalant la répétition de certains contextes (Lexicon Marsilia-
num). Dans les éditions critiques où les textes sont reproduits en transcription inter-
prétative, l’appareil critique note les graphies erronées, les lettres ou les mots para-
sitaires, d’autres lectures possibles pour certaines graphies (Cartea de cântece, éd.
I. Gheţie, Dictionarium valachico-latinum, éd. Fr. Király). Les mêmes faits, auxquels
saire).
124 Alexandru Mareş
2.7 Pour les écrits roumains en alphabet latin, l’un des problèmes les plus importants
et les plus difficiles reste l’interprétation de la graphie. Comme nous l’avons déjà vu,
les éditeurs ont recouru, dans la plupart des cas, à la reproduction exacte de l’ortho-
graphe du texte (la transcription diplomatique), donc à une solution commode. Peu
nombreux sont ceux qui ont osé adopter une trascription phonétique interprétative.
La plupart des éditeurs ont hésité à recourir à une telle manière de reproduire le texte,
à cause des difficultés liées à l’interprétation de certaines lettres latines employées
dans le texte. La multitude des solutions concernant la notation d’un même son dans
ces textes est due au fait que les systèmes d’orthographe employés par les Roumains
de Transylvanie (le système hongrois) et de Moldavie (le système polonais) ou par les
missionnaires catholiques (le système italien) se caractérisaient tous par deux traits :
ils n’étaient pas entièrement fixés, les innovations graphiques alternant avec les
notations traditionnelles, et ils ne contenaient pas de signes pour noter certains sons
spécifiques du roumain. C’est justement ce caractère approximatif de la notation de
certains sons qui engendre les plus grandes difficultés dans l’interprétation de la
graphie du texte. Et malheureusement, les exemples où l’analyse ne peut pas décider
en faveur de l’une ou l’autre des interprétations possibles sont assez nombreux,
surtout pour les textes écrits avec l’orthographe hongroise.
Pour ces textes aussi, tout comme pour les textes écrits en alphabet cyrillique,
l’opération de leur reproduction en transcription phonétique interprétative exige le
respect de toutes les particularités de la langue et l’élimination de tout ce qui est
dépourvu de valeur phonétique réelle (à l’époque où le texte a été écrit ou bien à une
époque antérieure).
2.8 Tous les écrits roumains en alphabet latin dont nous connaissons l’existence
aujourd’hui n’ont pas été publiés. Il nous manque des éditions pour Catehismul
catholique de 1703, Conciones latinae-muldavo (1725–1737), Cântecele câmpeneşti
(1766), Evanghelia (1769), etc. Nous ne disposons pas non plus d’une édition des
cantiques calvinistes en vers du XVIIe siècle (dont certains ont pénétré dans des
manuscrits copiés en alphabet cyrillique). Très utile serait aussi la réédition de
certains écrits dont les éditions ne sont aujourd’hui accessibles que dans les grandes
bibliothèques, tels que Codex Kájoni, Petrovai Codex, Catehismul calvin (1648). Enfin,
il nous faudrait un ouvrage consacré à l’examen de l’évolution de l’écriture roumaine
en alphabet latin. On pourrait constater alors comment certaines solutions de l’ortho-
graphe roumaine actuelle ont été anticipées par les missionnaires italiens du XVIIIe
siècle.
L’édition des textes roumains anciens 125
3 Bibliographie
Alexici, Gheorghe (1912), Material de limbă din « Codicele de Petrova », Revista pentru istorie,
Avram, Andrei (1964), Contribuţii la interpretarea grafiei chirilice a primelor texte româneşti, Bucureşti,
Editura Academiei Republicii Populare Române.
Bariţ, G. (1847), Cele dintâi versuri esametre şi pentametre în limba română, Foaie pentru minte, inimă
şi literatură 10, nr. 26 (juin), 205s.
Bariţiu, Georgiu (ed.) (1879), Catechismul calvinesc inpusu clerului şi poporului românesc sub domnia
principilor Rakoczy I şi II, Sibiu, Tipografia lui W. Krafft.
Bărbulescu, I. (1904), Fonetica alfabetului cirilic în textele române din secolul XVI şi XVII în legătură cu
monumentele paleo-, sârbo-, bulgaro-, ruso-, şi româno-slave, Bucureşti, Tipografia « Universi-
Bogdan, Ioan (1915), Sămile mănăstirilor de ţară din Moldova pe anul 1742, Buletinul Comisiunii
istorice a României, I, Bucureşti, 217–279.
Byck, J. (1930), Texte româneşti vechi, Bucureşti, Editura Socec.
Byck, J. (ed.) (1943), Varlaam, Cazania 1643, Bucureşti, Fundaţia regală pentru literatură şi artă.
Candrea, I.-A. (ed.) (1916), Psaltirea Scheiană comparată cu celelalte psaltiri din sec. XVI şi XVII
traduse din slavoneşte, I–II, Bucureşti, Atelierele grafice Socec & Co., Societate anonimă.
Cartojan, N. (ed.) (1922), Alexandria în literatura românească. Noi contribuţii, Bucureşti, « Cartea
românească ».
Cartojan, N. (1929), Cel mai vechiu zodiac românesc : Rujdeniţa popii Ion Românul (1620), Dacoroma-
nia V, 1927–1928.
Cândea, Virgil (1964), Nicolae Milescu şi începuturile traducerilor umaniste în limba română, Limbă şi
literatură VII, 29–76.
Chiari, Alberto (1951), La edizione critica, Problemi ed orientamenti critici di lingua e di letteratura
italiana II, Milano, Marzorati, 231–295.
Chivu, Gheorghe, (ed.) (1993), Codex Sturdzanus, [Bucureşti], Editura Academiei Române.
Chivu, G. (ed.) (2008), Dictionarium valachico-latinum. Primul dicţionar al limbii latine, Bucureşti,
Editura Academiei Române.
126 Alexandru Mareş
Cipariu, Tim. (1858), Crestomatia seau analecte literarie, Blaj, cu tipariul seminariului.
Cipariu, Tim. (1860), Elemente de poetică, metrică şi versificaţiune, Blaj, cu tipariul seminariului.
Costinescu, Mariana (ed.) (1981), Codicele Voroneţean, Bucureşti, Editura Minerva.
Costinescu, Mariana (1982), Versiunile din secolul al XVI-lea ale Apostolului. Probleme de filiaţie şi
localizare, in : Cele mai vechi texte româneşti. Contribuţii filologice şi lingvistice, Bucureşti,
Bucureşti/Leipzig/Viena.
Drăganu, N. (1922a), Un fragment din cel mai vechi Molitvenic românesc, Dacoromania II, 254–326.
Drăganu, N. (1922b), Cea mai veche carte Rákóczyană, Anuarul Institutului de Istorie Naţională I, Cluj,
161–278.
Drăganu, N. (1927), Mihail Hadici (Contribuţie la istoria culturală românească din sec. XVII), Dacoro-
mania IV, Ie partie, 1924–1926, Cluj, 77–168.
Drăganu, N. (1941), Transcrierea textelor chirilice, Răvaşul I, 46–59.
Drimba, Vladimir (1985), Ediţie diplomatică şi ediţie critică, Memoriile Secţiei de Ştiinţe Filologice,
Literatură şi Arte, IVe série, t. VII, 85–92.
Eeden, Willem van (ed.) (1985), Învăţături preste toate zilele (1642), vol. I–II, Amsterdam, Rodopi.
Ferro, Teresa (2004), Activitatea misionarilor catolici italieni în Moldova (sec. XVII–XVIII), Bucureşti,
Editura Academiei Române.
Gaster, M. (1891), Crestomatie română, vol. I–II, Leipzig, Bucureşti, F.A. Brockhaus, Socec & Co.
Găluşcă, Constantin (1913), Slavisch-rumänisches Psalterbruchstück, Halle, Niemeyer.
Georgescu, Magdalena (ed.) (1996), Sindipa, Cele mai vechi cărţi populare în literatura română, I,
Bucureşti, Editura Minerva.
Gherman, Alin-Mihai (ed.) (2011), Evanghelie învăţătoare (Govora, 1642), Bucureşti, Editura Academiei
Române.
Gheţie, Ion (1974), Începuturile scrisului în limba română. Contribuţii filologice şi lingvistice, Bucureş-
ti, Editura Academiei Republicii Socialiste România.
Gheţie, Ion (1975), Baza dialectală a românei literare, Bucureşti, Editura Academiei Republicii Socia-
liste România.
Gheţie, Ion (1976), Moldova şi textele rotacizante, Limba română XXV, nr. 3, 257–268.
L’édition des textes roumains anciens 127
Gheţie, Ion (ed.) (1982a), Fragmentul Todorescu. Texte româneşti din secolul al XVI-lea, [Bucureşti],
Editura Academiei Republicii Socialiste România.
Gheţie, Ion (1982b), Contribuţii la localizarea psaltirilor româneşti din secolul al XVI-lea, in : Cele mai
vechi texte româneşti. Contribuţii filologice şi lingvistice, Bucureşti, [Universitatea din Bucureşti],
147–181.
Gheţie, Ion/Mareş, Al. (1974), Introducere în filologia românească. Probleme, metode, interpretări,
Bucureşti, Editura enciclopedică română.
Gheţie, Ion/Teodorescu, Mirela (edd.) (2005), Psaltirea Hurmuzaki, vol. I–II, Bucureşti, Editura Acade-
miei Române.
Giuglea, G. (1910–1911), Psaltirea Voroneţeană, Revista pentru istorie, arheologie şi filologie XI,
444–467, XII, 194–209, 475–487.
Giurescu, C. (ed.) (1913), Letopiseţul Ţării Moldovei de la Istratie Dabija până la domnia lui Antioh
Cantemir 1661–1705, Bucureşti, Socec.
Giurescu, C. (ed.) (1914), Miron Costin, De neamul moldovenilor, din ce ţară au ieşti strămoşii lor,
Bucureşti, Atelierele grafice Socec & Co., Societate anonimă.
Giurescu, C. (ed.) (1916), Letopiseţul Ţării Moldovei până la Aron vodă (1359–1595), întocmit după
Grigore Ureche Vornicul, Istratie Logofătul şi alţii, Bucureşti, Atelierele grafice Socec.
Giurescu, Constantin C. (ed.) (1939), Gligorie Ureche şi Simion Dascălul, Letopiseţul Ţării Moldovei
până la Aron Vodă (1359–1595), « Scrisul românesc » S.A. Craiova.
Goţia, Anton (ed.) (1984), Ioan Zoba din Vinţ, Sicriul de aur, Bucureşti, Editura Minerva.
Grecianu, Ştefan D. (ed.) (1906), Radu Greceanu, Viaţa lui Constantin vodă Brâncoveanu, Bucureşti,
Inst. de arte grafice Carol Göbl.
Hasdeu, B.P. (1864a), Luca Stroici părintele filologiei latino-române, Bucureşti, Imprimeria Cesar
Boliac.
Hasdeu, B.P. (1864b), Introducerea, Archiva istorică a României, I, nr. 1, 1–3.
Hasdeu, B.P. (1878–1879), Cuvente den bătrâni, I–II, Bucureşti, Noua Typografie Naţională
C. N. Rădulescu.
Hasdeu, B.P. (ed.) (1881), Psaltirea publicată româneşte la 1577 de diaconul Coresi, Bucureşti, I,
Tipografia Academiei Române.
Hasdeu, B.P. (1891), Anonymus Lugoshiensis. Cel mai vechi dicţionar al limbei române, după manu-
scriptul din biblioteca Universităţii din Pesta, Columna lui Traian, VI, 406–429.
Ilieş, Aurora (ed.) (1970), Radu logofătul Greceanu, Istoria domniei lui Constantin Basarab Brâncovea-
nu voievod (1688-1714), Bucureşti, Editura Academiei Republicii Socialiste România.
Iordan, Iorgu (ed.) (21959), Ion Neculce, Letopiseţul Ţării Moldovei şi O samă de cuvinte, Bucureşti,
Editura de stat pentru literatură şi artă.
Iordan, Iorgu (1960), Între istorie, filologie şi lingvistică, Limba română, IX, 1960, nr. 2, 22–28.
Iorga, N. (1898), Documente nouă, în mare parte româneşti, relative la Petru Şchiopul şi Mihai
Viteazul, Analele Academiei Române, Mémoires de la section d’histoire, IIe serie, t. XX, 1–68.
Iorga, N. (1899–1900), Documente româneşti din Archivele Bistriţei, I–II, Bucureşti, Editura Librăriei
Socec & Comp.
Iorga, N. (ed.) (1901), Operele lui Constantin Cantacuzino, Bucureşti, Minerva.
Iorga, N. (ed.) (1902), Constantin Căpitanul Filipescu, Istoriile domnilor Ţării Româneşti cuprinzând
istoria munteană de la început până la 1688, Bucureşti, I.V. Socec.
Isopescu, Claudiu (1925–1926), O predică românească ţinută la Roma, Codrul Cosminului I, 277–284.
Király, Francisc (2003), Mihail Halici-tatăl, Dictionarium valachico-latinum [Anonymus Caransebesien-
sis], [Timişoara], Editura First.
Kogălniceanu, M. (1845, 1846, 1852), Letopisiţile Ţării Moldovii, I–III, Iaşi, La cantora foaiei săteşti.
Kogălniceanu, Michail (1872), Cronicele séu letopiseţele Moldovei şi Valahiei, Bucureşti, Imprimeria
Naţională.
128 Alexandru Mareş
Longinescu, S.G. (1912), Legi vechi româneşti şi izvoarele lor. Anciennes lois roumaines et leurs
sources. I, Bucureşti, Inst. de arte grafice Carol Göbl.
Mareş, Al. (ed.) (1969), Liturghierul lui Coresi, Bucureşti, Editura Academiei Republicii Socialiste
România.
Mareş, Alexandru, et al. (edd.) (1994), Crestomaţia limbii române vechi, Volumul I (1521–1639),
964–967.
Noul Testament. Tipărit pentru prima dată în limba română la 1648 de către Simion Ştefan, Alba Iulia,
Editura Episcopiei Ortodoxe Române, 1988.
Onu, Liviu (ed.) (1967), Grigore Ureche, Letopiseţul Ţării Moldovei. Bucureşti, Editura Ştiinţifică.
Onu, Liviu (1972), Despre oportunitatea unor metode riguroase în editarea textelor româneşti vechi,
Analele Universităţii Bucureşti, Limba şi literatura română, XXI, nr. 1, 2, 107–122.
Onu, Liviu (1973), Critica textuală şi editarea literaturii române vechi, Bucureşti, Editura Minerva.
Onu, Liviu/Şapcaliu, Lucia (edd.) (1984), Herodot, Istorii, Bucureşti, Editura Minerva.
Oţetea, A. (1958), Problema editării textelor vechi, Studii privind relaţiile româno-ruse şi româno-
sovietice, Bucureşti, 18–29.
Pamfil, Viorica (1959), În legătură cu editarea textelor noastre chirilice, Cercetări de lingvistică, IV,
201–207.
Pamfil, Viorica (ed.) (1968), Palia de la Orăştie 1581–1582, Bucureşti, Editura Academiei Republicii
Socialiste România.
Panaite, Oana (ed.) (2007), Leastviţa sau Scara raiului de Ioan Scărarul, Iaşi, Trinitas.
Panaitescu, P.P. (1938), Metoda de publicare a documentelor, Revista istorică română, VIII, 399–345.
Panaitescu, P.P. (ed.) (1955), Grigore Ureche, Letopiseţul Ţărâi Moldovei, [Bucureşti], Editura pentru
literatură şi artă.
Panaitescu, P.P. (ed.) (1958a), Miron Costin, Opere, [Bucureşti], Editura de stat pentru literatură şi
artă.
Panaitescu, P.P. (ed.) (21958b), Grigore Ureche, Letopiseţul Ţării Moldovei, [Bucureşti], Editura de stat
pentru literatură şi artă.
Panaitescu, P.P./Verdeş, I. (edd.) (1965), Dimitrie Cantemir, Istoria ieroglifică, I–II, Bucureşti, Editura
pentru literatură.
Pantaleoni, Daniele (2008), Texte româneşti vechi cu alfabet latin : Psalterium Hungaricum în traduce-
Picillo, Giuseppe (1987), Il ms. romeno Asch 223 di Göttingen (sec. XVIII), Travaux de linguistique et de
littérature XXV, 1, 7–148.
Picillo, Giuseppe (ed.) (1991), Testi romeni in alfabeto latino (secoli XVI–XVIII), Catania, Cooperativa
Universitaria Editrice Catanese di Magistero.
Picillo, Giuseppe (1992–1993), Il « Katechismu krestinescu » di Silvestri Amelio (1719). Balkan-Archiv
17–18, 433–538.
Picot, Émile (ed.) (1878), Gregoire Urechi, Chronique de Moldavie depuis le milieu du XIVe siècle
jusqu’a à l’an 1594, Paris, Ernest Leroux.
Popovici, I.N. (ed.) (1911), Chronique de Gligorie Ureache, Bucarest, Imprimerie Coopérative « Popo-
rul ».
Pravila bisericească numită cea mică, tipărită mai întâiu la 1640, în Mănăstirea Govora, publicată
acum în transcripţiune cu litere latine de Academia Română, Bucureşti, Tipografia Academiei
Române, 1884.
Psaltirea de la Alba Iulia 1651, tipărită acum 350 de ani sub păstorirea lui Simion Ştefan, mitropolitul
Ardealului, Alba Iulia, Reîntregirea, 2001.
Pumnul, Aron (1862–1865), Lepturariu rumânesc cules den scriptori rumâni, I–III, Viena, La c.r. editură
a cărţilor scolastice.
Puşcariu, Sextil/Procopovici, Alexie (edd.) (1914), Diaconul Coresi, Carte cu învăţătură (1581), Bucu-
reşti, Atelierele grafice Socec & Co., Societate anonimă.
Rădulescu, Andrei, et al. (edd.) (1961), Carte românească de învăţătură, [Bucureşti], Editura Academiei
Şăineanu, L. (21895), Istoria filologiei române cu o privire asupra ultimelor decenii (1870–1895),
Bucureşti, Editura librăriei Socec & Comp.
Ştrempel, Gabriel (ed.) (1972), Antim Ivireanul, Opere, Bucureşti, Editura Minerva.
Ştrempel, Gabriel (ed.) (1976), Ceasornicul domnilor. Traducere din limba latină de Nicolae Costin,
Bucureşti, Editura Minerva.
Ştrempel, Gabriel (ed.) (1982), Ion Neculce, Opere. Letopiseţul Ţării Moldovei şi O samă de cuvinte,
Bucureşti, Editura Minerva.
Ştrempel, Gabriel (ed.) (1998–1999), Cronograf tradus din greceşte de Pătraşco Danovici. Studiu
introductiv de Paul Cernovodeanu, I–II, Bucureşti, Editura Minerva.
Tagliavini, Carlo (1927), Un frammento di terminologia italo-romena ed un dizionarietto geografico
dello Stolnic Cost. Cantacuzino, Revista filologică I, 167–184.
Tagliavini, Carlo (1929–1930), Alcuni manoscritti romeni sconosciuti di missionari cattolici italiani in
Moldavia (sec. XVIII), Studi rumeni VI, 71–104.
Tagliavini, Carlo (1930), Il « Lexicon Marsilianum ». Dizionario latino-rumeno-ungherese del sec. XVII,
irrécusable. Cet article veut cependant démontrer qu’une division catégorique entre
ces deux disciplines ne peut pas être de mise dans le domaine de l’édition des textes.
Ainsi une répartition des travaux, littéraires d’un côté et linguistes de l’autre, en
fonction de l’objet auquel ils s’intéressent (textes littéraires/textes non-littéraires) est
régulièrement démentie par la pratique des éditeurs de textes. De même, il faut bien
admettre que la distinction entre deux niveaux d’analyse – la forme linguistique du
texte qui concernerait le linguiste / le contenu de l’œuvre qui relèverait de la compé-
tence du littéraire – est tout autre que nette. Enfin, pour ce qui concerne les méthodes
de l’édition, il serait simpliste (sinon erroné) d’opposer les éditions « imitatives » à
raires. L’article se termine par une mise en garde : si la linguistique romane veut rester
une discipline « historique », elle devra veiller à ne pas abandonner les compétences
ecdotiques, qui seules lui permettent de s’assurer de ses propres bases empiriques.
cursive, variante
recherche philologique stricto sensu ou, avec un néologisme de plus en plus courant,
l’ecdotique, occupe donc une place intermédiaire entre la linguistique et l’histoire de
la littérature.
La fonction charnière de l’ecdotique implique que l’on peut la subdiviser à son
tour en deux approches complémentaires : pour Adolf Tobler, qui a fourni une
Gestalt ») d’un texte ; et, de l’autre côté, elle est Hermeneutik, dans la mesure où elle
recueille toutes les informations (d’ordre grammatical, lexical, culturel etc.) qui
peuvent être utiles à la compréhension du texte en question (Tobler 21904–1906, 319).
132 Raymund Wilhelm
Il n’y a pas de doute que la philologie ainsi définie constitue la base aussi bien de la
recherche linguistique que de l’histoire de la littérature. Autrement dit, dans la
conception de Gröber et de Tobler, l’ecdotique est le lien entre les études linguistiques
et les études littéraires, puisqu’elle présuppose les deux compétences en même
temps.
1.2 Aujourd’hui, nous sommes bien loin d’une telle conception de la philologie
romane. La séparation entre linguistique et études littéraires semble un fait incontour-
nable (et irrémédiable). Le haut degré de spécialisation dans les deux domaines
semble d’ailleurs rendre illusoire toute ambition de réunir les deux compétences en
un seul chercheur.
Plus grave encore est un autre fait : les deux branches de la philologie romane
(Das Besondere und das Allgemeine, comme on lit dans le sous-titre de l’article cité)
concerne les bases mêmes de notre discipline : une science historique (l’histoire de la
précis et susceptible d’être compris à l’aide de procédés bien définis. Depuis plusieurs
décennies on constate en effet, dans un nombre considérable de recherches littéraires,
des orientations qui, au lieu de se pencher sur l’exégèse des grands textes du passé, se
dédient plutôt à l’histoire de leur réception ou les prennent comme supports pour des
considérations d’un autre ordre comme, par exemple, l’histoire des mentalités ou les
cultural studies. Le texte littéraire, dans certaines orientations méthodologiques (par-
mi lesquelles on citera aussi le « déconstructionisme »), risque de ne plus servir que
de prétexte pour des réflexions, certes fort intéressantes, mais qui semblent parfois
difficilement contrôlables.2
1 Pour les bases épistémologiques, qu’il n’est pas possible de discuter ici, cf. Coseriu (1958). Une
réponse détaillée aux thèses de Meisel/Schwarze (2002) se lit dans Kramer (2004) ; et cf. aussi, dans
paese in cui è stata concepita la Romanische Philologie, oggi, è lasciata piuttosto in disparte, a
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 133
1.3 Une telle situation – décrite ici de façon simplifiée et même caricaturale – a bien
sûr des conséquences quant à la place à attribuer à l’ecdotique, c’est-à-dire à la
théorie et à la pratique de l’édition de texte, au sein de la philologie romane. Le
constat formulé il y a quelques années par Frédéric Duval (2006b, 129) est net : « En
France, la fracture profonde entre linguistique et littérature (qui s’est souvent doublée
d’une opposition idéologique et politique) a gravement nui à la philologie ». Et le
diagnostic peut être étendu à d’autres pays, comme les pays de langue allemande
notamment.3 Au lieu de servir de trait d’union entre la linguistique et les études
littéraires, la philologie textuelle semble divisée elle-même entre une orientation
linguistique et une orientation littéraire, si bien qu’il faudrait distinguer entre les
éditions à l’usage des linguistes et les éditions à l’usage des littéraires.
Par la suite je vais discuter cette vision plutôt « pessimiste » à partir de trois
(1) Les spécialistes de littérature préparent l’édition de textes littéraires, les linguis-
tes, de textes non-littéraires.
(2) Les spécialistes de littérature, dans leurs éditions, se concentrent sur le contenu
(les leçons, la substance) du texte, les linguistes s’intéressent uniquement à sa
forme linguistique.
(3) Les spécialistes de littérature préparent des éditions « reconstructionnistes », les
cultori si rendessero conto ch’essa non può prescindere dalla filologia e che la sua corretta applica-
zione esige una preparazione che va ben al di là delle modeste competenze di chi attualmente la
esercita ».
3 Cf. aussi Zinelli (2006, 101), à propos de la situation italienne : « Le clivage institutionnel grandissant
qui sépare les historiens de la littérature des historiens de la langue est en train de déterminer une
séparation des compétences qui ne sera pas sans conséquences sur le terrain même de l’édition ». – Il
faut ajouter pourtant qu’en Italie, l’enseignement de la Storia della lingua italiana prend largement en
considération l’histoire de la littérature, si bien qu’un dialogue entre les deux disciplines (linguistique
et études littéraires) y trouve un lieu institutionnel, qui manque complètement dans d’autres pays.
134 Raymund Wilhelm
ment consacrés aux textes pratiques, terrain principalement réservé aux historiens de
la langue » (cf. aussi Duval 2006a, 19s.).
En réalité, les choses ne sont pas si simples. Une division des travaux entre
littéraires et linguistes en fonction de l’objet de leurs soins (textes littéraires / textes
non-littéraires) est régulièrement démentie par la pratique des éditeurs de textes.
Considérons les trois points suivants.
2.1 En premier lieu, il est indéniable que pour beaucoup de textes médiévaux la
catégorie moderne de « littérarité » n’est pas pertinente. Le caractère littéraire ou non-
littéraire d’un texte n’est donc pas très approprié, et certainement pas suffisant, pour
classifier les types de textes du Moyen Âge.
Pensons aux textes scientifiques, par exemple les grandes encyclopédies comme
le Lucidaire, le Secret des secrets, le Livre dou Tresor etc. Les éditions de ces textes sont
élaborées aussi bien par des littéraires, comme Doris Ruhe (1993) pour le Second
Lucidaire, que par des linguistes, spécialement des lexicographes, comme Yela
Schauwecker (2007) pour le Secretum secretorum de Jofroi de Waterford, ou encore
Pietro Beltrami et son équipe (2007) pour le Trésor de Brunet Latin.
Et pensons encore aux poèmes hagiographiques : ce n’est certainement pas la
forme versifiée qui nous permet d’attribuer un caractère littéraire aux vies de Saint,
qui constituent un des genres les plus diffusés dans toutes les langues vernaculaires
du Moyen Âge. Si aujourd’hui on a tendance à inclure un certain nombre de vies ou de
miracles dans le canon littéraire, c’est essentiellement grâce à leurs auteurs, comme
Rutebeuf, Gonzalo de Berceo ou, dans une moindre mesure (à cause de sa « margina-
littéraire ») est certainement légitime, mais il ne faut pas oublier qu’elle ne correspond
nullement à la perception des auteurs et des lecteurs du Moyen Âge, puisque la notion
de « littérarité » ne sera établie que beaucoup plus tard. Paul Zumthor a écrit des
pages stimulantes à cet égard. Selon l’auteur de La lettre et la voix, « le ‹ roman › seul,
parmi les pratiques poétiques du XIIe siècle, du XIIIe, du XIVe encore, dans une
moindre mesure du XVe siècle, entre (en forçant un peu, mais sans trop de mal) dans
le cadre à la fois idéal et pragmatique que désigne notre terme de littérature »
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 135
(Zumthor 1987, 311). Et, pour Zumthor, il en découle une conséquence nette : « L’un
tés.4
2.2 Même si nous nous basons sur le concept de littérature au sens moderne, la
répartition des tâches entre littéraires et linguistes est loin d’être nette. Les œuvres
d’auteurs médiévaux auxquelles on a attribué par la suite une valeur littéraire jouent
souvent un rôle important dans la culture d’un pays et dans la construction de
l’identité nationale ; pour cette raison il est d’un intérêt capital de savoir dans quelle
langue des auteurs comme Chrétien de Troyes, Ramon Llull ou Dante Alighieri ont
écrit leurs œuvres : il s’agit ici d’un problème de l’histoire linguistique qui a des
guistico della Commedia (2010). Comme pour les autres œuvres du poète italien, nous
ne connaissons pas de manuscrit autographe de la Commedia. La tradition la plus
ancienne du chef-d’œuvre de la littérature italienne provient de l’Italie du Nord. On
peut même supposer un archétype « emiliano-romagnolo » de la Commedia (Trovato
2010, 78). Et rappelons que Dante a quitté sa ville natale en 1301 et qu’il termine son
poème à Ravenne, où il meurt en 1321. Dans les décennies qui ont suivi la mort du
poète, des copistes de Toscane ont transposé en florentin les formes septentrionales ;
Mais dans quelle mesure cette langue « florentinisée » après coup correspond-elle
simple. Trovato propose l’argumentation suivante : toutes les fois qu’un manuscrit de
l’Italie du Nord (par exemple U, daté 1352) conserve une forme florentine, son
témoignage est particulièrement précieux ; à la différence des formes florentines
contenues dans les manuscrits toscans, il ne s’agit pas ici du résultat d’une « trans-
position » attribuable à quelques copistes mais, avec une bonne probabilité, d’une
forme déjà présente dans le texte de Dante (ibid., 80). Le raisonnement est illustré par
des exemples ponctuels. Prenons la distribution de formes comme ternaro/ternaio,
cavrara/capraia : curieusement les formes septentrionales (ternaro et cavrara) sont
attestées par les manuscrits florentins, tandis que les formes florentines se trouvent
dans l’U septentrional. Or, dans un cas de figure pareil, force est de conclure que les
manuscrits florentins dépendent de modèles plus fortement « septentrionalisés »,
2.3 Ajoutons un aspect de caractère plus général. Les linguistes s’intéressent de plus
en plus aux variantes qui se produisent dans la transmission d’un texte médiéval.
Ainsi Thomas Verjans a proposé de considérer les variantes philologiques comme
« autant de possibilités permises par le système qu’est la langue » et de les analyser
comme des « indices d’une évolution en cours » (Verjans 2012, 91s.). L’approche est
VINT corant au sié / A Monloon en EST VENUS au sié (ibid., 341) – permettent, en effet,
de reconnaître des équivalences partielles entre certains tiroirs verbaux. L’analyse
aboutit ainsi à un modèle qui démontre que « chacune des formes possède une
6 Cf. entre autres Inglese (2009) ; et cf. aussi les études réunies dans Tonello/Trovato (2013).
7 Cf. aussi Manni (2013, 95) : « Prima di qualsiasi ricognizione sulla lingua della Commedia, specie
sotto il profilo fonomorfologico, s’impone la necessità di riflettere sulla situazione testuale e sulle
scelte editoriali che – in assenza di autografi – hanno il compito delicatissimo di restituire un testo che
si avvicini quanto più possibile al colorito linguistico dell’originale ».
8 Cf. aussi les réflexions de Gorni (1998) sur la restitution formelle de la Vita Nova : selon Gorni il ne
s’agit pas de « reconstruire » la forme originelle, mais de récupérer tout ce qui a été conservé de la
gamme de possibilités qui se recouvrent partiellement » (ibid., 349) (cf. aussi l’étude
le texte copié » (Greub 2007, 431). Il devient donc possible d’instaurer un rapport
« Dans le cas des textes fréquemment copiés, la langue dans laquelle ils apparaîtront
le plus souvent (et de plus en plus) sera précisément cette langue neutralisée » (ibid.,
432). L’hypothèse reste à vérifier, surtout en ce qui concerne son application à d’autres
langues romanes. Mais il ne fait aucun doute que les linguistes ont intérêt à prendre
systématiquement en charge les variantes étudiées par les philologues et documen-
tées dans les éditions : les variantes linguistiques mises à disposition par les philolo-
Essayons de formuler une première conclusion. Nous avons vu que l’idée d’une
séparation nette des « objets » de recherche (c’est-à-dire des textes à éditer) – textes
tant que notion moderne, n’est pas sans poser des problèmes quand il s’agit d’élabo-
rer une classification des textes médiévaux. Ensuite l’exemple de Dante a pu illustrer
le fait que les historiens de la langue ont un intérêt fondamental pour la langue des
« grands auteurs » et qu’ils doivent évidemment collaborer à l’édition des grands
textes littéraires. Enfin si les linguistes s’intéressent aux variantes dans la transmis-
sion des textes, s’ils étudient la « dynamique » linguistique, c’est surtout aux textes
littéraires qu’ils doivent s’adresser parce que ceux-ci ont une tradition souvent très
riche et particulièrement bien étudiée.
compte (cf. Zinelli 2006, 101). Cependant, à y regarder de plus près, la distinction
entre la « forme » et le « contenu » d’un texte s’avère problématique à plusieurs
égards.
138 Raymund Wilhelm
9 Dans ce qui suit je résume quelques arguments proposés dans Wilhelm (2013a, 4–8).
10 Cf. aussi Leonardi (2011, 32) qui, en discutant le problème de la surface du texte, pose la question
de savoir « quali debbano essere i limiti di questa facies, quale la tipologia dei fatti che rientrano
nell’ambito di ciò che definiamo la forma linguistica di un testo […] (non solo grafia e fonetica, ma
anche – fino a che punto ? – morfologia, ordine delle parole, ecc.) ».
(31994) nous pouvons distinguer en effet entre, d’un côté, le plan linguistique – dans le
sens de einzelsprachlich, c’est-à-dire ‘propre à un système linguistique particulier’, de
la phonologie à la morphologie, à la syntaxe et aux structures transphrastiques – et
de l’autre côté le plan discursif, ce plan où on étudie les traditions discursives : les
manuscrit Ambrosiano N 95 sup (ca 1430) que dans le manuscrit Trivulziano 92 (ca
1490). Les deux textes sont très proches, mais ils ne dérivent pas l’un de l’autre, même
si dans le cas que je vais citer c’est certainement le témoin plus tardif (ou son modèle)
qui ajoute l’expression sans avoir égard à la métrique :
forme au nom de Dieu n’est pas spécifique d’une langue particulière ; il s’agit d’une
12 Pour le modèle des traditions discursives cf. les études réunies dans Lebsanft/Schrott (2015) ; pour
le caractère übereinzelsprachlich (‘transversal aux langues particulières’) des formules cf. Wilhelm
(2013c).
140 Raymund Wilhelm
tradition qui est certainement liée à des contextes culturels précis, mais qui traverse
librement plusieurs traditions linguistiques. Nous nous trouvons en face d’une tradi-
tion discursive.
Si l’on tient distincts les deux plans, on peut admettre sans problème qu’une
copie innovatrice au niveau linguistique peut être conservatrice au niveau discursif,
et vice versa qu’une copie qui change profondément la structure discursive peut
conserver la variété linguistique de son modèle.
13 Cf. aussi Wilhelm (2011) ; un tableau similaire, basé pourtant sur une approche linguistique
différente, la théorie linguistique de Roman Jacobson, a été proposé par Barbato (2013, 195).
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 141
Les interventions sur le plan de la langue peuvent être situées entre deux pôles
que j’appelle ici la « copie fidèle », qui constitue évidemment une idéalisation, et la
tique ». Entre ces pôles nous pouvons distinguer, en réinterprétant les catégories
ment distincts, mais plutôt d’un continuum de possibilités. En plus il faut prévoir aussi
le cas de variantes linguistiques diatopiquement neutres, qui pourraient être considé-
rées dans la dimension diastratique ou diaphasique.
De façon non moins évidente, les différentes formes d’intervention sur le plan du
discours constituent, elles aussi, une gamme de transformations qui se superposent
partiellement les unes aux autres. Il semble quand même possible de distinguer, de
nouveau avec Klein (2009), plusieurs types assez facilement reconnaissables. Ainsi,
on peut parler de « remaniement » dans le cas d’interventions qui affectent des parties
texte. Il n’est pas toujours facile d’établir jusqu’à quel degré d’interventions nous
avons encore à faire au « même texte » – et à partir de quel moment nous nous
trouvons en face d’un lien plus faible entre deux textes différents. Ce qui est en jeu ici,
c’est la démarcation entre l’identité textuelle d’une part, et l’intertextualité de l’au-
tre.14
On peut supposer qu’un « texte d’auteur » se retrouvera plutôt en haut et du côté
gauche du schéma, puisque dans le cas d’un texte doté d’une grande autorité, le
copiste cherchera probablement à minimiser ses interventions, tandis qu’un texte
anonyme et considéré comme appartenant au patrimoine commun – un texte « tradi-
14 Le problème a été discuté aussi par Trachsler (2013) à propos des différentes versions de l’Histoire
ancienne jusqu’à César.
142 Raymund Wilhelm
linguistique cosérienne, telle que je l’ai proposée ici, nous montre entre autres que
toutes les interventions du copiste sont intéressantes pour le linguiste : si les variantes
peut certainement pas se limiter au mot isolé, mais il doit prendre en considération le
« contexte » et, en fin de compte, le sens du texte entier. La lexicographie, et surtout
transphrastique, n’ont guère leur place actuellement dans les éditions » (Duval
2006b, 146). Ce fait est d’autant plus déplorable que le niveau d’analyse concerné, la
« textualité », qui peut varier d’un manuscrit à l’autre, est sans aucun doute important
15 ↗15 L’art du glossaire d’édition. Duval (2006a, 15) : « Les relations entre linguistique et philologie
ont surtout été abordées au travers de la lexicographie ». Cf. aussi le point de vue plus pessimiste de
Lebsanft (2012, 176) : « Du côté de la linguistique historique, ce sont surtout les grands projets de
lexicographie historique qui maintiennent l’intérêt pour les études médiévales, même s’il faut avouer
que cet intérêt est très relatif et qu’il occupe une position plutôt marginale dans l’enseignement
universitaire ». Rappelons que Lebsanft, dans l’article cité, s’interroge sur « la place de la philologie
romane comme ‹ science › de l’édition de textes » dans le contexte allemand (ibid., 161).
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 143
Ceci signifie pourtant que le dépouillement du texte, tel qu’il est toujours très en
vogue dans la philologie italienne, ne reflète guère les tendances actuelles de la
linguistique historique, dont les intérêts dépassent depuis longtemps la phonologie et
la morphologie. Ce qui est particulièrement urgent en ce moment, c’est une réflexion
sur comment concilier l’instrument traditionnel du spoglio linguistico avec les acquisi-
tions plus récentes de la syntaxe historique et de la linguistique textuelle.
Constatons donc une séparation indéniable des intérêts, à l’intérieur de l’ecdo-
tique, entre linguistes et littéraires. Pourtant il faut admettre que la distinction entre le
domaine du linguiste (la forme) et le domaine du spécialiste de littérature (le contenu
de l’œuvre) est tout autre que nette. Soulignons surtout le point suivant : dans la
4 Éditions « reconstructionnistes » /
éditions « imitatives »
Il semble évident que le linguiste ne peut pas se baser sur un texte « reconstruit », sur
un remake, il demandera par contre une édition qui reproduise, sous la forme la plus
fidèle possible, un seul manuscrit ;16 le littéraire, lui, qui s’intéresse en premier lieu à
l’auteur et à l’œuvre, sera beaucoup plus disposé à accepter des éditions composites
qui, sur la base des manuscrits disponibles, essaient de s’approcher du texte « origi-
nal ».
« Il est certain que les linguistes ont besoin désormais d’alimenter des bases textuelles tenant
compte, entre autres, de la ponctuation des manuscrits, des coupures de mots, des allographes et
des abréviations. […] de telles transcriptions ne s’intéressent guère au sens du texte, à son
interprétation globale ou même aux difficultés herméneutiques ponctuelles qu’il peut présenter.
Leur objet principal d’étude n’est plus le texte (qui reste au cœur de la philologie) mais la langue
de ce texte » (Duval 2006a, 16).
16 Cf. Vàrvaro (1997, 39) : « una lingua ricostruita […] è un remake inutilizzabile ».
144 Raymund Wilhelm
centered » (Baker 2010, 436) et donc, dans beaucoup de cas, d’inspiration plus ou
En y regardant de plus près, on se rendra compte cependant, encore une fois, que
nous pouvons parler, en réalité, d’une convergence des deux orientations ici briève-
ment caractérisées.
4.1 En premier lieu, il faut rappeler que l’édition imitative proprement dite a eu peu
de suite, même parmi les linguistes : il s’agit d’une approche tout au plus marginale
même temps un état de langue ; l’édition imitative se concentre par contre sur un
les faits paléographiques, par exemple la distinction entre deux formes de <s>,
relèvent vraiment de l’histoire de la langue. Personne ne mettra en doute, d’ailleurs,
que la distribution de <s> ronde et <s> longue est pertinente pour l’histoire des
systèmes graphiques : il s’agit de relevés certainement intéressants, qui peuvent servir
par exemple à caractériser les différents scribes. Mais on ne voit pas l’utilité, et encore
moins la nécessité, de les introduire dans le texte édité.
Enfin, l’édition imitative risque de négliger l’aspect fondamental de chaque
lecture d’un texte manuscrit : la compréhension. Qui a une connaissance un tant soit
peu approfondie de manuscrits médiévaux (mais au fond la même chose vaut pour
l’écriture manuelle à l’époque moderne) pourra confirmer qu’identifier une suite de
lettres et reconnaître un mot, et donc reconstruire un sens, sont deux opérations
17 Cf. aussi Leonardi (2012, 273) : « l’analisi microlinguistica esige criteri di trascrizione specifici e
totalmente conservatori (basti pensare alle abbreviazioni, o all’identificazione delle parole da distin-
guere graficamente), criteri che possono essere incompatibili con l’inevitabile processo di transcodifica
che è necessario per l’edizione di un testo letterario ».
18 Cf. surtout l’article, plein de qui pro quo, de Overbeck (2003), où l’imprécision de l’argumentation
et le manque d’informations sont mal cachés par un ton singulièrement tranchant.
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 145
texte typographique exige une décision – introduire un blanc entre deux suites de
lettres ou ne pas l’introduire – le scribe dispose de solutions moins tranchées,
intermédiaires. Pour cela, les recherches sur la séparation des mots, qui sont impor-
tantes puisqu’elles nous renseignent sur la conscience linguistique des scribes, ne
peuvent être effectuées que directement sur les manuscrits ; par contre, dans un texte
édité, il n’est pas possible, et même pas souhaitable, de « singer » la pratique manu-
scrite.
4.2 Par un raisonnement similaire, l’éditeur d’un texte médiéval ne peut renoncer à
introduire des signes diacritiques, qui donnent des indices indispensables sur la
fonction grammaticale des mots, et une ponctuation selon les habitudes modernes,
qui rend compte de la structure syntaxique : l’éditeur comprend son texte (du moins
c’est ce qu’on doit souhaiter), et il doit signaler au lecteur son interprétation. C’est là
l’aspect le plus important de la « lisibilité » du texte édité, qui a été décriée à tort par
cules selon l’usage moderne, l’ajout des signes diacritiques et la ponctuation, qui
évidemment seront justifiés dans l’introduction, le commentaire ou le glossaire, nous
donnent à reconnaître l’édition pour ce qu’elle est : une hypothèse sur un état de
langue.
Prenons un exemple simple mais instructif, cité par Philippe Ménard :
« Dans un fabliau du début du XIVe s. […], si l’on transcrit C’est de les veoir grant pitez, on place le
pronom à la forme faible devant un infinitif. C’est déjà de la syntaxe moderne. Si l’on écrit C’est
d’eles veoir grant pitez, on imprime une forme forte et l’on reste (sans doute à tort) dans une
syntaxe archaïque » (Ménard 2003, 67).
Tandis que le copiste écrit <deles>, qui permet les deux lectures, l’éditeur doit décider
entre la forme innovatrice, de les, et la forme traditionnelle, d’eles, qui à l’époque
indiquée constituerait déjà un archaïsme. L’exemple nous montre qu’il ne peut pas y
avoir de transcription « neutre » ou purement mécanique : l’éditeur d’un texte médié-
val doit prendre position, en tant qu’expert du texte dont il élabore l’édition.
L’exemple cité par Ménard n’est certainement pas exceptionnel. Citons encore le
problème assez connu des pronoms sujets de première et de troisième personne du
singulier dans les variétés médiévales de l’Italie du Nord. Puisque les formes e’ ‘je’ et
e’ ‘il’ sont bien documentées, c’est à l’éditeur d’établir dans quels contextes le mot
graphique <che> du manuscrit correspond à che (conjonction ou pronom relatif) ou
bien à ch’ e’ (conjonction / pronom relatif + pronom ‘je’ / ‘il’). Pour prendre un cas
concret : au vers 116 de la Vita di Sant’Alessio de Bonvesin da la Riva, le manuscrit
donne <che fenisca> (‘que je finisse’), et l’éditeur doit décider entre che fenisca, sans
pronom sujet, et ch’ e’ fenisca, avec pronom sujet. Les conséquences d’une telle
décision pour la grammaire historique sont importantes parce que le phénomène est
assez fréquent. L’édition du texte comporte donc inévitablement une hypothèse sur la
syntaxe historique du pronom sujet en ancien lombard (pour plus de détails cf.
Wilhelm 2007).
Il n’y a pas de doute que l’édition d’un texte médiéval est une recherche sui
generis de linguistique historique. En d’autres termes : l’ecdotique est indissociable
4.3 On peut mentionner encore un autre ordre de réflexions, qui suggèrent un rappro-
chement de l’édition faite par un linguiste à des problématiques chères à l’école
« néo-lachmannienne ». Même si le linguiste se base pour son édition sur un seul
manuscrit, il a intérêt à étudier toute la tradition du texte dont il s’occupe.20 C’est dans
ce sens que Cesare Segre répond aux « partisans de Bédier », qui exaltent la valeur
ment, pour pouvoir analyser un manuscrit du point de vue linguistique, nous devons
chercher à distinguer entre ce qui appartient au copiste et ce qui découle, par contre,
de l’exemplaire qu’il est en train de copier. L’enjeu est de pouvoir démêler les
« couches », ou les « strates », qui coexistent dans le texte. Segre a proposé le concept
1976).
Prenons encore un exemple de l’ancien lombard. Dans la Vita di Santa Margarita
de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle (Milan, Bibliothèque Trivulcienne, 93)
nous trouvons deux seuls cas de palatalisation de CT en [tʃ], qui est un des traits les
plus caractéristiques du lombard occidental : elegia et aspegia. Par contre les formes
de la koinè de l’Italie du Nord du type eleta, aspeta sont nettement majoritaires. Or,
pour évaluer correctement ces deux formes dialectales, il est important de savoir que
l’évolution CT > [tʃ] n’est pas attestée dans la tradition antérieure de notre poème,
exception faite pour le manuscrit Ambrosiano N 95 sup, copié à Milan, qui n’est
Pour conclure rappelons que le linguiste se basera généralement sur un seul manu-
scrit et qu’il pourra difficilement prendre en considération une langue « reconstruite »
à la façon du Saint Alexis de Gaston Paris et Léopold Pannier (1872). Mais cela
n’implique nullement que le linguiste puisse renoncer à comprendre son texte et à
rendre compte de son interprétation dans un glossaire et par un « toilettage » appro-
prié, ni qu’il puisse négliger les informations mises à sa disposition par la tradition du
texte étudié, qui souvent se laissent rationaliser dans la forme traditionnelle d’un
stemma.
s’intéressent pas forcément aux mêmes variantes » (Duval 2006b, 143). Mais il faut
une édition cherchera toujours à satisfaire des exigences différenciées et à viser donc
des spécialistes de différents domaines. Cependant il est indéniable qu’une édition
naît d’une interrogation scientifique spécifique, où la séparation entre études littérai-
res et linguistique n’est pas la seule à être en jeu.
21 Le lien entre l’étude du diasystème et la logique du stemma a été souligné aussi par Leonardi (2012,
268) : le diasystème est, en effet, « un sistema […] comprensibile solo a partire dal posto che esso
occupa nella tradizione da cui discende » ; et Leonardi ajoute : « questa prospettiva rende non eludibile
il problema della genealogia, in ultima analisi il problema dello stemma, anche per la valutazione di
ogni singolo testimone ».
148 Raymund Wilhelm
Le nouvel intérêt pour le texte, qui s’annonce çà et là au sein des études linguisti-
ques, pourrait effectivement ouvrir une voie prometteuse pour le rapprochement de
linguistique, ecdotique et littérature.22 Et on pensera ici surtout aux recherches sur les
structures transphrastiques et sur les procédés discursifs, qui peuvent trouver leur
cadre théorique à l’intérieur de la théorie linguistique cosérienne.23 De cette façon
l’ecdotique, la théorie et la pratique de l’édition de texte, pourraient effectivement,
dans le sens de Gröber, servir de lien entre études linguistiques et études littéraires.
L’éditeur d’un texte médiéval serait ainsi un spécialiste des zones de convergence de
linguistique et études littéraires.
Le danger majeur pour l’avenir de l’édition de texte ne consiste peut-être même
pas, en ce moment, dans la séparation entre études linguistiques et littéraires. Ce
qui pourrait se révéler fatal pour notre discipline, c’est en premier lieu la fracture
grandissante à l’intérieur de la linguistique romane même : tandis qu’une linguis-
tique « historique » au sens propre du terme est tout à fait capable de dialoguer avec
la philologie et les études littéraires, il existe au sein des études romanes un fort
courant qui est presque uniquement orienté vers les modèles de la linguistique
générale et qui ne se soucie guère de ses propres bases empiriques (et donc
philologiques).
Ce qu’il nous faut, c’est une linguistique qui prenne au sérieux l’historicité, et
donc l’individualité, de son objet d’étude. Une telle approche, qui se dédie à l’histoire
d’un ensemble de langues historiquement constitué (les langues romanes), ne pourra
renoncer à prendre en charge des textes individuels : elle s’intéressera à la langue des
« grands auteurs », puisque ceux-ci ont joué un rôle fondamental dans l’histoire des
langues « nationales » ; et elle s’intéressera aussi aux transformations subies par des
textes tout au long de leur histoire, puisque ces transformations, qui constituent un
champ particulièrement intéressant pour une linguistique textuelle « historique »,
22 Cf. Duval (2006b, 129) : « Le retour des linguistes au texte et à la sémantique textuelle […] laisse
espérer un rapprochement possible » ; et cf. aussi les renvois aux études de François Rastier et de
1992, 47).
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 149
6 Bibliographie
Albesano, Silvia (2006), Consolatio philosophiae volgare. Volgarizzamenti e tradizioni discorsive nel
Trecento italiano, Heidelberg, Winter.
Andrieux-Reix, Nelly/Monsonégo, Simone (1998), Les unités graphiques du français médiéval :
linguistique dans la tradition manuscrite des textes médiévaux. Actes du congrès international,
Klagenfurt 15–16 novembre 2012, Heidelberg, Winter, 193–211.
Beltrami, Pietro G., et al., (edd.) (2007), Brunetto Latini, Tresor, Turin, Einaudi.
Catach, Nina (1998), Les signes graphiques du mot à travers l’histoire, Langue française 119, 10–23.
Centili, Sara/Floquet, Oreste (2012), Pour une grammaire de la mouvance : Analyse linguistique de
ou traduire. Variation et changement linguistique dans la tradition manuscrite des textes médié-
vaux. Actes du congrès international, Klagenfurt 15–16 novembre 2012, Heidelberg, Winter,
29–37.
Duval, Frédéric (2006a), Introduction, in : Frédéric Duval (ed.), Pratiques philologiques en Europe.
Actes de la journée d’étude à l’École des chartes le 23 septembre 2003, Paris, École des chartes,
5–20.
Duval, Frédéric (2006b), La philologie française, pragmatique avant tout ? L’édition des textes médié-
vaux français en France, in : Frédéric Duval (ed.), Pratiques philologiques en Europe. Actes de la
journée d’étude à l’École des chartes le 23 septembre 2003, Paris, École des chartes, 115–150.
Dworkin, Steven N. (2005), Further reflections on « historical Romance linguistics : the death of a
Gorni, Guglielmo (1998), Restituzione formale dei testi volgari a tradizione plurima. Il caso della « Vita
Gröber (ed.), Grundriß der Romanischen Philologie, vol. 1, Straßburg, Trübner, 186–202.
Holtus, Günter/Völker, Harald (1999), Editionskriterien in der Romanischen Philologie, Zeitschrift für
romanische Philologie 115, 397–409.
Inglese, Giorgio (2009), Filologia dantesca : note di lavoro, Medioevo romanzo 33, 402–414.
150 Raymund Wilhelm
Roberto Antonelli/Paolo Canettieri/Arianna Punzi (edd.), Fra Autore e Lettore. La filologia roman-
za nel XXI secolo fra l’Europa e il mondo, Roma, Viella, 159–180.
Lebsanft, Franz/Schrott, Angela (edd.) (2015), Diskurse, Texte, Traditionen. Methoden, Modelle und
Fachkulturen in der Diskussion, Bonn, Bonn University Press, Vandenhoeck & Ruprecht.
Leonardi, Lino (2011), Il testo come ipotesi (critica del manoscritto-base), Medioevo romanzo 35, 5–34.
Leonardi, Lino (2012), Filologia e Medioevo romanzo, in : Roberto Antonelli/Paolo Canettieri/Arianna
Punzi (edd.), Fra Autore e Lettore. La filologia romanza nel XXI secolo fra l’Europa e il mondo,
Roma, Viella, 257–276.
Llamas Pombo, Elena (2003), Séquences graphiques dans Le Roman de Fauvel (Ms. BNF, f. fr. 146),
Thélème, número extraordinario, 225–236.
Manni, Paola (2013), La lingua di Dante, Bologna, il Mulino.
Meisel, Jürgen M./Schwarze, Christoph (2002), Romanistische Linguistik heute : Das Besondere und
(edd.), Romanische Sprachgeschichte. Ein internationales Handbuch zur Geschichte der romani-
schen Sprachen, vol. 1, Berlin/New York, De Gruyter, 62–71.
Overbeck, Anja (2003), Zur Edition altfranzösischer Texte. Editionspraktische Überlegungen im
Anschluß an die « New Philology », Editio 17, 67–88.
Paris, Gaston/Pannier, Léopold (edd.) (1872), La vie de saint Alexis. Poème du XIe siècle et renouvelle-
ments des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, Paris, Librairie A. Franck.
Roques, Gilles (2009), Chrétien de Troyes. Des manuscrits aux éditions, Medioevo romanzo 33, 5–28.
Rossi, Luciano (2012), Rifondare la disciplina, al di là delle tecniche ?, in : Roberto Antonelli/Paolo
Canettieri/Arianna Punzi (edd.), Fra Autore e Lettore. La filologia romanza nel XXI secolo fra
l’Europa e il mondo, Roma, Viella, 107–121.
Ruhe, Doris (1993), Gelehrtes Wissen, « Aberglaube » und pastorale Praxis im französischen Spät-
mittelalter : der « Second Lucidaire » und seine Rezeption (14.-17. Jahrhundert), Wiesbaden,
Reichert.
Schauwecker, Yela (2007), Die Diätetik nach dem « Secretum secretorum » in der Version von Jofroi de
9e congrès des romanistes scandinaves, Helsinki 13–17 août 1984, Helsinki, Société Néophilolo-
gique, 341–352.
Segre, Cesare (1976), Critique textuelle, théorie des ensembles et diasystème, Bulletin de la classe des
lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique 62, 279–292.
Segre, Cesare (1993), Notizie dalla crisi, Torino, Einaudi.
Segre, Cesare/Speroni, Gian Battista (1991–1992), Filologia testuale e letteratura italiana del Medioe-
vo, Romance Philology 45, 44–72.
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 151
Tobler, Adolf (21904–1906), Methodik der philologischen Forschung, in : Gustav Gröber, Grundriß der
Tonello, Elisabetta/Trovato, Paolo (edd.) (2013), Nuove prospettive sulla tradizione della « Comme-
Trachsler, Richard (2013), L’Histoire au fil des siècles. Les différentes rédactions de l’Histoire ancienne
jusqu’à César, in : Raymund Wilhelm (ed.), Transcrire et/ou traduire. Variation et changement
linguistique dans la tradition manuscrite des textes médiévaux. Actes du congrès international,
Klagenfurt 15–16 novembre 2012, Heidelberg, Winter, 77–95.
Trovato, Paolo (2009), Primi appunti sulla veste linguistica della « Commedia », Medioevo romanzo
33, 29–48.
Trovato, Paolo (2010), Un problema editoriale : il colorito linguistico della Commedia, in : Claudio
Ciociola (ed.), Storia della lingua italiana e filologia. Atti del VII Convegno ASLI Associazione per
la Storia della Lingua Italiana (Pisa/Firenze, 18–20 dicembre 2008), Firenze, Cesati, 73–96.
Vàrvaro, Alberto (1997), La « New Philology » nella prospettiva italiana, in : Martin-Dietrich Gleßgen/
Franz Lebsanft (edd.), Alte und neue Philologie, Tübingen, Niemeyer, 35–42.
Verjans, Thomas (2012), Le linguiste et la variante : quelle(s) leçon(s) en tirer ?, in : Cécile Le Cornec-
1–35.
Wilhelm, Raymund (2011), Lombardische Schreibtraditionen im 14. und 15. Jahrhundert. Zur empiri-
tion – une nouvelle base de données pour la linguistique historique ?, in : Raymund Wilhelm
Wilhelm (ed.), Transcrire et/ou traduire. Variation et changement linguistique dans la tradition
manuscrite des textes médiévaux. Actes du congrès international, Klagenfurt 15–16 novembre
2012, Heidelberg, Winter, 259–292.
Wilhelm, Raymund (2013c), Le formule come tradizioni discorsive. La dinamica degli elementi formula-
ri nella Vita di santa Maria egiziaca (XII–XIV secolo), in : Claudio Giovanardi/Elisa De Roberto
(edd.), Il linguaggio formulare in italiano tra sintassi, testualità e discorso, Napoli, Loffredo,
213–268.
Wilhelm, Raymund/De Monte, Federica/Wittum, Miriam (2011), Tradizioni testuali e tradizioni linguis-
tiche nella « Margarita » lombarda. Edizione e analisi del testo trivulziano, Heidelberg, Winter.
Zinelli, Fabio (2006), L’édition des textes médiévaux italiens en Italie, in : Frédéric Duval (ed.),
Keywords : Queste del Saint Graal, édition électronique, Base de Français Mediéval,
texte (1989). Dans le domaine anglophone, à peu près à la même époque, au début
des années 90, Peter Robinson a commencé son travail sur les manuscrits des
Canterbury Tales (Robinson 2006),2 et Hoyt N. Duggan sur ceux du Piers Plowman
(Gifford Fenton/Duggan 2006).3
shtml>.
2 http://www.canterburytalesproject.org.
3 http://www3.iath.virginia.edu/seenet/piers.
156 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
Chrétien de Troyes par ou sous la direction de Pierre Kunstmann ; ces éditions étaient
reproduire en mode numérisé l’édition imprimée d’un texte, et d’autre part l’édition
électronique, publiée directement uniquement « en ligne », et dotée de spécificités
nouvelles liées au support informatique. Cette ambiguïté est favorisée par l’existence
de grands corpus électroniques composés de textes numérisés à partir d’une édition
imprimée (Base de français médiéval, FRANTEXT et sa partie « Moyen français »,
pour les chercheurs et spécialement les linguistes, ces ressources souffrent de limita-
tions importantes au plan philologique, la plus sérieuse étant l’élimination systéma-
tique de la matière critique (introduction, notes, variantes, glossaire), ce qui oblige
le lecteur à se référer à l’édition source imprimée. En outre, la reproduction et la
diffusion numérique d’un texte déjà édité sous forme papier implique qu’on obtienne
au préalable l’accord des ayants droit ;9 seules les éditions suffisamment anciennes
4 http://www.atilf.fr/dect.
5 Même site : http://www.aatilf.fr/dect.
6 http://www.hrionline.ac.uk/onlinefroissart.
7 http://elec.enc.sorbonne.fr.
8 http://www.bvh.univ-tours.fr/Epistemon.
9 La notion d’édition critique n’existe pas dans la législation française. La question des droits sur le
« texte brut » d’une édition d’un texte ancien fait l’objet actuellement d’un débat juridique. Une récente
Édition électronique de la Queste del saint Graal 157
pour être tombées dans le domaine public sont hors droits, et donc disponibles
librement à la numérisation ; mais, parfois réalisées selon des normes un peu obso-
lètes, ce ne sont pas toujours les meilleures éditions.10 Quant aux textes scannés
(accessibles sur les sites de Gallica ou de Google Books), ils présentent très souvent
des erreurs de reconnaissance optique de caractères (océrisation) qui restent cachées
derrière le facsimilé de l’édition papier qui s’affiche, mais qui empêchent la recherche
précise et exhaustive dans le texte.
Un deuxième facteur explique la rareté des éditions proprement électroniques : ce
fique et universitaire que les éditions imprimées publiées chez des éditeurs consa-
crés. Cette attitude encore réservée à l’égard des éditions électroniques a en partie
sa source dans un quatrième facteur, de nature scientifique celui-ci : alors qu’il
existe depuis près d’un siècle des conventions bien établies pour la réalisation
d’une édition imprimée, et que ces conventions ont été assez régulièrement mises
à jour (Roques 1926 ; Lepage 2001 ; Vielliard/Guyotjeannin 2001), les pratiques de
l’édition électronique restent pour l’instant assez diverses, au point qu’il semble
que pour l’instant au moins, chaque initiative se dote de ses propres normes –
même si l’existence d’un organisme tel que le Consortium international pour les
corpus de français médiéval (CCFM) travaille à rapprocher ces tentatives si diver-
ses.11
décision de la justice française stipule que les choix de l’éditeur scientifique « ne sont pas fondés sur la
volonté d’exprimer sa propre personnalité mais au contraire sur le souci de restituer la pensée et
l’expression d’un auteur ancien », ce qui fait que ce travail ne relève pas du droit d’auteur (jugement
du Tribunal de grande instance de Paris n° RG 11/0144 du 27 mars 2014). Nous sommes néanmoins
convaincus que le travail des éditeurs scientifiques doit être respecté et qu’il n’est pas envisageable de
diffuser sans leur accord les textes qu’ils ont établis.
10 Par exemple, le Corpus de littérature médiévale de Garnier reste essentiellement basé sur les textes
édités par Champion ; pour les autres textes, le choix d’édition semble porter plutôt sur des éditions
Ces facteurs se conjuguant, force est de constater que le numérique est encore
loin de remplacer les éditions imprimées, alors que pour les revues, au contraire, les
médiévistes privilégient déjà l’accès « en ligne » sinon uniquement numérique (Porter
2013, 22). Il faudra dépasser ces obstacles pour que soient levées les réticences à
profiter pleinement des possibilités du numérique.
Concernant les éditions électroniques existantes, la situation actuelle est en fait
complexe et assez diverse, comme le montre l’examen de quelques cas précis. Ainsi,
l’édition du formulaire d’Odart Morchesne (Guyotjeannin/Lusignan 2005),12 par
exemple, est une édition multimédia, et pour cette raison la version électronique reste
très fidèle aux normes de l’édition imprimée : on affiche un seul texte critique avec
des notes en bas d’écran, avec très peu de liens hypertextuels et sans l’image du
manuscrit. Les sources XML-TEI de l’édition sont cependant téléchargeables, ce qui
donne la liberté à l’utilisateur de l’exploiter avec ses propres outils. À l’exception,
notable certes, du fait qu’elle offre la possibilité de télécharger l’édition et ses sources
XML-TEI, ce qui permet de la réutiliser de diverses façons, cette édition ne se distingue
guère de ce qu’aurait été sa réalisation « papier ».
historique s’affiche lorsqu’on clique sur les noms propres du texte et, lorsqu’on
sélectionne un autre mode de lecture, chaque mot devient lui-même un lien vers sa
définition dans le Dictionnaire du Moyen Français. Mais cette ressource reste en
quelque sorte complémentaire de l’édition imprimée initiale (Ainsworth/Croenen
2007). Il s’agit dans la version électronique uniquement de transcriptions des manu-
scrits, et non pas d’une édition critique ou même « courante » ou « normalisée ». Les
éditeurs ne suggèrent aucun manuscrit de base par défaut, et il est nécessaire pour
l’utilisateur de sélectionner l’un des quarante témoins avant de pouvoir commencer la
lecture.
puyant sur les expériences menées dans le cadre d’une collection d’éditions, la
« Collection de la Base de français médiéval » (hébergée à l’ENS de Lyon, désormais
« Collection BFM »), et tout particulièrement sur une entreprise désormais décennale,
d’un manuscrit précis de ce récit (ms. K, conservé à la BM de Lyon), sous Word, à laquelle on
a appliqué un minimum de principes éditoriaux (lettres ramistes, segmentation des groupes
de mots, marquage du discours direct, ajout de majuscules) mais dont on a conservé au
maximum la ponctuation ; on y a ajouté une traduction. On visait à fournir aux chercheurs
éditorial, grâce à un enrichissement propre au support numérique, qui serait donc irréduc-
tible à une version figée papier.
4. 2007–2008 : avec le développement international de la réflexion sur la numérisation des
est décidé d’ajouter à l’édition « normalisée » jusque là seule envisagée, les transcriptions
numérique – « digital philology », en son sens le plus strict et le plus riche. L’édition
électronique de la Queste est désormais conçue dans cette perspective comme une sorte
de « prototype » d’un objet spécifiquement numérique, et dans sa forme, et dans les
possibilités qu’il ouvre à l’utilisateur. Cette étape a abouti à la mise en ligne de ce texte
reformaté, accompagné d’un ensemble d’outils de recherche et d’analyse textométrique
fournis par la plateforme TXM (S. Heiden et M. Decorde), et doté d’une interface Web
(A. Yepdieu).15
13 Depuis ses origines, cette édition numérique a été réalisée à l’ENS de Lyon (anciennement ENS
Foutenay/Saint Cloud, puis ENS Lettres et sciences humaines). Elle bénéficie actuellement aussi du
soutien de l’UMR ICAR.
14 Ces quatre premières étapes ont été financées grâce à la dotation de l’Institut Universitaire de
France obtenue par C. Marchello-Nizia.
15 C’est au cours de cette période que le projet a reçu le soutien de la Région-Rhône Alpes (finance-
ment entre 2009 et 2010).
160 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
– enfin, une adaptation au projet Oriflamms16 est en cours, qui permettra de mettre en
place un alignement fin (au niveau des mots, voire des caractères) entre le texte et
l’image.
Chacune des six phases décrites ci-dessus a été productive et novatrice à plusieurs
plans : éditorial, philologique, numérique par la création d’outils dédiés, et concep-
de la Queste ont ainsi permis de mettre au jour les strates successives nécessaires à la
réalisation d’une édition électronique, et d’élaborer à partir de cela une méthode
opérationnelle pour les éditions à venir.
C’est ainsi que nous en sommes venus à distinguer les étapes successives suivan-
tes, qui nous ont permis de définir une chaîne éditoriale canonique pour la Collection
BFM (voir in fine § 6.2) :
élaboration du texte édité sous Word par ex. (traitement de texte par l’éditeur médiéviste)
conversion en XML selon les principes de balisage TEI
le document en résultant est « diffracté » sous trois formes à usages différents :
À présent, une nouvelle phase commence, avec la transcription d’un second manu-
scrit de la Queste del saint Graal, copié au XVe siècle, le ms. Paris, BnF fr 98. Cette
étape nous permettra de mettre en place les procédures de copie (totale ou partielle,
et selon les mêmes normes que la copie du manuscrit du XIIIe siècle) de quelques-uns
au moins de la cinquantaine des manuscrits actuellement recensés de la Queste. L’un
de nos projets est en effet, à terme, de tenter un nouveau type de classement des
manuscrits, fondé sur tous les types de variantes en utilisant des méthodes statisti-
ques (cf. Camps 2009 ; Camps/Cafiero 2013). Le choix de ce ms. 98, tardif mais dont le
page. Une édition numérique peut au contraire être dynamique et s’adapter aux
intérêts du lecteur, car celui-ci a la possibilité de « filtrer » les informations affichées
et de « tailler » le texte selon ses besoins, en choisissant, par exemple, d’afficher côte
tion. Dans les éditions traditionnelles réalisées en France, même si des recommanda-
tions et des « bonnes pratiques » existent depuis le rapport de M. Roques (1926), on
constate une certaine hétérogénéité des usages (Duval 2006), due en partie au
pragmatisme de la doctrine française selon laquelle l’édition doit s’adapter au type
de texte et au public visé (Vielliard/Guyotjeannin 2001). Cette hétérogénéité ne fait
qu’augmenter si on prend en compte les éditions de textes français réalisées par des
philologues allemands, italiens ou britanniques. Avec le numérique, les frontières
s’effacent, et il est envisageable d’adopter des normes communes à plusieurs tradi-
17 L’Album de manuscrits français du XIIIe siècle (Careri et al., 2001) présente un exemple de ce type
d’édition.
162 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
tions nationales, voire à des langues sources différentes (par exemple, le français
médiéval et le latin).
La « normalisation » des éditions numériques concerne non seulement les aspects
philologiques, mais aussi les formats et les technologies utilisés. En effet, l’évolution
technologique dans le domaine informatique est tellement rapide que les solutions
novatrices deviennent obsolètes en quelques années. Seule l’utilisation de formats
standard et « ouverts » (tels que XML), de recommandations élaborées par de grandes
Le but premier de notre édition électronique de la Queste del saint Graal était de
procurer l’accès le plus fidèle possible à une version « authentique » du roman, telle
qu’elle a été copiée et telle qu’elle a circulé à une époque précise, témoignant tout à
la fois de la production et de la réception d’un texte, et donc d’énoncés, et donnant
un accès aussi peu biaisé que possible à l’état de la langue et de la littérature de
cette période-là. Son but deuxième est de permettre à l’utilisateur, grâce à une
interface souple et dynamique, de naviguer librement au sein du texte et d’adapter
les données auxquelles il accède à ses propres usages. Le texte étant disponible
sous différentes formes (édition normalisée, édition diplomatique, édition facsimi-
laire, traduction en français moderne, images du ms.), l’utilisateur peut choisir la ou
les version(s) qu’il veut afficher sous forme de vues synoptiques. Son but troisième
est de faciliter les recherches de divers types sur le texte : cette édition électronique
fidèle, reflet d’énoncés réellement produits, est donc en outre « enrichie » (étiquettes
permettre des requêtes de toute sorte, éventuellement complexes, soit sur des mots
Édition électronique de la Queste del saint Graal 163
ou des expressions, soit sur des catégories (étiquettes), soit sur les deux à la fois
(voir ci-dessous, § 4.3).
1907–1916 ; Pauphilet 1923 ; Vattori et al. 1990), dont l’une, celle d’A. Pauphilet (1923),
était devenue l’édition de référence. Réalisée dans une optique quasi bédiériste, cette
édition prend pour manuscrit de base, le ms. Lyon, B.M., P.A.77 (ms. K dans la
nomenclature établie par Pauphilet). Le choix de ce manuscrit nous convenait, et il
permettait en outre de pouvoir comparer ensuite les deux éditions, faites sur un même
manuscrit mais dans une optique assez différente.
Le manuscrit de Lyon donne en effet un texte d’excellente qualité, bien ponctué ;
amputé en son début sans doute à cause du découpage d’une peinture initiale, ainsi
qu’en sa fin par la perte probable d’un cahier, les lacunes sont cependant facilement
comblées par l’un des manuscrits fort proches du ms. K tant dans le texte que par la
date de copie (ms. Z, BnF, nouv. acq. fr. 1119). Enfin, l’écriture de ce manuscrit, qui a
été réexaminée tout récemment à la lumière des progrès réalisés en codicologie et
paléographie, semble appartenir à un type de scripta gothique précoce, ce qui permet-
trait de dater ce manuscrit de la fin de la première moitié du XIIIe siècle (D. Stutz-
mann, communication personnelle) ; cette copie a donc été réalisée à une période très
version usagée du texte. C’est en effet une priorité de la « philologie numérique », qui,
mettant à profit les possibilités technologiques nouvelles, mais aussi les réflexions
antérieures sur la production et la réception des textes (P. Zumthor, H.R. Jauss,
W. Iser …), a opéré un décalage important, et même peut-être un changement de
littéraire », fait que tout manuscrit est spécifique, différent des autres, singulier : un
texte médiéval peut ainsi être conçu, au total, comme la résultante de cette « mou-
les éditions des divers manuscrits d’un même texte pourront être comparées dans leur
totalité, ouvrant des possibilités inédites pour repenser la notion de stemma, en le
fondant non seulement sur les « fautes communes », sur les « formulations divergen-
tes » ou les variations narratives, mais aussi sur les différences linguistiques morpho-
complètes (voir les travaux de J.-B. Camps, déjà cités). Et étant donné que des éditions
récentes de la Queste del saint Graal ont procuré le texte de plusieurs manuscrits de la
fin du XIIIe siècle, peut-être un jour ces éditions seront-elles accessibles sous forme
numérisée. Nous envisageons de notre côté l’édition (partielle ou complète) de
versions plus tardives de la Queste. Nous avons commencé dès à présent d’éditer un
manuscrit de la même famille α que le manuscrit K, mais copié au XVe siècle : il s’agit
du manuscrit Paris, BnF, fr 98 (ms. M), qui apparaît à divers égards fort proche de la
version donnée par K. Cela permettra une comparaison tout à la fois de la langue et
du récit de deux manuscrits séparés par deux siècles. Et à chaque étape résultant
d’une nouvelle édition (nous connaissons actuellement 53 manuscrits de la Queste …),
bles en même temps que le manuscrit et l’une des versions de l’édition : ces possibi-
lités ouvrent la voie à des analyses et à des interprétations des textes inconcevables
jusqu’ici. À bien des égards, on pourrait dire que l’ère numérique permet de pousser à
son terme, sinon la démarche bédiériste, du moins son rêve …
Mais cette singularité de chaque manuscrit est également rendue visible, grâce
à l’affichage multi-facettes mis en place pour notre édition de la Queste, qui permet
de disposer simultanément, côte à côte, pour mieux les comparer, la photographie
du manuscrit, parfois un peu difficile à déchiffrer, et l’une de ses transcriptions, ou
bien, côte à côte, deux des trois « versions » (« normalisée », diplomatique ou
18 L’importance de cette « variance » a été soulignée par la « Nouvelle philologie » (ou New Philology),
qui a mis l’accent sur cet aspect spécifique de l’écriture médiévale mais sans apporter de changement
radical dans la pratique même de l’édition de texte.
Édition électronique de la Queste del saint Graal 165
Les composants de cette édition électronique sont les suivants : la Page d’accueil ; une
Introduction comportant neuf rubriques ; l’Edition sous ses trois versions (courante ou
présentation du texte édité, dans ce cas précis, la Queste del saint Graal ; l’exposition
des sources (liste mise à jour des manuscrits de ce texte, liste des éditions antérieures,
choix du manuscrit de base et du manuscrit complémentaire) ; les principes de
l’index des noms propres et le glossaire qui accompagnent l’édition ; une étude de
utilisées pour annoter les mots du texte ; enfin une bibliographie choisie.
166 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
Nous revenons ici sur trois des rubriques qui diffèrent en partie de ce qu’offrirait une
édition imprimée : l’étude des sources et plus précisément ce qui concerne le choix du
scrit Ω » ancêtre potentiel des versions conservées – tel celui placé par Pauphilet au
texte ou des épisodes réduits, et se fondait essentiellement sur des lacunes (ou ajouts)
narratifs ou sur des fautes communes importantes. On entrevoit désormais d’autres
ouvertures, sans pouvoir encore en distinguer toute la portée.
Pour ce qui est des principes de transcription et de leurs modalités d’application sous
ce type de support, soulignons que cette édition a été réalisée à partir du même
manuscrit que l’édition réalisée par A. Pauphilet, et avec des principes de fidélité qui
n’étaient pas radicalement éloignés de ceux des éditeurs français modernes, à savoir
un « bédiérisme pragmatique » assez consensuel. Or le résultat est surprenant : près
Cet écart surprenant est dû à trois facteurs : à notre fidélité maximale à la ponctuation
derne », à notre respect de l’emploi scribal des majuscules, et de façon générale à une
plus grande fidélité dans la graphie des mots et à une modération maximale dans les
interventions éditoriales.
Pour le reste, les principes de transcription adoptés dans la version « normalisée »
pu donner la liste de tous les mots offrant une abréviation et de la façon dont nous
l’avons transcrite, par exemple pour la barre de nasalité, abréviation extrêmement
fréquente, et nous avons fourni la liste de tous les mots la présentant ; ou encore pour
la barre représentant soit –er-, soit –ier-, soit –re. De même, la recension exhaustive
Édition électronique de la Queste del saint Graal 167
de tous les cas concernés permet de voir quels noms propres sont toujours abrégés,
lesquels le sont parfois, lesquels jamais, ou lesquels se déclinent et lesquels non :
employée en fonction d’apostrophe, alors que la forme analogique sires est sujet d’un
verbe.
Enfin, grâce au support numérique, il va de soi de donner la liste de toutes les
interventions, corrections, etc. de l’éditeur.
Si la version « courante » tend vers une fidélité raisonnée mais maximale, les
scrit de base. Et grâce à l’attention portée par ces deux versions à la manière dont les
mots sont segmentés ou non, regroupés ou non, nous avons pu procurer une liste de
tous les mots qui, dans ce manuscrit de la première moitié du XIIIe siècle, sont déjà
systématiquement écrits en un mot (dejoste, desus, devers, ensus, ersoir, huimés, jadis,
mileu), de ceux qui le sont assez souvent et sont donc presque grammaticalisés ou
lexicalisés (enmi, jamais et jamés, jusque), alors que d’autres qui leur sont proches
sont encore le plus souvent graphiés en deux mots (par mi, puis que), et l’on peut voir
que emporter est déjà presque lexicalisé alors qu’em mener est le plus souvent scindé.
non continue et l’exploration synthétique du texte sont, pour certains d’entre eux (les
concordances par exemple), très anciens et ont d’abord été développés pour le papier,
et même si les éditions « traditionnelles » en sont déjà abondamment pourvues
lexique d’un texte, en assemblant, si nécessaire, une suite d’unités contigües ou non
168 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
combinent l’extraction d’une ou de plusieurs formes avec les propriétés linguistiques asso-
ciées à ces formes permettent tantôt de focaliser la sélection sur un paradigme formel plus
réduit (par désambiguïsation, par exemple), tantôt d’étendre les résultats à un ensemble de
variantes relevant d’un même paradigme (ce qui s’avère particulièrement utile pour la
période médiévale) ; l’essor des corpus annotés, parce qu’il profite du développement pro-
– dans certains cas, les technologies numériques mettent à la disposition du chercheur des
outils qui calculent et rendent compte, grâce à des modèles statistiques, des caractéristiques
significatives des données textuelles ; le calcul des spécificités permet, par exemple, de
contraster différentes unités textuelles et de repérer les éléments qui sont sous- ou sur-
représentés dans ces unités ; l’un des intérêts majeurs de ces outils d’analyse est qu’ils
soient pour l’heure peu exploités par les lecteurs et utilisateurs d’éditions numériques, leur
intérêt pour l’étude et l’exploitation des textes médiévaux ne fait pas de doute ; leur apport
pour l’étude de la tradition manuscrite et la classification des manuscrits d’une même œuvre
pourrait s’avérer très important aussi : des expériences sont déjà en cours ;20
– un grand nombre d’outils numériques veillent à conserver un lien toujours actif entre les
résultats des requêtes ou calculs statistiques et les données linguistiques qui sont à leur
source ; l’affichage et le contrôle des données de départ et le retour au texte (grâce, notam-
ment, à des liens hypertextuels) sont la condition sine qua non d’un usage maîtrisé des outils
d’analyse numériques à des fins scientifiques ; en ce sens, les technologies numériques ne se
substituent pas à l’accès critique au texte-source, elles apportent des informations et des
éclairages complémentaires sur les données textuelles.
L’édition numérique interactive de la Queste del saint Graal, dont les principales
composantes ont été exposées dans la section précédente, nous permettra d’illustrer
plusieurs des points que nous venons d’aborder.
19 Certaines éditions offrent le très grand avantage aussi d’associer aux mots du texte leur définition
dictionnairique (voir les cas exemplaires de l’Anglo-Norman On-Line Hub ou du Dictionnaire Électro-
nique de Chrétien de Troyes). Il s’agit là d’un procédé d’enrichissement d’un type un peu différent mais
également essentiel et emblématique des possibilités nouvelles ouvertes par le numérique et la
navigation hypertextuelle.
20 Les outils présentés dans cette section peuvent aussi être utiles lors du processus d’édition. Si leur
apport semble particulièrement évident pour la comparaison fine et exhaustive des manuscrits, ils
peuvent par ailleurs seconder le travail éditorial : les index et concordances numériques permettent
notamment de repérer des incohérences ou des variations dans l’application des normes éditoriales.
Édition électronique de la Queste del saint Graal 169
normalisée (colonne gauche) donne « Biaux sire, fait Boort … »/, et la version diploma-
21 La requête suivante (<q>[] []) permet de sélectionner les deux séquences graphiques qui suivent la
balise (<q>) ouvrant le discours direct.
170 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
Figure 2 : Un cas d’absence de ponctuation au début d’un discours direct : on voit un « grand blanc »
L’annotation linguistique permet, quant à elle, une étude plus syntaxique des séquen-
ces au discours direct. La recherche réalisée par Glikman/Mazziotta (2013) mobilise
des tests statistiques pour faire apparaître les catégories morphologiques et les
constructions syntaxiques qui sont les plus saillantes dans le discours direct. Elle a
révélé que les formes verbales complexes (qui comportent un auxiliaire temporel ou
modal), l’expression du sujet syntaxique ou la présence de la négation étaient les
éléments dont la fréquence dans le discours direct était significativement supérieure à
celle qui les caractérisait en récit. Leur travail montre ainsi qu’une édition numérique
appuyée par une annotation linguistique et des outils d’analyse statistiques permet
d’apporter des renseignements très précis sur les structures syntaxiques qui dominent
le discours direct au Moyen Âge.
s’adapter aux particularités des textes choisis : les Serments de Strasbourg édités par
l’équipe BFM, la Séquence d’Eulalie éditée par l’équipe BFM, la Vie de saint Alexis
éditée par C. Marchello-Nizia et T. Rainsford (Univ. De Stuttgart), le Psautier d’Arundel
édité par C. Pignatelli (Univ. de Poitiers). À terme, l’ensemble des textes ainsi édités
formera une collection répondant à des normes et des pratiques communes et acces-
sible en un même lieu via un même outil (la plateforme TXM), actuellement utilisé
pour la diffusion de la Base de français médiéval et dont une interface spécialisée
pour l’édition de sources est peu à peu développée.
Les principes de la collection découlent tout naturellement des options qui se sont
progressivement imposées lors de l’édition électronique de la Queste del saint Graal et
dont nous avons exposé les grandes lignes ci-dessus. Il n’est pas utile de revenir sur
tous les détails de ces principes, mais nous insisterons ici sur les trois règles qui nous
paraissent les plus fondamentales et qui expliquent souvent des choix plus spécifi-
ques concernant tel ou tel aspect de l’édition.
Au centre de tout l’édifice se trouve la fidélité maximale au manuscrit choisi
(fidélité au texte, à la mise en page du manuscrit, à sa segmentation graphique et à sa
ponctuation). Les normes de transcription élaborées au fil du temps (cf. § 6.2) permet-
tent de générer, à partir d’un même fichier, des visualisations multiples d’une trans-
cription unique, les unes étant plus normalisées et « aplanissant » certaines des parti-
Le schéma ci-dessous symbolise les étapes désormais bien définies pour l’établisse-
ment d’une édition électronique :
courcis est présentée dans le document Règles de transcription … Ici nous n’en citerons
que quelques exemples. Ainsi, on utilise le caractère dièse (#) devant les lettres qui
doivent « changer de caisse » entre la version diplomatique et la version normalisée.
Par exemple, un nom propre graphié avec une minuscule dans le manuscrit se
présente ainsi : #Dieu. Les lettres restituées à la place des abréviations sont placées
spécifiques d’un texte donné. Par exemple, dans le cas de l’édition du manuscrit
bilingue du Psautier d’Arundel nous avons adopté un format tabulaire pour assurer
l’alignement entre le texte latin et la traduction en ancien français (cf. Figure 4 ci-
dessous).
Les règles de transcription adoptées dans le projet de collection d’éditions BFM sont
publiées dans un document accessible en ligne sur le site BFM (http://bfm.ens-lyon.
fr/rubrique.php3?id_rubrique=138).
Une fois l’étape de la saisie initiale terminée, les transcriptions sont converties au
format XML-TEI « compact ». Actuellement, la transformation se fait par un script Perl
à partir du format HTML généré par le logiciel de traitement de texte. Une solution
basée sur des scripts Groovy intégrés dans la plateforme TXM est prévue à moyen
terme. La particularité du format « compact » consiste en ce qu’il combine les balises
XML de la TEI utilisées pour la structuration et l’annotation du texte avec les raccour-
cis typographiques (qui subsistent depuis la saisie initiale) qui servent à encoder les
différents niveaux de transcription.
Dans le cadre d’un projet éditorial, la conversion vers XML-TEI est irréversible,
c’est-à-dire que toutes les nouvelles corrections et annotations se font sur le document
XML et il n’y a plus de retour au logiciel de traitement de texte ordinaire possible.
