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Revue des Études Grecques

L'hexatonique grec d'après Nicomaque


Jacques Chailley

Résumé
Les divers passages du traité de musique où Nicomaque de Gérase décrit l'ancien heplacorde qui aurait précédé l'octocorde
diatonique classique n'ont pas été expliqués. Ils sont obscurs et parfois contradictoires. La conclusion du présent article est la
suivante : Nicomaque, de son propre aveu, connaît deux traditions différentes et se réfère tantôt à l'une, tantôt à l'autre. D'après
la première, l'heptacorde ancien est identique au système conjoint classique (mi à ré avec si bémol), d'où deux notes ajoutées :
si bécarre entre si bémol et do. mi aigu pour compléter l'octave, le si bémol disparaissant du nouveau système disjoint. D'après
la seconde, c'est une octave defective de mi à mi avec un degré manquant ; mais sur la détermination de ce degré, il y a encore
flottement, car on peut comprendre tantôt do et tantôt si. bécarre. La conclusion est qu'il s'agit bien du si bécarre. L'ancien
hexatonique grec serait donc mi- fa-sol-la-do-ré-mi, c'est- à-dire les 6 premiers produits du cycle régulier des quintes, ce qui est
conforme à la fois aux principes pythagoriciens et aux récentes théories générales de l'ethno-musicologie et de la philologie
musicale.

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Chailley Jacques. L'hexatonique grec d'après Nicomaque. In: Revue des Études Grecques, tome 69, fascicule 324-325,
Janvier-juin 1956. pp. 73-100;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1956.3426

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1956_num_69_324_3426

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L'HEXATONIQUE GREC D'APRÈS NICOMAQUE

L'idée que la musique grecque devait être réétudiée en


fonction non des concepts classiques ultérieurs, mais de la
musique asiatique aujourd'hui encore vivante, jadis suggérée
par Fétis, n'a été prise au sérieux qu'en une période
relativement récente (Curt Sachs). Nous l'avons reprise et transformée
dans notre cours de Sorbonne en l'étendant à l'ensemble des
phénomènes révélés par l'ethnologie musicale; ceux-ci en effet
nous semblent de nature à rendre compte de l'évolution de la
musique universelle, où l'étude des systèmes de moins de 7
notes, véritables couches de stratification de la formation du
langage musical, tient une place primordiale.
Parmi ces systèmes, dits à tort défectifs (car il s'agit
d'additions successives de sons, et non de retranchements à partir
d'un tout déjà formé), la suite naturelle des systèmes issus du
cycle des quintes joue un rôle essentiel. A partir d'un son
quelconque que nous pourrons nommer arbitrairement fa
apparaissent successivement le ditonique fa-do, le tritonique fa-do-sol
(d'où fa-sol-do ou do- fa-sol), le tétra tonique fa-do-sol-ré (d'où
fa-sol-do-ré, sol-do-ré fa, etc.), le pentatonique fa-do-sol-ré-la
(d'où fa-sol-la-doré, etc.), l'hexatonique fa-do-sol-ré- la-mi
(gammes sans triton, absence de si), enfin notre heptatonique
classique bien connu. Chacune de ces échelles est amplement
attestée par lelhnologie musicale. Mais le cycle des quintes
s'arrête ici, car le chromatisme au sens classique s'introduit
par des voies toutes différentes, et, à partir du 8e son du cycle,
tout témoin fait brusquement défaut.
74 JACQUES CHA1LLEY

La musique grecque classique emploie l'heptatonique, sous


sa forme directe issue du cycle des quintes (diatonique) ou
déformée (chromatique, enharmonique). Si elle se plie aux
principes généraux que Ton peut relever un peu partout, on doit
normalement s'attendre à ce que cet heptatonique soit issu, par
l'addition d'un degré, d'un ancien hexatonique, dont la forme
la plus naturelle, issue des cinq premières quintes, serait la
gamme sans triton, avec absence du si, et c'est ce si qui devrait
former le « degré ajouté » d'où résultera l'heptatonique.
Cet hexatonique lui-même serait normalement formé d'un
ancien pentatonique de 4 quintes : fa-do-sol-ré-la, soit l'une des
formes fa-sol-la-do-rè-fa, sol-la-do-ré-fa-sol, la-do-ré-fa-sol-la,
do-ré-fa-sol-la-do, ré-fa-sol-la-do-ré ou leurs transpositions,
auquel viendrait s'ajouter un demi-ton mi-fa pour former l'he-
xatonique.
A son tour, le pentatonique de 4 quintes serait normalement
formé d'un ancien tétratonique de 3 quintes fa-do-sol-ré, soit
l'une des formes fa-sol-do-ré-fa, sol-do-ré-fa-sol, do-ré-fa-sol· do,
ré-fa-sol-do-ré ou leurs transpositions, avec addition d'un
nouveau son.
De même le tétratonique de 3 quintes serait normalement
formé d'un ancien tritonique de 2 quintes fa-do-sol, d'où fa-sol-
do-fa, do-fa-sol-do, sol-do-fa-sol ou leurs transpositions, avec
addition d'un nouveau son.
On remonte ainsi jusqu'au ditonique quinte -f- quarte, et
même (mais en théorie seulement) jusqu'à l'octave pure.
Tel est le raisonnement spéculatif (1). Encore faut-il, pour

(1) Nous l'avions exposé dès 1950 dans notre contribution à un Guide de
Musique préparé par les éditions Bordas et non paru à ce jour ; mais notre article de
1950 a été publié sans retouches par YÉducation Musicale de Janvier à
Novembre 1954. Nous en avons ensuite présenté un résumé dans notre communication
au Congrès de Musicologie d'Utrecht en 1952 et un nouveau développement la
même année à l'internationaler MusikKongress de Vienne (publié en allemand
dans Musikerziehung). Cette même théorie a depuis fait l'objet d'un article
extrêmement documenté de M. Constantin Brailoiu, Sur une mélodie russe, paru
dans les mélanges Musique russe, IT, P.U.F., 1953 et appuyé exclusivement sur
l'ethnologie musicale. Son développement est inclus dans notre actuel cours
l'hexatonique grec d'après nicomaque 75

-qu'il prenne quelque valeur, qu'il soit confirmé par des faits
ou des témoignages.
Ces témoignages sont nombreux et concordants dans le
domaine de l'ethnologie musicale, qui s'étend de jour en jour
grâce à la multiplication des enregistrements. Or, je suis de
plus en plus persuadé que c'est par la confrontation de la
musique grecque antique avec ces documents, et non, comme on
l'a presque toujours fait, avec la musique postérieure
occidentale, grégorienne ou classique, que l'on doit parvenir à sa
compréhension et à sa connaissance.
En ce qui concerne en particulier les systèmes primitifs dits
défectifs (j'évite à dessein d'employer le mot « mode », sur
lequel je me réserve de revenir prochainement), nous sommes
frappés d'une étroite coïncidence entre les documents
ethnologiques et les témoignages des théoriciens grecs sur les
traditions de leur passé.
L'histoire bien connue de l'accroissement progressif du
nombre des cordes de la lyre ne serait-elle pas la projection exacte
de cet accroissement progressif des notes du système selon le
cycle des quintes que nous confirme l'ethnologie? Si l'ancien
tricorde de la lyre à 4 sons est bien identique au « corps de
l'harmonie » demeuré vivant sous forme de « notes fixes », soit
mi-la-si-mi (en hauteurs relatives, rappelons-le une fois pour
toutes), il coïncide avec le tritonique régulier de 2 quintes (mi-
la-si-mi = do-fa-sol-do). Nous manquons, semble-t-il, de
témoignages sur le tétratonique intermédiaire, mais nous en
avons sur le pentatonique. Nous n'en entreprendrons pas ici
l'étude, qui a souvent été faite ; mais nous signalerons que, si
Reinach (1) (Mus. Gr. p. 16) traduit par mi-do-si-la- fa-uni le
témoignage du pseudo-Plutarque à ce sujet (De Musica, chap.
Il de l'édition Lasserre, 1954), ce dernier commentateur con-

