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L AURENCE L E D IAGON -J ACQUIN

LA MUSIQUE DE LISZT
ET LES ARTS VISUELS

Musiq ue
Laurence Le Diagon-Jacquin

LA MUSIQUE DE Liszt
ET LES ARTS VISUELS
Essai d’analyse comparée d’après Panofsky,
illustrée d’exemples,
Sposalizio, Totentanz, Von der Wiege bis zum Grabe

Preface 1 by Cornelia Szabó-Knotik


Préface 2 de Daniel Russo

COLLECTION POINTS D’ORGUE

HERMANN ÉDITEURS
Depuis 1876
ISBN : 978 2 7056 6815 0

wwww.editions-hermann.fr

© 2009, Hermann Éditeurs, 6 rue de la Sorbonne, 75005 PARIS

Toute reproduction ou représentation de cet ouvrage, intégrale ou partielle,


serait illicite sans l’autorisation de l’éditeur et constituerait une contrefaçon. Les
cas ­strictement limités à l’usage privé ou de citation sont régis par la loi du 11 mars
1957.
À mes parents, à Xavier, Callista et Gaspard
À mes professeurs
Tous les arts sont frères,
chacun apporte une lumière aux autres.
Proverbe français
Remerciements

Le présent ouvrage est le résultat d’une thèse remaniée. Plusieurs


personnes ont contribué à l’aboutissement de ce travail.
Tout d’abord, je remercie très vivement mon directeur de thèse,
Madame Grabócz, qui a doublement bien rempli son rôle : d’une part, elle
s’est toujours montrée efficace et réellement présente sur le plan musical
et musicologique ; d’autre part, elle m’a apporté énormément d’un point
de vue humain pendant certaines périodes de doute. Mes remerciements
ne répondent donc pas à une tradition universitaire, mais correspondent
vraiment à une réalité de terrain. Grâce à elle, j’ai également pu parti-
ciper à des colloques internationaux dans lesquels j’ai fait la connaissance
de personnes de confiance, à l’instar de Cornelia Szabó-Knotik, grande
spécialiste de Liszt, qui m’a délivré de judicieux conseils et qui n’a jamais
compté son temps, ce dont je lui suis infiniment reconnaissante. De même,
j’ai fait la connaissance de Marie-Anne Lescourret lors d’un colloque à
Strasbourg. Son intérêt pour mon sujet et ses compétences inter-artisti-
ques ont soudé des relations riches et fructueuses. Ses conseils et ses réfé-
rences me furent d’une très grande utilité durant toute la période de mon
travail qu’elle a suivi avec fidélité et grande attention. Une autre person-
nalité s’est montrée à l’écoute et intéressée par la démarche de mon sujet :
Jean-Jacques Eigeldinger, dont l’article sur Sposalizio m’a convaincue du
bien fondé d’une étude comparative. Les quelques relations épistolaires
et téléphoniques avec ce grand spécialiste de Chopin m’ont apporté des
références importantes pour l’étude des œuvres de Raphaël décrites litté-
rairement ou illustrées musicalement par Liszt. Par ailleurs, je tiens abso-
lument à remercier Guy Leclercq et Alain Poirier pour tout ce qu’ils m’ont
apporté il y a plus de dix ans maintenant. Ils ont su me donner les outils
harmoniques et analytiques dont j’avais besoin au bon moment, ce qui m’a
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permis de garder confiance. Marie-Anne Arnaud-Toulouse a joué le même


rôle en matière littéraire.
Mon travail résulte d’une alliance entre une passion pour la musique
de Liszt, entretenue et développée grâce à mes professeurs de piano Cyril
Huvé et Bernadette Campana au C.N.R de Dijon, ainsi qu’une révélation
pour l’histoire de l’art dès mon année de licence de musicologie, grâce aux
cours de Paulette Choné à l’Université de Bourgogne. Je suis d’ailleurs
retournée, durant mes années de thèse, à la Faculté pour passer une licence
d’histoire de l’art et affiner ainsi mes outils analytiques. J’y ai rencontré
Monsieur Daniel Russo, professeur d’histoire de l’art médiéval, avec qui
j’ai pu m’entretenir de problèmes « panofskyens » d’une part, et de l’œuvre
du Campo Santo de Pise, d’autre part. Ses références bibliographiques ont
été un support essentiel dans l’analyse du Totentanz.
Lors de mon séjour en Hongrie, j’ai eu la chance de rencontrer les
musicologues spécialistes de Liszt. Ainsi Madame Mária Eckhardt, conser-
vateur du musée Liszt a su se montrer toujours disponible et à l’écoute. Elle
m’a facilité l’accès à tous les documents utiles pour mes recherches. Klara
Hamburger m’a communiqué des adresses utiles. Zsuzsanna Domokos et
Adrienne Kaczmarczyk n’ont pas compté leur temps. Elles aussi se sont
montrées d’une disponibilité rare, de même qu’Alan Walker, le grand
biographe de Liszt, rencontré également à Budapest. Je dois également
mentionner Agnès Takacs ainsi que Klara Gulyas-Somogyi, bibliothé-
caires du musée, pour leur gentillesse et leur dévouement.
Ensuite, je remercie Agnès Longin pour son amitié précieuse ainsi que
pour sa relecture attentive, de même que Cécile Bouzereau et Virginie
Tillier-Ortega à l’époque de ma thèse. J’ajoute un remerciement spécifique
à Anna H. Celenza Harwell, Joan Backus, Anne Bongrain, Siglind Bruhn,
James Deaville, Gérard Denizeau, André Pinkowski et Damien Ehrhardt
pour m’avoir communiqué des documents difficiles d’accès. Fabienne
Anselme, Daniel Charles, Sylvie Douche, Anne Duprat, Hildegard Kuhn,
Andrée Tainturier, Françoise Trotard, Aurélie Parrot… sont également
remerciés pour leur soutien.
Je tiens également à remercier chaleureusement Madame Josiane
Attuel, Rectrice de l’Académie de Dijon jusqu’en juillet 2003, pour m’avoir
accordé un congé-formation, plus que nécessaire dans la rédaction finale
de ma thèse. Il me semble également important d’apporter un remercie-
ment particulier à toutes les personnes ayant accepté de faire partie de mon
jury : Mesdames Grabócz, Lescourret, Szabó-Knotik ainsi que Messieurs
Remerciements 11

Eigeldinger et Russo. Je suis également touchée que Monsieur Zaragoza


m’ait fait l’honneur d’être au jury, lui qui a su si bien dynamiser la section
de littérature comparée à l’Université de Bourgogne grâce à l’organisation
de colloques auxquels j’ai eu la chance de participer.
J’aimerais également ajouter trois remerciements spéciaux : d’abord
à Cornelia Szabó-Knotik et Daniel Russo qui m’ont fait l’honneur de
signer une préface centrée sur leur spécialité en rapport avec mon travail.
Ensuite, à mon ami Christian Fattelay pour la réalisation de l’illustration
de la couverture. Ce dessin correspond vraiment à un résumé du contenu
intégral du livre. Enfin une mention spéciale à Florence Fix qui a accepté la
lourde tâche de relire la dernière version présentée ici avec un dévouement,
une patience et un professionnalisme inégalés alliés à des encouragements
très réconfortants.
Enfin, je remercie mon entourage familial qui a su m’épauler durant
toutes mes années de recherches et de réécriture : mon mari, Xavier, qui
m’a toujours bien assistée, tant dans la relecture que dans les travaux
informatiques, avec notre ami Laurent Giacalone ; et mes parents, dont
le soutien moral et matériel m’a permis d’achever mon travail en toute
sérénité. Et bien sûr, l’irremplaçable Gaspard…
Avertissement

Initialement, ma thèse était constituée de 5 volumes :


– 3 volumes de texte ;
– 1 volume iconographique ;
– 1 volume d’annexes.
Deux CD venaient illustrer les exemples musicaux cités dans le texte.
Le premier comprenait les exemples 1 à 99 et le second reprenait du 100e
jusqu’au dernier. La liste des exemples musicaux était citée dans une table
qui lui était réservée à la fin du volume 3.
Pour des problèmes de réalisation évidents, les exemples musicaux
utilisés ne sont pas reproduits de manière sonore, la majorité d’entre eux
étant tirés d’œuvres enregistrées qu’il est possible de se procurer, de même
que les partitions dont ils sont extraits.
De même, il est bien incontestable qu’il n’était pas possible de tout
publier, l’ensemble dépassant les 900 pages. J’ai donc opté pour le
minimum de reproductions, évitant ainsi l’écueil des droits de reproduc-
tion qui auraient pu se révéler problématiques, d’une part, et qui auraient
alourdi sévèrement l’ensemble, d’autre part. Cependant, même s’ils sont
aisés à retrouver dans divers ouvrages d’histoire de l’art, j’ai inséré certains
tableaux ou sculptures très connus, comme le Sposalizio ou encore la Sainte
Cécile de Raphaël, la Notte et Il Pensiero de Michel-Ange, etc. afin de faci-
liter la lecture de l’ouvrage. Dans ma thèse, j’avais reproduit certains détails
d’œuvres d’art en fonction des besoins de la démonstration. Là encore, je
n’ai pas repris cette formule qui aurait vraiment amené l’ouvrage à un
nombre de pages plus important. Mais évidemment, dans la mesure du
possible, les œuvres les moins connues dont s’est inspiré Liszt figurent dans
l’ouvrage, à l’instar de la Hunnenschlacht (Bataille des Huns) de Kaulbach,
tableau qu’il ne m’a pas été facile de trouver lors de ma rédaction du moins
en couleurs.
14 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Un autre point doit être abordé : celui de la reproduction de tableaux


schématiques structurels ou autres, qui invitent à une lecture plus sèche,
mais éminemment synthétique (d’une œuvre musicale). J’ai, là aussi, tenu
dans la mesure du possible à les reproduire.
Par ailleurs, je tiens à préciser que, afin de faciliter la lecture, je n’ai pas
mentionné dans les notes de bas de page le texte original que j’ai traduit.
J’ajoute que, pour les ouvrages traduits en français, les références des
traducteurs se trouvent dans la bibliographie.
Preface

The idea that all arts are related and that music ranks highest among
them because it is a kind of meta-language with the ability to express
things beyond words provided a starting point for the development of new
aesthetic concepts in the nineteenth century. Franz Liszt was one of the
most active composers of music about literature, music about the arts, and
even of music about music. He experimented a great deal in this direction
and also came up with the appropriate terminology, most prominently
the term of ‘symphonic poem’, which labelled what was his answer to the
urgent question of how to develop the genre of symphonic music after
Beethoven’s overwhelming creations.
When, in the course of history, the ‘aesthetic of content’ together
with programmatic music was overtaken by the ‘aesthetic of form’ repre-
sented by the idea of so-called absolute music, esteem for Franz Liszt as a
composer declined. Generations of musicians, writers of music literature
and musicologists shared the opinion that Liszt’s reputation was built on
his qualities as a piano virtuoso and teacher, and/or on his highly deve-
loped charitable attitude, but only minimally on his compositional legacy.
Only much later did this ‘conventional wisdom’ become obsolete,
when, under the aspects of post-modern culture, late twentieth-century
music increasingly became a product that could virtually combine sounds
and pieces from different social spheres, from different historical times
and places. Within this development, brought about by the simultaneous
and ubiquitous presence of music ranging back over several centuries
and potentially coming from all over the world, the way was open for a
new perspective on music history aimed at reconsidering widely accepted
aesthetic judgements together with the distinctions of artistic rank and the
functional usage of music.
16 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

It is as part of this process of reconsideration that the present publication


richly deserves attention, since its most prominent aim is to better unders-
tand Liszt’s compositions as his personal musical interpretation of ideas he
had found represented by other, already existing works of art (which them-
selves were often interpretations of ideas formulated elsewhere). The most
fascinating aspect of this book is that the understanding of this reverbera-
ting network of meanings is established through an innovative analytical
approach – innovative above all in that it does not derive from musicology
but from the history of art, so its application parallels the process of transfer
going on in the works of Liszt that are under study. It is an adaptation of art
historian Erwin Panofsky’s methods, the three stages of which are described
by a combination of methods of musical and historical analysis. As she
discusses the established positions of research on Liszt, the author critically
demonstrates the process-related nature of all musicological interpretations,
i.e. to what extent all analysis depends on the respective writer’s interests,
aesthetics and historical standpoint.
A close reading of his text on Raphael’s Saint Cecilia demonstrates the
specificities of Liszt’s approach to a certain work of art, his individual criti-
cism. Panofsky’s definitions of ‘natural’ and ‘conventional’ significance
provide a parallel for a comparative analysis of the music and its artistic
archetype. It becomes clear that while the quantity of musical subjects and
motives usually matches those of their visual model(s), their significance
differs. After a test of the methodological arsenal on all Liszt’s pieces based
on visual art (s.a. Hunnenschlacht, Die Legende von der Heiligen Elisabeth,
Saint François de Paule marchant sur les flots, Il Pensieroso, La Notte etc.),
case studies of three of them – Sposalizio, Totentanz and Von der Wiege bis
zum Grabe – exemplify three different ways to apply the approach and the
subtle insights into programmatic significations it yields. The compositions
correspond more closely to the conventional meanings, often obtained by
means of quotations. The content of the musical works is much the same
as their artistic sources. Sposalizio accurately characterizes the impressions
and inspirations derived from the painting. Totentanz is based on a kind
of personalized memento-mori in the form of a tomb, demonstrating how
Liszt drew his inspiration from the figurative model and, as an original
genius, created his own version of the very same characteristic idea. This
also corresponds to the historical development between the two periods
represented in the two works of art. In Von der Wiege… the individual
remembrance becomes universal.
Préface 17

Thus the symbolic capacity of Liszt’s music is proved in a very impres-


sive way as well as its quality as a meta-language that is an opening to trans-
cendental spheres, to philosophy. On the other hand the special analytical
approach provides an understanding of what very different pathways of
perception the eye and the ear are.
Cornelia Szabó-Knotik,
Universität für Musik und darstellende Kunst Wien
Institut für Analyse, Theorie und Geschichte der Musik
Préface

Sous l’intitulé La musique de Liszt et les arts visuels. Essai d’ana-


lyse comparée d’après Panofsky, Laurence Le Diagon-Jacquin propose un
ensemble de réflexions originales et stimulantes dans un champ d’étude
peu pratiqué jusqu’ici, et qui retient toute l’attention de l’historien de l’art.
En effet, à partir de l’analyse minutieuse des grandes compositions, ou des
moins grandes, de Franz Liszt (1811-1886) comme de ses contemporains,
elle montre toute la pertinence de la lecture sur l’image visuelle proposée,
en son temps, par Erwin Panofsky (1892-1968). Par là, elle inscrit son
beau travail dans une perspective théorique élevée, et rarement abordée
en ces termes, en France. Sa visée n’est rien moins qu’une problématique
articulée à un discours général sur les arts. C’est ce dernier point que nous
souhaiterions présenter en ouverture de ses remarques et en revenant à
l’approche panofskyenne.

Une approche théorisée : celle d’Erwin Panofsky


Dans un texte, rédigé en 1925, puis repris dans un recueil en langue
française, publié à Bruxelles, en 1969, Erwin Panofsky reconnaissait que
« […] l’histoire de l’art, qui souffre depuis un demi-siècle d’une profonde
stagnation théorique, n’est pas en état de répondre aux questions qui
lui sont posées. » (« La réflexion sur l’art, après la déroute des systèmes
esthétiques », dans Les sciences humaines et l’œuvre d’art, Bruxelles, 1969,
p. 7-47). Et c’est de cet enjeu dont il s’agit : artistique, puis esthétique, au
sens du questionnement opéré par, et sur, une discipline, au niveau de
l’interprétation à donner des œuvres. La référence à Erwin Panofsky s’im-
pose d’emblée, d’elle-même. Historien et théoricien de l’art, il fut l’un des
tout premiers à s’interroger sur ces questions en reprenant, notamment, la
notion commune et vague de « motif » et en l’intégrant à une conceptua-
20 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

lisation du jeu des significations dans le champ des pratiques et des savoirs
artistiques. Avec des dénominations différentes, quand nous passons de La
perspective comme forme symbolique (1924/1925 ; Leipzig, 1927 ; trad. fr.
Paris, 1975), à « Iconographie et iconologie », article paru dans les Essais
d’iconologie (New York, 1939 ; 1962 ; trad. fr., Paris, 1967) et repris dans
L’œuvre d’art et ses significations (Garden City, 1955 ; trad. fr. Paris, 1969),
une préoccupation constante reste sous-jacente à toute sa recherche qui, face
à l’œuvre d’art, s’efforce de dégager trois paliers successifs dans le « sujet »
ou la signification. Ainsi que le rappelle Laurence Le Diagon-Jacquin, fort
justement, un premier plan de référence sert, en quelque sorte, à distinguer
la « signification primaire ou naturelle », qu’Erwin Panofsky subdivise
ensuite en « signification de fait », ou « contenu factuel », et en « significa-
tion expressive ». À ce premier niveau, celui également de l’identification
d’un sujet, il s’attache au seul signifié qui se présente à la vue sous la forme
d’« objets » ou d’« événements » dotés de « certaines qualités expressives ».
Ainsi qu’il l’écrivait dans La perspective comme forme symbolique (op. cit.,
p. 238) : « […] Nous appellerons cette couche signifiante primaire où
nous pouvons pénétrer sur la base de notre expérience existentielle vitale la
région du ‘sens-phénomène’(signification primaire ou naturelle). Si nous
voulons, nous pouvons diviser ce sens-phénomène en sens-chose (signifi-
cation de fait) et sens-expression (signification expressive), car il y a une
grande différence entre s’attacher, dans le signe graphique, à la représen-
tation d’un homme ou à la représentation d’un homme ‘beau’ou ‘laid’,
‘triste’ou ‘joyeux’, ‘expressif’ou ‘inexpressif’.  » Vient se superposer à ce
premier palier celui de la signification dite « secondaire ou convention-
nelle », aussi qualifiée de « sens-signification ». À propos de la Résurrection
peinte, de 1512 à 1515, par Matthias Grünewald (v. 1480 – 1528), Erwin
Panofsky remarquait : « […] je qualifie ce même complexe de couleurs
claires se trouvant au milieu du tableau, de Christ s’élevant dans les airs
en flottant, et alors j’aurai présupposé une connaissance surajoutée par
la culture […]. » (La perspective comme forme symbolique, op. cit., p. 238)
Le troisième, et dernier, palier de l’interprétation qu’il dégageait s’avérait
celui de la « […] signification intrinsèque, ou contenu », qu’il situait « […]
à un niveau beaucoup plus profond et beaucoup plus général […] » que les
deux précédents (La perspective comme forme symbolique, op. cit., p. 251).
Cette signification « intrinsèque », nous la saisissons « […] en prenant
connaissance de ces principes sous-jacents qui révèlent la mentalité de base
d’une nation, d’une période, d’une classe, d’une conviction religieuse ou
Préface 21

philosophique – et condensés en une œuvre d’art unique […]. Ainsi aux


xive et xve siècles, le type traditionnel de la Nativité, où la Vierge Marie est
montrée étendue dans un lit ou sur une couche, fut fréquemment remplacé
par un type nouveau : la Vierge agenouillée devant l’enfant, en adoration.
Du point de vue de la composition, cette transformation signifie, en gros,
la substitution d’un schéma triangulaire à un schéma rectangulaire. Du
point de vue iconographique (au sens strict), elle signifie l’introduction
d’un thème nouveau, que l’on trouverait formulé dans les textes d’auteurs
tels que le Pseudo-Bonaventure et sainte Brigitte. Mais, en même temps,
elle révèle un nouveau mode de sensibilité, propre aux derniers siècles
du Moyen Âge […]. » (L’œuvre d’art et ses significations, op. cit., p. 13)
Et d’ajouter : « […] En concevant ainsi les formes pures, motifs, images,
histoires et allégories comme autant de manifestations de principes sous-
jacents, nous interprétons tous ces éléments comme ce qu’Ernst Cassirer
a nommé : valeurs symboliques. » (L’œuvre d’art et ses significations, op. cit.,
p. 14). La citation est longue, mais elle permet de placer l’accent sur le
fond du problème du sens, selon l’approche panofskyenne : l’interpréta-
tion d’ensemble ne vient qu’au troisième palier, le plus haut dans le cadre
conceptuel ainsi construit, là où prend place la notion de motif chargée
de ses « valeurs symboliques », dans les termes de Cassirer (1874 – 1945)
et de sa Philosophie des formes symboliques (Berlin, 1923 – 1929 ; Yale
University Press, 1953 ; trad. fr., Paris, 1972), reliant entre eux trois pans
de la connaissance : le langage ; la pensée mythique ; la phénoménologie
de la connaissance. Dans la démarche de Panofsky, au fond, le troisième
palier serait, plus ou moins, équivalent au niveau phénoménologique
distingué par Cassirer. C’est la raison pour laquelle, du reste, il fut très
peu souvent mis en valeur dans les études portant sur l’interprétation des
signes culturels et sur leur signification, y compris dans celles de Panofsky
lui-même (voir Michael Ann Holly, Panofsky and the Foundations of Art
History, Cornell University Press, 1984).

Motif et niveaux de sens


Le premier niveau de sens, et donc de l’interprétation d’une œuvre
d’art, est celui de la signification primaire ou naturelle, qui consiste à
attribuer un signifié de base correspondant seulement à l’expérience exis-
tentielle immédiate, celle du monde commun, pour employer cette expres-
sion courante. Ce signifié sera soit un simple élément corrélé à une seule
22 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

forme ou figure, qu’Erwin Panofsky nomme ‘motif’, soit l’enchaînement


de plusieurs éléments associés, la combinaison de motifs, ou encore ce
qu’il désigne du terme de ‘composition’: dans l’un et l’autre cas, de toute
évidence, le signifié relève de ce que nous appellerions, en sémiotique, le
figuratif, et que nous définirions comme tout contenu qui a un correspon-
dant au plan de l’expression du monde naturel ; au figuratif seraient assi-
milables et les « objets naturels » et leurs « relations mutuelles », qu’Erwin
Panofsky posait comme « classes de motifs ». L’identification du motif
panofskyen au figuratif va plutôt dans le sens de l’interprétation que nous
donnerions du ‘sujet’comme « ce qui est présenté ou évoqué dans une
œuvre graphique plastique ». Par ailleurs, l’homologie entre des « objets
naturels », leurs « relations mutuelles », et le figuratif apparaît d’autant
plus justifiée, du point de vue sémiotique, qu’Erwin Panofsky ne manquait
pas de recourir à l’opposition ‘thématique’/ ‘figuratif’, en faisant jouer,
par exemple, les oppositions de type ‘abstrait’/ ‘concret’, ‘général’/ ‘parti-
culier’. Définissant le motif par opposition au thème, en recourant à sa
relation au figuratif, Panofsky savait, cependant, tenir compte de toutes les
variations enregistrées au fil de ses récurrences. À ce premier niveau déjà, la
comparaison établie par Laurence Le Diagon-Jacquin avec la musique, et
certaines des compositions de Franz Liszt, devient tout à fait pertinente.
Le deuxième niveau, celui de la signification « secondaire ou conven-
tionnelle », est alors à comprendre comme étant le niveau auquel le motif
entre en relation avec un thème ou un concept, une « idée » (Erwin
Panofsky, Idea. Un concept en théorie de l’art, Leipzig/Berlin, 1924 ; New
York, 1968 ; trad. fr. Paris, 1974), et suscite une image. Si plusieurs motifs
sont associés à une signification « secondaire » déterminée, nous obtenons
des « histoires » ou des « allégories », qui peuvent correspondre aux « événe-
ments » signalés sur le plan de la « signification primaire ou naturelle ».
L’Allégorie de la Prudence, peinte vers 1515 par Titien (v. 1490 – 1576),
contient ainsi en doublet, et placée sous la triade anthropomorphe, une
triade zoomorphe regroupant un chien, un loup, un lion, correspondant
respectivement, sur la toile, aux visages humains jeune, vieux, intermé-
diaire, dont Erwin Panofsky démontra qu’elle était aussi une autre image
« visuelle » de la Prudence. Le « thème » est ainsi doublement visualisé
dans le tableau de Titien : dans le vocabulaire de Panofsky, des « signi-
fications primaires » différentes peuvent servir de supports à une signifi-
cation « secondaire ». De même, sur la Cène peinte à Assise, vers 1310,
Pietro Lorenzetti (v. 1280/1285 – 1348 ?) rendait manifeste l’intérieur
Préface 23

domestique, et son ambiance, à partir des variables figuratives tels le petit


chien, le feu, les serviteurs. L’analyse panofskyenne était fondée sur ce que
nous pourrions dénommer une migration des motifs et leur association,
comme en une organisation syntagmatique, dans la composition peinte
(voir Rudolf Wittkower, La migration des symboles, Londres, 1977 ; trad.
fr., Paris, 1992). Au troisième et dernier palier de l’interprétation, Erwin
Panofsky parvenait à lire la « signification intrinsèque » ou « contenu », en
prenant appui sur les deux autres niveaux qui précédaient : le motif, ou la
composition, s’il s’agissait de plusieurs motifs associés entre eux, relié à un
thème ou à un concept au plan de la signification secondaire, venait servir
de support à l’« ultime contenu ». Ainsi : « […] les productions de l’art nous
semblent avoir pour base, seulement à un niveau de signification beaucoup
plus profond et beaucoup plus général, et par-delà leur sens-phénomène et
leur sens-signification, un ultime contenu à la mesure de l’essence […] »,
écrivait Panofsky (La perspective comme forme symbolique, op. cit., p. 251).
Il n’est aucunement question du contexte socioculturel des œuvres d’art,
mais d’un contenu à la mesure de l’essence (« le sens de l’essence », selon
Karl Manheim), lié à l’œuvre concrètement réalisée, repérable de ce fait
à l’étude de l’œuvre, tel un signifié corrélable au signifiant que seraient
les autres niveaux. De ce signifié, Erwin Panofsky devait écrire (L’œuvre
d’art et ses significations, op. cit., p. 14) : « […] Ce contenu, c’est ce que le
sujet, involontairement et à son insu, révèle de son propre comportement
envers le monde et des principes qui le guident, ce comportement étant,
et à un même degré, caractéristique de chaque créateur en particulier, de
chaque époque en particulier, de chaque peuple en particulier, de chaque
communauté culturelle en particulier. […] » Nous sommes alors tentés
d’interpréter cette « essence » comme une sémantique fondamentale, par
opposition aux significations primaire et secondaire, qui relèveraient d’une
sémantique superficielle. C’est vers cette voie d’approche que certains
peintres de l’École de New York, tels Mark Rothko, Barnett Newman,
ont dirigé leurs recherches en distinguant, notamment, entre le « sujet »
et le « contenu » (voir Mark Rothko, La réalité de l’artiste, Yale University
Press, 2004 ; trad. fr. Paris, 2004, en part. chap. 9, ‘Sujet et contenu’).
24 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Quelques présupposés tirés des analyses


d’Erwin Panofsky

Dans la direction montrée par Laurence Le Diagon-Jacquin à partir de


la culture visuelle de Franz Liszt, et de ses lectures possibles des tableaux
de Raphaël (Sposalizio), Kaulbach (la Hunnenschlacht), des peintures à
fresque de Moritz von Schwind (celle de la Légende de Sainte Élisabeth,
entre autres), des sculptures de Michel-Ange (Il Pensiero, La Notte), entre
visualité et musicalité des œuvres, nous tirerons trois arguments princi-
paux sur le motif dans l’art. Et nous rejoindrons de la sorte ce beau travail
dans la perspective réussie d’une esthétique comparée.
D’abord, l’indépendance du motif par rapport à son signifiant visuel
est totale : tout motif est susceptible de se retrouver aussi bien sous la forme
verbale que non verbale, qu’il reste indépendant du signifiant utilisé, de
type linguistique comme non linguistique, peu importe. Car le figuratif
n’est jamais de l’ordre du signifiant, y compris visuel, et toujours de
celui du signifié. Dans L’œuvre d’art et ses significations (op. cit., p. 277),
Erwin Panofsky écrivait : « […] la répartition du coloris et des lignes, de la
lumière et des ombres, des volumes et des plans, toute délicieuse qu’elle est
en tant que spectacle visuel, doit être aussi comprise comme investie d’une
signification plus que visuelle […]. » La description de Panofsky présup-
pose donc, au moins implicitement, l’indépendance du signifié figuratif,
ou du motif, par rapport au signifiant employé pour le rendre manifeste
(les « pures formes »).
Ensuite, la question que pose cette recherche est celle des situations
d’un « motif » donné par rapport à son insertion contextuelle. Dans
L’œuvre d’art et ses significations, puis dans Architecture gothique et pensée
scolastique (New York, 1951 ; 1957 ; trad. fr., Paris, 1967), sur les liens
entre la façade occidentale des cathédrales et la construction des roses,
Erwin Panofsky donnait l’impression d’hésiter, avant d’incliner davantage
pour une insertion de type syntagmatique, mais sans plus. Ainsi notait-il
(Architecture gothique et pensée scolastique, op. cit., p. 122-123) : « […]
C’est seulement vers 1240 – 1250 que l’école de Reims, qui culmine à
Saint-Nicaise, découvre la ‘solution finale’: la rose est inscrite dans l’arc
brisé d’une verrière immense et devient du même coup comme élastique.
On peut alors l’abaisser afin d’éviter qu’elle ne jure avec les voûtes et
habiller l’espace inférieur de meneaux et de vitrages. L’ensemble reflète la
coupe transversale de la nef, bien que la verrière reste une verrière et la rose
Préface 25

une rose […]. » La rose, c’est-à-dire le motif dans l’exemple étudié, garde
sa spécificité quel que soit son contexte d’emploi, à l’égal du tricéphale
évoqué dans la peinture du Titien sur l’Allégorie de la Prudence. L’étude de
Laurence Le Diagon-Jacquin vient à point nommé pour décrire ces possi-
bilités d’insertion contextuelle du motif chez Liszt et, ainsi, prolonger,
nuancer, compléter le tableau encore assez flou dressé par Panofsky pour
les arts visuels.
Enfin, au plan des variations thématiques et figuratives, les phéno-
mènes décrits sont de l’ordre de la concomitance : un motif disparaît de la
« composition » et, du coup, change tout le dispositif des autres motifs, en
altérant leur sens, parfois aussi leur association tout entière. De ce point de
vue, la comparaison est également riche en prolongements plus ou moins
inattendus.
Preuve est faite du pari audacieux de l’auteur, et de sa réussite bien
affirmée.

Daniel Russo
Université de Bourgogne
ARTeHIS UMR 5594 (Dijon)
Institut universitaire de France membre senior
Introduction

La mission de l’art n’est pas de copier la nature,


mais de l’exprimer.
Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu.

Le sentiment et la réflexion me pénétraient chaque jour davantage de


la relation cachée qui unit les œuvres du génie. Raphaël et Michel-Ange me
faisaient mieux comprendre Mozart et Beethoven. Jean de Pise, Fra Beato,
Francia m’expliquaient Allegri, Marcello1, Palestrina ; Titien et Rossini m’ap-
paraissaient comme deux astres de rayons semblables. Le Colysée et le Campo
Santo ne sont pas si étrangers qu’on pense à la Symphonie héroïque et au
Requiem. Dante a trouvé son expression pittoresque dans Orcagna et Michel-
Ange ; il trouvera peut-être un jour son expression musicale dans le Beethoven
de l’avenir.2
Ces mots, sous la plume de Liszt, pianiste connu et reconnu pour sa
virtuosité instrumentale, peuvent surprendre. Or ce musicien à la fois
instrumentiste, compositeur et chef d’orchestre, penseur et homme de
lettres, laisse une production très importante, autant littéraire que musi-
cale. En effet, il s’intéresse aussi bien aux questions philosophiques, socio-
logiques et aux œuvres artistiques de son temps, qu’à celles des siècles
passés. Néanmoins, si les relations intimes qu’il entretient avec les œuvres

1. Ce nom figure ici au milieu des deux autres à cause de Goethe. Voir Jean-Jacques
Eigeldinger, « Anch’io son pittore ou Liszt compositeur de Sposalizio et Pensieroso », De
l’Archet au Pinceau, p. 58, n. 16. Pour plus de facilité, nous renvoyons le lecteur à la
bibliographie pour les références complètes.
2. Franz Liszt, « lettre à M. Hector Berlioz », Rome, Gazette musicale du 24 octobre 1839,
rééditée dans les Lettres d’un Bachelier ès Musique, Jean Chantavoine (éd.), in Pages
Romantiques, p. 261-262. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur cette citation très
riche d’un point de vue tant historique qu’esthétique.
28 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

de Dante, Pétrarque, Goethe, Hugo… sont bien connues, son attirance


pour les arts visuels reste une face trop ignorée de ses centres d’intérêt.
En précisant préalablement ce qu’il entend par le mot « génie », nous
nous demanderons comment mettre en évidence la « relation cachée qui
unit les œuvres du génie » dont parle Liszt ; et comment se manifeste cette
« relation cachée » dans son répertoire. Ces deux questions essentielles
guideront notre travail tout au long de son élaboration.
Rappelons par ailleurs que Liszt connaît un grand nombre d’artistes,
qu’il reçoit ou rencontre dans les salons. En effet, dès le début de sa
brillante carrière de virtuose, il se mêle à l’intelligentsia artistique et litté-
raire en vogue à l’époque. Comme l’écrit Serge Gut dans la préface de la
Correspondance Franz Liszt Marie d’Agoult :
Par-delà la chronique d’une passion amoureuse, cette correspondance peut
être abordée comme une large fresque de la vie intellectuelle et artistique de
l’Europe à l’époque de la monarchie de juillet. Paris, bien entendu, est au
centre de ce tableau. On est surpris de constater combien de personnes célèbres
fréquentaient ce couple hors pair. De Sainte-Beuve à Lamartine, de Vigny à
Lamennais, de Heine à Victor Hugo, toute la cohorte des héros romantiques
croise et recroise les pas des deux amants. Il faut y ajouter Ballanche, Alexandre
Dumas, Senancour, Janin, Balzac et bien d’autres. Les musiciens ne doivent
pas être oubliés : Chopin, Berlioz, Rossini, Meyerbeer, Hiller, Mendelssohn ;
sans compter les chanteurs alors célèbres, bien qu’oubliés de nos jours, comme
Nourrit, Rubini, Duprèz, Garcia, Pauline Viardot, Ungher et tant d’autres.
Les peintres aussi sont présents : Henri Lehmann, Chassériau, Delaroche,
Ingres…1
De fait, Liszt entretenait des relations amicales et… musicales avec
ce dernier ! En effet, comme chacun sait, Ingres jouait du violon. Il avait
fait la connaissance du célèbre pianiste en février 18392 et eut plusieurs
fois l’occasion de pratiquer la musique de chambre avec lui. Beethoven et
Mozart étaient alors au programme :
Je vois assez souvent M. Ingres3, qui est très bienveillant pour moi. Nous
faisons de la musique à force ensemble. Savez-vous qu’il joue très joliment

1. Serge Gut, « Préface » de la Correspondance Franz Liszt Marie d’Agoult, p. 20-21.


2. Comme en attestent Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, in Franz Liszt Corres-
pondance (choisie, présentée et annotée par), p. 103, note 4.
3. Ingres fit d’ailleurs le portrait de Liszt en mai 1839 à Rome.
Introduction 29

du violon. Nous avons le projet de passer tout Mozart et tout Beethoven en


revue.1
Liszt entretient aussi avec les artistes des rapports épistolaires2. De ce
fait, il sert de modèle à maints sculpteurs, peintres, dessinateurs, caricatu-
ristes, ou encore à quelques photographes. Nous laisserons ce côté « Liszt
objet » pour nous concentrer sur « Liszt sujet ». En un mot, notre travail
visera à définir des correspondances entre ses œuvres et celles qui les ont
inspirées.
L’étude des œuvres de ce corpus implique différents niveaux d’inter-
prétation et engendre donc des problèmes d’analyse aussi spécifiques que
délicats. Ainsi, en mettant en musique des œuvres d’art plastique, Liszt
les interprète à sa manière. De plus, celles-ci sont parfois elles-mêmes
l’interprétation d’un texte antérieur. Les exemples les plus probants sont
Sposalizio, peint par Raphaël d’après les textes des évangiles apocryphes et
de la Légende dorée de Jacques de Voragine, ou encore La Légende de Saint
François de Paule marchant sur les flots, d’après La Vie de Saint François
de Paule de Giuseppe Miscimarra que Liszt avait lue et qu’il cite dans la
préface de sa pièce pour piano. Ces quelques exemples illustrent les diffé-
rentes strates à prendre en compte dans nos démonstrations. Notons que
la matière sensible, subjective par excellence sur laquelle nous travaillons,
rend notre tâche délicate.
En choisissant d’aborder la musique de Liszt inspirée d’œuvres d’art
visuel par le biais d’une analyse comparée, nous sommes bien consciente
que nous laisserons des zones d’ombre dans l’analyse des œuvres d’art,
l’étude exhaustive n’étant pas notre but. Cependant, nos références aux
arts visuels, si incomplètes soient-elles, donneront des éléments de poids
dans une nouvelle approche des œuvres musicales qu’elles ont inspirées
et qui seront, elles, présentées de la manière la plus complète possible.
D’ailleurs, nous n’excluons pas l’utilisation ponctuelle de l’analyse musi-

1. Franz Liszt, « lettre à Lambert Massart » de Rome, via della Purificazione, 80, du
1er mars 1839, citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 103.
2. D’ailleurs, il écrit beaucoup sur les créateurs et sur la société de son temps. Ses écrits
restent des sources et des témoignages capitaux d’un point de vue sociologique et esthé-
tique. Voir à ce propos l’ouvrage synthétique des écrits de Liszt, annoté et commenté
par Rémy Stricker, Franz Liszt artiste et société. Pour les rapports épistolaires de Liszt
et des artistes, nous renvoyons à l’abondante correspondance éparse en précisant que
malheureusement, elle n’a pas encore aujourd’hui fait l’objet d’une édition exhaustive.
(Voir la bibliographie pour les références)
30 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

cale pure comme la réécriture harmonique de certains passages selon la


technique de Guy Leclercq1, inspirée de l’analyse schenkerienne2, sans
oublier l’analyse selon la théorie des degrés (Stufentheorie).3 De même,
nous nous référerons localement à l’analyse sémiotique musicale mise en
place par Márta Grabócz.4 L’essentiel sera de mettre en évidence leurs
caractéristiques musicales à l’aide des éléments extra-musicaux, mais aussi
d’observer les éléments purement musicaux qui ne trouvent apparemment
pas de correspondance visuelle. En résumé, nous tenterons donc d’aboutir
à l’analyse musicale la plus complète tandis que seuls les éléments visuels
trouvant une correspondance musicale seront énoncés.
Nous avons étudié en détail les sources des pièces musicales. En
revanche, nous n’avons pas approfondi celles des œuvres d’art visuel5, dans
la mesure où l’ambition de cette thèse, bien que pluridisciplinaire, reste un
travail de musicologue avant tout. L’étude des sources musicales a donc été
réalisée de manière précise, en approfondissant les principaux manuscrits
de la main de Liszt, ou de celles de ses copistes. Nous les avons consultés à
la Bibliothèque Nationale de Paris (au département musique) et au Musée
Liszt de Budapest. Bien sûr, nous n’avons pas toujours eu accès aux origi-
naux, mais souvent des photocopies papier ou des microfilms. C’est sous
cette forme que nous avons examiné les documents lisztiens de la biblio-
thèque Széchényi de Budapest et de la bibliothèque Pierpont Morgan à
New York, relatifs à notre sujet, ainsi que ceux des archives de Weimar.
De même, nous avons eu l’émotion de consulter, parmi les sources, des
livres appartenant à Liszt lui-même, à la bibliothèque Liszt de Budapest,
ainsi que des partitions éditées annotées de sa main. Nous avons analysé
ces sources en les comparant avec les versions définitives éditées. Nous
n’en présenterons pas une analyse génétique exhaustive, même quand il y
a beaucoup de divergences de l’une à l’autre. De ce point de vue, le cas le

1. Guy Leclercq, L’Essence et l’Évolution du Langage musical de Gabriel Fauré dans sa


Musique pour Piano, Thèse de doctorat, université de Tours, octobre 2000.
2. Voir l’ouvrage de Nicolas Meeùs, Introduction à l’analyse schenkerienne. Ou encore le
livre de Heinrich Schenker, L’Écriture libre.
3. Pour plus de précisions concernant l’analyse harmonique, voir l’excellente synthèse de
Jean-Pierre Bartoli, L’Harmonie classique et romantique (1750-1900).
4. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt. Influence du Programme
sur l’évolution des formes instrumentales.
5. Hormis des cas particuliers, comme Ary Scheffer dont les représentations de Faust
nous ont donné beaucoup de soucis.
Introduction 31

plus problématique est probablement celui du Totentanz. Ainsi que pour


les analyses schenkerienne, sémiotique, ou encore harmonique classique…
nous ne retiendrons de l’approche génétique que les points importants
qui donnent un éclairage particulier à notre propre analyse esthétique
comparée : les modifications structurelles qui impliquent un changement
programmatique ne seront évidemment pas passées sous silence ; les trans-
formations d’écriture, de rythme, d’harmonie, de détails mélodiques,
d’accentuation, de nuances ou encore d’orchestration qui renforcent ou
transforment le caractère de certaines parties de la pièce musicale feront
l’objet d’une attention toute particulière.
Déterminer le corpus exact des œuvres musicales de Liszt inspirées
d’art visuel n’a pas été aisé. En effet, si l’on se réfère au catalogue d’ex-
position Vom Klang der Bilder,1 peintures, sculptures et dessins ont été la
source d’œuvres telles que les pièces pour piano :
– Sposalizio, d’après Raphaël, lui-même s’étant inspiré de son maître
Le Pérugin ;
– Il Pensieroso et La Notte d’après Michel-Ange.
Ce à quoi il faut également ajouter les œuvres orchestrales comme :
– la Hunnenschlacht inspirée du tableau de Kaulbach, qui a également
réalisé une peinture de Liszt ;
– le Totentanz, qui puise son inspiration au Campo Santo de Pise dans
la fresque Le Triomphe de la Mort que les auteurs du catalogue attri-
buent à Francesco Traini mais qui a vraisemblablement été réalisée
par Buonamico Buffalmacco2 ainsi que les gravures sur bois de
Holbein le Jeune3 ;
– Von der Wiege bis zum Grabe, d’après un dessin de Mihàli Zichy.
À propos des œuvres suivantes de cette liste, il faut remarquer que les
rapports avec les arts visuels ne s’établissent que de manière indirecte. En
effet :
– Orpheus, composé d’après un Vase étrusque du Louvre – si l’on en
croit la préface de Liszt qui comporte une inexactitude – est lié dans
une certaine mesure à l’Orphée de Gluck. Quant à :

1. Karin von Maur, Vom Klang der Bilder, p. 455-462.


2. Voir en particulier à ce sujet les articles de Daniel Russo en bibliographie.
3. Nous reparlerons de la question des sources d’inspiration de cette œuvre particulière
par la suite. En effet, la référence à Holbein n’est pas mentionnée dans l’ouvrage Vom
Klang der Bilder.
32 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

– l’oratorio La Légende de Sainte Élisabeth d’après les fresques de Moritz


von Schwind, il est fondé sur un livret d’Otto Roquette d’après le
texte de référence concernant l’hagiographie d’Elisabeth de Charles
de Montalembert. Un dernier cas particulier est à mentionner ;
– la Dante symphonie qui aurait dû s’appuyer sur des œuvres de
Bonaventura Genelli1. De même ;
– la Faust Symphonie prend sa source dans des œuvres d’Ary Scheffer2
au départ, si l’on en croit Monika Fink, mais Liszt s’en écarte très
rapidement pour s’appuyer sur le texte littéraire de Goethe.
Cependant, pour être un point de départ intéressant, cette liste3 n’en
est pas moins incomplète. En effet, si l’on se réfère à l’ouvrage d’Helga
de la Motte-Haber, il semble que la Légende de Saint François de Paule
marchant sur les Flots soit également inspirée par un tableau de Steinle :
L’idée en est venue à Liszt d’après le dessin se trouvant en sa possession
d’Eduard von Steinle, qui montre Saint François marchant sur les flots.4
Liszt mentionne ce dessin dans la préface de sa pièce de piano en indi-
quant qu’il en « doit la possession à la gracieuse bonté de Mme la Princesse
Carolyne Wittgenstein. »5 La source est donc sûre !
Par ailleurs, Lina Ramann cite Christus comme une œuvre inspirée
d’art visuel. À ce sujet, elle précise :
…sa « marche des Trois Rois » […], inspirée par une peinture à la cathé-
drale de Cologne, représentant l’hommage des trois rois ; et enfin, ses « sept
sacrements », dont la première impulsion a été donnée par le cycle du même
nom des peintures d’Overbeck.6
Ces deux pièces, dont la première est un extrait de Christus, méritent
donc quelques explications plus approfondies. Ajoutons également l’Évoca-
tion à la Chapelle Sixtine, dont le titre suggestif renvoie à l’un des sommets
de l’art italien. Nous déterminerons les limites de l’analyse comparée dans
cette œuvre. Il en ressort clairement que les liens réels entre les arts visuels
et la musique de Liszt doivent vraiment êtres précisés.

1. Liszt avait en effet un grand projet inter-artistique qu’il ne put réaliser. Nous revien-
drons sur cette question.
2. Scheffer a peint également Liszt et l’a pris comme modèle pour ses Rois Mages.
3. Karin von Maur, op. cit.
4. Helga de La Motte-Haber, Musik und Bildende Kunst, p. 85.
5. Franz Liszt, « Préface » de la Légende de Saint François de Paule marchant sur les flots.
6. Lina Ramann, Artist and Man, 1811-1840, 1882, p. 372, vol.2
Introduction 33

Il nous faudra donc bien déterminer notre corpus d’étude en distin-


guant précisément les œuvres inspirées directement d’art visuel, de celles
qui ne le sont qu’indirectement. En fonction de leur degré d’autonomie
avec leurs sources d’inspiration, certaines seront laissées de côté par la
suite.
Le seul point commun que nous avons pu discerner dans les œuvres
d’art visuel qui ont inspiré Liszt, est leur appartenance aux arts figura-
tifs. Cette remarque peut sembler un truisme, tant la période historique,
s’étendant du Moyen Âge au xixe siècle, ignore l’abstraction. Mais cette
évidence doit être rappelée, car là repose toute notre réflexion, qui débou-
chera sur une analyse comparée entre la musique et les arts visuels. En
effet, la plus grande difficulté à laquelle nous avons été confrontée lorsque
nous avons examiné les sources d’inspiration visuelle dans la musique de
Liszt, est leur absence d’homogénéité ou plutôt, l’absence apparente de
point commun entre elles. En effet, Liszt s’est penché sur des œuvres aussi
bien graphiques que picturales ou encore sculpturales. Leurs sujets d’inspi-
ration restent diversifiés, même s’ils sont souvent religieux. La nationalité
des artistes relève d’un cosmopolitisme qui n’étonnera pas les connaisseurs
de Liszt. Le seul lien entre les œuvres d’art visuel de notre corpus est donc
bien leur appartenance aux arts figuratifs.
Au xxe siècle, nous assistons à une intensification des recherches sur
les relations entre la musique et les arts visuels. En effet, les fresques, les
tapisseries, les statues de l’Antiquité comme du Moyen Âge et jusqu’à nos
jours représentent parfois des musiciens, des chanteurs, des instruments,
s’appuyant ainsi sur des sujets musicaux. En revanche, les compositions
musicales illustrant des sujets empruntés aux arts visuels ne voient le jour
qu’au xixe siècle comme en atteste Monika Fink1 qui précise d’ailleurs
que, dans l’écriture de ce type d’œuvres, Liszt est le pionnier !2
Depuis l’Antiquité, la recherche esthétique visant à établir des corres-
pondances entre les arts n’a pas faibli, des travaux d’Aristote jusqu’au
système des beaux-arts de Souriau, en passant par les recherches de Schiller,
Hegel ou encore Alain3, sans oublier les réflexions esthétiques d’Adorno ou

1. Voir Monika Fink, Musik nach Bildern.


2. Voir notre premier chapitre.
3. Pour des références précises sur tous ces auteurs, voir le petit ouvrage synthétique de
Marie-Anne Lescourret, Introduction à l’Esthtétique, et en particulier le chapitre sur la
correspondance des Arts.
34 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

encore de Munro.1 Cependant, l’étude comparée d’œuvres musicales avec


leurs modèles visuels ne se concrétise qu’au xxe siècle. En effet, plusieurs
ouvrages généraux s’interrogent sur ces relations. En voici quelques titres
importants2 :
– le catalogue d’exposition Vom Klang der Bilder3 ;
– Monika Fink avec Musik nach Bildern4 ;
– Helga De La Motte-Haber, Musik und Bildende Kunst 5 ;
– Gérard Denizeau, Musique et Arts et Le Dialogue des Arts Architecture
Peinture Sculpture Littérature Musique.6 ainsi que le recueil d’arti-
cles sous sa direction : Le Visuel et le Sonore.7 Notons que Gérard
Denizeau a également consacré une grande partie de son dossier
d’habilitation à ce sujet, texte qu’il a eu la gentillesse de bien vouloir
nous confier, ce pour quoi nous le remercions ;
– Jean-Yves Bosseur, Musique et Beaux Arts, de l’Antiquité au xixe siècle8 ;
– Siglind Bruhn, Musical Ekphrasis. Composers Responding to Poetry and
Painting9.
À l’exception du livre d’Helga De La Motte-Haber qui propose déjà
des mises en parallèle problématisées et convaincantes, les autres ouvrages
traitent de manière historique assez générale cette délicate association
musique/arts visuels. Notons également des réflexions sur des œuvres plas-
tiques inspirées par la musique.10

1. Theodor W. Adorno, Sur quelques Relations entre la Peinture et la Musique et Munro,


Thomas, Les Arts et leurs relations mutuelles.
2. Une liste exhaustive nécessiterait presque une thèse à elle seule.
3. Karin von Maur, Vom Klang der Bilder.
4. Voir Monika Fink, Musik nach Bildern.
5. Helga De La Motte-Haber, op. cit.
6. Gérard Denizeau, Musique et Arts et Le Dialogue des Arts Architecture Peinture Sculpture
Littérature Musique.
7. Gérard Denizeau, (éd.) Le Visuel et le Sonore.
8. Jean-Yves Bosseur, Musique et Beaux Arts, de l’Antiquité au xixe siècle.
9. Siglind Bruhn, Musical Ekphrasis. Composers Responding to Poetry and Painting.
10. Voir les articles de Marcella Lista, « Malevitch et la Victoire sur le soleil ou la question
du sonore dans le suprématisme », Jean-Yves Bosseur, « Mondrian et la musique », Jean-
Pierre Armengaud, « Les expériences musicales de Jean Dubuffet », Michel Fischer,
« Messiaen-Bayle : des sons-couleurs de la Cité céleste aux mutations des images senso-
rielles », Michèle Barbe, « Les gravures de Guetty Long d’après le Quatuor pour la Fin des
Temps de Messiaen » ou encore François Morellet, « À la portée de tous » dans l’ouvrage
dirigé par Gérard Denizeau, Le Visuel et le Sonore.
Introduction 35

À ces ouvrages généraux s’ajoutent des articles ponctuels sur des sujets
interdisciplinaires précis. L’œuvre lisztienne la plus convoitée sous cette
forme est Sposalizio, avec les écrits de Joan Backus, de Cornelia Knotik et
de Jean-Jacques Eigeldinger, pour ne citer que les travaux les plus achevés.
Par ailleurs, il faut mentionner la floraison de cours et séminaires
inter-artistiques1 comme celui de Michèle Barbe à la Sorbonne, séminaire
(1997-1998) qui a débouché sur plusieurs recueils d’articles – distribués
sous l’égide de l’Observatoire Musical Français2 – et sur un colloque.3 Un
second colloque, toujours sous la direction de Michèle Barbe, du 26 au
28 mai 2008 s’intitule : « Musique et Arts plastiques : la traduction d’un
art par un autre. » À l’université Marc Bloch de Strasbourg, les séminaires
de ce type sont également mis en place, regroupant les plasticiens et les
musicologues. Ces actions sont dirigées en particulier par Márta Grabócz
et Jean-Louis Fleckniakoska. D’ailleurs, le colloque du 22 avril 1995 orga-
nisé par Márta Grabócz était consacré aux « Modèles : esthétique, analyse,
sémiotique ». Il déboucha sur une publication.4 À noter également une
journée d’étude en mars 2001 où Marie-Anne Lescourret et Siglind Bruhn
intervinrent respectivement sur la « correspondance des Arts » et sur l’in-
fluence de Holbein dans la Danse des Morts (musique d’Honegger et texte
de Claudel)5.
Cependant, si les recherches actuelles sont de plus en plus dirigées vers
les relations entre les arts, nous ne disposons pas de méthode précise pour
comparer une partition avec sa source d’inspiration visuelle. En effet, tous
les textes que nous avons lus, aussi riches soient-ils, nous ont fait sentir la
nécessité d’essayer de nous forger un outil méthodologique. Notre corpus
d’étude étant fondé uniquement sur des œuvres d’art visuel figuratives,
nous avons opté pour l’adaptation d’une méthode d’historien de l’art à la
musique de Liszt. D’après ses écrits, nous constatons qu’il s’attache avant

1. Là encore, l’exhaustivité n’est pas possible. Seuls quelques exemples seront donnés.
2. Voir par exemple le recueil Collectif, Musique et Arts Plastiques, Actes du séminaire
doctoral et post-doctoral, novembre 1997-mai 1998.
3. Colloque « Musique et Arts plastiques : intersections », 7-9 décembre 2000 sous la
direction de Michèle Barbe. Actes parus. Références comme suit : Michèle Barbe (dir.),
Musique et Arts plastiques : analogies et interférences.
4. Márta Grabócz (dir.), Les Modèles dans l’Art, Musique, Peinture, Cinéma.
5. Le texte présenté en français a été publié en langue anglaise dans le livre de Siglind
Bruhn cité ci-dessus.
36 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

tout à l’idée constitutive d’une œuvre.1 Aussi nous a-t-il semblé logique
de pouvoir déceler les idées présentes à la fois dans sa musique et dans
les œuvres plastiques inspiratrices. C’est la raison principale pour laquelle
nous avons choisi les travaux de l’historien de l’art Erwin Panofsky. Il
s’attache en effet à différents niveaux de signification d’une œuvre d’art
en la mettant en rapport avec sa situation historique donnée. Ce dernier
élément est important dans la mesure où les œuvres de Liszt sont posté-
rieures parfois de quatre siècles à leur source d’inspiration ! L’aspect histo-
rique ne devait donc pas être omis dans ce travail tout entier réalisé sous le
signe de l’esthétique musicale.2
En résumé, nous nous demanderons dans quelle mesure Liszt est lié
aux artistes de son temps et à ceux des siècles passés ; comment il réagit
face à des œuvres d’art visuel, et en quoi il s’en inspire. Nous éclaircirons
donc ce qu’il appelle « la relation cachée qui unit les œuvres du génie » ; nous
verrons selon quels procédés techniques, formels ou encore esthétiques sa
musique peut être l’objet de correspondances avec ses modèles picturaux,
graphiques et sculpturaux.
Pour répondre à ces questions, nous replacerons dans notre premier
chapitre la musique de Liszt inspirée d’œuvres d’art visuel au sein de la
musique du xixe siècle, en dégageant les principaux enjeux de la musique
à programme. Aussi établirons-nous la place des œuvres lisztiennes par
rapport aux compositions inspirées de sujets similaires jusqu’au xxe siècle.
Force sera également d’observer l’importance des arts visuels dans la pensée
de Liszt. L’étude du texte de sa lettre sur la Sainte Cécile de Raphaël offre
là un témoignage capital. Il montre comment Liszt procède à l’aide d’une
véritable méthode iconographique, dont nous avons constaté que celle de
Panofsky est la théorisation.
Donc, dans notre deuxième chapitre, nous exposerons notre méthode
d’analyse comparée, fondée sur celle de l’historien de l’art Erwin Panofsky
que nous adapterons à la musique. Chaque passage d’un médium – visuel –
à l’autre – musical – y sera expliqué à l’exception des trois œuvres étudiées
de manière approfondie dans notre troisième chapitre. En effet, dans
cette dernière partie, nous appliquerons notre méthodologie d’analyse

1. Voir à ce propos son magnifique texte « sur la Sainte Cécile de Raphaël ».


2. L’« esthétique musicale » est une discipline en elle-même qui nécessiterait un volume
à part ! Nous dirons seulement ici que nous entendons par ce terme : donner une signi-
fication à un texte musical par le biais de données extra-musicales.
Introduction 37

comparée à trois compositions lisztiennes inspirées d’art visuel : Sposalizio,


Le Totentanz, et Von der Wiege bis zum Grabe.
Notre étude aura donc un double objectif :
– d’une part, adopter une méthodologie comparative précise et adaptée
au corpus lisztien ;
– d’autre part, déterminer les liens possibles entre les modèles visuels
et leurs transpositions musicales lisztiennes. Nous tenterons en effet
d’établir des catégories de correspondances, notre but premier étant
de déterminer les spécificités des procédés utilisés dans chacune des
œuvres.
Pour pasticher Balzac, nous tenterons de montrer que « la mission de
la musique n’est pas de copier la peinture, le dessin ou la sculpture, mais de les
exprimer »…
Première partie
Premier chapitre
Le problème de la musique
absolue et de la musique
à programme au xixe siècle.
La position de Liszt

I. Conflit esthétique au xixe siècle :


musique absolue et musique à programme

L’objectif de cette partie consiste à brosser un rapide état des lieux


sur le conflit esthétique qui opposa deux clans au xixe siècle : les partisans
de la musique dite « absolue » (ou anciennement « pure »), et ceux de la
musique « à programme ». Soulignons que leur antagonisme est moins
manichéen que ce que l’Histoire laisse entendre :
Elles [les catégories de « musique absolue » et « musique à programme »]
simplifient plutôt de manière schématique dans leur antithèse abrupte et […]
elles contredisent la richesse et la diversité des phénomènes historiques dont il
est question plus qu’elles ne les éclairent.1
Il est bien évident qu’il existe des passerelles entre les deux clans. Mais
l’enjeu est ici de savoir si la musique devait trouver une inspiration « en
soi » ou dans des domaines extra-musicaux. Par conséquent, ce postulat
influençait la construction et donc, le contenu de l’œuvre musicale. Étant
donnée l’étendue du sujet, nous concentrerons notre attention principa-

1. Ludwig Finscher, « « Zwischen Absoluter und Programmusik », zur Interpretation der


deutschen romantischen Symphonie », in Festschrift Walter Wiora zum 70. Geburtstag,
p. 103 (trad. par nos soins).
42 PREMIÈRE PARTIE

lement sur les positions de Liszt et sur la place de sa musique dans ce


contexte.

A. Les fondements socio-historiques du conflit :


le compositeur et le public
Comme l’explique Dahlhaus, l’idée de la musique absolue1 « vient de
la conviction que la musique instrumentale formule de façon pure et directe
l’essence de la musique, qu’elle vaut comme simple structure. Cette concep-
tion contredit l’ancienne, héritée de l’Antiquité et jamais contestée jusqu’au
xviie siècle. Une musique sans parole était donc d’un intérêt moindre, par
essence. »2 Le logos domine. La musique était donc considérée comme infé-
rieure à la poésie. Au xixe siècle, la musique dénuée de paroles paraît diffi-
cile d’accès, nécessitant des « clefs » d’écoute pour être comprise. Certains
critiques, comme Franz Brendel, voient dans les poèmes symphoniques
une synthèse entre la poésie et la musique, et une conclusion logique de
l’évolution historique. Pourtant, malgré les explications des critiques,
le public n’en comprend pas nécessairement le contenu. Liszt constate
d’ailleurs que, d’une façon générale, le compositeur est incompris. Il
l’explique par trois raisons relevées par Detlef Altenburg3 dans un article
résumé ici :
– La première relève des différences inhérentes à la matière entre les
diverses disciplines artistiques : les moyens d’expression diffèrent, allant
du langage des mots chez le poète à celui des formes chez le sculpteur, en
passant par celui des sons dans la musique. Dans ce dernier cas, les moyens
d’expression de celle-ci sont les plus difficiles d’accès à une grande majorité
du public. Le but de tous les arts, y compris la musique, est le même : le
Vrai et le Beau. Mais la musique peut exprimer plusieurs états, de manière
simultanée, ce qui n’est nullement le cas pour les autres formes artistiques.
De plus, contrairement à l’art pictural, elle a la possibilité d’évoluer, de se
développer progressivement. En revanche, elle ne peut présenter simulta-
nément toutes les pièces d’un portrait ou d’un paysage, comme le ferait un

1. Dahlhaus qualifie lui-même la musique d’« absolue », terme usuel, aujourd’hui.


2. Carl Dahlhaus, L’idée de la musique absolue. Une esthétique de la musique romantique,
p. 14.
3. Detlef Altenburg : « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt. » Liszt Studien (Band I).
Premier chapitre 43

tableau.1 Elle n’est pas en mesure non plus de désigner explicitement son
contenu. Elle n’a pas besoin a priori de la pensée pour accéder à l’émotion.
De ce fait, elle est supérieure aux autres arts et beaucoup plus difficile
d’accès car son langage est dénué de contenu sémantique explicite. Il faut
donc parvenir à le déchiffrer.
– La seconde raison réside dans le fait que les conditions de récep-
tion de la musique sont socialement défavorables ; la musique semble être
moins liée aux besoins vitaux les plus indispensables que la poésie et les arts
plastiques.2 En effet, son public se divise en deux catégories, les amateurs
et les connaisseurs, dont les habitudes d’écoute sont opposées. Leur prépa-
ration et leur familiarité avec la musique ne se situent pas au même degré :
le connaisseur est séduit par les sons, les timbres des instruments, les
harmonies, les mélodies… Il aime à comparer ce qu’il entend avec les lois
qu’il connaît. Il perçoit non seulement le discours musical, mais aussi le
« contenu sentimental ». En un mot, selon Liszt, il comprend le langage
musical et sait apprécier ses effets. En revanche, l’amateur ne comprend
pas ce qu’il écoute. Il essaie de donner une signification à ce qu’il entend,
à l’aide de l’entendement. Il voudrait en comprendre le contenu. Aussi
Liszt propose-t-il dès 18373, d’écrire quelques mots d’introduction aux
morceaux de musique purement instrumentaux. C’est l’ébauche des
programmes dans la musique. Notons qu’à cette époque, Liszt compose
l’Album d’un voyageur – plus exactement entre 1835 et 1840 – première
version d’un ouvrage bien plus célèbre : les Années de Pèlerinage, 1re Année,
Suisse. Ce cycle peut apparaître comme l’équivalent musical des souve-
nirs de voyages immortalisés par des peintres – à l’instar de Delacroix,
par exemple, dans des Carnets – et se divise en trois cahiers, eux-mêmes
composés de plusieurs pièces.
Les pièces de l’Album d’un voyageur – véritable « pendant à la préface de
Cromwell, presque contemporaine dans le domaine littéraire »4 selon l’heu-
reuse formule de Jean-Jacques Eigeldinger – d’apparence très éclectiques,
convergent vers un même point : d’une part, elles dévoilent l’œuvre lisz-
tienne comme un exemple emblématique d’une composition romantique,

1. Même si la perception du détail de tous les éléments n’est pas aussi simultanée.
2. Nous tenons à rappeler ici qu’il s’agit de la position de Liszt relevée par Altenburg.
3. Voir les extraits de ses Lettres d’un Bachelier ès Musique cités plus loin.
4. Jean-Jacques Eigeldinger, « Les Années de Pèlerinage de Liszt : Notes sur la Genèse et
l’esthétique », Revue Musicale de Suisse Romande, p. 150.
44 PREMIÈRE PARTIE

tant par les sujets illustrés musicalement que par les références sonores
utilisées, et d’autre part, elles montrent l’application du compositeur à
guider l’auditeur tant par ses titres et citations en exergue, que par son
programme. Le titre même de ce cycle renvoie probablement aux Lettres
d’un Voyageur de George Sand, illustrant déjà l’intérêt du jeune Liszt pour
la littérature. En effet, entre 1830 et 1833, il fréquente les salons parisiens
et y rencontre de nombreux écrivains, comme Victor Hugo, Alexandre
Dumas, Honoré de Balzac, Heinrich Heine, Alphonse de Lamartine,
Alfred de Vigny, Eugène Sue, George Sand – qui séjournera quelque
temps avec Liszt et Marie d’Agoult en Suisse – Alfred de Musset, Étienne
Pivert de Senancour… De plus, il lit énormément et écrit même lettres et
articles sur des sujets musicaux, politiques ou encore esthétiques.1 Aussi,
dans l’Album d’un Voyageur, il mentionne de nombreuses références en
épigraphe, extraites de Byron, Schiller, ou encore de Senancour, dont le
héros éponyme Obermann inspira la Vallée… du même nom, affirmant
ainsi sa sensibilité littéraire. D’ailleurs, il préface cette pièce d’une cita-
tion de Schiller et de deux larges extraits de Senancour dont ces quelques
phrases extraites de son roman épistolaire :
Que veux-je ? Que suis-je ? Que demander à la nature ?…. Toute cause
est invisible, toute fin trompeuse ; toute forme change, toute durée s’épuise.
(Obermann, lettre 63)
Liszt adhère aux interrogations existentielles fondamentales, qui
hantent tous les artistes et autres personnages romantiques devant une
nature a priori hostile puisque Senancour la définit, dans une autre lettre
citée par Liszt, comme apparaissant « partout accablante et partout impéné-
trable ». Le compositeur terminera son œuvre sur une note plus optimiste,
après toute une évolution psychologique décrite par la musique.2
La citation la plus proche de sa vie personnelle, reste sans nul doute
celle de Byron, extraite de Childe Harold dans les Cloches de G… pièce par
laquelle il rend hommage à la naissance de sa fille Blandine, dévoilant aussi
son état psychologique :

1. Voir à ce sujet le recueil : Rémy Stricker (éd.), Franz Liszt, artiste et société.
2. Pour une analyse de la Vallée d’Obermann, nous renvoyons aux travaux de Márta
Grabócz. Voir bibliographie.
Premier chapitre 45

I live not in myself, but I become


Portion of that around me.1
Il supprimera cette indication poétique dans la version intégrée dans
l’Année de Pèlerinage, 1re année : Suisse. De plus, il remaniera le matériau
musical utilisé, permettant au musicologue Alan Walker d’écrire qu’« il
faudrait la [la première version] considérer comme un morceau distinct et le
réinsérer dans le répertoire »2 ce qui est chose faite aujourd’hui… Comme
Alan Walker, Jean-Pierre Bartoli doit se réjouir, de ce fait : il préfère égale-
ment la première à la seconde version.3 Byron sert également de référence
littéraire dans Au Lac de Wallenstadt puisque Liszt inscrit en exergue ce
quatrain :
… Thy contrasted lake
With the wild world I dwell in, is a thing
Which warns me, with its stillness, to forsake
Earth’s trouble waters for a purer spring.4
La « tranquillité » semble être effectivement le maître mot de la pièce
lisztienne qui aspire à un calme reposant. De même, quelques vers de
Schiller précèdent Au bord d’une source :
In Säuselnder Kühle
Beginnen die Spiele
Der jungen Natur.5

illustrant ainsi la fusion de l’homme romantique avec la nature, dans


laquelle il capte son propre reflet. Liszt le traduit musicalement de façon
merveilleuse. La nature est en effet un thème récurrent dans ses pièces de

1. Je ne vis pas en moi-même, mais je deviens


Une part de ce qui m’entoure. [extrait cité dans les Cloches de G…]
2. Alan Walker, Franz Liszt, vol. 1, p. 228.
3. Il explique sa préférence dans son article : Jean-Pierre Bartoli, « Des Cloches de G*****
aux Cloches de Genève et les deux versions de la Vallée d’Obermann de Franz Liszt – une
étude comparative » in Liszt 2000, The Great Hungarian and European Master at the
Threshold of the 21st Century, p. 135-156.
4. ...Ton lac contrastant
Avec le monde sauvage que j’habite est une chose
Qui m’avertit, dans sa tranquillité, de délaisser
Les eaux troubles du monde pour un printemps plus pur.
5. Dans la murmurante fraîcheur
commencent les jeux
de la jeune nature. [Trad. par nos soins]
46 PREMIÈRE PARTIE

genre, typiquement romantiques, dont certains titres sont très représenta-


tifs, comme le « Lac de Wallenstadt » ou encore « Au bord d’une Source »,
sans oublier le titre du deuxième cahier, « Fleurs mélodiques des Alpes » et
les trois transcriptions du troisième cahier de l’Album d’un Voyageur. Liszt
conçoit en effet ce cycle comme un témoignage de son rapport au paysage
helvétique. Il écrit d’ailleurs dans la Préface :
Ayant senti que les aspects variés de la nature et les scènes qui s’y ratta-
chent ne passaient pas devant mes yeux comme de vaines images mais qu’elles
remuaient en mon âme des émotions profondes […] j’ai essayé de rendre en
musique quelques-unes de mes sensations les plus fortes, de mes plus vives
perceptions.1
Mais si la nature helvétique l’émeut, Liszt ne reste pas indifférent aux
problèmes qui perturbent l’humanité. C’est la fonction sociale de l’artiste
qui domine à l’âge romantique. Citons Lamartine, Victor Hugo, George
Sand, ou Beethoven… Liszt, lui, s’engage dans la lutte des canuts dont il
reprend en exergue la devise : « vivre en travaillant, ou mourir en combat-
tant » dans sa pièce Lyon. Il dédicace d’ailleurs cette pièce à Lamennais
– qu’il a rencontré en 1833 – homme religieux qui bouscule l’ordre des
choses et la pensée de l’époque avec son ouvrage interdit par Rome : Les
Paroles d’un Croyant dans lequel il affirme des opinions mêlant la foi catho-
lique à des idéaux socialistes. L’abbé marquera d’ailleurs Liszt très profon-
dément. Nous y reviendrons dans notre chapitre consacré au Totentanz.
D’un point de vue musical, Liszt est très nettement influencé par le
folklore et utilise, par exemple, des airs populaires suisses dans quatre
pièces des Fleurs mélodiques des Alpes (n° 2, 3, 7, 9) ainsi que des mélo-
dies du compositeur suisse Ferdinand Huber, très à la mode à l’époque
(n° 5, 8). Ce même Huber sert de référence dans les paraphrases du troi-
sième cahier, en particulier dans les première et troisième pièces. Quant à
la seconde, elle s’appuie sur un thème « pseudo-folklorique » de l’éditeur
bâlois Knop.
Le traitement de tous ces thèmes révèle un grand effort d’imagination,
une exacerbation de la sensibilité ainsi que, paradoxalement, un grand sens
de la recomposition des atmosphères extérieures. La transcription est en
effet un exercice difficile, très prisé au xixe siècle. Elle se présente, soit sous
forme d’une transposition littérale d’un médium à un autre – comme les
Symphonies de Beethoven transcrites par Liszt – soit comme une re-compo-

1. Franz Liszt, extrait de la préface de l’Album d’un Voyageur.


Premier chapitre 47

sition à partir de thèmes ou motifs donnés, comme les paraphrases, fantai-


sies… ce qui est le cas ici. Généralement, les thèmes sont empruntés aux
opéras de l’époque, que les amateurs bourgeois se plaisent à retrouver chez
eux – ce qui entraîne souvent des œuvres d’une qualité médiocre – où au
concert, permettant à l’interprète de briller par sa virtuosité. Là encore, la
vacuité de certaines œuvres composées dans ce sens est manifeste, et Liszt
en a tout à fait conscience. D’ailleurs, il écrit à ce sujet dans sa « Lettre à
M. Adolphe Pictet » :
Les arrangements, ou pour mieux dire les dérangements usités, devenus
impossibles, ce titre reviendra de droit à l’infinité de caprices et de fantaisies de
tout genre et de toutes espèces, tant bien que mal cousus ensemble.1
L’opinion sévère de Liszt sur la production de ses contemporains
transcripteurs montre combien il est soucieux de penser la musique,
de lui donner un sens, même à la musique destinée à la consommation
courante.
La littérature, la nature, l’exacerbation de l’imagination dans le trai-
tement de thèmes folkloriques faisant appel à la virtuosité de l’interprète
sont autant d’éléments qui ressortent de l’Album d’un Voyageur et qui
offrent un exemple caractéristique de cycle romantique. Ce romantisme,
Liszt le conservera dans son Année de pèlerinage : Suisse et l’amplifiera dans
la Seconde Année de pèlerinage : Italie avec des références aux arts plasti-
ques… Mais le plus important reste le rapport qu’il tend à entretenir avec
son public : par le biais d’indications littéraires et de références musicales, il
lui donne des clés pour comprendre et apprécier davantage son œuvre.
– La troisième raison pour laquelle les compositeurs sont confrontés à
l’incompréhension du public résulte de leur absence d’implication dans la
société. En effet, depuis longtemps, ils ont négligé d’expliquer leur art, et
ont laissé sombrer la musique au rang de plaisir purement sensuel. Liszt
dénonce cette situation dans son article sur Robert Schumann :
Par sa mélodie et son rythme, elle [la musique] était le ravissement des
riches et des pauvres, sur les marchés et dans les salons ; aucun ne voulait en être
privé, pour embellir ses fêtes et ses cérémonies, et c’est pourquoi elle tombait au
rang de jeux purement divertissants, de passe-temps oiseux […] parce qu’ils [les

1. Franz Liszt, « Lettre à M. Adolphe Pictet », [Lettres d’un Bachelier ès Musique] Les
Pages romantiques, introduction et notes de Jean Chantavoine, p. 138.
48 PREMIÈRE PARTIE

esprits cultivés] ne perçoivent rien ici de la noblesse des idées et de la richesse en


images dont ils sont alimentés dans les arts plastiques.1
Les programmes deviennent donc un moyen pour éduquer le public et
faire accéder la musique au rang des arts nobles, à l’instar de la sculpture
ou de la poésie, révisant ainsi la célèbre hiérarchie des genres et des arts de
L’Art Poétique de Boileau.
Ces programmes, qui renvoient à l’idée ayant suscité une composition
musicale, sont l’une des causes du plus grand conflit musical esthétique
du xixe siècle.

B. Les fondements musicaux et esthétiques du conflit :


de Beethoven à la musique à programme
Comment écrire après Beethoven ? Cette question est fondamentale
pour comprendre les œuvres instrumentales du xixe siècle. En effet, le
grand maître viennois a repoussé tous les genres au bout de leurs limites : la
symphonie en reste peut-être l’exemple le plus emblématique par l’anéan-
tissement des canons classiques, en particulier la 9e. Ainsi, l’adjonction de
voix, l’amplification de la forme sont autant d’éléments qui placent cette
œuvre symphonique aux extrémités des possibilités du genre. Il en va de
même pour ses derniers quatuors à cordes ou encore ses dernières sonates
pour piano, dont la célèbre Hammerklavier op. 106. Rien d’étonnant
donc, à ce que les successeurs de Beethoven se sentent paralysés à l’idée de
composer des œuvres instrumentales après lui. Ils doivent alors chercher de
nouvelles voies. La « nouveauté », si caractéristique de l’esthétique beetho-
venienne, est en effet le maître mot dans le conflit qui oppose les partisans
de la musique pure et ceux de la musique à programme, dans la querelle
dite des « romantiques », au xixe siècle… même si chacun des deux clans
se réclame du maître viennois ! D’ailleurs Brahms ne prend-il pas comme
un compliment la qualification de sa première symphonie de « dixième
de Beethoven » ? Liszt ne s’est-il pas vanté, à l’instar du maître de Vienne,
d’écrire « pour les générations futures » ? Notons que Franz Brendel justifie
l’inclusion de Berlioz et de Liszt parmi les Nouveaux Germaniques, en

1. Franz Liszt, « Robert Schumann », Neue Zeitschrift für Musik, XLII, 1855, p. 192 cité
par Detlef Altenburg, « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt », p. 19.
Premier chapitre 49

arguant du fait que leur style de composition prend leur racine dans la
musique de Beethoven, et est donc essentiellement germanique.1
Les poèmes symphoniques, œuvres d’un genre nouveau, sont la solu-
tion lisztienne à la question : « comment écrire après Beethoven ». Alan
Walker y décèle trois modifications principales :
1. Il inventa la structure « cyclique », en coulant en un seul les mouvements
séparés de la sonate. En cela, Liszt ne faisait que poursuivre un procédé
embryonnaire chez Beethoven, dont certains mouvements de ses œuvres
– La Cinquième Symphonie, par exemple – ne sont pas seulement liés,
mais reflètent littéralement leurs contenus réciproques.
2. Il perfectionna la technique de la « transformation de thèmes », qui
permet de développer à partir d’une seule idée musicale les idées contras-
tées d’une œuvre.
3. Il pensa que le langage de la musique pouvait être fertilisé par les autres
arts, la poésie et la peinture en particulier. Il popularisa la notion de
« musique à programme » et amorça ainsi une controverse qui se pour-
suit encore de nos jours. 2
Cette dernière idée renvoie à la synthèse des arts, si présente dans les
écrits et dans la musique de Liszt. Nous reviendrons par la suite abondam-
ment sur ces questions et principalement sur ce dernier point, d’autant
qu’il constitue un élément de divergence important entre les partisans de
la musique « à programme » et les adeptes de la musique absolue.
Les questions débattues lors de la « querelle des romantiques » puisent
leurs origines dans le passé, mais la tournure virulente et passionnée que
prennent les débats est totalement neuve.
Liszt se proclame, avec ses partisans, « musicien de l’avenir ». Alan
Walker3 rappelle que l’origine de cette expression est due à la Princesse
Carolyne. En 1859, le terme de Neue Deutsche Schule [Nouvelle École
Allemande] lui est substitué. Il est dû à Franz Brendel qui, comme
Schumann dans le camp adverse, vante la supériorité germanique sur les
autres styles musicaux – français et surtout italiens – en vogue, à l’époque.