Les styles et autres fonctionnalités de formatage des logiciels de traitement de
texte sont ignorés lors de la conversion vers XML-TEI, ce qui permet de réduire le
risque d’erreurs, même si cela limite les possibilités de pré-balisage de certains
éléments (tels que les divisions du texte, les titres ou le discours) lors de la saisie
initiale. Il convient de noter que d’autres chaînes éditoriales (par exemple celle mise
en place par les Presses universitaires de Caen) utilisent amplement les styles des
logiciels de traitement de texte.
Les éditions au format « compact » sont des documents valides du point de vue
du schéma TEI standard (‘tei-all’) et nous avons également élaboré une personnalisa-
tion ODD qui permet de mettre en place des règles de validation plus strictes et de
documenter les pratiques de codage. Toutefois, les « raccourcis typographiques » ne
sont pas pris en charge par la norme XML et sont ignorés par les outils de validation.
C’est au moment de la conversion au format « diffracté » que ces raccourcis sont
des éditions : il est suffisamment « léger » pour être lu et édité directement, mais on
peut aussi utiliser des outils de stylage des logiciels de traitement XML (tels que le
« mode auteur » du logiciel Oxygen) pour faciliter le travail de l’éditeur.
codage et pour la fabrication des différents produits éditoriaux (les différents niveaux
de transcription en HTML et en PDF des sources XML préparés à l’importation dans
TXM). Le format diffracté est « tokenisé », c’est-à-dire que tous les mots du texte sont
identifiés par la balise TEI <w> et toutes les ponctuations par la balise <pc>. Les deux
ou trois niveaux de transcription sont représentés à l’intérieur des mots et des
ponctuations par les balises Menota23 <norm>, <dipl> et <facs>. Une librairie de
feuilles de style XSLT permet de générer automatiquement les différentes versions du
texte proposées aux lecteurs ou soumises aux outils d’annotation linguistique ou
d’analyse textométrique.
Les formats XML-TEI compact et diffracté sont décrits en détail dans le Manuel
d’encodage BFM Manuscrits (Lavrentiev 2008) et spécifiés de façon formelle dans des
documents TEI ODD publiés sur le site de la BFM.
L’édition est publiée en ligne sur le portail de la Base de français médiéval. Ce
portail offre dès à présent un large éventail d’outils de recherche et d’analyse
qualitative et quantitative. Un tutoriel en ligne (Bertrand et al. 2014) en présente les
23 Il s’agit d’une extension de la TEI proposée par le projet Medieval Nordic Text Archive (http://www.
menota.org).
Édition électronique de la Queste del saint Graal 175
7 Conclusion
Désormais, deux tâches, deux étapes nous semblent nécessaires pour que les éditions
électroniques acquièrent un statut définitivement stabilisé au plan scientifique.
La première est, comme nous en avons formulé le vœu ci-dessus, qu’un effort
collectif et concerté aboutisse au partage de normes de réalisation de ce type d’édi-
tion. C’est à cette condition que des avancées significatives pourront désormais se
produire.
La seconde, que nous n’avons pas évoquée jusqu’ici, est la nécessité absolue que
se mettent en place des instances d’évaluation de ce type d’éditions, comme il en
existe pour les éditions imprimées. Il va de soi que de telles instances devront être en
mesure d’évaluer les aspects très différents de ces réalisations, tant pour les aspects
paléographiques et codicologiques, linguistiques, littéraires, philologiques, etc., que
pour les versants proprement informatiques. C’est à cette condition que le renouvelle-
ment en cours pourra installer une confiance définitive dans ce type nouveau d’édi-
tion.
8 Bibliographie
Ainsworth, Peter/Croenen, Godfried (edd.) (2007), Jean Froissart, Chroniques, Livre III. Le Manuscrit
Saint-Vincent de Besançon, Tome I, Genève, Droz.
Ainsworth, Peter/Croenen, Godfried (edd.) (2012), The Online Froissart, version 1.4, Sheffield,
HRIOnline, http://www.hrionline.ac.uk/onlinefroissart.
Bertrand, Lauranne, et al. (2014), Tutoriel TXM pour la BFM. Version 2.0, en ligne http://txm.bfm-
corpus.org/files/Tutoriel_TXM_BFM_VI.pdf.
Camps, Jean-Baptiste (2009), Troubadours et analyses factorielles : approches statistiques à la
halshs-00824016]
Camps, Jean-Baptiste/Cafiero, Florian (2013), Setting bounds in a homogeneous corpus : a methodo-
logical study applied to medieval literature, Revue des Nouvelles Technologies de l’information
(RNTI), vol.SHS-1, n°MASHS 2011/2012. Modèles et Apprentissages en Sciences Humaines et
Sociales Rédacteurs invités : Mar, 55–84, http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00765651.
Careri, Maria, et al. (2001), Album de manuscrits français du XIIIe siècle. Mise en page et mise en texte,
Roma, Viella.
Duval, Frédéric (2006), La philologie française, pragmatique avant tout ?, in : Frédéric Duval (ed.),
(edd.), Electronic Textual Editing, New York, N.Y., Modern Language Association of America,
241–253.
176 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance
rubrique64&lang=fr.
Lavrentiev, Alexey (2008), Manuel d’encodage BFM-Manuscrits, http://ccfm.ens-lyon.fr/IMG/pdf/
BFM-Mss_Encodage-XML.pdf
Lepage, Yvan G. (2001), Guide de l’édition de textes en ancien français, Paris, Honoré Champion.
Marchello-Nizia, Christiane/Lavrentiev, Alexey (edd.) (2013), La Queste del saint Graal, 1999–2013,
http://catalog.bfm-corpus.org/qgraal_cm
Pauphilet, Albert (1923), La Queste del Saint Graal, roman du XIIIe siècle, Paris, Champion.
Poirion, Daniel/Walter, Philippe/Gros, Gérard (2009), Le Livre du Graal, t. III, Paris, Gallimard.
Porter, Dot (2013), Medievalists and the Scholarly Digital Edition, Scholarly Editing : The Annual of the
O’Brien O’Keeffe/Lou Burnard (edd.), Electronic Textual Editing, New York, N.Y., Modern Lan-
guage Association of America, 74–93.
Roques, Mario (1926), Établissement des règles pratiques pour l’édition des anciens textes français et
provençaux, Romania 52, 243–249.
Sommer, Heinrich Oskar (1907–1916), The Vulgate Version of the Arthurian Romances, edited from
manuscripts in the British Museum, Washington, Carnegie Institute.
Vattori, Roberto, et al., sous la direction de Gianfranco D’Aronco (1990), La grant Queste del Saint
Graal. La grande Ricerca del Santo Graal. Versione inedita della fine del XIII secolo del ms. Udine,
Biblioteca Arcivescovile, 177, Udine, Tricesimo [reproduction photographique, édition et traduc-
tion en italien].
Vielliard, Françoise/Guyotjeannin, Olivier (2001), Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Fasci-
cule I, Conseils généraux, Paris, CTHS, École nationale des Chartes.
Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
7 Le projet Rialto et l’édition des textes
occitans médiévaux
Abstract : Le Repertorio informatizzato dell’antica letteratura trobadorica e occitana
(Rialto), lancé en 2001, est une bibliothèque numérique qui héberge des textes
occitans (XIe–XIVe siècles) présentés dans de nouvelles éditions critiques, ou dans
des éditions critiques revues soit par leurs propres éditeurs, soit par l’équipe de
rédaction scientifique. Dans plusieurs cas, sont présentées plusieurs éditions ou des
éditions accompagnées de transcriptions diplomatiques, de traductions, et de
commentaires. Le site est ouvert à des projets internationaux comme celui que dirige
Linda Paterson sur les chansons de croisade, ou le projet de Paolo Di Luca qui
concerne les chansons ayant rapport à l’histoire de l’Italie. Parmi les finalités du
Rialto est celle de fournir un instrument pour l’enseignement universitaire d’une
tradition hégémonique qui est à la base de la modernité. Le Rialto s’inscrit dans un
vaste contexte d'entreprises scientifiques portant sur les langues et les littératures
romanes du Moyen Âge, comme des dictionnaires, des concordances, des bibliogra-
phies, qui ont été créées suite aux possibilités de diffusion qu’offre l’informatique et
qui adoptent comme support principal l’internet. Il est intéressant de constater qu’une
des branches apparemment les plus « aristocratiques » et les plus exclusives des
1
1 Origines du projet
Le Rialto, acronyme de Répertoire informatisé de l’ancienne littérature troubadou-
resque et occitane, a accueilli ses premiers visiteurs en décembre 2001, lors de la
publication de ses premières pages dans un sous-domaine, en libre accès, hébergé à
l’intérieur du domaine internet de l’Université de Naples Frédéric II.2 Un peu plus de
deux ans auparavant, en août 1999, était apparu sur le réseau le Rialc, Répertoire
informatisé de l’ancienne littérature catalane, lui aussi en libre accès, qui devint en
1 Nous tenons à remercier très sincèrement Gérard Gouiran, qui a aimablement revu la traduction du
texte original italien en français.
2 www.rialto.unina.it. Le Rialto est coordonné par Costanzo Di Girolamo. Le comité scientifique
international change tous les cinq ans ; la rédaction est depuis 2008 coordonnée par Oriana Scarpati,
après avoir été coordonnée de 2003 à 2007 par Claudio Franchi. Toutes les informations et données
présentées dans cette étude étaient à jour le 15 novembre 2013.
178 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
autre, qu’une petite dizaine de textes dont le plus important est la traduction de la
Divina Commedia (1429) accomplie par Andreu Febrer, dont il n’existe qu’une édition
assez peu fiable.
C’est précisément à la suite de la réussite du Rialc, que germa, parmi des membres
de la communauté scientifique internationale des occitanistes, l’idée de lancer un
projet plus ambitieux : si le Rialc se présentait comme une bibliothèque digitale
« achevée » des textes catalans médiévaux, dès lors qu’il mettait en ligne les éditions
imprimées et, si nécessaire revues et corrigées, par des spécialistes qui faisaient partie
de la rédaction, le Rialto s’est présenté, dès le début, comme un projet de bibliothèque
ouverte et potentiellement « infinie ». Dans la page de présentation du projet, on
écrivait :
« Dans la perspective de la philologie informatisée, on peut définir le Rialto comme une biblio-
thèque numérique dynamique. Les textes qui figurent dans la base représentent des éditions
nouvelles ou, le cas échéant, le fruit d’une révision des éditions existantes par les soins de leurs
éditeurs eux-mêmes, ou de nos collaborateurs. Tout changement introduit dans le texte de l’édition
publiée, ou simplement envisageable, est signalé dans une note. Les éditions les plus anciennes
ont été elles aussi soumises à révision : erreurs matérielles corrigées, brève mise à jour bibliogra-
phique, indication de toute proposition de modification des textes. Dans le futur, chaque édition
pourra être à son tour corrigée ou modifiée par l’éditeur ou le réviseur du texte, mais il subsistera
toutefois sur le site une trace de la version précédente, de manière à éviter toute ambigüité dans les
renvois bibliographiques. Pour chaque état du texte seront précisés l’année, le mois et le jour. Pour
certains auteurs, on fournira deux, voire plusieurs éditions, comme c’est déjà le cas pour Folquet
de Marselha et comme ce le sera d’ici peu pour Guilhem de Peitieus et Arnaut Daniel, afin d’éviter
un ‹ effet internet ›, c’est-à-dire une tendance à ne citer que les textes directement disponibles sur
le web et qui ne sont normalement proposés que dans une seule édition. Dans cette conception,
une bibliothèque numérique dynamique ne se substitue ni ne s’oppose à la pratique traditionnelle
de l’édition « papier », mais se veut plutôt complémentaire de celle-ci ».4
3 www.rialc.unina.it. Coordonné par Costanzo Di Girolamo, le site est géré par une direction-rédaction
double, italienne et catalane ; elles se sont occupées du contrôle des éditions, de la préparation des
textes et des pages au format numérique aussi bien que de leur mise en ligne.
4 www.rialto.unina.it/limenfr.htm. La Présentation est datée le 14 janvier 2003.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 179
Il est difficile d’imaginer la route parcourue par le Rialto dans les dix années qui se
sont écoulées entre ces mots et aujourd’hui : les buts du site sont restés identiques,
mais son évolution a été profonde : il s’est augmenté et s’est enrichi de pages, de
collaborations
Le point fort du Rialto, qui le différencie totalement de tous les autres répertoires ou
corpora apparus ces dernières années, consiste dans l’autonomie totale du projet en
ce qui concerne la partie technique et informatique, critère, déjà appliqué du reste,
pour la réalisation du Rialc. Les membres de la rédaction sont en mesure de gérer la
plate-forme de façon autonome, sans l’assistance d’informaticiens, et ils s’occupent
eux-mêmes, en plus de la révision des textes et de la préparation des fiches, de leur
conversion en format html et de la création des liens. Il en résulte que le Rialto, en
ne s’appuyant que sur les membres bénévoles de la rédaction (et quelques boursiers
mis de temps en temps à la disposition du projet) est totalement libre de la logique
des financements, des demandes de subvention, des modes graphiques et de la
nécessité de mettre constamment à jour programmes et logiciels ;6 il n’est pas
nécessaire de payer des extérieurs pour introduire les données dans le site et le
projet a garanti ainsi sa propre longévité et surtout sa survie en temps de crise. Il y a
tant de projets semblables qui, malgré les excellentes intentions de leurs concep-
teurs, restent inachevés parce que, entre-temps, les financements qui leur avaient
5 L’acronyme, quelque peu osé, fut créé en l’honneur du co-fondateur, le Vénitien Luigi Milone
(1949–2012), qui, bien que dépourvu de compétence et d’intérêt informatiques (et peut-être précisé-
ment à cause de cela), était toujours le premier à soutenir la création du site, surmontant les doutes et
la résistance de Di Girolamo et de ses collaborateurs les plus proches devant la complexité de la
tâche.
6 Une série non négligeable de modifications a été toutefois rendue nécessaire à cause de change-
ments du logiciel et même du hardware : que l’on pense par exemple aux formats actuels de l’écran,
adaptés aux photos et à la vidéo mais pas aux textes, et qui ont exigé l’emprisonnement typogra-
phique progressif des vieilles pages. D’autres anomalies ont surgi à la suite des caractéristiques
particulières de quelques navigateurs : un des principaux navigateurs à partir d’une des dernières
versions reconnaît les retraits des périodes seulement si ceux-ci sont exprimés en pixels ou en points,
mais pas en valeurs absolues, et nous avons dû par conséquent procéder à une révision de toutes les
pages. Il va sans dire que le site prétend fournir une présentation typographique ordonnée et agréable
aux textes : ceci a son prix et implique un travail informatique complexe qui pourrait peut-être être
défini comme artisanal. Reste de toute façon le problème de l’instabilité dans le temps des logiciels,
depuis le simple traitement de texte, qui représente une menace constante dans l’usage de l’informa-
tique pour la conservation et la transmission des textes, à moins d’accepter le prix de mises à jour
continuelles.
180 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
pour former de jeunes chercheurs au management du site du Rialto (en ouvrant des
concours pour des bourses d’études et en accordant des crédits de recherche dédiés
à l’implémentation du site) ; pour une autre, ils ont conçu des projets de recherche
prévoyant une interaction constante avec le Rialto, choisi comme siège privilégié
pour la publication – immédiate, gratuite, susceptible de révision, visant un public
illimité – des résultats de la recherche. C’est le cas, parmi tant d’autres, du projet
lancé par Linda Paterson sur les chansons relatives aux croisades, qui prévoit la
publication sur le Rialto de toutes les compositions en rapport avec cette théma-
tique. Un nombre considérable de compositions est déjà disponible pour la consul-
tation en ligne : chaque texte est présenté, à la place où l’éditrice l’a considéré
comme nécessaire, dans une nouvelle édition critique ; il est accompagné d’une
croisade (Canzoni sulle crociate) » : il s’agit d’un véritable parcours thématique qui
permet au lecteur d’accéder à tous les textes, en visualisant la liste sur un écran
unique qui fait fonction d’index.
3 Sections du Rialto
Les sections qui constituent actuellement le répertoire, y compris celle que nous
venons de citer sur les chansons de croisade, sont au nombre de neuf, auxquelles se
rattachent des sous-sections. La section la plus considérable est, évidemment, celle
qui est consacrée aux « Troubadours » : dans cette section, organisée par auteur (avec
une page particulière pour les textes anonymes), sont regroupées toutes les composi-
tions lyriques jusqu’à présent publiées, auxquelles il est possible d’accéder simple-
ment en cliquant tout d’abord sur le nom du troubadour et ensuite sur les coordon-
nées BdT de la pièce choisie. Vient ensuite la section des « Textes des origines », qui
épistolaire » comprend les salutz : il y figure une édition critique de Francesco Cara-
amics (BdT 389.I) et publié ensuite dans une revue en 2001 (www.rialto.unina.it/
RbAur/389.I/389.I.htm).7
La section dénommée « Poésie narrative » inclut Blandin de Cornoalha, édité par
jaufre-i.htm),9 et des novas contenues dans le manuscrit Didot, récemment éditées par
Paolo Di Luca (2011), qui s’est occupé lui-même de la présentation philologique pour
le Rialto (www.rialto.unina.it/narrativa/novasdidot.htm). Le Roman de Flamenca
dans l’édition de Roberta Manetti (2008) est en cours de préparation.
La « Prose narrative » comprend le Viage al Purgatory de Ramon de Perellós,
encore inédit dans sa version imprimée, qui a été publié en 2010 sur le Rialto par
Margherita Boretti, accompagné d’une introduction et d’une note au texte (www.
rialto.unina.it/Prosanarrativa/Viage/Viage.htm).
La section de « Poésie religieuse » est constituée du Chansonnier de Wolfenbüttel,
rita d’Antiochia, récemment éditée par Roberta Manetti, qui s’occupe également du
domaine « Notes » pour le Rialto (Manetti 2012 : www.rialto.unina.it/poerel/marga
rita.htm).
Dans les « Textes pratiques » sont regroupés de nombreux exemples de littérature
médico-pharmaceutique, parmi lesquels divers recettaires, des traités sur les vertus
des herbes, des remèdes contre les fièvres, etc., édités par Maria Sofia Corradini Bozzi,
tous accompagnés d’importantes notes textuelles (Corradini Bozzi 1997 : www.rialto.
unina.it/TestiPratici.htm).
Nous avons déjà mentionné la sous-section des « Chansons de croisade », dont
le recueil ne s’intéresse guère aux longs apparats critiques qui ont été rendus accessi-
bles en ligne, et qu’on peut, si on le désire, consulter en même temps qu’on lit le texte
(de toute façon lui aussi présent en ligne) et la traduction du livre. Ainsi, dans le cas
7 L’édition en ligne (2002) est antérieure à la version imprimée (2001), nonobstant la date de cette
dernière.
8 L’édition en ligne est antérieure à la version imprimée (Galano 2004).
9 La première édition du roman est parue sur Rialc (dans la section « Biblioteca del Rialc ») en 2000, la
trouver place dans une édition complète imprimée du troubadour, auteur d’une
quarantaine de pièces. Le réseau n’a pas de limites spatiales et se prête ainsi à un
dialogue utile avec le livre.
Il y a enfin la section consacrée à la « Prose religieuse », qui représente un des
plus beaux fleurons du site du Rialto, dès lors qu’elle a mis à la disposition du public
des œuvres monumentales qu’on aurait eu du mal à publier si ce site n’avait pas
existé. On peut y lire : 1) L’Epître aux Laodicéens, avec une édition critique tant du
texte occitan que du texte latin par Marvyn Roy Harris, qui fournit aussi une introduc-
tion et une version synoptique des deux textes (www.rialto. unina.it/prorel/AdLaud/
AdLaud(Harris).htm) ;10 2) Le Rituel cathare, contenu dans le ms. de Lyon, Bibl. mun.,
PA 36, édité également par Harris et accompagné d’une introduction, d’un apparat
critique et de références bibliques (www.rialto.unina.it/prorel/CatharRitual/CathRit.
htm) ; 3) La Confession et le Salut contenus dans le ms. Paris BnF fr. 1852, édités par
Cyril P. Hershon et Peter T. Ricketts, disponibles sur le site en format pdf (www.rialto.
unina.it/prorel/ConfessionSalut/confession-salut.htm) ; 4) La glose du Pater éditée
par Enrico Riparelli, avec introduction, notes, liste des citations, apparat critique et
traduction en italien (www.rialto.unina.it/prorel/CatharRitual/CathRit.htm.) ;11 5) La
Flor.htm) ; 7) L’édition critique du Nouveau Testament de Lyon, éditée par Marvyn Roy
sur le site du Rialto (Scarpati 2013) avait choisi comme exemple l’édition critique du
Nouveau Testament de Lyon pour illustrer de façon fondamentale l’« utilité » de ce
site : la possibilité de publier des œuvres de taille considérable. En effet, nous avons
estimé qu’un texte organisé comme celui de Harris et de Ricketts, avec tout l’apparat
de notes, d’introduction et de bibliographie, aurait, sur papier, dépassé, mille pages.
Le Rialto a donc mis à la disposition des spécialistes de la prose religieuse une édition
fondamentale qui marque d’importants progrès par rapport à celle de Peter Wunderli
(2009–2010) et qui, probablement, sans cela, n’aurait jamais pu voir le jour, en tout
cas pas aussi rapidement.
Enfin, on va très bientôt inaugurer les sous-sections consacrées aux genres
poétiques de l’aube, de la pastourelle et de la tenso (cette dernière comprendra tous
les textes édités par Ruth Harvey et Linda Paterson 2010) ; il s’y ajoute celle qui sera
page un outillage qui lui permettra une approche critique du texte à étudier.
On rencontre sur le Rialto un type de page qui s’est avéré particulièrement utile
pour les cours de philologie romane, celle qui offre un tableau synoptique des
différentes éditions critiques d’un troubadour donné, afin de souligner, dans une
seule fenêtre, les divers choix opérés par les éditeurs en ce qui concerne les manu-
scrits de base, les graphies, les leçons mises dans le texte, etc… L’édition synoptique
préparée par Aniello Fratta, de compositions d’Arnaut Daniel en donne un bon
exemple : on y trouve sur la même page les textes critiques de Toja, Canello, Perugi et
les passages difficiles du texte, ceux sur lesquels les éditeurs ont opté pour des
12 Les éditions comparées et discutées sont Canello (1883), Toja (1960), Perugi (1978), Eusebi (1984).
184 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
exercice de critique textuelle. Dans d’autres cas d’éditions multiples, dont nous
parlerons plus loin, le tableau synoptique peut être facilement réalisé par le lecteur
lui-même en affichant simultanément deux fenêtres ou plus en fonction du nombre
des éditions.
Pendant les dernières années du cursus des étudiants en philologie romane de
l’Université de Naples Frédéric II, tant en licence qu’en master, on a remarqué depuis
quelque temps une augmentation importante du nombre de thèses de laurea, dont le
but est de produire des fiches philologiques pour le site du Rialto. Les étudiants
intéressés par les études occitanes et qui ont étudié sur le plan théorique les bases de
la philologie textuelle et de l’interprétation des textes ont pu mettre en pratique ce
qu’ils avaient appris en réalisant personnellement, sous la direction de leurs profes-
seurs, les fiches philologiques du troubadour ou du texte qui fait l’objet de leur étude :
le succès qu’a connu cette expérience a été assez considérable, et plusieurs collègues
d’autres universités ont contacté la rédaction pour développer un travail semblable
parmi leurs propres étudiants, qui ont ensuite publié leurs travaux sur le site.13
13 Voir par exemple les textes annotés, et dans beaucoup de cas édités, de Guillem del Bautz et de ses
correspondants, par les soins de Francesco Saverio Annunziata (Università di Napoli Federico II), de
Folquet de Lunel, par Federica Bianchi (Università dell’Aquila), de Guilhem Rainol d’At, par Rossella
Bonaugurio (Università dell’Aquila), de Ramon de Perellós (Viage al Purgatory), par Margherita Boretti
(Università di Pisa), de Paulet de Marselha, par Lidia Tornatore (Università di Salerno).
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 185
d’Atressi com le leos (BdT 421.1) de Rigaut de Berbezilh dans l’une ou l’autre des deux
éditions disponibles, il suffit de cliquer sur l’icône du tétragramme avec les notes de
musique pour pouvoir écouter la mélodie chantée et lire en même temps le texte de la
chanson (Braccini 1960 : (Braccini).htm (Braccini 1960) ou Varvaro 1960 : www.rialto.
unina.it/RicBarb/421.1(Varvaro).htm.
C’est là un aspect important du site, qui en a déterminé et en détermine encore la
réussite. Le projet des chansons de croisade prévoit en effet l’exécution chantée de la
totalité des 27 pièces dont la mélodie a été conservée, pour prouver que l’approche
multimédia offerte par le Rialto est indispensable pour bien comprendre le texte
médiéval.
projets de philologie numérique qui ont profondément marqué les études occitanes
des années 2000. Il s’agit de la Com, Concordance de l’occitan médiéval, sous forme de
CD-ROM, de Peter T. Ricketts en collaboration avec d’autres, et de la BEdT, la
Bibliografia elettronica dei trovatori, de Stefano Asperti.14
La première est une base de données dont la première version (Com 1), apparue
en 2001, ne contenait que les troubadours ; la seconde (Com 2), de 2005, tous les
textes en vers, narratifs compris, depuis les textes des origines jusqu’à la fin du XVe
siècle. La Com 3, qui comprend également la prose, était sur le point d’être publiée
lorsque, au printemps 2013, Peter Ricketts est subitement décédé à l’âge de quatre-
vingts ans. Pendant plus de quinze ans, entre le Rialto et la Com il y a eu un échange
de textes (surtout pour les nouvelles éditions) et une étroite collaboration dans le
contrôle des transcriptions. L’œuvre a connu une longue gestation et Ricketts a
toujours regretté d’avoir été contraint d’opter pour une réalisation sur CD-ROM : de
14 www.bedt.it.
186 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
fait, quand la plus grande partie du travail était déjà terminée, le réseau n’était pas
encore bien rôdé ni d’usage commun. Sur internet, la concordance aurait été gratuite
et accessible à tous ; en outre, il aurait été possible de lui apporter continuellement
des mises à jour et des corrections, qu’on ne peut réaliser sur le disque qu’à chaque
réimpression.15 Il faut y ajouter que son prix – comme celui des autres CD qui
contiennent les résultats de projets philologiques auxquels ont contribué des person-
nes désintéressées et des institutions publiques – est déraisonnablement élevé et hors
de la portée des étudiants et des chercheurs, au point d’être pudiquement occulté
dans les catalogues en ligne (« Contact us for a price request »).
Le second projet, celui de la BEdT, entamé par Stefano Asperti dans le cadre de
l’Université de Rome La Sapienza en 2003, est une initiative de la plus grande
importance dans la mesure où il s’agit d’un élargissement et d’une mise à jour
(continue) de la Bibliographie der Troubadours d’Alfred Pillet (1875–1928), complétée
par Henry Carstens (1889–?), remontant à 1933, et qui constitue donc le point de
départ de toute étude sur les troubadours. Le site, comme celui du Rialto, est d’accès
libre. Pour chaque texte la page s’articule dans sept domaines (à leur tour subdivisés
en sous-domaines) :
identificazione testo | genere lirico | metrica e musica | luogo, data, occasione | personaggi e
luoghi | tradizione manoscritta | bibliografia
La BEdT représente une ossature pour les fiches philologiques du site Rialto : informa-
tions bibliographiques mises à jour, indications sur les manuscrits, éditions critiques,
autres éditions, métrique et musique d’une pièce donnée sont confrontées avec le site
du BEdT, après avoir été à nouveau soigneusement contrôlées.
6.1 Le DOM
Depuis peu, dans le panorama des projets informatisés concernant l’occitan médiéval
a pris également place celui d’un dictionnaire de dimensions monumentales, ainsi
que le suggère du reste son acronyme. Comme on le sait, la lexicographie occitane a
une histoire presque paradoxale. Malgré la richesse des études dans ce secteur,
jusqu’à ce jour le Lexique roman (LR) de François Raynouard (1761–1836) demeure
irremplaçable : l’ouvrage, publication posthume parue entre 1838 et 1844, est consi-
15 Une erreur gravissime dans Com 2, qu’il ne sera pas possible de corriger avant la prochaine
impression du disque, concerne l’édition critique d’Arnaut Daniel, encore attribuée à Toja (1960). En
réalité, une nouvelle édition avait été utilisée, encore inédite sur papier, et réalisée par Maurizio
Perugi.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 187
aurait été érigée en modèle pour les autres langues et littératures néolatines.16 Le
Provenzalisches Supplement-Wörterbuch (SW) d’Emil Levy (1855–1917), apparu entre
1894 et 1924, représente une intégration, très étendue mais toujours partielle, du LR,
au point que jusqu’à présent l’unique dictionnaire d’ancien occitan exhaustif et mis
à jour par rapport au LR est le Petit dictionnaire provençal-français (PD), sans
citations, du même Levy, publié en 1909 et qui compte moins que 400 pages en petit
format ; en réalité, le PD synthétise et parfois corrige ou retouche les mêmes défini-
16 La pensée linguistique de Raynouard est toutefois plus complexe qu’elle ne paraisse immédiate-
ment, et certaines de ses idées étaient déjà diffusées et bien établies à l’époque : voir Lachin (2012).
17 www.dom.badw-muenchen.de. Le site est en ligne depuis 2001 ; les fascicules avec des citations
depuis 2005. En 2001 on annonçait sur la homepage un disque avec les citations (« Eine CD-ROM-
Fassung – mit Einbeziehung der Belegkontexte – ist in Planung ») : évidemment, un retard heureux a
permis de sauter cette étape qui serait maintenant jugée inutile et qui aurait lié l’ouvrage à une maison
d’édition commerciale et à un système de distribution (et il faut dire aussi que le logiciel d’un disque
n’est pas facile à mettre au jour), comme il est arrivé à la Com. L’accès à des pages remplacées et qui ne
sont plus disponibles en ligne est rendu possible grâce à la WaybackMachine d’Internet Archive
(archive.org).
188 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
laquelle Stempel renvoie dans son introduction), se multiplieront sans doute dans
l’avenir, mais le projet ne peut compter que sur une équipe très réduite, composée
d’une directrice et de deux rédactrices seulement. L’on souhaite vivement que
l’œuvre soit tôt ou tard achevée, en suivant l’exemple des meilleurs dictionnaires des
anciennes langues romanes disponibles en ligne en ce moment, parmi lesquels il
faudrait mentionner pour la qualité des résultats le TLIO, Tesoro della lingua italiana
delle origini, dirigé jusqu’en 2013 par Pietro G. Beltrami,19 et l’AND, l’Anglo-Norman
Dictionary, dirigé par David Trotter,20 tous les deux d’accès libre et tous les deux en
voie d’achèvement. Le DEAF, Dictionnaire étymologique de l’ancien français, est en
train de subir une mutation génétique qui ressemble à celle qu’ont connue le DOM et
l’AND ; Thomas Städtler en dirige la version numérique.21
En même temps que la Com 1 de Ricketts, une autre concordance sur CD-ROM est
apparue en 2001, des troubadours seulement, par les soins de Rocco Distilo, Troba-
dors, Concordanze della lirica trobadorica, avec une graphique plus captivante et avec
18 www.dom.badw.de. Le lecteur est avisé de cela dans un « Avis important » joint au dernier
fascicule.
19 tlio.ovi.cnr.it/TLIO/. Le site a été créé en 1997 et n’a pas de prédécesseurs papier, bien que les
origines du projet, financé par le CNR, remontent à 1965. Le TLIO s’accompagne du corpus textuel de
l’ancien italien (jusqu’à 1375, année de la mort de Boccaccio) de l’OVI (Opera del Vocabolario italiano),
lui aussi consultable en ligne (gattoweb.ovi.cnr.it).
20 www.anglo-norman.net. Le site, créé en 2001, hérite d’une édition imprimée des lettres A–E, qui a
subi une révision radicale, que le site incorpore et augmente. Comme dans le cas du Rialto, « the
editorial staff of the project are able to compile, edit, revise and publish entries in final electronic form
without any dependence on technical staff or external agencies » (page « About this site »).
21 www.deaf-page.de/fr/. Le premier fascicule, édité par Kurt Baldinger et al., a été publié en 1971. Le
dictionnaire en ligne (DEAFÉl), dont l’édition complète est prévue pour l’année 2017, accompagne plus
qu’il ne remplace la publication imprimée et offre en outre une base complète des données lemmati-
sées (DEAFPré).
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 189
quelques fonctions de recherche plus développées ;22 par rapport à Com 2 le projet ne
put évidemment pas tenir compte des nouvelles éditions critiques reprises par Ric-
ketts en 2005, et préparées pour Com 3, ou parfois même disponibles à Ricketts avant
leur parution sous forme d’éditions publiées. Le CD-ROM avait été annoncé par un site
web, Trobvers, Lessico e concordanze della lirica trobadorica, toujours par Rocco
Distilo, qui porte la date « Messina, janvier 1999 ». À la date à laquelle nous avons
gratuit mais exigeait par contre, comme l’on l’apprend d’une vieille page d’instruc-
tions concernant la consultation, le paiement d’un abonnement (encore exprimé en
lire italiennes) à une revue de l’Université de Rome La Sapienza.
Outre la BEdT, une autre bibliographie des troubadours en ligne et d’accès libre,
assez soignée pour certaines parties mais moins à jour pour d’autres, et elle-même
peut-être abandonnée aussi, s’appelle Les troubadours, Une bibliographie, réalisée à
Brigham Young University (Provo, Utah, USA).23 Le site n’indique ni le nom de
l’éditeur, ni la date de lancement.
L’on ajoutera aussi la bibliographie Trobar, d’accès libre, qui dans la page
d’accueil fournit le nom de la responsable, Kathryn Klingebiel, et l’année de création
du site, ou plus exactement de l’enregistrement des droits d’auteur, soit 1996.24 Il
s’agit en grande partie d’un moteur de recherche bibliographique accompagné par
des notices accessoires, intéressant pour sa complexité mais d’utilisation assez diffi-
cile, et pas tout à fait à jour.
Il y a, enfin, le site du Corpus des troubadours, également d’accès libre, produc-
tion de l’Institut d’estudis catalans et de l’Union académique internationale et lancé
en 2009 par Vicenç Beltran et Tomàs Martínez Romero.25 En fait, ce projet a des
origines lointaines, puisqu’il a été présenté en 1961, puis, au nom de l’Union acadé-
mique internationale, au IIIe Congrès international de langue et de littérature d’oc
(Bordeaux) par Ramon Aramon i Serra (1907–2000), projet auquel vint s’adjoindre
ensuite Aurelio Roncaglia (1917–2001). Le but de l’entreprise était de mettre au point
un corpus de textes des troubadours fiables (les ambitions d’Aramon incluaient aussi
la production épique, et s’intéressaient également à la musique et au décor iconogra-
phique des codices). De fait Roncaglia inaugura en 1973, avec l’édition de Guillaume
de Poitiers par Nicolò Pasero, une série intitulée, avec beaucoup de modestie, Sub-
sidia al Corpus des troubadours, qui reste à ce jour la plus importante collection
d’éditions critiques troubadouresques et constitue le seul résultat philologique
concret du projet initial. Roncaglia écrivait (Pasero 1973)26 que
22 trobvers.textus.org.
23 troubadours.byu.edu.
24 www.tempestsolutions.com/trobar.
25 trobadors.iec.cat.
26 La collection est publiée par la maison d’édition Mucchi, de Modena.
190 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
« è parso opportuno che la collaborazione italiana al Corpus […] venga ad esplicarsi anche, e
subito, nell’offerta d’una serie di contributi specifici : ovviamente non sostitutivi né concorrenzia-
li, ma preparatori e integrativi, nei quali possa liberamente esprimersi tutto quel lavoro di scavo
puntuale e di minuta discussione di cui il Corpus si limiterà ad accogliere (e s’intende : non senza
De ces mots, il ressort que le Corpus aurait intégré le patrimoine textuel sous forme,
dont nous ignorons à quel point elle aurait été modeste, mais à coup sûr sobre. Le
Corpus des troubadours en ligne, outre qu’il chevauche en partie ce que fait le Rialto,
ne propose d’éditions révisées que dans quelques cas ; en revanche, il se caractérise
mais se veut plutôt complémentaire de celle-ci. Le web peut anticiper la publication (car, de tous
points de vue, y compris juridique, il s’agit d’une publication) d’éditions qui paraîtront sous
forme imprimée. En outre, ne connaissant pas de limites d’espace, une telle édition pourra
contenir une quantité de documentation qu’un livre ne pourrait proposer, mais à laquelle le livre
lui-même pourra renvoyer. Pour les éditions déjà parues, le Rialto permet aux éditeurs vivants de
mettre à jour ou, le cas échéant, de corriger leur texte, ou encore de répondre aux doutes et aux
objections soulevées (point n’est besoin de rappeler que la réimpression rapide d’une édition
critique est l’exception) ».
Nous avons déjà évoqué les possibilités infinies accordées par l’absence de limites
d’espace à propos de l’édition du Nouveau Testament de Lyon, ouvrage d’une grande
27 archive.org ; gallica.bnf.fr. En marge du site web, le Corpus a lancé une série d’études et d’éditions
intitulée « Corpus des troubadours » et publiée par les Edizioni del Galluzzo de Florence.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 191
taille qu’on aurait, nous l’avons vu, difficilement pu consulter aussi souvent en
empruntant les canaux traditionnels des publications « papier » (outre le temps
nécessaire pour la publication, les coûts auraient été très élevés et la circulation du
livre hypothétique aurait été très limitée). On ne peut qu’ajouter que le Rialto, à la
différence des maisons d’édition traditionnelles, en évitant d’imposer des limites
d’espace, admet en fait dans son site de nombreuses informations qui auraient
beaucoup plus de mal à trouver leur place sur le papier et qui seraient donc sacrifiées.
À la différence de l’imprimé, le Rialto permet de placer côte à côté des éditions
différentes de plusieurs éditeurs (comme dans le cas des fiches synoptiques d’Arnaut
Daniel), pour pouvoir confronter les différents choix opérés et bénéficier de plus de
textes critiques également fiables. En ligne, il est donc possible de lire Folquet de
Marselha dans les éditions de Stroński (1910) et de Squillacioti (1999), Rigaut de
Berbezilh dans celles de Braccini (1960) et de Varvaro (1960), Folquet de Lunel dans
les éditions de Bianchi (inédite) et de Tavani (2004), Marcabru dans les éditions de
Gaunt/Harvey/Paterson (2000) et dans celle, de huit compositions, de Roncaglia,
apparues en divers lieux entre 1950 et 1968, réunies ici pour la première fois et
annotées par Francesco Carapezza. À partir de la page consacrée à l’auteur, on peut
choisir dans quelle édition lire une composition donnée, et chaque page est reliée à
l’autre édition, de façon à rendre toujours aisée la comparaison des textes.
L’emploi du Rialto s’est avéré encore plus fructueux pour les éditeurs vivants, qui
ont pu revenir sur certains passages de leurs éditions déjà imprimées et les corriger.
Quiconque a publié une édition critique sait que le texte ou la traduction proposés ne
sont jamais définitifs, et qu’ils sont toujours susceptibles d’amélioration dans les
choix textuels ou l’interprétation. Ensuite, les comptes rendus attentifs qui suivent la
publication d’une édition mettent souvent en lumière de nouveaux problèmes ou
proposent des solutions différentes de celles qu’a choisies l’auteur. Plus souvent
encore, c’est l’auteur même de l’édition qui médite encore sur ce qu’il a écrit et ressent
le besoin d’améliorer son propre texte à la suite de nouvelles études. Le Rialto permet
aux éditeurs de revenir sur leur propre édition critique et de corriger le texte ou la
traduction, constituant ainsi dans certains cas le véritable lieu de référence pour
l’édition en question, qui va par conséquent remplacer, dans la limite des modifica-
tions introduites, l’édition papier. C’est le cas, parmi tant d’autres, de l’édition critique
de Peire d’Alvernhe, par Aniello Fratta, retouchée sur le Rialto à plusieurs endroits,
signalés en note, par rapport à l’édition imprimée de 1996 ; ou de celle de Folquet de
Lunel, par Giuseppe Tavani, publiée sur papier en 2004 et sur le Rialto trois ans après,
où l’éditeur revient sur le texte ou propose une interprétation différente par rapport à
celle qu’il avait offerte auparavant, discutant dans le domaine « Notes » des fiches
est par conséquent aujourd’hui celle qui est publiée sur le Rialto.
Certains de ces aspects du Rialto, présents depuis ses débuts, concrétisent peut-
être déjà en partie quelques-uns des points sur lesquelles insistaient les concepteurs
du Corpus des troubadours, mais c’est grâce au recours, maintenant, à un instrument
192 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
8 Bibliographie
BdT = Alfred Pillet (1933), Bibliographie der Troubadours, ergänzt, weitergeführt und herausgegeben
von Henry Carstens, Halle, Niemeyer.
Braccini, Mauro (ed.) (1960), Rigaut de Barbezieux, Le canzoni, Firenze, Olschki.
Canello, Ugo Angelo (1883), La vita e le opere del trovatore Arnaldo Daniello, Halle, Niemeyer.
Carapezza, Francesco (2001), Raimbaut travestito da Fedra (BEdT 389.I). Sulla genesi del salut
provenzale, Medioevo romanzo 25, 357–395.
Com 2 = Concordance de l’occitan médiéval (COM 2). Les troubadours, Les textes narratifs en vers,
direction scientifique : Peter T. Ricketts, CD-Rom, Turnhout, Brepols 2005 (Com 1, 2001).
Corradini Bozzi, M. Sofia (1997), Ricettari medico-farmaceutici medievali nella Francia meridionale,
vol. I, Firenze, Olschki.
DEAF = Baldinger, Kurt, et al. (1974-), Dictionnaire étymologique de l’ancien français, Québec, Presses
de Bartholomaeis, Vincenzo (1931), Poesie provenzali storiche relative all’Italia, 2 vol., Roma, Tipogra-
fia del Senato.
Di Luca, Paolo (2011), Le novas del ms. Didot, Cultura neolatina 71, 305–330.
DOM = Dictionnaire de l’occitan médiéval, fasc. 1–7 (1996–2013) ; Supplément (1997 ; fasc. 1–6,
Eusebi, Mario (ed.) (1984), Arnaut Daniel, Il sirventese e le canzoni, Milano, Scheiwiller (ristampa
L’aur’amara, Parma, Pratiche 1995).
Fratta, Aniello (ed.) (1996), Peire d’Alvernhe, Poesie, Roma, Vecchiarelli.
Galano, Sabrina (ed.) (2004), Blandin di Cornovaglia, Alessandria, Edizioni dell’Orso.
Gambino, Francesca (2008), Vita e miracoli di santa Flora di Beaulieu. Edizione del testo provenzale
con note e glossario, Zeitschrift für romanische Philologie 124, 418–513.
Gaunt, Simon/Harvey, Ruth/Paterson, Linda (edd.) (2000), Marcabru : A Critical Edition, Cambridge,
D. S. Brewer.
Harris, M[arvyn] R[oy] (1988), The Occitan Epistle to the Laodiceans : Towards an Edition of Ms. PA 36
(Lyons, Bibl. Mun.), in : Anna Cornagliotti et al. (edd.), Miscellanea di studi romanzi offerta a
Cambridge, Brewer.
Lachin, Giosuè (2012), La « langue romane » da Raynouard a Diez, in : Chiara Schiavon/Andrea
Cecchinato (edd.), Una brigata di voci. Studi offerti a Ivano Paccagnella per i suoi sessantacinque
anni, Padova, Cleup, 377–411.
Lee, Charmaine (ed.) (1991), Daurel e Beton, Parma, Pratiche (ristampa Milano, Luni 2000).
Lee, Charmaine (ed.) (2006), Jaufre, Roma, Carocci.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 193
Squillacioti, Paolo (1999), Le poesie di Folchetto di Marsiglia, Pisa, Pacini (ed. minor, Folquet de
Marselha, Roma, Carocci, 2003).
Stroński, Stanisław (1910), Le troubadour Folquet de Marseille, Cracovie, Académie des Sciences.
SW = Emil Levy (1894–1924), Provenzalisches Supplement-Wörterbuch, 8 vol., Leipzig, Reisland.
Tausend, Monika (1995), Die altokzitanische Version B der « Legenda aurea » (Ms. Paris, Bibl. Nat.,
Abstract : Cette contribution décrit le modèle d’une application web pour la produc-
1 Introduction
Les techniques de traitement électronique des données textuelles développées à partir
de la seconde moitié du siècle dernier ont connu un essor croissant et ont obtenu un
consensus de la part d’un nombre de plus en plus élevé de spécialistes qui se sont
tournés vers elles pour obtenir des outils indispensables à leur travail critique. Il n’est
nullement besoin de rappeler que la nécessité de consulter des index et concordances
de corpus textuels s’est faite de plus en plus pressante, d’autant plus lorsque l’on a
découvert que l’outil informatique pouvait favoriser la rédaction de lexiques d’auteur
ou, plus encore, de vocabulaires historiques d’une langue et de ses variantes.1
Ces interventions technologiques dans le domaine des études linguistiques et
littéraires n’ont pas été accompagnées de développements comparables dans le
secteur de l’édition critique. Ceci malgré l’organisation, en 1968, d’un congrès, sans
conteste pionnier, qui affronta pour la première fois le thème des applications infor-
matiques à la critique du texte (Irigoin/Zarri 1979).
Il n’était en effet pas facile alors, et cela ne l’est toujours pas aujourd’hui, de
concevoir un automate en mesure d’effectuer la recensio et la collatio de manière
1 En ce qui concerne la langue italienne, voir Avalle (1979, 11–28). Ces initiatives dérivaient de
l’expérience positive du père jésuite R. Busa qui avait réalisé les premiers programmes d’élaboration
du texte avec des machines IBM pour des études lexicographiques sur le corpus de Saint Thomas
d’Aquin. Parmi les premières contributions concernant ce projet, voir Busa (1951, 479–493).
Entre texte et image : la méthode de Pise
195
automatique ; ceci bien que quelques expériences très intéressantes aient été propo-
Les programmes réalisés alors avaient l’inconvénient d’être peu flexibles, de ne pas
disposer de standards partagés pour le codage des textes ; ils n’étaient donc pas
réutilisables dans des secteurs différents de ceux pour lesquels ils avaient été conçus.
Un système de critique textuelle assisté par ordinateur pour la philologie médiévale
2 Malgré la modernisation technologique, cette phase a maintenu sa fonction et nous pouvons dire
qu’elle est valable aujourd’hui encore, même si elle est à présent effectuée avec des moyens et des
outils beaucoup plus simples, surtout en ce qui concerne l’interface homme-machine et les standards
de balisage des composants du texte, partagés par de vastes communautés. Voir plus loin, à ce propos,
§ 6.
3 Outre ce qui a été réalisé par Zarri à la fin des années 1960, cette procédure est encore suivie de nos
jours, par exemple par le système Collate (voir http://collatex.sourceforge.net/), conçu par P. Robinson
et son équipe (Robinson 1994). Une nouvelle version du système, adoptée ensuite par Prue Shaw dans
l’édition électronique de la Monarchia (Shaw 2009), a été soumise à une analyse critique détaillée
(Chiesa 2007). Parmi les systèmes de comparaison automatique des différentes versions d’un même
texte, en particulier en ce qui concerne la critique génétique, voir aussi Ganascia/Fenoglio/Lebrave
(2004).
4 Parmi les systèmes de ce type, le plus connu et, certainement, l’un des premiers qui a dépassé la
phase du prototype et qui est en effet adopté, est le système TUSTEP (Tübinger System von Textverar-
beitungsprogrammen). Il a été réalisé par Wilhelm Ott au Zentrum für Datenverarbeitung de l’Univer-
sité de Tübingue. Ce système, qui a l’avantage d’offrir une édition prête à l’impression, les apparats et
les index en photocomposition, a été employé, entre autres, par Hans Walter Gabler pour l’édition de
l’Ulysse de Joyce (Gabler 1984) et par Heinrich Schepers pour l’édition de quelques œuvres de Leibniz
(Schepers 2003).
196 Andrea Bozzi
avec des fonctions plus poussées que celles, plus simples et très requises, d’élabora-
tion d’index et de concordances n’aurait pu être utilisé à d’autres fins (par exemple la
papyrologie grecque ou l’épigraphie latine) qu’au prix d’onéreuses interventions.
La technologie actuelle, les systèmes de développement d’application en mesure
d’opérer sur le Web et les standards internationaux pour le balisage de tous les
éléments qui caractérisent un texte ou le support matériel sur lequel il est conservé,
offrent des conditions favorables à la conception d’un système pour la philologie
assistée par ordinateur et à la préparation d’éditions en format électronique avec un
éventuel report sur papier du travail de critique éditoriale.5
Ces nouvelles conditions, qui sont également basées sur la disponibilité crois-
sante de documents manuscrits ou imprimés au format d’images numériques à haute
résolution,6 influencent les pratiques de critique éditoriale à tel point que certains
spécialistes ont parfois jugé bon de repenser le travail philologique et d’envisager une
décadence naturelle des éditions critiques. L’édition numérique est, de par sa nature,
mobile, indéterminée, jamais fixe et ceci a accru la valeur de la source documentaire.
L’attention s’est déplacée sur le document et l’on a célébré la variante comme antidote
au texte critique établi par un philologue. Ce texte a même été considéré comme un
artifice et a considérablement perdu de son autorité par rapport à celle que la critique
textuelle d’inspiration lachmannienne lui attribuait (Cerquiglini 1989).
Il est bon de souligner qu’une telle attitude n’est pas la conséquence directe du
fait que l’on dispose d’un outil technologique nouveau, mais bien d’une vision
méthodologique absolument indépendante de celui-ci. Le numérique, donc, n’a d’au-
tre responsabilité dans tout cela que celle d’avoir offert l’occasion propice de démon-
trer la facilité de mettre sur un site internet les images numériques de toute une
tradition manuscrite directe ou indirecte et, partant, de laisser à chacun la liberté
d’étude ou de travail éditorial. Il a déjà été fait remarquer qu’en poussant cette
attitude à l’extrême, on démolit la critique du texte et l’essence de la philologie : on
méconnaît la valeur d’un texte établi au profit du texte des différentes sources qui le
transmettent.
À l’Istituto di Linguistica Computazionale du Conseil National des Recherches
(CNR italien), à Pise, un projet a vu le jour. Tout en reconnaissant les grandes
opportunités offertes par les développements du numérique, il n’entend pas délégiti-
5 Une édition au format électronique est considérée plus provisoire que celle produite au moyen
d’outils traditionnels et diffusée exclusivement sur support papier. Les deux modalités ne s’excluent
pas mutuellement, mais peuvent être considérées comme complémentaires : la première garantit des
modalités de mise à jour et de réédition beaucoup plus simples que si l’on s’en remet exclusivement à
la seconde.
6 De toutes les campagnes de numérisation, celle qui mérite une citation particulière est le grand
projet de la Bibliothèque Apostolique Vaticane qui procède à la conversion au format numérique de
quatre-vingt-mille manuscrits ; au terme de la conversion, l’archive pèsera quarante-trois « petabyte /
pétaoctet ».
Entre texte et image : la méthode de Pise
197
qu’une application Web moderne et performante soit en mesure d’assister les person-
nes opérant sur des textes transmis par plusieurs sources, sur des documents uniques,
sur des manuscrits d’auteurs modernes et contemporains et, enfin, contribue à la
production de travaux de philologie du texte imprimé (flexibilité).
Le programme est ambitieux, mais le projet et, surtout, les outils de développe-
ment actuels, dotés de systèmes de codage et de balisage adéquats et standardisés, en
favorisent la réalisation (standardisation).
La condition indispensable à la réalisation des phases de vérification, même de la
part d’utilisateurs n’ayant pas contribué au développement du projet, consiste en un
principe méthodologique supplémentaire auquel nous nous sommes conformés :
aucun outil soumis aux contraintes du copyright n’a été utilisé ; nous nous en sommes
7 Pour obtenir une application flexible et réutilisable pour une grande variété d’études de caractère
philologique, l’architecture générale est fondée sur le modèle bien connu Model-View-Controller
(MVC), qui sépare la représentation des données de la manière dont ils sont présentés (« rendering ») et
traités (« management »). Voir, par exemple, le manuel technique dans Pitt (2012).
198 Andrea Bozzi
depuis un certain temps, l’objet de travaux spécialisés dans le secteur du TAL. S’il est
vrai que de nombreux travaux ont atteint des résultats excellents dans le traitement
automatique des langues modernes, il n’est absolument pas exclu que ces mêmes
programmes, dont les meilleurs sont pour ainsi dire indépendants des langues, puis-
sent être appliqués avec succès sur des textes rédigés en langues anciennes. Par
cohérence avec le thème traité, ces aspects ne seront ici qu’évoqués et non pas
analysés en profondeur, bien qu’il existe des expériences très intéressantes du point
de vue quantitatif et qualitatif.
8 La première expérience de station de travail philologique assistée par ordinateur à l’ILC a été réalisée
dans le cadre du projet européen BAMBI (Bozzi 1997). De plus amples informations méthodologiques
se trouvent dans Bozzi (2003a). Pour la description d’une application pour la philologie classique et,
en particulier, pour la papyrologie grecque, voir Bozzi (2003b).
Entre texte et image : la méthode de Pise
199
9 Aucune indication n’est ici fournie à propos de la résolution que les images, surtout celles concer-
nant les sources manuscrites anciennes, doivent avoir pour pouvoir être utilisées par un système
informatique en mesure d’effectuer des opérations simples (luminosité, contraste, niveau chroma-
tique) ou plus complexes (segmentation des zones-mot, repérage et numérotage des colonnes, lignes
et zones-mot). En fait, les paramètres peuvent varier en fonction de l’état de conservation de l’objet, de
la grandeur des caractères, du type de graphie utilisée ou du trait avec lequel ils ont été écrits. Nous
pouvons toutefois dire, qu’en principe, un bon compromis entre qualité et quantité de « byte » est
atteint lorsqu’un caractère alphabétique manuscrit (par exemple, l’image de la lettre « m ») se trouve
inscrit dans un rectangle composé de 40 × 30 « pixel » (c’est-à-dire, de points image), où chaque pixel
est constitué d’au moins 8 bit, ce qui signifie une profondeur maximum de 256 couleurs ou niveaux de
gris.
200 Andrea Bozzi
10 Il n’en a pas été de même concernant les textes anciens imprimés pour lesquels le programme de
segmentation automatique des images de différentes éditions des XVIe et XVIIe siècles du Contradicen-
tium medicorum de Gerolamo Cardano a donné, par contre, d’excellents résultats (Baldi 2006).
Entre texte et image : la méthode de Pise
201
accessibles surtout lorsqu’il faudra prendre des décisions pour établir le texte et
enregistrer les informations dans l’apparat critique.11
Le même instrument de sélection qui permet de mettre en évidence une zone de
l’image où un mot est inscrit est également valable au cas où l’on veuille opérer sur
des parties plus vastes comme, par exemple, une portion entière de texte ayant des
caractéristiques de forme ou de contenu dignes d’être mises en valeur ou signalées
(une seconde main, une probable interpolation, etc.). Conformément au principe de
modularité qui sous-tend tout le système, cette même fonction du module d’apparat
(la sélection de zones sur l’image numérique) est également utilisable pour toutes les
autres images des documents collationnés, à condition, naturellement, qu’ils soient
disponibles dans un format numérique.
Celle-ci peut également être activée, selon le même principe, pour mettre en
évidence des parties du texte transcrit ou des mots isolés : d’un côté, comme nous le
prennent des valeurs sémantiques particulières dans un contexte donné, qui appar-
tiennent à des langages spécialisés, qui sont des hapax, ou d’autres phénomènes
semblables.
11 Un exemple qui confirme la validité du rapport entre texte et image dans un système computation-
nel pour les études du texte est fourni dans Corradini (2007).
12 Le manuel complet est téléchargeable gratuitement à l’adresse : http://www.tei-c.org/Guidelines.
202 Andrea Bozzi
d’effectuer l’index des mots d’une citation que si un codage adéquat, inclus dans les
directives de la TEI, est inséré au début et à la fin de cette citation.13
Un point qui est considéré incontournable dans le développement de notre
système consiste à mettre à la disposition de l’usager final une interface qui facilite le
choix des balises et les opérations de balisage. Il est impensable que la personne
devant affronter des problèmes éditoriaux parfois très complexes doive porter son
attention ailleurs afin d’accéder à des catalogues de symboles de balisage et choisir
les plus adaptés à chaque situation. Tout en réaffirmant que la machine ne pourra
fournir de résultats importants que si elle dispose de parties codées convenablement
et de façon homogène, j’insiste sur le fait qu’il est toutefois indispensable que le
philologue utilise une méthode simple et intuitive grâce à laquelle il pourra sélection-
ner sur un menu, au fur et à mesure, les mots (si possible clairs et exprimés sous forme
de catalogue) à chacun desquels correspond un code que le système insérera dans la
version numérique du texte.
Il faut dire, en effet, qu’il existe des centres très actifs dans le domaine de la
numérisation des textes et de la production de systèmes d’élaboration linguistique
qui, en partie pour les raisons précédemment exposées, ne suivent pas les indications
de la TEI mais utilisent plutôt des systèmes de balisage plus simples et orientés à
l’usager final. Quoi qu’il en soit, le respect du standard est garanti car on peut, à
n’importe quel moment, créer des tableaux de correspondance entre les valeurs
exprimées par le balisage simplifié et celles imposées par la TEI. L’élément important
reste le respect d’un critère qui, une fois établi, doit être suivi de façon rigide et
univoque, afin que les données d’un usager puissent être pleinement interprétées et
même réutilisées par une communauté de plus en plus nombreuse d’usagers qui a
choisi d’adhérer au standard TEI.
directe du spécialiste si, dans une citation, le nom de l’auteur et, éventuellement, le titre de l’œuvre
citée sont indiqués de façon explicite.
Entre texte et image : la méthode de Pise
203
6 Le pre-processing (prétraitement)
Bien que des manuels de codage valables soient à présent disponibles, il est bon de
décrire ici tout au moins les catégories principales des éléments à évaluer en phase de
prétraitement afin de procéder, en toute connaissance de cause, à la phase successive
de codage, indépendamment du système que l’on veut adopter (TEI ou autre).
Le classement qui est ici proposé a pour seul but de rendre plus explicite le
rapport existant entre les éléments structuraux du texte et les résultats obtenus d’un
système logiciel grâce au codage associé à chacun des éléments de la structure. Ceci
signifie que l’on peut reconnaître à un mot quelconque des statuts ou des niveaux
différents selon qu’il soit partie intégrante du texte composé par son auteur, connu ou
inconnu, ou qu’il fasse partie d’un titre ou du texte d’une œuvre citée, qu’il soit inséré
dans une note en marge ou dans une glose, ou encore qu’il soit présent dans la
légende d’une illustration. Il en est de même pour les composants numériques qui ont
une valeur de date, de numérotation de feuillet d’un manuscrit ou de page d’un
volume imprimé, de chiffre qui exprime une mesure, etc.
TS_app renferme trois types d’éléments, chacun représenté par un certain nombre
d’entités. La première classe regroupe les composantes extra-textuelles desquelles
font partie, par exemple, la numérotation des pages (ou des feuillets) et le texte
présent dans d’éventuels titres courants ; la seconde est constituée par les éléments
textuel, étant donné les caractéristiques de la source, du texte dans lequel il est
contenu et des finalités de l’étude critique pourrait être, pour d’autres ayant une
perspective d’analyse différente, considéré à plus forte raison un élément extra-
textuel. Par conséquent, nous ébauchons actuellement le projet des phases de pré-
traitement sur la base d’une classification établie à priori uniquement en ce qui
concerne les trois classes fondamentales citées ; nous laisserons en revanche à
l’usager final le soin de remplir chacune d’elles avec les éléments désirés. Il sera bien
conscient que seule cette classification et le codage qui s’en suit pourront permettre à
la machine d’opérer de manière sélective.14
14 La liberté de choix et d’action que TS_app entend laisser au philologue est la raison qui nous a
poussé à ne pas imposer le système de codage TEI lequel, de surcroît, implique un important surplus
de travail. Nous avons préféré fournir une liste générale de situations exprimées en langage naturel et
sous forme de catalogue dans lequel le philologue ne sélectionnera que ce qu’il juge utile d’adopter. À
chaque élément de la liste correspond un codage TS_app auquel, à son tour, est associé le codage TEI
204 Andrea Bozzi
7 La contextualisation manuelle
Les modalités de balisage des contextes que le système informatique devra montrer
au philologue et qui sont, en principe, produits automatiquement en utilisant la
ponctuation comme élément de délimitation mérite une réflexion particulière.
Le système mis au point par l’ILC, outre la contextualisation réalisée de manière
totalement automatique, prend aussi en considération un aspect souvent négligé et
qui mérite pourtant une attention toute particulière. Il s’agit, par exemple, de projets
d’étude lexicographique comparative sur des textes anciens et leurs traductions
anciennes. La même technique manuelle est justifiée lorsqu’on veut comparer des
sources dont une peut présenter d’éventuelles parties interpolées.15
Ce composant additionnel consiste en un système de balisage manuel des contex-
tes qui, d’un coté, évite l’arbitraire de la délimitation effectuée par un logiciel ; et, de
l’autre, a l’avantage de montrer des péricopes définies par une personne qui a été en
mesure d’en évaluer le sens. À nouveau, l’application se distingue des pratiques très
largement répandues de génération automatique des concordances contextuelles qui
ne tiennent pas suffisamment compte de la nécessité fréquente de couper les contex-
tes « à la main ». Déléguer cette opération à la machine pourrait empêcher d’avoir une
vision correcte du rôle qu’une expression linguistique joue là où elle est insérée. Ceci
vaut en particulier pour des ouvrages de nature technique (médico-pharmaceutique,
mathématique, astrologique/astronomique, etc.), copiés et/ou traduits dans un envi-
ronnement très différent de celui dans lequel ils ont été conçus et ensuite transmis au
cours des siècles. C’est la raison pour laquelle, comme nous l’avons déjà observé,
TS_app met à disposition une fonction grâce à laquelle la responsabilité de la
délimitation des contextes parallèles et, donc, de leur alignement, repose totalement
sur le philologue qui se propose de les interpréter.16
correspondant, afin de garantir le respect de ce standard reconnu et donc l’interopérabilité avec toutes
les données qui l’adoptent. L’interface doit simplifier au maximum la sélection des éléments du
catalogue, même pour les usagers n’ayant pas d’expérience dans l’utilisation des outils informatiques.
Le prix à payer pour offrir cette liberté au philologue pourra être une équivalence non proprement
parfaite entre certaines fonctions exprimées par le système de codage TS_app et les codes TEI
correspondants. Nous pensons toutefois qu’une amélioration de ce résultat pourra être obtenue
graduellement ; nous considérons, pour l’instant, prioritaire l’exigence d’autonomie et la facilité
d’usage.
15 L’outil de contextualisation manuelle de TS_app trouve aussi un usage potentiel dans la critique
génétique. Voir plus loin § 13. Dans cet article, les portions de texte découpées manuellement, selon
des principes sémantiques et interprétatifs, sont définies comme des « péricopes », tandis que celles
produites par un programme, sur la base de critères purement mécaniques (ponctuation, nombre de
mots) sont définis comme des « contextes ».
16 Pour un exemple de travail accompli à l’aide d’un système pour la génération automatique des
index, mais avec une délimitation manuelle des contextes en concordances, Corradini (1982).
Entre texte et image : la méthode de Pise
205
8 L’apparat critique
Si la lecture des sources comporte la découverte des variantes par rapport au texte
choisi comme base de collation, le système ouvre une zone de l’environnement de
travail dans laquelle se trouvent autant de champs-variante que de témoins collation-
nés. L’ensemble de ces champs prend la forme d’un apparat global et dans lequel se
trouvera aussi un champ dans lequel l’éditeur peut inscrire ses propres choix. Il a
ainsi à sa disposition un outil nécessaire à la composition d’un apparat positif dans
lequel englober toutes les leçons des témoins, y compris celles qu’il a adoptées dans
le texte critique.
Donc, même de ce point de vue, l’application qui assiste l’éditeur durant la
production d’une édition critique simule la procédure traditionnelle. L’éditeur est
naturellement libre de ne pas tenir compte des leçons banales, non essentielles (par
exemple, les variantes orthographiques), inutilisables pour démontrer les relations
entre les témoins, leçons qu’il n’insèrera donc pas dans l’apparat. Il est toutefois
conseillé, tout au moins durant les phases initiales du travail, d’enregistrer fidèlement
tout type de divergence, aussi bien les erreurs qui pourraient contribuer à déterminer
le stemma codicum (comme, par exemple, les erreurs de transcription telles que
l’haplographie, l’homéotéleute, la dictographie, etc.) que les leçons qu’on jugera
opportun d’éliminer par la suite, comme les erreurs serviles des scribes, qui sont
inutiles même comme indices de d’usages d’écriture particuliers. Afin de faciliter la
tâche de l’éditeur dans cette opération, l’interface de l’environnement de travail met à
disposition une section pour associer d’éventuelles annotations à chaque variante de
l’apparat. Un système adéquat d’indexation de ces annotations permettra, par exem-
ple, de retrouver avec facilité toutes les leçons considérées comme des erreurs bana-
les, de les évaluer globalement et de les éliminer à bon escient (voir le paragraphe
suivant).
Etant donné que chaque leçon insérée dans l’apparat pourrait déjà avoir fait
l’objet d’analyse dans des éditions précédentes ou dans des études critiques spécifi-
ques, un espace est également prévu pour insérer des informations bibliographiques
ou une adresse web où auraient été trouvées des informations dignes d’intérêt.
Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, un moteur pour l’indexa-
tion est toujours disponible. Il s’active, sur indication de l’éditeur critique, sur les
sections qui sont, au fur et à mesure, objet d’étude et d’évaluation. Il produira donc
les index alphabétiques des leçons du texte critique, des variantes de chaque témoin
et il est en mesure de relier les unes (les leçons du texte critique) aux autres (les
variantes) et vice versa.
La prédisposition d’un apparat positif présente une série d’informations qui
peuvent être élaborées par le système informatique et offrir certains avantages pour
l’éditeur qui, nous le rappelons, s’est consacré à la transcription du texte de la seule
source jugée « la meilleure » selon des évaluations internes et externes. À la différence
des autres programmes d’édition critique assistée par ordinateur, cette application,
206 Andrea Bozzi
conversion dans un format calculable pour produire des outils d’analyse utiles du
point de vue quantitatif : ils tendent donc à réduire le caractère aléatoire d’une
décision (la divinatio de lachmannienne mémoire) afin que prédominent les données
objectives.
L’on pourrait observer qu’un philologue expert n’a pas besoin de données consi-
dérables du point de vue numérique pour prendre ses décisions : peu d’éléments
fondamentaux fiables lui suffisent pour scinder les sources à collationner de celles à
rejeter ou à ne considérer que partiellement. Qu’il ait ou non envisagé mentalement
un stemma, les outils d’évaluation qu’un ordinateur lui offre pourraient se révéler très
utiles, surtout si cela ne comporte aucun supplément de travail et de temps. La
fonction de génération du texte de chaque témoin à partir des informations d’apparat
peut naturellement être également activée pour assembler les choix éditoriaux aux
leçons des autres témoins admises par l’éditeur. Le résultat qui en dérive est le texte
17 Il s’agit de phénomènes tels que, par exemple, la présence de sources contaminées qui mènent
parfois à des traditions textuelles très complexes. Il en résulte une grande difficulté à reconstruire
dynamiquement le texte de tous les témoins collationnés sur la base d’un unique texte, en utilisant les
fonctions du logiciel précédemment décrit.
Entre texte et image : la méthode de Pise
207
établi qui pourra être chargé sur un serveur relié à Internet, mais aussi être imprimé
pour en constituer un volume papier.
texte ou de l’image afin que l’on puisse y associer une annotation. Les informations
sont enregistrées dans une base de données et constituent un matériel précieux
surtout pour d’autres spécialistes si le travail est effectué sous forme collaborative.
Toutefois, il est bon de souligner le fait que les annotations desquelles nous parlons
ici sont exprimées sous forme non structurée mais bien discursive. Elles se présentent
comme de courts essais monographiques sur une expression, un mot, une variante,
un usage particulier et insolite d’un terme par rapport à l’usage le plus connu. Le texte
de ces brefs commentaires joue principalement le rôle de note provisoire, pas néces-
sairement destinée à la publication sur le site où l’édition critique sera disponible ou
sur sa version imprimée. Si le système est utilisé par une communauté d’experts pour
un travail collaboratif, les annotations en question servent à partager des aspects et
des problèmes rencontrés par chacun afin que d’autres puissent en profiter.
à jour à n’importe quel moment, elle peut être partagée avec d’autres spécialistes qui
208 Andrea Bozzi
opèrent dans le cadre du même projet éditorial ou, au contraire, être réservée à l’usage
exclusif de l’expert qui l’a composée. Il est donc évident que, pour cette raison
également, on a volontairement évité d’imposer un classement établi à priori, pré-
férant, au contraire, laisser à l’usager le choix d’un nombre illimité de termes à utiliser
comme mots-clés.
Le résultat fourni par le système en réponse à une requête spécifique (par
exemple : montre tous les passages annotés comme « interpolation possible ») per-
mettra d’avoir une vision synoptique de l’ensemble des passages (contextes) annotés
avec cette typologie. Le spécialiste dispose de données plus nombreuses et mieux
sélectionnées afin de confirmer ou modifier ses observations de manière plus appro-
priée aux textes analysés.
En d’autres termes, et pour résumer ce qui a été dit à ce propos, l’application
propose deux méthodes différentes pour l’insertion des annotations : une forme libre
et une forme contrôlée. L’annotation libre comporte la sélection d’une phrase entière
ou d’une portion de phrase (et, si nécessaire, d’un seul mot) et l’ouverture d’une zone
de l’interface dans laquelle insérer les observations sous forme non structurée et sans
limites d’espace. En revanche, l’annotation contrôlée permet d’offrir au spécialiste la
possibilité de dresser une liste de typologies de classes de jugement. Insérées dans un
menu, il pourra ensuite les utiliser à chaque fois qu’il souhaitera marquer une
expression particulièrement significative et digne d’être reliée et comparée à toutes
celles qui ont été classées de la même manière. TS_app n’offre donc pas seulement
des index de mots présents dans le texte, avec une éventuelle visualisation des
correspondances sur les images (concordance texte-image), mais il présente aussi
automatiquement tous les contextes annotés de la même façon.18
visualisation des données agit sur les sommes des valeurs attribuées aux variantes et propose les
résultats dans une carte tridimensionnelle et sous forme de stemma dans lequel les distances entre les
témoins sont proportionnelles aux valeurs numériques de ressemblance ou de différence qui les unit
ou les sépare. La description de cette méthode, qui n’a pas encore été expérimentée et n’est donc pas
intégrée dans TS_app, se trouve dans Corradini (2005).
Entre texte et image : la méthode de Pise
209
plusieurs domaines logiques et sémantiques véhiculée par le texte critique établi (ou
en phase d’édition).19 Enfin, si les autres modules d’annotation sont destinés princi-
palement à éclairer les actions accomplies par le spécialiste durant les phases de
choix des leçons pour la constitutio textus et la construction d’un apparat de variantes,
cette troisième méthode a en revanche pour but d’organiser les composantes concep-
tuelles que le philologue juge opportun de mettre en évidence avec une emphase
particulière.
La programmation de ce troisième système novateur a été suggérée par deux
projets de recherche. Le premier, concernant l’étude d’éléments médico-pharmaceuti-
ques et anatomiques présents dans des manuscrits médiévaux rédigés en occitan ; le
19 Le terme « ontologie » est emprunté à la science de l’information. Il est entré dans l’usage commun
depuis qu’est apparue la nécessité d’organiser sémantiquement la myriade d’informations qui sont
chargées chaque jour sur la toile. Il existe par conséquent une étroite relation entre le « web séman-
20 En ce qui concerne l’extension du modèle adopté pour le développement de TS_app par rapport
également à une utilisation dans la critique génétique de documents numériques, voir la section
suivante. Le projet sur de Saussure envisage l’utilisation d’une structuration ontologique des données
selon deux points de vue. Le premier tend à organiser les aspects matériels présents dans ses
manuscrits selon un schéma logique grâce auquel les fonctions des couleurs de l’encre utilisée, des
soulignages, des annotations en marge et des relations réciproques existant entre ces caractéristiques
extérieures, typiques du support matériel, sont explicitées. Le second, en revanche, concerne l’organi-
sation conceptuelle du lexique et de la terminologie saussurienne selon la théorie du Lexique Généra-
tif. La description détaillée des résultats obtenus par Nilda Ruimy et Silvia Piccini (ILC-CNR) et
l’interrogation de la base de données lexicales structurée ainsi que la bibliographie produite sur ce
sujet se trouvent sur le lien suivant : http://www.ilc.cnr.it/viewpage.php/sez=ricerca/id=917/vers=ita.
210 Andrea Bozzi
utilisée sera dans ce cas un concept ou un terme générique (par exemple, « onguent »
pour « blessure » dans une partie quelconque du corps, par exemple « tête »).
Les résultats obtenus en sélectionnant sur l’index verborum ou sur l’index lemma-
tum un ou plusieurs mots indiqués dans les exemples, éventuellement reliés par des
opérateurs booléens d’inclusion, pourraient ne pas être exhaustifs car il existe un
risque important que le texte décrive un même thème en utilisant des mots différents
de ceux utilisés pour l’interrogation (onguent, blessure, tête).
Il est possible de passer outre ces limites et d’avoir la certitude d’obtenir des
résultats exhaustifs en utilisant un système de data modeling grâce auquel l’usager est
assisté dans l’organisation et la rédaction du schéma conceptuel typique de son
domaine de compétence et d’intérêt.21
De plus, il est opportun de souligner que le schéma conceptuel est indépendant
de la langue dans laquelle sont décrites les classes, les sous-classes et les relations et,
surtout, qu’il est indépendant de la langue du texte étudié. Ceci constitue un grand
avantage, en particulier pour les textes multilingues (par exemple, les œuvres qui
contiennent des parties en latin, en langues romanes, en grec, en hébreu, en arabe),
comme c’est le cas du travail visant à l’étude du lexique médico-pharmaceutique
occitan sur lequel cette hypothèse d’organisation ontologique des données du do-
maine a été expérimentée / testée avec succès.
Je fournis simplement un exemple concret pour corroborer ces composantes du
système. Il s’agit du cas où une seule et même classe est utilisée pour relier des termes
différenciés par la présence de variantes graphiques (ex. : en ancien occitan OIGNE-
MENT / ONGUENT).
Le problème serait partiellement résoluble avec d’autres méthodes également,
comme, par exemple, la préparation de tableaux de correspondance grâce auxquels
la machine serait en mesure d’assimiler les variantes grapho-phonétiques d’une
même forme. Les caractéristiques linguistiques du corpus sont cependant telles
qu’elles entraînent la génération d’erreurs par la procédure : en fait, l’utilisation
21 Il existe sur la toile un grand nombre d’excellents sites académiques fournissant des informations,
même à caractère de divulgation, concernant ces aspects. Parmi les éditeurs les plus connus et gratuits
pour la création d’ontologie, signalons Protégé (http://protege.stanford.edu/overview).
Entre texte et image : la méthode de Pise
211
d’un même terme des formes qui appartiennent en réalité à des mots différents. Il
serait donc nécessaire de fournir à la machine des éléments supplémentaires pour
qu’elle puisse distinguer correctement les allographes d’homographes.
L’attribution d’une classe « onguent » permet de passer outre ces difficultés et les
deux formes OIGNEMENT / ONGUENT, ainsi que tous leurs éventuels synonymes sont
unifiés du point de vue sémantique et conceptuel. Tous les contextes dans lesquels les
deux formes apparaissent peuvent être obtenus en sélectionnant le mot « onguent »
le constater, elles sont particulièrement utiles pour les spécialistes qui travaillent sur
des textes dont ils doivent extraire des informations lexicographiques difficilement
repérables, tant par un fichage traditionnel que par des concordances contextuali-
sées.
Les possibilités offertes par des regroupements de termes associés du point de
vue conceptuel favorisent leur compréhension, permettent de relever des nuances de
sens, si minimes soient-elles, et mettent en condition d’établir, de façon très détaillée,
les relations qui les lient ou les distinguent. Sur la base des deux projets cités, nous
pensons que cette perspective technologique a une grande valeur dans la rédaction de
terminologie spécialiste présente dans des textes, qu’ils soient anciens ou non.
12 Extension du modèle
La nécessité de réaliser un système ayant de larges possibilités d’emplois a comporté
l’extension du modèle vers d’autres cadres d’études du texte numérique. Le premier
concerne la philologie génétique, le second, la philologie du texte ancien imprimé. La
méthode de consultation des images et des textes, la composante pour l’apparat et les
annotations, la possibilité de découper les contextes grâce à une procédure aussi bien
automatique que manuelle et, enfin, les potentialités d’interrogation offertes par les
nombreux index produits, tout ceci répond aussi, dans certaines limites que nous
indiquerons brièvement, aux exigences des philologues qui étudient les documents
manuscrits sur lesquels l’auteur lui-même est intervenu à plusieurs reprises. De plus,
les mêmes modules logiciels de TS_app sont en mesure d’assister le travail d’étude
d’une œuvre imprimée, en confrontant les diverses éditions qui en ont été publiées au
fil du temps. Cette situation, tout au moins du point de vue structurel, est comparable
à la collatio de la critique textuelle entre des témoins manuscrits. Les outils fournis
par l’application peuvent donc valoir également pour la philologie du texte numé-
rique imprimé (voir encore Baldi 2006).
C’est précisément la raison pour laquelle l’on ne décrira à présent que la première
de ces deux situations, en faisant cependant remarquer qu’il s’agit d’une hypothèse
de travail théorique. Nous ne sommes, en effet, pas encore en mesure d’indiquer les
212 Andrea Bozzi
côté, les phases (sous forme de copies effectuées par différentes personnes, en lieux et
temps distincts) qui se sont succédées à partir d’un document original égaré ; de
l’autre, les phases (sous forme d’avant-textes) accomplies par un même auteur, à des
époques antérieures à la version du texte, souvent imprimée et publiée, et que nous
connaissons dans sa forme ultime et, parfois, définitive.
Comme nous le faisions remarquer, malgré le renversement de la perspective, la
structure logique du processus est très semblable et TS_app entend se baser sur cet
élément de similitude pour élargir son champ d’action de la critique textuelle à la
philologie génétique.24
22 Le terme « avant-texte » est utilisé ici dans le sens qui lui a été attribué par Segre (1985).
23 Pour une évaluation ponctuelle et récente des problèmes liés à la critique génétique, voir de Biasi
(2011).
24 Des phénomènes analogues se produisent sur les textes anciens imprimés comme, par exemple, La
Scienza Nuova de Vico. De cette dernière, nous connaissons 63 exemplaires riches de notes manuscrites
autographes. Naturellement, l’édition critique moderne (cf. Cristofolini 2004) enregistre en apparat ces
annotations, mais il est évident que le support papier limite le nombre de formes de consultation que
seul le support électronique est en mesure de garantir. Dans ce cas, la tâche principale consiste à
faciliter la lecture parallèle entre le texte imprimé et le texte des notes manuscrites correspondantes,
lesquelles, du reste, ne sont pas toujours identiques dans les divers exemplaires. Ces notes consistent
parfois en des interventions interlinéaires et parfois en de véritables gloses de longueur variable.
Quelques simulations ont amplement démontré qu’elles peuvent être traitées avec le même module de
démarcation, précédemment décrit, des péricopes et de leurs annotations.
Entre texte et image : la méthode de Pise
213
lesquels, découpés en péricopes par le critique, sont ensuite analysés par le système.
Le premier résultat produit est un tableau dans lequel les colonnes, par exemple de
gauche à droite, représentent les phases successives du remaniement, tandis que les
cases renferment le texte des péricopes. Une portion de texte rayée par l’auteur se
présentera dans deux cases alignées et faisant partie de deux colonnes différentes : la
première case contiendra le texte, tandis que la case correspondante sera vide. En
revanche, une adjonction se présentera sous forme de deux cases adjacentes dont la
première sera vide, tandis que l’autre contiendra la portion de texte inséré dans un
second temps. On aura autant de colonnes et, par conséquent, autant de cases de
texte que de phases de réécriture accomplies par l’auteur.
Dans certaines limites imposées par la lisibilité de ce qui a été effacé, on pourra
effectuer, sur demande du critique, des lectures séquentielles des différents avant-
textes selon la colonne que le système utilise, pour additionner les péricopes conte-
nues dans les cases. En un certain sens, le système est en mesure de régénérer les
avant-textes en agglutinant la séquence des péricopes et en facilitant l’étude du
processus génétique qui a porté à la création d’une œuvre littéraire. L’expert de
philologie génétique aurait donc à sa disposition des éléments exhaustifs et bien
structurés pour analyser les raisons stylistiques, linguistiques et psychologiques qui
ont poussé l’auteur à intervenir sur son propre travail par des suppressions, des ajouts
interlinéaires ou en marge, des notes en bas de page, etc.
En définitif, le modèle considère les variations de l’auteur, les avant-textes,
concevables au plan structurel comme des traductions de parties du texte en parties
correspondantes d’un second texte et la comparaison de ces traductions permet
d’introduire des évaluations, des annotations critiques, sémantiques et interprétati-
ves.
214 Andrea Bozzi
14 Remarques conclusives
La description d’un modèle de philologie computationnelle comme celui qui a été
présenté ici implique, naturellement, une longue expérimentation sur des données
objectives avant de pouvoir affirmer qu’il répond effectivement aux besoins d’un
éditeur critique. L’aspect que nous souhaitons évaluer avec plus d’attention concerne
la flexibilité du système dans son ensemble et la capacité d’intégrer des modules qui
le rendent utilisable avec profit par une vaste communauté de philologues. Le fait que
TS_app n’ait pas de composants propriétaires et que l’on prévoit une distribution
gratuite à travers des licences d’usage selon une des typologies prévues par les
Creative commons devrait créer la base indispensable aux phases de validation et
d’amélioration.
15 Bibliographie
Avalle, d’Arco Silvio (1979), Il lessico italiano delle origini e l’informatica linguistica, in : d’Arco Silvio
Avalle (ed.), Al servizio del vocabolario della lingua italiana, Firenze, Accademia della Crusca,
11–28.
Baldi, Marialuisa (2006), Pubblicare Cardano. I « Contradicentia medicorum » in dvd, in : Marialuisa
Baldi/Barbara Faes (edd.), Edizioni e traduzioni di testi filosofici. Esperienze di lavoro e riflessio-
ni, Milano, Angeli, 111–135.
Bozzi, Andrea (ed.) (1997), Better Access to Manuscripts and Browsing of Images. Aims and results
of a European Research Project in the field of Digital Libraries. BAMBI LIB-3114, Bologna,
Clueb.
Bozzi, Andrea (2003a), New trends in philology : a computational application for textual criticism,
Bozzi, Andrea (2003b), Digital documents and computational philology : the Digital Philology System
(Diphilos), in : M. Veneziani (ed.), Informatica e scienze umane : mezzo secolo di studi e ricerche,
91–110.
Irigoin, Jean/Zarri, Gian Piero (edd.) (1979), La pratique des ordinateurs dans la critique des textes,
Colloque International du CNRS, 579, Paris, Éditions du CNRS.
Pitt, Chris (2012), Pro PHP MVC, New York, Professional Apress.
Robinson, Peter (1994), Collate : A Program for Interactive Collation of Large Textual Traditions, in :
Susan Hockey/Nancy Ide (edd.), Research in Humanities Computing, vol. 3, Oxford, Clarendon
Press, 32–45.
Schepers, Heinrich (2003), Res non verba : Accessing Leibniz Texts by Means of Philosophical
Concepts, in : M. Veneziani (ed.), Informatica e scienze umane : mezzo secolo di studi e ricerche,
79–85.
Shaw, Prue (2009), Dante Alighieri : Monarchia, Firenze, Le Lettere.
Zarri, Gian Piero (1968), Linguistica algoritmica e meccanizzazione della « collatio codicum », Lingua
e stile 3, 21–40.
Zarri, Gian Piero (1969), Il metodo per la recensio di Dom Quentin esaminato criticamente mediante la
sua traduzione in un algoritmo per elaboratore elettronico, Lingua e stile 4, 162–182.
Zarri, Gian Piero (1977), Some experiments on automated textual criticism, Literary and Linguistic
Computing, 5, 266–290.
Marc Kiwitt
9 L’ancien français en caractères hébreux
Abstract : La présente contribution passera d’abord en revue les différents groupes
diévale
1 Nous employons le terme judéo-français comme forme commode permettant de faire référence aux
textes en ancien français rédigés en caractères hébreux, sans vouloir ainsi affirmer une autonomie
linguistique de ces textes par rapport à l’ancien français des sources en caractères latins.
220 Marc Kiwitt
bamJ ; RaschbamR ; GlJosBehJ ; Ahrend 1978 ; Fudeman 2003 ; Rosin 1881 ; Liss 2011 ;
Neumann 1899 ; Zweig 1914), les gloses figurant dans les commentaires talmudiques
2 Les sigles employés ici, résolus dans les indications bibliographiques à la fin de l’article, sont ceux
du Dictionnaire Etymologique de l’Ancien Français (DEAF), dont la bibliographie est accessible sur
internet à l’adresse www.deaf-page.de.