public de Sorbonne, Formation et transformations du langage musical, qui


s'échelonnera sur 3 ans, et dont la lte partie (cours 1954-55 : échelles et intervalles)
«st publiée d'après la sténographie par le Centre de Documentation Universitaire.
(1) Théodore Reinach, La Musique grecque, 1926.
76 JACQUES CHA1LLEY

clut à ré-do-la-sol-fa-ré (p. 161), c'est-à-dire à un pentatonique


régulier sans demi-tons issu des 4 quintes fa-do-sol-ré-la.
Si M. Lasserre a raison, le cycle est donc amorcé
normalement. On s'attend dès lors qu'il se poursuive par un hexato-
nique du même principe, à savoir une gamme à un seul demi-
ton, sans triton, qui, dans le système fondamental hellénique
de mi, s'exprimerait en montant par mi-fa-sol-la-do-ré-mi, avec
défection du si.
Or c'est bien à cette conclusion que nous a mené l'étude des
chapitres où Nicomaque de Gérasa, théoricien que l'on situe
généralement au ne s. de notre ère, aborde cette question (1).

I. — Le premier passage où Nicomaque fasse allusion à une


gamme restreinte est le chap. Ill de la traduction Ruelle, §§
ΙΟΙ 8 (Mb 6-7). Il n'en relève pas le caractère archaïque, et se
borne, en comparant les sons aux planètes, à en donner une
nomenclature précisant leur place respective (2) :
nète (Lune)
paranète (Vénus)
paramèse (Mercure)
mèse (Soleil)
hypermèse ou lichanos (Mars)
parhypate (Jupiter)
hypate (Saturne)
A propos de la mèse, il précise : « L'astre le plus central,
qui est le Soleil, placé le quatrième à partir de chaque extrême,
devient l'origine de la mèse, placée à l'intervalle de quarte de
l'un et de l'autre (son extrême) dans l'heptacorde antique, de

(1) Texte grec ap. Meibom, Antiquae musicae auclores seplem, 1652 (avec
traduction latine) et Karl Jan, Musici scriptores Graeci, 1895 (coll. Teubner), pp. 237-
282. Trad, française et notes par Ch. Em. Ruelle, 1881. L'abréviation Mb. renvoie
au texte de Meibom. La numérotation des chapitres est celle de Ruelle.
(2) Peu importe que dans le fragment donné par Ruelle p. 46 il reprenne cette
nomenclature inversée : cela ne touche pas au problème qui nous occupe.
l'hexatonique gkec d'après nicomaque 77

même que le Soleil parmi les sept planètes est au quatrième


rang à partir de chaque astre extrême, puisqu'il occupe le point
moyen ».
En posant mèse = la par hypothèse (convention de Beller-
mann) et en nous interdisant toute traduction étrangère à
notre texte, nous obtenons :
H PH L M PM PN Ν (1)
mi ? ? la ? ? ré
Tableau 1
II ne peut donc s'agir ici d'un système défectif, puisque nous
avons 7 noms, dont trois identifiés, pour un système défini
comme heptacorde. Nous appellerons une fois pour toutes ce
système « heptacorde n° 1 » ou « heptacorde conjoint ». Il
suppose en effet expressément qu'il n'y a, du moins en
diatonique, aucun intervalle supérieur à 1 ton, donc aucune défection
par rapport à l'heptatonique.

II. — Au chap. V, §§ 24-25, (Mb 9-10), nous trouvons ce qui


suit : « Pythagore est le premier qui — pour éviter que, dans
la conjonction, le son moyen comparé aux deux extrêmes offrît
l'unique consonance de quarte différenciée, d'une part avec
l'hypate, d'autre part avec la nète, et pour obtenir que nous
puissions envisager une théorie plus variée et que les extrêmes
produisent en eux la consonance la plus satisfaisante, c'est-à-
dire celle de diapason (octave) qui comporte le rapport double,
ce qui ne pouvait avoir lieu avec les deux tétracordes existants,
— intercala un huitième son, qu'il agença entre la mèse et la
paramèse et qu'il fixa à la distance d'un ton entier de la mèse,
à uu demi-ton de la paramèse (υιεταξυ [/.έσης καΐ παράθεσης ένάψας
καΐ άποστήτας άπα της jjlsv uia-ης όλον τόνον, άπο δε της παραίνεσης
ή[Λΐτόνιον). De cette façon, la corde qui représentait
antérieurement la paramèse dans la lyre heptacorde est appelée encore

(1) Abréviations : H, hypate — Pli, parhypate — L, lichanos — M, mèse —


PM, paramèee — 7V, trite — PN, paranète — N, nète — aj. corde ajoutée — T,
ton — -1/2, demi-ton — P>\ proslambanomène.
78 JACQUES CHA1LLEY

trite (troisième) à partir de la nète et occupe néanmoins cette


position ; tandis que la corde intercalée se trouve la quatrième
à partir de la nète et sonne la quarte avec elle, consonance que
faisait entendre dans le principe la mèse avec l'hypate.
« Le ton placé entre ces deux sons, la mèse et la corde
intercalée, qui reçut le nom de l'ancienne paramèse, selon qu'il est
adjoint à l'un ou à l'autre des deux tétracordes, tantôt plus
nétoïde, adjoint au tétracorde du côté de l'hypate, tantôt plus
hypatoïde, adjoint à celui du côté de la nète, fournira la
consonance de quinte, qui constitue des deux côtés un système
formé du tétracorde lui-même et du ton additionnel. C'est ainsi
que le rapport sesquialtère de la quinte est reconnu comme la
somme du sesquitiers (quarte) et du sesquioctave (ton) » .
Ruelle (s'appuyant sur Meibom) explique ce passage par un
tableau que, en le dépouillant de son inutile transposition, nous
pouvons résumer comme suit :
mi fa sol la sib sit! do ré mi
Heptacorde ancien Β PH L M PM - Tr PN Ν
Octocorde moderne H PH L M PM Tr PN Ν
Tableau 2
Ce tableau est en contradiction formelle avec le texte, qui
nous dit en propres termes que le son nouveau fut intercalé
« entre la mèse et la paramèse, à un ton de la mèse et un demi-
ton de la paramèse ». La mèse est connue : c'est ία par
hypothèse. Impossible de traduire autrement ce son nouveau que
comme un si \. D'où nous déduisons que la paramèse
antérieure ne pouvait être qu'un do, et qu'il y avait autrefois entre
mèse et paramèse un trihémiton incomposé la-do. Il sera du
reste fait mention de façon formelle de ce trihémiton
incomposé au passage IV ci-après (Gh. IX § 43).
D'où une constatation formelle : il ne peut s'agir ici du même
heptacorde que dans le passage précédent, où il n'y a pas place
pour un tel intervalle. Nous désignerons le système ici en cause
comme « heptacorde défectif » ou n° 2.
Et, du même coup, une observation fondamentale : Nico-
l'hexatonique grec d'après nicomaque 79

