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La poésie
n’a pas d’âge
ANTHOLOGIE
Partez à la découverte de cette anthologie
qui, d’âge en âge, de manière linéaire,
essaie de vous montrer que
La poésie
n’a pas d’âge
***
ème
31 PRINTEMPS POÉTIQUE
La Suze-sur-Sarthe
***
L’usage de cette anthologie est réservé aux enseignants, membres de l’association
« Les Amis des Printemps Poétiques », à des fins purement pédagogiques.
2
DANS LE VENTRE DE MAMAN
3
À quel âge cesse-t-on de naître ? Avec ce vieux nounours qui en retrouvera son œil
avec les mobiles qui voudraient bien
Dominique Saint-Dizier perdre la tête à nouveau
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009 Avec la pâte à modeler qui s’étire en rêve
avec les premiers albums soucieux de leurs
couleurs
avec les jouets prêts à courir
PREMIER JOUR les risques du métier
une ribambelle
qui fait « piou piou »
RECONNAISSANCE
toujours un qui manque
ou un de trop Tu as le ventre rond
Comme un petit ballon
Qu’il est dur d’enfanter Notre enfant tu le portes déjà
quand on ne sait pas compter Tu le souffres
Tu t’inquiètes et tu l’imagines
Michel Besnier Tu le portes
Mes poules parlent Dans tes bras dans ta tête dans ton ventre
møtus, 2004 Tu l’aimes et tu le sublimes
Tu le rayonnes
Tu éclabousses de douleur
Tu veux vieillir pour le sentir
Bouger
je t’aime petite fille, Tu vas donner la vie à un autre mortel
À travers ta soie rouge orangé
Et je t’embrasse Tu as le ventre rond
Sur ta toison douce Comme un petit ballon
Pas encore chevelure
Je t’aime et te dépose là Tu es belle et je t’aime
Trois feuilles de silence clair Autant que toujours
Pour écrire le calme du monde. Notre enfant tu le portes déjà
Tu le protèges
Michel Lautru Tu le crées
Les jupes s’étourdissent Il existe déjà
SOC et FOC, 2005 Dans tes bras dans ta tête dans ton ventre
Dans tes paroles dans ta hâte
Dans ton impatience
Dans ton désir de t’ouvrir
Michel Lautru
Mon papa a de gros bras
SOC et FOC, 2002
5
KANGOUROU
Père kangourou
Est en courroux
Mère kangourou
Tu es là Vient de donner naissance
déjà À trois petits
dans l’attente Qu’elle a appelés
et sa douceur de laine L’oùgourou
Le quigourou
Bourgeon bondissant Le quandgourou
au ventre de ta mère (un cousin temporaire)
ma fille Père kangourou
Voudrait savoir la raison
Ses mains posées De ces prénoms interrogatifs
sur ton front peut-être Mais mère kangourou
ton épaule ou ta joue Se contente de répondre
Que l’affaire est dans la poche…
Caresse sans impatience
comme pour elle le fit sa mère Joël Sadeler
ma femme Ménagerimes
il y a trente ans. Corps Puce, 1990
Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Corps Puce, 2010 À VIF
La vie
La vie tout court
La vie
À cloche-pied
À deux roues
À quatre pattes
La vie
À pas de velours
Sans trompettes
Sous les pins Ni tambours
qui se balancent La vie
À tue-tête
la fourmi À cœur et à cris
dans les mousses À corps perdu
À bras ouverts
seule La vie
avec son œuf. À toi ouvrant
6
Les blessures Un enfant est né
Les morsures Il grandira jusqu’à l’arbre
Les murmures Pour manger ses fruits
Les déchirures Il tombera à terre
Les tortures Amoureux du soleil
Les guerres Et même si quelques larmes effeuillent sa joie
Les misères Il est une chance de plus pour le monde
Tu viens de naître
Tu ne peux pas les connaître Yvon Le Men
Alors pourquoi pleurer Nous sommes des enfants de vouloir des enfants
Bébé ? La Part Commune, 1999
François David
Le calumet de la paix
Lo Païs, 2002
LA NAISSANCE
7
D’abord il y eut le monde
et tu es né comme le soleil
8
QUAND JE SERAI GRAND IL ÉTAIT UNE FOIS
9
― Qu’est-ce que tu veux mon petit ? AU TEMPS DES DINOSAURES
10
Dis-moi, Papi,
pourquoi on vit ? L’enfant
regardait l’eau
Mais…pour grandir ! et l’eau
le regardait aussi
Alain Boudet
Poèmes pour sautijouer L’enfant
Les Carnets du Dessert de Lune, 2010 avait six ans
l’eau ne disait
pas son âge
FLORA Le pouls
des galaxies
Fille de Florence battait de son
Âge : 6 ans imperceptible
et lent
Je n’aime pas bouillonnement
aller à l’école de lait
sur un feu doux
J’ai peur de rentrer
et de ne plus trouver Un souffle
ma maman dans les feuilles
faisait voler
Maram al-Masri des fils de la Vierge
Les âmes aux pieds nus comme des cils
Le Temps des Cerises, 2009 de faon
11
L’enfant rêvait
sur la berge
et l’eau
s’en retournait
dans les nuages LE JOURNAL
Gilles Brulet
Hibou chez les nounours
le soir descend le ciel s’allonge, Pluie d’étoiles, 2004
le petit ciel de ta naissance,
tu peux en compter les feux sur tes doigts,
plus tard dans l’aveuglante nuit d’été
tu chercheras ton étoile
parmi la foule de ceux IL FAUT LAISSER L’ENFANCE
qui recherchent la leur
Il faut laisser l’enfance
Pierre Dubrunquez choisir ses territoires
in délier lentement
Nous, la multitude les fils de l’horizon.
Le Temps des Cerises, 2011
Il faut laisser l’enfance
cogner ses rêves
aux murs chancelants
de nos demeures.
LE COIFFEUR
Déjà
Papa ne sait pas me coiffer Ses mains embrasent les violons
Il tire trop fort sur mes cheveux Ses pas arpentent l’espérance
La ville se recouvre
Les mains des papas D’un crépi de lavande.
Ne sont pas prévues
Pour coiffer les cheveux des petites filles Jean-Luc Pouliquen
( France)
Comme les épaules des mamans in
Ne sont pas prévues Voix Vives
Pour leur transport. de Méditerranée en Méditerranée
Anthologie Sète 2011
Gilles Brulet Bruno Doucey, 2011
Hibou chez les nounours
Pluie d’étoiles, 2004
12
Les enfants ne comprennent
pas les informations
ni les montagnes russes de la Bourse
ni les crises économiques
Maram al-Masri
La jupe froissée
Bruno Doucey, 2012
13
Enfant ma chambre échouée dans un érable VISITE DES SOUVENIRS
mes jeux de couleurs fraîches
ces années bues lentement Arithmétiques, aria de mon enfance.
dans la paume des étoiles Alignements, robinetteries, rythmes d’arbres,
rythmes d’eau.
Ma mère unique saison de l’enfance Je suivais les méandres falots des dessins de la
mon père posé sur la branche cruciverbiste du toile cirée. Peut-être me mèneraient-ils vers la
[fauteuil caverne de la solution ? La voix de mon
et moi rêvant d’un verger pour nos cœurs père m’arrêtait en chemin. Il fallait chercher dans
où les arbres bleuiraient au pollen des voiliers ma tête. Où ça ?
Un enfant est né
Il grandira jusqu’à l’arbre
Pour manger ses fruits L’oiseau
Il tombera par terre Un étourneau
Amoureux du soleil Tu l’as pris délicatement par une aile
Et même si quelques larmes effeuillent sa joie Et tu m’as dit :
Il est une chance de plus pour le monde Hein grand-père qu’il n’est pas toujours mort
Hein grand-père qu’il s’envole
Yvon Le Men Et tu m’as donné la main
À l’entrée du jour
Flammarion, 1984 Jean Rivet
Le soleil meurt dans un brin d’herbe
møtus
14
ÉDUCATION
Jean-Pierre Siméon
La nuit respire
Cheyne, 1987
15
SOUDAIN LES ENFANTS
Tu voudrais l’enfant
sur la route
Mais tu as dix ans.
poussant du pied
Alain Boudet un caillou.
Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2006 Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
16
PAR LES TEMPS QUI COURENT
Fillettes
au soleil Par les temps qui courent,
Les jours paraissent courts.
sautant
à la corde Par les semaines qui trottent,
Ce sont des heures qu’on grignote.
les rosiers
qui se penchent. Par les mois qui galopent
L’année est finie ! Hop !
Dagadès
Miettes François David
Corps Puce, 1992 Comptines pour donner sa langue au chat
Actes Sud Junior, 1998
La pelle
l'arrosoir
Trois enfants,
de plastique Trois jeunes enfants,
rouge Deux ans,
Trois ans,
restés Quatre ans
dans le sable Peut-être.
Le plus jeune est assis
battus Dans une poussette.
par la pluie. Les deux autres trottent
À côté.
Dagadès Une toute jeune fille,
Miettes Petite,
Corps Puce, 1992 Frêle
Et très pâle
Pousse la poussette.
Elle marche
Vite.
Le cœur de la lune Elle est pressée.
Éclaire l’île des rêves Les enfants aussi
Un champ de blé Se dépêchent.
Boit la pluie Qui peut supposer que
À petites gorgées Cette grande fille
Et là-bas Est
Un vieil arbre Leur mère ?
Se penche sur des mots d’écolier.
Dan Bouchery
Chantal Couliou C’est ça la ville
Le soleil est dans la lune Corps Puce, 2007
Corps Puce, 2008
17
Un enfant court autour de l’arbre en criant
François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I INFORMATION / DÉSINFORMATION ?
Gros Textes, 2011
Tandis que les télés passent
En boucle
Des images vides
Des mots sonores
Disant :
18
Le bonheur, c’est l’enfance.
Une petite fille joue à la corde
Avec ses rêves. Maël
Chaque nuit elle escalade le visage du vent. C’est la voix de ta mère
Elle cultive des pensées qui te guide dans la nuit de ce monde
Pour les papillons.
Immobile, Une chanson
Elle dans le jardin Une complainte
Quand elle dort, Une parole qui invente la lueur et l’éveil
Elle garde toujours un œil ouvert
Pour entendre les feuilles tomber. Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Dominique Cagnard Corps Puce, 2010
Tzigane, je veux être ton papillon
Corps Puce, 2012
FAMILLE
19
COMPTINE POUR UN JOYEUX MILLÉNAIRE JE NE VEUX PAS GRANDIR
ENFANT-DEMAIN
20
Sous les racines d’un arbre
généalogique
les oiseaux d’une cordée
spéléologique
Nous aurons cherchaient pour leur société
dit l’enfant ornithologique
un automne poétique leurs ancêtres papapa
léontologiques
J’ai vu les oiseaux du printemps
écrire leur nom sur les feuilles. Chic !