L’ancien français en caractères hébreux 221
compilatoire se reflète dans le fait qu’il présente presque toujours plusieurs gloses
françaises pour un lemme hébreu donné. Hormis ces glossaires plus ou moins
complets, il existe un grand nombre de fragments de glossaires, parmi lesquels nous
citerons, à titre d’exemple, GlDarmstadtK (Bourgogne, milieu du XIIIe siècle), Leh-
nardt (2010 : Est, deuxième moitié du XIIIe siècle ?) et GlStrasB (Centre-Sud, première
Pour illustrer les différents problèmes de méthode que doit résoudre l’éditeur d’un
texte en ancien français rédigé en caractères hébreux, nous nous appuierons sur un
exemple tiré du fragment d’un glossaire biblique portant sur Jérémie 46,10–48,2,
contenu au f. 260 du manuscrit Moscou, Bibliothèque d’Etat de Russie, Günzburg 258
(XIIIe siècle), et nous ferons également appel à d’autres textes là où ceux-ci peuvent
fournir des éclaircissements supplémentaires. Le choix de notre exemple se fonde sur
222 Marc Kiwitt
les particularités des glossaires bibliques : ceux-ci présentent d’abord les problèmes
d’édition communs aux trois groupes de textes cités ci-dessus, qui sont liés à leur
altérité graphique par rapport aux textes en graphie latine, ensuite des problèmes liés
à l’alternance entre l’hébreu et le français, qu’ils partagent avec les gloses françaises
figurant à l’intérieur d’œuvres rédigées en hébreu, et enfin des problèmes particuliers
liés à l’absence d’un contexte qui irait au-delà du lemme biblique hébreu auquel une
glose donnée fait référence. Nous nous fixons ici l’objectif modeste de traiter les trois
gloses portant sur Jérémie 46,16, que nous présentons d’abord sous la forme qu’elles
revêtent dans leur contexte dans le ms. Günzburg, f. 260r :
Ce bref extrait illustre déjà la première tâche de l’éditeur : celle de présenter les gloses
sous une forme qui reflète précisément la graphie du manuscrit, mais qui est égale-
ment accessible aux lecteurs susceptibles de consulter son édition. Un premier choix
méthodologique possible est de conserver simplement la graphie hébraïque des
gloses lors de cette première étape de l’édition. Une telle solution, sans doute la plus
rigoureuse au regard de la fidélité au manuscrit, a été adoptée, entre autres, par
Jordan Penkower dans GlPsRsChronP, par Kirsten Fudeman (2010, 101, 116s.) dans
l’édition des brefs textes profanes évoqués ci-dessus, et par Andreas Lehnardt (2010).
Toutefois, elle présente l’inconvénient de produire un texte qui reste opaque pour une
grande partie des romanistes, qui constituent pourtant le principal public visé par
l’édition d’un texte médiéval français.
Un bon compromis méthodologique, permettant de réconcilier l’exigence de la
fidélité au manuscrit avec celle de la lisibilité du texte, nous semble consister en la
présentation des gloses dans une translittération précise en caractères latins. Lors de
l’établissement de cette translittération, il nous paraît impératif d’établir une équiva-
lence stricte entre l’alphabet hébreu et l’alphabet de translittération, aspirant à
associer à chaque graphème ou digraphe hébreu un seul et unique signe de l’alphabet
de translittération choisi, pour permettre ainsi au lecteur hébraïsant de reconstituer
facilement la graphie originale du manuscrit pour chaque passage de l’édition. Même
dans les cas où les conventions graphiques d’un manuscrit donné semblent permettre
une translittération simplifiée, toute dérogation à ce principe nous semble périlleuse,
dans la mesure où elle met en cause la comparabilité de l’édition avec d’autres
éditions établies sur la base de critères plus rigoureux (ainsi notre propre choix
méthodologique de ne pas translittérer, dans FevresKi, les Aleph initiaux et les Aleph
servant de matres lectionis à [a] et [ə] nous semble-t-il aujourd’hui critiquable). Quant
3 Le Šwa à droite du לest bien conservé dans le manuscrit tandis que le דest à peine visible.
L’ancien français en caractères hébreux 223
langues sémitiques (cf. Lipiński 22001, 102–105), présente plusieurs avantages : d’a-
bord, il est déjà employé dans un certain nombre d’éditions et d’études portant sur
des sources françaises en caractères hébreux (dont Bos/Mensching/Zwink 2009 ; Bos/
Zwink 2010 ; Fudeman 2010 ; FevresKi ; ElégTroyesK ; GlBNhébr301K et, avec quel-
ques idiosyncrasies, Edzard 2011) ; ensuite, c’est également le système le plus répandu
enfin, cet alphabet est d’un accès relativement facile aux spécialistes de l’ancien
français dans la mesure où il présente de nombreux parallèles avec l’alphabet « roma-
niste » élaboré par Graziadio Isaia Ascoli et Eduard Böhmer (ce qui s’explique par une
filiation commune des deux systèmes, qui remontent à l’alphabet phonétique établi
par l’égyptologue Karl Richard Lepsius). Voici un aperçu de cet alphabet de trans-
littération sous une forme adaptée aux spécificités graphiques des textes judéo-
français :
4 Nous nous servons de la consonne [ בb] pour illustrer l’usage des signes vocaliques.
224 Marc Kiwitt
En nous servant de cet alphabet pour la translittération des trois gloses du ms.
Günzburg, nous pouvons respectivement translittérer אַצוְֹפְנץpar ‹ʾaṣōpǝnṣ›, [ְד[ַלִֿביֵניְאה
par ‹[d]ǝlaʾḇīnēʾǝh›, et ְלְנא ִﬞגינוְֹזאpar ‹lǝnǝʾǧīnōzǝʾ›.
Une troisième option méthodologique consiste en la présentation parallèle de la
graphie hébraïque et de la translittération stricte des mots et passages en ancien
français. Si c’est certainement la solution idéale pour la présentation de textes et
passages relativement brefs (et elle a effectivement été adoptée, entre autres, dans
ElégTroyesD1, Edzard 2011, et dans l’édition du chant de mariage publiée dans
Fudeman 2010, 159–173), elle nous semble plus difficile à mettre en œuvre lors de
l’édition de sources d’une étendue plus importante, car elle élargirait considérable-
ment le volume de l’édition.
Si la translittération stricte (ou la présentation en graphie hébraïque) constitue à
nos yeux une étape indispensable lors de l’édition d’un texte en ancien français
transmis en caractères hébreux, le travail de l’éditeur ne peut pas s’arrêter à la
transposition mécanique du texte dans l’alphabet de translittération de son choix.
Présenter des formes « françaises » telles que ‹lǝnǝʾǧīnōzǝʾ› (cité ci-dessus), ‹ʾjʾbwḇrʾ›
(Edzard 2011, n°281)5 ou ‹( ›אְַרַפְנֵטיץLehnardt 2010, 335),6 sans s’efforcer de les rappro-
cher de l’ancien français tel que nous le connaissons des textes en graphie latine,
équivaut à laisser la plus grande partie du travail d’interprétation au lecteur. Toute-
fois, un lecteur romaniste se heurtera vraisemblablement à l’obstacle de la graphie
inhabituelle résultant de l’emploi des caractères hébreux lorsqu’il tentera de recon-
naître, dans ces trois gloses, respectivement l’enginose ‘la trompeuse’, e abuevra ‘et il
abreuva’, ainsi qu’une variante arpantez du s.m. apentiz ‘auvent’, tandis qu’un lecteur
hébraïsant, quoique moins dépaysé par l’aspect graphique des gloses, n’aura pas
nécessairement les connaissances requises de la phonétique et de la grammaire des
anciennes variétés d’oïl qui lui permettraient de rapprocher ces formes des entrées
normalisées figurant dans les dictionnaires usuels de l’ancien français. C’est d’abord
l’éditeur lui-même qui possède, outre la connaissance de la graphie hébraïque et du
diasystème linguistique de l’ancien français, une familiarité suffisante avec les parti-
cularités graphématiques et phonétiques de son texte pour permettre une interpréta-
tion judicieuse de la graphie. Si l’éditeur fait l’impasse sur cette démarche, des erreurs
d’interprétation sont presque inévitables, ce qui peut être illustré par la variante
« judéo-française » aroit que cite le FEW 25,218a pour le s.m. aroi ‘bélier’ sur la base
d’un pluriel aroits attesté dans GlBodl1466N 23. C’est seulement lorsque l’on sait que
5 Edzard reproduit, pour chaque glose, la transcription – plus proche de la graphie habituelle de
l’ancien français – proposée par GlBNhébr302L, ce qui facilite considérablement l’utilisation de son
étude, mais elle ne présente pas elle-même de propositions de lecture des gloses en graphie courante
qui permettraient d’aller au-delà des résultats déjà obtenus par Lambert et Brandin plus d’un siècle
auparavant.
6 Lehnardt (2010, 337) identifie correctement le lexème et renvoie à TL 1,441, mais passe entièrement
sous silence la variante inhabituelle attestée dans le manuscrit.
L’ancien français en caractères hébreux 225
laires en caractères hébreux, que l’on peut corriger la lecture du pluriel en arois et
ranger cette forme sous le singulier régulier aroi.
Ainsi la transposition de la translittération stricte en une graphie latine courante
nous semble-t-elle constituer une étape nécessaire lors de l’établissement de l’édition
d’un texte judéo-français. Cette transposition en graphie courante ne peut pas être
mise en œuvre en appliquant des règles de substitution de manière mécanique, mais
nécessite une démarche interprétative qui prend comme point de départ l’identifica-
tion de chaque lexème et de sa forme grammaticale et qui procède ensuite à une
évaluation critique de chaque particularité graphique – distinguant les traits qui sont
dus uniquement à l’emploi de l’alphabet hébreu de ceux qui ne s’expliquent guère par
l’écriture –, pour obtenir ainsi un résultat qui reproduit les particularités linguistiques
du texte original en caractères hébreux à l’intérieur du système graphématique de
l’ancien français en caractères latins. Les substitutions à effectuer devront être déci-
dées au cas par cas ; le degré de normalisation dépendra sans doute aussi des
zigBa, à une transformation très prudente de la graphie originale des gloses, présen-
tant des formes comme ësèflors ‘et ses fleurs’ (GlLeipzigBa 2321) ou ân lacrivaçe ‘dans
la crevasse’ (2644), qui conservent telles quelles un certain nombre de particularités
de la graphie hébraïque (dont la segmentation en mots graphiques) et en expriment
d’autres à l’aide de signes diacritiques, tandis que des graphies comme en la fin pour
‹ʾǝnlaʾp̄ īn› et ses jetuns pour ‹śyǧṭwnś›, que nous avons établies dans GlBNhébr301K
(n° 354 et 386), résultent d’une normalisation graphique plus poussée (et peut-être
plus hasardeuse ?). Pour les trois gloses de notre exemple, nous suggérerions les
‹ʾaṣōpǝnṣ› açopenz
‹[d]ǝlaʾḇīnēʾǝh› [d]e la vinee
‹lǝnǝʾǧīnōzǝʾ› l’enginose
Dans la première glose, les équivalences à établir entre les caractères hébreux et la
graphie latine courante ne présentent guère de difficultés. Comme le manuscrit nous
semble opérer une distinction plus ou moins systématique entre Śin ‹ś› et Ṣade ‹ṣ›,
il est préférable de rendre ce dernier par ç/z et non pas par s. La translittération de
la deuxième glose illustre la particularité des textes judéo-français de relier, dans
la graphie, l’article et certaines prépositions avec le mot auxquels ces éléments
font référence, ce qui reflète les conventions orthographiques de l’hébreu (cf.
GlBNhébr301K 65–66). Le ‹-h› final, indiquant une désinence féminine, constitue un
autre trait graphique résultant de l’influence de l’hébreu (cf. GlBNhébr301K 70–71).
Nous avons normalisé ces deux particularités lors de la transposition en graphie
226 Marc Kiwitt
latine. Dans la troisième glose, c’est essentiellement le digraphe ‹ǝʾ› qui pose pro-
blème. Il est possible que sa position dans le mot graphique représente simplement
une erreur du scribe (une graphie comme ‹lǝʾnǧīnōzǝʾ›, dans laquelle ce digraphe
précéderait le ‹n›, serait plus facile à interpréter), mais nous ne pouvons pas non plus
exclure qu’il puisse représenter, tout comme le Šwa ‹ə› non accompagné d’un Aleph
‹ʾ›, soit une voyelle centrale soit l’absence d’une vocalisation. Dans les deux cas, il
convient d’interpréter la forme comme l’enginose ; une lecture comme *l’eneginose,
Kirsten Fudeman (2009, 13), qui s’appuie sur le même manuscrit, propose la lecture
suivante pour le verset :
7 Pour une justification de notre proposition de lecture, expliquant le syntagme Gé anpreneire comme
calque de l’hébreu ʾEl qannā ‘Dieu jaloux’, dont le deuxième élément est régulièrement rendu par
anpreneire, anpreniere etc. par les glossaires bibliques, voir Kiwitt (2014, 45–46).
L’ancien français en caractères hébreux 227
ture grammaticale du syntagme hébreu ? Même si l’on s’efforce de trancher sur ces
questions, il nous semble plus que douteux dans quelle mesure une traduction telle
que par exemple ‘[l’épée] violente’ aidera le lecteur à cerner le lien établi par le
glossateur entre ce lemme et les deux gloses de la vinee ‘de la récolte de vin’ et
l’enginose ‘la trompeuse’ qu’il propose pour ce lemme. Plutôt que de privilégier telle
ou telle traduction normative pour monosémiser à tout prix des lemmes hébreux dont
les glossaires bibliques tentent de rendre, au contraire, la polysémie en tenant compte
de différentes possibilités d’interprétation, il nous semble plus prudent d’établir le lien
avec le texte glosé en conservant le lemme hébreu dans sa forme originale, accompa-
gné d’un renvoi au verset biblique et, le cas échéant, en exposant d’éventuelles
difficultés d’interprétation dans les notes. Ceci nous semble d’autant plus justifié que
la Bible est sans doute le livre pour lequel nous disposons de l’éventail le plus large
d’outils de lecture – dictionnaires, concordances, encyclopédies, traductions com-
mentées, commentaires médiévaux et modernes etc. –, de sorte que le lecteur ne
rencontrera guère de difficultés insurmontables s’il souhaite aller au-delà des explica-
tions fournies par l’éditeur. Bref, ce n’est donc probablement pas un hasard si la
solution de conserver les lemmes en hébreu, plutôt que de s’aventurer à les traduire en
français moderne, est adoptée par la quasi-totalité des éditeurs de glossaires bibliques
hébreu-français (cf. notamment GlBNhébr302L, GlBâleB, GlLeipzigBa et GlBNhébr
301K ; pour un contre-exemple voir GlParmePalE S 71–144).
En revanche, pour ce qui est des commentaires en hébreu accompagnant les gloses
françaises, Menahem Banitt, qui reproduisit ces passages tels quels dans GlLeipzigBa,
fut peut-être trop optimiste quant aux compétences de ses lecteurs romanistes en
hébreu médiéval. Il nous semble préférable de reproduire ces commentaires accompa-
gnés d’une traduction là où ils peuvent fournir des éclaircissements supplémentaires
concernant une glose ou un lemme donné (dans certains glossaires, dont GlBNhébr
301K, de tels commentaires se limitent essentiellement à des renvois à d’autres versets
bibliques, de sorte que leur utilité pour l’interprétation des gloses est plus que limitée).
Pour permettre une évaluation judicieuse des gloses figurant dans un glossaire
(ou un commentaire) donné, il convient enfin de distinguer les éléments qui sont
228 Marc Kiwitt
propres au texte édité (et qui pourront donc éventuellement être mis à profit pour
mettre en relief les particularités linguistiques ou l’originalité exégétique de ce texte)
de ceux qu’il partage avec d’autres sources judéo-françaises et qui permettent de le
situer au sein de la tradition textuelle à laquelle il appartient. S’il n’est guère réaliste
de tenir compte, pour chaque texte, de l’intégralité de la tradition d’exégèse matéria-
lisée dans les gloses et glossaires (ce qui équivaudrait à fournir, dans l’apparat
critique, des éditions presque complètes de toutes les autres sources glosant les
mêmes lemmes), il semble néanmoins souhaitable de tenir compte d’un échantillon
représentatif de sources accessibles. GlBNhébr302L et GlLeipzigBa constituent actuel-
lement les glossaires édités les plus complets.
En appliquant ces considérations à l’édition des trois gloses issues du ms. Günz-
burg 258, que nous doterons, en outre, d’une numérotation reflétant leur position
dans le manuscrit, nous obtenons le résultat suivant :
5 ‘ ל״ מכשולdésignation de l’entrave’ [cf. GlLeipzigBa 7966 ‘ שם דבר של מכשולnom d’une chose reliée à
l’entrave’]. 6a ‘ כלו״ משכרת בייןc’est-à-dire : revenu en vin’ [l’interprétation du lemme s’appuie sur le
commentaire de Raschi in loco, qui interprète היונהha-yonāh comme dérivant de ייןyayin ‘vin’ et
étaye cette interprétation par un renvoi au Targum (la traduction araméenne de la Bible) ; cf. aussi
GlLeipzigBa 7967 ‘ לשון יין כתרגומו ]כ[חמר מרוייאdésignation du vin, comme sa traduction araméenne
ka-ḥamar merawyā [‘comme du vin enivrant’]’ ;]. 6b ‘ ל״ רמאותdésignation de la déception’.
L’étendue des renseignements à fournir sur l’interprétation des lemmes hébreux, sur
la motivation exégétique des gloses et sur leur filiation textuelle sera à décider au cas
par cas et devra trouver un équilibre entre la tentation de retracer, pour chaque glose,
le cheminement interprétatif du glossateur, qui aura peut-être davantage d’intérêt
pour les exégètes que pour les linguistes, et la présentation laconique du matériau
linguistique brut.
Il nous reste encore à dire quelques mots sur la prise en compte nécessaire du
contexte culturel dans lequel s’inscrivent les textes judéo-français. L’éditeur d’une
source française en caractères hébreux ne pourra malheureusement pas présumer que
tous ses lecteurs romanistes disposeront de connaissances suffisantes de la culture
juive médiévale et antique,8 qui leur permettraient de naviguer sans bouée de sauve-
8 Pour se convaincre du contraire, il suffira de constater, par exemple, que même DEAF G 422 GEHENNE
reprend sans la critiquer l’indication de BW5 selon laquelle la vallée de Hinnom aurait été un lieu « où
L’ancien français en caractères hébreux 229
tage à travers une source française issue de l’univers culturel juif, de sorte qu’il
semble préférable d’expliquer brièvement tout élément culturel qui risque de décon-
certer un lecteur non-spécialiste. Dans le bref extrait du ms. Günzburg 258 édité ci-
dessus, une telle explication nous a semblé nécessaire pour les références au Tar-
gum – la traduction araméenne de la Bible – et il conviendra d’élucider au même titre
des hébraïsmes apparaissant dans les gloses, tels que beṣim ‘testicules’ (GlLeipzigBa
4326) ou təp̄ illin ‘phylactères’ (ibid., 1893), des références aux genres textuels et aux
modes d’exégèse (par exemple ElégTroyesK 4,4 : bon reporteur eteit de tosāp̄ ot et de
les Juifs sacrifièrent à Moloch » (erreur corrigée dans DEAF K 44–45), ou que PelVieD 2,396a propose,
pour le mot pharisïen, la définition ‘juif orthodoxe (…)’, qui doit pour le moins être qualifiée d’ana-
chronique lorsque l’on considère que le judaïsme orthodoxe est apparu seulement pendant la première
moitié du XIXe siècle (voir par exemple EJ2 15,493a). Même si l’on concède que l’adjectif orthodoxe
possède ici son sens générique ‘qui est conforme à la doctrine officielle d’une religion’, les pharisiens,
qui se situèrent en opposition à l’autorité des sadducéens et dont la désignation peut être traduite par
‘séparatistes’, ne constituent guère les prétendants les plus vraisemblables à cette épithète.
230 Marc Kiwitt
ָב ā – a, â â
ַב a – â a a
ֶב ä – è è ê
ֵב e – é é ë
ֵבי ē – éη é è
ִב i – i i i
ִבי ī – iη i i
ֹב o – o o o
בוֹ ō – o o o
ֻב u – u ŭ u
בוּ ū – u u u
ְב ǝ – e -, e -, e, ë
L’ancien français en caractères hébreux 231
Nous pouvons noter en passant que le système employé par Darmesteter dans Elég-
TroyesD1 en 1874 satisfaisait déjà, en grande partie, au critère de la correspondance
univoque entre les caractères hébreux et les signes de translittération, mais il ne s’est
malheureusement pas imposé comme standard. Si d’autres éditions se servent de
systèmes de translittération moins rigoureux, ce qui peut rendre leur interprétation
délicate, notre présentation synoptique des différents systèmes pourra aider le lecteur
à établir des relations entre les formes figurant dans les éditions qu’il est amené à
consulter.
Pour ce qui est de l’interprétation du contexte hébreu, la plupart des éditions de
gloses et glossaires judéo-français ne fournissent que peu d’aides au lecteur non-
spécialiste, qui se trouvera donc dans l’obligation de se procurer lui-même les rensei-
gnements nécessaires. Pour la compréhension des lemmes bibliques en hébreu,
KoehlerBaumg3 constitue un guide plus sûr que Gesenius. Pour ce qui est de l’inter-
prétation des commentaires mêlant hébreu rabbinique et araméen, les dictionnaires
de Michael Sokoloff (22002 ; 2003) fournissent des compléments utiles à Jastrow, qui
9 Parmi celles-ci, nous pouvons citer notamment le cliché du petit nombre de lettrés juifs, de leur
éparpillement géographique et du faible niveau de connaissance de l’hébreu dans les communautés
juives en France médiévale, qui s’est propagé de Rabinowitz (1938, 158, 169, 176–178 etc.) à travers
Banitt (1963, 253–256) jusqu’à Duval (2007, 387), et ce malgré l’évidence contraire de la production
littéraire monumentale en hébreu que nous ont léguée les communautés juives de la France du nord
(cf. aussi GlBNhébr301K 193).
232 Marc Kiwitt
exhaustif des études portant sur le judaïsme français médiéval, mais nous contente-
rons d’indiquer simplement quelques pistes de lecture, qui pourront servir de point de
départ : Marcus (2002) fournit une excellente introduction à la culture juive médiévale
sur Raschbam et le milieu intellectuel des pašṭanim, nous renvoyons à Liss (2011,
5–73). Kanarfogel (2013) présente un exposé magistral de la culture rabbinique
ashkénaze. Au sujet de l’éducation dans les communautés juives, on consultera
Kanarfogel (1992) ; sur les courants mystiques et piétistes, on trouvera des renseigne-
Sirat (1994) et Beit-Arié (2003) ; sur le rôle des femmes et la vie de famille dans la
10 Comme le remarque Claude Hagège (2006, 86), Arsène Darmesteter, le pionnier des études sur
l’ancien français en caractères hébreux, est mort à quarante-deux ans, « épuisé par l’énorme travail
qu’il avait consacré à Raschi […]. Le même sort, pour la même raison, fut celui du savant qui poursuivit
l’œuvre de Darmesteter, à savoir D.S. Blondheim ». Parmi les chercheurs contemporains, plusieurs ont
préféré abandonner ce champ d’étude avant de souffrir un destin semblable, dont notamment Kirsten
Fudeman, désormais analyste de prix chez Thermo Fisher Scientific.
L’ancien français en caractères hébreux 233
Liss 2011, ainsi que l’édition du commentaire de Joseph Kara sur les Petits Prophètes
actuellement en cours d’élaboration à Heidelberg). À notre avis, il serait souhaitable
d’investir autant d’énergie dans l’analyse des gloses figurant dans les commentaires
bibliques des tossafistes (dont seul GlHadL a fait l’objet d’une étude linguistique), qui
constituent une véritable mine de renseignements encyclopédiques sur la culture
juive en France médiévale et promettent, en outre, de fournir une clé importante à
l’élucidation de la filiation textuelle des glossaires bibliques hébreu-français (cf.
GlBNhébr301K 133–135).
Parmi les glossaires hébreu-français, les deux glossaires alphabétiques évoqués –
GlBNhébr1243 et GlTurin2 – constitueraient à nos yeux les projets d’édition les plus
prometteurs ; l’édition des deux glossaires bibliques conservés à Parme (GlParmePalE
[S], dont une édition intégrale est projetée par Harley Jay Siskin, et GlParmePalD )
apportera sans aucun doute elle aussi de riches matériaux à la linguistique historique.
En outre, le nombre de glossaires édités dont nous disposons actuellement permettra
dorénavant d’effectuer des études horizontales portant sur un seul livre ou passage
biblique et visant à mieux cerner l’évolution de la tradition d’enseignement biblique
en langue vernaculaire matérialisée dans les gloses et glossaires.
Enfin, parmi les textes continus rédigés en langue vernaculaire, le traité médical
portant sur les fièvres est encore loin d’être entièrement exploité, et nous pouvons
espérer des résultats importants des éditions partielles actuellement en cours d’élabo-
ration par Stefanie Zaun (Düsseldorf) et par Julia Zwink (Berlin).
5 Bibliographie
Ahrend, Moshe Max (1978), Le Commentaire sur Job de Rabbi Yoseph Qara : Étude des méthodes
philologiques et exégétiques. Avec une étude des le‛azim par Mochè Catane, Hildesheim,
Gerstenberg.
Alexander, Patrick H., et al. (1999), The SBL Handbook of Style. For Ancient Near Eastern, Biblical, and
245–294.
Baumgarten, Elisheva (2007), Mothers and Children. Jewish Family Life in Medieval Europe, Princeton,
Princeton University Press.
Beit-Arié, Malachi (2003), Unveiled Faces of the Medieval Hebrew Book. The Evolution of Manuscript
Production – Progression or Regression ?, Jérusalem, Magnes Press.
BerechiahG = Gollancz, Herman (ed.) (1920), Dodi ve-Nechdi (Uncle & Nephew), London et al.,
Bos, Gerrit/Mensching, Guido/Zwink, Julia (edd.) (2009), A Late Medieval Hebrew-French Glossary of
Biblical Animal Names, Romance Philology 63, 71–94.
Bos, Gerrit/Zwink, Julia (edd.) (2010), Berakhyah ben Natronai ha-Nakdan. Sefer Koʾaḥ ha-Avanim (On
the Virtue of the Stones). Hebrew Text and English Translation. With a Lexicological Analysis of
the Romance Terminology and Source Study, Leiden/Boston, Brill.
ChansHeid1/2P = Pflaum, Heinz [Hiram Peri] (ed.) (1933), Deux hymnes judéo-français du Moyen Âge,
Romania 59, 389–422.
ChantMariageF = Fudeman, Kirsten A. (2006), They have ears, but do not hear : Gendered access
to Hebrew and the medieval Hebrew-French wedding song, Jewish Quarterly Review 96,
542–567.
DEAF = Baldinger, Kurt/Möhren, Frankwalt/Städtler, Thomas, et al. (1971–), Dictionnaire étymologique
Duval, Frédéric (2007), Le Moyen Âge, in : Alain Rey et al., Mille ans de langue française. Histoire d’une
ElégTroyesK = Kiwitt, Marc (ed.) (2003), L’Elégie de Troyes : Une nouvelle lecture, Medievales (Amiens)
5, 259–272.
EliezEzP = Poznański, Samuel (ed.) (1909–1913), Kommentar zu Ezechiel und den XII kleinen Propheten
von Eliezer aus Beaugency, 3 vol., Varsovie, Mekize Nirdamim.
EliezIsN = Nutt, John W. (ed.) (1879), Commentaries on the Later Prophets by R. Eleazar of Beaugenci.
I. Isaiah, London, Joseph Baer.
FevresK = Katzenellenbogen, Lucie, Eine altfranzösische Abhandlung über Fieber, Würzburg, Triltsch,
1933.
FevresKi = Kiwitt, Marc (2001), Der altfranzösische Fiebertraktat Fevres. Teiledition und sprachwissen-
schaftliche Untersuchung, Würzburg, Königshausen & Neumann.
FevresOe = Oesterreicher, Josef (1896), Beiträge zur Geschichte der jüdisch-französischen Sprache
und Literatur im Mittelalter, Czernowitz, Pardini.
FEW = Wartburg, Walther von, et al. (1922–2002), Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine
GlBNhébr301K = Kiwitt, Marc (ed.) (2013), Les gloses françaises du glossaire biblique B.N. hébr. 301.
Édition critique partielle et étude linguistique, Heidelberg, Winter.
GlBNhébr302L = Lambert, Mayer/Brandin, Louis (edd.) (1905), Glossaire hébreu du XIIIe siècle, Paris,
Leroux.
GlBodl1466N = Neubauer, Adolphe (ed.) (1872), Un vocabulaire hébraïco-français, Romanische Stu-
dien 1–2, 163–196.
GlDarmstadtK = Kiwitt, Marc (ed.) (2012), Un fragment inédit d’un glossaire biblique hébreu-français,
in : Stephen Dörr/Thomas Städtler (edd.), Ki bien voldreit raisun entendre. Mélanges en l’hon-
GlKaraEzA = Aslanov, Cyril (2000), Le français de Rabbi Joseph Kara et de Rabbi Eliézer de Beaugency
d’après leurs commentaires sur Ezéchiel, Revue des Études Juives 159, 425–446.
GlKaraIsF = Fudeman, Kirsten A. (2006), The Old French Glosses in Joseph Kara’s Isaiah Commentary,
Revue des Études Juives 165, 147–177.
GlLeipzigBa = Banitt, Menahem (1995–2005), Le Glossaire de Leipzig, 4 vol., Jérusalem, Israel
Academy of Sciences and Humanities.
GlParmePalD = ms. Parme, Bibl. Palatina 2924 (inédit).
GlParmePalE S = Siskin, Harley Jay (ed.) (1981), A Partial Edition of a Fourteenth Century Biblical
Glossary : Ms Parma 2780, thèse Ithaca, Cornell University.
GlPsRsChronP = Penkower, Jordan S. (ed.) (2009), The French and German Glosses (Leʿazim) in the
Pseudo-Rashi Commentary on Chronicles (12th-century Narbonne) : The Manuscripts and the
Jastrow = Jastrow, Marcus (1903), A Dictionary of the Targumim, the Talmud Babli and Yerushalmi,
and the Midrashic Literature, Londres, Luzac/New York, Putnam.
JE = Adler, Cyrus/Singer, Isidore (edd.) (1901–1906), The Jewish Encyclopedia, 12 vol., New York/
London, Funk & Wagnalls.
Kanarfogel, Ephraim (1992), Jewish Education and Society in the Middle Ages, Detroit, Wayne State
University Press.
Kanarfogel, Ephraim (2000), « Peering through the Lattices ». Mystical, Magical, and Pietistic Dimen-
Ghil’ad Zuckermann (ed.), Jewish Language Contact (International Journal of the Sociology of
Language, special issue), 25–56.
KoehlerBaumg3 = Koehler, Ludwig, et al. (31967–1995), Hebräisches und aramäisches Lexikon zum
Lehnardt, Andreas (ed.) (2010), Ein hebräisch-altfranzösisches Glossar-Fragment zum Buch Ezechiel
aus der Stadtbibliothek Reutlingen, Judaica 66, 332–347.
LevyContr = Levy, Raphael (1960), Contribution à la lexicographie française selon d’anciens textes
d’origine juive, Syracuse, Syracuse University Press.
LevyRech = Levy, Raphael (1932), Recherches lexicographiques sur d’anciens textes français d’origine
juive, Baltimore, Johns Hopkins Press/London, Humphrey Milford.
LevyTrés = Levy, Raphael (1964), Trésor de la langue des juifs français au moyen âge, Austin,
University of Texas Press.
Lipiński, Edward (22001), Semitic Languages. Outline of a Comparative Grammar, Leuven, Peeters.
Liss, Hanna (2005), Tanach. Lehrbuch der jüdischen Bibel, Heidelberg, Winter.
Liss, Hanna (2011), Creating Fictional Worlds. Peshaṭ-Exegesis and Narrativity in Rashbam’s Commen-
tary on the Torah, Leiden/Boston, Brill.
Marcus, Ivan G. (1996), Rituals of Childhood. Jewish Acculturation in Medieval Europe, New Haven,
Yale University Press.
Marcus, Ivan G. (2002), A Jewish-Christian Symbiosis. The Culture of Early Ashkenaz, in : David Biale
(ed.), Cultures of the Jews. A New History, New York, Schocken, 449–516.
Neumann, Jacob (ed.) (1899), Der Pentateuch-Kommentar des Joseph Bechor-Schor zum Buche Nume-
ri. Teil 1, Breslau, Schatzky.
PelVieD = Möhren, Frankwalt, et al. (edd.) (2013), Guillaume de Digulleville. Le Pelerinage de Vie
RaschiG = Gruber, Mayer (ed.), Rashi’s Commentary on Psalms, Leiden, Brill, 2004.
Rosin, David (ed.) (1881), Commentarius quem in Pentateuchum composuit R. Samuel ben Meir,
Bratislava, Schottlaender.
Salfeld, Siegmund (ed.) (1898), Das Martyrologium des Nürnberger Memorbuches, Berlin, Simion,
1898.
Sirat, Colette (1994), Du scribe au livre. Les manuscrits hébreux au Moyen Âge, Paris, CNRS Éditions.
Sokoloff, Michael (22002), A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic, Ramat Gan, Bar Ilan University
Press/Baltimore, Johns Hopkins University Press.
Sokoloff, Michael (2003), A Dictionary of Judean Aramaic, Ramat Gan, Bar Ilan University Press.
Zweig, Alfred (ed.) (1914), Der Pentateuch-Kommentar des Joseph Bechor-Schor zum Fünften Buche
Moses, Breslau, Koebner.
Guido Mensching
10 Éléments lexicaux et textes occitans en
caractères hébreux
Abstract : L’article traite des textes occitans transmis en caractères hébreux et des
problèmes assez particuliers que pose l’édition de ces documents. Il s’agit entre autres
de l’identification de la langue romane en question ; du statut linguistique du matériel
de l’alphabet hébreu pour représenter une langue romane ; et des différentes façons
guisme
1 Introduction
Cet article1 est consacré à un sujet qui comporte des difficultés spéciales dans le
domaine de la philologie de l’édition : les nombreux éléments lexicaux et les quelques
il s’agit d’une langue mal connue en dehors de la philologie romane, de sorte que les
éléments occitans n’ont pas toujours été identifiés comme tels.2 Par ex., la plupart des
1 Il n’aurait pas été possible de rédiger cet article sans les conseils de mon ami et collègue Gerrit Bos, à
qui je dois la découverte de ce sujet passionnant et une grande partie de ce que j’ai appris à propos de
l’hébreu (mis à part le peu dont je me souviens depuis les bancs de l’école). Cet article comporte des
informations relatives à nos projets sur les textes médicaux hébreux-romans, la plupart desquels ont
été financés par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, à laquelle je souhaite aussi exprimer ma
reconnaissance ainsi qu’à toutes les personnes qui ont travaillé dans le cadre de ces projets au cours
des quinze dernières années.
2 D’autres variétés romanes, comme le catalan ou les dialectes italiens présentent évidemment les
mêmes problèmes et pourraient également servir d’exemple.
238 Guido Mensching
moitié du XXe siècle n’ont pas pris en compte l’occitan de manière appropriée. Il est
remarquable aussi que bien que Renan (1877) identifiât déjà plusieurs manuscrits
comme présentant des éléments occitans, ce matériel soit resté inédit à ce jour.
Les aspects les plus importants que l’éditeur d’un texte ou d’éléments romans en
caractères hébreux doit considérer et dont l’utilisateur de telles éditions doit être
conscient sont :
(i) L’identification de la langue romane en question. Cette question est rendue extrêmement difficile
par l’utilisation de l’alphabet hébreu (voir iii) et se pose surtout dans le cas des mots ou
syntagmes isolés (voir vi). Ces éléments romans sont généralement indifféremment marqués par
le terme hébreu la’az (‘langue vernaculaire’), cf. Aslanov (2001, 108–114) ; Bos et al. (2011, 34).
(ii) Le statut linguistique du matériel roman transmis en caractères hébreux, question pour laquelle
nous pouvons recommander au lecteur la publication de Bannitt (1963), et, pour l’occitan, celles
d’Aslanov (2002 ; 2003). Comme eux nous considérons que les variétés romanes transmises sous
forme graphique hébraïque dans les textes médiévaux reflètent, normalement, les mêmes varié-
tés qui étaient parlées par la population d’un certain territoire en général, c.-à-d. qu’il n’existait
pas de différences fondamentales entre la langue des juifs et des chrétiens. C’est seulement après
les expulsions des juifs ou – selon les territoires – leur ghettoïsation que de vraies variétés
linguistiques (par ex. le judéo-espagnol) ont pu se développer. Pour l’occitan, c’est le cas du
judéo-comtadin ou Chuadit (cf. Aslanov 2002), une variété qui ne s’est développée qu’au XVIe ou
XVIIe siècle dans la zone du Comtat-Venaissin, territoire papal où les juifs avaient le droit de vivre
même après l’expulsion du Midi en 1498. La théorie de Blondheim et surtout celle de Lévy sur
l’existence de variétés et même de langues spécifiques judéo-romanes au Moyen Age ont
influencé les éditions de la première moitié du XXe siècle (cf. Aslanov 2003). Pour les textes qui
nous concernent ici, nous éviterons des termes tels que judéo-provençal ou judéo-occitan. Et
même si le terme hébraïco-provençal (Lazar 1963, 292) pourrait être utilisé, nous opterons plutôt
pour des « textes totalement ou partiellement composés en occitan et graphiquement réalisés en
(iii) L’alphabet hébreu et par conséquent la divergence des normes ou traditions connues de l’alphabet
latin, y compris des traditions de scripta ou des koinès. Cet aspect, qui n’a pas été examiné de
façon systématique, est évident à cause de la scolarisation hébraïque des auteurs et copistes juifs
et leur travail avec des textes hébreux.
(iv) Les différentes façons de transcrire les caractères hébreux en alphabet latin ou en des systèmes de
transcription/translittération. Dans les éditions et les études associées nous trouvons une grande
hétérogénéité de transcriptions, qui varient entre deux pôles extrêmes : la translittération exacte
(v) Les expulsions, les migrations, la mobilité et le multilinguisme des juifs au Moyen Age (cf., entre
autres, Iancu-Agou 2010 ; Fudeman 2010, 13ss.). La présence des juifs au sud de la France est
documentée depuis l’antiquité tardive. Les juifs provençaux étaient en contact étroit avec les
juifs du nord de la France et des rabbins de Provence maintenaient des échanges épistolaires
avec les écoles d’exégèse biblique du nord de la France (Silberstein 1973, 19). Mais à partir
du XIIe siècle – suite à la fuite d’un grand nombre de juifs d’al-Andalous vers le sud de la
France pendant les invasions berbères – on constate une forte influence de la péninsule
ibérique. En outre, les manuscrits occitans circulaient dans plusieurs régions de langue
romane, donc le fait qu’un texte soit produit en territoire occitan ou qu’il contienne des
éléments occitans ne signifie pas que tous les éléments vernaculaires du texte soient en
occitan.
(vi) Le fait qu’il ne s’agit normalement pas de textes entièrement écrits en occitan, mais de textes écrits
en hébreu ou de glossaires comprenant des mots ou syntagmes occitans. Pour la plupart, il s’agit
de ce qu’on a qualifié de gloses, un terme loin d’être exact dans notre contexte et que nous allons
réviser.
Nous ne pourrons pas couvrir systématiquement tous ces aspects, mais nous y
reviendrons à plusieurs reprises. Aborder les textes ou éléments qui nous occupent ici
présupposant des connaissances de l’alphabet hébreu, c’est par cela que nous allons
commencer (voir ci-dessous, § 2). Dans ce cadre, nous aborderons aussi brièvement la
des chartes médiévales » et que « celles-ci nous offrent un état de langue tout de
même assez proche de la langue parlée […] que ne l’est la koinè des troubadours ».
(1)
Presque toutes les lettres sont utilisées pour représenter l’occitan, sauf le âyin, un
fricatif glottal à l’origine et le ḥèt, un fricatif vélaire.5 Les lettres tav [t] et kaf [k]
apparaissent très rarement en occitan, les lettres tèt et qouf – des consonnes initiale-
3 Nous suivons aussi la convention introduite dans Bos et al. (2011), à savoir représenter les signes
consonantiques en majuscules.
4 Variante utilisée à la fin du mot.
5 Ce chapitre est basé sur Silberstein (1973, 75–105), Aslanov (2001, 47–73), Bos et al. (2011, 47–52).
Des exemples sont donnés des œuvres respectives, c.-à-d. du Poème d’Esther, du Šaršot ha-Kesef et du
Sefer ha-Šimmuš (cf. ci-dessous, § 3). Dans le cadre de ce chapitre d’un manuel, il n’est pas possible de
rèche, à cause de leur aspect similaire (cf. Neubauer/Meyer 1892, 195). Enfin, notons
l’hétérogénéité dans la translittération, illustrée dans la comparaison suivante :
(2)
פיניונש אישינץ
(pinhons) (aisenz/eisenz)
Encyclopedia Judaica pynywnš ’yšynṣ / ’yšynẓ
Darmesteter/Blondheim (1929) piniuns aisinç
Silberstein (1973) PYNYWNS ’YSYNÇ
Aslanov (2001) pynywnš ’yšynṣ
Bos et al. (2011)
PYNYWNŠ ’YŠYNṢ
L’alèf sert comme une variable qui indique la présence d’une voyelle (mater lectionis).
Les signes youd et waw, à part leurs valeurs consonantiques (cf. § 2.3), servent aussi
pour rendre des voyelles. Pour l’occitan, l’alèf représente normalement [a], le youd [i]
ou [e] et le waw [o] ou [u], l’utilisation de ces signes étant optionnelle, donc dent : דנט
représentation de la voyelle est obligatoire : une alèf seule est presque toujours [a] et
pour les autres voyelles l’alèf est suivie par un waw ou par un youd, par ex. ‘( אוםWM,
om), ’( אישטאטYŠṬ’Ṭ, estat). L’alèf est aussi utilisée pour indiquer un hiatus : ביאורש
(BY’WRŠ, biors/beors ‘joûtes, tournois’ (cf. Silberstein 1973, 86s.). La voyelle finale est
presque toujours exprimée. Comme l’hébreu connait aussi une terminaison féminine
[-a] écrite hé (H), la terminaison [-a] de l’occitan peut apparaître soit comme hé soit
comme alèf ou une combinaison des deux. Le vers 332 du Poème d’Esther (cf. 3.3) nous
montre que le comportement n’est pas régulier :
A part cette méthode de représenter les voyelles, il existe une notation appelée
ponctuation. Les signes les plus importants sont : ָ◌ (quamats) ou ַ◌ (pataḥ) pour [a], ֵ◌
(tsérè) pour [e], ֶ◌ (sègol) pour [ɛ], ִ◌ (ḥiriq) pour [i],◌֗ (ḥolam) pour [o] et ◌ ֻ (qoubouts)
pour [u]. Le signe ְ◌ (cheva) est utilisé en hébreu pour rendre le son [ə] ou encore [e]
dans le cas des habitudes de prononciation sépharades mais peut aussi marquer le
fait qu’il n’y a pas de voyelle (cheva muet). La ponctuation apparaît essentiellement
dans les textes bibliques et donc rarement dans la représentation de l’occitan. Ces
signes ont été fréquemment ajoutés ultérieurement par d’autres mains. Ils sont placés
sous le signe consonantique après lequel ils sont prononcés (sauf le ḥolam, placé au
dessus) ; dans la translittération ils apparaissent après les signes consonantiques.
2.3 Consonnes
Certaines lettres consonantiques peuvent avoir une prononciation soit occlusive soit
fricative. Pour l’occitan, pé est utilisée pour [p] et [f], cf. l’occ. ( פיןPYN, pin) versus פוק
(PWQ, foc ‘feu’) et bèt est utilisée pour [b], mais peut aussi être utilisée pour représen-
ter un fricatif labial, par ex. ’( אבירBYR, aver ‘avoir’). Alternativement, le son fricatif
pouvait aussi être représenté par waw, cf. ( ויואWYW’, viva). La prononciation fricative
peut être indiquée par un diacritique superposé (raphé). La lettre guimel représente
autant [g] que le son palatal affriqué [dʒ] ; le signe diacritique susmentionné (raphé)
est souvent utilisé dans ce dernier cas, que nous représentons comme ג׳/ Ğ. Ce
graphème peut aussi représenter une affriquée palatale sourde [tʃ]. Ce son apparaît
comme ייג- (-YYG) à la fin du mot, comme dans ( קונטראייגQWNṬR’YYG), contrach
‘affaibli, paralysé’.
Le son [s] apparaît en tant que chine :7 ( שניילŠNYYL, senhal ‘signe’), ( רושRWŠ, ros
mots étaient donc écrits avec s(s) ainsi que c ou ç en caractères latins : ( סיבהSYBH)
la lettre tsadé est par contre utilisée : voir la variante ( צרייראשṢRYYR’Š). La tsadé
6 Ces signes peuvent être utilisés seuls ou en combinaison avec des signes consonantiques à valeur de
voyelles mentionnés ci-haut. Les exemples présentent plusieurs cas de cheva muet que nous avons
écrit en italiques. Selon le système de Bos et al. (2011), nous écrivons les signes diacritiques vocaliques
en minuscules, pour marquer le statut différent des deux types de caractères hébreux.
7 Pour une explication, voir Aslanov (2003, 37).
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 243
2001, 53–54 pour une explication détaillée) : brasas ‘braises’ : ( בראדאשBR’D’Š). Par
contre, le phonème /d/ est quelquefois représenté par tèt, comme dans קרפינאטה
(QRPYN’ṬH : carpenada ‘effilochée’). Les phonèmes palataux /ɲ/ et /ʎ/ sont fréquem-
romanes étant leurs langues maternelles. Nous nous trouvons ici plutôt face à une
tradition scripturale. Sur cette ligne d’argumentation, Silberstein (1973, 102–105) nous
offre une explication très élégante pour les métathèses fréquentes dans les textes
occitans en caractères hébreux : ces métathèses seraient des cas où la voyelle épen-
thétique a été conservée dans la graphie, tandis que la voyelle d’origine n’a pas été
exprimée. Ainsi, au lieu de refléter une variante *purna, la graphie PWRN’, attestée
dans le Sefer ha-Šimmuš (v.3.2), est plus probablement une graphie réduite de
*PWRWN’ (attestée également dans d’autres mss.), qui devrait être lue pruna ‘prune’.
Un argument très convainquant est le fait que, dans le poème d’Esther (cf. ci-dessous,
§ 3.3), des formes métathétiques riment avec les non-métathétiques, par ex. ‘YŠYMPLY
L’utilisation de l’alphabet hébreu pour une langue romane conduit à un haut degré
d’ambigüité : dans chaque texte roman en caractères hébreux, il existe des éléments
qui pourraient représenter n’importe quelle langue romane. Ce qui nous concerne ici,
c’est surtout le catalan qui, dans grand nombre de cas, ne peut pas être distingué de
l’occitan. On pourrait objecter que ceci est aussi le cas dans les textes en caractères
latins : par ex., une variante comme adiman(t) ‘diamant’ est documentée dans des
textes occitans ou catalans (DECLC 4,837b). Mais la graphie hébraïque ’DYM’N, peut
aussi représenter la variante occitane aziman, car dalèt est utilisée pour rendre /z/
(voir 2.3 ; cf. Bos et al. 2011, 126). Des graphies désambiguïsées comme nh (plutôt occ.)
vs. ny (plutôt cat.) n’existent pas, de sorte que QŠṬNY’ peut représenter aussi bien
castanha que castanya. Si nous ajoutons à ce type de cas l’ambigüité ou l’absence des
signes utilisés pour les voyelles, il est clair qu’une décision sur la langue peut
fréquemment ne pas être prise. Prenons pour dernier exemple les substantifs romans
dérivés de la 1e et de la 2e déclinaison latine : l’absence de -W finale (qui représente
habituellement -o), nous permet normalement d’exclure des langues comme l’espa-
gnol ou l’italien central ou méridional, mais les substantifs féminins sont plus
difficiles, car le a subsiste presque partout et, en outre, les signes alèf et hé servaient
aussi à représenter le -e ou cheva finaux des substantifs en ancien et moyen français.
C’est surtout dans le cas de mots isolés, de petits fragments et dans les glossaires
qu’il faut vérifier la langue à chaque moment (cf. ci-dessous, §§ 3.2 et 4.2). Ce qui
précède ne devrait pas être interprété comme une impossibilité d’identifier des
langues romanes exactes mais plutôt comme la nécessité pour les éditeurs et les
utilisateurs des éditions de faire preuve de grande vigilance. Un examen détaillé peut
parfois conduire à de bons résultats et même à l’identification de variantes dialectales
(cf. ci-dessous, § 4.3 pour quelques exemples).
au XIe siècle dans les « gloses » qui apparaissent dans des œuvres de Raschi (1040–
1105). Ces textes contiennent assurément des mots occitans dans nombreux de leurs
manuscrits. Darmesteter/Blondheim (1929) dans leurs Gloses françaises dans les
commentaires talmudiques de Raschi n’identifient qu’un petit nombre des mots occi-
tans ; nous y reviendrons au paragraphe 4.3. Blondheim (1937) dans le tome deux
« L’auteur semble avoir été un juif de Provence, car on rencontre en plusieurs endroits
du XIVe siècle) apparaît dans le ms. Parme 2387 (De Rossi 582 ; cf. Renan 1877, 552s.).
Récemment, Richler (2001, 188s., n° 652) a noté de nouveau que « [m]any words were
troisième commentaire anonyme9 du même livre (cf. Renan 1877, 553s.) se trouve à la
Montefiore Library à Londres (Hirschfeld 1904, n° 6).10 De ces trois commentaires,
Renan (1877, 554–556) a édité quelques mots, syntagmes et petites phrases romans
avec l’aide d’A. Darmesteter et P. Meyer. Un des grands mérites de Renan est d’avoir
constaté que « ces curieuses explications, qui, n’étant ni françaises, ni espagnoles,
mais bien provençales ou catalanes, fournissent la raison décisive pour attribuer les
8 « On dirait que le livre de Job était étudié en Provence plus que les autres livres bibliques, peut-être
parce qu’il se prêtait admirablement aux interprétations philosophiques, alors en vogue dans ce pays »
trois commentaires […] à des savants du midi de la France vers la fin du XIIIe siècle »
(1877, 554). Le matériel offert par Renan n’est naturellement pas suffisant pour une
conclusion claire, mais nous pouvons dire que chacun des trois manuscrits contient
des formes assurément occitanes, partiellement vocalisées : par ex. dans Paris 207
comme écrit Renan) ; dans Parme 2387 DeŠRaDiYG’ṬŠ (desradigatz ‘déracinés’ avec
Montefiore 6 nous lisons MWDYŠNR pour hébr. ‘ לחםיma nourriture’ (anc. occ. mo
disnar). Il est déplorable que Berliner (1881, 115), dans sa description de ce manuscrit,
mentionne « französische Ausdrücke » (alors qu’il connaissait et citait le livre de
Renan) !
Ces trois manuscrits sont tous restés inédits. La situation éditrice s’améliore en ce
qui concerne un auteur connu, Joseph ben Abba Mari ibn Caspi (Sen Bonafos de
Largentière), né vers 1280 et décédé vers 1340, peut-être à Valence (Aslanov 2001, 2).11
Il est l’auteur de commentaires bibliques, qui furent édités par Last (1903) d’après le
ms. Turin A VI 34 (Peyron 1880, n° 197), avec des essais souvent non réussis d’inter-
prétation des mots vernaculaires (Aslanov 2001, 9s.). Dans une série d’articles, Bacher
(1912–1913) a interprété un grand nombre des mots romans de Caspi dans l’édition de
Last de manière beaucoup plus exacte, en les classifiant comme « provenzalisch ».
31–42 ; Davidson 1907 ; Einbinder 2005). De ce cadre, nous sont parvenus trois textes
11 Kaspia était le nom hébreu de Largentière (de l’hébr. kesef ‘argent’), cf. Last (1907, 651).
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 247
petite partie en occitan.12 L’Arukh est disponible dans l’édition volumineuse de Kohut
(1878–1892),13 qui contient aussi des essais d’interprétation des le‘azim qui ne sont
pas satisfaisants du point de vue romaniste. En Occitanie, nous trouvons, un peu plus
tard, deux dictionnaires de termes classés selon les racines trilittérales qui sont à la
base des mots hébreux. La première œuvre de ce type est le Sefer ha-Šorašīm de David
Qimḥi (1160–1235, Narbonne), qui contient environ 400 éléments lexicaux romans,
dont beaucoup sont en occitan ; ce livre a été recopié plusieurs fois dans d’autres
pays, de sorte que les éléments occitans sont souvent hispanisés ou italianisés
(Aslanov 2003, 12). Dans l’édition de Biesenthal et Lebrecht (1847) les éléments
romans ont été identifiés avec des propositions de lecture assez vagues en plusieurs
langues romanes, l’occitan entre autres (cf. ci-dessous, §§ 4.1 ; 4.2). Cette édition est
considérée par Aslanov (2003, 11) comme une édition emblématique de la « Wissen-
schaft des Judentums » allemande du XIXe siècle, pour laquelle « ces gloses en langue
welche […] n’étaient certes pas dignes qu’on leur accordât autant d’importance que
l’hébreu véritable » (ibid., 11). Quelques éléments ont été étudiés par Aslanov (1996)
12 Cette observation de Silberstein (1973, 42) a été confirmée dans Bos et al. (2011, 23). Ferretti Cuomo
(1998), remarque que les interprétations « comprendono un’arco di studiosi che va dalle accademie
babilonesi a quelle nord africane, provenzali, francesi e ashkenazite, oltre ai centri italiani ». Dans cet
article, il n’y a qu’une seule référence à l’occitan, notamment ‘aNaBəRaDWuR’a pour ‘blessure’, que
l’auteure (p. 256) considère comme une forme italianisée liée peut-être au français navrer ou plutôt à
l’occitan nafrar. Nous pouvons ajouter que Paris (1872, 217) mentionne un français *navradure (var.
*nafredure) qui apparait chez Rachi selon ce que lui a communiqué A. Darmesteter. Darmesteter/
Blondheim (1929, 101) mentionnent seulement N’PR’DWR’ qu’ils identifient comme anc. prov. *nafra-
dura, mot par ailleurs documenté en occitan moderne.
13 Pour la critique de l’édition de Kohut, voir déjà le compte rendu par Felsenthal (1893) : « It is to be
much regretted, however, that different types have not been used, one kind for the original work of
Nathan, another one for the additions of Musaphia and still another one for those of Kohut. As it is, it
requires some exasperating labor to separate the original work from the overwhelming additions »
(127s.).
248 Guido Mensching
Colette Sirat, experte en paléographie hébraïque (2001, 6s.). Bien que ce manuscrit ait
été copié en Espagne, le matériel occitan est resté essentiellement intact et a pu être
identifié comme appartenant à la variété rhodanienne. En outre, Aslanov a pris en
considération une autre copie faite en Espagne, ms. Rome Angelica Ms. Or. 60–2, un
manuscrit ponctué (cf. ci-dessus, § 2.2) par le copiste, qui « tend à réinterpréter les
Des explications en occitan sont très fréquentes aussi dans les textes hébreux
médico-botaniques, en particulier dans les traductions. Un cas assez isolé d’une
traduction du latin est un fragment du pseudo Macer Floride, édité par Bos/Mensch-
ing (2000), avec un commentaire des mots latins et occitans (environ 25) en caractères
hébreux qui y sont contenus (cf. ci-dessous, § 4.2). Mais les cas les plus fréquents sont
des traductions de l’arabe, comme celle faite par Nathan ha-Me’ati des aphorismes
médicaux de Maïmonide, dont le matériel occitan n’a pas encore été étudié (mais cf.
éd. Bos en prép.). Il semble que c’était surtout la famille des Ibn Tibbon, originaire
d’al-Andalous, qui avait introduit l’usage de traduire les ouvrages scientifiques des
Arabes. Le traducteur d’ouvrages médicaux de l’arabe le plus connu fut Moïse ben
Samuel ibn Tibbon, actif entre 1240 et 1283 à Naples, Marseille et, plus tard, à
Montpellier. Il a traduit plusieurs ouvrages de Maïmonide, ar-Rāzī, Ibn Sīnā (Avi-
cenne) et Ibn al-Jazzār. Le vocabulaire occitan contenu dans plusieurs de ses traduc-
tions va bientôt être accessible dans des éditions modernes comparées (arabe-hébreu)
telles que Bos (2015) et Bos/McVaugh (en prép). Plus particulièrement, le vocabulaire
médico-botanique occitan du Livre 7 de la traduction faite par Ibn Tibbon de l’ouvrage
Zād al-musāfir wa-qūt al-ḥāḍr (Viaticum) d’Ibn al-Jazzār (titre en hébreu : Ṣedat ha-
et fonctionnent donc comme termes techniques. Plus précisément, Ibn Tibbon sub-
stitue habituellement des termes médico-botaniques du texte source arabe par des
termes occitans (cf. Mensching/Zwink 2014). De façon similaire, le texte du Macer
Floride utilise des termes techniques en occitan pour traduire des termes du latin. Ici,
nous observons une procédure inverse de la procédure usuelle, à savoir que les termes
occitans sont quelquefois « glosés » par des explications en hébreu. La raison est le
3.2 Glossaires
Contrairement au nord de la France (cf. l’aperçu général récent chez Kiwitt 2013),
nous ne connaissons pas de glossaires généraux ou bibliques ayant pour objectif
d’établir des correspondances entre des mots hébreux et occitans. Par contre, il
existe un nombre élevé de glossaires du domaine de la médecine avec des corres-
pondances occitanes. En général, il s’agit de ce qu’on appelle des « listes de
niques en différentes langues. Dans Bos/Mensching (2015) nous avons identifié une
dizaine qui comporte des éléments occitans, dont le but était surtout d’expliquer la
terminologie des textes arabes. Ces listes semblent continuer une tradition lexico-
graphique préexistante en al-Andalous et transmettent, en caractères hébraïques, le
vocabulaire médico-botanique typique du domaine hispano-arabe. Des listes de ce
genre devaient circuler dans les territoires où les Séfardis s’étaient établis, surtout
l’Espagne du nord, la Catalogne et l’Occitanie, et il est à supposer que de là, certains
manuscrits soient passés à l’Italie. À l’heure de leur copie, les éléments romans
furent quelquefois substitués par les éléments de la variété locale, mais parfois les
mots locaux furent ajoutés aux mots déjà existants. Ainsi, quelques-uns de ces
glossaires se transformèrent avec le temps en de vrais vocabulaires multilingues.
Nous montrons un exemple, pris du ms. Vat. Ebr. 361, copié à Palerme en 1342 (Bos/
Mensching 2015, 36) :
(4) שיְנץ
ֵ אפסנתין הו שגרה’’ מרים לט’ אישנצו לע’ דונזיל ויסמא ארבא בלאנכא לט’ אפסיניטיאון ויש או’ ֵאי
‘PSNTYN, c.-à-d. ŠGRT MRYM, lat. ‘YŠNṢW ; vern. DWNZYL, appelé aussi ‘RB’
thium). ‘RB’ BL’NK’ doit correspondre à l’occitan erba blanca (cf. Corradini 1997,
157), tandis que ‘eYŠeYNṢ est le mot occitan connu pour l’absinthe, eisens
(aisens).
La plupart de ces listes avaient été déjà décrites par le grand érudit bibliographe
et orientaliste Moritz Steinschneider (1867–1868 ; 1892a ; 1892b ; 1893 ; 21895), lequel
recommanda aussi leur édition (et devrait donc être exclu de la critique que fait
Aslanov de la « Wissenschaft des Judentums »), mais personne ne s’en était occupé
2011), les éditions complètes étant encore en cours de travail ou prévues. On n’en
connait pas généralement l’auteur, sauf deux listes qui apparaissent dans le Sefer ha-
250 Guido Mensching
Šimmuš de Šem Tov ben Isaac et que nous avons édité dans leur totalité (Bos et al.
Les seuls textes plus longs entièrement écrits en occitan en caractères hébraïques sont
quelques textes et fragments religieux. Le « Rituel », du XVe siècle, est la traduction
d’un livre de prière, qui comprend des chapitres de la Bible, conservé dans le ms. 32
de la Roth collection (Leeds University Library). Le texte, qui est resté inédit, est une
traduction littérale et donc classifié par Sephiha (1976–1977) comme du « judéo-
Tous les autres textes connus ont une relation avec le livre d’Esther et la fête de
Pourim (cf. ci-dessus, § 3.1). Dans un des textes parodiques édités par Davidson (1907)
(cf. ci-dessus, § 3.2), nous trouvons cinq vers entièrement occitans, qui avaient déjà
été édités par Neubauer/Meyer (1892, 195s.) sur la base de deux manuscrits. Davidson
(1907) fait une édition d’autres manuscrits ; une version hypothétique en caractères
latins qui résulte de la comparaison des deux versions a été établie provisoirement
par Silberstein (1973, 38).
Le Poème d’Esther de Crescas de Caylar est conservé dans un fragment de
448 vers qui apparaissent après les parodies (cf. ci-dessus, § 3.1) dans le ms. New
York, Jewish Theological Seminary, Adler 2039 (copie de la fin du XVe siècle) ; cf.
Silberstein (1973, 71), Einbinder (2005, 437). La première édition, publiée dans
Romania en 1892, a été faite par Adolph Neubauer, vice-bibliothécaire à la Biblio-
thèque Bodléienne et hébraïste à l’Université d’Oxford et par le grand romaniste
français Paul Meyer. L’édition remarquable, tout en rendant ce texte accessible
pour la première fois, est loin d’être sans fautes. L’explication se trouve dans le
passage suivant, qui nous montre de nouveau la grande difficulté de ce genre de
textes :
« M. Neubauer me lisait un texte qu’il ne comprenait pas, tandis que je m’efforçais de saisir au vol
et de transcrire les paroles que j’étais incapable de lire, et auxquelles je faisais subir les
modifications que l’usage de l’alphabet hébraïque permet, […] jusqu’à ce que le sens se révélât.
C’était la collaboration du paralytique et de l’aveugle » (Neubauer/Meyer 1892, 196).
L’édition de Pansier (1925) n’apporte rien de nouveau sauf une traduction en occitan
moderne. Pansier n’a pas travaillé sur le manuscrit et importe des erreurs de l’édition
de Neubauer et Meyer, en corrigeant d’autres sans motivation, comme l’observe Susan
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 251
Milner Silberstein (1973, xxvii).14 À cette dernière chercheuse, nous devons une
édition magistrale de l’œuvre hébraïco-provençale, dans sa thèse doctorale dirigée
par Samuel G. Armistead. À part l’édition (cf. ci-dessous, § 4.1), Silberstein a fourni les
contextes historiques et littéraires mais surtout une analyse linguistique détaillée, une
traduction en anglais, et une copie et une description soigneuse des pages du
manuscrit. Cette édition précieuse n’a été publiée que sur microfiche, mais est mainte-
nant disponible en version électronique. Einbinder (2005, 438) mentionne un deu-
xième fragment, inédit, du texte dans le ms. Rome, Biblioteca Casanatense, ms. Heb.
3140 (IMHM, microfilm F 100).
Le sujet d’Esther est resté vivant dans les siècles suivants chez les juifs du Comtat
Venaissin. Les obros, dont la plupart ont été composées par le rabbin Mardochée
Astruc (XVIIe siècle) sont des chansons liturgiques en vers alternants (hébreu-occitan,
aussi en caractères hébreux), qui se rattachent au récit du livre d’Esther. La langue
des obros ne reflète pas le Chuadit mais une variante du provençal littéraire (Lazar
1963, 292). Lazar a identifié six manuscrits du début jusqu’à la deuxième moitié du
XVIIIe siècle et trois versions imprimées (1765, 1767, 1829) qui contiennent des obros,
dix au total. Un certain nombre de obros avait été transcrit et publié au XIXe et au XXe
siècle exclusivement en caractères latins (Lazar 1963, 296–299). Dans son édition
critique diligente, Lazar a considéré dans l’apparat critique tous les manuscrits et
versions imprimés. L’édition comprend le texte et l’apparat critique à droite et une
version en caractères latins (aussi avec apparat critique) à gauche ; voir aussi ci-
dessous, § 4.3.
res hébreux sont la règle pour la littérature religieuse et les œuvres lexicographiques
(cf. § 3.1). Au XIXe siècle déjà, ce type d’éditions comprenait souvent des notes en bas
14 Notons en passant que le Centre International de l’Écrit en Langue d’Oc a publié en ligne une
version du poème d’Esther qui reproduit la version en caractères latins de Pansier, sans mentionner le
nom de ce dernier et sans expliquer que l’original est écrit en caractères hébreux. Voir http://sites.
univ-provence.fr/tresoc/libre/libr0326.htm (dernière consultation 25 janvier 2014).
252 Guido Mensching
de page avec un essai d’identification des « gloses », comme dans les exemples
a. Texte b. Notes
a. Texte
b. Notes
La question est différente pour les textes entièrement occitans, qui évidemment n’ont
pas fait l’objet d’éditions s’adressant à un public hébréophone ou hébraïste, mais ont
été édités dès le départ par des romanistes. Dans ce type de textes très rares il est clair
qu’une édition synoptique soit utile. C’était la méthode employée déjà par Neubauer
et Meyer dans leur édition du poème d’Esther (cf. § 3.3). Nous en reproduisons un
15 Pour une évaluation intéressante de la méthode employée par Meyer et Neubauer du point de vue
de l’histoire de la philologie, voir Aslanov (2003, 14s.).
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 253
Un autre exemple d’une édition synoptique est celle faite par Lazar (1963) des obros
du XVIIe siècle (cf. § 3.3).
sion en ancien occitan (cf. l’exemple 8a), et par la suite, ce que l’éditrice caractérise
de « critical edition », accompagnée, à côté, d’une traduction à l’anglais (voir 8b).
comprend pas de signes de ponctuation, et les voyelles qui ne sont pas repré-
sentées sont marquées en italiques. Mais cette version est adaptée déjà à des
graphies courantes dans l’ancien occitan, par ex. en ce qui concerne les sons
palataux, comme NYY qui apparaît comme nh. Les métathèses (cf. § 2.4) ne sont
tique » en (8b) est une version de lecture, qui suit toutes les conventions
Diplomatic Transcription »,17 pp. 166–188 ; « Notes to the Critical Transcription »,18
pp. 203–259).
basait sur des raisons sémantiques et de contexte : « Riscas voudrait dire riche, par
opposition à teunes (pauvre ?) », tout en ajoutant que « la forme que donne la trans-
cription littérale n’est pas admissible ». Silberstein, dans la version critique, adopte
Šimmuš (cf. ci-dessus, § 3.2), nous trouvons RŠQS (var. RYŠQ’Ṣ) au sens de ‘croûteux’,
Nous n’allons pas poursuivre cette discussion, mais nous concluons avec la remarque
que, si RYŠQ’Š était une variante de rascas, une lecture comme *rescas serait plus
probable que *riscas, à cause des cas fréquents d’alternances a-e (et non a-i) en
syllabe prétonique (Appel 1918, § 36).
Notons finalement que la situation peut être différente quand il s’agit de matériel
roman ponctué (cf. 2.2), mais il est convenable d’utiliser quand même un système de
translittération, en se souvenant de plus que la ponctuation peut être ultérieure. Les
obros du XVIIe siècle pourraient constituer une exception, car elles semblent écrites
dans une graphie assez constante avec des éléments basés sur une graphie occitane
francisante. Ceci a permis à Lazar (1963) de passer directement à une graphie occitane.
Mais l’éditeur n’est pas toujours cohérent et a commis quelques erreurs, qui passent
inaperçues du lecteur ignorant de l’hébreu.
17 Ex. : la lecture tinhos (v. 319) au lieu de teunes (Neubauer/Meyer 1892, 222, admettent que cette
lecture « est, comme transcription et même comme sens, fort douteuse »). La décision pour tinhos est
Dans le cas le plus fréquent, notamment celui des éléments occitans isolés (cf. § 3.1 et
les exemples (5) et (6) de § 4.1), une édition complète du texte ne peut clairement pas
être réalisée dans le cadre de la philologie romane. D’autre part, les éditeurs hébraïs-
tes ne sont pas enclins à avoir de longs commentaires romanistes dans leurs éditions,
et, en contrepartie, le lecteur romaniste ne s’intéresse pas en principe au texte hébreu.
La solution adoptée dans la philologie romane depuis Darmesteter/Blondheim (1929)
fut d’éditer les le‘azim sans le texte qui les entoure : « ils sont extraits de leur contexte,
retranscrits en caractères latins et classés par ordre alphabétique » (Aslanov 2003, 16).
Pour l’occitan, cette méthode n’a été appliquée que beaucoup plus tard. Nous l’avons
employée dans l’édition du Macer Floride (Bos/Mensching 2000) (cf. ci-dessus, § 3.1),
mais comme il s’agit d’un fragment très réduit nous avons pu faire l’édition du texte
hébreu complet (même avec le texte latin à coté), et le petit catalogue des mots
occitans et latins figure comme annexe. Pour les textes plus longs, une édition du
texte hébreu dans sa totalité n’est pas faisable. La solution adoptée par Aslanov
(2001) est d’éditer et d’étudier les « gloses » de J. Caspi (cf. § 3.1) indépendamment du
texte, dans un inventaire organisé par ordre alphabétique (Aslanov 2001, 15–46), voir
l’exemple d’une entrée en (9) :
(9)
codoing קודוײןqdwyyn « coing », glose de « ַחבּוּשcoing », s.r. חבשḥbš, p. 107a. Les divers parlers
d’oc font coexister une forme codon et une forme palatalisée codoing / codonh qui est à
rapprocher du piémontais codogn et du catalan codony. C’est la deuxième de ces formes qui est
représentée dans le dictionnaire de Caspi. Dans la paraphrase en vers du livre d’Esther attribuée
au médecin Crescas du Caylar, contemporain de Caspi et originaire comme lui des confins
orientaux du Languedoc, on trouve (v. 155) également la forme palatalisée.
L’entrée commence par une hypothèse sur la lecture occitane (codoing), suivie par la
graphie en hébreu, la translittération, le signifié du mot occitan, l’équivalent hébreu
avec son signifié et un renvoi à la racine sous laquelle cette équivalence est mention-
née. La lecture est justifiée par un commentaire plus long. Cette procédure peut être
appliquée dans des textes où il y a des équivalences explicites, comme c’est le cas ici.
Mais quand les mots occitans se trouvent intégrés syntaxiquement dans le texte
hébreu (cf. ci-dessus, § 3.1, et l’exemple (6) en § 4.1), les éditions futures devraient au
moins reproduire et traduire le contexte immédiat dans lequel le mot se trouve. Dans
la partie du Ṣedat ha-Derakim (cf. § 3.1) que nous avons étudiée, le cas est encore
différent, car il s’agit d’une traduction de l’arabe. Comme notre partenaire orientaliste
Gerrit Bos a fait les éditions et du texte arabe et de la traduction vers l’hébreu, nous
pourrons indiquer les mots-source en arabe, et nous pourrons donc publier l’édition
des mots occitans sans leur contexte ou avec un contexte minimal, heureusement, car
il s’agit surtout de recettes médicales, où le contexte n’est pas d’une grande aide. Le
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 257
texte hébreu complet a été publié séparément, avec l’édition du texte arabe pour un
public différent et dispose donc seulement d’un glossaire des termes hébreux, où les
mots occitans apparaissent accompagnés de leurs signifiés.
La question de l’édition des listes de synonymes est bien différente, car il s’agit
d’œuvres lexicographiques qui ont besoin de toute façon d’une analyse linguistique,
aussi des mots hébreux et arabes, et doivent donc être éditées dans leur totalité. Voir
l’exemple (10) de la première liste du Sefer ha- Šimmuš (cf. § 3.2) :
19 Les notes font référence à l’apparat critique, qui n’est pas reproduit ici. L’abbr. « o.l. » représente
Dans leur œuvre « Les gloses françaises dans les commentaires talmudiques de
nale de chaque glose sur la base d’un nombre très élevé de manuscrits. Même si les
auteurs admettent que les « textes ont subi tant d’altérations à travers les siècles »
qu’il est « impossible actuellement d’établir un texte définitif des gloses », ils ont
essayé quand même pour chaque glose, « une reconstruction de la glose en caractères
romans, telle qu’on peut supposer qu’elle a été prononcée par Raschi » (1929, iv). Mais
cette entreprise ne peut pas fonctionner, car les variantes qui sont réunies dans
l’apparat critique représentent plusieurs variétés voire même langues, l’occitan entre
autres. Voyons, comme exemple, les variantes que l’apparat critique indique pour les
formes reconstruites comme « judéo-français » *faisol et *faisols (‘haricot/‑s’, ‘fa-
séole/-s’) (1929, 62, nos. 455 a et b). Nous nous servons de la translittération que nous
avons utilisée dans tout l’article et non de celle des éditeurs :
représente l’anc. fr. feves, qui n’a pas été identifié dans l’édition et est resté obscurci par
la translittération pibis (cf. le tableau (2) en 2.1 pour la translittération utilisée par les
éditeurs). Presque toutes les autres formes montrent la graphie -YY-, laquelle représente
une diphtongue (cf. § 3.2). La variante du moyen français faisole est classifiée comme
hapax legomenon par le FEW (8, 373), ce qui ne nous empêcherait pas, en principe, de
reconnaître cette variante dans PYYŠ(W)L’ en 456 e, 6, B et 27B, en se souvenant qu’alèf
peut représenter [e] ou [ə] en français, et encore plus clairement au pluriel PYYŠWLYŠ
(pluriel, *faisoles ; ms. 44). Mais les variantes du type PYYŠWL en 455 x et au pluriel
PYYŠWLŠ en 455 B2 et 456 e reflètent parfaitement l’anc. occ. faisol / faizol (LR 3,250b,
FEW 8,373), visible aussi – peut-être — dans les formes (corrompues ?) PWYYŠ(W)LŠ en
455 e et h. Ceci, nous l’avons déjà constaté dans Mensching/Bos (2011)20 en rapport avec
le fait d’avoir trouvé des variantes similaires dans d’autres manuscrits qui contiennent
des éléments occitans. Tout cela est encore plus probable parce que la plupart des
manuscrits et textes imprimés de Raschi contiennent, selon les éditeurs, des éléments
« provençaux » ou « provençalisés ». Étrangement, Darmesteter et Blondheim ont
choisi exactement ces variantes pour former leurs mots vedettes. L’idée d’une édition
critique a conduit donc en dernière instance au fait qu’un mot très probablement
occitan figure dans le FEW (loc. cit.) comme judéo-français !
concernant un des manuscrits (O) nous savons qu’il a été copié à Trets en Provence, et
les deux autres (P et V) semblent contenir des traits plutôt languedociens (cf. Bos et al.
2011, 41–44). Par ex., pour ‘lézard’, le ms. V montre L’ŠYRṬ (probablement langued.
or. / prov. occ. lazer(t)), tandis que P montre LDBYRṬ, forme interprétable comme
lauzert (avec une métathèse et dalèt pour [z], cf. §§ 2.3 et 2.4), documenté pour l’anc.
5 Conclusion
Dans cet aperçu général, nous avons pu voir qu’un matériel occitan loin d’être
négligeable a été transmis en caractères hébreux, surtout au Moyen Âge (XIIIe au XVe
siècle). Des deux textes longs existants, un seul (le poème d’Esther) a fait l’objet d’une
édition satisfaisante de la part de Silberstein (1973). Par ailleurs, il existe une quantité
impressionnante de matériel lexical ou fragmentaire en ancien occitan provenant en
gros de trois domaines (religion, médecine et lexicographie). Mis à part les glossaires
médico-botaniques, ce matériel, notamment des mots et syntagmes, résulte de la
pratique commune aux juifs d’alors d’insérer du matériel roman explicatif dans des
textes hébreux. Nous avons identifié deux variantes de cette procédure, notamment
260 Guido Mensching
(i) l’ajout de correspondances occitanes pour expliquer les mots hébreux et parfois
arabes, et (ii) l’usage d’expressions occitanes au lieu de l’hébreu, c.-à-d. en tant que
mots étrangers – en médecine : termes techniques – en hébreu. Seule une petite partie
de toute cette richesse, que nous estimons consister en plusieurs milliers de mots et
syntagmes, a fait l’objet d’éditions satisfaisantes à ce jour.
La première et plus grande difficulté réside dans le fait que l’édition de ce matériel
présuppose un niveau élevé de familiarité aussi bien avec les langues romanes
qu’avec l’hébreu. C’est la raison pour laquelle le matériel roman dans les textes que
nous avons examinés n’a souvent pas du tout été identifié comme occitan ou sinon
très tard. Concernant les langues romanes, nous avons vu qu’il n’était pas suffisant
que l’éditeur soit spécialiste en occitan car la quasi-totalité des textes en question, et
ceci pour une variété de raisons, contiennent des éléments ou des traces d’autres
langues romanes. Une langue romane écrite en caractères hébreux ne suivant pas les
conventions usuelles (telles que koinès ou scriptae), une connaissance approfondie
de la dialectologie romane est également nécessaire. Enfin, la connaissance d’autres
langues, en premier lieu de l’arabe, est aussi incontournable puisque la littérature
juive au sud de la France est d’origine hispano-arabe.
Les éditions faites par des spécialistes de l’hébreu ou des études orientales ne
s’intéressent logiquement pas à l’identification des éléments romans et, le cas
échéant, ne les identifient pas (suffisamment). Les éditions de spécialistes des lan-
gues romanes sans connaissances approfondies de l’hébreu ou sans l’assistance de
spécialistes de l’hébreu ont souvent été faites uniquement en caractères latins. Ce
produit est malheureusement inutile puisqu’il présente des textes qui n’ont jamais
existé. De bonnes éditions ou des éditions acceptables ont toujours été faites soit par
des personnes disposant d’excellentes connaissances de l’hébreu et de la philologie
romane (telles qu’Arsène Darmesteter, Susan Milner Silberstein, Moshé Lazar ou Cyril
Aslanov) soit par des équipes comprenant au moins deux spécialistes de chaque
domaine (tels qu’Adolf Neubauer et Paul Meyer ou notre propre équipe de recherche).
Quant à l’édition même, le problème principal est de trouver un moyen de
transcription approprié. Idéalement, une édition de matériel non hébreu dans des
textes écrits en hébreu doit présenter le même mot, syntagme ou texte roman au
moins en trois étapes : l’original en caractères hébreux, une transcription caractère
toutefois, le contexte du texte hébreu doit être pris en compte, du moins dans une
certaine mesure qui peut être décidée séparément pour chaque texte et pour chaque
élément roman.
6 Bibliographie
Appel, Carl (1918), Provenzalische Lautlehre, Leipzig, Reisland.
Aslanov, Cyril (1996), La Réflexion linguistique hébraïque dans l’horizon culturel de l’occident
médiéval : essai de comparaison des traités de grammaire hébraïque et provençale dans
la perspective de l’histoire des doctrines grammaticales, Revue des Études Juives 115,
5–32.
Aslanov, Cyril (2001), Le provençal des Juifs et l’hébreu en Provence. Le dictionnaire « Šaršot ha-
Aslanov, Cyril (2002) Judéo-provençal médiéval et chuadit : essai de délimitation, La France latine 134,
103–122.
Aslanov, Cyril (2003), Le déchiffrement des gloses judéo-romanes : essai de rétrospective, Helmántica
163, 9–42.
Aslanov, Cyril (sous presse), Occitan, in : Guido Mensching/Frank Savelsberg (edd.), Manual of
Bannitt, Menahem (1963), Une langue fantôme : le judéo-français, Revue de Linguistique Romane 27,
245–94.
Berliner, Abraham (1881), Eine seltene Privatbibliothek, Magazin für die Wissenschaft des Judenthums
8, 108–116.
Biesenthal, Johannes Heinrich Raphael/Lebrecht, Fürchtegott (1847), Sefer ha-Shoreshim le-rabi
David ben Yosef Kimḥi ha-Sefaradi, Berlin, Bethge.
Blondheim, David S. (1937), Les gloses françaises dans les commentaires talmudiques de Raschi,
tome 2 : Études lexicographiques, Baltimore, John Hopkins Press/London, Humphrey Milford/
Bos, Gerrit/Mensching, Guido/Zwink, Julia (en prép.), Les éléments occitans dans le Ṣedat-ha
Derakhim (Viaticum) de M. Ibn Tibbon.
Bos, Gerrit, et al. (edd.) (2011), Medical synonym lists from Medieval Provence (Hebrew, Arabic,
Romance) : Shem Tov Ben Isaac, Sefer ha-Shimmush, Book twenty-nine. Critical edition, transla-
Corradini Bozzi, Maria Sofia (1997), Ricettari medico-farmaceutici medievali nella Francia meridionale,
Firenze, Olschki.
Darmesteter, Arsène/Blondheim, David S. (1929), Les gloses françaises dans les commentaires
talmudiques de Raschi, tome 1 : Texte des gloses, Paris, Champion.
Davidson, Israel (1907), Parody in Jewish Literature, New York, Columbia University Press.
DECLC : Coromines, Joan (1980–1991), Diccionari etimològic i complementari de la llengua catalana,
Einbinder, Susan L. (2005), A Proper Diet : Medicine and History in Crescas Caslari’s Esther, Speculum
80, 437–463.
Encyclopedia Judaica (22007), 22 vol., Detroit, Macmillan Reference.
Felsenthal, Bernhard (ed.) (1893), Kohut’s ’Arukh completum, Hebraica 9, 125–128.
Ferretti Cuomo, Luisa (1998), Le glosse volgari nell’« Arukh » di r. Natan ben Yehi’el da Roma. Note di
Kommentare « Tirath Keseph » oder « Sefer hassod », und « Mazref la-keseph », 2 vol., Press-
burg, Alkalay.
Last, Isaac (1907), « Sharshoth Kesef », the Hebrew Dictionary of Roots, by Joseph Ibn Kaspi, Jewish
Schrift, London.
Lazar, Moshé (1963), Lis Obros : chansons hebraïco-provençales. Édition critique d’après tous les
mss. connus, in : Moshé Lazar (ed.), Romanica et occidentalia. Études dédiées à la mémoire de
professeur à la Sorbonne, par ses collègues, ses élèves et ses amis, Genève/Paris, Droz/Minard,
2, 575–590.
LR = Raynouard, François J.M. (1838–1844), Lexique roman : Ou dictionnaire de la langue des
troubadours comparée avec les autres langues de l’Europe latine, 6 vol., Paris, Silvestre.
Mensching, Guido (2009), Listes de synonymes hébraïques-occitanes du domaine médico-botanique
au Moyen Âge, in : Guy Latry (ed.), La voix occitane. Actes du VIIIe Congrès de l’AIEO, vol. 1,
(XIIIe), in : Carmen Alén Garabato/Claire Toreilles/Marie-Jeanne Verny (edd.), Los que fan viure e
treslusir l’occitan, Actes du Xe Congrès de l’AIEO, Béziers, 12–19 juin 2011, Limoges, Lambert-
Lucas, 226–236.
Neubauer, Adolf/Meyer, Paul (1892), Le roman provencal d’Esther par Crescas du Caylar, medecin juif
du XIVème siècle, Romania 21, 194–227.
Pansier, Pierre (1925), Le roman d’Esther de Crescas du Cailar, Annales d’Avignon et du Comtat
Venaissin 11, 5–18.
Paris, Gaston (1872), Navrer, Romania 1, 216–218.
Peyron, Bernardino (1880), Codices Hebraici Manu Exarati Regiæ Bibliothecæ quæ in Taurinensi
Athenæo Asservantur, Torino, Fratres Bocca.
Renan, Ernest (1877), Les rabbins français du commencement du quatorzième siècle, extrait du tome
XXVII de l’Histoire littéraire de la France, Paris, Imprimerie Nationale (Réimpression Farnborough,
Gregg International, 1969).
Richler, Benjamin (ed.) (2001), Hebrew manuscripts in the Biblioteca Palatina in Parma : catalogue.
Sephiha, Haïm Vidal (1976–1977), Rapport sur les conférences de judéo-espagnol, Annuaire 1976–
1977 de l’École Pratique des Hautes Études (IVe section), Paris, Sorbonne, 217–231.
Silberstein, Susan Milner (1973), The Provençal Esther Poem Written in Hebrew Characters c. 1327 by
Crescas de Caylar : Critical Edition, thèse de doctorat, University of Pennsylvania.
Steinschneider, Moritz (1867–1868), Donnolo. Pharmakologische Fragmente aus dem 10. Jahrhun-
dert, Virchows Archiv 38, 65–91 ; 39, 296–336 ; 40, 80–124 ; 42, 51–112.
Steinschneider, Moritz (1881–1884), Purim und Parodie, Israelitische Letterbode 7, 1–13 ; 9, 45–58.