maque parle, à peu de distance, de deux systèmes différents


sous la môme étiquette d' « heptacorde ancien », sans nous
prévenir qu'il passe de l'un à l'autre. Procédé qui deviendra
nettement explicite dans les passages IV et V, et que l'on ne devra
jamais perdre de vue.
Ce procédé est peut-être la clef de la contradiction la plus
troublante de ce passage. Car, si nous prenons à la lettre d'une
part ce qui vient d'être traduit, d'autre part ce qui nous est dit
sur le rapport de quarte entre Η-Met M-N, nous devrons poser
pour l'heptacorde ancien, avant Intercalation :
H M PM Ν
mi (fa sol) la do ré
Tableau 3
ce qui nous donne 6 sons et non pas 7. Mais comme il nous est
dit que « la corde intercalée (si%) se trouve la 4me à partir de
la nète et sonne la quarte avec elle », nous devons comprendre
Ν = mi, et non plus ré comme dans le tableau n° 3. La
contradiction est plus flagrante encore si nous lisons le texte lui-
même : Pythagore, dit Nicomaque, « voulut éviter que dans le
système conjoint le son du milieu [la par hypothèse) ne donnât
avec les extrémités du système, hypate et nète, une unique
consonance de quarte, comme cela se faisait avant lui. Pour
cela il intercala un huitième son qu'il plaça entre la mèse et
la paramèse, etc. » Ce n'est pas un 8me son, mais un 7me, et ce
n'est pas en intercalant une note entre mèse et paramèse qu'on
déplace la nète, ce qui est nécessaire pour obtenir l'octave
entre les extrémités du système. On eût attendu une phrase
dans le genre de celle-ci : « Pour cela, il ajouta un son à l'aigu,
consonant à l'octave avec l'hypate, à la quinte avec la mèse.
Ensuite il intercala un 8me son, etc. »
Or Nicomaque ne dit rien de tel. Du déplacement de la nète,
il ne souffle mot, pas plus qu'au passage V il ne soufflera mot
de la transformation des conjointes en disjointes ; il passera
d'un système à l'autre en oubliant complètement de prévenir.
De même encore, au passage IV il se contredira d'une phrase à
80 JACQUES CHAILLEY

l'autre, semblant d'abord faire sienne la référence à l'hepta-


corde n° 1, puis reviendra sur ce qu'il a dit, en parlant de
l'heptacorde n° 2 et en laissant entendre qu'il parlage l'opinion
qui le contredit.
Dès lors, nous pouvons penser qu'ici aussi, et de la môme
façon, il mélange les deux systèmes. En parlant de la
consonance antérieure de quarte entre hypate et nète, il songe à
l'heptacorde n° 1, conjoint, dans lequel effectivement Ν = ré,
d'où H-M = mi-la, M-N = la-ré, soit deux quartes. Mais,
dans la phrase suivante, il fait allusion à l'autre système,
disjoint, et décrit l'intercalation dans ce système disjoint. Il
confond les deux systèmes sans s'apercevoir qu'il présente ainsi
comme heptacorde un système de 6 notes. Tant qu'il appelle
nète le ré aigu, le do placé entre mèse et nète est à la fois para-
mèse et paranète (il sera dénommé ainsi au passage IV), tandis
que, si nous rétablissions les 7 notes en nous basant seulement
sur ce qui est propre au système n° 2, nous obtiendrions sans
doute :
H M PM PN Ν
Mi (fa sol) LA DO (ré mi)
Tableau U
ce qui nous expliquerait pourquoi il n'est pas fait mention du
déplacement de la nète. Mais il est évident que Nicomaque ne
pousse pas le raisonnement jusque là. Pourquoi ? Nous en
aurons l'explication au passage IV.
Heprenons donc le passage II en l'expliquant à mesure :
« De cette façon, dit Nicomaque, la corde qui représentait
autrefois la paramèse (do) dans la lyre à 7 cordes est
aujourd'hui appelée trite et est bien la 3me à partir de la nète ». Ceci
est conforme en effet au système classique disjoint bien connu
(noté en descendant) :
mi ré do si la sol fa mi

Ν PN Tr PM M L PH H
i 2 3 4
Tableau 5
L HEXATONIQUE GREC L>APKÈS NICOMAQUE 81

« La corde intercalée (si) se trouve la 4me à partir de la nète


(mi aigu) et sonne la quarte avec elle, comme le faisait dès le
début la mèse (la) avec l'hypate (mi grave). Le ton placé entre
la mèse (ία) et la nouvelle corde (si) fournit du côté de l'hypate
une quinte (mi-si) formée du tétracorde (mi grave-ία) + ton
nouveau, du côté de la nète une quinte ία-mi formée du
tétracorde (si-mi) -f- ton nouveau ». Tout ceci est exact et confirme
que la corde intercalée est bien le si t|.

III.— Au chap. VII, § 34 (Mb 13-14), Nicomaque, ayant


raconté la découverte des rapports par Pythagore selon le genre
diatonique, décrit celui-ci comme suit : « 1/2 ton, 1 ton, 1 ton,
ce qui forme un système de quarte » ; nous traduisons (en
montant) :
i/2 τ τ
Ml ! FA SOL LA
i

Tableau 6
« Puis, par l'adjonction d'un autre ton, c'est-à-dire le ton
intercalé, il en résulte le système de quinte composé de 3 tons et
d'i/2 ton ». En effet
4/2 Τ Τ Τ
ΜΙ FA SOL j LA SI intercalé
i 1 ι
Tableau 7
Une fois de plus, nous notons que c'est le son intercalé qui
apporte la quinte mi-si, donc que ce son ne peut êlre que si.
« Viennent ensuite 1/2 Τ Τ, autre système de quarte, c'est-
à-dire sesquitiers ». En effet :
1/2 Τ Ϊ
(SI) DO RE ! MI

Tableau 8
« En effet, dans la lyre heptacorde, antérieure à celle-ci, tous
les 4mes sons à partir du plus grave consonnaient toujours entre
eux à la quarte, le demi-ton occupant tour à tour, par suite
KEG, LX1X, 1956, u» 324-3+5. 6
82 JACQUES CHA1LLEY

de son déplacement, le premier degré, le degré moyen et le


troisième du tétracorde ; tandis que dans la lyre
pythagoricienne, dite octocorde, tantôt, — dans le cas de la
conjonction, — il y a un système composé d'un tétracorde et d'un
pentacorde, tantôt, — dans le cas de la disjonction, — deux
tétracordes étant séparés l'un de l'autre par l'intervalle d'un
ton, la progression aura lieu, à partir de la corde la plus grave,
de telle façon que tous les cinquièmes sons consonnent entre
eux à la quinte, le demi-ton occupant tour à tour quatre degrés
différents, le premier, le second, le troisième et le quatrième ».
Traduisons ce qui concerne la lyre heptacorde (l'octocorde
nous étant connu) :
a) consonance à la quarte de tous les 4mes sons :

MI FA SOL LA SI b DO RE

Tableau 9
b) Place du 1 /2 ton dans le tétracorde :

Premier degré

Degré moyen

Troisième degré fa sol SIb


Tableau 10
On voit qu'il ne peut s'agir ici de l'heptacorde n° 2, mais
seulement de l'heptacorde n° 1, qui se trouve ainsi précisé et se
trouve concorder avec le système conjoint du grand système
parfait.

