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Revue des Études Grecques

La notation archaïque grecque d'après Aristide Quintilien


Jacques Chailley

Résumé
Pour présenter l'échelle par diésis (quarts-de-ton) qu'il attribue aux Anciens, Aristide Quintilien (Meibom, 14-15) utilise une
notation aberrante qui n'a jamais reçu d'explication et devant laquelle tous les musicologues ont déclaré forfait, la déclarant
sans signification aucune. L'auteur recherche les mobiles qui ont poussé Aristide à utiliser pour ce seul passage une notation
archaïque (le système des triades de la notation classique ne se prêtait pas à un échelonnement, par quarts-de-ton) et en
étudie la graphie. Il conclut à une notation cohérente, bien que parvenue avec des perturbations. Elle serait différente de celle
d'Alypius, mais comme elle d'origine alphabétique ; on présume qu'il s'agit d'une notation d'intervalles, et ce pourrait être elle
dont parle Aristoxène (Meibom 39) en des termes incompatibles avec la notation classique, mais qui s'appliquent bien à celle-ci.
Cette notation archaïque, des signes de laquelle l'auteur propose une remise en ordre rationnelle, aurait été en usage au — IVe
siècle, on ne peut dire depuis quand, et aurait cédé la place à celle que nous connaissons vers le milieu du — IIIe siècle, ce qui
recoupe l'hypothèse présentée par A. Bataille et l'auteur en 1961-67 sur la date de cette dernière.

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Chailley Jacques. La notation archaïque grecque d'après Aristide Quintilien. In: Revue des Études Grecques, tome 86,
fascicule 409-410, Janvier-juin 1973. pp. 17-34;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1973.4001

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4001

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LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE

D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN

Loin d'être le compilateur sans intérêt que dépeignent certains


commentateurs, Aristide Quintilien est peut-être, sur certains
points du moins, l'un des théoriciens les plus originaux de la musique
grecque. Il est en tout cas à peu près le seul technicien qui nous ait
transmis quelques bribes des traditions archaïques antérieures à
la doctrine commune des musicographes alexandrins. Faute de
l'effort nécessaire pour les comprendre, ces passages ont été en
général déclarés négligeables, peut-être parce qu'ils dérangeaient
des notions reçues que l'on ne tenait pas trop à remettre en cause.
Parmi ces passages figure un curieux témoignage (Mb. 14-15)
selon lequel, après avoir défini les intervalles et parmi eux le diésis,
<( le plus petit intervalle que forme la voix quand elle semble se
perdre », Aristide nous dit que les anciens « ont composé leurs
systèmes en inscrivant chaque corde dans un diésis ». Et il nous propose
« l'harmonie procédant par diésis en vigueur chez les anciens. La
première octave, dit-il, s'étend sur 24 diésis, tandis que la seconde
progresse par demi-tons » (1). Suit un diagramme de notation que
tous les commentateurs ont déclaré incohérent et que nous nous
proposons d'examiner ici.
On ne peut évidemment, pour l'étudier, se fier à la transcription
de Meibom (p. 15). Lui-même nous avertit honnêtement dans ses
notes (p. 224) qu'il l'a entièrement remaniée pour tenter de la faire
cadrer tant bien que mal avec les tables d'Alypius. Cependant, la

(1) Cette phrase est répétée textuellement après le diagramme : «Telle est
l'harmonie en vigueur chez les Anciens. La première octave s'étend... par
demi-tons. » II s'agit sans doute d'une glose incorporée.
18 JACQUES CHAILLEY
variante qu'il indique à cet endroit comme étant le texte original,
bien que plus fidèle, est encore insuffisante. Ni Perne ni Ruelle n'ont
résolu le problème, bien que leurs relevés soient plus corrects.
L'article de H. Potiron (les notations d'Aristide Q. (...) dans Revue
de Musicologie, déc. 1961, p. 159-176) est décevant : il déclare
forfait d'emblée, et après quelques remarques sommaires sur
l'existence de doublons (p. 164), conclut rapidement que
«l'interprétation et la traduction semblent impossibles, la notation ne
révélant aucun ordre ressemblant à une succession de diésis ».
R. P. Winnington Ingram, dans son édition de 1963, n'apporte pas
de solution ; mais du moins il nous munit d'une édition critique
soignée permettant un établissement du texte aussi correct qu'il est
possible (2). Mme Marie-Claire Mussat le Moigne, dans une récente
thèse par ailleurs bien documentée, ne fait pas non plus a\*ancer la
question. Il nous faut donc la reprendre à la base.