1. Voir à ce sujet l’article de Mary Sue Morrow, « Deconstructing Brendel’s « New


German » Liszt », Liszt and the Birth of Modern Europe, Music as a Mirror of Reli-
gious, Political, Cultural, and Aesthetic Transformations, Franz Liszt Studies Series n° 9,
p. 157-168.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 835, vol.1
3. Nous nous appuyons sur le chapitre « La querelle des romantiques » de son excellent
ouvrage : Alan Walker, ibid., p. 814-846, vol.1
50 PREMIÈRE PARTIE

Cette « Nouvelle École » revendique un art national nouveau. Aussi


les partisans de Liszt s’attaquent-ils aux adeptes de la musique absolue,
d’abord sous l’égide de Mendelssohn, avec Hanslick ou encore Schumann.
Les caractéristiques des « Nouveaux germaniques » en matière artistique
s’imposent : la musique doit s’appuyer sur un programme, réunion des arts
oblige ! Le contenu prime sur la forme. Ces novateurs, qui se proclament
révolutionnaires, se regroupent derrière Liszt, à Weimar. Leurs opposants
se rassemblent à Leipzig, et par la suite, écrivent parfois également dans la
Freie Presse de Vienne. L’arme la plus efficace de cette querelle est en effet la
critique musicale. D’ailleurs, Schumann fonde en 1834 la Neue Zeitschrift
für Musik avec laquelle il souhaite, en tant que « compagnon de David »,
combattre « les philistins ». Il l’abandonne en 1846. Brendel, porte-parole
de l’école de Weimar, en reprend la tête. Les articles sont de plus en plus
virulents contre les Leipzigois, donc contre Schumann lui-même ! Liszt se
brouille d’ailleurs avec lui, à cause d’une divergence d’opinions au sujet de
Mendelssohn, à qui il préfère Meyerbeer, à la grande fureur du compo-
siteur des Novelettes.1 Wagner2 prend également la plume pour attaquer
les conservateurs, en particulier Joseph Joachim, le félon qui abandonne
Liszt et les siens, pour retrouver le clan des Schumann. Joachim participe
d’ailleurs à la rédaction du Manifeste contre les « Nouveaux Allemands »,
publié en 1860. Brahms fait partie des signataires. Il faut préciser qu’il n’est
pas sensible à l’art de Liszt, dont il fait la connaissance en 1853, à Weimar.
Lorsqu’il écoute la Sonate en si mineur, Brahms… s’endort ! Résumé révé-
lateur d’une incompatibilité fondamentale entre les deux artistes… et plus
globalement entre leurs deux esthétiques.
Ces deux esthétiques s’opposent davantage encore en 1854, lorsqu’un
nouveau critique entre en scène : Eduard Hanslick. Cette année-là, il publie
Vom Musikalisch-Schönen, (traduit en Français : Du Beau dans la Musique)
réédité neuf fois, et traduit en cinq langues. L’auteur le met à jour à chaque
fois, en fonction de l’évolution du contexte musical. Dans cet ouvrage, il
fustige la nécessité d’un programme extérieur, en affirmant que la musique
n’exprime rien qu’elle-même. Le terme de Liszt, « poème symphonique »,

1. Voir à ce sujet Alan Walker, ibid., p. 817, vol.1


2. Précisons que Wagner écrit des articles très virulents et antisémites. L’exemple le plus
révélateur en ce sens reste « Le Judaïsme dans la musique », publié les 3 et 6 septembre
dans la Neue Zeitschrift. Il porte une ombre sur l’école de Weimar, qui, comme Liszt,
n’adhère pas toujours aux idées du futur maître de Bayreuth.
Premier chapitre 51

relève donc pour lui d’un oxymore, par une référence littéraire, donc signi-
fiante, d’un côté, et un terme musical, donc dénué de sens, de l’autre.
Hanslick va d’ailleurs jusqu’à reprocher à Schumann d’avoir cautionné
la synthèse des arts, en prétendant que seul le matériau diffère et que les
principes esthétiques sont les mêmes. Pour le critique, la musique ne peut
exprimer un quelconque sentiment… Le modèle auquel il se réfère est
Brahms. Pourtant, nous pouvons remarquer que le critique se rapproche
singulièrement de Liszt lorsqu’il définit l’importance du thème musical au
sein d’une œuvre :
Tout dérive de lui [le thème], tout reconnaît sa détermination ; il est
comme l’axiome se suffisant à lui-même, qui nous satisfait tout seul, mais que
notre esprit désire voir discuté et développé. Le compositeur traite son thème
principal à la manière d’un héros de roman, le faisant intervenir dans les situa-
tions les plus diverses et ne perdant pas de vue, quels que soient les contrastes
qu’il admet, que tout se rapporte à ce premier rôle et gravite dans son orbite.1
Nous pouvons tout à fait imaginer ici que Hanslick expose la technique
lisztienne de transformation thématique. La différence fondamentale entre
les deux hommes se situe donc dans le domaine des idées, dans l’esthétique
que chacun défend. Pour Hanslick, le thème est l’objet de départ, dont
tout découle, tandis que, pour Liszt, il découle lui-même d’une idée extra-
musicale. Mais le travail thématique reste éminemment important, dans
les deux cas. Notons que, dans la musique de Liszt, le travail à partir d’un
même matériau est poussé à l’extrême, ce que relève justement Dahlhaus :
On ne peut pas dire que le principe de la « dérivation contrastée », nom
qu’Arnold Schmitz a donné à la déduction de thèmes opposés à partir d’une
substance commune, soit étranger à la symphonie classique. Cependant, dans
les réalisations de la forme sonate chez Beethoven, ce principe est de nature
accidentelle, il ne fonde ni le sens ni la cohésion de la forme, mais apparaît
comme un facteur de liaison supplémentaire. Ce n’est que consécutivement à la
dissolution du développement, centre de la forme symphonique, que la « déri-
vation contrastée », est devenue formellement constitutive et essentielle en tant
que nouveau fondement du dualisme thématique.2
Les compositions lisztiennes s’imposent donc par leur travail sur la
thématique, comme une continuation aboutie des entreprises beethové-

1. Eduard Hanslick, Du Beau dans la Musique, p. 120.


2. Carl Dahlhaus, « La Faust Symphonie et la Crise de la forme symphonique », p. 12.
52 PREMIÈRE PARTIE

niennes précédentes, d’autant qu’il y a quatre ou cinq dérivations chez lui,


et non pas deux.
Parmi les défenseurs de Liszt, outre Franz Brendel, par le biais de la
Neue Zeitschrift für Musik et Bronsart, dans ses Musikalische Pflichten, il
faut citer Richard Pohl, dont l’analyse des œuvres lisztiennes est empreinte
de bon sens et de remarques judicieuses, même si certains éléments sont
parfois erronés.1 Pohl défend Liszt dans son article, « la musique moderne
à programme ». Alan Walker explique ses arguments :
Si la musique n’est que pur jeu de formes et de couleurs, arguait-il, alors le
moment viendra où elle pourra être entièrement fabriquée par une « machine
à composer », à l’aide de laquelle le premier enfant venu pourra composer
une marche ou une polka. Pohl enfonçait le clou en demandant si un enfant
pouvait créer des tableaux rien qu’en secouant un kaléidoscope. Par cette
simple analogie, il soulevait un véritable problème, en avance sur son temps.
Quelle différence y a-t-il entre un motif visuel créé par un kaléidoscope et un
autre imaginé par un Léonard ? Quelle différence y a-t-il entre une série de
notes créée par une machine à calculer et une autre imaginée par Mozart ? La
théorie de Hanslick était impuissante à élucider de tels mystères, auxquels son
livre était supposé s’attaquer.2
Le débat semble encore d’une cruelle actualité. De plus, Hanslick ne
laisse aucune place à l’inspiration, à tout ce qui fait les caractéristiques
d’une œuvre d’art. En cela, il s’oppose vraiment à l’esthétique romantique
de Liszt, et ne comprend pas le rôle de ses poèmes symphoniques.

II. Rôle de Liszt, de ses poèmes symphoniques


et des programmes, dans le conflit esthétique
du xixe siècle

A. Position de Liszt et de sa musique

Pour Liszt, les poèmes symphoniques semblent s’imposer comme


une solution à la question de savoir comment écrire après Beethoven ; il
exprime dans un article important consacré à « Berlioz et sa Symphonie

1. Voir ses écrits sur la Faust Symphonie ou encore sur le Totentanz. Nous reviendrons sur
ces exemples dans nos analyses.
2. Alan Walker, op. cit., p. 844, vol.1.
Premier chapitre 53

Harold » – qui parut en 1855 dans la Neue Zeitschrit für Musik – ainsi
que dans un texte sur Schumann, publié dans le même journal, les préten-
tions philosophiques et esthétiques avec lesquelles ses « poèmes sympho-
niques » sont présentés au public. Il y définit ses principes sur la musique
à programme : pour lui, elle est supérieure à la musique instrumentale
pure car elle prélude à un nouveau chapitre philosophique de l’histoire
de la musique, par la fusion de la musique avec une idée poétique, ce que
Beethoven avait, d’après lui, déjà pressenti. Son texte sur Schumann est, à
cet égard, également significatif. Altenburg précise :
L’objet de la démonstration dans ces écrits est avant tout la propre perspec-
tive lisztienne de l’esthétique et de l’histoire musicales, selon laquelle Berlioz et
Schumann sont interprétés comme des pionniers d’une musique du futur, plus
que le but artistique et les œuvres des compositeurs Berlioz et Schumann.1
Liszt répond aussi – comme Berlioz – aux exigences d’un public scru-
puleux, qui tient à comprendre ce qu’il écoute. Il choisit ses sujets dans les
épopées philosophiques ou modernes, comme Faust, Manfred de Byron
ou Obermann de Senancour… dans lesquelles il voit des sujets poétiques
et philosophiques. Il s’oppose ainsi à la conception de Hanslick2, pour
qui l’esthétique est purement musicale : l’esprit est forme, et la forme est
musique. La forme musicale est l’essence de la musique comme idée. Pour
lui, il n’y a donc pas lieu de séparer la forme du contenu.
Mais quel rôle joue le programme dans la compréhension du
contenu ?

B. Rôle des programmes et leur implication


dans la compréhension du contenu
Liszt pense que le programme du poème symphonique « n’a pas
d’autre but que de faire une allusion préalable aux mobiles psychologiques
qui ont poussé le compositeur à créer son œuvre et qu’il a cherché à incarner
en elle. »3 Dans une lettre à George Sand, il développe la raison d’être des
programmes et en justifie la nécessité :

1. Detlef Altenburg, « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt. », p. 10 [trad. par nos soins].
2. Voir à ce sujet : Édouard Hanslick, Du Beau dans la Musique.
3. Franz Liszt, Gesammelte Schriften, éd. Lina Ramann, p. 50, vol. IV [trad. par nos
soins].
54 PREMIÈRE PARTIE

Le musicien surtout qui s’inspire de la nature, mais sans la copier, exhale


en sons les plus intimes mystères de sa destinée. Il pense, il sent, il parle en
musique ; mais comme sa langue, plus arbitraire et moins définie que toutes
les autres, se plie à une multitude d’interprétations diverses, à peu près comme
ces beaux nuages dorés par le soleil couchant qui revêtent complaisamment
toutes les formes que leur assigne l’imagination du promeneur solitaire, il n’est
pas inutile, il n’est surtout pas ridicule, comme on se plaît à le répéter, que le
compositeur donne en quelques lignes l’esquisse psychique de son œuvre, qu’il
dise ce qu’il a voulu faire, et que, sans entrer dans des explications puériles,
dans de minutieux détails, il exprime l’idée fondamentale de sa composition.
Libre alors à la critique d’intervenir pour blâmer ou louer la manifestation
plus ou moins belle et heureuse de la pensée ; mais de cette façon, elle éviterait
une foule de traductions erronées, de conjectures hasardées, d’oiseuses para-
phrases d’une intention que le musicien n’a jamais eue, et de commentaires
interminables reposant sur le vide. – Il paraît peu de livres aujourd’hui qu’on
ne fasse précéder d’une longue préface, qui est, en quelque sorte, un second livre
sur le livre. Cette précaution, superflue à beaucoup d’égards, lorsqu’il s’agit
d’un livre écrit en langue vulgaire, n’est-elle pas d’absolue nécessité, non pas
à la vérité pour la musique instrumentale, telle qu’on la concevait jusqu’ici
(Beethoven et Weber exceptés), musique ordonnée carrément d’après un plan
symétrique, et que l’on peut, pour ainsi dire, mesurer par pieds cubes, mais
pour les compositions de l’école moderne, aspirant généralement à devenir l’ex-
pression d’une individualité tranchée ? N’est-il pas à regretter, par exemple,
que Beethoven, d’une si difficile compréhension, et sur les intentions duquel on
a tant de peine à tomber d’accord, n’ait pas sommairement indiqué la pensée
intime de plusieurs de ses grandes œuvres et les modifications principales de
cette pensée ?1
La raison d’être des programmes se situe donc dans l’essence même de
la musique, langage sans contenu sémantique. Liszt explique souvent la
différence entre la musique et les autres arts, comme dans sa lettre floren-
tine de 1838 sur le Persée de Benvenuto Cellini :
La musique est à la fois une science comme l’algèbre, et un langage psycho-
logique auquel les habitudes poétiques peuvent seules faire trouver un sens.
Or comme science et comme art, elle reste presque entièrement inaccessible

1. Franz Liszt, « II. À un poète voyageur, à monsieur George Sand, Paris, janvier 1837,
parution le 12 février 1836 (sic) dans la Gazette musicale » [« Lettres d’un Bachelier ès
Musique »] rééditée dans Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, p. 73.
Premier chapitre 55

à la foule. Les passions et les sentiments qu’elle doit rendre sont bien dans le
cœur de l’homme, mais non dans le cœur de tous les hommes, tandis que tout
homme se retrouve matériellement dans une statue. De là les malentendus
beaucoup plus fréquents entre le public et le musicien qu’entre le public et le
statuaire.1
Cette « forêt des symboles » qui compose le langage musical, pour
reprendre l’expression de Baudelaire dans ses Correspondances, doit être
déchiffrée. Contrairement aux autres arts, la musique ne repose pas,
d’après Liszt, sur un principe d’imitation. D’autres textes vont dans ce
sens comme celui de la préface de ses poèmes symphoniques2 :
Il est évident que les choses qui ne peuvent apparaître qu’objectivement à
la perception ne peuvent en aucune manière fournir des points de concordance
avec la musique ; le dernier des apprentis paysagistes pourrait, de quelques traits
de pastel, en donner une image beaucoup plus fidèle qu’un musicien disposant
de toutes les ressources du meilleur orchestre. Mais, si ces mêmes choses sont
transposées dans le domaine du rêve, de la contemplation, de l’élan émotionnel,
n’ont-elles pas une parenté avec la musique, et la musique ne devrait – elle pas
pouvoir les traduire dans son mystérieux langage ?3
Là encore, le « mystérieux langage » de la musique nécessite que l’audi-
teur requière des outils. Il doit éviter les contresens, ne pas se tromper dans
les intentions du compositeur, et donc dans la perception de son œuvre.
Aussi, les programmes explicatifs qui décrivent les principales motivations
de l’auteur sont nécessaires pour éviter tout débordement, comme nous
l’avons déjà vu. Parallèlement, le programme affirme l’ambition esthétique
de Liszt. Detlef Altenburg la résume :
Premièrement, la musique trouve son accomplissement dans la mise en
forme de propos poétiques ; deuxièmement, elle doit s’emparer des grands thèmes

1. Franz Liszt, « Lettre ix Le « Persée » de Benvenuto Cellini. Florence, 30 novembre 1838.


Parution le 13 janvier 1839 dans la Gazette musicale », rééditée dans Rémy Stricker, Franz
Liszt, artiste et société, p. 142.
2. Nous tenons ici à remercier le professeur Alan Walker d’avoir attiré notre attention
sur ce texte et pour les très enrichissantes conversations dans le cadre de la superbe
bibliothèque, au musée Liszt de Budapest.
3. Franz Liszt, « préface » de ses Poèmes symphoniques, éd. Breitkopf und Härtel, édition
complète, 1901-1936, cité par Alan Walker, op. cit. p. 837, vol. 1.
56 PREMIÈRE PARTIE

de la littérature universelle ; troisièmement, en procédant ainsi, elle s’avérera


esthétiquement égale, et même supérieure à la littérature.1

La place du contenu poétique de l’œuvre musicale reste entière, en


effet. De plus, ce contenu implique une réflexion sur ses liens avec la forme
et les sentiments dans la musique, ce qui est décrit de manière très précise
par Schiller, lorsqu’il tente de hisser le paysage au rang d’un symbole de
l’humanité :
Certes, les sentiments ne peuvent être représentés par leur contenu [Inhalt] ;
mais ils le sont par leur forme, et il existe un art aimé de tous et qui fait
grand effet sans avoir d’autre objet que cette forme de sentiment. Cet art est
la musique et, pour autant que la peinture ou la poésie de paysage agissent
musicalement, elles représentent le pouvoir des sentiments et, par conséquent,
imitent la nature humaine. […]
Désormais, tout l’effet de la musique (considérée comme l’un des beaux-arts
et pas seulement comme un art décoratif) est d’accompagner les mouvements
intérieurs de l’âme par des mouvements extérieurs analogues capables de les
rendre perceptibles.2
De formulation plaisante, ce court texte n’en reste pas moins très
proche des idées des philosophes du siècle des Lumières. En effet, la
musique doit imiter la nature profonde de l’homme. Cependant, la forme
diffère. Seul le contenu doit être identique. Le contenu est effectivement
LE vrai centre du problème au sein du conflit esthétique du xixe siècle.
Ainsi, pour Hanslick, la position de Liszt est indéfendable :
Il [Liszt] s’imagine que sa musique est capable de traficoter et de faire
jaillir les phénomènes les plus magnifiques du mythe et de l’histoire, les pensées
les plus profondes de l’esprit humain. Un musicien ne peut que trouver la
méthode risquée depuis le tout début, puisque la musique ne peut être qu’une
arrière-pensée. La première place est occupée par le matériau poétique ; la
musique est une sorte de notation marginale qui illustre intelligemment la
poésie. En supposant que la musique descriptive puisse se justifier un peu, il y a
encore une grande différence entre les sujets que l’on choisit dans ce but. Dans

1. Detlef Altenburg, « La notion lisztienne de poème symphonique dans son interpéné-
tration avec la conscience nationale à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle », La
Revue musicale, triple numéro 405-406-407, p. 289.
2. Friedrich Schiller, (œuvre non citée) par Charles Rosen, La génération romantique,
Chopin, Schumann, Liszt et leurs contemporains, p. 177-178.
Premier chapitre 57

Meeresstille und Glückliche Fahrt,1 dans le Songe d’une Nuit d’Été, dans
le programme de la Symphonie pastorale ou de morceaux identiques, tout le
monde comprendra la spontanéité de l’allusion musicale. Mais un Mazeppa
est absolument anti musical ; un Prometheus est si loin de toute référence
musicale que le simple fait d’associer de tels titres avec des symphonies, ne peut
que créer une impression de braggadocio.2 […]
Les « poèmes symphoniques » sont publiés avec des préfaces explicatives par
Liszt, rédigées avec une grandiloquence horriblement sentimentale, proche de
celle de Richard Wagner. […] Je laisse le lecteur musicalement éduqué décider
comment l’on peut encore parler de composition musicale, quand « les idées les
plus importantes » ne peuvent pas être traduites par des notes. Les chefs d’or-
chestre et interprètes devront donc être doués d’une perspicacité divine tout à
fait spéciale, et les auditeurs aussi.3
Il faut ici mentionner la difficulté d’un accord sur la définition du
contenu : contrairement à ce qu’affirme Hanslick, le contenu ne découle
pas d’une transposition littérale d’un programme dont il est inspiré. Ce
n’est pas un élément extra-musical en tant que tel. L’inspiration initiale est
en effet parfois sujette à caution dans sa perception : Schumann, dans un
de ses articles, n’a-t-il pas confondu les symphonies « italienne » et « écos-
saise » de Mendelssohn ?
Le contenu est donc un ingrédient du travail musical, comme l’a
démontré Dahlhaus en précisant que Faust est le sujet et non le contenu de
la Faust Symphonie. L’esthéticien germanique donne d’ailleurs des explica-
tions pertinentes sur ce délicat problème :
Et le sujet n’est pas un modèle à imiter mais plutôt une sorte de matériau
que le compositeur élabore. […] Ce n’est que de l’interaction du sujet et de
« formes évoluant en sons » que le contenu musical jaillit. […] La musique à
programme est bâtie sur l’interdépendance de ses composants.4
Les composants de la musique à programme dont il parle sont évidem-
ment les éléments constitutifs de la forme, et le contenu.

1. De Mendelssohn, une ouverture en ré majeur, op. 1, n° 27, fondée sur un poème de


Goethe. [note de Hanslick].
2. Les Créatures de Promethée de Beethoven était un ballet. [note de Hanslick].
3. Eduard Hanslick, « Liszt’s symphonic poems », [1857] Vienna’s golden Years of Music,
p. 46-48 [trad. par nos soins].
4. Carl Dahlhaus, « Program music », Esthetics of Music, p. 59 [trad. par nos soins].
58 PREMIÈRE PARTIE

C’est cette interaction des thèmes extra-musicaux et des données musi-


cales d’une œuvre qui nous permettra d’analyser les œuvres de Liszt pour
en tirer des conclusions esthétiques adéquates. Mais déceler le contenu à
l’aide d’outils traditionnels, en particulier une analyse formelle où forme
et structure sont souvent confondues, ne paraît pas une démarche sûre.
Certains musicologues se sont penchés sur la question et ont proposé des
solutions intéressantes. Il nous a paru approprié d’en donner ici les résul-
tats les plus probants à travers un exemple.

C. Un exemple d’application dans la Faust Symphonie :


le rapport entre la forme et le contenu
Faust, de Goethe, n’est pas le contenu de la Faust Symphonie, mais son
sujet – une matière poétique, travaillée musicalement […] Il est recommandé,
pour l’analyse de la Faust Symphonie et surtout du premier mouvement,
complexe, de séparer largement le discours inhérent à la musique, de la discus-
sion des aspects sémantiques ; car ce n’est pas la configuration des thèmes et
des motifs eux-mêmes qui montre comment Liszt a travaillé le sujet, mais en
premier lieu les relations formelles et harmoniques entre les motifs, les thèmes et
les passages plus importants, la disposition des parties formelles et le procédé de
Liszt concernant la formation des thèmes, qui donnent des renseignements sur la
question de savoir pourquoi cette symphonie s’appelle la Faust Symphonie.1
S’appuyant sur Dahlhaus, Dorothea Redepenning pose le problème
de l’analyse. Dans quelle mesure le programme doit-il intervenir dans la
compréhension du contenu ? Quelle place tient l’analyse musicale ?
La musicologue allemande remarque que la construction de la grande
forme chez Liszt résulte dans ce cas d’un compromis entre deux principes,
qui fait d’un côté intervenir le programme et de l’autre l’abstraction :
1. le développement psychologique et dramaturgique qui fait réfé-
rence à la donnée extra-musicale, c’est-à-dire au programme de l’œuvre.
Le déroulement musical s’appuie sur une technique de variation afin de
changer l’expression, la fonction et donc l’effet produit par le thème lors
de ses différents retours : c’est la transformation thématique.
2. le recours à la forme sonate traditionnelle impliquant une mémo-
risation de la part de l’auditeur qui réagit lors de la réexposition, dont

1. Dorothea Redepenning, Liszt, Faust-Symphonie, p. 24. [trad. par nos soins]


Premier chapitre 59

la signification psychologique est bien marquée : c’est la résolution des


tensions antérieures.
Mais si les musicologues mettent un point d’honneur à saisir les subti-
lités musicales d’une œuvre, tous ne tiennent pas compte du programme.
La première analyse qui prend en compte l’aspect goethéen de la
symphonie lisztienne est celle de Richard Pohl en 1883. Cependant, les
relations qu’il établit entre les deux œuvres ne s’appuient pas sur des sources
sûres. Aussi qualifie-t-il lui-même son approche d’hypothétique, et ajoute
qu’il « serait risqué de prendre position ».1 D’autres analyses ultérieures
vont dans ce sens.2 Inversement, Peter Raabe réfute le rapport possible
entre l’œuvre de Goethe et celle de Liszt. Pour lui, les mouvements de
la symphonie correspondent à « des représentations de Faust dans l’âme de
Liszt ».3 Cette vision des choses est critiquée et remise en cause par Floros,4
qui avance d’autres hypothèses concernant certaines interprétations de
lettres de Raabe, qu’il juge erronées. D’ailleurs, l’analyse sémantique de
Floros prend en compte les deux éléments cités ci-dessus, pour arriver à
des conclusions éclairantes sur la Faust Symphonie. En effet, il montre que
l’œuvre lisztienne est intimement liée à l’œuvre littéraire de Goethe – les
cinq thèmes de « Faust » se référant à cinq aspects du personnage – et que
la malédiction est l’idée de base dans le mouvement « Méphistophéles ».
Une autre musicologue s’attache au contenu des œuvres dans ses
analyses : Márta Grabócz. Dans un article,5 elle propose une analyse
comparative entre les œuvres pour piano lisztiennes, écrites entre 1834
et 1863, et les structures narratives des ouvrages les plus emblématiques
du xixe siècle, à savoir Obermann et Faust. Márta Grabócz résume « la
forme du contenu » de cette dernière œuvre en s’appuyant sur les analyses
littéraires de Lotholary et de Lukács. Ce dernier relève quatre états de
conscience dans le Faust de Goethe, qui correspondent à l’enchaînement

1. Richard Pohl, Franz Liszt, Studien und Erinnerungen, p. 283.


2. Constantin Floros « Die Faust-Symphonie von Franz Liszt. Eine semantische Analyse »,
Musik-Konzepte n° 12 « Liszt », p. 46.
3. Peter Raabe, Liszts Schaffen, 2e éd., p. 81 et suiv.
4. Constantin Floros, « Die Faust-Symphonie von Franz Liszt. Eine semantische Analyse »,
p. 47-48.
5. Márta Grabócz, « Structures narratives communes à la musique et à la littérature :
analyse intersémiotique des arts au xixe siècle » Musique et Style, vol. 3, « le Plan et le
Contenu », p. 77-86.
60 PREMIÈRE PARTIE

de quatre « stylèmes », de quatre éléments de la « forme du contenu », que


nous pouvons résumer de la manière suivante :
1. « Avec un profond sentiment de tristesse », « lamentoso », c’est-à-
dire, chant ou marche funèbre (interrogation macabre). En musique, le
contenu thématique relève d’un caractère parlant, récitant, questionnant.
2. « con amore », « dolcissimo », « con intimo sentimento », c’est-à-dire
chant intime de l’amour. Pour la musique : contenu thématique, à carac-
tère pastoral, amoroso.
3. « Recitativo », « tempestuoso », c’est-à-dire, scène agitée de tempête
ou de lutte, avec soi ou avec la société. Musicalement : contenu thématique
à caractère « orageux », héroïque, « combatif ».
4. « dolcissimo », « campanella », c’est-à-dire, élévation panthéiste ou
transcendance religieuse. Dans le domaine musical : contenu thématique à
caractère religieux, panthéiste, d’apothéose.
Ces quatre stades obligatoires d’un voyage, d’un pèlerinage faustiens,
mènent de la quête macabre à la réponse définitive, trouvée dans et par la
foi. Ces quatre stades se retrouvent dans le premier mouvement de la Faust
Symphonie.1 D’autres analyses approfondies pourraient mettre en évidence
leurs points de jonction avec ce mouvement symphonique, conçu comme
une forme sonate.
Rappelons que Márta Grabócz cherche le mode d’organisation de l’ex-
pression dans une forme musicale des œuvres pour piano de Liszt. Pour
ce faire, elle s’appuie sur les dénominations et les explications de Greimas.
Ce contenu dépend de la juxtaposition de plusieurs grandes sections que
Greimas et Márta Grabócz nomment « isotopies ». En suivant Greimas, la
musicologue les définit au sein d’une œuvre musicale :
Par isotopie sémantique musicale, nous entendons les catégories des signifiés
qui embrassent plusieurs classes-intonations, pour faire ressortir une catégorie
sémantique essentielle et reconnaissable dans plusieurs œuvres sous plusieurs
formes à l’aide des intonations et des sèmes divers.2
En d’autres termes, pour donner une signification à la forme de l’œuvre,
il faut s’appuyer sur les enchaînements des différentes parties :

1. Pour le détail analytique de ce mouvement, se reporter à : Laurence Le Diagon-


Jacquin, « La Faust Symphonie de Liszt, Analyses pour une analyse », Musurgia, vol. V,
n° 3/4, p. 15-36 et plus particulièrement au tableau synoptique du premier mouvement
p. 22-23.
2. Márta Grabócz, Morphologie des Pièces pour piano de Liszt. Influence du Programme sur
l’évolution des formes instrumentales, p. 121.
Premier chapitre 61

…dans la série des variations édifiées sur un complexe thématique, la


forme (la macrostructure) reçoit sa signification si l’on dénomme les juxtapo-
sitions des différents caractères concernant les séquences (les parties, complexes)
de la forme.1
Ici, Márta Grabócz accorde une attention toute particulière aux carac-
tères. Comme Floros dans son ouvrage sur Mahler2, elle étudie l’évolution
des thèmes et de leurs caractères pour en faire une typologie. D’ailleurs,
elle donne un exemple, en expliquant qu’elle a relevé, dans les pièces de
Liszt sans programme apparent et appartenant à la période de Weimar,
un archétype dans les enchaînements de caractères. Cet archétype corres-
pond à la structure signifiante de La Vallée d’Obermann, d’après le roman
de Senancour. La musicologue détermine ainsi quatre grandes isotopies
sémantiques renvoyant aux quatre présentations du même thème, isoto-
pies qui correspondent aux quatre éléments de « la forme du contenu »
présentés ci-dessus, issus de l’analyse du Faust goethéen.
Márta Grabócz conclut de ses démonstrations :
Cette fois aussi c’est la littérature qui sert d’intermédiaire pour transmettre,
à partir des années 1830, l’esprit du « temps moderne » dans la construction et
le contenu en musique.3
Cette méthode d’analyse correspond bien aux idées et aux aspirations
musicales de Liszt. Aussi y ferons-nous référence lorsque les outils tradi-
tionnels montreront leurs limites.4

Conclusion
D’emblée, nous constatons que les œuvres de musique à programme
prennent leur source indifféremment dans les arts visuels et dans la litté-
rature. Néanmoins, les discours des critiques et des musicologues ou les
explications des compositeurs eux-mêmes n’accordent pas toujours une

1. Márta Grabócz, « Renaissance de la forme énumérative sous l’influence du modèle


épique, dans les œuvres pour piano de Liszt ; facteurs de l’analyse structurale et séman-
tique », Studia Musicologica 26, Budapest, p. 214.
2. Constantin Floros, Gustav Mahler II, Mahler und die Symphonik des 19. Jahrhunderts
in neuer Deutung.
3. Márta Grabócz, « Renaissance de la forme énumérative sous l’influence du modèle
épique, dans les œuvres pour piano de Liszt ; facteurs de l’analyse structurale et séman-
tique », p. 200.
4. Voir en particulier notre dernière analyse de Von der Wiege bis zum Grabe.
62 PREMIÈRE PARTIE

grande importance à cette donnée initiale. Mais au xixe siècle, il semble que


les musiciens considèrent la source d’inspiration extra-musicale comme un
stimulus, nécessaire, voire indispensable, pour les uns – les partisans de la
musique à programme – et inutile, voire néfaste, pour les autres, défen-
seurs de la musique absolue.
Cependant, dans notre travail, le fait d’envisager une étude compara-
tive entre la musique et les arts visuels implique une approche différente de
celle induite par une comparaison entre la musique et un texte. Nous nous
interrogerons donc sur le matériau même de notre étude.
Nous tâcherons de mettre en évidence le contenu des œuvres inspirées
de modèles visuels ou littéraires. Aussi nous attacherons-nous à choisir
une méthodologie d’analyse comparée qui prenne en compte cet aspect
sémantique.
Avant de montrer comment Liszt aborde les œuvres d’art qui donnent
parfois l’impulsion à certaines de ses œuvres musicales, nous les présentons
afin de déterminer leur importance dans notre corpus d’étude. En effet,
les arts visuels inspirent directement certaines œuvres lisztiennes mais ne
sont qu’un prétexte pour d’autres, dont la source se trouve aussi dans la
littérature ou la musique…
Deuxième chapitre
Place de la musique de Liszt
au sein des œuvres inspirées d’art visuel

Introduction

Dans son étude sur les œuvres musicales inspirées par les arts visuels,
Monika Fink s’appuie sur 711 titres d’œuvres qui renvoient à l’art plas-
tique ou à des artistes plasticiens et ce, de 1839 à nos jours. Il apparaît
nettement qu’au xixe siècle, les compositions de ce type sont rares, tandis
que les deux tiers des compositions nommées ont vu le jour après 1950.
D’après Monika Fink : « Cet emploi renforcé de la musique vers une inspira-
tion visuelle constitua dans les années 60 une des réactions sur la surdétermi-
nation du sérialisme.1 »
De plus, les œuvres musicales inspirées d’un modèle littéraire possè-
dent une tradition remontant à l’Antiquité – se développant tant à l’âge
médiéval qu’à la période de la Renaissance – tandis qu’une composition
d’après des tableaux prend son point de départ seulement en 1839. Ainsi
Monika Fink nous apprend-elle que « Les premiers exemples d’incorpora-
tion de tableaux dans des œuvres musicales, comme Tombeau für Kaiser
Ferdinand IV de Heinrich Ignaz Biber ne peuvent être qualifiées de “compo-
sitions à partir de tableaux” […]. On ne peut pas plus parler d’une incita-
tion à la composition par l’art plastique de Rosenkranzsonaten de Biber2.

1. Monika Fink, Musik nach Bildern, Programmbezogenes Komponieren im 19. und 20.
Jahrhundert, p. 18. [Trad. par nos soins]
2. L’auteur n’explique pas pourquoi.
64 PREMIÈRE PARTIE

Le premier compositeur qui a rédigé des œuvres programmatiques musicales


d’après des images est Franz Liszt1. »
Mais quelles sont les caractéristiques des pièces musicales inspi-
rées d’œuvres d’art plastique ? Et quelle place y tient l’œuvre de Liszt ?
En répondant à ces questions, nous préciserons au fur et à mesure notre
corpus d’étude.

I. Généralités

A. Les sujets d’inspiration


Une comparaison entre le choix du sujet et celui de la réalisation de la
composition montre que ce choix est toujours en rapport avec l’accueil histo-
rique et social du public. Le goût de l’époque, la prédilection pour certaines
tendances artistiques, certains styles et certains thèmes ainsi que certains phéno-
mènes de mode, déterminent le choix des sujets […] de manière décisive […].
Le fait qu’au XIXe, les tableaux mis en musique traitent surtout de thèmes
religieux ou historiques, correspond aux attentes d’une société passionnée par
les sujets religieux et patriotiques à l’époque de la Restauration, époque de
l’historisme et de la conscience nationale.2

Il est aisé de remarquer que ces données se retrouvent dans les œuvres
lisztiennes composées à partir d’œuvres d’art visuel.
Liszt s’est effectivement inspiré assez souvent de sujets religieux. La
liste est révélatrice :
– Sposalizio, le mariage de la Vierge de Raphaël a été en effet sa première
œuvre composée à partir d’une peinture, en 1839 ;
– l’oratorio La Légende de Sainte Élisabeth, d’après la fresque de Moritz
von Schwind, qui s’appuie sur un livret d’Otto Roquette d’après le
texte de référence de Charles de Montalembert ;
– les Sept Sacrements, dont le titre renvoie à une œuvre picturale
d’Overbeck ;
– la « marche des Rois Mages » dans le Christus, d’après une pein-
ture de la Cathédrale de Cologne. Liszt s’inspire d’une œuvre d’art
visuel uniquement dans la dernière pièce de la première partie de

1. Monika Fink, op. cit., pp.15-16 [Trad. par nos soins]


2. Monika Fink, id., p. 21. [Trad. par nos soins]
Deuxième chapitre 65

son oratorio, et non pas dans l’œuvre intégrale. De plus, dans cette
section, il utilise le texte « Et ecce stella, quam viderant » de l’Évangile
selon Saint Matthieu, livre II, chapitre 9. En définitive, la source
visuelle n’est ici encore qu’un prétexte. Pour ces raisons, nous écar-
tons ce morceau de notre corpus d’étude ;
– Saint François de Paule marchant sur les Flots, d’après un dessin de
Steinle.
Les sujets historiques, mythologiques et mythiques font également
partie des inspirations de Liszt. Ainsi La Hunnenschlacht inspirée du tableau
de Kaulbach trouve-t-elle son fondement dans la victoire commune des
Wisigoths et des Romains sur les Huns en 451 après J.-C. dans les champs
catalauniques, à la suite d’une cruelle et terrible bataille. C’est son ami
architecte Leo von Kleuze qui fit part de cette histoire à Kaulbach :
Ainsi la bataille n’est-elle pas seulement disputée sur le sol. Le lieu de l’ac-
tion se trouve plutôt dans les hauteurs spéculatives des régions célestes. Leo
von Kleuze incita Kaulbach de manière décisive pour la mise en scène vision-
naire. Cet architecte, de formation classique, lui avait indiqué une légende
mentionnée par Damascius, selon laquelle les âmes des morts auraient encore
bataillé pendant trois jours et trois nuits dans les airs.1
Cependant, la bataille, qui, par définition, appartient à l’Histoire,
oppose deux camps aux convictions religieuses antagonistes. Nous montre-
rons que c’est précisément cette idée qui est à la base du discours musical.
– dans Orpheus d’après un vase du Louvre, dont nous devrons
préciser l’origine. Liszt retient de ce mythe le rôle rédempteur de la
musique ;
– la Faust Symphonie, dont Monika Fink et Walter Salmen2 attribuent
l’inspiration à trois portraits d’Ary Scheffer, se fonde sur le célèbre
mythe du héros goethéen. Elle allie également les thèmes de la reli-
gion et de la mort.
La mort est en effet également l’un des thèmes récurrents des œuvres
lisztiennes inspirées d’art visuel.
– le Totentanz, variations sur le Dies Irae, trouve son inspiration au
Campo Santo de Pise avec la fresque Le Triomphe de la Mort de
Buffalmacco que Liszt et ses contemporains attribuaient à Orcagna,

1. Catalogue d’exposition : Fontane und die bildende Kunst, p. 190.


2. Walter Salmen, « Franz Liszt und die bildende Kunst. Zu einigen programmatischen
Kompositionen », Vermittlungen : Kulturbewusstsein zwischen Tradition und Gegenwart.
66 PREMIÈRE PARTIE

ainsi que les gravures de Holbein. Il a été difficile d’en retrouver les
sources qui font l’objet d’un développement conséquent dans notre
partie consacrée à cette œuvre, dans le troisième chapitre. Nous les
posons donc ici comme postulat ;
– Il Pensieroso et La Notte d’après Michel-Ange renvoient aux tombeaux
des Medicis, donc à un sujet d’après la mort ;
– il faut également ajouter Von der Wiege bis zum Grabe, au titre
emblématique, d’après un dessin de Miháli Zichy.
Il est à remarquer qu’un nombre relativement modeste de sujets reli-
gieux a inspiré Liszt. Cependant, quel que soit son thème d’inspiration,
nous verrons qu’il en fait plus ou moins un sujet religieux.

B. Formation utilisée
À propos de la formation instrumentale utilisée généralement par les
compositeurs inspirés d’œuvres d’art visuel, Monika Fink tire des conclu-
sions intéressantes :
Dans une composition écrite d’après des œuvres d’art plastique, le grand
orchestre a naturellement eu la préférence des compositeurs, car il offre la plus
large palette d’expression. À la deuxième place se trouve le piano, utilisé de
manière privilégiée depuis sa naissance pour tout ce qui est descriptif, illus-
tratif, imitatif comme pour tout ce qui est poétique ; par son jeu différencié
et ses multiples possibilités de nuances qui vont du sublime à l’emphatique, il
représente un corps sonore adéquat pour une composition d’après des œuvres
imagées. Ainsi, jusqu’à la moitié de ce siècle, les compositions d’après tableaux
sont presque exclusivement écrites pour orchestre ou pour piano […] Dans les
dernières décennies se sont certes jointes de plus en plus différentes formations de
musique de chambre ou des formations solistes, toutefois, la préséance du piano
et de l’orchestre subsiste toujours.1
Les pièces de Liszt entrent quantitativement tout à fait dans les caté-
gories mises en évidence par Monika Fink. En effet, l’orchestre reste à la
première place (les deux symphonies Faust et Dante, les poèmes sympho-
niques : la Hunnenschlacht, Orpheus, Von der Wiege bis zum Grabe) tandis
que le piano vient tout de suite après (Sposalizio, Il Pensieroso, La Notte,
dont une version pour orchestre a été également transcrite par Liszt
lui-même).

1. Monika Fink, op. cit., p. 22.


Deuxième chapitre 67

Cependant, il faut ajouter deux œuvres singulières qui se distinguent


vraiment des autres à cause de la formation requise : le Totentanz, qui allie
l’orchestre et le piano en une œuvre impressionnante et enlevée ; la Légende
de Sainte Élisabeth, oratorio pour orchestre, chœurs et solistes.

C. Pays d’origine des œuvres visuelles


Monika Fink a étudié de près la localisation des sources d’inspiration
des compositeurs. Elle en tire la conclusion que :
L’examen des pays d’origine des compositeurs, à qui les images servent de
moyen vers l’ars inveniendi, montre une concentration sur certaines régions
culturelles dans lesquelles les conditions pour une composition d’après tableaux
sont remplies. Une conscience artistique, historique générale, l’intérêt ainsi que
la connaissance et la popularité des artistes plasticiens et de leurs mondes artis-
tiques sont à considérer comme de tels prémices.
La plupart des compositions imagées sont issues du domaine de l’aire
linguistique germanique ainsi qu’européenne et latine. En revanche, dans des
pays « pauvres en tableaux », comme dans certains états slaves – par exemple
la Pologne, la Bulgarie – ou dans le continent sud-américain, peu de tableaux
sont mis en musique.1
Une grande partie des œuvres qui ont inspiré Liszt provient des pays
de l’aire linguistique germanique (La Hunnenschlacht, de Kaulbach ; les
portraits des héros faustiens, d’Ary Scheffer ; la fresque de Sainte Élisabeth
de Moritz von Schwind ; la Danse macabre de Hans Holbein le Jeune ;
les Sept Sacrements d’Overbeck) et des autres pays européens. Cependant,
les œuvres italiennes retinrent plus particulièrement son attention :
Sposalizio de Raphaël, Il Pensieroso ainsi que La Notte de Michel-Ange, le
Trionfo della Morte de Bonamico Buffalmacco pour l’une des références
du Totentanz, Genelli pour son projet concernant la Dante Symphonie.
Ajoutons Orpheus. Cette pièce nécessite quelques précisions.
La source plastique d’inspiration du poème symphonique Orpheus
pose en effet un problème : elle tient une place à part dans les relations que
Liszt établit entre les œuvres d’art visuel et la musique. D’ailleurs, le vase
étrusque n’est qu’une réminiscence suscitée par la musique de Gluck lors
d’une répétition. L’identification de la source plastique a été, de ce fait,

1. Monika Fink, ibid., p. 17.


68 PREMIÈRE PARTIE

difficile : l’élément central pour la recherche se résume au court passage


rédigé par Liszt dans la Préface de son poème symphonique :
Nous eûmes un jour à diriger l’Orphée de Gluck. […] Nous avons revu
en pensée un vase étrusque de la collection du Louvre, représentant le premier
poète musicien, drapé d’une robe étoilée, le front ceint de la bandelette mysti-
quement royale, ses lèvres d’où s’exhalent des paroles et des chants divins
ouvertes et faisant énergiquement résonner les cordes de sa lyre de ses beaux
doigts, longs et effilés.1
De plus, Liszt précise :
Pendant les répétitions, il nous fut comme impossible de ne pas abstraire
notre imagination du point de vue, touchant et sublime dans sa simplicité,
dont ce grand maître a envisagé son sujet, pour nous reporter en pensée vers
cet Orphée, dont le nom plane si majestueusement et si harmonieusement
au-dessus des plus poétiques mythes de la Grèce.2
Le mot est lancé : imagination. Le fait de « revoir en pensée » l’œuvre
du Louvre et d’« abstraire son imagination » implique que les données de
Liszt sur le « vase étrusque » sont, sinon erronées, du moins imprécises.
D’ailleurs, les approximations présentes dans sa préface ont rendu l’iden-
tification de l’œuvre peinte longue et laborieuse. C’est Martine Denoyelle
qui, en 1994, émet une hypothèse vraiment convaincante, fondée sur
plusieurs arguments. Tout d’abord, le vase étrusque dont parle Liszt serait
en fait un vase attique « car on ne peut douter que ce vase “étrusque” ait été
en réalité attique, à figures rouges ou à figures noires. »3 Cependant, il n’existe
pas de représentations d’Orphée en train de chanter dans ce contexte. Liszt
a sans doute interprété la reproduction vue au musée. Ensuite, les préci-
sions de Liszt sur les attributs du « premier poète musicien » permettent une
approche plus positive dans l’identification du soi-disant « vase étrusque » :
la « robe étoilée », « le front ceint d’une bandelette mystiquement royale »,
donc d’une couronne. De même, la remarque de Liszt concernant « les
doigts longs et effilés ». Tous ces éléments ont amené Martine Denoyelle
à identifier ce personnage comme étant un « citharède en concert », du
peintre Andokidès :

1. Franz Liszt, extrait de la « préface » d’Orpheus.


2. Ibidem.
3. Martine Denoyelle, « Citharède à figures rouges », Musiques au Louvre, p. 30.
Deuxième chapitre 69

Illustration n° 1 : Détail du « Citharède en concert » d’Andokidès,


vers 525 av. J.-C. Dessin de Christian Fattelay

Enfin, il va de soi que Liszt a confondu la lyre et la cithare. Cela montre


qu’il ne s’attachait pas à des exactitudes historiques mais au concept essen-
tiel et implicite. Cette idée est, bien entendue, la sienne. En l’occurrence,
ici, la lyre symbolise la musique d’Orphée, et le citharède incarne Orphée
lui-même.
L’amphore signée par le potier Andokidès et attribuée au peintre
Andokidès fait partie de la collection Canino, trouvée à Vulci. Elle a été
acquise par le Louvre en 1843. Actuellement exposé dans la salle 43 de
la galerie Campana portant le numéro G1, le « citharède en concert »
d’Andokidès était visible à l’époque de Liszt dans « la salle du plafond de
Monsieur Picot » du musée Charles X jusqu’à la fin du xixe siècle. Martine
Denoyelle mentionne d’ailleurs que le décor était consacré aux arts de la
Grèce et de l’Égypte et qu’il comprenait une « représentation en grisaille
d’Orphée charmant les animaux. »1 L’amalgame entre Orphée et le citha-
rède dans la mémoire de Liszt exacerbée par le lyrisme d’une pièce aussi
riche d’un point de vue artistique s’explique donc. Ajoutons que sur la face

1. Martine Denoyelle, id., p. 30.


70 PREMIÈRE PARTIE

A de l’amphore d’Andokidès est représenté un « duel en présence d’Athéna


et d’Hermès » tandis que la face B met en scène le citharède. Combat
physique et combat musical sont ainsi mis en valeur. Rien d’étonnant à ce
que Liszt ne se soit arrêté que sur le second.
Le vase du Louvre intervient de manière anecdotique dans l’imagi-
naire lisztien. La source d’inspiration première reste en effet la musique
de Gluck. Aussi laisserons-nous cette pièce de côté dans notre corpus
d’étude, à l’exception de sa préface si éloquente, qui mérite un moment
d’attention.
Quant au dernier poème symphonique lisztien, il répond au cadeau du
Hongrois Mihály Zichy. Ce dernier lui avait dédié son dessin « Du Berceau
au Cercueil ». Aussi Liszt lui rendit-il la politesse dans son œuvre Von der
Wiege bis zum Grabe. C’est la seule œuvre d’un pays d’Europe centrale
dont Liszt se soit inspiré : au début de sa vie, le musicien est très attiré par
l’Italie, berceau des peintres et autres artistes par excellence, tandis que sur
la fin, il semble plus touché par le lien entre la religion et la patrie1.

II. Approche des œuvres d’art


Comme nous l’avons signalé, Liszt a beaucoup voyagé et visité un bon
nombre de pays, admiré de nombreux monuments. Il s’est montré sensible
aux reproductions de tableaux ou de dessins dont il n’avait pas la possibi-
lité de voir les originaux.

A. Les différentes visites


Les visites aux musées ou expositions restent les principales sources de
découvertes et d’appropriation directe des œuvres, par les compositeurs-
spectateurs :
Beaucoup de compositions dans lesquelles il y a une référence à l’art plas-
tique furent suscitées par des visites d’expositions ou de musées. Dans ces cas-là,
la situation du compositeur rend possible une fréquentation intime du tableau.
On peut citer comme exemples les œuvres de Moussorgski […], à la suite de
l’exposition commémorative d’Hartmann à Saint Petersbourg ; de Sender […]
à la suite de l’exposition Max Ernst à Venise ; de Buttkeuitz […], à la suite

1. Nous tenons à remercier Cornelia Szabó-Knotik d’avoir attiré notre attention sur
cet argument.
Deuxième chapitre 71

de l’exposition Kii Higashyama à Berlin ; de Krätzschmar […], à la suite des


visites de la galerie de peinture à Dresde ou de Heider […] à la suite de la visite
de l’Accademia à Venise.
Même des voyages et la visite de lieux artistiques occasionnèrent des
réflexions musicales, renvoyant aux œuvres d’art contemplées par les composi-
teurs. Ainsi, la Castelli Romani de Joseph Marx […] ou les Fresques de Piero
della Francesca de Bohuslav Martinu […] furent suscitées par des voyages
en Italie, la composition Rupestre de Suzanne Joly […] par un voyage au
Sahara.1
Il est évident que la découverte des richesses italiennes lors de ses
premiers voyages avec la Comtesse d’Agoult a été un facteur décisif dans
l’appréhension artistique de Liszt. En témoignent ces quelques lignes
adressées à M. Joseph d’Ortigue le 14 avril 1839 :
En arrivant à Bologne, je cours au musée ; je traversai sans m’arrêter
trois salles remplies de tableaux du Guide, du Guerchin, des Carrache, Du
Dominiquin, etc. […] Je connaissais les chefs-d’œuvre de l’école vénitienne ;
je venais de voir les Van Dyck de Gênes, les Corrège de Parme, et à Milan la
Madona del Velo, l’une des plus sublimes créations de Raphaël.2
D’ailleurs, la plupart des œuvres qui l’ont inspiré ont été admirées in
vivo, soit au musée, par exemple Orpheus, au Louvre, soit dans des sites
artistiques spécifiques, que ce soient les œuvres de Raphaël (Sposalizio à
l’Académie des Beaux-arts de Milan), Michel-Ange (Il Pensieroso et la Notte
à Rome quand Liszt a vu les tombeaux de Laurent et Julien de Medicis),
Orcagna [sic] et sa fresque le Triomphe de la Mort, située sur les murs du
cimetière du Campo Santo de Pise. Liszt a pu admirer l’œuvre monumen-
tale de Moritz von Schwind à la Wartburg, tandis qu’il a probablement
contemplé les portraits d’Ary Scheffer dans son atelier parisien.

B. Des reproductions comme point de départ


…pour un grand nombre de morceaux de musique à programme, les
compositeurs n’ont pas vu l’original des œuvres d’art plastique, mais seulement
des reproductions. Citons les mises en musique de Chagall par Eben, Yong

1. Monika Fink, op. cit., p. 18.


2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », [appar-
tenant aux « Lettres d’un Bachelier ès Musique »] Franz Liszt, Artiste et Société, Textes
réunis, présentés et annotés par Stricker, Rémy, p. 154.
72 PREMIÈRE PARTIE

et Mac Cabe […] ou les mises en musique de Klee par Faltus, Finke, Klebe,
Klusak et Morillo […]. Même si l’opinion de Gadamer, selon laquelle, dans
une reproduction, il ne subsiste « plus rien de l’événement unique qui carac-
térise son modèle »1, semble exagérée, il est tout de même indéniable qu’une
œuvre d’art essuie une perte d’aura par le procédé technique de reproduction
en tant que tel, perte qui se répercute sur l’œuvre musicale.2
Nous voudrions d’emblée apporter une restriction à la réflexion de
Monika Fink : s’il est indéniable qu’une œuvre perde de sa force, de son
« aura », de son émotion dans une reproduction, il n’est pas certain du
tout qu’une œuvre musicale composée à partir d’une copie d’œuvre d’art
plastique souffre d’un manque. En effet, si l’on se réfère à Liszt, nous nous
apercevons qu’il s’attache autant au concept, à l’idée d’une œuvre – en
témoignent les programmes de ses poèmes symphoniques – qu’à la réali-
sation plastique même3.
Pour Liszt, l’inspiration naît principalement d’œuvres admirées en
direct, et rarement de copies. Cependant, les gravures de Holbein nous
obligent à nuancer notre propos. Rappelons rapidement la genèse et l’évo-
lution de cette œuvre.
C’est à Lyon en 1538 que fut imprimée la Danse des Morts de Holbein.
L’un des titres d’origine était Les simulachres et historiees faces de la mort,
même si elle existe aussi sous l’appellation de « Danses des Morts ». Les
libraires Jean et François Frellon optèrent pour la publier tandis que
Melchior et Gaspar Trechsel se chargèrent de l’imprimer. Cet ouvrage était
dédié à Jehanne de Touszele, abbesse du cloître Saint-Pierre de Lyon.
Notons que le nom même de Holbein n’est pas mentionné dans cette
première édition.
Le succès commercial de cet ouvrage fut considérable, si bien qu’il y
en eut plusieurs rééditions. En effet, les quarante et une gravures sur bois,
exécutées d’après les dessins de Holbein le Jeune par Hans Lützelburger,
séduisirent d’emblée le public, d’autant qu’elles étaient accompagnées du
même nombre de quatrains de Gilles Corrozet. Aussi dix autres gravures de
Holbein furent-elles ajoutées dans l’édition suivante. Mais « Lützelburger
étant décédé en 1526, c’est un artiste moins habile qui tailla les dernières

1. Hans-Georg Gadamer, Die Aktualität des Schönen, p. 47.


2. Monika Fink, op. cit., p. 18.
3. Nous expliciterons cette idée à partir du chapitre consacré à « Liszt critique
d’art »…
Deuxième chapitre 73

planches.1 » Au sujet de la première édition, Oskar Bätschmann et Pascal


Griener écrivent :
La publication de la Danse des morts était vraisemblablement prévue
pour 1526 ou peu après, mais en fait, elle ne parut qu’en 1538, grâce aux
frères Frellon. Cette même année, ils publièrent également les illustrations
de Holbein pour l’Ancien Testament, les Historiarum veteris instrumenti
icones.2
Les œuvres de Holbein s’inscrivent dans l’évolution de la représenta-
tion de la mort depuis le xive siècle :
Ces figures macabres apparaissent d’abord dans les cimetières.3 Par leurs
dimensions (grandeur nature) elles sont impressionnantes autant qu’ef-
frayantes. Elles montrent, par ailleurs, que dans le cortège de la mort, les diffé-
rences sociales s’estompent. Cependant, dans les représentations du xive siècle,
la mort quitte l’espace sacré, désormais trop étroit, pour s’aventurer dans le
monde des vivants. Morts et vivants sont mis en scène en plein dialogue.4
Cette idée d’absence de différence dans le traitement des victimes de
la mort préoccupe les contemporains de Liszt. Aussi assistons-nous à une
recrudescence de l’engouement du public pour les gravures de Holbein.
De cette mode relancée, plusieurs rééditions voient le jour.
Par ailleurs, Helga de la Motte Haber explique que Liszt a décou-
vert le « tableau monumental le plus classique de Wilhelm von Kaulbach
Hunnenschlacht […] en 1855 par une reproduction. »5 Il le verra sans aucun
doute plus tard in vivo chez le peintre ou au musée de Berlin. D’ailleurs il
envisagera un grand projet sur l’Histoire du monde en musique, peinture
et poésie. Nous reviendrons sur ce point.
Dans l’ensemble, Liszt ne s’intéresse donc pas à un support particulier.
Il est vraisemblablement moins sensible à la « touche » d’un artiste, qu’aux
messages de ses œuvres. Aussi n’est-il aucunement réfractaire aux repro-
ductions de toutes sortes…

1. Stéphanie Buck, Hans Holbein, p. 44.


2. Oskar Bätschmann et Pascal Griener, Hans Holbein, p. 56.
3. L’auteur fait référence dans les deux paragraphes précédents à trois danses macabres
représentées : sur les murs du cimetière du grand cloître dominicain dans le grand Bâle ;
sur le chemin du couvent Klingenthal, dans le petit Bâle ; sur les murs de l’hôtel de
ville.
4. Jeanette Zwingenberger, Hans Holbein le Jeune, L’Ombre de la Mort, p. 122.
5. Helga de la Motte Haber, Musik und bildende Kunst, p. 82. [Trad. par nos soins]
74 PREMIÈRE PARTIE

C. Un cas à part : Raphaël et Michel-Ange


vus par le xixe siècle, et par Liszt en particulier

Raphaël et Michel-Ange. Deux noms qui font rêver et… surtout qui
font écrire au xixe siècle ! En France, Balzac était comme envoûté par le
premier, tout en reconnaissant l’importance historique du second. Ainsi
met-il en scène dans La Maison du Chat-qui-pelote, célèbre nouvelle, un
jeune homme, Théodore de Sommervieux, peintre de retour en France
après un séjour à Rome1, l’âme « nourrie de poésie, les yeux rassasiés de
Raphaël et de Michel-Ange ».2 Ici, le binôme résume à lui seul l’influence
de toute une culture italienne. Mais si Michel-Ange apparaît en poin-
tillés dans l’œuvre de Balzac, Raphaël en est le fer de lance. Comme Liszt,
l’écrivain se réfère à la Sainte Cécile ou encore au Mariage de la Vierge.
Rappelons que, dans Une Fille d’Ève, Balzac fait référence au premier
tableau pour montrer le regard extatique du vieux Schmucke au piano, si
heureux de retrouver son élève Marie de Vandenesse qui ne lui rend visite
que pour mieux abuser de sa confiance :
Déjà les mains de cet ange trottaient aux cieux à travers les toits, déjà le
plus délicieux de tous les chants fleurissait dans l’air et pénétrait l’âme ; mais la
comtesse ne laissa ce naïf interprète des choses célestes faire parler les bois et les
cordes, comme le fait la Sainte Cécile de Raphaël pour les anges qui l’écoutent,
que pendant le temps que mit l’écriture à sécher ; elle glissa les lettres de change
dans son manchon.3
Il est curieux de remarquer ici que Balzac voit dans le tableau de
Raphaël la sainte chanter, et les anges l’écouter. En regardant de plus près
la peinture, nous constatons que ce sont les anges qui chantent… et la
Sainte qui les écoute !4
Dans le Cousin Pons, le vieux musicien réapparaît : il joue à nouveau du
piano, cette fois au milieu de la nuit, afin de soulager son ami Pons :

1. Les voyages en Italie, si prisés à la Renaissance, font l’objet de maints écrits d’artistes au
XIXe. Le héros balzacien s’inscrit donc ici dans une tradition fort ancrée. Chateaubriand
ou Stendhal – pour ne citer que deux exemples parmi tant d’autres – relateront des
voyages ou autres chroniques italiens tandis que Liszt relatera en musique ses « pèleri-
nages » sur ces terres transalpines…
2. Cité par Françoise Pitt-Rivers, Balzac et l’Art, p. 16.
3. Honoré de Balzac, Une Fille d’Ève, cité par Françoise Pitt-Rivers, id., p. 64.
4. Nous renvoyons ici à l’analyse de ce tableau à travers la lettre de Liszt dans le troisième
chapitre de cette même partie et à la reproduction du tableau.
Deuxième chapitre 75

Il trouva des thèmes sublimes sur lesquels il broda des caprices exécutés
tantôt avec la douleur et la perfection raphaëlesques de Chopin, tantôt avec la
fougue et le grandiose dantesque de Liszt. […] Mais dans cette nuit Schmucke
fit entendre par avance à Pons les concerts du Paradis, cette délicieuse musique
qui fait tomber des mains de Sainte Cécile ses instruments, il fut à la fois
Beethoven et Paganini, le créateur et l’interprète […] il se surpassa, et plongea
le vieux musicien qui l’écoutait dans l’extase que Raphaël a peinte, et qu’on va
voir à Bologne.1
Si la référence au tableau de Raphaël ressort ici de manière beaucoup
plus explicite que dans Une Fille d’Ève, ce qui frappe le plus est la triple réfé-
rence : musicale (Chopin, Liszt, Beethoven, Paganini), littéraire (Dante) et
artistique (Raphaël) pour qualifier le jeu fascinant du pianiste. Il est tout
à fait remarquable que ces artistes cités par Balzac le soient également par
Liszt dans sa célèbre lettre à Hector Berlioz :
Le sentiment et la réflexion me pénétraient chaque jour davantage de
la relation cachée qui unit les œuvres du génie. Raphaël et Michel-Ange me
faisaient mieux comprendre Mozart et Beethoven. Jean de Pise, Fra Beato,
Francia m’expliquaient Allegri, Marcello, Palestrina ; Titien et Rossini m’ap-
paraissaient comme deux astres de rayons semblables.2
Une double affiliation esthétique sous-jacente regroupant différents
arts peut se résumer ainsi : délicatesse et grâce sont attribuées à Mozart,3
Raphaël, Chopin4 d’un côté, tandis que fougue et puissance caractéri-
sent les œuvres de Beethoven, Michel-Ange,5 Liszt, Dante, de l’autre. De
fait, il n’est pas étonnant de rapprocher le passage lisztien d’un extrait de
texte balzacien, ce que n’a pas manqué de faire Jean-Jacques Eigeldinger !6
Notons que Stendhal lui aussi rapproche Mozart et Raphaël :
Raphaël et Mozart ont cette ressemblance : chaque figure de Raphaël,
comme chaque air de Mozart, est à la fois dramatique et agréable. Le person-

1. Honoré de Balzac, Le Cousin Pons, cité par Françoise Pitt-Rivers, op. cit., p. 64.
2. Franz Liszt, « Lettres l’un Bachelier ès Musique », Pages Romantiques, publié par Jean
Chantavoine, p. 261-262.
3. Absent chez Balzac.
4. Absent chez Liszt.
5. Absent chez Balzac.
6. Jean-Jacques Eigeldinger, « Les Années de Pèlerinage de Liszt », Revue musicale de
Suisse romande, p. 159.
76 PREMIÈRE PARTIE

nage de Raphaël a tant de grâce et de beauté, qu’on trouve un vif plaisir à le


regarder en particulier, et cependant il sert admirablement au drame.1
Les caractéristiques esthétiques dépassent donc les siècles et les contrées
géographiques…
Balzac présente également Raphaël comme l’archétype du peintre :
Le groupe de Wincelas, dit-il à propos de la première sculpture du jeune
Polonais, était à ses œuvres à venir ce qu’est Le Mariage de la Vierge à l’œuvre
total de Raphaël, le premier pas du talent, fait dans une grâce inimitable, avec
l’entrain de l’enfance et son aimable plénitude, avec sa force cachée sous des
chairs roses et blanches trouées par des fossettes qui font comme des échos aux
rires de la mère. Le Prince Eugène a, dit-on, payé quatre cent mille francs ce
tableau qui vaudrait un million pour un pays privé de tableaux de Raphaël.2
Balzac témoigne ici de l’importance sociologique du mécénat. De
plus, pour lui, Raphaël est le peintre auquel il faut toujours se référer.
Winckelmann3 voyait déjà chez lui le modèle du peintre génial, tandis que
Goethe décrit en termes dithyrambiques une madone raphaëlesque dans
la deuxième partie de son Wilhelm Meister. Mais c’est surtout la généra-
tion romantique avec Schlegel, Tieck, Wackenroder qui, en Allemagne,
fit de Raphaël l’incarnation de la conception romantique de l’artiste, ce
qui fut largement repris en France. D’ailleurs, les reproductions et autres
copies des œuvres raphaëlesques montrent l’engouement pour cet artiste
à l’époque. Cornelia Knotik4, approfondissant une réflexion d’Adorno,
mentionne les dangers d’un tel engouement, dans le sens où les œuvres du
maître italien sont davantage perçues comme des archétypes au sein d’un
milieu bourgeois aussi peu connaisseur qu’amateur ; l’art raphaëlesque sert
finalement de signal social, tant sa diffusion sous forme vulgarisée dessert

1. Stendhal, cité par Dominique Fernandez, Le Musée idéal de Stendhal, p. 47. (La réfé-
rence exacte n’est pas donnée).
2. Honoré de Balzac, La Cousine Bette, cité par Françoise Pitt-Rivers, op. cit., p. 110.
3. Johann Joachim Winckelmann (1711-1768) connaît le succès dès son premier ouvrage
en allemand aussitôt traduit en français et en anglais, de 1755 : Réflexions sur l’imitation
des artistes grecs dans la peinture et la sculpture. Son ouvrage le plus célèbre date de 1764,
Histoire de l’Art de l’Antiquité. Il faut retenir de ses travaux une vue synchronique de
l’évolution des arts, tant à la Renaissance que dans l’Antiquité. Raphaël reste le point
de référence, la Madone Sixtine de Dresde ayant littéralement bouleversé l’historien de
l’art. Il décèle en effet quatre périodes pour la Renaissance : Avant Raphaël ; Raphaël ;
les Corrège et les Carrache.
4. Cornelia Knotik, « Sposalizio », Liszt, information, communication, European Liszt
Centre, p. 19.
Deuxième chapitre 77

une approche sensible et sérieuse. Aussi la musicologue autrichienne


pense-t-elle que Sposalizio1 de Liszt peut s’inscrire sous le signe d’une
tentative pour comprendre de nouveau une grande œuvre d’art, au moyen
de la musique. Liszt n’était pas, lui, un dilettante embourgeoisé, mais un
véritable esthète connaisseur et amateur…
Pour Liszt, les œuvres picturales et les sculptures de la Renaissance qu’il
découvre lors de son premier voyage en Italie avec Marie d’Agoult sont un
véritable catalyseur dans sa manière d’appréhender la relation entre les arts.
Deux tableaux de Raphaël en particulier, La Madonne d’Alba et la Sainte
Cécile vus à Bologne en 1838 lui suggèrent des réflexions capitales. Grâce à
la rencontre avec ces tableaux « … s’ouvrirent à lui de nouvelles perspectives
pour l’art dans son ensemble et le divin qui s’y cache »,2 comme l’écrit Walter
Salmen.
Il découvrit la représentation symbolique des forces fondamentales de
la musique dans la Sainte Cécile, tableau qui le fascina toute sa vie et au
sujet duquel, très enthousiaste, il s’épancha dans une longue lettre à Joseph
d’Ortigue3. L’art de la Renaissance italienne lui fit donc comprendre que
tous les arts ont une origine commune, comme il le mentionne dans sa
lettre à Hector Berlioz du 24 octobre 1839. Les artistes italiens (Raphaël,
Michel-Ange, Jean de Pise, Fra Beato, Francia et Titien) sont ici pris
comme les références en matière d’art pictural, comme des « génies » :
Le sentiment et la réflexion me pénétraient chaque jour davantage de la
relation cachée qui unit les œuvres du génie.4
Liszt se rattache donc à une tradition culturelle très en vogue à l’époque
romantique, comme nous l’avons vu avec le texte de Balzac. Le musicien
donne d’ailleurs une très belle définition de ce qu’il considère comme le
« génie » dans son cinglant « hommage » à Paganini :
[…] cet artiste [Paganini], porté en triomphe, […], parut étranger à son
propre génie ; car le génie, c’est la puissance de révéler Dieu à l’âme humaine, et
Paganini n’eut jamais d’autre dieu qu’une sombre et chagrine personnalité.
Que l’artiste de l’avenir renonce donc, et de tout cœur, à ce rôle égoïste et
vain dont Paganini fut nous le croyons, un dernier et illustre exemple ; qu’il

1. Nous présenterons les sources de cette œuvre lors de son analyse.


2. Walter Salmen, « Franz Liszt und die bildende Kunst, Zu einigen programmgebun-
denen Kompositionen » in Neue Zürcher Zeitung, 3/4. 11. 1984, p. 66.
3. Nous expliciterons de manière détaillée cette fameuse lettre pour mettre en relief les
éléments auxquels s’attache la perception de Liszt.
4. Franz Liszt, Lettres d’un Bachelier ès Musique, op. cit., p. 261-262.
78 PREMIÈRE PARTIE

place son but, non en lui, mais hors de lui ; que la virtuosité lui soit un moyen,
non une fin ; qu’il se souvienne toujours, qu’ainsi que noblesse, et plus que
noblesse sans doute :
GÉNIE OBLIGE.1
Si, dans l’Antiquité, le « génie » suppose une part de surnaturel – ou
plutôt de « sur-naturel » – le mot devient de plus en plus connoté au
xixe siècle ; le génie défie les lois, se dégage des règles :
Les romantiques affranchissent le sujet empirique de ses limites et lui accor-
dent le pouvoir de se donner à lui-même ses lois, indépendamment de la nature,
de la tradition, de la société. Pour Novalis, le génie est la condition naturelle
de l’homme et il se manifeste dès l’enfance. Ainsi est-il affranchi du principe de
raison, ce qui confirme l’assimilation commune entre génie et irrationalisme.2
Cependant, pour Liszt, le fait de forger de nouvelles règles n’im-
plique pas un laisser-aller personnel : le génie est le messager de Dieu qui
doit respecter l’humanité. C’est pour cette raison qu’il rejette l’attitude
égoïste de Paganini, dont il trouve le comportement indigne de son génie
artistique.
Par sa rencontre avec l’art de la Renaissance, Liszt exulte du fait que
« les peintres, les écrivains et les compositeurs sont des êtres qui ressentent de
la même manière, et peuvent idéalement se comprendre. »3 Monika Fink en
conclut :
La pièce de piano Sposalizio de 1839 constitue le premier fruit de cette
constatation d’une unité de l’art. Avec ce morceau de piano, auquel est lié
d’un point de vue programmatique le tableau de Raphaël du même nom, Liszt
se situe au début d’une suite de nombreux compositeurs qui considèrent l’art
plastique comme un moyen vers l’ars inveniendi.4
Liszt se rattache à l’esthétique romantique en vogue tant dans l’ap-
préhension des « génies » de la Renaissance que dans l’influence de leurs
œuvres d’art visuel dans ses programmes. Le fait qu’il insiste auprès de
son éditeur pour disposer une illustration sur sa page de couverture est
significatif :

1. Franz Liszt, « Sur Paganini à propos de sa mort. » (Paru le 23 août 1840 dans la Gazette
musicale), réédité par Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, p. 257-258.
2. Marie-Anne Lescourret, Introduction à l’Esthétique, p. 222.
3. Walter Salmen, « Programmusik nach Werken bildender Kunst » in Akten des 25.
Internationalen Kongress für Kunstgeschichte, p. 134, Band 2.
4. Monika Fink, op. cit., p. 17.
Deuxième chapitre 79

Vous voudrez bien encore une fois demander à M. Kretschmer s’il ne pour-
rait pas bientôt achever les dessins qui conviennent au titre, à savoir :
– pour le n° 1 – Sposalizio – une copie du célèbre tableau exposé à la
galerie de Milan.
(gravures sur cuivre et lithographies de ce tableau représentant le mariage
de Marie et de Joseph, qui existent par milliers).1
Il cite ensuite Il Pensieroso de Michel-Ange. L’illustration sert donc à
la compréhension de l’œuvre musicale, nécessitant de l’auditeur un retour
vers la source compositionnelle de Liszt. Françoise Pitt-Rivers décrit l’im-
portance des tableaux dans l’inspiration, en prenant l’exemple de Balzac :
Si les tableaux admirés par Balzac restent dans sa mémoire et viennent, au
moment de l’écriture, à l’appui de ses descriptions, ils peuvent avoir eu aussi
une influence plus déterminante encore dans le processus même de la création
littéraire comme sources d’inspiration, comme catalyseurs d’idées ou d’images
en suspens.2
Françoise Pitt-Rivers met ici en évidence qu’une œuvre visuelle peut
provoquer deux mécanismes d’inspiration complémentaires. Il est mani-
feste que, dans le cas de Liszt, le double processus est sensiblement le même
que celui décrit chez Balzac :
– la mémoire joue en effet un grand rôle lorsque l’artiste compose
et se réfère à une œuvre, momentanément, comme dans Les Sept
Sacrements ou encore Orpheus. L’intervention de l’image est ponc-
tuelle, dans un acte compositionnel en mouvement. C’est davantage
une allusion, une parenthèse, qu’une référence travaillée ;
– l’image intervient mais de manière plus « catalytique », plus
prégnante, et va jusqu’à provoquer une idée musicale, comme dans
Sposalizio, Il Pensieroso, la Hunnenschlacht, La Légende de Sainte
Élisabeth…
C’est d’ailleurs cette différence de processus dans l’inspiration du
compositeur, qui nous a conduite à éliminer certaines pièces de notre
corpus d’étude… En pastichant Françoise Pitt-Rivers, nous pourrions
écrire : « Si les tableaux admirés par Liszt restent dans sa mémoire et vien-
nent, au moment de l’écriture, à l’appui de ses descriptions, ils peuvent
avoir eu aussi une influence plus déterminante encore dans le processus

1. Franz Liszt, « Lettre à Schott du 8 décembre 1857, Weymar » citée par Cornelia


Knotik, « Sposalizio », op. cit., p. 19.
2. Françoise Pitt-Rivers, op. cit., p. 64.
80 PREMIÈRE PARTIE

même de la création musicale comme sources d’inspiration, comme cata-


lyseurs d’idées ou d’images sonores en suspens. » Nous tenons d’ailleurs
à préciser que notre étude ne pourra pas prendre davantage en compte le
rôle de l’inspiration, qui échappe par définition à toute analyse.
Si nous nous sommes référée surtout à Raphaël dans les écrits de
Liszt et de ses contemporains, c’est qu’il représente depuis Winkelmann
un archétype incontournable. Liszt s’inscrit dans cette tradition et le cite
abondamment, en respectant également l’autre référence absolue, c’est-à-
dire Michel-Ange, à l’instar de la célèbre lettre romaine à Berlioz de 1838.
De même, dans une lettre de Munich à Marie d’Agoult dont il regrette
l’absence, il décrit la ville qui l’entoure :
Le pays est à [sic] pauvre sans doute, mais il serait également sans peinture
ni statuaire – et de la sorte il a gagné au moins une importance durable –
Raphaël et Michel-Ange1 ont survécu à Rome même. Il en sera probablement
ainsi de Schnorr et de Schwanthaler.2
L’importance accordée aux deux artistes de la Renaissance est ici,
encore une fois manifeste. L’allusion à Michel-Ange est également récur-
rente dans les écrits de Liszt. D’ailleurs, s’il n’apprécie pas l’esthétique
baroque du Bernin, il s’enthousiasme pour le Moïse michelangelesque :
Pour Saint Pierre, j’y vais très rarement ; le Bernin l’a profané, l’a souillé
de ses innombrables travaux. Le tombeau de Canova3 est détestablement
médiocre, à l’exception des deux lions. C’est une réputation bien usurpée que
celle de Canova, par parenthèse. J’en dirai volontiers autant de Thorwaldsen4,
qui a aussi un tombeau de pape à Saint-Pierre. Tout cela est bien froid et bien
guindé.
En revanche, le Moïse de Michel-Ange m’a paru sublime (à San Pietro di
Vicolo). Les sculpteurs lui reprochent une quantité de choses, mais l’impression
qu’il produit est prodigieuse.5

1. C’est nous qui soulignons.


2. Franz Liszt, « Lettre du 22 octobre 1843 à Marie d’Agoult », Correspondance Franz
Liszt Marie d’Agoult, p. 1034
3. Canova Antoine (1757-1822) : sculpteur italien (voir note 2 de Pierre Antoine Huré
et Claude Knepper, p. 103).
4. Thorwaldsen Bertel (1779-1844) : sculpteur danois (voir note 3 de Pierre Antoine
Huré et Claude Knepper, p. 103).
5. Franz Liszt, « lettre à Lambert Massart, Rome, via della Purificazione, 80. 1er mars
1839), Franz Liszt, Correspondance, (choisie, présentée et annotée par Pierre Antoine
Huré et Antoine Knepper), p. 103.
Deuxième chapitre 81

La réflexion cinglante sur l’art du Bernin peut surprendre sous la


plume d’un artiste aussi extraverti que Liszt, tandis que l’enthousiasme dû
à la sculpture de Michel-Ange révèle tout le pouvoir exercé par cet artiste
sur le compositeur d’Il Pensieroso1 et de la Notte2, d’après deux statues

1. Nous avons consulté le manuscrit portant la cote Ms.16. Il est conservé aux archives
de Weimar : « Il Pensieroso » (1 + 4 pages) Nous y avons remarqué que la première page
est en fait une version manuscrite barrée par Liszt du passage thématique de la mesure
77 de Sposalizio, c’est-à-dire le retour du thème. Autrement, le manuscrit proprement
dit comprend 4 pages.
Le quatrain de Michel-Ange est écrit par Liszt lui-même au début de la musique. Il n’y
a pas de titre écrit.
Quelques mesures sont barrées, mais l’ensemble donne le manuscrit de manière impec-
cable.
2. Pour La Notte, nous avons consulté quatre sources :
1. Ms. I, U 10 « La Notte » dans les archives de Weimar. (4 pages) :
Au changement d’armure, Liszt a indiqué entre parenthèses : angelico.
– Au second changement d’armure, (mes.140) donc avant le retour de A, Liszt a
écrit au crayon p. 3 : quelque chose de difficilement lisible, peut-être 11 nov. 66,
puis (Sainte Elisabeth !)
– beaucoup d’indications reprises dans l’édition originale, des passages barrés égale-
ment.
2. Ms. I, U 9,1 « Trois Odes funèbres » dans les archives de Weimar. (12 pages)
– copie très propre sur trois portées vraisemblablement réalisée à partir des deux
autres éléments. Ajouts de Liszt.
– Pourtant, ici il y a la citation extraite de Virgile. Elle est ajoutée par Liszt lui-
même.
3. Ms. I, 13, 2 « La Notte » dans les archives de Weimar. (3 pages).
Cette partition est en fait composée d’une partie imprimée d’Il Pensieroso. Liszt a
barré la première mesure anacrousique et a collé sur le titre – donc devenu invisible
– une portée dans laquelle il a écrit les mesures introductives de La Notte : nous
pouvons d’ailleurs lire l’indication « 5 Anfange Takte » que Liszt a soulignée. Il y a
deux fois la même page corrigée. (p. 3 imprimée).
L’indication « funèbre » en bas à gauche, est soulignée. À droite de ce petit collage,
un écrit entre guillemets est souligné, mais rageusement barré. Il s’agit de « La
Notte ».
– mes. 18 (si l’on prend en considération les 5 mesures introductives) : une croix
au-dessus de la mesure.
– mes. 26 : une croix avec des points comme signe et la mesure est barrée. Liszt a
écrit au-dessus trois autres mesures qui aboutissement également sur le la point
d’orgue et sol. Il a indiqué à la main « rechte Hand tacet »
– À la fin de la mesure 35 : une croix.
– Mes. 36 : à la main, ajout rinforzando.
82 PREMIÈRE PARTIE

admirées dans la chapelle Médicis. Liszt aimait en effet s’attarder en ce lieu


afin d’admirer les chefs-d’œuvre de l’artiste italien :
Je demande à Sturler (Arpin [ne m’avait] point accompagné à cause de
St[urler] et Gay était parti pour Sienne) [de revoir] encore le Pensiero, « La
Chapelle n’est ouverte que de 10 [heures] à 3 heures nous répond le Concierge.1
Cette envie de contempler à nouveau le Pensiero témoigne de l’atti-
rance du musicien pour l’auteur du Jugement dernier…
Si la sensibilité de Liszt le porte plus naturellement vers Michel-
Ange que vers Raphaël qu’il admire néanmoins, elle s’inscrit ici dans un
courant historiciste, très en vogue dans les milieux de l’intelligentsia du
xixe siècle…

III. Des œuvres nées de relations entre artistes


Certains musiciens ont pratiqué une autre forme d’expression artis-
tique, comme l’explique Monika Fink :
On doit supposer un intérêt général pour l’art plastique chez tous les compo-
siteurs qui le considèrent comme une source d’inspiration. Ainsi s’explique que
quelques-uns des auteurs – par exemple Will Eisenmann – poursuivaient des
études d’histoire de l’art. Par conséquent, des compositeurs, qui essayent de
transposer musicalement l’art plastique, ont également eux-mêmes une activité
d’artistes plasticiens comme, par exemple, Frantisek Chaun, Michæl Deuhoff,
Wolfram Fürstenau, Hellmuth Christian Wolff ou Cesar Bresgen, Josef B.
Förster, Rudolf Halaczinsky et Tomas Vackar ; les quatre derniers compositeurs
cités ont d’ailleurs mis en musique leurs propres tableaux2.

