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PRINTEMPS POÉTIQUE

La poésie
n’a pas d’âge

. Baie de Somme 2013 Photo Robert Froger

ANTHOLOGIE
Partez à la découverte de cette anthologie
qui, d’âge en âge, de manière linéaire,
essaie de vous montrer que

La poésie
n’a pas d’âge
***
ème
31 PRINTEMPS POÉTIQUE

du 27 MAI au 5 JUIN 2015

La Suze-sur-Sarthe
***
L’usage de cette anthologie est réservé aux enseignants, membres de l’association
« Les Amis des Printemps Poétiques », à des fins purement pédagogiques.

Les ouvrages, présentés dans l’anthologie et disponibles au « Promenoir de Poésie


Contemporaine » ( Médiathèque Les Mots Passants à La Suze-sur-Sarthe), peuvent
comporter des textes qui ne sont pas adaptés à un jeune public.

2
DANS LE VENTRE DE MAMAN

Dans le ventre de maman, RETOURNER DANS LE VENTRE DE MA MÈRE


j'en ai lu des livres,
des poèmes à petits bruits, Je ne me sens en sécurité nulle part
la mélodie d’un long roman, Ni dans la maison grouillante
des chansons pour taper du pied, Ni dans la jungle de la rue
pour faire en rond des voyages. Ni dans ma peau carcasse
Dans le ventre de maman, Ni dans ma vie de galère
je savais bien quand vient la nuit, Ni dans mon cœur broyé
quand c’est le jour, Par la douleur d’avoir perdu
ce qu’est l’amour. Des êtres qui jadis m’étaient chers
Je riais déjà. J’avais chaud. Et qui sont partis de l’autre côté
J’attendais seulement les mots. Du rideau de l’au-delà

Carl Norac Je ne me sens en sécurité nulle part


D’îles en ailes Ni dans ma vie, ni dans mes soucis
Couleur livres, 2012 Ni dans la joie, ni dans la douleur
Ni dans la paix vidée par la guerre
Ni dans la gaieté, ni dans la colère
Ni dans le vacarme du jour
Lorsque les armes pétaradent
Lorsque les tours s’écroulent
Lorsque le sida décime les Hommes
Lorsque les enfants sautent sur des mines
BERCEUSE POUR UN FUTUR-NÉ

Dans mes entrailles
Mon enfant Je ne me sens en sécurité nulle part
Je te sens qui vis Dans ce monde où il fait chaud en hiver
Et froid sous les tropiques
Tes pleurs, tes rires, tes cris, Ce monde qui tremble de toutes parts
Et même tes joies, je t’entends qui vis ! Ce monde qui tue les enfants…de pauvreté
Ce monde qui glorifie la terreur et la guerre
Dans ses entrailles Ce monde où meurent les riches trop pleins
Mon fils ma fille De fric, de luxe, de loisir et de plaisirs
Je te sens qui vis Je ne me sens en sécurité nulle part
C’est pourquoi je veux retourner
Mon oreille sur son cœur, Dans le ventre de ma mère
Je t’entends qui m’appelles ! Et plonger dans les délices de l’enfer.

Et le vent, et les feuilles, et le ciel, Stella Engama


Je t’entends, et tout me parle ! in
Naissance/s/, anthologie
Symplice B. Mvondo L’épi de seigle, 2006
in
Naissance/s/, anthologie
L’épi de seigle, 2006

3
À quel âge cesse-t-on de naître ? Avec ce vieux nounours qui en retrouvera son œil
avec les mobiles qui voudraient bien
Dominique Saint-Dizier perdre la tête à nouveau
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009 Avec la pâte à modeler qui s’étire en rêve
avec les premiers albums soucieux de leurs
couleurs
avec les jouets prêts à courir
PREMIER JOUR les risques du métier

Des draps blancs dans une armoire Ivre, ébloui, je t’attends


Des draps rouges dans un lit
Un enfant dans sa mère Gérard Noiret
Sa mère dans les douleurs Maélo
Le père dans le couloir l’idée bleue, 2006
Le couloir dans la maison
La maison dans la ville
La ville dans la nuit
La mort dans un cri
Et l’enfant dans la vie. Si le monde n’était habité que par des vieux
à quel âge naîtraient les plus jeunes ?
Jacques Prévert
Paroles Dominique Saint-Dizier
Gallimard, 1949 Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009

TU ES VENU Nous cherchons le nom de l’enfant à venir


à Pierre-Olivier
dans nos pensées dans nos désirs

La vieille demeure avait nous inventons pour lui pour elle


Perdu peu à peu ses couleurs. le plus doux le plus glorieux
Le temps prenait de l’âge. le nom qui résonne le mieux
On ne savait plus voir les fleurs, aussi léger qu’une aile
Tous les arbres se ressemblaient. aussi fort qu’une main tendue

Tu es venu. Nos yeux soudain ce nom qui multiplie nos vies


Se sont emplis d’images oubliées, avec les clés de l’avenir
De chemins reconnus, de lumières. un nom échappé du passé
Chaque chose trouvait enfin qui rime avec ciel
Le mot qui la nommait le mieux. avec soleil
avec élan
Ta place était là, parmi nous.
Toute prête. Nous t’attendions. un nom pour relier l’amour à l’infini.
Tu es venu. pour Célian

Pierre Gabriel Luce Guilbaud


Le cheval de craie L’enfant sur la branche
le dé bleu, 1997 l'idée bleue, 2008
4
J’ai des poussins
sous les ailes

une ribambelle
qui fait « piou piou »
RECONNAISSANCE
toujours un qui manque
ou un de trop Tu as le ventre rond
Comme un petit ballon
Qu’il est dur d’enfanter Notre enfant tu le portes déjà
quand on ne sait pas compter Tu le souffres
Tu t’inquiètes et tu l’imagines
Michel Besnier Tu le portes
Mes poules parlent Dans tes bras dans ta tête dans ton ventre
møtus, 2004 Tu l’aimes et tu le sublimes
Tu le rayonnes
Tu éclabousses de douleur
Tu veux vieillir pour le sentir
Bouger
je t’aime petite fille, Tu vas donner la vie à un autre mortel
À travers ta soie rouge orangé
Et je t’embrasse Tu as le ventre rond
Sur ta toison douce Comme un petit ballon
Pas encore chevelure
Je t’aime et te dépose là Tu es belle et je t’aime
Trois feuilles de silence clair Autant que toujours
Pour écrire le calme du monde. Notre enfant tu le portes déjà
Tu le protèges
Michel Lautru Tu le crées
Les jupes s’étourdissent Il existe déjà
SOC et FOC, 2005 Dans tes bras dans ta tête dans ton ventre
Dans tes paroles dans ta hâte
Dans ton impatience
Dans ton désir de t’ouvrir

Quand je suis né Tu as le ventre rond


Je me souviens de ta fierté Comme un petit ballon
Pour ma mère
Un baiser Et moi comme un con
Les voisins Je ne t’ai pas encore dit
Pour trinquer Merci
Quand je suis né Jean-Claude Touzeil
Tu as gagné Itinerrances bis
Une part d’éternité Gros Textes, 1997

Michel Lautru
Mon papa a de gros bras
SOC et FOC, 2002

5
KANGOUROU

Père kangourou
Est en courroux
Mère kangourou
Tu es là Vient de donner naissance
déjà À trois petits
dans l’attente Qu’elle a appelés
et sa douceur de laine L’oùgourou
Le quigourou
Bourgeon bondissant Le quandgourou
au ventre de ta mère (un cousin temporaire)
ma fille Père kangourou
Voudrait savoir la raison
Ses mains posées De ces prénoms interrogatifs
sur ton front peut-être Mais mère kangourou
ton épaule ou ta joue Se contente de répondre
Que l’affaire est dans la poche…
Caresse sans impatience
comme pour elle le fit sa mère Joël Sadeler
ma femme Ménagerimes
il y a trente ans. Corps Puce, 1990

Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Corps Puce, 2010 À VIF

La vie
La vie tout court
La vie
À cloche-pied
À deux roues
À quatre pattes
La vie
À pas de velours
Sans trompettes
Sous les pins Ni tambours
qui se balancent La vie
À tue-tête
la fourmi À cœur et à cris
dans les mousses À corps perdu
À bras ouverts
seule La vie
avec son œuf. À toi ouvrant

Dagadès Simone Schmitzberger


Miettes in
Corps Puce, 1992 L’écharpe d’iris
Le Livre de Poche Jeunesse, 1990

6
Les blessures Un enfant est né
Les morsures Il grandira jusqu’à l’arbre
Les murmures Pour manger ses fruits
Les déchirures Il tombera à terre
Les tortures Amoureux du soleil
Les guerres Et même si quelques larmes effeuillent sa joie
Les misères Il est une chance de plus pour le monde
Tu viens de naître
Tu ne peux pas les connaître Yvon Le Men
Alors pourquoi pleurer Nous sommes des enfants de vouloir des enfants
Bébé ? La Part Commune, 1999

François David
Le calumet de la paix
Lo Païs, 2002

LA NAISSANCE

Trois fois trois jours la cloche des douleurs


t’éveilla et ton visage prit la couleur qui
m’avertissait. Toute ta chair se hâtait vers ce
dernier travail.

L’éternel miracle était encore une fois à notre


porte.
WATATI BALALOU
La grande poussée victorieuse libéra le poisson
Watati balalou tout luisant de sa mère. Il était là, dangereux à
pati navou déla tenir, et nous ne savions pas s’il était déjà lui ou
Didon, didon, encore nous.
en quoi tu causes, là ?
C’est alors que nos yeux se reconnurent. Nous
Japonais ? Sardino ?
échangeâmes nos joies d’avoir mené la tâche, nos
Amazodoutuvien ?
vigueurs d’avoir résisté à d’autres tentations, nos
J’appelle un mien cousin
confiances de nous connaître.
mangeur de sable fin
qui parle gazouillis Notre poisson restait là, endormi, après le grand
au pays des enfants. effort de ses poumons et nous ne savions pas
Mais ça ne s’apprend pas. encore si son âme était arrivée.
On l’a su, on l’oublie,
une fois devenu grand. Gabriel Cousin
in
Pef Paroles des poètes d’aujourd’hui
in Albin Michel, 1997
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012

7
D’abord il y eut le monde
et tu es né comme le soleil

L’horizon s’est ouvert Ton âge tient


te voici dans la création sur les doigts
d’une seule main
Tu fais ta vie
tu portes haut tous les espoirs Ton sourire tient
dans la paume
Tu es fort comme un arbre d’une seule main
le monde peut compter sur toi
Mais ton chagrin
Marc Baron a bien besoin
Un enfant comme un autre de tout l’espace de mes bras.
Couleur livres, 2012
Jacques Fournier
in
Poèmes pour s’éclairer à la luciole
l'épi de seigle, 1998

Sommeil, toi qui prends les bébés


Viens chercher
Mon tout-petit
Et ramène-le moi grandi

Comptine de Grèce Maman m’aime


in A bien vu que je courais ce matin
Ohé ! les comptines du monde entier ! Après les mouettes sur la plage
Rue du monde, 2003 Sans pouvoir les attraper
Aussi dans la boutique de souvenirs
Elle m’a acheté un goéland
Qu’elle a installé au-dessus de mon lit
Et sous le ventre duquel
Pend une ficelle
Que je peux tirer à loisir
Si un enfant grandit d’un pouce par mois Et qui actionne des ailes.
Combien en aura-t-il à vingt ans ?
Gilles Brulet
Dominique Saint-Dizier Maman m’aime
Questions qui posent problème L'épi de seigle, 1998
Corps Puce, 2009

8
QUAND JE SERAI GRAND IL ÉTAIT UNE FOIS

Si maman voulait ― T’as pas une histoire pour les enfants ?


j'élèverais un lapin angora ― Mais c’est une histoire pour les enfants.
tout doux et tout blanc, ― J’y comprends rien.
mais Maman me dit ― Alors, c’est que t’es pas encore devenu un
que je n’ai pas le temps. enfant.
Si Maman voulait
j'aurais un petit chat André Schetritt
tout rond et tout gris, Eux autres, moi-je et le monde
mais Maman me dit Donner à Voir, 2005
que ce n’est pas le moment.
Si Maman voulait
je prendrais un canari,
mais Maman me dit
d’attendre d’être grand.
S’il faut être grand
pour avoir le temps L’ENFANT AU H.L.M.
je vais patienter
mais juré, craché ! Six ans
Quand je serai grand au quatorzième étage
voici ce que j’aurai :
un lapin angora À la lisière du silence
un petit chat gris l’enfant
un beau canari sur la pointe des pieds
un fox à poil ras habite un instant la lumière
une souris blanche
un chien d’avalanche Et c’est dans le feu du regard
un hamster en cage que la feuille
un gros mouton sage au bout du rameau
un renard futé devient la forêt qu’il espère.
un écureuil roux
un éléphant gris Alain Boudet
et un vieux hibou. Anne-Laure à fleur d’enfance
Mais Papa me dit Donner à Voir, 1994
que je changerai d’avis !
D’avis, certainement pas !
Mais si je pouvais
je changerais de nom,
pourquoi m’ont-ils donc
appelé Noé ? L’enfant sourit
Sur l’épaule
Nadia Aubrier Un papillon.
In
Drôles de poèmes et poèmes drôles Ghislaine Lejard
Volume 2 Un papillon sur l’épaule
l'épi de seigle, 1995 Echo Optique, 2005

9
― Qu’est-ce que tu veux mon petit ? AU TEMPS DES DINOSAURES

― Je veux grigner, gritailler, grognurer, Au temps des dinosaures,


craquendre, tuçouiller, cragnouter ! J’aimais me promener.
Je disais : « Dis, Nosaure !
― Dis, tu veux quoi ? Tu as bien profité ! »
« La fougère était bonne »
― Je veux aspitouiller, sustivaler, grignartir, Me disait le Dino !
dégnustiller, cracagnouter, dévlariller, Et je croquais la pomme,
macrasaugner, fourchitourpir, choupinailler, En voyant la télé
machanouiller ! Où les super mammouths
Pilotaient des fusées,
― Écoute bien ! Je n’y comprends rien. Qu’est-ce Sur les célestes routes,
que tu veux ? De ces temps reculés.

― Je veux mirmijoliner, marchartourniller ! Georges Jean


Écrit sur la page
― Enlève-moi ce chewing-gum de ta bouche et Gallimard folio, 1992
articule !

― Je veux MANGER !!! L’ÂGE DE RAISON

Dan Bouchery Quand on a sept ans,


in Et qu’on perd ses dents,
Agape/agape(s) On atteint, dit-on,
Donner à Voir, 2006 L’âge de raison.

Alors les parents


Disent : « Il est temps
De devenir grands !
Faites votre lit,
Rangez vos habits,
Soignez vos chaussures,
ENFANCE Et votre coiffure…"

Enfance aux yeux de cristal, Mais nous on leur dit :


Aux paupières de corail, « On n’est pas si bêtes :
Enfance aux mains de rivière, On a une couette
Enfance aux pieds de lumière, Dessus notre lit,
Enfance aux paroles tues, Aux pieds des baskets
Enfance aux paroles bues Qui sont toujours nettes !
Enfance aux lèvres légères Nos habits sont chouettes
Aux couleurs de primevères Blue-jeans et Ticheurtes
Enfance en nous enfouie Quant à nos cheveux,
Toute proche, pour la vie ! Avec de la colle,
Ils sont super coole… »
Georges Jean
Écrit sur la page Georges Jean
Gallimard folio, 1992 Écrit sur la page
Gallimard folio, 1992

10
Dis-moi, Papi,
pourquoi on vit ? L’enfant
regardait l’eau
Mais…pour grandir ! et l’eau
le regardait aussi
Alain Boudet
Poèmes pour sautijouer L’enfant
Les Carnets du Dessert de Lune, 2010 avait six ans
l’eau ne disait
pas son âge

Il n’y avait pas


entre eux
l’épaisseur d’un ange
LE DROIT CHEMIN et pourtant
ils étaient deux
À chaque kilomètre
chaque année Le jour
des vieillards au front borné ne comptait pas
indiquent aux enfants la route ses heures
d’un geste de ciment armé. ni l’aile
des libellules
Jacques Prévert ses battements légers
Paroles
Gallimard, 1949 L’enfant
regardait l’eau
et l’eau
le regardait aussi

FLORA Le pouls
des galaxies
Fille de Florence battait de son
Âge : 6 ans imperceptible
et lent
Je n’aime pas bouillonnement
aller à l’école de lait
sur un feu doux
J’ai peur de rentrer
et de ne plus trouver Un souffle
ma maman dans les feuilles
faisait voler
Maram al-Masri des fils de la Vierge
Les âmes aux pieds nus comme des cils
Le Temps des Cerises, 2009 de faon

11
L’enfant rêvait
sur la berge
et l’eau
s’en retournait
dans les nuages LE JOURNAL

Werner Lambersy Le soir quand on mange


in Papa ouvre le journal télévisé
Tout l’espoir n’est pas de trop
Douze voix francophones Toujours des choses qui me font peur
Le Temps des Cerises, 2002
Alors je cogne avec ma cuillère
Sur mon assiette

Pour que personne n’entende.

Gilles Brulet
Hibou chez les nounours
le soir descend le ciel s’allonge, Pluie d’étoiles, 2004
le petit ciel de ta naissance,
tu peux en compter les feux sur tes doigts,
plus tard dans l’aveuglante nuit d’été
tu chercheras ton étoile
parmi la foule de ceux IL FAUT LAISSER L’ENFANCE
qui recherchent la leur
Il faut laisser l’enfance
Pierre Dubrunquez choisir ses territoires
in délier lentement
Nous, la multitude les fils de l’horizon.
Le Temps des Cerises, 2011
Il faut laisser l’enfance
cogner ses rêves
aux murs chancelants
de nos demeures.
LE COIFFEUR
Déjà
Papa ne sait pas me coiffer Ses mains embrasent les violons
Il tire trop fort sur mes cheveux Ses pas arpentent l’espérance
La ville se recouvre
Les mains des papas D’un crépi de lavande.
Ne sont pas prévues
Pour coiffer les cheveux des petites filles Jean-Luc Pouliquen
( France)
Comme les épaules des mamans in
Ne sont pas prévues Voix Vives
Pour leur transport. de Méditerranée en Méditerranée
Anthologie Sète 2011
Gilles Brulet Bruno Doucey, 2011
Hibou chez les nounours
Pluie d’étoiles, 2004

12
Les enfants ne comprennent
pas les informations
ni les montagnes russes de la Bourse
ni les crises économiques

Dans le pli d’un livre ancien Les enfants rêvent


l'enfant sépia d’une photographie de chevaux
me fixe et me ressemble de chiens, de chats
d’amis
Fus-je ce garçon aux yeux béants et surtout ils rêvent
rêvant mers et vaisseaux de baisers, de sourires
dans les recoins blanchis et de mains tendres
d’un jardin à la française ?
Les enfants ne comprennent pas
L’enfant le silence de la joie
lorsqu’il fut surpris et de la foire
absorbait ni les refus de leurs parents
le vide autour de lui quand ils réclament des pommes d’amour
il en buvait l’espace et des chocolats
ou un tour de manège
Des promesses de vie sur les chevaux de bois
luisaient
en billes claires Les enfants ne comprennent pas la guerre
dans ses lampées de regard. même quand ils imitent les policiers
et qu’ils se déguisent en Peaux-Rouges
François-Xavier Maigre
Dans la poigne du vent Les enfants, précieux dépôts
Bruno Doucey, 2012 de la vie.

Maram al-Masri
La jupe froissée
Bruno Doucey, 2012

Une petite fille C’est la fin des vacances


au rose à la bouche l'odeur n’a pas changé

sa glace Celle des protège-cahiers


rafraîchit ses lèvres de la colle UHU
et mes yeux de l’encre Waterman
du paquet de copies doubles perforées à grands
de la fatigue du jour [ carreaux
La même odeur
Yvon Le Men
Sous le plafond des phrases Un acharnement.
Bruno Doucey, 2013
Stéphane Bataillon
Les Terres rares
Bruno Doucey, 2013

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Enfant ma chambre échouée dans un érable VISITE DES SOUVENIRS
mes jeux de couleurs fraîches
ces années bues lentement Arithmétiques, aria de mon enfance.
dans la paume des étoiles Alignements, robinetteries, rythmes d’arbres,
rythmes d’eau.
Ma mère unique saison de l’enfance Je suivais les méandres falots des dessins de la
mon père posé sur la branche cruciverbiste du toile cirée. Peut-être me mèneraient-ils vers la
[fauteuil caverne de la solution ? La voix de mon
et moi rêvant d’un verger pour nos cœurs père m’arrêtait en chemin. Il fallait chercher dans
où les arbres bleuiraient au pollen des voiliers ma tête. Où ça ?

Adolescence ― étreintes manquées ― Anne Salem-Marin


longs couloirs que creusaient les heures Voler selon
mes mots en collage sur les murs du dégoût le dé bleu, 1997

Ceux qui sont incapables de voir


m'ont traité de voyou
moi perdu dans le songe ténu
d’un paradis perdu
tu ajoutes chaque année
Gamin aux cris abrupts une branche à ton arbre
j'avais en moi la candeur nécessaire à l’idéal rameau léger tige à tige
que le soleil désigne
Seul sous l’uppercut des vents
je m’inventais chaque jour des paradis noirs toi l’arbrisseau
où l’on me foutait la paix ta danse au vent
ton devenir d’arbre mûr
Jack Küpfer aux fruits ardents.
Dans l’écorchure des nuits
Bruno Doucey, 2011 Luce Guilbaud
L’enfant sur la branche
l'idée bleue, 2008

Un enfant est né
Il grandira jusqu’à l’arbre
Pour manger ses fruits L’oiseau
Il tombera par terre Un étourneau
Amoureux du soleil Tu l’as pris délicatement par une aile
Et même si quelques larmes effeuillent sa joie Et tu m’as dit :
Il est une chance de plus pour le monde Hein grand-père qu’il n’est pas toujours mort
Hein grand-père qu’il s’envole
Yvon Le Men Et tu m’as donné la main
À l’entrée du jour
Flammarion, 1984 Jean Rivet
Le soleil meurt dans un brin d’herbe
møtus

14
ÉDUCATION

− Quand je serai grand, je serai fort !


Fort comme un dinosaure !

− Comme un brontosaure ou un tyrannosaure ?


