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Manuel de la philologie de l’édition

MRL 4
Manuals of
Romance Linguistics
Manuels de linguistique romane
Manuali di linguistica romanza
Manuales de lingüística románica

Edited by
Günter Holtus and Fernando Sánchez Miret

Volume 4
Manuel
de la philologie
de l’édition
Édité par
David Trotter
ISBN 978-3-11-030246-2
e-ISBN [PDF] 978-3-11-030260-8
e-ISBN [EPUB] 978-3-11-039511-2

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© 2015 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston


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Typesetting : jürgen ullrich typosatz, Nördlingen


Printing and binding : CPI books GmbH, Leck


♾ Printed on acid-free paper
Printed in Germany

www.degruyter.com
Manuals of Romance Linguistics
Les Manuals of Romance Linguistics, nouvelle collection internationale de manuels de
linguistique romane (en abrégé MRL), présentent un panorama encyclopédique, à la
fois synthétique et systématique, de la linguistique des langues romanes tenant
compte des derniers acquis de la recherche.
Prenant le relais des deux grands ouvrages de référence disponibles jusqu’alors
aux éditions De Gruyter, le Dictionnaire de linguistique romane en huit volumes (Lexi-
kon der Romanistischen Linguistik, LRL, 1988–2005) et l’Histoire des langues romanes en
trois volumes (Romanische Sprachgeschichte, RSG, 2003–2008), qu’il aurait été impen-
sable de réviser dans des délais raisonnables, les MRL se sont donnés comme objectif
d’offrir une présentation actualisée et approfondie de ces vues d’ensemble, et de les
compléter en y intégrant des domaines et des courants de recherche nouveaux et
importants ainsi que des thèmes qui, jusqu’à présent, n’avaient encore jamais fait
l’objet d’un traitement systématique.
La collection des MRL a par ailleurs une structure par modules nettement plus
souple que celle des anciens ouvrages de référence. 60 volumes sont prévus, qui

comprennent chacun entre 15 et 30 articles environ, soit un total de 400 à 600 pages.
Chacun d’entre eux présente les aspects essentiels d’un thème donné, de façon à la
fois synthétique et clairement structurée. La réalisation de chaque volume séparé
exigeant moins de temps que celle d’une grande encyclopédie, les MRL peuvent
prendre plus aisément en considération les développements récents de la recherche.
Les volumes sont conçus de manière à pouvoir être consultés indépendamment les
uns des autres tout en offrant, pris ensemble, un aperçu général de tout l’éventail de
la linguistique actuelle des langues romanes.
Les volumes sont rédigés en différentes langues – français, italien, espagnol,
anglais, voire, exceptionnellement, portugais –, chacun d’entre eux étant intégrale-
ment rédigé dans une seule langue dont le choix dépend du thème concerné. L’an-
glais permet de donner une dimension internationale et interdisciplinaire aux thèmes
qui sont d’un intérêt plus général, dépassant le cercle des études romanes stricto
sensu.
La collection des MRL est divisée en deux grandes parties thématiques : 1) langues
   

et 2) domaines. Dans la première sont présentées toutes les langues romanes (y


compris les créoles), chacune d’entre elles faisant l’objet d’un volume à part entière.
Les MRL accordent une attention particulière aux petites langues, aux linguae minores,
qui jusqu’alors n’avaient pas été traitées de manière systématique dans le cadre de
panoramas d’ensemble : on y trouvera des volumes portant sur le frioulan, le corse, le

galicien ou encore le latin vulgaire, mais aussi un Manual of Judaeo-Romance Linguis-


tics and Philology.
La seconde partie comprend des présentations systématiques de toutes les sous-
disciplines, traditionnelles ou nouvelles, de la linguistique romane, avec un volume
séparé réservé aux questions de méthode. L’accent est mis en particulier sur des
VI Manuals of Romance Linguistics

domaines et des courants nouveaux et dynamiques qui prennent de plus en plus


d’importance dans la recherche comme dans l’enseignement mais qui n’avaient pas
encore été suffisamment pris en compte dans les précédents ouvrages d’ensemble –
comme par exemple les Grammatical Interfaces, les recherches sur le langage des
jeunes ou le langage urbain, la linguistique informatique et la neurolinguistique, les
Sign Languages ou la linguistique judiciaire. Chaque volume offre un aperçu claire-
ment structuré sur l’histoire de la recherche et ses plus récents développements dans
chacun de ces domaines.
Les directeurs de la collection sont fiers d’avoir pu confier l’édition des différents
volumes des MRL à des spécialistes de renom international en provenance de tous les
pays de langues romanes, et d’autres encore. Les éditeurs sont responsables aussi
bien de la conception des volumes dont ils ont bien voulu se charger que du choix
des contributeurs. On peut ainsi être assuré d’y trouver, en plus d’une présentation
systématique de l’état actuel des théories et des connaissances, un grand nombre de
réflexions et d’aspects novateurs.
Pris dans leur ensemble, ces volumes indépendants constituent un panorama
général aussi vaste qu’actuel de notre discipline, destiné aussi bien à ceux qui
souhaitent s’informer seulement sur un thème particulier qu’à ceux qui cherchent à
embrasser les études romanes actuelles sous tous leurs aspects. Les MRL offrent ainsi
un accès nouveau et novateur à la linguistique des langues romanes, dont elles
accompagnent de manière adéquate et représentative le développement continu.

Juin 2015
Günter Holtus (Lohra/Göttingen)
Fernando Sánchez Miret (Salamanca)
Table des matières
David Trotter
0 Introduction : état de la question
  1

Les éditeurs devant les traditions différentes

Francesco Carapezza
1 Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 21

Lino Leonardi et Richard Trachsler


2 L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  44

Nadia R. Altschul
3 L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 81

Alexandru Mareş
4 L’édition des textes roumains anciens 95

Raymund Wilhelm
5 L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 131

L’édition électronique

Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance


6 Édition électronique de la Queste del saint Graal 155

Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati


7 Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 177

Andrea Bozzi
8 Entre texte et image : la méthode de Pise
  194

Textes en caractères non-romans

Marc Kiwitt
9 L’ancien français en caractères hébreux 219
VIII Table des matières

Guido Mensching
10 Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 237

Textes non-littéraires

Martin Glessgen
11 L’écrit documentaire médiéval et le projet des Plus anciens documents
linguistiques de la France 267

Anja Overbeck
12 L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  296

Textes particuliers

Claude Buridant
13 Édition et traduction 319

Frédéric Duval
14 Les éditions de textes du XVIIe siècle 369

Au-delà du texte

Frankwalt Möhren
15 L’art du glossaire d’édition 397

Gilles Roques
16 Défense et illustration du compte rendu scientifique 438

Index 464
David Trotter
0 Introduction : état de la question  

Abstract : L’introduction au volume présente non seulement un survol rapide du


   

contenu, tout en soulignant la variabilité méthodologique parmi les pratiques issues


essentiellement des philologies nationales du XIXe siècle, mais aussi une esquisse de

ce qui se fait dans le monde des éditions de textes aujourd’hui. L’on constate qu’il
existe un panorama assez diversifié d’éditions, parfois même dans une seule tradition
nationale. Car la variation concerne non seulement les pays et les traditions différents
au sein desquels se poursuit l’édition de textes, mais aussi (dans le temps) l’évolution
des philosophies éditoriales qui sous-tendent les décisions concrètes de l’éditeur. Il
est remarquable de constater dans quelle mesure – en dépit du développement
parallèle des langues romanes et de la discipline « pan-romane » de l’édition de
   

textes – une variété importante de systèmes et de méthodes d’édition, allant du plus


« interprétatif » au plus « reproductif », reste encore visible. L’article conclut avec
       

quelques souhaits exprimés à l’intention des éditeurs.

Keywords : philologies nationales, ecdotique, édition interprétative, édition diploma-


   

tique

1 La philologie de l’édition : un aspect de la  

philologie linguistique
La philologie est une science de l’écrit – fait qu’on lui reproche parfois, à tort – qui
s’occupe de tout ce qui tourne autour du texte. Le mot « philologie » lui-même n’est
   

pas entièrement sans poser de problèmes car le sens exact qu’il revêt est variable
suivant la langue qu’on parle : la filologia italienne ne correspond pas exactement à la

Philologie allemande, et la filología en Espagne recouvre un domaine bien plus grand


que la philology (new ou encore, old …) anglophone. La philologie classique est plus
ample dans ses contours que la philologie des langues modernes et encore faut-il
distinguer entre « moderne » au sens contemporain, et « moderne » par opposition à
       

ancienne, c’est-à-dire : post-classique. Au cœur du mot reste cependant un noyau


sémantique : il s’agit peut-être moins de l’amour du mot ou de la langue1 (qui joue


certes un rôle chez les philologues) que le désir de comprendre le texte, parfois

1 Logos reste évidemment ambigu : c’est toute la complexité de la quête du sens qui s’y cache. Cf.

Möhren (2012, 2 n. 3) : « À la fin de son grand article sur le Renard (RLiR 75, 2011, 127–189), François
     

Zufferey cite Jean Rychner : ‹ l’amour exigeant des textes qui vit au cœur de la philologie › […] », où le
       

mot clé est sans doute celui d’ « exigeant ».    


2 David Trotter

seulement au pied de la lettre.2 Une distinction importante se trouve cependant entre


la philologie littéraire et la philologie linguistique (↗5 L’édition de texte – entreprise à

la fois linguistique et littéraire). C’est cette dernière qui est surtout impliquée dans la
discussion des éditions de textes, même si très souvent, l’édition elle-même est
conçue avec des buts littéraires et aura été établie par un spécialiste littéraire.
La philologie linguistique a été définie de la manière suivante :  

« Dans le sens étroit, plus actuel, [le terme de ‹ philologie ›] se réfère à la théorie et la pratique
     

éditoriales qui comportent la critique textuelle, mais également des pans interprétatifs. Il existe
une distinction de fait entre une philologie ‹ littéraire › (plus intéressée par les aspects de
   

construction littéraire, de mise en forme textuelle, de stylistique ou de métrique) et une philologie


‹ linguistique › (plus ciblée sur la description des systèmes grapho-phonétiques, morphologiques
   

et syntaxiques et sur les aspects lexicaux). […]


La ‹ philologie linguistique › est, certes, pratiquée (citons par ex. les travaux de F. Zufferey ou,
   

déjà avant, d’A. Vàrvaro), mais elle n’a jamais été érigée en système. Sa conceptualisation est
toutefois indispensable : c’est seulement une fois admise la scission entre philologie littéraire et

linguistique qu’il devient possible de définir le rôle de la philologie linguistique autant dans
l’établissement et la compréhension du texte que dans la définition de son ancrage spatio-
temporel. […] Mettre en relief l’importance de la linguistique pour la philologie éditoriale et
préciser les interactions entre l’analyse linguistique et l’établissement des textes, contient pour-
tant un potentiel notable pour la philologie des prochaines années.
Indépendamment de ses orientations plus spécifiques, la philologie éditoriale est une science
moins doctrinale que pratique : elle s’exprime par la publication d’éditions de textes et par la

réflexion sur les problèmes qui lui sont inhérents bien plus que par une réflexion abstraite et
théorique. La complexité de la philologie s’explique par la multitude des cas de figure concrets,
par la diversité des disciplines impliquées (littérature, linguistique, histoire) et par les différentes
finalités de chacune d’entre elles. S’ajoute par ailleurs sa dimension internationale : la philologie

dont la langue d’objet est le français est exercée notamment, en dehors des pays francophones, en
Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves et anglo-américains (cf. Duval
2006). Les nombreuses traditions nationales suivent partiellement des voies différentes, générant
ainsi une science ‹ pluricentrique ›. L’absence de méthodologie commune a été souvent reprochée
   

à la philologie, mais cette absence est intrinsèque à la discipline ; la philologie consiste plus en un

faisceau de règles méthodologiques qu’en une doctrine homogène » (Carles/Glessgen, à paraître).


De cette analyse, l’on peut relever les éléments suivants qui ont une pertinence
particulière pour l’édition de textes :  

– la scission entre philologie littéraire et linguistique


– la philologie éditoriale est une science moins doctrinale que pratique (elle
comporte un faisceau de règles méthodologiques non pas une doctrine homo-
gène)
– une multitude de cas de figure concrets
– la dimension internationale et l’importance des traditions nationales

2 Il ne faut pas sous-estimer cette tâche surtout dans le cas d’une langue ancienne. Bien des analyses
littéraires exquises montrent clairement que leurs auteurs n’ont pas compris « leur » texte au sens le
   

plus … littéral. Vouloir comprendre son texte est une chose (↗15 L’art du glossaire d’édition) ; pouvoir
   

le comprendre, en est une autre.


Introduction : état de la question
  3

Cette étude importante n’était pas à notre disposition avant de lancer ce volume mais
il est clair qu’elle se base sur des principes qui sont également visibles dans les pages
qui suivent. La séparation entre « littéraires » et « linguistes » a le résultat souvent
       

néfaste que les éditions sont fabriquées par des spécialistes des études littéraires qui
n’ont pas toujours une formation adéquate devant les problèmes que peuvent poser
des textes anciens. Et même des textes moins anciens : dans le cas des textes français

du XVIIe siècle, mais sans doute aussi dans d’autres, cela entraîne une modernisation

de la langue qui efface des phénomènes importants au niveau diachroniques et qui


donnent une impression au fond assez fausse du français classique de l’époque
(↗14 Les éditions de textes du XVIIe siècle). Une conclusion surtout : la philologie
     

éditoriale, science qui cherche surtout des solutions concrètes à des cas de figure
différents, manifeste une variabilité importante, tant entre les traditions nationales
qu’à l’intérieur de celles-ci (voir section 3, infra). D’une part cette variabilité est le

résultat de l’évolution de la science, variable suivant les pays ; d’autre part elle est

sans doute aussi un produit de choix éditoriaux et en fin de compte, parfois tout
simplement de goûts personnels.

2 La philologie de l’édition : variabilité dans le temps


et dans l’espace
Si la philologie, au moins dans certaines visions nationales, englobe l’intégralité de la
tradition écrite, de son début jusqu’à l’actualité, elle est souvent comprise comme
ayant une valeur particulière et un rôle particulièrement important pour l’étude des
documents les plus anciens ou plus généralement des origines jusqu’au Moyen Âge.
Ce n’est pas que les textes postérieurs soient sans problème mais l’arrivée en scène de
l’imprimerie (au XVe siècle) est un changement décisif dans la production textuelle et

dans la méthodologie de son analyse. Ce qui reste après cette innovation, est cepen-
dant le rôle de l’auteur-créateur devant ses manuscrits, et parfois la nécessité de
reprendre une par une les versions successives de ce qu’il est convenu d’appeler un
« texte » pour suivre sa genèse, son évolution et sa production. Des cas classiques : les
     

versions des Essais de Montaigne, dont les couches successives montrent le philo-
sophe en plein développement, ou encore, les manuscrits d’un Flaubert ou d’un
Becket, qui seront examinés par les spécialistes de la génétique textuelle.
En ce qui concerne le temps, cependant, et la diachronie, le présent volume reste
fidèle à une conception assez traditionnelle de la philologie. Pour les éditions des
textes fournis par la majorité des écrivains modernes – post-Gutenberg – confection-
ner une bonne édition ne nécessite pas de se plonger dans les multiples manuscrits
d’un auteur, en tout cas pas comme pour le Moyen Âge. Cela tient sans doute en partie
au fait que depuis le Moyen Âge, la conception de l’auteur a elle-même changé : il  

existe, en principe, une version d’auteur, d’autorité, même si sa production implique


4 David Trotter

des balbutiements et des ébauches antérieures, ensuite biffées ou jetées au feu au


profit du texte définitif qui sera expédié à l’imprimeur. Cette situation n’existe pas
au Moyen Âge où la variance manuscrite est la norme et où un décalage souvent
important entre auteur (le plus souvent, anonyme, ou en tout cas impersonnel) et
texte se trahit par un foisonnement de témoins intermédiaires dont la pertinence et la
validité (pour la constitution du « texte » – au singulier, s’entend) seront à démontrer.
   

C’est ainsi que les contributions de ce volume s’adressent presque toutes aux ques-
tions que pose cette philologie du Moyen Âge.3
Deuxième aspect du temps : l’évolution de la philologie elle-même, depuis ses

origines. Aucune science digne de ce nom ne reste stable : le propre de la science,


c’est d’évoluer. La philologie de l’édition des langues romanes, née dans le sillage
d’une part de la critique textuelle classique et biblique, d’autre part comme partie
constituante de la linguistique comparée allemande du XIXe siècle, a sa propre

histoire. Marquée par l’intervention des grands savants de notre discipline (Bartsch,
Suchier, G. Paris, Meyer au XIXe siècle ; mais aussi Menéndez Pidal, Bédier, Contini au
   

XXe siècle), cette histoire retrace et accompagne l’histoire de la philologie romane


elle-même, car elle en est inséparable.


Qui dit « philologie romane », dit aussi « espace », car la linguistique historique
       

des langues romanes, sujet éminemment lié au temps, est aussi de par sa nature une
discipline qui tient obligatoirement compte de l’évolution et de la distribution dans
l’espace linguistique où vinrent s’installer les langues romanes. La linguistique ro-
mane est irrémédiablement diachronique (« du latin aux langues romanes ») mais
   

aussi fatalement diatopique. Une langue romane est une langue née du voyage.
Étudier la philologie de l’édition des langues romanes implique donc une certaine
couverture des différentes langues de la Romania. En même temps, puisque les
romanistes médiévistes se conçoivent souvent autant comme médiévistes (c’est-à-
dire : comparatistes) que romanistes (idem), il est – ou il était – normal qu’un

spécialiste de l’ancien français connaisse aussi la tradition éditoriale pratiquée pour


l’italien ou pour l’espagnol. Il existe certes des écoles plus ou moins « nationales » en
   

ce qui concerne l’édition des textes (nous le verrons). Mais une ouverture inévitable
(car essentielle sur le plan intellectuel si l’on veut comprendre la culture médiévale,
mais aussi les langues romanes dans leur ensemble) vers des textes dans d’autres
langues, allège au moins parfois l’effet réducteur d’un esprit d’école trop sévère. Au
niveau de l’étude des textes du Moyen Âge, en tout cas, s’il existe des razze romanze,
esiste aussi la romanità. Les textes s’influencent à travers les frontières linguistiques et
le concept d’une romanité des textes médiévaux est aussi réel que celui de la latinité
sous-jacente des langues romanes.

3 Un chapitre de Frédéric Duval (↗14 Les éditions de textes du XVIIe siècle) montre dans quelle mesure
   

(et en dépit de ce qu’on croit trop souvent) les mêmes difficultés se posent au XVIIe siècle français,

même si elles sont subrepticement occultées par la majorité des éditions même « savantes ».
   
Introduction : état de la question
  5

La philologie de l’édition est une branche de la science philologique et son but


primaire est assez simple : la production de textes fiables et fidèles. L’entreprise est

moins évidente que l’on ne pourrait le croire. Car ce constat visiblement (et par trop)
réducteur cache une complexité redoutable : les concepts de « fiabilité » et de « fidé-
       

lité » se définissent de façon divergente selon, précisément, le temps et l’espace de la


discussion. Même au niveau apparemment le plus simple – l’edition d’un texte dont il
ne subsiste qu’un manuscrit unique – ce ne sont pas des paramètres univoques.
« Fiabilité » et « fidélité » aux intentions de l’auteur, ou à la réalité manuscrite que
       

fournit le copiste ? C’est un débat qui a probablement fini car relativement peu

d’éditeurs se croient aujourd’hui autorisés d’intervenir dans un texte sans l’appui


d’une variante authentique fournie par un autre manuscrit. Soit les éditeurs sont
devenus plus prudents, soit ils sont maintenant moins compétents et se fient moins à
leur propre jugement devant un texte que l’on pourrait envisager de corriger (Reid
1972 ; 1984). Est-ce donc que le bédiérisme a vaincu (cf. Segre, à paraître) ? Non, loin
   

de là, car ici il ne s’agit que du cas relativement simple du manuscrit unique. Devant
des textes avec une transmission plus compliquée, une approche plus lachmannienne
est encore très visible, soit parce que l’éditeur peut se permettre de trouver une leçon
plus compréhensible dans un autre manuscrit, soit en permettant la (re)construction
d’un texte assez éloigné de tous les manuscrits qui ont survécu (↗2 L’édition critique

des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois ; cf. Palumbo 2014). En romanis-
   

tique, le lachmannisme au sens le plus développé (la reconstruction) est essentielle-


ment un phénomène italien et sa survie – voire sa renaissance – en Italie dépend du
niveau exceptionnel que connaissent toujours les études philologiques dans ce pays.
Une édition lachmannienne exige des connaissances considérables d’une ancienne
langue et celles-ci sont forcément tributaires d’une tradition scientifique établie et
durable et qui remonte en dernière analyse aux débuts de l’enseignement de la
philologie romane en Italie. De même, les traditions des maisons d’édition jouent
parfois un rôle déterminant : depuis ses débuts, la série des Classiques français du

Moyen Âge (dirigée par Mario Roques), à la différence de la Société des Anciens Textes
Français, a adopté une politique bédiériste, et l’influence des CFMA a sans doute
contribué à une certaine perception de ce que c’est qu’une édition de texte. C’est dire
que la philologie de l’édition, produit de l’éclosion des philologies nationales du
XIXe siècle, connaît des dimensions qui sont en dernière analyse nationales, et qui

restent encore aujourd’hui très visibles.4 La pratique de philologie de l’édition est


ainsi étonnamment variable entre les pays où elle se pratique.

4 Voir Duval (2006) pour une présentation des principales pratiques aujourd’hui.
6 David Trotter

3 Varietas delectat : la philologie de l’édition


La romanistique a presque deux siècles et il n’est pas surprenant qu’elle ait évolué au
cours de cette période. En dépit de l’existence inévitable – et saine – de différentes
« écoles » qui parfois s’affrontent, mais surtout se complètent,5 l’on peut dire que sur
   

le fond, il règne un accord certes tacite mais néanmoins réel sur au moins les aspects
centraux de la discipline. Mais chose curieuse : ce n’est pas vraiment le cas pour ce

qui est de la philologie de l’édition, dans laquelle des divergences méthodologiques


et philosophiques continuent à être visibles et même, à devenir encore plus importan-
tes. Pourtant, le but de la philologie de l’édition, suivant la définition que nous avons
déjà fournie (« la production de textes fiables et fidèles ») semble a priori susceptible
   

de donner lieu à un consensus général même si la réalité de transmissions textuelles


divergentes exigera que la méthode soit souple. C’est ainsi que l’on n’éditera pas un
fragment de texte occitan en caractères hébraïques de la même manière qu’une
épopée castillane dans un manuscrit unique, ou avec la même approche que celle qui
convient devant un texte en ancien français conservé par une centaine de manuscrits
allant du XIIIe au XVe siècle. Mais s’attendre à retrouver un accord de principe sur les

méthodes à adopter devant un certain nombre de cas de figure ne semble pas un


espoir irréaliste. Comme le montrent les contributions du présent volume, c’est un
espoir cependant peu réalisé, peut-être même irréalisable, du moins pour l’instant.
La philologie de l’édition se caractérise par la même variance que les manuscrits
médiévaux. Si nous sortons du domaine relativement circonscrit des langues roma-
nes, la situation devient encore moins standardisée. Les historiens ont des pratiques
qui divergent de celles des philologues (Trotter, à paraître a). Pour des textes en
anglo-normand par exemple, les éditions des historiens n’ont ni accents, ni apostro-
phes : on lit ainsi Dangleterre et labbe, au lieu de d’Angleterre et de l’abbé. Les

habitudes des spécialistes du moyen haut allemand ne sont pas les nôtres : ils sont  

beaucoup plus « lachmanniens ». Les anglicistes tendent vers des éditions qui aux
   

yeux du romaniste, seraient traitées de « diplomatiques » : aucune distinction par


     

exemple entre les u et les v, les i et les j, les caractères maintenant périmés de
l’alphabet du Moyen Âge (ð, þ, Ʒ) sont préservés, et l’édition classique d’un texte en
moyen anglais exige du lecteur un effort assez important.6

5 Voir les observations perspicaces de Robert Martin sur les « écoles qui superbement s’ignorent »
   

(Martin 2011, 7).


6 Cela vaut autant pour les éditions de la Early English Text Society que pour celles des Middle English
Texts de Heidelberg (Winter Verlag), pour ne citer que deux séries qui font autorité. Pour une descrip-
tion/définition de ce qui constitue un texte « diplomatique », voir Duval (2009, 165–175). Encore plus
   

important : la datation des anglicistes suit la date du manuscrit, non pas celle du texte qu’il conserve.

C’est bien entendu particulièrement important quand il s’agit d’analyser les rapports entre l’anglais et
l’anglo-normand.
Introduction : état de la question
  7

Le présent volume permet surtout d’entrevoir la divergence de la pratique dans


les langues romanes, et essentiellement pour le Moyen Âge. L’on remarquera dans
quelle mesure l’influence des grands maîtres se fait voir dans des traditions nationa-
les : le rôle d’un Menéndez Pidal pour le castillan (↗3 L’espagnol castillan médiéval et
   

la critique textuelle), d’un Contini7 ou d’un Segre en italien (↗1 Entre théorie et  

pratique en ecdotique galloromane), de Bédier pour l’ancien français, est détermi-


nant. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’édition critique de Guiron le Courtois
(↗2 L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois) s’inscrit –
   

même s’il s’agit d’un texte en ancien français – dans la tradition italienne. Une
entreprise comparable serait difficile à envisager en France.8 L’évolution de la pra-
tique de la philologie de l’édition dépend évidemment surtout de la production
textuelle elle-même – comme on le sait, c’est l’expérience du travail direct sur le Lai
de l’Ombre qui aura permis à Bédier de développer sa doctrine devenue depuis
hégémonique, au moins dans certains pays. Voici un exemple de ce que Carles/
Glessgen appellent un cas de figure concret qui exige une solution concrète (Carles/
Glessgen, à paraître). L’importance du Poema de Mio Cid (manuscrit unique) pour la
culture castillane, et les théories traditionalistes auxquelles la discussion autour du
poème a donné naissance, a profondément marqué la conception de l’édition en
Espagne (↗3 L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle). Il est probable que

l’isolement de l’Espagne et de l’université espagnole pendant une bonne partie du


XXe siècle y est aussi pour quelque chose. La philologie de l’édition dépend égale-

ment, pour faire des progrès, du dialogue qui s’instaure entre les éditeurs et la
communauté scientifique plus large. C’est là aussi qu’intervient le compte rendu de G.
Roques (↗16 Défense et illustration du compte rendu scientifique), qui continue (et à

raison) à occuper une place importante dans nos grandes revues de romanistique. Si
tous les médiévistes sont des consommateurs d’éditions, tous ne sont pas des pro-
ducteurs : l’édition de textes est devenue une affaire de spécialistes, et l’idée (jadis

courante) de proposer une édition comme sujet de thèse semble beaucoup moins
fréquente aujourd’hui. C’est dommage. Faire une (bonne) édition, signifie aborder
d’un coup et incontournablement la quasi-totalité des grandes questions que pose la
langue médiévale, et l’histoire de la langue, que ce soit au niveau du lexique, ou en
matière de paléographie/codicologie, ou encore en analyse littéraire.9 D’ailleurs,
comme le montre Wilhelm (↗5 L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et

littéraire), une édition de texte littéraire implique aussi une approche et une compré-

7 Pour Contini, lire maintenant l’anthologie dans Leonardi (2014).


8 Cf. aussi Palumbo (2014).
9 D’éminents collègues en Allemagne et en Angleterre m’ont dit que faire une édition pour une thèse
est très risqué pour un(e) jeune doctorant(e) – sous-entendu, parce que trop « philologique » par les
   

temps qui courent. L’on remarquera cependant que parmi les équipes des grands dictionnaires
historiques et médiévistes des langues romanes, l’on retrouve très souvent des éditeurs de texte (DEAF,
AND, TLIO, DOM).
8 David Trotter

hension … littéraires, en même temps que linguistiques : c’est déjà un pas vers l’unité

de la Sprachwissenschaft et de la Literaturwissenschaft qui dans le paradigme roma-


niste, étaient liées et à notre sens, utilement.
Parfois les approches divergentes des éditeurs dépendent non pas d’une tradition
nationale, mais des nécessités qu’imposent certains types de texte. Les éditions de
traductions (le plus souvent, du latin vers une langue romane, mais d’autres cas de
figure peuvent bien entendu se présenter : de l’arabe, du grec …), créent des problè-

mes spécifiques mais fournissent aussi des renseignements supplémentaires sur l’état
de la langue, car une comparaison systématique entre texte-source et texte-cible est
souvent possible (↗13 Édition et traduction). Une catégorie à part (et à laquelle sont

consacrés trois chapitres) est formée par des textes en caractères non-romans : soit, le  

cas du roumain, dont les premiers textes (déjà, dans une perspective romaniste,
tardifs, car ils ne remontent qu’au XVIe siècle) sont écrits en caractères cyrilliques.

Parmi les solutions adoptées, celle de la transcription (pseudo-)diplomatique semble


avoir cédé le pas à la transcription phonétique interprétative préconisée par l’école de
Bucharest (↗4 L’édition des textes roumains anciens). En somme, les textes en carac-

tères hébraïques sont traités de la même façon grâce à une translittération en lettres
romanes qui essaie de respecter à la fois les graphies de l’hébreu et la phonétique de
la langue romane dont il est question, ici l’occitan (↗10 Éléments lexicaux et textes

occitans en caractères hébreux) ou l’ancien français (↗9 L’ancien français en caractè-


res hébreux). Par rapport aux éditions bien plus simples des textes déjà en langue et
alphabet romans, le travail de l’éditeur comporte un élément d’interprétation beau-
coup plus important (sans parler des compétences linguistiques supplémentaires
qu’impliquent les éditions de ces textes).
Et puis, il y a le numérique. L’arrivée de l’informatique dans les sciences humai-
nes à partir des années 1980, époque à laquelle pour la première fois l’ordinateur
personnel (PC) commença à devenir une réalité, a profondément marqué la philologie
de l’édition. D’une part, l’informatique a permis la mise en ligne d’une quantité de
textes (souvent avec des images de manuscrits à l’appui), d’autre part, elle a facilité
des « éditions » qui juxtaposent tous les manuscrits d’un ouvrage, ce qui n’est pas,
   

foncièrement, une « édition », et où la part philologique est assez difficile à déceler


   

(qui aura le temps ou l’envie de parcourir en même temps tous les manuscrits d’un
seul texte médiéval sur l’écran ?).10 Néanmoins, devant les restrictions surtout d’ordre

financier qu’imposent les maisons d’édition, la mise en ligne a souvent permis la


publication d'éditions qui auraient difficilement pu voir le jour autrement : cas spec-

taculaire, le projet Rialto (napolitain, malgré son nom …) qui propose des textes
occitans, dont quelques-uns comportant également des interprétations musicales
(↗7 Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux). Le numérique permet

10 Exemple : l’édition en ligne du roman de Partonopeus de Blois, http://www.hrionline.ac.uk/parto


nopeus/, consulté le 20 août 2014.


Introduction : état de la question
  9

ainsi des ajouts importants au texte d’une édition, ce qui est le cas aussi dans
l’application élaborée à la Scuola Normale de Pise (↗8 Entre texte et image : la
   

méthode de Pise), qui fournit un système permettant non seulement de gérer texte et
image (du manuscrit), mais aussi de concevoir et de construire l’apparat critique de
l’édition : le numérique au service de la philologie. Comme dans la Queste del Saint

Graal telle qu’elle est conçue à Lyon (↗6 Édition électronique de la Queste del saint

Graal), qui fournit également des images mais aussi des outils d’interrogation synta-
xique et autres, l’on peut parler d’éditions informatiques de la deuxième génération,
enrichies et offrant au lecteur une gamme de possibilités qui va bien au-delà du texte
lui-même. L’on est bien loin de l’édition préparée à l’ancienne et (ensuite) informati-
sée : ce sont des éditions de texte conçues par et pour l’informatique.

Enfin, un aspect important de la philologie de l’édition depuis une trentaine


d’années, est l’intérêt que l’on porte aux textes non-littéraires. C’est en partie la
réponse à la critique de l’histoire linguistique traditionnelle, dans laquelle les textes
littéraires jouent souvent un rôle prépondérant, même excessif. Il en résulte une
vision assez particulière de l’histoire d’une langue, là où bien entendu l’on devrait
s’efforcer de créer une image aussi large que possible. Or, on le sait, il est difficile
d’aller au-delà de l’écrit, mais il existe, souvent dans des quantités énormes, des
documents beaucoup plus variés que ceux qui constituent le corpus littéraire. Ces
documents ont souvent des avantages remarquables : ils sont datés et localisés, ils ne

comportent pas de décalage chronologique entre le travail de l’auteur et du copiste,


ils traitent de sujets plus proches du quotidien et parfois aussi plus proches peut-être
de l’oral. Il est illogique de ne pas s’en servir et d’en profiter. Comme il y a derrière
l’édition de textes non-littéraires une motivation d’ordre linguistique, il n’est pas
surprenant que la méthodologie des éditions comporte des éléments permettant
l’exploitation linguistique et philologique des documents. Cela entraîne, dans le cas
des documents luxembourgeois étudiés au sein de l’équipe du Sonderforschungsbe-
reich 235 de Trèves, une modalité d’édition assez innovatrice, et qui reproduit par
exemple la distinction entre « s rond » (s) et « s long » (ſ), tout en rendant visibles et
       

surtout récupérables par l’ordinateur, non seulement cette distinction (pertinente


pour distinguer les copistes), mais aussi les abréviations des manuscrits. Le projet
de Trèves remonte au milieu des années 1990 : il est donc récent. Les Plus anciens
   

documents linguistiques de la France, en revanche, ont été lancés à la fin du XIXe siè-  

cle, bien entendu sous forme d’un projet d’éditions papier. La collection, en ligne sous
forme d’une base de données (↗11 L’écrit documentaire médiéval et le projet des Plus

anciens documents linguistiques de la France), comprend maintenant 2185 chartes,


comportant une numérisation des manuscrits originaux, et la possibilité de lire le
texte dans différentes versions (diplomatique, critique, etc.) ; est également dispo-

nible un puissant moteur de recherche permettant l’étude des graphies. Là encore,


c’est une utilisation de l’informatique qui permet tout simplement des avancées
scientifiques qui sans ce support, seraient impensables et à vrai dire, impossibles. Si à
la base de l’ensemble existe une « édition », le tout est un outil très développé pour
   
10 David Trotter

l’histoire de la langue, et qui montre pleinement comment la philologie de l’édition,


comprise de cette manière, contribuera à de nouvelles découvertes en linguistique
historique. Le numérique permet ainsi la création de corpus interrogeables, même si
ceux-ci, parfois pour des raisons juridiques, sont basés sur des éditions dont la
méthodologie est parfois discutable. Et avec de rares exceptions, dont les Plus anciens
documents linguistiques de la France, ce ne sont pas des corpus qui vont au-delà de
textes déjà bien connus et exploités, ce qui a pour résultat que les études qui se basent
sur ces ressources continuent à se limiter à la langue littéraire. Les textes non-
littéraires et les textes plus régionaux font souvent défaut (cf. Trotter, à paraître b).  

D’ailleurs des différences notables au niveau juridique – même à l’époque de l’Europe


unie – jouent aussi un rôle. Si la France ne reconnaît pas l’édition critique en tant que
réalité légale (↗6 Édition électronique de la Queste del saint Graal, n. 9), le droit
   

italien permet l’exploitation de tout texte médiéval : seuls l’apparat critique, l’intro-

duction, etc., bénéficient du droit d’auteur moderne. Cela facilite bien entendu la
création d’une grande banque de données de textes et de documents médiévaux
comme celui du corpus textuel du Tesoro della lingua italiana delle origini (TLIO),
hébergé par l’Opera del Vocabolario Italiano (OVI).11

4 La philologie de l’édition, socle de la linguistique


historique
La linguistique historique dépend de l’écrit. Dans le cas des langues romanes, le
statut tout particulier du latin écrit, souvent dit « classique », en fait un point de
   

départ qui est, pour la romanistique traditionnelle, incontournable. Les progrès


récents et spectaculaires du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), projet mené
depuis Nancy (É. Buchi) et Sarrebruck (W. Schweickard), ont de nouveau souligné
   

l’importance de la reconstruction linguistique. Si l’on recherche l’origine nécessaire-


ment orale des langues romanes – voire même du protoroman – il est logique de
procéder à partir de l’historique de l’évolution orale.12 Le modèle qui voit dans les
langues orales romanes des descendants rattachés à un ancêtre écrit et de surcroît,
à un écrit de haut niveau diaphasique et diastratique, n’est pas sans poser de
problèmes logiques. En même temps, abandonner la quantité de renseignements
que peut fournir la richesse du latin classique, semble aussi dommage, et tous les
spécialistes ne sont pas prêts à suivre jusque-là le bouleversement d’un vieux
paradigme romaniste.13

11 http://www.ovi.cnr.it/index.php?page=la-banca-dati (12.01.2015).
12 Pour la théorisation de la démarche du DÉRom, voir Buchi (2010), Chambon (2007).
13 Cf. la discussion dans la Revue de Linguistique Romane en 2011 (Buchi/Schweickard 2011a ; 2011b ;
   

Vàrvaro 2011a ; 2011b), et aussi les contributions de Kramer (2011) et de Möhren (2012).

Introduction : état de la question
  11

Ce qui est cependant clair, quoique l’on pense des mérites respectifs du recours
au latin écrit et à la reconstruction déromienne,14 c’est qu’aucune histoire de langue
ne peut se passer de l’écrit. S’il est vrai que la naissance d’une langue est par
définition une opération orale, dès que cette langue est couchée par écrit (moment à
ne pas confondre avec sa naissance)15 son histoire est récupérée par le biais des
documents et des textes. Décrire l’histoire progressive de la langue française ou
castillane, est une opération impensable sans le recours à l’écrit. Il en résulte parfois
et même très souvent des histoires d’une langue qui ne sont en réalité que l’histoire de
la langue littéraire ; c’est même le cas le plus fréquent. Mais dépasser l’écrit, à

l'époque précédant l’invention de l’enregistrement sonore, n’est pas chose simple. Les
tentatives de retrouver l’oralité du Moyen Âge, par exemple, n’ont fourni que des
résultats assez limités, et il faut sans doute accepter qu’au maximum, l’on atteindra
non pas l’« oral », mais un « oral représenté » qui en est un reflet assez éloigné et
       

somme toute artificiel (Marchello-Nizia 2012).16 Le rapport entre écrit et oral du Moyen
Âge, que l’on a pu théoriser comme une manifestation d’un continuum entre proxi-
mité et distance de la communication (Nähe-Distanz-Kontinuum, Koch/Oesterreicher
1985) n’est pas sans rappeler la question des scriptae médiévales, à la fois reflet
(éloigné et partiel) des dialectes oraux, et produits d’un processus conscient de mise
par écrit.17 Pour une période plus récente, la découverte d’une langue des « peu-  

lettrés » – de personnes qui savaient écrire, mais qui ne maîtrisaient pas les règles de

l’écrit standardisé – nous a permis d’entrevoir moins l’oral que la variation existant à
l’intérieur d’une langue que l’on croyait très figée (en l’occurrence, le français écrit
classique) mais qui en réalité jouissait d’une marge de liberté assez grande (Ernst
2010 ; Ernst/Wolf 2001–2005). Même phénomène : les lettres des Poilus de la Grande
   

Guerre, dans lesquelles des soldats, surtout du Midi, font montre d'une maîtrise de la
langue française partielle mais qui n’entrave pas la communication (Pellat, à para-
ître).
La linguistique historique dépend forcément des éditions, et ainsi, la philologie
des éditions joue un rôle parfois déterminant dans la constitution de cette histoire

14 Cf. la conclusion de Maggiore/Buchi (2014, 322) : « d’aucuns seront peut-être tentés de militer en
   

faveur d’une utilisation conjointe des deux principales méthodes de connaissance du latin global, la
reconstruction comparative et la philologie latine ». Je serais porté à adopter précisément cette solution

de compromis – ou d’éclecticisme, si l’on veut, car elle permet de sauvegarder le meilleur des deux
approches.
15 La naissance d’une langue, nous le rappelle Hélène Carles dans un livre magistral (Carles 2011,
541), a lieu quand on la parle, non pas quand on se met à l’écrire. Le travail pionnier de Carles sur
l’occitan « pré-textuel » sera bientôt développé et étendu à l’intégralité du gallo-roman dans Carles (en
   

préparation).
16 À consulter aussi : Diachroniques 3 (2013), sur l’oralité en français médiéval (Rodríguez Somolinos

2013), et (pour l’anglo-normand, mais de portée plus générale) Ingham (à paraître).


17 Pour un survol de la question des scriptae en ancien français, voir Trotter (à paraître b et c), et la
bibliographie qui accompagne ces études.
12 David Trotter

(Selig 2005). Sans philologie, aucune datation n’est possible, même si cette datation
est loin d’être facile. Elle a sa propre problématique : fournit-on et suit-on une

datation par auteur, ou par manuscrit ? Et dans ce dernier cas, faut-il distinguer textes

documentaires (survivant majoritairement en copie unique) et textes littéraires (ma-


nuscrits multiples ; question de l’auteur et du ou des copiste(s) …) ? De manière encore
   

plus centrale, l’histoire d’une langue ne pourrait que difficilement se concevoir sans
une masse de données publiées, donc sur une série diachronique de témoignages de
la vie de la langue. Pour des raisons essentiellement pratiques, cela implique l’accès à
des éditions, qu’elles soient de textes littéraires ou, de plus en plus, de textes non-
littéraires (juridiques, administratifs, financiers …). L’irruption de l’informatique dans
notre discipline ne change rien à cette nécessité car le numérique ne présente, au
fond, que les mêmes données sous une forme radicalement différente et surtout, sous
une forme susceptible de permettre des analyses quantitatives.18

5 Comment la linguistique historique influence


la philologie de l’édition
Les éditions sont donc dans une très grande mesure à la base de ce que nous savons ou
prétendons savoir, sur l’histoire de la langue. Plus surprenant peut-être : comment  

cette même histoire exerce un pouvoir parfois remarquable sur les décisions des
éditeurs de textes. Il est bien sûr inévitable qu’il existe un va-et-vient entre éditions et
histoire linguistique : un nouveau texte, renfermant des mots ou des tournures insolites

voire inconnus, modifiera la vision que l’on aura de la langue de l’époque. Inévitable
aussi, un décalage entre l’apport de cette édition dans la littérature scientifique de
première main et les ouvrages de seconde main comme les manuels ou les dictionnai-
res. Il est clair qu’un éditeur de texte qui fait honnêtement son travail et qui consulte
assidûment ces ouvrages de référence (tous ne le font pas, bien entendu …)19 sera
influencé par les graphies et les formes qu’il y trouvera. Mais là est le hic, ou plutôt, hic
iacet lepus. Car très souvent, et bien plus souvent que l’on ne le croit, les manuels et les
dictionnaires reprennent des éditions pour lesquelles, standardiser (l’on disait corri-
ger) faisait partie du travail de l’éditeur. D’où une profusion de lemmes de dictionnaires

18 Des études basées sur les corpus électroniques peuvent bien entendu fournir des résultats que l’on
ne saurait atteindre sans l’aide de l’outil informatique, mais il ne faut pas perdre de vue que la très
grande majorité des bases de textes actuellement disponibles pour le Moyen Âge ont comme point de
départ des éditions traditionnelles ensuite numérisées. Or, le fait de numériser ne change rien à la
qualité ou à la fiabilité d’une édition et il faut en tenir compte dans l’usage que l’on en fait, plutôt que
de se fier aveuglément aux résultats certes impressionnants et séduisants que livre un ordinateur qui,
lui, a le droit d’être aveugle.
19 Le FEW brille par son absence dans beaucoup (trop) d’éditions de textes du domaine gallo-roman.
Introduction : état de la question
  13

qui incarnent et perpétuent des formes … inexistantes. Or, modifier, à son insu ou
explicitement, son texte pour le ramener aux graphies proposées par des ouvrages de
référence qui contiennent des formes qui sont en fait le remodelage de textes selon des
critères établis au XIXe siècle, c’est tourner éternellement en rond. Le processus mental

ressemble à celui de Marco Polo devant un rhinocéros sumatrien, qu’il essaie en vain de
comprendre et d’expliquer par rapport à la licorne (fantastique) qu’il connaît du monde
livresque ; ou encore, aux réactions des scientifiques du XVIIIe siècle face à l’ornitho-
   

rynque, animal tellement peu facile à faire entrer dans les taxinomies du temps qu’au
début l’on croyait à une création factice produite en Chine.20 Éditer un texte ancien sans
connaître l’histoire de la langue, serait une entreprise périlleuse ; corriger les formes

que l’on retrouve dans son texte pour qu’ils ressemblent à ce qui existe déjà, c’est
réduire drôlement l’apport à la science d’une édition. La question du lexique, et du
glossaire des éditions, a fait l’objet de plusieurs études récentes (Chambon 2006 ;  

Möhren 2012 ; ↗15 L’art du glossaire d’édition) mais en réalité, tous les domaines de la
   

langue sont concernés et tous exigent de l’éditeur non seulement une attention particu-
lière et la patience de vérifier toutes les possibilités déjà entérinées dans les ouvrages
de référence, mais surtout le courage de présenter une nouveauté comme telle.21
Sinon, la science n’avance pas. Le nain s’installe sur les épaules du géant précisé-
ment pour voir plus loin que s’il était resté les pieds sur la terre.

6 Vers l’avenir de la philologie de l’édition :  

quelques souhaits …
Comment se porte de nos jours la sous-discipline « l’édition de textes » ? Une chose est
     

sûre : avec le temps, les éditeurs commencent à avoir édité un pourcentage plus

important de ce qui est disponible sous forme de manuscrits, en tout cas pour la
production dite « littéraire ». Ce qui ne les empêche pas de donner leur préférence aux
   

mêmes textes dont il existe souvent une multitude d’éditions, parfois très divergentes.
Un exemple classique : la Chanson de Roland. La bibliographie du DEAF en dénombre

une quarantaine d’éditions qui vont des dix volumes de textes quasi-diplomatiques
fournis par Mortier pour chaque manuscrit (Mortier 1940–1944) au texte critique et
classique de Segre (21989). L’entreprise de Mortier a été reprise par Duggan et al. (2005)  

et pour la seule version d’Oxford, il existe des dizaines d’éditions, la plupart assez
« bédiéristes », avec ou sans traduction en français moderne. Le lecteur a l’embarras du
   

20 L’épisode du rhinocéros se trouve dans MPolGregM 6, 165 ; analyse dans Eco (1997, 83) ; et cf. ibid.,
   

333–346 (découverte de l’ornithorynque en Australie en 1798). Cf. Trotter (2014).


21 Inutile : annoncer une découverte sans faire les recherches nécessaires pour s’assurer qu’elle en est

une. Il faut aussi que les éditeurs consacrent du temps à tous les aspects linguistiques de leur texte, au
lieu de s’accrocher à une reformulation de type morpho-phonétique, ce qui est (trop) souvent le cas.
14 David Trotter

choix et se trouve devant l’embarras des méthodes. Il en est de même pour la plupart
des textes les plus célèbres. Du point de vue quantitatif, les documents non-littéraires
sont sans doute plus nombreux que les textes de la littérature d’imagination. Ces
documents ont longtemps été négligés mais comme nous l’avons déjà signalé, depuis
quelques décennies ils sont aussi l’objet d’éditions. De même, les textes scientifiques
(sensu largo) connaissent un regain d’intérêt dans tout le domaine roman, donnant lieu
à la publication de documents occitans, catalans, italiens et français (à titre d’exem-
ple : Baker 2010 ; Corradini/Periñán 2004 ; Dehmer 2007 ; Ferragud Domingo 2009 ;
         

Hilty/Vicente García 2005 ; Hunt 2008 ; Piro 2011). Si la production d’éditions de textes
   

strictement littéraires reste constante, même majoritaire, il est rassurant de constater


qu’elles ne constituent pas la totalité du travail éditorial.
Un aspect récent est la parution d’éditions bilingues. Cette pratique, jadis la
préserve des seules éditions occitanes, se répand : de plus en plus les textes en ancien

français (notamment) s’accompagnent d’une traduction en français moderne. Parmi


les collections les plus importantes, citons les Traductions des Classiques du Moyen
Âge et les Lettres gothiques du Livre de Poche. Le phénomène semble beaucoup plus
rare dans le cas d’autres langues romanes, peut-être tout simplement parce que la
forme médiévale de celles-ci est plus proche de la langue moderne et donc, plus
lisible. Il s’agit en partie d’une tentative consciente de faire appel à un public plus
important, et d’attirer sans doute aussi la clientèle estudiantine vers les études
médiévales auxquelles les traductions peuvent faciliter l’accès. Sans doute aussi, les
maisons d’édition y voient un moyen d’attirer un public plus grand et même extra-
universitaire (« La collection des Traductions des Classiques du Moyen Âge a pour

objectif de mettre peu à peu l’immense trésor de la littérature médiévale à la disposi-


tion non seulement des spécialistes et des étudiants, mais encore du public le plus
large » ; « La collection Lettres gothiques se propose d'ouvrir au public le plus large
     

un accès à la fois direct, aisé et sûr à la littérature du Moyen Âge. Un accès direct en
mettant sous les yeux du lecteur le texte original, un accès aisé grâce à la traduction
en français moderne proposée … »22). Mais les éditions bilingues témoignent égale-

ment – de la part du public étudiant – d’une compétence réduite présumée et sans


doute réelle devant l’ancienne langue. Passer de la lecture de textes à l’édition de
textes implique bien entendu des connaissances plus importantes et celles-ci
commencent au niveau des études. Signes positifs, par contre : les éditions dues à des

doctorants (par exemple dans la série des Plus anciens documents linguistiques,
↗7.4.1 ; ou encore, Grübl 2014 ; Mazziotta 2009 ; Videsott 2013), ou l’accueil d’une
     

école d’été sur l’édition de textes organisée en septembre 2014 à Klagenfurt par
Raymund Wilhelm, et où ont assisté plus de vingt doctorants ou post-doctorants.23 En

22 www.honorechampion.com/fr/content/20-collections (12.01.2015) ; www.livredepoche.com/collec


tion-lettres-gothiques (12.01.2015).
23 Cf. http://www.uni-klu.ac.at/rom/inhalt/1147.htm (12.01.2015).
Introduction : état de la question
  15

même temps, l’on peut déplorer que la pratique de l’édition est (sauf peut-être à
l’École des chartes à Paris, établissement strictement en dehors de l’université fran-
çaise24) absente de l’enseignement universitaire.
La philologie de l’édition demeure, hélas, une activité minoritaire parmi les
romanistes : c’est dommage, car elle est, selon nous, non seulement importante pour

la discipline, mais également pour la formation des romanistes, ou du moins, pour


ceux qui souhaitent s’occuper de l’histoire des langues romanes pendant les premiers
cinq siècles de leur existence. L’édition est une discipline contraignante, même
sévère, et si l’éditeur n’accepte pas cette discipline, il y aura des comptes rendus pour
le rappeler à l’ordre. Une mauvaise édition est pire qu’une édition qui n’existe pas :  

elle empêche d’autres à tourner vers le même texte et plus grave encore, ses défauts
passent souvent inaperçus par bon nombre de lecteurs. Qu’entend-on par « mauvaise  

édition » ? Il s’agit surtout de mauvaises transcriptions, de glossaires défectueux ou


   

lacunaires (construire le glossaire permet de savoir si l’on a compris c’est-à-dire


transcrit correctement le texte),25 parfois aussi, des éditions où le choix du manuscrit
est lui-même mauvais. Il suffit de parcourir les comptes rendus dans les grandes
revues pour constater que malgré tout ce que l’on a pu écrire au sujet de l’édition, la
qualité de la production reste assez décevante. Un souhait donc : que le niveau  

s’élève. Encore faut-il qu’il existe une formation dans l’art d’éditer, qui pour l’instant
n’existe pratiquement pas.26 Un deuxième espoir : il faut éditer surtout des textes …

inédits. Ce sont eux dont la parution et la disponibilité feront avancer la science.27 Et


une troisième demande : des éditions de forme multiple, c’est-à-dire imprimées et

électroniques en parallèle. L’existence d’un texte en ligne, très important pour les
linguistes, lexicographes et bien d’autres encore, ne nuit pas aux ventes d’un livre,
quand celui-ci inclut l’apparat critique dont aura besoin tout chercheur sérieux – un
texte en ligne peut même servir de publicité. La question épineuse des droits de
l’auteur et de la maison d’édition (réglée de façon radicalement divergente dans les
différents pays de l’Union Européenne) ne devrait pas en tout cas entraver les progrès

24 Voir http://www.enc.sorbonne.fr/liste-generale-des-enseignements (13.01.2015). La direction de


thèses qui se basent sur une edition comporte évidemment un element d’enseignement, mais ce n’est
pas la meme chose qu’un cours qui pourra être suivi par un non-éditeur soucieux de comprendre l’art
d’éditer meme s’il ne compte pas le pratiquer.
25 L’on lira avec profit (et non sans plaisir) les écrits de Frankwalt Möhren à ce sujet : voir Möhren

(1997 ; 2012 ; ↗15 L’art du glossaire d’édition).


     

26 Sauf peut-être à l’École des Chartes (F. Duval). Une école d’été de l’université de Klagenfurt en
Autriche (organisée par R. Wilhelm) s’est instaurée en septembre 2014 pour tenter de pallier à l’absence
de formation dans ce domaine.
27 Vœu déjà formulé, pour l’ancien français, de manière assez directe sinon brutale dans la Biblio-
graphie du DEAF, première édition, en 1993. C’est évidemment le cas pour d’autres langues aussi : cf.

Schweickard 2012.
16 David Trotter

de la science.28 Ce serait d’ailleurs renier le rôle traditionnel de la philologia en tant


qu’ancilla scientiae.

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543–551.

28 Malheureusement, Max Engammare des Éditions Droz, à qui nous avons proposé de rédiger un
chapitre portant sur des questions pareilles, s’est vu (pour des raisons de manque de temps) dans
l’impossibilité de concourir à ce volume. – Au moment d’écrire ces lignes (août 2014), le mouvement
vers l« accès libre » ou d’« Open Access » est dans le vent, ou a le vent en poupe, à la fois au niveau des
       

organismes nationaux de recherche et de l’Union Européenne.


Introduction : état de la question
  17

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Francesco Carapezza
1 Entre théorie et pratique en ecdotique
galloromane
Abstract : Ce chapitre traite du conditionnement réciproque entre théorie et pratique
   

éditoriales en philologie galloromane (ancien français et ancien provençal) dans une


perspective historique, depuis l’introduction de la méthode dite lachmannienne jus-
qu’à nos jours. On a essayé d’illustrer, d’une part, comment l’expérience éditoriale
des philologues a influencé leurs propositions de méthode, et, d’autre part, comment
une application trop rigide ou bien peu contrôlée de ces méthodes a parfois produit
des éditions critiques insatisfaisantes à certains égards, ou bien a causé des défaillan-
ces au niveau de la reconstruction textuelle. À travers la leçon des maîtres de différen-
tes écoles philologiques (française, allemande, italienne, anglo-saxonne), l’ecdotique
appliquée aux textes romans médiévaux se caractérise en effet comme une discipline
capable de se renouveler constamment de son intérieur, grâce à une réflexion critique
continue sur sa tradition et sur ses méthodes vis-à-vis d’un objet d’étude qui est
intrinsèquement complexe.

Keywords : ecdotique (édition critique), histoire de la philologie romane, théorie


   

éditoriale, philologie française médiévale, philologie provençale

1 De Paris à Bédier : introduction et crise de la


méthode généalogique
On pourrait définir l’histoire de l’ecdotique romane moderne comme un processus
d’adaptation, de révision et de perfectionnement de la méthode dite généalogique ou
lachmannienne, élaborée en Allemagne au cours du XIXe siècle dans la philologie

classique et germanique, et appliquée pour la première fois aux textes en langue


romane du Moyen Âge vers la fin des années soixante de ce siècle par d’éminents
spécialistes français (Natalis de Wailly, Paul Meyer, Gaston Paris) et allemands
(Gustav Gröber).1 La critique continuelle et parfois même radicale à laquelle la
méthode généalogique a été exposée depuis ses premières applications à la philologie
romane est principalement due à la mobilité des textes littéraires en langue vernacu-
laire et de leur tradition manuscrite, caractérisée, à la différence des textes classiques,

1 Pour la genèse et la dénomination, historiquement inexacte, de la méthode « lachmannienne », voir


   

Timpanaro (1985) et Fiesoli (2000) avec Castaldi/Chiesa/Gorni (2004, 55–65). Pour les premières
applications dans le cadre roman, voir Formisano (1979), Stussi (1998, 21–23) et Leonardi (2009). Pour
une discussion générale des méthodes adoptées par les différentes traditions « nationales », voir Duval
   

(2006a).
22 Francesco Carapezza

par la relative proximité chronologique et géographique entre original et copies


conservées, et par conséquent de l’activité des copistes, qui modifient et parfois
contaminent leur modèle afin de l’améliorer ou de l’actualiser, dans une situation qui
implique aussi des questions délicates de variabilité linguistique et formelle.2
Déjà dans l’édition de la Vie de saint Alexis de Gaston Paris et de Léopold Pannier
(1872), que Contini (1977, 34) définit comme « adattamento del lachmannismo alla

sostanza romanza » et qui constituera un exemple indiscutable pendant la phase


longue et productrice de l’incorporation de la méthode généalogique dans la philolo-


gie romane, des observations perspicaces sur l’altérité du texte littéraire médiéval,
objet de « rajeunissements » continuels et de « renouvellements » fréquents de la part
       

des copistes, se trouvent au centre de la présentation de la nouvelle méthode édito-


riale et sont reflétées dans l’intégration d’un principe fondamental de la méthode
lachmannienne, celui des fautes communes :  

« La critique des textes, ou du moins l’une de ses parties les plus essentielles, repose en effet sur

cette idée que des scribes différents, copiant un même texte, ne font pas les mêmes fautes ; pour  

les œuvres du moyen-âge qui ont subi des renouvellements, il faut compléter cette formule par
celle-ci : des renouveleurs différents, travaillant sur un même poème, ne font pas les mêmes

modifications » (éd. Paris/Pannier 1872, 10).


Cette énonciation du principe, où l’on attribue une valeur généalogique autant à la


véritable faute qu’aux innovations produites par les copistes-remanieurs,3 contient in
nuce une contradiction méthodologique, liée justement à une conception encore
imprécise et plutôt floue de la notion de faute, qui sera en fait abandonnée à la faveur
d’expressions plus neutres (« coïncidence habituelle », « leçon identique ») au moment
       

de l’explication du fonctionnement du stemma et qui surtout ne sera pas appliquée de


façon systématique pour la classification des quatre manuscrits du Saint-Alexis connus
à l’époque (stemma binaire : LA/PS).4 L’on observe ainsi une incohérence primordiale

entre la méthode des fautes communes et son application concrète au texte français du
Moyen Âge. Cette incohérence ouvrira d’une part la voie aux objections radicales
contre le lachmannisme éditorial soulevées quarante ans plus tard par Joseph Bédier,
et d’autre part elle aura des conséquences permanentes pour la stemmatique telle
qu’elle est appliquée encore aujourd’hui aux textes en langue romane.5

2 L’opposition entre tradition « quiescente » et tradition « attiva », introduite par Vàrvaro (1970), a été
       

ensuite incorporée dans les études théoriques sur l’ecdotique romane : voir notamment Antonelli  

(1985, 188s.).
3 Contini (1970, 961) : « Paris soggiungeva addirittura che invece di errore (‹ faute ›) si può dire :
         

innovazione (‹ modification ›) comune ; e a copisti (‹ scribes ›) sostituire : rimaneggiatori (‹ renouve-


             

leurs ›) ».
   

4 Éd. Paris/Pannier (1872, 12, 22s.) ; cf. Leonardi (2009, 277).


5 Sur la question des stemmas fondés sur des leçons non erronées et qui ne sont donc pas fiables, voir
par ex. Avalle (1978, 47–49) ; Leonardi (2009, 290) ; Beltrami (2010, 97–98). Sur le processus d’intro-
   
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 23

C’est donc à l’intérieur de cette impasse entre une théorie de la classification des
témoins (recensio) non encore clairement formulée et une pratique de la reconstruc-
tion (emendatio) qui influe lourdement à la fois sur la substance et sur la forme du
texte historiquement transmis, que s’inscrit la réaction de Bédier contre la méthode
lachmannienne. Une réaction qui ne naquit pas du jour au lendemain comme le ferait
penser Bédier lui-même dans son introduction au Lai de l’Ombre de 1913,6 mais qui –
sous l’impulsion du compte rendu du maître, Gaston Paris, de sa première édition du
petit poème de Jean Renart (1890) – est venue lentement à maturation au cours de
vingt années de production éditoriale intense, pour se consolider définitivement dans
le long article paru dans la Romania de 1928 qui répond aux thèses de Dom Henri
Quentin (1926). Il est intéressant de constater, en fait, qu’après avoir publié le Lai de
l’Ombre en 1890,7 Bédier avait choisi d’éditer des textes pour la plupart transmis par
un seul manuscrit (le Tristan de Thomas, les Folies Tristan, le chansonnier de Colin
Muset, les chansons de croisade), auxquels l’on peut associer le cas particulier du
Roland d’Oxford.8 Dans un des rares cas où il s’attaque à une tradition manuscrite
complexe, c’est-à-dire pour six seulement des vingt-neuf chansons de croisade pu-
bliées avec le musicologue Pierre Aubry en 1909, il n’est pas difficile de constater, à y
regarder de près, quelque points de doute et des hésitations parfois explicites au cours
des courtes discussions ecdotiques (surtout lorsque il n’existe aucune classification
antérieure des manuscrits) qui conduisent à la définition de stemmas binaires à
l’exception de la chanson XVIII (trois branches : MTR1a/R3/OKVX), où l’éditeur re-

nonce toutefois à appliquer le critère de la majorité car ce critère aurait comme


résultat la reconstruction d’une « copie déjà fautive » en amont de tous les témoins,
   

c’est-à-dire d’un archétype, et non pas de l’original.9 Sur un plan plus général, l’on
peut dire que dans le travail éditorial de Bédier, le modèle théorique de référence est

duction de la méthode généalogique dans la philologie romane, phénomène encore peu étudié d’une
perspective historiographique, voir par ex. le portrait scientifique du philologue belge Auguste Scheler
(1819–1890) fourni par Baker (2013).
6 Voir notamment le paragraphe intitulé « Du classement des manuscrits » dans l’éd. (Bédier 1913,
   

XXIII – XLV
XL V , à la p. XXV ).

7 L’analyse des six témoins connus à l’époque portait Bédier à définir un stemma binaire, AB-C (= y)/
DF-E (= z), auquel Paris (1890) oppose un stemma triparti : y/DF (= v)/E. Le ms. G, découvert plus tard,

s’avère être une version collatérale de C dans l’édition de 1913, où le stemma de 1890 est reformulé de
la façon suivante : AB-CG (= x)/DF-E (= y). Une classification divergente des témoins, c’est-à-dire

Archétype > AB (= x)/CG-DEF (= q), est maintenant proposée par Trovato (2013) qui, pour esquiver les
preuves principales alléguées par Bédier pour appuyer l’existence d’une famille ABCG, a recours au
concept, rarement évoquée en philologie romane, de contamination extra-stemmatique.
8 Cf. Corbellari (1997, 541–543).
9 Éd. Bédier/Aubry (1909, 200) : « Comme le ms. R3 ne se range ni dans l’un ni dans l’autre de ces
   

groupes, on s’attendrait à ce que la comparaison des trois familles donnât partout un bon texte. Par
malheur tous les manuscrits semblent remonter à une même copie déjà fautive ». Voir en outre les

classifications relatives aux chansons VIII (stemma binaire : MT-Aa-R-O/L-KNPVX) et XVI (idem :
   

R/MT-OUKV) : resp. pp. 87s. et 177s.


   
24 Francesco Carapezza

toujours celui du lachmannisme (et le restera aussi après 1913 et même dans les écrits
où cette méthode est critiquée)10 tandis que dans la pratique, l’on retrouve la
tendance plus ou moins consciente d’éviter les critères de reconstruction de type
stemmatique, pour travailler selon un interventionnisme qui a été défini comme
pragmatique (et cela même dans le cas du manuscrit unique ou, dans l’édition de
1913, du bon manuscrit).11 En somme, l’on comprend comment la méfiance de Bédier à
l’égard de la méthode généalogique, ou mieux, pseudo-généalogique de son époque
s’est développée à travers une activité éditoriale assidue, débouchant premièrement
sur une critique radicale du lachmannisme dans l’édition de 1913, pour acquérir
ensuite une dimension théorique dans l’étude de 1928.
À propos de cette dernière étude, qui sera reçue à bon droit comme un manifeste
du bédiérisme éditorial, il est intéressant de constater que dans une lettre à Mario
Roques de l’été 1928, le savant la décrit, de manière certes réductrice mais non moins
significative pour autant, comme « ce mémoire sur le cas du Lai de l’Ombre ».12 En
   

effet, dans le préambule de l’article le petit poème de Jean Renart est présenté comme
« un exemple privilégié, typique, et comme symbolique » en vertu du fait que celui-ci
   

avait déjà fait l’objet de méthodes éditoriales diverses pratiquées auparavant, et qu’il
constituait ainsi dans une perspective théorique « un terrain d’observation singulière-

ment propice ». En réalité, il n’est pas difficile d’imaginer que le choix de reprendre le

cas d’école qui avait accompagné Bédier tout le long de sa carrière soit un choix
stratégique, dicté en premier lieu par son intention de critiquer les présupposés de la
méthode lachmannienne en même temps que les réclamations ecdotiques récentes de
Dom Quentin, cible principale de l’article. La tradition manuscrite du Lai de l’Ombre,
comme l’avait compris Bédier, se prêtait bien à cette intention à cause de l’impossibi-
lité d’établir avec certitude, au niveau supérieur du stemma, les rapports généalogi-
ques entre les témoins. Ainsi, il s’agit d’un cas paradigmatique mais certes pas absolu
de l’inapplicabilité de la méthode stemmatique en philologie romane, qu’il faudra
mettre en rapport avec la typologie du texte et de sa tradition manuscrite.13 En

10 Cf. Segre (2001, 88s. ; 2005, 173s.) ; Leonardi (2009, 296–300).


   

11 Cf. Vàrvaro (1994) sur l’édition du Tristan de Thomas (éd. Bédier 1902–1905) et Corbellari (1997,
527 : définition de l’« interventionnisme pragmatique » ; 545–546 : corrections apportées au texte du
         

ms. A dans l’édition du Lai de l’Ombre de 1913).


12 Je reprends la citation de Leonardi (2009, 301).
13 Segre (2005, 175) : « Altre volte, come si riscontra per il Lai de l’ombre, si ha l’impressione che i
   

copisti del testo siano stati molto avveduti e competenti ; non fanno grossolani errori e sono capaci di

correggere quelli dei loro modelli ; se intervengono, lo fanno puntualmente e con discrezione. L’errore

vistoso e significativo [au sens technique maasien : Leitfehler] non si dà. Il filologo è costretto in questo

caso a considerare errori lezioni a ben vedere accettabili, e così gli stemmi proposti sono più d’uno, e
sostanzialmente attendibili, insomma indecidibili (come notò Bédier, autore lui stesso di edizioni di
quell’opera) ». L’on ajoutera, avec Vàrvaro (1999, 615), que « the Bédier of the Lai de l’Ombre studied
   

the tradition, contained within little more than a century and in a limited geographical area, of a text of
weak authorial distinction ».  
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 25

revanche, la confiance accordée par Bédier au stemma biparti du ‹ Roland › établi par    

Theodor Müller, qui lui garantissait la précellence du ms. d’Oxford (publié dans son
édition de 1921 de la ‹ chanson de geste ›) mais qui est en contradiction flagrante avec
   

sa polémique anti-stemmatique, est symptomatique de la tactique déployée pendant


cette période pour promouvoir le critère du bon manuscrit.14 En réalité, nous savons
aujourd’hui que la fréquence anormale d’arbres à deux branches que rencontrait
Bédier (silva portentosa) n’est pas fiable, puisque les éditeurs critiques du temps
n’appliquaient pas la méthode généalogique de manière rigoureuse.15 En outre, l’on
se rend compte maintenant que la définition du stemma ne constitue qu’une synthèse
des opérations de recensio, ou tout au plus un instrument d’orientation, et que par
conséquent les « giochi combinatori » ébauchés par Bédier dans son article sur le ‹ Lai
     

de l’ombre › ressemblent, dans une perspective actuelle, à « la involontaria caricatura


   

di un utilizzo astratto e astorico degli stemmi » (Segre 1991a, 46).  

Au-delà des exagérations dialectiques et des présupposés idéologiques et épisté-


mologiques des arguments de Bédier contre la méthode de la reconstruction née au
sein de la culture romantique allemande, ce qu’il faut surtout relever pour notre
discours est que la doctrine positiviste du bon manuscrit (qui se constitue, il est
important de le souligner, non pas comme une méthode organique mais surtout
comme un art d’éditer, comme une technique éditoriale)16 émane entièrement de
l’expérience d’un éditeur et d’un cas de figure en particulier. La théorie, en somme,
est une conséquence directe de la pratique. Avec Bedier, pour la première fois, un
cercle vertueux s’instaure entre théorie et pratique, qui produira, comme nous le
verrons tout de suite, un progrès décisif dans l’histoire de l’ecdotique (gallo)romane.17

14 Cf. éd. Segre (1971, X ) = éd. Segre (1989, I, 10) ; Segre (2005, 173–174). Sur ce paradoxe, voir les

réflexions de Leonardi (2009, 297–298) : « On pourrait, en effet, se demander pourquoi, en 1928, le


   

modèle ecdotique proposé par Bédier n’est pas celui qu’il venait de réaliser pour la Chanson de Roland
[…]. Ce choix, qui aurait changé le cours de l’ecdotique romane, […] Bédier ne le fit pas : au contraire il

reprit ses arguments de 1913 contre Lachmann et Paris, contre toute possibilité de retracer la diachronie
d’une généalogie ». Dans ce sens, il est révélateur que le cas du Roland n’est pas cité dans les

conclusions de l’étude de 1928 : « Est-il légitime qu’il [scil. l’editeur] établisse le texte d’un ouvrage
   

d’après un classement des manuscrits que lui-même estimerait seulement ‹ acceptable ›, logiquement
   

‹ satisfaisant › ? Oui, si ce classement l’invite à imprimer tel quel l’un des manuscrits conservés, E dans
     

notre cas, par exemple, ou V dans le cas du Roman d’Yvain » (Bédier 1928, 354).  

15 Cf. Froger (1968, 43s.), Avalle (1978, 47–49), Antonelli (1985, 192s.), Beltrami (2010, 97s.).
16 Cf. Lecoy (1978, 501 et 505) : « Il faut d’abord dire qu’il n’y a pas, à proprement parler, de théorie de
   

Bédier… Bédier, en dépit d’une première apparence, n’était ni un théoricien ni un dogmatique. C’était
avant tout un pragmatiste. […] Je parle toujours, bien entendu, dans la perspective de ce que l’on peut
appeler la ‹ méthode › de Bédier et qu’il vaudrait mieux sans doute appeler la ‹ pratique › de Bédier ».
         

Cerquiglini (1989, 101) définit d’« antiméthode » le bédiérisme éditorial.


   

17 Comme l’a observé Antonelli (1985, 167), la critique de Bédier contre le lachmannisme partait d’un
présupposé strictement « tecnico e pratico », et « proprio da questa sua qualità interna al metodo
     

filologico deriva del resto la propria forza, tanto da costituire ancora oggi il vero punto di svolta e di
26 Francesco Carapezza

2 De la pratique à la théorie : renouveau et relativité  

de la méthode

À partir des années Trente, tandis qu’en Allemagne la production d’éditions critiques
de textes galloromans ralentissait considérablement, le bédiérisme s’imposait comme
la technique éditoriale hégémonique surtout en France (grâce à l’influence de Mario
Roques et ensuite de Félix Lecoy, réflétée dans la série prolifique des Classiques
français du Moyen Âge) et dans les pays anglo-saxons, provoquant une réduction
importante de la réflexion théorique.18 En Italie, cependant, la réception critique de
l’enseignement de Bédier, conjuguée à une tradition lachmannienne solide et influen-
cée par l’opus magnum du classiciste Giorgio Pasquali (Storia della tradizione e critica
del testo, 1934), produira un renouvellement théorique et méthodologique surtout à
partir des études de critique textuelle de Gianfranco Contini (1912–1990), chef d’école
du soi-disant néolachmannisme éditorial, et ensuite dans les travaux de philologues
éminents de la deuxième moitié du XXe siècle, notamment d’Arco Silvio Avalle (1920–

2002) et Cesare Segre (1928–2014).19


Dans une perspective historique, une valeur symbolique forte réside dans le fait
que Contini ait élaboré un des concepts fondateurs du néolachmannisme à l’intérieur
d’une contribution qui se rattache de par son titre au sillage de l’œuvre éditoriale de
G. Paris et de l’enseignement théorique de Bédier, à savoir La « Vita » francese « di
     

Sant’Alessio » e l’arte di pubblicare i testi antichi, conférence inaugurale de 1953


imprimée ensuite en 1970, où se trouve formalisé pour la première fois le critère de la


« diffrazione delle lezioni », en se référant à la tradition manuscrite (et à l’édition par
   

Paris) de la Vie de saint Alexis.20 Récemment, une définition concise et efficace du


concept de « diffraction » a été fournie par Zinelli (2006, 85) :
     

« Par ce terme il [sc. Contini] désignait cette configuration particulière de la tradition dans

laquelle une spécificité linguistique ou métrique de l’original, perçue comme difficile par les
copistes, est à l’origine d’une dispersion des leçons non modélisable au moyen du stemma. Le
concept de diffraction est l’un des concepts clés du néolachmannisme, ouvert à la récuperation
(y compris par le biais de la conjecture) de toute trace de lectio difficilior originelle, pourvu qu’elle
trouve sa légitimité, bien au-delà de la simple ‹ phénoménologie › matérielle du travail de copie,
   

dans une analyse approfondie du système linguistique des scribes ».  

confronto della critica testuale post-lachmanniana, anche al di là di quell’ambito romanzo all’interno


del quale fu elaborata ».  

18 Cf. Roques (1995) ; Ménard (2003, 64) ; Duval (2006b, 116–119 et 149).
   

19 Sur le néolachmannisme dans la philologie italienne médiévale, voir les bilans de Segre/Speroni
(1991) et de Zinelli (2006). Pour un aperçu des travaux de Contini, voir Leonardi (2014).
20 Le critère sera ensuite illustré de manière plus organique dans Contini (1968), développé dans
Contini (1971) et synthétisé dans Contini (1977, 26s.).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 27

Il s’agit donc d’un principe lié à la notion de la lectio difficilior qui, comme celle-ci, est
indépendant des rapports généalogiques entre les témoins manuscrits et se fonde
par contre sur le système linguistique et métrique des copistes et sur les séries de
variantes : cela permet dans de nombreux cas de proposer des restaurations convain-

cantes (conjecturales aussi) de la leçon originale, soudant ainsi de manière positive le


lien entre théorie et pratique en ecdotique romane. Grâce à son statut extra-stemma-
tique et à son efficacité opérationnelle, le critère de la diffraction a su gagner une
acceptation large dans les éditions critiques et dans les manuels de critique textuelle,
non seulement d’école italienne.21
Directement liée au principe de la diffraction est la « teoria dello iato » élaborée
   

par Maurizio Perugi, un disciple de Contini, dans le contexte de la lyrique troubadou-


resque (éd. Perugi 1978, t. I) et ensuite appliquée à la tradition manuscrite de textes en
vers en ancien français (Yvain de Chrétien de Troyes [Perugi 1993], Vie de saint Alexis
[éd. Perugi 2000]). Selon Perugi, une des principales causes d’innovation, outre la
lectio difficilior comprise comme une difficulté linguistique dans tous les sens possi-
bles, est la présence dans le texte original d’un hiatus (transitoire ou interne) perçu
comme archaïque ou insolite et, par là, rejeté par les copistes, qui ont tendance à
rétablir de façon diverse la syllabe qui manque, générant ainsi une diffraction des
variantes dans la tradition. Un éventuel exemple de ce type est fourni par le v. 20 de la
célèbre chanson de croisade et de femme Chanterai por mon corage (RS 21), transmise
par sept chansonniers et attribué dans le seul ms. M au trouvère Guiot de Dijon :  

folz est qui j’en oi (os C) parler CM


faus est qui en oi parler T
car fox est qui^a[n] vuet parler En
moult est fox qui^en (qu’en O) veut parler KOX

Selon la théorie de l’hiatus, il est probable que la tradition ait réagi à un hiatus
transitoire original entre qui et en (*fox est quĭen veut parler) préservé dans le seul ms.
T mais empêché par l’insertion du pronom sujet dans CM et par la synalèphe dans les
mss. En et KOX, qui rétablissent la mesure heptasyllabique par des remplissements
monosyllabiques en début de vers (respectivement la conjonction car et l’adverbe

21 Voir en particulier le paragraphe dédié à la diffraction, avec des exemples tirés de la lyrique
provençale et italienne, dans les Principî di critica testuale d’Avalle (1978, 56–60), où l’on rappelle
d’ailleurs que des cas de diffraction « in assenza » et « in presenza » étaient déjà relevés par Maas (1952,
       

23s.). Dernièrement Lannutti (éd. 2012, XXXIII – XXXIV et CIV ) a recours au critère de la diffraction pour
démontrer l’archétype des quatre témoins d’un poème hagiographique occitan. En dehors de l’Italie le
critère continien est rappelé dernièrement par Ménard (2003, 65), champion d’une « voie moyenne »
   

dans la philologie française médiévale entre le conservatisme et la restauration, tandis qu’il n’est pas
présenté à l’intérieur du manuel de Bourgain/Vielliard (2002), qui représente cependant, comme l’a
souligné Segre (2005), un cas important d’ouverture au lachmannisme éditorial et à la réception du
néolachmannisme italien dans le monde français et francophone.
28 Francesco Carapezza

moult, qui entraîne l’inversion du prédicat et de la copule).22 D’autres exemples


convaincants du « rifiuto della dialefe » dans la tradition des trouvères sont discutés
   

par Barbieri (2011, 222–224) dans le cadre d’un discours plus ample sur la typologie de
la diffraction dans ce répertoire. Il faut dire cependant que la théorie de l’hiatus a été
reçue avec quelques résistances par les philologues spécialistes des troubadours :  

comme l’a fait remarquer Beltrami (2010, 146–148), en effet, la présence d’hiatus
transitoires après que et d’hiatus entre deux voyelles atones dans la tradition du
troubadour tardif Guiraut Riquier (1254–1292) laisse douter que de pareils phénomè-
nes métriques aient pu tomber en désuétude à l’époque de la compilation des
chansonniers, de sorte que « sarebbe più logico parlare di oscillazioni nella perce-

zione e nell’uso della dialefe e della dieresi (…) piuttosto che di un processo di
ricodifica orientato in una precisa direzione ».23 Si, d’une part, Perugi a réalisé le vœu

de son maître (« Aumentandone la certezza con l’iterazione, il canone ricostruttivo


della diffrazione si annuncia come particolarmente fecondo », Contini 1977, 27) en


perfectionnant l’instrument et en mesurant son potentiel sur une vaste gamme de


situations ecdotiques, d’autre part l’on admettra que la possibilité de proposer des
solutions de diffraction par le biais de conjectures lexicales difficiliores, a une limite
intrinsèque dans le statut stylistique des textes à éditer. Pour les troubadours, par
exemple, cette possibilité sera plus grande dans le cas d’auteurs à différents titres
« difficiles » et donc mal compris par les copistes, comme Marcabru, Raimbaut d’Au-
   

renga et Arnaut Daniel, sur lesquels ont porté – rien de surprenant – les études du
savant,24 tandis qu’elle sera destinée à décroître sensiblement pour les auteurs, et ils
sont nombreux, qui adhèrent au registre moyen du lexique courtois.
Aurelio Roncaglia (1917–2001) a également fourni une contribution théorique de
poids, avec comme titre Valore e giuoco dell’interpretazione nella critica testuale (1961,
traduction anglaise dans Kleinhenz 1976, 227–244), qui est en partie fondée sur son
expérience en tant qu’éditeur du troubadour moralisant Marcabru (huit études parse-
mées le long de la période 1950–1968). En s’appuyant sur les notions de « contesto  

immediato » et de « contesto remoto »,25 le savant italien propose de brillantes solu-


     

tions interprétatives pour une série de neuf extraits de textes médiévaux dans diffé-
rentes langues romanes pour lesquels le recours à la tradition manuscrite s’avère

22 Cette solution n’est pas envisagée dans l’édition lachmannienne de Lannutti (1999, III, 22 e 28) qui
se sert pour son texte de la leçon de la famille γ (KOX), contredisant pour la première partie du vers le
critère de la majorité, qui garantirait l’ordre fox est d’α (CMT) + β (En), comme l’avait déjà signalé
Contini (1978, 1057), découvreur du ms. En.
23 Dans l’éd. Squillacioti (1999) des poésies de Folquet de Marseille, par ex., les solutions de diffrac-
tion dues à l’hiatus proposées par Perugi (éd. 1978, t. I) sont reléguées au commentaire.
24 Voir en particulier Perugi (1995) et, dans un ouvrage de vulgarisation, Perugi (2011, 58–62).
25 « A rigore, costituisce contesto tutta la tradizione letteraria e linguistica in cui il testo s’inserisce :
   

costituiscono contesto le fonti contenutistiche e i modelli stilistici ; costituisce contesto la topica


tradizionale » (Roncaglia 1961, 55).



Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 29

insuffisant. De cette façon, il finit par déclarer que l’interprétation textuelle doit
prévaloir sur toute autre opération ecdotique.26 Dans son intervention présentée en
1974 à la table ronde du XIV Congresso internazionale di linguistica e filologia romanza
(ci-après CILFR), Roncaglia insistera sur le rapport circulaire et fondateur entre
critique textuelle et critique interprétative, en soulignant que « dove l’alternativa

[entre variantes de valeur neutre] tocchi la sostanza dell’interpretazione, coinvolgen-


do l’intrinseca coerenza logica e fantastica del discorso testuale, una scelta auto-
matica non è più concessa : bisogna discutere, e lo stemma stesso dovrà eventual-

mente venire rimesso in discussione » (Roncaglia 1978, 487).


Un autre exemple très clair de la tendance, qui caractérise la majorité des


adhérents du néolachmannisme, à projeter sur le plan théorique des résultats acquis
à travers une expérience spécifique en tant qu’éditeurs de textes, est fourni par les
écrits de Segre (1978 ; 1991a et 1991b) qui ont accompagné son édition critique de la
Chanson de Roland,27 où au lieu d’un apparat plus ou moins complet de variantes, se
trouve une « lecture stéréoscopique » des deux traditions concurrentes α (représentée
   

par le seul ms. O) et β cherchant à « identifier de façon trigonométrique […] l’image


possible, voire hypothétique, de l’original inaccessible » (éd. Segre 1971, XX – XXI = éd.

Segre 1989, I, 24–26). La méthode adoptée dans l’édition parvient dans ces essais à
être développé et généralisée, avec la formulation du concept de « systèmes » de    

variantes, et avec par conséquent l’expression d’une « loi de convergence », illustrée


   

graphiquement premièrement par un triangle (1978 ; 1991a), ensuite à l’aide de dia-


grammes de Venn (1991b), et conçue essentiellement pour surmonter l’opposition


binaire entre leçon correcte et leçon erronée, sur laquelle se fonde la stemmatique
lachmannienne mais qui s’est avérée peu productrice dans le cadre roman, du fait que
« i copisti rifanno più spesso che non trascrivano » (1991b, 17). Cette philosophie
   

ecdotique a des retombées pratiques dans le renversement du rapport hiérarchique


entre texte et apparat critique, qui n’est plus entendu comme une collection de
variantes mais comme le lieu « discorsivamente problematico » (1978, 497) où se
   

concentrera massivement le travail du philologue, ayant comme but celui de proposer


des « corrections mentales » au texte du manuscrit de base et à fournir une image
   

« virtuelle de l’archétype » perdu. Il faut souligner, comme le fait du reste Segre, que
   

26 « La distrazione non sempre ha una logica ; la composizione sì : e dunque per la critica testuale
     

considerazioni di coerenza interna, pertinenti insomma all’interpretazione (logica e stilistica), debbo-


no avere la precedenza su considerazioni di probabilità diplomatica, vale a dire meccanica » (Ronca-

glia 1961, 59s.).


27 Publiée en 1971 et ensuite, revue et traduite en francais, en 1989 (deux tomes). L’importance de
cette édition a été entérinée dernièrement par Roques (2000, 872), qui la signale comme étant « la plus 

belle réussite de l’école philologique italienne, qui a ouvert de nouvelles voies dans un domaine où
l’effort de la critique depuis des lustres visait à consacrer la supériorité du texte d’Oxford » ; et par
   

Vàrvaro (2008, 188), qui la décrit comme « le chef-d’œuvre de la philologie italienne de cette moitié du

siècle, […] destinée à rompre l’isolément national et à s’imposer partout comme l’édition standard,
grâce aussi à la version française procurée par M. Tyssens ».

30 Francesco Carapezza

la méthode de la convergence fondée sur l’analyse des systèmes concurrents de


variantes s’applique particulièrement au cas de textes épiques (chansons de gestes et
cantari chevaleresques italiens), où l’innovation relative à des portions de texte plus
ou moins étendues est plus fréquente que la variante ponctuelle, qui par contre se
manifeste plus généralement dans la poésie lyrique des troubadours et des trouvères.
Reste le fait que les acquis théoriques et les suggestions pratiques élaborées à partir
d’un cas d’étude permettent d’enrichir et de perfectionner la méthode de la recon-
struction en ecdotique romane.
De même, dans les États-Unis, où les principes bédiéristes ont le vent en poupe en
dépit du légitime recul des romanistes les plus éminents de la génération précédente
contre les risques du documentarisme éditorial,28 l’on observe dans quelques cas la
tendance à transposer sur le plan théorique les expériences faites sur le terrain de la
praxis ecdotique. Un personnage éminent était Edward B. Ham (1902–1965), éditeur
de textes français médiévaux à tradition souvent plurielle. Dans le sillage de l’ensei-
gnement bédiériste, il recommandait aux éditeurs de ramener leurs résultats « to the  

issues of textual criticism as a whole » (Ham 1946, 2), et il aura sa place dans l’histoire

pour son éclecticisme pragmatique, c’est-à-dire pour le principe que chaque texte
exige un traitement éditorial spécifique.29 En réalité, l’on constate dans les travaux
éditoriaux de Ham, même dans des cas dans lesquels il serait possible d’envisager
une reconstruction textuelle sur base stemmatique, une adhésion inébranlable au
conservatisme bédiériste, où le problème du choix du bon manuscrit occupe toujours
une position centrale et où l’on réfléchit sur la nécessité de rendre compte non
seulement des interventions de l’éditeur, mais également de certains endroits tex-
tuels, définis comme des « twilight zones of emendation » (Ham 1946, 18), où le
   

témoin sélectionné est seulement susceptible d’être corrigé. En fait, l’essentiel, c’est
que l’éditeur fournisse « enough evidence to enable the reader to control the facts and

thereby implement his own interpretation of any textual tradition » (Ham 1959, 200 ;
   

cf. Carapezza 2005, 656–664).


Avec cette affirmation, Ham se rattache, peut-être intentionnellement, à la cri-
tique textuelle d’un autre philologue américain, et son contemporain, William Roach
(1907–1993), qui n’écrivait pas d’études de théorie ecdotique mais dont la plus
importante contribution éditoriale a été l’édition en cinq volumes des trois Continua-
tions octosyllabiques du Perceval de Chrétien de Troyes (éd. Roach et al. 1949–1983), 

28 Voir notamment le compte rendu de T. Atkinson Jenkins (1923–1924) de l’édition Bédier du Roland
(1921) et la notice nécrologique du savant français signé par Edward C. Armstrong, Jeremiah D. M. Ford
et William A. Nitze (1939). Il est plus que probable que Lucien Foulet (1873–1958) aura joué un rôle clef
dans la diffusion du bédiérisme éditorial dans l’école d’outre-atlantique. Cf. Carapezza (2005, 620s. et
637s.).
29 Ce principe, exposé dans Textual Criticism and Common Sense (Ham 1959), sera probablement
appuyé dans la Nuova filologia di Michele Barbi (1938, signalée dans la bibliographie de Ham 1959, 211)
aussi bien que dans l’école de Princeton d’Armstrong (suivant Foulet/Speer 1979, 30–32).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 31

transmises par douze témoins, édition qui représente en elle-même un acquis métho-
dologique.
L’adoption du critère conservateur est justifié dans ce cas par la nature même de
la tradition manuscrite, dans laquelle Roach distinguait pour la Première Continuation
anonyme, sur la base d’études précédentes, deux rédactions distinctes : une rédaction  

courte, représentée par les codex AS + LPR, et une rédaction longue, représentée par
EMQU, à laquelle viendrait s’adjoindre une troisème rédaction « mixte » (dans TVD)    

qui participe aux deux.30 Les trois rédactions seront ensuite publiées comme des
textes autonomes basés respectivement sur les mss. LA, E et T (nettoyés des erreurs de
copiste et des malentendus discutés en note à la lumière des autres témoins), fournis-
sant dans l’apparat critique ou en appendice « all the significant elements in the text

tradition » (éd. Roach et al. 1949–1983, I, VII ). L’objectif déclaré et poursuivi de


   

l’éditeur est donc celui de présenter de façon claire et exhaustive toutes les données
textuelles de la tradition manuscrite, réalisant ainsi une base solide pour la discussion
autour de la chronologie relative des rédactions différentes. La réussite de l’édition de
Roach est démontrée par les études postérieures sur les Continuations concernant
l’identification de la rédaction la plus ancienne et le processus évolutif du texte dans
la tradition manuscrite. En outre, cette édition contribua à provoquer l’attention des
érudits sur les phénomènes de récriture des textes narratifs médiévaux, et sur la
critique de leur valeur littéraire (cf. Carapezza 2005, 634–650 ; 2007). Cet exemple

montre que l’adéquation de la méthode éditoriale se mesure plus à la physionomie de


la tradition manuscrite analysée qu’à l’adhésion à une théorie ecdotique préétablie.
La dialectique entre approche de la reconstruction (généalogique) et approche
conservatrice (documentaire) en ecdotique romane a donc connu une phase intense
d’élaboration théorique, et ce surtout en Italie entre les années Cinquante et Soixante-
dix du siècle dernier. Depuis l’exemple de Bédier, le perfectionnement de la technique
éditoriale aura lieu à travers un processus de projection sur le plan théorique des
résultats obtenus à partir d’une expérience ecdotique directe, de telle sorte que la
méthode se définit comme « una somma d’indicazioni estratte da concrete esperienze

storiche » (Roncaglia 1975, 16). La conscience de la relativité de la méthode est


sûrement d’une importance capitale, dans le sens que les acquis théoriques n’arrivent
pas toujours à avoir une valeur universelle, mais s’appliquent au plus à une typologie
particulière de textes ou de tradition manuscrite. Reconstruction de l’original et
conservation d’un témoin ne représentent plus deux dogmes irréconciliables, mais
deux orientations opérationnelles qui ont des finalités bien distinctes et qui sont
avant tout suggérées par les conditions de la transmission manuscrite.31 Il est enfin

30 Des doutes bien-fondés sur l’existence d’une pareille « rédaction mixte » furent cependant avancés
   

dans un compte-rendu de J. Frappier (1953).


31 L’idée, déjà présente dans Roncaglia (1978), se trouve maintenant développée dans le manuel
d’ecdotique romane de Beltrami (2010), où il est question d’une édition « orientata al manoscritto » ou
   

par contre « orientata al testo ». Segre lui-même a représenté la résolution progressive, surtout dans
   
32 Francesco Carapezza

important de souligner que les savants qui sont réellement capables de proposer des
innovations méthodologiques ou encore des stratégies éditoriales conformes au type
de tradition manuscrite constituent, comme on le comprendra, des cas somme tout
rares dans l’histoire de l’ecdotique romane : normalement, les éditeurs critiques, qui

sont parfois de jeunes chercheurs, travaillent dans le cadre d’une tradition acadé-
mique nationale et subissent par là le conditionnement intellectuel de leurs prédéces-
seurs aussi bien que les directives explicites d’une collection éditoriale.

3 De la théorie à la pratique : limites des éditions  

critiques
Tout comme l’on peut dire qu’il n’existe pas de méthode universelle en ecdotique
romane, de la même manière l’on peut dire qu’il n’existe pas d’édition critique
définitive. Un moment assez délicat et problématique du travail de l’éditeur est celui
où il applique dans la pratique les propositions de méthode, qui auront en général été
exposées dans l’introduction. Vàrvaro (1994) a dédié une contribution importante à la
question en examinant le Roman de Tristan fragmentaire de Thomas édité par Joseph
Bédier (1902–1905). Il s’agit donc d’une édition « pré-bédiériste » de Bédier, qui
   

préfigure dans l’exposition des critères de l’édition certains aspects de sa philosophie


conservatrice future, surtout en ce qui concerne le respect formel du fragment D
(Oxford, Bodleian Library, Douce d.6), choisi comme manuscrit de base dans les cas
où la tradition est double ou triple (environ 37% du texte conservé). Des sondages
effectués par Vàrvaro, il en résulte cependant que les interventions de type formel,
c’est-à-dire linguistique ou métrique, introduites à partir des manuscrits de contrôle T
et Sn ou même qui sont contre l’accord du manuscrit de base avec T, sont plus
nombreuses que ce à quoi l’on pourrait s’attendre, et elles ne semblent pas toujours
pleinement justifiées. En conclusion, Vàrvaro constate que « nella prassi Bédier è

certo meno prudente che nelle affermazioni di principio » (1994, 645), et il insiste

ensuite qu’il ne faut pas confondre, dans l’examen d’une édition, la théorie de la
recensio et la pratique de l’emendatio. En effet, dans la littérature critique il est rare de
rencontrer ce type de distinction, que l’on peut parfois inférer des comptes rendus
minutieux d’éditions – qui se font de plus en plus rares – mais qui revêt toutefois une
importance centrale dans l’évaluation des textes critiques individuels comme égale-
ment pour l’historiographie de l’ecdotique romane.

l’approche théorique, du conflit entre lachmanniens et bédiéristes, en parlant de « tregua » (1991a), de


   

l’« après-Bédier » (2005) et en prenant comme titre de sa conférence plénière au XXVIIe CILFR (Nancy,
   

15 juillet 2013), Lachmann et Bédier : la guerre est finie (à paraître dans les Actes).

Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 33

Leonardi (2011) a dédié une intervention récente aux problèmes inhérents à


l’application pratique de la méthode éditoriale : son étude suit une optique néolach-

mannienne et se concentre sur la critique du concept de manuscrit de base. Reprenant


la célèbre définition d’édition critique fournie par Contini, qui a parfois été mal
comprise, comme une « hypothèse de travail » fondée sur la scientificité de la mé-
   

thode adoptée, sur l’histoire de la transmission du texte et sur l’unicité du texte


critique, Leonardi constate que le progrès méthodologique amorcé par la dialectique
entre lachmannisme et bédiérisme a fourni seulement en peu de cas des solutions
pratiques adéquates au développement de la théorie ecdotique :  

« ormai la grande maggioranza delle edizioni di testi romanzi consiste nella trascrizione di uno

dei manoscritti latori dell’opera, variamente sottoposto a correzioni. L’adozione di un singolo


testimone come guida per il testo critico è comune sia all’edizione di tipo stemmatico, dove uno
stemma spesso insicuro di sé porta al massimo a individuare un manoscritto di riferimento ; sia a

quella fortunata deriva del verbo bédieriano che è l’edizione di un manoscritto sottoposto a
correzioni in nome di un criterio pragmatico di ‹ evidenza › dell’errore. In entrambi i casi si parla
   

di ‹ manoscritto-base › » (Leonardi 2011, 9).


     

Cette dernière pratique éditoriale, qui s’est surtout imposée dans l’édition des textes
en ancien français publiés en France, permet à y regarder de près un compromis
empirique entre restauration et conservation,32 qui s’aligne paradoxalement avec les
critères en usage pendant l’époque pré-scientifique, c’est-à-dire avant l’adoption par
la philologie romane de la méthode lachmannienne, quand on publiait le texte d’un
seul manuscrit corrigé et complété sur la base d’autres témoins (cf. Leonardi 2011, 12 ;  

2009, 279s.). Le problème central de la pratique du manuscrit de base est que le choix
de conserver, ou vice versa de corriger son texte, n’est pas dans la majorité des cas
déterminé par une évaluation globale de la tradition manuscrite et que cela risque de
fournir une image déformée de l’état du texte que l’on se propose de représenter.
Oscillant entre la vérité du témoin et la vérité de l’auteur sans un ancrage sûr dans la
diachronie de la tradition, le texte qui résulte de cette pratique finit en somme par
proposer une troisième vérité, celle de l’éditeur. En réalité, la polémique de Leonardi
se retourne principalement contre ces cas dans lesquels l’étendue du texte et la
complexité d’une tradition ample et réélaborée ont rendu partiale ou irrationnelle
l’utilisation de ces données au moment d’établir le texte critique. Ainsi, dans les
éditions de romans français en prose qui sont discutées (notamment Tristan en prose
et Mort Artu), le choix de préserver ou de corriger le manuscrit de base entre parfois
en contradiction flagrante avec les données fournies par la tradition, avec le résultat
que l’éditeur laisse dans le texte des leçons inacceptables ou, pire, qu’il introduit des
émendations ope ingenii inutiles. Dans la partie constructive de son article, Leonardi

32 Voir les observations sur le concept hautement problématique de « faute évidente » dans Duval
   

(2006b, 139–142), auquel renvoie explicitement Leonardi (2011, 12).


34 Francesco Carapezza

propose un modèle de texte critique – mis à point dans le cadre d’un projet d’édition
collective du vaste cycle romanesque en prose de Guiron le Courtois – qui n’aura pas
recours à un manuscrit de base mais qui a l’intention par contre de représenter, à
l’aide d’un stemma (en partie encore en voie d’être défini), l’état textuel plus ancien
au fur et à mesure accessible dans la diachronie de la tradition : il s’agit donc d’un

schéma opérationnel hyper-rationnel qui produit un texte remarquablement compo-


site et qui ne manquera sans doute pas de susciter des réactions dans la communauté
scientifique des éditeurs. En effet, la recherche de nouvelles solutions méthodologi-
ques pour l’édition de textes longs à tradition large et compliquée, qui ont ainsi
contribué de façon déterminante à la culture littéraire médiévale, constitue actuelle-
ment le côté le plus avancé de l’ecdotique galloromane.33
En général, l’on peut dire que la pratique conservatrice, qui est, comme l’expli-
quait Contini, une « hypothèse » autant que l’est celle de la reconstruction, expose
   

l’éditeur dans la majorité des cas au risque de préserver (et de présenter au lecteur)
des innovations banales ou de véritables erreurs de copiste. Au-delà des leçons
endommagées et des probables sauts du même au même non-corrigés dans les
éditions examinées par Leonardi, et au-delà des cas de « lezioni certamente erronee »
   

ou pour le moins discutables relevées par Beltrami (2010, 120–123), l’on peut encore
signaler ici le cas du Perlesvaus, important roman en prose française XIIIe siècle,  

publié par William A. Nitze, le maître de Roach, et par T. Atkinson Jenkins (1932–
1937), qui se décidèrent de reproduire fidèlement le texte du ms. O (Oxford, Bodleian
Library, Hatton 82) en tant qu’unique témoin complet d’une rédaction jugée la plus
ancienne.34 La suprématie accordée par les éditeurs au ms. O n’empêche évidemment
pas à son copiste de transmettre des malentendus et des erreurs, par example quand
Gauvain, qui réussit à pénétrer dans le château du Roi Pêcheur, retrouve un lit
réhaussé au milieu de la salle : « au chief de cele couche avoit un eschequier molt bel
   

et molt riche, et un orillier d’or tot plain de pierres precieuses, et estoient li point d’or
et de bone ovre » (ms. O = éd. Nitze/Jenkins 1932–1937, I, r. 2338). Évidemment, le

coussin d’or déposeé à la tête du lit et rempli de pierres précieuses est une invention
de l’ancêtre commun des mss. OC qui s’explique sur la base de la leçon transmise par
l’autre branche de la tradition : « al pié de cele couche avoit un eschekier molt bel(e)
   

et molt riche a un orle [c’est-à-dire : le bord de l’échiquier] d’or tot plain de pieres

precieuses, et estoient li point [c’est-à-dire : les carrés du jeu des échecs] d’or et

33 Outre les éditions récentes mentionnées par Giannini (2009b, 520s.), au cours de ces dernières
années ont été lancés des projets collectifs d’éditions critiques pour Guiron le Courtois, pour l’imposant
Ovide moralisé en vers et pour la Chanson d’Aspremont, projets dont l’état actuel a été présenté dans la
section « Philologie textuelle et éditoriale » du XXVIIe CILFR de Nancy, 15–20 juillet 2013 (à paraître
   

dans XXVII ACILPR). Une édition critique, en dehors des projets collectifs, de la troisième branche du
cycle de Guiron et d’une Continuation préservée dans un manuscrit unique est d’ailleurs annoncée pour
juin 2016 (éd. Bubenicek, à paraȋtre).
34 Je reprends ici Carapezza (2005, 615–619).
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 35

d’asur » (mss. P e Br). L’erreur avait été signalée, ensemble avec d’autres cas de leçons

inacceptables ou problématiques du ms. O, dans un compte-rendu de Roger S. Loo-  

mis, mais celle-ci persiste dans le texte d’une édition qui « depuis trois-quarts de

siècle […] a nourri les analyses critiques et suscité des traductions » (éd. Strubel 2007,

103).35
Sur les problèmes liés à la réception d’un texte critique conservateur qui s’est
imposé comme texte de référence (vulgata), l’on lira les réflections récentes de Gianni-
ni (2009a), qui examine l’édition bédiériste du Roman d’Eneas de Salverda de Grave
(1925–1929), produit d’un « retournement » méthodologique de l’éditeur néerlandais
   

qui avait fourni une édition lachmannienne du même roman en 1891. Après avoir  

discuté quelques leçons vraisemblablement endommagées du ms. A (Florence, Biblio-


teca Medicea Laurenziana, Pl. 41.44) ou du couple AB rejetées dans l’édition recon-
struite, mais conservées par contre dans l’édition bédiériste où A est promu au statut
de bon manuscrit, Giannini constate que le texte établi dans cette dernière édition est
devenu une sorte de « surface lisse » sur laquelle se basent, « comme s’il s’agissait de
     

l’autographe livré par l’auteur », beaucoup des études littéraires successifs, sans

prêter l’attention nécessaire à la « profondeur du texte, rendu précaire, flottant et par


endroits aléatoire par une tradition manuscrite fort problématique ». Un exemple  

révélateur est fourni par la variante minoritaire d’AB, rejetée par Salverda de Grave
dans les deux éditions, qui se trouve au début de la description de la Sibylle : « Ele    

seoit devant l’antree, / tote [espace avant et après la barre] chenue [tote nus piez AB],
eschevelee » (Eneas, vv. 2267–2268). Comme le fait remarquer Giannini, l’association

entre pieds nus et cheveux échevelés se rencontre dans d’autres textes français du
Moyen Âge (Roman de Thèbes, Floovant, Lai de Désiré), typiquement dans des référen-
ces à des demoiselles séductrices, mais l’implication herméneutique contenue dans la
variante d’AB n’a pas été développée par les érudits qui se sont occupés de l’évolution
du personnage de la Sibylle dans la littérature médiévale, simplement parce que cette
variante, peut-être originale, a été reléguée à l’apparat critique par l’éditeur.
Une limite intrinsèque des éditions de type conservateur, inspirées plus ou moins
explicitement par les principes bédiéristes, est donc celle de donner au lecteur le texte
d’un seul manuscrit (le bon manuscrit sélectionné et corrigé sur la base de critères
souvent discutables), qui représente un seul moment de l’histoire de la tradition et qui
trahit inévitablement en plusieurs points la volonté de l’auteur : la solution, suivie par

certains éditeurs, de publier des témoins différents du même ouvrage, est sans doute
utile du point de vue linguistique et notamment lexicographique, mais elle ne résout
cependant pas les problèmes liés à la réception et à l’exégèse du texte. À ce propos, il
faut dire qu’il reste deux conceptions de l’édition radicalement opposées : celle,  

35 L’édition vulgarisante de Strubel (2007) basée, selon le conseil bien-fondé de Nitze lui-même
(1932–1937, II, XI ), sur le ms. P (Paris, BnF, fr. 1428), n’a évidemment pas l’ambition de remplacer
l’édition américaine, mais constitue tout de même un complément utile.
36 Francesco Carapezza

représentée par exemple par Roques (2000), pour qui l’édition est surtout comprise
comme aide à la linguistique historique, et qui voit donc dans la pluralité d’éditions
du même ouvrage basées sur des manuscrits différents un résultat positif, et celle,
représentée par exemple par Leonardi (2011), qui comprend par contre l’édition en
fonction de son importance pour la philologie et l’histoire littéraire et qui retient par
là nécessaire l’unicité du texte, reconstruit de façon critique sur la base de toute la
tradition manuscrite. À l’intérieur de ce désaccord sur le rôle de l’édition s’insèrent les
observations critiques émanant d’éminents romanistes lexicologues et lexicographes
concernant la conception et la réalisation du glossaire (glossaristique) dans les
éditions de textes médiévaux galloromans, un « genre » qui se trouve au carrefour
   

entre linguistique et philologie.36


Si nous nous penchons maintenant sur le côté des éditions reconstruites ou
« orientate al testo », où le texte critique se base sur l’analyse de la tradition et où
   

l’éditeur est tenu à justifier ses choix textuels, l’on peut constater avec Vàrvaro (1987,
10s.) que face à l’effort intellectuel déployé dans les discussions portant sur la
recensio et sur la constitutio textus, qui occupent parfois une partie prédominante
de l’édition, il manque souvent une interprétation adéquate du texte, qui (et c’est
révélateur) ne sera ni traduit, ni accompagné par un commentaire herméneutique
détaillé. Tout dernièrement, Michel Zink (2012) a exprimé une critique motivée à
propos de la sophistication excessive de certaines éditions de l’école italienne, qui
risquent de repousser le public des lecteurs devant les produits d’une critique
textuelle hautement spécialisée, où les questions de méthode sont souvent traitées de
façon hypertrophique au détriment de l’explication du texte.37
Dans le champ des éditions reconstruites se pose évidemment aussi la question
du texte critique qui devient la vulgata. Dans le contexte troubadouresque, par
exemple, où se préparent des éditions de type lachmannien depuis l’époque fonda-
trice de la philologie provençale en Allemagne et selon une tradition qui s’est imposée
surtout en Italie, le chansonnier important de Bernart de Ventadorn se lit encore de
nos jours dans le texte établi par Carl Appel (1915) dans une édition reconnue pour
son excellence et que personne, jusqu’à nos jours, n’a osé refaire. L’édition d’Appel
adopte cependant des critères formels, comme celui de la normalisation graphique,
qui étaient légitimes dans la philologie de l’époque mais qui sont maintenant tombés
en désuétude (la nécessité de s’attacher à la graphie d’un manuscrit de base domine
aujourd’hui) ; au niveau textuel, en outre, la tradition manuscrite est conçue comme

un ensemble de témoignages parmi lesquels l’éditeur est censé distinguer la dictée la

36 Pour une mise au point de la question, voir Chambon (2006) ; ↗15 L’art du glossaire d’édition.
   

37 Un autre sujet de réflexion fourni par Zink (2012, 185) est que « le triomphe de la méthode

italienne » au tournant du nouveau millénaire se montre « par abandon des autres ». Il s’agit d’un cri
     

d’alarme à ne pas sous-estimer : est-ce que la diaspora toujours grandissante des romanistes italiens

dans des universités à l’étranger sera capable de réanimer à long terme la philologie textuelle, même
en dehors de l’Italie ?

Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 37

plus proche de la volonté de l’auteur, selon le procédé de reductio ad unum du modèle


lachmannien, tandis que l’on ne tient pas compte des aspects historiques et évolutifs
de la tradition, qui pourraient remettre en cause certains choix de l’éditeur ou même
pousser à représenter de rédactions distinctes pour certaines chansons.38 De ce point
de vue, l’édition exemplaire d’Appel, qui constitue, soit dit en passant, un chapitre
important de la recherche sur la langue et la métrique des troubadours, paraît
aujourd’hui peu satisfaisante, même si les érudits se basent sur ce texte critique
depuis un siècle.
Dans l’application pratique de la méthode de la reconstruction, un rôle de
première importance est nécessairement joué par la capacité critique et herméneu-
tique et par la compétence linguistique et littéraire de l’éditeur, aussi bien dans la
phase préliminaire de la recensio que dans celle du processus de l’établissement du
texte, de sorte qu’il est inévitable de constater que deux éditions du même ouvrage
inspirées par les mêmes principes ecdotiques, et à la limite basées sur le même
stemma, ne produiront jamais le même texte critique. Le cas de deux éditions du
troubadour Rigaut de Berbezilh, préparées indépendamment par Mauro Braccini et
par Alberto Vàrvaro, et parues toutes les deux en 1960, est instructif à cet égard.
Partant des mêmes présupposés théoriques, et ayant établi tous les deux comme
manuscrit de base formel le couple de mss. IK par leur « primato statistico nella

tradizione di Rigaut » (ed. Braccini 1960, 11), les deux éditeurs arrivent dans plusieurs

cas à établir un texte remarquablement différent aussi bien au niveau de la série


strophique qu’à celui de la substance textuelle. De telles différences sont fois par fois
liées aux différents niveaux d’analyse préconisés par la méthode : de la définition  

variable des rapports entre les témoins d’une chanson et l’éventuelle possibilité de
remonter à des stades textuels antérieurs aux familles identifiées (Braccini se montre
en général plus sûr dans la démonstration d’un archétype, qu’il a tendance à recon-
struire, là où Vàrvaro se limite plus prudemment à présenter le texte de la famille IK),
jusqu’à la sélection de variantes neutres sur la base d’arguments non-stemmatiques
mais stylistiques ou qui obéissent à une logique de cohérence interne.39

38 Une « représentation efficace et novatrice des états rédactionnels en présence » (Giannini 2009b,
   

522 n. 17) est offerte dans l’édition de Folquet de Marseille due à Squillacioti (1999) et longuement
discutée par Zinelli (2003), qui en souligne l’importance au niveau théorique. Des présupposés
théoriques similaires à ceux mis en œuvre par Squillacioti sont visibles maintenant dans les critères
proposés pour une nouvelle édition de la Chanson d’Aspremont, qui vise la « restitution critique des

subarchétypes des trois versions » et qui est donc « orientée vers la tradition » : cf. Palumbo/Rinoldi
       

(2014). Sur la physionomie de la tradition manuscrite de Bernart de Ventadorn, voir en dernier lieu
Meliga (2003).
39 Les résultats ecdotiques des deux savants furent en partie revus et implémentés par Avalle (1961).
Pour un catalogue détaillé des difformités textuelles qui se rencontrent dans les deux éditions, je me
permets de renvoyer aux fichiers des poésies de Rigaut de Berbezilh préparées en 2004 pour le
Repertorio informatizzato dell’antica letteratura trobadorica e occitana (Rialto) et consultables à partir
38 Francesco Carapezza

Un cas particulier qui permet d’évaluer pleinement dans quelle mesure un texte
critique reconstruit est hypothétique ou susceptible d’être perfectionné est fourni
maintenant par l’« edizione e commento ecdotico » par Roberto Crespo du premier
   

épisode du Couronnement de Louis, soit donc des premières trente laisses de la


chanson de geste datable au XIIe siècle et transmise par neuf manuscrits classifiés

jadis par Ernest Langlois, qui était arrivé à dresser un stemma triparti.40 L’éditeur le
plus récent dépend, pour la reconstruction textuelle, du stemma de Langlois mais,
comme il nous avertit dans l’introduction, « il testo da me costituito non sempre

coincide, nella sostanza, col testo costituito, utilizzando lo stesso stemma a tre rami,
da Langlois » (éd. Crespo 2012, 13).

Parcourant les commentaires ecdotiques très raffinés sur les sept laisses qui sont
présentes dans toutes les trois branches (I–IV, VII–VIII, XI), l’on se rend compte en fait
que le texte de Crespo s’éloigne de celui de Langlois dans une quinzaine de cas, où, à
dire vrai, la nouvelle hypothèse de reconstruction ne change pas grand’chose au sens
du texte.41 Il s’agit pour la plupart de cas dans lesquels il est impossible d’appliquer le
principe de la majorité, tandis que dans au moins deux cas Crespo s’éloigne de Langlois
parce qu’il estime que la leçon qui coïncide dans deux des trois branches du stemma
résulte de la polygenèse (vv. 2–3 et 122). L’on peut se demander si pareil « rifacimento »,
   

en plus partiel, de l’édition qui fait autorité de Langlois, constitue un progrès réel pour
la compréhension du texte du Couronnement. En réalité, l’édition de Crespo, malgré
l’understatement avec lequel il opte pour la reconstruction après avoir passé en revue
les éditions conservatrices de la geste,42 semble constituer à y regarder de près un
exercice ecdotique militant, sur un texte délibérément court, avec comme but celui de
réaffirmer la centralité du stemma dans le processus de constitution du texte critique,
et en même temps l’autonomie scientifique de la critique textuelle, comprise comme un
exercice d’approximation progressive et hypothétique du texte original. Si, comme
l’impliquait la fin du paragraphe précédent, l’on peut croire que le conflit entre
Lachmann et Bédier est apaisé sur le plan théorique, sur le champ de la pratique
éditoriale les deux positions semblent encore destinées à s’affronter.43

du site http://www.rialto.unina.it/RicBarb/premessa(Carapezza).htm. Sur ce projet, on peut voir la


contribution de Di Girolamo/Scarpati, ↗7 Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux.

40 A1A2A3A4-B1B2 (= x)/CC2 (= C*)/D : cf. éd. Langlois (1888, CXXVII – CXXVIII ; éd. Langlois 1925, XV ) . Le
   

travail de Langlois représente, ensemble avec le Roman de Troie monumental de Léopold Constans
(1904–1912) et le Roman de la Rose, encore de Langlois (1914–1924), une des plus importantes éditions
lachmanniennes produites en France avant l’arrivée du bédiérisme éditorial.
41 Voir en particulier les commentaires aux vv. 2–3, 4, 5, 29, 70, 79, 81, 83, 85, 86, 97, 100, 110, 122,
146.
42 « I principi cui per la costituzione del testo Langlois si ispirò sono oggi desueti […] Per parte mia,

credo che i principi cui Langlois si ispirò per la costituzione del testo siano ancor oggi validi » (éd.

Crespo 2012, 10–12).


43 Sur le débat Lachmann-Bédier, au-delà des articles dans le présent volume l’on consultera la mise
à point par Cesare Segre sous forme de conférence plénière au XXVIIe Congrès International de
Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane 39

De ce passage en revue, très sélectif et partiel, sur les rapports et sur les implica-
tions réciproques entre les aspects théoriques et pratiques de l’ecdotique galloro-
mane, l’on peut déduire qu’un élément de base caractéristique de la discipline a
toujours été la recherche expérimentale de solutions adéquates aux problèmes posés
par la variabilité constitutive et parfois extrême des textes littéraires en langue
romane, pour répondre à l’exigence de fournir un texte fiable et compréhensible au
lecteur moderne. En particulier, l’on peut déjà voir comment les recherches menées
ces dernières vingt années sur les aspects matériaux (typologie du codex et des
copistes), linguistiques (études graphématiques et scriptologiques), historiques et
géographiques (patronage, contextes ou ateliers de copistes) de traditions manuscri-
tes spécifiques ont contribué et continuent de contribuer à la mise au point de critères
éditoriaux assez différents par rapports à ceux du passé. L’ecdotique romane, qui a
mûri à travers des époques historiques différentes, en suivant des paradigmes cultu-
rels et des écoles nationales différents, est encore en pleine évolution.

4 Bibliographie
4.1 Éditions

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Bédier, Joseph (ed.) (1890), Le Lai de l’Ombre, Fribourg, Imprimerie et librairie de l’œuvre de Saint-
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Bédier, Joseph (ed.) (1902–1905), Thomas, Le roman de Tristan, 2 vol., Paris, Firmin-Didot (SATF).
Bédier, Joseph (ed.) (1913), Le Lai de l’Ombre par Jean Renart, Paris, Firmin-Didot (SATF).
Bédier, Joseph (ed.) (1921), La Chanson de Roland, publié d’après le ms. d’Oxford et traduite par
Joseph Bédier, Paris, Piazza.
Bédier, Joseph/Aubry, Pierre (edd.) (1909), Les chansons de croisade avec leurs mélodies, Paris,
Champion.
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Berlin/New York, De Gruyter (BZRPh).


Constans, Léopold (ed.) (1904–1912), Le Roman de Troie par Benoit de Sainte-Maure, publié d’après
tous les manuscrits connus, 6 vol., Paris, Didot (SATF).
Crespo, Roberto (ed.) (2012), Il primo episodio del « Couronnement de Louis », Modena, Mucchi.
   

Langlois, Ernest (ed.) (1888), Le Couronnement de Louis, publié d’après tous les manuscrits connus,
Paris, Didot (SATF).
Langlois, Ernest (ed.) (1914–1924), Le Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jean de Meun,
publié d’après les manuscrits, 5 vol., Paris, Didot (SATF).
Langlois, Ernest (ed.) (1925), Le Couronnement de Louis, chanson de geste du XIIe siècle, Paris,

Champion (CFMA).

Linguistique et de Philologie Romanes de Nancy (2013) ; les actes sont sous presse (publication de la

Société de Linguistique Romane). Voir la n. 31, supra.



40 Francesco Carapezza

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vol. III/2 : Glossary of the First Continuation (1955), vol. IV : The Second Continuation (1971),
       

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4.2 Études, manuels et comptes rendus

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tradizione manoscritta di Rigaut de Berbezilh, in : La letteratura medievale in lingua d’oc nella
   

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Lino Leonardi et Richard Trachsler
2 L’édition critique des romans en prose :  

le cas de Guiron le Courtois


Abstract : Les romans arthuriens en prose, affectés par une mouvance très poussée,
   

ont été édités de façon plutôt homogène : l’éditeur édite d’abord un manuscrit de base

témoin d’une version vulgate, et ensuite les rédactions divergentes dans des volumes
à part. Le « manuscrit de base » n’est corrigé que dans les cas d’« erreur évidente »,
       

car face à la fluctuation des textes, un stemma serait impossible à établir. Guiron le
Courtois, dernier roman arthurien en prose à rester inédit, avec ses innombrables
« versions », conforte en l’apparence la conviction bien ancrée dans la communauté
   

scientifique que la tradition textuelle des ces romans est impossible à maîtriser. Grâce
aux travaux d’une équipe de jeunes chercheurs, on propose ici une approche qui
rompt avec cette idée reçue. On démontre, d’abord, qu’un classement des manuscrits
est bien possible et que, ensuite, le manuscrit qui avait jusqu’alors été pressenti
comme base est contaminé. À l’aide du stemma, on peut établir le texte critique : on  

choisit un manuscrit à suivre pour la surface linguistique de chaque branche du cycle,


mais on rejette toute variante isolée ou minoritaire. Le texte sera donc le résultat d’une
reconstruction et l’apparat offrira le moyen de suivre les innovations au fil de la
transmission du texte.

Keywords : stemmatologie, édition critique, roman en prose, ecdotique, Guiron le


   

Courtois

1 Pratique ecdotique des romans en prose1


Contrairement au roman arthurien en vers, affecté d’une éclipse notable pendant l’âge
classique et durant les Lumières, son cousin en prose a rencontré un certain succès
grâce aux imprimés qui, depuis la fin du XV e siècle, l’ont sauvé pour les siècles à venir.

Toutefois, les textes ne faisaient pas vraiment l’objet d’une attention philologique
soutenue. On les lisait, on en parlait, mais on ne comparait pas entre elles les
différentes versions contenues dans les manuscrits et éditions imprimées. C’est pour
cela qu’on ne surestimera jamais l’apport de Paulin Paris, qui, dans le sillage des
poètes romantiques, se mit réellement à lire les manuscrits des romans de la Table
Ronde conservés à la Bibliothèque Impériale où il travaillait, laissant sans complexe à

1 Nous remercions Claudio Lagomarsini et Nicola Morato, à qui ces pages doivent beaucoup. Dans le
cadre d’une conception et d’un travail de réflexion communs, les §§ 1–2 ont été rédigés par Richard

Trachsler, les §§ 3–5 par Lino Leonardi, qui remercie Anna Constantinidis pour la version française de

ses pages.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  45

l’encre noire ses annotations dans les marges des documents pour renvoyer aux
feuillets d’autres manuscrits qui contenaient la même chose, des versions divergen-
tes ou, simplement, d’autres noms propres. Ses catalogues et, surtout, son célèbre
ouvrage Les Romans de la Table Ronde, témoignent de l’attention soutenue de
l’érudit, doublée de celle du poète romantique, à la « bonne » version du texte, c’est-
   

à-dire à la version la plus authentique et cohérente.2


La génération de Paulin Paris ne se donnait pas pour tâche d’établir un texte
critique, ni, d’ailleurs, d’établir une édition tout court. Sa génération faisait connaître
aux héritiers, par des résumés et traductions, les débuts de la littérature romanesque
en français avec l’ambition notable, tout de même, de ne pas mettre à la disposition
du public contemporain un récit par trop incohérent. En effet, l’estime dont jouis-
saient les romans arthuriens n’était alors pas excellente : trop longs, mal écrits,

surtout mal composés, leurs lecteurs voyaient là ce qu’au fond ils étaient : les  

premières expérimentations à très grande échelle en langue vernaculaire avec une


forme narrative longue. Un balbutiement, en somme.
Ce n’est donc pas un hasard si les premières éditions ou transcriptions des romans
arthuriens en prose sont nées comme des appendices à des projets portant sur autre
chose : les philologues s’occupant de littérature voisine, hollandaise et anglaise

notamment, tenaient là leurs sources.3 En raison d’une erreur de perspective qui


empêchait la génération de Paulin Paris de concevoir que la prose puisse venir
après le vers, ces romans étaient considérés comme la forme la plus ancienne de la
littérature arthurienne et bénéficiaient par conséquent de toute l’attention à laquelle
pouvaient prétendre des textes qui, les premiers, évoquaient des sujets aussi fasci-
nants que Merlin, le Graal et la Table Ronde. Lorsque la génération des « fils », Gaston    

Paris et Paul Meyer, allait inverser les rapports chronologiques entre les romans en
prose et ceux en octosyllabes, elle allait du même coup, dans un contexte académique
très attaché à la recherche des origines et des sources, fixer de nouvelles priorités, où
les romans de Chrétien de Troyes allaient occuper le devant de la scène au détriment
des grands ensembles en prose. Leur édition n’était plus une urgence de premier
ordre.
Ce que les contemporains de Paulin Paris avaient bien compris, par contre, était
que le « Cycle » du Lancelot-Graal, sur lequel se concentrait alors l’essentiel des
   

efforts, bien avant le Tristan, les Prophéties de Merlin et le Guiron, était une œuvre
due à plusieurs auteurs, et que les textes avaient été mis ensemble, à une époque
ultérieure, par des assembleurs (Paris 1868–1877, I, 90). Leurs successeurs, y compris

2 Paris (1868–1877). Je n’ai pas réussi à déterminer tous les manuscrits mis à contribution. Pour la
première partie, il a certainement eu recours aux fr. 747 et 749 (parfois il écrit, je crois par erreur,
« 759 ») et le fr. 2455, pour le Lancelot, il a dû utiliser, au moins en partie, le fr. 768 (olim 7185), dont il
   

donne des variantes. À propos des sources, voir aussi Lot (1918, 2, note 4). 

3 Jonckbloet (1846–1849 ; 1850) ; Furnivall (1861–1863). L’entreprise précoce en trois volumes de


   

Hucher (1875–1878), souvent très critiquée, mérite une mention à part.


46 Lino Leonardi et Richard Trachsler

à l’époque moderne, n’ont pas toujours voulu en tirer toutes les conséquences quand
il s’agissait d’établir l’édition de ces œuvres.
En raison de la longueur de ces romans, du nombre élevé des manuscrits conser-
vés et de la complexité de la tradition textuelle, il s’est assez rapidement imposé un
concept qui occulte d’emblée cette genèse du cycle en plusieurs strates, pour se placer
tout entier du côté de la réception : c’est la notion de version vulgate qui a servi

d’étalon aux éditeurs des textes arthuriens en prose. Ce concept, qui vise à rendre
accessible la version la plus diffusée, et donc – glissement subtil – la plus importante,
a certainement sa légitimité au sein de l’histoire de la littérature puisqu’il permet de
donner à lire une œuvre donnée sous une forme représentative, à un moment précis
de l’histoire de sa tradition, en général quand elle atteint son apogée. Toujours du
point de vue de l’historien de la littérature, le concept de vulgate a comme corollaire
celui de version, ou rédaction, alternative, qui sera, selon les cas, « longue »,    

« courte », « cyclique », « non cyclique », ou simplement « divergente », mais, surtout,


               

moins diffusée, plus marginale, souvent plus tardive, et donc moins importante que
la version vulgate.
C’est Heinrich Oskar Sommer, un savant scandinave installé à Londres, qui le
premier a donné corps à ce concept de vulgate lorsqu’il produisit une édition semi-
diplomatique du manuscrit Additional 10292–94 de la British Library contenant une
copie complète et lisible du cycle du Lancelot-Graal, rendant ainsi d’inestimables
services à des générations de chercheurs.4 Dans le domaine de l’édition des textes, le
besoin des historiens de la littérature de pouvoir lire le texte dans un livre moderne, et
non pas dans un imprimé du XVe siècle ou un manuscrit médiéval, se faisait nette-
ment sentir. Or, pour répondre à cette attente, il fallait aussi être efficace. Dès l’édition
de Sommer, l’éditeur d’un roman arthurien en prose revendique un certain pragma-
tisme : puisque les manuscrits sont nombreux, qu’ils sont conservés dans toutes les

bibliothèques du monde, que les textes qu’ils contiennent sont longs et qu’ils se
répartissent en plusieurs rédactions, impossibles à démêler en temps utile, il faut faire
des choix qui ne pourront s’appuyer sur la parfaite connaissance de la tradition
textuelle, mais qui seront guidés par ce qu’il est humainement possible de réaliser.
Ces contraintes matérielles expliquent donc l’essor de la notion de vulgate, un
textus receptus bien attesté, voire dominant, au détriment de tout ce qui est divergent.
Un deuxième aspect est étroitement lié à cette idée : cette version vulgate sera

toujours un texte intelligible et cohérent pour un lecteur moderne, un état textuel


auquel on ne touche plus. La version vulgate est le « bon récit » et correspond, au
   

niveau de l’œuvre, à ce qu’est, au niveau du texte, le « bon manuscrit » de Joseph


   

Bédier. Il est en effet permis de penser que la pratique de l’édition de versions

4 Sommer (1908–1916). La leçon de l’Additional 10292–94 a été contrôlée et, le cas échéant, corrigée à
l’aide de deux autres manuscrits de la même bibliothèque : London, BL, Royal 14 E. III et London, BL,

Royal 19 C. XII.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  47

vulgates, malgré son indéniable réalisme, ne se serait pas aussi durablement imposée
sans l’enseignement, alors tout récent et révolutionnaire, de l’éditeur du Lai de
l’ombre. Avec Joseph Bédier, qui recommandait le respect d’un « bon manuscrit » et    

évoquait le risque de la production de « monstres » pouvant résulter du « mélange »


       

de sources différentes, l’urgence légitime et toute pragmatique de disposer rapide-


ment d’éditions permettant l’examen des textes avait trouvé une sorte de caution
théorique : donner à lire un « bon récit » transmis par un « bon manuscrit » n’était
         

plus simplement un pis-aller, ce qui pouvait se faire avec les moyens à disposition,
mais devenait la meilleure façon, parfois même la seule considérée comme légitime,
d’éditer un roman arthurien en prose.
En tout cas, on peut constater que la tradition éditoriale récente des romans de la
Table Ronde en prose se caractérise par la mise à disposition d’une version vulgate
d’après un « bon manuscrit », c’est-à-dire un témoin réputé plutôt ancien, « cohé-
     

rent » au niveau narratif et « correct » au niveau de la langue, puis la publication de


     

versions, ou rédactions, « divergentes », d’après les témoins sélectionnés selon les


   

mêmes critères. Même si, en raison de la longueur des textes, il arrive qu’un éditeur
ait été amené, parfois pour des raisons matérielles, à changer de manuscrit de base en
cours de route, cette façon de concevoir les éditions des grands ensembles en prose a
sans doute été la seule apte à éviter l’enlisement dès le départ, ce qui explique son
succès :5 pour le cycle du Lancelot-Graal, l’édition jadis procurée par Sommer a été

doublée, à presque un siècle de distance, par celle initiée par Daniel Poirion pour la
collection de la Pléiade. Basée sur le manuscrit de Bonn copié en 1286 par un scribe
picard, elle suit exactement le même principe efficace et pragmatique consistant à
prendre pour base un « bon manuscrit » relativement ancien et à le contrôler à l’aide
   

de quelques témoins proches (Poirion 2001–2009). La même chose a été faite pour le
« Petit Cycle », celui de Robert de Boron, édité dans sa totalité d’après le manuscrit de
   

Modène (Cerquiglini 1981).


Quand le « bon récit » vulgate est concurrencé par des versions alternatives, on
   

leur consacre une édition à part, établie selon les mêmes critères. Au fil des décennies,
toute une série de versions divergentes du Lancelot a été rendue accessible dans des
éditions modernes.6 Pour le Tristan en prose, on dispose également des deux versions
principales, lisibles dans deux éditions collectives établies selon les mêmes règles de
l’art.7 Cette constance remarquable d’une pratique éditoriale dans un champ disci-

5 Voir, par exemple, l’édition de Micha (1978–1983) du Lancelot ou celle de Ponceau (1997) de l’Estoire
del Graal. Cf. Leonardi (2011a).
6 Kennedy (1980) et Micha (1978–1983). En dernier lieu, Annie Combes a édité une interpolation qui se
situe au niveau de la Charrette (Combes 2009).
7 Le début du roman est, à quelques exceptions près, toujours le même, il se lit dans l’édition Curtis
(1985). C’est ensuite seulement que la tradition se scinde en deux versions principales : la Vulgate

(V. II) et une autre (V.I) appelée, parfois, par la critique ancienne « non cyclique ». Pour V. II, voir
   

Ménard (1987–1997). Pour V. I., voir Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr. 757 de la
48 Lino Leonardi et Richard Trachsler

plinaire, qui n’a par ailleurs pas été sans se renouveler depuis les temps de Sommer,
peut surprendre. Le fait est que, soucieux de dépasser l’approche purement pragma-
tique qui caractérisait Sommer, on a certes réussi à dégager les différentes versions –
cycliques ou non, avec Charrette interpolée ou non –, mais on a buté sur la prose
arthurienne qui semblait, mieux que d’autres genres littéraires du Moyen Âge, illus-
trer les notions de mouvance et de variance.8
Alexandre Micha, qui a passé une bonne partie de sa vie à étudier les manuscrits
du Lancelot-Graal, formule, au moment de publier le premier volume de son œuvre
ponctuant deux décennies de travail préparatoire, le sentiment général :  

« Il est impossible d’établir un stemma solide et immuable d’un bout à l’autre. Si l’on pousse le

scrupule jusqu’à relever sur un fragment d’une vingtaine de pages les variantes de tous les
manuscrits (nous nous sommes livrés à ce jeu aussi fastidieux qu’exténuant), on constate qu’une
infinité de groupements de détail est possible et que cette matière mouvante se fait et se défait
sans cesse ».9  

À la surface, ces textes semblaient bouger, affectés d’une « incessante vibration » et


   

d’une « instabilité fondamentale »10 qui paraissaient rendre vain tout effort pour
   

déterminer les étapes et les trajectoires de ces réécritures qui mènent d’une copie à
l’autre.
Si l’on a assez bien réussi à classer les récits, on a eu beaucoup moins de succès
avec les textes. Ou, plus précisément, on parvient aisément, en général, à reconnaître
des groupements parmi les témoins, mais plus difficilement à établir les rapports
entre les différents groupes. On voit bien que tel manuscrit et tel autre sont proches,
mais quand il s’agit d’expliquer les rapports entre les différents groupes, le sol se
dérobe sous les pieds de l’éditeur à qui s’offre une surabondance d’hypothèses.
Incapable d’expliquer les parties hautes du stemma codicum de façon satisfaisante, il
reste privé du seul outil scientifique qui pourrait lui permettre de dépasser le « bon  

manuscrit ».  

L’une des rares à s’être aventurée à représenter graphiquement et jusque dans les
détails les rapports entre les manuscrits est Renée L. Curtis, qui a proposé, pour le
début du Tristan en prose, le stemma suivant (« The Manuscript Tradition », Curtis
   

1985, I, 91) :  

Bibliothèque nationale de Paris), t. I : Blanchard/Quéreuil (1997) – t. II : Laborderie/Delcourt (1999) –


   

t. III : Ponceau (2000) – t. IV : Léonard/Mora (2003) – t. V : Ferlampin-Acher (2007).


       

8 Sur ce point et ses limites, voir Trachsler (2005).


9 Micha (1978–1983, I, XIII). Kennedy (1980, II, 37) parle aussi de « constant shifting in the relationship

between MSS ».  

10 La notion de mouvance a été problématisée par Zumthor (1972, 507). Voici la définition in extenso :  

« Le caractère de l’œuvre qui, comme telle, avant l’âge du livre, ressort d’une quasi-abstraction, les

textes concrets qui la réalisent présentant, par le jeu des variantes et remaniements, comme une
incessante vibration et une instabilité fondamentale ».  
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  49

Figure 1 : Stemma de Curtis (1985)


Ce stemma, où les pointillés indiquent la contamination, ne cache pas les difficultés


que peut présenter une tradition textuelle complexe. Il a été discuté sans ménagement
par Philippe Ménard lorsqu’il est revenu lui-même sur la tradition du Tristan dans
l’introduction du premier volume de son édition de V. II. Non seulement il contesta la
validité de ce stemma, mais il déclara de fait que « dresser un stemma nous semble

une entreprise parfaitement arbitraire » (Ménard 1987–1997, I, 25), arguant notam-


ment de la rareté, dans la tradition textuelle, de fautes communes avérées, qui seules
peuvent garantir les relations de parenté que stipule l’arbre généalogique.11
À vrai dire, les éditeurs de romans en prose arthuriens, d’Albert Pauphilet à Jean-
Paul Ponceau, en passant par Alexandre Micha lui-même, ont proposé des stemmas
en s’aidant, certes, en grande partie des récits et non simplement des textes. Ces
stemmas sont néanmoins parfaitement à même de rendre compte, jusqu’à un certain

11 Ménard (2009, 137) a fait le même constat à propos de la tradition manuscrite du Devisement du
Monde de Marco Polo, en réponse au compte rendu de son édition par Giuseppe Mascherpa (2009).
50 Lino Leonardi et Richard Trachsler

point, d’une tradition textuelle. Ce qu’il est plus intéressant de relever, à ce propos,
c’est que le seul éditeur d’un roman arthurien en prose à se servir de son stemma pour
réellement aller à l’encontre de son manuscrit de base dans l’intention de reconstituer
un état textuel plus authentique a été Jean Frappier, travaillant à son édition de la
Mort Artu dans les années 1930.12 C’est comme si s’était installée, depuis, la conviction
que la tradition textuelle des romans arthuriens en prose était, dans ses origines,
impossible à maîtriser, et que chaque nouvelle édition, chaque nouvelle étude d’une
tradition textuelle consolidait cette conviction, alors même que, en dehors de la
France, des travaux portant eux aussi sur des romans arthuriens en prose, mais sur
des parties moins étendues, donnaient des résultats encourageants.13
Sans doute la communauté scientifique ne se serait-elle pas résignée aussi sim-
plement à renoncer à pousser l’enquête jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au stemma
opérationnel, s’il n’y avait eu, parallèlement, la montée de l’enseignement de Bédier.
En l’occurrence, pour l’éditeur d’un roman arthurien en prose, la leçon de Bédier
signifiait que tout le travail qu’il serait amené à fournir sur la tradition textuelle, non
seulement ne servirait à rien, mais serait même nuisible.
Il n’est donc pas étonnant que ce consensus général ait favorisé, pour la
sélection du manuscrit de base, l’émergence d’une certaine pratique et, avec elle, de
critères qui se perpétuent d’une édition à l’autre : une collatio en général bien faite

mais limitée aux faits d’ordre macro-narratif sert à distinguer les différentes rédac-
tions et à détecter un manuscrit cohérent du point de vue narratif, correct pour ce
qui est de la langue, de préférence complet, de manière à ne pas avoir à changer de
guide, et proche, d’un point de vue chronologique et géographique, du lieu de
naissance supposé du texte. Les « manuscrits de contrôle », ceux qui servent à
   

éventuellement corriger le « manuscrit de base » en cas « d’erreur manifeste », sont


       

toujours les manuscrits les plus proches du « manuscrit de base », car l’émendation
   

doit se faire de façon chirurgicale, afin d’éviter de « réécrire le texte ». Cette façon de
   

procéder, frappée en apparence au coin du bon sens, élude l’axiome sur lequel elle
repose : la tradition textuelle des romans arthuriens en prose est impossible à

maîtriser.14

12 Voir, à ce propos, Leonardi (2003) et, dans une perspective toute différente, Plouzeau (1994).
13 Voir, par exemple, le classement proposé par Limentani (1962) ou celui de O’Gorman (1995), ce
dernier ayant été aidé par la présence d’un modèle en vers, dont dérive la version en prose, ce qui lui a
permis de hiérarchiser le classement.
14 Voir ici, de nouveau, Leonardi (2011a).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  51

2 Le cas du Guiron le Courtois


Guiron le Courtois condense et amplifie toutes les caractéristiques des romans arthu-
riens en prose que la critique a dégagées depuis que l’on a commencé à s’occuper de
ces textes. C’est un véritable cas d’école, dont la mouvance, encore plus caractérisée
que pour tout autre roman, affiche d’emblée l’évidence à laquelle tous les travaux
critiques étaient parvenus : la compréhension de la tradition textuelle des romans

arthuriens en prose n’est pas possible. Il n’est donc pas étonnant que l’étude de la
tradition manuscrite du Guiron ait été abordée en partant des prémisses élaborées
depuis un siècle à l’aide du Lancelot-Graal et du Tristan en prose.
Guiron le Courtois est le nom donné à un texte qui se retrouve, sous une forme ou
une autre, dans trente-huit manuscrits et fragments, dont voici la liste :15  

112 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 112 (France, XVe siècle)
338 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 338 (France, fin XIVe–début XVe siècle)
340 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 340 (France [Paris ?], premier quart XVe siècle)

350 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 350 (Arras et Italie, fin XIIIe et début XIVe siècle)
355 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 355 (France, XVe siècle)
356–357 et 357* Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 356–357 (Paris, milieu du XVe siècle)
358–363 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 358–363 (Flandres, dernier quart XVe siècle)
12599 Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 12599 (Toscane, vers 1270 ou fin XIIIe siècle)
5243 Paris, Bibliothèque nationale de France, nouv. acq. fr. 5243 (Milan, 2e moitié XIVe siècle)
A1 Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3325 (Italie du Nord [Gênes ?], 2e moitié XIIIe siècle)

A2 et A2* Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3477–3478 (France ou Savoie, début XVe siècle)
An Paris, Archives nationales, Fonds privés, AB XIX 1733 [fragment] (France, XIVe siècle)
Be Berlin, Staatsbibliothek, Preussischer Kulturbesitz, Hamilton 581 (Flandres, troisième quart
XVe siècle)
Bo1 Bologna, Archivio di Stato, Raccolta mss., busta 1 bis, n. 11, 12, 13 [fragment] (Toscane/

Ligurie, fin XIIIe siècle)


Bo2 Bologna, Archivio di Stato, Raccolta mss., busta 1 bis [fragment] (France ou Italie du Nord,
XIVe siècle)
Bo3 Bologna, Archivio di Stato, Raccolta mss., Notarile 6-4-5, Teggia 1613–20 [fragment] (Italie
du Nord, XIVe siècle)
C Cologny-Genève, Fondation Martin Bodmer, 96 [C1 indique la rédaction particulière pour Lath.
79–90] (France, début XVe siècle)
Fa Fabriano, Biblioteca Comunale, n. B. 375 [fragment] (Italie du Nord, XIVe siècle)
Fe Ferrell 5 (collection privée, prêté à la Parker Library, Corpus Christi College, Cambridge) (Italie
du Nord, première moitié XVe siècle)
Fi Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Ash. 123 (Italie occidentale, fin XIIIe siècle)
L1 London, British Library, Add. 12228 (Italie, milieu du XIVe siècle)
L2 London, British Library, Add. 23930 (Italie, XIVe siècle)
L3 London, British Library, Add. 36673 (France, XVe–XVIe siècle)
L4 London, British Library, Add. 36880 (Italie [?], XIVe siècle)

15 Les sigles sont, en gros, ceux de Lathuillère (1966), complétés et homogénéisés par Nicola Morato
(2010).
52 Lino Leonardi et Richard Trachsler

Mar Marseille, Bibliothèque municipale, 1106 (Ca. 3-R. 396) (France, dernier quart du XIVe siècle)
Mn Mantova, Archivio di Stato [fragment]
Mod1 Modena, Archivio di Stato [fragments sans cote] (Italie du Nord, XIVe siècle)
Mod2 Modena, Biblioteca Estense, W.3.13 (France, début XVe siècle)
Mod3 Modena, Biblioteca Estense, R.4.4 [trois épîtres en vers] (Italie du Nord, 2e moitié XIIIe siècle)
N New York, Pierpont Morgan Library, M 916 (France, 1440–1460)
O Oxford, Bodleian Library, Douce 383 [fragment] (Flandres, fin XVe siècle)
Par Parma, Archivio di Stato [fragment] (France, XVe siecle)
Pi Pistoia, Archivio Capitolare, C 57 et C 128 [fragment] (France du Nord, fin XIIIe siècle)
Pr Privas, Archives départementales de l’Ardèche, n. 1 (F.7) (France, fin XIII–début XIVe siècle)
Q Collection privée (ex Librairie antiquaire Bernard Quaritch Ltd., London) [fragment]
T Torino, Biblioteca Nazionale e Universitaria, 1622 (France, XVe siècle)
V1 Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, fr. IX (Italie occidentale, fin XIIIe siècle)
V2 Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, fr. XV (Italie, milieu du XIVe siècle)
Vat Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. Lat. 1501 (Toscane/Ligurie, fin
XIIIe siècle)
X Collection privée (ex Alexandrine de Rothschild) [localisation actuelle inconnue] (Padoue [?],
milieu du XIVe siècle)

Cette liste cache, en même temps qu’elle la révèle, toute la difficulté que concentre en
lui le Guiron. Ces manuscrits contiennent certes des bouts de textes qui se rattachent à
la galaxie guironienne, mais dans des configurations très variées. Certains témoins
racontent plus d’aventures que d’autres, d’autres les disposent différemment, d’autres
encore remanient ce qui se lit ailleurs. Dans ces conditions, les contours mêmes de
l’œuvre se dérobent.16
Pour faire face à une telle situation et pour mettre de l’ordre au sein d’une
tradition textuelle aussi éclatée, les spécialistes des romans arthuriens en prose
disposent d’une méthode mise en place depuis l’étude d’Eilert Löseth sur le Tristan en
prose.17 Le chercheur norvégien, confronté à ce que nous appelons aujourd’hui les
différentes rédactions du Tristan, a d’abord dû les identifier et les isoler les unes par
rapport aux autres. Il a pour cela segmenté les récits que contenaient les différents
manuscrits en unités narratives plus ou moins cohérentes : une aventure, une es-

prueve, un récit bref, etc. À chacune de ces unités, il a attribué un numéro de


paragraphe dont il a brièvement résumé le contenu. De cette manière, il a pu décrire
la trame narrative que suivait chaque témoin manuscrit en énumérant les paragra-
phes qu’il contenait, omettait ou ajoutait. C’est ainsi que se sont dégagées, dans le
magma des textes consignés dans les manuscrits, les différentes rédactions du Tristan
en prose. C’est une excellente méthode et probablement la seule possible ; on notera  

cependant qu’une fois de plus le classement des manuscrits se fait sur la base des
récits plus que sur le détail des textes.

16 Voir infra le diagramme de Claudio Lagomarsini, tableau 1.


17 Löseth (1891) et son volume sur les manuscrits conservés à l’étranger, qui comprend aussi des
témoins appartenant à des traditions en dehors du Tristan proprement dit (Löseth 1924).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  53

Confronté au même problème, Roger Lathuillère, qui, le premier, s’attaqua à


Guiron le Courtois dans le cadre de sa thèse d’État, recourut à la même solution.18 Son
Analyse liste et résume virtuellement, en deux cent quatre-vingt-neuf paragraphes,
toutes les aventures que contiennent les manuscrits auxquels l’auteur put avoir accès
dans les années 1960. Il a ainsi procuré un système de référence précis et pratique qui
rend d’inestimables services à la communauté scientifique depuis plus d’un demi-
siècle déjà.
Le problème que rencontra Roger Lathuillère en travaillant sur le Guiron, et dans
des proportions largement supérieures à ce qu’avait dû affronter Löseth pour le Tristan,
était la physionomie des manuscrits – et partant de l’œuvre elle-même–, qui était
beaucoup plus changeante que pour les autres romans arthuriens en prose, et caracté-
risée par une intrigue beaucoup plus lâche. Paulin Paris, en découvrant ces manu-
scrits, avait parlé d’un « ramassis […] de contes débités sans ordre, sans cohésion »,19
   

et l’on peut comprendre cette réaction. Guiron le Courtois, « roman des pères », où
   

évoluent Méliadus, le père de Tristan, Lac, le père d’Erec, Urien, le père d’Yvain, puis
Ban et le Morholt, célèbres grâce au Lancelot et au Tristan en prose et d’autres, vierges
d’un passé littéraire, au premier rang desquels Guiron le Courtois, héros éponyme,
émerge dans le no man’s land temporel compris entre la fin du règne d’Uterpandragon
et le début de celui d’Arthur, cadre dans lequel prennent place les aventures des uns et
des autres. Dépourvu d’un axe porteur tels qu’ont pu l’être l’itinéraire du Graal ou les
étapes de la biographie d’un héros dans le Lancelot ou le Tristan en prose, Guiron
semble même par moments se présenter comme une suite de récits brefs. Quelques
longues aventures mises à part – mais qui restent sans lien véritable entre elles –, des
épisodes courts et autonomes se succèdent à maints endroits : telle anecdote plaisante

relatée par un personnage chasse un récit étiologique avancé par un autre, avant que le
narrateur, à son tour, n’annonce tel ou tel évènement connu du Lancelot-Graal ou du
Tristan. Cet éclatement thématique se retrouve dans la structure du roman même :  

l’entrelacement, technique qui consiste à abandonner temporairement un fil de la


narration au profit d’un autre, menait, dans le Lancelot-Graal, à une sorte de conver-
gence finale, où les deux fils finissaient nécessairement par se rejoindre. Dans un
monde ainsi conçu, le cheminement de chaque chevalier était pris en charge par une
forme de providence, non par le hasard. Et le sens de chaque trajectoire ne se révélait
qu’à son terme, au moment de la rencontre des deux fils narratifs, lorsque l’un s’avérait
indispensable à l’autre et que tout finissait par faire sens. Dans Guiron, par contre,

18 Lathuillère (1966). Il faudrait, pour être complet, évoquer aussi les travaux de Fanni Bogdanow, qui
s’est occupée vers la même époque des textes guironiens et qui supposait des pertes beaucoup plus
importantes d’une vaste fresque dont les manuscrits conservés ne couvrent plus qu’une petite partie.
Dans le cadre de la présente étude, qui se concentre sur l’édition au sens restreint, l’approche de
Bogdanow a eu moins d’impact. Pour une exposition de ses vues, voir, par exemple, son compte rendu
de l’étude de Lathuillère (Bogdanow 1968).
19 Cité par Albert (2010, 11).
54 Lino Leonardi et Richard Trachsler

l’entrelacement est surtout une facilité, et quand deux fils narratifs se croisent, il n’en
résulte rien, ou, plus précisément, rien de contraignant : la rencontre aurait tout aussi

bien pu avoir lieu avant, après, ou pas du tout.


Cette absence de grand fil conducteur a conduit, dans les manuscrits, à une
organisation de la matière narrative très variable selon les documents, qui présentent
en effet, de l’un à l’autre, une nette différence dans la manière de traiter les intrigues.
Ainsi, la numérotation des paragraphes de Roger Lathuillère – en principe simple
système de référencement – implique déjà une sorte de choix concernant le roman dont
on va suivre l’intrigue, car les paragraphes reflètent d’abord, naturellement, l’ordre
dans lequel ils apparaissent dans un manuscrit donné. Après avoir étudié les différen-
tes intrigues et trames proposées par les manuscrits, le choix de Roger Lathuillère s’est
porté sur le manuscrit fr. 350 de la BnF, un témoin ancien, et complet dans le sens où il

contient une grande partie du matériel que renferment aussi d’autres témoins, et c’était
là un facteur important : « Il est clair que toute analyse, pour être complète, ne peut être
   

fondée que sur l’un de ces six manuscrits, Ar, 338, 350, 355, 356–357, 359–362 »  

(Lathuillère 1966, 100). La coprésence de larges pans de récit dans plusieurs manu-
scrits était d’emblée perçue comme la garantie de l’authenticité d’un état textuel que
les autres manuscrits, plus « fragmentaires », avaient perdue. Parmi les six manuscrits
   

candidats, le fr. 350 était exempt d’un certain nombre d’incohérences narratives qui
affectaient d’autres manuscrits, et paraissait donc moins fautif que ses concurrents.20
Le fr. 350 semblait particulièrement fiable et authentique, digne, par conséquent,
d’être promu au grade de représentant d’un état textuel que Lathuillère appelait la
« version de base ». Dans l’univers du Guiron, la « version de base » correspond, en
       

quelque sorte, à la « Vulgate » du Lancelot-Graal et du Tristan en prose, une version


   

privilégiée qu’il faut éditer en priorité. Comme le manuscrit fr. 350 de la BnF en est le
meilleur représentant, c’est lui qui s’approprie les numéros de paragraphe 1–135.
En vertu de la cohérence de sa trame, le fr. 350 est devenu le prisme à travers
lequel nous regardons le texte. Les autres manuscrits présentent des ajouts, des
omissions, des remaniements, tous dûment documentés dans des paragraphes addi-
tionnels de l’Analyse de Lathuillère. En bonne logique, cette approche, tributaire, il
faut le redire, du concept de « Vulgate », a conduit à une démarche calquée en tous
   

points sur celle des autres romans en prose. Il fallait donner une édition de la
« version de base » fondée sur son meilleur représentant et s’occuper ensuite des
   

versions moins importantes. C’est ce qui s’est fait, en Sorbonne, à partir de la fin des
années 1970 sous l’impulsion de Roger Lathuillère, dans une série de thèses pour
l’heure non publiées.21

20 Sur les raisons du choix du fr. 350, trop longues pour être reproduites ici, voir Lathuillère (1966,
100–106), puis (ibid. 107–122) pour une caractérisation de la version donnée par le fr. 350.
21 Après Geneviève Nemeth, qui a établi une édition partielle (Nemeth 1979), c’est surtout Venceslas
Bubenicek qui a repris le flambeau avec sa thèse de doctorat (Bubenicek 1985) puis sa thèse d’habilita-
tion (Bubenicek 1998).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  55

C’est aussi le chemin emprunté dans une petite anthologie qui a ainsi pu exami-
ner la cohérence du fr. 350 non pas au niveau du récit, mais, bien que très modeste-
ment, au niveau du texte. À plusieurs reprises, le travail tout à fait empirique portant
sur quelques épisodes choisis a mis au jour des passages incompréhensibles dans le
fr. 350, qui ont dû être amendés, de façon aussi empirique, par le recours à d’autres
témoins. Dans un autre contexte, impliquant une pièce lyrique, le texte donné par le
fr. 350 s’est même révélé inutilisable.22
Mais c’est seulement très récemment que le manuscrit fr. 350 et, par voie de  

conséquence, la notion de « version de base » ont fait l’objet d’une réflexion en


   

profondeur partant de la matérialité du document. Le fr. 350 est un gros volume de


quatre cent trente-neuf feuillets, pour partie de provenance arrageoise, pour partie
écrits en Italie du nord, et se signale ainsi comme composite dès le premier abord. Il
présente, en outre, un blanc d’un feuillet et demi après le feuillet 140ro et un autre,
plus loin, après le feuillet 268ro, où l’on passe visiblement d’une histoire à une autre.
Malgré ces blancs, en digne élève de celui qui dans les années 1950 avait distingué la
main d’un architecte dans le cycle du Lancelot-Graal où les autres n’avaient perçu que
des contradictions (Frappier 1954–1955), Roger Lathuillère choisit de retenir le fr. 350
comme meilleur représentant, parmi les manuscrits « complets », d’un récit authen-
   

tique, la « version de base ».


   

Des études récentes ont permis d’envisager les choses un peu autrement.23 On a
pu épingler les contradictions que présente la « version de base » telle que l’avait
   

décelée Lathuillère dans le fr. 350, en privilégiant non pas l’hypothèse d’une ligne
narrative cohérente dans – ou mieux : sous – la trame apparente des manuscrits, mais

celle d’une ligne autre, qui n’aurait, éventuellement, jamais été une, mais d’emblée
plurielle. Plutôt qu’à une intrigue qui se serait dégradée au fil de la transmission, on
aurait donc affaire à un assemblage de divers morceaux ayant mené une existence
autonome avant d’être mis ensemble, et de faire l’objet de remaniements et de
réajustements pour satisfaire aux besoins du cycle. Car c’est bien d’un cycle qu’il
s’agit, composé d’un Roman de Meliadus, d’un Roman de Guiron et d’une Suite Guiron,
c’est-à-dire une suite rétrospective, raccordée au Guiron de très bonne heure. L’étude
de la tradition textuelle révèle en outre que chacun des trois morceaux suit une voie
propre et que le fr. 350 se caractérise par son appartenance à deux traditions différen-
tes.24 En d’autres termes, il n’est pas seulement composite, mais contaminé. La
« version de base » qu’il représente ne peut donc occuper une place de choix parmi les
   

différentes versions.

22 Trachsler et al. (2004). Voir, en particulier, le compte rendu de l’édition (Plouzeau 2003/2004) et la
réponse de ce dernier (Trachsler 2004). Voir aussi Trachsler (2001), où il est fait état de quelques
problèmes concernant la métrique des pièces lyriques du fr. 350.
23 Morato (2010) ; Albert (2010) ; Wahlen (2010). Les deux premiers ouvrages ont fait l’objet d’un
   

excellent compte rendu par Lagomarsini (2011) ; voir aussi Mancini (2012) et Trachsler (2014).

24 Voir la démonstration chez Morato (2010).


56 Lino Leonardi et Richard Trachsler

C’est là le résultat d’une approche différente de la tradition de Guiron le Courtois.


Elle a conduit à la constitution d’un groupe de recherche international.25 Ce sont les
lignes de crête principales de ce travail en cours, concernant à la fois l’histoire de la
tradition et la nouvelle édition critique du cycle, qui seront exposées dans les parties
qui suivent.

3 La tradition : pourquoi le stemma


Lathuillère n’ignorait pas les fractures qui segmentent le manuscrit 350 : œuvre de  

plusieurs mains, linguistiquement hétérogènes (allant d’Arras à l’Italie septentrio-


nale), ce témoin se laisse surprendre, à plusieurs reprises, en train de changer de
modèle (un exemple éclatant se trouve entre le f. 101v et le f. 102r = Lath. 41n1, où
un même extrait est répété à partir d’une autre source).26 En outre, les miniatures,
qui ornent les sections françaises, sont absentes dans les parties italiennes, qui ont
donc été ajoutées ultérieurement. Ces difficultés, nous venons de le dire, ont
cependant été considérées négligeables par rapport au fait que 350 est ancien (entre
la 2e moitié du XIIIe s. et la 1re moitié du XIVe : il s’agit du seul témoin conservant à

la fois le Meliadus et le Guiron qui peut être daté de cette époque) ; et qu’il est, de

surcroît, exempt de plusieurs fautes communes à tous les autres témoins plus tardifs
du cycle entier (338 355 356–7 358–63 A2 C). Voilà le premier problème de fond dans
l’imposant travail de Lathuillère : la conviction que Meliadus + Guiron formaient à

l’origine un tout organique limitait le nombre de manuscrits susceptibles de repré-


senter la version qu’il appela version de base ; et parmi ces quelques manuscrits,

350 – « à coup sûr la [version] plus ancienne » : (1966, 122) – avait tant de mérites
     

que Lathuillère a fini par oublier ses défauts, pourtant évidents. Le second problème
est plutôt méthodologique : une fois 350 choisi comme référence pour la version de

base, tout le reste de la tradition a été lu en fonction de ce texte, comme si 350 était
originaire, et comme si ce manuscrit ne pouvait être lui aussi le fruit d’une tradition
mouvante.
Pour aborder le problème textuel du Guiron, nous avons adopté, à partir du travail
de Morato (cf. Morato 2010), une perspective tout à fait différente. La tradition a été
examinée dans sa totalité, y compris les manuscrits contenant uniquement le Melia-
dus (L1 Fe V2) ou le Guiron (357 A2 L2 L4 Pr Mar), et sans accepter de qualifier a priori

25 Ce groupe, co-dirigé par les deux auteurs de ces pages, comporte Luca Cadioli, Fabrizio Cigni,
Claudio Lagomarsini, Sophie Lecomte, Francesco Montorsi, Nicola Morato, Elena Stefanelli, Marco
Veneziale, Barbara Wahlen ; collaborent en outre, pour la description des manuscrits, Anne Schoys-

man et Fabio Zinelli. En l’absence d’un financement spécifique, le groupe bénéficie de l’appui de la
Fondazione Ezio Franceschini de Florence (conjointement avec l’Università di Siena) et de l’Universität
Zürich.
26 Lathuillère (1966, 63) ; pour une synthèse récente, cf. Morato (2007).

L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  57

de versions particulières tout ce qui ne figure pas dans la présumée version de base
transmise par 350 (mais qui figure dans des manuscrits parfois très anciens tels que
A1), et cela dans le but de retracer les parcours ayant abouti à une tradition si
entropique. En effet, cette perspective nous est apparue comme la seule vraiment
adaptée à un objet textuel tel que le Guiron, qui manifeste de façon extrême la nature
mouvante de la textualité médiévale. Cette galaxie de noyaux textuels en accroisse-
ment continu, d’étendue différente dans chaque manuscrit, sollicite plus que jamais,
et rend même indispensable, une approche qui ne se limite pas à envisager le contenu
de chaque manuscrit dans sa synchronie, comme un texte donné, mais qui s’interroge
au contraire sur les processus en amont, sur la diachronie ayant donné lieu à un tel
résultat.
Interrogée de ce point de vue, la tradition guironienne a apporté des réponses
innovantes et de grand intérêt. L’analyse des structures narratives, de leur physiono-
mie et de leur cohérence dans les différents noyaux de la tradition manuscrite a
permis à Morato (et parallèlement à S. Albert, avec des résultats en grande partie
convergents27) de démontrer la nature cyclique de l’ensemble guironien. Celui-ci est
en réalité divisé en trois branches distinctes : le Meliadus (Lath. 1–49), isolé à l’ori-

gine ; le Guiron proprement dit (Lath. 58–132) ; et, enfin, une Suite Guiron (Lath. 161–
   

209), qui est un prequel de ce dernier, bien qu’elle ne nous soit parvenue qu’à travers
des témoins isolés qui la relient au Meliadus, sans transcrire ensuite le Guiron. C’est
seulement dans un deuxième temps – toujours au XIIIe siècle – que le Meliadus et le
Guiron ont été soudés par le biais d’un « raccord » cyclique (Lath. 152–158+52–57) qui
   

dépend, du point de vue narratif, de la Suite et qui a donné naissance au macrotexte


Meliadus+raccord+Guiron, transmis de façon différente par 350 et par les manuscrits
du XVe siècle.
Les contours de cette reconstruction ont été révélés par une étude comparée des
lignes narratives, mais ils n’auraient trouvé ni confirmation ni définition sûre sans
aborder la question du classement de la tradition manuscrite. Le scepticisme
ambiant sur la possibilité d’établir un stemma, de surcroît pour des textes imposants
et « pluriels » comme les romans en prose, était partagé par Lathuillère : « L’établis-
       

sement d’un stemma réunissant tous les manuscrits du Guiron le Courtois se révèle
aussi difficile qu’illusoire » (Lathuillère 1966, 106).28 En réalité, Limentani était

parvenu à dresser la généalogie des manuscrits qu’il connaissait pour l’épisode de


la caverne des Bruns (Limentani 1962, LXIII - C ), mais cette classification était incon-
nue de Lathuillère.
Confortés par ce précédent et poussés par le désir de percer à jour les dynamiques
génératives du cycle, nous avons entrepris la recensio, pour le Meliadus d’abord, pour
le Guiron ensuite, mais aussi pour d’autres compléments présents dans les aires

27 Voir supra, note 23.


28 Sur ce problème dans les romans arthuriens en général, voir paragraphe 1.


58 Lino Leonardi et Richard Trachsler

marginales de la tradition.29 Afin de rendre ce travail possible et efficace, nous avons


adopté les paramètres suivants. Tous les témoins ont été collationnés sur la base
d’une série de loci critici répartis sur toute la longueur des textes (une vingtaine pour
chaque branche) ; nous avons écarté les variantes minimes, polygénétiques, s’inscri-

vant dans une typologie précise (par exemple, les variantes formulaires comme Or dit
le conte / Ci dit l’estoire, ou les hendiadys combinatoires comme fort et puissant / fort
et preux / grant et puissant etc.) ; nous nous sommes concentrés sur les fautes, peu

nombreuses (surtout des sauts du même au même répétés ou de fortes contradictions


dans la cohérence narrative) ; les variantes adiaphores ont été prises en compte

uniquement pour confirmer les convergences révélées par les fautes communes ; pour  

chaque faute/variante, nous avons proposé une interprétation ; lorsqu’il y en avait


plusieurs possibles, nous avons choisi celle qui nous paraissait la plus économique.
Pour les insertions poétiques – présentes surtout dans le Meliadus –, nous avons
opéré une classification plus détaillée, afin de pouvoir y trouver une confirmation des
résultats obtenus pour la prose.
Cette œuvre de recensio nous a permis, non sans surprise, de formuler des
hypothèses stemmatiques assez solides, autorisant une lecture généalogique de la
tradition. Avant d’être un instrument pour aider à la constitution du texte critique,
le stemma constitue, dans le cas de notre cycle, une clé pour l’interprétation des
processus de genèse des textes et pour la formation des macrotextes.
Afin d’exposer plus clairement et de manière synthétique les grandes lignes d’une
tradition aussi complexe, nous renvoyons le lecteur dans les pages qui suivent au
tableau 1, qui présente le contenu de chaque manuscrit et permet de visualiser les
différentes extensions ainsi que les fractures, et aux tableaux 2–4, pour les stemmas
des sections les plus importantes du cycle.
En ce qui concerne le Meliadus (voir tableau 2), les manuscrits qui contiennent le
texte non-cyclique (A1 Fe Fi L1 V2 5243, tous italiens et datant de la seconde moitié du
XIVe s., certains ne conservent toutefois qu’une partie du texte), constituent une
première famille, α, où se dessine avec certitude un sous-groupe α1 (A1 Fe V2), tandis
que l’existence d’un autre sous-groupe α2 (L1 5243 Fi) est incertaine ; l’état textuel de α

est témoigné aussi par 350, seul manuscrit ancien réalisé en France (même s’il
contient certaines insertions italiennes). Mais la nature composite de ce manuscrit est
confirmée par des indices de contamination (visibles lors des passages d’une main à
l’autre, mais aussi au sein de sections copiées par une même main) entre une source α
et une source β, c’est-à-dire entre la première famille et la seconde, qui réunit les
autres manuscrits, tous cycliques, français et tardifs. Au sein de β, on distingue

29 Nous nous basons, pour ce qui suit, sur : Morato (2010, 275–403) pour le Meliadus, confirmé par

Lagomarsini (2015) pour les textes poétiques ; sur Lagomarsini (2014b) pour le Guiron (en préparation

pour une publication intégrale) ; sur Leonardi et al. (2014) et sur le travail résumé dans Veneziale
   

(2014) (objet de sa thèse de doctorat, en cours) pour la conclusion en L4 et X et enfin, sur Lagomarsini
(2014a) pour la Compilation guironienne.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  59

clairement deux sous-groupes, eux-mêmes subdivisés en deux : γ (338 face à 356 A2 =  

γ1) et δ (359–360 face à C L3 T, 355 Gp = δ1).