– Mes. 38 : barrée. Croix au-dessus : à la fin de la portée, deux mesures manuscrites
ajoutées avec au-dessus, la croix de renvoi.
– mes. 50 : Tout est barré jusqu’à la fin. Liszt a indiqué « Weiter (souligné deux fois)
Vier Manuscript Tag : 4-5-6-7 »
4. Le manuscrit de 9 pages de 35,5 cm, portant la cote ML96.L.58 de la Library of
Congress, est une partition autographe à l’encre avec des ajouts et des corrections
au crayon gris et au crayon de couleur. C’est l’arrangement pour violon et piano.
Le quatrain de Michel-Ange est écrit de la main de Liszt, à la différence du titre
de la page.
1. Franz Liszt, « Lettre de Florence du 19 octobre 1839 à Marie d’Agoult », Correspon-
dance Franz Liszt Marie d’Agoult, p. 375.
2. Monika Fink, op. cit., p. 18.
Deuxième chapitre 83

Liszt a été toute sa vie très proche du milieu artistique, et des artistes en
général. Les nombreux portraits et croquis réalisés de sa propre personne1
peuvent en attester De plus, il avait vraiment ce qu’on pourrait appeler
« l’œil » du peintre. En témoignent ces quelques phrases adressées à
Monsieur Louis de Ronchaud :
De la maison où j’habite, j’entends la plainte mélancolique des ondes expi-
rant sur les cailloux, et je vois les derniers rayons du soleil couchant dorer la
montagne. Si vous saviez quelles teintes magiques il jette aux flots en les quit-
tant ! Tantôt vous les voyez d’un rose transparent, pareil à un beau rubis un
peu pâle, tantôt ardents et rougeâtres comme les sables du désert ; quelquefois le
pourpre, le violet, l’orangé se mêlent et se confondent, produisant une couleur
fantastique impossible à décrire.2
Dans un style littéraire raffiné et romantique, Liszt décrit bien les
rapports synesthésiques entre l’ouïe (« j’entends ») et la vue (« je vois »).
Sa description colorée et pittoresque pourrait, elle-même, inspirer un
peintre…
Cependant, malgré son intérêt pour les arts visuels, il ne les a jamais
pratiqués lui-même. De ses rapports avec les artistes, en revanche, il a
composé des œuvres marquantes. Ce n’est pas un phénomène rare. Monika
Fink remarque en effet :
Beaucoup de compositions dont les titres renvoient à des œuvres d’art plas-
tique prennent leur source dans les relations personnelles entre des compositeurs
et des artistes plasticiens qui peuvent se répercuter non seulement dans la simple
dédicace de morceaux musicaux, mais aussi dans une collaboration artistique
avec l’influence sur la pensée de composition ainsi que dans la mise en musique
d’œuvres d’art visuel.3
Comme nous l’avons souligné, Liszt a beaucoup fréquenté les milieux
littéraires et artistiques. Par exemple, il rencontre Kaulbach, peintre de la
Hunnenschacht, qui l’inspirera dans un poème symphonique. Citons égale-
ment, parmi une multitude d’exemples possibles, ses rapports privilégiés
avec Ingres, que Liszt estimait autant pour ses talents de violoniste que
pour le « génie » de son graphisme. Voici un épisode amusant qu’il relate
dans une lettre de San Rossore du 2 octobre 1839 à Hector Berlioz :

1. Ce lien entre Liszt et les artistes nécessiterait une grande étude approfondie.
2. Franz Liszt, « lettre v. À M. Louis de Ronchaud », Extrait de Franz Liszt, Artiste et
société, Rémy Stricker (éd.), p. 102.
3. Monika Fink, op. cit., p. 19.
84 PREMIÈRE PARTIE

M. Ingres m’admit à Rome dans une intimité dont le souvenir me rend


encore fier. Je trouvai en lui ce que la voix publique m’avait annoncé, et plus
encore […]. Ce grand artiste, pour lequel l’Antiquité n’a pas de secret, et
qu’Apelle1 eût nommé son frère, est excellent musicien comme il est peintre
incomparable. Mozart, Haydn, Beethoven lui parlent la même langue que
Phidias et que Raphaël. Il s’empare du beau partout où il le rencontre, et
son culte passionné semble grandir encore le génie auquel il s’adresse. Un
jour que je n’oublierai pas, nous visitâmes ensemble les salles du Vatican ;
nous traversâmes ces longues galeries ou l’Étrurie, la Grèce, la Rome antique
et l’Italie chrétienne sont représentées par d’innombrables monuments. Nous
passions avec respect devant ces marbres jaunis et ces peintures à demi effacées.
Il marchait en parlant ; nous l’écoutions comme des disciples avides. Sa parole
de flamme donnait une nouvelle vie à tous ces chefs-d’œuvre ; son éloquence
nous transportait dans les siècles passés ; la ligne et la couleur s’animaient sous
nos yeux ; la forme altérée par le temps et par la main des profanateurs renais-
sait dans sa pureté première et se montrait à nous dans sa jeune beauté. Tout
un mystère de poésie s’accomplissait ; c’était le génie moderne évoquant le génie
antique. Puis, le soir, lorsque nous rentrâmes, après nous être assis sous les
chênes verts de la villa Médicis, après avoir causé longtemps cœur à cœur de
toutes ces grandes merveilles, je l’entraînai à mon tour vers le piano ouvert, et
lui faisant doucement violence : « Allons maître, lui dis-je, n’oublions pas notre
chère musique ; le violon vous attend ; la sonate en la mineur2 s’ennuie sur le
pupitre, commençons ».
Oh, si tu l’avais entendu alors ! Avec quelle religieuse fidélité, il rendait la
musique de Beethoven ! Avec quelle fermeté pleine de chaleur il maniait l’ar-
chet ! Quelle pureté de style ! Quelle vérité dans le sentiment ! Malgré le respect
qu’il m’inspire, je ne pus me défendre de me jeter à son cou, et je fus heureux en
sentant qu’il me pressait contre sa poitrine avec une paternelle tendresse.3
Voilà qui nuance la véracité de l’expression « violon d’Ingres » : le
peintre est moins « amateur » que connaisseur ! Mais curieusement, Liszt
ne compose rien d’après les œuvres de cet artiste qu’il estime tant. En

1. « Peintre grec du ive siècle avant Jésus-Christ, le plus célèbre de l’Antiquité ; tout son
œuvre est perdu » [note 8 de Stricker, op. cit., p. 402].
2. « Sonate en la mineur pour violon et piano op. 23 de Beethoven » [note 9 de Stricker,
ibid., p. 402].
3. Franz Liszt, « Lettre xiii a M. Hector Berlioz San Rossore, 2 octobre 1839 Paru-
tion le 24 octobre 1839 dans la Gazette musicale », rééditée dans Rémy Stricker, ibid.,
p. 187-188.
Deuxième chapitre 85

revanche, il répond musicalement au cadeau d’un autre artiste, phéno-


mène relativement fréquent dans les œuvres musicales fondées sur des
modèles visuels :
De même, occasionnellement, un tableau dont fait cadeau un artiste plas-
ticien à un compositeur, engage celui-ci à un remerciement sous forme d’une
œuvre musicale se rapportant à l’œuvre d’art ou à l’artiste plasticien. Ainsi, par
exemple, le poème symphonique Von der Wiege bis zum Grabe (Du berceau
à la tombe) de Franz Liszt […] prend ses racines dans un dessin à la plume
que lui a offert le peintre ; le morceau de piano Variations de Kokoschka,
[…], naquit grâce à un portrait de Kokoschka, cadeau destiné à Apostel.1
L’artiste qui a offert le dessin à la plume Du Berceau au Cercueil, est
Mihaly Zichy. Mais qui est cet artiste ? Quelles relations entretient-il avec
Liszt ?

A. Zichy et Liszt
Mihaly Zichy2 (1827-1906) est né dans le village de Zala, dans le
département du Somogy-Extérieur. Sa famille possède un domaine et un
château transformés en musée commémoratif dès 1930. Il est l’élève de
Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865). Puis il enseigne à l’Académie
de Vienne, jusqu’à ce qu’il se heurte à l’académisme de l’institution. Son
attitude lui coûte son poste.
Au même titre que Gyula Benczur, Karoly Lotz et Mihaly Munkacsy,
Zichy se classe parmi les peintres romantiques les plus importants du
xixe siècle de la période qui suivit le Compromis austro-hongrois de 1867.
D’ailleurs, il est connu et reconnu de son vivant, peut-être davantage
en tant que dessinateur qu’en tant que peintre. Il effectue une série d’il-
lustrations pour des œuvres littéraires, par exemple pour La Tragédie de
l’Homme d’Imre Madach et pour les Ballades de Janos Arany. Ces œuvres
littéraires ont été plusieurs fois rééditées – et le sont encore – avec ses
dessins 3. Paradoxalement, de nos jours, Zichy est accusé par plusieurs
auteurs de s’être enlisé dans un académisme de plus en plus stérilisant.
Il est en effet comparé au jeune peintre de plein air Pal Szinyei Merse,

1. Monika Fink, op. cit., p. 19.


2. Prononcer : Mihaï Zitchi. Nous tenons à remercier Adrienne Kaczmarczyk pour les
renseignements qui vont suivre.
3. Il existe une réédition récente des œuvres de Madach.
86 PREMIÈRE PARTIE

longtemps dédaigné au contraire par ses contemporains. Par ailleurs, on


reconnaît la force de sa création, la puissance dramatique de ses images, en
particulier dans sa peinture de 1847 intitulée Le Canot de sauvetage1. Anna
Dercsényi Dezsö-Zador écrit à ce propos :
Le tableau Le Canot de sauvetage représente l’évolution, empreinte d’une
tension et d’une expression dramatiques nouvelles du tableau de genre de l’école
viennoise. Comme l’a signalé Elek Petrovics, il pousse un hurlement d’effroi
dans l’atmosphère disciplinée de la peinture de l’ère des Réformes.2
Il fit un séjour en Russie qui eut une grande influence sur l’évolution
de sa production. À la fin, il rompt ses relations avec l’école viennoise et
développe son propre langage artistique.
En devenant professeur de dessin et chroniqueur du tsar, il s’initie aux
paysages russes et à de nouveaux modes de vie. Il appréhende ainsi diffé-
rents modèles d’inspiration, des splendides richesses au dénuement le plus
absolu. De ce fait, il s’éloigne du monde capitaliste naissant et sa peinture
s’imprègne d’éléments de critique sociale. Sa technique impressionnante,
son sens de la caractérisation des mouvements et des expressions dans ses
dessins représentent l’une des facettes les plus réussies des productions de
l’époque.
Il quitte ensuite la Russie pour s’établir à Paris. Là, il approfondit ses
idées et sa réflexion. De son attitude un peu utopiste et prophétique nais-
sent des compositions puissantes, bien que d’exécution académique : il
représente les ennemis de la liberté et de la paix, les tyrans du monde et
de l’Église sous des traits disgracieux. Son œuvre intitulée Le Génie de la
destruction manifeste sans conteste une audace conceptuelle certaine, mais
la charge littéraire est exagérée. Même la réalisation habile de l’artiste ne
parvient pas à donner à ce tableau tout le crédit escompté. Aucune œuvre
de ce type ne lui apportera le succès. Aussi retourne-t-il de plus en plus à
l’art du dessin et produit-il des illustrations jugées magistrales encore de
nos jours. Il dessine énormément pour illustrer beaucoup de chefs-d’œuvre
d’Arany, de Madach, de Goethe et de la littérature mondiale. L’aspect
fortement intellectualisé de ses illustrations a réussi à faire imposer ses

1. Il est d’ailleurs impossible de voir d’autres tableaux de lui dans les livres hongrois
traitant du xixe siècle !
2. Anna Dercsényi Dezsö-Zador, chapitre xi : « L’Art de la seconde moitié du xixe siècle
(1848-1896) », extrait de la Petite histoire de l’art hongroise, p. 340 (traduction de Sophie
Kepès, à notre demande).
Deuxième chapitre 87

œuvres plus aisément. Cependant, il faut ajouter qu’il a également réalisé


une série de dessins érotiques, publiés après sa mort en 1911 qui tranche
avec l’aspect sérieux du reste de son œuvre.1
Même si l’art de Zichy est l’une des expressions romantiques les plus
intéressantes, les plus proches de l’éclosion des courants occidentaux et de
la pensée progressiste, il n’exerça pas d’influence fondamentale sur l’art de
son époque du fait de son isolement.
Pourtant, Liszt a connu et apprécié Zichy : leur nationalité hongroise
commune les rapproche, de même que la connaissance de Géza Zichy,
cousin du peintre et ami intime du musicien.

B. Kaulbach et Liszt
Avant d’étudier les rapports entre Liszt et Kaulbach, il convient de
retracer brièvement la carrière du peintre, qui n’est, aujourd’hui, plus très
connu.
Kaulbach est né à Arolsen en 1805. Il reçoit l’enseignement de
Cornelius dès 1822 à l’Académie de Dusseldorf, puis, à partir de 1826,
à celle de Munich. Il entreprend un voyage en Italie en 1835. En 1849,
il est nommé peintre de la cour du roi de Bavière et directeur de l’Aca-
démie de Munich. À cette époque, il peint des fresques pour l’escalier du
Musée de Berlin – comme la Tour de Babel ou encore la Fleur de la Grèce
– qui furent détruites pendant la seconde guerre mondiale. En 1850, il
réalise des œuvres pour la Neue Pinakothek de Munich autour du thème :
« L’essor des Arts sous le règne de Louis Ier ».
De son vivant, il atteint la célébrité de son maître Cornelius.
Aujourd’hui, il reste surtout connu pour ses illustrations, comme celles du
Reinicke Fuchs de Goethe. Il meurt à Munich en 1874.
Liszt et Kaulbach se connaissaient personnellement depuis 1843, donc
à l’époque où Liszt donnait des concerts. C’est après l’un d’eux que le
peintre entreprit de faire sa connaissance, en octobre. Dans une lettre à
Agnès Street-Klindworth datée du dimanche 15 juillet 1855, Liszt souligne
les rapports amicaux qu’il entretient avec lui :
Heureusement en ce dernier temps la curiosité et l’intérêt passionné que la
Princesse prend aux œuvres d’art (Peinture, Sculpture, Architecture) s’est assez
réveillé chez elle, et comme elle n’a pas été à Berlin depuis une vingtaine d’an-

1. Voir : The erotic drawings of Mihaly Zichy, Forty Drawings.


88 PREMIÈRE PARTIE

nées, elle trouvera aisément moyen d’employer son temps d’une manière agréable
et instructive en ce sens. J’espère qu’elle y trouvera Kaulbach avec lequel je
suis assez lié d’autrefois,1 Rauch et peut-être même M. de Humboldt…2
La Princesse rentrera effectivement en contact avec le peintre comme
en atteste la lettre de Liszt à Agnès Street-Klindworth du 21 juillet 1855 :
La Psse se plaît beaucoup à Berlin où elle a pris d’excellentes relations avec
plusieurs notabilités et illustrations contemporaines, Olfers, Kaulbach, Marx,
Varnhagen et M. de Humboldt qu’elle voit fréquemment. Autrefois, j’étais
assez lié à Kaulbach dont l’esprit et la manière d’être me plaisent beaucoup.
D’après ce que la Psse m’écrit, il viendra passer quelques semaines à Weymar et
y fera le portrait de la Psse Marie dans le courant de cet été. Je serai très charmé
de la revoir et suis persuadé que nous nous entendrons et nous irons à merveille.
Sa veine de causticité et d’ironie tient à sa supériorité même ; par cela elle a
quelque chose de généreux (comme on dit « un vin généreux ») et d’élevé qu’il
est aisé de distinguer de la médisance et de la moquerie ordinaires, herbes para-
sites qui poussent sur le sol de l’envie et des passions mesquines. Je ne connais
de lui que quelques cartons ; mais la Princesse m’écrit qu’en cela comme en
d’autres choses il se tranche très avantageusement des autres peintres allemands,
que ses fresques sont supérieures à ses cartons tandis que chez la plupart de ses
collègues, c’est l’inverse, comme on l’a justement remarqué.3
Par ailleurs, entre la fin de novembre et la mi-décembre 1856, le peintre
fit un portrait du compositeur.
L’idée d’un poème symphonique d’après la Hunnenschlacht de
Kaulbach naît en 1855, comme le montre la lettre du 24 juillet de cette
même année, du compositeur à Carolyne Wittgenstein :
Saluez tendrement notre Magnolet, de ma part. Je suis ravi que Kaulbach
veuille faire son portrait, et lui ferai une Hunnenschlacht en échange, qui
ne sera pas non plus piquée des vers ! Il y aura naturellement un long effet de
pianissimo à employer, et par lequel il faudra terminer – pour laisser l’audi-
teur fixé sur le combat dans les airs, comme terrifié et ébloui par ces ombres
insatiables de combat ! – Et moi aussi je me sens parfois Hun, jusqu’à la moelle

1. C’est nous qui soulignons.


2. Lettre de Liszt citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper in Franz Liszt,
Correspondance, p. 315.
3. Franz Liszt, « lettre xxiii de Liszt à Agnès Street-Klindworth » Franz Liszt and Agnes
Street-Klindworth, a Correspondence, 1854-1886, p. 313.
Deuxième chapitre 89

des os. Quand mes os seront brisés, et réduits en poussière ou pourriture, mon
esprit respirera le combat, la vaillance et – votre amour !1
Tout le programme est déjà en germe ici ! Cette idée revient dans l’une
des lettres adressées à Agnès Street-Klindworth, datée du 15 août 1855 :
La Psse est revenue fort satisfaite de ses explorations artistiques de Berlin
– elle a rapporté entre autres une belle Esquisse de la Hunnenschlacht de
Kaulbach – et je suis fort tenté de faire une composition musicale d’après cette
esquisse. Il s’entend que ce ne sera pas un Solo de Guitarre [sic] et qu’il s’agira
de mettre une bonne portion de cuivres en mouvement. Mais pour le moment,
il faut que je termine d’abord mon Psaume…2
Il parle à nouveau de son projet un mois plus tard, le 11 septembre 1855,
toujours à Agnès Street-Klindworth :
Kaulbach devant venir ici en Octobre, je tiens à ne pas tarder avec ma
« Hunnen Schlacht » (qui fera suite à mes poèmes symphoniques et une sorte de
pendant au Mazeppa) – de sorte que le Dante sera ma besogne d’hiver3.
Liszt prévoit de terminer sa Hunnenschlacht vers la mi-février de l’année
1857.4 Le 1er mai de la même année, il adresse une copie d’un arrangement
pour deux pianos de ce poème symphonique à l’épouse du peintre, en lui
joignant une lettre explicative :
Avec ces quelques lignes, vous recevrez le manuscrit de mon arrangement
pour deux pianos de mon poème symphonique Hunnenschlacht (écrit pour un
grand orchestre et terminé vers la fin de février dernier), et je vous prie, chère
Madame, de me faire l’honneur d’accepter cette œuvre comme un témoignage
de ma grande reconnaissance et de ma plus grande amitié dévouée envers le
Maître des maîtres5.
Le 29 décembre 1857, Liszt dirigera lors de sa création, le poème
symphonique Hunnenschlacht, composé d’après le tableau de Kaulbach.
Les relations amicales entre le peintre et le musicien sont signalées par
Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper :

1. Lettre de Liszt citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit.,
p. 317-318.
2. Lettre xxvi de Liszt à Agnès Street-Klindworth in Franz Liszt and Agnes Street-Klind-
worth, a Correspondence, 1854-1886, p. 314.
3. Lettre 31 de Liszt à Agnès Street-Klindworth, ibid., p. 317.
4. Voir la lettre 57 de Gotha, datée du 30 janvier 1857 et adressée à Agnès Street-Klind-
worth, ibid., p. 331.
5. Lettre de Liszt à Frau von Kaulbach du 1er mai 1878, citée par Pierre-Antoine Huré
et Claude Knepper, op. cit., p. 338-339.
90 PREMIÈRE PARTIE

Liszt, Carolyne et sa fille étaient partis en vacances dans les montagnes du


Tyrol, le 26 août 1858. En septembre, par suite de mauvais temps, ils séjour-
nent trois semaines à Munich, où ils assistent aux fêtes du septième centenaire
de la capitale bavaroise. Ils y retrouvèrent leur ami, le peintre Kaulbach1.
En 1858 également, le peintre réalise un nouveau portrait de Liszt :
Vous apprendrez par les journaux que Kaulbach avec lequel je me suis
encore plus lié d’amitié durant ce séjour à Munich vient de faire un admirable
portrait en pied de votre très humble serviteur2.
Ce dernier fera le portrait de Marie, la fille de la Princesse Wittgenstein,
en 1859, comme en atteste la lettre de Liszt du 18 avril :
Kaulbach peint le portrait de la Prin. Marie, ce qui est comme une faveur
d’amitié car mon illustre ami se mêle encore moins de portraits que je ne me
mêle de jouer du piano ; (ce que je ne fais pourtant guère) et a refusé plusieurs
augustes commandes de ce genre3.
Cette même année, 1859, à l’occasion de la cérémonie de ses noces
d’argent, Kaulbach, écoute pour la première fois la version pour deux
pianos de la Hunnenschlacht, comme en témoigne sa fille :
Ce n’est que de nombreuses années après que j’ai appris que ce soir-là fut
jouée pour la première fois la Hunnenschlacht pour deux pianos par Franz
Liszt et Dionys Pruckner. Liszt avait composé l’œuvre exprès pour ce jour et
l’avait composée pour deux pianos. Mais la grande œuvre avec des sons bruyants
et les intervalles singuliers n’a pas du tout plu à mon père. Ma mère était au
supplice, car elle observait la mine traversée d’éclairs de chaleur de son époux,
soucieuse et craignant le pire4.
Liszt, lui, semble trouver l’association avec Kaulbach des plus fruc-
tueuses, puisqu’il envisage de faire une grande fresque musico-poético-
picturale avec ce dernier :
Mon idée de composer tous ces tableaux du musée5, peut-être sous le titre
« Das Drama der Geschichte », (« le Drame de l’Histoire »), ou quelque autre

1. Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps, n. 120, p. 437.


2. Lettre 82 de Liszt à Agnès Street-Klindworth datée du 8 octobre 1858 (Salzbourg) in
Franz Liszt and Agnes Street-Klindworth, a Correspondence, 1854-1886, p. 342.
3. Lettre 83 de Liszt à Agnès Street-Klindworth datée du 8 octobre 1858 (Salzbourg),
ibid., p. 343.
4. Josepha Dürck-Kaulbach, Erinnerung an Wilhelm von Kaulbach und sein Haus, p. 61
(trad. par nos soins).
5. Le musée de Berlin, dans lequel Kaulbach exposait ses tableaux sous la cage d’esca-
lier.
Deuxième chapitre 91

analogue, se fortifie. Aussitôt que j’aurai rencontré le poète qu’il me faut,


je l’exécuterai, car tous ces sujets s’adaptent merveilleusement à la musique,
comme à la poésie. Il s’agit seulement de leur donner la forme que je sens
d’instinct mais qu’il n’est pas aisé de fixer de manière à ce qu’elle puisse être
illuminée de tous les rayons de l’art.1
Le musicien conservera son idée encore plusieurs années, même si elle
ne soulevait pas l’enthousiasme du peintre… Cornelia Knotik en conclut
alors :
Sans avoir trouvé ce fameux poète, Liszt réussit ultérieurement, à donner
du moins au premier tableau, la Hunnenschlacht, la « forme » qu’il sentait
d’instinct, donc la « forme » qui existe aujourd’hui. La réalisation du projet
semble toutefois avoir échoué déjà à une époque ancienne, parce que Kaulbach
avait une conception divergente de celle de Liszt […] Ses souhaits relatifs à
l’interprétation musicale d’une fresque monumentale ne furent pas exaucés ;
il [Kaulbach] se méfiait probablement de la suite du projet. Liszt semble n’en
avoir rien remarqué, du moins parle-t-il encore en 1861 à Bülow de son inten-
tion de réaliser un autre mouvement du projet, « l’apogée de la Grèce ».2 Mais,
à cette époque déjà, le centre de ses intérêts – musicalement comme géographi-
quement – s’était déplacé vers Rome.3
Cependant, l’idée de Liszt trouva enfin un écho favorable chez le peintre
qui paraissait satisfait du projet concernant « l’Histoire du Monde ». C’était
dans les années 1850, si nous en croyons la lettre que Kaulbach lui écrit :
Votre idée originale et dynamisante – donner une forme musicale et
poétique aux tableaux historiques du Musée de Berlin – m’a totalement
séduit. J’aimerais connaître vos idées et celles de Dingelstedt concernant l’in-
terprétation. La représentation de ces sujets puissants dans une forme poétique,
musicale et artistique doit constituer un travail harmonieux, rassemblé en une
complète osmose. Cela résonnera et rayonnera à travers tous les pays ! ! Je me
hâterai d’aller à Weimar, dès que mon travail me laissera quelque liberté ici.4

1. Br. IV/282, 17.7.1857, à Carolyne Sayn-Wittgenstein.


2. Lettre à Hans von Bülow du 24.8.1861.
3. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 20-21 (Trad. par nos soins).
4. Lettre de Kaulbach à Liszt, datant des années 1850 (date non précisée) publiée dans
la Tägliche Rundschau et ensuite dans la Neue Berliner Musikzeitung du 19 mars 1891.
Cité en anglais par La Mara, Letters of Franz Liszt, p. 338, vol. 1 [Trad. de l’anglais par
nos soins].
92 PREMIÈRE PARTIE

Cette phrase de Kaulbach n’était probablement qu’une formule de


politesse à l’égard du musicien. Sur ce sujet, les éléments dont nous dispo-
sons restent insuffisants pour pouvoir nous prononcer de manière plus
précise.
Toujours est-il que Liszt laisse un poème symphonique1 directement
inspiré du tableau de Kaulbach. Nous conserverons donc cette pièce musi-
cale dans notre corpus d’étude.

C. Ary Scheffer et Liszt


Liszt et Scheffer se connaissaient et s’appréciaient. Plusieurs témoi-
gnages le prouvent :
Le docteur Carlos Davila nous brosse rondement le décor qui entourait
Liszt, tout en évoquant plus spécialement une œuvre du peintre et ami de
Liszt, Ary Scheffer :
…comme nous parlions peinture au moment, il m’a invité d’entrer chez
lui pour me montrer un tableau de Schæffer (sic). Son cabinet est au rez-
de-chaussée, tapissé d’objets d’art et de portraits des grands compositeurs. Il a
fait venir du grog, m’a montré diverses choses, le masque de Beethoven, etc.,
puis, nous sommes montés au premier étage, nous avons traversé un grand
salon, puis un petit, où est le tableau de Schæffer représentant allégoriquement
les trois rois mages et subitement, avec entrain et spontanéité : « Je vais vous
montrer un souvenir de Bukarest, une tabatière enrichie de diamants, donnée
par le prince Georges Bibesko ».2
Liszt possédait donc au moins une œuvre d’Ary Scheffer. D’ailleurs,
il faut également noter que ce dernier a fait le portrait de Liszt3, comme
le relate de manière amusante Ernest Legouvé, dans son article « Liszt et
Thalberg », qui avait assisté à une scène particulière :
C’était chez Scheffer, qui faisait son portrait. Tout en posant, il prenait des
airs d’inspiré. Scheffer, avec sa brusquerie primesautière, lui dit : « Mais que

1. Nous n’avons consulté qu’une source manuscrite. Elle porte la cote Mf 36/B de la
Mary Flager Lary Music Collection, de la Pierpont Morgan Library. Il s’agit de la version
pour deux pianos.
2. Jacques Vier, « Un Breton d’adoption, grand médecin de Roumanie : le docteur Carlos
Davila documents inédits », in Annales de Bretagne, t. LXVI, 1959, fasc. 3, cité par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps, p. 381.
3. Voir Leo Ewals, Catalogue d’exposition Ary Scheffer.
Deuxième chapitre 93

diable ! Liszt, ne prenez donc pas avec moi ces figures d’homme de génie ! Vous
savez bien que je ne suis pas dupe. »
Que répondit Liszt à ces paroles un peu rudes ? Il se tut un moment, puis
allant à Scheffer : « Vous avez raison mon cher ami. Mais pardonnez-moi,
vous ne savez pas comme cela vous gâte d’avoir été un enfant prodige ! »
Ce mot me semble absolument délicieux de simplicité, je dirais volontiers
d’humilité.1
Cette simple anecdote montre combien les deux artistes étaient proches
et pouvaient se parler librement. Liszt appréciera d’ailleurs le portrait
réalisé par Scheffer, comme en témoigne une lettre adressée à Lambert
Massart, écrite en 1837 de Bellagio :
Avez-vous vu mon portrait de Scheffer ? et comment le trouvez-vous ? si
ultérieurement il y a lieu de le faire Très bien lithographier par Deveria par
exemple, j’en serai bien aise. Le portrait de Deveria n’est plus guère ressem-
blant, et celui de Scheffer, d’ailleurs, vaut la peine d’être publié. Mais peut-être
ne voudra-t-il pas qu’il parût autrement que gravé ?2
Ce portrait deviendra une référence pour Liszt et sa famille, comme
le montre l’allusion d’Hans von Bülow dans une lettre qu’il lui adressa
de Berlin, le 30 septembre 1855. Le chef d’orchestre compare ici les filles
à leur père, par le biais de ce portrait et d’un buste réalisé par Bartolini.
Il remarque ainsi les points communs et les différences entre les deux
sœurs :
Comme j’ai été ému et touché en vous reconnaissant « ipsissimum
Lisztum » dans le jeu de Melle Cosima en l’entendant pour la première fois !
Celle-ci ressemble, je trouve, au Scheffer3 et Melle Blandine au Bartolini. Les
ressemblances et les dissemblances se manifestent, il me semble, de même dans
leurs caractères et individualités respectives.4
Une autre allusion à Scheffer – plus tardive – dans la correspondance
de Liszt montre que le peintre faisait partie de ses intimes. C’est à la prin-
cesse Marie von Sayn-Wittgenstein qu’est adressée la lettre que Liszt écrit
à Weimar, le 14 septembre 1855 :

1. Ernest Legouvé, « Liszt et Thalberg », Le Ménestrel, Paris, 11 mais 1890 cité par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 204.
2. Cité par Jacques Vier, Franz Liszt, l’artiste, le clerc, lettre n°IV et reprise par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, Franz Liszt, Correspondance, p. 94.
3. C’est nous qui soulignons.
4. Lettre citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper in Franz Liszt, Correspon-
dance, p. 330.
94 PREMIÈRE PARTIE

Voici, chère Infante, en échange de votre belle copie, un brouillon de


réponse qui vous amusera peut-être. Montrez-le à votre mère, et si elle jugeait
à propos de le communiquer à Mme Patersi et à Scheffer, soyez assez bonne
pour en faire ou en faire faire une copie lisible.1
Scheffer reste une référence pour Liszt. Dans une lettre de 1837 adressée
à George Sand, il le cite dans une réflexion esthétique importante :
… lorsque, me promenant silencieusement dans les galeries du Louvre,
je contemplais tout à tour la profonde poésie du pinceau de Scheffer, la
couleur splendide de Delacroix, les lignes pures de Flandrin et de Lehmann,
la nature vigoureuse de Brascassat ; pourquoi, me disais-je, la musique n’est-
elle pas conviée à ces fêtes annuelles ? Pourquoi les compositeurs ne viennent-
ils pas y apporter, comme les peintres, leurs frères, la plus belle gerbe de leur
moisson ? Pourquoi, sous l’invocation du Christ de Scheffer, de la Sainte
Cécile de Delaroche, Meyerbeer, Halévy, Berlioz, Onslow, Chopin, et d’autres
plus ignorés, qui attendent impatiemment leur jour et leur place au soleil,
ne feraient-ils pas entendre dans cette enceinte solennelle des symphonies, des
chœurs, des compositions de tout genre qui restent enfouies dans les portefeuilles,
faute de moyens d’exécution ?2
Le Christ de Scheffer connaît en effet un franc succès du vivant du
peintre. Mais l’essentiel de la réflexion de Liszt, ici, est le lien implicite que
le compositeur entrevoit entre les différents arts, donc entre les différents
artistes. Il préconise que le musicien puise sa source d’inspiration dans une
œuvre d’art visuel. Il transpose donc son propre processus, qui consiste à
établir des correspondances entre les différentes formes artistiques, grâce à
son imagination débordante, que nous qualifions de « synesthésique ». À
cet égard, l’étude du texte sur la Sainte Cécile de Raphaël dans le chapitre
suivant, est très instructive.
Mais, pour Liszt, tous les artisans ne sont pas des artistes ; seuls quel-
ques-uns sont élus, parmi lesquels figure Ary Scheffer :
Le lendemain, Arabella devait aller visiter les ateliers de spectatrices les
plus renommés de Venise. Emilio, aveuglé par son amour-propre national,
croyait fermement à la peinture moderne en Italie. Il entrait en fureur quand

1. cité d’après le manuscrit autographe (archives DOW) par Pierre-Antoine Huré et


Claude Knepper, ibid., p. 322.
2. Franz Liszt, « Deuxième lettre (à un poète voyageur, à monsieur George Sand), Paris,
janvier 1837, parution le 12 février 1836 (sic) dans la Gazette musicale » rééditée dans
Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, p. 80.
Deuxième chapitre 95

je lui disais que l’école française était aujourd’hui infiniment supérieure. On


chercherait en vain chez vous, lui disais-je quelquefois, des artistes compa-
rables à MM. Ingres, Scheffer, Delacroix, Delaroche, Deschamps, et même
aux hommes de second ordre. La manière et le charlatanisme dominent chez
vos plus célèbres peintres. Au premier coup d’œil, on aperçoit dans leurs œuvres
un manque absolu d’étude, soit de l’Antiquité, soit de la nature. Ils n’ont ni
idéalité, ni réalité, et sont fourvoyés dans une convention de sentimentalité fade
et de grâce grimacière ; de cette grâce que Vasari appelait una disgraziatissima
graza ; ils font de la chair rose sans os ni muscles, de l’architecture lilas tendre ou
gris perle, des paysages impossibles, de l’héroïsme de mélodrame, de la passion
de grisettes ; ils n’ont ni naïveté, ni science, ni hardiesse, ni simplicité ; le joli
même du siècle de Louis XV leur manque. Il est difficile de comprendre que
les chefs-d’œuvre toujours présents des Raphaël, des Léonard, des Corrège, etc.
ne les aient pas préservés d’une aussi complète décadence, car si la vue du beau
ne suffit pas pour faire éclore le génie, elle doit au moins former le goût et le
garantir de certaines aberrations.1
La mention du nom de Scheffer aux côtés de ceux d’Ingres et de
Delacroix, montre combien Liszt apprécie ses œuvres.

D. Liszt, Overbeck et Steinle


Johann Friedrich Overbeck (1789-1869) n’est plus un artiste très en
vogue aujourd’hui, malgré son rôle important de co-fondateur, avec Franz
Pforr et d’autres peintres, du groupe des nazaréens. Ces artistes trouvent
leur inspiration dans l’art de la Renaissance. À son époque, Liszt tient
Overbeck en haute estime. Lorsqu’il séjourne à Rome, il ne loge pas très loin
de son atelier, comme en atteste l’une de ses lettres à sa fille Blandine :
J’occupe un très joli appartement, très près du Pincio, au premier, 113 via
Felice, que Léopold Robert a habité pendant sept ou huit ans. Les ateliers de
Tenerani et d’Overbeck, le Quirinal, Sainte-Marie des Anges et Sainte-Marie-
Majeure sont tout à fait dans mon voisinage et je me propose bien d’y revenir
souvent pour en prendre possession, les belles choses appartenant de fait à ceux
qui savent les sentir et s’en pénétrer.2

1. Franz Liszt, « Lettre xii Venise ! » Parution dans l’Artiste le 28 juillet 1839, rééditée


dans Rémy Stricker, ibid., p. 178.
2. Franz Liszt, « lettre du 25 décembre 1861 de Rome à Blandine », éditée par Daniel
Ollivier, Correspondance de Franz Liszt et de sa fille Madame Emile Ollivier, Paris, 1936,
96 PREMIÈRE PARTIE

Liszt rencontre Overbeck, comme en atteste une préface de ses Sept


Sacrements :
Un jour, quand Overbeck [un peintre allemand de l’école nazaréenne]
m’expliqua sa composition fondée sur les Sept Sacrements dans laquelle il
avait inclus un nombre de symboles (cachés), des allusions, des faits historiques
et mystiques, la fresque entière étant un lien entre les Ancien et Nouveau
Testaments, j’ai été saisi d’admiration pour son œuvre et promis de reprendre
le même sujet dans mon propre art, la musique.1
De fait, le musicien connaît ses œuvres. Lina Ramann confirme que
« Les Sept Sacrements » de Liszt sont inspirés d’une peinture du même
nom d’Overbeck. Le compositeur cite déjà cette référence dans une lettre
de la Villa d’Este à Olga von Meyerdorff, du 17 novembre 1878 :
Aujourd’hui, rendons grâce à votre tolérance et votre patience. Vous vous
êtes accommodée de mon silence ; cela ranime mon mal du pays mieux qu’un
sermon « sévère ». Comme je vous le disais, mon Via Crucis2 est plus long que
je le prévoyais ; et à peine avais-je atteint la treizième station qu’une ancienne
idée me revint à l’esprit. Il n’y eut pas d’autre moyen pour me délivrer de cela
que d’écrire une centaine de mesures pour chacun des sept Sacrements.
Les admirables cartons d’Overbeck traitent ces grands mystères de la vie
perpétuellement active du Christianisme avec un génie imprégné de piété ;
l’artiste nazaréen leur confère un développement d’une richesse édifiante.
Ces dessins dans les marges et dans le bas des cartons témoignent de la Sainte
concordance entre l’ancien et le nouveau testament. Saint Thomas d’Aquin
aurait été capable de peindre qu’il n’aurait pas fait mieux qu’Overbeck.
Mes compositions sont extrêmement simples ; elles se limitent à exprimer
musicalement quelques textes des Saintes écritures. Peut-être peuvent-elles être
adaptées pour une utilisation à l’église pendant la communion.3
Si la référence à Overbeck ne laisse aucun doute, son rôle dans la
musique de Liszt, doit, en revanche, être précisé. En effet, Liszt rend
hommage à l’artiste lorsqu’il parle de la composition de son Via Crucis,

citée par Alan Walker, Franz Liszt, p. 51, vol.2.


1. Franz Liszt, « Préface » des Sept Sacrements, Responses avec accompagnement d’orgue ou
d’harmonium, cité par Paul Merrick, Revolution and Religion in the Music of Liszt, p. 259
(trad. par nos soins).
2. Voir à ce sujet, Alan Walker, Franz Liszt, p. 413 et suiv., vol.2
3. Franz Liszt, « lettre du 17 novembre 78 », extraite de The Letters of Franz Liszt to Olga
von Meyendorff, 1871-1886 in the mildred Bliss collection at Dumbarton Oaks, p. 321-322
(traduction par nos soins).
Deuxième chapitre 97

et plus particulièrement de la treizième station. Il semble que ce soit à ce


moment précis qu’il ait commencé à écrire les Sept Sacrements. La Descente
de Croix a donc incité le compositeur à repenser le sujet des sacrements.
De ce fait, il repense à Overbeck, mais plus à son style qu’à l’œuvre des
Sept Sacrements proprement dite. En effet, il précise, dans la préface de son
œuvre du même nom, qu’il envisage d’écrire dans une optique tout à fait
différente de celle du peintre :
Comme il semblait extrêmement heureux de cela, je m’empêchais de lui
dire que mon traitement serait diamétralement opposé au sien1.
De ce fait, il ressort que Liszt a bien puisé son sujet des Sept Sacrements
dans l’œuvre d’Overbeck, mais qu’il n’a pas voulu en donner une traduc-
tion musicale, à l’inverse de Sposalizio ou de la Hunnenschlacht, par
exemple. L’inspiration lui est venue par la treizième station de son Via
Crucis. De plus, il s’appuie sur un texte puisque sa composition est vocale
et instrumentale.2 La référence à Overbeck n’est qu’une allusion, et ne
peut donc être prise en compte.
Aussi laisserons-nous les Sept Sacrements de Liszt de côté dans notre
étude.
Le cas de La Légende de Saint François de Paule marchant sur les Flots
s’oppose en tous points à celui des Sept Sacrements d’Overbeck. Examinons
les faits de plus près.
Eduard Von Steinle (Vienne, 2 juillet 1810 – Francfort,
19 septembre 1886) subit tour à tour l’influence de peintres tels que
Kuppelweiser, Overbeck et Cornelius. De ce fait, il acquiert la technique
des peintres allemands qui se sont formés dans une école, à Rome. D’ailleurs
Steinle se rend plusieurs fois dans cette ville, mais préfère travailler en
Allemagne où il reçoit sa première commande importante : la peinture de
la chapelle du château de Rheineck, lorsqu’il séjourne à Francfort-sur-le-
Main. Une seconde commande tout aussi importante concerne la salle des
Empereurs (Kaisersaal) à Frankfort, où il peint les portraits d’Albert Ier et
de Ferdinand III. Si les commandes se succèdent, il est important de noter
aussi les liens d’amitié de Steinle avec la famille Brentano3 ainsi qu’avec
Philip Veit. Commandes et amitié l’incitent en effet à s’installer définitive-

1. Franz Liszt, « Préface » des Sept Sacrements, Responses avec accompagnement d’orgue ou
d’harmonium, cité par Paul Merrick, op. cit., p. 259 (trad. par nos soins).
2. Pour plus de détails sur cette œuvre, consulter Paul Merrick, ibid., pp.258-259.
3. Il illustra d’ailleurs les écrits de Brentano sur Shakespeare.
98 PREMIÈRE PARTIE

ment à Francfort. À partir de 1850, il devient professeur à l’Institut d’Art


de Städel. Il est alors spécialisé dans la peinture historique, dont il est,
comme Moritz von Schwind, l’un des plus grands maîtres. Cette capacité
à peindre de grandes fresques historiques – il est considéré comme l’un
des spécialistes de la peinture de fresques monumentales dans la région
rhénane – ne l’empêche pas de s’illustrer dans la représentation de sujets
plus ordinaires. Mais ce sont surtout les sujets religieux qui retiennent son
attention : il peint en effet plus de cent tableaux religieux, auxquels il faut
ajouter de nombreux dessins pour des vitraux d’église ainsi que des pein-
tures de groupes d’anges dans le chœur de la cathédrale de Cologne.
Né une année avant Liszt et mort la même année, Steinle ne faisait pas
partie des intimes du compositeur. Nous n’avons du moins retrouvé aucune
trace d’une quelconque rencontre entre les deux hommes. Cependant, Liszt
mentionne le dessin de Steinle dans la préface de sa Deuxième Légende1
pour piano, tout en citant un peu plus loin la préface de Miscimarra. La
référence directe ne laisse ici aucun doute2. Nous conserverons donc cette
œuvre dans notre corpus d’étude. Elle nous servira d’exemple lors des
démonstrations de la mise en place de notre méthodologie, dans notre
deuxième chapitre.

E. Liszt, Moritz von Schwind, Otto Roquette


et Charles de Montalembert
La Légende de Sainte Élisabeth, oratorio de Liszt, prend sa source dans
la fresque de Moritz von Schwind.
Né en 1804 à Vienne, celui-ci entame des études philosophiques avant
d’entrer à l’Académie, en 1821. Il travaille alors chez Ludwig Schnorr

1. Nous disposons de deux sources :


1. Légendes. n° 2, Saint François de Paule marchant sur les flots, National Széchényi
Library, Budapest, Ms mus. 15, « version facilitée. » 6 pages. Cette version, dont la
copie du compositeur porte la signature et le titre de la main de Liszt, n’est pas si
aisée…
2.Franz Liszt, Légendes pour piano, 2. Saint François de Paule marchant sur les flots,
éd. Rozsavölgyi, Pest, et J.N. Dunkl, Vienne, 1re édition, conservée à Budapest, Mus.
pr., 2430, 1866.
2. Notons que ce dessin influencera également une abbesse, Martha Sabinin (1831-
1896), dans l’écriture d’un poème que Liszt mettra en musique. Voir à ce sujet l’excellent
article de Pauline Pocknell, « Author, author ! Liszt’s Prayer « An den heiligen Franziskus
von Paula » », JALS, 33, p. 37-43.
Deuxième chapitre 99

von Carolsfeld jusqu’en 1823. Pour gagner sa vie, il lui arrive de faire
des travaux de gravure. C’est à cette époque qu’il devient l’ami des poètes
Lenau, Grillparzer, Anastasius Grün. De plus, bon violoniste, il fréquente
Franz Schubert et ses amis. En 1828 il part pour Munich, chez Julius
Schnorr von Carolsfeld. Ses activités varient de la peinture à la gravure.
Cornelius lui procure plusieurs commandes de fresques pour la nouvelle
Résidence. Une carrière de peintre en peintures murales s’offre alors à
lui : en 1836, il peint à Munich et au château de Hohenschwangau ; en
1840 à la Kunsthalle de Karlsruhe ; en 1844 au Städel de Francfort ; de
1853 à 1856 à la Wartburg d’Eisenach, en 1866-67, il décore les fres-
ques de l’Opéra de Vienne. Ajoutons également ses activités de professeur,
depuis 1847, à l’Académie de Munich. De plus, il élabore des illustrations
pour la revue humoristique Die fliegenden Blätter et pour les Münchner
Bilderbogen. Il illustre également un cycle de contes en 1854. À partir de
1848, il peint ses « Tableaux de voyage » où apparaît une émotion roman-
tique face à la nature.
Il meurt en 1871 à Niederpöcking près du lac de Starnberg, à côté de
Munich, laissant une œuvre riche et éclectique, dont les illustrations des
contes et légendes allemands n’ont encore rien perdu, de nos jours, de leur
popularité.
C’est après avoir admiré ses fresques que Liszt demande à Otto Roquette
de lui écrire le livret d’un oratorio. Cet écrivain et poète bien connu
deviendra professeur à l’école polytechnique de Darmstadt en 1896. Le
livret est conçu surtout à partir de l’ouvrage de Charles de Montalembert,
L’Histoire de Sainte Élisabeth de Hongrie.
Ce dernier naît à Londres en 1810 d’un père émigré français et d’une
Écossaise protestante. Il vient très tôt à Paris où il participe activement au
mouvement des catholiques libéraux de Lacordaire et de Lamennais. Aussi
collabore-t-il à l’Avenir en 1830. À la suite de la condamnation des thèses
de ce journal par l’encyclique papale Mirari vos en 1832, il se sépare de
Lamennais. Membre de la chambre des pairs, il se prononce pour la liberté
religieuse et la liberté de l’enseignement. En 1848 il est élu à l’Assemblée
constituante, se ralliant à la politique du prince-président Louis-Napoléon
Bonaparte. Il fait partie du corps législatif jusqu’en 1857. Il est directeur
du journal catholique libéral : le Correspondant ; de plus, il écrit un ouvrage
sur L’Histoire de Sainte Élisabeth de Hongrie (1836), sur les Intérêts catholi-
ques au xixe siècle (1852) et étudie les Moines d’Occident depuis Saint Benoît
jusqu’à Saint Bernard, entre 1860 et 1867. Il intègre l’Académie française
100 PREMIÈRE PARTIE

en 1852 et meurt en 1870 à Paris. Sa Sainte Élisabeth conserve une place à


part dans son œuvre, comme l’écrit Léon Gautier :
Certes Monsieur de Montalembert a laissé des livres qui, dans l’ordre de
la nature, sembleront peut-être plus étonnants. Ses discours, ses incomparables
discours, révèlent une vigueur, une chaleur et une variété de parole qu’on pour-
rait à peine soupçonner en sa Sainte Élisabeth. Ses Moines d’Occident, œuvre
plus mûre, atteste l’effort d’un plus long et d’un plus héroïque labeur. Mais la
Sainte Élisabeth a été plus « influente » ; mais elle a remué plus profondément
les idées ; mais elle a converti plus d’entendements et plus de cœurs ; mais elle
a réalisé plus profondément ce nova sint omnia qui est le mot d’ordre de la
sainte Église catholique, laquelle reste toujours immuable en se faisant toujours
nouvelle.1
Cet ouvrage se compose de trente-quatre chapitres, tous résumés en
quelques lignes servant de titre. Il retrace la vie et la mort de la Sainte. Il nous
faut préciser que la plupart des musicologues se référant à Montalembert
pour aborder l’œuvre de Liszt parlent de la Vie de Sainte Élisabeth. Ce
n’est pas le titre exact. Lors de sa première publication en 1836, l’ouvrage
était intitulé Histoire de Sainte Élisabeth et ses rééditions empruntèrent le
raccourci suivant : Sainte Élisabeth de Hongrie. Grâce aux recherches de
Mária Eckhardt et d’Evelyn Liepsch2, on sait aujourd’hui que Liszt avait
en sa possession une version de 1862 de l’œuvre de Montalembert.
À l’influence de Montalembert s’ajoute celle de Janos Nepomuk
Danielik, auteur de Das Leben der heiligen Elisabeth von Ungarn (1857).
Liszt rencontra ce Chanoine d’Eger le 11 avril 1858. Il était en effet l’un
des invités au dîner donné en l’honneur de Liszt par les Franciscains à Pest
quand il visita l’ordre. Il présenta à Liszt une copie de son ouvrage publié
l’année précédente. Dans sa lettre de remerciements d’avril 1858, Liszt
confia :
J’espère, de plus, que ma propre participation modeste contribue aussi un
peu à glorifier Sainte Élisabeth en composant un oratorio dans lequel la vie de
la Sainte bien-aimée m’a fourni le sujet, et lequel sera fini durant le courant
de l’année.3

1. Léon Gautier, « Préface », Sainte Élisabeth de Hongrie, p. 11.


2. Mária Eckhardt et Evelyn Liepsch, Franz Liszt Weimarer Bibliothek, p. 95.
3. Franz Liszt, « Lettre à Janos Nepomuk Danielik », Briefe aus ungarischen Sammlungen
1835-1886, p. 101.
Deuxième chapitre 101

Le compositeur resta en contact épistolaire avec Danielik. Mais le plus


grand support littéraire reste la Sainte Elisabeth de Montalembert.
Le livret de son oratorio est dû à une collaboration entre Otto Roquette
et Liszt, le premier rédigeant le texte, le second s’occupant de l’organisa-
tion de la macroforme. Notons que, bien souvent, les commentateurs se
plaisent à critiquer la qualité littéraire du livret. Ainsi Serge Gut écrit-il :
Malheureusement, en s’adressant à Otto Roquette, fournisseur du livret,
il fit un mauvais choix. Le texte est indigent et l’action dramatique bien mal
menée. Aussi la splendeur de la musique n’arrivera-t-elle que partiellement à
surmonter ce sérieux handicap. C’est bien dommage, car la partition contient
des passages de toute beauté ; et si l’œuvre est montée avec beaucoup d’amour
par des artistes compétents, elle peut encore de nos jours emporter l’adhésion
du public.1
Il est effectivement tout à fait regrettable que, de ce fait, cet oratorio
ne fasse que rarement l’objet d’études approfondies. Pourtant, la gestation
de cette œuvre et sa réalisation s’étendent de 1855 à 1862. Paul Merrick
retrace ce difficile parcours compositionnel.2
Si, pour écrire son oratorio, Liszt a été obligé de faire appel au concours
du texte de Charles de Montalembert par le biais d’Otto Roquette, La
Légende de Sainte Elisabeth prend indubitablement sa source dans l’œuvre
picturale de Schwind. Aussi conserverons-nous dans notre corpus d’étude
cette œuvre religieuse comme un exemple d’une pièce née d’un choc esthé-
tique visuel, dont la réalisation nécessite l’intervention de la littérature.

F. Un cas particulier : le projet de la Dante Symphonie


Liszt envisageait un grand projet à partir du texte de Dante, La Divine
Comédie. Celui-ci vit le jour très tardivement si l’on considère les premières
intentions du compositeur. De plus, la réalisation étant difficile et coûteuse,
Liszt révisa ses premiers objectifs. Cependant, il nous semble intéressant
de retracer la genèse de la symphonie la moins populaire de Liszt, tant
l’idée de départ montre combien les arts, la littérature et la musique sont

1. Serge Gut, Liszt, p. 397.


2. Voir Paul Merrick, Revolution and Religion in the Music of Liszt, p. 165-182.
102 PREMIÈRE PARTIE

liés dans son esprit. Nous nous appuierons plus particulièrement sur les
travaux de Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper.1
Dans les « leçons » de Valérie Boissier, nous apprenons que Liszt
connaissait l’œuvre de Dante dès les années 1830. Mais c’est seulement à la
suite de son premier voyage en Italie qu’il conçoit un projet à partir de La
Divine Comédie. Il fait en effet allusion à ses lectures de Dante avec Marie
d’Agoult dans la « lettre du Bachelier du 20 septembre 1837 », adressée de
Bellagio, à M. Louis de Ronchaud :
Nous lisons la Divine Commedia assis au pied du marbre de Bomelli : le
Dante conduit par Béatrix. Quel sujet ! Et qu’il est dommage que la statuaire
l’ait si mal compris ! qu’il ait fait de Béatrix une femme épaisse et matérielle ; de
Dante, quelque chose de mesquin, d’étriqué, une manière de pauvre honteux
et non pas quelque signor de l’altissimo canto comme il l’a dit lui-même
en désignant Homère ! Vous l’avouerai-je pourtant ? Dans ce poème immense,
incomparable, une chose m’a toujours singulièrement choqué, c’est que le poète
ait conçu Béatrix, non comme l’idéal de l’amour, mais comme l’idéal de la
science. Je n’aime point trouver dans ce beau corps transfiguré l’esprit d’une
docte théologienne, expliquant le dogme, réfutant l’hérésie, discourant sur
les mystères. Ce n’est point par le raisonnement et la démonstration que la
femme règne sur le cœur de l’homme ; ce n’est point à elle à lui prouver Dieu,
mais à le lui faire pressentir par l’amour, et à l’attirer après elle vers les choses
du ciel. C’est dans le sentiment et non dans le savoir qu’est sa puissance : la
femme aimante est sublime ; elle est le véritable gardien de l’homme ; la femme
pédante est un contresens, une dissonance, elle n’est nulle part à sa place dans
la hiérarchie des êtres.2
Il ressort ici que Liszt ne recherche pas chez la femme une intellec-
tuelle, une « docte théologienne » comme il se plait à la qualifier, mais
une compagne aimante. Comme le font très justement remarquer Pierre
Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt n’a pas vraiment mis en pratique ses
convictions : que ce soit Marie d’Agoult ou la Princesse Sayn Wittgenstein,
ses maîtresses furent passionnément aimantes, certes, mais elles brillèrent
également par leur intelligence et leur culture. Toutes deux furent femmes
de lettres – rappelons le scandaleux Nélida de la première ou encore les

1. Franz Liszt, cité par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps,
n. 19, p. 263.
2. Franz Liszt, « lettre v. À M. Louis de Ronchaud, Bellaggio, 20 septembre 1837 »,
Extrait de Franz Liszt, Artiste et société, Rémy Stricker (éd.), p. 102-103.
Deuxième chapitre 103

vingt-cinq volumes (!) sur les Causes intérieures de la Faiblesse extérieure


de l’Église, de la seconde. Dans l’œuvre de Dante, Liszt regrette donc que
Béatrix soit l’incarnation d’une femme de sciences… L’infidèle Francesca
Da Rimini, autre héroïne dantesque, aura sa préférence.1 Pierre-Antoine
Huré et Claude Knepper résument ainsi la signification de ce personnage
de la Dante Symphonie :
Dans La Dante Symphonie, l’ascension rédemptrice qui s’accomplit de la
figure de Francesca à celle de la Vierge, nouvelle Béatrice au seuil du Paradis,
semble bien traduire chez Liszt un retour et une allégeance au principe reli-
gieux. Le choix musical du Magnificat exprimerait alors la confiance dans la
« victoire » à venir, par le chemin du repentir et l’œuvre entière serait comme
une prière à Dieu.2
Cette interprétation de l’œuvre est séduisante. Mais revenons à la
genèse de cette Dante Symphonie, afin de comprendre pourquoi Liszt n’a
pas pu réaliser complètement un projet tellement complet.
Outre la mention faite en 1839, par Marie d’Agoult dans ses Mémoires,
d’un projet d’après Dante, Liszt envisage lui-même « une composition
symphonique d’après Dante ».3 Même s’il prévoit à cette époque un
projet symphonique, c’est ici la Dante-Sonate qui voit le jour, ce que le
compositeur appelle « fragment dantesque ». Mais loin de mettre de côté
ce projet symphonique initial d’après Dante, Liszt écrit à Hector Berlioz
le 2 octobre 1839 :
Dante a trouvé son expression pittoresque dans Orcagna et Michel-Ange ;
il trouvera peut-être un jour son expression musicale dans le Beethoven de
l’avenir.4
Se retrouve ici l’idée d’une esthétique commune au-delà du temps et
des arts. Ensuite il faut attendre jusqu’au 1er février 1844 pour qu’il reparle
de Dante, dans une lettre adressée à Marie d’Agoult :
Petit à petit, j’en arriverai aussi à mes commentaires de Dante, comme je
disais autrefois à Piffoël [Georges Sand], et personne ne les lira.5

1. Voir la démonstration réussie de Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, dans la


« présentation » de Franz Liszt, Correspondance, p. 40.
2. Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, « présentation », ibid., p. 41
3. Franz Liszt, cité par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, ibid., n. 19, p. 263.
4. Franz Liszt, « lettre à M. Hector Berlioz », « Lettres d’un Bachelier ès Musique », Pages
Romantiques, publié par Jean Chantavoine, p. 262.
5. Franz Liszt, « lettre à Marie d’Agoult » datée du 1er février 1844, citée par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 303.
104 PREMIÈRE PARTIE

À cette époque, Liszt remporte un succès sans ombre comme pianiste


virtuose. Il n’est pas encore reconnu comme compositeur. Il faut attendre
sa rencontre avec le poète provençal Joseph d’Autran en juillet-août 1844
« et plus encore leurs retrouvailles un an plus tard […pour amener Liszt]
à l’idée d’une collaboration en vue d’une œuvre dramatique pour la scène
lyrique. »1 Joseph d’Autran rapporte qu’un soir de mai 1845, dans la cathé-
drale de Major :
il joua, il improvisa une symphonie ardente et magnifique de la Divine
Comédie de Dante, dont nous venions de parler ensemble. […] À quelque
temps de là, je reçus une lettre de Listz (sic) accompagnée d’un exemplaire de
la Divine Comédie tout chargé de commentaires et de notes. […] Il me priait
de tirer de là, si je pouvais, un poème d’oratorio ou même d’opéra mystique en
trois parties.2
Quelques jours après, Liszt adresse deux lettres à Joseph d’Autran. La
première date du 6 mai 1845 et est envoyée d’Avignon :
Je viens de relire le Dante, et je suis entièrement de votre avis quant au
récit impersonnel. Mais, en revanche, je crois qu’il faudra faire parler person-
nellement (en chœur et aussi en solos plus brefs) au moins plusieurs catégories
de damnés. […] Il y aura matière à un chœur très piquant des prodigues et des
avares attachés ensemble et se choquant les uns contre les autres et se maudissant
mutuellement… Presque à tous les cercles, le cadre me paraît excellent – à vous
à le remplir. Bien entendu, il faut garder et faire chanter les vers suprêmes :
Per me si va nella citta dolente

Per me si va nell’eterno dolore


Lasciate ogni speranza, etc.
Et puis encore ceux-ci :
Nessun maggior dolor
Che ricordarsi del tempo felice
Nella miseria.

1. Pierre-Antoine Huréet Claude Knepper, ibid., p. 303.


2. Joseph d’Autran, œuvres complètes, vol. VII, pp. 101-102 cité par Pierre-Antoine Huré
et Claude Knepper, ibid., p. 303.
Deuxième chapitre 105

En général, ne craignez pas non plus de dessiner épiquement les principales


figures ; ne reculez même pas devant Homère et Alexandre au besoin… Je
tâcherai bien de les barbouiller de couleur du mieux que je pourrai. […]1
L’autre lettre, envoyée de Lyon, montre combien les liens entre les
différents arts sont importants dans la pensée de Liszt :
Je m’enfonce de plus en plus dans la forêt obscure du Dante, cher Autran.
Pour aujourd’hui, j’en suis arrivé à me demander trois choses qui vous semble-
ront peut-être fort absurdes, mais dont j’ai la tête lourde. 1° (pour procéder
numériquement). N’y aurait-il pas moyen de garder cette grande figure de
Dante pour tout le récit parlé ? Le récit personnel me paraît décidément préfé-
rable à l’impersonnel (sic). 2° Ne pourrait-on pas dessiner assez largement la
figure de Virgile pour le faire chanter d’un bout à l’autre ; (il y aurait même
possibilité que j’en fisse un contralto. L’effet de cette voix a quelque chose de
plus mystérieux). 3° Enfin, ne verriez-vous pas un grand avantage à mettre
tout le récit et toute l’action au présent au lieu du passé employé par Dante,
et à dramatiser ainsi tout le poème ? On pourrait dans ce cas s’aider de la mise
en scène, rendre sensible aux yeux du public tout le voyage de Dante et de
Virgile… Il y a là une combinaison de Diorama2, de Poésie et de Musique3
(sans compter les machineries4 qu’il faudrait tâcher de ne pas compliquer
outre mesure) d’un effet nouveau et je crois immanquable sur la badauderie…
L’orchestre remplirait tous les intervalles de la marche des deux poètes et
achèverait l’illusion des sens et de l’esprit.5
Boisselot vous rapportera mon petit volume de la Divine Comédie ; à
tous les endroits où vous trouverez ces signes (une portée de musique) ou une
blanche, il y a lieu, selon moi, à un développement lyrique. Il faudra prendre
garde aux longueurs inutiles, retrancher nécessairement bon nombre de figures
italiennes qui demeurent sans intérêt pour nous aujourd’hui, et en revanche,
accuser personnellement (sic) davantage que ne l’a fait Dante plusieurs grandes
figures. En resserrant le plus possible l’action de manière à ce que la représen-

1. Franz Liszt, « lettre » du 6 mai 1845, publiée par Bernard de Miramont Fitz-James,


Revue de Musicologie, mai-août 1938
2. Tableau ou grande vue peinte sur une toile de grande dimension. Les effets varient
en fonction des jeux de lumière qui donnent l’impression de mouvements. Le premier
diorama apparut à Paris en 1822. Il fut installé par Daguerre et Bouton.
3. C’est nous qui soulignons.
4. Voir note précédente.
5. C’est nous qui soulignons.
106 PREMIÈRE PARTIE

tation n’excède pas la durée d’une heure et demie, car il n’y a pas de public
capable de supporter plus d’enfer que cela.
Ne faites d’ailleurs aucune attention au soulignement de certains mots de
mon volume que je n’ai fait que pour me rappeler le texte italien ; et sans vous
enchevêtrer dans la multiplicité des détails guarda e passa.
L’important c’est que chaque cercle avec ses tortures et ses principaux
personnages soit nettement dessiné pour les yeux, les oreilles et l’intelligence du
public ; de manière que pour 3 francs 10 sous, chacun puisse refaire à son profit
le voyage de Dante et de Virgile.
Ce mode de concevoir notre poème me paraît somme toute le plus complet et
le plus simple. Si notre Enfer nous réussit, nous n’aurons qu’à continuer pour
le Purgatoire et le Paradis. Vous serez à la fois mon Virgile et ma Béatrix.1
Le diorama devait être confié à Buonaventura Genelli. Il s’agissait de
dessiner des sortes de « diapositives » et de les projeter pendant l’exécu-
tion de la musique. Quant aux « machineries », il s’agit d’appareils proches
de ventilateurs, destinés à traduire la violence de l’enfer ! Liszt voulait ici
réaliser une forme de Gesamtkunstwerk.
Même si ces deux lettres sont écrites à très peu de temps d’intervalle,
elles montrent une évolution très marquée dans la conception de Liszt à
propos de son œuvre future. Il souhaite désormais un personnage central :
Dante. À côté de lui, un personnage important : Virgile. Le texte doit être
narré au présent ; le dernier élément important – et le principal par rapport
à notre recherche – reste l’idée de la mise en scène avec – outre l’orchestre et
le texte poétique mis en musique, récité ou parlé-chanté – la présence d’un
« diorama » et de « machineries ». Ce projet montre combien il était en
avance sur son temps, en envisageant ainsi un spectacle total ! Cependant,
il n’a pas encore la possibilité de réaliser son projet. Mais, en 1845 les
nouveautés lisztiennes s’accumulent. Le pianiste écrit en effet à Lambert
Massart le 6 mars 1845 :
En attendant, Boisselot, charmant, loyal et digne garçon qui vient de faire
tout ce voyage avec moi, et que je chargerai de vous donner de mes nouvelles
quand il passera à Paris, doit me construire mon clavecin-orchestre à deux
claviers à pédale. Je ne fais aucun doute qu’il réussisse et grandement. Ce sera
non seulement un progrès, mais bien une transformation complète du piano.
« À des vins nouveaux il faut de nouveaux vaisseaux » comme l’écrit l’Évan-

1. Franz Liszt, « lettre » du 14 mai 1845, publiée par Bernard de Miramont Fitz-James,


op. cit.
Deuxième chapitre 107

gile, et ma pensée pourra se produire plus librement alors ! Au mois d’octobre,


il compte avoir fini. J’aurais alors trente-quatre ans, à trente-six, trente-sept,
j’espère en avoir fini de ma boutique de célébrité pianiste !1
Il est vraiment saisissant de constater à quel point Liszt était en avance
sur son temps, anticipant ici l’invention du… synthétiseur moderne !
En 1847, il revoit son projet avec la Princesse Sayn-Wittgenstein, en
conservant le diorama, tout en adoptant une forme plus réduite. Il reprend
d’ailleurs son idée initiale d’œuvre symphonique. Carolyne lui propose en
effet de l’aider financièrement en lui offrant 20 000 thalers. Cependant,
plusieurs événements vinrent contrecarrer ce projet : la Révolution de
1848 ; la fuite du château de Woronince, et la confiscation des biens de
la Princesse par la Russie. Quand Liszt approfondit la réalisation de son
dessein en 1855, il se concentre sur le texte de Dante, et abandonne le reste
des idées. De ce fait, la Dante Symphonie n’a, au bout du compte, qu’un
rôle secondaire dans les liens qui unissent Liszt aux arts visuels. L’exemple
était à citer dans la mesure où il montre combien tous les arts sont liés,
encore une fois, dans l’esprit de Liszt. Cependant, nous l’écartons de notre
corpus d’étude car la composition finale n’a pas de relations directes avec
les arts visuels.

IV. Arts visuels généralement mis en musique

A. L’architecture et la sculpture
Il faut remarquer que, parmi les trois genres principaux composant les
arts plastiques, l’architecture n’a que très peu suscité l’inspiration créatrice
des compositeurs. D’ailleurs, Monika Fink mentionne dans son étude que,
sur 711 compositions d’après des œuvres d’art visuel, seules quatre œuvres
ont été suscitées par l’architecture. En revanche, « par comparaison, un plus
grand nombre de sculptures apparaît comme modèle de programmes. »2
Liszt n’a pas été inspiré par l’architecture, même s’il a fréquenté
un grand nombre de lieux très riches d’un point de vue architectural.
Cependant, si une seule partie d’un monument l’a inspiré, comme une
statue dans une chapelle ou un cimetière, il est permis d’imaginer qu’il a

1. Franz Liszt, « Lettre à Lambert Massart » du 6 mars 1845, in Pierre-Antoine Huré et


Claude Knepper, Franz Liszt, Correspondance, p. 169.
2. Monika Fink, op. cit., p. 21.
108 PREMIÈRE PARTIE

été influencé par le contexte dans lequel elle se trouvait. Les grands exem-
ples de ce type restent – dans le corpus lisztien – le tombeau de Julien et
Laurent de Medicis, la Chapelle Sixtine et la Wartburg. Nous mettons en
effet de côté les musées, les œuvres étant en quelque sorte, « déracinées »
avant d’arriver en ces lieux.
Les architectures monumentales permettent à l’imagination des visi-
teurs de vagabonder à leur aise, en premier lieu pour apprécier l’espace
qu’elles occupent. Dufrenne écrit1 à ce propos :
Les objets, sculptural ou architectural, qui se déploient dans les trois dimen-
sions spatiales, semblent requérir l’imagination pour creuser l’espace en antici-
pant sur de futures visées, et pour saisir l’objet, au-delà de l’apparence toujours
tronquée, dans sa plénitude. Un temple ou une statue, n’avons-nous pas à
les percevoir comme nous percevons une maison ou un dé, en ranimant par
l’imagination l’expérience de la présence ? Sans doute ; et cependant, là encore,
l’imagination est tenue en bride. […] en effet, je n’use point du monument
comme d’une maison ;2
Dufrenne explique également qu’un fidèle qui prie dans un monu-
ment architectural religieux sera plus enclin à ressentir sa foi que s’il fait la
même chose chez lui ; en effet, le monument l’aura comme absorbé dans
son univers, et de spectateur, il deviendra acteur3 :
il [le fidèle] n’est plus devant l’objet esthétique, il est lui-même, à force de
participation, objet esthétique, élément d’une cérémonie dont le monument
dessine la forme. Mais la cérémonie, si elle est pour qui y prend part un puis-
sant moyen de discipline ou d’exaltation, n’est objet esthétique que pour le
spectateur qui n’y prend pas part. Alain dirait sans doute que le spectateur
même y prend part : chacun dans la cérémonie est à la fois acteur et spectateur,
en une admirable réciprocité où s’échange un langage absolu. Mais à l’objet
esthétique il faut un spectateur pur, qui ne croit pas, ou qui n’en croit que ses
yeux. Ce spectateur n’use pas du monument ; s’il y pénètre, ce n’est pas pour
engager son avenir dans quelque entreprise, c’est pour voir ; et sa visite sera

1. Même si sa réflexion peut paraître extrême, elle est importante dans la mesure où
elle pose le problème du rôle de l’imagination dans l’appréhension d’un monument
architectural.
2. Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique : la perception esthétique,
p. 452-453, vol. 2.
3. C’est sans doute le cas de Liszt qui est absorbé en quelque sorte par le Tombeau des
Medicis à Florence – et par les autres monuments que nous présenterons par la suite
– et qui écrira par la suite ses deux pièces : Il Pensieroso qui deviendra ensuite La Notte.
Deuxième chapitre 109

une suite de présents discontinus, autant de fois que son regard se pose et isole
une perspective sur la totalité de l’objet. Il n’y a pas d’avenir imaginable à
cette exploration, non seulement parce que chaque regard découvre un spectacle
nouveau, mais parce que chacun se suffit à lui-même et n’est pas lié aux autres
par la continuité d’une action.1
Il est clair que Liszt s’est laissé absorber par sa débordante imagination.
Mais cette imagination est détournée de son sens premier. Le compositeur
parvient à en extraire un acte créateur. Son regard, unique, d’artiste qui
rencontre l’émanation d’un autre artiste, est comme « accroché » par un
élément – essentiel ou détail, on ne le sait pas forcément – de la compo-
sition. Puis il retirera de cet élément une source d’inspiration pour une
œuvre tout à fait personnelle. Nous verrons comment son imagination a
agi dans le cas de la Sainte Cécile de Raphaël.2
C’est pour ces raisons que nous présentons brièvement les monuments
architecturaux principaux visités par Liszt, berceaux des œuvres d’art qui
l’ont inspiré.

1. Les œuvres michelangelesques : le tombeau de Julien


et Laurent de Medicis et la Chapelle Sixtine

a. Le style de Michel-Ange
Les livres sur l’art de Michel-Ange abondent. Le texte qui suit ne vise
donc pas une étude exhaustive mais tente seulement de donner les éléments
essentiels qui caractérisent son style.
Dans son article sur « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange »,
Panofsky établit certaines caractéristiques esthétiques du maître italien
en comparant ses œuvres à celles d’artistes contemporains, en particulier
certaines sculptures de Signorelli. En effet, Michel-Ange avait l’art « d’em-
prunter » des sujets ou des réalisations à des confrères, puis de les rendre
totalement « michelangelesques », donc méconnaissables. Panofsky, à
partir des modèles initiaux, déduit des distorsions « michelangelesques »
les différences suivantes :
1. Par le soin d’entourer les parties en creux et d’éliminer les parties en
saillie, chaque unité formelle (personnage ou groupe) se condense en une masse

1. Mikel Dufrenne, op. cit., p. 453, vol. 2.


2. Voir notre chapitre suivant.
110 PREMIÈRE PARTIE

compacte qui s’isole nettement de l’espace environnant. Tout apocryphe qu’elle


est, l’affirmation attribuée à Michel-Ange, qu’une bonne sculpture devrait
pouvoir rouler de haut en bas d’une colline sans se briser décrit fort bien cet
idéal artistique.
2. Que nous concentrions notre attention sur la structure à deux dimen-
sions (c’est-à-dire sur l’aspect qu’offre directement à l’œil une peinture, un bas-
relief, ou une statue lorsqu’on la contemple à partir d’un point fixe) ou sur le
volume en ses trois dimensions, les personnages de Michel-Ange diffèrent, dans
les deux cas, de leurs prototypes par l’accent vigoureux qui est porté sur ce qu’on
pourrait nommer les « directions fondamentales de l’espace ». Les lignes obli-
ques tendent à être remplacées soit par des horizontales, soit par des verticales ;
et les volumes en raccourci à être soit « frontalisés » soit « orthogonalisés » (c’est-
à-dire disposés perpendiculairement au plan frontal).
[…] Il […] résulte (de cette importance donnée aux lignes horizontales
et verticales) que l’ordonnance d’ensemble, qu’on considère dans le plan du
tableau ou dans l’espace à trois dimensions, paraît déterminée par un système
interne de coordonnées.
3. La rigueur de ce système fondé sur les angles droits ne joue cependant pas
le rôle d’un principe statique, mais dynamique. Alors que certains motifs obli-
ques sont éliminés, d’autres sont conservés, et ne sont que mieux mis en valeur
par leur net contraste avec les lignes directrices. En outre, la symétrie laisse
souvent place à l’antithèse entre les deux moitiés, l’une « fermée » et rigide,
l’autre « ouverte » et mobile ; et les angles de 45 degrés sont très fréquents.
Enfin, les lignes droites et les surfaces planes ont pour contrepoint, pour ainsi
dire, des formes convexes.1
Ces trois remarques sur les « emprunts » revisités par Michel-Ange
peuvent tout à fait s’adapter aux œuvres personnelles de l’artiste.

b. La Chapelle et les Tombeaux des Medicis

Michel-Ange a été chargé d’un grand projet funéraire : le tombeau


de Jules II, qu’il a conduit magistralement, même s’il ne l’a pas réalisé
dans son intégralité. Par la suite, il a également été sollicité pour réaliser la
Chapelle funéraire des Médicis.

1. Erwin Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », in Essais d’ico-


nologie, p. 258-259.
Deuxième chapitre 111

Comme le tombeau de Jules II, premier monument funéraire de


Michel-Ange, la Chapelle des Médicis ne sera pas non plus réalisée dans
son intégralité. Panofsky écrit à ce sujet :
Mais ici le monument actuel, laissé inachevé en 1534 quand Michel-Ange
quitta Florence à jamais, constitue un document fidèle, encore qu’incomplet,
sur ses intentions dernières. Le programme définitif, déjà mis au point vers la
fin de 1520, peut être tenu pour une nouvelle affirmation, plus élaborée, des
idées incarnées par le second projet pour le tombeau de Jules II, où l’élément
« platonicien » avait été subordonné à l’élément chrétien, sans lui être sacrifié.
Ces idées, Michel-Ange ne les avait pas suivies sans interruption ; il est plutôt
revenu à elles, après plusieurs démarches tentées en d’autres directions.1
L’ancienne sacristie de San Lorenzo est dédiée aux aînés de la famille des
Médicis. Aussi décide-t-on à la mort de Laurent II de célébrer la mémoire
de la jeune génération à l’intérieur de la nouvelle sacristie. Quatre Médicis
sont donc abrités au sein de la chapelle : Julien (tué par les Pazzi en 1478)
et Laurent (mort en 1492), les deux « magnifiques » ; Julien II, mort en
1516 et Laurent II, ducs respectivement de Nemours et d’Urbin.
Deux projets initiaux sont abandonnés. Ils consistaient d’une part, à
réunir les quatre tombeaux en un seul monument, d’autre part à réaliser
deux doubles tombeaux sur chaque mur latéral, avec adjonction en guise
d’ornement du mur où s’ouvre la porte d’accès, d’une Madone et de statues
des saints patrons des Médicis, Cosme et Damien.2 Sur le projet terminal,
Panofsky écrit :
La solution définitive fut obtenue en réservant les murs latéraux aux seuls
Duchi, et associant en une composition unique la Sacra Conversazione du
mur d’entrée avec les tombeaux des Magnifici […] Un plan plus étroitement
apparenté à la disposition définitive3 a été transmis à travers de nombreuses
copies, qui tendent à prouver qu’en définitive la zone intermédiaire fut tout à
fait abandonnée, alors que des statues plus petites étaient placées au-dessus des
deux Saints, en des niches cintrées.4

1. Erwin Panofsky, id., p. 283.


2. Voir les figures 146 à 148 dans les annexes du livre de Erwin Panofsky, ibid.
3. Voir la figure 152 de Panofsky.
4. Erwin Panofsky, ibid., p. 284.
112 PREMIÈRE PARTIE

Il retrace ensuite l’évolution des projets concernant les tombeaux des


ducs à travers différentes esquisses.1 Puis il résume les éléments constituant
le programme définitif de Michel-Ange :
1. Le tombeau double des Magnifici, en face de l’autel (« la Sepoltura
in testa », comme l’appelle Michel-Ange) […] Au-dessus des sarcophages sans
ornement figuré, la « Madone Médicis », encadrée par les statues de saint
Cosme et saint Damien, telles qu’on les voit à S. Lorenzo ; et plus haut, des
statues de plus faibles dimensions, dont l’une a été identifiée comme le David
du Bargello.
2. Les tombeaux de Julien et de Laurent de Médicis. Outre les sculptures
qui se trouvent à S. Lorenzo – les statues assises des Ducs et les quatre Allégories
du Temps – ils auraient comporté :
a) Deux divinités de Fleuves, étendues au pied de chaque tombeau (l’Acca-
demia de Florence conserve l’une de leurs maquettes)
b) Les statues de la Terre éplorée et du ciel souriant, dans les niches qui
flanquaient la statue de Julien, la Terre placée bien entendu au-dessus de la
Nuit, et le Ciel au-dessus du Jour. Le thème des statues qui devaient leur
correspondre sur le tombeau de Laurent relève de l’hypothèse ; il pourrait s’agir
soit de la Vérité et de la Justice (d’après le Psaume LXXXIV, 12 : « la Vérité
surgira de la terre, et l’honnêteté regardera du haut des cieux »), soit de quel-
ques allégories du genre de Iustitia et religio de Landino.
En outre, on projetait d’orner de fresques les vastes lunettes qui surmon-
tent les trois tombeaux : elles auraient représenté, au-dessus du tombeau des
Magnifici, la Résurrection du Christ […] ; au-dessus des tombes des Duchi,
d’un côté le Serpent d’Airain […] et de l’autre peut-être Judith.
On a remarqué que les statues de Julien et de Laurent de Médicis sont
toutes deux tournées vers la Madone. C’est effectivement vers la « sepoltura
intexta » qu’elles doivent se tourner afin de contempler ces médiateurs du salut
que la Vierge Marie et les saints, ainsi que ce grand témoignage d’immortalité
en un sens strictement chrétien : la Résurrection du Christ.
En même temps, chacun des tombeaux des Duchi représente une apothéose
telle que la concevaient Ficino et son entourage : l’ascension de l’âme à travers
les hiérarchies de l’univers néo-platonicien.2

1. Nous renvoyons le lecteur aux pages 284-285 du livre Essais d’iconologie de Panofsky


pour de plus amples informations.
2. Erwin Panofsky, ibid., p. 285-287.
Deuxième chapitre 113

Pour notre étude, nous ne prendrons en compte que le résultat final


de Michel-Ange et non tous les détails de son projet initial. En effet, c’est
le monument actuel qui a inspiré, avec les sculptures d’Il Pensiero et de La
Notte, Liszt pour ses œuvres musicales.
c. La Chapelle Sixtine
Détailler l’architecture et la décoration de la Chapelle Sixtine est une
entreprise qui dépasse largement le cadre de notre travail : la fresque du
Jugement Dernier de Michel-Ange a suscité, dès le début de sa création,
les réactions les plus passionnées. De nos jours, la littérature sur l’œuvre
foisonne. Aussi ne retiendrons-nous de ce vaste monument que ce qui
touche de près notre sujet, donc la musique interprétée dans ce lieu au
xixe siècle et les réactions qu’elle suscite. De plus, nous rappellerons un
événement important que Liszt lui-même raconte, et qui trouve une
correspondance musicale. Dans une lettre romaine de janvier 1862 au
Prince Friedrich von Hohenzollern-Hechingen, il écrit :
Jusqu’à présent je n’ai rien entendu qui m’ait donné le désir de l’écouter [la
musique] plus attentivement – à l’exception pourtant des Messes de Palestrina
et de son école dont le caractère de sublime permanence se manifeste dans son
entier à la Chapelle du Vatican. Le nombre des Chantres est assez restreint ;
mais les proportions acoustiques de la chapelle sont si excellentes et le Chœur si
bien placé (vers le milieu de la nef, mais un peu plus rapproché de l’autel) que
ces 24 ou 30 voix au plus produisent un effet très imposant. C’est un encens
sonore qui porte la prière sur des nuages d’or et d’azur.1
Liszt semble visiblement très touché par la musique jouée à la Chapelle
Sixtine.2 Elle l’inspirera dans des œuvres ultérieures, en particulier dans
l’emploi de la modalité. Comme Liszt, son ami Hector Berlioz s’est égale-
ment exprimé sur ce sujet, trente ans auparavant3 :
… cette harmonie des siècles passés, venue jusqu’à nous sans la moindre
altération de style ni de forme, offre aux musiciens le même intérêt que présen-
tent aux peintres les fresques de Pompéi. Loin de regretter, sous ses accords,
l’accompagnement de trompettes et de grosse caisse, aujourd’hui tellement mis
à la mode par les compositeurs italiens, que chanteurs et danseurs ne croiraient

1. Lettre de Liszt à Friedrich Wilhelm Constantin, prince de Hohenzollern-Hechingen,


Rome, le 26 janvier 1862, in Franz Liszt, Correspondance, Pierre-Antoine Huré et Claude
Knepper, éd., p. 448.
2. Voir à ce sujet Zsuzsanna Domokos, « The miserere Tradition of the Cappella Sistina,
mirrored in Liszt’s Works », Liszt 2000.
3. En 1832.
114 PREMIÈRE PARTIE

pas, sans lui, pouvoir obtenir les applaudissements qu’ils méritent, nous avoue-
rons que la chapelle Sixtine étant le seul lieu musical de l’Italie où cet abus
déplorable n’ait point pénétré, on est heureux de pouvoir y trouver un refuge
contre l’artillerie des fabricants de cavatines.1
Cette allusion de Berlioz concernant l’influence négative de la musique
de son temps dans la musique religieuse se retrouve également dans un
texte de Liszt écrit en 1834 et publié en 1835 dans la Revue et Gazette
musicale :
Entendez-vous ce beuglement stupide qui retentit sous la voûte des cathé-
drales ? qu’est-ce que cela ? c’est le chant de louange et de bénédiction que
l’épouse mystique adresse à Jésus-Christ, – c’est la psalmodie barbare, pesante,
ignoble, des chantres de la paroisse.
[…]
Et l’orgue, – ce pape des instruments, cet Océan mystique qui naguère
baignait si majestueusement l’autel du Christ et y déposait avec ses flots d’har-
monie les prières et les gémissements des siècles, – l’entendez-vous maintenant
se prostituer à des airs de vaudeville et même à des galops ?… Entendez-vous,
au moment solennel ou le prêtre élève l’Hostie Sainte, entendez-vous ce misé-
rable organiste exécuter des variations sur Di piacer mi balza il cor, ou Fra
Diavolo ?
Ô honte ! ô scandale ! […] Quand aurons-nous enfin de la musique reli-
gieuse ? 2
Les deux compositeurs considèrent que la musique de la Sixtine est la
seule musique religieuse digne de ce nom. D’ailleurs, Liszt ira même jusqu’à
écrire un projet complet dans son article « De la musique religieuse ».3
Il relate dans une lettre de Rome du 1er novembre 1862, adressée au
Grand-Duc Carl Alexander, son étrange rencontre à la Chapelle Sixtine :
Aussi y ai-je souvent cherché la place où devait être Mozart. J’imaginais
même que je le voyais et qu’il me regardait avec une douce condescendance.
Allegri se trouvait là tout près et semblait presque faire un acte de contrition
sur la célébrité que les pèlerins d’ordinaire peu aptes aux impressions musicales
ont pris soin d’imposer exclusivement à son Miserere.