I. Examen des deux tableaux du diagramme de notation

Le diagramme se présente sous forme de deux tableaux distincts,


l'un par diésis pour la lre octave, numérotée à la suite de 2 à 24,
l'autre par demi-tons pour la 2e octave, numérotée de deux en deux
de 26 à 48. Dans presque tous les mss, la première octave est
disposée synoptiquement sur deux rangées ; seuls quelques mss comme
A et Ν conservent cette disposition pour la seconde. Nous
reproduisons en fig. 1 la disposition du ms. Ν (3) en traduisant les chiffres
grecs et en ajoutant par anticipation, sur une dernière ligne, les
lettres alphabétiques de dérivation qui découlent de notre étude.
Le premier point, qui semble évident, est qu'il ne s'agit pas de
notation d'Alypius dont aucun principe n'est respecté. Nous sommes

(2) Les mss relevés (Winnington Ingram, p. vm) sont au nombre de 62 : on


nous excusera de n'avoir pu les collationner tous. Nous remercions vivement
M. Winnington Ingram, qui a bien voulu nous communiquer les photographies
de notre tableau dans les mss les plus importants. A (Venetus Marc. gr. 322,
xve s., f° 3) ; Florentinus Riccardianus 41, xvie s. f° 94' ; Ν (Neapol. gr. III G. 4,
xve s., f° 6') ; R (Vatic, gr. 192, xive s., f° 166) ; le ms V (Venetus Marc. app.
cl. VI 10, xive s., f° 150) est reproduit pi. 1 de son édition.
(3) Les signes sont ceux de Ν sauf 7, 11', 12, 12', 13, 14', 19, 22' et 24' dont
la graphie semble meilleure dans V ; 13', 23' et 46' dans A ; 24 et 40 dans F, les
différences étant parfois minimes.
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 19

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Fig. 1. Le tableau original avec sa numérotation
(l'astérisque indique les lignes originales du ms).

d'autant plus fondés à y voir un vestige d'une notation plus ancienne,


que nous savons désormais la notation alypienne beaucoup plus
jeune qu'on ne le croyait précédemment (4). Écartons donc toute
préoccupation d'assimilation avec la notation que nous connaissons,
et examinons les deux parties du tableau l'une après l'autre.

(4) ?. Bataille, Remarques sur les deux notations mélodiques de l'ancienne


musique grecque, Recherches de papyrologie, P.U.F., I, 1961, p. 5-20 ; complété
par J. Chailley, Nouvelles remarques sur les deux notations mélodiques de l'ancienne
musique grecque, ibid., V, 1967, pp. 201-216.
20 JACQUES CHAILLEY

I. Première partie du tableau : Γ octave par diésis

La numérotation des signes commence au chiffre 2 : l'alpha initial


séparé du bêta par un dessin disjonctif, correspond manifestement
au bêla isolé qui ouvre le second tableau, et non à celui qui suit le
signe disjonctif. Le groupe iota gamma qu'il surmonte n'appartient
pas au tableau ; c'est évidemment une répétition fautive du même
groupe placé juste au-dessous (même disposition dans le ms. V).
Les mss à disposition linéaire ont ensuite copié les lignes l'une après
l'autre sans se préoccuper des concordances.
L'octave notée comporte donc 23 signes doubles, numérotés de 2
à 24, alors qu'une octave divisée en quarts de ton (diésis) comporte
24 intervalles, sans compter le point d'origine mais en comptant
l'octave d'arrivée. On en déduit qu'il manque un signe à la lre octave.
En outre, comme les numéros de la seconde octave, disposée par
demi-tons, sont tous des nombres pairs, on déduit que les demi-tons
de l'octave par diésis doivent correspondre aux chiffres pairs, les
impairs étant réservés aux diésis intercalaires, et le point de jonction,
octave du point d'origine doit porter le numéro 24. Quant au point
d'origine lui-même, il ne peut pas être numéroté, car il ne pourrait
l'être que par 1, et entraînerait à sa suite les chiffres impairs pour
les demi-tons. De tout ceci semble résulter que nous avons affaire
à une notation d'intervalles et non de degrés : le chiffre 1 doit
désigner le premier diésis à partir du point d'origine non numéroté,
ce qui correspond à la nécessité d'aboutir à 24 sur le son d'octave de
ce point d'origine, et la numérotation des mss doit être modifiée
en conséquence.
Pour procéder à cette rectification, examinons la notation :
jusqu'au numéro 6, les signes pairs sont une dérivation d'un même
type, indépendant des impairs voisins ; à partir de 7, ils se groupent
en dyades de signes analogues, à la fois verticalement et
horizontalement. Deux signes seulement font exception et restent sans
répondants : ce sont les nos 15 et 20. On peut donc présumer que
s'il y a corruption de texte, c'est à partir de ces deux anomalies que
nous en trouverons la clef. Il suffit d'éliminer provisoirement 20 et
de restituer à 15 l'inversion qui lui manque, en remettant la
numérotation en ordre, pour rétablir une succession régulière, selon le
tableau d'équivalence ci-après :
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D APRES ARISTIDE QUINTILIEN 21
MS 3 4 10 11 12
Nos rectifiés 2 3 8 9 10 11
13 14 15 16 17 18 19 (20) 21 22 23 24
12 13 14 15 16 17 18 19 — 20 21 22 23
Ce sont ces nouveaux numéros que, sauf mention expresse,
nous emploierons désormais (ligne 3 de la fig. 1). Cette mise en ordre
une fois effectuée, examinons successivement les dyades paires et
les dyades impaires, après avoir rappelé pour mémoire la
terminologie des dérivations telle que nous la retrouverons pour la notation
classique, chez Alypius et ses émules.