Le texte du Meliadus a été abrégé au dessus de β, vraisemblablement pour
faciliter la connexion cyclique avec le Guiron : la rédaction longue de α arrive

à Lath. 49 alors que le texte de γ et 360 s’arrête à Lath. 41 ; suit une brève  

reformulation que Lathuillère avait rangée parmi les « versions particulières »


   

(Lath. 152–158). Au sein de β, δ1 présente la rédaction longue, mais cela s’explique,


à l’évidence, par une contamination : pour la partie finale du Meliadus (Lath. 39–

49), δ1 passe en effet à une source de type α. Dans 350, au même endroit environ
(Lath. 41), on remarque l’une de ces insertions réalisées par des mains différentes
à partir d’une autre source (3503–4, à partir du f. 102r : v. supra). Dans les pages

immédiatement précédentes, à hauteur de Lath. 39, 3502 puise dans β (et, comme
toute la famille β, il donne à cet endroit un texte problématique qui dérive d’une
source détériorée), alors que les fascicules intégrés ultérieurement (3503–4) pren-
nent la rédaction longue de α. Les mouvements ayant produit de telles fractures
textuelles pourraient peut-être s’expliquer par un problème dans la diffusion
initiale du Meliadus (fascicules lacunaires ? lisibilité faible ?) : 350 recourt à β, puis
     

à α, tout comme le fait le plus récent δ1, abandonnant la rédaction abrégée qui
devait figurer dans β.
La rédaction longue du Meliadus s’achève sans donner de conclusion. Vers Lath.
49, 350 présente sa seconde fracture : le texte s’interrompt au beau milieu d’une

phrase (suit une page blanche : f. 141), sur le même mot clôturant L1. Mais cette

interruption ne se limite pas à ces deux témoins : plus ou moins au même endroit, δ1

recommence à puiser dans β et reprend le texte du raccord, dont la matière narrative


est toute différente de celle de Meliadus (à partir de Lath. 158 ; L3 s’arrête à cet endroit

alors que 355 insère une page blanche avant de continuer) ; Fe et V2 poursuivent 

quant à eux le texte, mais avec un ajout probablement postiche ; les autres témoins de

α avaient déjà interrompu leur texte précédemment. C’est ainsi que s’achèvent,
incomplètes, les lignes narratives du Meliadus original.

Guiron, roman mettant en scène un nouveau héros arthurien, champion des Bruns,
confronté à la diaspora des anciens chevaliers, a été composé indépendamment du
Meliadus – bien qu’aucun témoin non-cyclique ne nous soit parvenu. Toutefois,
l’exigence d’unir les deux romans s’est vite manifestée : dans le manuscrit A1, très

ancien, Meliadus est suivi d’une Suite Guiron, caractérisée par un long et beau prequel
des aventures du second roman. Celle-ci n’a cependant pas joui d’un grand succès,
contrairement au « raccord » qui, abrégeant Meliadus et introduisant le personnage
   

de Guiron, relie les deux romans dans un véritable cycle narratif.


60
Lino Leonardi et Richard Trachsler


Tableau 1 : Diagramme des manuscrits du cycle de Guiron le Courtois
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  61

Légende tableau 1 : 

[d’après Lagomarsini 2014a, 16s.]


∫ changement de main
/ début/fin de tome
[ interruption (la copie s’arrête, le texte est suivi de colonnes ou de feuillets en blanc)
| interruption due à une lacune matérielle (chute de feuillets ou de cahiers)
~ formule d’explicit et/ou entrelacement («Or se taist le conte ... et torne a parler de...», ou bien
«Ci se fine le premier livre ... et le second dira de...»). L’absence d’une suite n’est pas forcément
due à une lacune matérielle
La combinaison | ∫ indique que, après une lacune matérielle, le texte est recommencé par une
autre main.

Tableau 2 : Stemma du Roman de Meliadus



62 Lino Leonardi et Richard Trachsler

Tableau 3 : Stemma du Roman de Guiron (prémière partie)


Tableau 4 : Stemma du Roman de Guiron (seconde partie)



L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  63

La jonction cyclique entre les deux romans s’est accomplie à la hauteur de β (ou plutôt
de son antécédent, que nous appellerons β°) : après que la rédaction brève du

Meliadus s’éloigne de la longue (Lath. 41), les témoins les plus authentiques de cette
branche, γ et 360, donnent un récit organique (Lath. 152–158+52–57) qui introduit le
second roman. Bien que la totalité du raccord ne nous soit parvenue que par des
manuscrits du XVe siècle (seul 338 date probablement de la fin du XIVe), celui-ci

remonte indiscutablement au XIIIe s., avant la date de confection des sections les plus
anciennes de 350, qui en transmet la deuxième partie. Le fait que 3505, après la
fracture du f. 141, omet la première partie du raccord et commence seulement à Lath.
52, s’explique facilement si β° a été divisé en deux volumes. Dans un tel cas, le texte
correspondant à la lacune entre 3502 et 3505 – comblée ensuite par des sections
copiées par d’autres mains (3503–4) – devait probablement occuper les derniers
fascicules du premier volume. Cette hypothèse est confirmée par la grande miniature
caractérisant Lath. 52 au début de 3505, qui semble destinée à une ouverture de
volume, et surtout par le contenu des deux manuscrits du Guiron remontant au XIIIe
s., Mar et Pr : bien qu’ils soient malheureusement acéphales, ces deux témoins

commencent justement à la hauteur de Lath. 52.


Le stemma du Guiron ne contredit pas cette reconstruction, et confirme le classe-
ment de Limentani, en y ajoutant les témoins qui lui étaient inconnus. Dans la
première partie du roman (Lath. 58–78 : voir tableau 3), la structure de la famille β du

Meliadus, composée des deux sous-familles γ et δ, est parfaitement respectée, et au


modèle de leur antécédent commun β (βy) puise aussi Pr, l’un des manuscrits les plus
anciens, contemporain de 350, ce qui vient confirmer la précocité de l’aménagement
textuel attesté par les témoins en moyen français. Au sein de β°, s’opposent à βy les
mss 350 et Mar, remontant peut-être à un modèle commun (βx) dont l’identification
est rendue difficile par les nombreuses abrégements et lacunes qui caractérisent Mar
et qui rendent également ardu le repérage d’indices d’une contamination de 350
d’après βy.
Dans le Guiron non plus, le cadre généalogique ne reste pas stable jusqu’à la fin
du texte. Probablement aussi en raison d’une répartition du texte en plusieurs volumes
opérée en amont de la tradition (cette répartition est reproduite par 357 et A2 au sein de
γ et par 361 au sein de δ, sans compter L2 L4 V1 qui ne transmettent le texte qu’à partir
de ce point), la tradition diverge dans la section Lath. 79 à Lath. 102 : δ1 (qui avait déjà

fait preuve d’une grande mobilité rédactionnelle pour le Meliadus) donne une rédac-
tion alternative, qui n’est vraisemblablement pas originaire (Lath. 159–160 ; mais les  

rapports entre les deux redactions sont encore à eclairer).30 L’élaboration de cette
seconde rédaction n’est toutefois pas due à δ1, puisqu’elle se retrouve également dans

30 Au sein de δ1, C juxtapose aussi, en réalité, une partie de la première rédaction (tirée du modèle de
350), alors que le couple 357 et A2, après avoir copié la première rédaction puis l’intégralité du Guiron
sur son modèle γ, recommence à transcrire la seconde version de la « partie divergente » et continue
   

ensuite à recopier tout le reste du roman une deuxième fois, mais à partir de δ1 (357* A2*).
64 Lino Leonardi et Richard Trachsler

les trois manuscrits qui entament le texte à cet endroit précis, L2, L4 (XIVe s.) et V1
(XIIIe s.), et qui proviennent tous de sources plus anciennes (en particulier L4) : nous

nommerons « ε » ce nouveau lieu d’innovation dans la tradition, qui s’oppose à β*,


   

conservant la rédaction originaire de β° (voir tableau 4).


Dans la deuxième partie du roman, après la réunification des rédactions (Lath.
103–132), les deux familles β* et ε continuent de s’opposer. La seule différence
concerne Mar qui, après une série d’importantes lacunes (qui ne permettent pas de
repérer le point de passage d’une rédaction à l’autre), ne semble plus dépendre de β*
mais se rattache à ε.
Là où la tradition se réunifie (à partir de Lath. 103), 350 présente une énième

fracture (sans changement de main), qui confirme la mobilité de son arrière-plan, et


permet en même temps de supposer l’existence de dynamiques de contamination
dans le Guiron aussi : en effet, vers la fin de la partie divergente, le texte de 350

s’interrompt au beau milieu d’une phrase et reprend à Lath. 103, après une page
blanche (f. 269), même si les indices qui relient la suite du texte à l’autre famille sont
pour le moment très faibles, voire insuffisants.

Le Guiron s’achève également sans conclusion, après que « tuit li bon chevalier furent

departi, les bons di ge, qui estoient a celui tens de haute renommee ; quar les uns

furent emprisonnés et les autres se furent partis del roiaume de Logres » (Lath. 132)

(Lathuillère (1966, 337). Le sous-groupe δ1 interrompt ici sa narration et y fait suivre


l’épisode de la « Franchise Tristan », tiré du Tristan en prose. Dans d’autres manu-
   

scrits, on lit le début d’une continuation : β en donne une petite partie (Lath. 133n4) ;
   

350 poursuit un peu plus loin et s’interrompt à la fin d’un fascicule (Lath. 135n1, avec
un rappel qui n’a pas de correspondant dans le fascicule suivant), avant de fournir le
texte des Prophecies de Merlin ; seul L4 poursuit la continuation, accompagné de X,

dont le texte commence justement à la fin du Guiron et se termine peu après la fin
tronquée de L4 (Lath. 133n2–151). L’analyse narrative nous confirme qu’il ne peut
s’agir d’une continuation originale ; mais la recensio du premier extrait, commun à β

et 350, confirme la distribution stemmatique exposée plus haut, qui oppose L4


(maintenant lié à X) à 350 et β.
Notre classement est corroboré aussi par la recensio de la Compilation guiro-
nienne, texte considéré comme le plus représentatif et le plus répandu parmi les
satellites de la galaxie guironienne, rédigé en Italie probablement par Rusticien de
Pise et composé d’une séquence d’extraits de la Suite Guiron de A1. La comparaison
avec la source (sans doute un manuscrit collatéral de A1) offre ici un solide appui à
l’appréciation de la varia lectio et confirme encore une fois la structure du groupe δ
(355 L3 T + C 358) : celui-ci est issu de sources dont dérivent aussi d’autres témoins

particuliers et même anciens comme Fi ou Vat. S’oppose à cette branche le manuscrit


N, plus tardif, qui est le seul à transmettre l’ensemble de la Compilation dans une
succession organique, caractérisée par l’ajout d’une continuation – elle aussi an-
cienne – au noyau initial.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  65

L’ensemble de ces fouilles met à jour une stratigraphie généalogique bien plus
complexe que l’image qu’en donnait Lathuillère. Contrairement à sa vision photo-
graphique de la tradition guironienne, où tous les reliefs étaient ramenés à une
surface artificiellement aplatie par la version de base de 350, l’hypothèse Morato-
Lagomarsini présente une interprétation rigoureuse de la complexité des données
textuelles, en tentant de comprendre et d’expliquer les nombreux points de mobilité
du texte et du macrotexte. Avant de servir à des fins ecdotiques, les hypothèses
stemmatiques se révèlent utiles, voire indispensables, pour comprendre comment
s’est formé et développé cet immense corpus produit sur deux siècles entre la France
et l’Italie et portant le nom de Guiron le Courtois.

4 Le texte critique : rapport entre texte et variantes


Le cadre généalogique de la tradition manuscrite fournit des arguments fondamen-


taux pour mieux envisager les différents choix ecdotiques, et nous impose de recon-
sidérer sous un nouvel angle le problème de l’établissement du texte.31 Premièrement,
la proposition de Lathuillère (suivie par ses élèves dans plusieurs thèses inédites) de
se fier à l’autorité de 35032 n’est plus philologiquement acceptable. Une telle autorité
présumée s’est en effet révélée apparente. Et cela, tant au niveau textuel– Lathuillère
devait déjà justifier le choix de 350 « malgré ses difficultés, ses obscurités, ses

lacunes » (1966, 112), qui ont été soulignées aussi, plus tard, par R. Trachsler (2004,

169–171), et auxquelles s’ajoutent à présent les preuves de sa contamination par


plusieurs sources– qu’au niveau macrotextuel, puisque l’idée selon laquelle 350 serait
le représentant de la version originaire de l’ensemble textuel du Guiron s’est révélée
tout à fait fausse. Une édition du Guiron d’après 350 produirait un texte dans lequel
sont juxtaposées, sans transition, différentes sources remontant à des formes distinc-
tes du cycle, et dans lequel d’importantes lacunes matérielles ont été comblées par
différents copistes, travaillant à des époques et en des endroits divers ; un texte qui,

même au sein de chaque section, n’est pas stable dans sa leçon, mais oscille entre
différents modèles ; un texte qui, du point de vue linguistique, présente une alter-

nance entre copistes français et italiens.


La lecture de la tradition à la lumière de nos stemmas ne permet pas seulement de
tirer cette conclusion négative ; elle offre également la possibilité d’envisager, en

positif, plusieurs possibilités éditoriales. Si on souhaitait maintenir la position de

31 Les grandes lignes de notre méthodologie ont été élaborées lors de plusieurs séminaires internes et
ont été discutées publiquement à plusieurs occasions : à l’Université de Sienne et de Göttingen en

2009, au Congrès de la Société Internationale Arthurienne de Bristol et à la Fondation Ezio Franceschi-


ni de Florence en 2011, au XXVIIe Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes de
Nancy en 2013, ainsi qu’à l’Université de Zurich en 2014.
32 Cf. supra note 20.

66 Lino Leonardi et Richard Trachsler

Lathuillère et donc privilégier l’homogénéité du cycle dans son ensemble, on devrait


centrer l’édition non pas sur les phases de composition de chaque roman mais bien sur
la phase où se situe la constitution du cycle, à savoir au sommet de β, qui n’est certes
pas originaire mais qui remonte quand même au XIIIe siècle (datation de 350, Mar et

peut-être de Pr, qui transmettent la seconde partie du raccord). Dans ce cas, on serait
contraint de se baser principalement sur les témoins de γ, étant donné que δ1 change de
modèle tant pour le Meliadus que pour le Guiron ; et on devrait donc adopter un état

textuel qui ne nous est conservé dans son intégralité que par des copies de la fin du
XIVe ou du XVe siècle, qui présentent une foule de remaniements de détail.
L’alternative, autorisée et même suggérée par les stemmas, consiste à respecter,
au moment de l’édition, la stratification du cycle, en tenant compte de ses différentes
attestations dans les manuscrits. On publiera donc : pour le Meliadus, la rédaction

longue d’origine – écartée par β au moment de la constitution du cycle – en valorisant


la famille α qui la transmet, composée exclusivement de codex italiens remontant aux
XIIIe et XIVe s. (mais qui est aussi parmi les sources de 350) ; pour le raccord, la
   

rédaction complète, attestée uniquement dans les témoins plus récents remontant à
β ; pour le Guiron, la première rédaction, transmise par 350 mais aussi par d’autres

manuscrits anciens comme Pr et Mar (et, pour sa seconde partie, L2 et L4), sans
compter les manuscrits cycliques plus tardifs ; pour la Suite Guiron, le texte de A1

(T en est descriptus) et de 5243. On intégrera à cette structure les éditions des princi-

paux compléments qui, à plusieurs occasions, ont été greffés tantôt aux romans
isolés, tantôt au cycle : la Continuation Meliadus de Fe et la Continuation Guiron de L4

et X, conservées de manière significative uniquement par des manuscrits italiens,


ainsi que la Compilation guironienne tirée, encore une fois en Italie, de la Suite Guiron
et dont la composition est attribuée, rappelons-le, à Rusticien de Pise.
Ainsi formulé, le programme éditorial respecte la diachronie de la composition
des différents textes et de la constitution du macrotexte cyclique. Ce respect pour
l’histoire de la tradition (plus que pour le manuscrit isolé) devra également être
appliqué dans le choix du modèle ecdotique à suivre pour chaque texte, en refusant
l’adoption d’un manuscrit de base (Leonardi 2011a).33 Comme cela a été souligné au
début de cet article, le choix d’un manuscrit de base est une pratique tellement
répandue – particulièrement pour les textes français – qu’elle est souvent choisie non
seulement faute de mieux, lorsqu’il a été impossible de classer les manuscrits, mais
aussi dans les cas où un stemma est disponible (ainsi l’édition Ponceau de l’Estoire
del Graal ou l’édition Beltrami du Trésor) : mais cette pratique trahit le concept même

de tradition manuscrite, puisqu’elle en réduit l’épaisseur à un simple état synchro-


nique du texte. En outre, il arrive qu’elle soit appliquée avec une telle liberté qu’elle
trahit même le principe de la fidélité au manuscrit choisi.

33 Sur les problèmes liés à cette pratique éditoriale, outre nos nombreux comptes-rendus, cf. aussi
Duval (2006).
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  67

Nous avons décidé, au contraire, d’établir le texte critique sur la base de la


structure du stemma. Il ne s’agit toutefois pas d’appliquer la logique stemmatique de
manière automatique ou de procéder à des choix arbitraires là où les deux branches
du stemma s’opposent, dans le but illusoire de reconstruire les ipsissima verba de
l’auteur : notre édition ne suivra donc pas les critères de la superbe édition de la Mort

Artu par J. Frappier (1936), qui est, rappelons-le, la seule édition d’un roman arthurien
en prose fondée sur un stemma.34 Nous envisageons plutôt d’appliquer le principe de
convergence (cf. Segre 1991, 9ss.) qui porte à sélectionner ce qui est originaire par
rapport à ce qui est le fruit d’une innovation, sans accorder la priorité au témoignage
d’aucun manuscrit en particulier. Notre objectif est de proposer un texte qui, à travers
le dialogue avec l’apparat des variantes, représente l’hypothèse de lecture de la
tradition manuscrite qui a émergé de la recensio.
Les critères que nous appliquons pour la constitutio textus exigent toutefois deux
restrictions. La première a trait à la nature des variantes concernées par ces critères :  

en effet, le fonctionnement du stemma n’est valable que pour la substance du texte,


que l’on distingue (depuis Gaston Paris) de la forme linguistique, pour laquelle il faut
se baser sur un seul manuscrit. Nous verrons plus loin de quelle manière il est
possible de distinguer la substance de la forme, opération qui est tout sauf facile et à
laquelle nous avons été particulièrement attentifs. Pour l’instant, limitons-nous à
définir la substance textuelle comme les phénomènes de variation qui sont en général
monogénétiques, c’est-à-dire pour lesquels le copiste n’est pas entièrement libre
d’innover indifféremment et presque involontairement (non intentionnellement).
Toutes les variantes substantielles (et non pas une sélection arbitraire de celles-ci)
seront enregistrées dans l’apparat, de façon à justifier le texte critique et à représenter
la mouvance de la tradition.
Cette exhaustivité nous mène à la seconde restriction, qui concerne les manu-
scrits qui seront pris en compte dans l’apparat. En effet, si tous les témoins ont été
considérés lors de la recensio, certains d’entre eux devront être négligés lors de la
constitutio textus, non seulement pour des raisons pratiques de faisabilité, mais aussi
en raison des caractéristiques intrinsèques de ces manuscrits, qui sont fragmentaires
ou fortement réélaborés. De plus, des phénomènes de réécriture trop voyants comme
on peut en trouver à certains endroits du stemma, nés d’intentions et de pratiques
désormais éloignées de la genèse du texte et de ses premières phases de circulation,
imposeraient qu’on en fournisse une transcription presque complète en apparat. Or,
l’édition critique ne peut être le lieu où sauvegarder tous ces phénomènes qui relèvent
plutôt de la dissémination, c’est-à-dire le lieu d’une lecture de la tradition dans un
sens opposé à la convergence, dans son extension, sa divergence et sa transformation,
géographique et chronologique. Toutefois, nous serons attentifs à ce qu’au moins un
manuscrit par famille soit toujours pris en compte dans l’apparat.

34 Sur les qualités et les limites de cette édition, cf. Leonardi (2003).
68 Lino Leonardi et Richard Trachsler

Une fois ces limites posées, l’application du stemma au choix des variantes
adiaphores comporte les étapes suivantes :  

(a) est retenu dans le texte critique ce qui est partagé par tous les manuscrits. Il s’agit
d’un critère lapalissien, certes, mais seule une perspective d’interprétation glo-
bale de la tradition permet d’enregistrer ce consensus et de mesurer ainsi le degré
de dynamicité de la tradition même (exception faite, rappelons-le, des passages
où la réélaboration du texte est extrême) ;  

(b) est retenu dans le texte critique ce qui est partagé par tous les mss sauf un. Une
eliminatio lectionum singularium de ce type n’est elle aussi possible que si nous
avons une vision de toute la tradition. Elle offre d’importantes informations sur la
dynamique innovante des différents copistes, ou des différentes familles si un
manuscrit en est l’unique représentant ;  

(c) est retenu dans le texte critique ce qui est partagé par une majorité certaine des
familles ou sous-familles, à savoir quand l’unanimité n’est désavouée que par
une seule des sous-familles, dont on mesure parallèlement le taux d’innovation
(pour le Meliadus : α1, γ, δ ou δ1 ; pour le Guiron première partie : β, γ, δ ; pour le
       

Guiron deuxième partie : β, γ, δ, ε1 et ses sous-familles) ;


   

(d) quand le stemma permet de vérifier que deux variantes adiaphores réunissent
une branche contre l’autre, nous retenons toujours dans le texte la leçon de la
même branche, en général la plus conservatrice (α pour le Meliadus ; βy pour le

Guiron première partie ; ε pour le Guiron seconde partie) ; on prêtera une attention
   

particulière à l’éventuelle subsistance d’éléments internes portant à considérer


comme innovante la leçon de la branche choisie : dans ce cas, on optera pour la

leçon de l’autre branche, en motivant ce choix ;  

(e) toutes les variantes substantielles non admises dans le texte seront regroupées
dans un seul apparat critique, où l’on précisera si elles se trouvent dans un
manuscrit, dans une famille ou dans une branche entière de la tradition ; dans ce

dernier cas, où le choix est donc plus aléatoire, les variantes seront mises en
évidence en gras.

Ces critères seront appliqués de manière systématique, mais il est à prévoir qu’aux
différents endroits de la tradition, la varia lectio ne se répartira pas toujours de façon
cohérente et qu’il y aura sans doute des passages où notre canevas sera difficile à
suivre. Pour tous ces cas, on appliquera l’indication générale selon laquelle, parmi
des leçons équivalentes, on adopte celle de la branche la plus conservatrice (comme
pour (d)), de façon à limiter l’inévitable hétérogénéité du texte critique.
Pour la même raison, nous choisirons au sein de cette branche le manuscrit qui
fournira l’apparence formelle du texte (manuscrit de surface), c’est-à-dire tous les
phénomènes linguistiques pouvant relever de la polygenèse, pour lesquels il serait
incorrect de recourir au stemma. Le choix de ce manuscrit privilégiera en effet la
compétence stemmatique (cf. Vàrvaro 1970, 590–595) – à savoir la fiabilité, garantie
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  69

par le stemma, quant à la conservation de la leçon originale – plutôt que l’ancienneté


ou l’homogénéité linguistique, tout en sachant qu’en ce qui concerne la forme, le
texte critique ne peut pas remonter dans la tradition au-delà de la facies d’un des
témoins. Pour le Meliadus, nous suivrons donc L1, manuscrit italien de la moitié
du XIVe s. qui, au sein de α, branche conservatrice transmettant la version longue

d’origine (précyclique), garantit la complétude textuelle et la régularité des leçons.


Pour le Guiron, première partie, notre choix se portera sur Pr, manuscrit français à
cheval entre la fin du XIIIe s. et le début du XIVe s., représentant le plus haut et le plus
régulier de βy (βx étant uniquement représenté par 350 et Mar, tous deux anciens, mais
dont le second présente d’importantes lacunes et change de modèle dans la seconde
moitié du roman). Pour le Guiron, seconde partie, L4 offre un texte beaucoup plus
régulier et plus fiable, tout en ayant été copié en Italie vers la moitié du XIVe s. : nous  

avons décidé de le choisir, en raison, aussi, de la chute de quelques feuillets et des


derniers cahiers dans Pr. Pour le raccord, le manuscrit choisi sera probablement 338,
le meilleur représentant de γ, qui est, dans ce cas, l’unique famille à transmettre le
texte dans sa consistance originaire.
Afin de ne pas laisser de place à l’improvisation dans la distinction entre sub-
stance et forme, nous avons estimé nécessaire de préciser quels phénomènes peuvent
être considérés comme endémiques dans la mouvance textuelle, et donc polygénéti-
ques au niveau de la langue (« formels »), dans le cas spécifique de la tradition de la
   

prose arthurienne française. En nous basant sur une collation complète de quelques
échantillons de texte, nous avons inclus dans cette catégorie, outre les faits graphi-
ques et phonomorphologiques, une ample typologie de variantes, touchant aussi au
lexique et à la syntaxe, que nous détaillerons dans l’introduction à l’édition. Parmi
celles-ci, citons par exemple les oscillations entre les temps verbaux, la présence/
l’absence de pronom sujet (si furent il grant / si furent grant), l’alternance entre article
et adjectif démonstratif (la/cele pucele), l’alternance entre adverbes (mult/trop), pré-
positions (en la fin / a la fin) ou conjonctions (car/que), les alternatives lexicales (ex.
cheval/destrier, maniere/guise, veraiement/certainement), auxquelles on peut ajouter
les différences non significatives dans l’ordre des mots (qui Engleterre est orendroit
apellee / qi orendroit est Angleterre apellee), etc. Pour cette typologie de phénomènes,
on suivra le manuscrit de surface sans enregistrer les variantes dans l’apparat. Aux
endroits où la leçon substantielle retenue dans le texte n’est pas présente dans le
manuscrit de surface, celle-ci sera adaptée aux usages grapho-phonétiques de ce
manuscrit, selon une méthode employée par ailleurs dans les éditions établies sur un
manuscrit de base.35 Dans les cas où de telles insertions ne sont pas ponctuelles mais
étendues (par exemple dans le cas de lacunes importantes du manuscrit de surface),
on respectera par contre la forme du manuscrit ayant fourni la leçon, en signalant ce
changement par une typographie particulière (l’italique).

35 Entre autres exemples, citons Roussineau (1991, 23).


70 Lino Leonardi et Richard Trachsler

Si nous envisageons notre méthode selon l’angle d’approche habituel pour les
éditions de textes en ancien français, qui prévoient la transcription d’un manuscrit
avec corrections, nous pourrions dire que notre édition s’éloignera du manuscrit de
surface lorsque sa leçon substantielle, même si elle n’est pas inacceptable, sera jugée
innovante par le stemma. Nos critères permettent toutefois d’affirmer que dans tous
les autres cas, la leçon du manuscrit de surface retenue dans le texte critique ne
représente pas l’état du texte de ce manuscrit en particulier, mais remonte au niveau
le plus haut que l’on puisse atteindre dans la tradition manuscrite.
Le texte critique que nous publions ne se trouve donc, tel quel, dans aucun
manuscrit. Si ce principe était jugé problématique, le problème concernerait en réalité
toutes les éditions de textes médiévaux non diplomatiques (et même dans ce cas, cela
est discutable). À la différence de tant d’éditions fondées sur un manuscrit de base,
notre édition ne dépend pas de discutables fautes « évidentes » ni de « contrôles »
       

arbitraires effectués sur d’autres manuscrits ; elle fournit au contraire un texte qui

trouve sa justification dans l’hypothèse la plus probable d’interprétation de la tradi-


tion dans son ensemble, en fournissant dans l’apparat toutes les données permettant
de vérifier cette hypothèse.

5 La révolution de l’ancienne philologie


Le cas du cycle de Guiron le Courtois offre donc la possibilité d’actualiser une méthode
qui s’oppose à la soi-disant nouvelle philologie et à la pratique courante du manuscrit
de base, et qui se rattache à des concepts et procédés dont la tradition philologique
appliquée aux textes romans débat depuis le XIXe siècle et qu’elle a profondément

renouvelés dans le courant du XXe siècle (cf. essentiellement Contini 1977 ; Segre
   

1991 ; Avalle 2002). La recensio, le stemma, le dialogue entre le texte critique et


l’apparat sont autant d’outils que nous tenons de cette ancienne philologie.
Nous croyons que les principes de cette philologie, repensés et adaptés aux
nouvelles exigences, sans automatismes et sans exagérations reconstructivistes, peu-
vent assurer aujourd’hui la possibilité d’un résultat nettement supérieur à des solu-
tions insuffisantes ou défaitistes qui se réduisent souvent à défendre la présumée
« réalité » d’un seul manuscrit. L’ancienne philologie permet de formuler et de motiver
   

des hypothèses sur l’évolution diachronique d’un texte, et donc d’en interpréter la
tradition dans son ensemble. Elle permet d’établir, sur cette base, un texte critique qui,
accompagné de l’apparat de variantes, rende compte de cette tradition. C’est elle, la
vraie fidélité que le philologue doit s’engager à respecter : la fidélité à l’histoire du

texte à travers ses témoignages manuscrits, ainsi que la responsabilité d’offrir une
édition qui ne trahisse pas la réelle nature de la textualité médiévale, à savoir sa
variation dans le temps.
Le fait que cette tentative se propose d’affronter et de résoudre le problème
ecdotique du cycle de Guiron le Courtois, le plus important inédit de la grande
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  71

littérature narrative en langue d’oïl, pour lequel l’ampleur de la tradition, la mobilité


des textes et l’oscillation des macrotextes présentent les plus grandes difficultés, nous
incite encore plus à vérifier l’efficacité de cette méthode et à en définir les procédés.
Récemment, à un colloque international, un professeur de littérature française
médiévale a réagi à notre proposition par une exclamation presque incrédule : « Mais    

alors, ce que vous voulez faire, c’est une édition lachmannienne !? ».    

La réponse la plus simple est que nous voulons faire une édition critique.

6 Appendice. Exemple d’édition : le Prologue  

du Meliadus
Comme exemple du modèle ecdotique proposé, nous présentons ici l’édition du
Prologue précédant le Meliadus (« Prologue I » de Lathuillère), qui depuis Paulin Paris
   

a été transcrit plusieurs fois comme extrait représentatif de la prose guironienne :36  

tantôt d’après 338, qui selon notre reconstruction est un témoin conservatif de la
famille β, tantôt d’après Fi, qui apparaît comme un témoin innovant de la famille α.
Le prologue présente certaines particularités par rapport à la situation « normale » à    

laquelle est confronté l’éditeur du cycle du Guiron : les premiers feuillets de 350

constituent une des insertions faites par une autre main (parfois peu lisible) ; dans L1,  

l’encre effacée a parfois été repassée par une main ultérieure ; certains manuscrits  

omettent justement cette partie initiale (A1 5243 V2). Malgré tout, l’édition illustre bien
le résultat que nous voudrions obtenir.
Onze témoins présentent le Prologue I : dans α : L1 (2ra–3rb), 350 (1*ra–va), Fe
   

(1ra–2va), Fi (111ra–vb) ; dans β, on trouve sous γ : 338 (1ra–vb), 356 (1ra–2rb), A2


   

(1ra–2ra) ; sous δ : 359 (1ra–3va), C (I 108ra–109rb), L3 (2v–3r), 355 (65ra–vb), Gp (1ra–


   

vb). L’apparat n’enregistre pas les variantes des témoins les plus innovants ou tardifs :  

A2 dans γ, 359 355 Gp dans δ. Les groupes sont donc représentés dans l’édition de la
façon suivante : α = L1 350 Fe Fi ; γ = 338 356 ; δ = C L3.
     

Le texte critique est constitué d’après les procédés exposés précédemment : sont  

consignées dans l’apparat les leçons singulares de tous les manuscrits, ainsi que les
leçons propres à l’un des groupes γ et δ. Le stemma les désigne comme innovantes, et
permet d’apprécier la dynamique de réception du texte. La famille γ apparaît comme
très conservatrice (4 variantes seulement, parmi lesquelles le titre de maistre pour
Gautier Map, 1.13), comme le sont ses descendants : 338 est presque impeccable (2.9,

2.16), 356 se révèle à peine plus actif (un saut du même au même, 1.14 ; des synonymes  

36 Cf. P. Paris (1868–1877, vol. II, 346–51), éd. partielle d’après 338 ; Hucher (1875–1878, vol. I, 156),

d’après 338 ; Löseth (1891, 83), d’après Fi ; Curtis (1958), d’après 338 ; Lathuillère (1966, 175–180),
     

d’après 338 comme manuscrit de base, avec en apparat tous les manuscrits (sauf 350, Fe et C, qui lui
étaient inconnus) ; Cigni (2006, 106–108), d’après Fi ; Morato (2007, 279–285), d’après 3501.
   
72 Lino Leonardi et Richard Trachsler

1.19, 1.20, 2.8, 2.18). δ se révèle par contre un peu plus dynamique, avec une vingtaine
de variantes, dont la plus significative est le changement du titre du roman (de
Palamedes à Guiron, 2.23–27), alors que ses descendants, C et L3, sont eux aussi
presque immobiles, avec très peu de variantes chacun, jusqu’à ce que L3 introduise la
première vraie variante narrative (2.28).
Au sein d’α, Fi et surtout Fe sont beaucoup plus innovants et tendent souvent à
abréger le texte (1.4 1.5 1.11 2.1 2.5 2.6 2.18 2.24 2.26 2.27), alors que L1 et 350 présentent
majoritairement des fautes mécaniques de lecture, plus graves dans 350 (1.13 2.1, un
saut du même au même 2.5) ; dans certains cas, ils sont isolés par rapport au reste de

la tradition (un lemme à 1.6, une fois en commun avec Fi, à 1.18), indice de l’existence
d’un sous-groupe α2 qui les réunit (rappelons que les premiers feuillets de 350 sont
dus à une main italienne).
On compte 35 variantes qui opposent α et β, à savoir environ 8,5% de l’ensemble
du texte : pour les 91,5% restants, le stemma donne des indications fiables. Lorsqu’il y

a incertitude stemmatique, nous suivons toujours α et, en effet, β n’est pas meilleur ;  

dans un passage, il est même clairement de qualité inférieure (1.3 : l’attribut conceus,

même après négation, n’est pas envisageable lorsqu’il est question de la trinité ;  

l’omission de ne concriéz ne engendriéz pour l’Esprit Saint est probablement innovante


aussi, si on se réfère à des sources comme le Symbole d’Athanase : « Spiritus Sanctus
   

a Patre et Filio, non factus, nec creatus, nec genitus, sed procedens »). Les variantes

significatives, bien sûr, ne manquent pas : à 1.1, la référence à l’œuvre précédente de


l’auteur est absente (om. ensint com ge meesmes ai dit en mon lyvre), et à 2.15, on
relève une opposition entre deux attitudes de l’auteur : faire une compilysom α vs.

metre en auctorité β. On ne compte qu’un cas où la leçon d’α est améliorée par β, par
l’explicitation du sujet mon livre à 2.17 : mais il pourrait s’agir d’une banalisation.

L’utilisation des caractères gras dans l’apparat signale toutes ces leçons, qui pour-
raient être originaires.
Sur le plan linguistique, le choix de L1 comme manuscrit de surface implique de
le suivre pour tous les aspects formels (tels que nous les avons définis ci-dessus) ;37  

l’apparat ne prend pas en compte les nombreuses variations à ce niveau. Dans les cas
où le texte de L1, pour des raisons liées à la substance de son texte (ou parce qu’il est
illisible : 1.10 meins), est laissé dans l’apparat, le texte assume la forme de 350 (dans

le passage édité ici, nous n’avons pas été confrontés à la nécessité d’adapter des
formes aux habitudes de L1).

37 On corrige seulement, sans les signaler dans l’apparat, les fréquentes confusions c/t : encor > entor,

parcie > partie, cel > tel, cesmoigne > tesmoigne, etc.
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  73

R OMAN DE M ELIADUS , P ROLOGUE

1. 1A Deu, qui m’a doné pooir et engin et force et memoire de finer honoreement le
« Lyvre del Bret », entor cui ge ai tant anz travallié ententivement et curiosement,
   

ensint com ge meesmes ai dit en mon lyvre, 2rent graces et merciz et loenges teles com
chevalier pecheor, jolys et envoisiéz et ententis as deduit du monde puet rendre. 3Deu
merci ge, que nos devom tout premierement entendre el Pere, qui onques ne fu fet ne
concryéz ne engendriéz ; el Fill, qui fu del Pere solement ; el Saint Espryt, qui del Pere
   

et del Fill essiz, ne concriéz ne engendriéz. 4Ces trois persones, qui un Deu doivent
estre entendues simplement, merci ge et aor et suppli, et lor rent graces de ce que, par
lor benygnité et par lor debonaryeté, ai eu tens et loisir de mener a fin la riche ouvrage
del « Livre del Bret ».
   

5Aprés les merci ge autre fois de ce qu’il m’ont doné tel grace que ge en ai

conquesté la bone volenté del noble roi Henri d’Engleterre, a cui mon livres a tant
pleu, por les diz plaisant et dilletaules qu’i a trové dedenz, 6qu’il velt, porce qu’il n’a
trové dedenz cestui mon « Livre del Bret » tout ce qu’il i covenoit, que ge encommence
   

un autre livre de celle meemes matiere ; 7et velt que en cestui livre que ge ore

comencerai a l’onor de lui soient contenues toutes les choses qui en mon « Livre del  

Bret » faillent, et en autres livres qui de la matiere del Saint Graal furent estrait ; 8car
   

bien est verité que alcuns saint home, clerc et chevaliers, se sunt ja entremis de
translater celui livre de latyn en langue françoyse. 9Missire Luces de Gau s’entremist

1.1. A Deu, qui m’a doné pooir L1 β] A celui qui m’a presté sen Fe ; [A] Deu qui ma(n)de pe | poder 350 ;
   

A D. en soit loenge qui m’a d. p. Fi ◊ et engin] om. Fi ◊ et force α] om. β ◊ de finer honoreement le lyvre]
et f. honoreementi le de lyvre (sic) 350 ◊ tant (cinc L1, om. Fi) anz travallié α] tr. moult lonc temps β ◊
et curiosement] om. δ ◊ ensint … rent α] dont je rent β 2. et loenges (longes 350) L1 350 Fi γ] om. Fe δ
◊ envoisiéz] emtanez (sic) 350 ◊ et ententis (et e. om. Fi) as deduit (deliz Fe) du monde] om. δ ◊ du
monde] monde L1 ◊ puet rendre. Deu merci ge α] puet ne doit rendre a son creatour β 3. fu fet L1 Fe
Fi] il (?) fait 350 ; fut β ◊ concryéz α (350 illisible)] conceus β ◊ ne concriéz ne engendriéz α] om. β

4. qui un (q. vit L1) Deu … merci ge L1 350 Fi] merci Fe ; ne doivent estre entendues que en Dieu le Pere
   

seulement et celui merci je γ ; ne d. estre e. que ung Dieu. Celui aour et merci δ ◊ et suppli β Fe Fi] om.

L1 350 ◊ lor rent L1 Fe] hor r. 350 ; rent Fi ; li r. β ◊ graces] g. et mercis Fi ◊ par lor (hor 350) benygnité
   

et par lor debonaryeté α] p. sa b. et p. sa d. β ◊ ai eu tens] ai entés 350 ; ai eu repos Fe ◊ la riche (haute


Fe) ouvrage α (350 illisible)] le r. o. que je ai empris a faire β 5. les merci L1 350 Fi] le m. β Fe ◊ autre
fois] moult humblement a. f. L3 ◊ qu’il m’ont doné L1 350 Fi] qu’il m’a d. β Fe ◊ plaisant] apleissant Fi
◊ dedenz (d. mon livre 356) … dedenz cestui mon ‘Livre del Bret’ tout ce qu’il i covenoit] dedenz le
Livre del Bret Fe 6. qu’il velt β Fi] il velt L1 350 ◊ il n’a trové … tout ce qu’il i (qu’il et L1, qu’il 350)
covenoit (add. et convient 350 Fi) α] il li samble que je n’ai encore mie mis tout ce que il y
apartenoit β ◊ Livre del Bret] l. de Luquet Fi ◊ encommence] conte L1 350 ◊ de celle meemes matiere]
del Brait a cele m. maniere Fe 7. en cestui livre] add. del Brait Fe ◊ a l’onor] add. de Deu et Fi ◊ Livre
del Bret] l. de Luquet Fi ◊ estrait α] estraites β 8. alcuns saint home L1 Fi 338] autre sage h. Fe ; a.  

proudomme δ ◊ clerc et chevaliers] et […] Fe (illisible) ◊ se sunt ja entremis] se sa | […] enuen[…] 350 ◊
celui livre] estu (?) l. L1 9. L. de Gau (Gaut Fe) β Fi Fe] Luces del Gay L1 350 ◊ qui son estude i mist et sa
74 Lino Leonardi et Richard Trachsler

adonc tout premierement : cil fu li premiers chevaliers qui son estude i mist et sa cure,

bien le savom ; 10et cil translata en langue françoyse partie de l’estoyre monsegnor

Tristan, et meins asséz qu’il ne deust. 11Molt encomença bien son livre, mes il ne dist
mie asséz les ovres monseignor Tristan, ainz en leissa bien la gregnor partie. 12Aprés
s’entremist messire Gasses le Blont, qui parent fu del roi Henry ; 13aprés s’entremist

missire Gautier Map, qui estoit clerc le roi Henri, et devisa cil l’estoire de monseignor
Lancelot, que d’autre chose non parla il granment en son livre. 14Missire Robert de
Borron s’en entremist aprés.
15Ge Helys de Boron, por la priere de monseignor Robert de Boron et porce que

compaignons d’armes fusmes longuement, encomençai mon « Livre del Bret ». 16Et    

quant ge l’oi mené dusqu’a la fin ensint com il apert encore, missire le roi Henri, a cui
mon livre atalanta, quant il l’ot regardé des l’encomencement dusqu’a la fin – 17et
porce qu’il avoit oï touz les autres livres qui del grant « Livre del Graal » estoient
   

estrait en françoys et devant lui les avoit touz, ne encor n’estoit dedenz tous ces livres
mis ce que le livre del latin devisoit, ainçois en remenoit a translater molt grant
partie –, 18velt que ge encomence un livre en françoys ou, a mon pooir, soit contenu
tout ce que en ces autres livres failloit. 19Ge endroit moi, qui por son chevalier me
tieng et bien le doi faire par raison, voill acomplir le suen comandement et li promet
que ge mon pooir i ferai. 20Et porce que ge voi que le tens est bel et cler, et l’ayr pur, et
la grant froydure de l’yver se est d’entre nos partie, voill ge comencier les premier diz
de mon livre en tel maniere.

2. 1Grant tens a ja que ge ai regardé et veu les merveilloses aventures et les estranges
fait que la halte « Ystoire del Saint Graal » devise tout apertement. 2Molt i ai curiose-
   

ment mise m’entente et le sens que nature m’a doné ; molt i ai pensé et veillié et

travaillié estudiosement, et molt m’esjois del travaill que ge ai soffert, 3car ge voi

cure (imistis sacure (sic) L1)] qi sa peine m. et sa entente Fe 10. en langue françoyse] om. Fe ◊ et meins]
L1 illisible. 11. ne dist] ne mis Fe ◊ ainz (mais L1, main tardive) en leissa bien la gregnor partie] et la g.
p. Fe 12. Aprés] Atent (?) L1 (main tardive) ◊ Gasses] Gase L1 (main tardive) 13. messire Gautier 350 Fe
Fi δ] messire Gracien L1 (main tardive), maistres Gautier γ ◊ estoit clerc] etoit clere L1 (avec inter-
ventions d’une main tardive) ◊ que d’autre chose] dauere (sic) ch. 350 ◊ gramment] gen[…]ent L1
14. s’en entremist aprés. Ge Helys de Boron] om. 356 ; s’en entremist. Aprés s’en entremist Jehelis (sic)

de Boron δ ◊ Borron] bonon L1 (main tardive) 15. et porce que] ensor […] L1 (main tardive ; dans la  

marge, une main moderne annote : et porce) ◊ longuement] om. 356 16. atalanta α] ot tant pleu ainsi

comme je vous ai dit β 17. livres] om. L1 L3 ◊ et devant lui α] devant lui et le mien et les autres
β ◊ mis] om. δ ◊ le livre del latin devisoit] le latin devisoit du livre 356 18. encomence … contenu α]
m’entremeisse a m. p. de mener a fin β ◊ en françoys] en franco Fe ◊ ce que en] ce que L1 350 ◊
failloit] failloient L1 350 Fi 19. son chevalier] son homme 356 ◊ le suen comandement] le c. de Deu et le
suen Fi 20. bel et cler] b. et olers (sic) Fe ; doulz et c. 356 ◊ se est d’entre nos partie] est passee δ ◊ les

premier diz de mon livre] mon livre β.


2.1. a ja que ge] ala que ge 350 ; om. Fe ◊ les estranges fait] les estrances (sic) Fe 2. i ai] iray L3 ◊

nature] Dex Fe ◊ soffert α] fait β 3. de l’ovre que ge ai traite (traitié L1 356) L1 350 Fi γ] de le livre que
L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  75

adonc tout apertement que de l’ovre que ge ai traite et des diz plaisant et dilletaibles
que l’en i trove se vont esjoissant ausint li povres come li riches qui ont alcun
entendement a bien et a joie, 4quant il poent avoir pooir et aise de veoir et de regarder
ce que ge ai dit en langue françoyse.
5Molt ai conté estrange faiz, car estranges choses et merveilleuses ai trovees el

latyn ; tant ai dit que ge conoys que en touz les leux ou chevalier o langue françoyse

repairent sunt li mien dit chery et honoré sor touz autres diz françoys qui a nostre tens
fussent espenduz entre pople : 6honoréz sunt de cels qui a honor entendent et, se il ne

sunt molt prisiéz de cels qui ne conoissent ne l’onor ne le pris del monde, ce ne m’est
mie grant deshonor, car qui soi meesmes ne reconoist son povre estat, son povre fait,
malvaisement puet reconoistre alcun bon diz quant il le trove. 7Et se tex m’aloient
blasmant, ce me seroit un grant reconfort, car l’en dit tout apertement que blasme de
chetif home est loenge as bons et honor.
8Or donc, quant ge vois et conois que li sage et li plus prisiéz de la riche cort

d’Engleterre sunt ardant et desirrant d’escouter les miens diz, et a monseignor le roi
Henry plest que ge die encore en avant, et ge voi que la grant « Ystoire del Saint  

Graall » – 9dont maint prodome se sunt ja travaillié por translater en françoys ne


encore ne l’ont mie traite a fin, et si en ont ja esté fait maint halte despens et maint
riche, et a moi meesmes en a ja missire li rois Henri doné deus chasteax, la soe merci –
10n’est encore del tout acomplye, huimés voill ge la main metre por acomplir ce que li

autre encomencerent. 11Huimés voill ge de cels parler qui furent si enterinement


prodome et bons chevaliers que encor en apert el reaume d’Engleterre molt grant
partie de lor ovres. 12Encore veom nos par escrit et par ovre veraie chascun jor qui il
furent et com grant fu la lor bonté, com il furent preuz et hardiz. 13Del voir ne puet l’en
mie trop bien dire, car prodome furent parfitemens ; ne des malvés ne puet l’en dire si

poi de mal qui trop ne soit a escolter. 14Ge laisse les malvés d’une part : en loing de  

moi soient tous jours ; ja Dex ne voille qu’il m’aproichent. 15Des bons, dont auques sai

ge ai fraite (sic) Fe ; du livre que je ay traictié (trouvé C) δ ◊ que l’en i trove α] om. β ◊ a bien et a

joie, quant il poent avoir pooir α] qui ont pooir β 4. aise] aisement C ◊ de regarder ce que] de r. et
entendement de ce δ 5. molt ai conté (orrez Fi) estrange faiz] om. β ◊ estrange faiz, car estranges
choses] estranges cosses Fe ◊ ai trovees] i a trovees L1 350 ◊ el latyn] es livres en latin C ◊ ge conoys
que (q. om. 356) β Fi] ge c. en moi meemes q. L1 350 ; om. Fe ◊ touz les leux … et honoré sor] om. 350 ◊

repairent] soit Fe ◊ chery] chiers C ◊ touz autres diz françoys] om. Fe 6. se il ne sunt molt prisiéz] si
moult prisiez L3 ◊ ne l’onor ne le pris] ne l’or ne prise lo (sic) Fe ◊ soi meesmes α] en s. m. β ◊ son
povre estat, son povre fait] om. Fe ◊ malvaisement puet reconoistre alcun bon diz] ne poroit conoistre
biaus diz Fe 7. tex L1 350 Fi] telles gens β ; mauvés Fe ◊ apertement] plainement Fe ◊ de chetif] que

ch. 350 8. li sage] les plus nobles 356 ◊ de la riche cort d’Engleterre α] d’E. et de la riche (et de ceste
356) court γ ; d’E. δ ◊ ardant] acordant Fe 9. dont] et d. 338 ◊ et maint riche] add. don 338 10. n’est

encore α] et si n’est pas encore l’euvre β ◊ la main] la matin Fi ◊ por acomplir ce que li autre (li
mostre (sic) Fe) encomencerent] au (om. L3) commencier δ 12. par escrit (eserit 350) et par ovre veraie
(v. om. 356)] pas por e. mes par o. v. Fe ◊ furent] firent Fe 13. Del voir α] Des bons β ◊ car prodome
furent parfitemens α] om. β ◊ ne soit α] add. grief β 14. jours] iori L1 15. dont auques sai la vie] doing
76 Lino Leonardi et Richard Trachsler

la vie, les grant merveilles et les grant faiz que il firent a l’encyen tens, voill ge faire
une compilysom, un livre grant et merveilleux, tel come ge le voi en latyn.
16Se mon « Livre del Bret » est grant, cestui ne sera mie menor, car a force le
   

covient estre, autrement ne porroie ge metre enterignement ce que missire me coman-


da. 17Bien sai ge qu’il plera as bons, et porce que li bons le saichent, ge voill por les
bons translater, que li bons praignent bon exemple des halt fait des bons chevaliers
ancyens. 18Li bons qui verront cest mien livre et escolteront les beax diz que ge metrai
se conforterunt soventes foiz et sovent en osterunt lor cuers de diverses cures et de
gravox penser. 19De beax diz et cortois et de halt fait et de haltes ovres sera tout cest
mien livre estrait : de ce prendra comencement et en ce se definera. 20Autre propose-

ment ge n’ai fors a parler de cortoisie. Et quant cortoisie est li chief de cest mien livre,
or seroit bien raison et droit que ge de cortois chevaliers encomençasse ma matiere, et
ge si ferai se ge onques puis.
21De cui dirai ? De cui encomencerai ge cest mien livre ? Ce n’iert mie de Lancelot :
     

mesire Gautier Map en parla bien soffissement en son livre. 22De monseignor Tristan
n’iert mie cestui mien livre, car el « Bret » en ai auques dit et de lui a l’en proprement
   

un livre fet. 23Quel nom li porrai ge doner ? Tel com il plera a monseignor le roi Henri :
   

il velt que cestui mien livre qui de cortoisie doit nestre doie apeller « Palamedés »,    

24porce que si cortois fu toutevoies Palamedés que nul plus cortois chevaliers ne fu au

tens le roi Artus, et tel chevalier et si preuz come l’estoyre veraie tesmoigne. 25Or donc,
quant a mon segnor plest que cest mien livre encomence el nom del bon Palamidés, et
ge le voill encomencier.
26Deu merci ge premierement de ce que ge ai, soe merci, la grace et la bone

volenté del noble roi Henry mon seignor, 27et Deu pri ge de tout mon cuer que il me
doint pooir et force de finer honoreement, o grant joie e o grant leesce, o bone
aventure, ceste moie ouvraigne, qui el nom de Palamedés par la volenté del noble roi

et sai la v. Fe ; donc ausquelz s. l. v. L3 ◊ a l’encyen tens] aucun t. Fe ; ab ancyen t. Fi ◊ faire une


   

compilysom (complision Fi) α (350 part. illisible : f. une con[…])] metre en auctorité β 16. force] fore

338 ◊ estre] om. Fe 17. Bien sai ge] add. | ge tout veraiment L1 ; add. enterinement 350 ◊ translater α] si

mon livre t. β 18. escolteront les beax diz] escouteront (escouterent C) l. mien d. δ ◊ se conforterunt
soventes foiz et sovent en (s’en δ) osterunt lor cuers (l. c. om. δ) … et de gravox (greigneurs 356,
diverses δ) penser] et osteront soventes foiz de lor cors les anoioses pensees Fe 19. prendra … se
definera] prendrai … finerai Fe ; prenderai … se definera Fi 20. li chief] le commencement δ 21. De cui

(oui L1) dirai ? De cui encomencerai α] De cui dirai je ? Je commencerai β ◊ mesire α] maistre β ◊
   

soffissement] soutilment Fe 23. doner] donetur Fe ◊ Tel com] Tel nom c. Fi ◊ nestre] estre δ ◊
Palamedés] de Guiron δ 24. porce que si cortois fu toutevoies Palamedés (P. om. Fi L3 ; ledi Gui-

ron C)] om. Fe 25. plest] om. Fi ◊ Palamidés] Guiron δ 26. Deu merci] nuovo par. Fe ◊ Deu merci ge
premierement … mon seignor L1 350 Fe] Deu en m. je pr. Fi ; puisqu’il plest au noble roi Henri mon

seigneur, si proi Dieu (p. Nostre Seigneur Jhesu Crist δ) β ◊ soe merci 350 Fe] sor m. L1 27. de tout
mon cuer α] om. β ◊ que il me doint pooir … encomenciee α] qu’il me doint (doient L3) ceste moie
ouvrage qui el non de Palamedés (dudit Guiron C, du bon chevalier L3) est comenciee de finer a
m’onneur β ◊ honoreement … bone aventure L1 350] h. et par b. aventure Fe ; om. Fi ◊ qui el nom de

L’édition critique des romans en prose : le cas de Guiron le Courtois
  77

Henry doit estre encomenciee. 28Or encomencerai donc mon livre, el nom de Deu et de
la Sainte Trinité, qui ma jovente tiegne en joie et en santé et en la grace mon seignor
terrien, et dirai en tel maniere.

7 Bibliographie
7.1 Textes primaires

Beltrami, Pietro G., et al. (2007), Brunetto Latini, Tresor, Torino, Einaudi.

Blanchard, Joël/ Quéreuil, Michel (edd.) (1997), Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit
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Bubenicek, Venceslas (1985), Guiron le Courtois. Roman arthurien du XIIIe siècle. Édition critique
partielle de la version particulière, contenue dans les mss. de Paris, Bibliothèque de l’Arsenal,
n. 3325, et de Florence, Biblioteca Mediceo-Laurenziana, Codici Ashburnhamiani, Fondo Libri,

n. 50, Thèse de doctorat, Université de Paris IV-Sorbonne.


Bubenicek, Venceslas (1998), Guiron le Courtois. Édition critique de la version principale, Ms B.N.F. f.
fr. 350, Thèse d’habilitation, Université de Paris IV-Sorbonne.
Cerquiglini, Bernard (ed.) (1981), Le Roman du Graal, manuscrit de Modène par Robert de Boron, Paris,
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Combes, Annie (ed.) (2009), Le Conte de la charrette dans le Lancelot en prose : une version divergente

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Curtis, Renée L. (1985), Le Roman de Tristan en prose, Cambridge, D.S. Brewer, 3 vol. [vol. I : réimpres-

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Frappier, Jean (ed.) (1936), La Mort le Roi Artu, roman du XIIIe siècle, Paris, Droz.
Furnivall, Frederick James (ed.) (1861–1863), Seynt Graal, or the Sank Ryal. The History of the Holy
Graal, partly in English verse, by Henry Lonelich, and wholly in French prose by Sires Robiers de
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Palamedés … Or encomencerai donc mon livre L1 350 Fe] qe ge encomence Fi 28. Or encomencerai
donc … dirai en tel maniere] L3 insère une formule de transition et commence sa propre « version  

particulière » (Lath. 256) ◊ el nom] en l’onneur C ◊ jovente] iovece Fe ◊ et en la grace] en in richece et


en l’amor Fi ◊ mon seignor terrien] de monseignor le roi Henri d’Engleterre que Dex mantiegne Fe ; del 

mien seignor Jhesu Crist. Amen Fi ◊ en tel maniere L1 350 Fe δ] om. Fi ; add. con vous orrois γ.

78 Lino Leonardi et Richard Trachsler

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Nadia R. Altschul
3 L’espagnol castillan médiéval et la critique
textuelle
Abstract : Cette étude examine l’introduction de la méthodologie de la critique tex-
   

tuelle dans le domaine de l’espagnol castillan médiéval, tout en soulignant l’influence


qu’exercent les théories sous-jacentes de la textualité sur la pratique de l’édition de
textes vernaculaires du Moyen Âge. L’essai décrit les principales écoles dans lesquelles
fonctionna la philologie éditoriale de l’espagnol castillan : celles du bédiérisme et du

néo-bédiérisme, du lachmannisme et du néo-lachmannisme, ainsi que la « New Philo-


logy » française et anglo-américaine, qui se manifesta dans les études hispaniques du


Moyen Âge sous forme de la « culture manuscrite » et du « versionisme scribal ».


       

Keywords : Ramón Menéndez Pidal, néotraditionalisme, mouvance, textes d’auteur,


   

scepticisme méthodologique

1 Introduction
1.1 La publication d’éditions de textes médiévaux en espagnol castillan commença de
bonne heure. Tandis que les premières éditions des poèmes épiques fondateurs datent
pour Beowulf de 1815, pour la Chanson de Roland de 1836, pour Karel ende Elegast de
1824 ou encore la Nibelungenlied de 1826, le Poema del Cid espagnol avait déjà été
publié en 1779 (Leerssen 2004, 114). En outre de la collection de poésies médiévales
où parut le Cid – la Colección de poesías castellanas anteriores al siglo XV –, tout au
long des années 1780, l’imprimeur Antonio de la Sancha publiait d’autres textes
médiévaux, pour la plupart de type historiographiqe (de la Campa Gutiérrez 2004, 46
n. 6). De même, le XIXe siècle vit la production d’éditions monumentales d’œuvres du

Moyen Âge, telle la Biblioteca de Autores Españoles (plus de soixante-dix volumes) qui
fut lancée en 1846 par Manuel Rivadeneyra, et que les éditeurs et les érudits conti-
nuaient à utiliser jusqu’à une époque récente. En dépit de cette naissance ancienne,
l’histoire de la critique textuelle en Espagne montra dès le début une séparation nette
et consciente par rapport aux premières éditions de textes médiévaux du XVIIIe et du
début du XIXe siècle.

1.2 Comme on le sait, la critique textuelle n’est pas seulement le fait de donner des
éditions de vieux textes manuscrits, mais aussi l’application d’une méthodologie
spécifique qui relève de croyances particulières sur le caractère de textes, de composi-
tions fournies par un auteur, et de leur transmission à travers le temps. Avant de
décrire l’introduction de la méthodologie de la critique textuelle dans l’espagnol
castillan du Moyen Âge, nous commencerons donc par une description des principa-
82 Nadia R. Altschul

les écoles de philologie éditoriale en langue vernaculaire, à l’intérieur desquelles


fonctionnait l’édition en espagnol castillan médiéval : le bédiérisme et le néo-bédié-

risme, le lachmannisme et le néo-lachmannisme, et ensuite la Nouvelle Philologie


anglo-américaine (« New Philology ») ou – sous la forme qu’elle revêt dans les etudes
   

hispanisantes du Moyen Âge – la Culture des Manuscrits et la Version Scribale


(« Manuscript Culture and Scribal Version »). Dans cet article qui porte sur la philolo-
   

gie éditoriale de l’espagnol castillan, nous soulignerons combien la théorie de textua-


lité dans laquelle travaille un éditeur – ou encore, une école nationale de philologie –
influent sur l’édition de textes vernaculaires du Moyen Âge.1

1.3 Comme le savent très bien les lecteurs de ce volume, la science éditoriale médié-
viste est divisée depuis le début du XXe siècle entre deux positions : celles du  

lachmannisme et celle du bédiérisme. Le lachmannisme tire son nom de celui de


l’érudit allemand du XIXe siècle, Karl Lachmann (1793–1853), qui fonda une école
éditoriale qui insistait sur l’utilisation de paramètres « scientifiques » rigoureuses
   

pour l’édition de textes vernaculaires du Moyen Âge. La méthodologie qu’appliqua


cette école « scientifique » aux langues vernaculaires médiévales avait été conçue et
   

appliquée dans les domaines bibliques et gréco-romains, et tout comme dans le cas de
ces œuvres plus prestigieuses, elle rechercha l’ancêtre commun de la tradition
textuelle médiévale. Dans le cas des textes en langues vernaculaires, cependant,
composés à une époque beaucoup plus récente, cette école croyait que la méthode
pouvait récupérer un original au-delà des manuscrits existants, pour arriver jusqu’au
premier vrai ancêtre, l’Urtext (cf. Timpanaro 1963 ; Schmidt 1988 ; Foulet/Speer 1979 ;
     

Ganz 1968).

1.4 La deuxième école prend son nom de celui du savant français du XXe siècle,
Joseph Bédier (1864–1938), qui s’opposa à la méthode « scientifique » et mécanique
   

importée de la tradition scientifique de l’édition biblique et des lettres classiques.


Pour Bédier, ce qu’il appelait la méthode éditoriale lachmannienne était, dans le cas
des vernaculaires du Moyen Âge, sujette à des contradictions fondamentales qui
empêchaient l’éditeur d’aller au-delà de l’introduction de corrections limitées aux
manuscrits conservés. Sa critique démantela l’idée trop confiante selon laquelle les
éditeurs pouvaient aller au-delà des témoins manuscrits pour atteindre l’Urtext, et la
tâche de l’éditeur était, selon lui, beaucoup plus restreinte. Il proposa que face à une
tradition vernaculaire du Moyen Âge, l’éditeur devait trouver un seul texte parmi les

1 J’ai discuté, au cours de plusieurs publications, ces thèmes, en même temps que les théories de la
textualité et de la critique textuelle dans le domaine de l’espagnol castillan. Pour une discussion
portant sur les théories de la textualité sous-jacentes, voir Altschul (2003) et (2005) ; pour la terminolo-

gie, voir Altschul (2005, ch.2) et Altschul (2010) ; pour une approche des écoles de la philologie

nationale, voir Altschul (2006a ; 2008) ; pour une approche non-sceptique de lédition des textes
   

médiévaux voir Altschul (2006b).


L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 83

témoins qui avaient survécu, et ensuite présenter ce « meilleur » texte tout seul, avec
   

des émendations minimales (Bédier 1913 ; 1928 ; cf. aussi Foulet/Speer 1979). Bien que
   

différents l’un de l’autre, le lachmannisme et le bédiérisme constituent deux aspects


de la critique textuelle, elle-même une branche d’une science éditoriale qui conçoit
les textes médiévaux comme des créations individuelles d’auteurs, et pour laquelle il
importe de trouver la meilleure solution possible pour récupérer le texte perdu de
l’auteur. D’autre part, le champ plus vaste de la philologie éditoriale admet des modes
d’éditer qui ne rentrent pas dans la perspective de la critique textuelle centrée sur
l’auteur. Dans le cas de l’espagnol castillan, comme nous le verrons par la suite, deux
de ces méthodes de comprendre la textualité médiévale – et donc, de comprendre
comment éditer des textes médiévaux – sont le néo-traditionalisme et la culture
manuscrite.

2 La « Nouvelle Philologie »
   

2.1 La centralité de l’opposition que nous venons de décrire entre le lachmannisme et


le bédiérisme semblait sans discussion avant la publication en 1990 d’un numéro
spécial de Speculum, la revue très largement répandue de la Medieval Academy of
(North) America, portant sur la « Nouvelle Philologie » (« New Philology) ». En repre-
       

nant l’idée de la mouvance des textes médiévaux, à l’origine lancée par Paul Zumthor
au début des années 1970, la théorie prônée par la New Philology, qui s’opposa ainsi à
la division éditoriale lachmannisme-bédiérisme, fut la promotion de la variance
linguistique (selon Bernard Cerquiglini) comme la principale caractéristique inhé-
rente à la textualité des manuscrits médiévaux (Zumthor 1972, 65–79 ; Cerquiglini  

1989). Les concepts emblématiques de mouvance et de variance contredisent la notion


de la modification linguistique comme une dégradation du texte d’auteur, et souli-
gnent le fait que des textes littéraires vernaculaires du Moyen Âge ne sont pas des
compositions linguistiquement figées, dues à des auteurs individuels, mais des cons-
tellations mouvantes de versions dont la (re)structuration est toujours ouverte à des
modifications ultérieures sous la main d’une pluralité de copistes. Grâce aux notions
de mouvance et de variance, la science éditoriale insista sur la nécessité de rompre
avec le paradigme de l’auteur proposé par la critique textuelle, et engendra un
renouveau d’intérêt dans toutes les versions ayant survécu, dont bon nombre avaient
été rejeté comme des copies en général inférieures, sinon estropiées, du texte original
(perdu) de l’auteur.

2.2 Ce sentiment d’un changement, voire même d’une crise dans l’édition de textes
médiévaux, atteignit un public important. Cela était surtout vrai après la traduction
en anglais du livre de Cerquiglini en 1999, sous le titre d’In Praise of the Variant,
ouvrage publié dans une série éditée par Stephen G. Nichols, également responsable
du numéro spécial de Speculum sur la « New Philology ». Dans la théorie espagnole de
   
84 Nadia R. Altschul

l’édition, les idées que l’on associait à Cerquiglini et à la New Philology se répandirent
comme les feux de brousse à la suite de la publication en 1994 du livre de John
Dagenais, The Ethics of Reading in Manuscript Culture : Glossing the Libro de Buen

Amor. L’impact de cet ouvrage sur la manière de penser des éditeurs de textes en
espagnol castillan est très visible dans les réactions du groupe international d’experts,
et dans la quantité de pages consacrée à la question, qui parurent dans deux forums
différents de la revue La corónica, publication très largement lue de la Medieval
Spanish Division de la Modern Languages Association. Malgré le fait que la mouvance
était déjà un concept bien connu parmi les philologues éditeurs, le numéro de 1990 de
Speculum avait créé l’impression générale d’une nouvelle révolution éditoriale à
l’instar de celle provoquée par Bédier au début du XXe siècle. Comme l’école inspirée
par la mouvance / variance relançait le scepticisme fort de Bédier concernant les
questions de méthode, il semblait aux philologues éditeurs espagnols qu’un renou-
veau de scepticisme à la fois de la part de la New Philology, et dans la culture
manuscrite telle que la présentait Dagenais annonçait un « nouveau » bédiérisme.
   

Dans les travaux hispanophones portant sur l’édition, une explication de ce change-
ment théorique était donc, dès son apparition, qu’il s’agissait du « néo-bédierisme ».
   

2.3 Le terme de « néo-bédiérisme » était dès le début renforcé par la reconnaissance


   

genérale que la philologie de l’édition était pour l’essentiel divisée entre l’école
lachmannienne (généalogique) et celle de l’école bédiériste (le meilleur manuscrit).
Par exemple, dans leur préface au tome 45.1 de la Romance Philology (parue en 1991),
également dédié à la critique textuelle, Charles Faulhaber et Jerry Craddock séparè-
rent le champ d’études selon la « long-standing antithesis that opposes the editorial

principles of Karl Lachmann […] to those of Joseph Bédier […] » (Faulhaber/Craddock


1991, 1). Ce numéro de la revue, qui publia des essais critiques par Alberto Blecua et
par Germán Orduna, eut une importance particulière pour la philologie de l’édition de
textes en espagnol castillan. En premier lieu, parce que l’espagnol castillan était
rarement présent dans des volumes de ce type ; et deuxièmement, parce que même si

les éditeurs du volume (Faulhaber en tant que médiéviste hispaniste) considéraient


que le bédiérisme était la position de base dans l’édition de textes espagnols castil-
lans, les deux essais parus dans le volume furent écrits par les deux maîtres contem-
porains de la méthodologie néo-lachmannienne appliqué au castillan. C’est dans ce
numéro de Romance Philology, donc, qu’Alberto Blecua a également proposé qu’en
dépit d’une certaine diversité et de quelques nuances, les éditions de textes médié-
vaux peuvent se diviser en deux groupes opposés : un groupe néo-bédiériste, et un

groupe néo-lachmannien (Blecua 1995, 476).2 La même position est adoptée par Mary
B. Speer lorsqu’elle déclare que « most theoretical discussions on editing were anima-

ted by the debate between partisans of reconstructive or interventionist (neo-Lach-

2 L’étude de Blecua de 1991 fut traduite en anglais en 1995. Je cite ici la traduction anglaise.
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 85

mannian) editions and proponents of conservative (Bédierist) ones » (1991, 8). Cette

dichotomie s’est reproduite même dans les sources du champ de travail, dans le cas
de D.C. Greetham, qui remonte le fleuve de la science pour discuter des écoles
d’édition concurrentes d’Alexandrie et de Pergamum (1992a, 300 ; voir également 

1992b, 105–106).

2.4 Avec deux écoles opposées comme seules possibilités, et en comparaison avec la
recherche lachmannienne qui tentait de reconstruire l’ancêtre commun perdu, la
remontée d’intérêt pour les manuscrits conservés, liée aux idées de variance et de
mouvance, se rattachait plus naturellement à l’école bédiériste. Ce rattachement,
cependant, se basait sur une mécompréhension du bédiérisme comme présentation
du texte du copiste et non pas celle du meilleur texte de l’auteur que l’éditeur
bédiériste croyait retrouver parmi les témoins conservés et qu’il avait à sa disposition.
Ainsi, si le bédiérisme était compris comme une présentation d’un seul manuscrit de
copiste, la nouvelle prise de position de la New Philology et de la « culture manusc-

rite » était, elle aussi, mal identifiée comme une sorte de néo-bédiérisme qui présen-

tait une pluralité de manuscrits de copiste au lieu d’en offrir un seul. Le mot « néo-  

bédierisme » était aussi un terme pratique à cause de l’existence de l’école néo-


lachmannienne. Après la critique méthodologique de Joseph Bédier et la méfiance


générale qui s’ensuivait au sujet de la pertinence d’une méthode « scientifique » pour
   

l’édition de textes vernaculaires, l’un des disciples de Bédier lui-même entreprit de


faire revivre et de réanimer la méthode dite lachmannienne. Au cours des années
1930, l’Italien Gianfranco Contini proposait une réponse simple mais efficace au
scepticisme de Bédier. Il suggéra que la reconstruction de l’ancêtre commun ne
devrait pas être une reconstruction mécanique et trop confiante de l’Urtext mais une
« hypothèse de travail » sur le texte de l’auteur, préparée par un éditeur compétent, et
   

appuyée par un jugement bien instruit et interprétatif. À la place de la reconstruction


vaine de l’Urtext – considérée en tout cas comme une entreprise impossible – l’hypo-
thèse de travail était jugée comme offrant une solution constructive et assurée qui
impliquait également une ouverture à d’éventuelles révisions futures de la part de
collègues. Cette façon de retravailler la méthode lachmannienne, telle qu’elle était
formulée par Contini, fait partie de ce qu’on appele la Nuova Filologia italienne, ou le
néo-lachmannisme (cf. Pasquali 1934 ; Contini 1939 et 1978 ; Speer 1979 ; Pugliatti
     

1998 ; Orduna 2000, 49–75).


2.5 Après Contini, le monde de l’édition se divisait non seulement entre les deux
positions principales, mais les représentants se situaient aussi par rapport à des
critiques théoriques importantes concernant les langues vernaculaires du Moyen
Âge : qui avaient commencé dans un lachmannisme du XIXe siècle, directement

inspiré par le classicisme ; ensuite, une critique méthodologique bédiériste ; du début


   

du XXe siècle, portant très exactement sur les langues vernaculaires médiévaux ;  

enfin, une réanimation après les années 1930 de la méthodologie lachmannienne,


86 Nadia R. Altschul

sous forme du néo-lachmannisme. Bien que l’école italienne du néo-lachmannisme


ne fut pas au centre de la discussion au moment de la parution du numéro spécial de
Speculum sur la New Philology, car elle était presque inconnue par rapport à l’école de
l’éclecticisme anglo-américaine3 – le déséquilibre visible dans le trio lachmannisme/
bédiérisme/néo-lachmannisme laissait la porte ouverte à l’introduction dans la philo-
logie éditoriale castillane d’un néo-bédiérisme qui rétablirait un certain équilibre. En
dépit du jeu d’échos agréable entre le « néo-bédierisme » et le « néo-lachmannismé »,
       

l’intérêt porté à la mouvance / variance dans la variation scribale se base sur une
redéfinition de la textualité médiévale qui la sépare à la fois de la présentation
lachmanniste ou bédiériste d’une version privilégiée qui serait l’œuvre d’un auteur
individuel.

2.6 Un problème supplémentaire lié à l’idée que la New Philology et la « culture  

manuscrite » constituaient une forme nouvelle du bédiérisme, fut que le bédiérisme


renouvelé était limité à l’espagnol castillan. Bédier luttait non seulement au sein de
disputes éditoriales contre ce qui’il appelait la méthode lachmannienne. Une deu-
xième dispute centrale au cours du XXe siècle fut celle qui opposa les théories néo-
traditionalistes de Menéndez Pidal à la théorie individualiste de Joseph Bédier. Le
bédiérisme et le lachmannisme étaient en désaccord sur certaines sujets éditoriaux
mais ils partageaient une seule et même conceptualisation des textes littéraires
médiévaux comme étant créés par des auteurs individuels (Bédier 1912 ; 1921 ; Aarsleff
   

1985). Sous le titre du traditionalisme et du néo-traditionalisme, Menéndez Pidal


proposa par contre que la matière des textes médiévaux n’était pas le produit d’un
auteur individuel, mais résultait d’un travail de « personne », ou d’un « auteur-
     

légion » : pour le texte médiéval, « vivre, c’est changer ». Selon le néo-traditionalisme,


       

les œuvres ont plus d’un auteur individuel et la collaboration à travers l’espace et le
temps est inhérente au processus de la créativité littéraire. Sous pression de la part
d’autres critiques, Menéndez Pidal modifia ses idées sur l’« auteur-légion » du tradi-
   

tionalisme, et passa au concept de l’auteur pluri-individuel qui caractérisait le néo-


traditionalisme ; mais en ce qui concerne la théorie sous-jacente de la textualité, on

continuait à croire que les textes médiévaux ne sont pas des créations individuelles et
fixées, mais le résultat d’une entreprise collective qui est toujours susceptible d’être
modifiée (cf. Wood 1999, 212 ; Lacarra 1980, 97–98 ; Catalán 1982, 50). Cette continuité
   

textuelle, ou le traditionalisme, qui est à la base de la tradition littéraire de l’état-


nation, entra en conflit avec les notions d’originalité littéraire de l’individu de la
critique textuelle et avec sa tentative de fixer un texte d’auteur. La dispute entre

3 L’école éclectique anglo-américaine est surtout associée aux travaus de W.W. Greg, de Fredson
Bowers, et de Thomas Tanselle. Il s’agit d’une branche indépendante de l’école lachmannienne qui ne
s’associe pas aux révisions du néo-lachmannisme italien. Elle travaille sur des textes post-médiévales
et une de ses caractéristiques les plus saillantes est une tentative de dépasser les témoins conservés
pour atteindre le texte idéalisé tel que l’auteur aurait voulu le rédiger (cf. Tanselle 1996, 59).
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 87

Bédier et Menéndez Pidal tourne donc autour du concept de la textualité médiévale


qui sous-tend l’entreprise éditoriale. Pour Bédier, les textes modernes et médiévaux
partageaient le même type d’individualité d’auteur, ce qui s’aligne avec la focalisation
sur la création par l’auteur dans la critique textuelle. Menéndez Pidal par contre
insista sur l’idée d’une production et d’une modification continue, qui permettait
même une amélioration des textes traditionnelles au cours de leur transmission
active. Cette deuxième dispute entre les théories néo-traditionaliste et individualiste
au sujet de la textualité médiévale et du rôle de l’auteur accentue le conflit inhérent à
la conception du néo-bédiérisme tel que le mot est employé par Blecua. De par le
terme de « néo-bédiérisme », la mouvance et la culture manuscrite sont reliées aux
   

deux aspects opposés de la dispute Bédier-Menéndez Pidal : d’une part, au néo-  

traditionalisme ontologique et éditorial de Menéndez Pidal ; d’autre part, à la concep-


tion éditoriale de Bédier du meilleur manuscrit. Cependant, la position inspirée par la


mouvance est plus clairement alignée sur les principes de Menéndez Pidal et du
néo-traditionalisme qu’elle ne l’est vers Bédier et les éditions du meilleur manuscrit.
En réalité, comme l’a fait remarquer Mary Speer, la mouvance de Zumthor était le
développement de la conception par Menéndez Pidal de la production littéraire
« traditionnelle » au Moyen Âge : « Zumthor’s notion of mouvance […] grew specifical-
       

ly out of his efforts to extend to lyric poems the neo-traditionalist conception which
regards the medieval epic as an anonymous, collective, oral work that lives through
its variants in a state of perpetual re-creation » (1980, 318). Comme l’explique Hans

Ulrich Gumbrecht, « the philological style inaugurated by Ramón Menéndez Pidal


anticipated certain aspects of New Philology through the specific attention it paid to
variants and textual detail » (1994, 36). Pour ce qui est de la pratique éditoriale, Speer

a souligné que Menéndez Pidal « urged publishing separately each epic manuscript or

at least a representative of every group » (1980, 319). Tandis que Alberto et Fernando

Montaner Frutos firent remarquer que Menéndez Pidal éditait des recréations et des
reécritures des mêmes textes dans ses livres, telles les versions différentes de la
Leyenda de los Infantes de Lara en 1896, de la légende du roi Rodrigo en 1925–1927, et
les « reliques » de poèmes épiques en 1936 (1998, 175). Gumbrecht précisa encore dans
   

quelle mesure « Pidal’s philological style was characterized through palaeographic


editions that included the broadest possible range of variants, instead of sacrificing
them, in the style of ‹ critical editions, › to hypotheses about the intentions of possible
   

authors » (1994, 39).


3 La philologie espagnole
3.1 Comme on l’a déjà indiqué, et avec deux possibilités éditoriales seulement à leur
disposition, la philologie nationale de l’édition de textes en espagnol castillan,
fortement imprégnée de néo-traditionalisme, était comprise comme une entreprise
bédiériste. L’association avec le bédiérisme n’est pas flatteuse : le bédiérisme a en

88 Nadia R. Altschul

effet été reconnu comme l’option éditoriale la moins exigeante (Faulhaber/Craddock


1991, 3). Le prestige de l’édition espagnole était encore plus bas que celui des éditions
nombreuses basées sur le meilleur manuscrit du fait qu’elle n’avait même pas atteint
le niveau d’une exploitation réfléchie du bédiérisme, mais continuait à être victime de
l’application laxiste et peu informée de la méthode la moins exigeante des deux qui
étaient disponibles. C’est ainsi, par exemple, que l’Italien Alberto Vàrvaro parle de
l’édition castillane comme d’un « empirismo un poco diletante, que podría ser consi-

derado como una forma débil (y a menudo ignorante) de bedierismo » (1994, 624).  

D’autres raisons que l’on a pu citer pour expliquer l’absence d’une méthodologie
éditoriale bien réfléchie sont le manque de témoins conservés dans la tradition
manuscrite de textes médiévaux les plus importants pour la tradition espagnole
castillane, et l’absence d’attention portée à la critique textuelle dans les programmes
universitaires (Blecua 1991, 74s.). D’autres commentateurs ont signalé des difficultés
importantes en ce qui concerne l’hispanistique dans l’université espagnole, où une
structure hiérarchisée et endogamique – qui comprend la pratique d’attribuer des
postes à ses propres élèves – entrave l’indépendance intellectuelle et le pluralisme, en
ce qui concerne des candidats venus de l’extérieur, y compris en philologie éditoriale
(cf. del Pino/La Rubia Prado 1999).

3.2 Revenons maintenant à la question spécifique de l’introduction de la méthodolo-


gie de la critique textuelle dans les travaux sur l’espagnol castillan, lequel ne connais-
sait pas au début les entreprises éditoriales signalées supra dans la présente étude,
mais ne les abordait que beaucoup plus tard, et ce dans deux étapes également sans
succès. La première tentative d’introduire la méthode de la critique textuelle dans
l’école nationale de philologie eut lieu au début du XXe siècle, sous l’égide de Ramón
Menéndez Pidal et de son Escuela de Filología Española. Suivant la présentation par
Alberto Blecua et dans d’autres histoires de la critique textuelle en Espagne, Menén-
dez Pidal rétablit la philologie de l’édition avec la nouvelle méthode critique, lança
les études linguistiques qui étaient indispensables pour l’édition scientifiquement
valable des textes littéraires du Moyen Âge, et créa un centre philologique et intellec-
tuel actualisé – même si la plupart des disciples de Menéndez Pidal ne se dédiaient
pas à l’édition de textes littéraires du Moyen Âge (Blecua 1991, 73s.).4

3.3 L’introduction de manière importante de la critique textuelle, cependant, impli-


quait une scission d’avec les croyances nationalistes de la philologie néo-tradition-
nelle telle que la concevait Menéndez Pidal. C’est ainsi que la méthodologie de la
critique des textes ne pénétra l’espagnol castillan qu’au cours du dernier quart du

4 Voir aussi Pérez Priego (1997, 17), selon lequel ce fut dans l’Escuela de Filología Española, à travers
son maître Menéndez Pidal et quelques-uns de ces disciples, que les progrès les plus importants en
matière d’éditions critiques ont eu lieu dans le domaine de l’espagnol castillan.
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 89

XXe siècle par le biais de la méthodologie néo-lachmannienne de la Nuova Filologia


italienne. En 1964, Giorgio Chiarini édita le premier texte en espagnol castillan suivant
la méthode néo-lachmannienne ; il s’agissait de l’œuvre canonique du patrimoine

littéraire, El libro de buen amor (Blecua 1991, 79). Cette méthode rigoureusement néo-
lachmannienne fur ensuite appliquée à l’université de Barcelone par Alberto Blecua,
devenant très largement répandue grâce à son Manual de crítica textual, publié en
1983. Le néo-lachmannisme fut également introduit pendant les années 1970 au
SECRIT – le Séminaire de Critique Textuelle – à Buenos Aires, en Argentine, par
Germán Orduna, qui forma un groupe d’éditeurs néo-lachmanniens de premier ordre.
Orduna fut le promoteur principal de l’avis selon lequel le néo-lachmannisme n’était
introduit en espagnol castillan qu’à travers les maîtres italiens. Comme il l’explique,
au moment où la philologie de l’édition française, allemande et italienne introduisait
le lachmannisme dans l’édition de textes en langue vernaculaire du Moyen Âge, la
philologie de l’édition des textes en espagnol castillan restait en dehors de cette
tendance méthodologique. Pour la même raison, l’espagnol castillan ne connut ni la
réaction méthodologique de Joseph Bédier vers la fin des années 1920 – le bédié-
risme – ni la contre-réaction italienne des années 1930 – c’est-à-dire, le néolachman-
nisme (Orduna 1991, 89). Il est cependant intéressant de constater qu’à une époque où
le néo-lachmannisme était mieux établi dans les études sur l’espagnol castillan,
Orduna adoucit sa position quant à son opinion du travail éditorial de Menéndez
Pidal. Ayant entrepris un enseignement portant sur les éditions du Poème du Cid, il
déclara qu’il ne fallait pas demander à Menéndez Pidal d’appliquer le lachmannisme
à un codex unicus comme le Cid ; il était d’autant moins raisonnable de s’attendre à ce

qu’il s’engage dans son édition – produite de 1908 à 1911 – avec le scepticisme de
Bédier des années 1920, ou encore avec la méthodologie italienne du néo-lachman-
nisme développée dans les années 1930 (Orduna 1997, 6). Reprenant la terminologie
d’une discussion antérieure, nous pouvons également faire remarquer que tout
comme Blecua, Orduna traitait l’école de la mouvance / variance comme si elle
adoptait une position éditoriale soucieuse de présenter toutes les versions de copistes
conservées du texte de l’auteur, non pas comme un changement dans la manière de
comprendre la textualité médiévale. Dans un choix aussi erroné (mais plus heureux)
de terminologie, Orduna donna le nom de « versionisme scribal » à la position
   

éditoriale de la New Philology / culture manuscrite (Orduna 2000, 70–71). Selon


Orduna, la Version Scribale associée à la mouvance et à la culture manuscrite exagère
la valeur pour l’édition des témoins textuels comme témoignages d’un temps et d’une
culture donnés. En face de cette élévation des versions de copistes se trouvent les
éditions critiques favorisées par les éditeurs néo-lachmanniens qui essaient d’établir
comme hypothèse de travail les textes d’auteur ou au moins, l’ancêtre commun du
texte d’auteur perdu.

3.4 En ce qui concerne la parution de la critique textuelle dans les études sur
l’espagnol castillan, il importe de souligner que le néo-traditionalisme et le néo-
90 Nadia R. Altschul

lachmannisme impliquent deux attitudes différentes à l’égard de la textualité, de telle


sorte que la différence entre l’approche adoptée par Menéndez Pidal et la méthodolo-
gie néo-lachmannienne va au-delà d’une simple distinction de degré. Comme la New
Philology / culture manuscrite, le néo-traditionalisme de Menéndez Pidal n’est pas
une position où l’auteur est au centre. Et comme le constata avec perspicacité José
Manuel Lucía Megías, une des principales raisons de la résistance à l’introduction de
la méthodologie (néo-)lachmannienne dans l’édition en espagnol castillan, fut la
vision du néo-traditionalisme, pour lequel la textualité médiévale était le produit de
la communauté ou d’une multiplicité d’auteurs (1999, 189–190). Comme le fit remar-
quer Lucía, la philologie de l’édition en espagnol castillan ne voulait pas se débarras-
ser de sa caractérisation traditionaliste de la littérature, ce qui menait à l’absence
d’une tentative d’adapter les techniques de critique textuelle et d’en extraire à ses
propres fins les leçons pratiques et théoriques développées dans la philologie de
l’édition italienne au cours du vingtième siècle (1999, 190).

3.5 Il faut également souligner que la critique textuelle espagnole, associée au néo-
traditionalisme de Menéndez Pidal et à sa position centrale en tant que fondateur de
la philologie nationale, souffrait longtemps d’un sentiment d’insécurité et de retard
par rapport aux écoles européennes avoisinantes de l’édition de textes. L’influence de
Menéndez Pidal commença avec ses éditions de la Leyenda de los infantes de Lara
(1896) et du Poema del Cid en 1898, et resta très forte tout au long du XXe siècle,
jusqu’à la parution de son dernier livre en 1959, également sur le néo-traditionalisme.
Comme exemple à la fois de son influence et du manque d’alternatives intellectuelles
à l’intérieur de la philologie nationale espagnole, l’on peut mentionner le fait que la
première édition du Poema del Cid à s’y opposer fut celle, individualiste, de Colin
Smith en 1972. En dépit, donc, de la position de Menéndez Pidal comme le plus
distingué des médiévistes travaillant sur l’espagnol castillan, le sentiment d’insécu-
rité de l’Espagne, et son retard dans le développement de la critique textuelle,
peuvent être expliqués par le néo-traditionalisme de son école de philologie. Si l’on
considère la longue histoire du néo-traditionalisme, et le peu de temps depuis l’in-
troduction de la méthodologie plus prestigieuse néo-lachmannienne dans la philolo-
gie nationale, l’irruption dans les années 1990 de la New Philology / culture manuscrite
et son refus de la critique textuelle néo-lachmannienne créèrent pour la philologie de
l’édition en espagnol castillan une situation très difficile. Au fond, les « nouvelles »
   

théories de la textualité et de l’édition de textes médiévaux, qui ont leurs origines


dans les mondes anglo-américain et français, partagent beaucoup d’idées avec Me-
néndez Pidal et le néo-traditionalisme. Comme nous l’avons déjà signalé, la mouvance
de Zumthor élargissait les théories de Menéndez Pidal au-delà de sa focalisation
originale sur la poésie épique, et la pratique de l’édition chez Menéndez Pidal était en
accord avec quelques-unes des idées énoncées par les théories de la mouvance /
variance. L’espagnol castillan, cependant, avait fait d’énormes efforts disciplinaires
pour introduire le néo-lachmannisme dans l’école nationale de l’édition, ayant réussi
L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle 91

ce changement du paradigme de l’édition vers la méthode « scientifique » prédomi-


   

nante pendant quelques décennies seulement. Malgré le prestige des théories qui
jouissaient du soutien des centres de pouvoir de la discipline, le retour à une
« nouvelle » philologie qui rejetait le néo-lachmannisme en faveur d’une approche
   

« néo-pidalienne » n’avait pas de quoi séduire.


   

4 La culture manuscrite
4.1 Et cependant, la teneur générale de la critique textuelle de l’espagnol castillan
aujourd’hui est telle qu’il n’est pas possible de renier l’importance des principes
éditoriaux qui ont leurs origines dans la mouvance et la culture manuscrite. Il n’y a
pas eu un retour aux théories, basées sur la mouvance, de la textualité médiévale –
qui sentait sans doute dans l’école de Menéndez Pidal le nationalisme castillan – mais
la recherche néo-lachmannienne pour le texte le plus proche de l’auteur n’a pas
entièrement remplacé l’intérêt des versionnistes pour les témoins conservés. Ainsi,
Lucía Megías – disciple espagnol d’Orduna que nous avons déjà cité –, décrit l’intérêt
actuel pour les « leçons coévales » comme d’un aspect respecté des textes médiévaux
   

que les éditeurs ont bien le droit d’introduire. Dans le passé, les éditeurs néo-
lachmanniens dirigeaient le lecteur vers l’apparat critique pour tout ce qui intéressait
la variation linguistique, les témoins conservés, et les leçons contemporaines. Mais,
en montrant une solution pour incorporer la critique de la mouvance, tout en gardant
intacte la théorie sous-jacente de la textualité médiévale qui nourrit le néo-lachman-
nisme, ce savant espagnol perspicace continue à considérer l’avenir de la philologie
de l’édition au XXIe siècle comme étant essentiellement liée à la critique textuelle et
au texte critique néo-lachmannien (Lucía Megías 2003).5 Une approche différente est
visible dans le cas de Leonardo Funes, l’un des disciples argentins d’Orduna, qui a
développée une méthode que j’ai appelée l’édition « palimpsestiste ». Puisqu’une des
   

difficultés principales qui oppose la mouvance à la critique textuelle centrée sur


l’auteur est le scepticisme de la culture manuscrite à l’égard de la méthodologie de
l’édition de texte. Et comment éditer si au cœur de sa philosophie est l’idée que la
méthodologie n’est pas valable ? Le bédiérisme nettoie le meilleur témoin disponible

et le croit aussi proche du texte de l’auteur qu’il est possible d’accéder en tant
qu’éditeur ; la mouvance abandonne la recherche du texte de l’auteur et présente tous

les versions existantes comme des témoins d’un temps et d’un lieu réels. Comme j’ai
indiqué ailleurs, l’approche éditoriale inspirée de la mouvance laisse toujours en
suspens la question de ce qui constitue à partir de matériaux différents écrits, une
tradition textuelle, et une constellation reconnaissable de versions du « même » texte.    

5 Voir aussi Lucía Megías (1998) pour un compte rendu utile de la philologie éditoriale des textes en
espagnol castillan.
92 Nadia R. Altschul

La position modifiée de Funes et de Tenenbaum au sujet de la textualité médiévale


accepte en principe l’existence de plusieurs textes d’auteur, par l’édition des témoins
conservés, tout en préservant l’optimisme méthodologique du néo-lachmannisme par
la présentation d’hypothèses sur les (sous-)archétypes perdus (cf. Altschul 2006b).

4.2 Enfin, comme dans la plupart des langues et des traditions nationales, l’édition
électronique a donné naissance à une activité très importante. Pour ce qui est de
l’intérêt aux rapports entre la philologie de l’édition et la compréhension sous-jacente
de la textualité médiévale, tels que la présente étude les a présentés, nous sommes
loin de pouvoir conclure dans quelle mesure l’édition électronique va modifier les
positions théoriques. Le temps décidera aussi – comme c'était le cas pour le nationa-
lisme castillan des théories de Menéndez Pidal – quels sont les points morts de notre
intérêt actuel aux versions conservées, qui dans la perspective la plus optimiste
soulignent le pouvoir de participation du commun des mortels du passé.

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Alexandru Mareş
4 L’édition des textes roumains anciens
Abstract : Commencée pendant les années ’40 du XIXe siècle, l’édition des textes
   

roumains anciens a parcouru jusqu’à nos jours un chemin assez long, parsemé,
évidemment, de réussites et d’insuccès, comme dans tout autre domaine d’ailleurs,
mais ayant, en général, une évolution ascendente. Laissant de côté quelques excep-
tions honorables, des éditions diplomatiques et critiques réalisées à un niveau scienti-
fique supérieur ont commencé à être publiées seulement après la première décennie
du siècle passé. C’est toujours à cette époque qu’on a commencé à accorder une
attention spéciale aux principes techniques et méthodologiques concernant la struc-
ture des éditions, ainsi qu’aux problèmes liés à l’établissement et à la reproduction du
texte de base. Bien des points obscurs relevant d’une question toujours actuelle, à
savoir la transcription des textes et l’interprétation de la graphie cyrillique, ont été
élucidés de façon satisfaisante pendant la seconde moitié du siècle passé. À la même
époque apparaissent aussi quelques tentatives plus ou moins isolées de l’utilisation
de l’alphabet latin dans l’écriture roumaine. Cette littérature a été surtout l’expression
de la propagande calvine parmi les Roumains du Banat-Hunedoara (XVIe–XVIIIe siè-  

cles) et de la propagande catholique exercée par les missionnaires italiens en Molda-


vie (XVIIe–XVIIIe siècles). La plupart des écrits roumains en alphabet latin ont été
publiés en transcription diplomatique. On a recouru plus rarement à la reproduction
du texte en transcription phonétique interprétative. Pour ces écrits, un des problèmes
les plus importants et les plus difficiles reste l’interprétation de la graphie.

Keywords : édition, alphabet cyrillique, alphabet latin, établissement du texte de


   

base, reproduction du texte

1 Les textes écrits en caractères cyrilliques


1.1 Les textes roumains les plus anciens sont écrits en caractères cyrilliques et datent
du XVIe siecle. L’adoption de l’alphabet cyrillique par les Roumains, peuple d’origine
romane, a eu lieu en même temps que l’adoption de la liturgie slave, au Xe siècle ; les 

deux phénomènes se sont avérés inséparables, car l’office liturgique avait besoin de
textes de culte en slavon. Après la constitution, au XIVe siècle, des États féodaux

roumains, le slavon élargira ses fonctions et deviendra également une langue « cour-

toise ». L’époque du slavonisme culturel, caractérisée par l’adoption du slavon


comme langue de culture, ainsi que par des traductions et des créations littéraires
dues aux Slaves, que les Roumains vont copier et imiter intensément, atteindra son
apogée au XVe siècle. Le slavon occupait à cette époque une position dominante en
Valachie et en Moldavie, où le latin était utilisé uniquement dans la correspondance
des chancelleries princières avec certaines chancelleries étrangères. En Transylvanie,
96 Alexandru Mareş

en revanche, étant donné la situation sociopolitique précaire des Roumains, l’emploi


du slavon était limité aux besoins de l’église orthodoxe et, dans une moindre mesure,
il était utilisé dans la correspondance de certaines villes avec la Moldavie ou la
Valachie. Même au XVIe siècle, époque des premiers écrits dans la langue roumaine,
le slavon continue de détenir une position dominante dans le paysage culturel
roumain. Mais, suite à l’apparition du roumain écrit, les positions du slavon commen-
cent visiblement à faiblir. Dès le XVIIe siècle, nous assistons au remplacement
progressif du slavon – langue ecclésiastique, langue de culture et langue de l’admi-
nistration – par le roumain, qui finira par se substituer complètement au slavon dans
tous les compartiments de la culture (le dernier bastion du slavon, le culte religieux,
résistera jusqu’au milieu du XVIIIe siècle).

1.2 L’alphabet cyrillique, créé en Bulgarie par les disciples de Cyrille et de Méthode
sur le modèle des lettres majuscules grecques, a été adopté pour écrire des textes en
roumain vers le milieu du XIIIe siècle au plus tôt (l’argument linguistique pour cette
datation est la valeur de la lettre õ, qui ne note plus une voyelle nasale, comme dans
les textes slaves antérieurs à cette date). Cet alphabet n’était pas entièrement appro-
prié au roumain : d’une part, il disposait de plusieurs signes pour la notation d’un

même son, d’autre part il lui manquait les lettres pour noter certains sons spécifique-
ment roumains, tels que î, ğ. Durant la période d’emploi de l’alphabet cyrillique,
l’écriture roumaine s’est conformée à certaines règles orthographiques propres à
l’écriture médio-bulgare, auxquelles on a ajouté, après 1600, quelques solutions
orthographiques empruntées, surtout en Moldavie, aux textes slavons d’origine orien-
tale. Les signes spécifiques de la variante roumaine de l’alphabet cyrillique ont été
la lettre ä (= î, în) – une variante de õ – et la lettre Ô (= ğ) empruntée à l’écriture
bosniaque ou ragusaine. Parmi les éléments nouveaux caractérisant cette variante il
faut mentionner une distinction graphique (qui commence à être opérante vers la fin
du XVIIe siècle) en ce qui concerne la notation des voyelles centrales ă et î, la première
étant notée par ß et la deuxième par õ. En grandes lignes, on peut dire que les textes
imprimés présentent une orthographe beaucoup plus homogène que celle des textes
manuscrits. Pour la période prise en considération (du XVIe au XVIIIe siècle), l’exi-
stence d’un code orthographique normatif, imposé par l’intermédiaire de l’école, n’est
pas évidente.

1.3 La littérature qui se développe en employant cet alphabet dans l’intervalle 1532
(date à laquelle sont mentionnés deux monuments de la langue roumaine qu’un
savant moldave voulait imprimer, à savoir Evanghelia ‘L’Évangile’ et Apostolul ‘Les
Actes des apôtres’) – 1780 (date à laquelle commence la transition vers la littérature
moderne) compte peu de créations originales. Prédominantes s’avèrent les traduc-
tions des écrits religieux et ensuite les traductions des livres populaires (Alexandria
‘Alexandrie’, Floarea darurilor ‘La fleur des dons’, Varlaam şi Ioasaf ‘Varlaam et
Joassaf’). Les écrits scientifiques, toujours des traductions, appartiennent à des do-
L’édition des textes roumains anciens 97

maines variés : lexicographie, littérature didactique, médecine, gastronomie, calen-


driers, etc. La littérature juridique se remarque également par des textes dont les plus
importants sont traduits du grec et marquent l’introduction des lois byzantines dans
les pays roumains. Les premières traductions du XVIe siècle, la plupart des écrits
religieux, reposent sur des sources slavones, bien qu’il y ait eu des tentatives de
recourir aussi à des sources allemandes ou hongroises. À partir du XVIe siècle, à côté
des textes traduits du slavon dont le nombre diminue petit à petit, apparaissent les
textes traduits du grec (langue à laquelle on recourt de plus en plus fréquemment),
mais aussi du hongrois, du latin, du russe, du polonais, de l’italien et, vers la fin du
XVIIIe siècle, du français. Parmi les auteurs de textes originaux appartenant au

domaine des belles-lettres, on peut mentionner Dimitrie Cantemir, Ion Neculce et


Gherasim Putneanul (pour la prose) et le métropolite Dosoftei, Miron Costin et Dimi-
trie Cantemir (pour la poésie). À ces créations il faut ajouter les chroniques et les
pamphlets rythmés (ayant pour la plupart des auteurs anonymes). Originales sont
également bien des chroniques en prose qui racontent l’histoire de la Moldavie ou de
la Valachie, pourtant ces textes ne peuvent pas être considérés comme des créations
littéraires.

1.4 Il y a, dans la période mentionnée, quelques particularités concernant l’impres-


sion des livres roumains qui doivent être relevées. Les livres sont imprimés, surtout au
cours du XVIe siècle, tout en respectant « l’archéologie » des manuscrits. Les écrits
   

imprimés conservent le format (in-folio ou in-4o) de leur forme manuscrite, la lettre


sémi-onciale ainsi que l’ornementation manuscrite et, tout comme le manuscrit, ils ne
sont pas pourvus de feuille de titre ni de numérotation des feuilles ou des pages (on
numérotait, en revanche, les cahiers). La mise en page des textes imite de près celle
des manuscrits, à partir de l’emplacement des titres, des initiales et des frontispices
jusqu’à la notation marginale de certaines indications rituelles. Souvent la distribu-
tion des lettres et des mots sur une ligne n’est pas uniforme, le texte présentant un
mélange de scriptio continua et d’écriture avec des espaces entre les mots. Certaines
de ces déficiences seront éliminées après 1600, quand les ouvrages imprimés
commencent à recevoir une feuille de titre et, vers le milieu du siècle, quelques-uns
vont même bénéficier d’une numérotation des feuilles ou des pages, voire d’un errata.
Et vers la fin du XVIIe siècle apparaissent les premiers exemples de l’utilisation du

trait d’union pour détacher les syllabes des mots situés à la fin de la ligne.
Les livres imprimés sont pour la plupart des traductions d’ouvrages religieux.
Depuis le XVIe siècle déjà, les plus nombreux sont traduits d’une seule langue,

d’habitude le slavon, mais il y avait aussi quelques-uns qui avaient recours à deux ou
trois sources linguistiques : le slavon et l’allemand (Tetraevanghel ‘Les Quatre Évangi-

les’ Sibiu, 1551–1553, Apostol, Braşov, environ 1566), le hongrois, le latin et le slavon
(Palia ‘L’ancien Testament’, Orăştie, 1582). Au cours du siècle suivant, quand la
plupart des traductions proviennent du grec, on retrouve également des écrits qui
s’appuient sur plusieurs sources étrangères. Un tel exemple nous est offert par Noul
98 Alexandru Mareş

Testament ‘Le Nouveau Testament’ de Bălgrad (1648) dont le texte, traduit initialement
du grec, sera achevé après une confrontation avec une version latine du texte, en
utilisant, comme versions de contrôle, une édition slavonne et une autre hongroise,
peut-être une version allemande aussi ; subsidiairement, on a eu recours à quelques

traductions roumaines plus anciennes. Le texte traduit bénéficie de gloses marginales,


qui expliquent le sens de certains mots et qui offrent des informations d’ordre ency-
clopédique, ce qui représente aussi un début d’appareil critique où sont également
enregistrées les variantes de traduction ainsi que les différences d’ordre lexical
rencontrées dans les versions de contrôle. On a dit, à juste raison, que cet ouvrage
représente la première édition critique dans le domaine de la philologie roumaine
(Pavel 2001, 179). Au cours du même siècle apparaissent d’autres réalisations au même
niveau élévé : il s’agit de Psaltirea (‘Le Psautier’) livre paru à Bǎlgrad en 1651 et,

surtout, de Biblia (‘La Bible’) parue à Bucarest en 1688 (Cândea 1964, 29–76).

1.5 Plusieurs textes littéraires reflètent un mélange de parlers, étant, selon une expres-
sion due à A. Rosetti, des textes mixtes (1968, 481). Copiés (imprimés) dans une
certaine zone du pays, à partir des originaux traduits dans une autre zone dialectale,
ces textes contiennent dans leurs pages, en proportions différentes, des particularités
qui n’appartiennent pas au parler des copistes ou des typographes en question. C’est
le cas de quelques manuscrits roumains du XVIe siècle étant parmi les plus anciens, à
savoir les textes rhotacisants, appelés ainsi parce qu’ils présentent le phénomène du
rhotacisme, c’est-à-dire le passage du n intervocalique à r dans les mots d’origine
latine. Ces textes contiennent des particularités propres aux parlers de la zone où ils
ont été copiés (la Moldavie), mais aussi des particularités caractérisant les parlers d’où
proviennent les textes originaux (Banat-Hunedoara) (Gheţie 1976, 257–268 ; 1982b,  

152–172 ; Costinescu 1981, 25–43 ; 1982, 143s.). Ce mélange d’éléments dialectaux varie
   

d’un texte à l’autre, en fonction de l’exigence manifestée par le copiste (typographe)


en ce qui concerne la transposition du texte dans la norme littéraire de sa région
natale. Cette exigence s’est avérée plus grande dans le cas des ouvrages imprimés. Le
diacre Coressi, d’origine valaque, qui a fait imprimer à Braşov entre 1559 et 1581
plusieurs livres roumains dont les sources provenaient de différentes régions (du sud-
est de la Transylvanie, du Banat-Hunedoara, de la Moldavie), a « valaquisé » la langue
   

de ces textes. De la même façon ont procédé au siècle suivant certains éditeurs
valaques qui, en englobant dans leurs écrits (Cazania ‘Recueil d’homélies’, Mănăstirea
Dealu, 1644 ; Îndreptarea legii ‘Le recueil de lois’, Târgovişte, 1652) des textes élaborés

et imprimés en Moldavie (Cazania de Varlaam, Iaşi, 1643 ; Pravila lui Vasile Lupu ‘Les

Lois de Vasile Lupu’, Iaşi, 1646), ils les ont soumis à un remaniement linguistique,
dont le résultat a été l’élimination des particularités moldaves. Mais les choses se sont
passées différemment en ce qui concerne l’ouvrage intitulé Răspunsul împotriva Cati-
hismului calvinesc (‘La réponse contre le Catéchisme calviniste’), rédigé par le métro-
polite de la Moldavie, Varlaam. Imprimé en Valachie, cet ouvrage a conservé en
grande mesure les normes littéraires moldaves. Dans ce cas, il est indubitable que
L’édition des textes roumains anciens 99

l’exigence du métropolite concernant la conservation de l’expression linguistique du


manuscrit destiné à la presse a eu le dessus. Un moment important est représenté par
l’année 1750, quand on commence à imprimer des livres religieux à Blaj et quand à
Iassy l’activité typographique devient plus intense. Dès lors, les deux typographies
commencent à réimprimer les livres destinés à la messe imprimés en Valachie, livres
dont les textes sont reproduits avec une grande fidélité par les Transylvains et les
Moldaves, tout en acceptant les normes linguistiques valaques de ces textes. Ce
changement de la base dialectale, non-mentionné par les sources historiques, ayant
eu lieu vers la moitié du XVIIIe siècle dans les textes religieux imprimés en Moldavie et
en Transylvanie, n’aurait pas été possible sans l’accord, quoique tacite, des prélats des
deux provinces historiques. Les facteurs de décision de l’église orthodoxe de la
Moldavie et, respectivement, ceux de l’église unie des Roumains transylvains, plus
précisément les métropolites, ont été sans doute désireux « d’avoir une langue litur-

gique commune avec celle des Valaques non seulement en ce qui concerne le contenu,
mais aussi la forme » (Gheţie 1975, 427). Ainsi, entre 1750 et 1780, c’est par l’intermé-

diaire des livres religieux qu’a eu lieu la première unification du roumain littéraire.

1.6 La mise en valeur de cette littérature commence pendant la première moitié du


XIXe siècle, principalement grâce à la génération de 1848, intéressée à faire connaître
le passé politique, social et culturel des Roumains. Le début en est représenté par
Hronicul româno-moldo-vlahilor ‘La chronique des Roumaino-Moldo-Valaques’ de
Dimitrie Cantemir, ouvrage publié à Iassy par G. Săulescu en 1835–1836. D’autres
chroniques médiévales s’ensuivent, mais aussi des documents historiques, publiés
par M. Kogălniceanu, Nicolae Bǎlcescu, A. Treboniu Laurian et d’autres. Leurs édi-
tions sont loin de satisfaire aux prétentions actuelles et même aux exigences de
l’époque. Après 1850, on commence aussi à publier la littérature ecclésiastique des
XVIe–XVIIIe siècles, soit dans des anthologies (T. Cipariu, Crestomatia seau analecte
literarie ‘Chrestomathie ou analectes littéraires’, Blaj, 1858 ; A. Pumnul, Lepturariu

românesc ‘Le livre roumain de lecture’, Vienne, 1862–1865), soit dans des éditions
autonomes (éditeurs : B.P. Hasdeu, I. Bianu, I. G. Sbiera, etc.). Jusqu’à la fin du siècle

vont paraître maintes éditions des livres populaires et juridiques, ainsi que des
documents que, faute d’espace, nous ne mentionnerons pas ici. Deux personnalités
sortent en évidence avant 1900 : B.P. Hasdeu et M. Gaster. Le premier a le mérite

d’avoir étudié et publié les livres populaires du Codex Sturdzanus (manuscrit copié
entre 1583 et 1619) dans le deuxième volume de Cuvente den bătrâni ‘Mots d’antan’
(Bucarest, 1879) et d’avoir édité Cronica (‘la Chronique’) de Moxa (1620), ainsi que la
partie roumaine de Psaltirea slavo-română (‘le Psautier slavo-roumain’) imprimé par
Coressi en 1577. L’influence de Hasdeu sur les philologues de son époque a été
considérable, car ils ont adopté sa conception et sa méthode d’interpréter les textes.
Quant à Gaster, on lui doit une anthologie intitulée Crestomatie română (‘la Chresto-
mathie roumaine’) en deux volumes parue en 1891. L’ouvrage contient une très riche
sélection de textes roumains anciens, à partir du XVIe siècle jusqu’à 1830, à côté d’un
100 Alexandru Mareş

choix de textes appartenant à la littérature populaire. Par la large sélection opérée


parmi les produits d’un quart de millénium de littérature roumaine, ainsi que par la
justesse dont les textes ont été reproduits, l’ouvrage est aujourd’hui encore un
instrument indispensable pour les chercheurs de l’histoire de la langue roumaine.
Peu après 1900 est parue la première contribution roumaine dans le domaine de
la critique textuelle, écrite par D. Russo et intitulée Critica textelor şi tehnica ediţiilor
‘La critique des textes et la technique des éditions’ (Bucarest, 1912). Centré unique-
ment sur les textes manuscrits, cet ouvrage a un évident caractère pratique, étant en
réalité une introduction à la technique de la réalisation des éditions. Parmi les
éditeurs de textes anciens qui ont été actifs entre 1900–1945 (la fin de la Seconde
Guerre mondiale) on peut mentionner quelques noms. Le premier est sans doute celui
de l’historien N. Iorga, qui en tant qu’éditeur se fait remarquer par le très grand
nombre de documents et notes publiés dans de nombreux volumes, mais aussi pour
avoir édité des textes littéraires anciens. Même si par ailleurs ses transcriptions sont
susceptibles d’être corrigées, ses éditions représentent un apport remarquable au
développement des études historiques. Un autre nom qui doit être cité est celui du
linguiste I.-A. Candrea, qui s’est imposé par l’édition de Psaltirea Scheiană ‘Le Psau-
tier de Sturdza-Scheianu’ (texte rhotacisant du XVIe siècle). A son apparition, ce livre
a été considéré comme un modèle en ce qui concerne l’édition critique d’un texte
roumain ancien. On reproche toutefois à Candrea la tentative de reconstituer le texte
de la traduction originaire du psautier. De la même époque on retient aussi le nom du
linguiste N. Drǎganu. Ses trois éditions consacrées à des textes manuscrits et impri-
més au XVIIe siècle se distinguent par la solidité des études philologiques et par la
justesse de la reproduction des textes en translittération (vers la fin de sa vie,
N. Drăganu se prononcera en faveur de la transcription phonétique interprétative).

La valorisation de la littérature ancienne s’intensifie après 1945, quand le nombre


des éditions augmente visiblement. Les éditeurs les plus productifs et les plus exi-
geants sont des historiens et des linguistes. Parmi les premiers comptent P.P. Panai-
tescu, l’éditeur des chroniques de Grigore Ureche (1955 ; 21958b), de Miron Costin

(1958a) et de l’oeuvre de D. Cantemir Istoria ieroglifică ‘L’Histoire hiéroglyphique’


(1965, en collaboration avec I. Verdeş) et l’historien G. Ştrempel qui a édité les écrits
   

de quelques auteurs du XVIIIe siècle, tels que Antim Ivireanul (1972), Nicolae Costin
(1976) et Ion Neculce (1982). Parmi les linguistes, il faudrait mentionner L. Onu,
surtout pour l’édition consacrée à la traduction de Herodotul (‘L’Hérodote’) attribuée
à Nicolae Spătarul Milescu (1984, en collaboration avec Lucia Şapcaliu). Le même
auteur signe l’ouvrage Critica textuală şi editarea literaturii române vechi ‘La critique
du texte et l’édition de la littérature roumaine ancienne’ (1973), où il met en discussion
avec compétence les questions concernant la critique textuelle soulevées par l’édition
des chroniques de Grigore Ureche et de Nicolae Costin. Les éditions faites par
N.A. Ursu de Gramatica românească (‘La grammaire roumaine’) d’Eustatievici Braşo-

veanul (1969), de Psaltirea în versuri (‘Le Psautier en vers’) de Dosoftei (1974 ; 1978) et

de Liturghierul (‘Le Missel’) de Dosoftei (1980) s’imposent par l’exactitude de la


L’édition des textes roumains anciens 101

reproduction du texte en transcription phonétique interprétative. Enfin, mais non en


dernier lieu, il faut mentionner les linguistes appartenant au Département de langue
littéraire et de philologie de l’Institut de linguistique de Bucarest, qui constituent une
véritable école philologique dirigée par Ion Gheţie et, dernièrement, par A. Mareş. On
leur doit plus de 25 éditions, publiées à partir de 1969 jusqu’à nos jours. Ayant pour
but, en général, celui de restituer les monuments de la langue roumaine du XVIe siècle
ainsi que les livres populaires traduits jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, leurs éditions
mettent l’accent sur l’analyse des questions de critique textuelle et sur la reproduc-
tion, avec une rigueur maximale, des textes en transcription phonétique interpréta-
tive. Dans la même direction s’inscrit l’ouvrage Introducere în filologia românească
‘Introduction à la philologie roumaine’ (1974), signé par Ion Gheţie et A. Mareş, où les

auteurs présentent l’état des recherches roumaines dans le domaine de la philologie.


L’intérêt pour la publication des textes roumains anciens est loin d’avoir diminué
au début du XXIe siècle. Mais malheureusement maintes éditions parues ces dernières
années ont des carences détectables dans leur structure et, surtout, dans la manière
de reproduire les textes.

1.7 Le principal critère servant à classifier les éditions est la manière de reproduire le
texte destiné à la publication (Drimba 1985, 87). Selon ce critère, les éditions consa-
crées aux textes roumains anciens parues à partir du XIXe siècle jusqu’à nos jours
peuvent être réparties en trois types distincts.
Le premier type est représenté par l’édition diplomatique, entendue comme une
reproduction du texte avec tous les accidents matériaux et graphiques qu’il avait
subis du point de vue de l’orthographe et de la ponctuation (Masai 1950, 185–193). À
ce type d’édition sont subsumées deux manières différentes de reproduire le texte : en 

transcription diplomatique et en translittération diplomatique (Drimba 1985, 91).


S’adressant à des textes en alphabet cyrillique, certains éditeurs roumains du XIXe
siècle, ainsi que d’autres du début du XXe siècle ont reproduit de façon exacte cet
alphabet (la soi-disant transcription diplomatique), sans aucune intervention d’autre
nature. C’est par exemple le cas des éditions suivantes : T. Cipariu, Crestomatia

seau analecte literarie (1858), Émile Picot, Chronique de Moldavie depuis le milieu du
XIVe siècle jusqu’à l’an 1594 (1878), M. Gaster, Crestomatie română, les Ier et IIe volumes

(1891), G. Creţu, Mardarie Cozianul. Lexiconul slavo-românesc şi tâlcuirea numelor din


1649 ‘Mardarie de Cozia, Lexicon slavo-roumain et la traduction des noms propres
de 1649’ (1900), G. Giuglea, Psaltirea Voroneţeană ‘Le Psautier de Voroneţ’ (1910–
1911), M. Roques, Les premières traductions roumaines de l’Ancien Testament. La Palia

d’Orăştie (1581–1582), I (1925) ; dans la même catégorie s’inscrivent aussi, partielle-


ment, les éditions qui reproduisent le texte en alphabet cyrillique accompagné par sa
transcription en alphabet latin, à savoir les éditions de B.P. Hasdeu, Cuvente den
bătrâni, les Ier et IIe volumes (1878–1879) et Codicele Voroneţean ‘Le Codex de Voroneţ’
de I.G. Sbiera (1885). Toutefois, il faudra remarquer que les éditions mentionnées ne
savent pas satisfaire intégralement aux exigences d’une édition diplomatique, car la
102 Alexandru Mareş

reproduction des textes ne reflète pas fidèlement l’original, donc elles ne ressemblent
pas à « une reproduction photographique des originaux » (Chiari 1951, 258) ; chacune
     

de ces éditions présente, à différents degrés, des lacunes : on descend dans la ligne,

sans attirer l’attention, les lettres supra-écrites, l’accent, l’esprit, le tilde n’y sont pas
marqués, les accidents graphiques ne sont pas enregistrés (il y a des suppressions, des
substitutions, des inversions ou des ajouts opérés par le copiste), les accidents maté-
riels ne sont marqués non plus (les pertes de feuilles, les taches d’encre, etc.).
D’autres éditions reproduisent le texte en translittération diplomatique, appelée
translittération par les philologues roumains ; c’est un système de reproduction

conformément auquel à chaque lettre de l’alphabet cyrillique correspond, sans excep-


tion, une lettre, toujours la même, de l’alphabet latin (Rosetti 1931, 447). On considère,
en général, que cette manière de reproduire les textes est illustrée par des éditions
telles que celles de J. Byck, Texte româneşti vechi ‘Textes roumains anciens’ I (1930),
de A. Rosetti, Lettres roumaines de la fin du XVIe et du XVIIe siècles tirées des archives
de Bistritza (Transylvanie) (1926 ; IIe éd. 1944), de J. Byck, Varlaam, Cazania (1943) et

de Florica Dimitrescu, Tetraevanghelul tipărit de Coresi (Braşov, 1560–1561) comparat


cu Evangheliarul lui Radu de la Măniceşti (1574) ‘Les Quatre Évangiles imprimés par
Coressi (Braşov, 1560–1561) comparés avec l’Évangéliaire de Radu de Măniceşti
(1574)’ (1963). Mais il y a aussi d’autres éditions où la reproduction du texte a été faite
par une translittération modérée ou partielle, telles que Cuvente den bătrâni de B.P.
Hasdeu (1878–1879), Psaltirea Scheiană de I. Bianu (1889), Două manuscripte vechi.
Codicele Teodorescu şi Codicele Marţian ‘Deux manuscrits anciens. Le Codex Teodo-
rescu et le Codex Martien’ de N. Drăganu (1914).
Un autre type d’édition est l’édition critique, qui reproduit le texte en transcription
interprétative, en accordant aux lettres cyrilliques, après une interprétation de la
graphie, différentes valeurs, qui varient parfois d’un éditeur à l’autre. Dans cette
catégorie entrent les éditions signées par C. Giurescu, Letopiseţul Ţării Moldovei 1661–
1705 ‘La chronique du pays moldave’ (1913), par S. Puşcariu et A. Procopovici,
Diaconul Coresi. Carte cu învăţătură ‘Le diacre Coressi. Livre d’enseignement’ (1914),
par I.-A. Candrea, Psaltirea Scheiană, les Ier et IIe volumes (1916), par N. Cartojan,
Alexandria în literatura românească ‘L’Alexandrie dans la littérature roumaine’ (1922),
par Constantin C. Giurescu, Letopiseţul Ţării Moldovei până la Aron Vodă (1359–1595)
‘La chronique de la Moldavie jusqu’au prince Aron Vodă’ (1939), par E. Vîrtosu, Foletul
Novel (1942), etc. Après 1945, la plupart des éditions de textes roumains anciens
reproduisent le texte en transcription phonétique interprétative.
Le troisième type d’édition, l’édition en fac-similé, recourt à la reproduction
mécanique (phototypie, offset, etc.) du texte. Dans le domaine de la philologie
roumaine les éditions exclusivement phototypiques sont rares et sont consacrées
exclusivement aux anciens monuments de la langue roumaine : Manuscrisul de la

Ieud ‘Le manuscrit de Ieud’ (1925), Întrebare creştinească ‘Question chrétienne’ (1925),
Pravila sfinţilor apostoli ‘Les Règles des Saints Apôtres’ (1925), Lucrul apostolesc ‘Les
Actes des apôtres’ (1930) – éditions réalisées par I. Bianu, ensuite Evangheliarul slavo-
L’édition des textes roumains anciens 103

român de la Sibiu. 1551–1553 ‘L’Évangéliaire slavo-roumain de Sibiu’, édité par L. De-


mény et E. Petrovici (1971), ainsi que Codicele popii Bratul (1559–1560) ‘Le codex du
prêtre Bratul’, texte en fac-similé (reproduit sur CD) qui est dû à C. Dimitriu (2005).
Il faut souligner que certains textes anciens ont été édités en combinant deux des
procédés susmentionnés de reproduction du texte : a) en alphabet cyrillique et en

translittération moderne (B.P. Hasdeu, Psaltirea publicată româneşte la 1577 de diaco-


nul Coresi ‘Le psautier publié en roumain en 1577 par le diacre Coressi’, 1881), b) en
translittération et en fac-similé (Florica Dimitrescu, Tetraevanghelul tipărit de Coresi
(Braşov, 1560–1561) comparat cu Evangheliarul lui Radu de la Măniceşti (1574) (1963),
ou c) en transcription phonétique interprétative et en fac-similé (A. Mareş, Liturghierul
lui Coresi ‘Le Missel de Coressi’, 1969). À l’exception du procédé mentionné sous c), les
autres procédés mixtes sont aujourd’hui périmés.

1.8 La structure des éditions que nous avons mentionnées comprend en général
plusieurs sections : l’étude introductive, l’étude de langue, le texte proprement dit (y

compris une note concernant l’édition) et l’appareil critique (qui, à son tour, réunit
l’appareil proprement dit – celui des variantes, les notes et les commentaires, l’index
et le glossaire). Évidemment, toutes ces sections ne figurent pas dans toutes les
éditions parues durant la période examinée, même si, pour être complète et pour
répondre à toutes les exigences, une édition critique devrait englober toutes ces
sections.
L’étude introductive est en général une étude philologique qui varie d’une édition
à l’autre, en fonction des problèmes de critique textuelle soulevés par le texte et
parfois en fonction de la spécialisation de l’éditeur. Par exemple, dans les études
philologiques réalisées par des historiens on constate l’absence de toute préoccupa-
tion pour les questions concernant la localisation (préoccupation évidente, en revan-
che, dans les éditions préparées par des linguistes), car les historiens s’intéressent
surtout aux problèmes concernant la paternité et la filiation. De bonnes études
philologiques dans les éditions soignées par des linguistes appartiennent à G. Creţu
(Mardarie Cozianul. Lexiconul slavo-românesc şi tâlcuirea numelor din 1649, 1900), à
N. Drăganu (Două manuscripte vechi. Codicele Teodorescu şi Codicele Marţian, 1914), à
I.-A. Candrea (Psaltirea Scheiană, 1916), à A. Mareş (Liturghierul lui Coresi, 1969), à
I. Gheţie et Mirela Teodorescu (Manuscrisul de la Ieud, 1977), à Mariana Costinescu

(Codicele Voroneţean, 1981), à G. Mihăilă (Cronica universală ‘La Chronique univer-


selle’, 1989), à G. Chivu (Codex Sturdzanus, 1993), à Alexandra Moraru et Mihai Moraru
(Palia istorică ‘La Palia historique’, 2001), etc. Parmi les études philologiques apparte-
nant à des historiens, on devrait mentionner celles qui ont été signées par C. Giures-
cu – étude consacrée à Letopiseţul Ţării Moldovei. 1661–1705 (1913), par P.P. Panaites-
cu – étude pour les éditions des chroniques de Grigore Ureche (1955 ; 1958) et de

Miron Costin (1958), par Aurora Ilieş – étude consacrée à l’édition de Istoria domniei
lui Constantin Basarab Brâncoveanul voievod ‘L’Histoire du règne du voïvode Constan-
tin Bassarab le Brancovan’ (1970), par L. Demény – étude concernant l’édition de
104 Alexandru Mareş

Evangheliarul slavo-român de Sibiu (1971), par P. Cernovodeanu – étude pour l’édition


du Cronograful tradus din greceşte de Pătraşco Danovici ‘Le Chronographe traduit du
grec par Patrasco Danovici’ (éditeur G. Ştrempel, les Ier et IIe volumes, 1998–1999).
Parmi les historiens littéraires, nous devons mentionner d’abord N. Cartojan qui a
écrit de très bonnes études sur les livres populaires qu’il a publiés : Alexandria în

literatura românească (1922) et Cel mai vechi zodiac românesc : Rujdeniţa popei Ion

Românul ‘Le plus ancien zodiaque roumain : la Rujdeniţa du pope Jean (Ioan) le

Roumain’ (1929). Il faut mentionner également le nom de D. Zamfirescu, auteur d’une


étude contenant des commentaires philologiques détaillés sur le texte de Învăţăturile
lui Neagoe Basarab către fiul său Theodosie ‘Les Enseignements de Neagoe Bassarab
destinés à son fils Theodosie’ (Mihăilă/Moisil/Zamfirescu 1970).
Une étude de langue (incluant souvent une étude sur la graphie aussi) n’apparaît,
à quelques exceptions près, que dans les éditions soignées par les linguistes. Vers le
milieu du XIXe siècle, T. Cipariu a accompagné les textes publiés dans sa chrestoma-
thie de quelques notes linguistiques, pour la plupart très pertinentes, mais sommaires
et plutôt accidentelles. Bien plus riches sont les commentaires linguistiques faits par
B.P. Hasdeu à propos des textes qu’il a publiés dans Cuvente den bătrâni (1878–1879).
Bien que très minutieux et contenant des interprétations justes pour la plupart, ces
commentaires n’ont pas de caractère systématique. Judicieuses et concernant l’en-
semble de la langue des textes s’avèrent les études élaborees par G. Creţu (Mardarie
Cozianul. Lexiconul slavo-românesc şi tâlcuirea numelor din 1649, 1900), par C. Găluşcă
(Psaltirea Voroneţeană, 1913), par N. Drăganu (Două manuscripte vechi. Codicele
Teodorescu şi Codicele Marţian), par I.-A. Candrea (Psaltirea Scheiană). En revanche,
l’édition de Cazania a II-a ‘Le IIe recueil d’homélies’ de Coressi, publiée par S. Puşca-

riu et A. Procopovici, ne contient pas une étude sur la langue. Il est vrai que les
auteurs avaient promis dans la préface une étude sur la « grammaire » de Cazania a
   

II-a, mais le deuxième volume de l’édition où cette étude devrait être publiée n’est
plus paru. Même plus près de nos jours, les études linguistiques annoncées par
Florica Dimitrescu et par Viorica Pamfil dans les éditions du Tetraevangheliar de
Coressi (1963) et respectivement de la Palia de la Orăştie (1968) n’ont pas été publiées
non plus. La plupart des éditions élaborées par les membres du Département de
langue littéraire et de philologie de l’Institut de linguistique de Bucarest accordent
une place importante à l’étude minutieuse de la langue des textes édités. Nous
mentionnons quelques-unes de ces éditions : Pravila ritorului Lucaci ‘Les Lois du

rhéteur Lucaci’ (ed. I. Rizescu, 1971), Manuscrisul de la Ieud (ed. I. Gheţie et Mirela
Teodorescu, 1977), Codicele Voroneţean (ed. Mariana Costinescu, 1981), Codex Sturd-
zanus (ed. G. Chivu, 1993), Floarea darurilor ‘La fleur des dons’ (éd. Alexandra Moraru,
1996), Sindipa (ed. Magdalena Georgescu, 1996), Călătoria lui Zosim la blajini ‘Le
voyage de Zosim chez les bénins’ (ed. Maria Stanciu-Istrate, 1999), Lemnul crucii ‘Le
bois de la croix’ (ed. Emanuela Timotin, 2001), Psaltirea Hurmuzachi ‘Le Psautier
Hurmuzaki’ (ed. I. Gheţie et M. Teodorescu, 2005), Istoria Ţării Rumâneşti ‘L’Histoire
de la Valachie’ (ed. Otilia Dragomir, 2006). De très bonnes études linguistiques sont
L’édition des textes roumains anciens 105

aussi celles qui appartiennent à W. van Eeden (Învăţături preste toate zilele ‘Enseigne-
ments pour chaque jour’ Ier tome, 1985), à C. Dimitriu (Codicele popii Bratul, 2005) et à
V. Arvinte (Palia de la Orăştie, IIe tome, 2007).
En ce qui concerne la reproduction du texte, section qui constitue la partie centrale
de toute édition, les éditeurs se sont confrontés, dans la plupart des cas, avec deux
difficultés : comment repérer le texte de base et comment le restituer. Chacun de ces

aspects nécessite une discussion à part et par conséquent ils seront abordés un peu
plus loin. Nous nous contenterons ici de présenter quelques données qui relèvent de
la technique éditoriale visant la publication du texte et qui caractérisent certaines des
éditions publiées.
La reproduction du texte est accompagnée, dans certaines éditions, par l’indica-
tion, en marge de la page, du numéro de chaque page (feuille) de l’original ; on  

indique aussi la fin de la page recto par une barre oblique (/) et la fin de la page verso
par deux barres obliques (//). Afin de faciliter les renvois à l’appareil critique, les
lignes du texte reproduit sont numérotées en marge de la page (toutes les cinq lignes).
D’autres éditeurs, moins nombreux, procèdent, dans le même but, à une numérota-
tion de chaque ligne du texte original par des chiffres mis entre parenthèses (par
exemple Codicele Voroneţean, édité par Mariana Costinescu). Nous mentionnons
également que certains éditeurs indiquent en marge du texte reproduit les sources du
texte ou, plus rarement, même les variantes de la version avec laquelle est comparée
celle qui a été choisie comme texte de base (c’est ainsi que procède, par exemple,
I. Bianu pour l’édition de 1889 de Psaltirea Scheiană) ; dans ce cas, l’appareil critique
   

est transféré partiellement du sous-sol en marge du texte. Toujours en marge de la


page, certains éditeurs qui sont des historiens ont marqué les années d’après Jésus
Christ qui correspondent aux ans calculés à partir de la création du monde consignés
dans le texte (v. Letopiseţul Ţării Moldovei édité par P.P. Panaitescu en 1955) ; d’autres

éditeurs réalisent cette équivalence dans le texte même, notant entre crochets les
années d’après Jésus Christ (v. l’édition d’Aurora Ilieş pour Istoria domniei lui Cons-
tantin Basarab Brâncoveanu voievod).
Dans quelques éditions, appartenant en général aux historiens, les interpolations
établies par l’éditeur sont reproduites différemment par rapport au reste du texte,
avec des lettres d’un corps plus réduit, le nom de l’auteur de l’interpolation étant noté
entre parenthèses (v., par exemple, Letopiseţul Ţării Moldovei de Grigore Ureche,
publié en 1955 par P.P. Panaitescu). Si les textes contiennent de courts passages
reproduits en slavon (en général, des indications rituelles), ceux-ci sont reproduits en
translittération internationale (v., par exemple, Liturghierul lui Coresi édité par A. Ma-  

reş). Pour les textes religieux qui connaissent aujourd’hui une division par versets,
l’indication de ceux-ci, absente dans les textes roumains anciens, est présente dans la
majorité des éditions modernes (v. Stela Toma, Coresi. Psaltirea slavo-română, 1976,
I. Gheţie et Mirela Teodorescu, Psaltirea Hurmuzachi, 2005).

La note sur l’édition est placée d’habitude devant la section destinée à la repro-
duction du texte. Elle comprend dans la plupart des cas des données essentielles
106 Alexandru Mareş

concernant la manière dont les textes ont été élaborés : indication du texte de base et

motivation du choix, structure de l’appareil critique, les normes de transcription du


texte, etc. Pour les écrits qui ont déjà été édités précédemment, la note en question
contiendra également une brève présentation (critique) des éditions antérieures. Les
données contenues dans la note sur l’édition sont placées par certains auteurs dans la
partie finale de l’étude introductive ; c’est le cas, par exemple, de l’édition de la

chronique de Miron Costin De neamul moldovenilor ‘Au sujet du peuple moldave’


réalisée par C. Giurescu (1914) et de l’édition de Condica lui Gheorgachi ‘Le code

d’étiquette de Gheorgachi’ réalisée par D. Simonescu (1939).


L’appareil critique manque dans les premières éditions de textes anciens du XIXe
siècle. Il est préfiguré par les notes, assez rares, placées dans le sous-sol des textes
publiés par B.P. Hasdeu (Cuvente den bătrâni, 1878–1879) et par I. Bianu (Psaltirea
Scheiană, 1889), notes qui contiennent les corrections du copiste (dans le premier cas)
et les erreurs de celui-ci (dans le deuxième cas). Les historiens vont être les premiers à
pourvoir la reproduction du texte d’un appareil critique censé consigner la tradition
manuscrite. Le premier essai, dû à V.A. Urechia, l’éditeur des écrits de Miron Costin
(les Ier et IIe volumes, 1886–1888), a eu pour résultat un appareil critique prolixe,
générateur de confusions (Russo 1912, 77). Peu satisfaisante s’avère aussi la manière
de réaliser l’appareil critique dans les éditions soignées par Ştefan D. Grecianu (Viaţa
lui Constantin Vodă Brâncoveanu ‘La vie du voïvode Constantin le Brancovan’, 1906)
et par I.N. Popovici (Chronique de Gligorie Ureache, 1911). Le premier, convaincu qu’il
possède l’autographe de l’auteur, fait imprimer un texte incorrect, offrant dans les
notes la lecture correcte de l’original ; le second met en corrélation les renvois du texte

à l’appareil critique par des chiffres, notés comme exposants des mots dans le texte,
sans faire départager dans l’appareil les variantes par des blancs ou par des signes
spéciaux (Russo 1912, 60, 78). Les éditions de N. Iorga concernant Istoria Ţării
Rumâneşti ‘L’Histoire de la Valachie’ de Constantin Cantacuzino (1901) et Cronica
bălenilor ‘La Chronique de la famille Baleanu’ attribuée à Constantin Cǎpitanul (‘le
Capitaine’) Filipescu (1902) ne contiennent pas d’appareil critique, même si la publi-
cation des écrits mentionnés a eu lieu après l’examination de plusieurs manuscrits : 3  

pour la première édition, 6 pour la seconde. Seulement dans les éditions de C. Giures-

cu consacrées aux chroniques moldaves (1913 ; 1914 ; 1916) l’appareil critique parvient
   

à satisfaire aux exigences de la philologie moderne. Parmi les linguistes, I.-A. Candrea

sera le premier qui, dans l’édition de Psaltirea Scheiană (1916), offrira un bon appareil
critique ; celui-ci sert aujourd’hui encore à ceux qui veulent comparer le texte du

manuscrit en question avec d’autres versions manuscrites ou imprimées de Psaltirea


publiées au XVIe et au XVIIe siècles. Deux remarques devraient être encore ajoutées à
propos de l’appareil critique. La première concerne les éditeurs de la littérature
historiographique, lesquels, confrontés à des écrits transmis à travers de nombreuses
versions, n’ont retenu dans l’appareil critique, en général, que les versions les plus
représentatives d’une branche ou d’une famille. Toutefois, il y a aussi des situations
où dans cette section ont été enregistrées des variantes appartenant aux versions du
L’édition des textes roumains anciens 107

second rang d’une famille, du troisième rang, etc. ; v. G. Ştrempel, Letopiseţul Ţării

Moldovei ‘La Chronique de la Moldavie’ de Ion Neculce (1982), dont l’appareil critique
a consigné des variantes des versions C, D, G, qui forment une famille avec la version
A, choisie comme texte de base. La deuxième remarque concerne la notation des
variantes phonétiques dans l’appareil critique. Étant donné que les variantes phonéti-
ques sont en général plus nombreuses que les variantes morphologiques, lexicales ou
syntaxiques, les éditeurs ne retiennent pas dans l’appareil critique les variantes qu’ils
considèrent moins importantes. Le choix est le plus souvent subjectif et il y a des
situations où dans l’appareil critique on n’enregistre pas les variantes phonétiques
qui présentent de l’importance pour les chercheurs. Voir, par exemple, la confusion
entre ¥ et z, þ et s, faite par le même copiste dans De neamul moldovenilor de Miron
Costin et dans Letopiseţul Ţării Moldovei de Ion Neculce, confusion non-signalée dans
l’appareil critique des éditions en question réalisées par P.P. Panaitescu (21958b) et G.
Ştrempel (1982), bien qu’elle fût susceptible de plusieurs explications : défaut d’arti-

culation (Iordan 21959, CXXII) ou prononciation due à un « ceangău » (= Hongrois de


   

Moldavie ; Onu 1973, 251).


Il convient d’ajouter aussi quelques remarques sur l’appareil critique des éditions
réalisées par des linguistes. Étant donné qu’ils soignent d’habitude une version sans
la comparer avec d’autres versions de l’ouvrage en question, les linguistes enregis-
trent dans leur appareil critique les fautes de graphie ou d’impression, les graphies
particulières, les interventions du copiste ou des autres correcteurs, d’autres lectures
possibles, la traduction des mots ou des contextes écrits dans une langue étrangère à
l’intérieur du texte roumain. Bien plus rarement les linguistes font appel à un second
appareil critique, afin de noter les différences que présentent d’autres versions par
rapport à celle qui est éditée (v. Manuscrisul de la Ieud, édité par I. Gheţie et Mirela
Teodorescu et le Codex Sturdzanus, édité par G. Chivu).
Dans les éditions consacrées aux textes roumains anciens, on a ajouté très
rarement la section notes et commentaires. Cela est tout à fait normal, étant donné que
les informations qui constituent l’objet de cette section sont incluses, d’habitude,
dans l’étude introductive. Cependant les exceptions ne manquent pas et elles concer-
nent quelques éditions parues ces dernières décennies. Dans la réédition de 1988 de
Biblia de la Bucureşti, on trouve, à la fin de l’édition, la section Note ‘Notes’ réalisée
par M. Moraru, section qui contient des commentaires philologiques traitant les

problèmes soulevés par la traduction du texte. De même, une riche section nommée
Note şi comentarii ‘Notes et commentaires’ et contenant des informations d’ordre
historique et littéraire se trouve à la fin de l’édition Învăţăturile lui Neagoe Basarab
către fiul său Theodosie, publiée par D. Zamfirescu et G. Mihăilă en 2010.
Nous allons mentionner, enfin, la dernière section d’une édition : l’index des

mots ou le glossaire (dans les éditions des linguistes), respectivement l’index des
noms propres, des toponymes, etc. (dans les éditions des historiens). Le premier
glossaire a été élaboré par G. Bariţiu dans l’édition de Catehismul calvinesc ‘Le
Catéchisme calviniste’ de 1656 (1879) et le premier index exhaustif apparaît dans
108 Alexandru Mareş

l’édition de Codicele Voroneţean, publiée par I.G. Sbiera (1885). Il faut signaler
encore, à la fin du XIXe siècle, un très bon glossaire réalisé pour Crestomatie română
par M. Gaster (1891), ainsi que l’index exhaustif élaboré par G. Creţu pour Lexiconul

slavo-românesc de Mardarie Cozianul (1900). Dans la première moitié du XXe siècle,


il faut retenir le glossaire élaboré par I.-A. Candrea (1916) pour l’édition de Psaltirea
Scheiană, glossaire qui englobe tous les termes utilisés dans ce texte, ainsi qu’une
partie de ceux qui figurent dans les autres textes mis à contribution dans l’appareil
critique ; il convient de mentionner aussi les index sélectifs réalisés par N. Drăganu

pour l’édition de Codicele Teodorescu et pour celle de Codicele Marţian (1914), ainsi
que l’index réalisé par N. Cartojan pour l’édition d’Alexandria (1922). Le désir
d’élaborer des index exhaustifs a été exprimé par les linguistes pendant la seconde
moitié du siècle passé, visant surtout les anciens monuments de la langue rou-
maine. Les index exhaustifs qui apparaissent dans cette période ne diffèrent l’un de
l’autre qu’en ce qui concerne la manière de reproduire les mots : en translittération

(le Tetraevanghel de Coressi, édité par Florica Dimitrescu, 1963), en transcription


interprétative (la Palia d’Orăştie éditée par Viorica Pamfil, 1968, Sicriul de aur ‘Le
Cercueil d’or’ édité par Anton Goţia, 1984, etc.) ou en alphabet cyrillique (Liturghie-
rul lui Coresi édité par A. Mareş, 1969, Pravila ritorului Lucaci édité par I. Rizescu,
1971, Manuscrisul de la Ieud édité par I. Gheţie et Mirela Teodorescu, 1976, etc.). Il

est évident que les linguistes (surtout les spécialistes en phonétique historique) vont
profiter le plus en étudiant les index qui reproduisent les mots dans l’alphabet
original. Le recours à des glossaires caractérise en premier lieu les éditions des écrits
qui appartiennent au XVIIe et au XVIIIe siècles ; v., par exemple, l’édition de Noul
   

Testament de Bălgrad (1988) ou celle de Leastviţa ‘L’Échelle’ traduite par Varlaam


(Panaite 2007). Si, en général, on n’indique pas dans les glossaires la page du texte où
apparaît le mot en question, il y a aussi des exceptions, la page en étant marquée, par
exemple dans le glossaire pour la Psaltirea Scheiană (l’édition de I.-A. Candrea) ou
dans celui réalisé pour la Crestomaţia limbii române vechi, Ier vol. (coordonnateur

A. Mareş, 1994).

Se proposant de mettre en lumière les réalités historiques, les éditions réalisées


par des historiens font appel aux index des noms (de personnes, de lieux), qui parfois
englobent aussi des termes concernant des aspects économiques, sociaux et culturels
de l’époque en question. Il s’agit, pour ne mentionner que deux exemples, de l’index
élaboré par C. Giurescu pour l’édition de la chronique moldave des années 1661–1705
(1913) ou de l’index élaboré par Aurora Ilieş pour Istoria domniei lui Constantin
Basarab Brâncoveanul voievod (1970). D’autres historiens ont essayé de séparer les
matières incluses dans les index du type susmentionné, en les répartissant en deux ou
plusieurs index distincts : index des personnes, index des lieux (G. Ştrempel, dans

l’édition des écrits de Neculce, 1982), index des personnes, index géographique, index
des termes concernant l’état socioéconomique et culturel, index des auteurs et des
copistes (P.P. Panaitescu, dans l’édition des écrits de Miron Costin, 1958). Outre les
index signalés, la plupart des éditions élaborées par des historiens benéficient aussi
L’édition des textes roumains anciens 109

de glossaires, destinés à expliquer les termes et les sens peu connus ou absents en
roumain actuel.
Dans les éditions des anciens écrits roumains de droit civil et économique, on
trouve aussi des index des matières ; v., par exemple, l’édition de Carte românească de

învăţătură de 1646 (1961) et celle de Îndreptarea legii de 1652 (1962), les deux coor-
données par Andrei Rădulescu. Chacune des éditions en question bénéficient d’un
index des mots (ce sont des index sélectifs, car ils n’incluent pas tous les mots du
texte) où pour chaque terme enregistré on indique (par des chiffres romans et arabes)
la place occupée dans le texte. Pour les juristes, tout comme pour les historiens et les
linguistes, la sélection et la définition des termes dépend, en grande mesure, des
connaissances linguistiques de l’auteur du glossaire.

1.9 Repérer le texte de base, c’est le problème fondamental dans l’édition des textes
lorsqu’il s’agit en principe des écrits dont les variantes originales se sont perdues et
qui nous sont parvenus en deux ou plusieurs versions. Dans une situation pareille,
l’éditeur est obligé d’établir le texte de base, c’est-à-dire de choisir, parmi un nombre
plus ou moins grand de versions, celle qui peut être considérée comme la plus proche
de l’original perdu, du point de vue de l’intégrité du texte.
M. Kogǎlniceanu, auquel revient le mérite de nous avoir donné les premières
collections de documents et de chroniques internes, a publié dans Letopiseţele Ţării
Moldovei des chroniques en employant plus de 35 manuscrits. Pour la réalisation de
cette entreprise, l’historien roumain a initié une vaste action de recherche, en
comparant toutes les versions qu’il a eues à sa disposition. Malheureusement les
résultats de ses investigations n’ont pas été rendus publics. Il ne mentionne nulle
part dans son édition les versions qu’il a employées pour reconstituer le texte
(Tocilescu 1876, 394–405). Plus encore, la langue des chroniques est en grande
mesure modernisée, tandis que dans d’autres situations Kogǎlniceanu a introduit
des formes archaïques absentes dans les manuscrits étudiés (Russo 1912, 29, note 1).  

C’est le défaut qui caractérise aussi les chroniques publiées par A.T. Laurian et par
N. Bălcescu dans Magazin istoric pentru Dacia ‘Le Magazine historique pour la
Dacie’, du Ier au Ve volumes, Bucureşti, 1845–1847). Les éditeurs n’ont précisé ni la
manière dont ils avaient établi le texte de base des chroniques, ni s’ils avaient
employé dans ce but un seul manuscrit ou plusieurs (Tocilescu 1876, 405s.).
G.G. Tocilescu a le mérite de s’être prononcé le premier en faveur d’une édition

critique des chroniques, en établissant aussi une séries d’exigences (dont certaines
sont encore valables) que devaient respecter les éditions futures. Ayant une intuition
correcte du principe fondamental que doit respecter le philologue dans l’édition
d’un texte, G.G. Tocilescu a recommandé « qu’on imprime avec un respect filial le

texte des chroniques, en conservant la langue dans laquelle elles ont été écrites, et
même leur orthographe ; et si l’on y fait des corrections, concernant évidemment les

fautes du copiste, il ne faut pas le faire tacitement, mais dans les notes » (Tocilescu

1876, 419).
110 Alexandru Mareş

L’ignorance ou le non-respect de la méthodologie concernant l’édition scienti-


fique des textes anciens est visible dans les éditions parues pendant la seconde moitié
du XIXe siècle et au début du siècle suivant. Dans l’édition des ouvrages de Miron
Costin publiée entre 1886–1888, V.A. Urechia ne reproduit pas exactement le manu-
scrit de base. Il a introduit dans le texte des fragments appartenant à d’autres
manuscrits qui lui ont semblé meilleurs, en mentionnant dans l’appareil critique,
comme variantes, les mots correspondants du manuscrit choisi comme texte de base
(Russo 1912, 77, note 1 ; Giurescu 1914, LI–LV). D’une façon encore plus étrange
   

procède D. Grecianu, l’éditeur de Viaţa lui Constantin vodă Brâncoveanu. Bien qu’il ait
prétendu posséder l’autographe de la chronique (ce qui ne correspond pas à la
réalité), D. Grecianu a établi le texte en se servant d’une copie et offrant dans les notes
les lectures de l’original supposé (Russo 1912, 78). Bien plus, il a corrigé beaucoup de
fautes du manuscrit de base sans noter pour autant ses interventions (Ilieş 1970, 40).
N. Iorga n’a pas procédé lui non plus d’une manière plus recommandable. Pour Istoria
Ţării Româneşti attribuée au dignitaire Costantin Cantacuzino, l’historien a reconsti-
tué le texte à partir des éditions précédentes et de deux manuscrits gardés à la
Bibliothèque de l’Académie. Tel qu’il le souligne lui-même dans la préface de l’édi-
tion, Iorga a respecté en tant que seul repère le critère subjectif : « Laissant ici de côté
   

toute pédanterie inutile, j’ai essayé tout simplement de produire le texte comme je
sentais que le Dignitaire aurait pu l’écrire » (Iorga 1901, XLII). N. Iorga a édité de la

même façon, toujours guidé par son bon sens, la chronique de Constantin Căpitanul
Filipescu, en fait Cronica bălenilor (Russo 1912, 80). I.N. Popovici a essayé à son tour,
en s’appuyant sur les copies manuscrites, de reconstituer le texte original de la
chronique de Grigore Ureche. Dans ce but, il a introduit dans le texte reconstitué des
phonétismes et des formes grammaticales provenant des écrits d’Eustatie Logofătul et
de Varlaam, les contemporains d’Ureche. Le procédé s’avère arbitraire et par consé-
quent dépourvu de toute valeur scientifique (Russo 1912, 29, note 1).  

De façon surprenante, même un philologue de valeur tel que I.-A. Candrea a  

recouru, lui aussi, à la reconstitution. Dans l’édition de Psaltirea Scheiană (vol. II,  

1916), Candrea a essayé d’offrir un texte qui fût le plus proche possible du prototype
de la traduction. C’est pourquoi il a remplacé les phonétismes les plus récents par les
plus anciens lorsque ces derniers étaient prépondérants dans le texte ; il a aussi

rétabli le rhotacisme (Candrea 1916, I, CCXXXVIII). Par une telle intervention, il a


provoqué non seulement la modification de la langue de Psaltirea Scheiană, mais il a
aussi modifié le texte, qu’il a changé dans certains cas sans aucune raison sérieuse.
Ainsi, à la p. 45, v. 4, le syntagme turburatul apelor ‘la naissance des remous dans les

cours d’eau’ du manuscrit a été remplacé par la variante turbura-s-vor apele lor ‘il
naîtra des remous dans leurs cours d’eau’ qui figure dans Psaltirea de Şerban Coresi
(1588), bien que la première variante figure également dans Psaltirea coresiană de
1570 (Candrea 1916, II, 89 et les notes sur la même page). I.-A. Candrea a désavoué
plus tard la méthode dont il s’est servi afin d’établir le texte, en soutenant que cette
méthode lui avait été imposée par Comisia Istorică a României ‘La Commission
L’édition des textes roumains anciens 111

Historique de la Roumanie’. Il est probable que les choses se sont passées ainsi.
Toujours est-il qu’au début du XXe siècle nos spécialistes respectaient encore l’idée
lachmannienne de la reconstitution de l’archétype. D. Russo l’affirme clairement en
1912 : « afin de pouvoir restituer le texte presque tel qu’il a été écrit par son auteur,
   

nous devons prendre tous les manuscrits, fixer leur filiation, éliminer tout ce que les
copistes ou les correcteurs ont introduit dans le texte et rétablir un texte, qui, même
s’il n’est pas l’archétype perdu, devra se rapprocher de celui-ci autant que les manu-
scrits le permettent et autant que la perspicacité de l’éditeur peut aider, donc nous
devons faire une édition critique » (Russo 1912, 38). Une telle influence est décelable

également dans l’édition de Letopiseţul Ţării Moldovei de Grigore Ureche, publiée par
C. Giurescu en 1916. Le texte que l’éditeur a établi se présente comme une mosaïque
de lectures comparatives prises dans différents manuscrits (Panaitescu 21958b, 53).
Une nouvelle orientation apparaîtra bientôt parmi les éditeurs des textes anciens,
qui vont renoncer à l’idée des éditions critiques dans le sens classique du terme. La
restitution de l’archétype s’est avérée une utopie et les tentatives faites dans cette
direction, si brillantes qu’elles eussent été du point de vue scientifique, ne pouvaient
aboutir qu’à des modifications arbitraires du texte, dont ni l’historien, ni le philologue
n’auraient pu profiter. Il devenait par conséquent plus réaliste et plus près des
nécessités pratiques d’adopter un point de vue selon lequel on devait recourir à un
seul manuscrit pour établir le texte de base d’un écrit. L’idée de la reconstitution de
l’archétype est donc abandonnée et les éditeurs adoptent la solution d’établir le texte
de base en s’appuyant sur le manuscrit considéré le plus proche de l’original. La
nouvelle exigence (« on publie un texte, on ne le refait pas » ; Panaitescu 21958b, 53)
     

est adoptée par la plupart des éditeurs des textes anciens. Il est évident que cette
nouvelle orientation ne simplifie pas le travail de l’éditeur. Celui-ci continue de
chercher la filiation des manuscrits, il détermine les particularités de chaque famille
de manuscrits, il établit la famille qui représente le plus fidèlement l’archétype et
enfin il choisit dans cette famille le manuscrit qui lui servira comme texte de base.
C’est ainsi qu’ont procédé après 1900 les éditeurs recrutés parmi les historiens. Pour
l’établissement du texte de base, la classification des manuscrits et la reconstitution
de leurs stemmas se sont avérées des opérations indispensables. Par des stemmas
bien établis se sont remarqués C. Giurescu, I. Şt. Petre, P.P. Panaitescu, L. Onu, D. Si-
           

monescu, G, Ştrempel, etc.


Le choix du texte de base s’est avéré parfois très difficile, cette opération étant
menée différemment d’un éditeur à l’autre. Par exemple, pour l’édition de la chro-
nique de Grigore Ureche, P.P. Panaitescu a choisi comme manuscrit de base celui qui
a été copié en 1725 par Radu Lupescu (Panaitescu 21958b, 55–57). Au contraire, pour
l’édition anthologique de la chronique, L. Onu a établi le texte à partir du manuscrit
copié en 1724 par Constantin Vladulovici. L’éditeur avait considéré que ce dernier
manuscrit n’est pas lacunaire et qu’il conserve en plus une particularité phonétique
moldave : ğ (Onu 1967, 59). Après avoir analysé ensuite le manuscrit de la chronique

découvert par G. Creţu, manuscrit qui conserve la version la plus ancienne (c. 1660–
112 Alexandru Mareş

1670), L. Onu a rectifié son point de vue initial. Par rapport au manuscrit de Cons-
tantin Vladulovici, le manuscrit découvert par G. Creţu présente l’avantage d’être plus
représentatif pour la langue d’Ureche. Mais ce manuscrit a le désavantage d’être
lacunaire. Par conséquent, L. Onu précise que l’éditeur qui prendra pour base ce
manuscrit devra lui compléter les lacunes en utilisant d’autres manuscrits, en premier
lieu celui de Constantin Vladulovici (Onu 1967, 118).
En ce qui concerne les écrits contenant des versions interpolées, le choix du texte
de base s’est avéré parfois plus compliqué. Une telle situation a dû affronter par

exemple P.P. Panaitescu quand il a édité De neamul moldovenilor de Miron Costin.


L’écrit en question a connu deux rédactions : l’une qui n’était pas interpolée, en cinq

chapitres, et une autre avec des interpolations, en sept chapitres. P.P. Panaitescu a
choisi comme texte de base de la chronique un manuscrit de la rédaction non-
interpolée, dont il a complété les lacunes en recourant à trois autres manuscrits
(Panaitescu 1958a, 401). L. Onu qui considérait que la rédaction en sept chapitres
représente l’élaboration ultime de Miron Costin n’a pas été d’accord avec la solution
de Panaitescu (Onu 1972, 115) et il a proposé en tant que texte de base un manuscrit
appartenant à cette rédaction.
Ce qu’il faut retenir effectivement, c’est que si l’établissement du texte de base n’a
pas pu s’appuyer sur un seul manuscrit (c’est le cas des écrits qui se sont transmis par
des manuscrits lacunaires), les éditeurs ont choisi le manuscrit le plus rapproché de
l’archétype et, en même temps, le plus complet, en remplissant les lacunes à l’aide
d’un autre manuscrit (voire de plusieurs autres manuscrits). Les seules interventions
que les éditeurs se sont permises se sont limitées à peu de choses : éliminer les

interpolations, compléter les lacunes et corriger les formes des noms propres, les
dates du calendrier ainsi que les erreurs évidentes de transcription. Dans les grandes
lignes, les éditeurs se sont orientés d’après la recommandation de J. Bédier : « Il faut
   

… conserver le plus possible, réparer le moins possible, ne restaurer à aucun prix »  

(Bédier 361922, XIII).


Le problème de l’établissement du texte de base a été soulevé aussi à propos des
impressions à deux ou plusieurs tirages. Les éditeurs modernes de textes pareils ont
accordé peu d’attention à cet aspect, bien qu’on ait signalé des différences de tirages
dans le cas de plusieurs impressions anciennes : le Tetraevanghel de Coressi de 1561,

la Palia d’Orăştie de 1582, la Cazania de 1643 (Gheţie/Mareş 1974, 140s., 157s.). Parmi
ceux qui se sont préoccupés du problème des tirages et qui ont publié le texte de
l’exemplaire appartenant au dernier tirage, nous mentionnons A. Goţia pour l’édition
du Sicriul de aur de 1683 (1984) et W. van Eeden pour l’édition de l’ouvrage Învăţături
preste toate zilele ‘Les Enseignements pour tous les jours’ de 1642 (1985).

1.10 Comme il a été montré plus haut, la reproduction des textes dans les éditions
élaborées du XIXe siècle jusqu’à nos jours a été réalisée en recourant à trois procédés :  

a) en alphabet cyrillique ; b) en translittération ; c) en transcription (phonétique)


   

interprétative (il y a aussi des procédés éclectiques).


L’édition des textes roumains anciens 113

a) Parues avant le remplacement officiel de l’alphabet cyrillique par l’alphabet


latin, les premières éditions de textes ont recouru, normalement, à la reproduction du


texte en alphabet cyrillique (parfois dans sa variante de transition). Nous mention-
nons l’édition de 1835–1836 de l’ouvrage de Dimitrie Cantemir Hronicul româno-
moldo-vlahilor ‘La Chronique des Roumaino-moldo-valaques’, édition réalisée par
G. Săulescu ; les textes des documents publiés dans Arhiva românească ‘L’Archive
   

roumaine’ (1841) et dans Magazinul istoric pentru Dacia (1845–1847) par M. Kogălni-
ceanu et respectivement par N. Bălcescu et A.T. Laurian ; l’édition des Letopiseţele

Ţării Moldovei (parue à Iaşi entre 1845–1852) soignée par Kogǎlniceanu. Réalisées par
des personnes qui n’avaient que des connaissances sommaires dans le domaine de la
philologie, ces éditions contiennent de nombreuses inexactitudes, des omissions ou
des interventions non-justifiées. Même T. Cipariu, un partisan fervent du remplace-
ment de l’alphabet cyrillique par l’alphabet latin, n’a pas procédé autrement. Sa
célèbre Crestomatie seau analecte literarie (1858), qui marque en fait la date de
naissance de la philologie roumaine, reproduit les textes en alphabet cyrillique.
L’édition des textes dans l’alphabet original a continué jusque pendant la troisième
décennie du XIXe siècle. On peut mentionner aussi des éditions qui joignent au texte
reproduit en lettres cyrilliques une transcription en lettres latines (par exemple
B.P. Hasdeu, dans Cuvente den bătrâni, 1878–1879).

La publication de quelques éditions phototypiques, commencée par I. Bianu en


1889 avec la Psaltirea Scheiană (l’éditeur reproduit le texte également en translittéra-
tion) a été continuée toujours par lui-même après la Première Guerre mondiale. Les
dernières éditions de ce type sont représentées par Evangheliarul slavo-român de la
Sibiu. 1551–1553 paru en 1970 sous la coordination de L. Démeny et E. Petrovici, ainsi
que par Codicele popii Bratul (1559–1560) édité en 2005 par C. Dimitriu (sur un CD
annexé au volume).
Il est évident que ceux qui ont fait appel à ce procédé sont pour la plupart des
linguistes, surtout à une époque plus ancienne (font exception évidemment les textes
édités avant l’abolition de l’alphabet cyrillique). Une raison a été représentée certai-
nement par les difficultés appréciables que soulevait à cette époque d’insécurité
concernant l’orthographe une transcription des textes en lettres latines. Il va de soi
que Cipariu, un philologue consciencieux et probe, a évité de reproduire ses textes
dans sa propre orthographe étymologisante avec des lettres latines, car il s’est rendu
compte qu’il aurait déformé jusqu’à la non-reconnaissance non seulement l’image
graphique, mais aussi l’aspect phonétique des mots. Le même besoin d’exactitude et
à la fois la peur de ne faire des fautes en appelant à des équivalences arbitraires ont
été éprouvés par d’autres philologues. Ainsi, B.P. Hasdeu demandait que l’édition des
textes antérieurs à 1700 se fasse « en respectant exactement l’orthographe originale »
   

(c’est-à-dire avec des lettres cyrilliques), alors que les textes du XVIIIe siècle devraient
être édités « avec l’orthographe moderne latino-roumaine, comme des écrits qui ne

présentent plus l’intérêt de l’authenticité » (Hasdeu 1864b, 1). C’est toujours à une
   

reproduction en alphabet cyrillique des textes qui précèdent 1688 qu’avait pensé à un
114 Alexandru Mareş

moment donné I. Bogdan, conscient des difficultés liées à l’interprétation des lettres
(Bogdan 1907, 382). En général, l’édition des textes avec des lettres cyrilliques a été
critiquée, entre autres, par P.P. Panaitescu (1938, 342) et par N. Drăganu (1941, 48)
comme étant « non-pratique », car la lecture des lettres posait des problèmes difficiles
   

à bien des chercheurs moins habitués à l’ancien alphabet roumain, ce qui n’est pas
une remarque entièrement non-fondée. Il n’en est pas moins vrai que la reproduction
des textes en lettres cyrilliques était « la manière la plus commode de procéder », tel
   

que le remarquait D. Russo. Toutefois, l’historien roumain exagère quand il refuse de


reconnaître le titre d’éditeur à une personne qui use de ce procédé, arguant que celle-
ci « ne faisait pas œuvre d’éditeur, mais de photographe, et qu’elle ne cherchait pas à

résoudre les difficultés, mais à les contourner » (Russo 1912, 26).


