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Résumé
Pour présenter l'échelle par diésis (quarts-de-ton) qu'il attribue aux Anciens, Aristide Quintilien (Meibom, 14-15) utilise une
notation aberrante qui n'a jamais reçu d'explication et devant laquelle tous les musicologues ont déclaré forfait, la déclarant
sans signification aucune. L'auteur recherche les mobiles qui ont poussé Aristide à utiliser pour ce seul passage une notation
archaïque (le système des triades de la notation classique ne se prêtait pas à un échelonnement, par quarts-de-ton) et en
étudie la graphie. Il conclut à une notation cohérente, bien que parvenue avec des perturbations. Elle serait différente de celle
d'Alypius, mais comme elle d'origine alphabétique ; on présume qu'il s'agit d'une notation d'intervalles, et ce pourrait être elle
dont parle Aristoxène (Meibom 39) en des termes incompatibles avec la notation classique, mais qui s'appliquent bien à celle-ci.
Cette notation archaïque, des signes de laquelle l'auteur propose une remise en ordre rationnelle, aurait été en usage au — IVe
siècle, on ne peut dire depuis quand, et aurait cédé la place à celle que nous connaissons vers le milieu du — IIIe siècle, ce qui
recoupe l'hypothèse présentée par A. Bataille et l'auteur en 1961-67 sur la date de cette dernière.
Chailley Jacques. La notation archaïque grecque d'après Aristide Quintilien. In: Revue des Études Grecques, tome 86,
fascicule 409-410, Janvier-juin 1973. pp. 17-34;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1973.4001
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4001
(1) Cette phrase est répétée textuellement après le diagramme : «Telle est
l'harmonie en vigueur chez les Anciens. La première octave s'étend... par
demi-tons. » II s'agit sans doute d'une glose incorporée.
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variante qu'il indique à cet endroit comme étant le texte original,
bien que plus fidèle, est encore insuffisante. Ni Perne ni Ruelle n'ont
résolu le problème, bien que leurs relevés soient plus corrects.
L'article de H. Potiron (les notations d'Aristide Q. (...) dans Revue
de Musicologie, déc. 1961, p. 159-176) est décevant : il déclare
forfait d'emblée, et après quelques remarques sommaires sur
l'existence de doublons (p. 164), conclut rapidement que
«l'interprétation et la traduction semblent impossibles, la notation ne
révélant aucun ordre ressemblant à une succession de diésis ».
R. P. Winnington Ingram, dans son édition de 1963, n'apporte pas
de solution ; mais du moins il nous munit d'une édition critique
soignée permettant un établissement du texte aussi correct qu'il est
possible (2). Mme Marie-Claire Mussat le Moigne, dans une récente
thèse par ailleurs bien documentée, ne fait pas non plus a\*ancer la
question. Il nous faut donc la reprendre à la base.
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Fig. 3. — Schéma suggéré par les manuscrits. Schéma restitué par hypothèse.
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 25
IL Étude musicologioue
(6) Pour justification de cette datation, voir les deux articles de A. Bataille
et J. Chailley cités note 4.
28 JACQUES CHAILLEY
autres tableaux (Mb. 27) les séries par tons et demi-tons. C'est
presque par surcroît que nous nous trouvons posséder par ce
passage l'un des rarissimes témoignages qui nous soient parvenus
sur cette période si peu connue de l'histoire de la notation (7).
On peut donc avec quelque sécurité, comme on l'a vu, situer vers
le ive siècle les « Anciens » qui se servaient de la notation par diésis
dont Aristide, quelque 500 ans plus tard, nous laisse un spécimen.
Cette notation serait donc contemporaine d'Aristoxène. Or Aris-
toxène nous parle de la notation, en un passage (Mb. 39) qui n'a été
jugé « le plus obscur des Éléments Harmoniques » (8) que parce que
ses commentateurs se sont entêtés, tout comme pour notre
diagramme, à vouloir l'appliquer à la notation d'Alypius, sans
s'apercevoir d'une incompatibilité pourtant évidente.
La notation qu'Aristoxène décrit est une notation d'intervalles,
comme nous avons constaté que devait l'être la nôtre : « la seule
nécessité pour le notateur est de connaître la grandeur des
intervalles : Έστιν άναγκαΐον τω παρασημαινομένω μόνον τα μεγέθη
τών διαστημάτων διαισθάνεσθαι. En effet, celui qui pose les signes
des intervalles, σημεία τών διαστημάτων, ne pose pas un signe
spécial pour chacune des variétés qu'ils présentent (9) ; par
exemple, il se trouve dans la quarte (Mb. 40) plusieurs divisions qui
produisent les variétés des genres ; ou bien un changement dans
l'ordre des intervalles incomposés crée plusieurs schémas (10). Nous
en dirons autant des fonctions (δυνάμεων) que motivent les natures
des tétracordes. »
(11) On ne développera pas ici la longue querelle qui s'est instaurée autour
de la traduction de ce passage ; l'explication de H. Potiron (Revue de
Musicologie, déc. 1964, p. 223-224) résout la difficulté de façon pertinente, sans rien
changer au texte. Il s'agit des 3 tétracordes (les seuls connus d'Aristoxène)
bornés au grave par les trois degrés ainsi désignés ; hypate (tétracorde des
moyennes), mèse (tétracorde des conjointes), hyperbolée ; ce dernier terme n'a
sans doute pas le même sens qu'il prendra plus tard : à l'époque d'Aristoxène
c'est un hapax ou du moins un néologisme, désignant sans doute la nouvelle
paramèse dans le système octocorde, donc le tétracorde des disjointes.