Retourné (ou renverse)

F retourné
Couche V./CTN) Couché

Normal I Inversé

Droit

Droit Couché Retourné retourné


Couché

Normal F L_L_ d ~n

Inversé _LJ
rr fc

Fig. 2. — Principe de dérivation des signes de notation


(signe F pris comme exemple)
22 JACQUES CHAILLEY
1° — Les dyades paires.
Ce sont normalement les signes initiaux de demi-tons, puisque la
seconde octave, qui procède par demi-tons, ne présente que des
dyades paires.

a. La première rangée (numéros pairs).


Il suffît, après la remise en ordre ci-dessus, d'examiner à la suite
les signes pairs de la première rangée (fîg. 1, ligne 4) pour
s'apercevoir qu'ils dérivent directement des 11 premières lettres de
l'alphabet ionien usuel, placées dans l'ordre (fîg. 1, dernière ligne). Quelques
uns d'entre eux sont sans doute corrompus, comme le montre la
comparaison avec les dérivations voisines : les dérivations de 6
montrent qu'il devrait être un gamma normal ; il a été sans doute
déformé cursivement par une graphie sans levée de main analogue
à notre signe de racine carrée ; la forme lunaire de 10, seule dans V
parmi trois autres signes carrés, est inacceptable, car elle double 16'
qui l'a sans doute influencée ; 20 et 21 ont été probablement
intervertis, car c'est 21 et non 20 qui dérive directement du kappa ;
enfin l'identité de 22 et 22' est indéfendable, 22' devrait être le
retournement de 22, à qui il convient de restituer sa forme. Le
résultat de ces rectifications de détail apparaît dans notre fig. 4.
b. La 2e rangée (numéros « primes » pairs).
Elle est le retournement de la première, sauf 14' et 18' qui en
sont l'inversion ; le retournement devient correct après la
rectification faite ci-dessus pour 6, 10, 20 et 22 ; 10', 16' et 20' peuvent être
indifféremment retournement ou inversion. La faiblesse du
pourcentage autorise à corriger dans notre tableau définitif (fig. 4), les
inversions 14' et 18' ; on rectifiera aussi la forme ronde de 14', isolée
au milieu de signes carrés.

2° — Les dyades impaires.

Elles correspondent par déduction aux diésis intercalaires placés


entre les demi-tons.
a. Les trois premières dyades (1, 3 et 5) sont indépendantes et
apparaissent comme des dérivés d'un même signe ; on peut voir
dans celui-ci un souvenir de l'archaïque coppa. Seul 1 en conserve
le crochet au centre ; tous les autres signes le placent latéralement,
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 23
pour en permettre l'inversion. Si on le dispose à gauche sur la forme
droite, 1 le présentera couché-retourné, Γ couché, 3 droit, 3' et 5
retourné, 5' inversé. L'identité de 3' et 5 étant sans doute fautive,
et les deux rangées étant pour 1 et 3 le retournement l'une de l'autre,
on déduit que 5 devrait être lui aussi le retournement de 5', c'est-à-
dire avoir la hampe à gauche et non à droite : les 4 formes deviennent
ainsi correctement différenciées (fig. 4).
b. Dyades impaires 7 à 24. Elles reproduisent le plus souvent
dans les mss la graphie de la dyade paire qui précède selon un
schéma croisé
a N, c
b /X d
dans lequel a = d, b = c.
Cette disposition, génératrice de doublons systématiques, ne
résiste pas à l'examen musicologique. Il paraît quasi certain que les
signes impairs devraient être différenciés des pairs correspondants.
On peut présumer que, b utilisant le retournement de a, c et d
devraient logiquement en utiliser l'inversion. Plusieurs des formes
ainsi dégagées se retrouvent dans le tableau I en rendant
l'hypothèse plausible, et expliquent les confusions probables des scribes
successifs. Compte tenu des formes les plus fréquentes, on peut
poser comme probable, sous toutes réserves, le principe suivant,
dont l'application maladroite expliquerait les anomalies du tableau
et en particulier les doublons fréquents ; ceux-ci en eiïet se
produisent automatiquement quand un signe conserve la môme forme
lorqu'il est indifféremment renversé ou inversé (on a vu que ce cas
était fréquent) ; en un tel cas, les notateurs procèdent en général à
une modification de détail dans la graphie, mais celle-ci peut
disparaître au cours des copies successives ; la double forme de délia dans
les dyades 8-9 en donne un exemple, notre fig. 4 unifie sur la
base de 8, mais il se pourrait aussi que 8-8' aient eu la forme
triangulaire et 9-9' la forme enjolivée ; l'hésitation sur 13' est visible
dans A, où ce signe prend la forme ambiguë que nous reproduisons
fîg. 1, alors que les autres mss en font l'inversion de 12.
Il semble inutile de procéder en détail à l'examen cas par cas :
la comparaison des deux tableaux 1 et 4 est suffisamment explicite.
3° — Le cas du n° 24.
Le n° 24, non rempli dans les tableaux qui précèdent, est annoncé
24 JACQUES CHAILLEY
dans la numérotation des mss comme faisant partie de la première
octave par diésis, non de la seconde. On trouvera dans l'étude de
la 2e octave les éléments d'une possible solution de ce problème.
4° — Conclusion.
La ire octave (par diésis) serait pour les 23 premiers signes de la
ire ligne fondée sur une dérivation des 11 premières lettres de l'alphabet
réparties de 2 en 2 diésis (c'est-à-dire sur les demi-tons de l'échelle,
correspondant aux nombres pairs, le son d'origine n'étant pas compté).
Entre les signes pairs s'intercalent (nombres impairs correspondant
aux diésis intercalaires) soit un signe différent (nos 1 à 5) soit
l'inversion ou le retournement du signe précédent (7 à 23).
La notation de la 2e ligne apparaît, sauf accidents, comme le
retournement ou l'inversion du signe correspondant de la lTe,
produisant de très nombreux doublons avec celte lTe ligne.
Une hypothèse plausible serait qu'il y a eu contamination entre
les deux séries de dérivation. En se basant sur les cas majoritaires,
on proposerait pour un schéma
a v, c
b /X d
a == forme droite directement dérivée du modèle alphabétique,
b = retournement de a.
c = inversion de b.
d = inversion de a.
avec, en cas de doublon, introduction de déformations ou de signes
diacritiques dont plusieurs auraient disparu sans laisser de traces.