21
LE TRAIN DES ENFANTS
Au portillon,
on a fixé un petit carton :
« Mesdames et messieurs,
les parents qui souhaitent voyager
doivent se faire accompagner. »
22
Salomon Grundy,
Born on a Monday, Ngogui zing isia mvama nga kat nyia mvam na
Christened on Tuesday, Ake fet mbé
Married on Wednesday, Nyia mvam a nga kat ndomni djié na Ake fet mbé
Took ill on Thursday, Ndomi djié I nga kat ngal na Ake fet mbé
Died on Friday, Ngal a nga kat món wé Jean na Ake fet mbé
Buried on Saturday, Món wé Jean a nga kat kal yé Jeannette na Ake
And on Sunday, fet mbé
Everything is starting Eyón alou ou nga vin
Again ! Ibwem I mane di nda bot ise
Akia fianga
Salomon Grundy
Est né un lundi Un soir, un grand-père dit à la grand-mère d’aller
Baptisé le mardi fermer la porte.
Marié le mercredi La grand-mère dit au fils d’aller fermer la porte.
Malade le jeudi Le fils dit à sa femme d’aller fermer la porte.
Mort le vendredi La femme dit à son fils Jean d’aller fermer la
Enterré le samedi porte.
Et puis le dimanche Jean dit à sa sœur Jeannette d’aller fermer la
Tout recommence ! porte.
Voilà comment à la nuit tombée, la grande famille
Comptine américaine s’est fait dévorer,
in Par un lion, tout petit, minuscule ;
Ohé ! les comptines du monde entier ! Comme c’est ridicule !
Rue du monde, 2003
Comptine du Cameroun en Ewondo
in
Ohé ! les comptines du monde entier !
Rue du monde, 2003
Alain Boudet
in
Je suis un enfant de partout
Rue du monde, 2008
23
JEUX
SALAH DE BAGDAD
Rythmes et rires
à Salah Al Hamdani
vitesse des manèges
À Bagdad il y a un enfant timing de poupées
un seul enfant cadences de cabrioles
le seul que j’entende bousculades à bascules
le seul que je voie embouteillages de dragons
le seul qui compte à cet instant accidents de trottinettes
attentas à dada
Il avait un fleuve un ciel drames de porcelaine
une maison de toile guerres de dunes
et un tapis volant bombes de bonbons
(tous les enfants du monde ont un tapis volant famines ignorées
c’est leur secret) enfance protégée
24
Si mon père était un ourson,
Ma tante Alice, un gros pigeon,
Si mon oncle était un trapèze,
Ma sœur Anne, un bâton de chaise, LES SPORTS D’HIVER
Si ma marraine était un mât,
Mon grand frère, un œuf sur le plat, Maurice, avec ses deux souliers
Si mon maître était une autruche Qui ne prennent pas l’humidité,
Et l’école, une vieille cruche, Dans la neige fait des creux :
Je ne sais pas comment irait Deux fois un, deux.
Le monde étroit que je connais,
Mais je rirais, ah, je rirais Il court avec sa sœur là-bas ;
À faire sauter les volets. Deux fois deux font quatre pas.
25
ZOIN-ZOIN
Tu as dit : porte-moi.
DU HAUT DU TOBOGGAN Et ton père t’a pris
sur ses épaules de géant.
Du haut du toboggan Tout en bas tes copains
tu domines la plage sont devenus des nains.
Tu as dit : emmène-moi
tu envoies des discours jusque dans ton pays.
de sable Et vous avez marché
et des baisers choco-B.N. dans le petit sentier,
au monde entier seuls avec votre tendresse,
dans l’intimité de l’été.
je sais Tu as dit : raconte-moi
pourquoi L'histoire de ta vie.
Et ton père a souri.
j’étais comme toi Que sais-tu du passé,
avant de glisser toi, l’enfant d’aujourd’hui ?
sur le serpent de bois
du toboggan usé Claude Cailleau
Des mots pour vivre
Joël Sadeler Le Pré de la Roche, 2009
in
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012
26
CHAQUE JOUR PLUS PRÈS DU MONDE
Chaque jour,
grandir d’une poignée de réalité
vers le monde
et son théâtre d’ombre et de lumière.
S’enfoncer
PETIT DROMADAIRE dans la jungle des choses
comme dans la neige poudreuse
Maman dromadaire du premier hiver émerveillé.
Est très en colère
Petit dromadaire Atteindre
A mordu son frère l'épaule de la fenêtre,
puis la fourche du cerisier,
Maman dromadaire enfin l’horizon découvreur.
Prend son air sévère
« Petit dromadaire ! Chaque jour,
Dit-elle en colère la vie en herbe.
Privé de désert ! »
Michel Monnereau
Jean-Marie Robillard Poèmes en herbe
Saperlipopette ! Milan, 1994
Milan, 2000
CHAGRIN D’AMOUR
27
APRÈS LES ANNÉES
Carl Norac
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010
CHŒUR D’ENFANTS
28
Les enfants ouvrent les murs
Un jour comme ils ouvrent les bras
Petits enfants
Vous irez voir l’arbre ils tissent de lumière
Le vrai la couleur de notre sang
Celui qui donne des feuilles au printemps
Et peut-être des fruits à l’automne ils iront demain
L’arbre, l’ancêtre de la tronçonneuse tracer des chemins
à travers les orages
Je suis l’arbre
Petits enfants et donner à l’éclair
Et vous le temps de nommer
Que serez-vous ? les bâtisseurs d’espoir.
Des outils sans printemps
Des avenirs sans présent ? Luce Guilbaud
Poèmes du matin au soir
Michel Lautru Écrits des Forges / le dé bleu, 2003
Je cours sur ma planète
Chanson Poésie Orne, cotcodi n°31 RENTRÉE
La cire et le désinfectant
Et tout l’été silencieux.
LA FAMILLE IDÉALE
Lorsque volaient dans le soleil
Papa essuie la vaisselle Les poudres dorées du savoir.
avec un sourire de moustache
Maman rabote l’étagère Ils vont, cartables neufs au dos ;
deux clous serrés entre les lèvres Riants, bruyants, silencieux…
Moi je balaie le salon
ma sœur bêche le long des rhododendrons. Sous le ciel tout gris de septembre,
Où l’automne annonce ses traces.
La télé parlera toute seule
car bientôt nous irons Et je me revois, écolier
le cœur en sacoche Sous le noir tablier d’alors.
tous quatre
nous rouler dans l’herbe Dans la classe au plancher sonore
des pique-niques improvisés. Le maître m’attend et je sais
29
LES ENFANTS
il lâchera ma main
je sais
sans prévenir
peut-être je pleurerai
il y a dans le chant des enfants peut-être pas
des voix de lumières
inventées je penserai à ce temps-là
elles ne se taisent pas où il guidait mes premiers pas
vont par-delà et puis
longtemps après
jusqu’à plus loin j’irai où il ira
prendre sa main
l’épaisseur du vent
devant le jour Bernard Friot
peut-être oui
Danielle Fournier De La Martinière, 2006
Je reconnais la patience de l’arbre
Tarabuste, 2008
30
LES RAISONS QUI TIENNENT L’ENFANT DOUBLE
31
Les enfants de la liberté
ne s’habillent pas en Petit Bateau.
Leur peau s’habitue vite à une étoffe rêche.
Les enfants de la liberté Le ciel bleuit
ont des vêtements usés que la mer accompagne…
et des chaussures trop grandes pour leurs pieds.
Souvent ils enfilent l’air nu ou la terre. Tas de sable
sur le rivage,
Les enfants de la liberté
ne connaissent pas le goût de la banane les enfants jouent
ni de la fraise. comme des rois…
Ils mangent du pain sec
trempé dans l’eau de la patience. Et, par-delà les cris,
les sourires,
Le soir,
les enfants de la liberté l’azur des cœurs
ne prennent pas de bain, chante tout bas…
ils ne soufflent pas dans des bulles de savon.
Ils jouent avec des pneus, des cailloux Bernard Perroy
et les débris Une gorgée d’azur
des bombes. Al Manar, 2011
Avant de dormir,
les enfants de la liberté
ne se brossent pas les dents.
Ils n’attendent pas les histoires magiques
de prince et de princesse.
Ils écoutent le bruit de la peur et du froid. Mon papa est très grand,
Sur les trottoirs de la rue, Plus haut que le buffet,
devant les portes de leur maison détruite, Mais dans pas très longtemps
dans les camps des pays voisins Je le dépasserai.
ou Quand je vais arroser
dans les tombes. Les choux du potager
Je m’asperge en secret
Les enfants de la liberté Le bout de mes souliers.
attendent comme
tous les enfants du monde Michel Piquemal
le retour de leur mère. in
Cairns n°3
Maram al-Masri La Pointe Sarène, 2008
Elle va nue la liberté
Bruno Doucey, 2013
32
Si mon père était un ourson,
Ma tante Alice, un gros pigeon,
Si mon oncle était un trapèze,
Ma sœur Anne, un bâton de chaise, Dans tes yeux il y a la mer.
Si ma marraine était un mât, Sur la mer il y a la tempête.
Mon grand frère, un œuf sur le plat, Dans la tempête :une barque.
Si mon maître était une autruche, Dans la barque : une petite fille.
Et l’école, une vieille cruche, Dans la petite fille il y a ton enfant
Je ne sais pas comment irait et je vais me noyer maman
Le monde étroit que je connais, si tu ne cesses de gronder.
Mais je rirais, ah je rirais
À faire sauter les volets. Gisèle Prassinos
in
Maurice Carême Il était une fois, les enfants…
in messidor / la farandole, 1987
Il était une fois, demain…
messidor / la farandole, 1983
L’ÉCOLIER
René-Guy CADOU
Les Amis d’enfance
Maison de la Culture de Bourges, 1965
33
BOSNIAS
Trésors de mes quatre ans :
Dispersas la niña y la anciana Mousse de la forêt
En Paris subterráneo Caillou du jardin
Disputan a la indeferencia Galet de la plage
El espacio de la mendicidad Épine de sapin
Es Bosnia del horror Fleur de lavande.
El grito del este Et la terre toute entière
Vergüenza señores y señoras Dans ma poche trouée !
De importunar sus trayectos
Una canta en los vagones del metro Liska
Con voz de entraña en lengua natal in
La otra al final del pasillo Cairns n°9
En las escaleras que desembocan La Pointe Sarène, 2011
Al muelle del tren
Balbuciendo en un francés prestado
Plañeñ en medio de plegarias
Después
Vieja y muchacha se encuentran
Para contar cuántas monedas. CAÑEDO
À Paquita
BOSNIENNES
Tu as raison de passer
La fillette et la vieille femme à distance tes après-midis à jouer
Dans Paris souterrain dans les branches du figuier
Disputent à l’indifférence
Un espace où mendier Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
C’est la Bosnie de l’horreur
Le cri de l’Est Tu as raison de courir
La honte messieurs dames Jusqu'à perdre haleine
D’importuner votre trajet Le loup il va t’attraper
L’une chante dans les voitures du métro
D’une voix venue des entrailles en sa langue Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
[natale
L’autre au bout du couloir Tu as raison de traquer
Dans les escaliers qui débouchent le ver luisant caché
Sur le quai les nuits de lune pleine
En balbutiant dans un français précaire et perdre encore la tête
Larmoie au milieu des prières à rêver de vies nouvelles…
Plus tard
La vieille et l’enfant se retrouvent … Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
Pour compter leurs quelques sous.