− Comme un diplodocus ou un deinonychus ?
Papa avait une voiture
Une très belle voiture − Tu me prends pour un herbivore faiblus ?
Au sortir de la guerre Non, je serai plus fort que le plus fort des
Peu de gens en possédaient tyrannosaures !
Une
Cela nous rendait − D’accord, dans ce cas, prends des forces.
Respectables Mange ta purée… et n’oublie pas l’jambon !
Maman aimait les sorties
À la mer Joëlle Brière
Elle aimait les sorties Une baleine, deux baleines, trois baleines, six
Le dimanche cachalots…
En voiture La Renarde Rouge, 1998
Avec son mari
Qui était
Aussi mon père
Et
Mes deux frères
Plus grands
Plus forts L’ARBRE BERCÉ
Que moi
pour Anaïs
À l’arrière
De la voiture Mon enfant, ne tremble pas
Ma place était celle tu portes un arbre dans tes bras
Du milieu le vent te coiffe
Juste sur et l’oiseau glisse dans ta voix
La bosse sous les fesses
Là où Allonge-toi fragile
Les pieds n’ont pas de place dans le drap odorant d’une ombre
caresse la barque des feuilles
J’ai acquis le sens de l’équilibre
Et gardé de petits pieds Dors, mon enfant
dans tes branches closes
Dan Bouchery tu tiens dans ton poing fermé
Les éphémères le fruit chaud du silence
SOC et FOC, 2009
Et chaque jour plus haut
mon enfant
tu deviens l’arbre que j’attends

Jean-Pierre Siméon
La nuit respire
Cheyne, 1987

15
SOUDAIN LES ENFANTS

Plus rien ne bouge


− Le présent, le passé, l’avenir Pas un souffle, pas un soupir
ça commence où ? Ça finit où ? Le chat dort sur la chaise rouge
Son lait figé
− Ici. Là. Là-bas. Attend
− Maintenant. Hier. Après demain.
À la fenêtre. Sur la branche de l’arbre. Soudain les enfants
Dans l’œil rond du merle. Au fond du ciel. Crient dans le jardin
Mais surtout, dans ton sourire Et un ballon vient rebondir
que j’aime plus que tout Dans mon poème
au monde !
Catherine Leblanc
Joëlle Brière Le monde n’est jamais fini
Une baleine, deux baleines, trois baleines, six La Renarde Rouge, 2005
cachalots…
La Renarde Rouge, 1998

Un peu d’herbe de fumée


les clefs du jardin magique
le vent
la vie
l’envie d’aimer
Tu voudrais tailler ton poème
dans le vif du monde Sous le charme sous le chêne
je suis l’enfance qui traîne
Coudre ensemble le fer et le feu son vieux manège à musique.
La source et le tumulte
Les friches du soleil les galères de l’ombre Arlette Chaumorcel
Visages traversés
Tu voudrais en découdre L’Épinette, 2001
avec tout ce qui brûle
ce qui noie ce qui broie ce qui brise

Ce qui prétend à l’empreinte


sur la peau des jours et des joues De retour
à force de coups et de larmes de l’école

Tu voudrais l’enfant
sur la route
Mais tu as dix ans.
poussant du pied
Alain Boudet un caillou.
Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2006 Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992

16
PAR LES TEMPS QUI COURENT
Fillettes
au soleil Par les temps qui courent,
Les jours paraissent courts.
sautant
à la corde Par les semaines qui trottent,
Ce sont des heures qu’on grignote.
les rosiers
qui se penchent. Par les mois qui galopent
L’année est finie ! Hop !
Dagadès
Miettes François David
Corps Puce, 1992 Comptines pour donner sa langue au chat
Actes Sud Junior, 1998

La pelle
l'arrosoir
Trois enfants,
de plastique Trois jeunes enfants,
rouge Deux ans,
Trois ans,
restés Quatre ans
dans le sable Peut-être.
Le plus jeune est assis
battus Dans une poussette.
par la pluie. Les deux autres trottent
À côté.
Dagadès Une toute jeune fille,
Miettes Petite,
Corps Puce, 1992 Frêle
Et très pâle
Pousse la poussette.
Elle marche
Vite.
Le cœur de la lune Elle est pressée.
Éclaire l’île des rêves Les enfants aussi
Un champ de blé Se dépêchent.
Boit la pluie Qui peut supposer que
À petites gorgées Cette grande fille
Et là-bas Est
Un vieil arbre Leur mère ?
Se penche sur des mots d’écolier.
Dan Bouchery
Chantal Couliou C’est ça la ville
Le soleil est dans la lune Corps Puce, 2007
Corps Puce, 2008

17
Un enfant court autour de l’arbre en criant

Si on faisait le tour ! Si on faisait le tour ! Dans le navire de nos bras


nous sommes là
Qu’est-ce qu’on attend pour le suivre ? comme des vigies attentives
dans les eaux calmes de tes yeux
François Philipponnat
Cent remarques sur tout Un bruit
Tome I une lueur
Gros Textes, 2011 dessinent des vagues à ton front

Souvenir de mer intérieure


où le monde avait peu de prise

Sur le terrain vague


on jouait au foot Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
L’un disait Il y est ! Corps Puce, 2010
L’autre Il y est pas !
Moi Il y a poteau !

Et je voyais bien qu’il n’y avait pas de poteau

François Philipponnat
Cent remarques sur tout
Tome I INFORMATION / DÉSINFORMATION ?
Gros Textes, 2011
Tandis que les télés passent
En boucle
Des images vides
Des mots sonores
Disant :

−Ne pense pas :


LE MARRONNIER Ce n’est pas nécessaire…
SURTOUT ne pense pas.
Les enfants sont partis
Des enfants naissent.
Dans la cour de l’école Des enfants jouent.
le marronnier
qui reste Des enfants pour demain…
piaille QUEL demain ?
de tous ses oiseaux.
Jacqueline Held
Alain Boudet Mots sauvages pour les sans-voix
La Volière de Marion Gros Textes, 2004
Corps Puce, 1989

18
Le bonheur, c’est l’enfance.
Une petite fille joue à la corde
Avec ses rêves. Maël
Chaque nuit elle escalade le visage du vent. C’est la voix de ta mère
Elle cultive des pensées qui te guide dans la nuit de ce monde
Pour les papillons.
Immobile, Une chanson
Elle dans le jardin Une complainte
Quand elle dort, Une parole qui invente la lueur et l’éveil
Elle garde toujours un œil ouvert
Pour entendre les feuilles tomber. Alain Boudet
Pleine lune et bout de soie
Dominique Cagnard Corps Puce, 2010
Tzigane, je veux être ton papillon
Corps Puce, 2012

FAMILLE

Avant moi, il y avait mes parents TRÉSORS DE MES QUATRE ANS


Mes grands-parents
Mes arrière-grands-parents Trésors de mes quatre ans :
Et leurs parents Mousse de la forêt
Leurs grands-parents Caillou du jardin
Leurs arrière-grands-parents Galet de la plage
Il y avait mes aïeux Épine de sapin
Des tas et des tas de vieux Fleur de lavande
Moi, je suis leur descendance Et la terre toute entière
Leur dernière chance Dans ma poche trouée !
Je suis leur progéniture
Je bouffe leurs confitures Liska
Je suis leur postérité Moinette et Moineau
De leur maison j’ai hérité Corps Puce, 2009
Un jour j’aurai des enfants
Des petits-enfants
Des arrière-petits-enfants
Qui auront des enfants
Des petits-enfants
Des tas et des tas de bébés
Qui sont pas encore nés Tu dors
Ils boufferont mes confitures dans une turbulette
Sous mes couvertures
Ils vivront dans ma maison Un joli nom pour dire
Fichue saison ! le cocon où s’éveille
le bijou de tes mains.
Philippe Fournier
Les épées de pépé Alain Boudet
Gros Textes, 2001 Suite pour Nathan
Corps Puce, 2006

19
COMPTINE POUR UN JOYEUX MILLÉNAIRE JE NE VEUX PAS GRANDIR

Deux mille, transformons les villes Je ne veux pas grandir


Deux mille un, créons des jardins Laissez-moi dormir.
Deux mille deux, des matins heureux Je suis gai, turbulent
Deux mille trois, abracadabra Dans une âme d’enfant.
Deux mille quatre comme un grand théâtre
Deux mille cinq, la vie se requinque Je ne veux pas grandir
Deux mille dix, un feu d’artifice Dans un monde de délires.
Deux mille vingt, tout va bien Je veux rester innocent
Deux mille cinquante, la Terre est vivante Fermer les yeux sur les méchants.
Deux mille cent, nous nous aimons tant
Deux mille deux cents, nous vivons longtemps Qu’on me laisse rester un bébé
Deux mille cinq cents, nous sommes des géants À m’agiter sans comprendre,
Deux mille neuf cents, est-ce la fin des temps ? À croire que le monde est à prendre.
Deux mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, Laissez-moi voir en l’éternité.
La Terre se fait un habit neuf
Trois mille, la Terre est une île, Pasaphone Soumpholchareune
Et l’Univers une immense ville. in
Les poètes de l’an 2000
Cécile Bidault Le Livre de Poche Jeunesse, 2000
in
Les poètes de l’an 2000
Le Livre de Poche Jeunesse, 2000

ENFANT-DEMAIN

Enfant-demain, CŒUR D’ENFANT


Dis-moi où va le monde ;
Enfant-demain, Mon cœur ? Il est à prendre
Toi qui as dans ta poche Comme tout cœur d’enfant.
Les clefs de l’avenir. Il n’est pas à comprendre,
C’est un cœur cerf-volant.
Prends bien soin
De la Terre décharnée, Déjà tous les oiseaux
Prends bien soin En ont fait la conquête.
De l’Eau, de l’Air viciés Il chante à clairs roseaux
Du feu de tes aînés ; Comme une cage en fête.

De toi, Mon cœur ? Il est à prendre


Surtout, prends bien soin Comme tout cœur d’enfant.
De toi : Il n’est rien à comprendre,
Tu portes dans tes veines Vire et vole le vent !
L’Espoir, Enfant-demain.
Maurice Carême
Raphaël Terreau Pigeon vole
in Le Livre de Poche Jeunesse, 1958
Les poètes de l’an 2000
Le Livre de Poche Jeunesse, 2000

20
Sous les racines d’un arbre
généalogique
les oiseaux d’une cordée
spéléologique
Nous aurons cherchaient pour leur société
dit l’enfant ornithologique
un automne poétique leurs ancêtres papapa
léontologiques
J’ai vu les oiseaux du printemps
écrire leur nom sur les feuilles. Chic !

Alain Boudet Alain Boudet


Mots de saison Mots de saison
Magnard, 1983 Magnard, 1983

à mon papa fantastique


j’offre tout ce qui pique :
L’ENFANT ET L’AÏEUL un cactus et un moustique
un hérisson colérique
C’est un petit enfant
Qui voudrait être grand : à ma maman polissonne
Il se met des échasses j’offre tout ce qui sonne :
Et devient cet espace un facteur, un xylophone
Que traverse un géant. un réveil qui s’époumone

Et voici son grand-père à mon petit frère Henri


Qui retrouve une terre j’offre tout ce qui rit :
Où les deux voyageurs une vache, un colibri
Sont à même hauteur une chanson de bandit
Dans le temps sans frontière.
mais à mon meilleur copain
L’un devenant très vieux, moi je n’offre jamais rien
L’autre rapetissant, qu’un quartier d’orange au vin
Ils s’en vont tous les deux et un rêve pour demain
Dans l’espace et le temps,
Lentement, lentement. Françoise Lison-Leroy
Les bretelles du crayon
Pierre Menanteau Éditions du Rocher, 2004
Pour un enfant poète
Le Livre de Poche Jeunesse, 1997

21
LE TRAIN DES ENFANTS

Il est un pays où les enfants


Tu m’as dit ont des trains, tant et tant,
que tu m’aimais mais de vrais trains qu’on ne pourrait pas
pour la vie faire fonctionner dans cette pièce,
des trains longs d’ici jusque-là,
Dis, c’est grand qui, toute la ville, traversent.
comment Le chef de gare est un garçonnet
la vie ? à peine plus haut que son sifflet ;
le chef de train une fillette
Joël Sadeler joyeuse comme sa trompette ;
Dis, c’est grand comment, la vie ? tous sont des enfants, le mécanicien,
Éditions du Jasmin, 2011 le contrôleur et le serre-frein.
Et chaque voyageur peut s’asseoir
près d’une fenêtre pour mieux y voir.

Au portillon,
on a fixé un petit carton :
« Mesdames et messieurs,
les parents qui souhaitent voyager
doivent se faire accompagner. »

MARCHANDS D’HISTOIRES Gianni Rodari


De la terre et du ciel
― Quand je serai grand, Rue du monde, 2010
― Quand je serai grande,
― Je serai marchand,
― Je serai marchande.

― Nous serons tous deux


Des marchands d’histoires :
À quoi rêvent les enfants
― Du dragon sans feu, bien rangés à l’arrière
― De l’ogre au miroir, de la petite voiture de leur mère ?
― Du monstre à trois yeux,
― Du fantôme noir. À un grand lit flottant sur la mer
pour le soleil et son mystère ?
― Quand je serai grand, Au chant du tournesol
― Quand je serai grande, quand il rentre de l’école ?
― Nous serons tous deux Non, ils se demandent en silence
Marchands de légendes. à quoi les mamans pensent.

Pierre Coran Alain Serres


J’y suis, j’y rêve La ville aux 100 poèmes
Éditions du Rocher, 2004 Rue du monde, 2006

22
Salomon Grundy,
Born on a Monday, Ngogui zing isia mvama nga kat nyia mvam na
Christened on Tuesday, Ake fet mbé
Married on Wednesday, Nyia mvam a nga kat ndomni djié na Ake fet mbé
Took ill on Thursday, Ndomi djié I nga kat ngal na Ake fet mbé
Died on Friday, Ngal a nga kat món wé Jean na Ake fet mbé
Buried on Saturday, Món wé Jean a nga kat kal yé Jeannette na Ake
And on Sunday, fet mbé
Everything is starting Eyón alou ou nga vin
Again ! Ibwem I mane di nda bot ise
Akia fianga
Salomon Grundy
Est né un lundi Un soir, un grand-père dit à la grand-mère d’aller
Baptisé le mardi fermer la porte.
Marié le mercredi La grand-mère dit au fils d’aller fermer la porte.
Malade le jeudi Le fils dit à sa femme d’aller fermer la porte.
Mort le vendredi La femme dit à son fils Jean d’aller fermer la
Enterré le samedi porte.
Et puis le dimanche Jean dit à sa sœur Jeannette d’aller fermer la
Tout recommence ! porte.
Voilà comment à la nuit tombée, la grande famille
Comptine américaine s’est fait dévorer,
in Par un lion, tout petit, minuscule ;
Ohé ! les comptines du monde entier ! Comme c’est ridicule !
Rue du monde, 2003
Comptine du Cameroun en Ewondo
in
Ohé ! les comptines du monde entier !
Rue du monde, 2003

Quando era pequeñito


Me lavabán el culito
Y ahora que soy mayorcito DE ZAGORA À OUARZAZATE
Me lo lavo yo solito.
Quelques branchages
Quand j’étais un petit gamin sur leur tête,
On me lavait le popotin elles ont
Maintenant que je suis plus grand, tout à la fois
Je me lave les fesses seul comme un grand ! le pas grave et léger.
Et je sens
Comptine espagnole à les voir
in que c’est le monde qu’elles portent,
Ohé ! les comptines du monde entier ! ces fillettes
Rue du monde, 2003 de Zagora à Ouarzazate.

Alain Boudet
in
Je suis un enfant de partout
Rue du monde, 2008

23
JEUX
SALAH DE BAGDAD
Rythmes et rires
à Salah Al Hamdani
vitesse des manèges
À Bagdad il y a un enfant timing de poupées
un seul enfant cadences de cabrioles
le seul que j’entende bousculades à bascules
le seul que je voie embouteillages de dragons
le seul qui compte à cet instant accidents de trottinettes
attentas à dada
Il avait un fleuve un ciel drames de porcelaine
une maison de toile guerres de dunes
et un tapis volant bombes de bonbons
(tous les enfants du monde ont un tapis volant famines ignorées
c’est leur secret) enfance protégée

Mais à cet instant Dan Bouchery


Salah le gamin de Bagdad in
cherche pieds nus dans les pierres Je suis un enfant de partout
Il cherche son tapis volant Rue du monde, 2008
sa maison de toile
son fleuve son ciel

Sous un tapis de bombes CAUCHEMAR


Salah cherche son secret dans les ruines
Que fais-tu donc, mon enfant ?
Jean-Pierre Siméon
in Mère, je rêve. Je rêve, ô mère, que je chante
Je suis un enfant de partout et que tu me demandes, en songe, que fais-tu
Rue du monde, 2008 donc, mon fils ?

Et que dit la chanson de ton rêve, mon enfant ?

Mère, elle dit que j’avais une maison.


Maintenant, je n’en ai plus. Voilà ce qu’elle dit, ô
mère.
VOYAGE BLANC
Mère, elle dit que j’avais une voix, que j’avais une
Quand je serai petite langue.
je partirai en voyage Désormais, je n’ai plus ni voix ni langue.
avec mon sac de plumes.
De cette voix que je n’ai plus, en cette langue que
Je choisirai d’aller loin je n’ai plus
là-bas où il fait blanc Je chante, mère, une chanson sur la maison que
sur la banquise. je n’ai plus.

Françoise Lison-Leroy Abdulah Sidran


in in
Je suis un enfant de partout On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2008 Rue du monde, 2003

24
Si mon père était un ourson,
Ma tante Alice, un gros pigeon,
Si mon oncle était un trapèze,
Ma sœur Anne, un bâton de chaise, LES SPORTS D’HIVER
Si ma marraine était un mât,
Mon grand frère, un œuf sur le plat, Maurice, avec ses deux souliers
Si mon maître était une autruche Qui ne prennent pas l’humidité,
Et l’école, une vieille cruche, Dans la neige fait des creux :
Je ne sais pas comment irait Deux fois un, deux.
Le monde étroit que je connais,
Mais je rirais, ah, je rirais Il court avec sa sœur là-bas ;
À faire sauter les volets. Deux fois deux font quatre pas.

Maurice Carême Les voilà sur un mur assis,


in Deux fois trois, six.
Une baleine dans mon jardin
Rue du monde, 2010 Puis, soudain, ils prennent la fuite,
Deux fois quatre, huit…

Car leurs pieds sont engourdis,


Deux fois cinq, dix.
CHANSON BÊTE
Mais, en courant sur la pelouse,
Maman, Deux fois six, douze,
je voudrais être en argent.
La fille se fait une entorse,
Mon fils, Deux fois sept, quatorze !
tu auras bien froid.
Le garçon n’est pas à son aise,
Maman, Deux fois huit, seize…
je voudrais être de l’eau.
Il crie : « Hé là ! Vite ! Vite ! »
Mon fils, Deux fois neuf, dix-huit,
tu n’auras pas chaud.
« Qu’on amène le médecin ! »
Maman, Deux fois dix, vingt.
brode-moi sur ton oreiller.
Jean Tardieu
Oui, mon fils, in
sans tarder ! Une baleine dans mon jardin
Rue du monde, 2010
Federico Garcia Lorca
in
Une baleine dans mon jardin
Rue du monde, 2010

25
ZOIN-ZOIN

Un zoin-zoin petiot, RÉPONSE


une zoin-zoin petiote
s’en vont au zoin-zoin marché, Tu me demandes pourquoi, pourquoi
par un beau zoin-zoin dimanche, Moi je t’invente des réponses
acheter du zoin-zoin poulet Pourquoi la fourmi est petite
et puis des zoin-zoin roses blanches. Pourquoi le ciel est si obscur
Et pourquoi toi tu vas grandir
Le zoin-zoin petiot, Pendant que moi je vais vieillir
la zoin-zoin petiote Je me demande pourquoi tout ça
trouvent au marché voisin C’est peut-être toi la réponse
tout ce dont ils ont besoin,
zoin-zoin ! Hervé Le Tellier
in
Alain Serres Chaque enfant est un poème
Salade de comptines Rue du monde, 2012
Rue du monde, 2002

Tu as dit : porte-moi.
DU HAUT DU TOBOGGAN Et ton père t’a pris
sur ses épaules de géant.
Du haut du toboggan Tout en bas tes copains
tu domines la plage sont devenus des nains.
Tu as dit : emmène-moi
tu envoies des discours jusque dans ton pays.
de sable Et vous avez marché
et des baisers choco-B.N. dans le petit sentier,
au monde entier seuls avec votre tendresse,
dans l’intimité de l’été.
je sais Tu as dit : raconte-moi
pourquoi L'histoire de ta vie.
Et ton père a souri.
j’étais comme toi Que sais-tu du passé,
avant de glisser toi, l’enfant d’aujourd’hui ?
sur le serpent de bois
du toboggan usé Claude Cailleau
Des mots pour vivre
Joël Sadeler Le Pré de la Roche, 2009
in
Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012

26
CHAQUE JOUR PLUS PRÈS DU MONDE

Chaque jour,
grandir d’une poignée de réalité
vers le monde
et son théâtre d’ombre et de lumière.

S’enfoncer
PETIT DROMADAIRE dans la jungle des choses
comme dans la neige poudreuse
Maman dromadaire du premier hiver émerveillé.
Est très en colère
Petit dromadaire Atteindre
A mordu son frère l'épaule de la fenêtre,
puis la fourche du cerisier,
Maman dromadaire enfin l’horizon découvreur.
Prend son air sévère
« Petit dromadaire ! Chaque jour,
Dit-elle en colère la vie en herbe.
Privé de désert ! »
Michel Monnereau
Jean-Marie Robillard Poèmes en herbe
Saperlipopette ! Milan, 1994
Milan, 2000

CHAGRIN D’AMOUR

Lucie aime le voisin


Qui est plus grand qu’elle
QUELQUE PART DANS L’ENFANCE De deux ou trois ans.

La peur étend ses ailes Elle a du mal à le quitter,


dans l’ombre, Quand on l’appelle
le petit garçon frissonne Pour rentrer à la maison.
au fond de l’enfance.
Autour de la maison, Elle rentre en pleurs
la nuit froisse ses draps noirs Et sans cesse elle proclame
et crépite de rêves Sur tous les tons :
mal éteints.
Ici, grandir est encore « Je veux un grand frère,
une légende. Je veux un grand frère. »
Mais on laisse Lucie dire.
Michel Monnereau
Poèmes en herbe Jean Foucault
Milan, 1994 in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010

27
APRÈS LES ANNÉES

― Papa, quand je serai grande, Question d’un poussin à sa mère :


après les années, « Est-ce que tu me câlines assez ? »
est-ce que j’aurai un cœur grand comme ça ?
― Oui, il va grandir un peu. Michel Besnier
― Est-ce que ça veut dire que je pourrai mettre In
plus de gens à l’intérieur ? Premiers poèmes avec les animaux
― Pourquoi dis-tu ça ? Milan, 2007
― Parce que moi, j’aime tout le monde.

Carl Norac
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010

CHŒUR D’ENFANTS

( À tue-tête et très scandé)

Tout ça qui a commencé


il faut que ça finisse :
LE PÉLICAN
La maison zon sous l’orage
Une maman pélican le bateau dans le naufrage
Donne tout à ses enfants le voyageur chez les sauvages.
Les merlus et les merlans
Les oursins et les piquants Ce qui s’est manifesté
Le caviar de l’Agha Khan il faut que ça disparaisse :
Un lion premier décan
Transformé en pemmican feuilles vertes de l’été
Des yaourts des Balkans espoir jeunesse et beauté
La fourrur’ de l’astrakan an-ci-en-nes vérités.
Et les plumes du toucan
L’or noir de l’Ouzbékistan Moralité.
Le sucre candi d’Iran.. Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Et quand toi tu seras grand Si vous ne voulez pas mourir,
Si tu n’en fais pas autant quelques mois avant de naître
Cloue ton bec faites-vous décommander.
Et fich’le camp !
Jean Tardieu
Jean-Hugues Malineau In
In Mille ans de poésie
Premiers poèmes avec les animaux Milan, 1999
Milan, 2007

28
Les enfants ouvrent les murs
Un jour comme ils ouvrent les bras
Petits enfants
Vous irez voir l’arbre ils tissent de lumière
Le vrai la couleur de notre sang
Celui qui donne des feuilles au printemps
Et peut-être des fruits à l’automne ils iront demain
L’arbre, l’ancêtre de la tronçonneuse tracer des chemins
à travers les orages
Je suis l’arbre
Petits enfants et donner à l’éclair
Et vous le temps de nommer
Que serez-vous ? les bâtisseurs d’espoir.
Des outils sans printemps
Des avenirs sans présent ? Luce Guilbaud
Poèmes du matin au soir
Michel Lautru Écrits des Forges / le dé bleu, 2003
Je cours sur ma planète
Chanson Poésie Orne, cotcodi n°31 RENTRÉE

Dans les rues du bourg, ce matin


Les enfants rentrent à l’école.