En dehors de toutes ces prises de positions, il devient évident que le procédé ici
discuté s’était périmé et qu’il entraînait inévitablement une restriction du nombre des
personnes qui, dans ces conditions, avaient accès au texte. Nous pensons évidem-
ment à la reproduction du texte en fac-similés et non à son impression en lettres
cyrilliques, celle-ci n’étant plus pratiquée depuis longtemps. D’ailleurs même la
reproduction en fac-similé d’un texte non-accompagnée de la transcription en lettres
latines a été abandonnée de nos jours.
b) Un autre procédé utilisé dans la reproduction des textes roumains anciens est
représenté par la translittération. Conformément à ce procédé, chaque lettre cyrillique
devrait être toujours considérée l’équivalent d’un seul et même signe de l’alphabet
latin ; cette opération devrait permettre à tout moment, par l’application des normes

d’équivalence, le rétablissement du texte original. Néanmoins, en pratique la situ-


ation est différente. Faire équivaloir les lettres de l’alphabet cyrillique (43 signes) à
celles de l’alphabet latin (moins de 30 signes) s’est avéré une opération difficile. Dans
une première étape, l’équivalence n’a pu être realisée sans recourir à des signes
diacritiques appliqués aux lettres latines. La commission lexicographique de l’Acadé-
mie Roumaine établit en 1878 les normes selon lesquelles les textes cyrilliques allaient
être reproduits en alphabet latin et elle adopte les signes diacritiques dans une série
de correspondances : | = ö, ô, ´ = ŭ, h = é, Õ = ĭa, ç = ć, cĭ, Ô = ǵ, gĭ (Vîrtosu 1968, 255).

Ces normes seront respectées dans certaines éditions telles que Catehismul calvi-
nesc de 1656, soigné par G. Bariţiu (1879), Pravila de la Govora de 1640 éditée par
A. Odobescu (1884). Le système de transcription adopté par B.P. Hasdeu dans Cuvente

den bătrâni (1878–1879) est lui aussi, jusqu’à un certain point, une sorte de translitté-
ration ; il a été nommé d’ailleurs « translittération modérée, partielle » (Vîrtosu 1968,
     

258), car, dans certains cas, une lettre cyrillique a été transcrite par deux lettres de
l’alphabet latin (´ = â, ŭ, ä = î, în), alors que, dans d’autres situations, deux lettres
cyrilliques ont été transcrites par le même signe latin (Õ et å = ĭa, ¶ et u = u). Le
système de B.P. Hasdeu a été adopté, avec des modifications, par d’autres éditeurs
aussi, par exemple par I. Bianu (Psaltirea Scheiană, 1889).
Les inconséquences de ces systèmes de translittération ont été relevées par les
philologues groupés dans Asociaţia pentru editarea textelor vechi ‘l’Association pour
L’édition des textes roumains anciens 115

l’édition des textes anciens’ constituée en 1926, à laquelle appartenaient aussi A. Ro-  

setti et J. Byck. Ils considéraient que la transcription d’un texte ancien se réduisait à
« la transposition exacte et de manière mécanique, en lettres latines, de l’original

cyrillique » (Rosetti 1931, 428). Dans ce but, les deux éditeurs se sont créé des systèmes

ordonnés de correspondances des lettres. Un peu moins rigoureux est le système de


translittération observé par A. Rosetti dans son édition de 1926 des lettres de Bistriţa,
mais presque parfait s’avère le système appliqué par J. Byck dans les éditions des
Texte româneşti vechi, I (1930) et de la Cazania de Varlaam (1943) ; ce système de

translittération a été emprunté et appliqué par Florica Dimitrescu dans l’édition de


Tetraevanghelul de Coressi (1963). Ces systèmes de translittération présentent deux
traits communs : 1) ils maintiennent quelques lettres cyrilliques dont la valeur était

difficile à préciser (ß, ´, å, ä, etc.), ce que N. Iorga avait fait partiellement lui aussi à la
fin du XIXe siècle, lorsqu’il a publié les lettres des archives de Bistriţa (1899–1900) ou
les actes de Petru Şchiopul (Pierre le Boiteux) et de Mihai Viteazul (Michel le Brave)
(1898) ; 2) ils transposent certaines lettres cyrilliques en lettres latines surmontées de

signes diacritiques (é, ō, ū, č, ğ, etc.).


Une première position critique contre la translittération appartient à D. Russo :  

« Aussi longtemps que les éditeurs transcriront une lettre par une autre sans tâcher de

reproduire la prononciation de l’écrivain, les éditions des textes laisseront beaucoup


à désirer » (1912, 26). Ultérieurement, à cette position vont adhérer les historiens

(Panaitescu 1938, 342 ; A. Oţetea 1958, 24 ; Vîrtosu 1968, 259) et certains linguistes
   

(Bărbulescu 1904, 488–493 ; Drăganu 1941, 48s. ; Iordan 1960, 25–27 ; Ursu 1960, 34).
     

Quelques-unes des critiques faites par les linguistes aux systèmes de translittération,
à savoir celle de falsifier la langue et de ne pas contribuer au progrès des études
d’histoire de la langue, ne sont pas justifées ; ces critiques ne prennent pas en compte

le but de la translittération, notamment celui d’offrir (dans les limites qu’on s’était
proposées) l’équivalent le plus exact d’un texte écrit dans cet alphabet (Gheţie/Mareş
1974, 168). Mais ce qu’on peut reprocher effectivement aux éditeurs qui avaient utilisé
ce système c’est qu’ils n’ont pas appliqué assez rigoureusement le principe de la
translittération. Et ce reproche ne concerne pas seulement les partisans de la trans-
littération « modérée », mais aussi les éditeurs qui avaient soutenu et défendu le
   

principe fondamental de la translittération, à savoir faire équivaloir et non pas inter-


préter. Nous avons vu que les adeptes de la translittération, par exemple J. Byck, ont
transcrit õ par â et õ ou ß par ă et par ß, tout en précisant qu’ils avaient maintenu la
lettre quand celle-ci n’avait pas de valeur phonétique ou bien quand la valeur de cette
lettre n’était pas certaine, ce qui finalement constitue un acte d’interprétation. Mais
l’accusation la plus importante qu’on pourrait apporter à la translittération, telle
qu’elle a été pratiquée dans la philologie roumaine, est de n’avoir jamais été consé-
quente à elle-même (Drǎganu 1941, 49 ; Ursu 1960, 33 ; Gheţie/ Mareş 1974, 169s.).
   

c) La méthode de la transcription phonétique interprétative, c’est-à-dire la trans-


cription basée sur une interprétation préalable du système graphique employé, a été
appliquée un peu plus tard. D. Russo (1912) sera le premier à se prononcer en faveur
116 Alexandru Mareş

de cette méthode servant à reproduire les textes. Ce point de vue a été amplement
soutenu par des historiens, tels que I. Bogdan (1915), P.P. Panaitescu (1938), A. Oţetea
(1958), ainsi que par des linguistes, tels que N. Drăganu (1941), V. Pamfil (1959),
I. Iordan (1960), N.A. Ursu (1960). Les premières éditions, dues à des linguistes, où a

été appliquée (dans la plus grande partie du texte) la transcription interprétative, sont
Diaconul Coresi, Cartea cu învăţătură de S. Puşcariu et A. Procopovici (1914) et la

Psaltirea Scheiană de I.-A. Candrea (1916). Parmi les juristes, nous mentionnons

S.G. Longinescu, qui a soigné Legi vechi româneşti şi izvoarele lor (1912), et parmi les

historiens de la littérature, N. Cartojan avec l’édition d’Alexandria (1922). À cette


méthode ont eu recours aussi des historiens tels que C. Giurescu, avec les éditions
Letopiseţul Ţării Moldovei. 1661–1705 (1913) et Miron Costin, De neamul moldovenilor
(1914), C.C. Giurescu, avec l’édition Letopiseţul Ţării Moldovei până la Aron Vodă
(1939), E. Vîrtosu, avec l’édition Foletul novel (1942). Dès la seconde moitié du XIXe
siècle jusqu’à nos jours, la quasi-majorité des éditions vont appliquer la transcription
phonétique interprétative.
Un rôle de premier ordre dans la promotion de la méthode interprétative en ce qui
concerne la graphie des textes a été joué par D. Russo, auquel appartient une phrase
qui sera fréquemment citée : « Le philologue roumain qui osera éditer un texte du
   

XVIe ou du XVIIe siècle en transposant en lettres latines les sons tels qu’il croit que
l’écrivain les aurait prononcés et non pas en substituant aux anciennes lettres cyrilli-
ques les caractères latins fera un énorme service à la philologie » (Russo 1912, 26).

Dans la conception de Russo, l’interprétation de la graphie équivalait à la reconstitu-


tion de la parole de l’auteur de l’écrit et à la généralisation de celle-ci dans le texte,
quels que fussent les moyens graphiques employés par l’écrivain pour reproduir les
sons par écrit.
Cette manière de concevoir le but et la méthode de l’interprétation de la graphie a
été aujourd’hui abandonnée. On a renoncé en premier lieu à l’idée qu’un texte peut
reproduire de façon directe la prononciation d’une personne, et cela parce que par
écrit on ne reproduit pas des sons, mais des phonèmes, en réalisant ainsi une sorte
d’image « typisée » de la langue. Ensuite, dans l’interprétation de la graphie on doit
   

aussi tenir compte de certains aspects que Russo n’a pas pris en considération, tels
que la question de la tradition qui implique également la volonté de l’auteur, le
problème de la norme littéraire locale respectée par le texte en question et, pour les
textes mixtes, la question du mélange d’habitudes orthographiques caractérisant des
époques ou des régions différentes. Quand nous publions un texte en transcription
phonétique interprétative, nous essayons d’établir la langue du texte, non pas la
langue de l’auteur. La prononciation de l’auteur ne fait partie que dans une certaine
mesure de la langue du texte, car le texte contient aussi des éléments de langue
absents à l’époque où vit l’auteur ou présents dans d’autres aires dialectales. Il en
résulte que l’éditeur doit retenir toutes les graphies auxquelles correspondent ou
auxquelles ont correspondu autrefois des prononciations du roumain (et de ses
parlers). Cela prouve que les unifications, quelle que soit leur nature, sont inaccepta-
L’édition des textes roumains anciens 117

bles dans la mesure où elles mènent à l’élimination de certaines formes de langue. En


effet, celui qui interprète doit constamment tenir compte des normes littéraires auquel
se soumet l’auteur du texte. Par conséquent, l’éditeur a le devoir de considérer que le
fait d’accepter dans le texte des phonétismes ou des formes absents de la langue de
l’auteur est un acte volontaire du scripteur, car celui-ci aurait pu ne pas les promou-
voir à l’écrit s’il ne s’était pas soumis de façon consciente à des normes littéraires.
Encore faut-il préciser que du XVIe au XVIIIe siècle ces normes n’étaient pas aussi
cohérentes, ni unitaires que celles d’aujourd’hui et qu’elles admettaient des doublets
et des variantes (v., pour une discussion plus ample, Gheţie/ Mareş 1974, 170–177).
La nouvelle orientation méthodologique s’impose pendant la seconde moitié du
siècle passé. C’est à cette époque qu’apparaît l’ouvrage de A. Avram Contribuţii la

interpretarea grafiei chirilice a primelor texte româneşti ‘Contributions à l’interpréta-


tion de la graphie cyrillique des premiers textes roumains’ (1964), ouvrage qui a une
importance théorique et méthodologique particulière. L’auteur propose une méthode
phonologique d’interprétation de la graphie, dont il prouve l’efficacité (même s’il le
fait sur un nombre restreint de textes). Les éditeurs recrutés parmi les linguistes
commencent à accorder une attention spéciale à l’examination de la graphie, les
premiers exemples dans ce sens étant la Palia de la Orăştie de Viorica Pamfil (1968),
Liturghierul lui Coresi de A. Mareş (1968) et Pravila ritorului Lucaci de I. Rizescu (1971).
Bientôt, cette orientation sera suivie par d’autres linguistes aussi, en premier lieu par
les chercheurs du Département de langue littéraire et de philologie de l’Institut de
linguistique de Bucarest, des noms de référence étant ceux de Ion Gheţie, N.A. Ursu,  

G. Chivu, Mariana Constantinescu, Alexandra Roman-Moraru (aux deux dernières on


doit aussi le fait d’avoir fixé les normes de transcription pour l’édition de Biblia de la
Bucureşti, 1988). En ce qui concerne les historiens qui, à leur tour, font appel à cette
méthode, faute de connaissances nécessaires pour l’interprétation de la graphie
cyrillique, ils se limitent à suivre, en dernière analyse, un système universel de
correspondances, valable à toute époque et en tout lieu. La plupart d’entre eux
recourent aussi, dans leur soi-disant transcription interprétative, à une équivalence
empruntée au système de translittération : h = é dans des mots du type lege (écrit lhÔe,

transcrit lége) ; v., par exemple, les éditions dues à Aurora Ilieş, G. Ştrempel, D. Simo-
   

nescu ou bien l’édition de documents Documenta Romaniae historica.

1.11 Quelques conclusions s’imposent à la fin de cette courte présentation.


Commencée pendant les années ’40 du XIXe siècle, l’édition des textes roumains
anciens a parcouru jusqu’à nos jours un chemin assez long, parsemé, évidemment, de
réussites et d’insuccès, comme dans tout autre domaine d’ailleurs, mais ayant, en
général, une évolution ascendante. Laissant de côté quelques exceptions honorables,
des éditions diplomatiques et critiques réalisées à un niveau scientifique supérieur
ont commencé à être publiées seulement après la première décennie du siècle passé.
C’est toujours à cette époque qu’on a commencé à accorder une attention spéciale aux
principes techniques et méthodologiques concernant la structure des éditions, ainsi
118 Alexandru Mareş

qu’aux problèmes liés à l’établissement et à la reproduction du texte de base. Bien des


points obscurs relevant d’une question toujours actuelle, à savoir la transcription des
textes et l’interprétation de la graphie cyrillique, ont été élucidés de façon satisfai-
sante pendant la seconde moitié du siècle passé.
À présent, les philologues doivent continuer à éditer les textes roumains anciens
et, en premier lieu, les livres de chevet de la langue et de la littérature nationales. En
affirmant cela, nous pensons avant tout à Evangheliarul slavo-român de la Sibiu (1551–
1553), le plus ancien texte imprimé en langue roumaine qui nous soit parvenu et qui
ne bénéficie que d’une édition photographique. Il s’impose également une nouvelle
édition de la chronique de Grigore Ureche, étant donné que le manuscrit le plus
ancien de l’écrit (environ 1660–1670), entré assez tard dans le circuit scientifique, n’a
pas été connu par les anciens éditeurs. Et les exemples de ce type peuvent continuer.
Les bibliothèques roumaines abritent de nombreux textes, manuscrits ou imprimés,
qui, à leur tour, attendent d’être publiés. D’autre part, il faudra réaliser un inventaire
critique des résultats du passé, afin de pouvoir faire la différence entre les éditions
périmées et celles qui gardent leur valeur aujourd’hui encore. Les éditeurs, et non pas
seulement eux, auront beaucoup à gagner si l’on passe aussi à l’élaboration de
certains instruments de travail tels que des répertoires des filigranes tirés du papier
qui a circulé dans les pays roumains pendant le XVIIe et le XVIIIe siècles, un manuel
de dialectologie historique (pour la même période), des études concernant l’évolution
de la graphie cyrillique dans les textes roumains anciens. Au moment où les instru-
ments de travail ici mentionnés seront à la disposition des chercheurs, on pourra
réaliser des éditions critiques à un niveau scientifique élevé, ainsi que des exégèses
fondamentales pour la philologie roumaine (v., à propos de tous ces aspects, Gheţie/
Mareş 1974, 184–187).

2 Les textes écrits avec l’alphabet latin


2.1 En pleine époque de domination de l’alphabet cyrillique apparaissent aussi
quelques tentatives, plus ou moins isolées, de l’utilisation de l’alphabet latin dans
l’écriture roumaine. Ces nouvelles orientations remontent jusqu’à la seconde moitié
du XVIe siècle, le plus ancien texte écrit en lettres latines étant Cartea de cântece ‘Le
livre des cantiques’ imprimé à Cluj (1571–1575), un produit du mouvement de la
Réforme de Banat-Hunedoara, de source calviniste. Une bonne partie des Roumains
de cette région avaient adhéré au catholicisme déjà au XIVe et au XVe siècles et, au
moment où la Réforme a pénétré en Transylvanie, ils ont adhéré à la nouvelle
confession, tout comme l’avaient fait les Hongrois et les Allemands. En ce qui
concerne les prêtres catholiques et une partie de la noblesse roumaine de Banat-
Hunedoara, on peut supposer un contact assez ancien avec la langue et l’écriture
latines. Conformément à certaines informations, dans cette région la Réforme avait
gagné des prosélytes parmi les Roumains même avant 1550 (Gheţie 1974, 27s.).
L’édition des textes roumains anciens 119

Pendant le siècle suivant, l’emploi de l’alphabet latin persistera dans les écrits des
Roumains du Banat, adeptes du calvinisme, écrits qui vont engendrer une vraie
littérature. On publiera un Catehism ‘Catéchisme’ calviniste traduit du hongrois
(1648), on amplifiera le contenu de Carte de cântece de Cluj par la traduction de
nouveaux chants, on traduira, toujours du hongrois, un psautier – Psaltire – en vers
qui sera copié, on va élaborer des dictionnaires bilingues (roumain-latin) et trilingues
(latin-roumain-hongrois) et on va composer même des vers, telle que l’ode – Odă – de
Mihail Halici-le fils (1674), si fréquemment citée. Après le début de la domination
autrichienne en Transylvanie, ce mouvement dont le dernier produit littéraire est une
copie de 1703 de la Psaltirea en vers cessera son activité.
Toujours de la zone du Banat proviennent deux adeptes du catholicisme qui, à
leur tour, vont recourir à l’alphabet latin pour leurs écrits en roumain : Francisc  

Lovas, auteur d’un sermon tenu à Rome (1608), et Gheorghe Buitul, le traducteur d’un
catéchisme – Catehism – catholique publié à Pozsony (Bratislava) en 1636 et réédité
par les jésuites à Cluj en 1703. Après le passage de la Transylvanie sous la suzeraineté

des Habsbourgs, bien des nobles calvinistes de Banat passeront au catholicisme, tel
que Ioan Duma de Bărăbanţ, qui a soigné à Bǎlgrad la publication du catéchisme
catholique Pânea pruncilor ‘Le pain des enfants’ (1702).
On doit à la propagande catholique exercée par les missionnaires italiens en
Moldavie après 1650 toute une série d’écrits roumains avec l’alphabet latin. On peut
en mentionner le catéchisme traduit par Vito Piluzio, vicaire pour la Moldavie,
Dottrina Christiana (Rome, 1677), les travaux du franciscain Silvestro Amelio – un
catéchisme et un glossaire italien-roumain rédigés en 1719, un recueil d’homélies
Conciones latinae-muldavo élaboré entre 1725–1737 – les travaux d’Antonio Maria
Mauro, franciscain lui aussi – le manuel de conversation italien-roumain intitulé
Diverse materie in lingua moldava et rédigé en 1760, un abrégé de grammaire et le petit
guide de conversation rédigés vers 1770 (connus aussi comme Ms. romeno Asch 223 di
Göttingen). Ces ouvrages étaient destinés aux missionnaires italiens et non pas aux
catholiques de Moldavie recrutés parmi les Hongrois, les Allemands et les Roumains
(le nombre de ces derniers augmente légèrement suite aux migrations de leurs
conationaux de Transylvanie vers la fin du XVIIIe siècle ; Ferro 2004, 16s., 21s.). C’est

toujours aux missionnaires italiens qu’appartient un livre de prières de 1776, décou-


vert dans le registre d’une paroisse de Moldavie. Celui-ci a été diffusé à côté d’une
circulaire épiscopale du 24 novembre 1777, où l’on demandait, entre autres, aux
missionnaires de réciter ensemble avec tous les paroissiens les prières prescrites pour
la Moldavie par le pape Clément XIV (Mărtinaş 1985, 158s.).
Appartient egalement à la propagande catholique, cette fois-ci à celle exercée par
l’Archevêché catholique de Kálocsa (Hongrie), la publication, dans la même localité,
d’un livre d’Évangiles (Evanghelii) avec des homélies (Omiliar) en 1769 par David Biro,
qui se proclame comme appartenant « aux piaristes ». Le moine franciscain Joannes
   

Kájoni a copié des chansons populaires roumaines dans le Codex Kájoni (durant la
seconde moitié du XVIIe siècle). Il est aussi possible qu’une initiative catholique ou
120 Alexandru Mareş

bien due à l’Église Unie se trouve derrière la publication à Cluj en 1768 d’un recueil de
poésies populaires roumaines intitulé Cântece câmpeneşti.
Quelques autres écrits roumains employant l’alphabet latin pourraient être attri-
bués à des initiatives privées (Tatăl nostru ‘Notre père’ imprimé à Frankfurt en 1603,
Glosarul româno-latin ‘Le Glossaire roumain-latin’ publié par l’historien dalmate
Joannes Lucius en 1668, Cântecul de dragoste ‘La chanson d’amour’ et Tatăl nostru du
Petrovai Codex copié en 1672, les vers composés d’après Ovide par Valentin Franck
von Franckenstein et publiés en 1679, Tatăl nostru imprimé par Christoph Hartknoch
en 1684) ou à des initiatives officielles (Decretul ‘Le décret’ de l’empereur Léopold I,

de 1701).
On doit enfin à quelques personnes instruites appartenant aux milieux orthodo-
xes quelques tentatives d’écrire en roumain avec des lettres latines : Tatăl nostru écrit

par le chancelier Luca Stroici et publié par Stanisław Sarnicki à Varsovie en 1594, les
annotations d’Ilinca Leurdeanu, la nièce du voïvode Michel le Brave, sur quelques
documents datant de 1640–1660, Tatăl nostru attribué à Nicolae Spătarul (Milescu) et
publié par Georg Stiernhielm à Stockholm en 1671, le glossaire italien-roumain et les
listes contenant des noms géographiques destinées au comte Ferdinando Marsigli et
attribuées au dignitaire Constantin Cantacuzino, etc.

2.2 En fonction de leur emplacement dans l’espace, ainsi que de certaines influences
culturelles, les écrits roumains en alphabet latin recourent à l’un des systèmes
d’orthographe suivants : hongrois, polonais, italien (parfois on constate aussi la

combinaison de ces systèmes).


Les textes écrits en Transylvanie, en premier lieu ceux qui sont dus à l’église
calviniste, utilisent l’orthographe hongroise. Par la manière dont celle-ci a été appli-
quée à l’écriture du roumain, elle rend difficile la lecture et crée des difficultés
d’interprétation : certains sons sont notés par deux ou plusieurs lettres ou groupes de

lettres, alors que les sons spécifiquement roumains sont notés par des lettres utilisées
dans l’orthographe hongroise pour reproduire des sons proches.
Les Moldaves ont recouru à l’orthographe polonaise. Le premier à l’avoir fait a
été Luca Stroici, dans son Tatăl nostru, dans lequel on retrouve également quelques
solutions propres à l’orthographe italienne. Ensuite, Miron Costin dans Cronica polonă
‘La Chronique polonaise’ a reproduit les mots roumains en orthographe polonaise.
Les missionnaires catholiques qui ont œuvré en Moldavie ont utilisé l’orthographe
italienne pour écrire en roumain. Chez Vito Piluzio et, dans une moindre mesure, chez
Silvestro Amelio, cette orthographe contient aussi quelques solutions appartenant à
l’orthographe polonaise et hongroise. Par les écrits d’Antonio Maria Mauro, l’ortho-
graphe de ces textes devient intégralement italienne. Les textes attribués à Constantin
Cantacuzino, donc à un Valaque, sont également écrits avec l’orthographe italienne.

2.3 Étant surtout l’expression des courants religieux qui ont été actifs en Transylvanie
et en Moldavie, cette littérature écrite avec l’alphabet latin s’est naturellement concré-
L’édition des textes roumains anciens 121

tisée dans des écrits religieux divers : le catéchisme, le livre des cantiques, le recueil

d’homélies, le psautier en vers, etc. Toutefois, la littérature en question a généré aussi


quelques écrits laïques : des glossaires et des dictionnaires bilingues, des manuels de

conversation bilingues, des chansons et des poésies populaires, des poésies savantes
et même un acte administratif (Decretul ‘Le décret’ impérial de 1701).
Certains de ces écrits nous sont parvenus sous une forme imprimée : Cartea de

cântece ‘Le livre des cantiques’ (Cluj, 1571–1575), Tatăl nostru (Varsovie, 1594), Tatăl
nostru (Frankfurt, 1603), Catehismul ‘Le catéchisme’ catholique (Poszony, 1636 : on  

n’en possède pas d’exemplaires), Catehismul calviniste (Alba Iulia, 1648), Glosarul
româno-latin (Amsterdam, 1668), Tatăl nostru attribué à Nicolae Spǎtarul (Stockholm,
1671), Oda de Mihai Halici-le fils (Basel, 1674), Catehismul ‘Le catéchisme’ catholique
(Rome, 1677), Tatăl nostru (Frankfurt, Leipzig 1684), les vers composés par Valentin
Franck von Franckenstein (Sibiu, 1679), le Decret de l’empereur Léopold I (1701),
Catehismul ‘Le catéchisme’ catholique (Cluj, 1703), Cântecele câmpeneşti ‘Les chan-
sons champêtres’ (Cluj, 1766), Evanghelie (Kálocsa, 1769).
Les livres imprimés en Transylvanie reproduisent, pour la plupart, des sources
hongroises qui entre temps ont été identifiées. Les vers de Valentin Franck von
Franckenstein observent en général le modèle des sentences latines d’Ovide ; une  

seule poésie reproduit une source allemande. D’autres écrits sont de simples réédi-
tions, contenant parfois des modifications de nature linguistique. Ainsi, Catehismul
‘Le catéchisme’ catholique imprimé à Cluj en 1703 reproduit le texte du Catéchisme
catholique imprimé en 1636 ; ce dernier avait déjà été réédité à Rome en 1677 après

une révision linguistique et orthographique. Enfin, le texte de Vito Piluzio a été


emprunté, avec quelques petites modifications, par Silvestro Amelio dans Catehismul
de 1719. Le texte des Évangiles reproduit dans Omiliarul imprimé à Kálocsa en 1769 est
également une compilation dont les sources sont Noul Testament ‘Le Nouveau Testa-
ment’ de Bălgrad et Biblia ‘La Bible’ de Bucarest.

2.4 Parmi les premières valorisations de cette littérature, réalisées au XIXe siècle,
comptent Oda de Mihail Halici-le fils (Bariţ 1847, 2 ; Cipariu 1860, 135), Catehismul

catolic de Vito Piluzio (Cipariu 1858, 254–256 ; Sion Gherei 1875), Tatăl nostru, la

version Luca Stroici (Hasdeu 1864a, 26), Tatăl nostru imprimé à Košice en 1614 (Veress
1931, 67s.), des fragments de la Psaltirea en vers de Ioan Viski (Silaşi 1875, 141–145) ;  

Anonymus Lugoshiensis, connu antérieurement sous le titre d’Anonymus Caransebe-


siensis (Hasdeu 1891, 1–48 ; Creţu 1898, 326–380), des fragments de Catehismul calvin

de 1648 et de Catehismul catolic de 1677 (Gaster 1891, 124, 226–227), Tatăl nostru
attribué à Nicolae Spǎtarul (Şăineanu 21895, 12). Au début du XXe siècle ont été
réédités les vers de Valentin Franck von Franckenstein (Docan 1901, 227–232), Cartea
de cântece de 1571–1575 (Sztripszky/Alexics 1911, 146–167) et on a publié les textes de
Petrovai Codex (Alexici 1912, 279–281). Ceux-ci ont été suivis bientôt par les écrits de
Silvestro Amelio de 1719 (Densusianu 1934–1924, 291–293, 294, 297–299, 300–311), par
des fragments de Cartea de cântece copiés par Sandor Gergely de Agyagfalva (Drăga-
122 Alexandru Mareş

nu 1927, 86, 91), Tatăl nostru publié par Christoph Hartknoch (Muşlea 1927, 965s.),
Predica ‘Le sermon’ de Francisc Lovas (Isopescu 1925–1926, 280–282), le glossaire
italien-roumain et les listes des noms géographiques attribuées à Constantiin Canta-
cuzino (Tagliavini 1927), Lexicon Marsilianum (Tagliavini 1930, 187–255), Diverse
materie in lingua moldava (Tagliavini 1929–1930), Catehismul ‘Le catéchisme’ calvi-
niste de 1648 (Tamás 1942, 43–65), etc. Au cours des dernières décennies du siècle
passé et pendant la première décennie de notre siècle, ont été publiés : Glosarul

româno-latin de 1668 (Dima-Drăgan 1974, 36s. ; Mihăilă 1979, 28–34), Cartea de


cântece (“Le livre des cantiques”) din 1571–1575 (Gheţie 1982a, 336–343), Catehismul
catolic de 1719 de Silvestro Amelio (Picillo 1992–1993, 433–538), Cartea de rugăciuni
de 1776 (Mărtinaş 1985, 107–109), l’abrégé de grammaire et le petit guide de conversa-
tion attribués à Antonio Maria Mauro (Picillo 1987, 89–148), Dictionarum valachico-
latinum, connu antérieurement sous le titre d’Anonymus Lugoshiensis ou Anonymus
Caransebesiensis (Király 2003, 317–391 ; Chivu 2008, 71–178), Psalterium Hungaricum

(Pantaleoni 2008, 175–424). À la dernière période appartient aussi la précieuse an-


thologie Testi romeni in alfabeto latino (secoli XVI–XVIII), réalisée par Picillo (1991).

2.5 Dans les éditions modernes, la plupart des écrits roumains en alphabet latin ont
été publiés en transcription diplomatique, c’est-à-dire dans une reproduction exacte
du texte du point de vue de l’orthographe. Font partie de cette catégorie, entre autres,
l’Ode (Oda) de Mihail Halici-le fils (Bariţ 1847 ; Cipariu 1860), Tatăl nostru, la version

attribuée à Luca Stroici (Hasdeu 1864a), Anonymus Lugoshiensis (ou Caransebesiensis)


(Hasdeu 1891 ; Creţu 1898), les écrits de Silvestro Amelio de 1719 (Densusianu 1923–

1924), Diverse materie in lingua moldava (Tagliavini 1929–1930), l’abrégé de gram-


maire et le guide de conversation attribués à Antonio Maria Mauro (Picillo 1987),
Psalterium Hungaricum (Pantaleoni 2008), etc. Mais il y a aussi des écrits reproduits
en transcription diplomatique accompagnée d’une transcription interprétative : les  

fragments de Psaltirea en vers de Ioan Viski (Silaşi 1875), les textes de Petrovai Codex
(Alexici 1912), Cartea de cântece (Sztripszky/Alexics 1911), le catéchisme (Catehismul)
calviniste de 1648 (Tamás 1942) ; dans les dernières éditions les textes sont reproduits

aussi en fac-similés.
On a recouru plus rarement à la reproduction du texte en transcription phoné-
tique interprétative : Oda de Mihail Halici-le fils (Pumnul 1865), Cartea de cântece

(Gheţie 1982a), Dictionarium valachico-latinum (Király 2003 ; Chivu 2008). À l’excep-


tion d’A. Pumnul, les autres éditeurs ont publié aussi les fac-similés des textes en
question.
On n’a qu’un seul cas de reproduction du texte uniquement en fac-similé : Decretul

de l’empereur Léopold I de 1701 (Ursu 1912, post p. 1063 ; Veress 1931, 147–148).
   

2.6 Dans bien des cas, les textes roumains écrits en alphabet latin ont été publiés
dans des articles ou dans des anthologies. Plus rarement ils ont été reproduits dans
des éditions où la mise en valeur du texte a été accompagnée d’études philologiques
L’édition des textes roumains anciens 123

et d’études linguistiques, d’un appareil critique, d’index des mots, etc. Quand de
telles situations existent, les éditions en question présentent des études destinées à
clarifier l’histoire de l’écrit (la source, la personne de l’auteur ou du traducteur, la date
de l’élaboration, etc.). En revanche, les éditions qui accordent de l’importance aux
problèmes de la langue sont peu nombreuses. Pour la première moitié du siècle passé,
peuvent être mentionnés sous cet aspect Cartea de cântece (H. Sztripszky/G. Alexics),
Petrovai Codex (G. Alexici), Lexicon Marsilianum (C. Tagliavini), Catehismul calviniste
(L. Tamás). Les éditions plus récentes ne sont pas plus nombreuses elles aussi,

toutefois leurs études linguistiques sont beaucoup plus solides et se réfèrent à


l’ensemble de la langue du texte : Cartea de cântece (I. Gheţie), Ms. romen Asch. 223 di

Göttingen (G. Picillo), Dictionarium valachico-latinum (G. Chivu) et Psalterium Hungari-


cum (D. Pantaleoni). L’édition de G. Picillo mise à part, toutes les autres éditions

bénéficient aussi d’une Note sur l’édition, qui donne les informations essentielles
concernant la manière dont a été réalisée l’édition en question.
À propos de la reproduction du texte nous n’allons pas répéter les informations
susmentionnées. Nous tenons tout de même à préciser que dans les éditions qui
reproduisent le texte en transcription diplomatique accompagnée d’une transcription
interprétative, cette dernière modernise parfois la langue, afin de faciliter au lecteur
la compréhension du texte. En ce qui concerne la transcription interprétative, l’exi-
gence d’observer rigoureusement la réalité linguistique du texte, c’est-à-dire ses
particularités phonétiques, morphologiques, syntaxiques et lexicales par rapport à
l’espace et à l’époque de l’écriture, est respectée par peu d’éditeurs : I. Gheţie, Fr. Kirá-
     

ly et G. Chivu.
Le contenu de l’appareil critique varie dans ces éditions en fonction de la manière
de la reproduction. Dans les éditions diplomatiques, on note dans l’appareil critique
les graphies sur lesquelles l’éditeur est intervenu en séparant les mots, en éloignant
des lettres (pour les lettres doubles), en introduisant des lettres omises (Psalterium
Hungaricum) ou en signalant la répétition de certains contextes (Lexicon Marsilia-
num). Dans les éditions critiques où les textes sont reproduits en transcription inter-
prétative, l’appareil critique note les graphies erronées, les lettres ou les mots para-
sitaires, d’autres lectures possibles pour certaines graphies (Cartea de cântece, éd.
I. Gheţie, Dictionarium valachico-latinum, éd. Fr. Király). Les mêmes faits, auxquels

viennent s’ajouter l’indication de certaines habitudes orthographiques de l’auteur ou


des annotateurs, des indications sur les lectures différentes adoptées dans les éditions
précédentes, forment le contenu de la section Note ‘Notes’ du Dictionarium valachico-
latinum (éd. G. Chivu). L’édition de I. Gheţie bénéficie aussi d’un second appareil
critique, dans lequel sont énumérées les différences phonétiques, morphologiques,
syntaxiques et lexicales que présentent les vers des cantiques calvinistes du XVIIe
siècle par rapport au texte édité.
L’index des mots figure dans les éditions soignées par C. Tagliavini, L. Tamás,
I. Gheţie et G. Chivu (dans l’édition de ce dernier éditeur, on trouve aussi un Glos-

saire).
124 Alexandru Mareş

2.7 Pour les écrits roumains en alphabet latin, l’un des problèmes les plus importants
et les plus difficiles reste l’interprétation de la graphie. Comme nous l’avons déjà vu,
les éditeurs ont recouru, dans la plupart des cas, à la reproduction exacte de l’ortho-
graphe du texte (la transcription diplomatique), donc à une solution commode. Peu
nombreux sont ceux qui ont osé adopter une trascription phonétique interprétative.
La plupart des éditeurs ont hésité à recourir à une telle manière de reproduire le texte,
à cause des difficultés liées à l’interprétation de certaines lettres latines employées
dans le texte. La multitude des solutions concernant la notation d’un même son dans
ces textes est due au fait que les systèmes d’orthographe employés par les Roumains
de Transylvanie (le système hongrois) et de Moldavie (le système polonais) ou par les
missionnaires catholiques (le système italien) se caractérisaient tous par deux traits :

ils n’étaient pas entièrement fixés, les innovations graphiques alternant avec les
notations traditionnelles, et ils ne contenaient pas de signes pour noter certains sons
spécifiques du roumain. C’est justement ce caractère approximatif de la notation de
certains sons qui engendre les plus grandes difficultés dans l’interprétation de la
graphie du texte. Et malheureusement, les exemples où l’analyse ne peut pas décider
en faveur de l’une ou l’autre des interprétations possibles sont assez nombreux,
surtout pour les textes écrits avec l’orthographe hongroise.
Pour ces textes aussi, tout comme pour les textes écrits en alphabet cyrillique,
l’opération de leur reproduction en transcription phonétique interprétative exige le
respect de toutes les particularités de la langue et l’élimination de tout ce qui est
dépourvu de valeur phonétique réelle (à l’époque où le texte a été écrit ou bien à une
époque antérieure).

2.8 Tous les écrits roumains en alphabet latin dont nous connaissons l’existence
aujourd’hui n’ont pas été publiés. Il nous manque des éditions pour Catehismul
catholique de 1703, Conciones latinae-muldavo (1725–1737), Cântecele câmpeneşti
(1766), Evanghelia (1769), etc. Nous ne disposons pas non plus d’une édition des
cantiques calvinistes en vers du XVIIe siècle (dont certains ont pénétré dans des
manuscrits copiés en alphabet cyrillique). Très utile serait aussi la réédition de
certains écrits dont les éditions ne sont aujourd’hui accessibles que dans les grandes
bibliothèques, tels que Codex Kájoni, Petrovai Codex, Catehismul calvin (1648). Enfin,
il nous faudrait un ouvrage consacré à l’examen de l’évolution de l’écriture roumaine
en alphabet latin. On pourrait constater alors comment certaines solutions de l’ortho-
graphe roumaine actuelle ont été anticipées par les missionnaires italiens du XVIIIe
siècle.
L’édition des textes roumains anciens 125

3 Bibliographie
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Raymund Wilhelm
5 L’édition de texte – entreprise à la fois
linguistique et littéraire
Abstract : La séparation entre linguistique et études littéraires est, en principe, un fait
   

irrécusable. Cet article veut cependant démontrer qu’une division catégorique entre
ces deux disciplines ne peut pas être de mise dans le domaine de l’édition des textes.
Ainsi une répartition des travaux, littéraires d’un côté et linguistes de l’autre, en
fonction de l’objet auquel ils s’intéressent (textes littéraires/textes non-littéraires) est
régulièrement démentie par la pratique des éditeurs de textes. De même, il faut bien
admettre que la distinction entre deux niveaux d’analyse – la forme linguistique du
texte qui concernerait le linguiste / le contenu de l’œuvre qui relèverait de la compé-
tence du littéraire – est tout autre que nette. Enfin, pour ce qui concerne les méthodes
de l’édition, il serait simpliste (sinon erroné) d’opposer les éditions « imitatives » à
   

l’usage du linguiste aux éditions « reconstructionnistes » destinées aux études litté-


   

raires. L’article se termine par une mise en garde : si la linguistique romane veut rester

une discipline « historique », elle devra veiller à ne pas abandonner les compétences
   

ecdotiques, qui seules lui permettent de s’assurer de ses propres bases empiriques.

Keywords : changement linguistique, diasystème, linguistique textuelle, tradition dis-


   

cursive, variante

1 La séparation de la linguistique et des études


littéraires
1.1 L’édition de texte s’est trouvée, pendant assez longtemps, au centre même de
notre discipline. Dans le Grundriss de Gröber, en effet, la méthodologie de la philolo-
gie romane se divise en trois branches : la « Methodik der sprachwissenschaftlichen
   

Forschung », la « Methodik der philologischen Forschung (im engeren Sinne) » et la


     

« Methodik der litteraturgeschichtlichen Forschung » (Gröber 21904–1906, 199). La


   

recherche philologique stricto sensu ou, avec un néologisme de plus en plus courant,
l’ecdotique, occupe donc une place intermédiaire entre la linguistique et l’histoire de
la littérature.
La fonction charnière de l’ecdotique implique que l’on peut la subdiviser à son
tour en deux approches complémentaires : pour Adolf Tobler, qui a fourni une

contribution fondamentale au Grundriss, la recherche philologique est, d’un côté,


Textkritik, dans le sens où elle vise à restituer la forme originelle (« die ursprüngliche

Gestalt ») d’un texte ; et, de l’autre côté, elle est Hermeneutik, dans la mesure où elle
   

recueille toutes les informations (d’ordre grammatical, lexical, culturel etc.) qui
peuvent être utiles à la compréhension du texte en question (Tobler 21904–1906, 319).
132 Raymund Wilhelm

Il n’y a pas de doute que la philologie ainsi définie constitue la base aussi bien de la
recherche linguistique que de l’histoire de la littérature. Autrement dit, dans la
conception de Gröber et de Tobler, l’ecdotique est le lien entre les études linguistiques
et les études littéraires, puisqu’elle présuppose les deux compétences en même
temps.

1.2 Aujourd’hui, nous sommes bien loin d’une telle conception de la philologie
romane. La séparation entre linguistique et études littéraires semble un fait incontour-
nable (et irrémédiable). Le haut degré de spécialisation dans les deux domaines
semble d’ailleurs rendre illusoire toute ambition de réunir les deux compétences en
un seul chercheur.
Plus grave encore est un autre fait : les deux branches de la philologie romane

suivent des orientations méthodologiques de plus en plus divergentes. D’un côté on


constate que la linguistique romane (synchronique et même diachronique) est majori-
tairement orientée vers les modèles de la linguistique générale. Ceci est vrai, en
particulier, pour quelques pays, comme l’Allemagne, où un article comme celui de
Meisel/Schwarze (2002) n’a provoqué que d’assez faibles réactions. Néanmoins la
réflexion sur le rôle du « particulier » et du « général » proposée par ces deux auteurs
       

(Das Besondere und das Allgemeine, comme on lit dans le sous-titre de l’article cité)
concerne les bases mêmes de notre discipline : une science historique (l’histoire de la

langue, la linguistique historique etc.) est nécessairement une science du particulier,


et même de l’« individuel » ; considérer le particulier uniquement en fonction du
     

général, voire de l’universel, revient à amputer la philologie romane de sa dimension


historique, et de cette façon on abandonnerait l’autonomie (outre que le sens) de
notre discipline.1
De l’autre côté les études littéraires semblent de moins en moins s’intéresser au
texte en tant qu’ensemble structuré de signes linguistiques qui transporte un « sens »    

précis et susceptible d’être compris à l’aide de procédés bien définis. Depuis plusieurs
décennies on constate en effet, dans un nombre considérable de recherches littéraires,
des orientations qui, au lieu de se pencher sur l’exégèse des grands textes du passé, se
dédient plutôt à l’histoire de leur réception ou les prennent comme supports pour des
considérations d’un autre ordre comme, par exemple, l’histoire des mentalités ou les
cultural studies. Le texte littéraire, dans certaines orientations méthodologiques (par-
mi lesquelles on citera aussi le « déconstructionisme »), risque de ne plus servir que
   

de prétexte pour des réflexions, certes fort intéressantes, mais qui semblent parfois
difficilement contrôlables.2

1 Pour les bases épistémologiques, qu’il n’est pas possible de discuter ici, cf. Coseriu (1958). Une
réponse détaillée aux thèses de Meisel/Schwarze (2002) se lit dans Kramer (2004) ; et cf. aussi, dans

une perspective plus ample, Dworkin (2005) et Lebsanft (2012, 179).


2 Cf. déjà Segre (1993). – Pour la situation allemande cf. en particulier Rossi (2012, 119s.) : « proprio nel
   

paese in cui è stata concepita la Romanische Philologie, oggi, è lasciata piuttosto in disparte, a
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 133

1.3 Une telle situation – décrite ici de façon simplifiée et même caricaturale – a bien
sûr des conséquences quant à la place à attribuer à l’ecdotique, c’est-à-dire à la
théorie et à la pratique de l’édition de texte, au sein de la philologie romane. Le
constat formulé il y a quelques années par Frédéric Duval (2006b, 129) est net : « En    

France, la fracture profonde entre linguistique et littérature (qui s’est souvent doublée
d’une opposition idéologique et politique) a gravement nui à la philologie ». Et le  

diagnostic peut être étendu à d’autres pays, comme les pays de langue allemande
notamment.3 Au lieu de servir de trait d’union entre la linguistique et les études
littéraires, la philologie textuelle semble divisée elle-même entre une orientation
linguistique et une orientation littéraire, si bien qu’il faudrait distinguer entre les
éditions à l’usage des linguistes et les éditions à l’usage des littéraires.
Par la suite je vais discuter cette vision plutôt « pessimiste » à partir de trois
   

thèses, qui résument des points de vue largement répandus :  

(1) Les spécialistes de littérature préparent l’édition de textes littéraires, les linguis-
tes, de textes non-littéraires.
(2) Les spécialistes de littérature, dans leurs éditions, se concentrent sur le contenu
(les leçons, la substance) du texte, les linguistes s’intéressent uniquement à sa
forme linguistique.
(3) Les spécialistes de littérature préparent des éditions « reconstructionnistes », les
   

linguistes, des éditions « imitatives ».


   

Ces trois thèses concernent des points fondamentaux de la théorie et de la pratique de


l’édition de texte : en occurrence l’objet, le niveau d’analyse et les méthodes de

l’ecdotique. La discussion qui va suivre tentera de répondre à la question de savoir


dans quelle mesure l’attitude scientifique évoquée ici, à savoir la séparation entre
linguistique et littérature, nous permet une compréhension adéquate des textes
médiévaux.

vantaggio della cosiddetta ‹ Kulturwissenschaft ›, disciplina senz’altro encomiabile, se solo i suoi


   

cultori si rendessero conto ch’essa non può prescindere dalla filologia e che la sua corretta applica-
zione esige una preparazione che va ben al di là delle modeste competenze di chi attualmente la
esercita ».

3 Cf. aussi Zinelli (2006, 101), à propos de la situation italienne : « Le clivage institutionnel grandissant
   

qui sépare les historiens de la littérature des historiens de la langue est en train de déterminer une
séparation des compétences qui ne sera pas sans conséquences sur le terrain même de l’édition ». – Il  

faut ajouter pourtant qu’en Italie, l’enseignement de la Storia della lingua italiana prend largement en
considération l’histoire de la littérature, si bien qu’un dialogue entre les deux disciplines (linguistique
et études littéraires) y trouve un lieu institutionnel, qui manque complètement dans d’autres pays.
134 Raymund Wilhelm

2 Textes littéraires / textes non-littéraires


La première thèse semble décrire un fait évident : si le spécialiste de littérature

médiévale élabore principalement des éditions de textes littéraires, le linguiste, lui, se


dédie au vaste champ des documents de la vie pratique. Et on peut rappeler ici, avec
Fabio Zinelli (2006, 101), « l’existence d’une tradition importante de recueils entière-

ment consacrés aux textes pratiques, terrain principalement réservé aux historiens de
la langue » (cf. aussi Duval 2006a, 19s.).

En réalité, les choses ne sont pas si simples. Une division des travaux entre
littéraires et linguistes en fonction de l’objet de leurs soins (textes littéraires / textes
non-littéraires) est régulièrement démentie par la pratique des éditeurs de textes.
Considérons les trois points suivants.

2.1 En premier lieu, il est indéniable que pour beaucoup de textes médiévaux la
catégorie moderne de « littérarité » n’est pas pertinente. Le caractère littéraire ou non-
   

littéraire d’un texte n’est donc pas très approprié, et certainement pas suffisant, pour
classifier les types de textes du Moyen Âge.
Pensons aux textes scientifiques, par exemple les grandes encyclopédies comme
le Lucidaire, le Secret des secrets, le Livre dou Tresor etc. Les éditions de ces textes sont
élaborées aussi bien par des littéraires, comme Doris Ruhe (1993) pour le Second
Lucidaire, que par des linguistes, spécialement des lexicographes, comme Yela
Schauwecker (2007) pour le Secretum secretorum de Jofroi de Waterford, ou encore
Pietro Beltrami et son équipe (2007) pour le Trésor de Brunet Latin.
Et pensons encore aux poèmes hagiographiques : ce n’est certainement pas la

forme versifiée qui nous permet d’attribuer un caractère littéraire aux vies de Saint,
qui constituent un des genres les plus diffusés dans toutes les langues vernaculaires
du Moyen Âge. Si aujourd’hui on a tendance à inclure un certain nombre de vies ou de
miracles dans le canon littéraire, c’est essentiellement grâce à leurs auteurs, comme
Rutebeuf, Gonzalo de Berceo ou, dans une moindre mesure (à cause de sa « margina-  

lité » linguistique), Bonvesin da la Riva. Mais la masse des textes hagiographiques


anonymes, en latin et dans les langues vernaculaires, en vers et en prose, poursuivent


une orientation plutôt pratique, l’édification et l’instruction religieuse des fidèles, et
ne relèvent donc pas de la « littérature » au sens fort du terme.
   

C’est évidemment par anachronisme que nous qualifions un certain nombre de


textes du Moyen Âge comme « littéraires ». Une telle classification (« littéraire / non-
     

littéraire ») est certainement légitime, mais il ne faut pas oublier qu’elle ne correspond

nullement à la perception des auteurs et des lecteurs du Moyen Âge, puisque la notion
de « littérarité » ne sera établie que beaucoup plus tard. Paul Zumthor a écrit des
   

pages stimulantes à cet égard. Selon l’auteur de La lettre et la voix, « le ‹ roman › seul,
     

parmi les pratiques poétiques du XIIe siècle, du XIIIe, du XIVe encore, dans une
moindre mesure du XVe siècle, entre (en forçant un peu, mais sans trop de mal) dans
le cadre à la fois idéal et pragmatique que désigne notre terme de littérature »  
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 135

(Zumthor 1987, 311). Et, pour Zumthor, il en découle une conséquence nette : « L’un    

des impératifs méthodologiques auquel aucun médiéviste ne se déroberait sans


fausser de façon irrémédiable la perspective consiste à écarter, comme totalement
inadéquate à son objet, la notion de ‘littérature’ » (ibid., 313). Il n’est probablement

pas utile de suivre un tel rigorisme terminologique. Il est nécessaire pourtant de se


rappeler que la « littérature médiévale » correspond à un regroupement de textes qui
   

reflète la conception moderne de plusieurs « univers discursifs » nettement délimi-


   

tés.4

2.2 Même si nous nous basons sur le concept de littérature au sens moderne, la
répartition des tâches entre littéraires et linguistes est loin d’être nette. Les œuvres
d’auteurs médiévaux auxquelles on a attribué par la suite une valeur littéraire jouent
souvent un rôle important dans la culture d’un pays et dans la construction de
l’identité nationale ; pour cette raison il est d’un intérêt capital de savoir dans quelle

langue des auteurs comme Chrétien de Troyes, Ramon Llull ou Dante Alighieri ont
écrit leurs œuvres : il s’agit ici d’un problème de l’histoire linguistique qui a des

conséquences immédiates sur la pratique de l’édition des textes.5


Prenons l’exemple de la Divine Comédie, le texte-phare de la littérature italienne,
dont l’édition demande un soin et une compétence linguistiques des plus poussés.
L’état de la question a été établi par Paolo Trovato dans un article qui ouvre des
perspectives méthodologiques importantes : Un problema editoriale : il colorito lin-
   

guistico della Commedia (2010). Comme pour les autres œuvres du poète italien, nous
ne connaissons pas de manuscrit autographe de la Commedia. La tradition la plus
ancienne du chef-d’œuvre de la littérature italienne provient de l’Italie du Nord. On
peut même supposer un archétype « emiliano-romagnolo » de la Commedia (Trovato
   

2010, 78). Et rappelons que Dante a quitté sa ville natale en 1301 et qu’il termine son
poème à Ravenne, où il meurt en 1321. Dans les décennies qui ont suivi la mort du
poète, des copistes de Toscane ont transposé en florentin les formes septentrionales ;  

la tradition manuscrite de la Divine Comédie est ainsi soumise à un procès de


« rifiorentinizzazione » (ibid.).
   

Mais dans quelle mesure cette langue « florentinisée » après coup correspond-elle
   

au coloris originel du poème de Dante ? Évidemment il ne peut pas y avoir de réponse


simple. Trovato propose l’argumentation suivante : toutes les fois qu’un manuscrit de

l’Italie du Nord (par exemple U, daté 1352) conserve une forme florentine, son
témoignage est particulièrement précieux ; à la différence des formes florentines

contenues dans les manuscrits toscans, il ne s’agit pas ici du résultat d’une « trans-  

position » attribuable à quelques copistes mais, avec une bonne probabilité, d’une

4 Pour le concept de la Ausgliederung von Diskursuniversen cf. Schlieben-Lange (1983, 146s.).


5 Cf. le fascicule 33, 1 de Medioevo Romanzo dédié à la « langue des auteurs », qui recueille les études
   

de Badia/Soler/Santanach (2009) ; Roques (2009) ; Trovato (2009).


   
136 Raymund Wilhelm

forme déjà présente dans le texte de Dante (ibid., 80). Le raisonnement est illustré par
des exemples ponctuels. Prenons la distribution de formes comme ternaro/ternaio,
cavrara/capraia : curieusement les formes septentrionales (ternaro et cavrara) sont

attestées par les manuscrits florentins, tandis que les formes florentines se trouvent
dans l’U septentrional. Or, dans un cas de figure pareil, force est de conclure que les
manuscrits florentins dépendent de modèles plus fortement « septentrionalisés »,    

tandis que U conserve la forme originelle (ibid., 81).


Le modèle proposé par Paolo Trovato a suscité de vives discussions, qu’il n’est
pas possible de résumer ici.6 Il est évident pourtant que dans le cas de la Divine
Comédie, dont on connaît d’ailleurs presque 600 manuscrits complets, le problème de
la facies linguistique ne peut pas être ignoré.7 L’édition du poème exige la conciliation
de compétences littéraires et de compétences linguistiques. Et on peut ajouter que la
situation des autres œuvres de Dante n’est pas fondamentalement différente.8

2.3 Ajoutons un aspect de caractère plus général. Les linguistes s’intéressent de plus
en plus aux variantes qui se produisent dans la transmission d’un texte médiéval.
Ainsi Thomas Verjans a proposé de considérer les variantes philologiques comme
« autant de possibilités permises par le système qu’est la langue » et de les analyser
   

comme des « indices d’une évolution en cours » (Verjans 2012, 91s.). L’approche est
   

extrêmement prometteuse. Il s’agit d’utiliser la dynamique linguistique contenue


dans l’histoire manuscrite d’un texte médiéval pour développer des hypothèses sur le
changement linguistique. Les adaptations successives d’un texte copié à plusieurs
reprises permettent, dans une telle perspective, d’observer la variation linguistique au
Moyen Âge et de formuler des hypothèses sur des changements linguistiques en cours
(cf. Wilhelm 2013a, 8). Dans le cadre de cette approche on s’intéressera particulière-
ment aux textes à tradition complexe et donc surtout aux textes littéraires (au sens
moderne).
Ainsi Lene Schøsler (1986) a étudié la variation manuscrite du Charroi de Nîmes
pour en tirer des conclusions sur l’emploi des temps verbaux en ancien français. Les
« alternances de temps » dans les divers manuscrits du texte – du type A Monloon en
   

VINT corant au sié / A Monloon en EST VENUS au sié (ibid., 341) – permettent, en effet,
de reconnaître des équivalences partielles entre certains tiroirs verbaux. L’analyse
aboutit ainsi à un modèle qui démontre que « chacune des formes possède une

6 Cf. entre autres Inglese (2009) ; et cf. aussi les études réunies dans Tonello/Trovato (2013).

7 Cf. aussi Manni (2013, 95) : « Prima di qualsiasi ricognizione sulla lingua della Commedia, specie
   

sotto il profilo fonomorfologico, s’impone la necessità di riflettere sulla situazione testuale e sulle
scelte editoriali che – in assenza di autografi – hanno il compito delicatissimo di restituire un testo che
si avvicini quanto più possibile al colorito linguistico dell’originale ».

8 Cf. aussi les réflexions de Gorni (1998) sur la restitution formelle de la Vita Nova : selon Gorni il ne

s’agit pas de « reconstruire » la forme originelle, mais de récupérer tout ce qui a été conservé de la
   

facies originelle dans la tradition du texte pris dans l’ensemble.


L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 137

gamme de possibilités qui se recouvrent partiellement » (ibid., 349) (cf. aussi l’étude

complémentaire de Schøsler 1985).


Citons encore un autre cas. Dans une approche sociolinguistique, Yan Greub a
attiré l’attention sur le fait que la copie est souvent « plus neutre linguistiquement que

le texte copié » (Greub 2007, 431). Il devient donc possible d’instaurer un rapport

direct entre l’acte de copie et le processus de pré-standardisation de la langue d’oïl :  

« Dans le cas des textes fréquemment copiés, la langue dans laquelle ils apparaîtront

le plus souvent (et de plus en plus) sera précisément cette langue neutralisée » (ibid.,  

432). L’hypothèse reste à vérifier, surtout en ce qui concerne son application à d’autres
langues romanes. Mais il ne fait aucun doute que les linguistes ont intérêt à prendre
systématiquement en charge les variantes étudiées par les philologues et documen-
tées dans les éditions : les variantes linguistiques mises à disposition par les philolo-

gues constituent, en effet, un matériau particulièrement précieux pour la linguistique


de la variation (sociolinguistique et modélisations du changement linguistique) (cf.
Wilhelm 2013a, 8).

Essayons de formuler une première conclusion. Nous avons vu que l’idée d’une
séparation nette des « objets » de recherche (c’est-à-dire des textes à éditer) – textes
   

littéraires pour les spécialistes de l’histoire de la littérature, textes non-littéraires pour


les linguistes – doit être précisée à plusieurs égards. Tout d’abord la « littérarité », en
   

tant que notion moderne, n’est pas sans poser des problèmes quand il s’agit d’élabo-
rer une classification des textes médiévaux. Ensuite l’exemple de Dante a pu illustrer
le fait que les historiens de la langue ont un intérêt fondamental pour la langue des
« grands auteurs » et qu’ils doivent évidemment collaborer à l’édition des grands
   

textes littéraires. Enfin si les linguistes s’intéressent aux variantes dans la transmis-
sion des textes, s’ils étudient la « dynamique » linguistique, c’est surtout aux textes
   

littéraires qu’ils doivent s’adresser parce que ceux-ci ont une tradition souvent très
riche et particulièrement bien étudiée.

3 Intérêt pour le contenu / intérêt pour la forme


linguistique du texte
Pour la deuxième thèse, au premier abord les choses semblent de nouveau très
claires : tandis que le spécialiste de la littérature s’intéresse au contenu de l’œuvre et

a peu de passion pour les variantes phonologiques ou morphologiques, pour le


linguiste c’est le contraire : pour lui c’est la forme linguistique du document qui

compte (cf. Zinelli 2006, 101). Cependant, à y regarder de plus près, la distinction
entre la « forme » et le « contenu » d’un texte s’avère problématique à plusieurs
       

égards.
138 Raymund Wilhelm

3.1 La distinction évoquée renvoie principalement à la classification des variantes,


c’est-à-dire des interventions du copiste dans le texte qu’il est en train de transcrire.9
La philologie traditionnelle distingue, depuis Paris/Pannier (1872), entre formes et
leçons. On a souvent remarqué d’ailleurs que cette distinction n’est pas toujours facile
à manier. Il faut rappeler, en particulier, que l’opposition entre formes et leçons a été
établie à une époque où les linguistes s’intéressaient en premier lieu à la phonétique
historique. Alors la distinction entre le coloris linguistique et le contenu du texte
pouvait sembler tout à fait évidente. Mais dès que la linguistique a pris en compte des
structures plus complexes, de la morphologie à la syntaxe et aux structures trans-
phrastiques, la distinction des deux plans est beaucoup moins aisée.10
Les différentes typologies des interventions des copistes qui ont été proposées ces
dernières années ont tendance à abandonner la simple polarité de formes et leçons.
Pour arriver à une classification satisfaisante, il semble utile de prendre en considéra-
tion toute la gamme des variantes qui peuvent se produire lors de la transcription d’un
texte.11 Prenons le modèle particulièrement élaboré qui a été proposé par le germa-
niste Thomas Klein (2009). Klein prévoit cinq types de transformations textuelles : la  

copie (Abschrift), la transposition dans un autre dialecte (Umschrift), la traduction dans


une autre langue (Übersetzung), le remaniement (Bearbeitung) et la réécriture (Wieder-
erzählung). La distinction entre ces types s’effectue sur la base des unités intéressées :  

ainsi la copie se limite à substituer des graphèmes ou des groupes de graphèmes, la


transposition touche le niveau phono-morphologique, la traduction inclut aussi le
lexique et la syntaxe, le remaniement intervient dans certaines parties de l’œuvre et la
réécriture opère sur le texte entier (cf. Klein 2009, surtout le tableau à p. 226).  

On peut cependant douter du fait que ces transformations se situent vraiment le


long d’une ligne allant des unités plus simples aux unités plus complexes. Il est assez
facile de se rendre compte, à mon avis, que les opérations distinguées par Klein se
rapportent en réalité à deux plans différents et fondamentalement indépendants l’un
de l’autre. Et c’est seulement à l’intérieur de ces deux plans que nous pouvons
distinguer des interventions d’extension plus ou moins large. Ainsi la traduction
englobe sans doute la transposition, dans le sens où celle-ci opère au niveau phono-
morphologique, tandis que celle-là concerne en plus le niveau du lexique et de la
syntaxe. De même la réécriture, qui intéresse le texte entier, est certainement plus
complexe que le remaniement, qui se limite à quelques portions textuelles. Pourtant
entre les opérations de la transposition et du remaniement ou entre la traduction et la
réécriture il n’y a pas de rapport d’inclusion. Pour évoquer un cas bien connu : la  

9 Dans ce qui suit je résume quelques arguments proposés dans Wilhelm (2013a, 4–8).
10 Cf. aussi Leonardi (2011, 32) qui, en discutant le problème de la surface du texte, pose la question
de savoir « quali debbano essere i limiti di questa facies, quale la tipologia dei fatti che rientrano

nell’ambito di ciò che definiamo la forma linguistica di un testo […] (non solo grafia e fonetica, ma
anche – fino a che punto ? – morfologia, ordine delle parole, ecc.) ».
   

11 Cf. aussi les réflexions dans Centili/Floquet (2012).


L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 139

traduction coïncide souvent avec un remaniement et même avec une réécriture du


texte, mais déjà au Moyen Âge il existe des traductions qui laissent intacte la structure
du texte source (cf. les exemples discutés dans Albesano 2006).
La distinction proposée ici entre deux plans sur lesquels se situent les interven-
tions du copiste peut être explicitée, et justifiée, à l’aide d’un modèle assez répandu
dans la linguistique actuelle : la linguistique textuelle cosérienne. Avec Coseriu

(31994) nous pouvons distinguer en effet entre, d’un côté, le plan linguistique – dans le
sens de einzelsprachlich, c’est-à-dire ‘propre à un système linguistique particulier’, de
la phonologie à la morphologie, à la syntaxe et aux structures transphrastiques – et
de l’autre côté le plan discursif, ce plan où on étudie les traditions discursives : les  

genres littéraires et non-littéraires, toutes sortes de procédés discursifs comme le com-


mentaire, la glose, l’abrégé etc., et enfin les éléments formulaires qui, tout comme les
genres, traversent librement les traditions linguistiques.12
Sur les deux plans, linguistique et discursif, nous nous trouvons face à des formes
traditionnelles, et donc des normes (ou règles), qui pourtant restent souvent implici-
tes. À l’aide du modèle des traditions discursives nous pouvons distinguer donc entre
les variantes linguistiques, qui concernent des altérations au niveau de la grammaire
ou du lexique, et les variantes discursives, qui concernent des altérations au niveau
des règles discursives, de l’introduction d’une glose ou d’une formule jusqu’à la
réécriture du texte selon les normes d’un autre genre.
Il faut attirer l’attention sur le fait que la distinction entre le plan linguistique et le
plan discursif n’est pas, de toute façon pas en premier lieu, une distinction de
dimension ou d’« échelle ». Considérons le cas d’un ajout, facilement reconnaissable
   

d’ailleurs, d’un élément formulaïque. L’exemple provient du Miracolo di Sant’Andrea,


qui a été transcrit deux fois à 60 ans d’intervalle à Milan : on le lit aussi bien dans le

manuscrit Ambrosiano N 95 sup (ca 1430) que dans le manuscrit Trivulziano 92 (ca
1490). Les deux textes sont très proches, mais ils ne dérivent pas l’un de l’autre, même
si dans le cas que je vais citer c’est certainement le témoin plus tardif (ou son modèle)
qui ajoute l’expression sans avoir égard à la métrique :  

al nome de sancto Andrea acomenzava allo nome de Dio e de sancta Andrea


(Ambrosiano N 95 sup, 21v, v. 18) acomenzava (Trivulziano 92, 29v, v. 18)

L’ajout du manuscrit Trivulziano, qui entraîne une altération de la forme métrique,


s’explique comme intrusion d’un élément formulaire. La variante appartient au plan
discursif : l’automatisme qui nous induit à compléter l’expression au nom de dans la

forme au nom de Dieu n’est pas spécifique d’une langue particulière ; il s’agit d’une  

12 Pour le modèle des traditions discursives cf. les études réunies dans Lebsanft/Schrott (2015) ; pour

le caractère übereinzelsprachlich (‘transversal aux langues particulières’) des formules cf. Wilhelm
(2013c).
140 Raymund Wilhelm

tradition qui est certainement liée à des contextes culturels précis, mais qui traverse
librement plusieurs traditions linguistiques. Nous nous trouvons en face d’une tradi-
tion discursive.
Si l’on tient distincts les deux plans, on peut admettre sans problème qu’une
copie innovatrice au niveau linguistique peut être conservatrice au niveau discursif,
et vice versa qu’une copie qui change profondément la structure discursive peut
conserver la variété linguistique de son modèle.

3.2 Le modèle proposé peut être résumé par le schéma suivant :  

Tableau 1 : Types et niveaux de l’intervention du copiste


   

interventions sur le plan de la langue


(distance diatopique et diachronique)
« copie
  substitution de
fidèle »   →→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→→ langue
(traduction
interlinguistique)
interventions sur ↓ transposition traduction
le plan du ↓ [texte (niveau phono- intralinguistique
discours ↓ d’auteur] morphologique) (niveau
– ajouts ↓ syntaxique et
– omissions ↓ lexical)
– reformulations ↓ remaniement
– mise en prose ↓ (niveau de la
– changement de ↓ portion de
genre ↓ texte)

↓ réécriture [texte de
↓ (niveau de la patrimoine
↓ macrostructure commun]
↓ textuelle)
substitution
de texte

La distinction entre interventions sur le plan de la langue et interventions sur le plan


du discours constitue en quelque sorte une réinterprétation, sur la base de la linguis-
tique cosérienne, de l’opposition traditionnelle entre formes et leçons (ou entre
« forme » et « substance »).13
       

13 Cf. aussi Wilhelm (2011) ; un tableau similaire, basé pourtant sur une approche linguistique

différente, la théorie linguistique de Roman Jacobson, a été proposé par Barbato (2013, 195).
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 141

Les interventions sur le plan de la langue peuvent être situées entre deux pôles
que j’appelle ici la « copie fidèle », qui constitue évidemment une idéalisation, et la
   

substitution complète de la forme linguistique originelle ou « traduction interlinguis-  

tique ». Entre ces pôles nous pouvons distinguer, en réinterprétant les catégories

proposées par Klein (2009), plusieurs degrés, au moins la « transposition » du coloris   

phono-morphologique dans la variété du copiste et la « traduction intralinguistique »


   

qui comporte en même temps une substitution au niveau de la syntaxe et du lexique,


tout en restant, à différence de la traduction interlinguistique, à l’intérieur de la même
« langue historique ». Il est évident, d’autre part, qu’il ne s’agit pas de types claire-
   

ment distincts, mais plutôt d’un continuum de possibilités. En plus il faut prévoir aussi
le cas de variantes linguistiques diatopiquement neutres, qui pourraient être considé-
rées dans la dimension diastratique ou diaphasique.
De façon non moins évidente, les différentes formes d’intervention sur le plan du
discours constituent, elles aussi, une gamme de transformations qui se superposent
partiellement les unes aux autres. Il semble quand même possible de distinguer, de
nouveau avec Klein (2009), plusieurs types assez facilement reconnaissables. Ainsi,
on peut parler de « remaniement » dans le cas d’interventions qui affectent des parties
   

du texte, comme ajouts, omissions ou reformulations. Les interventions qui altèrent la


macrostructure, par contre, comme la mise en prose d’un texte versifié ou la trans-
position d’un texte dans un autre genre littéraire, nous permettent de parler plutôt
d’une « réécriture ». Le pôle extrême est constitué par la substitution complète du
   

texte. Il n’est pas toujours facile d’établir jusqu’à quel degré d’interventions nous
avons encore à faire au « même texte » – et à partir de quel moment nous nous
   

trouvons en face d’un lien plus faible entre deux textes différents. Ce qui est en jeu ici,
c’est la démarcation entre l’identité textuelle d’une part, et l’intertextualité de l’au-
tre.14
On peut supposer qu’un « texte d’auteur » se retrouvera plutôt en haut et du côté
   

gauche du schéma, puisque dans le cas d’un texte doté d’une grande autorité, le
copiste cherchera probablement à minimiser ses interventions, tandis qu’un texte
anonyme et considéré comme appartenant au patrimoine commun – un texte « tradi-  

tionnel » ou « populaire » – invitera plus facilement à des interventions même pro-


     

fondes. Évidemment il s’agit ici de nouveau d’une idéalisation et il faut considérer


chaque cas en soi. Il est quand même probable que le type discursif (ou le genre) et le
prestige de l’auteur (si le texte est transmis avec le nom d’un auteur) jouent un certain
rôle quant à l’attitude du copiste envers le texte à transcrire (cf. aussi Dörr 2013).

3.3 La réinterprétation de l’opposition entre formes et leçons – ou entre forme et


substance selon l’usage de la tradition philologique italienne – dans le cadre de la

14 Le problème a été discuté aussi par Trachsler (2013) à propos des différentes versions de l’Histoire
ancienne jusqu’à César.
142 Raymund Wilhelm

linguistique cosérienne, telle que je l’ai proposée ici, nous montre entre autres que
toutes les interventions du copiste sont intéressantes pour le linguiste : si les variantes  

linguistiques concernent principalement la lexicographie et la grammaire historique


(du niveau phonologique jusqu’aux niveaux syntaxique et transphrastique), les va-
riantes discursives constituent, au moins en principe, un matériau extrêmement
intéressant pour la linguistique textuelle ; ajoutons pourtant que la linguistique

textuelle hésite encore à prendre sérieusement en considération la dimension histo-


rique.
Il est patent, de toute façon, que le linguiste ne peut en aucun cas faire abstrac-
tion du « contenu » du texte édité. C’est particulièrement évident pour le lexico-
   

graphe : le lexicographe s’intéresse fondamentalement au niveau sémantique, et il ne


peut certainement pas se limiter au mot isolé, mais il doit prendre en considération le
« contexte » et, en fin de compte, le sens du texte entier. La lexicographie, et surtout
   

la lexicographie historique, est d’ailleurs la seule branche de la linguistique actuelle à


entretenir des rapports étroits avec l’édition de texte.15
En principe, cela vaut également pour la syntaxe et pour la textualité, mais le
constat est ici tout à fait négatif : « Certains domaines de la syntaxe, comme la syntaxe
   

transphrastique, n’ont guère leur place actuellement dans les éditions » (Duval  

2006b, 146). Ce fait est d’autant plus déplorable que le niveau d’analyse concerné, la
« textualité », qui peut varier d’un manuscrit à l’autre, est sans aucun doute important
   

pour l’étude de l’histoire d’un texte.


Prenons un exemple récent, l’édition préparée par Marcello Barbato (2012) de
trois versions vernaculaires du récit qui raconte le soulèvement palermitain de 1282,
connu sous le nom des Vêpres siciliennes. L’édition, qui est exemplaire à maints
égards, démontre cependant une lacune tout à fait caractéristique de la pratique
actuelle de l’édition de texte. Ainsi l’ample Introduction traite entre autres certains
procédés narratifs comme l’« agrégation des événements autour des personnages », la
   

« recherche du parallélisme », le « style dialogique » etc. (Barbato 2012, 24–26), tandis


       

que la Nota linguistica fournit un dépouillement exhaustif de la phonologie et de la


morphologie des trois versions éditées (Barbato 2012, 217–298). Or, il est surprenant
que le niveau d’analyse spécifique qui aurait pu servir de trait d’union entre ces deux
domaines ne soit pas pris en considération. Pour le moment, nous ne disposons
apparemment pas, au niveau de la syntaxe et de la textualité, d’instruments idoines
pour décrire la dynamique qui lie les différentes transcriptions d’un même texte.

15 ↗15 L’art du glossaire d’édition. Duval (2006a, 15) : « Les relations entre linguistique et philologie
     

ont surtout été abordées au travers de la lexicographie ». Cf. aussi le point de vue plus pessimiste de

Lebsanft (2012, 176) : « Du côté de la linguistique historique, ce sont surtout les grands projets de
   

lexicographie historique qui maintiennent l’intérêt pour les études médiévales, même s’il faut avouer
que cet intérêt est très relatif et qu’il occupe une position plutôt marginale dans l’enseignement
universitaire ». Rappelons que Lebsanft, dans l’article cité, s’interroge sur « la place de la philologie
   

romane comme ‹ science › de l’édition de textes » dans le contexte allemand (ibid., 161).
     
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 143

Ceci signifie pourtant que le dépouillement du texte, tel qu’il est toujours très en
vogue dans la philologie italienne, ne reflète guère les tendances actuelles de la
linguistique historique, dont les intérêts dépassent depuis longtemps la phonologie et
la morphologie. Ce qui est particulièrement urgent en ce moment, c’est une réflexion
sur comment concilier l’instrument traditionnel du spoglio linguistico avec les acquisi-
tions plus récentes de la syntaxe historique et de la linguistique textuelle.
Constatons donc une séparation indéniable des intérêts, à l’intérieur de l’ecdo-
tique, entre linguistes et littéraires. Pourtant il faut admettre que la distinction entre le
domaine du linguiste (la forme) et le domaine du spécialiste de littérature (le contenu
de l’œuvre) est tout autre que nette. Soulignons surtout le point suivant : dans la  

mesure où le linguiste va outre la trop simple identification de la forme linguistique


du texte avec son coloris phono-morphologique, il peut utilement entrer en dialogue
avec le spécialiste de littérature médiévale. Ce sont surtout les recherches sur les
structures transphrastiques et sur les procédés discursifs, qui ne sont certainement
pas secondaires dans l’édition d’un texte médiéval, qui pourraient permettre de
rapprocher les analyses linguistiques et littéraires.

4 Éditions « reconstructionnistes » /
   

éditions « imitatives »    

Il semble évident que le linguiste ne peut pas se baser sur un texte « reconstruit », sur    

un remake, il demandera par contre une édition qui reproduise, sous la forme la plus
fidèle possible, un seul manuscrit ;16 le littéraire, lui, qui s’intéresse en premier lieu à

l’auteur et à l’œuvre, sera beaucoup plus disposé à accepter des éditions composites
qui, sur la base des manuscrits disponibles, essaient de s’approcher du texte « origi-  

nal ».

L’inclination des linguistes à l’édition imitative a été caractérisée de façon effi-


cace par Frédéric Duval :  

« Il est certain que les linguistes ont besoin désormais d’alimenter des bases textuelles tenant

compte, entre autres, de la ponctuation des manuscrits, des coupures de mots, des allographes et
des abréviations. […] de telles transcriptions ne s’intéressent guère au sens du texte, à son
interprétation globale ou même aux difficultés herméneutiques ponctuelles qu’il peut présenter.
Leur objet principal d’étude n’est plus le texte (qui reste au cœur de la philologie) mais la langue
de ce texte » (Duval 2006a, 16).

Il se comprend qu’une édition de ce type, préparée dans la perspective de la recherche


linguistique, ne peut avoir qu’une valeur extrêmement réduite, pour ne pas dire nulle,
pour le spécialiste de littérature, qui privilégiera par contre une édition « author-  

16 Cf. Vàrvaro (1997, 39) : « una lingua ricostruita […] è un remake inutilizzabile ».
     
144 Raymund Wilhelm

centered » (Baker 2010, 436) et donc, dans beaucoup de cas, d’inspiration plus ou

moins clairement « néo-lachmannienne ».17


   

En y regardant de plus près, on se rendra compte cependant, encore une fois, que
nous pouvons parler, en réalité, d’une convergence des deux orientations ici briève-
ment caractérisées.

4.1 En premier lieu, il faut rappeler que l’édition imitative proprement dite a eu peu
de suite, même parmi les linguistes : il s’agit d’une approche tout au plus marginale

(cf. aussi les réflexions dans Dörr 2007).


De toute évidence l’approche en question, défendue parfois avec une fougue un
peu naïve, se base sur une série de prémisses douteuses.18 Tout d’abord, on constatera
que l’imitation de l’écriture manuelle par des moyens typographiques, telle qu’elle est
préconisée par certains chercheurs, n’est pas seulement illusoire – parce que le livre
imprimé est perçu de façon fondamentalement différente par rapport au livre manu-
scrit –, mais elle est aussi inutile – parce que la photographie (le facsimile) nous
permet un accès commode aux manuscrits, soit sur support imprimé, soit, de plus en
plus, sous forme électronique.
Ensuite, on ne peut pas sérieusement soutenir que l’« authenticité » d’une édition
   

dépende de la reproduction, le plus exactement possible, de la forme graphique d’un


manuscrit : le but de l’édition ne peut être que celui de faire connaître un texte, et en

même temps un état de langue ; l’édition imitative se concentre par contre sur un

aspect extralinguistique, à savoir le signifiant graphique. Holtus/Völker (1999, 403s.)


ont d’ailleurs bien vu ce problème ; ils ne réussissent pourtant pas à démontrer que

les faits paléographiques, par exemple la distinction entre deux formes de <s>,
relèvent vraiment de l’histoire de la langue. Personne ne mettra en doute, d’ailleurs,
que la distribution de <s> ronde et <s> longue est pertinente pour l’histoire des
systèmes graphiques : il s’agit de relevés certainement intéressants, qui peuvent servir

par exemple à caractériser les différents scribes. Mais on ne voit pas l’utilité, et encore
moins la nécessité, de les introduire dans le texte édité.
Enfin, l’édition imitative risque de négliger l’aspect fondamental de chaque
lecture d’un texte manuscrit : la compréhension. Qui a une connaissance un tant soit

peu approfondie de manuscrits médiévaux (mais au fond la même chose vaut pour
l’écriture manuelle à l’époque moderne) pourra confirmer qu’identifier une suite de
lettres et reconnaître un mot, et donc reconstruire un sens, sont deux opérations

17 Cf. aussi Leonardi (2012, 273) : « l’analisi microlinguistica esige criteri di trascrizione specifici e
   

totalmente conservatori (basti pensare alle abbreviazioni, o all’identificazione delle parole da distin-
guere graficamente), criteri che possono essere incompatibili con l’inevitabile processo di transcodifica
che è necessario per l’edizione di un testo letterario ».  

18 Cf. surtout l’article, plein de qui pro quo, de Overbeck (2003), où l’imprécision de l’argumentation
et le manque d’informations sont mal cachés par un ton singulièrement tranchant.
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 145

difficilement séparables et qui se conditionnent réciproquement : on reconnaît seule-


ment ce que l’on comprend.


Évidemment avec cela on ne veut nullement suggérer que la matérialité du
manuscrit soit sans intérêt, bien au contraire. Prenons la question de la division des
mots dans les manuscrits. Pour le français médiéval nous disposons d’études remar-
quables dans ce domaine.19 Or il faut bien avouer que dans beaucoup de manuscrits il
n’y a pas de distinction nette entre l’univerbation et la division en deux mots : là où le  

texte typographique exige une décision – introduire un blanc entre deux suites de
lettres ou ne pas l’introduire – le scribe dispose de solutions moins tranchées,
intermédiaires. Pour cela, les recherches sur la séparation des mots, qui sont impor-
tantes puisqu’elles nous renseignent sur la conscience linguistique des scribes, ne
peuvent être effectuées que directement sur les manuscrits ; par contre, dans un texte

édité, il n’est pas possible, et même pas souhaitable, de « singer » la pratique manu-
   

scrite.

4.2 Par un raisonnement similaire, l’éditeur d’un texte médiéval ne peut renoncer à
introduire des signes diacritiques, qui donnent des indices indispensables sur la
fonction grammaticale des mots, et une ponctuation selon les habitudes modernes,
qui rend compte de la structure syntaxique : l’éditeur comprend son texte (du moins

c’est ce qu’on doit souhaiter), et il doit signaler au lecteur son interprétation. C’est là
l’aspect le plus important de la « lisibilité » du texte édité, qui a été décriée à tort par
   

quelques « nouveaux philologues ». La séparation des mots, l’introduction des majus-


   

cules selon l’usage moderne, l’ajout des signes diacritiques et la ponctuation, qui
évidemment seront justifiés dans l’introduction, le commentaire ou le glossaire, nous
donnent à reconnaître l’édition pour ce qu’elle est : une hypothèse sur un état de

langue.
Prenons un exemple simple mais instructif, cité par Philippe Ménard :  

« Dans un fabliau du début du XIVe s. […], si l’on transcrit C’est de les veoir grant pitez, on place le
   

pronom à la forme faible devant un infinitif. C’est déjà de la syntaxe moderne. Si l’on écrit C’est
d’eles veoir grant pitez, on imprime une forme forte et l’on reste (sans doute à tort) dans une
syntaxe archaïque » (Ménard 2003, 67).

Tandis que le copiste écrit <deles>, qui permet les deux lectures, l’éditeur doit décider
entre la forme innovatrice, de les, et la forme traditionnelle, d’eles, qui à l’époque
indiquée constituerait déjà un archaïsme. L’exemple nous montre qu’il ne peut pas y
avoir de transcription « neutre » ou purement mécanique : l’éditeur d’un texte médié-
     

val doit prendre position, en tant qu’expert du texte dont il élabore l’édition.
L’exemple cité par Ménard n’est certainement pas exceptionnel. Citons encore le
problème assez connu des pronoms sujets de première et de troisième personne du

19 Cf. Andrieux-Reix/Monsonégo (1998) ; Catach (1998) ; Llamas Pombo (2003).


   
146 Raymund Wilhelm

singulier dans les variétés médiévales de l’Italie du Nord. Puisque les formes e’ ‘je’ et
e’ ‘il’ sont bien documentées, c’est à l’éditeur d’établir dans quels contextes le mot
graphique <che> du manuscrit correspond à che (conjonction ou pronom relatif) ou
bien à ch’ e’ (conjonction / pronom relatif + pronom ‘je’ / ‘il’). Pour prendre un cas
concret : au vers 116 de la Vita di Sant’Alessio de Bonvesin da la Riva, le manuscrit

donne <che fenisca> (‘que je finisse’), et l’éditeur doit décider entre che fenisca, sans
pronom sujet, et ch’ e’ fenisca, avec pronom sujet. Les conséquences d’une telle
décision pour la grammaire historique sont importantes parce que le phénomène est
assez fréquent. L’édition du texte comporte donc inévitablement une hypothèse sur la
syntaxe historique du pronom sujet en ancien lombard (pour plus de détails cf.
Wilhelm 2007).
Il n’y a pas de doute que l’édition d’un texte médiéval est une recherche sui
generis de linguistique historique. En d’autres termes : l’ecdotique est indissociable

d’un travail herméneutique, de l’effort pour comprendre le texte et sa langue.

4.3 On peut mentionner encore un autre ordre de réflexions, qui suggèrent un rappro-
chement de l’édition faite par un linguiste à des problématiques chères à l’école
« néo-lachmannienne ». Même si le linguiste se base pour son édition sur un seul
   

manuscrit, il a intérêt à étudier toute la tradition du texte dont il s’occupe.20 C’est dans
ce sens que Cesare Segre répond aux « partisans de Bédier », qui exaltent la valeur
   

historique de chaque manuscrit : « ce prétendu monument historique cache, en


   

réalité, la coexistence et souvent même l’antagonisme de deux ou de plusieurs


systèmes qui troublent les rapports structuraux du texte » (Segre 1976, 292). Concrète-

ment, pour pouvoir analyser un manuscrit du point de vue linguistique, nous devons
chercher à distinguer entre ce qui appartient au copiste et ce qui découle, par contre,
de l’exemplaire qu’il est en train de copier. L’enjeu est de pouvoir démêler les
« couches », ou les « strates », qui coexistent dans le texte. Segre a proposé le concept
       

de « diasystème » pour indiquer cette hétérogénéité linguistique du témoin (cf. Segre


   

1976).
Prenons encore un exemple de l’ancien lombard. Dans la Vita di Santa Margarita
de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle (Milan, Bibliothèque Trivulcienne, 93)
nous trouvons deux seuls cas de palatalisation de CT en [tʃ], qui est un des traits les
plus caractéristiques du lombard occidental : elegia et aspegia. Par contre les formes

de la koinè de l’Italie du Nord du type eleta, aspeta sont nettement majoritaires. Or,
pour évaluer correctement ces deux formes dialectales, il est important de savoir que
l’évolution CT > [tʃ] n’est pas attestée dans la tradition antérieure de notre poème,
exception faite pour le manuscrit Ambrosiano N 95 sup, copié à Milan, qui n’est

pourtant pas à la base du témoin de la Bibliothèque Trivulcienne. Nous pouvons donc


conclure que elegia et aspegia sont très probablement des innovations de notre

20 Je reprends ici librement quelques phrases de Wilhelm (2013a, 2s.).


L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 147

manuscrit et qu’elles renvoient au dialecte du copiste ou du public visé. Les deux


formes dialectales, qui pourraient sembler presque négligeables du point de vue
quantitatif, se révèlent donc hautement significatives si on prend en compte la tradi-
tion du texte (cf. Wilhelm/De Monte/Wittum 2011, 64–66).
Le linguiste, en tant qu’éditeur, s’intéresse donc fortement à la genèse du texte,
telle qu’elle peut être représentée par un stemma. Ainsi pour les différentes versions
des Vêpres siciliennes éditées par Barbato (2012), l’individuation de leurs rapports
génétiques est fondamentale pour l’étude linguistique. De même, avoir identifié
l’incunable de la Vita di san Rocco publié à Milan autour de 1478/1480 (Biblioteca
Ambrosiana, INC 703) comme antécédent direct du texte copié par Giovanni de’ Dazi
(Biblioteca Trivulziana, 92) constitue un préalable précieux pour l’analyse linguis-
tique du manuscrit confectionné autour de 1490 (cf. Wilhelm 2013b).21

Pour conclure rappelons que le linguiste se basera généralement sur un seul manu-
scrit et qu’il pourra difficilement prendre en considération une langue « reconstruite »    

à la façon du Saint Alexis de Gaston Paris et Léopold Pannier (1872). Mais cela
n’implique nullement que le linguiste puisse renoncer à comprendre son texte et à
rendre compte de son interprétation dans un glossaire et par un « toilettage » appro-
   

prié, ni qu’il puisse négliger les informations mises à sa disposition par la tradition du
texte étudié, qui souvent se laissent rationaliser dans la forme traditionnelle d’un
stemma.

5 Entre linguistique et littérature – ou :  

quelle linguistique pour l’édition de texte ?  

En ce qui concerne l’enregistrement d’un certain nombre de variantes dans l’apparat


critique, Duval a remarqué à juste titre que « les linguistes et les littéraires ne

s’intéressent pas forcément aux mêmes variantes » (Duval 2006b, 143). Mais il faut

ajouter que les lexicographes et les syntacticiens, les spécialistes de morphologie et


de phonétique historique, eux non plus, ne s’intéressent pas aux mêmes variantes :  

une édition cherchera toujours à satisfaire des exigences différenciées et à viser donc
des spécialistes de différents domaines. Cependant il est indéniable qu’une édition
naît d’une interrogation scientifique spécifique, où la séparation entre études littérai-
res et linguistique n’est pas la seule à être en jeu.

21 Le lien entre l’étude du diasystème et la logique du stemma a été souligné aussi par Leonardi (2012,
268) : le diasystème est, en effet, « un sistema […] comprensibile solo a partire dal posto che esso
   

occupa nella tradizione da cui discende » ; et Leonardi ajoute : « questa prospettiva rende non eludibile
       

il problema della genealogia, in ultima analisi il problema dello stemma, anche per la valutazione di
ogni singolo testimone ».

148 Raymund Wilhelm

Le nouvel intérêt pour le texte, qui s’annonce çà et là au sein des études linguisti-
ques, pourrait effectivement ouvrir une voie prometteuse pour le rapprochement de
linguistique, ecdotique et littérature.22 Et on pensera ici surtout aux recherches sur les
structures transphrastiques et sur les procédés discursifs, qui peuvent trouver leur
cadre théorique à l’intérieur de la théorie linguistique cosérienne.23 De cette façon
l’ecdotique, la théorie et la pratique de l’édition de texte, pourraient effectivement,
dans le sens de Gröber, servir de lien entre études linguistiques et études littéraires.
L’éditeur d’un texte médiéval serait ainsi un spécialiste des zones de convergence de
linguistique et études littéraires.
Le danger majeur pour l’avenir de l’édition de texte ne consiste peut-être même
pas, en ce moment, dans la séparation entre études linguistiques et littéraires. Ce
qui pourrait se révéler fatal pour notre discipline, c’est en premier lieu la fracture
grandissante à l’intérieur de la linguistique romane même : tandis qu’une linguis-

tique « historique » au sens propre du terme est tout à fait capable de dialoguer avec
   

la philologie et les études littéraires, il existe au sein des études romanes un fort
courant qui est presque uniquement orienté vers les modèles de la linguistique
générale et qui ne se soucie guère de ses propres bases empiriques (et donc
philologiques).
Ce qu’il nous faut, c’est une linguistique qui prenne au sérieux l’historicité, et
donc l’individualité, de son objet d’étude. Une telle approche, qui se dédie à l’histoire
d’un ensemble de langues historiquement constitué (les langues romanes), ne pourra
renoncer à prendre en charge des textes individuels : elle s’intéressera à la langue des

« grands auteurs », puisque ceux-ci ont joué un rôle fondamental dans l’histoire des
   

langues « nationales » ; et elle s’intéressera aussi aux transformations subies par des
     

textes tout au long de leur histoire, puisque ces transformations, qui constituent un
champ particulièrement intéressant pour une linguistique textuelle « historique »,    

nous fournissent des renseignements précieux sur la culture, et notamment la culture


textuelle, des différentes époques ; et finalement cette approche relèvera le défi de

comprendre le texte médiéval et de rendre compte de l’interprétation élaborée dans


une édition.

22 Cf. Duval (2006b, 129) : « Le retour des linguistes au texte et à la sémantique textuelle […] laisse
   

espérer un rapprochement possible » ; et cf. aussi les renvois aux études de François Rastier et de
   

Dominique Maingueneau (ibid.).


23 Cf. notamment les recherches sur les traditions discursives qui pourrait utilement entrer en
dialogue avec le concept du testo-nella-storia cher à la philologie italienne ; cf. Segre/Speroni (1991–

1992, 47).
L’édition de texte – entreprise à la fois linguistique et littéraire 149

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Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et
Céline Guillot-Barbance

6 Édition électronique de la Queste del saint


Graal
Abstract : L’article propose un résumé de l’historique des éditions électroniques, au
   

sens d’éditions conçues pour une publication informatique (à la différence de la


numérisation d’éditions papier) et ensuite, des étapes successives qui ont mené à la
production de l’édition électronique de la Queste del saint Graal à l’ENS-Lyon. Les
avantages, les caractéristiques, et les composants de cette édition de la Queste sont
ensuite analysés, dans une perspective non seulement éditoriale mais également
linguistique ; les outils d’analyse fournis pour l’étude de la Queste sont également

présentés. Une dernière partie de l’article fournit une esquisse de l’évolution et de


l’avenir de la Base de Français Médiéval (également à l’ENS-Lyon), en proposant un
certain nombre de paramètres à suivre dans l’élaboration d’éditions électroniques.

Keywords : Queste del Saint Graal, édition électronique, Base de Français Mediéval,
   

encodage, outils d’analyse de textes électroniques

1 Un bref état de l’art des éditions électroniques


pour les textes anciens
Cela fait une bonne vingtaine d’années qu’ont commencé à se développer des éditions
électroniques de textes littéraires et autres. Concernant le français, ce sont les textes
du Moyen Âge, composés en ancien français, qui, les premiers, ont fait l’objet
d’éditions de ce type.
Ainsi, dès 1990, Karl D. Uitti, alors professeur à l’université de Princeton, avait
commencé à réaliser la transcription numérique de tous les manuscrits d’un des
romans de Chrétien de Troyes, le Chevalier de la Charrette1 – après avoir préparé et
publié peu de temps auparavant, avec A. Foulet, une édition critique « papier » de ce   

texte (1989). Dans le domaine anglophone, à peu près à la même époque, au début
des années 90, Peter Robinson a commencé son travail sur les manuscrits des
Canterbury Tales (Robinson 2006),2 et Hoyt N. Duggan sur ceux du Piers Plowman
(Gifford Fenton/Duggan 2006).3

1 Karl D. Uitti (1998) ; voir également le site du projet <http://www.princeton.edu/~lancelot/ss/index.


shtml>.
2 http://www.canterburytalesproject.org.
3 http://www3.iath.virginia.edu/seenet/piers.
156 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

Dans le domaine du français, plusieurs initiatives importantes ont, depuis une


dizaine d’années, permis de réaliser l’édition électronique de plusieurs textes du
Moyen Âge et de la Renaissance : citons, par exemple, l’édition des romans de

Chrétien de Troyes par ou sous la direction de Pierre Kunstmann ; ces éditions étaient  

à l’origine pensées uniquement comme matériau pour l’élaboration du Dictionnaire


électronique de Chrétien de Troyes,4 mais très vite elles ont montré leur intérêt propre,
et désormais elles forment un précieux corpus de textes électroniques téléchargeables
(Ottawa et Nancy, sous la direction de Pierre Kunstmann ; voir tout récemment le

Conte du graal en 2011).5 De même, le Online Froissart développé à l’Université de


Sheffield au Royaume-Uni (Ainsworth/Croenen 2012),6 ou bien la collection ELEC
(Éditions électroniques de l’École des Chartes).7 Et pour le XVIe siècle, citons une
bibliothèque numérique BVH-Epistemon comportant plusieurs dizaines de textes
réédités sous une forme numérique à partir des éditions originales du XVIe siècle, qui
est réalisée sous la direction de Marie-Luce Demonet.8
Cependant, vingt ans après des débuts prometteurs, le développement d’éditions
électroniques reste modeste, et le nombre d’éditions « en ligne » librement accessibles
   

et téléchargeables sous licence Creative Commons (ou équivalent) est limité.


Plusieurs facteurs expliquent la lenteur de ces avancées. Tout d’abord, il semble
qu’il y ait encore souvent confusion, dans l’esprit des utilisateurs, entre « éditions  

imprimées numérisées » et « éditions numériques/ électroniques » (Porter 2013, 13s.) ; il


       

importe en effet de lever d’emblée cette ambiguïté, et de poser la différence fondamen-


tale qui existe entre d’une part l’édition « papier » numérisée, qui se contente de
   

reproduire en mode numérisé l’édition imprimée d’un texte, et d’autre part l’édition
électronique, publiée directement uniquement « en ligne », et dotée de spécificités
   

nouvelles liées au support informatique. Cette ambiguïté est favorisée par l’existence
de grands corpus électroniques composés de textes numérisés à partir d’une édition
imprimée (Base de français médiéval, FRANTEXT et sa partie « Moyen français »,    

Corpus de la littérature médiévale des éditions Garnier, etc.) : bien qu’incontournables


pour les chercheurs et spécialement les linguistes, ces ressources souffrent de limita-
tions importantes au plan philologique, la plus sérieuse étant l’élimination systéma-
tique de la matière critique (introduction, notes, variantes, glossaire), ce qui oblige
le lecteur à se référer à l’édition source imprimée. En outre, la reproduction et la
diffusion numérique d’un texte déjà édité sous forme papier implique qu’on obtienne
au préalable l’accord des ayants droit ;9 seules les éditions suffisamment anciennes

4 http://www.atilf.fr/dect.
5 Même site : http://www.aatilf.fr/dect.

6 http://www.hrionline.ac.uk/onlinefroissart.
7 http://elec.enc.sorbonne.fr.
8 http://www.bvh.univ-tours.fr/Epistemon.
9 La notion d’édition critique n’existe pas dans la législation française. La question des droits sur le
« texte brut » d’une édition d’un texte ancien fait l’objet actuellement d’un débat juridique. Une récente
   
Édition électronique de la Queste del saint Graal 157

pour être tombées dans le domaine public sont hors droits, et donc disponibles
librement à la numérisation ; mais, parfois réalisées selon des normes un peu obso-

lètes, ce ne sont pas toujours les meilleures éditions.10 Quant aux textes scannés
(accessibles sur les sites de Gallica ou de Google Books), ils présentent très souvent
des erreurs de reconnaissance optique de caractères (océrisation) qui restent cachées
derrière le facsimilé de l’édition papier qui s’affiche, mais qui empêchent la recherche
précise et exhaustive dans le texte.
Un deuxième facteur explique la rareté des éditions proprement électroniques : ce  

type de réalisation a un coût non négligeable, tant en personnel, étant donné la


diversité des compétences requises, qu’en supports techniques, et ce coût est bien
supérieur à celui de l’élaboration d’une édition papier ordinaire. Par ailleurs, si les
éditions numériques n’entrainent pas de frais d’impression (ou de réimpression) et si
les frais de diffusion sont bien moindres, les frais d’hébergement et de maintenance
en revanche ne doivent pas être sous-estimés. Au total, l’investissement initial dans
une édition numérique reste, pour l’instant, plus important que dans une édition
traditionnelle. Il n’empêche que cet inconvénient doit bien entendu être relativisé par
rapport à la quantité d’informations supplémentaires et à la multitude d’usages que
seule une édition numérique peut offrir.
Un troisième obstacle contribue à freiner le développement actuel des éditions
électroniques : elles ne bénéficient pas encore de la même considération scienti-

fique et universitaire que les éditions imprimées publiées chez des éditeurs consa-
crés. Cette attitude encore réservée à l’égard des éditions électroniques a en partie
sa source dans un quatrième facteur, de nature scientifique celui-ci : alors qu’il  

existe depuis près d’un siècle des conventions bien établies pour la réalisation
d’une édition imprimée, et que ces conventions ont été assez régulièrement mises
à jour (Roques 1926 ; Lepage 2001 ; Vielliard/Guyotjeannin 2001), les pratiques de
   

l’édition électronique restent pour l’instant assez diverses, au point qu’il semble
que pour l’instant au moins, chaque initiative se dote de ses propres normes –
même si l’existence d’un organisme tel que le Consortium international pour les
corpus de français médiéval (CCFM) travaille à rapprocher ces tentatives si diver-
ses.11

décision de la justice française stipule que les choix de l’éditeur scientifique « ne sont pas fondés sur la

volonté d’exprimer sa propre personnalité mais au contraire sur le souci de restituer la pensée et
l’expression d’un auteur ancien », ce qui fait que ce travail ne relève pas du droit d’auteur (jugement

du Tribunal de grande instance de Paris n° RG 11/0144 du 27 mars 2014). Nous sommes néanmoins
convaincus que le travail des éditeurs scientifiques doit être respecté et qu’il n’est pas envisageable de
diffuser sans leur accord les textes qu’ils ont établis.
10 Par exemple, le Corpus de littérature médiévale de Garnier reste essentiellement basé sur les textes
édités par Champion ; pour les autres textes, le choix d’édition semble porter plutôt sur des éditions

tombées dans le domaine public, donc relativement anciennes.


11 http://ccfm.ens-lyon.fr.
158 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

Ces facteurs se conjuguant, force est de constater que le numérique est encore
loin de remplacer les éditions imprimées, alors que pour les revues, au contraire, les
médiévistes privilégient déjà l’accès « en ligne » sinon uniquement numérique (Porter
   

2013, 22). Il faudra dépasser ces obstacles pour que soient levées les réticences à
profiter pleinement des possibilités du numérique.
Concernant les éditions électroniques existantes, la situation actuelle est en fait
complexe et assez diverse, comme le montre l’examen de quelques cas précis. Ainsi,
l’édition du formulaire d’Odart Morchesne (Guyotjeannin/Lusignan 2005),12 par
exemple, est une édition multimédia, et pour cette raison la version électronique reste
très fidèle aux normes de l’édition imprimée : on affiche un seul texte critique avec

des notes en bas d’écran, avec très peu de liens hypertextuels et sans l’image du
manuscrit. Les sources XML-TEI de l’édition sont cependant téléchargeables, ce qui
donne la liberté à l’utilisateur de l’exploiter avec ses propres outils. À l’exception,
notable certes, du fait qu’elle offre la possibilité de télécharger l’édition et ses sources
XML-TEI, ce qui permet de la réutiliser de diverses façons, cette édition ne se distingue
guère de ce qu’aurait été sa réalisation « papier ».
   

En revanche, The Online Froissart livre une série de transcriptions de plusieurs


manuscrits qui peuvent ainsi être comparées en affichage simultané, ainsi que des
images des manuscrits originaux. Le glossaire et l’index des noms propres sont
complètement réinventés : par défaut, une notice descriptive de chaque personnage

historique s’affiche lorsqu’on clique sur les noms propres du texte et, lorsqu’on
sélectionne un autre mode de lecture, chaque mot devient lui-même un lien vers sa
définition dans le Dictionnaire du Moyen Français. Mais cette ressource reste en
quelque sorte complémentaire de l’édition imprimée initiale (Ainsworth/Croenen
2007). Il s’agit dans la version électronique uniquement de transcriptions des manu-
scrits, et non pas d’une édition critique ou même « courante » ou « normalisée ». Les
       

éditeurs ne suggèrent aucun manuscrit de base par défaut, et il est nécessaire pour
l’utilisateur de sélectionner l’un des quarante témoins avant de pouvoir commencer la
lecture.

2 L’exemple de la Queste del saint Graal :  

six étapes, de la simple transcription d’un


manuscrit à l’édition électronique (1999–2013)
Dans ce contexte de création et de foisonnement de nouveaux objets éditoriaux, mais
aussi d’hétérogénéité inévitable dans les normes naissantes, nous voudrions apporter
des éléments de réflexion sur les principes de l’édition électronique, en nous ap-

12 Version en ligne : http://elec.enc.sorbonne.fr/morchesne.



Édition électronique de la Queste del saint Graal 159

puyant sur les expériences menées dans le cadre d’une collection d’éditions, la
« Collection de la Base de français médiéval » (hébergée à l’ENS de Lyon, désormais
   

« Collection BFM »), et tout particulièrement sur une entreprise désormais décennale,
   

celle de l’édition électronique de la Queste del saint Graal (Marchello-Nizia/Lavrentiev


2013),13 qui nous a servi de base d’expérimentation et représente désormais le pro-
totype de cette Collection.
Concernant cette édition, nous distinguons six phases, à la fois chronologiques et
conceptuelles :  

1. 1999–2002 : à l’origine, il s’est agi simplement d’une transcription électronique du texte


d’un manuscrit précis de ce récit (ms. K, conservé à la BM de Lyon), sous Word, à laquelle on
a appliqué un minimum de principes éditoriaux (lettres ramistes, segmentation des groupes
de mots, marquage du discours direct, ajout de majuscules) mais dont on a conservé au
maximum la ponctuation ; on y a ajouté une traduction. On visait à fournir aux chercheurs

linguistes et littéraires un texte adaptable, modifiable et ré-utilisable sans droits ni limita-


tions (édition C. Marchello-Nizia, révision A. Lavrentiev, traduction en français moderne
I. Vedrenne-Fajolles).
2. 2002 : un premier prototype est mis en ligne (avec l’aide de S. Heiden), offrant la possibilité

d’un double affichage, de l’image du manuscrit d’une part, et du texte ou de sa traduction


d’autre part.
3. 2005–2007 : apparaît l’idée que cette approche pourrait donner lieu à un nouvel objet

éditorial, grâce à un enrichissement propre au support numérique, qui serait donc irréduc-
tible à une version figée papier.
4. 2007–2008 : avec le développement international de la réflexion sur la numérisation des

documents, la transformation se poursuit, avec la conversion du texte Word en XML-TEI, et


la mise au point d’un appareil de balises repensées (A. Lavrentiev, S. Heiden) ; en outre, il

est décidé d’ajouter à l’édition « normalisée » jusque là seule envisagée, les transcriptions
   

diplomatique et facsimilaire (A. Lavrentiev).14


5. 2009–2013 : dès lors se développe peu à peu la conception, plus abstraite, d’une démar-

che générique propre à ce type de pratiques : ce qu’on appelle désormais la philologie


numérique – « digital philology », en son sens le plus strict et le plus riche. L’édition
   

électronique de la Queste est désormais conçue dans cette perspective comme une sorte
de « prototype » d’un objet spécifiquement numérique, et dans sa forme, et dans les
   

possibilités qu’il ouvre à l’utilisateur. Cette étape a abouti à la mise en ligne de ce texte
reformaté, accompagné d’un ensemble d’outils de recherche et d’analyse textométrique
fournis par la plateforme TXM (S. Heiden et M. Decorde), et doté d’une interface Web
(A. Yepdieu).15

13 Depuis ses origines, cette édition numérique a été réalisée à l’ENS de Lyon (anciennement ENS
Foutenay/Saint Cloud, puis ENS Lettres et sciences humaines). Elle bénéficie actuellement aussi du
soutien de l’UMR ICAR.
14 Ces quatre premières étapes ont été financées grâce à la dotation de l’Institut Universitaire de
France obtenue par C. Marchello-Nizia.
15 C’est au cours de cette période que le projet a reçu le soutien de la Région-Rhône Alpes (finance-
ment entre 2009 et 2010).
160 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

6. À partir de 2013, ce prototype est intégré au portail BFM à l’adresse suivante :


http://catalog.bfm-corpus.org/qgraal_cm. La version actuelle du corpus GRAAL, accompa-


gnée d’une Introduction, d’une Traduction, d’un Glossaire et d’un Index des noms propres,
offre ainsi des fonctionnalités notables :  

– lecture synoptique de deux versions côte à côte ;  

– possibilité de requêtes syntaxiques ;  

– interrogations et analyse textométriques ;  

– téléchargement des sources et de l’édition PDF ;  

– enfin, une adaptation au projet Oriflamms16 est en cours, qui permettra de mettre en
place un alignement fin (au niveau des mots, voire des caractères) entre le texte et
l’image.

Chacune des six phases décrites ci-dessus a été productive et novatrice à plusieurs
plans : éditorial, philologique, numérique par la création d’outils dédiés, et concep-

tuel car s’est approfondie et précisée la notion de « philologie numérique », et la


   

réalisation d’un objet éditorial pensé pour ce nouveau support, irréductible à un


format « papier » traditionnel. Les diverses étapes par lesquelles est passée l’édition
   

de la Queste ont ainsi permis de mettre au jour les strates successives nécessaires à la
réalisation d’une édition électronique, et d’élaborer à partir de cela une méthode
opérationnelle pour les éditions à venir.
C’est ainsi que nous en sommes venus à distinguer les étapes successives suivan-
tes, qui nous ont permis de définir une chaîne éditoriale canonique pour la Collection
BFM (voir in fine § 6.2) :
   

saisie initiale d’un texte non édité ;


élaboration du texte édité sous Word par ex. (traitement de texte par l’éditeur médiéviste)
conversion en XML selon les principes de balisage TEI
le document en résultant est « diffracté » sous trois formes à usages différents :
     

a) édition HTML destinée à la version PDF


b) document XML-TEI destiné au corpus TXM (version de bureau pour requêtes)
c) édition TXM destinée au portail « BFM »
   

À présent, une nouvelle phase commence, avec la transcription d’un second manu-
scrit de la Queste del saint Graal, copié au XVe siècle, le ms. Paris, BnF fr 98. Cette
étape nous permettra de mettre en place les procédures de copie (totale ou partielle,
et selon les mêmes normes que la copie du manuscrit du XIIIe siècle) de quelques-uns
au moins de la cinquantaine des manuscrits actuellement recensés de la Queste. L’un
de nos projets est en effet, à terme, de tenter un nouveau type de classement des
manuscrits, fondé sur tous les types de variantes en utilisant des méthodes statisti-
ques (cf. Camps 2009 ; Camps/Cafiero 2013). Le choix de ce ms. 98, tardif mais dont le

texte semble, à partir de sondages, fort proche de celui du manuscrit de Lyon,


permettra en outre de mesurer les changements proprement linguistiques qui se sont
produits en deux siècles.

16 Projet ANR 2013–2015 (resp. D. Stutzmann), http://oriflamms.hypotheses.org.


Édition électronique de la Queste del saint Graal 161

3 Les spécificités et avantages du numérique


pour l’édition

Le support numérique offre de nombreuses possibilités simplement inimaginables


dans les éditions traditionnelles sur papier. L’une des limitations des éditions papier
est liée à la nécessité de choisir un nombre restreint de variantes et de formes de
présentation du texte, même s’il est possible de mettre en place un apparat critique
complexe avec plusieurs « étages » de notes et une mise en page « synoptique » avec,
       

par exemple, un facsimilé du manuscrit de base placé en face d’une transcription ou


traduction du texte.17 Mais les éditions imprimées de ce type, forcément plus coûteu-
ses, présentent l’inconvénient d’être difficiles à lire, car le flux de texte pertinent pour
un lecteur donné peut « se noyer » dans la multitude des informations présentes sur la
   

page. Une édition numérique peut au contraire être dynamique et s’adapter aux
intérêts du lecteur, car celui-ci a la possibilité de « filtrer » les informations affichées
   

et de « tailler » le texte selon ses besoins, en choisissant, par exemple, d’afficher côte
   

à côte plusieurs types de transcription et le facsimilé ou la photographie du manu-


scrit. Ou bien, on peut par exemple choisir de mettre en évidence ou non les lettres
restituées à la place des abréviations, ou encore d’appliquer ou non les règles
« ramistes » pour les lettres i/j et u/v.
   

La flexibilité du support numérique incite par ailleurs les éditeurs scientifiques à


une plus grande rigueur méthodologique par rapport aux éditions traditionnelles. Le
fait que le lecteur puisse facilement vérifier la lecture proposée sur l’image du
manuscrit oblige à justifier ses choix et à les appliquer d’une façon systématique. Les
outils d’annotation linguistique et les moteurs de recherche peuvent d’ailleurs aider
les éditeurs à contrôler l’homogénéité de leurs propres pratiques. Ainsi, dans le cas
de l’édition de la Queste del saint Graal, les index automatiques nous ont permis de
mettre en place des règles précises et scrupuleusement appliquées en ce qui concerne
le traitement des locutions en cours de figement (comme a-aise, par-mi ou encore les
verbes précédés de en). Ces règles sont présentées dans la section 4.5 de l’Introduc-  

tion. Dans les éditions traditionnelles réalisées en France, même si des recommanda-
tions et des « bonnes pratiques » existent depuis le rapport de M. Roques (1926), on
   

constate une certaine hétérogénéité des usages (Duval 2006), due en partie au
pragmatisme de la doctrine française selon laquelle l’édition doit s’adapter au type
de texte et au public visé (Vielliard/Guyotjeannin 2001). Cette hétérogénéité ne fait
qu’augmenter si on prend en compte les éditions de textes français réalisées par des
philologues allemands, italiens ou britanniques. Avec le numérique, les frontières
s’effacent, et il est envisageable d’adopter des normes communes à plusieurs tradi-

17 L’Album de manuscrits français du XIIIe siècle (Careri et al., 2001) présente un exemple de ce type
   

d’édition.
162 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

tions nationales, voire à des langues sources différentes (par exemple, le français
médiéval et le latin).
La « normalisation » des éditions numériques concerne non seulement les aspects
   

philologiques, mais aussi les formats et les technologies utilisés. En effet, l’évolution
technologique dans le domaine informatique est tellement rapide que les solutions
novatrices deviennent obsolètes en quelques années. Seule l’utilisation de formats
standard et « ouverts » (tels que XML), de recommandations élaborées par de grandes
   

communautés internationales (telles que le consortium TEI), ainsi que la documenta-


tion précise des choix de codage permettent d’assurer une certaine pérennité aux
éditions numériques.
Pour utiliser les multiples possibilités ainsi générées, nous avons développé une
procédure d’édition électronique reposant sur une conception intégrée que seul rend
possible un travail d’équipe, et qui s’appuie, comme dans le cadre de l’UMR « ICAR »    

à l’ENS de Lyon, sur la participation et la collaboration de médiévistes éditeurs de


textes et d’informaticiens développeurs spécialisés, ainsi que sur les acquis de plu-
sieurs projets de recherche collatéraux (projet ANR/DFG « SRCMF » Paris-Stuttgart,
   

projet ANR « Corptef » Lyon, projet ANR « Textométrie »).


       

Nous exposerons dans la section suivante les pratiques d’encodage auxquelles


nous sommes désormais parvenus.

4 Un prototype d’édition électronique pour les textes


de français médiéval : La Queste del saint Graal

4.1 Principes et fondements

Le but premier de notre édition électronique de la Queste del saint Graal était de
procurer l’accès le plus fidèle possible à une version « authentique » du roman, telle
   

qu’elle a été copiée et telle qu’elle a circulé à une époque précise, témoignant tout à
la fois de la production et de la réception d’un texte, et donc d’énoncés, et donnant
un accès aussi peu biaisé que possible à l’état de la langue et de la littérature de
cette période-là. Son but deuxième est de permettre à l’utilisateur, grâce à une
interface souple et dynamique, de naviguer librement au sein du texte et d’adapter
les données auxquelles il accède à ses propres usages. Le texte étant disponible
sous différentes formes (édition normalisée, édition diplomatique, édition facsimi-
laire, traduction en français moderne, images du ms.), l’utilisateur peut choisir la ou
les version(s) qu’il veut afficher sous forme de vues synoptiques. Son but troisième
est de faciliter les recherches de divers types sur le texte : cette édition électronique

fidèle, reflet d’énoncés réellement produits, est donc en outre « enrichie » (étiquettes
   

morphologiques, parsage syntaxique, encodage du discours direct …), de façon à  

permettre des requêtes de toute sorte, éventuellement complexes, soit sur des mots
Édition électronique de la Queste del saint Graal 163

ou des expressions, soit sur des catégories (étiquettes), soit sur les deux à la fois
(voir ci-dessous, § 4.3).  

Il existait déjà un grand nombre d’éditions de ce texte (Furnivall 1864 ; Sommer  

1907–1916 ; Pauphilet 1923 ; Vattori et al. 1990), dont l’une, celle d’A. Pauphilet (1923),
     

était devenue l’édition de référence. Réalisée dans une optique quasi bédiériste, cette
édition prend pour manuscrit de base, le ms. Lyon, B.M., P.A.77 (ms. K dans la
nomenclature établie par Pauphilet). Le choix de ce manuscrit nous convenait, et il
permettait en outre de pouvoir comparer ensuite les deux éditions, faites sur un même
manuscrit mais dans une optique assez différente.
Le manuscrit de Lyon donne en effet un texte d’excellente qualité, bien ponctué ;  

amputé en son début sans doute à cause du découpage d’une peinture initiale, ainsi
qu’en sa fin par la perte probable d’un cahier, les lacunes sont cependant facilement
comblées par l’un des manuscrits fort proches du ms. K tant dans le texte que par la
date de copie (ms. Z, BnF, nouv. acq. fr. 1119). Enfin, l’écriture de ce manuscrit, qui a
été réexaminée tout récemment à la lumière des progrès réalisés en codicologie et
paléographie, semble appartenir à un type de scripta gothique précoce, ce qui permet-
trait de dater ce manuscrit de la fin de la première moitié du XIIIe siècle (D. Stutz-  

mann, communication personnelle) ; cette copie a donc été réalisée à une période très

proche de sa composition, dont on situe la date entre 1225 et 1230 (Poirion/Walter/


Gros 2009, 1554). Tout cela nous permet d’offrir une version du roman telle qu’elle a
circulé très peu de temps après la date estimée de sa composition, et telle que les
contemporains l’ont lue et comprise : nous avons bien là ce que nous nommons une

version usagée du texte. C’est en effet une priorité de la « philologie numérique », qui,
   

mettant à profit les possibilités technologiques nouvelles, mais aussi les réflexions
antérieures sur la production et la réception des textes (P. Zumthor, H.R. Jauss,
W. Iser …), a opéré un décalage important, et même peut-être un changement de
   

perspective ontologique par rapport aux traditions éditoriales précédentes, tout en


reprenant à son compte bon nombre des réquisits scientifiques et méthodologiques
du mode d’édition antérieur.
En effet, les variations intrinsèques liées à la pratique de la reproduction manus-
crite des textes, conjointe à une notion assez différente de la nôtre de la « propriété  

littéraire », fait que tout manuscrit est spécifique, différent des autres, singulier : un
   

texte médiéval peut ainsi être conçu, au total, comme la résultante de cette « mou-  

vance » textuelle (selon l’expression de P. Zumthor) propre au Moyen Âge. À terme,


les éditions des divers manuscrits d’un même texte pourront être comparées dans leur
totalité, ouvrant des possibilités inédites pour repenser la notion de stemma, en le
fondant non seulement sur les « fautes communes », sur les « formulations divergen-
     

tes » ou les variations narratives, mais aussi sur les différences linguistiques morpho-

logiques, syntaxiques, lexicales, graphiques et formelles (écritures, mais aussi seg-


mentation des mots ou unités, ou regroupement en ensembles scandés par des lettres
rubriquées par exemple), dont certaines permettront peut-être de déterminer des
« traditions » manuscrites, ou des « familles », sur des bases bien plus complexes et
       
164 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

complètes (voir les travaux de J.-B. Camps, déjà cités). Et étant donné que des éditions
récentes de la Queste del saint Graal ont procuré le texte de plusieurs manuscrits de la
fin du XIIIe siècle, peut-être un jour ces éditions seront-elles accessibles sous forme
numérisée. Nous envisageons de notre côté l’édition (partielle ou complète) de
versions plus tardives de la Queste. Nous avons commencé dès à présent d’éditer un
manuscrit de la même famille α que le manuscrit K, mais copié au XVe siècle : il s’agit  

du manuscrit Paris, BnF, fr 98 (ms. M), qui apparaît à divers égards fort proche de la
version donnée par K. Cela permettra une comparaison tout à la fois de la langue et
du récit de deux manuscrits séparés par deux siècles. Et à chaque étape résultant
d’une nouvelle édition (nous connaissons actuellement 53 manuscrits de la Queste …),  

nous pourrons reprendre la question de la parenté des manuscrits, et peut-être celle


de leur stemma.
Si l’on peut envisager de tels renouvellements, c’est parce que les développe-
ments techniques récents font que la spécificité de chacun des manuscrits est désor-
mais, au moins virtuellement, accessible dans la profondeur de ses détails. Cette
spécificité du manuscrit est en outre calculable, grâce à un outil de requête perfor-
mant, TXM (voir : http://sourceforge.net/projects/txm), et à des concordances afficha-

bles en même temps que le manuscrit et l’une des versions de l’édition : ces possibi-  

lités ouvrent la voie à des analyses et à des interprétations des textes inconcevables
jusqu’ici. À bien des égards, on pourrait dire que l’ère numérique permet de pousser à
son terme, sinon la démarche bédiériste, du moins son rêve …  

Mais cette singularité de chaque manuscrit est également rendue visible, grâce
à l’affichage multi-facettes mis en place pour notre édition de la Queste, qui permet
de disposer simultanément, côte à côte, pour mieux les comparer, la photographie
du manuscrit, parfois un peu difficile à déchiffrer, et l’une de ses transcriptions, ou
bien, côte à côte, deux des trois « versions » (« normalisée », diplomatique ou
       

facsimilaire) de l’édition, ou encore, à terme, deux versions du même épisode


narratif, ou deux ou plusieurs versions différentes de l’ensemble du texte, dans leur
intégralité.
Le temps de l’immobilisme du texte-papier est sans doute achevé, le texte numé-
risé est facetté, miroitant. Le XXe siècle, aboutissement de près de cinq siècles de textes
statufiés dans l’imprimé, avait pris conscience de la différence radicale des écrits
médiévaux, de leur « mouvance » externe (P. Zumthor) et de leur « variance » interne
       

(B. Cerquiglini, la New Philology).18 On est passé désormais au temps du miroitement


de l’affichage multi-facettes. Du texte mouvant au texte miroitant, l’immobilité et la
simplicité de l’imprimé, statique et unique, se sont perdues, elles auront duré un
demi-millénaire.

18 L’importance de cette « variance » a été soulignée par la « Nouvelle philologie » (ou New Philology),
       

qui a mis l’accent sur cet aspect spécifique de l’écriture médiévale mais sans apporter de changement
radical dans la pratique même de l’édition de texte.
Édition électronique de la Queste del saint Graal 165

4.2 Les composants de l’édition

Les composants de cette édition électronique sont les suivants : la Page d’accueil ; une
   

Introduction comportant neuf rubriques ; l’Edition sous ses trois versions (courante ou

normalisée, diplomatique, facsimilaire) ; le Glossaire ; l’Index des noms propres ; la


     

Notice bibliographique du texte ; la version PDF téléchargeable de l’ensemble de


l’édition ; les Sources XML-TEI téléchargeables, spécifiant les normes de balisage et


d’annotation ; enfin, les Mentions légales spécifiant les conditions de téléchargement


et d’utilisation de cet ensemble de matériaux.


La nomenclature des thèmes abordés dans l’Introduction de la Queste est pour
l’essentiel assez traditionnelle, mais certaines rubriques sont nouvelles, et d’autres
nécessitent une explicitation, car les procédures possèdent certaines spécificités liées
à la nature électronique de l’édition.
Tout d’abord, un bref Avant-propos souligne immédiatement les principales
innovations de cette édition, et des Remerciements sont adressés aux nombreux aides
et soutiens dont cette entreprise a pu bénéficier.
Suit une première rubrique, qui sera désormais inhérente à toute édition électro-
nique, détaillant : ses particularités éditoriales (ici, édition sous trois versions plus

ou moins proches du manuscrit de base), son enrichissement (étiquettes morpholo-


giques placées sur tous les mots), la spécification de son affichage (multi-facettes et
interactif, actuellement en plusieurs volets côte-à-côte), les possibilités d’usage
qu’elle offre (requêtes de divers types grâce au moteur de recherche et de statistique
TXM, affichage à partir d’un mot de son étiquette morpho-syntaxique, ainsi que
d’éventuelles notes et commentaires par la suite), ainsi que les normes de balisage
auxquelles a été soumis le texte, et les possibilités de téléchargement offertes aux
utilisateurs.
Ensuite sont abordés les thèmes habituels d’une édition de texte médiéval : une  

présentation du texte édité, dans ce cas précis, la Queste del saint Graal ; l’exposition

des sources (liste mise à jour des manuscrits de ce texte, liste des éditions antérieures,
choix du manuscrit de base et du manuscrit complémentaire) ; les principes de  

transcription pour la version « courante » ou « normalisée » ; les spécificités des


         

versions « diplomatique » et « facsimilaire » ; une brève information sur la traduction,


         

l’index des noms propres et le glossaire qui accompagnent l’édition ; une étude de  

plusieurs traits de la langue du texte ; la liste des étiquettes morpho-syntaxiques


utilisées pour annoter les mots du texte ; enfin une bibliographie choisie.

166 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

4.3 Les normes éditoriales expérimentées dans la Queste :  

vers des principes éditoriaux ?  

Nous revenons ici sur trois des rubriques qui diffèrent en partie de ce qu’offrirait une
édition imprimée : l’étude des sources et plus précisément ce qui concerne le choix du

manuscrit de base ; les principes de transcription en ce qui concerne leurs modalités


d’application ; et la co-existence de trois « versions » de l’édition.


     

Concernant le choix du manuscrit, il nous faut souligner d’entrée l’une des


différences qui, pour l’instant, distingue notre pratique. La philologie classique, et les
normes de l’édition de textes traditionnelle, comportaient l’obligation d’élaborer un
stemma situant les uns par rapport aux autres les divers manuscrits d’une œuvre, et
ainsi de pouvoir retrouver - ou le plus souvent recomposer - une hypothétique version
originelle du texte de l’auteur – le « manuscrit O » (Lachmann). Assez souvent, et plus
   

pragmatiquement, la pratique de l’édition de textes s’en tient, du moins en France, à


la reconstruction non du manuscrit original, mais d’un texte prototypique, le « manu-  

scrit Ω » ancêtre potentiel des versions conservées – tel celui placé par Pauphilet au

sommet de son stemma des manuscrits de la Queste (1980/1921, p. xxii). Le travail de


comparaison des versions différentes données par les divers manuscrits était destiné
à élaborer ces stemmas ; or, sauf pour des textes brefs, il s’opérait sur des portions de

texte ou des épisodes réduits, et se fondait essentiellement sur des lacunes (ou ajouts)
narratifs ou sur des fautes communes importantes. On entrevoit désormais d’autres
ouvertures, sans pouvoir encore en distinguer toute la portée.

Pour ce qui est des principes de transcription et de leurs modalités d’application sous
ce type de support, soulignons que cette édition a été réalisée à partir du même
manuscrit que l’édition réalisée par A. Pauphilet, et avec des principes de fidélité qui
n’étaient pas radicalement éloignés de ceux des éditeurs français modernes, à savoir
un « bédiérisme pragmatique » assez consensuel. Or le résultat est surprenant : près
     

de 20000 différences distinguent notre édition « normalisée » de celle de Pauphilet.


   

Cet écart surprenant est dû à trois facteurs : à notre fidélité maximale à la ponctuation

scribale alors que les éditeurs antérieurs ponctuaient systématiquement « à la mo-  

derne », à notre respect de l’emploi scribal des majuscules, et de façon générale à une

plus grande fidélité dans la graphie des mots et à une modération maximale dans les
interventions éditoriales.
Pour le reste, les principes de transcription adoptés dans la version « normalisée »   

(signes diacritiques, résolution des abréviations, délimitation et segmentation des


mots) sont tout à fait classiques. Mais la nature du support nous a conduits à une plus
grande rigueur dans l’application des principes explicités : c’est ainsi que nous avons

pu donner la liste de tous les mots offrant une abréviation et de la façon dont nous
l’avons transcrite, par exemple pour la barre de nasalité, abréviation extrêmement
fréquente, et nous avons fourni la liste de tous les mots la présentant ; ou encore pour

la barre représentant soit –er-, soit –ier-, soit –re. De même, la recension exhaustive
Édition électronique de la Queste del saint Graal 167

de tous les cas concernés permet de voir quels noms propres sont toujours abrégés,
lesquels le sont parfois, lesquels jamais, ou lesquels se déclinent et lesquels non :  

ainsi, dans ce manuscrit, le nom de Lancelot est toujours abrégé. L’obligation de


transcrire de façon rigoureuse et cohérente nous a ainsi conduits à percevoir une
régularité intéressante dans l’usage distinct que fait le copiste des deux formes de cas-
sujet sire et sires, qui toutes deux apparaissent en clair : à une époque où se met en

place une micro-grammaire spécifique du discours représenté, le copiste (ou l’auteur)


donne un nouveau sens à deux variantes en opposant un emploi syntaxique banal, et
un emploi marquant le début du discours direct ; la forme sire est ainsi toujours

employée en fonction d’apostrophe, alors que la forme analogique sires est sujet d’un
verbe.
Enfin, grâce au support numérique, il va de soi de donner la liste de toutes les
interventions, corrections, etc. de l’éditeur.
Si la version « courante » tend vers une fidélité raisonnée mais maximale, les
   

versions « diplomatique » et « facsimilaire » sont bien plus fidèles encore au manu-


       

scrit de base. Et grâce à l’attention portée par ces deux versions à la manière dont les
mots sont segmentés ou non, regroupés ou non, nous avons pu procurer une liste de
tous les mots qui, dans ce manuscrit de la première moitié du XIIIe siècle, sont déjà
systématiquement écrits en un mot (dejoste, desus, devers, ensus, ersoir, huimés, jadis,
mileu), de ceux qui le sont assez souvent et sont donc presque grammaticalisés ou
lexicalisés (enmi, jamais et jamés, jusque), alors que d’autres qui leur sont proches
sont encore le plus souvent graphiés en deux mots (par mi, puis que), et l’on peut voir
que emporter est déjà presque lexicalisé alors qu’em mener est le plus souvent scindé.

5 L’apport des outils d’analyse à l’édition


scientifique numérique
Comme on l’a indiqué plus haut, les apports du numérique ne se limitent pas à
expliciter et harmoniser les principes d’édition ou à offrir de nouvelles solutions pour
lire et se déplacer à l’intérieur de l’œuvre médiévale. Ce qui distingue assez radicale-
ment les éditions conçues pour le support numérique, ce sont aussi et surtout les
outils d’interrogation et d’analyse qu’elles mettent à la disposition de l’utilisateur et
qui permettent un accès « médié » au texte. Même si les outils permettant la lecture
   

non continue et l’exploration synthétique du texte sont, pour certains d’entre eux (les
concordances par exemple), très anciens et ont d’abord été développés pour le papier,
et même si les éditions « traditionnelles » en sont déjà abondamment pourvues
   

(glossaire, index), le développement des corpus informatisés a permis des avancées


décisives dans ce domaine. Les technologies numériques permettent en effet de
façonner « sur mesure » des patrons de requête qui sélectionnent tout ou partie du
   

lexique d’un texte, en assemblant, si nécessaire, une suite d’unités contigües ou non
168 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

(constructions diverses) et en affichant l’entourage proche des éléments recherchés. Il


n’est pas utile d’insister ici sur tous les apports de ces outils désormais bien connus.
Nous nous contenterons d’en pointer trois, parce qu’ils nous paraissent tout particu-
lièrement novateurs et prometteurs :  

– le développement récent de l’annotation linguistique (étiquetage morphologique, lemmatisa-


tion, annotation syntaxique, annotation sémantique ou discursive) permet d’intégrer de
nouvelles couches d’information linguistique aux expressions de recherche ; les requêtes qui

combinent l’extraction d’une ou de plusieurs formes avec les propriétés linguistiques asso-
ciées à ces formes permettent tantôt de focaliser la sélection sur un paradigme formel plus
réduit (par désambiguïsation, par exemple), tantôt d’étendre les résultats à un ensemble de
variantes relevant d’un même paradigme (ce qui s’avère particulièrement utile pour la
période médiévale) ; l’essor des corpus annotés, parce qu’il profite du développement pro-

gressif d’outils et de procédures d’annotation automatique, a ainsi considérablement accru


les possibilités de recherche et d’analyse dans les textes ; cet essor s’étend peu à peu aussi

aux éditions numériques ;19


– dans certains cas, les technologies numériques mettent à la disposition du chercheur des
outils qui calculent et rendent compte, grâce à des modèles statistiques, des caractéristiques
significatives des données textuelles ; le calcul des spécificités permet, par exemple, de

contraster différentes unités textuelles et de repérer les éléments qui sont sous- ou sur-
représentés dans ces unités ; l’un des intérêts majeurs de ces outils d’analyse est qu’ils

permettent de combiner et de synthétiser un nombre de facteurs très important ; bien qu’ils


soient pour l’heure peu exploités par les lecteurs et utilisateurs d’éditions numériques, leur
intérêt pour l’étude et l’exploitation des textes médiévaux ne fait pas de doute ; leur apport

pour l’étude de la tradition manuscrite et la classification des manuscrits d’une même œuvre
pourrait s’avérer très important aussi : des expériences sont déjà en cours ;20
   

– un grand nombre d’outils numériques veillent à conserver un lien toujours actif entre les
résultats des requêtes ou calculs statistiques et les données linguistiques qui sont à leur
source ; l’affichage et le contrôle des données de départ et le retour au texte (grâce, notam-

ment, à des liens hypertextuels) sont la condition sine qua non d’un usage maîtrisé des outils
d’analyse numériques à des fins scientifiques ; en ce sens, les technologies numériques ne se

substituent pas à l’accès critique au texte-source, elles apportent des informations et des
éclairages complémentaires sur les données textuelles.

L’édition numérique interactive de la Queste del saint Graal, dont les principales
composantes ont été exposées dans la section précédente, nous permettra d’illustrer
plusieurs des points que nous venons d’aborder.

19 Certaines éditions offrent le très grand avantage aussi d’associer aux mots du texte leur définition
dictionnairique (voir les cas exemplaires de l’Anglo-Norman On-Line Hub ou du Dictionnaire Électro-
nique de Chrétien de Troyes). Il s’agit là d’un procédé d’enrichissement d’un type un peu différent mais
également essentiel et emblématique des possibilités nouvelles ouvertes par le numérique et la
navigation hypertextuelle.
20 Les outils présentés dans cette section peuvent aussi être utiles lors du processus d’édition. Si leur
apport semble particulièrement évident pour la comparaison fine et exhaustive des manuscrits, ils
peuvent par ailleurs seconder le travail éditorial : les index et concordances numériques permettent

notamment de repérer des incohérences ou des variations dans l’application des normes éditoriales.
Édition électronique de la Queste del saint Graal 169

L’étiquetage morphosyntaxique, l’annotation syntaxique et le codage des limites


du discours direct étendent considérablement les recherches possibles sur ce texte. Si
l’on s’intéresse, par exemple, à la façon dont le discours direct est délimité du reste du
texte au Moyen Âge, il est possible d’extraire par une simple requête tous les débuts
de séquences au discours direct dans la Queste.21 L’affichage de la transcription
facsimilaire des éléments initiant le discours direct permet de repérer, outre des unités
linguistiques de différents types (termes d’adresse, adverbes énonciatifs, verbes à
l’impératif, etc.), d’éventuelles marques graphiques (signes de ponctuation et majus-
cules) qui concourent aussi à en fixer les bornes : ainsi dans la Figure 1 où la version
   

normalisée (colonne gauche) donne « Biaux sire, fait Boort … »/, et la version diploma-
   

tique (colonne droite) : biaux sire fait boort.


Figure 1 : Concordance des débuts de séquences de discours direct


   

Le couplage du codage du discours direct et de la transcription multifacettes permet


dans ce cas une analyse très riche et très précise de la séquenciation graphique et
linguistique des segments de texte. Il permet tout spécialement de repérer les cas où
des marques de différents types indiquant le discours direct se surajoutent, et les cas
où, au contraire, ces marques manquent. On observe ainsi que l’absence de signe
graphique (ponctuation ou lettre majuscule) est très rare dans le manuscrit K en début
de discours direct. Et le retour au texte et aux données de départ permet de se rendre
compte qu’en certains endroits le début de la séquence d’oral représenté coïncide
avec un espace de taille un peu supérieure aux blancs qui séparent la plupart des
unités graphiques du texte : ainsi entre dient et bien dans le fragment suivant :
   

21 La requête suivante (<q>[] []) permet de sélectionner les deux séquences graphiques qui suivent la
balise (<q>) ouvrant le discours direct.
170 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

Figure 2 : Un cas d’absence de ponctuation au début d’un discours direct : on voit un « grand blanc »
         

devant le premier mot du discours direct (« bien »)


   

L’annotation linguistique permet, quant à elle, une étude plus syntaxique des séquen-
ces au discours direct. La recherche réalisée par Glikman/Mazziotta (2013) mobilise
des tests statistiques pour faire apparaître les catégories morphologiques et les
constructions syntaxiques qui sont les plus saillantes dans le discours direct. Elle a
révélé que les formes verbales complexes (qui comportent un auxiliaire temporel ou
modal), l’expression du sujet syntaxique ou la présence de la négation étaient les
éléments dont la fréquence dans le discours direct était significativement supérieure à
celle qui les caractérisait en récit. Leur travail montre ainsi qu’une édition numérique
appuyée par une annotation linguistique et des outils d’analyse statistiques permet
d’apporter des renseignements très précis sur les structures syntaxiques qui dominent
le discours direct au Moyen Âge.

6 Cahier des charges pour la Collection de la Base


de français médiéval22
L’édition numérique de la Queste del saint Graal ayant inspiré d’autres collègues
médiévistes, elle a récemment servi de modèle à plusieurs projets d’édition en cours
de réalisation. Une chaîne éditoriale s’est progressivement mise en place, suffisam-
ment large et précise pour encadrer les travaux en cours, suffisamment souple pour

22 Collection dirigée par C. Guillot-Barbance.


Édition électronique de la Queste del saint Graal 171

s’adapter aux particularités des textes choisis : les Serments de Strasbourg édités par

l’équipe BFM, la Séquence d’Eulalie éditée par l’équipe BFM, la Vie de saint Alexis
éditée par C. Marchello-Nizia et T. Rainsford (Univ. De Stuttgart), le Psautier d’Arundel
édité par C. Pignatelli (Univ. de Poitiers). À terme, l’ensemble des textes ainsi édités
formera une collection répondant à des normes et des pratiques communes et acces-
sible en un même lieu via un même outil (la plateforme TXM), actuellement utilisé
pour la diffusion de la Base de français médiéval et dont une interface spécialisée
pour l’édition de sources est peu à peu développée.

6.1 Principes de la collection BFM

Les principes de la collection découlent tout naturellement des options qui se sont
progressivement imposées lors de l’édition électronique de la Queste del saint Graal et
dont nous avons exposé les grandes lignes ci-dessus. Il n’est pas utile de revenir sur
tous les détails de ces principes, mais nous insisterons ici sur les trois règles qui nous
paraissent les plus fondamentales et qui expliquent souvent des choix plus spécifi-
ques concernant tel ou tel aspect de l’édition.
Au centre de tout l’édifice se trouve la fidélité maximale au manuscrit choisi
(fidélité au texte, à la mise en page du manuscrit, à sa segmentation graphique et à sa
ponctuation). Les normes de transcription élaborées au fil du temps (cf. § 6.2) permet-

tent de générer, à partir d’un même fichier, des visualisations multiples d’une trans-
cription unique, les unes étant plus normalisées et « aplanissant » certaines des parti-
   

cularités du manuscrit, comme les divisions graphiques médiévales peu accessibles au


lecteur moderne, d’autres ayant pour but au contraire de restituer la copie manuscrite
dans sa singularité et dans ses variations internes. Il est donc prévu que tous les textes
édités dans la Collection donnent lieu à au moins deux niveaux de visualisation
(version normalisée/courante, version diplomatique) et que les images du manuscrit
soient toujours également accessibles. Ce principe de base permet d’allier à la fidélité
au texte sa lisibilité et son appropriation par des utilisateurs multiples, en conjuguant
ce qui a longtemps été deux objectifs contradictoires et exclusifs.
En second lieu, la standardisation des données linguistiques et la documentation
des formats utilisés apparaissent comme une règle tout aussi incontournable. C’est
d’elles que dépend en effet la diffusion et la pérennisation des données numériques.
Enfin, l’utilisation de licences ouvertes (plus spécifiquement la licence Creative
Commons CC BY-NC-SA) doit garantir une diffusion libre des éditions de la Collection
et permettre aux utilisateurs de récupérer et de réutiliser les sources dans des condi-
tions clairement définies. Il s’agit là d’un des apports majeurs du numérique, qui
ouvre la voie à de nouveaux modes de circulation et de référencement de l’édition
scientifique.
172 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

6.2 La chaîne de traitement éditorial

Le schéma ci-dessous symbolise les étapes désormais bien définies pour l’établisse-
ment d’une édition électronique :  

Figure 3 : Chaîne éditoriale de la Collection BFM


   

La chaîne éditoriale de la Collection BFM présentée schématiquement dans la Figure 3  

ci-dessus commence par la saisie du texte avec un logiciel de traitement de texte


(Writer ou Word ou autre). Pour les éditeurs scientifiques cela présente l’avantage de
travailler dans un environnement qui leur est familier et de profiter de l’ergonomie de
ces logiciels grand public. L’utilisation d’un petit nombre de caractères spéciaux ou
de raccourcis typographiques permet d’assurer la saisie simultanée d’au moins deux
niveaux de transcription : normalisé et diplomatique. La liste complète de ces rac-

courcis est présentée dans le document Règles de transcription … Ici nous n’en citerons

que quelques exemples. Ainsi, on utilise le caractère dièse (#) devant les lettres qui
doivent « changer de caisse » entre la version diplomatique et la version normalisée.
   

Par exemple, un nom propre graphié avec une minuscule dans le manuscrit se
présente ainsi : #Dieu. Les lettres restituées à la place des abréviations sont placées

entre parenthèses (ch(evalie)r). Le but de ces raccourcis est de minimiser l’effort de


l’éditeur scientifique lors de la transcription initiale en lui évitant de saisir à la main
tout ce qui peut être automatisé. Certains raccourcis ou conventions de saisie peuvent
être créés dans le cadre d’un projet d’édition individuel pour répondre aux traits
Édition électronique de la Queste del saint Graal 173

spécifiques d’un texte donné. Par exemple, dans le cas de l’édition du manuscrit
bilingue du Psautier d’Arundel nous avons adopté un format tabulaire pour assurer
l’alignement entre le texte latin et la traduction en ancien français (cf. Figure 4 ci-  

dessous).

Figure 4 : Transcription alignée en latin et en ancien français


   

Les règles de transcription adoptées dans le projet de collection d’éditions BFM sont
publiées dans un document accessible en ligne sur le site BFM (http://bfm.ens-lyon.
fr/rubrique.php3?id_rubrique=138).
Une fois l’étape de la saisie initiale terminée, les transcriptions sont converties au
format XML-TEI « compact ». Actuellement, la transformation se fait par un script Perl
   

à partir du format HTML généré par le logiciel de traitement de texte. Une solution
basée sur des scripts Groovy intégrés dans la plateforme TXM est prévue à moyen
terme. La particularité du format « compact » consiste en ce qu’il combine les balises
   

XML de la TEI utilisées pour la structuration et l’annotation du texte avec les raccour-
cis typographiques (qui subsistent depuis la saisie initiale) qui servent à encoder les
différents niveaux de transcription.
Dans le cadre d’un projet éditorial, la conversion vers XML-TEI est irréversible,
c’est-à-dire que toutes les nouvelles corrections et annotations se font sur le document
XML et il n’y a plus de retour au logiciel de traitement de texte ordinaire possible.
Les styles et autres fonctionnalités de formatage des logiciels de traitement de
texte sont ignorés lors de la conversion vers XML-TEI, ce qui permet de réduire le
risque d’erreurs, même si cela limite les possibilités de pré-balisage de certains
éléments (tels que les divisions du texte, les titres ou le discours) lors de la saisie
initiale. Il convient de noter que d’autres chaînes éditoriales (par exemple celle mise
en place par les Presses universitaires de Caen) utilisent amplement les styles des
logiciels de traitement de texte.
Les éditions au format « compact » sont des documents valides du point de vue
   

du schéma TEI standard (‘tei-all’) et nous avons également élaboré une personnalisa-
tion ODD qui permet de mettre en place des règles de validation plus strictes et de
documenter les pratiques de codage. Toutefois, les « raccourcis typographiques » ne
   

sont pas pris en charge par la norme XML et sont ignorés par les outils de validation.
C’est au moment de la conversion au format « diffracté » que ces raccourcis sont
   

interprétés, et c’est alors que d’éventuelles erreurs de saisie sont détectées.


174 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

Le format « compact » convient parfaitement à l’enrichissement du balisage TEI


   

des éditions : il est suffisamment « léger » pour être lu et édité directement, mais on
     

peut aussi utiliser des outils de stylage des logiciels de traitement XML (tels que le
« mode auteur » du logiciel Oxygen) pour faciliter le travail de l’éditeur.
   

Le format « diffracté », sert quant à lui d’étape intermédiaire pour la validation du


   

codage et pour la fabrication des différents produits éditoriaux (les différents niveaux
de transcription en HTML et en PDF des sources XML préparés à l’importation dans
TXM). Le format diffracté est « tokenisé », c’est-à-dire que tous les mots du texte sont
   

identifiés par la balise TEI <w> et toutes les ponctuations par la balise <pc>. Les deux
ou trois niveaux de transcription sont représentés à l’intérieur des mots et des
ponctuations par les balises Menota23 <norm>, <dipl> et <facs>. Une librairie de
feuilles de style XSLT permet de générer automatiquement les différentes versions du
texte proposées aux lecteurs ou soumises aux outils d’annotation linguistique ou
d’analyse textométrique.
Les formats XML-TEI compact et diffracté sont décrits en détail dans le Manuel
d’encodage BFM Manuscrits (Lavrentiev 2008) et spécifiés de façon formelle dans des
documents TEI ODD publiés sur le site de la BFM.
L’édition est publiée en ligne sur le portail de la Base de français médiéval. Ce
portail offre dès à présent un large éventail d’outils de recherche et d’analyse
qualitative et quantitative. Un tutoriel en ligne (Bertrand et al. 2014) en présente les

principales fonctionnalités. Les différents éléments accompagnant l’édition propre-


ment dite (introduction, index, glossaires) sont consultables en ligne ou téléchargea-
bles au format PDF. Depuis peu, le portail BFM donne la possibilité d’établir des
hyperliens (sous forme d’URL) vers une page précise, voire un mot ou une sélection
de mots d’une édition. Ce mécanisme est encore en cours d’expérimentation, mais à
terme il pourra révolutionner les pratiques de citation des sources dans des travaux
de recherche, car il sera possible d’accéder par un simple clic à chaque exemple
proposé.
L’édition de la Queste del saint Graal est par ailleurs livrée en tant que corpus
exemple avec la version bureau du logiciel TXM. Elle peut ainsi être exploitée hors
connexion et profiter des fonctionnalités d’analyse qui ne sont pas encore disponibles
sur le portail BFM. L’ensemble des fonctionnalités du logiciel TXM est présenté dans
le Manuel utilisateur accessible en ligne (Heiden et al. 2013).

23 Il s’agit d’une extension de la TEI proposée par le projet Medieval Nordic Text Archive (http://www.
menota.org).
Édition électronique de la Queste del saint Graal 175

7 Conclusion
Désormais, deux tâches, deux étapes nous semblent nécessaires pour que les éditions
électroniques acquièrent un statut définitivement stabilisé au plan scientifique.
La première est, comme nous en avons formulé le vœu ci-dessus, qu’un effort
collectif et concerté aboutisse au partage de normes de réalisation de ce type d’édi-
tion. C’est à cette condition que des avancées significatives pourront désormais se
produire.
La seconde, que nous n’avons pas évoquée jusqu’ici, est la nécessité absolue que
se mettent en place des instances d’évaluation de ce type d’éditions, comme il en
existe pour les éditions imprimées. Il va de soi que de telles instances devront être en
mesure d’évaluer les aspects très différents de ces réalisations, tant pour les aspects
paléographiques et codicologiques, linguistiques, littéraires, philologiques, etc., que
pour les versants proprement informatiques. C’est à cette condition que le renouvelle-
ment en cours pourra installer une confiance définitive dans ce type nouveau d’édi-
tion.

8 Bibliographie
Ainsworth, Peter/Croenen, Godfried (edd.) (2007), Jean Froissart, Chroniques, Livre III. Le Manuscrit
Saint-Vincent de Besançon, Tome I, Genève, Droz.
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176 Christiane Marchello-Nizia, Alexey Lavrentiev et Céline Guillot-Barbance

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Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati
7 Le projet Rialto et l’édition des textes
occitans médiévaux
Abstract : Le Repertorio informatizzato dell’antica letteratura trobadorica e occitana
   

(Rialto), lancé en 2001, est une bibliothèque numérique qui héberge des textes
occitans (XIe–XIVe siècles) présentés dans de nouvelles éditions critiques, ou dans
des éditions critiques revues soit par leurs propres éditeurs, soit par l’équipe de
rédaction scientifique. Dans plusieurs cas, sont présentées plusieurs éditions ou des
éditions accompagnées de transcriptions diplomatiques, de traductions, et de
commentaires. Le site est ouvert à des projets internationaux comme celui que dirige
Linda Paterson sur les chansons de croisade, ou le projet de Paolo Di Luca qui
concerne les chansons ayant rapport à l’histoire de l’Italie. Parmi les finalités du
Rialto est celle de fournir un instrument pour l’enseignement universitaire d’une
tradition hégémonique qui est à la base de la modernité. Le Rialto s’inscrit dans un
vaste contexte d'entreprises scientifiques portant sur les langues et les littératures
romanes du Moyen Âge, comme des dictionnaires, des concordances, des bibliogra-
phies, qui ont été créées suite aux possibilités de diffusion qu’offre l’informatique et
qui adoptent comme support principal l’internet. Il est intéressant de constater qu’une
des branches apparemment les plus « aristocratiques » et les plus exclusives des
   

études littéraires, pour sa complexité technique aussi, comme la philologie occitane,


est aujourd’hui accessible grâce aux nouvelles technologies.

Keywords : occitan, troubadours, édition informatique, diffusion internet


   

1
1 Origines du projet
Le Rialto, acronyme de Répertoire informatisé de l’ancienne littérature troubadou-
resque et occitane, a accueilli ses premiers visiteurs en décembre 2001, lors de la
publication de ses premières pages dans un sous-domaine, en libre accès, hébergé à
l’intérieur du domaine internet de l’Université de Naples Frédéric II.2 Un peu plus de
deux ans auparavant, en août 1999, était apparu sur le réseau le Rialc, Répertoire
informatisé de l’ancienne littérature catalane, lui aussi en libre accès, qui devint en

1 Nous tenons à remercier très sincèrement Gérard Gouiran, qui a aimablement revu la traduction du
texte original italien en français.
2 www.rialto.unina.it. Le Rialto est coordonné par Costanzo Di Girolamo. Le comité scientifique
international change tous les cinq ans ; la rédaction est depuis 2008 coordonnée par Oriana Scarpati,

après avoir été coordonnée de 2003 à 2007 par Claudio Franchi. Toutes les informations et données
présentées dans cette étude étaient à jour le 15 novembre 2013.
178 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

peu de mois – et il l’est encore – un point de référence incontournable pour les


spécialistes de la poésie catalane médiévale.3 En effet, le Rialc a rendu accessible à la
lecture, à la consultation pour les recherches lexicales, avec des moteurs de recherche
extérieurs comme Google, l’intégralité du corpus de la littérature catalane en vers des
XIVe et XVe siècles (poésie lyrique, narrative, didactique, religieuse et théâtre), depuis
les textes les plus célèbres jusqu’à ceux qui sont moins connus et difficilement
accessibles en bibliothèque, en incluant en outre nombre de compositions inédites.
Pour la première fois, les spécialistes de la littérature médiévale ont pu profiter d’un
important moyen de consultation et de référence autonome, tant pour la recherche
que pour l’enseignement. La saisie informatique a été menée à terme en peu d’an-
nées : pour que le répertoire soit exhaustif, il n’y manque, pour une raison ou une

autre, qu’une petite dizaine de textes dont le plus important est la traduction de la
Divina Commedia (1429) accomplie par Andreu Febrer, dont il n’existe qu’une édition
assez peu fiable.
C’est précisément à la suite de la réussite du Rialc, que germa, parmi des membres
de la communauté scientifique internationale des occitanistes, l’idée de lancer un
projet plus ambitieux : si le Rialc se présentait comme une bibliothèque digitale

« achevée » des textes catalans médiévaux, dès lors qu’il mettait en ligne les éditions
   

imprimées et, si nécessaire revues et corrigées, par des spécialistes qui faisaient partie
de la rédaction, le Rialto s’est présenté, dès le début, comme un projet de bibliothèque
ouverte et potentiellement « infinie ». Dans la page de présentation du projet, on
   

écrivait :  

« Dans la perspective de la philologie informatisée, on peut définir le Rialto comme une biblio-

thèque numérique dynamique. Les textes qui figurent dans la base représentent des éditions
nouvelles ou, le cas échéant, le fruit d’une révision des éditions existantes par les soins de leurs
éditeurs eux-mêmes, ou de nos collaborateurs. Tout changement introduit dans le texte de l’édition
publiée, ou simplement envisageable, est signalé dans une note. Les éditions les plus anciennes
ont été elles aussi soumises à révision : erreurs matérielles corrigées, brève mise à jour bibliogra-

phique, indication de toute proposition de modification des textes. Dans le futur, chaque édition
pourra être à son tour corrigée ou modifiée par l’éditeur ou le réviseur du texte, mais il subsistera
toutefois sur le site une trace de la version précédente, de manière à éviter toute ambigüité dans les
renvois bibliographiques. Pour chaque état du texte seront précisés l’année, le mois et le jour. Pour
certains auteurs, on fournira deux, voire plusieurs éditions, comme c’est déjà le cas pour Folquet
de Marselha et comme ce le sera d’ici peu pour Guilhem de Peitieus et Arnaut Daniel, afin d’éviter
un ‹ effet internet ›, c’est-à-dire une tendance à ne citer que les textes directement disponibles sur
   

le web et qui ne sont normalement proposés que dans une seule édition. Dans cette conception,
une bibliothèque numérique dynamique ne se substitue ni ne s’oppose à la pratique traditionnelle
de l’édition « papier », mais se veut plutôt complémentaire de celle-ci ».4
     

3 www.rialc.unina.it. Coordonné par Costanzo Di Girolamo, le site est géré par une direction-rédaction
double, italienne et catalane ; elles se sont occupées du contrôle des éditions, de la préparation des

textes et des pages au format numérique aussi bien que de leur mise en ligne.
4 www.rialto.unina.it/limenfr.htm. La Présentation est datée le 14 janvier 2003.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 179

Il est difficile d’imaginer la route parcourue par le Rialto dans les dix années qui se
sont écoulées entre ces mots et aujourd’hui : les buts du site sont restés identiques,

mais son évolution a été profonde : il s’est augmenté et s’est enrichi de pages, de

collaborateurs, de sections, de textes, de mélodies, etc.5

2 Travail de la rédaction : technologies et  

collaborations
Le point fort du Rialto, qui le différencie totalement de tous les autres répertoires ou
corpora apparus ces dernières années, consiste dans l’autonomie totale du projet en
ce qui concerne la partie technique et informatique, critère, déjà appliqué du reste,
pour la réalisation du Rialc. Les membres de la rédaction sont en mesure de gérer la
plate-forme de façon autonome, sans l’assistance d’informaticiens, et ils s’occupent
eux-mêmes, en plus de la révision des textes et de la préparation des fiches, de leur
conversion en format html et de la création des liens. Il en résulte que le Rialto, en
ne s’appuyant que sur les membres bénévoles de la rédaction (et quelques boursiers
mis de temps en temps à la disposition du projet) est totalement libre de la logique
des financements, des demandes de subvention, des modes graphiques et de la
nécessité de mettre constamment à jour programmes et logiciels ;6 il n’est pas  

nécessaire de payer des extérieurs pour introduire les données dans le site et le
projet a garanti ainsi sa propre longévité et surtout sa survie en temps de crise. Il y a
tant de projets semblables qui, malgré les excellentes intentions de leurs concep-
teurs, restent inachevés parce que, entre-temps, les financements qui leur avaient

5 L’acronyme, quelque peu osé, fut créé en l’honneur du co-fondateur, le Vénitien Luigi Milone
(1949–2012), qui, bien que dépourvu de compétence et d’intérêt informatiques (et peut-être précisé-
ment à cause de cela), était toujours le premier à soutenir la création du site, surmontant les doutes et
la résistance de Di Girolamo et de ses collaborateurs les plus proches devant la complexité de la
tâche.
6 Une série non négligeable de modifications a été toutefois rendue nécessaire à cause de change-
ments du logiciel et même du hardware : que l’on pense par exemple aux formats actuels de l’écran,

adaptés aux photos et à la vidéo mais pas aux textes, et qui ont exigé l’emprisonnement typogra-
phique progressif des vieilles pages. D’autres anomalies ont surgi à la suite des caractéristiques
particulières de quelques navigateurs : un des principaux navigateurs à partir d’une des dernières

versions reconnaît les retraits des périodes seulement si ceux-ci sont exprimés en pixels ou en points,
mais pas en valeurs absolues, et nous avons dû par conséquent procéder à une révision de toutes les
pages. Il va sans dire que le site prétend fournir une présentation typographique ordonnée et agréable
aux textes : ceci a son prix et implique un travail informatique complexe qui pourrait peut-être être

défini comme artisanal. Reste de toute façon le problème de l’instabilité dans le temps des logiciels,
depuis le simple traitement de texte, qui représente une menace constante dans l’usage de l’informa-
tique pour la conservation et la transmission des textes, à moins d’accepter le prix de mises à jour
continuelles.
180 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

permis d’avancer se sont épuisés, tandis que le Rialto survit et se perfectionne, en


implémentant les textes et en élargissant le projet initial, exclusivement grâce aux
membres de sa rédaction. Après ces indispensables prémisses, il faut ajouter que, au
cours de ces années, le Rialto s’est ouvert à des collaborations extérieures. Des
spécialistes ont exprimé une grande confiance dans les potentialités évidentes du
site tel qu’il a été conçu ; pour une part, ils ont investi les fonds dont ils disposaient

pour former de jeunes chercheurs au management du site du Rialto (en ouvrant des
concours pour des bourses d’études et en accordant des crédits de recherche dédiés
à l’implémentation du site) ; pour une autre, ils ont conçu des projets de recherche

prévoyant une interaction constante avec le Rialto, choisi comme siège privilégié
pour la publication – immédiate, gratuite, susceptible de révision, visant un public
illimité – des résultats de la recherche. C’est le cas, parmi tant d’autres, du projet
lancé par Linda Paterson sur les chansons relatives aux croisades, qui prévoit la
publication sur le Rialto de toutes les compositions en rapport avec cette théma-
tique. Un nombre considérable de compositions est déjà disponible pour la consul-
tation en ligne : chaque texte est présenté, à la place où l’éditrice l’a considéré

comme nécessaire, dans une nouvelle édition critique ; il est accompagné d’une

traduction en italien (par Luca Barbieri) et en anglais (par l’éditrice elle-même),


ainsi que de commentaires historiques et littéraires. Tous les textes établis par
Paterson et préparés pour le Rialto par Barbieri constituent une sous-section à part
du répertoire (rubrique « Trovatori »), désignée par la sous-rubrique « Chansons de
     

croisade (Canzoni sulle crociate) » : il s’agit d’un véritable parcours thématique qui
   

permet au lecteur d’accéder à tous les textes, en visualisant la liste sur un écran
unique qui fait fonction d’index.

3 Sections du Rialto
Les sections qui constituent actuellement le répertoire, y compris celle que nous
venons de citer sur les chansons de croisade, sont au nombre de neuf, auxquelles se
rattachent des sous-sections. La section la plus considérable est, évidemment, celle
qui est consacrée aux « Troubadours » : dans cette section, organisée par auteur (avec
     

une page particulière pour les textes anonymes), sont regroupées toutes les composi-
tions lyriques jusqu’à présent publiées, auxquelles il est possible d’accéder simple-
ment en cliquant tout d’abord sur le nom du troubadour et ensuite sur les coordon-
nées BdT de la pièce choisie. Vient ensuite la section des « Textes des origines », qui
   

héberge actuellement l’édition commentée avec une vaste bibliographie raisonnée, de


l’aube bilingue de Fleury éditée par Lucia Lazzerini ; la section dédiée à la « Poésie
   

épistolaire » comprend les salutz : il y figure une édition critique de Francesco Cara-
   

pezza, préparée expressément pour le Rialto, et accompagnée d’une introduction,


d’une bibliographie, d’un apparat critique, de notes paléographiques, d’un rimaire et
de notes textuelles, du salut attribué à Raimbaut d’Aurenga Donna, cel qe·us es bos
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 181

amics (BdT 389.I) et publié ensuite dans une revue en 2001 (www.rialto.unina.it/
RbAur/389.I/389.I.htm).7
La section dénommée « Poésie narrative » inclut Blandin de Cornoalha, édité par
   

Sabrina Galano et accompagné d’une introduction, d’un appareil critique et de notes


textuelles (www.rialto.unina.it/narrativa/blandin.htm),8 Daurel e Beton par Char-
maine Lee (Lee 1991 : www.rialto.unina.it/narrativa/daurel.htm), le roman arthurien

de Jaufre, édité également par Lee (Lee 2006 : www.rialto.unina.it/narrativa/jaufre/


jaufre-i.htm),9 et des novas contenues dans le manuscrit Didot, récemment éditées par
Paolo Di Luca (2011), qui s’est occupé lui-même de la présentation philologique pour
le Rialto (www.rialto.unina.it/narrativa/novasdidot.htm). Le Roman de Flamenca
dans l’édition de Roberta Manetti (2008) est en cours de préparation.
La « Prose narrative » comprend le Viage al Purgatory de Ramon de Perellós,
   

encore inédit dans sa version imprimée, qui a été publié en 2010 sur le Rialto par
Margherita Boretti, accompagné d’une introduction et d’une note au texte (www.
rialto.unina.it/Prosanarrativa/Viage/Viage.htm).
La section de « Poésie religieuse » est constituée du Chansonnier de Wolfenbüttel,
   

édité par Zeno Verlato (Verlato 2002 : www.rialto.unina.it/poerel/wolf/wolfenbuttel-


indice.htm), des Novas de l’heretje éditées par Peter T. Ricketts (www.rialto.unina.it/


poerel/heretje(Ricketts).htm ; cf. Ricketts 2000, 75) et de la Passione di santa Marghe-

rita d’Antiochia, récemment éditée par Roberta Manetti, qui s’occupe également du
domaine « Notes » pour le Rialto (Manetti 2012 : www.rialto.unina.it/poerel/marga
     

rita.htm).
Dans les « Textes pratiques » sont regroupés de nombreux exemples de littérature
   

médico-pharmaceutique, parmi lesquels divers recettaires, des traités sur les vertus
des herbes, des remèdes contre les fièvres, etc., édités par Maria Sofia Corradini Bozzi,
tous accompagnés d’importantes notes textuelles (Corradini Bozzi 1997 : www.rialto.  

unina.it/TestiPratici.htm).
Nous avons déjà mentionné la sous-section des « Chansons de croisade », dont
   

s’occupent Linda Paterson et Luca Barbieri. L’autre sous-section troubadouresque,


« Chansons de désamour », présente des éditions critiques, de Francesca Sanguineti
   

et Oriana Scarpati, de malas cansos, comjats ou chansons de change, apparues dans le


même temps en volume imprimé (Sanguineti/Scarpati 2013). C’est ici que la complé-
mentarité entre le livre imprimé et internet a fait ses preuves : la collection qui héberge

le recueil ne s’intéresse guère aux longs apparats critiques qui ont été rendus accessi-
bles en ligne, et qu’on peut, si on le désire, consulter en même temps qu’on lit le texte
(de toute façon lui aussi présent en ligne) et la traduction du livre. Ainsi, dans le cas

7 L’édition en ligne (2002) est antérieure à la version imprimée (2001), nonobstant la date de cette
dernière.
8 L’édition en ligne est antérieure à la version imprimée (Galano 2004).
9 La première édition du roman est parue sur Rialc (dans la section « Biblioteca del Rialc ») en 2000, la
   

deuxième sur le Rialto en 2002.