34
À Maël, 2 ans
Ton âge
tient sur les doigts Tu marches au hasard
d’une seule main dans le plaisir de tes pas
un peu à gauche
Ton sourire un peu à droite
dans la paume dans l’ignorance des boussoles
d’une seule main
Ce qui te guide assurément
Mais ton chagrin C'est un petit rêve de plein jour
a besoin
de tout l’espace de mes bras Tu déambules à l’intérieur.
À l’aube de ce jour
je t’envoie ce poème
que des oiseaux facteurs
te chanteront demain
d'en bas un enfant
pour te dire simplement regarde la lune
que le soleil se balance et la lune est blanche
que les arbres sont en fête et bonne comme du lait
que le ciel rit à belles dents
que la rivière fait toilette rien ne rattache l’enfant
que l’on est prêt, à cette blancheur
que l’on t’attend sinon à jamais
l’ombre d’une soif
Paul Bergèse
Danser sourire et grandir Marc Dugardin
© Paul Bergèse, 1997 la peur la plénitude
l’arbre à paroles, 1994
35
Quels seront les soleils QUE DIT TAMARA
quels seront les espoirs ― QUI NE PARLE PAS ENCORE ―
du monde où vous vivrez EN SUÇANT SA TÉTINE
enfants de nos désirs ? ET EN CONTEMPLANT CE VASTE MONDE
QUI N’EST PEUT-ÊTRE PAS LE PLUS PARFAIT
Quels pouvoirs de bonheur
quelles chances de fête Pourvu
trouverez-vous encore que les enfants ne brisent les pattes d’aucun chat
dans votre devenir ?
Pourvu
Je vous prends par le cœur que les balles ne tuent aucun ours dans la forêt
je vous tiens par la main
m’interroge de peur Pourvu
sur votre dur destin qu'aucun bouleau ne soit abattu par un obus
Arthur Haulot
in Izet Sarajlic
Nous empruntons la terre à nos enfants Nés en vingt-trois, morts en quarante-deux
l’arbre à paroles, 1998 n&b, 1999
36
Depuis des années,
Des années,
Un stalactite,
le photographe a commandé Un stalagmite
le soleil et l’ordre Se regardaient.
L’ENFANCE Clod’Aria
Micro-climat
Mon enfance aux doigts tachés d’encre ! Echo Optique, 1992
Les cloches au matin.
Le muezzin au crépuscule.
Des collections de vieilles boîtes et de timbres AXIOME
anciens,
L’échange d’un Ceylan Dans mon cahier de brouillon
Contre deux Luxembourg. j'ai brouillé la piste des étoiles
hachuré la courbe des ans
C’est ainsi qu’il s’en est allé dessiné les contours du futur
Le temps de l’enfance. schématisé la forme des saisons
Il a couru en soulevant de la poussière et des cris tracé le diagramme des tropiques
À la poursuite d’une balle en chiffons. souligné les paramètres de la vie
Une balle en chiffons, illustré les arcanes de l’amour
De ces chiffons gris de l’Albanie décalqué les lunaisons des sentiments
Reste à boucler le cycle de ma jeunesse
Ismaïl Kadaré
in Maggy de Coster
Un poème, un pays, un enfant in
le cherche midi / UNESCO, 2002 Terre de femmes
150 ans de poésie féminine en Haïti
Bruno Doucey, 2010
37
Ne rien écrire
Ou juste pour toi je les vois
Parce que tu grandis l’une et l’un
M’échappes leurs vélos ont le nez à terre
Ne rien écrire
Tourner seulement la page eux s’envolent
Comme l’un de ces livres les bras clos
Que je te lisais ivres du premier baiser
Relisais
Près d’une herbe foulée je ne dirai rien à ma mère
Qui se redressait quand
Un vol d’étourneaux derrière la haie vigile
S’échappait au crépuscule les cerises mûrissent par cœur
Ses traits s’affirment et sa voix mue Va dans le vaste monde, mon cher enfant,
avec des graves et des aigus Va vers une vie libre !
l’homme enfant Tant que le vent souffle en poupe.
l’adolescent.
Va vers la vaste mer, mon cher enfant,
Parfois il voudrait s’attarder Va vers le monde libre !
dans la chaleur Tant qu’il ne fait pas encore noir
la douceur Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.
des jeux
mais il doit s’affirmer Lorsque les ombres s’effaceront,
quitter Que l’aigle de mer sera retourné à son nid,
détruire Que le vent soufflera vers la terre
construire Et que le timonier sera sans boussole,
l’homme enfant Alors tu pourras revenir vers moi !
l’adolescent.
Reviens alors, mon cher enfant,
Avec insolence Reviens de l’autre côté de la nuit !
et impertinence Et lorsque ton navire sera près du rivage,
avec innocence Alors nous parlerons
et parfois violence, De l’amour et de ta vie demain matin.
il s’arrache à l’enfance.
Asrul Sani
Michelle Daufresne in
Envol Un poème, un pays, un enfant
Lo Païs, 2000 le cherche midi / UNESCO, 2002
38
J’ai 44 ans
L’olivier en a 800
Je suis un enfant
39
CRÉPUSCULE
40
Il y a des jours de lenteur
où nous pensons que le monde s’arrête
Mais
sous l’écorce des choses visibles
Elle dans le bruit la vie
les voix lui disent rien déjà
Elle s’enferme invite à la lumière
dans sa tête
Le silence lui va bien Alain Boudet
Sa peau d’avant Les mots des mois
accrochée aux ronces Donner à Voir, 2005
Nue
dans le ventre du sentier
Errance dépouillée
Alain Boudet
Claude Cailleau
Carrés de l’hypothalamus
Tout ce qui reste
Donner à Voir, 1999
Traces, 2003
41
Avant de franchir le pas
qui mène au froid
du bloc opératoire,
le soleil amical L’ÂGE
me glisse un ultime clin d’œil.
Il va falloir plonger Mains fraîches, et ces yeux si légers et couleur
dans le néant anesthésique Des ruisseaux clairs que le ciel presse…
d’où aucun rêve Ce que je nomme encore aujourd’hui ma
ne revient vivant. jeunesse
Quand nul ne peut m’entendre et que même
À tout à l’heure… peut-être ? mon cœur
Plein de honte pour moi, fait le sourd, se
Marcel Bréchet dépêche,
Itin’errance Me laisse sans chaleur.
Echo Optique, 2007
Jules Supervielle
Le forçat innocent
Gallimard Poésie, 1969
42
L’AMITIÉ
Les mains dans les mains restons face à face Max Jacob retour de Quimper
Tandis que sous Le chat roux le quai de la Fosse
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse Fosse au passé fosse aux remords
Ne te dérange pas si tu dors !
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure Et pour qui me dérangerais-je
Sinon pour vous Amis les Anges ?
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va Les salles tristes du collège
Comme la vie est lente Mais les dimanches sous les pins !
Et comme l’Espérance est violente
Je te retrouve après quinze ans
Vienne la nuit sonne l’heure Mon lointain mon parent trop rare
Les jours s’en vont je demeure
Faut-il que tu passes si tard
Passent les jours et passent les semaines Dans le corridor du destin !
Ni temps passé
Ni les amours reviennent René-Guy Cadou
Sous le pont Mirabeau coule la Seine in
L’amour et l’amitié en poésie
Vienne la nuit sonne l’heure anthologie
Les jours s’en vont je demeure Gallimard folio, 1980
Guillaume Apollinaire
Alcools
Gallimard Poésie, 1966
43
fillette fillette
ce que tu te goures
Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
LE TEMPS L’HORLOGE et ton pied léger
si tu crois petite
L’autre jour j’écoutais le temps xa va xa va xa
qui passait sous l’horloge. va durer toujours
Chaînes, battants et rouages ce que tu te goures
il faisait plus de bruit que cent fillette fillette
au clocher du village ce que tu te goures
et mon âme en était contente.
les beaux jours s'en vont
J’aime mieux le temps s’il se montre les beaux jours de fête
que s’il passe en nous sans bruit soleils et planètes
comme un voleur dans la nuit. tournent tous en rond
mais toi ma petite
Jean Tardieu tu marches tout droit
in vers sque tu vois pas
L’amour et l’amitié en poésie très sournois s'approchent
anthologie la ride véloce
Gallimard folio, 1980 la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
SI TU T’IMAGINES allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
Si tu t'imagines fillette fillette
si tu t'imagines ce que tu te goures
fillette fillette
si tu t'imagines Raymond Queneau
xa va xa va xa in
va durer toujours 128 poèmes composés en langue française
la saison des za choisis par Jacques Roubaud
la saison des za Gallimard, 1995
saison des amours
ce que tu te goures
44
LES YEUX
Où est-il, l’enfant que je fus ?
Est-il en moi ? Est-il parti ? Les enfants bavardent dans la rue.
Ils ne savent rien encore
Sait-il que je ne l’ai aimé ni de la vie
et qu’il ne m’aimait pas non plus ? ni de la mort.
Les oiseaux en savent quelque chose.
Pourquoi tout ce long bout de route,
et grandir pour nous séparer ? Et moi, entre les enfants et les oiseaux
je m’étonne de ne savoir
Pourquoi n’être pas morts tous deux ni revivre les contes
avec la mort de mon enfance ? ni m’envoler.
45
LES ANNÉES PASSENT
46
Avec sa pelle en plastique
elle prend du sable
et le lance
loin dans la mer
47
Ton kit mains libres
palpite
comme une sirène
et tu vis Il y a une armoire à peine luisante
d’une urgence à l’autre Qui a entendu les voix de mes grand-tantes,
avec un gyrophare Qui a entendu la voix de mon grand-père,
à ton cou Qui a entendu la voix de mon père.
À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
Tu portes des lunettes à écran plat On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire
webcam et cours de la Bourse intégrés Car je cause avec elle.