1. Hector Berlioz, Mémoires, p. 213.


2. Franz Liszt, « De la musique religieuse » extrait de « De la situation des Artistes »,
publié en 1835 et repris dans Franz Liszt, Artiste et Société, Rémy Stricker, p. 44.
3. Voir : Franz Liszt, op. cit., p. 45-47.
Deuxième chapitre 115

Puis, lentement, apparaissait dans le fond, du côté du Jugement dernier


de Michel-Ange, une autre ombre, d’une grandeur indicible. Je la reconnus
instantanément avec transport, car tandis qu’Elle était encore exilée en cette
vie, elle avait consacré mon front par un baiser. Jadis, Elle aussi avait chanté
son Miserere, et nulle oreille n’avait entendu jusque-là des gémissements et des
sanglots d’une aussi profonde et sublime intensité. _ Rencontre étrange ! C’est
sur le mode d’Allegri, et le même intervalle d’une dominante obstinée que
trois fois le génie de Beethoven s’est posé, pour y laisser à jamais son immortelle
empreinte. Écoutez la Marche funèbre sur la mort d’un héros, l’adagio de
la Sonate quasi Fantasia et le mystérieux Convito de spectres et d’anges de
l’Andante de la 7e Symphonie. L’analogie de ces trois motifs avec le Miserere
d’Allegri n’est-elle pas frappante ?1
Mozart, Allegri et Beethoven se retrouvent ici réunis dans l’imaginaire
lisztien. À propos de la marche funèbre citée par le compositeur, Huré et
Knepper pensent qu’il s’agit en fait de la 3e symphonie en mi bémol Majeur
op. 55 (1803) dédiée au prince Lobkowitz, et non la 7e. Quant à la Sonate,
il s’agit de la « Clair de lune », en do mineur, op. 27, n° 2 (1801) dédiée à la
comtesse Giulietta Guicciardi. Le Miserere beethovénien est évidemment
une allusion à la célèbre Missa Solemnis en ré mineur, op. 123 (1818-
1823), dédiée à l’archiduc Rodolphe. À ce sujet, Alan Walker constate :
…le trait d’illumination musicale […] conduit Liszt non seulement à
rapprocher le Miserere d’Allegri de l’Ave verum corpus de Mozart (c’est là,
fondamentalement, tout le sujet de la « vision »), mais encore à les relier, à leur
tour, aux trois morceaux de Beethoven mentionnés ci-dessus. En termes stric-
tement musicaux, il y a une relation entre ces cinq œuvres, et c’est là finement
observé de la part de Liszt.2
Mais Liszt ne s’est pas contenté de constater un rapprochement musical
entre les œuvres d’Allegri et de Mozart, il les a lui-même associées dans une
œuvre intitulée À la Chapelle Sixtine3 (S.462 pour piano et S.360 pour

1. Franz Liszt, « lettre au Grand-Duc Carl Alexander Rome, 1er novembre 1862 », Franz
Liszt, Correspondance, Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 450.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 90, vol. 1. note.
3. Le Musée Liszt de Budapest possède une partition ayant appartenu à Liszt de l’Évo-
cation à la Chapelle Sixtine. Il est répertorié Ms. mus. L. 75, n° 1219. La couverture
comprend plusieurs compositions pour orgue (Neue Orgelcompositionen von Dr. Franz
Liszt) :
I. « Ave Maria » von Arcadelt.
II. « Ora pro nobis », Litanei.
116 PREMIÈRE PARTIE

orchestre). Il y établit encore des liens entre différents artistes appartenant


à des périodes de l’histoire de la musique ou de l’histoire des arts complè-
tement différentes :
En plus, j’ai écrit quelques autres compositions qui se rattachent au même
ordre d’émotion.1 L’une d’elles s’intitule Vision à la Chapelle Sixtine. Allegri
et Mozart en forment les grandes figures. Je les ai non seulement rapprochés,
mais comme reliés l’un à l’autre. La misère et les angoisses de l’homme gémis-
sent dans le Miserere ; l’infinie miséricorde et l’exaucement de Dieu y répon-
dent et chantent dans l’Ave verum corpus. Ceci touche au plus sublime des

III. Pio IX. Hymnus.


IV Évocation à la Chapelle Sixtine. Miserere von Allegri & Ave verum corpus de
Mozart.
V. Variationen über den Basso continuo des ersten Satzes der Cantate : « Weinen, Klagen,
Angst und Noth sind des Christen Thränen brod » und das Crucifixus der H. moll Messe
von J. Sebastian Bach.
Sur cette page de titre, le numéro 4 est souligné en partie au crayon de couleur bleue :
« Évocation à la Chapelle Sixtine. » Les parties comprenant Allegri et Mozart ne sont pas
soulignées. À l’intérieur de la partition, la première page donne d’autres informations
plus précises sur l’Évocation : l’œuvre est dédiée à « A.W. Gottschalg ». De plus, l’ins-
trumentation nécessaire est mentionnée : « für Orgel, Harmonium oder Pedal-Flügel. »
Vient ensuite le nom du compositeur, comme sur la page de couverture. La calligraphie
plus marquée, en gras bordée d’un relief transparent peu épais permet de différencier le
titre de ses composants en majuscules simples : « Miserere von Allegri/und/Ave verum
corpus von Mozart ». Le « und » (et) est très important puisqu’il unit les deux œuvres,
principales sources elles-mêmes de l’Évocation lisztienne.
Dans la partition elle-même, le « Miserere d’Allegri » ouvre la marche page 3, « lento »,
« besonders sehr dumpfte Register », PP, Geisterhaft, « 16 und 8 ? » Sempre sotto voce.
Cette partie va vers une complexification de l’écriture et de l’interprétation avant d’en-
tamer une élimination progressive qui aboutit à un point d’arrêt « sehr lang ». Ensuite,
après une première double barre, l’atmosphère redevient calme : Andante con pieta,
dolcissimo, PP ; l’armure passe de deux à cinq dièses. Le « Ave verum corpus von Mozart »,
écrit en petit au-dessus, vise à aider dans l’identification.
Le dernier accord – donc sur le quatrième temps – de la page 8 est précédé d’un bécarre
écrit au crayon de couleur bleu, vraisemblablement le même que celui qui a souligné
le titre initial. À la page suivante, une nouvelle double barre permet une autre armure :
deux bémols au lieu de six dièses. Huit mesures après cette double barre, un bémol est
à nouveau ajouté avec le crayon bleu au ré de la seconde voix, sur le quatrième temps.
De même, le ré de la voix supérieure de la dixième mesure après cette dernière barre de
mesure se voit également paré d’un bémol de la main de Liszt, toujours au crayon bleu.
1. Il évoque juste avant l’achèvement de sa Légende de Sainte Élisabeth grâce à laquelle il
souhaite participer « à la glorification de la “chère Sainte”, et propager le céleste parfum de sa
piété, de sa grâce, de ses souffrances, de sa résignation à la vie, de sa douceur envers la mort. »
Deuxième chapitre 117

mystères ; à celui qui nous révèle l’Amour victorieux du Mal et de la Mort. Si


cet argument paraissait trop mystique, je pourrais me rabattre sur un trait de
la biographie de Mozart, pour expliquer la donnée musicale indiquée. On sait
que, lors de son séjour à Rome, il nota le Miserere d’Allegri durant l’exécution
à la Chapelle Sixtine, soit pour en garder plus fidèle mémoire, soit peut-être
pour faire brèche au système prohibitif qui, dans le bon vieux temps, s’étendait
jusqu’aux manuscrits de musique. Comment ne pas se souvenir de ce fait, dans
l’enceinte même où il est passé ?1
Ce lieu requiert donc une place importante pour Liszt quand il se
remémore la performance mozartienne au sujet du Miserere d’Allegri.
La Chapelle Sixtine est ainsi le point de convergence d’une multipli-
cité de sensibilités artistiques, et même… d’artistes ! En ce sens, l’œuvre
lisztienne À la Chapelle Sixtine rend davantage hommage aux musiciens
qu’à Michel-Ange lui-même. De ce fait, nous écarterons cette œuvre de
notre corpus.

2. Le château de la Wartburg

Le château de la Wartburg aurait été fondé, selon la Légende, en 1067


par Louis le Sauteur, prince de Thuringe. En deux cents ans, les landgraves
successifs parviennent à étendre leurs terres et à ériger divers châteaux,
tout en fondant de nombreuses localités et des couvents. La place de la
Wartburg au sein de ces châteaux reste privilégiée, car les événements
pacifiques et culturels n’y ont fait que se succéder : poésie en moyen haut
allemand, Minnesang, œuvres de Sainte Élisabeth, traduction du Nouveau
Testament par Luther, réunions des corporations estudiantines, représen-
tations d’opéras de Wagner… Ajoutons à ceci, la restauration et la trans-
formation du château en monument national.
Le Pallas est élevé après 1170 par des artistes venus de Basse-Rhénanie ;
il est considéré comme l’édifice profane du roman tardif le mieux conservé
au nord des Alpes. Ses décors sculptés enjolivent de manière virtuose et
exubérante les chapiteaux des colonnes centrales, les fenêtres, ou encore
les galeries en arcades. Ceci correspond à une volonté du landgrave de
traduire sa position sociale au sein de l’Empire, tout en bénéficiant d’un
confort d’habitat et d’une défense efficace.

1. Franz Liszt, « lettre au Grand-Duc Carl Alexander, Rome, 1er novembre 1862 », Franz
Liszt, Correspondance, Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 449-450.
118 PREMIÈRE PARTIE

Moritz von Schwind peint les tableaux sur la vie de Sainte Élisabeth
lors de la restauration de la Wartburg en 1855-1856. Cette fresque se
trouve dans la « galerie Élisabeth » qui constitue la galerie d’arcades du
premier étage. Cette restauration est due à la volonté du Grand-duc de
Saxe-Weimar-Eisenach qui confie la direction d’une vaste campagne de
réaménagement à l’architecte Hugo von Ritgen. Ce dernier s’entoure d’ar-
tisans et d’artistes, dont le plus célèbre reste Moritz von Schwind.
Liszt découvre le château de la Wartburg en 1856. C’est avant tout
une reconstitution historique dans ce lieu, qui lui fit grand effet. Il écrit à
Wagner, au sujet de son Tannhäuser :
Tu as sans doute appris que S.M. le Roi veut que le décor du second acte
reproduise fidèlement le projet de restauration de la Wartbourg et qu’à cet effet,
il a envoyé Gropius à Eisenach. La vue de cette salle avec toutes les bannières
historiques, avec les costumes faits d’après des tableaux anciens, ainsi que tout
le cérémonial de cour pratiqué pendant la réception du landgrave, m’ont fait
un plaisir incroyable.1
Le site même de la Wartburg joue un rôle capital dans le choc esthé-
tique et émotionnel que peuvent engendrer les peintures gigantesques de
Schwind…

B. Peinture et arts graphiques


C’est, de loin, selon Monika Fink,2 le mode d’expression artistique qui
a le plus inspiré les artistes en général, et Liszt en particulier : la majorité de
ses compositions réalisées à partir d’œuvres d’art plastique s’appuient sur
un modèle pictural ou graphique. Les tableaux, eux, arrivent en première
position. À l’exception de Sposalizio – celui de Raphaël – dont nous retra-
cerons brièvement l’historique, nous n’évoquerons pas ici les sources pictu-
rales et graphiques du Totentanz ni le dessin de Zichy. Nous les détaillerons
dans les chapitres de la dernière partie qui leur sont consacrés.

1. Lettre de Liszt à Wagner du 14 janvier 1856 (Weimar), citée par Schmidt, L. et Lacant,
J. (traduit par) : Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, p. 349.
2. Monika Fink, op. cit., p. 21.
Deuxième chapitre 119

1. Sposalizio, d’après un tableau de Raphaël


Afin de satisfaire la commande de la famille Abizzini, pour la chapelle
San Giuseppe (Saint Joseph), de l’église San Franscesco à la Citta di
Castella, Raphaël choisit de représenter le Mariage de Saint Joseph et de
la Sainte Vierge : Sposalizio. En 1798, la municipalité donne ce tableau
au général Lechi qui le vend à un antiquaire en 1801. Ce dernier le lègue
à l’Ospedale Maggiore de Milan en 1804. Puis Beauharnais l’acquiert en
1806. Il est ensuite placé à l’Académie des Beaux-arts de Milan où il est
encore exposé aujourd’hui. Il est restauré à la fin du xixe siècle, de même
récemment, à cause de légers dégâts commis par un exalté.
Deux œuvres du Pérugin servent de référence à Raphaël dans l’élabo-
ration du Sposalizio. Le travail sur la perspective dans La Remise des Clefs de
Saint Pierre de la Chapelle Sixtine, datant de 1482, est repris par Raphaël
de manière approfondie dans Sposalizio. Mais c’est le Mariage de la Sainte
Vierge, peint vers 1503-1504, conservé actuellement au musée de Caen,
qui reste la référence la plus évidente, aussi bien par le sujet choisi que par
son traitement.
Ainsi remarquons-nous dans les deux tableaux la même disposition
des personnages du premier plan et la présence d’un édifice hiératique
au second. Mais Raphaël a su se détacher de son modèle pour créer une
œuvre personnelle : l’édifice octogonal, pesant, du Pérugin, s’allège grâce
à la multiplication des arcs du portique – seize au lieu de huit – décuplant
la grâce des volutes. Notons que, chez Raphaël, les arcs de cercle sont
omniprésents dans la construction : de la coupole entièrement apparente
– contrairement à celle du Pérugin – en passant par les volutes, jusqu’à la
disposition des cinq personnages principaux du premier plan. D’ailleurs,
ce qui frappe à première vue dans ce tableau – et ce qui a dû frapper Liszt
– c’est la porte de l’édifice qui ouvre vers un monde inconnu : l’au-delà
pour Liszt le croyant, et l’avenir pour Liszt l’artiste, le musicien nova-
teur. N’a-t-il pas d’ailleurs déclaré, à l’instar de Beethoven, qu’il désirait
composer « pour les futures générations » ? Car cette porte, qui attire l’œil
d’emblée, est le point de convergence de toutes les lignes de forces de la
composition.
120 PREMIÈRE PARTIE

2. La Hunnenschlacht, d’après un monumental tableau


de Kaulbach
Avant tout, précisons que la Hunnenschlacht de Kaulbach « est
l’exemple le plus ancien de ses tableaux monumentaux inspirés par l’his-
toire ancienne, qui le rendirent célèbre. »1 James Deaville précise les
origines de l’œuvre et ses différentes versions :
Une première version a été élaborée en 1834, d’après laquelle Kaulbach
a peint un tableau monochrome pour Athanasius, Comte Raczynski (1835-
1837) établi à Berlin. Kaulbach exposa la Hunnenschlacht dans le cycle des
fresques « Histoire de l’humanité dans des représentations allégoriques histo-
riques » qu’il peignit entre 1845 et 1865 pour la cage d’escalier du Nouveau
Musée Berlinois. Dans le courant des années 1840, Kaulbach acheva la
Hunnenschlacht que Liszt vit dans les années 50 et qui impressionna forte-
ment le maître. Bien que les fresques furent détruites en novembre 1943 par
des bombardements aériens, les originaux des versions bicolores sont encore
conservés. Le tableau initial des années 30 du xixe siècle est encore visible égale-
ment au Muzeum Narodowe de Poznan.2
Dans le catalogue Fontane und die Bildende Kunst, une indication
supplémentaire est donnée sur une esquisse à Stuttgart d’une part, et
d’autre part sur l’époque durant laquelle Kaulbach a peint une version de
la Hunnenschlacht pour le Nouveau Musée de Berlin :
Dans le tableau de Stuttgart, il s’agit de la présentation en couleur de
son esquisse exposée en 1834 à la société d’amis des arts de Munich. Les deux
œuvres sont la base de son tableau monumental créé entre 1847 et 1851 pour
le Nouveau Musée de Berlin, et qui fut entièrement détruit pendant la seconde
guerre mondiale.3
Rappelons, pour terminer, que Liszt désirait réaliser un projet gigan-
tesque avec Kaulbach, projet qu’il n’a pas pu réaliser.4

1. Petit Larousse de la Peinture, Paris, Larousse, 1985, p. 938.


2. James Deaville, « Liszts Orientalismus : Die Gestaltung des Andersseins in der Musik »
in Liszt und die Nationalitäten, note 69 p. 181.
3. Catalogue d’exposition : Fontane und die bildende Kunst, n. 1, p. 190.
4. Voir notre développement : « Liszt et Kaulbach » dans ce même chapitre.
Deuxième chapitre 121

3. La Faust symphonie composée à partir de tableaux


d’Ary Scheffer
Si nous nous référons à Walter Salmen1 et à Monika Fink2, Liszt s’est
inspiré de tableaux de Scheffer dans la composition de la Faust Symphonie.
L’artiste lui-même connaissait le mythe de Faust par l’intermédiaire de
Goethe :
Scheffer s’est aussi inspiré de l’œuvre de Goethe, et cela dans une dizaine
de compositions vite célèbres. Rien d’étonnant : son père était allemand et sa
mère, qui savait parler et lire l’allemand, l’ont sans aucun doute initié aux
œuvres de Goethe, Schiller, et Uhland, qui par la suite devaient lui fournir
tant de sujets de peinture. De fait, dès 1825, donc une année avant le premier
Faust de Delacroix et bien avant les publications et représentations théâtrales
de la fin des années 20, Scheffer termina sa Marguerite implorant la Vierge.
la Marguerite et le Faust de 1831, qu’il expose au salon de 1831, devaient
bientôt compter parmi ses œuvres les plus populaires.3
Outre l’ouvrage goethéen dont il s’est assurément inspiré4, Liszt devait
effectivement connaître les réalisations faustiennes de Scheffer. Un grand
nombre d’artistes succombent d’ailleurs à leur charme. Ainsi, Heinrich
Heine les décrit-il en termes très élogieux :
Le Faust et la Marguerite de ce peintre ont d’abord attiré le plus l’atten-
tion publique, parce que les meilleures productions de Robert et de Delaroche
n’ont été exposées que plus tard.
Cependant, celui qui n’a jamais rien vu de Scheffer est sur-le-champ
frappé par sa manière, qui se prononce surtout dans la couleur. Ses ennemis
prétendent qu’il ne peint qu’avec du tabac et du savon vert. J’ignore jusqu’à
quel point ils lui font tort en cela […] La Marguerite de Scheffer ne peut être
décrite : elle est plus sentiment que figure. C’est une âme peinte.5
L’hommage est saisissant, voire excessif, si nous comparons avec la
Marguerite au Rouet de Delacroix ! Mais il montre combien les peintures
goethéennes de Scheffer peuvent soulever l’enthousiasme à son époque.

1. Walter Salmen, « Franz Liszt und die bildende Kunst. Zu einigen programmatischen
Kompositionen ».
2. Monika Fink, Musik nach Bildern.
3. Leo Ewals, Ary Scheffer, sa Vie et son œuvre, p. 71.
4. Il suffit de relire le sous-titre de la symphonie pour s’en convaincre…
5. Heinrich Heine, « salon de 1831 », De la France, p. 326-330.
122 PREMIÈRE PARTIE

Nous avons trouvé la référence à Ary Scheffer pour la Faust Symphonie


dans l’ouvrage de Monika Fink1 qui ne donne pas ses sources. Elle cite
Walter Salmen, dont nous avons consulté l’article « Franz Liszt und die
bildende Kunst. Zu einigen programmgebundenen Kompositionen ».2
Lui non plus ne précise pas ses sources. Cependant, seuls ces deux musi-
cologues actuels font un renvoi à Scheffer comme source d’inspiration de
la Faust Symphonie. Nous sommes donc revenue ensuite aux sources et
avons enfin trouvé la première personne qui cite ce peintre. Il s’agit de
Lina Ramann.3 Mais elle ne mentionne à aucun endroit un quelconque
lien entre la Faust Symphonie et les portraits faustiens de Scheffer : elle
évoque simplement son portrait de Liszt en précisant que Scheffer est très
connu grâce à ses gravures.4 Plus loin, elle décrit le portrait de 1837 et le
buste de 1838 de Liszt lorsqu’elle décrit l’intérieur de l’Altenburg.5 Elle
nous apprend également que la Princesse Wittgenstein possédait, dans
une chambre au décor oriental, une peinture représentant trois rois6, dont
l’un d’eux, un astronome (« Sternensucher »), ressemblait à Liszt. Elle avait
acquis cette œuvre auprès d’un membre de la cour royale hollandaise.
Lina Ramann nous avise ensuite que Liszt a dédicacé à Scheffer
la première édition de quelques-uns de ses Lieder sur des poèmes de
Goethe et de Schiller.7 Elle cite ensuite Peter Cornelius dans l’almanach
de l’ADMV8, tout en expliquant que Scheffer a seulement illustré (en
couleur) plusieurs scènes entre Faust et Gretchen, mais sans Mephisto.9

1. Monika Fink, Musik nach Bildern.


2. Walter Salmen, « Franz Liszt und die bildende Kunst. Zu einigen programmatischen
Kompositionen ».
3. Nous devons tous les renseignements qui suivent à Cornelia Szabo-Knotik qui a eu
la gentillesse, non seulement de nous confier son résumé des passages concernés, mais
également de nous le traduire ! Qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée !
4. Lina Ramann, Franz Liszt. Als Künstler und Mensch, Leipzig 1887 Breitkopf & Härtel,
2. Band (sans titre), III. Buch, « Virtuosen-Periode. Saus und Braus (1839/40-1847) »,
p. 105.
5. Lina Ramann, Franz Liszt. ibid., IV. Buch, « Sammlung und Arbeit in Weimar (1848-
1861) », p. 37-38.
6. Vraisemblablement les rois mages dont parle le docteur Carlos Davila.
7. Lina Ramann, op. cit., IV. Buch, « Sammlung und Arbeit in Weimar (1848-1861) »
p. 136 et suiv.
8. « Allgemeine Deutsche Musik-Verein », c’est-à-dire l’association de la Neudeutsche
Schule.
9. Lina Ramann, op. cit., IV. Buch, « Sammlung und Arbeit in Weimar (1848-1861) »
p. 197.
Deuxième chapitre 123

C’est sans doute cette dernière indication qui a poussé Walter Salmen à
déduire un peu hâtivement que la Faust Symphonie puisait son sujet dans
les portraits de Scheffer…
Par ailleurs, un autre élément nous fait remettre en doute l’exactitude
de l’affirmation de Salmen. Il s’agit d’une lettre du 9 novembre 1852 de
Wagner adressée à Liszt, dans laquelle l’auteur s’entretient du rôle du
personnage de Gretchen dans une composition symphonique :
Je veux te parler de l’ouverture de Faust. Tu m’as joliment pris en flagrant
délit de mensonge, moi qui voulais me persuader que j’avais écrit une « ouver-
ture de Faust » ! Tu as fort bien démêlé par où cela pèche : ce qui y manque,
c’est la femme ! Mais peut-être comprendrais-tu bien vite mon poème musical
si je l’appelais « Faust dans la solitude » !
Je voulais écrire autrefois toute une symphonie de Faust : la première partie
(celle qui est achevée) était précisément « Faust dans la solitude », le Faust
qui désire, qui désespère, qui maudit ; le « féminin » lui apparaît simplement
comme l’image née de son désir, mais non dans sa divine réalité : et c’est juste-
ment cette image insuffisante de ce qu’il désire qu’il brise dans l’excès de son
désespoir. C’était la seconde partie seulement qui devait présenter Marguerite,
la femme. J’avais déjà le thème voulu, mais ce n’était qu’un thème, le tout en
resta là, et j’écrivis mon Vaisseau fantôme. Voilà toute l’explication !1
Si Liszt s’est souvenu de la lettre de son ami, ce qui est fort probable
étant donnée l’importance qu’il accordait aussi bien au thème de Faust
qu’aux idées du futur maître de Bayreuth, il faut à nouveau écarter la
piste d’Ary Scheffer. Ici, c’est vraiment le rôle de la femme salvatrice qui
est retenu. Il n’y a pas d’allusion à une quelconque représentation de
Marguerite.
Ainsi semble-t-il douteux que la Faust Symphonie prenne sa source dans
les œuvres picturales de Scheffer. Si Liszt les connaissait, il s’en est détaché
rapidement pour se concentrer sur l’œuvre littéraire de Goethe et sur les
compositions musicales de ses contemporains.2 Nous écartons donc cette
œuvre de l’étude de notre corpus, même si nous y ferons ponctuellement
allusion.

1. Richard Wagner, « lettre du 9 novembre 1852 à Franz Liszt », citée dans Schmidt, L. et
Lacant, J. (traduit par) : Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, p. 175.
2. Voir à ce sujet nos articles « Quelques mises en musique de Faust au xixe siècle :
Berlioz, Gounod, Schubert, Alkan, Liszt », in L’Éducation musicale, mars et avril 1999
ainsi que « La Faust Symphonie de Liszt : Analyses pour une Analyse », Musurgia, vol. V,
n° 3/4, p. 15-36.
124 PREMIÈRE PARTIE

4. La Légende de Sainte Élisabeth, d’après la fresque


de Moritz von Schwind
La fresque de la « Galerie Élisabeth » s’appuie sur six événements
survenus pendant la vie de la sainte :
– L’arrivée au château de la princesse, à l’âge de quatre ans.
– Le miracle des roses.
– Les adieux de son époux Louis partant en croisade.
– Élisabeth quittant le château après la mort du Landgrave.
– Son chevet mortuaire à l’hôtel-Dieu de Marburg.
– La levée de son corps lors de sa sanctification en 1235.
De plus, entre deux épisodes, Schwind peint en médaillon les sept
œuvres de charité de Sainte Élisabeth, à savoir : « nourrir ceux qui ont
faim », « désaltérer ceux qui ont soif », « vêtir ceux qui sont nus »…
Ces épisodes ne se retrouvent pas dans l’oratorio de Liszt. En revanche,
les œuvres picturales de Moritz von Schwind peuvent être analysées au
regard de l’ouvrage de Montalembert.
L’arrivée de la Princesse à l’âge de quatre ans est décrite dans l’ouvrage
de Montalembert : le duc Hermann, averti de sa naissance, demande
qu’Élisabeth devienne l’épouse de son fils, et soit par conséquent conduite
dans son royaume de Thuringe. Et Montalembert de poursuivre :
Mais avant de la (Élisabeth) laisser partir, il (son père) voulut célébrer une
fête en son honneur ; et, ayant convoqué tous les chevaliers de sa cour et leurs
dames, il ordonna des réjouissances brillantes : les jeux, les danses, la musique
surtout et les chants des ménestrels durèrent trois jours, au bout desquels les
ambassadeurs thuringiens demandèrent congé au roi. On apporta la petite
Élisabeth, qui n’avait que quatre ans, enveloppée d’une robe de soie brodée
d’or et d’argent : on la coucha dans un berceau d’argent massif, et on la remit
ainsi aux Thuringiens.1
Inquiets, les parents d’Élisabeth demandent aux Thuringiens de bien
s’occuper de la petite fille. Puis ils donnent de nombreux présents en guise
de dot :
Les ambassadeurs partirent enfin ; ils étaient venus avec deux voitures, ils
s’en retournèrent avec treize, tant leur bagage s’était accru. Le roi leur avait
confié treize nobles demoiselles de Hongrie pour servir de compagnes à sa fille,
et qui furent toutes dotées et mariées en Thuringe par le duc Hermann.

1. Charles de Montalembert, Vie de Sainte Élisabeth de Hongrie, p. 117.


Deuxième chapitre 125

Leur voyage de retour se fit sans encombre. Dès que le duc Hermann et la
duchesse Sophie eurent reçu la nouvelle de leur approche et du succès de leur
mission, ils se mirent à genoux, et bénirent Dieu de ce qu’il avait exaucé leurs
vœux. Puis ils descendirent aussitôt de la Wartbourg à Eisenach pour y recevoir
leurs envoyés, que Dieu avait si bien conseillés. La joie d’avoir obtenu une
jeune duchesse leur avait à peu près fait perdre la tête, à ce que dit un des chro-
niqueurs officiels de leur cour. Ils conduisirent tout le cortège dans l’auberge
d’Hellgref, où Klingsohr avait fait sa prédiction, et qui était la meilleure du
temps. Là, le Landgrave prit la petite Élisabeth entre ses bras, la serrant contre
sa poitrine, il remercia encore Dieu de la lui avoir accordée. 1
C’est cette dernière scène que représente Moritz von Schwind. La
petite fille est accueillie par le Landgrave.
La scène suivante concerne directement le miracle des roses. Elisabeth
est alors déjà mariée. Ce miracle est énoncé chez Montalembert dans le
chapitre viii – de son ouvrage intitulé Élisabeth de Hongrie publié en 1836
– sous-titré : « De la grande charité de la chère Sainte Élisabeth et de son
amour pour la pauvreté ». Voici la narration de Montalembert :
Élisabeth aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non seule-
ment de l’argent, mais encore les vivres et les autres objets qu’elle leur desti-
nait. Elle cheminait ainsi chargée par les sentiers escarpés et détournés qui
conduisaient de son château à la ville et aux chaumières des vallées voisines.
Un jour qu’elle descendait, accompagnée d’une de ses suivantes favorites, par
un petit chemin très rude que l’on montre encore, portant dans les pans de son
manteau du pain, de la viande, des œufs et d’autres mets, pour les distribuer
aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari, qui revenait de
la chasse. Étonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau, il lui
dit : « voyons ce que vous portez ; « et en même temps il ouvrit, malgré elle,
le manteau qu’elle serrait, tout effrayée, contre sa poitrine ; mais il n’y avait
plus que des roses blanches et rouges, les plus belles qu’il eût vues de sa vie : cela
le surprit d’autant plus que ce n’était plus la saison des fleurs. S’apercevant
du trouble d’Élisabeth, il voulut la rassurer par ses caresses ; mais il s’arrêta
tout à coup en voyant apparaître sur sa tête une image lumineuse en forme
de crucifix. Il lui dit alors de continuer son chemin sans s’inquiéter de lui, et
remonta lui-même à la Wartbourg, en méditant avec recueillement sur ce que
Dieu faisait d’elle, et emportant avec lui une de ces roses merveilleuses, qu’il
garda toute sa vie. À l’endroit même où cette rencontre eut lieu, à côté d’un

1. Charles de Montalembert, ibid., p. 118.


126 PREMIÈRE PARTIE

vieil arbre qui fut bientôt abattu, il fit élever une colonne surmontée d’une
croix, pour consacrer à jamais le souvenir de celle qu’il avait vue planer sur la
tête de sa femme. »1
Le peintre peint le moment où la transformation du pain en roses
est totalement consommée. Son époux à cheval se penche doucement
au-dessus d’elle tandis que deux autres personnages montrent par leurs
mains jointes qu’un miracle a eu lieu. L’un d’eux est même agenouillé.
Moritz von Schwind représente également le départ du duc Louis à
la Croisade. Charles de Montalembert raconte la scène dans son ouvrage
Sainte Élisabeth de Hongrie, au chapitre 15 « Comment le bon duc Louis
se croisa et de la grande douleur avec laquelle il prit congé de ses amis, de
sa famille et de la chère Sainte Élisabeth » :
Enfin, le jour de la nativité de Saint Jean-Baptiste, fixé pour le départ,
étant arrivé, il fallut se séparer. […] Il ne pouvait retenir ses pleurs en les (ses
enfants) embrassant ; et, quand il se retourna vers sa bien-aimée Élisabeth, les
sanglots et les larmes étouffèrent tellement sa voix, qu’il ne sut rien lui dire.
Alors, l’entourant d’un de ses bras, et sa mère de l’autre, il les tint ainsi toutes
deux contre son cœur, sans pouvoir parler, en les couvrant de ses baisers et
versant d’abondantes larmes pendant plus d’une demi-heure.2
Le peintre a conservé de cette scène l’idée de l’enlacement du duc avec
son épouse, dont la sainteté est symbolisée par une auréole. Celle-ci lui
donne un tendre baiser sur la joue, les bras autour de son cou. Schwind n’a
pas oublié la mère de Louis, debout à sa droite. Les personnages drapés et
les chevaux que Schwind a serrés dans un espace restreint, suggèrent l’im-
minence du départ du duc. Au-dessus des protagonistes, le ciel est décoré
avec des arabesques, typique du style de Schwind.
La terrible scène où Sainte Elisabeth est chassée se retrouve décrite de
manière très dramatique par Montalembert dans son chapitre « Comment
la chère Sainte Élisabeth fut chassée de son château avec ses petits enfants
et réduite à une extrême misère. Et de la grande ingratitude et cruauté des
hommes envers elle ». Il relate comment des courtisans conspirèrent et réus-
sirent à la chasser.3 Le dessin de Schwind la met en scène avec ses enfants lors

1. Charles de Montalembert, ibid., p. 70-71.


2. Charles de Montalembert, ibid., p. 242-243.
3. Voir le texte de Charles de Montalembert cité dans le chapitre vi de notre deuxième
partie.
Deuxième chapitre 127

d’une tempête. Le château se profile dans le lointain. Ensuite, Moritz von


Schwind représente la mort de la sainte, que Montalembert résume ainsi :
Puis, à voix basse : « Silence !… Silence ! » En prononçant ces mots, elle
baissa la tête comme dans un doux sommeil, et rendit en triomphe le dernier
soupir. Son âme s’envola au Ciel au milieu des anges et des saints, qui étaient
venus au-devant d’elle. Un délicieux parfum se répandit aussitôt dans l’humble
chaumière qui ne rendrait plus que sa dépouille mortelle, et l’on entendit dans
les airs un chœur de voix célestes qui chantait avec une ineffable harmonie le
célèbre verset de l’Église qui résumait toute sa vie : Regnum mundi contempsi
propter amorem Domini mei Jesu Christi, quam vidi, quem amavi, in
quem credidi, quem dilxi.
C’était dans la nuit du 19 novembre de l’année 1231 ; la sainte avait à
peine accompli sa vingt-quatrième année. »1
Le peintre met la sainte héroïne en scène dans un décor sobre. Allongée
sur une pauvre paillasse, les mains jointes, elle semble dormir en paix.
Seul un homme barbu reste debout, à ses côtés, dans une attitude de
recueillement. Une femme est sortie, les yeux levés, car trois anges chan-
tent au-dessus du toit, surveillés d’en haut par Jésus bienveillant, les bras
ouverts en signe d’invitation, au centre d’une mandorle. Les arabesques,
typiques de l’art du peintre allemand, enjolivent tout le haut du tableau,
comme dessinées par deux anges, chacun étant à côté de Dieu.
L’enterrement et la sanctification de la Sainte donnent lieu à plusieurs
développements dans le texte de Montalembert. Il décrit ainsi le début des
préparatifs :
Après qu’elle eut rendu le dernier soupir, ses fidèles suivantes et quelques
autres femmes dévotes lavèrent tout ce qui restait de celle dont les derniers
instants avaient si bien répondu à toutes les glorieuses victoires de sa vie anté-
rieure. Elles lui donnèrent pour linceul cette pauvre robe déchirée qu’elle avait
eue pour seule parure, et qu’elle-même avait désignée et désirée pour vêtement
mortuaire. Ce corps sacré fut ensuite transporté par les religieux franciscains,
accompagnés du clergé et du peuple, au milieu des chants funèbres et des larmes
de tous, à l’humble chapelle de cet hôpital de Saint François, qui devait être le
premier théâtre de sa gloire…2

1. Charles de Montalembert, op. cit., p. 392.


2. Charles de Montalembert, ibid., p. 264.
128 PREMIÈRE PARTIE

Il ressort nettement que la peinture de Schwind ne respecte pas la


description évoquée ici de la robe déchirée. Il tient à donner une image
idéalisée de la sainte femme.
Il est à noter que Schwind s’est également inspiré de l’épisode précé-
dant la naissance de Sainte Élisabeth pour sa peinture murale, dans la salle
des poètes. Elle représente le « combat poétique de la Wartburg ». Le sujet
est rapporté de manière très vivante par Charles de Montalembert dans le
premier chapitre de son ouvrage : Sainte Élisabeth de Hongrie : « Comment
le duc Hermann régnait en Thuringe et le Roi André en Hongrie, /et
comment la chère Sainte Élisabeth prit naissance et fut transportée à
Eisenach » :
Il arriva en l’an 1206 que le duc Hermann, se trouvant à son château de
la Wartburg, au-dessus de la ville d’Eisenach, réunit à sa cour dix des poètes
les plus renommés de l’Allemagne, à savoir : Henri Schreiber, Walther von der
Vogelweide, Wolfram d’Eschenbach, Reinhart de Zwetzen, qui étaient tous
quatre chevaliers d’ancienne lignée ; Bitterolf, officier de sa maison ; et enfin
Henri d’Ofterdingen, simple bourgeois d’une famille pieuse d’Eisenach. Une
rivalité violente se déclara bientôt entre les cinq poètes de noble naissance et
le pauvre Henri, qui était au moins leur égal en talent et en popularité. La
tradition les accuse d’avoir voulu même attenter à sa vie, et raconte qu’un
jour qu’ils fondirent tous ensemble sur lui, il ne put leur échapper qu’en se
réfugiant auprès de la duchesse Sophie (car le duc lui-même était en course),
et en se cachant dans les plis de son manteau. Pour vider leur différend, ils
convinrent de se livrer à un combat public et définitif, en présence du duc
et de sa cour, et avec l’assistance du bourreau, la corde à la main, qui devait
pendre, séance tenante, celui dont les chants seraient reconnus inférieurs à ceux
de ses rivaux, montrant ainsi que la gloire et la vie étaient, à leurs yeux, insé-
parables. Le duc consentit à cette condition, et présida à cette lutte solennelle,
qui retentit dans toute l’Allemagne, et à laquelle vinrent assister une foule de
seigneurs et de chevaliers. Ils chantèrent tour à tour. […] Ces chants, recueillis
par l’auditoire, se sont conservés jusqu’à nos jours, sous le titre de la guerre de
la Wartburg. […] Il fut impossible de décider du mérite des ménestrels rivaux,
et il fut convenu que Henri de Ofterdingen irait chercher en Transylvanie le
célèbre maître Klingsohr. […] Un délai d’un an fut accordé à Henri pour
faire ce voyage et, au jour marqué, il se trouva aux portes d’Eisenach, avec le
grand savant. […] Ces braves gens l’entourèrent et lui demandèrent de leur
Deuxième chapitre 129

apprendre quelque chose de nouveau : sur quoi il se leva, et se mit à contempler


les astres avec attention pendant longtemps. Puis il leur dit : « Je vous appren-
drai quelque chose de nouveau et de joyeux aussi ; je vois une belle étoile qui
se lève en Hongrie, et qui rayonne de là à Marbourg, et de Marbourg dans le
monde entier. Sachez que cette nuit même, il est né à monseigneur le roi de
Hongrie, une fille qui sera nommée Élisabeth, qui sera donnée en mariage au
fils du prince d’ici, qui sera sainte, et dont la sainteté réjouira et consolera toute
la chrétienté. » Les assistants entendirent ces paroles avec une grande joie.1
Moritz von Schwind choisit de représenter la lutte qui oppose les diffé-
rents artistes. Pour ce faire, il peint des personnages formant deux groupes
opposés autour d’un axe central : le couple royal. La scène se caractérise
par sa théâtralité : les personnages portent des drapés à l’antique et se tien-
nent dans des postures éminemment recherchées et dynamiques, rappelant
celles des héros dans l’art baroque ; en effet, les bras sont souvent ouverts,
les mains se caractérisant par la multiplicité de leurs expressions : ouvertes,
légèrement recroquevillées, jointes parfois… Les deux hommes debout à
gauche montrent une attitude fière et décidée. Le premier semble marcher
littéralement sur les autres, portant un livre apparemment précieux. Le
second, au premier plan, nous tourne le dos. Le bras droit levé, sa posture
rappelle celle que les maniéristes italiens appellent contrapposto. Le grand
nombre de personnages et d’instruments présents dans les deux groupes
provoque une surcharge. Seul le point central se dégage, laissant un peu
plus d’espace libre au couple royal, malgré deux chanteurs devant lui. Le
décor aux riches fresques et aux grands écussons tranche avec la violence
de la scène représentée. Les colonnes, droites et majestueuses derrière la
reine – elle aussi droite et majestueuse – et à droite du tableau, renforcent
cette opposition.
Moritz von Schwind a donc voulu mettre en valeur les tensions et la
violence du sujet. Si cette scène semble a priori éloignée de notre sujet,
elle est cependant importante dans la mesure où elle prouve que Schwind
inclut sa fresque de la galerie Elisabeth dans une réflexion plus large sur la
vie de la sainte.
Notons que l’œuvre de Schwind concernant Sainte Élisabeth a été très
appréciée non seulement par Liszt, mais aussi par sa compagne Caroline
Sayn Wittgenstein comme le montre la remarque de Liszt concernant un
cadeau que cette dernière avait fait à sa fille Marie :

1. Charles de Montalembert, ibid., p. 23-25.


130 PREMIÈRE PARTIE

Le 15 août c’est aussi la fête de la Pcesse Marie – sa mère lui a fait un


magnifique cadeau aujourd’hui par les cartons des peintures de Schwind à la
Wartburg. Comme il arrive souvent aux peintres allemands que leurs cartons
sont supérieurs à leurs tableaux, c’est aussi le cas pour ces sept œuvres de
Miséricorde de Sainte Élisabeth – lesquelles à part leur grand mérite artis-
tique ont aussi celui de faire un doux contraste aux septante sept actes de
dureté qu’on a jusqu’ici si hypocritement pratiqués envers la Pcesse Marie –
Grâce à Dieu elle possède un très noble cœur et une intelligence singulièrement
droite et perspicace ;1
Le sujet religieux devait également toucher cette docte théologienne.

Récapitulation
En résumé, Liszt dispose de critères de choix très évidents : ce n’est
pas la forme artistique – peinture, architecture, sculpture, dessin – mais
le concept contenu dans l’œuvre, qui procure au compositeur la source de
son énergie créatrice.
Cette idée se retrouve abondamment dans ses écrits, d’où il ressort que
Liszt était doté d’une culture pluri-artistique, d’une part, et d’un talent réel
de critique d’art, d’autre part. Nous allons développer cet aspect à partir du
texte de 1839 adressé à Joseph d’Ortigue, sur la Sainte Cécile de Raphaël…

1. Franz Liszt, « Lettre xxvi de Liszt à Agnès Street-Klindworth », Franz Liszt and Agnes
Street-Klindworth, a Correspondence, 1854-1886, p. 314.
Troisième chapitre
Liszt « critique d’art » ?
Étude du texte sur « la Sainte Cécile
de Raphaël » à M. Joseph d’Ortigue
de 1839

En vérité, les œuvres des autres peuvent s’appeler des peintures, mais celles
de Raphaël, c’est la vie même ; la chair palpite, on sent le souffle et le pouls qui
bat dans ces figures dont l’animation même est perceptible. Cette œuvre mit le
comble à son renom. On écrivit en son honneur des vers, en latin et en langue
vulgaire, dont je ne citerai que ceux-ci, pour ne pas allonger mon récit plus
qu’il ne convient :
« Que d’autres peignent avec des couleurs de simples visages !
Raphaël a fait paraître Cécile, son visage et son âme. »
Giorgio Vasari (Les Vies, vol. 5)

Si Liszt a composé bon nombre de pièces musicales à partir d’œu-


vres d’art visuel, il s’est également exprimé sur l’art dans sa correspon-
dance ; le texte le plus fourni et le plus éloquent, à ce sujet, reste sa lettre
du 14 avril 1839 adressée à M. Joseph d’Ortigue1 sur la Sainte Cécile de
Raphaël. Le texte fait partie des « Lettres d’un Bachelier ès musique ».
Véritable lettre ouverte, cette page de Liszt a d’abord été publiée dans

1. Joseph d’Ortigue (1806-1866) : ami de Liszt, il écrit sa première biographie en 1835


(publiée en Allemagne en 1836) ! Il est également rédacteur de la Gazette musicale.
132 PREMIÈRE PARTIE

la Gazette musicale, avant que Lina Ramann1 puis Jean Chantavoine2 et


enfin Rémy Stricker3 en offrent tour à tour une édition. Liszt se montre
ici amateur d’art éclairé, même s’il manque parfois d’exactitude dans la
description du tableau, comme nous le verrons. Cependant, au-delà de
l’importance sociologique de ce texte, nous pouvons déceler ici comment
Liszt appréhende une œuvre d’art visuel, ce qu’il en retire, et, élément tout
aussi important, ce qu’il laisse de côté.
Cette étude nous permettra de dégager les grandes lignes de la percep-
tion lisztienne et d’en tirer une méthode d’analyse adéquate pour les
œuvres qui l’ont inspiré dans sa musique.

I. Historique du tableau
et sentiments du spectateur

…j’avais hâte de voir la Sainte Cécile. Il me serait difficile, impossible


même de vous faire comprendre ce que j’éprouvai en me trouvant tout à coup
en présence de cette magnifique toile où le génie de Raphaël nous apparaît dans
toute sa splendeur. 4
Si le musicien ne précise pas pourquoi il avait « hâte de voir la Sainte
Cécile », son empressement atteste qu’il connaissait ce tableau, son sujet,
qui, sans doute, l’intéressait. Peut-être avait-il déjà eu l’occasion de voir
une reproduction, tant cette œuvre était connue à l’époque.5
L’intensité des sentiments de Liszt par rapport au sujet fait que l’his-
torique du tableau est loin d’être sa principale préoccupation. En effet, il
n’y fait aucunement allusion. Vasari explique qu’il s’agit d’une commande
de Lorenzo Pucci pour San Giovanni in Monte à Bologne, mais il fait une

1. Lina Ramann avait regroupé les textes en français de Liszt qu’elle avait traduits en
allemand dans les Gesammelte Schriften (Voir Lina Ramann (éd.), Franz Liszt, Gesammelte
Schriften, 6 vol.) La tentative était audacieuse et précieuse, mais elle s’est révélée fautive
et lacunaire (Voir à ce sujet ce qu’écrit Alan Walker, Franz Liszt, p. 18, vol.1). Aussi
avons-nous laissé cette édition de côté.
2. Jean Chantavoine (éd.), Franz Liszt, Pages romantiques. Seuls les textes principaux sont
publiés ici ; mais ce fut l’outil de référence avant le travail minutieux de Stricker.
3. Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, 424 p. C’est l’édition de référence. Les
textes sont puisés à la source, principalement dans la Gazette.
4. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », Franz
Liszt, Artiste et Société, Rémy Stricker, ibid., p. 154-155.
5. Voir notre chapitre précédent.
Troisième chapitre 133

confusion : c’est Elena, l’épouse de Benedetto dall’Oglio qui le commande


en 1514. Jean-Pierre Cuzin précise d’ailleurs que :
Le tableau d’autel montrant Sainte Cécile avec Saint Paul, Saint Jean
l’Évangéliste, Saint Augustin et Sainte Marie-Madeleine, fut commandé en
1514 par une dame de Bologne, Elena Duglioli dall’Olio, pour la chapelle
familiale de l’église bolognaise de San Giovanni in Monte. […] Cécile est restée
vierge dans le mariage comme Elena, la commanditaire, qui sera béatifiée.1
Cette similitude entre l’état de pureté de la commanditaire et de la
sainte a probablement poussé la première à choisir la seconde comme
sujet de la composition2. De plus, la présence des saints qui entourent
Sainte Cécile défie la chronologie. Là aussi, Raphaël s’est sans doute plié
aux désirs des commanditaires qui choisissaient eux-mêmes, à l’époque,
les éléments essentiels d’un tableau ou d’une sculpture. Liszt ne l’ignorait
d’ailleurs pas car il écrit :
À l’époque où il [Raphaël] vivait, les communautés et les individus qui
faisaient travailler les artistes étaient d’ordinaire guidés par un sentiment de
piété plutôt que par l’amour de l’art. On faisait faire un tableau au Pérugin,
à Raphaël, non pas tant afin de posséder un chef-d’œuvre qu’afin de satis-
faire à une dévotion particulière ; aussi commandait-on jusqu’aux plus petits
détails d’une composition. Habituellement ce devait être une madone ou un
saint patron entouré des saints et des martyrs dont le mécène portait le nom.
Il voulait aussi honorer sur la terre ses protecteurs dans le ciel, afin de les
disposer à intercéder pour lui lorsque la mort le ferait comparaître au tribunal
du Souverain Juge. C’est ce qui explique les rapprochements illogiques et les
anachronismes de la plupart des tableaux de ce temps.3
Cette remarque sur la situation socio-historique de l’art à l’époque de
Raphaël vient ici contrebalancer l’analyse personnelle de Liszt par rapport
à l’idée que voulait exprimer – dans la mesure de ses possibilités – l’ar-
tiste. En effet, nous le verrons plus loin, Liszt offre une vision symbolique
singulière par rapport aux interprétations des historiens de l’art, d’après
les sources.

1. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, p. 199.


2. Nous reviendrons sur ce point dans la partie consacrée à la vie de la sainte.
3. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. », p. 155.
134 PREMIÈRE PARTIE

Illustration n° 2 : Raphaël, Sainte Cécile, 1514, Bologne, pinacothèque.

II. Composition du tableau

L’agencement des formes dans le tableau est fondé sur les diagonales.
Jean-Pierre Cuzin l’explique de manière détaillée :
L’organisation d’ensemble, très simple, resserre les cinq figures verticales
qui oscillent subtilement, grâce aux légères obliques indiquées par l’épée de
Saint Paul et la crosse de Saint Augustin. Les attitudes symétriquement arquées
de Saint Paul et de la Madeleine ménagent un large espace épanoui vers le bas
et vers le haut en forme de gerbe, qui conduit, par l’intermédiaire du corps
de la sainte extasiée, des instruments terrestres devenus inutiles au chœur des
Troisième chapitre 135

anges qui chantent l’amour divin. Les figures sont isolées dans leur extase, leur
méditation ou le regard qu’elles jettent sur le spectateur ; mais Saint Jean et
Saint Augustin portent un regard l’un sur l’autre. La composition se structure
dans le mouvement des diagonales qui ébauchent comme la forme d’un grand
papillon, et ces délicats rythmes obliques établissent des rimes plastiques avec les
formes croisées des instruments de musique, sur le sol. Mais comme la Vierge
Sixtine, la Sainte Cécile va dans le sens d’un abandon des poses contournées,
d’une plus grande simplicité : ainsi l’attitude de la sainte musicienne, frontale,
animée de légers décalages et d’un rythme balancé tenu dans le plan du tableau.
Les draperies luisantes de la Madeleine, leur ombre fortement découpée témoi-
gnent peut-être déjà d’une franchise de parti due au travail contemporain des
cartons de tapisserie.1
D’ailleurs, la symétrie de l’organisation des personnages autour de la
Sainte ainsi que la retenue de leurs gestes contribuent à donner une atmos-
phère sereine et intérieure au tableau. André Chastel rappelle également
que, selon une phrase de Raphaël, ce sont « les regards des personnages qui
déterminent les lignes maîtresses. »2
De plus, les couleurs jouent un rôle essentiel dans l’organisation et le
caractère émanant du tableau. Passavant consacre sur ce point un large
passage explicatif :

Ce coloris, remarquable surtout par son harmonie, due à l’emploi combiné


des trois couleurs principales aussi bien qu’à l’admirable palette du peintre,
qui n’a jamais déployé plus de magnificence, plus de richesse et plus de magie,
semble refléter merveilleusement les divines splendeurs du sujet. La sainte
est vêtue d’une riche tunique rayonnant d’or et de lumière, avec laquelle la
robe rouge de Saint Paul et les nuances bleues et violettes du vêtement de la
Madeleine forment des contrastes brillants et décidés ; mais ces couleurs sont
habilement rompues par les demi-teintes les plus délicates, par les tons de tran-
sition les plus heureux. Ainsi, par exemple, le jaune du vêtement de Sainte
Cécile est tempéré par les ornements verts de ce vêtement ; les étoffes d’or de
l’habit sacerdotal de Saint Augustin, les cheveux blonds de Saint Jean, les tons
bruns et jaunes du terrain et des instruments forment une délicieuse gamme
de couleurs. Les tons bleus argentins de l’orgue préparent l’œil, pour ainsi dire,

1. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, p. 200.


2. André Chastel, Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent Le Magnifique,
p. 492.
136 PREMIÈRE PARTIE

aux masses bleues et violettes du vêtement de la Madeleine, et s’accordent avec


les tons bleus du ciel et de l’épée de Saint Paul. La chevelure noire de ce dernier
trouve même un point de rappel dans le plumage noir de l’aigle de Saint Jean.
On pourrait ainsi, jusque dans les moindres détails, montrer la liaison intime
qui existe entre les couleurs de ce superbe tableau. Quant aux carnations, elles
correspondent toujours aux caractères des personnages, et, par conséquent, elles
sont plutôt idéales que réelles ;1
Quant à Liszt, il faut remarquer qu’il ne s’est pas du tout attardé sur
ces éléments structurels. Pourtant, il reconnaît les qualités graphiques et le
sens de l’organisation spatiale de Raphaël :
Raphaël a fait un tableau admirablement composé, d’un dessin et d’un
coloris irréprochables, qu’irons-nous lui demander de plus ? Son tableau, ainsi
que toutes les œuvres du génie, excite la pensée, enflamme l’imagination de
ceux qui le contemplent. Chacun le voit à sa manière, y découvre, suivant
les conditions de son organisation, un nouveau genre de beauté, un nouveau
sujet d’admirer et de louer. Et c’est là précisément ce qui fait l’immortalité du
génie, ce qui le rend éternellement jeune, éternellement fécond, éternellement
agissant.2
La richesse de l’œuvre d’art entraîne donc une multitude de « possi-
bles » dans la perception. Cependant, dans son texte sur la Sainte Cécile de
Raphaël, Liszt montre que, pour lui, le sujet prime indubitablement sur sa
réalisation plastique.
Mais qui était Sainte Cécile ? Quelle part joue-t-elle dans l’iconogra-
phie ? Quelles sont les caractéristiques de sa représentation chez Raphaël ?
Autant de questions sur lesquelles nous allons nous attarder.

III. Sainte Cécile

A. Son histoire
S’il est possible d’apprécier le tableau de Raphaël sans connaître l’his-
toire de Sainte Cécile, il est néanmoins fort probable que ce n’était pas le
cas de Liszt, homme raffiné et cultivé. Nous supposons d’ailleurs que son

1. Johann David Passavant, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi (1839-1858),
p. 148-149. Liszt connaissait cet ouvrage. Voir notre septième chapitre.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
Troisième chapitre 137

état d’excitation avant d’admirer l’œuvre de Raphaël était dû à l’attirance


qu’il avait pour la sainte patronne des musiciens. Il déclarait en effet lui-
même « avoir hâte » de voir cette peinture.
L’histoire de Sainte Cécile remonte au début du iiie siècle, alors que
son culte commencera plus d’un siècle plus tard ; cette Sainte sera alors
l’une des martyres les plus vénérées. Nombre d’entre elles sont canonisées
au ve siècle. C’est à cette époque, en 496, que le nom de Sainte Cécile
est cité dans le canon de la messe. Néanmoins, peu d’éléments histo-
riques vérifiables – dont les fameux actes – sont de nos jours dignes de foi.
Comme l’écrit Wolfgang Dömling :
Sur l’identité historique de Cécile, les sources archéologiques et écrites ne
donnent pas de renseignements sûrs. Seul un fait est certain, c’est que la vénéra-
tion de la Sainte commence au ve siècle et qu’elle prend un essor considérable
après la fondation de l’Église romaine (Sta Cecilia à Trastevere) aux alentours
de l’an 500. Les actes de martyre de Cécile, sans doute apparus à la même
époque, sont une légende édifiante.1
C’est aussi l’avis de Louis Réau qui écrit :
À vrai dire, sa Passio qui date seulement de la fin du ve siècle n’est qu’un
roman édifiant […].
La plupart des traits de sa légende sont empruntés à l’Histoire de la persé-
cution vandale de Bernard de Vite qui écrivait vers 486.2
Néanmoins, son existence ainsi que celle de Valérien, son mari et
Tiburce, frère de celui-ci, sont historiquement vérifiés, tout comme
la réalité de son enterrement dans une crypte des catacombes de Saint
Callixte, et sa fondation d’une église.
La prestigieuse famille de Sainte Cécile, les Coecilia, donna à Rome
un grand nombre de sénateurs. La beauté, la grâce, l’intelligence et l’in-
nocence venaient couronner la culture et les dons artistiques, en parti-
culiers musicaux de Cécile. Elle se consacra à Dieu dès le plus jeune âge
en faisant vœu de chasteté. Elle fut promise en mariage, contre son gré,
par son père, à un jeune païen du nom de Valérien. Aussi, le jour de son
mariage, se soustrayant au tumulte des chants et des danses de la fête,
Cécile invoqua le secours du Ciel en chantant intérieurement une prière
ardente tirée des psaumes, méritant ainsi de devenir la patronne des musi-

1. Wolfgang Dömling, « Die Heilige an der Orgel, Caecilia – Musica – Musa », Festschrift
Christoph-Helmut Mahling, Bd. 1, p. 271
2. Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, Tome iii, p. 279.
138 PREMIÈRE PARTIE

ciens. Le Ciel écouta sa prière. Le soir des noces, lorsqu’elle se retrouva


seule avec Valérien, elle lui expliqua qu’un ange veillait sur sa virginité et le
punirait s’il y portait atteinte, mais le protégerait, lui aussi, s’il la respectait.
Valérien avait la réputation d’être un homme intelligent et doux. Aussi
ne se fâcha-t-il pas, mais demanda à sa femme une preuve de ce qu’elle
avançait. Cécile la lui promit à la condition qu’il devienne chrétien par le
baptême. Très impressionné par l’attitude de sa femme et convaincu par
le pape saint Urbain, Valérien accepta. Alors il put voir l’ange aux ailes
de feu couronner Cécile de roses, et recevoir lui-même, de sa main, une
couronne de lilas. L’ange leur affirma que ce signe du Ciel ne connaîtrait
pas la corruption. De plus, il permit à Valérien de lui demander la faveur
de son choix. Valérien demanda la conversion de son cher frère Tiburce.
C’est ainsi qu’entrant dans la maison et respirant avec émerveillement le
parfum des couronnes de fleurs invisibles, Tiburce fut convaincu de renier
ses faux dieux. Alors le pape saint Urbain le baptisa à son tour. La vie des
deux jeunes époux fut chaste et partagée entre les bonnes œuvres et la
louange de Dieu.
Valérien et Tiburce, soucieux de donner des sépultures aux martyrs
chrétiens, les enterraient dans les catacombes à l’extérieur de Rome. Ils
signèrent ainsi leur arrêt de mort auprès de l’empereur Marc-Aurèle. Ils
furent donc arrêtés par le préfet Almachius qui ne put les convaincre de
renoncer à leur foi, et décida de les faire flageller et décapiter. L’officier qui
devait exécuter la sentence fut converti par l’apparition de certains martyrs,
et massacré avec eux. Quant à Cécile, ordre lui fut intimé de ne plus sortir
de chez elle. Mais elle n’eut de cesse de procurer une sépulture à son mari et
à son beau-frère et les ensevelit dans les catacombes de St Praetextatus sur
la Via Appia. De surcroît, elle fit de sa maison un lieu de culte, où le pape
Urbain baptisa un jour plus de quatre cents païens. Elle fut donc arrêtée
et sommée d’adorer les dieux païens, ce qu’elle refusa, préférant la mort.
Redoutant une émeute des pauvres au service desquels elle avait voué sa vie,
le préfet décida qu’elle serait ébouillantée dans la salle de bain de sa propre
maison, mais elle résista miraculeusement à ce traitement, pendant plus
d’un jour. Almachius ordonna alors qu’elle soit décapitée. Le bourreau,
très impressionné par une telle victime, la frappa en tremblant par trois fois
ne parvenant qu’à la blesser. Il fallut donc l’abandonner gisant dans son
sang, car la loi romaine interdisait de porter quatre coups aux condamnés.
Cécile survécut trois jours, entourée de chrétiens essuyant ses blessures avec
les linges de lin fin, sans la déplacer. Durant ces trois jours, elle ne cessa
Troisième chapitre 139

de prêcher encore les païens. À saint Urbain, venu recueillir son dernier
souffle, elle laissa sa maison pour qu’y soit édifiée une église et elle aban-
donna tous ses biens aux pauvres. Elle mourut le 22 novembre 230.

B. Aperçu de l’iconographie de Sainte Cécile


Avant de s’intéresser aux représentations de la sainte, il faut préciser
qu’elle est enterrée dans les catacombes de Saint Callixte. C’est seulement
en 821, à la demande du Pape Pascal Ier, qu’elle rejoint la crypte de la basi-
lique Sainte-Cécile dans le Transtevere. À l’origine, c’est là qu’elle habitait.
Elle se trouve, dans ce cadre, en compagnie de Valérien et Tiburce. Vers
l’an 1600, le corps de la sainte est retrouvé intact ; d’ailleurs, Maderno
Stefano (1576-1636) le sculpta en l’état, répondant ainsi à la demande du
Pape Clément VII qui désirait conserver un souvenir fidèle de ce qu’il avait
vu. Notons d’ailleurs que Sainte Cécile a inspiré d’innombrables artistes,
de la Renaissance italienne à nos jours.1
La toile la plus connue fut évidemment celle de Raphaël. Mais, Sainte
Cécile n’a pas toujours été représentée avec des instruments de musique.
Louis Réau explique que :
À l’origine, Sainte Cécile ne porte, comme la plupart des martyrs, aucun
attribut distinctif […]
C’est seulement à partir de la fin du xve siècle que, devenue par erreur
patronne des musiciens, elle reçoit comme attribut un instrument de musique.
Cet instrument est généralement un orgue portatif (Handorgel) ou fixe à
cause de la Passio et de l’antienne liturgique […]
C’est un orgue que lui donne Raphaël dans son célèbre tableau de Bologne,
peint en 1516 (sic). Mais son exemple est loin d’avoir été suivi par tous ses
successeurs qui mettent entre les mains de la sainte les instruments les plus
divers : clavecin (Rubens), harpe (Mignard), luth (Gentileschi), violon
(Cavallino), violoncelle (Dominiquin).
Souvent d’ailleurs, Cécile oublie de jouer de son instrument et les yeux levés
au ciel, comme ravie en extase, elle écoute la musique céleste.2

1. Pour des renseignements sur ce sujet, nous renvoyons, sur les conseils de Jean-Jacques
Eigeldinger, au livre d’A. Pomme de Mirimonde, Sainte-Cécile ou les métamorphoses d’un
thème musical, 232 p.
2. Louis Réau, Iconographie de l’Art chrétien, tome iii, p. 281.
140 PREMIÈRE PARTIE

C’est exactement cette dernière attitude qu’elle adopte dans le tableau


de Raphaël…

C. La représentation de Sainte Cécile chez Raphaël


L’extase de Sainte Cécile est le sujet principal du tableau. Raphaël a
d’ailleurs innové dans la mesure où il ne représente pas les autres person-
nages dans un état spécifique de dévotion.
Liszt, lui, replace l’extase de la sainte dans un contexte particulier :
Le peintre a choisi le moment où Sainte Cécile s’apprête à chanter une
hymne au Dieu tout-puissant. Elle va célébrer la gloire du Très-Haut, l’attente
du juste, l’espoir du pécheur ; son âme frémit de ce frémissement mystérieux qui
saisissait David lorsqu’il préludait sur la harpe sainte. Tout à coup son œil est
inondé de clarté, son oreille d’harmonie ; les nuées s’entrouvrent, les chœurs des
anges lui apparaissent, l’éternel hosannah retentit dans l’immensité, les yeux
de la vierge se lèvent vers le ciel ; son attitude exprime l’extase, ses bras retom-
bent alanguis à ses côtés, ils vont laisser échapper l’instrument sur lequel elle
chante les sacrés cantiques. On sent que son âme n’est plus sur terre ; son beau
corps semble prêt à se transfigurer…1
Plusieurs idées sont évoquées. Tout d’abord, le thème de l’extase est
ici très finement abordé. Liszt rejoint et dépasse Vasari qui écrivait sur le
même thème :
Sainte Cécile écoute dans un ravissement profond un chœur d’anges dans le
ciel ; subjugué par l’harmonie, son visage reflète les transports de l’extase.2
Liszt replace la sainte dans un contexte temporel narratif. Il y a deux
temps dans le déroulement de l’action initiale de la Sainte : elle « s’apprête
à chanter », cette expression, malgré l’emploi du présent de l’indicatif,
indique une action passée qui se continue un très court laps de temps dans
le présent, car les anges interviennent, et, de ce fait, l’interrompent. Le
présent est lui, explicitement exprimé dans l’action des anges. Et quand
Liszt écrit que « son beau corps semble prêt à se transfigurer », il envi-
sage une action possible dans le futur. Il imagine en fait le début et la
suite d’une histoire, celle de l’extase de Sainte Cécile dans un espace-temps
réduit, mais toutefois bien déterminé.

1. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.


cit., p. 154-155.
2. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, vol. 5, p. 211.
Troisième chapitre 141

Par ailleurs, un autre élément important se dégage de cette lettre


adressée à M. Joseph d’Ortigue ; Liszt précise en effet que : « les chœurs
des anges lui apparaissent, l’éternel hosannah retentit dans l’immensité. »
L’intérêt ici se situe dans le fait que Liszt identifie le chant des anges,
alors qu’aucun motif iconographique n’en donne l’indication. Le tableau
« sonne » hosannah pour Liszt.
L’imagination de Liszt a contribué à replacer le moment choisi par
Raphaël dans un contexte temporel qui correspond à un enchaînement
d’événements consécutifs, antérieurs et postérieurs à la scène peinte. Il
situe donc cette scène au sein d’un contexte narratif. De même, la musique
qui s’impose à lui pendant la lecture du tableau est le fruit de son imagina-
tion, imagination « synesthésique » qui prend racine dans le déroulement
du temps, comme la musique.
Le temps et l’espace ne sont donc pas deux notions antithétiques dans
la perception de Liszt. Elles sont principalement reliées l’une à l’autre par
ses références culturelles et affectives ainsi que son imagination synesthé-
sique débordante et inspirée.
Par ailleurs, il interprète le personnage de Sainte Cécile de manière
personnelle quand il écrit :
Dites, n’eussiez-vous pas vu ainsi que moi dans cette noble figure le symbole
de la musique à son plus haut degré de puissance ? L’art dans ce qu’il a de plus
immatériel, de plus divin ? Cette vierge enlevée à la réalité par l’extase, n’est-ce
pas l’inspiration telle qu’elle arrive parfois au cœur de l’artiste, pure, vraie,
révélatrice et dégagée de tout alliage grossier ? Ses yeux fixés sur la vision, l’iné-
narrable volupté répandue sur tous ses traits, l’alanguissement de ses bras qui
plient sous le poids d’une béatitude inconnue, n’est-ce pas l’expression de l’im-
puissance humaine en lutte avec le désir et la perception des choses divines ?1
En effet, lorsqu’il l’associe au « symbole de la musique », il l’élève au
rang de véritable allégorie. Il en perçoit de ce fait, une « beauté idéelle »2,
selon ses propres termes.

1. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.


cit., p. 155.
2. Franz Liszt, ibid., p. 154.
142 PREMIÈRE PARTIE

IV. Les Saints

A. Saint Paul
Vasari décrit ainsi Saint Paul :
Saint Paul, le bras droit posé sur l’épée nue, sa tête appuyée sur une main,
montre par son attitude la profondeur de son intelligence et la fierté de son
caractère qui se mue en gravité. Son manteau, une simple draperie rouge,
recouvre une tunique verte à la manière des apôtres et il est nu-pieds.1
Et voici ce que Liszt, lui, écrit à son sujet :
Sur le premier plan est Saint Paul, la tête penchée sur sa main gauche,
dans l’attitude d’une profonde méditation ; sa main droite est appuyée sur un
glaive, emblème de la parole militaire et dominatrice avec laquelle il dissipa
l’ignorance des peuples et conquit les âmes au Dieu inconnu. Saint Paul fut
le premier, entre les apôtres, qui fit servir l’éloquence et la philosophie à l’éta-
blissement de la religion, à la propagation de la foi. Ce fut lui qui, le premier,
apporta le raisonnement, la doctrine là où il n’y avait encore eu que le senti-
ment. Pour lui, ce qu’il retrouve dans la musique, c’est encore l’éloquence ;
ce qu’il y voit, c’est l’enseignement par intuition ; c’est une autre prédication
plus voilée, mais non moins puissante, qui attire les cœurs et les ouvre à la
vérité. Aussi l’expression de son visage est-elle plutôt celle de la réflexion que
celle de l’entraînement. On voit qu’il cherche à se rendre compte du mystère
de ce langage nouveau pour lui, qu’il veut s’expliquer les effets de ce verbe et
qu’il envie la jeune vierge parce qu’elle n’a point, ainsi que lui, acheté par
les fatigues, les persécutions, la captivité, le don de persuasion et le pouvoir de
changer les cœurs.2
Il apparaît nettement que Liszt s’attache beaucoup moins à la descrip-
tion précise du saint que Vasari : il ne mentionne pas la couleur et la forme
de ses vêtements. De plus, il fait une petite confusion : Saint Paul n’appuie
pas la tête sur sa main « gauche » mais sur la droite. Inversement, il tient
le glaive de sa main gauche et non de la « droite ». En revanche, Liszt s’in-
téresse à l’attitude pensive du saint – « aussi l’expression de son visage est-elle
plutôt celle de la réflexion que celle de l’entraînement » écrit-il – et retrace
les principaux épisodes de son existence en lui conférant une profondeur

1. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, op. cit., p. 211.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
Troisième chapitre 143

psychologique importante. Les circonstances de sa vie ainsi retracées font


encore référence au temps. De plus, Liszt attribue à Saint Paul des pensées
relatives à la fonction didactique possible de la musique dans un futur
proche.
Là encore, passé, présent et futur sont intimement liés dans l’imagina-
tion de Liszt.

B. Sainte Marie-Madeleine
Vasari décrit Sainte Madeleine :
Sainte Madeleine dans une pose infiniment gracieuse, un vase de pierre
fine à la main, tourne la tête et semble toute heureuse de sa conversation : une
image insurpassable.1
Liszt offre, lui, une tout autre version :
Madeleine, dans tout l’éclat de ses ajustements mondains, vient aussi
écouter les cantiques sacrés. Il y a dans son port je ne sais quoi d’altier, de
profane, dans toute sa personne une certaine volupté qui tient plus de la Grèce
que de la Judée, du paganisme que du christianisme. Madeleine, c’est encore
l’amour, mais l’amour qui naît des sens et s’attache à la beauté visible. Aussi
est-elle plus éloignée de Sainte Cécile que Saint Jean ; comme si le peintre avait
voulu donner à entendre qu’elle participe moins que lui à l’essence divine de sa
musique, et que son oreille est captivée par l’attrait sensuel des sons plutôt que
son cœur n’est pénétré d’une émotion surnaturelle.2
Liszt voit donc Sainte Madeleine à travers son passé. Même si « ses
ajustements mondains » sont évoqués, les détails physiques sont presque
absents, leur présence ne servant qu’à illustrer l’analyse et surtout le juge-
ment négatif de Liszt. C’est en effet l’amour charnel qui est dénoncé avec
la représentation de l’ancienne prostituée repentie. Le musicien se rattache
ici à la morale, à l’éthique de son temps. D’ailleurs, la référence à la Grèce
aurait pu donner lieu à un développement sur l’habit « à l’antique » de
la sainte. Mais Liszt n’en a conservé que le côté négatif, dénonçant ainsi
sa « volupté », au même titre que son port jugé « altier et profane » ; il
en confirmera le « paganisme » au détriment du « christianisme ». Cette
sévère critique ne peut-elle pas faire penser au malaise que devait peut-être

1. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, op. cit., p. 211.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
144 PREMIÈRE PARTIE

éprouver le jeune compositeur en compagnie de Marie d’Agoult, femme


adultère qui avait abandonné ses enfants ? Sa vie privée était en effet forte-
ment en désaccord avec ses convictions religieuses et avec les conventions
sociales communément admises à cette époque.
Cette description de Sainte Marie-Madeleine est un exemple excellent
du fait que, pour Liszt, l’idée prime sur la représentation du sujet.

C. Saint Jean et Saint Augustin


Vasari les associe, en trouvant leurs visages « très beaux ».1 En revanche,
Liszt les différencie bien. Pour Saint Jean, il écrit :
À la droite de Sainte Cécile, le regard tourné vers elle avec une chaste
tendresse, Raphaël a placé Saint Jean ; Saint Jean le disciple que Jésus aimait,
celui auquel en mourant Il confia sa Mère, celui qui en reposant sa tête sur la
poitrine du maître y recueillit les secrets d’une charité sans bornes, d’un amour
qui ne se lassa point jusqu’à la fin, comme parlent les Écritures. Saint Jean,
c’est le type le plus excellemment parfait des affections humaines épurées et
consacrées par la religion ; c’est le sentiment chrétien, tendre et profond, mais
tempéré par les salutaires enseignements de la douleur. 2
Là encore, Liszt ne s’attarde pas sur la description du saint et, de plus,
fait une erreur : le regard du saint n’est pas « tourné » vers Sainte Cécile,
mais croise celui de Saint Augustin. Dömling parle d’ailleurs de « contact
visuel “parlant” » pour « les deux personnages à l’arrière-plan ». Liszt évoque
directement la personnalité, l’histoire de la vie de Saint Jean ainsi que
ce qu’il représente d’un point de vue symbolique : « le type le plus excel-
lemment parfait des affections humaines épurées et consacrées par la religion
[…] le sentiment chrétien, tendre et profond, mais tempéré par les salutaires
enseignements de la douleur. » La signification symbolique prime à nouveau
sur la représentation plastique : Liszt se réfère à ses connaissances précises
concernant la vie de Saint Jean. Est-il possible d’agir autrement dès que
nous identifions les personnages ? Liszt replace Saint Jean dans un espace
temporel, faisant osciller son discours entre passé et présent.
Il opère la même forme d’analyse avec Saint Augustin :

1. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, op. cit., p. 211.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
Troisième chapitre 145

Derrière la sainte, Saint Augustin paraît écouter avec plus de froideur.


Son visage est sérieux et contristé. On reconnaît en lui l’homme qui a long-
temps erré, qui a beaucoup failli, et qui se tient en garde contre les plus saintes
émotions. Lui qui a livré à ses sens une guerre sans relâche, il craint encore les
pièges de la chair cachés sous les apparences d’une vision céleste. Il se demande,
en homme qui n’a trouvé la vérité qu’après s’être fatigué dans les sentiers du
doute, en homme que l’art païen a séduit et entraîné loin de la voie qui mène à
Dieu, s’il n’y a pas un poison secret dans ces harmonies sublimes et si ces accords
qui semblent descendre du ciel ne sont point des voix fallacieuses, un artifice du
démon dont il a trop souvent éprouvé la puissance.1
Cependant, pour Saint Augustin, Liszt fait davantage référence aux
émotions ressenties par le saint homme que pour les autres personnages :
« Son visage est sérieux et contristé. On reconnaît en lui l’homme qui a long-
temps erré, qui a beaucoup failli, et qui se tient en garde contre les plus saintes
émotions ». Les émotions sont en effet les « symptômes » les plus évidents
d’un mal qui a jadis rongé ce saint : l’attrait pour les plaisirs des sens. C’est
d’ailleurs contre ce mal que Liszt nous invite à réfléchir, Saint Augustin
symbolisant ici le combat contre la sensualité exacerbée. Notons d’ailleurs
que le commentaire de Liszt est nettement plus positif que pour Madeleine,
que Liszt perçoit de manière assez négative, alors que son passé la rappro-
chait de celui de Saint Augustin. Le péché de chair était en effet l’acte
qui a dû être pardonné par Jésus. Aussi la différence de traitement entre
les deux saints décrits par Liszt ne s’explique-t-elle que très difficilement.
En effet, il semble que, pour lui, l’ancienne prostituée garde toujours un
aspect sulfureux…
Ajoutons deux remarques supplémentaires sur ce passage de Liszt :
– il ne détaille pas ici la vie du saint, mais donne les grandes lignes de ses
principales luttes. Aussi les émotions et les préoccupations du saint
sont-elles au centre de la description. N’oublions pas que, comme le
dit Liszt, Augustin d’Hippone (354-430) a « beaucoup douté » avant
de se convertir ; en effet, il était très proche au départ des idées héré-
tiques manichéennes. Cependant, grâce aux prières de sa mère Sainte
Monique et aux instructions de Saint Ambroise, il trouva la force de
changer radicalement et de donner un autre sens à sa vie. Cependant,

1. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.


cit., p. 155.
146 PREMIÈRE PARTIE

ce n’est qu’en 387 qu’il reçoit le baptême après avoir entendu une
voix céleste lui indiquer le chemin à suivre ;
– Liszt affirme que Saint Augustin se méfie de la musique qu’il entend.
Liszt se fie vraisemblablement à ce qu’il connaît du saint. En effet, ce
dernier n’a-t-il pas écrit un De musica1 ? De plus, dans ses Confessions,
le saint homme affirme se méfier des « plaisirs de l’ouïe » :
…je me rends compte que ces paroles saintes, accompagnées de chant, m’en-
flamment d’une pitié plus religieuse et plus ardente que si elles n’étaient sans
cet accompagnement. C’est que toutes les émotions de notre âme ont, selon leurs
caractères divers, leur mode d’expression propre dans la voix et le chant, qui
par je ne sais quelle mystérieuse affinité les stimule. Mais le plaisir des sens,
par quoi il ne faut pas laisser énerver l’âme, me trompe souvent : la sensation
ne s’en tient pas à accompagner la raison en la suivant modestement, mais elle
qui tient de la raison tous ses titres à être admise, cherche à la précéder et à la
conduire. C’est en cela que je pèche à mon insu ; j’en prends conscience après
coup.2
Dans son texte, il ne fait aucun doute que la musique assaille le saint
et qu’il essaie d’échapper à son pouvoir enchanteur. Or il n’est pas sûr
que, dans le tableau de Raphaël, la musique soit entendue par d’autres que
par Sainte Cécile.3 Les saints attendent peut-être juste qu’elle reprenne sa
musique. En effet, seule Sainte Cécile est en extase, tournée vers les anges
chanteurs.
Comme les autres artistes romantiques, Liszt pense que l’art accom-
pagne tous les événements de la vie d’un individu. Il extrapole donc en
faisant d’une part référence à des connaissances antérieures et d’autre part
en se référant toujours au sujet qui l’interpelle le plus : la musique…

V. Symbolique des saints


Pour les historiens de l’art, la présence anachronique des différents
saints trouve sa justification dans le message latent du tableau, c’est-à-dire
dans la volonté de représenter différentes formes d’amour. Ainsi Jean-
Pierre Cuzin écrit-il :

1. Le De Musica est une œuvre qui n’est toujours pas traduite du latin.
2. Saint Augustin, « Chapitre XXXIII. Les plaisirs de l’ouïe », Les Confessions, Livre x,
p. 236-237.
3. Cette remarque est valable également pour Saint Paul, d’ailleurs…
Troisième chapitre 147

[…] Saint Paul et Saint Jean sont ici les représentations du pur amour
divin, l’un plus méditatif, l’autre plus lyrique ; Saint Augustin et Marie-
Madeleine, pécheurs repentis, représentent l’amour terrestre vaincu. On a
justement mis en rapport le tableau de Bologne avec les débats contemporains
sur la charité et l’amour divin. On sait qu’Antonio Pucci, parent et conseiller
de la commanditaire, qui peut-être fut l’intermédiaire auprès de son oncle
le cardinal Lorenzo Pucci pour obtenir que Raphaël exécute l’œuvre, fut un
des premiers membres de la Confrérie de l’Oratorio del Divino Amore, qui
contribua au mouvement de renouveau de l’Église à la Contre Réforme ;
Raphaël lui-même entra en mars 1514 dans la Fraternitas Corporis Domini
d’Urbino, confrérie d’inspiration voisine. Cette dimension religieuse s’impose,
sur un registre dramatique, dans l’attitude et l’expression de Sainte Cécile,
prototype des saints en extase de Guido Réni et de Dominiquin : la Sainte
Cécile est le tableau que Bologne attendait.1
Pour André Chastel :
Le choix des 4 saints n’est pas indifférent : il réunit, comme un abrégé de la
mystique affective, les figures les plus évocatrices de la philosophie chrétienne de
l’amour et des puissances de l’extase. Au milieu de ces saints personnages, Cécile
représente le passage à la musique supérieure.2
Ces explications données par deux des plus prestigieux historiens de
l’art du xxe siècle, vont dans le même sens. La version de Liszt est, elle,
très personnelle et complète la vision allégorique qu’il avait proposée de
Sainte Cécile :
C’est ainsi que ces quatre personnages, groupés avec une inimitable simpli-
cité autour du personnage principal, me sont apparus comme les types suprêmes
de notre art ; ils résument les éléments essentiels de la musique et les effets divers
qu’elle produit sur le cœur de l’homme.3
En effet, la musique est encore son sujet essentiel. La lecture lisz-
tienne ne s’appuie donc pas sur des éléments historiques ou religieux en
rapport avec la philosophie néo-platonicienne de l’époque de Raphaël. Au
contraire, sa description du tableau met bien en évidence le problème de
la dialectique entre sensualité et spiritualité, l’artiste romantique devant

1. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, op. cit., p. 199-200.