Steinschneider, Moritz (1892a), Glossar zu den Synonymen Cap. IX des Antidotarius, in : Julius Leopold
Pagel (ed.), Henri de Mondeville. Die Chirurgie des Heinrich von Mondeville : nach Berliner,
Mondeville. Die Chirurgie des Heinrich von Mondeville : nach Berliner, Erfurter und Pariser
Weiser, Jonathan M. (1995), Translation as interpretation : Rashi’s use of French in his commentary to
–
toute forme de listes ou d’inventaires (de personnes, de terrains, de biens meubles) qui
interviennent notamment dans la gestion foncière (censiers etc.) ou commerciale
(inventaires de marchandises) ;
– toute forme de documents comptables (surtout des registres de recettes et dépenses qui
sont souvent très riches d’un point de vue lexical, notamment en contexte princier) ;
– tout acte de la pratique de droit (les chartes, souvent transmises par des cartulaires,
traitant tout genre de questions liées au droit privé : ventes et donations, règlements de
litiges et arbitrages, inféodations, etc. ; plus tard, les registres princiers ou urbains
réunissant des pétitions ou demandes, des décrets ou privilèges, des comptes rendus
de décisions en cas de litige) ;
– toujours dans le cadre du droit, certains genres bien définis qui sont plus proches de la
pratique que de la théorie juridique (testaments, sentences judiciaires ou encore des
statuts, des chartes-loi et, dans une moindre mesure, des coutumes) ; la théorie
juridique, quant à elle, s’intègre plutôt dans les traditions textuelles d’un savoir
spécialisé, même si elle se trouve en interaction avec l’écrit documentaire (cf. Kabatek
2005, 124–130) ;
– enfin, un nombre très considérable de lettres (de type politique, administratif, commer-
ciales, privées) ; le cas le plus spectaculaire étant les ca 125.000 lettres des archives
1.2 Malgré leur richesse indéniable, les textes documentaires sont l’ensemble textuel
de loin le moins étudié. Le contraste devient particulièrement saisissant si l’on
compare avec la littérature (profane) dont le volume est inférieur au moins par un
facteur 100, mais pour lequel le nombre d’études et de chercheurs spécialisés est bien
Les plus anciens documents de la France 269
– adoptant une approche régionale (= toutes les sources non-littéraires d’une région à une
époque donnée) : pour l’Italie du Nord, P. Videsott a réuni pour l’époque comprise entre ca
1280 et 1525 un peu plus de 2000 textes vernaculaires surtout de type documentaire pour
lesquels nous disposons d’une édition, permettant ainsi un aperçu géolinguistique, chrono-
logique et quantitatif des genres accessibles pour une région définie de la Romania médié-
vale (Videsott 2009, 64–237 ; une trentaine de textes se place entre ca 1200 et ca 1280) ;
– d’autres adoptent une approche par genres textuels (diachronique ou comparatiste) : dans
la lignée notamment de W. Raible (cf. HSK 10, art. 1, la collection des ScriptOralia, etc.),
différentes traditions textuelles particulièrement caractéristiques ont été étudiées de ma-
nière interprétative, par exemple les sentences judiciaires en français (Krefeld 1985), les
lettres en italien (Koch 1987), le phénomène des listes (Koch 1990) ou les textes romans liés
au droit romain (Kabatek 2005, 87–112) ;
– on relève également des approches lexicales (par définition plus partielles) : par ex. dans le
domaine commercial, les études de F. Melis (1962) sur le vocabulaire contenu dans les lettres
des archives Datini ou la thèse de M. Höfler (1967) sur les dénominations des tissus d’après
les sources documentaires en français ;
logie qui repose traditionnellement surtout sur des textes documentaires (cf. pour le terri-
toire de la France, Gossen 1967 ; Goebl 1970 ; Dees 1980 et la synthèse Glessgen 2012).
Parmi les études philologiques portant sur des textes documentaires, l’entreprise des
Documents linguistiques de la France est sans doute celle avec la plus grande longé-
vité : elle a débuté à la fin du XIXe siècle et a connu un renouveau au début du XXIe
siècle. L’évolution du projet à travers les décennies montre ainsi certaines tendances
plus générales dans le travail philologique. Le caractère prototypique ressort égale-
ment dans les choix de contenu :
– avec des textes documentaires choisis, le projet est consacré à un ensemble textuel peu
– il entend documenter les débuts du genre étudié en langue vernaculaire, ce qui est particu-
lièrement important parce que les traditions discursives connaissent une grande constance
dans les choix de structure textuelle, de syntaxe et de lexique à travers les siècles (cette
constance admet naturellement des transformations ; citons l’élaboration graphématique,
terminologique et syntaxique des chartes et leur professionalisation accrue dans les décen-
nies suivant 1280, cf. Monfrin 1968, 45sq. et Grübl 2014, 220sq.) ;
– il entend couvrir par une approche globalisante l’intégralité d’un territoire linguistique ;
– ses dimensions quantitatives sont suffisantes pour permettre des observations générales.
Les quatre phases dans le projet des DocLing sont intimement liées aux différents
protagonistes, à leurs choix et, bien entendu, aux divers paramètres conditionnant le
travail scientifique. Paul Meyer (1840–1917) ouvrit la voie de ce grand chantier à
tâtons, en sondant et déblayant un terrain parfaitement vierge. Il décrit lui-même,
vers la fin de sa vie, son cheminement avec toute la clarté et précision qui le
caractérisaient :
Les plus anciens documents de la France 271
« J’étais encore sur les bancs de l’École des chartes, que je copiais toutes les chartes provençales
auxquelles je pouvais avoir accès. C’est à l’aide du recueil, bien insuffisant, que je m’étais formé
et des textes imprimés, encore peu nombreux il y a trente ou quarante ans, que je rédigeai [en
1874 un] essai sur la langue d’oc et ses dialectes […] [,] trop incomplet pour mériter de voir le jour.
J’avais dû me résigner à mettre en œuvre des éléments trop peu nombreux. […] J’ai donc reconnu
de très bonne heure la nécessité d’une exploration méthodique des archives du midi de la France.
Mais […] [c]’est seulement depuis une dizaine d’années que j’ai pu consacrer à des recherches
dans les archives de la France méridionale une partie de mes vacances.
Ces recherches sont souvent pénibles. […] j’ai eu le plus ordinairement à poursuivre mes recher-
ches dans les archives communales, qui, en bien des villes, ne sont ni classées, ni inventoriées »
– dès 1874/1876, l’intégration d’une série de textes documentaires, notamment des chartes
[pp. 158–173] et coutumes [pp. 173–192], dans la partie ‘provençale’ [p. 23–192] de son Recueil
d’ancien textes bas-latins, provençaux et français – alors que la partie française [pp. 193–384]
réunit comme la ‘provençale’ des textes littéraires religieux et profanes, mais aucun texte
documentaire ;
– l’édition d’une série de documents dans le cadre de la brève étude Le langage de Die au XIIIe
– une publication partielle, mais déjà importante des Documents linguistiques des Basses-
– l’édition des Fragments du grand livre d’un drapier de Lyon (1320–1323) (1906) [17 pp.].
Le volume publié en 1909 marque une véritable rupture par rapport à ces travaux, ne
serait-ce que par son volume considérable [655 pp.], mais également par le caractère
systématique de l’entreprise. Il faut considérer séparément la partie des DocLing
concernant l’Ain (fruit d’un autre auteur et consacré à une autre langue) et celle
concernant les trois départements alpins, intégralement préparée par Paul Meyer. En
parcourant les différents dépôts d’archives, il transcrivait sur place les documents qui
lui semblaient les plus significatifs, en couvrant toute la période de l’écrit occitan,
allant parfois jusqu’au XVIIe siècle. La partie concernant les Basses-Alpes (aujour-
d’hui Alpes-de-Haute-Provence) est de loin la plus volumineuse avec 250 pages
[pp. 169–418], et c’est également la plus équilibrée. Pour les Hautes-Alpes « les textes
de langue sont relativement rares » [p. 420], ce qui explique la taille réduite de cette
et 1445.
Les grandes qualités de l’ouvrage résident dans la variété des genres documentai-
res réunis (inventaires divers, registres de recettes et dépenses et de délibérations
municipales, chartes, coutumes) ainsi que dans la couverture chronologique et géo-
graphique qu’il fournit pour une région bien déterminée. Il s’agit d’un choix représen-
tatif, notamment pour le département des Basses-Alpes. Les notes linguistiques et
toponymiques sont très soignées, et nous avons eu loisir de nous convaincre que les
glossaires comportent les lexèmes les plus significatifs.
La partie consacrée au département de l’Ain mérite une attention particulière ; cet
gralement préparé par un élève de Paul Meyer, Édouard Philipon (1851–1926). Après
sa thèse de l’École des chartes sur Le dialecte du Lyonnais aux XIIIe et XIVe siècles
(1874), il entreprit une carrière juridique et politique et devint député de l’Ain pendant
plus d’une décennie (1885–1898), tout en restant philologue (il rédigea, entre autres,
le Dictionnaire topographique du département de l’Ain 1911). Ici, les éditions s’accom-
pagnent d’analyses grapho-phonétiques [pp. 105–128 ; 140–148 ; 153–156] et d’obser-
France ») se prête mal à un département situé au nord de Lyon. Par ailleurs, les textes
avec une tradition de l’écrit plutôt restreinte, mais sans donner d’analyses linguisti-
ques, à l’exception des trois glossaires (qui n’ont pas été réunis). L’utilisation de ce
volume assez éclectique n’est pas aisée et cela a sans doute contribué au fait qu’il
n’ait jamais donné lieu à d’importantes études lexicologiques, grapho-phonétiques et
grammaticales : le FEW cite très systématiquement « MeyerDoc », mais la plupart du
temps sans indiquer la date et le lieu des documents et sans entrer dans la réflexion
définitoire des lexèmes épineux. Les études grapho-phonétiques sont rares (cf.
Schroeder 1932 et le travail décevant de Hug-Mander 1989, cf. Glessgen 1997), les
travaux sur la morphologie ou la syntaxe inexistants.
Mais Paul Meyer a eu le grand mérite d’avoir ouvert la voie, conformément à son
propos (« L’important est de bien commencer », p. I), et c’est donc moins par l’apport
empirique concret que par son apprentissage méthodologique qu’il a eu un impact sur
la recherche future.
Les plus anciens documents de la France 273
La réalisation de Clovis Brunel (1884–1971) a connu comme celle de Paul Meyer une
phase préliminaire, représentée par la publication des documents du Gévaudan
(Brunel 1916) et par un large tour d’horizon des plus anciens documents occitans
(Brunel 1922). Ce dernier article profite pleinement des acquis de son maître et
prédécesseur dans la chaire de philologie romane à l’École des Chartes. D’emblée,
Clovis Brunel se concentre sur le seul domaine d’oc, en laissant de côté le francopro-
vençal : ce choix reste implicite, mais il est clair. Ensuite, il constate que la densité de
« Les facilités offertes par le groupement des premiers départements dont le nom commence par
A (Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes), aussi bien que par la pauvreté des archives de
ces pays de montagne, sont loin de se retrouver dans la suite de l’entreprise » (Brunel 1926, VII).
Il choisit par conséquent de réunir les plus anciens « textes d’ordre judiciaire et
administratif ». Ce choix était à la fois plus systématique et plus réaliste que celui de
Paul Meyer. Il se justifie également par la force d’inertie des genres textuels qui
tendent à reproduire pendant des siècles des modèles une fois établis (cf. supra 2). Le
terminus ante quem retenu (ca 1200) permettait à Clovis Brunel d’achever de son
vivant son projet en deux volumes réunissant 541 actes ; lors de la parution du
et linguistiques ;
– la présentation homogène des éditions, avec un bref regeste et une partie bibliographique ;
italique, indication des lignes de l’original, indication des parties en latin, toujours au
moyen de l’italique ; dans le deuxième volume, indication des séparations de mots) ;
– un glossaire synthétique [1926, 448–495 ; 1952, 228–258] et une table de noms propres [1926,
1952, XIII–XXXVI].
La description des caractéristiques des deux volumes permet de délimiter leur portée
sous les différents aspects du temps, de l’espace, des genres textuels et, plus généra-
lement, de la mise à l’écrit :
274 Martin Glessgen
Les documents de Brunel se placent pour la quasi-totalité entre 1100 et 1200 (cf. la
table chronologique 1952, 216–271) ; seulement six actes datent du XIe siècle, mais ce
P. Meyer et du soutien de nombreux conservateurs d’archives pour ses relevés (cf. les
remarques et remerciements dans Brunel 1922, 335 ; 1952, V, n. 2). Il reste, bien
– le cartulaire de la Selve, publié par P. Ourliac et A.-M. Magnou en 1985, qui comporte près de
80 actes originaux antérieurs à 1201 (ainsi que 176 actes contemporains transmis par un
cartulaire du début du XIIIe siècle ; cf. Ourliac/Magnou 1985, 5–7) ;
– un nombre assez conséquent de textes mixtes des XIe et XIIe siècles qui contiennent des
renseignements précieux pour la mise à l’écrit de l’occitan (cf. le relevé détaillé de Belmon/
Vielliard 1997, 178–183) ;
– pour la toute première époque (antérieure à 1121), le corpus de l’ARTEM comporte six actes
absents chez Brunel contre 24 actes publiés par lui (cf. Carles s.p. chap. 1.2.3).
réunissent pour l’époque concernée environ deux tiers des actes originaux conservés
aujourd’hui.
« nous avons un nombre prépondérant de documents pour une région qui peut être circonscrite
Seulement 41 des 541 actes ne sont pas languedociens ou rouergats (7,5%). L’idée de
départ de Paul Meyer de couvrir le territoire méridional n’est donc aucunement
réalisée par cette collection, malgré son indéniable atout de répondre à un objectif
structurel clair et significatif.
Les plus anciens documents de la France 275
« Les objets des textes sont assez divers. Une petite part comprend des documents d’économie
domaniale, des notices, intitulées breve ou breu, de revenus dont il importe de rappeler l’assiette
et le montant avec la sûreté de l’écriture. Pour le plus grand nombre, ont été trouvées des pièces,
désignées par le mot carta, qui rapportent des faits juridiques. Si nous n’avons que deux
rédactions de coutumes, nous sommes richement pourvus d’actes de la pratique. Parmi les
chartes relatives aux personnes, nous comptons une série de serments de fidélité antérieurs à
1180, un aveu de vassalité, une réception d’office et surtout des professions d’oblat. La prépondé-
rance appartient aux actes relatifs aux biens : inféodations et baux, lods, saisines ou déguerpis-
Mais les chartes sont malgré tout largement dominantes dans les deux volumes. Il est
certain que c’est un des genres textuels les plus complexes et les plus riches de l’écrit
documentaire, mais d’autres genres fournissent d’autres informations, comme les
simples inventaires. Ainsi, Clovis Brunel a exclu d’emblée une longue liste de rede-
vances de la commanderie de Manosque, pourtant de la fin du XIIe siècle (1922, 338),
puisqu’il n’a pas vu l’apport capital des noms de lieux et de personnes pour la
linguistique historique.
« Ont été seules retenues les pièces conservées en original, tant par souci de ne produire que des
textes à l’abri de tout soupçon d’altération due à un copiste que par désir de ne pas donner à la
publication une étendue trop grande » (1926, VIIs.).
« Ont été jointes […] plusieurs dizaines de documents […] qu’un nouvel examen de leur caractère
diplomatique nous fait classer aujourd’hui parmi les originaux plutôt que parmi les copies »
(1952, V).
276 Martin Glessgen
La différence entre original et copie est, en effet, graduelle, surtout dans le domaine
de l’écrit documentaire. Très souvent, les actes ont été produits en deux exemplaires
pour les deux parties, parfois sous forme de chirographes, comme cela a été le cas
habituel à Douai au XIIIe s. (cf. Brunner 2014). Un acte connaît parfois une version
préliminaire, comme il peut avoir été immédiatement transcrit dans un cartulaire etc.
Leur valeur en tant que témoins pour la langue de l’époque demeure entière. Un
original est certes toujours préférable à une copie, mais renoncer à l’étude des copies
est une grave erreur qui rendrait d’ailleurs impossible le traitement des genres
littéraires médiévaux.
Dans le cas concret de l’écrit occitan antérieur à 1200, la prise en considération
des copies augmenterait le volume textuel disponible sans doute par un facteur deux
ou trois. Mais, surtout, elle fournirait une vision géo-chronologique plus équilibrée de
l’émergence de la scripturalité en langue d’oc puisque les textes les plus précoces ne
sont souvent transmis que sous forme copiée (cf. par ex. pour l’Auvergne Chambon/
Olivier 2000, 107s.).
En conclusion, la décision double de clore la documentation en 1200 et d’exclure
les copies conduit à renoncer à l’objectif d’une couverture équilibrée de l’espace
géolinguistique. En même temps, cette décision a permis à Clovis Brunel d’achever un
travail avec des dimensions bien déterminées et dans une logique structurée et
cohérente. Les différences dans les approches entre Paul Meyer et Clovis Brunel
permettent ainsi de mieux saisir les paramètres à prendre en considération dans le
travail philologique appliqué aux textes documentaires.
Les travaux de Clovis Brunel ont connu une plus grande fortune que ceux de Paul
Meyer notamment grâce aux études grapho-phonétiques et morphologiques d’Åke
Grafström sur les chartes languedociennes (1958 et 1968), à leur utilisation intense par
le FEW et, plus généralement, par la lexicographie de l’ancien occitan.
Notons toutefois que les études de Grafström ne reposent que sur 141 des 541
chartes de C. Brunel et que le FEW reste presque aussi sybillin dans la citation des
volumes que pour celui de P. Meyer. Cf. par ailleurs pour le domaine grapho-
(1182, Brunel 196,7), aalb. jurar marves (Vaour 1176–1199, p. 18, 20, 28, 101), arouerg.
id. (1191–1195, Brunel 287, 6 ; 288, 28 ; BrunelS 507, 17 ; 515, 9) » etc. (Pfister 1970,
550).
S’ajoutent quelques rares études sur d’autres thématiques comme, notamment,
celle de Linder (1970) sur quelques interrogations syntaxiques ou celles de Chambon
(1980 ; 1987) sur l’identification – et l’édition – des formes toponymiques.
Les plus anciens documents de la France 277
Le projet des DocLing changea radicalement avec Jacques Monfrin (1924–1998) qui
succéda en 1958 à son maître Robert Bossuat (ce dernier avait occupé pendant trois
ans la chaire de linguistique romane de l’École des Chartes après deux décennies
d’enseignement sur la chaire de sources narratives et littéraires). Bien qu’occitaniste,
J. Monfrin décida de ne pas poursuivre le travail sur les documents occitans, mais
d’ouvrir le chantier des documents d’oïl et de reprendre celui des documents
conservés en domaine francoprovençal. Par ailleurs, il impliqua bien plus que ses
prédécesseurs d’autres collègues et de nombreux élèves dans le projet, ce qui permit
un élargissement considérable de la documentation traitée. Grâce à ces divers
soutiens, il put également procéder à un recensement bien plus systématique des
régions concernées, toujours en partant de l’unité de base du département, confor-
mément à l’organisation archivistique de la France. J. Monfrin établit également des
critères d’édition plus rigoureux et cohérents et augmenta encore le soin de détail
des volumes publiés (édition, notes, glossaire, index onomastiques). Enfin, les
recensements se sont accompagnés dès lors d’une saisie photographique des docu-
ments édités.
Le résultat le plus visible de ‘l’époque Monfrin’ sont les sept volumes de textes
documentaires publiés sous sa direction. Il s’agit, plus précisément, de trois volumes
codirigés avec Lucie Fossier, comportant les plus anciennes chartes françaises de cinq
départements contigus à l’est de Paris (Seine-et-Marne, Yonne, Aube, Haute-Marne et
Vosges : 1974, 1975 et 1988), de deux volumes réunissant pour la Belgique les plus
1974 : DocHM = Chartes en langue française antérieures à 1271 conservées dans le département de
1975 : DocLyo = Documents linguistiques du Lyonnais (1225–1425), ed. P. Durdilly [62 documents
1988 : DocAub = Chartes en langue française […] de l’Aube, de la Seine-et-Marne et de l’Yonne, ed.
DocPoit = La Du, Milan S., Chartes et documents poitevins du XIIIe siècle en langue vulgaire, 2 vol.,
Poitiers, 1960/1964 [concerne les dép. Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente-Maritime, Cha-
rente, comporte des documents antérieurs à 1300 ; ca 100 actes]
DocOis = Les plus anciennes chartes en langue française, t. 1 : Problèmes généraux et recueil des
pièces originales conservées aux Archives de l’Oise (1241–1286), ed. L. Carolus-Barré, 1964 [202
chartes]
Monfrin l’a pris comme modèle pour les Documents linguistiques de la France » (Grübl
2013, 30).
Mais les volumes publiés ne donnent qu’une idée partielle de l’avancement du
projet des DocLing. En effet, J. Monfrin avait suivi plusieurs thèses, surtout de l’École
des chartes, s’inscrivant précisément dans l’idée initiale de Carolus-Barré. Entre 1964
et 1994 virent ainsi le jour sept ensembles de qualité, à l’état manuscrit, revus pour
l’essentiel par J. Monfrin et presque tous annoncés par lui dès 1974 (XLIX) :
de conservation sont les plus facilement consultables par les élèves et professeurs
parisiens.
Cette couverture reste toutefois virtuelle puisque les volumes manuscrits ne sont
pas accessibles aux chercheurs. Pour le domaine d’oïl en France, seuls les quatre
volumes des DocOis, DocAub, DocHM et DocV sont disponibles, ce qui donne une
idée géolinguistique encore très insuffisante.
« […] la différence entre les originaux et les copies est moins de nature que de degré. Les premiers
autant que les secondes peuvent être trompeurs, et il convient, avant de les interroger, de
soigneusement vérifier leur état civil » (Monfrin 1968, 46).
Les DocLing incluent ainsi régulièrement des copies contemporaines, même s’ils
restent ciblés sur les originaux.
Quant aux genres textuels, les séries françaises contiennent dans l’immense
majorité des chartes, alors que la série francoprovençale en est presque exempte : ici
tion de Jacques Monfrin, Lucie Fossier et Pierre Gardette ainsi que le volume de Louis
Carolus-Barré, on disposait à présent de près de 800 chartes du XIIIe siècle et d’une
remarquable série de documents francoprovençaux du XIVe siècle, tous dans un état
éditorial exemplaire. S’ajoutait l’édition manuscrite de plus de 1700 chartes oïliques,
dans un état encore préliminaire mais très avancé.
Les éléments analytiques en revanche ne sont pas développés. Les volumes de la
série française disposent chacun d’un glossaire soigné qui suit la conception établie
par Clovis Brunel. Ces glossaires ont une réelle utilité et ont pu être exploités par la
lexicographie de l’ancien français, notamment par le DEAF. Leur utilisation en lexico-
logie est plus circonscrite (cf. par ex. Drüppel 1984), parce que les textes documentai-
res sont généralement peu utilisés, que l’éclatement des glossaires dans six volumes
distincts ne facilite pas le travail et, enfin, parce que la glossographie traditionnelle
des langues gallo-romanes médiévales ne répond que de manière très insatisfaisante
aux attentes de la lexicologie actuelle qui a fait siens les acquis méthodologiques de
la lexicographie monolingue. Quant à ce dernier point, Jean-Pierre Chambon a montré
le potentiel lexicologique qui réside dans les DocLing, en proposant une réécriture de
l’entrée don(s) du volume DocHM :
Pour la série francoprovençale, Mgr Gardette avait envisagé un glossaire unique pour
les trois volumes projetés. Ce choix était très judicieux, mais il a eu comme triste
conséquence que les deux seuls volumes publiés ne sont accompagnés ni de glossaire
ni d’index de noms propres, ce qui a fortement nui à l’utilisation de ces précieuses
éditions.
En scriptologie, Anthonij Dees s’est basé pour son Atlas […] des chartes françaises
sur les trois volumes des DocOis, DocHM et DocV (cf. la liste de la ‘provenance des
chartes’, Dees 1980, 307–312) ; malheureusement, la juxtaposition de ces éditions
En conclusion, avec Jacques Monfrin, les DocLing sont pleinement présents dans les
trois territoires linguistiques de la Galloromania. La qualité et le soin des éditions font
le grand atout de cette collection qui garde comme ultime objectif un recensement
systématique de l’écrit documentaire médiéval. Pourtant, les réalisations accessibles
de l’époque de Jacques Monfrin sont restées, plus encore que le volume de Paul
Meyer, une œuvre inachevée, géographiquement disparate et difficile à exploiter.
Quant aux archives léguées par J. Monfrin, elles formaient un héritage peu aisé à gérer
(cf. infra 4.1).
282 Martin Glessgen
Dans un certain sens, le projet de Monfrin s’inscrit pleinement dans l’esprit d’une
époque gaullienne, tout comme le Trésor de la langue française ou l’entreprise des
Nouveaux atlas linguistiques de la France. Pour le TLF, grâce à des subventions
considérables, il a été possible de saisir les données textuelles trois fois successives et
d’achever sur cette base le ‘Nouveau Littré’ projeté ; pour les NALF, en revanche, de
les NALF, le projet de Monfrin est pensé dans une logique de répertoire plus que dans
une logique d’utilisation ; des éditions de qualité et des cartes d’atlas bien pensées
de Paul Meyer, les textes documentaires lorrains des XIVe et XVe siècles dans un projet
impliquant la philologie informatique (cf. Glessgen 2001a). Après avoir constaté, sur
la base de quelques sondages, le caractère très traditionnel de ces genres textuels (cf.
Glessgen 2004), nous nous sommes convaincu qu’il était indispensable de documen-
ter avant tout les débuts de l’écrit vernaculaire, précisément dans la logique de Clovis
Brunel et de Jacques Monfrin. L’aide amicale de Françoise Vielliard et d’Olivier
Guyotjeannin ouvrait cette voie qui nous mena aussi à renoncer dans un premier
temps à l’élargissement géo-chronologique de la série occitane. Nous nous sommes
Les plus anciens documents de la France 283
donné l’objectif d’avancer voire de clore le dessein de Jacques Monfrin sous les
auspices de la philologie informatique : informatiser les volumes existants, saisir et
Cette collection comprend donc deux des volumes anciennement publiés (DocHM et
DocV), deux des volumes anciennement manuscrits (DocDo et DocMM qui ont fait
l’objet d’une révision intégrale) ainsi que plusieurs nouvelles séries élaborées par
quatre de nos élèves ainsi que par notre ami Paul Videsott. L’édition électronique
284 Martin Glessgen
– des volumes publiés par Louis Carolus-Barré (saisis sous la direction de Benoît M. Tock et
d’étude par Frédéric Duval, à son tour successeur de Françoise Vielliard depuis 2011,
– d’une série importante de textes de la Prévôté de Paris (1260–1300, ca 250 documents), en
– enfin de certains des manuscrits restés en suspens (DocAisne, DocCOr, DocDoub, DocPC,
DocSom).
Les principes de réalisation des DocLing sous leur forme actuelle sont, en principe,
indépendants des genres textuels en question. La gestion informatique permet l’ap-
plication de critères d’édition à la fois plus rigoureux et plus souples, par l’encodage
neutre de type XML des textes. Les interrogations linguistiques prévues sont égale-
ment pertinentes pour tout genre textuel. Cela vaut aussi pour la présentation paral-
lèle de la transcription et des images.
Pour l’édition, la mise en ligne permet de distinguer trois vues différentes sur les
mêmes textes :
1
Conue chose soit atoz que li abes et li chapitles de salinvas · at laissie a wirion
2
et huillon les dous freres de geverlise les anfanz bertran bacheler ·XIII· jor
3
nas de terre treisse · en la fin de geverlise · et a lor oirs · parmi ·XIII· deniers de cens · et
4
·II· himas de blef · lun davoine · lautre de froment · et sil ne paievent a jor
Les plus anciens documents de la France 285
5 nomei a la feste sent remi· a giverlise en la maison de salinvas · que lon se tan
6 roit a la terre · et ce que sus averoit· Si est ensi devisee· qau Tramble en
– une vue interprétative (qui introduit des séparations de mots, la ponctuation et
les majuscules selon l’usage actuel, ajoute des accents, des numéros de structura-
tion sémantico-formelle et, le cas échéant, des paragraphes) :
1 Conue chose soit à toz 2 que li abes et li chapitles de Salinvas at laissié à Wirion et Huillon, les
dous freres de Geverlise, les anfanz Bertran Bacheler, 3 XIII jornas de terre treisse, en la fin de
Geverlise, et à lor oirs, 4 parmi XIII deniers de cens et II himas de blef, l’un d’avoine, l’autre de
froment ; 5 et s’il ne paievent à jor nomei à la feste sent Remi, à Giverlise en la maison de Salinvas,
– une vue mixte (qui rend les séparations médiévales transparentes, combine la
ponctuation médiévale [au milieu de la ligne] avec la moderne et les majuscules
médiévales [en gras] avec les modernes). Cette vue mixte réalise donc les princi-
pes d’un ‘encodage double’, tel que nous avons pu le concevoir. Elle est égale-
ment celle qui peut être exportée pour tous les documents sous un format pdf :
286 Martin Glessgen
La base de données actuelle de type MySql repose sur une organisation sous forme
non pas textuelle, mais de listes ; les textes de départ sont donc éclatés lors de
l’intégration dans la base et reconstitués lors de la lecture, ce qui permet une gestion
plus rapide et plus cohérente des interrogations et informations linguistiques. La part
de programmation dans le projet actuel a occupé une place prépondérante. La
philologie informatique ouvre, certes, des voies nouvelles, mais elle comporte de
grandes pesanteurs. Qui plus est, elle est difficile à financer puisque les institutions
d’aujourd’hui considèrent à tort qu’il s’agit là d’une part préliminaire et non-scienti-
fique du travail. Grâce à l’engagement partiellement bénévole de plusieurs collabora-
teurs et amis, la programmation a pu être achevée, sous une architecture à la fois
claire et fonctionnelle, en 2014, après plus d’une décennie (cf. Glessgen 2011b). Elle a
la qualité d’être utilisable par tout projet philologique d’une certaine complexité,
même s’il faut prévoir, là encore, un budget circonscrit pour son adaptation à d’autres
ensembles textuels.
Malgré ces lourdeurs, la mise en ligne des documents s’avère le vecteur essentiel
pour dépasser l’éclatement de l’information linguistique qui est intrinsèque aux
DocLing depuis ses débuts : dans l’édition de Paul Meyer, tout lexème doit être
cherché en quatre glossaires différents, et l’on doit se reporter aux références indi-
quées pour chaque occurrence afin d’identifier le lieu et la date du texte ; la même
procédure s’impose pour les deux glossaires de Clovis Brunel ou les six glossaires de
l’époque Monfrin. Dans l’édition électronique actuelle, la recherche d’une forme
Les plus anciens documents de la France 287
– "^contre.*" recherche toutes les formes qui commencent par contre- [donc contredire etc.,
la base du DEAF autant du point de vue sémantique que syntagmatique (cf. Glessgen/
Tittel 2015). Par cette voie, l’éternelle scission entre la lexicographie d’une langue
ancienne et sa glossographie – circonscrite à un ensemble de textes donnés – est
dépassée, et il est possible de fonder une description lexicologique de la langue
immédiatement sur des bases textuelles (cf. Glessgen 2007).
288 Martin Glessgen
5 Perspectives
Les éditions de textes documentaires, surtout anciennes, sont nombreuses, même
sans prendre en considération le latin médiéval. Jacques Monfrin dresse un aperçu
impressionnant de ses précurseurs entre 1829 et 1964 (Monfrin 1974, XI–XXXIX ; cf.
aussi la synthèse régionale des sources connues pour l’Auvergne et le Velay, Cham-
bon/Olivier 2000, 105–110, 119–126 et, pour le Mauriacois et le Sanflorain, Olivier
2009, XXIX–XL). La place des DocLing ressort plus précisément du vol. 4 de l’Inven-
taire (InvSyst) des documents romans antérieurs à 1250, intégralement consacré aux
chartes françaises et occitanes. Ce volume, réalisé par J. Hartmann, n’intègre pas tous
les documents qui reposent dans les archives, mais il rend bien compte des docu-
ments publiés jusqu’en 1997. Les DocLing occupent une part réelle parmi ces éditions
disponibles pour les XIIe et XIIIe siècles, déjà par leur présence quantitative. Mais ils
se détachent surtout par leur grande fiabilité philologique et éditoriale et la volonté
d’une emprise systématique sur la documentation disponible.
Il n’y a pas de doute que le projet des DocLing a sa raison d’être et qu’il joue
même un rôle paradigmatique pour les travaux en philologie linguistique. Les condi-
tions de développement des DocLing sont également très favorables depuis les débuts
parce que la gestion du patrimoine archivistique de la France est exemplaire et que les
conservateurs tout comme les médiévistes historiens ou linguistes soutiennent pleine-
ment ce projet.
Or, nous avons vu que malgré tout, la réalisation des DocLing n’a jamais été aisée
et qu’elle est toujours restée (très) partielle. On peut légitimement se demander où est
l’erreur. Le problème fondamental nous semble résider dans l’immensité de la matière
à étudier. Aucun savant ni même aucun groupe de travail n’aurait eu l’idée farfelue de
traiter dans le cadre d’un seul projet l’écrit littéraire, religieux ou médico-biologique
gallo-roman – alors que c’est bien cela que les DocLing ont voulu entreprendre pour
les textes documentaires, bien plus nombreux et dont le traitement philologique n’est
pas plus facile. L’idée de départ des DocLing se trouve donc tout simplement en
décalage maximal avec la réalité de la transmission textuelle. Cela ne veut pas dire
qu’il faille renoncer à une approche structurée de ce patrimoine écrit, mais il faut
prendre la mesure de ses dimensions déroutantes et cerner des ensembles plus
circonscrits.
Les plus anciens documents de la France 289
de 40000 actes, pour la plupart copiés, antérieurs à 1300, en incluant également des
textes vernaculaires (dont les volumes publiés des DocLing qui ont pu être saisis par
cette voie, grâce à B. Tock). Pour le lexique, mais également pour la graphématique
et, partiellement, la morphologie et la syntaxe des anciennes langues gallo-romanes,
ce sont des sources précieuses.
Dans le domaine plus spécifique de l’occitan, la publication des registres de
comptes des consuls de Clermont-Ferrand par Anthony Lodge fournit un apport
considérable aux études régionales (Lodge 2006 ; 2010) ; en complément, le diction-
naire de Philippe Olivier de l’ancien auvergnat repose, à son tour, sur plus de 10 000
pages transcrites préalablement dont les éléments lexicaux ont été extraits avec leur
contexte (Olivier 2009). Ajoutons par ailleurs le projet de la Concordance de l’occitan
médiéval (COM), initié par Peter Ricketts et continué par Dominique Billy dont la
section en cours (COM-3) comporte également les textes documentaires.
Tous ces projets partagent avec les DocLing une attention philologique et une
pensée systématique qui sont, toutes deux, indispensables pour approcher l’écrit
documentaire. Les DocLing gallo-romans restent donc une mesure paradigmatique
pour l’étude de ce patrimoine qui offre, parmi tous les genres textuels, les perspecti-
ves les plus prometteuses pour la recherche actuelle. L’histoire des DocLing montre
très clairement l’importance de segmenter le domaine à l’étude de manière prélimi-
naire, d’après des critères abstraits (le temps, l’espace, les langues, les genres étudiés)
et selon l’état de transmission et d’édition des sources disponibles. Si dans le cas des
textes littéraires, une telle segmentation est préfigurée par les sous-genres tradition-
nels, les auteurs et les textes, pour les textes documentaires, elle demande une
réflexion ad hoc pour chaque étude nouvelle. Cette réflexion est en même temps
indispensable puisque personne ne peut embrasser seul la matière.
290 Martin Glessgen
6 Bibliographie
Nous renonçons dans ce cadre à l’indication bibliographique des dictionnaires gallo-romans
de référence (comme FEW ou DEAFpré) ; cf. le Complément du FEW (3e édition Jean-Paul
ARTEM = AA.VV. (2010), Chartes originales antérieures à 1121 conservés en France, publication en
ligne (<www.cn-telma.fr/originaux>).
Brunel, Clovis (1916), Documents linguistiques du Gévaudan, Bibliothèque de l’École des chartes 77,
5–57, 241–285.
Brunel, Clovis (1926), Les plus anciennes chartes en langue provençale. Recueil des pièces
originales antérieures au XIIIe siècle. Publiées avec une étude morphologique, Paris,
Picard.
Brunel, Clovis (1952), Les plus anciennes chartes en langue provençale. Recueil des pièces originales
antérieures au XIIIe siècle. Supplément, Paris, Picard.
Chartae Galliae = AA.VV. (2014), Chartae Galliae, publication en ligne (<www.cn-telma.fr/chartae-
galliae>).
COM = Ricketts, Peter/Billy, Dominique, Concordance de l’occitan médiéval : COM 1 (troubadours) et
COM 2 (textes narratifs), ed. Peter Ricketts, cd-rom, Brepols ; COM 3 (textes non-littéraires) en
langue française antérieures à 1271 conservées dans la province de Hainaut, Paris, CNRS,
1984.
Les plus anciens documents de la France 291
DocHM = Jean-Gabriel Gigot, Documents linguistiques de la France (série française), vol. 1 : Chartes en
textuel dans un corpus de chartes françaises inédites du XIIIe siècle. Accompagné d’une édition
de 230 chartes inédites, Université de Zurich, 2011]
DocJuBe = Ernest Schüle/Rémy Scheurer/Zygmunt Marzys, Documents linguistiques de la Suisse
Romande, vol. 1 : Documents en langue française antérieurs à la fin du XVIe siècle conservés dans
DocOis = Louis Carolus-Barré, Les plus anciennes chartes en langue française, t. 1 : Problèmes
généraux et recueil des pièces originales conservées aux Archives de l’Oise (1241–1286), Paris,
Klincksieck, 1964. [202 docs]
DocPC_ms = Pierre Bougard, Chartes du Pas-de-Calais, ca 1980.
DocPoit = Milan S. La Du, Chartes et documents poitevins du XIIIe siècle en langue vulgaire, 2 vol.,
Poitiers, 1960/1964.
DocR = Paul Videsott, Les plus anciens documents en français de la chancellerie royale capétienne
(1241–1300), Édition électronique, DocLing-2. – Édition papier, Strasbourg, ÉLiPhi, 2015.
DocSL = Julia Alletsgruber, Les plus anciens documents en français conservés dans le département de
la Saône-et-Loire (1227–1331), Édition électronique, DocLing-2 [cf. DocNi].
DocSom_ms = Jean Estienne, Chartes de la Somme, ca 1980.
DocV = Jean Lanher, Documents linguistiques de la France (série française), vol. 2 : Chartes en langue
française antérieures à 1271 conservées dans le département des Vosges, Paris, CNRS,
1975. – Édition électronique par David Trotter, 2014.
Lodge, Anthony (2006, 2010), Les comptes des consuls de Montferrand (1273–1319, 1346–1373),
2 vols., Paris, École des Chartes. – Édition électronique du premier vol. <http://elec.enc.
sorbonne.fr/montferrand>.
Meyer, Paul (1874/1876), Recueil d’anciens textes bas-latins, provençaux et français, 2 vol., Paris,
Librairie Franck.
Meyer, Paul (1891), Le langage de Die au XIIIe siècle, Romania 20, 70–85.
Meyer, Paul (1898a), Documents linguistiques des Basses-Alpes, Romania 27, 337–441.
Meyer, Paul (1898b), Le livre-journal de maître Ugo Teralh : notaire et drapier à Forcalquier
6.2 Études
Belmont, Jérôme/Vielliard, Françoise (1997), Latin farci et occitan dans les actes du XIe siècle, Biblio-
thèque de l’École des Chartes 155, 149–183.
Brunel, Clovis (1922), Les premiers exemples de l’emploi du provençal dans les chartes, Romania 48,
335–364.
Brunner, Thomas (2014), Douai, une ville dans la révolution de l’écrit du XIIIe siècle, thèse ms.,
Strasbourg.
Carles, Hélène (s.p.), Trésor galloroman des origines (TGO). La trajectoire étymologique et la variation
géolinguistique du lexique galloroman présent dans les actes latins originaux (ca 800–1120),
Strasbourg, ÉLiPhi.
Carles, Hélène/Glessgen, Martin (2015), La philologie éditoriale et linguistique, in : Claudia Polzin-
Chambon, Jean-Pierre (2006), Lexicographie et philologie : réflexions sur les glossaires d’éditions de
textes (français médiéval et préclassique, ancien occitan), Revue de Linguistique Romane 70,
123–141.
Chambon, Jean-Pierre (2012), Développement et problèmes actuels des études occitanes, Revue de
Linguistique Romane 76, 199–210.
Chambon, Jean-Pierre/Olivier, Philippe (2000), L’histoire linguistique de l’Auvergne et du Velay : notes
und Deutungsansätze, in : Kurt Gärtner et al. (edd.), Skripta, Schreiblandschaften und Standardi-
sierungstendenzen. Beiträge zum Kolloquium vom 16. bis 18. September 1998 in Trier, Trier, THF,
257–294.
Glessgen, Martin (2001b), L’élaboration philologique et l’étude lexicologique des « Plus anciens
Frédéric Godefroy. Actes du Xe colloque international sur le moyen français, Paris, École des
Chartes, 2003, 371–386.
Glessgen, Martin (2004), Realia und Urkunden. Die Teilung eines lothringischen Stadthauses kurz
nach 1400, in : Alberto Gil et al. (edd.), Romanische Sprachwissenschaft. Zeugnisse für Vielfalt
und Profil eines Faches. Festschrift für Christian Schmitt zum 60. Geburtstag, Frankfurt a.M. et al.,
Lang, 423–447.
Glessgen, Martin (2007), Philologie und Sprachgeschichtsschreibung in der Romanistik : Die « infor-
matische Wende », in : Matthias Stolz (ed.), Edition und Sprachgeschichte. Baseler Fachtagung
linguistiques de la France, Édition électronique », trois études réunies par Martin Glessgen,
Dumitru Kihaï et Paul Videsott, Bibliothèque de l’École des Chartes 168 (2010) [2011], 5–94 [pp.
7–24 : Id., Présentation générale : Architecture et méthodologie du projet des Plus anciens docu-
Glessgen, Martin (2011b), Le long chemin d’une charte vers l’ère multimédiale, in : Anja Overbeck/
médiévale, érudition et recherche dans l’Oise. Hommage à Louis Carolus-Barré, 30–35 (http://
archives.oise.fr/action-culturelle/publications/actes-de-colloque-et-autres-publications/,
consulté le 22 août 2014).
Grübl, Klaus (2014), Varietätenkontakt und Standardisierung im mittelalterlichen Französisch. Theo-
rie, Forschungsgeschichte und Untersuchung eines Urkundenkorpus aus Beauvais (1241–1455),
Tübingen, Narr.
Hayez, Jérôme (2005), L’Archivio Datini, de l’invention de 1870 à l’exploration d’un système d’écrits
privés, Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge 117, 121–191.
Höfler, Manfred (1967), Untersuchungen zur Tuch- und Stoffbenennung in der französischen Urkun-
densprache, Tübingen, Niemeyer.
Holtus, Günter/Overbeck, Anja/Völker, Harald (2003), Luxemburgische Skriptastudien. Edition und
Untersuchung der altfranzösischen Urkunden Gräfin Ermesindes (1226–1247) und Graf Heinrichs
V. (1247–1281) von Luxemburg, Tübingen, Niemeyer.
HSK 10 = Günther, Hartmut/Ludwig, Otto (edd.), Schrift und Schriftlichkeit / Writing and Its Use,
2 vols., Berlin/New York, De Gruyter, 1994.
Hug-Mander, Angela (1989), Die okzitanischen Urkunden im Departement Alpes-de-Haute-Provence.
Untersuchung einiger graphischer, phonetischer und morphologischer Erscheinungen, Bern
et al., Lang.
InvSyst = Barbara Frank/Jörg Hartmann (1997), Inventaire systématique des premiers documents des
langues romanes, 5 vols., Tübingen, Narr.
Kabatek, Johannes (2005), Die Bolognesische Renaissance und der Ausbau romanischer Sprachen.
Juristische Diskurstraditionen und Sprachentwicklung in Südfrankreich und Spanien im 12. und
13. Jahrhundert, Tübingen, Niemeyer.
Kalman, Hans (1974), Étude sur la graphie et la phonétique des plus anciennes chartes rouergates,
Phil. Diss. Zürich.
Koch, Peter (1987), Distanz im Dictamen. Zur Schriftlichkeit und Pragmatik mittelalterlicher Brief- und
Redemodelle in Italien, Freiburg i.Br., ms.
Koch, Peter (1990), Von Frater Semeno zum Bojaren Neacşu. Listen als Domäne früh verschrifteter
Volkssprache in der Romania, in : Wolfgang Raible (ed.), Erscheinungsformen kultureller Pro-
Linder, Karl Peter (1970), Studien zur Verbalsyntax der ältesten provenzalischen Urkunden und einiger
anderer Texte mit einem Anhang über das konditionale QUI, Tübingen, Fotodruck.
Mazziotta, Nicolas (2009), Ponctuation et syntaxe dans la langue française médiévale. Étude d’un
corpus de chartes originales écrites à Liège entre 1236 et 1291, Tübingen, Niemeyer.
Melis, Federigo (1962), Aspetti della vita economica medievale : studi nell’archivio Datini di Prato,
Trotter, David (2015), Coup d’œil sur les scriptae médiévales et les textes qui les représentent, in :
Maria Iliescu/Eugeen Roegiest (edd.), Manuels des anthologies, corpus et textes romans
(Manuals of Romance Linguistics 7), Berlin/Boston, De Gruyter.
Videsott, Paul (2009), Padania scrittologica. Analisi scrittologiche e scrittometriche in testi in italiano
settentrionale antico dalle origini al 1525, Tübingen, Niemeyer.
Videsott, Paul (2013), Les débuts du français à la Chancellerie royale : analyse scriptologique des
la méthode de Trèves
Abstract : L’article se concentre sur les multiples choix de l’éditeur d’un texte qui
devrait être conscient des dimensions de ses décisions pendant toutes les phases
d’évolution de son travail, car les choix pratiques sont toujours influencés par les
décisions de méthode, et vice versa.
Après un court résumé des théories et modèles dès les années 1990 (dominés
notamment par la « Nouvelle Philologie »), l’on présentera la méthode d’édition
développée et pratiquée autour d’un projet de recherche portant sur les chartes
luxembourgeoises médiévales à l’Université de Trèves. Les expériences faites dans ce
projet montrent deux perspectives pour des éditions futures :
(1) L’ordinateur offre une multitude de nouveaux moyens pour dissoudre le di-
1 Introduction
La mise en œuvre d’une édition est toujours précédée d’une phase de réflexion sur
la méthode à choisir qui est décisive pour le produit final. Chaque éditeur devrait
être conscient des dimensions de ses décisions pendant cette phase sensible, car
ses choix théoriques quant à l’édition déterminent ce qu’en fait le philologue après.
Donc les choix pratiques sont influencés par les décisions de méthode, et vice
versa.
L’article va d’abord se concentrer sur ces multiples choix de l’éditeur (infra, 2) et
donner un court résumé des théories et modèles dès les années 1990, dominés
notamment par la « Nouvelle Philologie » (infra, 3). Ensuite sera présentée la méthode
se fait au moment actuel dans la philologie de l’édition des textes médiévaux (infra, 5)
et une conclusion sur les perspectives de cette discipline (infra, 6).
exigences de tous les types de public possibles dépasserait certainement les limites
d’un éditeur, l’édition parfaite qui suit des règles scientifiques rigoureuses et définiti-
ves étant de toute façon un mythe. Le plus grand problème est sans aucun doute la
non-existence d’une seule et vraie méthode. Des principes d’édition obligatoires sont
loin d’être fixées (et ne le seront probablement jamais).1 « Le désespoir de Tantale ou
Les multiples choix d’un éditeur de textes anciens » était le titre juste d’un article de
1 Il est à examiner, à la fin de cet article, si la pluralité des méthodes ne représente pas, malgré tout, la
meilleure solution.
2 Cf. notamment les articles du cahier Speculum 65 (1990), avec le titre The New Philology.
3 Cf. à ce propos aussi Duval (2006a ; 2006b).
4 Cf. par ex. Bergmann/Gärtner (1993), Stackmann (1994 ; 1999), Schnell (1997) et Schubert (2005).
(2010) par ex., spécialiste des langues germaniques, les conséquences des nouvelles
éditions électroniques sont décrites d’une manière plutôt progressive : selon Bein,
c’est à cause du changement dans les médias que l’éditeur s’est séparé des idéologè-
mes de l’histoire littéraire. Il ne se voit plus comme l’avocat d’un quelconque poète
créateur, mais comme l’archiviste ou l’administrateur des artéfacts textuels ancrés
dans le temps et l’espace. Suite à la numérisation du monde, les témoins de la
tradition textuelle peuvent être gardés et reproduits avec des moyens relativement
faciles. Face à l’abondance immense du matériel textuel, des concepts comme « origi-
nal » ou « auteur » disparaissent devant ces témoins (cf. Bein 2010). Dans son article,
Bein montre que dans la philologie médiéviste des langues germaniques, les « nou-
3 Théories et modèles
Le changement fondamental dans la philologie de l’édition récente a été principale-
ment provoqué par la discussion sur l’Éloge de la variante de Bernard Cerquiglini
(1989) et sur les thèses qui s’y rapportent de la « Nouvelle Philologie » (cf. The New
Philology, Speculum 1990).7 Sans parler du contenu de ces discussions, les réactions
parfois très polémiques sur les nouvelles thèses ont montré clairement le besoin
d’innovations ainsi que l’importance de la philologie de l’édition comme une disci-
pline indépendante.
Dans l’Éloge, Cerquiglini s’appuie en particulier sur les deux thèses suivantes :8
6 Un résumé des thèses de la Nouvelle Philologie se trouvera dans la partie (3) suivante.
7 Avec des articles de Stephen G. Nichols, Siegfried Wenzel, Suzanne Fleischman, R. Howard Bloch,
Gabrielle M. Spiegel et Lee Patterson.
8 Cf. à ce sujet aussi Overbeck (2003a, chap. 1.3.1. ; 2003b).
b) « L’œuvre littéraire, au Moyen Âge, est une variable » (ibid., 57).
variante » (ibid., 111). Bien qu’il soit possible qu’une main fût première, l’œuvre
manuscrite. Par conséquent, l’édition future, selon Cerquiglini, ne sera plus un livre
imprimé mais un produit visualisé à l’aide de l’« outil informatique » (ibid., 112) qui
culture manuscrite. Un autre objectif est l’approche aux autres disciplines pour
empêcher la marginalisation de la philologie de l’édition.12
La plus grande différence entre les contributions de la Nouvelle Philologie et
l’Éloge de Cerquiglini est le rattachement explicite de la première aux théories du
postmodernisme, comme par ex. l’autonomie de la langue, la multidimensionnalité
des signes et des textes et l’effacement du rôle de l’auteur. La Nouvelle Philologie
discute donc à un niveau plus abstrait et théorique, le plus souvent sans prendre en
considération les conséquences pratiques pour l’édition des textes.13
Quels sont donc les résultats de la discussion des années 1990 ? Comment évaluer
ce débat aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans plus tard ? A-t-il atteint tous les domaines
10 Wenzel (1990) par ex. plaide plutôt pour l’intégration des nouvelles méthodes des lettres, Fleisch-
man (1990) prend le point de vue de la pragmalinguistique. Cf. à propos de ce cahier Rieger (1997) qui
justifie l’hétérogénéité des articles avec la situation spécifique des Humanities en Amérique du Nord
(cf. ibid., 103s.). Cf. aussi Pickens (1994).
11 Cf. aussi les « suggestions for directions of research which can potentially revitalize philology » de
Les thèses « nouvelles » ont été perçues à des niveaux international et interdisci-
plinaire, ce qui est démontré par des colloques et des recueils sur ce thème.15 Le débat
provoqué par l’Éloge et les contributions de Speculum se développait vivement à
l’improviste, les réactions s’étendant de la reconnaissance positive jusqu’au refus
complet.16 En tout, c’est en particulier outre-Atlantique que l’Éloge a été reçu comme
un manifeste qui vise à « dépoussiérer » la philologie. Entretemps, la discussion s’est
calmée. La Nouvelle Philologie n’est plus évaluée comme une révolution, et c’est
surtout dans la philologie des langues germaniques et des vieilles langues qu’on
critique le postulat du « nouveau », en argumentant que la plus grande partie des
thèses aurait déjà été discutée dans le débat de la critique textuelle dans les années
1950 à 1980.17
Le plus grand mérite de cette discussion est sans doute l’élargissement du point
de vue à un certain niveau international, comme le montre par ex. la journée d’étude
« Pratiques philologiques en Europe », organisée par l’École des Chartes le 23 septem-
bre 2005 sous la direction de Frédéric Duval, qui a mené à une importante publication
des actes (cf. Duval 2006a). L’idée de cette journée était de faire le point sur l’édition
des textes médiévaux en diverses langues européennes (allemand, anglais, moyen
néerlandais, italien, français et latin) et « d’esquisser un panorama des pratiques
européennes en matière d’édition de textes médiévaux » (Duval 2006a, 5). Dans son
sur le plan institutionnel, c’est la menace pesante sur toute la philologie dans
l’enseignement universitaire ; sur le plan méthodique, c’est surtout la question de la
« L’éditeur doit concilier deux objectifs : donner à lire un texte ancien à un lecteur contemporain,
16 Cf. par ex. Philippe Ménard, concluant sa contre-opinion à la déclaration : « À mon avis la nouvelle
philologie n’existe pas » (Ménard 1997, 32). Pour la critique de la Nouvelle Philologie, mais aussi pour
des propositions constructives, cf. par ex. Vàrvaro (1997) ou Stackmann (1994 ; 1999).
Surtout dans la philologie des langues germaniques, comme nous l’avons déjà men-
tionné, ces réflexions théoriques inspirées par la discussion récente ont sensiblement
influencé la pratique éditoriale. Depuis quelques années, on admet qu’une normalisa-
tion (souvent pratiquée) rend difficile la prise de contact avec le manuscrit et son
contexte historique et culturel. En introduisant des « modernisations », on occulte
ques » :
« […] il peut sembler paradoxal d’examiner les pratiques françaises d’un point de vue théorique
(fidélité à l’original, à l’archétype, fidélité au témoin) alors que ‹ l’école française ›, si elle existe,
a renié depuis Joseph Bédier une conception théorique de la philologie pour adopter, affirme-
t-elle, une attitude pragmatique » (Duval 2006b, 115).
Une grande partie des éditions se caractérise par une absence de réflexion théorique
au profit d’une approche avant tout pragmatique qui varie selon chaque texte édité.
Une seule constante semble être le refus des éditions « diplomatiques », souvent
quer des systèmes modernes à un texte médiéval de caractère très différent, pourquoi
introduire des prétendues commodités de lecture ? L’une des tâches principales d’un
éditeur est sans doute de présenter au public un texte d’une autre époque dans une
forme claire et compréhensible, de déchiffrer l’écriture, de transcrire les abréviations
et de commenter le contenu. Mais il faut se demander si le fait de charger le texte édité
d’éléments supplémentaires, comme la ponctuation moderne, la séparation artifi-
cielle des mots ou l’ajout des accents qui suggèrent la prononciation, est vraiment un
allégement propice à améliorer la compréhension. Les usages d’un scribe ne sont pas
18 Cf. par ex. Bein (21998, 924) dans les conseils pour l’édition des textes en moyen-haut-allemand :
Les Conseils pour l’édition des textes médiévaux de l’École nationale des Chartes
(2001/2002) ne représentent pas de progrès en ce qui concerne la pratique éditoriale,
n’étant qu’une collection des indications ouvertes et plutôt conservatrices. L’œuvre,
partagée en trois volumes, comble une lacune en donnant des conseils concernant
divers domaines comme les abréviations, les signes diacritiques, la coupe ou la
soudure des mots, la ponctuation etc. et livre un abondant nombre d’exemples tirés
directement de manuscrits divers. Quand même, l’orientation méthodique est à quali-
fier comme démodé à certains égards : les auteurs différencient dans l’avant-propos
entre deux types d’édition, une « édition courante », prévue pour l’historien ou « à but
l’ancienne édition diplomatique,20 et donne « à lire un manuscrit ou des actes tels que
leur auteur ou leur scripteur a voulu les présenter matériellement » (ibid., 13). Elle a,
selon les auteurs, une certaine raison d’être, ses principes d’édition ne pouvant
cependant être généralisés :
« Quoique réticents à manier à notre tour l’anathème, nous disons fortement notre défiance à
l’égard des éditions qui proposent la reproduction, prétendument fidèle, de tous les caractères
des textes médiévaux, celles qui par exemple tentent de reproduire l’alternance de s longs et de s
finaux ou qui pensent donner à lire à leurs utilisateurs des éditions plus ‹ authentiques › parce
qu’elles reproduisent les signes abréviatifs, les coupures, la ponctuation, la distribution des
majuscules d’un original » (ibid., 12s.).
Les auteurs supposent même une « conjonction d’une paresse (le refus de prendre
parti) et d’une illusion (celle d’un ‹ rendu › optimal et objectif des textes édités) »
(ibid., 14) derrière ces éditions « imitatives » et reprochent aux éditeurs des éditions
« Nous sommes de plus convaincus que les potentialités ouvertes par la mise à disposition de
ment plusieurs moyens de prendre connaissance des textes médiévaux : aspect physique des
manuscrits et des actes originaux, éditions de travail, éditions accessibles à la lecture courante
[…] » (École nationale des Chartes 2001/2002, 1, 14).
Depuis les années 1990, les nombreux développements dans le domaine des médias
électroniques ont multiplié les possibilités dans l’édition scientifique. Que les espoirs
des auteurs des Conseils pouvaient en partie être réalisés entre-temps, voilà ce que les
chapitres suivants montreront.
4 La méthode de Trèves
La méthode d’édition développée dans le contexte du « Sonderforschungsbereich »
(SFB) 235 à Trèves et perfectionnée dans d’autres projets (voir 5, infra) montre qu’une
différenciation des diverses sortes d’édition (dites « de recherche », « imitative » ou
« courante ») n’est à vrai dire pas nécessaire. Dans la suite l’on donnera un exemple
21 Lepage lui-même en est bien conscient : sous le titre Toilette du texte (Lepage 2001, 101ss.), il cite
les critères pour la normalisation des textes médiévaux qui étaient élaborés déjà par Mario Roques en
1926 : « Bien qu’ils aient été établis il y a déjà trois quarts de siècle, les principes énoncés par Mario
Roques […] continuent d’être encore largement suivis de nos jours » (ibid., 101).
304 Anja Overbeck
pratique pour la mise en œuvre des méthodes élaborées avec l’objectif d’établir des
éditions ouvertes pour toutes sortes de publics en même temps.
Dans ce projet de recherche (1994–2001),22 l’on a essayé de joindre la perspective
du linguiste à celle de l’éditeur. Les recherches faisaient partie du projet d’études 235
« Entre Meuse et Rhin : rapports, relations et conflits dans une région centrale de
l’Europe, de l’Antiquité tardive au XIXe siècle » qui a été établi à l’Université de Trèves
« Le texte est évalué sur un ensemble constant de critères, établis préalablement à l’analyse et
que l’analyste manipule comme il le ferait d’un filet. Pourtant, le ‹ coup de filet › risque de
manquer les poissons les plus rares, et par là les plus intéressants. sa fiz ‘son fils’ (1234), rejeté
comme une faute, était perdu […] » (Boutier 2001, 419).
Le traitement uniforme appliqué aux textes anciens mène donc à une certaine « lisibi-
lité », mais seulement au détriment des détails qui pourraient être très probants pour
22 Voir la description du projet, dirigé par Kurt Gärtner et Günter Holtus, sous http://www.rmnet.uni-
trier.de/cgi-bin/RMnetIndex.tcl?hea=&nav=su&for=&cnt=pjktxt&id=32&page=1 [dernière consulta-
tion 15/03/2014].
23 Pour un survol des résultats obtenus cf. les recueils des trois colloques interdisciplinaires de
Trèves, Gärtner/Holtus (1997), Gärtner et al. (2001) et Gärtner/Holtus (2005).
24 Cf. sur ce projet aussi Holtus/Overbeck/Völker (2003b ; 2005). L’édition des chartes est publiée
dans Holtus/Overbeck/Völker (2003a), accessible aussi comme source électronique sous http://www.
rmnet.uni-trier.de/cgi-bin/RMnetIndex.tcl?hea=qf&for=qafranzu [dernière consultation 15/03/2014].
25 Avec des principes d’édition très similaires, nous avons élaboré également une édition d’un
manuscrit du récit de voyage de Marco Polo, cf. Overbeck (2003a), ce qui montre entre autres
l’universalité de la méthode choisie.
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
305
n’étant pas une faute, mais une variante diatopique wallonne. En plus, une telle
normalisation mène toujours à une « déhistorisation » :
« Chaque texte est lié par sa graphie à un paysage scriptural, à une époque, à une couche sociale
L’objectif d’un éditeur devrait donc être la restitution d’une réalité historique sans
l’addition des régularités artificielles. La normalisation, dans cette perspective, n’en-
traîne pas un quelconque allègement au lecteur, mais une proximité artificielle qui,
en réalité, agrandit la distance entre celui-ci et le manuscrit. L’éditeur doit ainsi
donner la possibilité d’analyser les détails d’un manuscrit avant de les rejeter au
bénéfice d’une certaine lisibilité. Le caractère principal d’un texte du Moyen Âge, de
ce temps pré-normatif, est la variance, comme l’a déjà souligné Bernard Cerquiglini
dans son Éloge de la variante (1989).26 La variance est le caractère premier d’un tel
texte, tant dans ses formes que dans ses structures flottantes qui ne sauraient être
classifiées selon des critères modernes. Avant de rejeter toutes ces variantes indivi-
duelles d’un scribe, il faut donc d’abord donner la possibilité au lecteur de les
connaître. En effet, l’hétérogénéité des formes ne signifie pas automatiquement chaos
ou incompétence du scribe.27 Ainsi, il faut réduire au maximum les interventions de
l’éditeur. En reproduisant une multitude de traits spécifiques à la scripta des manu-
scrits dans les éditions, on rend possible non seulement un retour au texte singulier,
mais aussi une approche des systèmes graphique et linguistique du scribe et – dans
un cadre plus large – de la manuscript culture exigée déjà par la « Nouvelle Philolo-
gie ».
Cela ne signifie cependant pas qu’on devrait présenter des éditions « brutes » et
26 Cf. aussi Völker (2007) qui fait le lien entre le projet de Trèves et l’Éloge de Cerquiglini (A « practice
27 Cf. par ex. Schøsler/van Reenen (2000), qui ont trouvé que la distribution dialectale de certaines
formes graphiques est plutôt systématique. Cf. aussi Andrieux-Reix/Monsonégo (1997 ; 1998), Ha-
28 Une liste des chartes contenues dans le corpus de Trèves se trouve dans Holtus/Overbeck/Völker
(2003a, chap. 2).
29 À propos de ce système, cf. le site web du International TUSTEP User Group (http://www.itug.de ;
dernière consultation 15/03/2014) ; à propos de l’utilité de TUSTEP pour les analyses diasystématiques
cf. Völker (2003, 99–101 ; 2004). La démarche méthodique détaillée pendant le projet est décrite dans
Overbeck/Völker (2007).
30 Pour la suite, cf. aussi Holtus/Overbeck/Völker (2003b).
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
307
En outre, les majuscules et les minuscules sont différenciées suivant leur apparition
dans les textes originaux, même si cette différenciation est parfois pénible.31
4. Abréviations
Les abréviations sont transcrites en toutes lettres ; cette intervention est marquée
par des parenthèses. Pour l’interprétation des abréviations, il est utile de se reporter
aux graphies développées dans d’autres parties du même texte (ou dans d’autres
textes du même scribe, si ceux-ci sont connus). En cas d’hésitation, une variante est
proposée dans l’apparat. Étant donné le caractère aléatoire des transcriptions d’abré-
viations, celles-ci sont à exclure de l’analyse scriptologique ou quantitative des
textes.32
31 Cf. aussi les principes d’édition de Kranich-Hofbauer (1994a, 9–30 ; 265–272 ; 1994b) et Meisenburg
(1990).
32 Cf. pour les abréviations entre autres Hasenohr (1998) ; Frank (1994 ; 2001).
33 Cf. pour la soudure des mots Rickard (1982), pour la segmentation graphique Andrieux-Reix/
Monsonégo (1997 ; 1998) et Lavrentiev (2007).
308 Anja Overbeck
6. Ponctuation
La ponctuation peut aussi être spécifique à la scripta individuelle, et c’est pour-
quoi il est nécessaire de maintenir tous les signes de ponctuation présentés par les
textes à éditer. Le signe le plus fréquent est, pour les documents médiévaux, le point
volant (·) qui segmente la phrase et encadre les chiffres romains. Si le point se trouve
sur la ligne de base, il est représenté comme dans le texte original (.). La virgule
consiste dans la plupart des cas en un trait oblique montant de gauche à droite (/).
Moins fréquents, le punctus elevatus (point-virgule renversé)34 et les diverses combi-
naisons de points sont, pour des raisons de typographie, commentés dans les notes.35
7. Signes diacritiques
Il est utile de conserver les signes diacritiques se trouvant parfois sur l’i ou sur le
j, ainsi que sur l’y, parce qu’il s’agit ici d’un phénomène peu étudié jusqu’ici, de sorte
qu’on ne devrait pas l’éliminer du texte édité.36
8. Passages illisibles
Les passages mal lisibles ou complètement illisibles sont marqués par des astéris-
ques en nombre approximatif des lettres perdues. Une interprétation est proposée
dans les notes.
9. Fautes
Les fautes évidentes ne sont en aucun cas « corrigées », car elles représentent
[COR] pour la corroboratio et [DAT] pour la datation. Les limites de paragraphe sont
signalées par la marque [CAP].
Lavrentiev (2007) ; Mazziotta (2009) ; Schubert (2013). Une terminologie plus uniforme serait souhai-
table dans ce domaine, parce que les descriptions des signes sont parfois très compliquées.
36 Dans la tradition d’édition de la germanistique, ce domaine est déjà mieux exploré, ce qui est
justifié par la plus grande fréquence des signes diacritiques et des superscriptions dans la tradition
scriptologique germanique (par ex. dans le cas de ůo). Cf. Schneider (1987).
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
309
Pour les textes littéraires, un apparat critique double pourrait être utile, dans lequel
aussi les variantes d’autres familles de manuscrits sont décrites.
En guise de conclusion du projet et du travail avec les textes littéraires dans la
suite, il faut souligner que tous les résultats qu’on a pu obtenir (et qui sont publiés
dans Holtus/Overbeck/Völker 2003a) n’ont pu être réalisés que sur la base non
seulement d’une édition électronique ouverte aux variantes et flexible vis-à-vis les
paradigmes d’analyse, mais encore à l’aide d’analyses statistiques effectuées avec un
logiciel efficace et, de toute évidence, partant du travail philologique, historique et
linguistique. Les résultats montrent aussi l’importance d’une démarche méthodique
claire et nette, pour laquelle il faut :
1° une transcription des documents, disponible en version électronique, qui restitue aussi
authentiquement que possible les variantes et qui permet de vérifier non seulement l’existence,
mais aussi l’importance des variantes linguistiques ;
2° l’investigation du cadre historique et pragmatique dans lequel et pour lequel les documents
ont été produits, pour les textes diplomatiques aussi bien que pour les textes littéraires ;
5 Projets en cours
Pendant les années passées depuis l’achèvement du projet de recherche à Trèves,
beaucoup s’est développé, surtout pour ce qui est du côté technique. Les possibi-
lités de l’édition électronique se sont multipliées, et les visions de Cerquiglini,
l’École des Chartes et autres (cf. §2) ont pu être réalisées au moins partiellement.
sont possibles maintenant, qui offrent, en même temps, un accès aux linguistes et
aux philologues et historiens littéraires. Ainsi, à Zurich, Martin-Dietrich Gleßgen a
suivi la « voie de Trèves » en développant pour les Plus anciens documents de la
Avec Frédéric Duval et Paul Videsott, Gleßgen poursuit le projet initié en 1974 par
Jacques Monfrin de présenter avec la collection des Plus anciens documents linguisti-
ques de la France (DocLing) les chartes françaises originales du XIIIe siècle couvrant
une grande partie du Nord-Est de la France (↗11 L’écrit documentaire médiéval et le
projet des Plus anciens documents linguistiques de la France).40 Cette base de données
textuelles peut ainsi être interrogée de différentes manières à des fins linguistiques,
philologiques et historiques.
De cette manière, la « méthode de Trèves » n’est pas finie avec l’accomplissement
du projet de recherche, mais il est continué sous les mêmes approches méthodiques et
sera perfectionné à l’aide des nouveaux techniques.
Un autre projet en cours dans ce cadre est dédié au développement des instru-
ments d’interrogation et ensembles textuels supplémentaires (Sources et outils pour
l’analyse du français ancien, en collaboration avec Achim Stein, Stuttgart, et Pierre
Kunstmann, Ottawa), à l’aide desquels, entre autres, on a publié la nouvelle version
du corpus élaboré d’Anthonij Dees et son équipe dans les années 1980 (cf. Dees 1980
et 1987, premièrement digitalisé par Piet van Reenen) sous le titre de Nouveau Corpus
d’Amsterdam.41 Le corpus actuel est pourvu d’une nouvelle indexation grammaticale,
39 Il s’agit d’un outil programmé aussi à l’aide du langage-script TUSTEP (Phoenix), cf. la description
détaillée dans Gleßgen (2005).
40 Cf. aussi la présentation du projet sous http://www.rose.uzh.ch/docling/ [dernière consultation 15/
03/2014].
41 Ce corpus a été présenté lors d’un atelier à Lauterbad (Schwarzwald, février 2006), cf. Kunstmann/
Stein (2006 ; 2007) et Gleßgen/Vachon (32010 ; 2013).
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
311
avec une large lemmatisation des formes graphiques et une bibliographie analytique ;
6 Conclusion et perspectives
Qu’est-ce qu’il faut donc faire pour améliorer la situation de la philologie de l’édition
des textes en ancien français ? Une première approche est bien sûr le débat sur le plan
méthodique qui mène peu à peu à une perception internationale, ce que montre le
nombre croissant des publications sur ce thème qui tentent à rassembler plusieurs
disciplines et plusieurs philologies nationales. L’expérience avec les premières édi-
tions électroniques montre que l’ordinateur offre une multitude de nouveaux moyens
pour dissoudre le dilemme de l’éditeur qui doit répondre à plusieurs exigences en
même temps. Mais l’ordinateur ne dispense pas l’éditeur de procéder à la réflexion
méthodique et il ne fait pas le travail indépendamment. L’intention de remplir toutes
les exigences possibles dépasserait certainement les limites d’un seul éditeur. La
solution optimale serait donc de travailler à plusieurs dans une équipe, de préférence
composée de linguistes, de philologues et d’historiens (à ne pas oublier les profes-
sionnels du secteur informatique) pour ne pas agrandir le clivage entre les disciplines.
Ainsi, chacun apporterait ses compétences à l’édition qui pourrait à la fin contenir et
une introduction linguistique raisonnée et une édition « mixte » tenant compte, en
7 Bibliographie
Andrieux-Reix, Nelly/Monsonégo, Simone (1997), Écrire des phrases au Moyen Âge. Matériaux et
premières réflexions pour une étude des segments graphiques observés dans des manuscrits
français médiévaux, Romania 115, 289–336.
Andrieux-Reix, Nelly/Monsonégo, Simone (1998), Les unités graphiques du français médiéval : mots
deutschen Sprache und ihrer Erforschung, vol. 1, Berlin/New York, De Gruyter, 923–931.
Bein, Thomas (2010), Die Multimedia-Edition und ihre Folgen. Zum Verhältnis von Literaturge-
schichtsschreibung, Literaturtheorie und aktueller Editionspraxis in der germanistischen Mediä-
vistik, editio 24, 65–78.
Bergmann, Rolf/Gärtner, Kurt (edd.) (1993), Methoden und Probleme der Edition mittelalterlicher
deutscher Texte. Bamberger Fachtagung 26.-29. Juni 1991, Plenumsreferate, Tübingen, Niemeyer.
Bloch, R. Howard (1990), New Philology and Old French, Speculum 65, 38–58.
Boutier, Marie-Guy (2001), Études sur des chartes luxembourgeoises, in : Kurt Gärtner et al. (edd.),
Bumke, Joachim (1996), Die vier Fassungen der « Nibelungenklage ». Untersuchungen zur Überliefe-
rungsgeschichte und Textkritik der höfischen Epik im 13. Jahrhundert, Berlin/New York, De
Gruyter.
Bumke, Joachim (ed.) (1999), Die « Nibelungenklage » : synoptische Ausgabe aller vier Fassungen,
Berlin, De Gruyter.
Busby, Keith (ed.) (1993), Towards a Synthesis ? Essays on the New Philology, Amsterdam et al.,
Rodopi.
Busby, Keith (1999), Mise en texte, mise en codex : l’exemple de quelques manuscrits épiques, in :
Dominique Boutet et al. (edd.), Plaist vos oïr bone cançon vallant ? Mélanges offerts à François
Provisional Solutions, in : William D. Paden (ed.), The Future of the Middle Ages. Medieval
Duval, Frédéric (ed.) (2006a), Pratiques philologiques en Europe. Actes de la journée d’étude organi-
sée à l’École de Chartes le 23 septembre 2005, Paris, École nationale des Chartes.
Duval, Frédéric (2006b), La philologie française, pragmatique avant tout ? L’édition des textes médié-
vaux français en France, in : Frédéric Duval (ed.), Pratiques philologiques en Europe. Actes de la
journée d’étude organisée à l’École de Chartes le 23 septembre 2005, Paris, École nationale des
Chartes, 115–150.
École nationale des Chartes (ed.) (2001/2002), Conseils pour l’édition des textes médiévaux, fasc. 1 :
Conseils généraux (2001), fasc. 2 : Actes et documents d’archives (2001), fasc. 3 : Textes littérai-
res (2002), Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques – École nationale des Chartes.
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
313
Fleischman, Suzanne (1990), Philology, Linguistics, and the Discourse of the Medieval Text, Speculum
65, 19–37.
Fleischman, Suzanne (2000), Methodologies and Ideologies in Historical Linguistics : On Working with
Older Languages, in : Susan C. Herring/Pieter van Reenen/Lene Schøsler (edd.), Textual para-
Schmitt (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik, vol. I,2 : Methodologie (Sprache in der
Gärtner, Kurt/Holtus, Günter (edd.) (2005), Überlieferungs- und Aneignungsprozesse im 13. und
14. Jahrhundert auf dem Gebiet der westmitteldeutschen und ostfranzösischen Urkunden- und
Literatursprachen. Beiträge zum Kolloquium vom 20.-22. Juni 2001 in Trier, Trier, Kliomedia.
Gärtner, Kurt/Krummacher, Hans-Henrik (edd.) (2000), Zur Überlieferung, Kritik und Edition alter und
neuerer Texte. Beiträge des Colloquiums zum 85. Geburtstag von Werner Schröder am 12. und
13. März 1999 in Mainz, Stuttgart, Steiner.
Urkundensprachen im Grenzbereich von Germania und Romania im 13. und 14. Jahrhundert.
Beiträge zum Kolloquium vom 16. bis 18. September 1998 in Trier, Trier, Kliomedia.
Géhin, Paul (ed.) (2005), Lire le manuscrit médiéval. Observer et décrire, Paris, Colin.
Gleßgen, Martin-Dietrich (2005), Editorische, lexikologische und graphematische Erschließung alt-
französischer Urkundentexte mit Hilfe von TUSTEP. Stand der Arbeiten, in : Kurt Gärtner/Günter
Holtus (edd.), Überlieferungs- und Aneignungsprozesse im 13. und 14. Jahrhundert auf dem
Gleßgen, Martin-Dietrich (2009), Les plus anciens documents linguistiques de la France. Édition
électronique dirigée par Martin-D. Glessgen, en partenariat avec Frédéric Duval et Paul Videsott,
http://www.rose.uzh.ch/docling/ [dernière consultation 15.03.2014].
Gleßgen, Martin-Dietrich (2011), Le long chemin d’une charte vers l’ère multimédiale, in : Anja
grom/stein/corpus/glessgen-vachon2011_etude-philologique-et-scriptologique-du-nouveau-
corpus-d-amsterdam.pdf [dernière consultation 15.03.2014]).
Hasenohr, Geneviève (1998), Abréviations et frontières des mots, Langue française 119, 24–29.
Herring, Susan C./van Reenen, Pieter/Schøsler, Lene (2000), On Textual Parameters and Older
Languages, in : Susan C. Herring/Pieter van Reenen/Lene Schøsler (edd.), Textual parameters in
Holtus, Günter/Overbeck, Anja/Völker, Harald (2003b), Ce qu’un texte médiéval peut nous faire savoir.
Édition et analyse d’un corpus de chartes luxembourgeoises, in : XXIII ACILFR 4, 111–122.
Editionsberichte zur mittelalterlichen deutschen Literatur. Beiträge der Bamberger Tagung « Me-
thoden und Probleme der Edition mittelalterlicher deutscher Texte », 26.–29. Juli 1991, Göppin-
des textes littéraires de l’ancien français, compilé par A. Dees, edd. Pierre Kunstmann/Achim
Stein, Stuttgart, Institut für Linguistik/Romanistik.
Kunstmann, Pierre/Stein, Achim (edd.) (2007), Le Nouveau Corpus d’Amsterdam. Actes de l’atelier de
Lauterbad, 23–26 février 2006, Stuttgart, Steiner.
Kunstmann, Pierre, et al. (edd.) (2003), Ancien et moyen français sur le Web : Enjeux méthodologiques
corpus de chartes originales écrites à Liège entre 1236 et 1291, Berlin, De Gruyter.
Meisenburg, Trudel (1990), Die großen Buchstaben und was sie bewirken können : Zur Geschichte der
Overbeck, Anja (2003a), Literarische Skripta in Ostfrankreich. Edition und sprachliche Analyse einer
französischen Handschrift des Reiseberichts von Marco Polo (Stockholm, Kungliga Biblioteket,
Cod. Holm. M 304), Trier, Kliomedia.
Overbeck, Anja (2003b), Zur Edition altfranzösischer Texte. Editionspraktische Überlegungen im
Anschluß an die « New Philology », editio 17, 67–88.
Paden, William D. (ed.) (1994), The Future of the Middle Ages. Medieval Literature in the 1990s,
Gainesville et al., University Press of Florida.
Parisse, Michel (1979), Remarques sur la ponctuation des chartes lorraines au XIIe siècle, in : Hermann
Crisis of the « New », in : William D. Paden (ed.), The Future of the Middle Ages. Medieval
Martin-Dietrich Gleßgen/Franz Lebsanft (edd.), Alte und neue Philologie, Tübingen, Niemeyer,
127–141.
Rickard, Peter (1982), Système ou arbitraire ? Quelques réflexions sur la soudure des mots dans les
nistischen Mediävistik, in : Martin-Dietrich Gleßgen/Franz Lebsanft (edd.), Alte und neue Philolo-
Schubert, Martin J. (2013), Interpunktion mittelalterlicher deutscher Texte durch die Herausgeber,
editio 27, 40–55.
Spiegel, Gabrielle M. (1990), History, Historicism, and the Social Logic of the Text in the Middle Ages,
Speculum 65, 59–86.
Stackmann, Karl (1993), Die Edition – Königsweg der Philologie ? in : Rolf Bergmann/Kurt Gärtner
(edd.), Methoden und Probleme der Edition mittelalterlicher deutscher Texte. Bamberger Fachta-
gung 26.–29. Juni 1991. Plenumsreferate, Tübingen, Niemeyer, 1–18.
Stackmann, Karl (1994), Neue Philologie ? in : Joachim Heinzle (ed.), Modernes Mittelalter. Neue Bilder
Pierre Kunstmann et. al. (edd.), Ancien et moyen français sur le Web : Enjeux méthodologiques et
Gleßgen/Franz Lebsanft (edd.) (1997), Alte und neue Philologie, Tübingen, Niemeyer,
35–42.
316 Anja Overbeck
Völker, Harald (2003), Skripta und Variation. Untersuchungen zur Negation und zur Substantivflexion
in altfranzösischen Urkunden der Grafschaft Luxemburg (1237–1281), Tübingen, Niemeyer.
Völker, Harald (2004), Zwischen Textedition und historischer Varietätenlinguistik. Tustep-unterstützte
hypertextuelle Strukturen zur Analyse rekontextualisierter Texte, in : Gottfried Reeg/Martin J.
variationist linguistics method for a corpus of Old French charters, French Language Studies 17,
207–223.
Wenzel, Siegfried (1990), Reflections on (New) Philology, Speculum 65, 11–18.
Claude Buridant
13 Édition et traduction
Abstract : L’article traite de l’ensemble des traductions en français au Moyen Âge.
éditions bilingues ; et des gloses qui accompagnent et qui parfois constituent des
textes. L’article fournit une étude développée d’un cas de figure complexe, la Chro-
nique des rois de France (1217–1230), dont l’auteur prépare une édition ; un échantillon
commenté de l’édition en cours est présenté ici. Suit une bibliographie importante sur
la traduction médiévale (textes suivant une classification raisonnée, et études).
Keywords : Chronique des rois de France, typologie des traductions, texte-cible, texte-
seront inventoriés les exemples illustrant les différentes options d’édition possibles,
enregistrées dans la bibliographie sélective.1 Cette littérature a été engrangée dans de
vastes répertoires raisonnés, comme l’ouvrage collectif Transmédie, publié en 2011
sous la direction de Claudio Galderisi, dont le volume 2, en deux tomes, constitue une
médiévales
L’édition des traductions médiévales est conditionnée par deux caractéristiques cen-
trales qui se combinent en symbiose, et qui sont de deux ordres : une caractéristique
terne » liée au mode de transmission des textes en jeu dans la relation source-cible.
La pratique de la translation médiévale d’abord, qui n’est pas une activité parfai-
tement circonscrite et hermétique, dont Jacques Monfrin a dégagé les principaux
aspects dans l’introduction du grand inventaire qu’il en dressait en 1955 :
« L’idée que les écrivains du Moyen Age se sont fait de la tâche de traducteur est assez différente
de celle qui a prévalu plus tard : le souci historique et philologique de laisser ou de retrouver
l’œuvre d’un auteur sous la forme exacte que celui-ci avait voulu lui donner était souvent
remplacé par l’idée que tout écrit est perfectible et que, du moment qu’on le transcrivait, ou qu’on
le traduisait, il n’y avait aucune raison pour ne pas le modifier ou l’améliorer en combinant
parfois le texte avec celui d’un autre ouvrage : de là des modifications sans nombre apportées
aux textes originaux. En dehors de ces manifestations d’un état d’esprit que, le plus souvent, les
prologues des traducteurs éclairent parfaitement, on a toujours, pour des raisons diverses, à côté
des traductions, des adaptations, en faisant passer une langue dans une autre » (Monfrin 1955 ;
C’est cette idée que nous avons reprise et développée dans nos recherches sur la
traduction médiévale, en particulier dans deux études s’appuyant largement sur une
analyse critique des prologues des traducteurs et leur topique : nous y soulignions
comme une activité spécifique caractérisée par un terme unique à la définition précise
et univoque (Buridant 1983 ; 2011). Et nous avions proposé de la caractériser comme
« Même dans les cas extrêmes où on se flatte de respecter scrupuleusement la lettre, on admet la
liberté par rapport au texte-source pour le gloser, l’embellir ou accentuer son impact moral […] Le
texte-source n’est pas nécessairement considéré comme un objet fini dans son altérité et son
‹ étrangeté › ; il est toujours susceptible d’aménagements que rien n’autorise à appeler ‹ trahi-
sons › aussi longtemps que la matière est respectée, ayant la fonction de mieux adapter le
« Mettre une œuvre à la portée du lecteur, c’est aussi la lui expliquer », écrit encore
dre mot a mot le latin par le françois – ou la traduction large ad sensum, qualifiée aussi
de « traduction dynamique » (Henderson/McWebb 2004), qui peuvent être l’objet
distance focale que peut être évaluée la fidélité de la traduction et donc la cohérence
relative du texte édité, cohérence externe prévalente dans le cas d’une traduction
littérale, le texte-source, pourvu qu’il soit sûr, servant de référence et d’étalon ;
passages plus libres » (ed. D.W. Russell, 1995 ; compte rendu par Gilles Roques 1996,
617).
Dans le Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, empruntant à deux sour-
ces, la Vulgate et les Antiquitates de Flavius Josèphe :
« Différents cas de figure peuvent se présenter. Ou bien le traducteur suit fidèlement la Vulgate. Il
peut cependant y mêler occasionnellement des éléments empruntés à l’œuvre de Josèphe […] A
d’autres moments, son Poème est une traduction fidèle des Antiquitates […] A une traduction
effectuée à partir du texte de l’historien juif peuvent être ajoutés des éléments qui ont leur origine
dans la Vulgate. Enfin le traducteur peut opérer un savant mélange des deux sources » (ed.