Fig. 3. — Schéma suggéré par les manuscrits. Schéma restitué par hypothèse.
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 25

II. Deuxième partie du tableau: V octave par demi-tons

Numérotée de deux en deux de 26 à 48, elle annonce 12 numéros


doubles soit 24 signes, ce qui est le nombre attendu pour compléter
l'octave sans compter le point d'origine (n° 24) commun aux deux
octaves jusqu'à l'octave d'arrivée incluse.
Cependant elle contient non pas 24 mais 22 signes, soit 11 dyades,
dont la deuxième rangée est, comme pour le premier tableau, le
renversement de la première. La seule exception est 28' (inversion)
qu'il faut sans doute rectifier ; 40' et 44' sont plutôt des maladresses
de graphie que des exceptions délibérées. 26', 30', 34', 36', 40' et 42'
sont à volonté retournés ou inversés.
Pas plus que pour la première octave, on ne trouve d'analogie
avec Alypius. Certains signes semblent présenter des doublons
incompréhensibles. Les signes paraissent bien évoquer des lettres ;
mais, contrairement à la lre octave, aucun ordre n'apparaît à
première vue dans l'ordonnance de celles-ci.
Est-ce à dire qu'on ne peut en découvrir? Relevons dans la lre
ligne (la seconde en étant l'inversion ou le renversement) les
dérivations possibles :
M = 46, 1er jambage et linteau concave
Ν = 38, fragment couché

Ο = 34 ou 36, demi-lettre (5)


Π = 28, demi-lettre et trait diacritique
Ρ = 40, couché retourné
2 = 36 ou 34, demi-lettre en graphie lunaire (fi)
Τ = 26 couché
γ = .
φ = 30, fragment couché
X = 44, fragment
Ψ = 42, couché retourné
Ω = 32, tel quel.