IV. — Au chap. IX, §§ 43-44 (Mb 17-18), nous revenons


sur cette question de l'ancienne lyre heptacorde.
Nicomaque^cite d'abord, à propos de « la plus haute
antiquité », un passage de Philolaos décrivant, avec l'ancienne
terminologie (syllabe = quarte, dioxie — quinte, etc.), Tin-
l'hexatonique grec d'après nicomaque 83

tervalle entre divers degrés. Nous en tirons, pour mèse = la


(en descendant) :
Ν Tr M II
MI quarte- Si LA MI
I -quarte
T

L quinte-
quinle-
Tableau 11
Le nom de ;< trite » donné au si par Philolaos, nom qu'on ne
retrouve dans aucun des systèmes précédemment exposés, gêne
visiblement Nicomaque, qui le commente comme suit : Με-
[Λνησθαι, δε δει, δτ». τρίτη ν νϋν καλεί την έν τ^ έπταχόρδω παραμέσην,
προ της του διαζευγνύντος τόνου παρενθέσεως της εν οκταγόρδω.
'Απείχε γαρ αυτή της παρανεάτης τριηιητόνιον άτύνθετον, άφ' ου
διαστήματος ή υ,εν παρεντεΒεϊσα χορδή τόνον απέλαβε, το δε λοιπόν
ήυ,ιτόνιον μεταξύ τρίτης καΐ παραμέσης άπελείφΟη έν τί) διαζεύξει.
Trad. Ruelle : « II faut se souvenir que dans ce passage
Philolaos nomme trite ce qui était paramèse dans la lyre hepta-
corde, avant l'intercalation du ton disjonctif qui eut lieu dans
la lyre octocorde, car cette corde était éloignée de la paranète
d'un trihémiton incomposé. Sur cet intervalle, la corde
intercalée préleva un ton, et le demi-ton restant entre la trite et la
paramèse fut absorbé dans la disjonction ».
Evidemment, il ne peut plus s'agir ici du système conjoint
de l'heptacorde n° 1, où il n'y a pas de trihémiton incomposé.
S'agit-il de l'heptacorde défectif n° 2, où le passage II
détermine nettement la défection au-dessus de la mèse, soit la-do ?
C'est a priori probable, mais des difficultés surgissent. La trite
de Philolaos, le tableau précédent l'établit, ne peut être que
si t|. Il semblerait donc que l'on doive tirer de la lre phrase :
PM de l'ancien heptacorde = si t], PN = ré, avec défection du
do, d'où Ν = mi. Soit un nouveau système défectif, différent
du précédent :
81 JACQUES CHAILLEY

H .... M PM PN Ν
mi (fa sol) la si (= Tr de Philolaos) ré mi
Tableau 12
C'est bien ainsi que le comprend Meibom, p. 52, suivi par
Ruelle-Jan (p. 253), et plus récemment 0. Gombosi (i).
Mais, si l'on admet cette interprétation, la phrase suivante
relative au ton disjonctif n'a plus aucun sens : ce ton disjonctif,
bien connu du système parfait, ne peut être que ία-si ; comment
peut-on parler de Γ « intercalation » d'un intervalle qui
existait déjà ? Glosons Ruelle : « Sur cet intervalle (ré-sï), la corde
intercalée (do) préleva un ton (ré-do), et le 1/2 ton restant entre
la (nouvelle) trite (do) et la (nouvelle) paramèse (si) fut
absorbé (?) dans la disjonction (la-si) ». Cela ne veut rien dire, mais
n'est peut-être qu'un contre sens sur le mot άπελείφθη qu'on
pourrait traduire « fut dépassé, laissé en arrière ». Cependant
le commentaire qui suit n'en est pas moins incompréhensible
dans cette interprétation : « Par suite, l'ancienne trite (si) était
régulièrement éloignée de la (nouvelle) nète (mi aigu) d'une
quarte, intervalle que la (nouvelle) paramèse (si) a déterminé à
la place de cette (ancienne) trite. (C'est exact, mais on ne
comprend pas la raison de cette remarque, puisque les cordes sont
les mêmes sous d'autres noms). 11 y a des gens qui, ne
comprenant pas cela, le contestent, alléguant qu'il n'est pas possible
que la trite soit éloignée de la nète d'un intervalle en rapport
sesquitiers (c'est-à-dire d'une quarte : il faut alors comprendre
l'ancienne trite si et la nète mi). D'autres émettent cette
opinion, qui n'est pas improbable, que le son intercalé (do) n'a
pas été placé entre la mèse (la) et la trite (non-sens : comment
le do peut-il être intercalé entre le la et une trite qui vient
d'être définie si dans l'ancienne nomenclature, et qui serait do
lui-même dans la nouvelle ?), mais entre la trite et la paranète
(incompréhensible : dans l'ancienne acception, cela voudrait
dire entre si et ré : ce serait donc répéter la donnée que « ces

(1) Tonarten ttnd Stimmungen der antiken Musik, Copenhague 1939, p. 84 etc.
l'hEXATONIQUE GREG DAPRÈS MCOMAQUE 85

gens » déclarent impossible; dans la nouvelle, ce serait placer


le do entre le do lui-môme et le re, ce qui serait un non-sens) ;
puis que, à son tour, la trite est devenue paramèse dans la
disjonction (ce qui serait exact pour l'ancienne trite, si), mais que
Philolaos a donné à la paramèse (actuelle, si) l'ancienne
appellation de trile, bien qu'elle fut éloignée de la nète (mi) d'une
quarte ».
Cette interprétation est loin d'être satisfaisante. De plus,
outre ses contradictions internes, on ne voit pas la raison de
la discussion dont Nicomaque se fuit l'écho. Enfin, elle
supposerait un troisième système, différent de ceux que nous avons
évoqués jusqu'à présent.
Recherchons donc si ce passage peut être compris en fonction
de ce que nous savons déjà de l'heptacorde n° 2 (l'heptacorde
n° 1 est à éliminer, puisqu'il est question ici d'un trihémiton
incomposé).
Si Ton prend les mots « paramèse, trite, etc. » au sens de
« degrés ». on tombe sur les contradictions internes ci-dessus ;
mais si l'on observe que Nicomaque blâme Philolaos d'avoir
appelé trite le si et qu'il donne avant tout à ces noms de degrés
leur sens étymologique « corde près de la mèse, 3me corde, etc. »r
en mélangeant sans cesse les anciennes acceptions et les
nouvelles, nous verrons ces contradictions disparaître.
Traduisons donc dans cet esprit, en nous souvenant d'une
part que Philolaos vient d'appeler trite un indiscutables et que
Nicomaque a pour objet d'expliquer cette anomalie ; d'autre
part que le passage II nous a désigné nettement ce si comme
son ajouté entre la mèse la et l'ancienne paramèse do.
« II faut se rappeler (pour expliquer cette dénomination
erronée de la trite) que Philolaos nomme trite (la corde) qui dans
l'ancienne lyre heptacorde était près de la mèse (puisque la
3me corde était effectivement placée ainsi) avant l'intercalation
du ton disjonctif qui eut lieu dans la lyre octocorde (la phrase
est confuse, mais ne contient pas d'inexactitude, tandis que si
l'on pose : ancienne paramèse =*si, les mots « avant l'interca-
86 JACQUES CHAILLEY