182 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

de la chanson Peirol (BdT 366.3), on a fourni un apparat et de longues notes détaillées


qui ne figurent que dans la version numérique. En réalité, même les imposants
apparats critiques de Luigi Milone qui accompagnent certaines de ses éditions de
Raimbaut d’Aurenga dans le Rialto, même s’ils ont été reproduits dans Cultura
neolatina quelques années après (Milone 2003 ; 2004), auraient difficilement pu

trouver place dans une édition complète imprimée du troubadour, auteur d’une
quarantaine de pièces. Le réseau n’a pas de limites spatiales et se prête ainsi à un
dialogue utile avec le livre.
Il y a enfin la section consacrée à la « Prose religieuse », qui représente un des
   

plus beaux fleurons du site du Rialto, dès lors qu’elle a mis à la disposition du public
des œuvres monumentales qu’on aurait eu du mal à publier si ce site n’avait pas
existé. On peut y lire : 1) L’Epître aux Laodicéens, avec une édition critique tant du

texte occitan que du texte latin par Marvyn Roy Harris, qui fournit aussi une introduc-
tion et une version synoptique des deux textes (www.rialto. unina.it/prorel/AdLaud/
AdLaud(Harris).htm) ;10 2) Le Rituel cathare, contenu dans le ms. de Lyon, Bibl. mun.,

PA 36, édité également par Harris et accompagné d’une introduction, d’un apparat
critique et de références bibliques (www.rialto.unina.it/prorel/CatharRitual/CathRit.
htm) ; 3) La Confession et le Salut contenus dans le ms. Paris BnF fr. 1852, édités par

Cyril P. Hershon et Peter T. Ricketts, disponibles sur le site en format pdf (www.rialto.
unina.it/prorel/ConfessionSalut/confession-salut.htm) ; 4) La glose du Pater éditée

par Enrico Riparelli, avec introduction, notes, liste des citations, apparat critique et
traduction en italien (www.rialto.unina.it/prorel/CatharRitual/CathRit.htm.) ;11 5) La  

Legenda aurea éditée par Monika Tausend (Tausend 1990 : www.rialto.unina.it/pro


rel/LA/LA.htm) ; 6) Vida e miracles de Sancta Flor, édités par Francesca Gambino,


accompagnés d’une introduction, d’un apparat critique, d’une bibliographie et d’une


traduction en italien (Gambino 2008 : www.rialto.unina.it/prorel/sanctaflor/Sancta-

Flor.htm) ; 7) L’édition critique du Nouveau Testament de Lyon, éditée par Marvyn Roy

Harris et Peter T. Ricketts (www.rialto.unina.it/prorel/NTL/NTL.htm). Quand le


congrès de la Sifr (Società italiana di Filologia romanza) a organisé en 2012 une table
ronde sur le thème « À quoi servent les bases de données ? », l’intervention portant
     

sur le site du Rialto (Scarpati 2013) avait choisi comme exemple l’édition critique du
Nouveau Testament de Lyon pour illustrer de façon fondamentale l’« utilité » de ce    

site : la possibilité de publier des œuvres de taille considérable. En effet, nous avons

estimé qu’un texte organisé comme celui de Harris et de Ricketts, avec tout l’apparat
de notes, d’introduction et de bibliographie, aurait, sur papier, dépassé, mille pages.
Le Rialto a donc mis à la disposition des spécialistes de la prose religieuse une édition
fondamentale qui marque d’importants progrès par rapport à celle de Peter Wunderli

10 Révision par Harris (1988).


11 Le texte, en édition imprimée en 2001, a été revue et corrigée par l’éditeur en 2002 pour le Rialto.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 183

(2009–2010) et qui, probablement, sans cela, n’aurait jamais pu voir le jour, en tout
cas pas aussi rapidement.
Enfin, on va très bientôt inaugurer les sous-sections consacrées aux genres
poétiques de l’aube, de la pastourelle et de la tenso (cette dernière comprendra tous
les textes édités par Ruth Harvey et Linda Paterson 2010) ; il s’y ajoute celle qui sera

consacrée aux compositions des troubadours du XIIe au XIVe siècle concernant


l’histoire d’Italie, dans le contexte d’un projet dirigé par Paolo Di Luca, qui reprend le
vaste corpus (à amplifier par la suite) de textes, dans des éditions nouvelles ou revues,
du volume classique de De Bartholomaeis (1931). Ces deux sous-sections constitue-
ront, au même titre que les chansons de croisade et les chansons de désamour, autant
de parcours thématiques qui aideront les spécialistes et les étudiants à s’orienter
parmi les divers genres et courants de la poésie en langue d’oc.

4 L’enseignement universitaire et le Rialto


Du point de vue de l’enseignement, le Rialto a été accueilli très favorablement. Les
étudiants en philologie romane qui souhaitent lire les textes occitans et qui insèrent
les données dans les moteurs de recherche apprennent l’existence du Rialto, qui
apparaît presque toujours parmi les premiers résultats de la recherche effectuée,
avant un nombre considérable de sites dont les auteurs n’ont pas toujours des
préoccupations scientifiques et mettent en ligne des textes tirés d’éditions parfois peu
fiables. Tout au contraire, le Rialto garantit à l’étudiant l’exactitude philologique
absolue des informations qu’il lira. Non seulement il trouvera le texte exact et surtout
attentivement contrôlé de nouveau par ceux qui gèrent le site, mais encore l’étudiant
peut se familiariser avec des aspects philologiques importants, comme la tradition
manuscrite, la métrique, la bibliographie critique relative à la pièce dont il est
question, et les notes au texte : c’est dire qu’il aura à sa disposition dans une seule

page un outillage qui lui permettra une approche critique du texte à étudier.
On rencontre sur le Rialto un type de page qui s’est avéré particulièrement utile
pour les cours de philologie romane, celle qui offre un tableau synoptique des
différentes éditions critiques d’un troubadour donné, afin de souligner, dans une
seule fenêtre, les divers choix opérés par les éditeurs en ce qui concerne les manu-
scrits de base, les graphies, les leçons mises dans le texte, etc… L’édition synoptique
préparée par Aniello Fratta, de compositions d’Arnaut Daniel en donne un bon
exemple : on y trouve sur la même page les textes critiques de Toja, Canello, Perugi et

d’Eusebi (www.rialto.unina.it/autori/ArnDan.htm).12 Il va de soi que dans ce type de


page le domaine « Notes » est particulièrement important, parce qu’il doit souligner
   

les passages difficiles du texte, ceux sur lesquels les éditeurs ont opté pour des

12 Les éditions comparées et discutées sont Canello (1883), Toja (1960), Perugi (1978), Eusebi (1984).
184 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

solutions différentes, et guider le lecteur dans l’interprétation du texte : un véritable


exercice de critique textuelle. Dans d’autres cas d’éditions multiples, dont nous
parlerons plus loin, le tableau synoptique peut être facilement réalisé par le lecteur
lui-même en affichant simultanément deux fenêtres ou plus en fonction du nombre
des éditions.
Pendant les dernières années du cursus des étudiants en philologie romane de
l’Université de Naples Frédéric II, tant en licence qu’en master, on a remarqué depuis
quelque temps une augmentation importante du nombre de thèses de laurea, dont le
but est de produire des fiches philologiques pour le site du Rialto. Les étudiants
intéressés par les études occitanes et qui ont étudié sur le plan théorique les bases de
la philologie textuelle et de l’interprétation des textes ont pu mettre en pratique ce
qu’ils avaient appris en réalisant personnellement, sous la direction de leurs profes-
seurs, les fiches philologiques du troubadour ou du texte qui fait l’objet de leur étude :  

le succès qu’a connu cette expérience a été assez considérable, et plusieurs collègues
d’autres universités ont contacté la rédaction pour développer un travail semblable
parmi leurs propres étudiants, qui ont ensuite publié leurs travaux sur le site.13

5 Les avantages des multimédia


Il est bien connu qu’un support multimédia offre en soi des possibilités d’expression
et de réalisation beaucoup plus nombreuses que le seul papier imprimé, mais il
s’avère fondamental de pouvoir s’en servir dans le cas de chansons dont on a conservé
la mélodie. Il ne faut pas oublier que toutes les chansons, les sirventés, les tensos et
les genres lyriques strophiques que nous connaissons et attribuons aux troubadours
étaient conçus, à de rares exceptions près, pour une exécution chantée, qu’ils étaient
composés à la fois en tant qu’écrit et que musique, et que leur circulation était
exclusivement orale, assurée par des jongleurs professionnels qui se produisaient de
cour en cour. Il s’agit donc d’une poésie portée par la voix, ou plus précisément au
chant accompagné d’un instrument de musique, qui vit dans son exécution et non pas
sur la page écrite. Malheureusement, sur les presque 2.550 compositions troubadou-
resques qui nous sont parvenues, seulement 260 environ conservent, dans quatre
manuscrits des XIIIe et XIVe siècles, leur notation musicale, nous restituant donc en
une partie minime ce qui devait être la richesse et la complexité des mélodies
occitanes. Le Rialto, qui peut s’enorgueillir de compter en son sein des philologues
compétents en musicologie comme Francesco Carapezza, a mis à la disposition des

13 Voir par exemple les textes annotés, et dans beaucoup de cas édités, de Guillem del Bautz et de ses
correspondants, par les soins de Francesco Saverio Annunziata (Università di Napoli Federico II), de
Folquet de Lunel, par Federica Bianchi (Università dell’Aquila), de Guilhem Rainol d’At, par Rossella
Bonaugurio (Università dell’Aquila), de Ramon de Perellós (Viage al Purgatory), par Margherita Boretti
(Università di Pisa), de Paulet de Marselha, par Lidia Tornatore (Università di Salerno).
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 185

spécialistes, pour certaines compositions, non seulement le texte accompagné de


toutes les informations nécessaires pour une approche critique, mais aussi un fichier
audio qui contient une interprétation musicale de la composition et offre ainsi au
lecteur une expérience unique et irréprochable d’un point de vue philologique. Les
interprétations publiées sur le Rialto sont des exécutions « de service », où le chanteur
   

reproduit simplement les notes du tétragramme musical sans l’aide d’instruments


musicaux, raison pour laquelle, précisément, elles s’avèrent bien plus fiables d’un
point de vue philologique que certaines interprétations artistiques, agréables parfois,
mais pas à l’abri de l’arbitraire, qu’on peut aisément écouter en ligne, par exemple sur
les sites qui chargent des fichiers vidéo et audio comme YouTube.
L’utilisation du fichier audio est très simple : si l’on ouvre, par exemple, la page

d’Atressi com le leos (BdT 421.1) de Rigaut de Berbezilh dans l’une ou l’autre des deux
éditions disponibles, il suffit de cliquer sur l’icône du tétragramme avec les notes de
musique pour pouvoir écouter la mélodie chantée et lire en même temps le texte de la
chanson (Braccini 1960 : (Braccini).htm (Braccini 1960) ou Varvaro 1960 : www.rialto.
   

unina.it/RicBarb/421.1(Varvaro).htm.
C’est là un aspect important du site, qui en a déterminé et en détermine encore la
réussite. Le projet des chansons de croisade prévoit en effet l’exécution chantée de la
totalité des 27 pièces dont la mélodie a été conservée, pour prouver que l’approche
multimédia offerte par le Rialto est indispensable pour bien comprendre le texte
médiéval.

6 Projets partenaires du Rialto


Depuis sa création ; le Rialto entretient une collaboration étroite avec deux autres

projets de philologie numérique qui ont profondément marqué les études occitanes
des années 2000. Il s’agit de la Com, Concordance de l’occitan médiéval, sous forme de
CD-ROM, de Peter T. Ricketts en collaboration avec d’autres, et de la BEdT, la
Bibliografia elettronica dei trovatori, de Stefano Asperti.14
La première est une base de données dont la première version (Com 1), apparue
en 2001, ne contenait que les troubadours ; la seconde (Com 2), de 2005, tous les

textes en vers, narratifs compris, depuis les textes des origines jusqu’à la fin du XVe
siècle. La Com 3, qui comprend également la prose, était sur le point d’être publiée
lorsque, au printemps 2013, Peter Ricketts est subitement décédé à l’âge de quatre-
vingts ans. Pendant plus de quinze ans, entre le Rialto et la Com il y a eu un échange
de textes (surtout pour les nouvelles éditions) et une étroite collaboration dans le
contrôle des transcriptions. L’œuvre a connu une longue gestation et Ricketts a
toujours regretté d’avoir été contraint d’opter pour une réalisation sur CD-ROM : de  

14 www.bedt.it.
186 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

fait, quand la plus grande partie du travail était déjà terminée, le réseau n’était pas
encore bien rôdé ni d’usage commun. Sur internet, la concordance aurait été gratuite
et accessible à tous ; en outre, il aurait été possible de lui apporter continuellement

des mises à jour et des corrections, qu’on ne peut réaliser sur le disque qu’à chaque
réimpression.15 Il faut y ajouter que son prix – comme celui des autres CD qui
contiennent les résultats de projets philologiques auxquels ont contribué des person-
nes désintéressées et des institutions publiques – est déraisonnablement élevé et hors
de la portée des étudiants et des chercheurs, au point d’être pudiquement occulté
dans les catalogues en ligne (« Contact us for a price request »).
   

Le second projet, celui de la BEdT, entamé par Stefano Asperti dans le cadre de
l’Université de Rome La Sapienza en 2003, est une initiative de la plus grande
importance dans la mesure où il s’agit d’un élargissement et d’une mise à jour
(continue) de la Bibliographie der Troubadours d’Alfred Pillet (1875–1928), complétée
par Henry Carstens (1889–?), remontant à 1933, et qui constitue donc le point de
départ de toute étude sur les troubadours. Le site, comme celui du Rialto, est d’accès
libre. Pour chaque texte la page s’articule dans sept domaines (à leur tour subdivisés
en sous-domaines) :  

identificazione testo | genere lirico | metrica e musica | luogo, data, occasione | personaggi e
luoghi | tradizione manoscritta | bibliografia

La BEdT représente une ossature pour les fiches philologiques du site Rialto : informa-  

tions bibliographiques mises à jour, indications sur les manuscrits, éditions critiques,
autres éditions, métrique et musique d’une pièce donnée sont confrontées avec le site
du BEdT, après avoir été à nouveau soigneusement contrôlées.

6.1 Le DOM

Depuis peu, dans le panorama des projets informatisés concernant l’occitan médiéval
a pris également place celui d’un dictionnaire de dimensions monumentales, ainsi
que le suggère du reste son acronyme. Comme on le sait, la lexicographie occitane a
une histoire presque paradoxale. Malgré la richesse des études dans ce secteur,
jusqu’à ce jour le Lexique roman (LR) de François Raynouard (1761–1836) demeure
irremplaçable : l’ouvrage, publication posthume parue entre 1838 et 1844, est consi-

déré par beaucoup de personnes comme une œuvre préscientifique, surtout si


l’adjectif dans le titre est dû au fait que l’auteur pensait que la langue d’oc dérivait
non pas directement du latin mais de la « langue rustique romane », langue inter-
   

15 Une erreur gravissime dans Com 2, qu’il ne sera pas possible de corriger avant la prochaine
impression du disque, concerne l’édition critique d’Arnaut Daniel, encore attribuée à Toja (1960). En
réalité, une nouvelle édition avait été utilisée, encore inédite sur papier, et réalisée par Maurizio
Perugi.
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 187

médiaire mieux conservée et perfectionnée de la « langue romane provençale » ou la


   

« langue des troubadours », qui, de par sa primauté chronologique et son prestige,


   

aurait été érigée en modèle pour les autres langues et littératures néolatines.16 Le
Provenzalisches Supplement-Wörterbuch (SW) d’Emil Levy (1855–1917), apparu entre
1894 et 1924, représente une intégration, très étendue mais toujours partielle, du LR,
au point que jusqu’à présent l’unique dictionnaire d’ancien occitan exhaustif et mis
à jour par rapport au LR est le Petit dictionnaire provençal-français (PD), sans
citations, du même Levy, publié en 1909 et qui compte moins que 400 pages en petit
format ; en réalité, le PD synthétise et parfois corrige ou retouche les mêmes défini-

tions des premiers cinq volumes du SW (1894–1907, mots de ab à oza). Le Diction-


naire de l’occitan médiéval (DOM), soutenu à partir de 1997 par la Bayerische Akade-
mie der Wissenschaften, développe un projet des années cinquante du siècle passé
qui remonte à Ernst Gamillscheg (1887–1971) et qui avait été ensuite transmis à son
élève Helmut Stimm (1917–1987). Allégée des préoccupations principalement étymo-
logiques de ce dernier, l’œuvre commença à voir le jour avec un premier fascicule
apparu en 1996, précédé d’une brève introduction par Wolf-Dieter Stempel, qui a
dirigé le DOM jusqu’en 2012, quand Maria Selig lui a succédé. Les fascicules, de
80 pages chacun, publiés de 1996 à 2013 sont au nombre de sept (avec en plus un

Supplément, avec bibliographie, abréviations etc., paru en 1997) et vont du mot a au


mot album. Pour des raisons financières, le DOM imprimé, sauf dans des cas particu-
liers (comme celui des prépositions), avait dû renoncer à documenter les citations,
c’est-à-dire à fournir les contextes des mots, en renvoyant de manière abrégée (avec
des sigles) seulement aux sources, divisées en trois sections : T = troubadours, L =

documents littéraires au sens large, D = documents juridiques (droit) ou commer-


ciaux. Les citations in extenso se trouvaient par contre sur le site internet, d’accès
libre.17 Le réseau a donc joué un rôle précieux, en venant secourir une œuvre conçue
avant l’arrivée des nouvelles technologies. D’autre part, ni l’une ni l’autre des deux
formes de réalisation n’a été jusqu’ici autonome parce que, si la version imprimée ne
fournissait pas les citations, dans la version en ligne il manquait les informations
étymologiques, les renvois à d’autres dictionnaires, les discussions sur le signifié
etc., donc des éléments inclus par contre pour les mots dans la version papier : une  

16 La pensée linguistique de Raynouard est toutefois plus complexe qu’elle ne paraisse immédiate-
ment, et certaines de ses idées étaient déjà diffusées et bien établies à l’époque : voir Lachin (2012).

17 www.dom.badw-muenchen.de. Le site est en ligne depuis 2001 ; les fascicules avec des citations

depuis 2005. En 2001 on annonçait sur la homepage un disque avec les citations (« Eine CD-ROM-

Fassung – mit Einbeziehung der Belegkontexte – ist in Planung ») : évidemment, un retard heureux a
   

permis de sauter cette étape qui serait maintenant jugée inutile et qui aurait lié l’ouvrage à une maison
d’édition commerciale et à un système de distribution (et il faut dire aussi que le logiciel d’un disque
n’est pas facile à mettre au jour), comme il est arrivé à la Com. L’accès à des pages remplacées et qui ne
sont plus disponibles en ligne est rendu possible grâce à la WaybackMachine d’Internet Archive
(archive.org).
188 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

complémentarité, donc, parfaite et réciproque. À la fin de 2013, c’est-à-dire au


moment d’écrire ces lignes, le DOM a subi une mutation finale, abandonnant défini-
tivement l’édition papier, et réunissant tous les matériels existants et qui seront
élaborés dans l’avenir sur un nouveau site avec une structuration plus complexe des
mots.18 Dans le cas de ce dictionnaire, donc, la ressource électronique en ligne, forte
de la possibilité de mises à jour continues, de corrections, d’un espace et d’une
portabilité sans limites, a battu en quelque sorte la version papier, comme l’on peut
le comprendre pour les dictionnaires, les encyclopédies, les bibliographies et les
répertoires de tout type. Le problème du DOM est celui de la lenteur de sa mise en
route : les concordances maintenant disponibles (en particulier celles de Ricketts, à

laquelle Stempel renvoie dans son introduction), se multiplieront sans doute dans
l’avenir, mais le projet ne peut compter que sur une équipe très réduite, composée
d’une directrice et de deux rédactrices seulement. L’on souhaite vivement que
l’œuvre soit tôt ou tard achevée, en suivant l’exemple des meilleurs dictionnaires des
anciennes langues romanes disponibles en ligne en ce moment, parmi lesquels il
faudrait mentionner pour la qualité des résultats le TLIO, Tesoro della lingua italiana
delle origini, dirigé jusqu’en 2013 par Pietro G. Beltrami,19 et l’AND, l’Anglo-Norman
Dictionary, dirigé par David Trotter,20 tous les deux d’accès libre et tous les deux en
voie d’achèvement. Le DEAF, Dictionnaire étymologique de l’ancien français, est en
train de subir une mutation génétique qui ressemble à celle qu’ont connue le DOM et
l’AND ; Thomas Städtler en dirige la version numérique.21

6.2 Autres projets sur les troubadours

En même temps que la Com 1 de Ricketts, une autre concordance sur CD-ROM est
apparue en 2001, des troubadours seulement, par les soins de Rocco Distilo, Troba-
dors, Concordanze della lirica trobadorica, avec une graphique plus captivante et avec

18 www.dom.badw.de. Le lecteur est avisé de cela dans un « Avis important » joint au dernier
   

fascicule.
19 tlio.ovi.cnr.it/TLIO/. Le site a été créé en 1997 et n’a pas de prédécesseurs papier, bien que les
origines du projet, financé par le CNR, remontent à 1965. Le TLIO s’accompagne du corpus textuel de
l’ancien italien (jusqu’à 1375, année de la mort de Boccaccio) de l’OVI (Opera del Vocabolario italiano),
lui aussi consultable en ligne (gattoweb.ovi.cnr.it).
20 www.anglo-norman.net. Le site, créé en 2001, hérite d’une édition imprimée des lettres A–E, qui a
subi une révision radicale, que le site incorpore et augmente. Comme dans le cas du Rialto, « the  

editorial staff of the project are able to compile, edit, revise and publish entries in final electronic form
without any dependence on technical staff or external agencies » (page « About this site »).
     

21 www.deaf-page.de/fr/. Le premier fascicule, édité par Kurt Baldinger et al., a été publié en 1971. Le

dictionnaire en ligne (DEAFÉl), dont l’édition complète est prévue pour l’année 2017, accompagne plus
qu’il ne remplace la publication imprimée et offre en outre une base complète des données lemmati-
sées (DEAFPré).
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 189

quelques fonctions de recherche plus développées ;22 par rapport à Com 2 le projet ne

put évidemment pas tenir compte des nouvelles éditions critiques reprises par Ric-
ketts en 2005, et préparées pour Com 3, ou parfois même disponibles à Ricketts avant
leur parution sous forme d’éditions publiées. Le CD-ROM avait été annoncé par un site
web, Trobvers, Lessico e concordanze della lirica trobadorica, toujours par Rocco
Distilo, qui porte la date « Messina, janvier 1999 ». À la date à laquelle nous avons
   

effectué la dernière consultation du site, il était inactif ou abandonné, peut-être parce


que le CD-ROM l’a remplacé ; et en tout cas l’accès même dans le passé n’était pas

gratuit mais exigeait par contre, comme l’on l’apprend d’une vieille page d’instruc-
tions concernant la consultation, le paiement d’un abonnement (encore exprimé en
lire italiennes) à une revue de l’Université de Rome La Sapienza.
Outre la BEdT, une autre bibliographie des troubadours en ligne et d’accès libre,
assez soignée pour certaines parties mais moins à jour pour d’autres, et elle-même
peut-être abandonnée aussi, s’appelle Les troubadours, Une bibliographie, réalisée à
Brigham Young University (Provo, Utah, USA).23 Le site n’indique ni le nom de
l’éditeur, ni la date de lancement.
L’on ajoutera aussi la bibliographie Trobar, d’accès libre, qui dans la page
d’accueil fournit le nom de la responsable, Kathryn Klingebiel, et l’année de création
du site, ou plus exactement de l’enregistrement des droits d’auteur, soit 1996.24 Il
s’agit en grande partie d’un moteur de recherche bibliographique accompagné par
des notices accessoires, intéressant pour sa complexité mais d’utilisation assez diffi-
cile, et pas tout à fait à jour.
Il y a, enfin, le site du Corpus des troubadours, également d’accès libre, produc-
tion de l’Institut d’estudis catalans et de l’Union académique internationale et lancé
en 2009 par Vicenç Beltran et Tomàs Martínez Romero.25 En fait, ce projet a des
origines lointaines, puisqu’il a été présenté en 1961, puis, au nom de l’Union acadé-
mique internationale, au IIIe Congrès international de langue et de littérature d’oc
(Bordeaux) par Ramon Aramon i Serra (1907–2000), projet auquel vint s’adjoindre
ensuite Aurelio Roncaglia (1917–2001). Le but de l’entreprise était de mettre au point
un corpus de textes des troubadours fiables (les ambitions d’Aramon incluaient aussi
la production épique, et s’intéressaient également à la musique et au décor iconogra-
phique des codices). De fait Roncaglia inaugura en 1973, avec l’édition de Guillaume
de Poitiers par Nicolò Pasero, une série intitulée, avec beaucoup de modestie, Sub-
sidia al Corpus des troubadours, qui reste à ce jour la plus importante collection
d’éditions critiques troubadouresques et constitue le seul résultat philologique
concret du projet initial. Roncaglia écrivait (Pasero 1973)26 que

22 trobvers.textus.org.
23 troubadours.byu.edu.
24 www.tempestsolutions.com/trobar.
25 trobadors.iec.cat.
26 La collection est publiée par la maison d’édition Mucchi, de Modena.
190 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

« è parso opportuno che la collaborazione italiana al Corpus […] venga ad esplicarsi anche, e

subito, nell’offerta d’una serie di contributi specifici : ovviamente non sostitutivi né concorrenzia-

li, ma preparatori e integrativi, nei quali possa liberamente esprimersi tutto quel lavoro di scavo
puntuale e di minuta discussione di cui il Corpus si limiterà ad accogliere (e s’intende : non senza

ulteriore controllo) i risultati finali » (Pasero 1973, xiii–xvi, xv).


De ces mots, il ressort que le Corpus aurait intégré le patrimoine textuel sous forme,
dont nous ignorons à quel point elle aurait été modeste, mais à coup sûr sobre. Le
Corpus des troubadours en ligne, outre qu’il chevauche en partie ce que fait le Rialto,
ne propose d’éditions révisées que dans quelques cas ; en revanche, il se caractérise

par sa volonté de rendre accessibles, en les disposant en fenêtres et en tracés hyper-


textuels, les volumes imprimés dans leur intégralité. On comprend que peu de
maisons d’édition et d’éditeurs scientifiques aient consenti à renoncer à leurs propres
droits d’auteur et cela explique pourquoi ne sont guère présents sur le site que des
éditions anciennes, qu’on pourrait probablement consulter plus facilement sur des
reproductions photographiques, lorsque celles-ci ne sont pas déjà disponibles,
comme celles que propose l’Internet Archive remarquable, Gallica et des sites similai-
res.27 Le Corpus en ligne soulève de toute façon des problèmes également théoriques
sur le sens et l’opportunité de la transposition pure et simple du livre dans le format
d’une page web. Dans ce qui suit, on dira comment le Rialto a fait face à cette
question.

7 Comparaison entre les éditions imprimées et


les éditions numériques
Dans les pages de présentation du site, on lit que

« [Le Rialto] ne se substitue, ni ne s’oppose, à la pratique traditionnelle de l’édition ‹ papier ›,


     

mais se veut plutôt complémentaire de celle-ci. Le web peut anticiper la publication (car, de tous
points de vue, y compris juridique, il s’agit d’une publication) d’éditions qui paraîtront sous
forme imprimée. En outre, ne connaissant pas de limites d’espace, une telle édition pourra
contenir une quantité de documentation qu’un livre ne pourrait proposer, mais à laquelle le livre
lui-même pourra renvoyer. Pour les éditions déjà parues, le Rialto permet aux éditeurs vivants de
mettre à jour ou, le cas échéant, de corriger leur texte, ou encore de répondre aux doutes et aux
objections soulevées (point n’est besoin de rappeler que la réimpression rapide d’une édition
critique est l’exception) ».

Nous avons déjà évoqué les possibilités infinies accordées par l’absence de limites
d’espace à propos de l’édition du Nouveau Testament de Lyon, ouvrage d’une grande

27 archive.org ; gallica.bnf.fr. En marge du site web, le Corpus a lancé une série d’études et d’éditions

intitulée « Corpus des troubadours » et publiée par les Edizioni del Galluzzo de Florence.
   
Le projet Rialto et l’édition des textes occitans médiévaux 191

taille qu’on aurait, nous l’avons vu, difficilement pu consulter aussi souvent en
empruntant les canaux traditionnels des publications « papier » (outre le temps
   

nécessaire pour la publication, les coûts auraient été très élevés et la circulation du
livre hypothétique aurait été très limitée). On ne peut qu’ajouter que le Rialto, à la
différence des maisons d’édition traditionnelles, en évitant d’imposer des limites
d’espace, admet en fait dans son site de nombreuses informations qui auraient
beaucoup plus de mal à trouver leur place sur le papier et qui seraient donc sacrifiées.
À la différence de l’imprimé, le Rialto permet de placer côte à côté des éditions
différentes de plusieurs éditeurs (comme dans le cas des fiches synoptiques d’Arnaut
Daniel), pour pouvoir confronter les différents choix opérés et bénéficier de plus de
textes critiques également fiables. En ligne, il est donc possible de lire Folquet de
Marselha dans les éditions de Stroński (1910) et de Squillacioti (1999), Rigaut de
Berbezilh dans celles de Braccini (1960) et de Varvaro (1960), Folquet de Lunel dans
les éditions de Bianchi (inédite) et de Tavani (2004), Marcabru dans les éditions de
Gaunt/Harvey/Paterson (2000) et dans celle, de huit compositions, de Roncaglia,
apparues en divers lieux entre 1950 et 1968, réunies ici pour la première fois et
annotées par Francesco Carapezza. À partir de la page consacrée à l’auteur, on peut
choisir dans quelle édition lire une composition donnée, et chaque page est reliée à
l’autre édition, de façon à rendre toujours aisée la comparaison des textes.
L’emploi du Rialto s’est avéré encore plus fructueux pour les éditeurs vivants, qui
ont pu revenir sur certains passages de leurs éditions déjà imprimées et les corriger.
Quiconque a publié une édition critique sait que le texte ou la traduction proposés ne
sont jamais définitifs, et qu’ils sont toujours susceptibles d’amélioration dans les
choix textuels ou l’interprétation. Ensuite, les comptes rendus attentifs qui suivent la
publication d’une édition mettent souvent en lumière de nouveaux problèmes ou
proposent des solutions différentes de celles qu’a choisies l’auteur. Plus souvent
encore, c’est l’auteur même de l’édition qui médite encore sur ce qu’il a écrit et ressent
le besoin d’améliorer son propre texte à la suite de nouvelles études. Le Rialto permet
aux éditeurs de revenir sur leur propre édition critique et de corriger le texte ou la
traduction, constituant ainsi dans certains cas le véritable lieu de référence pour
l’édition en question, qui va par conséquent remplacer, dans la limite des modifica-
tions introduites, l’édition papier. C’est le cas, parmi tant d’autres, de l’édition critique
de Peire d’Alvernhe, par Aniello Fratta, retouchée sur le Rialto à plusieurs endroits,
signalés en note, par rapport à l’édition imprimée de 1996 ; ou de celle de Folquet de

Lunel, par Giuseppe Tavani, publiée sur papier en 2004 et sur le Rialto trois ans après,
où l’éditeur revient sur le texte ou propose une interprétation différente par rapport à
celle qu’il avait offerte auparavant, discutant dans le domaine « Notes » des fiches
   

philologiques respectives relatives : l’édition de référence pour le troubadour de Lunel


est par conséquent aujourd’hui celle qui est publiée sur le Rialto.
Certains de ces aspects du Rialto, présents depuis ses débuts, concrétisent peut-
être déjà en partie quelques-uns des points sur lesquelles insistaient les concepteurs
du Corpus des troubadours, mais c’est grâce au recours, maintenant, à un instrument
192 Costanzo Di Girolamo et Oriana Scarpati

puissant et flexible, inimaginable il y a quelques années. Le but ultime de ce travail


informatique devrait être de fournir un jour le trésor intégral de la littérature en langue
d’oc, confié aux soins des nouvelles générations d’occitanistes, dans une forme
relativement synthétique en apparence, c’est-à-dire dans les pages standard, mais
avec la possibilité d’approfondir dans les pages qui sont derrière elles, et dans une
modalité de lecture qui s’éloigne de la nature statique du livre et qui peut s’enrichir à
chaque instant de révisions, de changements d’avis et de modifications, c’est-à-dire
de ce qui représente les opérations centrales dans tout processus scientifique.

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Andrea Bozzi
8 Entre texte et image : la méthode de Pise  

Abstract : Cette contribution décrit le modèle d’une application web pour la produc-
   

tion d’éditions critiques de documents numériques. Cette application se caractérise


par sa modularité, sa flexibilité ainsi que par l’utilisation d’outils standardisés pour le
balisage des textes et par sa nature open source pour le développement du logiciel.
L’application permet un travail collaboratif entre différents philologues qui opèrent
sur des archives numériques partagées sur le Web. Sont ici décrits en particulier les
modules pour la gestion de textes et d’images, pour l’indexation, pour la lemmatisa-
tion et pour la production de l’apparat des variantes. Du point de vue de la flexibilité,
nous décrivons les modalités grâce auxquelles la même application est en mesure
d’opérer pour la production d’éditions critiques de textes transmis par plusieurs
témoins et dans le secteur de la critique génétique.

Keywords : philologie computationnelle, édition critique numérique, analyse compa-


   

rée de textes et d’images

1 Introduction
Les techniques de traitement électronique des données textuelles développées à partir
de la seconde moitié du siècle dernier ont connu un essor croissant et ont obtenu un
consensus de la part d’un nombre de plus en plus élevé de spécialistes qui se sont
tournés vers elles pour obtenir des outils indispensables à leur travail critique. Il n’est
nullement besoin de rappeler que la nécessité de consulter des index et concordances
de corpus textuels s’est faite de plus en plus pressante, d’autant plus lorsque l’on a
découvert que l’outil informatique pouvait favoriser la rédaction de lexiques d’auteur
ou, plus encore, de vocabulaires historiques d’une langue et de ses variantes.1
Ces interventions technologiques dans le domaine des études linguistiques et
littéraires n’ont pas été accompagnées de développements comparables dans le
secteur de l’édition critique. Ceci malgré l’organisation, en 1968, d’un congrès, sans
conteste pionnier, qui affronta pour la première fois le thème des applications infor-
matiques à la critique du texte (Irigoin/Zarri 1979).
Il n’était en effet pas facile alors, et cela ne l’est toujours pas aujourd’hui, de
concevoir un automate en mesure d’effectuer la recensio et la collatio de manière

1 En ce qui concerne la langue italienne, voir Avalle (1979, 11–28). Ces initiatives dérivaient de
l’expérience positive du père jésuite R. Busa qui avait réalisé les premiers programmes d’élaboration
du texte avec des machines IBM pour des études lexicographiques sur le corpus de Saint Thomas
d’Aquin. Parmi les premières contributions concernant ce projet, voir Busa (1951, 479–493).
Entre texte et image : la méthode de Pise
  195

automatique ; ceci bien que quelques expériences très intéressantes aient été propo-

sées et documentées (Zarri 1968 ; 1969 ; 1977).


   

Ces expériences souffraient naturellement de l’inadéquation de l’outil informa-


tique qui, d’un côté avait la possibilité d’opérer rapidement sur de grandes quantités
de données et, de l’autre, imposait au philologue l’acquisition de compétences et
l’exécution d’opérations avec lesquelles il n’était pas familier et qu’il jugeait souvent
inutiles ou peu appropriées au travail d’édition. Il devait en effet savoir à l’avance
comment baliser le texte à enregistrer dans la mémoire de l’ordinateur afin de
récupérer ensuite les informations, de manière exhaustive et non ambigüe.2
Un programme de comparaison automatique entre les versions d’un même texte
transmis par plusieurs sources pour obtenir la liste des variantes sous forme de
tableau afin d’en faciliter la consultation et l’évaluation comportait nécessairement la
transcription complète de tous les témoins. Ceci impliquait naturellement un surplus
de travail par rapport aux modalités traditionnelles d’enregistrement manuel des
variantes dans un apparat critique.3
À ces aspects venaient s’ajouter ceux qui comportaient la transposition des
résultats produits par l’ordinateur dans un format d’impression adéquat à la publica-
tion d’une édition critique dans un volume papier, dans le respect des indications
fournies par l’éditeur.4

Les programmes réalisés alors avaient l’inconvénient d’être peu flexibles, de ne pas
disposer de standards partagés pour le codage des textes ; ils n’étaient donc pas

réutilisables dans des secteurs différents de ceux pour lesquels ils avaient été conçus.
Un système de critique textuelle assisté par ordinateur pour la philologie médiévale

2 Malgré la modernisation technologique, cette phase a maintenu sa fonction et nous pouvons dire
qu’elle est valable aujourd’hui encore, même si elle est à présent effectuée avec des moyens et des
outils beaucoup plus simples, surtout en ce qui concerne l’interface homme-machine et les standards
de balisage des composants du texte, partagés par de vastes communautés. Voir plus loin, à ce propos,
§ 6.

3 Outre ce qui a été réalisé par Zarri à la fin des années 1960, cette procédure est encore suivie de nos
jours, par exemple par le système Collate (voir http://collatex.sourceforge.net/), conçu par P. Robinson
et son équipe (Robinson 1994). Une nouvelle version du système, adoptée ensuite par Prue Shaw dans
l’édition électronique de la Monarchia (Shaw 2009), a été soumise à une analyse critique détaillée
(Chiesa 2007). Parmi les systèmes de comparaison automatique des différentes versions d’un même
texte, en particulier en ce qui concerne la critique génétique, voir aussi Ganascia/Fenoglio/Lebrave
(2004).
4 Parmi les systèmes de ce type, le plus connu et, certainement, l’un des premiers qui a dépassé la
phase du prototype et qui est en effet adopté, est le système TUSTEP (Tübinger System von Textverar-
beitungsprogrammen). Il a été réalisé par Wilhelm Ott au Zentrum für Datenverarbeitung de l’Univer-
sité de Tübingue. Ce système, qui a l’avantage d’offrir une édition prête à l’impression, les apparats et
les index en photocomposition, a été employé, entre autres, par Hans Walter Gabler pour l’édition de
l’Ulysse de Joyce (Gabler 1984) et par Heinrich Schepers pour l’édition de quelques œuvres de Leibniz
(Schepers 2003).
196 Andrea Bozzi

avec des fonctions plus poussées que celles, plus simples et très requises, d’élabora-
tion d’index et de concordances n’aurait pu être utilisé à d’autres fins (par exemple la
papyrologie grecque ou l’épigraphie latine) qu’au prix d’onéreuses interventions.
La technologie actuelle, les systèmes de développement d’application en mesure
d’opérer sur le Web et les standards internationaux pour le balisage de tous les
éléments qui caractérisent un texte ou le support matériel sur lequel il est conservé,
offrent des conditions favorables à la conception d’un système pour la philologie
assistée par ordinateur et à la préparation d’éditions en format électronique avec un
éventuel report sur papier du travail de critique éditoriale.5
Ces nouvelles conditions, qui sont également basées sur la disponibilité crois-
sante de documents manuscrits ou imprimés au format d’images numériques à haute
résolution,6 influencent les pratiques de critique éditoriale à tel point que certains
spécialistes ont parfois jugé bon de repenser le travail philologique et d’envisager une
décadence naturelle des éditions critiques. L’édition numérique est, de par sa nature,
mobile, indéterminée, jamais fixe et ceci a accru la valeur de la source documentaire.
L’attention s’est déplacée sur le document et l’on a célébré la variante comme antidote
au texte critique établi par un philologue. Ce texte a même été considéré comme un
artifice et a considérablement perdu de son autorité par rapport à celle que la critique
textuelle d’inspiration lachmannienne lui attribuait (Cerquiglini 1989).
Il est bon de souligner qu’une telle attitude n’est pas la conséquence directe du
fait que l’on dispose d’un outil technologique nouveau, mais bien d’une vision
méthodologique absolument indépendante de celui-ci. Le numérique, donc, n’a d’au-
tre responsabilité dans tout cela que celle d’avoir offert l’occasion propice de démon-
trer la facilité de mettre sur un site internet les images numériques de toute une
tradition manuscrite directe ou indirecte et, partant, de laisser à chacun la liberté
d’étude ou de travail éditorial. Il a déjà été fait remarquer qu’en poussant cette
attitude à l’extrême, on démolit la critique du texte et l’essence de la philologie : on  

méconnaît la valeur d’un texte établi au profit du texte des différentes sources qui le
transmettent.
À l’Istituto di Linguistica Computazionale du Conseil National des Recherches
(CNR italien), à Pise, un projet a vu le jour. Tout en reconnaissant les grandes
opportunités offertes par les développements du numérique, il n’entend pas délégiti-

5 Une édition au format électronique est considérée plus provisoire que celle produite au moyen
d’outils traditionnels et diffusée exclusivement sur support papier. Les deux modalités ne s’excluent
pas mutuellement, mais peuvent être considérées comme complémentaires : la première garantit des

modalités de mise à jour et de réédition beaucoup plus simples que si l’on s’en remet exclusivement à
la seconde.
6 De toutes les campagnes de numérisation, celle qui mérite une citation particulière est le grand
projet de la Bibliothèque Apostolique Vaticane qui procède à la conversion au format numérique de
quatre-vingt-mille manuscrits ; au terme de la conversion, l’archive pèsera quarante-trois « petabyte /
   

pétaoctet ».

Entre texte et image : la méthode de Pise
  197

mer le travail d’analyse ponctuelle et la comparaison des sources dans le but de


produire des éditions critiques accompagnées d’apparats de variantes. Durant ces
dernières années, en fait, le modèle pour le développement d’une application philolo-
gique appelée TS_app, acronyme de Textual Scholarship Application a été étudié.
TS_app est destinée à assister le processus de production d’éditions critiques, diplo-
matiques ou interprétatives ; cette application est constituée de plusieurs modules

logiciels qui interagissent dans une architecture à composants (modularité).


Le modèle a été étudié de manière à ce que la même application permette d’aider
plusieurs philologues qui opèrent en mode collaboratif (condivision).
Une troisième caractéristique concerne la pluralité des emplois : l’on veut en effet

qu’une application Web moderne et performante soit en mesure d’assister les person-
nes opérant sur des textes transmis par plusieurs sources, sur des documents uniques,
sur des manuscrits d’auteurs modernes et contemporains et, enfin, contribue à la
production de travaux de philologie du texte imprimé (flexibilité).
Le programme est ambitieux, mais le projet et, surtout, les outils de développe-
ment actuels, dotés de systèmes de codage et de balisage adéquats et standardisés, en
favorisent la réalisation (standardisation).
La condition indispensable à la réalisation des phases de vérification, même de la
part d’utilisateurs n’ayant pas contribué au développement du projet, consiste en un
principe méthodologique supplémentaire auquel nous nous sommes conformés :  

aucun outil soumis aux contraintes du copyright n’a été utilisé ; nous nous en sommes

tenus aux critères de l’open source.


En résumé, le projet est basé sur un modèle de développement fondé sur cinq
principes : modularité, fonction collaborative, flexibilité, usage de systèmes de bali-

sage et de langages standards, outils de développement open source.


De ce fait, et grâce à la continuelle évolution de la technologie liée au Web, une
batterie d’outils d’élaboration voit le jour ; nous pourrions la définir par le terme

d’infrastructure technologique pour les humanités numériques. La composante repré-


sentée par les programmes d’analyse philologique et de critique textuelle assistée par
ordinateur n’en représente qu’une partie.7
En somme, dans cette optique, des composantes de type linguistique computa-
tionnel de traitement automatique de la langue (TAL) s’insèrent dans la conception de
l’infrastructure. Ceux-ci sont parfois partie intégrante des activités d’étude de type
philologique de la part d’usagers spécialisés, auxquels, du reste, ce travail est dédié.
Comme nous le verrons par la suite, la reconnaissance de structures syntaxiques
particulières présentes dans le texte ou le repérage de citations qui se présentent
comme des phénomènes intéressants d’intertextualité sont en fait essentiels et font,

7 Pour obtenir une application flexible et réutilisable pour une grande variété d’études de caractère
philologique, l’architecture générale est fondée sur le modèle bien connu Model-View-Controller
(MVC), qui sépare la représentation des données de la manière dont ils sont présentés (« rendering ») et
   

traités (« management »). Voir, par exemple, le manuel technique dans Pitt (2012).
   
198 Andrea Bozzi

depuis un certain temps, l’objet de travaux spécialisés dans le secteur du TAL. S’il est
vrai que de nombreux travaux ont atteint des résultats excellents dans le traitement
automatique des langues modernes, il n’est absolument pas exclu que ces mêmes
programmes, dont les meilleurs sont pour ainsi dire indépendants des langues, puis-
sent être appliqués avec succès sur des textes rédigés en langues anciennes. Par
cohérence avec le thème traité, ces aspects ne seront ici qu’évoqués et non pas
analysés en profondeur, bien qu’il existe des expériences très intéressantes du point
de vue quantitatif et qualitatif.

2 Les modules : fonctions et relations réciproques


L’architecture et la structure technique prévoient l’enchaînement de différents modu-


les, chacun accomplissant une tâche spécifique. Selon ce principe, les modules
s’activent selon les objectifs qu’un projet veut atteindre ; s’il est nécessaire, le système

général est prédisposé pour en accueillir et en rendre opérationnels de nouveaux


modules non prévus au départ. Il s’agit donc d’un environnement polyvalent et
polyfonctionnel dont la structure de base est prédisposée à l’accueil d’autres pro-
grammes tels que, par exemple, des analyseurs morphologiques pour l’attribution des
catégories flexionnelles (part of speech tagging), des lemmatiseurs pour l’attribution
des lemmes auxquelles les formes fléchies se rattachent, des outils de reconnaissance
automatique d’entités nommées (named entities recognition), des extracteurs de
connaissance sémantique (text mining engine) de type générique ou se référant à des
domaines particuliers (ontological structure), jusqu’aux programmes expérimentaux
de reconnaissance de phénomènes intertextuels (text re-use).
Dans cet article, l’on décrit les principales composantes technologiques qui
entrent en jeu pour la production d’éditions critiques avec des apparats de variantes
et des notes critiques ; le système, dans son ensemble, conjugue des expériences et

des méthodes provenant de la linguistique computationnelle ainsi que du secteur


plus récent de la philologie des documents numériques assistée par ordinateur.8

3 Composantes du module pour l’apparat critique


Les principales composantes du module pour l’apparat critique sont au nombre de
six : –composante de gestion et de traitement des images numériques des sources

recueillies et analysées ; – module de mise au point pour la transcription (ou l’impor-


8 La première expérience de station de travail philologique assistée par ordinateur à l’ILC a été réalisée
dans le cadre du projet européen BAMBI (Bozzi 1997). De plus amples informations méthodologiques
se trouvent dans Bozzi (2003a). Pour la description d’une application pour la philologie classique et,
en particulier, pour la papyrologie grecque, voir Bozzi (2003b).
Entre texte et image : la méthode de Pise
  199

tation) du texte de la source la plus fiable du point de vue ecdotique ; – composante  

d’enregistrement des variantes dans une base de données ; – composante pour  

l’insertion d’annotations non structurées ; – composante pour l’insertion d’annota-


tions structurées et selon une classification ontologique déterminée par le philologue.


Comme nous le verrons, les sous-ensembles sont étudiés afin de pouvoir opérer
indépendamment les uns des autres, ou bien de collaborer afin que les actions
accomplies sur l’un deux aient, le cas échéant, des répercussions aussi sur les autres.

4 Traitement des images et traitement intégré


texte/image
Le premier sous-système offre la possibilité de consulter au fur et à mesure le texte
transmis par les sources, en parcourant le catalogue des images et en les affichant sur
l’écran.9 Cette phase simule la phase traditionnelle de lecture du texte faite directe-
ment sur des originaux ou sur des reproductions photographiques (imprimés/tirages,
microfilms, CD). Cependant, l’application TS_app peut travailler également en l’ab-
sence d’images numériques, c’est-à-dire qu’elle a la capacité d’élaborer des archives
textuelles sans images. Il est indispensable qu’une telle infrastructure de recherche
philologique soit organisée sous forme modulaire dans laquelle le module graphique
de manipulation des images ne représente qu’une des fonctions disponibles. Si
l’archive des données ne contient pas d’images ou si l’usager ne juge pas nécessaire
de s’en servir, ce module restera inactif sans pour autant inhiber la fonction des autres
modules. Si, par contre, les images existent et ont été chargées dans l’application, des
fonctions spécifiques telles que les agrandissements, la variation de la luminosité, du
contraste, des niveaux de clair-obscur ou de chromatisme, etc. seront disponibles. La
lecture du texte qui y est contenu en sera ainsi facilitée.
La gestion des images numériques de la part du spécialiste qui s’apprête à
produire une édition critique est également avantageuse parce qu’elle offre des
possibilités d’analyse du document que la consultation des originaux ou de copies

9 Aucune indication n’est ici fournie à propos de la résolution que les images, surtout celles concer-
nant les sources manuscrites anciennes, doivent avoir pour pouvoir être utilisées par un système
informatique en mesure d’effectuer des opérations simples (luminosité, contraste, niveau chroma-
tique) ou plus complexes (segmentation des zones-mot, repérage et numérotage des colonnes, lignes
et zones-mot). En fait, les paramètres peuvent varier en fonction de l’état de conservation de l’objet, de
la grandeur des caractères, du type de graphie utilisée ou du trait avec lequel ils ont été écrits. Nous
pouvons toutefois dire, qu’en principe, un bon compromis entre qualité et quantité de « byte » est    

atteint lorsqu’un caractère alphabétique manuscrit (par exemple, l’image de la lettre « m ») se trouve
   

inscrit dans un rectangle composé de 40 × 30 « pixel » (c’est-à-dire, de points image), où chaque pixel
     

est constitué d’au moins 8 bit, ce qui signifie une profondeur maximum de 256 couleurs ou niveaux de
gris.
200 Andrea Bozzi

analogiques ne permet pas. Je me réfère ici à la possibilité d’obtenir, dans certaines


conditions, la segmentation automatique de toutes les portions des images qui
correspondent à chaque parole. Un programme expérimental off line ayant cette
fonction a été réalisé il y a quelques années. En analysant l’histogramme avec la
distribution des points-image (pixel), ce programme reconnaît, outre les marges, les
éventuelles colonnes et les lignes d’écriture, qui sont toutes deux numérotées, ainsi
queles portions internes aux lignes où sont inscrits les mots. Grâce à ce procédé, en
activant une commande et de façon automatique, le texte que le philologue transcrit
(ou a transcrit précédemment) est relié aux images numériques de chaque mot. En
fait, le protocole segmente virtuellement l’image numérique de la feuille manuscrite
et la transforme en une mosaïque dans laquelle les tesselles sont constituées par les
images des mots.
Une telle concordance a été réalisée afin d’évaluer sa capacité à rendre plus facile
et sûr le repérage des lectures trompeuses en mettant à la disposition du philologue la
liste des mots attestés une seule fois. Celui-ci, en consultant des contextes ou des
images, a des éléments concrets de comparaison lui permettant de choisir des lectures
alternatives ou de confirmer celles qui ont été faites. Ce programme expérimental
dans un environnement off-line n’a pas encore été converti en une composante de
TS_app étant donné que le traitement des images de sources manuscrites anciennes,
qui vise à l’obtention des résultats indiqués, nécessite un gros effort de développe-
ment et des temps de réalisation très longs, si l’on désire dépasser la phase prototy-
pique qui a été expérimentée.10
Les possibilités offertes par la technologie informatique sont en fait limitées par
les cas où les manuscrits sont, par exemple, rédigés en scriptio continua ou présentent
de graves dommages du support matériel. Le système ne parvient alors pas à recon-
naître les valeurs de clair-obscur correspondant aux bords des différents mots et,
donc, à en consigner les coordonnées spatiales dans une base de données. Par
conséquent, les résultats produits ont été faibles et requièrent l’usage de techniques
plus sophistiquées avec, éventuellement, l’utilisation de systèmes de calcul plus
puissants (calcul parallèle, systèmes neuraux, etc.).
Il est donc apparu opportun d’étudier et de réaliser une solution alternative plus
simple visant à fournir un résultat moindre, mais utile. Il s’agit de rendre disponible
un système de sélection manuelle de zones de l’image, de grandeur variable selon les
besoins spécifiques, auxquelles soient associables des annotations et des commentai-
res tels que, par exemple, la description des raisons qui rendent incertaines la lecture
et l’interprétation du texte manuscrit. Ces notes se révèleront utiles et facilement

10 Il n’en a pas été de même concernant les textes anciens imprimés pour lesquels le programme de
segmentation automatique des images de différentes éditions des XVIe et XVIIe siècles du Contradicen-
tium medicorum de Gerolamo Cardano a donné, par contre, d’excellents résultats (Baldi 2006).
Entre texte et image : la méthode de Pise
  201

accessibles surtout lorsqu’il faudra prendre des décisions pour établir le texte et
enregistrer les informations dans l’apparat critique.11
Le même instrument de sélection qui permet de mettre en évidence une zone de
l’image où un mot est inscrit est également valable au cas où l’on veuille opérer sur
des parties plus vastes comme, par exemple, une portion entière de texte ayant des
caractéristiques de forme ou de contenu dignes d’être mises en valeur ou signalées
(une seconde main, une probable interpolation, etc.). Conformément au principe de
modularité qui sous-tend tout le système, cette même fonction du module d’apparat
(la sélection de zones sur l’image numérique) est également utilisable pour toutes les
autres images des documents collationnés, à condition, naturellement, qu’ils soient
disponibles dans un format numérique.
Celle-ci peut également être activée, selon le même principe, pour mettre en
évidence des parties du texte transcrit ou des mots isolés : d’un côté, comme nous le

verrons en détail dans le paragraphe suivant, la sélection sert à délimiter manuelle-


ment les contextes lorsque les règles de contextualisation automatique ne répondent
pas aux exigences de la recherche ; de l’autre, elle permet d’annoter des termes qui

prennent des valeurs sémantiques particulières dans un contexte donné, qui appar-
tiennent à des langages spécialisés, qui sont des hapax, ou d’autres phénomènes
semblables.

5 Transcription et traitement du texte transcrit


Le standard. Tout d’abord, TS_app utilise le langage XML et, dans le cas du balisage
du texte et des attributs qui lui sont rattachés, la version XML de la Text Encoding
Initiative (TEI), un standard partagé au niveau international dans le domaine du
traitement de texte et des archives textuelles numérisées. Ce choix est désormais
pratiquement obligatoire étant donné que la valeur des codes utilisés est univoque et
connue du fait qu’elle est décrite dans des directives facilement accessibles sur la
toile.12 Les normes décrites sont certes exhaustives, mais il est nécessaire d’établir à
l’avance quels éléments du texte méritent d’être codés afin de ne pas alourdir le
travail préparatoire au chargement du document numérique. Comme il est fréquent
dans ce domaine des études et de la mise à jour des techniques de mémorisation des
données, il s’agit d’établir un compromis raisonnable entre les résultats attendus (et,
donc, du nombre plus ou moins grands d’éléments du texte à coder) et les ressources
investies en termes de temps et de coût. Par exemple : la machine ne sera en mesure

11 Un exemple qui confirme la validité du rapport entre texte et image dans un système computation-
nel pour les études du texte est fourni dans Corradini (2007).
12 Le manuel complet est téléchargeable gratuitement à l’adresse : http://www.tei-c.org/Guidelines.

202 Andrea Bozzi

d’effectuer l’index des mots d’une citation que si un codage adéquat, inclus dans les
directives de la TEI, est inséré au début et à la fin de cette citation.13
Un point qui est considéré incontournable dans le développement de notre
système consiste à mettre à la disposition de l’usager final une interface qui facilite le
choix des balises et les opérations de balisage. Il est impensable que la personne
devant affronter des problèmes éditoriaux parfois très complexes doive porter son
attention ailleurs afin d’accéder à des catalogues de symboles de balisage et choisir
les plus adaptés à chaque situation. Tout en réaffirmant que la machine ne pourra
fournir de résultats importants que si elle dispose de parties codées convenablement
et de façon homogène, j’insiste sur le fait qu’il est toutefois indispensable que le
philologue utilise une méthode simple et intuitive grâce à laquelle il pourra sélection-
ner sur un menu, au fur et à mesure, les mots (si possible clairs et exprimés sous forme
de catalogue) à chacun desquels correspond un code que le système insérera dans la
version numérique du texte.
Il faut dire, en effet, qu’il existe des centres très actifs dans le domaine de la
numérisation des textes et de la production de systèmes d’élaboration linguistique
qui, en partie pour les raisons précédemment exposées, ne suivent pas les indications
de la TEI mais utilisent plutôt des systèmes de balisage plus simples et orientés à
l’usager final. Quoi qu’il en soit, le respect du standard est garanti car on peut, à
n’importe quel moment, créer des tableaux de correspondance entre les valeurs
exprimées par le balisage simplifié et celles imposées par la TEI. L’élément important
reste le respect d’un critère qui, une fois établi, doit être suivi de façon rigide et
univoque, afin que les données d’un usager puissent être pleinement interprétées et
même réutilisées par une communauté de plus en plus nombreuse d’usagers qui a
choisi d’adhérer au standard TEI.

13 Le thème de la reconnaissance de phénomènes intertextuels ou de citations explicites ou implicites


est très actuel et, surtout pour les textes d’époque récente, il coïncide avec celui du plagiat. Du point de
vue informatique, il existe de plus en plus de programmes qui analysent le text re-use grâce à des
algorithmes statistiques qui analysent les contextes trouvés dans une œuvre et les confrontent à un
vaste corpus textuel afin de mettre en évidence les similitudes qui dépassent un certain seuil. La
machine est en mesure de présenter au philologue les passages qui pourraient avoir une relation
directe avec des passages analogues, du point de vue de la forme et du contenu et qui, sans arriver à les
définir comme des preuves de plagiat, aident à trouver des phénomènes d’intertextualité. Dans ce cas,
sans aucune intervention humaine, le système computationnel introduit dans le texte étudié les balises
qui délimitent les parties concernant le phénomène et leur associe l’information de la source avec
laquelle ces parties semblent avoir de solides éléments en commun, non seulement en terme de
« signifiant », mais surtout de « signifié ». À cette technique, on préfère cependant une intervention
       

directe du spécialiste si, dans une citation, le nom de l’auteur et, éventuellement, le titre de l’œuvre
citée sont indiqués de façon explicite.
Entre texte et image : la méthode de Pise
  203

6 Le pre-processing (prétraitement)
Bien que des manuels de codage valables soient à présent disponibles, il est bon de
décrire ici tout au moins les catégories principales des éléments à évaluer en phase de
prétraitement afin de procéder, en toute connaissance de cause, à la phase successive
de codage, indépendamment du système que l’on veut adopter (TEI ou autre).
Le classement qui est ici proposé a pour seul but de rendre plus explicite le
rapport existant entre les éléments structuraux du texte et les résultats obtenus d’un
système logiciel grâce au codage associé à chacun des éléments de la structure. Ceci
signifie que l’on peut reconnaître à un mot quelconque des statuts ou des niveaux
différents selon qu’il soit partie intégrante du texte composé par son auteur, connu ou
inconnu, ou qu’il fasse partie d’un titre ou du texte d’une œuvre citée, qu’il soit inséré
dans une note en marge ou dans une glose, ou encore qu’il soit présent dans la
légende d’une illustration. Il en est de même pour les composants numériques qui ont
une valeur de date, de numérotation de feuillet d’un manuscrit ou de page d’un
volume imprimé, de chiffre qui exprime une mesure, etc.
TS_app renferme trois types d’éléments, chacun représenté par un certain nombre
d’entités. La première classe regroupe les composantes extra-textuelles desquelles
font partie, par exemple, la numérotation des pages (ou des feuillets) et le texte
présent dans d’éventuels titres courants ; la seconde est constituée par les éléments

para-textuels (note en marge, glose), tandis que la troisième se réfère au texte


proprement dit. Les éléments de balisage qui distinguent convenablement les unités
selon leur classe d’appartenance permettent au programme d’élaboration de fournir
des résultats sélectionnés. Il en découle, par exemple, que l’on pourra, le cas échéant,
avoir un index alphabétique spécifique des seuls termes présents dans les citations.
Il est selon nous arbitraire d’imposer une liste d’éléments pour chaque classe, car
elle pourrait être subjective : ce qui, pour certains, est considéré un élément para-

textuel, étant donné les caractéristiques de la source, du texte dans lequel il est
contenu et des finalités de l’étude critique pourrait être, pour d’autres ayant une
perspective d’analyse différente, considéré à plus forte raison un élément extra-
textuel. Par conséquent, nous ébauchons actuellement le projet des phases de pré-
traitement sur la base d’une classification établie à priori uniquement en ce qui
concerne les trois classes fondamentales citées ; nous laisserons en revanche à

l’usager final le soin de remplir chacune d’elles avec les éléments désirés. Il sera bien
conscient que seule cette classification et le codage qui s’en suit pourront permettre à
la machine d’opérer de manière sélective.14

14 La liberté de choix et d’action que TS_app entend laisser au philologue est la raison qui nous a
poussé à ne pas imposer le système de codage TEI lequel, de surcroît, implique un important surplus
de travail. Nous avons préféré fournir une liste générale de situations exprimées en langage naturel et
sous forme de catalogue dans lequel le philologue ne sélectionnera que ce qu’il juge utile d’adopter. À
chaque élément de la liste correspond un codage TS_app auquel, à son tour, est associé le codage TEI
204 Andrea Bozzi

7 La contextualisation manuelle
Les modalités de balisage des contextes que le système informatique devra montrer
au philologue et qui sont, en principe, produits automatiquement en utilisant la
ponctuation comme élément de délimitation mérite une réflexion particulière.
Le système mis au point par l’ILC, outre la contextualisation réalisée de manière
totalement automatique, prend aussi en considération un aspect souvent négligé et
qui mérite pourtant une attention toute particulière. Il s’agit, par exemple, de projets
d’étude lexicographique comparative sur des textes anciens et leurs traductions
anciennes. La même technique manuelle est justifiée lorsqu’on veut comparer des
sources dont une peut présenter d’éventuelles parties interpolées.15
Ce composant additionnel consiste en un système de balisage manuel des contex-
tes qui, d’un coté, évite l’arbitraire de la délimitation effectuée par un logiciel ; et, de  

l’autre, a l’avantage de montrer des péricopes définies par une personne qui a été en
mesure d’en évaluer le sens. À nouveau, l’application se distingue des pratiques très
largement répandues de génération automatique des concordances contextuelles qui
ne tiennent pas suffisamment compte de la nécessité fréquente de couper les contex-
tes « à la main ». Déléguer cette opération à la machine pourrait empêcher d’avoir une
   

vision correcte du rôle qu’une expression linguistique joue là où elle est insérée. Ceci
vaut en particulier pour des ouvrages de nature technique (médico-pharmaceutique,
mathématique, astrologique/astronomique, etc.), copiés et/ou traduits dans un envi-
ronnement très différent de celui dans lequel ils ont été conçus et ensuite transmis au
cours des siècles. C’est la raison pour laquelle, comme nous l’avons déjà observé,
TS_app met à disposition une fonction grâce à laquelle la responsabilité de la
délimitation des contextes parallèles et, donc, de leur alignement, repose totalement
sur le philologue qui se propose de les interpréter.16

correspondant, afin de garantir le respect de ce standard reconnu et donc l’interopérabilité avec toutes
les données qui l’adoptent. L’interface doit simplifier au maximum la sélection des éléments du
catalogue, même pour les usagers n’ayant pas d’expérience dans l’utilisation des outils informatiques.
Le prix à payer pour offrir cette liberté au philologue pourra être une équivalence non proprement
parfaite entre certaines fonctions exprimées par le système de codage TS_app et les codes TEI
correspondants. Nous pensons toutefois qu’une amélioration de ce résultat pourra être obtenue
graduellement ; nous considérons, pour l’instant, prioritaire l’exigence d’autonomie et la facilité

d’usage.
15 L’outil de contextualisation manuelle de TS_app trouve aussi un usage potentiel dans la critique
génétique. Voir plus loin § 13. Dans cet article, les portions de texte découpées manuellement, selon

des principes sémantiques et interprétatifs, sont définies comme des « péricopes », tandis que celles
   

produites par un programme, sur la base de critères purement mécaniques (ponctuation, nombre de
mots) sont définis comme des « contextes ».
   

16 Pour un exemple de travail accompli à l’aide d’un système pour la génération automatique des
index, mais avec une délimitation manuelle des contextes en concordances, Corradini (1982).
Entre texte et image : la méthode de Pise
  205

8 L’apparat critique
Si la lecture des sources comporte la découverte des variantes par rapport au texte
choisi comme base de collation, le système ouvre une zone de l’environnement de
travail dans laquelle se trouvent autant de champs-variante que de témoins collation-
nés. L’ensemble de ces champs prend la forme d’un apparat global et dans lequel se
trouvera aussi un champ dans lequel l’éditeur peut inscrire ses propres choix. Il a
ainsi à sa disposition un outil nécessaire à la composition d’un apparat positif dans
lequel englober toutes les leçons des témoins, y compris celles qu’il a adoptées dans
le texte critique.
Donc, même de ce point de vue, l’application qui assiste l’éditeur durant la
production d’une édition critique simule la procédure traditionnelle. L’éditeur est
naturellement libre de ne pas tenir compte des leçons banales, non essentielles (par
exemple, les variantes orthographiques), inutilisables pour démontrer les relations
entre les témoins, leçons qu’il n’insèrera donc pas dans l’apparat. Il est toutefois
conseillé, tout au moins durant les phases initiales du travail, d’enregistrer fidèlement
tout type de divergence, aussi bien les erreurs qui pourraient contribuer à déterminer
le stemma codicum (comme, par exemple, les erreurs de transcription telles que
l’haplographie, l’homéotéleute, la dictographie, etc.) que les leçons qu’on jugera
opportun d’éliminer par la suite, comme les erreurs serviles des scribes, qui sont
inutiles même comme indices de d’usages d’écriture particuliers. Afin de faciliter la
tâche de l’éditeur dans cette opération, l’interface de l’environnement de travail met à
disposition une section pour associer d’éventuelles annotations à chaque variante de
l’apparat. Un système adéquat d’indexation de ces annotations permettra, par exem-
ple, de retrouver avec facilité toutes les leçons considérées comme des erreurs bana-
les, de les évaluer globalement et de les éliminer à bon escient (voir le paragraphe
suivant).
Etant donné que chaque leçon insérée dans l’apparat pourrait déjà avoir fait
l’objet d’analyse dans des éditions précédentes ou dans des études critiques spécifi-
ques, un espace est également prévu pour insérer des informations bibliographiques
ou une adresse web où auraient été trouvées des informations dignes d’intérêt.
Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, un moteur pour l’indexa-
tion est toujours disponible. Il s’active, sur indication de l’éditeur critique, sur les
sections qui sont, au fur et à mesure, objet d’étude et d’évaluation. Il produira donc
les index alphabétiques des leçons du texte critique, des variantes de chaque témoin
et il est en mesure de relier les unes (les leçons du texte critique) aux autres (les
variantes) et vice versa.
La prédisposition d’un apparat positif présente une série d’informations qui
peuvent être élaborées par le système informatique et offrir certains avantages pour
l’éditeur qui, nous le rappelons, s’est consacré à la transcription du texte de la seule
source jugée « la meilleure » selon des évaluations internes et externes. À la différence
   

des autres programmes d’édition critique assistée par ordinateur, cette application,
206 Andrea Bozzi

au lieu d’obliger l’usager à produire la transcription de toutes les sources recueillies et


dignes d’être collationnées, impose la transcription d’un seul témoin mais est en
mesure de générer automatiquement le texte transmis par les autres.
En utilisant les parties du texte transcrit auxquelles ne sont pas associées de
variantes et en les intégrant, au fur et à mesure, avec celles qui sont attestées dans les
autres sources et que le programme retrouve dans les champs de l’apparat, il peut
reconstruire le texte de tous les témoins. Bien qu’il puisse exister des situations dans
lesquelles une telle procédure pourrait ne pas être pleinement justifiable,17 dans
d’autres cas, en revanche, il pourrait y avoir des conditions de lecture séquentielle de
sources jugées non fiables ou peu fiables à priori et qui, revues dans leur intégralité,
font repenser, du moins en partie, aux raisons sur lesquels les doutes étaient fondés.
Il est évident, par exemple, que le moteur de recherche qui opère sur le texte de
chaque témoin généré automatiquement peut mieux mettre en lumière des caractéris-
tiques grapho-phonétiques ou des indicateurs linguistiques moins évidents s’ils sont
relevés isolément sur l’apparat critique.
De plus, ce modus operandi satisfait une nouvelle exigence née au moment où
s’affirme la culture du numérique. Le texte prend en effet de plus en plus une
dimension mobile, dépourvu de cette rigidité que le support papier lui impose, au
moins pour un certain laps de temps, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il soit réédité et
réimprimé. Le fait qu’on puisse le générer à l’aide d’un logiciel ne change pas, dans le
fond, l’activité de la personne qui s’est engagée à en étudier l’histoire, la tradition et à
en proposer une version probablement identique ou proche de celle composée par son
auteur et dont l’original a été perdu. Ce qui, en revanche, change de plus en plus c’est
la possibilité d’exploiter la condition « numérique » que le texte a acquis de par la
   

conversion dans un format calculable pour produire des outils d’analyse utiles du
point de vue quantitatif : ils tendent donc à réduire le caractère aléatoire d’une

décision (la divinatio de lachmannienne mémoire) afin que prédominent les données
objectives.
L’on pourrait observer qu’un philologue expert n’a pas besoin de données consi-
dérables du point de vue numérique pour prendre ses décisions : peu d’éléments  

fondamentaux fiables lui suffisent pour scinder les sources à collationner de celles à
rejeter ou à ne considérer que partiellement. Qu’il ait ou non envisagé mentalement
un stemma, les outils d’évaluation qu’un ordinateur lui offre pourraient se révéler très
utiles, surtout si cela ne comporte aucun supplément de travail et de temps. La
fonction de génération du texte de chaque témoin à partir des informations d’apparat
peut naturellement être également activée pour assembler les choix éditoriaux aux
leçons des autres témoins admises par l’éditeur. Le résultat qui en dérive est le texte

17 Il s’agit de phénomènes tels que, par exemple, la présence de sources contaminées qui mènent
parfois à des traditions textuelles très complexes. Il en résulte une grande difficulté à reconstruire
dynamiquement le texte de tous les témoins collationnés sur la base d’un unique texte, en utilisant les
fonctions du logiciel précédemment décrit.
Entre texte et image : la méthode de Pise
  207

établi qui pourra être chargé sur un serveur relié à Internet, mais aussi être imprimé
pour en constituer un volume papier.

9 Insertion des annotations non structurées


Le troisième élément se présente comme une option qui peut être aisément sélection-
née sur l’interface graphique du logiciel ; elle permet de sélectionner une partie du

texte ou de l’image afin que l’on puisse y associer une annotation. Les informations
sont enregistrées dans une base de données et constituent un matériel précieux
surtout pour d’autres spécialistes si le travail est effectué sous forme collaborative.
Toutefois, il est bon de souligner le fait que les annotations desquelles nous parlons
ici sont exprimées sous forme non structurée mais bien discursive. Elles se présentent
comme de courts essais monographiques sur une expression, un mot, une variante,
un usage particulier et insolite d’un terme par rapport à l’usage le plus connu. Le texte
de ces brefs commentaires joue principalement le rôle de note provisoire, pas néces-
sairement destinée à la publication sur le site où l’édition critique sera disponible ou
sur sa version imprimée. Si le système est utilisé par une communauté d’experts pour
un travail collaboratif, les annotations en question servent à partager des aspects et
des problèmes rencontrés par chacun afin que d’autres puissent en profiter.

10 Classement des annotations


TS_app a prévu également une possibilité supplémentaire de navigation à travers les
données textuelles en utilisant comme clé d’accès un classement des annotations.
Offrir au spécialiste la possibilité d’organiser ses commentaires et annotations selon
une typologie représentée par des mots-clés (une sorte de catalogue par sujet) consti-
tue un avantage considérable notamment dans la phase de recherche d’information
(information retrieval). Cet instrument, qui est naturellement facultatif et n’est utilisé
qu’en cas de besoin, permet de formuler aisément une requête concernant la visuali-
sation de toutes les parties du texte auxquelles le spécialiste a attribué le même type
d’annotation et qui possèdent donc, de toute évidence, des traits communs (par
exemple, comme nous l’avons déjà mentionné, toutes les leçons d’une source que l’on
considère des erreurs banales ou bien toutes les parties qui présentent des caractéris-
tiques grapho-phonétiques particulièrement significatives, etc.).
La réalisation de cette procédure n’est pas compliquée du point de vue technique
et ne comporte pas de surplus de travail et de temps pour l’utilisateur. Celui-ci pourra
en effet insérer dans un menu déroulant une série de mots-clés ou de sujets qui lui
serviront à classer l’annotation qu’il jugera opportun d’introduire au cours de son
travail. L’opération d’insertion des mots-clés est continue : la liste peut donc être mise

à jour à n’importe quel moment, elle peut être partagée avec d’autres spécialistes qui
208 Andrea Bozzi

opèrent dans le cadre du même projet éditorial ou, au contraire, être réservée à l’usage
exclusif de l’expert qui l’a composée. Il est donc évident que, pour cette raison
également, on a volontairement évité d’imposer un classement établi à priori, pré-
férant, au contraire, laisser à l’usager le choix d’un nombre illimité de termes à utiliser
comme mots-clés.
Le résultat fourni par le système en réponse à une requête spécifique (par
exemple : montre tous les passages annotés comme « interpolation possible ») per-
     

mettra d’avoir une vision synoptique de l’ensemble des passages (contextes) annotés
avec cette typologie. Le spécialiste dispose de données plus nombreuses et mieux
sélectionnées afin de confirmer ou modifier ses observations de manière plus appro-
priée aux textes analysés.
En d’autres termes, et pour résumer ce qui a été dit à ce propos, l’application
propose deux méthodes différentes pour l’insertion des annotations : une forme libre

et une forme contrôlée. L’annotation libre comporte la sélection d’une phrase entière
ou d’une portion de phrase (et, si nécessaire, d’un seul mot) et l’ouverture d’une zone
de l’interface dans laquelle insérer les observations sous forme non structurée et sans
limites d’espace. En revanche, l’annotation contrôlée permet d’offrir au spécialiste la
possibilité de dresser une liste de typologies de classes de jugement. Insérées dans un
menu, il pourra ensuite les utiliser à chaque fois qu’il souhaitera marquer une
expression particulièrement significative et digne d’être reliée et comparée à toutes
celles qui ont été classées de la même manière. TS_app n’offre donc pas seulement
des index de mots présents dans le texte, avec une éventuelle visualisation des
correspondances sur les images (concordance texte-image), mais il présente aussi
automatiquement tous les contextes annotés de la même façon.18

11 Classification ontologique des annotations


Dans les deux sections précédentes, nous avons décrit deux différentes méthodes
d’insertion des commentaires et des notes de type critique textuelle, en particulier en
ce qui concerne les informations enregistrées dans l’apparat. Une troisième méthode
a été prévue pour permettre au spécialiste d’organiser sémantiquement les contenus
du texte qui, à son avis, méritent d’être mis en lumière, soit parce qu’ils sont
intrinsèquement significatifs, soit parce qu’il les considère essentiels aux fins de son

18 On a pensé attribuer, outre un classement thématique structuré, un jugement quantitatif concer-


nant le type d’annotation, dans le but de « peser » les variantes, par exemple. Un programme de
   

visualisation des données agit sur les sommes des valeurs attribuées aux variantes et propose les
résultats dans une carte tridimensionnelle et sous forme de stemma dans lequel les distances entre les
témoins sont proportionnelles aux valeurs numériques de ressemblance ou de différence qui les unit
ou les sépare. La description de cette méthode, qui n’a pas encore été expérimentée et n’est donc pas
intégrée dans TS_app, se trouve dans Corradini (2005).
Entre texte et image : la méthode de Pise
  209

étude et de sa recherche. Il s’agit donc de proposer un système en mesure de


représenter, sous forme « ontologiquement » structurée, la connaissance d’un ou de
   

plusieurs domaines logiques et sémantiques véhiculée par le texte critique établi (ou
en phase d’édition).19 Enfin, si les autres modules d’annotation sont destinés princi-
palement à éclairer les actions accomplies par le spécialiste durant les phases de
choix des leçons pour la constitutio textus et la construction d’un apparat de variantes,
cette troisième méthode a en revanche pour but d’organiser les composantes concep-
tuelles que le philologue juge opportun de mettre en évidence avec une emphase
particulière.
La programmation de ce troisième système novateur a été suggérée par deux
projets de recherche. Le premier, concernant l’étude d’éléments médico-pharmaceuti-
ques et anatomiques présents dans des manuscrits médiévaux rédigés en occitan ; le  

second, relatif à l’édition électronique d’un corpus de manuscrits du grand linguiste


genevois F. de Saussure.20 Voyons en détail les fonctions de ce module d’annotation
en se basant sur le premier projet ; en ce qui concerne le deuxième projet, nous

renvoyons par contre le lecteur aux indications fournies dans la note.


Ce qui a été dit précédemment à propos de la possibilité de dresser une liste de
mots-clés en mesure d’opérer un classement thématique des annotations peut être ici
évoqué du fait que, dans le cadre d’une organisation sémantique plus précise des
données, nous pourrons insérer chaque entrée de cette liste dans un schéma dans
lequel apparaissent des mots de niveau supérieur, des mots qui leur sont rattachés et
des relations entre mots et sous-mots. Du moment qu’un texte véhicule des éléments
conceptuels différents, dont la plupart pourraient ne pas coïncider avec les objectifs
qu’un spécialiste se propose d’atteindre, celui-ci aurait intérêt à organiser un schéma
de concepts, de sous-concepts et de relations réciproques relatives au domaine de la
connaissance qui est l’objet de sa recherche.

19 Le terme « ontologie » est emprunté à la science de l’information. Il est entré dans l’usage commun
   

depuis qu’est apparue la nécessité d’organiser sémantiquement la myriade d’informations qui sont
chargées chaque jour sur la toile. Il existe par conséquent une étroite relation entre le « web séman-

tique » et l’organisation ontologique des données.


20 En ce qui concerne l’extension du modèle adopté pour le développement de TS_app par rapport
également à une utilisation dans la critique génétique de documents numériques, voir la section
suivante. Le projet sur de Saussure envisage l’utilisation d’une structuration ontologique des données
selon deux points de vue. Le premier tend à organiser les aspects matériels présents dans ses
manuscrits selon un schéma logique grâce auquel les fonctions des couleurs de l’encre utilisée, des
soulignages, des annotations en marge et des relations réciproques existant entre ces caractéristiques
extérieures, typiques du support matériel, sont explicitées. Le second, en revanche, concerne l’organi-
sation conceptuelle du lexique et de la terminologie saussurienne selon la théorie du Lexique Généra-
tif. La description détaillée des résultats obtenus par Nilda Ruimy et Silvia Piccini (ILC-CNR) et
l’interrogation de la base de données lexicales structurée ainsi que la bibliographie produite sur ce
sujet se trouvent sur le lien suivant : http://www.ilc.cnr.it/viewpage.php/sez=ricerca/id=917/vers=ita.

210 Andrea Bozzi

La finalité du projet de recherche sur un corpus de textes médico-pharmaceuti-


ques occitans médiévaux se prête tout à fait à la formulation d’un schéma conceptuel
adéquat. Une étude ponctuelle de cette thématique nécessite en fait des outils d’éva-
luation plus fins que ceux qu’offre la consultation des index de mots ou de lemmes
présents dans le texte édité, des index de termes récurrents dans les annotations ou
des index de classes homogènes d’annotations qui, comme nous l’avons vu, sont
surtout utiles pour des études de critique textuelle. Outre ces outils, l’interrogation
d’une base de données pourra parfois même se révéler indispensable ; la clé d’accès  

utilisée sera dans ce cas un concept ou un terme générique (par exemple, « onguent »    

pour « blessure » dans une partie quelconque du corps, par exemple « tête »).
       

Les résultats obtenus en sélectionnant sur l’index verborum ou sur l’index lemma-
tum un ou plusieurs mots indiqués dans les exemples, éventuellement reliés par des
opérateurs booléens d’inclusion, pourraient ne pas être exhaustifs car il existe un
risque important que le texte décrive un même thème en utilisant des mots différents
de ceux utilisés pour l’interrogation (onguent, blessure, tête).
Il est possible de passer outre ces limites et d’avoir la certitude d’obtenir des
résultats exhaustifs en utilisant un système de data modeling grâce auquel l’usager est
assisté dans l’organisation et la rédaction du schéma conceptuel typique de son
domaine de compétence et d’intérêt.21
De plus, il est opportun de souligner que le schéma conceptuel est indépendant
de la langue dans laquelle sont décrites les classes, les sous-classes et les relations et,
surtout, qu’il est indépendant de la langue du texte étudié. Ceci constitue un grand
avantage, en particulier pour les textes multilingues (par exemple, les œuvres qui
contiennent des parties en latin, en langues romanes, en grec, en hébreu, en arabe),
comme c’est le cas du travail visant à l’étude du lexique médico-pharmaceutique
occitan sur lequel cette hypothèse d’organisation ontologique des données du do-
maine a été expérimentée / testée avec succès.
Je fournis simplement un exemple concret pour corroborer ces composantes du
système. Il s’agit du cas où une seule et même classe est utilisée pour relier des termes
différenciés par la présence de variantes graphiques (ex. : en ancien occitan OIGNE-

MENT / ONGUENT).
Le problème serait partiellement résoluble avec d’autres méthodes également,
comme, par exemple, la préparation de tableaux de correspondance grâce auxquels
la machine serait en mesure d’assimiler les variantes grapho-phonétiques d’une
même forme. Les caractéristiques linguistiques du corpus sont cependant telles
qu’elles entraînent la génération d’erreurs par la procédure : en fait, l’utilisation

mécanique du tableau par le logiciel pourrait amener à considérer comme variantes

21 Il existe sur la toile un grand nombre d’excellents sites académiques fournissant des informations,
même à caractère de divulgation, concernant ces aspects. Parmi les éditeurs les plus connus et gratuits
pour la création d’ontologie, signalons Protégé (http://protege.stanford.edu/overview).
Entre texte et image : la méthode de Pise
  211

d’un même terme des formes qui appartiennent en réalité à des mots différents. Il
serait donc nécessaire de fournir à la machine des éléments supplémentaires pour
qu’elle puisse distinguer correctement les allographes d’homographes.
L’attribution d’une classe « onguent » permet de passer outre ces difficultés et les
   

deux formes OIGNEMENT / ONGUENT, ainsi que tous leurs éventuels synonymes sont
unifiés du point de vue sémantique et conceptuel. Tous les contextes dans lesquels les
deux formes apparaissent peuvent être obtenus en sélectionnant le mot « onguent »    

dans le schéma ontologique prédisposé.


Ces procédures qui, comme nous l’avons dit, sont empruntées au web séman-
tique, ont un pouvoir expressif très intéressant ; d’autre part, pour autant qu’on ait pu

le constater, elles sont particulièrement utiles pour les spécialistes qui travaillent sur
des textes dont ils doivent extraire des informations lexicographiques difficilement
repérables, tant par un fichage traditionnel que par des concordances contextuali-
sées.
Les possibilités offertes par des regroupements de termes associés du point de
vue conceptuel favorisent leur compréhension, permettent de relever des nuances de
sens, si minimes soient-elles, et mettent en condition d’établir, de façon très détaillée,
les relations qui les lient ou les distinguent. Sur la base des deux projets cités, nous
pensons que cette perspective technologique a une grande valeur dans la rédaction de
terminologie spécialiste présente dans des textes, qu’ils soient anciens ou non.

12 Extension du modèle
La nécessité de réaliser un système ayant de larges possibilités d’emplois a comporté
l’extension du modèle vers d’autres cadres d’études du texte numérique. Le premier
concerne la philologie génétique, le second, la philologie du texte ancien imprimé. La
méthode de consultation des images et des textes, la composante pour l’apparat et les
annotations, la possibilité de découper les contextes grâce à une procédure aussi bien
automatique que manuelle et, enfin, les potentialités d’interrogation offertes par les
nombreux index produits, tout ceci répond aussi, dans certaines limites que nous
indiquerons brièvement, aux exigences des philologues qui étudient les documents
manuscrits sur lesquels l’auteur lui-même est intervenu à plusieurs reprises. De plus,
les mêmes modules logiciels de TS_app sont en mesure d’assister le travail d’étude
d’une œuvre imprimée, en confrontant les diverses éditions qui en ont été publiées au
fil du temps. Cette situation, tout au moins du point de vue structurel, est comparable
à la collatio de la critique textuelle entre des témoins manuscrits. Les outils fournis
par l’application peuvent donc valoir également pour la philologie du texte numé-
rique imprimé (voir encore Baldi 2006).
C’est précisément la raison pour laquelle l’on ne décrira à présent que la première
de ces deux situations, en faisant cependant remarquer qu’il s’agit d’une hypothèse
de travail théorique. Nous ne sommes, en effet, pas encore en mesure d’indiquer les
212 Andrea Bozzi

limités d’applicabilité effective de cette composante du système sur des situations


parfois très complexes, dans lesquelles les avant-textes22 se superposent de manière
souvent indéchiffrable et sans possibilité de comprendre la succession temporelle qui
les a déterminés.23
Nous avons cependant jugé opportun de décrire les fonctions que TS_app peut
offrir dans ce secteur également, car les résultats pourraient fournir une aide concrète
à la connaissance du parcours tourmenté qu’une œuvre a suivi, avant d’arriver à la
version imprimée autorisée par l’auteur. Paradoxalement, le modèle du système de
philologie computationnelle unit deux situations diamétralement opposées : d’un  

côté, les phases (sous forme de copies effectuées par différentes personnes, en lieux et
temps distincts) qui se sont succédées à partir d’un document original égaré ; de  

l’autre, les phases (sous forme d’avant-textes) accomplies par un même auteur, à des
époques antérieures à la version du texte, souvent imprimée et publiée, et que nous
connaissons dans sa forme ultime et, parfois, définitive.
Comme nous le faisions remarquer, malgré le renversement de la perspective, la
structure logique du processus est très semblable et TS_app entend se baser sur cet
élément de similitude pour élargir son champ d’action de la critique textuelle à la
philologie génétique.24

13 Module pour les avant-textes


L’étude du modèle et le projet actuel prévoient que l’application contribue à la
production d’éditions numériques de manuscrits autographes sur lesquels l’auteur est
intervenu en diverses occasions. De manière plus générale, nous entendons vérifier si,
grâce à la structure du modèle qui gère les annotations, il est également possible
d’organiser et de traiter de façon adéquate la pluralité des avant-textes qui se pré-
sentent, peut-être même superposés, sur une même page de document et qui, sou-
vent, ont précédé la publication d’une œuvre. L’on sait depuis longtemps la difficulté

22 Le terme « avant-texte » est utilisé ici dans le sens qui lui a été attribué par Segre (1985).
   

23 Pour une évaluation ponctuelle et récente des problèmes liés à la critique génétique, voir de Biasi
(2011).
24 Des phénomènes analogues se produisent sur les textes anciens imprimés comme, par exemple, La
Scienza Nuova de Vico. De cette dernière, nous connaissons 63 exemplaires riches de notes manuscrites
autographes. Naturellement, l’édition critique moderne (cf. Cristofolini 2004) enregistre en apparat ces
annotations, mais il est évident que le support papier limite le nombre de formes de consultation que
seul le support électronique est en mesure de garantir. Dans ce cas, la tâche principale consiste à
faciliter la lecture parallèle entre le texte imprimé et le texte des notes manuscrites correspondantes,
lesquelles, du reste, ne sont pas toujours identiques dans les divers exemplaires. Ces notes consistent
parfois en des interventions interlinéaires et parfois en de véritables gloses de longueur variable.
Quelques simulations ont amplement démontré qu’elles peuvent être traitées avec le même module de
démarcation, précédemment décrit, des péricopes et de leurs annotations.
Entre texte et image : la méthode de Pise
  213

de traiter les variantes d’auteur à l’aide de techniques et de langages hypertextuels et


multimédia avec lesquels on a parfois obtenu des résultats satisfaisants, mais au prix
d’un effort excessif fourni par le philologue, durant la phase indispensable de bali-
sage des textes, au moment où il s’apprête à effectuer la transcription de ce qu’il voit,
ou arrive à voir dans l’image du manuscrit original ou numérisé. Cette opération, en
outre, est indispensable pour les programmes d’élaboration d’hypertextes auxquels
on demande, parfois sans motivation valable, de reproduire le texte également dans
la forme graphique à travers laquelle il se manifeste dans l’autographe (cf. par
exemple, D’Iorio 2000).
Selon nous, l’organisation des données sous forme de péricopes parallèles,
auxquelles des annotations et des commentaires peuvent être associés, rend le
système plus efficace et bien moins lourd. Le module computationnel consiste à
considérer comme « versions » différentes d’un même texte tous les avant-textes,
   

lesquels, découpés en péricopes par le critique, sont ensuite analysés par le système.
Le premier résultat produit est un tableau dans lequel les colonnes, par exemple de
gauche à droite, représentent les phases successives du remaniement, tandis que les
cases renferment le texte des péricopes. Une portion de texte rayée par l’auteur se
présentera dans deux cases alignées et faisant partie de deux colonnes différentes : la

première case contiendra le texte, tandis que la case correspondante sera vide. En
revanche, une adjonction se présentera sous forme de deux cases adjacentes dont la
première sera vide, tandis que l’autre contiendra la portion de texte inséré dans un
second temps. On aura autant de colonnes et, par conséquent, autant de cases de
texte que de phases de réécriture accomplies par l’auteur.
Dans certaines limites imposées par la lisibilité de ce qui a été effacé, on pourra
effectuer, sur demande du critique, des lectures séquentielles des différents avant-
textes selon la colonne que le système utilise, pour additionner les péricopes conte-
nues dans les cases. En un certain sens, le système est en mesure de régénérer les
avant-textes en agglutinant la séquence des péricopes et en facilitant l’étude du
processus génétique qui a porté à la création d’une œuvre littéraire. L’expert de
philologie génétique aurait donc à sa disposition des éléments exhaustifs et bien
structurés pour analyser les raisons stylistiques, linguistiques et psychologiques qui
ont poussé l’auteur à intervenir sur son propre travail par des suppressions, des ajouts
interlinéaires ou en marge, des notes en bas de page, etc.
En définitif, le modèle considère les variations de l’auteur, les avant-textes,
concevables au plan structurel comme des traductions de parties du texte en parties
correspondantes d’un second texte et la comparaison de ces traductions permet
d’introduire des évaluations, des annotations critiques, sémantiques et interprétati-
ves.
214 Andrea Bozzi

14 Remarques conclusives
La description d’un modèle de philologie computationnelle comme celui qui a été
présenté ici implique, naturellement, une longue expérimentation sur des données
objectives avant de pouvoir affirmer qu’il répond effectivement aux besoins d’un
éditeur critique. L’aspect que nous souhaitons évaluer avec plus d’attention concerne
la flexibilité du système dans son ensemble et la capacité d’intégrer des modules qui
le rendent utilisable avec profit par une vaste communauté de philologues. Le fait que
TS_app n’ait pas de composants propriétaires et que l’on prévoit une distribution
gratuite à travers des licences d’usage selon une des typologies prévues par les
Creative commons devrait créer la base indispensable aux phases de validation et
d’amélioration.

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Marc Kiwitt
9 L’ancien français en caractères hébreux
Abstract : La présente contribution passera d’abord en revue les différents groupes
   

de textes en ancien français transmis en graphie hébraïque et abordera ensuite les


principaux problèmes méthodologiques – liés à la translittération des caractères
hébreux, à la présentation du texte français en graphie latine, ainsi qu’à la prise en
compte de la tradition textuelle et du contexte culturel lors de l’établissement de
l’édition – que doit résoudre l’éditeur d’un texte « judéo-français ». Puis, nous
   

opérerons un changement de perspective en substituant le point de vue du lecteur à


celui de l’éditeur, pour brièvement mettre en relief un certain nombre d’obstacles
auxquels peut se voir confronté l’utilisateur de l’édition d’une source française
médiévale rédigée en caractères hébreux. Enfin, nous mettrons en exergue quelques
tâches actuelles, qui nous semblent constituer des axes particulièrement prometteurs
pour des recherches futures dans le domaine de l’édition des textes en caractères
hébreux.

Keywords : judéo-français, gloses, glossaires hébreux-français, littérature juive mé-


   

diévale

1 Les sources en ancien français rédigées en


caractères hébreux
Le premier grand groupe de sources judéo-françaises1 est constitué par les gloses
françaises éparpillées à l’intérieur d’œuvres rédigées en hébreu, qui apparaissent à
partir du XIe siècle. Parmi celles-ci, nous devons d’abord citer les gloses contenues
dans les commentaires bibliques et talmudiques de Raschi (Troyes, ca. 1040–1105),
qui est considéré comme l’exégète le plus important dans l’histoire du judaïsme.
L’importance des gloses de Raschi pour la linguistique historique du français découle
non seulement de leur ancienneté, mais aussi de leur richesse lexicale et, notamment
pour ce qui est des commentaires talmudiques, de la visée encyclopédique des
explications en hébreu dans lesquelles elles sont insérées, qui permettent souvent de
cerner de manière assez précise le sens d’une glose donnée. Si une grande partie des
gloses de Raschi est rendue accessible par les travaux de Darmesteter et Blondheim

1 Nous employons le terme judéo-français comme forme commode permettant de faire référence aux
textes en ancien français rédigés en caractères hébreux, sans vouloir ainsi affirmer une autonomie
linguistique de ces textes par rapport à l’ancien français des sources en caractères latins.
220 Marc Kiwitt

(RaschiD1 et RaschiD2),2 une édition complète satisfaisant aux exigences scientifiques


modernes et tenant compte du contexte hébreu des gloses fait toujours défaut. À la
suite de Raschi, nous pouvons constater, d’une part, l’apparition d’une école nova-
trice d’exégètes bibliques intéressés par le sens simple et contextuel (pəṣaṭ) du texte –
les pašṭanim, dont les représentants principaux furent Joseph Kara (Troyes, ca. 1055–
1125), Raschbam (Ramerupt, Troyes et Rouen, ca. 1080–1158), Eliézer de Beaugency
(actif pendant le troisième tiers du XIIe siècle) et Joseph Bechor Schor (Orléans, né
vers 1140) –, qui font systématiquement usage de gloses françaises dans leurs
commentaires, et, d’autre part, d’un mouvement de commentateurs talmudiques – les
tossafistes – fleurissant de la fin du XIe siècle au début du XIVe siècle, qui développent
et complètent les commentaires de Raschi et emploient eux aussi des gloses vernacu-
laires. Si une partie considérable des gloses françaises contenues dans les commentai-
res des pašṭanim a déjà fait l’objet d’éditions et d’études linguistiques (nous pouvons
citer notamment GlKaraEzA ; GlKaraIsF ; EliezEzP ; EliezIsN ; RaschbamS ; Rasch-
         

bamJ ; RaschbamR ; GlJosBehJ ; Ahrend 1978 ; Fudeman 2003 ; Rosin 1881 ; Liss 2011 ;
             

Neumann 1899 ; Zweig 1914), les gloses figurant dans les commentaires talmudiques

des tossafistes restent, encore aujourd’hui, presque entièrement inexploitées par la


linguistique romane, et il en est de même de celles que l’on trouve dans les commen-
taires bibliques, moins connus, issus du mouvement des tossafistes. En dehors des
commentaires bibliques et talmudiques, des gloses françaises apparaissent également
dans la plupart des autres sources juives médiévales écrites en domaine d’oïl :  

relevons seulement, comme exemples particulièrement intéressants, les traités scien-


tifiques de Berechiah ben Natronay (voir Bos/Zwink 2010 et BerechiahG).
Les glossaires bibliques hébreux-français constituent le deuxième groupe de
sources dont nous devons tenir compte : apparus vers le début du XIIIe siècle, ils

montrent beaucoup de parallèles avec les commentaires hébreux renfermant des


gloses françaises, mais se distinguent de ces derniers par une proportion bien plus
importante d’éléments en langue vernaculaire. Dans l’ordre chronologique, nous
pouvons citer GlBâleB (Champagne, 1er quart du XIIIe siècle), GlBNhébr302L (Bourgo-
gne ou Lorraine, 1240), GlBNhébr301K (Lorraine septentrionale, troisième quart du
XIIIe siècle), GlParmePalD (Delémont, 1279), GlLeipzigBa (Rouen, fin du XIIIe siècle) et
GlParmePalE S (Est, début du XIVe siècle). Outre les glossaires qui suivent l’ordre du
texte biblique, deux glossaires bibliques arrangés dans l’ordre alphabétique sont
conservés : GlTurin2 (localisation incertaine, début du XIVe siècle), qui présente les

lemmes à l’intérieur de leur contexte hébreu et renferme une grammaire de l’hébreu


traduisant des paradigmes entiers en ancien français, et GlBNhébr1243 (localisation
incertaine, datant probablement de la première moitié du XIVe siècle), dont la nature

2 Les sigles employés ici, résolus dans les indications bibliographiques à la fin de l’article, sont ceux
du Dictionnaire Etymologique de l’Ancien Français (DEAF), dont la bibliographie est accessible sur
internet à l’adresse www.deaf-page.de.
L’ancien français en caractères hébreux 221

compilatoire se reflète dans le fait qu’il présente presque toujours plusieurs gloses
françaises pour un lemme hébreu donné. Hormis ces glossaires plus ou moins
complets, il existe un grand nombre de fragments de glossaires, parmi lesquels nous
citerons, à titre d’exemple, GlDarmstadtK (Bourgogne, milieu du XIIIe siècle), Leh-
nardt (2010 : Est, deuxième moitié du XIIIe siècle ?) et GlStrasB (Centre-Sud, première
   

moitié du XIVe siècle).


Les textes continus rédigés en ancien français en caractères hébreux constituent
notre troisième grand groupe de textes. Parmi ceux-ci, nous pouvons distinguer les
textes à caractère religieux ou rituel – prières (dont celles contenues dans Salfeld
(1898, 86s.), hymnes et pièces liturgiques associés à la période du nouvel an juif
(notamment ChansHeid1/2P et ElégTroyesK), chants de mariage (Fudeman 2010, 159–
173, et ChantMariageF) etc. – des textes profanes. Le texte le plus important apparte-
nant à cette deuxième catégorie est un traité anonyme sur les fièvres rédigé proba-
blement en Champagne méridionale et datant d’environ 1300 (éditions partielles :  

FevresOe, FevresK et FevresKi). Il existe, en outre, un nombre considérable de textes


courts et de fragments en langue vernaculaire éparpillés çà et là dans des manuscrits
rédigés en hébreu, comme le colophone rimé de GlParmePalD , ainsi que le fragment
du Roman d’Alexandre (consistant en deux vers seulement) et le poème facétieux
concluant un livre de prières identifiés et édités par Kirsten Fudeman (2010, 101,
116s.).
Ce bref survol des sources aura suffi pour illustrer la diversité et l’étendue
chronologique des textes judéo-français, qui fondent leur intérêt non seulement pour
la linguistique et la philologie d’édition romanes, mais aussi pour l’étude de la culture
juive en France médiévale. Il convient toutefois de signaler que la liste établie ci-
dessus n’aspire pas à dresser un inventaire complet des sources disponibles ; pour des

répertoires plus étoffés (mais non exhaustifs), le lecteur se reportera à LevyTrés,


DEAFBiblEl, Fudeman (2010, 155–158), ainsi qu’aux notices 1004 à 1050 de Galderisi
(2011). Pour dénicher des textes encore inédits cachés à l’intérieur de manuscrits
hébreux, le catalogue numérique de l’Institute of Microfilmed Hebrew Manuscripts
(1957–) constitue un outil précieux.

2 Comment élaborer l’édition d’un texte


judéo-français ?  

Pour illustrer les différents problèmes de méthode que doit résoudre l’éditeur d’un
texte en ancien français rédigé en caractères hébreux, nous nous appuierons sur un
exemple tiré du fragment d’un glossaire biblique portant sur Jérémie 46,10–48,2,
contenu au f. 260 du manuscrit Moscou, Bibliothèque d’Etat de Russie, Günzburg 258

(XIIIe siècle), et nous ferons également appel à d’autres textes là où ceux-ci peuvent
fournir des éclaircissements supplémentaires. Le choix de notre exemple se fonde sur
222 Marc Kiwitt

les particularités des glossaires bibliques : ceux-ci présentent d’abord les problèmes

d’édition communs aux trois groupes de textes cités ci-dessus, qui sont liés à leur
altérité graphique par rapport aux textes en graphie latine, ensuite des problèmes liés
à l’alternance entre l’hébreu et le français, qu’ils partagent avec les gloses françaises
figurant à l’intérieur d’œuvres rédigées en hébreu, et enfin des problèmes particuliers
liés à l’absence d’un contexte qui irait au-delà du lemme biblique hébreu auquel une
glose donnée fait référence. Nous nous fixons ici l’objectif modeste de traiter les trois
gloses portant sur Jérémie 46,16, que nous présentons d’abord sous la forme qu’elles
revêtent dans leur contexte dans le ms. Günzburg, f. 260r :    

‫ל״ מכשול‬ ‫אַצוְֹפְנץ‬ ‫של‬ ֶׁ ‫כוֹ‬


‫כלו״ משכרת ביין‬ ‫]ְד[ַלִֿביֵניְאה‬
3
‫ַהיוַֹנה‬
‫ל״ רמאות‬ ‫ְלְנא ִﬞגינוְֹזא‬ ‫ל״א״‬

Ce bref extrait illustre déjà la première tâche de l’éditeur : celle de présenter les gloses

sous une forme qui reflète précisément la graphie du manuscrit, mais qui est égale-
ment accessible aux lecteurs susceptibles de consulter son édition. Un premier choix
méthodologique possible est de conserver simplement la graphie hébraïque des
gloses lors de cette première étape de l’édition. Une telle solution, sans doute la plus
rigoureuse au regard de la fidélité au manuscrit, a été adoptée, entre autres, par
Jordan Penkower dans GlPsRsChronP, par Kirsten Fudeman (2010, 101, 116s.) dans
l’édition des brefs textes profanes évoqués ci-dessus, et par Andreas Lehnardt (2010).
Toutefois, elle présente l’inconvénient de produire un texte qui reste opaque pour une
grande partie des romanistes, qui constituent pourtant le principal public visé par
l’édition d’un texte médiéval français.
Un bon compromis méthodologique, permettant de réconcilier l’exigence de la
fidélité au manuscrit avec celle de la lisibilité du texte, nous semble consister en la
présentation des gloses dans une translittération précise en caractères latins. Lors de
l’établissement de cette translittération, il nous paraît impératif d’établir une équiva-
lence stricte entre l’alphabet hébreu et l’alphabet de translittération, aspirant à
associer à chaque graphème ou digraphe hébreu un seul et unique signe de l’alphabet
de translittération choisi, pour permettre ainsi au lecteur hébraïsant de reconstituer
facilement la graphie originale du manuscrit pour chaque passage de l’édition. Même
dans les cas où les conventions graphiques d’un manuscrit donné semblent permettre
une translittération simplifiée, toute dérogation à ce principe nous semble périlleuse,
dans la mesure où elle met en cause la comparabilité de l’édition avec d’autres
éditions établies sur la base de critères plus rigoureux (ainsi notre propre choix
méthodologique de ne pas translittérer, dans FevresKi, les Aleph initiaux et les Aleph
servant de matres lectionis à [a] et [ə] nous semble-t-il aujourd’hui critiquable). Quant

3 Le Šwa à droite du ‫ ל‬est bien conservé dans le manuscrit tandis que le ‫ ד‬est à peine visible.
L’ancien français en caractères hébreux 223

au choix de l’alphabet de translittération, le système en usage dans les domaines des


études bibliques (voir par ex. Alexander et al. 1999, 25–27) et de la linguistique des

langues sémitiques (cf. Lipiński 22001, 102–105), présente plusieurs avantages : d’a-  

bord, il est déjà employé dans un certain nombre d’éditions et d’études portant sur
des sources françaises en caractères hébreux (dont Bos/Mensching/Zwink 2009 ; Bos/  

Zwink 2010 ; Fudeman 2010 ; FevresKi ; ElégTroyesK ; GlBNhébr301K et, avec quel-
       

ques idiosyncrasies, Edzard 2011) ; ensuite, c’est également le système le plus répandu

en philologie hébraïque médiévale en dehors du domaine des textes judéo-français ;  

enfin, cet alphabet est d’un accès relativement facile aux spécialistes de l’ancien
français dans la mesure où il présente de nombreux parallèles avec l’alphabet « roma-  

niste » élaboré par Graziadio Isaia Ascoli et Eduard Böhmer (ce qui s’explique par une

filiation commune des deux systèmes, qui remontent à l’alphabet phonétique établi
par l’égyptologue Karl Richard Lepsius). Voici un aperçu de cet alphabet de trans-
littération sous une forme adaptée aux spécificités graphiques des textes judéo-
français :  

Lettre Nom Translittération Lettre Nom Translittération


‫א‬ Aleph ʾ ‫פ‬ Pe p
‫ב‬ Bet b ‫פֿ‬ p̄
‫בֿ‬ ‫צ‬ Ṣade ṣ
‫ג‬ Gimel g ‫ק‬ Qoph q
‫ֿג‬ ḡ ‫ﬞק‬ q̌
‫ﬞג‬ ǧ ‫ר‬ Reš r
‫ד‬ Dalet d ‫ש‬ Śin/Šin ś
‫ֿד‬ ḏ ‫ת‬ Taw t
‫ה‬ He h Signe vocalique4 Nom Translittération
‫ו‬ Waw w
ָ‫ב‬ Qamaṣ ā
‫ז‬ Zayin z
ַ‫ב‬ Pataḥ a
‫ﬞז‬ ž
‫ֶב‬ Səgol ä
‫ח‬ Ḥet ḥ
‫ֵב‬ Ṣere e
‫ט‬ Ṭet ṭ
‫ֵבי‬ Ṣere + Yod ē
‫י‬ Yod y
‫ִב‬ Ḥiriq i
‫כ‬ Kaph k
‫ִבי‬ Ḥiriq + Yod ī
‫ל‬ Lamed l
‫ֹב‬ Ḥolam o
‫ﬞל‬ ḽ
‫בוֹ‬ Ḥolam plein ō
‫מ‬ Mem m
‫ֻב‬ Qubbuṣ u
‫נ‬ Nun n
‫בוּ‬ Šuruq ū
‫ﬞנ‬ ň
‫ְב‬ Šwa mobile ǝ
‫ס‬ Samekh s
‫ְב‬ Šwa quiescens non transcrit
‫ע‬ ʿAyin ʿ

4 Nous nous servons de la consonne ‫[ ב‬b] pour illustrer l’usage des signes vocaliques.
224 Marc Kiwitt

En nous servant de cet alphabet pour la translittération des trois gloses du ms.
Günzburg, nous pouvons respectivement translittérer ‫ אַצוְֹפְנץ‬par ‹ʾaṣōpǝnṣ›, ‫[ְד[ַלִֿביֵניְאה‬
par ‹[d]ǝlaʾḇīnēʾǝh›, et ‫ ְלְנא ִﬞגינוְֹזא‬par ‹lǝnǝʾǧīnōzǝʾ›.
Une troisième option méthodologique consiste en la présentation parallèle de la
graphie hébraïque et de la translittération stricte des mots et passages en ancien
français. Si c’est certainement la solution idéale pour la présentation de textes et
passages relativement brefs (et elle a effectivement été adoptée, entre autres, dans
ElégTroyesD1, Edzard 2011, et dans l’édition du chant de mariage publiée dans
Fudeman 2010, 159–173), elle nous semble plus difficile à mettre en œuvre lors de
l’édition de sources d’une étendue plus importante, car elle élargirait considérable-
ment le volume de l’édition.
Si la translittération stricte (ou la présentation en graphie hébraïque) constitue à
nos yeux une étape indispensable lors de l’édition d’un texte en ancien français
transmis en caractères hébreux, le travail de l’éditeur ne peut pas s’arrêter à la
transposition mécanique du texte dans l’alphabet de translittération de son choix.
Présenter des formes « françaises » telles que ‹lǝnǝʾǧīnōzǝʾ› (cité ci-dessus), ‹ʾjʾbwḇrʾ›
   

(Edzard 2011, n°281)5 ou ‹‫( ›אְַרַפְנֵטיץ‬Lehnardt 2010, 335),6 sans s’efforcer de les rappro-
cher de l’ancien français tel que nous le connaissons des textes en graphie latine,
équivaut à laisser la plus grande partie du travail d’interprétation au lecteur. Toute-
fois, un lecteur romaniste se heurtera vraisemblablement à l’obstacle de la graphie
inhabituelle résultant de l’emploi des caractères hébreux lorsqu’il tentera de recon-
naître, dans ces trois gloses, respectivement l’enginose ‘la trompeuse’, e abuevra ‘et il
abreuva’, ainsi qu’une variante arpantez du s.m. apentiz ‘auvent’, tandis qu’un lecteur
hébraïsant, quoique moins dépaysé par l’aspect graphique des gloses, n’aura pas
nécessairement les connaissances requises de la phonétique et de la grammaire des
anciennes variétés d’oïl qui lui permettraient de rapprocher ces formes des entrées
normalisées figurant dans les dictionnaires usuels de l’ancien français. C’est d’abord
l’éditeur lui-même qui possède, outre la connaissance de la graphie hébraïque et du
diasystème linguistique de l’ancien français, une familiarité suffisante avec les parti-
cularités graphématiques et phonétiques de son texte pour permettre une interpréta-
tion judicieuse de la graphie. Si l’éditeur fait l’impasse sur cette démarche, des erreurs
d’interprétation sont presque inévitables, ce qui peut être illustré par la variante
« judéo-française » aroit que cite le FEW 25,218a pour le s.m. aroi ‘bélier’ sur la base
   

d’un pluriel aroits attesté dans GlBodl1466N 23. C’est seulement lorsque l’on sait que

5 Edzard reproduit, pour chaque glose, la transcription – plus proche de la graphie habituelle de
l’ancien français – proposée par GlBNhébr302L, ce qui facilite considérablement l’utilisation de son
étude, mais elle ne présente pas elle-même de propositions de lecture des gloses en graphie courante
qui permettraient d’aller au-delà des résultats déjà obtenus par Lambert et Brandin plus d’un siècle
auparavant.
6 Lehnardt (2010, 337) identifie correctement le lexème et renvoie à TL 1,441, mais passe entièrement
sous silence la variante inhabituelle attestée dans le manuscrit.
L’ancien français en caractères hébreux 225

l’éditeur de GlBodl1466N se sert du digraphe ‹ ts › pour transcrire ‫ צ‬Ṣade et que la


   

valeur phonétique de ce graphème hébreu était vraisemblablement déjà passée de [ts]


à [s] lors de la rédaction de GlBodl1466N au XIIIe siècle, de sorte que ‫ צ‬Ṣade ‹ṣ› et ‫ש‬
Śin ‹ś› étaient devenus plus ou moins interchangeables dans plusieurs textes vernacu-

laires en caractères hébreux, que l’on peut corriger la lecture du pluriel en arois et
ranger cette forme sous le singulier régulier aroi.
Ainsi la transposition de la translittération stricte en une graphie latine courante
nous semble-t-elle constituer une étape nécessaire lors de l’établissement de l’édition
d’un texte judéo-français. Cette transposition en graphie courante ne peut pas être
mise en œuvre en appliquant des règles de substitution de manière mécanique, mais
nécessite une démarche interprétative qui prend comme point de départ l’identifica-
tion de chaque lexème et de sa forme grammaticale et qui procède ensuite à une
évaluation critique de chaque particularité graphique – distinguant les traits qui sont
dus uniquement à l’emploi de l’alphabet hébreu de ceux qui ne s’expliquent guère par
l’écriture –, pour obtenir ainsi un résultat qui reproduit les particularités linguistiques
du texte original en caractères hébreux à l’intérieur du système graphématique de
l’ancien français en caractères latins. Les substitutions à effectuer devront être déci-
dées au cas par cas ; le degré de normalisation dépendra sans doute aussi des

préférences de l’éditeur : ainsi Menahem Banitt se limita-t-il, dans GlBâleB et GlLeip-


zigBa, à une transformation très prudente de la graphie originale des gloses, présen-
tant des formes comme ësèflors ‘et ses fleurs’ (GlLeipzigBa 2321) ou ân lacrivaçe ‘dans
la crevasse’ (2644), qui conservent telles quelles un certain nombre de particularités
de la graphie hébraïque (dont la segmentation en mots graphiques) et en expriment
d’autres à l’aide de signes diacritiques, tandis que des graphies comme en la fin pour
‹ʾǝnlaʾp̄ īn› et ses jetuns pour ‹śyǧṭwnś›, que nous avons établies dans GlBNhébr301K
(n° 354 et 386), résultent d’une normalisation graphique plus poussée (et peut-être
plus hasardeuse ?). Pour les trois gloses de notre exemple, nous suggérerions les

notations suivantes en graphie latine :  

‹ʾaṣōpǝnṣ› açopenz
‹[d]ǝlaʾḇīnēʾǝh› [d]e la vinee
‹lǝnǝʾǧīnōzǝʾ› l’enginose

Dans la première glose, les équivalences à établir entre les caractères hébreux et la
graphie latine courante ne présentent guère de difficultés. Comme le manuscrit nous
semble opérer une distinction plus ou moins systématique entre Śin ‹ś› et Ṣade ‹ṣ›,
il est préférable de rendre ce dernier par ç/z et non pas par s. La translittération de
la deuxième glose illustre la particularité des textes judéo-français de relier, dans
la graphie, l’article et certaines prépositions avec le mot auxquels ces éléments
font référence, ce qui reflète les conventions orthographiques de l’hébreu (cf.
GlBNhébr301K 65–66). Le ‹-h› final, indiquant une désinence féminine, constitue un
autre trait graphique résultant de l’influence de l’hébreu (cf. GlBNhébr301K 70–71).
Nous avons normalisé ces deux particularités lors de la transposition en graphie
226 Marc Kiwitt

latine. Dans la troisième glose, c’est essentiellement le digraphe ‹ǝʾ› qui pose pro-
blème. Il est possible que sa position dans le mot graphique représente simplement
une erreur du scribe (une graphie comme ‹lǝʾnǧīnōzǝʾ›, dans laquelle ce digraphe
précéderait le ‹n›, serait plus facile à interpréter), mais nous ne pouvons pas non plus
exclure qu’il puisse représenter, tout comme le Šwa ‹ə› non accompagné d’un Aleph
‹ʾ›, soit une voyelle centrale soit l’absence d’une vocalisation. Dans les deux cas, il
convient d’interpréter la forme comme l’enginose ; une lecture comme *l’eneginose,

insérant une voyelle entre le n et le g, ne paraît pas convaincante.


Une fois transposées en une graphie habituelle, nos trois gloses se prêtent
beaucoup plus facilement à l’examen linguistique par un spécialiste de l’ancien
français, mais il faut néanmoins garder en tête qu’elles constituent le produit d’une
interprétation par l’éditeur. Si nous pouvons espérer que cette interprétation, qui
présuppose une connaissance approfondie des particularités linguistiques du texte
édité, aboutit à un résultat probable, d’autres interprétations sont souvent possibles.
Ceci vaut même pour les textes soigneusement vocalisés, ce qui peut être illustré par
un verset de l’Elégie de Troyes, provenant d’une partie vocalisée et relativement bien
lisible de ce texte, que nous avons rendu ainsi dans ElégTroyesK 17,1 :  

Gé vangeire et anpreneire, vanch nos de ces felons.7

Kirsten Fudeman (2009, 13), qui s’appuie sur le même manuscrit, propose la lecture
suivante pour le verset :  

Gé vanchera e an prin(e)ra vanchance de cé felons !


Il va sans dire que la transposition en caractères latins de mots et de passages en


ancien français dont la vocalisation est lacunaire ou entièrement absente se présente
sous une forme encore plus délicate. Il convient donc à l’éditeur d’étayer le mieux
possible sa propre reconstruction du texte en graphie latine courante. À moins de
justifier chaque transposition effectuée par un commentaire explicatif, une bonne
solution nous semble être de rendre transparentes les hypothèses linguistiques sous-
jacentes à cette opération en exposant de manière explicite l’analyse du système
graphématique et des particularités phonétiques et morphologiques du texte étudié
dans l’introduction de l’édition (pour des exemples voir GlBâleB, Introduction, 58–
112 ; GlLeipzigBa, Introduction, 192–255, ou encore GlBNhébr301K, 49–100).

Après ce bref exposé de quelques difficultés d’édition communes aux différents


groupes de textes que nous avons distingués, nous aborderons un certain nombre de

7 Pour une justification de notre proposition de lecture, expliquant le syntagme Gé anpreneire comme
calque de l’hébreu ʾEl qannā ‘Dieu jaloux’, dont le deuxième élément est régulièrement rendu par
anpreneire, anpreniere etc. par les glossaires bibliques, voir Kiwitt (2014, 45–46).
L’ancien français en caractères hébreux 227

questions spécifiques à l’édition des gloses et glossaires. Le premier problème qui se


pose est celui de rendre accessibles les passages en hébreu – et notamment les lemmes
hébreux auxquels les gloses font référence – à un public romaniste. A première vue, il
semblerait évident de présenter simplement des traductions des lemmes dans l’édi-
tion, et pour le premier lemme de notre exemple, ‫כוֹשֶׁל‬, que l’on pourrait traduire par
‘faisant trébucher’ (cf. KoehlerBaumg3, 1,478a), une telle démarche aboutirait à un
résultat certes peu élégant d’un point de vue stylistique, mais néanmoins tout à fait
acceptable. Toutefois, notre deuxième lemme, ‫ַהיוַֹנה‬, se montre déjà bien plus récalci-
trant : faut il traduire ‘violente’ en suivant KoehlerBaumg3 1,398a, ou privilégier plutôt

l’une des nombreuses traductions – ‘ravageante’, ‘dévastatrice’, ‘destructrice’, ‘impi-


toyable’, ‘opprimante’, ‘furieuse’, ‘mortelle’ – figurant dans les différentes versions de
la Bible en langues modernes ? Comment gérér l’article antéposé qui reflète la struc-

ture grammaticale du syntagme hébreu ? Même si l’on s’efforce de trancher sur ces

questions, il nous semble plus que douteux dans quelle mesure une traduction telle
que par exemple ‘[l’épée] violente’ aidera le lecteur à cerner le lien établi par le
glossateur entre ce lemme et les deux gloses de la vinee ‘de la récolte de vin’ et
l’enginose ‘la trompeuse’ qu’il propose pour ce lemme. Plutôt que de privilégier telle
ou telle traduction normative pour monosémiser à tout prix des lemmes hébreux dont
les glossaires bibliques tentent de rendre, au contraire, la polysémie en tenant compte
de différentes possibilités d’interprétation, il nous semble plus prudent d’établir le lien
avec le texte glosé en conservant le lemme hébreu dans sa forme originale, accompa-
gné d’un renvoi au verset biblique et, le cas échéant, en exposant d’éventuelles
difficultés d’interprétation dans les notes. Ceci nous semble d’autant plus justifié que
la Bible est sans doute le livre pour lequel nous disposons de l’éventail le plus large
d’outils de lecture – dictionnaires, concordances, encyclopédies, traductions com-
mentées, commentaires médiévaux et modernes etc. –, de sorte que le lecteur ne
rencontrera guère de difficultés insurmontables s’il souhaite aller au-delà des explica-
tions fournies par l’éditeur. Bref, ce n’est donc probablement pas un hasard si la
solution de conserver les lemmes en hébreu, plutôt que de s’aventurer à les traduire en
français moderne, est adoptée par la quasi-totalité des éditeurs de glossaires bibliques
hébreu-français (cf. notamment GlBNhébr302L, GlBâleB, GlLeipzigBa et GlBNhébr
301K ; pour un contre-exemple voir GlParmePalE S 71–144).

En revanche, pour ce qui est des commentaires en hébreu accompagnant les gloses
françaises, Menahem Banitt, qui reproduisit ces passages tels quels dans GlLeipzigBa,
fut peut-être trop optimiste quant aux compétences de ses lecteurs romanistes en
hébreu médiéval. Il nous semble préférable de reproduire ces commentaires accompa-
gnés d’une traduction là où ils peuvent fournir des éclaircissements supplémentaires
concernant une glose ou un lemme donné (dans certains glossaires, dont GlBNhébr
301K, de tels commentaires se limitent essentiellement à des renvois à d’autres versets
bibliques, de sorte que leur utilité pour l’interprétation des gloses est plus que limitée).
Pour permettre une évaluation judicieuse des gloses figurant dans un glossaire
(ou un commentaire) donné, il convient enfin de distinguer les éléments qui sont
228 Marc Kiwitt

propres au texte édité (et qui pourront donc éventuellement être mis à profit pour
mettre en relief les particularités linguistiques ou l’originalité exégétique de ce texte)
de ceux qu’il partage avec d’autres sources judéo-françaises et qui permettent de le
situer au sein de la tradition textuelle à laquelle il appartient. S’il n’est guère réaliste
de tenir compte, pour chaque texte, de l’intégralité de la tradition d’exégèse matéria-
lisée dans les gloses et glossaires (ce qui équivaudrait à fournir, dans l’apparat
critique, des éditions presque complètes de toutes les autres sources glosant les
mêmes lemmes), il semble néanmoins souhaitable de tenir compte d’un échantillon
représentatif de sources accessibles. GlBNhébr302L et GlLeipzigBa constituent actuel-
lement les glossaires édités les plus complets.
En appliquant ces considérations à l’édition des trois gloses issues du ms. Günz-
burg 258, que nous doterons, en outre, d’une numérotation reflétant leur position
dans le manuscrit, nous obtenons le résultat suivant :  

[N°     Lemme Translittération Graphie courante Verset]


5   ‫שׁל‬
    ֶ ‫כוֹ‬ ʾaṣōpǝnṣ açopenz
           Jer 46,16
6a ‫ַהיוַֹנה‬     [d]ǝlʾaḇīnēʾǝh de la vinee
                 Jer 46,16
6b ‫ל״א״‬   lǝnǝʾǧīnōzǝʾ ‘autre glose :’ l’enginose
     Jer 46,16

5 ‫‘ ל״ מכשול‬désignation de l’entrave’ [cf. GlLeipzigBa 7966 ‫‘ שם דבר של מכשול‬nom d’une chose reliée à
l’entrave’]. 6a ‫‘ כלו״ משכרת ביין‬c’est-à-dire : revenu en vin’ [l’interprétation du lemme s’appuie sur le

commentaire de Raschi in loco, qui interprète ‫היונה‬ha-yonāh comme dérivant de ‫ יין‬yayin ‘vin’ et
étaye cette interprétation par un renvoi au Targum (la traduction araméenne de la Bible) ; cf. aussi  

GlLeipzigBa 7967 ‫‘ לשון יין כתרגומו ]כ[חמר מרוייא‬désignation du vin, comme sa traduction araméenne
ka-ḥamar merawyā [‘comme du vin enivrant’]’ ;]. 6b ‫‘ ל״ רמאות‬désignation de la déception’.

5 GlBNhébr302L 91,3 açupemont. GlLeipzigBa 7966 açopemant. 6a GlBNhébr302L 91,6 la vinee


[comme alloglose]. GlLeipzigBa 7968 la vinose [comme alloglose]. 6b GlBNhébr302L 91,5 le
onginose [comme glose principale]. GlLeipzigBa 7967 la ginose [comme glose principale].

L’étendue des renseignements à fournir sur l’interprétation des lemmes hébreux, sur
la motivation exégétique des gloses et sur leur filiation textuelle sera à décider au cas
par cas et devra trouver un équilibre entre la tentation de retracer, pour chaque glose,
le cheminement interprétatif du glossateur, qui aura peut-être davantage d’intérêt
pour les exégètes que pour les linguistes, et la présentation laconique du matériau
linguistique brut.
Il nous reste encore à dire quelques mots sur la prise en compte nécessaire du
contexte culturel dans lequel s’inscrivent les textes judéo-français. L’éditeur d’une
source française en caractères hébreux ne pourra malheureusement pas présumer que
tous ses lecteurs romanistes disposeront de connaissances suffisantes de la culture
juive médiévale et antique,8 qui leur permettraient de naviguer sans bouée de sauve-

8 Pour se convaincre du contraire, il suffira de constater, par exemple, que même DEAF G 422 GEHENNE
reprend sans la critiquer l’indication de BW5 selon laquelle la vallée de Hinnom aurait été un lieu « où  
L’ancien français en caractères hébreux 229

tage à travers une source française issue de l’univers culturel juif, de sorte qu’il
semble préférable d’expliquer brièvement tout élément culturel qui risque de décon-
certer un lecteur non-spécialiste. Dans le bref extrait du ms. Günzburg 258 édité ci-
dessus, une telle explication nous a semblé nécessaire pour les références au Tar-
gum – la traduction araméenne de la Bible – et il conviendra d’élucider au même titre
des hébraïsmes apparaissant dans les gloses, tels que beṣim ‘testicules’ (GlLeipzigBa
4326) ou təp̄ illin ‘phylactères’ (ibid., 1893), des références aux genres textuels et aux
modes d’exégèse (par exemple ElégTroyesK 4,4 : bon reporteur eteit de tosāp̄ ot et de

plein ‘il était un bon transmetteur de tossafot [= commentaires talmudiques] et


d’exégèse pəšaṭ [= type d’exégèse intéressé par le sens simple et contextuel de la
Bible]’), à la division du texte biblique en péricopes (parašiyot et haftarot), aux
autorités rabbiniques etc. Selon le cas, l’éditeur pourra élucider de tels éléments dans
les notes accompagnant son édition, dans l’introduction ou dans le glossaire en fin
d’ouvrage.

3 Comment utiliser l’édition d’un texte


judéo-français ?  

Si toutes les éditions de textes judéo-français se conformaient aux critères esquissés


ci-dessus, nous pourrions nous passer du présent sous-chapitre. Hélas, le romaniste
intéressé par l’ancien français en caractères hébreux se verra confronté à un ensemble
d’éditions assez hétérogènes et de qualité variable. Même si des éditions comme
FevresOe, qui font entièrement l’impasse sur la graphie en caractères hébreux et se
contentent de présenter le texte sous forme d’une transposition non-vérifiable en
graphie latine, sont heureusement plutôt rares, nous devons constater que les édi-
tions existantes font usage de plusieurs systèmes de transcription différents, dont
nous présentons ici les principales variantes :  

les Juifs sacrifièrent à Moloch » (erreur corrigée dans DEAF K 44–45), ou que PelVieD 2,396a propose,

pour le mot pharisïen, la définition ‘juif orthodoxe (…)’, qui doit pour le moins être qualifiée d’ana-
chronique lorsque l’on considère que le judaïsme orthodoxe est apparu seulement pendant la première
moitié du XIXe siècle (voir par exemple EJ2 15,493a). Même si l’on concède que l’adjectif orthodoxe
possède ici son sens générique ‘qui est conforme à la doctrine officielle d’une religion’, les pharisiens,
qui se situèrent en opposition à l’autorité des sadducéens et dont la désignation peut être traduite par
‘séparatistes’, ne constituent guère les prétendants les plus vraisemblables à cette épithète.
230 Marc Kiwitt

Lettre Transcription préconisée ici RaschiD2 ElégTroyesD1 Lambert/Brandin Banitt


‫א‬ ʾ a ʾ – –
‫ב‬ b b b b b
‫בֿ‬ ḇ – – v v
‫ג‬ g g g g g
‫ֿג‬ ḡ j ǵ j j
‫ﬞג‬ ǧ j ǵ j j
‫ד‬ d d d d d
‫ֿד‬ ḏ – – – z
‫ה‬ h h h h h
‫ו‬ w u v v –
‫ז‬ z z z z z
‫ﬞז‬ ž – ž –
‫ח‬ ḥ ḥ ḣ h –
‫ט‬ ṭ t t t t
‫י‬ y i η, j i, y y
‫כ‬ k k kh – –
‫ל‬ l l l l l
‫ﬞל‬ ḽ – – – –
‫מ‬ m m m m m
‫נ‬ n n n n n
‫ﬞנ‬ ň – – – ñ
‫ס‬ s s s – –
‫ע‬ ʿ e h· – –
‫פ‬ p p p p p
‫פֿ‬ p̄ f p̄ f f
‫צ‬ ṣ ç ç ž ç
‫ק‬ q k k k c, qu
‫ﬞק‬ q̌ ch q ch ch
‫ר‬ r r r r r
‫ש‬ ś s s s s
‫ת‬ t t [th] th – –

ָ‫ב‬ ā – a, â â
ַ‫ב‬ a – â a a
‫ֶב‬ ä – è è ê
‫ֵב‬ e – é é ë
‫ֵבי‬ ē – éη é è
‫ִב‬ i – i i i
‫ִבי‬ ī – iη i i
‫ֹב‬ o – o o o
‫בוֹ‬ ō – o o o
‫ֻב‬ u – u ŭ u
‫בוּ‬ ū – u u u
‫ְב‬ ǝ – e -, e -, e, ë
L’ancien français en caractères hébreux 231

Nous pouvons noter en passant que le système employé par Darmesteter dans Elég-
TroyesD1 en 1874 satisfaisait déjà, en grande partie, au critère de la correspondance
univoque entre les caractères hébreux et les signes de translittération, mais il ne s’est
malheureusement pas imposé comme standard. Si d’autres éditions se servent de
systèmes de translittération moins rigoureux, ce qui peut rendre leur interprétation
délicate, notre présentation synoptique des différents systèmes pourra aider le lecteur
à établir des relations entre les formes figurant dans les éditions qu’il est amené à
consulter.
Pour ce qui est de l’interprétation du contexte hébreu, la plupart des éditions de
gloses et glossaires judéo-français ne fournissent que peu d’aides au lecteur non-
spécialiste, qui se trouvera donc dans l’obligation de se procurer lui-même les rensei-
gnements nécessaires. Pour la compréhension des lemmes bibliques en hébreu,
KoehlerBaumg3 constitue un guide plus sûr que Gesenius. Pour ce qui est de l’inter-
prétation des commentaires mêlant hébreu rabbinique et araméen, les dictionnaires
de Michael Sokoloff (22002 ; 2003) fournissent des compléments utiles à Jastrow, qui

reste néanmoins un outil pratique. BibleJSt constitue la traduction commentée de la


Bible qui est à nos yeux la plus adaptée aux besoins d’un non-spécialiste intéressé par
les sources juives médiévales. Pour une introduction générale à la Bible juive, le
lecteur se reportera à Liss (2005).
En dehors de quelques exceptions louables (dont nous pouvons citer notamment
Bos/Zwink 2010, qui reconstruit avec beaucoup de minutie la tradition textuelle dans
laquelle s’insèrent les termes français attestés dans le lapidaire de Berechiah), très
peu d’éditions de textes judéo-français s’efforcent de situer les mots et passages
vernaculaires dans le contexte de leur tradition discursive. Le lecteur pourra remédier
partiellement à cette lacune en consultant, d’une part, les principales éditions d’au-
tres textes judéo-français pertinents (pour les gloses et glossaires bibliques, on se
référera d’abord à GlBNhébr302L, GLLeipzigBa et RaschiD1, pour les gloses talmudi-
ques, on fera appel à RaschiD2) et, d’autre part, les travaux lexicographiques de
Raphael Levy (LevyTrés, LevyContr et LevyRech) et de David Simon Blondheim
(Blondh et Blondheim 1910), qui fournissent souvent des attestations parallèles pour
une glose donnée.
Enfin, il paraît essentiel d’aspirer à replacer sa propre interprétation d’une source
judéo-française dans le contexte fourni par l’état des recherches actuelles sur l’his-
toire des communautés juives en territoire d’oïl, si l’on veut éviter d’arriver à des
conclusions précipitées.9 Nous ne prétendrons évidemment pas ici à un aperçu

9 Parmi celles-ci, nous pouvons citer notamment le cliché du petit nombre de lettrés juifs, de leur
éparpillement géographique et du faible niveau de connaissance de l’hébreu dans les communautés
juives en France médiévale, qui s’est propagé de Rabinowitz (1938, 158, 169, 176–178 etc.) à travers
Banitt (1963, 253–256) jusqu’à Duval (2007, 387), et ce malgré l’évidence contraire de la production
littéraire monumentale en hébreu que nous ont léguée les communautés juives de la France du nord
(cf. aussi GlBNhébr301K 193).
232 Marc Kiwitt

exhaustif des études portant sur le judaïsme français médiéval, mais nous contente-
rons d’indiquer simplement quelques pistes de lecture, qui pourront servir de point de
départ : Marcus (2002) fournit une excellente introduction à la culture juive médiévale

en France du nord et en Allemagne ; pour approfondir le sujet de l’acculturation des


communautés juives, on pourra consulter Marcus (1996). Au sujet de Raschi, l’intro-


duction de RaschiG (1–126) constitue à nos yeux le meilleur exposé récent disponible ;  

sur Raschbam et le milieu intellectuel des pašṭanim, nous renvoyons à Liss (2011,
5–73). Kanarfogel (2013) présente un exposé magistral de la culture rabbinique
ashkénaze. Au sujet de l’éducation dans les communautés juives, on consultera
Kanarfogel (1992) ; sur les courants mystiques et piétistes, on trouvera des renseigne-

ments dans Kanarfogel (2000) ; au sujet de la culture manuscrite, on pourra consulter


Sirat (1994) et Beit-Arié (2003) ; sur le rôle des femmes et la vie de famille dans la

société juive médiévale, nous renvoyons à Grossman (2004) et Baumgarten (2007).


Pour des questions portant sur des points précis, on se reportera à EJ2 et à JE.

4 Tâches et défis actuels


L’introduction du présent article aura suffi pour donner la mesure du travail qui reste
encore à accomplir dans le domaine de l’édition des textes en ancien français transmis
en caractères hébreux : une partie considérable des sources n’a pas encore été éditée,

plusieurs éditions anciennes (dont RaschiD1, RaschiD2, GlBNhébr302L et GlJosBehJ)


seraient, en principe, à refaire sur la base de nos connaissances actuelles, et même
des éditions comme GlBâleB et GlLeipzigBa, qui satisfont entièrement aux exigences
scientifiques modernes et fournissent des matériaux précieux, restent en grande
partie inexploitées par la linguistique historique française. Toutefois, il faut égale-
ment reconnaître que les spécialistes des textes en ancien français en caractères
hébreux constituent, en quelque sorte, une espèce menacée,10 et les quelques cher-
cheurs actuellement actifs dans ce domaine auront sans doute encore besoin d’un
certain temps avant d’avoir achevé l’édition scientifique du corpus entier des sources
judéo-françaises. Il pourra donc être utile de mettre en relief quelques directions de
recherche possibles qui nous paraissent particulièrement prometteuses.
Dans le domaine des gloses, l’édition des commentaires des pašṭanim nous
semble être déjà sur la bonne voie, avec plusieurs projets qui ont tiré profit d’une
coopération entre hébraïsants et romanistes (notamment RaschbamJ, RaschbamS,

10 Comme le remarque Claude Hagège (2006, 86), Arsène Darmesteter, le pionnier des études sur
l’ancien français en caractères hébreux, est mort à quarante-deux ans, « épuisé par l’énorme travail

qu’il avait consacré à Raschi […]. Le même sort, pour la même raison, fut celui du savant qui poursuivit
l’œuvre de Darmesteter, à savoir D.S. Blondheim ». Parmi les chercheurs contemporains, plusieurs ont

préféré abandonner ce champ d’étude avant de souffrir un destin semblable, dont notamment Kirsten
Fudeman, désormais analyste de prix chez Thermo Fisher Scientific.
L’ancien français en caractères hébreux 233

Liss 2011, ainsi que l’édition du commentaire de Joseph Kara sur les Petits Prophètes
actuellement en cours d’élaboration à Heidelberg). À notre avis, il serait souhaitable
d’investir autant d’énergie dans l’analyse des gloses figurant dans les commentaires
bibliques des tossafistes (dont seul GlHadL a fait l’objet d’une étude linguistique), qui
constituent une véritable mine de renseignements encyclopédiques sur la culture
juive en France médiévale et promettent, en outre, de fournir une clé importante à
l’élucidation de la filiation textuelle des glossaires bibliques hébreu-français (cf.
GlBNhébr301K 133–135).
Parmi les glossaires hébreu-français, les deux glossaires alphabétiques évoqués –
GlBNhébr1243 et GlTurin2 – constitueraient à nos yeux les projets d’édition les plus
prometteurs ; l’édition des deux glossaires bibliques conservés à Parme (GlParmePalE

[S], dont une édition intégrale est projetée par Harley Jay Siskin, et GlParmePalD )
apportera sans aucun doute elle aussi de riches matériaux à la linguistique historique.
En outre, le nombre de glossaires édités dont nous disposons actuellement permettra
dorénavant d’effectuer des études horizontales portant sur un seul livre ou passage
biblique et visant à mieux cerner l’évolution de la tradition d’enseignement biblique
en langue vernaculaire matérialisée dans les gloses et glossaires.
Enfin, parmi les textes continus rédigés en langue vernaculaire, le traité médical
portant sur les fièvres est encore loin d’être entièrement exploité, et nous pouvons
espérer des résultats importants des éditions partielles actuellement en cours d’élabo-
ration par Stefanie Zaun (Düsseldorf) et par Julia Zwink (Berlin).

5 Bibliographie
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philologiques et exégétiques. Avec une étude des le‛azim par Mochè Catane, Hildesheim,
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Guido Mensching
10 Éléments lexicaux et textes occitans en
caractères hébreux
Abstract : L’article traite des textes occitans transmis en caractères hébreux et des
   

problèmes assez particuliers que pose l’édition de ces documents. Il s’agit entre autres
de l’identification de la langue romane en question ; du statut linguistique du matériel

roman transmis en caractères hébreux ; des difficultés qui proviennent de l’utilisation


de l’alphabet hébreu pour représenter une langue romane ; et des différentes façons

de transcrire les caractères hébreux en alphabet latin (choix de système de transcrip-


tion/translittération). De surcroît, il ne s’agit normalement pas de textes entièrement
écrits en occitan, ni même de textes entiers (très souvent ce ne sont que des lexèmes
isolés ou des gloses). L’article passe en revue les différentes solutions qu’ont adoptées
les éditeurs et insiste sur la nécessité de réfléchir aux besoins du lecteur romaniste.
Enfin, la production de textes occitans en caractères hébreux est un indice de l’impor-
tance de la communauté juive dans le Midi et de sa compétence plurilingue.

Keywords : caractères hébreux, occitan, translittération hébreu-roman, juifs, plurilin-


   

guisme

1 Introduction
Cet article1 est consacré à un sujet qui comporte des difficultés spéciales dans le
domaine de la philologie de l’édition : les nombreux éléments lexicaux et les quelques

textes occitans transmis en caractères hébreux, lesquels sont documentés au Moyen


Age et jusqu’au XVIIIe siècle. Même si chaque langue ou variété romane présente plus
ou moins les mêmes problèmes quand elle est écrite en caractères hébreux ou d’un
autre alphabet sémitique, le cas de l’occitan présente une difficulté supplémentaire :  

il s’agit d’une langue mal connue en dehors de la philologie romane, de sorte que les
éléments occitans n’ont pas toujours été identifiés comme tels.2 Par ex., la plupart des

1 Il n’aurait pas été possible de rédiger cet article sans les conseils de mon ami et collègue Gerrit Bos, à
qui je dois la découverte de ce sujet passionnant et une grande partie de ce que j’ai appris à propos de
l’hébreu (mis à part le peu dont je me souviens depuis les bancs de l’école). Cet article comporte des
informations relatives à nos projets sur les textes médicaux hébreux-romans, la plupart desquels ont
été financés par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, à laquelle je souhaite aussi exprimer ma
reconnaissance ainsi qu’à toutes les personnes qui ont travaillé dans le cadre de ces projets au cours
des quinze dernières années.
2 D’autres variétés romanes, comme le catalan ou les dialectes italiens présentent évidemment les
mêmes problèmes et pourraient également servir d’exemple.
238 Guido Mensching

nombreux glossaires médico-botaniques en caractères hébreux furent déjà découverts


au XIXe siècle, mais il a fallu attendre le XXIe siècle pour que les éléments romans
présents dans ces listes soient identifiés comme occitans (cf. par ex. Bos/Mensching
2001 ; 2005). Comme le dit Aslanov (2003, 9s.), « [l]es éditions du XIXe siècle étaient
   

souvent le fait des représentants de la Wissenschaft des Judentums. Or ces savants


allemands, austro-hongrois ou polonais n’avaient qu’une connaissance de seconde
main des langues romanes médiévales ». Mais même des romanistes de la première

moitié du XXe siècle n’ont pas pris en compte l’occitan de manière appropriée. Il est
remarquable aussi que bien que Renan (1877) identifiât déjà plusieurs manuscrits
comme présentant des éléments occitans, ce matériel soit resté inédit à ce jour.
Les aspects les plus importants que l’éditeur d’un texte ou d’éléments romans en
caractères hébreux doit considérer et dont l’utilisateur de telles éditions doit être
conscient sont :  

(i) L’identification de la langue romane en question. Cette question est rendue extrêmement difficile
par l’utilisation de l’alphabet hébreu (voir iii) et se pose surtout dans le cas des mots ou
syntagmes isolés (voir vi). Ces éléments romans sont généralement indifféremment marqués par
le terme hébreu la’az (‘langue vernaculaire’), cf. Aslanov (2001, 108–114) ; Bos et al. (2011, 34).
   

(ii) Le statut linguistique du matériel roman transmis en caractères hébreux, question pour laquelle
nous pouvons recommander au lecteur la publication de Bannitt (1963), et, pour l’occitan, celles
d’Aslanov (2002 ; 2003). Comme eux nous considérons que les variétés romanes transmises sous

forme graphique hébraïque dans les textes médiévaux reflètent, normalement, les mêmes varié-
tés qui étaient parlées par la population d’un certain territoire en général, c.-à-d. qu’il n’existait
pas de différences fondamentales entre la langue des juifs et des chrétiens. C’est seulement après
les expulsions des juifs ou – selon les territoires – leur ghettoïsation que de vraies variétés
linguistiques (par ex. le judéo-espagnol) ont pu se développer. Pour l’occitan, c’est le cas du
judéo-comtadin ou Chuadit (cf. Aslanov 2002), une variété qui ne s’est développée qu’au XVIe ou
XVIIe siècle dans la zone du Comtat-Venaissin, territoire papal où les juifs avaient le droit de vivre
même après l’expulsion du Midi en 1498. La théorie de Blondheim et surtout celle de Lévy sur
l’existence de variétés et même de langues spécifiques judéo-romanes au Moyen Age ont
influencé les éditions de la première moitié du XXe siècle (cf. Aslanov 2003). Pour les textes qui
nous concernent ici, nous éviterons des termes tels que judéo-provençal ou judéo-occitan. Et
même si le terme hébraïco-provençal (Lazar 1963, 292) pourrait être utilisé, nous opterons plutôt
pour des « textes totalement ou partiellement composés en occitan et graphiquement réalisés en

caractères hébreux » (Silberstein 1973, 18).


(iii) L’alphabet hébreu et par conséquent la divergence des normes ou traditions connues de l’alphabet
latin, y compris des traditions de scripta ou des koinès. Cet aspect, qui n’a pas été examiné de
façon systématique, est évident à cause de la scolarisation hébraïque des auteurs et copistes juifs
et leur travail avec des textes hébreux.

(iv) Les différentes façons de transcrire les caractères hébreux en alphabet latin ou en des systèmes de
transcription/translittération. Dans les éditions et les études associées nous trouvons une grande
hétérogénéité de transcriptions, qui varient entre deux pôles extrêmes : la translittération exacte

et la substitution totale par des graphies usuelles de l’occitan.


Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 239

(v) Les expulsions, les migrations, la mobilité et le multilinguisme des juifs au Moyen Age (cf., entre
autres, Iancu-Agou 2010 ; Fudeman 2010, 13ss.). La présence des juifs au sud de la France est

documentée depuis l’antiquité tardive. Les juifs provençaux étaient en contact étroit avec les
juifs du nord de la France et des rabbins de Provence maintenaient des échanges épistolaires
avec les écoles d’exégèse biblique du nord de la France (Silberstein 1973, 19). Mais à partir
du XIIe siècle – suite à la fuite d’un grand nombre de juifs d’al-Andalous vers le sud de la

France pendant les invasions berbères – on constate une forte influence de la péninsule
ibérique. En outre, les manuscrits occitans circulaient dans plusieurs régions de langue
romane, donc le fait qu’un texte soit produit en territoire occitan ou qu’il contienne des
éléments occitans ne signifie pas que tous les éléments vernaculaires du texte soient en
occitan.

(vi) Le fait qu’il ne s’agit normalement pas de textes entièrement écrits en occitan, mais de textes écrits
en hébreu ou de glossaires comprenant des mots ou syntagmes occitans. Pour la plupart, il s’agit
de ce qu’on a qualifié de gloses, un terme loin d’être exact dans notre contexte et que nous allons
réviser.

Nous ne pourrons pas couvrir systématiquement tous ces aspects, mais nous y
reviendrons à plusieurs reprises. Aborder les textes ou éléments qui nous occupent ici
présupposant des connaissances de l’alphabet hébreu, c’est par cela que nous allons
commencer (voir ci-dessous, § 2). Dans ce cadre, nous aborderons aussi brièvement la

question des habitudes scripturales et la difficulté de déterminer la langue des


expressions romanes. La section 3 est dédiée à l’histoire des éléments et textes

occitans écrits en caractères hébreux et à l’histoire de leurs éditions. Finalement, dans


la section 4, nous passerons en revue les différentes méthodes d’édition. Quelques

résultats seront résumés dans la section 5.  

2 L’alphabet hébreu et son application à


l’occitan
2.1 Quelques bases

Une condition essentielle à la rédaction ou la consultation d’une édition de ce type de


texte est de prendre ses distances par rapport à ce qui nous est familier des traditions
scripturales de l’occitan en caractères latins. Nous pouvons certainement généraliser
la constatation d’Aslanov (2001, 3s.) selon laquelle les formes graphiques occitanes
médiévales en caractères hébreux sont « moins normalisées que peut l’être la scripta

des chartes médiévales » et que « celles-ci nous offrent un état de langue tout de
   

même assez proche de la langue parlée […] que ne l’est la koinè des troubadours ».  

Nous y reviendrons brièvement au paragraphe 2.4. La question de la mesure dans


laquelle il est possible de distinguer différentes scriptae en caractères hébreux n’a pas
été abordée dans la recherche.
240 Guido Mensching

L’alphabet hébreu consiste en un inventaire de 22 lettres consonantiques, écrites


de droite à gauche, représentées dans la table suivante (cf. Bos et al. 2011, 5) avec le

système de translittération que nous allons adopter dans l’article :3  

(1)

Lettre hébraïque Nom Signe de translittération


‫א‬ Alèf ʾ
‫ב‬ Bèt B
‫ג‬ Guimel G
‫ד‬ Dalèt D
‫ה‬ Hé H
‫ו‬ Waw W
‫ז‬ Zayine Z
‫ח‬ ḥèt Ḥ
‫ט‬ Tèt Ṭ
‫י‬ Youd Y
‫ כ‬,‫ ך‬4 Kaf K
‫ל‬ Lamèd L
‫ מ‬,‫ם‬ Mèm M
‫ נ‬,‫ן‬ Noun N
‫ס‬ Samèkh S
‫ע‬ Âyin ʿ
‫ פ‬,‫ף‬ Pé P
‫ צ‬,‫ץ‬ Tsadé Ṣ
‫ק‬ Qouf Q
‫ר‬ Rèche R
‫ש‬ Chine Š
‫ת‬ Tav T

Presque toutes les lettres sont utilisées pour représenter l’occitan, sauf le âyin, un
fricatif glottal à l’origine et le ḥèt, un fricatif vélaire.5 Les lettres tav [t] et kaf [k]
apparaissent très rarement en occitan, les lettres tèt et qouf – des consonnes initiale-

3 Nous suivons aussi la convention introduite dans Bos et al. (2011), à savoir représenter les signes

consonantiques en majuscules.
4 Variante utilisée à la fin du mot.
5 Ce chapitre est basé sur Silberstein (1973, 75–105), Aslanov (2001, 47–73), Bos et al. (2011, 47–52).

Des exemples sont donnés des œuvres respectives, c.-à-d. du Poème d’Esther, du Šaršot ha-Kesef et du
Sefer ha-Šimmuš (cf. ci-dessous, § 3). Dans le cadre de ce chapitre d’un manuel, il n’est pas possible de

citer la source exacte de chaque exemple.


Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 241

ment emphatiques – étant habituellement utilisées à leur place. L’alphabet hébreu ne


permet pas de doubler des consonnes, de sorte que des mots occitans écrits avec -ss-,
-rr- etc. apparaissent écrits avec la lettre simple correspondante. De plus, on doit tenir
compte de confusions scripturales qui ne correspondent pas à celles connues des textes
en caractères latins. Fréquemment confondus sont bèt et kaf ; guimel et noun ; dalèt et
   

rèche, à cause de leur aspect similaire (cf. Neubauer/Meyer 1892, 195). Enfin, notons
l’hétérogénéité dans la translittération, illustrée dans la comparaison suivante :  

(2)

‫פיניונש‬ ‫אישינץ‬
(pinhons) (aisenz/eisenz)
Encyclopedia Judaica pynywnš ’yšynṣ / ’yšynẓ
Darmesteter/Blondheim (1929) piniuns aisinç
Silberstein (1973) PYNYWNS ’YSYNÇ
Aslanov (2001) pynywnš ’yšynṣ
Bos et al. (2011)
  PYNYWNŠ ’YŠYNṢ

2.2 Voyelles et diphtongues

L’alèf sert comme une variable qui indique la présence d’une voyelle (mater lectionis).
Les signes youd et waw, à part leurs valeurs consonantiques (cf. § 2.3), servent aussi

pour rendre des voyelles. Pour l’occitan, l’alèf représente normalement [a], le youd [i]
ou [e] et le waw [o] ou [u], l’utilisation de ces signes étant optionnelle, donc dent : ‫דנט‬  

(DNṬ) ou ‫( דינט‬DYNṬ) ; latz ‘lacet’ : ‫( לס‬LS) ou ‫( לאס‬L’S). En position initiale, la


   

représentation de la voyelle est obligatoire : une alèf seule est presque toujours [a] et

pour les autres voyelles l’alèf est suivie par un waw ou par un youd, par ex. ‫‘( אום‬WM,
om), ‫’( אישטאט‬YŠṬ’Ṭ, estat). L’alèf est aussi utilisée pour indiquer un hiatus : ‫ביאורש‬  

(BY’WRŠ, biors/beors ‘joûtes, tournois’ (cf. Silberstein 1973, 86s.). La voyelle finale est
presque toujours exprimée. Comme l’hébreu connait aussi une terminaison féminine
[-a] écrite hé (H), la terminaison [-a] de l’occitan peut apparaître soit comme hé soit
comme alèf ou une combinaison des deux. Le vers 332 du Poème d’Esther (cf. 3.3) nous
montre que le comportement n’est pas régulier :  

(3) ‫שא שינוייריאה שיריאה פירדודא‬


Š’ ŠYNWYYRY’H ŠYRY’H PYRDWD’
Sa senhoria seria perduda ‘Son autorité serait perdue’

En ce qui concerne les diphtongues et les triphtongues, ils sont habituellement


représentés, par ex. [aw] comme ‫’( או‬W), ‫’( אוו‬WW), ‫’( אב‬B) ou ‫( ב‬B) ; [je] comme ‫( יי‬YY) ;
   

[wei] comme ‫( ויי‬WYY) ; [jeu] comme, ‫( ייב‬YYB), ex. : ‫( דייב‬DYYB Dieu).


   
242 Guido Mensching

A part cette méthode de représenter les voyelles, il existe une notation appelée
ponctuation. Les signes les plus importants sont : ָ◌ (quamats) ou ַ◌ (pataḥ) pour [a], ֵ◌

(tsérè) pour [e], ֶ◌ (sègol) pour [ɛ], ִ◌ (ḥiriq) pour [i],◌֗ (ḥolam) pour [o] et ◌ ֻ (qoubouts)
pour [u]. Le signe ְ◌ (cheva) est utilisé en hébreu pour rendre le son [ə] ou encore [e]
dans le cas des habitudes de prononciation sépharades mais peut aussi marquer le
fait qu’il n’y a pas de voyelle (cheva muet). La ponctuation apparaît essentiellement
dans les textes bibliques et donc rarement dans la représentation de l’occitan. Ces
signes ont été fréquemment ajoutés ultérieurement par d’autres mains. Ils sont placés
sous le signe consonantique après lequel ils sont prononcés (sauf le ḥolam, placé au
dessus) ; dans la translittération ils apparaissent après les signes consonantiques.

Ex. : ‫’( ִאיְנֵגְנט‬eYNəGeNṬ, eng(u)ent ; Bos et al. 2011, 483), ‫שֵפְסַיאש‬


      ְ ‫’( ְא‬əŠəPeSəYas, espe-
6
cias ; ibid., 398).

2.3 Consonnes

Certaines lettres consonantiques peuvent avoir une prononciation soit occlusive soit
fricative. Pour l’occitan, pé est utilisée pour [p] et [f], cf. l’occ. ‫( פין‬PYN, pin) versus ‫פוק‬
(PWQ, foc ‘feu’) et bèt est utilisée pour [b], mais peut aussi être utilisée pour représen-
ter un fricatif labial, par ex. ‫’( אביר‬BYR, aver ‘avoir’). Alternativement, le son fricatif
pouvait aussi être représenté par waw, cf. ‫( ויוא‬WYW’, viva). La prononciation fricative
peut être indiquée par un diacritique superposé (raphé). La lettre guimel représente
autant [g] que le son palatal affriqué [dʒ] ; le signe diacritique susmentionné (raphé)

est souvent utilisé dans ce dernier cas, que nous représentons comme ‫ ג׳‬/ Ğ. Ce
graphème peut aussi représenter une affriquée palatale sourde [tʃ]. Ce son apparaît
comme ‫ייג‬- (-YYG) à la fin du mot, comme dans ‫( קונטראייג‬QWNṬR’YYG), contrach
‘affaibli, paralysé’.
Le son [s] apparaît en tant que chine :7 ‫( שנייל‬ŠNYYL, senhal ‘signe’), ‫( רוש‬RWŠ, ros

‘roux’). La lettre samèkh représente presque régulièrement le son dérivé du C latin


avant e et i qui a été par la suite simplifié de [ts] en [s] au cours du XIIIe siècle ; ces  

mots étaient donc écrits avec s(s) ainsi que c ou ç en caractères latins : ‫( סיבה‬SYBH)  

pour ceba ou seba ‘oignon’ ; ‫( סירייראש‬SYRYYR’Š) pour cireiras ‘cerises’. Quelquefois,


la lettre tsadé est par contre utilisée : voir la variante ‫( צרייראש‬ṢRYYR’Š). La tsadé

représente fréquemment un /s/ final après des consonnes, ‫( קדילץ‬QDYLṢ, cadels,


‘chiots’), mais aussi /ts/ comme dans ‫( פרדיץ‬PRDYṢ perditz ‘perdrix’). Le /s/ sonore
([z]) est rarement représenté par zayine, mais normalement par dalèt (voir Aslanov

6 Ces signes peuvent être utilisés seuls ou en combinaison avec des signes consonantiques à valeur de
voyelles mentionnés ci-haut. Les exemples présentent plusieurs cas de cheva muet que nous avons
écrit en italiques. Selon le système de Bos et al. (2011), nous écrivons les signes diacritiques vocaliques

en minuscules, pour marquer le statut différent des deux types de caractères hébreux.
7 Pour une explication, voir Aslanov (2003, 37).
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 243

2001, 53–54 pour une explication détaillée) : brasas ‘braises’ : ‫( בראדאש‬BR’D’Š). Par
   

contre, le phonème /d/ est quelquefois représenté par tèt, comme dans ‫קרפינאטה‬
(QRPYN’ṬH : carpenada ‘effilochée’). Les phonèmes palataux /ɲ/ et /ʎ/ sont fréquem-

ment représentés par ‫( ני‬NY) / ‫( ניי‬NYY) et ‫( לי‬LY) / ‫( ליי‬LYY) ou encore ‫( ייל‬YYL) en


position finale.

2.4 Traditions et habitudes scripturales

Une des caractéristiques typiques de la représentation des langues non hébraïques en


alphabet hébreu est la présence fréquente d’une voyelle épenthétique intercalée,
comme dans ‫( פולור‬PWLWR) pour flor ‘fleur’. La raison est que l’hébreu (comme
d’autres langues sémitiques) ne permet pas de séquences de muta cum liquida. Selon
Silberstein (1973, 103–104), cette propriété ainsi que celle d’insérer un cheva entre
l’occlusive et la liquide dans les textes vocalisés, « seems to reflect the scribe’s

reluctance to write, and undoubtedly his inability to pronounce unfamiliar consonant


clusters ». Ceci n’est pas facile à croire pour les scribes en question, les langues

romanes étant leurs langues maternelles. Nous nous trouvons ici plutôt face à une
tradition scripturale. Sur cette ligne d’argumentation, Silberstein (1973, 102–105) nous
offre une explication très élégante pour les métathèses fréquentes dans les textes
occitans en caractères hébreux : ces métathèses seraient des cas où la voyelle épen-

thétique a été conservée dans la graphie, tandis que la voyelle d’origine n’a pas été
exprimée. Ainsi, au lieu de refléter une variante *purna, la graphie PWRN’, attestée
dans le Sefer ha-Šimmuš (v.3.2), est plus probablement une graphie réduite de
*PWRWN’ (attestée également dans d’autres mss.), qui devrait être lue pruna ‘prune’.
Un argument très convainquant est le fait que, dans le poème d’Esther (cf. ci-dessous,
§ 3.3), des formes métathétiques riment avec les non-métathétiques, par ex. ‘YŠYMPLY

(esemple) avec ṬYMPYL (temple et non *tempel).


Bien que l’exposé ci-dessus puisse ne pas sembler uniforme, la graphie hébraïque
des textes médiévaux occitans est loin d’être totalement irrégulière, comme nous
venons de le voir avec les métathèses, qui suivent un système. Aussi, il y a des
tendances scripturales assez régulières en ce qui concerne certains consonnes,
comme par ex. l’affriquée [dʒ], qui est normalement écrite guimel (éventuellement
avec raphé) devant a, o, u et GY(Y) devant a, e et i. En position médiale, GYY
représente [tʃ] devant [a] (Silberstein 1973, 80s.). De plus, un grand nombre de ces
conventions n’était pas limité à l’occitan mais était très semblable dans toute l’Europe
occidentale (Silberstein 1973, 75).
244 Guido Mensching

2.5 Identification de la langue

L’utilisation de l’alphabet hébreu pour une langue romane conduit à un haut degré
d’ambigüité : dans chaque texte roman en caractères hébreux, il existe des éléments

qui pourraient représenter n’importe quelle langue romane. Ce qui nous concerne ici,
c’est surtout le catalan qui, dans grand nombre de cas, ne peut pas être distingué de
l’occitan. On pourrait objecter que ceci est aussi le cas dans les textes en caractères
latins : par ex., une variante comme adiman(t) ‘diamant’ est documentée dans des

textes occitans ou catalans (DECLC 4,837b). Mais la graphie hébraïque ’DYM’N, peut
aussi représenter la variante occitane aziman, car dalèt est utilisée pour rendre /z/
(voir 2.3 ; cf. Bos et al. 2011, 126). Des graphies désambiguïsées comme nh (plutôt occ.)
   

vs. ny (plutôt cat.) n’existent pas, de sorte que QŠṬNY’ peut représenter aussi bien
castanha que castanya. Si nous ajoutons à ce type de cas l’ambigüité ou l’absence des
signes utilisés pour les voyelles, il est clair qu’une décision sur la langue peut
fréquemment ne pas être prise. Prenons pour dernier exemple les substantifs romans
dérivés de la 1e et de la 2e déclinaison latine : l’absence de -W finale (qui représente

habituellement -o), nous permet normalement d’exclure des langues comme l’espa-
gnol ou l’italien central ou méridional, mais les substantifs féminins sont plus
difficiles, car le a subsiste presque partout et, en outre, les signes alèf et hé servaient
aussi à représenter le -e ou cheva finaux des substantifs en ancien et moyen français.
C’est surtout dans le cas de mots isolés, de petits fragments et dans les glossaires
qu’il faut vérifier la langue à chaque moment (cf. ci-dessous, §§ 3.2 et 4.2). Ce qui

précède ne devrait pas être interprété comme une impossibilité d’identifier des
langues romanes exactes mais plutôt comme la nécessité pour les éditeurs et les
utilisateurs des éditions de faire preuve de grande vigilance. Un examen détaillé peut
parfois conduire à de bons résultats et même à l’identification de variantes dialectales
(cf. ci-dessous, § 4.3 pour quelques exemples).

3 Bref historique de l’occitan écrit en caractères


hébreux et des éditions
3.1 Mots et syntagmes isolés (« gloses »)    

Les premières attestations, et les plus fréquentes, de l’occitan en caractères hébreux


sont des mots ou expressions qui apparaissent dans les textes hébreux et qui fournis-
sent des explications de certains éléments hébraïques. Ces mots en langue romane
sont normalement désignés par le terme glose dans la littérature. Mais, comme le
remarque Fudeman (2010, 103), la définition du terme glose, à savoir des éléments
ajoutés dans les marges ou entre les lignes d’un texte, ne correspond pas à ce qui
apparaît dans les manuscrits hébreux. Il s’agit plutôt d’éléments intégrés dans le texte,
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 245

fréquemment précédés ou suivis par l’expression ‫( בלעז‬BL’Z : bə-la‘az) ‘dans la langue


vernaculaire’. Ces explications (ou le‘azim) correspondent à une procédure consciente


de la part des auteurs, et dans les commentaires bibliques, les équivalences romanes
des mots ou concepts de l’hébreu peuvent être même interprétées comme un moyen
exégétique (Weiser 1995 ; Hagège 2006, 89–91 ; Kearny 2010, 40). Ceci est déjà le cas
   

au XIe siècle dans les « gloses » qui apparaissent dans des œuvres de Raschi (1040–
   

1105). Ces textes contiennent assurément des mots occitans dans nombreux de leurs
manuscrits. Darmesteter/Blondheim (1929) dans leurs Gloses françaises dans les
commentaires talmudiques de Raschi n’identifient qu’un petit nombre des mots occi-
tans ; nous y reviendrons au paragraphe 4.3. Blondheim (1937) dans le tome deux

(fréquemment ignoré) identifie et commente un nombre plus élevé de formes occita-


nes, mais le premier tome (l’édition) n’a jamais été révisé sur la base du deuxième. Il
faudrait, à l’avenir, procéder à des éditions séparées des manuscrits d’origine occitane
ou au moins dépouiller de tels manuscrits afin d’en éditer les « gloses » occitanes.
   

La tradition consistant à expliquer des mots ou des concepts bibliques en langue


romane se poursuit dans les siècles ultérieurs qui nous ont aussi laissé des œuvres
avec des éléments fondamentalement occitans. L’exégèse biblique semble avoir été
importée d’Espagne (Renan 1877, 551), et un premier groupe d’œuvres qui méritent
d’être mentionnées sont des commentaires anonymes du livre de Job.8 Renan (1877,
551–552) mentionne un commentaire de la première moitié du XIVe siècle (faussement
attribué à D. Qimḥi) dans le manuscrit Paris BN 207 ; cf. déjà Zotenberg (1866, 25s.) :
   

« L’auteur semble avoir été un juif de Provence, car on rencontre en plusieurs endroits

des explications en langue provençale ». Un autre commentaire du livre de Job (début


du XIVe siècle) apparaît dans le ms. Parme 2387 (De Rossi 582 ; cf. Renan 1877, 552s.).

Récemment, Richler (2001, 188s., n° 652) a noté de nouveau que « [m]any words were  

translated into (probably) Judaeo-Provençal ». Un manuscrit de 1395 qui contient un


troisième commentaire anonyme9 du même livre (cf. Renan 1877, 553s.) se trouve à la
Montefiore Library à Londres (Hirschfeld 1904, n° 6).10 De ces trois commentaires,
Renan (1877, 554–556) a édité quelques mots, syntagmes et petites phrases romans
avec l’aide d’A. Darmesteter et P. Meyer. Un des grands mérites de Renan est d’avoir
constaté que « ces curieuses explications, qui, n’étant ni françaises, ni espagnoles,

mais bien provençales ou catalanes, fournissent la raison décisive pour attribuer les

8 « On dirait que le livre de Job était étudié en Provence plus que les autres livres bibliques, peut-être

parce qu’il se prêtait admirablement aux interprétations philosophiques, alors en vogue dans ce pays »  

(Renan 1877, 551).