P. Nobel, I, 85–86).
On est alors loin des conditions optimales ou idéales, qui seraient celles des traduc-
tions actuelles, mettant en présence un modèle donné qui est l’objet d’une re-produc-
tion ou réplique dans une langue d’arrivée qui vise à la fidélité la plus serrée, et a
priori cette fidélité est en large partie mesurable. Ce que souligne Eric Hicks :
322 Claude Buridant
« Sur le plan des séries cohérentes, les traductions présentent un intérêt particulier. Tout segment
dans le texte de départ doit nécessairement trouver sa réplique dans le texte d’arrivée : à la
différence des œuvres d’imagination, où la ligne de partage entre faute et variante est indécise,
les traductions visent à reproduire un modèle donné. C’est dire que l’intentionnalité de l’auteur
ne pose pas de problème, car l’on ne saurait admettre, comme le traducteur de la première phrase
de La Guerre des Gaules, « La Gaule est, dans son ensemble, divisée en trente parties » […] »
traduction médiévale : la fluidité de ses paramètres textuels, inscrits dans une tradi-
tion manuscrite. Ici encore, Jacques Monfrin a souligné le poids de cette tradition,
génératrice de modifications dans le repérage des sources, en l’occurrence les classi-
ques latins, mais ses remarques ont une portée plus générale :
« Il est un point sur lequel nous devons insister. Le texte des auteurs latins que lisaient les
traducteurs n’est jamais tout à fait celui que nous lisons dans les éditions critiques modernes ;
celles-ci sont établies, autant que possible, sur les manuscrits les plus anciens, et c’est à peine si
les philologues classiques énumèrent dans leurs études sur la tradition du texte les manuscrits
postérieurs aux XIe–XIIe siècle. Or c’est sur des manuscrits tardifs, ceux que l’on mentionne sous
l’étiquette de recensiores ou deteriores, que nos traducteurs ont travaillé. Et ce qui n’a que peu
d’intérêt pour les éditeurs est pour nous d’une importance capitale : ce sont les modifications
qu’ont subies les textes au cours des derniers siècles du Moyen Age […] Ici et là [i.e. en France
comme en Italie] on a remanié les leçons, on a redistribué le texte, on a composé des titres, des
rubriques, des sommaires ; on a inscrit en marge des gloses et des remarques » (Monfrin 1955).
Le texte-source, comme le texte-cible, est loin d’être un texte figé, fixé une fois pour
toutes sous la forme manuscrite, et souvent l’accès à l’original est difficile, si l’on
entend par original « tout document qui remonte à l’auteur, sous forme d’autographe,
ou approuvé par lui », l’autographe n’en étant donc qu’une sous-espèce (Di Stefano
1977, 15).2 Dans la grande majorité des cas, ces témoins s’inscrivent dans la mouvance
générale de tout texte manuscrit,3 constamment en devenir à chaque copie ; et chaque
2 Afin d’éviter toute ambiguïté sur le sens du terme original, nous emploierons en ce sens plutôt le
terme de « texte d’origine » ou « texte originel », en réservant le terme d’original, dans le cas de la
16). Et G. Di Stefano illustre son propos avec les problèmes posés par la traduction française de Valère-
Maxime commencée en 1375 pour Charles V et achevée par Nicolas de Gonesse en 1491 pour le duc Jean
de Berry. Cf. cependant plus bas la note 6.
Édition et traduction 323
copie est toujours une récriture, à des degrés divers, engendrant des fautes aux
mécanismes repérables,4 chaque copiste étant, à sa manière, un nouvel éditeur du
texte. Soit le parcours translation → transcription → transmission, générateur de trans-
formations et altérations : la traduction correspond à un moment singulier T où se
ques.
Dans son étude sur la traduction du Décaméron de Boccace par Laurent de
Premierfait présentée à Jean de Berry en 1414, Giuseppe Di Stefano évoque précisé-
ment les conditions particulières qui interviennent dans l’édition des traductions, à
commencer par la place du texte-source dans la transmission et son identification :5
« L’edizione di una traduzione domanda un metodo che in parte è proprio al genere oltrechè
legato alla situazione generale della trasmissione del singolo testo. L’editore deve decidere quale
ruolo vuole assegnare al testo di origine : esso deve avere un posto preciso tra tutti i testimoni
della tradizione, un posto addirittura privilegiato, qualunque sia a priori l’equilibrio che un tale
testo apporta alla valutazione della qualità delle traduzione. Resta fermo comunque il fatto che
l’editore non è certo di lavorare su un testo del tutto identico a quello sul quale aveva operato il
traduttore. Sarà sempre difficile stabilire se il traduttore è stato tradito dalla lezione della sua
copia o se ha tradotto frettolosamente un passagio : solamente l’identificazione delle copia di
lavoro del traduttore metterebbe l’editore in una posizione ottimale nel valutare le varie lezioni
della tradizione manoscritta » (Di Stefano 1996, 574).
Des réserves peuvent être exprimées sur la faisabilité de l’entreprise, supposant qu’un
tel manuscrit existe, comme le fait Gilbert Strasmann à propos de la traduction
allemande de l’Itinerarium d’Odoric de Pordenone : « La recherche du manuscrit, à
partir duquel Steckel a traduit, aurait dû s’étendre à toute la tradition latine ; une telle
dépense en temps et en argent me semblait injustifiée, parce qu’il est loin d’être
certain que ce manuscrit existe encore » (Strasmann 1968, 35 ; traduction DAT).
4 À propos des difficultés des éditions de texte, R. Marichal écrit ainsi : « une édition est une copie, et
qui dit copie dit faute » (Marichal 1961, 1249), ce qu’illustre particulièrement la transmission manu-
traduit celui qui est le plus proche de l’archétype, nul besoin de recourir à un stemme et à la déduction
ecdotique : il suffit de confronter ces états au modèle qui a été traduit » (Philippart 1992, 30).
324 Claude Buridant
retenir ; d’abord que le texte de la traduction transmis par le ou les MSS est en fin de
compte celui du copiste plutôt que du traducteur ; ensuite que nous ne pouvons pas
être sûrs d’avoir sous les yeux le même original que le traducteur » (Brook 1968, 64).
dans huit ou neuf MSS qui transmettent une tradition qui est « remarquablement
homogène », objet d’une belle édition critique de J. Muckle (Muckle 1950), dont
L. Brook examine ensuite les rapports avec la traduction française de Jean de Meun
(cf. infra).
À la quête du « texte authentique » de l’auteur du texte-source, qui peut être un
« Vouloir fixer le texte ‹ authentique › du Mirour tel qu’il serait sorti de la plume de s. Edmund est
une entreprise illusoire et stérile : illusoire, parce que la rédaction latine implicitement reconnue
comme norme de la rédaction française est elle-même fuyante… et qu’en tout état de cause, rien
n’autorise à postuler une adéquation parfaite du texte vernaculaire au texte latin ; stérile, car ce
qui compte historiquement, ce n’est pas ce texte idéal à l’authenticité problématique, mais les
textes qui ont réellement circulé, tels que les témoins existants permettent de les saisir […]. La
première préoccupation de l’éditeur ne devrait-elle pas être de donner au lecteur la possibilité de
suivre de copie en copie la vie du texte ? » (compte rendu dans Romania 1985, 539s).
Si l’on combine les deux traits fondamentaux conditionnant l’édition des traductions
médiévales, on peut dire que, de façon générale, le traducteur exégète et « exposi-
teur » s’inscrit comme passeur dans une chaîne de transmission manuscrite et comme
C’est en tout cas toujours au témoignage d’un texte-source, quel qu’il soit, que se
réfère la traduction et c’est par rapport à lui que se définit ce que Giuseppe Di Stefano
appelle la bontà de la traduction à défaut de son autenticità : « Nelle edizione della
traduzione, noi assumiamo il testo d’origine come arbitro della bontà se non proprio
dell’ autenticità di una lezione » (Di Stefano 1976, 575).6 C’est aussi à son aune que se
définit l’erreur, dont Ronald Walpole donne une définition prudente et mesurée dans
son édition de la version « Johannes » du Pseudo-Turpin : « But the question here is
what is error, and we can only take it to be the destruction or alteration of the sense of
the chronicle as the evidence of the translation allows us to see it » (Walpole 1976,
126).
6 G. Di Stefano traite également de la bonne leçon et de la leçon authentique dans le chapitre L’édition
des textes de ses Essais sur le moyen français (Di Stefano 1977, 1–21).
Édition et traduction 325
« Les fautes commises des trois manuscrits utilisés pour l’établissement du texte
2000, 133).
Ou encore de la traduction de Valère-Maxime commencée par Simon de Hesdin
pour Charles V et achevée par Nicolas de Gonesse en 1401 ; il en existe deux originaux
au moins, le ms. Paris BnF français 9749 : copie offerte à Charles V ; et le ms. BnF
français 282, copie offerte au duc de Berry, contenant le Valère-Maxime complet, alors
que le premier ne contient que les quatre premiers livres du texte. Le ms. offert au duc
de Berry peut servir de manuscrit de base aussi pour la partie lacunaire de la traduc-
tion de Simon de Hesdin. Peuvent aussi servir de mss. de contrôle
« les exemplaires ayant la même ascendance que les originaux tout en étant indépendants de
ceux-ci. On aurait là des copies de contrôle bien autorisées, car un original, tout comme une
copie et en tant que copie lui-même, est loin d’être une reproduction parfaite. [En l’occurrence,
l’original offert au duc de Berry est le produit d’un copiste assez négligent]. Cependant, de tels
textes, étant des traductions, trouvent dans le latin des éléments de contrôle sûr, ce qui est un atout
formidable pour vérifier l’authenticité de la leçon d’un manuscrit » (Di Stefano 1977, 18 et 19 ;
La transmission manuscrite, éloignant les copies de l’original, n’est pas sans entraîner
souvent, par incompréhension, une récriture plus « lisible », un travestissement, voire
« Essendo nota e acquisita la tendenza al calco, sia lessicale che sintattico, nell’atto di tradu-
zione, l’accordo di un testimone con il testo d’origine è indice di autenticità, mentre l’atto di copia
avrà tendenza a fare sparire tali caratteristiche del testo più vicino all’originale, o ad un
esemplare prossimo di esso, che verrebbe ad avere lo statuto di testimone piuttosto alto nella
pratica della riproduzione e della trasmissione di un testo. In altre parole : la lectio difficilior,
nella quale si riconosce il calco, combinata con l’irreversibilità dell’errore, corrisponderà ad una
lezione più alta, nella scala della degradazione del testo, rispetto ad una lezione di certo più
chiara e comprensibile, cioè ‹ migliore ›, ma di fatto allontanatasi dall’originale. Resta sempre da
provare appunto che una versione liberata dalle servitù del calco sia una nuova versione dovuta
al traduttore e non una semplice variante redazionale di un copista divenuto redattore » (Di
7 Soit la leçon la plus difficile à comprendre, comportant un mot rare ou un tour recherché dont il est
vraisemblable qu’une autre leçon banale soit issue par mécompréhension. Nous donnerons plus loin,
notamment dans la dernière partie, des exemples de ces travestissements, qui se découvrent en
comparaison avec l’original ou une copie plus ancienne.
326 Claude Buridant
« Clarté » n’est donc pas synonyme d’« authenticité », tout comme l’obscurité des
Ces conditions posées, en préliminaire, on peut ébaucher à présent une typologie des
éditions de traductions médiévales en traitant des rapports avec les originaux.
3 Texte-source et textes-cibles
3.1 Éditions médiévales bilingues
Des recherches récentes ont commencé à porter attention aux manuscrits des traduc-
tions vernaculaires en examinant leur mise en page, pour élaborer les premières
approches d’une « grammaire de la mise en page » esquissée par Nigel Palmer (Palmer
sa suite, dans les traductions médiévales en français des Disticha Catonis, sur l’exem-
ple de la traduction de Jean Le Fèvre, appuyée aussi sur celle d’Adam de Suel et de
Jean du Chastelet, traduction largement diffusée d’abord par les manuscrits, puis par
les éditions incunables prolongées par celles du XVIe siècle. « Les traductions françai-
ses, étalées dans le temps, se caractérisent par une présence du texte latin particuliè-
rement remarquable dans les manuscrits qui les conservent », soit dans vingt-six
manuscrits sur une quarantaine (Vielliard 2000a, 210). Cette présence est soit directe
(le texte latin complet est transcrit) ou indirecte, sous forme de lemme (le texte latin
est réduit à son incipit donné avant la traduction pour rattacher celle-ci à son modèle
latin), pratique originale relevée par Geneviève Hasenohr dans les traductions de la
littérature gnomique (Hasenohr 1990, 365). Sous forme de texte latin complet ou de
lemme, cette disposition témoigne de la dépendance du français par rapport au latin :
« La mise en page des manuscrits est […] révélatrice : elle informe non seulement sur la structura-
tion du texte source par les copistes, mais aussi dans les manuscrits qui conservent le texte latin,
même réduit à des lemmes, sur la hiérarchie opérée entre les deux langues » (Vielliard 2000a,
221).
Sur la structuration du texte source et son organisation d’abord, et sur les rapports
entre latin et français ensuite : la quasi-totalité des manuscrits se référant au latin
8 N. Palmer a établi une typologie des manuscrits des traductions vernaculaires, en particulier
allemandes, de la Consolatio Philosophiae de Boèce.
Édition et traduction 327
comme patron du texte français usent de procédés de mise en page qui aident à
repérer les grandes articulations du texte-source et à le mettre en valeur par rapport à
sa traduction (ibid., 227).
Restent deux questions fondamentales posées par cette pratique, portant sur la
transmission de la traduction : « Tout d’abord ce modèle reproduit-il le dessein de Le
Fèvre ou est-il un infléchissement donné par les copistes ?… Les meilleurs témoins
sont-ils ceux qui sont les plus proches du modèle latin, et les manuscrits qui n’ont que
le texte français et qui ne sont pas sensibles à l’articulation du texte d’origine sont-ils
les plus mauvais témoins ? » (ibid., 227).
Ce n’est pas le seul cas de traduction accompagnée de son modèle latin. Dans les
traductions bibliques, le célèbre manuscrit BNF français 167 de la Bible moralisée dite
de Jean le Bon, des années 1340–1350, richement enluminée, un des sommets de
l’exégèse allégorique, présente un texte latin accompagné d’une traduction française
jusqu’à Isaïe (en ligne sur le site Gallica). L’identification de la source, pour cette
dernière, ne présente donc pas de problème, l’original latin étant cependant moins
reconnaissable. Le modèle du texte et du commentaire est celui des gloses et exposi-
tions, et est utilisé à la fois dans les versions latine et française. La seule différence
réelle est que le français développe le latin, qui est clairement présenté sous une
forme abrégée, qui n’est pas sans rappeler les lemmes évoqués ci-dessus, supposant
que le lecteur serait suffisamment familier avec le reste de la Vulgate et avec le
commentaire pour être capable de développer les deux convenablement. David Trot-
ter, évoquant cette édition bilingue, en donne l’exemple d’architriclinus / architriclin
et sa glose dans l’épisode des noces de Cana :
« Ut autem gustavit architriclinus aquam vinum factum, dicit sponso. Omnis homo primum
bonum vinum debet ponere super et cetera. Architriclinus significat legis peritos qui nesciebant
spiritualem sensum sub legis littera latentem. Ut Paulus ante conversionem nescivit » (fol. 251r).
« Quant le maistre de la feste qui estoit dit architriclin tasta de l’eaue convertie en vin il dist a
l’espouse. tout homme doit avant donner a boire du meilleur. et tu as fait le contraire. Archeticlin
segnefie les sages qui ne savoient sa (l. la ?) saveur espirituel trouver ou sens litteral comme saint
Pol avant qu’il fust converti mes Jhesucrist garda la douceur jusques au temps de sa nouvelle loy.
par quoy apert que le monde met le meilleur au commancement et le pire en la fin. Jhesu fait le
contraire » (ibid.) (Trotter 1987, 267).9
9 On peut aussi imaginer, pour certains textes, une édition médiévale bilingue dont on a perdu la
trace, comme le suppose Stefania Marzano en reprenant l’hypothèse d’Henri Hauvette à propos de la
traduction du De casibus virorum illustrium de Boccace par Laurent de Premierfait, « incompréhensible
sans le recours au latin : la logique d’une traduction mot à mot impliquait peut-être, dans la conception
Le texte-source peut se présenter sous les modalités suivantes, qui vont de son
absence totale à son identification comme exemplaire de travail du traducteur, étant
entendu que de l’un à l’autre bout de cette échelle, il y a de nombreuses combinaisons
possibles, plus ou moins complexes.
Dans La vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame, tous les manuscrits latins
de la correspondance sont postérieurs à la rédaction de la traduction française
attribuée à Jean de Meun, aucun témoin ne remontant à l’époque de la rédaction et le
modèle du traducteur (J) ne pouvant être identifié à aucune des copies latines (ed.
E. Hicks, p. XLIV et LI). Cette copie était d’ailleurs peut-être meilleure que les manu-
scrits les plus autorisés, A (BnF, lat. 2923. Milieu ou fin du XIIIe siècle) et T (Troyes,
Bibliothèque Municipale, ms. 802. Fin du XIIIe ou début du XIVe siècle). La leçon de J
peut ainsi, dans bien des cas, départager les leçons discordantes des copies latines.
D’où la reconstruction de la correspondance latine dans laquelle la traduction a joué
un rôle décisif, prenant pour base l’édition J. Monfrin (Epîtres I, II et IV), dont
l’orthographe est celle du ms. T, graphie projetée ensuite sur le reste du corpus, le
texte collationné sur le manuscrit T confronté à la traduction par des tris automati-
ques du vocabulaire dans les deux langues. C’est ce texte qui sert de référence à
l’édition de la traduction par Jean de Meun, sur laquelle nous reviendrons ci-dessous.
Ce phénomène peut être illustré par le Policraticus de Jean de Salisbury traduit par
Denis Foulechat, ed. du livre V par Charles Brucker :
« Contrairement à ce que nous avons entrepris pour le texte français, le texte latin ne fait pas
vraiment, de notre part, l’objet d’une édition critique. En effet, nous nous sommes contenté de
présenter le texte latin d’après la transcription « critique » d’un manuscrit (ms. de Soissons : S1),
que Jean pouvait avoir eu entre les mains, et qui, en tout cas, est proche de celui dont s’est servi
Denis Foulechat pour sa traduction du Policraticus, tout en tenant compte, chaque fois que nous
en éprouvions le besoin, des mss. H (ms. de Charleville-Mézières) et P (ms. de Montpellier) qui, à
leur tour, sont singulièrement proches de S2, mais aussi du ms. BnF lat. 6418, datant du XIVe
siècle et que Foulechat aurait pu connaître » (ed. C. Brucker, 143s.).
Édition et traduction 329
3.2.4 Le texte-source représenté dans une édition jugée suffisante pour évaluer
la traduction
consensus sur la façon d’éditer ou de traduire ce type de texte, et que les travaux de
référence ne fixent pas de règles, il conclut :
« les éditeurs individuels doivent encore trancher eux-mêmes en ce qui concerne les problèmes
suivants : 1. – Doit-on (a) établir un texte sur la base d’un ‹ bon › manuscrit, ou (b) utiliser les
témoignages de tous les manuscrits pour produire un texte correct logiquement ou philosophi-
quement mais qui corresponde à un original médiéval ? 2. – Doit-on (a) retenir l’orthographe des
manuscrits, ou (b) introduire celle du latin classique, ou (c) [sur le principe d’une intervention
minimale] opter pour une uniformisation basée sur l’orthographe en usage dans les manuscrits ?
3. – Doit-on (a) négliger la ponctuation des manuscrits et ponctuer comme s’il s’agissait d’un
texte moderne [ce qui fait transparaître la langue vernaculaire de l’éditeur, car il y a des
différences radicales entre les conventions des différentes langues, comme par ex. l’allemand et
l’anglais], ou (b) retenir les règles de ponctuation médiévale, ce qui souvent conduit à inventer de
nouveaux signes ? 4. – Doit-on, dans le cas d’un texte qui semble avoir été revu après un certain
10 J. Berlioz mentionne en note Les contes moralisés de Nicole Bozon, largement inspirés des fables
d’Eudes de Cheriton, publiés par L. Toulmin-Smith et P. Meyer en 1889, avant l’édition de M. Hervieux,
Les Fabulistes latins, 4, 1896.
330 Claude Buridant
temps, (a) donner la version originale, (b) donner la dernière version ou une des versions
intermédiaires, ou (c) utiliser toutes les versions pour établir un ‹ bon › texte ? 5. – Doit-on baser
l’édition sur (a) la version du texte la plus proche de celle produite par l’auteur, ou (b) la version
la plus fréquemment lue et citée par d’autres auteurs (la ‹ vulgate ›) ? 6. – Doit-on donner
(a) toutes les variantes de lecture dans l’apparat critique, ou (b) celles qui (du point de vue
inévitablement subjectif de l’éditeur) sont ‹ importantes › ? Toute décision doit, de plus tenir
À des titres divers, hormis sans doute le point 2, ces questions concernent aussi
largement les rapports avec la traduction, puisqu’il s’agit de savoir, dans tous les cas,
quel est le type d’édition critique du texte-source.
Le point 3 distingué par Charles Burnett peut se révéler avoir une certaine
importance dans l’établissement du texte-source et par ricochet, dans ses rapports
avec sa traduction. Dans sa mise au point du texte latin source de la traduction du
Policratique de Jean de Salisbury par Denis Foulechat, Charles Brucker écrit excellem-
ment à ce sujet :
« Dans les éditions de textes médiolatins, la ponctuation du manuscrit de base est rarement prise
en compte, et pourtant elle nous semble faire partie des éléments situés à mi-chemin entre la
forme et le sens ; dans certains cas, elle nous permet de mieux comprendre la manière dont
l’auteur ou le copiste analysent la phrase, mais aussi la raison d’être de telle analyse faite par le
traducteur et qui ne correspond pas forcément à notre vision de la structure de la phrase » (Le
(Buridant 2015), j’attire de mon côté l’attention sur l’impact que peut avoir la ponctua-
tion originale du texte-source de référence dans la traduction des Dialoge Gregoire lo
Pape (ed. Foerster, 1876 ; réimpression 1965). Cette traduction wallonne du XIIIe siècle
est fortement calquée sur le latin au point de ressembler plutôt aux traductions
« savantes » du moyen français. Dans son édition bilingue, W. Foerster reproduit,
11 Charles Brucker renvoie sur ce point à Martin/Vezin (1995, 443ss.) et à Careri et al. (2001, XXXIVss.).
dans les cas de distorsion manifeste entre l’original latin et sa transposition. L’édition
retenue par Foerster, donnée en correspondance en-dessous de la traduction française,
est sans doute suffisante pour évaluer la traduction. On peut pourtant se demander si
elle offre les meilleures leçons, par comparaison avec la dernière édition : celle
60, 7), auquel répond je demande ce estre espons plus engueilment, engueilment (ibid.,
60, 10–11) étant relevé par T.-L. 3, s. v. igal. La leçon planius, de l’édition A. de Voguë
est préférable : « plus pleinement, de manière plus approfondie ». Mais la ponctuation
médiévale n’est nullement évoquée dans ces deux éditions, qui diffèrent parfois aussi
entre elles dans la ponctuation moderne de la traduction, et elle mériterait d’être prise
en compte dans l’étude de la syntaxe. Un des éléments importants de la syntaxe latine
est en effet le relatif disjoint qui sous toutes ses formes – dit aussi relatif de liaison –,
que la traduction transpose par le relatif composé lequel, sous les formes du pronom li
queiz / lo queil, ou de l’adjectif dans la reprise anaphorique étoffée li queiz moines, la
queile chose. Il serait souhaitable de voir quelle ponctuation accompagne ce type de
relatif dans les représentants du texte-source (éditions Foerster et de Voguë, reposant
sur des sélections différentes) et dans sa transposition, accompagnée d’un point dans
l’édition Foerster, sans que l’on sache si cette ponctuation correspond à une ponctua-
tion forte du manuscrit, le manuscrit BnF français 24764.
En dehors de cette question de ponctuation, les éditeurs se satisfont souvent
d’éditions critiques du texte-source non exactement situé dans sa transmission ma-
nuscrite.
Nous avons nous-même édité la Traduction de l’Historia Orientalis de Jacques de
Vitry, premier livre de l’Historia Hierosolymitana abbreviata de Jacques de Vitry, écrite
vers 1219–1221, et largement inspirée de Guillaume de Tyr et Foucher de Chartres, sans
que celle-ci ait fait l’objet d’une édition critique récente. La traduction, conservée
dans le manuscrit unique BnF français 17203, de la fin du XIIIe siècle, est collationnée
avec un texte-source qu’on peut lire dans une édition de 1611 de Jacques Bongars,
fondée sur plusieurs manuscrits, complétant l’édition Moschus de 1597 (Buridant
1986).12
12 Sur ces éditions et l’édition partielle de Martène et Durand, cf. l’édition-traduction des livres I et III
de l’Historia Hierosolymitana abbreviata par Marie-Geneviève Grossel (2005), à partir de l’édition
Moschus, choix jugé peu judicieux par S. Menegaldo dans son compte rendu. C’est dire que l’on attend
toujours une édition critique du texte latin, qui permettrait sans doute d’affiner les remarques sur les
traductions, tant médiévale que moderne.
332 Claude Buridant
« Comme il reste quatre manuscrits de cette rédaction qui n’ont pas été publiés, sans parler des
vingt-neuf manuscrits (conservés) du texte de Guillaume de Solagne qui n’ont même pas été
étudiés de près, nous avons cru devoir remettre à plus tard la recherche, que l’état présent des
études rend encore trop aléatoire, du manuscrit présumé sur lequel travaillait le traducteur » (ed.,
XXII).
Ici encore une pierre d’attente, qui n’empêche pas une bonne évaluation de la
traduction et de ses techniques, en attendant une appréciation plus fine.
La traduction des Otia imperialia de Gervais de Tilbury par Jean d’Antioche, est l’objet,
en revanche, d’une précieuse mise au point sur le texte-source, rappelée par C. Pigna-
telli dans l’édition conjointe avec D. Gerner. Le texte latin a bénéficié de deux éditions
intégrales, celle de G.W. Leibniz (1707–1710) et celle de Banks et Binns (2002), mais
Vatican, Lat. 933 (lacunes et addenda) – auquel appartient aussi le ms. E édité par
Leibniz – dont la traduction de Jean d’Antioche, dans le ms. unique BnF Paris 9113 est
très proche, des éléments pouvant être partagés par le ms. β conjecturé par Caldwell
comme précédant et ayant partiellement inspiré N. Et C. Pignatelli de proposer la
chaîne minimale suivante, en évoquant la possibilité d’étapes intermédiaires, « qui
1. rédaction des Otia imperialia par Gervais sur des exemplaires de travail N et b (et
autres ?)
3. traduction de Jean d’Antioche à partir d’un texte situé en (2), voire directement en
(I) (β ?)
6. Quant à la traduction des Otia par Jean de Vignay, elle aussi conservée dans un
manuscrit unique, le ms. BnF Rotschild 3085, elle s’inspire de N, dont elle est
généralement assez proche, tout en présentant des affinités avec B, BnF Lat.
6488, mais qui devait lui être antérieur, aujourd’hui disparu : au total, Jean de
peut sans doute rien faire de mieux que présenter dans la diversité des variantes
possibles, le Virgile qu’on lisait au Ve siècle » (Énéide, ed. J. Perret, XLIII).13 La
question serait de savoir sur quel type de manuscrit de l’Énéide l’auteur de l’Eneas a
pu travailler. Dans sa recension de l’ouvrage de L’Eneas, une traduction au risque de
l’invention, F. Vielliard écrit ainsi : « Existe-t-il des manuscrits qui offriraient, conjoin-
tement à l’Enéide, les ressources qu’est supposé avoir utilisées l’auteur de l’Eneas
dans sa traduction ? » Et F. Vielliard renvoie aux travaux de Birger Munk-Olsen et de
ses émules sur la transmission médiévale des classiques (Munk Olsen, Mélanges
1995),14 et souhaite qu’on s’interroge sur les ressources des bibliothèques auxquelles
l’auteur médiéval a pu avoir accès (Vielliard 2000b, 255).
C’est le cas de rappeler ici que l’Ars Amatoria d’Ovide est répandu à travers les
deteriores, vulgate qui sert de base à la traduction de la première traduction en prose
l’Art d’amours du XIIIe siècle, farcie de gloses et de commentaires comme le précise B.
Roy, son éditeur, renvoyant à l’étude d’E. J. Kenney (Roy 1974, 33 ; Kenney 1962) et
13 Mais qu’en est-il au Moyen Âge ? Est confirmée ici la remarque de Jacques Monfrin sur la négligence
qu’il avait dégagés. Comme le rappelle Michael Reeve, leur plus récent éditeur, à la
suite de A. Önnerfors :
« Quite apart from excerpts and vernacular translations, Vegetius’s Epitoma survives in over 200
manuscripts written from the 9th century to the 15th. When C. Lang edited it for the second time
in 1885, he had some acquaintance with over half of them, and his deviation of the entire
tradition from two lost hyperarchetypes, ε and π, went unchallenged until 1993, when A. Önner-
fors showed that π (Vat. Pal Lat. 900) a Beneventan manuscript already regarded by Lang as an
idiosyncratic descendant of п, did not descend from п at all. In his edition of 1995, Önnerfors
derived ε and π from a lost hyperarchetype at a higher level of the stemma, α, and π, which he
renamed T, form another hyperarchetype, β, at the same level of α ; but he omitted from his
apparatus what he called the errores and somnia of T (p. XXII), and in his text he very seldom
preferred any of its readings to the reading of α » (Reeve 2000b, 243).
« Our author says (in line 42) that he is translating from a Latin source. I am aware of five
published Latin versions of the Nativity and Conversion : A. Munich, Hof-u Staatsbibliothek, Cod.
Lat. 7954, dated 1337 ; B. Univ. Krakow 2039/Univ. Budapest 79 ; C. Univ. Krakow 2366/Univ.
Budapest 56 ; D. Munich, Bibl. Reg. Lat 18630. These tell the story in different degree of detail,
occasionally making slight modifications to the order or some small elements, and at one point
briefly diverging significantly from each other. However, despite these slight differences, all these
versions have much more in common with our form of the legend » (ed. Hesketh 2000, 34s.).
Et Glynn Hesketh retrace les différentes étapes de la vie de la sainte d’après ces
éditions avant de publier le texte.
exemple, par le manuscrit British Library Harley 3846 (H) et une version longue
représentée par le manuscrit British Library 13 B viii (R). La version courte précède la
version longue, et toutes les deux sont l’œuvre du moine de Saltrey. Aucun des textes
des versions courtes et longues du Tractatus que nous connaissons n’a pu être celui que
Marie a traduit. Cependant, différents éléments appartenant aux deux versions dans sa
traduction laissent supposer que Marie a dû traduire un texte composite, comme celui
du manuscrit Arundel 292, qui tout en étant apparenté à la version courte, possède, à la
suite de l’Epilogue I, quelques-unes des additions propres à la version longue. D’où le
schéma établi par l’éditrice retraçant la relation du Tractatus, où « ‘O’ [représente] les
versions originales que nous ne possédons pas et ‘X’ le texte du Tractatus que Marie
aurait traduit et que nous ne possédons pas non plus » (ed. Pontfarcy, II. La tradition
La compilation des manuscrits est chose courante chez les traducteurs médiévaux, le
traducteur pouvant disposer de plusieurs copies. D’après J. Monfrin, le clerc qui, en
1213–1214, rédigea les Faits des Romains combina de longs passages de Suétone,
Salluste et de Lucain à une traduction à peu près complète des Commentaires de César
(Monfrin 1964, 220). « Raoul de Presles, le traducteur français de La cité de Dieu, entre
1371 et 1375, a, pour établir son texte, recensé trente et un manuscrits » (Marichal 1961,
1262). L.H. Feldman relève aussi cette possibilité (Feldman 1984, 393).
On peut se poser, sur ce point une question fondamentale, comme le fait Pierre
Nobel pour la traduction du Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, où le
traducteur opère à partir de la Vulgate – histoire des patriarches et des prophètes
avant la naissance du Christ – et les Antiquitates de Flavius Joséphe :
« Le traducteur a-t-il opéré lui-même ce mélange des sources ou avait-il sous les yeux un texte
latin où la compilation avait déjà été effectuée et qu’il s’est contenté de traduire ? A moins de
trouver, dans une bibliothèque, le ms. de ladite compilation latine, il est impossible de répondre
à la question. Rien n’empêche cependant de supposer qu’il a travaillé à partir de deux manuscrits
différents posés devant lui » (ed. Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, I, 85s.).
336 Claude Buridant
source et cible, transposant un texte d’origine rédigé dans une autre langue. Le cas le
plus représentatif est celui de textes d’origine passant par l’intermédiaire du latin,
fonctionnant comme « passeur ».
– traduit en latin à Tolède vers la fin du XIIe siècle, l’École de Tolède étant alors une plaque
au français, i.e. du savoir scientifique, donc latin, au savoir non-scientifique, donc en partie
vernaculaire, avec les gloses remontant à la source : « dans la grande majorité des cas, les
gloses des versions latines et romanes ne font que reprendre un élément d’explication qui
existait déjà dans le texte arabe », de sorte que « les gloses ici […] ne fonctionnent pas pour
faciliter la transmission du savoir, mais font partie du savoir transmis » (Trotter 2008, 101).15
« Les Météorologiques, comme tout traité aristotélicien au Moyen Age, ne sont pas
connus directement » (Ducos 1998, 14). Il en existe deux traductions latines, qui « se
présentent comme des intermédiaires entre la science issue d’une longue tradition
antique et la culture moyenne de leur public » (ibid., 22).16 La première traduction, la
vetus, a été effectuée par Gérard de Crémone à partir d’une version arabe, elle-même
issue sans doute d’un intermédiaire syriaque. L’autre, la nova, a été faite par Guillaume
de Moerbeke à partir du grec. Une différence sensible existe entre les deux traductions.
Celle de Gérard de Crémone est littérale, tout en présentant des modifications
importantes par rapport à l’original grec, la version arabe étant beaucoup moins
respectueuse de l’original, allant jusqu’à présenter un plan différent. Sa principale
caractéristique est la condensation, la brièveté du sermo aggregatus, comme il est dit
en latin, sur le modèle de la version arabe, abrégée par rapport au traité original, ne
traduisant du grec que les points jugés essentiels ; sont ainsi supprimés des passages
importants des Météorologiques, non sans des parenthèses et des additions explicati-
ves. La translatio nova de Guillaume de Moerbeke, contemporaine du Commentaire de
la traduction d’Alexandre d’Aphrodisias, achevée en 1260, est elle « complète et
15 Nous reviendrons infra sur la question des gloses. Cf. encore au XVIe siècle le latin comme medium
de la littérature militante, vulgarisant et diffusant en Europe des libelles pamphlétaires écrits d’abord
en langue vernaculaire (Buridant 1984).
16 Souligné par nous.
Édition et traduction 337
Au total,
perd aussi en clarté et en lisibilité alors que celle du douzième manquait de précision. Une langue
de traduction apparaît, mais elle nécessite le commentaire : paradoxalement, ce qui pourrait
sembler comme un échec est à l’origine d’un renouvellement car elle enrichit ainsi la langue
scientifique mais aussi la connaissance du texte aristotélicien » (ibid., 65).
D’où l’importance des commentaires qui, dès la fin du XIIIe siècle, entourent les deux
versions, commentaires de factures très différentes reflétant la variété des types de
lecture que la scolastique employait pour le texte d’Aristote, à travers les apports
d’Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Jean Buridan, Nicole Oresme, entre autres,
contribuant à prolonger et à approfondir la recherche du philosophe antique (ibid., 11
et 66).
La traduction du Livre de l’estat du Grant Caan par Jean le Long offre aussi un cas
intéressant. À la suite de la découverte d’un manuscrit contenant le texte latin,
Francfort, Universitätsbibliothek Bartholomeus 71, assez proche dans le temps de sa
rédaction d’origine et antérieur à la traduction de Jean le Long (1351), Christine Gadrat
rectifie l’attribution erronée de cette version à Jean de Cori ou de Cora, alors arche-
vêque de Sultaniych (1329– ?), remontant à une erreur de lecture et/ou de copie chez
Jean le Long ou dans le manuscrit utilisé pour sa traduction. Mais surtout, elle
démontre que le texte latin est en fait lui-même une traduction d’une version d’origine
en italien, œuvre d’un franciscain à la fin des années 1320 ou au début des années
1330, faite par l’évêque de Salerne très rapidement après cette date à la demande du
pape Jean XXII, et contenant de nombreux italianismes (ms. Francfort Universitätsbi-
bliothek Bartholomeus). Ce n’est cependant pas l’exemplaire qui a servi à Jean le Long
pour sa traduction. Il comporte un certain nombre de leçons fautives, au point qu’il
est parfois nécessaire de recourir au texte français pour comprendre et corriger le texte
latin, et l’on peut parler alors de récursivité (Gadrat 2007).
Le latin est aussi la langue medium de la traduction du Decameron par Laurent de
Premierfait. Comme l’indique Giuseppe Di Stefano, celui-ci, peu sûr de ses connais-
sances de la langue toscane, a travaillé en équipe avec frère Antonio di Arezzo, qui lui
a préparé une version latine du texte, version que nous ne possédons malheureuse-
ment pas. Le texte d’Antonio d’Arezzo est ainsi une zone de neutralisation dans la
transposition du discours du texte-source au texte-cible. Celui-ci est la traduction
française de la traduction latine du texte de Boccace, le texte latin étant en même
temps texte-cible et texte-source. Malheureusement sa valeur d’informateur du corpus
est nulle. D’où le statut ambigu de la première traduction française du Décaméron,
transposition française de la traduction latine d’un texte italien. Il est cependant
souvent possible de reconstituer le terme intermédiaire : cf. le cas de garzoni traduit
par enfant, supposant l’intermédiaire infans (Di Stefano 1977, 68–70 et 79).
338 Claude Buridant
Pévèle conservé à Valenciennes sous la cote 512, contenant la Vita Nicolai. L’examen
du manuscrit, folio après folio, permet d’établir qu’il correspond exactement aux Vies,
Miracles et Translation traduits par Wauchier aussi bien pour l’ordenance interne de
la Vie monsigneur seint Nicolas que pour des variantes textuelles spécifiques, sans
compter l’absence d’explicit dans la dernière série de miracles (ed. Thompson, 52).
Ces particularités permettent d’arrêter le choix du manuscrit de base parmi les
quatorze manuscrits conservant la Vie monsigneur seint Nicholas de Wauchier : seules
« De ces trois manuscrits, C1, C2 et C3, seuls témoins d’une première rédaction des Seint confessor
de Wauchier, C1, copie relativement fidèle du travail de cet éditeur – bien que présentant un texte
parfois fautif – s’impose comme texte de base, car c’est celui des trois manuscrits qui s’impose le
plus comme texte latin et donc de l’archétype Ω1. Il contient, en effet, plusieurs lectiones
difficiliores, résolues par la suite dans C2 et C3, et sa langue, plus archaïsante et présentant plus
de traits propres au picard (la langue de Wauchier) par rapport à ces deux derniers manuscrits, se
rapproche plus du latin par son lexique et par sa syntaxe » (ibid., 67).17
3.3 Le texte-cible
« En 1351, Jean le Long d’Ypres, moine et futur abbé de Saint-Bertin, traduisit de latin en
français plusieurs textes relatifs à l’Orient et les rassembla en un livre, qui a été transmis par
plusieurs manuscrits. Son entreprise de traduction et le recueil auquel elle a donné le jour n’ont
17 Dans son compte rendu, Gilles Roques parle du « cas véritablement exceptionnel où nous pouvons
nous appuyer sur une source latine, un texte originel reconstitué de façon crédible et un classement
des mss en familles » (RLiR 64, 265).
Édition et traduction 339
pratiquement pas fait l’objet d’études récentes et ne semblent pas susciter aujourd’hui un grand
intérêt. Seule sa retraduction en français de la Fleur des Histoires d’Orient due au moine
arménien Hayton a été étudiée et éditée de manière critique il y a quelques années (cf. ed. Sven
Dörper 1998). Les traductions de Jean le Long mériteraient une étude d’ensemble qui reprenne
les manuscrits et les textes afin de mieux connaître les circonstances de cette initiative et ses
destinataires. Le caractère luxueux de la plupart des manuscrits ainsi que le choix de la langue
française incitent en effet à chercher un éventuel commanditaire parmi la haute noblesse
française ou flamande, voire dans l’entourage royal, situation analogue aux entreprises de
traduction de Jean de Vignay, une vingtaine d’années plus tôt, ou à celle de la cour de
Charles V » (Gadrat 2007, 355).18
Liber Parabolarum d’Alain de Lille est ainsi conservée dans le manuscrit unique BnF
12478, daté du milieu du XVe siècle, qui contient un ensemble de traductions de textes
scolaires comme celle des Remedia amoris d’Ovide, la traduction par Jacques
d’Amiens de l’Ars amatoria d’Ovide, la Puissance d’amour, le Tiaudelet, les Proverbez
d’Alain, et enfin deux traductions en français des deux Facetus, répertoriées par
l’éditeur des Proverbez Tony Hunt (ed. Introduction 8–30) : le choix de ces textes
Dans cette configuration, sans doute la plus fréquente, l’éditeur tente de situer le
texte-cible dans sa transmission manuscrite en dégageant autant que possible les
traits spécifiques du texte d’origine. La palette peut aller des copies proprement dites
aux versions autonomes.
La traduction, par exemple, de Li Livres Flave Vegece de la chose de chevalerie est
représentée dans 10 manuscrits. Son éditrice, Leena Löfstedt retient comme manuscrit
de base le manuscrit C Cambridge, Gonville and Caius College Libr. Mss fr. 424/448,
qui, ainsi que tous les autres, remonte à un archétype qui n’est pas l’original, comme
le montre l’analyse de certains traits pouvant aussi remonter au traducteur. Le
manuscrit latin utilisé par Jean de Vignay apparaît proche du groupe ε de la tradition
latine, Jean de Meun ayant utilisé pour sa part un représentant du groupe π latin
(Löfstedt 1982, 4s.). L. Löfstedt se réfère à la deuxième édition C. Lang de 1885,
18 Christine Gadrat renvoie, en note, à la traduction des Voyages en Asie d’Odoric de Pordenone par
Jean de Vignay, sous le titre ses Merveilles d’Outremer, et celle par Jean le Long, éd. H. Cordier 1891
(l’édition Andréosi-Ménard, parue depuis, étant alors en préparation).
340 Claude Buridant
réimpression Stuttgart (Bibl. Teubn.) 1967, considérée comme suffisante comme re-
présentant du texte-source.
Le texte du Roman de Troyle, traduit du Filostrato de Boccace par Louis de
Beauvau, sénéchal du roi René, est conservé dans 14 manuscrits répartis en deux
groupes, dont le second présente une version améliorée du texte, retenue comme base
de l’édition par Gabriel Bianciotto, son éditeur. L’analyse rigoureuse des procédés de
traduction au regard du texte-source permet de jeter les bases amenant à discerner le
témoin italien modèle possible du traducteur (ed. Bianciotto, 1994).
La multiplicité des manuscrits peut s’étaler dans le temps, comme autant de
témoins de traductions ayant une relative autonomie entre elles. Tel est le cas des
versions française de l’Ars minor de Donat ; « étalées sur au moins trois siècles (la plus
traductions les unes à l’égard des autres : « ce caractère indéniable, malgré les liens
textuels reconnus depuis toujours et dépendant en partie de la source latine, fait que
chaque texte doit être considéré, dans la perspective philologique qui est la nôtre,
comme un unicum, imposant une édition indépendante » (ibid., 4. Le texte latin de
mis en français entre 1400 et 1409 par Laurent de Premierfait, offre ainsi une première
rédaction « semi-latine », et une seconde rédaction très délayée et très lourde, sans
historiale de Guiart des Moulins, la grande traduction biblique du Moyen Âge, domi-
nant les XIVe et XVe siècles jusqu’à l’apparition des premières traductions philologi-
ques : Guiart y transpose à la fois la Vulgate de Jérôme et l’Historia Scholastica de
Petrus Comestor dans une translation livrée par 144 manuscrits complets ou fragmen-
taires, auxquels s’ajoutent l’editio princeps de Jean de Rély, confesseur de Charles
VIII, des années 1494–1496, mais aussi 26 éditions postérieures à 1500. Soit :
– l’édition originale de 1295 (ed. Bénédicte Michel, 2005), édition à partir du manuscrit de base
Bruxelles, Bibl. Royale Albert 1er, II, 987 des environs de 1350, intégrant au texte les
commentaires du Comestor ;
– la Petite Bible historiale complétée avec les ajouts ultérieurs de livres bibliques provenant de
La Bible anonyme du Ms. Paris BnF fr. 763 (ed. J. Szirmai) est un autre exemple de cette
« farcissure » permanente de la Bible : à l’issue d’une étude des éléments « apocry-
poème que le traducteur suit assez fidèlement en en combinant parfois les épisodes,
l’éditrice peut écrire :
« Bien qu’il soit impossible de renvoyer à des sources précises, nous pouvons conclure de ce qui
précède que notre poète n’a pas seulement puisé dans la Vulgate ou dans la tradition patristique.
Pour quelques éléments mentionnés ci-dessus et dans les notes sur le texte, il suit l’exégèse juive,
avec des éléments qui peuvent se retrouver dans l’Historia Scholastica, mais qui se présentent
chez les Pères également » (ed. Szirmai, 64).
19 Soit une famille espagnole ; deux familles françaises apparues sous le règne de Charlemagne
recensées par Alcuin et Théodulfe ; une famille italienne du XIIe siècle ; une famille parisienne, qui
livre le texte le plus répandu au XIIe et au XIIIe siècle, se caractérisant notamment par l’adoption de la
capitulation moderne (ibid., LXVII).
342 Claude Buridant
Dans la Bible d’Acre, utilisant vraisemblablement une même source que la Bible
anglo-normande, le traducteur, dont la langue originale se situe en Terre Sainte,
procède à une élaboration personnelle des gloses dans différentes sources, comme
c’est souvent le cas dans les translations en prose ou en vers (La Bible d’Acre. Genèse
et Exode, ed. P. Nobel, 2006).
Dans la Bible de Jehan Malkaraume, l’éditeur met en lumière l’influence exercée
par « Ovide le Grand » sur l’œuvre de Malkaraume : plusieurs épisodes bibliques y
« El texto latino original tendría su base en el texto parisino, con influencia del que transmitieron
« La traduction d’Evrart reflète le paradoxe des traducteurs latins de l’époque qui, voulant
traduire mot à mot la source grecque par respect de l’autorité de celle-ci, livrent finalement un
texte difficile à comprendre et qui nécessite des commentaires » (De Leemans/Goyens 2005, 247).
« La richesse mythographique de l’Ovide moralisé est plus grande encore que son modèle latin.
Les fables qui forment un peu plus de la moitié de l’œuvre (soit 36092 octosyllabes) ne sont pas la
simple traduction des Métamorphoses. L’éditeur C. de Boer a signalé çà et là des fables ajoutées et
quelques additions de moindre étendue. Comme il l’avait supposé, ces additions proviennent
surtout de gloses latines. Dès le XIIIe siècle en effet, les gloses se sont multipliées dans les
manuscrits des Métamorphoses au point d’envahir les quatre marges du feuillet. A cette époque,
le texte se présente hérissé de gloses interlinéaires, lourdement encadré de notes marginales où
l’on peut trouver, outre un commentaire littéraire fort pauvre, des indications historiques,
géographiques, mythographiques souvent intéressantes ; et bien entendu, à la fin de chaque
mutatio, une ou plusieurs allégories rappelant au lecteur que toute œuvre poétique tend à
instruire et à édifier ainsi que l’annonçait l’introduction du commentateur (accessus) […]
Aussi le traducteur médiéval disposait-il, lorsque se présentait une difficulté, de notes aussi
copieuses sinon érudites que celles qui accompagnent une édition moderne des Métamorphoses.
Mais de ces notes, il devait faire passer le contenu dans la traduction même » (Demats 1973,
des récits mythologiques, des commentaires moraux, des additions qui ne semblent
se rattacher que de très loin au texte latin (Athis et Prophilias, Blancandin ou L’orgueil-
leuse d’amour, le Roman de Troie, Chrétien de Troyes, Jean de Meun, refrains de
chansons de danse et fragments lyriques divers) (Transmédie, II, 1, notice 72, 205).
La longue série des traductions de la Consolation de philosophie de Boèce, est
assortie de commentaires néo-platonisants ou/et christianisants issus des accessus les
plus notables, comme celle du Confortement de Philosophie, intégrant dans son œuvre
les commentaires latins de Guillaume de Conches et d’Adalbod d’Utrecht et emprun-
tant également aux mythographies du Vatican et aux Métamorphoses d’Ovide. Les
exemples pourraient en être multipliés.
Deux éléments concernent particulièrement ici l’ecdotique des textes traduits : les
« Mamerot [y] fait montre d’une grande culture et de beaucoup de lectures accumulées, à tel point
qu’on en vient rapidement à se demander s’il faut considérer ces Croniques martiniennes comme
une traduction ou bien alors comme une véritable compilation, tant le Soissonois a « farci » le
texte de Martin de passages interpolés. Le prologue nous éclaire sur ce sujet : Et oultre icelles
martiniennes, [Louis de Laval] luy a fait extraire de plusieurs orateurs et croniques et mectre en ses
Édition et traduction 345
translations les faictz des pappes et empereurs […] plus au long que frere Martin de Polome. Un
renvoi des Passages d’outremer à ce texte atteste également son caractère ambivalent : ainsi que
j’ay de ces choses plus amplement traictié en la translacion et augmentacion par moy .xv. ans [j]a
faictes des Croniques martiniennes » (Duval 1998, 467s.).
cadre du récit de Martin, il ne cesse d’ajouter des éléments puisés à d’autres sources »,
« Dans la seconde partie, la méthode évolue et la chronique de Martin n’est bientôt plus qu’une
source parmi bien d’autres. Mamerot y fait référence quand il s’y reporte, mais il n’est plus
question d’intercaler des développements à l’intérieur du récit de Martin, tout en le traduisant
dans son ensemble. La part qui revient au texte-source est par conséquent difficilement quanti-
fiable » (ibid., 469).
S’opère ainsi, dans cette évolution, une véritable dilution de la translation au profit
d’une compilation.
Les gloses peuvent être explicitement marquées dans le témoin manuscrit du texte-
cible, sous des formes diverses. Dans la première traduction en prose de l’Ars amato-
ria d’Ovide, comme on l’a rappelé ci-dessus à la suite de Bruno Roy, la glose est
toujours bien différenciée par rapport au texte, bien que dans certains cas elle le
coupe de manière abrupte. Dans la traduction de La vie et les epistres Pierres Abaelart
de Jean de Meun, les gloses explicatives sont introduites par c’est a dire signalées par
E. Hicks dans son édition, qui les place entre parenthèses : Mars (qui est diex de
batailles) 3, 21–22 – Minerve (qui est diuesse de science) 3, 22–23 – entre les ydolatres
(c’est a dire entre ceuls qui aoroient les ydoles) 32, 105322 – li secsez (c’est a dire la
nature) des femmes 37, 1207 – l’en vient au royaume des cieulx par bonne renommee et
par mauvaise (c’est a dire souffrir) 38, 1235 ; en plus des interpolations de notes
marginales : fors cil seul a qui ceste honte tornoit plus que a nul autre, ce est assavoir li
22 Ces définitions explicatives peuvent être tirées des lexiques latin-français. Cf. Aalma, 7253 : mars.
martis : le lieu (l. le dieu : Catholicon : deus belli) – 5553 : idolatra : aoreur de ydoles (Roques 1970).
346 Claude Buridant
Sébastien Mamerot, tout « en respectant le texte latin, selon l’intention déclarée dans
– texte latin d’origine : Eodem ludos Florales, quod Messius aedilis faciebat, spectante populus
ut mimae nudarentur postulare erubuit. Quod cum ex Favonio amicissimo sibi una sedente
cognosset, discessit e theatro, ne presentia sua spectaculi consuetudinem imperiret (Valerii
Maximi Factorum et dictorum memorabilium libri novem, ed. Kempf, Leipzig, 1888, II, X, 8) ;
– les ms. A (Bern) et L (Laur) portent une glose inspirée des vers qui font suite à l’Epistola ad
lectorem des Epigrammes de Martial, à un vers près : Nosses iocosae dulce cum sacrum Florae
/ <Festosque lusus et licentiam volgi,> / Cur in theatrum, Cato severe, venisti ? / An ideo tantum
veneras, ut exires ?
– le passage de l’exemplaire latin présente « les vers de Martial remaniés, adaptés, mimétisés
– la traduction de cette version offre ainsi « une leçon qui, pour être authentique du point de
vue du texte français, ne [s’appuie] pas moins sur un texte latin fautif », et qui se diffuse
ensuite incognito par des copies manuscrites dans les réimpressions (Di Stefano 1977, 28–32).
sont ainsi franchies les limites de la traduction dont l’éditeur doit rendre compte.
Une remarque liminaire, toute matérielle : les manuscrits uniques semblent propices
Vie et les Epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame (ed. Hicks, 1991) ; La Vie de
Kleinhans, 1993). Cette disposition dans la présentation devrait à présent être facilitée
par la numérisation des textes permettant la lecture souple et interactive des docu-
23 Avec « les transpositions, les paraphrases attachées au lexique et aux noms propres, mais aussi le
développement des formules jugées trop elliptiques et l’accentuation de la cohérence du texte, [elles]
sont autant d’aides à la lecture dessinées à guider Louis de Laval [son destinataire] dans sa découverte
de l’œuvre » (ibid., 475).
Édition et traduction 347
n’offre pas les mêmes difficultés d’édition qu’un texte à plusieurs manuscrits, puisque
le choix du manuscrit de base n’est pas à faire, ni celui de l’approche éditoriale, à
savoir si l’on doit produire une version éclectique – combinant le contenu des divers
témoins – ou conservatrice du texte. En revanche, l’éditeur a très peu d’outils pour
l’aider à résoudre les problèmes textuels, puisqu’aucun manuscrit ne peut servir à
détecter les erreurs (Corley 1990). Selon Alan Knight, les manuscrits uniques compli-
quent le travail de l’édition, car les principes éditoriaux s’appuient pour la plupart sur
une tradition manuscrite plus élaborée et sur l’établissement de stemmas. L’éditeur
ne peut utiliser les mêmes techniques que lors de l’édition d’un texte compris dans
plusieurs manuscrits, telles que la collatio, la recensio et l’emendatio (Knight 1991).
L’éditeur est placé entre deux extrêmes : l’excès de pusillanimité conservatrice et
emend or not to emend » (Hofmeister 1976). Edmond Faral insiste sur le besoin
d’équilibre dans l’intervention de l’éditeur : « Une certaine liberté doit être laissée à
l’éditeur, pourvu que ses retouches à un texte – qui autrement serait inintelligible ou
choquant – procèdent de probabilités suffisantes et que, d’autre part, il assure au
lecteur des moyens commodes de contrôle » (Faral 1955). Pour Solange Lemaître-
Provost, auteur d’une récente mise au point rappelant ces principes, les corrections
doivent se faire en fonction des habitudes du scribe, comme la personne la plus
proche du contexte culturel médiéval de création du texte, et par comparaison avec
d’autres versions possibles (Lemaître-Provost 2010). Même attitude chez Félix Lecoy,
éditeur de La Folie Tristan : avec la fidélité documentaire au manuscrit, « moins on
Dans le cas d’un texte traduit, c’est le texte-source qui sert de référence et de
pierre de touche à l’établissement de l’édition, mais tout n’est pas aussi simple,
comme l’indiquent suffisamment les considérations abordées dans les préliminaires
et évoquées dans le cours de l’exposé, où interviennent plusieurs paramètres : dis-
24 Conviction d’un critique plus bédiériste que Bédier lui-même avant sa conversion méthodologique
(cf. la comparaison avec les Grandes chroniques de France dans le cas de La chronique des rois de
France, infra). ↗1 Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane ; ↗6 L’édition critique des
romans en prose : le cas de Guiron le Courtois ; ↗3 L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle.
348 Claude Buridant
des cinq copies dont la provenance est connue, il s’avère que c’est le manuscrit
Bruxelles, Bibliothèque royale, 4459–4470, daté de 1320, écrit à Villers-en-Brabant ou
Villers-la-Ville par un moine originaire de Saint-Trond, qui a servi de source pour la
traduction française (mêmes variantes, ajouts et suppressions de rubriques ; lacunes
quin-Labie, la traduction est une traduction quasi mot à mot du récit de Thomas de
Cantimpré : « Tant dans la construction des phrases que dans le vocabulaire, le
conjecture que cette traduction pourrait ressortir de la pratique scolaire des traduc-
tions supports d’apprentissage du latin (ibid., 110s.). Ce faisant, elle édite le texte-
source et le texte-cible dans une présentation synoptique bilingue, en relevant les
« étrangetés très clairement déterminées par une mauvaise lecture du latin ou une
3.3.8 Le manuscrit unique de La vie et les epitres Pierres Abaelart et Heloys sa fame
et sa filiation : une réanalyse ?
sur les remarques de Leslie C. Brook, accompagnant sa propre édition restée inédite.
Rappelons que le texte-source existe dans huit ou neuf manuscrits qui transmettent
une tradition « remarquablement homogène » (Monfrin 1959, 53). Ces manuscrits ont
fait l’objet d’une belle édition critique de J. Muckle, et Eric Hicks en refait une édition
« prenant comme base l’édition Monfrin (Epîtres I, II et VII), dont l’orthographe (sic)
25 Cf. par exemple la note 43, p. 140, signalant la leçon estant pour exultans, due à une mauvaise
est celle du MSS T, en projetant cette graphie, par un jeu de substitutions mécaniques,
sur le reste du corpus, édité par Muckle, selon les normes du latin classique » (ed.,
LII). En revanche, la traduction de Jean de Meun n’est représentée que dans un seul
manuscrit, le ms. BnF 920, décrit par Hicks (ed., XXXV). « Ce MS est tardif et fautif,
On peut, sur ce manuscrit, relever une échelle d’erreurs dont l’analyse amène à
croire, pour Leslie Brook, qu’il y a eu au moins deux autres manuscrits qui se sont
perdus (Brook 1968, 65) :
– erreurs de mélectures des graphies du texte-source évoquées par Eric Hicks : « Toute une
série de fautes dans la version attribuée à Jean de Meun s’expliquent à partir de méprises sur
les graphies latines » (XXIII–XXIV). C’est ce qu’a bien vu Benton (1975, 498 et notes) ;
– erreurs qui sont le résultat d’une faute d’audition : .iij. pour tres (ed. Hicks, 5, 76),26 ou encore
la confusion fréquente entre ces et ses, et se et ce par le fait qu’une étape de la tradition
manuscrite fut faite sous la dictée ;
– le plus grand nombre d’erreurs de transcription résultant d’une lecture erronée d’un MS
antérieur : Paradiz pour Paraclitz (32.1031) et passim, li autre pour hanté (51.211), cessa pour
cassa (56.70), sur ce pour sureté (56.13) – lu cependant sureté, sans note, par E. Hicks,
témoignant de la difficulté classique de la distinction entre c et t - amour pour au jour (61.27),
etc.27 S’y ajoutent des erreurs paléographiques : un trait au-dessus du mot transforme ordure
de vie en ordure d’envie (9.230) – non signalé par E. Hicks – ; ou bien un mot fut considéré
comme la forme abrégée d’un autre : religion pour region (50, 99, conservé par E. Hicks, avec
la note : « sans doute lire region », pour le latin regio), deliz pour diz (75.194), precieuses pour
pieuses (111.40), saintes fames dans l’édition et en note les precieuses f. peut-être lire pieuses
(CC) : lat. sanctas mulieres –, encontre pour entre (145.1343) ; ou le contraire, où un trait au-
dessus d’un mot fut ignoré ou absent, de sorte que la forme abrégée remplace le mot correct :
region pour religion (115.273), gardé cependant dans l’édition, pour le latin religio –, Job pour
Jacob (92.140), gardé cependant dans l’édition pour le latin Jacob, qui est la bonne leçon de
Genèse, 33, 13 : dixit Jacob : …et oves et boves fetas mecum quas si plus in ambulando fecero
26 L. Brook signale aussi .iij. pour trait à la page 197.2, mais il s’agit plutôt d’une erreur de copie, selon
l’édition E. Hicks, 137.1050 : eussent .iiim. gens a lui pour eussent trai nuls gens a lui, l’erreur portant sur
invisible », relevée par É. Hicks, que le latin permet de rectifier : « Le texte que donne le manuscrit est
cohérent, quoique un peu bizarre à première vue ; on y lit : quiconques ait souffert, il est homicides. On
aura compris que la souffrance entraîne la cruauté. Toutefois le premier membre de la phrase latine est
qui odit fratrem. Et chacun de traduire : quiconques ait ses freres… La faute s’explique à partir des
Nous trouvons aussi plusieurs exemples de bourdon où l’œil saute en copiant d’un
même mot au mot répété plus loin. Et en conclusion sur la tradition manuscrite de la
traduction, il note :
« Il est bien sûr impossible de savoir à quelle étape dans la tradition telle ou telle erreur fut
introduite, mais le nombre très élevé des fautes de lecture, y compris les fautes paléographiques
et les bourdons, et leur distribution assez égale d’un bout à l’autre du MS, nous fait penser qu’ils
furent introduits en copiant le MS 920 sur un MS antérieur perdu, qui à son tour avait été fait en
partie du moins sous la dictée. Il est possible d’imaginer toute une suite de MSS perdus, mais
nous envisageons au minimum l’original, un intermédiaire, et le MS 920 ; ce qui suffirait pour
Le MS 920 offre cependant un texte « qui est dans l’ensemble suffisamment bon pour
« tout effort d’évaluation dans ce sens serait voué à l’échec sans un texte latin qui corresponde à
la version de Jean, en dépit des nombreuses fautes de transcription dans le MS français. Avec un
bon texte latin et un texte français fautif, qui correspondent bien pour l’essentiel, on peut
souvent utiliser le latin pour rectifier le français ; mais on doit éviter un excès de zèle, car on
peut discerner plusieurs endroits où Jean dut utiliser un manuscrit latin qui offrait une leçon
différente et indépendante de tous les MSS latins qui existent encore aujourd’hui : prophetizier
indiquerait la leçon predicere pour proficere (8.185) – rejeté cependant par E. Hicks en note, ed.
Beggiato au profit de profiter, – ab avunculo pour ab alio (81.398) – retenu cependant par E. Hicks
de ton oncle en dépit du latin ab alio en vis-à-vis (lat. 81.382) –, humilité (87.597) humilitatem pour
multitudinem. Sans doute ce MS latin était parfois lui aussi corrompu et avait des lacunes, car
toutes celles qui sont dans le MS 920, que ce soit de longs paragraphes (en 113.235 ou 117.343, ou
le manque d’une partie d’une phrase, comme en 125.635–636, ne peuvent être attribuées en toute
confiance au traducteur ou au scribe du MS français » (ibid., 65).
Il y a aussi un grand nombre d’exemples, ajoute-t-il enfin à partir d’un cas, où des
bourdons ont pu se produire soit dans le texte français, soit dans le latin. « Il arrive
souvent, d’ailleurs, que la leçon que Jean suivit figure parmi les variantes de l’édition
Muckle, mais jamais les mêmes, de sorte qu’il est impossible de conclure que le MS
latin ait suivi une tradition nette selon le schéma de Muckle ou celui de Monfrin »
(ibid., 65s.). Il n’est pas exclu non plus, comme le relève E. Hicks en note, que le
traducteur ait disposé de plusieurs copies, comme le fait Raoul de Presles, le traduc-
teur de la Cité de Dieu (ed., LI, note 3).
Édition et traduction 351
– texte-source représenté dans 9 manuscrits dont aucun n’a pu servir de modèle au traducteur ;
texte-source de référence établi par l’éditeur E. Hicks sur la base de l’édition partielle de J.
Monfrin avec graphie projetée sur le reste du corpus. MS latin offrant une leçon différente et
indépendante de tous les MSS latins existants et présentant des lacunes ;
– texte-cible dans l’unique MS 920 de la BnF, copie tardive assez largement fautive, transmis
par un MS antérieur perdu, fait en partie au moins sous la dictée : au minimum, l’original, un
intermédiaire, et le MS 920 (L. Brook). Possibilité que Jean de Meun ait disposé de plusieurs
copies de travail (E. Hicks) ;
– cas où l’édition Hicks serait à revoir : rectification de la leçon de la traduction : region et non
religion, Jacob et non Job ; prophetizier et non profiter, de ton oncle supposant ab avunculo
pour ab alio. Soit une récursivité ou si l’on préfère une rétroactivité du texte-cible sur certains
points, en entendant par là le renvoi à des leçons révélatrices du modèle latin suivi, qui
mériteraient un examen méthodique, à partir de l’édition L. Brook, non mise à profit par E.
Hicks, malgré l’excellence de son édition.28
La Chronique des rois de France, vaste chronique retraçant l’histoire des rois de France
depuis la légendaire origine troyenne des Francs jusqu’au règne de Philippe-Auguste,
est la traduction en français d’un ensemble de chroniques latines conservées à Saint-
Denis, de styles très divers, allant de la sécheresse des annales à la versification
ampoulée de l’épopée en vers de la Philippide de Guillaume le Breton, retraçant sur le
modèle virgilien la vie du souverain Philippe-Auguste. Il est exclu ici de détailler la
composition de l’ensemble, qui a fait l’objet de plusieurs mises au point, dont, au
premier chef, l’article très documenté de Gillette Labory, en identifiant minutieuse-
ment les sources manuscrites et en soulignant les rapports avec les chroniqueurs des
Grandes Chroniques de France, autre monument des premiers historiens nationaux
(Labory 1990) ; c’est avec sa très précieuse collaboration qu’est en préparation l’édi-
tion de la Chronique, à la Société des Anciens Textes Français, et que j’ai présenté
dans le XXVIe Congrès de Linguistique romane une modeste contribution à l’onomas-
tique dans sa première partie, que nous avons intitulé Origines (Buridant 2010). Nous
28 Ce n’est pas le cas unique de récursivité du texte-cible : nous avons signalé plus haut la retraduction
du Livre de l’estat du grant caan faite par Jean le Long à partir d’une version du texte-source latin lui-
même traduit de l’italien par l’évêque de Salerne, représentée dans le manuscrit Francfort Universitäts-
bibliothek Bartholomeus ; elle permet de rectifier un certain nombre de leçons fautives de ce représen-
tant, le texte français s’avérant parfois nécessaire pour comprendre et corriger le texte latin (Gadrat
2007).
352 Claude Buridant
en avons rappelé ailleurs les principaux éléments, comme support à des contributions
portant sur différents aspects de la langue du traducteur. Nous mentionnerons sim-
plement ici ce qui nous semble suffisant pour notre propos en nous appuyant sur
l’étude de Gillette Labory, consacrée à cette « première histoire nationale française ».
La traduction, exécutée par un anonyme entre 1217 et 1230, a comme source, dans sa
première partie, la compilation ou continuation d’Aimoin, historien et moine de
Fleury, auteur d’une Historia Francorum écrite au début du XIe siècle et continuée
L’archétype en est le ms. lat. 12711 de la Bibliothèque Nationale de Paris, écrit à Saint-
Germain-des-Prés. C’est de ce manuscrit que dérivent tous les manuscrits comportant
interpolations et continuations, dont le plus ancien, le ms. Vatican Regina latin 550,
écrit à Saint-Denis au début du XIIIe siècle, manuscrit de référence pour la chronique
latine ; Gillette Labory en fait une collation soigneuse pour la mise au point de
l’édition. Le texte se trouve aussi dans l’édition d’Aimoin parue en 1567 à Paris, chez
Wechel, sous la collation de Jean Nicot. La traduction française est conservée dans
deux rédactions :
– le ms. Vat. Regina 624, de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe, mais amputé du début
– le ms. 869 du Musée Condé de Chantilly, du dernier quart du XVe siècle, amputée, elle, de la
traduction de la fin de la Philippide, s’arrêtant au vers 444 du livre XI, en plein milieu de la
bataille de Bouvines (fol. 390v) : ms. B.
Cette chronique anticipe sur le Roman des rois ou Grandes Chroniques de France,
composées par Primat quelque cinquante ans plus tard à partir des mêmes matériaux,
dont le ms. latin 5925 de la Bibliothèque Nationale, qui utilise par ailleurs le travail de
l’Anonyme, en dehors des rédactions subsistantes, en y recourant de manière systé-
matique à partir des Vies de Louis VI et Vie de Louis VII.
En complément de l’étude de la traduction du latin, il est donc licite de comparer :
– les deux versions de l’Histoire des rois de France dans les deux rédactions manuscrites,
– la Chronique des rois de France et les Grandes Chroniques de France, qui ont fait l’objet d’une
édition monumentale de Jules Viard, à la Société de l’Histoire de France, que nous essaierons
d’égaler dans la mesure du possible.
Les références au texte latin d’Aimoin peuvent être faites aussi à l’édition imprimée
due à Jean Nicot de 1567.29
29 La première édition de l’Histoire d’Aimoin sortit, en 1514, des presses de Badius Ascensius en in-fol.
Elle est dédiée à Guillaume Parvi, confesseur de Louis XII, qui paraît l’avoir dirigée. Comme elle était
très fautive, Jean Nicot, maître des requêtes et ambassadeur de France en Portugal, en fit paraître une
nouvelle à Paris, en 1567, in-8°. Elle contient le texte d’Aimoin avec toutes les additions, comme la
Édition et traduction 353
– le texte latin qui est sans doute celui qui a servi de base au traducteur, dans le manuscrit
Vatican Regina latin 550, les références pouvant se faire également, quand il n’y a pas
divergences, à l’édition Nicot parue chez Wechel en 1567, et qui est accessible en ligne ;
– occasionnellement, en cas de leçons douteuses, les sources dont s’est inspiré Aimoin lui-
– la traduction française contenue dans le manuscrit B, ms. 850 du Musée Condé de Chantilly ;
quelque cinquante ans plus tard que la Chronique, utilisant par ailleurs la Chronique de
l’Anonyme ; au-delà de cette première partie, qui va des Mérovingiens au Pippinides :
– les deux versions de la traduction, du XIIIe et du XVe siècle, qui seront l’objet d’une édition
synoptique, comme nous l’avons précisé déjà en 1985 à propos de l’édition du dernier
maillon de la traduction, la traduction de la Philippide, en nous appuyant sur la confronta-
tion systématique des deux manuscrits A et B : si le manuscrit A se révèle assez lacunaire, ces
lacunes ne se retrouvent jamais dans le manuscrit B : B n’est donc pas la copie de A, mais les
deux copies sont étroitement apparentées, elles n’offrent pas de leçons divergentes qui
puissent témoigner d’une déviation dans la tradition manuscrite, de A à B …. B est cependant
assez souvent altéré par des leçons aberrantes et offre des remaniements, tant lexicaux que
syntaxiques, qui modifient, dans un certain nombre de cas, des caractéristiques importantes
de la traduction du XIIIe siècle.
combler les lacunes de A et de rectifier ses erreurs, mais il offre l’œuvre du XIIIe siècle
dans une version rajeunie, sous le vêtement d’une langue et d’une graphie moderni-
sées deux siècles plus tard. La seule édition possible – pour la Philippide comme pour
le reste de la Chronique à partir de la Vie de Charlemagne –, nous semble devoir être
une édition synoptique présentant en regard A et B, pourvue d’un fort apparat critique
renvoyant à l’original latin pour toute leçon lacunaire, incomplète, altérée ou défor-
mée : une telle édition évitera la reconstitution composite de A et permettra d’avoir
une vue globale de l’évolution du texte, exclue par la relégation en pied de page, de
manière parcellaire et atomistique, des nombreuses variantes de B (Buridant 1985, 39).
Précisons enfin que l’Anonyme de Chantilly-Vatican, dans une conception toute
médiévale de la traduction rappelée ci-dessus et soulignée en l’occurrence par Gillette
précédente, mais elle est plus correcte. Dom Jacques du Breul entreprit ensuite d’en donner une
nouvelle édition ; elle parut à Paris en 1602, in-fol. Du Breul l’a donnée d’après le manuscrit de Saint-
Germain-des-Prés, mais sans avertir que les additions n’étaient pas l’ouvrage d’Aimoin (Encycoplédie
catholique, 1839, 538s.). C’est d’après cette dernière édition que sont faites généralement les références
à Aimoin, mais il est préférable de les faire à l’édition Nicot, plus fiable.
354 Claude Buridant
gences ou déclics épiques » (Buridant 1978b ; 1989, 254 ; Labory 1990, 329s.).
Pour les Origines, je donnerai des exemples de problèmes d’édition à partir d’un
relevé des leçons douteuses ou franchement fautives, qui témoignent d’une altération
du texte-source, pouvant remonter à son origine, de mélectures de copie, d’altérations
de leçons mécomprises dans ce manuscrit tardif, dont on peut tenter de reconstituer
le cheminement.
La dernière partie de la Chronique des rois de France, constituée de la traduction
de la Philippide de Guillaume le Breton, pour les parties communes dans les deux
manuscrits A et B, sera, comme on l’a dit, l’objet d’une édition synoptique. Les
conditions d’édition de cette partie sont différentes de celles des Origines. L’on
dispose alors, pour l’édition :
– du manuscrit A complet ;
il s’agit de la version de la Philippide qu’offre le manuscrit désigné par le sigle L par Henri-
François Delaborde dans son édition, soit le manuscrit British Museum Additional 21212 : les
gloses marginales de tous ordres, et aussi des leçons spécifiques fautives ou non, qui
peuvent être en partie attribuées à l’auteur, relevées dans un examen attentif de ce manu-
scrit, se retrouvent dans la traduction (Buridant 1978, tome 1, VIII–XI) ;
– mais l’on est alors privé du recours aux Grandes Chroniques de France : comme l’a montré
Gillette Labory, « Primat n’a pas traduit le texte en vers de la Philippide, mais les Gesta
Philippi, soit la chronique en prose telle qu’elle est conservée dans le manuscrit BnF lat. 5925,
qui se compose du texte de Rigord avec une première continuation jusqu’en 1215 par
Guillaume le Breton (§§ 150 à 205 de l’édition Delaborde, tome I), puis une seconde jusqu’à la
mort du roi par un moine resté anonyme » (Labory 1990, 308, note 26, qui renvoie pour ce
taires explicatifs.
Édition et traduction 355
. n/u : tenir a fonts / ms. foul (II, XIV, 1) : sed ille eo quod illum de sancto fonte
– Autres cas :
. chaux : les Lombars laissierent la terre ou ilz demoroient et s’en vindrent en chaux
overt, c’est une terre qui est ainsi appellee et en langaige barbarin an Felth (II, XII,
14). Aimoin, II, XIII, 105 : campos patentes / GC, I, 136 : en uns chans granz et
discordes elementorum cursus / GC, I, 149 : les descordable cours des elemenz. Mais
in collum tenens → brachium ejus collo superponens suo (Aimoin, III, IV, 150) → lui
gecta le bras au coul (III, I, 17) / GC, même erreur, 202, note 1 : brachile vêtement
honorifique jeté sur les épaules, recouvrant la poitrine et attaché sur le bras droit.
. Erreur sur un passage d’un diplôme mérovingien passant dans la traduction :
arcis, forme altérée de areis pl. de area dans cum arcis et casis infra Parrhisius
civitatem de l’acte de donation de Childebert à l’abbaye Saint-Vincent reproduit
par Aimoin (ed. K. Pertz, Diplomata regum Francorum ex stirpe Merovingica…
I. Monumenta Germaniae Historica, 1872, n° 5, p. 7). Area désigne l’emplacement
ains se deust seoir sur une selle avec les femmes et devoidier les fusees (III, XI, 16).
Ms. sur une selle, leçon déformée : selle pour gynécée. Aimoin, III, X, 162. : debere
fames. Primat a repris une partie du texte de l’Anonyme, mais a laissé tomber le
début, qu’il n’a pas dû comprendre.
. Erreur sur un nom propre pris pour un nom commun : Totila a parte Hostiensi
irripuit (Aimoin) → Les Rommains ne peurent deffendre leur ville, que Totila le roy
rompit les murs d’une part et entra dedans a tout son ost et la print (II, XXXVII, 2) /
GC, I, 182 : Thotiles a se gent… rompi les murs par devers Hoiste (i.e. Ostie).
– Mélectures du texte français qui peuvent être des leçons déformées : erreurs
internes :
•
rien / Ariens : En ce temps mesmes avint une grant guerre entre Clovis et Alaigne, le
roy des Gotiens, et on sceut bien que Clovis commença ceste guerre pour ce qu’ilz
estoient Ariens, si comme estoient les Bourgoignons. (I, XXVI, 1) Ms. ci comme il
n’estoient rien. Aimoin I, XX, 62 : quia Ghoti Adriane heresos secuti Burdungiones
erant.
•
confés : [Clovis] et departyt et donna au peuple illec ses grans dons, et des ce jour
en avant fut appelé confés et augustus (I, XXVIII, 26) : leçon sans doute altérée
•
bransle : Le roy Clovis faisoit merveilles de soy et aloyt parmi les batailles, en sa
main le bransle perilleux (I, XXVIII, 26), pour branc. Sans doute sous l’influence de
bransler dans la phrase précédente : Noz Françoys les requeroient par grant vigor,
que moult en occioient et tres asprement les menoient que tous leurs hernois firent
bransler (I, XXVIII, 25).
•
manda ses jours : et quant il ot oÿes les lectres, sachez qu’il [i.e. Childebert] fut
moult iré ; et bien le monstra, car tout maintenant il manda ses jours (II, VII, 12).
Leçon altérée pour manda ses gens. Aimoin, II, VIII, 90 : compositis ordinibus
castra movit. L’expression est confirmée par d’autres exemples dans le texte :
Mander ses gens/genz – mander ses osts : si manda ses granz osts pour ce roy
assaillir de guerre (II, V, 20) – si manda tout maintenant ses genz de toute
Bourgoigne efforciement (II, IV, 15). Aimoin, II, IV, 79 : instruit et ipse copiosam
suorum manum GC, I, 98, il assembla son ost – il manda ses gens moult efforcee-
ment et vint contre eulx o grant planté de Bourgoignons (II, XVI, 18) – Et quant
Mommolus sot qu’ilz venoient, il manda ses genz moult efforceement (III, XVI, 18).
Aimoin, III, XVII, 174 : Mommolus cum valida Burgundium manu occurrit / GC, I,
•
se moustrerent / semoustrent : [Childebert]… eut talent d’entrer en cele terre pour
152 : ensemble murent. Contextes identiques : Mais tant dit elle [l’estoire] que moult
efforciement se moustrent et le roy Clovis et les Alemans de tout leur pouoir (I, XXIII,
5) / GC, I, 165 : En ce point que li rois demouroit encor en l’error d’ydolatrie, avint
Édition et traduction 357
que il semont ses oz pour aller seur les Alemanz que il voloit faire tributaires. Li rois
d’Alemaigne semonst d’autre part quanque il pot de genz, si que li dui roiaume
furent esmeu li uns contre l’autre o tout lor efforcement. L’ensemble des exemples
relevés s’inscrivent tous dans le motif stéréotypé, au sens de Rychner (1955, 127–
139) de la convocation et de la levée de l’ost et des vassaux, dans le champ lexical
de la guerre, dont j’ai étudié par ailleurs la palette (Buridant 1978, II, Livre III).30
Dans ce contexte, la traduction du ms. B emploie deux verbes concurrentiels :
semostrent les autres de lor sairemenz (ed. Faral, § 197). L’emploi de ce verbe sous
cette forme dans le ms. B est erratique : se moustrerent avec disjonction semble en
faire une forme de moustrer, ce qui donnerait le sens possible, mais douteux, de
« paraître toujours en leur puissance » (!). Le second exemple n’est guère plus
puissance (avec de grandes forces militaires) », avec, entre autres, cet exemple de
Froissart : … li rois d’Escoce (…) desfia le roi Edouwart et cevauça tantos esforcie-
ment sur lui et reconquist toute Escoce (Chroniques, ed. Diller, p. 1400, 43). L’on a
donc sans doute dans ces deux exemples, une leçon déformée d’un verbe qui ne
semble plus compris sous la forme du pf. 6 semoustrent, dans le syntagme mander
ses osts / ses gens, au regard de mander.
• sans point de honte il prenoit tout a force sans rien paier chés les gens (II,
XXVII, 14). Aimoin, II, XXVI, 128 : strepitum ventris in publico sine ulla verecundia
emittebat. GC, I, 168 : il metoit hors le crois de son ventre devant la gent fronteuse-
ment et sanz nule vergoigne, crois répondant à strepitus désignant ici le pet (TL, II,
1075 s.v. crois (croissir) !
30 Le champ lexical de la guerre dans l’Histoire de France en français. Essai d’évaluation comparée des
ressources du vocabulaire dans l’original et dans la traduction, 374–457.
358 Claude Buridant
relatives, haut lieu de résistance de l’ordre ancien SOV (Buridant 1987). Mais aussi
par un renouvellement du vocabulaire enregistré dans un relevé systématique établi
en 1985, engrangeant 645 vocables ayant subi une modification, dont des remplace-
ments, comme ferir, remplacé majoritairement par frapper (cf. Hupka 1979), des
évictions, des suppressions (Buridant 1985, 40 sq.). Mais ce renouvellement n’est
pas sans entraîner des leçons aberrantes que révèle le double contrôle du manuscrit
B et de l’original latin, dont je reprends ici les plus marquantes (Buridant 1985 ;
1989, 258) :
– regne (A) → royaume (B) : dans la traduction de la Philippide, royaume (B) est
reignes (A) au pluriel est une forme pour les « renes » du cheval, et la leçon de B,
– assouper (A) → couper (B) : assouper (A), forme de açoper (TL I, 104–105, açoper /
DMF achoper « trébucher, rencontrer un obstacle »), dans une supplique du traduc-
teur adressée à Dieu pour lui donner la force de mener à bien son œuvre a été mal
compris pour donner une leçon déformée peu claire :
– souduianz (A) → soubdainement (B) : soduianz en A (I, 44), pour deceptivus (aper)
Des cas semblables sont relevés par Pierre Nobel dans le manuscrit A de la Bible
d’Acre, Arsenal 5211 : « Un certain nombre de termes n’ont pas été identifiés par A, soit
parce qu’ils sont rares, soit vieillis : artefieres ‘artisan’ est un mot surtout attesté au
XIIe siècle qu’A modifie en artefices, livrant ainsi une expression dépourvue de sens…
On signalera aussi : aerdra > venra (p. 7, 26, voir la note) ; voisouze > enviose », etc.
5 Conclusion
À l’issue de ce parcours, nous voudrions mettre en relief trois éléments :
5.1
L’on peut tenter de dresser un tableau récapitulatif des combinaisons possibles entre
texte-source et texte-cible.
Ce tableau n’est cependant qu’un cadre réducteur. Dans le premier cas, pour le texte-
source, une édition (critique) doit servir de modèle, qu’elle soit établie ou à (re)
construire pour servir de pierre de touche à la traduction. Dans tous les autres cas, la
stratégie ecdotique se heurte à un impératif : celui de situer le ou les manuscrits du
5.2
Les erreurs du texte-cible offrent une piste intéressante pour son édition, pour peu
que l’on établisse une grille allant des erreurs graphiques aux erreurs « archéologi-
ques », dont nous avons aussi proposé une esquisse au XXVIIe Congrès International
5.3
31 L’on rencontre encore des fantômes dans des éditions récentes. Tout éditeur de texte devrait
consulter la Base des mots fantômes, gérée par Nadine Steinfeld, sur le site de l’ATILF de Nancy.
Édition et traduction 361
(Racional, ed. Brucker/Demarolle 2010 ; compte rendu par Buridant 2013, 824s.).
6 Bibliographie
6.1 Instruments bibliographiques
Éditions en ligne de l’École nationale des Chartes sur le site « http://elec.enc.sorbonne, n° 17, Miroir
6.2 Traductions
Abélard, La vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame [Transmédie, II, Répertoire, 2, notice
431, 737].
Texte-source : Muckle (1950 ; 1953 ; 1955).
Nouvelle édition du texte latin d’après le manuscrit Troyes bibl. Mun. 802 : Hicks (1991).
Édition partielle : Monfrin (1959, 31967). Monfrin rend hommage à l’édition de son prédécesseur :
« Nous l’avons eue constamment sous la main en préparant ce travail, et bien que nous ne
puissions pas toujours la suivre, elle nous a rendu d’excellents services » (52).
Traduction de Jean de Meun : Begiatto (1977). Compte rendu très négatif : Hicks (1982). Brook (1968).
Boèce [Transmédie, II, 1, notice 181, 3, 380 ; II, 1, notice 181, 5, 381 ; II, 1, notice 181, 8, 382s. ; II, 1,
Atkinson (1996) ; Traduction littérale et fiable révélant des éléments comtois, mais colorée par une
forte tradition manuscrite lorraine. Le traducteur est le premier à avoir choisi d’imiter, dans
la forme même de la traduction, l’alternance de proses et de mètres de l’original. Renaut de
Louhans, auteur comtois, l’a consultée dans sa version versifiée, de même que le traducteur
du Livre de Boece de Consolacion ; compte rendu par G. Roques dans Revue de Linguistique
Romane 61 (1997), 289s. Bieler (1984) ; Bolton-Hall (1996–1997) ; Cropp (2006) ; Duval/Vielliard
(s.d.).