Les tableaux vides les attendent


Dans les classes qui sentent bon

La cire et le désinfectant
Et tout l’été silencieux.
LA FAMILLE IDÉALE
Lorsque volaient dans le soleil
Papa essuie la vaisselle Les poudres dorées du savoir.
avec un sourire de moustache
Maman rabote l’étagère Ils vont, cartables neufs au dos ;
deux clous serrés entre les lèvres Riants, bruyants, silencieux…
Moi je balaie le salon
ma sœur bêche le long des rhododendrons. Sous le ciel tout gris de septembre,
Où l’automne annonce ses traces.
La télé parlera toute seule
car bientôt nous irons Et je me revois, écolier
le cœur en sacoche Sous le noir tablier d’alors.
tous quatre
nous rouler dans l’herbe Dans la classe au plancher sonore
des pique-niques improvisés. Le maître m’attend et je sais

Michel Voiturier Que j’ai tout à apprendre encore.


in
L’enfance lucide Georges Jean
Unimuse, 1989 Airs d’enfance
Fuzeau, 2001

29
LES ENFANTS

Remplissant nos paniers de rires


ils ont éclaboussé partout
et bousculé la mort. il a pris ma main dans la sienne
et je m’y suis accroché
Elle est partie vexée. ce n’étaient que trois ou quatre pas
le début du chemin
Dominique Stein mais j’ai su où j’allais
in et même si je suis tombé
Dix poètes du Prix Casterman j’ai continué
Unimuse, 1993
ce sera mon tour
un jour
de lui tenir la main
le jour où il devra partir
de l’autre côté du chemin

il lâchera ma main
je sais
sans prévenir
peut-être je pleurerai
il y a dans le chant des enfants peut-être pas
des voix de lumières
inventées je penserai à ce temps-là
elles ne se taisent pas où il guidait mes premiers pas
vont par-delà et puis
longtemps après
jusqu’à plus loin j’irai où il ira
prendre sa main
l’épaisseur du vent
devant le jour Bernard Friot
peut-être oui
Danielle Fournier De La Martinière, 2006
Je reconnais la patience de l’arbre
Tarabuste, 2008

30
LES RAISONS QUI TIENNENT L’ENFANT DOUBLE

Fils donne-moi ton pays Un jour, un enfant était deux.


donne-moi le pays Ils étaient assis
où jamais je n’irai l'un à côté de l’un,
parlant d’une même voix :
Enseigne-moi le chemin qui va « Et moi, émoi…
du rêve le plus vieux L’avis, la vie…
à ton bonheur futur L’amor, la mort… »

S’il faut abandonne-moi Le temps passa,


parmi les ruines de mon siècle sans rien apprendre
et gagne sur l’autre rive d’eux.
le chant bâti dans nos poèmes Et un soir, hop !
L'enfant double
Fais sonner s’il faut Était vieux.
ta colère sur mon front
interdis-moi de renoncer La vie est simple
fils comme un et un
je parie ton monde font d’eux
contre le mien un enfant unique,
poétique
Jean-Pierre Siméon et mystérieux.
Sans frontières fixes
Cheyne, 2001 Alain Serres
in
Ça fait rire les poètes
POT DE COLLE Anthologie
Rue du Monde, 2009
― Pourquoi maman a-t-elle toujours
Deux fossettes sur ses joues ? VERT
― Pourquoi les chattes
Courent-elles à quatre pattes ? Quand j’étais petit
― Pourquoi les oiseaux J'aimais m’étendre
Ne portent-ils pas de sabots ? Au pied des arbustes.
― Pourquoi ma grande sœur, dis,
S’assied-elle pour faire pipi ? À travers les feuilles
― Pourquoi les grenouilles tout était vert :
Ont-elles le ventre qui gargouille ? les nuages,
― Pourquoi les bonbons le ciel,
Ne poussent-ils pas sur les buissons ? les vautours,
mes pensées.
― Parce que ta bouche, mon chou,
N’est pas fermée par un verrou ! Jusqu’au jour où j’appris
que le vert
Sacha Tchiorny aussi se fane.
in
Ça fait rire les poètes Umberto Ak’abal
Anthologie Le gardien de la chute d’eau
Rue du Monde, 2009 L’Harmattan, 2010

31
Les enfants de la liberté
ne s’habillent pas en Petit Bateau.
Leur peau s’habitue vite à une étoffe rêche.
Les enfants de la liberté Le ciel bleuit
ont des vêtements usés que la mer accompagne…
et des chaussures trop grandes pour leurs pieds.
Souvent ils enfilent l’air nu ou la terre. Tas de sable
sur le rivage,
Les enfants de la liberté
ne connaissent pas le goût de la banane les enfants jouent
ni de la fraise. comme des rois…
Ils mangent du pain sec
trempé dans l’eau de la patience. Et, par-delà les cris,
les sourires,
Le soir,
les enfants de la liberté l’azur des cœurs
ne prennent pas de bain, chante tout bas…
ils ne soufflent pas dans des bulles de savon.
Ils jouent avec des pneus, des cailloux Bernard Perroy
et les débris Une gorgée d’azur
des bombes. Al Manar, 2011

Avant de dormir,
les enfants de la liberté
ne se brossent pas les dents.
Ils n’attendent pas les histoires magiques
de prince et de princesse.

Ils écoutent le bruit de la peur et du froid. Mon papa est très grand,
Sur les trottoirs de la rue, Plus haut que le buffet,
devant les portes de leur maison détruite, Mais dans pas très longtemps
dans les camps des pays voisins Je le dépasserai.
ou Quand je vais arroser
dans les tombes. Les choux du potager
Je m’asperge en secret
Les enfants de la liberté Le bout de mes souliers.
attendent comme
tous les enfants du monde Michel Piquemal
le retour de leur mère. in
Cairns n°3
Maram al-Masri La Pointe Sarène, 2008
Elle va nue la liberté
Bruno Doucey, 2013

32
Si mon père était un ourson,
Ma tante Alice, un gros pigeon,
Si mon oncle était un trapèze,
Ma sœur Anne, un bâton de chaise, Dans tes yeux il y a la mer.
Si ma marraine était un mât, Sur la mer il y a la tempête.
Mon grand frère, un œuf sur le plat, Dans la tempête :une barque.
Si mon maître était une autruche, Dans la barque : une petite fille.
Et l’école, une vieille cruche, Dans la petite fille il y a ton enfant
Je ne sais pas comment irait et je vais me noyer maman
Le monde étroit que je connais, si tu ne cesses de gronder.
Mais je rirais, ah je rirais
À faire sauter les volets. Gisèle Prassinos
in
Maurice Carême Il était une fois, les enfants…
in messidor / la farandole, 1987
Il était une fois, demain…
messidor / la farandole, 1983

L’ÉCOLIER

L’ENFANT PRÉCOCE J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche


quand je n’irai pas à l’école
Une lampe naquit sous la mer j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans
Un oiseau chanta et même des paraboles
Alors dans un village reculé je parlerai de mon village je parlerai de mes
Une petite fille se mit à écrire [parents
Pour elle seule de mes aïeux de mes aïeules
Le plus beau poème je décrirai les prés je décrirai les champs
Elle n’avait pas appris l’orthographe les broutilles et les bestioles
Elle dessinait dans le sable puis je voyagerai j’irai jusqu’en Iran
Des locomotives au Tibet ou bien au Népal
Et des wagons pleins de soleil et ce qui est beaucoup plus intéressant
Elle affrontait les arbres gauchement du côté de Sirius ou d’Algol
Avec des majuscules enlacées et des cœurs où tout me paraîtra tellement étonnant
Elle ne disait rien de l’amour que revenu dans mon école
Pour ne pas mentir je mettrai l’orthographe mélancoliquement
Et quand le soir descendait en elle
Par ses joues Raymond Queneau
Elle appelait son chien doucement in
Et disait Il était une fois, les enfants…
« Et maintenant cherche ta vie » messidor / la farandole, 1987

René-Guy CADOU
Les Amis d’enfance
Maison de la Culture de Bourges, 1965

33
BOSNIAS
Trésors de mes quatre ans :
Dispersas la niña y la anciana Mousse de la forêt
En Paris subterráneo Caillou du jardin
Disputan a la indeferencia Galet de la plage
El espacio de la mendicidad Épine de sapin
Es Bosnia del horror Fleur de lavande.
El grito del este Et la terre toute entière
Vergüenza señores y señoras Dans ma poche trouée !
De importunar sus trayectos
Una canta en los vagones del metro Liska
Con voz de entraña en lengua natal in
La otra al final del pasillo Cairns n°9
En las escaleras que desembocan La Pointe Sarène, 2011
Al muelle del tren
Balbuciendo en un francés prestado
Plañeñ en medio de plegarias
Después
Vieja y muchacha se encuentran
Para contar cuántas monedas. CAÑEDO

À Paquita
BOSNIENNES
Tu as raison de passer
La fillette et la vieille femme à distance tes après-midis à jouer
Dans Paris souterrain dans les branches du figuier
Disputent à l’indifférence
Un espace où mendier Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
C’est la Bosnie de l’horreur
Le cri de l’Est Tu as raison de courir
La honte messieurs dames Jusqu'à perdre haleine
D’importuner votre trajet Le loup il va t’attraper
L’une chante dans les voitures du métro
D’une voix venue des entrailles en sa langue Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
[natale
L’autre au bout du couloir Tu as raison de traquer
Dans les escaliers qui débouchent le ver luisant caché
Sur le quai les nuits de lune pleine
En balbutiant dans un français précaire et perdre encore la tête
Larmoie au milieu des prières à rêver de vies nouvelles…
Plus tard
La vieille et l’enfant se retrouvent … Car tout cela n’était qu’une poignée d’étés
Pour compter leurs quelques sous.

Myriam Montoya Isabel Asúnsolo


Déracinements / Desarraigos Marmotades
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Claude L’iroli, 2005
Couffon
Indigo, 1999

34
À Maël, 2 ans
Ton âge
tient sur les doigts Tu marches au hasard
d’une seule main dans le plaisir de tes pas
un peu à gauche
Ton sourire un peu à droite
dans la paume dans l’ignorance des boussoles
d’une seule main
Ce qui te guide assurément
Mais ton chagrin C'est un petit rêve de plein jour
a besoin
de tout l’espace de mes bras Tu déambules à l’intérieur.

Jacques Fournier Locmaria, mai 2008


in
Cairns n°9 Alain Boudet, inédits
La Pointe Sarène, 2011 in
Cairns n°3
La Pointe Sarène, 2008

À l’aube de ce jour
je t’envoie ce poème
que des oiseaux facteurs
te chanteront demain
d'en bas un enfant
pour te dire simplement regarde la lune
que le soleil se balance et la lune est blanche
que les arbres sont en fête et bonne comme du lait
que le ciel rit à belles dents
que la rivière fait toilette rien ne rattache l’enfant
que l’on est prêt, à cette blancheur
que l’on t’attend sinon à jamais
l’ombre d’une soif
Paul Bergèse
Danser sourire et grandir Marc Dugardin
© Paul Bergèse, 1997 la peur la plénitude
l’arbre à paroles, 1994

35
Quels seront les soleils QUE DIT TAMARA
quels seront les espoirs ― QUI NE PARLE PAS ENCORE ―
du monde où vous vivrez EN SUÇANT SA TÉTINE
enfants de nos désirs ? ET EN CONTEMPLANT CE VASTE MONDE
QUI N’EST PEUT-ÊTRE PAS LE PLUS PARFAIT
Quels pouvoirs de bonheur
quelles chances de fête Pourvu
trouverez-vous encore que les enfants ne brisent les pattes d’aucun chat
dans votre devenir ?
Pourvu
Je vous prends par le cœur que les balles ne tuent aucun ours dans la forêt
je vous tiens par la main
m’interroge de peur Pourvu
sur votre dur destin qu'aucun bouleau ne soit abattu par un obus

Aux plus humbles de vous Pourvu


je demande pardon Que tous les peuples du monde se réconcilient
de ma joie d’exister
au devant de votre âge Pourvu
Que reviennent tous les promis de la mort
Qu’aurons-nous donc laissé
à vos envies d’amour Pourvu
à vos embrasements Qu’il n’y ait pas de tremblement de terre
de plus haute clarté ?
Pourvu
Mais nous allons vers vous Que tous les avions atterrissent sans encombre
préparant des miracles
d’empires étoilés Pourvu
et d’immenses splendeurs que mon père termine son poème

Nous brûlons nos vaisseaux Pourvu


Nul recours, nulle grâce Que tous les pères deviennent poètes
Mais dans nos poings fervents
vibre votre avenir. 1964

Arthur Haulot
in Izet Sarajlic
Nous empruntons la terre à nos enfants Nés en vingt-trois, morts en quarante-deux
l’arbre à paroles, 1998 n&b, 1999

36
Depuis des années,
Des années,
Un stalactite,
le photographe a commandé Un stalagmite
le soleil et l’ordre Se regardaient.

les mains sur les genoux Ils durent attendre


les filles du premier rang Des années,
semblent gober les mouches Des années,
Pour pouvoir se donner
il manque deux dents aux plus jeunes Un petit baiser glacé !

debout derrière elles Françoise Bobe


nous nous pinçons les tabliers in
les paumes et les lèvres Poèmes pour s’éclairer à la luciole
l'épi de seigle, 1998
l’institutrice fait les yeux ronds

(la photo de classe)


Cet âge
Françoise Lison-Leroy féroce et tendre
le dit de petite elle incrédule et naïf
l’arbre à paroles, 2000 hâbleur et angoissé
téméraire et fragile
crispant et adorable :
adolescence…

L’ENFANCE Clod’Aria
Micro-climat
Mon enfance aux doigts tachés d’encre ! Echo Optique, 1992
Les cloches au matin.
Le muezzin au crépuscule.
Des collections de vieilles boîtes et de timbres AXIOME
anciens,
L’échange d’un Ceylan Dans mon cahier de brouillon
Contre deux Luxembourg. j'ai brouillé la piste des étoiles
hachuré la courbe des ans
C’est ainsi qu’il s’en est allé dessiné les contours du futur
Le temps de l’enfance. schématisé la forme des saisons
Il a couru en soulevant de la poussière et des cris tracé le diagramme des tropiques
À la poursuite d’une balle en chiffons. souligné les paramètres de la vie
Une balle en chiffons, illustré les arcanes de l’amour
De ces chiffons gris de l’Albanie décalqué les lunaisons des sentiments
Reste à boucler le cycle de ma jeunesse
Ismaïl Kadaré
in Maggy de Coster
Un poème, un pays, un enfant in
le cherche midi / UNESCO, 2002 Terre de femmes
150 ans de poésie féminine en Haïti
Bruno Doucey, 2010

37
Ne rien écrire
Ou juste pour toi je les vois
Parce que tu grandis l’une et l’un
M’échappes leurs vélos ont le nez à terre
Ne rien écrire
Tourner seulement la page eux s’envolent
Comme l’un de ces livres les bras clos
Que je te lisais ivres du premier baiser
Relisais
Près d’une herbe foulée je ne dirai rien à ma mère
Qui se redressait quand
Un vol d’étourneaux derrière la haie vigile
S’échappait au crépuscule les cerises mûrissent par cœur

Ne rien écrire (les fugitifs)

Jean Rivet Françoise Lison-Leroy


Le soleil meurt dans un brin d’herbe le dit de petite elle
møtus l’arbre à paroles, 2000

ADOLESCENT LETTRE D’UNE MÈRE

Ses traits s’affirment et sa voix mue Va dans le vaste monde, mon cher enfant,
avec des graves et des aigus Va vers une vie libre !
l’homme enfant Tant que le vent souffle en poupe.
l’adolescent.
Va vers la vaste mer, mon cher enfant,
Parfois il voudrait s’attarder Va vers le monde libre !
dans la chaleur Tant qu’il ne fait pas encore noir
la douceur Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.
des jeux
mais il doit s’affirmer Lorsque les ombres s’effaceront,
quitter Que l’aigle de mer sera retourné à son nid,
détruire Que le vent soufflera vers la terre
construire Et que le timonier sera sans boussole,
l’homme enfant Alors tu pourras revenir vers moi !
l’adolescent.
Reviens alors, mon cher enfant,
Avec insolence Reviens de l’autre côté de la nuit !
et impertinence Et lorsque ton navire sera près du rivage,
avec innocence Alors nous parlerons
et parfois violence, De l’amour et de ta vie demain matin.
il s’arrache à l’enfance.
Asrul Sani
Michelle Daufresne in
Envol Un poème, un pays, un enfant
Lo Païs, 2000 le cherche midi / UNESCO, 2002

38
J’ai 44 ans
L’olivier en a 800
Je suis un enfant

La vie est longue Patrick joquel


disait la pierre Un bleu formidable
depuis des millénaires Le Chat qui tousse, 2011
que je suis pierre
de quoi se plaignent
les humains ?

Clod’aria Nous disons aujourd’hui


La pierre, l’arbre, l’âne
l'épi de seigle, 2001 Nous disons hier ou demain

Nous retenons le temps


au sablier des mots
pour oublier qu’il passe
en nous
comme une flèche
LE TEMPS
Mais il est pourtant là
Tu exagères avec sa rectitude
Le temps avec sa certitude
Tu fais avec son poids d’aiguilles
Tout à l’envers entre pointe et plume
Tu accélères entre vie et rêve
Quand tu devrais en nous
Faire marche arrière comme une banderille
Et tu prends ton temps
Quand on est pressé Alain Boudet
Tu n’es jamais Quelques mots pour la solitude
Comme on t’attend l’épi de seigle, 1996
On ne peut pas
Compter sur toi
Et pas question
De divorcer
On est On sait seulement
Bien obligé que les rêves n’en finissent pas
De vivre de s’éteindre
Avec son temps et chaque fois reprendre le tissage
croire à l’histoire ancienne
Liska inventer des suites
Le temps étoilé pour avancer dans le nu des jours
l'épi de seigle, 1999
Patricia Cottron-Daubigné
Le scalpel des jours
Le Chat qui tousse, 2000

39
CRÉPUSCULE

En été le crépuscule fait reculer la nuit.


Paresse.
Soulagement.
DETTES Jour rempli de promesses…
Nous sommes assis côte à côte, dans l’ombre.
Il tenait de sa mère Nous regardons sur le ciel le vol aigu des
Ci-devant poissonnière martinets…
Des yeux de merlan frit La ligne blanche que trace un avion qui revient
peut-être des Amériques.
Lui venaient de son père Le chat couché de tout son long devant nous,
Hautboïste amateur nous garde des sortilèges, ses yeux ouverts sur
Des naseaux en trompette l’éternité ;
Il y a encore un lézard sur le mur de pierres
D’oreilles en feuille de chou sèches.
Il avait hérité Et on entend parfois jusqu’aux franges de la nuit
D’un oncle jardinier les moissonneuses dans le champ proche qui
avalent la paille…
Son menton en galoche Nous bavardons doucement des choses
Révélait l’existence quotidiennes,
D’un sabotier aïeul Le ciel est violet ce soir…
Nous vieillissons doucement…
Il avait par ailleurs
La bouche en cul de poule Georges Jean
− Sa grand-mère jadis in
Élevait la volaille – L’Arbre à mots
Donner à Voir, 2008
Et quant à ses moustaches
En guidon de vélo
C’était le souvenir
D’un grand-papa coursier

Il avait enfin Des voix se mêlent


Un ancêtre boucher dans l’ombre et la lumière
Ce qui justifiait comme un chant de soleil
Sa tête de cochon accordé au rythme de l’arbre

Mais c’est à lui seul C’est le temps qui vibre


Qu’il devait son visage au mouvement des feuilles
Taillé à la serpe
Il redit le nom
Il était bûcheron des amis perdus.

Jean-Claude Touzeil Marilyse Leroux


in Herbes
Visage/visage(s) Donner à Voir, 1995
Donner à Voir, 2004

40
Il y a des jours de lenteur
où nous pensons que le monde s’arrête

Mais
sous l’écorce des choses visibles
Elle dans le bruit la vie
les voix lui disent rien déjà
Elle s’enferme invite à la lumière
dans sa tête
Le silence lui va bien Alain Boudet
Sa peau d’avant Les mots des mois
accrochée aux ronces Donner à Voir, 2005
Nue
dans le ventre du sentier

Errance dépouillée

Pascale Albert Tu sais le manque ?


Un dernier battement d’elle Tu sais le creux,
Donner à Voir, 2011 Là dans le ventre ?
Tu sais les larmes ?
Tu sais le froid,
Là dans le cœur ?
Tu sais l’attente ?
Tu sais l’espoir,
Là dans la tête ?
Petite flamme jamais morte.
Suffit d’un soir
RÊVER Pour mettre le feu.

Rêver Pascale Albert


Seize fois sans
Tourner le dos aux voyages Echo Optique, 2005
aux rires des cartes postales
soleil figé
papier glacé

Partir en restant là Tu regardes en passant,


peut-être comme un voyageur du temps
Retrouver l’enfance en nous-mêmes qui erre sur les chemins,
libérée sans portes, sans maisons,
sans sourires à l’horizon.
Partir comme Hélice
au pays des merveilles En voiture sur une petite route, alors que je
me laissais guider par le hasard.

Alain Boudet
Claude Cailleau
Carrés de l’hypothalamus
Tout ce qui reste
Donner à Voir, 1999
Traces, 2003

41
Avant de franchir le pas
qui mène au froid
du bloc opératoire,
le soleil amical L’ÂGE
me glisse un ultime clin d’œil.
Il va falloir plonger Mains fraîches, et ces yeux si légers et couleur
dans le néant anesthésique Des ruisseaux clairs que le ciel presse…
d’où aucun rêve Ce que je nomme encore aujourd’hui ma
ne revient vivant. jeunesse
Quand nul ne peut m’entendre et que même
À tout à l’heure… peut-être ? mon cœur
Plein de honte pour moi, fait le sourd, se
Marcel Bréchet dépêche,
Itin’errance Me laisse sans chaleur.
Echo Optique, 2007

Jules Supervielle
Le forçat innocent
Gallimard Poésie, 1969

LES ARÈNES DE FRÉJUS

Te souviens-tu des arènes de Fréjus ? La guitare


de Carlos Santana dans le jour qui tombe. Notre
amour n’était plus à son zénith mais enflammait
encore le ciel. Tu étais ma compagne sur ce banc,
dans le chaud soleil de fin d’après-midi, dans le Que m’importent lieu, durée,
tendre rougeoiement du soir, dans la nuit qui si je demeure assurée
monte. Tu étais celle avec qui ma vie faisait route. de garder toujours l’instant.
Le visage entre tous, le corps familier, la voix Seconde ou siècles, autant
proche. La guitare de Carlos Santana n’en finissait le vent sur sa route emporte.
pas d’emplir la nuit de ses accords et nous nous Lieu, durée, ah, que m’importe,
aimions si fort. Te souviens-tu des arènes de tout défile au même train.
Fréjus ? Je ne saisirai qu’un grain
Du sable des destinées,
Christian Bulting
La saison violente Pour le cueillir, je suis née.
Echo Optique, 1995
Liliane Wouters
in
20 poètes pour l’an 2000
Gallimard Jeunesse, 1999

42
L’AMITIÉ

Qu’est-ce qui passe ici si tard ?


Un chemin creux n’est pas un boulevard !
LE PONT MIRABEAU
C’est un ami des temps anciens
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Voyageur seul et sans bagage
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne Femme prépare les vins fins
La joie venait toujours après la peine Les liqueurs des chaussons de feutre

Vienne la nuit sonne l’heure Ne viens pour boire ni manger


Les jours s’en vont je demeure Mais pour parler des années douces

Les mains dans les mains restons face à face Max Jacob retour de Quimper
Tandis que sous Le chat roux le quai de la Fosse
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse Fosse au passé fosse aux remords
Ne te dérange pas si tu dors !
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure Et pour qui me dérangerais-je
Sinon pour vous Amis les Anges ?
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va Les salles tristes du collège
Comme la vie est lente Mais les dimanches sous les pins !
Et comme l’Espérance est violente
Je te retrouve après quinze ans
Vienne la nuit sonne l’heure Mon lointain mon parent trop rare
Les jours s’en vont je demeure
Faut-il que tu passes si tard
Passent les jours et passent les semaines Dans le corridor du destin !
Ni temps passé
Ni les amours reviennent René-Guy Cadou
Sous le pont Mirabeau coule la Seine in
L’amour et l’amitié en poésie
Vienne la nuit sonne l’heure anthologie
Les jours s’en vont je demeure Gallimard folio, 1980

Guillaume Apollinaire
Alcools
Gallimard Poésie, 1966

43
fillette fillette
ce que tu te goures

Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
LE TEMPS L’HORLOGE et ton pied léger
si tu crois petite
L’autre jour j’écoutais le temps xa va xa va xa
qui passait sous l’horloge. va durer toujours
Chaînes, battants et rouages ce que tu te goures
il faisait plus de bruit que cent fillette fillette
au clocher du village ce que tu te goures
et mon âme en était contente.
les beaux jours s'en vont
J’aime mieux le temps s’il se montre les beaux jours de fête
que s’il passe en nous sans bruit soleils et planètes
comme un voleur dans la nuit. tournent tous en rond
mais toi ma petite
Jean Tardieu tu marches tout droit
in vers sque tu vois pas
L’amour et l’amitié en poésie très sournois s'approchent
anthologie la ride véloce
Gallimard folio, 1980 la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
SI TU T’IMAGINES allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
Si tu t'imagines fillette fillette
si tu t'imagines ce que tu te goures
fillette fillette
si tu t'imagines Raymond Queneau
xa va xa va xa in
va durer toujours 128 poèmes composés en langue française
la saison des za choisis par Jacques Roubaud
la saison des za Gallimard, 1995
saison des amours
ce que tu te goures

44
LES YEUX
Où est-il, l’enfant que je fus ?
Est-il en moi ? Est-il parti ? Les enfants bavardent dans la rue.
Ils ne savent rien encore
Sait-il que je ne l’ai aimé ni de la vie
et qu’il ne m’aimait pas non plus ? ni de la mort.
Les oiseaux en savent quelque chose.
Pourquoi tout ce long bout de route,
et grandir pour nous séparer ? Et moi, entre les enfants et les oiseaux
je m’étonne de ne savoir
Pourquoi n’être pas morts tous deux ni revivre les contes
avec la mort de mon enfance ? ni m’envoler.