9 Selon Renan (1877, 553s., 664) l’attribution de ce texte à Moise Qimḥi (Narbonne, décédé en 1190) est
erronée, entre autres car cet auteur (éd. Schwarz 1868) utilise très rarement des le‘azim, contrairement
au texte en question. Je n’ai pas trouvé d’autres mentions de le‘azim chez Moise Qimḥi ; cela devrait

donc être examiné.


10 Selon Berliner (1881, 115), l’ancien propriétaire S.D. Luzzatto avait annoté beaucoup de le‘azim en
marge en caractères latins.
246 Guido Mensching

trois commentaires […] à des savants du midi de la France vers la fin du XIIIe siècle »  

(1877, 554). Le matériel offert par Renan n’est naturellement pas suffisant pour une
conclusion claire, mais nous pouvons dire que chacun des trois manuscrits contient
des formes assurément occitanes, partiellement vocalisées : par ex. dans Paris 207

ŠWoNRəŠəPeYYṬ (son respeit), et encore ‘YYGRṢ pour ‘grappes mauvaises’ (c’.-à-d.


aigras ou eygras ‘raisins verts, verjus’ (LR 1,34 ; Aslanov 2001, 16), non pas aigres

comme écrit Renan) ; dans Parme 2387 DeŠRaDiYG’ṬŠ (desradigatz ‘déracinés’ avec

conservation de la D latine intervocalique et donc il ne s’agit pas de catalan) ; et dans  

Montefiore 6 nous lisons MWDYŠNR pour hébr. ‫‘ לחםי‬ma nourriture’ (anc. occ. mo
disnar). Il est déplorable que Berliner (1881, 115), dans sa description de ce manuscrit,
mentionne « französische Ausdrücke » (alors qu’il connaissait et citait le livre de
   

Renan) !  

Ces trois manuscrits sont tous restés inédits. La situation éditrice s’améliore en ce
qui concerne un auteur connu, Joseph ben Abba Mari ibn Caspi (Sen Bonafos de
Largentière), né vers 1280 et décédé vers 1340, peut-être à Valence (Aslanov 2001, 2).11
Il est l’auteur de commentaires bibliques, qui furent édités par Last (1903) d’après le
ms. Turin A VI 34 (Peyron 1880, n° 197), avec des essais souvent non réussis d’inter-
prétation des mots vernaculaires (Aslanov 2001, 9s.). Dans une série d’articles, Bacher
(1912–1913) a interprété un grand nombre des mots romans de Caspi dans l’édition de
Last de manière beaucoup plus exacte, en les classifiant comme « provenzalisch ».    

Une partie importante de la littérature juive dans le Midi de la France à partir du


XIIe siècle (originaire aussi de la péninsule ibérique) tourne autour du livre biblique
d’Esther et de la fête de Pourim qui y est liée. Pour complémenter la lecture de la
Megīllat Esther la veille de Pourim, des parodies et des petites pièces de théâtre en
hébreu furent introduites dans la liturgie (Steinschneider 1981–1984 ; Silberstein 1973,

31–42 ; Davidson 1907 ; Einbinder 2005). De ce cadre, nous sont parvenus trois textes
   

anonymes dans lesquels apparaissent, sporadiquement, des éléments occitans. Il


s’agit des livres Massēkhet Pūrīm, du Sefer Ḥabaqbūq et de la Megīllat Setarīm, qui ont
généralement été transmis ensemble dans plusieurs manuscrits à partir de la fin du
XIVe siècle. Leur histoire textuelle compliquée et la relation avec les versions impri-
mées (les premières apparurent à Pesaro, probablement en 1513 et 1527), ont été mises
en évidence par Davidson (1907). Davidson lui-même (1907, 134–147) a édité des
parties de ces trois textes et d’autres parodies, utilisant le Lexique Roman. Il a
correctement reconnu quelques mots isolés comme occitans (cf. 4.1). Ces mots sont
intégrés dans la syntaxe hébraïque ; il s’agit donc d’emprunts de l’occitan à l’hébreu

et pas du tout de gloses dans aucun des sens de ce terme.


Un autre domaine dans lequel nous trouvons des explications lexicales en occitan
est la lexicologie/lexicographie. L’Arukh, un lexique sur le Talmud et les Midrašīm fut
composé par Nathan ben Jeḥiel de Rome et complété en 1101. Ce livre contient des

11 Kaspia était le nom hébreu de Largentière (de l’hébr. kesef ‘argent’), cf. Last (1907, 651).
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 247

explications d’un grand nombre de mots en plusieurs langues classiques et en


langues romanes. La plupart des « gloses » romanes sont en italien, mais il y a une
   

petite partie en occitan.12 L’Arukh est disponible dans l’édition volumineuse de Kohut
(1878–1892),13 qui contient aussi des essais d’interprétation des le‘azim qui ne sont
pas satisfaisants du point de vue romaniste. En Occitanie, nous trouvons, un peu plus
tard, deux dictionnaires de termes classés selon les racines trilittérales qui sont à la
base des mots hébreux. La première œuvre de ce type est le Sefer ha-Šorašīm de David
Qimḥi (1160–1235, Narbonne), qui contient environ 400 éléments lexicaux romans,
dont beaucoup sont en occitan ; ce livre a été recopié plusieurs fois dans d’autres

pays, de sorte que les éléments occitans sont souvent hispanisés ou italianisés
(Aslanov 2003, 12). Dans l’édition de Biesenthal et Lebrecht (1847) les éléments
romans ont été identifiés avec des propositions de lecture assez vagues en plusieurs
langues romanes, l’occitan entre autres (cf. ci-dessous, §§ 4.1 ; 4.2). Cette édition est
   

considérée par Aslanov (2003, 11) comme une édition emblématique de la « Wissen-  

schaft des Judentums » allemande du XIXe siècle, pour laquelle « ces gloses en langue
   

welche […] n’étaient certes pas dignes qu’on leur accordât autant d’importance que
l’hébreu véritable » (ibid., 11). Quelques éléments ont été étudiés par Aslanov (1996)

comme aussi dans le cadre de son édition de la deuxième œuvre de ce type, le


dictionnaire Šaršot ha-Kesef de Joseph Caspi (deuxième décennie du XIVe s). Plusieurs
fragments de ce texte furent publiés en Angleterre par Last (1907). Cette édition est
entièrement en hébreu, sauf quelques notes de bas de page dans lesquelles l’éditeur
essaie d’expliquer des mots romans qu’il prenait pour de l’ancien français, en recon-
struisant des formes qui rappellent même des variantes anglo-normandes (Aslanov
2001, 9). Aslanov a consacré une étude linguistique magistrale au Šaršot ha-Kesef,
dont la première partie traite le matériel occitan de manière exhaustive et identifie
près de 200 mots occitans qu’Aslanov rend accessibles dans un inventaire alphabé-
tique (cf. ci-dessous, § 4.2). Aslanov, qui maîtrise l’hébreu, se base sur le ms. Paris BN

Hébr. 1244 et – à cause de difficultés paléographiques – sur un tapuscrit fait par

12 Cette observation de Silberstein (1973, 42) a été confirmée dans Bos et al. (2011, 23). Ferretti Cuomo

(1998), remarque que les interprétations « comprendono un’arco di studiosi che va dalle accademie

babilonesi a quelle nord africane, provenzali, francesi e ashkenazite, oltre ai centri italiani ». Dans cet

article, il n’y a qu’une seule référence à l’occitan, notamment ‘aNaBəRaDWuR’a pour ‘blessure’, que
l’auteure (p. 256) considère comme une forme italianisée liée peut-être au français navrer ou plutôt à

l’occitan nafrar. Nous pouvons ajouter que Paris (1872, 217) mentionne un français *navradure (var.
*nafredure) qui apparait chez Rachi selon ce que lui a communiqué A. Darmesteter. Darmesteter/
Blondheim (1929, 101) mentionnent seulement N’PR’DWR’ qu’ils identifient comme anc. prov. *nafra-
dura, mot par ailleurs documenté en occitan moderne.
13 Pour la critique de l’édition de Kohut, voir déjà le compte rendu par Felsenthal (1893) : « It is to be
   

much regretted, however, that different types have not been used, one kind for the original work of
Nathan, another one for the additions of Musaphia and still another one for those of Kohut. As it is, it
requires some exasperating labor to separate the original work from the overwhelming additions »  

(127s.).
248 Guido Mensching

Colette Sirat, experte en paléographie hébraïque (2001, 6s.). Bien que ce manuscrit ait
été copié en Espagne, le matériel occitan est resté essentiellement intact et a pu être
identifié comme appartenant à la variété rhodanienne. En outre, Aslanov a pris en
considération une autre copie faite en Espagne, ms. Rome Angelica Ms. Or. 60–2, un
manuscrit ponctué (cf. ci-dessus, § 2.2) par le copiste, qui « tend à réinterpréter les
   

gloses provençales à travers le prisme déformant du castillan » (2001, 7).


Des explications en occitan sont très fréquentes aussi dans les textes hébreux
médico-botaniques, en particulier dans les traductions. Un cas assez isolé d’une
traduction du latin est un fragment du pseudo Macer Floride, édité par Bos/Mensch-
ing (2000), avec un commentaire des mots latins et occitans (environ 25) en caractères
hébreux qui y sont contenus (cf. ci-dessous, § 4.2). Mais les cas les plus fréquents sont

des traductions de l’arabe, comme celle faite par Nathan ha-Me’ati des aphorismes
médicaux de Maïmonide, dont le matériel occitan n’a pas encore été étudié (mais cf.
éd. Bos en prép.). Il semble que c’était surtout la famille des Ibn Tibbon, originaire
d’al-Andalous, qui avait introduit l’usage de traduire les ouvrages scientifiques des
Arabes. Le traducteur d’ouvrages médicaux de l’arabe le plus connu fut Moïse ben
Samuel ibn Tibbon, actif entre 1240 et 1283 à Naples, Marseille et, plus tard, à
Montpellier. Il a traduit plusieurs ouvrages de Maïmonide, ar-Rāzī, Ibn Sīnā (Avi-
cenne) et Ibn al-Jazzār. Le vocabulaire occitan contenu dans plusieurs de ses traduc-
tions va bientôt être accessible dans des éditions modernes comparées (arabe-hébreu)
telles que Bos (2015) et Bos/McVaugh (en prép). Plus particulièrement, le vocabulaire
médico-botanique occitan du Livre 7 de la traduction faite par Ibn Tibbon de l’ouvrage
Zād al-musāfir wa-qūt al-ḥāḍr (Viaticum) d’Ibn al-Jazzār (titre en hébreu : Ṣedat ha-

Derakim) est en cours d’édition et d’étude par Bos/Mensching/Zwink (en prép.).


L’édition critique de ce livre (Bos 2015) ne comprend qu’environ 40 pages, mais près
de 100 termes médico-botaniques en ancien occitan, surtout des noms de plantes
comme LWWRYYR (laurier), YLY (ili), ‘iris’, WY’WL’, (viola ‘violette’), mais aussi de
maladies comme ŠNPYW (*senepio(n) ‘rougeole’).
Dans ces textes médicaux, nous observons une procédure semblable aux parodies
susmentionnées : ici aussi les mots occitans sont intégrés dans la syntaxe hébraïque

et fonctionnent donc comme termes techniques. Plus précisément, Ibn Tibbon sub-
stitue habituellement des termes médico-botaniques du texte source arabe par des
termes occitans (cf. Mensching/Zwink 2014). De façon similaire, le texte du Macer
Floride utilise des termes techniques en occitan pour traduire des termes du latin. Ici,
nous observons une procédure inverse de la procédure usuelle, à savoir que les termes
occitans sont quelquefois « glosés » par des explications en hébreu. La raison est le
   

fait que l’hébreu médiéval ne disposait pas d’une terminologie médico-botanique


appropriée et avait recours aux langues romanes pour combler ces lacunes (voir Bos
et al. 2011 ; Bos 2011–2013).
   
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 249

3.2 Glossaires

Contrairement au nord de la France (cf. l’aperçu général récent chez Kiwitt 2013),
nous ne connaissons pas de glossaires généraux ou bibliques ayant pour objectif
d’établir des correspondances entre des mots hébreux et occitans. Par contre, il
existe un nombre élevé de glossaires du domaine de la médecine avec des corres-
pondances occitanes. En général, il s’agit de ce qu’on appelle des « listes de  

synonymes », qui contiennent des équivalences de termes techniques médico-bota-


niques en différentes langues. Dans Bos/Mensching (2015) nous avons identifié une
dizaine qui comporte des éléments occitans, dont le but était surtout d’expliquer la
terminologie des textes arabes. Ces listes semblent continuer une tradition lexico-
graphique préexistante en al-Andalous et transmettent, en caractères hébraïques, le
vocabulaire médico-botanique typique du domaine hispano-arabe. Des listes de ce
genre devaient circuler dans les territoires où les Séfardis s’étaient établis, surtout
l’Espagne du nord, la Catalogne et l’Occitanie, et il est à supposer que de là, certains
manuscrits soient passés à l’Italie. À l’heure de leur copie, les éléments romans
furent quelquefois substitués par les éléments de la variété locale, mais parfois les
mots locaux furent ajoutés aux mots déjà existants. Ainsi, quelques-uns de ces
glossaires se transformèrent avec le temps en de vrais vocabulaires multilingues.
Nous montrons un exemple, pris du ms. Vat. Ebr. 361, copié à Palerme en 1342 (Bos/
Mensching 2015, 36) :  

(4) ‫שיְנץ‬
ֵ ‫אפסנתין הו שגרה’’ מרים לט’ אישנצו לע’ דונזיל ויסמא ארבא בלאנכא לט’ אפסיניטיאון ויש או’ ֵאי‬
‘PSNTYN, c.-à-d. ŠGRT MRYM, lat. ‘YŠNṢW ; vern. DWNZYL, appelé aussi ‘RB’

BL’NK’, lat. ‘PSYNYṬY’WN, quelques-uns disent ‘eYŠeYNṢ (fol. 132b)

Il s’agit de l’entrée du phytonyme arabe afsantīn (‘absinthe’) et une dénomination


équivalente de l’arabe dialectal occidental (šaǧaratu Maryam). ‘YŠNṢW n’est évi-
demment pas du Latin, mais probablement une variante dialectale italienne
(*essenzo ?). DWNZYL est le catalan donzell, suivi par ‘PSYNY’Y’WN (lat. absin-

thium). ‘RB’ BL’NK’ doit correspondre à l’occitan erba blanca (cf. Corradini 1997,
157), tandis que ‘eYŠeYNṢ est le mot occitan connu pour l’absinthe, eisens
(aisens).
La plupart de ces listes avaient été déjà décrites par le grand érudit bibliographe
et orientaliste Moritz Steinschneider (1867–1868 ; 1892a ; 1892b ; 1893 ; 21895), lequel
       

recommanda aussi leur édition (et devrait donc être exclu de la critique que fait
Aslanov de la « Wissenschaft des Judentums »), mais personne ne s’en était occupé
   

jusqu’à une époque récente. De la quasi-totalité de ces amples inventaires lexicogra-


phiques, seules quelques entrées représentatives ont été éditées récemment (Bos/
Mensching 2005 ; Bos/Mensching sous presse ; Mensching 2009 ; Mensching/Bos
     

2011), les éditions complètes étant encore en cours de travail ou prévues. On n’en
connait pas généralement l’auteur, sauf deux listes qui apparaissent dans le Sefer ha-
250 Guido Mensching

Šimmuš de Šem Tov ben Isaac et que nous avons édité dans leur totalité (Bos et al.  

2011 ; la publication de la deuxième liste, qui part de mots vedettes en occitan, se


trouve en préparation). L’auteur était un autre grand traducteur, contemporain d’Ibn


Tibbon. Bien que né en Catalogne, Šem Tov travailla à Montpellier et à Marseille et
utilisait donc l’occitan dans ses glossaires (hébreu-arabe-latin-occitan). Nous y trou-
vons près de 600 mots et expressions syntagmatiques en occitan (cf. ci-dessous,
§§ 4.2 et 4.3).

3.3 Fragments de textes et textes en entier

Les seuls textes plus longs entièrement écrits en occitan en caractères hébraïques sont
quelques textes et fragments religieux. Le « Rituel », du XVe siècle, est la traduction
   

d’un livre de prière, qui comprend des chapitres de la Bible, conservé dans le ms. 32
de la Roth collection (Leeds University Library). Le texte, qui est resté inédit, est une
traduction littérale et donc classifié par Sephiha (1976–1977) comme du « judéo-  

provençal calqué » (cf. Lazar 1970, Aslanov sous presse).


Tous les autres textes connus ont une relation avec le livre d’Esther et la fête de
Pourim (cf. ci-dessus, § 3.1). Dans un des textes parodiques édités par Davidson (1907)

(cf. ci-dessus, § 3.2), nous trouvons cinq vers entièrement occitans, qui avaient déjà

été édités par Neubauer/Meyer (1892, 195s.) sur la base de deux manuscrits. Davidson
(1907) fait une édition d’autres manuscrits ; une version hypothétique en caractères

latins qui résulte de la comparaison des deux versions a été établie provisoirement
par Silberstein (1973, 38).
Le Poème d’Esther de Crescas de Caylar est conservé dans un fragment de
448 vers qui apparaissent après les parodies (cf. ci-dessus, § 3.1) dans le ms. New

York, Jewish Theological Seminary, Adler 2039 (copie de la fin du XVe siècle) ; cf.  

Silberstein (1973, 71), Einbinder (2005, 437). La première édition, publiée dans
Romania en 1892, a été faite par Adolph Neubauer, vice-bibliothécaire à la Biblio-
thèque Bodléienne et hébraïste à l’Université d’Oxford et par le grand romaniste
français Paul Meyer. L’édition remarquable, tout en rendant ce texte accessible
pour la première fois, est loin d’être sans fautes. L’explication se trouve dans le
passage suivant, qui nous montre de nouveau la grande difficulté de ce genre de
textes :  

« M. Neubauer me lisait un texte qu’il ne comprenait pas, tandis que je m’efforçais de saisir au vol

et de transcrire les paroles que j’étais incapable de lire, et auxquelles je faisais subir les
modifications que l’usage de l’alphabet hébraïque permet, […] jusqu’à ce que le sens se révélât.
C’était la collaboration du paralytique et de l’aveugle » (Neubauer/Meyer 1892, 196).

L’édition de Pansier (1925) n’apporte rien de nouveau sauf une traduction en occitan
moderne. Pansier n’a pas travaillé sur le manuscrit et importe des erreurs de l’édition
de Neubauer et Meyer, en corrigeant d’autres sans motivation, comme l’observe Susan
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 251

Milner Silberstein (1973, xxvii).14 À cette dernière chercheuse, nous devons une
édition magistrale de l’œuvre hébraïco-provençale, dans sa thèse doctorale dirigée
par Samuel G. Armistead. À part l’édition (cf. ci-dessous, § 4.1), Silberstein a fourni les

contextes historiques et littéraires mais surtout une analyse linguistique détaillée, une
traduction en anglais, et une copie et une description soigneuse des pages du
manuscrit. Cette édition précieuse n’a été publiée que sur microfiche, mais est mainte-
nant disponible en version électronique. Einbinder (2005, 438) mentionne un deu-
xième fragment, inédit, du texte dans le ms. Rome, Biblioteca Casanatense, ms. Heb.
3140 (IMHM, microfilm F 100).
Le sujet d’Esther est resté vivant dans les siècles suivants chez les juifs du Comtat
Venaissin. Les obros, dont la plupart ont été composées par le rabbin Mardochée
Astruc (XVIIe siècle) sont des chansons liturgiques en vers alternants (hébreu-occitan,
aussi en caractères hébreux), qui se rattachent au récit du livre d’Esther. La langue
des obros ne reflète pas le Chuadit mais une variante du provençal littéraire (Lazar
1963, 292). Lazar a identifié six manuscrits du début jusqu’à la deuxième moitié du
XVIIIe siècle et trois versions imprimées (1765, 1767, 1829) qui contiennent des obros,
dix au total. Un certain nombre de obros avait été transcrit et publié au XIXe et au XXe
siècle exclusivement en caractères latins (Lazar 1963, 296–299). Dans son édition
critique diligente, Lazar a considéré dans l’apparat critique tous les manuscrits et
versions imprimés. L’édition comprend le texte et l’apparat critique à droite et une
version en caractères latins (aussi avec apparat critique) à gauche ; voir aussi ci-

dessous, § 4.3.

4 Formes, méthodes et problèmes d’édition


4.1 Généralités

On peut distinguer quatre principaux types d’édition possibles : des éditions 1) en


caractères hébreux, 2) en caractères latins, 3) en translittération, et 4) des combinai-


sons de plusieurs des types 1) à 3). Tous ces types peuvent être accompagnés – si le
texte principal est en hébreu – par une traduction dans une langue européenne. Nous
ne discuterons pas les éditions exclusivement en caractères latins (cf. des exemples
en § 3.3), qui sont de toute évidence totalement insuffisantes. Les éditions en caractè-

res hébreux sont la règle pour la littérature religieuse et les œuvres lexicographiques
(cf. § 3.1). Au XIXe siècle déjà, ce type d’éditions comprenait souvent des notes en bas

14 Notons en passant que le Centre International de l’Écrit en Langue d’Oc a publié en ligne une
version du poème d’Esther qui reproduit la version en caractères latins de Pansier, sans mentionner le
nom de ce dernier et sans expliquer que l’original est écrit en caractères hébreux. Voir http://sites.
univ-provence.fr/tresoc/libre/libr0326.htm (dernière consultation 25 janvier 2014).
252 Guido Mensching

de page avec un essai d’identification des « gloses », comme dans les exemples
   

suivants (cf. aussi § 4.2) :


   

(5) D. Qimḥi, Sefer ha-Šorashim, edd. Biesenthal/Lebrecht (1847, 68)

a. Texte b. Notes

(6) Parodies, éd. Davidson (1907, 136)

a. Texte

b. Notes

La question est différente pour les textes entièrement occitans, qui évidemment n’ont
pas fait l’objet d’éditions s’adressant à un public hébréophone ou hébraïste, mais ont
été édités dès le départ par des romanistes. Dans ce type de textes très rares il est clair
qu’une édition synoptique soit utile. C’était la méthode employée déjà par Neubauer
et Meyer dans leur édition du poème d’Esther (cf. § 3.3). Nous en reproduisons un

extrait ci-après :15


15 Pour une évaluation intéressante de la méthode employée par Meyer et Neubauer du point de vue
de l’histoire de la philologie, voir Aslanov (2003, 14s.).
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 253

(7) Poème d’Esther, éd. Neubauer/Meyer (1892, 212)

Un autre exemple d’une édition synoptique est celle faite par Lazar (1963) des obros
du XVIIe siècle (cf. § 3.3).

Le problème majeur consiste en la manière de transcrire les caractères hébreux


pour les rendre accessibles à un lecteur qui ne connait pas l’alphabet hébreu. Les
éditeurs des exemples (5) à (7) ont choisi de rendre la langue romane directement
dans des graphies connues de l’occitan ou d’autres langues. Le problème réside dans
le fait que le lecteur romaniste qui ne connaît pas l’hébreu n’est pas à même de juger
si la version en caractères latins est correcte. En (5), un tel lecteur arrivera à la
conclusion – en se basant sur les formes abaille, aballie – que l’élément en question
n’est pas du tout occitan. Par contre, une translittération du mot, par ex. comme
‘BYLYY’Š, peut correspondre parfaitement à l’anc. occ. abelhas. En (6), la translittéra-
tion montrerait B’AŠṬW, où le -W final correspond au suffixe possessif hébreu (3e p.
du sing. masc.),16 de sorte que la lecture occitane bast proposée semble juste, mais
comment contrôler tout cela sans la translittération et sans commentaire ? Ceci est  

également valable pour la version du poème d’Esther en (7). Le grand mérite de


Silberstein (1973) est d’avoir fait une édition à trois voire même à quatre pas : une  

translittération (dénommée « diplomatic transcription » par l’éditrice) avec une ver-


   

sion en ancien occitan (cf. l’exemple 8a), et par la suite, ce que l’éditrice caractérise
de « critical edition », accompagnée, à côté, d’une traduction à l’anglais (voir 8b).
   

16 RWKB ‘L ḤMWR ‘M B’ŠṬW (‘sur un âne avec son bât’).


254 Guido Mensching

(8) a. Extrait de l’édition de Silberstein (1973, 161s.)

b. Extrait de l’édition de Silberstein (1973, 199s.)

La version occitane en (8a) possède, en effet, des traits diplomatiques : elle ne


comprend pas de signes de ponctuation, et les voyelles qui ne sont pas repré-
sentées sont marquées en italiques. Mais cette version est adaptée déjà à des
graphies courantes dans l’ancien occitan, par ex. en ce qui concerne les sons
palataux, comme NYY qui apparaît comme nh. Les métathèses (cf. § 2.4) ne sont

pas rendues (QYRM’D’H : cremada ; ŠYNWYYR : senhor, etc.). La version « cri-


       

tique » en (8b) est une version de lecture, qui suit toutes les conventions

communes en ancien occitan, introduit des signes de ponctuation et procède à


des émendations, ici par ex. RYŠQ’Š (v. 319), transcrit comme riscas en (8a)
pour devenir ricas en (8b). Les décisions éditrices des deux parties sont expli-
quées en deux apparats indépendants et volumineux de notes (« Notes to the

Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 255

Diplomatic Transcription »,17 pp. 166–188 ; « Notes to the Critical Transcription »,18
         

pp. 203–259).

Même si la procédure de Silberstein nous semble très bien raisonnée, il faudrait


noter que tout essai de reproduction des mots occitans écrits en caractères hébreux
par des graphies occitanes en alphabet latin est toujours une interprétation, l’unique
façon objective étant la translittération lettre par lettre comme dans la partie supéri-
eure de (8a). Ainsi, même dans la version diplomatique, l’éditrice a dû prendre des
décisions risquées, en particulier en ce qui concerne les voyelles. Par. ex., RYŠQ’Š en
v. 318/319 avait été transcrit par Neubauer/Meyer comme riscas, même si cette forme
n’existe pas, donc pourquoi pas rescas ? L’interprétation des deux chercheurs se

basait sur des raisons sémantiques et de contexte : « Riscas voudrait dire riche, par
   

opposition à teunes (pauvre ?) », tout en ajoutant que « la forme que donne la trans-
     

cription littérale n’est pas admissible ». Silberstein, dans la version critique, adopte

ricas (=ricás) ‘richard’, documenté en occitan moderne, en suivant une proposition de


lecture que nous trouvons déjà chez Neubauer/Meyer et en supposant qu’il s’agit
d’une erreur de copiste possiblement due à la rime avec escas. La transcription de
youd comme i se base uniquement sur l’idée que le sens doit être relié à l’adjectif
‘riche’, en outre motivée par un contraste avec un mot également obscur (ṬYNWYYŠ).
Mais si l’on compare la forme RYŠQ’Š avec la documentation que nous connaissons
maintenant, le résultat peut bien être autre : dans le premier glossaire du Sefer ha-

Šimmuš (cf. ci-dessus, § 3.2), nous trouvons RŠQS (var. RYŠQ’Ṣ) au sens de ‘croûteux’,

‘affecté par un prurit / de la teigne’ et donc correspondant à l’anc. occ. rascás


‘teigneux’ (Bos et al. 2011, 161). Curieusement, il s’agit d’un quasi-synonyme de tinhos.

Nous n’allons pas poursuivre cette discussion, mais nous concluons avec la remarque
que, si RYŠQ’Š était une variante de rascas, une lecture comme *rescas serait plus
probable que *riscas, à cause des cas fréquents d’alternances a-e (et non a-i) en
syllabe prétonique (Appel 1918, § 36).  

Notons finalement que la situation peut être différente quand il s’agit de matériel
roman ponctué (cf. 2.2), mais il est convenable d’utiliser quand même un système de
translittération, en se souvenant de plus que la ponctuation peut être ultérieure. Les
obros du XVIIe siècle pourraient constituer une exception, car elles semblent écrites
dans une graphie assez constante avec des éléments basés sur une graphie occitane
francisante. Ceci a permis à Lazar (1963) de passer directement à une graphie occitane.
Mais l’éditeur n’est pas toujours cohérent et a commis quelques erreurs, qui passent
inaperçues du lecteur ignorant de l’hébreu.

17 Ex. : la lecture tinhos (v. 319) au lieu de teunes (Neubauer/Meyer 1892, 222, admettent que cette

lecture « est, comme transcription et même comme sens, fort douteuse »). La décision pour tinhos est
   

fondée, entre autres, sur le parallélisme avec la métathèse en ŠYNWYYR (=senhor).


18 Ici les lectures occitanes sont discutées et argumentées en fonction de leur sémantique, du contexte
du poème, de la rime etc.
256 Guido Mensching

4.2 L’édition de mots et syntagmes isolés

Dans le cas le plus fréquent, notamment celui des éléments occitans isolés (cf. § 3.1 et  

les exemples (5) et (6) de § 4.1), une édition complète du texte ne peut clairement pas

être réalisée dans le cadre de la philologie romane. D’autre part, les éditeurs hébraïs-
tes ne sont pas enclins à avoir de longs commentaires romanistes dans leurs éditions,
et, en contrepartie, le lecteur romaniste ne s’intéresse pas en principe au texte hébreu.
La solution adoptée dans la philologie romane depuis Darmesteter/Blondheim (1929)
fut d’éditer les le‘azim sans le texte qui les entoure : « ils sont extraits de leur contexte,
   

retranscrits en caractères latins et classés par ordre alphabétique » (Aslanov 2003, 16).

Pour l’occitan, cette méthode n’a été appliquée que beaucoup plus tard. Nous l’avons
employée dans l’édition du Macer Floride (Bos/Mensching 2000) (cf. ci-dessus, § 3.1),  

mais comme il s’agit d’un fragment très réduit nous avons pu faire l’édition du texte
hébreu complet (même avec le texte latin à coté), et le petit catalogue des mots
occitans et latins figure comme annexe. Pour les textes plus longs, une édition du
texte hébreu dans sa totalité n’est pas faisable. La solution adoptée par Aslanov
(2001) est d’éditer et d’étudier les « gloses » de J. Caspi (cf. § 3.1) indépendamment du
     

texte, dans un inventaire organisé par ordre alphabétique (Aslanov 2001, 15–46), voir
l’exemple d’une entrée en (9) :  

(9)

codoing ‫ קודוײן‬qdwyyn « coing », glose de ‫ « ַחבּוּש‬coing », s.r. ‫ חבש‬ḥbš, p. 107a. Les divers parlers
         

d’oc font coexister une forme codon et une forme palatalisée codoing / codonh qui est à
rapprocher du piémontais codogn et du catalan codony. C’est la deuxième de ces formes qui est
représentée dans le dictionnaire de Caspi. Dans la paraphrase en vers du livre d’Esther attribuée
au médecin Crescas du Caylar, contemporain de Caspi et originaire comme lui des confins
orientaux du Languedoc, on trouve (v. 155) également la forme palatalisée.

L’entrée commence par une hypothèse sur la lecture occitane (codoing), suivie par la
graphie en hébreu, la translittération, le signifié du mot occitan, l’équivalent hébreu
avec son signifié et un renvoi à la racine sous laquelle cette équivalence est mention-
née. La lecture est justifiée par un commentaire plus long. Cette procédure peut être
appliquée dans des textes où il y a des équivalences explicites, comme c’est le cas ici.
Mais quand les mots occitans se trouvent intégrés syntaxiquement dans le texte
hébreu (cf. ci-dessus, § 3.1, et l’exemple (6) en § 4.1), les éditions futures devraient au
   

moins reproduire et traduire le contexte immédiat dans lequel le mot se trouve. Dans
la partie du Ṣedat ha-Derakim (cf. § 3.1) que nous avons étudiée, le cas est encore

différent, car il s’agit d’une traduction de l’arabe. Comme notre partenaire orientaliste
Gerrit Bos a fait les éditions et du texte arabe et de la traduction vers l’hébreu, nous
pourrons indiquer les mots-source en arabe, et nous pourrons donc publier l’édition
des mots occitans sans leur contexte ou avec un contexte minimal, heureusement, car
il s’agit surtout de recettes médicales, où le contexte n’est pas d’une grande aide. Le
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 257

texte hébreu complet a été publié séparément, avec l’édition du texte arabe pour un
public différent et dispose donc seulement d’un glossaire des termes hébreux, où les
mots occitans apparaissent accompagnés de leurs signifiés.
La question de l’édition des listes de synonymes est bien différente, car il s’agit
d’œuvres lexicographiques qui ont besoin de toute façon d’une analyse linguistique,
aussi des mots hébreux et arabes, et doivent donc être éditées dans leur totalité. Voir
l’exemple (10) de la première liste du Sefer ha- Šimmuš (cf. § 3.2) :    

(10) Bos et al. (2011, 95)19


Chaque entrée commence avec la version originale en caractères hébreux (l’édition


proprement dite) suivie par une traduction, dans laquelle le lemme hébreu et les
équivalents arabes et occitans figurent sous forme translittérée. L’édition et la traduc-
tion/translittération est suivie par des commentaires sur chacune des trois langues en
question. Pour la partie romane, nous avons essayé, pour chaque mot, de traiter la
question de l’identification de la langue romane en question.

19 Les notes font référence à l’apparat critique, qui n’est pas reproduit ici. L’abbr. « o.l. » représente
   

« other language » (=la’az)


   
258 Guido Mensching

4.3 Éditions critiques

Dans leur œuvre « Les gloses françaises dans les commentaires talmudiques de

Raschi », Darmesteter/Blondheim (1929) ont essayé de reconstruire la version origi-


nale de chaque glose sur la base d’un nombre très élevé de manuscrits. Même si les
auteurs admettent que les « textes ont subi tant d’altérations à travers les siècles »
   

qu’il est « impossible actuellement d’établir un texte définitif des gloses », ils ont
   

essayé quand même pour chaque glose, « une reconstruction de la glose en caractères

romans, telle qu’on peut supposer qu’elle a été prononcée par Raschi » (1929, iv). Mais  

cette entreprise ne peut pas fonctionner, car les variantes qui sont réunies dans
l’apparat critique représentent plusieurs variétés voire même langues, l’occitan entre
autres. Voyons, comme exemple, les variantes que l’apparat critique indique pour les
formes reconstruites comme « judéo-français » *faisol et *faisols (‘haricot/‑s’, ‘fa-
   

séole/-s’) (1929, 62, nos. 455 a et b). Nous nous servons de la translittération que nous
avons utilisée dans tout l’article et non de celle des éditeurs :  

455 a) e PWYYŠWLŠ   h PWYYŠLŠ 6 PYBYŠ   50 PŠWL


F BŠWLŠ B2 PYYŠWLŠ
b) x PYYŠWL   5 13 PŠWLY   F PŠWLŠ   S P’ŠWLY

456 a) e PYYŠWLŠ   t l II 50 S PYYŠWL’


b) e1 PYYŠWL’   ι PYYŠWN’ II PYWŠL 44 PYYŠWLYŠ
c) 6 PYYŠWL’     27 B PYYŠL’
d) v NYṢLY’        B PYYŠWL’

La forme P’ŠWLY en 455 dans le livre imprimé S peut correspondre parfaitement à la


variante fasole documentée pour l’ancien français (FEW 8,373), et encore PŠWLY dans
les mss. 5 et 13 ; et peut-être aussi le pluriel PŠWLŠ en 50, tandis que PYBYŠ (ms. 6)

représente l’anc. fr. feves, qui n’a pas été identifié dans l’édition et est resté obscurci par
la translittération pibis (cf. le tableau (2) en 2.1 pour la translittération utilisée par les
éditeurs). Presque toutes les autres formes montrent la graphie -YY-, laquelle représente
une diphtongue (cf. § 3.2). La variante du moyen français faisole est classifiée comme

hapax legomenon par le FEW (8, 373), ce qui ne nous empêcherait pas, en principe, de
reconnaître cette variante dans PYYŠ(W)L’ en 456 e, 6, B et 27B, en se souvenant qu’alèf
peut représenter [e] ou [ə] en français, et encore plus clairement au pluriel PYYŠWLYŠ
(pluriel, *faisoles ; ms. 44). Mais les variantes du type PYYŠWL en 455 x et au pluriel

PYYŠWLŠ en 455 B2 et 456 e reflètent parfaitement l’anc. occ. faisol / faizol (LR 3,250b,
FEW 8,373), visible aussi – peut-être — dans les formes (corrompues ?) PWYYŠ(W)LŠ en  

455 e et h. Ceci, nous l’avons déjà constaté dans Mensching/Bos (2011)20 en rapport avec

20 Voir ibid. pour d’autres variantes qui peuvent être catalanes.


Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 259

le fait d’avoir trouvé des variantes similaires dans d’autres manuscrits qui contiennent
des éléments occitans. Tout cela est encore plus probable parce que la plupart des
manuscrits et textes imprimés de Raschi contiennent, selon les éditeurs, des éléments
« provençaux » ou « provençalisés ». Étrangement, Darmesteter et Blondheim ont
       

choisi exactement ces variantes pour former leurs mots vedettes. L’idée d’une édition
critique a conduit donc en dernière instance au fait qu’un mot très probablement
occitan figure dans le FEW (loc. cit.) comme judéo-français !  

Les textes de Rachi connaissaient une diffusion extraordinairement vaste, avec


des manuscrits et éditions imprimés d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne et de Grèce,
entre autres. Ils présentent donc – mis à part les éléments occitans évidents – des
italianismes, hispanismes, catalanismes et en outre, surtout dans les versions produi-
tes en dehors de la Romania, des formes corrompues. Mais même dans des textes qui
semblent avoir été copiés exclusivement dans le domaine occitan, une édition critique
ne semble pas être possible, car les scribes avaient la tendance d’adapter l’occitan à
leur dialecte spécifique. Pour donner un autre exemple du Sefer ha-Šimmuš (cf. § 3.2),  

concernant un des manuscrits (O) nous savons qu’il a été copié à Trets en Provence, et
les deux autres (P et V) semblent contenir des traits plutôt languedociens (cf. Bos et al.  

2011, 41–44). Par ex., pour ‘lézard’, le ms. V montre L’ŠYRṬ (probablement langued.
or. / prov. occ. lazer(t)), tandis que P montre LDBYRṬ, forme interprétable comme
lauzert (avec une métathèse et dalèt pour [z], cf. §§ 2.3 et 2.4), documenté pour l’anc.

languedocien. Le ms. O a la variante L’YNBYRṬ, probablement correspondante à la


forme provençale laimbert, en conformité avec le lieu de la copie (Trets). Comme il
n’était évidemment pas possible de procéder à une édition critique, nous avons choisi
de suivre un des manuscrits en laissant les variantes dans l’apparat critique.
Les versions des obros du XVIIe siècle se comportent, elles, différemment. Ayant
circulé dans une zone très restreinte (le Comtat Venaissin) et reflétant un langage
plutôt écrit, ces versions présentent une grande constance. Lazar a donc pu en faire
une édition critique. Pour les textes médiévaux, la plupart des cas ne permettent pas
une telle pratique.

5 Conclusion
Dans cet aperçu général, nous avons pu voir qu’un matériel occitan loin d’être
négligeable a été transmis en caractères hébreux, surtout au Moyen Âge (XIIIe au XVe
siècle). Des deux textes longs existants, un seul (le poème d’Esther) a fait l’objet d’une
édition satisfaisante de la part de Silberstein (1973). Par ailleurs, il existe une quantité
impressionnante de matériel lexical ou fragmentaire en ancien occitan provenant en
gros de trois domaines (religion, médecine et lexicographie). Mis à part les glossaires
médico-botaniques, ce matériel, notamment des mots et syntagmes, résulte de la
pratique commune aux juifs d’alors d’insérer du matériel roman explicatif dans des
textes hébreux. Nous avons identifié deux variantes de cette procédure, notamment
260 Guido Mensching

(i) l’ajout de correspondances occitanes pour expliquer les mots hébreux et parfois
arabes, et (ii) l’usage d’expressions occitanes au lieu de l’hébreu, c.-à-d. en tant que
mots étrangers – en médecine : termes techniques – en hébreu. Seule une petite partie

de toute cette richesse, que nous estimons consister en plusieurs milliers de mots et
syntagmes, a fait l’objet d’éditions satisfaisantes à ce jour.
La première et plus grande difficulté réside dans le fait que l’édition de ce matériel
présuppose un niveau élevé de familiarité aussi bien avec les langues romanes
qu’avec l’hébreu. C’est la raison pour laquelle le matériel roman dans les textes que
nous avons examinés n’a souvent pas du tout été identifié comme occitan ou sinon
très tard. Concernant les langues romanes, nous avons vu qu’il n’était pas suffisant
que l’éditeur soit spécialiste en occitan car la quasi-totalité des textes en question, et
ceci pour une variété de raisons, contiennent des éléments ou des traces d’autres
langues romanes. Une langue romane écrite en caractères hébreux ne suivant pas les
conventions usuelles (telles que koinès ou scriptae), une connaissance approfondie
de la dialectologie romane est également nécessaire. Enfin, la connaissance d’autres
langues, en premier lieu de l’arabe, est aussi incontournable puisque la littérature
juive au sud de la France est d’origine hispano-arabe.
Les éditions faites par des spécialistes de l’hébreu ou des études orientales ne
s’intéressent logiquement pas à l’identification des éléments romans et, le cas
échéant, ne les identifient pas (suffisamment). Les éditions de spécialistes des lan-
gues romanes sans connaissances approfondies de l’hébreu ou sans l’assistance de
spécialistes de l’hébreu ont souvent été faites uniquement en caractères latins. Ce
produit est malheureusement inutile puisqu’il présente des textes qui n’ont jamais
existé. De bonnes éditions ou des éditions acceptables ont toujours été faites soit par
des personnes disposant d’excellentes connaissances de l’hébreu et de la philologie
romane (telles qu’Arsène Darmesteter, Susan Milner Silberstein, Moshé Lazar ou Cyril
Aslanov) soit par des équipes comprenant au moins deux spécialistes de chaque
domaine (tels qu’Adolf Neubauer et Paul Meyer ou notre propre équipe de recherche).
Quant à l’édition même, le problème principal est de trouver un moyen de
transcription approprié. Idéalement, une édition de matériel non hébreu dans des
textes écrits en hébreu doit présenter le même mot, syntagme ou texte roman au
moins en trois étapes : l’original en caractères hébreux, une transcription caractère

par caractère et une ou plusieurs écritures hypothétiques en caractères latins. La


majorité du matériel occitan étant fragmentaire, la décision éditoriale suivante porte
sur la mesure dans laquelle le texte hébreu environnant doit être inclus. L’édition de
l’ensemble du texte hébreu (qui peut correspondre à plusieurs volumes dans le cas
de travaux bibliques ou médicaux) n’est habituellement pas une option pour les
objectifs de la philologie romane ou occitane. Même lorsqu’il s’agit de textes plus
courts, l’objection communément exprimée et liée à notre propre expérience porte
sur la raison pour laquelle le matériel roman devrait être discuté de manière si
approfondie aux dépens des éléments en d’autres langues comme l’arabe ou le grec.
Ainsi, il est devenu de mise d’éditer uniquement les éléments romans. Dans ce cas,
Éléments lexicaux et textes occitans en caractères hébreux 261

toutefois, le contexte du texte hébreu doit être pris en compte, du moins dans une
certaine mesure qui peut être décidée séparément pour chaque texte et pour chaque
élément roman.

6 Bibliographie
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Aslanov, Cyril (1996), La Réflexion linguistique hébraïque dans l’horizon culturel de l’occident
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Aslanov, Cyril (2001), Le provençal des Juifs et l’hébreu en Provence. Le dictionnaire « Šaršot ha-

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Aslanov, Cyril (2002) Judéo-provençal médiéval et chuadit : essai de délimitation, La France latine 134,

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Martin Glessgen
11 L’écrit documentaire médiéval et le projet
des Plus anciens documents linguistiques
de la France
Abstract : L’écrit documentaire médiéval comporte des textes produits par l’adminis-
   

tration, le commerce et la pratique judiciaire ainsi que la production épistolaire. Son


volume dépasse de très loin celui de tous les autres genres textuels confondus et il
comporte de riches renseignements dans tous les domaines du langage. L’état d’étude
philologique et linguistique de ce patrimoine est toutefois largement insuffisant pour
toute la Romania. Dans le domaine gallo-roman, le projet centenaire des Plus anciens
documents linguistiques de la France est paradigmatique dans sa tentative de réperto-
rier, d’éditer et de préparer à l’analyse linguistique les témoins médiévaux dans une
logique systématique. Les différentes étapes du projet, fondé par Paul Meyer et Clovis
Brunel, continué par Jacques Monfrin et dirigé actuellement par Martin Glessgen sous
les auspices de la philologie électronique montrent autant le potentiel des textes
documentaires que les contraintes intrinsèques à leur étude.

Keywords : scriptae, chartes, philologie informatique, textes administratifs


   

1 L’écrit documentaire dans l’histoire de l’écrit et en


linguistique historique
1.1 L’écrit documentaire est présent dès les premiers textes rédigés il y a cinq millé-
naires en Mésopotamie et en Égypte (cf. HSK 10, art. 18s.). À travers toute l’histoire de
la scripturalité, il a occupé de loin la première place parmi les différents genres
textuels par son importance quantitative. Dans la Romania médiévale, l’écrit docu-
mentaire vernaculaire se développe surtout aux XIIIe/XVe siècles, investissant peu à
peu la place du latin, dont les actes se sont multipliés depuis la Réforme carolin-
gienne. Pour les deux siècles compris entre 1300 et 1500, il faut compter plusieurs
centaines de millions de pages écrites en français, italien, occitan, catalan, espagnol
ou en gallégo-portugais (Glessgen 2001a, 268s.).
Il s’agit, certes, de sources de type sériel, mais avec une réelle diversité interne de
formes linguistiques selon les genres textuels. L’écrit documentaire comprend ainsi
tous les textes produits par la gestion princière, ecclésiastique ou urbaine, par le
commerce et par la pratique judiciaire, notamment :  
268 Martin Glessgen

–        
  toute forme de listes ou d’inventaires (de personnes, de terrains, de biens meubles) qui
interviennent notamment dans la gestion foncière (censiers etc.) ou commerciale
(inventaires de marchandises) ;  

– toute forme de documents comptables (surtout des registres de recettes et dépenses qui
sont souvent très riches d’un point de vue lexical, notamment en contexte princier) ;  

– tout acte de la pratique de droit (les chartes, souvent transmises par des cartulaires,
traitant tout genre de questions liées au droit privé : ventes et donations, règlements de

litiges et arbitrages, inféodations, etc. ; plus tard, les registres princiers ou urbains

réunissant des pétitions ou demandes, des décrets ou privilèges, des comptes rendus
de décisions en cas de litige) ;

– toujours dans le cadre du droit, certains genres bien définis qui sont plus proches de la
pratique que de la théorie juridique (testaments, sentences judiciaires ou encore des
statuts, des chartes-loi et, dans une moindre mesure, des coutumes) ; la théorie

juridique, quant à elle, s’intègre plutôt dans les traditions textuelles d’un savoir
spécialisé, même si elle se trouve en interaction avec l’écrit documentaire (cf. Kabatek
2005, 124–130) ;

– enfin, un nombre très considérable de lettres (de type politique, administratif, commer-
        

ciales, privées) ; le cas le plus spectaculaire étant les ca 125.000 lettres des archives

Datini (cf. Hayez 2005).

D’un point de vue interne, l’écrit documentaire fournit toutefois de nombreuses


informations sur l’état et l’évolution des idiomes vernaculaires médiévaux. Dans le
domaine grapho-phonétique, la précision et la densité chronologique et géolinguis-
tique des apports dépasse de loin tous les autres genres textuels, ce qui explique sa
place de choix en scriptologie. Le marquage nominal et verbal est également bien
représenté. En syntaxe, seuls les textes argumentatifs comme les chartes et les lettres
sont pertinents – mais il s’agit là d’ensembles importants avec un haut degré de
complexité syntaxique. Les chartes permettent également de mieux cerner les ten-
sions entre l’oralité et la scripturalité, puisque ces textes sont placés dans un environ-
nement pragmatique et fortement médialisé. Enfin, les différents genres documentai-
res livrent des informations lexicales sur des champs sémantiques divers : les  

multiples objets du commerce et de la vie quotidienne dans les registres commer-


ciaux, princiers et urbains, les données du monde agricole dans les chartes et la
terminologie juridique dans les textes de la pratique judiciaire. S’ajoutent de nom-
breux noms de personnes et, surtout, de lieux, non atteignables pour l’essentiel dans
les autres genres textuels. Si tout genre connaît des restrictions linguistiques et ne
reflète que partiellement la diversité d’une langue historique, les genres documentai-
res couvrent des pans plus larges que les textes littéraires profanes, les textes
religieux ou les textes relevant de savoirs spécialisés et ils ont la qualité particulière
de décrire plus en détail le monde médiéval des objets.

1.2 Malgré leur richesse indéniable, les textes documentaires sont l’ensemble textuel
de loin le moins étudié. Le contraste devient particulièrement saisissant si l’on
compare avec la littérature (profane) dont le volume est inférieur au moins par un
facteur 100, mais pour lequel le nombre d’études et de chercheurs spécialisés est bien
Les plus anciens documents de la France 269

plus important (cf. Carles/Glessgen 2015). Curieusement, la philologie de la seconde


moitié du XIXe siècle traitait d’une manière plus équitable que celle du XXe siècle ces
différents genres textuels. Le XXe siècle a connu en effet une concentration croissante
sur des textes littéraires, renforcé par la dé-philologisation de la linguistique depuis
les années 1960. Or, la philologie littéraire est, par définition, absente des études sur
les textes documentaires, alors qu’elle reste ouverte aux textes historiographiques,
religieux ou même scientifiques.
Ce décalage représente un des grands paradoxes de l’historiographie linguistique
et ne pourra être résorbé que par de nombreuses années de recherche. Les genres
documentaires ne sont pas un sous-ensemble circonscrit, mais un univers multiforme
où presque tout reste à découvrir. La diversité interne de ces ensembles textuels et
leur volume rend toute tentative d’aperçu global difficile. Il existe toutefois un certain
nombre de tentatives pour mieux cerner l’écrit documentaire médiéval :  

– adoptant une approche régionale (= toutes les sources non-littéraires d’une région à une
       

époque donnée) : pour l’Italie du Nord, P. Videsott a réuni pour l’époque comprise entre ca

1280 et 1525 un peu plus de 2000 textes vernaculaires surtout de type documentaire pour
lesquels nous disposons d’une édition, permettant ainsi un aperçu géolinguistique, chrono-
logique et quantitatif des genres accessibles pour une région définie de la Romania médié-
vale (Videsott 2009, 64–237 ; une trentaine de textes se place entre ca 1200 et ca 1280) ;
   

– d’autres adoptent une approche par genres textuels (diachronique ou comparatiste) : dans
         

la lignée notamment de W. Raible (cf. HSK 10, art. 1, la collection des ScriptOralia, etc.),
différentes traditions textuelles particulièrement caractéristiques ont été étudiées de ma-
nière interprétative, par exemple les sentences judiciaires en français (Krefeld 1985), les
lettres en italien (Koch 1987), le phénomène des listes (Koch 1990) ou les textes romans liés
au droit romain (Kabatek 2005, 87–112) ;  

– on relève également des approches lexicales (par définition plus partielles) : par ex. dans le
         

domaine commercial, les études de F. Melis (1962) sur le vocabulaire contenu dans les lettres
des archives Datini ou la thèse de M. Höfler (1967) sur les dénominations des tissus d’après
les sources documentaires en français ;

– enfin, on mentionnera les approches grapho-phonétiques (et morphologiques) de la scripto-


       

logie qui repose traditionnellement surtout sur des textes documentaires (cf. pour le terri-
toire de la France, Gossen 1967 ; Goebl 1970 ; Dees 1980 et la synthèse Glessgen 2012).
   

Mais devant l’immensité de la matière, nos connaissances sur le rôle de l’écrit


documentaire dans la pratique de l’écrit et dans l’élaboration des langues romanes
restent encore très partielles. Le constat est d’ailleurs bien plus flagrant encore pour
les textes en latin médiéval, qui contiennent de nombreux éléments lexicaux et
onomastiques vernaculaires et qui sont également significatifs pour des interroga-
tions grapho-phonétiques, morphologiques ou syntaxiques.
270 Martin Glessgen

2 Le projet des Documents linguistiques de la France


(DocLing)

Parmi les études philologiques portant sur des textes documentaires, l’entreprise des
Documents linguistiques de la France est sans doute celle avec la plus grande longé-
vité : elle a débuté à la fin du XIXe siècle et a connu un renouveau au début du XXIe

siècle. L’évolution du projet à travers les décennies montre ainsi certaines tendances
plus générales dans le travail philologique. Le caractère prototypique ressort égale-
ment dans les choix de contenu :  

– avec des textes documentaires choisis, le projet est consacré à un ensemble textuel peu
       

connu et riche pour l’analyse de tous les domaines du langage ;


– il entend documenter les débuts du genre étudié en langue vernaculaire, ce qui est particu-
       

lièrement important parce que les traditions discursives connaissent une grande constance
dans les choix de structure textuelle, de syntaxe et de lexique à travers les siècles (cette
constance admet naturellement des transformations ; citons l’élaboration graphématique,

terminologique et syntaxique des chartes et leur professionalisation accrue dans les décen-
nies suivant 1280, cf. Monfrin 1968, 45sq. et Grübl 2014, 220sq.) ;

– il entend couvrir par une approche globalisante l’intégralité d’un territoire linguistique ;
         

– ses dimensions quantitatives sont suffisantes pour permettre des observations générales.
       

Les Documents linguistiques fournissent un corpus textuel significatif permettant des


analyses philologiques et linguistiques de type exemplaire. Même s’il ne s’agit que
d’une parcelle définie de l’univers documentaire, son élaboration pourrait servir à
mieux planifier et structurer d’autres entreprises consacrées à d’autres langues, d’au-
tres genres et/ou d’autres époques. Dans cette optique, l’aperçu suivant distingue les
quatre phases de l’évolution du projet des DocLing, les aspects de linguistique
philologique dans sa conception actuelle et les aspects de technologie informatique
dans le projet actuel, qui sont a priori indépendants de la nature du genre textuel
étudié.

3 L’évolution du projet des DocLing


3.1 Paul Meyer

Les quatre phases dans le projet des DocLing sont intimement liées aux différents
protagonistes, à leurs choix et, bien entendu, aux divers paramètres conditionnant le
travail scientifique. Paul Meyer (1840–1917) ouvrit la voie de ce grand chantier à
tâtons, en sondant et déblayant un terrain parfaitement vierge. Il décrit lui-même,
vers la fin de sa vie, son cheminement avec toute la clarté et précision qui le
caractérisaient :  
Les plus anciens documents de la France 271

« J’étais encore sur les bancs de l’École des chartes, que je copiais toutes les chartes provençales

auxquelles je pouvais avoir accès. C’est à l’aide du recueil, bien insuffisant, que je m’étais formé
et des textes imprimés, encore peu nombreux il y a trente ou quarante ans, que je rédigeai [en
1874 un] essai sur la langue d’oc et ses dialectes […] [,] trop incomplet pour mériter de voir le jour.
J’avais dû me résigner à mettre en œuvre des éléments trop peu nombreux. […] J’ai donc reconnu
de très bonne heure la nécessité d’une exploration méthodique des archives du midi de la France.
Mais […] [c]’est seulement depuis une dizaine d’années que j’ai pu consacrer à des recherches
dans les archives de la France méridionale une partie de mes vacances.
Ces recherches sont souvent pénibles. […] j’ai eu le plus ordinairement à poursuivre mes recher-
ches dans les archives communales, qui, en bien des villes, ne sont ni classées, ni inventoriées »  

(Meyer 1909, I–III).

La publication du volume des Documents linguistiques du Midi de la France en 1909 fut


donc l’achèvement d’un travail de longue haleine, ponctué de tentatives préliminai-
res, de réflexions méthodologiques et de sondages divers. Paul Meyer nourrissait ses
pensées organisatrices d’un travail dans les archives et dans les bibliothèques, mais
également par le recensement des travaux de ses contemporains dans ses très nom-
breux comptes rendus. Diverses publications de textes documentaires accompagnè-
rent cette longue préparation :  

– dès 1874/1876, l’intégration d’une série de textes documentaires, notamment des chartes
       

[pp. 158–173] et coutumes [pp. 173–192], dans la partie ‘provençale’ [p. 23–192] de son Recueil
     

d’ancien textes bas-latins, provençaux et français – alors que la partie française [pp. 193–384]

réunit comme la ‘provençale’ des textes littéraires religieux et profanes, mais aucun texte
documentaire ; 

– l’édition d’une série de documents dans le cadre de la brève étude Le langage de Die au XIIIe
       

siècle (1891) [16 pp.] ;


– une publication partielle, mais déjà importante des Documents linguistiques des Basses-
       

Alpes (1898a) [104 pp.] ;  

– l’édition Le livre-journal de maître Ugo Teralh : notaire et drapier à Forcalquier (1330–1332)


         

(1898b) [42 pp.] ; 

– l’édition des Fragments du grand livre d’un drapier de Lyon (1320–1323) (1906) [17 pp.].
       

Le volume publié en 1909 marque une véritable rupture par rapport à ces travaux, ne
serait-ce que par son volume considérable [655 pp.], mais également par le caractère
systématique de l’entreprise. Il faut considérer séparément la partie des DocLing
concernant l’Ain (fruit d’un autre auteur et consacré à une autre langue) et celle
concernant les trois départements alpins, intégralement préparée par Paul Meyer. En
parcourant les différents dépôts d’archives, il transcrivait sur place les documents qui
lui semblaient les plus significatifs, en couvrant toute la période de l’écrit occitan,
allant parfois jusqu’au XVIIe siècle. La partie concernant les Basses-Alpes (aujour-
d’hui Alpes-de-Haute-Provence) est de loin la plus volumineuse avec 250 pages
[pp. 169–418], et c’est également la plus équilibrée. Pour les Hautes-Alpes « les textes
   

de langue sont relativement rares » [p. 420], ce qui explique la taille réduite de cette
   

partie comportant à peine 60 pages [419–480]. Dans le département des Alpes-


Maritimes [pp. 481–654], Paul Meyer s’est heurté à une situation archivistique très

272 Martin Glessgen

complexe, ce qui explique certains déséquilibres, notamment concernant la ville de


Nice [pp. 619–634], pour laquelle tout témoignage vernaculaire fait défaut entre 1115

et 1445.
Les grandes qualités de l’ouvrage résident dans la variété des genres documentai-
res réunis (inventaires divers, registres de recettes et dépenses et de délibérations
municipales, chartes, coutumes) ainsi que dans la couverture chronologique et géo-
graphique qu’il fournit pour une région bien déterminée. Il s’agit d’un choix représen-
tatif, notamment pour le département des Basses-Alpes. Les notes linguistiques et
toponymiques sont très soignées, et nous avons eu loisir de nous convaincre que les
glossaires comportent les lexèmes les plus significatifs.
La partie consacrée au département de l’Ain mérite une attention particulière ; cet

ensemble, relativement volumineux [pp. 1–166] et particulièrement soigné, fut inté-


gralement préparé par un élève de Paul Meyer, Édouard Philipon (1851–1926). Après
sa thèse de l’École des chartes sur Le dialecte du Lyonnais aux XIIIe et XIVe siècles
(1874), il entreprit une carrière juridique et politique et devint député de l’Ain pendant
plus d’une décennie (1885–1898), tout en restant philologue (il rédigea, entre autres,
le Dictionnaire topographique du département de l’Ain 1911). Ici, les éditions s’accom-
pagnent d’analyses grapho-phonétiques [pp. 105–128 ; 140–148 ; 153–156] et d’obser-
     

vations sur la littérature dialectale. La combinaison entre département francoproven-


çal et départements occitans reste implicite, sachant que l’intitulé (« Midi de la

France ») se prête mal à un département situé au nord de Lyon. Par ailleurs, les textes

de l’Ain comportent de nombreux éléments grapho-phonétiques francoprovençaux,


mais la scripta reste majoritairement de type oïlique, comme cela est fréquent en
domaine francoprovençal.
De cette réalisation impressionnante, il ressort que Paul Meyer a clairement sous-
estimé l’importance de son entreprise : il a traité personnellement trois départements

avec une tradition de l’écrit plutôt restreinte, mais sans donner d’analyses linguisti-
ques, à l’exception des trois glossaires (qui n’ont pas été réunis). L’utilisation de ce
volume assez éclectique n’est pas aisée et cela a sans doute contribué au fait qu’il
n’ait jamais donné lieu à d’importantes études lexicologiques, grapho-phonétiques et
grammaticales : le FEW cite très systématiquement « MeyerDoc », mais la plupart du
     

temps sans indiquer la date et le lieu des documents et sans entrer dans la réflexion
définitoire des lexèmes épineux. Les études grapho-phonétiques sont rares (cf.
Schroeder 1932 et le travail décevant de Hug-Mander 1989, cf. Glessgen 1997), les
travaux sur la morphologie ou la syntaxe inexistants.
Mais Paul Meyer a eu le grand mérite d’avoir ouvert la voie, conformément à son
propos (« L’important est de bien commencer », p. I), et c’est donc moins par l’apport
   

empirique concret que par son apprentissage méthodologique qu’il a eu un impact sur
la recherche future.
Les plus anciens documents de la France 273

3.2 Clovis Brunel

La réalisation de Clovis Brunel (1884–1971) a connu comme celle de Paul Meyer une
phase préliminaire, représentée par la publication des documents du Gévaudan
(Brunel 1916) et par un large tour d’horizon des plus anciens documents occitans
(Brunel 1922). Ce dernier article profite pleinement des acquis de son maître et
prédécesseur dans la chaire de philologie romane à l’École des Chartes. D’emblée,
Clovis Brunel se concentre sur le seul domaine d’oc, en laissant de côté le francopro-
vençal : ce choix reste implicite, mais il est clair. Ensuite, il constate que la densité de

la documentation ne permet pas de continuer dans la stricte lignée de Paul Meyer


pour l’ensemble du territoire d’oc :  

« Les facilités offertes par le groupement des premiers départements dont le nom commence par

A (Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes), aussi bien que par la pauvreté des archives de
ces pays de montagne, sont loin de se retrouver dans la suite de l’entreprise » (Brunel 1926, VII).

Il choisit par conséquent de réunir les plus anciens « textes d’ordre judiciaire et

administratif ». Ce choix était à la fois plus systématique et plus réaliste que celui de

Paul Meyer. Il se justifie également par la force d’inertie des genres textuels qui
tendent à reproduire pendant des siècles des modèles une fois établis (cf. supra 2). Le
terminus ante quem retenu (ca 1200) permettait à Clovis Brunel d’achever de son
vivant son projet en deux volumes réunissant 541 actes ; lors de la parution du

Supplément, il avait toutefois, comme Paul Meyer auparavant, un âge avancé.


Par d’autres paramètres encore, Clovis Brunel a augmenté le côté systématique
des DocLing :  

– la présentation des éditions suivant un ordre chronologique, sans considération du lieu


       

d’origine, ce qui facilite l’utilisation ;


– la tentative de datation et de localisation des documents à partir d’indices paléographiques


       

et linguistiques ;

– la présentation homogène des éditions, avec un bref regeste et une partie bibliographique ;
         

– des critères d’éditions plus diplomatiques (indication des résolutions d’abréviation en


       

italique, indication des lignes de l’original, indication des parties en latin, toujours au
moyen de l’italique ; dans le deuxième volume, indication des séparations de mots) ;
   

– un glossaire synthétique [1926, 448–495 ; 1952, 228–258] et une table de noms propres [1926,
         

345–448 ; 1952, 179–227], plus développés que celui de Paul Meyer ;


   

– un relevé systématique de la morphologie nominale, pronominale et verbale [1926, XIII–LV ;


         

1952, XIII–XXXVI].

La description des caractéristiques des deux volumes permet de délimiter leur portée
sous les différents aspects du temps, de l’espace, des genres textuels et, plus généra-
lement, de la mise à l’écrit :  
274 Martin Glessgen

(1) La couverture chronologique :  

Les documents de Brunel se placent pour la quasi-totalité entre 1100 et 1200 (cf. la
table chronologique 1952, 216–271) ; seulement six actes datent du XIe siècle, mais ce

sont des textes mixtes (latin-occitan, voire latin-catalan).


Les documents édités rendent bien compte de l’état de production et de transmis-
sion des documents anciens originaux ; Clovis Brunel a pu se valoir des notes de

P. Meyer et du soutien de nombreux conservateurs d’archives pour ses relevés (cf. les

remarques et remerciements dans Brunel 1922, 335 ; 1952, V, n. 2). Il reste, bien
   

entendu, certaines lacunes, comme par exemple :  

– le cartulaire de la Selve, publié par P. Ourliac et A.-M. Magnou en 1985, qui comporte près de
       

80 actes originaux antérieurs à 1201 (ainsi que 176 actes contemporains transmis par un
cartulaire du début du XIIIe siècle ; cf. Ourliac/Magnou 1985, 5–7) ;
   

– un nombre assez conséquent de textes mixtes des XIe et XIIe siècles qui contiennent des
       

renseignements précieux pour la mise à l’écrit de l’occitan (cf. le relevé détaillé de Belmon/
Vielliard 1997, 178–183) ;

– pour la toute première époque (antérieure à 1121), le corpus de l’ARTEM comporte six actes
       

absents chez Brunel contre 24 actes publiés par lui (cf. Carles s.p. chap. 1.2.3).

On peut supposer de manière approximative que les deux volumes de C. Brunel  

réunissent pour l’époque concernée environ deux tiers des actes originaux conservés
aujourd’hui.

(2) La couverture géographique :  

La distribution géographique des documents occitans est très déséquilibrée,


comme c’est le cas pour toutes les langues romanes médiévales. L’écrit et, à plus forte
raison, l’écrit vernaculaire est tributaire des lieux d’écriture, à leur tour liés aux
évolutions économiques et socio-politiques. La concentration sur le premier siècle de
l’écrit vernaculaire réduit pratiquement la portée géolinguistique des volumes de
Brunel au Languedoc et au Rouergue :  

« nous avons un nombre prépondérant de documents pour une région qui peut être circonscrite

entre les villes de Toulouse, Moissac, Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Millau et Castres »  

(Brunel 1926, IX).

En tout, les deux volumes comportent vingt documents du Limousin, du Périgord, de


l’Auvergne et du Vivarais, dix documents de la Provence et du Dauphiné ainsi que
onze documents de la Gascogne (cf. Brunel 1926, LVI–LXIII ; 1952, XXXVII–XXXIX). 

Seulement 41 des 541 actes ne sont pas languedociens ou rouergats (7,5%). L’idée de
départ de Paul Meyer de couvrir le territoire méridional n’est donc aucunement
réalisée par cette collection, malgré son indéniable atout de répondre à un objectif
structurel clair et significatif.
Les plus anciens documents de la France 275

(3) Les genres textuels


Les genres textuels à l’intérieur de l’écrit documentaire sont également plus
restreints que chez Paul Meyer qui a pu prendre en considération la diversification de
l’écrit du XIIIe/XVe siècle. Clovis Brunel souligne, certes, la richesse de son corpus :  

« Les objets des textes sont assez divers. Une petite part comprend des documents d’économie

domaniale, des notices, intitulées breve ou breu, de revenus dont il importe de rappeler l’assiette
et le montant avec la sûreté de l’écriture. Pour le plus grand nombre, ont été trouvées des pièces,
désignées par le mot carta, qui rapportent des faits juridiques. Si nous n’avons que deux
rédactions de coutumes, nous sommes richement pourvus d’actes de la pratique. Parmi les
chartes relatives aux personnes, nous comptons une série de serments de fidélité antérieurs à
1180, un aveu de vassalité, une réception d’office et surtout des professions d’oblat. La prépondé-
rance appartient aux actes relatifs aux biens : inféodations et baux, lods, saisines ou déguerpis-

sements, reconnaissances ou abandons de droits, cautions, impignorations ou dégagements,


partages, dotations, legs, donations, donations rémunérées qui semblent des ventes déguisées,
ventes déclarées et quittances. Les contestations ont donné lieu à des plaintes, enquêtes et
attestations, rarement à des jugements, ce sont des accords amiables qui les préviennent ou
terminent d’habitude » [1952, VIIs. et cf. encore la table chronologique citée].

Mais les chartes sont malgré tout largement dominantes dans les deux volumes. Il est
certain que c’est un des genres textuels les plus complexes et les plus riches de l’écrit
documentaire, mais d’autres genres fournissent d’autres informations, comme les
simples inventaires. Ainsi, Clovis Brunel a exclu d’emblée une longue liste de rede-
vances de la commanderie de Manosque, pourtant de la fin du XIIe siècle (1922, 338),
puisqu’il n’a pas vu l’apport capital des noms de lieux et de personnes pour la
linguistique historique.

(4) La transmission des documents


Clovis Brunel a choisi, de manière très rigoureuse, de renoncer à la prise en
considération des copies de documents, même « transmises par des scribes du pays

des actes originaux et à peu près du même temps » :    

« Ont été seules retenues les pièces conservées en original, tant par souci de ne produire que des

textes à l’abri de tout soupçon d’altération due à un copiste que par désir de ne pas donner à la
publication une étendue trop grande » (1926, VIIs.).

Si le souci de la quantité est parfaitement compréhensible, la distinction déontolo-


gique entre originaux et copies contemporaines n’est pas aussi simple que Clovis
Brunel la présente. Lui-même revient partiellement sur sa position dans le volume de
supplément :  

« Ont été jointes […] plusieurs dizaines de documents […] qu’un nouvel examen de leur caractère

diplomatique nous fait classer aujourd’hui parmi les originaux plutôt que parmi les copies »  

(1952, V).
276 Martin Glessgen

La différence entre original et copie est, en effet, graduelle, surtout dans le domaine
de l’écrit documentaire. Très souvent, les actes ont été produits en deux exemplaires
pour les deux parties, parfois sous forme de chirographes, comme cela a été le cas
habituel à Douai au XIIIe s. (cf. Brunner 2014). Un acte connaît parfois une version
préliminaire, comme il peut avoir été immédiatement transcrit dans un cartulaire etc.
Leur valeur en tant que témoins pour la langue de l’époque demeure entière. Un
original est certes toujours préférable à une copie, mais renoncer à l’étude des copies
est une grave erreur qui rendrait d’ailleurs impossible le traitement des genres
littéraires médiévaux.
Dans le cas concret de l’écrit occitan antérieur à 1200, la prise en considération
des copies augmenterait le volume textuel disponible sans doute par un facteur deux
ou trois. Mais, surtout, elle fournirait une vision géo-chronologique plus équilibrée de
l’émergence de la scripturalité en langue d’oc puisque les textes les plus précoces ne
sont souvent transmis que sous forme copiée (cf. par ex. pour l’Auvergne Chambon/
Olivier 2000, 107s.).
En conclusion, la décision double de clore la documentation en 1200 et d’exclure
les copies conduit à renoncer à l’objectif d’une couverture équilibrée de l’espace
géolinguistique. En même temps, cette décision a permis à Clovis Brunel d’achever un
travail avec des dimensions bien déterminées et dans une logique structurée et
cohérente. Les différences dans les approches entre Paul Meyer et Clovis Brunel
permettent ainsi de mieux saisir les paramètres à prendre en considération dans le
travail philologique appliqué aux textes documentaires.
Les travaux de Clovis Brunel ont connu une plus grande fortune que ceux de Paul
Meyer notamment grâce aux études grapho-phonétiques et morphologiques d’Åke
Grafström sur les chartes languedociennes (1958 et 1968), à leur utilisation intense par
le FEW et, plus généralement, par la lexicographie de l’ancien occitan.
Notons toutefois que les études de Grafström ne reposent que sur 141 des 541
chartes de C. Brunel et que le FEW reste presque aussi sybillin dans la citation des

volumes que pour celui de P. Meyer. Cf. par ailleurs pour le domaine grapho-

phonétique les travaux de Kalman (1974) [chartes rouergates], Grafström (1978)


[chartes limousines], Dinguirard (1979) [chartes gasconnes] et Soutou (1976) [Remar-
ques sur une charte rouergate de 1161]. Quant au lexique, Max Pfister indique dans
ses travaux sur l’occitan chaque fois la localisation et la datation des formes éditées
ainsi que le passage dans les chartes, ce qui donne une idée plus claire de leur
apport en termes de géolinguistique et de diachronie ; cf. par ex. les attestations

pour l’expression verbale « arouerg. jurar manbes ‘jurer en personne, effectivement’


(1182, Brunel 196,7), aalb. jurar marves (Vaour 1176–1199, p. 18, 20, 28, 101), arouerg.

id. (1191–1195, Brunel 287, 6 ; 288, 28 ; BrunelS 507, 17 ; 515, 9) » etc. (Pfister 1970,
       

550).
S’ajoutent quelques rares études sur d’autres thématiques comme, notamment,
celle de Linder (1970) sur quelques interrogations syntaxiques ou celles de Chambon
(1980 ; 1987) sur l’identification – et l’édition – des formes toponymiques.

Les plus anciens documents de la France 277

Étant donné la grande richesse lexicale, onomastique, morphologique et synta-


xique des chartes, il reste un potentiel important pour de futures études autant
ponctuelles que monographiques sur ces deux volumes, tout comme pour celui de
Paul Meyer. Mais, plus que ce dernier, Les plus anciennes chartes en langue provençale
ont su s’imposer comme texte de référence et elles sont utilisées dans la mesure des
recherches actuelles sur l’ancien occitan (cf. Chambon 2012).
En revanche, le souhait de Paul Meyer et de Clovis Brunel, d’avoir des continua-
teurs, n’a pas été exhaucé, puisque les prochaines étapes des DocLing ont privilégié
le français au détriment de l’occitan.

3.3 Jacques Monfrin

Le projet des DocLing changea radicalement avec Jacques Monfrin (1924–1998) qui
succéda en 1958 à son maître Robert Bossuat (ce dernier avait occupé pendant trois
ans la chaire de linguistique romane de l’École des Chartes après deux décennies
d’enseignement sur la chaire de sources narratives et littéraires). Bien qu’occitaniste,
J. Monfrin décida de ne pas poursuivre le travail sur les documents occitans, mais
d’ouvrir le chantier des documents d’oïl et de reprendre celui des documents
conservés en domaine francoprovençal. Par ailleurs, il impliqua bien plus que ses
prédécesseurs d’autres collègues et de nombreux élèves dans le projet, ce qui permit
un élargissement considérable de la documentation traitée. Grâce à ces divers
soutiens, il put également procéder à un recensement bien plus systématique des
régions concernées, toujours en partant de l’unité de base du département, confor-
mément à l’organisation archivistique de la France. J. Monfrin établit également des
critères d’édition plus rigoureux et cohérents et augmenta encore le soin de détail
des volumes publiés (édition, notes, glossaire, index onomastiques). Enfin, les
recensements se sont accompagnés dès lors d’une saisie photographique des docu-
ments édités.
Le résultat le plus visible de ‘l’époque Monfrin’ sont les sept volumes de textes
documentaires publiés sous sa direction. Il s’agit, plus précisément, de trois volumes
codirigés avec Lucie Fossier, comportant les plus anciennes chartes françaises de cinq
départements contigus à l’est de Paris (Seine-et-Marne, Yonne, Aube, Haute-Marne et
Vosges : 1974, 1975 et 1988), de deux volumes réunissant pour la Belgique les plus

anciennes chartes françaises du Hainaut et de la Flandre (1984 ; 1987) et de deux


volumes concernant le territoire francoprovençal, projetés par Mgr Pierre Gardette et


codirigés avec lui (1974 ; 1975) :
   

1974 : DocHM = Chartes en langue française antérieures à 1271 conservées dans le département de

la Haute-Marne, ed. J.-G. Gigot [276 chartes]


1974 : DocFor = Documents linguistiques du Forez (1260–1498), ed. M. Gonon [pas de glossaire] [62

documents de nature variée, souvent longs]


1975 : DocV = Chartes en langue française […] des Vosges, ed. J. Lanher, 1975 [135 chartes]

278 Martin Glessgen

1975 : DocLyo = Documents linguistiques du Lyonnais (1225–1425), ed. P. Durdilly [62 documents

de nature variée, souvent très longs]


1984 : DocHain = Chartes en langue française antérieures à 1271 conservées dans la province de

Hainaut, ed. P. Ruelle [133 chartes]


1987 : DocFl = Chartes en langue française […] en Flandre orientale et Flandre occidentale, ed.

R. Mantou [83 chartes]


1988 : DocAub = Chartes en langue française […] de l’Aube, de la Seine-et-Marne et de l’Yonne, ed.

D. Coq [103 chartes]

À ces volumes s’ajoutent deux publications antérieures, de qualité très différente :  

DocPoit = La Du, Milan S., Chartes et documents poitevins du XIIIe siècle en langue vulgaire, 2 vol.,

Poitiers, 1960/1964 [concerne les dép. Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente-Maritime, Cha-
rente, comporte des documents antérieurs à 1300 ; ca 100 actes]

DocOis = Les plus anciennes chartes en langue française, t. 1 : Problèmes généraux et recueil des

pièces originales conservées aux Archives de l’Oise (1241–1286), ed. L. Carolus-Barré, 1964 [202
chartes]

Si l’édition de La Du intègre de nombreuses copies postérieures et s’avère très peu


fiable d’un point de vue paléographique et philologique, l’ouvrage de Louis Carolus-
Barré avait, quant à lui, pleinement préparé la voie au projet poursuivi ensuite par
Monfrin : « L’originalité et la qualité exceptionnelle de l’ouvrage ont fait que Jacques
   

Monfrin l’a pris comme modèle pour les Documents linguistiques de la France » (Grübl  

2013, 30).
Mais les volumes publiés ne donnent qu’une idée partielle de l’avancement du
projet des DocLing. En effet, J. Monfrin avait suivi plusieurs thèses, surtout de l’École
des chartes, s’inscrivant précisément dans l’idée initiale de Carolus-Barré. Entre 1964
et 1994 virent ainsi le jour sept ensembles de qualité, à l’état manuscrit, revus pour
l’essentiel par J. Monfrin et presque tous annoncés par lui dès 1974 (XLIX) :  

DocAisne_ms = Chartes de l’Aisne (1214–1350), ed. F. Grégoire-Ollivier, thèse de l’École des


Chartes, 1964 [196 chartes]
DocCOr_ms = Chartes de la Côte d’Or (1239–1270), ed. V. Neveu, thèse de l’École des Chartes,
1988 [270 chartes, seule publication non annoncée par J. Monfrin en 1974]
DocDo_ms = Chartes de Douai (1204–1270), ed. M. Mestayer, ca 1974 [500 chartes]
DocDoub_ms = Chartes du Doubs (1233–1261), ed. M. Lefèvre, thèse de l’École des Chartes, 1975 /
Id. (1260–1271), ed. J. Ducourtieux, thèse de l’École des Chartes, 1994 [en tout ca 250 chartes]
DocMM_ms = Chartes de la Meurthe-et-Moselle (1232–1265), ed. M. Arnod, thèse de 3e cycle, 1974
[290 chartes]
DocPC_ms = Chartes du Pas-de-Calais, ed. P. Bougard, ca 1980 [128 chartes]
DocSom_ms = Chartes de la Somme, ed. J. Estienne, ca 1980 [ca 100 chartes]

L’héritage de J. Monfrin, transmis après sa disparition à son élève et successeur


Françoise Vielliard, comportait par ailleurs de nombreuses photographies (noir et


blanc) et certains sondages sur d’autres départements.
Considérons synthétiquement les paramètres retenus pour Clovis Brunel.
Les plus anciens documents de la France 279

(1) La couverture chronologique


Pour la série française de France et de Belgique, les DocLing couvrent intégrale-
ment les débuts de l’écrit documentaire vernaculaire jusqu’en 1270 environ. Le termi-
nus ad quem garde une certaine souplesse, mais se place clairement avant la fin du
XIIIe siècle quand le volume textuel commence à augmenter considérablement. C’est
donc un choix semblable à celui de Clovis Brunel.
Les documents provenant du territoire francoprovençal suivent en revanche la
logique des documents de Paul Meyer. Ils couvrent essentiellement le XIVe ainsi
qu’une partie du XVe siècle car les sources vernaculaires sont encore rares au XIIIe.
Les volumes donnent un recensement intégral pour les régions à l’étude et éditent
ensuite un choix de documents.

(2) La couverture géographique


Les volumes publiés et manuscrits réunissent des documents de la majeure
partie des départements du nord-est du territoire d’oïl qui sont, avec l’Angleterre, les
plus précoces dans la production textuelle. En revanche, les régions à l’ouest de la
Picardie, de la Champagne et de la Bourgogne sont restées en suspens, de même
que Paris et ses environs immédiats. Curieusement, le sondage effectué dans les
Archives Nationales et dans la Bibliothèque Nationale n’a pas été poursuivi (Monfrin
1968, 32 indique près de 500 pièces françaises avant 1271), alors que ces deux lieux

de conservation sont les plus facilement consultables par les élèves et professeurs
parisiens.
Cette couverture reste toutefois virtuelle puisque les volumes manuscrits ne sont
pas accessibles aux chercheurs. Pour le domaine d’oïl en France, seuls les quatre
volumes des DocOis, DocAub, DocHM et DocV sont disponibles, ce qui donne une
idée géolinguistique encore très insuffisante.

(3) Genres textuels, transmission des documents, langues


J. Monfrin considère avec plus de prudence encore les questions de transmission :  

« […] la différence entre les originaux et les copies est moins de nature que de degré. Les premiers

autant que les secondes peuvent être trompeurs, et il convient, avant de les interroger, de
soigneusement vérifier leur état civil » (Monfrin 1968, 46).

Les DocLing incluent ainsi régulièrement des copies contemporaines, même s’ils
restent ciblés sur les originaux.
Quant aux genres textuels, les séries françaises contiennent dans l’immense
majorité des chartes, alors que la série francoprovençale en est presque exempte : ici  

dominent les documents de gestion et diverses listes.


D’un point de vue linguistique, les 62 documents du Forez correspondent comme
ceux de l’Ain pour la plupart à une scripta de type oïlique, mais les 5 documents
considérés par les éditeurs à juste titre comme véritablement francoprovençaux
(n° 4–7, 14) sont pour certains assez volumineux (le Terrier de Chazelles 1290 et les

280 Martin Glessgen

Comptes de l’hôtel du comte de Forez 1322/1323). L’important volume sur le Lyonnais


(près de 600 pages) présente en revanche une scripta essentiellement francoproven-
çale, ce qui souligne le rôle de Lyon comme épicentre de cette langue.

(4) Utilité et utilisation


Dans cette troisième phase du projet, les avancées des DocLing sont considéra-
bles concernant l’avancement de l’édition : grâce aux volumes publiés sous la direc-

tion de Jacques Monfrin, Lucie Fossier et Pierre Gardette ainsi que le volume de Louis
Carolus-Barré, on disposait à présent de près de 800 chartes du XIIIe siècle et d’une
remarquable série de documents francoprovençaux du XIVe siècle, tous dans un état
éditorial exemplaire. S’ajoutait l’édition manuscrite de plus de 1700 chartes oïliques,
dans un état encore préliminaire mais très avancé.
Les éléments analytiques en revanche ne sont pas développés. Les volumes de la
série française disposent chacun d’un glossaire soigné qui suit la conception établie
par Clovis Brunel. Ces glossaires ont une réelle utilité et ont pu être exploités par la
lexicographie de l’ancien français, notamment par le DEAF. Leur utilisation en lexico-
logie est plus circonscrite (cf. par ex. Drüppel 1984), parce que les textes documentai-
res sont généralement peu utilisés, que l’éclatement des glossaires dans six volumes
distincts ne facilite pas le travail et, enfin, parce que la glossographie traditionnelle
des langues gallo-romanes médiévales ne répond que de manière très insatisfaisante
aux attentes de la lexicologie actuelle qui a fait siens les acquis méthodologiques de
la lexicographie monolingue. Quant à ce dernier point, Jean-Pierre Chambon a montré
le potentiel lexicologique qui réside dans les DocLing, en proposant une réécriture de
l’entrée don(s) du volume DocHM :  

(DocHM 1974, 466)


Les plus anciens documents de la France 281

(Chambon 2006, 136s. ; cf. le commentaire détaillé ib. 130–138)


Pour la série francoprovençale, Mgr Gardette avait envisagé un glossaire unique pour
les trois volumes projetés. Ce choix était très judicieux, mais il a eu comme triste
conséquence que les deux seuls volumes publiés ne sont accompagnés ni de glossaire
ni d’index de noms propres, ce qui a fortement nui à l’utilisation de ces précieuses
éditions.
En scriptologie, Anthonij Dees s’est basé pour son Atlas […] des chartes françaises
sur les trois volumes des DocOis, DocHM et DocV (cf. la liste de la ‘provenance des
chartes’, Dees 1980, 307–312) ; malheureusement, la juxtaposition de ces éditions

fiables avec de nombreuses autres paléographiquement et philologiquement peu


sûres (comme par exemple les DocPoit) réduit le rendement de l’analyse scriptolo-
gique.

En conclusion, avec Jacques Monfrin, les DocLing sont pleinement présents dans les
trois territoires linguistiques de la Galloromania. La qualité et le soin des éditions font
le grand atout de cette collection qui garde comme ultime objectif un recensement
systématique de l’écrit documentaire médiéval. Pourtant, les réalisations accessibles
de l’époque de Jacques Monfrin sont restées, plus encore que le volume de Paul
Meyer, une œuvre inachevée, géographiquement disparate et difficile à exploiter.
Quant aux archives léguées par J. Monfrin, elles formaient un héritage peu aisé à gérer
(cf. infra 4.1).
282 Martin Glessgen

Dans un certain sens, le projet de Monfrin s’inscrit pleinement dans l’esprit d’une
époque gaullienne, tout comme le Trésor de la langue française ou l’entreprise des
Nouveaux atlas linguistiques de la France. Pour le TLF, grâce à des subventions
considérables, il a été possible de saisir les données textuelles trois fois successives et
d’achever sur cette base le ‘Nouveau Littré’ projeté ; pour les NALF, en revanche, de

nombreux volumes sont restés encore aujourd’hui à l’état de manuscrits et peu de


séries ont connu ne serait-ce que des index lexicologiques conséquents (comme par
ex. Dondaine 2002). Le caractère monumental de l’entreprise a en quelque sorte
empêché sa réalisation dans un temps défini.
S’ajoutent, dans le cas des DocLing, deux problèmes intrinsèques : tout comme

les NALF, le projet de Monfrin est pensé dans une logique de répertoire plus que dans
une logique d’utilisation ; des éditions de qualité et des cartes d’atlas bien pensées

sont naturellement d’excellentes sources pour la linguistique historique et variation-


nelle. Mais la mise à disposition des matériaux doit s’accompagner en même temps
d’analyses linguistiques pour en susciter d’autres. Dans cette logique, le TLF est
devenu un centre d’Analyses et traitements informatiques de la langue française, ce qui
lui a garanti une place dans le paysage de la recherche actuelle. Le deuxième
problème réside dans l’immensité de la matière à traiter que Jacques Monfrin a sous-
estimée, tout comme ses prédécesseurs et – il faut bien l’avouer – nous-même, dans
la 4e phase des DocLing.

4 Les DocLing actuels


4.1 Les textes réunis actuellement dans l’édition électronique
des DocLing
Après la disparition de Jacques Monfrin en 1998, Françoise Vielliard, son successeur
depuis 1992, hérita des matériaux des DocLing. Nous nous sommes intéressé à ce
projet centenaire endormi depuis près de deux décennies. Françoise Vielliard mit très
généreusement à notre disposition ces matériaux, ainsi que son expérience et le
soutien institutionnel de l’École des chartes.
Notre conception de la suite à donner au projet a connu d’importantes évolutions
au cours des quinze dernières années : au début, nous souhaitions intégrer, à l’instar

de Paul Meyer, les textes documentaires lorrains des XIVe et XVe siècles dans un projet
impliquant la philologie informatique (cf. Glessgen 2001a). Après avoir constaté, sur
la base de quelques sondages, le caractère très traditionnel de ces genres textuels (cf.
Glessgen 2004), nous nous sommes convaincu qu’il était indispensable de documen-
ter avant tout les débuts de l’écrit vernaculaire, précisément dans la logique de Clovis
Brunel et de Jacques Monfrin. L’aide amicale de Françoise Vielliard et d’Olivier
Guyotjeannin ouvrait cette voie qui nous mena aussi à renoncer dans un premier
temps à l’élargissement géo-chronologique de la série occitane. Nous nous sommes
Les plus anciens documents de la France 283

donné l’objectif d’avancer voire de clore le dessein de Jacques Monfrin sous les
auspices de la philologie informatique : informatiser les volumes existants, saisir et

corriger les volumes manuscrits, élargir géographiquement les recensements, en nous


concentrant sur la (grande) moitié orientale du territoire d’oïl et en excluant les
régions situées à l’ouest de la Picardie, de Paris et de la Bourgogne. Ce choix était
dicté autant par notre intérêt tout personnel pour la Lorraine que par la distribution
géographique des matériaux disponibles. En même temps, cette orientation rend
compte des épicentres de l’écrit documentaire oïlique et permet par ailleurs de faire la
transition avec le domaine francoprovençal.
Si notre choix nous semble toujours rationnel, il a largement sous-estimé la
complexité de la matière. Autant la saisie et la révision philologique des volumes non
publiés que le développement de l’environnement informatique du projet se sont
avérées extrêmement lourds, au-delà de toute attente.
Les efforts conjoints et l’enthousiasme de très nombreux collègues et amis, élèves
et jeunes chercheurs (cf. <www.rose.uzh.ch/docling>), de même que le soutien finan-
cier considérable de plusieurs institutions académiques (cf. ib.) ont toutefois permis
de réunir jusqu’en 2014 les onze séries suivantes sous un format électronique homo-
gène prévoyant des interrogations linguistiques poussées (cf. DocLing-2) :  

sigle département dates extrêmes auteur de auteur ou nombre


(ou lieu l’édition papier responsable de doc.
d’écriture) de l’édition
électronique
DocDo Douai 1204–1270 Mestayer ca 1970 Brunner 2014 506
DocJu Jura 1243–1296 Muller 2014 95
DocHM Haute-Marne 1232–1275 Gigot 1974 Kihaï 2009 276
DocHS Haute-Saône 1242–1300 Muller 2014 132
DocMa Marne 1234–1272 Kihaï 2009 230
DocMe Meuse 1225–1270 Matthey 2009 237
DocMM Meurthe-et- 1232–1265 Arnod 1974 Glessgen 2014 290
Moselle
DocNi Nièvre 1289–1330 Alletsgruber 2014 34
DocR Chancellerie 1241–1300 Videsott 2014 140 (dont
royale 20 copies)
DocSL Saône-et-Loire 1227–1331 Alletsgruber 2014 100
DocV Vosges 1235–1275 Lanher 1975 Trotter 2014 146

Cette collection comprend donc deux des volumes anciennement publiés (DocHM et
DocV), deux des volumes anciennement manuscrits (DocDo et DocMM qui ont fait
l’objet d’une révision intégrale) ainsi que plusieurs nouvelles séries élaborées par
quatre de nos élèves ainsi que par notre ami Paul Videsott. L’édition électronique
284 Martin Glessgen

comporte pour la plupart une reproduction photographique de ces 2185 documents.


Pour documenter les débuts de l’écrit dans les différentes régions, nous avons reculé
la date butoir jusqu’en 1300 voire, pour la Bourgogne, jusqu’en 1331. Les documents
réunis couvrent une zone relativement continue du Nord et, surtout, du Nord-Est de la
France (Flandre, Champagne, Lorraine, Franche-Comté, Bourgogne) et incluent éga-
lement la chancellerie royale.
La réalisation actuellement disponible pourrait connaître dans les années à venir
divers nouveaux apports, notamment ceux :  

– des volumes publiés par Louis Carolus-Barré (saisis sous la direction de Benoît M. Tock et
       

actuellement étudiés par Klaus Grübl) et par Dominique Coq,


– des volumes publiés des séries belge et francoprovençale ainsi que les documents récem-
       

ment publiés du Luxembourg (Holtus/Overbeck/Völker 2003) et de la Suisse romande


(DocJuBe, DocNeu),
– du volume de la Moselle, préparé par notre regrettée amie d’études Martina Pitz et en cours
       

d’étude par Frédéric Duval, à son tour successeur de Françoise Vielliard depuis 2011,
– d’une série importante de textes de la Prévôté de Paris (1260–1300, ca 250 documents), en
       

cours d’étude par Paul Videsott,


– d’une série anglo-normande, étudiée par David Trotter (cf. Trotter 2015, § 4.3),
         

– enfin de certains des manuscrits restés en suspens (DocAisne, DocCOr, DocDoub, DocPC,
       

DocSom).

La base textuelle constituée permettra facilement l’intégration de ces nouvelles séries,


intégration qui suppose toutefois un travail éditorial considérable.

4.2 Les caractéristiques philologiques et informatiques des


DocLing

Les principes de réalisation des DocLing sous leur forme actuelle sont, en principe,
indépendants des genres textuels en question. La gestion informatique permet l’ap-
plication de critères d’édition à la fois plus rigoureux et plus souples, par l’encodage
neutre de type XML des textes. Les interrogations linguistiques prévues sont égale-
ment pertinentes pour tout genre textuel. Cela vaut aussi pour la présentation paral-
lèle de la transcription et des images.
Pour l’édition, la mise en ligne permet de distinguer trois vues différentes sur les
mêmes textes :  

– une vue diplomatique (organisée d’après les lignes du manuscrit et reproduisant


       

les séparations des mots, la ponctuation et les majuscules de l’original, les


abréviations étant résolues en italiques), comme par ex. :  

1
        Conue chose soit atoz que li abes et li chapitles de salinvas · at laissie a wirion
2
        et huillon les dous freres de geverlise les anfanz bertran bacheler ·XIII· jor
3
        nas de terre treisse · en la fin de geverlise · et a lor oirs · parmi ·XIII· deniers de cens · et
4
        ·II· himas de blef · lun davoine · lautre de froment · et sil ne paievent a jor
Les plus anciens documents de la France 285

5 nomei a la feste sent remi· a giverlise en la maison de salinvas · que lon se tan
       

6 roit a la terre · et ce que sus averoit· Si est ensi devisee· qau Tramble en
       

7 at ·IIII· jornas · un par lui · et ·III· ensemble · et en la voie […]


       

(DocMM ch. 2 : 1234, AbbSalival)


Cette vue diplomatique peut être immédiatement comparée avec la reproduction


photographique (en couleurs sur le site) :  

–       une vue interprétative (qui introduit des séparations de mots, la ponctuation et
les majuscules selon l’usage actuel, ajoute des accents, des numéros de structura-
tion sémantico-formelle et, le cas échéant, des paragraphes) :  

1 Conue chose soit à toz 2 que li abes et li chapitles de Salinvas at laissié à Wirion et Huillon, les
dous freres de Geverlise, les anfanz Bertran Bacheler, 3 XIII jornas de terre treisse, en la fin de
Geverlise, et à lor oirs, 4 parmi XIII deniers de cens et II himas de blef, l’un d’avoine, l’autre de
froment ; 5 et s’il ne paievent à jor nomei à la feste sent Remi, à Giverlise en la maison de Salinvas,

que l’on se tanroit à la terre et ce que sus averoit […]

–       une vue mixte (qui rend les séparations médiévales transparentes, combine la
ponctuation médiévale [au milieu de la ligne] avec la moderne et les majuscules
médiévales [en gras] avec les modernes). Cette vue mixte réalise donc les princi-
pes d’un ‘encodage double’, tel que nous avons pu le concevoir. Elle est égale-
ment celle qui peut être exportée pour tous les documents sous un format pdf :  
286 Martin Glessgen

La base de données actuelle de type MySql repose sur une organisation sous forme
non pas textuelle, mais de listes ; les textes de départ sont donc éclatés lors de

l’intégration dans la base et reconstitués lors de la lecture, ce qui permet une gestion
plus rapide et plus cohérente des interrogations et informations linguistiques. La part
de programmation dans le projet actuel a occupé une place prépondérante. La
philologie informatique ouvre, certes, des voies nouvelles, mais elle comporte de
grandes pesanteurs. Qui plus est, elle est difficile à financer puisque les institutions
d’aujourd’hui considèrent à tort qu’il s’agit là d’une part préliminaire et non-scienti-
fique du travail. Grâce à l’engagement partiellement bénévole de plusieurs collabora-
teurs et amis, la programmation a pu être achevée, sous une architecture à la fois
claire et fonctionnelle, en 2014, après plus d’une décennie (cf. Glessgen 2011b). Elle a
la qualité d’être utilisable par tout projet philologique d’une certaine complexité,
même s’il faut prévoir, là encore, un budget circonscrit pour son adaptation à d’autres
ensembles textuels.
Malgré ces lourdeurs, la mise en ligne des documents s’avère le vecteur essentiel
pour dépasser l’éclatement de l’information linguistique qui est intrinsèque aux
DocLing depuis ses débuts : dans l’édition de Paul Meyer, tout lexème doit être

cherché en quatre glossaires différents, et l’on doit se reporter aux références indi-
quées pour chaque occurrence afin d’identifier le lieu et la date du texte ; la même

procédure s’impose pour les deux glossaires de Clovis Brunel ou les six glossaires de
l’époque Monfrin. Dans l’édition électronique actuelle, la recherche d’une forme
Les plus anciens documents de la France 287

apporte immédiatement l’ensemble des occurrences avec l’indication de la date, de la


provenance, du contexte et, si possible, du rédacteur. Pour les recherches graphéma-
tiques ou morphologiques, la gestion parallèle des 2.000 chartes ouvre les mêmes
perspectives permettant, enfin, de considérer cet ensemble documentaire comme une
unité et un corpus de référence avec, actuellement, près de 900.000 occurrences.

4.3 Les interrogations linguistiques

La quasi-totalité des documents réunis actuellement sont des chartes, à côté de


quelques rares testaments et une charte-loi. Le genre des chartes est toutefois d’une
richesse notable, autant syntaxique qu’onomastique. Les plus anciens actes permet-
tent notamment de cerner l’élaboration d’une syntaxe complexe qui commence à se
détacher de l’oralité dialogale et narrative sous-jacente. Les textes sont datés avec
précision et il est également possible d’identifier pour la plupart d’entre eux le lieu
d’écriture responsable pour leur rédaction (cf. Glessgen 2008 et déjà Carolus-Barré
1964, LXXXIII–CVII, cf. Grübl 2013, 32s.). Nous disposons donc d’un ancrage diasysté-
matique sûr, qui fait la qualité particulière de l’écrit documentaire.
Le logiciel permet des interrogations à partir des mots graphiques et à l’aide des
‘expressions régulières’ (= des chaînes de caractères suivant une syntaxe précise), par
ex. :

– "^contre.*" recherche toutes les formes qui commencent par contre- [donc contredire etc.,
       

contredisor, contrefaire etc., contreforchier, contremont, contreseel, contreval, contrewage]


– "[b|u]les ?$", toutes les formes qui se terminent en -ule(s) ou -ble(s) [donc toutes les formes
         

qui correspondent aux variantes suffixales -a(i)ble, -auble et -aule]

Cela permet toutes sortes d’interrogations graphématiques ou lexicologiques dont les


résultats peuvent être exportés par la suite dans un document Excel ou Word. Nos
analyses grapho-phonétiques restent encore partielles, mais il est dès à présent
patent, que les DocLing fournissent une nouvelle référence pour la description du
paysage scriptologique de l’ancien français (cf. Videsott 2013 ; Grübl 2014).  

Quant au lexique, la lemmatisation des DocLing est en cours, et toute forme


lemmatisée est intégrée par un processus semi-automatique dans la version électro-
nique du DEAF (DEAF-pré). Dans un premier temps, les formes des DocLing sont
simplement répertoriées sous les lemmes du DEAF, avec leurs dates et contextes
(permettant de voir à tout moment le contexte complet par un hyperlien avec la base
des DocLing) ; dans un deuxième temps, il sera possible de les traiter à l’intérieur de

la base du DEAF autant du point de vue sémantique que syntagmatique (cf. Glessgen/
Tittel 2015). Par cette voie, l’éternelle scission entre la lexicographie d’une langue
ancienne et sa glossographie – circonscrite à un ensemble de textes donnés – est
dépassée, et il est possible de fonder une description lexicologique de la langue
immédiatement sur des bases textuelles (cf. Glessgen 2007).
288 Martin Glessgen

Pour des analyses syntagmatiques et syntaxiques, les données de la base DocLing


pourront être exportées, sans doute en 2016, pour être traitées par le TreeTagger et les
outils syntaxiques développés par Achim Stein (cf. <www.uni-stuttgart.de/lingrom/
forschung/ressourcen>). L’identité de la structure des données et des balises morpho-
logiques facilitent la programmation des interfaces nécessaires. Enfin, les données
textuelles peuvent être exportées par les utilisateurs sous un format XML qui permet
toute analyse souhaitée.

5 Perspectives
Les éditions de textes documentaires, surtout anciennes, sont nombreuses, même
sans prendre en considération le latin médiéval. Jacques Monfrin dresse un aperçu
impressionnant de ses précurseurs entre 1829 et 1964 (Monfrin 1974, XI–XXXIX ; cf.  

aussi la synthèse régionale des sources connues pour l’Auvergne et le Velay, Cham-
bon/Olivier 2000, 105–110, 119–126 et, pour le Mauriacois et le Sanflorain, Olivier
2009, XXIX–XL). La place des DocLing ressort plus précisément du vol. 4 de l’Inven-

taire (InvSyst) des documents romans antérieurs à 1250, intégralement consacré aux
chartes françaises et occitanes. Ce volume, réalisé par J. Hartmann, n’intègre pas tous
les documents qui reposent dans les archives, mais il rend bien compte des docu-
ments publiés jusqu’en 1997. Les DocLing occupent une part réelle parmi ces éditions
disponibles pour les XIIe et XIIIe siècles, déjà par leur présence quantitative. Mais ils
se détachent surtout par leur grande fiabilité philologique et éditoriale et la volonté
d’une emprise systématique sur la documentation disponible.
Il n’y a pas de doute que le projet des DocLing a sa raison d’être et qu’il joue
même un rôle paradigmatique pour les travaux en philologie linguistique. Les condi-
tions de développement des DocLing sont également très favorables depuis les débuts
parce que la gestion du patrimoine archivistique de la France est exemplaire et que les
conservateurs tout comme les médiévistes historiens ou linguistes soutiennent pleine-
ment ce projet.
Or, nous avons vu que malgré tout, la réalisation des DocLing n’a jamais été aisée
et qu’elle est toujours restée (très) partielle. On peut légitimement se demander où est
l’erreur. Le problème fondamental nous semble résider dans l’immensité de la matière
à étudier. Aucun savant ni même aucun groupe de travail n’aurait eu l’idée farfelue de
traiter dans le cadre d’un seul projet l’écrit littéraire, religieux ou médico-biologique
gallo-roman – alors que c’est bien cela que les DocLing ont voulu entreprendre pour
les textes documentaires, bien plus nombreux et dont le traitement philologique n’est
pas plus facile. L’idée de départ des DocLing se trouve donc tout simplement en
décalage maximal avec la réalité de la transmission textuelle. Cela ne veut pas dire
qu’il faille renoncer à une approche structurée de ce patrimoine écrit, mais il faut
prendre la mesure de ses dimensions déroutantes et cerner des ensembles plus
circonscrits.
Les plus anciens documents de la France 289

Un deuxième problème annexe réside sans doute dans la concentration (trop)


forte des DocLing sur l’édition en tant que telle. Pour rendre les chartes parlantes, il
faut les placer dans leur contexte de genèse, il faut mener des analyses ciblées sur les
différents domaines linguistiques pertinents, de la ponctuation (comme par ex. Maz-
ziotta 2009 sur un corpus wallon) à la subordination (comme par ex. Gévaudan/
Glessgen s.p. sur les DocLing), et il faut les comparer avec d’autres genres textuels
contemporains. Il nous semble même indispensable de traduire un certain nombre de
documents en français moderne pour faciliter la compréhension de leur lexique
particulier et de leur syntaxe ardue à des jeunes chercheurs qui n’ont aucun mal à se
familiariser avec des textes littéraires médiévaux grâce à de nombreuses éditions
bilingues. Ici, la recherche se heurte en outre aux aléas de la formation universitaire,
trop peu diachronique et, en France, exclusivement ciblée sur les textes littéraires.
D’autres projets récents sont consacrés à l’écrit documentaire gallo-roman. Pour
le latin médiéval, la collection des près de 5000 Chartes originales antérieures à 1121
conservées en France de l’ARTEM a été publiée, après quatre décennies de prépara-
tion, en 2010 ; elle est complétée par la collection des Chartae Galliae qui réunit près

de 40000 actes, pour la plupart copiés, antérieurs à 1300, en incluant également des
textes vernaculaires (dont les volumes publiés des DocLing qui ont pu être saisis par
cette voie, grâce à B. Tock). Pour le lexique, mais également pour la graphématique
et, partiellement, la morphologie et la syntaxe des anciennes langues gallo-romanes,
ce sont des sources précieuses.
Dans le domaine plus spécifique de l’occitan, la publication des registres de
comptes des consuls de Clermont-Ferrand par Anthony Lodge fournit un apport
considérable aux études régionales (Lodge 2006 ; 2010) ; en complément, le diction-
   

naire de Philippe Olivier de l’ancien auvergnat repose, à son tour, sur plus de 10 000
pages transcrites préalablement dont les éléments lexicaux ont été extraits avec leur
contexte (Olivier 2009). Ajoutons par ailleurs le projet de la Concordance de l’occitan
médiéval (COM), initié par Peter Ricketts et continué par Dominique Billy dont la
section en cours (COM-3) comporte également les textes documentaires.
Tous ces projets partagent avec les DocLing une attention philologique et une
pensée systématique qui sont, toutes deux, indispensables pour approcher l’écrit
documentaire. Les DocLing gallo-romans restent donc une mesure paradigmatique
pour l’étude de ce patrimoine qui offre, parmi tous les genres textuels, les perspecti-
ves les plus prometteuses pour la recherche actuelle. L’histoire des DocLing montre
très clairement l’importance de segmenter le domaine à l’étude de manière prélimi-
naire, d’après des critères abstraits (le temps, l’espace, les langues, les genres étudiés)
et selon l’état de transmission et d’édition des sources disponibles. Si dans le cas des
textes littéraires, une telle segmentation est préfigurée par les sous-genres tradition-
nels, les auteurs et les textes, pour les textes documentaires, elle demande une
réflexion ad hoc pour chaque étude nouvelle. Cette réflexion est en même temps
indispensable puisque personne ne peut embrasser seul la matière.
290 Martin Glessgen

6 Bibliographie
Nous renonçons dans ce cadre à l’indication bibliographique des dictionnaires gallo-romans
de référence (comme FEW ou DEAFpré) ; cf. le Complément du FEW (3e édition Jean-Paul

Chauveau et al., Strasbourg, 2010) et le Complément bibliographique du DEAF en ligne


(<www.deaf-page.de>).

6.1 Éditions de textes documentaires

ARTEM = AA.VV. (2010), Chartes originales antérieures à 1121 conservés en France, publication en
ligne (<www.cn-telma.fr/originaux>).
Brunel, Clovis (1916), Documents linguistiques du Gévaudan, Bibliothèque de l’École des chartes 77,
5–57, 241–285.
Brunel, Clovis (1926), Les plus anciennes chartes en langue provençale. Recueil des pièces
originales antérieures au XIIIe siècle. Publiées avec une étude morphologique, Paris,
Picard.
Brunel, Clovis (1952), Les plus anciennes chartes en langue provençale. Recueil des pièces originales
antérieures au XIIIe siècle. Supplément, Paris, Picard.
Chartae Galliae = AA.VV. (2014), Chartae Galliae, publication en ligne (<www.cn-telma.fr/chartae-
galliae>).
COM = Ricketts, Peter/Billy, Dominique, Concordance de l’occitan médiéval : COM 1 (troubadours) et

COM 2 (textes narratifs), ed. Peter Ricketts, cd-rom, Brepols ; COM 3 (textes non-littéraires) en

préparation, ed. Peter Ricketts/Dominique Billy.


DocAisne_ms = Françoise [Grégoire-]Ollivier, Documents linguistiques de la Picardie orientale
(1214–1350), thèse de l’École des Chartes, 1965.
DocAub = Dominique Coq, Documents linguistiques de la France (série française, vol. 3), Chartes en
langue française antérieures à 1271 conservées dans les départements de l’Aube, de la Seine-et-
Marne et de l’Yonne, Paris, CNRS, 1988.
DocCOr_ms = Valérie Neveu, Les plus anciennes chartes en langue française conservées dans le
département de la Côte-d’Or (1239–1270), thèse de l’École des Chartes, 1988.
DocDo = Monique Mestayer/Thomas Brunner, Les plus anciens documents en français conservés à
Douai, ed. ms. par Monique Mestayer, saisie informatique sous la direction de Martin Glessgen
et de Benoît Tock, préparation de l’édition électronique par Thomas Brunner, 2014.
DocDo_ms = Monique Mestayer, Chartes de Douai, ca 1970.
DocDoub-1_ms = Martine Lefèvre, Les plus anciennes chartes en langue française conservées dans le
département du Doubs (1233–1261), thèse de l’École des Chartes, 1975.
DocDoub-2_ms = Judith Ducourtieux, Les plus anciennes chartes en langue française conservées aux
Archives départementales du Doubs (1260–1271), thèse de l’École des Chartes, 1994 [revue par
Anne-Caroline Belmon-Beaugendre].
DocFl = Reine Mantou, Documents linguistiques de la Belgique romane, vol. 1, Chartes en langue
française antérieures à 1271 conservées en Flandre orientale et Flandre occidentale, Paris, CNRS,
1987.
DocFor = Marguerite Gonon, Documents linguistiques de la France (série francoprovençale), vol. 1 :

Documents linguistiques du Forez (1260–1498), Paris, CNRS, 1974.


DocHain = Pierre Ruelle, Documents linguistiques de la Belgique romane, vol. 2 : Chartes en

langue française antérieures à 1271 conservées dans la province de Hainaut, Paris, CNRS,
1984.
Les plus anciens documents de la France 291

DocHM = Jean-Gabriel Gigot, Documents linguistiques de la France (série française), vol. 1 : Chartes en
   

langue française antérieures à 1271 conservées dans le département de la Haute-Marne, Paris,


CNRS, 1974. – Saisie informatique sous la direction de Benoît Tock, édition électronique pré-
parée par Dumitru Kihaï, DocLing-1 et -2.
DocHS = Claire Muller, Les plus anciens documents en français conservés dans le département de la
Haute-Saône (1242–1300), Édition électronique, DocLing-2 [cf. DocJu].
DocJu = Claire Muller, Les plus anciens documents en français conservés dans le département du Jura
(1243–1296), Édition électronique, DocLing-2.
[L’édition repose sur la thèse de C.M., Médialité de la charte : caractérisation structurelle du genre

textuel dans un corpus de chartes françaises inédites du XIIIe siècle. Accompagné d’une édition
de 230 chartes inédites, Université de Zurich, 2011]
DocJuBe = Ernest Schüle/Rémy Scheurer/Zygmunt Marzys, Documents linguistiques de la Suisse
Romande, vol. 1 : Documents en langue française antérieurs à la fin du XVIe siècle conservés dans

les cantons du Jura et de Berne, Paris, CNRS, 2002.


DocLing-1 = Les plus anciens documents linguistiques de la France. Édition électronique, Collection
fondée par Jacques Monfrin, poursuivie par Martin Glessgen, première édition en collaboration
avec Françoise Vielliard et Olivier Guyotjeannin (12009).
[= édition et reproduction photographique de 1.133 documents français originaux (1224–1275) conser-
vés dans les départements de la Marne, de la Haute-Marne, de la Meurthe-et-Moselle et de la
Meuse (= DocMa, DocHM, DocMM, DocMe)]
DocLing-2 = Les plus anciens documents linguistiques de la France (DocLing). Édition électronique,
dirigée par Martin Glessgen, en partenariat avec Frédéric Duval et Paul Videsott. Deuxième
édition entièrement revue et élargie (22014) <www.rose.uzh.ch/docling>.
[= édition et reproduction photographique de 2.185 documents français originaux (1204–1331),
provenant du Nord-Est de la France (Flandre, Champagne, Lorraine, Franche-Comté, Bourgogne)
et de la chancellerie Royale (= DocDo, DocJu, DocHM, DocHS, DocMa, DocMe, DocMM, DocNi,
DocR, DocSL, DocV)]
DocLyo = Paulette Durdilly, Documents linguistiques de la France (série francoprovençale), vol. 2 :    

Documents linguistiques du Lyonnais (1225–1425), Paris, CNRS, 1975.


DocMa = Dumitru Kihaï, Les plus anciens documents en français conservés dans le département de la
Marne (1234–1272), Édition électronique, DocLing-1 et -2.
[L’édition repose sur la thèse de D. K., Écriture et pouvoir au 13e siècle en Champagne, Zurich/
Strasbourg, 2011]
DocMe = Anne-Christelle Matthey, Les plus anciens documents en français conservés dans le départe-
ment de la Meuse (1225–1270), Édition électronique, DocLing-1 et -2.
[L’édition repose sur la thèse d’A.-C. M., Les plus anciens documents linguistiques de la France : le cas  

du département de la Meuse, Zurich, 2008]


DocMM = Martin Glessgen/Michel Arnod, Les plus anciens documents en français conservés dans le
département de la Meurthe-et-Moselle (1232–1265), ed. ms. par M. Arnod, révision, édition
électronique intégralement réélaborée par M. Glessgen, DocLing-1 et -2.
DocMM_ms = Michel Arnod, Publication des plus anciennes chartes en langue vulgaire antérieures à
1265 conservées dans le département de Meurthe-et-Moselle, Thèse de 3e cycle dactylographiée,
Nancy 1974.
DocNeu = Morerod, Jean-Daniel, et al., Documents linguistiques de la Suisse Romande, vol. 2 :    

Documents conservés dans le canton de Neuchâtel, en préparation.


DocNi = Julia Alletsgruber, Les plus anciens documents en français conservés dans le département de
la Nièvre (1289–1330), Édition électronique, DocLing-2.
[L’édition repose sur la thèse de J. A., Étude du lexique de l’agriculture dans des textes documentaires
français du XIIIe siècle, Zurich/Paris, 2012]
292 Martin Glessgen

DocOis = Louis Carolus-Barré, Les plus anciennes chartes en langue française, t. 1 : Problèmes
   

généraux et recueil des pièces originales conservées aux Archives de l’Oise (1241–1286), Paris,
Klincksieck, 1964. [202 docs]
DocPC_ms = Pierre Bougard, Chartes du Pas-de-Calais, ca 1980.
DocPoit = Milan S. La Du, Chartes et documents poitevins du XIIIe siècle en langue vulgaire, 2 vol.,
Poitiers, 1960/1964.
DocR = Paul Videsott, Les plus anciens documents en français de la chancellerie royale capétienne
(1241–1300), Édition électronique, DocLing-2. – Édition papier, Strasbourg, ÉLiPhi, 2015.
DocSL = Julia Alletsgruber, Les plus anciens documents en français conservés dans le département de
la Saône-et-Loire (1227–1331), Édition électronique, DocLing-2 [cf. DocNi].
DocSom_ms = Jean Estienne, Chartes de la Somme, ca 1980.
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Anja Overbeck
12 L’édition des textes médiévaux :  

la méthode de Trèves
Abstract : L’article se concentre sur les multiples choix de l’éditeur d’un texte qui
   

devrait être conscient des dimensions de ses décisions pendant toutes les phases
d’évolution de son travail, car les choix pratiques sont toujours influencés par les
décisions de méthode, et vice versa.
Après un court résumé des théories et modèles dès les années 1990 (dominés
notamment par la « Nouvelle Philologie »), l’on présentera la méthode d’édition
   

développée et pratiquée autour d’un projet de recherche portant sur les chartes
luxembourgeoises médiévales à l’Université de Trèves. Les expériences faites dans ce
projet montrent deux perspectives pour des éditions futures : 

(1) L’ordinateur offre une multitude de nouveaux moyens pour dissoudre le di-
      

lemme de l’éditeur de devoir répondre à plusieurs exigences en même temps,


mais il ne dispense pas l’éditeur de la réflexion méthodique.
(2) On trouve les meilleures conditions de travail au sein d’une unité de recherches
      

interdisciplinaires ou d’un projet rassemblant des différents champs de recher-


che, de préférence composée de linguistes, de philologues et des historiens pour
ne pas laisser augmenter le clivage entre les disciplines, et pour réunir les
compétences. Ainsi, l’édition pourrait à la fin contenir et une introduction
linguistique raisonnée et une édition « mixte » tenant compte, parallèlement,
   

des caractéristiques de l’original et des nécessités interprétatives.

Keywords : chartes médiévales, méthodologie d’édition, variance, analyses pluriva-


   

riationnelles, édition « mixte »


   

1 Introduction
La mise en œuvre d’une édition est toujours précédée d’une phase de réflexion sur
la méthode à choisir qui est décisive pour le produit final. Chaque éditeur devrait
être conscient des dimensions de ses décisions pendant cette phase sensible, car
ses choix théoriques quant à l’édition déterminent ce qu’en fait le philologue après.
Donc les choix pratiques sont influencés par les décisions de méthode, et vice
versa.
L’article va d’abord se concentrer sur ces multiples choix de l’éditeur (infra, 2) et
donner un court résumé des théories et modèles dès les années 1990, dominés
notamment par la « Nouvelle Philologie » (infra, 3). Ensuite sera présentée la méthode
   

d’édition développée et pratiquée autour du projet de recherche portant sur les


chartes luxembourgeoises médiévales à Trèves (infra, 4). Suivront un survol de ce qui
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  297

se fait au moment actuel dans la philologie de l’édition des textes médiévaux (infra, 5)
et une conclusion sur les perspectives de cette discipline (infra, 6).

2 Les multiples choix d’un éditeur de textes


L’éditeur d’un texte, notamment d’un texte ancien, est confronté dès le début de son
travail à de multiples questions. Quelle sorte d’édition doit-on présenter à quel public
et pour quel but, donc quelle méthode choisir ? L’intention de répondre à toutes les

exigences de tous les types de public possibles dépasserait certainement les limites
d’un éditeur, l’édition parfaite qui suit des règles scientifiques rigoureuses et définiti-
ves étant de toute façon un mythe. Le plus grand problème est sans aucun doute la
non-existence d’une seule et vraie méthode. Des principes d’édition obligatoires sont
loin d’être fixées (et ne le seront probablement jamais).1 « Le désespoir de Tantale ou

Les multiples choix d’un éditeur de textes anciens » était le titre juste d’un article de

Schøsler/van Reenen (2000) qui souligne l’importance de la conscience de l’éditeur


de sa responsabilité envers son texte et son public. La valeur d’un texte édité dépend
donc au plus fort de la qualité et de la quantité des informations que l’éditeur du texte
transmet par le biais de son édition, car les philologues et chercheurs qui travaillent
avec les textes édités ne peuvent tenir compte que des aspects que l’éditeur leur livre.
La discussion sur la « Nouvelle Philologie » dans les années 1990 a sans doute
   

ravivé le débat méthodique dans la philologie de l’édition.2 Dans la théorie de la


philologie romane, on trouve par la suite un nombre croissant de voix pour exiger une
prise en considération des aspects nouveaux, mais la communauté scientifique se
montre jusqu’à présent peu innovatrice.3 En consultant les éditions récentes, on a
l’impression qu’en particulier dans le domaine des textes en ancien français, on n’a
pas encore pris en considération les nouvelles réflexions dans toute leur ampleur,
contrairement à d’autres disciplines comme par ex. les langues germaniques.4
Un regard dans un annuaire périodique comme editio. Internationales Jahrbuch
für Editionswissenschaft (Tübingen/New York/Berlin 1987–),5 fait penser que beau-
coup aurait changé entre-temps quant au progrès vers une philologie moderne dans
le domaine de la philologie de l’édition, en particulier à cause des développements
dans le contexte des nouveaux médias. Dans un article du médiéviste Thomas Bein

1 Il est à examiner, à la fin de cet article, si la pluralité des méthodes ne représente pas, malgré tout, la
meilleure solution.
2 Cf. notamment les articles du cahier Speculum 65 (1990), avec le titre The New Philology.
3 Cf. à ce propos aussi Duval (2006a ; 2006b).

4 Cf. par ex. Bergmann/Gärtner (1993), Stackmann (1994 ; 1999), Schnell (1997) et Schubert (2005).

5 Cet annuaire est une collaboration de la Arbeitsgemeinschaft für Germanistische Edition, de la


Arbeitsgemeinschaft Philosophischer Editionen et de la Fachgruppe Freie Forschungsinstitute in der
Gesellschaft für Musikforschung, donc beaucoup influencé par la philologie allemande.
298 Anja Overbeck

(2010) par ex., spécialiste des langues germaniques, les conséquences des nouvelles
éditions électroniques sont décrites d’une manière plutôt progressive : selon Bein, 

c’est à cause du changement dans les médias que l’éditeur s’est séparé des idéologè-
mes de l’histoire littéraire. Il ne se voit plus comme l’avocat d’un quelconque poète
créateur, mais comme l’archiviste ou l’administrateur des artéfacts textuels ancrés
dans le temps et l’espace. Suite à la numérisation du monde, les témoins de la
tradition textuelle peuvent être gardés et reproduits avec des moyens relativement
faciles. Face à l’abondance immense du matériel textuel, des concepts comme « origi-  

nal » ou « auteur » disparaissent devant ces témoins (cf. Bein 2010). Dans son article,
     

Bein montre que dans la philologie médiéviste des langues germaniques, les « nou-  

velles » thèses6 sont entre-temps complètement reconnues et même avancées à l’aide


des technologies modernes.


La question qui se pose est si ces innovations ont pu atteindre toutes les philolo-
gies et si les éditeurs modernes de textes anciens se rendent toujours compte des
nouvelles possibilités et exigences. Pour pouvoir mieux comprendre la situation
actuelle, il faut donc d’abord poser le regard sur les développements dans la philolo-
gie de l’édition des dernières vingt années.

3 Théories et modèles
Le changement fondamental dans la philologie de l’édition récente a été principale-
ment provoqué par la discussion sur l’Éloge de la variante de Bernard Cerquiglini
(1989) et sur les thèses qui s’y rapportent de la « Nouvelle Philologie » (cf. The New
   

Philology, Speculum 1990).7 Sans parler du contenu de ces discussions, les réactions
parfois très polémiques sur les nouvelles thèses ont montré clairement le besoin
d’innovations ainsi que l’importance de la philologie de l’édition comme une disci-
pline indépendante.
Dans l’Éloge, Cerquiglini s’appuie en particulier sur les deux thèses suivantes :8  

a) « L’auteur n’est pas une idée médiévale » (Cerquiglini 1989, 25).


   

Selon Cerquiglini, l’émergence de la notion d’auteur est un phénomène de la


Renaissance, d’où il s’ensuit que l’expression « auteur médiéval » est un para-
   

doxe. Il y avait, dans ce temps pré-normatif, la figure et la pratique d’un écrivain,


mais pas d’un auteur au sens moderne. C’est pourquoi la recherche d’un quel-
conque texte « original » est vouée à l’échec.9
   

6 Un résumé des thèses de la Nouvelle Philologie se trouvera dans la partie (3) suivante.
7 Avec des articles de Stephen G. Nichols, Siegfried Wenzel, Suzanne Fleischman, R. Howard Bloch,
Gabrielle M. Spiegel et Lee Patterson.
8 Cf. à ce sujet aussi Overbeck (2003a, chap. 1.3.1. ; 2003b).
   

9 Cf. Cerquiglini (1989), en particulier chap. 1, Modernité textuaire.



L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  299

b)        « L’œuvre littéraire, au Moyen Âge, est une variable » (ibid., 57).
   

           La (re)construction d’un texte stable devient de ce point de vue un projet


impossible : « […] l’écriture médiévale ne produit pas de variantes, elle est
   

variante » (ibid., 111). Bien qu’il soit possible qu’une main fût première, l’œuvre

elle-même reste dans un état d’incessante réécriture.

La philologie serait donc obligée d’évaluer la variance comme caractère premier de


l’œuvre médiéval et pas comme « maladie infantile » (ibid., 42) de la tradition
   

manuscrite. Par conséquent, l’édition future, selon Cerquiglini, ne sera plus un livre
imprimé mais un produit visualisé à l’aide de l’« outil informatique » (ibid., 112) qui
   

offre la possibilité de présenter la multidimensionnalité des textes médiévaux au plus


convenable : « Car l’ordinateur, par son écran dialogique et multidimensionnel,
   

simule la mobilité incessante et joyeuse de l’écriture médiévale » (ibid., 114).  

La discussion incitée par Cerquiglini laissait ses premières traces importantes


dans le numéro spécial The New Philology du journal Speculum 65 (1990), celui-ci
donnant le titre au débat qui suivait. La Nouvelle Philologie mettait l’accent en
particulier sur la littérature en ancien français qui s’offre pour une discussion à cause
de sa grande variance. En dépit de leurs références parfois explicites à l’Éloge, les
articles du journal s’écartent l’un de l’autre.10 Ce qu’ils ont en commun, c’est l’accen-
tuation du besoin d’action dans la philologie romane médiévale, qui demande une
sorte de « renovatio in the twelfth-century sense » (Nichols 1990, 1),11 un retour à la
   

culture manuscrite. Un autre objectif est l’approche aux autres disciplines pour
empêcher la marginalisation de la philologie de l’édition.12
La plus grande différence entre les contributions de la Nouvelle Philologie et
l’Éloge de Cerquiglini est le rattachement explicite de la première aux théories du
postmodernisme, comme par ex. l’autonomie de la langue, la multidimensionnalité
des signes et des textes et l’effacement du rôle de l’auteur. La Nouvelle Philologie
discute donc à un niveau plus abstrait et théorique, le plus souvent sans prendre en
considération les conséquences pratiques pour l’édition des textes.13
Quels sont donc les résultats de la discussion des années 1990 ? Comment évaluer  

ce débat aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans plus tard ? A-t-il atteint tous les domaines

10 Wenzel (1990) par ex. plaide plutôt pour l’intégration des nouvelles méthodes des lettres, Fleisch-
man (1990) prend le point de vue de la pragmalinguistique. Cf. à propos de ce cahier Rieger (1997) qui
justifie l’hétérogénéité des articles avec la situation spécifique des Humanities en Amérique du Nord
(cf. ibid., 103s.). Cf. aussi Pickens (1994).
11 Cf. aussi les « suggestions for directions of research which can potentially revitalize philology » de
   

Fleischman (1990, 19).


12 « […] a rethinking of philology should seek to minimize the isolation between medieval studies and

other contemporary movements in cognitive methodologies, such as linguistics, anthropology, modern


history, cultural studies, and so on » (Nichols 1990, 1). Cf. aussi les exigences de Duval (2006b).

13 Cf. à ce propos Overbeck (2003b).


300 Anja Overbeck

de la recherche philologique ? Et les réflexions méthodiques ont-elles abouti égale-


ment à un changement concret dans le travail d’édition ?14  

Les thèses « nouvelles » ont été perçues à des niveaux international et interdisci-
   

plinaire, ce qui est démontré par des colloques et des recueils sur ce thème.15 Le débat
provoqué par l’Éloge et les contributions de Speculum se développait vivement à
l’improviste, les réactions s’étendant de la reconnaissance positive jusqu’au refus
complet.16 En tout, c’est en particulier outre-Atlantique que l’Éloge a été reçu comme
un manifeste qui vise à « dépoussiérer » la philologie. Entretemps, la discussion s’est
   

calmée. La Nouvelle Philologie n’est plus évaluée comme une révolution, et c’est
surtout dans la philologie des langues germaniques et des vieilles langues qu’on
critique le postulat du « nouveau », en argumentant que la plus grande partie des
   

thèses aurait déjà été discutée dans le débat de la critique textuelle dans les années
1950 à 1980.17
Le plus grand mérite de cette discussion est sans doute l’élargissement du point
de vue à un certain niveau international, comme le montre par ex. la journée d’étude
« Pratiques philologiques en Europe », organisée par l’École des Chartes le 23 septem-
   

bre 2005 sous la direction de Frédéric Duval, qui a mené à une importante publication
des actes (cf. Duval 2006a). L’idée de cette journée était de faire le point sur l’édition
des textes médiévaux en diverses langues européennes (allemand, anglais, moyen
néerlandais, italien, français et latin) et « d’esquisser un panorama des pratiques

européennes en matière d’édition de textes médiévaux » (Duval 2006a, 5). Dans son  

introduction, Duval souligne le manque de collaboration d’un côté entre linguistes,


littéraires et philologues, et d’autre côté entre les diverses philologies nationales. Les
causes de ce dernier sont multiples (formation philologique nationale différente,
situation institutionnelle différente, traditions différentes de publier dans des grandes
collections etc.), mais les problèmes sont les mêmes dans tous les pays concernés :  

sur le plan institutionnel, c’est la menace pesante sur toute la philologie dans
l’enseignement universitaire ; sur le plan méthodique, c’est surtout la question de la

fidélité au texte-source et au destinataire :  

« L’éditeur doit concilier deux objectifs : donner à lire un texte ancien à un lecteur contemporain,
   

interpréter le texte d’après l’intention de l’auteur, voire du copiste ou du commanditaire de la


copie. Comme le traducteur, l’éditeur se trouve face à une double contrainte de fidélité au texte-
source et de fidélité au destinataire, ce qui le conduit à deux orientations opposées, la première
vers le passé, la seconde vers le présent/futur » (Duval 2006a, 9).  

14 Cf. comme survol de la situation actuelle Duval (2006b) et Plachta (2012).


15 Cf. par ex. Bergmann/Gärtner (1993) ; Busby (1993) ; Paden (1994) ; Gleßgen/Lebsanft (1997) ;
       

Jansohn (1999) ; Gärtner/Krummacher (2000) ; Duval (2006a).


   

16 Cf. par ex. Philippe Ménard, concluant sa contre-opinion à la déclaration : « À mon avis la nouvelle
   

philologie n’existe pas » (Ménard 1997, 32). Pour la critique de la Nouvelle Philologie, mais aussi pour

des propositions constructives, cf. par ex. Vàrvaro (1997) ou Stackmann (1994 ; 1999).  

17 Cf. surtout Dembowski (1994) et Schnell (1997).


L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  301

Surtout dans la philologie des langues germaniques, comme nous l’avons déjà men-
tionné, ces réflexions théoriques inspirées par la discussion récente ont sensiblement
influencé la pratique éditoriale. Depuis quelques années, on admet qu’une normalisa-
tion (souvent pratiquée) rend difficile la prise de contact avec le manuscrit et son
contexte historique et culturel. En introduisant des « modernisations », on occulte
   

irrémédiablement les pratiques scripturaires et on coupe la voie à une communication


entre le scribe, son texte, l’éditeur et le public.18
Mais dans la philologie de tradition romane, en particulier en France, le manque
de conseils pratiques applicables au travail de l’édition et les diverses conditions
défavorables (cf. Duval 2006b) ont mené à une situation peu satisfaisante. Ici, les
propositions de Cerquiglini et autres (la réévaluation des copies, le respect du para-
texte, la nouvelle réflexion sur les normalisations, le respect de la variance etc.)
attendent encore à être mises en action. La solution la plus répandue semble toujours
être une édition adaptée aux conventions de la soi-disant normalisation. La plupart
des éditions proposent des préfaces stéréotypées, souvent superficielles et surtout ne
tenant guère compte des progrès des sciences du langage. Les principes d’édition
exposés dans les introductions, souvent repris mécaniquement aux éditions antérieu-
res, sont en décalage avec l’évolution des méthodes. Surtout la philologie française
semble avoir trouvé une sorte de compromis en produisant des éditions « pragmati-  

ques » :
   

« […] il peut sembler paradoxal d’examiner les pratiques françaises d’un point de vue théorique

(fidélité à l’original, à l’archétype, fidélité au témoin) alors que ‹ l’école française ›, si elle existe,
   

a renié depuis Joseph Bédier une conception théorique de la philologie pour adopter, affirme-
t-elle, une attitude pragmatique » (Duval 2006b, 115).

Une grande partie des éditions se caractérise par une absence de réflexion théorique
au profit d’une approche avant tout pragmatique qui varie selon chaque texte édité.
Une seule constante semble être le refus des éditions « diplomatiques », souvent   

désignées comme reproductions brutes. Mais il faut se demander pourquoi il faudrait


toujours recourir à une vague conception d’une certaine « lisibilité ». Pourquoi appli-
   

quer des systèmes modernes à un texte médiéval de caractère très différent, pourquoi
introduire des prétendues commodités de lecture ? L’une des tâches principales d’un

éditeur est sans doute de présenter au public un texte d’une autre époque dans une
forme claire et compréhensible, de déchiffrer l’écriture, de transcrire les abréviations
et de commenter le contenu. Mais il faut se demander si le fait de charger le texte édité
d’éléments supplémentaires, comme la ponctuation moderne, la séparation artifi-
cielle des mots ou l’ajout des accents qui suggèrent la prononciation, est vraiment un
allégement propice à améliorer la compréhension. Les usages d’un scribe ne sont pas

18 Cf. par ex. Bein (21998, 924) dans les conseils pour l’édition des textes en moyen-haut-allemand :  

« chaque édition […] est aussi un moyen de communication interactive ».


   
302 Anja Overbeck

si difficiles à comprendre, leur considération procure au contraire beaucoup d’infor-


mations. Les éditions normalisées empêchent ces recherches à la source en ne
reflétant pas les divers traits spécifiques des scriptae médiévales.19 Que faire donc
dans cette situation pénible ?  

Les Conseils pour l’édition des textes médiévaux de l’École nationale des Chartes
(2001/2002) ne représentent pas de progrès en ce qui concerne la pratique éditoriale,
n’étant qu’une collection des indications ouvertes et plutôt conservatrices. L’œuvre,
partagée en trois volumes, comble une lacune en donnant des conseils concernant
divers domaines comme les abréviations, les signes diacritiques, la coupe ou la
soudure des mots, la ponctuation etc. et livre un abondant nombre d’exemples tirés
directement de manuscrits divers. Quand même, l’orientation méthodique est à quali-
fier comme démodé à certains égards : les auteurs différencient dans l’avant-propos

entre deux types d’édition, une « édition courante », prévue pour l’historien ou « à but
     

paléographique ou pédagogique », et une soi-disante « édition imitative » ou « édition


       

de recherche » (École nationale des Chartes 2001/2002, 1, 12–14). La dernière remplace


l’ancienne édition diplomatique,20 et donne « à lire un manuscrit ou des actes tels que

leur auteur ou leur scripteur a voulu les présenter matériellement » (ibid., 13). Elle a,  

selon les auteurs, une certaine raison d’être, ses principes d’édition ne pouvant
cependant être généralisés :  

« Quoique réticents à manier à notre tour l’anathème, nous disons fortement notre défiance à

l’égard des éditions qui proposent la reproduction, prétendument fidèle, de tous les caractères
des textes médiévaux, celles qui par exemple tentent de reproduire l’alternance de s longs et de s
finaux ou qui pensent donner à lire à leurs utilisateurs des éditions plus ‹ authentiques › parce
   

qu’elles reproduisent les signes abréviatifs, les coupures, la ponctuation, la distribution des
majuscules d’un original » (ibid., 12s.).

Les auteurs supposent même une « conjonction d’une paresse (le refus de prendre

parti) et d’une illusion (celle d’un ‹ rendu › optimal et objectif des textes édités) »
     

(ibid., 14) derrière ces éditions « imitatives » et reprochent aux éditeurs des éditions
   

authentiques d’accumuler seulement des matériaux sans se risquer à l’interprétation.


Pourtant, la question à se poser est plutôt celle de savoir s’il n’est pas, en réalité,
beaucoup plus difficile de s’arranger avec la situation telle qu’elle se présente dans
les textes médiévaux que de coller des systèmes fixes sur les réalités qu’ils contien-
nent. Celui qui a une fois essayé de différencier les nombreuses variantes de la lettre
m dans un manuscrit du Moyen Âge ou de faire une différence nette entre les
minuscules et les majuscules, connaît la difficulté d’une telle entreprise. Aussi les
Conseils se mettent, à la fin, du côté de la « lisibilité » et ne représentent, au moins
   

19 Cf. aussi Holtus/Völker (1999, 400–402).


20 Les auteurs refusent à juste titre la notion d’« édition diplomatique » à cause de la confusion avec
   

une « édition de texte diplomatique », cf. ibid., 13, n. 16.


     
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  303

quant à la discussion méthodique, aucun développement. Toutefois, les auteurs


soulignent que leurs conseils reflètent la pratique française, « les autres pratiques  

européennes étant notablement différentes » (ibid., 63, n. 1).


Ainsi, le Guide de l’édition de textes en ancien français d’Yvan G. Lepage (2001) ne


représente qu’une orientation très prudente envers les « nouvelles » méthodes de    

l’édition. Il offre néanmoins un bon résumé de l’histoire de l’édition des textes en


ancien français et remplace à cet égard le livre de Foulet/Speer (On Editing Old French
Texts, 1979). En ce qui concerne la méthodologie, le Guide reste plutôt traditionnel et
se tait également sur les innovations des années 1990.21
Le manuel Lire le manuscrit médiéval, édité du CNRS sous le guide de son
directeur Paul Géhin (cf. Géhin 2005), représente l’état actuel dans la codicologie et la
paléographie. C’est un bon exemple de l’intérêt nouveau à la matérialité de la
textualité pré-moderne et qui attire l’attention sur les représentants de la production
des livres médiévaux. Néanmoins, il ne donne pas de conseils pour l’édition de tels
livres et reste également sur un niveau théorique.
La seule issue du dilemme semble être – comme l’avait déjà proposé Cerquiglini
dans l’Éloge – l’ordinateur :  

« Nous sommes de plus convaincus que les potentialités ouvertes par la mise à disposition de

bases textuelles informatisées et de corpus numérisés permettront très vite de dépasser le


dilemme [entre ‹ édition courante › et ‹ édition de recherche ›, A.O.], en juxtaposant commodé-
       

ment plusieurs moyens de prendre connaissance des textes médiévaux : aspect physique des

manuscrits et des actes originaux, éditions de travail, éditions accessibles à la lecture courante
[…] » (École nationale des Chartes 2001/2002, 1, 14).

Depuis les années 1990, les nombreux développements dans le domaine des médias
électroniques ont multiplié les possibilités dans l’édition scientifique. Que les espoirs
des auteurs des Conseils pouvaient en partie être réalisés entre-temps, voilà ce que les
chapitres suivants montreront.

4 La méthode de Trèves
La méthode d’édition développée dans le contexte du « Sonderforschungsbereich »   

(SFB) 235 à Trèves et perfectionnée dans d’autres projets (voir 5, infra) montre qu’une
différenciation des diverses sortes d’édition (dites « de recherche », « imitative » ou
       

« courante ») n’est à vrai dire pas nécessaire. Dans la suite l’on donnera un exemple
   

21 Lepage lui-même en est bien conscient : sous le titre Toilette du texte (Lepage 2001, 101ss.), il cite

les critères pour la normalisation des textes médiévaux qui étaient élaborés déjà par Mario Roques en
1926 : « Bien qu’ils aient été établis il y a déjà trois quarts de siècle, les principes énoncés par Mario
   

Roques […] continuent d’être encore largement suivis de nos jours » (ibid., 101).

304 Anja Overbeck

pratique pour la mise en œuvre des méthodes élaborées avec l’objectif d’établir des
éditions ouvertes pour toutes sortes de publics en même temps.
Dans ce projet de recherche (1994–2001),22 l’on a essayé de joindre la perspective
du linguiste à celle de l’éditeur. Les recherches faisaient partie du projet d’études 235
« Entre Meuse et Rhin : rapports, relations et conflits dans une région centrale de
   

l’Europe, de l’Antiquité tardive au XIXe siècle » qui a été établi à l’Université de Trèves

en 1988. Dans le cadre de ce projet de recherche, un groupe de germanistes et de


romanistes a dirigé un sous-projet traitant de la langue littéraire et de la langue des
chartes qui ont été écrites en moyen-haut-allemand et en ancien français dans l’Ouest
de l’Allemagne et dans l’Est de la France aux XIIIe et XIVe siècles.23 Au centre de ce
travail orienté vers la philologie allemande et romane, se situaient premièrement la
détermination du moment précis de l’apparition des chartes en langue vernaculaire et
deuxièmement l’étude du passage langue parlée/langue écrite et de la superposition
de domaines linguistiques écrits et parlés aux XIIIe et XIVe siècles des deux côtés de la
frontière linguistique.24 Pendant le travail, on a pu largement profiter des acquis
méthodologiques et empiriques des autres disciplines collaborant dans le SFB, no-
tamment des historiens.
Les expériences faites pendant le travail avec des documents – avec les chartes
aussi qu’avec des textes littéraires25 – menaient continuellement à la conclusion que
le respect même envers les plus petits caractéristiques peut apporter un profit
immense, comme le souligne aussi Marie-Guy Boutier dans ses études sur des chartes
luxembourgeoises :  

« Le texte est évalué sur un ensemble constant de critères, établis préalablement à l’analyse et

que l’analyste manipule comme il le ferait d’un filet. Pourtant, le ‹ coup de filet › risque de
   

manquer les poissons les plus rares, et par là les plus intéressants. sa fiz ‘son fils’ (1234), rejeté
comme une faute, était perdu […] » (Boutier 2001, 419).

Le traitement uniforme appliqué aux textes anciens mène donc à une certaine « lisibi-  

lité », mais seulement au détriment des détails qui pourraient être très probants pour

les analyses variationnelles, notamment diatopiques comme dans l’exemple de sa fiz,

22 Voir la description du projet, dirigé par Kurt Gärtner et Günter Holtus, sous http://www.rmnet.uni-
trier.de/cgi-bin/RMnetIndex.tcl?hea=&nav=su&for=&cnt=pjktxt&id=32&page=1 [dernière consulta-
tion 15/03/2014].
23 Pour un survol des résultats obtenus cf. les recueils des trois colloques interdisciplinaires de
Trèves, Gärtner/Holtus (1997), Gärtner et al. (2001) et Gärtner/Holtus (2005).

24 Cf. sur ce projet aussi Holtus/Overbeck/Völker (2003b ; 2005). L’édition des chartes est publiée

dans Holtus/Overbeck/Völker (2003a), accessible aussi comme source électronique sous http://www.
rmnet.uni-trier.de/cgi-bin/RMnetIndex.tcl?hea=qf&for=qafranzu [dernière consultation 15/03/2014].
25 Avec des principes d’édition très similaires, nous avons élaboré également une édition d’un
manuscrit du récit de voyage de Marco Polo, cf. Overbeck (2003a), ce qui montre entre autres
l’universalité de la méthode choisie.
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  305

n’étant pas une faute, mais une variante diatopique wallonne. En plus, une telle
normalisation mène toujours à une « déhistorisation » :
     

« Chaque texte est lié par sa graphie à un paysage scriptural, à une époque, à une couche sociale

et à une situation d’emploi spécifique. Si une edition scientifique maintient l’orthographe de


l’original, elle maintient aussi la distance réelle par rapport au passé. Le lecteur apprehend le
texte dans ce cas non pas (au niveau propositionnel) comme du contenu détaché en meme temps
de l’histoire, mais reconnaît le champ de puissance temporelle, spatiale, de groupe, et situation-
nelle dans lequel le texte se plaçait ou se place » (Kranich-Hofbauer 1994b, 297 ; traduction DAT).
   

L’objectif d’un éditeur devrait donc être la restitution d’une réalité historique sans
l’addition des régularités artificielles. La normalisation, dans cette perspective, n’en-
traîne pas un quelconque allègement au lecteur, mais une proximité artificielle qui,
en réalité, agrandit la distance entre celui-ci et le manuscrit. L’éditeur doit ainsi
donner la possibilité d’analyser les détails d’un manuscrit avant de les rejeter au
bénéfice d’une certaine lisibilité. Le caractère principal d’un texte du Moyen Âge, de
ce temps pré-normatif, est la variance, comme l’a déjà souligné Bernard Cerquiglini
dans son Éloge de la variante (1989).26 La variance est le caractère premier d’un tel
texte, tant dans ses formes que dans ses structures flottantes qui ne sauraient être
classifiées selon des critères modernes. Avant de rejeter toutes ces variantes indivi-
duelles d’un scribe, il faut donc d’abord donner la possibilité au lecteur de les
connaître. En effet, l’hétérogénéité des formes ne signifie pas automatiquement chaos
ou incompétence du scribe.27 Ainsi, il faut réduire au maximum les interventions de
l’éditeur. En reproduisant une multitude de traits spécifiques à la scripta des manu-
scrits dans les éditions, on rend possible non seulement un retour au texte singulier,
mais aussi une approche des systèmes graphique et linguistique du scribe et – dans
un cadre plus large – de la manuscript culture exigée déjà par la « Nouvelle Philolo- 

gie ».

Cela ne signifie cependant pas qu’on devrait présenter des éditions « brutes » et    

reproductives. Il est au contraire très important de donner autant d’informations que


possibles sur la langue comme sur l’arrière-plan du texte et de commenter avec soin
les détails qu’on présente. Mais ces informations peuvent être livrées en dehors du
texte édité, par ex. à travers une introduction détaillée, des notes concernant la
paléographie et les variantes, dans des apparats, des registres et des glossaires. Le
texte lui-même doit rester ouvert au plus grand nombre d’approches possibles. Grâce
à cette exactitude, il reste possible de faire des analyses spécifiques dans différents
domaines de recherche, comme par ex. la linguistique textuelle, la pragmatique ou la
linguistique variationnelle. Le but d’une telle édition n’est pas de fabriquer une

26 Cf. aussi Völker (2007) qui fait le lien entre le projet de Trèves et l’Éloge de Cerquiglini (A « practice

of the variant »).


27 Cf. par ex. Schøsler/van Reenen (2000), qui ont trouvé que la distribution dialectale de certaines
formes graphiques est plutôt systématique. Cf. aussi Andrieux-Reix/Monsonégo (1997 ; 1998), Ha- 

senohr (1998), ainsi que Boutier (2001).


306 Anja Overbeck

reproduction fidèle de l’original, mais de fournir une combinaison de documentation,


d’information et d’interprétation.
Du côté technologique, le choix d’une telle méthode est bien sûr facilité depuis
quelques années par les nouveaux médias. L’ordinateur rend possible un encodage
textuel neutre qui permet des lectures multiples. À partir d’une seule base textuelle,
l’édition électronique peut mener à différentes interprétations des informations don-
nées, ce qu’un livre imprimé ne peut pas offrir. Dans le projet de recherche, l’on a
développé un programme d’analyse linguistique qui combine la perspective de l’édi-
teur avec celle du linguiste, donc de faire une édition des chartes et d’en étudier la
langue. Le corpus consistait en 180 chartes françaises émises ou reçues par les comtes
de Luxembourg au XIIIe siècle, d’origine et de contenu divers.28 Ce corpus très
hétérogène combiné avec les démarches méthodiques soulignées demandait pour
l’analyse linguistique outre une édition ouverte aux variantes surtout un logiciel
efficace et variable qui offre un accès pluridimensionnel et qui rende possible une
jonction des textes avec les informations extralinguistiques ou bien les métadonnées
à l’aide d’un hypertexte. L’outil informatique choisi pour ces besoins était TUSTEP, le
TUebinger System von TExtverarbeitungsProgrammen.29 Grâce au programme d’ana-
lyse développé à l’aide de TUSTEP pour les besoins spécifiques du projet, il était
possible de combiner les différents critères diachroniques, diatopiques, diastratiques
et idiolectaux. Tandis que la plupart des travaux scriptologiques considèrent la
variation linguistique uniquement comme une variation diatopique, on avait, dans ce
projet-ci, ajouté aux analyses diatopiques des analyses diachroniques et diastratiques
et nous nous sommes intéressés au rôle des scribes.
Dans la suite seront décrits les principes d’édition qui ont été adoptés dans le projet
de Trèves pour l’édition des chartes médiévales (cf. Holtus/Overbeck/Völker 2003a)
ainsi que pour l’édition d’un texte littéraire d’environ 1350 comme il est représenté par
le manuscrit Cod. Holm. M 304 du voyage de Marco Polo (cf. Overbeck 2003a) :30  

1. Macrostructure (chapitres, folios)


L’organisation macrostructurelle du manuscrit reste intacte dans l’édition, ce qui
veut dire que le texte n’est pas séparé artificiellement dans des chapitres ou paragra-
phes, mais il conserve la division prévue par le scribe. Pour les textes plus longs comme
les manuscrits littéraires, les chapitres sont marqués par des chiffres romains suivant la
tradition des manuscrits ; le commencement d’un nouveau folio est marqué aussi.

28 Une liste des chartes contenues dans le corpus de Trèves se trouve dans Holtus/Overbeck/Völker
(2003a, chap. 2).

29 À propos de ce système, cf. le site web du International TUSTEP User Group (http://www.itug.de ;  

dernière consultation 15/03/2014) ; à propos de l’utilité de TUSTEP pour les analyses diasystématiques

cf. Völker (2003, 99–101 ; 2004). La démarche méthodique détaillée pendant le projet est décrite dans

Overbeck/Völker (2007).
30 Pour la suite, cf. aussi Holtus/Overbeck/Völker (2003b).
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  307

2. Microstructure (lignes, paragraphes)


L’organisation interne des textes originales reste visible dans l’édition, ce qui
comprend la numérotation des lignes entre crochets, la répartition en paragraphes et
la conservation de la séparation des mots (avec ou sans tiret). En plus, toutes les
signes organisant la structure du texte (signes de transposition, signes de remplisse-
ment, effacements, etc.) sont effectués dans l’édition comme prévu par le scribe, et
commentés dans les notes.

3. Formes graphiques des lettres


Il est important de conserver autant que possible la forme graphique des lettres
apparaissant dans les textes. Cela signifie en particulier de

– maintenir la distinction entre u et v,


      

– maintenir la distinction entre i, j et y,


      

– faire la différence entre s rond et ſ long,


      

– faire la différence entre m minuscule et M majuscule ; comme troisième forme on trouve


        

souvent la forme onciale de la lettre, représentée dans l’édition par M .

En outre, les majuscules et les minuscules sont différenciées suivant leur apparition
dans les textes originaux, même si cette différenciation est parfois pénible.31

4. Abréviations
Les abréviations sont transcrites en toutes lettres ; cette intervention est marquée

par des parenthèses. Pour l’interprétation des abréviations, il est utile de se reporter
aux graphies développées dans d’autres parties du même texte (ou dans d’autres
textes du même scribe, si ceux-ci sont connus). En cas d’hésitation, une variante est
proposée dans l’apparat. Étant donné le caractère aléatoire des transcriptions d’abré-
viations, celles-ci sont à exclure de l’analyse scriptologique ou quantitative des
textes.32

5. Séparation des mots


Afin de ne pas détruire le caractère authentique de la présentation, il faut éviter
d’introduire des coupures artificielles de mots. La séparation des mots paraît être un
trait spécifique de la scripta individuelle d’un scribe ; la conserver peut aider à

l’identification de la main. Ainsi l’emploi proclitique des particules est gardé.33

31 Cf. aussi les principes d’édition de Kranich-Hofbauer (1994a, 9–30 ; 265–272 ; 1994b) et Meisenburg
   

(1990).
32 Cf. pour les abréviations entre autres Hasenohr (1998) ; Frank (1994 ; 2001).
   

33 Cf. pour la soudure des mots Rickard (1982), pour la segmentation graphique Andrieux-Reix/
Monsonégo (1997 ; 1998) et Lavrentiev (2007).

308 Anja Overbeck

6. Ponctuation
La ponctuation peut aussi être spécifique à la scripta individuelle, et c’est pour-
quoi il est nécessaire de maintenir tous les signes de ponctuation présentés par les
textes à éditer. Le signe le plus fréquent est, pour les documents médiévaux, le point
volant (·) qui segmente la phrase et encadre les chiffres romains. Si le point se trouve
sur la ligne de base, il est représenté comme dans le texte original (.). La virgule
consiste dans la plupart des cas en un trait oblique montant de gauche à droite (/).
Moins fréquents, le punctus elevatus (point-virgule renversé)34 et les diverses combi-
naisons de points sont, pour des raisons de typographie, commentés dans les notes.35

7. Signes diacritiques
Il est utile de conserver les signes diacritiques se trouvant parfois sur l’i ou sur le
j, ainsi que sur l’y, parce qu’il s’agit ici d’un phénomène peu étudié jusqu’ici, de sorte
qu’on ne devrait pas l’éliminer du texte édité.36

8. Passages illisibles
Les passages mal lisibles ou complètement illisibles sont marqués par des astéris-
ques en nombre approximatif des lettres perdues. Une interprétation est proposée
dans les notes.

9. Fautes
Les fautes évidentes ne sont en aucun cas « corrigées », car elles représentent
   

souvent des particularités dialectales ou individuelles des scribes. Ainsi, on trouve en


particulier dans les manuscrits littéraires des fautes parfois révélatrices pour la
détermination des familles textuelles parmi la tradition manuscrite d’une œuvre. Un
sic dans la note et un essai d’explication signalent qu’il s’agit d’une vraie faute.

10. Parties formulaires des textes diplomatiques


Pour mieux segmenter les passages différents des textes diplomatiques comme
les chartes, le commencement d’une partie formulaire est signalé à l’aide des signes
suivants : [INT] pour l’intitulatio, [PUB] pour la publicatio, [NAR] pour la narratio,

[COR] pour la corroboratio et [DAT] pour la datation. Les limites de paragraphe sont
signalées par la marque [CAP].

34 Cf. pour la terminologie souvent fausse de ce signe Busby (1999, 147).


35 Cf. pour la ponctuation Parisse (1979) ; Barbance (1992–1995) ; Busby (1999) ; Boutier (2001) ;
       

Lavrentiev (2007) ; Mazziotta (2009) ; Schubert (2013). Une terminologie plus uniforme serait souhai-
   

table dans ce domaine, parce que les descriptions des signes sont parfois très compliquées.
36 Dans la tradition d’édition de la germanistique, ce domaine est déjà mieux exploré, ce qui est
justifié par la plus grande fréquence des signes diacritiques et des superscriptions dans la tradition
scriptologique germanique (par ex. dans le cas de ůo). Cf. Schneider (1987).
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  309

11. Structure des notes


Les notes remplissent les fonctions suivantes :  

– Elles commentent les données paléographiques des textes.


      

– Elles éclaircissent des passages difficilement compréhensibles ou illisibles.


      

– Elles signalent et expliquent les passages fautifs.


      

– Elles exposent les variantes de lecture d’autres éditeurs.


      

Pour les textes littéraires, un apparat critique double pourrait être utile, dans lequel
aussi les variantes d’autres familles de manuscrits sont décrites.
En guise de conclusion du projet et du travail avec les textes littéraires dans la
suite, il faut souligner que tous les résultats qu’on a pu obtenir (et qui sont publiés
dans Holtus/Overbeck/Völker 2003a) n’ont pu être réalisés que sur la base non
seulement d’une édition électronique ouverte aux variantes et flexible vis-à-vis les
paradigmes d’analyse, mais encore à l’aide d’analyses statistiques effectuées avec un
logiciel efficace et, de toute évidence, partant du travail philologique, historique et
linguistique. Les résultats montrent aussi l’importance d’une démarche méthodique
claire et nette, pour laquelle il faut :  

1° une transcription des documents, disponible en version électronique, qui restitue aussi
authentiquement que possible les variantes et qui permet de vérifier non seulement l’existence,
mais aussi l’importance des variantes linguistiques ;  

2° l’investigation du cadre historique et pragmatique dans lequel et pour lequel les documents
ont été produits, pour les textes diplomatiques aussi bien que pour les textes littéraires ;

3° l’application de l’éventail variationniste et diasystématique, jusque-là surtout réservé aux


travaux sur les langues contemporaines, à l’analyse de documents historiques de la langue
française, complétée par l’utilisation d’un logiciel performant à l’aide duquel on peut dresser des
statistiques plurivariationnelles.37

Une telle démarche exige beaucoup de temps, de rigueur et de coopération interdisci-


plinaire, raison pour laquelle on trouve les meilleures conditions de travail au sein
d’une unité de recherches interdisciplinaires ou d’un projet rassemblant les différents
champs de recherche. Ainsi, on échappe aussi au danger d’une séparation des disci-
plines différentes.

5 Projets en cours
Pendant les années passées depuis l’achèvement du projet de recherche à Trèves,
beaucoup s’est développé, surtout pour ce qui est du côté technique. Les possibi-
lités de l’édition électronique se sont multipliées, et les visions de Cerquiglini,
l’École des Chartes et autres (cf. §2) ont pu être réalisées au moins partiellement.

37 Cf. à ce propos aussi la conclusion dans Holtus/Overbeck/Völker (2003b).


310 Anja Overbeck

Suite à la numérisation croissante, les témoins textuels peuvent être reproduits et


analysés avec des moyens relativement faciles.38 Même des éditions « mixtes »    

sont possibles maintenant, qui offrent, en même temps, un accès aux linguistes et
aux philologues et historiens littéraires. Ainsi, à Zurich, Martin-Dietrich Gleßgen a
suivi la « voie de Trèves » en développant pour les Plus anciens documents de la
   

France un système d’édition qui cherche à trouver un compromis acceptable entre


la nécessité de l’affinité la plus grande entre l’original de la charte et la transcrip-
tion (moderne), d’une part, et la tâche du philologue de rendre plus clair au
lecteur moderne un texte médiéval, d’autre part. Avec l’aide d’un groupe de
recherche et d’un outil informatique moderne et très performant,39 il a développé
« l’idée d’une édition ‹ mixte › ou ‹ composite › qui tient compte, en même temps et
         

dans la même mesure, des éléments caractéristiques de l’original (ponctuation,


mise en page, majuscules) et des nécessités interprétatives d’une édition mo-
derne » (Gleßgen 2011, 650). À partir d’une même base textuelle, il est ainsi

possible de combiner des perspectives différentes et d’offrir la possibilité des inter-


prétations diverses.

Avec Frédéric Duval et Paul Videsott, Gleßgen poursuit le projet initié en 1974 par
Jacques Monfrin de présenter avec la collection des Plus anciens documents linguisti-
ques de la France (DocLing) les chartes françaises originales du XIIIe siècle couvrant
une grande partie du Nord-Est de la France (↗11 L’écrit documentaire médiéval et le
projet des Plus anciens documents linguistiques de la France).40 Cette base de données
textuelles peut ainsi être interrogée de différentes manières à des fins linguistiques,
philologiques et historiques.
De cette manière, la « méthode de Trèves » n’est pas finie avec l’accomplissement
   

du projet de recherche, mais il est continué sous les mêmes approches méthodiques et
sera perfectionné à l’aide des nouveaux techniques.
Un autre projet en cours dans ce cadre est dédié au développement des instru-
ments d’interrogation et ensembles textuels supplémentaires (Sources et outils pour
l’analyse du français ancien, en collaboration avec Achim Stein, Stuttgart, et Pierre
Kunstmann, Ottawa), à l’aide desquels, entre autres, on a publié la nouvelle version
du corpus élaboré d’Anthonij Dees et son équipe dans les années 1980 (cf. Dees 1980
et 1987, premièrement digitalisé par Piet van Reenen) sous le titre de Nouveau Corpus
d’Amsterdam.41 Le corpus actuel est pourvu d’une nouvelle indexation grammaticale,

38 Cf. Kunstmann (2000) ; Kunstmann et al. (2003).


   

39 Il s’agit d’un outil programmé aussi à l’aide du langage-script TUSTEP (Phoenix), cf. la description
détaillée dans Gleßgen (2005).
40 Cf. aussi la présentation du projet sous http://www.rose.uzh.ch/docling/ [dernière consultation 15/
03/2014].
41 Ce corpus a été présenté lors d’un atelier à Lauterbad (Schwarzwald, février 2006), cf. Kunstmann/
Stein (2006 ; 2007) et Gleßgen/Vachon (32010 ; 2013).
   
L’édition des textes médiévaux : la méthode de Trèves
  311

avec une large lemmatisation des formes graphiques et une bibliographie analytique ;  

il peut être acquis gratuitement pour des analyses scientifiques.42


Les autres projets en cours, notamment ceux concernant les œuvres littéraires, ne
pouvant pas être énumérés ici, sont relativement nombreux, mais l’impression que
nous avons déjà indiquée dans la première section reste valable : dans la pratique, le

grand renouvellement est – malgré les réflexions méthodiques actuelles – encore


absent, au moins dans le domaine des textes en ancien français.43

6 Conclusion et perspectives
Qu’est-ce qu’il faut donc faire pour améliorer la situation de la philologie de l’édition
des textes en ancien français ? Une première approche est bien sûr le débat sur le plan

méthodique qui mène peu à peu à une perception internationale, ce que montre le
nombre croissant des publications sur ce thème qui tentent à rassembler plusieurs
disciplines et plusieurs philologies nationales. L’expérience avec les premières édi-
tions électroniques montre que l’ordinateur offre une multitude de nouveaux moyens
pour dissoudre le dilemme de l’éditeur qui doit répondre à plusieurs exigences en
même temps. Mais l’ordinateur ne dispense pas l’éditeur de procéder à la réflexion
méthodique et il ne fait pas le travail indépendamment. L’intention de remplir toutes
les exigences possibles dépasserait certainement les limites d’un seul éditeur. La
solution optimale serait donc de travailler à plusieurs dans une équipe, de préférence
composée de linguistes, de philologues et d’historiens (à ne pas oublier les profes-
sionnels du secteur informatique) pour ne pas agrandir le clivage entre les disciplines.
Ainsi, chacun apporterait ses compétences à l’édition qui pourrait à la fin contenir et
une introduction linguistique raisonnée et une édition « mixte » tenant compte, en
   

même temps, des caractéristiques de l’original et des nécessités interprétatives. En


plus, il faut bouger un peu et accepter la légitimité d’approches différentes et une
certaine pluralité des méthodes. On ne peut donc qu’inviter à renouveler la combinai-
son de la réflexion théorique et la mise en œuvre d’une pratique intelligible et claire,
et tout cela aidé par les nouvelles techniques de numérisation.

42 Cf. http://www.uni-stuttgart.de/lingrom/stein/corpus/ [dernière consultation 15/03/2014].


43 Pour les textes en ancien haut allemand, la mise en œuvre des réflexions méthodiques se présente
comme beaucoup plus avancée, cf. par ex. les éditions de Joachim Bumke (par ex. celle de la Nibe-
lungenklage, cf. Bumke 1996 ; 1999) ou de Karin Kranich-Hofbauer (Starkenbergischer Rotulus, cf.

Kranich-Hofbauer 1994a ; 1994b).



312 Anja Overbeck

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Claude Buridant
13 Édition et traduction
Abstract : L’article traite de l’ensemble des traductions en français au Moyen Âge.
   

Après une exposition de la spécificité de la traduction médiévale, conçue dans un


contexte qui était tout à fait différent de celui qui est sous-jacent à la pratique de la
traduction d’aujourd’hui, une typologie des textes est proposée. Celle-ci implique des
divergences de pratique éditoriale (l’édition doit suivre les besoins du texte en ques-
tion, et de sa tradition manuscrite). La typologie se base sur les concepts de texte-
source et de textes-cibles, et comprend aussi la problématique des textes à manuscrit
unique ou dont plusieurs (et parfois beaucoup de) manuscrits ont survécu ; des  

éditions bilingues ; et des gloses qui accompagnent et qui parfois constituent des

textes. L’article fournit une étude développée d’un cas de figure complexe, la Chro-
nique des rois de France (1217–1230), dont l’auteur prépare une édition ; un échantillon

commenté de l’édition en cours est présenté ici. Suit une bibliographie importante sur
la traduction médiévale (textes suivant une classification raisonnée, et études).