Salah Al Hamdani
in
Bagdad Jérusalem
À la lisière de l’incendie
Salah Al Hamdani et Ronny Someck
Bruno Doucey, 2012
48
BAGDAD, FÉVRIER 91
Stéphane Bataillon
Les terres rares
Bruno Doucey, 2013
49
LES GÂTEAUX AUSSI SE MANGENT FROID
15 minutes de retard
J’ai préparé
le gâteau qu’ils aimaient chaud Jetez-vous sur l’avenir
lorsqu'ils en sentaient l’odeur au vol, comme l’indien sur les reins du cheval
ils me disaient en le mangeant sauvage
« Maman, tu es la meilleure » et n’en cherchez pas davantage
Prenez votre monture au col
25 minutes de retard foncez
Il y a beaucoup de voitures avalez le temps avant qu’il ne vous avale
dans les rues frappez des deux talons les flancs de la cavale
c’est bouché partout Yeux fermés
mais Cheveux au vent
ils vont arriver Lèvres entrouvertes
courez courez à votre perte
1 heure de retard Allez au-devant du temps
Ce n’est pas grave faites voler en éclats horizon et raisonnements
le gâteau se mange froid aussi tout ce qui est inerte ment
prenez les devants
2 heures de retard bousculez Dieu comme une idée reçue
Un SMS arrive : Ruez-vous sur l’avenir avant que les vers ne vous
« Maman, nous viendrons mangent
demain. » pressez votre cœur comme on presse une éponge
faites-lui rendre tous les prénoms
Maram al-Masri tous les instantanés d’amour
La jupe froissée tous les rêves inassouvis
Bruno Doucey, 2012 qu’il a stockés
dans ses greniers
Jean-Pierre Rosnay
Fragment et Relief
Collection Club des Poètes, 1994
50
TOUT REPRENDRE
51
LE VIEUX POUCET
Pierre Gabriel
L’oiseau de nulle part
l’idée bleue, 2005
LA DEUXIÈME GÉNÉRATION
52
AVANT LA GUERRE
Avant la guerre
le pain était de mie
maintenant c’est du vieux pain rassis J’avais trainé
En chemin
Avant la guerre Une vitrine
les pommes étaient des pommes Des crayons
aujourd’hui ce sont des navets Des gommes
M’avaient retenue
Avant la guerre De petites gommes
on avait le vin gai À la dimension de ma main
maintenant il assomme Une gomme pour effacer
Pour se racheter
Avant la guerre Une autre
on riait du rire des enfants Pour recommencer
maintenant il fait pleurer
Je n’ai pas trouvé
Avant la guerre De
les chiens avaient une âme Gomme
et maintenant ils sont féroces Pour refaire
Ma vie
Avant la guerre
les gens étaient bien en chair Dan Bouchery
et maintenant ils sont faits d’os Les éphémères
SOC et FOC, 2009
On passait sa vie dans les rues
pour prendre le soleil
et maintenant il s’est caché
Et la pluie
la douce pluie tiède et sucrée
devenue grêle et sel gelé J’habite
dans ma mémoire d’enfance
Dans les villes d’avant guerre d’immenses près d’étoiles
les maisons se tenaient debout très fières des Voies Lactées vaporeuses
et maintenant elles sont couchées sur les champs de blé de juillet
en pente vers la vallée.
Après la guerre…oh ! après la guerre Sur les chemins
tout sera encore plus beau qu’avant sans trop lever la tête
le pain la pluie le soleil les gens on croyait avoir
On ira le raconter sur les tombes les constellations à portée de mains.
À ceux qui sont tombés Nulle part ailleurs
Les nuits ne sont plus neuves.
Jean-Louis Maunoury
Guerres et paix Colette Andriot
møtus, 1997 Pattes d’oiseaux, pattes de chat
La Renarde Rouge, 2007
53
Dans trois cents ans
les gens qui parleront en verlan
ne diront pas Kanlipé
mais Pélican Comme les perles d’un collier
Ils ne diront pas Kéropé Qu’on égrène distraitement
mais perroquet Les jours s’additionnent aux jours
comme avant Sans nul souci de qui les porte.
Michel Besnier *
Le verlan des oiseaux
et autres jeux de plume On dit toujours que le temps passe.
møtus, 1995 Je me sens plutôt dépassé
Par ce qui en moi m’outrepasse
Et qui dévore mon passé.
Jean-Louis Jacques
Quatrains de veille
La Renarde Rouge, 2003
GUSTAVE C.
25 ANS
54
Du poème des visages
tu retiens une ride
et un sourire
Alain Boudet
Ici là, sur le rivage TU M’AS DIT
La Renarde Rouge, 2010
Tu m’as dit oui
Pour aujourd’hui
Pour mercredi
Et pour jeudi
Tu as promis
Pour vendredi
Et puis et puis
L’arbre d’hier Tu n’as rien dit
qui m’arrivait au menton Pour samedi
L’arbre d’aujourd’hui Ni pour la vie
qui accroche le ciel pour de bon Moi pour la vie
L’arbre de demain J’ai bien envie
qui oubliera mon nom. Que ce soit oui
Aussi
Joëlle Brière
Arbres et compagnie Liska
La Renarde Rouge, 2007 A comme love
La Renarde Rouge, 2003
55
Le lanceur
du bord de l’eau
a-t-il pensé
aux millénaires
qu’il a fallu
pour façonner Si on est devenus grands
le galet
qui a réussi c'est qu’on devait s’ennuyer
quatre ricochets ?
Les trains électriques tournent en rond
Paul Bergèse
Au gré des galets François Philipponnat
La Renarde Rouge, 2006 Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011
il regarde sa chaise
il a posé dessus pipe et tabac
c’est une simple chaise
de pauvre chambre mal meublée
il la peint avec son bois de paille ENFANT
et le tabac dessus
après il fume une pipe Enfant, j’étais déjà un enfant
et disparaît dans la fumée Je le suis resté
c’est la chaise de Vincent Je ne suis pas grand
sur le tableau en couleurs et douleurs. J’ai fini de téter
Mais je saute toujours les problèmes
Luce Guilbaud En leur tournant le dos
Par les plumes de l’alouette Devant les dilemmes
Corps Puce, 2012 Je me cache dans le frigo
Face aux réalités
Je baisse les yeux, je tire la langue
Je me gratte les pieds
Je suce une mangue
Et quand les ennuis s’amoncellent
Entre les veilles et les lendemains Derrière et devant
Je monte dans ma nacelle
la marge de manœuvre est étroite Et je file avec le vent
56
NOSTALGIE
Gouttelettes blanches,
Lentes gouttelettes,
Gouttelettes de lait frais, AU GUICHET DU TEMPS
Clartés fugitives le long des fils télégraphiques,
Le long des longs jours monotones et gris, Donnez-moi un aller d’âge simple :
le retour ne m’intéresse pas.
Où vous en allez-vous ?
Où vous en allez-vous ? Michel Monnereau
À quel paradis ? Je dis : paradis, Les zhumoristiques
Clartés premières de mon enfance Gros Textes, 2006
Jamais retrouvée.
SI J’ÉTAIS PETIT…
57
LE BALAYEUR
Le Printemps a une barbe fleurie Ô jeunesse voici que les noces s’achèvent
comme Charlemagne Les convives s’en vont des tables du banquet
à ce qu’on dit Les nappes sont tachées de vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves
L’Été a une barbe noire
sous la rôtissoire Une vague a roulé des roses sur la grève
du soleil Quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
L’Automne a une barbe rousse Et les rois ont mangé la galette et la fève
comme les frères Barberousse
fameux pirates Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
L’Hiver a une barbe blanche Que leur sommeil soit calme et leur mort sans
comme les pères Noël [rigueur
des grands magasins
Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
Ma barbe à moi est poivre et sel Qu’on emplisse mon verre et bouchant mes
pour assaisonner mes joues [oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur.
Daniel Schmitt
La barbe des saisons Robert Desnos
Lo Païs, 1998 in
Drôles d’oiseaux
17 poèmes à chanter, 19 poèmes à lire
Didier Jeunesse, 2006
58
JE DIS DOUCEUR
Douceur,
Je dis : douceur
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Quand j’aurai assez de janviers févriers mars Et que des mots t’accueillent
assez d’avrils mais juins juillets assez d’aoûts Qui te donnent du temps.
septembres octobres et mon compte de Car on tue dans le monde
novembres décembres Et tout massacre nous vieillit.
Assez de lundis de mardis assez de mercredis Je dis : douceur,
jeudis de vendredis samedis dimanches Pensant aussi
Assez de midis de minuits assez de quatre heures À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
assez d’heures À des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,
Mon temps de parole bien passé je m’en irai faire À des poignées de main.
mon silence Je dis : douceur, pensant aux heures d’amitié,
À ces moments qui disent
Valérie Rouzeau Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
in Cet air tout neuf,
Drôles d’oiseaux Qui pour durer s’installera.
17 poèmes à chanter, 19 poèmes à lire
Didier Jeunesse, 2006 Guillevic
in
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003
MONSIEUR, MADAME
Alain Serres
Salade de comptines
Rue du monde, 2002
59
PHOTO
On dérange sa journée
avec une photo qu’on retrouve.
Dans le métro
Le cliquetis rouillé des années Les enfants jouent, rient, chantent
se remet en marche. Font des signes de la main
Au train d’à côté
D’un visage, Envoient même des baisers
l'imagination dresse une vie
Nous, on a les yeux rivés au sol
comme quelques mots Ou dans un livre
frottés les uns aux autres Ou sur la ligne à suivre
allument l’incendie du verbe. C’est la même chose
C’est la même chose qu’on veut
Avec une photo,
on creuse une ride de plus Antonello Palumbo
au temps. Carnet d’un poète assis sur l’horizon
Les Carnets du Dessert de Lune, 2005
Michel Monnereau
Poèmes en herbe
Milan, 1994
UN MARIAGE
Norge
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010
60
parfois nous marchons
avec l’appréhension
de ce qui est devant
et que l’on ne peut voir
Je rends grâce à des riens que la distance irise,
rien ne trouble la cadence une agate dans la poche,
des pas sur le gravier un goût de coco imprégnant les jeudis, des
souvenirs de cuisses rouges sur les rampes
pourtant cela se découpe d’escaliers.
déjà en nous Aux robes à fleurs de ma mère légères dans le
et un peu plus loin soleil du séjour, aux tablées d’amis des
dimanches,
c’est là aux blagues de mon père et au tapis qu’on
comme d’ordinaire finissait toujours par rouler pour danser.
À l’appui rouillé de la fenêtre d’où je regardais
nous poursuivons en sachant Paris le soir
que cela ressemble et d’où j’attendis un jour le camion des
à une peur d’enfant déménageurs sans parvenir tout à fait à croire
et c’est à peu près tout. que l’éternité n’a qu’un temps.
61
ONDES INEXPLICABLES
Les outils du jardin sont restés sous la pluie. Ils À cause d’une musique
n’ont qu’ici à pouvoir être entiers avec le temps. À cause d’un vent qui passe
La brouette vert sombre couchée sur le côté au Et qui vient de très loin
bord d’une fosse où de l’herbe se décompose, on À cause d’un paysage
la dirait ici pour l’éternité. Pas comme nous et Qui n’a pas changé d’une ride
notre crainte de vieillir dès cinq heures du soir À cause d’un visage d’enfant
dans novembre. Qui coupe les pensées
Voilà qu’on rencontre des choses
Marcel Migozzi Et des hommes d’il y a longtemps
Des heures jardinières Voilà qu’on reconnaît des voix
Autres Temps, 1994 Qui se sont tues des siècles plus tôt
Quel tour est-ce encore ô mémoire
Pour qu’on reconnaisse des regards
Que la terre a mangés pourtant
Avant que nous soyons venus
Robert Momeux
L’APPEL DE LA SIRÈNE On a beau dire
Multiples, 1991
Adieu, je vous quitte,
bye bye je rembarque
mes mots et mes mythes
ma clique et mes cracks !