lation du ton disjonctif » demeurent contradictoires). Car la


(véritable) trite (c'est-à-dire la 3me corde du système ré-do-la,
donc la) était éloignée de la corde placée après la nète (c'est-à-
dire l'ancienne paramèse do) d'un trihémiton incomposé. Sur
cet intervalle (la-do), la corde intercalée (si) préleva un ton, et
le demi-ton (si-do) restant entre la (nouvelle) trite (do) et la
(nouvelle) paramèse (si) fut laissé derrière celle-ci par la
disjonction (la-si).
« En effet, l'ancienne trite (la 3me corde, la), était
régulièrement éloignée de (l'ancienne) nète ré d'une quarte, intervalle
que la (nouvelle) paramèse si a déterminé (à partir de la
nouvelle nète mi) à la place de cette trite. Il y a des gens qui, ne
comprenant pas cela, le contestent, alléguant qu'il n'est pas
possible qu'une trite soit éloignée de la nète en rapport sesqui-
tiers (c'est-à-dire que, en 3 notes, on franchisse un intervalle
de quarte : la remarque n'a de sens qu'avec cette acception de
« 3me corde » donné au mot « trite »). D'autres émettent cette
opinion, qui n'est pas improbable, que le son intercalé (si) n'a
pas été placé entre la mèse la et la (nouvelle) trite (do), mais
(nous revenons à l'heptacorde n° 1, analogue au système
conjoint classique) entre la trite (si b) et la paranète (do), et que
c'est à lui (= au son intercalé si) qu'on (c'est-à-dire Philolaos)
a donné le nom de trite repris à celle-là (trite conjointe),
puisque, à son tour, la trite (de Philolaos, si) est devenue paramèse
dans le système disjoint. Pour eux, Philolaos a donné à la
paramèse (si) l'ancien nom de trite, bien qu'elle fût éloignée de
la nète d'un intervalle de quarte (dans un système sans
défection, et donc qu'elle fût la 4me note à partir de la nète, et non
la 3me). »
Ainsi compris, ce texte est, il faut l'avouer,
remarquablement embrouillé, mais du moins ne contient-il aucune
inexactitude ni aucune contradiction interne.
Traduit en langage clair, voici ce qu'il signifie : « Philolaos
donne à la corde si le nom insolite de trite qu'elle ne mérite
pas, puisqu'il parle de l'octocorde dans laquelle ce si est la
l'hexatonique grec d'après nicomaque 87
corde n° 4 et non n° 3. Son impropriété ne s'explique que si
Ton se réfère à l'ancien heptacorde défectif, où la 3me corde était
une paramèse, place qu'a prise aujourd'hui cette note si. Kn
effet, dans l'ancien heptacorde, il y avait entre la paranète do
et la 3me corde un trihémiton incomposé ία-do. Sur cet
intervalle, la corde intercalée si a pris un ton la-si et le demi-ton
restant si-do s'est trouvé placé à côté de la disjonction la-si ».
« En effet, on n'est pas d'accord sur l'origine de la corde
intercalée. Il y avait un ancien heptacorde défectif, avec
trihémiton incomposé la-do : le si est venu se loger dans
l'intervalle. La quarte supérieure déterminant le tétracorde était donc
la-ré, alors qu'elle est aujourd'hui si-mi : Philolaos pouvait
appeler trite, c'est-à-dire 3me corde, la corde qui sonnait la
quarte avec la nète. Mais il y a des gens qui ne peuvent
admettre que l'on ne passe que par 3 degrés pour franchir une
quarte. Pour ceux-là, qui n'ont peut-être pas tort, l'ancien
heptacorde était analogue à notre système conjoint actuel la-si
b-do-ré et dès lors, le si $ intercalé se place entre le si b et le
do. Vous savez que dans ce système, c'est le si b, 3me corde, qui
s'appelle trite. Si bien que lorsque Philolaos a appelé trite le
si t|, il n'a fait que transporter ce nom du si b au si t), ce qui
était logique, puisque c'est le si % qui devenait la 3me corde à
partir de la nète ré. Mais par rapport à la nète mi actuelle du
système disjoint, cette corde si % a cessé d'être la 3me, elle a
sonné à la quarte avec la nète, et comme elle était voisine de
la mèse, on l'a appelée paramèse ».
Cette discussion est d'un intérêt capital pour la
compréhension de la question qui nous occupe. Nous y reviendrons dans
notre conclusion.
Résumons seulement pour l'instant les renseignements ainsi
recueillis, sans oublier les remarques que nous avons faites au
§ II sur le caractère incomplet de l'heptacorde n° 2 a) :
88 JACQUES CHAILLEY
note ajoutée
?
Ml FA SOL LA Si b SI tj DO RE MI

Octocorde classique H PH L M PM Tr PN ?
Octocorde de Philolaos H PH L M Tr ? (PN) ?
Heptacorde n° 1 H PH L M Tr PN ?
Heptacorde n° 2 a) H PH L M <- incomposé
intervalle ,.» pm
Oivr ?

b) H PH L M *- incomposé
interva"e s»
= PM
rrllr PN ?
Tableau 13

V. Au cbap. XI, §§ 54 et suivants (Mb. 20), Nicomaque


fait encore allusion à « la lyre antique, c'est-à-dire heptacorde »,
pour la dire « composée de deux tétracordes reliés en
conjonction et tels que la mèse en faisait deux intervalles consonants,
l'un ... du côté de Phypate, l'autre ... du côté de la nète ». Ceci
ne peut s'appliquer au système défectif de l'heptacorde n°2
qu'en négligeant la 7me corde non nommée,
? ? PM M H

(MI?) RE DO LA SOL FA MI
I M !
Tableau là
tandis qu'il s'applique sans restriction au conjoint heptato-
nique de l'heptacorde n° 1 :
? M H

RE DO Slb LA SOL FA MI
I Il I
Tableau 15
Cela exige en tout cas impérieusement ? = ré.
Au paragraphe suivant (§ 55), Nicomaque décrit l'addition à
l'ancien système du tétracorde des hyperbolées, et s'exprime
en ces termes (trad. Ruelle) :
« Du côté de la nète primitive, il y eut le tétracorde dit des
hyperboléennes, parce qu'il était établi sur un degré vocal plus
l'hexatonique grec d'après nicomaque 891

aigu et transcendant (υπερβάλλων), commençant avec l'ancienne


nète et placé en conjonction, de telle façon que la surtension
de ce tétracorde fut limitée à l'adjonction de trois (nouveaux)
sons seulement qui reçurent à bon droit les dénominations
suivantes : trite des hyperboléennes, (paranète et) nète des
mêmes ».
Ce qui, à la lettre, ne peut recevoir d'autre transcription que :
MI LA RR MI FA SOL
H M Ν Tr PN Ν
Hyperbolées
Tableau 16
Nous voilà en contradiction avec le diagramme traditionnel
(Reinach, Mus. Gr. p. 14) :
MI LA SI MI FA SOL LA
H M PM Ν Tr PN Ν
Hyperbolées
Tableau 17

L'explication est claire : le diagramme habituel ajoute les


hyperbolées en conjonction avec la nète, mais dans le système-
des disjointes. Nicomaque décrit l'adjonction des hyperbolées
avant la transformation des conjointes en disjointes, c'est-à-
dire à partir de l'ancien heptacorde n° 1, identique aux
conjointes. Il les place donc aussi en conjonction avec la nèter
mais avec la nète de cet heptacorde, donc ré au lieu de mi.
Veut-il dire que cette adjonction est historiquement antérieure
à l'intervention des disjointes, ou bien est-ce simplement un
procédé d'exposition ? On peut comprendre l'un ou l'autre.
Quand, au passage IV, il décrira les disjointes, il placera les
hyperbolées en conjonction avec leur nète sans autre
précaution oratoire, et rejoindra le tableau habituel, sans nous avoir
prévenu que ces hyperbolées ont une autre signification.
La suite confirme que ces hyperbolées sont bien conjointes à
l'ancien heplacorde n° 1 : § 56 : « Afin d'établir une distinction
■90 JACQUES CHAILLEY

•et d'éviter (1) que le tétracorde, placé avant celui-ci et relié en


conjonction avec la mèse, eût ses sons dénommés de la même
manière, le son placé après la mèse fut appelé trite des
conjointes ; vient ensuite la paranète des conjointes, et l'ensemble
nétoïde partant de la mèse redevient encore lui aussi un hep-
■tacorde ».
Voici maintenant dit en propres termes ce qui ressortait
implicitement de tous les passages relatifs au système n° 1 ; ce
système n'est autre que l'actuel système à conjointes bien
connu :
MI FA SOL LA SI b DO RE
H PH L M Tr PN Ν