Keywords : Chronique des rois de France, typologie des traductions, texte-cible, texte-
   

source, édition bilingue

1 Mise au point liminaire


L’édition des traductions médiévales pose des problèmes spécifiques que nous tente-
rons de cerner dans une approche visant à dégager une esquisse de typologie des
éditions publiées depuis une trentaine d’années en particulier, portant sur une
période allant du Xe au XVe siècle. Si la traduction du latin occupe, dans ce domaine,
une place prééminente, comme langue socle de la culture médiévale, d’autres cas de
traduction seront pris en compte, dont des traductions de sources vernaculaires, ou à
l’inverse des traductions du vernaculaire au latin. Ce panorama ne peut évidemment
pas être exhaustif : dans l’énorme littérature de traduction, au sens le plus large,

seront inventoriés les exemples illustrant les différentes options d’édition possibles,
enregistrées dans la bibliographie sélective.1 Cette littérature a été engrangée dans de
vastes répertoires raisonnés, comme l’ouvrage collectif Transmédie, publié en 2011
sous la direction de Claudio Galderisi, dont le volume 2, en deux tomes, constitue une

somme de références importante, encore perfectible (Transmédie) ; ou le catalogue


1 Il ne s’agira évidemment pas de concurrencer ou de doubler les développements de Bourgain/


Vielliard (2002), mais de dégager ce qui concerne plus particulièrement les problèmes spécifiques de
l’ecdotique des traductions médiévales.
320 Claude Buridant

informatisé des traductions médiévales en français et en occitan des auteurs classi-


ques, dans le Miroir des classiques élaboré par Frédéric Duval et Françoise Vielliard,
aux très précieuses notices, plus détaillées, et à la bibliographie substantielle faisant
toute leur place aux publications et aux colloques et congrès majeurs explorant le(s)
domaines(s) de la traduction médiévale, dont nombre de contributions concernent les
problèmes d’édition (Miroir des classiques en ligne) ; sans compter la Base Jonas de

l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, et les ressources de l’ARLIMA.


Cette esquisse sera suivie, à titre illustratif, d’un aperçu des problèmes posés par
l’édition en cours de la Chronique des rois de France, prévue à la Société des Anciens
Textes Français, préparée de longue date par Gillette Labory et nous-même.

2 Introduction : la spécificité des traductions


médiévales
L’édition des traductions médiévales est conditionnée par deux caractéristiques cen-
trales qui se combinent en symbiose, et qui sont de deux ordres : une caractéristique

qu’on pourrait dire « interne » de la translation médiévale, une caractéristique « ex-


     

terne » liée au mode de transmission des textes en jeu dans la relation source-cible.

La pratique de la translation médiévale d’abord, qui n’est pas une activité parfai-
tement circonscrite et hermétique, dont Jacques Monfrin a dégagé les principaux
aspects dans l’introduction du grand inventaire qu’il en dressait en 1955 :  

« L’idée que les écrivains du Moyen Age se sont fait de la tâche de traducteur est assez différente

de celle qui a prévalu plus tard : le souci historique et philologique de laisser ou de retrouver

l’œuvre d’un auteur sous la forme exacte que celui-ci avait voulu lui donner était souvent
remplacé par l’idée que tout écrit est perfectible et que, du moment qu’on le transcrivait, ou qu’on
le traduisait, il n’y avait aucune raison pour ne pas le modifier ou l’améliorer en combinant
parfois le texte avec celui d’un autre ouvrage : de là des modifications sans nombre apportées

aux textes originaux. En dehors de ces manifestations d’un état d’esprit que, le plus souvent, les
prologues des traducteurs éclairent parfaitement, on a toujours, pour des raisons diverses, à côté
des traductions, des adaptations, en faisant passer une langue dans une autre » (Monfrin 1955 ;
   

Miroir des classiques).

C’est cette idée que nous avons reprise et développée dans nos recherches sur la
traduction médiévale, en particulier dans deux études s’appuyant largement sur une
analyse critique des prologues des traducteurs et leur topique : nous y soulignions

l’absence de spécificité de la traduction, ses rapports étroits, en symbiose, avec le


commentaire, la multiplicité des dénominations, autour de translater, au centre du
noyau notionnel de « traduire », étant le signe que la traduction n’est pas considérée
   

comme une activité spécifique caractérisée par un terme unique à la définition précise
et univoque (Buridant 1983 ; 2011). Et nous avions proposé de la caractériser comme

« une trahison fidèle » :


     
Édition et traduction 321

« Même dans les cas extrêmes où on se flatte de respecter scrupuleusement la lettre, on admet la

liberté par rapport au texte-source pour le gloser, l’embellir ou accentuer son impact moral […] Le
texte-source n’est pas nécessairement considéré comme un objet fini dans son altérité et son
‹ étrangeté › ; il est toujours susceptible d’aménagements que rien n’autorise à appeler ‹ trahi-
       

sons › aussi longtemps que la matière est respectée, ayant la fonction de mieux adapter le

message au public qu’on doit édifier ou instruire » (Buridant 1983, 117).


« Mettre une œuvre à la portée du lecteur, c’est aussi la lui expliquer », écrit encore
   

Paul Chavy (1974, 560).


D’où les frontières souvent floues entre « traduction », « adaptation » et « rema-
         

niement ». Entre la traduction-calque étroite et parfois mimétique ad litteram – espon-


dre mot a mot le latin par le françois – ou la traduction large ad sensum, qualifiée aussi
de « traduction dynamique » (Henderson/McWebb 2004), qui peuvent être l’objet
   

d’un prologue explicitant la méthode du traducteur, il existe tout un éventail de


possibilités. Plus ou moins grande est la distance focale du texte-source entre les deux
types de traduction, considérés aussi comme orientés en deux sens opposés, vers le
texte ou vers le lecteur : « text-focused translation aims at reproducing the grammar
   

and syntax of the original language while a reader-focused translation aims at


communicating the message of the text » (Blum-Kulka 1986). C’est en fonction de cette

distance focale que peut être évaluée la fidélité de la traduction et donc la cohérence
relative du texte édité, cohérence externe prévalente dans le cas d’une traduction
littérale, le texte-source, pourvu qu’il soit sûr, servant de référence et d’étalon ;  

cohérence interne prévalente dans le cas d’une traduction dynamique relativement


autonome, répondant à l’esprit du texte-source sans en épouser la forme stricte
(Henderson/McWebb 2004). La distance focale peut varier dans une même traduction,
et le cas n’est pas exceptionnel. Le traducteur de La Vie seint Richard Evesque de
Cicestre « se forge un style très personnel où alternent passages traduits de près et

passages plus libres » (ed. D.W. Russell, 1995 ; compte rendu par Gilles Roques 1996,
   

617).
Dans le Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, empruntant à deux sour-
ces, la Vulgate et les Antiquitates de Flavius Josèphe :  

« Différents cas de figure peuvent se présenter. Ou bien le traducteur suit fidèlement la Vulgate. Il

peut cependant y mêler occasionnellement des éléments empruntés à l’œuvre de Josèphe […] A
d’autres moments, son Poème est une traduction fidèle des Antiquitates […] A une traduction
effectuée à partir du texte de l’historien juif peuvent être ajoutés des éléments qui ont leur origine
dans la Vulgate. Enfin le traducteur peut opérer un savant mélange des deux sources » (ed.  

P. Nobel, I, 85–86).

On est alors loin des conditions optimales ou idéales, qui seraient celles des traduc-
tions actuelles, mettant en présence un modèle donné qui est l’objet d’une re-produc-
tion ou réplique dans une langue d’arrivée qui vise à la fidélité la plus serrée, et a
priori cette fidélité est en large partie mesurable. Ce que souligne Eric Hicks :  
322 Claude Buridant

« Sur le plan des séries cohérentes, les traductions présentent un intérêt particulier. Tout segment

dans le texte de départ doit nécessairement trouver sa réplique dans le texte d’arrivée : à la  

différence des œuvres d’imagination, où la ligne de partage entre faute et variante est indécise,
les traductions visent à reproduire un modèle donné. C’est dire que l’intentionnalité de l’auteur
ne pose pas de problème, car l’on ne saurait admettre, comme le traducteur de la première phrase
de La Guerre des Gaules, « La Gaule est, dans son ensemble, divisée en trente parties » […] »
     

(Hicks, ed. La Vie et les Epistres Pierres Abaelart…, XXXVII)

Le texte-source devrait donc servir de pierre de touche et d’arbitre à la correction – à


tous les sens du terme – des leçons du texte-cible.
Mais dans les conditions des « pratiques d’édition » médiévales, cet objectif n’a
   

rien de simple, et l’on touche ici à la seconde caractéristique, « externe », de la    

traduction médiévale : la fluidité de ses paramètres textuels, inscrits dans une tradi-

tion manuscrite. Ici encore, Jacques Monfrin a souligné le poids de cette tradition,
génératrice de modifications dans le repérage des sources, en l’occurrence les classi-
ques latins, mais ses remarques ont une portée plus générale :  

« Il est un point sur lequel nous devons insister. Le texte des auteurs latins que lisaient les

traducteurs n’est jamais tout à fait celui que nous lisons dans les éditions critiques modernes ;  

celles-ci sont établies, autant que possible, sur les manuscrits les plus anciens, et c’est à peine si
les philologues classiques énumèrent dans leurs études sur la tradition du texte les manuscrits
postérieurs aux XIe–XIIe siècle. Or c’est sur des manuscrits tardifs, ceux que l’on mentionne sous
l’étiquette de recensiores ou deteriores, que nos traducteurs ont travaillé. Et ce qui n’a que peu
d’intérêt pour les éditeurs est pour nous d’une importance capitale : ce sont les modifications

qu’ont subies les textes au cours des derniers siècles du Moyen Age […] Ici et là [i.e. en France
comme en Italie] on a remanié les leçons, on a redistribué le texte, on a composé des titres, des
rubriques, des sommaires ; on a inscrit en marge des gloses et des remarques » (Monfrin 1955).
   

Le texte-source, comme le texte-cible, est loin d’être un texte figé, fixé une fois pour
toutes sous la forme manuscrite, et souvent l’accès à l’original est difficile, si l’on
entend par original « tout document qui remonte à l’auteur, sous forme d’autographe,

ou approuvé par lui », l’autographe n’en étant donc qu’une sous-espèce (Di Stefano

1977, 15).2 Dans la grande majorité des cas, ces témoins s’inscrivent dans la mouvance
générale de tout texte manuscrit,3 constamment en devenir à chaque copie ; et chaque  

2 Afin d’éviter toute ambiguïté sur le sens du terme original, nous emploierons en ce sens plutôt le
terme de « texte d’origine » ou « texte originel », en réservant le terme d’original, dans le cas de la
       

traduction, au texte-source, quel qu’il soit, qui a servi de modèle au traducteur.


3 « Retracer l’histoire d’un manuscrit, retrouver l’original [ajoute encore Di Stefano], c’est porter sa

contribution à l’ecdotique, en faisant intervenir la codicologie et l’archivistique […] étant entendu


qu’un original, même exécuté avec peu de soin, est à préférer à d’autres copies apparemment plus
correctes mais toujours dérivées, par des cheminements incertains, d’un archétype mystérieux » (ibid.,  

16). Et G. Di Stefano illustre son propos avec les problèmes posés par la traduction française de Valère-
Maxime commencée en 1375 pour Charles V et achevée par Nicolas de Gonesse en 1491 pour le duc Jean
de Berry. Cf. cependant plus bas la note 6.  
Édition et traduction 323

copie est toujours une récriture, à des degrés divers, engendrant des fautes aux
mécanismes repérables,4 chaque copiste étant, à sa manière, un nouvel éditeur du
texte. Soit le parcours translation → transcription → transmission, générateur de trans-
formations et altérations : la traduction correspond à un moment singulier T où se

sont rencontrés un texte-source dans un état X et la translation X’ correspondant à cet


état, les deux états coïncidant provisoirement. Texte de départ et texte d’arrivée sont
donc à replacer dans une transmission dont il est souvent difficile de retracer le
cheminement et les jalons, ce que Frédéric Duval et Françoise Vielliard appellent
joliment les « péripéties intellectuelles », dans leur présentation du Miroir des Classi-
   

ques.
Dans son étude sur la traduction du Décaméron de Boccace par Laurent de
Premierfait présentée à Jean de Berry en 1414, Giuseppe Di Stefano évoque précisé-
ment les conditions particulières qui interviennent dans l’édition des traductions, à
commencer par la place du texte-source dans la transmission et son identification :5  

« L’edizione di una traduzione domanda un metodo che in parte è proprio al genere oltrechè

legato alla situazione generale della trasmissione del singolo testo. L’editore deve decidere quale
ruolo vuole assegnare al testo di origine : esso deve avere un posto preciso tra tutti i testimoni

della tradizione, un posto addirittura privilegiato, qualunque sia a priori l’equilibrio che un tale
testo apporta alla valutazione della qualità delle traduzione. Resta fermo comunque il fatto che
l’editore non è certo di lavorare su un testo del tutto identico a quello sul quale aveva operato il
traduttore. Sarà sempre difficile stabilire se il traduttore è stato tradito dalla lezione della sua
copia o se ha tradotto frettolosamente un passagio : solamente l’identificazione delle copia di

lavoro del traduttore metterebbe l’editore in una posizione ottimale nel valutare le varie lezioni
della tradizione manoscritta » (Di Stefano 1996, 574).

Des réserves peuvent être exprimées sur la faisabilité de l’entreprise, supposant qu’un
tel manuscrit existe, comme le fait Gilbert Strasmann à propos de la traduction
allemande de l’Itinerarium d’Odoric de Pordenone : « La recherche du manuscrit, à
   

partir duquel Steckel a traduit, aurait dû s’étendre à toute la tradition latine ; une telle  

dépense en temps et en argent me semblait injustifiée, parce qu’il est loin d’être
certain que ce manuscrit existe encore » (Strasmann 1968, 35 ; traduction DAT).
   

La même question de l’identification du texte-source est posée par L. Brook dans


son examen de la traduction des Lettres d’Abélard et Héloïse par Jean de Meun, dont il
est l’un des éditeurs : quant à « la possibilité d’une analyse en vue d’une évaluation
   

critique d’une traduction au Moyen Age, il y a deux considérations préliminaires à

4 À propos des difficultés des éditions de texte, R. Marichal écrit ainsi : « une édition est une copie, et
   

qui dit copie dit faute » (Marichal 1961, 1249), ce qu’illustre particulièrement la transmission manu-

scrite des textes médiévaux.


5 L’identification ne requiert cependant pas nécessairement le recours à l’ecdotique, souligne Guy
Philippart, à propos des manuscrits hagiographiques : « Pour repérer parmi les divers états d’un texte
   

traduit celui qui est le plus proche de l’archétype, nul besoin de recourir à un stemme et à la déduction
ecdotique : il suffit de confronter ces états au modèle qui a été traduit » (Philippart 1992, 30).
     
324 Claude Buridant

retenir ; d’abord que le texte de la traduction transmis par le ou les MSS est en fin de

compte celui du copiste plutôt que du traducteur ; ensuite que nous ne pouvons pas

être sûrs d’avoir sous les yeux le même original que le traducteur » (Brook 1968, 64).  

Et en l’occurrence, il est possible de « bien apprécier » l’original puisque le texte existe


   

dans huit ou neuf MSS qui transmettent une tradition qui est « remarquablement  

homogène », objet d’une belle édition critique de J. Muckle (Muckle 1950), dont

L. Brook examine ensuite les rapports avec la traduction française de Jean de Meun

(cf. infra).
À la quête du « texte authentique » de l’auteur du texte-source, qui peut être un
   

mirage, on peut aussi préférer la recherche minutieuse de la circulation réelle des


témoins qui l’ont véhiculé. A.D. Wilshere, éditeur du Mirour de Seinte Eglyse, version

anglo-normande du Speculum Ecclesiae de S. Edmund of Abingdon, tente ainsi de


retrouver le texte authentique tel qu’il est sorti de la plume de S. Edmund. Vaine  

entreprise, estime G. Hasenohr :  

« Vouloir fixer le texte ‹ authentique › du Mirour tel qu’il serait sorti de la plume de s. Edmund est
     

une entreprise illusoire et stérile : illusoire, parce que la rédaction latine implicitement reconnue

comme norme de la rédaction française est elle-même fuyante… et qu’en tout état de cause, rien
n’autorise à postuler une adéquation parfaite du texte vernaculaire au texte latin ; stérile, car ce  

qui compte historiquement, ce n’est pas ce texte idéal à l’authenticité problématique, mais les
textes qui ont réellement circulé, tels que les témoins existants permettent de les saisir […]. La
première préoccupation de l’éditeur ne devrait-elle pas être de donner au lecteur la possibilité de
suivre de copie en copie la vie du texte ? » (compte rendu dans Romania 1985, 539s).
   

Si l’on combine les deux traits fondamentaux conditionnant l’édition des traductions
médiévales, on peut dire que, de façon générale, le traducteur exégète et « exposi-  

teur » s’inscrit comme passeur dans une chaîne de transmission manuscrite et comme

constructeur à l’édification d’une œuvre toujours en devenir, combinant en lui les


deux métaphores de la chaîne et de l’édifice.

C’est en tout cas toujours au témoignage d’un texte-source, quel qu’il soit, que se
réfère la traduction et c’est par rapport à lui que se définit ce que Giuseppe Di Stefano
appelle la bontà de la traduction à défaut de son autenticità : « Nelle edizione della    

traduzione, noi assumiamo il testo d’origine come arbitro della bontà se non proprio
dell’ autenticità di una lezione » (Di Stefano 1976, 575).6 C’est aussi à son aune que se

définit l’erreur, dont Ronald Walpole donne une définition prudente et mesurée dans
son édition de la version « Johannes » du Pseudo-Turpin : « But the question here is
       

what is error, and we can only take it to be the destruction or alteration of the sense of
the chronicle as the evidence of the translation allows us to see it » (Walpole 1976,  

126).

6 G. Di Stefano traite également de la bonne leçon et de la leçon authentique dans le chapitre L’édition
des textes de ses Essais sur le moyen français (Di Stefano 1977, 1–21).
Édition et traduction 325

Le texte-source est ainsi un texte de contrôle. Ainsi dans le cas de l’édition de la


traduction du Romuleon par Sébastien Mamerot, comme le signale Frédéric Duval :  

« Les fautes commises des trois manuscrits utilisés pour l’établissement du texte

laissaient supposer que l’archétype était un apographe fautif. En recourant au texte-


source, il était possible de corriger une partie des erreurs de l’archétype » (Duval  

2000, 133).
Ou encore de la traduction de Valère-Maxime commencée par Simon de Hesdin
pour Charles V et achevée par Nicolas de Gonesse en 1401 ; il en existe deux originaux

au moins, le ms. Paris BnF français 9749 : copie offerte à Charles V ; et le ms. BnF
   

français 282, copie offerte au duc de Berry, contenant le Valère-Maxime complet, alors
que le premier ne contient que les quatre premiers livres du texte. Le ms. offert au duc
de Berry peut servir de manuscrit de base aussi pour la partie lacunaire de la traduc-
tion de Simon de Hesdin. Peuvent aussi servir de mss. de contrôle

« les exemplaires ayant la même ascendance que les originaux tout en étant indépendants de

ceux-ci. On aurait là des copies de contrôle bien autorisées, car un original, tout comme une
copie et en tant que copie lui-même, est loin d’être une reproduction parfaite. [En l’occurrence,
l’original offert au duc de Berry est le produit d’un copiste assez négligent]. Cependant, de tels
textes, étant des traductions, trouvent dans le latin des éléments de contrôle sûr, ce qui est un atout
formidable pour vérifier l’authenticité de la leçon d’un manuscrit » (Di Stefano 1977, 18 et 19 ;
   

souligné par nous).

La transmission manuscrite, éloignant les copies de l’original, n’est pas sans entraîner
souvent, par incompréhension, une récriture plus « lisible », un travestissement, voire
   

un effacement de la lectio difficilior.7 Et Giuseppe Di Stefano peut noter, encore, à


propos de la pratique de travail des traducteurs :  

« Essendo nota e acquisita la tendenza al calco, sia lessicale che sintattico, nell’atto di tradu-

zione, l’accordo di un testimone con il testo d’origine è indice di autenticità, mentre l’atto di copia
avrà tendenza a fare sparire tali caratteristiche del testo più vicino all’originale, o ad un
esemplare prossimo di esso, che verrebbe ad avere lo statuto di testimone piuttosto alto nella
pratica della riproduzione e della trasmissione di un testo. In altre parole : la lectio difficilior,

nella quale si riconosce il calco, combinata con l’irreversibilità dell’errore, corrisponderà ad una
lezione più alta, nella scala della degradazione del testo, rispetto ad una lezione di certo più
chiara e comprensibile, cioè ‹ migliore ›, ma di fatto allontanatasi dall’originale. Resta sempre da
   

provare appunto che una versione liberata dalle servitù del calco sia una nuova versione dovuta
al traduttore e non una semplice variante redazionale di un copista divenuto redattore » (Di  

Stefano 1996, 574).

7 Soit la leçon la plus difficile à comprendre, comportant un mot rare ou un tour recherché dont il est
vraisemblable qu’une autre leçon banale soit issue par mécompréhension. Nous donnerons plus loin,
notamment dans la dernière partie, des exemples de ces travestissements, qui se découvrent en
comparaison avec l’original ou une copie plus ancienne.
326 Claude Buridant

« Clarté » n’est donc pas synonyme d’« authenticité », tout comme l’obscurité des
       

leçons peut trahir des mécompréhensions de l’original, la question récurrente restant


de savoir à quelle étape de la traduction correspond l’altération de la leçon au regard
du texte-témoin. Nous proposerons in fine, exemple à l’appui, une esquisse de grille
des fautes, depuis les fautes graphiques les plus évidentes jusqu’aux fautes touchant
précisément la traduction dans sa transmission.

Ces conditions posées, en préliminaire, on peut ébaucher à présent une typologie des
éditions de traductions médiévales en traitant des rapports avec les originaux.

3 Texte-source et textes-cibles
3.1 Éditions médiévales bilingues

Des recherches récentes ont commencé à porter attention aux manuscrits des traduc-
tions vernaculaires en examinant leur mise en page, pour élaborer les premières
approches d’une « grammaire de la mise en page » esquissée par Nigel Palmer (Palmer
   

1981).8 C’est cette « grammaire de la mise en page » qu’examine Françoise Vielliard, à


   

sa suite, dans les traductions médiévales en français des Disticha Catonis, sur l’exem-
ple de la traduction de Jean Le Fèvre, appuyée aussi sur celle d’Adam de Suel et de
Jean du Chastelet, traduction largement diffusée d’abord par les manuscrits, puis par
les éditions incunables prolongées par celles du XVIe siècle. « Les traductions françai-

ses, étalées dans le temps, se caractérisent par une présence du texte latin particuliè-
rement remarquable dans les manuscrits qui les conservent », soit dans vingt-six 

manuscrits sur une quarantaine (Vielliard 2000a, 210). Cette présence est soit directe
(le texte latin complet est transcrit) ou indirecte, sous forme de lemme (le texte latin
est réduit à son incipit donné avant la traduction pour rattacher celle-ci à son modèle
latin), pratique originale relevée par Geneviève Hasenohr dans les traductions de la
littérature gnomique (Hasenohr 1990, 365). Sous forme de texte latin complet ou de
lemme, cette disposition témoigne de la dépendance du français par rapport au latin :  

« La mise en page des manuscrits est […] révélatrice : elle informe non seulement sur la structura-
   

tion du texte source par les copistes, mais aussi dans les manuscrits qui conservent le texte latin,
même réduit à des lemmes, sur la hiérarchie opérée entre les deux langues » (Vielliard 2000a,

221).

Sur la structuration du texte source et son organisation d’abord, et sur les rapports
entre latin et français ensuite : la quasi-totalité des manuscrits se référant au latin

8 N. Palmer a établi une typologie des manuscrits des traductions vernaculaires, en particulier
allemandes, de la Consolatio Philosophiae de Boèce.
Édition et traduction 327

comme patron du texte français usent de procédés de mise en page qui aident à
repérer les grandes articulations du texte-source et à le mettre en valeur par rapport à
sa traduction (ibid., 227).
Restent deux questions fondamentales posées par cette pratique, portant sur la
transmission de la traduction : « Tout d’abord ce modèle reproduit-il le dessein de Le
   

Fèvre ou est-il un infléchissement donné par les copistes ?… Les meilleurs témoins

sont-ils ceux qui sont les plus proches du modèle latin, et les manuscrits qui n’ont que
le texte français et qui ne sont pas sensibles à l’articulation du texte d’origine sont-ils
les plus mauvais témoins ? » (ibid., 227).
   

Ce n’est pas le seul cas de traduction accompagnée de son modèle latin. Dans les
traductions bibliques, le célèbre manuscrit BNF français 167 de la Bible moralisée dite
de Jean le Bon, des années 1340–1350, richement enluminée, un des sommets de
l’exégèse allégorique, présente un texte latin accompagné d’une traduction française
jusqu’à Isaïe (en ligne sur le site Gallica). L’identification de la source, pour cette
dernière, ne présente donc pas de problème, l’original latin étant cependant moins
reconnaissable. Le modèle du texte et du commentaire est celui des gloses et exposi-
tions, et est utilisé à la fois dans les versions latine et française. La seule différence
réelle est que le français développe le latin, qui est clairement présenté sous une
forme abrégée, qui n’est pas sans rappeler les lemmes évoqués ci-dessus, supposant
que le lecteur serait suffisamment familier avec le reste de la Vulgate et avec le
commentaire pour être capable de développer les deux convenablement. David Trot-
ter, évoquant cette édition bilingue, en donne l’exemple d’architriclinus / architriclin
et sa glose dans l’épisode des noces de Cana :  

« Ut autem gustavit architriclinus aquam vinum factum, dicit sponso. Omnis homo primum

bonum vinum debet ponere super et cetera. Architriclinus significat legis peritos qui nesciebant
spiritualem sensum sub legis littera latentem. Ut Paulus ante conversionem nescivit » (fol. 251r).

« Quant le maistre de la feste qui estoit dit architriclin tasta de l’eaue convertie en vin il dist a

l’espouse. tout homme doit avant donner a boire du meilleur. et tu as fait le contraire. Archeticlin
segnefie les sages qui ne savoient sa (l. la ?) saveur espirituel trouver ou sens litteral comme saint

Pol avant qu’il fust converti mes Jhesucrist garda la douceur jusques au temps de sa nouvelle loy.
par quoy apert que le monde met le meilleur au commancement et le pire en la fin. Jhesu fait le
contraire » (ibid.) (Trotter 1987, 267).9

En dehors de cas, illustrant ce que l’on pourrait appeler le bilinguisme didactique


médiéval, l’on peut tenter de dresser un éventail typologique des éditions de traduc-
tions médiévales. A des fins d’exposition, on distinguera les problèmes posés par la
réalisation du texte-source et ceux posés par le texte-cible, que la traduction passe-

9 On peut aussi imaginer, pour certains textes, une édition médiévale bilingue dont on a perdu la
trace, comme le suppose Stefania Marzano en reprenant l’hypothèse d’Henri Hauvette à propos de la
traduction du De casibus virorum illustrium de Boccace par Laurent de Premierfait, « incompréhensible

sans le recours au latin : la logique d’une traduction mot à mot impliquait peut-être, dans la conception

du traducteur, la présentation de l’œuvre en édition bilingue » (Marzano 2007, 294s.).



328 Claude Buridant

relle met évidemment en rapport. Il s’agira seulement de mettre successivement


l’accent sur les problèmes spécifiques de l’un et l’autre genre.

3.2 Le texte-source et ses modalités

Le texte-source peut se présenter sous les modalités suivantes, qui vont de son
absence totale à son identification comme exemplaire de travail du traducteur, étant
entendu que de l’un à l’autre bout de cette échelle, il y a de nombreuses combinaisons
possibles, plus ou moins complexes.

3.2.1 Le texte-source sans témoin et objet d’une reconstruction

Dans La vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame, tous les manuscrits latins
de la correspondance sont postérieurs à la rédaction de la traduction française
attribuée à Jean de Meun, aucun témoin ne remontant à l’époque de la rédaction et le
modèle du traducteur (J) ne pouvant être identifié à aucune des copies latines (ed.
E. Hicks, p. XLIV et LI). Cette copie était d’ailleurs peut-être meilleure que les manu-

scrits les plus autorisés, A (BnF, lat. 2923. Milieu ou fin du XIIIe siècle) et T (Troyes,
Bibliothèque Municipale, ms. 802. Fin du XIIIe ou début du XIVe siècle). La leçon de J
peut ainsi, dans bien des cas, départager les leçons discordantes des copies latines.
D’où la reconstruction de la correspondance latine dans laquelle la traduction a joué
un rôle décisif, prenant pour base l’édition J. Monfrin (Epîtres I, II et IV), dont

l’orthographe est celle du ms. T, graphie projetée ensuite sur le reste du corpus, le
texte collationné sur le manuscrit T confronté à la traduction par des tris automati-
ques du vocabulaire dans les deux langues. C’est ce texte qui sert de référence à
l’édition de la traduction par Jean de Meun, sur laquelle nous reviendrons ci-dessous.

3.2.2 Le texte-source objet de la « transcription critique » d’un manuscrit


   

Ce phénomène peut être illustré par le Policraticus de Jean de Salisbury traduit par
Denis Foulechat, ed. du livre V par Charles Brucker :  

« Contrairement à ce que nous avons entrepris pour le texte français, le texte latin ne fait pas

vraiment, de notre part, l’objet d’une édition critique. En effet, nous nous sommes contenté de
présenter le texte latin d’après la transcription « critique » d’un manuscrit (ms. de Soissons : S1),
     

que Jean pouvait avoir eu entre les mains, et qui, en tout cas, est proche de celui dont s’est servi
Denis Foulechat pour sa traduction du Policraticus, tout en tenant compte, chaque fois que nous
en éprouvions le besoin, des mss. H (ms. de Charleville-Mézières) et P (ms. de Montpellier) qui, à
leur tour, sont singulièrement proches de S2, mais aussi du ms. BnF lat. 6418, datant du XIVe
siècle et que Foulechat aurait pu connaître » (ed. C. Brucker, 143s.).

Édition et traduction 329

3.2.3 Le texte-source sans édition critique

Parmi les exemples remarquables, on retiendra la traduction du Dialogus creatorum –


ou Contemptus sublimitatis, titre donné dans les manuscrits – par le copiste et
imprimeur Colart Mansion, composée en 1482, et éditée par Pierre Ruelle en 1985,
alors que l’édition du texte-source fait encore défaut. Dans son compte rendu, Jacques
Berlioz observe que ce phénomène n’est pas rare, alors, dans l’édition des recueils
d’exempla (Berlioz 1985, 274).10 Pierre Ruelle édite la traduction de la version courte
du Contemptus, conservée dans sept manuscrits à partir du manuscrit Vienne, Öster-
reichische Nat. Bibl. Cod. Vindob. Palat. 2572, du XVe siècle. À travers ses notes, il
fournit les éclaircissements nécessaires à la compréhension de la traduction par le
recours aux divers textes latins, et jette, ce faisant, les bases d’une future édition de ce
texte, bénéficiant depuis d’une édition bilingue (Blanke/Esser 2008).

3.2.4 Le texte-source représenté dans une édition jugée suffisante pour évaluer
la traduction

De nombreuses éditions de traductions médiévales se réfèrent à des éditions existan-


tes du texte-source jugées suffisantes pour analyser le travail de translation. Ces
éditions peuvent être elles-mêmes d’époques et de factures très différentes, sans
principes philologiques uniformes. Ce serait le lieu de poser ici le problème des
principes d’édition de textes latins du Moyen Âge évoqués par Charles Burnett dans
un compte rendu de plusieurs éditions latines et traductions d’œuvres de Jean de
Salisbury (Burnett 1996, 142) : soulignant qu’il n’y a pas encore, lorsqu’il écrit, de

consensus sur la façon d’éditer ou de traduire ce type de texte, et que les travaux de
référence ne fixent pas de règles, il conclut :  

« les éditeurs individuels doivent encore trancher eux-mêmes en ce qui concerne les problèmes

suivants : 1. – Doit-on (a) établir un texte sur la base d’un ‹ bon › manuscrit, ou (b) utiliser les
     

témoignages de tous les manuscrits pour produire un texte correct logiquement ou philosophi-
quement mais qui corresponde à un original médiéval ? 2. – Doit-on (a) retenir l’orthographe des

manuscrits, ou (b) introduire celle du latin classique, ou (c) [sur le principe d’une intervention
minimale] opter pour une uniformisation basée sur l’orthographe en usage dans les manuscrits ?  

3. – Doit-on (a) négliger la ponctuation des manuscrits et ponctuer comme s’il s’agissait d’un
texte moderne [ce qui fait transparaître la langue vernaculaire de l’éditeur, car il y a des
différences radicales entre les conventions des différentes langues, comme par ex. l’allemand et
l’anglais], ou (b) retenir les règles de ponctuation médiévale, ce qui souvent conduit à inventer de
nouveaux signes ? 4. – Doit-on, dans le cas d’un texte qui semble avoir été revu après un certain

10 J. Berlioz mentionne en note Les contes moralisés de Nicole Bozon, largement inspirés des fables
d’Eudes de Cheriton, publiés par L. Toulmin-Smith et P. Meyer en 1889, avant l’édition de M. Hervieux,
Les Fabulistes latins, 4, 1896.
330 Claude Buridant

temps, (a) donner la version originale, (b) donner la dernière version ou une des versions
intermédiaires, ou (c) utiliser toutes les versions pour établir un ‹ bon › texte ? 5. – Doit-on baser
     

l’édition sur (a) la version du texte la plus proche de celle produite par l’auteur, ou (b) la version
la plus fréquemment lue et citée par d’autres auteurs (la ‹ vulgate ›) ? 6. – Doit-on donner
     

(a) toutes les variantes de lecture dans l’apparat critique, ou (b) celles qui (du point de vue

inévitablement subjectif de l’éditeur) sont ‹ importantes › ? Toute décision doit, de plus tenir
     

compte du public concerné par l’édition » (Burnett 1996, 142).


À des titres divers, hormis sans doute le point 2, ces questions concernent aussi
largement les rapports avec la traduction, puisqu’il s’agit de savoir, dans tous les cas,
quel est le type d’édition critique du texte-source.
Le point 3 distingué par Charles Burnett peut se révéler avoir une certaine
importance dans l’établissement du texte-source et par ricochet, dans ses rapports
avec sa traduction. Dans sa mise au point du texte latin source de la traduction du
Policratique de Jean de Salisbury par Denis Foulechat, Charles Brucker écrit excellem-
ment à ce sujet :  

« Dans les éditions de textes médiolatins, la ponctuation du manuscrit de base est rarement prise

en compte, et pourtant elle nous semble faire partie des éléments situés à mi-chemin entre la
forme et le sens ; dans certains cas, elle nous permet de mieux comprendre la manière dont

l’auteur ou le copiste analysent la phrase, mais aussi la raison d’être de telle analyse faite par le
traducteur et qui ne correspond pas forcément à notre vision de la structure de la phrase » (Le  

Policratique, ed. C. Brucker, 147).11

Dans la version longue de ma contribution au colloque Diachro VI, « Les premières  

traductions hagiographiques en ancien français : jalons d’une étude prospective »


   

(Buridant 2015), j’attire de mon côté l’attention sur l’impact que peut avoir la ponctua-
tion originale du texte-source de référence dans la traduction des Dialoge Gregoire lo
Pape (ed. Foerster, 1876 ; réimpression 1965). Cette traduction wallonne du XIIIe siècle

est fortement calquée sur le latin au point de ressembler plutôt aux traductions
« savantes » du moyen français. Dans son édition bilingue, W. Foerster reproduit,
     

comme texte-source, l’édition des Bénédictins de Saint-Maur de 1705, en renonçant à


l’établissement, au demeurant difficile, de l’original suivi par le traducteur, étant
donné la complexité de la tradition manuscrite. L’édition bénédictine, œuvre de dom
Denys de Sainte-Marthe, repose sur une vingtaine de manuscrits français, dont la
désignation est cependant trop vague pour qu’on puisse les retrouver sans peine.
C’est cette édition que Migne a reproduite dans sa Patrologie latine, mais en en
détachant le livre second, anticipé comme « Vie de saint Benoît », dans un autre tome.
   

Foerster se réserve d’introduire un certain nombre d’amendements dûment signalés

11 Charles Brucker renvoie sur ce point à Martin/Vezin (1995, 443ss.) et à Careri et al. (2001, XXXIVss.).

Et il donne ensuite sa transcription de la ponctuation du manuscrit original latin qu’il réédite, le


manuscrit Soissons Bibliothèque Municipale 24, ponctuation particulièrement soignée (147–149).
Édition et traduction 331

dans les cas de distorsion manifeste entre l’original latin et sa transposition. L’édition
retenue par Foerster, donnée en correspondance en-dessous de la traduction française,
est sans doute suffisante pour évaluer la traduction. On peut pourtant se demander si
elle offre les meilleures leçons, par comparaison avec la dernière édition : celle  

procurée par le bénédictin Adalbert de Voguë (1978–1980), moine de la Pierre-qui-


Vire, s’appuyant sur les deux grandes éditions existantes des Bénédictins de Saint-
Maur et de Moricca (1924), fondée, elle, sur deux manuscrits du VIIIe siècle, mais
normalisant abusivement la graphie, et ayant recours, pour le livre II, à l’édition de
R. Muttermüller (1880). Ainsi dans l’intervention de Pierre, nouveau Glaucon, où il

demande un surcroît d’explication à Grégoire : hoc planius exponi postulo (Foerster,


60, 7), auquel répond je demande ce estre espons plus engueilment, engueilment (ibid.,
60, 10–11) étant relevé par T.-L. 3, s. v. igal. La leçon planius, de l’édition A. de Voguë
est préférable : « plus pleinement, de manière plus approfondie ». Mais la ponctuation
     

médiévale n’est nullement évoquée dans ces deux éditions, qui diffèrent parfois aussi
entre elles dans la ponctuation moderne de la traduction, et elle mériterait d’être prise
en compte dans l’étude de la syntaxe. Un des éléments importants de la syntaxe latine
est en effet le relatif disjoint qui sous toutes ses formes – dit aussi relatif de liaison –,
que la traduction transpose par le relatif composé lequel, sous les formes du pronom li
queiz / lo queil, ou de l’adjectif dans la reprise anaphorique étoffée li queiz moines, la
queile chose. Il serait souhaitable de voir quelle ponctuation accompagne ce type de
relatif dans les représentants du texte-source (éditions Foerster et de Voguë, reposant
sur des sélections différentes) et dans sa transposition, accompagnée d’un point dans
l’édition Foerster, sans que l’on sache si cette ponctuation correspond à une ponctua-
tion forte du manuscrit, le manuscrit BnF français 24764.
En dehors de cette question de ponctuation, les éditeurs se satisfont souvent
d’éditions critiques du texte-source non exactement situé dans sa transmission ma-
nuscrite.
Nous avons nous-même édité la Traduction de l’Historia Orientalis de Jacques de
Vitry, premier livre de l’Historia Hierosolymitana abbreviata de Jacques de Vitry, écrite
vers 1219–1221, et largement inspirée de Guillaume de Tyr et Foucher de Chartres, sans
que celle-ci ait fait l’objet d’une édition critique récente. La traduction, conservée
dans le manuscrit unique BnF français 17203, de la fin du XIIIe siècle, est collationnée
avec un texte-source qu’on peut lire dans une édition de 1611 de Jacques Bongars,
fondée sur plusieurs manuscrits, complétant l’édition Moschus de 1597 (Buridant
1986).12

12 Sur ces éditions et l’édition partielle de Martène et Durand, cf. l’édition-traduction des livres I et III
de l’Historia Hierosolymitana abbreviata par Marie-Geneviève Grossel (2005), à partir de l’édition
Moschus, choix jugé peu judicieux par S. Menegaldo dans son compte rendu. C’est dire que l’on attend
toujours une édition critique du texte latin, qui permettrait sans doute d’affiner les remarques sur les
traductions, tant médiévale que moderne.
332 Claude Buridant

Pour le texte-source de la traduction, par Jean de Vignay, du récit de voyage


d’Odoric de Pordenone, sous le titre Merveilles de la Terre d’Outremer dans la période
1331–1333, il existe un autographe de Guillaume de Solagne qui lui est dicté en 1330,
publié par Anastasius van den Wyngaert, Sinica Franciscana, Quarachi, Florence et
Rome, 1929–1954, I, Itinera et relationes fratrum minorum s. XIII et XIV. Ce texte est
transmis dans quatre rédactions, dont la rédaction β représentée par trois manuscrits,
les mss. BCY de l’édition Van den Wyngaert (ed. D. Trotter, XI et XX). La traduction de
Jean de Vignay a survécu dans deux manuscrits, dont aucun ne semble être l’original :  

le manuscrit Londres, British Library, MS Royal 19.D.I, et le manuscrit Paris BnF,


collection Rothschild 3085, contenant également le seul exemplaire connu des
Oisivetez des Emperieres. Selon David Trotter, éditant le texte du manuscrit P, jugé le
meilleur, Jean de Vignay a probablement suivi la rédaction β sans cependant qu’il
corresponde à aucun manuscrit de cette famille. Étant donné pourtant les incomplé-
tudes de l’étude de la tradition manuscrite du texte-source, l’identification du manu-
scrit présumé sur lequel travaillait Jean de Vignay reste à faire, avec tout ce que cela
comporte de risques :  

« Comme il reste quatre manuscrits de cette rédaction qui n’ont pas été publiés, sans parler des

vingt-neuf manuscrits (conservés) du texte de Guillaume de Solagne qui n’ont même pas été
étudiés de près, nous avons cru devoir remettre à plus tard la recherche, que l’état présent des
études rend encore trop aléatoire, du manuscrit présumé sur lequel travaillait le traducteur » (ed.,

XXII).

Ici encore une pierre d’attente, qui n’empêche pas une bonne évaluation de la
traduction et de ses techniques, en attendant une appréciation plus fine.

La traduction des Otia imperialia de Gervais de Tilbury par Jean d’Antioche, est l’objet,
en revanche, d’une précieuse mise au point sur le texte-source, rappelée par C. Pigna-  

telli dans l’édition conjointe avec D. Gerner. Le texte latin a bénéficié de deux éditions
intégrales, celle de G.W. Leibniz (1707–1710) et celle de Banks et Binns (2002), mais

surtout, de plus, d’une étude attentive de la tradition manuscrite de J.R. Caldwell


(1962). Celle-ci permet de dégager des caractéristiques du manuscrit « autographe » N,
   

Vatican, Lat. 933 (lacunes et addenda) – auquel appartient aussi le ms. E édité par
Leibniz – dont la traduction de Jean d’Antioche, dans le ms. unique BnF Paris 9113 est
très proche, des éléments pouvant être partagés par le ms. β conjecturé par Caldwell
comme précédant et ayant partiellement inspiré N. Et C. Pignatelli de proposer la
chaîne minimale suivante, en évoquant la possibilité d’étapes intermédiaires, « qui  

n’ont rien d’exceptionnel dans le système de la transmission manuscrite au Moyen


Age » :
   

1. rédaction des Otia imperialia par Gervais sur des exemplaires de travail N et b (et
autres ?)

2. copies des versions (1), pouvant générer de multiples variantes


Édition et traduction 333

3. traduction de Jean d’Antioche à partir d’un texte situé en (2), voire directement en
(I) (β ?) 

4. (copie(s) de cette traduction)


5. texte du manuscrit BnF Paris 9113, manuscrit tardif de la fin du XVe siècle (ed.
pp. 32–36)

6. Quant à la traduction des Otia par Jean de Vignay, elle aussi conservée dans un
manuscrit unique, le ms. BnF Rotschild 3085, elle s’inspire de N, dont elle est
généralement assez proche, tout en présentant des affinités avec B, BnF Lat.
6488, mais qui devait lui être antérieur, aujourd’hui disparu : au total, Jean de

Vignay a pu travailler sur un ms. assez proche de N, et plus complet, reflété


partiellement dans le ms. B. (ed., 110).

La question de l’édition critique du texte-source se pose aussi, évidemment, pour les


textes classiques traduits au Moyen Âge. Ainsi pour l’Enéide médiévale. L’édition du
texte de Virgile par J. Perret, fondée sur six manuscrits du Ve siècle, ne représente
qu’un des états du texte, que commente ainsi l’éditeur : « Un éditeur aujourd’hui ne
   

peut sans doute rien faire de mieux que présenter dans la diversité des variantes
possibles, le Virgile qu’on lisait au Ve siècle » (Énéide, ed. J. Perret, XLIII).13 La

question serait de savoir sur quel type de manuscrit de l’Énéide l’auteur de l’Eneas a
pu travailler. Dans sa recension de l’ouvrage de L’Eneas, une traduction au risque de
l’invention, F. Vielliard écrit ainsi : « Existe-t-il des manuscrits qui offriraient, conjoin-
   

tement à l’Enéide, les ressources qu’est supposé avoir utilisées l’auteur de l’Eneas
dans sa traduction ? » Et F. Vielliard renvoie aux travaux de Birger Munk-Olsen et de
   

ses émules sur la transmission médiévale des classiques (Munk Olsen, Mélanges
1995),14 et souhaite qu’on s’interroge sur les ressources des bibliothèques auxquelles
l’auteur médiéval a pu avoir accès (Vielliard 2000b, 255).
C’est le cas de rappeler ici que l’Ars Amatoria d’Ovide est répandu à travers les
deteriores, vulgate qui sert de base à la traduction de la première traduction en prose
l’Art d’amours du XIIIe siècle, farcie de gloses et de commentaires comme le précise B.
Roy, son éditeur, renvoyant à l’étude d’E. J. Kenney (Roy 1974, 33 ; Kenney 1962) et  

s’appuyant, pour le texte latin, à l’édition du même (Kenney 1961).


La traduction du Livres de Flave Vegece de la chose de chevalerie de Végèce a vu la
transmission de son texte-source singulièrement reconfigurée. C. Lang l’édite au XIXe
siècle (21885), mais à partir d’une sélection restreinte de manuscrits, au regard d’une
riche tradition manuscrite réexaminée par des travaux récents remettant en question
leur classement et dégageant deux hyperarchétypes à un niveau supérieur à ceux

13 Mais qu’en est-il au Moyen Âge ? Est confirmée ici la remarque de Jacques Monfrin sur la négligence

des recensiores par les philologues classiques (cf. supra).


14 Cf. aussi la mise au point bibliographique sur la transmission médiévale des auteurs classiques
dans Miroir des classiques sous la rubrique Problèmes généraux.
334 Claude Buridant

qu’il avait dégagés. Comme le rappelle Michael Reeve, leur plus récent éditeur, à la
suite de A. Önnerfors :  

« Quite apart from excerpts and vernacular translations, Vegetius’s Epitoma survives in over 200

manuscripts written from the 9th century to the 15th. When C. Lang edited it for the second time
in 1885, he had some acquaintance with over half of them, and his deviation of the entire
tradition from two lost hyperarchetypes, ε and π, went unchallenged until 1993, when A. Önner-

fors showed that π (Vat. Pal Lat. 900) a Beneventan manuscript already regarded by Lang as an
idiosyncratic descendant of п, did not descend from п at all. In his edition of 1995, Önnerfors
derived ε and π from a lost hyperarchetype at a higher level of the stemma, α, and π, which he
renamed T, form another hyperarchetype, β, at the same level of α ; but he omitted from his

apparatus what he called the errores and somnia of T (p. XXII), and in his text he very seldom
preferred any of its readings to the reading of α » (Reeve 2000b, 243).

3.2.5 Le texte-source, trame commune pour la traduction

Plusieurs versions du texte-source peuvent offrir la trame essentielle de la source,


sans que le modèle du traducteur soit identifié. Pour la traduction anglo-normande de
la vie de sainte Catherine, Glynn Hesketh dégage ainsi le tronc commun de l’histoire-
source développée dans cinq versions manuscrites éditées, suffisant à ses yeux pour
apprécier la traduction :  

« Our author says (in line 42) that he is translating from a Latin source. I am aware of five

published Latin versions of the Nativity and Conversion : A. Munich, Hof-u Staatsbibliothek, Cod.

Lat. 7954, dated 1337 ; B. Univ. Krakow 2039/Univ. Budapest 79 ; C. Univ. Krakow 2366/Univ.
   

Budapest 56 ; D. Munich, Bibl. Reg. Lat 18630. These tell the story in different degree of detail,

occasionally making slight modifications to the order or some small elements, and at one point
briefly diverging significantly from each other. However, despite these slight differences, all these
versions have much more in common with our form of the legend » (ed. Hesketh 2000, 34s.).

Et Glynn Hesketh retrace les différentes étapes de la vie de la sainte d’après ces
éditions avant de publier le texte.

3.2.6 Le texte-source dans plusieurs versions

Le texte-source est transmis dans plusieurs versions, et deux options s’offrent à la


traduction.
La vie de sainte Marine, dont l’origine lointaine se situe dans la Grèce des VIe et
VIIe siècles, apparaît ensuite sous plusieurs versions, mais c’est l’une d’elle, la Vita
sanctae Marinae virginis, qui est la source du poème édité par Barbara Ferrari d’après
le ms. Bruxelles Bibl. Royale 10295–304, daté de 1428–1429, modèle latin amplifié
largement par le traducteur (ed. Barbara Ferrari, 2000).
Plus complexe est l’exemple du texte-source de la traduction de l’Espurgatoire
Seint Patriz, sans doute composite au regard des deux versions de sa transmission. Son
Édition et traduction 335

éditrice, Yolande de Pontfarcy retrace minutieusement le parcours à partir du texte


d’origine, pour situer la traduction attribuée à Marie de France. A l’origine, donc, le
[Tractatus] de Purgatorio Sancti Patricii écrit au XIIe siècle par frère H., un moine
cistercien de l’abbaye de Saltrey (Sawtry, en Angleterre), à la demande de l’abbé H. de
Sartis (ancien nom de Warton, maison-mère de Saltrey), relatant l’aventure du pèleri-
nage irlandais d’Owein au Purgatoire de St Patrick, qu’il entendit raconter par le moine
Gilbert à qui le pèlerin s’était confié (ed. Pontfarcy, 1). Si la tradition manuscrite du
Tractatus n’a pas été étudiée dans son intégralité, les manuscrits, dont le nombre
avoisine les 150, se divisent en deux groupes : une version courte, représentée, par

exemple, par le manuscrit British Library Harley 3846 (H) et une version longue
représentée par le manuscrit British Library 13 B viii (R). La version courte précède la
version longue, et toutes les deux sont l’œuvre du moine de Saltrey. Aucun des textes
des versions courtes et longues du Tractatus que nous connaissons n’a pu être celui que
Marie a traduit. Cependant, différents éléments appartenant aux deux versions dans sa
traduction laissent supposer que Marie a dû traduire un texte composite, comme celui
du manuscrit Arundel 292, qui tout en étant apparenté à la version courte, possède, à la
suite de l’Epilogue I, quelques-unes des additions propres à la version longue. D’où le
schéma établi par l’éditrice retraçant la relation du Tractatus, où « ‘O’ [représente] les

versions originales que nous ne possédons pas et ‘X’ le texte du Tractatus que Marie
aurait traduit et que nous ne possédons pas non plus » (ed. Pontfarcy, II. La tradition

manuscrite du Tractatus et la source de l’Espurgatoire, 11–14).

3.2.7 Plusieurs textes-sources compilés par le traducteur

La compilation des manuscrits est chose courante chez les traducteurs médiévaux, le
traducteur pouvant disposer de plusieurs copies. D’après J. Monfrin, le clerc qui, en
1213–1214, rédigea les Faits des Romains combina de longs passages de Suétone,
Salluste et de Lucain à une traduction à peu près complète des Commentaires de César
(Monfrin 1964, 220). « Raoul de Presles, le traducteur français de La cité de Dieu, entre

1371 et 1375, a, pour établir son texte, recensé trente et un manuscrits » (Marichal 1961,

1262). L.H. Feldman relève aussi cette possibilité (Feldman 1984, 393).
On peut se poser, sur ce point une question fondamentale, comme le fait Pierre
Nobel pour la traduction du Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, où le
traducteur opère à partir de la Vulgate – histoire des patriarches et des prophètes
avant la naissance du Christ – et les Antiquitates de Flavius Joséphe :  

« Le traducteur a-t-il opéré lui-même ce mélange des sources ou avait-il sous les yeux un texte

latin où la compilation avait déjà été effectuée et qu’il s’est contenté de traduire ? A moins de

trouver, dans une bibliothèque, le ms. de ladite compilation latine, il est impossible de répondre
à la question. Rien n’empêche cependant de supposer qu’il a travaillé à partir de deux manuscrits
différents posés devant lui » (ed. Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, I, 85s.).

336 Claude Buridant

3.2.8 Le texte-source « medium »    

Le texte-source peut être lui-même un texte « medium » un intermédiaire à la fois


   

source et cible, transposant un texte d’origine rédigé dans une autre langue. Le cas le
plus représentatif est celui de textes d’origine passant par l’intermédiaire du latin,
fonctionnant comme « passeur ».
   

La traduction française de la Chirurgie Albucasis, éditée par David Trotter suit


ainsi le parcours suivant :  

– texte d’origine arabe


      

– traduit en latin à Tolède vers la fin du XIIe siècle, l’École de Tolède étant alors une plaque
      

tournante de la transmission de la culture scientifique et philosophique arabe et grecque


(Foz 1988)
– retraduit en français vers le milieu du XIIIe siècle, marquant le transfert de pouvoir du latin
      

au français, i.e. du savoir scientifique, donc latin, au savoir non-scientifique, donc en partie
vernaculaire, avec les gloses remontant à la source : « dans la grande majorité des cas, les
   

gloses des versions latines et romanes ne font que reprendre un élément d’explication qui
existait déjà dans le texte arabe », de sorte que « les gloses ici […] ne fonctionnent pas pour
   

faciliter la transmission du savoir, mais font partie du savoir transmis » (Trotter 2008, 101).15

« Les Météorologiques, comme tout traité aristotélicien au Moyen Age, ne sont pas

connus directement » (Ducos 1998, 14). Il en existe deux traductions latines, qui « se
   

présentent comme des intermédiaires entre la science issue d’une longue tradition
antique et la culture moyenne de leur public » (ibid., 22).16 La première traduction, la

vetus, a été effectuée par Gérard de Crémone à partir d’une version arabe, elle-même
issue sans doute d’un intermédiaire syriaque. L’autre, la nova, a été faite par Guillaume
de Moerbeke à partir du grec. Une différence sensible existe entre les deux traductions.
Celle de Gérard de Crémone est littérale, tout en présentant des modifications
importantes par rapport à l’original grec, la version arabe étant beaucoup moins
respectueuse de l’original, allant jusqu’à présenter un plan différent. Sa principale
caractéristique est la condensation, la brièveté du sermo aggregatus, comme il est dit
en latin, sur le modèle de la version arabe, abrégée par rapport au traité original, ne
traduisant du grec que les points jugés essentiels ; sont ainsi supprimés des passages

importants des Météorologiques, non sans des parenthèses et des additions explicati-
ves. La translatio nova de Guillaume de Moerbeke, contemporaine du Commentaire de
la traduction d’Alexandre d’Aphrodisias, achevée en 1260, est elle « complète et  

exhaustive, tout en étant dépourvue de digression personnelle ou de commentaires


explicatifs… Débarrassée de toute glose, elle n’est ni adaptation ni explication, mais
simple transmission d’un texte » (ibid., 49).

15 Nous reviendrons infra sur la question des gloses. Cf. encore au XVIe siècle le latin comme medium
de la littérature militante, vulgarisant et diffusant en Europe des libelles pamphlétaires écrits d’abord
en langue vernaculaire (Buridant 1984).
16 Souligné par nous.
Édition et traduction 337

Au total,

« la translatio nova, qui pratique le transcodage et la translittération de manière systématique,


perd aussi en clarté et en lisibilité alors que celle du douzième manquait de précision. Une langue
de traduction apparaît, mais elle nécessite le commentaire : paradoxalement, ce qui pourrait

sembler comme un échec est à l’origine d’un renouvellement car elle enrichit ainsi la langue
scientifique mais aussi la connaissance du texte aristotélicien » (ibid., 65).

D’où l’importance des commentaires qui, dès la fin du XIIIe siècle, entourent les deux
versions, commentaires de factures très différentes reflétant la variété des types de
lecture que la scolastique employait pour le texte d’Aristote, à travers les apports
d’Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Jean Buridan, Nicole Oresme, entre autres,
contribuant à prolonger et à approfondir la recherche du philosophe antique (ibid., 11
et 66).
La traduction du Livre de l’estat du Grant Caan par Jean le Long offre aussi un cas
intéressant. À la suite de la découverte d’un manuscrit contenant le texte latin,
Francfort, Universitätsbibliothek Bartholomeus 71, assez proche dans le temps de sa
rédaction d’origine et antérieur à la traduction de Jean le Long (1351), Christine Gadrat
rectifie l’attribution erronée de cette version à Jean de Cori ou de Cora, alors arche-
vêque de Sultaniych (1329– ?), remontant à une erreur de lecture et/ou de copie chez

Jean le Long ou dans le manuscrit utilisé pour sa traduction. Mais surtout, elle
démontre que le texte latin est en fait lui-même une traduction d’une version d’origine
en italien, œuvre d’un franciscain à la fin des années 1320 ou au début des années
1330, faite par l’évêque de Salerne très rapidement après cette date à la demande du
pape Jean XXII, et contenant de nombreux italianismes (ms. Francfort Universitätsbi-
bliothek Bartholomeus). Ce n’est cependant pas l’exemplaire qui a servi à Jean le Long
pour sa traduction. Il comporte un certain nombre de leçons fautives, au point qu’il
est parfois nécessaire de recourir au texte français pour comprendre et corriger le texte
latin, et l’on peut parler alors de récursivité (Gadrat 2007).
Le latin est aussi la langue medium de la traduction du Decameron par Laurent de
Premierfait. Comme l’indique Giuseppe Di Stefano, celui-ci, peu sûr de ses connais-
sances de la langue toscane, a travaillé en équipe avec frère Antonio di Arezzo, qui lui
a préparé une version latine du texte, version que nous ne possédons malheureuse-
ment pas. Le texte d’Antonio d’Arezzo est ainsi une zone de neutralisation dans la
transposition du discours du texte-source au texte-cible. Celui-ci est la traduction
française de la traduction latine du texte de Boccace, le texte latin étant en même
temps texte-cible et texte-source. Malheureusement sa valeur d’informateur du corpus
est nulle. D’où le statut ambigu de la première traduction française du Décaméron,
transposition française de la traduction latine d’un texte italien. Il est cependant
souvent possible de reconstituer le terme intermédiaire : cf. le cas de garzoni traduit

par enfant, supposant l’intermédiaire infans (Di Stefano 1977, 68–70 et 79).
338 Claude Buridant

3.2.9 Le Graal du texte-source

Le texte-source peut être identifié comme l’exemplaire de travail du traducteur, cas


exceptionnel qui fait le bonheur des philologues. C’est le cas de La Vie monsigneur
seint Nicholas le beneoit confessor par Wauchier de Denain éditée par John Jay Thomp-
son : une enquête minutieuse menée par l’éditeur lui a permis d’identifier le manu-

scrit que Wauchier a utilisé : il s’agit du manuscrit de l’abbaye de Saint-Amand en


Pévèle conservé à Valenciennes sous la cote 512, contenant la Vita Nicolai. L’examen
du manuscrit, folio après folio, permet d’établir qu’il correspond exactement aux Vies,
Miracles et Translation traduits par Wauchier aussi bien pour l’ordenance interne de
la Vie monsigneur seint Nicolas que pour des variantes textuelles spécifiques, sans
compter l’absence d’explicit dans la dernière série de miracles (ed. Thompson, 52).
Ces particularités permettent d’arrêter le choix du manuscrit de base parmi les
quatorze manuscrits conservant la Vie monsigneur seint Nicholas de Wauchier : seules  

les trois copies du légendier C, contenant la séquence intégrale des confesseurs de


Wauchier, « présentent tous les épisodes dans l’ordre latin original » (ibid., 64).
   

« De ces trois manuscrits, C1, C2 et C3, seuls témoins d’une première rédaction des Seint confessor

de Wauchier, C1, copie relativement fidèle du travail de cet éditeur – bien que présentant un texte
parfois fautif – s’impose comme texte de base, car c’est celui des trois manuscrits qui s’impose le
plus comme texte latin et donc de l’archétype Ω1. Il contient, en effet, plusieurs lectiones
difficiliores, résolues par la suite dans C2 et C3, et sa langue, plus archaïsante et présentant plus
de traits propres au picard (la langue de Wauchier) par rapport à ces deux derniers manuscrits, se
rapproche plus du latin par son lexique et par sa syntaxe » (ibid., 67).17

3.3 Le texte-cible

3.3.1 Paramètres liminaires

Dans l’édition d’une traduction, deux paramètres seraient à prendre en considération,


qui situeraient le texte-cible dans les circonstances de sa réalisation, de sa réception
et de sa transmission.
Une traduction peut ainsi être replacée dans l’ensemble des activités d’un traduc-
teur, comme le souhaite Christine Gadrat à propos de Jean le Long :  

« En 1351, Jean le Long d’Ypres, moine et futur abbé de Saint-Bertin, traduisit de latin en

français plusieurs textes relatifs à l’Orient et les rassembla en un livre, qui a été transmis par
plusieurs manuscrits. Son entreprise de traduction et le recueil auquel elle a donné le jour n’ont

17 Dans son compte rendu, Gilles Roques parle du « cas véritablement exceptionnel où nous pouvons

nous appuyer sur une source latine, un texte originel reconstitué de façon crédible et un classement
des mss en familles » (RLiR 64, 265).

Édition et traduction 339

pratiquement pas fait l’objet d’études récentes et ne semblent pas susciter aujourd’hui un grand
intérêt. Seule sa retraduction en français de la Fleur des Histoires d’Orient due au moine
arménien Hayton a été étudiée et éditée de manière critique il y a quelques années (cf. ed. Sven
Dörper 1998). Les traductions de Jean le Long mériteraient une étude d’ensemble qui reprenne
les manuscrits et les textes afin de mieux connaître les circonstances de cette initiative et ses
destinataires. Le caractère luxueux de la plupart des manuscrits ainsi que le choix de la langue
française incitent en effet à chercher un éventuel commanditaire parmi la haute noblesse
française ou flamande, voire dans l’entourage royal, situation analogue aux entreprises de
traduction de Jean de Vignay, une vingtaine d’années plus tôt, ou à celle de la cour de
Charles V » (Gadrat 2007, 355).18
   

À replacer aussi dans les conditions d’édition et de transmission : la traduction du


Liber Parabolarum d’Alain de Lille est ainsi conservée dans le manuscrit unique BnF
12478, daté du milieu du XVe siècle, qui contient un ensemble de traductions de textes
scolaires comme celle des Remedia amoris d’Ovide, la traduction par Jacques
d’Amiens de l’Ars amatoria d’Ovide, la Puissance d’amour, le Tiaudelet, les Proverbez
d’Alain, et enfin deux traductions en français des deux Facetus, répertoriées par
l’éditeur des Proverbez Tony Hunt (ed. Introduction 8–30) : le choix de ces textes

répond à une intention didactique cohérente, dont témoignent, par exemple, la


traduction anonyme des Remedia, « texte scolaire médiéval », comme l’a souligné
   

Pellegrin (1957, 172).


Cela dit, les traductions peuvent se présenter sous plusieurs modalités.

3.3.2 Texte-cible dans plusieurs copies d’une tradition manuscrite

Dans cette configuration, sans doute la plus fréquente, l’éditeur tente de situer le
texte-cible dans sa transmission manuscrite en dégageant autant que possible les
traits spécifiques du texte d’origine. La palette peut aller des copies proprement dites
aux versions autonomes.
La traduction, par exemple, de Li Livres Flave Vegece de la chose de chevalerie est
représentée dans 10 manuscrits. Son éditrice, Leena Löfstedt retient comme manuscrit
de base le manuscrit C Cambridge, Gonville and Caius College Libr. Mss fr. 424/448,
qui, ainsi que tous les autres, remonte à un archétype qui n’est pas l’original, comme
le montre l’analyse de certains traits pouvant aussi remonter au traducteur. Le
manuscrit latin utilisé par Jean de Vignay apparaît proche du groupe ε de la tradition
latine, Jean de Meun ayant utilisé pour sa part un représentant du groupe π latin
(Löfstedt 1982, 4s.). L. Löfstedt se réfère à la deuxième édition C. Lang de 1885,
   

18 Christine Gadrat renvoie, en note, à la traduction des Voyages en Asie d’Odoric de Pordenone par
Jean de Vignay, sous le titre ses Merveilles d’Outremer, et celle par Jean le Long, éd. H. Cordier 1891
(l’édition Andréosi-Ménard, parue depuis, étant alors en préparation).
340 Claude Buridant

réimpression Stuttgart (Bibl. Teubn.) 1967, considérée comme suffisante comme re-
présentant du texte-source.
Le texte du Roman de Troyle, traduit du Filostrato de Boccace par Louis de
Beauvau, sénéchal du roi René, est conservé dans 14 manuscrits répartis en deux
groupes, dont le second présente une version améliorée du texte, retenue comme base
de l’édition par Gabriel Bianciotto, son éditeur. L’analyse rigoureuse des procédés de
traduction au regard du texte-source permet de jeter les bases amenant à discerner le
témoin italien modèle possible du traducteur (ed. Bianciotto, 1994).
La multiplicité des manuscrits peut s’étaler dans le temps, comme autant de
témoins de traductions ayant une relative autonomie entre elles. Tel est le cas des
versions française de l’Ars minor de Donat ; « étalées sur au moins trois siècles (la plus
   

ancienne, B, date du XIIIe, les plus récentes, P3 et A, de la fin du XVe) … transmises,


pour la plupart par des codices et incunables de caractère pédagogique contenant des
textes divers » (ed. Colombo Timelli, 1). Et soulignant la relative autonomie des

traductions les unes à l’égard des autres : « ce caractère indéniable, malgré les liens
   

textuels reconnus depuis toujours et dépendant en partie de la source latine, fait que
chaque texte doit être considéré, dans la perspective philologique qui est la nôtre,
comme un unicum, imposant une édition indépendante » (ibid., 4. Le texte latin de

référence est celui de l’édition Holtz 1981).


L’on atteint alors la limite de véritables rédactions.

3.3.3 Texte-cible dans plusieurs versions et rédactions

Le texte-cible peut offrir plusieurs rédactions : la traduction du De casibus de Boccace


mis en français entre 1400 et 1409 par Laurent de Premierfait, offre ainsi une première
rédaction « semi-latine », et une seconde rédaction très délayée et très lourde, sans
   

constituer véritablement une adaptation du texte (Di Stefano 1977, 15).


La traduction de la Chirurgia magna de Gui de Chauliac, médecin des papes
d’Avignon, est achevée en 1363. Trois manuscrits du XVe siècle en transmettent des
versions indépendantes et complètes. Sylvie Bazin-Tacchella en assure l’édition d’a-
près le manuscrit BnF 24249 – édition du premier des sept traités qui forment le corps
de la Chirurgie, à savoir l’Anathomie –. Une autre édition a été procurée par Sabine
Tittel d’après le manuscrit M (Montpellier H 184), qui serait daté du deuxième tiers du
XVe siècle, jugé le plus ancien, avec l’hypothèse – indémontrable – que la traduction
serait faite par Chauliac lui-même (ed. S. Tittel, 2004 ; compte rendu par G. Roques

dans Revue de Linguistique Romane 69 (2005), 577–584).


Édition et traduction 341

3.3.4 Texte-cible composite et glosé

Le texte-cible peut être au croisement de plusieurs sources et enrichi dans une


transmission manuscrite complexe : c’est souvent le cas des traductions de la Bible,

qui posent déjà un problème quant à l’identification de la Vulgate comme référence –


i.e. la forme du texte biblique devenue commune à partir de l’ère carolingienne – à
laquelle peut se référer le traducteur, parmi les cinq grandes familles rappelées par
Pierre Nobel dans son Introduction à son édition de la Bible d’Acre.19 L’enquête
minutieuse qu’il mène pour rattacher cette Bible à une famille particulière de la
Vulgate n’arrive pas à une identification précise, mais l’étude de l’œuvre du traduc-
teur montre que le texte de la Bible d’Acre est surtout une histoire sainte qui, à côté de
passages traduits littéralement de la Vulgate, comporte des transpositions libres et
des résumés du texte biblique (La Bible d’Acre, ed. P. Nobel, LXVII–LXXVII). Et Pierre
Nobel retrace succinctement mais précisément le parcours « cumulatif » de la Bible    

historiale de Guiart des Moulins, la grande traduction biblique du Moyen Âge, domi-
nant les XIVe et XVe siècles jusqu’à l’apparition des premières traductions philologi-
ques : Guiart y transpose à la fois la Vulgate de Jérôme et l’Historia Scholastica de

Petrus Comestor dans une translation livrée par 144 manuscrits complets ou fragmen-
taires, auxquels s’ajoutent l’editio princeps de Jean de Rély, confesseur de Charles
VIII, des années 1494–1496, mais aussi 26 éditions postérieures à 1500. Soit :  

– l’édition originale de 1295 (ed. Bénédicte Michel, 2005), édition à partir du manuscrit de base
      

Bruxelles, Bibl. Royale Albert 1er, II, 987 des environs de 1350, intégrant au texte les
commentaires du Comestor ;  

– la deuxième édition de 1297 ;


        

– la Petite Bible historiale complétée avec les ajouts ultérieurs de livres bibliques provenant de
      

la Bible du XIIIe siècle ;


– la Grande bible historiale complétée (Nobel 2010).


      

La Bible anonyme du Ms. Paris BnF fr. 763 (ed. J. Szirmai) est un autre exemple de cette
« farcissure » permanente de la Bible : à l’issue d’une étude des éléments « apocry-
       

phes » s’ajoutant à la traduction de la Vulgate proprement dite, source principale du


poème que le traducteur suit assez fidèlement en en combinant parfois les épisodes,
l’éditrice peut écrire :  

« Bien qu’il soit impossible de renvoyer à des sources précises, nous pouvons conclure de ce qui

précède que notre poète n’a pas seulement puisé dans la Vulgate ou dans la tradition patristique.
Pour quelques éléments mentionnés ci-dessus et dans les notes sur le texte, il suit l’exégèse juive,
avec des éléments qui peuvent se retrouver dans l’Historia Scholastica, mais qui se présentent
chez les Pères également » (ed. Szirmai, 64).

19 Soit une famille espagnole ; deux familles françaises apparues sous le règne de Charlemagne

recensées par Alcuin et Théodulfe ; une famille italienne du XIIe siècle ; une famille parisienne, qui
   

livre le texte le plus répandu au XIIe et au XIIIe siècle, se caractérisant notamment par l’adoption de la
capitulation moderne (ibid., LXVII).
342 Claude Buridant

Dans la Bible d’Acre, utilisant vraisemblablement une même source que la Bible
anglo-normande, le traducteur, dont la langue originale se situe en Terre Sainte,
procède à une élaboration personnelle des gloses dans différentes sources, comme
c’est souvent le cas dans les translations en prose ou en vers (La Bible d’Acre. Genèse
et Exode, ed. P. Nobel, 2006).
Dans la Bible de Jehan Malkaraume, l’éditeur met en lumière l’influence exercée
par « Ovide le Grand » sur l’œuvre de Malkaraume : plusieurs épisodes bibliques y
     

sont entremêlés de traductions, souvent littérales, des métamorphoses, à des fins


d’amplification, d’ornement, de pittoresque, etc. (ed. Smeets, 45–47), dont un em-
prunt littéral du bain de Suzanne au bain de Diane des Métamorphoses, relevé de plus
par Thom (1984, 565).
La traduction de la Bible, sous les formes les plus variées, s’est accompagnée
d’une tradition continue et permanente d’interprétations (et dans quelques cas de
mésinterprétations) des Ecritures, relève David Trotter dans une précieuse mise au
point sur la part des commentaires dans les traductions médiévales de la Bible à partir
de l’épisode des noces de Cana, scène du premier miracle du Christ (Jean II, 1–10),
relevé dans un corpus suffisamment représentatif d’une cinquantaine de textes d’an-
cien français. Objet de commentaires et d’exégèses passant dans les textes vernaculai-
res du XIIe au XVe siècle, le quatrième Évangile survit dans d’innombrables manu-
scrits contenant des gloses marginales et interlinéaires, des commentaires
patristiques importants, ou le plus souvent une combinaison complexe et idiosyncra-
sique des ces éléments (Trotter 1987).
Cet accompagnement, qu’il s’agisse de gloses exégétiques, explicatives ou mora-
lisatrices, est une constante dans les traductions bibliques, qu’elles soient françaises
ou romanes. Les deux premiers types de gloses sont ainsi insérées dans la première
version de la Bible traduite en langue vulgaire italienne par Nicolo Malerbi, publiée
en 1471, comme le relève Franco Pierno : exégétique ou explicative, la glose « corres-
   

pond à une des techniques de la traduction », « une traduction destinée à une


   

divulgation de l’Ecriture Sainte », relevant surtout du domaine du quotidien et du


concret, à destination d’un lectorat religieux du Nord de l’Italie ne connaissant pas le


latin (Pierno 2008, 83–87).
La Bíblia del segle XIV. Èxode. Levític combine, selon ses éditeurs (Riera i Sans
et al. 2009), la littéralité avec la liberté en flanquant la traduction de commentaires

moralisateurs et en y adjoignant des commentaires et des annotations empruntées à


d’autres exemplaires que l’exemplaire du texte-source :  

« El texto latino original tendría su base en el texto parisino, con influencia del que transmitieron

las vulgatas catalano-lenguadocianas, siendo evidente la presencia de contaminación textual,


dado que los manuscritos andaban plagados de anotaciones bíblicas procedentes de otros
ejemplares que se incorporaban al cuerpo del texto en copias sucesivas » (Avenoza 2009, 583).

La pratique de la glose et du commentaire, prolongement du texte qu’ils explicitent,


est revendiquée ouvertement par des traducteurs. Dans la conclusion de la traduction
Édition et traduction 343

de la Consolacion de Phylosophie de Boèce (XIIIe siècle ou début du XIVe siècle),


Bonaventura de Demena déclare ainsi avoir fait des ajouts por fere plus alumenee sa
translacion et l’intelligence de la phylosophye doctrine de Boece (ms. BnF fr. 821a, in
Éditions en ligne de l’École des chartes, n° 17, C). Dans sa traduction des Facta et
memorabilia de Valère Maxime, Simon de Hesdin signale clairement les addicions
pluseurs qu’il pratiquera.20 Et c’est en « expositeur » que Simon de Hesdin enrichit sa
   

traduction d’additions, de gloses, d’explications et de développements en s’appuyant


sur les commentaires de Dionigi da Borgo S. Sepolcro (Di Stefano 1977, 35–38).
Ces additions explicatives, nous l’avons rappelé en évoquant les traductions
latines d’Aristote, sont d’autant plus nécessaires lorsque la traduction est littérale,
selon le paradoxe des traducteurs latins de l’époque, mis en relief par Pieter De
Leemans et Michèle Goyens à propos des traductions des Problemata de grec en latin,
puis en français, par Evrart de Conty :  

« La traduction d’Evrart reflète le paradoxe des traducteurs latins de l’époque qui, voulant

traduire mot à mot la source grecque par respect de l’autorité de celle-ci, livrent finalement un
texte difficile à comprendre et qui nécessite des commentaires » (De Leemans/Goyens 2005, 247).

Les traducteurs puisent volontiers leurs commentaires dans le paratexte ou le péri-


texte que leur offre souvent leur source, et dont les développements peuvent devenir
des excroissances considérables, jusqu’à constituer des éléments autonomes.
Les traductions françaises des Météorologiques d’Aristote, évoquées ci-dessus,
intègrent des commentaires visant à expliciter et expliquer le texte d’Aristote. Dans sa
traduction, faite à la fin du XIIIe siècle à partir de la version nova de Guillaume de
Moerbeke, Mahieu le Vilain explicite le contenu des Météorologiques à l’aide des
commentaires de Thomas d’Aquin et d’Alexandre Aphrodisias ou d’autres autorités
(Ducos 1998, 195). Évrart de Conty, dans ses Problemes, écrits vers l’année 1380,
traduit la version latine de Barthélémy de Messine effectuée au XIIIe siècle mais aussi
le commentaire que Pietro d’Albano a fait sur cette œuvre en 1310 (ibid., 204).21
Dans un autre domaine, la traduction de l’Ovide moralisé est accompagnée d’un
accessus important transféré des sources latines :  

« La richesse mythographique de l’Ovide moralisé est plus grande encore que son modèle latin.

Les fables qui forment un peu plus de la moitié de l’œuvre (soit 36092 octosyllabes) ne sont pas la
simple traduction des Métamorphoses. L’éditeur C. de Boer a signalé çà et là des fables ajoutées et

20 Ci commence la translacion du premier livre de Valerius Maximus avec la declaracion d’iceli et


addicions pluseurs, faite et compilee l’an mil .ccc.lxxv. par frere Symon de Hesdin de l’ordene de l’ospital
de saint Jehan de Jherusalem, docteur en theologie (Ms. BnF français 24287, Fol. 1R, en ligne sur le site
Gallica).
21 Jean Corbechon se distingue de ces deux traducteurs en traduisant les Météorologiques à partir de
l’encyclopédie du De proprietatibus rerum de Barthélémy l’Anglais, œuvre médiévale et latine, faisant
de sa traduction « un véritable travail d’équivalence [autonome] plutôt qu’une imitation servile du

latin » (ibid., 206).



344 Claude Buridant

quelques additions de moindre étendue. Comme il l’avait supposé, ces additions proviennent
surtout de gloses latines. Dès le XIIIe siècle en effet, les gloses se sont multipliées dans les
manuscrits des Métamorphoses au point d’envahir les quatre marges du feuillet. A cette époque,
le texte se présente hérissé de gloses interlinéaires, lourdement encadré de notes marginales où
l’on peut trouver, outre un commentaire littéraire fort pauvre, des indications historiques,
géographiques, mythographiques souvent intéressantes ; et bien entendu, à la fin de chaque

mutatio, une ou plusieurs allégories rappelant au lecteur que toute œuvre poétique tend à
instruire et à édifier ainsi que l’annonçait l’introduction du commentateur (accessus) […]
Aussi le traducteur médiéval disposait-il, lorsque se présentait une difficulté, de notes aussi
copieuses sinon érudites que celles qui accompagnent une édition moderne des Métamorphoses.
Mais de ces notes, il devait faire passer le contenu dans la traduction même » (Demats 1973,

Ch. II, 61).

D’Ovide encore, la première traduction en prose complète de l’Ars Amatoria, du XIIIe


siècle se présente dans un texte soigneusement commenté et la glose est étendue et
toujours bien différenciée par rapport à celui-ci, bien que dans certains cas elle coupe
la traduction de manière abrupte. Cet apparat de commentaire se présente très riche
et dense dans ses contenus : il est caractérisé par des paraphrases de la traduction,

des récits mythologiques, des commentaires moraux, des additions qui ne semblent
se rattacher que de très loin au texte latin (Athis et Prophilias, Blancandin ou L’orgueil-
leuse d’amour, le Roman de Troie, Chrétien de Troyes, Jean de Meun, refrains de
chansons de danse et fragments lyriques divers) (Transmédie, II, 1, notice 72, 205).
La longue série des traductions de la Consolation de philosophie de Boèce, est
assortie de commentaires néo-platonisants ou/et christianisants issus des accessus les
plus notables, comme celle du Confortement de Philosophie, intégrant dans son œuvre
les commentaires latins de Guillaume de Conches et d’Adalbod d’Utrecht et emprun-
tant également aux mythographies du Vatican et aux Métamorphoses d’Ovide. Les
exemples pourraient en être multipliés.
Deux éléments concernent particulièrement ici l’ecdotique des textes traduits : les  

limites du commentaire et l’insertion des gloses, qui sont en partie liées.

3.3.5 Traduction et compilation

La présence d’éléments additionnels à la traduction de la source peut être telle que


l’on peut se demander dans quelle mesure il s’agit encore d’une véritable traduction.
Ainsi de la traduction du Chronicon pontificum et imperatorum de Martin de Troppeau,
dit aussi Martin le Polonais, par Sébastien Mamerot, en 1458, pour Louis de Laval,
sous le titre de Croniques martiniennes.

« Mamerot [y] fait montre d’une grande culture et de beaucoup de lectures accumulées, à tel point

qu’on en vient rapidement à se demander s’il faut considérer ces Croniques martiniennes comme
une traduction ou bien alors comme une véritable compilation, tant le Soissonois a « farci » le
   

texte de Martin de passages interpolés. Le prologue nous éclaire sur ce sujet : Et oultre icelles

martiniennes, [Louis de Laval] luy a fait extraire de plusieurs orateurs et croniques et mectre en ses
Édition et traduction 345

translations les faictz des pappes et empereurs […] plus au long que frere Martin de Polome. Un
renvoi des Passages d’outremer à ce texte atteste également son caractère ambivalent : ainsi que

j’ay de ces choses plus amplement traictié en la translacion et augmentacion par moy .xv. ans [j]a
faictes des Croniques martiniennes » (Duval 1998, 467s.).

De la première à la seconde partie des Croniques, divisées par la naissance du Christ,


la compilation s’amplifie : « Si dans la première Mamerot suit assez fidèlement le
   

cadre du récit de Martin, il ne cesse d’ajouter des éléments puisés à d’autres sources »,  

éléments de longueur variable, de quelques lignes à plusieurs dizaines de chapitres,


les ajouts fourmillant, mettant à contribution les sources les plus diverses, au point
que « en passant par les mains du Soissonnois, la première partie des Croniques a plus

que triplé de volume » (ibid., 468s.).


« Dans la seconde partie, la méthode évolue et la chronique de Martin n’est bientôt plus qu’une

source parmi bien d’autres. Mamerot y fait référence quand il s’y reporte, mais il n’est plus
question d’intercaler des développements à l’intérieur du récit de Martin, tout en le traduisant
dans son ensemble. La part qui revient au texte-source est par conséquent difficilement quanti-
fiable » (ibid., 469).

S’opère ainsi, dans cette évolution, une véritable dilution de la translation au profit
d’une compilation.

3.3.6 Gloses explicites et gloses cachées

Les gloses peuvent être explicitement marquées dans le témoin manuscrit du texte-
cible, sous des formes diverses. Dans la première traduction en prose de l’Ars amato-
ria d’Ovide, comme on l’a rappelé ci-dessus à la suite de Bruno Roy, la glose est
toujours bien différenciée par rapport au texte, bien que dans certains cas elle le
coupe de manière abrupte. Dans la traduction de La vie et les epistres Pierres Abaelart
de Jean de Meun, les gloses explicatives sont introduites par c’est a dire signalées par
E. Hicks dans son édition, qui les place entre parenthèses : Mars (qui est diex de

batailles) 3, 21–22 – Minerve (qui est diuesse de science) 3, 22–23 – entre les ydolatres
(c’est a dire entre ceuls qui aoroient les ydoles) 32, 105322 – li secsez (c’est a dire la
nature) des femmes 37, 1207 – l’en vient au royaume des cieulx par bonne renommee et
par mauvaise (c’est a dire souffrir) 38, 1235 ; en plus des interpolations de notes

marginales : fors cil seul a qui ceste honte tornoit plus que a nul autre, ce est assavoir li

oncle mesme a la pucelle (12. 329–330) ; et à côté de commentaires appréciatifs ou


l’adjonction de proverbes. Dans la traduction du Romuleon, vaste compilation d’his-


toire romaine composée à Bologne entre 1361 et 1364 par Benvenuto da Imola,

22 Ces définitions explicatives peuvent être tirées des lexiques latin-français. Cf. Aalma, 7253 : mars.

martis : le lieu (l. le dieu : Catholicon : deus belli) – 5553 : idolatra : aoreur de ydoles (Roques 1970).
         
346 Claude Buridant

Sébastien Mamerot, tout « en respectant le texte latin, selon l’intention déclarée dans

le Prologue de suivre l’entencion du compositeur et aussi celle des orateurs desquelz il a


voulu entierement descripre les propres vers et aultres ditz en prose, insère cependant
dans son texte « des gloses assez longues introduites par les mentions le translateur

ou le Soissonnois » (Duval 1998, 473).23


Mais des gloses et des commentaires du texte-source peuvent se fondre dans la


traduction et suivre un cheminement que l’éditeur doit reconstituer. Giuseppe Di
Stefano retrace ainsi le parcours d’une glose insérée dans un témoin du texte-source
et passée dans la traduction des Facta et memorabilia de Valère-Maxime par Simon de
Hesdin :  

–        texte latin d’origine : Eodem ludos Florales, quod Messius aedilis faciebat, spectante populus

ut mimae nudarentur postulare erubuit. Quod cum ex Favonio amicissimo sibi una sedente
cognosset, discessit e theatro, ne presentia sua spectaculi consuetudinem imperiret (Valerii
Maximi Factorum et dictorum memorabilium libri novem, ed. Kempf, Leipzig, 1888, II, X, 8) ;  

–        les ms. A (Bern) et L (Laur) portent une glose inspirée des vers qui font suite à l’Epistola ad
lectorem des Epigrammes de Martial, à un vers près : Nosses iocosae dulce cum sacrum Florae

/ <Festosque lusus et licentiam volgi,> / Cur in theatrum, Cato severe, venisti ? / An ideo tantum

veneras, ut exires ?

–        la glose est annexée au texte par un copiste ;  

–        le passage de l’exemplaire latin présente « les vers de Martial remaniés, adaptés, mimétisés

au point de se confondre avec le contexte » ;    

–        la traduction de cette version offre ainsi « une leçon qui, pour être authentique du point de

vue du texte français, ne [s’appuie] pas moins sur un texte latin fautif », et qui se diffuse

ensuite incognito par des copies manuscrites dans les réimpressions (Di Stefano 1977, 28–32).

Traductions extensives touchant la compilation, gloses intégrées explicites ou non :  

sont ainsi franchies les limites de la traduction dont l’éditeur doit rendre compte.

3.3.7 Texte-cible dans un manuscrit unique

Une remarque liminaire, toute matérielle : les manuscrits uniques semblent propices

aux éditions bilingues synoptiques, présentant en regard ou sur la même page le


texte-source ou supposé tel, latin en l’occurrence et la traduction, pour laquelle ne se
pose pas la quête du texte-cible : les Dialoge Gregoire lo Pape (ed. Foerster, 1876) ; La
   

Vie et les Epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame (ed. Hicks, 1991) ; La Vie de  

Christine l’admirable (ed. Leurquin-Labbie, 2010) ; des versions du Lucidere (ed.


Kleinhans, 1993). Cette disposition dans la présentation devrait à présent être facilitée
par la numérisation des textes permettant la lecture souple et interactive des docu-

23 Avec « les transpositions, les paraphrases attachées au lexique et aux noms propres, mais aussi le

développement des formules jugées trop elliptiques et l’accentuation de la cohérence du texte, [elles]
sont autant d’aides à la lecture dessinées à guider Louis de Laval [son destinataire] dans sa découverte
de l’œuvre » (ibid., 475).

Édition et traduction 347

ments enregistrés par « fenestrage », à l’exemple de l’édition numérique interactive


   

d’un texte « autonome », la Queste del saint Graal (manuscrit P. A. 77 de la BM de


   

Lyon) par Christiane Marchello-Nizia, avec la collaboration d’Alexei Lavrentiev (en


ligne ; ↗6 Édition électronique de la Queste del saint Graal).
   

Cela dit, le manuscrit unique pose de manière aiguë le problème du niveau


d’intervention de l’éditeur et de la limitation des techniques d’édition. Corin Corley
dégage ainsi les deux « versants éditoriaux » que présente le manuscrit unique : il
     

n’offre pas les mêmes difficultés d’édition qu’un texte à plusieurs manuscrits, puisque
le choix du manuscrit de base n’est pas à faire, ni celui de l’approche éditoriale, à
savoir si l’on doit produire une version éclectique – combinant le contenu des divers
témoins – ou conservatrice du texte. En revanche, l’éditeur a très peu d’outils pour
l’aider à résoudre les problèmes textuels, puisqu’aucun manuscrit ne peut servir à
détecter les erreurs (Corley 1990). Selon Alan Knight, les manuscrits uniques compli-
quent le travail de l’édition, car les principes éditoriaux s’appuient pour la plupart sur
une tradition manuscrite plus élaborée et sur l’établissement de stemmas. L’éditeur
ne peut utiliser les mêmes techniques que lors de l’édition d’un texte compris dans
plusieurs manuscrits, telles que la collatio, la recensio et l’emendatio (Knight 1991).
L’éditeur est placé entre deux extrêmes : l’excès de pusillanimité conservatrice et

l’excès de hardiesse interventionniste, selon la formule de Rudolf Hofmeister : « to    

emend or not to emend » (Hofmeister 1976). Edmond Faral insiste sur le besoin

d’équilibre dans l’intervention de l’éditeur : « Une certaine liberté doit être laissée à
   

l’éditeur, pourvu que ses retouches à un texte – qui autrement serait inintelligible ou
choquant – procèdent de probabilités suffisantes et que, d’autre part, il assure au
lecteur des moyens commodes de contrôle » (Faral 1955). Pour Solange Lemaître-

Provost, auteur d’une récente mise au point rappelant ces principes, les corrections
doivent se faire en fonction des habitudes du scribe, comme la personne la plus
proche du contexte culturel médiéval de création du texte, et par comparaison avec
d’autres versions possibles (Lemaître-Provost 2010). Même attitude chez Félix Lecoy,
éditeur de La Folie Tristan : avec la fidélité documentaire au manuscrit, « moins on
   

touche à nos anciens, plus on se rapproche des conditions où se trouvaient les


lecteurs à qui ces textes étaient destinés » (Lecoy 1994, 52).24

Dans le cas d’un texte traduit, c’est le texte-source qui sert de référence et de
pierre de touche à l’établissement de l’édition, mais tout n’est pas aussi simple,
comme l’indiquent suffisamment les considérations abordées dans les préliminaires
et évoquées dans le cours de l’exposé, où interviennent plusieurs paramètres : dis-  

tance par rapport au texte originel de la traduction ? fiabilité de la copie ? du texte-


   

source ? filiation des altérations et des fautes ?


   

24 Conviction d’un critique plus bédiériste que Bédier lui-même avant sa conversion méthodologique
(cf. la comparaison avec les Grandes chroniques de France dans le cas de La chronique des rois de
France, infra). ↗1 Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane ; ↗6 L’édition critique des
     

romans en prose : le cas de Guiron le Courtois ; ↗3 L’espagnol castillan médiéval et la critique textuelle.
     
348 Claude Buridant

La traduction anonyme de la Vie de Christine l’admirable de Thomas de Cantim-


pré, éditée par Anne-Françoise Leurquin-Labie est transmise par un seul manuscrit,
recueil de trois éléments hétérogènes rassemblés dans la deuxième moitié du XVIIe
siècle, le troisième élément, la Vie de Christine (f° 51r–75v), datant des décennies
1450–1460. La source de la vie de Christine est la Vita latine rédigée par Thomas de
Cantimpré, rédigeant des œuvres hagiographiques de femmes pieuses de Flandre et
du diocèse de Liège adeptes de mortifications extrêmes. La Vita, rédigée vers 1232, soit
huit ans après la mort de son modèle, est conservée dans huit témoins : à l’examen  

des cinq copies dont la provenance est connue, il s’avère que c’est le manuscrit
Bruxelles, Bibliothèque royale, 4459–4470, daté de 1320, écrit à Villers-en-Brabant ou
Villers-la-Ville par un moine originaire de Saint-Trond, qui a servi de source pour la
traduction française (mêmes variantes, ajouts et suppressions de rubriques ; lacunes  

et variantes communes absentes des autres manuscrits latins ; fautes découlant


clairement de mauvaises lectures de la copie de Villers). Comme l’observe A.-F. Leur-  

quin-Labie, la traduction est une traduction quasi mot à mot du récit de Thomas de
Cantimpré : « Tant dans la construction des phrases que dans le vocabulaire, le
   

traducteur ne s’éloigne que rarement de son modèle. Sa fidélité excessive se révèle


pernicieuse, puisqu’elle alourdit le texte français, qui en devient parfois presque
incompréhensible » (Leurquin-Labie 2010, 105), Et A.-F. Leurquin-Labie d’émettre la

conjecture que cette traduction pourrait ressortir de la pratique scolaire des traduc-
tions supports d’apprentissage du latin (ibid., 110s.). Ce faisant, elle édite le texte-
source et le texte-cible dans une présentation synoptique bilingue, en relevant les
« étrangetés très clairement déterminées par une mauvaise lecture du latin ou une

source fautive » (ibid., 107), ce qui ressort de la filiation des fautes.25


3.3.8 Le manuscrit unique de La vie et les epitres Pierres Abaelart et Heloys sa fame
et sa filiation : une réanalyse ?
   

Ce sont ces questions de filiation que nous voudrions poser en réexaminant la


traduction de La vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame attribuée à Jean
de Meun éditée par Eric Hicks, évoquée ci-dessus, pour esquisser une grille des
erreurs et l’itinéraire possible de la traduction ; nous nous appuierons en particulier

sur les remarques de Leslie C. Brook, accompagnant sa propre édition restée inédite.
Rappelons que le texte-source existe dans huit ou neuf manuscrits qui transmettent
une tradition « remarquablement homogène » (Monfrin 1959, 53). Ces manuscrits ont
   

fait l’objet d’une belle édition critique de J. Muckle, et Eric Hicks en refait une édition
« prenant comme base l’édition Monfrin (Epîtres I, II et VII), dont l’orthographe (sic)

25 Cf. par exemple la note 43, p. 140, signalant la leçon estant pour exultans, due à une mauvaise
   

lecture ou à une source fautive, entraînant un affaiblissement de sens.


Édition et traduction 349

est celle du MSS T, en projetant cette graphie, par un jeu de substitutions mécaniques,
sur le reste du corpus, édité par Muckle, selon les normes du latin classique » (ed.,  

LII). En revanche, la traduction de Jean de Meun n’est représentée que dans un seul
manuscrit, le ms. BnF 920, décrit par Hicks (ed., XXXV). « Ce MS est tardif et fautif,  

souligne Leslie Brook. Il semble dater de la fin du quatorzième ou du début du XVe


siècle, c’est-à-dire d’une centaine d’années après le travail de Jean de Meun… Ce Ms.
nous donne donc une vue qui est loin d’être parfaite du travail de Jean de Meun ».  

On peut, sur ce manuscrit, relever une échelle d’erreurs dont l’analyse amène à
croire, pour Leslie Brook, qu’il y a eu au moins deux autres manuscrits qui se sont
perdus (Brook 1968, 65) :  

–        erreurs de mélectures des graphies du texte-source évoquées par Eric Hicks : « Toute une    

série de fautes dans la version attribuée à Jean de Meun s’expliquent à partir de méprises sur
les graphies latines » (XXIII–XXIV). C’est ce qu’a bien vu Benton (1975, 498 et notes) ;
   

–        erreurs qui sont le résultat d’une faute d’audition : .iij. pour tres (ed. Hicks, 5, 76),26 ou encore

la confusion fréquente entre ces et ses, et se et ce par le fait qu’une étape de la tradition
manuscrite fut faite sous la dictée ;  

–        le plus grand nombre d’erreurs de transcription résultant d’une lecture erronée d’un MS
antérieur : Paradiz pour Paraclitz (32.1031) et passim, li autre pour hanté (51.211), cessa pour

cassa (56.70), sur ce pour sureté (56.13) – lu cependant sureté, sans note, par E. Hicks,
témoignant de la difficulté classique de la distinction entre c et t - amour pour au jour (61.27),
etc.27 S’y ajoutent des erreurs paléographiques : un trait au-dessus du mot transforme ordure

de vie en ordure d’envie (9.230) – non signalé par E. Hicks – ; ou bien un mot fut considéré

comme la forme abrégée d’un autre : religion pour region (50, 99, conservé par E. Hicks, avec

la note : « sans doute lire region », pour le latin regio), deliz pour diz (75.194), precieuses pour
     

pieuses (111.40), saintes fames dans l’édition et en note les precieuses f. peut-être lire pieuses
(CC) : lat. sanctas mulieres –, encontre pour entre (145.1343) ; ou le contraire, où un trait au-
   

dessus d’un mot fut ignoré ou absent, de sorte que la forme abrégée remplace le mot correct :  

region pour religion (115.273), gardé cependant dans l’édition, pour le latin religio –, Job pour
Jacob (92.140), gardé cependant dans l’édition pour le latin Jacob, qui est la bonne leçon de
Genèse, 33, 13 : dixit Jacob : …et oves et boves fetas mecum quas si plus in ambulando fecero
   

laborare morentur una die cuncti greges.

26 L. Brook signale aussi .iij. pour trait à la page 197.2, mais il s’agit plutôt d’une erreur de copie, selon
l’édition E. Hicks, 137.1050 : eussent .iiim. gens a lui pour eussent trai nuls gens a lui, l’erreur portant sur

une mélecture de jambages.


27 Ces erreurs sont souvent dues à un système d’écriture amphibologique, comme celle-ci, « erreur  

invisible », relevée par É. Hicks, que le latin permet de rectifier : « Le texte que donne le manuscrit est
     

cohérent, quoique un peu bizarre à première vue ; on y lit : quiconques ait souffert, il est homicides. On
   

aura compris que la souffrance entraîne la cruauté. Toutefois le premier membre de la phrase latine est
qui odit fratrem. Et chacun de traduire : quiconques ait ses freres… La faute s’explique à partir des

amphibologies d’un système d’écriture où n vaut u et l’apostrophe une combinaison de r et e : soufert =  

son f’re. La correction s’impose » (ed. Hicks, XXXVIII).



350 Claude Buridant

Nous trouvons aussi plusieurs exemples de bourdon où l’œil saute en copiant d’un
même mot au mot répété plus loin. Et en conclusion sur la tradition manuscrite de la
traduction, il note :  

« Il est bien sûr impossible de savoir à quelle étape dans la tradition telle ou telle erreur fut

introduite, mais le nombre très élevé des fautes de lecture, y compris les fautes paléographiques
et les bourdons, et leur distribution assez égale d’un bout à l’autre du MS, nous fait penser qu’ils
furent introduits en copiant le MS 920 sur un MS antérieur perdu, qui à son tour avait été fait en
partie du moins sous la dictée. Il est possible d’imaginer toute une suite de MSS perdus, mais
nous envisageons au minimum l’original, un intermédiaire, et le MS 920 ; ce qui suffirait pour

indiquer l’écart entre le travail de Jean et le MS 920 » (ibid., 65).


Le MS 920 offre cependant un texte « qui est dans l’ensemble suffisamment bon pour

permettre certaines observations sur la manière dont Jean traduisait », poursuit  

cependant L. Brook (ibid.), et il se réfère alors aux éditions de Charlotte Charrier et


Fabrizio Beggiato, objet cependant ensuite d’une sévère analyse critique de Hicks
(1982).
Cependant, observe-t-il encore,

« tout effort d’évaluation dans ce sens serait voué à l’échec sans un texte latin qui corresponde à

la version de Jean, en dépit des nombreuses fautes de transcription dans le MS français. Avec un
bon texte latin et un texte français fautif, qui correspondent bien pour l’essentiel, on peut
souvent utiliser le latin pour rectifier le français ; mais on doit éviter un excès de zèle, car on

peut discerner plusieurs endroits où Jean dut utiliser un manuscrit latin qui offrait une leçon
différente et indépendante de tous les MSS latins qui existent encore aujourd’hui : prophetizier

indiquerait la leçon predicere pour proficere (8.185) – rejeté cependant par E. Hicks en note, ed.
Beggiato au profit de profiter, – ab avunculo pour ab alio (81.398) – retenu cependant par E. Hicks
de ton oncle en dépit du latin ab alio en vis-à-vis (lat. 81.382) –, humilité (87.597) humilitatem pour
multitudinem. Sans doute ce MS latin était parfois lui aussi corrompu et avait des lacunes, car
toutes celles qui sont dans le MS 920, que ce soit de longs paragraphes (en 113.235 ou 117.343, ou
le manque d’une partie d’une phrase, comme en 125.635–636, ne peuvent être attribuées en toute
confiance au traducteur ou au scribe du MS français » (ibid., 65).

Il y a aussi un grand nombre d’exemples, ajoute-t-il enfin à partir d’un cas, où des
bourdons ont pu se produire soit dans le texte français, soit dans le latin. « Il arrive  

souvent, d’ailleurs, que la leçon que Jean suivit figure parmi les variantes de l’édition
Muckle, mais jamais les mêmes, de sorte qu’il est impossible de conclure que le MS
latin ait suivi une tradition nette selon le schéma de Muckle ou celui de Monfrin »  

(ibid., 65s.). Il n’est pas exclu non plus, comme le relève E. Hicks en note, que le

traducteur ait disposé de plusieurs copies, comme le fait Raoul de Presles, le traduc-
teur de la Cité de Dieu (ed., LI, note 3).  
Édition et traduction 351

Au total, le rapport entre le texte-source et le texte-cible pourrait se résumer ainsi :  

– texte-source représenté dans 9 manuscrits dont aucun n’a pu servir de modèle au traducteur ;
        

texte-source de référence établi par l’éditeur E. Hicks sur la base de l’édition partielle de J.
Monfrin avec graphie projetée sur le reste du corpus. MS latin offrant une leçon différente et
indépendante de tous les MSS latins existants et présentant des lacunes ;  

– texte-cible dans l’unique MS 920 de la BnF, copie tardive assez largement fautive, transmis
      

par un MS antérieur perdu, fait en partie au moins sous la dictée : au minimum, l’original, un

intermédiaire, et le MS 920 (L. Brook). Possibilité que Jean de Meun ait disposé de plusieurs
copies de travail (E. Hicks) ;  

– cas où l’édition Hicks serait à revoir : rectification de la leçon de la traduction : region et non
          

religion, Jacob et non Job ; prophetizier et non profiter, de ton oncle supposant ab avunculo

pour ab alio. Soit une récursivité ou si l’on préfère une rétroactivité du texte-cible sur certains
points, en entendant par là le renvoi à des leçons révélatrices du modèle latin suivi, qui
mériteraient un examen méthodique, à partir de l’édition L. Brook, non mise à profit par E.
Hicks, malgré l’excellence de son édition.28

4 Vers l’édition d’une traduction médiévale :  

la Chronique des rois de France


4.1 Brève présentation de la Chronique des rois des France

La Chronique des rois de France, vaste chronique retraçant l’histoire des rois de France
depuis la légendaire origine troyenne des Francs jusqu’au règne de Philippe-Auguste,
est la traduction en français d’un ensemble de chroniques latines conservées à Saint-
Denis, de styles très divers, allant de la sécheresse des annales à la versification
ampoulée de l’épopée en vers de la Philippide de Guillaume le Breton, retraçant sur le
modèle virgilien la vie du souverain Philippe-Auguste. Il est exclu ici de détailler la
composition de l’ensemble, qui a fait l’objet de plusieurs mises au point, dont, au
premier chef, l’article très documenté de Gillette Labory, en identifiant minutieuse-
ment les sources manuscrites et en soulignant les rapports avec les chroniqueurs des
Grandes Chroniques de France, autre monument des premiers historiens nationaux
(Labory 1990) ; c’est avec sa très précieuse collaboration qu’est en préparation l’édi-

tion de la Chronique, à la Société des Anciens Textes Français, et que j’ai présenté
dans le XXVIe Congrès de Linguistique romane une modeste contribution à l’onomas-
tique dans sa première partie, que nous avons intitulé Origines (Buridant 2010). Nous

28 Ce n’est pas le cas unique de récursivité du texte-cible : nous avons signalé plus haut la retraduction

du Livre de l’estat du grant caan faite par Jean le Long à partir d’une version du texte-source latin lui-
même traduit de l’italien par l’évêque de Salerne, représentée dans le manuscrit Francfort Universitäts-
bibliothek Bartholomeus ; elle permet de rectifier un certain nombre de leçons fautives de ce représen-

tant, le texte français s’avérant parfois nécessaire pour comprendre et corriger le texte latin (Gadrat
2007).
352 Claude Buridant

en avons rappelé ailleurs les principaux éléments, comme support à des contributions
portant sur différents aspects de la langue du traducteur. Nous mentionnerons sim-
plement ici ce qui nous semble suffisant pour notre propos en nous appuyant sur
l’étude de Gillette Labory, consacrée à cette « première histoire nationale française ».
   

La traduction, exécutée par un anonyme entre 1217 et 1230, a comme source, dans sa
première partie, la compilation ou continuation d’Aimoin, historien et moine de
Fleury, auteur d’une Historia Francorum écrite au début du XIe siècle et continuée  

jusqu’en 1015 ou 1031, parvenue à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, où elle est


recopiée, interpolée, poursuivie en plusieurs étapes jusqu’à la fin du XIIe siècle.  

L’archétype en est le ms. lat. 12711 de la Bibliothèque Nationale de Paris, écrit à Saint-
Germain-des-Prés. C’est de ce manuscrit que dérivent tous les manuscrits comportant
interpolations et continuations, dont le plus ancien, le ms. Vatican Regina latin 550,
écrit à Saint-Denis au début du XIIIe siècle, manuscrit de référence pour la chronique
latine ; Gillette Labory en fait une collation soigneuse pour la mise au point de

l’édition. Le texte se trouve aussi dans l’édition d’Aimoin parue en 1567 à Paris, chez
Wechel, sous la collation de Jean Nicot. La traduction française est conservée dans
deux rédactions :  

– le ms. Vat. Regina 624, de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe, mais amputé du début
      

(Mérovingiens et Pippinides) et ne commençant qu’avec la Vie de Charlemagne : ms. A ;


   

– le ms. 869 du Musée Condé de Chantilly, du dernier quart du XVe siècle, amputée, elle, de la
      

traduction de la fin de la Philippide, s’arrêtant au vers 444 du livre XI, en plein milieu de la
bataille de Bouvines (fol. 390v) : ms. B.

Cette chronique anticipe sur le Roman des rois ou Grandes Chroniques de France,
composées par Primat quelque cinquante ans plus tard à partir des mêmes matériaux,
dont le ms. latin 5925 de la Bibliothèque Nationale, qui utilise par ailleurs le travail de
l’Anonyme, en dehors des rédactions subsistantes, en y recourant de manière systé-
matique à partir des Vies de Louis VI et Vie de Louis VII.
En complément de l’étude de la traduction du latin, il est donc licite de comparer :  

– les deux versions de l’Histoire des rois de France dans les deux rédactions manuscrites,
      

terrain privilégié pour l’étude des évolutions de la langue ;


– la Chronique des rois de France et les Grandes Chroniques de France, qui ont fait l’objet d’une
      

édition monumentale de Jules Viard, à la Société de l’Histoire de France, que nous essaierons
d’égaler dans la mesure du possible.

Les références au texte latin d’Aimoin peuvent être faites aussi à l’édition imprimée
due à Jean Nicot de 1567.29

29 La première édition de l’Histoire d’Aimoin sortit, en 1514, des presses de Badius Ascensius en in-fol.
Elle est dédiée à Guillaume Parvi, confesseur de Louis XII, qui paraît l’avoir dirigée. Comme elle était
très fautive, Jean Nicot, maître des requêtes et ambassadeur de France en Portugal, en fit paraître une
nouvelle à Paris, en 1567, in-8°. Elle contient le texte d’Aimoin avec toutes les additions, comme la
Édition et traduction 353

L’on a donc, au total, pour confectionner l’édition de la Chronique des Origines à


la Vie de Charlemagne, traduite de l’Historia Francorum d’Aimoin :  

– le texte latin qui est sans doute celui qui a servi de base au traducteur, dans le manuscrit
      

Vatican Regina latin 550, les références pouvant se faire également, quand il n’y a pas
divergences, à l’édition Nicot parue chez Wechel en 1567, et qui est accessible en ligne ; 

– occasionnellement, en cas de leçons douteuses, les sources dont s’est inspiré Aimoin lui-
      

même, soit le Liber Francorum ;  

– la traduction française contenue dans le manuscrit B, ms. 850 du Musée Condé de Chantilly ;
        

– la traduction française du Roman des rois de France ou Chronique de Primat, composée


      

quelque cinquante ans plus tard que la Chronique, utilisant par ailleurs la Chronique de
l’Anonyme ; au-delà de cette première partie, qui va des Mérovingiens au Pippinides :
   

– les sources latines répertoriées par Gillette Labory ;


        

– les deux versions de la traduction, du XIIIe et du XVe siècle, qui seront l’objet d’une édition
      

synoptique, comme nous l’avons précisé déjà en 1985 à propos de l’édition du dernier
maillon de la traduction, la traduction de la Philippide, en nous appuyant sur la confronta-
tion systématique des deux manuscrits A et B : si le manuscrit A se révèle assez lacunaire, ces

lacunes ne se retrouvent jamais dans le manuscrit B : B n’est donc pas la copie de A, mais les

deux copies sont étroitement apparentées, elles n’offrent pas de leçons divergentes qui
puissent témoigner d’une déviation dans la tradition manuscrite, de A à B …. B est cependant
assez souvent altéré par des leçons aberrantes et offre des remaniements, tant lexicaux que
syntaxiques, qui modifient, dans un certain nombre de cas, des caractéristiques importantes
de la traduction du XIIIe siècle.

On se trouve donc, au total, en présence de deux manuscrits relativement médiocres,


mais complémentaires, en quelque sorte : le premier est assez souvent lacunaire et

défectueux, mais il a l’avantage de représenter la traduction dans son état premier,


sans doute proche de l’original ; le second permet, dans la presque totalité des cas, de

combler les lacunes de A et de rectifier ses erreurs, mais il offre l’œuvre du XIIIe siècle
dans une version rajeunie, sous le vêtement d’une langue et d’une graphie moderni-
sées deux siècles plus tard. La seule édition possible – pour la Philippide comme pour
le reste de la Chronique à partir de la Vie de Charlemagne –, nous semble devoir être
une édition synoptique présentant en regard A et B, pourvue d’un fort apparat critique
renvoyant à l’original latin pour toute leçon lacunaire, incomplète, altérée ou défor-
mée : une telle édition évitera la reconstitution composite de A et permettra d’avoir

une vue globale de l’évolution du texte, exclue par la relégation en pied de page, de
manière parcellaire et atomistique, des nombreuses variantes de B (Buridant 1985, 39).
Précisons enfin que l’Anonyme de Chantilly-Vatican, dans une conception toute
médiévale de la traduction rappelée ci-dessus et soulignée en l’occurrence par Gillette

précédente, mais elle est plus correcte. Dom Jacques du Breul entreprit ensuite d’en donner une
nouvelle édition ; elle parut à Paris en 1602, in-fol. Du Breul l’a donnée d’après le manuscrit de Saint-

Germain-des-Prés, mais sans avertir que les additions n’étaient pas l’ouvrage d’Aimoin (Encycoplédie
catholique, 1839, 538s.). C’est d’après cette dernière édition que sont faites généralement les références
à Aimoin, mais il est préférable de les faire à l’édition Nicot, plus fiable.
354 Claude Buridant

Labory et nous-même, enrichit son texte de nombreuses gloses, moralisatrices, ex-


plicatives et amplificatrices, qui développent en particulier les motifs renforçant ou
créant la tonalité épique des scènes de bataille, où s’observent de véritables « résur-  

gences ou déclics épiques » (Buridant 1978b ; 1989, 254 ; Labory 1990, 329s.).
     

Pour les Origines, je donnerai des exemples de problèmes d’édition à partir d’un
relevé des leçons douteuses ou franchement fautives, qui témoignent d’une altération
du texte-source, pouvant remonter à son origine, de mélectures de copie, d’altérations
de leçons mécomprises dans ce manuscrit tardif, dont on peut tenter de reconstituer
le cheminement.
La dernière partie de la Chronique des rois de France, constituée de la traduction
de la Philippide de Guillaume le Breton, pour les parties communes dans les deux
manuscrits A et B, sera, comme on l’a dit, l’objet d’une édition synoptique. Les
conditions d’édition de cette partie sont différentes de celles des Origines. L’on
dispose alors, pour l’édition :  

– du manuscrit A complet ;
        

– du manuscrit B amputé de sa fin, comme on l’a signalé supra ;


        

– du texte-source, la Philippide latine de Guillaume le Breton, dans l’édition de H.-François


      

Delaborde, Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, historiens de Philippe-Auguste, Paris,


Renouard. 1885, Société de l’Histoire de France, tome second, Philippide de Guillaume le
Breton. L’examen de la traduction permet d’identifier le manuscrit modèle effectivement
utilisé par l’Anonyme, comme l’a établi P. Botineau, conforté par l’enquête complémentaire :  

il s’agit de la version de la Philippide qu’offre le manuscrit désigné par le sigle L par Henri-
François Delaborde dans son édition, soit le manuscrit British Museum Additional 21212 : les  

gloses marginales de tous ordres, et aussi des leçons spécifiques fautives ou non, qui
peuvent être en partie attribuées à l’auteur, relevées dans un examen attentif de ce manu-
scrit, se retrouvent dans la traduction (Buridant 1978, tome 1, VIII–XI) ;  

– mais l’on est alors privé du recours aux Grandes Chroniques de France : comme l’a montré
        

Gillette Labory, « Primat n’a pas traduit le texte en vers de la Philippide, mais les Gesta

Philippi, soit la chronique en prose telle qu’elle est conservée dans le manuscrit BnF lat. 5925,
qui se compose du texte de Rigord avec une première continuation jusqu’en 1215 par
Guillaume le Breton (§§ 150 à 205 de l’édition Delaborde, tome I), puis une seconde jusqu’à la

mort du roi par un moine resté anonyme » (Labory 1990, 308, note 26, qui renvoie pour ce
   

texte aux Grandes Chroniques, VI, 89–374).

L’édition synoptique du dernier élément de la Chronique des rois de France permet


donc de contrôler le texte-cible en comparant les deux versions à l’original, et de
corroborer les observations faites sur certaines leçons douteuses des Origines : comme  

je l’ai observé ailleurs, le manuscrit B, tardif, renouvelle le vocabulaire et la syntaxe


du XIIIe siècle, et comporte, ce faisant, des leçons aberrantes nécessitant des commen-

taires explicatifs.
Édition et traduction 355

4.2 L’établissement du texte des Origines : des confusions  

graphiques aux leçons « archéologiques »


   

– Amphibologie : confusions de jambages :


          

. s/v : en aller parmy le voir / ms. noir (II, XI, 21)


. n/u : tenir a fonts / ms. foul (II, XIV, 1) : sed ille eo quod illum de sancto fonte
   

levaret (Aimoin, II, XIV, 105)


– Distinction c/t : actensé pour accenser.
        

– Autres cas :
        

. chaux : les Lombars laissierent la terre ou ilz demoroient et s’en vindrent en chaux

overt, c’est une terre qui est ainsi appellee et en langaige barbarin an Felth (II, XII,
14). Aimoin, II, XIII, 105 : campos patentes / GC, I, 136 : en uns chans granz et
   

larges, qui en langue barbarine sont apelé Fleth.


. corps : les descordables corps des elemans (II, XIX, 7). Aimoin, II, XVIII, 113 :
   

discordes elementorum cursus / GC, I, 149 : les descordable cours des elemenz. Mais

cors pour corps dans avoir le dyable ou cors, I, XVI, 20.


– Erreur dans le texte latin d’Aimoin déformant sa source :
        

. Erreur sur un passage du Frédégaire passant dans la traduction : brachile Gogone


in collum tenens → brachium ejus collo superponens suo (Aimoin, III, IV, 150) → lui
gecta le bras au coul (III, I, 17) / GC, même erreur, 202, note 1 : brachile vêtement
   

honorifique jeté sur les épaules, recouvrant la poitrine et attaché sur le bras droit.
. Erreur sur un passage d’un diplôme mérovingien passant dans la traduction :  

arcis, forme altérée de areis pl. de area dans cum arcis et casis infra Parrhisius
civitatem de l’acte de donation de Childebert à l’abbaye Saint-Vincent reproduit
par Aimoin (ed. K. Pertz, Diplomata regum Francorum ex stirpe Merovingica…
I. Monumenta Germaniae Historica, 1872, n° 5, p. 7). Area désigne l’emplacement
   

urbain occupé par un bâtiment ou destiné à y bâtir (Niermeyer, Mediae Latinitatis


Lexicon minus, s.v. area avec cet exemple).
. Erreur sur un passage du Liber Historiae Francorum passant dans la traduc-
tion : nom commun pris pour un nom propre : in silva confugit in aureliano
   

fecitque combros (Liber Francorum) → confugium in Aureliensis pago, in loco qui


comboros dicitur (I, XVIII, 12) → Et Clotaires… s’estoit tiré en Orlenoys, en une ville
qui a nom Combres (II, XII, 13) / GC I, 150, note 1. Dans ces deux exemples, on

touche à l’onomastique, haut lieu de fragilité dans la transmission manuscrite,


comme je l’ai montré ailleurs en proposant une grille d’analyse des noms propres
héréditaires du latin ou latinisés à partir du germanique (Buridant 2010). Cf. aussi
infra.
– Incompréhension du texte latin entraînant des leçons aberrantes :
        

ains se deust seoir sur une selle avec les femmes et devoidier les fusees (III, XI, 16).
Ms. sur une selle, leçon déformée : selle pour gynécée. Aimoin, III, X, 162. : debere
   

eum in gynaeceo feminarum pensam dividere lanarum, non consulatum tenere


Romanum / GC, I, 217 : il deust desvuidier une fusee de laine en compagnie de

356 Claude Buridant

fames. Primat a repris une partie du texte de l’Anonyme, mais a laissé tomber le
début, qu’il n’a pas dû comprendre.
. Erreur sur un nom propre pris pour un nom commun : Totila a parte Hostiensi

irripuit (Aimoin) → Les Rommains ne peurent deffendre leur ville, que Totila le roy
rompit les murs d’une part et entra dedans a tout son ost et la print (II, XXXVII, 2) /
GC, I, 182 : Thotiles a se gent… rompi les murs par devers Hoiste (i.e. Ostie).

– Mélectures du texte français qui peuvent être des leçons déformées : erreurs
        

internes :  


       rien / Ariens : En ce temps mesmes avint une grant guerre entre Clovis et Alaigne, le

roy des Gotiens, et on sceut bien que Clovis commença ceste guerre pour ce qu’ilz
estoient Ariens, si comme estoient les Bourgoignons. (I, XXVI, 1) Ms. ci comme il
n’estoient rien. Aimoin I, XX, 62 : quia Ghoti Adriane heresos secuti Burdungiones

erant.

       confés : [Clovis] et departyt et donna au peuple illec ses grans dons, et des ce jour

en avant fut appelé confés et augustus (I, XXVIII, 26) : leçon sans doute altérée

répondant à consul. Aimoin, I, XXII, 67 : consul simul et augustus meruit nuncupari.


GC, I, 84 : conseillerres et augustes.



       bransle : Le roy Clovis faisoit merveilles de soy et aloyt parmi les batailles, en sa

main le bransle perilleux (I, XXVIII, 26), pour branc. Sans doute sous l’influence de
bransler dans la phrase précédente : Noz Françoys les requeroient par grant vigor,

que moult en occioient et tres asprement les menoient que tous leurs hernois firent
bransler (I, XXVIII, 25).

       manda ses jours : et quant il ot oÿes les lectres, sachez qu’il [i.e. Childebert] fut

moult iré ; et bien le monstra, car tout maintenant il manda ses jours (II, VII, 12).

Leçon altérée pour manda ses gens. Aimoin, II, VIII, 90 : compositis ordinibus

castra movit. L’expression est confirmée par d’autres exemples dans le texte :  

Mander ses gens/genz – mander ses osts : si manda ses granz osts pour ce roy

assaillir de guerre (II, V, 20) – si manda tout maintenant ses genz de toute
Bourgoigne efforciement (II, IV, 15). Aimoin, II, IV, 79 : instruit et ipse copiosam

suorum manum GC, I, 98, il assembla son ost – il manda ses gens moult efforcee-
ment et vint contre eulx o grant planté de Bourgoignons (II, XVI, 18) – Et quant
Mommolus sot qu’ilz venoient, il manda ses genz moult efforceement (III, XVI, 18).
Aimoin, III, XVII, 174 : Mommolus cum valida Burgundium manu occurrit / GC, I,

235 : Mommoles lor ala au devant a grant ost et fort.



       se moustrerent / semoustrent : [Childebert]… eut talent d’entrer en cele terre pour

les [i.e. les tresors] conquerir et soubzmectre a sa seignourie, si requist et pria


Clotaire son frere […] qu’il luy aidast a mener ceste antreprise a fin. Et si fist il moult
volentiers et moult hardiement, et se moustrerent tousjours en leur pouoir et s’en
entrerent en cele terre. (II, XXI, 1–3). Aimoin, II, XIX, 115 : viribus conjunctis / GC, I,

152 : ensemble murent. Contextes identiques : Mais tant dit elle [l’estoire] que moult
   

efforciement se moustrent et le roy Clovis et les Alemans de tout leur pouoir (I, XXIII,
5) / GC, I, 165 : En ce point que li rois demouroit encor en l’error d’ydolatrie, avint

Édition et traduction 357

que il semont ses oz pour aller seur les Alemanz que il voloit faire tributaires. Li rois
d’Alemaigne semonst d’autre part quanque il pot de genz, si que li dui roiaume
furent esmeu li uns contre l’autre o tout lor efforcement. L’ensemble des exemples
relevés s’inscrivent tous dans le motif stéréotypé, au sens de Rychner (1955, 127–
139) de la convocation et de la levée de l’ost et des vassaux, dans le champ lexical
de la guerre, dont j’ai étudié par ailleurs la palette (Buridant 1978, II, Livre III).30
Dans ce contexte, la traduction du ms. B emploie deux verbes concurrentiels :  

semondre et mander. Semondre se présente sous la forme forte du parfait sigma-


tique semoustrent, attestée, entre autres, sous la graphie semostrent, dans le ms.
O de La Conqueste de Constantinople de Villehardouin, enregistrée dans l’Index
du CRAL au sens de « sommer » : Et cele partie qui a Corfol avoit eüe la discordee
     

semostrent les autres de lor sairemenz (ed. Faral, § 197). L’emploi de ce verbe sous

cette forme dans le ms. B est erratique : se moustrerent avec disjonction semble en

faire une forme de moustrer, ce qui donnerait le sens possible, mais douteux, de
« paraître toujours en leur puissance » (!). Le second exemple n’est guère plus
   

satisfaisant, se moustrent à nouveau, dans le même contexte, aurait le même sens.


Le verbe semble n’être plus compris, au regard de la bonne leçon, parfaitement
claire des Grandes Chroniques. Il en reste ses satellites pouoir et efforciement, qui
sont réinterprétés. Il est intéressant de noter que, dans l’article efforciement,
adv., le DMF enregistre, dans ses deux emplois, le sens de « en état de force, de

puissance (avec de grandes forces militaires) », avec, entre autres, cet exemple de

Froissart : … li rois d’Escoce (…) desfia le roi Edouwart et cevauça tantos esforcie-

ment sur lui et reconquist toute Escoce (Chroniques, ed. Diller, p. 1400, 43). L’on a

donc sans doute dans ces deux exemples, une leçon déformée d’un verbe qui ne
semble plus compris sous la forme du pf. 6 semoustrent, dans le syntagme mander
ses osts / ses gens, au regard de mander.
• sans point de honte il prenoit tout a force sans rien paier chés les gens (II,
      

XXVII, 14). Aimoin, II, XXVI, 128 : strepitum ventris in publico sine ulla verecundia

emittebat. GC, I, 168 : il metoit hors le crois de son ventre devant la gent fronteuse-

ment et sanz nule vergoigne, crois répondant à strepitus désignant ici le pet (TL, II,
1075 s.v. crois (croissir) !  

4.3 L’établissement du texte de la Philippide : la confrontation des 

versions A et B sous le contrôle du texte-source

Le texte du manuscrit tardif B se caractérise par un renouvellement de la syntaxe


tendant à aligner l’ordre des mots sur le modèle SVO, en particulier dans les

30 Le champ lexical de la guerre dans l’Histoire de France en français. Essai d’évaluation comparée des
ressources du vocabulaire dans l’original et dans la traduction, 374–457.
358 Claude Buridant

relatives, haut lieu de résistance de l’ordre ancien SOV (Buridant 1987). Mais aussi
par un renouvellement du vocabulaire enregistré dans un relevé systématique établi
en 1985, engrangeant 645 vocables ayant subi une modification, dont des remplace-
ments, comme ferir, remplacé majoritairement par frapper (cf. Hupka 1979), des
évictions, des suppressions (Buridant 1985, 40 sq.). Mais ce renouvellement n’est
pas sans entraîner des leçons aberrantes que révèle le double contrôle du manuscrit
B et de l’original latin, dont je reprends ici les plus marquantes (Buridant 1985 ;  

1989, 258) :

– regne (A) → royaume (B) : dans la traduction de la Philippide, royaume (B) est

systématiquement substitué à regne (A), vieillissant en ce sens ; mais dans un cas,


reignes (A) au pluriel est une forme pour les « renes » du cheval, et la leçon de B,
   

possible hors contrôle, devient absurde :


… citus laxis sua praecedabat habenis


Agmina, dum nimio festinat adire Meduntam
Affectu. (III, v. 383–385)
A Li rois, hastis, reignes habandonnees, venoit a Meiante avant ses compeignes (III,
50) → B et pour ce le roi hastivement abandonna son royaume et vint a Mante avant ces
gens… (fol. 342b).

– assouper (A) → couper (B) : assouper (A), forme de açoper (TL I, 104–105, açoper /

DMF achoper « trébucher, rencontrer un obstacle »), dans une supplique du traduc-
   

teur adressée à Dieu pour lui donner la force de mener à bien son œuvre a été mal
compris pour donner une leçon déformée peu claire :  

… adsit tua gratia presens,


Ut mihi subveniat, ut me per confraga silve
Ducat inoffenso pede… (I, v. 43–45)
A Toi depri ge que tu me doignes ta grace qui me secorre et me condue par l’apoisse
et par l’aspreté de ceste parfonde serve, c’est la prafondee de ceste estoire, sans
assouper ((I, 17) → B je te pri que tu me donnez grace, que je puisse conduire la
parfondeur de ceste pressee matiere sans la fin couper chosez qui n’oscurcisse ma
pensee (fol. 328a)

– souduianz (A) → soubdainement (B) : soduianz en A (I, 44), pour deceptivus (aper)

du latin (I, v. 236), est altéré en soudainement en B (329b) :  

Protinus ex ejus oculis evanuit ille


Deceptivus aper, aprum si dicere fas est… (I, 235–236)
Cil sanglers soduianz s’esvenoït devant ces iauz et comme fumee ou si comme
ombre… (I, 44)
Et avint que celui sanglier soubdainement s’esvanoÿt de devant ses yeulx aussitost
come fumee ou come ombre… (329b)
Édition et traduction 359

Des cas semblables sont relevés par Pierre Nobel dans le manuscrit A de la Bible
d’Acre, Arsenal 5211 : « Un certain nombre de termes n’ont pas été identifiés par A, soit
   

parce qu’ils sont rares, soit vieillis : artefieres ‘artisan’ est un mot surtout attesté au

XIIe siècle qu’A modifie en artefices, livrant ainsi une expression dépourvue de sens…
On signalera aussi : aerdra > venra (p. 7, 26, voir la note) ; voisouze > enviose », etc.
       

(Bible d’Acre, ed. Pierre Nobel, XXVII–XXVIII).


Sont ainsi illustrés, dans la première partie de la Chronique, intitulée Origines
dans l’édition, un étagement d’erreurs allant de la confusion graphique à la source
originelle, et dans la dernière partie, la traduction de la Philippide, les altérations de
la traduction dans le manuscrit tardif qui les véhicule. Dans l’un et dans l’autre cas, il
existe des leçons acceptables, qui sont autant d’« erreurs invisibles », pour reprendre
   

la dénomination proposée ci-dessus, que décèle la référence au texte-source ou à sa


première version.

5 Conclusion
À l’issue de ce parcours, nous voudrions mettre en relief trois éléments :  

5.1

L’on peut tenter de dresser un tableau récapitulatif des combinaisons possibles entre
texte-source et texte-cible.

Texte-source original texte-cible situation manuscrite


0 manuscrit correspondant un seul manuscrit
plusieurs manuscrits
un seul manuscrit un seul manuscrit
plusieurs manuscrits
plusieurs manuscrits un seul manuscrit
plusieurs manuscrits

Ce tableau n’est cependant qu’un cadre réducteur. Dans le premier cas, pour le texte-
source, une édition (critique) doit servir de modèle, qu’elle soit établie ou à (re)
construire pour servir de pierre de touche à la traduction. Dans tous les autres cas, la
stratégie ecdotique se heurte à un impératif : celui de situer le ou les manuscrits du

texte-source et du texte-cible dans la transmission manuscrite et d’établir leurs


rapports (originel – archétype – autographe – apographe – copies contemporaines,
étalées dans le temps – véritables versions différentes), ce que font les meilleures
éditions. Une échelle de possibilités peut être établie entre le cas d’identification de
l’exemplaire de travail du traducteur – cas idéal exceptionnel – et les cas, beaucoup
360 Claude Buridant

plus fréquents, révélant des compilations de sources multiples par le traducteur,


l’engrangement de gloses originales ou des interpolations de son cru, témoignant
d’une pratique spécifique de la traduction médiévale. Le problème récurrent se pose
portant de savoir à quel étage se situent ces interventions, dans la source, chez le
traducteur lui-même ou dans les copies qui ont transmis la traduction.

5.2

Les erreurs du texte-cible offrent une piste intéressante pour son édition, pour peu
que l’on établisse une grille allant des erreurs graphiques aux erreurs « archéologi-

ques », dont nous avons aussi proposé une esquisse au XXVIIe Congrès International

de Linguistique et Philologie Romane (Buridant, à paraître). Trop d’éditions encore,


comme le signalent les comptes rendus critiques les plus exigeants, engrangent des
leçons erronées dues à des mélectures classiques de graphes amphibologiques de
l’écriture médiévale, sources de mots-fantômes31 que l’on peut rectifier le plus sou-
vent dans les traductions grâce au texte-source. Mais certaines remontent au texte-
source lui-même, et jusqu’à la source de la source, comme on l’a vu dans l’exemple
des Origines. Ici encore se pose la question de la situation des deux témoins en
présence dans la transmission manuscrite, que tout éditeur doit mettre au point, et
qui peuvent se trouver dans une chaîne de révisions présentant des mécompréhen-
sions et des altérations. L’aide à l’édition procurée par les outils numériques peut, en
l’occurrence, fournir des aides précieuses à tout éditeur de textes médiévaux, dont les
textes traduits, en permettant, entre autres d’identifier les leçons suspectes confron-
tées aux inventaires numérisés de la lexicographie.

5.3

Le glossaire, prolongement naturel et complément indispensable de l’édition, mérite


enfin, dans le cas des traductions, un traitement particulier, comme lieu, souvent,
d’innovations et de renouvellement lexical sous la pression de la langue source, qu’il
devrait engranger. Tout glossaire devrait à présent répondre aux principes d’une
glossairistique rigoureuse proposés par Jean-Pierre Chambon (2006) et par Frankwalt
Möhren (↗15 L’art du glossaire d’édition), et parmi les glossaires les plus récents de

traduction y répond en particulier celui de la traduction du Racional de divins offices


de Jean Golein par Guillaume Durand, établi par Charles Brucker et Pierre Demarolle,
où sont mentionnées les premières attestations avec les références aux grands ouvra-

31 L’on rencontre encore des fantômes dans des éditions récentes. Tout éditeur de texte devrait
consulter la Base des mots fantômes, gérée par Nadine Steinfeld, sur le site de l’ATILF de Nancy.
Édition et traduction 361

ges lexicographiques contemporains et « permettant opportunément de mettre en


relief l’apport spécifique du vocabulaire de Golein au lexique du moyen français »  

(Racional, ed. Brucker/Demarolle 2010 ; compte rendu par Buridant 2013, 824s.).

6 Bibliographie
6.1 Instruments bibliographiques
Éditions en ligne de l’École nationale des Chartes sur le site « http://elec.enc.sorbonne, n° 17, Miroir

des classiques, par Frédéric Duval et Françoise Vielliard.


Transmédie = Translations médiévales. Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge
(XIe – XVe siècles), Galderisi, Claudio (ed.) (2011), avec la collaboration de Vladimir Agrigoroaei,
Transmédie. II, Répertoire, Tomes 1 et 2, Turnhout, Brepols. [Références données, quand il y a
lieu, au tome et au numéro de la notice du Répertoire]
Base Jonas, Répertoire des textes et manuscrits médiévaux d’oc et d’oïl, Institut de Recherche et
d’Histoire des Textes (CNRS), Section romane, responsables scientifiques et techniques, Anne-
Françoise Leurquin-Labie et Marie-Laure Savoye [en ligne].
ARLIMA (Archives de littérature du Moyen Âge), Université d’Ottawa [en ligne].
The Medieval Translator (TMT), collection des Actes de colloques consacrés à la traduction médiévale
publiés chez Brepols : 15 volumes publiés en 2013.

6.2 Traductions

Abélard, La vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame [Transmédie, II, Répertoire, 2, notice
431, 737].
Texte-source : Muckle (1950 ; 1953 ; 1955).
     

Nouvelle édition du texte latin d’après le manuscrit Troyes bibl. Mun. 802 : Hicks (1991).

Édition partielle : Monfrin (1959, 31967). Monfrin rend hommage à l’édition de son prédécesseur :
   

« Nous l’avons eue constamment sous la main en préparant ce travail, et bien que nous ne

puissions pas toujours la suivre, elle nous a rendu d’excellents services » (52).  

Traduction de Jean de Meun : Begiatto (1977). Compte rendu très négatif : Hicks (1982). Brook (1968).
   

Albucasis, Trotter (2005).


Bible, Michel (2004) ; Nobel (1996 ; 2006) ; Riera i Sans/Casanellas/Puig i Tàrrech (2004) ; Smeets
       

(1978) ; Szirmai (1985).


Boèce [Transmédie, II, 1, notice 181, 3, 380 ; II, 1, notice 181, 5, 381 ; II, 1, notice 181, 8, 382s. ; II, 1,
     

notice 181, 10a, 384 ; II, 1, notice 181, 10b, 384].


Atkinson (1996) ; Traduction littérale et fiable révélant des éléments comtois, mais colorée par une

forte tradition manuscrite lorraine. Le traducteur est le premier à avoir choisi d’imiter, dans
la forme même de la traduction, l’alternance de proses et de mètres de l’original. Renaut de
Louhans, auteur comtois, l’a consultée dans sa version versifiée, de même que le traducteur
du Livre de Boece de Consolacion ; compte rendu par G. Roques dans Revue de Linguistique

Romane 61 (1997), 289s. Bieler (1984) ; Bolton-Hall (1996–1997) ; Cropp (2006) ; Duval/Vielliard
     

(s.d.).
Dialogus creaturarum [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 206–207, 418–419].
Blanke/Esser (2008) ; Gee/Katzmann (1988) ; Ruelle (1985).
   
362 Claude Buridant

Donat, Ars minor [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 61, 180–183].


Colombo Timelli (1996) ; Holtz (1981).

L’Espurgatoire Seint Patriz [Transmédie, II, Répertoire, II, 1, notice 298, 542s.].
de Pontfarcy (1995).
Folie Tristan, Lecoy (1994).
Gervais de Tilbury, Otia imperialia [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 239, 466].
Banks/Binns (2002) ; Caldwell (1962) ; Pignatelli/Gerner (2006) ; Leibniz (1707–1710).
     

Grégoire le Pape, Dialogues [Transmédie, II, Répertoire, I, notice 264, 501].


Foerster (1876) ; de Voguë (1978–1980).

Jacques de Vitry [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 326, 592].


Buridant (1986) ; Grossel (2005).

Jean Golein [Transmédie, II, Répertoire,1, notice 290, 533].


Brucker/Demarolle (2010).
Jean le Long, Dörper (1998).
Jean de Vignay, Li livres Flave Vegece [Transmédie, II, Répertoire 2, notice 96, 258].
Lang (1885) ; Löfstedt (1982) ; Önnerfors (1995) ; Reeve (2000a).
     

Lucidaire, Kleinhans (1993).


Mirour de Seinte Eglyse, Wilshere (1982).
Odoric de Pordenone [Absent du Répertoire de Transmédie, II].
Andreose/Ménard (2012) ; Cordier (1891) ; Trotter (1990) ; Strasmann (1968).
     

Ovide, Ars Amatoria [Transmédie, II, Répertoire, 1, notice 72, 205].


Kenney (1961 ; 1962) ; Roy (1974).
   

Philippide de Guillaume le Breton, Buridant (1978a).


Policratique [Transmédie, II, Répertoire, 1, 341, 620–621].
Brucker (2006).
Les Proverbez Alain [Transmédie, II, Répertoire, 1, 119, 300].
Hunt (2007).
Pseudo-Turpin, Walpole (1976).
Roman de Mahomet [Transmédie, II, Répertoire, 1, 235, 457].
Huygens (1977).
Le Roman de Troyle [Transmédie, II, Répertoire, 2, 979, 1163–1164].
Bianciotto (1994).
Romuleon [Transmédie, II, Répertoire, 1, 150, 341].
Duval (2000).
La vie monseigneur saint Nicholas, Thompson (1999).
La Vie seint Richard [Transmédie, II, Répertoire, 2, notice 877, 1086].
Russell (1995).
Vie de sainte Catherine [Absent du Répertoire de Transmédie]
Hesketh (2000).
Vie de saint Marine [Transmédie, II, Répertoire, 2, notice 642, p. 945].

Ferrari (2000).

6.3 Éditions et études

Andreose, Alvise/Ménard, Philippe (2012), Jean le Long, Le Voyage en Asie d’Odoric de Pordenone,
traduit par Jean le Long, OSB, Itineraire de la Peregrinacion et du voyaige (1351), Genève, Droz.
Édition et traduction 363

Atkinson, J. Keith (1996), Boeces : De Consolacion, édition critique d’après le manuscrit Paris BnF,

fr. 1096, Tübingen, Niemeyer.


Avenoza, Gemma (2009), Compte rendu de Riera i Sans, et al. (2004), Bíblia del segle XIV, Revue de

Linguistique Romane 73, 581–587.


Banks, S.E./Binns, J.W. (2002), Gervase of Tilbury, Otia imperialia (Recreation for an Empereor),
Oxford, Clarendon Press.
Begiatto, Fabrizio (1977), Le lettere di Abelardo ed Eloisa nelle traduzione di Jean de Meun, Modena,
STEM-Mucchi.
Benton, John F. (1975), Fraud, fiction and Borrowing in the Correspondence of Abelard and Heloise, in :  

R. Louis/J. Jolivet/J. Châtillon (edd.), Pierre Abélard – Pierre le Vénérable : les courants philoso-

phiques, littéraires et artistiques en Occident au milieu du XIIe siècle, Colloque international du


CNRS, Abbaye de Cluny, 2–9 juillet 1972, Paris, CNRS, 469–509.
Bianciotto, Gabriel (1994), Le Roman de Troyle, Rouen, Publications de l’Université de Rouen ; compte  

rendu par T. Matsumura, Revue de Linguistique Romane 60 (1996), 306–310.


Bieler, Ludovicus (1984), Anicii Manlii Boethii philosophiae consolatio, Turnhout, Brepols.
Blanke, Hans-Jürgen/Esser, Birgit (2008), Dialogus creaturorum moralisatus. Lateinisch-deutsche
Ausgabe, Würzburg, Königshausen & Neumann.
Blum-Kulka, S. (1986), Shifts in cohesion and coherence in translation, in : John House/S. Blum-Kulka

(edd.), Interlingual and Intercultural Communication, Tübingen, Narr, 17–35.


Bolton-Hall, Margaret (1996–1997), Del Confortement de Philosofie. A Critical Edition of the Medieval
French Prose Translation and Commentary of Boetius Contained in MS 2642 of the National
Library of Vienna, Carmina Philosophiae : Journal of the International Boethius Society 5–6,

V–XIII, 1–228.
Bourgain, Pascale/Vielliard, Françoise (2002), Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Fascicule
III, Textes littéraires, Paris, École nationale des chartes.
Brook, Leslie C., (1968) The letters of Abelard and Heloise. Critical edition, with introduction, Notes
and Glossary, PhD Dissertation, University of Bristol [Epîtres II à VII] [Référence A 528 dans the
Arts and Social Sciences Library de l’Université de Bristol].
Brucker, Charles (2006), Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury (1372), Édition
critique et commentée des textes français et latin avec traduction moderne, Genève,
Droz.
Brucker, Charles/Demarolle, Pierre (2010), Le « Racional des divins offices de Guillaume Durand, Livre

IV : La messe – Les « Prologues » et le « Traité du sacre ». Liturgie, spiritualité et royauté, édition


         

critique et commentée, Genève, Droz. Compte rendu par C. Buridant dans Zeitschrift für romani-
sche Philologie 129, 822–830.
Buridant, Claude (1978a), La traduction de la Philippide de Guillaume le Breton du manuscrit Vatican
Regina 624, thèse dactylographiée, Lille, Université de Lille.
Buridant, Claude (1978b), Les problèmes de traduction du latin en français au XIIIe siècle à partir de
l’Histoire de France en français de Charlemagne à Philippe-Auguste, 3 tomes, thèse dactylogra-
phiée, Lille, Université de Lille III.
Buridant, Claude (1983), « Translatio medievalis ». Théorie et pratique de la traduction médiévale,
   

Travaux de Linguistique et de Littérature 21, I, 81–136.


Buridant, Claude (1984), La littérature militante au XVIe siècle et sa diffusion. Contribution à l’histoire
de la traduction, Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Alice Planche, Annales
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14 Les éditions de textes du XVIIe siècle
Abstract : Cette contribution vise à donner un panorama des choix méthodologiques
   

qui président aux pratiques éditoriales des dix-septiémistes, en tentant d’en saisir
chaque fois les motivations. On a particulièrement veillé à la dimension linguistique
des éditions, autrement dit à la nature et à la pertinence des données qu’elles livrent
aux lecteurs linguistes. Ces considérations devraient mettre en garde les linguistes
contre une utilisation par trop naïve des éditions disponibles et inciter les éditeurs à
confectionner des éditions pluridisciplinaires, utilisables à la fois par des chercheurs
en littérature et en linguistique. Comme tous les éditeurs, les dix-septiémistes sont
confrontés à des données à traiter d’après un projet d’édition. Sont d’abord examinées
les données fournies par la tradition textuelle, en particulier la varia lectio, avant
d’aborder leur traitement dans l’équilibre recherché entre le document qui livre le
texte et les attentes présumées du lecteur-modèle à qui s’adresse l’édition.

Keywords : varia lectio, coquille, modernisation, orientation, ponctuation


   

1 Introduction
Les pratiques éditoriales mises en œuvre pour les textes français du XVIIe siècle sont
rarement examinées ou discutées. Gilles Roques en fait ainsi peu de cas dans son
bilan de l’activité éditoriale depuis 1945, réservant l’essentiel de son propos à l’édition
des textes médiévaux. Pourtant son constat est sévère pour la période moderne : « Les
   

éditions de textes médiévaux se portent bien. On ne peut pas dire la même chose des
éditions de textes des périodes postérieures qui restent en retard à bien des points de
vue. Il est vrai que ces dernières ont aussi un intérêt méthodologique bien moindre »  

(Roques 2000, 867).


On pourra seulement se demander si passer sous silence l’activité éditoriale des
modernistes ne renforce pas le peu d’intérêt que ces derniers portent à la réflexion
ecdotique et si l’on ne contribue pas ainsi à accroître le retard présumé de leurs
éditions. Afin d’éviter ce travers, on insistera ici sur les choix méthodologiques qui
président aux pratiques éditoriales des dix-septiémistes, en tentant d’en saisir chaque
fois les motivations. On a particulièrement veillé à la dimension linguistique des
éditions, autrement dit à la nature et à la pertinence des données qu’elles livrent aux
lecteurs linguistes. Espérons que ces considérations mettront en garde les linguistes
contre une utilisation par trop naïve et confiante des éditions disponibles et qu’elles
inciteront les éditeurs à confectionner des éditions pluridisciplinaires, utilisables à la
fois par des chercheurs en littérature et en linguistique.
Il pourrait sembler regrettable que cette incursion dans le domaine moderne (ou
pré-moderne) n’envisage pas le XVIe siècle. Les pratiques éditoriales se sont, en effet,
370 Frédéric Duval

constituées et diffusées par tuilage : celles des dix-septiémistes sont en partie inspi-

rées de celles des seiziémistes, eux-mêmes influencés par les médiévistes. Toutefois,
en se concentrant sur les éditions du XVIIe siècle, il est possible de s’émanciper de
pratiques héritées et d’aborder de front les questions ecdotiques d’un point de vue
plus théorique et systématique.
Les textes du XVIIe siècle français sont surtout édités par des chercheurs français.
Pour comprendre les pratiques éditoriales, il convient donc de revenir brièvement sur
la place de l’ecdotique dans le contexte académique français. Les éditeurs français
sont rétifs à la théorisation de l’ecdotique. La faute en reviendrait à Joseph Bédier, qui
abandonna l’idée de reconstituer un original au profit de l’édition du meilleur témoin
conservé (Corbellari 1997, 505–559 ; Ménard 2003). Cette solution, ensuite adoptée par

l’« école française », devait mettre un terme à des débats traitant de l’établissement du
   

texte. Depuis, l’hégémonie bédiériste s’est maintenue, aménagée à la marge de façon


pragmatique. Illustrée par des médiévistes comme Félix Lecoy, qui revendiquait
qu’on parlât de « pratique », non de méthode et encore moins de théorie (Lecoy 1978),
   

l’ecdotique n’a jamais atteint en France le statut de discipline autonome. Surtout,


quand elle est enseignée, elle l’est de façon fragmentée, conformément à la périodisa-
tion séculaire de la littérature nationale et à la scission entre lettres classiques et
lettres modernes. Cette fragmentation empêche une appréhension des problèmes
fondamentaux de la critique textuelle, qui touchent autant les textes antiques que les
textes modernes, quelles que soient leurs langues.
Alors que les étudiants médiévistes disposent de plusieurs ouvrages destinés à les
guider très pragmatiquement dans les voies de l’édition de textes, les modernistes
français ne disposent d’aucun manuel de ce type – exception faite de l’Introduction à
la textologie de Roger Laufer (Laufer 1972), plus théorique que pratique – non plus que
d’un ouvrage de référence couvrant l’ensemble du spectre de la philologie française
(médiévale, moderne et contemporaine). Ces lacunes reflètent une réflexion méthodo-
logique en berne liée à une atomisation des pratiques.1 Chaque communauté scienti-
fique apporte ainsi des réponses différentes aux mêmes problèmes, sans tenter
d’ouvrir le débat à ses voisins : les seiziémistes ont fait un effort d’uniformisation de

leurs normes (Giraud 1997) que les dix-septiémistes n’ont pas cherché à suivre. Quant
aux dix-huitiémistes, ils sont davantage sensibles à la tradition anglo-saxonne de la
Textual Bibliography, grâce aux éditions aussi monumentales qu’exemplaires de
Voltaire et de Bayle conduites par la Voltaire Foundation, mais aussi grâce aux
travaux de Roger Laufer.
Comme tous les éditeurs, les dix-septiémistes sont confrontés à des données à
traiter d’après un projet d’édition. Nous examinerons les données fournies par la

1 La situation ne semble pas avoir beaucoup changé depuis l’enquête menée par Jean Varloot sur les
pratiques éditoriales des modernistes à la fin des années 1970. Même si les éditeurs sondés étaient
principalement des dix-huitiémistes, on relira avec profit Varloot (1982).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 371

tradition textuelle, en particulier la varia lectio, avant d’aborder leur traitement dans
l’équilibre recherché entre le document qui livre le texte et les attentes présumées du
lecteur-modèle à qui s’adresse l’édition.

2 Tradition textuelle et varia lectio


2.1 Bref retour sur la tradition textuelle

Dans le cas le plus commun, les modernistes disposent d’éditions du vivant de


l’auteur, que l’on doit considérer comme des approximations du texte voulu par
l’auteur. Contrairement à une idée préconçue, la reproduction manuelle (manuscrite)
ou « industrielle » (imprimée) d’un texte ne conduit pas à une différence essentielle
   

entre le livre manuscrit et le livre imprimé : l’imprimé comme le manuscrit médiéval


sont des copies, copies d’un exemplaire souvent perdu. La copie s’oppose à l’original,
un concept-clé de la critique textuelle. Contrairement à l’archétype, qui est un arte-
fact, l’original est un objet concret, ce qui ne l’empêche pas de prendre des formes
variées et des places diverses dans la tradition textuelle. En effet, l’original se définit
par rapport aux instances du texte, le plus souvent par rapport à l’auteur : si l’on s’en  

tient à l’auteur, l’original sera le texte de l’auteur, le texte que l’auteur pourrait
reconnaître comme sien (ce qui est assurément différent du texte voulu par l’auteur,
car l’original peut être fautif). Peuvent donc être considérés comme originaux le
manuscrit d’auteur (ou sa copie) confié à l’imprimeur, mais aussi l’édition dite
originale, voire une édition revue par l’auteur. Si une édition a été scrupuleusement
relue par l’auteur, elle peut être considérée comme un original et la copie remise à
l’imprimeur comme un pré-original, pour reprendre la terminologie de la critique
génétique. Sinon, l’original est considéré comme perdu.
On comprend alors combien il importe de savoir si l’auteur a pris ou non le soin,
et si oui dans quelle mesure, de relire les épreuves. Rotrou et Camus, par exemple, ne
semblent jamais s’être beaucoup préoccupés de la qualité d’impression de leurs
œuvres :  

« Cet état de fait, auquel s’ajoute l’absence de tout manuscrit, entraîne de sérieuses difficultés

lorsque il s’agit de distinguer entre les ‹ bizarreries › ou incorrections de l’orthographe provenant


   

de la main de Rotrou, que la présente édition souhaiterait préserver, et les erreurs imputables au
typographe qu’il convient de corriger. […] Dans bien des cas, l’incertitude demeure » (Vuillemin

1999, lxxvi).

La part respective des compositeurs et de l’auteur dans les données textuelles dis-
ponibles est au cœur des décisions éditoriales. Plus un élément est imputable à
l’auteur, plus il a tendance à être conservé dans l’édition critique. Malheureusement,
même au prix d’enquêtes matérielles longues, il est souvent impossible de faire la part
de l’auteur et du processus de fabrication du livre. D’ordinaire les éditions dix-
372 Frédéric Duval

septiémistes hésitent entre une orientation vers l’auteur et une orientation vers
l’original, sans toujours prendre la mesure de ce qui sépare ces deux orientations,
puisque l’auteur a pu laisser publier un texte où se trouvaient des fautes qu’il
réprouvait mais qui lui avaient échappé.
Déterminer ce qu’est l’original ou à défaut ce qui s’en rapproche le plus n’est
souvent qu’une première étape, étant donné que l’éditeur est bien souvent confronté
à des originaux multiples. Pour qu’une nouvelle édition constitue un original, il
convient que l’intervention de l’auteur soit acquise, ce qu’il est souvent difficile de
prouver. C’est pourquoi les éditeurs choisissent tantôt la première édition, tantôt la
dernière édition autorisée de la vie de l’auteur.
Les caractéristiques de la tradition textuelle influent naturellement sur l’édition.
On constate une altération moindre de l’original au cours du processus de reproduc-
tion que lors des périodes précédentes. Ce fait tient à une évolution technique autant
que culturelle : la production en une seule opération d’un nombre important d’exem-

plaires évite la multiplication mécanique de fautes produites en chaîne comme au


temps de la reproduction manuscrite. Au plan culturel, l’évolution du statut de
l’écrivain entraîne une fixation du texte (Viala 1985).
D’autre part, le dix-septiémiste dispose souvent de toutes les éditions d’un texte.
Rares sont les copies intermédiaires perdues : tous les points du stemma sont conser-

vés. Les stemmata bifides ou trifides tendent également à se linéariser. Dans ces
conditions, le stemma ne sert pas à la reconstruction du texte, mais à en suivre la
diffusion, à en repérer les étapes décisives, voire à justifier la décision de donner la
transcription d’un état textuel plutôt que d’un autre (cf. par ex. Denis 2011, 97–100).
La variation est donc d’une utilité faible, voire nulle pour l’établissement de textes du
XVIIe siècle.
Si la variation est limitée, elle se produit à deux niveaux, entre éditions et à
l’intérieur de chaque édition (états, émissions). À ce dernier niveau, la variation est
difficile à appréhender, tant la collation serrée de tous les exemplaires conservés est
souvent inenvisageable. La comparaison suivie d’exemplaires d’une même édition
demeure assez rare (par ex. Lambin 2010, 90). Malgré des progrès, la bibliographie
matérielle reste une faiblesse des éditions de textes littéraires du XVIIe siècle.2 Alors
qu’il y une vingtaine d’années, seule l’édition utilisée était mentionnée, les éditeurs
ont pris l’habitude d’identifier l’exemplaire ayant servi de base à l’édition critique.
De facto pour les dix-septiémistes, le texte s’assimile à une donnée disponible. Il
« suffit » d’en sélectionner un état et de le reproduire.3 Cette immédiateté évacue la
   

2 Laufer (1982, 148) regrettait déjà l’absence de « regard archéologique » chez les historiens et
   

littéraires, focalisés sur le contenu, et prônait une « lecture matérielle, c’est-à-dire soucieuse de la lettre

comme porteuse de sens ». Cette démarche est à rapprocher de celle de Riffaud (2007).

3 La tradition française se pose d’autant moins la question de l’établissement du texte que, fidèle à
une tradition bédiériste, elle ne mêle pas différents états du texte comme le préconisait Greg (1966),
d’après qui l’éditeur doit suivre la première édition pour ce qui est accidentel (par ex. la graphie) et
Les éditions de textes du XVIIe siècle 373

question de la définition du texte, que ce soit de façon traditionnelle, dans la lignée


des philologues du XIXe siècle à la recherche d’un texte perdu, ou bien dans la lignée
plus récente de l’ontologie textuelle (Greetham 1999). Alors que pour les médiévistes,
les différentes options éditoriales se justifient par autant de conceptions du texte, les
matériaux du dix-septiémistes ne suscitent pas les mêmes interrogations : comme le  

texte est donné, son établissement est moins au centre du travail de l’éditeur que son
commentaire ou la simple volonté de le faire connaître et de le diffuser.
Ainsi, certaines éditions universitaires ne sont-elles pas critiques, mais se conten-
tent de transcrire une édition ancienne (par ex. Dalla Valle 1986 ; Nédelec 1998). Ce

type d’éditions, où l’éditeur scientifique se confond avec l’éditeur commercial, se fait


rare avec la numérisation croissante des éditions anciennes. Avant le développement
d’internet, il permettait de donner à lire un texte rare et indisponible.
Le peu d’intérêt pour l’établissement du texte proprement dit conduit à un certain
laxisme philologique. On est peu surpris de rencontrer une édition critique d’après
une mauvaise édition ancienne pour des raisons pratiques de microfilms (Bernazzoli
1998, 50) ou l’édition sans justification aucune d’un texte édité en 1631 d’après une
édition de 1731 (Plazenet 1998). Parfois les éditeurs s’abritent derrière les règles de la
collection. Ainsi, pour la Bibliothèque des Génies et des Fées, le principe est de
reproduire l’« édition princeps » en donnant un choix de variantes tiré du Cabinet des
   

Fées, mais rien n’est dit, dans le deuxième volume, de l’intérêt éventuel d’autres
éditions (Robert 2005, 14).
Les recueils posent des problèmes spécifiques, puisque l’édition peut légitime-
ment être orientée vers la réception du recueil. Ainsi, Éric Méchoulan a publié le
Recueil Faret d’après l’édition de 1627 et non d’après la versions revue et augmentée
de 1634, parce qu’à cette date la situation des lettres, de la politique et des auteurs a
changé (Méchoulan 2008). De même Pierre Zoberman a publié les panégyriques du roi
prononcés à l’Académie française d’après le recueil de 1698, parce qu’il « constitue  

comme un bilan en fin de siècle et rassemble des textes en quelque sorte authentifiés,
ratifiés par l’Académie » (Zoberman 1991, 87) et a pris soin de relever les variantes

avec les versions antérieures. La publication d’un recueil ne doit pas exonérer de cette
collation ; surtout, elle ne doit pas s’imposer comme une solution de facilité par

rapport à l’édition de pièces publiées séparément. Ainsi, l’édition des tragédies de


Jean-Galbert de Campistron d’après le recueil de 1715 est problématique, puisqu’il
n’est pas certain que l’auteur ait donné son aval à cette édition et que l’on possède des
tirages séparés de tragédies, comme Arminius, publié en 1684 avec une épître dédica-
toire absente de l’édition de 1715 (Grosperrin/Pascal 2002, xlii).

l’édition la plus authentique (qui peut être la dernière) pour la substance (sens). Denis (2011) reproduit
ainsi la première partie de l’Astrée, d’après l’édition de Paris, Toussaint du Bray, 1612, in-8° en ne
retenant des éditions antérieures (1607 et 1610) seulement les « variantes qui méritent commentaires »
   

et en passant sous silence les variantes d’auteur des éditions de 1618 et 1621.
374 Frédéric Duval

Mentionnons également le cas d’éditions originales excessivement fautives. En ce


cas, il peut être préférable de choisir une réédition plus soignée, même non revue par
l’auteur, afin d’éviter la multiplication des corrections et la confection d’un texte
hybride, corrigé à la fois par les rééditions et les conjectures de l’éditeur scientifique.
Confrontée à cette configuration, Hélène Visentin a publié La descente d’Orphée aux
enfers de François de Chapoton, non pas à partir de l’édition originale de 1640, mais à
partir de l’édition de 1648, qui donne le même texte que le précédent « à la seule  

différence près que l’orthographe, les fautes d’impression et la ponctuation ont été en
grande partie restituées » (Visentin 2004, 8).

2.2 Le traitement de la varia lectio

Les variantes peuvent se classer soit d’après la tradition textuelle, soit d’après l’objet
de la variation. La tradition textuelle présente des variantes internes (à une édition),
relevant d’états ou d’émissions (Riffaud 2011, 71–99, 141–151). Les variantes externes
sont révélées par la collation de plusieurs éditions différentes.
Indépendamment de la tradition textuelle, les variantes sont de nature différente.
On peut dans une première approximation distinguer les variantes sémantiques de
celles qui tiennent au code de l’écrit et de la mise en livre (graphie, ponctuation, mise
en page / typographie). Cette bipartition s’accorde avec le long processus de sacralisa-
tion du texte, qui tend à fixer les éléments à valeur sémantique et à négliger certains
éléments de surface, dont l’influence est jugée sans incidence sur la construction du
sens. Toutefois cette typologie est schématique puisque certains éléments de surface
comme la ponctuation peuvent revêtir une valeur sémantique égale à des choix
lexicaux ou grammaticaux. Mieux vaudrait retenir le modèle plus nuancé, quoique
critiquable (cf. Laufer 1982, 149) de Walter W. Greg, qui distinguait les leçons sub-

stantives et les leçons accidentelles, les premières altérant radicalement le sens, les
secondes se bornant à le modifier (Greg 1966).
Selon leur nature ou la place de l’édition dans la tradition textuelle, les variantes
sont attribuables à l’auteur, au prote ou au correcteur. Les éditeurs seraient tentés de
diviser les variantes entre variantes d’auteur et autres variantes ;4 malheureusement,

il est bien difficile de savoir précisément quoi attribuer aux auteurs.


D’un texte à l’autre, le relevé des variantes sert à des degrés très variables
l’interprétation et l’appréhension de la réception du texte. Seule une collation des
éditions permet de mesurer l’intérêt des variantes. D’ordinaire les éditeurs relèvent
uniquement les « variantes significatives », mais la notion est particulièrement flot-
   

4 Cf. C. Venesoen (2002, 21), qui distinguent les « véritables variantes » des autres : « Autant dire que
       

l’édition de 1642 ne contient aucune véritable variante – c’est-à-dire un changement de texte apporté
par l’auteur –, toutes les divergences entre les deux éditions sont dues, soit à une erreur, soit à une
correction, heureuse ou malheureuse, du copiste/imprimeur de 1642 ».  
Les éditions de textes du XVIIe siècle 375

tante et les déclarations d’intention pas toujours fiables (cf. le traitement des variantes
dans Robert 2005). D’autre part, le faible nombre de variantes autorise un traitement
exhaustif incluant la « scripturation ». Il est toutefois rare que les variantes graphi-
   

ques soient relevées, encore moins de manière systématique. La modernisation


linguistique à laquelle procèdent la plupart des éditions de textes du XVIIe siècle
exclut d’emblée toute prise en compte d’une partie de la variation. Ainsi, alors que
Thomas Corneille revoit soigneusement en 1660 l’édition des Engagements du hasard

publiée pour la première fois en 1657, M. Pavesio ne peut rendre compte de la


variation graphique ou de celle de la ponctuation, puisqu’elle les as toutes deux


modernisées (Pavesio 2006, 27).
Prêtant peu d’attention à l’histoire du français, les éditeurs de textes littéraires ne
s’intéressent guère à la variation, quand elle n’est pas variation d’auteur ou ne semble
pas significative au plan sémantique. Ce parti pris est dommageable parce qu’un
relevé des variantes pourrait rendre de grands services à des historiens de la langue
ou à des stylisticiens, sans demander trop d’énergie à l’éditeur ni augmenter le prix
des éditions critiques. Procéder ainsi permettrait par exemple de nous renseigner sur
les changements en cours durant la première moitié du XVIIe siècle, dont la langue est
encore fort mal décrite. L’édition des Evénements singuliers de Jean-Pierre Camus
aurait ainsi gagné à enregistrer les variantes de l’édition de 1660 (Vernet 2010, 30).
L’examen des variantes entre la première édition du Berger extravagant de Charles
Sorel (1626–1627) et la deuxième (1633–1634) renseigne sur l’attention de Sorel à la
langue, notamment sur l’évolution du lexique et de la graphie (Spica 2014).
La mise en page des éditions de textes du XVIIe siècle n’isole pas les variantes des
autres notes, autrement dit elle ne sépare pas le commentaire de ce qui tient à la
tradition textuelle. Pourtant lorsque corrections et variantes sont nombreuses, le
dispositif à plusieurs étages de notes employé par les antiquisants, les médiévistes et
certains seiziémistes serait adapté (Lambin 2010 y aurait gagné). Pour des textes
courts, comme des pièces de théâtre, une présentation typologique des variantes dans
l’introduction peut être justifiée, surtout lorsque leur portée sémantique est faible (cf.
par ex. Tomlinson 1992, 63–72).

2.3 Coquilles et autres erreurs de composition

Le manque de considération pour les variantes a de fâcheuses conséquences sur la


distinction entre les coquilles (souvent entendues au sens large d’erreur typogra-
phique dans les introductions des éditions) et les autres types de variantes. En effet, le
principe retenu généralement est de corriger les coquilles sans indiquer les correc-
tions dans l’apparat critique (cf. par ex. Ferrari 2001, 173 ; Jasmin 2004, 121 ; Grosper-
   

rin/Pascal 2002, xlii ; Vernet 2010, 31). Mais comme le rappelle très justement Max

Vernet, ces textes présentent « des variations d’orthographe et des habitudes syntaxi-

ques différentes des nôtres ; il faut donc être extrêmement prudent avant de modifier

376 Frédéric Duval

en quoi que ce soit ce[s] texte[s], et de rétablir ce qui semble par exemple une lacune ».  