(5) On comprend pourquoi il y a deux signes 34 et 36 en apparence


semblables. L'un (disons 34) dérive de Vomicron. L'autre (disons 36) du sigma lunaire.
On doit les supposer, à l'origine, munis d'un signe diacritique servant à les
distinguer, et qui, peu visible, aura disparu dans les copies. On trouvera flg. 4 une
proposition plausible à cet effet.
26 JACQUES CHAILLEY
Chacun des 11 signes présents est donc afïectable à l'une des
13 lettres faisant suite à celles du tableau précédent, et chacune
des 11 lettres mentionnées possède un signe différent. Mais l'ordre
en est profondément perturbé, sans que nous ayons pu trouver de
logique dans cet entremêlement.
La forme de certains signes est sans doute elle aussi corrompue ;
30 semble doubler 17', alors qu'il dérive du phi et non plus du thêta :
34 et 36 ont une apparence identique de sigma lunaire, alors que
si l'un d'eux est effectivement un sigma, l'autre est probablement
un demi-omicron ; 38 est identique à 2 alors qu'il représente sans
doute un début de nu couché, et non, comme 2, un fragment
d'alpha ; 40 dérive de rho et non de coppa comme 2 à qui il ressemble
(le ms. F l'en différencie en plaçant la hampe en haut du cercle) ;
44 enfin ressemblerait à 23' (transportable en 22) sans l'incurvation
de sa hampe. On peut admettre comme certain que l'un au moins
de chacun de ces éléments de doublon, et sans doute de préférence
celui de la 2e octave, devait comporter un détail distinctif qui aura
disparu dans les copies successives, influencées par l'analogie des
signes entre eux.
Deux lettres seulement restent sans attribution : le xi et Γ upsilon.
On peut supposer, par sa forme, que le xi correspondrait au n° 20
du ms. indûment placé dans la lre octave et que nous avons dû en
retirer. Quant à V upsilon on peut supposer une confusion causée par
sa ressemblance avec le khi incomplet n° 44 (voir fig. 4, proposition
de remise en ordre).
Reste l'ordre à attribuer à tous ces signes épars. II est évident
que le dérivé de mu, attendu dans la première octave sous le n° 24
à la suite du dérivé de lambda, doit y prendre place (ms. n° 46) ;
on peut alors admettre que, puisque l'ordre alphabétique était
respecté dans la lre octave, il devait sans doute l'être dans la
seconde. C'est ce que nous faisons dans notre tentative de restitution
définitive (tableau 4), sans nous dissimuler la part d'hypothèses
que comporte cette tentative.
Graphiquement parlant, après remise en ordre des perturbations,
cette notation « archaïque » serait donc entièrement cohérente. Il
ne resterait plus alors qu'à la situer historiquement et à l'interpréter
musicalement.
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 27

IL Étude musicologioue

A. — Dale de la notation. Aristide et Avistoxène.

Aristide, on le sait, présente ses tableaux comme ayant été en


usage chez les «Anciens», αρχαίοι. Mais ailleurs (Mb. 27) il mentionne
les harmonies de Platon comme celles des πανύ παλαιότατοι, des
« très très anciens ». Il y a entre les deux expressions une gradation
qui montre que, dans son esprit, les usages du système par diésis
sont anciens, mais moins que ceux des harmonies platoniciennes ;
ils seraient donc postérieurs au ve siècle. Par ailleurs, la notation
présentée est évidemment antérieure à celle d'Alypius, courante à
l'époque d'Aristide, c'est-à-dire antérieure à la 2e moitié du me siècle
environ (6).
Cependant, les harmonies des « très très anciens » sont notées par
Aristide dans la notation d'Alypius. Y a-t-il là contradiction? Nous
ne le pensons pas. Au sujet de Platon, Aristide présente au passage,
comme une curiosité incidente, la description d'harmonies archaïques
oubliées, que ses lecteurs ignoraient probablement ; ils devaient
donc pouvoir les lire sans effort, et pour cela il fallait les écrire dans
la seule notation qu'ils connaissaient. Gela ne signifie nullement que
cette notation était employée à l'époque de Platon. Dans le tableau
par diésis, au contraire, il s'agit de présenter une échelle entièrement
prévisible une fois son mécanisme annoncé. La transcription n'était
plus nécessaire.
Pourquoi néanmoins avoir gardé la notation archaïque dans ce
seul tableau ? Il ne semble pas que ce soit par souci de nous présenter
cette notation : ce n'est pas celle-ci que l'auteur annonce, mais des
« harmonies ». Il nous en laisse entendre la raison : « les Anciens
inscrivaient leurs cordes dans un diésis » ; or ce n'est pas ce que font
les modernes, puisque leur notation procède par triades et non par
dyades demi-ton/diésis. C'est cette divergence de conception
qu'Aristide entend démontrer. Par elle-même la notation semble
peu l'intéresser, puisqu'il ne l'appuie d'aucun commentaire. Mais
elle lui est nécessaire pour présenter la série des diésis, tandis que
la notation moderne par triades lui suffît pour présenter dans deux

(6) Pour justification de cette datation, voir les deux articles de A. Bataille
et J. Chailley cités note 4.
28 JACQUES CHAILLEY
autres tableaux (Mb. 27) les séries par tons et demi-tons. C'est
presque par surcroît que nous nous trouvons posséder par ce
passage l'un des rarissimes témoignages qui nous soient parvenus
sur cette période si peu connue de l'histoire de la notation (7).
On peut donc avec quelque sécurité, comme on l'a vu, situer vers
le ive siècle les « Anciens » qui se servaient de la notation par diésis
dont Aristide, quelque 500 ans plus tard, nous laisse un spécimen.
Cette notation serait donc contemporaine d'Aristoxène. Or Aris-
toxène nous parle de la notation, en un passage (Mb. 39) qui n'a été
jugé « le plus obscur des Éléments Harmoniques » (8) que parce que
ses commentateurs se sont entêtés, tout comme pour notre
diagramme, à vouloir l'appliquer à la notation d'Alypius, sans
s'apercevoir d'une incompatibilité pourtant évidente.
La notation qu'Aristoxène décrit est une notation d'intervalles,
comme nous avons constaté que devait l'être la nôtre : « la seule
nécessité pour le notateur est de connaître la grandeur des
intervalles : Έστιν άναγκαΐον τω παρασημαινομένω μόνον τα μεγέθη
τών διαστημάτων διαισθάνεσθαι. En effet, celui qui pose les signes
des intervalles, σημεία τών διαστημάτων, ne pose pas un signe
spécial pour chacune des variétés qu'ils présentent (9) ; par
exemple, il se trouve dans la quarte (Mb. 40) plusieurs divisions qui
produisent les variétés des genres ; ou bien un changement dans
l'ordre des intervalles incomposés crée plusieurs schémas (10). Nous
en dirons autant des fonctions (δυνάμεων) que motivent les natures
des tétracordes. »