Moyennes Conjointes
Tableau Î8
et la dénomination de « conjointes » est présentée comme un
terme récent appliqué à une chose ancienne.
Mais en même temps il est confirmé qu'aucun des passages
relatifs à un système défectif ne peut s'y référer; qu'on les
relise, on verra l'évidence de l'incompatibilité. Il se confirme
de plus en plus qu'on parle ici de 2 systèmes différents en
passant sans cesse de l'un à l'autre.
Le § 57, relatif à l'adjonction du tétracorde des hypates, ne
soulève pas de problème. Mais le § 58 prétend établir la
synthèse en ces termes :
« Le système total compris entre la mèse (la) et l'hypate des
hypates (si grave) se trouvait former un heptacorde (ία sol fa
mi ré do si) composé de 2 tétracordes conjoints (en descendant
Îa-?ni, mi-si) et employant un son conjoint, l'ancienne hypate
(mi). On eut ainsi, depuis l'hypate des hypates (si grave)
jusqu'à la nète des hyperbolées (ία) 4 tétracordes conjoints for-

(1) Correction de Ruelle plausible mais non nécessaire : ίνα μή au lieu de 'ίνα δή.
Mais on pouvait laisser sans correction : les noms trite, paranète et nète sont
identiques ; ils deviennent différents par l'adjonction du génitif de tétracorde.
La phrase peut donc être à volonté positive ou négative.
l'hexatonique grec d'après nicomaque 91

mant une somme de 13 cordes » Arrêlons-nous ici et


examinons le diagramme habituel (Reinach, p. 14) :
il DO RE Ml FA SOL LA SI b SI : DO RE Ml FA SOL LA
Conjointes
k Tr PN A
Β PH L H PH L M PM Tr PN Ν Tr PN Ν
|
hypates moyennes disjointes hyperbolées
Tableau 19
La description est fausse : que l'on passe par les conjointes
ou par les disjointes, il n'y a pas 13 cordes, mais 14 (15 si l'on
mélange les deux systèmes). Par contre, elle est juste si l'on se
réfère au diagramme précédent (tableau 16 + hypates en
conjonction) :
12 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
SI DO RE MI FA SOL LA Slb DO RE MI FA SOL
H PH L H PH L M Tr PN Ν Tr PN Ν
I II 11 1! I
Hypates Moyennes Conjointes Hyperbolées
Tableau 20
Pour accorder son texte à la tradition, Ruelle interpole :
« 2 tétracordes conjoints (deux à deux) ». Interpolation
gratuite, qui ne rend pas compte de Terreur sur le nombre des
cordes et introduit une incompatibilité.
Poursuivons : « διατονικώς άμφοτέρωθεν εβδόμης τεταγμένης. »
Meibom traduit « septimâ utrinque toni inteivallo ordinatâ», et
Ruelle commente : « Exemple unique, sauf erreur, du mot δια-
τονικός (sic) exprimant l'étendue d'un ton. Aristoxène emploie
le mot τονιαίος ». Est-on bien sûr de ce sens ? Le contexte
exprime bien que cette έβδομη est la même corde, qu'on la prenne
dans un sens ou dans l'autre, ce qui ne se produit plus si nous
nous référons au diagramme traditionnel : c'est la corde
centrale du système de 13 sons, la « mèse » (la glose qui suivra
nous le confirmera). Διατονικός indique le genre diatonique,
même chez Nicomaque (cf. Mb. 13). Δΐ,ατονικώς a beau être un
92 JACQUES CHAILLEY

hapax, il semble difficile de le traduire autrement que « diato-


niquement », ce qui signifie simplement l'absence de pycnon.
Cela ne nous apprend pas grand chose, puisque depuis le début
nous ne raisonnons que sur le diatonique, mais a pour but de
rappeler ce fait au lecteur et spécifie que le si b des conjointes
ne doit pas être compris chromatiquement. Ce qui n'est pas
inutile, puisque ce si b est communaux conjointes diatoniques
et chromatiques. Il s'agit d'empêcher le lecteur de réunir les
tétracordes conjoint et disjoint, et de compter les cordes de la
lyre totale à la suite, ce qui donnerait le pycnon chromatique
si fc|, si b, la. La remarque n'est donc pas si oiseuse qu'elle le
paraît. D'ailleurs, le diagramme n° 20 ne permet pas de
comprendre qu'il y ait un ton entre la mèsc la et la corde suivante
si b.
Traduisons et poursuivons : «... 13 cordes, la septième à
partir de chaque extrémité étant placée diatoniquement. En
effet, comme on l'a dit plus haut, le 8me son [si ft) fut intercalé
à distance d'un ton entre la mèse (la) et l'ancienne trite (do)
par ceux qui voulurent mettre delà variété dans l'harmonie,
ou, suivant quelques uns, entre la trite (de l'ancien système
n° 1, si b) et la paranète (de ce même système, do), ce qui amène
l'apparition de la quinte (mi-sift) ». La liaison έπεί confirme
la traduction de διατονικώς ; la suite des idées est la suivante :
« la mèse la doit être abordée diatoniquement, bien que l'échelle
totale comprenne à la fois un si b et un si tj. En effet, le si §
n'appartient pas au même système que le si b : il a été ajouté
à l'heptacorde défectif, etc. »
Ainsi compris, le texte est parfaitement cohérent; il ne l'est
pas dans Γ interprétât ion de Meibom-Ruelle. Mais il reflète à
nouveau l'hésitation de Nicomaque, et nous donne un nouvel
exemple de sa fâcheuse tendance à passer continuellement d'un
système à l'autre. Il vient explicitement de décrire le
processus étudié en se référant au n° 1 : à présent, il mélange 1 et 2
dans son explication.
Dans les deux cas, c'est toujours le si tl qui fait fonction de
l'hexatonique grec d'après kicomaque 93

« corde ajoutée », qu'il soit compris comme ajouté entre si b


et do (heptacorde n° i) ou entre ία et do (heptacorde n° 2). Quelle
que soit l'hypollièse retenue, le son placé au dessus de la corde
intercalée reste toujours le do.
C'est pourquoi le choix du terme trite pour désigner ce son
doit retenir notre attention. Nicomaque se réfère expressément
à ce qu'il a déjà dit. On doit donc éliminer toute possibilité
d'un système différent. Au passage II, il a appelé ce son para-
mèse et au § IV paranète. Ici, il l'appelle trite. Avec « para-
mèse », il se référait au voisinage inférieur de la mèse; avec
« paranète » et « trite », au voisinage supérieur de la nète ; les
deux derniers termes, justes chacun dans un système donné,
sont inconciliables. Paranète signifie 2me degré en descendant
de la nète, trite 3me degré. En d'autres termes, le son en cause,
on l'a vu, étant i/o, paranète suppose une nète ré et trite une
nète mi. Or nous avons vu que la nète devait normalement
être mi, mais que Nicomaque, intluencé par l'autre hypothèse
qui comporte une nète ré, généralisait cette nète ré à l'ensemble
des deux systèmes. Celte fois il rectifie inconsciemment son
erreur. C'est un nouvel exemple de ces flottemenls qui lui sont
familiers.
A la suite de l'adjonction de la corde intercalée, conlinue-t-
il, « la corde, nommée mèse ne fut plus une mèse, car dans un
agencement de cordes pair, il ne peut y avoir de milieu, mais
forcément une 7me et une 8e ». Il s'agit ici de l'un ou l'autre des
deux systèmes précédents, amplifié du si tj. Mais dans
l'hypothèse disjointe, la phrase exige une nèle mi avec ses^hyper-
bolées conjointes, ce qui justifie le mot trite du § précédent.
2 34 5 67]7 6 54321
si do ré mi fa sol la si do ré mi fa sol la
H PH L H PH L M (Trex-PM) PN Ν Tr PN Ν
i ! 1 | L
Hy pâtes milieu Hyperbolées
Tableau 21
Dans l'hypothèse conjointe au contraire, la uète doit ôtre ré
94 JACQUES CHAILLEY