Le sage principe directeur de Max Vernet est de rester fidèle à son édition « jusque  

dans les leçons douteuses ». En cas de doute, le lecteur pourra trancher (Vernet 2010,

31).
Parfois, les éditeurs raffinent en distinguant les « coquilles évidentes » (Marra-
   

che-Gouraud/Martin 2004, 51) ou « manifestes » (Macé 2009, 27). Cette distinction leur
   

permet de corriger systématiquement ces « fautes d’impression évidentes », voire de


   

ne pas indiquer en note les corrections effectuées. Le traitement peut donc différer
entre ce type de coquilles et les graphies douteuses.
De manière générale, l’évidence d’une erreur typographique est une notion
largement arbitraire, qui tient beaucoup à l’expertise de l’éditeur en graphématique.
En l’absence de scripteurs et de lecteurs natifs, il est parfois difficile de savoir ce qui
était ou non recevable et les éditeurs littéraires sont souvent peu armés pour trancher.
Il en découle une conception extensive des coquilles, qui recouvre une partie des
leçons douteuses. Certaines introductions n’hésitent d’ailleurs pas à associer les
coquilles aux « graphies susceptibles de dérouter le lecteur moderne », si bien que
   

dans la liste de « faute/graphie » donnée par A. Maynor Hardee (1991, 30), on ne sait
   

ce qui relève de chaque catégorie. C’est à ces éléments commodément confondus que
réfèrent les éditeurs en signalant les « bizarreries » de l’exemplaire qu’ils ont utilisé. A
   

contrario, des dispositifs originaux sont ponctuellement proposés, afin d’éviter ce


type de confusion : Alain Mercier place ainsi un astérisque « devant les mots imprimés
   

avec une coquille [entendue au sens étroit], mais pas devant ceux, pléthoriques, qui
sont mal orthographiés » (Mercier 2003, 10).

La correction des coquilles prend trois formes : sans notification au lecteur (cas le

plus fréquent) ; avec indication de la correction en note ; avec établissement d’une


   

liste de coquilles corrigées dans l’introduction (cf. par ex. Forestier 1999). Parfois la
liste se limite à quelques coquilles données à titre d’exemples. Stéphan Ferrari (2001,
173) cite ainsi trois coquilles parmi « les plus évidentes », afin d’expliquer qu’il ne
   

signale pas en note la correction : deux des trois exemples cités (« mias » pour
     

« mais », « luitte » pour « lutte », ou encore « peult » pour « peut ») ne sont pas des
                   

coquilles, mais des variantes graphiques largement attestées. L’historien du français


s’étonnera de ce qu’il trouvera dans ces listes de coquilles. Toutefois, il serait injuste
de stigmatiser les éditeurs qui ont l’honnêteté de se prêter à cet exercice et qui
fournissent des matériaux intéressants en prenant le risque d’affronter la critique. Ces
listes permettent de discuter de l’opportunité des corrections et d’attirer l’attention sur
des formes dont la récurrence pourrait amener à leur maintien dans les éditions
savantes. Il faudrait que des historiens du système graphique français se saisissent de
ces listes pour discuter les phénomènes et leur chronologie, par ex. en ce qui concerne
la confusion des mots grammaticaux monosyllabiques homophones comme ses/ces.
À défaut, les éditeurs continueront à procéder à des corrections intempestives, qui
standardiseront la langue de l’édition d’après le français contemporain. À l’heure où
les linguistes s’intéressent à la variation linguistique, il serait urgent d’échapper au
Les éditions de textes du XVIIe siècle 377

cercle vicieux qui conduit des textes standardisés par leurs éditeurs à alimenter la
description linguistique sur laquelle s’appuieront à leur tour de nouvelles corrections.
N’oublions pas également que l’examen des coquilles permet de mesurer la « qualité  

typographique » de l’exemplaire et de prendre des décisions éditoriales en matière de


traitement de la ponctuation par exemple (Riffaud 2007, 197–202 ; 2011, 153–182).


L’indication des coquilles corrigées sera sans intérêt pour le plus grand nombre de
lecteurs, mais il n’encombre pas une édition, ne renchérit pas son prix et ne prend
guère de temps à l’éditeur.
Outre la varia lectio, l’éditeur est confronté à deux autres phénomènes variation-
nels : la variation, essentiellement graphique, à l’intérieur du texte de l’exemplaire

retenu ; la variation diachronique de la langue, entre la langue du texte et celle du


lecteur visé par l’édition. Le français contemporain standard scolaire refuse la varia-
tion. Bien des éditeurs s’inscrivent dans cette tradition, ce qui les conduit à s’attaquer
à la variation interne en harmonisant et à la variation diachronique en modernisant.

3 L’orientation de l’édition
À côté des données de la tradition textuelle, l’orientation de l’édition conditionne le
texte proposé au lecteur. L’éditeur moderniste doit arbitrer entre trois orientations,
correspondant à trois instances de son édition critique : l’orientation vers l’auteur du

texte, l’orientation vers le témoin, l’orientation vers le lecteur de l’édition critique.


Alors que la tension est forte chez les médiévistes entre l’orientation vers l’auteur et
l’orientation vers le témoin, chez les dix-septiémistes, ces deux orientations se résol-
vent souvent dans le traitement des coquilles.
Pour les textes de la première modernité, le point sensible est donc l’orientation
vers le lecteur contemporain, autrement dit la prise en compte de variations linguisti-
ques et culturelles entre le contexte de production et de réception initial du texte et le
contexte actuel de lecture. Le compromis se construit dans le cadre d’un projet
d’édition, plus ou moins explicité dans les introductions, notamment dans les lignes
consacrées aux principes d’édition.

3.1 Éditer, pour quoi faire ?  

Il est très difficile de définir dans l’absolu le rôle d’une édition critique. A. Riffaud
avance avec prudence qu’il est de « favoriser l’accès au texte pour le plus grand

nombre, en le dotant d’une parure contemporaine, sous le contrôle vigilant, scrupu-


leux et informé d’un chercheur » (Riffaud 2007, 208). Pourtant, le « plus grand
   

nombre » se moque éperdument de la littérature française du XVIIe siècle. En outre,


bien des textes du XVIIe siècle, qui ont un intérêt pour l’histoire littéraire ou culturelle,
ne méritent pas d’être signalés à l’attention d’un large public. Les éditeurs de textes
378 Frédéric Duval

ont toutefois la charge de promouvoir les textes qu’ils éditent en en facilitant la


compréhension et l’exploitation scientifique par leurs contemporains. À cette fin, ils
s’adressent à un « lecteur idéal » ou « modèle » qui façonne leur projet d’édition.
       

Si l’on restreint l’enquête aux éditions de référence, les textes du XVIIe siècle sont
principalement publiés par des éditeurs d’érudition, qu’ils soient privés (Droz, Cham-
pion, Garnier) ou universitaires, comme les Presses universitaires de Rennes. On peut
y ajouter la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard), qui publie des éditions partageant
une large part des standards universitaires, mais dont la lisibilité et l’accessibilité par
le grand public déterminent sans appel une partie des choix éditoriaux, notamment la
modernisation graphique. La plupart des éditions critiques sont vendues à un tarif
élevé, qui en interdit l’acquisition à la quasi-totalité du public étudiant et à une partie
des chercheurs. Ces livres, à l’exception de ceux publiés à la Pléiade, sont surtout
destinés aux rayons des bibliothèques universitaires : ils ne sont pas utilisés pour

étudier la littérature dans les premiers cycles universitaires, où l’on recourt par
mesure d’économie à des éditions de poche. Depuis quelques années des collections
de semi-poches viennent renouveler un peu le panorama.
Toujours est-il que le débouché commercial oriente l’édition critique vers un
lectorat spécifique, sensible au prix, à la collection, à la diffusion. L’orientation est
également disciplinaire. Selon les communautés scientifiques, les tendances diver-
gent. Les historiens se préoccupent du message véhiculé par leur source. Ne s’embar-
rassant pas d’éléments linguistiques dont l’auctorialité est d’ailleurs douteuse, sans
surplus de sens et qui gênent la lecture actuelle, ils tranchent en faveur du lecteur
moderne (Barbiche/Chatenet 1993). La récente édition du Parfait négociant de J.
Savary n’hésite pas à se présenter comme une « réécriture », qui a nécessairement
   

supposé une modernisation de l’orthographe, du style et de la ponctuation (Richard


2011, 179). Il importait avant tout que cette somme du droit des affaires fût accessible
au plus grand nombre des historiens, même aux moins familiarisés avec la langue du
XVIIe siècle.
Les linguistes ont tendance à procurer des éditions plus respectueuses de la
séquence graphique originale. Ainsi S. Marzys pour son édition des Remarques de
Vaugelas (Marzys 2009) ou les éditions de textes privés (Ernst/Wolf 2005).5
Chez les littéraires, on y reviendra, les motivations sont floues et contradictoires,
ce qui explique la multiplicité des choix opérés. Certaines sous-communautés peu-
vent s’intéresser particulièrement à un élément de la chaîne graphique moins valorisé
par d’autres : c’est le cas des spécialistes du théâtre qui accordent un intérêt soutenu

à la ponctuation, à cause de sa fonction pneumatique.


Le cloisonnement disciplinaire entre historiens de la langue et historiens de la
littérature ou d’un autre domaine joue à plein pour le XVIIe siècle : pour les périodes

5 Sur la modernisation de la graphie des imprimés anciens dans le domaine italien vue par un
linguiste, voir Schweickard (2012).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 379

antérieures, la distance entre l’écrit ancien et l’écrit contemporain requérait davan-


tage une compétence linguistique, ne serait-ce que pour comprendre le texte. La
langue du XVIIe siècle étant plus accessible, les dix-septiémistes ont moins développé
cette double compétence, si bien qu’ils confectionnent des éditions où ils prêtent peu
d’attention aux questions linguistiques. De façon générale, et quelle que soit la
période, les éditeurs orientent leurs éditions ad se, autrement dit vers des lecteurs qui
auraient les mêmes attentes qu’eux-mêmes. Du coup, les éditeurs littéraires confec-
tionnent des éditions destinées à des littéraires sans se soucier de particularités
linguistiques qu’ils n’identifient pas ou qui ne les intéressent pas. Cette orientation est
parfois explicitement assumée.6
Outre le cadre disciplinaire, pèsent sur le projet d’édition le cadre institutionnel et
le débouché commercial. Bien des éditions accompagnent des travaux de thèse où de
jeunes chercheurs reproduisent les pratiques de leur directeur de thèse sans les
remettre en question. Souvent, les éditeurs s’abritent derrière les usages prétendus
d’une collection pour reproduire les usages dominants, mais la contrainte exercée par
la collection est souvent faible. On décèle bien sûr quelques tendances nettes. Les
« Textes littéraires français », chez Droz, où publient beaucoup d’éditeurs non fran-
   

çais, sont conservateurs.7 En revanche, « Sources classiques », la collection de loin la


   

plus ample, publiée par Champion, modernise en très large majorité la langue des
éditions, tout en laissant paraître au cas par cas des volumes non modernisés. Ainsi,
Alain Mercier, dans son édition de La seconde après-dînée du caquet de l’accouchée
reste fidèle à l’utilisation des caractères v et u, i et j et développe les abréviations entre
crochets (Mercier 2003, 9–10).
Quoique influencé par son environnement culturel et académique, l’éditeur doit
prioritairement définir son projet d’édition à partir de ce qu’il veut offrir à ses
contemporains. À cet égard, les dix-septiémistes s’accordent sur la nécessité de
proposer un texte compréhensible, prolongeant ainsi la vocation traditionnelle de la
philologie éditoriale, destinée à donner à lire des textes, dont elle prépare et guide la
lecture en levant les obstacles herméneutiques (Rastier 2001, 112–125).
Si, pour parvenir à cet objectif, la nécessité de notes critiques est partagée, il en
va autrement du traitement du texte édité. Sur ce point le consensus vole en éclat et
les jugements les plus contraires sont émis. Beaucoup, purement formulaires et
conventionnels, servent à justifier un usage éditorial établi. Ainsi Colette Scherer
liste-t-elle dans son édition de L’esprit fort de Jean Claveret une série de « rectifica-  

tions d’usage, nécessaires à la compréhension du texte » (Scherer 1997, 48) : distinc-


   

6 « Seules ont été corrigées les fautes évidentes, indiquées en note. Sauf pour ces erreurs, je n’ai pas

indiqué de variantes orthographiques, peu utiles dans le cas d’une édition qui n’est pas essentielle-
ment philologique » (Zoberman 1991, 87).

7 « Conformément aux principes éditoriaux de la collection ‹ Textes littéraires français ›, j’ai soigneu-
     

sement veillé à demeurer le plus fidèle possible à la physionomie orthographique du texte de l’édition
de référence » (Vuillemin 1999, lxxxi).

380 Frédéric Duval

tion de i et u, voyelles, de j et v consonnes ; développement de voyelles surmontées


d’un tilde en voyelles + consonnes ; développement de & en et ; ajouts d’apostrophes


   

manquants ainsi que des lettres manquantes ou erronées ; distinction de a et à, ou et


où, la et là ; suppression de majuscules ; désagglutination de quelques expressions


   

comme aurang, acause, apresent. Pourtant, il est improbable que le développement de


l’esperluette, la suppression des majuscules et le remplacement du tilde améliorent
l’intelligibilité du texte. Ces modifications touchent surtout au confort de la lecture en
adoptant des usages actuels, familiers des lecteurs. On pourrait, dans une certaine
mesure, en dire autant de la distinction des allographes i/j et u/v.
Si une majorité d’éditeurs modernise les textes du XVIIe siècle sous prétexte de
faciliter la compréhension, certains affirment que l’orthographe originale ne constitue
nullement un obstacle.8 On l’aura compris, ce n’est pas tant l’intelligibilité du texte
que sa familiarité qui justifie sa modernisation. Toutefois, rares sont les éditeurs à
l’admettre aussi franchement que Laurence Plazenet :  

« […] la ponctuation a été révisée afin de ne pas heurter le lecteur du XXe siècle et permettre qu’il

se trouve d’emblée de plain pied avec l’œuvre de Jean Baudouin. Le principe a été de favoriser
cette rencontre et le plaisir qui doit en naître. La ponctuation du XVIIe siècle, adaptée à une
lecture orale, sert à marquer non la logique du discours, mais les pauses de la respiration, à
souligner les effets de la narration. Si sa prise en compte est essentielle pour la lecture historique
d’un roman du XVIIe siècle, elle peut aujourd’hui constituer un obstacle à la familiarité immé-
diate du texte » (Plazenet 1998, 135).

Cette position s’oppose à la conception traditionnelle de l’herméneutique philolo-


gique, ici qualifiée de « lecture historique ». En effet, le mouvement de compréhen-
   

sion du texte se fait traditionnellement au prix d’une mise à distance du texte et de la


prise en compte de son altérité fondamentale, dans la lignée de l’herméneutique de
Schleiermacher (1987). Par opposition à la lecture naïve, qui fonctionne par un
processus d’assimilation, de familiarisation, la lecture critique suppose une altérité
généralisée. Les règles de transcription d’une édition critique, la mise en page de
l’apparat peuvent engager le lecteur à tenir compte de l’écart temporel qui le sépare
de l’original et à conduire une lecture critique.
Comme les théories dialogiques de la lecture l’ont bien montré, la lecture n’est
pas réception passive, mais collaboration entre texte et lecteur. Rendre familier un
texte du XVIIe siècle à un lecteur d’aujourd’hui permet au texte de « fonctionner  

comme prévu », l’altérité inhibant les mécanismes de projection du lecteur dans le


texte. On a ici affaire à une conception « esthétique » et non « critique », qui vise une
       

lecture fusionnelle et empathique.

8 « [J]’ai conservé les graphies anciennes, dans la mesure où elles ne constituent en aucune manière

un obstacle à la lecture » (Zoberman 1991, 87) ; « Nous n’avons pas modernisé l’orthographe car les
     

quelques singularités aux yeux d’un lecteur moderne n’entravent en rien la compréhension du texte »  

(Visentin 2004, 9).


Les éditions de textes du XVIIe siècle 381

Le réglage entre altérité et familiarité tient en grande partie au traitement de la


chaîne graphique de l’exemplaire transcrit. En effet, le lecteur français est particuliè-
rement sensible à la variation linguistique à l’écrit. L’idéologie linguistique, fortement
imprégnée des idées de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle, tend à présenter le français
moderne comme une langue stabilisée depuis la seconde moitié du XVIIe siècle. La
périodisation linguistique du français qui faisait s’achever le moyen français vers
1610, date à laquelle lui succédait le français moderne, a contribué à renforcer cette
représentation linguistique erronée. Le résultat en est une pratique ecdotique para-
doxale qui voit les éditions de textes médiévaux fidèles aux graphies des manuscrits
et les textes du XVIIe siècle très majoritairement modernisés, les seiziémistes balan-
çant entre les deux solutions. Suivant cette logique contre-intuitive, moderniser,
c’est admettre que la langue est proche de la nôtre ; conserver la graphie d’origine,

admettre qu’elle s’en éloigne sensiblement. Ce schéma ne fait que reproduire l’usage
scolaire du manuel de Lagarde et Michard où Rabelais est donné en versions moderni-
sée (Lagarde/Michard 1961, 43s.) et non-modernisée alors que la littérature du XVIIe
siècle est toujours modernisée.
La modernisation perpétue donc, sans s’en rendre toujours compte, l’idée d’un
apogée de la langue française de la seconde moitié du XVIIe siècle. En supprimant la
variation orthographique, elle entretient à tort l’idée que la variation diachronique
depuis le XVIIe siècle serait surtout d’ordre stylistique ; et cette idée, en un mouve-

ment circulaire, encourage à son tour la production de nouvelles éditions moderni-


sées. Ce phénomène affleure dans certaines formulations qui décrivent des « accords  

archaïques », des « majuscules abusives » ou « une ponctuation originale […] dans la


       

mesure du possible maintenue, sauf archaïsme incompatible avec les usages moder-
nes » (Jasmin 2004, 121s.), où les archaïsmes ne le sont qu’au regard du français

contemporain et appartiennent pleinement à la synchronie du texte édité.


La modernisation généralisée a conduit les lecteurs français à n’avoir qu’une
faible expérience de la variation graphique dans l’écrit littéraire, Racine étant moder-
nisé, tout comme Chateaubriand ou Balzac. La cohérence culturelle, littéraire, voire
nationale des classiques français est assurée par la communauté de leur expression
linguistique, jusque dans sa vêture graphique.9 Dans ce contexte, la question de la
modernisation n’est pas anodine : introduire de l’altérité graphique, c’est aller contre

une représentation linguistique acquise sur les bancs de l’école par des générations
de lecteurs des XXe et XXIe siècles.
Toutefois aujourd’hui, la modernisation ne suffit plus à entretenir le sentiment
d’une identité linguistique. Les éditeurs, qui sont souvent enseignants, en font quoti-
diennement l’expérience avec leurs étudiants. Des textes du XVIIe siècle, comme

9 Dans leur édition de Molière, G. Forestier et Cl. Bourqui modernisent la graphie du français, de
l’italien et de l’espagnol, langues nationales ; conservent les graphies picardes et occitanes et moderni-

sent partiellement la graphie des passages en patois (Forestier/Bourqui 2010, CX C X ). Comment justifier ce
traitement différencié sinon par leur imaginaire linguistique ? 
382 Frédéric Duval

l’Introduction à la vie dévote de François de Sales, sont traduits en français contempo-


rain (Stephan 2003). La distance linguistique entre le français du XVIIe siècle et le
français contemporain ne permet plus, au prix d’une réfection cosmétique, de mainte-
nir l’illusion d’une proximité. C’est paradoxalement ce qui légitime l’abandon de la
modernisation, incapable désormais de procurer la familiarité escomptée.
L’édition critique propose un « pacte de lecture » différent de celui d’un fac-similé
   

ou d’une traduction. L’apparat, qui trouve sa légitimité dans l’altérité textuelle,


signale la difficulté d’accès au texte et tente d’y remédier. L’éditeur peut réduire
l’altérité dans le corps du texte par la modernisation, ou bien se contenter de réduire
les conséquences herméneutiques de l’altérité dans l’apparat.

3.2 La mise en œuvre du projet

Le projet d’édition doit être justifié et présenté en introduction. Trop souvent, l’exposé
des principes d’édition est limité à quelques lignes très convenues, voire absent (cf.
Nédelec 1998 ; Jehasse 2008). Pourtant, l’inexistence de normes de transcription

communes et la latitude laissée aux éditeurs au sein des collections exigent une
présentation sommaire.
Les interventions éditoriales sont censées ne pas toucher au sens de la séquence
linguistique pour se concentrer sur sa forme. Cette dichotomie, on l’a déjà vu, est
éminemment discutable tant la forme, y compris la mise en livre, influe sur la lecture
du texte et donc sur le sens qu’il prend (Rico 2010).
Les interventions formelles découlent d’un double jugement porté sur la langue
des témoins : un jugement sur l’écart avec le français contemporain et ses conséquen-

ces sur l’intelligibilité du texte ; un jugement de « valeur » sur la séquence linguis-


     

tique. De là deux types d’interventions : l’harmonisation et la modernisation.


Le polymorphisme graphique10 au sein d’un même texte est souvent qualifié


d’incohérence.11 Jean-Claude Vuillemin (1999, CX ) préfère parler d’« irrégularité », ce
   

qui ne laisse pas d’être ambigu, étant donné que le polymorphisme est un élément de
la norme. Max Vernet souligne que l’incohérence est relative à l’expérience du lecteur
du XXIe siècle : les usages du XVIIe siècle sont « pour nous inhabituel et incohérent »
     

(Vernet 2010, 31). Face à ce phénomène, certains éditeurs décident d’harmoniser,


d’ordinaire en généralisant la forme la plus fréquente du texte (cf. par ex. Maranini
1974, 61). Les limites de l’exercice tiennent à son arbitraire, souligné par C. Venesoen
(2002, 22).

10 Venesoen (2002, 21) parle d’absence de « continuité (ou d’uniformisation) orthographique » et


   

Vuillemin (1999, lxxxiv) de « divergences d’orthographe ».


   

11 « L’orthographe, pourtant celle des typographes bien plus que de l’auteur, a été respectée même là

où nous voyons maintenant une faute, comme dans certains participes passés, ou lorsqu’elle est
incohérente » (Lambin 2010, 90).

Les éditions de textes du XVIIe siècle 383

L’harmonisation graphique conduit à donner à lire un texte présentant la fixité


formelle caractéristique de l’écrit savant français contemporain. La plupart des édi-
teurs vont plus loin en modernisant, autrement dit en harmonisant non plus d’après
les formes ou usages les plus fréquents du texte, mais d’après ceux du français
contemporain.
La modernisation est favorisée par plusieurs éléments, plus ou moins assumés et/
ou conscients, à commencer par l’idéologie linguistique et la volonté de diffuser les
textes édités. Le fait même que l’orthographe soit fluctuante signifie, pour Georges
Forestier (1999, LIX ), qu’elle est dépourvue de valeur sémantique et donc moderni-
sable. La nécessité de diffuser les textes anciens est surtout avancée à propos de textes
majeurs de la littérature française12 ou de textes techniques qui s’adressent au premier
chef aux spécialistes du domaine et de son histoire (Richard 2011).
Les opposants à la modernisation se présentent comme garants de l’authenticité.
Les plus conservateurs visent à donner à lire un texte qui a été lu, non une version
artificielle, intermédiaire entre les usages du XVIIe siècle et ceux du français contem-
porain. D’autres désirent préserver l’authenticité du moment qu’elle ne porte pas
atteinte à la compréhension du texte : « Nous avons préservé les particularités origi-
   

nales, quand elles étaient déchiffrables, pour sauvegarder l’authenticité de l’usage de


l’époque et, aussi, pour respecter le style personnel de l’auteur » (Bernazzoli 1998, 51).

L’argument d’authenticité a d’autant plus de poids quand on sait l’attention prêtée


par l’auteur à la relecture des épreuves (cf. Marzys 2009, 8). La préservation du
système rimique peut également freiner les ardeurs modernisantes.13
Ainsi, la quête d’authenticité n’aboutit pas nécessairement à une reproduction
imitative de l’exemplaire retenu, mais contribue à en conserver tel ou tel élément.
L’objet semble parfois de « faire authentique ». Ainsi Bernard Bray modernise-t-il les
   

lettres de Jean Chapelain à Nicolas Heinsius, en en limitant certains aspects (usage


des majuscules, des abréviations et de la ponctuation), « afin de conserver à l’écriture

son indispensable caractère épistolaire, c’est-à-dire son naturel, sa relative négli-


gence, ses libertés » (Bray 2005, 28s.). L’authenticité est alors liée à une esthétique de

la réception. C’est bien « pour conserver au texte toute sa saveur » que D. Kahn a
     

imprimé la ponctuation ancienne de Gabalis (Kahn 2010, 145s.).


Conjointement à la perte d’authenticité, la modernisation s’accompagne d’une
perte d’informations fort dommageable à l’interprétation et à l’exploitation scienti-
fique du texte. De facto, la modernisation limite l’étude des variantes, notamment
graphiques, alors qu’elles peuvent être variantes d’auteur ou permettre de distinguer

12 « Il allait de soi, pour un auteur aussi répandu que Racine, de présenter ses œuvres dans une

graphie modernisée » (Forestier 1999, L IX ).


13 « Pour faciliter la lecture, nous avons modernisé l’orthographe, sauf lorsque le vers s’en serait

trouvé modifié ; dans ce cas nous le signalons en note » (Dutertre/Moncond’Huy 1992, xxii). Forestier/
   

C XI ) se refusent à conserver l’orthographe originale à la rime « au nom de la cohérence


Bourqui (2010, CXI  

et de la modernisation graphique ».  
384 Frédéric Duval

plusieurs compositeurs (Catach 1983). Enfin, une édition fidèle à l’exemplaire repro-
duit peut conserver des éléments essentiels à la bonne compréhension de sa réception
immédiate. Ainsi, Gérard Lambin soutient que « moderniser la forme et la présenta-

tion eût été un début de trahison mal excusé par la facilité donnée et qui, en
empêchant de connaître l’état réel du texte, aurait fait disparaître une des raisons du
peu de crédit que lui accordèrent les savants » (Lambin 2010, 90). Curieusement, la

perte d’informations linguistiques causée par la modernisation n’est presque jamais


mentionnée.
Une fois son projet défini et sa décision prise de conserver, d’harmoniser ou de
moderniser le texte, l’éditeur doit définir ses propres règles de transcription, en
l’absence de consensus ou de tradition largement partagée par la communauté des
dix-septiémistes. Pour le début du siècle, les normes pratiquées par les seiziémistes
sont parfois adoptées.14
Les exposés des principes d’édition se contentent d’ordinaire de décrire la moder-
nisation pratiquée de façon négative, en signalant ce qui lui échappe. Pourtant, c’est
autant par ses formes variables que par la perte d’informations qu’elle implique que
la modernisation défie toute recherche linguistique quantitative. En outre, les éditeurs
introduisent quantité d’exceptions. Ainsi, que faire d’une ponctuation qui suit l’origi-
nal tout en étant « rendue compatible avec l’usage actuel » (Descotes 2011, 124), ou
   

encore de « virgules […] très majoritairement respectées » (Jasmin 2004, 122) ? En


     

maintenant « certaines tournures archaïques caractéristiques de la langue de Dassou-


cy », alors qu’elle modernise la langue de manière générale, Dominique Bertrand rend


impossible toute enquête linguistique et fausse l’analyse stylistique en faisant ressor-


tir ces tournures (Bertrand 2008, 35). On voit là le danger d’une modernisation fondée
sur l’arbitraire et le sentiment linguistique de l’éditeur : « les formes actuelles de
   

certains substantifs [sont] substituées aux formes archaïques (‹ crotesque › remplacé


   

par ‹ grotesque ›, ‹ convent › par ‹ couvent ›) » (Ferrari 2001, 174), mais si d’autres
             

formes archaïques sont conservées, comment savoir ce que présentait le texte ? La  

pratique des cas particuliers et des exceptions, à moins d’être dûment signalée dans
l’apparat, n’a pas lieu d’être dans une édition critique.

3.3 Les champs d’intervention

Pour les textes du XVIIe siècle, les champs d’intervention sont circonscrits et relative-
ment étanches les uns par rapport aux autres. Il est ainsi possible de moderniser la
graphie et de conserver la ponctuation ou les majuscules et vice-versa. J.-Cl. Vuillemin

14 Cf. Marrache-Gouraud/Martin (2004, 51) (« Nous avons suivi les principes d’édition généralement

adoptés pour l’édition des textes de la Renaissance ») ou Scherer (1997). Giraud (1997) propose que son

protocole s’applique à des textes datés de ca 1480 à ca 1620.


Les éditions de textes du XVIIe siècle 385

reste fidèle à la graphie originale et adopte une ponctuation moderne (Vuillemin


1999) alors que Stéphane Macé pour son édition de Racan modernise l’orthographe,
mais respecte scrupuleusement la ponctuation et les majuscules (Macé 2009). Une
multitude de combinaisons est pratiquée. Le risque est d’aboutir aux monstres philo-
logiques dénoncés par Alain Niderst.15
Les décisions d’intervention suivent deux axes partiellement superposables, l’axe
« auctorial » et l’axe « sémantique ». Plus un élément est imputable à l’auteur, plus
       

l’éditeur tend à la conserver. Si l’auctorialité du lexique et de la syntaxe n’est


généralement pas mise en cause, la graphie, la capitulation et la ponctuation sont des
domaines plus flottants. L’axe sémantique diverge légèrement de l’axe auctorial,
puisque la ponctuation revêt une importance sémantique certaine, tout en échappant
à l’auteur. Quant à l’usage graphique ou à l’utilisation des majuscules, ils ne sont
dépourvus d’incidence sémantique : des graphies archaïsantes ou au contraire inno-

vantes peuvent traduire la position d’un auteur par rapport à un état de la langue, ou
noter une variation diastratique ; les majuscules soulignent volontiers les mots clés

d’un discours. Il faut donc se garder a priori de dissocier trop nettement orthographe
et intelligence de l’œuvre.16
La plupart des éditions de textes du XVIIe siècle modernisent la graphie.

Georges Forestier, non sans provocation, a écrit : « Il importe peu de savoir


   

aujourd’hui, sinon à titre de curiosité, que le premier vers d’Andromaque revêtait


cette forme : ‹ Ouy, puis que je retrouve un Amy si fidelle ›. D’autant que moderniser
     

l’orthographe n’affecte en rien la lettre des textes dans la mesure où la graphie des
mots n’était pas fixée à l’époque » (Forestier 1999, LIX ). Il serait facile de nuancer

cette déclaration en montrant en diachronie combien la variation graphique s’est


réduite progressivement depuis les premières éditions incunables en français. Sans
être fixée, la graphie voit sa variation se réduire. Forestier se garde bien de situer
la graphie sur l’axe auctorial où elle est bien difficile à placer, mais d’où on ne
peut l’évacuer, certains auteurs procédant manifestement à des corrections d’une
édition à l’autre. Sur l’axe sémantique, il est clair que la graphie a une valeur nulle
pour l’éditeur de Racine. Même en faisant la part de la polémique, il est regrettable
de contribuer au cloisonnement des éditions de textes littéraires en affirmant que
la graphie n’est qu’une question de curiosité. L’orthographe peut faire l’objet
d’études tout aussi sérieuses et légitimes que la recherche littéraire sur Andro-
maque.
Du point de vue du linguiste, les moindres modifications doivent être indiquées,
y compris celles touchant à la syntaxe graphique. Peut-être ne relèvent-elles pas de

15 « Introduire dans un texte dont on a modernisé l’orthographe, une ponctuation archaïque, c’est

perdre la clarté qu’y introduit l’usage actuel avec son rationalisme, et c’est créer un objet mixte et, pour
ainsi dire, monstrueux qui rend la lecture fort malaisée » (Niderst 2001, 294s.).

16 Lasserre, Comédie des Tuileries : 177, reproduire l’orthographe « relèverait seulement d’une étude
   

linguistique, qui n’est pas étroitement liée à l’intelligence de l’œuvre ».



386 Frédéric Duval

l’auteur, mais l’ensemble des éditions sont destinées à former des corpus qui
permettront de voir se dessiner des évolutions linguistiques et graphiques, qui
dépasseront la somme des idiosyncrasies pour dessiner les contours d’une gram-
maire floue. Les usages seront alors situés à l’intérieur du diasystème décrit. Dans
cette perspective, peu importe que la graphie soit celle du typographe ou de
l’auteur.
Il convient de distinguer les interventions au niveau des allographes (représenta-
tions concrètes d’un graphème) de celles qui touchent les graphèmes. Font l’unani-
mité ou presque la réduction en « s » des « s longs », la distinction entre i et j et entre u
       

et v selon leur valeur consonantique ou vocalique, ainsi que le développement du


tilde en consonne nasale. Parfois l’esperluette est conservée pour faire époque (Ber-
nazzoli 1998).
Au-delà des allographes, toute une série de modernisations sont possibles, à
commencer par la régularisation de monosyllabes homophones comme ses/ces, dont
la discrimination se règle au cours du siècle. De fait, nombre de modernisations
graphiques affectent des domaines connexes de la description linguistique : la moder-

nisation des désinences verbales affecte la morphologie ; les corrections de chaire en


chaise, de débits en dettes ou même de créance en croyance, présentés à côté de


doublets purement graphiques comme col/cou, constituent des changements lexicaux
notables (Bertrand 2008, 36).
Les graphies des noms propres, largement variantes au XVIIe siècle, sont
souvent retouchées au même titre que celles des noms communs. Dans les textes
en vers, la métrique endigue toutefois les corrections. En outre, certains éditeurs
disent moderniser les noms propres dans la mesure où la modernisation n’en
modifie pas la « phonétique » (Zuber 1995, 49). Comme le français n’est pas une
   

langue phonocentrée, il est difficile de déterminer à coup sûr quand on se trouve


dans ce cas.
L’usage des accents est lui aussi variable, même si la majorité des éditeurs semble
adopter les usages actuels. Des solutions plus ou moins modernisantes sont attestées :  

la plupart des éditeurs, même conservateurs, s’accordent à restituer ou à abolir


l’accent grave, dont l’emploi n’était pas constant, sur les mots-outils homophones (à,
où, là, dès…). Cette pratique se justifie aujourd’hui du point de vue de l’exploitation
électronique et de l’étiquetage morphosyntaxique. « Pour une plus grande commodité

de lecture », il est également possible de rétablir les accents à la rime, alors que

l’usage de l’exemplaire reproduit est conservé ailleurs (Vuillemin 1999, lxxxviii–


lxxxix). Enfin, certains éditeurs suivent entièrement l’usage actuel.
Le traitement des majuscules, bien plus fréquentes qu’en français contemporain,
donne lieu à des traitements divers. Comme pour la ponctuation, il est bien difficile
de savoir si l’emploi des majuscules relève ou non de l’auteur, et leur usage au
XVIIe siècle est assez mouvant. D’autre part, leur poids sémantique est largement
insaisissable, en l’absence de lecteurs natifs. Leur conservation s’appuie sur leur
possible fonction de soulignement (Visentin 2004, 10), mais aussi sur leur aptitude à
Les éditions de textes du XVIIe siècle 387

« faire époque » sans perturber la lecture.17 Certains éditeurs qui adoptent l’usage
   

actuel de la majuscule peuvent conserver celles qui « confèrent au texte sa touche


aristocratique » (Jasmin 2004, 122). Didier Kahn, qui modernise l’usage des majuscu-

les, systématisant l’usage de l’exemplaire qu’il suit, les utilise sans exception à
l’initiale de mots ou expressions d’ordre « initiatique », quitte à en ajouter par souci
   

d’harmonisation (Kahn 2010, 145).


La modernisation linguistique ne touche pas que la graphie, elle concerne égale-
ment les morphèmes. La syntaxe d’accord est ainsi modernisée, sans que les retou-
ches soient nécessairement notées dans l’apparat critique.18 Les terminaisons verba-
les subissent quelquefois le même sort.19 Parfois, c’est même la rection verbale qui se
trouve modifiée (Bertrand 2008, 36).
Le traitement de la ponctuation a donné lieu à une querelle suscitée par l’intro-
duction de Georges Forestier à son édition de Racine. Pour G. Forestier, la modernisa-
tion de la ponctuation est une « véritable trahison des intentions explicites d’un

auteur pour qui la ponctuation –à la différence de l’orthographe– relevait de règles


stables, quoique différentes des nôtres, et jouait un rôle dans la lecture de ses vers »  

(Forestier 1999, LIX – LX ).20 Un examen linguistique approfondi de la question reste à


conduire, mais la stabilité de la ponctuation au XVIIe siècle est pour le moins
douteuse (cf. Giraud 2001), vu qu’elle est encore largement idiosyncrasique et donc
instable en français contemporain. Quant à sa fonction, elle est à la fois pneumatique
et syntaxique. A. Riffaud (2007, 23–48) a contesté à raison la thèse de Sabine Chaou-
che (2001), qui concluait que la ponctuation ne devait rien aux exigences de la
syntaxe, mais qu’elle obéissait à une logique « purement » pneumatique.
   

Les discussions au sujet de la ponctuation se sont cristallisées autour du théâtre :  

la ponctuation y revêt un intérêt particulier parce qu’elle peut nous fournir de


précieux indices sur l’oralisation du texte. A. Riffaud a repris le dossier à partir de la
bibliographie matérielle et a formulé des recommandations pertinentes. Pour lui, le
critère déterminant pour la conservation ou la modernisation est la part prise par
l’auteur dans la ponctuation transmise par la tradition textuelle (Riffaud 2007, 206–
208). En effet, comme le soulignent A. Niderst (2001, 293–296) et Y. Giraud (2001), il
est loin d’être établi que la ponctuation corresponde à une volonté explicite de

17 « [Les] majuscules, en revanche, qui servent à accentuer le poids d’un mot (substantif ou adjectif),

à insister sur sa valeur, ont été conservées telles quelles. Elles font sens dans leur grande majorité.
Voire, le caractère superfétatoire de certaines d’entre elles participe de l’atmosphère d’époque du
roman, qu’on a souhaité conserver autant que possible, de même que sa présentation » (Plazenet 1998,

135). Formulation reprise par Ferrari (2001, 175).


18 « Nous avons systématiquement corrigé les accords archaïques (tel l’accord singulier du verbe avec

un sujet pluriel, ou l’accord pluriel de l’adjectif ou du pronom indéfini ‹ aucun ›) » (Jasmin 2004, 121).
     

19 Dufour-Maître (2010, 78) corrige je composé en je composai.


20 La position de G. Forestier semble s’être un peu modérée, si l’on en croit l’introduction à son édition
de Molière (Forestier/Bourqui 2010, CX – CXI ).
388 Frédéric Duval

l’auteur. A. Riffaud suggère une méthode archéologique ambitieuse pour déterminer


la part de l’auteur et trancher ou non en faveur de la modernisation.
Indépendamment de son auctorialité, la ponctuation telle qu’elle nous est trans-
mise présente un intérêt pour l’étude linguistique. Lorsqu’on est assuré du soin de
l’éditeur à corriger la ponctuation, il vaut la peine de la conserver, quel qu’ait été
l’investissement de l’auteur.21 De toute façon, sur de vastes corpus, les statistiques
régleront le problème des aberrations ponctuelles.
Certains partisans de sa conservation notent paradoxalement que la ponctuation
originale permet de mieux comprendre le texte (Lasserre 2008, 177). Dominique
Descotes, pour qui la ponctuation des Géométries de Port-Royal est en partie fantai-
siste dans l’édition de 1667, la suit pourtant parce qu’elle « répond au mode de pensée

propre à la géométrie » (Descotes 2009, 81). Pour d’autres, la ponctuation est tout

simplement l’un de ces facteurs d’altérité qui confèrent son charme au texte ancien
(Kahn 2010, 145–146).
À côté de l’« école » très active de Georges Forestier, qui reproduit la ponctuation
   

originale et note soigneusement les rares modifications qui y sont apportées (par ex.
Forestier 2004, 246), bien des éditeurs qui conservent en général la ponctuation
originale la modifient lorsqu’elle ne leur paraît être acceptable par le lecteur moderne
et, surtout, lorsqu’elle risque d’entraver la compréhension du texte (Maranini 1974,
62). Cette voie moyenne est par exemple suivie par Vuillemin : « plutôt que d’opter
   

pour une modernisation systématique, je me suis efforcé de conserver cette ponctua-


tion partout où elle ne posait pas de problèmes majeurs de compréhension » (Vuille-  

min 1999, lxxvii). Quand les interventions sont mentionnées dans l’introduction ou en
note, cette solution est très pertinente (Tomlinson 1992, 62s. ; Zoberman 1991, 87). À

l’inverse, lorsque l’éditeur a choisi la voie de la modernisation, il peut maintenir


occasionnellement des ponctuations fortement marquées au XVIIe siècle, là où le
français contemporain utiliserait des ponctuations plus légères (Zuber 1995, 49).
Il faudrait enfin analyser comment les éditions rendent compte de la mise en page
du texte, à commencer par celle de l’exemplaire retranscrit. Tout est possible et
pratiqué. L’introduction rend rarement compte dans le détail de la mise en page de
l’exemplaire. Si un frontispice est souvent reproduit, la mise en page est rarement
décrite dans l’introduction ou respectée dans la présentation du texte (cf. Vuillemin
1999). De nouveaux paragraphes sont volontiers introduits dans les textes en prose où
les dialogues sont souvent imprimés avec tirets et retour à la ligne. Rares sont les
éditions, comme celle des Œuvres diverses de Guez de Balzac par Roger Zuber, à
respecter scrupuleusement la mise en page d’un exemplaire, reproduit « aussi exacte-

ment que possible, en ce qui concerne les intitulés, les paragraphes et les blancs »  

(Zuber 1995 ; voir aussi Denis 2011, 101).


21 La comparaison des exemplaires de l’édition d’Aspasie par Camusat témoigne du soin méticuleux
de l’imprimeur, notamment pour la correction de la ponctuation (Tomlinson 1992, 56).
Les éditions de textes du XVIIe siècle 389

L’effort des éditeurs de textes du XVIIe siècle porte avant tout sur le commentaire
et l’annotation des textes. La réflexion sur leur établissement, la « toilette » qu’ils leur
   

font subir et la prise en compte de la varia lectio demeure très secondaire. L’objectif
premier, rarement formulé comme tel dans les introductions, consiste à rendre le texte
édité compréhensible : cet impetus touche autant le corps du texte que le paratexte :
   

introductions, notes,22 glossaires,23 tout comme la modernisation de la séquence


linguistique originale, concourent à faciliter l’accès au sens du texte.
Reste à savoir si la modification du texte fourni par l’original remplit effective-
ment ce rôle. Les avis, on l’a vu, sont partagés. Comme en traductologie, on peut
distinguer des « sourciers », prônant la fidélité à la source, et des « ciblistes », privilé-
       

giant la fidélité aux destinataires. La modernisation, variante de la tradition intralin-


guale, supprime une partie des informations qui lui semblent nuire ou être inutiles à
la construction du sens et en conserve d’autres, qu’elle survalorise inévitablement par
rapport aux éléments gommés (Berman 2004 [1985], 49–69).
L’orientation disciplinaire de l’édition est alors déterminante, car selon sa forma-
tion, ses compétences et intérêts, chaque éditeur aboutira à un dosage personnel, qui
conditionnera le sens auquel le lecteur de l’édition aboutira. Une édition ne peut être
neutre – et ne doit sans doute pas l’être – du point de vue sémantique, mais elle se
doit d’être utile, non pas au plus grand nombre dans l’absolu, mais au plus grand
nombre de chercheurs et d’étudiants, si l’on s’en tient aux éditions scientifiques
universitaires. Puisque les étudiants sont capables de lire les fac-similés proposés sur
internet et qu’ils utilisent des textes médiévaux et du XVIe siècle non modernisés,
pourquoi les éditions du XVIIe siècle devraient-elles l’être ? Parce qu’il s’agit d’un âge

d’or de la littérature française où les francophones devraient encore chercher des


modèles de style et d’élégance. N’est-ce pas une position obsolète ?  

Les éditions scientifiques ne peuvent, pour des raisons économiques, être multi-
pliées à l’envie, sinon pour les auteurs considérés comme majeurs. Autant les confec-
tionner en vue de l’exploitation la plus ouverte (c’est cette voie qui a été choisie par
Denis 2011). Qui sait quelles seront les problématiques retenues par les chercheurs
dans trois ou quatre décennies ? Pourquoi obérer la description du français, sans gain

notable d’intelligibilité ? Une édition critique livre des éléments qui font sens ; le texte
   

22 Certains éditeurs opposent les notes explicatives aux notes de commentaire, retenant les pre-
mières et excluant les secondes. Cf. « Par principe, nous nous sommes abstenu d’introduire dans nos

notes des éléments de commentaire du texte de Chapelain. Le lecteur en quête d’information sur les
activités, les rencontres, les lectures de l’écrivain, sur les dates des éditions de La Pucelle […], ce
lecteur reconnaîtra lui-même, au long des deux cent quinze lettres à Nicolas Heinsius, les passages
intéressant sa recherche. Notre annotation, plus modestement, ne vise qu’à éclairer un texte qui,
comme toute correspondance, abonde en allusions à des personnes et à des faits peu connus » (Bray  

2005, 31).
23 Les notes lexicales peuvent ou non être regroupées dans un glossaire. La plupart de ces glossaires
sont très éloignées des exigences minimales de la lexicographie actuelle. Cf. Chambon (1989) et
Buridant (1999).
390 Frédéric Duval

est le premier d’entre eux et sans doute le plus évident, mais il n’est que l’un d’entre
eux. La graphie, la ponctuation, la mise en page… font sens au sein de systèmes
sémiotiques qui dépassent largement le texte.
Alors que les corpus textuels se développent et que les éditions savantes sont
appelées à être numérisées, les dix-septiémistes ont un lourd défi à relever. D’une part
la modernisation limite considérablement l’empan des interrogations pertinentes.
Ainsi, pour une étude de la graphie ou de la ponctuation, mieux vaut recourir
aujourd’hui à des corpus formés à partir de Google Books ou de Gallica plutôt qu’à
partir des corpus Garnier ou Frantext. D’autre part, la fidélité à un exemplaire original
ouvre la porte à un travail largement automatisable. Le projet IMPACT (IMProving
ACcess to Text <http://www.impact-project.eu/>) a montré qu’il serait très bientôt
possible, à partir de numérisations en mode-image, d’aboutir à de bons résultats de
lemmatisation et à des recherches pertinentes en ligne. À ce stade, rien n’empêche de
ménager des liens hypertextes avec les entrées des principaux dictionnaires du XVIIe
siècle. Bien sûr, la disponibilité de reproductions anciennes en ligne est un argument
servi par les partisans de la modernisation : les curieux pourront se reporter à

l’original…
Est-ce à dire que les éditions ne vaudraient plus que par leurs notes critiques
et leurs introductions littéraires ? Il semble urgent de se demander quelle plus-

value le travail ecdotique peut encore apporter. La prise en compte de la biblio-


graphie matérielle, encore sous-exploitée, serait sans doute à développer, tant pour
le choix de l’exemplaire à privilégier que pour déterminer l’auctorialité de certains
éléments. La varia lectio constitue une autre voie à suivre, y compris – dans
certains cas – au-delà des éditions revues par l’auteur. Trop négligée, elle peut
fournir des renseignements intéressants à la fois sur la réception du texte et sur
l’évolution du français. Enfin, il serait judicieux de chercher à débusquer les
« fausses coquilles ».
   

La révolution numérique et le développement des Digital humanities poussent à la


révision des protocoles éditoriaux. La confection de grands corpus textuels intercon-
nectés devrait favoriser l’adoption de standards communs, condition sine qua non à la
pertinence des requêtes. Vu la diversité des pratiques observées, un immense chantier
s’ouvre aux dix-septiémistes. Gageons qu’ils sauront s’en saisir pour mieux faire
connaître leurs textes.

4 Bibliographie
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Frankwalt Möhren
15 L’art du glossaire d’édition
Abstract : L’établissement du glossaire accompagnant l’édition d’un texte relève de la
   

linguistique, s’intégrant à la philologie. Le premier destinataire du bon glossaire est


l’éditeur lui-même. Le glossaire ne sert pas à offrir des équivalences modernes
constituant des éléments d’une traduction agréable à lire, mais il sert à relever
scientifiquement les mots du texte comme éléments de la langue de l’époque du texte.
Les définitions, qui classent et distinguent, fournissent la clé pour une critique
littéraire profonde. Les outils nécessaires à l’analyse sont ceux de la linguistique, tout
comme les outils de l’analyse historique sont ceux des sciences historiques. La
confection du glossaire scientifique suit une technique simple. Peu de règles suffisent
pour en garantir la qualité ; elles touchent le choix des mots à traiter, le contenu et la

structure de l’article reflétant le travail linguistique, la critique des sources. Exemples


et contre-exemples éclairent la voie.

Keywords : glossaire, édition, critique textuelle, lexicographie, définition


   

1 Statu quo ante


Depuis un siècle les éditeurs de textes français anciens suivent ou ne suivent pas les
instructions de Paul Meyer, précisées par Mario Roques, approfondies en un manuel
par Alfred Foulet et Mary Blakely Speer et versées dans les trois fascicules des Conseils
pour l’édition des textes médiévaux de l’École nationale des Chartes. Ces instructions
comprennent des recommandations pour la confection du glossaire qu’il faut connaî-
tre pour pouvoir pondérer la critique des usages actuels et pour développer l’acquis.
Extraits concernés :  

Meyer (1909 ; 1910, 230–233). Bonnes recommandations, bien qu’assez vagues, justifiant un

glossaire ample ou réduit, dépendant de l’intérêt : « L’éditeur expérimenté trouvera facilement la


   

juste mesure ». Il vaut la peine de le relire.


Roques (1926),1 décrit d’abord le plan pour un glossaire sérieux, le rejette aussitôt,
pour finalement recommander un succédané, même pas un ersatz :  

« 6. Glossaire. – Il serait très souhaitable que des glossaires complets fussent établis pour un

grand nombre de textes : les études d’histoire du vocabulaire, de sémantique, de morphologie, de


syntaxe et de stylistique, y trouveraient une base solide. Ces glossaires devraient enregistrer non

1 Les sigles utilisés ici sont ceux du Dictionnaire étymologique de l’ancien français (Tübingen 1971–)
dont la Bibliographie est imprimée (2007) et consultable en ligne (http://www.deaf-page.de : version

de travail « évolutive »). – Les entrées de glossaire citées ici comme exemples sont modifiées partielle-
   

ment pour s’adapter au cadre typographique présent.


398 Frankwalt Möhren

seulement les mots de texte, mais aussi, avec les indications nécessaires pour les reconnaître,
ceux des variantes ; ils devraient distinguer clairement les restitutions de l’éditeur des formes de

l’original ; ils pourraient préciser enfin que les mots se trouvent ou non à la rime ou à l’assonance.

Mais ce n’est pas là à proprement parler une tâche de l’éditeur. Celui-ci ne doit à son lecteur que
l’explication des termes, sens ou formes, difficiles et rares ou particuliers au texte qu’il publie ou
qui appartiennent à un vocabulaire exceptionnel, local ou technique. L’absence d’un lexique
classique de l’ancien français et, jusqu’au Petit dictionnaire de Levy, de l’ancien provençal a
obligé beaucoup d’éditeurs à dresser des glossaires incomplets, mais étendus, où s’enregistrent
les expressions les plus simples et les plus banales, au détriment bien souvent de l’explication
précise des expressions vraiment dignes d’étude. Il y a eu là depuis cinquante ans une grande
déperdition de force, de temps et d’argent. Le remède est dans l’établissement et la publication
d’un lexique manuel de l’ancien français : les mots ou sens enregistrés dans ce lexique comme

dans celui de Levy ne devraient plus figurer dans les glossaires purement explicatifs des éditions,
qui pourraient être ainsi très réduits. Un lexique de ce genre est en préparation pour la collection
des Classiques français du moyen âge ». 

Les éditeurs modernes ne lisent ce texte qu’à partir du « Mais » néfaste.2    

Foulet/Speer (1979), un petit guide assez influent, adoptent en fait ce point de vue
réduit de Roques (1926, 104–109) et discutent les inclusions et exclusions de façon
pragmatique :  

« To choose entries for the selective glossary, the editor should first single out words which have

perplexed him, words he had to look up in Godefroy or Tobler-Lommatzsch. Then he should add
words which he may know but which could puzzle a reader less familiar with the dialectal traits
of the text, the idiosyncratic spellings of the basic manuscript, or the technical aspects of the
subject matter » (105).

Pour les exclusions, ils se réfèrent encore à Roques en préconisant non plus le « Petit  

Godefroy »,3 mais « today possibly Greimas ».4 En somme, leurs recommandations
     

mènent à des glossaires sélectifs aléatoires.

2 J.-P. Chambon, RLiR 70,124, cite par conséquent le texte à partir de « l’explication de termes » (une
   

ligne plus loin). – C. Brunel, Bull. Soc. Hist. Fr. 77, 1941, Paris 1942, 275–278, suit Meyer et Roques ;  

recommande des notes au bas de page pour des mots difficiles ; par une liste de mots qui manquent

dans Gdf et TL « l’éditeur… servirait la tâche ingrate des lexicographes » (74).


   

3 C’est une erreur : Roques parlait du Petit Levy (LvP, dict. anc. occitan). Foulet et Speer pensaient

probablement à GdfLex qui contient des suppléments à Gdf non documentés, c’est-à-dire des mots
qu’il faut au contraire absolument enregistrer ! Ce dictionnaire garde une certaine importance pour la

métalexicographie, v. Städtler ActesMfr10 207–278 : documente des mots sans documentation dans

Gdf. LvP est également une pierre de touche douteuse, car il contient de même des suppléments à Rn et
Lv non documentés (Chambon, RLaR 101, 1997, 255).
4 Comme nous n’en parlerons plus, disons ici simplement que l’utilisation du dictionnaire de Greimas
a fait beaucoup de mal. Noter le « possibly ». Comme Greimas repose sur Grandsaignes d’Hauterive, il
   

faut se souvenir de la remarque de Félix Lecoy : « … avec renvoi au d’Hauterive, dont la moindre
   

pudeur exigerait qu’on ne le mentionnât pas ! » (R 92, 1971, 430). Son pendant mfr. est pareil, v.
   

ActesMfr8 205 n.5.


L’art du glossaire d’édition 399

Ce manuel est repris par Lepage (2001). Son chapitre sur le glossaire s’est réduit à
une page et demie de remarques générales :  

« La confection du glossaire peut paraître aisée, et même amusante : un logiciel peu coûteux peut
   

en effet fournir en très peu de temps une concordance complète du texte édité… Mais l’opération
est délicate. Il n’est, pour s’en persuader, que de parcourir les comptes rendus, parfois assassins,
de Gilles Roques ou de Takeshi Matsumura, dans la Revue de linguistique romane. On y apprend
vite que la constitution d’un glossaire est un exercice rigoureux et qu’on ne s’improvise pas
lexicographe ».5  

Il est vrai qu’une concordance ne coûte rien et ne sert à rien. Lepage continue : « Le    

glossaire doit enregistrer tous les mots et locutions d’interprétation délicate : mots  

rares… » et termine curieusement par « On attend normalement d’un glossaire qu’il


   

fournisse un relevé exhaustif des formes et des occurrences » (128).  

Les ConseilsÉcCh (Vielliard et al. 2001–2002) consacrent trois fascicules (693


pages) à tous les aspects de l’édition de textes d’archives et de textes littéraires. Dans
le fascicule I il n’est pas question de glossaire, par contre dans le chapitre « Index et  

tables » du fascicule II on lit :


   

« L’index rerum pourra être aussi le lieu de proposer des interprétations pour certains termes

rares ou délicats, à moins que la finalité de l’édition (édition de documents philologiques, etc.)
n’impose la présence d’un glossaire séparé » (170).

Le fascicule III, Textes littéraires, mentionne plusieurs index, dont l’index verborum
qui « peut servir à la fois d’index matière et de guide à l’usage linguistique de

l’auteur… Entre un tiers et un quart des mots du texte ont ainsi été retenus par
l’édition d’Orderic Vital, qui peut servir de modèle6 … Assorti d’une traduction, l’index
se transforme en glossaire… » (99). Phrases clés :
   

« Le glossaire, réduit aux mots rares ou inusités et aux sens insolites, est un outil préparatoire

pour le lexicographe. Mais il permet aussi à l’éditeur de tester son édition. La responsabilité des
éditeurs est engagée lorsqu’ils engrangent des mots simplement fautifs. Une vérification scrupu-
leuse de tous les mots qui éveillent l’intérêt amène parfois à corriger l’établissement du texte
(avec note)7 » (100).

5 Le terme d’assassin convient mal : ce n’est pas le compte rendu qui assassine, c’est l’éditeur innocent

qui se sent assassiné, puisqu’il ne se doutait de rien. Pour les divergences entre les comptes rendus cf.,
à titre de travail pratique, ceux mentionnés dans DEAFBibl sous GuillAnglH (G.R. : « modèle » ; T.S. :
         

« rééditer »), GuillPalMa, GlAngelusP, etc. Cas extrême à signaler aux étudiants : PassIsabD est jugé
     

« édition très soignée… pierre angulaire… pierre de touche » (J.D., p.4 de couverture), mais dans les
   

comptes rendus « une calamité » (G.R., ZrP 109,435), « Même les cotes des manuscrits sont inexactes »
       

(G.H., RLiR 56,316), « unbefriedigend » (C.W., VRo 51,281–284), « äußerst mangelhaft » (F.L., ZfSL
       

104,193).
6 Le glossaire ‘modèle’ propose des articles comme u i l l a , village, estate, vill, manor, aux références
non triées.
7 Le glossaire ‘modèle’ propose par ex. a g i t a m e n ‘impulse, disturbance’, avec une seule référence.
400 Frankwalt Möhren

Bien des études et comptes rendus donnent des informations ponctuelles sur la
8
confection de glossaires, mais rares sont ceux qui systématisent le sujet (notam-
ment de la plume de Jean-Pierre Chambon, de May Plouzeau et de Takeshi Matsu-
mura9).

2 La nature du glossaire d’édition


Le glossaire est un Petit Robert du langage d’un texte.

Une liste de mots d’un texte, établie à la main ou à la machine, sélective ou complète,
s’appelant alors concordancier,10 ne saurait fournir autre chose que des informa-
tions.11 Le glossaire est au contraire un travail philologique et lexicographique qui
reflète du savoir. « La lexicographie a un rôle de validation, d’organisation, d’intégra-

tion de l’information en un savoir » résume Annie Bertin dans MélMartin2 63. Il


convient donc d’appeler une liste de mots « liste de mots ». Le terme de « diction-
     

naire » est généralement réservé à un lexique d’une langue ou du lexique d’un


domaine de l’activité humaine, le terme de « vocabulaire » à un lexique aux informa-


   

8 Dernièrement Ph. Ménard exposant son édition JLongOdoA, dans Comptes rendus des séances de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Janv.-Mars 2011, Paris [2012], 23–54, spéc. p. 38 « Le    

glossaire de l’édition sort des habitudes courantes des éditeurs, qui veulent seulement préciser le sens
de quelques termes, sans se soucier de l’histoire de la langue… Il convenait… [par la consultation des
dictionnaires] de mettre en relief les particularités et les innovations lexicales du texte ». Toujours

amusant : K. Baldinger, Splendeurs et misères des glossaires (à propos de nouvelles recherches rabelai-

siennes), ActesMfr (1988) 265–288. – La très bonne introduction à la science de l’édition de Thomas
Bein ne consacre pas une ligne au glossaire (Textkritik. Eine Einführung in Grundlagen germanistisch-
mediävistischer Editionswissenschaft, Frankfurt, Lang, 22011). Fr. Duval, dans ActesPhil 147–148,
n’approfondit pas la question.
9 Par ex. le travail de T.M. dans MélShimmura (1998) 111–141 et les comptes rendus de PèresPrI5/7S
par J.-P.Ch. dans ZrP 112 (1996) 158–159 et de PercefR3 par M.P. dans R 119 (2001) 242–271, ou de
MeraugisS par M.P. dans R 112,543–588 ; 130,134–201 ; 407–472 ; pas plus indulgent : Jean-Pierre
       

Chambon, Emmanuel Grélois, Philippe Olivier, compte rendu de R.A. Lodge, ed., Les comptes des
consuls de Montferrand (1346–1373), Paris, École nationale des Chartes, 2010, in RLiR 76 (2012) 281–316,
spéc. 294–311. À titre de comparaison seulement : compte rendu de MPolGregM par F. Möhren,

Francia-Recensio 2008/3 MÂ, en ligne.


10 La première concordance est Concordantiae Sancti Jacobi de Hugues de Saint Cher (et al.), Paris ca.

1240.
11 Aujourd’hui le dépouillement automatique est de règle (cf. « Aide à l’édition de textes » sur le site
   

ATILF), mais la position de Jean-Gabriel Gigot, DocHMarneG p. LXXVI, reste valable : « le lent travail
   

de dépouillement et de classement manuel permet de mieux assimiler les documents, de percevoir


dans le détail les habitudes des rédacteurs et des scribes et de mieux juger des difficultés et des
questions qui se posent ».  
L’art du glossaire d’édition 401

tions réduites, mais les emplois varient.12 On prendra soin de différencier la « lexico-  

graphie glossairistique » de la glossographie (antique, exégétique) qui, malgré sa


désignation similaire, n’a pas grand-chose en commun avec notre sujet (si un éditeur
conçoit de telles gloses, il les placera en note).
Le glossaire est le résultat d’un travail éminemment pratique. Il n’est pas utile de
l’accompagner d’un traité lexicologique ou de le surcharger de notions de lexicologie,
de sémantique, de phonétique, de dialectologie, d’histoire linguistique, d’histoire
générale, de syntaxe, de morphologie, de stylistique etc. Mais toutes ces sciences sont
nécessairement sous-jacentes au travail de l’éditeur glossairiste, sans quoi un glos-
saire faisant partie d’une thèse par exemple lui gâche la mention passable. À côté de
la pratique qui suit certaines règles se trouve toujours un système théorique qui
justifie ces règles. Le silence sur ces règles n’implique pas qu’il n’y en ait pas. Mais s’il
n’y en a vraiment pas et s’il n’y a pas un grain de savoir, son auteur se fera remarquer.
En analysant la langue et son vocabulaire l’éditeur de texte, l’outillage en tête,
observera les qualités de « son » texte et les particularités du vocabulaire. Il écrira des
   

chapitres de l’introduction qui réuniront les remarques sur l’auteur, les sources, les
manuscrits, la graphie, le scriptorium, la datation et la localisation du texte et des
manuscrits, les traditions de discours (comprenant les inclusions isolées et les nids de
vocabulaires spécialisés), le vocabulaire et son exploitation lexicographique, la syn-
taxe, la morphologie, la police de transcription et d’édition, les qualités ou défauts
des éditions antérieures, les aspects littéraires comme le style, la versification, etc. Ces
chapitres résultent de notes prises au cours de l’établissement du texte et du glossaire,
car leurs sujets touchent nécessairement l’analyse lexicologique ou en émanent. Ces
chapitres allégeront le glossaire d’observations répétées et résument les résultats
généraux.
Les lignes qui suivent essaient de présenter les règles essentielles de façon
concise, tout en les justifiant en accord avec la lexicologie et en les illustrant par des
(contre-)exemples. Il n’y a pourtant pas intérêt à ériger un système « nouveau », une
   

doctrine « nouvelle », avec une terminologie spécieuse, inouïe, élitaire ou dogma-


   

tique. La tradition de la science et du discours scientifique et même de la disposition


typographique est un bien précieux. Ce sera donc la formulation organisée de ce qui a
été pensé et dit et fait, du pied-à-terre pratique, un guide raisonné, pas un catéchisme.
La ligne de conduite se déduit en fait des toutes premières phrases du texte cité de
Mario Roques, des observations faites depuis longtemps lors de la consultation
régulière de tous les glossaires existants de l’ancien français pour la rédaction du
DEAF, des « bons » et des « mauvais » glossaires et de leur discussion et des critiques
       

sérieuses et véritables formulées dans les revues. Parmi les glossaires importants nous

12 Le Dictionnaire Électronique de Chrétien de Troyes s’appelle lui-même « lexique » dans l’Accueil de


   

son site. C’était Foerster qui avait appelé son lexique Wörterbuch zu Kristian von Troyes’ sämtlichen
Werken. Voir aussi ActesRechAgn 159 : Kunstmann différencie lexique et dictionnaire.

402 Frankwalt Möhren

comptons : BrittN (1865), Foerster (11914) pour Chrestien (à confronter avec le DÉCT de

Pierre Kunstmann), les glossaires de L. Foulet pour RolB et ContPerc1A R, AngDial/


VieGregP, BodelNicH, GastPhébChasseT, StädtlerGram, IntrAstrD, JourdBlAlM, Gui-
ChaulM T, PercefR et suites, ChirAlbT, et d’autres.13 « Bon » ou « important » ne veut
       

pas dire dans chaque cas « en accord avec les règles établies ici », mais plutôt
   

« servant leur but ».


   

3 Destinataires du glossaire
Le premier destinataire du glossaire est le chercheur éditeur.

Une fois l’édition matérielle d’un texte (provisoirement) terminée, son éditeur s’inter-
roge ou non sur le sens d’un glossaire à établir. Normalement, il propose ce qui est
recommandé : aider le lecteur en cas de difficultés de compréhension. La plupart des

introductions en parlent, quel lecteur visent-elles ? Le laïque qui feuillette par distrac-

tion chez le bouquiniste le livre non encore coupé ? L’homme cultivé qui meuble sa

bibliothèque d’une littérature présentable ? Le néophyte en sciences humaines qui


serait servi par un glossaire lui ouvrant les yeux ? Ou le collègue qui pâlira devant les

perles trouvées ? Un destinataire s’oublie facilement, le lexicographe ; les éditeurs se


   

servent volontiers des dictionnaires – n’est il pas bienséant de fournir quelques

13 BrittN, assez complet, donne des équivalents angl. bien choisis, parfois des étymologies, des
équivalences ou congénaires fr., des expressions comme heu et cri, des collocations (WAUCRUE , used
with viaunde), des critiques lexicographiques (sub WAYOUR par ex.), etc., bref, un glossaire qui déclasse
toute la production récente. – Exemple intéressant : GuillFillConsH, glossaire par Helena Häyrynen.

Bonnes idées, bonne exécution, mais très inconsistant : définitions juste suffisantes (accident n. m.

‘phase (de la maladie)’) alternent avec des définitions insuffisantes (admiration n. f. ‘le fait d’admirer’,
v. infra) ; mention de binômes, mais pas toujours (« accident… forme un binôme synonymique avec
   

circumstances [pl. !] »), le texte se lit regarde et considere longuement l’estat de son patient et les
   

CIRCONST ANC E d’après cette édition), le


circumstances et accidens de sa maladie (est dans DMF sous CIRCONSTANC
binôme regarder et considerer n’étant pas relevé, bien que les renvois y soient. La mention de « liaisons  

syntagmatiques » peut mener bien loin : Chambon, RLiR 70,136, sens 3., trouve liés à don m. collation
   

et presentacion qui désignent des faits juridiques bien différents et non liés sémantiquement. [Don y est
un terme de droit qui désigne une donation ou fondation (et son droit) du type donatio reservato
usufructu, souvent jointe du droit de présentation d’un prébendier correspondant ; de là les contextes 

je deteng lo don, DocHMarneG 22,19, seient signor del don, 22,20, li dons ou (‘y compris’)la presentacions
de la dite chapelerie demoure a touz jourz a moi et a mes successours, 164,10, retenons le don, 238,3, etc. ;  

dans ce domaine, don ne désigne que rarement le simple abandon de propriété : à revoir.] – Meyer  

BullSATF 35,77 avait signalé TristThomB comme glossaire modèle ; sa nomenclature est en effet bonne.

Lecture recommandée : YonH gloss., et compte rendu époustouflant par May Plouzeau, RCritPhR 8

(2007) 30–67, incluant une bonne prise de position de l’éditeur, J.-Ch. Herbin [la prise de position est
régulière dans cette revue et n’a rien à voir avec le « droit de réponse », souvent déplaisant].
   
L’art du glossaire d’édition 403

résultats en échange ? Autant de destinataires imaginables vont justifier autant de


types de glossaires.
Le premier destinataire du glossaire est pourtant l’éditeur lui-même. Il en a grand
besoin, car sans l’établissement du glossaire complet, mot par mot, selon les règles ici
réunies, il ne comprend pas son texte, parce qu’il lui manquerait essentiellement le
jugement sur la langue mise en œuvre dans son texte.14 Et qui, sinon l’éditeur, doit
comprendre le texte à éditer ? Jean Rychner a formulé le programme il y a cinquante

ans : « le philologue s’efforce d’établir les textes […], de les comprendre lui-même et
   

de fournir les instruments (notes, glossaire, etc.) qui permettront au lecteur de les
comprendre ; de les apprécier pour eux-mêmes et dans l’histoire, histoire de la

littérature, des idées, etc. » (StN 34, 1962, 7). Il est bon de se rappeler aussi d’Albert

Henry : « … personne ne peut dire dans quelle mesure il connaît, et ignore, l’ancien
   

français, s’il n’a pas rédigé le glossaire complet d’une œuvre au moins » (BodelNicH3,  

en tête du glossaire, note).15 Après, la réduction quantitative, pas qualitative du


glossaire complet pourrait se faire en fonction d’un second destinataire, c’est l’éven-
tuel lecteur : omission de la copule et, mais on retiendra tel emploi intéressant !, du
   

verbe faire, mais on relèvera telle expression, telle construction !, de vivre, mais…  

14 S’ajoute une raison pédagogique : sans être forcé de contrôler dans la lexicographie le sens de

chaque mot pour son glossaire, l’éditeur passe légèrement sur maint problème (v. ActesAlteNeuePhil
161 et les exemples suivant ici). Il s’en déduit aussi qu’il est foncièrement aberrant de publier l’édition
dans un premier volume, suivi, parfois des années plus tard, par un volume d’introduction avec
glossaire (élaboré après coup, par ex. ProvSalSanI : 6 années d’écart) ; théoriquement, c’est un procédé
   

à proscrire.
15 Les bons auteurs de comptes rendus le disent régulièrement, plus ou moins directement, par ex.
« Le manque de culture lexicographique a d’ailleurs des répercussions sur la compréhension du texte »
   

(Takeshi Matsumura, RLiR 70, 273) ; « quelques petites faiblesses du côté de la lexicologie française,
   

qui l’ont parfois incité à chercher inutilement des solutions vers l’italien » (G. Roques, RLiR 74, 547) ;
   

très circonspecte et intéressant par sa méthode : Françoise Vielliard, BEC 169 (2011/2013) 269–283 au

sujet de AiméHistNormG, édition « inutile » et « inutilisable ». Toujours très étoffés et systématiques les
       

comptes rendus de May Plouzeau dans RLaR, RLiR, R, RCritPhR, etc. ; lecture obligatoire : celui
   

concernant PercefR3 (une excellente édition), dans R 119 (2001) 242–271. – Objets standard du bon
compte rendu : texte, son auteur, sources, manuscrits, reproduction d’une page du ms. de base au

moins (belle solution : reprod. sur les fausses gardes dans GarMonglGirD), scriptorium, datation et

localisation du texte et des mss., tradition du discours, vocabulaire, principes et qualité du glossaire,
des notes, de la table des noms propres, aspects littéraires, style, versification, morphosyntaxe,
principes de l’édition, qualité de la transcription (dépassant le ‘inspire confiance’ ; ex. : Städtler ZrP
   

107, 201–203, ad GuillAnglH), responsabilités d’éditeurs multiples, qualité d’éditions antérieures,


bibliographie raisonnée.
404 Frankwalt Möhren

4 Rentabilité du travail intense


L’étude du vocabulaire sert les études littéraires.

Albert Henry, éditeur des plus expérimentés, a avoué un jour que « neuf vers octosyl-  

labiques » (de BodelNicH) lui ont « demandé plusieurs mois de recherches et de


   

réflexion » (Bull. Ac. Roy. Belg., Lettres, 6e sér., t. 4, 1993, 360). Heureusement tous les
   

textes n’exigent pas autant de temps, mais, les exemples réels suivant ici fournissent
la justification d’un travail intense qui satisfera et rémunerera le chercheur éditeur.
Laisser au contraire une suite de lettres ou traits de plume sans signification comme
fendestes dans une ‘édition’, alors qu’il faut lire et comprendre feudestés m. ‘sorte de
siège symbolisant le pouvoir’ ne peut guère être satisfaisant.16
La quête des ‘richesses’ d’un texte est régulièrement recommandée par les comp-
tes rendus d’éditions « charriant – souvent à l’insu des éditeurs eux-mêmes et c’est

bien là le drame – des matériaux à prendre en compte » (G. Roques, MélMöhren, 233).

La négligence des ‘richesses’ peut être déplorable, mais le fait de ne pas connaître, et,
par conséquence, de ne pas faire connaître les valeurs de son texte à éditer est
navrant. C’est pour cela que la recommandation de relever « largement tous les mots  

ou tous les sens qui dans l’état actuel de la documentation ne sont pas usuels… (mots
rares, archaïsmes, néologismes) » (G. Roques, ActesSémMfr 15) fourvoie le glossai-

riste. L’expérience montre aussi qu’une traduction du texte n’est jamais suffisante, si
le glossaire complet n’a pas précédé : libre, fidèle ou littérale, toute traduction trahit

l’interprétation restant sur le niveau de la « parole » (sens saussurien) et les incom-


   

préhensions résultant d’une méconnaissance de la « langue ».17    

Un grand inconvénient du glossaire complet est évidemment que l’éditeur ne peut


pas camoufler l’incompréhension par le silence. Du coup, les glossaires sélectifs
n’omettent pas seulement ce qui paraît très ou trop clair, mais aussi ce qui n’est pas
clair. Par ex. : ficher v. ‘rendre stable’ ou ‘garnir en piquant’ [compl. d’obj. indir. non

nommé] ( ?), dans un passage difficile de ConqIrlO (de 1892) 1016, manque dans son

glossaire, comme dans ceux de ConqIrlC et ConqIrlMu (de 2002).18 L’éditeur coura-

16 JGarlRC H n° 55, glose fercula a fero, DEAF F FAUDESTUEL


F AUDESTUEL [Kiwitt] ; l’édition antérieure de 114 ans

fournit la glose faudestole, tirée d’un autre manuscrit. – V. aussi le compte rendu de ErecFr2 et al., RLiR

59 (1995) 621 dernier alinéa., ou le glossaire de HouceP N avec son CIR E , grant ~, ‘grand-père’, au lieu de
CIRE
grantt ire (E cil a grantt ire i ala E parla sicome en courouce ; corr. par Städtler), etc. Lire les comptes

rendus (qu’on retrouve facilement par la Romanische Bibliographie).


17 Intéressant : May Plouzeau au sujet de la traduction de AlexParA, v. RLaR 102, 193–205 ; aussi
   

G. Roques RLiR 59,634 au sujet de AdHaleB, flagellant le principe et avec l’ex. de la traduction

d’escoufle par ‘buse’, alors qu’il faut ‘milan’ [pour des raisons linguistiques – et littéraires !]. Plainte

générale, avec ex. tiré de ErecFr2, RLiR 59,621.


18 « Un fossé fist jeter… Pus par afin ficher E par devant ben herdeler Pour defendre le passage Al rei »
   

ConqIrlD 1016, traduit ‘strengthen it with stakes’ ; ConqIrlC écrit a fin, ConqIrlMu corrige en en fin (sans

nécessité, v. TL 3,1862,18 : ‘finalement’).



L’art du glossaire d’édition 405

geux accueillera ces matériaux dans son glossaire tout en avouant qu’il ne comprend
pas. Il est même probable que ce geste à lui seul le poussera à creuser davantage et
qu’il trouvera et comprendra.
Le chercheur à l’orientation plutôt littéraire renoncera plus volontiers au glossaire
suffisant à une analyse de la langue, puisque la linguistique ne semble pas relever de
son ressort. Les conséquences négatives sont pourtant criantes.19 Par ex. : L’édition  

ColMusC de 2005 comprend musel m. comme ‘musard, oisif’ en accord avec Gdf
5,455b, mais TL 6,453,40 l’avait déjà correctement interprété comme ‘bouche (de

l’homme)’ (Matsumura, ZrP 123,524). Autre exemple tiré d’une édition d’une charte :  

Se aucuns defaut de jor, je i ai set souz est traduit « Si quelqu’un refuse de porter

secours pendant la journée, il me doit sept sous », où jor est en réalité un terme

juridique désignant le jour de comparution (ou de jugement ; cf. mlt. dies) : « Si      

quelqu’un manque de comparaître au jour fixe… » (ChCharrouxN § 26, cf. DEAF J


   

554,42–555,39). Dans AdHaleRobD 387, Marion, amoureuse, dit Acole moi, ce que
l’éditeur Dufournet traduit par « Prends moi par le cou » – goûts bizarres. Dans
   

chacun de ces cas, le texte, ou plutôt la traduction du texte n’est pas trop déparée,
mais son sens n’est pas rendu. C'est dans ce sens qu’Albert Henry résume en tête de
son glossaire : « Il est inutile d’insister sur l’intérêt que peut présenter un lexique
   

complet du Jeu de saint Nicolas, et pas simplement en vue d’une meilleure compré-
hension de l’œuvre » (BodelNicH3). Il s’avère vite que l’interprète qui ne s’outille pas

de quelque linguistique pratique est comme l’aveugle sans bâton.


Évidemment, plus la barre est haut placée, moins les sauts réussiront. En dernière
conséquence, le glossairiste d’un texte quelque peu étendu (par ex. les 13540 vers de
PelVieD20) se rapprocherait pour le volume de son lexique d’un dictionnaire de
l’ancien et du moyen français (PelVie par ex. chevauchant sur la limite traditionnelle
entre ancien et moyen français). Par ex. : regarder paraît clair, regarder que (+ subj.)

‘faire attention à’, PelVieD 4416, semble notable. Par bonheur, DEAF G 222,54 enregis-
tre la construction et le sens (2 att.), mais une datation en toutes lettres y est à suppléer
(1283 et 1er q. XIIIe s. ms. déb. XIVe s.) ; PelVie pourrait fournir la dernière date par

rapport au DEAF (et le FEW), mais dans DMF II.A.1.b. 3e alin. on trouve une attestation
de ca. 1460, et dans Hu 5,124b sub MANGER subst. une de ca. 1550 ; le glossaire de  

PelVieD a donc raison d’enregistrer le fait et de faire les recherches. Comme le saut
maximal n’est pas réalisable, ni même souhaitable, il faut trouver une balance entre
un glossaire carrément ridicule et un glossaire au delà de l’idéal. Une contrainte

19 Se souvenir de la prise de position d’Albert Henry : « Il n’y a pas de barrière entre linguistique,
   

critique des textes et esthétique littéraire : rétablissons ou maintenons l’unité de la Philologie », dans
   

Romania 73 (1952) 407. Cette conception ancienne de la philologie ne s’est malheureusement toujours
pas rétablie en France.
20 PelVieD reviendra ici comme exemple à plusieurs reprises, puisque le présent auteur a pu partici-
per à cette édition terminée au printemps 2012. On cite le glossaire ample, accessible par le biais de
DEAFBibl, en ligne.
406 Frankwalt Möhren

extérieure, par ex. dictée par une maison d’édition ou par une collection moins
savante (dont le chercheur se laisse faire21), ne compte plus aujourd’hui, car tout
travail peut se publier en ligne (comme dans le cas de PelVieD : version ample du 

glossaire en ligne, version pénurie sur papier, raccourcie, pas délapidée).

5 Fonction du glossaire
L’ensemble des « gloses » du glossaire ne représente pas le fractionnement d’une traduction du
   

texte, car le glossaire classifie.

Le glossaire ne sert pas à offrir des translations possibles d’un mot dans le contexte de
sa traduction, il sert à saisir d’abord le sens du mot et par ce biais le sens du texte, à
situer pour le lecteur l’emploi des mots (tirées d’une langue) dans le langage du texte.
Qui veut servir un texte aux fins lettrés – qu’il le traduise ; la traduction est le terrain

du littéraire. On adore parler d’altérité, de mentalités et d’autres belles choses. Mais


justement, sans reconnaître le caractère individuel du langage d’un texte, on ne sait
rien de sa qualité littéraire, de sa valeur comme document historique ou linguistique.
Un texte est parole (toujours sens saussurien), son auteur parle avec le langage des
autres, car chaque énoncé se réfère aux énoncés des autres.22 Cela implique nécessai-
rement que le glossaire ne glose pas les mots par des offres de traduction (s’intégrant
dans une transposition au français moderne, ou italien ou japonais…), mais par des
définitions qui se réfèrent à la langue comme système (le langage de la définition
étant sans importance) ; le glossaire n’interprète pas, il classifie23. Comment réussir

cet exploit sans avoir recours à la lexicographie scientifique ? Seule la référence à la


lexicographie permet des conclusions sur la position du texte dans l’histoire, dans sa

21 Nous connaissons les remarques redoutables de relecteurs de collections, même vénérables,


comme « utile ? », « supprimer », etc., aussi en ce qui concerne la justification scientifique du glos-
         

saire : il devrait être un reflet du texte et pas de la langue. Ici, nous nous opposons fermement à cette

dernière position : l’explication de la parole est à sa place dans les notes.


22 Cf. Wulf Oesterreicher, Sprachtheoretische Aspekte von Textphilologie und Editionstechnik, dans
ActesAlteNeuePhil 111–126, spéc. 112, hiérarchisant sémanticité (caractère sémiotique du langage),
altérité (comme rapport de tout langage à un alter ego, d’où l’impossibilité d’une langue privée
[désignation en conflit avec l’altérité historique, opposée à l’identité ou similarité]), créativité (de
chaque acte de parole), historicité (la langue étant changement), extériorité (côté matériel : son et

écriture), discursivité (coordination nécessaire du côté sémantique et du côté matériel dans la produc-
tion langagière).
23 Il y en a qui proclament le contraire – ils ont tort : ils semblent se méprendre sur le glossaire comme

étant une collection de notes ou gloses.


L’art du glossaire d’édition 407

synchronie comme dans sa diachronie, sur l’envergure de son individualité, sur sa ou


ses tradition(s) de discours, etc. etc.24
Le glossaire est aussi l’endroit où nombre d’observations historiques ou encyclo-
pédiques, et surtout celles touchant la langue, peuvent prendre place. Bien des
éléments encyclopédiques font de toute façon partie de la définition de termes
désignant des faits historiques, certains peuvent compléter la définition, c’est une
question de technique lexicographique. Sous cet aspect, le glossaire complémente
élégamment les notes explicatives.
La troisième fonction est de servir la lexicographie. Ceci n’est pas le but du travail,
c’est une retombée naturelle. Comme les dictionnaires bâtissent sur des séries d’attes-
tations, le texte édité et analysé en vue du glossaire fournit lui-même des éléments du
dictionnaire. Le travail correspond à une confrontation des données du texte et des
données des dictionnaires, c’est donnant donnant. Le glossairiste profite et collabore,
car les dictionnaires sont loin d’être parfaits ou complets ou assez différenciés. Qui ne
collabore pas à la grande tâche ne mérite pas d’estime (du moins du côté des
lexicographes) et il perd la chance inouïe de se sentir utile. Le premier qui souffre
d’un travail autosuffisant est le glossairiste lui-même. S’ajoute un aspect de psycholo-
gie pratique : la critique des dictionnaires, qui ne saurait rester sans fruit, est un

stimulant effectif, elle aiguise l’esprit critique et elle défait la vénération ; à l’inverse,

la consultation critique détruit régulièrement des certitudes du chercheur quant à son


interprétation première de son texte, ce qui pourrait réduire la présomption.
Dernier point, et non des moindres : qui va lire votre livre de bout en bout, le

texte, la préface, les notes ? Personne. C’est le plus souvent le glossaire qui fournit les

points d’amarrage pour les lexicologues, les dialectologues, les phonéticiens, les
historiens, les spécialistes des choses, des motifs, de l’allégorie, de la littérature
comparée etc. : le glossaire est la clé de votre travail.

6 Définition
Dans la définition se cristallise l’analyse sémantique du texte et du mot.

L’unique raison d’établir une édition est de donner un texte à lire. Sa lecture sert à
apprendre le contenu du texte, à comprendre son sens. Le sens est entièrement lié au
sens des mots, même dans le cas particulier des textes non-sens (par ex. FatrArr). Le
glossaire est nécessaire pour pénétrer le texte plus profondément que par une simple
lecture ou par une traduction. Pour que le glossaire puisse produire cet effet, il est

24 Cette position est parallèle à l’exigence de décrire un ms. non seulement en fonction de ce qui le
singularise par rapport à la base, mais aussi en fonction de ce qu’il partage avec cette base (M. Plou-

zeau R 119, 245).


408 Frankwalt Möhren

exclu de ne fournir que des définitions-classement par équivalents ou soi-disant


synonymes ou par des propositions de traduction des termes à analyser. Ces béquilles
sémantiques sont au plus utiles dans un discours scientifique où il ne s’agit pas de
définir mais d’indiquer rapidement par ex. de quel mot polysémique ou homony-
mique (voler, chouette par ex.) on parle.25 Une première et simple justification de ce
constat est que les équivalents (ou gloses traductives) fonctionnent seulement dans la
traduction en français moderne (ou italien ou japonais) du texte, c’est-à-dire dans un
succédané du texte, et cela très approximativement (et encore : à condition qu’ils  

soient correctement choisis). Par ex. : enterin adj. ‘entier’, DÉCT, est documenté par

esmeraude anterine, comparable aux attestations classées sous ‘entier, parfait, sans
faille’ du DMF A.2., et par joie anterine, proche des attestations sous ‘loyal, parfait,
intègre, irréprochable, pur’ du DMF B.2.
Parmi les lexicographes modernes on s’est beaucoup amusé à propos de ‘défini-
tions’ du type « LUCCIO . Pesce noto. Lat. lucius » (Crusca 1612) ; « Lampreda è pesce
       

noto » (Calepino 1553) ou « BROCHET , s.m. Poisson connu qui est de lac, d’étang & de
   

riviere » (Rich 1680) ou encore « BARBEAU ‘poisson connu’ » (Dictionnaire portatif de


     

cuisine 1767) – mais est-ce si bête ? Le genre prochain est correctement indiqué et

‘connu’ renvoie au sens premier du terme dans la langue moderne. Tout le monde
reconnaîtra au contraire que ‘pieu’ pour pel (CharroiP, collection CFMA) ou ‘aigle’ pour
aigle et ‘graisse’ pour gresse (MPolGregM t.6)26 ne saurait que fournir l’identification
de la forme, le sens restant ouvert : au cher lecteur de se débrouiller. La « définition »
     

‘forme de balayer’, accompagnant baloier, rend naïvement explicite cette façon de


faire (GuillAnglH, ZrP 107, 203). Autre exemple : congié est sans indication de sens

dans le glossaire de DocHMarneG (gloss. par J. Monfrin), ce qui nous rejette sur frm.
congé bien que le mot ait dans le texte un sens incompatible avec les sens du mot frm.27
La plupart de ces pseudo-définitions n’améliorent pas la compréhension du mot ou du
texte, au contraire, le lecteur doit recourir au texte pour comprendre non seulement le
mot glosé, mais encore la « glose » de l’éditeur (quelle faillite !). DuvalRome 20 justifie
     

pourquoi même consul m. ‘consul’ est faux pour un texte du moyen âge.28 Voici un

25 C’est pour cela que « CHOUETTE , oiseau » dans BW5, qui ne définit jamais, n’est pas ridicule, le mot
   

suivant étant « CHOUET


  TE , adj. » (sans indication sémantique) ; le genre prochain indiqué est correct, ce
CHOUE TTE    

qui n’est souvent pas vrai dans le cas des gloses traductives des glossaires.
26 Nombre d’exemples: esté m. ‘belle saison’ (question de mousson: .ii. venz, l’un vente l’yver et l’autre
l’esté, 160,56), geule ‘tête’ (sic), etc., mais au contraire cerchier ‘parcourir en tous sens, quadriller un
terrain, fouiller un espace pour trouver’.
27 TL 4,1551 donne à l’expression adv. *a jalonees deux ‘sens’, ‘à pleines mains’ et ‘parcimonieuse-
ment’ ; ces offres de traduction fonctionnent dans les traductions des contextes respectifs, mais un tel

sémantisme d’une seule expression est impossible. V. pour ce cas exemplaire F. M., De l’analyse
sémantique du lexique ancien, in ActesMetalex3 (2012), pp. 27–58, spéc. 38–39 et 54. Autre ex. : abrievé
   

adj. ‘ardent’, critique commentée, RLiR 64,284.


28 D’autre part, la proposition de garder l’équivalence Pretexte estoit une maniere de noble vestement
(Bersuire) n’est pas suffisante (et n’a pas été respectée par Duval lui-même).
L’art du glossaire d’édition 409

exemple plus bénigne : umilité f. ‘bonté’ (PercefR5) fonctionne assez bien dans la

traduction virtuelle du texte (mercy de l’umilité et de l’onneur que vous me faittes), mais
le texte gagne en profondeur si l’on se rappelle les sens d’umilité et des emplois
parallèles comme (faire) umilité chez CommC, alors définissable ‘qualité morale (d’un
personnage haut placé) qui, en réprimant en lui tout mouvement d’orgueil, laisse aux
autres leur sentiment de valeur’ (~ DMF A.3.). Ne pas oublier que si l’auteur avait voulu
dire ‘bonté’, il aurait dit bonté, un mot bien documenté dans le texte (et le glossaire).
Si les offres de traduction ne peuvent servir de définition, les séries de termes qui
s’ajoutent souvent pour restreindre ou serrer, monosémiser le sens d’une glose
traductive ne peuvent guère améliorer la chose, car ils ne font qu’atténuer un faux
sens du premier terme donné.29 La plupart des glossaires se servent de cette méthode
intuitive commode, bien qu’elle demande du lecteur un effort d’analyse linguistique
considérable (plus grand que celui de déchiffrer une définition analytique). Elle
devient souvent ridicule, surtout quand les termes choisis ne convergent pas. Par ex. :  

« hua, sb. ‘chat-huant, hibou, milan’ (Strix otus) » (GaceBuigneB 1864) : scandale !, les
       

trois gloses traductives désignent trois animaux différents et la désignation scienti-


fique ajoutée concerne un quatrième (aujourd’hui Asio otus ou moyen-duc), hibou
étant de plus particulièrement plurivalent et le milan ou les milans n’étant pas des
Strigidés. Le glossairiste exige en fait du lecteur de tirer une somme des traductions
disparates et même contradictoires et de deviner lui-même le sens du mot et par
conséquent le sens du texte, donc de faire le travail de l’éditeur. Dans ce cas précis, la
somme n’est pas la bonne solution, car hua peut désigner des Strigidés et des
Aquilidés. Le DEAF H 669,4 a mieux travaillé : il classe l’attestation sous le sens de

‘oiseau de la famille des Aquilidés, prob. milan royal ou noir’ et ajoute le commen-
taire : « désigne un faucon par dépréciation plaisante », ce que l’éditeur avait égale-
     

ment observé.30 Voilà la pensée de l’auteur que le philologue doit communiquer à son
lecteur pour qu’ils puissent tous les deux comprendre et savourer le texte. Ce cas
suggère encore une autre observation : si déjà le chercheur ne sait pas de quoi il s’agit

(‘espèce de Strigidé’ n’étant pas complètement exclu), pourquoi n’a-t-il pas le courage
de déclarer vaillamment ses doutes ? Un travail scientifique n’est pas déparé par

l’emploi d’adverbes dubitatifs, ils documentent au contraire son sérieux.

29 Même les synonymes ne sont jamais des équivalents (Robert Martin, Pour une logique du sens,
Paris, PUF, 1983, p. 162). – Bel essai d’explication : « on pourrait souhaiter un effort vers l’élaboration
     

de définitions. Or, comme il arrive dans la plupart des glossaires, les définitions par traits sémantiques
sont le plus souvent absentes, et remplacées par des traductions. Sans doute est-ce l’effet du poids de
la tradition, du souci de gagner de l’espace, et puis aussi, du goût, voire de l’ivresse des mots chez le fin
lettré qu’est notre éditeur » (May Plouzeau, RCritPhR 8,44).

30 Le milan royal avait une réputation particulièrement mauvaise, il est vorace et ne se laisse pas
dresser, v. PelVieD gloss. et B. Van den Abeele, in Reinardus 1 (1988) 5–15 ; id., in Aves 44,2 (2007) 119–

123. – Procédé extravagant : cumuler deux équivalents définitionnels différents pour une seule attesta-

tion, fondation f. ‘fondement ; revenu’, Chastellain, Paix, ed. Van Hemelreyck (G. Veysseyre, RCritPhR

8,90).
410 Frankwalt Möhren

Un autre vice est de donner un commentaire (métalinguistique ou personnel ou


interprétant le contexte) en guise d’une définition. Par ex. : fardure f. ‘ornement

superflu’ (FEW 152,113b, repris des sources secondaires), au lieu de ‘produit cosmé-
tique employé à l’embellissement ou à la modification du visage, fard’, ou pieche a
Satan ‘t. d’injure’ (FEW 8,339b,c.). Commentaire déguisé en définition : « Mfr. faitas    

‘mot cité parmi ceux qui se rapportent au blé, mais de signification inconnue’ » (FEW  

21,116b ;31 v. maintenant DEAF).


Le glossaire veut faire mieux, car il doit donner au mot ses qualités et son sens
précis.
La seule définition valable est la définition aristotélienne, composée du genus
proximum et des differentiae specificae, le genre prochain étant une notion qui
englobe le défini, différencié des désignations voisines par les traits distinctifs. La
définition classe (concerne tout le défini) et distingue (concerne seulement le défini).
Le tout est produit dans un syntagme : c’est la définition syntagmatique, certains

préfèrent ‘analytique’ (terme assez suggestif) ; on dit aussi ‘définition componentielle’


(Paul Imbs, en 1971, dans TLF 1, xxxv ss., xxxvii : « … la définition, qui est la forme
   

lexicographique traditionnelle de l’analyse componentielle » ; Chambon RLiR    

76,296), la « définition phrastique » étant autre chose (dans le sens de Rey-Debove,


   

Trav. Ling. 23, 1991, 153). La définition analytique peut être concise, chaise f. ‘siège à
dossier et sans bras’ (RobP), ou développée, ‘siège pour une personne, à dossier et
généralement sans bras, rembourré ou non, typiquement fabriqué de bois, pliant ou
non…’.32 Ces développements sont souvent un moyen commode pour communiquer
des détails encyclopédiques, utiles notamment en rapport avec des faits historiques
peu familiers. Il importe pourtant de respecter l’exigence comme quoi la définition
doit couvrir tout le défini et seulement le défini : chaise curule f. ‘siège d’ivoire sans

dossier où siégeaient les principaux magistrats de la République romaine’ (TLF


5,462a) est alors à critiquer, la définition ne couvrant pas tout le défini, parce que ‘fait
d’ivoire’ n’est pas une différence spécifique (ou trait distinctif selon les sémanticiens),
ces sièges étant parfois faits d’ivoire, souvent de bois pouvant être plaqué d’ivoire (ou
d’or, comme il est dit de celui de César). Autrement dit, si une chaise curule donnée
n’était pas faite d’ivoire, elle ne pourrait pas être appelée ‘chaise curule’ selon la
définition du TLF (la connaissance de l’étymologie de lat. curulis pourrait aider à
éviter l’erreur).33 De même, chaise (à porteurs) f. ‘cabine munie de brancards…’ (ibid.)

31 De même pour blamarée, sous ‘MAÏS ’, FEW 21,117b : « id., dans quelques régions du Midi de la
   

France ».

32 L’ajout « généralement » est justifié par nombre de désignations courantes comme ‘chaise médail-
   

lon Louis XVI’, meuble qui peut se présenter avec bras, étant alors, selon la norme, nommé ‘fauteuil’.
33 DuvalRome 221a ‘avec des incrustations d’ivoire’ ; à corriger.

L’art du glossaire d’édition 411

est doublement erroné, parce que ‘cabine’ n’est pas le genre prochain, c’est ‘siège’, et
ce siège n’a pas besoin de cabine pour être appelé chaise.34
Une autre exigence traditionnelle est que la définition emploie des termes généra-
lement connus, appartenant au « français fondamental », et surtout que le sens du
   

terme servant à désigner le genre prochain coiffe vraiment le signifié à définir. Pour
ne pas tomber en adoration, il est bon de prendre RobP en mauvais exemple : fiente f.,  

défini correctement ‘excrément mou ou liquide d’oiseau et de quelques animaux’, sert


de genre prochain à crotte f. ‘fiente globuleuse de certains animaux’, c’est-à-dire, un
terme voisin du même champ onomasiologique, un « synonyme » ou terme dit analo-
   

gue, dont le sens exclut au contraire le sens de ‘crotte’ ; le terme approprié aurait été

excrément.
Une pseudo-définition comme ‘celui qui sert’ pour serviteur par ex., est certes
syntagmatique, mais n’est pas mieux qu’un simple ‘équivalent’, puisque celui désigne
un genre sans valeur sémantique suffisante et servir est polysémique et plurivalent
(du café ?, son maître ?). Le développement ‘celui qui sert (qqn envers lequel il a des
   

devoirs)’ (RobP) est le plus concis possible et se fie déjà largement au savoir sémé-
mique du lecteur.
Le philologue glossairiste ne veut certainement pas se contenter d’une approche
moins scientifique que celle d’un ouvrage destiné au vulgaire comme le Petit Robert,
et il ne classera pas son lecteur sous le niveau du consultant de ce dictionnaire. On
n’exigera donc pas l’impossible si l’on recommande RobP comme modèle et son
Introduction comme guide minimum.35

34 Chambon RLiR 76,296 est assez gentil de recommander d’« adopter le style du DEAF…, à savoir :
   

définition componentielle, suivie d’une traduction ». En fait, un trop grand nombre d’indications de

sens s’est fait dans le DEAF même par des ‘équivalents’, comme DEAF G 5,23 gäaing m. ‘labourage’ (TL
‘Feldarbeit’ n’est pas mieux, mais plus correct quant au sens, car il s’agit des travaux divers exécutés
par des bœufs, pas seulement le labourage) ; G 6,50 bien gaagnant adj. ‘industrieux’ ; G 14,37 agas m.
   

‘raillerie, moquerie, plaisanterie’ ; etc. On observera une fluctuation dépendant du rédacteur et un


accroissement de ‘bonnes’ définitions avec le temps et avec l’amélioration des principes. Gdf et TL ont
été conçus au milieu du XIXe siècle, FEW au début du XXe (le FEW reproduit le plus souvent les
définitions ou équivalents trouvés dans les sources secondaires). MöhrenVal (de 1975/80) donne
cendre f. ‘cendre’ : repère de linguiste (à éviter), cerenç m. ‘outil à fines dents qui sert à peigner le lin, le

chanvre, séran’ : correct. MöhrenLand (1986) est mieux. PelVieD, tranche des vers 1–5652 : assez
   

correct. Également l’AND opère avec des équivalents-repères, par ex. sac2 s. 1° ‘sack’… ; 4° (capacity or

weight) ‘sack’, pris comme exemple dans MélMartin2 292 pour critiquer à juste titre la ‘définition’ de TL
‘Sackleinwand [toile à sac], Sack’ pour une attestation de sac comme mesure (de laine) ; en fait le sac

de laine comme unité de vente est défini par son poids, v. MöhrenLand 234–236 : agn. sac m. ‘sac d’une

dimension donnée, servant au trafic de laine crue, contenant env. 350 livres de laine’.
35 Son exemple fonte f. ‘alliage de fer et de carbone’ est très suggestif (p. XIV ), sauf que la définition ne
concerne qu’un sens créé par restriction, excluant ‘métal, allié ou non, à l’état liquide, destiné à être
coulé dans un moule’ et ‘métal qui a été coulé (pour former un objet)’ toujours existants. Cf. frm. fonte
de fer (TLF 8,1060a, A.1.a), syntagme qui, en substituant fonte par la définition de RobP, serait
tautologique ; on agite & remue la fonte [de laiton] dans les creusets (J.-G. Galon, L’art de convertir le

412 Frankwalt Möhren

La définition analytique remplit aussi un rôle pédagogique. Elle dissèque l’ana-


lyse du sens en une procédure pas à pas qui laisse moins de place à l’impression-
nisme : quel est le genre prochain, quelle est la première qualité (ou sème ou trait

distinctif) qui distingue ce signifié (se référant à une chose donnée) d’autres (se
référant à autres choses), y a-t-il lieu de préciser davantage par l’indication d’autres
traits distinctifs, lesquels ? Est-ce que cette définition correspond aux définitions (ou à

la somme d’équivalents donnée) de la lexicographie existante ? Si non, faut-il corriger


la lexicographie ou ma définition ? La définition est le résultat d’une analyse séman-


tique du signifié qui se traduit dans une « Représentation métalinguistique des


contenus » comme le dit le titre d’un chapitre très recommandable par sa clarté et sa

concision de Robert Martin (MélMartin2 12–13).


La démarche scientifique est un jeu de ping-pong entre analyse textuelle et
consultation de la synthèse lexicographique. L’analyse textuelle dissèque la parole du
texte et isole le sens du mot ; suit la comparaison avec les signifiés classés par la

lexicographie, ayant en principe le statut de langue. Naturellement, il serait merveil-


leux d’intercaler une analyse d’une série de textes proches dans le temps et l’espace,
et variés par leur genre littéraire, en fait de faire une recherche d’abord synchronique
puis diachronique.36 Cette démarche n’est pas un cercle vicieux, c’est un cercle
herméneutique où chaque étape est coupée par un processus de compréhension. Sa
base est le doute méthodique : croire ni sa propre analyse ni celle des dictionnaires.

Une sorte de guide pratique de l’analyse sémantique se lit dans Möhren, ActesMeta-
lex3 27–58, spéc. 39–53, chapitre « Un livre de recettes de l’analyse sémantique

historique ».  

7 Définition contextuelle et exégétique : à proscrire  

COSTUMA f. ‘tax payable to the King’.

La règle ultra-simple affirmant qu’une définition doit pouvoir s’intégrer dans le texte
à la place du mot devrait éviter le défaut d’une ‘définition’ qui englobe une partie du
contexte. L’exemple : COSTUMA ‘tax payable to the King’ fait sourciller le lecteur, car il

retrouve dans la définition un complément d’objet potentiellement variable (n’y a-t-il


pas des coutumes payables à autrui ?). Le contexte confirme le doute : per la costuma
   

cuivre rouge…, Paris, Desaint et al., 1764, 53b) ; Boulles de fonte de maintz divers metaulx (AndrVigne-
   

NapS, DMF), frm. poêle en fonte d’aluminium. – Également J.-P. Chambon prend RobP comme étalon
(RLiR 70,130). Les indications succinctes de RobP sont corroborées par A. Polguère, Lexicologie et
sémantique lexicale. Notions fondamentales, Montréal, PUM, 22008 (ne parle pas du glossaire).
36 Ce jeu commence dès le dépouillement. Plus complexe et plus profond : le chap. II., l’observation

des données et le rapport aux sources, de J.-P. Chambon, Tradition et innovation dans la refonte du
FEW, XVIII ACILPR, 7, 327–337, spéc. 330–333.
L’art du glossaire d’édition 413

de Rex (Tiddeman ActesRechAgn 97) ; en intégrant la définition dans le contexte, on


obtient ‘pour la coutume payable au roi du roi’. ENFERRER , emferrer…, enferré p.p.
‘percé par le fer d’une lance’ (PercefR5) ne fonctionne pas dans le contexte estoit
enfferré [!] d’un tronsçon de lance ou costé senestre, on peut proposer ‘(personne [prob.
aussi animal] ou membre) qui est percé (par une arme restant (partiellement) dans la
plaie)’.37
Le contexte suggère fréquemment un sens nouveau là où il s’agit en fait d’une
image. Par ex. : extrange chevelure faire comme une tour sur ta teste, Daudin, est défini

dans DMF TOUR 1 B. 6e alin. : par anal. ‘objet édifié verticalement’. Certes, une coiffure

montée en hauteur n’est pas une tour, mais l’auteur ne dit-il pas ‘comme une tour’ ?,  

verbalisant l’analogie par ‘comme’, ce qui implique que tour garde son sens premier.
Il peut y avoir hésitation, dépendant de l’interprétation du texte, par ex. nonvëant m.,
sens figuré, t. de relig. ‘celui qui n’a pas les lumières divines’, ou image, ce qui
voudrait dire sens propre ? : PelVieD 331 [J’enlumine les nonvëans Et donne forche as
   

recrëans, dit dame Grace Dieu] (TL 6,800,18 et DMF : sens propre ; noter le parallè-
   

lisme de nonvëans et recrëans).


Finalement il est essentiel de retenir en mémoire que le glossaire doit classer les
sens. Le classement peut se faire de différentes manières ; il n’y a pas qu’une  

possibilité de classement. Le mot a bien un sens propre, même si son sémantisme se


présente avec plusieurs acceptions (Martin parle de la polarité des objets linguisti-
ques, v. MélMartin2 12–13). L’attribution d’une seule définition se laisserait donc
défendre. Mais la plupart des mots ont plusieurs acceptions, c’est-à-dire que nous les
percevons comme polysèmes (Martin parle d’objets linguistiques multidimension-
nels). Et dépendant du raffinement de l’interprétation des attestations on pourrait voir
dans chacune d’elles des nuances ou couleurs dignes d’une définition à part (ce qui
relève du « flou » de l’objet linguistique, toujours Martin). Ce serait la fin du diction-
   

naire. La solution parfaite est localisée entre les extrêmes. Simple pierre de touche : si  

un article de dictionnaire ou de glossaire est aussi finement différencié que chaque


nouvelle attestation à intégrer nécessite la création d’un nouveau « sens », alors il ne    

remplit pas sa fonction qui est de classer. On devine : il n’y a pas qu’une solution. En

cas de documentation insuffisante, on peut exprimer le lien (trop) direct avec le


contexte, après la définition, par ‘(ici….)’, par ex. : « ANEL m. ‘anneau au doigt qui
   

symbolise le mariage’ (ici l’anneau du pêcheur de la papauté) » (PelVieD) ; la place    

usuelle d’une telle remarque est dans les notes (il faut alors un renvoi).
DuvalRome prend délibérément un autre chemin (à ne pas prendre dans un
glossaire !) : ce qui y est appelé ‘sens’, décrit plutôt le fait romain et traduit ou résume
   

des contextes latins (des textes sources), par ex. ‘siege, SENS : siège réservé à de hauts

37 Sim. : ait. disbatere v.intr. (abs.) ‘agitare una sostanza con la forchetta per dare…’ (en cuisine), LEI

5,495,30, faut-il absolument une fourchette pour battre les œufs, et pas un fouet, pour pouvoir
employer le terme ?  
414 Frankwalt Möhren

officiers’ (il est question de sénateurs sur chaises curules), ‘haute chaire, SENS : siège  

prestigieux’ (221b ; cf. TL) ; aussi ‘chaire, SENS : siège’ (où s’assoient les consuls tout
     

juste élus) (222a) et ‘avoliaut [l. avokaut] de la tresorerie l’empereur [l. ‑error ; cit. ‑ereor

l. ‑error], SENS : officier chargé de veiller sur le trésor de l’empereur’ (traduit advocatus

fisci ; 303b) ; cf. pp. 40s. où l’on apprend heureusement que ce ne sont pas des
     

définitions.
Au raffinement de l’analyse sémantique s’ajoute l’organisation d’un article de
glossaire où peut primer l’ordre syntaxique (par ex. pour un verbe comme monter 1°
intr., 2° pron., 3° trans.) ou sémantique (‘monter à cheval’ intr. et trans.), en une
hiérarchie historique ou synchronique, etc. Regardez monter dans TL et DMF, contre
Gdf. Un sectionnement trop fin peut résulter en un réseau trop fin pour intégrer des
attestations nouvelles et trop encombrantes pour les petits casiers déjà établis. Par
ex. : dependance f. ‘rapport qui fait qu’une chose dépend d’une autre’ PelVieD 1344

[en parlant des relations d’Aristote], GdfC 9,305c [1361], se classe difficilement sous
DMF A. et B. (et FEW 8,182a).38
Nous observons aussi que l’exégèse textuelle se faufile dans les ‘définitions’.
C’est-à-dire que ce n’est pas seulement l’objet ou le contexte immédiat qui se glisse
dans l’indication de sens, mais même des interprétations exégétiques relevant de
l’interprétation littéraire ou dogmatique.39

8 Les mots et les choses


Le sens d’un mot se réfère à un objet linguistique représentant des objets réels divers.

Un glossaire ou un dictionnaire n’est pas une encyclopédie. Mais comme les éditions
de texte nous donnent à lire des textes venant d’époques autres que la nôtre, il faut
méthodiquement distinguer les identités ou similarités des altérités : l’homme mo-  

derne, arrogant, a tendance à supposer d’une part que bien des choses n’avaient pas
la qualité d’aujourd’hui (la bière était fade parce qu’il n’y avait pas de houblon, ce qui
n’est pas vrai, v. DEAF ; la viande était pourrie parce qu’il n’y avait pas de frigo, ce qui

n’est pas vrai, les oiers gardaient les oies dans Paris même, pour les tuer et les cuisiner
au bon moment). D’autre part, nombre de dénominations pour nous familières sont à
traiter avec soin puisque les faits dénommés étaient bien différents. Par ex. : NIERS  

38 Cf. encore esmovoir, espandre, mandement, mot dans PelVieD et DMF. Pour la synthèse d’articles de
glossaires dans un dictionnaire voir Thomas Städtler, Die evolutive Lexikografie am Beispiel der
Geschichte des Dictionnaire du moyen français, ZfSL 120 (2010) 1–13, et Robert Martin, Le DEAF et le
DMF : de la perfection et du perfectible, MélMöhren 175–184.

39 Par ex. EulalieB 21 s(e) concreidre v.pron. ‘s’en remettre à l’évidence d’une chose’ (gloss.) est sans
doute correct, v. MltWb 2,1208,5–25, mais l’ajout ‘s’avouer vaincu’ (ibid.) vient de la traduction
exégétique (douteuse).
L’art du glossaire d’édition 415

m. pl. (var. ners) ‘nerfs’ (AldL) nous renvoie au sens premier de frm. nerf m. ‘cordon

du système nerveux’ ou, à la rigueur, au sens qualifié de ‘vieux’ (RobP), ‘tendon…’ (ce
qui ne remplirait pas la condition que la définition doit être composée de français
fondamental). En réalité, le t. d’anat. afr. mfr. nerf m. se définit comme étant ‘une
structure blanchâtre en forme de fil qui relie soit un muscle à un os, soit un centre
nerveux (cerveau, moelle) à un organe ou une structure organique, nerf ou tendon’
GuiChaulM T. SIRURGIEN m. ‘chirurgien’ (PercefR5) n’est pas faux, mais ambigu, car le
cirurgien se distinguait du medecin par son statut de praticien non passé par les écoles
de médecine, une restriction de sens vers ‘chirurgien opérateur’ n’étant pas permise40.
Le terme ancien désignait à la fois le praticien et l’opérateur (Tittel, GuiChaulM T), les
deux font partie de l’objet linguistique visé. Comme le glossaire d’un texte ancien doit
rendre compte de ces conditions pour nous peu familières, il s’intéresse autant à
l’analyse purement linguistique (définition sobre) qu’à l’analyse du référent (défini-
tion riche du point de vue référentiel). Ce second aspect demande du doigté. On
devine de nouveau : il n’y a pas qu’une solution.

Dans le cas de la dénomination de couleur pourpre, l’analyse peut s’étendre (avec


Gipper) sur quatre aspects : 1° chimique – colorant animal produisant des couleurs

variées en fonction de la recette (condition connue au moyen âge, mais plus aujourd’-
hui), 2° physique – les couleurs apparentes qui sont un rouge écarlate, un violet et
le pourpre de Tyr ou ‘sang coagulé’, 3° psycho-linguistique – l’objet linguistique
correspondant au signifiant pourpre (toutes les couleurs obtenues avec le pourpre),
4° socio-historique – fonction et valeur sociales (détails v. MélMartin2 270–277). On
verra alors qu’une partie des évolutions dépend de l’emploi du terme dans des
nomenclatures (ici l’héraldique) qui sont autrement sujettes aux conditions histori-
ques que les mots du fond commun d’une langue. Cette condition est une des raisons
pour laquelle il est usuel de faire précéder d’une marque d’usage une définition d’un
signifié appartenant à une spécialité ou une variété langagière. Ne pas reconnaître la
variété signifie souvent ne pas reconnaître le véritable sens d’un mot et la valeur de
son emploi dans un texte. Par ex. : matrone f. ‘femme mûre et posée’ est documenté

avec le sens de ‘sage-femme’ dès le XIVe siècle (1340 MirNDPers2P dans Gdf, TL, FEW
et DMF). Le FEW 61,504a relève comme terme juridique ‘sage-femme diplômée et
assermentée, pouvant servir d’expert auprès des tribunaux’ (Fur 1690…), ce que le
DMF peut compléter : t. de droit ‘sage-femme faisant office d’expert devant un

tribunal pour vérifier notamment l’état de grossesse d’une femme’ (B. 2e alin., doc.
1389–92 ; il faut y joindre l’attestation antérieure ‘Doc. Poitou G’ [t. 5, = AHPoit t.21 ;
   

doc. 1388, registre] de son 1er alin.). En ajoutant l’actuelle première attestation (jus-
qu’à nouvelle trouvaille !) de Paris 1333 dans TanonJust,41 on consolide la connais-

40 Voir M. Kintzinger, Experientia lucrativa, Das MA 17 (2012) 95–117, spéc. 100 (avec bibliographie).
41 (Une femme violée est examinée par) des matrones jurees de S. Martin (S. Martin des Champs)
dessusdit… Mabille la Ventriere, Emeline Diex la Voie dient et raportent, par leur seremens, en jugement,
416 Frankwalt Möhren

sance de ce terme et du fait juridique représenté, notamment aussi de l’assermentation.


L’emploi du terme peut paraître peu spectaculaire au prime abord, mais le regard sur
l’histoire du mot et de la chose confirme qu’il s’agit là d’un fait socio-historique pas
seulement digne du glossaire, mais nécessaire. Autre exemple : faude f. ‘lieu où l’on

fait le charbon de bois, charbonnière’, DMF (A.), semble correctement défini. En


recourant à l’étymologie (germ. *FALD ‘enceinte (pour bétail) ; tas de fumier’), le genre

prochain indiqué, ‘lieu’, convient mal. Mais, par principe, l’étymologie ne doit pas
servir de guide pour saisir le sens d’un mot, du moins pas sans la circonspection
scientifique nécessaire (v. par ex. ActesMetalex3 49–52). Lisons le texte, De quatre
faudez de carbon que on fist a le forest, …desquellez faudez on mena au castel pour le
pourveanche de yceli II faudez…, qui dit à la fin qu’on a transporté deux faudez au
château – a-t-on transporté deux lieux / charbonnières ? En définissant ‘meule de

charbonnière’ (ou ‘tas de bois…’) le tout se résout et la définition t. de mes. ‘quantité de


charbon de bois provenant d’une charbonnière prise comme unité de mesure’ (DMF,
C.) peut se défendre, bien qu’après correction : par méton., t. de mes. ‘volume d’une

meule de charbonnière pris comme unité de mesure pour du charbon de bois (env. 4 t)’.  

Comme réflexion de contrôle face à un « nouveau » sens, on peut se dire que tout
   

sens insolite est un sens erroné (ActesMétalex3 47). Bel exemple : PercefR5 161,1 nous  

livre le mot verset, clairement se référant à cet endroit à une strophe de six vers, citée
dans la prose du texte ; de cette perception résulte au glossaire la définition ‘strophe

en vers’ ; parmi les Notes il est dit correctement que ce sens manque dans les

dictionnaires cités. En se libérant de l’idée qu’une chose connue de moi et perçue


d’une certaine façon, doit être désignée dans le texte ancien comme moi, je la
désignerais (c.-à-d. par strophe), on essayera de conserver le sens (premier) de la
désignation effective : verset m. ‘brève partie de discours présentant un sens complet

(du type d’un verset liturgique ou biblique, rimé ou non)’, sens qui cadre bien avec
l’intention de la ‘strophe’ en question (qui rend une directive, affichée sur une
colonne), rendant superflue la supposition d’un nouveau sens. Le contraire est vrai :  

l’allusion latente à un texte sacré donne au texte une meilleure qualité.42


Conscient de l’altérité des époques anciennes on évitera certainement de proposer
des interprétations scientifiques modernes du monde passé. Un seul exemple : « Pro-    

fessor Trotter’s team discovered new information about the word ‹ blubber › while    

debating how to classify a whale, which was incorrectly described as a fish in

que elles ont veue, visitee, tastee, regardee et maniee…, en la maniere que il appartient en tel cas estre fait,
Jehannete (472), DEAF.
42 Exagérons pour être clair : en allant plus loin en identifiant l’objet réel avec un « nouveau » signifié,
     

on pourrait définir verset par *‘strophe de six vers octosyllabiques rimés par couplets’, négligeant
l’essentiel, l’unité du sens. Autre ex. : ‘fermenter (en parlant du vin)’ est un sens insolite pour soi parer

(dit d’un vin qui mûrit dans le tonneau) et il est erroné, il faut : v.pron. (sens passif), t. de vinif. ‘se

modifier à son avantage (dit du vin jeune qui élimine des substances non désirées devenant dépot)’
(ZrP 100, 453, compte rendu ElesB ; cf. HenryŒn 2,254).

L’art du glossaire d’édition 417

medieval literature ».43 « Incorrectly » reflète la position moderne due à la classifica-


     

tion moderne des animaux.

9 L’unité du mot
Male voisine et malevoisine n’ont pas le même sens.

Les textes anciens n’obéissent pas aux règles modernes quant à la toilette typogra-
phique. C’est l’édition qui leur donne la forme à laquelle l’homme moderne est
habitué (et à laquelle les scribes étaient relativement conformes ; notre système  

repose sur le leur). Sans vouloir discuter ici le sens de l’édition imitative, il importe de
retenir que le glossaire, aussi sous cet aspect, est le lieu de la classification du lexique
et pas celui de la démonstration de principes paléographiques et éditoriaux.44 Ce n’est
pas à l’encontre des auteurs anciens, car ils ont fait de même en établissant des
lexiques ou des listes de mots à expliquer, par ex. 1358 BersuireO T 65 « Togue » estoit   

aucune robe honeste… ; 54 « Rostres » estoit uns lieus a Rome ou on avoit mis jadis les
     

becs des galies que on avoit gaaingné en mer… Car « rostrum » en latin vaut autant dire
   

comme « bec » en françois. Similaire : les mots clés (manchettes) sur la marge des
     

manuscrits, par ex. dans déb. XIVe s. LHorn f° 101r° De orfevres face à des règlements
touchant ce métier ; 166v° la maladrie qe est appelee en engleys pockes – en marge :
   

pokkes ; voir aussi f° 190v°–199.


Parallèlement, la bonne séparation des mots nécessite la bonne compréhension du


texte et la confirme. Il peut y avoir hésitation comme en français moderne : nonchalant,  

nonpareil et vinaigre, mais non-sens et non-inscrit, où le critère (relatif) est la transpa-


rence du composé. Pour les époques anciennes on s’est habitué à écrire le composé en
un mot dès que chaque élément ne gardait pas son sens propre, le composé désignant
un signifié unique et distinct ; on n’emploie pas les traits d’union. Par ex. : male voisine
   

‘voisine méchante’ (chaque élément garde son sens) trouvera sa place sous VOISINE f.
(par ex. comme citation), mais malevoisine f. ‘sorte de grosse machine de guerre de jet’
(les éléments perdent leur sens : un seul objet linguistique) sera classé sous M - . Le cas

de male hart ‘corde qui sert à étrangler, à pendre qn’ n’est pas identique, car male garde
au moins partiellement son sens de ‘qui peut causer du mal, la mort’. L’expression est
une locution. Le test peut se faire en omettant ou en remplaçant l’adjectif : Pendu soit  

43 Anne Wollenberg, journaliste, http://www.ahrc.ac.uk/News-and-Events/Features/Pages/Explor


ing-the-history-of-English.aspx, 28.11.2012.
44 Contre-exemple : MPolGregcO, v. compte rendu Frédéric Duval, RLiR 70 (2006) 274–278, spéc. 278 :
   

« Alors que l’édition diplomatique permet de réduire l’interprétation au minimum, le glossaire ne peut

se limiter à une accumulation de formes tirées du texte. Par son exigence de classement et de
normalisation minimale des formes et des sens, le glossaire rend compte d’une phase primordiale du
processus interprétatif et cognitif… ». Des transcriptions « fidèles » comme la on (SeneschO 49) au lieu
     

de l’aon (= l’an ; ≈ HosebHenO 16 par aan) sont inadmissibles.



418 Frankwalt Möhren

de grosse hart.45 En cas d’hésitation possible ou comme service au lecteur on introduira


des renvois.46 Pour la séparation des mots dans le texte édité lui-même, qui concerne
aussi les articles agglutinés, élisions, etc., voir ConseilsÉcCh I 39–46 et, comme
exemple, IL DEAF I 56–69 [Städtler]. Là encore, BersuireO T 20 nous précède : ‘Dyhoms’  

ou ‘dyome’. C’estoit un office…, avec une annotation : Duyhomme est tout un mot, c’estoit

nom d’un office… (= lat. decemvir ; f° 10, 476).


10 Technique du glossaire
La structure du glossaire obéit à des règles traditionnelles.

1° Notice explicative en tête


Comme personne ne lira le volume d’un bout à l’autre, et surtout pas l’introduc-
tion, on fera précéder le glossaire d’un court avertissement qui résume son contenu et
son organisation, l’emploi de signes, les raisons de la disposition typographique, les
choix prises quant à la structure des articles et aux points traités ci-dessous, bref, sa
doctrine. La structure se veut stricte : chaque article doit avoir la même forme, même

s’il est peu développé (sans commentaire, sans critique pour les cas simples). La
structure stable sert deux buts pédagogiques : elle discipline et contrôle son auteur et

elle facilite la consultation. Ne pas oublier que le glossaire est la clé d’accès au texte
pour tout chercheur et lecteur. Il en découle que ce n’est pas le lieu pour prouver aux
humbles qu’on manie les terminologies linguistiques de pointe, en partie inventées
ad hoc ; il est à l’éditeur de se faire comprendre, c’est une dette portable, pas quérable.

L’avertissement peut être l’écho d’un chapitre plus ample de l’introduction.47

45 Cas noté par Jennifer Gabel de Aguirre dans ActesRechAgn 36 : Pendu soit de male hart, RésSauvcJ

441 ; revoir l’argumentation. TL 4,942,4 male hart, en deux mots ; définition ‘Galgen’ erronée.
   

46 TL, lui, renvoie de MALEVOISINE à MAUVOISINE , mais un tel article n’a pas été établi ; sous MAUVOISIN

m. il renvoie à male voisine qui se trouve sous VOISIN m. et adj. La graphie male voisine que donne TL
pour PelVieS est restituée en se servant des variantes de l’édition, c’est la leçon du ms. de base. DMF cite
malvoisine qui vient du texte de PelVieS, mais cette graphie (marquée dans l’édition comme restituée)
n’y est pas confirmée par les variantes données (malveisine ms. P2 et male voisine ms. t). PelVieD (ms.
Heid) a malevoisine. PelVieSt (ms. t) malvoisine est en contradiction avec l’édition S (var. ms. t), on
s’attendrait alors à une discussion (le ms. porte en réalité malevoisine [d’ailleurs ‘en un mot’]) ; le 

glossaire lemmatise malvoisin : à corriger. [Gdf enregistre encore malvoisine, après 1383 ChronFlandrK

2,296, où plus. att.] Vous voyez bien : le petit coup d’œil est rentable. – Autres ex. discutés par Leena

Löfstedt, ZrP 128 (2012) 572 (mal feire, pas malfeire) ; 574 (malarteillus, pas mal arteillus).

47 Cf. Franz Lebsanft, compte rendu AND, CCM 32 (1989) 182a–183b, spéc. 182b : « C’est surtout
   

l’explication et la justification de cette doctrine [du dictionnaire philologique] que l’on attend de
l’introduction ».

L’art du glossaire d’édition 419

2° Dépouillement du texte
Comme le texte sera écrit dans un programme électronique, il est facile d’établir
une liste KWIC par exemple (existe depuis 1958). Bien des logiciels peuvent créer des
index. Pour des textes de moyen français surtout, l’ATILF à Nancy offre son aide pour
l’établissement « automatique » d’une liste de mots (« Outil glossaire », élaboré par
       

Gilles Souvay). Avant de travailler sur un glossaire, le chercheur doit s’assurer qu’il a
devant lui soit un texte pur, non émendé (par l’invention de l’éditeur ou par l’intro-
duction de variantes ou même d’interpolations tirées d’autres manuscrits), soit un
texte où de tels éléments sont dûment marqués, pour qu’ils puissent porter une
identification appropriée dans le glossaire (et dans les études de l’introduction !).48  

Le chercheur prenant ce chemin commode doit être conscient du fait qu’il


travaille sur des bribes de texte qui donnent une belle vue sur les attestations des
mots, mais qui ne lui donnent pas à lire son texte. C’est pour cela qu’il préférera peut-
être la lecture du texte en partant de sa première ligne et en établissant paisiblement
mot par mot le glossaire. Il va de soi qu’il s’aidera de la technique pour lui procurer
chaque attestation du mot. Ni l’une ni l’autre procédure ne lui donnera « d’elle-  

même » l’ensemble des attestations, par exemple parce que va reste caché en cher-

chant aller, ou win en cherchant gain, ou aring en cherchant hareng.49 En scrutant les
occurrences plus loin dans le texte, il sera bon de les marquer comme vues.

3° Nomenclature
L’envergure de la nomenclature du glossaire a déjà été discutée (voir supra). En
pratique chaque mot est examiné et la plupart en sont retenus pour le glossaire.
Examiné veut dire recherché attentivement dans les dictionnaires valables (voir infra).
Dans le cas de l’édition PelVieD, en moyenne un mot par vers octosyllabique se
retrouve dans le glossaire, comme entrée, sens, variante ou renvoi supplémentaire
(parfois disparaissant dans « etc. »), près de 3000 articles pour 13540 vers, et il en
   

manque. Le seul critère valable de sélection est l’intérêt du mot quant à sa forme, sa
signification, son aspect stylistique, grammatical et encyclopédique, sa datation et
localisation, la fréquence ou rareté d’attestations, et finalement et surtout son impor-
tance pour la bonne compréhension du texte même et de sa position dans l’histoire.
Dans PelVieD par ex. il y a un nid de terminologie du moulin (allégorisée) qui est à

48 La problématique n’est pas confinée aux textes anciens, lire Albert Henry, Critique textuelle et
codicologie à propos de Rimbaud, Ac. Roy. de Belg., Bull. Lettres, 6e sér., t.9, 1998, 541–553 [déjà la
place des virgules change tout]. Contre-ex. : en partant de l’édition MortArtuF2, qui contient même des

corrections tacites (il faut consulter MortArtuF1), on a établi en 1982 un concordancier, créant ainsi une
source dangereuse, voir May Plouzeau, TraLiPhi 32 (1994, 207–221). (Annonce sans cette critique
essentielle : ZrP 99, 649–650.) Le cas n’est pas unique.

49 Le DEAF et aussi le DMF possèdent des lemmatiseurs utiles, celui du DMF est même très puissant
pour le moyen français, mais les deux échouent de façon imprévisible. La tête l’emporte encore pour le
moment.
420 Frankwalt Möhren

traiter : molin m. (mot courant), baleste f. (mot rare) etc. sont dans le glossaire. Un

inventaire complet contenant tous les mots et toutes les références n’est normalement
pas nécessaire, les techniques permettant de mettre un concordancier à la disposition
des chercheurs sans qu’il soit imprimé. Comme justifications de glossaires maigri-
chons on lit fréquemment les arguments périmés : « omitting words also found in
   

Modern French with the same meaning… Rejected readings are not included. Etc. ».50  

Intériorisez que rares sont les mots ancien ou moyen français qui ont « le même sens »    

en français moderne.
Cette sélection négative fait disparaître des matériaux très précieux, par ex. motel
m. ‘base de pilier de pont’ MPolGregM, purgé du manuscrit de base au profit d’un mot
de la version MPolRust.51 Le choix de matériaux précieux n’est pas non plus satisfai-
sant, parce que le lexique ainsi réuni ne saurait donner une image du vocabulaire du
texte ou de son auteur. Évidemment, on ne laissera pas des attestations charnières
(premières, isolées à leur époque ou leur région, etc.) dans l’obscurité,52 mais si l’on
enregistre un sens ‘intéressant’ sans le(s) sens courant(s) qu’a le mot dans le texte, on
obtient une caricature du sémantisme du mot (v. infra l’exemple car).
Mauvaise habitude à bannir : omettre du glossaire les mots traités dans l’intro-

duction ou dans les notes (fait épinglé tant de fois par les recenseurs consciencieux) ;  

introduire au moins des renvois, ce n’est pas sorcier (c’est fait par ex. dans Chev-
VivM).
La nomenclature comprendra aussi des mots tirés des leçons rejetées et des
variantes de manuscrit. Leur choix est aussi discuté que le choix des variantes des
manuscrits lui-même. Question de doigté et de discipline, sinon c’est le chaos.53 La
discipline d’abord : ces matériaux sont à marquer clairement, par ex. par des crochets

embrassant l’entrée ou la sous-entrée concernée. Mauvais exemple : « AUNE s. = asne    

50 Au hasard pris d’une édition récente, par une lexicographe expérimentée : BrutNobleD P p. 242. Id.
   

dans ChevVivM 681 etc. Rappelons que la collection de la Pleïade se prête bien à des travaux pratiques :  

sans glossaire ou avec ‘glossaire’ sans renvois (ex. : « poudriere : poussière », 48e vol., Historiens et
         

chroniqueurs) ; les « répertoires » sont souvent utiles. Également sans renvois : Baker, BecLyr, Ben-
       

TroieM R, ChevFustF A, CommB gloss. Quereuil, CoudertMos etc.


51 MPolGregM 104,16. La note jointe fait sentir la classe de l’éditeur moderne devant le pauvre scribe :  

« Le mot motel résulte de la déformation de moreles (TA [version toscane !] morelle), ‘piles de pont’, qui
   

n’a pas été compris ». V. Francia-Recensio 2008/3 MÂ, en ligne. Pour motel, v. FEW 63,294b,12 ‘îlot…’,

et 295b,-9. – La correction de abalestrier en arb‑ (HugCapLb) escamote une variante intéressante (RLiR
61,598). Les éditeurs ont même fait disparaître un mot de Rol et par là de la lexicographie, v. gieser
DEAF G 1655,54 (en 1656,12, lire : lat. 19439).

52 Voir pour cela les vrais comptes rendus d’éditions dans RLiR, ZrP, VRo, ZfSL, RLaR, MedRom,
RCritPhR, etc., à trouver par la Romanische Bibliographie (ZrP) ; négliger les annonces. Ex. récent :
   

Takeshi Matsumura, Sur la version P de la Chanson de Roland : remarques lexicographiques, MélMöhren


185–190 [concerne RolP R].


53 Oesterreicher ActesAlteNeuePhil 121 : « Si l’on ne veut pas … se retrouver dans un chaos post-
   

moderne, il faut insister strictement sur un pesage et un jugement des variantes textuelles qui se base
sur la linguistique de la variation », traduction DAT.

L’art du glossaire d’édition 421

‘donkey’ », GuillMarH, vient d’une correction très douteuse de aure (peut correspon-

dre à avre54). Quant au doigté, on choisira les quelques mots que l’on soupçonne être
le terme ‘d’auteur’ ou une variante brillante du scribe auteur, ou, et surtout, un mot
important pour l’histoire, linguistique ou autre. En fait, le choix se fera ‘de lui-même’
après analyse critique. Le plus souvent il ne s’agira pas de faire le glossaire des
manuscrits variants.55 Cf. infra, 13o, au sujet de variantes citées comme élément
sémantique.
Les mots grammaticaux seront traités de la même façon. Un mot comme car ne
semble pas alléchant pour être accueilli dans le glossaire, et pourtant, il n’a pas
toujours la fonction de conjonction causative ; bien des phrases restent dépourvues

de sens si l’on ne tient pas compte des autres options. Le glossairiste doit intégrer ces
emplois plus rares, tout en indiquant d’abord le sens général. Sans cette complétude
maint lecteur pourrait croire que car était (dans ce texte) toujours une conjonction
consécutive. Voici un exemple tiré du glossaire de PelVieD :  

car conj. causative ‘parce que’ 9 ; passim ; ♦ conj. conséc. ‘que’ 179 ; 5845 ; ♦ conj. exprimant une
       

relation 4285. [Similaire : ainsi, aussi, avant dans ce même glossaire.]


Également des faits morphosyntaxiques font partie de la nomenclature (des observa-


tions générales seront regroupées dans un chapitre de l’introduction). Par ex. tirés du
glossaire de PelVieD :  

leur pron. pers. empl. au rég. indirect ‘leur’ 524 ; passim, DEAF I 62,40 ; 65,2 ; ♦ empl. au rég.
     

direct après prép. ‘eux’ 2488 [pour leur estre deüst], Gdf 4,748b [rare].
supposer v.tr. ‘poser à titre d’hypothèse’ 3899 ; ♦ supposé que loc.conj. ‘admis comme hypothèse

que’ 1411 ; 2131 ; 3271, TL 9,1083,3 ; DMF II.B.2. [Première att.]


     

y pron.adverbial, rappellant un lieu, 3 ; passim ; ♦ rappelant un complément, 16 ; passim ; ♦ id.,


       

postposé au verbe à l’inf., 494 [Se je bien entendre y voloie] ; 1727 ; 3701 ; etc. (Aussi doc. 1330
     

TerroineFossier t. 3, 24 ; etc., Martin ActesMfr4 91.)


   

Le glossaire accueille les mots étrangers donnés dans le texte pour être expliqués ou
utilisés comme mots cités, comme xénismes ou comme emprunts. On les différencie-
ra du fonds linguistique et l’on trouvera moyen de dûment les qualifier. Par ex. :  

adulterium neutre, mot latin ‘rapport sexuel volontaire d’une personne mariée avec
une personne autre que son conjoint’ (PelVieD). « Pan » en grec vault « tout » en
       

54 Le ms. agn. porte une aure ; une est écrit en toutes lettres (aimablement vérifié par le conservateur

W. Voelkle de la Pierpont Morgan Library). Comprendre avre m. ‘cheval de travail’ ; une doit être un  

trait agn. ; cf. DEAF I 485,33–38. – Autre leçon : ne pas résoudre .i. en un ou une sans penser aux suites
   

(ici on aurait aimé trouver l’information que le ms. porte une).


55 Et surtout pas le glossaire de variantes fantômes, par ex. les « var. » dans BeaumJBlL qui sont des
   

corrections d’éditeurs antérieurs, ou des mots inventés par des éditeurs poètes, par ex. joer, entré au
glossaire de NoomenFabl n° 82, 6.22, bien qu’il vienne d’un passage entièrement inventé par l’éditeur
(!), aussi afoler, gloss. LeclancheFabl (de 2003), Prêtre et Chevalier, ms. unique, lire esragiés, Noomen-
Fabl n° 79, 561 (G. Roques RLiR 68,294).
422 Frankwalt Möhren

françois, OvMorB I 4047. JAntOtiaP, 37 (I,vi) parle des phases de la Lune : pansile-  

nos, c’est a dire ronde et plaine. Pansilenos est un mot grec, c’est ce que le glossaire
dira, mais il est ou deviendra un terme technique (français) de l’astrologie ; on en  

jugera sur la base d’autres attestations et d’une bonne connaissance dans le


domaine.56
Les noms propres seront classés dans un Index à part. Les surnoms et les
personnifications de noms communs seront mieux à leur place dans le glossaire ; des  

renvois d’un registre à l’autre éviteront toute perte d’information. Par ex. : Colin le  

juvlor, BanMetzW 5,204, 361, DEAF J 406,12, p.-ê. un jongleur ; Symon l’aumosnier,

tonnelier, Taille1296M, 25 ; Jehan cheval ibid. p.33 ; Jehan potier, afineeur ibid., 36.
   

Dans un texte comme PelVie qui vit de la personnification d’états d’âme, d’objets,
etc., ces dénominations sont constamment à cheval sur nom commun et nom propre.
PelVieD a opté pour leur traitement dans le glossaire, avec renvois systématiques :  

povreté f. ‘état de qn qui manque de moyens matériels’ 3865 ; 4899 [fussent a povreté] ; ♦ id.,
   

comme nom allégorique de la femme médecin d’un riche 10146.

4° Ordre alphabétique
L’ordre du glossaire est alphabétique. En accord avec son rôle de classification et
d’accessibilité immédiate, il établira des articles réunissant les variantes graphiques
sous un lemme (v. 5o). Chaque mot a droit à une propre entrée. Il n’est donc pas
admissible de traiter nobile sous NOBLE , comme si c’était une variante (YonH). Un
article comme « Ha ! Hai ! 661, 882 », BibleGuiotO, suggère à tort l’existence de deux
       

occurrences de *Ha ! Hai ! (il existe hahai ailleurs) ; en réalité on lit ha en 661 et hai en
     

882.57 Il sera utile de se faire suivre les articles traitant des membres suffixés d’une
famille de mots et de renvoyer aux membres préfixés, si cela peut se faire par une
lemmatisation prudente. Un classement onomasiologique du glossaire n’est pas
indiqué, bien qu’un registre onomasiologique soit souhaitable (v. 14o).

5° Lemmatisation des mots d’entrée ou vedettes


La lemmatisation a deux aspects : graphique et grammatical.

La lemmatisation graphique de TL est fréquemment recommandée comme mo-


dèle pour les vocabulaires de textes ancien français et même moyen français.58 L’idée

56 Voir Stephen Dörr, Quelles entrées intégrer dans un dictionnaire du français médiéval ?, dans  

ActesRechAgn 39–42, spéc. 41. Le beau glossaire de JAntOtiaP omet tetragramaton III,cxii,2, p.392,
comme d’autres mots grecs venant du texte source [antipodes s.m. ‘habitant…’ y est ; FEW 25 l. 24]. –
   

Gloss. PelVieD : « ALIQUIDS adv. [latin, à s adv. ?] ‘en dépendance d’autrui’ 1423 [Ta poësté fust aliquids],
     

cf. PRE DICAMEN ».


57 RobP 1977 accueille sous MAIGRELET


MAIGRE LET aussi maigrichon et maigriot ; dans les éditions récentes deux

IRRESP IRABLE .
articles rajoutés. Dans TLF c’est un principe, par ex. irrespirabilité et irrespiré sous IRRESPIRABLE
58 Attention, son emploi du tréma n’est pas identique à celui préconisé par DEAF, Foulet-Speer et
ConseilsÉcCh. Voir n. 78.
L’art du glossaire d’édition 423

n’est pas aberrante, car ces mots titres rencontrent ceux de la lexicographie historique
traditionnelle (comme Lac ou Gdf) et, surtout, ils correspondent à la graphie la plus
neutre, française, centripète, non-dialectale, typique pour la plupart des textes trans-
mis par les manuscrits. Ces formes sont généralement aussi les plus fréquemment
rencontrées. D’autre part il y a nombre de cas où une application stricte des règles
nécessiterait la reconstruction constante des lemmes, ce qui peut tourner en rigidité
exagérée et en inefficacité. Suivre l’usage du manuscrit de base n’est pas une solution
de choix, car le manuscrit de base n’est pas nécessairement celui qui reflète une
graphie « française » ou « de l’auteur » et cet usage ne sera pas uniforme non plus.
       

Puis, faut-il vraiment récrire un vocabulaire (très) lorrain ou anglo-normand dans une
graphie centrale ? Un livre à écrire ! Chaque cas est un cas d’espèce ; on a encore
     

besoin de doigté.59 Concrètement : il faut une lemmatisation douce qui évite d’une

part que chaque lemme soit artificiel et d’autre part que des mots intéressants soient
cachés dans un recoin de l’alphabet ou qu’une famille étymologique de mots soit
dispersée.60 Par ex. dans PelVieD : vertu, vertuable, [vertualment], vertueus (avec

renvoi de virtualment à vertualment). L’essentiel est de retrouver les données non


seulement en partant de la lecture du texte, mais encore en partant d’un questionne-
ment lexicographique et par là historique.
La lemmatisation graphique paraît bien des fois superflue si la déviation de la
norme ne concerne pas le début du mot, et si c’est le cas, il est souvent suffisant de
donner des renvois généraux du type H - → I -, U -. Il y en aura qui tressailliront devant
un tel laxisme et, plus encore, devant l’idée de ‘norme’. Bien sûr, il n’y avait pas de
norme, il n’y avait que des scriptae variablement dialectalisantes ou centripètes. Mais
prenez n’importe quel texte et déterminez-en rapidement l’origine – est-ce bien
difficile ? Justement, la consistance de l’écriture des écrivains professionnels cache

dans une large mesure l’origine du texte. Les textes obéissent très souvent à des règles
étonnamment stables. D’autre part il existe des mots dialectaux uniquement attestés
dans des textes à marque dialectale ; personne ne les normalisera en fonction du

français (ajouter des renvois).


Au contraire, la lemmatisation grammaticale des formes marquées par la flexion
se fait sans exception : les substantifs et adjectifs prendront la forme de l’oblique

singulier (les adjectifs au masculin), les verbes celle de l’infinitif. Il est de bon ton de
documenter au besoin des formes nominales exceptionnelles ou reconstruites ou de
reconstruction douteuse et de marquer un infinitif non attesté.
Vice qui gagne du terrain par manque de conscience : l’entrée du glossaire est

formée par un tronçon de contexte qui est rendu de façon diverse par une indication

59 Duval a épinglé à juste titre le lemme [*]arceveschies pour archeveschies d’un ms. lorrain (RLiR
70, 277) : il faut se décider pour une direction de normalisation, vers le français neutre ou vers le

dialecte.
60 Ou qu’un mot soit traité deux fois : articles IRE et YRE dans GuillFillConsH (T. Matsumura, RLiR

59,333) ; MOT sg. et MOS pl. (G. Veysseyre, RCritPhR 8,89).



424 Frankwalt Möhren

de sens, par ex. « pleier, la – *9° faire fléchir une personne (fig.) », « venir [a Lui ‒] *28°
     

venir » (EulalieB).

Exemples tirés de PelVieD :  

cert adj. ‘qui est certain de son savoir’ 5193a [de lire ne sui pas cers]… (forme reconstruite ; la  

forme originale attestée par le contexte cité)


[element] m. ‘chacune des (quatre) substances considérées comme constitutives du monde
matériel’ 1559 [Maistresse sui des helemens, dit Nature]. (sans parenthèse graphique, faisant
confiance au lecteur qu’il retrouvera la forme attestée dans le contexte cité ; sans citation, il faut

la parenthèse graphique ; obligatoire le renvoi sous H - )


tenchier v.tr. à c.o.i. (tenchier 1520 ; etc., tencier 1780 ; 1818) ‘attaquer qn par des actes ou paroles
   

hostiles’… (graphie picarde fréquente [‘etc.’ !] maintenue, bien que la forme non marquée soit

attestée ; préférer l’inverse ? ; proches dans l’alphabet : sans renvoi)


       

[trousser] v.tr. (toursast 3 subj.imp. 4759, toursé p.p. m.sg. 6274, toursees p.p. f.pl. 4949) ‘mettre

en paquet (des choses destinées à être transportées) et charger’ … (avec renvoi sous TOURSER )

Certains préféreront une doxa stricte : normalisation ‘centrale’ parfaite, marques


régulières (crochets ou un signe, ° ou * ou autre), parenthèses obligatoires documen-


tant les variantes et toutes les formes fléchies, renvois complets, inventaire complet
aussi des formes verbales avec analyse.61 C’est parfait, à condition que ce soit
réalisable.

6° Qualification grammaticale
Il est obligatoire de faire suivre chaque lemme et chaque sous-entrée d’article de
leur qualification grammaticale. Les dictionnaires fournissent le modèle en indiquant
la classe ou catégorie grammaticale, la nature du mot et, le cas échéant, leur genre ou
la valence et rection des verbes. Pour ce faire on choisira les abréviations usuelles, m.
/ f. ou s.m. / s.f., aussi n.m. / n.f., adj. (au besoin adj.f.), v., v.tr. (distinguant au besoin
c.o.d. ou c.o.i.), v.intr., v.pron. (distinguant réfl. et récipr., aussi le sens passif), p.p. /
p.prés., adv., prép., pron., interj., et leurs sous-catégories (p.p. adj., etc.) ; pour les  

collocations : loc.adv., etc. Les formes longues « subst. masc. » etc. fonctionnent
     

aussi, pourvu qu’elles gardent le caractère de sigle, un développement en prose


nuisant à une lecture efficace. Quant à la catégorisation verbale, une plus grande
précision est plus utile :  

cuidier v.tr. (…) ‘avoir l’idée de, penser’ … ; ♦ v.tr. avec c.o.d. et prédicat ‘tenir qn pour’ 4234

[home de fer le quida], TL 2,1129,30 ; ♦ v.tr. empl. pron. ‘avoir la présomption’ … (PelVieD).

Ne pas aligner des qualifications diverses après le lemme ; chacune est à traiter et à

documenter individuellement dans un même article (exemple critiqué par Chambon

61 Le seul verbe vouloir a été analysé par G. Roques, La conjugaison du verbe vouloir en ancien
français, ActesMfr4 227–268. Contient des formes tirées d’éditions de textes afr. et mfr., XIIe–XVIe s. ;  

oublie l’infinitif. Avec discussion.


L’art du glossaire d’édition 425

et al., RLiR 76,304 : ‘appairysser v. i. et pron.’). De telles sections dans l’article sont à
   

relever par ‘♦’, éventuellement en plus par un alinéa.

7° Variantes et formes flexionnelles


La parenthèse des variantes graphiques suit le lemme et sa qualification gramma-
ticale (justification pratique : saute aux yeux en cherchant une forme, justification

théorique : la forme du signifiant est indépendante du signifié62). Elle contient les


variantes du manuscrit de base, des variantes choisies tirées pour une raison ou une
autre d’un autre manuscrit (datées et dûment marquées, par ex. par des accolades),
certaines formes flexionnelles nominales (par ex. fel, felon) et surtout verbales. Par
ex. :  

cuidier v.tr. (cuidier 1368 ; etc., quideras 2 fut. 2778, quid 1 prés. 3156, quic id. 1699, etc.) ‘avoir

l’idée de, penser’ 1033 ; etc. (PelVieD).63


Il va de soi que le relevé verbal ne peut être exhaustif dans le glossaire imprimé.
L’enregistrement soigneux de variantes crée une documentation pour des faits
dialectologiques. Par ex. : heingnir, var. de henir v.intr. ‘hennir’, HervisH 8327,

manque dans le glossaire, bien que cette variante soit unique et qu’elle illustre une
aire linguistique à ñ [ɲ] dans l’Est (DEAF H 352,18 ; 353,34).  

La compréhensibilité d’une forme amène souvent l’éditeur à la négliger. De cette


façon jogler m. (jougler, jugler) se perd à côté de jogleor / jongleur, puisqu’il est
transparent, mais il doit absolument figurer dans le glossaire, car il représente un type
étymologique distinct (‑āris), v. DEAF J 402,24 jogleor m. sub JOGLER 1 v. et J 414,1
JOGLER 2 m. (par ex. : vait uns jouglers de Poitiers, AmAmD 2325, manque dans le

glossaire).
Il peut y avoir intérêt à relever aussi des formes présentant des faits phonétiques
comme les e prétoniques en hiatus, prononcés ou non, dépendant de la scansion du
vers. Par ex. :  

armeüre f. (armeüre 4035 ; 4142 ; 4837 ; etc., armeure 4024 ; 4125, armure 3825 ; 4412 ; 4748 ; etc.)
             

‘ensemble des armes de défense et d’attaque d’un guerrier’ 3825 ; etc. (PelVieD).

62 Il y a des exceptions : un jour nous avons observé qu’un ms. différencie graphiquement deux sens

d’un mot : carouble f. ‘fruit du caroubier’ et karouble f. ‘sorte de monnaie’ (AssJérBourgV K ch.238 etc.) :
   

s’enregistre dans le glossaire.


63 Autre solution, évitant un double jeu de renvois, en fait non recommandée : QUERRE v.tr. ‘s’efforcer

de trouver, chercher’ 224 [querir] ; 227 [querant] ; 315 [querre] ; 2399 [quiers] ; 3811 [quesissiez] ; 3817 ;
           

4383 [quierent] ; (PelVieD). – Aide utile aux néophytes pour identifier mainte forme verbale : Bartsch-
   

Chrest gloss., avec renvois aux paradigmes réels (tirés de textes édités, donc à toilette et consignes
variables) pp. 330–348.

426 Frankwalt Möhren

8° Définition

buee f. ‘solution alcaline qui sert au lavage, lessive’

Chaque lemme reçoit sa définition analytique ; pour sa qualité et sa justification voir


supra. Elle est en romain et se place entre guillemets anglais ou français (garder
l’italique pour les mots ou textes cités). La définition peut être suivie d’un équivalent
français moderne s’il correspond vraiment, par ex. « BUEE f. ‘solution alcaline qui sert

au lavage, lessive’ » (PelVieD). Dans le cas d’identité suffisante de la graphie, on


pourrait se passer de cet équivalent, surtout si le mot est le même, par ex. « BIAUTÉ f.  

‘caractère de ce qui plaît par son aspect extérieur’ » (PelVieD). Un lemme point

d’attache, servant à introduire un article contenant un emploi particulier du mot, peut


être identifié brièvement, de même des sous-unités, exemple : « AVENTURE f. ‘ce qui
   

doit arriver à (qn)’, par aventure loc.adv. ‘par hasard’ … ; ♦ ‘peut-être’ … » (PelVieD).64
   

Pour les détails techniques de la forme de la définition on lira avec profit RobP, xiv.
On y apprendra aussi l’emploi des parenthèses à l’intérieur d’une définition : elles  

isolent des informations sur l’entourage du mot défini, un complément (verbal), des
exemples ou sim., ne faisant pas partie de l’analyse sémantique proprement dite. Par
ex. : AVENIR … v.tr. c.o.i. ‘survenir (dit d’un événement par ex.), arriver à l’improviste à

(qn)’ (PelVieD). Il est correct de placer entre parenthèses aussi l’abstraction d’un
complément d’objet par ‘qch.’ ou ‘qn’, par ex. « BLASMER v.tr. ‘porter un jugement

moral défavorable sur (qn)’ » (PelVieD). Mais ces éléments omniprésents du métalan-

gage du dictionnaire sont souvent dépourvus de parenthèses, à tort diront les puris-
tes.
À l’intérieur d’un article chaque subdivision sémantique (un ‘sous-sens’, loc.,
etc.) reçoit sa définition. Elle peut reprendre la définition initiale pleine de façon
raccourcie, ou reprendre le (ou un) mot titre en cursive (pour rappeler son sens dans
le texte), ou, dans les cas rares où elle est identique à la précédente, même omettre
toute définition en indiquant à la place l’emploi particulier. Exemples tirés de
PelVieD :  

batillier v.tr. empl. intr. ‘faire la guerre’ … ; ♦ v.tr. avec c.o.i. 4001 [batillier contre la Mort] ;
   

blecier] v.tr. ‘causer une lésion par un coup par ex., blesser’, aussi au fig…. ; ♦ blechié p.p. empl.

subst. ‘celui qui est blessé’ 544 ; ♦ blechier v.tr. ‘faire perdre sa virginité’ (homme !) 4236 ;
     

lai m. ‘celui qui n’est pas dans un ordre régulier et qui n’a pas l’éducation (latine) d’un clerc’ 24 ;  

2686 ; ♦ la laye gent ‘les lais’…


Dans certains cas, il peut être indiqué de préciser un emploi particulier dans le texte,
c’est-à-dire au fond de se déclarer au sujet de la parole et du contexte (normalement
un objet des notes !). L’endroit pour le faire est traditionnellement une parenthèse en

dehors et après la définition. Par ex. : « AGUILLON m. ‘pointe aiguë’ (ici d’un bâton) ». –
     

64 HenryChrest a fait de même, ex. : BON , boen, adj. ; – s.m. ‘désir…’.


   
L’art du glossaire d’édition 427

« ANEL m. ‘anneau au doigt qui symbolise le mariage’ (ici l’anneau du pêcheur de la


papauté) » (PelVieD).65

9° Marques d’usage
La marque d’usage précise l’emploi d’un mot ou d’un sens dans l’espace (régiona-
lisme), dans le temps (archaïsme, néologisme), dans la société (registre, style), dans
les langues de spécialité, etc. Elle appartient à la définition et la précède (pas le mot,
mais éventuellement une expression). Il s’agit d’un marquage différentiel car tout ce
qui appartient à la langue commune et fondamentale n’est pas relevé par une
marque.
Quant aux régionalismes, une fois constaté qu’un texte provient d’une région
donnée, par ex. de la Lorraine, et ses particularités phonétiques ou graphiques
décrites et exemplifiées dans l’introduction, on qualifiera d’abord de ‘lorrain’ par
exemple, seulement les mots et les sens réellement ou probablement confinés au
lorrain (l’option d’un commentaire restant entière). Par ex. : ChirAlbT qui marque

chaque élément considéré comme régional d’un signe graphique66 (dans la lettre A,
cf. p. 40) : aigue s.f. ‘eau’ (pour son phonétisme, assez répandu en oïl), amandre1 s.f. t.
   

d’anat. ‘amygdale’ et amandre2 t. de bot. ‘amande’ (pour son phonétisme : Est ; le ms.    

Lausanne de Rose, Gdf [renvoi err.], est quelque peu teinté de lorr.), apreteit s.f.
‘âpreté’ (phonétisme surtout lorr.), ar s. ‘air’ (aussi bourg.), awe s.f. ‘eau’ (Gdf : Metz  

etc.), awouse adj.f. ‘aqueuse’. Bref : pas de fait sémantique ou lexical régional avant le

mot charreit s.m. ‘mâchoire’ ;67 doigté et travail demandés.68


Les marques ‘archaïsme’ et ‘néologisme’ sont à leur place dans un glossaire du


français moderne, mais sont problématiques en analysant un texte ancien. Compte
tenu de notre connaissance lacunaire, il paraît téméraire de se prononcer, car chaque
dépouillement nouveau repoussera les bornes.69 Le premier terme est assez rare et

65 Il n’y a pas qu’une façon d’organiser le sémantisme d’un mot, voir pour la théorie Robert Martin
dans MélMartin2 12–13, et pour des ex. en contraste (DEAF et DMF), id. dans MélMöhren 175–184.
66 Ce choix est astucieux, car le signe peut embrasser plus de phénomènes régionaux qu’une
qualification verbale, sans faire sourciller les esprits critiques, mais une différenciation serait plus
précieuse encore. – Pour l’emploi des marques dans l’AND, voir G. De Wilde dans ActesRechAgn 143–
150.
67 DEAF J 158,7–9 donne la forme avec le sens de ‘jarret’ (Est – bourb., v. FEW), sens à ajouter (lorr.
mil. XIIIe s. ChirAlbT, champ. ca. 1398 AnglureB, ce dernier aussi ad DMF).
68 Bon compte rendu par T. Matsumura, RLiR 70, 309–318. – Le glossaire étendu de PelVieD ne
mentionne que deux graphismes pic. (prametre ‘promettre’ et chiz ‘ce’, faits du scribe ; caron m. 

‘charron’, au phonétisme pic., n’étant pas marqué, mais expliqué dans l’introduction) et trois mots ou
sens essentiellement du Nord-Ouest (clut ‘morceau de tissu ou sim. qui sert à rapiécer (un vêtement
etc.)’ avec cluistrer et clustrel, diffamé ‘taché’, agachier ‘faire son cri (de la pie)’, faits de l’auteur).
Évidemment, un commentaire ajouté est ouvert à toute explication : ‘le sens vit ici et là, aussi en

sarde…’.
69 L’ex. « BIAUBELE
  T … Archaïsme, disparu depuis plus d’un demi-siècle, que Guillaume emploie en
BIAUBEL ET
forgeant l’expression nouvelle dire son beaubelet qui connaîtra en dehors du domaine norm. et sous la
428 Frankwalt Möhren

semble désigner parfois des dernières attestations (DMF BAUDRÉ et FAUNOYER ), ce qui
serait erroné ; le second est plus fréquent et est parfois employé pour parler d’une

première attestation, ce qui est erroné (oreillier v. ‘go very close’ SClemB, L. Löfstedt
ZrP 128, 574 « néologisme sémantique », en fait sens inexistant ; pour ‘prêter
     

l’oreille’, ‘chercher à entendre’, v. TL 6,1236,14 ; 1237,34 ; DMF).70 Quatre ‘néologis-


   

mes’ cités dans BrutNobleD P Introd., 28 et glossaire : admirabilité s. ‘admiration’


(forme douteuse, sens douteux, donc identité et marque douteuses), deblement adv.
‘terribly’ (sens incertain, GdfC 9,375b donne ‘d’une manière diabolique’ pour le
même passage tiré d’une autre version ; courant au XVIe s. ; formation analogue à
   

mlt. diabolice), encurtinez p.p. as adj. pl. ‘hung with tapestries’ (bien attesté depuis
le XIIe s. ; préférer ‑é, alors sans ‘pl.’), reprovance s. ‘punishment’ (plutôt ‘reproche

accablant’, attesté antérieurement). Jugement prudent sur la question dans Duval-


Rome 11–16, évitant le terme de « néologisme » (19) : « Pour verbaliser le nouveau
       

concept, le locuteur peut utiliser un mot déjà existant en français ou bien en créer
un nouveau » (15) ; le « nouveau concept » est connu de ce locuteur par sa culture et
       

ses lectures latines.


Les registres stylistiques comme « familier » ou « vulgaire » seront en principe
       

marqués en cas d’écart du style courant. Ce n’est pas facile pour des époques du
passé. Un seul exemple (explicite) dans PelVieD : « ESTRE v.intr. ‘être’ passim ;… ♦
     

v.intr. qu’esse ‘qu’est-ce que c’est (ouvrant un discours direct et exprimant une
certaine surprise)’ … [style volontairement négligé ?, un rustre parle] ». DMF : accoler
     

v., arg. ‘prendre au cou, pendre’ Villon ; baril m., fam. ‘estomac’ ; vulg. envoyer chier
   

(qqn) ‘rembarrer (qqn)’.


Très utilisées sont les marques de langues de spécialité. On n’en emploie pas
devant des dénominations appartenant au fond commun, donc pas : astrol. soleil, si  

ce n’est pas une occurrence faisant appel au savoir spécialisé. Par ex. : secondine f. t.  

d’anat. ‘membrane située au fond de l’œil entre la sclérotique et la rétine, choroïde’


(GuiChaulM T) ; futur m. t. de gramm. ‘temps du verbe qui indique la postériorité d’un

fait par rapport au moment où se place le sujet parlant, futur’ (StädtlerGram) ; sergent  

m…. ; ♦ sergans Diu t. de théol. chrét. ‘ceux qui servent Dieu, les justes, et spéc. le

clergé et particulièrement les exorcistes’ (PelVieD) ; existence f. t. de philos. ‘le fait


d’être’ (PelVieD 5291 [Entre le non et existence Voel je bien faire difference]) ; ligne f. t.  

de géom. ‘figure décrite par un trait uni-dimensionnel’ (PelVieD) ; carré adj. math.  

(DMF). Les choses peuvent se compliquer, par ex. pour un terme de couleur nommé
pour décrire un blason avant l’établissement de l’héraldique (2e quart XIIe s.) ou

forme non suffixée beaubeau un vif succès dans de nombreuses locutions à partir du XVéme et jusqu’au
XVIéme s. » combine les deux (PelVieSt, DMF).

70 Le glossaire de PelVieD marque des dernières dates discrètement par son signe général d’impor-
tance de l’entrée pour la lexicographie (Δ), par ex. ASSENS m., C RAP AUDINE f., DONNET m. (s’ajoute un
groupement dans l’introduction).
L’art du glossaire d’édition 429

nommé indépendamment du système héraldique.71 Les mots ainsi marqués peuvent


prendre place dans un registre onomasiologique plus ample, comprenant le fond
commun, voir infra 14o. La reconnaissance d’éléments de langues de spécialité
préfigure fréquemment la bonne compréhension du texte ; c’est la recherche lexicolo-

gique qui lui prépare la voie.


L’indication d’une position à la rime peut être utile ou même nécessaire pour
justifier une graphie ou formation. Par ex. : baiasse 1596 [rime -esse] (PelVieD) ;
   

CONVENAGE adj. ‘qui est approprié à qn ou qch.’ 8719 [forme hapax due à la rime]. Δ
(PelVieD).

10° Références aux occurrences


Chaque mot, variante, sens ou expression est suivi de toutes les références aux
occurrences respectives et ceci dans l’ordre ; elles se placent après la définition ou la

forme. Des renvois sélectionnés ou fourre-tout sont inadmissibles (cf. le mauvais


exemple en n. 7), ce que les recenseurs critiquent régulièrement. Si une unité est assez
ou très fréquente, il est permis d’abréger par ‘etc.’ ou par ‘passim’. Si la nième
attestation est à citer pour une certaine raison (attestation intéressante ou zone
d’apparition72), on peut remplacer une lacune de renvois par un « etc. ». Par ex. :      

FERRÉ p.p. pris comme adj. ‘muni d’une garniture de fer ou d’acier’ 3464 ; 3754 ; etc. ;      

3777 [ferré bourdon Plus en la boe et ou limon Si se fiche parfondement] ; etc. (PelVieD).

Les références aux textes en vers se font par numéros de vers.73 Les abréviations ou
les sigles pour des ouvrages de référence suivent la coutume établie, spécialement
celle fixée dans FEW, puis dans AND et DMF ; très commodes pour l’ancien français

au moins sont les sigles du DEAF (qui suit comme système le FEW et pour la forme
FEW et TL ; sa bibliographie fournit aussi les datations et localisations de textes et des

commentaires utiles sur les sources secondaires ou études et tertiaires ou dictionnai-


res de seconde main, aussi des concordances avec toutes les abréviations du TL, avec
la plupart de celles de l’AND et, par les titres, avec celles du Gdf).74

11° Lexies complexes, collocations, locutions, binômes, formules, proverbes


Le glossaire est l’endroit le plus accessible et le plus flexible pour accueillir les
expressions tant figées que non figées, souvent tout simplement ‘intéressantes’ par

71 Voir Möhren in MélMartin2 265. Plus général : David Trotter, Science avec conscience : réflexions sur
   

le lexique scientifique et le DMF, in MélMartin2 281–299.


72 Cf. Plouzeau RLaR 97,429 : zone de sochon m. dans PercefR.

73 Le DMF cite nombre de textes en vers par page ; c’était une concession à la technique, aujourd’hui

évitable. De la sorte PelVieS y est cité par page, sa réimpression partielle par Cohen par une autre
pagination et PelVieSt par vers.
74 Plusieurs bibliographies se réfèrent (aussi par un lien automatique) à celle du DEAF : AND, DMF,  

Gdf, TL, Arlima ; les sigles se retrouvent également dans RLiR, RLaR, R, ZrP, etc. DEAFBibl indique à

son tour les sigles de plusieurs dictionnaires et bibliographies.


430 Frankwalt Möhren

leur qualité stylistique, littéraire, linguistique ou encyclopédique : doigté demandé.  