J’ai plein mes bagages
de ces biscuits secs
qui font un langage
du Havre à Québec. Tu as un an de plus
Où le vent me mène aujourd'hui
je m’en vais au loin, Tu as oublié l’enfant
avec mes baleines, qui sommeillait en toi
avec mes marsouins.
J’entends la sirène Tu aimerais pourtant le rappeler
qui siffle un taxi, Pour qu’il puisse voir
vite, elle m’entraîne ce que tu es devenu
dans sa galaxie ! Pour enfin vivre au soleil
Certains soirs
Charles Dobzynski tu te manques
Les premiers de la glace
le dé bleu / Écrits des Forges, 1996 Yann Sénécal
Je ne m’adresse plus la parole
clarisse, 2009
62
J’aurais aimé être l’éclat de rire d’une drôle de
vie.
**
se dire aujourd’hui que demain nous irons J’aurais aimé être assis sur un banc de poissons.
c’est comme un défi à notre mort **
car c’est bien de cela dont il s’agit n’est-ce pas J’aurais aimé être les rides soucieuses d’un front
non d’y échapper de mer.
mais bien de résister à son avance **
à cette usure J’aurais tant aimé être la cerise sur le gâteau.
un peu plus longtemps que possible
et de tenter ce pas
juste un pas plus loin Jean-Louis Massot
Sans envie de rien
Patrick Joquel Éditinter, 2003
Un emploi du temps de chamois
clarisse,2008
Prends ma main
et laisse-moi traîner Bagdad jusqu’à tes pieds.
Bagdad ma faillite
J’ignore étrangère à ses morts,
si je vis dans l’ordre à ses années perdues
ou le désordre
Tu verras le temps qui remonte la colline,
Si aujourd’hui est hier les instants consommés par le silence
ou demain
Que dire ma fille
ou les deux ensemble devant la dépouille d’un exilé ?
Que dire face à un étranger qu’on envelopperait
Anise Koltz de poussière et priverait de ses ailes ?
Chants de refus II
Phi, 1995 Salah Al Hamdani
Bagdad à ciel ouvert
Écrits des Forges / L’idée bleue, 2006
63
CONFIANCE
égarée
Danielle Fournier
Je reconnais la patience de l’arbre
Tarabuste, 2008
64
VIVRE
Alain Boudet
Au cœur, le poème
La Vague à L’Âme, 1995
65
CREDO
Jean-Pierre Siméon
Sans frontières fixes
Cheyne, 2001
66
À Béatrice Pernier
Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008
J’écoute Bach
J’écoute Vivaldi
J’écoute le bruit de la vie Changer le monde, j’y passe un de ces temps.
Les oiseaux qui chantent dans les verts feuillages Fermer les centrales, donner plus d’ailes au vent,
Je n’ai plus d’âge parler à une étoile, qu’elle reste au levant,
Je ne suis que plaisir et envie protester dans la rue, rire partout ailleurs,
Note sensible sur le clavier du temps changer le monde avant
Note qui vibre libre avec l’univers que se comptent les heures, que je devienne
[grand.
Jean-Claude Bardot En fait, ça m’arrangerait
Poèmes au tournesol que vous changiez le monde avec moi.
L’iroli, 2008
Carl Norac
( Anne-Marie Wilwerth, Pierre Coran)
D’îles en ailes
Couleur livres, 2012
67
Ce jardin libère l’enfance de ses liens.
Désormais, tu peux revenir sur ces lieux
heureusement préservés de tout. De ce jardin
s’échappent des couleurs, des senteurs que tu Mais des amis avez-vous des
n’as pas oubliées et qui, en cet après-midi, nouvelles ? Le temps court comme un cheval fou.
t’assaillent de nouveau : il a évincé le temps pour Le sable a bu leurs images, l’herbe recouvre leur
n’être que présence diaphane et cependant si chemin.
tenace au point de mettre à jour le moindre Et nous levons les yeux vers le
souvenir qui, tout à l’heure encore, n’était que grand fleuve d’astres où monte, éperdue, la
tache blanche dans la mémoire. barque du passeur.
68
CHANT D’ORPHELIN
MINUIT VOLE !
Armand Monjo
Le monde est mon cousin
l'épi de seigle, 1998
69
Je suis un vieux précoce
et sans force
À soixante ans barbe blanche
cheveux en bataille
maintenant clairsemés
qui se rabibochent LE PARFUM DE MÉMÉ
− solidarité capillaire−
sur mon crâne dénudé J’aime le parfum de mémé
doigts gelés Elle sent la soupe aux choux
−mains et pieds Le dimanche elle sent le poulet
toujours fourrés− J’aime l’embrasser, c’est doux
L’heure du repas J’aime quand elle revient
arrive sans joie De chez le coiffeur
je n’aime que Elle n’a plus un cheveu blanc
les rillettes du Mans Ils sont noirs, c’est surprenant
à la graisse de porc On dirait qu’elle est tombée
à la grâce de Dieu Dans le vidangeur
Mon équilibre est fragile J’aime quand elle prend le thé
mes jambes en péril Elle éventre toujours le sachet
et il me faut bâton de bois Tous les grains se mettent à nager
pour faire quelques pas Elle le boit, elle a la santé
Je suis un vieux précoce J’aime quand elle parle avec sa voisine
et sans force Elles chuchotent entre leurs dentiers
mais je n’en fais pas une maladie Elles se montrent leurs pieds
pardi Elles disent du mal de l’autre voisine
je l’ai déjà en moi en ami J’aime quand elle fait le ménage
mon cancer favori Elle fait sauter les plombs
et il m’emmènera bien En branchant l’aspirateur
en enfer ou en À califourchon
paradis Il y a de l’explosif dans l’allumage
J’aime bien quand elle marche
Joël Sadeler On dirait qu’elle a des oursins
Le Cancre du Cancer Dans les godasses
l’épi de seigle, 2000 Mais pour elle, la terre est basse
Elle est haute
Comme trois marches
J’aime le parfum de mémé
Jamais je ne l’oublierai, non jamais.
Il y aura toujours
un poète Philippe Fournier
pour dessiner un vieil arbre Les épées de pépé
un sage Gros Textes, 2001
pour ramasser une vieille pierre
un enfant
pour aimer un vieillard
Clod’aria
La pierre, l’arbre, l’âne
l'épi de seigle, 2001
70
SOUVENIRS DES ANNÉES 40 de poulets de lapins…
( à Renée)
Il fallait bien nourrir
les Parisiens !
Je me souviens la Vendée était riche
de mon arrivée sur la côte elle, classée pauvre
en 1940 dans les géographies d’alors !!!
de ce clocher roman
modeste trapu Cette nuit en rêve
si séduisant nous volions
pour mon œil de peintre la main dans la main
qui est resté intact et j’éprouvais pour toi
dans ma mémoire la même amitié que jadis
lui et son curé amoureux immense et éternelle…
qui t’offrait des bas de soie…
Dans les rêves
Le petit tortillard le temps est immobile
longeait la côte en toussant
nous emmenant à la ville Clod’Aria
Dans la rue des Sables Inventaires
la bise régnait en tyran Le Chat qui tousse, 2000
Sur le remblais
peu de monde
La plage était à nous
la jeunesse aussi
et la guerre
Le jeudi
nous courions les fermes
à la recherche d’œufs
71
Te souviens-tu ma sœur
de la bonne odeur des fricots de grand-mère,
la soupe embaumait la sarriette.
Le mironton et la blanquette
qui mijotaient sur le vieux fourneau noir
LE VIEIL HOMME À LA CANNE ont régalé notre jeunesse.
Le riz cuisait longtemps, longtemps,
De sa main nous nous disputions souvent
posée sur le monde pour gratter la casserole
le vieil homme a gardé car il prenait toujours au fond.
le sillage des routes C’est comme ça qu’il est bon disait grand-mère
… il y a longtemps qu’elle est partie !
Simples chemins d’éternité Qu’est-ce qu’elle mijote maintenant au paradis ?
qu'il regarde C’était une fameuse cuisinière
assis près du feu. et elle avait beaucoup d’esprit !!!
C’est elle qui bat en neige les nuages
Alain Boudet et la crème fouettée sur mon visage
Anne-Laure à fleur d’enfance les jours de neige et de grand vent…
Donner à Voir, 1994 C’est elle qui fait tout ce remue-ménage
maintenant… elle a beaucoup de temps.
Denise Bourré
in
Agape/agape(s)
Donner à Voir, 2006
Sursitaire
Comme chacun
Marcher encore un peu
À l’instant réduit jusqu'à la prochaine racine
jusqu’au prochain croc-en-jambe
À rebours d’ivresse
Par la peur souvent secoué Et de là peut-être
atteindre un quelconque havre
Locataire
D’un corps vieillissant Et comme l’on vieillit
Gourmand de joie et de lumière progresser à tâtons
72
DE LA VIE III
Ce monde refroidira
étoile parmi les étoiles EFFACEMENT
et même des plus petites,
une pépite d’or sur fond de velours bleu en L’herbe a grandi au fossé profond
somme, l’homme en marchant fixe
notre univers immense en somme. le nuage étiré
frangé comme son habit gris
Ce monde un beau jour refroidira des chiens aux horizons béants
même pas comme un bloc de glace diversement aboient
ou un nuage mort, pourtant c’est la paix
il roulera comme une coquille de noix vide le jour va s’incliner
dans l’obscurité sans bornes ni limites… il faudra bien encore
couper le pain à la nuit
Dès maintenant tu en éprouveras la douleur assis sur le billot rustique
tu en ressentiras la tristesse dès maintenant. avec en fin de compte
C’est ainsi que tu dois aimer le monde l’impensable mort.
pour pouvoir dire : j’ai vécu.
SUR UN VOYAGE
73
LE VIVANT PROLONGÉ
(Avec naturel.
Familièrement, comme ça)
Hôpital de la Pitié
25 août 1983
75
Mon grand-père m’a transmis
LES DEVOIRS un calme malicieux
pour Monique Royer
Celui de ce pays
je dois d’abord éteindre les oiseaux. qui fait partie de moi
Dans mon jardin les fleurs galopent : sans autre prétention
je dois d’abord les arrêter
comme on arrête un cheval Celui que le vent mène
devant la mer boudeuse. bien au-delà du temps
Je dois d’abord repeindre les objets de l’exil et de l’ombre
qui furent mes amis :
le rasoir ; la carafe Celui qui me rappelle
et les livres sacrés. ce frisson dans tes yeux
Je dois d’abord rendre à l’horloge
les heures Comme si d’ordinaire.
que depuis soixante ans je lui ai dérobées.
Je dois d’abord abattre tous les arbres, Stéphane Bataillon
pommier, platane, eucalyptus, Où nos ombres s’épousent
où j’ai gravé, Bruno Doucey, 2010
voyageur imprudent, mes initiales.