Pourquoi, si mon âme est tombée, Sreten Perović


ai-je conservé mon squelette ? (Monténégro)
in
Pablo Neruda Voix Vives
Le livre des questions de Méditerranée en Méditerranée
Gallimard Jeunesse, 2008 Anthologie Sète 2011
Bruno Doucey, 2011

MÉLANCOLIE DU SOIR DANS LES VILLES DE PROVINCE


Grandir n’est rien d’autre que d’oublier
une part du secret, du rêve… La mélancolie du soir dans les villes de province
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré, Est la même chose aux quatre coins du monde
limazinèr… Le ciel clair et les silhouettes des maisons
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier Et le regard triste des femmes
une part du secret, du rêve…
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré, Des lointaines campagnes
limazinèr… Le vent répand la voix du soir
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier Progressivement le corps des montagnes
une part du secret, du rêve… Sombre dans la nuit
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré,
limazinèr… J’ai passé mon enfance dans les villes de province
Grandir n’est rien d’autre que d’oublier Cette tristesse grise du soir
une part du secret, du rêve… M’est restée au cœur
Nir gran…rienk oubli in bout lo sekré,
limazinèr… Il y a des années que je vis cette tristesse
Je regrette, ô combien je regrette
Mikaël Kourto Mon nom prononcé par ma mère quand elle
(île de la Réunion) m’appelait
in
Outremer Ataol Behramoglu
Trois océans en poésie ( Turquie)
Bruno Doucey, 2011 in
Voix Vives
de Méditerranée en Méditerranée
Bruno Doucey, 2011

45
LES ANNÉES PASSENT

Je ne comprends plus Ô mon passé


La nature du monde Toi qui es mort
Le tourbillon qui m’emporte comment t’es-tu évadé de mon coffre-fort
Me fait suffoquer et as-tu retrouvé la route qui mène à moi
Je sens que je suis
Au carrefour de plusieurs vérités Je ne veux ni te bannir
ni t’ouvrir ma porte
Les années passent mais dis
Et toujours rien que me veux-tu
Quel besoin as-tu de moi
Je regarde plus loin Il y a un autre rêve
Je vois la misère qui m’entraîne à sa suite
L’indifférence et la violence
La terre malmenée Ô mon passé
Perd sa saveur Chut !
L’intolérance défigure la ville Tu es vivant
et mon dîner brûle
Les années passent
Et toujours rien Maram al-Masri
Je te menace d’une colombe blanche
Pourtant je suis faite Seghers, 2008
Pour me planter dans la terre
Pourtant je suis faite
Pour boire l’eau du ciel
Pourtant je suis faite
Pour toucher l’écorce des arbres

Les années passent


Et toujours rien Toujours je conterai
l'odeur perdue du temps jadis,
Nous retrouverons-nous la moiteur verte de l’enfance,
À la frontière du monde ? la brume des horizons
Nous retrouverons-nous où veille la fillette que je fus,
Pour bâtir enfin l’espace reconquis
Pierre par pierre de ma vie circulaire
La maison de nos rires d’enfance ? et, plantée là, dans la chair
de la terre, la haute profusion
Les années passent du pommier-labyrinthe
Les années passent où je grimpais, enfant,
à l’assaut des soleils !
Véronique Tadjo
in Béatrice Libert
Tout l’espoir n’est pas de trop Un arbre cogne à la vitre
Douze voix francophones Pluie d’étoiles, 2000
Le Temps des Cerises, 2002

46
Avec sa pelle en plastique
elle prend du sable
et le lance
loin dans la mer

Je me souviens Très loin


tous les matins
sur le chemin de l’école Un peu plus tard
le long du port elle remplit le seau d’eau
cette route sinueuse puis le vide
à proximité du Café de la Jeunesse sur la plage
où se retrouvaient les vieux du quartier
Tu le sais
(Mon cœur se serre) tu en as fait autant
si loin que tu ne t’en souviens plus
Je me souviens du serveur tout petit
qui laissait son travail Une autre vie
pour me fredonner une chanson
ou m’envoyer un soupir Aujourd’hui
Je cachais mon sourire dans mon petit mouchoir tu n’as plus ni seau ni pelle
Ou je le jetais à la mer mais tu regardes encore la mer

(Sourire chez nous est un péché) Patrick Joquel


Croquer l’orange
Je me souviens Pluie d’étoiles, 2008
le soir
de la corniche à six heures
à l’heure du Jugement dernier
où se croisent pieds et rêves
garçons et filles de Lattaquié

Je me souviens de visages et de noms


Je me souviens
de parcs et de rues Dans un vieux livre de récitations
Je me souviens et je pleure je retrouve des fleurs séchées
et des promenades d’enfance
Maram al-Masri
Je te menace d’une colombe blanche Jean-Hugues Malineau
Seghers, 2008 Trente haïku rouges ou bleus
Pluie d’étoiles, 2000

47
Ton kit mains libres
palpite
comme une sirène
et tu vis Il y a une armoire à peine luisante
d’une urgence à l’autre Qui a entendu les voix de mes grand-tantes,
avec un gyrophare Qui a entendu la voix de mon grand-père,
à ton cou Qui a entendu la voix de mon père.
À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
Tu portes des lunettes à écran plat On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire
webcam et cours de la Bourse intégrés Car je cause avec elle.

Tu as le cœur bien à l’abri Il y a aussi un coucou en bois.


sous ta carte bancaire internationale Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix.
avec options multiples Je ne veux pas le lui demander.
assurance incluse Peut-être bien qu’elle est cassée,
La voix qui était dans son ressort,
Tu es moderne Tout bonnement comme celle des morts.
on line
et tes vêtements siglés Il y a aussi un vieux buffet
te mondialisent Qui sent la cire, la confiture,
La viande, le pain et les poires mûres.
Patrick Joquel C’est un serviteur fidèle qui sait
Croquer l’orange Qu’il ne doit rien nous voler.
Pluie d’étoiles, 2008
Il est venu chez moi bien des hommes et des
[femmes
Qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
TOUJOURS TOI Quand un visiteur me dit en entrant :
― Comment allez-vous, monsieur Jammes ?
Où est l’héritage de l’exil
le fruit du vent Francis Jammes
et qui se souviendra de toi in
dans les moments de joie ? Les voix du poème
Anthologie
Toi qui t’éloignes Bruno Doucey, 2013
comme une averse tourmentée
les villes heureuses ne te pleureront pas
et sur le chemin
regarde
les années tissent l’oubli
comme le liseron
se propage sur les tombes

Salah Al Hamdani
in
Bagdad Jérusalem
À la lisière de l’incendie
Salah Al Hamdani et Ronny Someck
Bruno Doucey, 2012

48
BAGDAD, FÉVRIER 91

Dans les rues bombardées on poussait ma voiture


d’enfant.
Les jeunes filles de Babylone pinçaient mes joues,
éventaient les palmes
au-dessus de ma tête blonde.
Ce qui est resté depuis a bien noirci,
comme Bagdad, L’enclos secret de nos vacances
comme le landau sorti des abris veille son propre oubli
dans l’attente d’une nouvelle guerre. blotti contre l’hiver
Ô Tigre, Ô Euphrate serpents d’agrément sur la vasque de silence
première carte de ma vie, sous un rideau d’averses
vous avez mué en vipères !
Passer le long couloir
Ronny Someck où le temps s’épanche
in comme pluie battante
Bagdad Jérusalem dans le tamis
À la lisière de l’incendie des volets fossiles
Salah Al Hamdani et Ronny Someck
Bruno Doucey, 2012 Frôler le galbe des tomettes
avant que d’autres pas
demain ne les piétinent
avant que l’objet
ne redevienne chose

Avant que tout ne soit soldé


fouiller un instant encore
Qui sommes-nous devenus les miettes de l’enfance
entre les points d’enfance ? ― cette disparue
Qui hurle tout bas.
Quelles sont les intentions
de ceux qui ont grandi ? François-Xavier Maigre
Dans la poigne du vent
Passer sans faire de bruit Bruno Doucey, 2012
et se recroqueviller ?

Emprunter d’autres voies


entre les tourbillons ?

Le théorème a-t-il servi ?

Stéphane Bataillon
Les terres rares
Bruno Doucey, 2013

49
LES GÂTEAUX AUSSI SE MANGENT FROID

5 minutes de retard CHANSON DE LA FILEUSE


Est-ce que j’ai bien fait
de quitter ma maison Vous y croyez vous à la vie
laissant les enfants ? à la vie à la vie à la vie
vous y croyez donc au temps
Je ne savais pas qui passe qui passe qui passe
que les jours et les nuits vous y croyez donc à la vie
allaient se décolorier qui passe qui passe qui passe
en leur absence vous y croyez à la vie au temps
au temps au temps au temps
10 minutes de retard
Oh, peut-être qu’ils ne viendront pas Philippe Soupault
mais non Poésies pour mes amis les enfants
ils vont venir Lachenal et Ritter, 1985
certainement

15 minutes de retard
J’ai préparé
le gâteau qu’ils aimaient chaud Jetez-vous sur l’avenir
lorsqu'ils en sentaient l’odeur au vol, comme l’indien sur les reins du cheval
ils me disaient en le mangeant sauvage
« Maman, tu es la meilleure » et n’en cherchez pas davantage
Prenez votre monture au col
25 minutes de retard foncez
Il y a beaucoup de voitures avalez le temps avant qu’il ne vous avale
dans les rues frappez des deux talons les flancs de la cavale
c’est bouché partout Yeux fermés
mais Cheveux au vent
ils vont arriver Lèvres entrouvertes
courez courez à votre perte
1 heure de retard Allez au-devant du temps
Ce n’est pas grave faites voler en éclats horizon et raisonnements
le gâteau se mange froid aussi tout ce qui est inerte ment
prenez les devants
2 heures de retard bousculez Dieu comme une idée reçue
Un SMS arrive : Ruez-vous sur l’avenir avant que les vers ne vous
« Maman, nous viendrons mangent
demain. » pressez votre cœur comme on presse une éponge
faites-lui rendre tous les prénoms
Maram al-Masri tous les instantanés d’amour
La jupe froissée tous les rêves inassouvis
Bruno Doucey, 2012 qu’il a stockés
dans ses greniers

Jean-Pierre Rosnay
Fragment et Relief
Collection Club des Poètes, 1994

50
TOUT REPRENDRE

Quand nous revenons


dans la maison d’Ardèche …
il faut tout reprendre. À Paris quand je musarde, je croise en silence
tant de fantômes que j’en oublie un peu les
Arracher scier couper vivants.
ronces branches genêts Quai de la Rapée, un métro grince au tournant
soulever porter déplacer et je revois un adolescent débarquant jadis
pierres planches meubles gare d’Austerlitz pour reconquérir
dégager les accès les abords la ville natale trop tôt quittée.
se battre contre le temps. L’ami d’enfance m’y attendait,
qui avait grandi en battant le pavé des quartiers
C’est un peu tout reprendre dont j’ai découvert les recoins à travers
des jours passés ici. nos pérégrinations et les troquets
Les mois sont les années d’une bohème inventée.
les années font la vie …
et puis la vie la mort
et puis la mort la vie. Michel Baglin
Un présent qui s’absente
(Les enfants ne savaient pas marcher Bruno Doucey, 2013
ils se sont lâchés ils sont tombés
ils ont couru sur le chemin
leurs corps ont dépassé nos corps.

Sous une couche de graviers


retenus par des pierres
― ramassées en chemin ―
La tombe de leur grand-père Quand j’aurai pu d’chien
Regarde la montagne). pu d’chats
quand la mère sera disparue
Et ce qui passe ici la fille mariée
entre les feuilles dans le ciel le mari occis
le vent ou au fond du ravin la maison fermée
nous le reprenons. le jardin fichu
Je voyagerai
Comme si c’était possible oui oui !
de nous reprendre avec. si je suis encore en vie…

François de Cornière Clod’Aria


Tout cela Mon chat son chien et le cochon du voisin
le dé bleu / Les Écrits des Forges / l’Arbre à le dé bleu, 1998
Paroles, 1992

51
LE VIEUX POUCET

Il a marché la vie entière


Sur les sentiers du bout du monde.
Jour après jour il n’a cessé
D’interroger l’herbe et le vent,
De chercher sur le sol les repères
Qu’il avait semés tout enfant,
Ses vieux poèmes oubliés, LA TORTUE GÉANTE
Graines vives, bulles de songe,
Pour mieux retrouver son chemin. La tortue géante a cent ans,
elle se souvient de sa maman,
Parfois s’amorce sous la neige qui vivait très lentement
Une trace aussitôt perdue, et qui, à deux cent cinquante ans,
Ses pas s’égarent dans la boue, se souvenait de sa maman
Et toute route est sans issue. qui vivait très lentement

Mais il va droit sans s’attarder, Denise Miège-Simansky


Le poids des ans sur les épaules, Animalimages
Car l’espoir ne l’a pas quitté le dé bleu, 2002
De voir enfin, alors que la nuit tombe,
Briller doucement dans le noir
Les cailloux blancs de la mémoire.

Pierre Gabriel
L’oiseau de nulle part
l’idée bleue, 2005

LA DEUXIÈME GÉNÉRATION

La fille de la tortue géante


vient d’avoir deux cents ans
Elle se souvient de sa maman
qui vivait très lentement
je te parle d’ici et d’ailleurs. Ce que j’aurai pu et qui, à deux cent cinquante ans,
emprunter les transports en commun ! Notre se souvenait de sa maman
premier baiser, ce fut gare Montparnasse. Elle qui vécut très lentement
partait pour Morlaix. Les millions de piétinements jusqu’à trois cent cinquante ans
en tête de voie, les TGV, les distributeurs de se souvenant de sa maman
billets, les écrans électroniques, les portables n’y qui vivait très lentement,
changent rien. Chaque fois, jetant un œil, je nous se souvenant, se souvenant…
revois. Toi qui vivras sous le signe des navettes
spatiales, je te souhaite pareille bonne étoile ! Denise Miège-Simansky
Animalimages
Gérard Noiret le dé bleu, 2002
Maélo
l’idée bleue, 2006

52
AVANT LA GUERRE

Avant la guerre
le pain était de mie
maintenant c’est du vieux pain rassis J’avais trainé
En chemin
Avant la guerre Une vitrine
les pommes étaient des pommes Des crayons
aujourd’hui ce sont des navets Des gommes
M’avaient retenue
Avant la guerre De petites gommes
on avait le vin gai À la dimension de ma main
maintenant il assomme Une gomme pour effacer
Pour se racheter
Avant la guerre Une autre
on riait du rire des enfants Pour recommencer
maintenant il fait pleurer
Je n’ai pas trouvé
Avant la guerre De
les chiens avaient une âme Gomme
et maintenant ils sont féroces Pour refaire
Ma vie
Avant la guerre
les gens étaient bien en chair Dan Bouchery
et maintenant ils sont faits d’os Les éphémères
SOC et FOC, 2009
On passait sa vie dans les rues
pour prendre le soleil
et maintenant il s’est caché

Et la pluie
la douce pluie tiède et sucrée
devenue grêle et sel gelé J’habite
dans ma mémoire d’enfance
Dans les villes d’avant guerre d’immenses près d’étoiles
les maisons se tenaient debout très fières des Voies Lactées vaporeuses
et maintenant elles sont couchées sur les champs de blé de juillet
en pente vers la vallée.
Après la guerre…oh ! après la guerre Sur les chemins
tout sera encore plus beau qu’avant sans trop lever la tête
le pain la pluie le soleil les gens on croyait avoir
On ira le raconter sur les tombes les constellations à portée de mains.
À ceux qui sont tombés Nulle part ailleurs
Les nuits ne sont plus neuves.
Jean-Louis Maunoury
Guerres et paix Colette Andriot
møtus, 1997 Pattes d’oiseaux, pattes de chat
La Renarde Rouge, 2007

53
Dans trois cents ans
les gens qui parleront en verlan
ne diront pas Kanlipé
mais Pélican Comme les perles d’un collier
Ils ne diront pas Kéropé Qu’on égrène distraitement
mais perroquet Les jours s’additionnent aux jours
comme avant Sans nul souci de qui les porte.

Michel Besnier *
Le verlan des oiseaux
et autres jeux de plume On dit toujours que le temps passe.
møtus, 1995 Je me sens plutôt dépassé
Par ce qui en moi m’outrepasse
Et qui dévore mon passé.

Jean-Louis Jacques
Quatrains de veille
La Renarde Rouge, 2003

GUSTAVE C.
25 ANS

Chaque homme est un enfant. Que ne pouvons-


nous être encore au temps de l’innocence ? Je
regarde mes camarades, sales et hirsutes, je les
imagine en culotte courte, s’amusant à des jeux L’amour n’a pas d’âge
enfantins, aux billes ou à cache-cache peut-être. Il
y a parmi eux les tristes et les gais, les timides, les Il court d’une aube à l’autre
rêveurs, les paresseux, les chefs de bande, les sans rien qui le retienne
calmes ou les nerveux, ceux qui ne quittaient pas
les jupons de leur mère. Qu’il soit cet enfant-ci ou Il sait les peines et les joies
cet enfant-là, appellera-t-il sa maman au moment qui cousent les deux bords
de mourir ? Elle est la seule qui saura prendre son de la vie
fils dans ses bras, elle seule saura le bercer.
« Maman ! Maman ! », pas une nuit où nous Ses feux d’herbes
n’entendons cet appel d’amour éperdu. Chaque le long de nos routes
homme est un enfant et la mort, cette sont une seule et même lumière
charognarde, l’oblige à se le rappeler. Nous
sommes les obligés de la mort. Il y a dans ce Son secret est sa confiance
départ une renaissance. Chaque oiseau n’a qu’un souffle épars ou cœur suspendu
seul nid pour s’endormir. Un seul. « Maman !».
Notre amour n’a pas d’âge
Patrick Bertrand il est l’horizon de ce qui vient.
Un champ pour des grands-pères qui n’ont jamais
été pépés 1914-1918 Marilyse Leroux
La Renarde Rouge, 2002 Le temps d’ici
Rhubarbe, 2013

54
Du poème des visages
tu retiens une ride
et un sourire

Tu les poses sur la buée d’une voix


pour qu’ils voyagent
empruntant l’insensible chemin de l’air

Souvenirs Combien verront ces mots


trembler dans le jour
Le pays de nos yeux offert encore
abrite des mémoires de lumière à l’ombre et à la lumière ?

Des murs Combien auront les mains ouvertes


et des lézardes quand
et des éclats de lierre ride
et
Des chemins ruisselants dans les odeurs de pluie sourire
nous gardons des parfums où la vie se concentre déposeront leur douceur ?

Et chaque mot Alain Boudet


écharde ou miel Si peu, mais quelques mots
peut éveiller en nous La Renarde Rouge, 2006
l’éclat des images voilées
que l’on n’attendait plus.

Alain Boudet
Ici là, sur le rivage TU M’AS DIT
La Renarde Rouge, 2010
Tu m’as dit oui
Pour aujourd’hui
Pour mercredi
Et pour jeudi
Tu as promis
Pour vendredi
Et puis et puis
L’arbre d’hier Tu n’as rien dit
qui m’arrivait au menton Pour samedi
L’arbre d’aujourd’hui Ni pour la vie
qui accroche le ciel pour de bon Moi pour la vie
L’arbre de demain J’ai bien envie
qui oubliera mon nom. Que ce soit oui
Aussi
Joëlle Brière
Arbres et compagnie Liska
La Renarde Rouge, 2007 A comme love
La Renarde Rouge, 2003

55
Le lanceur
du bord de l’eau
a-t-il pensé
aux millénaires
qu’il a fallu
pour façonner Si on est devenus grands
le galet
qui a réussi c'est qu’on devait s’ennuyer
quatre ricochets ?
Les trains électriques tournent en rond
Paul Bergèse
Au gré des galets François Philipponnat
La Renarde Rouge, 2006 Cent remarques sur tout
Tome I
Gros Textes, 2011

il regarde sa chaise
il a posé dessus pipe et tabac
c’est une simple chaise
de pauvre chambre mal meublée
il la peint avec son bois de paille ENFANT
et le tabac dessus
après il fume une pipe Enfant, j’étais déjà un enfant
et disparaît dans la fumée Je le suis resté
c’est la chaise de Vincent Je ne suis pas grand
sur le tableau en couleurs et douleurs. J’ai fini de téter
Mais je saute toujours les problèmes
Luce Guilbaud En leur tournant le dos
Par les plumes de l’alouette Devant les dilemmes
Corps Puce, 2012 Je me cache dans le frigo
Face aux réalités
Je baisse les yeux, je tire la langue
Je me gratte les pieds
Je suce une mangue
Et quand les ennuis s’amoncellent
Entre les veilles et les lendemains Derrière et devant
Je monte dans ma nacelle
la marge de manœuvre est étroite Et je file avec le vent

On comprend la fébrilité des jours Philippe Fournier


Les épées de pépé
François Philipponnat Gros Textes, 2001
Cent remarques sur tout
Tome 2
Gros Textes,

56
NOSTALGIE

Gouttelettes blanches,
Lentes gouttelettes,
Gouttelettes de lait frais, AU GUICHET DU TEMPS
Clartés fugitives le long des fils télégraphiques,
Le long des longs jours monotones et gris, Donnez-moi un aller d’âge simple :
le retour ne m’intéresse pas.
Où vous en allez-vous ?
Où vous en allez-vous ? Michel Monnereau
À quel paradis ? Je dis : paradis, Les zhumoristiques
Clartés premières de mon enfance Gros Textes, 2006
Jamais retrouvée.

Léopold Sédar Senghor


Œuvre poétique
Le Seuil, 1964

SI J’ÉTAIS PETIT…

L’HOMME QUI A OUBLIÉ Si j’étais petit


j'aurais des jeux à l’infini
J’ai rencontré l’homme neige à pleins duvets
Qui a oublié sur mes errances de forêt
Qu’il a été un enfant
Des ports imaginaires
Oublié aux quatre coins de ma chambrette
Les larmes et les jubilations (le tapis est la mer
Les désespoirs et les folies qui me mène où je le souhaite)

Oublié J’aurais de grands oiseaux


La cabane de Robinson blancs ondulant comme des vagues
La fugue rageuse qui me conduiraient jusqu’à Prague
où s’endort mon château
Oublié
Le rêve insolent J’aurais pour m’éblouir
Ou la bouche gourmande cent lumières entre les mains
des secrets souterrains
N’y a-t-il plus de déesse et des coffrets de souvenirs
Dans le ciel
Pour semer en sa tête nocturne Si j’étais petit…
L’éblouissant paraphe − mais ce n’est pas permis
D’une étoile filante
Jean-Pierre Vallotton
Claude Haller Chansons en mie de pain
Poèmes du petit matin Lo Païs, 2000
Le Livre de Poche Jeunesse, 1998

57
LE BALAYEUR

Je suis celui qui doit frotter et ramasser


D’OÙ VENONS-NOUS ? avec ma pelle et mon balai :
papiers, chiffons, vieilles peaux,
― D’où venons-nous ? savates, épluchures, journaux
― Du fond des temps. et mégots de cigarettes,
― Que sommes-nous ? tout finit dans ma charrette.
― De pauvres gens.
― Où allons-nous ? Depuis des années, je balaie, balaie,
― Où va le vent. mais quand je serai vieux,
vous savez ce qu’ils feront ?
Maurice Carême Que le balai existe encore ou non,
in C'est moi-même qu’ils balayeront.
À l’ami Carême
Le Livre de Poche Jeunesse, 1987 Gianni Rodari
De la terre et du ciel
Rue du monde, 2010

LA BARBE DES SAISONS Ô JEUNESSE

Le Printemps a une barbe fleurie Ô jeunesse voici que les noces s’achèvent
comme Charlemagne Les convives s’en vont des tables du banquet
à ce qu’on dit Les nappes sont tachées de vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves
L’Été a une barbe noire
sous la rôtissoire Une vague a roulé des roses sur la grève
du soleil Quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
L’Automne a une barbe rousse Et les rois ont mangé la galette et la fève
comme les frères Barberousse
fameux pirates Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
L’Hiver a une barbe blanche Que leur sommeil soit calme et leur mort sans
comme les pères Noël [rigueur
des grands magasins
Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
Ma barbe à moi est poivre et sel Qu’on emplisse mon verre et bouchant mes
pour assaisonner mes joues [oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur.
Daniel Schmitt
La barbe des saisons Robert Desnos
Lo Païs, 1998 in
Drôles d’oiseaux
17 poèmes à chanter, 19 poèmes à lire
Didier Jeunesse, 2006

58
JE DIS DOUCEUR

Douceur,
Je dis : douceur
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Quand j’aurai assez de janviers févriers mars Et que des mots t’accueillent
assez d’avrils mais juins juillets assez d’aoûts Qui te donnent du temps.
septembres octobres et mon compte de Car on tue dans le monde
novembres décembres Et tout massacre nous vieillit.
Assez de lundis de mardis assez de mercredis Je dis : douceur,
jeudis de vendredis samedis dimanches Pensant aussi
Assez de midis de minuits assez de quatre heures À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
assez d’heures À des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,
Mon temps de parole bien passé je m’en irai faire À des poignées de main.
mon silence Je dis : douceur, pensant aux heures d’amitié,
À ces moments qui disent
Valérie Rouzeau Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
in Cet air tout neuf,
Drôles d’oiseaux Qui pour durer s’installera.
17 poèmes à chanter, 19 poèmes à lire
Didier Jeunesse, 2006 Guillevic
in
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003

MONSIEUR, MADAME

JE SAIS Monsieur Comment


et madame Comme-ça
JE SAIS bien que la faim ôte le rêve. s’embrassent, s’embrassent…
Mais il me faut continuer de chanter. S’embrassent comment ?
Que la prison brouille le rêve. S’embrassent comme-ça.
Mais il me faut continuer de chanter.
Que la mort tue le rêve. Monsieur Combien de fois
Mais il me faut, et madame Le-Plus-Souvent
mais il me faut continuer de chanter. s’embrassent, s’embrassent…
S’embrassent combien de fois ?
Rafaël Alberti S’embrassent le plus souvent.
in
Dis-moi un poème qui espère Monsieur Encore
Rue du monde, 2004 et madame Toujours
s’embrassent, s’embrassent…
S’embrasseront encore,
s’embrasseront toujours.