Elles forment des sous-entrées d’article, précédées d’un signe (par ex. ♦, comme dans
RobP et DEAF) et suivies de leur référence (un contexte peut s’ajouter après la
référence). Si l’article ne comprend que l’expression, on établira quand même un
lemme défini (alors sans renvoi ou, mieux, avec un seul, le premier, plus « etc. » ou    

« passim »). Un syntagme n’est pas repris tel quel du texte, mais typisé et formalisé (le
   

chercheur s’explicitera sur sa façon de faire ; éventuellement marquer la forme


reconstruite ou, mieux, citer la forme originale comme contexte) ;75 au contraire, on  

garde la forme et graphie de formules ou proverbes.76 Si une expression est suivie


dans l’article par un autre sens du simple lemme, il faut répéter le lemme pour éviter
que la définition soit mise en rapport avec l’expression précédente. Exemples :  

avis m. ‘ce que l’on pense (sur un sujet)’ 3133…, FEW 14,535a ;… ♦ estre avis (a) qn (que) ‘sembler

à (qn) (que)’ 35 [Avis m’estoit… Que] ;…, FEW 14,534b. (PelVieD ; typisation)
   

bel adj. ‘beau’, estre bel (a qn) ‘être agréable (à qn)’ 917 [Biau vous soit donc de l’enclosture,
allég. : tonsure] ;… ♦ empl. adv. bien et bel ‘de manière satisfaisante, convenable’ 3560…
   

(PelVieD ; lemme point d’attache, mot omniprésent, ici sans renvoi, mieux : avec ; sans citation :
       

bien et bel est la forme du texte)


accident m. ‘phase (de la maladie)’ 46 [forme un binôme synonymique avec circumstances]
(GuillFillConsH ; cf. note 13, supra [‘synonymique’ discutable])
   

boe f. ‘terre et détritus détrempés (dans les voies par ex.)’ 3778 [en la boe et ou limon]. (PelVieD ;  

binôme ; non explicité, mais petit chapitre à ce sujet dans l’introduction)


juene m. ‘celui qui est peu avancé en âge’… ; ♦ ‘id.’ comme élément dans une formule anti-

thétique (juene et vieil, juene et chenu…) (DEAF J 670,37)


biauté f. ‘caractère de ce qui plaît par son aspect extérieur’… ; ♦ ‘qualité de ce qui est moralement

admirable’ 5547 [contraires : Fausseté apele biauté] (PelVieD)


[chievre] f. (cievre 5578) ‘sorte d’animal domestique, chèvre’, loc. Plus le het que cievre coutel
5578. (PelVieD)
misericorde f. ‘compassion pour la misère d’autrui, miséricorde’, comme nom allég. 13316 [avec
allusion à l’étymologie pop. ‘misère + corde’, v. miniatures f° 83r°a et v°b, et au sens de ‘sorte de
poignard long ou épée effilée très courte’ … (PelVieD ; étymologie populaire)

12° Citations

bis adj. ‘qui n’est ni blanc ni noir (dit du pain aux farines non blanches)’ 1807 [müerai… le pain
blanc, Le bis aussi, Grace Dieu parle, allusion à l’eucharistie] (PelVieD)

Les contextes cités dans le glossaire ne sont pas redondants. On en a besoin comme
illustration sémasiologique, onomasiologique, syntaxique et encyclopédique. La cita-
tion n’est que rarement superflue. Elle suit le renvoi, est composée en italique et se

75 Fausse lemmatisation : « jöer a la paume ‘Handball spielen’ », attesté par gieux [s.m. pl. !] de [pas a
       

e
P AUME , C., 2 alin., aussi juer a le palme GirySOmer
la] palme, TL 7,495,19. Aj. l’att., DeschQ TL, à DMF PAUME
n° 286 (1e m. XIVe s. ?), Ord. 1368 Lac 8,163b, Ord. 1369 Lac 7,105b ; FEW 7,511a ‘dep. ca. 1320’ (= ?). Pour
     

les images voir Plouzeau RLaR 97,429.


76 Les références secondaires nommeront comme repères ProvM, Hassell, Matsumura TraLiPhi 37,
171–215 (ad JourdBlAlM), SchulzeBusProv, DiStefLoc, Ziltener, etc.
L’art du glossaire d’édition 431

place normalement entre crochets (qui peuvent contenir des commentaires, alors en
romain et après virgule). Ne pas citer des contextes obscurs sans explication. Le
rédacteur d’un dictionnaire comme RobP crée souvent des contextes idéaux. L’auteur
de glossaire ne le fera pas, mais il doit tailler un contexte significatif et de compréhen-
sion immédiate ; bien souvent il tronquera la citation (en mettant « … » ou « (…) ») par
         

souci de clarté : un contexte trop long aveugle. Parfois le contexte est moins efficace

qu’une simple indication de l’objet concerné, par ex. SAIETE f…. ‘sorte d’arme de jet,
flèche’ 4094 ; 4103 [de la malevoisine] (donc, dans ce passage, flèche de machine de

guerre ; PelVieD) ou encore FUELLET m. ‘morceau de support d’écriture, feuille (pliée)’


5194 [appelé aussi letre et livret] (PelVieD). Les crochets peuvent aussi servir à
documenter une forme fléchie, par ex. SAOUL adj. ‘qui a satisfait sa faim, sa soif’ 202
[bon feroit un peu juner Pour estre saoul au souper] ; 2680 [saous pl.] (PelVieD). Dans le

cas d’un lemme normalisé, la citation peut rendre superflue la parenthèse des varian-
tes, surtout dans un très petit article ; c’est peu orthodoxe, mais efficace : [SOLOIR ] v.tr.
   

avec inf. ‘avoir l’habitude (de faire)’ 4134 [soy meïsmes tuer suelt, allég.]. Un contexte
peut aussi documenter une expression ou construction qui pourrait se traiter aussi
bien comme sous-article : POVRETÉ f. ‘état de qn qui manque de moyens matériels’

3865 ; 4899 [fussent a povreté] (PelVieD).


13° Commentaires
Le glossaire est l’endroit approprié pour donner maint commentaire ou remarque
qui n’est pas à sa place dans une note. Il allège le corps des notes qui commentent le
texte plutôt que des faits isolés liés aux mots ou expressions. Le commentaire est
également utile pour diriger un consultant du glossaire vers les passages intéressants
sous divers aspects. On y donnera certaines variantes de manuscrits qui complètent la
compréhension du mot et de la phrase (par ex. : DANGIER m., … var. éd. S : daintié(s),
   

PelVieD). Dans le cas d’un texte traduit, c’est une bonne place pour indiquer l’équiva-
lent de la source, surtout si le mot rend de différents mots (latins, grecs…) de la source
(par ex. v. PsCambrM [de 1876 !] ; D. Burrows, SClemB, donne bien une liste de
   

reprises du latin dans son introduction, avec accès par le biais des références du
glossaire aux notes, par ex. pour dieleticien, mais pas pour mathesis etc.). Un
commentaire comme dans l’article FEVRE m., PelVieD, raccourcit la citation, fournit
une explication et rend l’information plus accessible que si elle était cachée dans une
note : « ‘celui qui travaille le fer à chaud par profession, forgeron’ 4040 [Fil au fevre,
   

épithète de Jésus, fils du faber Joseph, lat. faber ‘artisan’ (Mc 6,3) étant interprété
normalement comme ‘artisan charpentier’, mais aussi par ‘artisan ferronnier’, par ex.
Isid. Reg. monac. Cl. 1868, c. 5, p. 97, l. 127 Ioseph iustus cuius uirgo Maria disponsata
     

extitit faber ferrarius fuit] ». Une occurrence innocente d’un mot comme celle de

hareng dans BodelNicH2 757 as tu mengié herens ? prend son importance par le fait que

la question s’adresse à un grand buveur : le hareng salé donne soif. Des discussions

de corrections au texte vont dans les Notes, mais certains résultats seront parfois
rappelés dans le glossaire.
432 Frankwalt Möhren

Il sera utile aussi de relever des commentaires métalinguistiques de l’auteur


ancien, soit de façon explicite, soit comme citation : POURPOINT m. ‘vêtement d’homme

doublé couvrant le torse’ 3474 [fait est De pointures le gambison – Pourcoy pourpoint
bien l’apele on] (PelVieD). Des commentaires peuvent suivre chaque élément de
l’article.

14° Onomasiologie
Des informations lexicales partant de l’idée ou notion pour en étudier l’expres-
sion jalonnent tout bon glossaire, par exemple en indiquant des binômes ou des
variantes de sens (cf. fuellet, variation dans le texte même, supra 12o). Les marques
d’usage se rapportant aux langues de spécialité font figure d’indicateur onomasiolo-
gique. Les noms (communs) pris comme symbole et les comparaisons relèvent de ce
ressort.77 Le glossaire s’appliquera à relever ces faits [par ex. : estoille tremontaine

‘étoile polaire’ (comme symbole de Marie) (PelVieD)]. Un registre onomasiologique


ou méthodique ou thématique pourrait réunir le tout ou, idéalement, classerait le
vocabulaire entier. Voir M. Roques (édition des CFMA) et Albert Henry (BodelNicH2
398–403), aussi MöhrenVal 235–251 (classement de 3888 attestations de 436 expres-
sions d’une valeur minimale comme renforcement affectif de la négation, suivant le
système de Hallig et Wartburg, HW2) et MöhrenLand 459–501 [459 n. 1 et 2 : critique  

du système]. Nombre d’études lexicologiques prennent la forme d’un glossaire


onomasiologique, par ex. AbeeleFauc, BraultBlazon, Goddard ; différent : Duval-    

Rome.

15° Références secondaires et tertiaires et critique des sources


Que les références reflètent la recherche accomplie est souvent vrai pour un travail
d’étudiant, mais pas nécessairement vrai pour les travaux de chercheurs ‘arrivés’ qui
aiment (re)produire des renvois bibliographiques comme documents de puissance
virile (vaut aussi au féminin) sans avoir lu les travaux. Le glossaire, au contraire, est
sobre. Il est inutile de documenter tout le cheminement des lumières du chercheur.
Comme standard, on consultera, dans le domaine du français prémoderne, les sources
secondaires (basées sur des textes) DEAF, Gdf, GdfC, TL, ANDEl, DMF, Li, Hu et FEW
pour s’orienter quant au sémantisme du mot, ensuite encore FEW pour la vue générale
sur la synchronie et la diachronie (le FEW étant une source tertiaire, basée sur des
dictionnaires, glossaires et études).78 Des compléments viennent de DG, Lac, Roque-

77 Cf. le précieux Ziltener : W. Ziltener, Repertorium der Gleichnisse und bildhaften Vergleiche der

okzitanischen und der französischen Versliteratur des Mittelalters, Bern, Francke, 1972–1989. Voir R. de
Gorog, Bibliographie des études de l’onomasiologie dans le domaine du fr., dans RLiR 37 (1973) 419–446,
avec index des concepts.
78 Il existe des malentendus : TL n’est pas toujours supérieur au Gdf ; il l’est souvent et surtout au
   

GdfC pour les mots et sens encore vivants en français moderne. Hu n’est pas le dictionnaire du XVIe, il
complémente Li. DC n’est pas un dictionnaire du moyen latin, mais un glossaire encyclopédique. Hav
L’art du glossaire d’édition 433

fortGl, DC, LathamDict79 et MltWb (le moyen latin étant congénial au vernaculaire80),
aussi (!) du TLF, et de nombre d’études scientifiques et souvent de dictionnaires
romans ou autres, dépendant du texte traité (pour l’anglo-normand par ex. on se
servira fréquemment de MED81 et OED). La même chose vaut pour l’occitan où Rn, Lv,
LvP, DAO/DAG, DOM, Pans et FEW sont complétés au besoin de glossaires (Appel-
Chrest, etc.) et d’études et de la lexicographie française, catalane etc. Cette recherche
n’est pas menée chaque fois en entier, mais seulement jusqu’à avoir un jugement sûr
quant à la valeur de son attestation. En partant de cette connaissance on fait la
critique des sources (jeu de ping-pong, cette fois-ci entre glossaire et dictionnaire). Le
glossaire en reproduira (après chaque unité sémantique) la substantielle moelle, la
concision étant également une des vertus du lexicographe. La modestie nous fait
souvent juxtaposer nos résultats (jugés corrects) aux données de nos sources (jugées
erronées), sans l’épingler ouvertement. C’est sympathique, mais un ‘erroné’ net est
plus scientifique (et donne à réfléchir à son auteur, s’il veut vraiment se mouiller les
pattes). Des renvois à des développements supplémentaires dans les Notes seront
utiles.
Concrètement : si, pour un sens donné, le renvoi au DMF par ex. est apte à situer

de manière satisfaisante (après confrontation avec les autres sources nommées !) une  

attestation donnée des points de vues phonétique, sémantique, topologique et chro-


nologique, il peut être suffisant, car le DMF fournit aussi le lien au FEW (sinon, on
l’ajoutera ou on proposera une hypothèse étymologique ou on mettra un point
d’interrogation). Mais ceci ne veut pas dire qu’on réussira un glossaire d’un texte
moyen français à simples coups de DMF. Pour bien des vocabulaires, occitans par ex.,
le renvoi régulier au FEW peut être indiqué (sa consultation régulière étant de mise de
toute façon, car il est le seul dictionnaire couvrant en principe entièrement le lexique
gallo-roman et le roman relié). Si aucun dictionnaire ne propose un point d’attache du

est riche mais peu utile par manque de documentation (le site Gallica confond Hav et Hav2). Etc. ; relire

DEAFBibl. Pour Gdf voir ActesMfr10 (rien de comparable pour TL, mais voir les comptes rendus de
Thomas Städtler, VRo 49/50, 1990/91, 524–527 ; 51, 284–288 ; 53, 350–353 ; 56, 316–318 ; 62, 278–288 ;
         

63, 336–338 ; 69, 2010, 308–311). Pour les ajouts au FEW voir Y. Greub dans ActesRechAgn 187–190 ;
   

tout « ad FEW… » est bienvenu.


   

79 Ex. dans PelVieD : [FORME R ] v.tr…. ♦ ‘faire se développer des aptitudes chez qn par un enseigne-

ment’ 3012 [le fourmoie A argüer], FEW 3,716b [‘façonner qn…’ dep. Montaigne, = TLF 8,1103b ;  

LathamDict 1,985b : mlt. dès 3eq.12es.] Δ.


80 D’une part à force d’être écrit parallèlement (dans le continuum langagier et culturel) et d’autre
part, parce que la littérature (moyen) latine se traduisait toujours en français. Lire M. Banniard, Du latin
des illettrés au roman des lettrés, in P. von Moos, Zwischen Babel und Pfingsten, Münster, LIT, 2008,
269–286, spéc. 270 ; F. Nies, Im Anfang war das Übersetzen. Zur Interkulturalität der entstehenden

französischen Nationalliteratur, Cahiers d’histoire des littératures romanes 27 (2003) 15–27. – Pour
conduire des recherches mlt. on se servira des trente dictionnaires mlt. existants (W. Berschin,
Einleitung in die lateinische Philologie des Mittelalters, Heidelberg, Mattes Verlag, 2012, 131–135) et de
maintes études.
81 David Trotter, L’anglo-normand dans le Middle English Dictionary, dans MélMöhren 323–337.
434 Frankwalt Möhren

fait décrit, on créera ce lien : ‘ad AUTORITÉ DMF I.A.’ et ‘ad FEW 25,815b, 2.’ par ex.

(PelVieD). Si la recherche donne à critiquer une source secondaire, on indiquera ces


faits, et cela doit arriver fréquemment (sinon, c’est mauvais signe pour la qualité de la
recherche).
Comme retombée de ce travail on obtiendra des résultats nouveaux que l’on
mettra en relief, soit comme commentaire, soit par un signe (par ex. Δ) dont la valeur
se décèle par les commentaires aux sources et dictionnaires cités (première ou
dernière date, mot ou sens rare, loc. à retenir, correction, bref, les faits qui enrichiront
la lexicographie future notablement), ou les deux. Il est essentiel de travailler avec la
volonté de collaborer à la construction de l’édifice lexicologique et de ne pas croire
que le dépôt de matériaux bruts soit méritoire : il ne l’est pas, il agrandit seulement le

dépotoir. Exemples tirés de PelVieD de 1332 : « FAINDRE v.tr. ‘donner pour réel (un
   

sentiment, une qualité que l’on n’a pas)’ 842 [faindre folie] » (sans problèmes, mais au

contexte possiblement typé) ; « FOURCHON m. prob. ‘dent de fourche’ 2256, Gdf 4,70a ;
     

TL 3,2078,13 [ca. 1393] ; DMF [1480]. Δ » (première date) ; « FUSTER ] v.tr. ‘faire grief,
       

fustiger’ 1676 [a vous parlasse Ja laidement et vous fustasse (Nature)] ; …, TL 3,2372,32 ;


   

Gdf 4,188b ; DMF A. [déf. ?] ; ad FEW 3,917a. Δ » (première date ; doutes).


         

16° Typographie et abréviations


Les traditions font la richesse de tout artisanat et lui confèrent autorité. Le style
du glossaire est concis ; ce n’est pas l’endroit pour faire étalage d’érudition. La

concision épargne au lecteur un attardement par la prose de l’auteur et elle force


celui-ci à la clarté. Les conventions typographiques facilitent la lecture et la compré-
hension, et préparent le travail à l’intégration dans la lexicographie (exigence renfor-
cée par les techniques électroniques).
On choisira un seul jeu de caractères, une fonte, toujours à empattements (par
ex : /Times/, un peu serré mais ubiquiste, ou /Palatino/ ou encore /Book Antiqua/ ou

sim., tous plus lisibles que les sans-serif, /Arial/ par ex.). Le lemme a un caractère à
lui seul, le plus souvent le romain minuscule mi-gras (appelé « gras » dans les    

programmes usuels) ; le métalangage est en romains ordinaires (qualification gram-


maticale, marque d’usage, définition, commentaires, renvois) ; tout langage objet  

(mots cités, variantes, contextes) est en italique (lettres cursives, pas des romaines
inclinées) ; les lemmes auxquels on renvoie sont souvent en PETITES CAPITALES romai-

nes maigres (de même dans un texte courant, le gras étant laid et déroutant dans le
texte courant).82 Les étymons sont le plus souvent en MAJUSCULES. Les variantes
graphiques se groupent dans une parenthèse, (…), avec leurs renvois (complets et
dans l’ordre, éventuellement abrégés par « etc. » ou « passim »). Les définitions sont
       

entourées de guillemets-apostrophes doubles (culbuté au début, “voilà”, similaires

82 Meyer BullSATF 35,76 différent. Son argument contre le mi-gras ne compte plus. La distribution
AMUNTE R .
romain/italique est souvent peu claire, cf. dans son gloss. modèle, TristThomB, AMUNTER
L’art du glossaire d’édition 435

aux ‘anglais’, droits), ou « français », pas „allemands“ ni ˹japonais˼ ; les expressions


     

relevées sont entre guillemets-apostrophes « simples » (culbuté au début). Les contex-


   

tes se placent entre crochets, […], qui accueillent, après virgule, aussi variantes,
équivalents d’un texte source (latin par ex.), commentaires, identifications dans la
Bible, etc., concernant cette occurrence. La fin est constituée par les renvois lexico-
graphiques (15°) et des commentaires.
L’ordre général de la notice est lemme, qualification grammaticale, parenthèse
des variantes, marque d’usage, définition, références aux attestations, crochets du
contexte, références secondaires, commentaire général.83 Des virgules séparent ces
éléments (sauf lemme et qualification grammaticale, et avant et après la parenthèse
des variantes). Les références en série sont séparées de points-virgules (coutumier
depuis FEW, aussi HenryChrest, T.L.F. comme CentNouvS, etc.). Les sous-entrées
(nouveau sens, expression relevée, etc.) sont séparées de points-virgules et distin-
guées par un signe graphique (usuel depuis RobP : ♦, mieux que les tirets demi-

cadratins). Il est permis de faire autrement, mais le résultat doit être le même : de  

toute clarté. Ne pas oublier que personne ne lira le glossaire, il sera consulté ponctuel-
lement à côté d’autres. Le glossaire s’imprime en fin de volume pour un accès des plus
immédiats. La table des noms propres le précède logiquement ; elle peut être précédée

elle-même d’un classement onomasiologique ou méthodique. Les règles pour l’édi-


tion graphique d’un texte ancien sont traitées dans les manuels déjà signalés ; on est  

avare avec les signes diacritiques.84


Les abréviations et sigles font partie de l’outillage scientifique traditionnel : c’est  

commode et efficace. Un emploi aléatoire d’abrègements de sources standard trahit le


néophyte ou l’autodidacte. Une uniformité n’est pas nécessaire, surtout que les
systèmes peuvent avoir des traditions différentes dans les pays, mais « DALF » ou    

« GF » par ex. pour Gdf (et GdfC), ou « WW » pour FEW (M. Issa) est inouï, « Frédéric
         

Godefroy » curieux.85 L’absence d’un système d’abréviations stable chez Gdf fait

souffrir la lexicographie depuis 1880 ; une bibliographie est en voie d’élaboration


83 Meyer BullSATF 35,75 et 77 : la séparation des formes des sens est excellente, mais l’emplacement

des renvois avant la définition est malheureuse dans le cas de polysémies et sim.
84 Voir ConseilsÉcCh I 47–53. La cédille suit l’usage moderne (la valeur phonétique de ç est [ts] et [s],
pas seulement [s]) ; la finale 1e pers. prés et p. simple est en pic. souvent -c, prononcée à époque

ancienne [ts], puis [s], malgré cela on n’y utilise pas la cédille (par ex. laic PelVieD 911, seuc 1514, dorc
1587, GossenGramm2 § 39 ; Pope § 900, transcription -ç possible). Il n’y a pas d’accent grave ; l’accent
       

aigu est un signe d’intonation, il est essentiel pour distinguer les homographes, abbe/abbé, aise/aisé,
aveugle/aveuglé, formes verbales, etc. Le tréma marque le e caduc (ə central, anciennement non
arrondi) s’il est nécessaire au mètre (Riche, povre, sagë et fol, PelVieD 4) et marque la diérèse, se plaçant
alors sur la lettre (1°) supérieure ou (2°) antérieure du triangle vocalique (ïe, ïu, etc.).
85 ConseilsÉcCh I 85–87 recommande l’emploi des abréviations latines des livres de la Bible, « plus  

expédient » (Gen., I Sam., II Sam., III Reg., Jo), mais au t. 3, 96 on propose comme modèle le système

français (Gen., Rois, Jn), tandis que le système latin de la Vulgata, ed. Stuttgart ou autre, semble faire
autorité (Gn, I Sm, III Rg, Io).
436 Frankwalt Möhren

(ATILF, Ringenbach), on peut s’aider de la bibliographie du DEAF (par les titres et


registres, tout en usant d’un esprit ludique, spécialement en employant le moteur de
recherche en ligne). Les consignes typographiques de la Sorbonne correspondent
largement à celles de la PMLA, celles du DEAF également, « enrichies » par celles du
   

FEW, de la RLiR et du RobP. Les notes de bas de page se placent au bas de page.
Quant aux renvois bibliographiques au-delà des sigles (écarter « id. », « loc.cit. »,
       

« op.cit. » et sim. !), il y avait une tendance vers le système américain, dit « de
       

Harvard », adapté aux publications éphémères (avec des répercussions idiotes comme

« Aristotle 1999 » [who’s that guy ?]). La tradition française et européenne survit en
     

Italie et elle gagnera du terrain, « Martin, Sens » ou « MartinSens » ayant nettement


       

plus de sens que « Martin 1992 ».


   

11 Conclusion
La faible qualité de glossaires ne dépend pas vraiment de la fragmentation des
Lettres ; nous savons que les meilleurs glossaires n’ont pas été faits par des linguistes.

Il manque seulement une prise de conscience faisant reconnaître que le glossaire


classifie le vocabulaire comme élément de la langue et ne créant pas, mot par mot,
une traduction de son langage qui est parole. On en déduira aussi que seule l’analyse
lexicographique au niveau de la langue prépare l’analyse littéraire profonde. Les
recettes sont là, les instruments de travail connus et perfectionnés.
Le taylorisme ne laisse pas d’espace aux oublis et à une déviation du meilleur
chemin à prendre dans la production industrielle. Dans le cas de l’élaboration du
glossaire il y a également une dimension verticale, la conception, formation et
organisation scientifique du travail, et une horizontale, l’exécution par décomposition
en tâches simples, mais ces dimensions ne sont pas réparties sur des personnes
différentes, elles sont réunies en la personne du glossairiste. La combinaison heu-
reuse garantit l’intérêt de l’auteur à son travail et la satisfaction personnelle, évitant
par là l’aliénation et l’absentéisme par frustration, ouvrant au contraire une perspec-
tive d’évolution positive. Si l’on n’agit pas en rat d’écran, mais qu’on se lève parfois
pour prendre en main un livre, on évite même les troubles musculo-squelettiques. Les
règles du travail peuvent être variables, mais autant la verticale que l’horizontale
connaissent des traditions qui contribuent à la réussite individuelle et aussi à la
bonne réception des résultats par la communauté scientifique. L’échange fait apparaî-
tre la relativité de ses propres points de vues (personne n’en est libre) et fait éviter le
sectarisme.
En somme, pour réussir un glossaire de classe il suffit de vouloir comprendre le
texte.
L’art du glossaire d’édition 437

12 Bibliographie commentée
Les recherches lexicologiques nécessitent la consultation ponctuelle de nombre de sources primai-
res, les textes, et secondaires, les études et dictionnaires. On les cite par sigle ou abréviation, non
pas inventés ad hoc, mais pris du fonds commun. Ceux employés pour le présent chapitre viennent de
la Bibliographie du DEAF, établie dans la lignée de FEW et TL : Dictionnaire étymologique de l’ancien

français, Complément bibliographique 2007, Tübingen, Niemeyer, 2007 ; version travail en libre accès

sur le site http://www.deaf-page.de. Inutile de charger la bibliographie des indications pour AmAmD
ou AssJérBourgV K par ex., fournissant bien un exemple, mais ne contribuant aucunement aux argu-
ments. Cela ne ferait que nuire à l’environnement. Travaux plus généralement utiles :  

Chambon, Jean-Pierre, Lexicographie et philologie : réflexions sur les glossaires d’éditions de textes

(français médiéval et préclassique, ancien occitan), RLiR 70 (2006), 123–141. Linguistes et


éditeurs de textes seraient en opposition ; la « glossairistique est partie intégrante de la lexico-
   

graphie » ; « il faut peu pour faire de meilleurs glossaires » ; article don m., pris dans DocHMar-
         

neG (par Jacques Monfrin), comparé à RobP et récrit comme corrigé. Visée proche de celle
avancée ici. Sa lecture peut se continuer par André Thibault, Glossairistique et littérature
francophone, RLiR 70 (2006), 143–171, avec des exemples et une systématisation.
Duval, Frédéric (2012), Dire Rome en français. Dictionnaire onomasiologique des institutions, Genève,
Droz. Glossaire-encyclopédie traductologique (lat. – afr./mfr.).
Foulet, Alfred/Speer, Mary Blakely (1979), On editing Old French texts, Lawrence KS, Regents.
Lepage, Yvan G. (2001), Guide de l’édition de textes en ancien français, Paris, Champion.
Martin, Robert (2002), Comprendre la linguistique. Épistémologie élémentaire d’une discipline, Paris,
Quadrige / PUF. Clarifie des choses semblant obscures.
Martin, Robert, De quelques convictions, MélMartin2 (2012), 7–15. Sur l’unité de la linguistique, les
efforts de son unification, etc.
Meyer, Paul (1909), Instruction pour la publication des anciens textes, Bulletin de la Société des
Anciens Textes Français 35, 64–79, et
Meyer, Paul (1910), Instruction pour la publication des anciens textes, Bibliothèque de l’École des
Chartes 71, 224–233.
Möhren, Frankwalt, De l’analyse sémantique du lexique ancien, ActesMétalex3 (2012), 27–58. Réfle-
xions sur la recherche du sens d’un mot dans un texte ancien, avec un « livre de recettes

simples ». [Exemples illustratifs et suppléments dans plusieurs publications, voir le site


deaf‑page.de > Möhren > Publications : D.8 (mfr.), 15 (onomas.), 23 (AND), 25 (langues de

spécialité), 29 (gloss. mfr., continuant Buridant, RLiR 55,427–478 ; définition ; exemples), 30


   

(agn. ; définition, concept du noyau sémantique), 31 (édition et lexicographie : contre-exemple),


   

42 (analyse sémantique), 48 (terminol. de la géom., analyse de textes de spécialité), 54 (éthique


du travail) ; F.43 (compte rendu systématisé d’une édition, MPolGregM, en ligne).]

Roques, Mario (1926), Établissement de règles pratiques pour l’édition des anciens textes français et
provençaux, Romania 52, 243–249 [réimprimé dans Bibliothèque de l’École des Chartes 87
(1926) 453–459].
Trotter, David (2005), Albucasis. Traitier de Cyrurgie, Tübingen, Niemeyer. Édition avec ample intro-
duction, étude sur le lorrain et glossaire soigneux.
Vielliard, Françoise, et al. (2001–2002) Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Fasc. I, Conseils

généraux, 2001, Fasc. II, Actes et documents d’archives, 2001, Fasc. III, Textes littéraires, 2002,
Paris, École des Chartes ; = ConseilsÉcCh.

Gilles Roques
16 Défense et illustration du compte rendu
scientifique
Abstract : Le mot compte rendu dans le sens de ‘exposé critique du contenu d’une
   

publication savante’ reflète une histoire qui se cristallise vers les années 1840–1861.
La pratique de la Recension est un genre allemand, très développée au début du XIXe
siècle, notamment dans des Revues intitulées Jahrbücher. La fusion du mot français et
de l’objet se réalise à partir du Jahrbuch für romanische und englische Literatur, fondé
en 1859, par Adolf Ebert et Ferdinand Wolf, sur le modèle de la Germania de Franz
Pfeiffer et qui fait une grande place au français. Gaston Paris en fut un collaborateur
régulier dès le premier tome, dans le sillage de son père Paulin, avec Friedrich Diez,
Karl Bartsch, Adolf Tobler et Adolf(o) Mussafia. Paul Meyer, qui disposait, depuis
1860, d’une tribune dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, y fit connaître cette
revue allemande dès 1861 et s’y introduisit comme recenseur la même année. Gaston
Paris de son côté poussait à la création d’un organe français, consacré uniquement à
des comptes rendus, ce qui intéressait des libraires, soucieux aussi d’exporter vers
l’Allemagne. C’est ainsi que naquirent successivement la Revue critique d’histoire et de
littérature (1866), puis la Romania (1872), tandis que le Jahrbuch cédait la place à la
Zeitschrift für romanische Philologie (1877). L’intérêt des comptes rendus est d’une part
de hiérarchiser des travaux et de les mettre en perspective avec le reste de la produc-
tion scientifique, d’autre part de faire naître des dialogues, de confronter des points
de vue différents. C’est ce qu’illustre le cas exceptionnel des comptes rendus consa-
crés aux éditions de Joinville par de Wailly. On y voit comment s’opposent les choix
de Paris et de Meyer, et comment chacun affiche ses préférences et en prend mieux
conscience au fil des comptes rendus. Depuis ses origines, les grandes lignes du
compte rendu d’éditions de textes sont restées les mêmes ; acceptées ou non dans les

éditions ultérieures, les remarques présentées gardent toujours leur valeur comme
éléments de réflexion sur la langue, la littérature et l’art d’éditer les textes.

Keywords : compte rendu, éditions, textes médiévaux, philologie romane


   

1 Le mot compte rendu et son histoire


« La critique des journaux, tantôt niaise, tantôt furieuse, jamais indépendante, a, par ses

mensonges et ses camaraderies effrontées, dégoûté le bourgeois de ces utiles guide-ânes qu’on
nomme comptes rendus de salons »,1 Baudelaire, Salon, 1845, 4.

1 Le mot compte rendu de salon a le sens d’‘analyse par écrit d’une œuvre picturale exposée’. Et les
comportements fustigés par Baudelaire ne sauraient se rencontrer, bien sûr, dans un compte rendu
scientifique !

Défense et illustration du compte rendu scientifique 439

« De hautes intelligences devront ainsi, en vue du bien de l’avenir, se condamner à l’ergastulum,


pour accumuler dans de savantes pages des matériaux qu’un bien petit nombre pourra lire. En
apparence, ces patients investigateurs perdent leur temps et leur peine. Il n’y a pas pour eux de
public ; ils seront lus de trois, quatre personnes, quelquefois de celui-là seul qui fera la recension2

de leur ouvrage dans une revue savante, ou de celui qui reprendra le même travail, si tant est
qu’il prenne le soin de connaître ses devanciers », Renan, L’avenir de la Science, 1848, 235–236.

Le mot compte rendu est à l’origine un terme administratif. Comme son nom l’indique,
il s’agit à l’origine du ‘rapport fait des recettes et des dépenses’, issu de l’expression
rendre compte (fin XIIe siècle : Il ne rant conte ne reison de rien nule qu’an i despande

dans TL 8, 213, 33). Le mot est bien attesté en ce sens dès le XIVe siècle.3 Il prend un
sens plus large au XVIIIe siècle avec, par exemple, le mémoire de L.-R. de Caradeuc de
La Chalotais, Sur les constitutions de la Compagnie, présenté au parlement de Rennes,
en décembre 1761, et publié en 1762, sous le titre de Compte rendu des constitutions des
Jésuites. À la même époque rendre compte s’étend au domaine littéraire, pour signifier
‘présenter par écrit l’analyse (d’une œuvre artistique)’.4 La période révolutionnaire va
apporter sa touche, avec le syntagme compte rendu des séances.5 On a ensuite le
compte rendu de fouilles archéologiques,6 le compte rendu d’un roman,7 le compte
rendu d’un opéra.8 Au sens plus précis d’‘exposé critique du contenu d’une publica-
tion savante’, la date de 1872 que donne le FEW 2,997b, correspond à la parution du
premier volume de la Romania, qui contient effectivement une rubrique de comptes-

2 On notera l’emploi remarquable du mot recension au sens d’‘exposé critique du contenu d’une
publication savante’, sens emprunté à l’allemand (Fischer 1991, 235), qui prouve que compte rendu n’a
pas encore acquis à l’époque de Renan le sens que nous allons examiner par la suite.
3 Nombreuses attestations antérieures à la date de 1483 donnée par le TLF, dont : « C’est la manière
   

comme le subside fu faict pour l’ost de Flandres cccxxviii et que il monta selon ce que on peult trouver
par les comptes renduz » (1328, dans BEC 2, 1841, 170).

4 « Je ne parlerai pas des deux premiers [contes], qui ont paru dans la Gazette littéraire et dont

vraisemblablement vous aurez rendu compte » (1769 dans Correspondance littéraire, philosophique et

critique de Grimm et de Diderot depuis 1753 jusqu’en 1790, ed. J. A. Taschereau, tome 6, p. 183) ; « Il m’est
     

impossible, mon ami, de vous entretenir de ce tableau […] C’est votre affaire d’en rendre compte »  

(1765, Denis Diderot, Salon de 1765, Else Marie Bukdahl /Annette Lorenceau (edd.), Paris, Hermann,
1984, p. 253). Le substantif correspondant est un peu plus tardif : « Je ne saurais terminer mieux un
     

compte rendu de nos richesses en paysages du genre romantique » (1820 dans Auguste-Hilarion de

Kératry, Annuaire de l’École française de peinture, ou Lettres sur le Salon de 1819, Paris, Maradan, 1820,
187).
5 « Un ouvrage ayant pour titre : Compte rendu des séances électorales de 1791 » (dans Procès-verbal
     

de l’Assemblée nationale, Volume 2, Assemblée nationale législative, Paris, 1791, 231).


6 « Le compte rendu des dernières fouilles de M. Mariette autour du grand Sphinx de Giseh »
   

(Athenæum Français 3, n°4, 28 janvier 1854, 82).


7 « Nous avions promis à nos lecteurs un compte rendu détaillé de ce nouveau roman » (Athenæum
   

Français 3, n°5, 4 février 1854, 97).


8 « La longueur de cet article nous oblige de renvoyer au prochain numéro le compte rendu de deux

nouveaux opéras que M. Adolphe Adam vient de faire jouer au Théâtre-Lyrique » (Athenæum Français

3, n°52, 30 décembre 1854, 1231).


440 Gilles Roques

rendus.9 Mais ce n’est pas la Romania qui a inventé ce sens. Cette revue est née à partir
de la Revue critique, publiée sous la direction de P. Meyer et de G. Paris (Bähler 2004,
122–124), où on lit le mot compte rendu dès 186610 et où le terme revient plusieurs
fois.11 La Revue critique s’inscrivait elle-même dans la tradition de la Revue critique des
livres nouveaux, rédigée par le Genevois Joël Cherbuliez (Cetlin 2008, 49–70), où le
terme se rencontre déjà en 1861,12 et plus précisément encore dans la tradition de La
Correspondance littéraire, où le mot se lit plusieurs fois.13 Fondé en 1857, dirigé par
deux chartistes, Ch.L. Lalanne et G. Servois14 ainsi que par L. Laurent-Pichat, ce
     

mensuel contient un bulletin bibliographique, où P. Meyer, alors élève-chartiste,


donna ses premiers textes. Bref, le mot compte rendu se chargeait déjà d’une connota-
tion quelque peu savante, dont nous verrions les prémices dans le titre même de la
Revue de bibliographie analytique : ou Compte rendu des ouvrages scientifiques et de

haute littérature, publiés en France et à l’étranger, dont le premier volume parut en


1840, et fut annoncé dans la BEC (BEC 1, 1840, 506). En fin de compte, la première
attestation en français du mot compte rendu, exactement avec le sens qui nous retient
ici, pourrait bien être chez P. Meyer, qui, présentant un article contenu dans le

premier tome du Jahrbuch, revue dont nous allons parler, écrit : « En terminant ce   

compte rendu de l’article de M. Mahn, j’ai une observation à faire relativement à la


manière dont ce savant publie les textes provençaux » (BEC 22, 1861, 533).

9 Notons que la Romania a innové (à la seule exception de la graphie compte-rendu, citée ici dans la
note 13) en introduisant un trait d’union qui restera en vigueur dans la table des matières jusqu’au

tome 12 (1883) - et même encore isolément dans le tome 21- et dans les titres courants jusqu’au tome 20
(1891). Elle se retrouvera encore parfois, jusqu’au t. 28 (1899).
10 « Nous terminerons ce compte rendu par quelques observations critiques » (Revue critique 1/1,
   

1866, 122).
11 En particulier dans l’étude de P. Meyer, Ouvrages sur les patois (premier article), où on lit (Revue
critique 1/1, 1866, 355) : « Il pourra donc n’être pas inutile de joindre au compte rendu de quelques
   

livres, récemment publiés, sur divers patois de la France, l’exposé de la méthode applicable à ces
études ».  

12 « Aussi l’Année musicale remplace-t-elle avantageusement les comptes rendus hebdomadaires ou


mensuels que publient maints journaux suspects de partialité » dans Revue critique des livres nouveaux,

1861/08, 376.
13 « Cette publication mériterait un compte-rendu spécial et détaillé » (Correspondance littéraire 1,
   

n° 7, 5 mai 1857, 151) ; « Allons ! Allons ! Mieux vaut encore être essayiste, flâner, et griffonner à ses
       

heures, un chapitre, un sonnet ou un compte rendu » (Correspondance littéraire 1, n° 10, 5 août 1857,

234) ; « Tel est le sens de la préface qui précède les deux volumes dont le compte rendu m’a été confié »
     

(Correspondance littéraire 4, n°23, 10 octobre 1860, 529).


14 Voir leurs notices nécrologiques dans BEC 59 (1898), 589–598 et 88 (1927), 365–367.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 441

2 Pratiques du compte rendu


2.1 En Allemagne

Mais si le mot compte rendu, avec une valeur approchante du sens moderne, n’appa-
raît en français que vers les années 1860, l’objet existe bel et bien depuis plusieurs
décennies Outre-Rhin. Le véritable premier compte rendu d’une édition d’un texte
médiéval roman pourrait être attribué à Fr. Diez qui publie dans les Heidelberger
Jahrbücher en 1819 (Heidelberger Jahrbücher 12, 1819, 817–828), un long compte rendu
d’une édition des Poésies de Pétrarque.15 Le maître de Bonn distribuera ensuite
quelques comptes rendus d’éditions de textes médiévaux dans divers Jahrbücher für
wissenschaftliche Kritik,16 de Stuttgart ou de Berlin, ce titre de Jahrbücher étant
remarquable, puisqu’il s’agit en principe de présenter des livres récents, parus l’année
précédente, et que la dénomination de wissenschaftliche Kritik précise bien qu’il s’agit
de compte rendus scientifiques. C’est donc tout naturellement qu’on retrouvera la
signature de Diez (1859, 356 et 1861, 114) dans la rubrique « Kritische Anzeigen » du
   

Jahrbuch (cf. Storost 2001, 1260–1261), où il se fait remarquer par une assiduité
notable, puisqu’on le voit signer successivement, dans les tomes un et trois, des
comptes rendus d’éditions de textes ou de textes similaires et quelques autres comp-
tes rendus viendront dans les tomes suivants.17 C’est qu’entretemps le compte rendu
de travaux scientifiques, et particulièrement d’éditions de textes médiévaux, était
devenu une spécialité allemande ; Franz Pfeiffer avait lancé, en 1856, le premier

numéro de Germania,18 qui était consacrée à la littérature allemande du Moyen Âge,


mais aussi à ses sources, tout particulièrement françaises. Pfeiffer était un ami de Karl
Bartsch, qui publia dans Germania d’importants articles, au sein desquels on trouve

15 Francesco Petrarca’s italienische Gedichte, übersetzt und mit erläuternden Anmerkungen begleitet
von Karl Förster, Leipzig und Altenburg, 1818–1819.
16 Petri Alfonsi Disciplina clericalis. Zum ersten Mal herausgegeben mit Einleitung und Anmerkungen
von Fr. Wilh. Val. Schmidt. Berlin, Enslin, 1827, dans Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik, Stuttgart
u. Tübingen, 3, 1829, 347–352 ; Fragmentos de hum cancioneiro inedito, que se acha na livraria do real

Collegio dos nobres de Lisboa. Impresso a custa de Carlos Stuart, Socio da Academia de Lisboa, Paris,
1823, dans Berliner Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik 1, 1830, 161–172 (avec cette excuse pour
justifier l’écart chronologique de sept années entre la parution du livre et celle du compte rendu :  

« L’ouvrage été publié il y a plusieurs années, mais, à ce qu’on peut supposer, est resté totalement

inconnu en Allemagne ») ; Der Roman von Fierabras, provenzalisch, herausgegeben von Immanuel
   

Bekker, Berlin, 1829 dans Berliner Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik 2, 1831, 153–160.
17 Dont l’Étude sur le rôle de l’accent latin dans la langue française, par G. Paris, dans le t. 5 (1863),
406–414 cf. Lettre de G. Paris à P. Meyer du 1er avril 1864, publiée dans Bähler (2004, 95) ; « c’est que le
   

prochain numéro [du Jahrbuch] contiendra un long article du père Diez sur mon Accent latin ; notez  

que lui et Guessard, les deux patrons de mon opuscule, m’ont tous les deux fait attendre un mot
pendant plus de deux ans. Enfin voilà Diez qui y arrive, et il avait assez à faire pour ne pas s’y presser ».  

On notera que Paris n’emploie pas le mot de compte rendu.


18 Sur cette revue v. Storost (2001, 1260).
442 Gilles Roques

de véritables comptes rendus. Ainsi, l’Albéric, qui y avait été édité en tant que source
de l’Alexanderlied (Rochat 1856, 274–282), fut l’objet de trois articles (Hofmann 1857,
95–97 ;19 Tobler 1857a, 441–444 ;20 Bartsch 1857, 462–464). D’ailleurs cette revue
   

Germania contenait déjà, dès son premier volume, une section « Bibliographie : Recen-
   

sionen », qui contenait des comptes rendus critiques d’éditions de textes allemands

signés de Adolf Holtzmann et de Bartsch, par exemple ; Bartsch sortant même du


domaine germanique pour donner un compte rendu minutieux d’une édition des
Œuvres de Hrotswitha (Bartsch 1858a) et un autre de La vie de Sainte Enimie de Bertran
de Marseille, dont la conclusion est sans aménité (Bartsch 1858b, 384) :  

« Il faudrait avant tout conseiller à M. Sachs d’apprendre en premier lieu à lire les manuscrits, car

les fautes de lecture innombrables dans cette première édition d’un poète provençal ne plaident
pas en faveur de ses connaissances paléographiques ».  

Le tome 10 contient un long compte rendu, dû à Mussafia, de l’édition de Barlaam und


Josaphat, qui n’hésite pas, en conclusion, à porter un jugement cru sur la renommée
montante de Meyer, l’un des deux éditeurs du poème (Mussafia 1865, 120) :21  

« Comme on le voit nos remarques concernent seulement le manuscrit et ce qu’on aurait souhaité

en outre de la part des éditeurs. Car ce qu’ils voulaient faire réellement et ce qu’ils ont fait, répond
tout à fait à la renommée importante, que Paul Meyer a acquise dans la philologie romane. Mais
il nous a habitué à attendre de lui des résultats importants ; c’est pourquoi nous nous sommes

permis d’attirer l’attention sur plusieurs points, dont nous nous regrettons malheureusement
l’absence dans sa dernière publication ».22  

Après ce volume 10, on ne trouvera plus de compte rendu d’éditions de textes


médiévaux français ; ceci marque le fait que le Jahrbuch, fondé en 1859, était devenu

l’organe normal pour les philologues romanistes allemands. C’est là qu’officiaient


maintenant le Bartsch romaniste, qui deviendra par ailleurs directeur de la Germania,
et Mussafia, qui rédigeront pour les Kritische Anzeigen du Jahrbuch, d’importants

19 Hofmann venait d’être nommé professeur ordinaire de langue et littérature d’ancien allemand à
l’Université de Munich.
20 Âgé alors de 22 ans, et dont c’est le premier travail publié, écho de sa première dissertation (Tobler
1857b ; Jung 2009, 6–9).

21 Ceci pourrait être une réponse au compte rendu de Meyer (1864b).


22 Près de 40 ans plus tard, Meyer (1899, 483), rendant compte d’un travail sur ce texte, donnera une
explication en ces termes : « Mon édition, qui ne mérite certainement pas l’épithète « excellente » que
       

lui accorde M. Kr., est très fautive : je le sais mieux que personne. Les erreurs qu’elle renferme sont dues

à cette circonstance que l’édition a été en partie imprimée alors que j’étais absent de Paris et ne pouvais
collationner les épreuves sur le ms. De plus, pour plusieurs feuilles, je n’ai pas revu d’épreuves du tout.
C’est donc une édition à refaire. Je la referai peut-être un jour, en mettant à profit le ms. du Mont-
Cassin. Quant à faire des conjectures sur le texte tel qu’il est, c’est perdre son temps. J’aurais pu depuis
longtemps, si je l’avais jugé utile, publier à cette édition un errata bien plus long que celui de
M. Krause ».
   
Défense et illustration du compte rendu scientifique 443

comptes rendus (Bartsch 1862a ; 1862b ; Mussafia 1862a ; 1862b ; 1864) ; Bartsch
         

donnant des comptes rendus minutieux, qui ne sont pas de complaisance, d’éditions
aussi bien de Mussafia (Bartsch 1864) que de Meyer (Bartsch 1866), le dernier cité
s’achevant par la formule qui deviendra rituelle :  

« Veuille l’infatigable éditeur voir dans ce compte rendu qui entre dans tous les

détails une preuve de l’intérêt que sa dernière publication a soulevé chez moi et sans
doute chez tous les amis de la littérature provençale ».  

On lit, la même année, les deux parties d’un long compte rendu, par A. Scheler du
Cléomadès édité par A. Van Hasselt, le compte rendu du second tome s’ouvrant par un
exorde assez rude (Scheler 1866, 347) :  

« Je ne sais si le savant éditeur du Cléomadès a pris connaissance des observations critiques que

je me suis permis de faire dans cette revue dès l’apparition du premier volume de ce roman ou si
d’autres philologues lui en ont soumis, toujours est-il qu’il a cru devoir en relever quelques-unes
dans un errata qu’il a placé à la fin du second et dernier volume. Plusieurs fois il accepte mes
corrections, mais en quelques endroits il lui en coûte de se rendre et il ne le fait que pressé par la
force des arguments contraires ».

D’autres comptes rendus de grande importance suivront dans la même Revue, qui
cessera de paraître en 1876.23 Lui succèdera immédiatement, en 1877, le premier tome
de la Zeitschrift für romanische Philologie,24 qui compte une rubrique Recensionen und
Anzeigen, où figurent déjà un important compte rendu de W. Foerster sur le Roman de
Rou25 et un autre, tout aussi important, de H. Suchier sur la traduction du Livre des
Psaumes (Suchier 1877).
Le genre du compte rendu est dès lors un objet scientifique, bien déterminé, qui
irrigue de sa sève la discipline sur laquelle il se greffe. Indépendamment de leur
qualité, tout à fait excellente, qui les rend encore suggestifs, voire même instructifs,
près d’un siècle et demi après leur parution, nous remarquons que la plupart des
comptes rendus que nous avons cités, ont été publiés quelques mois seulement après
la sortie de l’ouvrage examiné. C’est là pour la discipline concernée un signe de
vitalité, qui prouve aussi qu’il n’est pas nécessaire de laisser reposer longuement un

23 Tobler (1867 ; 1876) ; Mussafia (1869) ; Bartsch (1870). Aussi de Mussafia, des articles consacrés à
     

des remarques critiques sur un ou plusieurs passages.


24 Sur cette revue v. Storost (2001, 1261s.).
25 Le compte rendu se termine par ces mots de Foerster (1877, 159) : « Bien après que le manuscrit de
   

ce compte rendu a été terminé et envoyé à la Revue, est paru, dans le Lit. Centralblatt du 17. février 1877

n° 8, un très instructif compte rendu de Suchier. J’ai constaté avec beaucoup de plaisir, que nombre de
mes remarques rencontraient celles de l’excellent critique ». Cette référence à un autre compte rendu

du même ouvrage (qu’on retrouvera encore, par exemple dans Zeitschrift für romanische Philologie 37,
1913, 343) est non seulement une marque de respect et d’honnêteté intellectuelle, dont l’usage semble
souvent s’être malheureusement oublié, mais prouve aussi la vitalité de l’information du recenseur !  
444 Gilles Roques

livre pour donner une idée de ce qu’on peut en attendre et jauger de façon correcte sa
valeur et ses faiblesses.

2.2 Le transfert en France

L’écho de ce mouvement Outre-Rhin ne tarda pas à gagner Paris. G. Paris, dans une
lettre à E. Curtius du 27 décembre 1858,26 montre qu’il est au courant de la fondation
du Jahrbuch, pour lequel il a été sollicité d’écrire un article, qui paraîtra effectivement
dans le premier volume (Paris 1858, 388–399), sous le titre « Aperçu de l'évolution de

la littérature française en 1858 ».27 Mais le Français qui y tient la vedette, c’est Du

Méril,28 qui ouvre le tome premier par un article sur Wace29 (Du Méril 1859, 1–43). Le
deuxième tome s’ouvre aussi par un article en français, Peÿ (1860a) comparant
l’Enéide de Henri de Veldeke et l’Eneas ; le même Peÿ (1860b) y a aussi rédigé le

compte rendu de l’édition de La vie de Saint Thomas de Guernes par Célestin Hippeau.
Il revenait à Meyer de présenter le compte rendu de ces volumes ; il le fait avec le 

ton polémique, qui est le sien, mais aussi avec une hauteur de vue certaine, qui rend
toujours agréable sa lecture. Voici comment s’ouvre le premier, long de seize pages
(Meyer 1861d, 528) :  

« On sait avec quel zèle et avec quel succès l’Allemagne savante s’occupe de notre littérature. Elle

a repris des études qui chez nous avaient été suivies avec plus d’ardeur que de critique, et leur a
imprimé une direction vraiment scientifique. Sur certains points, même, elle s’est rendue maî-
tresse du terrain. L’histoire littéraire du midi de la France, par exemple, est devenue une science
allemande ; Sainte-Palaye, Raynouard, Fauriel, ont trouvé chez nous peu de continuateurs, et, à

part quelques rares exceptions, ce sont des savants allemands qui ont mis au jour la presque
totalité de la littérature provençale. En Allemagne tout mouvement scientifique ou littéraire
donne naissance à une nouvelle revue ; jusqu’à ces dernières années, cependant, la philologie

romane n’avait pas eu d’organe spécial, et les travaux qui lui étaient consacrés ou se publiaient à
part, ou bien étaient insérés dans des recueils destinés à d’autres études, tels que la Zeitschrift für
deutsches Alterthum de Haupt ; la Germania, de Pfeiffer ; l’Archiv für das Studium der neuern
   

Sprachen, de Herrig, etc., lorsque, vers la fin de l’année 1858, parut la revue dont le titre est inscrit
en tête de cet article. Elle compte déjà trois ans d’existence, et il est bien temps de faire connaître

26 Publiée dans Bähler (2004, 89s.).


27 Il commence ainsi : « Comme vous me le disiez, Monsieur, dans la lettre que vous avez bien voulu
   

m’écrire pour me demander le travail que je vous envoie, il est bon pour juger sûrement une certaine
période contemporaine qu’on l’ait déjà dépassée et qu’elle soit complètement close », et il dresse un

panorama de la vie littéraire parisienne lors de l’année 1858. Il donnera encore deux lettres sur le même
sujet dans le Jahrbuch de 1861.
28 Sur cet érudit, v. Bähler (2004, 115–117).
29 Les autres collaborateurs français de ce premier volume sont : Paulin Paris, Notice sur la Chanson

de geste intitulée : Le voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, et Alexandre Peÿ, Notice


sur le Roman inédit de Doon de Mayence, auteur aussi d’un compte rendu de l’édition des Nouvelles
Françaises en prose du XIVe siècle, publiées par L. Moland et Ch. d’Héricault.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 445

aux lecteurs de la Bibliothèque de l’École des Chartes un recueil consacré à des études qui nous
touchent de si près ».

Les auteurs français y sont traités sans indulgence. Le travail de Du Méril est l’objet
d’une critique courtoise mais elle fut le début d’une polémique entre les deux
hommes ;30 celui de Paulin Paris est plus sévèrement décrit,31 tandis qu’Alexandre

Peÿ est proprement assassiné (Meyer 1861d, 540).32 On entrevoit une hostilité forte
entre le jeune chartiste et le normalien, son aîné, agrégé d’allemand depuis 1851,
auteur d’un Essai sur li romans d’Eneas, d’après les manuscrits de la Bibliothèque
impériale, paru en 1856. Ceci n’est pas sans analogie avec ce qui sera plus tard le cas
de Léopold Constans.
Dans le numéro suivant de la Bibliothèque de l’École des Chartes (BEC 23, 1862,
441–452), Meyer (1862b) examine le deuxième tome du Jahrbuch. Le premier article est
dû à Peÿ (1860a). Cette fois Meyer (1862b, 441) mêle habilement remarques acides et

30 Note de Meyer (1862b, 441s.) : « Je dois une réponse à une note insérée par M. E. du Méril dans
   

l’édition revue, corrigée et augmentée, qu’il a donnée de son travail sur Wace, dans ses Études sur
quelques points d’archéologie et d’histoire littéraire […] M. du Méril, qui m’a fait l’honneur de profiter de
plusieurs de mes observations, m’a gratifié de la note qu’on va lire : ‹ Un très-jeune homme, qui semble
   

vouloir se distinguer par une critique jappante (sic), regarde l’assertion de l’abbé Lebeuf comme une
conjecture toute gratuite, parce qu’il est infiniment peu probable qu’il ait eu des renseignements qui
nous manquent maintenant […] Le jeune savant ignore sans doute que plusieurs manuscrits dont s’est
servi Fauchet ont disparu, qu’on ne sait où sont passés une partie de ceux que du Cange avait extraits
pour son Glossarium mediae latinitatis, et qu’un volume très-curieux du Renard contrefait, dont, malgré
le Ménagiana, on avait nié l’existence, a été retrouvé tout récemment à la bibliothèque impériale de
Vienne ›. M. É. du Méril devra regretter de s’être exprimé en termes aussi peu mesurés à l’égard d’un

‹ très-jeune homme › qui, en raison même de sa jeunesse, doit, plus que tout autre, s’interdire dans sa
   

défense le ton offensant de la note citée. Voilà pour la forme. Quant au fond, je suis obligé de dire que
je savais déjà tout ce que M. du Méril veut bien m’apprendre […] ». 

31 « Cette notice paraît écrite d’ancienne date […]. M. Paris a résumé avec ordre les renseignements

qu’il est possible d’extraire des notes et des citations que M. Francisque Michel a accumulées dans la
préface de son édition de ce poëme. Une des raisons qui me portent à croire que ce travail n’a pas été
composé récemment, c’est qu’il n’est plus du tout point au niveau de la science […] » (Meyer 1861d,

534).
32 « Cette notice, écrite en français par M. Pey, professeur d’allemand au lycée Saint-Louis, contient

l’analyse de la chanson de Doon de Mayence et quelques recherches sur ce poëme. Ces recherches
présentent peu d’intérêt, d’abord parce qu’elles sont assez superficielles, ensuite parce que M. Pey les

a en grande partie reproduites dans la préface qu’il a mise en tête de l’édition de Doon de Mayence, qui
a été publiée récemment sous son nom (en note : II est bon de dire ici que dans cette édition le

sommaire seul, l’errata et une partie de la préface appartiennent à M. Pey, le texte ayant été préparé par

M. Guessard et par M.A. Schweighaeuser qui a fait la copie du manuscrit) ». Guessard était professeur à
     

l’École des Chartes et Schweighaeuser en était un ancien élève ; on trouvera une version, moins

polémique de cette affaire, dans la nécrologie de Schweighaeuser (BEC 37, 1876, 298) : « Il s’est   

beaucoup occupé de nos chansons de geste, mais n’en a publié aucune : il abandonna à d’autres mains

l’édition de Doon de Maïence, dont il s’était chargé pour la collection des Anciens poètes de la France,
publiée sous la direction de M. Guessard ». 
446 Gilles Roques

compliments.33 Il n’en va pas de même avec sa présentation de deux comptes rendus


consacrés à des ouvrages écrits par des Français (Meyer 1862b, 447) :  

« L’ouvrage de M. Lenient, professeur au lycée Napoléon, a été pour son confrère en rhétorique,

M. Talbot, l’occasion d’une amplification de trois pages sur la satire en général, suivie de quatre
pages d’éloges et de citations, passons. M. L. Holland, professeur à Tubingue, a fait connaître la
théorie que M. Baret a appliquée au poème du Cid de l’air d’un critique qui ne la croit pas juste,
mais sans donner les raisons de la défiance qui perce à travers son exposé. Pour moi, je considère
cette théorie comme étant le contre-pied de la vérité, et je vais l’exposer en quelques mots pour la
combattre ». 

Enfin, il revient au compte rendu rédigé par Peÿ (1860b) pour porter un jugement
mesuré et juste, mais qui ne manquera pas de surprendre dans ses deux phrases
finales, toujours d’actualité, qui montrent un Meyer désireux de se distinguer le rôle
de l’éditeur de textes de celui de simple copiste d’un manuscrit :  

« Il y a bien des fautes dans cette édition, mais la plus grave à mon avis, est de n’avoir point

établi, de la vie de saint Thomas le martyr, un texte critique résultant de la comparaison du ms.
reproduit dans cette publication avec celui qu’a imprimé M. I. Bekker. Se contenter de multiplier
par la voie de l’impression un exemplaire unique, c’est réduire sa tâche à celle d’un simple
copiste, c’est obliger en quelque sorte à publier autant d’éditions d’un même ouvrage qu’il en
existe de manuscrits. On fait mieux maintenant » (Meyer 1862b, 451).

Meyer (1864a, 51–61) continuera avec une recension du troisième tome du Jahrbuch ;  

sa cible sera cette fois François-Romain Cambouliu, auteur d’un mémoire sur la
« Renaissance de la Poésie Provençale à Toulouse au quatorzième siècle », et qui
   

venait d’être nommé à l’Université de Montpellier,34 où il sera l’un des fondateurs de


la Société pour l’étude des langues romanes. S’il est clair que ses compétences dans le
domaine de l’ancien provençal ne sont pas au goût du jour,35 on peut lui reconnaître
une belle activité dans des domaines encore mal explorés comme le catalan et la
littérature occitane postérieure à l’âge d’or des troubadours. C’est dans ce même
troisième tome du Jahrbuch, que Meyer pourra faire passer deux de ses comptes

33 « M. Pey paraît être maintenant meilleur philologue qu’en 1856 ; il ne fait plus venir, comme alors,
   

reter (lat. reputare, соmр. le prov. reptar) de reos facere, ni voisdie de vitium par l’italien vezzo. Dans ce
nouveau travail, incontestablement digne d’éloges, M. Pey s’est appliqué à rechercher dans quelle
mesure Henri de Weldeke a imité l’Énéas français ». Il y aurait d’ailleurs à retracer le portrait de ce

professeur, polygraphe connu par ailleurs, pour des romans, des traductions, des essais et des manuels
scolaires, mais qui ne paraît pas avoir copié les mss d’ancien français avec tout le soin nécessaire,
v. Långfors (1919, XV).

34 Cambouliou avait déjà été égratigné, dans le tome précédent, par Meyer (1862b, 448) à l’occasion
du compte rendu de Zur Geschichte der Catalanischen Literatur d’Ad. Ebert, directeur du Jahrbuch.
35 Meyer (1864a, 59s.) souligne encore le fait en présentant un petit extrait que donne Cambouliu du
Mémorial des Nobles. P. Meyer et n’épargnera même pas le défunt (Revue critique 4/1, 1870, 339s.),
parlant d’« un article nécrologique sur M. Cambouliu, où il nous semble que l’auteur, M. Montel, a

poussé l’éloge beaucoup au-delà de ce que demandait la qualité de membre fondateur de la Société ».  
Défense et illustration du compte rendu scientifique 447

rendus, courts, naturellement positifs et surtout descriptifs, de deux travaux publiés


par des anciens élèves de l’École des Chartes : la thèse latine de Siméon Luce sur

Gaydon et une édition de Coutumes par Auguste Kroeber.36

2.3 Meyer et la Bibliothèque de L’École des Chartes

Mais l’essentiel de son activité de critique d’éditions de texte est concentré dans la
Bibliothèque de L’École des Chartes où il officie depuis 1860, c’est-à-dire depuis l’âge
de 20 ans. On peut considérer comme formateur son premier travail sur Girart de
Roussillon (Meyer 1861b). Il prend la posture, sur un texte d’une extrême difficulté, qui
n’a pas aujourd’hui encore livré tous ses secrets malgré des travaux remarquables,
d’arbitrer entre deux éditions : celles de Michel (1856) et celle d’Hofmann (1855–

1857) ; il penche vers Hofmann, à bon droit, mais il ne se rend pas compte que seul

Michel permet d’entrevoir l’ensemble de la situation. L’impasse dans laquelle il s’est


introduit, est matérialisée par le fait que le premier article de la BEC, n’aura pas, dans
l’immédiat, la suite annoncée. Elle viendra neuf ans plus tard (Meyer 1870), mais
n’aura pas elle non plus la suite annoncée alors. Le débat sera enterré, par deux
comptes rendus antagonistes autour de la thèse de Schweppe (1878) par Bartsch
(1879) et Meyer (1879).
On trouve dans la production de Meyer des comptes rendus de salubrité, destinés
à des ouvrages qui n’auraient mérité que le silence, telle une Alexandriade (Le Court
de la Villethassetz/Talbot 1861), à propos de laquelle il exerce un peu lourdement sa
verve, justement indignée (Meyer 1862a) :  

« La Bibliothèque de l’École des Chartes n’est pas faite pour annoncer les livres de seconde main ;
   

cependant, lorsqu’il se rencontre dans un ouvrage de cette catégorie des idées qui ne tendent à
rien de moins qu’à renouveler un point quelconque de la science, il importe de les soumettre à
une critique sévère, afin de nous assurer s’il nous faut apprendre d’après de nouveaux principes
ce que nous pensions savoir, et, dans le cas contraire, de prouver qu’il est toujours possible de
distinguer une opinion raisonnable d’un paradoxe ridicule. Le livre dont le titre est inscrit en tête
de cet article est un ouvrage de seconde main en ce sens qu’il n’est, pour le texte, que la
réimpression d’une partie du roman d’Alexandre, publié à Stuttgart, par M. Michelant ; c’est un

ouvrage original et même très-original par les idées, comme on le verra tout à l’heure. Mais
d’abord, parlons du texte. Les éditeurs nous ont donné, sous le titre prétentieux d’Alexandriade,
un choix de morceaux tirés de la chanson d’Alexandre et formant environ la moitié du poème. Je
ne leur ferai pas un reproche de n’avoir pas réédité tout l’ouvrage, puisque, assurément, il leur
était parfaitement loisible de n’en pas réimprimer un seul vers. Peut-être eût-il été bon de revoir

36 Mince article de dix pages, dont il avait déjà fait le compte rendu dans BEC 21 (1860), 545s. Ce sera
avec celui du Vocabulaire du Haut-Maine, par C.-R. de Montesson, Nouvelle édition augmentée, 1859
dans BEC 21 (1860), 460–462, l’un des deux premiers comptes rendus rédigés dans cette revue, par
Meyer qui venait, tout juste, d’y terminer sa troisième année d’étude.
448 Gilles Roques

le texte de ces fragments sur les manuscrits, ou même de le publier d’après un manuscrit autre
que celui qui a servi à l’édition de M. Michelant,37 mais passons sur ces détails ».  

Suivent quatre pages qui relèvent des exemples d’inepties de tout ordre contenues
dans le livre, qui amènent à la conclusion :  

« Laissons l’appréciation de ce triste livre, ou plutôt de ces tristes prétentions, à un public éclairé

qui ne se laisse pas prendre aux éloges pompeux de certaines feuilles, et regrettons seulement de
voir mêlé à cette affaire un professeur de l’université,38 d’ailleurs homme d’esprit et de goût, qui
soutenait naguère dans une thèse sur l’Alexandre des idées différentes de celles dont il accepte
aujourd’hui la responsabilité ».

Le ton, assurément persiffleur, était différent à l’égard d’un influent professeur,


C. Hippeau, éditeur du Bel Inconnu :39
   

« Je féliciterai d’abord M. Hippeau d’avoir su résister à un entraînement assez général et tout à


fait déplorable. La liste de ses productions est déjà longue ; et aucune, je suis heureux de le

reconnaître, n’appartient ni par son but ni par son exécution à ce que l’on peut appeler la
littérature éphémère et frivole. Homme d’esprit, homme du monde, maniant une plume exercée
et facile, le savant professeur de la Faculté des Lettres de Caen aurait pu sans beaucoup de peine
battre monnaie avec des écrits futiles à la grande satisfaction des désœuvrés ; il a mieux aimé

dépenser son temps, son savoir, son talent et son argent dans une entreprise plus ingrate pour
lui, plus féconde pour la science, et il s’est mis à fouiller les bibliothèques privées et publiques de
l’Europe, recherchant et disputant à l’oubli les monuments ignorés de notre ancienne littérature,
c’est-à-dire de notre influence intellectuelle et de notre vieille gloire nationale ».  

Mais il pose aussi les problèmes fondamentaux du choix des leçons :


   

« L’éditeur du Bel Inconnu a exposé quelque part avec beaucoup de netteté le principe philolo-

gique général qui a présidé à l’établissement de son texte : ‹ Quoique, dit-il, le texte des différents
   

poèmes, que contient notre manuscrit, soit en général excellent, il ne peut échapper à l’inconvé-
nient commun à tous les écrits du moyen âge, de ne pas offrir une grande régularité dans ses
formes lexicographiques. Il est facile de voir néanmoins que cette régularité existe dans la
langue, et que c’est moins la science grammaticale du trouvère que l’habileté du copiste, qui fait

37 Remarquons ici une contradiction avec ce que nous avons vu affirmer dans BEC 23 (1862b), 451.
38 Il s’agit d’E. Talbot, que nous avons vu cité dans BEC 23 (1862b), 447, professeur de français latin-
grec dans de grands lycées parisiens, auteur de nombreux ouvrages, en particulier de traductions de
classiques grecs et latins. Mais sous l’empire de l’indignation, P. Meyer a oublié qu’il avait écrit deux
pages plus haut une phrase en contradiction avec sa conclusion : « Déjà, il y a quelques années,
   

M. Talbot avait émis les mêmes idées, sous une forme plus affirmative que maintenant et en les

appuyant d’arguments que je suis heureux de n’avoir point à discuter ; réduites à de simples hypo-

thèses, elles ne méritent même pas d’être combattues ».  

39 Le compte rendu ([Meyer], 1861c, 190) ne porte aucune signature, mais il vient après un compte
rendu signé P. Meyer et le style fait reconnaître immédiatement son auteur. On sait aussi que plus tard
dans la Romania, les comptes rendus ou les chroniques non signés devinrent une façon de brouiller les
pistes.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 449

ici défaut. › Si M. Hippeau veut parler seulement de la régularité grammaticale, de la syntaxe, je


suis de son avis, bien qu’ici même il convienne de faire des distinctions essentielles et des
réserves nécessaires. Mais si, comme les expressions dont il se sert ne permettent guère d’en
douter, il affirme aussi la régularité lexicographique, une telle opinion, posée surtout en des
termes aussi généraux et aussi absolus me paraît une erreur et presque une hérésie. Quoi qu’il en
soit, le savant éditeur est parti de ce principe pour modifier et corriger son texte avec un zèle qui
manque parfois un peu de circonspection ».  

Et après voir relevé une bonne série d’étymologies fausses, P. Meyer conclut avec une
superbe ironie :  

« Telle est cette édition dont quelques légères taches déparent à peine la solide beauté. Je viens

pourtant, comme on l’a pu voir, de l’étudier à la loupe avec les dispositions guerroyantes et le
parti pris ferrailleur d’un écolier espiègle qui, en relevant de petites distractions et inadvertances
d’un de ses maîtres, essaie de lui prouver malicieusement qu’il a profité de ses leçons. Au point
de vue typographique, le papier, l’impression, les ornements mettent cette publication au
nombre des meilleures qu’ait exécutées A. Aubry, ce libraire des bibliophiles. L’infatigable
professeur nous dit dans la préface du Bel Inconnu qu’il a l’intention de publier successivement
et dans le même format et avec un égal soin la série complète des Poèmes de la Table Ronde et
des Romans d’aventures. Après avoir remercié notre savant maître de tout ce qu’il a fait déjà,
nous prenons acte de ce qu’il veut bien promettre ainsi de nous donner encore. Le jour où un tel
engagement sera rempli, peu d’hommes, je ne crains pas de le dire, auront mieux mérité que
M. Hippeau de l’Université et des lettres françaises ».
   

Le véritable compte rendu de cette édition avait été donné, sous la signature cette fois
affirmée de Meyer, âgé de vingt ans, dans la Correspondance littéraire, sous forme
d’une lettre adressée à son directeur ; on a là le premier compte rendu critique de

Meyer. Il s’agissait, par delà la critique d’une édition de texte, de ridiculiser l’intention
de Hippeau de donner un dictionnaire de l’ancien français (Meyer 1861a) :  

« A M. le directeur de la Correspondance littéraire,


Monsieur, J’ai lu avec beaucoup d’intérêt dans la Correspondance littéraire du 25 novembre 1860
un article sur l’édition du Bel Inconnu, dont la science est redevable à M. Hippeau. Je m’associe
de tout point aux judicieuses observations de M. Servois ; il me semble cependant qu’en dehors

de son appréciation, il y a place encore pour quelques remarques, notamment en ce qui touche
aux questions philologiques que soulève le glossaire dont est suivi le texte du Bel Inconnu. Ce
sont ces remarques, Monsieur, que j’ai l’honneur de vous adresser, espérant qu’elles seront,
peut-être, de nature à intéresser vos lecteurs et M. Hippeau lui-même.
M. Hippeau annonce qu’il prépare un Dictionnaire complet de la langue d’oil qu’il doit mettre
bientôt sous presse. L’idée de M. Hippeau est excellente, et un tel ouvrage peut rendre d’immen-
ses services aux études du moyen âge. Le dictionnaire en question sera complet, la parole de
M. Hippeau nous en est un sûr garant, espérons qu’il sera irréprochable à tous autres égards. Un

homme qui se sent en état de dresser l’inventaire de tous les mots de notre vieille langue doit
avoir lu bien des centaines de milliers de vers, sans parler des textes en prose ; il serait bien

regrettable qu’une expérience si laborieusement acquise se trouvât en défaut sur quelques


points. Si donc il se rencontre quelques taches dans le glossaire du Bel Inconnu, qui doit nous
donner comme un avant-goût du Dictionnaire, M. Hippeau nous saura gré, sans doute, de les lui
450 Gilles Roques

avoir signalées, et si ces taches se trouvent plus nombreuses qu’il le suppose, il nous en sera
d’autant plus reconnaissant ».

Et Meyer d’aligner quelques exemples des insuffisances du « savant professeur de


Caen » puis de conclure, cruellement :


   

« J’espère que ces quelques observations auxquelles ont donné lieu les vingt pages du glossaire

de M. Hippeau, et dont il me serait facile d’augmenter le nombre, ne seront pas perdues pour le
Dictionnaire Complet de la Langue d’oïl […] Que M. Hippeau persévère dans cette voie, qu’il
réforme son système étymologique, qu’il revoie la traduction d’une bonne partie des mots, et il
pourra nous donner un bon Dictionnaire Complet de la langue d’oïl ; mais qu’il prenne garde aux

barbarismes, tant en français qu’en latin, en espagnol et en allemand.


Si ces observations vous paraissent fondées, Monsieur le directeur, je les verrai avec plaisir
figurer dans votre estimable recueil.
Veuillez agréer, etc. Paul Meyer ».

Ce double compte rendu précède celui que fera, sur le même texte, Mussafia (1862b),
qui va dans le même sens mais avec moins de piquant. Dix ans plus tard, le ton de
Meyer a changé. Faisant le compte rendu d’un glossaire de l’ancien français du même
auteur, Meyer (1872, 610) commence ainsi :  

« Il est de mauvais livres à l’égard desquels on hésite à se montrer sévère : à un débutant on doit
   

toute indulgence. On ne saurait non plus se montrer exigeant envers ceux qui travaillent loin des
centres littéraires, sans conseils, souvent presque sans livres. Puis, dans notre pays, la critique a
longtemps été si peu attentive au mouvement scientifique, que beaucoup de travailleurs ont pu
entrer et persévérer dans une mauvaise voie sans qu’un avis opportun leur soit venu en aide.
Mais en présence du livre dont j’ai à rendre compte, l’esprit le plus favorablement disposé
chercherait en vain un motif d’indulgence. M. Hippeau n’est pas, tant s’en faut, un débutant […]
Et pourtant les avertissements ne lui ont pas manqué. Il me suffira de lui rappeler les comptes-
rendus qui ont été faits de son Bel inconnu (Correspondance littéraire, 1861, n° 5), de son Bestiaire
d’amour (Jahrbuch f. romanische Literatur IV, 411, art. de M. Mussafia), de son Gauvain (Germania
VIII, 217, art. de M. Mussafia), récemment de sa Conquête de Jérusalem (Bibl. de l’école des chartes
XXXI (1870), 227).40 Mais, insouciant des progrès de la science, M. Hippeau continue à mettre au
jour des productions que n’eussent pas avouées les éditeurs d’il y a cinquante ans ».

Après avoir épinglé quelques-unes des sottises du répertoire, P. Meyer conclut par un
jugement implacable :  

« Evidemment M. Hippeau ne soupçonne pas plus le tort qu’il fait à la science française que les

difficultés et les obligations de sa tâche ».


40 Les comptes rendus dont il ne nomme pas l’auteur sont les siens. On voit ainsi qu’il renvoie à son
compte rendu, signé, de la Correspondance Littéraire ; en revanche, il ne cite pas [Meyer] (1861c), qu’il

ne pouvait ignorer, ce qui confirme indirectement, s’il en était besoin, qu’il en est bien l’auteur.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 451

2.4 La Revue critique d’histoire et de littérature

Entre ces deux comptes rendus de P. Meyer, consacrés aux travaux de C. Hippeau,
s’était placée la création de la Revue critique d’histoire et de littérature.41 Dans cette
affaire les positions de Meyer et de Paris sont différentes. Meyer, qui est entré à l’École
des Chartes, en 1857, un an avant Paris, y est bien implanté et a, comme nous l’avons
vu, une tribune régulière, depuis 1860, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes où
il a déjà publié six comptes rendus d’éditions de textes médiévaux, quand, en 1864,
paraît le premier compte rendu de Paris, consacré à une traduction de l’Histoire
romaine de Mommsen (BEC 25, 1864, 567–571.), suivi d’un autre, en 1865, sur Un
procédé de dérivation très fréquent dans la langue française et dans les autres idiomes
néolatins de Egger (BEC 26, 1865, 172–177), et alors qu’il faudra attendre 1871, pour lire
le troisième, consacré, lui, à une édition de texte, mais des Essais de Montaigne (BEC
32, 1871, 417–419) ; les comptes rendus de Paris, comme ses articles,42 sont loin des

préoccupations habituelles des chartistes. La Revue critique, dont le champ d’intérêt


est beaucoup plus vaste, embrassant les langues et littératures du monde entier, mais
ne donnant que des comptes rendus d’ouvrages scientifiques de ce domaine – ce qui
permet de montrer le caractère international de la science, et donc d’ouvrir les
horizons des lecteurs – va ainsi offrir à Paris l’occasion de donner lui aussi des
comptes rendus d’éditions. Le premier, placé dans le premier numéro de la Revue
critique, sera consacré à une mince plaquette de 15 pages, l’édition par son jeune élève
et ami A. Brachet, des deux chansons de Bruneau de Tours. La Revue critique
accueillera des comptes rendus en français de Bartsch, qui font connaître la poésie
germanique du Moyen Âge.43 Mais les meilleurs comptes rendus d’éditions de textes
sont bien ceux de Meyer, parmi lesquels je mentionnerai celui de l’édition Potvin du
Perceval de Chrétien (Meyer 1866), qui contient toute sa doctrine, énoncée avec la
spontanéité de la jeunesse :  

« L’édition d’un poëme de Chrestien de Troyes est la pierre de touche de la critique qui s’applique

aux textes français. Ce n’est pas que ce travail présente aucune difficulté extraordinaire. La
langue du poëte est constamment simple et claire, et sa pensée n’est jamais obscure ; les  

manuscrits de ses ouvrages sont assez communs, plusieurs datent du XIIIe siècle et présentent un
texte rarement corrompu. Enfin, Chrestien appartient à une époque dont la langue est parfaite-
ment connue, dont les monuments littéraires sont nombreux […] Son dialecte c’est le pur français,
‹ le bel françois ›, comme disait Huon de Méry ; sa grammaire est déclarée par les rimes, et ainsi il
     

devient possible de déterminer dans quelle mesure les copistes ont altéré l’œuvre du poëte et de

41 Sur la fondation et les premières années de cette revue v. Bähler (2004, 121–124).
42 La Karlamagnus-Saga, histoire islandaise de Charlemagne, BEC 25 (1864), 89–123 et 26 (1865), 1–42 ;  

La Philologie romane en Allemagne, BEC 25 (1864), 435–445 ; Ulrich de Zazikhoven et Arnaud Daniel, 26

(1865), 250–254.
43 Il donnera aussi Revue critique 1/2 (1866), 407–414, un compte rendu nourri du t. 1 des Épopées
françaises de L. Gautier.
452 Gilles Roques

lui rendre sa forme primitive. Il n’y faut pas un grand effort de génie : la connaissance de la

langue du XIIe siècle et les procédés ordinaires de la critique suffisent pleinement. Mais cette
connaissance il est nécessaire de l’avoir aussi complète que possible ».

D’où la conclusion :  

« Les erreurs de M. P. ne sont point accidentelles : elles viennent toutes de ce qu’il n’a point
   

connu les principes sur lesquels repose la critique des textes. N’ayant pas de critérium qui le
mît en état d’apprécier la valeur des divers mss. du Perceval, il a pris celui d’entre eux qui
était le plus à sa portée et où il trouvait le plus de vers, sans savoir reconnaître si l’addition
du commencement était tout entière de Chrestien et lorsqu’il s’est agi de recueillir les
variantes des autres mss., il n’a su ni les choisir ni les mettre en œuvre. Ignorant les procédés
au moyen desquels on fait la grammaire d’un auteur, il ne s’est pas préoccupé de la langue
de son poëte, et lui a prêté une infinité de formes dont les copistes seuls doivent porter la
responsabilité ».  

Les comptes rendus de G. Paris sont plus variés, mais empreints des mêmes
caractéristiques. Il termine ainsi le compte rendu d’une édition de Villon (RC 2/1,
1867, 250) :  

« Après cette édition, il est inutile de revenir à Villon autrement que pour en donner une édition

vraiment nouvelle, critique et définitive. Nous signalerons deux conditions qu’il faudra remplir :  

on devra d’abord entreprendre une nouvelle révision des manuscrits et des éditions anciennes, et
faire une étude soigneuse de leur caractère, de leurs différences et de leur rapport : le résultat de

ce travail devra être d’une part la constitution du texte, d’autre part le recueil de toutes les
variantes de quelque valeur, avec l’indication de leur source, et non la mention vague : ‹ un ms.,
   

une édition. › Il faudra ensuite soigner l’orthographe plus qu’on ne l’a fait jusqu’ici, en s’appli-

quant à la rendre conforme à l’histoire de la langue aussi bien qu’à la prononciation, et surtout
en la régularisant : le même mot ne devra plus se trouver écrit, comme il l’a été jusqu’à présent,

de plusieurs façons différentes. M. J. a fort bien remarqué que l’étude des rimes était un bon guide

pour l’éclaircissement du texte ; elle servira particulièrement pour cette partie du travail. – Villon

est un de nos grands poètes, on peut le dire hardiment, et ses ouvrages méritent d’être traités
avec toute la rigueur et tous les soins de la critique, à laquelle il offre un champ circonscrit, mais
épineux ».  

Meyer a ainsi posé le dogme que « dès la fin du XIIe siècle, le français de l’Île-de-

France était d’un usage général pour les compositions littéraires » et Paris et lui se 

rejoignent pour soutenir que l’étude des rimes est un outil précieux ou un bon guide
dans la recherche du bon texte, et pour vouloir aller vers une régularisation de
l’« orthographe » du texte que les copistes ont altérée. En cela, ils se révèlent de bons
   

élèves de l’École des Chartes.

2.5 L’édition de Joinville

En effet, la grande entreprise éditoriale qui devait servir de pierre de touche pour les
travaux philologiques de nos jeunes chartistes dès leur sortie de l’École des Chartes
Défense et illustration du compte rendu scientifique 453

fut la Vie de saint Louis de Joinville.44 L’ancien directeur respecté de l’École, président
de son conseil de perfectionnement, conservateur du département des manuscrits de
la Bibliothèque Nationale, et membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
était alors Natalis de Wailly. Or, de Wailly était d’abord un paléographe et un historien
du Moyen Âge, nullement un philologue ;45 mais abordant Joinville, il entreprit

d’abord d’en donner une traduction (Wailly 1865), fondée sur le texte publié par
Daunou/Naudet (1840), texte d’une grande fidélité à son manuscrit de base, manu-
scrit qui servira toujours de base pour les éditions successives. Meyer (1865, 505s.) en
fait le compte rendu et présente clairement la situation :  

« L’esprit scientifique se fait sentir à chaque page dans le travail de M. de Wailly, et quiconque

voudra faire de Joinville une édition nouvelle y trouvera résolue mainte difficulté de texte. Ceci
demande une brève explication. Le texte de Joinville est fourni par deux mss. l’un exécuté vers le
milieu du XIVe siècle, l’autre dans la première moitié du XVIe. Tous deux reproduisent une même
leçon : il n’y a de différence que pour l’orthographe qui dans le second ms. est considérablement

rajeunie […] M. de Wailly a admis celles de ces variantes qui ont conservé la bonne leçon, et que
le sens réclamait […] Ce texte est donc un guide tout trouvé pour les éditeurs à venir ».

Et il conclut logiquement, l’ancien élève s’adressant au maître, en inversant les rôles :  

« M. de Wailly a réuni de nombreuses notes sur les manuscrits et sur le texte de l’Histoire de saint

Louis ; la manière la plus profitable de les employer serait assurément d’en publier une nouvelle

édition […] Car, s’il m’est permis d’employer une expression un peu germanique, M. de Wailly est
actuellement le meilleur connaisseur de Joinville ».  

Cette édition viendra deux ans plus tard. Cette fois c’est d’Arbois de Jubainville (1867)
qui en fera un compte rendu, assez élémentaire, dans la Bibliothèque de l’École des
Chartes :  

44 Le fait a été fort bien analysé et mis en perspective avec le problème de la pratique éditoriale par
Leonardi (2009).
45 Voici ce qu’en diront, à l’unisson, Meyer (1886, 166) : « M. de Wailly a traité surtout les matières
   

linguistiques comme un moyen de pourvoir à l’amélioration des textes. Il s’était appliqué tard, étant
presque sexagénaire, à la philologie romane, et ne pouvait, au milieu d’occupations variées, et ayant
une tâche considérable à accomplir en un temps limité, s’assimiler les procédés compliqués de la
nouvelle école philologique qui se formait dans une génération beaucoup plus jeune que la sienne.
Sans doute on peut remarquer des imperfections et des lacunes dans la méthode qu’il s’était formée,
mais il convient bien plutôt d’admirer la sûreté des résultats qu’il a obtenus », et Paris (1898, 418) : « Ce
     

mémoire [sur la langue de Joinville] est d’autant plus remarquable qu’il est l’œuvre d’un savant qui,
voué jusqu’alors aux pures études historiques et diplomatiques, faisait son apprentissage de philolo-
gue. Sans chercher à s’approprier les méthodes et les résultats acquis par la science philologique, ne
s’aidant que de ses connaissances générales de grammaire et de ses habitudes de judicieuse critique,
M. de Wailly avait uniquement cherché à donner une base solide à la restauration qu’il voulait tenter
de la langue de Joinville ».

454 Gilles Roques

« Les bonnes leçons se reconnaissent à ce qu’elles observent les lois de la grammaire du treizième

siècle, qui était évidemment celle de la langue parlée et écrite par Joinville, puisque ce chroni-
queur naquit vers 1224. Tel est le principe dont est parti M. de Wailly pour introduire dans son
édition les nombreuses améliorations qui la rendent si préférable à celle de Daunou. Nous
n’avons, quant à nous, qu’une critique à lui adresser. En général, il n’a changé le texte reçu que
lorsque ce texte présentait un contre-sens ou une amphibologie. Nous aurions, à sa place, été
plus hardi […] M. de Wailly l’a compris, si nous sommes bien informé, et il prépare une nouvelle
édition où le manuscrit de Bruxelles sera moins scrupuleusement respecté, et où la grammaire du
treizième siècle reprendra complétement ses droits ». 

L’essentiel de ce compte rendu (401s.) est en fait consacré à écarter de la discussion


un travail de Corrard,46 un normalien, professeur de lycée, formé à l’école de Nisard,
qui voulait faire sentir la nécessité d’une véritable édition critique de Joinville. Ce
travail, indépendant de celui de de Wailly, fut publié deux ans après la mort de son
auteur, l’année même de la première édition de de Wailly.
On mesure bien l’écart avec le compte rendu de Meyer (1867), publié dans la
Revue critique,47 qui exprime sa satisfaction et conclut par une incitation à faire
encore mieux :  

« Nous ne voulons pas laisser échapper l’occasion, malheureusement trop rare, de faire ressortir

les mérites d’une bonne édition […] Puisqu’il est avéré que le copiste du ms. A a rajeuni le texte
de Joinville d’environ un demi-siècle, le devoir de la critique est de vieillir la langue du ms. dans
la même proportion. M. de W. a reculé devant cette tâche, et, quant à présent, on ne saurait l’en
blâmer […] Mais il est une voie détournée par laquelle on arrivera probablement à éclaircir tous
les doutes qui restent sur la langue de Joinville : l’étude des documents diplomatiques. M. de W.

a réuni en assez grand nombre les chartes émanées de Jean de Joinville, et il prépare à l’aide de
ces éléments nouveaux un mémoire sur la langue de ce personnage. C’est alors seulement qu’on
pourra entreprendre avec méthode la restitution du texte de Joinville ».

Encore une fois Meyer sera entendu et de Wailly donnera une nouvelle édition,
préparée par des études sur les chartes émanant de la seigneurie de Joinville. Meyer
(1869) exulte :  

« M. de Wailly, poursuivant avec méthode le cours de ses travaux sur Joinville, est arrivé en

dernier lieu à nous donner de l’historien de saint Louis une édition qui, jusqu’à la découverte
d’un nouveau ms., peut être considérée comme à peu près définitive […] ».  

46 Léopold Delisle dans un compte rendu de la BEC 34 (1873), 598, trouvera la formule adaptée pour
enterrer ce travail : « La comparaison minutieuse du ms. du XIVe siècle avec les deux mss. du XVIe
   

n’aida pas seulement l’éditeur à établir un texte critique de l’Histoire de saint Louis ; elle lui fournit

encore d’excellents arguments pour en démontrer l’intégrité et l’authenticité, pour répondre aux
objections, plus spécieuses que solides, élevées par M. Ch. Corrard ». Pourtant, un élève de de Wailly,

P. Viollet, soulignera, à juste titre, dans un article de la BEC 35 (1874), 35, l’intérêt de certaines
remarques de Corrard.
47 Qui ne s’encombre pas de faire référence à Corrard, sauf par une brève allusion (89) : « Parce qu’on
   

avait émis l’hypothèse que le ms. A contenait une rédaction tronquée et arrangée ».  
Défense et illustration du compte rendu scientifique 455

Meyer retrace les étapes successives qu’a parcourues de Wailly, pour l’établissement
des leçons puis des graphies :  

« Dès lors [avec l’édition de 1867] nous étions en possession d’un texte bien lu et bien compris,

dans lequel on n’était plus arrêté à chaque page, comme dans les éditions précédentes, par des
passages inintelligibles, et qui pouvait légitimement prétendre à représenter exactement, pour les
leçons, la rédaction, ou si l’on veut, la dictée de Joinville […] Mais, si on pouvait poser en principe
que les formes usitées à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe, devaient être
introduites dans le texte de Joinville, on n’avait cependant aucun moyen de résoudre avec
certitude ces petits problèmes qui se présentent en foule dès qu’on entreprend de restituer non
pas seulement les leçons, mais encore l’écriture d’un texte […] Ce sont là des points qui pourront
sembler de bien faible importance, mais à l’égard desquels cependant il devenait indispensable
de prendre une décision, dès qu’on reconnaissait la nécessité de restituer au texte de Joinville sa
forme originale ».  

Meyer en arrive même à prôner la hardiesse :  

« Nous croyons du reste que dans des essais du genre de celui que M. de W. a tenté sur Joinville,

l’excès de hardiesse n’est point un danger une fois que la leçon des mss. a été rendue facilement
accessible par une édition exacte ; et d’un autre côté, il est manifeste que la connaissance de

notre ancienne langue fera des progrès infiniment plus rapides que par le passé, dès que les
éditeurs se croiront tenus de produire des textes non pas seulement intelligibles, mais encore
conformes à des règles dont l’existence est incontestable, et qui ont seulement besoin d’être
déterminées plus exactement qu’elles ne l’ont été jusqu’à présent et en tenant mieux compte des
temps et des lieux ».  

Et il en vient même à des vues de portée plus générale :  

« On voit que le dialecte de la seigneurie de Joinville était, par ses formes tout aussi bien que par

sa position géographique, intermédiaire entre le français de l’Ile de France et le lorrain, conclu-


sion qu’on peut étendre d’une manière générale, sauf à vérifier chaque détail, à toute la
Champagne. J’incline même à croire qu’à Joinville la prononciation était plus lorraine qu’on ne le
supposerait à considérer l’écriture. Toutes les chartes du recueil formé par M. de W. sont, à part la
première, de la seconde moitié du XIIIe siècle, ou des premières années du XIVe, et à cette époque
le français de France faisait déjà sentir son influence, sinon dans la prononciation, du moins
dans l’écriture ».

La conclusion en découle, où la dernière phrase mérite d’être soulignée :48  

« Je pense avoir montré comment M. de Wailly est arrivé graduellement, et conduit par la seule

force de la logique, à entreprendre et à parfaire sur la langue de Joinville des travaux qui feront
époque dans la science. Les procédés qu’il a employés pourront n’être pas d’un fréquent usage :  

on n’a pas souvent affaire, dans notre ancienne littérature, à un auteur dont l’époque et l’origine
soient bien déterminées, dont la langue puisse être retrouvée à l’aide des chartes. Mais à d’autres
cas d’autres moyens. Ce qu’il faut qu’on se persuade bien, c’est que l’édition et la révision de nos
anciens textes offrent ample matière à ceux qui n’aiment pas la besogne trop facile, et que le
temps est arrivé où les simples copistes sont mis à part des véritables éditeurs ».

48 Écho d’une formule que nous avons lue dans Meyer (1862b, 451).
456 Gilles Roques

Ces lignes contiennent toute la doctrine de Meyer. De Wailly a empiriquement trouvé


le cheminement qui permet de reconstituer la version originelle des textes. Les
successeurs, appuyés sur les travaux de la science moderne, ne pourront que per-
fectionner cette méthode.
Meyer ne s’occupera plus désormais directement de Joinville. Le relais sera assuré
par Paris (1874, 402s.). Ce dernier a compris la place que pouvait tenir dans l’ensei-
gnement le texte de Joinville. Il profite d’une nouvelle version par de Wailly, pour
donner son avis :  

« C’est la troisième fois que M. de Wailly publie Joinville. Après avoir restauré, par la comparaison

méthodique des manuscrits, les leçons de l’Histoire de Saint Louis dans son édition de 1867, il en
a restauré la langue d’après l’étude des chartes de Joinville, dans son édition de 1868. Cette
troisième n’est naturellement qu’une révision des deux autres […]
Ce travail se divise en deux parties : la restitution des leçons et la restitution des formes. Je dirai

peu de chose de cette dernière, que M. de W. a justifiée dans son Mémoire sur la langue de
Joinville. On peut différer d’avis avec le savant éditeur sur tel ou tel point de détail, mais sa
méthode est en somme parfaitement scientifique, sûre et prudente. Je lui reprocherais peut-être
de n’aller pas encore assez loin. S’il a appliqué avec une certaine rigueur aux formes grammatica-
les de son texte les résultats fournis par l’étude des chartes, il a trop respecté, suivant moi,
l’orthographe du ms. A pour l’intérieur des mots […]
C’est en employant la méthode qu’il a déjà si sagement appliquée que M. de Wailly pourrait
remédier, dans une édition subséquente, à cet inconvénient réel : il faut choisir, d’après les

chartes, les bons mss. de la fin du XIIIe siècle, l’étymologie, une forme pour chaque mot et s’y
tenir ».

On voit que Paris prêche pour une normalisation graphique, en accord avec Meyer et
dans la ligne de ce qu’il a mis lui-même en œuvre pour la Vie de saint Alexis ; mais il y  

joint aussi de l’audace pour amender le texte même :49  

« J’arrive à l’autre partie de l’œuvre critique de l’éminent éditeur, la restitution des leçons. C’est

par cette restitution qu’il a le mieux mérité de la science et de Joinville : il est en effet le premier

qui ait appliqué aux manuscrits d’une œuvre du moyen-âge la méthode, seule vraiment scienti-
fique, de la classification des manuscrits. Il a rompu avec ce préjugé, regardé il n’y a pas bien
longtemps encore comme le dernier mot de la critique, qui consiste à suivre ‹ le manuscrit le

meilleur et le plus ancien ›, et à ne le corriger avec les autres qu’en cas de ‹ fautes ou lacunes
   

évidentes › […] ».
   

49 Dans cette audace, G. Paris rejoint Charles Thurot, qu’il est le premier à citer : « Plusieurs des
   

observations qu’on va lire ont déjà été indiquées par M. Thurot, dans un excellent article [précisément
un compte rendu] sur la précédente édition (Rev. Archéol. 1869, I, 389) ». Or Thurot est précisément

l’ami de feu Corrard qui a mis en circulation dans la Revue Archéologique l’article dérangeant dont j’ai
parlé plus haut ; d’ailleurs Paris se fait aussi l’avocat de trois interrogations de Corrard. Le même

Thurot, mal accueilli à la BEC pour son premier travail, y sera ensuite progressivement reconnu au
point de devenir membre du Conseil de perfectionnement de l’École des Chartes en 1876, et d’y
succéder à de Wailly.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 457

Et Paris de proposer des corrections, dont quelques-unes seulement ont été acceptées
dans les éditions les plus récentes, avec cette argumentation :  

« Mais si la juste classification des manuscrits maintient au-dessus de tout soupçon l’authenticité

et l’intégrité du texte de Joinville, elle autorise à le corriger avec un peu plus de hardiesse qu’on
ne l’a fait, et à redresser sans trop d’hésitation tout ce qui peut, par faute du copiste primitif,
pécher contre la langue ou le sens ».

Au final, chacun restera sur ses positions : Wailly (1874) lui-même, qui publiera dans

la Romania une réponse détaillée et d’une extrême courtoisie, remerciant le critique et


traçant clairement les points de désaccord qui touchent les rapports entre elles des
diverses copies, ce que la critique moderne (Monfrin 1995, CV–CIX) n’a pas encore pu
établir ; Meyer aussi (1886, 164), qui dans la nécrologie de Wailly tranchera :
   

« La méthode suivie dans cette édition (plus tard reproduite, avec diverses améliorations, chez

Didot) a reçu l’assentiment général, et on peut dire que le texte de Joinville est maintenant assez
sûrement établi pour que la découverte, de moins en moins probable d’un nouveau ms. puisse
apporter aucun changement important. M. de Wailly a fixé lui-même, dans sa Lettre à M. G. Paris,
les points sur lesquels il peut encore y avoir hésitation, et ces points sont de bien faible
importance […] ».

Et Paris (1898, 419s.) enfin, qui dresse l’état des lieux :  

« Cette belle publication [l’édition de Wailly 1874] donna lieu à un compte rendu [Paris 1874] dans

lequel on contesta la classification des manuscrits A et BL adoptée par M. de Wailly, et l’on


s’efforça d’établir, par la constatation de fautes communes à ces deux familles, qu’elles remon-
taient toutes deux à l’exemplaire offert par Joinville à Louis X. On proposait en même temps un
certain nombre de corrections à ces fautes ; enfin on engageait le savant éditeur à tirer jusqu’au

bout les conséquences de sa méthode, et à régulariser l’orthographe intérieure des mots comme il
avait fait celle des finales. M. de Wailly n’accepta qu’en partie ces diverses suggestions ».

Paris (1898, 421) donnera même un spécimen de l’édition telle qu’il la souhaitait, et
qu’il présente ainsi :  

« On s’y est efforcé de régulariser l’orthographe dans tous ses détails et on a pu apporter encore

quelques menues corrections au texte, notamment en ce qui concerne la forme des noms de lieux,
souvent altérés dans les manuscrits, et que M. de Wailly n’avait que rarement cru devoir rectifier.
On ne pourra guère apporter à une édition subséquente de Joinville que de ces perfectionnements
de détail […] Mais, en somme, c’est toujours à M. de Wailly qu’appartiendront l’honneur et le
mérite de nous avoir rendu, après tant d’efforts séculaires, le véritable texte d’un des livres les
plus intéressants de notre ancienne littérature et les plus importants pour notre histoire ».  

Si l’on fait le bilan des comptes rendus principaux de Meyer (1867) et de Paris (1874),
qui forcément ne font pas double emploi, en raison de l’écart chronologique qui les
sépare et du fait qu’ils ne portent pas sur la même version du texte de de Wailly, on
note que Meyer a donné toute une série de remarques touchant la cuisine éditoriale
458 Gilles Roques

(coupe de mots ou accentuation) qui ont fait autorité. Si l’on se limite aux corrections
de fond, qui sont le fait surtout de Paris, on constate que sur 13 propositions de
correction de Meyer, 9 ont été acceptées par de Wailly, dont 3 seulement sont passées
dans la dernière édition, celle de Monfrin (1995), tandis que sur les 39 propositions de
Paris, 29 ont été acceptées par de Wailly, dont 8 seulement sont passées dans Monfrin.
Ces chiffres doivent aussi encourager les auteurs de comptes rendus, dès lors que des
savants d’un tel niveau n’ont pas entraîné une adhésion totale.50

3 Les successeurs
Paris et Meyer ont assuré leur magistère par ces comptes rendus, qu’ils rédigèrent
jusqu’à leur mort. Après la guerre de 1914–1918, une nouvelle génération se chargea
de cette tâche dans la Romania. Les deux plus représentatifs furent Alfred Jeanroy et
Arthur Långfors, qui tinrent ce rôle pendant plus d’un tiers de siècle. Dans la Zeit-
schrift, la tradition des grands auteurs de comptes rendus qu’illustrèrent Wendelin
Foerster, Hermann Suchier et Adolf Tobler, fut maintenue par Albert Stimming, Carl
Appel, Hermann Breuer et Oskar Schultz-Gora. Mais les uns comme les autres ne
permirent pas la vue d’ensemble qui fait la qualité du duo Paris/Meyer, à la fois
parfaitement complémentaire et en même temps quasiment exhaustif. Dans la se-
conde moitié du XXe siècle, Félix Lecoy, dont les principaux comptes rendus d’édi-
tions se lisent dans Lecoy (1984, 135–186 ; 1988, 475–511), prit le relais dans la

Romania, alors que la Zeitschrift restait en retrait, jusqu’à ce qu’un nouveau directeur,
Kurt Baldinger, vienne lui donner un élan remarquable. Formidable recenseur, il a
rédigé entre 1948 et 1990 près de 2000 comptes rendus, ce qui est certainement un
record, dont, entre 1963 et 1990, un grand nombre d’éditions de textes d’ancien et de
moyen français ; on en trouvera la liste dans Baldinger (1990, 846–986). À la diffé-

rence des auteurs que nous avons passés en revue, Baldinger ne s’occupe pas de la
technique éditoriale. Formé à l’école de Wartburg et du FEW, essentiellement roma-
niste, lexicographe et étymologiste, il cherche dans les éditions des compléments à
apporter aux articles du FEW et inversement il s’efforce de montrer aux éditeurs de
textes l’aide que pourrait leur fournir la consultation du FEW. Mais petit à petit, en
rédigeant ces comptes rendus, de linguiste, il est devenu philologue. Et c’est ce qui
explique l’orientation de ces travaux vers la rédaction du DEAF.

50 On peut même dire que quelques corrections proposées par Paris sont des erreurs de sa part.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 459

4 Conclusions
Le genre du compte rendu philologique d’une édition de textes a une longue tradition,
illustrée par de grands savants, qui ont apporté un éclairage important sur l’ouvrage
qu’ils examinaient. À vrai dire, un compte rendu soigneux a, au moins, la valeur d’un
article. Chaque ligne écrite réclame beaucoup plus d’attention que sa correspondante
dans le cadre d’un article ; c’est que l’auteur du compte rendu sait qu’il aura, à coup

sûr, un lecteur critique, à savoir l’auteur même du livre examiné. Aussi de tels
comptes rendus font partie intégrante des travaux à utiliser quand on travaille sur un
texte. Tout n’y est pas forcément exact, mais cette lecture attentive, outre des correc-
tions ponctuelles, peut faire découvrir des éléments qui ont échappé à l’éditeur. Cette
façon d’annoter les textes et de soumettre ces annotations à un public savant, est
aussi très formatrice pour les débutants en les forçant à prendre du recul vis à vis de la
page imprimée, qui impose son autorité au lecteur. On peut constater que dans ce
début du XXIe siècle, on lit toujours davantage de comptes rendus. Bien sûr, ce genre
de compte rendu n’a rien à voir avec la pure et simple description, plus proche de
l’annonce publicitaire ou de la version amplifiée de la quatrième de couverture. Il est
heureux que ces annonces soient appelées à disparaître, au moins comme versions
imprimées. L’internet, qui permet de donner à lire des extraits de nombre d’ouvrages
récents, sera désormais le véhicule le plus approprié pour ce type de produit, qu’il
importe de bien distinguer du compte rendu scientifique.

5 Bibliographie
Arbois de Jubainville, Henri d’ (1867), compte rendu des Œuvres de Jean, sire de Joinville, comprenant
l’histoire de saint Louis, le Credo et la lettre à Louis X avec un texte rapproché du français
moderne, mis en regard du texte original corrigé et complété à l’aide des anciens mss. et d’un
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460 Gilles Roques

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462 Gilles Roques

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Schweppe, Karl (1878), Études sur Girart de Rossilho, chanson de geste provençale, suivis de la partie
inédite du ms. d’Oxford, Stettin, Dannenberg.
Servois, Gustave (1860), compte rendu du Bel Inconnu, ou Giglain, fils de messire Gauvain et
de la fée aux blanches mains, poëme de la Table Ronde, par Renauld de Beaujeu, […] publié
[…] par C. Hippeau, Paris, Aubry, 1860, La Correspondance littéraire 5, 2, 25 novembre 1860,

42s.
Storost, Jürgen (2001), Die « neuen Philologien », ihre Institutionen und Periodica : Eine Übersicht,
     

in : Sylvain Auroux et al. (edd.), Histoire des sciences du langage : manuel international sur
     

l’évolution de l’étude du langage des origines à nos jours, vol. 2, Berlin/New York, De Gruyter,

1240–1271.
Suchier, Hermann (1877), compte rendu du Livre des Psaumes. Ancienne traduction française
publiée […] par Francisque-Michel, Paris, 1876, Zeitschrift für romanische Philologie 1,
568–572.
Défense et illustration du compte rendu scientifique 463

TL = Adolf Tobler/Erhard Lommatzsch (1915–2002), Altfranzösisches Wörterbuch, Berlin/Wiesbaden,


Weidmann/Steiner.
TLF = Paul Imbs/Bernard Quémada (edd.) (1971–1994), Trésor de la langue française. Dictionnaire de
la langue du XIXe et du XXe siècle (1789–1960), Paris, CNRS/Gallimard.
Tobler, Adolf (1857a), Zum romanischen Alexanderlied, Germania 2, 441–444.
Tobler, Adolf (1857b), Darstellung der lateinischen Conjugation und ihrer romanischen Gestaltung :  

Nebst einigen Bemerkungen zum provenzalischen Alexanderliede (Diss.), Zürich, Höhr.


Tobler, Adolf (1867), compte rendu des Dits et Contes de Baudoin de Condé et de Jean de Condé,
publiés par A. Scheler, Bruxelles, 1866 et 1867, Jahrbuch für romanische und englische Literatur
8, 331–352.
Tobler, Adolf (1876), compte rendu des Enfances Ogier par Adenés li Rois, poëme publié […] par
M. Aug. Scheler, Bruxelles, 1874, Jahrbuch für romanische und englische Literatur 15, 244–263.

Wailly, Natalis de (1865), Histoire de saint Louis par Joinville, texte rapproché du français moderne et
mis à la portée de tous, Paris, Hachette.
Wailly, Natalis de (1874), Lettre à M. Gaston Paris sur le texte de Joinville, Romania 3, 487–493.
ZrP = Zeitschrift für romanische Philologie (1877–), Halle/Tübingen, Niemeyer ; Berlin/Boston, De

Gruyter.
Index
Aalma 345 n. 22 Apostol ‘Apôtre’, imprimé par le diacre Coressi
abrégé (L’~) de grammaire attribué à Antonia 99
Maria Mauro 122 apparat critique 67, 68, 251, 258, 259
abréviations 161, 166, 172, 302, 307, 429, 435 Appel, Carl 36–37, 458
accentuation 386 Aramon i Serra, Ramon 189
actes (Les ~) de Mihai Viteazul (‘Michel le Brave’) Arbois de Jubainville, Henri d’ 453
115 archaïsme 427
actes (Les ~) de Petru Şchiopul (‘Pierre le Boi- architriclin / architriclinus afr./mlat. 327
teux’) 115 Archiv für das Studium der neueren Sprachen
Adam de Suel 326 444
admirabilité afr. 428 Aristote 343
adverbes énonciatifs 169 ARLIMA (Archives de littérature du Moyen Âge)
affichage multi-facettes 164 320
Agyagfalva, Sandor Gergely de 121 Armstrong, Edward C. 30, n. 28–29
Aimoin de Fleury 352 Arnaut Daniel 28, 178, 183, 186, 451
Ain, département de l’ (chartes) 272 ar-Răzī, Mohamed ibn Zakariya 248
Ainsworth, Peter 156 Ars Amatoria 333, 339, 344
Alain de Lille 339 Ars Minor 340
Albéric (fragment d’un Roman d’Alexandre par ARTEM (Atelier de Recherche sur les Textes Méd-
Auberi de Besançon) 442 İévaux, Nancy) 289
Albert, Sophie 55, 56, 57 Arthur 53
Alexandria ‘Alexandrie’ 96, 102, 104, 108, 116 Arukh 246, 247
Alexandriade 447 Arvinte, V. 105
Alexici (~ Alexics), G. 121, 122, 123 Ascoli, Graziadio Isaia 223
Alpes-de-Haute-Provence, département des Aslanov, Cyril 238–239, 247, 252 n. 15, 256, 260
(chartes) 271 ATILF (Analyse et traitement informatique de la
Alpes-Maritimes, département des (chartes) 271 langue française) 419
alphabet cyrillique 96, 113–115 attestations charnières 420
alphabet hébreu 237–264 Aubry, Auguste 449
altérité du Moyen Âge 416 « auteur » (d’une charte) 298
Amelio, Silvestro 119, 120, 121, 122 Auvergne (chartes) 274
amphibologie 354 Avalle, d’Arco Silvio 26, 27 n. 21, 70
ancien français 247 « avant-textes » 212, 213
ancrage diasystématique 287 avre afr. 421 n. 54
AND (Anglo-Norman Dictionary) 188
Anglo-Norman Online Hub 168 n. 19 Bălcescu, N. 109, 113
anglo-normand 247 Baldinger, Kurt 458
annotation linguistique 168 balisage 159, 160, 165, 173, 174, 195–197,
annotation sémantique 168 202–204
annotation syntaxique 168, 169 BAMBI (Better Access to Manuscripts and Brows-
Annotations d’Ilinca Leurdeanu 120 ing of Images) 198 n. 8
Anonyme de Chantilly-Vatican 353 Ban 53
Anonymus Caransebesiensis (connu aussi sous Banitt, Menahem 225, 227, 230, 238
le titre d’Anonymus Lugoshiensis) 121, 122 Barbi, Michele 30 n. 29
Anonymus Lugoshiensis (connu aussi sous le Baret, Eugène 446
titre d’Anonymus Caransebesiensis) 121, Bariţ(iu), G. 107, 114, 121, 122
122 Barlaam et Josaphat 442
Index 465

Bartsch, Karl 4, 441, 442, 443, 447, 451 Boccaccio, Giovanni, Decamerone 323, 337, 340
Basarab, Neagoe 104, 107 Böhmer, Eduard 223
Base du Français Médiéval 155, 156, 159 Bogdan, I. 114, 116
Base « Jonas » de l’IHRT 320 Bogdanow, Fanni 53
Basses-Alpes, département des (chartes) 271 bon manuscrit 24–25, 35, 46, 47, 48
Baudelaire, Charles 436 Bonvesin de la Riva 134, 146
Bayle, Pierre 370 Bos, Gerrit 247 n. 12, 248, 249, 256, 257, 258
Bazin-Tacchella, Sylvie 340 Brachet, Auguste 451
Beckett, Samuel 3 Bratul, popa ‘le prêtre’ 103, 105, 113
Bédier, Joseph 4, 7, 22–26, 31–32, 38, 47, 50, Breuer, Hermann 458
82, 84–87, 89, 112, 146, 163, 164, 166, 370 Brook, Leslie 322, 348
bédiérisme 82–83, 85, 86–89, 81 Brucker, Charles 328, 330, 360
« bédiérisme pragmatique » 166 Bruneau de Tours 451
BEdT (Bibliografia elettronica dei trovatori) 185, Brunel, Clovis 267, 273
186, 189 Brunetto Latini 134
Bekker, Immanuel 446 Bruns (lignée, dans le cycle de Guiron) 57, 59, 61
Bel Inconnu (de Renaut de Beaujeu) 448, 450 Bubenicek, Venceslas 54 n. 21
Beltrami, Pietro G. 66 Buitul, Gheorghe 119
Beowulf 81 Buridant, Claude 320
Berceo, Gonzalo de 134 Burnett, Charles 329, 330
Berechiah ben Natronay 220 BVH-Epistemon 156
Berliner Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik Byck, J. 102, 115
441
Bernart de Ventadorn 36 Călătoria lui Zosim la blajini ‘Le voyage de Zosim
Bestiaire d’amour (de Richard de Fournival) 450 chez les bénins’ 104
Bianu, I. 99, 102, 105, 106, 113, 114 calcul des spécificités 168
Bible 227, 229, 231 calcul parallèle 200
Bible, traduction de la 342 Cambouliu, François-Romain 446
Bible anonyme (BnF fr. 763) 341 Camps, Jean-Baptiste 164
Bible d’Acre 341, 359 Candrea, I.-A. 100, 102, 103, 104, 106, 108, 110,
Bible de Jehan Malkaraume 342 116
Bible historiale de Guiart de Moulins 341 Cantacuzino, Constantin 106, 110, 120, 122
Bible moralisée de Jean le Bon 327 Cântece câmpeneşti ‘Chansons champêtres’ 120,
Biblia de la Bucureşti ‘La Bible de Bucarest’ 121, 124
(1688) 98, 107, 117, 121 Cântecul dragostei ‘La chanson d’amour’ 120
Bíblia del segle XIV. Èxode. Levític 342 Cantemir, Dimitrie 97, 99, 100, 113
bibliographie matérielle 372 Canterbury Tales 155
Biblioteca de Autores Españoles 81 Caradeuc de La Chalotais, Louis-René de 439
Bibliothèque de l’École des Chartes 440, 445, Cardano, Gerolamo 200 n. 10
447, 448, 451, 453, 454, 456 Carolus-Barré, Louis 278
Biesenthal, Johannes Heinrich Raphael 247, 252 Carstens, Henry 186
bilinguisme didactique médiéval 327 Carte de rugăciuni ‘Livre de prières’ (1776) 119,
Blandin de Cornoalha 181 121
blecier afr. 426 Cartea românească de învăţătură ‘Livre roumain
Blecua, Alberto 84, 87–89 d’enseignements’, imprimé a Iaşi (1646)
Blondheim, David Simon 219, 231, 232, 238, 109
245, 256 Cartea cu învăţătură ‘Livre d’enseignements’,
blubber angl. 416 connu aussi sous le titre de Cazania a II-a
Blum-Kulka, S. 321 (1581) 102, 104, 116
466 Index

Cartea de cântece ‘Le livre des cantiques’, copié Cherbuliez, Joël 440
par Sandor Gergely de Agyagfalva 121 Chevalier de la Charrette 155
Cartea de cântece ‘Le livre des cantiques’, im- Chirographes 276
primé à Cluj (1571‒1575) 118, 119, 121, 122, Chirurgia magna (Gui de Chauliac) 340
123 Chirurgie Albucasis 336
Cartojan, N. 102, 104, 108, 116 Chivu, G. 102, 103, 105, 115, 120, 121
catalan 244, 245 Chrétien de Troyes 27, 30, 45, 135, 155‒156, 451,
Catehismul calvinesc ‘Le Catéchisme calviniste’, 452
imprimé à Cluj (1642) 123 Chronique de Constantin Căpitanul Filipescu 110
Catehismul calvinesc, imprimé à Bălgrad (1648) Chronique de Grigore Ureche 103, 106, 110, 118
119, 121, 122, 124 Chronique de Miron Costin 103
Catehismul calvinesc, imprimé à Bălgrad (1656) Chronique de Moldavie depuis le milieu du XIVe
107, 114 siècle jusqu’à l’an 1594 101
Catehismul catolic ‘Le Catéchisme catholique’, Chronique des rois de France 320, 351
imprimé à Poszony (1636) 119, 121 chroniques (Les ~) médiévales 99
Catehismul catolic, imprimé à Cluj (1703) 119, Chuadit 251
121, 124 Cipariu, T. 99, 101, 104, 113, 121, 122
Catehismul catolic, imprimé à Rome (1677), con- classification ontologique 199, 208‒211
nu sous le titre de Dottrina Christiana 119, Cléomadès 443
121 codage 162, 169
Catehismul catolic, traduit par Silvestro Amelio Codex Kájoni 119, 124
(1719) 119, 121, 122 Codex Sturdzanus 100, 103, 104, 107, 120
Cazania ‘Recueil d’homélies’, imprimé à Iaşi Codicele Marţian 102, 103, 104, 108
(1643) 98, 102, 112, 115 Codicele popii Bratul ‘Le Codex du prêtre Bratul’
Cazania ‘Recueil d’homélies’, imprimé à Mănă- 103, 105, 113
stirea Dealu (1644) 98 Codicele Teodorescu 102, 103, 104, 108
Cazania a II-a ‘Le IIe recueil d’homélies’ (1581) Codicele Voroneţean ‘Le Codex de Voroneţ’ 101,
104 104, 105, 108
CCFM (Consortium international pour les corpus codicologie 7, 163, 303, 322 n. 3
de français médiéval) 157 Colart Mansion 329
Cerquiglini, Bernard 83‒84, 298, 299, 301, 305, Colin Muset 23
309 collatio 194, 211
CFMA (Classiques français du Moyen Âge) 5 COM (Concordance de l’occitan médiéval) 185,
chaîne de traitement éditorial 172 186, 187, 188, 189, 289
chaise afr. 410 commentaire métalinguistique 431
Chambon, Jean-Pierre 280, 400 compilation 344
chancellerie royale 284 Compilation guironienne 58, 64, 66
changement linguistique 136, 137 compte rendu 403 n. 15, 438‒464
Chanson d’Aspremont 34 n. 33, 37 n. 38 Comtat Venaissin, juifs du 251
Chanson de Roland 23, 25, 29, 81 Conciones latinae-muldavo, élaborées par Sil-
Chanson de Roland, éditions de la 13 vestro Amelio (1725–1737) 119, 123
Charles V 325 concordance 167, 200, 399
Charroi de Nîmes 136 concordancier 400
Chartae Galliae 289 concreidre, se afr. 414 n. 39
Chartes 268 Condica lui Gheorgachi ‘Le code d’étiquette de
chartes en langue vernaculaire 304 Gheorgachi’ 124
Chartes originales antérieures à 1121 conservées Confession, ms. Paris BnF fr. 1852 182
en France 289 confusions graphiques 355
Chavy, Paul 321 Conquête de Jérusalem 450
Index 467

Conseils pour l’édition des textes médiévaux culture manuscrite 82‒83, 85‒88, 89‒91, 299,
(École des Chartes) 302, 397, 399 305
Consolacion de Phylosophie de Boèce 343, 344 Curtis, Renée, L. 47, 48, 71 n. 36
contextes (dans un glossaire) 430 Curtius, Ernst 444
Contini, Gianfranco 4, 7, 22, 26, 27, 33‒34, 70, cycle de Guiron 44, 45, 46, 55, 56, 57, 58, 59,
85 65, 66, 70, 71
Continuation Guiron 64, 66
Continuation Meliadus 66 Dagenais, John 84
Continuations du Perceval 30 Danovici, Pătraşco 104
Contradicentium medicorum 200 n. 10 Dante Alighieri 134‒136
contrôle du texte-source 357 Darmesteter, Arsène 219, 231, 232, 245, 256,
convergence (principe de) 53, 67 260
copie 138, 140, 141, 371 data modeling 210
coquilles 375‒377 Daunou, Pierre 453, 454
Coressi, diacre 99, 102, 105, 107, 110, 112, 115, Dauphiné (chartes) 274
116, 117 Daurel e Beton 181
Coressi, Şerban 110 Davidson, Israel 246, 250, 252
corpus annotés 168 Dazi, Giovanni de’ 147
Corpus de la littérature médiévale (Garnier) 156, De casibus 340
157 n. 10 De Leemans, Pieter 343
corpus électronique 12 De neamul moldovenilor ‘Au sujet du peuple
corpus informatisés 167 moldave’, élaboré par Miron Costin 106,
Corrard, Charles 454, 456 107, 112, 116
Correspondance littéraire 439, 440, 449, 450 DEAF (Dictionnaire étymologique de l’ancien
Coseriu, Eugenio 132, 140, 142, 148, 149 français) 188, 286, 458
Costin, Miron 97, 100, 103, 106, 107, 108, 110, DEAF (Dictionnaire Étymologique de l’Ancien
112, 116, 120 Français), bibliographie du 13
Costin, Nicolae 100 deblement afr. 428
Costinescu, Mariana 98, 103, 104, 105, 117 Decretul ‘Le décret’ de l’empereur Leopold I
coupe des mots 302, 307 (1701) 120, 121, 122
Couronnement de Louis 38 DÉCT (Dictionnaire électronique de Chrétien de
Creative Commons 156, 171, 213 Troyes) 156, 168 n. 19
créativité 406 n. 22 Dees, Anthonij 281
Crescas de Caylar 250 définition (dans un glossaire) 407
Creţu, G. 101, 104, 108, 111, 112, 121, 122 définition analytique 412, 425
critères d’édition 273 définition aristotélienne 410
critical transcription 255 définition contextuelle et exégétique 412
critique des dictionnaires 407 définition phrastique 411
critique des sources 432 définition syntagmatique 411
Croenen, Godfried 156 « déhistorisation » 304
Cronica bălenilor ‘La Chronique de la famille Delisle, Léopold 454
Băleanu’, attribuée à Constantin Căpitanul Demarolle, Pierre 360
Filipescu 106, 110 Demény, L. 103, 113
Cronica universală ‘La Chronique universelle’, Demonet, Marie-Luce 156
traduite par Moxa 99, 103 Densusianu, Ov. 121, 122
Croniques martiniennes 344 dependance afr. 414
Cronograful ‘Le Chronographe’, traduit par Pă- DÉRom (Dictionnaire Étymologique Roman) 10
traşco Danovici 104 désambiguïsation 168
crotte afr. 411 Devisement du Monde 49
468 Index

Di Stefano, Giuseppe 323, 324, 325, 337, 346 Ebert, Adolf 446
diacritiques 435 éclecticisme 86
dialectes (ancien français) 425 École des Chartes 15, 272, 300, 309
Dialoge Gregoire Lo Pape 330, 346 École Normale Supérieure de Lyon 159 n. 13,
Dialogus creatorum alias Contemptus sublimita- 162
tis 329 écrit documentaire 267, 268
diasystème 146, 147 écrit occitan 271
Dictionarium valachico-latinum (connu aussi écrits (Les ~) de Silvestro Amelio 122
sous le titre d’Anonymus Lugoshiensis ou écriture roumaine 96
Anonymus Caransebesiensis) 122, 123 « éditeurs poètes » 421 n. 55
dictionnaires (Les) bilingues et trilingues 119 édition authentique 302
Diez, Friedrich 441 édition bédiériste 163
diffraction 26‒27 « édition brute » 305
Dimitrescu, Florica 102, 103, 104, 108, 115 « édition courante » 301, 302
Dimitriu, C. 102, 105, 113 édition critique 251, 259
diplomatic transcription 253, 254 « édition de recherche » 302, 303
diplomatique 284 édition diplomatique 101–103, 162, 164, 302
disbatere ait. 413 n. 37 édition électronique 92, 156, 158, 160, 306,
discours direct 162, 169, 170 309, 311
discours scientifique 401 édition facsimilé 162, 164
discursivité 406 n. 22 édition imitative 144, 302, 303
Disticha Catonis 326 « édition mixte » 310, 311
Diverse materie in lingua moldava, élaboré par édition normalisée 162, 164, 302
Antonio Maria Mauro 119, 122 édition numérique 196
Divina Commedia 178 édition « palimpsestiste » 91
DMF (Dictionnaire du Moyen Français) 158 édition papier numérisée 156
Docan, N. 121 éditions bilingues 14
Documenta Romaniae historica 117 éditions critiques 101‒103
documents (Les ~) historiques 99 Edzard, Alexandra 224
DOM (Dictionnaire de l’occitan médiéval) 186, Egger, Émile 451
187, 188 Emden, W. van 105, 112
don (t. de droit) 280, 402 n. 13 ELEC (Éditions électroniques de l’École des
Donat 340 Chartes) 156
Doon de Mayence 445 Élégie de Troyes 221, 226
Dosoftei, métropolite 97, 100 élément formulaire 139
Dottrina Christiana, imprimée à Rome (1677) Eliézer de Beaugency 220
119, 121 Éloge de la variante 298, 299, 300, 305
Drăganu, N. 100, 102, 103, 104, 108, 114, 115, émendation 254
117, 121‒122 emprunts 421
Dragomir, Otilia 104 encodage 162
droit romain 269 encodage double 284
droits d’auteur 15 encurtinez afr. 428
Droz, Éditions 14 encyclopédiques, éléments 407
Du Méril, Edelestand 444, 445 Énéide 333
Ducos, Joëlle 336 enferrer afr. 413
Duggan, Hoyt N. 155 enrichissement de l’édition électronique 165
Duma, Ioan de Bărăbanţ 119 enterin afr. 408
Duval, Frédéric 320, 323, 325, 413 entrelacement 53, 54, 61
Épitre aux Laodicéens 182
Index 469

Erec 53 Folquet de Marselha 28 n. 23, 37 n. 38, 178,


erreur de copiste 255 191
erreurs « archéologiques » 360 fonte afr. 411 n. 35
erreurs de transcription 205 Forestier, Georges 383, 385, 387, 388
escoufle afr. 404 n. 17 forme vs contenu (forme vs leçon) 137‒143
Escuela de Filología Española 88 formes reconstruites 258
Espurgatoire Seint Patriz 334 Foucher de Chartres 331
Estoire del Graal 66 Foulechat, Denis 328
établissement du texte 65‒68 Foulet, Alfred 155, 397
étiquettes morphologiques 162, 165, 168, 170 Foulet, Lucien 30 n. 28, 402
étymologie et sens 416 Franckenstein, Valentin Frank von 120, 121
Eustatievici Braşoveanul, Dimitrie 100 francoprovençal (chartes en) 272
Evangheliarul ‘L’Évangéliaire’ de Radu de Măni- FRANTEXT 156
ceşti (1574) 102, 103 Frappier, Jean 50, 55, 67
Evangheliarul slavo-român de la Sibiu Fudeman, Kirsten A. 221, 222, 226, 232, 244
‘L’Évangéliaire slavo-roumain de Sibiu’
(1551‒1553) 97, 102, 103, 104, 113, 118 Gadrat, Christine 338
Evanghelie ‘L’Évangile’, publié à Kálocsa (1769) Galderisi, Claudio 319
119, 121, 124 Gallica (collection de la BnF) 157, 190, 327, 343
Evrart de Conty 343 n. 20, 390, 433 n. 78
extériorité 406 n. 22 Găluşcă, C. 104
Gamillscheg, Ernst 187
fac-similés 101‒103 Gardette, Mgr Pierre 277
Facta et memorabilia 343, 346 Gascogne (chartes) 274
faitas afr. 410 Gasses le Blont 74, 76
Faits des Romains 335 Gaster, M. 99, 101, 108, 121
familles de manuscrits 163 Gautier, Léon 452
Faral, Edmond 347 Gautier Map 71, 74, 76
faude afr. 416 Gauvain 34
fautes communes 163, 166 GdfLex (Godefroy, Lexique de l’ancien français)
Febrer, Andreu 178 398
Ferrari, Barbara 334 génétique textuelle 3
FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch) genres textuels 269
12 n. 19, 272, 439, 458 Georgescu, Magdalena 104
ficher v. afr. 404 Gérard de Cremone 336
fidélité au texte 171 Germania 441, 442, 444, 450
Filipescu, Constantin Căpitanul (‘le Capitaine’) germanistique, tradition de la 308 n. 36
106, 110 Gerner, Dominique 332
Filostrato 340 Gervais de Tilbury 332
Flamenca 181 gestion foncière 268
Flaubert, Gustave 3 Gheorgachi 106
Flavius Josephus 321, 335 Gherasim Putneanul 97
Fleury, Aube bilingue 180 Gheţie, Ion 98, 99, 101, 103, 104, 105, 107, 108,
Floarea darurilor ‘La fleur des dons’ 96, 104 112, 115, 117, 118, 122, 123
Floovant 35 Girart de Ro(u)ssillon 447
Foerster, Wendelin 330, 346, 443 Giuglea, G. 101
Foletul novel 102, 116 Giurescu, C. 102, 103, 106, 108, 110, 111, 116
Folies Tristan 23 Giurescu, Constantin C. 102, 116
Folquet de Lunel 184, 191 Glikman, Julie 170
470 Index

Glosarul româno-latin ‘Le Glossaire roumain-la- Hartknoch, Christoph 121, 122


tin’, publié par Joannes Lucius (1668) 120, Hasdeu, B.P. 101, 102, 103, 105, 113, 114, 121,
121, 122 122
Glose du Pater 182 Hasenohr, Geneviève 323, 326
gloses 239, 244, 245, 246, 247, 258, 345 Hautes-Alpes, département des (chartes) 271
glossaire 13, 165, 249, 273, 280, 360, 397‒437 hébreu, graphies de l’ 8
glossaire complet 404 Heidelberger Jahrbücher 441
glossaire sélectif 398 Heiden, Serge 159
glossaire (Le ~) italien-roumain, (1719), rédigé Helys de Boron 74
par Silvestro Amelio 119 Henderson, J. Franck 321
glossaire (Le ~) italien-roumain, attribué à Con- Henri d’Angleterre, Henri d’Engleterre, Henry
stantin Cantacuzino 120, 122 d’Engleterre 74, 75, 77
glossaires médico-botaniques 238, 259 Henri de Veldeke (Enéide) 444, 445
glossographie 286, 401 Henry, Albert 403, 404, 405 n. 19
Google Books 157, 390 héraldique 429
Goţia, Anton 108, 112 Héricault, Charles d’ 444
Goyens, Michèle 343 herméneutique 131, 146
Graal 45, 53, 73 Herodotul ‘L’Hérodote’, attribué à Nicolae Spă-
Grafström, Åke 276 tarul (Milescu) 100
Gramatica românească ‘La Grammaire rou- Hesketh, Glynn 334
maine’ d’Eustatievici Braşoveanul 100 Hicks, Eric 321, 345, 348
« grammaire de la mise en page » 326 Hippeau, Célestin 444, 448, 449, 450, 451
grammaticalisation des mots composés 167 Historia Orientalis 331
Grandes Chroniques de France 352 Historia Scholastica 341
graphie 166 historicité 148, 406 n. 22
Grecianu, Ştefan D. 106, 110 historiens, textes édités par les 6
Greg, Walter W. 374 Hofmann, Conrad 442, 447
gresse afr. 408 Hofmeister, Rudolf 347
Gröber, Gustav 21, 131, 132, 148, 149 Holland, Wilhelm Ludwig 446
Guernes de Pont Sainte Maxence (La vie de Saint Hronicul româno-moldo-vlahilor ‘La Chronique
Thomas Becket) 444, 446 des Roumaino-Moldo-Valaques’ de Dimitrie
Guessard, François 445 Cantemir 99, 113
Gui de Chauliac 340 HTML 173
Guilhem de Peitieus 178 hua afr. 409
Guilhem del Bautz 184 humanités numériques 197
Guilhem Rainol d’At 184
Guillaume de Moerbeke 336 Ibn Sīnā (Avicenne) 248
Guillaume de Tyr 332 Ilieş, Aurora 103, 108, 110, 117
Guiot de Dijon 27 images numériques 196, 199
Guiraut Riquier 28 images, résolution des 199‒200
Guiron 53, 59 impératif 169
Guiron le Courtois 7, 34, 42‒80 index automatique 161
Guiron le Courtois voir aussi Palamedes Îndreptarea legii ‘Le recueil de lois’ (1652) 98,
Guyotjeannin, Olivier 158 109
information retrieval 207
Halici-le fils, Mihail 119, 121, 122 infrastructure technologique 197, 199
Ham, Edward B. 30 Institut de Linguistique de Bucarest 100–101
hapax legomena 258 Institut Universitaire de France 159 n. 14
harmonisation 383 Internet Archive 187, 190
Index 471

interrogation textométrique 160 jor afr. 405


intertextualité 202 n. 13 Joseph Bechor Schor 220
interventions éditoriales 166 Joseph ben Abba Mari ibn Caspi 246, 247, 256
Întrebare creştinească ‘Question chrétienne’ 102 Joseph Kara 220, 233
Învăţături preste toate zilele ‘Enseignements Joyce, James 195 n. 4
pour tous les jours’ (1642) 104, 112 judéo-comtadin 238
Învăţăturile lui Neagoe Basarab către fiul său judéo-français 258
Theodosie ‘Les Enseignements de Neagoe judéo-occitan 237‒264
Bassarab destinés à son fils Theodosie’ « judéo-provençal calqué » 250
104, 107
inventaires 268 Kájoni, Joannes 119
Ion Românul 104 Karel ende Elegast 81
Iordan, I. 107, 115, 117 Karlamagnus-Saga 452
Iorga, N. 100, 106, 110, 115 Király, Francisc 122, 123
IRHT (Institut de Recherche et d’Histoire des Kiwitt, Marc 249
Textes) 320 Klagenfurt, école doctorale de 2014 14
Iser, Wolfgang 163 Knight, Alan 347
Isopescu, Claudiu 122 Kogălniceanu, M. 109, 113
Istituto di Linguistica Computazionale (ILC), Pisa Kohut, Alexander 247
196, 204 koinè 238, 239, 260
Istoria domniei lui Constantin Basarab Brâncov- Kroeber, Auguste 447
eanul voievod ‘L’Histoire du règne du voï- Kunstmann, Pierre 156
vode Constantin Bassarab le Brancovan’
103, 108 la’az 245, 257 n. 19
Istoria ieroglifică ‘L’Histoire hiéroglyphique’ de Labory, Gillette 320, 351, 352
Dimitrie Cantemir 100 Lac 53
Istoria Ţării Româneşti ‘L’Histoire de la Vala- Lachmann, Karl 82, 84, 146, 166
chie’, attribué à Constantin Cantacuzino lachmannienne, critique 25 n. 17, 196
104, 106, 110 lachmannisme 82‒83, 85‒86, 89, 206
Italie du Nord 269 Lagomarsini, Claudio 44, 52, 55, 56, 57, 58, 61,
Ivireanul, Antim 100 65
Lai de Désiré 35
Jacques de Vitry 331 Lai de l’ombre 7, 23‒25, 45
Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik 441 Lalanne, Ludovic 440
Jahrbuch für romanische und englische Literatur Lancelot 74, 167
441, 442, 444, 445, 450 Lancelot en prose 45, 47, 53
Jaufre 181 Lancelot-Graal (cycle) 45, 46, 47, 48, 51, 53, 54,
Jauss, Hans Robert 163 55
Jean d’Antioche 332 Långfors, Arthur 458
Jean de Meun 324, 345, 348, 349 Langlois, Ernest 38
Jean de Salisbury 328, 329 langue ~ parole 406
Jean de Vignay 332 langue de spécialité 428
Jean du Chastelet 326 Last, Isaac 246, 247
Jean le Fèvre 326 Lathuillère, Roger 51, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 64,
Jean le Long d’Ypres 337, 338 65, 71 n. 36
Jean Renart 23‒24 latin médiéval 433
Jofroi de Waterford 134 Laufer, Roger 379
Joinville, Jean de 438, 452, 453, 454, 455, 456, Laurent de Premierfait 323, 337, 340
456 Laurian, A.T. 109, 113
472 Index

Lazar, Moshé 251, 253, 255, 259, 260 Leyenda de los infantes de Lara 87, 90
Leastviţa ‘L’Échelle’, traduite par Varlaam 108 Liber Parabolarum 339
le’azim 245, 247, 256 Libro de buen amor 89
Lebrecht, Fürchtegott 247, 252 liens hypertextuels 168, 174
Lebsanft, Franz 418 n. 47 lieux d’écriture 273
leçons « archéologiques » 355 Limentani, Alberto 50, 57, 63
leçons déformées 356 Limousin (chartes) 274
leçons rejetées 420 linguistique computationnelle 198
Lecoy, Félix 26, 347, 360, 458 linguistique générale 132, 148
lectio difficilior 27, 325 linguistique historique 148
lecture synoptique 160 linguistique textuelle 142, 143, 148, 305
Legenda aurea 182 linguistique variationnelle 305
Legi vechi româneşti şi izvoarele lor ‘Les lois « lisibilité » d’un texte édité 145, 171, 301,
roumaines anciennes et leurs sources’ 116 305
législation française (textes anciens) 156 n. 9 liste des mots 400
Leibniz, Gottfried Wilhelm 195 n. 4, 332 listes 269
Lemaître-Provost, Solange 347 listes (Les ~) des noms géographiques,
lemmatisation 168, 422 attribuées à Constantin Cantacuzino 120,
lemmatisation grammaticale 423 122
lemmatisation graphique 423 littérarité 134–137
lemmatiseur 419 n. 49 Liturghierul ‘Le Missel’ (1679), traduit par Dosof-
Lemnul crucii ‘Le bois de la croix’ 104 tei 100
Lenient, Charles 446 Liturghierul lui Coresi ‘Le Missel de Coressi’ 103,
Leonardi, Lino 32‒34, 36, 44, 47, 50, 58, 66, 67, 105, 107, 117
453 Livre de Flave Vegece de la Chose de Chevalerie
Lepsius, Karl Richard 223 333, 339
Letopiseţul Ţării Moldovei 1661–1795 ‘La Chron- Livre de l’estat du Grant Caan 337
ique du pays moldave’ 104, 105, 118 Livre dou Tresor 134
Letopiseţul Ţării Moldovei până la Aron Vodă ‘La Livre du Bret, Lyvre del Bret 73, 74, 76
Chronique de la Moldavie jusqu’au prince livres imprimés roumains aux XVIe et XVIIe siè-
Aron’, attribué à Grigore Ureche 102, 105, cles 97–98
111, 116 Llull, Ramon 135
lettres 268 locutions 161
lettres (Les ~) du XVIe et du XVIIe siècle 102, 115 Löfstedt, Leena 339, 418 n. 46
lettres restituées 161 Löseth, Eilert 52, 53, 71 n. 36
Leurdeanu, Ilinca 120 lombard, ancien 146
Leurquin-Labie, Anne-Françoise 348 Longinescu, S.G. 116
Levy, Emil 187 Lovas, Francisc 119, 121
Levy, Raphael 231, 238 Lucaci, ritorul (‘le rhéteur’) 104, 108, 117
lexicographie 246 luccio it. 408
lexicographie « glossairistique » 401 Luce, Siméon 447
lexicologie 246 Lucidaire 134
Lexicon Marsilianum 119, 122, 123 Lucidere 346
Lexiconul slavo-românesc şi tâlcuirea numelor Lucius, Joannes 120
din 1649 ‘Le Lexicon slavo-roumain et la Lucrul apostolesc ‘Les Actes des apôtres’, im-
traduction des noms propres de 1649’, at- primé par le diacre Coressi 102
tribué à Mardarie de Cozia 101, 103, 104, Lupescu, Radu 111
107 Lusignan, Serge 158
lexique 286 Luxembourg, chartes du 296, 304, 306
Index 473

LvP (« Petit Levy », E. Levy, Petit dictionnaire Merveilles de la Terre d’Outremer 332
provençal-français, Heidelberg, Winter, Métamorphoses 344
1909) 398, 433 métathèse 243, 254
Lyon 272, 280 Météorologiques 336, 343
méthodes statistiques 160
Maas, Paul 27 n. 21 Meyer, Paul 4, 21, 45, 241, 245, 250, 253, 267,
Macer Floride 250, 258 270, 397, 440‒458
Mahieu Le Vilain 343 Michel, Francisque 445, 447, 448
Maïmonide 248 Michelant, Henri 447
majuscules, emploi des 166, 386 microstructure de l’édition d’une charte 308
male hart afr. 417 Mihai Viteazul (‘le Brave’) 115
Manuel d’encodage BFM manuscrits 174 Mihăilă, G. 103, 104, 107, 122
Manuscrisul de la Ieud ‘Le manuscrit de Ieud’ Miracolo di Sant’Andrea 139
102, 103, 104, 107, 108 Miroir des classiques 320, 323
manuscrit 301 Mirour de Seinte Eglyse 324
manuscrit complémentaire 165 modernisation 380‒384
manuscrit de base 33, 44, 47, 50, 62, 66, 69, Moïse ben Samuel ibn Tibbon 248
70, 166, 167 Moisil, Florica 104
manuscrit de surface 68, 69, 70, 72 Moland, Louis 444
manuscrit prototypique 166 Mommsen, Theodor 451
manuscrits, images des 159 Monarchia 195 n. 3
Marcabru 28, 191 Monfrin, Jacques 277, 320, 322, 328, 335, 348,
Marco Polo 13, 49, 304 n. 25, 306 457, 458
Mardarie Cozianul 101, 103, 104, 108 Montaigne, Michel de 3, 451
Mardochée Astruc 251 Montesson, Charles-Raoul de 447 n. 36
Mareş, Alexandru 101, 103, 105, 108, 112, 115, Moraru (Roman-), Alexandra 103, 104, 117
117, 118 Moraru, M. 107
Marie de France 335 Morato, Nicola 44, 51, 55, 56, 57, 58, 65, 71 n. 36
Martin, Robert 412, 413, 427 n. 65 Morholt 53
Mărtinaş, Dumitru 119, 122 Mort Artu 33, 50, 67
Marzano, Stefania 327 mot, unité du 417
Masai, François 101 mot « familier » 428
Massēkhet Pūrīm 246 mot « vulgaire » 428
matrone afr. 415 motel afr. 420
Matsumura, Takeshi 400 mots, les, et les choses 414
Mauro, Antonio Maria 119, 120, 122 mots composés 417
Mazziotta, Nicolas 170 mots dialectaux 423
McVaugh, Michael R. 248 mouvance 44, 48, 51, 67, 69, 83, 85‒87, 89, 91,
McWebb, Christine 321 163, 164
Medieval Nordic Text Archive 174 n. 3 Moxa, Mihail 99
Megīllat Esther 246 moyen français 258
Megīllat Sedarīm 246 moyen-haut-allemand, édition de textes en 304
mélectures 349, 354, 356, 360 Ms. romeno Asch 223 di Göttingen 119, 123
Méliadus 53 Müller, Theodor 25
Ménard, Philippe 27 n. 21, 400 n. 8 Muşlea, C. 122
Menéndez Pidal, Ramón 4, 7, 86‒92 Mussafia, Adolf(o) 442, 443, 450
Menota (balises) 174 muta cum liquida 243
Mensching, Guido 249, 256 MVC (Model-View-Controller) 197 n. 7
Merlin 45
474 Index

Nähe-Distanz-Kontinuum 11 onomasiologie 422, 432


named entities recognition 198 ontological structure 198
Nathan ha Me’ati 248 Onu, Liviu 100, 107, 111, 112
Naudet, Joseph 453 Open Access 14
Neculce, Ion 97, 100, 108 open source 194, 197
Nemeth, Geneviève 54 « oral représenté » 11
néo-bédiérisme 82, 84‒87 Orduna, Germán 84, 89, 91
néo-lachmannisme 26, 29, 82, 84, 86, 89‒92 Oriflamms, projet 160
néologisme 427 « original » (d’un texte) 301, 305, 371
« néologisme sémantique » 428 « original » (d’une charte) 298
néo-traditionalisme 83, 86‒87, 89, 90 original et copie 276
Neubauer, Adolf 241, 250, 243 Otia imperialia 332
New Philology (« Nouvelle Philologie ») 70, « outil glossaire » (ATILF) 419
82‒87, 89, 90, 164, 297, 298, 299, 300, 305 outils d’interrogation 167
Nibelungenlied 81 OVI (Opera del Vocabolario Italiano) 10
Nichols, Stephen 83 Ovide 333, 344
Nicolae Spătarul (Milescu) 100, 120, 121 Ovide moralisé 34 n. 33, 343
Nicolas de Gonesse 325 Oxygen (logiciel) 174
Niderst, Alain 385, 387
niers afr. 414‒415 Palamède 76, 77
Nitze, William A. 30 n. 28, 34 Palamedes 71
Nobel, Pierre 321, 335, 341, 359 paléographie 163
nom propre 167, 172, 356, 422, 435 Palia de la Orăştie ‘L’Ancien Testament d’Orăş-
normalisation 301, 304, 305 tie’ (1582) 97, 101, 104, 105, 108, 112, 117
Noul Testament ‘Le Nouveau Testament’ de Băl- Palia istorică ‘La Palia historique’ 103
grad (1648) 98, 108, 121 Palmer, Nigel 326
Nouveau Corpus d’Amsterdam 310 Pamfil, Viorica 104, 108, 116, 117
Nouveau Testament de Lyon 182, 190 Panaite, Oana 108
Nouveaux atlas linguistiques de la France 282 Panaitescu, P.P. 100, 103, 105, 107, 108, 111,
Nouvelle Philologie voir « New Philology » 112, 114, 115, 116
Nouvelles Françaises en prose du XIVe siècle 444 Pânea pruncilor ‘Le pain des enfants’, imprimé à
Novas de l’heretje 181 Bălgrad (1702) 119
numérisation 298, 310, 311 Pansier, Pierre 250
Nuova Filologia 85, 89 Pantaleoni, D. 122, 123
parenté des manuscrits 164
obros (XVIIe siècle) 251, 253, 255, 259 Paris, Gaston 4, 21‒23, 26, 45, 67, 138, 147, 150,
occitan 209, 237‒264 440, 441, 444, 445, 451, 452, 453, 456,
océrisation 157 457, 458
Odă ‘L’Ode’ de Mihail Halici-le fils (1674) 119, Paris, Paulin 45, 53, 71, 444, 445
121, 122 parole ~ langue 406
Odart Morchesne 158 parsage syntaxique 162
Odobescu, A. 114 part of speech tagging 198
Odorico da Pordenone 323, 332 Partonopeus de Blois 8 n. 10
Oesterreicher, Wulf 406 n. 22 Pasquali, Giorgio 26
oignement (occ.) 210‒211 Passion de sainte Marguerite d’Antioche 181
Omiliar ‘Le Recueil d’homélies’, publié à Kálocsa pašṭanim 220, 234
(1769) 119, 121 Paulet de Marselha 184
onguent (occ.) 210‒211 Pauphilet, Albert 49, 163, 166
Online Froissart 156, 158 PDF 174
Index 475

Peire d’Alvernhe 191 Potvin, Charles 451


Penkower, Jordan 222 pragmatique 305
pérennisation des données numériques 171 pratiques d’édition 322
Périgord (chartes) 274 Pravila de la Govora ‘Les lois’ de Govora (1640)
Perlesvaus (en prose) 34 114
personnalisation ODD 173 Pravila lui Vasile Lupu ‘Les lois de Vasile Lupu’,
Perugi, Maurizio 27‒28 imprimées à Iaşi (1646) 98
Petit Cycle (Guiron) 47 Pravila ritorului Lucaci ‘Les lois du rhéteur Luca-
petit (Le ~) guide de conversation, attribué à ci’ 104, 108, 117
Antonio Maria Mauro 119, 122 Pravila sfinţilor apostoli ‘Les Règles des Saints
Petre, I. Şt. 111 Apôtres’ imprimées par Coressi 102
Petrovai Codex 120, 121, 122, 123, 124 Predica ‘Le sermon’ de Francisc Lovas (1608)
Petrovici, E. 103, 113 119, 121
Petru Şchiopul (‘Pierre le Boiteux’) 115 Première Continuation du Perceval 31
« peu-lettrés », français des 11 pre-processing (prétraitement) 203
Peÿ, Alexandre 444, 445, 446 pré-standardisation 137
Pfister, Max 276 principes de transcription 166, 171
Philipon, Édouard 272 Problemata 343
Philippide 351, 354 Procopovici, A. 102, 104, 116
philologie, conception ancienne de la 405 n. 19 pronom sujet 145, 146
philologie classique 166 Prophéties de Merlin, Prophecies de Merlin 45,
philologie électronique 267 64
philologie génétique 204 n. 15, 211, 212 « propriété littéraire » 163
philologie informatique 285 Provence (chartes) 274
philologie littéraire 269 proverbes 429
philologie numérique 159, 160, 163 Psalterium Hungaricum 122, 123
Picillo, Giuseppe 122, 123 Psaltirea slavo-română ‘Le Psautier slavo-rou-
Piers Plowman 155 main’, imprimé par Şerban Coressi 110
Pignatelli, Cinzia 332 Psaltirea ‘Le Psautier’, imprimé à Bălgrad (1651)
Pillet, Alfred 186 98
Piluzio, Vito 119, 120, 121 Psaltirea ‘Le Psautier’, imprimé par le diacre
Pisa, Scuola Normale di 9 Coressi (1570) 110
Plouzeau, May 400, 403 n. 15, 409 n. 28 Psaltirea calvină ‘Le Psautier calviniste’, copié
pluralité des méthodes 311 en 1703 119
Plus anciens documents linguistiques de la Psaltirea Hurmuzaki ‘Le Psautier de Hurmuzaki’
France 9, 10, 310 104, 105
Poema del Cid 7, 81, 89, 90 Psaltirea în versuri ‘Le Psautier en vers’, traduit
Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament par Dosoftei (1673) 100
321, 335 Psaltirea în versuri (1697) de Ioan Viski 121, 122
Poème d’Esther 240 n. 5, 241, 243, 250, 253, 259 Psaltirea în versuri (1703) 119
poème hagiographique 134 Psaltirea Scheiană ‘Le Psautier de Sturdza-
Poilus, lettres des 11 Scheianu’ 100, 102, 103, 104, 105, 106, 108,
Poirion, Daniel 47 110, 113, 114, 116
Policraticus 328, 330 Psaltirea slavo-română ‘Le Psautier slavo-rou-
Ponceau, Jean-Paul 47, 48, 49, 66 main’, imprimé par le diacre Coressi (1577)
ponctuation 301, 302, 308, 387‒388 99, 103, 105
ponctuation scribale 166 Psaltirea Voroneţeană ‘Le Psautier de Voroneţ’
Pontfarcy, Yolande de 335 101, 103
Popovici, I.N. 106, 110 Psaumes (Livre des) 443
476 Index

Psautier d’Arundel 171, 173 Rigaut de Berbezilh 37, 185, 191


Pumnul, Aron 122 rime 255
Puşcariu, Sextil 102, 104, 116 Rituel (XVe siècle) 250
Rituel cathare 182
Qimḥi, David 245, 247, 252 Rizescu, I. 104, 108, 117
Qimḥi, Moïse 245 n. 9 Roach, William 30‒31, 34
Queste del Saint Graal 9, 155‒176 Robert de Bo(r)ron 47, 74
Robinson, Peter 155, 195 n. 3
raccord entre parties du texte 57, 59, 63, 66, 69 Rochat, Alfred 442
Racine 385, 387 Roi Pêcheur 34
Racional de divins offices 360 Roman d’Alexandre 221, 447
Radu de Măniceşti 102, 103 Roman d’Éneas 35, 444, 445
Rădulescu, Andrei 109 Roman de Guiron 55, 56, 57, 58, 59, 62, 63, 64,
Raible, Wolfgang 269 65, 66, 68, 69
Raimbaut d’Aurenga 28, 180 Roman de la Rose 38 n. 40
Ramon de Perellós 181, 184 Roman de Meliadus voir aussi Palamedes 55, 56,
Raoul de Presles 335 57
Raschbam 220, 232 Roman de Thèbes 35
Raschi 219, 220, 232, 245, 258, 259 Roman de Tristan 23, 24 n. 11, 32
Răspunsul împotriva Catihismului calvinesc ‘La Roman de Troie 38 n. 40
réponse contre le Catéchisme calviniste’ 98 Roman de Troyle 340
Raynouard, François 186, 187 Roman des rois voir Grandes Chroniques de
recensio 194 France
réception d’un texte 162, 163 Roman d’Yvain 25 n. 14, 27, 53
récit 170 Romania 440, 448, 457, 458
recueil de textes 373 Romuleon 325
récursivité (du texte-cible) 351 n. 28 Roncaglia, Aurelio 28‒29, 189
rédaction 46, 47, 50, 52, 59, 63, 64, 66 Roques, Mario 24, 26, 101, 102, 397
réécriture 136‒140 Rosetti, Al. 98, 102, 115
Reeve, Michael 334 Rouergue (chartes) 274
regarder que 405 roumain, alphabet cyrillique en 8
Région Rhône-Alpes 159 n. 15 Roussineau, Gilles 69 n. 35
régionalismes 427 Ruelle, Pierre 329
règles « ramistes » 161 Rujdeniţa popei Ion Românul ‘La Rujdeniţa du
remaniement 138‒140 pope Jean le Roumain’ 104
Renan, Ernest 238, 245, 246, 438 Russo, D. 106, 109, 110, 111, 114, 115, 116
reprovance afr. 428 Rusticien de Pise 64, 66
requêtes syntaxiques 160 Rutebeuf 134
Revue Archéologique 456 Rychner, Jean 403
Revue critique des livres nouveaux 440
Revue critique d’histoire et de littérature 440, Şăineanu, L. 121
446, 451, 454 Salut, ms. Paris BnF fr. 1852 182
Revue de bibliographie analytique 440 Şapcaliu, Lucia 100
Rialc 177, 178, 179, 181 Sarnicki, Stanisław 120
Rialto 8, 177‒193 Šaršot ha-Kesef 240 n. 5, 247
Richard de Fournival 450 SATF (Société des Anciens Textes Français) 5
Richler, Benjamin 245 Săulescu, G. 113
Riera i Sans, Jaume 342 Saussure, Ferdinand de 209
Riffaud, Alain 377, 387 Sbiera, I.G. 99, 101, 108
Index 477

Scheler, Auguste 443 sociolinguistique 137


Schultz-Gora, Oskar 458 Sommer, Heinrich Oskar 46, 47, 48
Schweighaeuser, Alfred 445 sources, exposition des 165
Schweppe, Karl 447 sous-sens 426
Scienza Nuova 212 n. 24 Souvay, Gilles 419
scribe 301, 305, 307 Speculum Ecclesie d’Edmund of Abingdon 324
scripta 238, 239, 260, 304, 420 Speer, Mary Blakely 397
scriptae (ancien français) 11 n. 17 Stanciu-Istrate, Maria 104
scriptio continua 200 Steinschneider, Moritz 249
ScriptOralia 269 stemma 163, 166, 205
Sébastian Mamerot 325, 344 Stiernhielm, Georg 120
Secret des secrets voir Jofroi de Waterford Stimm, Helmut 187
SECRIT (Séminaire de Critique Textuelle, Buenos Stimming, Albert 458
Aires) 89 Strasmann, Gilbert 323
Ṣedat ha-Derakim 248, 256 Ştrempel, Gabriel 100, 104, 107, 108, 111, 117
Sefer Habaqbuq 246 Stroici, Luca 120, 121, 122
Sefer ha-Šimmuš 240 n. 5, 243, 249‒250, 255, Suchier, Hermann 4, 443, 458
257, 259 Suite Guiron 55, 57, 59, 64, 66
Sefer ha-Šorašīm 247, 252 surnoms 422
segmentation des mots 163, 166, 167 Symbole d’Athanase 72
Segre, Cesare 7, 13, 26, 27 n. 21, 29, 31s. n. 31, 38 synonymes (dans un glossaire) 409 n. 29
n. 43, 67, 70, 132, 146, 148, 150, 212 n. 22 synonymes, listes de 249, 257
Šem Tov ben Isaac de Tortosa 250 syntagme 429
sémanticité 406 n. 22 systèmes neuraux 200
Sen Bonafos de Largentière 246 Szirmai, Julia 341
sens, unité du 416 n. 42 Sztripszky, H. 121, 122, 123
sens insolites 416
sens propre à un mot 413 Table Ronde 44‒45, 47
sentences judiciaires 269 Tagliavini, Carlo 122, 123
séparation des mots 418 TAL (traitement automatique de la langue) 197,
Sephiha, Haïm Vidal 250 198
Séquence d’Eulalie 171 Talbot, Eugène 446, 447, 448
Serments de Strasbourg 171 Tamás, L. 122, 123
Servois, Gustave 440 Targum 228, 229
Sicriul de aur ‘Le Cercueil d’or’ 108, 112 Tatăl nostru ‘Notre père’, la version de Luca
sigles 429, 445 Stroici (1594) 120, 121, 122
signes de ponctuation 254 Tatăl nostru attribué à Nicolae Spătarul (1671)
signes diacritiques 166, 302, 308 120, 121
Silaşi, Gregoriu 121, 122 Tatăl nostru du Petrovai Codex (1672) 120
Silberstein, Susan Milner 241, 243, 250, 253, Tatăl nostru imprimé à Košice (1614) 121
254, 255, 259, 260 Tatăl nostru imprimé par Christoph Hartknoch
Simon de Hesdin 325, 343, 346 (1684) 120, 121, 122
Simonescu, D. 106, 111, 117 Tatăl nostru publié à Frankfurt (1603) 120, 121
Sindipa 104 taylorisme 436
Sion Gherei, Gh.I. 121 technique du glossaire 418
Sirat, Colette 247 TEI (Text Encoding Initiative) 158, 160, 162, 173,
sire, sires afr. c.s.s. 167 201‒203
sirurgien afr. 415 Teodorescu, Mirela 103, 104, 105, 107, 108
Siskin, Harley Jay 233 termes d’adresse 169
478 Index

Tetraevangel ‘Les Quatre Évangiles’, imprimé tréma (dans TL) 422 n. 58


par le diacre Coressi (1561) 102, 103, 104, Trésor (Le) 66
108, 111, 115 Trésor de la langue française (TLF) 282
tetragramaton gr. 422 n. 56 Trèves, méthode de 296, 303, 305 n. 26
text mining recognition 198 Trèves, Sonderforschungsbereich 9, 303
text re-use 198, 202 n. 13 Tristan 53, 64, 74
texte-cible 322, 326, 327, 338, 339, 340, 341, Tristan en prose 33, 45, 47, 48, 49, 51, 52, 53,
346, 359 54, 64
texte-source 322, 324, 326, 327, 328, 329, 334, trobadors 188, 239
335, 338, 347, 359 Trotter, David 327, 332, 336, 416, 429 n. 71
textes anciens imprimés 211 TS_app 197, 199, 200, 203, 207, 208, 210, 211,
textes médicaux 248 212, 214
« textes mixtes » 98‒99 TUSTEP (Tuebinger System von Textverarbei-
textes scientifiques 14 tungsprogrammen) 195 n. 4, 306
textes techniques 204 TXM 159, 164, 165, 171, 173, 174
textus receptus 46 typologie des éditions 319, 326
Thomas (d’Angleterre) 23, 24 n. 11, 32 Tyssens, Madeleine 29 n. 27
Thomas d’Aquin 194 n. 1
Thomas de Cantimpré 348 Uitti, Karl D. 155
Thompson, John Jay 338 Ulrich de Zazikhoven 450
Thurot, Charles 456 Ulysse 195 n. 4
Timotin, Emanuela 104 umilité afr. 409
Tittel, Sabine 340, 415 unification du roumain littéraire 99
TLIO (Tesoro della Lingua Italiana delle Origini) unité (du mot) 417
12, 188 unité (du sens) 416
Tobler, Adolf 131, 132, 151, 458 unité imitative 417
Tocilescu, Gr.G. 109 univers discursif 135
« tokénisation » 174 Ureche, Grigore 100, 103, 105, 110, 111, 115, 116,
Toma, Stela 105 118
tossafistes 220, 233 Urechia, V.A. 106, 110
Trachsler, Richard 44, 48, 55, 56, 57, 65 Urien 53
tradition discursive 139‒141, 148 Ursu, I. 122
tradition du texte 146 Ursu, N.A. 100, 115, 116, 117
tradition manuscrite 163 Urtext 82, 85
tradition textuelle 371 usage, marque d’ 415, 432
traditions nationales de l’édition 158‒159
traditions scripturales 239, 243 Valerius Maximus 325, 343, 346
traduction 138‒141 varia lectio 371, 374‒375
traduction (dans un glossaire) 409 variabilité 299
transcription 238 variance 83, 85‒86, 89, 164, 305
transcription électronique 159 variante 136, 137, 196, 205, 420
transcription (phonétique) interprétative 115‒117 variantes orthographiques 205
translater 320 variation linguistique 136
translittération 114‒115, 238, 240, 241, 242, 251, Varlaam, métropolite 98, 102, 108, 115
255, 256, 257, 258 Varlaam şi Ioasaf ‘Varlaam et Joasaf’ 96
Transmédie 319 Vàrvaro, Alberto 22 n. 2, 24 n. 13, 29 n. 27, 32,
transphrastique 138, 142, 143, 148 36‒37, 68, 143, 151
transposition 138, 140, 141 Vatican, Bibliothèque du (numérisation des
TreeTagger 288 fonds) 196 n. 6
Index 479

Végèce 333 Vita nova voir Dante Alighieri


Veress, A. 121, 122 Vita Sanctae Mariae Virginis 334
Vernet, Max 375 Vivarais (chartes) 274
verset afr. 416 Vladulovici, Constantin 111, 112
version de base 54, 55, 56, 57, 65 « vocabulaire » 400
version diplomatique (facsimilaire) 165, 167, 171 Voguë, Adalbert de 331
version normalisée 165, 167, 171 Voltaire 370
version particulière 57, 59, 77 vouloir afr. 424 n. 61
version scribale 82, 89 Voyage de Charlemagne à Jerusalem et à Con-
« version usagée » 163 stantinople 444
Versuri ‘Les vers’ composés par Valentin Frank voyelle épenthétique 243
von Franckenstein (1679) 120, 121 vulgate (version des romans arthuriens) 44, 46,
Viaţa lui Constantin vodă Brâncoveanu ‘La vie du 47, 54
voïvode Constantin le Brancovan’ 106, 110
Vico, Giambattista 212 n. 24 Wace (Roman de Rou) 443, 444
Vida e miracles de Sancta Flor 182 Wailly, Natalis de 453, 454, 455, 456, 457
Vie de Christine l’admirable 346, 347 Walpole, Ronald 324
Vie de Saint Alexis 22, 26‒27, 147, 171 Wartburg, Walther von 458
Vie de Sainte Catherine 334 Wauchier de Denain 338
Vie de Sainte Enimie 442 web sémantique 209 n. 20, 211
Vie de Sainte Marine 334 Wolfenbüttel, Chansonnier de 181
Vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa xénismes 421
fame 328, 345, 346, 348 XML 158, 162, 173, 201, 284
Vie monsigneur Seint Nicholas le beneoit confes- XSLT 174
sor 338
Vie Seint Richard Evesque 321 Ystoire del Saint Graal, Ystoire del Saint Graall
Vielliard, Françoise 282, 322, 323, 333, 399, 403 73, 74, 75
n. 15
Villon, François 452 Zamfirescu, D. 104, 107
Viollet, Paul 454 Zaun, Stefanie 233
Vîrtosu, Emil 102, 114, 115, 116 Zeitschrift für deutsches Alterthum 444
Viski, I. 121 Zeitschrift für romanische Philologie 443, 458
visualisation du texte, différents niveaux de 171 Zink, Michel 36
Vita di San Rocco 147 Zumthor, Paul 83, 86, 90, 134, 135, 151, 163,
Vita di Sant’Alessio voir Bonvesin de la Riva 164
Vita di Santa Margarita 146 Zwink, Julia 233

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