Je dois d’abord mettre en lieu sûr l’éternité.
Alain Bosquet
Demain sans moi
Gallimard, 1994
SILLAGE
76
C’était un vieux monsieur
Qui criait « Oh mon Dieu ! Ah ! une rob’ de quoi ?
J’ai tiré la sonnette d’alarme Une rob’de mariée !
Mais personne n’est venu, quel drame ! C’était à qui ?...
Ça fait soixante ans que j’attends Qui ? qui
Mes cheveux sont devenus blancs ! » a mis cette robe-là ?
Quell’grand-mère ? Peut-être
Edward Lear la grand-mèr’ de papa.
Poèmes sans queue ni tête C’est pas d’hier
Très librement adaptés par François David c'est pas d’hier les gars :
møtus, 2004 dans l’bas la dentelle a
des trous supplémentaires.
Xavier Bouguenec
Dans la maison Y a plus d’enfants
De mamie SOC et FOC, 2006
On parle d’amour
Papi ramène du bois
Qu’il chauffe
Sur son cœur
Et mamie
Comme autrefois
Brûle encore et toujours
De lui parler d’amour. J’ai crié que j’aimais.
J’ai aimé sans rien dire
Michel Lautru et la vie est passée…
Les jupes s’étourdissent
SOC et FOC, 2005 Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999
77
Et quand on est né en 16 Laisse tes cheveux blancs
Oh là là ! Dépasser de ton chapeau
on n’ose plus l’annoncer. Ils sont la preuve
On entend tout de suite De tes plus belles patiences
résonner dans sa tête :
« Et tous ces jeunes Joëlle Brière
qui sont morts avant vous, Et ZEN alors !...
vous n’avez pas honte ? » La Renarde Rouge, 2003
Oh si !
Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999 ÉLOGE DE LA VIEILLESSE
78
IL SERA BON DE VIEILLIR
Jean-Pierre Siméon
À l’aube du buisson
Cheyne, 1985
79
Quand le caillou s’effrite
et que l’oiseau s’épuise
Le temps est chose incertaine,
Quand l’arbre s’oublie dans son ombre Inexplicable et traitre
Là où l’horizon s’amenuise Où l’homme demi-dieu
Jusqu'à l’oubli de la lumière N’est pourtant pas le maître
80
Sous la caresse
du sable
et de l’eau,
plus le galet vieillit,
moins il a de rides.
L’homme en est jaloux ! La plus vieille femme du monde n’arrête pas de
changer de nom
Paul Bergèse
Au gré des galets La plus jeune aussi
La Renarde Rouge, 2006
Les autres aussi
François Philipponnat
Sous Cent remarques sur tout
son parapluie Tome I
Gros Textes, 2011
la vieille
tout en noir
toits d’ardoises
qui luisent.
Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
Le vieille dame aux yeux de ciel
éteint le feu qui durcissait son regard
se replie entre silence et tendresse
sa violence semble bridée
COMMUNICATION l’enfant blessée retournée au loin
chemine-t-elle encore
À Bauchi −Nigéria− portant toute son histoire
Juste à côté de la poste oubliant les mots
Là où on peut téléphoner ne se cognant plus contre les murs invisibles
Au-to-ma-ti-que-ment en échange elle a trouvé son âge
Aux quatre coins du monde nous entend-elle maintenant
En un rien de temps
la vie de celles qui nous ont portés
À Bauchi −Nigéria− aidés à grandir
Juste à côté de la poste glisse sans bruit vers la fin
Il y a une vieille femme
Qui parle toute seule notre définitive séparation sera
Se-crè-te-ment douce douleur inévitable
En faisant de grands gestes
À ses ancêtres Colette Andriot
Pourquoi pas 2005
Jean-Claude Touzeil Gros Textes, 2012
Itinerrances bis
Gros Textes, 1997
81
LA VIEILLE MAISON
SUSURREMENTS SÛREMENT
La vieille maison
Papi papote A laissé tomber ses briques
Mamie marmotte Sur le côté.
Pomme-ci pommote
Pomme-là mijote De colère
L’anthropomm’morphe dorlotte La porte
Les pommes sans culotte. Est sortie de ses gonds.
Et vite
Refermé
La porte
SAIS-TU ?
Une à une
Sais-tu ce qui éclaire encore A attrapé
Le visage de ce vieil homme Les tuiles
Assis sur ce banc
La tête inclinée vers le trottoir ? Près du mur
A planté
Tout simplement la marelle Des rosiers
Que retrace sur le sol
La craie de sa mémoire. Et tout autour
Une haie d’aubépines
Qui protège du vent.
Gilles Brulet
Poèmes à l’air libre Lydia Devos
Le Livre de Poche Jeunesse, 1996 Un dimanche à la campagne
Lo Païs, 1999
82
ÂGES
Me voici
Quadragénaire
Annonce Eulalie
En colère
PETITES OMBRES
Me voilà
Les petites ombres se promènent Quinquagénaire
serrant contre elles Avoue Eulalie
un cabas, Amère
un chien, un chat.
Sexagénaire
Personne ne les voit Douairière
on ne remarque pas Pleure Eulalie
ces sombres En jachère
ombres
Septuagénaire
Elles ont été Octogénaire
dans la passé Chuchote Eulalie
des charmantes, Sédentaire
des importantes,
des méchantes, Nonagénaire
des vibrantes. Centenaire
Elles ont été, cela les hante, Rabâche Eulalie
des amantes. Débonnaire.
Pourquoi rentrer
retrouver GRAND’MÈRE
un passé
envolé ? Grand’mère
Qui les attend ? Se courbe toujours vers la terre
Qui les entend ? Et au début
Je me demandais ce qu’elle avait perdu ?
Les petites ombres se promènent
serrant contre elles Mais elle n’a rien perdu du tout
un chien, un chat Elle a plein de tours polissons
un cabas. Et si elle plie comme ça les genoux
Elles déambulent À les rentrer dans le menton
Funambules. C’est pour mieux jouer à saute-mouton.
83
On l’appelle la petite dame d’en face
Tous les matins elle sort avec son cabas
la tête baissée la marche lente
Tu me reconnaîtras On ne sait rien d’elle on ne lui parle pas
quand je viendrai un jour. On la croit tournée au-dedans d’elle-même.
Nous nous reconnaîtrons.
Le soleil aura mis de l’or dans tes cheveux, Véronique Joyaux
Le temps de la neige dans les miens. Les âmes petites
Et dans ma barbe aussi, Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
que j’ai voulu garder bien qu’elle me vieillisse.
L’HIVER
L’hiver
Les enfants croient que les arbres sont morts
tout le jour Mais, avez-vous vu un mort debout ?
un homme à sa fenêtre Le vieillard fatigué se couche et s’endort
tente de capturer le présent Pourtant, ne croyez pas d’un seul coup
attend une réponse Qu’il va mourir
et demeure là Non
flanqué de sa mélancolie Il attend le printemps
à porter ses morts en lui Il y pense de tout son vieux cœur
regarder la vie lui échapper Et dans un sourire
gagner le silence Il se voit mille fleurs
en d’infinis ondoiements. Au bout des doigts.
84
SILLAGE
Une vie, à peine un peu C’est une vieille dame, assise sur un banc.
d’écume dans son sillage, Elle sort de son panier un petit mouchoir blanc.
guère plus de traces Elle se lève et, d’un geste,
que l’oiseau n’en laisse envoie voler au vent
dans l’air qu’il fend. des trésors de miettes
que cent pigeons tout blancs,
Une vie, ce qu’il en reste, cent pigeons qui volettent,
cette traînée d’images picorent en un instant.
dans les mémoires amies
s’évaporant avec les ans. Michel Piquemal
Poèmes à poils et à plumes pour enfants en
Une vie, une voile, un vol, pyjama
un grain de lumière Pluie d’étoiles, 2000
dans les sillons du vent.
Michel Baglin
De chair et de mots
Le Castor Astral, 2012
85
C’EST FADE CONTONS ET TRICOTONS
Ah ! Ma douce grand-mère
Tu tricotes, j’écris
Tes récits de jadis.
Georges-Emmanuel Clancier
in
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Vieillir c’est voir mourir les autres Bayard Jeunesse, 2012
Tout un chacun n’a pas l’opportunité
de mourir jeune
José Millas-Martin
De fond en comble POURSUITE DU CHEMIN
Le Sémaphore
Main dans la main
Elle a six pattes Avec grand-père
Je poursuis
Elle a six pattes : Mes chemins
Les deux siennes Sous l’ombre
Et quatre Ou la lumière
Du déambulateur. Je dessine mon nom
Elle ne va
Pas plus vite. Plus tard plus tard
Surtout : Grand-père
Je lui souhaite C’est moi qui saisirai
D’aller plus loin Ta main.
86
GÉNÉALOGIE
Alain Boudet
in
Cairns n°4
La Pointe Sarène, 2009
87
À Patrice Pichère
On ne s’était pas aperçu que le temps
La rivière a coulé glissait comme l’eau d’un fleuve, portant toute
Le nuage est passé chose vers l’extrême couchant et on aurait
Ce pauvre temps aussi tellement voulu rejoindre la rive où l’on voyait
Et ma vie parfois courir un enfant, dans la lumière
Et mon pauvre sort d’éternité.
La bateau au port
Toutes voiles baissées André Rochedy
Semble un oiseau mort Chants de la traversée
Et j’entends marcher l'arbre à paroles, 1999
Dans mon pauvre cœur
Une troupe lointaine
Qui cherche demeure
La rivière a coulé
Le nuage est passé
Ce pauvre temps aussi SUR LE SABLE DU TEMPS
Et ma vie
Et mon pauvre sort Mon cheval à roulettes
noir et blanc pommelé
Jean-Claude Bardot galope encore
Poèmes au tournesol sur la terrasse de l’enfance
L’iroli, 2008 et les frêles bateaux de papier
dansent
vers le bassin de l’Esplanade
par les étroits canaux de la fontaine
canyons géants du Colorado
sur la photo de famille
j’éclabousse mes frères la cadence des roulettes
accompagne les voix profondes
papa maman ont le tournis du violoncelle de ma mère
quatre tresses pour trois cousines inaltérées pour toujours
six bretelles mais cinq cousins
quelques tantes très veuves seul j’ai vieilli
des oncles rescapés mais demeure l’enfant
ma marraine et son militaire comme la mer soupire
sur le sable du temps
au milieu de la scène
mes grands-parents heureux Frédéric Jacques Temple
se tiennent par la main in
Enfances
(les noces d’or) Regards de poètes
Bruno Doucey, 2012
Françoise Lison-Leroy
le dit de petite elle
l’arbre à paroles, 2000
88
UNE AUTRE FOIS, JE SAURAI
Jusqu’à l’étranglement
Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
89
VENIR PARTIR
Yves-Jacques Bouin
Une passée de paroles MÉMÉ
l’épi de seigle, 1997
Je me souviens de toi,
on t’appelait mémé
Et chaque année
tu meurs une seconde fois
Un jour de gel et de Janvier,
Si l’homme était immortel un jour de froid
combien de temps pensez-vous Un jour mon tour viendra
pouvoir supporter votre conjoint ? et qui dira pour moi
Vous supporter vous-même ? « Je me souviens de toi,
on t’appelait mémé » ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème Liska
Corps Puce, 2009 Le temps étoilé
l'épi de seigle, 1999
90
MON PÈRE
Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
PÉPÉ
Houlala pépé
ANTHOLOGIE Hou ! papa l’est laid
Où papa l’est né
Sous son nom Papa n’est pas né là
L’année de sa naissance Papa n’est pas né laid
L’année de sa mort Papa l’aîné l’a le nez pâle et pas laid
Le vie d’un poète Mais papa n’est pas né Népalais.