Dialogus creaturarum [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 206–207, 418–419].
Blanke/Esser (2008) ; Gee/Katzmann (1988) ; Ruelle (1985).
362 Claude Buridant
L’Espurgatoire Seint Patriz [Transmédie, II, Répertoire, II, 1, notice 298, 542s.].
de Pontfarcy (1995).
Folie Tristan, Lecoy (1994).
Gervais de Tilbury, Otia imperialia [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 239, 466].
Banks/Binns (2002) ; Caldwell (1962) ; Pignatelli/Gerner (2006) ; Leibniz (1707–1710).
Ferrari (2000).
Andreose, Alvise/Ménard, Philippe (2012), Jean le Long, Le Voyage en Asie d’Odoric de Pordenone,
traduit par Jean le Long, OSB, Itineraire de la Peregrinacion et du voyaige (1351), Genève, Droz.
Édition et traduction 363
Atkinson, J. Keith (1996), Boeces : De Consolacion, édition critique d’après le manuscrit Paris BnF,
Avenoza, Gemma (2009), Compte rendu de Riera i Sans, et al. (2004), Bíblia del segle XIV, Revue de
R. Louis/J. Jolivet/J. Châtillon (edd.), Pierre Abélard – Pierre le Vénérable : les courants philoso-
V–XIII, 1–228.
Bourgain, Pascale/Vielliard, Françoise (2002), Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Fascicule
III, Textes littéraires, Paris, École nationale des chartes.
Brook, Leslie C., (1968) The letters of Abelard and Heloise. Critical edition, with introduction, Notes
and Glossary, PhD Dissertation, University of Bristol [Epîtres II à VII] [Référence A 528 dans the
Arts and Social Sciences Library de l’Université de Bristol].
Brucker, Charles (2006), Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury (1372), Édition
critique et commentée des textes français et latin avec traduction moderne, Genève,
Droz.
Brucker, Charles/Demarolle, Pierre (2010), Le « Racional des divins offices de Guillaume Durand, Livre
critique et commentée, Genève, Droz. Compte rendu par C. Buridant dans Zeitschrift für romani-
sche Philologie 129, 822–830.
Buridant, Claude (1978a), La traduction de la Philippide de Guillaume le Breton du manuscrit Vatican
Regina 624, thèse dactylographiée, Lille, Université de Lille.
Buridant, Claude (1978b), Les problèmes de traduction du latin en français au XIIIe siècle à partir de
l’Histoire de France en français de Charlemagne à Philippe-Auguste, 3 tomes, thèse dactylogra-
phiée, Lille, Université de Lille III.
Buridant, Claude (1983), « Translatio medievalis ». Théorie et pratique de la traduction médiévale,
Breton dans la « Chronique des rois de France » et son évolution, d’après les manuscrits, du XIIIe
au XVe siècle : aspects d’une récriture. I. Le lexique, in : Mélanges Hélène Naïs. Numéro spécial
Buridant, Claude (1986), La Traduction de l’Historia Orientalis de Jacques de Vitry, Paris, Klinck-
sieck.
Buridant, Claude (1987), L’ancien français à la lumière de la typologie des langues : les résidus de
l’ordre « objet-verbe » en ancien français et leur effacement en moyen français, Romania 108,
20–65.
Buridant, Claude (1989), La traduction dans l'historiographie médiévale : l'exemple de la « Chronique
des rois de France », in : Geneviève Contamine (ed.), Traduction et traducteurs au Moyen Âge ,
ACILPR, 2, 273–290.
Buridant Claude (2011), Esquisse d’une traductologie au Moyen Âge, in : Claudio Galderisi (ed.),
Buridant, Claude (2013), Compte rendu de Brucker, Charles/Demarolle, Pierre, Jean Golein, Le « Racio-
nal des divins offices » de Guillaume Durand. Livre IV, La messe – Les « Prologues » et le « Traité
du Sacre ». Liturgie, spiritualité et royauté. Une exégèse allégorique . Édition critique et commen-
tée, Genève, Droz, 2010, Zeitschrift für romanische Philologie , 129, 822–830.
Buridant, Claude (2015), Les premières traductions hagiographiques en français : premiers jalons
d’une étude prospective, in: Anne Carlier/Michèle Goyens/Béatrice Lamiroy (edd.), Le français en
diachronie : nouveaux objets et méthodes, Bern/Bruxelles, etc., Peter Lang. Série Science pour la
Burnett, Charles S.F. (1996), compte rendu de J.B. Hall /K.S.B. Keats-Rohan (edd.), Johannis Saresbe-
riensis « Metalogicon, [suivi de] Instrumenta lexicologica latina, fasc. 65, Turnhout, Brepols /
K.S.B. Keats-Rohan (ed.), traduction Joannis Saresberiensis « Policraticus » I-IV, Turnhout, Bre-
pols, 1993 (Corpus Christian. Contin. Mediaev., 1128)/Cary J. Niderman (ed.), traduction John of
Salisbury « Policraticus, Cambridge University Press, 1990, Cahiers de Civilisation Médiévale 39,
142–147.
Caldwell, J.R. (1962), Manuscripts of Gervase of Tilbury’s « Otia Imperialia », Scriptorium 16, 28–45.
Careri, Maria, et al. (2001), Album de manuscrits français du XIIIe siècle – Mise en page et mise en
textes (français médiéval et préclassique, ancien occitan), Revue de Linguistique Romane 70,
123–142.
Chavy, Paul (1974), Les Premiers Translateurs français, French Review, 47, 557– 65.
Colombo Timelli, Maria (1996), Traductions françaises de l’« Ars minor » de Donat au Moyen Âge
(XIIIe–XVe siècles), Firenze, La Nuova Italia Editrice ; compte rendu par T. Städtler, Revue de
E. Bennett/Graham A. Runnalls (edd.), The Editor and the text. In honour of Professor Anthony
J. Holden, Edinburgh, Edinburgh University Press, 11–19.
Cropp, Glynis M. (2006), Le Livre de Boece de Consolacion, Genève, Droz.
De Leemans, Pieter/Goyens, Michèle (2005), La transmission des savoirs en passant par trois
langues : le cas des Problemata d’Aristote traduits en latin et en moyen français, in : Pierre Nobel
Édition et traduction 365
(ed.), La transmission des savoirs au Moyen Âge et à la Renaissance, vol. 1, Du XIIe au XVe siècle,
Dörper, Sven (1998), Die Geschichte der Mongolen des Hethum von Korykos (1307) in der Rücküber-
setzung durch Jean le Long, « Traitiez des estas et des conditions de quatorze royaumes de Aise »
(1351) : kritische Edition mit parallelem Abdruck des lateinischen Manuskripts Wroclaw, Biblio-
vaux français en France, in : idem (ed.), Pratiques philologiques en Europe, Paris, École des
Chartes, 115–150.
Duval, Frédéric/Vielliard, Françoise (s.d.), La complainte de la tribulation et de la consolation de la
Phylosophie. Extraits du Prologue et de la Conclusion in : Éditions en ligne de l’École des chartes,
17 : Miroir des classiques [C, d’après le ms. Paris BnF fr. 821, XIVe siècle] ; http://elec.enc.
sorbonne.fr/miroir/
Faral, Edmond (1955), À propos de l’édition des textes anciens : le cas du manuscrit unique, in : Recueil
de travaux offerts à M. Clovis Brunel, vol. I, Paris, 409–421. [Exemple du poème de Rutebeuf, De
del XIII secolo, Milano, Edizioni Universitarie di Lettere Economica Diritto. Compte rendu par
G. Roques, Revue de Linguistique Romane 69 (2005), 287–289.
Féry-Hue, Françoise (ed.) (2013), Écrire de vernaculaire en latin au Moyen Âge et à la Renaissance.
Méthodes et finalités, Paris, École des Chartes.
Foerster, Wendelin (1876), Li Dialoge Gregoire lo Pape. Altfranzösische Uebersetzung des XII. Jahrhun-
derts der Dialogen des Papstes Gregor, mit dem lateinischen Original, Halle a.S./Paris, Lippert/
Champion [Réimpression Amsterdam, Rodopi, 1965].
Foz, Clara (1988), L’École des traducteurs de Tolède au douzième et au treizième siècle, Lille, Atelier
National de Reproduction des Thèses.
Gadrat, Christine (2007), De statu, conditione ac regimine Magni Canis : l’original latin du « Livre de
Gee, Elizabeth/Katzmann, Gregory (1988), The dialogues of creatures moralysed : a critical edition,
Hasenohr, Geneviève (1985), compte rendu de A.D. Wilshere (ed.), Mirour de Seinte Eglyse, Romania
106, 539–545.
366 Claude Buridant
Hasenohr, Geneviève (1990), Discours vernaculaires et autorités latines, in : H.-J. Martin/J. Vézin (edd.),
Mise en page et mise en texte du livre manuscrit, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 289–316.
Henderson, J. Franck/McWebb, Christine (2004), Dynamic Equivalence and the Translation of the Metz
Psalter in 1370, 1–14. En ligne : Franck Henderson’s Page on Liturgy and Medieval Women,
http://www.jfrankhenderson.com/.
Hesketh, Glynn (2000), An unpublished Anglo-Norman Life of saint Kathrine of Alexandria from ms.
London, BL, Add. 40143, Romania 118, 33–82 [avec l’édition de cette version].
Hicks, Eric (1982), compte rendu de F. Beggiato (ed.), Le lettere di Abelardo ed Eloisa nelle traduzione
di Jean de Meun, Romania 103, 384–397.
Hicks, Eric (1991), La Vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame, Paris, Champion. Compte
rendu par G. Roques, Revue de Linguistique Romane 65 (2001), 297s.
Hofmeister, Rudolf (1976), The Unique Manuscript in Mediaeval German Literature, Seminar : A Journal
Huygens, R.B.C. (1977), Le Roman de Mahomet de Alexandre du Pont (1258), avec le texte des Otia de
Machomete de Gautier de Compiègne, Paris, Klincksieck.
Kenney, E.J. (1961), P. Ovidii Nasonis Amores, Oxford, Clarendon Press.
Kenney, E.J. (1962), The Manuscript Tradition of Ovid’s « Amores », « Ars Amatoria » and « Remedia »,
Kleinhans, Martha (1993), « Lucidere vault tant a dire comme donnant lumiere ». Untersuchung und
[réflexion préalable à l’édition Les Mystères de la procession de Lille, ed. Alan E. Knight, t. I : Le
Lemaître-Provost, Solange (2010), L’édition de manuscrits uniques : l’exemple des livres de sort en
2009 », accessible en ligne [en particulier II. Spécificité des manuscrits uniques. – III. Niveau
1247–1366.
Martin, Henri-Jean/Vezin, Jean (1995), Mise en page du livre manuscrit et mise en texte, ed. Henri-Jean
Martin et Jean Vezin, Paris, Cercle de la Librairie Promodis.
Édition et traduction 367
Marzano, Stefania (2007), La traduction du « De casibus virorum illustrium » de Boccace par Laurent
français. Actes du IIe colloque de l’AIEMF, Poitiers, 27–29 avril 2006, Turnhout, Brepols, 293–296.
Michel, Bénédicte (2004), La Bible historiale de Guiart des Moulins, édition critique de la Genèse,
Thèse, Dijon, Université de Bourgogne.
Monfrin, Jacques (1955), Inventaire critique des traductions d’auteurs anciens du XIIIe au XVe siècle,
Mémoire présenté à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Prix du Budget). Introduction
reproduite dans Miroir des Classiques. Genèse du Projet.
Monfrin, Jacques (1959, 31967), Historia calamitatum, Paris, Vrin.
Monfrin, Jacques (1964), Humanisme et traductions au Moyen Âge, in : Fourrier, Anthime (ed.),
L’humanisme médiéval dans les Littératures romanes du XIIe au XVe siècle, Colloque organisé par
le Centre de Philologie et de Littératures romanes de l’Université de Strasbourg du 29 janvier au
2 février 1962, Paris, Klincksieck, 217–246.
Muckle, J. (1950), Abelard’s Letter of Consolation to a Friend (« Historia calamitatum »), Medieval
Consolatione Philosophiae », in : M. Gibson (ed.), Boethius, his Life, Thought and Influence,
Raymund Wilhelm (edd.), Transfert des savoirs au Moyen Âge : Wissenstransfert im Mittelalter,
243–354.
Reeve, Michael D. (2000b), Vegetius, epitoma rei militaris, Oxford/New York, Clarendon Press/Oxford
University Press.
Riera i Sans, Jaume/Casanellas, Pere/Puig i Tàrrech, Armand (2004), La Bíblia del segle XIV. Èxode.
Levític, Associació Bíblica de Catalunya, Publicacions de l’Abadia de Montserrat.
368 Claude Buridant
Roques, Mario (1970), Recueil général des lexiques français du Moyen Age (XIIe–XVe siècle), I, Lexiques
alphabétiques, tome II, Paris, Champion.
Roy, B. (1974), L’Ars d’amours. Traduction et commentaire de l’Ars Amatoria d’Ovide, Leiden,
Brill.
Ruelle, Pierre (1985), Le « Dialogue des créatures », traduction par Colart Mansion (1482) du « Dialo-
gus creaturum » (XIVe siècle), Bruxelles, Académie royale de Belgique. Compte rendu par
Thompson, John Jay (1999), La vie monseigneur saint Nicholas le beneoit confessor, édition critique,
Genève, Droz. Compte rendu par G. Roques, Revue de Linguistique Romane 64 (2000), 264–265.
Trotter, David (1987), The Influence of Bible Commentaires on Old French Bible Translations, Medium
Aevum 56, 257–275 [mise au point bibliographique à la note 10].
Trotter, D.A. (1990), Jean de Vignay, Merveilles de la Terre d’Outremer. Traduction du XIVe siècle du
récit de Voyage d’Odoric de Pordenone, Exeter, University of Exeter.
Trotter, David (2005), Albucasis : Traitier de Cyrurgie. Édition de la traduction en ancien français de la
Chirurgie d’Abu’l Qasim Halaf Ibn’Abbas al-Zahrawi du manuscrit BNF, français 1318, Tübingen,
Niemeyer.
Trotter, David (2008), Savoir, pouvoir et latinité au Moyen Âge, in : Stephen Dörr/Raymund Wilhelm
(edd.), Transfert des savoirs au Moyen Âge : Wissenstransfer im Mittelalter. Heidelberg, Winter,
101–113.
Vielliard, Françoise (2000a), La traduction des « Disticha Catonis » par Jean Le Fèvre : perspectives
qui président aux pratiques éditoriales des dix-septiémistes, en tentant d’en saisir
chaque fois les motivations. On a particulièrement veillé à la dimension linguistique
des éditions, autrement dit à la nature et à la pertinence des données qu’elles livrent
aux lecteurs linguistes. Ces considérations devraient mettre en garde les linguistes
contre une utilisation par trop naïve des éditions disponibles et inciter les éditeurs à
confectionner des éditions pluridisciplinaires, utilisables à la fois par des chercheurs
en littérature et en linguistique. Comme tous les éditeurs, les dix-septiémistes sont
confrontés à des données à traiter d’après un projet d’édition. Sont d’abord examinées
les données fournies par la tradition textuelle, en particulier la varia lectio, avant
d’aborder leur traitement dans l’équilibre recherché entre le document qui livre le
texte et les attentes présumées du lecteur-modèle à qui s’adresse l’édition.
1 Introduction
Les pratiques éditoriales mises en œuvre pour les textes français du XVIIe siècle sont
rarement examinées ou discutées. Gilles Roques en fait ainsi peu de cas dans son
bilan de l’activité éditoriale depuis 1945, réservant l’essentiel de son propos à l’édition
des textes médiévaux. Pourtant son constat est sévère pour la période moderne : « Les
éditions de textes médiévaux se portent bien. On ne peut pas dire la même chose des
éditions de textes des périodes postérieures qui restent en retard à bien des points de
vue. Il est vrai que ces dernières ont aussi un intérêt méthodologique bien moindre »
constituées et diffusées par tuilage : celles des dix-septiémistes sont en partie inspi-
rées de celles des seiziémistes, eux-mêmes influencés par les médiévistes. Toutefois,
en se concentrant sur les éditions du XVIIe siècle, il est possible de s’émanciper de
pratiques héritées et d’aborder de front les questions ecdotiques d’un point de vue
plus théorique et systématique.
Les textes du XVIIe siècle français sont surtout édités par des chercheurs français.
Pour comprendre les pratiques éditoriales, il convient donc de revenir brièvement sur
la place de l’ecdotique dans le contexte académique français. Les éditeurs français
sont rétifs à la théorisation de l’ecdotique. La faute en reviendrait à Joseph Bédier, qui
abandonna l’idée de reconstituer un original au profit de l’édition du meilleur témoin
conservé (Corbellari 1997, 505–559 ; Ménard 2003). Cette solution, ensuite adoptée par
l’« école française », devait mettre un terme à des débats traitant de l’établissement du
leurs normes (Giraud 1997) que les dix-septiémistes n’ont pas cherché à suivre. Quant
aux dix-huitiémistes, ils sont davantage sensibles à la tradition anglo-saxonne de la
Textual Bibliography, grâce aux éditions aussi monumentales qu’exemplaires de
Voltaire et de Bayle conduites par la Voltaire Foundation, mais aussi grâce aux
travaux de Roger Laufer.
Comme tous les éditeurs, les dix-septiémistes sont confrontés à des données à
traiter d’après un projet d’édition. Nous examinerons les données fournies par la
1 La situation ne semble pas avoir beaucoup changé depuis l’enquête menée par Jean Varloot sur les
pratiques éditoriales des modernistes à la fin des années 1970. Même si les éditeurs sondés étaient
principalement des dix-huitiémistes, on relira avec profit Varloot (1982).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 371
tradition textuelle, en particulier la varia lectio, avant d’aborder leur traitement dans
l’équilibre recherché entre le document qui livre le texte et les attentes présumées du
lecteur-modèle à qui s’adresse l’édition.
sont des copies, copies d’un exemplaire souvent perdu. La copie s’oppose à l’original,
un concept-clé de la critique textuelle. Contrairement à l’archétype, qui est un arte-
fact, l’original est un objet concret, ce qui ne l’empêche pas de prendre des formes
variées et des places diverses dans la tradition textuelle. En effet, l’original se définit
par rapport aux instances du texte, le plus souvent par rapport à l’auteur : si l’on s’en
tient à l’auteur, l’original sera le texte de l’auteur, le texte que l’auteur pourrait
reconnaître comme sien (ce qui est assurément différent du texte voulu par l’auteur,
car l’original peut être fautif). Peuvent donc être considérés comme originaux le
manuscrit d’auteur (ou sa copie) confié à l’imprimeur, mais aussi l’édition dite
originale, voire une édition revue par l’auteur. Si une édition a été scrupuleusement
relue par l’auteur, elle peut être considérée comme un original et la copie remise à
l’imprimeur comme un pré-original, pour reprendre la terminologie de la critique
génétique. Sinon, l’original est considéré comme perdu.
On comprend alors combien il importe de savoir si l’auteur a pris ou non le soin,
et si oui dans quelle mesure, de relire les épreuves. Rotrou et Camus, par exemple, ne
semblent jamais s’être beaucoup préoccupés de la qualité d’impression de leurs
œuvres :
« Cet état de fait, auquel s’ajoute l’absence de tout manuscrit, entraîne de sérieuses difficultés
de la main de Rotrou, que la présente édition souhaiterait préserver, et les erreurs imputables au
typographe qu’il convient de corriger. […] Dans bien des cas, l’incertitude demeure » (Vuillemin
1999, lxxvi).
La part respective des compositeurs et de l’auteur dans les données textuelles dis-
ponibles est au cœur des décisions éditoriales. Plus un élément est imputable à
l’auteur, plus il a tendance à être conservé dans l’édition critique. Malheureusement,
même au prix d’enquêtes matérielles longues, il est souvent impossible de faire la part
de l’auteur et du processus de fabrication du livre. D’ordinaire les éditions dix-
372 Frédéric Duval
septiémistes hésitent entre une orientation vers l’auteur et une orientation vers
l’original, sans toujours prendre la mesure de ce qui sépare ces deux orientations,
puisque l’auteur a pu laisser publier un texte où se trouvaient des fautes qu’il
réprouvait mais qui lui avaient échappé.
Déterminer ce qu’est l’original ou à défaut ce qui s’en rapproche le plus n’est
souvent qu’une première étape, étant donné que l’éditeur est bien souvent confronté
à des originaux multiples. Pour qu’une nouvelle édition constitue un original, il
convient que l’intervention de l’auteur soit acquise, ce qu’il est souvent difficile de
prouver. C’est pourquoi les éditeurs choisissent tantôt la première édition, tantôt la
dernière édition autorisée de la vie de l’auteur.
Les caractéristiques de la tradition textuelle influent naturellement sur l’édition.
On constate une altération moindre de l’original au cours du processus de reproduc-
tion que lors des périodes précédentes. Ce fait tient à une évolution technique autant
que culturelle : la production en une seule opération d’un nombre important d’exem-
vés. Les stemmata bifides ou trifides tendent également à se linéariser. Dans ces
conditions, le stemma ne sert pas à la reconstruction du texte, mais à en suivre la
diffusion, à en repérer les étapes décisives, voire à justifier la décision de donner la
transcription d’un état textuel plutôt que d’un autre (cf. par ex. Denis 2011, 97–100).
La variation est donc d’une utilité faible, voire nulle pour l’établissement de textes du
XVIIe siècle.
Si la variation est limitée, elle se produit à deux niveaux, entre éditions et à
l’intérieur de chaque édition (états, émissions). À ce dernier niveau, la variation est
difficile à appréhender, tant la collation serrée de tous les exemplaires conservés est
souvent inenvisageable. La comparaison suivie d’exemplaires d’une même édition
demeure assez rare (par ex. Lambin 2010, 90). Malgré des progrès, la bibliographie
matérielle reste une faiblesse des éditions de textes littéraires du XVIIe siècle.2 Alors
qu’il y une vingtaine d’années, seule l’édition utilisée était mentionnée, les éditeurs
ont pris l’habitude d’identifier l’exemplaire ayant servi de base à l’édition critique.
De facto pour les dix-septiémistes, le texte s’assimile à une donnée disponible. Il
« suffit » d’en sélectionner un état et de le reproduire.3 Cette immédiateté évacue la
2 Laufer (1982, 148) regrettait déjà l’absence de « regard archéologique » chez les historiens et
littéraires, focalisés sur le contenu, et prônait une « lecture matérielle, c’est-à-dire soucieuse de la lettre
comme porteuse de sens ». Cette démarche est à rapprocher de celle de Riffaud (2007).
3 La tradition française se pose d’autant moins la question de l’établissement du texte que, fidèle à
une tradition bédiériste, elle ne mêle pas différents états du texte comme le préconisait Greg (1966),
d’après qui l’éditeur doit suivre la première édition pour ce qui est accidentel (par ex. la graphie) et
Les éditions de textes du XVIIe siècle 373
texte est donné, son établissement est moins au centre du travail de l’éditeur que son
commentaire ou la simple volonté de le faire connaître et de le diffuser.
Ainsi, certaines éditions universitaires ne sont-elles pas critiques, mais se conten-
tent de transcrire une édition ancienne (par ex. Dalla Valle 1986 ; Nédelec 1998). Ce
Fées, mais rien n’est dit, dans le deuxième volume, de l’intérêt éventuel d’autres
éditions (Robert 2005, 14).
Les recueils posent des problèmes spécifiques, puisque l’édition peut légitime-
ment être orientée vers la réception du recueil. Ainsi, Éric Méchoulan a publié le
Recueil Faret d’après l’édition de 1627 et non d’après la versions revue et augmentée
de 1634, parce qu’à cette date la situation des lettres, de la politique et des auteurs a
changé (Méchoulan 2008). De même Pierre Zoberman a publié les panégyriques du roi
prononcés à l’Académie française d’après le recueil de 1698, parce qu’il « constitue
comme un bilan en fin de siècle et rassemble des textes en quelque sorte authentifiés,
ratifiés par l’Académie » (Zoberman 1991, 87) et a pris soin de relever les variantes
avec les versions antérieures. La publication d’un recueil ne doit pas exonérer de cette
collation ; surtout, elle ne doit pas s’imposer comme une solution de facilité par
l’édition la plus authentique (qui peut être la dernière) pour la substance (sens). Denis (2011) reproduit
ainsi la première partie de l’Astrée, d’après l’édition de Paris, Toussaint du Bray, 1612, in-8° en ne
retenant des éditions antérieures (1607 et 1610) seulement les « variantes qui méritent commentaires »
et en passant sous silence les variantes d’auteur des éditions de 1618 et 1621.
374 Frédéric Duval
différence près que l’orthographe, les fautes d’impression et la ponctuation ont été en
grande partie restituées » (Visentin 2004, 8).
Les variantes peuvent se classer soit d’après la tradition textuelle, soit d’après l’objet
de la variation. La tradition textuelle présente des variantes internes (à une édition),
relevant d’états ou d’émissions (Riffaud 2011, 71–99, 141–151). Les variantes externes
sont révélées par la collation de plusieurs éditions différentes.
Indépendamment de la tradition textuelle, les variantes sont de nature différente.
On peut dans une première approximation distinguer les variantes sémantiques de
celles qui tiennent au code de l’écrit et de la mise en livre (graphie, ponctuation, mise
en page / typographie). Cette bipartition s’accorde avec le long processus de sacralisa-
tion du texte, qui tend à fixer les éléments à valeur sémantique et à négliger certains
éléments de surface, dont l’influence est jugée sans incidence sur la construction du
sens. Toutefois cette typologie est schématique puisque certains éléments de surface
comme la ponctuation peuvent revêtir une valeur sémantique égale à des choix
lexicaux ou grammaticaux. Mieux vaudrait retenir le modèle plus nuancé, quoique
critiquable (cf. Laufer 1982, 149) de Walter W. Greg, qui distinguait les leçons sub-
stantives et les leçons accidentelles, les premières altérant radicalement le sens, les
secondes se bornant à le modifier (Greg 1966).
Selon leur nature ou la place de l’édition dans la tradition textuelle, les variantes
sont attribuables à l’auteur, au prote ou au correcteur. Les éditeurs seraient tentés de
diviser les variantes entre variantes d’auteur et autres variantes ;4 malheureusement,
4 Cf. C. Venesoen (2002, 21), qui distinguent les « véritables variantes » des autres : « Autant dire que
l’édition de 1642 ne contient aucune véritable variante – c’est-à-dire un changement de texte apporté
par l’auteur –, toutes les divergences entre les deux éditions sont dues, soit à une erreur, soit à une
correction, heureuse ou malheureuse, du copiste/imprimeur de 1642 ».
Les éditions de textes du XVIIe siècle 375
tante et les déclarations d’intention pas toujours fiables (cf. le traitement des variantes
dans Robert 2005). D’autre part, le faible nombre de variantes autorise un traitement
exhaustif incluant la « scripturation ». Il est toutefois rare que les variantes graphi-
rin/Pascal 2002, xlii ; Vernet 2010, 31). Mais comme le rappelle très justement Max
Vernet, ces textes présentent « des variations d’orthographe et des habitudes syntaxi-
ques différentes des nôtres ; il faut donc être extrêmement prudent avant de modifier
376 Frédéric Duval
en quoi que ce soit ce[s] texte[s], et de rétablir ce qui semble par exemple une lacune ».
Le sage principe directeur de Max Vernet est de rester fidèle à son édition « jusque
dans les leçons douteuses ». En cas de doute, le lecteur pourra trancher (Vernet 2010,
31).
Parfois, les éditeurs raffinent en distinguant les « coquilles évidentes » (Marra-
che-Gouraud/Martin 2004, 51) ou « manifestes » (Macé 2009, 27). Cette distinction leur
ne pas indiquer en note les corrections effectuées. Le traitement peut donc différer
entre ce type de coquilles et les graphies douteuses.
De manière générale, l’évidence d’une erreur typographique est une notion
largement arbitraire, qui tient beaucoup à l’expertise de l’éditeur en graphématique.
En l’absence de scripteurs et de lecteurs natifs, il est parfois difficile de savoir ce qui
était ou non recevable et les éditeurs littéraires sont souvent peu armés pour trancher.
Il en découle une conception extensive des coquilles, qui recouvre une partie des
leçons douteuses. Certaines introductions n’hésitent d’ailleurs pas à associer les
coquilles aux « graphies susceptibles de dérouter le lecteur moderne », si bien que
dans la liste de « faute/graphie » donnée par A. Maynor Hardee (1991, 30), on ne sait
ce qui relève de chaque catégorie. C’est à ces éléments commodément confondus que
réfèrent les éditeurs en signalant les « bizarreries » de l’exemplaire qu’ils ont utilisé. A
avec une coquille [entendue au sens étroit], mais pas devant ceux, pléthoriques, qui
sont mal orthographiés » (Mercier 2003, 10).
La correction des coquilles prend trois formes : sans notification au lecteur (cas le
liste de coquilles corrigées dans l’introduction (cf. par ex. Forestier 1999). Parfois la
liste se limite à quelques coquilles données à titre d’exemples. Stéphan Ferrari (2001,
173) cite ainsi trois coquilles parmi « les plus évidentes », afin d’expliquer qu’il ne
signale pas en note la correction : deux des trois exemples cités (« mias » pour
« mais », « luitte » pour « lutte », ou encore « peult » pour « peut ») ne sont pas des
cercle vicieux qui conduit des textes standardisés par leurs éditeurs à alimenter la
description linguistique sur laquelle s’appuieront à leur tour de nouvelles corrections.
N’oublions pas également que l’examen des coquilles permet de mesurer la « qualité
L’indication des coquilles corrigées sera sans intérêt pour le plus grand nombre de
lecteurs, mais il n’encombre pas une édition, ne renchérit pas son prix et ne prend
guère de temps à l’éditeur.
Outre la varia lectio, l’éditeur est confronté à deux autres phénomènes variation-
nels : la variation, essentiellement graphique, à l’intérieur du texte de l’exemplaire
lecteur visé par l’édition. Le français contemporain standard scolaire refuse la varia-
tion. Bien des éditeurs s’inscrivent dans cette tradition, ce qui les conduit à s’attaquer
à la variation interne en harmonisant et à la variation diachronique en modernisant.
3 L’orientation de l’édition
À côté des données de la tradition textuelle, l’orientation de l’édition conditionne le
texte proposé au lecteur. L’éditeur moderniste doit arbitrer entre trois orientations,
correspondant à trois instances de son édition critique : l’orientation vers l’auteur du
Il est très difficile de définir dans l’absolu le rôle d’une édition critique. A. Riffaud
avance avec prudence qu’il est de « favoriser l’accès au texte pour le plus grand
bien des textes du XVIIe siècle, qui ont un intérêt pour l’histoire littéraire ou culturelle,
ne méritent pas d’être signalés à l’attention d’un large public. Les éditeurs de textes
378 Frédéric Duval
Si l’on restreint l’enquête aux éditions de référence, les textes du XVIIe siècle sont
principalement publiés par des éditeurs d’érudition, qu’ils soient privés (Droz, Cham-
pion, Garnier) ou universitaires, comme les Presses universitaires de Rennes. On peut
y ajouter la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard), qui publie des éditions partageant
une large part des standards universitaires, mais dont la lisibilité et l’accessibilité par
le grand public déterminent sans appel une partie des choix éditoriaux, notamment la
modernisation graphique. La plupart des éditions critiques sont vendues à un tarif
élevé, qui en interdit l’acquisition à la quasi-totalité du public étudiant et à une partie
des chercheurs. Ces livres, à l’exception de ceux publiés à la Pléiade, sont surtout
destinés aux rayons des bibliothèques universitaires : ils ne sont pas utilisés pour
étudier la littérature dans les premiers cycles universitaires, où l’on recourt par
mesure d’économie à des éditions de poche. Depuis quelques années des collections
de semi-poches viennent renouveler un peu le panorama.
Toujours est-il que le débouché commercial oriente l’édition critique vers un
lectorat spécifique, sensible au prix, à la collection, à la diffusion. L’orientation est
également disciplinaire. Selon les communautés scientifiques, les tendances diver-
gent. Les historiens se préoccupent du message véhiculé par leur source. Ne s’embar-
rassant pas d’éléments linguistiques dont l’auctorialité est d’ailleurs douteuse, sans
surplus de sens et qui gênent la lecture actuelle, ils tranchent en faveur du lecteur
moderne (Barbiche/Chatenet 1993). La récente édition du Parfait négociant de J.
Savary n’hésite pas à se présenter comme une « réécriture », qui a nécessairement
5 Sur la modernisation de la graphie des imprimés anciens dans le domaine italien vue par un
linguiste, voir Schweickard (2012).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 379
plus ample, publiée par Champion, modernise en très large majorité la langue des
éditions, tout en laissant paraître au cas par cas des volumes non modernisés. Ainsi,
Alain Mercier, dans son édition de La seconde après-dînée du caquet de l’accouchée
reste fidèle à l’utilisation des caractères v et u, i et j et développe les abréviations entre
crochets (Mercier 2003, 9–10).
Quoique influencé par son environnement culturel et académique, l’éditeur doit
prioritairement définir son projet d’édition à partir de ce qu’il veut offrir à ses
contemporains. À cet égard, les dix-septiémistes s’accordent sur la nécessité de
proposer un texte compréhensible, prolongeant ainsi la vocation traditionnelle de la
philologie éditoriale, destinée à donner à lire des textes, dont elle prépare et guide la
lecture en levant les obstacles herméneutiques (Rastier 2001, 112–125).
Si, pour parvenir à cet objectif, la nécessité de notes critiques est partagée, il en
va autrement du traitement du texte édité. Sur ce point le consensus vole en éclat et
les jugements les plus contraires sont émis. Beaucoup, purement formulaires et
conventionnels, servent à justifier un usage éditorial établi. Ainsi Colette Scherer
liste-t-elle dans son édition de L’esprit fort de Jean Claveret une série de « rectifica-
6 « Seules ont été corrigées les fautes évidentes, indiquées en note. Sauf pour ces erreurs, je n’ai pas
indiqué de variantes orthographiques, peu utiles dans le cas d’une édition qui n’est pas essentielle-
ment philologique » (Zoberman 1991, 87).
7 « Conformément aux principes éditoriaux de la collection ‹ Textes littéraires français ›, j’ai soigneu-
sement veillé à demeurer le plus fidèle possible à la physionomie orthographique du texte de l’édition
de référence » (Vuillemin 1999, lxxxi).
380 Frédéric Duval
« […] la ponctuation a été révisée afin de ne pas heurter le lecteur du XXe siècle et permettre qu’il
se trouve d’emblée de plain pied avec l’œuvre de Jean Baudouin. Le principe a été de favoriser
cette rencontre et le plaisir qui doit en naître. La ponctuation du XVIIe siècle, adaptée à une
lecture orale, sert à marquer non la logique du discours, mais les pauses de la respiration, à
souligner les effets de la narration. Si sa prise en compte est essentielle pour la lecture historique
d’un roman du XVIIe siècle, elle peut aujourd’hui constituer un obstacle à la familiarité immé-
diate du texte » (Plazenet 1998, 135).
texte. On a ici affaire à une conception « esthétique » et non « critique », qui vise une
8 « [J]’ai conservé les graphies anciennes, dans la mesure où elles ne constituent en aucune manière
un obstacle à la lecture » (Zoberman 1991, 87) ; « Nous n’avons pas modernisé l’orthographe car les
quelques singularités aux yeux d’un lecteur moderne n’entravent en rien la compréhension du texte »
admettre qu’elle s’en éloigne sensiblement. Ce schéma ne fait que reproduire l’usage
scolaire du manuel de Lagarde et Michard où Rabelais est donné en versions moderni-
sée (Lagarde/Michard 1961, 43s.) et non-modernisée alors que la littérature du XVIIe
siècle est toujours modernisée.
La modernisation perpétue donc, sans s’en rendre toujours compte, l’idée d’un
apogée de la langue française de la seconde moitié du XVIIe siècle. En supprimant la
variation orthographique, elle entretient à tort l’idée que la variation diachronique
depuis le XVIIe siècle serait surtout d’ordre stylistique ; et cette idée, en un mouve-
mesure du possible maintenue, sauf archaïsme incompatible avec les usages moder-
nes » (Jasmin 2004, 121s.), où les archaïsmes ne le sont qu’au regard du français
une représentation linguistique acquise sur les bancs de l’école par des générations
de lecteurs des XXe et XXIe siècles.
Toutefois aujourd’hui, la modernisation ne suffit plus à entretenir le sentiment
d’une identité linguistique. Les éditeurs, qui sont souvent enseignants, en font quoti-
diennement l’expérience avec leurs étudiants. Des textes du XVIIe siècle, comme
9 Dans leur édition de Molière, G. Forestier et Cl. Bourqui modernisent la graphie du français, de
l’italien et de l’espagnol, langues nationales ; conservent les graphies picardes et occitanes et moderni-
sent partiellement la graphie des passages en patois (Forestier/Bourqui 2010, CX C X ). Comment justifier ce
traitement différencié sinon par leur imaginaire linguistique ?
382 Frédéric Duval
Le projet d’édition doit être justifié et présenté en introduction. Trop souvent, l’exposé
des principes d’édition est limité à quelques lignes très convenues, voire absent (cf.
Nédelec 1998 ; Jehasse 2008). Pourtant, l’inexistence de normes de transcription
communes et la latitude laissée aux éditeurs au sein des collections exigent une
présentation sommaire.
Les interventions éditoriales sont censées ne pas toucher au sens de la séquence
linguistique pour se concentrer sur sa forme. Cette dichotomie, on l’a déjà vu, est
éminemment discutable tant la forme, y compris la mise en livre, influe sur la lecture
du texte et donc sur le sens qu’il prend (Rico 2010).
Les interventions formelles découlent d’un double jugement porté sur la langue
des témoins : un jugement sur l’écart avec le français contemporain et ses conséquen-
qui ne laisse pas d’être ambigu, étant donné que le polymorphisme est un élément de
la norme. Max Vernet souligne que l’incohérence est relative à l’expérience du lecteur
du XXIe siècle : les usages du XVIIe siècle sont « pour nous inhabituel et incohérent »
11 « L’orthographe, pourtant celle des typographes bien plus que de l’auteur, a été respectée même là
où nous voyons maintenant une faute, comme dans certains participes passés, ou lorsqu’elle est
incohérente » (Lambin 2010, 90).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 383
la réception. C’est bien « pour conserver au texte toute sa saveur » que D. Kahn a
12 « Il allait de soi, pour un auteur aussi répandu que Racine, de présenter ses œuvres dans une
13 « Pour faciliter la lecture, nous avons modernisé l’orthographe, sauf lorsque le vers s’en serait
trouvé modifié ; dans ce cas nous le signalons en note » (Dutertre/Moncond’Huy 1992, xxii). Forestier/
et de la modernisation graphique ».
384 Frédéric Duval
plusieurs compositeurs (Catach 1983). Enfin, une édition fidèle à l’exemplaire repro-
duit peut conserver des éléments essentiels à la bonne compréhension de sa réception
immédiate. Ainsi, Gérard Lambin soutient que « moderniser la forme et la présenta-
tion eût été un début de trahison mal excusé par la facilité donnée et qui, en
empêchant de connaître l’état réel du texte, aurait fait disparaître une des raisons du
peu de crédit que lui accordèrent les savants » (Lambin 2010, 90). Curieusement, la
par ‹ grotesque ›, ‹ convent › par ‹ couvent ›) » (Ferrari 2001, 174), mais si d’autres
pratique des cas particuliers et des exceptions, à moins d’être dûment signalée dans
l’apparat, n’a pas lieu d’être dans une édition critique.
Pour les textes du XVIIe siècle, les champs d’intervention sont circonscrits et relative-
ment étanches les uns par rapport aux autres. Il est ainsi possible de moderniser la
graphie et de conserver la ponctuation ou les majuscules et vice-versa. J.-Cl. Vuillemin
14 Cf. Marrache-Gouraud/Martin (2004, 51) (« Nous avons suivi les principes d’édition généralement
adoptés pour l’édition des textes de la Renaissance ») ou Scherer (1997). Giraud (1997) propose que son
vantes peuvent traduire la position d’un auteur par rapport à un état de la langue, ou
noter une variation diastratique ; les majuscules soulignent volontiers les mots clés
d’un discours. Il faut donc se garder a priori de dissocier trop nettement orthographe
et intelligence de l’œuvre.16
La plupart des éditions de textes du XVIIe siècle modernisent la graphie.
l’orthographe n’affecte en rien la lettre des textes dans la mesure où la graphie des
mots n’était pas fixée à l’époque » (Forestier 1999, LIX ). Il serait facile de nuancer
15 « Introduire dans un texte dont on a modernisé l’orthographe, une ponctuation archaïque, c’est
perdre la clarté qu’y introduit l’usage actuel avec son rationalisme, et c’est créer un objet mixte et, pour
ainsi dire, monstrueux qui rend la lecture fort malaisée » (Niderst 2001, 294s.).
16 Lasserre, Comédie des Tuileries : 177, reproduire l’orthographe « relèverait seulement d’une étude
l’auteur, mais l’ensemble des éditions sont destinées à former des corpus qui
permettront de voir se dessiner des évolutions linguistiques et graphiques, qui
dépasseront la somme des idiosyncrasies pour dessiner les contours d’une gram-
maire floue. Les usages seront alors situés à l’intérieur du diasystème décrit. Dans
cette perspective, peu importe que la graphie soit celle du typographe ou de
l’auteur.
Il convient de distinguer les interventions au niveau des allographes (représenta-
tions concrètes d’un graphème) de celles qui touchent les graphèmes. Font l’unani-
mité ou presque la réduction en « s » des « s longs », la distinction entre i et j et entre u
de lecture », il est également possible de rétablir les accents à la rime, alors que
« faire époque » sans perturber la lecture.17 Certains éditeurs qui adoptent l’usage
aristocratique » (Jasmin 2004, 122). Didier Kahn, qui modernise l’usage des majuscu-
les, systématisant l’usage de l’exemplaire qu’il suit, les utilise sans exception à
l’initiale de mots ou expressions d’ordre « initiatique », quitte à en ajouter par souci
17 « [Les] majuscules, en revanche, qui servent à accentuer le poids d’un mot (substantif ou adjectif),
à insister sur sa valeur, ont été conservées telles quelles. Elles font sens dans leur grande majorité.
Voire, le caractère superfétatoire de certaines d’entre elles participe de l’atmosphère d’époque du
roman, qu’on a souhaité conserver autant que possible, de même que sa présentation » (Plazenet 1998,
un sujet pluriel, ou l’accord pluriel de l’adjectif ou du pronom indéfini ‹ aucun ›) » (Jasmin 2004, 121).
propre à la géométrie » (Descotes 2009, 81). Pour d’autres, la ponctuation est tout
simplement l’un de ces facteurs d’altérité qui confèrent son charme au texte ancien
(Kahn 2010, 145–146).
À côté de l’« école » très active de Georges Forestier, qui reproduit la ponctuation
originale et note soigneusement les rares modifications qui y sont apportées (par ex.
Forestier 2004, 246), bien des éditeurs qui conservent en général la ponctuation
originale la modifient lorsqu’elle ne leur paraît être acceptable par le lecteur moderne
et, surtout, lorsqu’elle risque d’entraver la compréhension du texte (Maranini 1974,
62). Cette voie moyenne est par exemple suivie par Vuillemin : « plutôt que d’opter
min 1999, lxxvii). Quand les interventions sont mentionnées dans l’introduction ou en
note, cette solution est très pertinente (Tomlinson 1992, 62s. ; Zoberman 1991, 87). À
ment que possible, en ce qui concerne les intitulés, les paragraphes et les blancs »
21 La comparaison des exemplaires de l’édition d’Aspasie par Camusat témoigne du soin méticuleux
de l’imprimeur, notamment pour la correction de la ponctuation (Tomlinson 1992, 56).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 389
L’effort des éditeurs de textes du XVIIe siècle porte avant tout sur le commentaire
et l’annotation des textes. La réflexion sur leur établissement, la « toilette » qu’ils leur
font subir et la prise en compte de la varia lectio demeure très secondaire. L’objectif
premier, rarement formulé comme tel dans les introductions, consiste à rendre le texte
édité compréhensible : cet impetus touche autant le corps du texte que le paratexte :
Les éditions scientifiques ne peuvent, pour des raisons économiques, être multi-
pliées à l’envie, sinon pour les auteurs considérés comme majeurs. Autant les confec-
tionner en vue de l’exploitation la plus ouverte (c’est cette voie qui a été choisie par
Denis 2011). Qui sait quelles seront les problématiques retenues par les chercheurs
dans trois ou quatre décennies ? Pourquoi obérer la description du français, sans gain
notable d’intelligibilité ? Une édition critique livre des éléments qui font sens ; le texte
22 Certains éditeurs opposent les notes explicatives aux notes de commentaire, retenant les pre-
mières et excluant les secondes. Cf. « Par principe, nous nous sommes abstenu d’introduire dans nos
notes des éléments de commentaire du texte de Chapelain. Le lecteur en quête d’information sur les
activités, les rencontres, les lectures de l’écrivain, sur les dates des éditions de La Pucelle […], ce
lecteur reconnaîtra lui-même, au long des deux cent quinze lettres à Nicolas Heinsius, les passages
intéressant sa recherche. Notre annotation, plus modestement, ne vise qu’à éclairer un texte qui,
comme toute correspondance, abonde en allusions à des personnes et à des faits peu connus » (Bray
2005, 31).
23 Les notes lexicales peuvent ou non être regroupées dans un glossaire. La plupart de ces glossaires
sont très éloignées des exigences minimales de la lexicographie actuelle. Cf. Chambon (1989) et
Buridant (1999).
390 Frédéric Duval
est le premier d’entre eux et sans doute le plus évident, mais il n’est que l’un d’entre
eux. La graphie, la ponctuation, la mise en page… font sens au sein de systèmes
sémiotiques qui dépassent largement le texte.
Alors que les corpus textuels se développent et que les éditions savantes sont
appelées à être numérisées, les dix-septiémistes ont un lourd défi à relever. D’une part
la modernisation limite considérablement l’empan des interrogations pertinentes.
Ainsi, pour une étude de la graphie ou de la ponctuation, mieux vaut recourir
aujourd’hui à des corpus formés à partir de Google Books ou de Gallica plutôt qu’à
partir des corpus Garnier ou Frantext. D’autre part, la fidélité à un exemplaire original
ouvre la porte à un travail largement automatisable. Le projet IMPACT (IMProving
ACcess to Text <http://www.impact-project.eu/>) a montré qu’il serait très bientôt
possible, à partir de numérisations en mode-image, d’aboutir à de bons résultats de
lemmatisation et à des recherches pertinentes en ligne. À ce stade, rien n’empêche de
ménager des liens hypertextes avec les entrées des principaux dictionnaires du XVIIe
siècle. Bien sûr, la disponibilité de reproductions anciennes en ligne est un argument
servi par les partisans de la modernisation : les curieux pourront se reporter à
l’original…
Est-ce à dire que les éditions ne vaudraient plus que par leurs notes critiques
et leurs introductions littéraires ? Il semble urgent de se demander quelle plus-
4 Bibliographie
Barbiche, Bernard/Chatenet, Monique (1993 [1990]), L’édition des textes anciens XVIe–XVIIIe siècle,
Paris, Inventaire général.
Berman, Antoine (2004 [1985]), La traduction et la lettre ou l’auberge du lointain, Paris, Seuil.
Bernazzoli, Cristina (ed.) (1998), Georges de Scudéry, Alaric, ou Rome vaincue, Fasano,
Schena.
Les éditions de textes du XVIIe siècle 391
Bertrand, Dominique (ed.) (2008), Charles Coypeau Dassoucy, Les Aventures et les prisons, Paris,
Champion.
Bray, Bernard (ed.) (2005), Les lettres authentiques à Nicolas Heinsius (1649–1672), Paris, Champion.
Buridant, Claude (1999), Proposition de protocole pour la confection de lexiques de français pré-
classique, Le français préclassique 6, 115–133.
Catach, Nina (1983), La graphie en tant qu’indice de bibliographie matérielle, in : Roger Laufer (ed.),
Delaplace, Denis (ed.) (2008), Olivier Chereau, Le Jargon ou Langage de l’Argot reformé, Paris,
Champion.
Denis, Delphine (ed. sous la dir.) (2011), Honoré d’Urfé, L’Astrée. Première partie, Paris, Champion.
Descotes, Dominique (ed.) (2009), Blaise Pascal, Antoine Arnauld, François de Nonancourt, Géomé-
tries de Port-Royal, Paris, Champion.
Descotes, Dominique (ed.) (2011), Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique, ou l’Art de penser,
Paris, Champion.
Dufour-Maître, Myriam (ed.) (2010), Michel de Pure, La Précieuse ou Le Mystère de la ruelle, Paris,
Champion.
Dutertre, Eveline/Moncond’Huy, Dominique (edd.) (1992), Georges de Scudéry, Le prince déguisé, La
mort de César, Paris, Société des textes français modernes.
Ernst, Gerhard/Wolf, Barbara (edd.) (2005), Textes français privés des XVIIe et XVIIIe siècles, Édition
électronique, Tübingen, Niemeyer.
Ferrari, Stéphan (ed.) (2001), Jean-Pierre Camus, L’Amphithéâtre sanglant, Paris, Champion.
Forestier, Georges (1999), Racine, Œuvres complètes, Paris, Gallimard.
Forestier, Georges (ed. sous la dir.) (2004), Jean de Rotrou, Théâtre complet, t. 7, Paris, Société des
textes français modernes.
Forestier, Georges/Bourqui, Claude (ed. sous la dir.) (2010), Molière, Œuvres complètes, Paris,
Gallimard.
Gendarme de Bévotte, G. (ed.) (1906) / Guichemerre, Roger (mise à jour) (1984), Le festin de Pierre
avant Molière : Dorimon, de Villiers, scénario des Italiens, Paris, Société des anciens textes
français.
Giraud, Yves (1997), Protocole pour l’édition de textes imprimés en moyen français (ca. 1480–ca.
1620), Bulletin de liaison de la Société Française d’Étude du Seizième siècle 42, 37–40.
Giraud, Yves (2001), Lire Racine, vraiment ?, Revue d’histoire littéraire de la France, 303–309.
Greetham, David C. (1999), Theories of the Text, Oxford, Oxford University Press.
Greg, Walter W. (1966), The Rationale of Copy-Text, in : Walter W. Greg, Collected papers, Oxford,
Kirsop, Wallace (1987), Les habitudes de compositeurs : une technique d’analyse au service de
l’édition critique et de l’histoire des idées, in : Giovanni Crapulli (ed.), Trasmissione dei testi a
Voltaire Foundation.
Lagarde, André/Michard, Laurent (1961), XVIe siècle, Les grands auteurs français du programme,
Paris, Bordas.
Lambin, Gérard (ed.) (2010), François Hédelin, abbé d’Aubignac, Conjectures académiques, ou dis-
sertation sur l’Iliade, Paris, Champion.
Lasserre, François (ed.) (2008), Les cinq auteurs, La Comédie des Tuileries et L’Aveugle de Smyrne,
Paris, Champion.
Laufer, Roger (1972), Introduction à la textologie. Vérification, établissement, édition des textes, Paris,
Larousse.
Laufer, Roger (1982), L’esprit de la lettre : d’une lecture matérielle des livres, Le Débat 22, 146–159.
Lecoy, Félix (1978), L’édition critique des textes, in : Alberto Vàrvaro (ed.), Atti del XIV Congresso
Marrache-Gouraud, Myriam/Martin, Pierre (edd.) (2004), Paul Contant, Le Jardin, et Cabinet poétique
(1609), Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Marzys, Zygmunt (ed.) (2009), Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, Genève,
Droz.
Maynor Hardee, A. (ed.) (1991), Nicolas Chrétien Des Croix, Les Portugaiz infortunez, Genève, Droz.
Méchoulan, Eric (ed. sous la dir.) (2008), Recueil de lettres nouvelles dit « Recueil Faret », Rennes,
Scherer, Colette (ed.) (1997), Jean Claveret, L’esprit fort : comédie, Genève, Droz.
Canettieri/Arianna Punzi (edd.), Fra Autore e Lettore : la filologia romanza nel XXI secolo fra
en cours, in : Louis Hay/Péter Nagy (edd.), Avant-texte, texte, après-texte, Paris/Budapest, éd. du
Minuit.
Visentin, Hélène (ed.) (2004), François de Chapoton, La descente d’Orphée aux enfers : Tragédie
Meyer (1909 ; 1910, 230–233). Bonnes recommandations, bien qu’assez vagues, justifiant un
Roques (1926),1 décrit d’abord le plan pour un glossaire sérieux, le rejette aussitôt,
pour finalement recommander un succédané, même pas un ersatz :
« 6. Glossaire. – Il serait très souhaitable que des glossaires complets fussent établis pour un
syntaxe et de stylistique, y trouveraient une base solide. Ces glossaires devraient enregistrer non
1 Les sigles utilisés ici sont ceux du Dictionnaire étymologique de l’ancien français (Tübingen 1971–)
dont la Bibliographie est imprimée (2007) et consultable en ligne (http://www.deaf-page.de : version
de travail « évolutive »). – Les entrées de glossaire citées ici comme exemples sont modifiées partielle-
seulement les mots de texte, mais aussi, avec les indications nécessaires pour les reconnaître,
ceux des variantes ; ils devraient distinguer clairement les restitutions de l’éditeur des formes de
l’original ; ils pourraient préciser enfin que les mots se trouvent ou non à la rime ou à l’assonance.
Mais ce n’est pas là à proprement parler une tâche de l’éditeur. Celui-ci ne doit à son lecteur que
l’explication des termes, sens ou formes, difficiles et rares ou particuliers au texte qu’il publie ou
qui appartiennent à un vocabulaire exceptionnel, local ou technique. L’absence d’un lexique
classique de l’ancien français et, jusqu’au Petit dictionnaire de Levy, de l’ancien provençal a
obligé beaucoup d’éditeurs à dresser des glossaires incomplets, mais étendus, où s’enregistrent
les expressions les plus simples et les plus banales, au détriment bien souvent de l’explication
précise des expressions vraiment dignes d’étude. Il y a eu là depuis cinquante ans une grande
déperdition de force, de temps et d’argent. Le remède est dans l’établissement et la publication
d’un lexique manuel de l’ancien français : les mots ou sens enregistrés dans ce lexique comme
dans celui de Levy ne devraient plus figurer dans les glossaires purement explicatifs des éditions,
qui pourraient être ainsi très réduits. Un lexique de ce genre est en préparation pour la collection
des Classiques français du moyen âge ».
Foulet/Speer (1979), un petit guide assez influent, adoptent en fait ce point de vue
réduit de Roques (1926, 104–109) et discutent les inclusions et exclusions de façon
pragmatique :
« To choose entries for the selective glossary, the editor should first single out words which have
perplexed him, words he had to look up in Godefroy or Tobler-Lommatzsch. Then he should add
words which he may know but which could puzzle a reader less familiar with the dialectal traits
of the text, the idiosyncratic spellings of the basic manuscript, or the technical aspects of the
subject matter » (105).
Pour les exclusions, ils se réfèrent encore à Roques en préconisant non plus le « Petit
Godefroy »,3 mais « today possibly Greimas ».4 En somme, leurs recommandations
2 J.-P. Chambon, RLiR 70,124, cite par conséquent le texte à partir de « l’explication de termes » (une
ligne plus loin). – C. Brunel, Bull. Soc. Hist. Fr. 77, 1941, Paris 1942, 275–278, suit Meyer et Roques ;
recommande des notes au bas de page pour des mots difficiles ; par une liste de mots qui manquent
3 C’est une erreur : Roques parlait du Petit Levy (LvP, dict. anc. occitan). Foulet et Speer pensaient
probablement à GdfLex qui contient des suppléments à Gdf non documentés, c’est-à-dire des mots
qu’il faut au contraire absolument enregistrer ! Ce dictionnaire garde une certaine importance pour la
métalexicographie, v. Städtler ActesMfr10 207–278 : documente des mots sans documentation dans
Gdf. LvP est également une pierre de touche douteuse, car il contient de même des suppléments à Rn et
Lv non documentés (Chambon, RLaR 101, 1997, 255).
4 Comme nous n’en parlerons plus, disons ici simplement que l’utilisation du dictionnaire de Greimas
a fait beaucoup de mal. Noter le « possibly ». Comme Greimas repose sur Grandsaignes d’Hauterive, il
faut se souvenir de la remarque de Félix Lecoy : « … avec renvoi au d’Hauterive, dont la moindre
pudeur exigerait qu’on ne le mentionnât pas ! » (R 92, 1971, 430). Son pendant mfr. est pareil, v.
Ce manuel est repris par Lepage (2001). Son chapitre sur le glossaire s’est réduit à
une page et demie de remarques générales :
« La confection du glossaire peut paraître aisée, et même amusante : un logiciel peu coûteux peut
en effet fournir en très peu de temps une concordance complète du texte édité… Mais l’opération
est délicate. Il n’est, pour s’en persuader, que de parcourir les comptes rendus, parfois assassins,
de Gilles Roques ou de Takeshi Matsumura, dans la Revue de linguistique romane. On y apprend
vite que la constitution d’un glossaire est un exercice rigoureux et qu’on ne s’improvise pas
lexicographe ».5
Il est vrai qu’une concordance ne coûte rien et ne sert à rien. Lepage continue : « Le
glossaire doit enregistrer tous les mots et locutions d’interprétation délicate : mots
pages) à tous les aspects de l’édition de textes d’archives et de textes littéraires. Dans
le fascicule I il n’est pas question de glossaire, par contre dans le chapitre « Index et
« L’index rerum pourra être aussi le lieu de proposer des interprétations pour certains termes
rares ou délicats, à moins que la finalité de l’édition (édition de documents philologiques, etc.)
n’impose la présence d’un glossaire séparé » (170).
Le fascicule III, Textes littéraires, mentionne plusieurs index, dont l’index verborum
qui « peut servir à la fois d’index matière et de guide à l’usage linguistique de
l’auteur… Entre un tiers et un quart des mots du texte ont ainsi été retenus par
l’édition d’Orderic Vital, qui peut servir de modèle6 … Assorti d’une traduction, l’index
se transforme en glossaire… » (99). Phrases clés :
« Le glossaire, réduit aux mots rares ou inusités et aux sens insolites, est un outil préparatoire
pour le lexicographe. Mais il permet aussi à l’éditeur de tester son édition. La responsabilité des
éditeurs est engagée lorsqu’ils engrangent des mots simplement fautifs. Une vérification scrupu-
leuse de tous les mots qui éveillent l’intérêt amène parfois à corriger l’établissement du texte
(avec note)7 » (100).
5 Le terme d’assassin convient mal : ce n’est pas le compte rendu qui assassine, c’est l’éditeur innocent
qui se sent assassiné, puisqu’il ne se doutait de rien. Pour les divergences entre les comptes rendus cf.,
à titre de travail pratique, ceux mentionnés dans DEAFBibl sous GuillAnglH (G.R. : « modèle » ; T.S. :
« rééditer »), GuillPalMa, GlAngelusP, etc. Cas extrême à signaler aux étudiants : PassIsabD est jugé
« édition très soignée… pierre angulaire… pierre de touche » (J.D., p.4 de couverture), mais dans les
comptes rendus « une calamité » (G.R., ZrP 109,435), « Même les cotes des manuscrits sont inexactes »
(G.H., RLiR 56,316), « unbefriedigend » (C.W., VRo 51,281–284), « äußerst mangelhaft » (F.L., ZfSL
104,193).
6 Le glossaire ‘modèle’ propose des articles comme u i l l a , village, estate, vill, manor, aux références
non triées.
7 Le glossaire ‘modèle’ propose par ex. a g i t a m e n ‘impulse, disturbance’, avec une seule référence.
400 Frankwalt Möhren
Bien des études et comptes rendus donnent des informations ponctuelles sur la
8
confection de glossaires, mais rares sont ceux qui systématisent le sujet (notam-
ment de la plume de Jean-Pierre Chambon, de May Plouzeau et de Takeshi Matsu-
mura9).
Une liste de mots d’un texte, établie à la main ou à la machine, sélective ou complète,
s’appelant alors concordancier,10 ne saurait fournir autre chose que des informa-
tions.11 Le glossaire est au contraire un travail philologique et lexicographique qui
reflète du savoir. « La lexicographie a un rôle de validation, d’organisation, d’intégra-
convient donc d’appeler une liste de mots « liste de mots ». Le terme de « diction-
8 Dernièrement Ph. Ménard exposant son édition JLongOdoA, dans Comptes rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Janv.-Mars 2011, Paris [2012], 23–54, spéc. p. 38 « Le
glossaire de l’édition sort des habitudes courantes des éditeurs, qui veulent seulement préciser le sens
de quelques termes, sans se soucier de l’histoire de la langue… Il convenait… [par la consultation des
dictionnaires] de mettre en relief les particularités et les innovations lexicales du texte ». Toujours
amusant : K. Baldinger, Splendeurs et misères des glossaires (à propos de nouvelles recherches rabelai-
siennes), ActesMfr (1988) 265–288. – La très bonne introduction à la science de l’édition de Thomas
Bein ne consacre pas une ligne au glossaire (Textkritik. Eine Einführung in Grundlagen germanistisch-
mediävistischer Editionswissenschaft, Frankfurt, Lang, 22011). Fr. Duval, dans ActesPhil 147–148,
n’approfondit pas la question.
9 Par ex. le travail de T.M. dans MélShimmura (1998) 111–141 et les comptes rendus de PèresPrI5/7S
par J.-P.Ch. dans ZrP 112 (1996) 158–159 et de PercefR3 par M.P. dans R 119 (2001) 242–271, ou de
MeraugisS par M.P. dans R 112,543–588 ; 130,134–201 ; 407–472 ; pas plus indulgent : Jean-Pierre
Chambon, Emmanuel Grélois, Philippe Olivier, compte rendu de R.A. Lodge, ed., Les comptes des
consuls de Montferrand (1346–1373), Paris, École nationale des Chartes, 2010, in RLiR 76 (2012) 281–316,
spéc. 294–311. À titre de comparaison seulement : compte rendu de MPolGregM par F. Möhren,
1240.
11 Aujourd’hui le dépouillement automatique est de règle (cf. « Aide à l’édition de textes » sur le site
ATILF), mais la position de Jean-Gabriel Gigot, DocHMarneG p. LXXVI, reste valable : « le lent travail
tions réduites, mais les emplois varient.12 On prendra soin de différencier la « lexico-
désignation similaire, n’a pas grand-chose en commun avec notre sujet (si un éditeur
conçoit de telles gloses, il les placera en note).
Le glossaire est le résultat d’un travail éminemment pratique. Il n’est pas utile de
l’accompagner d’un traité lexicologique ou de le surcharger de notions de lexicologie,
de sémantique, de phonétique, de dialectologie, d’histoire linguistique, d’histoire
générale, de syntaxe, de morphologie, de stylistique etc. Mais toutes ces sciences sont
nécessairement sous-jacentes au travail de l’éditeur glossairiste, sans quoi un glos-
saire faisant partie d’une thèse par exemple lui gâche la mention passable. À côté de
la pratique qui suit certaines règles se trouve toujours un système théorique qui
justifie ces règles. Le silence sur ces règles n’implique pas qu’il n’y en ait pas. Mais s’il
n’y en a vraiment pas et s’il n’y a pas un grain de savoir, son auteur se fera remarquer.
En analysant la langue et son vocabulaire l’éditeur de texte, l’outillage en tête,
observera les qualités de « son » texte et les particularités du vocabulaire. Il écrira des
chapitres de l’introduction qui réuniront les remarques sur l’auteur, les sources, les
manuscrits, la graphie, le scriptorium, la datation et la localisation du texte et des
manuscrits, les traditions de discours (comprenant les inclusions isolées et les nids de
vocabulaires spécialisés), le vocabulaire et son exploitation lexicographique, la syn-
taxe, la morphologie, la police de transcription et d’édition, les qualités ou défauts
des éditions antérieures, les aspects littéraires comme le style, la versification, etc. Ces
chapitres résultent de notes prises au cours de l’établissement du texte et du glossaire,
car leurs sujets touchent nécessairement l’analyse lexicologique ou en émanent. Ces
chapitres allégeront le glossaire d’observations répétées et résument les résultats
généraux.
Les lignes qui suivent essaient de présenter les règles essentielles de façon
concise, tout en les justifiant en accord avec la lexicologie et en les illustrant par des
(contre-)exemples. Il n’y a pourtant pas intérêt à ériger un système « nouveau », une
sérieuses et véritables formulées dans les revues. Parmi les glossaires importants nous
son site. C’était Foerster qui avait appelé son lexique Wörterbuch zu Kristian von Troyes’ sämtlichen
Werken. Voir aussi ActesRechAgn 159 : Kunstmann différencie lexique et dictionnaire.
402 Frankwalt Möhren
comptons : BrittN (1865), Foerster (11914) pour Chrestien (à confronter avec le DÉCT de
pas dire dans chaque cas « en accord avec les règles établies ici », mais plutôt
3 Destinataires du glossaire
Le premier destinataire du glossaire est le chercheur éditeur.
Une fois l’édition matérielle d’un texte (provisoirement) terminée, son éditeur s’inter-
roge ou non sur le sens d’un glossaire à établir. Normalement, il propose ce qui est
recommandé : aider le lecteur en cas de difficultés de compréhension. La plupart des
introductions en parlent, quel lecteur visent-elles ? Le laïque qui feuillette par distrac-
tion chez le bouquiniste le livre non encore coupé ? L’homme cultivé qui meuble sa
serait servi par un glossaire lui ouvrant les yeux ? Ou le collègue qui pâlira devant les
13 BrittN, assez complet, donne des équivalents angl. bien choisis, parfois des étymologies, des
équivalences ou congénaires fr., des expressions comme heu et cri, des collocations (WAUCRUE , used
with viaunde), des critiques lexicographiques (sub WAYOUR par ex.), etc., bref, un glossaire qui déclasse
toute la production récente. – Exemple intéressant : GuillFillConsH, glossaire par Helena Häyrynen.
Bonnes idées, bonne exécution, mais très inconsistant : définitions juste suffisantes (accident n. m.
‘phase (de la maladie)’) alternent avec des définitions insuffisantes (admiration n. f. ‘le fait d’admirer’,
v. infra) ; mention de binômes, mais pas toujours (« accident… forme un binôme synonymique avec
circumstances [pl. !] »), le texte se lit regarde et considere longuement l’estat de son patient et les
syntagmatiques » peut mener bien loin : Chambon, RLiR 70,136, sens 3., trouve liés à don m. collation
et presentacion qui désignent des faits juridiques bien différents et non liés sémantiquement. [Don y est
un terme de droit qui désigne une donation ou fondation (et son droit) du type donatio reservato
usufructu, souvent jointe du droit de présentation d’un prébendier correspondant ; de là les contextes
je deteng lo don, DocHMarneG 22,19, seient signor del don, 22,20, li dons ou (‘y compris’)la presentacions
de la dite chapelerie demoure a touz jourz a moi et a mes successours, 164,10, retenons le don, 238,3, etc. ;
dans ce domaine, don ne désigne que rarement le simple abandon de propriété : à revoir.] – Meyer
BullSATF 35,77 avait signalé TristThomB comme glossaire modèle ; sa nomenclature est en effet bonne.
Lecture recommandée : YonH gloss., et compte rendu époustouflant par May Plouzeau, RCritPhR 8
(2007) 30–67, incluant une bonne prise de position de l’éditeur, J.-Ch. Herbin [la prise de position est
régulière dans cette revue et n’a rien à voir avec le « droit de réponse », souvent déplaisant].
L’art du glossaire d’édition 403
types de glossaires.
Le premier destinataire du glossaire est pourtant l’éditeur lui-même. Il en a grand
besoin, car sans l’établissement du glossaire complet, mot par mot, selon les règles ici
réunies, il ne comprend pas son texte, parce qu’il lui manquerait essentiellement le
jugement sur la langue mise en œuvre dans son texte.14 Et qui, sinon l’éditeur, doit
comprendre le texte à éditer ? Jean Rychner a formulé le programme il y a cinquante
ans : « le philologue s’efforce d’établir les textes […], de les comprendre lui-même et
de fournir les instruments (notes, glossaire, etc.) qui permettront au lecteur de les
comprendre ; de les apprécier pour eux-mêmes et dans l’histoire, histoire de la
littérature, des idées, etc. » (StN 34, 1962, 7). Il est bon de se rappeler aussi d’Albert
Henry : « … personne ne peut dire dans quelle mesure il connaît, et ignore, l’ancien
français, s’il n’a pas rédigé le glossaire complet d’une œuvre au moins » (BodelNicH3,
verbe faire, mais on relèvera telle expression, telle construction !, de vivre, mais…
14 S’ajoute une raison pédagogique : sans être forcé de contrôler dans la lexicographie le sens de
chaque mot pour son glossaire, l’éditeur passe légèrement sur maint problème (v. ActesAlteNeuePhil
161 et les exemples suivant ici). Il s’en déduit aussi qu’il est foncièrement aberrant de publier l’édition
dans un premier volume, suivi, parfois des années plus tard, par un volume d’introduction avec
glossaire (élaboré après coup, par ex. ProvSalSanI : 6 années d’écart) ; théoriquement, c’est un procédé
à proscrire.
15 Les bons auteurs de comptes rendus le disent régulièrement, plus ou moins directement, par ex.
« Le manque de culture lexicographique a d’ailleurs des répercussions sur la compréhension du texte »
(Takeshi Matsumura, RLiR 70, 273) ; « quelques petites faiblesses du côté de la lexicologie française,
qui l’ont parfois incité à chercher inutilement des solutions vers l’italien » (G. Roques, RLiR 74, 547) ;
très circonspecte et intéressant par sa méthode : Françoise Vielliard, BEC 169 (2011/2013) 269–283 au
sujet de AiméHistNormG, édition « inutile » et « inutilisable ». Toujours très étoffés et systématiques les
comptes rendus de May Plouzeau dans RLaR, RLiR, R, RCritPhR, etc. ; lecture obligatoire : celui
concernant PercefR3 (une excellente édition), dans R 119 (2001) 242–271. – Objets standard du bon
compte rendu : texte, son auteur, sources, manuscrits, reproduction d’une page du ms. de base au
moins (belle solution : reprod. sur les fausses gardes dans GarMonglGirD), scriptorium, datation et
localisation du texte et des mss., tradition du discours, vocabulaire, principes et qualité du glossaire,
des notes, de la table des noms propres, aspects littéraires, style, versification, morphosyntaxe,
principes de l’édition, qualité de la transcription (dépassant le ‘inspire confiance’ ; ex. : Städtler ZrP
Albert Henry, éditeur des plus expérimentés, a avoué un jour que « neuf vers octosyl-
réflexion » (Bull. Ac. Roy. Belg., Lettres, 6e sér., t. 4, 1993, 360). Heureusement tous les
textes n’exigent pas autant de temps, mais, les exemples réels suivant ici fournissent
la justification d’un travail intense qui satisfera et rémunerera le chercheur éditeur.
Laisser au contraire une suite de lettres ou traits de plume sans signification comme
fendestes dans une ‘édition’, alors qu’il faut lire et comprendre feudestés m. ‘sorte de
siège symbolisant le pouvoir’ ne peut guère être satisfaisant.16
La quête des ‘richesses’ d’un texte est régulièrement recommandée par les comp-
tes rendus d’éditions « charriant – souvent à l’insu des éditeurs eux-mêmes et c’est
bien là le drame – des matériaux à prendre en compte » (G. Roques, MélMöhren, 233).
La négligence des ‘richesses’ peut être déplorable, mais le fait de ne pas connaître, et,
par conséquence, de ne pas faire connaître les valeurs de son texte à éditer est
navrant. C’est pour cela que la recommandation de relever « largement tous les mots
ou tous les sens qui dans l’état actuel de la documentation ne sont pas usuels… (mots
rares, archaïsmes, néologismes) » (G. Roques, ActesSémMfr 15) fourvoie le glossai-
riste. L’expérience montre aussi qu’une traduction du texte n’est jamais suffisante, si
le glossaire complet n’a pas précédé : libre, fidèle ou littérale, toute traduction trahit
nommé] ( ?), dans un passage difficile de ConqIrlO (de 1892) 1016, manque dans son
glossaire, comme dans ceux de ConqIrlC et ConqIrlMu (de 2002).18 L’éditeur coura-
fournit la glose faudestole, tirée d’un autre manuscrit. – V. aussi le compte rendu de ErecFr2 et al., RLiR
59 (1995) 621 dernier alinéa., ou le glossaire de HouceP N avec son CIR E , grant ~, ‘grand-père’, au lieu de
CIRE
grantt ire (E cil a grantt ire i ala E parla sicome en courouce ; corr. par Städtler), etc. Lire les comptes
G. Roques RLiR 59,634 au sujet de AdHaleB, flagellant le principe et avec l’ex. de la traduction
d’escoufle par ‘buse’, alors qu’il faut ‘milan’ [pour des raisons linguistiques – et littéraires !]. Plainte
ConqIrlD 1016, traduit ‘strengthen it with stakes’ ; ConqIrlC écrit a fin, ConqIrlMu corrige en en fin (sans
geux accueillera ces matériaux dans son glossaire tout en avouant qu’il ne comprend
pas. Il est même probable que ce geste à lui seul le poussera à creuser davantage et
qu’il trouvera et comprendra.
Le chercheur à l’orientation plutôt littéraire renoncera plus volontiers au glossaire
suffisant à une analyse de la langue, puisque la linguistique ne semble pas relever de
son ressort. Les conséquences négatives sont pourtant criantes.19 Par ex. : L’édition
ColMusC de 2005 comprend musel m. comme ‘musard, oisif’ en accord avec Gdf
5,455b, mais TL 6,453,40 l’avait déjà correctement interprété comme ‘bouche (de
l’homme)’ (Matsumura, ZrP 123,524). Autre exemple tiré d’une édition d’une charte :
Se aucuns defaut de jor, je i ai set souz est traduit « Si quelqu’un refuse de porter
secours pendant la journée, il me doit sept sous », où jor est en réalité un terme
554,42–555,39). Dans AdHaleRobD 387, Marion, amoureuse, dit Acole moi, ce que
l’éditeur Dufournet traduit par « Prends moi par le cou » – goûts bizarres. Dans
chacun de ces cas, le texte, ou plutôt la traduction du texte n’est pas trop déparée,
mais son sens n’est pas rendu. C'est dans ce sens qu’Albert Henry résume en tête de
son glossaire : « Il est inutile d’insister sur l’intérêt que peut présenter un lexique
complet du Jeu de saint Nicolas, et pas simplement en vue d’une meilleure compré-
hension de l’œuvre » (BodelNicH3). Il s’avère vite que l’interprète qui ne s’outille pas
‘faire attention à’, PelVieD 4416, semble notable. Par bonheur, DEAF G 222,54 enregis-
tre la construction et le sens (2 att.), mais une datation en toutes lettres y est à suppléer
(1283 et 1er q. XIIIe s. ms. déb. XIVe s.) ; PelVie pourrait fournir la dernière date par
rapport au DEAF (et le FEW), mais dans DMF II.A.1.b. 3e alin. on trouve une attestation
de ca. 1460, et dans Hu 5,124b sub MANGER subst. une de ca. 1550 ; le glossaire de
PelVieD a donc raison d’enregistrer le fait et de faire les recherches. Comme le saut
maximal n’est pas réalisable, ni même souhaitable, il faut trouver une balance entre
un glossaire carrément ridicule et un glossaire au delà de l’idéal. Une contrainte
19 Se souvenir de la prise de position d’Albert Henry : « Il n’y a pas de barrière entre linguistique,
critique des textes et esthétique littéraire : rétablissons ou maintenons l’unité de la Philologie », dans
Romania 73 (1952) 407. Cette conception ancienne de la philologie ne s’est malheureusement toujours
pas rétablie en France.
20 PelVieD reviendra ici comme exemple à plusieurs reprises, puisque le présent auteur a pu partici-
per à cette édition terminée au printemps 2012. On cite le glossaire ample, accessible par le biais de
DEAFBibl, en ligne.
406 Frankwalt Möhren
extérieure, par ex. dictée par une maison d’édition ou par une collection moins
savante (dont le chercheur se laisse faire21), ne compte plus aujourd’hui, car tout
travail peut se publier en ligne (comme dans le cas de PelVieD : version ample du
5 Fonction du glossaire
L’ensemble des « gloses » du glossaire ne représente pas le fractionnement d’une traduction du
Le glossaire ne sert pas à offrir des translations possibles d’un mot dans le contexte de
sa traduction, il sert à saisir d’abord le sens du mot et par ce biais le sens du texte, à
situer pour le lecteur l’emploi des mots (tirées d’une langue) dans le langage du texte.
Qui veut servir un texte aux fins lettrés – qu’il le traduise ; la traduction est le terrain
lexicographie permet des conclusions sur la position du texte dans l’histoire, dans sa
saire : il devrait être un reflet du texte et pas de la langue. Ici, nous nous opposons fermement à cette
22 Cf. Wulf Oesterreicher, Sprachtheoretische Aspekte von Textphilologie und Editionstechnik, dans
ActesAlteNeuePhil 111–126, spéc. 112, hiérarchisant sémanticité (caractère sémiotique du langage),
altérité (comme rapport de tout langage à un alter ego, d’où l’impossibilité d’une langue privée
[désignation en conflit avec l’altérité historique, opposée à l’identité ou similarité]), créativité (de
chaque acte de parole), historicité (la langue étant changement), extériorité (côté matériel : son et
écriture), discursivité (coordination nécessaire du côté sémantique et du côté matériel dans la produc-
tion langagière).
23 Il y en a qui proclament le contraire – ils ont tort : ils semblent se méprendre sur le glossaire comme
stimulant effectif, elle aiguise l’esprit critique et elle défait la vénération ; à l’inverse,
texte, la préface, les notes ? Personne. C’est le plus souvent le glossaire qui fournit les
points d’amarrage pour les lexicologues, les dialectologues, les phonéticiens, les
historiens, les spécialistes des choses, des motifs, de l’allégorie, de la littérature
comparée etc. : le glossaire est la clé de votre travail.
6 Définition
Dans la définition se cristallise l’analyse sémantique du texte et du mot.
L’unique raison d’établir une édition est de donner un texte à lire. Sa lecture sert à
apprendre le contenu du texte, à comprendre son sens. Le sens est entièrement lié au
sens des mots, même dans le cas particulier des textes non-sens (par ex. FatrArr). Le
glossaire est nécessaire pour pénétrer le texte plus profondément que par une simple
lecture ou par une traduction. Pour que le glossaire puisse produire cet effet, il est
24 Cette position est parallèle à l’exigence de décrire un ms. non seulement en fonction de ce qui le
singularise par rapport à la base, mais aussi en fonction de ce qu’il partage avec cette base (M. Plou-
soient correctement choisis). Par ex. : enterin adj. ‘entier’, DÉCT, est documenté par
esmeraude anterine, comparable aux attestations classées sous ‘entier, parfait, sans
faille’ du DMF A.2., et par joie anterine, proche des attestations sous ‘loyal, parfait,
intègre, irréprochable, pur’ du DMF B.2.
Parmi les lexicographes modernes on s’est beaucoup amusé à propos de ‘défini-
tions’ du type « LUCCIO . Pesce noto. Lat. lucius » (Crusca 1612) ; « Lampreda è pesce
noto » (Calepino 1553) ou « BROCHET , s.m. Poisson connu qui est de lac, d’étang & de
cuisine 1767) – mais est-ce si bête ? Le genre prochain est correctement indiqué et
‘connu’ renvoie au sens premier du terme dans la langue moderne. Tout le monde
reconnaîtra au contraire que ‘pieu’ pour pel (CharroiP, collection CFMA) ou ‘aigle’ pour
aigle et ‘graisse’ pour gresse (MPolGregM t.6)26 ne saurait que fournir l’identification
de la forme, le sens restant ouvert : au cher lecteur de se débrouiller. La « définition »
dans le glossaire de DocHMarneG (gloss. par J. Monfrin), ce qui nous rejette sur frm.
congé bien que le mot ait dans le texte un sens incompatible avec les sens du mot frm.27
La plupart de ces pseudo-définitions n’améliorent pas la compréhension du mot ou du
texte, au contraire, le lecteur doit recourir au texte pour comprendre non seulement le
mot glosé, mais encore la « glose » de l’éditeur (quelle faillite !). DuvalRome 20 justifie
pourquoi même consul m. ‘consul’ est faux pour un texte du moyen âge.28 Voici un
25 C’est pour cela que « CHOUETTE , oiseau » dans BW5, qui ne définit jamais, n’est pas ridicule, le mot
qui n’est souvent pas vrai dans le cas des gloses traductives des glossaires.
26 Nombre d’exemples: esté m. ‘belle saison’ (question de mousson: .ii. venz, l’un vente l’yver et l’autre
l’esté, 160,56), geule ‘tête’ (sic), etc., mais au contraire cerchier ‘parcourir en tous sens, quadriller un
terrain, fouiller un espace pour trouver’.
27 TL 4,1551 donne à l’expression adv. *a jalonees deux ‘sens’, ‘à pleines mains’ et ‘parcimonieuse-
ment’ ; ces offres de traduction fonctionnent dans les traductions des contextes respectifs, mais un tel
sémantisme d’une seule expression est impossible. V. pour ce cas exemplaire F. M., De l’analyse
sémantique du lexique ancien, in ActesMetalex3 (2012), pp. 27–58, spéc. 38–39 et 54. Autre ex. : abrievé
exemple plus bénigne : umilité f. ‘bonté’ (PercefR5) fonctionne assez bien dans la
traduction virtuelle du texte (mercy de l’umilité et de l’onneur que vous me faittes), mais
le texte gagne en profondeur si l’on se rappelle les sens d’umilité et des emplois
parallèles comme (faire) umilité chez CommC, alors définissable ‘qualité morale (d’un
personnage haut placé) qui, en réprimant en lui tout mouvement d’orgueil, laisse aux
autres leur sentiment de valeur’ (~ DMF A.3.). Ne pas oublier que si l’auteur avait voulu
dire ‘bonté’, il aurait dit bonté, un mot bien documenté dans le texte (et le glossaire).
Si les offres de traduction ne peuvent servir de définition, les séries de termes qui
s’ajoutent souvent pour restreindre ou serrer, monosémiser le sens d’une glose
traductive ne peuvent guère améliorer la chose, car ils ne font qu’atténuer un faux
sens du premier terme donné.29 La plupart des glossaires se servent de cette méthode
intuitive commode, bien qu’elle demande du lecteur un effort d’analyse linguistique
considérable (plus grand que celui de déchiffrer une définition analytique). Elle
devient souvent ridicule, surtout quand les termes choisis ne convergent pas. Par ex. :
« hua, sb. ‘chat-huant, hibou, milan’ (Strix otus) » (GaceBuigneB 1864) : scandale !, les
‘oiseau de la famille des Aquilidés, prob. milan royal ou noir’ et ajoute le commen-
taire : « désigne un faucon par dépréciation plaisante », ce que l’éditeur avait égale-
ment observé.30 Voilà la pensée de l’auteur que le philologue doit communiquer à son
lecteur pour qu’ils puissent tous les deux comprendre et savourer le texte. Ce cas
suggère encore une autre observation : si déjà le chercheur ne sait pas de quoi il s’agit
(‘espèce de Strigidé’ n’étant pas complètement exclu), pourquoi n’a-t-il pas le courage
de déclarer vaillamment ses doutes ? Un travail scientifique n’est pas déparé par
29 Même les synonymes ne sont jamais des équivalents (Robert Martin, Pour une logique du sens,
Paris, PUF, 1983, p. 162). – Bel essai d’explication : « on pourrait souhaiter un effort vers l’élaboration
de définitions. Or, comme il arrive dans la plupart des glossaires, les définitions par traits sémantiques
sont le plus souvent absentes, et remplacées par des traductions. Sans doute est-ce l’effet du poids de
la tradition, du souci de gagner de l’espace, et puis aussi, du goût, voire de l’ivresse des mots chez le fin
lettré qu’est notre éditeur » (May Plouzeau, RCritPhR 8,44).
30 Le milan royal avait une réputation particulièrement mauvaise, il est vorace et ne se laisse pas
dresser, v. PelVieD gloss. et B. Van den Abeele, in Reinardus 1 (1988) 5–15 ; id., in Aves 44,2 (2007) 119–
123. – Procédé extravagant : cumuler deux équivalents définitionnels différents pour une seule attesta-
tion, fondation f. ‘fondement ; revenu’, Chastellain, Paix, ed. Van Hemelreyck (G. Veysseyre, RCritPhR
8,90).