2. André Chastel, Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent Le Magnifique, op.
cit., p. 492.
3. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
148 PREMIÈRE PARTIE

renoncer aux plaisirs de la première. Et Liszt revendique en effet cette


manière subjective de lire le tableau. Il est d’ailleurs tout à fait conscient
qu’elle peut être sujette à caution quand il précise :
Pour moi qui ai vu dans la Sainte Cécile un symbole, le symbole existe
bien réellement. Si c’est une erreur, en tout cas elle est pardonnable à un musi-
cien, et j’aime à croire que vous l’auriez partagée.1
Bien qu’elle révèle ses connaissances artistiques, la perception de Liszt
est avant tout la vision d’un musicien catholique qui reçoit un message
d’un autre glorieux artiste, tout en conservant les caractéristiques éthiques,
morales, esthétiques et religieuses de son époque…

VI. Rôle de la musique dans le tableau Sainte Cécile


de Raphaël

La minutie de détails des instruments de musique aux pieds de la Sainte


est notable. Vasari remarque d’ailleurs qu’à « terre gisent des instruments de
musique qui paraissent réels plutôt que peints… »2 Il nous apprend aussi que
« [ces] instruments de musique furent réalisés par Giovanni Da Udine… »3
Au sujet de l’orgue, il faut ajouter qu’il a été très tôt rattaché à la sainte.
Wolfgang Dömling précise que :
Ce qui est déconcertant à propos de l’introduction iconographique de l’orgue
dans la représentation de Sainte Cécile, c’est que l’incitation en était préparée
depuis bien longtemps. Dans le texte de la Passion des Saints, un moment
décisif du repas de noce est souligné : « Venit dies in quo thalamus collacatus
est, et, cantantibus organis, illa in corde suo soli Domino decantabat diceus :
Fiat cor meum et corpus meum immaculatum ut non confundar ». Dans la
version ultérieure de la célèbre et très répandue Légende dorée (vers 1270)
de Jacques de Voragine, ce passage (dans la traduction de Richard Benz) a
cette teneur : « Alors que le jour du mariage arrivait, et qu’elle était vêtue avec
grâce, elle portait sous ses vêtements d’or une chemise… sur son corps nu. Et
tandis que les orgues retentissaient, elle chantait dans son cœur pour le Seigneur
et elle disait : « Ah Seigneur ! faites que mon cœur et mon corps restent imma-
culés, afin que je me garde du déshonneur. » Il ne subsiste aucun doute sur la
façon de comprendre correctement ce texte : bien entendu, Cécile ne joue pas de

1. Franz Liszt, ibid., p. 155.


2. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, p. 211.
3. Idem.
Troisième chapitre 149

« l’orgue », mais ce sont les instruments de la fête qui retentissent. (L’ambiguïté


sémantique du terme « organa » – qui peut comprendre des instruments en
général, mais aussi des instruments de musique particuliers comme l’orgue – est
dans le fond sans importance. Dans l’Antiquité, l’orgue était en usage comme
instrument profane).1
Ici, la musique instrumentale n’a pas encore acquis ses lettres de
noblesse. Le fait que les instruments soient situés aux pieds de la sainte, et à
moitié détruits, renforce cette idée. Wolfgang Dömling précise d’ailleurs :
…en bas tout ce qui est détruit, abject, en haut ce qui est éternellement
présent ; en bas, la musique terrestre, qui demeure constamment insuffisante
et aussi futile, comparée à la musique céleste. (L’orgue, en tant qu’instrument
d’église, se trouve littéralement au milieu). En bas se trouve la musique instru-
mentale, en haut la musique vocale (dans une ébauche antérieure de Raphaël,
les anges étaient en partie aussi dotés d’instruments). Il se peut que Raphaël,
avec sa représentation, ait fait allusion à la hiérarchie cosmologique de la
musique transmise depuis l’Antiquité ; à la musica mundana, la musique sécu-
lière correspondrait ici la musique dans le ciel ; la musica humana, l’harmonie
dans l’homme serait exprimée par le modèle de la Sacra Conversazione et la
musica instrumentalis, la musique réelle, serait rendue par les instruments.
Mais pourquoi les instruments de musique sont-ils inutilisables ? Cela signifie-
t-il que la musique vocale sacrée est supérieure à la musique instrumentale
profane ? Si l’on pense à certains buts que poursuivait le Concile de Trente dans
les années 1560 concernant les affaires de la musique sacrée ou à la musique
sacrée romantique, alors on voudrait croire à un tel énoncé du tableau. 2
Jean-Pierre Cuzin résume très clairement le rôle et surtout la portée
symbolique de la musique dans ce tableau :
Sainte Cécile, au centre, abandonne ses instruments de musique qui se
brisent sur le sol, captivée par les accents des chants angéliques. Les deux musi-
ques symbolisent clairement l’amour terrestre et l’amour divin.3
Liszt, lui, donne une version tout à fait personnelle du rôle joué par
les instruments :
Le peintre a placé aux pieds de la sainte les instruments de son supplice.
Est-ce afin de nous rappeler qu’il y a toujours un martyre ou visible ou caché

1. Wolfgang Dömling, « Die Heilige an der Orgel, Caecilia – Musica – Musa »,


p. 272.
2. Wolfgang Dömling, op. cit, p. 276-277.
3. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, op. cit., p. 199.
150 PREMIÈRE PARTIE

pour le génie et pour le dévouement, ce génie du cœur ? Que toujours, dans l’his-
toire du monde, la souffrance et l’expiation précèdent ou suivent l’initiation ?1
Là aussi, Liszt dépasse la simple description du tableau. Il donne des
explications qui vont, une fois encore, dans le sens de l’idée qui lui est
propre, en lien avec les difficultés de la création artistique. La vérité histo-
rique ou philosophique, telle que Dömling nous l’avait montrée, est ici
complètement omise au profit d’une interprétation très ad libitum de
Liszt.

Conclusion sur le tableau


Jean-Pierre Cuzin souligne la richesse d’inspiration du tableau de
Raphaël :
La Sainte Cécile apparaît un peu comme un tableau résumé, un tableau
bilan, dans lequel les différentes émotions traduites par les différents types de
visages, les différents effets colorés, brillants pour le Saint Paul ou délicatement
changeants pour la Madeleine, les différents traitements des formes, légères et
presque floues dans le groupe des anges, ou durement tranchées dans telle ou
telle draperie, semblent vouloir montrer l’étendue et la variété des moyens du
peintre.2
Goethe, lui, insiste sur la réussite plastique de Raphaël dans son article
« Les objets des arts plastiques » :
Le sentiment profond peut cependant s’approcher de l’exaltation et recher-
cher des objets mystiques. La plupart des représentations de la religion catho-
lique sont de ce genre ; d’ailleurs, elles forment toutes en quelque sorte leur
propre grand cycle universel. Mais on trouve parmi elles aussi des tableaux
dus à des contingences, par exemple ceux représentant la réunion de plusieurs
saints, patrons d’une ville ou d’une famille. Mais ces œuvres peuvent être consi-
dérées comme faisant partie des œuvres de circonstance, bien qu’elles aussi puis-
sent atteindre un niveau très élevé grâce à leur exécution, comme le prouve la
Sainte Cécile de Raphaël.3
Quant à Liszt, il analyse le tableau de Raphaël comme un message
adressé aux artistes…

1. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.


cit., p. 155
2. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, op. cit., p. 200
3. W.F. Goethe, « Les objets des arts plastiques », in Écrits sur l’Art, p. 95.
Troisième chapitre 151

En guise de récapitulation : Liszt « Spectateur-acteur »


Liszt expose clairement la manière dont il perçoit une œuvre d’art
quand il écrit :
…mais, tout en admirant la hardiesse, l’éclat, la vérité, la suavité de ces
peintures [celles de Van Dyck de Gênes, les Corrège de Parme, ainsi que la
Madonna del Velo de Raphaël], je sentais que je n’étais entré dans le sens
intime d’aucune ; j’étais toujours resté spectateur ; aucune de ces belles composi-
tions ne s’était emparée de moi, si je puis m’exprimer ainsi, à l’égal de la Sainte
Cécile. Je ne sais par quelle secrète magie ce tableau se présenta soudain à mon
esprit sous un double aspect : d’abord comme une ravissante expression de la
forme humaine dans ce qu’elle a de plus noble, de plus idéal, comme un prodige
de grâce, de pureté, d’harmonie ; puis au même instant, et sans aucun effort
d’imagination, je crus y reconnaître un symbolisme admirable et complet de
l’art auquel nous avons voué notre vie. La poésie et la philosophie de l’œuvre se
montrèrent à moi aussi visiblement que l’ordonnance de ses lignes, et sa beauté
IDÉELLE me saisit aussi fortement que sa beauté plastique.1
Une fois de plus, Liszt montre que, pour lui, l’idée a autant, voire
plus d’importance, que la réalisation plastique dans une œuvre. Il reprend
cette affirmation dans une lettre florentine sur « Le Persée » de Benvenuto
Cellini, le 30 novembre 1838 :
Tous les arts reposeront sur ces deux principes, la réalité et l’idéalité.
L’idéalité n’est sensible qu’aux intelligences cultivées ; la réalité de la statuaire
est sensible à tous ; elle a son type dans la figure humaine que tous connaissent.
Il n’est pas d’artisan qui ne puisse être frappé tout autant qu’un poète de ce
qu’il y a de vrai dans Phidias et dans Michel-Ange.2
L’imitation passe donc au second plan, le premier étant confié à la
transmission du message symbolique. Comme nous avons pu le constater
dans l’étude de son texte sur La Sainte Cécile de Raphaël, Liszt se montre
effectivement sensible à la beauté plastique, mais beaucoup moins qu’à
la réalisation matérielle de l’expression d’une idée. À cet égard, l’analyse
lisztienne du tableau de Raphaël est très éloquente : la sainte est montrée
comme une véritable allégorie de la musique, tandis que les saints qui l’en-

1. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op. cit.,
p. 154. C’est nous qui soulignons les éléments importants du texte.
2. Franz Liszt, « Lettre ix Le « Persée » de Benvenuto Cellini. Florence, 30 novembre 1838.
Parution le 13 janvier 1839 dans la Gazette musicale », rééditée dans Rémy Stricker, Franz
Liszt, artiste et société, p. 142.
152 PREMIÈRE PARTIE

tourent représentent, à leur tour, le symbole de ce que ladite musique


fait ressentir aux hommes qui l’écoutent. Cette manière de percevoir un
tableau implique plusieurs remarques :
Tout d’abord, Liszt ne reste pas insensible à ce qu’il appelle la « beauté
plastique » de l’œuvre. Les adjectifs employés tout au long de son texte
l’attestent. Par exemple, il décrit le « beau corps », « l’inénarrable volupté »,
de la sainte, ou encore, plus précisément, il évoque le tableau comme
« admirablement composé, d’un dessin et d’un coloris irréprochables »…
L’aspect affectif joue donc un rôle important dans sa perception, même
si Liszt a fait quelques erreurs de détail, nous les avons d’ailleurs relevées
et qu’il n’a pas été très logique dans sa présentation des saints ; en effet, il
commence par Saint Jean, ensuite Sainte Madeleine, qui sont diamétrale-
ment opposés, obligeant ainsi le lecteur à passer de l’arrière-plan gauche au
premier plan droit. De même, Saint Paul et Saint Augustin sont également
agencés à l’opposé. Il aurait donc été plus logique de présenter les person-
nages du premier, puis du second plan ou inversement. Mais n’oublions
pas que Liszt rédigeait ici une lettre, et qu’il n’avait probablement plus le
tableau sous les yeux.
Ensuite, Liszt ne s’attache pas à l’historique même du tableau ; en
revanche, il replace le sujet peint dans le contexte de l’artiste afin de dégager
les impératifs auxquels ce dernier doit répondre. Il se place donc du côté
du créateur pour mieux cerner ses priorités et ses contraintes.
Enfin, il fonde son discours concernant le tableau sur l’IDÉE essentielle
qui LE touche. Ainsi, la musique restera au centre de ses préoccupations.
Pour étayer son propos, il s’appuie sur ses CONNAISSANCES autant que
sur sa SENSIBILITÉ. Autrement dit, il fait référence à des PRÉ-REQUIS
plus qu’aux éléments spécifiques du tableau. De plus, il « entend » la
musique qui pourrait être présente dans la scène, ce qui traduit une part
d’imagination importante que nous avons qualifiée de « synesthésique ».
Toutes ces caractéristiques ont une importance capitale dans notre
quête d’une méthodologie. En effet, elles montrent de manière évidente
que Liszt avait une « méthode » personnelle pour appréhender une œuvre
d’art et qu’il s’attache vraiment à une idée, c’est-à-dire au message qui
s’impose alors à lui, tout en étant sensible à la beauté formelle de l’œuvre,
ce qui implique une part de sensibilité importante. Cette manière de fonc-
tionner est inhérente à Liszt, homme et artiste. Elle peut donc s’affirmer
comme la part essentielle de son processus créateur. De ce fait, elle est
valable et vérifiable tout au long de sa vie.
Troisième chapitre 153

Implications méthodologiques
Cette manière d’analyser une œuvre d’art visuel s’appuyant d’abord sur
ses émotions avant de s’attarder ensuite sur l’idée trouvera son apogée dans
l’analyse iconographique d’Erwin Panofsky. En effet, lorsque le célèbre
historien de l’art expose sa théorie, il distingue trois niveaux de significa-
tion. Les voici rapidement exposés, ainsi que leurs liens possibles avec la
pensée de Liszt :
Le « niveau de signification primaire » s’attache à explorer les formes
et leur agencement ainsi que la part d’émotion qu’elles suscitent. C’est,
en fait, ce que Liszt appelle la « beauté plastique ». Notons que, pour
Panofsky, l’identification des personnages ne se fait pas encore complè-
tement à ce stade, mais au second. Nous apporterons des nuances dans
notre appropriation de sa méthode à la musique. La reconnaissance du
style est précisée dans cette partie. Précisons que Liszt disposait d’une
solide culture en la matière, comme en attestent ses quelques lignes sur le
Tintoret, Titien et Véronèse.
Le « niveau de signification secondaire » ou « conventionnelle » donne
un sens plus appuyé aux éléments présentés dans son premier niveau. Le
regroupement se fera sous la forme « d’images, histoires et allégories ». De
ce fait, quand Liszt voit Sainte Cécile comme une « image » de la musique,
il lui donne une fonction d’allégorie, ce qui correspond donc au deuxième
niveau d’analyse panofskyen.
Le troisième niveau de signification « intrinsèque ou contenu » corres-
pond à l’interprétation visant à aboutir au sens le plus universel, dans la
phase terminale d’analyse chez Panofsky. Certains commentateurs accen-
tuent évidemment le message religieux de Raphaël. Ainsi Brizio met-il en
valeur l’intériorité de l’extase de la Sainte à laquelle doit répondre un acte
de foi profond des spectateurs :
d’un seul coup, Raphaël transfère la vision sacrée dans l’affectivité de l’in-
dividu, il fait de l’âme du saint personnage le lieu où la divinité se révèle ; au
lieu de proposer au fidèle une image, tangible objet de l’adoration, il fait de
l’adoration un sentiment intérieur1 et en donne une représentation fondée sur
l’élément psychique et symbolique2 […] La divinité n’apparaît pas au regard ;

1. C’est nous qui soulignons.


2. Idem.
154 PREMIÈRE PARTIE

elle est dans le cœur de Sainte Cécile ; de même que la musique ne résonne pas
matériellement à ses oreilles, mais dans son âme seulement.1
Liszt, lui, voit dans le tableau de Raphaël un message adressé aux
artistes quand il associe la sainte au symbole de la musique. Il explicite
d’ailleurs les difficultés éprouvées par cet artiste à être situé entre Dieu et
les hommes :
N’est-ce pas l’idéalisation la plus poétique de ce découragement qui saisit le
poète dans l’abondance et la plénitude de sa participation aux mystères infinis,
alors qu’il sent et comprend qu’il ne pourra rien rapporter aux hommes du
banquet céleste auquel il a été convié ?2
Les remarques de Liszt correspondent ici à ce que Panofsky qualifierait
de « principes sous-jacents qui révèlent la mentalité de base d’une classe », ici,
la classe étant évidemment celle des artistes. Les deux derniers niveaux de
signification panofskyens peuvent donc trouver leur correspondant dans
ce que Liszt appelle « beauté IDÉELLE », alors que le premier correspond
évidemment à la « beauté plastique » lisztienne.

Conclusion du chapitre
Nous avons démontré que dans le texte de Liszt concernant la Sainte
Cécile de Raphaël se trouvent implicitement tous les éléments de la
méthode iconographique de Panofsky. Cela justifie donc d’adopter cette
méthode dans nos analyses plastiques des œuvres qui ont musicalement
inspiré Liszt. De ce fait, il semble également logique de s’interroger sur la
portée de cette méthode sur les œuvres musicales lisztiennes.
En d’autres termes, nous considèrerons les œuvres musicales de Liszt
en adaptant la méthode de Panofsky. Il nous faudra donc trouver des équi-
valents musicaux à ses différents niveaux de signification. Ce sera l’objet
d’une partie entière…

1. A.M.Brizio, Extrait d’un article de Arte Lombarda, Milan, 1965 cité par Pierluigi de
Vecchi, in Tout l’œuvre peint de Raphaël, p. 111.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155
Troisième chapitre 155

Postlude

Si Peter Raabe1 parle d’une composition inspirée de Sainte Cécile


datant d’avant 1839 qui aurait disparu – égarée voire détruite par Liszt
lui-même– il faut mentionner la Légende de Sainte Cécile (R.480) pour
orchestre, chœur et mezzo-soprano de 1874. Dédiée à l’archevêque
Ludwig Haynald, elle fut interprétée l’année suivante en hommage à
l’amie du compositeur Marie von Mouchanoff lors de ses obsèques. Seules
des œuvres de lui y furent jouées, dont cette légende et son Requiem.2 Le
texte original de la Légende de Sainte Cécile est en langue française, écrit
par Madame Émile de Girardin dont Liszt avait déjà mis un poème en
musique : Il m’aimait tant, dans les années 1840.
Liszt emprunta un chant grégorien comme thème principal de son
œuvre : Antiphona I, in Festa Sancta Caeciliae. Le début du texte était le
suivant :
C’était une dame romaine,
Une dame de très haut rang,
Qui jadis pour la foi chrétienne
Donna son sang.
Il va sans dire que ces quelques vers firent probablement écho à l’œuvre
raphaëlesque tant admirée plus de trente-cinq ans plus tôt !

1. Indication fournie par Peter Scholcz et Christo Lelie, dans le texte d’accompagnement
du C.D. Caecilia, AOS classics, 1996. D’autres précieuses remarques nous ont servi pour
brosser le rapide tableau de cette œuvre fort méconnue.
2. Voir à ce sujet Alan Walker, Franz Liszt, p. 315, vol. 2.
Deuxième partie

Réflexions préalables :
Espace et temps dans les arts visuels
et la musique

La perception d’une œuvre d’art visuel se construit dans le temps, celle


d’une pièce musicale, dans l’espace. Si cet énoncé peut sembler provo-
cateur et péremptoire au premier abord, l’analyse le justifie pleinement,
n’excluant pas d’ailleurs l’évidence selon laquelle les arts visuels sont un art
de l’espace, et la musique un art du temps.
Considérons donc la conception, la réalisation, et enfin la perception
d’une œuvre d’art figurative :
– initialement, l’artiste choisit un sujet qui s’inscrit dans un moment
donné. Par exemple, si la figure, la personne de la Vierge retient
son attention, il pourra s’attacher à l’un des différents épisodes de sa
vie comme sa naissance, son mariage, la visite de l’archange Gabriel
lors de l’Annonciation ou l’Assomption… Ainsi a fait Raphaël en
peignant le Sposalizio ;
– rappelons rapidement l’évidence selon laquelle la réalisation se
déroule elle-même dans le temps, avant que l’objet artistique ne
représente une tranche de vie, donc un laps de temps ; des heures de
travail sont effectivement nécessaires ;
– mais si parler du temps nécessaire à la conception et à la réalisa-
tion d’une œuvre d’art est un lieu commun, la notion du temps de
perception de cette même œuvre requiert quelques précisions : l’ap-
préhension d’une sculpture ou d’un monument diffère de celle d’un
tableau, d’un dessin ou d’une fresque de petite taille. En effet, le
spectateur doit tourner autour de la sculpture, entrer et se déplacer à
l’intérieur du monument, tandis qu’il reste immobile face au tableau,
au dessin ou à la fresque. Néanmoins, ne pas avoir à tourner autour
158 DEUXIÈME PARTIE

d’un tableau ne signifie pas que sa perception dans sa globalité en


soit immédiate. C’est ce qu’a démontré magistralement Bernard
Lamblin :
Cependant, le fait que le contemplateur de l’œuvre architecturale ou sculp-
turale soit obligé de se mouvoir réellement pour en découvrir progressivement
les profils, ne nous semble pas introduire une différence essentielle entre le temps
nécessaire à la perception d’un monument et celui qui est exigé par la contem-
plation d’un tableau […Car] nos yeux sont animés d’un mouvement perpétuel
et la vision d’un spectateur immobile est aussi essentiellement mobile que celle
d’un spectateur itinérant.1
Nous ne pouvons prétendre en effet appréhender un tableau d’un seul
regard, non seulement comme objet esthétique, encore moins comme
réalité signifiante. Pour organiser l’image, il faut en faire un « scanning »,
processus analogue à celui de la lecture, et ce, même si la cohérence d’un
tableau lui confère apparemment le caractère d’un immédiat. Mais si le
« scanning » cesse, la faculté de discrimination est détruite :
Pas plus que la méditation intellectuelle ne s’identifie à l’idée fixe, l’atten-
tion sensorielle n’est réductible à une vision immobile.2
La perception est donc mobile. Lorsque nous croyons embrasser
la totalité d’une image, nous l’avons, en fait, déjà mémorisée. Lamblin
précise également que la contemplation esthétique met en jeu trois formes
de mémoire : la mémoire immédiate, d’abord, également nécessaire à la
perception musicale ; puis la mémoire sensible, et enfin la mémoire indivi-
duelle, ou encore collective, qui recense le savoir. Il en déduit que le temps
s’introduit ainsi dans l’œuvre plastique. Nous constatons que la démarche
de Lamblin, à l’instar de celle de Liszt3, au sujet de la perception d’une
œuvre d’art visuel, se rapproche singulièrement de la méthode de Panofsky,
même si une comparaison rigoureuse serait erronée. La démarche icono-
logique de l’historien de l’art n’est donc, somme toute, que la description
approfondie d’un processus de perception très naturel, comme peut le
confirmer l’expérience personnelle de chacun.

1. Bernard Lamblin, Peinture et temps, p. 45.


2. Bernard Lamblin, ibid., p. 49.
3. Voir notre chapitre sur « Liszt critique d’art ? Étude sur le texte de la Sainte Cécile de
Raphaël, à M. Joseph d’Ortigue, de 1839 ».
DEUXIÈME PARTIE 159

La spatialisation de la musique s’élabore à deux niveaux : dans la


réalisation matérielle de l’œuvre, d’une part, dans sa perception sensible,
d’autre part.
Avant que la musique ne soit interprétée, le compositeur doit penser
à la disposition spatiale des instrumentistes. Ainsi Liszt n’hésite-t-il pas à
exiger que l’orgue soit placé « derrière les rideaux » pendant l’exécution de
la Hunnenschlacht.1 Nous voyons, dans cette indication, la preuve de son
intérêt pour la place accordée à chaque instrument. C’est ce qu’Adorno
appelle traiter « le temps comme un carton de peintre ».2
Dans la perception d’une œuvre musicale, le choix précis des instru-
ments opère le même phénomène que les touches de couleurs différentes
dans une peinture. Le procédé d’accumulation de ces individualités sonores
engendre ce qu’Adorno nomme des « blocs »3 musicaux et des « strates »
de peinture. En un mot, l’œuvre elle-même est composée de cette accu-
mulation d’individualités. Nous en trouvons un exemple frappant dans la
Hunnenschlacht, quand Liszt superpose une partie rythmique aux cordes
pour évoquer le combat, d’une part, et d’autre part, le Crux fidelis aux
cuivres, pour donner une image sonore de la Croix.4
Donc, alors que le temps et les éléments qui l’habitent changent de
fonction – de médium, ils deviennent matériaux temporel et musicaux – il
ne faut pas penser que temps et espace vont se confondre. Par définition,
l’espace, en soi, est synchronique, tandis que le temps est diachronique.
Les événements se succèdent, mais ne peuvent se présenter tous en même
temps. Même dans le cadre de figurations synthétiques, la narration se
fait à travers des plans successifs et non simultanés. La musique, elle, peut
superposer des plans aux expressions différentes : ainsi Mahler superpose-
t-il dans le troisième mouvement de sa Première Symphonie une partie de
caractère ironique confiée au hautbois, pendant que d’autres instruments
continuent leur plainte, fondée sur le thème de Frère Jacques joué en canon,
dans une tonalité mineure et un tempo lent.

1. Voir notre développement sur la disposition des instruments.


2. Theodor W. Adorno, Sur quelques relations entre Musique et Peinture, p. 34.
3. ibid., p. 35.
4. Voir notre développement : « superposition de plans picturaux – superposition de
plans musicaux ».
160 DEUXIÈME PARTIE

Les événements s’organisent à l’intérieur de ce temps diachronique, en


formant un tout qui constitue une forme. Adorno évoque le problème de
cette organisation :
Du point de vue de la composition, cela veut dire que la musique devrait
s’organiser non pas seulement par le haut – la construction – mais également
par le bas, à partir de l’impulsion singulière dans-le-temps. C’est là la véri-
table intervention du sujet en musique, en tant qu’une destination pour elle
objective.1
Il oppose donc les schémas pré-établis comme le rondo ou le Lied,
par exemple, et les formes qui naissent de l’impulsion, de l’inspiration du
moment, à l’instar de celles relevant de l’écriture durchkomponiert.
Nous avons démontré, en nous appuyant sur les travaux de Lamblin et
d’Adorno, que le temps et l’espace jouent un rôle important autant dans la
perception d’une pièce musicale, que dans celle d’une œuvre d’art visuel.
La convergence des arts a été bien résumée par Bernard Lamblin. Voici
une récapitulation de ses conclusions :
– les arts ne sont pas séparés en deux groupes tranchés : espace et
temps ;
– les peintres se sont montrés attentifs aux lois psycho-physiologiques.
Aussi le spectateur doit-il en tenir compte pour aborder une œuvre
d’art, et respecter le parcours obligé sous-jacent du regard. La droite et
la gauche jouent des rôles spécifiques, définissant la structure interne
du tableau en fonction du mode d’appréhension du spectateur ;
– la compréhension d’une œuvre d’art dépend de nos acquis socio-
culturels.
Quant à Adorno, il récuse l’idée que les arts puissent converger.
Hégélien2, il ne peut s’empêcher de considérer la musique et la peinture
autrement que par des données « dialectiques ». Dans sa conception de la
relation entre les arts, cette notion philosophique est très prononcée. Il va
même jusqu’à offrir une dialectique croisée :
Dès qu’un art en imite un autre, il s’en éloigne dans la mesure où il désa-
voue la contrainte de son matériau propre […] Les arts ne convergent que là
où chacun suit de façon pure son principe immanent.3

1. Theodor W. Adorno, op. cit., p. 36-37.


2. Merci à D. Charles pour son aide sur la philosophie hegelienne et adornienne.
3. Theodor W. Adorno, Sur quelques relations entre Musique et Peinture, p. 33.
DEUXIÈME PARTIE 161

Pour mieux se rapprocher, les arts doivent donc éviter de s’imiter. En


effet, en essayant d’adapter – et d’adopter – les spécificités d’un mode
d’expression qui n’est pas le leur, les arts tendent à perdre leurs caracté-
ristiques propres. Donc ils s’affaiblissent. Ainsi en serait-il de la musique
si elle voulait privilégier l’espace, ou de la peinture, le temps. Cependant,
Adorno remarque que, malgré leur différence de medium, la peinture et la
musique se rejoignent dans le fait qu’elles sont toutes deux un « langage »
dont la signification est contenue dans des signes qu’il faut décrypter.
En fait, leur contenu ne doit pas être recherché dans des références exté-
rieures. Ce contenu est langage et ne trouve son sens qu’en lui-même.
Ceci pourrait nous amener à conclure que, pour comprendre sa musique,
les programmes de Liszt devraient être laissés de côté. Cependant, ils
donnent des indications précieuses sur ses intentions. Ainsi les difficultés
de compréhension sont-elles, selon lui, écartées si le compositeur renvoie
au contenu de son œuvre par le langage des mots. En fait, « la fonction
principale du programme consiste […] à renvoyer de façon préparatoire l’au-
diteur au contenu exprimé dans la composition, indépendamment du fait qu’il
soit ou non familiarisé avec la musique. »1
De plus, ce programme remplit deux fonctions vis-à-vis de l’audi-
teur : d’une part, il renvoie au contenu de la composition même, comme
nous l’avons déjà dit ; d’autre part, il renvoie au contenu du poème ou du
tableau, donc à la source d’inspiration du compositeur.
Par ailleurs, il donne au compositeur l’impulsion, le sens du contenu
de son œuvre. Sa concrétisation passe par l’utilisation d’un système de
signes, fondement de tout langage.
Pour Adorno, c’est par la construction, donc l’agencement des signes
constitutifs du langage, qu’il peut y avoir convergence entre peinture et
musique. En se construisant, elles se rapprochent. Si ces remarques concer-
nent les œuvres d’art non figuratives et la musique atonale, elles nous
semblent adaptées aux compositions de Liszt par rapport à leurs modèles
visuels.
Mais si peinture et musique sont toutes les deux des langages qui se
rapprochent en se construisant, elles n’en sont pas moins différentes dans
la manière d’arriver à leur fin. Pour produire le même effet, elles useront

1. Detlef Altenburg, « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt » in Liszt Studien I, p. 20.
162 DEUXIÈME PARTIE

de moyens différents voire antagonistes. Nous citons ici la peinture et la


musique, mais il en va de même pour toutes les formes d’art.
Ainsi, si les effets rendus par deux arts différents peuvent être simi-
laires, les moyens de les produire ne coïncident pas toujours. Marie-Anne
Lescourret le rappelle en reprenant l’exemple du Laocoon, présenté par
Lessing et résumé par Diderot :
Le premier [Lessing], dans son Laocoon, envisage les deux traitements,
par la poésie et par la peinture ou la sculpture, d’un même thème : le drame
du grand prêtre Laocoon défendant ses deux fils contre les deux monstres surgis
de la mer. Autant le poète doit « en rajouter » entre les écailles et la puissance
des deux serpents géants, et les convulsions musculaires et pathétiques du père
luttant sans espoir contre ces envoyés d’une déesse furieuse, autant le plasticien
doit mesurer la transposition de ces drames internes et externes afin de susciter
la compassion du spectateur qu’une représentation ampoulée rebuterait ou
inciterait à la moquerie. Diderot résumera l’exercice propre au praticien des
arts visuels dans la formule : « Laocoon crie, il ne grimace pas. » Et Lessing
aura démontré que la poésie n’est pas comme la peinture.1
L’exemple est clair : pour rendre le même effet, à la fois terrible et
crédible, la poésie et la peinture n’emploient pas les mêmes moyens.
Nous nous interrogerons donc sur les « moyens » utilisés, dans nos
analyses comparées d’œuvres musicales et de leurs modèles visuels. Nous
mettrons l’accent sur les procédés requis, tant dans leur conception que
dans leur perception, dans le temps et… dans l’espace !

1. Marie-Anne Lescourret, « La Correspondance des Arts », Introduction à l’Esthétique,


p. 176.
Quatrième chapitre
Première étape panofskyenne :
Signification primaire
ou « naturelle »

Erwin Panofsky fut formé à l’histoire de l’art par les systèmes de


Wölfflin et de Riegl. Rejetant le premier qu’il jugeait trop formaliste,
il prend en compte le Kunstwollen du second, qu’il intégrera dans son
dernier niveau de signification. Mais c’est surtout Aby Warburg et Ernst
Cassirer qui lui transmirent les fondements de l’iconographie, discipline
dans laquelle il excella. Professeur à Hambourg, Panofsky fut obligé, sous
la pression nazie, de s’expatrier à New York en 1933. Il y enseigna tout en
continuant ses recherches.1
Pour expliquer sa méthode, Panofsky part d’une scène empruntée à la
vie courante. Puis il adapte ses réflexions aux arts. Exploitant son exemple
initial, nous expliciterons son application aux arts visuels, et enfin, nous
le transposerons dans le domaine de la musique. Nous établirons pour
chaque étape analytique des mises en relations d’éléments empruntés aux
arts plastiques confrontés à leurs équivalents musicaux lisztiens.
Nous avons déjà mentionné que Panofsky procède dans son analyse
iconographique par trois niveaux de signification successifs : le premier est la
« signification primaire ou naturelle », le second, « la signification secon-
daire ou conventionnelle » et le troisième, la « signification intrinsèque ou

1. Pour plus de renseignements sur Panofsky et ses maîtres, se référer à l’excellente


introduction de Bernard Teyssèdre dans Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, Les thèmes
humanistes dans l’art de la Renaissance.
164 DEUXIÈME PARTIE

contenu ». À l’intérieur du premier niveau, trois étapes différentes doivent


être précisées, selon Panofsky :
L’historien de l’art présente d’abord « les objets », c’est-à-dire ce qu’il
voit dans une œuvre d’art ainsi que les « thèmes » généraux représentés.
Ensuite, il détermine les relations entre les « objets », relations qu’il
nomme « événements ». L’ensemble de ces deux opérations constitue pour
lui la « signification de fait ». Dans notre adaptation à la musique, nous ne
tiendrons pas compte de cette association. Nous assimilerons en effet les
« événements » à la « structure » musicale.
Enfin, Panofsky étudie « la signification expressive », donc tout ce qui
a trait à la sensibilité, à l’affectivité. Dans notre application à la musique,
nous la présenterons en même temps que les thèmes et les motifs.

I. Première phase : les « objets » et « thèmes »


panofskyens et leurs équivalents musicaux

A. Présentation des « objets » et « thèmes » panofskyens


et de leurs équivalents musicaux

1. Définition générale et application aux arts visuels


Pour différencier « l’objet » de ses « significations », Panofsky part d’un
exemple pris dans la vie courante :
Supposons qu’une personne de ma connaissance, rencontrée dans la rue,
me salue en soulevant son chapeau. Ce que je vois d’un point de vue formel
n’est autre que la modification de certains détails au sein d’une configuration
participant au type général de couleurs, lignes et volumes qui constitue mon
univers visuel.1 Quand j’identifie (et je le fais spontanément) cette configura-
tion comme un objet (un monsieur) et la modification de détail comme un
événement (soulever son chapeau), j’ai déjà franchi le seuil de la perception
purement formelle pour pénétrer dans une première sphère de signification de
fait (« factuelle ») ; je la saisis en identifiant le changement survenu dans leurs
relations à certaines actions, ou événements.2

1. Bernard Teyssèdre ajoute ici une note (n° 3) où il mentionne la référence à la « psycho-
logie de la forme (« Gestalttheorie ») Pour les références, voir note suivante.
2. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, p. 13-14.
Quatrième chapitre 165

Panofsky montre comment l’identification de l’aspect « formel » en


mouvement peut alors déboucher sur une action, sur un « fait ». Précisons
que nous ne nous attarderons pas immédiatement sur le « fait », c’est-à-
dire « l’événement » comme le nomme Panofsky. En effet, nous étudierons
les « formes et motifs » avec leurs caractères avant de déterminer leurs rela-
tions. Nous reviendrons sur ce point.
Panofsky adapte ensuite cet exemple à des œuvres d’art visuel en carac-
térisant la première étape de son travail analytique ainsi :
… en identifiant de pures formes (c’est-à-dire : certaines configurations
de ligne et de couleur, ou certaines masses de bronze ou de pierre, façonnées de
manière particulière) comme représentations d’objets naturels (tels que des êtres
humains, des animaux, plantes, maisons, outils, etc.) ; en identifiant leurs rela-
tions mutuelles comme événements ; et en percevant certaines qualités expres-
sives, par exemple le caractère de deuil que comporte une attitude ou un geste,
l’atmosphère intime et paisible d’un intérieur. L’univers des pures formes que
l’on reconnaît ainsi chargées de significations primaires ou naturelles peut
être appelé l’univers des motifs artistiques. Un dénombrement de ces motifs
constituerait une description pré-iconographique de l’œuvre d’art.1
Tous les éléments de cette première étape correspondent à la phase de
description pré-iconographique, à l’analyse formelle et expressive à partir
du matériau de base. Dans les œuvres d’art visuel, cette phase concerne
tout l’aspect matériel immédiatement perceptible : formes ou volumes,
couleurs, lignes. Ce sont ces « pures formes » comme dit Panofsky, qui,
dans l’œuvre d’art figuratif, impliquent la « représentation d’objets natu-
rels », des objets donc aisément identifiables.
Cependant, à ce stade, Panofsky évoque un élément qui, de prime
abord, peut paraître un détail, mais qui aura par la suite une grande impor-
tance : est-ce que nous appuyons notre perception uniquement sur notre
expérience pratique des « objets » et « événements » à identifier ou faisons-
nous intervenir d’autres données ? L’historien de l’art prend ici l’exemple
d’un tableau de Rogier Van der Weyden représentant La Vision des Rois
Mages.2 La démonstration de Panofsky, qui donne à discussion, appelle un
examen attentif. Aussi nous semble-t-il opportun de citer tout le passage
concerné. Précisons que nous avons vérifié l’exactitude de sa traduction

1. Erwin Panofsky, ibid., p. 17.


2. Berlin, Deutsches Museum.
166 DEUXIÈME PARTIE

française en nous référant à l’édition originale américaine rééditée en


Angleterre. Voilà l’exemple commenté par Panofsky :
Une description pré-iconographique des Rois Mages de Rogier Van der
Weyden, au Musée de Berlin devrait, bien entendu, s’abstenir de termes tels
que « Mages », « Enfant Jésus », etc. Mais elle aurait à mentionner que l’on
aperçoit dans le ciel l’apparition d’un petit enfant. Or comment savons-nous
que cet enfant doive s’interpréter comme une apparition ? Parce qu’il est
entouré d’un halo de rayons dorés ? Ce ne serait pas une preuve suffisante,
car de semblables halos peuvent se voir souvent dans des représentations de la
Nativité, où l’Enfant Jésus est donné pour réellement présent. Le fait que dans
le tableau de Rogier Van der Weyden l’enfant soit censé être une apparition
peut seulement se déduire de ce fait supplémentaire qu’il flotte en l’air. Mais
comment savons-nous qu’il flotte en l’air ? Sa position ne serait pas différente
s’il était assis sur un coussin, à terre (en fait il est très probable que le peintre
a utilisé pour son tableau un dessin d’après nature d’un enfant assis sur un
coussin). La seule raison valable qui nous permette de considérer que l’enfant
de ce tableau soit censé être une apparition, c’est le fait qu’il est représenté en
l’air sans aucun support apparent.
Mais nous pourrions citer des centaines de représentations où êtres humains,
animaux, objets inanimés semblent suspendus en l’air sans attache ni support,
au défi des lois de la pesanteur, sans que pour autant ils prétendent passer pour
des apparitions. Par exemple, sur une miniature de l’évangéliaire d’Otton III,
à la Staatsbibliothek de Munich, une cité entière est représentée au centre
d’un espace vide, tandis que les personnages qui participent à la scène sont
debout sur la terre ferme […]. Un observateur dénué d’expérience pourrait fort
bien s’imaginer que la cité fût suspendue en l’air par l’effet de quelque magie ;
et pourtant, dans ce cas, l’absence de support n’implique aucune dérogation
miraculeuse aux lois de la nature. La cité est la cité bien réelle de Naïm, où
fut ressuscité le jeune homme. […] Le personnage sans support dans les airs
passe, dans le tableau de Van der Weyden, pour une apparition, tandis que la
cité qui flotte au ciel de la miniature othonienne n’a aucun caractère mira-
culeux. Ces interprétations en contraste nous sont suggérées par les propriétés
« réalistes » du tableau et « non réalistes » de la miniature. Mais le fait que
nous prenions conscience de ces propriétés en une fraction de seconde, et presque
automatiquement, ne doit pas nous faire accroire que nous puissions jamais
fournir la correcte description pré-iconographique d’une œuvre d’art sans avoir
deviné, pour ainsi dire, son locus historique. Alors que nous nous figurons iden-
tifier les motifs en nous fondant purement et simplement sur notre expérience
Quatrième chapitre 167

pratique, nous déchiffrons en réalité « ce que nous voyons » en fonction de


la manière dont les objets et événements furent exprimés par des formes en
diverses conditions historiques. Ce faisant, nous soumettons notre expérience
pratique à un principe de contrôle que nous pouvons appeler l’Histoire du
style.1
Panofsky tire de cet exemple la juste conclusion qu’une analyse pré-
iconographique des « objets ou événements » n’est pas seulement une
description des éléments de base d’une composition, mais déjà une iden-
tification des « formes en diverses conditions historiques. »2 Si le résultat
nous semble probant, la démonstration en revanche nous laisse quelques
doutes. En effet, nous avons relevé certains éléments qui nous paraissent
contradictoires. Panofsky écrit que la seule « expérience pratique » est insuf-
fisante. D’ailleurs, l’exemple qu’il choisit, à savoir l’identification d’une
apparition, n’est pas un phénomène vécu tous les jours ! Cependant,
nous émettons des réserves lorsqu’il énonce que c’est la reconnaissance
d’un élément surnaturel, au sein d’un contexte « naturel », qui amène à
conclure que l’enfant dans le ciel est une « apparition ». Nous doutons non
pas de l’importance des données stylistiques et historiques, mais de leur
rôle au sein d’une telle identification. D’autant que, pour Panofsky, il ne
faut pas encore, dans cette première étape, employer les mots « mages » ou
« Enfant Jésus ». Or notre expérience sensible nous conduit à un chemine-
ment différent : dans un premier temps, nous décrivons un petit enfant
dans le ciel, observé par trois personnages couronnés. Dans un second
temps seulement, nous identifions le bébé comme l’Enfant Jésus et les trois
personnages comme les Rois Mages. Mais pour nous, c’est seulement à ce
moment que nous concluons à une apparition. C’est une réaction bien
légitime, car nous savons, a priori, qu’un enfant apparaissant ainsi est l’En-
fant Jésus : en effet, si cette identification ainsi que celle des trois person-
nages du « Nouveau Testament » n’avait pas été possible, nous n’aurions
pas pu reconnaître la scène comme « une apparition ». Certes, les éléments
stylistiques y contribuent, mais ne nous semblent pas être les uniques ni
même essentiels supports d’investigation, car l’idée d’une thématique reli-
gieuse est ici inévitable pour comprendre le tableau.
Cet examen de la démonstration de Panofsky est éloquent. Le premier
niveau de signification nous demande donc de nous concentrer sur une

1. Erwin Panofsky, ibid., p. 24-25.


2. Erwin Panofsky, ibid., p. 25.
168 DEUXIÈME PARTIE

vue d’ensemble. Aussi l’approche des « thèmes » et des « motifs » est-elle


nette. Cependant, nous pourrions immédiatement préciser leur identifi-
cation, sans toutefois mentionner les éléments contextuels. Les éléments
extérieurs au tableau seront précisés dans le second niveau de signification.
Concrètement, même si nous savons enfreindre les règles de Panofsky,
il nous semble assez opportun de donner, dès le premier niveau, le nom
des personnages représentés quand il est évident et qu’il contribue à la
compréhension même du tableau. D’ailleurs, le regard de l’amateur éclairé
identifie spontanément les Rois Mages et l’Enfant Jésus. Certes, replacer
la scène dans son contexte historique relève du second niveau panofskyen,
mais la simple reconnaissance des personnages en fonction de leur attribut
– « un accessoire qui caractérise et aide à identifier la figure principale : la
massue d’Hercule, l’aigle de Jupiter, le carquois de Cupidon »1 – sans réfé-
rence à d’autres éléments extérieurs, peut être envisagée comme la conclu-
sion logique de ce premier niveau. Nous sommes consciente ici de faire
une légère entorse à la méthode sur laquelle se fonde notre travail, mais
nous pensons qu’elle se justifie. Autrement dit, dans la présentation des
éléments de base, les niveaux 1 et 2 de signification peuvent parfois être
envisagés simultanément.

2. Application à la musique

Il faut avant tout préciser que les « formes », dont parlent Panofsky et les
historiens de l’art, ne correspondent pas à ce que nous appelons « forme »
en musique. En effet, dans les arts visuels, la « forme » des « objets naturels »
comme les nomme Panofsky correspond à des données matérielles et aisé-
ment repérables, comme des surfaces de couleurs sur une toile, des lignes
figurant un élément précis dans un dessin… Ce sont ces éléments qui
permettent le repérage immédiat des « objets » représentés. En revanche, la
forme d’une œuvre musicale correspond à sa perception dans sa globalité.
La forme est souvent confondue, même par certains musicologues, avec
la structure. Même si c’est sa manifestation propre, elle reste insuffisante
pour en rendre compte de manière exhaustive. Prenons un exemple : la
structure correspond chez l’être humain, au corps composé d’une tête,
d’un buste, de deux bras et de deux jambes. Celui-ci se différencie de
celui d’un animal. En revanche, chaque forme est unique, car chaque être

1. Guy de Tervarent, « Avertissement », Attributs et Symboles dans l’art profane, p. 7.


Quatrième chapitre 169

humain est unique, même si la structure – son corps – est commune à celle
des autres êtres humains. Ainsi, en musique, à une structure ABA corres-
pond un grand nombre d’œuvres. Cependant, chaque œuvre aura une
forme, donc une enveloppe particulière. L’exemple le plus emblématique
de confusion entre forme et structure en musique reste sans doute celui de
« la forme sonate ». Elle correspond d’ailleurs plus à un principe composi-
tionnel qu’à une structure proprement dite. Charles Rosen l’a bien précisé
avec son titre si caractéristique : les Formes sonates plutôt que la forme
sonate. En ce sens, l’exemple de la Faust Symphonie est emblématique :
Liszt se serait inspiré de trois œuvres picturales – deux, en réalité – de
Scheffer avant de se pencher de manière plus approfondie sur les écrits de
Goethe. Il garde la structure des trois tableaux dans leur ensemble, à savoir
qu’il réalise une symphonie en trois mouvements avec des appellations
qui correspondent aux principaux personnages : « Faust » pour le premier
mouvement, « Gretchen », pour le deuxième et « Méphistophélès » pour
le troisième. Cependant, si la structure générale correspond à la référence
visuelle supposée, la forme de chaque mouvement est, elle, très particulière
à chaque fois pour correspondre au sous-titre donné par Liszt lui-même :
« in drei Charakterbildern nach Goethe » (en trois portraits psycholo-
giques d’après Goethe). Les formes de ces mouvements sont intrinsèque-
ment liées au contenu1, alors que la structure reste un schéma figé. Nous
reviendrons sur le problème de la forme sonate dans l’œuvre de Liszt, plus
particulièrement dans la Hunnenschlacht et la Légende de Sainte Élisabeth.2
Percevoir la forme d’une œuvre musicale n’est donc pas chose si aisée.
Pour comparer les « formes et motifs » des œuvres d’art visuel avec
des correspondants musicaux, il faut donc se concentrer sur les éléments
de base du langage musical et non sur leur agencement dans une forme
globale. En un mot, cette première étape constitue la présentation du
matériau musical : matériau thématique et motivique, rythmique, harmo-
nique… Il s’avère qu’en fait, c’est surtout la thématique musicale – à la fois
thèmes et motifs – qui est comparable aux « formes et motifs » des œuvres
picturales, sculpturales, graphiques…
Cependant, cette première étape n’est pas qu’une description sommaire.
Elle fait appel à une « expérience pratique ». Les éléments musicaux de

1. Voir dans notre première partie, le premier chapitre : les explications empruntées à
Dahlhaus sont très claires.
2. Voir notre sixième chapitre, dans cette même partie.
170 DEUXIÈME PARTIE

base de cette « expérience pratique », que sont les intervalles, les rythmes,
les harmonies, présentés dans une écriture musicale, renvoient à un « style
musical ». Celui-ci demeure lié à une période historique précise. Aussi est-il
difficilement possible, comme nous l’avons vu avec l’identification de l’ap-
parition dans l’œuvre de Van der Weyden, de ne pas reconnaître l’époque
d’une pièce pour piano où se déroule un accompagnement fondé sur une
« basse d’Alberti » à la main gauche ! L’auditeur est immédiatement poussé
à identifier ces accords brisés comme étant l’œuvre d’un contemporain de
Haydn ou de Mozart !
Là encore, la reconnaissance des thèmes et des motifs musicaux dépend
de « notre expérience pratique à un principe de contrôle que nous pouvons
appeler « l’Histoire du langage ».1 Précisons, au risque de tomber dans le
truisme, qu’il s’agit ici de l’Histoire du langage musical…
Avant de passer à l’illustration de ces idées à l’aide d’exemples pris dans
le répertoire lisztien, nous tenons à mentionner une expérience intéres-
sante : l’adaptation de la première étape de ce premier niveau panofskyen
à la littérature.

3. Un cas à part : l’adaptation de la première étape


du premier niveau de Panofsky à des œuvres littéraires

Précisons que la méthode iconographique de Panofsky a été utilisée


dans le domaine littéraire en 1985 par Antoinette Weber-Caflisch.2
L’adaptation de cette méthode à une autre forme d’expression artis-
tique vient conforter notre choix dans l’étude comparée de la musique
avec ses modèles visuels. De plus, elle nous intéresse vraiment pour une
tout autre raison : Liszt a souvent écrit des préfaces ou des textes explicatifs
de ses œuvres – citons pour mémoire les préfaces (en français et en alle-
mand) de la Hunnnenschlacht ou encore la postface de la Légende de Sainte
Élisabeth – et a également mis en musique des textes, comme ses Lieder, et
pour le sujet qui nous préoccupe, celui du livret d’Otto Roquette dans sa
Légende de Sainte Élisabeth. Aussi semble-t-il utile de donner les grandes

1. Expression fondée sur : « l’Histoire du style » d’Erwin Panofsky, Essais d’iconologie,


p. 25.
2. Nous tenons ici à remercier chaleureusement Marie-Anne Lescourret qui, travaillant
sur un livre consacré à Claudel, nous a communiqué cette référence très utile.
Quatrième chapitre 171

lignes de cette adaptation « icono-littéraire » qui pourra ponctuellement


nous venir en aide.
Quand elle utilise le terme « motif », dans la préface de son ouvrage
La Scène et l’Image – Le Régime de la figure dans Le Soulier de Satin1,
Antoinette Weber-Caflisch se défend d’une influence wagnérienne. Elle
emprunte bien le terme à Panofsky dans le but de l’opposer au « thème ».
Le premier terme est « un mot […] comme le mot est un élément du texte »2
tandis que le second « est un concept plus ou moins complexe qui se trouve
développé dans le drame »3. Ce qui l’intéresse, c’est le fait que le « motif »
a une existence propre, sans être pour autant le plus petit élément, la plus
petite unité du « thème ». Il participe à la trame narrative avec les thèmes,
mais « motifs » et « thèmes » sont indépendants. D’ailleurs, l’utilisation
d’un même motif peut se retrouver dans l’illustration de différents thèmes.
Antoinette Weber-Caflisch donne encore une précision importante :
Mais surtout, on remarquera que le motif se donne à voir (même si, pour
le voir correctement, il faut connaître les règles auxquelles obéit le style de la
représentation) alors que le thème se donne à lire […] Si, alors même que le
motif est vu correctement, le thème est mal interprété, c’est donc la preuve que
thèmes et motifs se développent à des niveaux de signification différents, bien
que les premiers doivent leur existence aux seconds. C’est cette dépendance,
sans doute, qui a pu faire croire à certains que le motif était la plus petite
unité thématique, un « thémème » en quelque sorte, le mot « motif » venant
remplacer un mot fort inesthétique, en français du moins.4
Chez Panofsky, la même importance est accordée au thème et au motif,
l’étude devant être replacée, nous l’avons déjà dit, dans une perspective
historique. Notons que le titre du tableau en est déjà un élément littéraire.
Ce dernier résume le sujet évoqué par le peintre, dans une œuvre figurative.
Il s’agit déjà, de ce fait, d’une interprétation car le titre est souvent donné a
posteriori, et qui plus est, pas toujours par les auteurs de l’œuvre…
C’est donc la relation entre le thème et le motif qui intéresse en premier
lieu la spécialiste de Claudel et non la définition exacte de Panofsky. Dans
un second lieu, ce qu’elle retient également de Panofsky est la notion de

1. Antoinette Weber-Caflisch, « Préface », La Scène et l’Image. Le Régime de la figure dans


Le Soulier de Satin, p. 9-17.
2. Antoinette Weber-Caflisch, ibid., p. 13.
3. Idem, ibidem.
4. Antoinette Weber-Caflisch, ibid., p. 14.
172 DEUXIÈME PARTIE

« type », c’est-à-dire le fait qu’un motif n’apparaisse comme tel que grâce à
sa « récurrence » dans plusieurs œuvres :
Le type est perçu dès lors que plusieurs œuvres sont prises conjointement
dans un même regard.1
Cette manière de procéder est aisément transposable à la littérature.
Notons, pour conclure notre brève remarque, qu’Antoinette Weber-
Caflisch ne s’attarde que sur le premier niveau de Panofsky, et, comme
nous l’avons expliqué, plus spécialement sur la première phase.
Il nous reste maintenant à illustrer nos propos à l’aide d’exemples
empruntés au répertoire lisztien.

B. Quelques exemples chez Liszt


Dans le cas des œuvres musicales, nous ne donnerons comme exemples
que la première présentation des thèmes et des motifs présents dans toute
l’œuvre. Leur récurrence sera étudiée au sein de la structure d’ensemble.

1. « Formes et motifs » picturaux et « Thèmes et motifs »


musicaux dans la Hunnenschlacht

a. « Formes et motifs » picturaux chez Kaulbach


Le tableau de Kaulbach offre une vision apocalyptique d’une bataille
terriblement violente : des cadavres d’hommes et celui d’un cheval jonchent
le sol, au centre. Des femmes éplorées sur la gauche se soutiennent.
Deux d’entre elles regardent en direction du ciel. Elles sont toutes coif-
fées et surtout habillées à l’antique, avec des tuniques de couleurs pastel,
rose, bleu ou encore jaune. Sur la droite, un homme barbu, à terre, semble
épuisé. Derrière lui, un grand nombre d’hommes offrent des visages doulou-
reux, à peine esquissés. Des ombres fantomatiques semblent s’élever peu à
peu vers la masse combattante qui s’active dans les airs. C’est en effet dans
les airs que se situe la scène même de la bataille, ce qui ne peut qu’étonner
le spectateur : comment des êtres humains peuvent-ils voler ? Nous retrou-
vons ici les questionnements de Panofsky au sujet de la « Vision des rois
Mages » : est-ce une apparition et comment le savons-nous ?

1. Antoinette Weber-Caflisch, ibid., p. 15.


Quatrième chapitre 173

Illustration n° 3 : W. von Kaulbach, Hunnenschacht

Si nous nous référons à « l’Histoire des styles » sur laquelle s’appuie


Panofsky dans sa démonstration sur le tableau de Van der Weyden, nous
pouvons dire que les habits et les chevelures des jeunes femmes éplorées
précédemment décrites renvoient à une iconographie antique, tandis que
leurs attitudes extériorisées évoquent une sensibilité plutôt maniériste. Ce
groupe peut faire penser en effet à celui des femmes peintes par Raphaël
dans L’incendie du Borgo1, par exemple, ou à celui de David dans les
Licteurs portant à Brutus le corps de son fils2. Dans les deux cas, la douleur est
représentée avec une réelle recherche de véracité et d’émotion. Les autres
personnages dans le bas du tableau empruntent au même style, à l’excep-
tion de l’homme barbu dont la musculature affirmée ainsi que l’expression
sombre et mélancolique du visage se rapprochent de la facture michelan-
gelesque. La même référence à l’antique se retrouve dans les drapés de
certains combattants dans le ciel. Le cheval étendu ainsi que son cavalier
désarçonné font penser à certaines scènes de Delacroix.

1. Chambre dite « de l’Incendie du Borgo », Rome, Vatican, 1514.


2. Huile sur toile, 325x423 cm, Paris, Musée du Louvre, 1789.
174 DEUXIÈME PARTIE

Cependant, quelques formes à peine suggérées, des corps tout juste


esquissés plongent le spectateur dans une atmosphère presque fantastique.
Ce type de représentation est totalement étranger à l’époque de Raphaël.
D’où une première conclusion possible : cette bataille peut être la mani-
festation d’un épisode extrait d’une histoire fantastique. Ce genre de
littérature était en effet très en vogue au xixe siècle, tant chez Gautier,
Mérimée, en France ou encore Hoffmann, Bürger en Allemagne, pour ne
citer que les principaux. Mais cette première déduction ne prend pas tous
les éléments en compte.
Ainsi, au milieu des corps entremêlés au centre, deux personnages
semblent ressortir de ce tableau où la multitude humaine déroute et épou-
vante. Pour plus de facilité, nous donnerons tout de suite leurs noms.
– À gauche, un homme majestueux vêtu d’une tunique rouge, un
casque doré sur la tête, portant un bouclier dans la main gauche, et
une épée dans la droite, est soutenu par deux personnages en tunique
claire. C’est Théodoric. Il semble mener les combattants casqués qui
surgissent de la gauche.
– Disposé d’une manière symétrique, en face de la masse de corps
centrale, un homme à la posture théâtrale, coiffé d’un bonnet rouge,
vêtu d’un drapé blanc-jaune très pâle et d’un manteau à manches
courtes verdâtre, est juché sur un bouclier soutenu par plusieurs
personnages plus petits. C’est Attila.
Il semble faire signe à ses hommes qui s’élèvent de la terre, sur la droite
du tableau. Il leur fait signe d’aller se battre.
Ces deux guerriers ressortent au milieu de cet enchevêtrement de corps.
Ce sont sans doute les chefs des parties en conflit.
Cependant, même si nous avons déterminé les principaux acteurs de
cette scène de bataille, nous n’avons pas encore indiqué si le caractère
« fantastique » proposé initialement trouvait sa justification. Une dernière
précision permettra de soulever l’ambiguïté.
Un autre élément important participe à la compréhension immédiate
du tableau. Il s’agit de la croix tenue par un personnage situé tout en haut
à gauche. Cette croix, nous l’identifions tout de suite comme le symbole
de la Passion de Jésus pour les Chrétiens. De ce fait, nous disposons d’un
indice important pour relier la bataille, ici représentée, à une manifestation
d’une guerre opposant deux clans religieux différents. Notre supposition
est ici confortée par l’opposition suscitée par la lumière dorée émanant de
Quatrième chapitre 175

la Croix d’une part, et l’aspect blanchâtre de l’arrière-fond qui entoure


Attila d’autre part.
Nous pouvons donc déduire que le tableau représente une bataille qui
met en scène deux peuples de religions différentes. Les personnages qui
s’élèvent dans les airs, partant d’un sol dévasté et ravagé, peuvent être les
âmes des Morts qui combattent pour défendre, dans un cas la religion
chrétienne symbolisée par la Croix, et dans l’autre, une religion païenne.
Les chefs des deux camps, Théodoric et Attila, sont aisément repérables.
L’aspect « fantastique » repéré dans notre première conclusion trouve ici
une explication un peu plus rationnelle, grâce à la présence de la Croix, et
de ce fait, se transforme en une bataille des âmes après leur mort.

b. « Thèmes et motifs » dans le poème symphonique de Liszt

Dans cette œuvre, plusieurs thèmes et mottos sont identifiables.

Le premier motto (M1 tempestoso) :


Il retentit dès les premières mesures du poème symphonique :

>> Exemple n° 1 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 1- 4

Joué aux bassons puis aux autres bois, soutenu par des violoncelles
avec sourdine sur un tapis de tremoli aux timbales, il se caractérise par
son départ en anacrouse et son rythme pointé dans un tempo allegro ma
non troppo et une atmosphère tempestoso. Présenté initialement sur une
176 DEUXIÈME PARTIE

pédale de lab, il offre mélodiquement une couleur modale : les commen-


tateurs, comme Serge Gut, Manfred Kaiser, se sont globalement accordés
pour mentionner que le passage était fondé sur une « gamme tzigane » ou
« gamme bohémienne », donc sur un mode qui contient deux secondes
augmentées. Kaiser écrit d’ailleurs :
…le premier motif principal […] est exclusivement constitué des sons de
la gamme dite « bohémienne » dans laquelle apparaissent, comme on sait, les
intervalles : quarte augmentée, sixte mineure et septième majeure, qui dans
cette œuvre – comme dans d’autres poèmes symphoniques de Liszt – trouvent
leur application en tant qu’éléments constitutifs du style.1
Si la remarque peut, de prime abord, séduire, elle ne résiste pas à une
écoute plus approfondie de la partition : Liszt ne cache pas la tonalité dans
laquelle il évolue, dans ce début de poème symphonique. La montée mélo-
dique sur le do accentué et tenuto, affirme la fonction « tonique » de cette
note.2 La pédale de sus-dominante aux timbales conforte cette affirmation
tonale. Mais alors, comment justifier l’emploi d’une échelle mélodique
« tzigane » dans un contexte aussi nettement tonal ? Nous dirions que Liszt
a effectivement voulu seulement donner une couleur modale, comme nous
venons de l’expliquer. Aussi a-t-il joué avec les appoggiatures inférieures :
sol appoggiature de lab, si bécarre appoggiature du do, ré appoggiature du
mib et fa# appoggiature du sol. L’accord de départ est donc un sixième
degré, ce qui justifie l’emploi du lab comme note pédale.
Nous disposons ici d’un exemple montrant que, comme la description
des « thèmes » dans les arts visuels, celle des « thèmes et motifs » en musique
est parfois sujette à caution. Seule l’étude du style musical replacé dans une
époque donnée, peut éclairer de manière précise les éventuelles controverses.
Ajoutons, pour terminer, que la présentation initiale de ce premier
motto s’enrichit par l’accumulation d’autres instruments qui donne à l’au-
diteur une impression de grand crescendo.

Le deuxième motto (M2 feroce) :


Comme le premier motto, le deuxième se définit par son départ en
anacrouse et sa courbe ascendante. Mais ici, la ligne mélodique est fondée

1. Manfred Kaiser : « Ammerkungen zur Kompositions-Technik Franz Liszts, Am Beis-


piel der Hunnenschlacht », Liszt Studien I, p 125.
2. Notons que, même les analystes qui jugent ce passage comme un mode hongrois,
doivent considérer qu’il est fondé sur le « do ».
Quatrième chapitre 177

sur un court arpège feroce dans une nuance forte aux cors accompagnés de
cordes :

>> Exemple n° 2 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 11-13

Le départ en anacrouse sur un triolet qui arrive sur une blanche


pointée, ou l’enchaînement de trois notes brèves à une longue, aura un
rôle signalétique dans la structure générale de l’œuvre. De plus, il faut
remarquer que cette courte mélodie arpégée résulte de l’égrainement d’un
accord de septième majeur déjà présent dans les mesures précédentes (mes.
9 et 10) dont la fondamentale est la bémol, appoggiature du sol, lui-même
dominante de do mineur.

Le troisième motto (M3, molto sforzando) :


Le troisième motto est présenté pour la première fois aux cordes stac-
cato dans une nuance piano et un caractère agité, aux mesures 85-87 :
178 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 3 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 85-87

La courte mélodie chromatique s’appuie sur la répétition d’un rythme


haletant avant un aller-retour molto sforzando en quintolet aux violons,
qui aboutit à un accord de tonique en do mineur. L’accompagnement est
laissé aux clarinettes, bassons en croches détachées, ainsi qu’aux cors et
trombones qui contribuent au complément harmonique par des tenues.
Mais c’est surtout cette allégresse rythmique des cordes et le chromatisme
qui serviront de repère pour ce motto, dans la suite de l’œuvre.

Le premier thème : le thème du Combat


Il apparaît pour la première fois aux bassons doublés par les violon-
celles accompagnés par des tremoli à l’alto et aux timbales, soutenu par une
basse discrète aux contrebasses, à la mesure 77 :
Quatrième chapitre 179

>> Exemple n° 4 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 77-85

Il se caractérise par des accords brisés en do mineur piano, marcato, et


un rythme qui, contrairement aux mottos, n’est pas anacrousique. Une
formule rythmique redondante significative est à noter :

>> Exemple n° 5 : F. Liszt, Hunnenschlacht, rythme caractéristique


du premier thème

Comme dans le second motto, le triolet joue un rôle capital. Ce thème


est d’ailleurs le plus important avec l’emprunt au Crux Fidelis.

Le deuxième thème ou l’emprunt de Liszt : le choral Crux Fidelis


Liszt a clairement donné sa référence lorsqu’il cite le Crux Fidelis dans
la Hunnenschlacht, et ce, tant dans sa partition que dans sa préface. Aussi
sommes-nous en mesure de dévoiler tout de suite son emprunt, sans toute-
fois donner toute sa signification.
Ce thème apparaît pour la première fois en rondes et blanches, c’est-
à-dire en valeurs longues, mesure 97. Joué par les trombones ténors, il est
indiqué « choral », de caractère marcato, dans une nuance mezzo piano :
180 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 6 : F. Liszt, Crux Fidelis dans la Hunnenschlacht,


mes. 97-101

L’accompagnement des cordes, qui affirme la tonalité de sol mineur, est


fondé sur le troisième motto.

Le troisième thème : le thème « de prière » (P)


Quatrième chapitre 181

C’est le thème qui intervient le moins souvent dans l’œuvre. Il apparaît


seulement à la mesure 314 :

>> Exemple n° 7 : F. Liszt, Thème de prière P (Début)


dans la Hunnenschlacht, mes. 314-316

Confié uniquement aux cordes, ce thème en mib majeur, dans un


tempo « Nicht schleppend, aber sehr ruhig », installe une atmosphère
paisible, expressivo pietoso, propice au recueillement. Le thème est joué aux
violons I, doublé à la sixte par les altos. Les violoncelles le jouent égale-
ment, mais dans l’aigu, en doublant à la fois les violons I et les altos. Les
violons II, eux, accompagnent à l’aide d’un ostinato rythmique :

>> Exemple n° 8 : F. Liszt, Hunnenschlacht, ostinato rythmique


du 3e thème

Cet ostinato est fondé sur la tête du premier thème, mais en augmen-
tation. Les changements de mesure (C qui passe ensuite à 6/4 (3/2))
contribuent à une carrure de trois mesures. Ce thème de prière se compose
en effet, dans sa première exposition, de trois paliers successifs dont les
deux premiers sont composés chacun de trois mesures. Seul le dernier est
allongé. Ainsi, le premier commence mélodiquement sur do, mesure 314,
le deuxième sur ré, mesure 317 et le dernier sur mib, mesure 320, dont
182 DEUXIÈME PARTIE

l’arrivée mesure 324 aboutit sur un accord de sib, demi-cadence en mib


majeur. La pédale de dominante aux seconds violons devient une pédale
de tonique dans le troisième palier, à la fin de la mesure 321 pour se taire
à la mesure 324.
Notons que cette dernière incise est de cinq mesures et non plus de
trois, comme les deux premières. Vient alors une duplication variée de
cette première présentation du thème : les deux premières incises, toujours
confiées aux premiers violons, mais dans l’aigu, cette fois, ne changent pas
mélodiquement ni harmoniquement. En revanche, l’orchestration est ici
différente puisque des bois – clarinettes et hautbois et ensuite les flûtes
dans la dernière incise – viennent, alliés aux timbres des cordes, donner
une couleur nouvelle. Quant à la troisième incise, elle est présentée ici en
solb majeur et respecte la carrure de trois mesures, donnant naissance à
deux nouveaux paliers dont le dernier est avorté, mesure 339.
La particularité rythmique de ce thème nécessitait un développement
particulier, même si, à l’écoute, c’est le caractère calme et apaisant qui
retient en premier lieu l’attention de l’auditeur.
Dans le tableau de Kaulbach, le nombre de personnages principaux
(Theodoric, Attila et la Croix) correspond à celui des thèmes principaux
chez Liszt (Thème du Combat, Crux Fidelis, et thème de prière). En
revanche, leur signification n’est pas toujours fondée sur une correspon-
dance avec les modèles visuels. Ajoutons que les personnages secondaires,
très nombreux dans le tableau, ne trouvent pas non plus une exacte traduc-
tion dans les trois mottos lisztiens. Nous reviendrons sur cette œuvre dans
notre chapitre suivant.

2. « Formes et motifs » picturaux et « thèmes et motifs »


musicaux dans La Légende de Sainte Élisabeth

a. Les personnages et motifs de Moritz von Schwind1


Sainte Élisabeth
Dans la « galerie Élisabeth » de la Wartburg, le principal personnage
représenté dans les six épisodes de la fresque de Moritz von Schwind

1. Les reproductions de l’œuvre de Schwind sont publiées dans l’article de Laurence


Le Diagon-Jacquin, « Signification des thèmes et des motifs dans la Légende de Sainte
Élisabeth de Liszt », op. cit., p. 109-118.
Quatrième chapitre 183

est évidemment Sainte Élisabeth. Elle est en effet présente dans chaque
scène : enfant, habillée d’un long drapé bleu, elle descend de la diligence,
aidée vraisemblablement du Landgrave Hermann, père de son futur mari
Ludwig.

Illustration n° 4 : Moritz von Schwind, L’Arrivée d’Elisabeth


âgée de 4 ans à la Warburg (1211)

Une fois adulte, elle revêt dans toutes les autres scènes une robe dans
les tons de marron ocre, à l’exception des deux scènes qui la montrent
morte. Notons que, dans le « miracle des roses », elle ouvre son tablier, les
yeux levés vers le cavalier qui se penche aimablement au-dessus d’elle, ce
184 DEUXIÈME PARTIE

qui montre son absence de résistance devant une personne qu’elle connaît,
en l’occurrence ici son mari.

Illustration n° 5 : Moritz von Schwind, Le Miracle des Roses


Quatrième chapitre 185

Dans la scène qui représente le départ de son époux pour la croisade,


elle vient poser un baiser sur sa joue tandis que le jeune homme l’enlace.
Lorsqu’elle est chassée de la Wartburg par sa belle-mère, elle emmène ses
enfants pendant une tempête. Elle en porte deux tandis que deux autres
marchent auprès d’elle. La scène montre les effets du vent dans les cheveux
d’une de ses petites filles, à gauche ainsi que dans le mouvement des
drapés.

Illustration n° 6 : Moritz von Schwind,


L’expulsion d’Elisabeth de la Warburg (1228)
186 DEUXIÈME PARTIE

Mais la tempête en elle-même est beaucoup moins violente que dans la


littérature hagiographique.
L’épisode de la mort d’Élisabeth est représenté d’une manière très
sobre : la sainte est allongée en bas de l’image, les mains jointes. Elle est
vêtue d’un habit religieux gris à l’exception d’un voile blanc. Un petit livre,
vraisemblablement la Bible ou un livre de prière, est posé à côté d’elle.

Illustration n° 7 : Moritz von Schwind,


La Mort d’Elisabeth à Marbourg (1231)
Quatrième chapitre 187

Dans la dernière scène qui représente son enterrement solennel, la


sainte, couronnée et souriante, est alitée et recouverte d’un long drap rouge
brodé d’une croix. Celle-ci se retrouve sur les bannières qui l’entourent et
sur le drapé blanc d’un des porteurs de son cercueil.

Illustration n° 8 : Moritz von Schwind,


L’Enterrement d’Elisabeth à Marbourg (1231)
188 DEUXIÈME PARTIE

À la partie supérieure de cette peinture, dans un médaillon orangé, la


sainte vêtue de rouge et couronnée semble accueillie par la Sainte Vierge
qui lui tient les mains. Dans toutes les scènes, la sainte est représentée avec
une auréole.

Le Landgraf Ludwig
Le second personnage important de la fresque de Schwind semble être
Ludwig, l’époux d’Elisabeth.
Il est possible qu’il apparaisse dès la première scène, c’est-à-dire lors
de l’arrivée d’Elisabeth enfant à la Wartburg. Ce serait le petit garçon qui
tente de grimper sur la roue de la diligence. À côté de lui, une petite fille
semble vouloir l’imiter.
La seconde scène où il paraît de manière beaucoup plus affirmée est le
célèbre miracle des roses. Il revient de la chasse, à cheval. Il porte d’ailleurs
les couleurs nécessaires au camouflage dans les bois : une tunique verte et
un pantalon beige foncé. À sa ceinture, des attributs indispensables : une
trompe et un couteau. Son chapeau marron laisse entrevoir une bande
dorée qui s’apparente à une couronne. Le jeune homme est tourné de trois
quarts par rapport au spectateur puisqu’il s’adresse à sa femme qui nous
fait face. En revanche, dans la scène qui le représente sur le départ pour
la croisade, il est tourné plus vers l’extérieur du tableau. De bleu vêtu, il
se tient debout appuyé contre son cheval qui laisse entrevoir son écu sous
un drapé blanc. Il enlace sa femme qui l’embrasse tendrement sur la joue
droite.
Si les deux références en tant que telles pour la représentation de Ludwig
dans les tableaux de Moritz von Schwind restent la scène du miracle des
roses et celle du départ pour la croisade, il nous semble pouvoir en ajouter
une troisième : celle de l’enterrement solennel d’Élisabeth. En effet, le
personnage au premier plan, vêtu d’une tunique oscillant entre le beige et
surtout le gris avec une ceinture, qui porte pieds nus le cercueil où gît Sainte
Élisabeth, ressemble beaucoup à la représentation de Ludwig lors du départ
pour la croisade : taille et corpulence sont identiques et les visages affirment
la même impression de douceur. Les cheveux longs bouclés rappellent ceux
du chasseur penché sur Elisabeth dans le miracle des roses, ce qui laisserait
supposer que le peintre prend des libertés par rapport à l’histoire…
Quatrième chapitre 189

Illustration n° 9 : Moritz von Schwind,


L’Adieu d’Elisabeth à Ludwig IV (1227)
190 DEUXIÈME PARTIE

Les autres personnages et objets


D’une manière générale, les autres personnages ont des rôles secon-
daires par rapport à ceux de la sainte et de son époux.
Ainsi, ceux qui entourent la petite fille lors de son arrivée à la Wartburg
lèvent tous les yeux vers elle : ils ne sont là que pour mieux faire ressortir
l’importance de cet événement.
De même, les deux personnes aux mains jointes qui observent la sainte
et son époux, montrent, par leur attitude et leur expression, qu’ils se
réjouissent du miracle des roses. La scène suivante, le départ de Ludwig
pour la croisade, est de loin la plus peuplée : les chevaliers croisés sur leurs
montures, les femmes et les enfants, les soldats sonnant de la trompette
occupent presque tout l’espace, dégageant ainsi une impression d’étouffe-
ment pour le spectateur. Les boucliers et l’étendard portent tous le signe
de la croix, rendant l’identification de la scène évidente.
Lorsque sainte Elisabeth est chassée de la Wartburg pendant la
tempête, la présence de ses quatre enfants accentue le caractère tragique
de l’événement.
Dans l’épisode représentant la mort de la sainte, un moine barbu, les
mains jointes semble veiller sur elle tandis qu’une femme regarde en l’air
par la porte ouverte : un groupe de trois anges perchés sur le toit tient une
longue partition tandis qu’au-dessus d’eux, un grand personnage couronné
assis, dans une mandorle, habillé de rouge et de blanc sur un fond jaune
orangé, les bras écartés en signe d’acceptation, regarde en bas d’un air bien-
veillant : c’est le Christ en majesté. Il est entouré de deux anges.
À l’enterrement solennel d’Élisabeth, Schwind regroupe une assis-
tance hétérogène : trois jeunes gens dont le thuriféraire, en tête, ouvrent
le cortège ; quatre enfants dont trois couronnés, vraisemblablement ceux
de Sainte Élisabeth, le regardent passer, à genoux ; deux évêques avec leurs
mitres, un croisés et un roi – celui que nous avons assimilé à Ludwig –
tous deux couronnés portent le cercueil. Moritz von Schwind suggère une
assemblée nombreuse en procession, au second plan.
En six tableaux, von Schwind résume les principaux épisodes de la vie
de Sainte Élisabeth.
Quatrième chapitre 191

b. « Thèmes et motifs musicaux »


dans la Légende de Sainte Élisabeth de Liszt

b1. Les emprunts thématiques de Liszt


La musique comprend cinq motifs principaux empruntés à diverses
sources et revenant à plusieurs reprises au cours de l’œuvre, assurant ainsi
une unité d’ensemble. Liszt les énumère à la fin de la partition et remercie
les personnes qui les lui ont fait connaître.
Le thème 1 intervient toujours en présence d’Élisabeth. Il la person-
nifie donc à la manière des Leitmotive wagnériens. En fait, c’est le plus
utilisé, et ceci, dès l’introduction :

>> Exemple n° 9 : F. Liszt, thème 1 de la Légende de Sainte Élisabeth :


thème d’Elisabeth [Antiphonaire : « quasi stella
matutina »]

Ce thème en mi majeur se compose de deux incises clairement définies.