avec aussi ses hyperbolées conjointes, conformément au tableau


20 :
12 3 4 5 6 7 7 6 5 4 3 2 1
si do ré mi fa sol la sib (si do ré mi fa sol
H PH L H PH L M ex Tr (aj PN Ν Tr PN Ν
ι ι \ U,
Hypate milieu Hyperbolées
Tableau 22
On voit ici confirmé ce que nous avions déduit des passages
précédents à propos de la confusion des nètes.
La suite décrit l'adjonction du proslambanomène, et précise,
conformément à ce qui précède, que le système se trouve ainsi
porté à 15 cordes « de façon que les systèmes placés de chaque
côté de la mèse fussent octocordes et que la mèse devînt
réellement un milieu entre 15 sons, soit la 8me corde à partir de-
chaque extrémité ».
Vérifions dans les deux hypothèses ;
a) origine disjointe :
1 2 3 4 5 6 7 8 7 6 5 4 3 2 1
la si do ré mi fa sol LA si do ré mi fa sol la
Pr . H PH L H PH L M aj. Tr PN Ν Tr PN Ν
I 1 I
Tableau 23
b) origine conjointe :
1 2 3 4 5 6 7 8 7 6 5 4 3 2 1
la si do ré mi fa sol LA si b sift do ré mi fa sol
Pr H PH L H PH L M Tr aj. PN Ν Tr PN Ν
I I ι
Tableau
Mais le tableau 23, issu de l'historique présenté par Nicoma-
que, rejoint la description classique du système parfait pris par
les disjointes, tableau considéré par l'auteur comme connu de
son lecteur. Il ne demande d'autre coup de pouce que de
transformer la corde ajoutée en paramèse et de donner au té-
tracorde en cause son nom de disjointes. C'est ce que va faire
Nicomaque, toujours, selon son habitude, sans prévenir qu'il
l'hexatonique grec d'après nicomaque 95

change de référence, et sans signaler qu'il a changé de nète,


puisque celle-ci est maintenant devenue mi pour les disjointes,,
tout en restant ré pour les conjointes. Celles-ci vont perdre-
leurs hyperbolées, mais Nicomaque le passe sous silence.
Cette façon de raisonner se voit confirmée par les
paragraphes qui suivent.
« II résulte aussi de là que la double octave formant l'étendue
du diagramme devint doublement double, c'est-à-dire
quadruple, et que Tordre des dénominations fut celui-ci : »
Suit un énoncé par intervalles des noms de degrés que nous
devrons traduire :
LA SI DO RE Ml FA SOL LA SI DO RE Ml FA SOL LA
Pr. H PH L H PH L M PM Tr PN Ν Tr PN Ν
I || ou diatonos | I I I I
hypates moyennes disjointes hyperbolées
Tableau 25
C'est cette fois le tableau classique (à ceci près que M et PM
sont nommées absolument et non incorporées au tétracorde
tangent). Il ne diffère du tableau 23 que par le nouveau nom
de paramèse (le nom diatonos est une incidence sans
conséquences). Mais ce tableau, conforme à la doctrine commune,,
ne l'est plus avec la description du système à 13 cordes du
tableau 20 !
Le § 59 qui fait suite explique la contradiction. Une fois de
plus, Nicomaque est passé sans prévenir de l'hypothèse
conjointe à l'hypothèse defective, génératrice des disjointes. « De
plus, en mémoire de ία conjonction qui avait lieu
primitivement dans fheptacorde, on intercala, entre le tétracorde des
moyennes et celui des disjointes, uu autre tétracorde dit
conjoint ». Suit la description bien connue de ce tétracorde.
On voit que Nicomaque, après avoir considéré l'hypothèse
détective comme comportant une nète ré, la traite maintenant
comme si sa nète était mi. Nous verrons dans la conclusion les
raisons vraisemblables de ce changement. Mais c'est
évidemment à présent qu'il a raison. Car non seulement, avec une-
96 JACQUES CHAILLEY

nète mi, l'échelle defective devient effectivement l'heptacorde


annoncé, mais cette nète mi est nettement postulée parles trois
problèmes du Pseudo-Aristote qui traitent également de ce
problème de l'ancien heptacorde : Probl. 47 (Gevaert-Voll-
graff (1), p. 31) : « Pourquoi, lorsqu'ils ont fait des échelles de
7 sons, les Anciens ont-ils maintenu l'hypate et non pas la
nète ? — A vrai dire, ils n'ont pas supprimé la nète ; ils se sont
contentés d'éliminer la corde dite actuellement paramèse (si),
partant l'intervalle entier du ton disjonctif ». Il est clair que
la question et la réponse contradictoire sont l'œuvre de deux
rédacteurs différents, et que chacun d'eux se rangeait à l'une
des deux opinions opposées relatées par Nicomaque lui-môme.
L'auteur de la question a sans doute en vue, non pas, comme
le pense Gevaert, l'heptacorde des conjointes, mais l'hypothèse
de l'heptacorde n° i selon laquelle le si a été intercalé entre le
do et le si b des conjointes, ré étant la nète ancienne. L'auteur
de la réponse, par contre, est strictement en conformité avec la
thèse defective intercalant le si entre le la et le do, formant
primitivement un trihémiton incomposé.
Situation identique pour le problème 7 (p. 33) : « Pourquoi,
lorsqu'ils ont fait des échelles de 7 sons, les Anciens ont-ils
maintenu l'hypate et non pas la nète ? » Réponse, ou si l'on
préière, glose contradictoire : « Ceci n'est-il pas faux ? N'ont-
ils pas plutôt conservé les deux et supprimé la trite ? » Ici, la
corde supprimée n'est plus appelée paramèse, mais trite. Il
n'y a pas contradiction avec le texte de Nicomaque ni avec la
réponse précédente. L'auteur de la question a en vue, comme
dans le problème précédent, l'heptacorde conjoint avec^'odont
la nète est ré : pour lui, l'élimination du mi dans le système
se traduit par la suppression de la nète (des disjointes).
L'auteur de la réponse proteste : le mi, dit-il, n'a pas été supprimé :
c'est la trite qui a été sautée. Ce qui peut se comprendre de
façons diverses : ou bien il s'agit des sons, et en ce cas la

(1) Les problèmes musicaux d'Aristote, Gand 1903.


l'hexatonique grec d après nicomaque 97

« trite » est celle du système qu'avait en vue l'auteur de la


question, donc la trite des conjointes si b, d'où résulte bien
(mi) ré do LA ; ou bien encore (ce qui semble probable) c'est
une question de noms : dans la nomenclature heptacorde (v.
ci-dessus, tableau 1), et quelle que soit celle des deux
hypothèses à laquelle on se range, c'est bien la trite et non la nète
qui manque dans l'énumération. Peut-il s'agir de la trite des
disjointes do, selon l'exégèse Meibom ? On pourrait le croire si
la question ne se référait pas de façon si précise au système
conjoint ; la position de la question rend cette interprétation
peu probable.
Le problème 32 (ibid., p. 33) confirme enfin que la lyre à 7
cordes donnait bien l'octave, donc que son échelle était
defective et que sa nète était bien mi. « Pourquoi appelle-t-on
l'octave diapason et non pas diocto ... ?» — « Est-ce parce que,
aux temps anciens, les cordes étaient au nombre de sept?...
C'est donc par la 7me corde (que l'on produisait l'octave) ».
On voit que les multiples inconséquences que semble receler
le texte de Nicomaque tiennent à sa méthode de présentation;
elles ne tiennent pas aux deux systèmes en cause, qui, chacun
de son côté, sont parfaitement cohérents, et dont nous pouvons
maintenant essayer de présenter la synthèse.