Alain Serres
Salade de comptines
Rue du monde, 2002

59
PHOTO

On dérange sa journée
avec une photo qu’on retrouve.
Dans le métro
Le cliquetis rouillé des années Les enfants jouent, rient, chantent
se remet en marche. Font des signes de la main
Au train d’à côté
D’un visage, Envoient même des baisers
l'imagination dresse une vie
Nous, on a les yeux rivés au sol
comme quelques mots Ou dans un livre
frottés les uns aux autres Ou sur la ligne à suivre
allument l’incendie du verbe. C’est la même chose
C’est la même chose qu’on veut
Avec une photo,
on creuse une ride de plus Antonello Palumbo
au temps. Carnet d’un poète assis sur l’horizon
Les Carnets du Dessert de Lune, 2005
Michel Monnereau
Poèmes en herbe
Milan, 1994

UN MARIAGE

Un garçon comme ça Elle est amoureuse


se rencontre rarement : Elle a 68 ans
bon comme le pain, Cela fait plus de vingt ans
vif comme la poudre, Qu’elle n’était plus tombée amoureuse…
fort comme un Turc, Comme dans beaucoup d’histoires
doux comme un mouton. Lui, il ne sait pas
Et une fille comme ça : Il passe tous les jours devant sa maison
belle comme le jour, Lui aussi est amoureux
fraîche comme la rose, On ne sait pas de qui
pure comme l’or, Il passe tous les jours devant sa maison
se rencontre rarement.
Eh bien ils se rencontrèrent. Antonello Palumbo
Ils ont une fille laide comme un pou Carnet d’un poète assis sur l’horizon
et une vie bête comme chou. Les Carnets du Dessert de Lune, 2005

Norge
in
Dis-moi si tu m’aimes
Milan, 2010

60
parfois nous marchons
avec l’appréhension
de ce qui est devant
et que l’on ne peut voir
Je rends grâce à des riens que la distance irise,
rien ne trouble la cadence une agate dans la poche,
des pas sur le gravier un goût de coco imprégnant les jeudis, des
souvenirs de cuisses rouges sur les rampes
pourtant cela se découpe d’escaliers.
déjà en nous Aux robes à fleurs de ma mère légères dans le
et un peu plus loin soleil du séjour, aux tablées d’amis des
dimanches,
c’est là aux blagues de mon père et au tapis qu’on
comme d’ordinaire finissait toujours par rouler pour danser.
À l’appui rouillé de la fenêtre d’où je regardais
nous poursuivons en sachant Paris le soir
que cela ressemble et d’où j’attendis un jour le camion des
à une peur d’enfant déménageurs sans parvenir tout à fait à croire
et c’est à peu près tout. que l’éternité n’a qu’un temps.

Michel Bourçon Michel Baglin


quelque chose comme la paix le calme L’alcool des vents
Les Carnets du Dessert de Lune, 2002 Rhubarbe, 2010

ici nous nous attachons à la


terre et aux nôtres car nous
nous savons de passage.
Quand les souvenirs bruissent
Michel Bourçon aux ailes des oiseaux,
quelque chose comme la paix le calme un vent de sable roux
Les Carnets du Dessert de Lune, 2002 est écharpe d’embruns
et la crainte des nuits
source de chansons douces.

On revient sur un peu d’enfance Quand les souvenirs voguent


la lessive étendue sur le pré aux franges des roseaux,
un dimanche de vêpres la légende prend vie
une veillée au pistil des jonquilles
un jeu de cour une marelle et l’aile d’un sourire
l’odeur des confitures au regard du chevreuil
et de la cire d’abeille berce la nostalgie
Les yeux ouverts on remonte le temps qui germe à la fontaine.
Il y a les pleins à l’encre violette
et les pages déliées. Paul Bergèse
C’est un peu comme si tu venais chez moi
Véronique Joyaux SOC ET FOC, 2001
Les âmes petites
Les Carnets du Dessert de Lune, 2011

61
ONDES INEXPLICABLES

Les outils du jardin sont restés sous la pluie. Ils À cause d’une musique
n’ont qu’ici à pouvoir être entiers avec le temps. À cause d’un vent qui passe
La brouette vert sombre couchée sur le côté au Et qui vient de très loin
bord d’une fosse où de l’herbe se décompose, on À cause d’un paysage
la dirait ici pour l’éternité. Pas comme nous et Qui n’a pas changé d’une ride
notre crainte de vieillir dès cinq heures du soir À cause d’un visage d’enfant
dans novembre. Qui coupe les pensées
Voilà qu’on rencontre des choses
Marcel Migozzi Et des hommes d’il y a longtemps
Des heures jardinières Voilà qu’on reconnaît des voix
Autres Temps, 1994 Qui se sont tues des siècles plus tôt
Quel tour est-ce encore ô mémoire
Pour qu’on reconnaisse des regards
Que la terre a mangés pourtant
Avant que nous soyons venus

Robert Momeux
L’APPEL DE LA SIRÈNE On a beau dire
Multiples, 1991
Adieu, je vous quitte,
bye bye je rembarque
mes mots et mes mythes
ma clique et mes cracks !
J’ai plein mes bagages
de ces biscuits secs
qui font un langage
du Havre à Québec. Tu as un an de plus
Où le vent me mène aujourd'hui
je m’en vais au loin, Tu as oublié l’enfant
avec mes baleines, qui sommeillait en toi
avec mes marsouins.
J’entends la sirène Tu aimerais pourtant le rappeler
qui siffle un taxi, Pour qu’il puisse voir
vite, elle m’entraîne ce que tu es devenu
dans sa galaxie ! Pour enfin vivre au soleil
Certains soirs
Charles Dobzynski tu te manques
Les premiers de la glace
le dé bleu / Écrits des Forges, 1996 Yann Sénécal
Je ne m’adresse plus la parole
clarisse, 2009

62
J’aurais aimé être l’éclat de rire d’une drôle de
vie.
**
se dire aujourd’hui que demain nous irons J’aurais aimé être assis sur un banc de poissons.
c’est comme un défi à notre mort **
car c’est bien de cela dont il s’agit n’est-ce pas J’aurais aimé être les rides soucieuses d’un front
non d’y échapper de mer.
mais bien de résister à son avance **
à cette usure J’aurais tant aimé être la cerise sur le gâteau.
un peu plus longtemps que possible
et de tenter ce pas
juste un pas plus loin Jean-Louis Massot
Sans envie de rien
Patrick Joquel Éditinter, 2003
Un emploi du temps de chamois
clarisse,2008

LETTRE À ANISSA, MA FILLE

Prends ma main
et laisse-moi traîner Bagdad jusqu’à tes pieds.
Bagdad ma faillite
J’ignore étrangère à ses morts,
si je vis dans l’ordre à ses années perdues
ou le désordre
Tu verras le temps qui remonte la colline,
Si aujourd’hui est hier les instants consommés par le silence
ou demain
Que dire ma fille
ou les deux ensemble devant la dépouille d’un exilé ?
Que dire face à un étranger qu’on envelopperait
Anise Koltz de poussière et priverait de ses ailes ?
Chants de refus II
Phi, 1995 Salah Al Hamdani
Bagdad à ciel ouvert
Écrits des Forges / L’idée bleue, 2006

63
CONFIANCE

Tu cherches une épaule


où ta main pourrait faire escale

Un coin de ciel où recharger tes yeux


LES PORTABLES
Un mot
Dans les trains, comme un murmure de fontaine
Dans les gares, posé haut
Les rues, les autocars, sur l’échelle du vent
Sur les plages,
Sur les toits du village, Là où tu marches
On en voit, la route n’a pas de mémoire
Des Messieurs, et le regard n’offre pas d’horizon
Et des Dames, dans la lumière grise
Des tout jeunes,
Des très vieux, Ton sourire est contraint
Des timides, dans les poches de l’ombre
Des hurlants,
Des couchés, des courant, Tu cherches
Des paumés, des notables,
Collés à C’est pour ça que tu marches.
Leurs portables
Téléphones redoutables Vers quel visage ?
Car ils sont,
Tous ceux-là Alain Boudet
Tous pareils, À vif
Ne voyant Jacques André, 2008
Plus le temps,
Ni les fleurs,
Ni le cœur
Des passants !
Ça s’explique habillée par des mots qui ressemblent
Mes enfants aux désastres croisés sur des chemins incendiés
Car ces gens
je marche dans la mélancolie
COMMUNIQUENT ! l’éloignement des vertiges

Georges Jean le désarroi


Airs d’enfance
Fuzeau, 2001 je marche dans la mélancolie
désaccompagnée de celui au loin
vivant

égarée

Danielle Fournier
Je reconnais la patience de l’arbre
Tarabuste, 2008

64
VIVRE

Vivre n’est pas durer je ne suis plus un enfant

Vivre n’est pas durer seulement ce serait bien


pourtant
Attendre un jour de plus le soir
attendre un autre instant quand dans ma chambre vide
je ne reconnais plus
Nous l’oublions parfois mon ombre sur les murs
nous que fuit le silence
je me souviens alors
Nous cherchons des repères où vibrerait la vie d’un jeu que j’aimais bien
et je ferme les yeux
Nous tissons l’immédiat avec les souvenirs pour oublier
juste un instant
Nous colmatons en nous les brèches du désir que
avec des pans d’aurore et des murs de feuillages je ne suis plus un enfant

Mais ce qui manque Bernard Friot


en fin peut-être oui
c’est un peu de lumière De La Martinière, 2006

Un simple instant d’amour


battant au cœur du jour.

Alain Boudet
Au cœur, le poème
La Vague à L’Âme, 1995

MALGRÉ TOUT CE QUE J’AI PU

Malgré tout ce que j’ai pu noter au bout de ces


chemins communs, j’ai laissé partir des fragments
de vies derrière chaque année laissée en amont ;
des pièces du puzzle ont vogué sur des bateaux
Il n’en finit pas le chemin de papier qui ne sont jamais, jamais revenus à
leur point de départ comme ces vagues de brise
Il est en moi, je suis en lui qui couvrent les rivières et s’en vont au loin sans
que nous puissions les retenir.
Il s’efface quand je le fuis
Jean-Louis Massot
Je crois le suivre, il me dépasse La valse des mots toupies
Éditinter, 1999
Marc Baron
Variations Sur Le Chant Intérieur
L’Harmattan, 1998

65
CREDO

Je crois en ceux qui marchent


à pas nus
face à la nuit
LABYRINTHE DU PARDON
Je crois en ceux qui doutent
et face à leur doute Que font ces hommes autour de moi ?
marchent Soudain la page se tait
et la voix de mon père
Je crois en la beauté oui son auréole de poussière
parce qu’elle me vient des autres surgissent de mon corps
Alors je m’abandonne au tremblement
Je crois au soleil au poisson blessé
à la feuille qui tremble et sans appui
et puis meurt
en elle je crois encore Je ferme les yeux
après sa mort Ma mère monte la garde sur l’autre rive
Faut-il que je me précipite
Je crois en celui dans un vide
qui n’a de patrie si lointain ?
que dans le chant des hommes
Salah Al Hamdani
et je crois qu’on aime la vie Saisons d’argile
comme on lutte Al Manar, 2011
à bras le corps

Jean-Pierre Siméon
Sans frontières fixes
Cheyne, 2001

Je voudrais pas mourir


Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
Tu quittes tes rivages, La journée de deux heures
franchis l’enfance du gué. La mer à la montagne
Tu perds de vue la berge La montagne à la mer
mais s’ouvre large La fin de la douleur.
l’horizon des pas
en liberté. Boris Vian
in
Isabelle Poncet-Rimaud Il était une fois, demain…
Denis Émorine messidor / la farandole, 1983
Rivages contigus
Éditinter, 2002

66
À Béatrice Pernier

Elle est belle


Je m’allume La vie
Je m’éteins Elle se conjugue au présent et à l’infini
J’ai cru voir Elle se conjugue en printemps
C’était rien En lys et en pâquerettes
Elle court après l’amour et l’enfantement
Philippe Avron Elle est simple comme la beauté
Les poèmes missives de Philippe Avron
Guilde du Poème Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008

Je n’ai pas tué l’enfant en moi


Au fond de moi, Je l’ai nourri de mes pensées
il y a un petit enfant Il a été le soleil de ma solitude
qui veut écouter La rivière enchantée
le chant des violettes L’arbre en fleurs de ma liberté
Je n’ai pas tué l’enfant en moi
André Rochedy Il m’a nourri de son innocence
L’enfant du songe De sa présence comme un oiseau en vol
l'arbre à paroles, 2001 Pour son eldorado
Et à nous deux nous avons refait le monde
Contre la misère et le malheur l’ennemi éternel

Jean-Claude Bardot
Poèmes au tournesol
L’iroli, 2008

J’écoute Bach
J’écoute Vivaldi
J’écoute le bruit de la vie Changer le monde, j’y passe un de ces temps.
Les oiseaux qui chantent dans les verts feuillages Fermer les centrales, donner plus d’ailes au vent,
Je n’ai plus d’âge parler à une étoile, qu’elle reste au levant,
Je ne suis que plaisir et envie protester dans la rue, rire partout ailleurs,
Note sensible sur le clavier du temps changer le monde avant
Note qui vibre libre avec l’univers que se comptent les heures, que je devienne
[grand.
Jean-Claude Bardot En fait, ça m’arrangerait
Poèmes au tournesol que vous changiez le monde avec moi.
L’iroli, 2008

Carl Norac
( Anne-Marie Wilwerth, Pierre Coran)
D’îles en ailes
Couleur livres, 2012

67
Ce jardin libère l’enfance de ses liens.
Désormais, tu peux revenir sur ces lieux
heureusement préservés de tout. De ce jardin
s’échappent des couleurs, des senteurs que tu Mais des amis avez-vous des
n’as pas oubliées et qui, en cet après-midi, nouvelles ? Le temps court comme un cheval fou.
t’assaillent de nouveau : il a évincé le temps pour Le sable a bu leurs images, l’herbe recouvre leur
n’être que présence diaphane et cependant si chemin.
tenace au point de mettre à jour le moindre Et nous levons les yeux vers le
souvenir qui, tout à l’heure encore, n’était que grand fleuve d’astres où monte, éperdue, la
tache blanche dans la mémoire. barque du passeur.

Max Alhau André Rochedy


Proximité des lointains Chants de la traversée
L’arbre à paroles, 2006 l'arbre à paroles, 1999

comme les amoureux


ceux des films et ceux des taillis
mes parents se cachent
pour s’aimer Les témoins arrogants d’un temps que l’on renie
se persuaderont-ils de la fragilité
ils me croyaient au jardin d’un roncier, de la proximité d’une étoile déjà
je les ai vus morte à leurs yeux ? Et tout ce qui fait foi : la
elle grotte de Lascaux, les châteaux Renaissance, la
roulée sur ses genoux conquête de l’espace déjà caduque,
a sombré dans le frémissement des images.
surprise Mais cette émotion qui naît avec la pluie, quel
elle a feint de recoudre pèlerin marchant vers d’autres Compostelle ne
le bouton blanc de la chemise l’éprouve-t-il pas en réprimant ses songes, au
point de s’accorder une trêve innocente pour
(l’étreinte) oublier la route et revenir à soi ?

Françoise Lison-Leroy Max Alhau


le dit de petite elle Le bleu qui précède la nuit
l’arbre à paroles, 2000 l'arbre à paroles, 1998

68
CHANT D’ORPHELIN

Si je dois mourir à la guerre


Nulle femme n’aura de larmes,
Je n’ai jamais connu leurs charmes Un bol ébréché trébuche
Ni la tendresse d’une mère. sur la toile cirée.
Ni les sanglots,
Quant aux amis, je n’en ai guère. ni les souvenirs
Un orphelin n’a pas d’histoire. ne lui redonneront jeunesse.
Mourir en héros pour la gloire
N’allègera pas ma misère. Chantal Couliou
Le chuchotement des jours ordinaires
Je n’ai eu pour seul héritage l'épi de seigle, 1997
Qu’une fortune de souffrances,
Un plein coffre-fort de malchance
Et de maux que nul ne partage.

Je quitterai ce monde hostile


Comme j’y suis venu : bohème, La vieillesse et la solitude,
La tête farcie de poèmes deux âmes en peine.
Et de souvenirs inutiles. Un bol de café,
des miettes de pain,
Dimtcho Débélianov des lettres jaunies.
in Attendre patiemment
Un poème, un pays, un enfant la mort.
le cherche midi / UNESCO, 2002
Chantal Couliou
Le chuchotement des jours ordinaires
l'épi de seigle, 1997

MINUIT VOLE !

La pendule n’est pas folle : Mon assurance maladie


elle a bien sonné minuit. me prend en charge
Elle dit que le temps vole, pendant dix ans
que la vie la vie s’enfuit.
dix ans c’est long
Douze coups l’un contre l’autre pour une guérison
se sont fondus dans le noir.
Douze oiseaux l’un après l’autre mais si la vie me fait crédit
s’envolent de leur perchoir. j’en reprendrai bien
pour une autre décennie
Déjà minuit : le temps vole
la vie brûle, l’ombre luit… Joël Sadeler
La pendule n’est pas folle : Le Cancre du Cancer
elle a bien sonné minuit. l’épi de seigle, 2000

Armand Monjo
Le monde est mon cousin
l'épi de seigle, 1998

69
Je suis un vieux précoce
et sans force
À soixante ans barbe blanche
cheveux en bataille
maintenant clairsemés
qui se rabibochent LE PARFUM DE MÉMÉ
− solidarité capillaire−
sur mon crâne dénudé J’aime le parfum de mémé
doigts gelés Elle sent la soupe aux choux
−mains et pieds Le dimanche elle sent le poulet
toujours fourrés− J’aime l’embrasser, c’est doux
L’heure du repas J’aime quand elle revient
arrive sans joie De chez le coiffeur
je n’aime que Elle n’a plus un cheveu blanc
les rillettes du Mans Ils sont noirs, c’est surprenant
à la graisse de porc On dirait qu’elle est tombée
à la grâce de Dieu Dans le vidangeur
Mon équilibre est fragile J’aime quand elle prend le thé
mes jambes en péril Elle éventre toujours le sachet
et il me faut bâton de bois Tous les grains se mettent à nager
pour faire quelques pas Elle le boit, elle a la santé
Je suis un vieux précoce J’aime quand elle parle avec sa voisine
et sans force Elles chuchotent entre leurs dentiers
mais je n’en fais pas une maladie Elles se montrent leurs pieds
pardi Elles disent du mal de l’autre voisine
je l’ai déjà en moi en ami J’aime quand elle fait le ménage
mon cancer favori Elle fait sauter les plombs
et il m’emmènera bien En branchant l’aspirateur
en enfer ou en À califourchon
paradis Il y a de l’explosif dans l’allumage
J’aime bien quand elle marche
Joël Sadeler On dirait qu’elle a des oursins
Le Cancre du Cancer Dans les godasses
l’épi de seigle, 2000 Mais pour elle, la terre est basse
Elle est haute
Comme trois marches
J’aime le parfum de mémé
Jamais je ne l’oublierai, non jamais.
Il y aura toujours
un poète Philippe Fournier
pour dessiner un vieil arbre Les épées de pépé
un sage Gros Textes, 2001
pour ramasser une vieille pierre
un enfant
pour aimer un vieillard

Clod’aria
La pierre, l’arbre, l’âne
l'épi de seigle, 2001

70
SOUVENIRS DES ANNÉES 40 de poulets de lapins…
( à Renée)
Il fallait bien nourrir
les Parisiens !
Je me souviens la Vendée était riche
de mon arrivée sur la côte elle, classée pauvre
en 1940 dans les géographies d’alors !!!
de ce clocher roman
modeste trapu Cette nuit en rêve
si séduisant nous volions
pour mon œil de peintre la main dans la main
qui est resté intact et j’éprouvais pour toi
dans ma mémoire la même amitié que jadis
lui et son curé amoureux immense et éternelle…
qui t’offrait des bas de soie…
Dans les rêves
Le petit tortillard le temps est immobile
longeait la côte en toussant
nous emmenant à la ville Clod’Aria
Dans la rue des Sables Inventaires
la bise régnait en tyran Le Chat qui tousse, 2000
Sur le remblais
peu de monde
La plage était à nous
la jeunesse aussi
et la guerre

Les soldats ennemis


ravis d’être là
loin du front russe
surveillaient l’horizon Ami que ferons-nous
(le débarquement ???) lorsque le tout sera dénoué
Mais la mer était innocente
comme nous l’hiver, les chagrins
et nous regardions ces jeunes et les voiles qui reposent
qui avaient envie de vivre
comme nous… lorsque le tout sera confié
que ferons-nous, ami
Nous ignorions tout
de ce qui se passait ailleurs Mais l’amour, ma mie
rien des camps de la mort cette douce chose
ni des fours crématoires
rien des atrocités Marianne Gallet
et peu de chose de la résistance Ajours
Rien de notre chance L'épi de seigle, 1994
à nous
et nous trouvions le temps long…

Le jeudi
nous courions les fermes
à la recherche d’œufs
71
Te souviens-tu ma sœur
de la bonne odeur des fricots de grand-mère,
la soupe embaumait la sarriette.
Le mironton et la blanquette
qui mijotaient sur le vieux fourneau noir
LE VIEIL HOMME À LA CANNE ont régalé notre jeunesse.
Le riz cuisait longtemps, longtemps,
De sa main nous nous disputions souvent
posée sur le monde pour gratter la casserole
le vieil homme a gardé car il prenait toujours au fond.
le sillage des routes C’est comme ça qu’il est bon disait grand-mère
… il y a longtemps qu’elle est partie !
Simples chemins d’éternité Qu’est-ce qu’elle mijote maintenant au paradis ?
qu'il regarde C’était une fameuse cuisinière
assis près du feu. et elle avait beaucoup d’esprit !!!
C’est elle qui bat en neige les nuages
Alain Boudet et la crème fouettée sur mon visage
Anne-Laure à fleur d’enfance les jours de neige et de grand vent…
Donner à Voir, 1994 C’est elle qui fait tout ce remue-ménage
maintenant… elle a beaucoup de temps.

Denise Bourré
in
Agape/agape(s)
Donner à Voir, 2006

Sursitaire
Comme chacun
Marcher encore un peu
À l’instant réduit jusqu'à la prochaine racine
jusqu’au prochain croc-en-jambe
À rebours d’ivresse
Par la peur souvent secoué Et de là peut-être
atteindre un quelconque havre
Locataire
D’un corps vieillissant Et comme l’on vieillit
Gourmand de joie et de lumière progresser à tâtons

J’habite la terre Et sans reconnaître le chemin


rejoindre le premier pas
En passant
Celui de l’enfant qui attend
Philippe Quinta depuis le fond de la nuit
Ni le jour ni l’heure que le cercle se referme
Donner à Voir, 2008
Hervé Lesage
Dans l’ordre des choses
Echo Optique, 2008

72
DE LA VIE III

Ce monde refroidira
étoile parmi les étoiles EFFACEMENT
et même des plus petites,
une pépite d’or sur fond de velours bleu en L’herbe a grandi au fossé profond
somme, l’homme en marchant fixe
notre univers immense en somme. le nuage étiré
frangé comme son habit gris
Ce monde un beau jour refroidira des chiens aux horizons béants
même pas comme un bloc de glace diversement aboient
ou un nuage mort, pourtant c’est la paix
il roulera comme une coquille de noix vide le jour va s’incliner
dans l’obscurité sans bornes ni limites… il faudra bien encore
couper le pain à la nuit
Dès maintenant tu en éprouveras la douleur assis sur le billot rustique
tu en ressentiras la tristesse dès maintenant. avec en fin de compte
C’est ainsi que tu dois aimer le monde l’impensable mort.
pour pouvoir dire : j’ai vécu.