Cependant, Liszt n’utilise parfois juste qu’une partie de ces incises. Aussi
proposons-nous de découper ce thème en quatre sections : a1 – composé
de deux secondes descendantes et d’une tierce ascendante – a2, a3 – une
suite ascendante puis descendante de deux secondes – et retour de a2,
fondé sur une simple broderie. Ce découpage nous servira de référence
dans l’analyse de la récurrence des motifs.
Le thème 2 en ré majeur, de caractère joyeux et sautillant, est une
mélodie populaire :

>> Exemple n° 10 : F. Liszt, thème 2 de la Légende de Sainte Élisabeth


[Mélodie populaire hongroise, communiquée à Liszt
par Reményi]
192 DEUXIÈME PARTIE

Il se caractérise par son rythme dactylique initial très présent dans les
danses populaires slaves, sa tournure mélodique et ses intervalles simples –
principalement conjoints – ses notes détachées.
Le thème 3 est un chant en langue allemande qui se rapproche d’un
cantique :

>> Exemple n° 11 : F. Liszt, thème 3 : « Chant ancien des Pèlerins
du temps des Croisades » (selon Liszt) communiqué
par Gottschalg

Les rythmes simples, la mélodie en fa majeur, composée de courtes


incises différentes – hormis la deuxième et la cinquième qui reprennent
respectivement les profils de la première et de la quatrième – épousent
le rythme et les accents de la prosodie du texte. Les notes répétées, les
intervalles conjoints ou n’excédant pas la quarte contribuent au fait que ce
chant est très facile à interpréter.
Le thème 4 est une mélodie religieuse en mode dorien (mode de ré)
extraite d’un recueil appelé Lyra coelestis :

>> Exemple n° 12 : F. Liszt, thème 4, « mélodie religieuse hongroise »


extraite du Lyra coelestis dans la Légende de Sainte
Élisabeth
Quatrième chapitre 193

La mélodie qui supporte le texte en langue hongroise est fondée sur une
suite d’intervalles conjoints pour les deux premières phrases. La seconde
est en fait une duplication exacte de la première, bien que les paroles
changent. Le même procédé se retrouve presque pour les deux phrases
suivantes, à l’exception de l’unique intervalle de quarte descendante de la
troisième phrase, qui devient une seconde également descendante dans la
quatrième. Là encore, les rythmes sont simples, donnant à cette mélodie
un aspect populaire assez marqué.
Le thème 5 cité par Liszt est le Crux fidelis, qui se caractérise par sa
seconde puis sa tierce ascendantes et à nouveau une seconde ascendante :

>> Exemple n° 13 : F. Liszt, thème 5, « Crux fidelis » de la Légende


de Sainte Élisabeth [antienne de l’hymne Pange lingua]

Liszt utilise ce thème à plusieurs reprises, tant dans cette œuvre que
dans d’autres. Nous reviendrons sur ce sujet plus loin.
Il faut tout de même remarquer que la majorité des musicologues
n’évoquent que les thèmes empruntés par Liszt pour son oratorio. Mais
il nous semble important de signaler aussi les thèmes récurrents de Liszt
lui-même, qu’il ne mentionne pas dans ses remerciements, et pour cause…
Il en est l’auteur !

b2. Les thèmes d’invention lisztienne

Liszt traduit la méchanceté de Sophie, la belle-mère d’Élisabeth, dès le


début de la deuxième grande partie, pendant son dialogue avec le Sénéchal.
Son thème est composé de trois courtes séquences – que nous indiquons
S1, S2, S3 sur la partition – toutes jouées par les cordes, fortissimo. La
première se caractérise par son intervalle de triton et son rythme incisif ;
la seconde par un aller-retour rageur en doubles croches sur un ambitus
de tierce mineure. La troisième rappelle l’intervalle de triton et le rythme
pointé du premier :
194 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 14 : F. Liszt, Thème de la méchante Sophie dans la


Légende de Sainte Élisabeth (mes. 18-20 p. 247)

Il nous paraît possible de considérer ce thème (S1 + S2 + S3) – qui


nous fait penser indubitablement au thème de « Méphisto » dans la Sonate
en si mineur – comme le Leitmotiv de Sophie, Leitmotiv nettement plus
rare que celui d’Élisabeth, car le personnage même de Sophie intervient
nettement moins souvent. Mais il apparaît à chaque fois que la belle-mère
entre en scène ou prend la parole, comme nous le montrerons en détail
plus loin. Il caractérise cet odieux personnage, remplissant donc lui aussi
les conditions du Leitmotiv wagnérien.
Le rythme fondé sur l’alternance entre triolets et rythme pointé dans
S3 se trouve déjà dans la chanson de chasse de Ludwig. Ceci accentue
encore le caractère martial de l’antipathique personnage.
Un motif, également fondé sur le triton, et le rythme pointé, renvoie
à Sophie :
Quatrième chapitre 195

>> Exemple n° 15 : F. Liszt, Motif de la méchante Sophie


extrait de La Légende de Sainte Élisabeth

Cette couleur de triton interviendra abondamment lors du conflit


opposant Élisabeth à Sophie.
Le thème du Magnat hongrois du premier tableau, fondé sur les tierces
et les secondes, est présenté après un récitatif, dans un tempo andante. Il est
repris, légèrement varié rythmiquement, dans l’intervention du Landgrave
Hermann qui allonge la ligne musicale pour proposer une mise en valeur
de la voix, nettement comparable à une cadence instrumentale dans un
concerto. Nous appellerons ce thème, « thème de bienvenue » :

>> Exemple n° 16 : F. Liszt, « thème de bienvenue » extrait de La Légende


de Sainte Élisabeth (p. 33 de la partition)

Reste encore la chanson des pèlerins, fondée sur un saut de sixte et des
notes conjointes, en sib majeur :
196 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 17 : F. Liszt, « la chanson des pèlerins » extrait de La


Légende de Sainte Élisabeth (p. 153 de la partition)

Elle intervient au début et à la fin du troisième tableau, après la présen-


tation du motif de la croix.

Récapitulation des thèmes et motifs de la Légende de Sainte Elisabeth :


Les éléments thématiques étudiés dans la Légende de Sainte Élisabeth
montrent que Liszt et son librettiste se sont intéressés spécialement à Sainte
Élisabeth, ce qui est logique, puisque l’oratorio raconte sa vie. À cette fin,
un thème récurrent, véritable Leitmotiv, lui est attribué. Les Croisés, eux,
sont représentés musicalement par un motif spécifique : celui du Crux
fidelis. En ce sens, le livret et la musique correspondent ici à première vue
aux images de Schwind. En revanche, si Ludwig intervient dans l’oratorio,
aucun thème particulier ne lui est attribué. Nous constatons le phéno-
mène inverse pour sa mère, Sophie : elle n’apparaît pas dans la fresque
de Schwind, mais elle est dotée d’un – « petit » – rôle dramatique par
Roquette et d’un thème personnel chez Liszt. Il faut également noter l’im-
portance des chœurs chez ce dernier, chœurs qui renvoient à des groupes
de personnes.
D’autres éléments thématiques ponctuels confiés à des personnages
secondaires dans le livret interviennent à la manière des personnages
secondaires dans l’œuvre picturale de Schwind.
Quatrième chapitre 197

II. Deuxième phase : la « Signification expressive »

A. Présentation de la « Signification expressive »


Si nous avions voulu rester fidèle à la méthode panofskyenne, nous
aurions parlé des « événements », donc de l’agencement des motifs dans la
composition, avant de préciser les particularités expressives de ces derniers.
Nous avons trouvé plus logique d’inverser l’ordre de ces objets d’étude : la
« signification expressive » caractérise encore le motif lui-même, tandis que
les « événements » donnent des précisions sur son agencement au sein de
l’œuvre entière. Nous préférons donc la démarche inductive, le particulier
étant défini, pour nous, par le motif et ses qualités expressives.

1. Définition générale

Reprenant son exemple de l’homme qui le salue en soulevant son


chapeau, Panofsky avance encore dans son explication :
Les objets et événements ainsi identifiés vont naturellement produire en
moi une certaine réaction. D’après la manière dont la personne en question
accomplit son geste, je puis me rendre compte si elle est de bonne ou de mauvaise
humeur, si ses sentiments à mon égard sont indifférents, amicaux, hostiles. Ces
nuances psychologiques vont conférer à ces gestes une signification d’un autre
ordre, que nous appellerons : expressive. Elle diffère de la signification de fait
en ceci qu’elle n’est plus saisie par simple identification perceptive, mais par
« empathie ». Pour la comprendre, j’ai besoin d’une certaine sensibilité.1
C’est donc la détermination des différents caractères qui émanent d’une
œuvre d’art plastique. Panofsky donne l’exemple de l’expression provenant
de gestes précis, ou décrit encore l’aspect paisible d’un intérieur.
Il faut cependant préciser ici que l’aspect « expressif » d’une œuvre
est perçu sans intermédiaire. Ainsi, le spectateur ressentira de la même
manière l’aspect calme et paisible d’un objet ou d’une personne rendu
par un tableau. Panofsky nomme ce phénomène « empathie », notion de
psychologie de l’art typiquement allemande qui prend ses racines avec
Worringer et Lipps. Bernard Teyssèdre la définit plus précisément :
L’empathie est ainsi intuitive, parce que le sentiment d’autrui est compris
de moi sans intermédiaire d’une réflexion ; synthétique, parce que cette

1. Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, p. 14.


198 DEUXIÈME PARTIE

compréhension est d’emblée une « forme émotive », sans analyse préalable du


rapport entre traits expressifs et contenu exprimé, non plus qu’entre les compo-
santes de ce faisceau complexe qu’est le contenu émotif. La tonalité affective
est ressentie par la seule affectivité, l’est d’une façon immédiate et globale, qui
présuppose une communauté d’essence, pourtant culturellement et individuel-
lement spécifiée.1
L’absence de réflexion et de toute médiation dans l’appréhension
de l’aspect affectif d’une œuvre implique effectivement une sensibilité
commune – même si le degré d’intensité varie légèrement d’un individu
ou d’une époque à l’autre – entre l’œuvre, donc l’artiste, et la personne
qui la reçoit. Comme la « signification de fait », c’est-à-dire la reconnais-
sance des éléments de base au sein d’une situation historique donnée, la
« signification expressive » nécessite une expérience pratique, tant avec des
« objets » qu’avec des « événements ».
C’est d’ailleurs cette expérience pratique nécessaire dans la perception
de ces deux « significations » qui a poussé Panofsky à les regrouper sous
« une même classe : celle des significations primaires ou naturelles. »2

2. Application à la musique

En musique, la « signification expressive » renvoie aux caractères émanant


des thèmes et des motifs. Plusieurs éléments les déterminent : le tempo,
certains rythmes caractéristiques comme croche pointée double dans des
marches funèbres3… le registre et la courbe de la mélodie, l’harmonie…
Pour l’interprète, il faut évidemment ajouter les indications de caractère,
et toute l’agogique, pour employer un terme riemannien. Cependant, il est
très rare qu’une pièce musicale se limite à un seul caractère. Généralement,
il évolue. Dans les pièces pour piano de Liszt, l’étude de référence à partir
de l’évolution des caractères reste celle de Márta Grabócz sur laquelle nous
reviendrons à plusieurs reprises.
Il faut ici préciser un élément important de notre démarche : les carac-
tères déjà repérés dans les thèmes et les motifs précédemment étudiés,

1. Bernard Tesseydre, note 3b de l’introduction dans Erwin Panofsky, op. cit., p. 14.
2. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, op. cit., p. 15.
3. Si, de prime abord, ce terme peut renvoyer à une notion symbolique dépassant le cadre
de ce premier niveau, sa présence se justifie dans la mesure où ce symbolisme est acquis
par l’auditeur. Cela fait partie du « domaine connu ».
Quatrième chapitre 199

ne seront pas répertoriés ici. En effet, un personnage ou un objet déter-


mine une atmosphère, implique un effet sur l’auditeur ou le spectateur.
En conséquence, nous ne donnerons qu’un exemple emblématique : Il
Pensieroso auquel nous ajouterons des allusions à La Notte, œuvre dans
laquelle la musique d’Il Pensieroso est reprise. Dans cette pièce, les carac-
tères jouent en effet un rôle particulier, et ne sont pas liés à un thème ou à
un motif musical déjà étudié par ailleurs.
Panofsky écrit au sujet de la « signification de fait » et de la « significa-
tion expressive » :
mais cette sensibilité fait partie elle aussi de mon expérience pratique – c’est-
à-dire de mon rapport familier, quotidien avec des objets et événements.
C’est pourquoi la signification de fait et la signification expressive peuvent
toutes deux entrer sous une même classe : celle des significations primaires ou
naturelles.1
Il est clair qu’il regroupe les significations « de fait » et « expressive »
sous une même « classe » en justifiant ce choix par son « expérience », selon
ses propres mots. Par ce même argument, nous pouvons préciser que, pour
nous, en musique, il n’est pas toujours nécessaire de séparer la « significa-
tion expressive » de la « signification de fait ». En effet, comme nous l’avons
déjà dit, dans l’approche des thèmes et des motifs, soutenus ou non par une
harmonie et présentés grâce à tel ou tel rythme caractéristique, leur couleur
expressive est immédiatement perceptible et ce, en même temps que leurs parti-
cularités musicales.

B. Un exemple caractéristique chez Liszt :


le cas d’Il Pensieroso et de sa seconde version : La Notte
Il Pensieroso est une pièce écrite d’après Il Pensiero de Michel-Ange,
l’une des statues du tombeau de la chapelle des Médicis.

1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, p. 14-15.


200 DEUXIÈME PARTIE

Illustration n° 10 : Michel-Ange, Il Pensiero, chapelle des Médicis

Liszt a repris cette pièce pour piano deux fois dans La Notte. Les paral-
lèles que nous allons établir sont donc également valables pour cette autre
pièce, du moins pour ses parties extrêmes. Nous reviendrons sur la section
intermédiaire par la suite.
Quatrième chapitre 201

1. Des œuvres au caractère sombre, douloureux et morbide

a. Atmosphère sombre et douloureuse du tombeau


et caractère sombre et douloureux de la pièce

Michel-Ange confère un caractère sombre à ses œuvres en utilisant


le moyen des lignes multidirectionnelles. Ainsi la posture d’Il Pensieroso
utilise-t-elle des lignes courbes issues du contrapposto. Ce procédé se
retrouve abondamment dans les œuvres du sculpteur et peintre italien.
Quant à La Notte, elle occupe l’espace d’une manière très particulière
comme le résume très bien Marc Le Bot :
…la tête avec sa lourde natte, le bras droit, la poitrine, le ventre, la cuisse
gauche déterminent, chacun, un de ces plans d’orientation dans l’espace. Ce
corps est comme une rose des vents à trois dimensions.1

1. Marc Le Bot, Michel-Ange, p. 58.


202 DEUXIÈME PARTIE

Illustration n° 11 : Michel-Ange, La Notte, chapelle des Médicis

Cette appropriation de l’espace résulte donc de la multiplicité des direc-


tions des différents membres de la statue. La sculpture se présente dans une
attitude d’introspection et de retour sur elle-même, suggérée par un effort
physique assez contraignant. La Nuit est en effet toute recroquevillée.
Quatrième chapitre 203

L’aspect contorsionné d’Il Pensieroso et de La Notte concourt donc à


donner un caractère sombre et tourmenté à la sculpture.
Chez Liszt, ces contorsions sont traduites par des lignes contrapunti-
ques tortueuses, en particulier à partir de la mesure 23, à la basse :

>> Exemple n° 18 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 23-26

Le chromatisme, matériau dominant dans la construction de cette


basse, contribue à renforcer le caractère tourmenté de ce passage. C’est
d’ailleurs l’un des matériaux de base de la pièce. Humphrey Searle insiste
sur ce point en écrivant, au sujet de la dernière partie du morceau :
L’atmosphère de mélancolie rêveuse […] s’achève par un remarquable
passage d’harmonie chromatique qui préfigure le style de Tristan und Isolde,
créé quelque vingt ans plus tard.1
Associé aux marches harmoniques modulantes, il tend effectivement à
se généraliser à toutes les voix :

>> Exemple n° 19 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 33-39

Ici, Liszt répète sa phrase, véritable boucle harmonique, en incluant


juste une appoggiature au début de sa reprise. Elle s’appuie sur une marche
de neuvièmes mineures de dominante enchaînées à des septièmes de domi-
nante. La mélodie principale, ainsi que celles des voix d’accompagnement,
se déroulent selon un processus de glissements chromatiques.

1. Humphrey Searle, Liszt, p. 33.


204 DEUXIÈME PARTIE

En terminant sa deuxième partie sur cette conclusion chromatique,


Liszt renforce l’atmosphère douloureuse de sa pièce.
D’autres passages chromatiques sont à noter, comme celui de la mesure
31, dans lequel la basse assure un tuilage ; de même, à la mesure 44, la basse
est encore fondée sur ce même matériau, dans le registre grave. Tous ces
éléments insistent largement sur l’expression douloureuse de cette pièce.
D’ailleurs, la sensation de douleur se trouve déjà largement dans le visage
du penseur, comme le mentionne très justement Panofsky :
Comme le visage de la Melencolia de Dürer, celui du Pensieroso
est voilé d’une ombre épaisse qui suggère la Facies nigra de la mélancolie
saturnienne.1
Cette ombre renvoie au masque porté par Laurent de Médicis qui
apporte une nuance un peu fantastique au personnage.
Outre le chromatisme, de riches accords dans le registre grave du piano
servent à traduire l’atmosphère sombre du tombeau de Michel-Ange.
Cette caractéristique se retrouve pratiquement dans toute la pièce qui est
jouée pour plus des deux tiers en clé de fa aux deux mains ! De plus, le
rythme pointé dans le tempo lento renvoie sans aucun doute à l’idée de
marche funèbre. François-René Tranchefort l’associe d’ailleurs au « thème
de la Marcia funèbre de la Sonate n° 12 de Beethoven [donc l’op. 26] –
dont nous avons ici une sorte de raccourci »2 à la levée précédant la mesure
40. Cette hypothèse semble tout à fait plausible dans la mesure où Liszt
connaissait, admirait profondément et pratiquait abondamment le réper-
toire beethovénien. David Damschroder3 précise d’ailleurs cette idée en
montrant cette similitude dans le rythme de marche funèbre et le faible
ambitus des mélodies employées par Liszt et Beethoven. Cependant, le
musicologue fait ressortir une opposition dans l’évolution harmonique des
deux pièces : l’op. 26 de Beethoven est en lab mineur et commence sur la
quinte de l’accord, donc mib, tandis que Liszt fait d’abord sonner la tierce
mi de son accord de tonique en do# mineur. Damschroder mentionne à
ce propos que ce cheminement harmonique se retrouve dans l’enchaîne-
ment des deux premiers morceaux de la seconde Année de Pèlerinage, Italie,

1. Erwin Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », in Essais d’ico-


nologie, p. 294.
2. François-René Tranchefort, « Il Pensieroso », extrait du Guide de la Musique de Piano,
p. 461.
3. David Damschroder, « Liszt’s Composition Lessons From Beethoven (Florence, 1838-
1839) : Il Pensieroso », p. 3-19.
Quatrième chapitre 205

c’est-à-dire entre Sposalizio et Il Pensieroso. C’est vraisemblablement cette


remarque qui est à l’origine de l’article de Jean-Jacques Eigeldinger qui
montre le parallèle rigoureux entre les deux œuvres lisztiennes.
Mais David Damschroder ne s’arrête pas à cette unique référence
beethovénienne. Il suggère que la sonate op. 27, n° 2 ainsi que la « marche
funèbre » de la 3e Symphonie peuvent également compter parmi les sources
d’inspirations musicales de Liszt.1
Une seconde référence musicale, issue du corpus lisztien cette fois, est
évoquée par Zsuzsanna Domokos. Elle rapproche les accents d’Il Pensieroso
avec ceux du Miserere :
En écoutant les intonations du Miserere dans les œuvres de Liszt, nous ne
pouvons pas ne pas nous référer à une pièce des secondes Années de Pèlerinage,
le Il Pensieroso, inspiré du tombeau de Laurent de Medicis de Michel-Ange et
de l’épigramme du sculpteur.2
La ligne mélodique de faible ambitus au rythme pointé est commune
aux deux œuvres. De plus, la musicologue ajoute que le thème évolue dans
le registre grave, accompagné d’accords marcato. Ajoutons que l’intona-
tion dramatique et sombre d’ll Pensieroso peut renvoyer à celle du thème
du Miserere de Liszt ; même le retour du thème dans Il Pensieroso porte
l’indication : sotto voce e pesante.
Pour Zsuzsanna Domokos, il ne faut donc pas oublier l’influence de A
la Chapelle Sixtine, dont le miserere est issu, et dont la version finale date
vraisemblablement de 1849-50, si l’on en croit Rena Mueller Charnin.3
La musicologue hongroise mentionne également que la Notte est
encore plus à rapprocher du Miserere lisztien que d’Il Pensieroso. En effet,
Liszt y fait revenir son thème de « marche funèbre » à la fin, après une
partie intermédiaire contrastante, tout comme celui du Miserere dans À la
Chapelle Sixtine.
Mais les moyens employés par Liszt pour évoquer la douleur ne se
limitent pas à ceux-là :
– En premier lieu, nous pouvons noter un principe d’écriture harmo-
nique fondé sur la minorisation des accords. En effet, la tonalité principale

1. Voir sa brillante démonstration dans : David Damschroder, ibid.


2. Szusanna Domokos, « The miserere Tradition of the Cappella Sistina, mirrored in
Liszt’s Works. », in Liszt 2000, p. 127.
3. Rena Mueller Charnin, « Liszt’s Tasso Sketchbook : Studies in Sources and Revisions »,
p. 166 cité par Szusanna Domokos, « The miserere Tradition of the Cappella Sistina,
mirrored in Liszt’s Works. », p. 134.
206 DEUXIÈME PARTIE

reste do# mineur. Prenons l’exemple de la première phrase de la première


strophe. Elle commence et termine en do# mineur. Entre ces deux pôles,
Liszt donne une couleur particulière en minorisant son VIe degré et en
rendant plus tendu le IVe degré en conservant le do bécarre. La réduction
harmonique est très éloquente :

>> Exemple n° 20 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique, mes. 1-4

Parler ici d’emprunt ou de modulation serait osé car la tonalité n’a pas
changé : Liszt a simplement minorisé la tierce de son accord de VIe degré,
tandis qu’il a abaissé la quinte de son accord du IVe, qui devient donc
septième et quinte diminuée. Le même procédé de minorisation d’accord
est utilisé dans la phrase suivante, qui aboutit finalement en mi majeur,
tonalité relative du do# mineur initial :

>> Exemple n° 21 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique, mes. 5-8

Il faut noter ici que l’arrivée sur la quinte à vide, précédée d’accords
altérés dont l’accord de dominante avec une neuvième mineure (do bécarre !)
dans la cadence, peut dérouter l’auditeur. Ainsi Serge Gut écrit-il :
C’est ainsi que l’on passe successivement de do dièse mineur à mi mineur
et sol mineur pour aboutir à la dominante du ton principal.1
Il est vrai que dans le déroulement musical, l’absence de tierce peut
aboutir à une ambiguïté : mi mineur ou mi majeur ? Telle est la question.

1. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année, Italie, », p. 19.
Quatrième chapitre 207

Comme nous l’avons déjà mentionné, le do bécarre est une neuvième


mineure. En d’autres termes, c’est une note altérée qui n’entraîne pas de
modulation. Nous optons donc, à l’instar de Márta Grabócz, pour mi
majeur, en considérant ces notes altérées comme des couleurs mélodiques
passagères, et non en leur attribuant une fonction harmonique. De même,
le passage perçu en sol mineur par Serge Gut ne trouve pas plus de raison
d’être. Comme dans la phrase musicale que nous venons d’analyser, l’ac-
cord de tonique sans tierce dans la cadence est précédé d’un accord de
dominante, avec neuvième mineure :

>> Exemple n° 22 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique, mes.


9-13

Cependant, le cas diffère légèrement. En effet, dans la continuité musi-


cale, il est tout à fait possible d’entendre sol majeur, de préférence à sol
mineur, nous venons d’expliquer pourquoi. Mais dans la perception géné-
rale de l’œuvre, il nous semble qu’une autre analyse est préférable. Comme
nous l’avons dit, les première et deuxième phrases passent respectivement
de do# à mi, tonalités relatives. La quatrième ne pose pas de problème :
elle se conclut clairement sur une dominante de do# mineur, mesure 21.
Quelle serait donc la fonction de ce sol majeur central ? Pour répondre à
cette question, adoptons la technique de réécriture mise en place par Guy
Leclercq dans sa thèse1. Il propose en effet d’aborder le discours harmo-
nique en réécrivant les enchaînements, sans les notes altérées. Aussi arrive-
t-il à des conclusions probantes sur une harmonie très difficile d’accès
au départ. Voici donc ces mêmes mesures 9 à 13 réécrites sans les notes
altérées :

1. Guy Leclercq, L’Essence et l’Évolution du Langage musical de Gabriel Fauré dans sa


Musique pour Piano, Thèse de doctorat, 443p.
208 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 23 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique et


réécriture sans les notes altérées, mes. 9-13

Il ressort de cette réécriture que Liszt a adopté un principe de minori-


sation et d’abaissement des degrés jusque dans ses cadences. Il provoque
ainsi des couleurs inattendues, mais qui s’expliquent si nous regardons
de plus près notre réécriture : en fait, la troisième phrase de la strophe se
termine sur une demi-cadence avec cinquième degré abaissé. Elle est elle-
même précédée d’une Doppeldominante comme dirait Riemann. Si nous
nous plaçons en do# mineur, c’est une Doppeldominante avec fondamen-
tale abaissée, ce qui est logique, puisque la dominante est déjà abaissée.
Liszt travaille donc ses enchaînements d’accords en jouant sur la
minorisation et sur l’abaissement d’un demi-ton de certains degrés. Cette
formule de composition confère à sa pièce une atmosphère teintée d’une
oppression pénible.
– En second lieu, certains accords particuliers donnent une couleur
tragique à la pièce. Ainsi la présence de tritons, par exemple aux mesures
10, 15 et 19, sur la dernière double-croche du deuxième temps ainsi
que leur répétition sur le troisième, confère une impression de tension
douloureuse :

>> Exemple n° 24 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 15

Les accords de quintes augmentées participent également à cet effet


d’instabilité qui émane de la pièce :
Quatrième chapitre 209

>> Exemple n° 25 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 9

Cette couleur harmonique se retrouve abondamment ; les mesures


9, 11, 14, 16 commencent avec un accord de quinte augmentée sur le
deuxième temps, offrant ainsi une impression d’étrange hésitation à
chaque début d’incise.
D’autres tensions harmoniques, comme l’accord de neuvième de
dominante du dernier temps des mesures 3, 7, et 12 doivent également
être mentionnées. Mais ce sont surtout les dissonances dues à des appog-
giatures très marquées, ou à des rencontres contrapuntiques particulières
qui renforcent l’impression de douleur, omniprésente dans toute cette
pièce. Le plus bel exemple reste sans doute la cadence plagale au début de
la coda :

>> Exemple n° 26 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 39-41

Le frottement au demi-ton de la tonique do# et de la sixte napolitaine


ré, est d’un effet particulièrement osé, surtout dans ce contexte harmo-
nique, somme toute relativement traditionnel. Pourtant, si nous nous réfé-
rons au principe de composition de Liszt, c’est-à-dire la minorisation des
accords, ce passage s’explique aisément. En effet, si Liszt l’avait écrit sans
altérer la sixte du deuxième degré (ré), l’oreille aurait souhaité l’enchaîne-
ment suivant :
210 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 27 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 39-41 sans note altérée

Le ré et le mi étant alors affectés d’un dièse, la compréhension de la


phrase s’éclaircit nettement : nous avons une cadence plagale, dont le
quatrième degré avec sixte ajoutée aboutit sur un accord de tonique doté
de la tierce picarde attendue. Or dans sa version d’Il Pensieroso, Liszt a,
encore une fois, donné une couleur spécifique, en abaissant la sixte et
supprimant la raison d’être de la tierce picarde.
L’impression de douleur en est d’autant plus présente et sans équivoque.

b. Vers la manifestation d’une obsession morbide

Les quatre sculptures allongées dans les deux tombeaux de Laurent et


Julien de Medicis, ont une fonction éminemment symbolique, puisqu’elles
illustrent le temps qui aboutit à la mort, véritable obsession de Michel-
Ange. En effet, ces allégories de pierre représentent le temps cyclique (Le
Jour qui suit la Nuit, l’Aurore qui suit le Crépuscule) sous forme de nus. La
mort seule peut arrêter ces successions immuables.
Plusieurs éléments musicaux traduisent l’obsession de la mort dans
Il Pensieroso et dans les parties extrêmes de La Notte de Liszt. Ce thème
obsessionnel trouve donc une évidente correspondance dans la répétition
d’éléments tant mélodiques que rythmiques.
– Ainsi l’abondance de notes pédales s’explique-t-elle tout au long de
l’œuvre ; d’un point de vue mélodique, le mi, tierce de l’accord de tonique
en ut# mineur, est répété de manière quasi ininterrompue durant les huit
premières mesures. Cette pédale, passant par ré#, évolue jusqu’à do# à
la mesure 4, pour revenir sur mi, mesure 8. Le même schéma se répète,
mais cette fois à partir de sol bécarre, dans les cinq mesures suivantes. Liszt
emploie ensuite le sib, comme note pédale au début de sa dernière phrase,
mesures 14 à 17. Une dernière note pédale, très courte, est à mentionner
dans cette première grande section. Il s’agit du fa#, tierce de l’accord fondé
sur ré, (mes. 19) puis sixte dans le premier renversement du quatrième degré
d’ut# mineur (mes. 20) et enfin septième de l’accord de dominante sur sol#,
mesure 21. Dans la seconde grande section qui commence à la mesure 23,
reprise variée de la première jusqu’à la mesure 33, se retrouve alors la pédale
Quatrième chapitre 211

de mi, enrichie cette fois d’accords très fournis dans l’accompagnement. La


dernière apparition d’une note pédale se situe dans la coda, aux mesures 40
à 42. C’est, alors, une pédale de tonique qui affirme, avec le rythme pointé
récurrent de la première section, la tonalité de do# mineur.
– Afin d’instaurer ce caractère obsessionnel, Liszt met en place égale-
ment un ostinato rythmique quasi omniprésent. Dans la première grande
section, cette figure récurrente se présente sous la forme de rythmes répétés
dans les deux premières phrases :

>> Exemple n° 28 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 1-4 et mes. 5-8. Rythme.

Le rythme de la tête de la première phrase sert de base pour la troi-


sième, et par conséquent la quatrième. Le fondement de l’ostinato est donc
le rythme pointé.
Dans la seconde grande section, l’ostinato rythmique n’est plus confié
au thème, mais à l’accompagnement de la main gauche. Plus qu’un osti-
nato, c’est un mouvement perpétuel de croches qui commence à la mesure
23 pour s’interrompre définitivement mesure 33. La fin de l’œuvre n’est
plus fondée sur des ostinati rythmiques, toutefois la tête de celui de la
première partie resurgit dans la coda.
Ces récurrences mélodiques et rythmiques, alliées à un matériau
thématique très connoté d’un point de vue expressif comme nous l’avons
déjà vu, contribuent véritablement à instaurer une impression d’obsession
morbide intense.
Mentionnons également que Liszt a apposé un quatrain très sombre de
Michel-Ange. Ce dernier l’avait écrit en réaction à un hommage quelque
peu manqué de Giovanni di Carlo Strozzi, un contemporain, qui préten-
dait en substance qu’il ne manquait à la statue – il évoquait d’ailleurs La
Notte et non il Pensieroso – que la parole. La réponse du sculpteur italien
ne se fit pas attendre. Prise ou non hors contexte, cette référence miche-
langelesque accentue encore l’aspect morbide obsessionnel qui règne dans
la pièce de piano, puisqu’elle incite au silence, au recueillement : « Parlez
bas ! ». Nous reviendrons plus en détail sur ce poème afin de montrer quel
sens allégorique il contribue à faire valoir.1

1. Voir à ce sujet notre chapitre suivant.


212 DEUXIÈME PARTIE

S’ajoutent à tous les éléments communs à Il Pensieroso et aux parties


extrêmes de La Notte, certaines particularités propres à cette seconde pièce.
En effet, Liszt inclut la Notte dans un cycle de trois pièces qu’il intitule
Odes funèbres. Ce titre générique indique déjà la préoccupation princi-
pale du compositeur et précise également la signification de son œuvre.
Ajoutons quelques mots sur les deux autres pièces qui encadrent La Notte.
À la mort de son fils en 1859, Liszt se penche sur les écrits de l’abbé de
Lamennais. Ce dernier avait écrit une « oration », c’est-à-dire un poème en
prose caractérisé par la foi chrétienne d’une part et le doute, d’autre part.
Son titre était : Les Morts. Theodor Edel1 note que Liszt a écrit des vers
directement au-dessus des portées, exprimant ainsi cette dualité par deux
phrases : « Où sont-ils ? Qui nous le dira ? » et « Heureux sont les morts qui
meurent dans le Seigneur. »
En 1866, Liszt écrivit sa troisième et dernière ode, Le Triomphe funèbre
du Tasse, épilogue à son poème symphonique Tasso, lamento e Trionfo.
Une longue citation de la Vie de Torquato Tasso (1545-1595) par Serassi
sert d’ailleurs de préface à la partition. Elle montre combien les Italiens
avaient été touchés par la mort de leur grand poète et comment s’était
déroulé l’hommage qu’ils tenaient à lui rendre : une procession funéraire
suivie d’un discours. Il est fort probable que le compositeur se soit senti
proche du poète italien. Comme le note Theodor Edel :
Plus que les œuvres de Tasso, c’était sa vie tumultueuse selon les écrits de
Goethe et de Byron qui les rapprochait. Comme Liszt, il avait eu un brillant
début de carrière, mais avait été, plus tard, très incompris et insulté par ses
contemporains. Tasso mourut à 51 ans, juste avant de recevoir le titre de poète-
lauréat.
La première représentation de cette œuvre qui lui est dédiée, fut dirigée
à New York en 1877, par Leopold Damrosch, autrefois membre de l’or-
chestre de Weimar.
Même si elles sont à l’origine conçues comme trois œuvres indivi-
duelles, les « trois Odes funèbres » forment un ensemble cohérent, car elles
sont toutes fondées sur des questions philosophiques autour du thème
de la mort. De plus, elles comportent toutes des références littéraires.
Arrêtons-nous justement sur celles de La Notte.
Comme dans Il Pensieroso, Liszt a mis en exergue le quatrain de
Michel-Ange, dont nous avons déjà donné les grandes lignes. Mais il ne

1. Theodor Edel, « Liszt’s La Notte, Piano music as a self-portrait », p. 49.


Quatrième chapitre 213

se contente pas de cette référence. En effet, il ajoute, au seuil de la partie


centrale, au-dessus d’une phrase vaporeuse en la majeur, un vers extrait de
l’Énéide de Virgile,1 dans lequel le héros, « avant de mourir »2, se souvient
de son pays natal : l’Argos. Si cette partie centrale se différencie musicale-
ment des parties extrêmes, elle n’en reste pas moins attachée au thème de
la mort, véritable Leitmotiv de ces trois Odes funèbres.
D’un point de vue tant musical que littéraire, Liszt fonde aussi bien Il
Pensieroso que La Notte sur une affirmation récurrente et obsessionnelle du
thème de la mort.

2. Des œuvres solennelles et imposantes

Un certain nombre d’éléments des statues et de l’architecture de


Michel-Ange exigent du spectateur une attitude recueillie. Ainsi, le côté
hiératique des colonnes, la régularité des pilastres, la variété des arcatures
contribuent à conférer à l’édifice, dans son ensemble, une solennité, une
majesté intenses. Liszt traduit l’attitude absorbée du spectateur par l’indi-
cation Sotto voce. La référence poétique michelangelesque est à ce point
également édifiante : le mutisme exigé par le sculpteur poète est à lui seul
une redite de l’indication lisztienne. Liszt traduit donc de deux manières
« littéraires » le recueillement implicite exigé devant l’œuvre sculpturale.
Par ailleurs, Michel-Ange donne un aspect très noble à ses personnages.
De plus, il les représente très idéalisés, pas du tout conformes à la réalité,
rejoignant en cela la philosophie néo-platonicienne contemporaine. Du
reste, Lucinda Hawkins Collinge et Annabel Ricketts notent à ce sujet :
La statue de Julien ne se voulait pas portrait : elle est idéalisée, probable-
ment pour symboliser la vie active.3
Il est de notoriété publique que les deux frères, Laurent et Julien,
étaient barbus. Or le penseur, tout comme la statue, représentant Julien, est
imberbe, ce qui est un indice – sans doute le plus élémentaire – montrant
la liberté du sculpteur face à la réalité. Sa cuirasse, son casque sur lequel
est représenté un animal, ses grandes bottes moulantes, contribuent à lui
conférer un caractère imposant. Le coude droit, nonchalamment posé sur

1. Virgile à qui il empruntera encore une citation dans son titre Sunt lacrymae rerum
pour piano de 1872.
2. C’est nous qui soulignons.
3. Lucinda Hawkins Collinge et Annabel Ricketts, Michel-Ange, p. 115.
214 DEUXIÈME PARTIE

un petit coffre décoré d’un étrange animal, ainsi que le second bras recro-
quevillé dont le poignet retombe sur la cuisse gauche, les jambes légère-
ment et élégamment croisées, apportent une nuance de décontraction à un
ensemble architectural si imposant.
Liszt a traduit musicalement la solennité de la scène et la dignité des
personnages – principalement Laurent et Julien – par l’emploi d’un tempo
très lent : Lento. Dans sa version ultérieure, La Notte, il ajoutera même un
adjectif très significatif : Lento funèbre. Alliée aux rythmes de croches poin-
tées doubles, cette indication évoque donc une atmosphère de marche,
ici éminemment funèbre. De plus, les silences jouent un rôle important.
Ainsi, à la main gauche, ils contribuent à mettre en valeur le thème sobre
par un accompagnement, de ce fait, très clairsemé. Le début de la pièce
illustre parfaitement cette idée.
À l’époque où naît son projet pour la chapelle des Médicis, Michel-
Ange est occupé à modifier le plafond de la chapelle Sixtine. La représen-
tation monumentale de son Jugement dernier va provoquer un scandale.
Les musculatures, très herculéennes des Ignudi – les superbes nus – le
manque de perspective ainsi que cet amoncellement de corps dans un
espace abstrait, irritent l’Église et furent à l’origine de nombreuses polé-
miques. Ce souci de représenter la puissance se retrouve même dans les
sculptures de la chapelle des Médicis, aussi bien dans celles des deux frères
Laurent et Julien que dans celles des statues allongées à leurs pieds. Le Jour
reste, à cet effet, l’exemple le plus caractéristique, malgré l’inachèvement
de son visage. Cependant, nous voudrions nous pencher un moment sur la
physionomie de la Nuit. Le bras droit replié et les cuisses de la statue sont
en effet très musclés. À l’observation de son visage, on remarque les maxil-
laires émaciées, les lèvres épaisses, le nez imposant et, de plus, la pomme
d’Adam proéminente. L’ensemble est donc très masculin. Un autre détail,
également très masculin, frappe : l’absence de hanches bien marquées et
la musculature esquissée du buste où seuls les seins – qui donnent une
impression d’ajout maladroit à cause d’un strabisme divergeant des tétons
et d’une séparation bien trop grande entre eux – restent le seul élément
féminin affirmé. Il paraît donc probable que le modèle de la Nuit était un
homme, et que Michel-Ange a – consciemment ou non – imposé dans la
chapelle des Médicis un arsenal d’éléments, d’attributs masculins, afin de
montrer toute la puissance de l’aristocratique famille.
Dans son œuvre pour piano, Liszt, traduit cet effet de puissance grâce
à des accords profonds, fournis et riches dans le registre grave.
Quatrième chapitre 215

L’indication pesante, montre également l’importance accordée à l’opu-


lence sonore. L’interprète doit modeler sa sonorité. De surcroît, l’emploi
de la pédale implique une volonté d’expansion, de développement, de
résonance du son.

III. Troisième phase : Analyse comparée


des « Événements » (« liens entre les motifs »)

A. Présentation des « Événements »

1. Définition générale et application aux arts visuels

Rappelons que les « événements » font partie, comme les « objets et


thèmes », de la « signification de fait ». Nous avons retardé leur étude,
en intégrant celle de la « signification expressive » : il nous semblait plus
logique de définir précisément les « objets et thèmes » de la manière la
plus exhaustive possible, avant d’aborder leurs relations mutuelles au sein
d’une œuvre.
Lorsque Panofsky évoque les « événements » en s’appuyant sur un
exemple pris dans la vie courante, il parle du changement d’attitude, de
la modification de comportement de « l’objet », en l’occurrence, ici, du
monsieur. Ce dernier « soulève son chapeau ». Panofsky appelle cette opéra-
tion précise : « événement ». D’ailleurs, il définit cette notion comme : « la
modification de détail ».1
Transposée dans le domaine artistique, cette action trouve, d’après
lui, son équivalent dans l’identification des relations mutuelles des formes
entre elles. Ces dernières représentent d’ailleurs des « objets » naturels
puisque cette méthode iconographique ne s’intéresse, par définition, qu’à
l’art figuratif.

2. Application à la musique : repères généraux

Comme nous l’avons vu, Panofsky préconise l’étude des relations


mutuelles, entretenues par les formes et les motifs, qu’il nomme « événe-

1. Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, p. 14.


216 DEUXIÈME PARTIE

ments ». Il s’agit des liens entre ces éléments qui contribuent à l’organisa-
tion de l’espace.
Dans le domaine musical, c’est la structuration du temps qui conduit à
une élaboration possible des « liens entre les thèmes et les motifs », et donc
de tout ce qui participe à la structure. Mais encore une fois, nous tenons à
distinguer la « structure » de la « forme », la seconde relevant de l’organi-
sation interne du contenu. Aussi serons-nous confrontée à des choix, car
la structure et la forme sont, il faut quand même en être conscient, liées :
la structure n’est que la partie visible et peu « sensible » de la forme. Notre
choix dans l’explication des « événements musicaux » consistera à éviter
les répétitions possibles avec la « forme » générale étudiée dans la partie
consacrée au « contenu ». Dans certains cas, donc, nous ne donnerons pas
une explication exhaustive de la structure, quand celle-ci sera explicitée
avec la forme du contenu.

B. Quelques exemples chez Liszt

1. La Légende de Sainte Élisabeth : Six tableaux de Schwind


pour six sections chez Otto Roquette et Liszt
L’oratorio se compose de six sections, chacune d’entre elles correspon-
dant à l’une des fresques de Moritz von Schwind. La première section
voit l’arrivée d’Élisabeth enfant à la Wartburg, conduite par un magnat
hongrois, pour devenir l’épouse de Ludwig, fils du landgrave Hermann.
Chants, jeux d’enfants et chœurs saluent sa bienvenue. Dans la section ii,
succédant sur le trône de son père, Ludwig est devenu l’époux d’Élisabeth.
Celle-ci, pour soulager la misère des pauvres, va leur porter des provisions
en cachette, car son mari et sa belle-mère le lui défendent. Or Ludwig
revient de la chasse et rencontre par hasard sa femme. Il lui demande ce
qu’elle cache dans son tablier. Celle-ci, tremblante, l’ouvre : le pain et le
vin qu’il contenait se sont changés en roses ! Confondu par ce miracle,
Ludwig demande pardon à sa femme. La section iii montre le départ des
croisés pour la Palestine avec Ludwig à leur tête. La section iv est extrê-
mement dramatique : ayant appris que Ludwig est tombé à la croisade, sa
mère, la Comtesse Sophie, chasse Élisabeth du château de la Warburg, car
elle veut s’emparer du pouvoir. Au moment où la pauvre Élisabeth s’en va,
une terrible tempête s’élève. Mais elle arrive, à la section v, à rejoindre un
abri qu’elle avait fait construire pour les pauvres. Ceux-ci la remercient de
Quatrième chapitre 217

ses bienfaits. Puis Élisabeth, épuisée, meurt et est accueillie par les anges.
La section vi décrit l’enterrement solennel d’Élisabeth, conduit par l’em-
pereur Frédéric II.
La structure générale de la fresque – composée de six tableaux – trouve
donc bien son correspondant avec la structure sexpartite de l’oratorio lisz-
tien. Les scènes représentées se retrouvent d’ailleurs dans le livret, même si
ce dernier développe évidemment davantage les épisodes narratifs.

2. Problème d’espace et superpositions de plans


dans la Hunnenschlacht

La structure générale de la Hunnenschlacht n’est pas aussi aisément


repérable que les sections de la Légende de Sainte Élisabeth correspondant à
chacun des tableaux de Moritz von Schwind. Ici, la référence extra-musi-
cale est unique, et de ce fait, l’analyse doit se porter sur des phénomènes
structurels musicaux trouvant des équivalents précis dans des phénomènes
structurels spatiaux. Aussi seuls quelques passages caractéristiques des
œuvres seront-ils explicités. Le déroulement structurel ne sera abordé, de
manière exhaustive, que dans la partie consacrée à la forme.

a. Disposition spatiale des instruments

Nous tenons à préciser que Liszt se montrait extrêmement attentif


à la disposition spatiale des instruments. Ceci se confirme dans la
Hunnenschlacht, où il souhaitait intégrer le son de l’orgue, aussi l’ins-
trument devait-il, lors des concerts, être « placé hors de vue, derrière les
rideaux ». Alan Walker fait remarquer que :
Dans des conditions idéales, les phrases du Crux fidelis jouées à l’orgue
semblent flotter, désincarnées au-dessus de la salle. La représentation sonore est
insolite, mais l’on a rarement l’occasion de le constater car on ne tient généra-
lement pas compte des directives de Liszt.1
Nous ne pouvons que déplorer cet état de fait lors des concerts : les
effets recherchés sont alors imperceptibles, ce qui reste dommageable pour
la compréhension de l’œuvre.

1. Alan Walker, Franz Liszt, vol.1, p. 787.


218 DEUXIÈME PARTIE

La recherche d’espace s’illustre par d’autres exemples dans cette œuvre.


Nous emprunterons à Cornelia Knotik la référence de deux extraits emblé-
matiques du passage d’un même motif à plusieurs instruments :
En outre, le tintement entremêlé des motifs répartis dans différentes voix
produit un effet fortement spatial : mesures 135-136 (lettre D et mesure
suivante) les cors commencent le « cri de guerre » dont les trois dernières notes
sont jouées par les trompettes ; 1
Voici l’exemple en question :

1. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 11.
Quatrième chapitre 219

>> Exemple n° 29 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 135-137

Cornelia Knotik mentionne un exemple similaire quelques mesures


plus loin :
Le même effet se reproduit mesures 139-140. Le motif qui est entendu de
façon absolument continue, change pour ainsi dire de lieu par rapport à sa
présentation d’origine, grâce au changement de timbre.1
Le premier exemple, donc aux mesures 135-136, est un égrainement
d’accord de do mineur, premier degré, tandis que trois mesures plus loin,
le motif se compose sur la base d’un accord de second degré abaissé avec

1. Cornelia Knotik, ibid., p. 11.


220 DEUXIÈME PARTIE

sixte napolitaine sur la note do à la basse. Mais, dans les deux cas, la réparti-
tion du début du motif aux cors et de la fin à la trompette, suscite un effet
particulier dans l’appréhension de l’espace par l’auditeur. Liszt essaie vrai-
semblablement de recréer l’occupation de l’espace de la bataille, présent
dans le tableau de Kaulbach.

b. Superposition de plans picturaux –


superposition de plans musicaux

Dans le tableau historique la Hunnenschlacht, l’occupation de l’espace


est sans doute l’un des éléments les plus surprenants : Kaulbach accentue
l’opposition des combattants par leur disposition dans l’espace. Ainsi, dans
la partie supérieure du tableau, si notre regard évolue de gauche à droite,
nous apercevons les Chrétiens, détenteurs de la Croix, qui rencontrent à
droite, les Huns. Au centre, leur combat se présente sous la forme d’une
mêlée indescriptible. Les personnages, disposés en arc de cercle, semblent
voler. Au-dessous d’eux, des gisants et des femmes éplorées jonchent le sol,
au premier plan, tandis que des ombres effrayantes occupent le second. Les
deux plans sont facilement repérables.
Quand Liszt présente, pour la première fois, l’hymne grégorienne Crux
Fidelis, il la superpose au galop haletant des cordes, recréant ainsi musica-
lement l’espace pictural de Kaulbach :
Quatrième chapitre 221

>> Exemple n° 30 : F. Liszt, Crux Fidelis dans la Hunnenschlacht, mes.


127-130

Notons qu’il indique, ici seulement : « choral » sans donner de préci-


sion sur sa signification profonde. Alan Walker résume ainsi cet épisode,
en s’appuyant sur sa première apparition, mesure 97 et suivantes :
222 DEUXIÈME PARTIE

À un moment donné, l’écriture musicale se divise en deux strates composi-


tionnelles apparemment contrastantes : l’une évoque la « bataille » elle-même,
tandis que l’autre déploie l’antique choral grégorien du Crux Fidelis, qui
domine sereinement le fracas des armes. »1
Mais si la référence en matière de recherche d’espace, par le biais de
deux plans superposés, est évidente dans l’œuvre symphonique, il existe
une autre référence, musicale cette fois, qui correspond bien à l’esprit de
cette pièce. Il s’agit du « Chœur des Paysans » dans la Damnation de Faust.
Berlioz superpose aussi un thème à caractère de choral « Sancta Maria ora
pro nobis… », chanté par le chœur des paysans et un galop de cheval tout
aussi effrayant que celui de Liszt : les deux chevaux transportent Faust et
Méphisto vers l’enfer, tandis que la mélodie des paysans symbolise la foi
perdue par le héros éponyme.

1. Alan Walker, Franz Liszt, p. 786, vol. 1.


Quatrième chapitre 223

>> Exemple n° 31 : H. Berlioz, « Chœur des paysans » extrait de la


Damnation de Faust, mes 1-10

Les plans sonores donnent ici une impression d’espace, comme le


décrit si justement Michelle Biget-Mainfroy :
…Entre le hiératisme des prières, et le mécanisme rythmique, qui annon-
cent les walkyries, laminant ces bribes de chant sacré, entre l’immobilisme
homophone et le mouvement de course en avant, le contraste fait sens et simule
aussi une spatialité scénique. 1
Cette « spatialité scénique » simulée produit un effet véritablement
saisissant.

1. Michelle Biget-Mainfroy, Le Rêve et la Fureur. Les Écritures musicales romantiques,


p. 117.
224 DEUXIÈME PARTIE

L’écriture musicale entre l’extrait lisztien cité et ce « chœur des paysans »


est tout à fait comparable. Dans les deux cas, les compositeurs ont super-
posé deux plans sonores : le premier dans le registre aigu en valeurs longues
– un « choral » chez Liszt et des litanies chez Berlioz – et le second dans
un registre plus grave confié aux cordes dans les deux cas. Un autre point
commun est à remarquer : l’ostinato rythmique aux cordes dans lequel
nous reconnaissons le rythme du galop des chevaux. Cette référence se
conçoit aisément dans l’œuvre de Berlioz puisque le compositeur français
met en scène précisément deux chevaux. En revanche, elle reste plus dérou-
tante dans le poème symphonique de Liszt. En effet, c’est un combat plus
qu’une « course à l’abîme » que le programme prétend dépeindre. Nous
supposons donc que l’allusion aux combattants poursuivant leur lutte,
tandis que la lumière de la croix s’étend au-dessus d’eux, sur la gauche du
tableau, a immédiatement été traduite chez le compositeur par l’utilisation
d’un choral, en l’occurrence le Crux Fidelis. Nous reviendrons sur ce point,
le choral surplombant en quelque sorte le combat.
Nous pouvons alors supposer que Liszt a été influencé par l’écriture et
l’orchestration de « La course à l’abîme » dans la Damnation de Faust qui
contribue à créer deux plans superposés, moyen tout à fait adapté au cas
de la référence extra-musicale de Kaulbach. Il en a probablement conservé
la représentation sonore des chevaux pour traduire ce qui était pour lui
un combat effréné. Ce sont d’ailleurs les cordes graves qui donnent cette
impression de course haletante tandis que des traits en quintolets fortis-
simo des violons à l’unisson, indiqués furioso, tentent vraisemblablement
de traduire les coups d’épées des combattants.
S’inspirant véritablement de Berlioz, Liszt a traduit les deux plans du
tableau de Kaulbach par une écriture musicale qui sépare bien l’espace
sonore en deux parties.

3. Division de l’espace et du temps : Il Pensieroso et La Notte

S’il est difficile de définir une structure dans les statues michelange-
lesques comme Il Pensieroso et la Notte, il est cependant plus aisé de définir
le principe structurel présent dans l’ensemble de l’œuvre. Autrement dit,
les deux statues seront étudiées en fonction de leur rôle dans l’architecture
des tombeaux de la chapelle des Médicis. C’est en effet le principe compo-
sitionnel de la structure d’ensemble que nous recherchons ici.
Quatrième chapitre 225

Michel-Ange avait conçu un projet monumental pour cette chapelle


médicéenne, projet qu’il n’a pas pu mener à son terme.1 Liszt a été
subjugué par les œuvres qu’il a vues dès la fin des années 1830. Aussi, pour
notre démonstration, nous nous concentrerons uniquement sur celles-ci.
Les sculptures ll Pensieroso et la Notte de Michel-Ange contribuent
toutes les deux à l’équilibre de l’architecture monumentale de la Chapelle
des Médicis à Florence, pour laquelle elles furent élaborées. En effet, les
tombeaux des deux frères se font face :

Illustration n° 12 : Plan de la Chapelle des Médicis de Michel-Ange.


Coupe transversale

Rappelons rapidement que les deux ensembles sculpturaux sont


construits selon un schéma identique fondé sur la symétrie : la figure idéa-
lisée d’un Médicis – Laurent, « le Penseur », d’une part, et Julien, d’autre
part – surplombe deux personnages allongés : l’Aurore et le Crépuscule
à l’ouest ; le Jour et la Nuit, à l’est. Ajoutons que la chapelle entière est
fondée sur ce principe : les deux groupes sont disposés symétriquement

1. Pour plus de détails sur la question, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage d’Erwin
Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », in Essais d’iconologie,
p. 283.
226 DEUXIÈME PARTIE

par rapport à l’autel. Dans la même logique, au sud, Côme et Damien


encadrent la sainte Vierge.
Ainsi, la composition d’ensemble michelangelesque est entièrement
conçue selon un principe de symétrie.
Il Pensieroso offre une découpe bipartite suivie d’une coda :
Mesures 1-22 23-39 40-fin
Indications Lento mf Sotto voce Pesante P
Structure A A’ Coda

Tableau n° 1 : Structure d’ensemble d’Il Pensieroso

Avec le changement d’écriture par rapport à la partie A et la variante


finale dans la seconde partie A’, le principe de composition est ici une
duplication variée.
Si Liszt s’est attaché à traduire les caractéristiques expressives de la
statue michelangelesque, il s’est cependant détaché de son modèle visuel
dans la structure particulière de sa composition pianistique qui n’offre pas
de point de comparaison avec Il Pensieroso.
La Notte adopte un plan d’ensemble assez facile à déterminer grâce à
une structure tripartite très évidente :
Mesures 1-4 5-54 55-137 138-179 180-fin
Indications PP Lento funèbre Mf pesante Sempre lento Tempo I P
Structure Introduction A B A’ Coda
Tableau n° 2 : Structure d’ensemble de La Notte

Si ce schéma d’ensemble peut sembler bien sec face à une œuvre aussi
émouvante, il est cependant utile pour montrer le principe général de
composition : il va sans dire que la structure de La Notte, étant fondée sur
un ABA, rappelle tout à fait l’idée de symétrie présente dans la chapelle
des Médicis.
Les structures des tombeaux florentins des Médicis, grâce à leur symé-
trie, peuvent trouver une correspondance dans la seconde œuvre lisztienne
inspirée de La Notte. Dans ce cas, la comparaison est en effet possible grâce
à l’étude de la division du temps et celle de l’espace qui trouvent un point
commun dans un même principe de symétrie.
Quatrième chapitre 227

Conclusion

La comparaison entre la musique de Liszt et ses modèles visuels donne


lieu, dans ce premier niveau de signification, à plusieurs remarques.
D’abord, le matériau motivique – donc les « formes et motifs » qui
contribuent à la représentation « d’objets naturels » dans les arts visuels
– correspond quantitativement assez souvent aux principaux thèmes et
motifs musicaux lisztiens. Cependant, leurs significations respectives ne
coïncident pas toujours. Il n’y a donc pas de convergence d’un point de
vue qualitatif.
Ensuite, il semble assez évident que Liszt ait voulu transposer le plus
fidèlement possible la signification expressive des œuvres d’art figura-
tives. La correspondance des caractères entre les œuvres musicales et leurs
modèles visuels fonctionne à ce stade assez bien, grâce à différentes indi-
cations et allusions littéraires, au choix du tempo, de registres, d’enchaîne-
ments harmoniques ou encore de rythmes et d’intervalles caractéristiques.
Enfin, la structuration de l’espace – ce que Panofsky nomme « événe-
ment » – implique chez Liszt une recherche tant dans l’organisation de
l’espace que dans la structuration du temps. La comparaison se réalise ici
grâce à la confrontation de mêmes principes de composition.
À tous les stades de la comparaison, les éléments du langage musical
sont confrontés à leurs modèles visuels, conservant les caractéristiques
propres de leur époque.
Ce premier niveau de signification vise donc à expliquer comment les
divers « objets » ou « événements » ont été exprimés par des « formes » au
sein d’une situation historique donnée pour les arts visuels et comment ils
ont trouvé des équivalents musicaux thématiques, motiviques et structu-
rels connotés au sein de l’histoire de la musique. Les données historiques
de la musique divergent d’ailleurs souvent de celles des modèles visuels.
Cependant, en nous référant à Liszt, il est possible d’ajouter une diffé-
rence essentielle entre les arts visuels et la musique [qu’ils inspirent] :
Chacun est à même d’apprécier le degré de fidélité dans l’imitation du
corps humain1. Il n’en est pas ainsi pour la musique ; elle n’a pour ainsi dire
point de réalité ; elle n’imite pas, elle exprime.2

1. Cela peut renvoyer au niveau 1 de Panofsky. [Note personnelle]


2. Franz Liszt, « Lettre ix Le “Persée” de Benvenuto Cellini ». Florence, 30 novembre 1838.
Parution le 13 janvier 1839 dans la Gazette musicale », rééditée dans Rémy Stricker, Franz
228 DEUXIÈME PARTIE

– Pour la musique, l’expérience a montré – et démontré – que l’analyse


dite « de niveau neutre », nécessite déjà des prises de position de la part de
l’auditeur/analyste. En ce sens, l’exemple de l’harmonie d’Il Pensieroso et
de la Notte est éloquent.
– En revanche, la description « pré-iconographique », comme la
nomme Panofsky, ne peut prêter à confusion… Du moins pour Liszt ! Il
est probable que, extérieurement, tous les spectateurs sont en mesure de
repérer les formes, les motifs ou encore les couleurs, et la manière dont
tous ces éléments sont agencés. Pour Liszt, la différence essentielle ici entre
le médium plastique et le support musical réside dans le fait que dans le
premier cas, le contexte est donné, matérialisé ; dans le second, il doit être
déterminé par l’auditeur.
Cependant, l’exemple proposé par Panofsky de l’apparition dans le
tableau de Van der Weyden ou notre approche de la peinture de Kaulbach
ont montré que l’appréhension d’une œuvre d’art nécessite une ANALYSE,
donc une interprétation, et ce, dès le premier niveau. En d’autres termes,
une perception « neutre » n’existe pas.
Après avoir explicité et comparé les différentes formes du matériau de
base, nous nous interrogeons maintenant sur la signification symbolique,
rhétorique de ce matériau. C’est la deuxième étape de l’analyse mise en
place par Panofsky pour les arts visuels que nous allons maintenant adapter
à la musique de Liszt.

Liszt, artiste et société, p. 142.


Cinquième chapitre
Deuxième étape panofskyenne :
signification secondaire
ou « conventionnelle »

Introduction
Afin de bien faire comprendre l’idée de ce qu’il nomme « la significa-
tion secondaire », Panofsky reprend l’exemple de l’homme qui le salue en
soulevant son chapeau. Il avance davantage dans l’analyse sémantique :
Toutefois, quand je prends conscience que soulever son chapeau équivaut
à saluer, j’accède à un domaine tout différent d’interprétation. Cette forme
de salut est propre au monde occidental ; c’est une survivance de la cheva-
lerie médiévale : les hommes d’armes avaient coutume d’ôter leur casque pour
témoigner de leurs intentions pacifiques, et de leur confiance dans les intentions
pacifiques d’autrui. […] Pour comprendre le sens de ce geste, je n’ai pas seule-
ment besoin d’être familiarisé avec l’univers pratique des objets et événements,
ainsi encore avec l’univers (qui déborde le domaine pratique) des coutumes
et traditions culturelles, propres à une certaine civilisation. En retour, cette
personne de ma connaissance n’aurait nullement cru devoir me saluer en soule-
vant son chapeau, si elle n’avait eu conscience du sens de ce geste (quant aux
résonances expressives qui accompagnent son acte, elle peut en avoir conscience
ou non). C’est pourquoi, lorsque j’interprète le fait de soulever son chapeau
comme une salutation polie, je reconnais en lui une signification que nous
pourrons appeler secondaire ou conventionnelle ; elle diffère de la signifi-
cation primaire ou naturelle en ce qu’elle relève de l’entendement, non de la
perception sensible, et qu’elle a été délibérément communiquée à l’acte pratique
chargé de la transmettre.1

1. Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, p. 15.
230 DEUXIÈME PARTIE

La seconde étape panofskyenne implique donc une intervention de connais-


sances, de pré-requis, qui se réfèrent à des codes. Elle met alors de côté
l’aspect empirique et sensoriel.
Mais comment Panofsky traduit-il la « signification secondaire » dans
la perception des arts visuels ? En fait, il l’explique très clairement :
On la saisit en prenant conscience qu’un personnage masculin muni d’un
couteau représente saint Barthélemy, qu’un personnage féminin portant une
pêche à la main est une personnification de la Véracité, qu’un groupe de
personnages attablés selon une disposition et des attitudes déterminées repré-
sente la Cène […]. Ce faisant, on met en relation des motifs artistiques et
combinaisons de motifs artistiques (compositions) avec des thèmes ou
concepts. Les motifs ainsi reconnus porteurs d’une signification secondaire ou
conventionnelle peuvent être appelés des Images ; et les combinaisons d’images
correspondent à ce que les anciens théoriciens de l’art nommaient invenzioni :
nous avons coutume de les nommer histoires et allégories. L’identification de
semblables images, histoires et allégories constitue le domaine de l’iconogra-
phie au sens strict. En réalité, lorsque nous parlons, en un sens très large, du
« sujet » par opposition à la « forme », nous nous référons surtout au domaine
du sujet secondaire ou conventionnel, c’est-à-dire l’univers des thèmes ou
concepts spécifiques incarnés en images, histoires et allégories, par opposi-
tion au domaine du sujet primaire ou naturel, incarné en motifs artistiques.
[…] Il est manifeste qu’une analyse iconographique correcte, au sens strict,
présuppose une identification correcte des motifs. Si le contenu qui nous permet
d’identifier saint Barthélemy n’est pas un couteau mais un tire-bouchon, le
personnage n’est pas un saint Barthélemy. En outre, il importe de noter que
l’affirmation : « ce personnage est une image de saint Barthélemy », implique
chez l’artiste une intention consciente de représenter saint Barthélemy ; alors
que les qualités expressives du personnage peuvent fort bien n’impliquer aucune
intention.1
Cette seconde étape correspond à la phase d’analyse iconographique.
Elle vise à expliquer comment les divers thèmes ont été exprimés par des
événements ou objets divers. C’est là que les connaissances livresques ou
orales jouent un rôle important.
Nous retiendrons donc les trois composantes énoncées par Panofsky :
les images, histoires et allégories. Nous tenterons de trouver, pour chacune

1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
p. 17-19.
Cinquième chapitre 231

d’entre elles, des équivalences musicales probantes. Cependant, si Panofsky


les présente dans cet ordre, nous expliciterons d’abord les histoires, puis les
symboles et enfin les allégories. En effet, ces deux dernières catégories sont
esthétiquement très proches – du moins si l’on traduit « images » par
symboles1 – et les définitions que les penseurs leur ont attribuées méri-
tent un rappel ainsi que des éclaircissements. En revanche, l’histoire a une
signification plus immédiate.

I. Les « histoires »

A. Définition et application à la musique

1. Définition générale

Bernard Teyssèdre, qui commente et préface l’ouvrage Essais d’icono-


logie de Panofsky, donne une définition très claire des « histoires » :
…quand les personnages (historiques, légendaires ou mythiques, il n’im-
porte) sont représentés en tant que tels : par exemple Léonidas aux Thermopyles,
Narcisse et Écho, Don Quichotte et Sancho.2
Il faut donc se référer à l’origine – historique, légendaire ou mythique
– des personnages. Panofsky mentionne que si nous ne sommes pas assez
familiarisée avec le « thème » qu’il soit de sujet biblique, historique ou
mythologique, nous devons nous renseigner sur ce que connaissaient
les artistes ; en un mot, il convient d’étudier les sources littéraires et leur
culture visuelle et savante, comme les cercles, les académies, les écoles d’art,
les ouvrages théoriques… Cependant, il précise, à l’aide d’un exemple
emprunté à une peinture de Francesco Maffei qui offre une ambiguïté dans
l’identification du sujet peint – Judith ou Salomé –, que les connaissances
livresques ne sont parfois pas suffisantes même si elles se révèlent néces-
saires. En effet, il faut également se référer à notre « expérience pratique ».
Panofsky explique :
De même que nous pouvions corriger et contrôler notre expérience pratique
par l’enquête sur la manière dont, en diverses conditions historiques, des objets

1. Nous reviendrons sur ce point.


2. Bernard Teyssèdre, in Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans
l’art de la Renaissance, note 1, p. 18.
232 DEUXIÈME PARTIE

et des événements ont été exprimés par des formes (c’est-à-dire sur l’histoire du
style), de même nous pouvons corriger et contrôler notre connaissance de sources
littéraires par l’enquête sur la manière dont, en diverses conditions historiques,
des thèmes ou concepts spécifiques ont été exprimés par des objets et des événe-
ments (c’est-à-dire sur l’histoire des types).1
En d’autres termes, l’examen d’autres œuvres traitant du même sujet
ou d’un sujet voisin peut servir de support dans le choix des sources litté-
raires explicatives et peut éviter ainsi des erreurs d’identification. Cette
démarche suppose un travail dans le domaine de la culture visuelle grâce
aux études des maîtres anciens et contemporains, conseillées notamment
par C. Cennini dans son Libro dell’ Arte. Notons d’ailleurs que ce procédé
d’analyse est également valable pour les « images » et autres « allégories ».

2. Application à la musique

Dans la musique, les « histoires » ne sont évidemment pas représen-


tées de manière tangible. C’est donc la thématique qui renvoie à la repré-
sentation d’un personnage historique, comme Sainte Élisabeth, légendaire,
comme Orphée, ou mythique, comme Faust. Elle sera considérée comme
une thématique à signification « historique », « légendaire » ou « mythique ».

B. Les « histoires » dans la musique de Liszt


Nous allons illustrer cette idée par deux exemples de personnages histo-
riques représentés musicalement dans les œuvres de Liszt. Comme nous
l’avions précisé dans notre premier chapitre, les niveaux un et deux peuvent
parfois être étudiés simultanément. C’est la raison pour laquelle nous reve-
nons au thème de Sainte Élisabeth déjà exposé dans le premier niveau. Le
second exemple est extrait d’une œuvre qui n’a pas encore été présentée :
Saint François de Paule marchant sur les Flots. Ici, les deux premiers niveaux
de signification panofskyens seront cette fois confondus.

1. Erwin Panofsky, ibid., p. 26-27.


Cinquième chapitre 233

1. Le Personnage de Sainte Élisabeth /


le thème Stella matutina [Antiphonaire]
Rappelons brièvement que si nous avions adopté la méthode panofs-
kyenne à la lettre, nous n’aurions pas précisé dans notre première partie
que le personnage féminin des fresques de la Wartburg était Sainte
Élisabeth. Cependant, la galerie portant son nom, comme l’oratorio lisz-
tien, d’ailleurs, il nous a semblé opportun d’enfreindre la règle de l’identi-
fication dans le premier niveau de signification. Nous pouvons maintenant
ajouter certains détails par rapport à la sainte. En effet, certains attributs
– hormis l’auréole que nous avons précédemment signalée – permettent
son identification de manière plus précise, pour qui connaît évidemment
son histoire. Mais si le spectateur ignore le sujet traité dans les fresques
de la Wartburg, il peut, sachant qu’il s’agit d’une sainte grâce à l’auréole,
chercher dans les hagiographies celle qui porte des roses dans un tablier.
Cependant, cette démarche appartient davantage au deuxième niveau
d’analyse selon Panofsky.
Le tablier soulevé laisse entrevoir des roses. Sainte Élisabeth manifeste
un calme élégiaque. Les deux personnages qui l’entourent prient, montrant
ainsi qu’un événement extraordinaire vient de se produire : un miracle. Le
fait que le cavalier et l’homme qui prie, agenouillé, soient des chasseurs,
aide à l’identification de la scène. En effet, leur couteau, leur trompe, leur
chapeau et leur habit ne laissent aucune place au doute concernant leur
identité. En se reportant aux hagiographies, il paraît possible de définir que
cet épisode miraculeux appartient à la vie de Sainte Élisabeth de Hongrie.
Un autre élément est à relever. Il concerne plus directement le type
de spiritualité de la sainte. Il s’agit de l’habit qu’elle porte à sa mort, dans
la cinquième peinture de Schwind, « la Mort de la sainte ». De couleur
grise, entouré d’une simple corde qui enveloppe la taille, il montre l’appar-
tenance de la jeune femme au tiers ordre des franciscains. Sa vie faite de
privations et de renoncements, ainsi que son attachement à venir en aide
aux pauvres confirment l’indice donné ici par le peintre. Il va sans dire que
cet aspect religieux n’a pu que plaire à Liszt, dont le saint patron était Saint
François lui-même. Paul Munson précise au sujet des points communs
entre le musicien et son héroïne éponyme :
Premièrement, tous deux, Sainte Elisabeth et lui appartenaient à l’ordre
Franciscain (lui en tant que membre honoraire, depuis avril 1858, et elle
comme membre du tiers ordre). La devise du saint patron de Liszt, donc de
Saint François d’Assise, était caritas, la vertu que Sainte Élisabeth personni-
234 DEUXIÈME PARTIE

fiait. Deuxièmement, Liszt peut s’être identifié à elle à cause de son expulsion
de la Warburg. Ayant été expulsé de Thuringe, il se sentait comme elle, victime
des politiques locales.1
Les affinités avec son héroïne ont conduit le compositeur à lui recher-
cher une thématique appropriée.
Aussi le personnage de Sainte Élisabeth trouve-t-il son équivalent
musical dans l’oratorio de Liszt avec l’antienne Stella matutina issue d’un
antiphonaire. Le compositeur voulait en effet un thème qui traduise à la
fois l’aspect religieux de la sainte et ses origines hongroises. Rémy Stricker
apporte une précision amusante à ce sujet :
Le [motif le] plus important, qui joue le rôle de Leitmotiv du personnage
principal, est une antienne grégorienne de la fête de Sainte Élisabeth. Il [Liszt]
aurait été cruellement déçu de savoir qu’il s’était trompé de sainte et que celle-
ci était Élisabeth du Portugal.2
La confusion due à la similitude des prénoms est bien compréhensible,
même si elle aurait effectivement affecté le compositeur s’il s’était aperçu
de son erreur.

2. Le personnage de Saint François de Paule de Steinle


comparé au thème de Saint François dans l’œuvre de Liszt

Liszt n’a pas caché l’influence des arts visuels dans sa deuxième légende
pour piano. Il va jusqu’à décrire le dessin de Steinle avec précision dans
sa préface :
Saint François debout sur les flots agités ; ils le portent à son but, selon
l’ordre de la Foi, qui maîtrise l’ordre de la Nature. Son manteau est étendu
sous ses pieds ; il lève une de ses mains comme pour commander aux éléments ;
de l’autre, il tient un charbon ardent, symbole du feu intérieur qui embrase les
disciples de Jésus Christ ; et son regard est tranquillement fixé au Ciel où reluit
dans une gloire éternelle et immaculée la devise de Saint François, la parole
suprême « Charitas ! »3

1. Paul Munson, chapter 2 « Oratorio as a devotion : Die Legende von der heiligen
Elisabeth », The oratorios of Franz Liszt, p. 23-24 (Trad. par nos soins)
2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 312. Il ne donne pas sa
source.
3. Franz Liszt, extrait de la « préface » de la Légende n° 2 Saint François de Paule marchant
sur les flots.
Cinquième chapitre 235

Aussi, pour représenter musicalement le saint, le compositeur n’utilise


qu’un thème unique, dans sa seconde légende pour piano, à l’instar de
Steinle qui ne représente que Saint François de Paule :

>> Exemple n° 32 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 6-9

Selon Helga de La Motte Haber, ce thème lisztien se présente « comme


un Leitmotiv dans un registre inhabituellement grave, à l’unisson »1 Il tranche
en cela, avec la tessiture aiguë de la première légende : Saint François d’As-
sise, la Prédication aux Oiseaux. Fondé sur la répétition d’un motif récur-
rent, ce thème est décrit par Márta Grabócz comme une véritable « mélodie
continue ».2
Comme le remarque Pauline Pocknell3, Liszt fait ici abstraction des
autres personnages présents lors de la scène rapportée par les hagiographes.
En effet, saint François de Paule était suivi par deux compagnons – déjà
absents, d’ailleurs, dans le dessin de Steinle –, ce que Liszt n’ignorait pas,
puisqu’il cite un extrait de La Vie de saint François de Paule de Miscimarra
dans sa préface :
Arrivés en vue du phare de Messine, près de la plage de Cattona, saint
François de Paule et ses deux compagnons4 virent là une petite barque prête
à transporter en Sicile des douves de tonneaux. S’adressant au batelier, nommé
Pierre Coloso, Saint François lui dit : « Pour l’amour de Dieu, prenez-nous
sur votre barque et conduisez-nous à l’île. » Le batelier, ignorant la sainteté
de celui qui lui parlait, demanda le prix du passage. Sur la réponse qu’il

1. Helga de la Motte-Haber, Musik und bildende Kunst, p. 88 (Trad. par nos soins)
2. Márta Grabócz, Morphologie des Pièces pour piano de Liszt, p. 75.
3. Pauline Pocknell, « Author ! Author ! Liszt’s Prayer « An den heiligen Franziskus von
Paula » », p. 34.
4. C’est nous qui soulignons.
236 DEUXIÈME PARTIE

n’avait pas de quoi le payer, il lui signifia qu’il n’y aurait pas de barque
pour le conduire. Témoins de ce refus, quelques habitants d’Arena, qui avaient
accompagné Saint François de Paule, prièrent le batelier, d’embarquer ces
pauvres moines, en assurant que l’un d’eux était un saint. « Eh ! si c’est un
saint, répliqua durement Coloso, il n’a qu’à se promener sur les vagues et à
faire un miracle ! » Et il fit partir la barque en laissant les trois moines sur le
rivage. Sans se troubler de ce mauvais procédé, Saint François, fortifié inté-
rieurement de l’esprit divin qui l’assistait toujours, s’éloigna quelque peu de ses
compagnons, pour prier le Seigneur de le secourir en cette perplexité. Puis il
revint à eux, et leur dit : « Or sus, allègres mes enfants ! La grâce de Dieu nous
a préparé un magnifique navire pour notre passage… avec ce manteau ! » et
il l’étendit sur la mer. Fra Giovanni sourit naïvement et répliqua : « Prenons
plutôt mon manteau, il nous soutiendra mieux, car il est neuf et non rapiécé
comme le vôtre. » Quant à l’autre compagnon, Fra Paolo, homme prudent,
il crut de suite au miracle que le saint allait opérer. En effet, François de
Paule, après avoir béni son manteau, l’élève en guise de voile, se soutient
par son bâton qui sert de mât, se tient debout avec ses deux compagnons
sur ce prodigieux esquif, et navigue de la sorte1…Les habitants d’Arena,
sur le rivage, stupéfaits de la rapidité de ce trajet miraculeux, crient, pleurent,
battent des mains, comme aussi les bateliers de la barque de Coloso, et celui-ci
même, qui demande pardon au saint et le supplie de monter sur sa barque.2
Plusieurs éléments musicaux permettent à la fois l’identification du
personnage et celle de la scène.
Ainsi Liszt emploie-t-il une tournure pentatonique, qui symbolise
pour lui, la sainteté :

1. C’est nous qui soulignons.


2. Giuseppe Miscimarra, La Vie de saint François de Paule, cité par Franz Liszt, « préface »
de Saint François de Paule marchant sur les flots.
Cinquième chapitre 237

>> Exemple n° 33 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 1-5

En effet, Márta Grabócz précise :


Dans les œuvres relevant univoquement d’associations religieuses par leur
titre ou épigraphe, le motif pentatonique est lié le plus souvent à l’idée de « foi »
et de « bénédiction » et retentit aussi comme symbole de la piété ou du geste de
bénédiction.1
Elle fait d’ailleurs remarquer que, dans Saint François de Paule marchant
sur les Flots, il correspond à la « flamme de la foi », exprimée par Liszt lui-
même au sujet du dessin de Steinle.
Le thème porte la marque de la sainteté même de saint François, grâce
à l’emploi du pentatonisme. De plus, comme l’indique le titre, la marche
du saint est représentée musicalement. L’indication, « Andante maestoso »,
en dévoile le caractère noble, tandis que les noires accentuent sa régularité
dans le temps et l’espace. Márta Grabócz ajoute, également :
Les thèmes principaux des pièces Sursum corda, Invocation, Saint
François de Paule marchant sur les flots créent un symbole thématique à
l’aide des associations spatiales, visuelles et en partie d’associations de mouve-
ments. Dans toutes ces pièces, c’est la ligne de mélodie ascendante ou avançant
qui indique le geste et le mouvement – tandis que, en même temps, c’est la
texture de l’accompagnement avec ses harmonies et l’étendue de ses registres qui
offre « l’espace » pour un geste, un mouvement spatial plus vaste, à courbe plus
large de façon pour ainsi dire « cosmique » en son sens symbolique à l’aide du
transfert des associations de la sphère panthéiste.2
Il est, en effet, tout à fait probant que la marche du saint soit repré-
sentée dans le temps et dans l’espace. D’ailleurs, un autre élément doit être

1. Márta Grabócz, Morphologie des Pièces pour piano de Liszt. p. 41.


2. Márta Grabócz, ibid., p. 75.
238 DEUXIÈME PARTIE

pris en compte : la représentation musicale de l’eau. Le titre mentionne, à


ce propos, « les flots ». Miscimarra, cité par le compositeur dans sa préface,
précise à ce sujet :
Mais le Seigneur voulut manifester que pour glorifier son Saint Nom, [il]
avait soumis à notre Saint non seulement la terre et le feu, mais encore la
mer1, lui inspira de ne tenir nul compte de l’offre du batelier, et le fit arriver
au port bien avant la barque de Coloso.2
Liszt dépeint ces « flots » grâce à une agitation rythmique et au chro-
matisme de l’accompagnement du thème, dans le registre grave. Ce maté-
riau chromatique prend de plus en plus d’importance dans la pièce, pour
s’imposer finalement, juste avant le récitatif. Liszt symbolise souvent ainsi
les tempêtes, comme dans Mazeppa, la Vallée d’Obermann, ou encore l’im-
pressionnant Orage…
Ici, le chromatisme se caractérise par une double écriture : mélodique
aux mesures 127-130, puis harmonique, dans l’enchaînement des mesures
133 à 136. Il y a donc une véritable amplification de l’élément aquatique
au fur et à mesure de la pièce :

1. C’est nous qui surlignons.


2. Giuseppe Miscimarra, La Vie de saint François de Paule, cité par Franz Liszt, « préface »
de Saint François de Paule marchant sur les flots.
Cinquième chapitre 239

>> Exemple n° 34 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 127-134
240 DEUXIÈME PARTIE

De tels passages virtuoses1 ont suggéré à Walter Salmen que « … l’élan
ampoulé de la virtuosité arrogante et vaniteuse n’a pas été abandonné. »2 Il
nous semble évident que le musicologue allemand n’a pas compris l’im-
portance accordée par Liszt aux éléments naturels, et qu’il n’a pas apprécié
à sa juste valeur la représentation de l’image musicale de l’eau. Ce ne fut
pas le cas de Gustave Doré, le célèbre dessinateur et peintre, qui dédia à
Liszt un dessin représentant Saint François de Paule marchant sur les flots,
réalisé d’après la pièce pour piano du compositeur. La distorsion avec le
modèle initial de Steinle3 – très statique, où le saint personnage est repré-
senté au centre – est évidente : Gustave Doré montre la petitesse humaine
devant une nature aquatique déchaînée, à l’instar du compositeur. Dans
la musique de ce dernier, le saint ressort vainqueur de la violence des
éléments naturels puisqu’il recouvre sa marche initiale, dans la tonalité de
mi majeur, symbole du triomphe de la foi, dans la musique de Liszt.
Liszt a donc transcendé le rôle de la nature par rapport à Steinle, ce que
Gustave Doré a conservé dans sa représentation.
L’eau a d’ailleurs souvent été représentée, au xixe siècle, sous forme de
mouvements mélodiques chromatiques en valeur rythmiques rapides, dans
un tempo assez animé. Dans la musique de Liszt lui-même, les exemples
sont nombreux. Citons le Lied Im Rhein, im schönen Strome, d’après un
poème de Heine, dont il existe trois versions : la première, pour mezzo ou
baryton, dédiée à la Princesse Augusta, date des années 1840 et a été publiée
en 1843 à Berlin ; la seconde, pour ténor, est publiée en 1856, également
à Berlin. La dernière est une transcription pour piano, dont la publication,
à Berlin et Milan, date de 1844. Il est intéressant de comparer la version
qu’en a proposé Schumann à la même époque : 1840. Sa publication date
de 1844. C’est en effet le sixième des Dichterliebe. Schumann choisit la
première version de Heine, là ou le « schönen » [beau] ne remplace pas
encore le « heiligen » [sacré] sous la plume du poète. Le titre est donc : « Im

1. Certains musicologues n’hésitent pas à sortir des sentiers battus pour poser le problème
de la fidélité de l’interprétation, et donner des pistes de recherches originales. Citons, à
ce propos, l’article de Jacques Viret, « Les Variantes du Saint François de Paule de Liszt
et la liberté de l’interprète », p. 9-11. L’auteur s’appuie sur la comparaison de différentes
versions enregistrées de l’œuvre.
2. Walter Salmen, « Liszt und die bildende Kunst. Zu einigen programmatischen
Kompositionen », p. 76 (trad. par nos soins).
3. Nous tenons ici à remercier Madame Mária Eckhardt d’avoir attiré notre attention
sur la comparaison de ces deux œuvres d’art visuel.
Cinquième chapitre 241

Rhein, im heiligen Strome ». Schumann s’attache à l’atmosphère impo-


sante et majestueuse de la cathédrale de Cologne dépeinte par la quasi
omniprésence d’un rythme pointé dans un tempo assez lent :

>> Exemple n° 35 : R. Schumann, « Im Rhein, im heiligen Strome »,


Dichterliebe n° 6, mes.1-4

Liszt1, lui, s’attache plutôt à traduire le mouvement des eaux du Rhin


par l’emploi permanent de figures rythmiques en triolets de doubles
croches. L’introduction du Lied présente la formule redondante de l’ac-
compagnement qui fait résonner un chromatisme discret sur les quatre
premières croches :

>> Exemple n° 36 : F. Liszt, Im Rhein, im schönen Strome, éd. Dover,


mes.1-3

1. Voir Laurence Le Diagon-Jacquin, « L’image littéraire et musicale de la cathédrale


de Cologne d’après le poème Im Rhein, im schönen [heiligen] Strome de Heine, dans les
compositions de Liszt et Schumann », Art sacré n° 26 Images de la Cathédrale dans la
Littérature et dans l’Art : entre Imaginaire et Réalité, actes du colloque de Tours 5-7 octobre
2006, Tours, éd. Rencontre avec le Patrimoine religieux, 2008, p. 146-151.
242 DEUXIÈME PARTIE

L’effet n’est pas encore aussi abouti que dans la seconde Légende
pour piano, mais le chromatisme attaché à l’image de l’eau ne fait aucun
doute.
De nombreux compositeurs ont usé également du chromatisme pour
donner une image auditive de l’eau. Ainsi, le « Vœu pendant l’Orage »,
29e des Quarante Mélodies de Meyerbeer, offre un exemple très proche de
l’utilisation du chromatisme dans la seconde Légende pour piano de Liszt.
Pour conclure sur le thème lisztien de Saint François de Paule marchant
sur les Flots, nous conserverons le petit résumé de Márta Grabócz :
Le thème principal de la pièce Saint François de Paule marchant
sur les Flots incarne en même temps un symbole d’élan, de victoire, de foi
religieuse.1

II. Les « images »


Le beau est une représentation symbolique de l’infini ; car ainsi
devient en même temps clair comment l’infini peut apparaître dans le
fini. […] Comment l’infini peut-il être conduit à la surface, à l’ap-
parition ? Ce n’est que symboliquement, en images et signes. Schlegel.