Une vie entre parenthèses
André Schetritt
Joël Sadeler Eux autres, moi-je et le monde
Le nœud coulant Donner à Voir, 2005
L'épi de seigle, 1995
91
Certains soirs d’automne
Il est une colère le poirier
Qui ne tarit pas décroche l’accordéon
pendu à ses branches
Celle qu’on adresse
À nos grands absents Il joue un vieux blues
Ceux dont le silence de derrière l’horizon
Est intolérable pour lui tout seul
histoire de dire
Et dont la patience la tristesse
Épuise nos pas du temps qui passe
avec la mort
Colère qui veille à tout bout de champ
Au feu même en maraude
De nos prières
Et quand on l’entend
Une vie durant la tristesse
nous gagne
Philippe Quinta aussi
Ni le jour ni l’heure certains soirs
Donner à Voir, 2008
Jean-Claude Touzeil
Poirier proche
Le Chat qui tousse, 2004
Parfois
il me revient
des odeurs d’enfance
de pain d’épices Sont-ils encore vivants
et de fraise Jean-Baptiste et Marie
de vanille Qui gravèrent leurs noms
et de caramel Sur le tronc d’un vieux hêtre ?
92
Dans les yeux de l’enfant L’ADIEU
brûle le feu
Dans les yeux du vieil homme J’ai cueilli ce brin de bruyère
brille la lumière L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Thierry Piet Odeur du temps brin de bruyère
Les jours sans bagages Et souviens-toi que je t’attends
Echo Optique, 2004
Guillaume Apollinaire
Alcools
Gallimard Poésie, 1966
BICYCLETTE
LE MESSAGE
« Et ta grand-mère, elle fait du vélo ? » Elle faisait
de la bicyclette. Au feu rouge, l’air de rien, elle La porte que quelqu’un a ouverte
glissait sur le côté et ne s’arrêtait pas. Son coup La porte que quelqu’un a refermée
de pédale était sûr et régulier. Quand elle dut La chaise où quelqu’un s’est assis
renoncer à sa haute bicyclette grise une part de Le chat que quelqu’un a caressé
sa vie l’abandonna. Le fruit que quelqu’un a mordu
La lettre que quelqu’un a lue
Christian Bulting La chaise que quelqu’un a renversée
La saison violente La porte que quelqu’un a ouverte
Echo Optique, 1995 La route où quelqu’un court encore
Le bois que quelqu’un traverse
La rivière où quelqu’un se jette
L’hôpital où quelqu’un est mort.
SUR LE CHEMIN DE LA MORT
Jacques Prévert
Sur le chemin de la Mort, Paroles
Ma mère rencontra une grande banquise ; Gallimard, 1949
Elle voulut parler,
Il était déjà tard ;
Une grande banquise d’ouate. LE BOUQUET
93
Reportage
Georges Jean
Des mots pour elle
Je n’irai pas au cimetière le cherche midi, 2010
Je cherche son souvenir,
Et non son cadavre.
René Maublanc
in
En pleine figure ÂGES DE L’HUMANITÉ
Haïkus de la guerre de 14-18
Bruno Doucey, 2013 Dix ans déjà
un sucre d’orge
vingt ans à peine
une canne et des gants
trente et quarante ans
UN DIMANCHE APRÈS-MIDI de la barbe au menton
voici la cinquantaine
Faudrait que j’y aille un miroir et des mitaines
murmurait-elle parfois pour les plus de soixante ans
Un dimanche après-midi des lunettes et des boutons
elle emmène son petit garçon la fleur de l’âge soixante-dix
au cimetière d’Ivry une fleur à la boutonnière
Elle chercha en vain quatre-vingts ans quatre-vingt-dix
la tombe de la grand-mère un sucre d’orge
qui l’avait élevé c’est déjà trop
94
Combien de secondes pour naître
combien de minutes pour mourir
POUR UN DICTIONNAIRE combien d’heures n’avons-nous fait que paraître
combien de jours n’avons-nous fait que souffrir
Philippe Soupault dans son lit combien de mois pour nous connaître
né un lundi combien d’années avons-nous aimé
baptisé un mardi combien de vies sommes-nous nés
marié un mercredi
malade un jeudi Jack Küpfer
agonisant un vendredi Dans l’écorchure des nuits
mort un samedi Bruno Doucey, 2011
enterré un dimanche
c’est la vie de Philippe Soupault
Philippe Soupault
Poésies pour mes amis les enfants
Lachenal et Ritter, 1985 tu mets tes habits à l’envers. Tu dors habillée. Tu
sors nue. Tu enfiles deux culottes. Tu ouvres les
robinets. Tu oublies de les refermer. Tu laisses le
gaz ouvert. Tu cuisines des plats immangeables.
Tu cherches la porte. Tu te cognes dans les murs.
Tu déambules dans les pièces. Tu te perds dans la
rue.
95
DE L’AUT’ CÔTÉ
De l’aut côté
j'sais pas c’qu’il y a Un semainier s’abrite
des Dieux ? des morts ? entre deux buffets.
des diables ? des rats ? Il compte les jours,
les semaines.
Si seulement Les tiroirs pleins de secrets,
j'retrouvais mes chats Il conte le passé :
Bouly Zamour Ce que le père
Minnie Pacha… Et le grand-père
Et le père du grand-père
Les gens j’m’en fous : Lui ont confié ―
j'préfère les chats Petits trésors de vie.
96
Les sardines à l’huile d’olive
DE LUI L’ON DIRA ont été des poissons
Le vrombissement
J’ai vécu le tressaillement
(mais pas de ma plume) le martèlement
j’ai pondu le grondement
j’ai couvé le grésillement
j’ai gratté le sifflement
sans ergoter le crépitement
j’ai chanté le craquement
kot kot kot le croassement
coûte que coûte le crissement
j’ai pris des le grincement
coups dans l’aile le claquement
et travaillé du jabot le couinement
le braillement
Toute une vie l’éclatement
doux gésier ! le hurlement
pour finir et soudainement
en cocotte le silence
97
Feriez-vous don de votre corps
Quand tu ne seras plus là à quelqu’un qui n’en a pas ?
L’absence s’installera De préférence à qui ?
Doucement
Une espèce de grand silence Dominique Saint-Dizier
Marquera en cadence Questions qui posent problème
Les jours et les jours Corps Puce, 2009
Mais mon cœur sera
Toujours rempli de toi
Michel Lautru
Mon papa a de gros bras Avant d’être une maison
SOC et FOC, 2002 ma maison était un tas de cailloux de terre
98
Le gel s’inscrit dans nos veines
avec ses fleurs de faux cristal
épaisses lourdes
derrière lesquelles le sang se barricade
Si tu n’es pas pluie, mon amour,
Sois arbre à l’annonce du compte à rebours
Fécond… Sois arbre. de la mort.
Et si tu n’es pas arbre, mon amour, (14-1-91)
Sois pierre
Humide… Sois pierre. Jean-Noël Guéno
Et si tu n’es pas pierre, mon amour, Barbares à la barre du jour
Sois lune Gros Textes, 2012
Dans le songe de l’aimée… Sois lune.
Ainsi parla une femme
À son fils qu’on enterrait.
99
Nous prenons la main qui meurt
PENSÉES HAUTEMENT PROFONDES
Elle nous agrippe SUR LA MORT ET SES ALENTOURS
Bien des années plus tard Quand je serai mort, je vais me manquer.
alors que nous traversons une rue **
elle est toujours là La première nuit sans moi, ça va me faire drôle.
**
Mourir un beau soir n’est rien. C’est ne pas se
−Ça nous rassure lever le lendemain qui est le plus pénible.
**
François Philipponnat Si vous voyez venir la mort, fermez les yeux.
Cent remarques sur tout …/…
Tome II
Gros Textes, 2011 Michel Monnereau
Les zhumoristiques
Gros Textes, 2006
Le premier pavot
de la saison
rouge ponceau
déploie ses voiles
le hérisson
est en visite DERNIÈRE HEURE
comment fait-on avec les mauvaises
nouvelles Pépé,
ta dernière heure est arrivée.
Certains soirs Elle tient dans ses bras
l'enfance s’enfuit un peu plus le bébé que tu étais
là-bas dans cet hôpital et Dédée ta mariée,
la mort est passée et aussi tes petits,
le premier, le dernier,
Je garde sa voix une feuille de maladie,
tonique un bouquet d’hôpital.
la tendresse dans le bleu de ses yeux Elle met tout ça à tes pieds,
trop tard pour ce qui n’a pas été dit C'est pour toi.
toi ma douce Et elle s’en va,
qui as parfois veillé sur moi et toi aussi,
tu ne verras plus la délicatesse adieu la vie…
des pétales des coquelicots
Pef
Colette Andriot Poëtic-Tac
Pourquoi pas 2005 Lo Païs, 1994
Gros Textes, 2012
100
J’habite le souvenir
D'un homme dans la mort.
Il avait un couteau
de labeur dans sa poche,
une peine sereine à vivre,
avec un cœur infatigable.
Je l’aimais parce que.
Alain Serres
La ville aux 100 poèmes
Rue du monde, 2006
101
LA PETITE FILLE
(extrait)
Mes longs cheveux tout d’abord ont pris feu Je ne vis que pour rompre
Mes mains ont brûlé tout comme mes yeux Un à un
Mon corps ne fut plus rien qu’une poignée de Les fils invisibles
cendres Qui me font dépendance
Mêlées au vent dans le ciel nuageux. Je ne vis
Que pour me détacher et aborder
Je ne veux rien de vous en vérité Le voyage cosmique de la mort.
Pour moi, nul ne peut plus me dorloter
Car l’enfant qui brûla comme papier journal Myriam Montoya
Vos bonbons jamais ne pourra goûter. Je viens de la nuit
Vengo de la noche
Nazim Hikmet Anthologie
in Le Castor Astral, 2004
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003
102
Mon ombre se couche Les enfants de Syrie,
sur chaque tombe emmaillotés dans leurs linceuls
comme un chien comme des bonbons enveloppés.
Mais ils ne sont pas en sucre.
la mort a enfanté le temps Ils sont de chair
et de rêves
Anise Koltz et d’amour.