410 Frankwalt Möhren
superflu’ (FEW 152,113b, repris des sources secondaires), au lieu de ‘produit cosmé-
tique employé à l’embellissement ou à la modification du visage, fard’, ou pieche a
Satan ‘t. d’injure’ (FEW 8,339b,c.). Commentaire déguisé en définition : « Mfr. faitas
‘mot cité parmi ceux qui se rapportent au blé, mais de signification inconnue’ » (FEW
Le glossaire veut faire mieux, car il doit donner au mot ses qualités et son sens
précis.
La seule définition valable est la définition aristotélienne, composée du genus
proximum et des differentiae specificae, le genre prochain étant une notion qui
englobe le défini, différencié des désignations voisines par les traits distinctifs. La
définition classe (concerne tout le défini) et distingue (concerne seulement le défini).
Le tout est produit dans un syntagme : c’est la définition syntagmatique, certains
(Paul Imbs, en 1971, dans TLF 1, xxxv ss., xxxvii : « … la définition, qui est la forme
Trav. Ling. 23, 1991, 153). La définition analytique peut être concise, chaise f. ‘siège à
dossier et sans bras’ (RobP), ou développée, ‘siège pour une personne, à dossier et
généralement sans bras, rembourré ou non, typiquement fabriqué de bois, pliant ou
non…’.32 Ces développements sont souvent un moyen commode pour communiquer
des détails encyclopédiques, utiles notamment en rapport avec des faits historiques
peu familiers. Il importe pourtant de respecter l’exigence comme quoi la définition
doit couvrir tout le défini et seulement le défini : chaise curule f. ‘siège d’ivoire sans
31 De même pour blamarée, sous ‘MAÏS ’, FEW 21,117b : « id., dans quelques régions du Midi de la
France ».
32 L’ajout « généralement » est justifié par nombre de désignations courantes comme ‘chaise médail-
lon Louis XVI’, meuble qui peut se présenter avec bras, étant alors, selon la norme, nommé ‘fauteuil’.
33 DuvalRome 221a ‘avec des incrustations d’ivoire’ ; à corriger.
L’art du glossaire d’édition 411
est doublement erroné, parce que ‘cabine’ n’est pas le genre prochain, c’est ‘siège’, et
ce siège n’a pas besoin de cabine pour être appelé chaise.34
Une autre exigence traditionnelle est que la définition emploie des termes généra-
lement connus, appartenant au « français fondamental », et surtout que le sens du
terme servant à désigner le genre prochain coiffe vraiment le signifié à définir. Pour
ne pas tomber en adoration, il est bon de prendre RobP en mauvais exemple : fiente f.,
gue, dont le sens exclut au contraire le sens de ‘crotte’ ; le terme approprié aurait été
excrément.
Une pseudo-définition comme ‘celui qui sert’ pour serviteur par ex., est certes
syntagmatique, mais n’est pas mieux qu’un simple ‘équivalent’, puisque celui désigne
un genre sans valeur sémantique suffisante et servir est polysémique et plurivalent
(du café ?, son maître ?). Le développement ‘celui qui sert (qqn envers lequel il a des
devoirs)’ (RobP) est le plus concis possible et se fie déjà largement au savoir sémé-
mique du lecteur.
Le philologue glossairiste ne veut certainement pas se contenter d’une approche
moins scientifique que celle d’un ouvrage destiné au vulgaire comme le Petit Robert,
et il ne classera pas son lecteur sous le niveau du consultant de ce dictionnaire. On
n’exigera donc pas l’impossible si l’on recommande RobP comme modèle et son
Introduction comme guide minimum.35
34 Chambon RLiR 76,296 est assez gentil de recommander d’« adopter le style du DEAF…, à savoir :
définition componentielle, suivie d’une traduction ». En fait, un trop grand nombre d’indications de
sens s’est fait dans le DEAF même par des ‘équivalents’, comme DEAF G 5,23 gäaing m. ‘labourage’ (TL
‘Feldarbeit’ n’est pas mieux, mais plus correct quant au sens, car il s’agit des travaux divers exécutés
par des bœufs, pas seulement le labourage) ; G 6,50 bien gaagnant adj. ‘industrieux’ ; G 14,37 agas m.
accroissement de ‘bonnes’ définitions avec le temps et avec l’amélioration des principes. Gdf et TL ont
été conçus au milieu du XIXe siècle, FEW au début du XXe (le FEW reproduit le plus souvent les
définitions ou équivalents trouvés dans les sources secondaires). MöhrenVal (de 1975/80) donne
cendre f. ‘cendre’ : repère de linguiste (à éviter), cerenç m. ‘outil à fines dents qui sert à peigner le lin, le
chanvre, séran’ : correct. MöhrenLand (1986) est mieux. PelVieD, tranche des vers 1–5652 : assez
correct. Également l’AND opère avec des équivalents-repères, par ex. sac2 s. 1° ‘sack’… ; 4° (capacity or
weight) ‘sack’, pris comme exemple dans MélMartin2 292 pour critiquer à juste titre la ‘définition’ de TL
‘Sackleinwand [toile à sac], Sack’ pour une attestation de sac comme mesure (de laine) ; en fait le sac
de laine comme unité de vente est défini par son poids, v. MöhrenLand 234–236 : agn. sac m. ‘sac d’une
dimension donnée, servant au trafic de laine crue, contenant env. 350 livres de laine’.
35 Son exemple fonte f. ‘alliage de fer et de carbone’ est très suggestif (p. XIV ), sauf que la définition ne
concerne qu’un sens créé par restriction, excluant ‘métal, allié ou non, à l’état liquide, destiné à être
coulé dans un moule’ et ‘métal qui a été coulé (pour former un objet)’ toujours existants. Cf. frm. fonte
de fer (TLF 8,1060a, A.1.a), syntagme qui, en substituant fonte par la définition de RobP, serait
tautologique ; on agite & remue la fonte [de laiton] dans les creusets (J.-G. Galon, L’art de convertir le
412 Frankwalt Möhren
distinctif) qui distingue ce signifié (se référant à une chose donnée) d’autres (se
référant à autres choses), y a-t-il lieu de préciser davantage par l’indication d’autres
traits distinctifs, lesquels ? Est-ce que cette définition correspond aux définitions (ou à
contenus » comme le dit le titre d’un chapitre très recommandable par sa clarté et sa
Une sorte de guide pratique de l’analyse sémantique se lit dans Möhren, ActesMeta-
lex3 27–58, spéc. 39–53, chapitre « Un livre de recettes de l’analyse sémantique
historique ».
La règle ultra-simple affirmant qu’une définition doit pouvoir s’intégrer dans le texte
à la place du mot devrait éviter le défaut d’une ‘définition’ qui englobe une partie du
contexte. L’exemple : COSTUMA ‘tax payable to the King’ fait sourciller le lecteur, car il
cuivre rouge…, Paris, Desaint et al., 1764, 53b) ; Boulles de fonte de maintz divers metaulx (AndrVigne-
NapS, DMF), frm. poêle en fonte d’aluminium. – Également J.-P. Chambon prend RobP comme étalon
(RLiR 70,130). Les indications succinctes de RobP sont corroborées par A. Polguère, Lexicologie et
sémantique lexicale. Notions fondamentales, Montréal, PUM, 22008 (ne parle pas du glossaire).
36 Ce jeu commence dès le dépouillement. Plus complexe et plus profond : le chap. II., l’observation
des données et le rapport aux sources, de J.-P. Chambon, Tradition et innovation dans la refonte du
FEW, XVIII ACILPR, 7, 327–337, spéc. 330–333.
L’art du glossaire d’édition 413
obtient ‘pour la coutume payable au roi du roi’. ENFERRER , emferrer…, enferré p.p.
‘percé par le fer d’une lance’ (PercefR5) ne fonctionne pas dans le contexte estoit
enfferré [!] d’un tronsçon de lance ou costé senestre, on peut proposer ‘(personne [prob.
aussi animal] ou membre) qui est percé (par une arme restant (partiellement) dans la
plaie)’.37
Le contexte suggère fréquemment un sens nouveau là où il s’agit en fait d’une
image. Par ex. : extrange chevelure faire comme une tour sur ta teste, Daudin, est défini
dans DMF TOUR 1 B. 6e alin. : par anal. ‘objet édifié verticalement’. Certes, une coiffure
montée en hauteur n’est pas une tour, mais l’auteur ne dit-il pas ‘comme une tour’ ?,
verbalisant l’analogie par ‘comme’, ce qui implique que tour garde son sens premier.
Il peut y avoir hésitation, dépendant de l’interprétation du texte, par ex. nonvëant m.,
sens figuré, t. de relig. ‘celui qui n’a pas les lumières divines’, ou image, ce qui
voudrait dire sens propre ? : PelVieD 331 [J’enlumine les nonvëans Et donne forche as
recrëans, dit dame Grace Dieu] (TL 6,800,18 et DMF : sens propre ; noter le parallè-
naire. La solution parfaite est localisée entre les extrêmes. Simple pierre de touche : si
remplit pas sa fonction qui est de classer. On devine : il n’y a pas qu’une solution. En
usuelle d’une telle remarque est dans les notes (il faut alors un renvoi).
DuvalRome prend délibérément un autre chemin (à ne pas prendre dans un
glossaire !) : ce qui y est appelé ‘sens’, décrit plutôt le fait romain et traduit ou résume
des contextes latins (des textes sources), par ex. ‘siege, SENS : siège réservé à de hauts
37 Sim. : ait. disbatere v.intr. (abs.) ‘agitare una sostanza con la forchetta per dare…’ (en cuisine), LEI
5,495,30, faut-il absolument une fourchette pour battre les œufs, et pas un fouet, pour pouvoir
employer le terme ?
414 Frankwalt Möhren
officiers’ (il est question de sénateurs sur chaises curules), ‘haute chaire, SENS : siège
prestigieux’ (221b ; cf. TL) ; aussi ‘chaire, SENS : siège’ (où s’assoient les consuls tout
juste élus) (222a) et ‘avoliaut [l. avokaut] de la tresorerie l’empereur [l. ‑error ; cit. ‑ereor
l. ‑error], SENS : officier chargé de veiller sur le trésor de l’empereur’ (traduit advocatus
fisci ; 303b) ; cf. pp. 40s. où l’on apprend heureusement que ce ne sont pas des
définitions.
Au raffinement de l’analyse sémantique s’ajoute l’organisation d’un article de
glossaire où peut primer l’ordre syntaxique (par ex. pour un verbe comme monter 1°
intr., 2° pron., 3° trans.) ou sémantique (‘monter à cheval’ intr. et trans.), en une
hiérarchie historique ou synchronique, etc. Regardez monter dans TL et DMF, contre
Gdf. Un sectionnement trop fin peut résulter en un réseau trop fin pour intégrer des
attestations nouvelles et trop encombrantes pour les petits casiers déjà établis. Par
ex. : dependance f. ‘rapport qui fait qu’une chose dépend d’une autre’ PelVieD 1344
[en parlant des relations d’Aristote], GdfC 9,305c [1361], se classe difficilement sous
DMF A. et B. (et FEW 8,182a).38
Nous observons aussi que l’exégèse textuelle se faufile dans les ‘définitions’.
C’est-à-dire que ce n’est pas seulement l’objet ou le contexte immédiat qui se glisse
dans l’indication de sens, mais même des interprétations exégétiques relevant de
l’interprétation littéraire ou dogmatique.39
Un glossaire ou un dictionnaire n’est pas une encyclopédie. Mais comme les éditions
de texte nous donnent à lire des textes venant d’époques autres que la nôtre, il faut
méthodiquement distinguer les identités ou similarités des altérités : l’homme mo-
derne, arrogant, a tendance à supposer d’une part que bien des choses n’avaient pas
la qualité d’aujourd’hui (la bière était fade parce qu’il n’y avait pas de houblon, ce qui
n’est pas vrai, v. DEAF ; la viande était pourrie parce qu’il n’y avait pas de frigo, ce qui
n’est pas vrai, les oiers gardaient les oies dans Paris même, pour les tuer et les cuisiner
au bon moment). D’autre part, nombre de dénominations pour nous familières sont à
traiter avec soin puisque les faits dénommés étaient bien différents. Par ex. : NIERS
38 Cf. encore esmovoir, espandre, mandement, mot dans PelVieD et DMF. Pour la synthèse d’articles de
glossaires dans un dictionnaire voir Thomas Städtler, Die evolutive Lexikografie am Beispiel der
Geschichte des Dictionnaire du moyen français, ZfSL 120 (2010) 1–13, et Robert Martin, Le DEAF et le
DMF : de la perfection et du perfectible, MélMöhren 175–184.
39 Par ex. EulalieB 21 s(e) concreidre v.pron. ‘s’en remettre à l’évidence d’une chose’ (gloss.) est sans
doute correct, v. MltWb 2,1208,5–25, mais l’ajout ‘s’avouer vaincu’ (ibid.) vient de la traduction
exégétique (douteuse).
L’art du glossaire d’édition 415
m. pl. (var. ners) ‘nerfs’ (AldL) nous renvoie au sens premier de frm. nerf m. ‘cordon
du système nerveux’ ou, à la rigueur, au sens qualifié de ‘vieux’ (RobP), ‘tendon…’ (ce
qui ne remplirait pas la condition que la définition doit être composée de français
fondamental). En réalité, le t. d’anat. afr. mfr. nerf m. se définit comme étant ‘une
structure blanchâtre en forme de fil qui relie soit un muscle à un os, soit un centre
nerveux (cerveau, moelle) à un organe ou une structure organique, nerf ou tendon’
GuiChaulM T. SIRURGIEN m. ‘chirurgien’ (PercefR5) n’est pas faux, mais ambigu, car le
cirurgien se distinguait du medecin par son statut de praticien non passé par les écoles
de médecine, une restriction de sens vers ‘chirurgien opérateur’ n’étant pas permise40.
Le terme ancien désignait à la fois le praticien et l’opérateur (Tittel, GuiChaulM T), les
deux font partie de l’objet linguistique visé. Comme le glossaire d’un texte ancien doit
rendre compte de ces conditions pour nous peu familières, il s’intéresse autant à
l’analyse purement linguistique (définition sobre) qu’à l’analyse du référent (défini-
tion riche du point de vue référentiel). Ce second aspect demande du doigté. On
devine de nouveau : il n’y a pas qu’une solution.
variées en fonction de la recette (condition connue au moyen âge, mais plus aujourd’-
hui), 2° physique – les couleurs apparentes qui sont un rouge écarlate, un violet et
le pourpre de Tyr ou ‘sang coagulé’, 3° psycho-linguistique – l’objet linguistique
correspondant au signifiant pourpre (toutes les couleurs obtenues avec le pourpre),
4° socio-historique – fonction et valeur sociales (détails v. MélMartin2 270–277). On
verra alors qu’une partie des évolutions dépend de l’emploi du terme dans des
nomenclatures (ici l’héraldique) qui sont autrement sujettes aux conditions histori-
ques que les mots du fond commun d’une langue. Cette condition est une des raisons
pour laquelle il est usuel de faire précéder d’une marque d’usage une définition d’un
signifié appartenant à une spécialité ou une variété langagière. Ne pas reconnaître la
variété signifie souvent ne pas reconnaître le véritable sens d’un mot et la valeur de
son emploi dans un texte. Par ex. : matrone f. ‘femme mûre et posée’ est documenté
avec le sens de ‘sage-femme’ dès le XIVe siècle (1340 MirNDPers2P dans Gdf, TL, FEW
et DMF). Le FEW 61,504a relève comme terme juridique ‘sage-femme diplômée et
assermentée, pouvant servir d’expert auprès des tribunaux’ (Fur 1690…), ce que le
DMF peut compléter : t. de droit ‘sage-femme faisant office d’expert devant un
tribunal pour vérifier notamment l’état de grossesse d’une femme’ (B. 2e alin., doc.
1389–92 ; il faut y joindre l’attestation antérieure ‘Doc. Poitou G’ [t. 5, = AHPoit t.21 ;
doc. 1388, registre] de son 1er alin.). En ajoutant l’actuelle première attestation (jus-
qu’à nouvelle trouvaille !) de Paris 1333 dans TanonJust,41 on consolide la connais-
40 Voir M. Kintzinger, Experientia lucrativa, Das MA 17 (2012) 95–117, spéc. 100 (avec bibliographie).
41 (Une femme violée est examinée par) des matrones jurees de S. Martin (S. Martin des Champs)
dessusdit… Mabille la Ventriere, Emeline Diex la Voie dient et raportent, par leur seremens, en jugement,
416 Frankwalt Möhren
prochain indiqué, ‘lieu’, convient mal. Mais, par principe, l’étymologie ne doit pas
servir de guide pour saisir le sens d’un mot, du moins pas sans la circonspection
scientifique nécessaire (v. par ex. ActesMetalex3 49–52). Lisons le texte, De quatre
faudez de carbon que on fist a le forest, …desquellez faudez on mena au castel pour le
pourveanche de yceli II faudez…, qui dit à la fin qu’on a transporté deux faudez au
château – a-t-on transporté deux lieux / charbonnières ? En définissant ‘meule de
meule de charbonnière pris comme unité de mesure pour du charbon de bois (env. 4 t)’.
Comme réflexion de contrôle face à un « nouveau » sens, on peut se dire que tout
sens insolite est un sens erroné (ActesMétalex3 47). Bel exemple : PercefR5 161,1 nous
livre le mot verset, clairement se référant à cet endroit à une strophe de six vers, citée
dans la prose du texte ; de cette perception résulte au glossaire la définition ‘strophe
en vers’ ; parmi les Notes il est dit correctement que ce sens manque dans les
(du type d’un verset liturgique ou biblique, rimé ou non)’, sens qui cadre bien avec
l’intention de la ‘strophe’ en question (qui rend une directive, affichée sur une
colonne), rendant superflue la supposition d’un nouveau sens. Le contraire est vrai :
fessor Trotter’s team discovered new information about the word ‹ blubber › while
que elles ont veue, visitee, tastee, regardee et maniee…, en la maniere que il appartient en tel cas estre fait,
Jehannete (472), DEAF.
42 Exagérons pour être clair : en allant plus loin en identifiant l’objet réel avec un « nouveau » signifié,
on pourrait définir verset par *‘strophe de six vers octosyllabiques rimés par couplets’, négligeant
l’essentiel, l’unité du sens. Autre ex. : ‘fermenter (en parlant du vin)’ est un sens insolite pour soi parer
(dit d’un vin qui mûrit dans le tonneau) et il est erroné, il faut : v.pron. (sens passif), t. de vinif. ‘se
modifier à son avantage (dit du vin jeune qui élimine des substances non désirées devenant dépot)’
(ZrP 100, 453, compte rendu ElesB ; cf. HenryŒn 2,254).
L’art du glossaire d’édition 417
9 L’unité du mot
Male voisine et malevoisine n’ont pas le même sens.
Les textes anciens n’obéissent pas aux règles modernes quant à la toilette typogra-
phique. C’est l’édition qui leur donne la forme à laquelle l’homme moderne est
habitué (et à laquelle les scribes étaient relativement conformes ; notre système
repose sur le leur). Sans vouloir discuter ici le sens de l’édition imitative, il importe de
retenir que le glossaire, aussi sous cet aspect, est le lieu de la classification du lexique
et pas celui de la démonstration de principes paléographiques et éditoriaux.44 Ce n’est
pas à l’encontre des auteurs anciens, car ils ont fait de même en établissant des
lexiques ou des listes de mots à expliquer, par ex. 1358 BersuireO T 65 « Togue » estoit
aucune robe honeste… ; 54 « Rostres » estoit uns lieus a Rome ou on avoit mis jadis les
becs des galies que on avoit gaaingné en mer… Car « rostrum » en latin vaut autant dire
comme « bec » en françois. Similaire : les mots clés (manchettes) sur la marge des
manuscrits, par ex. dans déb. XIVe s. LHorn f° 101r° De orfevres face à des règlements
touchant ce métier ; 166v° la maladrie qe est appelee en engleys pockes – en marge :
‘voisine méchante’ (chaque élément garde son sens) trouvera sa place sous VOISINE f.
(par ex. comme citation), mais malevoisine f. ‘sorte de grosse machine de guerre de jet’
(les éléments perdent leur sens : un seul objet linguistique) sera classé sous M - . Le cas
de male hart ‘corde qui sert à étrangler, à pendre qn’ n’est pas identique, car male garde
au moins partiellement son sens de ‘qui peut causer du mal, la mort’. L’expression est
une locution. Le test peut se faire en omettant ou en remplaçant l’adjectif : Pendu soit
« Alors que l’édition diplomatique permet de réduire l’interprétation au minimum, le glossaire ne peut
se limiter à une accumulation de formes tirées du texte. Par son exigence de classement et de
normalisation minimale des formes et des sens, le glossaire rend compte d’une phase primordiale du
processus interprétatif et cognitif… ». Des transcriptions « fidèles » comme la on (SeneschO 49) au lieu
ou ‘dyome’. C’estoit un office…, avec une annotation : Duyhomme est tout un mot, c’estoit
10 Technique du glossaire
La structure du glossaire obéit à des règles traditionnelles.
s’il est peu développé (sans commentaire, sans critique pour les cas simples). La
structure stable sert deux buts pédagogiques : elle discipline et contrôle son auteur et
elle facilite la consultation. Ne pas oublier que le glossaire est la clé d’accès au texte
pour tout chercheur et lecteur. Il en découle que ce n’est pas le lieu pour prouver aux
humbles qu’on manie les terminologies linguistiques de pointe, en partie inventées
ad hoc ; il est à l’éditeur de se faire comprendre, c’est une dette portable, pas quérable.
45 Cas noté par Jennifer Gabel de Aguirre dans ActesRechAgn 36 : Pendu soit de male hart, RésSauvcJ
441 ; revoir l’argumentation. TL 4,942,4 male hart, en deux mots ; définition ‘Galgen’ erronée.
46 TL, lui, renvoie de MALEVOISINE à MAUVOISINE , mais un tel article n’a pas été établi ; sous MAUVOISIN
m. il renvoie à male voisine qui se trouve sous VOISIN m. et adj. La graphie male voisine que donne TL
pour PelVieS est restituée en se servant des variantes de l’édition, c’est la leçon du ms. de base. DMF cite
malvoisine qui vient du texte de PelVieS, mais cette graphie (marquée dans l’édition comme restituée)
n’y est pas confirmée par les variantes données (malveisine ms. P2 et male voisine ms. t). PelVieD (ms.
Heid) a malevoisine. PelVieSt (ms. t) malvoisine est en contradiction avec l’édition S (var. ms. t), on
s’attendrait alors à une discussion (le ms. porte en réalité malevoisine [d’ailleurs ‘en un mot’]) ; le
glossaire lemmatise malvoisin : à corriger. [Gdf enregistre encore malvoisine, après 1383 ChronFlandrK
2,296, où plus. att.] Vous voyez bien : le petit coup d’œil est rentable. – Autres ex. discutés par Leena
Löfstedt, ZrP 128 (2012) 572 (mal feire, pas malfeire) ; 574 (malarteillus, pas mal arteillus).
47 Cf. Franz Lebsanft, compte rendu AND, CCM 32 (1989) 182a–183b, spéc. 182b : « C’est surtout
l’explication et la justification de cette doctrine [du dictionnaire philologique] que l’on attend de
l’introduction ».
L’art du glossaire d’édition 419
2° Dépouillement du texte
Comme le texte sera écrit dans un programme électronique, il est facile d’établir
une liste KWIC par exemple (existe depuis 1958). Bien des logiciels peuvent créer des
index. Pour des textes de moyen français surtout, l’ATILF à Nancy offre son aide pour
l’établissement « automatique » d’une liste de mots (« Outil glossaire », élaboré par
Gilles Souvay). Avant de travailler sur un glossaire, le chercheur doit s’assurer qu’il a
devant lui soit un texte pur, non émendé (par l’invention de l’éditeur ou par l’intro-
duction de variantes ou même d’interpolations tirées d’autres manuscrits), soit un
texte où de tels éléments sont dûment marqués, pour qu’ils puissent porter une
identification appropriée dans le glossaire (et dans les études de l’introduction !).48
même » l’ensemble des attestations, par exemple parce que va reste caché en cher-
chant aller, ou win en cherchant gain, ou aring en cherchant hareng.49 En scrutant les
occurrences plus loin dans le texte, il sera bon de les marquer comme vues.
3° Nomenclature
L’envergure de la nomenclature du glossaire a déjà été discutée (voir supra). En
pratique chaque mot est examiné et la plupart en sont retenus pour le glossaire.
Examiné veut dire recherché attentivement dans les dictionnaires valables (voir infra).
Dans le cas de l’édition PelVieD, en moyenne un mot par vers octosyllabique se
retrouve dans le glossaire, comme entrée, sens, variante ou renvoi supplémentaire
(parfois disparaissant dans « etc. »), près de 3000 articles pour 13540 vers, et il en
manque. Le seul critère valable de sélection est l’intérêt du mot quant à sa forme, sa
signification, son aspect stylistique, grammatical et encyclopédique, sa datation et
localisation, la fréquence ou rareté d’attestations, et finalement et surtout son impor-
tance pour la bonne compréhension du texte même et de sa position dans l’histoire.
Dans PelVieD par ex. il y a un nid de terminologie du moulin (allégorisée) qui est à
48 La problématique n’est pas confinée aux textes anciens, lire Albert Henry, Critique textuelle et
codicologie à propos de Rimbaud, Ac. Roy. de Belg., Bull. Lettres, 6e sér., t.9, 1998, 541–553 [déjà la
place des virgules change tout]. Contre-ex. : en partant de l’édition MortArtuF2, qui contient même des
corrections tacites (il faut consulter MortArtuF1), on a établi en 1982 un concordancier, créant ainsi une
source dangereuse, voir May Plouzeau, TraLiPhi 32 (1994, 207–221). (Annonce sans cette critique
essentielle : ZrP 99, 649–650.) Le cas n’est pas unique.
49 Le DEAF et aussi le DMF possèdent des lemmatiseurs utiles, celui du DMF est même très puissant
pour le moyen français, mais les deux échouent de façon imprévisible. La tête l’emporte encore pour le
moment.
420 Frankwalt Möhren
traiter : molin m. (mot courant), baleste f. (mot rare) etc. sont dans le glossaire. Un
inventaire complet contenant tous les mots et toutes les références n’est normalement
pas nécessaire, les techniques permettant de mettre un concordancier à la disposition
des chercheurs sans qu’il soit imprimé. Comme justifications de glossaires maigri-
chons on lit fréquemment les arguments périmés : « omitting words also found in
Modern French with the same meaning… Rejected readings are not included. Etc. ».50
Intériorisez que rares sont les mots ancien ou moyen français qui ont « le même sens »
en français moderne.
Cette sélection négative fait disparaître des matériaux très précieux, par ex. motel
m. ‘base de pilier de pont’ MPolGregM, purgé du manuscrit de base au profit d’un mot
de la version MPolRust.51 Le choix de matériaux précieux n’est pas non plus satisfai-
sant, parce que le lexique ainsi réuni ne saurait donner une image du vocabulaire du
texte ou de son auteur. Évidemment, on ne laissera pas des attestations charnières
(premières, isolées à leur époque ou leur région, etc.) dans l’obscurité,52 mais si l’on
enregistre un sens ‘intéressant’ sans le(s) sens courant(s) qu’a le mot dans le texte, on
obtient une caricature du sémantisme du mot (v. infra l’exemple car).
Mauvaise habitude à bannir : omettre du glossaire les mots traités dans l’intro-
duction ou dans les notes (fait épinglé tant de fois par les recenseurs consciencieux) ;
introduire au moins des renvois, ce n’est pas sorcier (c’est fait par ex. dans Chev-
VivM).
La nomenclature comprendra aussi des mots tirés des leçons rejetées et des
variantes de manuscrit. Leur choix est aussi discuté que le choix des variantes des
manuscrits lui-même. Question de doigté et de discipline, sinon c’est le chaos.53 La
discipline d’abord : ces matériaux sont à marquer clairement, par ex. par des crochets
50 Au hasard pris d’une édition récente, par une lexicographe expérimentée : BrutNobleD P p. 242. Id.
dans ChevVivM 681 etc. Rappelons que la collection de la Pleïade se prête bien à des travaux pratiques :
sans glossaire ou avec ‘glossaire’ sans renvois (ex. : « poudriere : poussière », 48e vol., Historiens et
chroniqueurs) ; les « répertoires » sont souvent utiles. Également sans renvois : Baker, BecLyr, Ben-
« Le mot motel résulte de la déformation de moreles (TA [version toscane !] morelle), ‘piles de pont’, qui
n’a pas été compris ». V. Francia-Recensio 2008/3 MÂ, en ligne. Pour motel, v. FEW 63,294b,12 ‘îlot…’,
et 295b,-9. – La correction de abalestrier en arb‑ (HugCapLb) escamote une variante intéressante (RLiR
61,598). Les éditeurs ont même fait disparaître un mot de Rol et par là de la lexicographie, v. gieser
DEAF G 1655,54 (en 1656,12, lire : lat. 19439).
52 Voir pour cela les vrais comptes rendus d’éditions dans RLiR, ZrP, VRo, ZfSL, RLaR, MedRom,
RCritPhR, etc., à trouver par la Romanische Bibliographie (ZrP) ; négliger les annonces. Ex. récent :
moderne, il faut insister strictement sur un pesage et un jugement des variantes textuelles qui se base
sur la linguistique de la variation », traduction DAT.
L’art du glossaire d’édition 421
‘donkey’ », GuillMarH, vient d’une correction très douteuse de aure (peut correspon-
dre à avre54). Quant au doigté, on choisira les quelques mots que l’on soupçonne être
le terme ‘d’auteur’ ou une variante brillante du scribe auteur, ou, et surtout, un mot
important pour l’histoire, linguistique ou autre. En fait, le choix se fera ‘de lui-même’
après analyse critique. Le plus souvent il ne s’agira pas de faire le glossaire des
manuscrits variants.55 Cf. infra, 13o, au sujet de variantes citées comme élément
sémantique.
Les mots grammaticaux seront traités de la même façon. Un mot comme car ne
semble pas alléchant pour être accueilli dans le glossaire, et pourtant, il n’a pas
toujours la fonction de conjonction causative ; bien des phrases restent dépourvues
de sens si l’on ne tient pas compte des autres options. Le glossairiste doit intégrer ces
emplois plus rares, tout en indiquant d’abord le sens général. Sans cette complétude
maint lecteur pourrait croire que car était (dans ce texte) toujours une conjonction
consécutive. Voici un exemple tiré du glossaire de PelVieD :
car conj. causative ‘parce que’ 9 ; passim ; ♦ conj. conséc. ‘que’ 179 ; 5845 ; ♦ conj. exprimant une
leur pron. pers. empl. au rég. indirect ‘leur’ 524 ; passim, DEAF I 62,40 ; 65,2 ; ♦ empl. au rég.
direct après prép. ‘eux’ 2488 [pour leur estre deüst], Gdf 4,748b [rare].
supposer v.tr. ‘poser à titre d’hypothèse’ 3899 ; ♦ supposé que loc.conj. ‘admis comme hypothèse
postposé au verbe à l’inf., 494 [Se je bien entendre y voloie] ; 1727 ; 3701 ; etc. (Aussi doc. 1330
Le glossaire accueille les mots étrangers donnés dans le texte pour être expliqués ou
utilisés comme mots cités, comme xénismes ou comme emprunts. On les différencie-
ra du fonds linguistique et l’on trouvera moyen de dûment les qualifier. Par ex. :
adulterium neutre, mot latin ‘rapport sexuel volontaire d’une personne mariée avec
une personne autre que son conjoint’ (PelVieD). « Pan » en grec vault « tout » en
54 Le ms. agn. porte une aure ; une est écrit en toutes lettres (aimablement vérifié par le conservateur
W. Voelkle de la Pierpont Morgan Library). Comprendre avre m. ‘cheval de travail’ ; une doit être un
trait agn. ; cf. DEAF I 485,33–38. – Autre leçon : ne pas résoudre .i. en un ou une sans penser aux suites
corrections d’éditeurs antérieurs, ou des mots inventés par des éditeurs poètes, par ex. joer, entré au
glossaire de NoomenFabl n° 82, 6.22, bien qu’il vienne d’un passage entièrement inventé par l’éditeur
(!), aussi afoler, gloss. LeclancheFabl (de 2003), Prêtre et Chevalier, ms. unique, lire esragiés, Noomen-
Fabl n° 79, 561 (G. Roques RLiR 68,294).
422 Frankwalt Möhren
françois, OvMorB I 4047. JAntOtiaP, 37 (I,vi) parle des phases de la Lune : pansile-
nos, c’est a dire ronde et plaine. Pansilenos est un mot grec, c’est ce que le glossaire
dira, mais il est ou deviendra un terme technique (français) de l’astrologie ; on en
renvois d’un registre à l’autre éviteront toute perte d’information. Par ex. : Colin le
juvlor, BanMetzW 5,204, 361, DEAF J 406,12, p.-ê. un jongleur ; Symon l’aumosnier,
tonnelier, Taille1296M, 25 ; Jehan cheval ibid. p.33 ; Jehan potier, afineeur ibid., 36.
Dans un texte comme PelVie qui vit de la personnification d’états d’âme, d’objets,
etc., ces dénominations sont constamment à cheval sur nom commun et nom propre.
PelVieD a opté pour leur traitement dans le glossaire, avec renvois systématiques :
povreté f. ‘état de qn qui manque de moyens matériels’ 3865 ; 4899 [fussent a povreté] ; ♦ id.,
4° Ordre alphabétique
L’ordre du glossaire est alphabétique. En accord avec son rôle de classification et
d’accessibilité immédiate, il établira des articles réunissant les variantes graphiques
sous un lemme (v. 5o). Chaque mot a droit à une propre entrée. Il n’est donc pas
admissible de traiter nobile sous NOBLE , comme si c’était une variante (YonH). Un
article comme « Ha ! Hai ! 661, 882 », BibleGuiotO, suggère à tort l’existence de deux
occurrences de *Ha ! Hai ! (il existe hahai ailleurs) ; en réalité on lit ha en 661 et hai en
882.57 Il sera utile de se faire suivre les articles traitant des membres suffixés d’une
famille de mots et de renvoyer aux membres préfixés, si cela peut se faire par une
lemmatisation prudente. Un classement onomasiologique du glossaire n’est pas
indiqué, bien qu’un registre onomasiologique soit souhaitable (v. 14o).
56 Voir Stephen Dörr, Quelles entrées intégrer dans un dictionnaire du français médiéval ?, dans
ActesRechAgn 39–42, spéc. 41. Le beau glossaire de JAntOtiaP omet tetragramaton III,cxii,2, p.392,
comme d’autres mots grecs venant du texte source [antipodes s.m. ‘habitant…’ y est ; FEW 25 l. 24]. –
Gloss. PelVieD : « ALIQUIDS adv. [latin, à s adv. ?] ‘en dépendance d’autrui’ 1423 [Ta poësté fust aliquids],
IRRESP IRABLE .
articles rajoutés. Dans TLF c’est un principe, par ex. irrespirabilité et irrespiré sous IRRESPIRABLE
58 Attention, son emploi du tréma n’est pas identique à celui préconisé par DEAF, Foulet-Speer et
ConseilsÉcCh. Voir n. 78.
L’art du glossaire d’édition 423
n’est pas aberrante, car ces mots titres rencontrent ceux de la lexicographie historique
traditionnelle (comme Lac ou Gdf) et, surtout, ils correspondent à la graphie la plus
neutre, française, centripète, non-dialectale, typique pour la plupart des textes trans-
mis par les manuscrits. Ces formes sont généralement aussi les plus fréquemment
rencontrées. D’autre part il y a nombre de cas où une application stricte des règles
nécessiterait la reconstruction constante des lemmes, ce qui peut tourner en rigidité
exagérée et en inefficacité. Suivre l’usage du manuscrit de base n’est pas une solution
de choix, car le manuscrit de base n’est pas nécessairement celui qui reflète une
graphie « française » ou « de l’auteur » et cet usage ne sera pas uniforme non plus.
Puis, faut-il vraiment récrire un vocabulaire (très) lorrain ou anglo-normand dans une
graphie centrale ? Un livre à écrire ! Chaque cas est un cas d’espèce ; on a encore
besoin de doigté.59 Concrètement : il faut une lemmatisation douce qui évite d’une
part que chaque lemme soit artificiel et d’autre part que des mots intéressants soient
cachés dans un recoin de l’alphabet ou qu’une famille étymologique de mots soit
dispersée.60 Par ex. dans PelVieD : vertu, vertuable, [vertualment], vertueus (avec
dans une large mesure l’origine du texte. Les textes obéissent très souvent à des règles
étonnamment stables. D’autre part il existe des mots dialectaux uniquement attestés
dans des textes à marque dialectale ; personne ne les normalisera en fonction du
singulier (les adjectifs au masculin), les verbes celle de l’infinitif. Il est de bon ton de
documenter au besoin des formes nominales exceptionnelles ou reconstruites ou de
reconstruction douteuse et de marquer un infinitif non attesté.
Vice qui gagne du terrain par manque de conscience : l’entrée du glossaire est
formée par un tronçon de contexte qui est rendu de façon diverse par une indication
59 Duval a épinglé à juste titre le lemme [*]arceveschies pour archeveschies d’un ms. lorrain (RLiR
70, 277) : il faut se décider pour une direction de normalisation, vers le français neutre ou vers le
dialecte.
60 Ou qu’un mot soit traité deux fois : articles IRE et YRE dans GuillFillConsH (T. Matsumura, RLiR
de sens, par ex. « pleier, la – *9° faire fléchir une personne (fig.) », « venir [a Lui ‒] *28°
venir » (EulalieB).
cert adj. ‘qui est certain de son savoir’ 5193a [de lire ne sui pas cers]… (forme reconstruite ; la
tenchier v.tr. à c.o.i. (tenchier 1520 ; etc., tencier 1780 ; 1818) ‘attaquer qn par des actes ou paroles
hostiles’… (graphie picarde fréquente [‘etc.’ !] maintenue, bien que la forme non marquée soit
[trousser] v.tr. (toursast 3 subj.imp. 4759, toursé p.p. m.sg. 6274, toursees p.p. f.pl. 4949) ‘mettre
en paquet (des choses destinées à être transportées) et charger’ … (avec renvoi sous TOURSER )
6° Qualification grammaticale
Il est obligatoire de faire suivre chaque lemme et chaque sous-entrée d’article de
leur qualification grammaticale. Les dictionnaires fournissent le modèle en indiquant
la classe ou catégorie grammaticale, la nature du mot et, le cas échéant, leur genre ou
la valence et rection des verbes. Pour ce faire on choisira les abréviations usuelles, m.
/ f. ou s.m. / s.f., aussi n.m. / n.f., adj. (au besoin adj.f.), v., v.tr. (distinguant au besoin
c.o.d. ou c.o.i.), v.intr., v.pron. (distinguant réfl. et récipr., aussi le sens passif), p.p. /
p.prés., adv., prép., pron., interj., et leurs sous-catégories (p.p. adj., etc.) ; pour les
collocations : loc.adv., etc. Les formes longues « subst. masc. » etc. fonctionnent
cuidier v.tr. (…) ‘avoir l’idée de, penser’ … ; ♦ v.tr. avec c.o.d. et prédicat ‘tenir qn pour’ 4234
[home de fer le quida], TL 2,1129,30 ; ♦ v.tr. empl. pron. ‘avoir la présomption’ … (PelVieD).
Ne pas aligner des qualifications diverses après le lemme ; chacune est à traiter et à
61 Le seul verbe vouloir a été analysé par G. Roques, La conjugaison du verbe vouloir en ancien
français, ActesMfr4 227–268. Contient des formes tirées d’éditions de textes afr. et mfr., XIIe–XVIe s. ;
et al., RLiR 76,304 : ‘appairysser v. i. et pron.’). De telles sections dans l’article sont à
variantes du manuscrit de base, des variantes choisies tirées pour une raison ou une
autre d’un autre manuscrit (datées et dûment marquées, par ex. par des accolades),
certaines formes flexionnelles nominales (par ex. fel, felon) et surtout verbales. Par
ex. :
cuidier v.tr. (cuidier 1368 ; etc., quideras 2 fut. 2778, quid 1 prés. 3156, quic id. 1699, etc.) ‘avoir
Il va de soi que le relevé verbal ne peut être exhaustif dans le glossaire imprimé.
L’enregistrement soigneux de variantes crée une documentation pour des faits
dialectologiques. Par ex. : heingnir, var. de henir v.intr. ‘hennir’, HervisH 8327,
manque dans le glossaire, bien que cette variante soit unique et qu’elle illustre une
aire linguistique à ñ [ɲ] dans l’Est (DEAF H 352,18 ; 353,34).
glossaire).
Il peut y avoir intérêt à relever aussi des formes présentant des faits phonétiques
comme les e prétoniques en hiatus, prononcés ou non, dépendant de la scansion du
vers. Par ex. :
armeüre f. (armeüre 4035 ; 4142 ; 4837 ; etc., armeure 4024 ; 4125, armure 3825 ; 4412 ; 4748 ; etc.)
‘ensemble des armes de défense et d’attaque d’un guerrier’ 3825 ; etc. (PelVieD).
62 Il y a des exceptions : un jour nous avons observé qu’un ms. différencie graphiquement deux sens
d’un mot : carouble f. ‘fruit du caroubier’ et karouble f. ‘sorte de monnaie’ (AssJérBourgV K ch.238 etc.) :
de trouver, chercher’ 224 [querir] ; 227 [querant] ; 315 [querre] ; 2399 [quiers] ; 3811 [quesissiez] ; 3817 ;
4383 [quierent] ; (PelVieD). – Aide utile aux néophytes pour identifier mainte forme verbale : Bartsch-
Chrest gloss., avec renvois aux paradigmes réels (tirés de textes édités, donc à toilette et consignes
variables) pp. 330–348.
426 Frankwalt Möhren
8° Définition
supra. Elle est en romain et se place entre guillemets anglais ou français (garder
l’italique pour les mots ou textes cités). La définition peut être suivie d’un équivalent
français moderne s’il correspond vraiment, par ex. « BUEE f. ‘solution alcaline qui sert
pourrait se passer de cet équivalent, surtout si le mot est le même, par ex. « BIAUTÉ f.
‘caractère de ce qui plaît par son aspect extérieur’ » (PelVieD). Un lemme point
doit arriver à (qn)’, par aventure loc.adv. ‘par hasard’ … ; ♦ ‘peut-être’ … » (PelVieD).64
Pour les détails techniques de la forme de la définition on lira avec profit RobP, xiv.
On y apprendra aussi l’emploi des parenthèses à l’intérieur d’une définition : elles
isolent des informations sur l’entourage du mot défini, un complément (verbal), des
exemples ou sim., ne faisant pas partie de l’analyse sémantique proprement dite. Par
ex. : AVENIR … v.tr. c.o.i. ‘survenir (dit d’un événement par ex.), arriver à l’improviste à
(qn)’ (PelVieD). Il est correct de placer entre parenthèses aussi l’abstraction d’un
complément d’objet par ‘qch.’ ou ‘qn’, par ex. « BLASMER v.tr. ‘porter un jugement
moral défavorable sur (qn)’ » (PelVieD). Mais ces éléments omniprésents du métalan-
gage du dictionnaire sont souvent dépourvus de parenthèses, à tort diront les puris-
tes.
À l’intérieur d’un article chaque subdivision sémantique (un ‘sous-sens’, loc.,
etc.) reçoit sa définition. Elle peut reprendre la définition initiale pleine de façon
raccourcie, ou reprendre le (ou un) mot titre en cursive (pour rappeler son sens dans
le texte), ou, dans les cas rares où elle est identique à la précédente, même omettre
toute définition en indiquant à la place l’emploi particulier. Exemples tirés de
PelVieD :
batillier v.tr. empl. intr. ‘faire la guerre’ … ; ♦ v.tr. avec c.o.i. 4001 [batillier contre la Mort] ;
blecier] v.tr. ‘causer une lésion par un coup par ex., blesser’, aussi au fig…. ; ♦ blechié p.p. empl.
subst. ‘celui qui est blessé’ 544 ; ♦ blechier v.tr. ‘faire perdre sa virginité’ (homme !) 4236 ;
lai m. ‘celui qui n’est pas dans un ordre régulier et qui n’a pas l’éducation (latine) d’un clerc’ 24 ;
Dans certains cas, il peut être indiqué de préciser un emploi particulier dans le texte,
c’est-à-dire au fond de se déclarer au sujet de la parole et du contexte (normalement
un objet des notes !). L’endroit pour le faire est traditionnellement une parenthèse en
dehors et après la définition. Par ex. : « AGUILLON m. ‘pointe aiguë’ (ici d’un bâton) ». –
papauté) » (PelVieD).65
9° Marques d’usage
La marque d’usage précise l’emploi d’un mot ou d’un sens dans l’espace (régiona-
lisme), dans le temps (archaïsme, néologisme), dans la société (registre, style), dans
les langues de spécialité, etc. Elle appartient à la définition et la précède (pas le mot,
mais éventuellement une expression). Il s’agit d’un marquage différentiel car tout ce
qui appartient à la langue commune et fondamentale n’est pas relevé par une
marque.
Quant aux régionalismes, une fois constaté qu’un texte provient d’une région
donnée, par ex. de la Lorraine, et ses particularités phonétiques ou graphiques
décrites et exemplifiées dans l’introduction, on qualifiera d’abord de ‘lorrain’ par
exemple, seulement les mots et les sens réellement ou probablement confinés au
lorrain (l’option d’un commentaire restant entière). Par ex. : ChirAlbT qui marque
chaque élément considéré comme régional d’un signe graphique66 (dans la lettre A,
cf. p. 40) : aigue s.f. ‘eau’ (pour son phonétisme, assez répandu en oïl), amandre1 s.f. t.
d’anat. ‘amygdale’ et amandre2 t. de bot. ‘amande’ (pour son phonétisme : Est ; le ms.
Lausanne de Rose, Gdf [renvoi err.], est quelque peu teinté de lorr.), apreteit s.f.
‘âpreté’ (phonétisme surtout lorr.), ar s. ‘air’ (aussi bourg.), awe s.f. ‘eau’ (Gdf : Metz
etc.), awouse adj.f. ‘aqueuse’. Bref : pas de fait sémantique ou lexical régional avant le
65 Il n’y a pas qu’une façon d’organiser le sémantisme d’un mot, voir pour la théorie Robert Martin
dans MélMartin2 12–13, et pour des ex. en contraste (DEAF et DMF), id. dans MélMöhren 175–184.
66 Ce choix est astucieux, car le signe peut embrasser plus de phénomènes régionaux qu’une
qualification verbale, sans faire sourciller les esprits critiques, mais une différenciation serait plus
précieuse encore. – Pour l’emploi des marques dans l’AND, voir G. De Wilde dans ActesRechAgn 143–
150.
67 DEAF J 158,7–9 donne la forme avec le sens de ‘jarret’ (Est – bourb., v. FEW), sens à ajouter (lorr.
mil. XIIIe s. ChirAlbT, champ. ca. 1398 AnglureB, ce dernier aussi ad DMF).
68 Bon compte rendu par T. Matsumura, RLiR 70, 309–318. – Le glossaire étendu de PelVieD ne
mentionne que deux graphismes pic. (prametre ‘promettre’ et chiz ‘ce’, faits du scribe ; caron m.
‘charron’, au phonétisme pic., n’étant pas marqué, mais expliqué dans l’introduction) et trois mots ou
sens essentiellement du Nord-Ouest (clut ‘morceau de tissu ou sim. qui sert à rapiécer (un vêtement
etc.)’ avec cluistrer et clustrel, diffamé ‘taché’, agachier ‘faire son cri (de la pie)’, faits de l’auteur).
Évidemment, un commentaire ajouté est ouvert à toute explication : ‘le sens vit ici et là, aussi en
sarde…’.
69 L’ex. « BIAUBELE
T … Archaïsme, disparu depuis plus d’un demi-siècle, que Guillaume emploie en
BIAUBEL ET
forgeant l’expression nouvelle dire son beaubelet qui connaîtra en dehors du domaine norm. et sous la
428 Frankwalt Möhren
semble désigner parfois des dernières attestations (DMF BAUDRÉ et FAUNOYER ), ce qui
serait erroné ; le second est plus fréquent et est parfois employé pour parler d’une
première attestation, ce qui est erroné (oreillier v. ‘go very close’ SClemB, L. Löfstedt
ZrP 128, 574 « néologisme sémantique », en fait sens inexistant ; pour ‘prêter
(forme douteuse, sens douteux, donc identité et marque douteuses), deblement adv.
‘terribly’ (sens incertain, GdfC 9,375b donne ‘d’une manière diabolique’ pour le
même passage tiré d’une autre version ; courant au XVIe s. ; formation analogue à
mlt. diabolice), encurtinez p.p. as adj. pl. ‘hung with tapestries’ (bien attesté depuis
le XIIe s. ; préférer ‑é, alors sans ‘pl.’), reprovance s. ‘punishment’ (plutôt ‘reproche
concept, le locuteur peut utiliser un mot déjà existant en français ou bien en créer
un nouveau » (15) ; le « nouveau concept » est connu de ce locuteur par sa culture et
marqués en cas d’écart du style courant. Ce n’est pas facile pour des époques du
passé. Un seul exemple (explicite) dans PelVieD : « ESTRE v.intr. ‘être’ passim ;… ♦
v.intr. qu’esse ‘qu’est-ce que c’est (ouvrant un discours direct et exprimant une
certaine surprise)’ … [style volontairement négligé ?, un rustre parle] ». DMF : accoler
v., arg. ‘prendre au cou, pendre’ Villon ; baril m., fam. ‘estomac’ ; vulg. envoyer chier
ce n’est pas une occurrence faisant appel au savoir spécialisé. Par ex. : secondine f. t.
fait par rapport au moment où se place le sujet parlant, futur’ (StädtlerGram) ; sergent
m…. ; ♦ sergans Diu t. de théol. chrét. ‘ceux qui servent Dieu, les justes, et spéc. le
d’être’ (PelVieD 5291 [Entre le non et existence Voel je bien faire difference]) ; ligne f. t.
de géom. ‘figure décrite par un trait uni-dimensionnel’ (PelVieD) ; carré adj. math.
(DMF). Les choses peuvent se compliquer, par ex. pour un terme de couleur nommé
pour décrire un blason avant l’établissement de l’héraldique (2e quart XIIe s.) ou
forme non suffixée beaubeau un vif succès dans de nombreuses locutions à partir du XVéme et jusqu’au
XVIéme s. » combine les deux (PelVieSt, DMF).
70 Le glossaire de PelVieD marque des dernières dates discrètement par son signe général d’impor-
tance de l’entrée pour la lexicographie (Δ), par ex. ASSENS m., C RAP AUDINE f., DONNET m. (s’ajoute un
groupement dans l’introduction).
L’art du glossaire d’édition 429
CONVENAGE adj. ‘qui est approprié à qn ou qch.’ 8719 [forme hapax due à la rime]. Δ
(PelVieD).
FERRÉ p.p. pris comme adj. ‘muni d’une garniture de fer ou d’acier’ 3464 ; 3754 ; etc. ;
3777 [ferré bourdon Plus en la boe et ou limon Si se fiche parfondement] ; etc. (PelVieD).
Les références aux textes en vers se font par numéros de vers.73 Les abréviations ou
les sigles pour des ouvrages de référence suivent la coutume établie, spécialement
celle fixée dans FEW, puis dans AND et DMF ; très commodes pour l’ancien français
au moins sont les sigles du DEAF (qui suit comme système le FEW et pour la forme
FEW et TL ; sa bibliographie fournit aussi les datations et localisations de textes et des
71 Voir Möhren in MélMartin2 265. Plus général : David Trotter, Science avec conscience : réflexions sur
73 Le DMF cite nombre de textes en vers par page ; c’était une concession à la technique, aujourd’hui
évitable. De la sorte PelVieS y est cité par page, sa réimpression partielle par Cohen par une autre
pagination et PelVieSt par vers.
74 Plusieurs bibliographies se réfèrent (aussi par un lien automatique) à celle du DEAF : AND, DMF,
Gdf, TL, Arlima ; les sigles se retrouvent également dans RLiR, RLaR, R, ZrP, etc. DEAFBibl indique à
Elles forment des sous-entrées d’article, précédées d’un signe (par ex. ♦, comme dans
RobP et DEAF) et suivies de leur référence (un contexte peut s’ajouter après la
référence). Si l’article ne comprend que l’expression, on établira quand même un
lemme défini (alors sans renvoi ou, mieux, avec un seul, le premier, plus « etc. » ou
« passim »). Un syntagme n’est pas repris tel quel du texte, mais typisé et formalisé (le
reconstruite ou, mieux, citer la forme originale comme contexte) ;75 au contraire, on
avis m. ‘ce que l’on pense (sur un sujet)’ 3133…, FEW 14,535a ;… ♦ estre avis (a) qn (que) ‘sembler
à (qn) (que)’ 35 [Avis m’estoit… Que] ;…, FEW 14,534b. (PelVieD ; typisation)
bel adj. ‘beau’, estre bel (a qn) ‘être agréable (à qn)’ 917 [Biau vous soit donc de l’enclosture,
allég. : tonsure] ;… ♦ empl. adv. bien et bel ‘de manière satisfaisante, convenable’ 3560…
(PelVieD ; lemme point d’attache, mot omniprésent, ici sans renvoi, mieux : avec ; sans citation :
boe f. ‘terre et détritus détrempés (dans les voies par ex.)’ 3778 [en la boe et ou limon]. (PelVieD ;
juene m. ‘celui qui est peu avancé en âge’… ; ♦ ‘id.’ comme élément dans une formule anti-
[chievre] f. (cievre 5578) ‘sorte d’animal domestique, chèvre’, loc. Plus le het que cievre coutel
5578. (PelVieD)
misericorde f. ‘compassion pour la misère d’autrui, miséricorde’, comme nom allég. 13316 [avec
allusion à l’étymologie pop. ‘misère + corde’, v. miniatures f° 83r°a et v°b, et au sens de ‘sorte de
poignard long ou épée effilée très courte’ … (PelVieD ; étymologie populaire)
12° Citations
bis adj. ‘qui n’est ni blanc ni noir (dit du pain aux farines non blanches)’ 1807 [müerai… le pain
blanc, Le bis aussi, Grace Dieu parle, allusion à l’eucharistie] (PelVieD)
Les contextes cités dans le glossaire ne sont pas redondants. On en a besoin comme
illustration sémasiologique, onomasiologique, syntaxique et encyclopédique. La cita-
tion n’est que rarement superflue. Elle suit le renvoi, est composée en italique et se
75 Fausse lemmatisation : « jöer a la paume ‘Handball spielen’ », attesté par gieux [s.m. pl. !] de [pas a
e
P AUME , C., 2 alin., aussi juer a le palme GirySOmer
la] palme, TL 7,495,19. Aj. l’att., DeschQ TL, à DMF PAUME
n° 286 (1e m. XIVe s. ?), Ord. 1368 Lac 8,163b, Ord. 1369 Lac 7,105b ; FEW 7,511a ‘dep. ca. 1320’ (= ?). Pour
place normalement entre crochets (qui peuvent contenir des commentaires, alors en
romain et après virgule). Ne pas citer des contextes obscurs sans explication. Le
rédacteur d’un dictionnaire comme RobP crée souvent des contextes idéaux. L’auteur
de glossaire ne le fera pas, mais il doit tailler un contexte significatif et de compréhen-
sion immédiate ; bien souvent il tronquera la citation (en mettant « … » ou « (…) ») par
souci de clarté : un contexte trop long aveugle. Parfois le contexte est moins efficace
qu’une simple indication de l’objet concerné, par ex. SAIETE f…. ‘sorte d’arme de jet,
flèche’ 4094 ; 4103 [de la malevoisine] (donc, dans ce passage, flèche de machine de
5194 [appelé aussi letre et livret] (PelVieD). Les crochets peuvent aussi servir à
documenter une forme fléchie, par ex. SAOUL adj. ‘qui a satisfait sa faim, sa soif’ 202
[bon feroit un peu juner Pour estre saoul au souper] ; 2680 [saous pl.] (PelVieD). Dans le
cas d’un lemme normalisé, la citation peut rendre superflue la parenthèse des varian-
tes, surtout dans un très petit article ; c’est peu orthodoxe, mais efficace : [SOLOIR ] v.tr.
avec inf. ‘avoir l’habitude (de faire)’ 4134 [soy meïsmes tuer suelt, allég.]. Un contexte
peut aussi documenter une expression ou construction qui pourrait se traiter aussi
bien comme sous-article : POVRETÉ f. ‘état de qn qui manque de moyens matériels’
13° Commentaires
Le glossaire est l’endroit approprié pour donner maint commentaire ou remarque
qui n’est pas à sa place dans une note. Il allège le corps des notes qui commentent le
texte plutôt que des faits isolés liés aux mots ou expressions. Le commentaire est
également utile pour diriger un consultant du glossaire vers les passages intéressants
sous divers aspects. On y donnera certaines variantes de manuscrits qui complètent la
compréhension du mot et de la phrase (par ex. : DANGIER m., … var. éd. S : daintié(s),
PelVieD). Dans le cas d’un texte traduit, c’est une bonne place pour indiquer l’équiva-
lent de la source, surtout si le mot rend de différents mots (latins, grecs…) de la source
(par ex. v. PsCambrM [de 1876 !] ; D. Burrows, SClemB, donne bien une liste de
reprises du latin dans son introduction, avec accès par le biais des références du
glossaire aux notes, par ex. pour dieleticien, mais pas pour mathesis etc.). Un
commentaire comme dans l’article FEVRE m., PelVieD, raccourcit la citation, fournit
une explication et rend l’information plus accessible que si elle était cachée dans une
note : « ‘celui qui travaille le fer à chaud par profession, forgeron’ 4040 [Fil au fevre,
épithète de Jésus, fils du faber Joseph, lat. faber ‘artisan’ (Mc 6,3) étant interprété
normalement comme ‘artisan charpentier’, mais aussi par ‘artisan ferronnier’, par ex.
Isid. Reg. monac. Cl. 1868, c. 5, p. 97, l. 127 Ioseph iustus cuius uirgo Maria disponsata
extitit faber ferrarius fuit] ». Une occurrence innocente d’un mot comme celle de
hareng dans BodelNicH2 757 as tu mengié herens ? prend son importance par le fait que
la question s’adresse à un grand buveur : le hareng salé donne soif. Des discussions
de corrections au texte vont dans les Notes, mais certains résultats seront parfois
rappelés dans le glossaire.
432 Frankwalt Möhren
doublé couvrant le torse’ 3474 [fait est De pointures le gambison – Pourcoy pourpoint
bien l’apele on] (PelVieD). Des commentaires peuvent suivre chaque élément de
l’article.
14° Onomasiologie
Des informations lexicales partant de l’idée ou notion pour en étudier l’expres-
sion jalonnent tout bon glossaire, par exemple en indiquant des binômes ou des
variantes de sens (cf. fuellet, variation dans le texte même, supra 12o). Les marques
d’usage se rapportant aux langues de spécialité font figure d’indicateur onomasiolo-
gique. Les noms (communs) pris comme symbole et les comparaisons relèvent de ce
ressort.77 Le glossaire s’appliquera à relever ces faits [par ex. : estoille tremontaine
Rome.
77 Cf. le précieux Ziltener : W. Ziltener, Repertorium der Gleichnisse und bildhaften Vergleiche der
okzitanischen und der französischen Versliteratur des Mittelalters, Bern, Francke, 1972–1989. Voir R. de
Gorog, Bibliographie des études de l’onomasiologie dans le domaine du fr., dans RLiR 37 (1973) 419–446,
avec index des concepts.
78 Il existe des malentendus : TL n’est pas toujours supérieur au Gdf ; il l’est souvent et surtout au
GdfC pour les mots et sens encore vivants en français moderne. Hu n’est pas le dictionnaire du XVIe, il
complémente Li. DC n’est pas un dictionnaire du moyen latin, mais un glossaire encyclopédique. Hav
L’art du glossaire d’édition 433
fortGl, DC, LathamDict79 et MltWb (le moyen latin étant congénial au vernaculaire80),
aussi (!) du TLF, et de nombre d’études scientifiques et souvent de dictionnaires
romans ou autres, dépendant du texte traité (pour l’anglo-normand par ex. on se
servira fréquemment de MED81 et OED). La même chose vaut pour l’occitan où Rn, Lv,
LvP, DAO/DAG, DOM, Pans et FEW sont complétés au besoin de glossaires (Appel-
Chrest, etc.) et d’études et de la lexicographie française, catalane etc. Cette recherche
n’est pas menée chaque fois en entier, mais seulement jusqu’à avoir un jugement sûr
quant à la valeur de son attestation. En partant de cette connaissance on fait la
critique des sources (jeu de ping-pong, cette fois-ci entre glossaire et dictionnaire). Le
glossaire en reproduira (après chaque unité sémantique) la substantielle moelle, la
concision étant également une des vertus du lexicographe. La modestie nous fait
souvent juxtaposer nos résultats (jugés corrects) aux données de nos sources (jugées
erronées), sans l’épingler ouvertement. C’est sympathique, mais un ‘erroné’ net est
plus scientifique (et donne à réfléchir à son auteur, s’il veut vraiment se mouiller les
pattes). Des renvois à des développements supplémentaires dans les Notes seront
utiles.
Concrètement : si, pour un sens donné, le renvoi au DMF par ex. est apte à situer
de manière satisfaisante (après confrontation avec les autres sources nommées !) une
est riche mais peu utile par manque de documentation (le site Gallica confond Hav et Hav2). Etc. ; relire
DEAFBibl. Pour Gdf voir ActesMfr10 (rien de comparable pour TL, mais voir les comptes rendus de
Thomas Städtler, VRo 49/50, 1990/91, 524–527 ; 51, 284–288 ; 53, 350–353 ; 56, 316–318 ; 62, 278–288 ;
63, 336–338 ; 69, 2010, 308–311). Pour les ajouts au FEW voir Y. Greub dans ActesRechAgn 187–190 ;
79 Ex. dans PelVieD : [FORME R ] v.tr…. ♦ ‘faire se développer des aptitudes chez qn par un enseigne-
ment’ 3012 [le fourmoie A argüer], FEW 3,716b [‘façonner qn…’ dep. Montaigne, = TLF 8,1103b ;
80 D’une part à force d’être écrit parallèlement (dans le continuum langagier et culturel) et d’autre
part, parce que la littérature (moyen) latine se traduisait toujours en français. Lire M. Banniard, Du latin
des illettrés au roman des lettrés, in P. von Moos, Zwischen Babel und Pfingsten, Münster, LIT, 2008,
269–286, spéc. 270 ; F. Nies, Im Anfang war das Übersetzen. Zur Interkulturalität der entstehenden
französischen Nationalliteratur, Cahiers d’histoire des littératures romanes 27 (2003) 15–27. – Pour
conduire des recherches mlt. on se servira des trente dictionnaires mlt. existants (W. Berschin,
Einleitung in die lateinische Philologie des Mittelalters, Heidelberg, Mattes Verlag, 2012, 131–135) et de
maintes études.
81 David Trotter, L’anglo-normand dans le Middle English Dictionary, dans MélMöhren 323–337.
434 Frankwalt Möhren
fait décrit, on créera ce lien : ‘ad AUTORITÉ DMF I.A.’ et ‘ad FEW 25,815b, 2.’ par ex.
dépotoir. Exemples tirés de PelVieD de 1332 : « FAINDRE v.tr. ‘donner pour réel (un
sentiment, une qualité que l’on n’a pas)’ 842 [faindre folie] » (sans problèmes, mais au
contexte possiblement typé) ; « FOURCHON m. prob. ‘dent de fourche’ 2256, Gdf 4,70a ;
TL 3,2078,13 [ca. 1393] ; DMF [1480]. Δ » (première date) ; « FUSTER ] v.tr. ‘faire grief,
sim., tous plus lisibles que les sans-serif, /Arial/ par ex.). Le lemme a un caractère à
lui seul, le plus souvent le romain minuscule mi-gras (appelé « gras » dans les
(mots cités, variantes, contextes) est en italique (lettres cursives, pas des romaines
inclinées) ; les lemmes auxquels on renvoie sont souvent en PETITES CAPITALES romai-
nes maigres (de même dans un texte courant, le gras étant laid et déroutant dans le
texte courant).82 Les étymons sont le plus souvent en MAJUSCULES. Les variantes
graphiques se groupent dans une parenthèse, (…), avec leurs renvois (complets et
dans l’ordre, éventuellement abrégés par « etc. » ou « passim »). Les définitions sont
82 Meyer BullSATF 35,76 différent. Son argument contre le mi-gras ne compte plus. La distribution
AMUNTE R .
romain/italique est souvent peu claire, cf. dans son gloss. modèle, TristThomB, AMUNTER
L’art du glossaire d’édition 435
tes se placent entre crochets, […], qui accueillent, après virgule, aussi variantes,
équivalents d’un texte source (latin par ex.), commentaires, identifications dans la
Bible, etc., concernant cette occurrence. La fin est constituée par les renvois lexico-
graphiques (15°) et des commentaires.
L’ordre général de la notice est lemme, qualification grammaticale, parenthèse
des variantes, marque d’usage, définition, références aux attestations, crochets du
contexte, références secondaires, commentaire général.83 Des virgules séparent ces
éléments (sauf lemme et qualification grammaticale, et avant et après la parenthèse
des variantes). Les références en série sont séparées de points-virgules (coutumier
depuis FEW, aussi HenryChrest, T.L.F. comme CentNouvS, etc.). Les sous-entrées
(nouveau sens, expression relevée, etc.) sont séparées de points-virgules et distin-
guées par un signe graphique (usuel depuis RobP : ♦, mieux que les tirets demi-
cadratins). Il est permis de faire autrement, mais le résultat doit être le même : de
toute clarté. Ne pas oublier que personne ne lira le glossaire, il sera consulté ponctuel-
lement à côté d’autres. Le glossaire s’imprime en fin de volume pour un accès des plus
immédiats. La table des noms propres le précède logiquement ; elle peut être précédée
« GF » par ex. pour Gdf (et GdfC), ou « WW » pour FEW (M. Issa) est inouï, « Frédéric
Godefroy » curieux.85 L’absence d’un système d’abréviations stable chez Gdf fait
83 Meyer BullSATF 35,75 et 77 : la séparation des formes des sens est excellente, mais l’emplacement
des renvois avant la définition est malheureuse dans le cas de polysémies et sim.
84 Voir ConseilsÉcCh I 47–53. La cédille suit l’usage moderne (la valeur phonétique de ç est [ts] et [s],
pas seulement [s]) ; la finale 1e pers. prés et p. simple est en pic. souvent -c, prononcée à époque
ancienne [ts], puis [s], malgré cela on n’y utilise pas la cédille (par ex. laic PelVieD 911, seuc 1514, dorc
1587, GossenGramm2 § 39 ; Pope § 900, transcription -ç possible). Il n’y a pas d’accent grave ; l’accent
aigu est un signe d’intonation, il est essentiel pour distinguer les homographes, abbe/abbé, aise/aisé,
aveugle/aveuglé, formes verbales, etc. Le tréma marque le e caduc (ə central, anciennement non
arrondi) s’il est nécessaire au mètre (Riche, povre, sagë et fol, PelVieD 4) et marque la diérèse, se plaçant
alors sur la lettre (1°) supérieure ou (2°) antérieure du triangle vocalique (ïe, ïu, etc.).
85 ConseilsÉcCh I 85–87 recommande l’emploi des abréviations latines des livres de la Bible, « plus
expédient » (Gen., I Sam., II Sam., III Reg., Jo), mais au t. 3, 96 on propose comme modèle le système
français (Gen., Rois, Jn), tandis que le système latin de la Vulgata, ed. Stuttgart ou autre, semble faire
autorité (Gn, I Sm, III Rg, Io).
436 Frankwalt Möhren
FEW, de la RLiR et du RobP. Les notes de bas de page se placent au bas de page.
Quant aux renvois bibliographiques au-delà des sigles (écarter « id. », « loc.cit. »,
« op.cit. » et sim. !), il y avait une tendance vers le système américain, dit « de
Harvard », adapté aux publications éphémères (avec des répercussions idiotes comme
« Aristotle 1999 » [who’s that guy ?]). La tradition française et européenne survit en
11 Conclusion
La faible qualité de glossaires ne dépend pas vraiment de la fragmentation des
Lettres ; nous savons que les meilleurs glossaires n’ont pas été faits par des linguistes.
12 Bibliographie commentée
Les recherches lexicologiques nécessitent la consultation ponctuelle de nombre de sources primai-
res, les textes, et secondaires, les études et dictionnaires. On les cite par sigle ou abréviation, non
pas inventés ad hoc, mais pris du fonds commun. Ceux employés pour le présent chapitre viennent de
la Bibliographie du DEAF, établie dans la lignée de FEW et TL : Dictionnaire étymologique de l’ancien
français, Complément bibliographique 2007, Tübingen, Niemeyer, 2007 ; version travail en libre accès
sur le site http://www.deaf-page.de. Inutile de charger la bibliographie des indications pour AmAmD
ou AssJérBourgV K par ex., fournissant bien un exemple, mais ne contribuant aucunement aux argu-
ments. Cela ne ferait que nuire à l’environnement. Travaux plus généralement utiles :
Chambon, Jean-Pierre, Lexicographie et philologie : réflexions sur les glossaires d’éditions de textes
graphie » ; « il faut peu pour faire de meilleurs glossaires » ; article don m., pris dans DocHMar-
neG (par Jacques Monfrin), comparé à RobP et récrit comme corrigé. Visée proche de celle
avancée ici. Sa lecture peut se continuer par André Thibault, Glossairistique et littérature
francophone, RLiR 70 (2006), 143–171, avec des exemples et une systématisation.
Duval, Frédéric (2012), Dire Rome en français. Dictionnaire onomasiologique des institutions, Genève,
Droz. Glossaire-encyclopédie traductologique (lat. – afr./mfr.).
Foulet, Alfred/Speer, Mary Blakely (1979), On editing Old French texts, Lawrence KS, Regents.
Lepage, Yvan G. (2001), Guide de l’édition de textes en ancien français, Paris, Champion.
Martin, Robert (2002), Comprendre la linguistique. Épistémologie élémentaire d’une discipline, Paris,
Quadrige / PUF. Clarifie des choses semblant obscures.
Martin, Robert, De quelques convictions, MélMartin2 (2012), 7–15. Sur l’unité de la linguistique, les
efforts de son unification, etc.
Meyer, Paul (1909), Instruction pour la publication des anciens textes, Bulletin de la Société des
Anciens Textes Français 35, 64–79, et
Meyer, Paul (1910), Instruction pour la publication des anciens textes, Bibliothèque de l’École des
Chartes 71, 224–233.
Möhren, Frankwalt, De l’analyse sémantique du lexique ancien, ActesMétalex3 (2012), 27–58. Réfle-
xions sur la recherche du sens d’un mot dans un texte ancien, avec un « livre de recettes
deaf‑page.de > Möhren > Publications : D.8 (mfr.), 15 (onomas.), 23 (AND), 25 (langues de
Roques, Mario (1926), Établissement de règles pratiques pour l’édition des anciens textes français et
provençaux, Romania 52, 243–249 [réimprimé dans Bibliothèque de l’École des Chartes 87
(1926) 453–459].
Trotter, David (2005), Albucasis. Traitier de Cyrurgie, Tübingen, Niemeyer. Édition avec ample intro-
duction, étude sur le lorrain et glossaire soigneux.
Vielliard, Françoise, et al. (2001–2002) Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Fasc. I, Conseils
généraux, 2001, Fasc. II, Actes et documents d’archives, 2001, Fasc. III, Textes littéraires, 2002,
Paris, École des Chartes ; = ConseilsÉcCh.
Gilles Roques
16 Défense et illustration du compte rendu
scientifique
Abstract : Le mot compte rendu dans le sens de ‘exposé critique du contenu d’une
publication savante’ reflète une histoire qui se cristallise vers les années 1840–1861.
La pratique de la Recension est un genre allemand, très développée au début du XIXe
siècle, notamment dans des Revues intitulées Jahrbücher. La fusion du mot français et
de l’objet se réalise à partir du Jahrbuch für romanische und englische Literatur, fondé
en 1859, par Adolf Ebert et Ferdinand Wolf, sur le modèle de la Germania de Franz
Pfeiffer et qui fait une grande place au français. Gaston Paris en fut un collaborateur
régulier dès le premier tome, dans le sillage de son père Paulin, avec Friedrich Diez,
Karl Bartsch, Adolf Tobler et Adolf(o) Mussafia. Paul Meyer, qui disposait, depuis
1860, d’une tribune dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, y fit connaître cette
revue allemande dès 1861 et s’y introduisit comme recenseur la même année. Gaston
Paris de son côté poussait à la création d’un organe français, consacré uniquement à
des comptes rendus, ce qui intéressait des libraires, soucieux aussi d’exporter vers
l’Allemagne. C’est ainsi que naquirent successivement la Revue critique d’histoire et de
littérature (1866), puis la Romania (1872), tandis que le Jahrbuch cédait la place à la
Zeitschrift für romanische Philologie (1877). L’intérêt des comptes rendus est d’une part
de hiérarchiser des travaux et de les mettre en perspective avec le reste de la produc-
tion scientifique, d’autre part de faire naître des dialogues, de confronter des points
de vue différents. C’est ce qu’illustre le cas exceptionnel des comptes rendus consa-
crés aux éditions de Joinville par de Wailly. On y voit comment s’opposent les choix
de Paris et de Meyer, et comment chacun affiche ses préférences et en prend mieux
conscience au fil des comptes rendus. Depuis ses origines, les grandes lignes du
compte rendu d’éditions de textes sont restées les mêmes ; acceptées ou non dans les
éditions ultérieures, les remarques présentées gardent toujours leur valeur comme
éléments de réflexion sur la langue, la littérature et l’art d’éditer les textes.
mensonges et ses camaraderies effrontées, dégoûté le bourgeois de ces utiles guide-ânes qu’on
nomme comptes rendus de salons »,1 Baudelaire, Salon, 1845, 4.
1 Le mot compte rendu de salon a le sens d’‘analyse par écrit d’une œuvre picturale exposée’. Et les
comportements fustigés par Baudelaire ne sauraient se rencontrer, bien sûr, dans un compte rendu
scientifique !
Défense et illustration du compte rendu scientifique 439
pour accumuler dans de savantes pages des matériaux qu’un bien petit nombre pourra lire. En
apparence, ces patients investigateurs perdent leur temps et leur peine. Il n’y a pas pour eux de
public ; ils seront lus de trois, quatre personnes, quelquefois de celui-là seul qui fera la recension2
de leur ouvrage dans une revue savante, ou de celui qui reprendra le même travail, si tant est
qu’il prenne le soin de connaître ses devanciers », Renan, L’avenir de la Science, 1848, 235–236.
Le mot compte rendu est à l’origine un terme administratif. Comme son nom l’indique,
il s’agit à l’origine du ‘rapport fait des recettes et des dépenses’, issu de l’expression
rendre compte (fin XIIe siècle : Il ne rant conte ne reison de rien nule qu’an i despande
dans TL 8, 213, 33). Le mot est bien attesté en ce sens dès le XIVe siècle.3 Il prend un
sens plus large au XVIIIe siècle avec, par exemple, le mémoire de L.-R. de Caradeuc de
La Chalotais, Sur les constitutions de la Compagnie, présenté au parlement de Rennes,
en décembre 1761, et publié en 1762, sous le titre de Compte rendu des constitutions des
Jésuites. À la même époque rendre compte s’étend au domaine littéraire, pour signifier
‘présenter par écrit l’analyse (d’une œuvre artistique)’.4 La période révolutionnaire va
apporter sa touche, avec le syntagme compte rendu des séances.5 On a ensuite le
compte rendu de fouilles archéologiques,6 le compte rendu d’un roman,7 le compte
rendu d’un opéra.8 Au sens plus précis d’‘exposé critique du contenu d’une publica-
tion savante’, la date de 1872 que donne le FEW 2,997b, correspond à la parution du
premier volume de la Romania, qui contient effectivement une rubrique de comptes-
2 On notera l’emploi remarquable du mot recension au sens d’‘exposé critique du contenu d’une
publication savante’, sens emprunté à l’allemand (Fischer 1991, 235), qui prouve que compte rendu n’a
pas encore acquis à l’époque de Renan le sens que nous allons examiner par la suite.
3 Nombreuses attestations antérieures à la date de 1483 donnée par le TLF, dont : « C’est la manière
comme le subside fu faict pour l’ost de Flandres cccxxviii et que il monta selon ce que on peult trouver
par les comptes renduz » (1328, dans BEC 2, 1841, 170).
4 « Je ne parlerai pas des deux premiers [contes], qui ont paru dans la Gazette littéraire et dont
vraisemblablement vous aurez rendu compte » (1769 dans Correspondance littéraire, philosophique et
critique de Grimm et de Diderot depuis 1753 jusqu’en 1790, ed. J. A. Taschereau, tome 6, p. 183) ; « Il m’est
impossible, mon ami, de vous entretenir de ce tableau […] C’est votre affaire d’en rendre compte »
(1765, Denis Diderot, Salon de 1765, Else Marie Bukdahl /Annette Lorenceau (edd.), Paris, Hermann,
1984, p. 253). Le substantif correspondant est un peu plus tardif : « Je ne saurais terminer mieux un
compte rendu de nos richesses en paysages du genre romantique » (1820 dans Auguste-Hilarion de
Kératry, Annuaire de l’École française de peinture, ou Lettres sur le Salon de 1819, Paris, Maradan, 1820,
187).
5 « Un ouvrage ayant pour titre : Compte rendu des séances électorales de 1791 » (dans Procès-verbal
6 « Le compte rendu des dernières fouilles de M. Mariette autour du grand Sphinx de Giseh »
nouveaux opéras que M. Adolphe Adam vient de faire jouer au Théâtre-Lyrique » (Athenæum Français
rendus.9 Mais ce n’est pas la Romania qui a inventé ce sens. Cette revue est née à partir
de la Revue critique, publiée sous la direction de P. Meyer et de G. Paris (Bähler 2004,
122–124), où on lit le mot compte rendu dès 186610 et où le terme revient plusieurs
fois.11 La Revue critique s’inscrivait elle-même dans la tradition de la Revue critique des
livres nouveaux, rédigée par le Genevois Joël Cherbuliez (Cetlin 2008, 49–70), où le
terme se rencontre déjà en 1861,12 et plus précisément encore dans la tradition de La
Correspondance littéraire, où le mot se lit plusieurs fois.13 Fondé en 1857, dirigé par
deux chartistes, Ch.L. Lalanne et G. Servois14 ainsi que par L. Laurent-Pichat, ce
donna ses premiers textes. Bref, le mot compte rendu se chargeait déjà d’une connota-
tion quelque peu savante, dont nous verrions les prémices dans le titre même de la
Revue de bibliographie analytique : ou Compte rendu des ouvrages scientifiques et de
premier tome du Jahrbuch, revue dont nous allons parler, écrit : « En terminant ce
9 Notons que la Romania a innové (à la seule exception de la graphie compte-rendu, citée ici dans la
note 13) en introduisant un trait d’union qui restera en vigueur dans la table des matières jusqu’au
tome 12 (1883) - et même encore isolément dans le tome 21- et dans les titres courants jusqu’au tome 20
(1891). Elle se retrouvera encore parfois, jusqu’au t. 28 (1899).
10 « Nous terminerons ce compte rendu par quelques observations critiques » (Revue critique 1/1,
1866, 122).
11 En particulier dans l’étude de P. Meyer, Ouvrages sur les patois (premier article), où on lit (Revue
critique 1/1, 1866, 355) : « Il pourra donc n’être pas inutile de joindre au compte rendu de quelques
livres, récemment publiés, sur divers patois de la France, l’exposé de la méthode applicable à ces
études ».
mensuels que publient maints journaux suspects de partialité » dans Revue critique des livres nouveaux,
1861/08, 376.
13 « Cette publication mériterait un compte-rendu spécial et détaillé » (Correspondance littéraire 1,
n° 7, 5 mai 1857, 151) ; « Allons ! Allons ! Mieux vaut encore être essayiste, flâner, et griffonner à ses
heures, un chapitre, un sonnet ou un compte rendu » (Correspondance littéraire 1, n° 10, 5 août 1857,
234) ; « Tel est le sens de la préface qui précède les deux volumes dont le compte rendu m’a été confié »
Mais si le mot compte rendu, avec une valeur approchante du sens moderne, n’appa-
raît en français que vers les années 1860, l’objet existe bel et bien depuis plusieurs
décennies Outre-Rhin. Le véritable premier compte rendu d’une édition d’un texte
médiéval roman pourrait être attribué à Fr. Diez qui publie dans les Heidelberger
Jahrbücher en 1819 (Heidelberger Jahrbücher 12, 1819, 817–828), un long compte rendu
d’une édition des Poésies de Pétrarque.15 Le maître de Bonn distribuera ensuite
quelques comptes rendus d’éditions de textes médiévaux dans divers Jahrbücher für
wissenschaftliche Kritik,16 de Stuttgart ou de Berlin, ce titre de Jahrbücher étant
remarquable, puisqu’il s’agit en principe de présenter des livres récents, parus l’année
précédente, et que la dénomination de wissenschaftliche Kritik précise bien qu’il s’agit
de compte rendus scientifiques. C’est donc tout naturellement qu’on retrouvera la
signature de Diez (1859, 356 et 1861, 114) dans la rubrique « Kritische Anzeigen » du
Jahrbuch (cf. Storost 2001, 1260–1261), où il se fait remarquer par une assiduité
notable, puisqu’on le voit signer successivement, dans les tomes un et trois, des
comptes rendus d’éditions de textes ou de textes similaires et quelques autres comp-
tes rendus viendront dans les tomes suivants.17 C’est qu’entretemps le compte rendu
de travaux scientifiques, et particulièrement d’éditions de textes médiévaux, était
devenu une spécialité allemande ; Franz Pfeiffer avait lancé, en 1856, le premier
15 Francesco Petrarca’s italienische Gedichte, übersetzt und mit erläuternden Anmerkungen begleitet
von Karl Förster, Leipzig und Altenburg, 1818–1819.
16 Petri Alfonsi Disciplina clericalis. Zum ersten Mal herausgegeben mit Einleitung und Anmerkungen
von Fr. Wilh. Val. Schmidt. Berlin, Enslin, 1827, dans Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik, Stuttgart
u. Tübingen, 3, 1829, 347–352 ; Fragmentos de hum cancioneiro inedito, que se acha na livraria do real
Collegio dos nobres de Lisboa. Impresso a custa de Carlos Stuart, Socio da Academia de Lisboa, Paris,
1823, dans Berliner Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik 1, 1830, 161–172 (avec cette excuse pour
justifier l’écart chronologique de sept années entre la parution du livre et celle du compte rendu :
« L’ouvrage été publié il y a plusieurs années, mais, à ce qu’on peut supposer, est resté totalement
inconnu en Allemagne ») ; Der Roman von Fierabras, provenzalisch, herausgegeben von Immanuel
Bekker, Berlin, 1829 dans Berliner Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik 2, 1831, 153–160.
17 Dont l’Étude sur le rôle de l’accent latin dans la langue française, par G. Paris, dans le t. 5 (1863),
406–414 cf. Lettre de G. Paris à P. Meyer du 1er avril 1864, publiée dans Bähler (2004, 95) ; « c’est que le
prochain numéro [du Jahrbuch] contiendra un long article du père Diez sur mon Accent latin ; notez
que lui et Guessard, les deux patrons de mon opuscule, m’ont tous les deux fait attendre un mot
pendant plus de deux ans. Enfin voilà Diez qui y arrive, et il avait assez à faire pour ne pas s’y presser ».
de véritables comptes rendus. Ainsi, l’Albéric, qui y avait été édité en tant que source
de l’Alexanderlied (Rochat 1856, 274–282), fut l’objet de trois articles (Hofmann 1857,
95–97 ;19 Tobler 1857a, 441–444 ;20 Bartsch 1857, 462–464). D’ailleurs cette revue
Germania contenait déjà, dès son premier volume, une section « Bibliographie : Recen-
sionen », qui contenait des comptes rendus critiques d’éditions de textes allemands
domaine germanique pour donner un compte rendu minutieux d’une édition des
Œuvres de Hrotswitha (Bartsch 1858a) et un autre de La vie de Sainte Enimie de Bertran
de Marseille, dont la conclusion est sans aménité (Bartsch 1858b, 384) :
« Il faudrait avant tout conseiller à M. Sachs d’apprendre en premier lieu à lire les manuscrits, car
les fautes de lecture innombrables dans cette première édition d’un poète provençal ne plaident
pas en faveur de ses connaissances paléographiques ».
« Comme on le voit nos remarques concernent seulement le manuscrit et ce qu’on aurait souhaité
en outre de la part des éditeurs. Car ce qu’ils voulaient faire réellement et ce qu’ils ont fait, répond
tout à fait à la renommée importante, que Paul Meyer a acquise dans la philologie romane. Mais
il nous a habitué à attendre de lui des résultats importants ; c’est pourquoi nous nous sommes
permis d’attirer l’attention sur plusieurs points, dont nous nous regrettons malheureusement
l’absence dans sa dernière publication ».22
médiévaux français ; ceci marque le fait que le Jahrbuch, fondé en 1859, était devenu
19 Hofmann venait d’être nommé professeur ordinaire de langue et littérature d’ancien allemand à
l’Université de Munich.