A. Définition et application à la musique

1. Définition panofskyenne de « l’image »


Panofsky donne des précisions concernant les « images » dans l’analyse
iconographique :
Les images qui transmettent l’idée, non point de personnes ou d’objets
individuels et concrets (tels que saint Barthélemy, Vénus, Mrs. Jones ou le
château de Windsor) mais de notions abstraites et générales (telles que la Foi,
la Luxure, la Sagesse), sont appelées soit personnifications, soit symboles (non
au sens de Cassirer, mais selon l’acception courante ; par exemple la Croix, ou
la Tour de Chasteté)2

1. Márta Grabócz, Morphologie des Pièces pour piano de Liszt, p. 75.


2. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
note 1, p. 18.
Cinquième chapitre 243

Nous conserverons ici la notion de « symboles » et laisserons de côté


celle de « personnifications » tant elle nous semble rattachée à l’idée d’« allé-
gorie ». Nous expliciterons cette question plus loin.

2. Approche des « images » en tant que « symboles », opposées


aux « allégories » en général et chez Panofsky, en particulier

Le symbole est, pour Todorov, l’illustration la plus limpide de l’es-


thétique romantique, qu’il qualifie de « théorie sémiotique ». Selon lui, les
romantiques ont très bien défini l’opposition qui existe entre le symbole et
l’allégorie. En nous appuyant sur son ouvrage, Théories du Symbole, nous
expliciterons la différence entre le symbole et l’allégorie chez deux grands
écrivains allemands : Goethe et Schelling avant de donner notre propre
définition par rapport aux travaux de Panofsky.
Selon Goethe, l’allégorie est une représentation plutôt négative. Il
écrit :
Par ailleurs, il existe aussi des œuvres d’art qui brillent par la raison, l’es-
prit (Witz) et la galanterie. On peut y ajouter les œuvres allégoriques : de celles-
ci on ne peut attendre que peu de bien parce qu’elles aussi détruisent l’intérêt
pris à la représentation elle-même et amènent l’esprit (Geist) en quelque sorte
à se retirer en lui-même, enlevant à sa vision ce qui est réellement représenté.
L’allégorie et le symbole se distinguent par le fait que le deuxième désigne indi-
rectement, alors que la première désigne directement1.
Todorov rappelle l’historique de l’opposition entre le symbole et
l’allégorie :
Jusqu’en 1790, le mot symbole n’a pas du tout le sens qui sera le sien à
l’époque romantique : ou bien il est simple synonyme d’une série d’autres termes
plus usités (tels : allégorie, hiéroglyphe, chiffre, emblème, etc.) ou bien il désigne
de préférence le signe purement arbitraire et abstrait (les symboles mathémati-
ques). […] C’est Kant qui, dans la Critique de la faculté de Juger, renverse
cet usage et conduit le mot « symbole » tout près de son sens moderne. Loin de
caractériser la raison abstraite, le symbole est propre à la manière intuitive et
sensitive d’appréhender les choses.2
Or Goethe entretenait des rapports étroits avec Schiller ; et Schiller
lisait Kant. D’ailleurs, la correspondance entre Schiller et Goethe, qui

1. W. F. Goethe, « Les objets des arts plastiques », (1797) in Écrits sur l’Art, p. 95.
2. Tzvetan Todorov, Théories du Symbole, p. 236.
244 DEUXIÈME PARTIE

précède la rédaction de l’article « les objets des arts plastiques » de Goethe,


montre qu’il avait déjà une acception plus moderne du mot « symbole ».
C’est, d’ailleurs, lui qui met en évidence l’opposition entre « symbole »
et « allégorie ». Todorov rapproche tout d’abord les deux termes par
un caractère qu’il juge commun : ce sont tous les deux des « espèces de
signes. »1 Ensuite, seulement, il les différencie en expliquant que l’allégorie
est « transitive », à l’inverse du symbole « intransitif ». En fait, l’allégorie
transmet une idée, une signification, et ce, de manière directe. Le symbole,
lui, existe en lui-même avant de donner un sens. Pour schématiser, l’al-
légorie est la représentation d’une idée au premier degré, tandis que le
symbole accède à l’idée, au second degré, après avoir existé en lui-même.
Todorov résume clairement la situation :
le symbole représente et (éventuellement) désigne ; l’allégorie désigne mais
ne représente plus.2
Une troisième différence est relevée par Todorov. Elle se rapporte à
la relation signifiante. Au sujet du symbole, elle opère du particulier au
général. À partir d’un exemple, on retrouve une loi plus générale dont
l’exemple est l’émanation.
Par ailleurs, l’allégorie existe principalement par la signification qu’elle
induit. Elle n’engendre pas de surprise intellectuelle. Cet élément la
distingue d’ailleurs de l’emblème. La signification qu’elle implique, néces-
site un apprentissage. En revanche, celle qui appartient au registre symbo-
lique découle d’un effet, qui, lui, résulte davantage de la spontanéité que
de l’intellect.
Goethe préfère d’ailleurs le symbole à l’allégorie, car l’aspect laconique
du premier s’oppose au développement interprétatif de la seconde.
Todorov rapporte qu’à partir d’une comparaison entre Schiller et lui-
même, Goethe donne – plus tardivement – également un autre élément de
différentiation entre l’allégorie et le symbole : la première cherche le parti-
culier dans le général, tandis que le symbole inverse le sens de la recherche.
Todorov précise l’idée de Goethe, selon laquelle la principale différence
entre l’allégorie et le symbole dans la création même de l’œuvre, réside
dans le fait de partir du général ou du particulier. Il en va de même pour
la réception, donc pour la perception. Et plus précisément, dans ce cas, il
faut saisir le rôle de l’image : dans l’allégorie, elle est transitoire vers l’idée

1. Tzvetan Todorov, id., p. 237.


2. Tzvetan Todorov, ibid., p. 238.
Cinquième chapitre 245

qu’elle illustre, tandis que dans le symbole, elle peut, dans un premier
temps se suffire à elle-même. Ce n’est que dans un second temps que l’on
comprend que ce même objet a une autre signification.
Dans une dernière maxime citée par Todorov, Goethe affine sa posi-
tion : le contenu du symbole et celui de l’allégorie sont différents. Le
premier est défini par l’idée et le second par le concept. Cela entraîne une
autre spécificité : l’allégorie relève du dicible, et le symbole de l’indicible.
De ce fait, le contenu de l’allégorie est fini, tandis que celui du symbole est
ouvert. Todorov va même jusqu’à dire que :
…le sens est achevé, terminé, et donc en quelque sorte mort dans l’allégorie ;
il est actif et vivant dans le symbole. Ici encore, la différence entre symbole et
allégorie est fixée avant tout par le travail que l’un et l’autre imposent à l’es-
prit du récepteur, même si ces différences d’attitude sont déterminées par des
propriétés de l’œuvre mêmes (que Goethe passe cette fois sous silence).1
Todorov voit dans toutes ces différences une définition « romantique »
du symbole et de l’allégorie.
Un autre penseur apparaît important dans la recherche de définition
du symbole et de l’allégorie. Il s’agit de Schelling.
Dans Philosophie de l’art, Schelling oppose la notion de symbole à
celle d’allégorie. Il réunit en quelque sorte les deux oppositions : celle de
Kant, entre schématique (désignation directe) et symbolique (désignation
indirecte), ainsi que celle de Goethe, entre allégorie et symbolique, et il
obtient une série à trois termes. Cependant, ses définitions relèvent plus
de la logique que les précédentes car l’auteur combine ici les notions de
« général » et de « particulier » :
Cette représentation dans laquelle le général signifie le particulier,
ou dans laquelle le particulier est appréhendé à travers le général, est le
schématique. Cette représentation cependant dans laquelle le particulier
signifie le général, ou dans laquelle le général est appréhendé à travers le
particulier, est allégorique. La synthèse de ces deux éléments, où le général
ne signifie pas le particulier, ni le particulier le général, mais où les deux
sont absolument un, est le symbolique.
Le « schématique » est donc devenu la désignation du particulier par
le général. Schelling prend ici l’exemple d’un artisan qui fabrique un objet
d’après un dessin ou une idée. Il réalise le même rapport entre le « général »
et le « particulier ».

1. Tzvetan Todorov, ibid., p. 243.


246 DEUXIÈME PARTIE

Inversement, pour le philosophe allemand, l’allégorie est la désignation


du général par le particulier. Ainsi, il se rapproche plutôt de la définition
classique de l’allégorie. Le symbole, lui, se caractérise par la fusion de ces
deux contraires que sont le général et le particulier :
Est symbolique une image dont l’objet ne signifie pas seulement l’idée, mais
est cette idée même. […] Ainsi, Marie-Madeleine ne signifie pas seulement le
repentir, mais est le repentir vivant même.1
Ajoutons que, si Marie-Madeleine « signifiait » le repentir sans l’in-
carner, elle en serait l’allégorie et non le symbole. Cet élément de défini-
tion nous semble important pour différencier les deux notions.
Nous pouvons donc constater la difficulté à définir la notion de symbole
et celle d’allégorie. Panofsky lui-même la contourne en les amalgamant :
Ainsi les allégories (par opposition aux histoires) peuvent être définies
comme des assemblages de personnifications et/ou symboles.2
Nous conserverons donc de la partie de la définition de Schelling pour
les symboles, la fusion du signifiant et du signifié. De la définition moderne
de Guy de Tervarent, nous garderons l’idée suivante :
Le symbole est la représentation d’une chose par une autre, le plus souvent
d’une entité immatérielle par une figure empruntée au monde physique : la
Fidélité par un chien 3
Nous privilégierons non pas l’être humain, mais l’objet, entité maté-
rielle. Aussi laisserons-nous de côté la fin de son explication, c’est-à-dire le
dernier exemple :
la Justice par une femme tenant un glaive et une balance.4
En effet, dans ce cas, la femme est une personnification d’une idée,
d’un concept : la « Justice », ce qui l’apparente davantage à une allégorie
qu’à un symbole.

1. Schelling, « Philosophie de l’Art », Sämmtliche Werke, p. 554-555 cité par Tzvetan


Todorov, Théories du Symbole, p. 245-246 [traduction de Todorov]
2. Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
p. 18, n° 1.
3. Guy de Tervarent, « Avertissement », Attributs et Symboles dans l’art profane, p. 7.
4. Guy de Tervarent, id., p. 7.
Cinquième chapitre 247

3. Application à la musique et point de vue de Liszt

a. Application à la musique

Bien sûr, dans le domaine musical, l’« image » dans le sens où l’em-


ploie Panofsky, ou le « symbole », n’est pas matériellement, empirique-
ment représenté. Assurément, le choix d’un thème ou d’un motif est en
lui-même signifiant, symbolique, surtout dans la musique à programme.
Mais dans le cas qui nous préoccupe, la comparaison entre les arts visuels
et la musique, seules seront retenues les références musicales qui renvoient
à des objets porteurs d’idées symboliques. Ces derniers éléments sont repré-
sentés visuellement dans le tableau. Des citations, des emprunts, ainsi que
des thèmes originaux pourront entrer dans ce cas de figure.
Par ailleurs, il faut mentionner le cas des instruments à connotation
symbolique. Citons par exemple l’emploi des deux harpes dans Orpheus.
Serge Gut confirme :
Pour symboliser la lyre du mage grec et son pouvoir envoûtant, Liszt utilise
dans son orchestration – ce qui est très inhabituel à l’époque – deux harpes qui
occupent une place importante presque tout au long de la partition.1
Liszt donne donc une image sonore d’un instrument de musique, lui-
même, d’ailleurs, symbolique puisqu’il incarne l’idée de la musique.

b. Point de vue de Liszt

Nous tenons ici à attirer l’attention sur le fait que Liszt était très
sensible à la signification profonde, aux symboles présents dans les œuvres,
voire dans les objets. Si l’étude de notre premier chapitre consacrée à la
Sainte Cécile de Raphaël est un exemple très probant, nous proposons ici
un autre texte écrit de la main de Liszt, qui montre combien cette idée
est importante pour lui. Il s’agit de l’épisode, très célèbre, de la remise du
« sabre d’honneur », le 4 janvier 1840, par ses compatriotes. Liszt donne,
en effet, ce soir-là dans le vieux théâtre national, en Hongrie, un récital,
à la fin duquel il reçoit le fameux présent de la part d’un petit groupe de
nobles hongrois, qui veulent le remercier de sa générosité lors du déluge

1. Serge Gut, « La Notion d’Art rédempteur dans Orpheus de Franz Liszt », Musiques
d’Orphée, p. 120.
248 DEUXIÈME PARTIE

qui s’abattit sur la Hongrie en 1838. Éminemment ému, il les remercie en


improvisant le discours suivant :
Mes chers compatriotes ! (car ici, il ne m’est guère possible de voir seulement
un public), le sabre qui m’est offert par les représentants d’une nation dont la
bravoure et la chevalerie sont si universellement admirées, je le garderai toute
ma vie, comme la chose la plus précieuse, la plus chère à mon cœur.
Vous exprimer par des paroles, en ce moment où la plus forte émotion
oppresse ma poitrine, combien je suis profondément touché et reconnaissant
de ce témoignage de votre estime, je ne le puis, en vérité. Pardonnez-moi donc
mon silence sur ce point, et croyez que je ferai tous mes efforts pour prouver ma
gratitude par des œuvres et des actes, ainsi qu’il convient à un homme qui se
glorifie d’être né parmi vous !
Qu’il me soit pourtant permis de dire quelques mots dès aujourd’hui.
Ce sabre, qui a été si vigoureusement brandi autrefois pour la défense
de notre patrie1, est remis à cette heure entre des mains faibles et pacifiques.
N’est-ce pas là un symbole ? N’est-ce pas dire, Messieurs, que la Hongrie, après
s’être couverte de gloire sur tant de champs de batailles, demande à cette heure
aux arts, aux lettres, aux sciences, amis de la paix, de nouvelles illustrations ?
N’est-ce pas dire que les hommes d’intelligence ont aujourd’hui aussi une noble
tâche, une haute mission à remplir au milieu de vous ?
La Hongrie, Messieurs, ne doit rester étrangère à aucune gloire, elle est
destinée à marcher à la tête des nations par son héroïsme comme par son génie
pacifique.
Et pour nous, artistes, ce sabre est aussi une noble image, un éclatant
symbole.
Des pierreries, des rubis, des diamants ornent le fourreau, mais ce ne sont
là que des accessoires, de brillantes futilités.
La lame est au fond. Qu’ainsi il y ait toujours dans nos œuvres sous les
mille formes capricieuses dont se revêt notre pensée, comme la lame dans ce
fourreau, l’amour de l’humanité et de la patrie, qui est notre vie même.
Oui, Messieurs, poursuivons par tous les moyens légitimes et pacifiques
l’œuvre à laquelle nous devons tous concourir, chacun selon ses forces et ses
moyens.
Et si jamais l’on osait injustement, violemment, nous troubler dans l’ac-
complissement de cette œuvre, que nos sabres sortent encore du fourreau, que

1. Alan Walker fait remarquer que Liszt commet ici une erreur. Voir note suivante pour
les références.
Cinquième chapitre 249

notre sang soit versé jusqu’à la dernière goutte pour notre liberté, le roi, et la
patrie !1
Il est clair que, pour Liszt, le sabre, si magnifique qu’il soit, repré-
sente avant tout un « symbole », une « image » selon ses propres mots, du
combat pacifiste d’un artiste au service de son pays. C’est justement le fait
d’être reconnu « artiste » et « hongrois », par des Hongrois, qui a causé tant
d’émotion au jeune Franz, et non les pierres précieuses incrustées !
Les critiques et caricaturistes de l’époque se sont acharnés sur Liszt
et les Hongrois, sans véritablement comprendre le sens de ce présent.2
En effet, nombre de dessins moqueurs, aux légendes assassines, abondent.
Comme la lithographie de Lorentz, la première légende en français, qui
aggrave le ton ironique du dessin, en est un exemple éloquent :
Entre tous les guerriers Liszt est seul sans reproches (sic)
Car malgré son grand sabre on sait que ce héros
N’a vaincu que des double-croches (sic)
Et tué que des pianos.3
Si la tournure humoristique peut prêter à sourire, il n’en reste pas
moins vrai que le fond est pathétique : le commentateur s’attache non pas
à la signification symbolique de ce moment privilégié, mais uniquement
à la fonction matérielle de l’objet. Le fait que son pays, reconnaissant, ait
honoré Liszt en lui offrant un sabre, échappe complètement au parti-pris
de ce commentateur. En d’autres termes, ce dernier s’arrête au « premier
niveau de signification » selon Panofsky, alors que Liszt est indubitable-
ment touché par le deuxième.
Les exemples de ce type abondent dans sa correspondance et ses écrits,
mais cet épisode nous a semblé être le plus clair.

B. Un exemple caractéristique : la Croix/Le Crux fidelis


Avec l’utilisation du Crux fidelis, nous sommes ici dans le cas de ce que
nous pourrions appeler une « citation à fonction symbolique ». En effet,

1. Franz Liszt, cité par Franz Ritter von Schober, Briefe über F. Liszts Aufenhalt in Ungarn
Berlin, 1843, cité par Alan Walker, Franz Liszt, vol.1, p. 339-340
2. Voir la Caricature de Franz Liszt. Gravure sur acier, vers 1842, éditions Otto, à Burg ;
variante allemande d’une lithographie de Lorentz, publiée le 8 juillet 1842 dans la revue
parisienne le « Miroir drolatique », par exemple dans l’ouvrage d’Ernst Burger, Franz
Liszt, p. 146.
3. idem, Ibidem.
250 DEUXIÈME PARTIE

le compositeur utilise un thème qui renvoie à l’image visuelle de la Croix,


symbole de la foi.
Liszt utilise à plusieurs reprises de manière plus ou moins explicite
ce Crux Fidelis dans ses œuvres. Le Crux fidelis est en fait l’antienne de
l’hymne Pange lingua.1 Il « se chante habituellement le Vendredi Saint lors
de la troisième partie de la fonction liturgique de l’après-midi, c’est-à-dire lors
de l’adoration de la croix. » 2
Voici les paroles latines du Pange lingua :
Crux Fidelis inter omnes
Arbor ùna nòbilis :
Nùlla Sìlva tàlem pròfert,
Frònde, flòre, gèrmine
Dùlce lìgnum, dùlces clàvos,
Dùlce pòndus sùstinet.
Et leur traduction en français :
Ô Croix qui ne trompe jamais
Arbre unique, noble entre tous
Nulle forêt n’en produit de semblables
Par son feuillage, ses fleurs, ses fruits,
Ô bois aimé, clous bénis
Quel doux fardeau vous portez3
Le texte et la musique de Crux fidelis sont très anciens et très symbo-
liques. En effet, c’est vers 530-600 que l’évêque Venantius Fortunatus
composa ce refrain de l’hymne « Pange lingua gloriosi, lauream certa-
minis ». La mélodie s’est alors propagée pendant tout le Moyen-Âge, tandis
que le Crux fidelis a été maintes fois mis en musique comme antienne,
indépendamment du reste de l’œuvre.
Anne Bongrain donne de précieuses indications sur l’historique
de cette mélodie grégorienne, et sur l’utilisation qu’en fait Liszt dans la
Hunnenschlacht : le compositeur conserve en effet l’aspect mélodique,
ainsi que la découpe en périodes, et se rapproche du rythme de manière

1. Voir le Pange Lingua dans le Paroissien Romain, éd. par les Bénédictins de Solesmes,
p. 742.
2. Anne Bongrain, op. cit., p. 124
3. Traduction des Moines Bénédictins d’Hautecombe, in Quinzaine Pascale, Paris, p. 974,
cité par Anne Bongrain, id., p. 124 (n. 149)
Cinquième chapitre 251

assez fidèle. L’aspect « harmonique est, lui, un ajout typique de l’esprit du


xixe siècle. »1
Il reste cependant tout le mystère concernant les sources dans lesquelles
Liszt aurait puisé son inspiration concernant le Crux fidelis, comme le
montre Cornelia Knotik :
La source de Liszt pour la mélodie est incertaine. Son biographe Peter
Raabe cite l’Enchiridion chorale de Yohann Georg Mettenleiter, Regensburg
1853, et se réfère à la thèse fondée par Heinrich Sambeth : Franz Liszt et les
mélodies grégoriennes dans ses œuvres, Münster 1923. Celui-ci écrit toute-
fois qu’il doit au chef de musique Raabe le renvoi à Mettenleiter, mais qu’il ne
peut pas répondre clairement à la question de la source. Il se demande même si
ce n’est pas plutôt la connaissance du livre de Joseph d’Ortigue Dictionnaire
liturgique, historique et théorique du plainchant, Paris 1853, comme
l’évoque Liszt, qui aurait servi de point de départ.2
Les hypothèses n’ont d’ailleurs pas encore été confirmées à ce jour.

1. La Hunnenschlacht

Liszt expose clairement les raisons de son choix musical dans la préface
de la Hunnenschlacht ainsi que l’origine de la phrase de choral, l’antienne
grégorienne Crux fidelis :
L’autre (motif)3 porte en lui les forces sereines, les vertus irradiantes de
l’idée chrétienne. Cette idée n’est-elle pas comme incarnée dans l’antique chant
grégorien : Crux fidelis ? 4
Liszt précise davantage son programme dans une lettre adressée à
Louis-Léon Gozlan le 27 janvier 1870, récemment traduite et publiée :
…puisque vous pénétrez dans l’intimité de mes œuvres que vous dépei-
gnez merveilleusement, en Musicien – poète, permettez-moi de vous faire la
confidence de mon programme de la Hunnenschlacht. À mon sens, la pensée
essentielle du tableau de Kaulbach, se symbolise en deux lumières : celle de la
région des fantômes où les Huns combattent à la lueur de la torche d’Attila,

1. Anne Bongrain, id., p. 125.


2. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 22.
3. Liszt parle ici du Crux Fidelis.
4. Voir le programme de Liszt.
252 DEUXIÈME PARTIE

et la Lumière ineffable, mystique, grandissant en vainqueresse immortelle, et


immanente de la Croix, – « Mundi valus et gloria » !1
Le compositeur se montre très sensible aux différentes fonctions
symboliques des sources de lumière : les Huns, personnages brutaux et
impies portent une torche à la lumière artificielle, tandis que les Chrétiens
brandissent la Croix de laquelle émane une lumière surnaturelle. Il ne tient
compte, dans l’explication de son programme, que des sources de lumière
porteuses de signification et laisse de côté la description de la lumière natu-
relle du jour.
Cornelia Knotik expose comment Liszt a musicalement traduit cette
différenciation entre les deux lumières, donc entre les camps ennemis :
Le Crux fidelis est adopté de l’extérieur pour la Hunnenschlacht, et il est,
par conséquent, étranger aux autres motifs. Ainsi se constitue une opposition
lors de l’apparition du thème du chant grégorien qui est propre à provoquer un
effet de choc chez l’auditeur. Ensuite, le motif est toutefois complètement intégré
dans l’événement de composition, par l’union étroite avec le « cri de guerre »,
par la domination sur les sphères ennemies. En outre, il est, par sa substance
extrêmement différente, mis en opposition absolue avec le « cri de guerre ». Un
deuxième moyen de formation est la relation du motif avec l’orgue, un instru-
ment étranger à l’orchestre, qui a même fait une impression insolite sur Eduard
Hanslick, même s’il ne pouvait ou ne voulait pas voir les rapports plus précis et
même s’il supposait une pure recherche de l’effet derrière l’entrée de l’orgue.2
En effet, ce motif est facilement reconnaissable au superius du « choral »,
mes. 98. Il réapparaît sous la même forme mes. 127 et avec un renforce-
ment de l’orchestre mes. 247. Mais c’est surtout mes. 271 qu’il prend
toute sa signification : Liszt indique scrupuleusement les paroles latines
attachées à l’antienne grégorienne originelle. C’est en effet le moment où
il cite, à l’orgue, instrument symboliquement très marqué, le Crux fidelis
(Voir l’exemple 37). En effet, cet instrument se rattache à l’Église et au
culte. Aussi n’est-il pas innocent de la part du compositeur de lui avoir
confié l’antienne. De plus, l’indication « P dolce religioso » dans un tempo

1. Franz Liszt, « Lettre à Louis-Léon Gozlan du 27 janvier 1870 de la Villa d’Este »,


manuscrit autographe, US-NY pm, traduit par Damien Ehrhardt, dans « La réception de
l’œuvre symphonique de Liszt en France (1866-1886) », Ostinato Rigore, p. 216-217.
2. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 31 (trad. par nos soins)
Cinquième chapitre 253

Lento, va également dans ce sens. Il est intéressant de remarquer que Liszt


a inclus la possibilité de bois quand l’harmonium est absent :
Les bois se taisent quand le choral est joué à l’harmonium.1
Cette remarque est importante dans la mesure où elle donne une indi-
cation supplémentaire sur le timbre de l’orgue. En effet, les jeux choisis
doivent être proches de l’ensemble de bois choisis par Liszt pour son
« remplacement », donc hautbois, clarinettes, bassons. Le timbre est en
effet plus approprié que celui des cuivres, par exemple, pour donner une
atmosphère céleste, dolce religioso. De plus, le fait que Liszt emploie une
écriture de « choral », terme qu’il utilise dès sa première citation du Crux
fidelis, n’est pas non plus un geste compositionnel innocent. Il fait vrai-
ment converger toutes les composantes de son poème symphonique afin
de bien faire comprendre l’idée de divin, qui correspond à la Croix dans
le tableau.

1. « Die Holzbläser tacent, wenn der Choral von dem Harmonium ausgeführt (wird) ».
Voir partition de la Hunnenschlacht, p. 66. Traduction par nos soins.
254 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 37 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 271-272

Notons que Liszt redonne ce motif à plusieurs reprises : mes. 284, 296
puis dans un tempo allegro mesure 353 avant de le faire retentir au tutti,
mes. 422. Il termine son œuvre sur le Crux fidelis redonné une dernière
fois mes. 463.
Au sujet de la présence du texte du Crux fidelis, Anne Bongrain explique
que « cette indication supplémentaire prouve l’intérêt particulier qu’il [Liszt]
porte à ces paroles ; celle-ci étant axées sur la Croix, elles témoignent de la réfé-
rence directe du choral à la croix que Kaulbach a représentée dans son tableau
et sur laquelle il a concentré le message spirituel qu’il a voulu faire passer. Liszt,
très sensible lui-même à ce message, l’a décrit dans sa préface […] et, convaincu
de l’efficacité du symbole pictural choisi, en a proposé une transposition musi-
cale la plus claire possible. »1

1. Anne Bongrain, les Poèmes symphoniques de Liszt, p. 125.


Cinquième chapitre 255

Liszt justifie d’ailleurs son choix, aussi bien dans la préface de l’œuvre,
que dans une lettre à l’épouse de Kaulbach dans laquelle il écrit :
Peut-être y aura-t-il plus tard une occasion, à Munich ou à Weimar, pour
laquelle je pourrai interpréter l’œuvre devant vous avec un orchestre complet,
et que je pourrai donner une voix à la lumière météorique et solaire que j’ai
empruntée à la peinture, et que j’ai dans le Finale transformé en un tout par la
construction graduelle du choral catholique Crux fidelis et avec lequel l’étin-
celle météorique se confond. Comme je l’ai déjà dit à Kaulbach à Munich,
j’ai été guidé par les exigences musicales du matériau pour donner proportion-
nellement plus de place à la lumière solaire de la Chrétienté, incarnée par le
choral catholique Crux fidelis que dans la peinture glorieuse, afin de, par là
même, gagner et de représenter pleinement la conclusion de la Victoire de la
Croix, dont je ne peux, aussi bien comme Catholique que comme Homme, me
dispenser.
Veuillez excuser ce commentaire quelque peu obscur des deux faisceaux de
lumière opposés dans lesquels les Huns et la Croix se meuvent. L’interprétation
rendra la chose lumineuse et claire, et si Kaulbach trouve quelque chose qui
l’amuse en cela dans ce reflet quelque peu hasardeux de son imagination, je
serai royalement enchanté.1
Notons que, dans une lettre du 26 juin 81 de Weimar donc une tren-
taine d’années après la composition de la Hunnenschlacht, Liszt se remé-
more l’épisode du Crux fidelis :
Revenu à Weymar le soir du 1er juin, j’y ai trouvé vos 2 dernières lettres,
et le commentaire de la Hunnenschlacht – reconnaissants et tendres remercie-
ments ! J’aurais voulu savoir mieux faire musicalement – pour adorer la Croix
fidèle, notre espoir et salut !2
Le message est donc clair, même si le compositeur semble un peu déçu
du résultat obtenu.
Laissons à Anne Bongrain le soin de donner une conclusion esthétique
éclairante sur l’utilisation du choral dans la Hunnenschlacht ainsi que sur
les rapports entre la musique et le programme qu’elle illustre :
Il est certain que, pour qui reconnaît la citation, la signification du choral
rejoint la précision de son titre Crux fidelis. Quant à celui qui, ignorant les

1. La Mara, (herausgegeben von) Franz Liszts Briefe, Bd. 1, p. 281 Lettre de Liszt à Frau
von Kaulbach, lettre 183, Weymar, 1. Mai 1857.
2. La Mara, (herausgegeben von) Franz Liszts Briefe an die Fürstin Carolyne Sayn-
Wittgenstein, Vierter Theil, lettre 322 datée du 26 juin 1881, Weymar, p. 320.
256 DEUXIÈME PARTIE

paroles du chant grégorien, fera perdre au choral l’avantage de sa qualité de


citation, il ne sera que peu lésé, n’ayant aucune difficulté à établir un lien
entre des éléments musicaux très significatifs tels que le choral et l’orgue qui
sont, l’un sur le plan de la forme et l’autre sur celui de l’instrument, le symbole
par excellence de l’idée de religion, et le seul élément religieux du tableau de
Kaulbach, à savoir la croix.
Dans le poème symphonique Hunnenschlacht, le procédé de citation
ne modifie pas, mais seulement conforte, en le précisant, le lien musique-
programme que la musique seule avait déjà dévoilée.1
Comme le résume très bien Cornelia Knotik, « l’utilisation du chant
grégorien influence considérablement la réussite esthétique de l’œuvre et ce,
incontestablement. »2 Effectivement, la présence du Crux fidelis dans
ce poème symphonique, apporte une couleur et une signification
particulières.3

2. La Légende de Sainte Élisabeth

Liszt écrit au sujet de l’intonation sol-la-do dans la « postface » de la


Légende :
Le compositeur de cette œuvre (La Légende de Sainte Élisabeth) a
plusieurs fois utilisé cette séquence sonore – entre autres dans la Fugue du
Gloria (« cum sancto spiritu ») de la Messe du Gran ; dans le chœur final de
la Dante Symphonie et dans le poème symphonique La bataille des Huns.
Elle forme, dans la Légende de Sainte Élisabeth, comme symbole sonore de
la croix, le motif principal du chœur des croisés (n° 3a) et de la Marche des
croisés (n°3d).4
C’est donc un emprunt de Liszt, « pris à un fonds commun et doté par
lui d’un sens, à la fois universel et personnel »5 et ce sens, c’est, bien entendu,
celui de la Croix, du divin.
En effet, le Crux fidelis, « symbole de la croix », apparaît pour la première
fois après le « miracle des roses », dans la section ii, quand Ludwig découvre

1. Anne Bongrain, op. cit., p. 125.


2. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 22.
3. Voir à ce sujet, notre analyse du contenu dans la Hunnenschlacht.
4. Franz Liszt, « Postface » de la partition la Légende de Sainte Élisabeth.
5. Rémi Stricker, Franz Liszt ou les Ténèbres de la Gloire, p. 163.
Cinquième chapitre 257

lui-même le « miracle ». L’antienne retentit aux bassons, trombones et


violoncelles puis aux cors :

>> Exemple n° 38 : F. Liszt, Crux fidelis, après le miracle des roses,
section II, mes. 345-350

De même, à quelques mesures de là, cette mélodie revient lorsqu’Éli-


sabeth et le chœur s’adressent au Seigneur, en disant : « Ihm, der uns diese
Segen gab, ihm laßt uns danken ».1

1. « Oui, tu nous regardes de là-haut, O Dieu de lumière ! » (traduction : partition)


258 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 39 : F. Liszt, profil du Crux fidelis après le miracle des
roses, section ii, mes. 401-404 (p. 115 de la partition)

Seulement cette fois, le motif est transformé d’un point de vue inter-
vallique. Liszt n’en conserve que le profil qui est répété en marche descen-
dante sur pédale de dominante en si bémol majeur. La même présentation
revient à partir de la mesure 410 lorsqu’Élisabeth parle de « O Du, der
Rose, blühendes Bild »1 mais la marche mélodique descendante se fait sur
une dominante de do majeur.

1. « Des saintes roses, c’est l’humble sœur » (traduction : partition).


Cinquième chapitre 259

Puis le Crux fidelis revient plus longuement lors de l’intervention des


chevaliers de la croix, dans la section iii. Cette partie, rappelons-le, est inti-
tulée « Die Kreuzritter ».1
Dès le début de la partie instrumentale initiale de cette section, le
Crux fidelis s’affirme en si bémol majeur, aux cuivres, accompagnés par des
tremoli aux cordes graves et aux timbales, avec une pédale aux cors, dans
un caractère martial « impetuoso » et dans un tempo « allegro » (mes. 1-9).
Ce caractère martial est encore plus affirmé par la suite grâce à l’inclusion
du rythme pointé :

1. « Les Chevaliers de la Croix ».


260 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 40 : F. Liszt, Présentation du Crux fidelis, au début de la


section III, mes. 10-14

C’est sur ce rythme pointé que sera fondée l’entrée du chœur des
chevaliers de la Croix. Il accompagnera encore le début de la phrase en si
bémol majeur, pour arriver enfin sur une dominante de sol mineur afin de
conserver ce caractère, quelques mesures plus tard, lorsqu’ils déclameront :
« Ins heilige Land, Ins Palmenland, wo des Erlösers Kreuz einst stand, »1

1. « Aux bords sacrés, où le Sauveur mourut en Croix pour notre erreur. » (traduction :
partition).
Cinquième chapitre 261

>> Exemple n° 41 : F. Liszt, Entrée du chœur des chevaliers de la Croix,


mes. 18-29

Le registre épique, qui affirme la puissance des chevaliers défendant la


Croix, se retrouve sous la même forme rythmique lors de la « marche des
Croisés »1, à partir de la mesure 575, toujours en si bémol majeur et se voit
conforté par l’indication « risoluto » dans un tempo allegro :

1. Toujours dans la seconde section.


262 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 42 : F. Liszt, début de la « Marche des Croisés », mes.


575-577

Ce motif reviendra tout au long de cette partie, toujours doté d’un


rythme pointé, même si d’autres thèmes ou motifs feront également leur
apparition. C’est lui, quoi qu’il en soit, qui terminera la section ii d’une
manière triomphante. Dans celle-ci, le Crux fidelis reviendra donc souvent
sous cette forme pointée, ou avec un accompagnement en rythme pointé.
Cependant, on peut remarquer l’absence de cette caractéristique lorsque le
chœur proclame : « Gott will es ! », mesure 137 :
Cinquième chapitre 263

>> Exemple n° 43 : F. Liszt, « Gott will es », mes. 137-139

Ce passage, développement sur le Crux fidelis, est fondé sur un mode


pentatonique qui lui donne un caractère archaïque.
Il faut attendre la section vi pour entendre le Crux fidelis retentir
encore, une dernière fois, les Croisés entonnant une prière dans la nuance
piano :
264 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 44 : F. Liszt, Prière du chœur des Croisés, mes. 457-475

Elle résume à elle seule l’utilisation du motif de la Croix dans l’œuvre :


« Der du, im heiligen Lande verströmt dein Heldenleben… » 1 En effet, le
Crux fidelis symbolise ce qui est « saint », donc la mission des Croisés, et le
personnage d’Élisabeth.

1. « Toi qui tombas sans crainte pour notre cause sainte » (traduction : partition).
Cinquième chapitre 265

Frank Reinisch donne des éléments intéressants au sujet de la parenté


entre les motifs :
L’organisation des motifs va de pair avec le centrage de l’action sur le
personnage-titre dans Sainte Élisabeth. Déjà les cinq motifs principaux que
Liszt joint dans une explication détaillée de la partition imprimée sont étroi-
tement apparentés. Au premier regard, des lignes mélodiques, qui évitent tout
grand saut d’intervalle, frappent.1
En effet, pour varier leurs sens ou pour renforcer l’idée qu’ils illustrent,
Liszt mélange parfois mélodiquement plusieurs thèmes ou motifs.
Ainsi, à la fin du « miracle des roses », il juxtapose, aux violoncelles, le
motif de la croix et le Leitmotiv d’Élisabeth :

>> Exemple n° 45 : F. Liszt, Combinaison du motif de la croix et


d’éléments du Leitmotiv d’Élisabeth, mes. 369 à 374 à
la fin du « miracle des roses »

Il veut, par là, mettre en lumière la relation privilégiée entre le divin


– symbolisé par le motif de la croix – et Élisabeth, témoin d’un miracle.
Plus loin, après le duo entre Ludwig et son épouse, la même combinaison
revient sous une forme différente :

1. Frank Reinisch, « Liszts Oratorium, Die Legende von der Heiligen Elisabeth-ein
Gegenentwurf zu Tannhäuser und Lohengrin », in Liszt Studien 3, p. 135.
266 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 46 : F. Liszt, Présence du motif de la croix et d’éléments


du Leitmotiv d’Élisabeth, mes. 410 à 412, p. 117

Liszt joue sur deux tableaux : d’une part, il utilise dans la partie de
soprano, le motif A2, extrait du Leitmotiv d’Elisabeth, facilement recon-
naissable grâce à sa broderie caractéristique ; il la transforme à la mesure
412, offrant ainsi les trois premières notes du Crux fidelis. D’autre part, il
superpose la partie d’Elisabeth à celle des sopranos. La ligne mélodique
de la Sainte, doublée par les premiers violons et les premiers hautbois,
offre une parenté à la fois avec A2, qu’elle n’énonce pas explicitement
Cinquième chapitre 267

mais dont elle garde la broderie1 et avec le Crux fidelis dont elle conserve
le profil ascendant sur les trois premières notes. Les intervalles exacts n’in-
terviennent qu’à la mesure 412. L’ensemble est fondé sur une pédale de
dominante en do majeur.
L’auditeur conserve une couleur de A2 dans ces trois mesures, car la
broderie est le fondement de cette partie de la composition musicale : ré,
mi, ré, puis do, ré, do, et enfin, si, do, si.
Mais le choix d’éléments mélodiques aussi proches peut contribuer à
affaiblir l’œuvre, comme le discute violemment Rémi Stricker :
L’important n’est pas, de nouveau, la valeur historique de ce matériau de
base, mais ce qu’en imaginait Liszt. Il le croyait suffisamment chargé de sens
national pour ne pas y ajouter un véritable thème de son invention. Sauf le
motif grégorien et le chant de la Lyra cœlestis, qui ont un vrai profil de thème,
les deux autres sont pauvres et banals. Mais cela ne pourrait pas encore porter
préjudice à l’œuvre quand il s’agit de Liszt, s’il en avait vraiment tiré un
matériau varié par transformation. Ce n’est pas le cas, même pour le premier
motif, qui finit par sembler monotone, quand on l’a entendu tout au long de
l’oratorio. Tout se passe comme si Liszt avait été si pénétré de respect en face
de ces documents qu’il ait eu peur d’y porter trop la main. L’écriture vocale de
la Légende est aussi décevante, comparée à la Messe de Gran ou à Christus.
Du côté soliste, un récitatif permanent, à la fois chromatique et néo-grégorien.
Jamais un grand chant lyrique, ni pour les duos entre Élisabeth et Ludwig,
ni pour celui qui oppose la sainte à la méchante Sophie.2 L’écriture chorale
est aussi assez monochrome et linéaire. Tout repose sur l’orchestre, parfois
merveilleusement coloré, comme on l’a beaucoup dit ; mais l’ensemble de ces
raisons crée une lassante uniformité et un manque de vie et d’individualité,
bien plus graves que le prétendu défaut de dramatisme du livret. Cet argument
est toujours de ceux qu’on va chercher lorsqu’on se sent mal à l’aise devant une
grande œuvre manquée pour des raisons musicales. 3

1. Par exemple, mesure 410 : le do# est appoggiature inférieure du ré ; le fa, appoggiature
supérieure du mi, lui-même appoggiature du dernier ré.
2. Si Liszt a pensé, et on peut le conjecturer, au duo Elsa-Ortrud dans Lohengrin, il a peut-
être fait plus subtil que Wagner, mais bien moins dramatique, moins lyrique ; en un mot,
moins intéressant. Quant à la tempête orchestrale qui suit et qu’il croyait plus terrible
que celles de Beethoven ou de Rossini, il s’illusionnait aussi et a trouvé d’autres accents,
autrement originaux et convaincants, dans le Miracle de Christus. [Note de Stricker.]
3. Rémi Stricker, Liszt, les ténèbres de la Gloire, p. 312-313.
268 DEUXIÈME PARTIE

La critique est trop acerbe, même si certaines remarques sont justifiées.


Cependant, la redondance du thème d’Élisabeth n’est pas vraiment désa-
gréable pour l’auditeur, précisément à cause des changements de présenta-
tion dont il fait l’objet. Nous reviendrons sur ce sujet.

3. Autres exemples de l’emploi du Crux fidelis : Saint François


d’Assise, la Prédication aux oiseaux et Il Pensieroso

Remarquons que Liszt a utilisé aussi le Crux fidelis dans d’autres œuvres
sans le mentionner de manière explicite.
Il emploie ainsi ce motif dans Saint François d’Assise, la Prédication aux
oiseaux, au moment où le Saint bénit les oiseaux :

>> Exemple n° 47 : F. Liszt, Crux fidelis dans Saint François d’Assise,
la Prédication aux oiseaux, mes. 71-75

En effet, dans la préface de son œuvre pour piano, Liszt cite un passage
des Fioretti di San Francesco dont il offre une traduction. L’utilisation du
Crux fidelis trouve sans doute sa justification dans le passage suivant :
Enfin, le sermon fini, il leur fit le signe de la croix et leur donna la permis-
sion de partir. Alors tous ces oiseaux s’élevèrent dans les airs en faisant entendre
des chants merveilleux, et selon la croix qu’avait faite saint François, se sépa-
rèrent en quatre bandes, dont l’une prit son vol vers l’orient, l’autre vers l’occi-
dent, la troisième vers le midi et la dernière vers le nord.1
L’image de la croix, solennelle, imposante, est renforcée par l’indica-
tion solenne ainsi que par les rythmes pointés. Márta Grabócz associe ce
thème à ceux de type religioso caractérisés par une mélodie pentatonique :

1. Franz Liszt, extrait de la Préface de Saint François d’Assise, la Prédication aux


Oiseaux.
Cinquième chapitre 269

Dans les œuvres relevant uniquement d’associations religieuses par leur


titre ou épigraphe, le motif pentatonique est lié le plus souvent à l’idée de
« foi » et de « bénédiction » et retentit aussi comme symbole de la piété ou du
geste de bénédiction. 1
Il ne fait en effet aucun doute que le Crux fidelis renvoie ici au geste de
bénédiction de Saint François. Liszt utilise donc ce motif volontairement,
même s’il n’y fait pas directement allusion, dans son programme.
Cependant, dans certains cas, si le motif du Crux fidelis est repérable, il
est légitime de se demander si Liszt l’a vraiment employé à dessein.
En effet, dans la pièce Il Pensieroso, le profil du Crux fidelis apparaît
nettement dans la seconde partie, mesure 26, (thème a3) à l’écoute de la
mélodie : mi-fa bécarre-la, pour enchaîner à sol# mesure 32 :

>> Exemple n° 48 : F. Liszt, Profil du Crux fidelis dans Il Pensieroso,


mes. 26 (4e temps)-31

Certes, l’intervalle entre mi et fa bécarre est un demi-ton, et non un


ton comme dans le Pange Lingua, mais la courbe mélodique générale est
respectée : seconde, puis tierce ascendantes. Cependant, il faut s’interroger
sur la fonction, le rôle, en un mot la signification de cet « emprunt », et si
« emprunt » il y a vraiment.
Jusqu’à présent, il ressort que l’emploi du Crux fidelis, dans la musique
de Liszt, illustre toujours l’image visuelle de la Croix elle-même, voire le
triomphe de la foi. Dans le cas qui nous préoccupe, l’illustration de l’une de
ces deux idées ne va pas de soi. Cela signifierait que, pour lui, le « penseur »
et la « nuit » par conséquent les tombeaux, seraient intimement liés à l’idée
de la foi. Certes, cette suggestion est tout à fait possible, mais loin d’être
totalement irréfutable. En effet, il n’est pas du tout sûr que Liszt connais-
sait le Crux fidelis à l’époque de la composition d’Il Pensieroso : d’après

1. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour Piano de Liszt, p. 41.


270 DEUXIÈME PARTIE

Stricker, il semble qu’il ait découvert ces « trois notes […] à Rome »1. Mais
il serait bien difficile de préciser l’année de cette découverte. Adrienne
Kaczmarczyk, elle, fait remonter les origines de l’utilisation du Crux fidelis
chez Liszt au De Profundis :
… des extraits du De Profundis peuvent se retrouver dans d’autres œuvres.
Liszt a fondé le motif initial de son thème d’ouverture du concerto pour piano
sur le motif Crux, devenu une carte de visite dans ses compositions religieuses
plus tardives ; il se retrouve dans plusieurs mouvements de la série Harmonies.
Ce motif devint ainsi l’une des formules musicales fondamentales, le motif
de base du cycle de piano, lui-même successeur musical et spirituel du De
Profundis, à cause de ce motif et à cause des extraits des Pensées Des Morts.
Étant donné le rôle joué par le motif Crux dans Harmonies, ses apparitions
dans la première version de 1847-48 en 12 mouvements ainsi que les séries
finales de 1853 seront énumérées.2
La musicologue hongroise cite en effet des extraits puisés dans les diffé-
rentes sources des Harmonies poétiques et religieuses. Elle montre que le
Crux fidelis y est présenté sous différentes formes, en mouvement droit,
renversé ou rétrograde. Si certaines de ses interprétations peuvent se
trouver sujet à caution – comme son analyse du thème d’ouverture de
l’Invocation – l’ensemble de sa démonstration reste plutôt convaincant.
Liszt connaissait donc très tôt ce motif grégorien, et l’a intégré rapidement
au sein de ses compositions. L’une des sources possibles peut être l’office
du Vendredi Saint, auquel Liszt a sûrement assisté depuis son enfance. Il
n’était pas rare à l’époque de posséder un livre de messe dans lequel figurait
la musique des antiennes.
Mais, dans ce cas qui nous importe, si le compositeur connaissait ces
« trois notes », comme l’avance Stricker, il est impossible d’affirmer qu’il
les ait volontairement choisies pour leur symbolisme : les tombeaux ne
représentent pas une image pieuse ou une bénédiction. En conséquence,
il apparaît plus probable que, dans Il Pensieroso, Liszt ait employé incons-
ciemment le profil du Crux Fidelis, voire – et plutôt – n’y a pas fait réfé-
rence. Certes, il est possible, à l’inverse, d’imaginer que le compositeur ait

1. C’est ce que Liszt écrit à la Princesse Sayn-Wittgenstein le 16 octobre 1878 depuis


la Villa d’Este. Voir La Mara, Franz Liszts Briefe, op. cit., vol. VII, p. 234 cité par Rémy
Stricker, Franz Liszt, les ténèbres de la Gloire, p. 162.
2. Adrienne Kaczmarczyk, « The Genesis of the Funérailles. The Connections between
Liszt’s Symphonie révolutionnaire and the Cycle Harmonies poétiques et religieuses », Studia
Musicologica, 35/4, p. 382.
Cinquième chapitre 271

pensé tout de suite à la Croix « unique espérance » des pécheurs. Mais le


contexte musical général infirme cette hypothèse : en effet, si Crux il y a,
il apparaît au milieu d’une phrase musicale dont les carrures sont ici de
quatre mesures. La référence au Crux fidelis est donc ici purement fortuite.
Il faut donc se méfier de la sur-interprétation, due à des profils mélodi-
ques somme toute, assez banals…

4. Un cas particulier : le Crux Fidelis dans le Totentanz

Le Totentanz est une œuvre particulière dans la production lisztienne,


car il ne s’appuie pas sur un programme explicite. Les seules références
extra-musicales sous-jacentes, qui émergent des sources étudiées, sont les
gravures sur bois de Holbein – Historiees de la Mort… – ainsi qu’Il Trionfo
della Morte, fresque de Buffalmacco attribuée à Orcagna à l’époque de
Liszt. La seule référence claire, est musicale : le Dies Irae. Cependant, une
autre citation est bien présente : alors qu’il avait expliqué le programme
de la Hunnenschlacht, de la Légende de Sainte Élisabeth ou encore de la
Dante Symphonie, Liszt n’a pas revendiqué l’utilisation du Crux fidelis dans
son Totentanz. De plus, il ne l’a pas employé de manière aussi affirmée
et triomphante. Au contraire, l’antienne grégorienne reste effrontément
cachée. Mais son utilisation et sa présentation donnent lieu à une interpré-
tation importante pour la compréhension de l’œuvre. Nous reviendrons
en détail sur ce sujet dans le chapitre consacré à l’analyse de cette pièce.
Si nous nous sommes montrée très hésitante avec le profil du Crux
fidelis dans Il Pensieroso, nous le sommes beaucoup moins pour un passage
cadentiel très délicat dans le Totentanz. Cependant, nous tenons juste à
mentionner que le Crux fidelis y est bien présent, mais caché. Deux hypo-
thèses s’offrent donc à nous pour justifier son rôle :
Soit Liszt n’a pas introduit consciemment le Crux fidelis dans ce passage,
auquel cas on peut déduire qu’il en était tellement imprégné qu’il l’utilisait
machinalement. Le fait que la mesure 394, où débute cette citation cachée,
soit située au nombre d’or par rapport au total des mesures de l’œuvre,
donne un élément supplémentaire de remise en question. D’autant plus
que, dans la musique de Liszt, les références ne sont généralement, pas
le fruit du hasard, comme le montrent les programmes de ses poèmes
symphoniques ou encore la postface de la Légende de Sainte Élisabeth, par
exemple.
272 DEUXIÈME PARTIE

Soit, et c’est l’option que nous adoptons, Liszt a volontairement refusé


de donner des explications sur ce passage, pour des raisons personnelles.
Le fait qu’il se soit montré réticent pour parler du programme de l’œuvre
en général, va dans ce sens.
Mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions plus précises,
car ce fait ne reste qu’un élément parmi d’autres. Nous aboutirons donc
à un résultat plus satisfaisant après l’étude de plusieurs composantes du
Totentanz, dans notre huitième chapitre.

III. Les « Allégories »

A. Définition et application à la musique

1. Définition générale

Concernant les « allégories », Panofsky explique :


Ainsi les allégories (par opposition aux histoires) peuvent être définies
comme des assemblages de personnifications et/ou symboles. Il existe, bien
entendu, maintes possibilités intermédiaires […] Les portraits de personnes
concrètes et individuelles (aussi bien hommes réels que figures mythologiques)
peuvent se mêler à des personnifications, comme c’est le cas pour d’innom-
brables représentations qu’inspire une intention d’apologie. Une « histoire »
peut comporter de surcroît une idée allégorique, comme c’est le cas pour les
illustrations de l’Ovide Moralisé, ou être conçue comme la « préfiguration »
d’une autre histoire, comme la Biblia Pauperum ou le Speculum Humanae
Salvationis. Tantôt de telles significations surajoutées n’affectent en rien
le contenu de l’œuvre, comme c’est le cas pour les illustrations de l’Ovide
Moralisé, que la vue ne saurait distinguer de miniatures non allégoriques
illustrant les mêmes sujets d’Ovide ; tantôt elles ont pour effet une ambiguïté
de contenu, que l’on peut toutefois surmonter ou même transformer en valeur
supplémentaire si les composantes en conflit sont ensemble fondues par le feu
d’un fervent tempérament d’artiste, comme pour la « Galerie des Médicis »,
de Rubens.1

1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
note 1, p. 18.
Cinquième chapitre 273

La comparaison des définitions du symbole et de l’allégorie a montré,


comme nous l’avons déjà vu, que le particulier et le général jouent un rôle
important dans leur différentiation. En effet, pour Schelling, comme pour
les classiques, l’allégorie est la représentation du général par le particulier.
Pour Goethe, c’est l’inverse. Sans entrer dans ce débat1, nous tenons à
préciser deux approches modernes de l’allégorie : l’une que nous allons
écarter – celle de Guy de Tervarent – et l’autre que nous allons conserver,
celle de Bernard Teyssèdre.
Guy de Tervarent définit l’allégorie quand :
…l’idée trouve son expression dans une composition groupant divers
personnages…2
Lapidaire, cette courte définition ne nous semble pas prendre assez en
compte les spécificités de l’allégorie. De plus, elle implique une multipli-
cité de personnages, ce qui ne va pas dans le sens de ce que nous avons lu
et rapporté de Panofsky. Certes, un groupe d’individus peut représenter
une allégorie, mais nous préférons conserver ici la possibilité qu’un seul
personnage puisse « signifier » une idée, par conséquent qu’un rassemble-
ment ne soit pas un critère obligatoire dans la définition de l’allégorie.
Bernard Teyssèdre précise, lui, très clairement la définition de l’allé-
gorie dans la pensée de Panofsky :
Allégories, quand les personnages renvoient en même temps à des idées, ou
à d’autres personnages qu’eux ; par exemple : le Triomphe de la Mort ; Hercule
et l’Hydre de Lerne, pour désigner Louis XIV vainqueur de l’hérésie.3
Nous conserverons donc de l’allégorie, la définition de la personnifica-
tion d’une idée, contrairement au symbole qui en est une matérialisation,
une représentation objectivée.

2. Application à la musique

Bien sûr, la musique ne peut que suggérer les personnages qui renvoient
à des idées, donc à des « allégories », par une thématique signifiante. De
ce fait, le recours le plus fréquent du musicien pour l’illustration musi-

1. Voir notre partie consacrée à la comparaison du symbole et de l’allégorie dans ce


même chapitre.
2. Guy de Tervarent, « Avertissement », Attributs et Symboles dans l’art profane, p. 7.
3. Bernard Teyssèdre, in Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans
l’art de la Renaissance, note 1, p. 18.
274 DEUXIÈME PARTIE

cale d’une allégorie sera l’utilisation d’un thème ou d’une citation que
nous appellerons « à fonction allégorique », c’est-à-dire un thème ou une
citation qui renvoie à un personnage d’une œuvre visuelle, ce personnage
renvoyant lui-même à une idée.

B. Deux Exemples caractéristiques :


Il Pensieroso et la Notte
Si un squelette ou une grande dame habillée de noir tenant une faux
restent un exemple traditionnel d’allégorie, en l’occurrence ici, la Mort –
nous le verrons plus en détail dans la partie consacrée au Totentanz, dans
notre dernier chapitre – les figures du Penseur et de la Nuit de Michel-
Ange offrent un autre visage intéressant de cette figure de style. Toutefois,
leur « pendant » musical n’est pas toujours aussi explicite.

1. Il Pensieroso : visions allégoriques. De Michel-Ange à Liszt…

Panofsky explique que les représentations michelangelesques de Julien


et de Laurent de Médicis sont fondées sur l’opposition entre la vie active
et la vie contemplative. Il précise que le fait d’associer ainsi Julien à la
vie active et Laurent à la vie contemplative, ainsi que de les représenter
sous forme d’âmes immortelles, n’est nullement en contradiction avec la
philosophie néoplatonicienne. En effet, ces deux formes de vie associées
aux concepts de justice et de religion, sont les conditions sine qua non
pour accéder à la béatitude temporelle et à la vie immortelle. Se référant
toujours aux critères néoplatoniciens, Panofsky associe la représentation de
la vie active à Jupiter et celle de la vie contemplative à Saturne. Pic de la
Mirandole définit d’ailleurs Saturne ainsi :
Saturne incarne la nature intellectuelle qui se voue et s’attache unique-
ment à comprendre et à contempler.1
Panofsky précise ensuite lui-même l’attitude du penseur :

1. Giovanni Pic De La Mirandole, Opere di Giovanni Benivieni Firentino… con una


canzona dello amor celeste e divino, col commento dello ill. s. conte Giovanni Pico
Mirandolano, Venise, 1522, cité par Erwin Panofsky, « le mouvement néo-platonicien
et Michel-Ange », in Essais d’iconologie, p. 293.
Cinquième chapitre 275

L’index de sa main gauche est appliqué sur sa bouche, dans le geste du


silence saturnien1. Son coude s’appuie sur une cassette fermée, symbole carac-
téristique de la parcimonie saturnienne ; et pour rendre ce symbolisme plus
explicite encore, cette cassette est ornée d’une tête de chauve-souris, l’animal-
emblème de la gravure de Dürer, Melencolia I. 2
André Chastel ne semble pas complètement d’accord avec la vision de
Panofsky qui associe le geste du penseur au « silence saturnien ». En effet, il
écrit dans son article « Signum harpocraticum » :
Le mutisme fait partie de la notion saturnienne, mais il n’est pas souligné
par le Signum. Tout compte fait, il y aurait lieu de se demander si Michel-
Ange a bien voulu combiner la posture caractéristique de la « main à la
maisselle (cuisse) » avec le signum harpocraticum dans la pose de la chapelle
médicéenne. Il ne peut échapper à l’observateur que l’inflexion molle du doigt
convient à la détente du rêveur caressant sa lèvre, sans avoir l’autorité d’un
signal.3
Chastel reprendra de manière quasiment identique cette idée, dans son
article « l’Art du geste à la Renaissance ». Il remet lui aussi en cause l’inter-
prétation panofskyenne du geste de l’index :
À mon sens, il ne s’agit nullement ici du signum silentii mais de l’attitude
nonchalante du rêveur mélancolique, la main sur le menton serrant un peu
la bouche.4
Il semble donc probable que le geste du penseur n’invite pas le specta-
teur au silence, mais plutôt à la réflexion. De plus, faisant partie intégrante
d’un tombeau, ce penseur paraît effectivement être l’allégorie de l’interro-
gation existentielle sur la mort.
Cette remarque de Chastel nous conduit à nous interroger encore sur
l’œuvre de Liszt : le silence requis par le geste du penseur est en contradic-
tion avec sa transposition sonore. Liszt, en traduisant musicalement ses
impressions, le rompt forcément. Il paraît donc plus probable qu’il ait
réfléchi à la Mort en regardant l’œuvre, le penseur se trouvant en effet
à l’intérieur d’un tombeau. Il se peut également que le compositeur ait

1. Cf. Ripa, au mot « Silentio » : « il dito indice alla bocca » ; « un dito alle labbre della
bocca » ; « col dito alla bocca ». Le « Malanconico » de Ripa (au mot « Complessioni »)
a même la bouche couverte d’un bandeau qui « significa il silentio ».
2. Erwin Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », Essais d’iconologie,
p. 294.
3. André Chastel, « Signum harpocraticum » extrait de Le Geste dans l’Art, p. 70.
4. André Chastel, « L’art du geste à la Renaissance », Le Geste dans l’Art, p. 34-35.
276 DEUXIÈME PARTIE

médité sur le sens de l’existence, ou sur d’autres problèmes philosophiques.


Nous optons donc, au sujet du geste du penseur, pour l’interprétation de
Chastel, car nous nous replaçons dans notre optique comparatiste, et plus
particulièrement dans notre contexte lisztien. Il va de soi, cependant, que
nous ne donnons pas tort à Panofsky dans l’absolu.
Que Liszt réfléchisse, ou qu’il invite à la réflexion, son œuvre Il
Pensieroso est truffée d’éléments suscitant chez l’auditeur des questions,
des interrogations.
En effet, le compositeur semble parfois hésiter harmoniquement, à
partir d’une même note, comme s’il méditait et argumentait de manière
dubitative sur un sujet donné. Ainsi, dès la première phrase musicale, on
assiste à un enrichissement progressif de l’accord, et au changement de
fonction de la même note pédale mi, qui passe de tierce de l’accord de
quinte – à la quinte de l’accord de quinte suivant avec une tierce mino-
risée, ce qui surprend – avant de devenir la septième de l’accord suivant :

>> Exemple n° 49 : Franz Liszt, Il Pensieroso, mes. 1-4

De même, la transition entre les deux grandes parties de l’œuvre est


entièrement fondée sur l’impression de question, de doute, pour l’audi-
teur. En effet, elle commence sur une dominante de do#, donc sol#, pour
aboutir sur cette même dominante, presque deux mesures plus tard. Mais
avant, un point d’orgue plonge encore l’auditeur dans l’interrogation en
prolongeant la note la, appoggiature de la dominante sol#. Cette domi-
nante n’apparaîtra enfin que sur la dernière croche de la mesure :
Cinquième chapitre 277

>> Exemple n° 50 : Franz Liszt, Il Pensieroso, mes. 21-22

L’ensemble a de quoi laisser bien perplexe…


Les quatre dernières mesures de l’œuvre sont également importantes
étant donné qu’elles nécessitent une attention soutenue à cause des silences,
éminemment suggestifs.

>> Exemple n° 51 : Franz Liszt, Il Pensieroso, mes. 45-48

En effet, lorsque le do# tonique arrive, l’auditeur est en droit de penser


que l’œuvre est terminée. Pourtant, elle se poursuit sur la répétition de
cette note, à deux reprises, avec des silences qui peuvent induire à penser
qu’un autre événement va se produire. Puis arrive la dernière mesure, vide,
ou plutôt pleine de silences, surplombée d’un point d’arrêt. Là, l’auditeur
voit les mains de l’interprète immobiles au-dessus du clavier. Que va-t-il se
passer ? Dans cette situation d’expectative, son attention est provoquée ou
invitée par le geste immobile du pianiste, comme la réflexion du spectateur
est attirée, attisée, par la pose du personnage de Michel-Ange.
Liszt a donc transposé l’idée d’allégorie présente dans le Penseur de
Michel-Ange dans sa pièce pour piano, en utilisant tout d’abord un thème
de faible ambitus, à l’harmonie fluctuante, ensuite en retardant des réso-
lutions attendues et enfin en jouant encore une fois avec l’auditeur grâce à
278 DEUXIÈME PARTIE

des silences trompeurs. Il invite à une interrogation macabre, créant ainsi


une véritable allégorie pianistique…

2. La Notte : l’allégorie de Michel-Ange vue par Liszt

Comme Il Pensieroso, la Notte de Michel-Ange est une statue réalisée


pour le tombeau des Médicis, à Florence.
Lors de sa réalisation, l’aspect réaliste de cette statue avait suscité l’ad-
miration. Giovanni Strozzi, croyant rendre hommage au chef-d’œuvre
michelangelesque, écrivit ces quelques lignes vers 1545, donc quelques
années après son achèvement :
La Nuit que tu vois étendue si gracieusement
Endormie, fut sculptée dans la pierre par un Ange
Et qu’elle soit vivante est montrée par son sommeil
Éveille-là, si tu as des doutes, et elle te parlera.1
Il ressort de ces quelques vers que le malheureux Strozzi s’était complè-
tement fourvoyé : l’intention de Michel-Ange ne portait pas sur une repro-
duction fidèle de la réalité, mais consistait à dépeindre des souffrances inté-
rieures, comme l’a si justement fait remarquer Marcel Brion :
On imagine la grimace que fit Michel-Ange en lisant cette louange. Voilà
ce qu’ils étaient capables de voir dans son œuvre : le réalisme, la fidélité au
réel. Qu’un marbre fût « parlant », cela leur suffisait. Ils ne demandaient pas
autre chose. Mais qu’on ait enfermé dans une statue toutes les tristesses, toutes
les angoisses de son âme, ils ne s’en souciaient pas ! Aveugles pour tout ce qui est
profond, inaptes à saisir autre chose que la surface de la pierre, ils n’avaient vu
que la vérité de ce sommeil. Ils n’en avaient pas deviné l’amertume essentielle.
Tant mieux pour eux.2
Assurément, sa signification essentielle n’avait pas été perçue à l’époque
de Michel-Ange. Et ce dernier fut effectivement accablé par « l’hommage »
de Strozzi. Il lui répondit, également sous la forme d’un quatrain :
Il m’est doux de dormir, et plus doux encore d’être de pierre
Tandis que la honte et le mal durent.
Ne pas voir, ne pas entendre, cela m’est grand bonheur.
Ah ! Ne me réveillez pas, parlez bas !3

1. Poème de Giovanni Strozzi, cité et traduit par Marcel Brion, Michel-Ange, p. 251.
2. id., Michel-Ange, p. 252-253.
3. traduit par Marcel Brion, id., p. 253.
Cinquième chapitre 279

Si certains commentateurs ont décelé dans ces lignes – et vraisemblable-


ment à juste titre – une évocation aux maux dus aux désordres politiques de
Florence, en particulier la règle de fer du Duc Cosme de Médicis, il est néan-
moins possible de n’en conserver que le mal de vivre inhérent à l’artiste.
La Notte serait alors une allégorie des sentiments de mal-être profond,
voire une personnification de l’angoisse de la mort.
Liszt, lui, a bien perçu la signification allégorique du personnage,
lorsqu’il a regardé la Notte de Michel-Ange. Sa double référence au sculp-
teur, dans sa Notte pour piano, en témoigne : le titre, d’une part et la cita-
tion en exergue du petit quatrain de Michel-Ange en réponse à Strozzi,
d’autre part… Notons que Liszt y a remplacé « caro » par « grato », ce qui
n’en change pas vraiment le contenu.
Rappelons également la seconde référence littéraire citée par Liszt dans
la Notte, entre la première partie A et la partie centrale B. Il s’agit d’un
extrait de l’Enéide de Virgile. Theodor Edel rapporte à juste titre :
Par-dessus une phrase aérienne en la majeur (clarinette solo dans la version
orchestrale) Liszt a écrit un vers de l’Enéide de Virgile « Au moment de mourir, il
se rappela le doux Argos ». La référence à l’auteur du chant x, ligne 782 (787 sur
la partition), se trouve dans la partie orchestrale mais pas dans le piano solo. La
scène se situe au moment où Antarès est abattu par un coup destiné à son chef, la
lance du roi ennemi Mezentius ayant rebondi sur le bouclier d’Enée. Originaire
d’Argos, il se remémore son pays natal avant de trépasser. Ce personnage n’appa-
raît à aucun autre endroit dans Virgile et même, les autres classiques.1
L’idée de la mort est ici évidente, puisque le personnage virgilien n’ap-
paraît qu’une fois, et juste pour… disparaître tragiquement. Theodor Edel
compare le destin d’Antarès à celui de Liszt, soulignant que tous deux
vivaient loin de leur pays natal. À cette époque, le compositeur demeurait,
en effet, en Italie. L’auteur précise également que Liszt avait essuyé les
foudres de certains de ses contemporains, à commencer par Wagner, au
nom de toute la nouvelle école allemande. Et Edel de conclure :
Donc cela unissait son destin à celui d’Antarès, et il souhaitait que cela
soit clairement compris, comme le prouvent les mesures 60-62 dans lesquelles
une cadence hongroise – qui aura un devenir sous forme de transformation
thématique – montre une atmosphère plus humaine.2
Voici la cadence hongroise en question :

1. Theodor Edel, « Liszt’s La Notte, Piano music as a self-portrait », p. 51.


2. Theodor Edel, id., p. 52.
280 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 52 : Franz Liszt, La Notte, mes. 60-62, cadence hongroise

Certes, opposé à la mélodie de style bel canto des mesures 53 et


suivantes, ce motif thématique contribue effectivement à changer l’atmos-
phère de la pièce. Cependant, le caractère général demeure tourné vers un
destin macabre, que la musique du Pensieroso, employée de nouveau à la
fin de la pièce, confirme. Nous ne redonnerons pas ici toutes les références
musicales au caractère morbide de l’œuvre, mais renvoyons le lecteur à
notre partie consacrée à la « signification expressive ».
Les deux références littéraires – le quatrain de Michel-Ange et le vers
de Virgile – sont autant d’indices, de signes, qui montrent l’influence du
thème macabre dans cette œuvre. L’indication initiale : Lento funèbre, en
serait déjà une preuve suffisante.
Revenons sur la reprise de la musique d’Il Pensieroso dans les deux
parties extrêmes de la Notte : cette pièce comporte donc une citation du
thème original d’Il Pensieroso, énoncée deux fois. Or, comme nous l’avons
démontré, Il Pensieroso de Michel-Ange est déjà sous le signe de la mort,
incarnant l’idée d’une interrogation existentielle macabre. Cette interroga-
tion subsiste dans la Notte de Michel-Ange, placée dans le même tombeau.
Nous pouvons donc constater que, non content de citer les vers de Michel-
Ange, Liszt l’a suivi dans la construction de son œuvre.
Comme nous l’avons déjà vu dans notre partie précédente consacrée au
caractère de la pièce, certains accords et passages harmoniques contribuent
à en créer l’atmosphère morbide. Nous allons, ici, étudier de plus près
l’introduction de La Notte qui a été accolée à Il Pensieroso.
L’œuvre s’ouvre en effet sur un enchaînement harmonique particu-
lier, puisque le premier renversement de mi mineur s’enchaîne à un autre
accord de sixte, premier renversement d’un accord de quinte augmentée
sur mi, note fondamentale. Arrive ensuite seulement l’accord de do dièse
mineur, à l’état fondamental, tonalité de la pièce. Voici la réduction
harmonique de l’introduction et sa résolution sur le début de la première
phrase de la partie A.
Cinquième chapitre 281

Précisons que l’accord de quinte augmentée, au centre, a une fonction


de dominante placée, ici, sur la médiante en do# mineur. Michelle Biget-
Mainfroy a souligné dans son ouvrage, Le Rêve et la Fureur. Les Écritures
musicales romantiques1, le caractère inquiétant de cet accord.

>> Exemple n° 53 : Franz Liszt, La Notte, Réduction harmonique mesures


1-5

Arthur Franklin Stewart ajoute que :


Évidemment sans implication harmonique future, l’accord de mi mineur
s’enchaîne ensuite à un accord de quinte augmentée sur mi, à l’état de premier
renversement.2
Il précise ensuite que l’enchaînement harmonique de l’accord
augmenté, et de son homologue mineur, ajouté à la sonorité grave et
sombre du piano, contribue à instaurer une ambiguïté tonale. Ce avec
quoi nous sommes tout à fait d’accord.
Pourtant, nous tenons à revenir sur son affirmation précédente : « sans
implication harmonique future, l’accord de mi mineur… ». Nous pensons
qu’il faut ici rester très prudent. En effet, l’accord de mi mineur, au début,
aboutit à do dièse, tonique de la pièce, l’accord intermédiaire de quinte
augmentée ayant, nous l’avons dit, une fonction de dominante. C’est un
enchaînement par tierce, déjà présent dans le passage de la première à
la deuxième phrase de la strophe : la première commence et finit en do#
mineur ; la seconde aboutit sur une cadence en mi majeur. Nous retrou-
vons bien l’enchaînement par tierce mineure sous-entendue, dans l’in-
troduction. Le mi mineur du début a donc un « devenir » musical, ainsi
que, selon les termes d’Arthur Franklin Stewart, des « implications harmo-
niques ». En effet, il peut être perçu comme un troisième degré minorisé

1. Michelle Biget-Mainfroy, Le Rêve et le Fureur. Les Écritures musicales romantiques.


2. Arthur Franklin Stewart, « La Notte and Les Morts : Investigations into progressive
aspects of Franz Liszt’s Style », p. 75.
282 DEUXIÈME PARTIE

de do# mineur, la minorisation étant le principe compositionnel de base,


tant dans Il Pensieroso que dans La Notte.
Mais retenons avant tout que certains accords – comme ceux de quinte
augmentée – apportent une couleur funèbre dans une œuvre aux accents
macabres très prononcés. Le compositeur a en effet donné une image audi-
tive de l’angoisse de la mort, angoisse elle-même incarnée dans l’allégorie
la Notte de Michel-Ange.

Conclusion
Dans ce deuxième niveau de signification, la comparaison entre la
musique de Liszt et ses modèles visuels suggère plusieurs réflexions. La
plus importante est que Liszt a traduit les « images », « histoires » et « allé-
gories » de ses modèles visuels à l’aide d’une thématique signifiante.
Ainsi, pour les « histoires » : soit il évoque les personnages historiques
à l’aide de citations – comme « stella matutina » pour Sainte Élisabeth –
soit il invente lui-même un thème qui se rattache à l’action principale du
personnage dont il est question. Il emploie, par exemple, un thème dans
une mesure à quatre temps pour montrer la marche lente de saint François
de Paule. De plus, il utilise le chromatisme dans des traits pianistiques
virtuoses pour la replacer dans son contexte, ici, les vagues violentes de la
mer. Gustave Doré s’en souviendra…
Pour les « images », que nous avons associées aux symboles, Liszt use
également de citations « à fonction symbolique ». L’exemple le plus emblé-
matique reste évidemment le Crux fidelis, qui renvoie à la représentation
de la Croix dans les œuvres visuelles. Il représente également, parfois,
musicalement des instruments de musique, comme les deux harpes qui
renvoient à la lyre orphique dans Orpheus.
Lorsque Liszt perçoit une allégorie, il en traduit la signification
profonde à l’aide d’une thématique précise, dans un contexte musical
particulier. Le thème peut être original – comme dans Il Pensieroso – ou
une citation, comme dans La Notte. Précisons également qu’il ajoute des
citations littéraires ou des titres qui contribuent à renvoyer à l’idée sous-
jacente présente dans l’allégorie initiale.
Ce deuxième niveau de signification tente donc d’expliquer comment
les divers « thèmes et motifs » du premier niveau de signification, intègrent
des « histoires », « images » ou « allégories » dans des œuvres d’art visuel et
comment ils ont trouvé des équivalents thématiques et motiviques dans la
Cinquième chapitre 283

musique de Liszt. Il faut, à ce stade, noter l’importance des citations ou auto-


citations dont l’essence même est très symbolique. En effet, si la référence
au sujet pictural relève de l’histoire ou de l’allégorie, la thématique lisztienne
ne peut en aucun cas être qualifiée d’historique ou d’allégorique. Elle est
symbolique « à fonction » historique ou allégorique. Ainsi sa signification
profonde renvoie-t-elle à l’histoire ou à l’idée incarnée dans un personnage.
Après avoir explicité et comparé la signification symbolique, rhétorique
du matériau de base, nous étudions maintenant l’organisation et la portée
générale de ce matériau. En d’autres termes, nous allons nous interroger
sur le contenu des œuvres visuelles et musicales de notre corpus. C’est la
troisième et dernière étape de l’analyse mise en place par Panofsky pour les
arts visuels que nous allons maintenant adapter à la musique de Liszt.
Sixième chapitre
Troisième étape panofskyenne :
signification « intrinsèque »
ou « contenu »

I. « Signification intrinsèque » : définition générale,


application aux arts visuels et à la musique

A. La « Signification intrinsèque » : approche générale

Panofsky propose une troisième signification, aboutissant à ce qu’il


appelle la « signification intrinsèque ». Pour reprendre l’exemple de
l’homme qui le salue en soulevant son chapeau :
En dernier lieu : outre qu’il constitue un événement naturel dans l’espace
et le temps, outre qu’il exprime naturellement certaine humeur ou certains
sentiments, outre qu’il transmet un salut de convention, ce geste peut révéler à
un observateur avisé tout ce qui concourt à camper une « personnalité ». Cette
personnalité est conditionnée par l’appartenance de cet homme au xxe siècle,
par son arrière-fond national, social ou culturel, par l’histoire de sa vie passée,
par son entourage actuel, mais elle est en même temps individualisée par une
manière d’envisager les choses et de réagir au monde qui lui est propre, et que
l’on pourrait, si elle eût formé un système rationnel, nommer une « philoso-
phie ». Dans la limite d’un acte isolé (une salutation polie) tous ces facteurs
ne se manifestent pas de façon exhaustive, mais n’en sont pas moins présents
à titre de symptômes. Certes, en se fondant sur cet acte pris isolément, on ne
pourrait construire le portrait moral de cet homme ; on ne le pourrait qu’en
coordonnant un grand nombre d’observations analogues, puis en les interpré-
tant en fonction des informations générales dont on disposerait sur la période
où il vécut, sa nationalité, sa classe sociale, ses antécédents intellectuels, etc.
Néanmoins, toutes les propriétés que ce portrait mental dégagerait de façon
explicite sont implicitement immanentes à chacun de ces actes pris isolément,
286 DEUXIÈME PARTIE

en sorte que, corrélativement, chaque acte pris isolément peut être interprété à
la lumière de ces propriétés.
La signification ainsi découverte peut être appelée signification intrinsèque,
ou contenu ; elle relève de l’essence, alors que les autres sortes de signification, la
primaire ou naturelle et la secondaire ou conventionnelle, sont du domaine
de l’apparaître. Elle pourrait se définir comme un principe d’unification, qui
sous-tend et explique à la fois la manifestation visible et son sens intelligible, et
qui détermine jusqu’à la forme en laquelle s’incarne la manifestation visible.
Cette signification intrinsèque, ou contenu, ne se situe pas moins au-delà de
la sphère des intentions conscientes, que la signification expressive reste en
deçà.1
La signification intrinsèque est donc la dernière étape dans l’appréhen-
sion d’un événement. Le récepteur doit dégager le « contenu » de ce qui
s’offre à lui.
Mais comment repérons-nous la « signification intrinsèque » dans une
œuvre d’art visuel ou dans une pièce musicale ?

B. La « Signification intrinsèque » :
application aux arts visuels et à la musique

1. La « Signification intrinsèque » dans les arts visuels


Panofsky développe ensuite la notion de « signification intrinsèque »
dans les œuvres d’art :
On la saisit en prenant connaissance de ces principes sous-jacents qui
révèlent la mentalité de base d’une nation, d’une période, d’une classe, d’une
conviction religieuse, ou philosophique – particularisés inconsciemment par
la personnalité propre à l’artiste qui les assume – et condensés en une œuvre
d’art unique. Comme il va sans dire, ces principes se manifestent par l’in-
termédiaire à la fois de « méthodes de composition » et d’une « signification
iconographique » – qu’ils éclairent en retour […] En concevant ainsi les formes
pures, motifs, images, histoires et allégories comme autant de manifestations de
principes sous-jacents, nous interprétons tous ces éléments comme ce qu’Ernst
Cassirer a nommé : Valeurs « symboliques ».2

1. Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, p. 16-17.


2. Erwin Panofsky, ibid., p. 20.
Sixième chapitre 287

Il s’agit, en fait, de déterminer plus précisément le contenu de l’œuvre,


en approfondissant les liens qui unissent ses différentes composantes. Ces
liens ne sont pas exclusivement – et même pas du tout – d’ordre struc-
turel, ce qui renverrait à une étude des « événements », travail qui relève du
premier niveau de signification. Ici, les liens entre les motifs sont d’ordre
sémantique, donc découlent de l’interprétation du spectateur, à savoir
relèvent de ses connaissances, de son vécu propre. De plus, des données
extérieures à l’œuvre d’art étudiée permettent de préciser l’intention de
l’artiste, la situation historique voire idéologique.