(7) Λ rapprocher de Meib. 28 (W. I. p. 28 fin de paragraphe XI) où Aristide


expose que les παλαιοί se servent de Venklysis de 3 diésis montants, du spondiasme
de 3 diésis descendants, de Vekbolê de 5 diésis descendants. Ces intervalles
exigent donc une échelle par diésis pour ces παλαιοί, qui seraient, pour Aristide,
les contemporains d'Aristoxène tandis que ceux de Platon seraient les πανύ
παλαιότατοι.
Nous attendons avec intérêt l'étude que prépare Mme Jourdan-Hemmerdinger
sur une éventuelle notation par points qui serait, si sa thèse est justifiée, encore
antérieure à la nôtre : celle-ci représenterait en ce cas une étape intermédiaire
entre la notation par points et celle d'Alypius.
(8) Ruelle, Aristoxène, trad. p. 62, n° 3. Cf. Laloy, Arisloxcne de Tarenle,
p. 115.
(9) Et non « des différences qu'ils ont entre eux » comme Ruelle traduit
τών ένυπαρχουσών αύτοΐς διαφορών. Ce même mot διαφορά est rendu par
« variété » dans la phrase suivante.
(10) Σχήμα désigne la décomposition d'un intervalle en intervalles plus
petits.
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECOUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 29
Ce qui signifie : la notation pose des signes d'intervalles sans se
préoccuper du sens grammatical des sons qu'ils motivent. Or un
même intervalle peut avoir des significations très différentes. Par
exemple, dans un tétracorde, une tierce majeure n'a pas le même
sens si l'on divise la quarte selon des genres différents : en
enharmonique, c'est un incomposé formé (en descendant) des sons 1 et 2 ;
en chromatique et en diatonique, un composé formé de 1 et 3 ; dans
ces différents cas la fonction des degrés (leur « dynamis ») n'est pas
la même.
« Ce qui appartient à l'hyperbolée, à la mèse et à l'hypate, continue
Aristoxène, est écrit par le même signe (11) ; ces signes ne
déterminent pas les variétés des fonctions, parce qu'ils ne sont en rien
un élément dans la compréhension d'ensemble de la grandeur de ces
intervalles, on a dit pourquoi au début. » (Après quoi l'auteur
développe longuement son grief sans ajouter d'éléments nouveaux).
Nous allons peut-être maintenant comprendre enfin le sens de ce
passage, devant lequel tous les commentateurs ont déclaré forfait.
Le reproche est le même que ci-dessus ; on pose les signes des
intervalles sans se préoccuper de savoir s'il s'agit du tétracorde de
l'hyperbolée (disjointes), de la mèse (conjointes) ou de l'hypate
(moyennes), c'est-à-dire des trois seuls tétracordes que connaît
Aristoxène (12).
En outre, celui-ci venait, juste avant ce passage (Mb. 38), de
lancer une diatribe contre ceux qui emploient l'échelle catapycnosée
(par quarts de ton) ; car elle est « antimélodique et en tous points
d'un mauvais emploi ». Il s'agissait alors de l'échelonnement des
tons, mais on y retrouve aussi l'allusion à cette échelle de notation
par diésis qu'il réprouve et que décrit opportunément Aristide :