Nâzim Hikmet Jean Follain


Il neige dans la nuit Exister
Gallimard Poésie, 1999 Gallimard Poésie, 1969

SUR UN VOYAGE

Nous ouvrons les portes,


nous fermons les portes,
nous franchissons les portes
et tout au bout de l’unique voyage
ni ville Accepter ne se peut
ni port. comprendre ne se peut
Le train déraille, on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre
le bateau fait naufrage,
l’avion s’écrase. On avance peu à peu
Une carte est gravée sur la glace. comme un colporteur
Si j’avais le choix d’une aube à l’autre
de recommencer ou non ce voyage
je le recommencerais.
Philippe Jaccottet
Léningrad, 1958 Poésie 1946-1967
Gallimard Poésie, 1971
Nâzim Hikmet
Il neige dans la nuit
Gallimard Poésie, 1999

73
LE VIVANT PROLONGÉ

(Avec naturel.
Familièrement, comme ça)

Le mort qui est en moi


VERBE ET MATIÈRE
S'impatiente
J’ai je n’ai pas
Il tape dans sa caisse
J’avais eu je n’ai plus
à bras raccourcis
J’aurai toujours
Il voudrait qu’on le montre
Un béret Un cheval de bois
une dernière fois.
Un jeu de construction Un
père Une mère Les taches
Quant au vivant
de soleil à travers les arbres
ça va pas mal merci
Le chant du crapaud la nuit
Les orages de septembre.
pour le moment.
J’avais je n’ai plus
Je n’aurai plus jamais
Le temps de grandir, de
Jean Tardieu
désirer. L’eau glacée tirée
L’accent grave et l’accent aigu
du puits Les fruits du verger
Gallimard Poésie, 1986
Les œufs frais dans la paille.
Le grenier La poussière Les
images de femmes dans
une revue légère Les gifles à
À LA LISIÈRE DU TEMPS
l’heure du piano Le sein nu
de la servante.
Quand on marche le soir à la lisière du temps
Si j’avais eu
il monte soudain une bouffée d’enfance
J’aurais encore
les cris d’hirondelles folles d’un préau d’école
Le fuite nocturne dans les
ou le silence de la barque sur la rivière
astres La bénédiction de
à la tombée du jour quand le soleil rase l’eau qui
l’espace L’adieu du monde à
moucheronne
travers la clarté La fin de
ou bien la sonnette (deux fois) de l’épicerie-
toute crainte de tout espoir
mercerie
L’aurore démasquée Tous
où on achète après l’école les rouleaux de réglisse
les pièges détruits Le temps
Zan
d’avant toutes choses.
qui barbouillent de noir et font les doigts collants

On tend l’oreille le long du voile de la brume


Jean Tardieu
Quelqu’un parle à voix basse
L’accent grave et l’accent aigu
sans qu’on puisse reconnaître la voix
Gallimard Poésie, 1986
et sans comprendre les paroles
les mots chuchotés loin à l’envers du silence

Hôpital de la Pitié
25 août 1983

Claude Roy un poète


Présenté par Serge Koster
Gallimard Jeunesse, 2001
74
LE MIROIR

Le miroir se souvient des visages,


le miroir se souvient des milliers de visages
qui se sont posés sur lui
comme des papillons, un instant, sur le reflet
se posent, puis mortels sont emportés
par le vent qui les efface :
visages d’enfants, d’hommes, de femmes,
de vieillards, LE TEMPS
visage velu d’un chien, À On Kawara
parfois visage d’un fantôme,
penché sur une épaule, C’était le temps, c’était le temps, c’était le temps,
et qui regarde c'était le temps, était le temps, le temps,
de son regard sans yeux
dans le miroir et c’était le temps, et c’était le temps, et c’était le
les innombrables visages, temps,
les innombrables feuilles et c’était le temps, était le temps, le
de cette forêt de visages. temps,
Ah ! miroir, forêt d’images,
empire de la mémoire, car ce fut le temps, ce fut le temps, ce fut le
rends-moi le jeune visage temps,
de celle qui jadis dans cette chambre ce fut le temps, fut le temps, le temps
vers ton eau profonde se pencha
et dénoua, pour la première fois, sa chevelure. qui fut le temps, qui fut le temps, qui fut le
temps,
Jean Joubert qui fut le temps, fut le temps, le temps,
in
20 poètes pour l’an 2000 qui aura été le temps, qui aura été le temps, qui
Gallimard Jeunesse, 1999 aura été le temps,
qui aura été le temps, été le temps, le
temps,

SAULE et cessé d’être le temps, et cessé d’être le temps,


et cessé d’être le temps,
Le miroir au fond des chambres et cessé d’être le temps, d’être le temps,
voit s’écheveler dehors le temps
un saule en proie à l’ondée.
de sa vie,
Un miroir au fond du cœur sa vie,
voit s’agiter les futurs vie.

Mais le passé dort Jacques Roubaud


comme un vieillard sur un banc, La forme d’une ville change plus vite,
comme un soldat tué. hélas, que le cœur des humains
Gallimard, 1999
Jean Grosjean
Nathanaël
Gallimard, 1996

75
Mon grand-père m’a transmis
LES DEVOIRS un calme malicieux
pour Monique Royer
Celui de ce pays
je dois d’abord éteindre les oiseaux. qui fait partie de moi
Dans mon jardin les fleurs galopent : sans autre prétention
je dois d’abord les arrêter
comme on arrête un cheval Celui que le vent mène
devant la mer boudeuse. bien au-delà du temps
Je dois d’abord repeindre les objets de l’exil et de l’ombre
qui furent mes amis :
le rasoir ; la carafe Celui qui me rappelle
et les livres sacrés. ce frisson dans tes yeux
Je dois d’abord rendre à l’horloge
les heures Comme si d’ordinaire.
que depuis soixante ans je lui ai dérobées.
Je dois d’abord abattre tous les arbres, Stéphane Bataillon
pommier, platane, eucalyptus, Où nos ombres s’épousent
où j’ai gravé, Bruno Doucey, 2010
voyageur imprudent, mes initiales.
Je dois d’abord mettre en lieu sûr l’éternité.

Alain Bosquet
Demain sans moi
Gallimard, 1994

SILLAGE

Une vie, à peine un peu


d'écume dans son sillage,
guère plus de traces
WOHIN que l’oiseau n’en laisse
dans l’air qu’il fend.
Le vent secoue les ronciers sur le mur,
secoue sur le coteau les pins hurleurs. Une vie, ce qu’il en reste,
Où va le vent ? Où va le temps ? Où vais-je ? cette traînée d’images
La clarté même a changé de nature. dans les mémoires amies
s’évaporant avec les ans.
Les yeux fermés j’entends battre mon sang,
faiblir le jour, se retirer les heures. Une vie, une voile, un vol,
La nuit du ciel m’enferme dans ma nuit un grain de lumière
dans les sillons du vent.
Soudain la voix, l’ombre et la voix du garde,
la lueur d’acier, l’instant, le vent qui passe, Michel Baglin
la lueur des yeux, la paix du cœur et rire. Un présent qui s’absente
Bruno Doucey, 2013
Jean Grosjean
Nathanaël
Gallimard, 1996

76
C’était un vieux monsieur
Qui criait « Oh mon Dieu ! Ah ! une rob’ de quoi ?
J’ai tiré la sonnette d’alarme Une rob’de mariée !
Mais personne n’est venu, quel drame ! C’était à qui ?...
Ça fait soixante ans que j’attends Qui ? qui
Mes cheveux sont devenus blancs ! » a mis cette robe-là ?
Quell’grand-mère ? Peut-être
Edward Lear la grand-mèr’ de papa.
Poèmes sans queue ni tête C’est pas d’hier
Très librement adaptés par François David c'est pas d’hier les gars :
møtus, 2004 dans l’bas la dentelle a
des trous supplémentaires.

Xavier Bouguenec
Dans la maison Y a plus d’enfants
De mamie SOC et FOC, 2006
On parle d’amour
Papi ramène du bois
Qu’il chauffe
Sur son cœur
Et mamie
Comme autrefois
Brûle encore et toujours
De lui parler d’amour. J’ai crié que j’aimais.
J’ai aimé sans rien dire
Michel Lautru et la vie est passée…
Les jupes s’étourdissent
SOC et FOC, 2005 Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999

Grand-mère sur le seuil


avec son sourire
et autour un visage
bien ridé déjà
(elle a quel âge ? on ne compte pas !)

Elle est là avec la maison


les chambres les fenêtres
les escaliers la cheminée La vieillesse se traîne
tout ça pêle-mêle comme un train de marchandises
avec les valises les raquettes laid
les épuisettes lent
essoufflé
et la mer tout à côté mais plein de richesses…
qui commence à chanter.
Clod’aria
Luce Guilbaud Mes mots vous regardent
Du sel sur la langue SOC et FOC, 1999
SOC et FOC, 2004

77
Et quand on est né en 16 Laisse tes cheveux blancs
Oh là là ! Dépasser de ton chapeau
on n’ose plus l’annoncer. Ils sont la preuve
On entend tout de suite De tes plus belles patiences
résonner dans sa tête :
« Et tous ces jeunes Joëlle Brière
qui sont morts avant vous, Et ZEN alors !...
vous n’avez pas honte ? » La Renarde Rouge, 2003

Oh si !

Clod’aria
Mes mots vous regardent
SOC et FOC, 1999 ÉLOGE DE LA VIEILLESSE

J’aime les très vieux


assis à la fenêtre
qui regardent en souriant
V le ciel perclus de nuages
I et la lumière qui boite
E dans les rues de l’hiver
I
L j’aime leur visage
L aux mille rides
I qui sont la mémoire des mille vies
R qui font une vie d’homme

c'est ajouter j’aime la main très vieille


du temps au temps qui caresse en tremblant
des livres sur ton étagère le front de l’enfant
des pas sur un chemin qui va comme l’arbre penché
dans un lointain étrange où tour à tour effleure de ses branches
tu es la source le sommeil d’une rivière
tu es le diable
tu es le feu j’aime chez les vieux
et leur geste fragile et lent
tu es qui tient chaque instant de la vie
L’ comme une tasse de porcelaine
A
N comme nous devrions faire nous aussi
G à chaque instant
E avec la vie

Joëlle Brière Jean-Pierre Siméon


Une baleine, deux baleines, trois baleines, six Ici
cachalots… Cheyne, 2009
La Renarde Rouge, 1998

78
IL SERA BON DE VIEILLIR

Il sera bon de vieillir


le long des chemins calmes Année après année
le grenier se remplit de vieilleries
d’avoir le droit enfin
de jouer sans souci Encore un peu
avec le vent et on ne pourra plus faire un pas
avec les pierres
paralysé par nos souvenirs
d’écouter l’ombre comme un automobiliste
qui grandit coincé dans un bouchon de la mémoire
et sa caresse
au mur de l’âge Simon Martin
Dans ma maison
d’avoir goûté le fruit Cheyne, 2013
de toutes les fontaines
et d’admirer en soi
la soif de l’enfant

Jean-Pierre Siméon
À l’aube du buisson
Cheyne, 1985

Quand je serai très vieux


dans le très vieux matin
d’une très vieille ville

j’irai comme un ivrogne


IMPATIENCE me tenant au mur défait
de la mémoire
J’ai hâte disait-elle
que les tourterelles roucoulent et cette ivresse en moi
sur le toit du voisin. J’ai hâte sera comme une enfance
que l’herbe soit drue et augmente
le jour de ce vert inespéré qui fait croire Cette envie
à la vie. J’ai hâte que fondent les fleurs
des deux cerisiers et que les fruits se nouent.
de crier pour rien
J’ai hâte que le couple de merles se poursuive dans le ciel clair
sur les tuiles du vieux mur comme des voleurs.
J’ai hâte que les nuits soient douces et claires et cette faim gourmande
pour reconnaître le Carré de Pégase au milieu des de tout ce qui commence
étoiles. J’ai hâte de vieillir encore un peu avant de de tout ce qui s’éveille
mourir. pour préserver le ciel

Joëlle Brière Jean-Pierre Siméon


Pinpanicaille Un homme sans manteau
La Renarde Rouge, 1994 Cheyne, 1996

79
Quand le caillou s’effrite
et que l’oiseau s’épuise
Le temps est chose incertaine,
Quand l’arbre s’oublie dans son ombre Inexplicable et traitre
Là où l’horizon s’amenuise Où l’homme demi-dieu
Jusqu'à l’oubli de la lumière N’est pourtant pas le maître

On ne sait pas ce qui s’efface Contre le temps qui nous agresse


et qui peut-être disparaît Nous ne possédons aucune arme
Nous n’avons que notre sagesse
Mais le veilleur qui les a vus Que nos espoirs et puis nos larmes
y voit plus clair
Je me bats contre le temps
Et le poème qui en parle Je me battrai contre le temps
gagne en durée à chaque instant. Je me suis battu contre le temps
J’ai été battu par le temps
Alain Boudet
Ici là, sur le rivage Jean Émery
La Renarde Rouge, 2010 Marqueurs du temps
La Renarde Rouge, 2010

Est-ce que l’on tue le temps par crainte de


vieillir ? LE SABLIER

Dominique Saint-Dizier Le sable qui s’écoule en filet minuscule


Questions qui posent problème Est notre temps qui passe sans retour
Corps Puce, 2009 De l’aurore au doux crépuscule
Sans arrêt file toujours
Le fin ruisseau jaune
Qui glisse et coule
PROPOS SUR LES LENDEMAINS QUI CHANTENT Tel un fil
D’or
Il se pourrait que le ciel nous tombe sur la tête Or
Il se pourrait qu’un jour Est-il
Il ne reste plus rien de nous Artifice ou complice
Qu’une image qui flotte sur l’eau des mares Ce sable du temps, cette poussière
Qu’une trace laissée sous les fougères Amas de nos bonheurs, de nos misères
Dans l’ombre odorante et mystérieuse des sous- De tous nos instants un à un chassés et recouverts
bois Dans ce petit cône renversé notre vie lentement ensablée
Qu’un souvenir épars dans la poussière du temps ???????????????????????????????????????????
Il se pourrait aussi que nul ne passe
Et ne trouve cette trace image ou souvenir
Et que plus rien ni personne jamais Jean Émery
N’atteste que nous avons été Marqueurs du temps
La Renarde Rouge, 2010
Robert Momeux
Lanterne sourde
Potentille, 2008

80
Sous la caresse
du sable
et de l’eau,
plus le galet vieillit,
moins il a de rides.
L’homme en est jaloux ! La plus vieille femme du monde n’arrête pas de
changer de nom
Paul Bergèse
Au gré des galets La plus jeune aussi
La Renarde Rouge, 2006
Les autres aussi

François Philipponnat
Sous Cent remarques sur tout
son parapluie Tome I
Gros Textes, 2011
la vieille
tout en noir

toits d’ardoises
qui luisent.

Dagadès
Miettes
Corps Puce, 1992
Le vieille dame aux yeux de ciel
éteint le feu qui durcissait son regard
se replie entre silence et tendresse
sa violence semble bridée
COMMUNICATION l’enfant blessée retournée au loin
chemine-t-elle encore
À Bauchi −Nigéria− portant toute son histoire
Juste à côté de la poste oubliant les mots
Là où on peut téléphoner ne se cognant plus contre les murs invisibles
Au-to-ma-ti-que-ment en échange elle a trouvé son âge
Aux quatre coins du monde nous entend-elle maintenant
En un rien de temps
la vie de celles qui nous ont portés
À Bauchi −Nigéria− aidés à grandir
Juste à côté de la poste glisse sans bruit vers la fin
Il y a une vieille femme
Qui parle toute seule notre définitive séparation sera
Se-crè-te-ment douce douleur inévitable
En faisant de grands gestes
À ses ancêtres Colette Andriot
Pourquoi pas 2005
Jean-Claude Touzeil Gros Textes, 2012
Itinerrances bis
Gros Textes, 1997

81
LA VIEILLE MAISON
SUSURREMENTS SÛREMENT
La vieille maison
Papi papote A laissé tomber ses briques
Mamie marmotte Sur le côté.
Pomme-ci pommote
Pomme-là mijote De colère
L’anthropomm’morphe dorlotte La porte
Les pommes sans culotte. Est sortie de ses gonds.

Happy birthmotte De peur


Apple hibernote Les tuiles
Laisse my people pommes Se sont envolées.
(et sans fausse note)
Le liseron
L’automne sanglote En a profité pour entrer
(vous savez, le violon de l’automne) Et la pluie pour l’arroser.
De voir que sur la côte
On prépare déjà la hotte Un petit enfant voyant cela
Des pommes de proche récolte.
A remis
Jean Foucault Les briques
Anthropo-Pommes À leur place
Corps Puce, 2013
A jeté
Dehors
Le liseron

Et vite
Refermé
La porte
SAIS-TU ?
Une à une
Sais-tu ce qui éclaire encore A attrapé
Le visage de ce vieil homme Les tuiles
Assis sur ce banc
La tête inclinée vers le trottoir ? Près du mur
A planté
Tout simplement la marelle Des rosiers
Que retrace sur le sol
La craie de sa mémoire. Et tout autour
Une haie d’aubépines
Qui protège du vent.
Gilles Brulet
Poèmes à l’air libre Lydia Devos
Le Livre de Poche Jeunesse, 1996 Un dimanche à la campagne
Lo Païs, 1999

82
ÂGES

Me voici
Quadragénaire
Annonce Eulalie
En colère
PETITES OMBRES
Me voilà
Les petites ombres se promènent Quinquagénaire
serrant contre elles Avoue Eulalie
un cabas, Amère
un chien, un chat.
Sexagénaire
Personne ne les voit Douairière
on ne remarque pas Pleure Eulalie
ces sombres En jachère
ombres
Septuagénaire
Elles ont été Octogénaire
dans la passé Chuchote Eulalie
des charmantes, Sédentaire
des importantes,
des méchantes, Nonagénaire
des vibrantes. Centenaire
Elles ont été, cela les hante, Rabâche Eulalie
des amantes. Débonnaire.

Dans les glaces des magasins, Andrée Chédid


glaces sans tain Naître plus loin
elles croisent des reflets éteints Lo Païs, 1997
de fantômes anciens.

Pourquoi rentrer
retrouver GRAND’MÈRE
un passé
envolé ? Grand’mère
Qui les attend ? Se courbe toujours vers la terre
Qui les entend ? Et au début
Je me demandais ce qu’elle avait perdu ?
Les petites ombres se promènent
serrant contre elles Mais elle n’a rien perdu du tout
un chien, un chat Elle a plein de tours polissons
un cabas. Et si elle plie comme ça les genoux
Elles déambulent À les rentrer dans le menton
Funambules. C’est pour mieux jouer à saute-mouton.

Michelle Daufresne René de Obaldia


Envol in
Lo Païs, 2000 Chaque enfant est un poème
Rue du monde, 2012

83
On l’appelle la petite dame d’en face
Tous les matins elle sort avec son cabas
la tête baissée la marche lente
Tu me reconnaîtras On ne sait rien d’elle on ne lui parle pas
quand je viendrai un jour. On la croit tournée au-dedans d’elle-même.
Nous nous reconnaîtrons.
Le soleil aura mis de l’or dans tes cheveux, Véronique Joyaux
Le temps de la neige dans les miens. Les âmes petites
Et dans ma barbe aussi, Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
que j’ai voulu garder bien qu’elle me vieillisse.

J’aurai longtemps marché sur le chemin des mots,


et quelques-uns seront tombés de mon stylo
pour qu’un jour tu les dises à tes petits-enfants, Cela use
toi qui auras de la neige dans tes cheveux. un peu plus chaque jour
Et dans ta barbe aussi, On se rétracte
que tu auras gardée bien qu’elle te vieillisse. Finalement
on tient si peu de place
Quand tu diras mes vers que tu auras faits tiens, On se retire de soi comme d’une mue.
moi, je ne serai plus qu’une ombre, un souvenir ;
mais la chaîne de mon poème Véronique Joyaux
fera revivre encore l’enfant que j’ai été. Les âmes petites
Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
Claude Cailleau
Des mots pour vivre
Le Pré de la Roche, 2009

L’HIVER

L’hiver
Les enfants croient que les arbres sont morts
tout le jour Mais, avez-vous vu un mort debout ?
un homme à sa fenêtre Le vieillard fatigué se couche et s’endort
tente de capturer le présent Pourtant, ne croyez pas d’un seul coup
attend une réponse Qu’il va mourir
et demeure là Non
flanqué de sa mélancolie Il attend le printemps
à porter ses morts en lui Il y pense de tout son vieux cœur
regarder la vie lui échapper Et dans un sourire
gagner le silence Il se voit mille fleurs
en d’infinis ondoiements. Au bout des doigts.

Michel Bourçon Michel Lautru


quelque chose comme la paix le calme Poèmes en liberté
Les Carnets du Dessert de Lune, 2002 Chanson Poésie Orne, cotcodi n° 17

84
SILLAGE

Une vie, à peine un peu C’est une vieille dame, assise sur un banc.
d’écume dans son sillage, Elle sort de son panier un petit mouchoir blanc.
guère plus de traces Elle se lève et, d’un geste,
que l’oiseau n’en laisse envoie voler au vent
dans l’air qu’il fend. des trésors de miettes
que cent pigeons tout blancs,
Une vie, ce qu’il en reste, cent pigeons qui volettent,
cette traînée d’images picorent en un instant.
dans les mémoires amies
s’évaporant avec les ans. Michel Piquemal
Poèmes à poils et à plumes pour enfants en
Une vie, une voile, un vol, pyjama
un grain de lumière Pluie d’étoiles, 2000
dans les sillons du vent.

Michel Baglin
De chair et de mots
Le Castor Astral, 2012

LES ÉTAGÈRES DE MA GRAND-MÈRE

Dans l’armoire de ma grand-mère


Il y a quatre étagères.
Elle le sait elle
la mémoire La première est pour les souris :
on la tient pas toujours Elles y élèvent leurs petits.
par le bon bout
parce qu’elle perd la tête La seconde est aux araignées
qu’elle n’aurait pas cru pourtant Pour qu’elles y dansent la bourrée.
elle ne s’est aperçu de rien
elle a laissé filer La troisième est pour les serpents :
avec le temps Ils écoutent pousser leurs dents.
les visages les voix
elle cherche : La quatrième est pour les vers :
« c’était quand déjà ? » Ils habitent dans les cuillers.
les visages les voix
ne gardent plus que l’âge de leur rencontre à Il y a quatre étagères
peine. Dans l’armoire de ma grand-mère.

Franck Cottet Jacqueline et Claude Held


Ce qui flotte encore Un ridicule éléphant
clarisse, 2005 l'épi de seigle, 1998

85
C’EST FADE CONTONS ET TRICOTONS

Il faut faire la visite à grand-mère Trois mailles à l’endroit


elle a tous les jeux dans une boîte à couture Deux mailles à l’envers
on les connaît par cœur et il faut être sage.
Il n’y a pas assez de cubes Ah ! Ma douce grand-mère
pour faire un garage Avec tes doigts de fée
et la voiture n’a plus de roues. Des tricots tu en fais
C’est très lent et très long
encore après le thé. Trois mailles à l’endroit
On va voir grand-mère quand il pleut. Deux verbes à l’envers
Quand on allume chez elle
il fait déjà nuit N’embrouillons pas, grand-mère
depuis tout le temps. N’embrouillons pas nos comptes
Aux contes d’autrefois
Jean-Hugues Malineau
Les goûts de mon enfance Trois pages à l’endroit
La Renarde Rouge, 2000 Deux phrases de travers

Ah ! Ma douce grand-mère
Tu tricotes, j’écris
Tes récits de jadis.

Georges-Emmanuel Clancier
in
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Vieillir c’est voir mourir les autres Bayard Jeunesse, 2012
Tout un chacun n’a pas l’opportunité
de mourir jeune

José Millas-Martin
De fond en comble POURSUITE DU CHEMIN
Le Sémaphore
Main dans la main
Elle a six pattes Avec grand-père
Je poursuis
Elle a six pattes : Mes chemins
Les deux siennes Sous l’ombre
Et quatre Ou la lumière
Du déambulateur. Je dessine mon nom
Elle ne va
Pas plus vite. Plus tard plus tard
Surtout : Grand-père
Je lui souhaite C’est moi qui saisirai
D’aller plus loin Ta main.

Liska Andrée Chédid


Tango pour José in
Donner à Voir, 2010 Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Bayard Jeunesse, 2012

86
GÉNÉALOGIE

Par mes arrière-arrière-arrière-


grands-grands-pépères et grand-mères-grand
et mères et pères et pères et mères
et par ceux qui les précédèrent
tous ceux si loin si loin si vieux
si vieux zaïeux Toute sa vie
par tous mes macchabées zancêtres il avait cultivé les soucis
je suis de zorigine humaine À soixante printemps
il découvrait
Louis Calaferte que la généalogie a ses arbres
in et les mots leurs racines
Ça fait rire les poètes Il comprenait enfin
Anthologie que la raison d’être d’une pépiniériste
Rue du Monde, 2009 ce n’est pas de produire des pépins…

Alain Boudet
in
Cairns n°4
La Pointe Sarène, 2009

L’ÉTRANGE TARTE AUX POMMES

Mon aïeule est un admirable cordon-bleu.