La clef de ces inconséquences nous est donnée par l'auteur


lui-même, dans les deux passages où il témoigne qu'il existe
deux traditions divergentes sur le même fait. Ce fait est ie
suivant : l'octocorde actuel provient dun ancien heptacorde qui
ignorait le si$. Mais, sur la façon dont ce si% s'est introduit
dans l'échelle, il avoue lui-même que les explications diffèrent.
Ce qui rend si flottant le texte de Nicomaque, c'est qu'il n'a
pas le courage de choisir entre l'une et l'autre. Il semble les
approuver à tour de rôle, et dans ses développements fait
appel tantôt à l'une, tantôt à l'autre, en les mélangeant sans
prévenir, et peut-être sans s'en rendre compte.
REG, LXIX, 1956, n· 324-325 7
98 JACQUES CHAI LLEY

L'une de ces traditions, sans doute la plus ancienne,


témoignait de l'existence d'un ancien heptacorde défectif, avec un
trihémiton incomposé la-do. C'est en ajoutant le si % entre la
et do qu'on aurait obtenu l'octocorde disjoint du système-
parfait.
Mais, à l'époque de Nicomaque, la musique avait cessé depuis
longtemps d'être defective. L'hypothèse d'un trihémiton
incomposé en diatonique (1) heurtait l'opinion. Nicomaque le dit
en propres termes : on ne pouvait admettre qu'il n'y eût eu que
3 notes pour franchir l'intervalle de quarte (2). On a donc
cherché une autre explication, plus proche des habitudes du
temps. Or ces habitudes comportaient l'usage du système
parfait, avec la substitution éventuelle du tétracorde conjoint la si
b do ré au tétracorde disjoint si % do ré mi. On conçoit dès lors
que la tentation soit venue d'expliquer l'un par l'autre. Réduit
à ses deux tétracordes essentiels, le système conjoint formait
bien un heptacorde sans si t|. On devait tout naturellement
penser que ce si t| s'était glissé entre le si b et le do pour former
le tétracorde disjoint en se substituant au si b. Telle est la
seconde hypothèse, à laquelle se ralliera Boèce, qui l'attribue
à Samius Lichaon (3).
JNicomaque, on l'a vu, oscille sans cesse entre les deux. Aux
§§ 43-44 il va jusqu'à se contredire d'une phrase à l'autre ; il
base d'abord sa démonstration sur l'hypothèse defective, puis
il exposn l'hypothèse conjointe comme s'il allait confondre des
contradicteurs, mais il ajoute aussitôt que ces contradicteurs

(1) Ce trihémiton incomposé continuait d'exister en chromatique, mais il n"avait


pas le même caractère : il était compensé par un pycnon, et le tétracorde
délimité par la quarte comptait bien ses 4 notes régulières.
{·!) Encore une réaction qui nous est bien connue par analogie : jusqu'à ces
toutes dernières années, tous les théoriciens occidentaux se sont étonnés devant
les échelles de moins de 7 degrés, les ont appelées « incomplètes » ou «
defectives » et les ont considérées non comme le résultat d'un accroissement
progres if, niais comme la snppressio?i de degrés à partir du système heptatonique qui
leur était familier. Nous croyons être l'un des premiers à avoir protesté contre
cette façon de voir.
(a) De instilulione musica, 1,20, éd. Friedlein (coll. Teubner) p. 207.
l'hexatonique grec d'apkès nicomaque 99

lui semblent bien avoir raison. Et ceci explique ses perpétuels


flottements.
D'autre part, toute son attention se porte sur le groupe la-do
et sur la façon dont a pu s'y glisser ce fameux si tl. De ce chef,
il ne prôte qu'une attention distraite aux répercussions de ses
dires sur l'extrémité aiguë du tétracorde. Il connaît à fond le
système conjoint en usage de son temps, auquel la théorie
conjointe assimile l'ancien heptaeorde. L'hypothèse disjointe, par
contre, n'est pour lui qu'une spéculation un peu lointaine qu'il
rapporte sans trop y croire. Ayant, avec raison, défini la nète
du conjoint comme ré, il ne réfléchit pas que, lorsqu'il se réfère
au défectif, cette nète ne peut pas rester ré sans transformer
l'heptacorde enhexacorde. Sans s'apercevoir de l'inconséquence,
il traite cet heplacorde défectif comme s'il avait lui aussi une
nète ré. Mais, plus loin, lorsqu'il aborde l'octocorde disjoint,
qu'il connaît parfaitement comme nanti d'une nète mi, il
n'éprouve aucun scrupule à se référer à nouveau à l'heptacorde
défectif en considérant sa nèle comme mi. L'inconséquence
paraît forte, avec le recul (1). Vue dans la psychologie de
l'époque, elle s'explique sans peine : nous avons sous les yeux, chez
les auteurs de solfège actuels, des exemples du même ordre.
L'hypothèse conjointe pouvait tout naturellement se former
a posteriori dans l'esprit des contemporains : elle s'appuyait
sur leur connaissance et leur théorie usuelle. Mais on n'en
pourrait dire autant de l'hypothèse defective : elle heurtait leur
instinct évolué, et Nicomaquo le dit en termes non voilés.
Raison de plus pour que nous devions y voir le résidu d'une
tradition affaiblie, mais authentique. Les contemporains de

(1) Ce n'est pas la seule marque d'irréflexion chez Nicomaque. Retraçant la


fameuse expérience des marteaux de Pythagore, qui sera répétée fidèlement
durant tout le Moyen-Age sans être vériOée et sans qu'on s'aperçoive qu'elle est
fausse, il la fait suivre de la description minutieuse d'une autre expérience sur
les sons obtenus par la tension des cordes. Cette seconde expérience,
contrairement à la première, ne nécessite aucun outillage spécialisé : sa vérification est à
la portée d'un entant; il suffit d'un clou, de deux bouts de ficelle et de trois poids.
Or, si on la réalise selon la description minutieuse de Nicomaque lui-même, ont
aperçoit qu'elle ne donne pas les résultats qu'il annonce.
100 JACQUES CUAILLEY

Nicomaque pouvaient inventer l'hypothèse conjointe, ils ne


pouvaient inventer l'hypothèse defective. Et c'est donc sans
doute celle-là qui représente la tradition la plus ancienne, et
probablement la réalité historique.
De même que Plutarque témoigne qu'il y eut un ancien pen-
tatonique grec, Nicomaque, appuyé par le pseudo-Aristote,
témoigne donc qu'il y eut un ancien hexatonique. Le penta-
tonique de Plutarque, selon l'exégèse de M. Lasserre, est un
pentatonique régulier de 4 quintes. L'hexatonique de
Nicomaque, avec défection du dernier venu de l'heptatonique dans le
cycle des quintes, le si % est à son tour un hexatonique
régulier de 5 quintes, analogue à celui dont l'ethnologie musicale
nous fournit de nombreux témoignages (1).
L'histoire de la musique grecque apparaît, une fois de plus,
comme rigoureusement conforme aux principes généraux de
l'histoire musicale de tousles peuples.
Jacques Chailley

{\) Voir des exemples dans l'article cité de Brailoiu ou dans notre Cours de
Sorbonne polycopié déjà mentionné.

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