(11) On ne développera pas ici la longue querelle qui s'est instaurée autour
de la traduction de ce passage ; l'explication de H. Potiron (Revue de
Musicologie, déc. 1964, p. 223-224) résout la difficulté de façon pertinente, sans rien
changer au texte. Il s'agit des 3 tétracordes (les seuls connus d'Aristoxène)
bornés au grave par les trois degrés ainsi désignés ; hypate (tétracorde des
moyennes), mèse (tétracorde des conjointes), hyperbolée ; ce dernier terme n'a
sans doute pas le même sens qu'il prendra plus tard : à l'époque d'Aristoxène
c'est un hapax ou du moins un néologisme, désignant sans doute la nouvelle
paramèse dans le système octocorde, donc le tétracorde des disjointes.
(12) Ce qui ne signifie pas forcément, comme nous l'avions cru jadis avec
d'autres, une notation tétracordale répétant les mêmes signes pour chaque
tétracorde.
30 JACQUES CHAILLEY
peut-être même cette idée fournit-elle la transition, par élément
commun, entre les deux passages, qui se font suite. Ils témoignent
d'ailleurs de la même mauvaise humeur qui les apparente.
En somme, on pourrait résumer Aristoxène en disant qu'il
mentionne avec fort peu d'intérêt une notation d'intervalles (13), à
laquelle il reproche de rendre compte de façon purement mécanique
de la « grandeur des intervalles » sans se préoccuper de la valeur
analytique des sons qu'ils déterminent.
Il ne nous en dit malheureusement pas plus à ce sujet, mais le peu
qu'il nous dit n'est absolument pas applicable à la notation d'Aly-
pius.
Reportons-nous maintenant à Aristide. Cinq siècles environ plus
tard, il décrit, en l'attribuant aux Anciens, une notation par
intervalles différente de celle de son époque (celle d'Alypius), présentant
tous les caractères ci-dessus, et dont le contexte démontre qu'il
devait la situer à l'époque d'Aristoxène. Il y a donc toute apparence
que la notation présentée par Aristide soit la même que la notation
décrite par Aristoxène.
Les deux textes confrontés s'éclairent mutuellement et
représentent pour nous les seuls témoins d'une notation archaïque qui dut
précéder d'un siècle environ la notation classique que nous
connaissons bien. Même si les données qu'on en tire restent fragmentaires
et parfois fragiles, l'étude en est donc d'un très grand intérêt.

B. — Signification musicale.

On doit se demander d'abord ce que représente la 2e rangée de


signes, reproduisant la lre en inversion. Est-ce, comme on l'a
toujours cru, une notation instrumentale adjointe à la vocale?
Cette idée, née par assimilation avec la notation d'Alypius, n'est
guère soutenable. On comprend très bien l'utilité, dans cette matière
de distinguer une notation par triades basées sur un doigté — ce qui
est le principe de l'instrumentale — d'une notation vocale qui n'a

pas besoin de ce doigté, est même gênée par lui, et cherche simple-

(13) Selon Ruelle (p. 63, n° 2), la remarque selon laquelle Aristoxène décrit
une notation d'intervalles et non de sons aurait déjà été faite par Meibom (chez
qui nous ne l'avons pas retrouvée) ; mais pas plus Ruelle que Meibom n'ont su
aller jusqu'au bout de leur raisonnement et envisager qu'il pût s'agir d'autre
chose que de la notation d'Alypius (qui n'est pas une notation d'intervalles.)
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 'ΛΙ
ment à numéroter les sons —- ce qui est le principe de la vocale.
On ne voit pas du tout, par contre, à quoi servirait de renverser tous
les signes de la vocale pour les exécuter instrunientalement ou vice-
versa.
Une notation par intervalles, par contre, si telle est bien la nôtre,
a besoin de deux signes par intervalle ; suivant que l'intervalle monte
ou descend. De l'idée d'inversion du mouvement pouvait naître
assez facilement l'idée d'inversion des signes.
Sans disposer d'éléments permettant une affirmation véritable,
il semblerait assez tentant de supposer que l'une des rangées désigne
les intervalles ascendants, l'autre les intervalles descendants
correspondants. On ne peut avec certitude préciser laquelle, mais
un argument au moins permettrait de penser que la lre rangée doit
être descendante : c'est que dans la vocale alypienne qui lui a
succédé, les mêmes lettres de l'alphabet — - sans dérivation cette
fois — servent pour l'octave descendante. C'est dans la lre rangée
que se trouvent, sur les numéros pairs (rectifiés) désignant les sons
principaux (et non les intercalaires), les dérivations apparemment
premières de la suite de l'alphabet.
La difficulté la plus grave était celle des doublons systématiques
dans chaque dyade du signe pair d'une rangée avec l'impair
de l'autre. On ne peut admettre par exemple que, dans la dyade 6-7,
le même signe gamma désigne à la fois la tierce mineure dans un
sens et la tierce mineure augmentée d'un diésis dans l'autre.
Nous n'avons jusqu'à présent trouvé aucune explication musicale
qui puisse justifier le principe de ces doublons. C'est pourquoi nous
avons, dans l'étude graphique, proposé une hypothèse qui, sans
pouvoir se présenter avec certitude, en permet l'élimination avec
quelque vraisemblance. Rappelons-nous que lorsque Aristide
reproduit cette notation, il s'agit déjà d'un système oublié vieux de
500 ans, et que cette reproduction elle-même ne nous est parvenue
que par des copies faites 1500 ans plus tard.
Il ne resterait plus dès lors qu'à expliquer l'abandon des diésis
dans la 2e octave. Cela ne présente pas de grosses difficultés. On ne
devait guère avoir l'occasion, dans la réalité, de pratiquer des
intervalles supérieurs à l'octave, et surtout des intervalles faisant
intervenir l'addition d'un diésis, d'autant plus qu'au ive siècle le
système ne dépassait pas encore l'octave. La 2e octave serait proba-
32 JACQUES CHAILLEY
blement une abstraction sur diagramme, faite pour remplir la
double octave ultérieure et surtout pour épuiser les 24 lettres de
l'alphabet.
Les demi-tons suffisaient pour ce dessein. Aristide d'ailleurs est
coutumier du fait, lui qui, dans son tableau de la notation alypienne
(Mb. 27), ajoutait au grave 3 signes inemployés, pour le plaisir
d'achever l'alphabet (14).