Devant ses plats l’on s’agenouille.
Mais dimanche, ventre-saint-gris de sacrebleu ,
Voilà qu’elle nous sert une tarte aux grenouilles.
portrait de jeunesse
Pour l’œil, c’était assez agréable, ma foi, la vieille aux mains tremblantes
Sous sirop blond, ces tranches vertes laisse choir le cadre
Sur pâte faite à la manière d’autrefois. **
Mais pour la bouche, pouah, l’horrible temblando
[découverte ! deja caer su retrato
de juventud
La dame perdait-elle l’esprit brusquement ?
Non, non, pour moi la chose est nette :
L’orthographe manquant à Bonne-Maman, Joëlle Brethes
Elle avait confondu reinette et rainette. in
La lune dans les cheveux
Lucienne Desnoues Haïkus
Les mots donnent faim L’iroli, 2010
Couleur livres, 2012

87
À Patrice Pichère
On ne s’était pas aperçu que le temps
La rivière a coulé glissait comme l’eau d’un fleuve, portant toute
Le nuage est passé chose vers l’extrême couchant et on aurait
Ce pauvre temps aussi tellement voulu rejoindre la rive où l’on voyait
Et ma vie parfois courir un enfant, dans la lumière
Et mon pauvre sort d’éternité.
La bateau au port
Toutes voiles baissées André Rochedy
Semble un oiseau mort Chants de la traversée
Et j’entends marcher l'arbre à paroles, 1999
Dans mon pauvre cœur
Une troupe lointaine
Qui cherche demeure
La rivière a coulé
Le nuage est passé
Ce pauvre temps aussi SUR LE SABLE DU TEMPS
Et ma vie
Et mon pauvre sort Mon cheval à roulettes
noir et blanc pommelé
Jean-Claude Bardot galope encore
Poèmes au tournesol sur la terrasse de l’enfance
L’iroli, 2008 et les frêles bateaux de papier
dansent
vers le bassin de l’Esplanade
par les étroits canaux de la fontaine
canyons géants du Colorado
sur la photo de famille
j’éclabousse mes frères la cadence des roulettes
accompagne les voix profondes
papa maman ont le tournis du violoncelle de ma mère
quatre tresses pour trois cousines inaltérées pour toujours
six bretelles mais cinq cousins
quelques tantes très veuves seul j’ai vieilli
des oncles rescapés mais demeure l’enfant
ma marraine et son militaire comme la mer soupire
sur le sable du temps
au milieu de la scène
mes grands-parents heureux Frédéric Jacques Temple
se tiennent par la main in
Enfances
(les noces d’or) Regards de poètes
Bruno Doucey, 2012
Françoise Lison-Leroy
le dit de petite elle
l’arbre à paroles, 2000

88
UNE AUTRE FOIS, JE SAURAI

J’ai trop peu joui des averses printanières


et des couchers de soleil.

Je me suis trop peu délecté de la beauté des


chants anciens
et des promenades au clair de lune.
ON SAVAIT QUE C’ÉTAIT DIMANCHE
Je me suis trop peu enivré du vin de l’amitié
bien que sur terre il n’y ait de pays Maman ouvrait la grande armoire
où je n’ai compté au moins deux amis. prenait une savonnette
et nous lavait avec pour sentir bon.
J’ai préservé trop peu de temps pour l’amour,
qui s’est tenu à ma disposition tout au long de ― Tu changeras aussi de ruban, disait-elle à Dylla,
mon âge. et, à moi, elle répétait souvent :

Une autre fois, ― Mets pas tes doigts à ta bouche !


je saurais incomparablement mieux profiter de la Elle demandait aussi :
vie.
― Avez-vous un mouchoir propre ?
Une autre fois, je saurai. que déjà elle nous en donnait un.

Izet Sarajlic Elle « renversait » la bouteille d’odeur dessus,


Nés en vingt-trois, morts en quarante-deux ça faisait un rond sur la toile.
n&b, 1999
― Maintenant vous pouvez partir, vous êtes
propres.

Elle nous suivait de son regard bleu


jusqu'au dernier tournant,
là-bas, sur la route du dimanche.
LA VIE
Jules Mougin
La vie est un nœud coulant in
Enfances
Plus on vieillit Regards de poètes
Plus il rétrécit Bruno Doucey, 2012

Jusqu’à l’étranglement

Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995

89
VENIR PARTIR

Continuez sans moi. Continuez ce qui fut


commencé sans me connaître et se poursuivra
au-delà de toute imagination. Continuez sans Devant toi le cimetière
moi, là où j’aurai pris la parole avec véhémence Sous le jour naissant.
et ignorance, où j’aurai pris le pas, un court Les visiteuses du petit matin
instant, sur le rythme des choses, là où j’aurai Éparpillées parmi les tombes
voulu poser l’empreinte d’un regard ou d’une Rangent les chrysanthèmes,
respiration. Continuez sans moi, je tourne à Ratissent un bout d’allée,
l’angle. Se comprendre ne dure que quelques Disparaissent en silence
heures. La suite nous échappe. La vie aime ce qui D’un trot pressé de souris.
éclate. Il faut nous quitter. Je cède la place. Et La feuille d’un marronnier
vous, cédez la vôtre. Nous, dont si vite s’effacera Voltige, se pose
la trace alors que nous avons fait et défié la vie. Sur le portrait d’un enfant
Je continue sans vous cependant que vous vous En médaillon sépia.
éloignez – forts croyons-nous – et l’endroit reste Tu te sens comme le ciel
vide. À saisir. Continuez sans moi cette Neutre, sans couleur.
conversation à peine amorcée depuis des siècles
et qui ne parle que d’amour. Continuez, je tourne Jacqueline Held
à l’angle. Merci. Merci quand nous avons su nous Pourquoi courir ?
combler ou quand nous avons attisé nos douleurs l'épi de seigle, 1999
sans le savoir. Ce qui reste gravé dans le cœur ne
nous appartient pas. Je porte en moi votre
sourire et votre souffle comme vous porterez
peut-être mon visage et ma voix. Il faut nous
séparer. Aimons-nous aussi à l’horizon. Continuez
sans moi : je m’absente pour quelque temps, qui
sait…

Yves-Jacques Bouin
Une passée de paroles MÉMÉ
l’épi de seigle, 1997
Je me souviens de toi,
on t’appelait mémé
Et chaque année
tu meurs une seconde fois
Un jour de gel et de Janvier,
Si l’homme était immortel un jour de froid
combien de temps pensez-vous Un jour mon tour viendra
pouvoir supporter votre conjoint ? et qui dira pour moi
Vous supporter vous-même ? « Je me souviens de toi,
on t’appelait mémé » ?
Dominique Saint-Dizier
Questions qui posent problème Liska
Corps Puce, 2009 Le temps étoilé
l'épi de seigle, 1999

90
MON PÈRE

Quand tu es parti Les cendres d’Éole furent


As-tu emporté dispersées
Sur tes lèvres aux
Ta cédille de tabac qua tre
Souvenir papier-maïs vents
Pour l’au-delà
Jacky Legge
Joël Sadeler La Mort, 366 fois. Sans remords
Le nœud coulant l'épi de seigle, 2004
L'épi de seigle, 1995

LA VIE VITE, LES ÉPHÉMÈRES

On se marie Que la vie est courte et belle


Bras dessus sous le soleil d’un lampadaire !
Bras dessous
Une heure, peut-être,
On se défie à peine le temps de naître,
Bras de feu
Bras de fer de voler, d’aimer, de rêver
− à peine le temps d’être.
On meurt
Bras en croix Que la vie est courte et cruelle
Bras en l’air sous le soleil d’un lampadaire !

On nous crucifie Michel Monnereau


Bras de bois 28 poèmes pour la route
Bras de pierre L'épi de seigle, 2008

Joël Sadeler
Le nœud coulant
L'épi de seigle, 1995
PÉPÉ

Houlala pépé
ANTHOLOGIE Hou ! papa l’est laid
Où papa l’est né
Sous son nom Papa n’est pas né là
L’année de sa naissance Papa n’est pas né laid
L’année de sa mort Papa l’aîné l’a le nez pâle et pas laid
Le vie d’un poète Mais papa n’est pas né Népalais.
Une vie entre parenthèses
André Schetritt
Joël Sadeler Eux autres, moi-je et le monde
Le nœud coulant Donner à Voir, 2005
L'épi de seigle, 1995

91
Certains soirs d’automne
Il est une colère le poirier
Qui ne tarit pas décroche l’accordéon
pendu à ses branches
Celle qu’on adresse
À nos grands absents Il joue un vieux blues
Ceux dont le silence de derrière l’horizon
Est intolérable pour lui tout seul
histoire de dire
Et dont la patience la tristesse
Épuise nos pas du temps qui passe
avec la mort
Colère qui veille à tout bout de champ
Au feu même en maraude
De nos prières
Et quand on l’entend
Une vie durant la tristesse
nous gagne
Philippe Quinta aussi
Ni le jour ni l’heure certains soirs
Donner à Voir, 2008
Jean-Claude Touzeil
Poirier proche
Le Chat qui tousse, 2004

Parfois
il me revient
des odeurs d’enfance
de pain d’épices Sont-ils encore vivants
et de fraise Jean-Baptiste et Marie
de vanille Qui gravèrent leurs noms
et de caramel Sur le tronc d’un vieux hêtre ?

Mais j’ai beau Sont-ils encore vivants


me passer la langue Et s’aiment-ils encore
sur les lèvres Jean-Baptiste et Marie
je ne sens Marie et Jean-Baptiste
que gerçures Qui gravèrent leurs noms
et crevasses À l’intérieur d’un cœur
endurées par le temps Sur le tronc d’un vieux hêtre ?

le vilain temps Et s’aiment-ils encore


qui passe Jean-Baptiste et Marie
À l’intérieur d’un cœur ?
Thierry Piet
Les jours sans bagages Jean-Claude Touzeil
Echo Optique, 2004 in
Arbres
Donner à Voir, 1999

92
Dans les yeux de l’enfant L’ADIEU
brûle le feu
Dans les yeux du vieil homme J’ai cueilli ce brin de bruyère
brille la lumière L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Thierry Piet Odeur du temps brin de bruyère
Les jours sans bagages Et souviens-toi que je t’attends
Echo Optique, 2004
Guillaume Apollinaire
Alcools
Gallimard Poésie, 1966

BICYCLETTE
LE MESSAGE
« Et ta grand-mère, elle fait du vélo ? » Elle faisait
de la bicyclette. Au feu rouge, l’air de rien, elle La porte que quelqu’un a ouverte
glissait sur le côté et ne s’arrêtait pas. Son coup La porte que quelqu’un a refermée
de pédale était sûr et régulier. Quand elle dut La chaise où quelqu’un s’est assis
renoncer à sa haute bicyclette grise une part de Le chat que quelqu’un a caressé
sa vie l’abandonna. Le fruit que quelqu’un a mordu
La lettre que quelqu’un a lue
Christian Bulting La chaise que quelqu’un a renversée
La saison violente La porte que quelqu’un a ouverte
Echo Optique, 1995 La route où quelqu’un court encore
Le bois que quelqu’un traverse
La rivière où quelqu’un se jette
L’hôpital où quelqu’un est mort.
SUR LE CHEMIN DE LA MORT
Jacques Prévert
Sur le chemin de la Mort, Paroles
Ma mère rencontra une grande banquise ; Gallimard, 1949
Elle voulut parler,
Il était déjà tard ;
Une grande banquise d’ouate. LE BOUQUET

Elle nous regarda mon frère et moi,


Et puis elle pleura. Que faites-vous là petite fille
Avec ces fleurs fraîchement coupées
Nous lui dîmes ― mensonge vraiment absurde ― Que faites-vous là jeune fille
que nous comprenions bien. Avec ces fleurs ces fleurs séchées
Elle eut alors ce si gracieux sourire de toute jeune Que faites-vous là jolie femme
fille, Avec ces fleurs qui se fanent
Qui était vraiment elle, Que faites-vous là vieille femme
Un si joli sourire presque espiègle ; Avec ces fleurs qui meurent
Ensuite elle fut prise dans l’Opaque.
J’attends le vainqueur.

Henri Michaux Jacques Prévert


Plume Paroles
Gallimard Poésie, 1985 Gallimard, 1949

93
Reportage

Le moribond criait : Maman ! Ce qui a disparu


De l’arrière, le journaliste ce n’est que ton écorce
A entendu : vive la France !
Ta chair et ton esprit
vivent en moi
Testament
Je ne suis pas seul
De sa poitrine déchirée Je suis accompagné
Sortit, en guise d’âme, de ton être transparent
Un portrait de fillette blonde.
Nous sommes accordés pour la fin du voyage
Marc-Adolphe Guégan
in Plus loin encore que nos désirs d’autrefois
En pleine figure
Haïkus de la guerre de 14-18 Et maintenant
Bruno Doucey, 2013
comblés.

Georges Jean
Des mots pour elle
Je n’irai pas au cimetière le cherche midi, 2010
Je cherche son souvenir,
Et non son cadavre.

René Maublanc
in
En pleine figure ÂGES DE L’HUMANITÉ
Haïkus de la guerre de 14-18
Bruno Doucey, 2013 Dix ans déjà
un sucre d’orge
vingt ans à peine
une canne et des gants
trente et quarante ans
UN DIMANCHE APRÈS-MIDI de la barbe au menton
voici la cinquantaine
Faudrait que j’y aille un miroir et des mitaines
murmurait-elle parfois pour les plus de soixante ans
Un dimanche après-midi des lunettes et des boutons
elle emmène son petit garçon la fleur de l’âge soixante-dix
au cimetière d’Ivry une fleur à la boutonnière
Elle chercha en vain quatre-vingts ans quatre-vingt-dix
la tombe de la grand-mère un sucre d’orge
qui l’avait élevé c’est déjà trop

José Millas-Martin Philippe Soupault


Le temps et l’espace Poésies pour mes amis les enfants
Le sémaphore, 2002 Lachenal et Ritter, 1985

94
Combien de secondes pour naître
combien de minutes pour mourir
POUR UN DICTIONNAIRE combien d’heures n’avons-nous fait que paraître
combien de jours n’avons-nous fait que souffrir
Philippe Soupault dans son lit combien de mois pour nous connaître
né un lundi combien d’années avons-nous aimé
baptisé un mardi combien de vies sommes-nous nés
marié un mercredi
malade un jeudi Jack Küpfer
agonisant un vendredi Dans l’écorchure des nuits
mort un samedi Bruno Doucey, 2011
enterré un dimanche
c’est la vie de Philippe Soupault

Philippe Soupault
Poésies pour mes amis les enfants
Lachenal et Ritter, 1985 tu mets tes habits à l’envers. Tu dors habillée. Tu
sors nue. Tu enfiles deux culottes. Tu ouvres les
robinets. Tu oublies de les refermer. Tu laisses le
gaz ouvert. Tu cuisines des plats immangeables.
Tu cherches la porte. Tu te cognes dans les murs.
Tu déambules dans les pièces. Tu te perds dans la
rue.

Lundi matin, c’était jour de marché. Tu prenais


On marche comme on s’arrime à la terre, on va beaucoup de soin pour m’habiller et me coiffer.
pour ne pas s’enliser dans la vase d’un port, Rien n’était laissé au hasard.
pour ne pas devenir le jouet d’un décor, Dans la rue, tu étais très fière de me présenter à
s’oublier tout à fait en ne pensant qu’à soi. tes amies.

La vie est là, l’insaisissable vie, devant. Pas vendre ta maison, pas en finir avec ta vie, pas
Faite de faims comblées, de soif et de fontaines, en finir avec toi, pas violer ton intimité, pas
De fatigue et de sueur dans une journée pleine toucher à tes affaires, pas faire les cartons ; pas
qu'on ne saura pourtant habiter qu’en passant. tout vider, pas voir la maison vide, pas
déménager, pas couper le dernier fil, pas rompre
Du sable entre les doigts, le cœur payant le dernier lien, pas éteindre la lumière, pas partir.
comptant,
et ne pouvant savoir si l’on aura le temps, En fin de repas, tu te levais, prenais une feuille de
on marche comme on s’arrime à la terre, on va papier journal dans le buffet de la cuisine. Tu la
pliais, pliais, pliais.
où l’on croit que jamais on ne pourra mourir. Quand le morceau de papier était tout petit, tu
Et l’on mourra quand même en chemin, qui de tirais sur les deux extrémités. Un bateau
froid, apparaissait. Tu remplissais ton plateau d’eau, tu
qui du mal qu’il portait en soi et croyait fuir. le déposais au centre de la table. Nous jouions à
souffler dessus. Le premier, qui avait touché le
Michel Baglin rebord opposé, avait gagné. C’était souvent moi.
Un présent qui s’absente
Bruno Doucey, 2013 Magali Thuillier
Tu t’en vas
le dé bleu, 2004

95
DE L’AUT’ CÔTÉ

De l’aut côté
j'sais pas c’qu’il y a Un semainier s’abrite
des Dieux ? des morts ? entre deux buffets.
des diables ? des rats ? Il compte les jours,
les semaines.
Si seulement Les tiroirs pleins de secrets,
j'retrouvais mes chats Il conte le passé :
Bouly Zamour Ce que le père
Minnie Pacha… Et le grand-père
Et le père du grand-père
Les gens j’m’en fous : Lui ont confié ―
j'préfère les chats Petits trésors de vie.

Clod’Aria Daniel Leduc


Mon chat son chien et le cochon du voisin Un rossignol sur le balcon
le dé bleu, 1998 le dé bleu, 1999

Bien que mort de votre belle mort


en resteriez-vous là ?

Dominique Saint-Dizier Le soir glisse


Questions qui posent problème au ras des glycines,
Corps Puce, 2009 Effleure la rouille du volet
devenu lisse,
Pâlit la lumière
sur la tuile,
efface encore un jour.
Et nous.
ELLE S’AGRIPPE Je pense au cri des grives,
au goût vert des olives,
Son mari est mort, ses enfants, mariés, sont loin. au mordoré des giroflées
Dans sa grande maison, elle a peur des bruits, elle sur un vieux mur d’enfance.
se sauve en ville, chez les gens, elle voyage.
Rentrer le soir est un supplice. L’hiver, elle tricote À toi, qui n’es plus là.
en face de la télé, elle prend des somnifères. Dès
l’aube, elle court à la boîte aux lettres. Le journal Jacqueline Held
est là. C’est encore le monde. Couleur jardin
le dé bleu, 1999
Georges L. Godeau
On verra bien
le dé bleu, 1995

96
Les sardines à l’huile d’olive
DE LUI L’ON DIRA ont été des poissons

Voli voli Les maquereaux à la moutarde


Il a volu ont eu des yeux
Voli pas comme un ange
Comme une petite meusange Les cornichons au vinaigre
Voli dans les feunêtres se sont cachés sous les feuilles
Voli en travers des arbres
Et dans les pierres Les petits pois en boîte
De lui l’on dira ont porté un bel habit vert
Quand en sera par-dessous la terre
Voli voli il a volu Les œufs un jour ont chanté
Volu
Mais l’a pas pu Michel Besnier
Mon KDI n’est pas un KDO
Paul Vincensini møtus, 2008
Je dors parfois dans les arbres
møtus, 2007

Le vrombissement
J’ai vécu le tressaillement
(mais pas de ma plume) le martèlement
j’ai pondu le grondement
j’ai couvé le grésillement
j’ai gratté le sifflement
sans ergoter le crépitement
j’ai chanté le craquement
kot kot kot le croassement
coûte que coûte le crissement
j’ai pris des le grincement
coups dans l’aile le claquement
et travaillé du jabot le couinement
le braillement
Toute une vie l’éclatement
doux gésier ! le hurlement
pour finir et soudainement
en cocotte le silence

Michel Besnier François David


Mes poules parlent Bouche cousue
møtus, 2004 møtus, 2010

97
Feriez-vous don de votre corps
Quand tu ne seras plus là à quelqu’un qui n’en a pas ?
L’absence s’installera De préférence à qui ?
Doucement
Une espèce de grand silence Dominique Saint-Dizier
Marquera en cadence Questions qui posent problème
Les jours et les jours Corps Puce, 2009
Mais mon cœur sera
Toujours rempli de toi

Michel Lautru
Mon papa a de gros bras Avant d’être une maison
SOC et FOC, 2002 ma maison était un tas de cailloux de terre

Sa charpente poussait à l’état naturel


de l’autre côté de la vallée

Ses fenêtres étaient du sable de la chaux


et de la soude éparpillés dans l’espace

Je sais qu’avec le temps, les personnes décédées Et c’est tout


deviennent plus présentes, que les fantômes ne
sont plus au-dehors mais au-dedans de nous. Quand ma maison ne sera plus
elle redeviendra tout ça
Ito Naga
Je sais Simon Martin
Cheyne, 2006 Dans ma maison
Cheyne, 2013

D’un jour à l’autre Ceux que nous aimons sont en nous


je ricoche ma vie
vers des ondes affaiblies Nos silences éloignés
sont peuplés de paroles
Viendra une heure que nous n’avons pas dites
inattendue bien que certaine et qu’ils ont entendues
où le rebond sera absent
Leur vie s’allège d’un poids de plume
L’heure où s’effaceront nos mots quand ils ont nos sourires au cœur

Où commencera le silence. C’est ainsi que nous avançons

Alain Boudet Alain Boudet


Ici là, sur le rivage Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2010 La Renarde Rouge, 2006

98
Le gel s’inscrit dans nos veines
avec ses fleurs de faux cristal
épaisses lourdes
derrière lesquelles le sang se barricade
Si tu n’es pas pluie, mon amour,
Sois arbre à l’annonce du compte à rebours
Fécond… Sois arbre. de la mort.
Et si tu n’es pas arbre, mon amour, (14-1-91)
Sois pierre
Humide… Sois pierre. Jean-Noël Guéno
Et si tu n’es pas pierre, mon amour, Barbares à la barre du jour
Sois lune Gros Textes, 2012
Dans le songe de l’aimée… Sois lune.
Ainsi parla une femme
À son fils qu’on enterrait.

Mahmoud Darwich CE CHEMIN


Anthologie (1992 – 2005)
Édition bilingue Le vent pousse les ans et ajoute des
Actes Sud, 2009 nombres à mon âge
Puis un beau jour du mois d’août je
mourrai
J’irai sous terre dans ce labyrinthe où on
joue à cache-cache avec la mort ou le bonheur
Et comme le hasard choisira la mort je
suivrai ce chemin sans me plaindre
Et les plus beaux jours de ma vie seront
MORTS ceux de ma naissance et de ma mort

à Paul Van Melle Frédéric Jimenez


les morts ne nous quittent jamais L’oiseau et le ciel
ceux qui nous aimaient Gros Textes, 2012
ceux que nous aimions

leurs ombres circulent


de la cave au grenier
ils vont-ils passent
dès que nous approchons Je rendrai l’âme

les morts restent vivants Elle est consignée


près de nous loin de nous
et si tout change Toutefois, je doute qu’elle puisse resservir
ils demeurent ce qu’ils furent.
François Philipponnat
Georges Cathalo Cent remarques sur tout
Au carrefour des errances Tome I
Airelles, 2011 Gros Textes, 2011

99
Nous prenons la main qui meurt
PENSÉES HAUTEMENT PROFONDES
Elle nous agrippe SUR LA MORT ET SES ALENTOURS

Bien des années plus tard Quand je serai mort, je vais me manquer.
alors que nous traversons une rue **
elle est toujours là La première nuit sans moi, ça va me faire drôle.
**
Mourir un beau soir n’est rien. C’est ne pas se
−Ça nous rassure lever le lendemain qui est le plus pénible.
**
François Philipponnat Si vous voyez venir la mort, fermez les yeux.
Cent remarques sur tout …/…
Tome II
Gros Textes, 2011 Michel Monnereau
Les zhumoristiques
Gros Textes, 2006

Le premier pavot
de la saison
rouge ponceau
déploie ses voiles
le hérisson
est en visite DERNIÈRE HEURE
comment fait-on avec les mauvaises
nouvelles Pépé,
ta dernière heure est arrivée.
Certains soirs Elle tient dans ses bras
l'enfance s’enfuit un peu plus le bébé que tu étais
là-bas dans cet hôpital et Dédée ta mariée,
la mort est passée et aussi tes petits,
le premier, le dernier,
Je garde sa voix une feuille de maladie,
tonique un bouquet d’hôpital.
la tendresse dans le bleu de ses yeux Elle met tout ça à tes pieds,
trop tard pour ce qui n’a pas été dit C'est pour toi.
toi ma douce Et elle s’en va,
qui as parfois veillé sur moi et toi aussi,
tu ne verras plus la délicatesse adieu la vie…
des pétales des coquelicots
Pef
Colette Andriot Poëtic-Tac
Pourquoi pas 2005 Lo Païs, 1994
Gros Textes, 2012

100
J’habite le souvenir
D'un homme dans la mort.
Il avait un couteau
de labeur dans sa poche,
une peine sereine à vivre,
avec un cœur infatigable.
Je l’aimais parce que.

Il faisait du bois le dimanche


pour les feux de l’hiver
dans la maison du pauvre.