(12) Ce qui ne signifie pas forcément, comme nous l'avions cru jadis avec
d'autres, une notation tétracordale répétant les mêmes signes pour chaque
tétracorde.
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peut-être même cette idée fournit-elle la transition, par élément
commun, entre les deux passages, qui se font suite. Ils témoignent
d'ailleurs de la même mauvaise humeur qui les apparente.
En somme, on pourrait résumer Aristoxène en disant qu'il
mentionne avec fort peu d'intérêt une notation d'intervalles (13), à
laquelle il reproche de rendre compte de façon purement mécanique
de la « grandeur des intervalles » sans se préoccuper de la valeur
analytique des sons qu'ils déterminent.
Il ne nous en dit malheureusement pas plus à ce sujet, mais le peu
qu'il nous dit n'est absolument pas applicable à la notation d'Aly-
pius.
Reportons-nous maintenant à Aristide. Cinq siècles environ plus
tard, il décrit, en l'attribuant aux Anciens, une notation par
intervalles différente de celle de son époque (celle d'Alypius), présentant
tous les caractères ci-dessus, et dont le contexte démontre qu'il
devait la situer à l'époque d'Aristoxène. Il y a donc toute apparence
que la notation présentée par Aristide soit la même que la notation
décrite par Aristoxène.
Les deux textes confrontés s'éclairent mutuellement et
représentent pour nous les seuls témoins d'une notation archaïque qui dut
précéder d'un siècle environ la notation classique que nous
connaissons bien. Même si les données qu'on en tire restent fragmentaires
et parfois fragiles, l'étude en est donc d'un très grand intérêt.
B. — Signification musicale.
pas besoin de ce doigté, est même gênée par lui, et cherche simple-
(13) Selon Ruelle (p. 63, n° 2), la remarque selon laquelle Aristoxène décrit
une notation d'intervalles et non de sons aurait déjà été faite par Meibom (chez
qui nous ne l'avons pas retrouvée) ; mais pas plus Ruelle que Meibom n'ont su
aller jusqu'au bout de leur raisonnement et envisager qu'il pût s'agir d'autre
chose que de la notation d'Alypius (qui n'est pas une notation d'intervalles.)
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 'ΛΙ
ment à numéroter les sons —- ce qui est le principe de la vocale.
On ne voit pas du tout, par contre, à quoi servirait de renverser tous
les signes de la vocale pour les exécuter instrunientalement ou vice-
versa.
Une notation par intervalles, par contre, si telle est bien la nôtre,
a besoin de deux signes par intervalle ; suivant que l'intervalle monte
ou descend. De l'idée d'inversion du mouvement pouvait naître
assez facilement l'idée d'inversion des signes.
Sans disposer d'éléments permettant une affirmation véritable,
il semblerait assez tentant de supposer que l'une des rangées désigne
les intervalles ascendants, l'autre les intervalles descendants
correspondants. On ne peut avec certitude préciser laquelle, mais
un argument au moins permettrait de penser que la lre rangée doit
être descendante : c'est que dans la vocale alypienne qui lui a
succédé, les mêmes lettres de l'alphabet — - sans dérivation cette
fois — servent pour l'octave descendante. C'est dans la lre rangée
que se trouvent, sur les numéros pairs (rectifiés) désignant les sons
principaux (et non les intercalaires), les dérivations apparemment
premières de la suite de l'alphabet.
La difficulté la plus grave était celle des doublons systématiques
dans chaque dyade du signe pair d'une rangée avec l'impair
de l'autre. On ne peut admettre par exemple que, dans la dyade 6-7,
le même signe gamma désigne à la fois la tierce mineure dans un
sens et la tierce mineure augmentée d'un diésis dans l'autre.
Nous n'avons jusqu'à présent trouvé aucune explication musicale
qui puisse justifier le principe de ces doublons. C'est pourquoi nous
avons, dans l'étude graphique, proposé une hypothèse qui, sans
pouvoir se présenter avec certitude, en permet l'élimination avec
quelque vraisemblance. Rappelons-nous que lorsque Aristide
reproduit cette notation, il s'agit déjà d'un système oublié vieux de
500 ans, et que cette reproduction elle-même ne nous est parvenue
que par des copies faites 1500 ans plus tard.
Il ne resterait plus dès lors qu'à expliquer l'abandon des diésis
dans la 2e octave. Cela ne présente pas de grosses difficultés. On ne
devait guère avoir l'occasion, dans la réalité, de pratiquer des
intervalles supérieurs à l'octave, et surtout des intervalles faisant
intervenir l'addition d'un diésis, d'autant plus qu'au ive siècle le
système ne dépassait pas encore l'octave. La 2e octave serait proba-
32 JACQUES CHAILLEY
blement une abstraction sur diagramme, faite pour remplir la
double octave ultérieure et surtout pour épuiser les 24 lettres de
l'alphabet.
Les demi-tons suffisaient pour ce dessein. Aristide d'ailleurs est
coutumier du fait, lui qui, dans son tableau de la notation alypienne
(Mb. 27), ajoutait au grave 3 signes inemployés, pour le plaisir
d'achever l'alphabet (14).
Conclusion
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N° 2- 3 i/ Τ C ΙΟ f1 f2- / 3 )H
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Jacques Ghailley.