Chants de refus II
Phi, 1995 Les rues vous attendent,
les jardins, les écoles et les fêtes
vous attendent,
enfants de Syrie.
Maram al-Masri
JE VIS J’AI VÉCU… Elle va nue la liberté
Bruno Doucey, 2013
( Lire en commençant par la dernière ligne)
103
COMIAT pour que nous puissions les suivre.
Des tréfonds de la mort
No ens és donat d’estar il ne nous parvient plus rien
a l’altura de la mort: et la vie s’enfuit éperdue
se’n van els qui més estimem, pour se remettre
de sobte o lentament, tant és, de sa propre fin.
peròel moment arriba
i res no podem fer per acostar-nos Àlex Susanna
I acomboiar-los en el seu darer viatge: Les cernes du temps
Més que no la mort Traduit du catalan par Jep Gouzy
És la vida la qui ens separa fédérop, 1999
Dràsticament d’ells
I prossegueix implacable
El seu curs
Cap a estacions cada cop
Més fredes i desavinents.
ADIEUX
104
Ne reste pas à pleurer devant ma tombe,
Je n’y suis pas, je n’y dors pas.
Je suis un millier de vents qui soufflent ;
Quand Je suis le scintillement du diamant sur la neige,
Près de lui Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr ;
Vous m’enfouirez Je suis la douce pluie d’automne.
N’allez pas
Surtout n’allez pas
Nous pétrifier sous une dalle
Ne gravez pas en lettres d’or Je ne sais pas quand je suis mort la première fois.
Un nom Je ne sais pas tout à fait pourquoi. Mais je sais
Qui fuyait le renom que quelque chose est mort ou a cessé de vivre.
C’est une histoire de panier mal rempli et de
Nous sommes des oiseaux du ciel parents défaits. C’est un arbre
Libres amants qui de branche en branche avec la sève fait
Des fabuleux nuages passer quelque chose d’acide et de mortel.
Un jour pourtant on décide de regarder en
Nous qui n’avons pas su nous taire face le nœud de la peur et d’être ce qu’on est et
N’allez pas surtout de répandre la nuit paisible
N’allez pas nous lester d’un marbre et le jour clair dans les veines. La prochaine fois
Pour mieux étouffer notre voix. que je mourrai je veux avoir vécu avant.
105
En rire
pourquoi pas
de la mort
marelle tracée qui dévore
à la craie blanche et rose
par une main d’enfant, en rires et en chansons
la première pluie l’effacera. lui boucler le klaxon
manquent cruellement
de savoir-vivre !
Anne Poiré
in
Cairns n°4
La Pointe Sarène, 2009
Amandine Marembert
à perpète
pré # carré, 2007
On ne reviendra pas du voyage, les
chemins se sont faits vieux, le vent noir les efface.
L’île bercée est un bateau perdu, la mort a
déplacé les rives. On ne saura jamais le bout de la
nuit.
André Rochedy
Chants de la traversée
l'arbre à paroles, 1999
106
J’institue
la jeunesse du monde.
Je me demande où est passée ma jeunesse.
Le plus grand malheur
assez haut.
Pierre Barachant
Et puis croyez en la bonté, Je me demande
Atelier du hanneton, 2005
en l’humble et sublime bonté.
Raoul Follereau
in Plus quelques paroles
Paroles d’espoir
Albin Michel, 1995
sans leurs notes de musique…
107
MON ENFANCE que j´ai mal d´être revenue -
Oh les noix fraîches de septembre
(Barbara) et l´odeur des mûres écrasées,
c´est fou, tout, j´ai tout retrouvé.
J´ai eu tort, je suis revenue, Hélas
dans cette ville au loin, perdue, Il ne faut jamais revenir
où j´avais passé mon enfance. aux temps cachés des souvenirs
J´ai eu tort, j´ai voulu revoir du temps béni de son enfance.
le coteau où glissait le soir Car parmi tous les souvenirs
bleu et gris ombre de silence. ceux de l´enfance sont les pires,
Et j’ai retrouvé, comme avant, ceux de l´enfance nous déchirent.
longtemps après, Vous ma très chérie, ô ma mère,
le coteau, l´arbre se dressant, où êtes-vous donc aujourd´hui?
comme au passé. Vous dormez au chaud de la terre.
J´ai marché les tempes brûlantes, Et moi je suis venue ici
croyant étouffer sous mes pas. pour y retrouver votre rire,
Les voies du passé qui nous hantent vos colères et votre jeunesse.
et reviennent sonner le glas. Et je suis seule avec ma détresse.
Et je me suis couchée sous l´arbre Hélas
et c´étaient les mêmes odeurs. Pourquoi suis-je donc revenue
Et j´ai laissé couler mes pleurs, et seule au détour de ces rues
mes pleurs. J´ai froid, j´ai peur, le soir se penche.
J´ai mis mon dos nu à l´écorce, Pourquoi suis-je venue ici,
l´arbre m´a redonné des forces où mon passé me crucifie?
tout comme au temps de mon enfance. Elle dort à jamais mon enfance…
Et longtemps j´ai fermé les yeux,
je crois que j´ai prié un peu,
je retrouvais mon innocence.
Avant que le soir ne se pose
j´ai voulu voir
la maison fleurie sous les roses,
j´ai voulu voir
le jardin où nos cris d´enfants
jaillissaient comme source claire.
Jean-Claude, Régine, et puis Jean -
tout redevenait comme hier -
le parfum lourd des sauges rouges,
les dahlias fauves dans l´allée,
le puits, tout, j´ai tout retrouvé.
Hélas
La guerre nous avait jetés là,
d´autres furent moins heureux, je crois,
au temps joli de leur enfance.
La guerre nous avait jetés là,
nous vivions comme hors la loi.
Et j´aimais cela quand j´y pense
Oh mes printemps, Oh mes soleils,
Oh mes folles années perdues,
Oh mes quinze ans, Oh mes merveilles -
108
C’ÉTAIT BIEN C'est qu'ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
(Robert Nyel / Gaby Verlor) Et c'était bien...
Et c'était bien...
C'était tout juste après la guerre, Et puis quand l'accordéoniste
Dans un p’tit bal qu'avait souffert. S'est arrêté, ils sont partis.
Sur une piste de misère, Le soir tombait dessus la piste,
Y'en avait deux, à découvert. Sur les gravats et sur ma vie.
Parmi les gravats ils dansaient Il était redevenu tout triste
Dans ce petit bal qui s'appelait... Ce petit bal qui s'appelait,
Qui s'appelait... Qui s'appelait...
Qui s'appelait... Qui s'appelait...
Qui s'appelait... Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu. Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux. Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant d'insouciance Y'avait tant de lumière,
Dans leurs gestes émus, Avec eux dans la rue,
Alors quelle importance Alors la belle affaire
Le nom du bal perdu ? Le nom du bal perdu.
Non je ne me souviens plus Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu. Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens Ce dont je me souviens
C'est qu'ils étaient heureux C'est qu'on était heureux
Les yeux au fond des yeux. Les yeux au fond des yeux.
Et c'était bien... Et c'était bien...
Et c'était bien... Et c'était bien.
Ils buvaient dans le même verre,
Toujours sans se quitter des yeux.
Ils faisaient la même prière,
D'être toujours, toujours heureux.
Parmi les gravats ils souriaient
Dans ce petit bal qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant d'insouciance
Dans leurs gestes émus,
Alors quelle importance
Le nom du bal perdu ?
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
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MISTRAL GAGNANT AVEC LE TEMPS
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MON ENFANCE M’APPELLE
(Serge Lama)
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Il a fait la dernière
LES MENSONGES D’UN PÈRE À SON FILS Tu verras...
Les femmes infidèles
( Jean-Loup Dabadie On les voit dans les aquarelles
) Elles vous querellent sous les ombrelles
Dans la vie ce ne sont pas les mêmes
Le temps, petit Simon Elles nous aiment, elles nous aiment...
Où tu m’arrivais à la taille
Ça me semble encor’ tout à l’heure Un homme, petit Simon
Mais déjà tu m’arrives au cœur Ce n’est jamais comme un navire
Pour toi commence la bataille... Qu’on abandonne quand il chavire
Et tout le monde quitte le bord
Le temps, petit Simon Les femmes et les enfants d’abord...
Que je te fasse un peu l’école
Me semble venir aujourd’hui Tu verras...
Redonne-moi de cet alcool Les maisons ne meurent pas
Que je te parle de la vie... Les idées ne vous quittent pas
Le cœur ne s’en va pas
Tu verras...
Les amis ne meurent pas Tu verras...
Les enfants ne vous quittent pas Tu vas suivre en beauté
Les femmes ne s’en vont pas... Les chemins de la liberté
Tu vivras tu verras
Tu verras... ...comme moi...
On rit bien sur la Terre
Malbrough ne s’en va plus en guerre Le temps, petit Simon
Il a fait la dernière Où tu m’arrivais à la taille
Tu verras... Ça me semble encore tout à l’heure
Mais déjà tu m’arrives au cœur
Et puis, petit Simon Pour toi commence la bataille
Chez nous, personne ne vieillit
Nous sommes là et ne crois pas Alors, petit garçon
Que nous partirons d’aujourd’hui Moi qui t’aimais, toi qui m’aimais
Pour habiter dans autrefois... Souviens-toi que ton père avait
Une sainte horreur du mensonge
L’amour, c’est tous les jours Une sainte horreur du mensonge....
Qu’on le rencontre dans la vie
Et rien ne passe et rien ne casse
Redonne-moi de l’eau-de-vie
A peine à peine, voilà merci
Tu verras...
Les amis ne meurent pas
Les enfants ne vous quittent pas
Les femmes ne s’en vont pas...
Tu verras...
On rit bien sur la terre
Malbrough ne s’en va plus en guerre
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QUAND LES HOMMES VIVRONT D’AMOUR
(Raymond Lévesque)
Quand les hommes vivront d'amour Les parfums de la terre, les couleurs de l'eau, l'or
Il n'y aura plus de misère de l'été
Et commenceront les beaux jours, On est prié de laisser les lieux dans l'état où ils
Mais nous, nous serons morts, mon frère... [étaient
Mais quand les hommes vivront d'amour Passe, passe dans la vie en visiteur
Qu'il n'y aura plus de misère,
Peut-être songeront-ils un jour Vois, vois c'est ta vie, sois aussi créateur
A nous qui serons morts, mon frère Oui, crée, ne fût ce qu'un cri
Et saigne en seigneur
Nous qui aurons, aux mauvais jours
Dans la haine et puis dans la guerre Les parfums de la terre, les couleurs de l'eau, l'or
Cherché la paix, cherché l'amour de l'été
Qu'ils connaîtront, alors, mon frère, On est prié de laisser les lieux dans l'état où ils
[étaient
Dans la grande chaîne de la vie,
Pour qu'il y ait un meilleur temps
Il faut toujours quelques perdants,
De la sagesse ici bas c'est le prix
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Baie de Somme 2013 Photo Robert Froger
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