Je me souviens de la joie qui


éclairait nos matins. Des soirs
assis dehors dans la splendeur
des crépuscules.
LE MOT FATAL
J’habite le souvenir
Une première fois , il écrit le mot « mort »: d’un homme, son sourire
il est terrorisé. en noir et blanc sur la photo.
Une deuxième fois , il écrit le mot « mort »:
il tremble, il tremble un peu. Claude Cailleau
Une troisième fois , il écrit le mot « mort »: Des mots pour vivre
il se maîtrise. Le Pré de la Roche, 2009
Une dixième fois , il écrit le mot « mort »:
il se raisonne, il est serein.
Une vingtième fois , il écrit le mot « mort »:
C'est un mot très aimable.
Une centième fois , il écrit le mot « mort »,
comme il écrit « sommeil », comme il écrit
« cheval »,
comme il écrit « océan » ou « musique ». Parfois j’ai peur que tout meure,
Une millième fois , il écrit le mot « mort », les loups, les abricots,
pour empêcher la mort, croit-il, l’heure et l’eau.
de le surprendre. Mais toujours survient un side-car,
un bruit de petit moqueur,
Alain Bosquet un bel hasard.
in Parfois j’ai peur
Le tireur de langue que le prochain matin
Anthologie ne meure avant demain.
Rue du Monde, 2000 Mais après le bruit de ma rue,
une autre rue
toujours s’en va,
une autre rue toujours s’en vient.

Alain Serres
La ville aux 100 poèmes
Rue du monde, 2006

101
LA PETITE FILLE
(extrait)

C’est moi qui frappe à votre porte


Ici comme ailleurs, à toutes les portes
Ne vous effrayez pas si je reste invisible Sólo vivo para romper
On ne peut voir une petite morte. Uno a uno
Los cordones invisibles
J’étais ici voici dix ans déjà Que me vuelven pertenencia
J’ai trouvé la mort à Hiroshima Sólo vivo
Je ne suis qu’une enfant, je n’avais que sept ans Para desprenderme y abordar
Mais les enfants morts ne grandissent pas. El viaje cósmico de la muerte.

Mes longs cheveux tout d’abord ont pris feu Je ne vis que pour rompre
Mes mains ont brûlé tout comme mes yeux Un à un
Mon corps ne fut plus rien qu’une poignée de Les fils invisibles
cendres Qui me font dépendance
Mêlées au vent dans le ciel nuageux. Je ne vis
Que pour me détacher et aborder
Je ne veux rien de vous en vérité Le voyage cosmique de la mort.
Pour moi, nul ne peut plus me dorloter
Car l’enfant qui brûla comme papier journal Myriam Montoya
Vos bonbons jamais ne pourra goûter. Je viens de la nuit
Vengo de la noche
Nazim Hikmet Anthologie
in Le Castor Astral, 2004
On n’aime guère que la paix
Rue du monde, 2003

Chaque jour tu plies bagages


tu tries tu empiles tu choisis
Un jour, j’aurai mille ans pour tous ceux que j’ai le soir le sac est plein
enterrés. Je ne verrai plus les autres, seulement il est toujours trop lourd
mes rides s’imprimer sur un verre et déjà le goût ne pense pas à ce jour
de la terre dans la bouche. Je n’attendrai plus où tout bagage sera superflu
grand-chose, ni soleil ni repos, mais que les radios
diffusent les bruits de la mer. Luce Guilbaud
Rouge incertain
Michel Bourçon Écrits des Forges / le dé bleu, 2002
Carnet de petits riens
Les Carnets du Dessert de Lune, 1995

102
Mon ombre se couche Les enfants de Syrie,
sur chaque tombe emmaillotés dans leurs linceuls
comme un chien comme des bonbons enveloppés.
Mais ils ne sont pas en sucre.
la mort a enfanté le temps Ils sont de chair
et de rêves
Anise Koltz et d’amour.
Chants de refus II
Phi, 1995 Les rues vous attendent,
les jardins, les écoles et les fêtes
vous attendent,
enfants de Syrie.

C’est trop tôt pour être des oiseaux


et pour jouer
dans le ciel

Maram al-Masri
JE VIS J’AI VÉCU… Elle va nue la liberté
Bruno Doucey, 2013
( Lire en commençant par la dernière ligne)

Je vis j’ai vécu.


Je sors et j’éteins
J’entre et j’allume
Lampe électrique et va-et-vient
LA VIE
Hier aujourd’hui demain
Bonjour grand-père Partir sans plus de bruit qu’une feuille morte
Bonjour monsieur Abandonner le temps enfin
Bonjour bébé Retrouver les fruits de la terre dans la terre

Pierre-Albert-Birot Ton ventre s’étonne d’un oubli


in
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ? L’arbre te recommence
Bayard Jeunesse, 2012
Guy Allix
Survivre et mourir
Rougerie, 2011

103
COMIAT pour que nous puissions les suivre.
Des tréfonds de la mort
No ens és donat d’estar il ne nous parvient plus rien
a l’altura de la mort: et la vie s’enfuit éperdue
se’n van els qui més estimem, pour se remettre
de sobte o lentament, tant és, de sa propre fin.
peròel moment arriba
i res no podem fer per acostar-nos Àlex Susanna
I acomboiar-los en el seu darer viatge: Les cernes du temps
Més que no la mort Traduit du catalan par Jep Gouzy
És la vida la qui ens separa fédérop, 1999
Dràsticament d’ells
I prossegueix implacable
El seu curs
Cap a estacions cada cop
Més fredes i desavinents.

No ens és donat d’estar Quand la barque de la nuit


a l’altura de la mort, s'immobilise en son milieu
car ells marxen massa avall
com per poder seguir-los : je regarde venir la mort
dels baixos de la mort encore toute petite là-bas,
no ens n’arriba mai més res j’entends la vie qui bat des ailes
i la vida en fuig esperitada dans le noir effrayant qui m’entoure.
per tal de sobreposar-se
a la seva pròpia fi. Marie-Florence Ehret
que la musique
(texte en catalan) l’Arbre, 2007

ADIEUX

Il ne nous est pas donné d’être


à la hauteur de la mort.
Ceux que nous aimons le plus s’en vont,
brutalement ou avec lenteur, peu importe,
mais le moment arrive La vie aura passé comme une fête
et nous ne pouvons rien faire pour être auprès Et mes souvenirs ont mangé la paille
[d’eux Où ils dormaient
et les escorter dans leur dernier voyage. Les chemins du village peuvent au soir
Plus que la mort elle-même Causer doucement entre eux
C'est la vie qui nous sépare Je compte sur mes doigts
D’eux impitoyablement Les aurores et les deuils
Et poursuit implacable Des maisons ensoleillées
Son cours
Vers des haltes de plus Paul Vincensini
En plus froides, inhospitalières. Inquiétude en sentinelle
l'arbre à paroles, 1991
Il ne nous est pas donné d’être
à la hauteur de la mort,
car les défunts s’en vont trop bas

104
Ne reste pas à pleurer devant ma tombe,
Je n’y suis pas, je n’y dors pas.
Je suis un millier de vents qui soufflent ;
Quand Je suis le scintillement du diamant sur la neige,
Près de lui Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr ;
Vous m’enfouirez Je suis la douce pluie d’automne.

À l’abri des pluies Quand tu t’éveilles dans le calme du matin,


Et du vent Je suis le prompt essor
Qui lance vers le ciel où ils tournoient les oiseaux
Il suffira d’un peu de terre silencieux.
Pour nous couvrir Je suis la douce étoile qui brille la nuit.
Ne reste pas à te lamenter devant ma tombe.
De quelques herbes Je n’y suis pas ; je ne suis pas mort.
Pour lier nos membres
Anonyme
De trois cailloux in
Blancs comme sel Paroles d’espoir
Albin Michel, 1995
Pour que le sort
Nous soit paisible

N’allez pas
Surtout n’allez pas
Nous pétrifier sous une dalle

Ne gravez pas en lettres d’or Je ne sais pas quand je suis mort la première fois.
Un nom Je ne sais pas tout à fait pourquoi. Mais je sais
Qui fuyait le renom que quelque chose est mort ou a cessé de vivre.
C’est une histoire de panier mal rempli et de
Nous sommes des oiseaux du ciel parents défaits. C’est un arbre
Libres amants qui de branche en branche avec la sève fait
Des fabuleux nuages passer quelque chose d’acide et de mortel.
Un jour pourtant on décide de regarder en
Nous qui n’avons pas su nous taire face le nœud de la peur et d’être ce qu’on est et
N’allez pas surtout de répandre la nuit paisible
N’allez pas nous lester d’un marbre et le jour clair dans les veines. La prochaine fois
Pour mieux étouffer notre voix. que je mourrai je veux avoir vécu avant.

Hélène Cadou Raymond Jacq


La mémoire de l’eau Lorsque le voyageur
Rougerie, 1993 La petite édition, 2012

105
En rire
pourquoi pas

de la mort
marelle tracée qui dévore
à la craie blanche et rose
par une main d’enfant, en rires et en chansons
la première pluie l’effacera. lui boucler le klaxon

Ainsi nos voix, ainsi nos ombres. d’ailleurs faut-il encore


le dire
André Rochedy
L’enfant du songe ceux qui se laissent aller
l'arbre à paroles, 2001 à mourir

manquent cruellement
de savoir-vivre !

Anne Poiré
in
Cairns n°4
La Pointe Sarène, 2009

Tu as rejoint pépé aujourd’hui La lumière te poignardera si


après sept ans de séparation tendrement que tu ne t’apercevras pas de la
je l’entends te dire blessure, de la mort que nul mot n’appréhende.
avec son sourire Tu seras, à l’aube de l’éternité, ce
et sa façon de secouer la tête voyageur étonné de son absence et dont le destin
ah enfin te voilà aura passé outre, léger, à l’infini.
tu en as mis du temps
vous allez reprendre vos conversations Max Alhau
tu lui remettras des flocons d’avoine Proximité des lointains
dans sa soupe de nuages L’arbre à paroles, 2006

Amandine Marembert
à perpète
pré # carré, 2007
On ne reviendra pas du voyage, les
chemins se sont faits vieux, le vent noir les efface.
L’île bercée est un bateau perdu, la mort a
déplacé les rives. On ne saura jamais le bout de la
nuit.

André Rochedy
Chants de la traversée
l'arbre à paroles, 1999

106
J’institue

pour légataire universelle

la jeunesse du monde.
Je me demande où est passée ma jeunesse.
Le plus grand malheur

qui puisse vous arriver, ***

c’est de n’être utile à personne, Je me demande pourquoi maintenant et pas plus


tard.
c’est que votre vie ne serve à rien.
***
Soyez riches, vous,
Je me demande en quelle année je suis mort si
du bonheur des autres. j’ai eu une première vie.
S’il manque quelque chose
***
à votre vie,
Je me demande si mon anniversaire tombera un
c’est parce que vous n’avez pas regardé dimanche en l’an 1 200 326.

assez haut.
Pierre Barachant
Et puis croyez en la bonté, Je me demande
Atelier du hanneton, 2005
en l’humble et sublime bonté.

Le trésor que je vous laisse,

c’est le bien que je n’ai pas fait,

que j’aurais voulu faire

et que vous ferez après moi.

Raoul Follereau
in Plus quelques paroles
Paroles d’espoir
Albin Michel, 1995
sans leurs notes de musique…

107
MON ENFANCE que j´ai mal d´être revenue -
Oh les noix fraîches de septembre
(Barbara) et l´odeur des mûres écrasées,
c´est fou, tout, j´ai tout retrouvé.
J´ai eu tort, je suis revenue, Hélas
dans cette ville au loin, perdue, Il ne faut jamais revenir
où j´avais passé mon enfance. aux temps cachés des souvenirs
J´ai eu tort, j´ai voulu revoir du temps béni de son enfance.
le coteau où glissait le soir Car parmi tous les souvenirs
bleu et gris ombre de silence. ceux de l´enfance sont les pires,
Et j’ai retrouvé, comme avant, ceux de l´enfance nous déchirent.
longtemps après, Vous ma très chérie, ô ma mère,
le coteau, l´arbre se dressant, où êtes-vous donc aujourd´hui?
comme au passé. Vous dormez au chaud de la terre.
J´ai marché les tempes brûlantes, Et moi je suis venue ici
croyant étouffer sous mes pas. pour y retrouver votre rire,
Les voies du passé qui nous hantent vos colères et votre jeunesse.
et reviennent sonner le glas. Et je suis seule avec ma détresse.
Et je me suis couchée sous l´arbre Hélas
et c´étaient les mêmes odeurs. Pourquoi suis-je donc revenue
Et j´ai laissé couler mes pleurs, et seule au détour de ces rues
mes pleurs. J´ai froid, j´ai peur, le soir se penche.
J´ai mis mon dos nu à l´écorce, Pourquoi suis-je venue ici,
l´arbre m´a redonné des forces où mon passé me crucifie?
tout comme au temps de mon enfance. Elle dort à jamais mon enfance…
Et longtemps j´ai fermé les yeux,
je crois que j´ai prié un peu,
je retrouvais mon innocence.
Avant que le soir ne se pose
j´ai voulu voir
la maison fleurie sous les roses,
j´ai voulu voir
le jardin où nos cris d´enfants
jaillissaient comme source claire.
Jean-Claude, Régine, et puis Jean -
tout redevenait comme hier -
le parfum lourd des sauges rouges,
les dahlias fauves dans l´allée,
le puits, tout, j´ai tout retrouvé.
Hélas
La guerre nous avait jetés là,
d´autres furent moins heureux, je crois,
au temps joli de leur enfance.
La guerre nous avait jetés là,
nous vivions comme hors la loi.
Et j´aimais cela quand j´y pense
Oh mes printemps, Oh mes soleils,
Oh mes folles années perdues,
Oh mes quinze ans, Oh mes merveilles -

108
C’ÉTAIT BIEN C'est qu'ils étaient heureux
Les yeux au fond des yeux.
(Robert Nyel / Gaby Verlor) Et c'était bien...
Et c'était bien...
C'était tout juste après la guerre, Et puis quand l'accordéoniste
Dans un p’tit bal qu'avait souffert. S'est arrêté, ils sont partis.
Sur une piste de misère, Le soir tombait dessus la piste,
Y'en avait deux, à découvert. Sur les gravats et sur ma vie.
Parmi les gravats ils dansaient Il était redevenu tout triste
Dans ce petit bal qui s'appelait... Ce petit bal qui s'appelait,
Qui s'appelait... Qui s'appelait...
Qui s'appelait... Qui s'appelait...
Qui s'appelait... Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu. Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux. Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant d'insouciance Y'avait tant de lumière,
Dans leurs gestes émus, Avec eux dans la rue,
Alors quelle importance Alors la belle affaire
Le nom du bal perdu ? Le nom du bal perdu.
Non je ne me souviens plus Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu. Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens Ce dont je me souviens
C'est qu'ils étaient heureux C'est qu'on était heureux
Les yeux au fond des yeux. Les yeux au fond des yeux.
Et c'était bien... Et c'était bien...
Et c'était bien... Et c'était bien.
Ils buvaient dans le même verre,
Toujours sans se quitter des yeux.
Ils faisaient la même prière,
D'être toujours, toujours heureux.
Parmi les gravats ils souriaient
Dans ce petit bal qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Qui s'appelait...
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
Ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d'eux.
Y'avait tant d'insouciance
Dans leurs gestes émus,
Alors quelle importance
Le nom du bal perdu ?
Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens

109
MISTRAL GAGNANT AVEC LE TEMPS

(Renaud Séchan) (Léo Ferré)


Avec le temps...
À m´asseoir sur un banc cinq minutes avec toi Avec le temps va tout s'en va
Et regarder les gens tant qu´y en a On oublie le visag' et l'on oublie la voix
Te parler du bon temps qu´est mort ou qui Le cœur quand ça bat plus c'est pas la pein' d'aller
r´viendra Chercher plus loin faut laisser fair' et c'est très
En serrant dans ma main tes p´tits doigts bien
Pis donner à bouffer à des pigeons idiots Avec le temps...
Leur filer des coups d´ pieds pour de faux Avec le temps va tout s'en va
Et entendre ton rire qui lézarde les murs L'autre qu'on adorait qu'on cherchait sous la pluie
Qui sait surtout guérir mes blessures L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Te raconter un peu comment j´étais mino Entre les mots entre les lign's et sous le fard
Les bonbecs fabuleux qu´on piquait chez l´ D'un serment maquillé qui s'en va fair' sa nuit
marchand Avec le temps tout s'évanouit
Car-en-sac et Minto, caramel à un franc
Et les mistrals gagnants Avec le temps...
Avec le temps va tout s'en va
A r´marcher sous la pluie cinq minutes avec toi Mêm' les plus chouett's souv'nirs ça t'as un' de
Et regarder la vie tant qu´y en a ces gueul's
Te raconter la Terre en te bouffant des yeux A la Gal'rie j'Farfouill' dans les rayons d' la mort
Te parler de ta mère un p´tit peu Le samedi soir quand la tendress' s'en va tout'
Et sauter dans les flaques pour la faire râler seule
Bousiller nos godasses et s´ marrer Avec le temps...
Et entendre ton rire comme on entend la mer Avec le temps va tout s'en va
S´arrêter, r´partir en arrière L'autre à qui l'on croyait pour un rhum' pour un
Te raconter surtout les carambars d´antan et les rien
cocos boer L'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
Et les vrais roudoudous qui nous coupaient les Pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques
lèvres sous
Et nous niquaient les dents Devant quoi l'on s' traînait comme traînent les
Et les mistrals gagnants chiens
Avec le temps va tout va bien
A m´asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder le soleil qui s´en va Avec le temps...
Te parler du bon temps qu´est mort et je m´en Avec le temps va tout s'en va
fou On oublie les passions et l'on oublie les voix
Te dire que les méchants c´est pas nous Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres
Que si moi je suis barge, ce n´est que de tes yeux gens
Car ils ont l´avantage d´être deux Ne rentre pas trop tard surtout ne prend pas froid
Et entendre ton rire s´envoler aussi haut Avec le temps...
Que s´envolent les cris des oiseaux Avec le temps va tout s'en va
Te raconter enfin qu´il faut aimer la vie Et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l´aimer même si le temps est assassin Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
Et emporte avec lui les rires des enfants Et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et les mistrals gagnants Et l'on se sent floué par les années perdues
Et les mistrals gagnants
Alors vraiment
Avec le temps ... on n'aime plus.

110
MON ENFANCE M’APPELLE

(Serge Lama)

Mon enfance m´appelle sur des plages de sable


COIN DE RUE Mon enfance m´appelle sur des plages dorées
Sur elles sont venues s´inscrire impitoyables
(Charles Trenet) De nombreuses années

Je me souviens d'un coin de rue Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?


Aujourd'hui disparu Qui suis-je en ce pays?
Mon enfance jouait par là Quelle neige est déjà tombée dans mes cheveux?
Je me souviens de cela Les hommes ne sont-ils nés que pour devenir
Il y avait un' palissade vieux?
Un taillis d'embuscades Ô mon enfance disparue
Les voyous de mon quartier Quel était le nom de ma rue?
Venaient s'y batailler
Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
À présent il y a un café Qui suis-je en ce pays?
Un comptoir tout neuf qui fait d’ l'effet Quelle fleur a courbé sa tige sous mes pas
Une fleuriste qui vend ses fleurs aux amants Pour que je sois tombé tout à coup aussi bas?
Et même aux enterrements Ô mon enfance prends ma main
Puisque tu es sur mon chemin
Je revois mon coin de rue
Aujourd'hui disparu Mon enfance m´appelle sur des plages de sable
Je me souviens d'un triste soir Mon enfance m´appelle sur des plages dorées
Où le cœur sans espoir Sur elles sont venues s´inscrire impitoyables
Je pleurais en attendant De nombreuses années
Un amour de quinze ans
Un amour qui fut perdu Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
Juste à ce coin de rue Qui suis-je en ce pays?
Quel espoir de départ vers des lieux inconnus
Et depuis j'ai beaucoup voyagé Pour oublier plus tard qui je suis devenu?
Trop souvent en pays étrangers Ô mon enfance revenue
Mondes neufs constructions et démolitions Dis-moi, qui suis-je devenu?
Vous me donnez des visions
Qu´ai-je fait? Qu´ai-je dit?
Je crois voir mon coin de rue Qui suis-je en ce pays?
Et soudain apparus Quelle éternelle nuit se lève dans mes yeux?
Je revois ma palissade On récolte l´ennui quand on a ce qu´on veut
Mes copains mes glissades Ô mon enfance quelle envie
Mes deux sous de muguet de printemps D´aller chez toi finir ma vie!
Mes quinze ans… mes vingt ans
Tout ce qui fut et qui n'est plus Mon enfance m´appelle sur des plages de sable
Tout mon vieux coin de rue. Mon enfance m´appelle sur des plages dorées
Sur elles sont venues s´inscrire impitoyables
De nombreuses années

111
Il a fait la dernière
LES MENSONGES D’UN PÈRE À SON FILS Tu verras...
Les femmes infidèles
( Jean-Loup Dabadie On les voit dans les aquarelles
) Elles vous querellent sous les ombrelles
Dans la vie ce ne sont pas les mêmes
Le temps, petit Simon Elles nous aiment, elles nous aiment...
Où tu m’arrivais à la taille
Ça me semble encor’ tout à l’heure Un homme, petit Simon
Mais déjà tu m’arrives au cœur Ce n’est jamais comme un navire
Pour toi commence la bataille... Qu’on abandonne quand il chavire
Et tout le monde quitte le bord
Le temps, petit Simon Les femmes et les enfants d’abord...
Que je te fasse un peu l’école
Me semble venir aujourd’hui Tu verras...
Redonne-moi de cet alcool Les maisons ne meurent pas
Que je te parle de la vie... Les idées ne vous quittent pas
Le cœur ne s’en va pas
Tu verras...
Les amis ne meurent pas Tu verras...
Les enfants ne vous quittent pas Tu vas suivre en beauté
Les femmes ne s’en vont pas... Les chemins de la liberté
Tu vivras tu verras
Tu verras... ...comme moi...
On rit bien sur la Terre
Malbrough ne s’en va plus en guerre Le temps, petit Simon
Il a fait la dernière Où tu m’arrivais à la taille
Tu verras... Ça me semble encore tout à l’heure
Mais déjà tu m’arrives au cœur
Et puis, petit Simon Pour toi commence la bataille
Chez nous, personne ne vieillit
Nous sommes là et ne crois pas Alors, petit garçon
Que nous partirons d’aujourd’hui Moi qui t’aimais, toi qui m’aimais
Pour habiter dans autrefois... Souviens-toi que ton père avait
Une sainte horreur du mensonge
L’amour, c’est tous les jours Une sainte horreur du mensonge....
Qu’on le rencontre dans la vie
Et rien ne passe et rien ne casse
Redonne-moi de l’eau-de-vie
A peine à peine, voilà merci

Tu verras...
Les amis ne meurent pas
Les enfants ne vous quittent pas
Les femmes ne s’en vont pas...

Tu verras...
On rit bien sur la terre
Malbrough ne s’en va plus en guerre

112
QUAND LES HOMMES VIVRONT D’AMOUR

(Raymond Lévesque)

Quand les hommes vivront d'amour


Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous nous serons morts mon frère

Quand les hommes vivront d'amour VISITEUR


Ce sera la paix sur la terre
Les soldats seront troubadours (Claude Nougaro / Aldo Romano)
Mais nous nous serons morts mon frère

Dans la grande chaîne de la vie Passe, passe dans la vie en visiteur


Où il fallait que nous passions C'est beau, applaudis c'est laid, passe ailleurs
Où il fallait que nous soyons Passe sans que tes pas blessent une fleur
Nous aurons eu la mauvaise partie... Le ciel te le rendra passe en douceur

Quand les hommes vivront d'amour Les parfums de la terre, les couleurs de l'eau, l'or
Il n'y aura plus de misère de l'été
Et commenceront les beaux jours, On est prié de laisser les lieux dans l'état où ils
Mais nous, nous serons morts, mon frère... [étaient

Mais quand les hommes vivront d'amour Passe, passe dans la vie en visiteur
Qu'il n'y aura plus de misère,
Peut-être songeront-ils un jour Vois, vois c'est ta vie, sois aussi créateur
A nous qui serons morts, mon frère Oui, crée, ne fût ce qu'un cri
Et saigne en seigneur
Nous qui aurons, aux mauvais jours
Dans la haine et puis dans la guerre Les parfums de la terre, les couleurs de l'eau, l'or
Cherché la paix, cherché l'amour de l'été
Qu'ils connaîtront, alors, mon frère, On est prié de laisser les lieux dans l'état où ils
[étaient
Dans la grande chaîne de la vie,
Pour qu'il y ait un meilleur temps
Il faut toujours quelques perdants,
De la sagesse ici bas c'est le prix

Quand les hommes vivront d'amour


Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous, nous serons morts, mon frère...

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Baie de Somme 2013 Photo Robert Froger

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