20 Âgé alors de 22 ans, et dont c’est le premier travail publié, écho de sa première dissertation (Tobler
1857b ; Jung 2009, 6–9).
lui accorde M. Kr., est très fautive : je le sais mieux que personne. Les erreurs qu’elle renferme sont dues
à cette circonstance que l’édition a été en partie imprimée alors que j’étais absent de Paris et ne pouvais
collationner les épreuves sur le ms. De plus, pour plusieurs feuilles, je n’ai pas revu d’épreuves du tout.
C’est donc une édition à refaire. Je la referai peut-être un jour, en mettant à profit le ms. du Mont-
Cassin. Quant à faire des conjectures sur le texte tel qu’il est, c’est perdre son temps. J’aurais pu depuis
longtemps, si je l’avais jugé utile, publier à cette édition un errata bien plus long que celui de
M. Krause ».
Défense et illustration du compte rendu scientifique 443
comptes rendus (Bartsch 1862a ; 1862b ; Mussafia 1862a ; 1862b ; 1864) ; Bartsch
donnant des comptes rendus minutieux, qui ne sont pas de complaisance, d’éditions
aussi bien de Mussafia (Bartsch 1864) que de Meyer (Bartsch 1866), le dernier cité
s’achevant par la formule qui deviendra rituelle :
« Veuille l’infatigable éditeur voir dans ce compte rendu qui entre dans tous les
détails une preuve de l’intérêt que sa dernière publication a soulevé chez moi et sans
doute chez tous les amis de la littérature provençale ».
On lit, la même année, les deux parties d’un long compte rendu, par A. Scheler du
Cléomadès édité par A. Van Hasselt, le compte rendu du second tome s’ouvrant par un
exorde assez rude (Scheler 1866, 347) :
« Je ne sais si le savant éditeur du Cléomadès a pris connaissance des observations critiques que
je me suis permis de faire dans cette revue dès l’apparition du premier volume de ce roman ou si
d’autres philologues lui en ont soumis, toujours est-il qu’il a cru devoir en relever quelques-unes
dans un errata qu’il a placé à la fin du second et dernier volume. Plusieurs fois il accepte mes
corrections, mais en quelques endroits il lui en coûte de se rendre et il ne le fait que pressé par la
force des arguments contraires ».
D’autres comptes rendus de grande importance suivront dans la même Revue, qui
cessera de paraître en 1876.23 Lui succèdera immédiatement, en 1877, le premier tome
de la Zeitschrift für romanische Philologie,24 qui compte une rubrique Recensionen und
Anzeigen, où figurent déjà un important compte rendu de W. Foerster sur le Roman de
Rou25 et un autre, tout aussi important, de H. Suchier sur la traduction du Livre des
Psaumes (Suchier 1877).
Le genre du compte rendu est dès lors un objet scientifique, bien déterminé, qui
irrigue de sa sève la discipline sur laquelle il se greffe. Indépendamment de leur
qualité, tout à fait excellente, qui les rend encore suggestifs, voire même instructifs,
près d’un siècle et demi après leur parution, nous remarquons que la plupart des
comptes rendus que nous avons cités, ont été publiés quelques mois seulement après
la sortie de l’ouvrage examiné. C’est là pour la discipline concernée un signe de
vitalité, qui prouve aussi qu’il n’est pas nécessaire de laisser reposer longuement un
23 Tobler (1867 ; 1876) ; Mussafia (1869) ; Bartsch (1870). Aussi de Mussafia, des articles consacrés à
ce compte rendu a été terminé et envoyé à la Revue, est paru, dans le Lit. Centralblatt du 17. février 1877
n° 8, un très instructif compte rendu de Suchier. J’ai constaté avec beaucoup de plaisir, que nombre de
mes remarques rencontraient celles de l’excellent critique ». Cette référence à un autre compte rendu
du même ouvrage (qu’on retrouvera encore, par exemple dans Zeitschrift für romanische Philologie 37,
1913, 343) est non seulement une marque de respect et d’honnêteté intellectuelle, dont l’usage semble
souvent s’être malheureusement oublié, mais prouve aussi la vitalité de l’information du recenseur !
444 Gilles Roques
livre pour donner une idée de ce qu’on peut en attendre et jauger de façon correcte sa
valeur et ses faiblesses.
L’écho de ce mouvement Outre-Rhin ne tarda pas à gagner Paris. G. Paris, dans une
lettre à E. Curtius du 27 décembre 1858,26 montre qu’il est au courant de la fondation
du Jahrbuch, pour lequel il a été sollicité d’écrire un article, qui paraîtra effectivement
dans le premier volume (Paris 1858, 388–399), sous le titre « Aperçu de l'évolution de
la littérature française en 1858 ».27 Mais le Français qui y tient la vedette, c’est Du
Méril,28 qui ouvre le tome premier par un article sur Wace29 (Du Méril 1859, 1–43). Le
deuxième tome s’ouvre aussi par un article en français, Peÿ (1860a) comparant
l’Enéide de Henri de Veldeke et l’Eneas ; le même Peÿ (1860b) y a aussi rédigé le
compte rendu de l’édition de La vie de Saint Thomas de Guernes par Célestin Hippeau.
Il revenait à Meyer de présenter le compte rendu de ces volumes ; il le fait avec le
ton polémique, qui est le sien, mais aussi avec une hauteur de vue certaine, qui rend
toujours agréable sa lecture. Voici comment s’ouvre le premier, long de seize pages
(Meyer 1861d, 528) :
« On sait avec quel zèle et avec quel succès l’Allemagne savante s’occupe de notre littérature. Elle
a repris des études qui chez nous avaient été suivies avec plus d’ardeur que de critique, et leur a
imprimé une direction vraiment scientifique. Sur certains points, même, elle s’est rendue maî-
tresse du terrain. L’histoire littéraire du midi de la France, par exemple, est devenue une science
allemande ; Sainte-Palaye, Raynouard, Fauriel, ont trouvé chez nous peu de continuateurs, et, à
part quelques rares exceptions, ce sont des savants allemands qui ont mis au jour la presque
totalité de la littérature provençale. En Allemagne tout mouvement scientifique ou littéraire
donne naissance à une nouvelle revue ; jusqu’à ces dernières années, cependant, la philologie
romane n’avait pas eu d’organe spécial, et les travaux qui lui étaient consacrés ou se publiaient à
part, ou bien étaient insérés dans des recueils destinés à d’autres études, tels que la Zeitschrift für
deutsches Alterthum de Haupt ; la Germania, de Pfeiffer ; l’Archiv für das Studium der neuern
Sprachen, de Herrig, etc., lorsque, vers la fin de l’année 1858, parut la revue dont le titre est inscrit
en tête de cet article. Elle compte déjà trois ans d’existence, et il est bien temps de faire connaître
m’écrire pour me demander le travail que je vous envoie, il est bon pour juger sûrement une certaine
période contemporaine qu’on l’ait déjà dépassée et qu’elle soit complètement close », et il dresse un
panorama de la vie littéraire parisienne lors de l’année 1858. Il donnera encore deux lettres sur le même
sujet dans le Jahrbuch de 1861.
28 Sur cet érudit, v. Bähler (2004, 115–117).
29 Les autres collaborateurs français de ce premier volume sont : Paulin Paris, Notice sur la Chanson
sur le Roman inédit de Doon de Mayence, auteur aussi d’un compte rendu de l’édition des Nouvelles
Françaises en prose du XIVe siècle, publiées par L. Moland et Ch. d’Héricault.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 445
aux lecteurs de la Bibliothèque de l’École des Chartes un recueil consacré à des études qui nous
touchent de si près ».
Les auteurs français y sont traités sans indulgence. Le travail de Du Méril est l’objet
d’une critique courtoise mais elle fut le début d’une polémique entre les deux
hommes ;30 celui de Paulin Paris est plus sévèrement décrit,31 tandis qu’Alexandre
Peÿ est proprement assassiné (Meyer 1861d, 540).32 On entrevoit une hostilité forte
entre le jeune chartiste et le normalien, son aîné, agrégé d’allemand depuis 1851,
auteur d’un Essai sur li romans d’Eneas, d’après les manuscrits de la Bibliothèque
impériale, paru en 1856. Ceci n’est pas sans analogie avec ce qui sera plus tard le cas
de Léopold Constans.
Dans le numéro suivant de la Bibliothèque de l’École des Chartes (BEC 23, 1862,
441–452), Meyer (1862b) examine le deuxième tome du Jahrbuch. Le premier article est
dû à Peÿ (1860a). Cette fois Meyer (1862b, 441) mêle habilement remarques acides et
30 Note de Meyer (1862b, 441s.) : « Je dois une réponse à une note insérée par M. E. du Méril dans
l’édition revue, corrigée et augmentée, qu’il a donnée de son travail sur Wace, dans ses Études sur
quelques points d’archéologie et d’histoire littéraire […] M. du Méril, qui m’a fait l’honneur de profiter de
plusieurs de mes observations, m’a gratifié de la note qu’on va lire : ‹ Un très-jeune homme, qui semble
vouloir se distinguer par une critique jappante (sic), regarde l’assertion de l’abbé Lebeuf comme une
conjecture toute gratuite, parce qu’il est infiniment peu probable qu’il ait eu des renseignements qui
nous manquent maintenant […] Le jeune savant ignore sans doute que plusieurs manuscrits dont s’est
servi Fauchet ont disparu, qu’on ne sait où sont passés une partie de ceux que du Cange avait extraits
pour son Glossarium mediae latinitatis, et qu’un volume très-curieux du Renard contrefait, dont, malgré
le Ménagiana, on avait nié l’existence, a été retrouvé tout récemment à la bibliothèque impériale de
Vienne ›. M. É. du Méril devra regretter de s’être exprimé en termes aussi peu mesurés à l’égard d’un
‹ très-jeune homme › qui, en raison même de sa jeunesse, doit, plus que tout autre, s’interdire dans sa
défense le ton offensant de la note citée. Voilà pour la forme. Quant au fond, je suis obligé de dire que
je savais déjà tout ce que M. du Méril veut bien m’apprendre […] ».
31 « Cette notice paraît écrite d’ancienne date […]. M. Paris a résumé avec ordre les renseignements
qu’il est possible d’extraire des notes et des citations que M. Francisque Michel a accumulées dans la
préface de son édition de ce poëme. Une des raisons qui me portent à croire que ce travail n’a pas été
composé récemment, c’est qu’il n’est plus du tout point au niveau de la science […] » (Meyer 1861d,
534).
32 « Cette notice, écrite en français par M. Pey, professeur d’allemand au lycée Saint-Louis, contient
l’analyse de la chanson de Doon de Mayence et quelques recherches sur ce poëme. Ces recherches
présentent peu d’intérêt, d’abord parce qu’elles sont assez superficielles, ensuite parce que M. Pey les
a en grande partie reproduites dans la préface qu’il a mise en tête de l’édition de Doon de Mayence, qui
a été publiée récemment sous son nom (en note : II est bon de dire ici que dans cette édition le
sommaire seul, l’errata et une partie de la préface appartiennent à M. Pey, le texte ayant été préparé par
M. Guessard et par M.A. Schweighaeuser qui a fait la copie du manuscrit) ». Guessard était professeur à
l’École des Chartes et Schweighaeuser en était un ancien élève ; on trouvera une version, moins
polémique de cette affaire, dans la nécrologie de Schweighaeuser (BEC 37, 1876, 298) : « Il s’est
beaucoup occupé de nos chansons de geste, mais n’en a publié aucune : il abandonna à d’autres mains
l’édition de Doon de Maïence, dont il s’était chargé pour la collection des Anciens poètes de la France,
publiée sous la direction de M. Guessard ».
446 Gilles Roques
« L’ouvrage de M. Lenient, professeur au lycée Napoléon, a été pour son confrère en rhétorique,
M. Talbot, l’occasion d’une amplification de trois pages sur la satire en général, suivie de quatre
pages d’éloges et de citations, passons. M. L. Holland, professeur à Tubingue, a fait connaître la
théorie que M. Baret a appliquée au poème du Cid de l’air d’un critique qui ne la croit pas juste,
mais sans donner les raisons de la défiance qui perce à travers son exposé. Pour moi, je considère
cette théorie comme étant le contre-pied de la vérité, et je vais l’exposer en quelques mots pour la
combattre ».
Enfin, il revient au compte rendu rédigé par Peÿ (1860b) pour porter un jugement
mesuré et juste, mais qui ne manquera pas de surprendre dans ses deux phrases
finales, toujours d’actualité, qui montrent un Meyer désireux de se distinguer le rôle
de l’éditeur de textes de celui de simple copiste d’un manuscrit :
« Il y a bien des fautes dans cette édition, mais la plus grave à mon avis, est de n’avoir point
établi, de la vie de saint Thomas le martyr, un texte critique résultant de la comparaison du ms.
reproduit dans cette publication avec celui qu’a imprimé M. I. Bekker. Se contenter de multiplier
par la voie de l’impression un exemplaire unique, c’est réduire sa tâche à celle d’un simple
copiste, c’est obliger en quelque sorte à publier autant d’éditions d’un même ouvrage qu’il en
existe de manuscrits. On fait mieux maintenant » (Meyer 1862b, 451).
Meyer (1864a, 51–61) continuera avec une recension du troisième tome du Jahrbuch ;
sa cible sera cette fois François-Romain Cambouliu, auteur d’un mémoire sur la
« Renaissance de la Poésie Provençale à Toulouse au quatorzième siècle », et qui
33 « M. Pey paraît être maintenant meilleur philologue qu’en 1856 ; il ne fait plus venir, comme alors,
reter (lat. reputare, соmр. le prov. reptar) de reos facere, ni voisdie de vitium par l’italien vezzo. Dans ce
nouveau travail, incontestablement digne d’éloges, M. Pey s’est appliqué à rechercher dans quelle
mesure Henri de Weldeke a imité l’Énéas français ». Il y aurait d’ailleurs à retracer le portrait de ce
professeur, polygraphe connu par ailleurs, pour des romans, des traductions, des essais et des manuels
scolaires, mais qui ne paraît pas avoir copié les mss d’ancien français avec tout le soin nécessaire,
v. Långfors (1919, XV).
34 Cambouliou avait déjà été égratigné, dans le tome précédent, par Meyer (1862b, 448) à l’occasion
du compte rendu de Zur Geschichte der Catalanischen Literatur d’Ad. Ebert, directeur du Jahrbuch.
35 Meyer (1864a, 59s.) souligne encore le fait en présentant un petit extrait que donne Cambouliu du
Mémorial des Nobles. P. Meyer et n’épargnera même pas le défunt (Revue critique 4/1, 1870, 339s.),
parlant d’« un article nécrologique sur M. Cambouliu, où il nous semble que l’auteur, M. Montel, a
poussé l’éloge beaucoup au-delà de ce que demandait la qualité de membre fondateur de la Société ».
Défense et illustration du compte rendu scientifique 447
Mais l’essentiel de son activité de critique d’éditions de texte est concentré dans la
Bibliothèque de L’École des Chartes où il officie depuis 1860, c’est-à-dire depuis l’âge
de 20 ans. On peut considérer comme formateur son premier travail sur Girart de
Roussillon (Meyer 1861b). Il prend la posture, sur un texte d’une extrême difficulté, qui
n’a pas aujourd’hui encore livré tous ses secrets malgré des travaux remarquables,
d’arbitrer entre deux éditions : celles de Michel (1856) et celle d’Hofmann (1855–
1857) ; il penche vers Hofmann, à bon droit, mais il ne se rend pas compte que seul
« La Bibliothèque de l’École des Chartes n’est pas faite pour annoncer les livres de seconde main ;
cependant, lorsqu’il se rencontre dans un ouvrage de cette catégorie des idées qui ne tendent à
rien de moins qu’à renouveler un point quelconque de la science, il importe de les soumettre à
une critique sévère, afin de nous assurer s’il nous faut apprendre d’après de nouveaux principes
ce que nous pensions savoir, et, dans le cas contraire, de prouver qu’il est toujours possible de
distinguer une opinion raisonnable d’un paradoxe ridicule. Le livre dont le titre est inscrit en tête
de cet article est un ouvrage de seconde main en ce sens qu’il n’est, pour le texte, que la
réimpression d’une partie du roman d’Alexandre, publié à Stuttgart, par M. Michelant ; c’est un
ouvrage original et même très-original par les idées, comme on le verra tout à l’heure. Mais
d’abord, parlons du texte. Les éditeurs nous ont donné, sous le titre prétentieux d’Alexandriade,
un choix de morceaux tirés de la chanson d’Alexandre et formant environ la moitié du poème. Je
ne leur ferai pas un reproche de n’avoir pas réédité tout l’ouvrage, puisque, assurément, il leur
était parfaitement loisible de n’en pas réimprimer un seul vers. Peut-être eût-il été bon de revoir
36 Mince article de dix pages, dont il avait déjà fait le compte rendu dans BEC 21 (1860), 545s. Ce sera
avec celui du Vocabulaire du Haut-Maine, par C.-R. de Montesson, Nouvelle édition augmentée, 1859
dans BEC 21 (1860), 460–462, l’un des deux premiers comptes rendus rédigés dans cette revue, par
Meyer qui venait, tout juste, d’y terminer sa troisième année d’étude.
448 Gilles Roques
le texte de ces fragments sur les manuscrits, ou même de le publier d’après un manuscrit autre
que celui qui a servi à l’édition de M. Michelant,37 mais passons sur ces détails ».
Suivent quatre pages qui relèvent des exemples d’inepties de tout ordre contenues
dans le livre, qui amènent à la conclusion :
« Laissons l’appréciation de ce triste livre, ou plutôt de ces tristes prétentions, à un public éclairé
qui ne se laisse pas prendre aux éloges pompeux de certaines feuilles, et regrettons seulement de
voir mêlé à cette affaire un professeur de l’université,38 d’ailleurs homme d’esprit et de goût, qui
soutenait naguère dans une thèse sur l’Alexandre des idées différentes de celles dont il accepte
aujourd’hui la responsabilité ».
fait déplorable. La liste de ses productions est déjà longue ; et aucune, je suis heureux de le
reconnaître, n’appartient ni par son but ni par son exécution à ce que l’on peut appeler la
littérature éphémère et frivole. Homme d’esprit, homme du monde, maniant une plume exercée
et facile, le savant professeur de la Faculté des Lettres de Caen aurait pu sans beaucoup de peine
battre monnaie avec des écrits futiles à la grande satisfaction des désœuvrés ; il a mieux aimé
dépenser son temps, son savoir, son talent et son argent dans une entreprise plus ingrate pour
lui, plus féconde pour la science, et il s’est mis à fouiller les bibliothèques privées et publiques de
l’Europe, recherchant et disputant à l’oubli les monuments ignorés de notre ancienne littérature,
c’est-à-dire de notre influence intellectuelle et de notre vieille gloire nationale ».
« L’éditeur du Bel Inconnu a exposé quelque part avec beaucoup de netteté le principe philolo-
gique général qui a présidé à l’établissement de son texte : ‹ Quoique, dit-il, le texte des différents
poèmes, que contient notre manuscrit, soit en général excellent, il ne peut échapper à l’inconvé-
nient commun à tous les écrits du moyen âge, de ne pas offrir une grande régularité dans ses
formes lexicographiques. Il est facile de voir néanmoins que cette régularité existe dans la
langue, et que c’est moins la science grammaticale du trouvère que l’habileté du copiste, qui fait
37 Remarquons ici une contradiction avec ce que nous avons vu affirmer dans BEC 23 (1862b), 451.
38 Il s’agit d’E. Talbot, que nous avons vu cité dans BEC 23 (1862b), 447, professeur de français latin-
grec dans de grands lycées parisiens, auteur de nombreux ouvrages, en particulier de traductions de
classiques grecs et latins. Mais sous l’empire de l’indignation, P. Meyer a oublié qu’il avait écrit deux
pages plus haut une phrase en contradiction avec sa conclusion : « Déjà, il y a quelques années,
M. Talbot avait émis les mêmes idées, sous une forme plus affirmative que maintenant et en les
appuyant d’arguments que je suis heureux de n’avoir point à discuter ; réduites à de simples hypo-
39 Le compte rendu ([Meyer], 1861c, 190) ne porte aucune signature, mais il vient après un compte
rendu signé P. Meyer et le style fait reconnaître immédiatement son auteur. On sait aussi que plus tard
dans la Romania, les comptes rendus ou les chroniques non signés devinrent une façon de brouiller les
pistes.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 449
suis de son avis, bien qu’ici même il convienne de faire des distinctions essentielles et des
réserves nécessaires. Mais si, comme les expressions dont il se sert ne permettent guère d’en
douter, il affirme aussi la régularité lexicographique, une telle opinion, posée surtout en des
termes aussi généraux et aussi absolus me paraît une erreur et presque une hérésie. Quoi qu’il en
soit, le savant éditeur est parti de ce principe pour modifier et corriger son texte avec un zèle qui
manque parfois un peu de circonspection ».
Et après voir relevé une bonne série d’étymologies fausses, P. Meyer conclut avec une
superbe ironie :
« Telle est cette édition dont quelques légères taches déparent à peine la solide beauté. Je viens
pourtant, comme on l’a pu voir, de l’étudier à la loupe avec les dispositions guerroyantes et le
parti pris ferrailleur d’un écolier espiègle qui, en relevant de petites distractions et inadvertances
d’un de ses maîtres, essaie de lui prouver malicieusement qu’il a profité de ses leçons. Au point
de vue typographique, le papier, l’impression, les ornements mettent cette publication au
nombre des meilleures qu’ait exécutées A. Aubry, ce libraire des bibliophiles. L’infatigable
professeur nous dit dans la préface du Bel Inconnu qu’il a l’intention de publier successivement
et dans le même format et avec un égal soin la série complète des Poèmes de la Table Ronde et
des Romans d’aventures. Après avoir remercié notre savant maître de tout ce qu’il a fait déjà,
nous prenons acte de ce qu’il veut bien promettre ainsi de nous donner encore. Le jour où un tel
engagement sera rempli, peu d’hommes, je ne crains pas de le dire, auront mieux mérité que
M. Hippeau de l’Université et des lettres françaises ».
Le véritable compte rendu de cette édition avait été donné, sous la signature cette fois
affirmée de Meyer, âgé de vingt ans, dans la Correspondance littéraire, sous forme
d’une lettre adressée à son directeur ; on a là le premier compte rendu critique de
Meyer. Il s’agissait, par delà la critique d’une édition de texte, de ridiculiser l’intention
de Hippeau de donner un dictionnaire de l’ancien français (Meyer 1861a) :
Monsieur, J’ai lu avec beaucoup d’intérêt dans la Correspondance littéraire du 25 novembre 1860
un article sur l’édition du Bel Inconnu, dont la science est redevable à M. Hippeau. Je m’associe
de tout point aux judicieuses observations de M. Servois ; il me semble cependant qu’en dehors
de son appréciation, il y a place encore pour quelques remarques, notamment en ce qui touche
aux questions philologiques que soulève le glossaire dont est suivi le texte du Bel Inconnu. Ce
sont ces remarques, Monsieur, que j’ai l’honneur de vous adresser, espérant qu’elles seront,
peut-être, de nature à intéresser vos lecteurs et M. Hippeau lui-même.
M. Hippeau annonce qu’il prépare un Dictionnaire complet de la langue d’oil qu’il doit mettre
bientôt sous presse. L’idée de M. Hippeau est excellente, et un tel ouvrage peut rendre d’immen-
ses services aux études du moyen âge. Le dictionnaire en question sera complet, la parole de
M. Hippeau nous en est un sûr garant, espérons qu’il sera irréprochable à tous autres égards. Un
homme qui se sent en état de dresser l’inventaire de tous les mots de notre vieille langue doit
avoir lu bien des centaines de milliers de vers, sans parler des textes en prose ; il serait bien
avoir signalées, et si ces taches se trouvent plus nombreuses qu’il le suppose, il nous en sera
d’autant plus reconnaissant ».
« J’espère que ces quelques observations auxquelles ont donné lieu les vingt pages du glossaire
de M. Hippeau, et dont il me serait facile d’augmenter le nombre, ne seront pas perdues pour le
Dictionnaire Complet de la Langue d’oïl […] Que M. Hippeau persévère dans cette voie, qu’il
réforme son système étymologique, qu’il revoie la traduction d’une bonne partie des mots, et il
pourra nous donner un bon Dictionnaire Complet de la langue d’oïl ; mais qu’il prenne garde aux
Ce double compte rendu précède celui que fera, sur le même texte, Mussafia (1862b),
qui va dans le même sens mais avec moins de piquant. Dix ans plus tard, le ton de
Meyer a changé. Faisant le compte rendu d’un glossaire de l’ancien français du même
auteur, Meyer (1872, 610) commence ainsi :
« Il est de mauvais livres à l’égard desquels on hésite à se montrer sévère : à un débutant on doit
toute indulgence. On ne saurait non plus se montrer exigeant envers ceux qui travaillent loin des
centres littéraires, sans conseils, souvent presque sans livres. Puis, dans notre pays, la critique a
longtemps été si peu attentive au mouvement scientifique, que beaucoup de travailleurs ont pu
entrer et persévérer dans une mauvaise voie sans qu’un avis opportun leur soit venu en aide.
Mais en présence du livre dont j’ai à rendre compte, l’esprit le plus favorablement disposé
chercherait en vain un motif d’indulgence. M. Hippeau n’est pas, tant s’en faut, un débutant […]
Et pourtant les avertissements ne lui ont pas manqué. Il me suffira de lui rappeler les comptes-
rendus qui ont été faits de son Bel inconnu (Correspondance littéraire, 1861, n° 5), de son Bestiaire
d’amour (Jahrbuch f. romanische Literatur IV, 411, art. de M. Mussafia), de son Gauvain (Germania
VIII, 217, art. de M. Mussafia), récemment de sa Conquête de Jérusalem (Bibl. de l’école des chartes
XXXI (1870), 227).40 Mais, insouciant des progrès de la science, M. Hippeau continue à mettre au
jour des productions que n’eussent pas avouées les éditeurs d’il y a cinquante ans ».
Après avoir épinglé quelques-unes des sottises du répertoire, P. Meyer conclut par un
jugement implacable :
« Evidemment M. Hippeau ne soupçonne pas plus le tort qu’il fait à la science française que les
40 Les comptes rendus dont il ne nomme pas l’auteur sont les siens. On voit ainsi qu’il renvoie à son
compte rendu, signé, de la Correspondance Littéraire ; en revanche, il ne cite pas [Meyer] (1861c), qu’il
ne pouvait ignorer, ce qui confirme indirectement, s’il en était besoin, qu’il en est bien l’auteur.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 451
Entre ces deux comptes rendus de P. Meyer, consacrés aux travaux de C. Hippeau,
s’était placée la création de la Revue critique d’histoire et de littérature.41 Dans cette
affaire les positions de Meyer et de Paris sont différentes. Meyer, qui est entré à l’École
des Chartes, en 1857, un an avant Paris, y est bien implanté et a, comme nous l’avons
vu, une tribune régulière, depuis 1860, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes où
il a déjà publié six comptes rendus d’éditions de textes médiévaux, quand, en 1864,
paraît le premier compte rendu de Paris, consacré à une traduction de l’Histoire
romaine de Mommsen (BEC 25, 1864, 567–571.), suivi d’un autre, en 1865, sur Un
procédé de dérivation très fréquent dans la langue française et dans les autres idiomes
néolatins de Egger (BEC 26, 1865, 172–177), et alors qu’il faudra attendre 1871, pour lire
le troisième, consacré, lui, à une édition de texte, mais des Essais de Montaigne (BEC
32, 1871, 417–419) ; les comptes rendus de Paris, comme ses articles,42 sont loin des
« L’édition d’un poëme de Chrestien de Troyes est la pierre de touche de la critique qui s’applique
aux textes français. Ce n’est pas que ce travail présente aucune difficulté extraordinaire. La
langue du poëte est constamment simple et claire, et sa pensée n’est jamais obscure ; les
manuscrits de ses ouvrages sont assez communs, plusieurs datent du XIIIe siècle et présentent un
texte rarement corrompu. Enfin, Chrestien appartient à une époque dont la langue est parfaite-
ment connue, dont les monuments littéraires sont nombreux […] Son dialecte c’est le pur français,
‹ le bel françois ›, comme disait Huon de Méry ; sa grammaire est déclarée par les rimes, et ainsi il
devient possible de déterminer dans quelle mesure les copistes ont altéré l’œuvre du poëte et de
41 Sur la fondation et les premières années de cette revue v. Bähler (2004, 121–124).
42 La Karlamagnus-Saga, histoire islandaise de Charlemagne, BEC 25 (1864), 89–123 et 26 (1865), 1–42 ;
La Philologie romane en Allemagne, BEC 25 (1864), 435–445 ; Ulrich de Zazikhoven et Arnaud Daniel, 26
(1865), 250–254.
43 Il donnera aussi Revue critique 1/2 (1866), 407–414, un compte rendu nourri du t. 1 des Épopées
françaises de L. Gautier.
452 Gilles Roques
lui rendre sa forme primitive. Il n’y faut pas un grand effort de génie : la connaissance de la
langue du XIIe siècle et les procédés ordinaires de la critique suffisent pleinement. Mais cette
connaissance il est nécessaire de l’avoir aussi complète que possible ».
D’où la conclusion :
« Les erreurs de M. P. ne sont point accidentelles : elles viennent toutes de ce qu’il n’a point
connu les principes sur lesquels repose la critique des textes. N’ayant pas de critérium qui le
mît en état d’apprécier la valeur des divers mss. du Perceval, il a pris celui d’entre eux qui
était le plus à sa portée et où il trouvait le plus de vers, sans savoir reconnaître si l’addition
du commencement était tout entière de Chrestien et lorsqu’il s’est agi de recueillir les
variantes des autres mss., il n’a su ni les choisir ni les mettre en œuvre. Ignorant les procédés
au moyen desquels on fait la grammaire d’un auteur, il ne s’est pas préoccupé de la langue
de son poëte, et lui a prêté une infinité de formes dont les copistes seuls doivent porter la
responsabilité ».
Les comptes rendus de G. Paris sont plus variés, mais empreints des mêmes
caractéristiques. Il termine ainsi le compte rendu d’une édition de Villon (RC 2/1,
1867, 250) :
« Après cette édition, il est inutile de revenir à Villon autrement que pour en donner une édition
vraiment nouvelle, critique et définitive. Nous signalerons deux conditions qu’il faudra remplir :
on devra d’abord entreprendre une nouvelle révision des manuscrits et des éditions anciennes, et
faire une étude soigneuse de leur caractère, de leurs différences et de leur rapport : le résultat de
ce travail devra être d’une part la constitution du texte, d’autre part le recueil de toutes les
variantes de quelque valeur, avec l’indication de leur source, et non la mention vague : ‹ un ms.,
une édition. › Il faudra ensuite soigner l’orthographe plus qu’on ne l’a fait jusqu’ici, en s’appli-
quant à la rendre conforme à l’histoire de la langue aussi bien qu’à la prononciation, et surtout
en la régularisant : le même mot ne devra plus se trouver écrit, comme il l’a été jusqu’à présent,
de plusieurs façons différentes. M. J. a fort bien remarqué que l’étude des rimes était un bon guide
pour l’éclaircissement du texte ; elle servira particulièrement pour cette partie du travail. – Villon
est un de nos grands poètes, on peut le dire hardiment, et ses ouvrages méritent d’être traités
avec toute la rigueur et tous les soins de la critique, à laquelle il offre un champ circonscrit, mais
épineux ».
Meyer a ainsi posé le dogme que « dès la fin du XIIe siècle, le français de l’Île-de-
France était d’un usage général pour les compositions littéraires » et Paris et lui se
rejoignent pour soutenir que l’étude des rimes est un outil précieux ou un bon guide
dans la recherche du bon texte, et pour vouloir aller vers une régularisation de
l’« orthographe » du texte que les copistes ont altérée. En cela, ils se révèlent de bons
En effet, la grande entreprise éditoriale qui devait servir de pierre de touche pour les
travaux philologiques de nos jeunes chartistes dès leur sortie de l’École des Chartes
Défense et illustration du compte rendu scientifique 453
fut la Vie de saint Louis de Joinville.44 L’ancien directeur respecté de l’École, président
de son conseil de perfectionnement, conservateur du département des manuscrits de
la Bibliothèque Nationale, et membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
était alors Natalis de Wailly. Or, de Wailly était d’abord un paléographe et un historien
du Moyen Âge, nullement un philologue ;45 mais abordant Joinville, il entreprit
d’abord d’en donner une traduction (Wailly 1865), fondée sur le texte publié par
Daunou/Naudet (1840), texte d’une grande fidélité à son manuscrit de base, manu-
scrit qui servira toujours de base pour les éditions successives. Meyer (1865, 505s.) en
fait le compte rendu et présente clairement la situation :
« L’esprit scientifique se fait sentir à chaque page dans le travail de M. de Wailly, et quiconque
voudra faire de Joinville une édition nouvelle y trouvera résolue mainte difficulté de texte. Ceci
demande une brève explication. Le texte de Joinville est fourni par deux mss. l’un exécuté vers le
milieu du XIVe siècle, l’autre dans la première moitié du XVIe. Tous deux reproduisent une même
leçon : il n’y a de différence que pour l’orthographe qui dans le second ms. est considérablement
rajeunie […] M. de Wailly a admis celles de ces variantes qui ont conservé la bonne leçon, et que
le sens réclamait […] Ce texte est donc un guide tout trouvé pour les éditeurs à venir ».
« M. de Wailly a réuni de nombreuses notes sur les manuscrits et sur le texte de l’Histoire de saint
Louis ; la manière la plus profitable de les employer serait assurément d’en publier une nouvelle
édition […] Car, s’il m’est permis d’employer une expression un peu germanique, M. de Wailly est
actuellement le meilleur connaisseur de Joinville ».
Cette édition viendra deux ans plus tard. Cette fois c’est d’Arbois de Jubainville (1867)
qui en fera un compte rendu, assez élémentaire, dans la Bibliothèque de l’École des
Chartes :
44 Le fait a été fort bien analysé et mis en perspective avec le problème de la pratique éditoriale par
Leonardi (2009).
45 Voici ce qu’en diront, à l’unisson, Meyer (1886, 166) : « M. de Wailly a traité surtout les matières
linguistiques comme un moyen de pourvoir à l’amélioration des textes. Il s’était appliqué tard, étant
presque sexagénaire, à la philologie romane, et ne pouvait, au milieu d’occupations variées, et ayant
une tâche considérable à accomplir en un temps limité, s’assimiler les procédés compliqués de la
nouvelle école philologique qui se formait dans une génération beaucoup plus jeune que la sienne.
Sans doute on peut remarquer des imperfections et des lacunes dans la méthode qu’il s’était formée,
mais il convient bien plutôt d’admirer la sûreté des résultats qu’il a obtenus », et Paris (1898, 418) : « Ce
mémoire [sur la langue de Joinville] est d’autant plus remarquable qu’il est l’œuvre d’un savant qui,
voué jusqu’alors aux pures études historiques et diplomatiques, faisait son apprentissage de philolo-
gue. Sans chercher à s’approprier les méthodes et les résultats acquis par la science philologique, ne
s’aidant que de ses connaissances générales de grammaire et de ses habitudes de judicieuse critique,
M. de Wailly avait uniquement cherché à donner une base solide à la restauration qu’il voulait tenter
de la langue de Joinville ».
454 Gilles Roques
« Les bonnes leçons se reconnaissent à ce qu’elles observent les lois de la grammaire du treizième
siècle, qui était évidemment celle de la langue parlée et écrite par Joinville, puisque ce chroni-
queur naquit vers 1224. Tel est le principe dont est parti M. de Wailly pour introduire dans son
édition les nombreuses améliorations qui la rendent si préférable à celle de Daunou. Nous
n’avons, quant à nous, qu’une critique à lui adresser. En général, il n’a changé le texte reçu que
lorsque ce texte présentait un contre-sens ou une amphibologie. Nous aurions, à sa place, été
plus hardi […] M. de Wailly l’a compris, si nous sommes bien informé, et il prépare une nouvelle
édition où le manuscrit de Bruxelles sera moins scrupuleusement respecté, et où la grammaire du
treizième siècle reprendra complétement ses droits ».
« Nous ne voulons pas laisser échapper l’occasion, malheureusement trop rare, de faire ressortir
les mérites d’une bonne édition […] Puisqu’il est avéré que le copiste du ms. A a rajeuni le texte
de Joinville d’environ un demi-siècle, le devoir de la critique est de vieillir la langue du ms. dans
la même proportion. M. de W. a reculé devant cette tâche, et, quant à présent, on ne saurait l’en
blâmer […] Mais il est une voie détournée par laquelle on arrivera probablement à éclaircir tous
les doutes qui restent sur la langue de Joinville : l’étude des documents diplomatiques. M. de W.
a réuni en assez grand nombre les chartes émanées de Jean de Joinville, et il prépare à l’aide de
ces éléments nouveaux un mémoire sur la langue de ce personnage. C’est alors seulement qu’on
pourra entreprendre avec méthode la restitution du texte de Joinville ».
Encore une fois Meyer sera entendu et de Wailly donnera une nouvelle édition,
préparée par des études sur les chartes émanant de la seigneurie de Joinville. Meyer
(1869) exulte :
« M. de Wailly, poursuivant avec méthode le cours de ses travaux sur Joinville, est arrivé en
dernier lieu à nous donner de l’historien de saint Louis une édition qui, jusqu’à la découverte
d’un nouveau ms., peut être considérée comme à peu près définitive […] ».
46 Léopold Delisle dans un compte rendu de la BEC 34 (1873), 598, trouvera la formule adaptée pour
enterrer ce travail : « La comparaison minutieuse du ms. du XIVe siècle avec les deux mss. du XVIe
n’aida pas seulement l’éditeur à établir un texte critique de l’Histoire de saint Louis ; elle lui fournit
encore d’excellents arguments pour en démontrer l’intégrité et l’authenticité, pour répondre aux
objections, plus spécieuses que solides, élevées par M. Ch. Corrard ». Pourtant, un élève de de Wailly,
P. Viollet, soulignera, à juste titre, dans un article de la BEC 35 (1874), 35, l’intérêt de certaines
remarques de Corrard.
47 Qui ne s’encombre pas de faire référence à Corrard, sauf par une brève allusion (89) : « Parce qu’on
avait émis l’hypothèse que le ms. A contenait une rédaction tronquée et arrangée ».
Défense et illustration du compte rendu scientifique 455
Meyer retrace les étapes successives qu’a parcourues de Wailly, pour l’établissement
des leçons puis des graphies :
« Dès lors [avec l’édition de 1867] nous étions en possession d’un texte bien lu et bien compris,
dans lequel on n’était plus arrêté à chaque page, comme dans les éditions précédentes, par des
passages inintelligibles, et qui pouvait légitimement prétendre à représenter exactement, pour les
leçons, la rédaction, ou si l’on veut, la dictée de Joinville […] Mais, si on pouvait poser en principe
que les formes usitées à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe, devaient être
introduites dans le texte de Joinville, on n’avait cependant aucun moyen de résoudre avec
certitude ces petits problèmes qui se présentent en foule dès qu’on entreprend de restituer non
pas seulement les leçons, mais encore l’écriture d’un texte […] Ce sont là des points qui pourront
sembler de bien faible importance, mais à l’égard desquels cependant il devenait indispensable
de prendre une décision, dès qu’on reconnaissait la nécessité de restituer au texte de Joinville sa
forme originale ».
« Nous croyons du reste que dans des essais du genre de celui que M. de W. a tenté sur Joinville,
l’excès de hardiesse n’est point un danger une fois que la leçon des mss. a été rendue facilement
accessible par une édition exacte ; et d’un autre côté, il est manifeste que la connaissance de
notre ancienne langue fera des progrès infiniment plus rapides que par le passé, dès que les
éditeurs se croiront tenus de produire des textes non pas seulement intelligibles, mais encore
conformes à des règles dont l’existence est incontestable, et qui ont seulement besoin d’être
déterminées plus exactement qu’elles ne l’ont été jusqu’à présent et en tenant mieux compte des
temps et des lieux ».
« On voit que le dialecte de la seigneurie de Joinville était, par ses formes tout aussi bien que par
« Je pense avoir montré comment M. de Wailly est arrivé graduellement, et conduit par la seule
force de la logique, à entreprendre et à parfaire sur la langue de Joinville des travaux qui feront
époque dans la science. Les procédés qu’il a employés pourront n’être pas d’un fréquent usage :
on n’a pas souvent affaire, dans notre ancienne littérature, à un auteur dont l’époque et l’origine
soient bien déterminées, dont la langue puisse être retrouvée à l’aide des chartes. Mais à d’autres
cas d’autres moyens. Ce qu’il faut qu’on se persuade bien, c’est que l’édition et la révision de nos
anciens textes offrent ample matière à ceux qui n’aiment pas la besogne trop facile, et que le
temps est arrivé où les simples copistes sont mis à part des véritables éditeurs ».
48 Écho d’une formule que nous avons lue dans Meyer (1862b, 451).
456 Gilles Roques
« C’est la troisième fois que M. de Wailly publie Joinville. Après avoir restauré, par la comparaison
méthodique des manuscrits, les leçons de l’Histoire de Saint Louis dans son édition de 1867, il en
a restauré la langue d’après l’étude des chartes de Joinville, dans son édition de 1868. Cette
troisième n’est naturellement qu’une révision des deux autres […]
Ce travail se divise en deux parties : la restitution des leçons et la restitution des formes. Je dirai
peu de chose de cette dernière, que M. de W. a justifiée dans son Mémoire sur la langue de
Joinville. On peut différer d’avis avec le savant éditeur sur tel ou tel point de détail, mais sa
méthode est en somme parfaitement scientifique, sûre et prudente. Je lui reprocherais peut-être
de n’aller pas encore assez loin. S’il a appliqué avec une certaine rigueur aux formes grammatica-
les de son texte les résultats fournis par l’étude des chartes, il a trop respecté, suivant moi,
l’orthographe du ms. A pour l’intérieur des mots […]
C’est en employant la méthode qu’il a déjà si sagement appliquée que M. de Wailly pourrait
remédier, dans une édition subséquente, à cet inconvénient réel : il faut choisir, d’après les
chartes, les bons mss. de la fin du XIIIe siècle, l’étymologie, une forme pour chaque mot et s’y
tenir ».
On voit que Paris prêche pour une normalisation graphique, en accord avec Meyer et
dans la ligne de ce qu’il a mis lui-même en œuvre pour la Vie de saint Alexis ; mais il y
« J’arrive à l’autre partie de l’œuvre critique de l’éminent éditeur, la restitution des leçons. C’est
par cette restitution qu’il a le mieux mérité de la science et de Joinville : il est en effet le premier
qui ait appliqué aux manuscrits d’une œuvre du moyen-âge la méthode, seule vraiment scienti-
fique, de la classification des manuscrits. Il a rompu avec ce préjugé, regardé il n’y a pas bien
longtemps encore comme le dernier mot de la critique, qui consiste à suivre ‹ le manuscrit le
meilleur et le plus ancien ›, et à ne le corriger avec les autres qu’en cas de ‹ fautes ou lacunes
évidentes › […] ».
49 Dans cette audace, G. Paris rejoint Charles Thurot, qu’il est le premier à citer : « Plusieurs des
observations qu’on va lire ont déjà été indiquées par M. Thurot, dans un excellent article [précisément
un compte rendu] sur la précédente édition (Rev. Archéol. 1869, I, 389) ». Or Thurot est précisément
l’ami de feu Corrard qui a mis en circulation dans la Revue Archéologique l’article dérangeant dont j’ai
parlé plus haut ; d’ailleurs Paris se fait aussi l’avocat de trois interrogations de Corrard. Le même
Thurot, mal accueilli à la BEC pour son premier travail, y sera ensuite progressivement reconnu au
point de devenir membre du Conseil de perfectionnement de l’École des Chartes en 1876, et d’y
succéder à de Wailly.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 457
Et Paris de proposer des corrections, dont quelques-unes seulement ont été acceptées
dans les éditions les plus récentes, avec cette argumentation :
« Mais si la juste classification des manuscrits maintient au-dessus de tout soupçon l’authenticité
et l’intégrité du texte de Joinville, elle autorise à le corriger avec un peu plus de hardiesse qu’on
ne l’a fait, et à redresser sans trop d’hésitation tout ce qui peut, par faute du copiste primitif,
pécher contre la langue ou le sens ».
Au final, chacun restera sur ses positions : Wailly (1874) lui-même, qui publiera dans
« La méthode suivie dans cette édition (plus tard reproduite, avec diverses améliorations, chez
Didot) a reçu l’assentiment général, et on peut dire que le texte de Joinville est maintenant assez
sûrement établi pour que la découverte, de moins en moins probable d’un nouveau ms. puisse
apporter aucun changement important. M. de Wailly a fixé lui-même, dans sa Lettre à M. G. Paris,
les points sur lesquels il peut encore y avoir hésitation, et ces points sont de bien faible
importance […] ».
« Cette belle publication [l’édition de Wailly 1874] donna lieu à un compte rendu [Paris 1874] dans
bout les conséquences de sa méthode, et à régulariser l’orthographe intérieure des mots comme il
avait fait celle des finales. M. de Wailly n’accepta qu’en partie ces diverses suggestions ».
Paris (1898, 421) donnera même un spécimen de l’édition telle qu’il la souhaitait, et
qu’il présente ainsi :
« On s’y est efforcé de régulariser l’orthographe dans tous ses détails et on a pu apporter encore
quelques menues corrections au texte, notamment en ce qui concerne la forme des noms de lieux,
souvent altérés dans les manuscrits, et que M. de Wailly n’avait que rarement cru devoir rectifier.
On ne pourra guère apporter à une édition subséquente de Joinville que de ces perfectionnements
de détail […] Mais, en somme, c’est toujours à M. de Wailly qu’appartiendront l’honneur et le
mérite de nous avoir rendu, après tant d’efforts séculaires, le véritable texte d’un des livres les
plus intéressants de notre ancienne littérature et les plus importants pour notre histoire ».
Si l’on fait le bilan des comptes rendus principaux de Meyer (1867) et de Paris (1874),
qui forcément ne font pas double emploi, en raison de l’écart chronologique qui les
sépare et du fait qu’ils ne portent pas sur la même version du texte de de Wailly, on
note que Meyer a donné toute une série de remarques touchant la cuisine éditoriale
458 Gilles Roques
(coupe de mots ou accentuation) qui ont fait autorité. Si l’on se limite aux corrections
de fond, qui sont le fait surtout de Paris, on constate que sur 13 propositions de
correction de Meyer, 9 ont été acceptées par de Wailly, dont 3 seulement sont passées
dans la dernière édition, celle de Monfrin (1995), tandis que sur les 39 propositions de
Paris, 29 ont été acceptées par de Wailly, dont 8 seulement sont passées dans Monfrin.
Ces chiffres doivent aussi encourager les auteurs de comptes rendus, dès lors que des
savants d’un tel niveau n’ont pas entraîné une adhésion totale.50
3 Les successeurs
Paris et Meyer ont assuré leur magistère par ces comptes rendus, qu’ils rédigèrent
jusqu’à leur mort. Après la guerre de 1914–1918, une nouvelle génération se chargea
de cette tâche dans la Romania. Les deux plus représentatifs furent Alfred Jeanroy et
Arthur Långfors, qui tinrent ce rôle pendant plus d’un tiers de siècle. Dans la Zeit-
schrift, la tradition des grands auteurs de comptes rendus qu’illustrèrent Wendelin
Foerster, Hermann Suchier et Adolf Tobler, fut maintenue par Albert Stimming, Carl
Appel, Hermann Breuer et Oskar Schultz-Gora. Mais les uns comme les autres ne
permirent pas la vue d’ensemble qui fait la qualité du duo Paris/Meyer, à la fois
parfaitement complémentaire et en même temps quasiment exhaustif. Dans la se-
conde moitié du XXe siècle, Félix Lecoy, dont les principaux comptes rendus d’édi-
tions se lisent dans Lecoy (1984, 135–186 ; 1988, 475–511), prit le relais dans la
Romania, alors que la Zeitschrift restait en retrait, jusqu’à ce qu’un nouveau directeur,
Kurt Baldinger, vienne lui donner un élan remarquable. Formidable recenseur, il a
rédigé entre 1948 et 1990 près de 2000 comptes rendus, ce qui est certainement un
record, dont, entre 1963 et 1990, un grand nombre d’éditions de textes d’ancien et de
moyen français ; on en trouvera la liste dans Baldinger (1990, 846–986). À la diffé-
rence des auteurs que nous avons passés en revue, Baldinger ne s’occupe pas de la
technique éditoriale. Formé à l’école de Wartburg et du FEW, essentiellement roma-
niste, lexicographe et étymologiste, il cherche dans les éditions des compléments à
apporter aux articles du FEW et inversement il s’efforce de montrer aux éditeurs de
textes l’aide que pourrait leur fournir la consultation du FEW. Mais petit à petit, en
rédigeant ces comptes rendus, de linguiste, il est devenu philologue. Et c’est ce qui
explique l’orientation de ces travaux vers la rédaction du DEAF.
50 On peut même dire que quelques corrections proposées par Paris sont des erreurs de sa part.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 459
4 Conclusions
Le genre du compte rendu philologique d’une édition de textes a une longue tradition,
illustrée par de grands savants, qui ont apporté un éclairage important sur l’ouvrage
qu’ils examinaient. À vrai dire, un compte rendu soigneux a, au moins, la valeur d’un
article. Chaque ligne écrite réclame beaucoup plus d’attention que sa correspondante
dans le cadre d’un article ; c’est que l’auteur du compte rendu sait qu’il aura, à coup
sûr, un lecteur critique, à savoir l’auteur même du livre examiné. Aussi de tels
comptes rendus font partie intégrante des travaux à utiliser quand on travaille sur un
texte. Tout n’y est pas forcément exact, mais cette lecture attentive, outre des correc-
tions ponctuelles, peut faire découvrir des éléments qui ont échappé à l’éditeur. Cette
façon d’annoter les textes et de soumettre ces annotations à un public savant, est
aussi très formatrice pour les débutants en les forçant à prendre du recul vis à vis de la
page imprimée, qui impose son autorité au lecteur. On peut constater que dans ce
début du XXIe siècle, on lit toujours davantage de comptes rendus. Bien sûr, ce genre
de compte rendu n’a rien à voir avec la pure et simple description, plus proche de
l’annonce publicitaire ou de la version amplifiée de la quatrième de couverture. Il est
heureux que ces annonces soient appelées à disparaître, au moins comme versions
imprimées. L’internet, qui permet de donner à lire des extraits de nombre d’ouvrages
récents, sera désormais le véhicule le plus approprié pour ce type de produit, qu’il
importe de bien distinguer du compte rendu scientifique.
5 Bibliographie
Arbois de Jubainville, Henri d’ (1867), compte rendu des Œuvres de Jean, sire de Joinville, comprenant
l’histoire de saint Louis, le Credo et la lettre à Louis X avec un texte rapproché du français
moderne, mis en regard du texte original corrigé et complété à l’aide des anciens mss. et d’un
ms. inédit, par M. Natalis de Wailly, Paris, A. Le Clere, 1867, BEC 28, 400–403.
Bähler, Ursula (2004), Gaston Paris et la philologie romane, Genève, Droz.
Baldinger, Kurt (1990), Die Faszination der Sprachwissenschaft : ausgewählte Aufsätze zum
70. Geburtstag mit einer Bibliographie, edd. Georges Straka/Max Pfister, Tübingen, Niemeyer.
Bartsch, Karl (1862b), compte rendu du Breviari d’amor de Matfre Ermengaud suivi de sa lettre à sa
sœur, publié par la Société archéol. de Béziers, 1862, Jahrbuch für romanische und englische
Literatur 4, 421–432.
Bartsch, Karl (1864), compte rendu des Altfranzösische Gedichte aus venezianischen Handschriften,
herausgegeben von A. Mussafia, Wien, 1864, Jahrbuch für romanische und englische Literatur 5,
414–421.
460 Gilles Roques
Bartsch, Karl (1866), compte rendu du Roman de Flamenca, publié d’après le ms. unique de Carcas-
sonne, traduit et accompagné d’un glossaire par Paul Meyer, Paris, 1865, Jahrbuch für romani-
sche und englische Literatur 7, 1866, 188–205.
Bartsch, Karl (1870), compte rendu du Besant de Dieu von Guillaume le Clerc de Normandie, mit einer
Einleitung über den Dichter und seine sämmtlichen Werke, ed. E. Martin, Halle, 1869, Jahrbuch
für romanische und englische Literatur 11, 210–219.
Bartsch, Karl (1879), compte rendu de Karl Schweppe, Études sur Girart de Rossilho, chanson de geste
provençale, suivis de la partie inédite du ms. d’Oxford, Stettin 1878, Zeitschrift für romanische
Philologie 3, 432–438.
BEC = Bibliothèque de l’École des Chartes (1839–), Paris, Société de l’École des Chartes.
Cambouliu, François (1861), Renaissance de la Poésie Provençale à Toulouse au quatorzième siècle,
Jahrbuch für romanische und englische Literatur 3, 125–145.
Cetlin, Josiane (2008), Joël Cherbuliez (1806–1870) : Pour une critique, gardienne sévère des principes
éternels du beau et du bon, Les Cahiers Robinson, Arras, Université d’Artois, 24, 49–70.
Correspondance littéraire = La Correspondance littéraire : critique, beaux-arts, érudition (1856–1863),
Foerster, Wendelin (1877), compte rendu de Maistre Wace’s Roman de Rou et des Ducs de Normandie,
nach den Handschriften von Neuem herausgegeben von Dr. Hugo Andresen. Erster Band. 1. u.
2. Theil. Heilbronn, Henninger, 1877, Zeitschrift für romanische Philologie 1, 144–159.
vistes suisses (1850–2000) : une profession au fil du temps, Genève, Droz, 1–32.
de Joinville, par le même. Paris, Franck, 1868 (Extrait de la BEC 29, 329–478) ; et de l’Histoire de
saint Louis par Jean sire de Joinville, suivie du Credo et de la lettre à Louis X ; texte ramené à
l’orthographe des chartes du sire de Joinville et publié pour la société de l’Histoire de France,
par M. Natalis de Wailly, Paris, Renouard, 1868, Revue critique d’histoire et de littérature 4/2,
3–11.
Meyer, Paul (1870), Études sur la chanson de Girart de Roussillon, I. Les manuscrits, Jahrbuch für
romanische und englische Literatur 11, 121–140.
Meyer, Paul (1872), compte rendu de Collection des poèmes français du XIIe et du XIIIe siècle.
Glossaire, par C. Hippeau, BEC 33, 610–614.
Meyer, Paul (1879), compte rendu d’Études sur Girart de Rossilho, chanson de geste provençale, suivis
de la partie inédite du ms. d’Oxford, par Karl Schweppe, Stettin, 1878, Romania 8, 128s.
Meyer, Paul (1886), Nécrologie de N. de Wailly, Romania 16, 162–166.
Meyer, Paul (1899), compte rendu de Krause, Zum Barlaam und Josaphat de Gui von Cambrai, Berlin,
1899, Romania 28, 483.
Michel, Francisque (1856), Gérard de Rossillon, chanson de geste ancienne, publiée en provençal et
en français, d’après les mss. de Paris et de Londres, Paris, P. Jannet.
Monfrin, Jacques (1995), Joinville, Vie de saint Louis, texte établi, traduit, présenté et annoté avec
variantes, Paris, Dunod.
462 Gilles Roques
Mussafia, Adolf (1862a), compte rendu du Bestiaire d’amour par Richard de Fournival, suivi de la
response de la dame, publiés par C. Hippeau, Paris, 1860, Jahrbuch für romanische und
englische Literatur 4, 411–417.
Mussafia, Adolf (1862b), compte rendu du Bel inconnu ou Giglain, poème de la table ronde par
Renauld de Beaujeu, publié par C. Hippeau, Paris, 1860, Jahrbuch für romanische und englische
Literatur 4, 417–421.
Mussafia, Adolf (1864), compte rendu de The romance of Blonde of Oxford and Jehan of Dammartin by
Philippe de Reimes, ed. A. Le Roux de Lincy, Westminster, 1858, Jahrbuch für romanische und
Mussafia, Adolf (1869), compte rendu de Meraugis de Portlesguez, roman de la table ronde par Raoul
de Houdenc, publié pour la première fois par H. Michelant, Paris, 1869, Jahrbuch für romanische
und englische Literatur 10, 339–352.
Paris, Gaston (1858), Uebersicht der Entwickelung der französischen Nationalliteratur im Jahre 1858,
Jahrbuch für romanische und englische Literatur 1, 388–399.
Paris, Gaston (1866), compte rendu d’Étude sur Bruneau de Tours, trouvère du XIIIe siècle, par Auguste
Brachet, Paris/Leipzig, 1865, Revue critique d’histoire et de littérature 1/1, 12s.
Paris, Gaston (1867), compte rendu d’Œuvres complètes de François Villon […] mise au jour avec notes
et glossaire par Pierre Jannet, Paris/Picard, 1867, Revue critique d’histoire et de littérature 2/1,
248–251.
Paris, Gaston (1874), compte rendu de Jean, sire de Joinville, Histoire de saint Louis, Credo, et Lettre à
Louis X, texte original, accompagné d’une traduction par M. Natalis de Wailly, Paris, 1874,
Romania 3, 401–413.
Paris, Gaston (1898), Jean, sire de Joinville, Histoire Littéraire de la France 32, 291–459.
Peÿ, Alexandre (1860a), L’Enéide de Henri de Veldeke et Le Roman d’Eneas, attribué à Benoit de
Sainte-More, Jahrbuch für romanische und englische Literatur 2, 1–45.
Peÿ, Alexandre (1860b), compte rendu de La vie de Saint Thomas par Garnier de Pont Sainte-Maxence,
publiée par Célestin Hippeau, Paris, 1859, Jahrbuch für romanische und englische Literatur 2,
358–365.
Revue critique = Revue critique d’histoire et de littérature (1866–1935), Paris, Franck/Leroux.
Rochat, Alfred (1856), Über die Quelle des deutschen Alexanderliedes, Germania 1, 273–290.
Romania = Romania (1872–), Paris, Société des Amis de la Romania.
Scheler, Auguste (1866), compte rendu de Li roumans de Cléomadès par Adenes li Rois, publiés pour
la première fois […] par A. Van Hasselt, tomes 1 et 2, Bruxelles, 1865 et 1866, Jahrbuch für
romanische und englische Literatur 7, 104–114, 347–359.
Schweppe, Karl (1878), Études sur Girart de Rossilho, chanson de geste provençale, suivis de la partie
inédite du ms. d’Oxford, Stettin, Dannenberg.
Servois, Gustave (1860), compte rendu du Bel Inconnu, ou Giglain, fils de messire Gauvain et
de la fée aux blanches mains, poëme de la Table Ronde, par Renauld de Beaujeu, […] publié
[…] par C. Hippeau, Paris, Aubry, 1860, La Correspondance littéraire 5, 2, 25 novembre 1860,
42s.
Storost, Jürgen (2001), Die « neuen Philologien », ihre Institutionen und Periodica : Eine Übersicht,
in : Sylvain Auroux et al. (edd.), Histoire des sciences du langage : manuel international sur
l’évolution de l’étude du langage des origines à nos jours, vol. 2, Berlin/New York, De Gruyter,
1240–1271.
Suchier, Hermann (1877), compte rendu du Livre des Psaumes. Ancienne traduction française
publiée […] par Francisque-Michel, Paris, 1876, Zeitschrift für romanische Philologie 1,
568–572.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 463
Wailly, Natalis de (1865), Histoire de saint Louis par Joinville, texte rapproché du français moderne et
mis à la portée de tous, Paris, Hachette.
Wailly, Natalis de (1874), Lettre à M. Gaston Paris sur le texte de Joinville, Romania 3, 487–493.
ZrP = Zeitschrift für romanische Philologie (1877–), Halle/Tübingen, Niemeyer ; Berlin/Boston, De
Gruyter.
Index
Aalma 345 n. 22 Apostol ‘Apôtre’, imprimé par le diacre Coressi
abrégé (L’~) de grammaire attribué à Antonia 99
Maria Mauro 122 apparat critique 67, 68, 251, 258, 259
abréviations 161, 166, 172, 302, 307, 429, 435 Appel, Carl 36–37, 458
accentuation 386 Aramon i Serra, Ramon 189
actes (Les ~) de Mihai Viteazul (‘Michel le Brave’) Arbois de Jubainville, Henri d’ 453
115 archaïsme 427
actes (Les ~) de Petru Şchiopul (‘Pierre le Boi- architriclin / architriclinus afr./mlat. 327
teux’) 115 Archiv für das Studium der neueren Sprachen
Adam de Suel 326 444
admirabilité afr. 428 Aristote 343
adverbes énonciatifs 169 ARLIMA (Archives de littérature du Moyen Âge)
affichage multi-facettes 164 320
Agyagfalva, Sandor Gergely de 121 Armstrong, Edward C. 30, n. 28–29
Aimoin de Fleury 352 Arnaut Daniel 28, 178, 183, 186, 451
Ain, département de l’ (chartes) 272 ar-Răzī, Mohamed ibn Zakariya 248
Ainsworth, Peter 156 Ars Amatoria 333, 339, 344
Alain de Lille 339 Ars Minor 340
Albéric (fragment d’un Roman d’Alexandre par ARTEM (Atelier de Recherche sur les Textes Méd-
Auberi de Besançon) 442 İévaux, Nancy) 289
Albert, Sophie 55, 56, 57 Arthur 53
Alexandria ‘Alexandrie’ 96, 102, 104, 108, 116 Arukh 246, 247
Alexandriade 447 Arvinte, V. 105
Alexici (~ Alexics), G. 121, 122, 123 Ascoli, Graziadio Isaia 223
Alpes-de-Haute-Provence, département des Aslanov, Cyril 238–239, 247, 252 n. 15, 256, 260
(chartes) 271 ATILF (Analyse et traitement informatique de la
Alpes-Maritimes, département des (chartes) 271 langue française) 419
alphabet cyrillique 96, 113–115 attestations charnières 420
alphabet hébreu 237–264 Aubry, Auguste 449
altérité du Moyen Âge 416 « auteur » (d’une charte) 298
Amelio, Silvestro 119, 120, 121, 122 Auvergne (chartes) 274
amphibologie 354 Avalle, d’Arco Silvio 26, 27 n. 21, 70
ancien français 247 « avant-textes » 212, 213
ancrage diasystématique 287 avre afr. 421 n. 54
AND (Anglo-Norman Dictionary) 188
Anglo-Norman Online Hub 168 n. 19 Bălcescu, N. 109, 113
anglo-normand 247 Baldinger, Kurt 458
annotation linguistique 168 balisage 159, 160, 165, 173, 174, 195–197,
annotation sémantique 168 202–204
annotation syntaxique 168, 169 BAMBI (Better Access to Manuscripts and Brows-
Annotations d’Ilinca Leurdeanu 120 ing of Images) 198 n. 8
Anonyme de Chantilly-Vatican 353 Ban 53
Anonymus Caransebesiensis (connu aussi sous Banitt, Menahem 225, 227, 230, 238
le titre d’Anonymus Lugoshiensis) 121, 122 Barbi, Michele 30 n. 29
Anonymus Lugoshiensis (connu aussi sous le Baret, Eugène 446
titre d’Anonymus Caransebesiensis) 121, Bariţ(iu), G. 107, 114, 121, 122
122 Barlaam et Josaphat 442
Index 465
Bartsch, Karl 4, 441, 442, 443, 447, 451 Boccaccio, Giovanni, Decamerone 323, 337, 340
Basarab, Neagoe 104, 107 Böhmer, Eduard 223
Base du Français Médiéval 155, 156, 159 Bogdan, I. 114, 116
Base « Jonas » de l’IHRT 320 Bogdanow, Fanni 53
Basses-Alpes, département des (chartes) 271 bon manuscrit 24–25, 35, 46, 47, 48
Baudelaire, Charles 436 Bonvesin de la Riva 134, 146
Bayle, Pierre 370 Bos, Gerrit 247 n. 12, 248, 249, 256, 257, 258
Bazin-Tacchella, Sylvie 340 Brachet, Auguste 451
Beckett, Samuel 3 Bratul, popa ‘le prêtre’ 103, 105, 113
Bédier, Joseph 4, 7, 22–26, 31–32, 38, 47, 50, Breuer, Hermann 458
82, 84–87, 89, 112, 146, 163, 164, 166, 370 Brook, Leslie 322, 348
bédiérisme 82–83, 85, 86–89, 81 Brucker, Charles 328, 330, 360
« bédiérisme pragmatique » 166 Bruneau de Tours 451
BEdT (Bibliografia elettronica dei trovatori) 185, Brunel, Clovis 267, 273
186, 189 Brunetto Latini 134
Bekker, Immanuel 446 Bruns (lignée, dans le cycle de Guiron) 57, 59, 61
Bel Inconnu (de Renaut de Beaujeu) 448, 450 Bubenicek, Venceslas 54 n. 21
Beltrami, Pietro G. 66 Buitul, Gheorghe 119
Beowulf 81 Buridant, Claude 320
Berceo, Gonzalo de 134 Burnett, Charles 329, 330
Berechiah ben Natronay 220 BVH-Epistemon 156
Berliner Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik Byck, J. 102, 115
441
Bernart de Ventadorn 36 Călătoria lui Zosim la blajini ‘Le voyage de Zosim
Bestiaire d’amour (de Richard de Fournival) 450 chez les bénins’ 104
Bianu, I. 99, 102, 105, 106, 113, 114 calcul des spécificités 168
Bible 227, 229, 231 calcul parallèle 200
Bible, traduction de la 342 Cambouliu, François-Romain 446
Bible anonyme (BnF fr. 763) 341 Camps, Jean-Baptiste 164
Bible d’Acre 341, 359 Candrea, I.-A. 100, 102, 103, 104, 106, 108, 110,
Bible de Jehan Malkaraume 342 116
Bible historiale de Guiart de Moulins 341 Cantacuzino, Constantin 106, 110, 120, 122
Bible moralisée de Jean le Bon 327 Cântece câmpeneşti ‘Chansons champêtres’ 120,
Biblia de la Bucureşti ‘La Bible de Bucarest’ 121, 124
(1688) 98, 107, 117, 121 Cântecul dragostei ‘La chanson d’amour’ 120
Bíblia del segle XIV. Èxode. Levític 342 Cantemir, Dimitrie 97, 99, 100, 113
bibliographie matérielle 372 Canterbury Tales 155
Biblioteca de Autores Españoles 81 Caradeuc de La Chalotais, Louis-René de 439
Bibliothèque de l’École des Chartes 440, 445, Cardano, Gerolamo 200 n. 10
447, 448, 451, 453, 454, 456 Carolus-Barré, Louis 278
Biesenthal, Johannes Heinrich Raphael 247, 252 Carstens, Henry 186
bilinguisme didactique médiéval 327 Carte de rugăciuni ‘Livre de prières’ (1776) 119,
Blandin de Cornoalha 181 121
blecier afr. 426 Cartea românească de învăţătură ‘Livre roumain
Blecua, Alberto 84, 87–89 d’enseignements’, imprimé a Iaşi (1646)
Blondheim, David Simon 219, 231, 232, 238, 109
245, 256 Cartea cu învăţătură ‘Livre d’enseignements’,
blubber angl. 416 connu aussi sous le titre de Cazania a II-a
Blum-Kulka, S. 321 (1581) 102, 104, 116
466 Index
Cartea de cântece ‘Le livre des cantiques’, copié Cherbuliez, Joël 440
par Sandor Gergely de Agyagfalva 121 Chevalier de la Charrette 155
Cartea de cântece ‘Le livre des cantiques’, im- Chirographes 276
primé à Cluj (1571‒1575) 118, 119, 121, 122, Chirurgia magna (Gui de Chauliac) 340
123 Chirurgie Albucasis 336
Cartojan, N. 102, 104, 108, 116 Chivu, G. 102, 103, 105, 115, 120, 121
catalan 244, 245 Chrétien de Troyes 27, 30, 45, 135, 155‒156, 451,
Catehismul calvinesc ‘Le Catéchisme calviniste’, 452
imprimé à Cluj (1642) 123 Chronique de Constantin Căpitanul Filipescu 110
Catehismul calvinesc, imprimé à Bălgrad (1648) Chronique de Grigore Ureche 103, 106, 110, 118
119, 121, 122, 124 Chronique de Miron Costin 103
Catehismul calvinesc, imprimé à Bălgrad (1656) Chronique de Moldavie depuis le milieu du XIVe
107, 114 siècle jusqu’à l’an 1594 101
Catehismul catolic ‘Le Catéchisme catholique’, Chronique des rois de France 320, 351
imprimé à Poszony (1636) 119, 121 chroniques (Les ~) médiévales 99
Catehismul catolic, imprimé à Cluj (1703) 119, Chuadit 251
121, 124 Cipariu, T. 99, 101, 104, 113, 121, 122
Catehismul catolic, imprimé à Rome (1677), con- classification ontologique 199, 208‒211
nu sous le titre de Dottrina Christiana 119, Cléomadès 443
121 codage 162, 169
Catehismul catolic, traduit par Silvestro Amelio Codex Kájoni 119, 124
(1719) 119, 121, 122 Codex Sturdzanus 100, 103, 104, 107, 120
Cazania ‘Recueil d’homélies’, imprimé à Iaşi Codicele Marţian 102, 103, 104, 108
(1643) 98, 102, 112, 115 Codicele popii Bratul ‘Le Codex du prêtre Bratul’
Cazania ‘Recueil d’homélies’, imprimé à Mănă- 103, 105, 113
stirea Dealu (1644) 98 Codicele Teodorescu 102, 103, 104, 108
Cazania a II-a ‘Le IIe recueil d’homélies’ (1581) Codicele Voroneţean ‘Le Codex de Voroneţ’ 101,
104 104, 105, 108
CCFM (Consortium international pour les corpus codicologie 7, 163, 303, 322 n. 3
de français médiéval) 157 Colart Mansion 329
Cerquiglini, Bernard 83‒84, 298, 299, 301, 305, Colin Muset 23
309 collatio 194, 211
CFMA (Classiques français du Moyen Âge) 5 COM (Concordance de l’occitan médiéval) 185,
chaîne de traitement éditorial 172 186, 187, 188, 189, 289
chaise afr. 410 commentaire métalinguistique 431
Chambon, Jean-Pierre 280, 400 compilation 344
chancellerie royale 284 Compilation guironienne 58, 64, 66
changement linguistique 136, 137 compte rendu 403 n. 15, 438‒464
Chanson d’Aspremont 34 n. 33, 37 n. 38 Comtat Venaissin, juifs du 251
Chanson de Roland 23, 25, 29, 81 Conciones latinae-muldavo, élaborées par Sil-
Chanson de Roland, éditions de la 13 vestro Amelio (1725–1737) 119, 123
Charles V 325 concordance 167, 200, 399
Charroi de Nîmes 136 concordancier 400
Chartae Galliae 289 concreidre, se afr. 414 n. 39
Chartes 268 Condica lui Gheorgachi ‘Le code d’étiquette de
chartes en langue vernaculaire 304 Gheorgachi’ 124
Chartes originales antérieures à 1121 conservées Confession, ms. Paris BnF fr. 1852 182
en France 289 confusions graphiques 355
Chavy, Paul 321 Conquête de Jérusalem 450
Index 467
Conseils pour l’édition des textes médiévaux culture manuscrite 82‒83, 85‒88, 89‒91, 299,
(École des Chartes) 302, 397, 399 305
Consolacion de Phylosophie de Boèce 343, 344 Curtis, Renée, L. 47, 48, 71 n. 36
contextes (dans un glossaire) 430 Curtius, Ernst 444
Contini, Gianfranco 4, 7, 22, 26, 27, 33‒34, 70, cycle de Guiron 44, 45, 46, 55, 56, 57, 58, 59,
85 65, 66, 70, 71
Continuation Guiron 64, 66
Continuation Meliadus 66 Dagenais, John 84
Continuations du Perceval 30 Danovici, Pătraşco 104
Contradicentium medicorum 200 n. 10 Dante Alighieri 134‒136
contrôle du texte-source 357 Darmesteter, Arsène 219, 231, 232, 245, 256,
convergence (principe de) 53, 67 260
copie 138, 140, 141, 371 data modeling 210
coquilles 375‒377 Daunou, Pierre 453, 454
Coressi, diacre 99, 102, 105, 107, 110, 112, 115, Dauphiné (chartes) 274
116, 117 Daurel e Beton 181
Coressi, Şerban 110 Davidson, Israel 246, 250, 252
corpus annotés 168 Dazi, Giovanni de’ 147
Corpus de la littérature médiévale (Garnier) 156, De casibus 340
157 n. 10 De Leemans, Pieter 343
corpus électronique 12 De neamul moldovenilor ‘Au sujet du peuple
corpus informatisés 167 moldave’, élaboré par Miron Costin 106,
Corrard, Charles 454, 456 107, 112, 116
Correspondance littéraire 439, 440, 449, 450 DEAF (Dictionnaire étymologique de l’ancien
Coseriu, Eugenio 132, 140, 142, 148, 149 français) 188, 286, 458
Costin, Miron 97, 100, 103, 106, 107, 108, 110, DEAF (Dictionnaire Étymologique de l’Ancien
112, 116, 120 Français), bibliographie du 13
Costin, Nicolae 100 deblement afr. 428
Costinescu, Mariana 98, 103, 104, 105, 117 Decretul ‘Le décret’ de l’empereur Leopold I
coupe des mots 302, 307 (1701) 120, 121, 122
Couronnement de Louis 38 DÉCT (Dictionnaire électronique de Chrétien de
Creative Commons 156, 171, 213 Troyes) 156, 168 n. 19
créativité 406 n. 22 Dees, Anthonij 281
Crescas de Caylar 250 définition (dans un glossaire) 407
Creţu, G. 101, 104, 108, 111, 112, 121, 122 définition analytique 412, 425
critères d’édition 273 définition aristotélienne 410
critical transcription 255 définition contextuelle et exégétique 412
critique des dictionnaires 407 définition phrastique 411
critique des sources 432 définition syntagmatique 411
Croenen, Godfried 156 « déhistorisation » 304
Cronica bălenilor ‘La Chronique de la famille Delisle, Léopold 454
Băleanu’, attribuée à Constantin Căpitanul Demarolle, Pierre 360
Filipescu 106, 110 Demény, L. 103, 113
Cronica universală ‘La Chronique universelle’, Demonet, Marie-Luce 156
traduite par Moxa 99, 103 Densusianu, Ov. 121, 122
Croniques martiniennes 344 dependance afr. 414
Cronograful ‘Le Chronographe’, traduit par Pă- DÉRom (Dictionnaire Étymologique Roman) 10
traşco Danovici 104 désambiguïsation 168
crotte afr. 411 Devisement du Monde 49
468 Index
Di Stefano, Giuseppe 323, 324, 325, 337, 346 Ebert, Adolf 446
diacritiques 435 éclecticisme 86
dialectes (ancien français) 425 École des Chartes 15, 272, 300, 309
Dialoge Gregoire Lo Pape 330, 346 École Normale Supérieure de Lyon 159 n. 13,
Dialogus creatorum alias Contemptus sublimita- 162
tis 329 écrit documentaire 267, 268
diasystème 146, 147 écrit occitan 271
Dictionarium valachico-latinum (connu aussi écrits (Les ~) de Silvestro Amelio 122
sous le titre d’Anonymus Lugoshiensis ou écriture roumaine 96
Anonymus Caransebesiensis) 122, 123 « éditeurs poètes » 421 n. 55
dictionnaires (Les) bilingues et trilingues 119 édition authentique 302
Diez, Friedrich 441 édition bédiériste 163
diffraction 26‒27 « édition brute » 305
Dimitrescu, Florica 102, 103, 104, 108, 115 « édition courante » 301, 302
Dimitriu, C. 102, 105, 113 édition critique 251, 259
diplomatic transcription 253, 254 « édition de recherche » 302, 303
diplomatique 284 édition diplomatique 101–103, 162, 164, 302
disbatere ait. 413 n. 37 édition électronique 92, 156, 158, 160, 306,
discours direct 162, 169, 170 309, 311
discours scientifique 401 édition facsimilé 162, 164
discursivité 406 n. 22 édition imitative 144, 302, 303
Disticha Catonis 326 « édition mixte » 310, 311
Diverse materie in lingua moldava, élaboré par édition normalisée 162, 164, 302
Antonio Maria Mauro 119, 122 édition numérique 196
Divina Commedia 178 édition « palimpsestiste » 91
DMF (Dictionnaire du Moyen Français) 158 édition papier numérisée 156
Docan, N. 121 éditions bilingues 14
Documenta Romaniae historica 117 éditions critiques 101‒103
documents (Les ~) historiques 99 Edzard, Alexandra 224
DOM (Dictionnaire de l’occitan médiéval) 186, Egger, Émile 451
187, 188 Emden, W. van 105, 112
don (t. de droit) 280, 402 n. 13 ELEC (Éditions électroniques de l’École des
Donat 340 Chartes) 156
Doon de Mayence 445 Élégie de Troyes 221, 226
Dosoftei, métropolite 97, 100 élément formulaire 139
Dottrina Christiana, imprimée à Rome (1677) Eliézer de Beaugency 220
119, 121 Éloge de la variante 298, 299, 300, 305
Drăganu, N. 100, 102, 103, 104, 108, 114, 115, émendation 254
117, 121‒122 emprunts 421
Dragomir, Otilia 104 encodage 162
droit romain 269 encodage double 284
droits d’auteur 15 encurtinez afr. 428
Droz, Éditions 14 encyclopédiques, éléments 407
Du Méril, Edelestand 444, 445 Énéide 333
Ducos, Joëlle 336 enferrer afr. 413
Duggan, Hoyt N. 155 enrichissement de l’édition électronique 165
Duma, Ioan de Bărăbanţ 119 enterin afr. 408
Duval, Frédéric 320, 323, 325, 413 entrelacement 53, 54, 61
Épitre aux Laodicéens 182
Index 469
Lazar, Moshé 251, 253, 255, 259, 260 Leyenda de los infantes de Lara 87, 90
Leastviţa ‘L’Échelle’, traduite par Varlaam 108 Liber Parabolarum 339
le’azim 245, 247, 256 Libro de buen amor 89
Lebrecht, Fürchtegott 247, 252 liens hypertextuels 168, 174
Lebsanft, Franz 418 n. 47 lieux d’écriture 273
leçons « archéologiques » 355 Limentani, Alberto 50, 57, 63
leçons déformées 356 Limousin (chartes) 274
leçons rejetées 420 linguistique computationnelle 198
Lecoy, Félix 26, 347, 360, 458 linguistique générale 132, 148
lectio difficilior 27, 325 linguistique historique 148
lecture synoptique 160 linguistique textuelle 142, 143, 148, 305
Legenda aurea 182 linguistique variationnelle 305
Legi vechi româneşti şi izvoarele lor ‘Les lois « lisibilité » d’un texte édité 145, 171, 301,
roumaines anciennes et leurs sources’ 116 305
législation française (textes anciens) 156 n. 9 liste des mots 400
Leibniz, Gottfried Wilhelm 195 n. 4, 332 listes 269
Lemaître-Provost, Solange 347 listes (Les ~) des noms géographiques,
lemmatisation 168, 422 attribuées à Constantin Cantacuzino 120,
lemmatisation grammaticale 423 122
lemmatisation graphique 423 littérarité 134–137
lemmatiseur 419 n. 49 Liturghierul ‘Le Missel’ (1679), traduit par Dosof-
Lemnul crucii ‘Le bois de la croix’ 104 tei 100
Lenient, Charles 446 Liturghierul lui Coresi ‘Le Missel de Coressi’ 103,
Leonardi, Lino 32‒34, 36, 44, 47, 50, 58, 66, 67, 105, 107, 117
453 Livre de Flave Vegece de la Chose de Chevalerie
Lepsius, Karl Richard 223 333, 339
Letopiseţul Ţării Moldovei 1661–1795 ‘La Chron- Livre de l’estat du Grant Caan 337
ique du pays moldave’ 104, 105, 118 Livre dou Tresor 134
Letopiseţul Ţării Moldovei până la Aron Vodă ‘La Livre du Bret, Lyvre del Bret 73, 74, 76
Chronique de la Moldavie jusqu’au prince livres imprimés roumains aux XVIe et XVIIe siè-
Aron’, attribué à Grigore Ureche 102, 105, cles 97–98
111, 116 Llull, Ramon 135
lettres 268 locutions 161
lettres (Les ~) du XVIe et du XVIIe siècle 102, 115 Löfstedt, Leena 339, 418 n. 46
lettres restituées 161 Löseth, Eilert 52, 53, 71 n. 36
Leurdeanu, Ilinca 120 lombard, ancien 146
Leurquin-Labie, Anne-Françoise 348 Longinescu, S.G. 116
Levy, Emil 187 Lovas, Francisc 119, 121
Levy, Raphael 231, 238 Lucaci, ritorul (‘le rhéteur’) 104, 108, 117
lexicographie 246 luccio it. 408
lexicographie « glossairistique » 401 Luce, Siméon 447
lexicologie 246 Lucidaire 134
Lexicon Marsilianum 119, 122, 123 Lucidere 346
Lexiconul slavo-românesc şi tâlcuirea numelor Lucius, Joannes 120
din 1649 ‘Le Lexicon slavo-roumain et la Lucrul apostolesc ‘Les Actes des apôtres’, im-
traduction des noms propres de 1649’, at- primé par le diacre Coressi 102
tribué à Mardarie de Cozia 101, 103, 104, Lupescu, Radu 111
107 Lusignan, Serge 158
lexique 286 Luxembourg, chartes du 296, 304, 306
Index 473
LvP (« Petit Levy », E. Levy, Petit dictionnaire Merveilles de la Terre d’Outremer 332
provençal-français, Heidelberg, Winter, Métamorphoses 344
1909) 398, 433 métathèse 243, 254
Lyon 272, 280 Météorologiques 336, 343
méthodes statistiques 160
Maas, Paul 27 n. 21 Meyer, Paul 4, 21, 45, 241, 245, 250, 253, 267,
Macer Floride 250, 258 270, 397, 440‒458
Mahieu Le Vilain 343 Michel, Francisque 445, 447, 448
Maïmonide 248 Michelant, Henri 447
majuscules, emploi des 166, 386 microstructure de l’édition d’une charte 308
male hart afr. 417 Mihai Viteazul (‘le Brave’) 115
Manuel d’encodage BFM manuscrits 174 Mihăilă, G. 103, 104, 107, 122
Manuscrisul de la Ieud ‘Le manuscrit de Ieud’ Miracolo di Sant’Andrea 139
102, 103, 104, 107, 108 Miroir des classiques 320, 323
manuscrit 301 Mirour de Seinte Eglyse 324
manuscrit complémentaire 165 modernisation 380‒384
manuscrit de base 33, 44, 47, 50, 62, 66, 69, Moïse ben Samuel ibn Tibbon 248
70, 166, 167 Moisil, Florica 104
manuscrit de surface 68, 69, 70, 72 Moland, Louis 444
manuscrit prototypique 166 Mommsen, Theodor 451
manuscrits, images des 159 Monarchia 195 n. 3
Marcabru 28, 191 Monfrin, Jacques 277, 320, 322, 328, 335, 348,
Marco Polo 13, 49, 304 n. 25, 306 457, 458
Mardarie Cozianul 101, 103, 104, 108 Montaigne, Michel de 3, 451
Mardochée Astruc 251 Montesson, Charles-Raoul de 447 n. 36
Mareş, Alexandru 101, 103, 105, 108, 112, 115, Moraru (Roman-), Alexandra 103, 104, 117
117, 118 Moraru, M. 107
Marie de France 335 Morato, Nicola 44, 51, 55, 56, 57, 58, 65, 71 n. 36
Martin, Robert 412, 413, 427 n. 65 Morholt 53
Mărtinaş, Dumitru 119, 122 Mort Artu 33, 50, 67
Marzano, Stefania 327 mot, unité du 417
Masai, François 101 mot « familier » 428
Massēkhet Pūrīm 246 mot « vulgaire » 428
matrone afr. 415 motel afr. 420
Matsumura, Takeshi 400 mots, les, et les choses 414
Mauro, Antonio Maria 119, 120, 122 mots composés 417
Mazziotta, Nicolas 170 mots dialectaux 423
McVaugh, Michael R. 248 mouvance 44, 48, 51, 67, 69, 83, 85‒87, 89, 91,
McWebb, Christine 321 163, 164
Medieval Nordic Text Archive 174 n. 3 Moxa, Mihail 99
Megīllat Esther 246 moyen français 258
Megīllat Sedarīm 246 moyen-haut-allemand, édition de textes en 304
mélectures 349, 354, 356, 360 Ms. romeno Asch 223 di Göttingen 119, 123
Méliadus 53 Müller, Theodor 25
Ménard, Philippe 27 n. 21, 400 n. 8 Muşlea, C. 122
Menéndez Pidal, Ramón 4, 7, 86‒92 Mussafia, Adolf(o) 442, 443, 450
Menota (balises) 174 muta cum liquida 243
Mensching, Guido 249, 256 MVC (Model-View-Controller) 197 n. 7
Merlin 45
474 Index