III. Essai de restitution définitive

Un tel essai ne peut être qu'hypothétique, et nous ne le tentons


qu'à titre de curiosité — sa justification apparaissant dans les pages
qui précèdent.
Une fois toutes les anomalies décelées remises en ordre, on
aboutirait au tableau ci-après (fig. 4). On y indique par un astérisque
les doublons qui, vraisemblablement, devaient être distingués les
uns des autres par un détail diacritique disparu (nous en suggérons
un exemple pour le doublon 30-36). Le tableau est entièrement
régulier et respecte en tout le schéma de la fig. 3. La comparaison
avec la fig. 1 montre que si les corrections aux mss sont relativement
nombreuses, aucune cependant n'est arbitraire, de sorte que même
si l'on conteste telle ou telle d'entre elles (ce qui est toujours possible)
la cohérence du système n'en semble pas moins acquise.

Conclusion

Nous ne nous dissimulons pas la part d'hypothèses que contient


notre étude. Du moins espère-t-elle démontrer que la notation des
« Anciens » conservée par Aristide, contrairement à ce que l'on a dit
trop souvent, présente tous les caractères d'un témoignage sérieux
basé sur l'existence d'un système homogène, parvenu jusqu'à nous
avec de sérieuses perturbations, mais laissant deviner malgré
celles-ci un ensemble cohérent.
Cette notation, qui aurait été en usage vers le — -ive siècle, serait
peut-être celle dont parle Aristoxène. Elle serait une notation
d'intervalles et non de degrés. Chaque intervalle serait figuré par

(14) Celui-ci, chez Alypius, s'arrêtait au dérivé du phi, parce qu'aucun


trope n'employait de sons plus graves ; Aristide lui ajoute les dérivés du khi, du
psi et de Vomêga.
LA NOTATION ARCHAÏQUE GRECQUE D'APRÈS ARISTIDE QUINTILIEN 33

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Fig. 4. — Essai de restitution hypothétique.


L'astérisque signale les signes retouchés ; entre parenthèses, les doublons
dont le signe diacritique a disparu ; entre crochets, les manquants restitués à
partir de leurs dérivations.

REG, LXXXVI, 1973/1, n°* 409-410.


34 JACQUES CHAILLEY
un signe dérivé d'une des lettres de l'alphabet ionien, placées de
demi-ton en demi-ton. Ce même signe inversé ou retourné
signifierait probablement une inversion du sens de l'intervalle (de
montant à descendant, ou vice versa). Il semble plausible de supposer
que c'est le retournement qui indiquerait cette inversion de sens.
Après chacun des signes ci-dessus répartis par demi-tons aurait
pris place un signe intercalaire, destiné à désigner le quart de ton ou
diésis intermédiaire. Ce signe aurait été, jusqu'à la tierce mineure,
un dérivé du coppa archaïque, puis, à partir de la tierce mineure,
une nouvelle modification du signe principal ; une erreur
d'interprétation ou de copie aurait fait reproduire en cet endroit, dans les
mss qui nous sont parvenus, la même inversion que pour le
changement de sens, de sorte que les signes de diésis intercalaires nous
paraissent doubler les précédents, alors qu'ils devraient en être de
nouveaux dérivés. On présume qu'il s'agit de l'inversion des signes
précédents, avec des déformations diacritiques (parfois disparues
en cours de transmission) pour éviter les éventuels doublons. Il est
peu probable qu'on se soit servi de signes de ce genre au-delà de
l'octave, et de fait le tableau copié par Aristide n'est complet avec
ses diésis que dans l'ambitus d'une octave.
Mais comme le système complet couvrait la double octave, on
aurait sans doute voulu compléter cet ambitus en poursuivant les
dérivations alphabétiques sur la seconde octave, sans s'arrêter cette
fois aux diésis intercalaires. Cette seconde partie de tableau nous
est parvenue assez mutilée, mais on y retrouve dans un ordre
brouillé tous les signes de l'alphabet qui manquaient à la lre octave.
Cette notation aurait probablement pris naissance
postérieurement à l'époque platonicienne et aurait duré au maximum une
centaine d'années. Elle aurait été supplantée dans la 2e moitié du
— me siècle par la double notation vocale-instrumentale décrite
par Alypius et les autres théoriciens (y compris Aristide lui-même).
La notation nouvelle utilise comme la précédente les lettres de
l'alphabet et leurs diverses dérivations, mais sur des principes
différents. Naturellement elle ne devrait pas être confondue avec
la notation « des Anciens » dont le passage d'Aristide ici étudié
(qui se recoupe avec les critiques adressées par Aristoxène à la
notation de son temps) constitue le seul témoignage technique qui nous
soit parvenu.

Jacques Ghailley.

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