2. La « Signification intrinsèque » dans la musique

Rappelons brièvement que le contenu retient toute l’attention des


protagonistes de la querelle des romantiques, au xixe siècle.1 Partisans ou
détracteurs de la musique à programme, tous se réfèrent à lui, soit pour
lui préférer la forme, dans le premier cas, soit pour affirmer sa suprématie,
dans le second.
La forme, comme élément dépendant et au service du contenu, occupe
une grande importance dans les écrits de Liszt. Voici ce qu’il en écrit dans
son essai de 1855 sur Robert Schumann :
La forme est dans l’art un récipient d’un contenu immatériel, l’enveloppe
de l’idée, le corps de l’âme ; elle doit par conséquent coller très précisément au
contenu, le laisser nettement transparaître et percevoir. Tout défaut de la forme
est une buée troublant le cristal clair du récipient qui, à cause d’un trouble de
sa transparence, empêche le rayonnement de l’idée. Donc l’habileté formelle,
le savoir-faire de l’ouvrier est une condition essentielle de l’artiste éminent.
Essentielle et toutefois insuffisante ; car, que serait pour lui la forme fixe sans
une grande et belle idée qui la rend vivante, à quoi lui servirait la Galatée de
marbre s’il ne pouvait pas lui insuffler le soupçon d’un sentiment ? La forme
dépourvue de sentiment intérieur ne satisfait que le sens et demeure le fait de
l’artisanat ; pour le véritable artiste, elle n’a de valeur que comme habillement
d’une idée. Cultiver la forme pour elle-même est l’affaire de l’industrie, pas
de l’art ; ceux qui font cela peuvent se dire artistes, mais ils n’exercent qu’un

1. Nous renvoyons le lecteur à notre long développement sur le contenu dans la musique
à programme au xixe siècle, dans notre premier chapitre.
288 DEUXIÈME PARTIE

métier. Faire de l’art signifie créer et utiliser une forme uniquement pour
exprimer un sentiment, une idée.1
Cette définition très poétique de la forme comme « récipient d’un
contenu immatériel » qui doit « exprimer un sentiment, une idée », montre
combien Liszt s’attache au lien qui unit la forme et l’idée. Pour lui, le
contenu signifie l’objet idéel ou matériel représenté avec les moyens musi-
caux. Il met bien ici en valeur le contenu de l’œuvre qui, évidemment, ne
doit pas être vide. En d’autres termes, il rejette la forme pour la forme, ou
plutôt la structure pour la structure.
Nous nous attacherons donc à déterminer quelle est la forme des pièces
musicales lisztiennes inspirées d’œuvres d’art, en étudiant l’évolution de
leur matériau. Nous nous appuierons également sur les écrits de Liszt,
comme ses programmes ou ses lettres, quand ils contribuent à nous aider
dans cette quête de « signification intrinsèque » musicale…

II. Quelques exemples de « Signification intrinsèque »


dans le corpus lisztien inspiré d’art visuel

A. Orpheus : une apologie de l’Art

Rappelons que Liszt a écrit son poème symphonique Orpheus en


1853-54 et qu’il l’a créé lui-même à Weimar le 16 février 1854 en intro-
duction à l’Orphée et Eurydice de Gluck. Dans sa préface, il précise qu’il
revoyait le héros de la Grèce antique lorsqu’il dirigeait :
Nous crûmes apercevoir autour de lui, comme si nous l’eussions contemplé
vivant, les bêtes féroces des bois écouter ravies ; les instincts brutaux de l’homme
se taire vaincus ; les pierres s’amollir ; des cœurs plus durs peut-être, arrosés
d’une larme avare et brûlante ; les oiseaux gazouillants et les cascades murmu-
rantes suspendre leurs mélodies ; les ris et les plaisirs se recueillir avec respect
devant ces accents qui révélaient à l’Humanité la puissance bienfaisante de
l’art, son illumination glorieuse, son harmonie civilisatrice.2

1. Franz Liszt, « Robert Schumann », Neue Zeitschrift für Musik, XLII, 1855, p. 159 cité
par Detlef Altenburg dans « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des
Programs im symphonischen Werk von Franz Liszt », p. 19, [trad. par nos soins].
2. Franz Liszt, « Préface » d’Orpheus, extrait.
Sixième chapitre 289

La description, haute en couleur, évoque différents sens, en particulier


la vue – par les termes « apercevoir », « contemplé » – et l’ouïe. En effet,
les « bêtes féroces des bois écout[ent]1 ravies », « les oiseaux gazouillants
et les cascades murmurantes suspend[ent] leur mélodie ». D’autres termes
comme « les ris » ou « son harmonie » viennent conforter cette idée. Voici
encore un exemple de l’extraordinaire imagination « synesthésique » lisz-
tienne ! Et lorsqu’il mentionne « … ces accents qui révélaient à l’Humanité
la puissance bienfaisante de l’art, son illumination glorieuse, son harmonie
civilisatrice », Liszt attribue à la musique d’Orphée une fonction cathar-
tique et rédemptrice.
D’ailleurs, dans une lettre à l’un de ses protégés, Alexandre Ritter,
dans laquelle il se montre très narquois envers d’éventuelles critiques, Liszt
expose à nouveau, au sujet d’Orpheus, l’idée selon laquelle la musique
purifie et apaise les âmes :
Vous me demandez Orpheus, Tasso et Festklänge, cher ami ! Mais avez-
vous songé qu’Orpheus n’avait pas de véritable section de développement et
voletait tout bonnement de la béatitude à l’affliction, en exhalant la réconci-
liation dans l’art ?2
Notons que, malgré le ton ironique de ce passage, deux points forts
sont à relever : d’abord, l’absence de « section de développement » et ensuite
la fonction rédemptrice de l’art.
L’absence de « section de développement »3 est un phénomène rela-
tivement rare dans la musique de Liszt. Elle est due ici au fait qu’il n’y a
qu’un seul motif thématique générateur. Serge Gut précise à ce sujet :
D’abord, et contrairement à ce qui est la norme dans la plupart des poèmes
symphoniques de Liszt, il n’y a pas dans Orpheus de dichotomie thématique,
car il n’y a pas d’antagonisme entre deux idées qui se confrontent. En effet,
l’Idéal personnifié par Eurydice étant éliminé, il ne reste qu’un seul symbole,
celui du légendaire poète-musicien, et en conséquence, qu’une seule cellule

1. C’est nous qui soulignons tous les termes qui renvoient à l’ouïe.
2. Franz Liszt à Alexandre Ritter, LLB, t.1, p. 245 cité par Alan Walker, Franz Liszt,
p. 872.
3. Les commentateurs étant unanimes sur la question, nous ne donnerons que les
grandes lignes analytiques nécessaires à la compréhension de cette absence de section
de développement qui est au service du programme, véritable objet de notre attention
dans cette œuvre.
290 DEUXIÈME PARTIE

thématique qui fait naître des motifs apparentés selon le principe de la trans-
formation par variation.1
Gut fonde son discours sur les travaux de Rémy Stricker2 qui propose,
à juste titre nous semble-t-il, la cellule suivante comme génératrice de tout
le quatrième poème symphonique lisztien :

>> Exemple n° 54 : F. Liszt, Orpheus, cellule génératrice d’après Rémy


Stricker.

Plusieurs éléments thématiques dérivent en effet de cette cellule,3


pour s’organiser en un ensemble harmonieux, les explications verbales du
compositeur étant suffisamment éloquentes, en ce sens.
D’ailleurs, le musicologue Keith T. Johns va jusqu’à associer de manière
précise la structure tripartite de l’œuvre aux éléments du programme4 :
Orpheus
Section Mesures Élément du programme Tonalité
Introduction 1-14 Introduction Do
A 15-71 Caractère sereinement civilisateur Do
B 72-127 Sonorités voluptueuses, douces ondulations Mi
A 128-213 Auguste empire, graduel élèvement (sic) Do

Tableau n° 3 : Orpheus et ses liens avec le programme, vu par Keith T. Johns.

Si la lettre de Liszt à Ritter montre l’importance de ce programme dans


l’œuvre, il nous semble un peu présomptueux de l’associer aussi direc-
tement à la macrostructure. En effet, la pièce de Liszt offre son propre
déroulement dans le temps, fondé sur une thématique unifiée grâce à une
cellule génératrice, ce que nous avons déjà signalé. Le tableau de Johns ne
prend pas en compte l’évolution du matériau, de même que sa récurrence.
De plus, le fait qu’il ajoute à la partie A et à son retour – également noté

1. Serge Gut, « La Notion d’art rédempteur dans Orpheus de Franz Liszt », Musiques
d’Orphée, p. 120.
2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 321.
3. Voir à ce sujet : id., p. 321 et suiv.
4. Keith T. Johns, The symphonic Poems of Franz Liszt, p. 61.
Sixième chapitre 291

A – des parties de commentaires différentes, est illogique : les deux sections


devraient, si elles sont identiques, être sous-tendues par la même idée. Or,
ce n’est pas le cas : le matériau musical évolue au fil de ses présentations.
Anne Bongrain – dont le découpage d’Orpheus rend une idée beaucoup
plus précise que le tableau de Johns – donne une très belle description du
déroulement temporel dans le poème symphonique lisztien, en l’associant
au programme :
Le poème symphonique Orpheus, qui n’utilise que des temps [sic] modérés
ou lents, donne l’impression d’être une vaste mélodie continue, très souple, sans
presque aucun développement ni poussée passionnelle. Cela s’explique tout à fait
par les quelques lignes que Liszt a signées en guise de préface, qui rappellent que
la fonction du personnage-titre est de chanter, et par son chant, d’enchanter au
sens magique du terme. En fait, on peut discerner deux thèmes, chacun suivi
d’un long commentaire. Ces thèmes A […] et B […] sont apparentés : note de
départ répétée précédant un saut de quinte descendante, et groupe-broderie ;
mais les effets expressifs qu’ils provoquent, globalement très séduisants, s’at-
tachent à deux aspects différents que Liszt a retenus du mythe d’Orphée, l’un
plutôt actif (le thème A) et l’autre plutôt contemplatif (le thème B).1
La référence au programme est en effet bienvenue et explique en partie
les fondements thématiques de cette œuvre lisztienne si particulière. C’est
d’ailleurs dans son programme que le compositeur mentionne très clai-
rement la fonction de la musique orphique, et plus précisément dans la
« préface » de son poème symphonique :
Prêchée par la plus pure des morales, enseignée par les dogmes les plus
sublimes, éclairée par les fanaux les plus brillants de la science, avertie par les
philosophiques raisonnements de l’intelligence, entourée de la plus raffinée des
civilisations, l’Humanité aujourd’hui comme jadis et toujours, conserve en son
sein ses instincts de férocité, de brutalité, et de sensualité, que la mission de
l’art est d’amollir, d’adoucir, d’ennoblir. Aujourd’hui comme jadis et toujours,
Orphée, c’est-à-dire l’Art, doit épandre ses flots mélodieux, ses accords vibrants
comme une douce et irrésistible lumière, sur les éléments contraires qui se déchi-
rent et saignent en l’âme de chaque individu, comme aux entrailles de toute
société. Orphée pleure Eurydice, cet emblème de l’Idéal englouti par le mal et la
douleur, qu’il lui est permis d’arracher aux monstres de l’Érèbe, de faire sortir
du fond des ténèbres cimmériennes, mais qu’il ne saurait, hélas ! conserver sur

1. Anne Bongrain, La thématique des poèmes symphoniques de Liszt : Contribution à l’étude


de l’expressivité musicale dans la musique à programme, p. 97.
292 DEUXIÈME PARTIE

cette terre. Puissent du moins ne plus jamais revenir ces temps de barbarie, où
les passions furieuses, comme des ménades ivres et effrénées, vengeant le dédain
que fait l’art de leurs voluptés grossières, le font périr sous leurs thyrses meur-
triers et leurs furies stupides.1
Le message est limpide, de même que le contenu de l’œuvre. C’est
d’ailleurs ce même message que Liszt avait cru percevoir dans le vase du
Louvre qu’il avait qualifié d’« étrusque ». Il avait confondu un citharède
en concert avec Orphée, sûrement à cause de la cithare, symbole de la
musique, sujet principal de l’œuvre d’art visuel. Il lui avait, de ce fait,
attribué une vertu cathartique, rédemptrice, salvatrice, à l’instar de la
musique orphique. D’ailleurs, la fin de sa préface va totalement dans ce
sens :
S’il nous avait été donné de formuler notre pensée complètement, nous
eussions désiré rendre le caractère sereinement civilisateur des chants qui rayon-
nent de toute œuvre d’art ; leur suave énergie, leur auguste empire, leur sonorité
noblement voluptueuse à l’âme, leur ondulation douce comme des brises de
l’Élysée, leur élèvement [sic] graduel comme des vapeurs d’encens, leur Éther
diaphane et azuré enveloppant le monde et l’univers entier comme dans une
atmosphère, comme dans un transparent vêtement d’ineffable et mystérieuse
Harmonie.2
N’est-ce pas ici une description possible du fameux… vase étrusque du
Louvre, sur lequel un citharède peut se confondre avec Orphée ?
Cette idée d’universalité de la musique et de son rôle rédempteur
revient à plusieurs reprises dans les écrits de Liszt. Ainsi, dans son texte
« De la Fondation Goethe » de 1849, il insiste déjà sur la place de la
musique au sein des autres arts, après avoir rendu hommage au célèbre
poète allemand :
Goethe a été grand poète et grand écrivain. L’éloquence n’a point fait
défaut à ses écrits. Il s’est occupé des arts avec un intérêt tout particulier. La
peinture, la sculpture et la musique par leur sens poétique, autant que par
leur technologie, ont attiré ses plus curieuses recherches et ses plus ingénieuses
observations. Ce sont aussi ces arts qui précisément se joignent à la poésie et à
l’éloquence, pour réveiller, dans les masses, les émotions dues aux sentiments
qui, à juste titre, enorgueillissent l’humanité ; ce sont ces arts qui, isolés ou
réunis, familiarisent avec elles les masses et qui, en leur en faisant connaître le

1. Franz Liszt, « Préface » d’Orpheus, extrait.


2. Franz Liszt, id., extrait.
Sixième chapitre 293

pur attrait, le charme suprême, le noble besoin, la douce accoutumance, leur


inspirent peu à peu l’inclination de les transplanter dans la vie morale, et de les
rechercher dans leurs actions les plus sérieuses aussi bien que dans les plaisirs de
leurs heures de repos, exerçant ainsi cette influence civilisatrice que le principal
but du Comité est évidemment d’établir et de propager de plus en plus.1
Les vertus « civilisatrices », cathartiques de la musique ressortent nette-
ment de ce texte très poétique. La musique éduque l’Humanité et la dirige
vers une conduite morale.
Dans son quatrième poème symphonique, Orpheus, Liszt expose un
message universel, attribuant à la musique un rôle rédempteur et salvateur
qu’elle avait toujours eu dans sa vision romantique…

B. Une forme répertoriée mais cachée


au service d’un contenu religieux et nationaliste
dans La Légende de Sainte Élisabeth
Rémy Stricker résume le contenu de La Légende de Sainte Élisabeth par
une citation de Liszt lui-même au sujet d’un autre oratorio :
« La devise de mon oratorio est « Religion et patrie » (à Otto Lessmann,
Weimar, 7.5.1884.L.B. II/359.) » Il ne s’agit pas de la Légende de Sainte
Élisabeth, comme on pourrait le croire tout naturellement à ce point, mais
du Saint Stanislas auquel Liszt travailla sporadiquement à la fin de sa vie,
sans en achever plus de trois morceaux. Mais c’est bien ce qu’il aurait pu dire
d’Élisabeth.2
Il semble évident que « religion et patrie », pour reprendre les termes
de Liszt, soient à l’origine de cet oratorio.3 Tous les éléments musicaux
et littéraires semblent aller dans ce sens. Un rapide parcours de l’oratorio
permettra d’affiner ce postulat.
L’œuvre s’organise apparemment assez librement dans son ensemble.
À ce sujet, Liszt écrit qu’elle est « divisée en chœurs et soli, et se compose de six
morceaux clos mais liés entre eux… À cela vient s’ajouter l’introduction orches-

1. Franz Liszt, « De la fondation Goethe », réédité dans Rémy Stricker, Franz Liszt,
artiste et société, p. 370.
2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 311.
3. Cornelia Szabo-Knotik a bien illustré cette idée au sujet de la réception de l’oratorio
lisztien. Voir Cornelia Szabo-Knotik, « Changing Aspects of Sacred and Secular : Liszt’s
Legend of St. Elisabeth in the Repertory of the K.K. Hof-Operntheater in Vienna »,
p. 169-178.
294 DEUXIÈME PARTIE

trale (avec le motif principal en mi majeur) en un fugato souple et mélodique,


et deux parties orchestrales intercalées entre les morceaux, en l’occurrence la
“Marche des Croisés” et un interlude (après le numéro 5) »1 Notons la symé-
trie évidente de certaines parties.
Liszt construit certains tableaux comme de brèves symphonies, ou
emprunte des formules d’écriture propres au concerto : la première section,
« L’Arrivée d’Elisabeth », de la première partie adopte dans l’alternance de
ses tempi, le plan de la symphonie en quatre mouvements :
La partie consacrée aux « souhaits de bienvenue du peuple et du land-
grave Hermann » s’ouvre sur une introduction confiée aux cordes, cors et
ensemble de bois. Le tempo est allegro. Le chœur entonne ensuite son chant.
Cette étape correspond au premier mouvement dans une symphonie.
Le tempo se ralentit ensuite, « etwas langsamer-Poco più lento » lorsque
le landgrave Hermann accueille la petite fille. Il introduit de ce fait, le
chant du magnat hongrois, Andante moderato. Cet épisode qui débute
en ré mineur et où sonne la caractéristique gamme tzigane, renvoie au
deuxième mouvement d’une symphonie, même si le style responsorio de
l’écriture, faisant dialoguer le soliste avec l’orchestre, rappelle plutôt le
concerto2. Le chœur, accompagné par l’orchestre, intervient pour pour-
suivre la mélodie populaire magyare en ré majeur, déjà esquissée par le
landgrave. Ce dernier réexpose « langsamer-più lento » (mes.232 à 290) le
thème du magnat, légèrement varié grâce à une ornementation discrète.
L’atmosphère évoque celle du Lied An die ferne Geliebte de Beethoven3.
L’ensemble peut donc se rapprocher d’une structure ABA’d’un deuxième
mouvement de symphonie. Le court épisode où interviennent les deux
enfants, Ludwig et Elisabeth, sert de transition pour arriver à une section
de caractère scherzando.
En effet, l’indication générale allegretto con grazia – mesure 304 – alliée
à celle des clarinettes – quasi scherzando sempre staccato – ainsi que les
nombreux trilles des flûtes, donnent d’emblée une atmosphère de badinage.
La comptine en la majeur, chantée par le chœur (mes.327) conforte cette
idée. Elle reviendra à la mesure 368, après un passage contrastant « Etwas
belebter. Poco più animato » à la mesure 338. L’ensemble des mesures 304

1. Franz Liszt, lettre à Mihaly Mosonyi (Brand), Rome, 10 novembre 1862.


2. D’ailleurs, la partie vocale a cappella de Hermann, mesures 277 et suivantes, fait
étrangement penser à une cadence instrumentale de soliste.
3. Nous remercions ici Márta Grabócz d’avoir attiré notre attention sur ce passage.
Sixième chapitre 295

à 424 peut être assimilé à un grand scherzo-trio-scherzo symphonique


auquel Liszt aurait ajouté chœurs et solistes.
Le premier tableau de l’oratorio reprend d’ailleurs le chœur de bien-
venue en la majeur, Allegro non troppo animato, à l’instar d’un finale de
symphonie classique.
Dans la Légende de Sainte Élisabeth, cet exemple emprunté à la première
section de la première partie – donc l’arrivée d’Elisabeth – montre que
Liszt n’a pas oublié les structures instrumentales pour bâtir les fondements
de son oratorio.1
Si la macrostructure à six sections correspond aux six tableaux de la
fresque de Moritz von Schwind, la perception de la macroforme de cet
oratorio ne va pas de soi. Janos Matyas émet une hypothèse qui peut
sembler déroutante au premier abord :
En fin de compte, donc, cet oratorio qui comporte un thème principal (motif
fondamental) opérant des retours multiples et développé de façons très variées,
plusieurs thèmes secondaires faisant, eux aussi, l’objet de reprises et un ordre
tonal stable basé sur une tonalité fondamentale, est une composition du type
sonate. Au point de vue de la forme, elle est apparentée aux poèmes symphoni-
ques de Liszt. Son architecture rappelle un gigantesque rondo de sonate, mais
on pourrait également y voir une fantaisie en sonate devant son unité à la
thématique et à la tonalité, et découpée par le motif fondamental…2
Le livret, la récurrence des thèmes et des motifs ainsi que les tonalités
et les modes utilisés nous permettent de tirer des conclusions proches de
celles de Matyas au sujet de la macroforme de l’œuvre. En effet, le livret
met en lumière une évolution dramatique que l’on peut ainsi résumer3 :
– les numéros 1 et 2 présentent les principaux personnages dans une
atmosphère sans nuage (Élisabeth et le Landgrave Louis). C’est l’ex-
position de la situation ;

1. Un exemple éloquent montrant les liens entre la musique instrumentale, et plus spéci-
fiquement le poème symphonique, avec l’oratorio se trouve dans la thèse de Cornelia
Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende zum Orato-
rienschaffen als ästhetisches Problem.
2. Janos Matyas, texte de présentation de La Légende de Sainte Élisabeth, C.D. Hunga-
roton, p. 14-15.
3. Nous avons évoqué cette hypothèse dans notre article, Laurence Le Diagon-Jacquin,
« Signification des thèmes et des motifs dans la Légende de Sainte Élisabeth de Liszt »,
Analyse musicale 58, décembre 2008, p. 109-118.
296 DEUXIÈME PARTIE

– les numéros 3 et 4 montrent une situation de conflit : Louis part à


la croisade, Élisabeth tente de l’en dissuader. Une fois seule, elle est
chassée, avec ses enfants, par sa belle-mère. C’est l’intensification des
tensions ;
– les numéros 5 et 6 retournent au calme avec la mort et la sanctifica-
tion d’Élisabeth : c’est la résolution des tensions.
La façon dont Liszt choisit et utilise les différents motifs établit entre
eux une hiérarchie certaine. Les plus importants sont, bien sûr, celui de
Sainte Élisabeth, omniprésent, et celui du Crux fidelis, employé à partir
de la deuxième partie, jusqu’à la fin. La mélodie populaire magyare se
fait entendre dans les deux premières parties. Ces trois thèmes présentent
donc, à la fin du deuxième tableau, le personnage ainsi : Elisabeth, fille
de roi, mais aussi sainte et de nationalité hongroise. En confiant le thème
principal à Sainte Élisabeth et en privant son époux du plus simple motif
particulier, Liszt établit la suprématie de la jeune femme sur lui.
Dans la troisième partie, Liszt ajoute deux thèmes : le choral des croisés
et le chant populaire saxon.
Dans la quatrième, pour montrer toutes les tensions dont ce person-
nage est générateur, Liszt superpose le thème de la méchante Sophie à celui
d’Élisabeth.
Il ajoute encore deux thèmes dans les deux dernières parties : le chant
religieux hongrois extrait du Lyra coelestis, qui fait pendant au chant du
Magnat hongrois et au chœur de bienvenue du début, et le chant popu-
laire saxon.
Si Liszt se plie rigoureusement à la trame dramatique, et prête un
thème particulier à chaque protagoniste, sauf à l’époux de Sainte Élisabeth,
l’oratorio emprunte toutefois le schéma général suivant : présentation des
thèmes relatifs à Sainte Élisabeth, puis leur confrontation avec d’autres
éléments thématiques, et enfin le retour des éléments initiaux.
D’un point de vue harmonique, la tonalité de mi Majeur ouvre et
achève l’œuvre. Les tonalités essentielles des deux premières parties sont ré
Majeur (Magnat hongrois), la Majeur (chœur de bienvenue et sa reprise
terminale, jeux d’enfants), mi Majeur. Les tonalités des troisième et
quatrième parties, s’éloignent de la tonalité initiale, mi Majeur. En effet,
sib Majeur, tonalité distante d’un triton de la tonalité mère, résonne dans
le chœur des chevaliers croisés, et tranche alors avec l’aspect céleste du
thème de Sainte Élisabeth. Sib Majeur se fait largement entendre dans la
troisième partie. Au conflit entre Sainte Élisabeth et sa belle-mère sont
Sixième chapitre 297

attribuées les tonalités mineures de sol, lab, do#… S’ajoute le chromatisme


qui noie les repères tonals. La cinquième partie sonne en sol mineur, relatif
de sib Majeur, tonalités des troisième et quatrième tableaux, au moment de
l’intervention des pauvres. Avec la sixième partie, elle sert de récapitulatif
harmonique, aboutissant finalement à mi Majeur.
Comme le développe Charles Rosen dans son ouvrage Les Formes
Sonate sur l’utilisation de la forme sonate au xixe siècle et comme le résume
Alain Poirier au sujet de la Faust Symphonie, « le travail harmonique [se
fait] par éloignement/rapprochement par rapport au pôle de référence »1, en
l’occurrence ici mi Majeur.
Nous sommes donc en présence d’une forme sonate cachée. En effet,
Liszt a divisé son œuvre en deux grandes parties, chacune divisée en trois.
Mais, à travers le cheminement harmonique qu’il a adopté par rapport à
la trame dramatique et à l’évolution de ses motifs, nous pouvons décrypter
un plan en trois parties : exposition, intensification, résolution.
Pouvoir déceler un principe d’écriture relevant d’une forme sonate,
montre l’importance qu’accorde Liszt à la trame narrative. En effet, cet
oratorio illustre véritablement un drame. Bülow le qualifie même de
« drame empreint de spiritualité ». Il est vrai que le déroulement de l’in-
trigue, s’appuyant sur la vie de la Sainte, est cohérent, et que les trois
personnages principaux offrent un intérêt certain malgré leurs carac-
tères stéréotypés. Ainsi Ludwig est-il présenté comme un noble souve-
rain amateur de chasse. Éminemment croyant, il part courageusement à
la croisade. En revanche, sa mère, la Landgravine Sophie, personnifie les
principaux défauts : coléreuse et violente, elle chasse sa belle-fille par soif
d’ambition, montrant ainsi toute la méchanceté dont elle est capable. Ce
portrait caricatural ne correspond pas à la réalité historique relatée par
Charles de Montalembert. En effet, Sophie prend la défense d’Élisabeth
lorsque ses beaux-frères veulent la chasser :
…et, munis de leur double consentement des courtisans félons coururent
auprès de la duchesse Élisabeth, pour lui signifier la volonté de leur nouveau
maître, [Henri, le frère aîné]. Ils la trouvèrent auprès de sa belle-mère Sophie,
qu’une douleur commune avait rapprochée d’elle. Ils commencèrent par l’ac-
cabler d’injures, lui reprochèrent d’avoir ruiné le pays, prodigué et épuisé les
trésors de l’État, trompé et déshonoré son mari, et lui annoncèrent que, pour
châtiment de son crime, elle était dépouillée de toutes ses possessions, et que

1. Alain Poirier, « De Méphisto à Liszt », Silences 3 consacré à Liszt, p. 187.


298 DEUXIÈME PARTIE

le duc Henri, désormais souverain, lui ordonnait de sortir à l’instant même


du château. […] La duchesse Sophie, révoltée de tant de brutalité, prit sa
belle-fille entre ses bras, et s’écria : « Elle restera avec moi ; personne ne me
l’arrachera. Où sont mes fils ? Je veux leur parler. » Mais les émissaires lui
répondirent : « Non, il faut qu’elle sorte d’ici à l’instant » et se mirent en devoir
de séparer de force les deux princesses.1
Nous sommes bien loin, ici, du piètre portrait d’Otto Roquette.
A contrario, Élisabeth incarne toutes les vertus. Paul Munson pense
qu’elle représente les saintes veuves et les franciscains, par ses actes de
charité.2 Nous pourrions ajouter qu’elle demeure l’emblème de la Hongrie,
ce qui ne pouvait qu’émouvoir profondément Liszt. Les références à
des chants populaires hongrois, l’emprunt de l’antienne grégorienne de
« Sainte Élisabeth » qu’il pensait hongroise et non portugaise, en sont des
preuves musicales. Frank Reinisch3 attire cependant notre attention sur
le fait que Liszt ne cite qu’un seul motif d’origine allemande. Ce détail
montre à la fois l’aspect cosmopolite du compositeur et son insistance sur
la Hongrie dans l’œuvre. Précisons d’ailleurs que tous les saints revendi-
quent leur sentiment patriotique.
Selon Paul Munson, l’histoire de Sainte Élisabeth donne lieu à une
légende. Étymologiquement, une légende est une histoire vraie. Régis
Boyer4 théorise le schéma archétypal légendaire sous forme de neuf étapes :
1. Origine du saint, souvent de bonne famille.
2. Sa naissance : souvent une prédiction.
3. Son enfance
4. Éducation (peut être omise)
5. Piété (section spéciale bien que diluée dans le reste de sa vie)
6. Martyre ou description de sa mort qui doit être exemplaire. Suivie
d’éléments surnaturels.
7. Inventio : la découverte des reliques du saint
8. Si approprié Translatio : transfert des reliques.

1. Charles Montalembert, Vie de Sainte Élisabeth de Hongrie, p. 153-154.


2. Paul Munson, chapter 2 « Oratorio as a devotion : Die Legende von der heiligen
Elisabeth », The oratorios of Franz Liszt, p. 37.
3. Frank Reinisch, « Liszts Oratorium Die Legende von der Heiligen Elisabeth-ein Gege-
nentwurf zu Tannhäuser und Lohengrin ».
4. Régis Boyer, « An Attempt to Define the Typology of Medieval Hagiography, » in
Hagiography and Medieval Literature : A symposium (Odense : Odense University Press,
1981) cité par Paul Munson, The Oratorios of Franz Liszt, p. 36.
Sixième chapitre 299

9. Miracles.
Paul Munson s’est référé à cette catégorisation de Boyer et a tenté de
la percevoir dans l’œuvre de Liszt. L’éducation du Saint ou de la Sainte
pouvant être omise, il montre que le livret de La Légende de Sainte Elisabeth
comporte effectivement tous les ingrédients d’une légende :
– les trois premières étapes de Boyer se retrouvent dans la première
scène : Hermann et un Magnat hongrois rappellent son origine de
bonne famille ; le Landgrave propose de s’occuper d’elle comme un
père pendant le reste de son enfance. Les jeux avec Louis ainsi que
certaines interjections du chœur renseignent sur son enfance à la
Wartburg tandis qu’elle est promise au fils du Landgrave Hermann.
Ce dernier élément se rapproche d’une prédiction, rappelant celle
de Klingsohr dans l’ouvrage de Montalembert, scène absente chez
Schwind et chez Liszt ;
– la deuxième scène de l’oratorio correspond aux cinquième et
neuvième étapes de Boyer. La piété de la Sainte se révèle pendant le
miracle des roses ;
– les troisième et quatrième scènes reposent sur des événements néces-
saires pour expliquer la vie d’Elisabeth : dépouillée puis chassée, elle
entame une existence de misère et d’abnégation. Ajoutons que Paul
Merrick fait une erreur d’appréciation lorsqu’il considère que le pres-
sentiment de Sainte Élisabeth, à propos de sa mort, est une « ficelle
d’opéra ». C’est en effet une émanation appuyée de sa sainteté ;
– la cinquième scène montre à nouveau la piété de la Sainte. Sa mort
est exemplaire, ses dernières paroles rappelant celles du Christ, ce qui
correspond à la sixième étape de Boyer : sur son lit de mort, comme
Saint François d’Assise, elle offrira son dernier morceau de pain et
son manteau. Ce geste d’abnégation absolue, ajouté au caractère
exemplaire de ses actions passées, la confirme dans sa sainteté ;
– la sixième scène renvoie à la huitième étape de Boyer, puisque l’en-
terrement de la Sainte est clairement décrit.
Munson précise que l’union d’Elisabeth avec le Christ est sous-entendue
à chaque fois. Sa démonstration est justifiée, d’une part, dans le titre même
de l’oratorio, et d’autre part, dans certains écrits de Liszt. Ainsi, dans une
lettre à sa mère, Anna Liszt, de Rome, du 2 décembre 1862, il écrit :
Vous y retrouverez, pour ainsi dire, tout le suc et le parfum de l’ouvrage de
monsieur de Montalembert sur Sainte Élisabeth, sans aucune « des exagéra-
tions » qui vous ont quelquefois effarouchée dans ce livre, lequel pour être goûté
300 DEUXIÈME PARTIE

dans son entier demande, ce me semble, des lecteurs un peu familiarisés avec
la Légende des Saints et gagnés par avance à l’expansion surnaturelle d’une
piété ardente, jusqu’à l’héroïsme de l’abnégation la plus absolue, sans cesse
inassouvie, et ne pouvant se désaltérer qu’à des eaux mystiques qui rejaillissent
dans la vie éternelle.1
Il est clair que la vie des saints et les sujets religieux ont toujours été
très chers au cœur de Liszt. D’ailleurs, ne souhaitait-il pas faire de Sainte
Élisabeth une œuvre de dévotion ? Là encore, il l’explique à sa mère dans la
même lettre romaine du 2 décembre 1862 :
L’œuvre que j’intitule la Légende de Sainte Élisabeth de Hongrie, peut
se ranger dans la catégorie des Oratorios avec lesquels elle offre le plus d’ana-
logie. C’est de la musique qui confine à la prière et en relève ;2
Plusieurs éléments vont dans le sens de la piété dont parle Liszt, outre
les tonalités symboliques, dont nous avons déjà donné la signification, à
l’instar du mi Majeur, tonalité principale attachée à Dieu et à ses Saints
dans l’œuvre lisztienne. La modalité joue, elle aussi, un rôle important, de
même que certains enchaînements plagaux qui produisent des sons asso-
ciés à l’adoration religieuse. Ainsi, lors d’une modulation qui aboutit à
l’affirmation du mi Majeur triomphant, Liszt enchaîne la dominante à la
tonique en passant par la sous-dominante, en évitant la cadence parfaite :

1. Franz Liszt, lettre à sa mère, Rome, 2 décembre 1862, citée par Pierre Antoine Huré
et Antoine Knepper, Franz Liszt, Correspondance, (Choisie, présentée et annotée par),
p. 454.
2. Franz Liszt, lettre à sa mère, Rome, 2 décembre 1862, id., p. 453.
Sixième chapitre 301

>> Exemple n° 55 : F. Liszt, Légende de Sainte Élisabeth, mes.100-105


de l’introduction.

Cette couleur modale de myxolydien arrive lors du climax orchestral


dans l’introduction, fondée sur le Leitmotiv d’Élisabeth. D’autres passages
empreints de modalité parsèment la partition :
302 DEUXIÈME PARTIE

Les passages modaux, dans Sainte Élisabeth sont importants parce qu’ils
apparaissent au moment où l’on s’attend à ce que l’auditeur réagisse (intérieu-
rement) aux événements de l’histoire, c’est-à-dire, pendant les chœurs.1
Deux autres éléments contribuent à faire de l’oratorio une œuvre de
dévotion à portée universelle : la prise en compte de la spiritualité de la
Sainte, d’une part, et l’importance accordée aux prières, d’autre part. Le
contexte historique et géographique n’est que suggéré.
– L’intrigue de la Légende de Sainte Élisabeth s’inscrit dans un contexte
médiéval, même si le texte de Roquette donne très peu d’indications à
ce sujet, et qu’il induit même parfois en erreur, comme nous l’avons vu
dans le portrait de la comtesse Sophie. L’accent est mis sur l’appartenance
d’Élisabeth à une classe sociale et à une hiérarchie monarchique claire-
ment définies. D’ailleurs le fait que la reine Élisabeth se consacre, jusqu’à
ses derniers moments, aux pauvres renforce la noblesse de ses actes. En
revanche, les lieux ne sont pas toujours explicitement décrits. La première
section se déroule à la Wartburg, la seconde, qui illustre une scène de
chasse avant le miracle des roses, reste floue. Il en est de même pour la
troisième consacrée aux chevaliers de la Croix. La quatrième se déroule
probablement à la Wartburg, dont Élisabeth est chassée, sans que l’on
sache où elle se rend après. La cinquième section, consacrée à Élisabeth,
n’offre pas non plus de précisions géographiques. Même la consécration
d’Élisabeth dans la sixième section laisse des doutes au sujet du lieu de l’ac-
tion. Certes, le retour des croisés permet de supposer que la scène se passe
à la Wartburg, mais la présence des évêques hongrois et allemands, ainsi
que celle de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, et celle des indigents
et du peuple, laissent planer l’ambiguïté.
Les aménagements de Liszt, et surtout de Roquette par rapport au
texte de Montalembert, mettent encore plus nettement en valeur la sain-
teté du personnage en altérant l’exactitude historique et en abandonnant
les références géographiques trop précises. La vie de la Sainte prend alors
une véritable portée universelle.
– Afin de mettre l’accent sur ses prières, Liszt refuse la mise en scène de
son oratorio. Il insiste sur ce point :
… elle est destinée à être chantée, et accompagnée par l’orchestre, – mais
non représentée. Par ce mode, elle s’adresse à des auditeurs, à l’exclusion des

1. Paul Munson, The Oratorios of Franz Liszt, p. 44.


Sixième chapitre 303

spectateurs, l’action dramatique rendue sensible aux yeux par le mouvement,


les gestes et les costumes des personnages n’y ayant point part.1
Ce refus de mise en scène se justifie déjà par le choix du librettiste,
comme le souligne Frank Reinisch :
Mais le fait que ce ne soit pas Peter Cornelius, mais Otto Roquette – qui
n’était associé que de loin au cercle de Weimar et plutôt ignorant des innova-
tions musicales de Liszt et de Wagner ou qui était réservé à leur égard – qui
fut chargé du livret, est compris comme une tentative de Liszt pour empêcher
de prime abord une conception arrangée dramatiquement. Il ressort aussi des
lettres de Roquette que Liszt songeait à donner peu de place aux moments
scéniques de l’action.2
Il est vrai que les prières interviennent dès la deuxième section, après
le miracle des roses, point culminant du livret, tant d’un point de vue
dramatique, que d’un point de vue musical. Les actions de grâce de Louis
et d’Élisabeth conduiront d’ailleurs à leur unique duo avant l’intervention
d’un chœur également en prière. Dans la scène suivante, le chœur des
chevaliers de la Croix, fondé sur le Crux fidelis, donne déjà un caractère
recueilli avant d’introduire un chant religieux :
Aux bords sacrés où le Sauveur,
Mourut en Croix pour notre erreur,
Nous suivent tous pieux soldats
Pour s’illustrer aux saints combats
Que tout chrétien fidèle se rende où Dieu l’appelle !3
Ce choral des croisés, véritable prière, insiste sur le caractère religieux
de l’épisode.
La quatrième partie montre l’opposition entre Sophie et Élisabeth,
ainsi que le violent orage. Les prières sont absentes de cet épisode extrê-
mement dramatique, même si la musique contribue à rétablir, enfin, une
atmosphère plus calme. La cinquième partie intensifie le rôle des prières et
des chants religieux. La prière initiale d’Élisabeth montre sa totale dévo-
tion au Seigneur :
O Dieu, Seigneur,

1. Franz Liszt, lettre à sa mère, Rome, 2 décembre 1862, cité par Pierre Antoine Huré
et Antoine Knepper, Franz Liszt, Correspondance, p. 453.
2. Frank Reinisch, « Liszts Oratorium Die Legende von der Heiligen Elisabeth-ein Gege-
nentwurf zu Tannhäuser und Lohengrin », Liszt Studien 3, p. 131.
3. Traduction du livret de La Légende de Sainte Élisabeth, traduction de la partition,
p. 153-154.
304 DEUXIÈME PARTIE

Des jours de ma splendeur


Ainsi que de mon malheur,
Je te rends grâce…1
La musique de Liszt accompagne évidemment la prière de la Sainte par
des développements de son Leitmotiv. Le chœur d’indigents, qui dépeint
des œuvres de miséricorde, commence par la répétition d’une phrase mélo-
dique, à l’unisson entre les soprani, alti et basses. Seule une ponctuation
des bois permet un lien entre les deux phrases. Liszt harmonise la phrase
suivante à quatre voix. Il répète ensuite sa mélodie en changeant l’har-
monie, avant de conclure sur une courte incise. Le passage harmonisé se
présente ainsi :

1. id., p. 322.
Sixième chapitre 305

>> Exemple n° 56 : F. Liszt, chœur des indigents dans la cinquième partie
de La Légende de Sainte Élisabeth, mes. 323-330,
p. 344.

Ce passage est intéressant pour comprendre comment Liszt introduit


une écriture polyphonique proche de celle de la Renaissance, tout en
conservant un langage spécifique au xixe siècle. D’un point de vue pure-
306 DEUXIÈME PARTIE

ment mélodique, les trois phrases ont une couleur clairement modale. En
revanche, l’harmonisation appartient sans conteste au monde tonal.
Mais la tonalité est ici élargie, puisque Liszt fonde son discours sur la
gamme suivante :

>> Exemple n° 57 : F. Liszt, gamme à tonalité élargie de sol mineur,


« chœur des indigents » dans la cinquième partie de La
Légende de Sainte Élisabeth, mes. 323-330.

Si un doute pouvait effleurer l’esprit dans les deux premières phrases,


l’évolution mélodique fa, fa# et sol dans la troisième, aux voix graves, l’en-
lève sans conteste. Le schéma tonal est donc le suivant :
La première phrase aboutit sur une demi-cadence en sol mineur. Notons
que Liszt intercale un troisième degré entre le quatrième et le cinquième
minorisé, mesure 324, sur le premier temps.
La deuxième phrase termine sur un accord de sib à l’état fondamental.
C’est un troisième degré en sol mineur, qui est un degré de remplace-
ment. En effet, il se substitue au cinquième, et permet ainsi de relancer le
discours, sans répétition inutile.
La troisième phrase affirme la cadence parfaite en sol mineur. Comme
nous l’avons déjà dit, la minorisation du cinquième degré par le fa bécarre
suivie de sa majorisation grâce au fa dièse, enlève toute ambiguïté sur la
gamme employée par le compositeur dans ce passage.
Il ressort de notre analyse harmonique que Liszt élargit le principe de
tonalité, à partir d’une mélodie modale. De plus, il adopte un processus de
« défonctionnalisation » tonale : les enchaînements d’accords sont ici plus
souples, plus variés que dans la musique tonale traditionnelle. En cela, Liszt
se rapproche des procédés employés à la Renaissance. Il s’en écarte par son
rapport à la tonalité : cette dernière s’efface dans son discours devant une
modalité de plus en plus présente. Dans la musique de la Renaissance, ce
postulat s’inverse : la modalité s’efface au profit de la tonalité. Pour accen-
tuer l’aspect religieux de son oratorio, Liszt a donc employé et élargi le
principe de modalité.
Le chœur des anges termine cette cinquième partie en confiant l’âme
de la pieuse Élisabeth au Seigneur.
Sixième chapitre 307

La sixième et dernière partie fait entendre la prière du peuple, celle


des croisés, celle du chœur religieux, en latin ici, et celle des évêques
hongrois et allemands. C’est, en fait, une gigantesque prière dans laquelle
« Élisabeth représente, à la fin, l’Église. Elle est devenue l’objet de la véné-
ration du chœur. »1
Liszt a rendu hommage à Sainte Élisabeth grâce à la découverte des
fresques de la Wartburg. Certains commentateurs ne se sont pas montrés
sensibles à l’objectif presque missionnaire qu’il s’était fixé. Rémy Stricker
critique vertement cet ouvrage :
En réalité, l’ouvrage ressemble un peu, un peu trop, à la peinture archaïque
et fade de Schwind. Peut-être le même dessein de faire pieux, populaire et
patriotique en est-il la cause. Semblable mécompte avait sanctionné Schumann
avec son Pèlerinage de la Rose. Et il est survenu à Liszt la même mésaventure
qu’au Berlioz de l’Enfance du Christ (laquelle laissait Liszt assez réticent,
d’ailleurs) : une musique un peu sage a enfin désarmé ses contemporains.2
Il semble que cet auteur n’ait pas saisi à quel point la musique de
Liszt invite avant tout à la prière. En effet, l’appartenance de la Sainte à
l’ordre des franciscains, avec lequel Liszt partageait le saint patron, devait
le toucher. Par ailleurs, la nationalité hongroise de la Sainte lui conférait
une certaine fierté et une émotion patriotique. Le fait que le matériau
thématique soit si unifié, voire que les motifs se confondent à l’audition,
peut s’avérer, de prime abord une faiblesse, mais en y regardant de plus
près, il constitue un tout qui se veut homogène et facilement accessible
pour laisser à chacun – homme du peuple ou souverain – la liberté de la
méditation. De ce fait, le projet de « faire pieux, populaire et patriotique »
selon l’expression péjorative de Stricker, semble tout à fait abouti.

C. Deux attitudes face à la Mort :


de Il Pensieroso à La Notte
…voici qu’émergent les images de Julien et de Laurent, celle-ci surnommée
le Pensieroso, ou Pensoso, depuis le xvie siècle. Ces deux effigies, d’un carac-
tère si impersonnel qu’elles frappèrent de stupeur les contemporains de Michel-
Ange, et entourées de figures annonçant le passage d’une forme inférieure à
une forme supérieure de vie, ne sont ni des portraits d’individus vivants, ni

1. Paul Munson, The Oratorios of Franz Liszt, p. 41.


2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 313-314.
308 DEUXIÈME PARTIE

des personnifications d’idées abstraites. On a dit à juste titre qu’elles représen-


tent l’âme immortelle des défunts plutôt que leur personnalité empirique ; et
que leur association, dans la composition, avec les Heures du Jour placées en
dessous, est une réminiscence de ces sarcophages romains où l’effigie du mort est
emportée par-delà la sphère de la vie terrestre, symbolisée par les figures éten-
dues de l’Océan et de la Terre.1
Ces quelques lignes de Panofsky montrent combien la figure du
Pensieroso michelangelesque interpelle le spectateur, et le pousse à réagir du
plus profond de son être. Comme nous l’avons montré dans notre partie
consacrée aux allégories, ces questionnements métaphysiques abondent.
Mais la mort, ou « le passage d’une forme inférieure à une forme supérieure de
vie », comme l’écrit Panofsky, restent au centre des préoccupations.
Le Pensieroso lisztien renvoie aux mêmes tourments.
Le compositeur impose un caractère sombre du début à la fin de la
pièce, restant ainsi dans ce que Márta Grabócz appelle la même « isotopie »2,
en l’occurrence ici, celle du deuil. La courte pièce de Liszt est, en effet,
rappelons-le rapidement, fondée sur la répétition variée d’une strophe
musicale, évoluant pour la première, de la tonique (do#) à la dominante
(sol#), mesure 22, et pour la seconde, de la tonique à la tonique, mesure
39. Chaque strophe est composée de phrases musicales. Une coda de neuf
mesures vient clore le morceau, dans une atmosphère encore plus éthérée.
Liszt utilise donc un procédé de variation formelle dans la macrostructure
d’Il Pensieroso, à partir d’un seul thème, exposé dans deux parties. Voici
le détail du déroulement de la pièce, avec d’abord l’analyse de la première
strophe :
– la première phrase, mesure 1 à 4, évolue peu mélodiquement, passant
du mi au do#. Elle reste, malgré quelques couleurs passagères, en do#
mineur3 ;
– la deuxième phrase, mesure 5 à 8, est fondée sur deux notes, d’un
point de vue mélodique : mi et ré#. Elle revient sur mi, à la fin.
Harmoniquement, elle commence en do# mineur, pour terminer en

1. Erwin Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », Essais d’iconologie,


p. 291.
2. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt. Influence du Programme
sur l’évolution des formes instrumentales.
3. Voir le chapitre iv, dans lequel nous détaillons les enchaînements harmoniques de
cette première phrase.
Sixième chapitre 309

mi majeur. Rappelons ici l’effet archaïsant de l’accord de tonique


sans tierce ;
– la troisième phrase, mesure 9 à 13 commence sur un accord de
quinte augmenté sur ré#, et termine sur un accord de neuvième de
dominante pour aboutir sur une cadence parfaite en sol. L’accord
de premier degré étant privé de tierce, la tonalité devient, de ce
fait, sujet à caution. Ainsi Márta Grabócz1 entend-elle sol majeur,
tandis que Serge Gut, nous l’avons vu, opte pour sol mineur, vrai-
semblablement à cause des mib dans la mesure précédente et du sib
qui arrive à la fin de la mesure 13. C’est le début mélodique de la
phrase suivante et non la fin de cette phrase. Comme nous l’avons
expliqué à l’aide d’une réduction harmonique et par la technique de
la réécriture, cette phrase se termine ponctuellement en sol majeur,
mais dans l’ensemble de la pièce, le sol a une fonction de dominante
abaissée. Il s’agit donc d’une demi-cadence en do# mineur, avec un
cinquième degré abaissé ;
– la dernière phrase offre plusieurs particularités par rapport aux précé-
dentes. D’abord, elle est considérablement élargie, et commence à
la mesure 12 pour terminer à la mesure 22. Ensuite, elle présente
les mêmes caractéristiques harmonico-mélodico-rythmiques que les
mesures 13-14 de la troisième phrase, mais s’en distingue par une
descente chromatique des mesures 16 à 19. En effet, Liszt la fonde
sur une courte section en glissements chromatiques avant d’amplifier
ce procédé sous forme d’une marche chromatique descendante. Il
joue, harmoniquement, avec des effets de coloration autour de l’ac-
cord de quinte augmentée. Enfin, c’est la seule phrase qui aboutisse
sur une demi-cadence clairement affirmée, en do# mineur, donc sur
sol#.
Le schéma harmonique de cette première strophe se résume à une
progression de tierces mineures ascendantes : do#, mi, sol. La mélodie, de
faible ambitus, est supportée par un quasi ostinato, en rythme pointé.
La seconde strophe s’appuie sur la première, dans le sens où elle en
offre une répétition variée :
– la première phrase de cette deuxième strophe reprend la phrase initiale
de la première – donc commence, mesure 23, et termine, mesure 26,
en do# mineur – à l’exception de deux changements : d’une part,

1. Márta Grabócz, op. cit, p. 76.


310 DEUXIÈME PARTIE

l’accompagnement est en croches perpétuelles, sotto voce, pesante, et


investit le registre grave d’une manière encore plus affirmée que la
première. David Damschroder1 mentionne ici, pour l’écriture de la
basse, la référence à Schubert, plus spécialement « l’adagio » de la
Wandererfantasie. Cette progression dans le grave va s’accroître dans
la deuxième phrase. D’autre part, le départ ne se fait pas en anacrouse,
contrairement aux phrases précédentes de la première strophe ;
– la deuxième phrase commence à nouveau sur une anacrouse, mais
diffère du cheminement harmonique de son modèle, dans la première
strophe : elle débute en do# mineur, mesure 27 et aboutit sur une
couleur de fa majeur, mesure 30. Seulement, il n’y a toujours pas là
de modulation : l’accord fa bécarre – la – do bécarre est encore un
accord altéré, donc ici un quatrième degré, en do# mineur. Le passage
des mesures 31 à 32 est donc un enchaînement plagal. L’ambiguïté
de la fonction de la mesure 32 a été bien explicitée par Serge Gut :
Structurellement, la mesure 32 est équivoque. Harmoniquement et mélo-
diquement, elle appartient déjà à la dernière période ; mais rythmiquement, en
raison de son rythme agrandi et du dessin de la basse, elle appartient encore à
la période précédente. Il y a là un effet de tuilage qui permet d’introduire « en
douceur » la seule période différente de tout le morceau.2
– la dernière « période » débute effectivement à la mesure 33 sur un
accord de tonique en do# mineur. Composée de deux grandes phrases
musicales répétées, elle pourrait déjà faire office de conclusion. En
effet, elle reste en do# mineur. Liszt enchaîne les Ve et Ier degrés dans
sa cadence, avec un premier degré fondé sur un accord de septième
de dominante. Il relance ainsi son discours musical.
Si cette analyse nous semble possible, nous lui préférons une autre
version : les deux phrases musicales n’étant plus fondées sur le rythme
pointé caractéristique des précédentes, mais sur une descente chroma-
tique, elles rappellent la fin de la quatrième phrase de la première strophe.
Notons qu’ici, malgré le chromatisme commun, le discours s’effectue à
partir d’une marche harmonique. Nous optons donc pour une condensa-
tion des deux dernières phrases de la première strophe, sous forme d’une
grande incise bipartite, constituée d’une duplication légèrement variée.

1. David Damschroder, « Liszt’s composition Lessons from Beethoven (Florence 1838-


1839) : Il Pensieroso », p. 14.
2. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », p. 19.
Sixième chapitre 311

L’ensemble de la deuxième strophe accentue encore le côté sombre


de la première, grâce au mouvement inquiétant des croches de l’accom-
pagnement dans ses deux premières phrases, et à l’emploi plus étendu du
chromatisme.
Quant à la coda, elle reprend le matériau musical de tout le morceau :
mélodiquement, grâce à sa note do# répétée et sa ligne chromatique de la
mesure 44, rythmiquement, avec le rappel du rythme pointé, et harmo-
niquement, avec l’affirmation de la tonalité do# mineur, ainsi qu’avec la
minorisation de certains accords, la minorisation étant le principe général
de composition de cette pièce.
Le rythme pointé caractéristique des marches funèbres, la mélodie de
faible ambitus – fondée sur la redondance de certaines notes, comme le mi
dans le registre grave au début – le tempo Lento, l’harmonie, constituée de
chromatismes, d’accords tendus avec quinte augmentée ou triton, la tona-
lité générale mineure, sont autant de paramètres qui confèrent à la pièce
de Liszt un caractère grave, lugubre, macabre, correspondant parfaitement
à sa source d’inspiration sculpturale.
Liszt a donc bien rendu l’atmosphère sombre de la statue michelange-
lesque. De plus, il oblige l’auditeur à une réflexion métaphysique et intros-
pective, à l’instar de son modèle de pierre. Cette réflexion s’adresse à tous
les auditeurs, de même que la statue s’offrait au regard de chaque specta-
teur : dans les deux cas, le message philosophique est universel.
Mais la question qui reste en suspens concerne la reprise par Liszt,
dans la Notte de la musique du Pensieroso dans les années 60. Certes, ce
retour montre que le compositeur retrouve Michel-Ange, artiste qu’il a
tant admiré toute sa vie. Mais cette remarque demeure insuffisante pour
expliquer l’emprunt du pianiste à sa propre pièce musicale, ainsi que la
raison qui l’a incité à changer le titre.
Pour proposer une hypothèse plausible sur les motivations de Liszt à ce
sujet, retournons à La Notte michelangelesque, dont Marc Le Bot résume
de manière éloquente le contenu, si incompris à l’époque de Michel-
Ange :
La Nuit est une image bouleversante : un corps humain, qui porte sur soi
les marques de son vieillissement, qui parle lui-même de cette mort qui nous
habite, entre en correspondance avec le cosmos. Par lui, on s’y repère. Nous y
312 DEUXIÈME PARTIE

repérons les conditions de notre vie et de notre mort : nous pensons, grâce à lui,
notre destinée.1
La notion de « corps humain qui porte sur soi les marques de son vieillis-
sement » est à retenir. En effet, reprendre une pièce ancienne et l’étoffer,
équivaut, pour Liszt, à se retourner sur son passé tout en voulant intro-
duire des marques du présent. La démarche même du compositeur renvoie
au symbolisme de son modèle visuel. Les « corrections » apportées à Il
Pensieroso montrent « les marques du vieillissement », de la maturité, de son
auteur. L’étude de la forme de La Notte ainsi que les liens qui l’unissent
aux autres pièces de son cycle, permettront de préciser cette idée.
Rappelons brièvement que La Notte est un vaste ABA’, les parties
extrêmes se rapportant à la musique d’Il Pensieroso. Cependant, la troi-
sième partie (A’) est tronquée par rapport à la première, A. En effet, Liszt
ne reprend pas la première phrase de la première strophe. Il choisit de
commencer sa réexposition par la troisième phrase de cette première
strophe. L’accompagnement de la mélodie gagne ici en intensité drama-
tique, car Liszt substitue à ses pesants accords des trémoli de triples croches :

>> Exemple n° 58 : F. Liszt, La Notte, mes. 142-146.

Seules quatre mesures rompent avec l’atmosphère tragique et inquié-


tante dans cette partie A’. Il s’agit du passage qui correspond aux mesures
21 et suivantes de la partie A :

1. Marc Le Bot, Michel-Ange, p. 58.


Sixième chapitre 313

>> Exemple n° 59 : F. Liszt, La Notte, mes. 150-153.

Liszt a effectivement changé le caractère de son modèle. D’abord,


il indique des nuances p à la main droite, et pp à la main gauche, afin
d’adoucir l’atmosphère tendue précédemment. Ensuite, il change l’écriture
de son thème, dont il présente une harmonisation arpégée, lui conférant
ainsi un caractère chantant. Mais le côté sombre et tragique revient grâce à
l’écriture d’une mélodie statique avec des accords chromatiques accompa-
gnant à la main droite, et des tremoli omniprésents à la main gauche.
Par ailleurs, Liszt allonge encore son épisode de transition, avant le
retour de la seconde strophe, sotto voce, pesante, mes.162.

>> Exemple n° 60 : F. Liszt, La Notte, mes. 156-161.

Les octaves successives, dans le registre grave, renforcent l’impression


d’atmosphère inquiétante et sombre.
314 DEUXIÈME PARTIE

La fin de la pièce est semblable à celle d’Il Pensieroso, exception faite


de la coda, rallongée, dont l’élimination beethovénienne est encore plus
propice à la réflexion, au questionnement, chez l’auditeur.
Si la reprise de la musique d’Il Pensieroso est encore plus noire dans la
Notte, la différence fondamentale réside dans la partie centrale de la pièce.
Un accord de septième diminuée, égrainé, fait la liaison dans l’enchaî-
nement des deux grandes premières parties, mesure 54. Il arrive sur la
mélodie Sempre lento, dolcissimo, en notes longues, de caractère cantabile :

>> Exemple n° 61 : F. Liszt, La Notte, mes. 55-60.

Ce deuxième thème contraste avec le premier : son accompagnement


quasi arpa accentue le caractère chantant de la mélodie en la majeur,
mélodie très proche des thèmes d’opéras français ou italiens du xixe siècle.
Rappelons que c’est au-dessus de ce second thème que Liszt a cité les vers
virgiliens, comme si le souvenir de la terre natale avant de mourir l’apaisait
à ce fatidique moment. La cadence hongroise retentit une première fois,
pour affirmer la tonalité, comme une identification, de la part du composi-
teur, au héros grec loin de sa patrie. Jean-Jacques Eigeldinger résume bien
le lien qui unit Liszt au contenu de la partie centrale de La Notte, grâce à
l’emploi de la « gamme tzigane » :
Or c’est une signature musicale, tout comme dans Vallée d’Obermann
la « gamme hongroise » signe in fine le dernier avatar de la transformation
thématique : Obermann c’est moi. Ce soldat grec qui meurt en terre étrangère,
c’est moi qui m’identifie au symbole représenté par la statue de Laurent de
Médicis, méditant sous son casque. De fait, une poignante impression de regard
Sixième chapitre 315

rétrospectif, venu d’un au-delà en direction du présent endeuillé, traverse cette


musique.1
L’allusion autobiographique est très claire. De plus, le musico-
logue suisse renforce sa démonstration à l’aide de références purement
musicales :
N’est-ce pas un peu l’effet du trio en regard de la marche funèbre dans la
Sonate op.35 de Chopin – la même réalité vue « de l’autre côté » ? Tout se
passe comme si la Notte superposait cumulativement ce dernier héritage à celui
de Beethoven dans Il Pensieroso.2
La référence à Chopin dans cette dernière version semble tout à fait
pertinente, tant pour l’allusion au trio, qui correspond ici à la partie
centrale, que pour l’écriture : Chopin se référait souvent musicalement à
l’opéra, et plus particulièrement aux mélodies bel canto.3
Liszt répète ensuite l’enchaînement de sa phrase bel canto à sa cadence
magyare, cette fois en mi majeur. Cet aspect « hongrois » se retrouve
également dans le passage suivant, dont le caractère sombre tranche avec
la pétillante cadence hongroise. Ce moment con duolo est fondé sur la
gamme hongroise sur la :

>> Exemple n° 62 : échelle hongroise sur la.

Ici, Liszt surprend l’auditeur en ne concluant pas par une cadence sur
le do# final :

1. Jean-Jacques Eigeldinger, « Anch’io son’ pittore » ou Liszt compositeur de Sposalizio


et Pensieroso, in De l’Archet au Pinceau, p. 72.
2. Idem, Ibidem
3. Voir à ce sujet, Jean-Jacques Eigeldinger, Chopin vu par ses élèves, ou encore le chapitre
sur Chopin dans Charles Rosen, The romantic Generation.
316 DEUXIÈME PARTIE

>> Exemple n° 63 : F. Liszt, La Notte, mes. 72-78.

En effet, il emploie un accord de quarte et sixte sur un sol#, alors


que l’auditeur s’attendait à une tonique nettement affirmée ici en do#
mineur. Puis il répète tout ce passage à partir des mesures 81, en affirmant
sa mélodie par des octaves puissantes. Mais là encore, il n’impose pas la
tonalité de do# mineur par une cadence parfaite, aux mesures 88 et 90. Il
prend le parti de ne pas interrompre son discours musical par des cadences
attendues. Cette option de ne pas répondre aux attentes de l’auditeur
se confirme largement par la suite. Liszt conduit une mélodie cantando
mes.90-96 sur pédale de fa#, perçue comme une dominante. Mais cette
fonction de dominante s’estompe mesure 97, avec une mélodie piangendo
offrant un dialogue entre les deux mains, en mode hongrois sur sol# :

>> Exemple n° 64 : F. Liszt, La Notte, mes. 97-99.

De la même manière, cette couleur modale reste éphémère et Liszt


multiplie les enchaînements d’accords de sixte sensible et quinte dimi-
nuées avec des accords de triton ou de quarte et tierce, noyant ainsi l’audi-
Sixième chapitre 317

teur sous un flot de couleurs passagères dénué de pôle tonal véritable. Il


faut attendre le retour de la mélodie bel canto, mesure 112, pp et dolcissimo
celeste, ainsi que la cadence magyare, d’un caractère tout à fait différent,
pour entendre vraiment une cadence plagale en la majeure, mes.120.
Certes, la couleur initiale du retour de cette mélodie est fa# mineur, mais
la cadence ne laisse aucun doute. Notons que Liszt a amplifié sa mesure
119 par rapport à la mesure 62, pour offrir sa cadence plagale, avec un
accord de quatrième degré minorisé :

>> Exemple n° 65 : F. Liszt, La Notte, mes. 119-120.

Il répète également l’ensemble de ce passage en mi majeur, mais il


propose une fin amplifiée, usant de son même procédé d’harmonisation
minorisée. Par le jeu des enharmonies, il termine sur un sib suspensif
mélodiquement, après un passage harmoniquement très fluctuant. Après
ce point d’arrêt, il reprend la musique d’Il Pensieroso, dont nous avons déjà
donné les caractéristiques essentielles.
D’un point de vue sémantique, cette analyse formelle impose quelques
conclusions :
– la référence funèbre, qui était implicite dans Il Pensieroso, devient
maintenant beaucoup plus explicite : lento évolue en lento funebre.
De plus, Liszt cite, dans sa partie centrale, des textes en rapport avec
la mort, que ce soit le quatrain de Michel-Ange en exergue, ou les
vers de Virgile. Nous ne revenons pas sur les caractéristiques musi-
cales rattachées au thème de la mort, tant nous les avons explicitées
dans nos première et troisième parties. L’emplacement même de La
Notte dans le cycle des Trois Odes funèbres lui confère une significa-
tion particulière, la deuxième « Ode funèbre » n’étant pas disposée
au hasard dans de ce cycle, tout entier placé sous le signe de la mort
318 DEUXIÈME PARTIE

comme le précise Theodor Edel1. Ainsi, le triste accord initial de mi


mineur, dans le grave, donne-t-il une relation harmonique évidente
avec la fin de la pièce les Morts qui précède. Cette dernière termine
par un magnifique accord de mi majeur dans l’aigu. De même, le
dernier do# de la Notte, devient la première note réb de la troisième
Ode ;
– à l’époque de la composition de La Notte, Liszt est désabusé, comme
l’atteste la lettre romaine qu’il écrit à la Princesse Carolyne Sayn
Wittgenstein :
Ce soir, je finirai le développement du Pensieroso que vous avez vu sur
mon bureau. Si ma musique est totalement inutile aux autres, du moins, à moi,
elle me sert bien – remplissant mes jours autant que je pourrais le souhaiter.2
Ce Pensieroso « développé » était donc utile pour le bien-être du compo-
siteur. Nous en concluons qu’il confiait, dans sa partition, ses propres tour-
ments intérieurs, qu’il offrait un témoignage autobiographique musical,
ce que Jean-Jacques Eigeldinger a évoqué précédemment. D’ailleurs, la
citation des vers de Virgile qui mettent en scène le héros agonisant loin de
ses terres natales, renvoie à Liszt, expatrié depuis des années. De même,
la cadence hongroise et l’emploi de la gamme hongroise, avec ses deux
secondes augmentées caractéristiques, font référence aux origines du
compositeur. Ajoutons que Liszt se montre très sensible à sa pièce La Notte.
Après l’avoir terminée, il écrit sur la partition : « s’il y a de la musique à mon
enterrement, je demande que ce soit cette partition, et une partie de ma compo-
sition précédente, Les Morts. S’il me reste quelques années à vivre, je compo-
serai mon propre Requiem – Madonna del Rosario, juin 1864. » Et deux ans
plus tard, après l’achèvement des trois Odes, il laisse ses instructions finales
sur la page de titre : « S’il y a de la musique à mon enterrement, j’aimerais
que ce soit la deuxième de ces odes (La Notte, d’après Michelangelo), à cause
de la cadence Hongroise [magyar] aux pages 3,4,5 et 6 de la partition. Rome,
novembre, 1866. »3 La référence à la vie du compositeur est ici éloquente.
Stricker s’y arrête également :

1. Theodor Edel, « Liszt’s La Notte, Piano music as a self-portrait », p. 50-51.


2. Franz Liszt, lettre de 1863 à la Princesse Sayn Wittgenstein, Rome, cité par Lina
Ramann (éd.), Franz Liszts Briefe, vol. VI, p. 19.
3. Informations recueillies dans l’article de Theodor Edel, « Liszt’s La Notte, Piano music
as a self-portrait », p. 59.
Sixième chapitre 319

Virgile et le Tzigane se retrouvent associés, dans le nouveau passage, par


une autre citation de l’Énéide, concernant un soldat grec qui trouve la mort à
Troie […] Même souci d’universalisation sauf que, cette fois, il s’agit de Liszt
lui-même, puisqu’il souhaitait que l’Ode funèbre soit jouée à son enterre-
ment. Mais pourquoi le Penseur de Michel-Ange a-t-il cédé la place à la statue
voisine, celle de la Nuit ? L’épigraphe de L’Ode en donne la clé, accentuant
encore la teinte autobiographique : ce sont les vers si beaux que Michel-Ange
lui-même avait composés pour faire parler sa statue. […]
Regard sur la jeunesse, désillusion du récent passé, espérance du dernier
sommeil. La confession de 1864, si étrangement chiffrée, rappelle celle du
Psaume xiii, sauf qu’il s’y mêle la note tzigane.1
Liszt offre là un testament musical pianistique, dans lequel il se retourne
sur son passé : la reprise d’Il Pensieroso, œuvre d’inspiration michelange-
lesque et beethovénienne au message universel, se fond dans La Notte.
Là encore, Michel-Ange et Beethoven sont présents. Mais d’autres réfé-
rences sont à retenir : littéraire, avec Virgile, et musicales, avec Schubert
et Chopin. Certes, La Notte renvoie à la statue michelangelesque et aux
angoisses métaphysiques qu’elle suscite. Mais ne pouvons-nous pas égale-
ment analyser ici la nuit comme le jour déclinant voire comme l’espérance
d’un jour nouveau, à l’instar du très énigmatique titre célinien, anachro-
nique, certes, mais si éloquent ici ? Cette nuit, fin d’un voyage terrestre,
pour mieux accéder au jour céleste – pour reprendre l’indication lisztienne
– montre combien le compositeur fait ici un sorte de bilan de sa vie, avec
ses bonheurs, ses souffrances, ses peurs – en particulier celle de la mort –
et s’offre comme un véritable « message personnel ». Il s’oppose ainsi à
l’universalité de la deuxième pièce des Années de Pèlerinage, Italie, deuxième
volume…

D. La Hunnenschlacht : Portée historique et/ou religieuse ?

1. La Hunnenschlacht :
Peinture musicale à signification historique ?
Dans la préface de la Hunnenschlacht, Liszt donne des références très
précises sur le sujet qu’il traite en expliquant le tableau de Kaulbach qui :

1. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 308.


320 DEUXIÈME PARTIE

… immortalise la légende très riche du combat qui eut lieu entre les esprits
des Huns et des Chrétiens tombés devant les portes de Rome.1
Dans son autre préface en français, il fait encore allusion à cette
« légende » :
Kaulbach nous disait une fois comment, dans l’une des dernières conver-
sations qu’il eut avant de quitter Rome avec un historien de ses amis, le jeune
savant raconta la légende qui s’était attachée à la terrible bataille livrée dans
les Champs Catalauniens (451) par Théodoric, à la tête des peuples chrétiens,
à Attila, roi des Huns, chef de leurs hordes païennes…2
L’aspect légendaire porte sur le fait que les âmes des morts continuent
à se battre après leur mort, la bataille dont il est question étant historique-
ment vérifiable. Cependant, Alan Walker apporte une précision impor-
tante sur la nature du sujet traité par Liszt. Il remarque en effet que les
précisions de Kaulbach sont incorrectes d’un point de vue historique :
Ces indications, qui sont tirées de la préface de Liszt, sont historiquement
inexactes. Théodoric n’était pas né en 451 ; de plus, c’est en 452 qu’Attila
marcha sur Rome, et fut repoussé par Léon Ier. Comme pour prévenir tout
reproche à cet égard, Liszt nous dit de façon charmante qu’il tient l’histoire de
Kaulbach, qui l’avait lui-même recueillie auprès d’« un jeune savant ». Rien
de tout cela ne change quoi que ce soit à la musique, bien sûr, ni au tableau
de Kaulbach, dont le sujet change simplement de catégorie, passant de l’histoire
à la fable.3
La précision est importante, bien qu’elle ne change pas réellement le
contenu de l’œuvre lisztienne, ni celle de Kaulbach. Tous deux ont mis en
scène deux clans qui s’opposent. Liszt explique d’ailleurs que :
Kaulbach vit en cette lutte suprême de Theodoric contre Attila, deux
principes s’entrechoquer : la barbarie et la civilisation, le passé et l’avenir de
l’humanité.4
Ce principe de dualité antagoniste – qui se trouve effectivement déjà
dans le tableau du peintre – se confirme dans le poème symphonique lisz-
tien. James Deaville mentionne à ce propos :

1. Franz Liszt, « Préface » en allemand, de la Hunnenschlacht, trad. Anne Bongrain, Les


Poèmes symphoniques de Liszt, annexes, p. 172.
2. Franz Liszt, « Préface » en français de la Hunnenschlacht.
3. Alan Walker, Franz Liszt, p. 786, note* (vol.1).
4. Franz Liszt, « Préface » en français de la Hunnenschlacht.
Sixième chapitre 321

Je crois que la clé de la compréhension n’est pas dans la façon dont on pose
les programmes sur la musique, mais dans la série de dichotomies entre le bien
et le mal, la civilisation et la barbarie, le christianisme et le paganisme que
Liszt met dans le programme français et dans leur représentation sur le tableau.
Ces dichotomies nous rappellent une œuvre contemporaine de Flaubert, son
roman orientaliste Salammbô de l’année 1862 qui dépeint également une
bataille historique entre des forces civilisées (c’est-à-dire carthaginoises) et des
forces barbares que Lisa Lowe appelle une « frénésie de violence ». Dans le
roman, les Barbares sont l’« Autre » méchant, destructeur vis-à-vis de la civi-
lisation carthaginoise. À l’exemple de Flaubert, Lowe remarque que l’orienta-
lisme du xixe siècle « a coutume de présenter l’Orient comme l’Autre féminin
ou barbare. »1
La symbolique du programme lisztien de la Hunnenschlacht et celle
du roman de Flaubert sont donc tout à fait comparables. James Deaville
précise alors :
La même conformation orientaliste des masses barbares est à la base des
programmes de Liszt de la Hunnenschlacht bien qu’ici elles se matérialisent
comme étant l’Autre par rapport au christianisme. Le tableau de Kaulbach
dépeint efficacement la frénésie de la bataille où deux forces (armées) se présen-
tent séparément comme des masses barbares. Un examen plus approfondi du
tableau m’amène toutefois à supposer que le personnage en haut à droite peut
être interprété comme un Barbare oriental en habits bédouins avec l’épée dans
le fourreau. À mon avis, le motif orientaliste est transposé dans la musique. Je
devrais aussi remarquer que Liszt se souvenait très certainement des origines
ethniques orientales des Huns. Les descriptions traditionnelles concernant les
premières pages de la partition sont pour la plupart non satisfaisantes, étant
donné qu’elles ne s’occupent pas de la représentation musicale des Huns.2
Puis, James Deaville explicite son idée, en s’appuyant sur les thèmes de
la partition. Le matériau musical employé a, en effet, de quoi étonner :
Je suppose que l’emploi surprenant de la quarte augmentée dans la
première partie, ne caractérise pas seulement la fureur de la bataille, mais
qu’il symbolise aussi la dissonance de l’Orient, car Liszt affirme que l’inter-
valle de quarte augmentée est un « intervalle oriental » comme il l’écrit quel-

1. James Deaville, « Liszts Orientalismus : Die Gestaltung des Andersseins in der Musik »
Liszt und die Nationalitäten, p. 174-175.
2. James Deaville, id., p. 174.
322 DEUXIÈME PARTIE

ques années plus tard dans une lettre.1 Les rythmes anguleux, irréguliers, et
les relations concernant les intervalles de la scène de la bataille introductive,
offrent certainement l’antithèse païenne-orientale efficace de Crux Fidelis qui
caractérise les Romains ou les Chrétiens, et leur victoire finale. […] Je voudrais
également poser la question de savoir si la seconde augmentée du premier
thème – un intervalle que Jonathan Bellman rattache au style bohémien du
xixe siècle2 – est une allusion aux Huns comme étant l’Autre oriental, exacte-
ment comme les Bohémiens furent l’Autre vis-à-vis de la société européenne ?
On peut citer comme autres éléments de l’orientalisme dans la musique de la
Hunnenschlacht l’accentuation de la différence de l’Autre oriental [c’est-à-
dire] le contraste musical précisément défini, le regard dominant du spectateur
occidental (dans ce cas, le vocabulaire musical « occidental » du compositeur
Liszt) et la tournure « réaliste » (fanfares de guerre, etc.)
Est-il possible que Liszt évitât, il est vrai, l’orientalisme « notoire » et qu’il
se laissât pourtant influencer par lui pour la peinture musicale des Huns, par
quoi les Huns deviennent l’Autre barbare, oriental ? Un scénario semblable
apparaît dans Mazeppa dont le modèle poétique ne provient pas directement
de Byron, mais du recueil de poèmes Les Orientales de Hugo.3
L’idée de Deaville dépasse la simple opposition guerrière des clans en
présence, pour en donner une portée beaucoup plus étendue : l’opposition
entre l’orient et l’occident. Liszt n’avait-il pas, dans son programme, opposé
la notion de « barbarie » à celle de « civilisation » ? Le danger supposé de
l’altérité, décrit par Deaville, est bien présent, comme dans toute bataille,
mais est ici renforcé par l’idée d’« étranger », celui qui vient de loin, dont
les coutumes, les rites et les religions inquiètent. Liszt a acquis des connais-
sances précieuses et précises au sujet de la musique qui se réfère à, ou qui
veut illustrer l’Orient. Il s’en imprègne très tôt :
Il connaissait une quantité de morceaux orientalistes qui visiblement lui
firent un grand effet. Un recueil de 244 pages de danses turques (Danses
turques pour piano) […] se trouve parmi les 2 500 typographies musicales du
recueil de notes de Budapest appartenant à Liszt […]. Une certaine Madame
Herzmainska de Slupno transcrivit et arrangea les mélodies vraisemblablement

1. cf. lettre de Liszt à Julie Waldburg du 10 mai 1874, in Franz Liszts Briefe, vol. 2,
p. 202.
2. Jonathan Bellman, The Style Hongrois in the Music of Western Europe, p. 120.
3. James Deaville, « Liszts Orientalismus : Die Gestaltung des Andersseins in der Musik »,
p. 174-175.
Sixième chapitre 323

authentiques qui parurent dans un recueil à Constantinople chez F. Adam


[…] Il est possible que pendant son séjour turc, Liszt entra en possession de ce
fascinant recueil. L’écriture arabe du titre, les rares indications de mesure, la
seconde augmentée et les gammes musicales orientales, etc. […] exercèrent assu-
rément une forte influence sur un Européen, mais les preuves documentaires
selon lesquelles Liszt était familiarisé avec la compositrice ou les morceaux, font
défaut. Néanmoins, nous retrouverons quelques traces de ce style, par exemple
parmi les œuvres bohémiennes de Liszt.1
Cependant, des traces de ce style musical se retrouvent également dans
la Hunnenschlacht :
Une œuvre ultérieure qui, du point de vue du titre, ne se réfère pas expres-
sément à l’Orient, livre en revanche une compréhension importante de l’accueil
que lui fit Liszt. L’œuvre est son poème symphonique Hunnenschlacht […]
Je présume que ce qui y est appelé « le païen » est en réalité l’« Autre » païen
et par conséquent l’« Autre » oriental. Jusqu’à présent, l’analyse scientifique
a eu tendance à se concentrer sur les forces chrétiennes ou romaines dans la
Hunnenschlacht, dont la victoire finale est symbolisée par le motif de la croix.
En revanche, elle n’a que fugitivement fait allusion au Leitmotiv de l’oppo-
sition païenne, comme le fait aussi Keith Johns2 dans son livre sur les poèmes
symphoniques de Liszt. Cette analyse néglige toutefois les implications orienta-
listes du programme et de la musique.3
Repérer la peur de « l’altérité » dans la Hunnenschlacht, l’autre étant
défini comme « l’oriental », nous paraît effectivement une direction
possible et très probable. James Deaville l’a d’ailleurs très bien démontré
en renvoyant aux intervalles de quarte et seconde augmentées dans la
partition.
Cependant, si l’œuvre lisztienne met bien en scène une joute entre
l’orient et l’occident, elle expose également un conflit beaucoup plus vaste :
celui du Bien contre le Mal, ce que Liszt qualifie de « Civilisation » opposée
à la « Barbarie ». En un mot, le conflit est moral, et la victoire portera sur
le devenir des âmes, élevant de ce fait le débat entre l’orient et l’occident,
au stade d’une confrontation religieuse…

1. James Deaville, id., p. 172.


2. Voir bibliographie.
3. James Deaville, op. cit., p. 174.
324 DEUXIÈME PARTIE

2. La Hunnenschlacht :
Peinture musicale à signification religieuse
Comme nous l’avons vu dans notre étude sur la thématique lisztienne
de la Hunnenschlacht, trois thèmes jalonnent la partition. Nous les avions
respectivement appelés « thème du Combat », « Crux fidelis » et « thème
de Prière ». Trois mottos viennent également alimenter le discours musical.
Ces thèmes et mottos sont aisément reconnaissables. Toutefois, ils s’orga-
nisent au sein d’une structure qui, elle, n’est pas si facilement décelable. En
effet, le fondement compositionnel s’appuie sur un principe que Manfred
Kaiser a très justement qualifié d’« additif », et qui trouble la perception
globale de l’auditeur :
…il s’avère que, d’une part apparaissent des facteurs décisifs qui soutien-
nent l’existence d’un mouvement de sonate classique, mais que d’autre part
apparaissent des facteurs qui font valoir le principe d’ordre additif et qui, par
conséquent, rendent impossible un propos incontestable concernant la concep-
tion formelle de l’œuvre.1
D’après Kaiser, Liszt travaille ses motifs qui se modifient constam-
ment, en les variant sous forme de « blocs » à dominante mélodique ou
rythmique. De plus, une « structure sonore » supplémentaire caractérise et
relie lesdits blocs qui sont proposés sous forme additionnelle. Cette tech-
nique de composition, éminemment moderne et qui annonce certaines
pièces musicales du xxe siècle2, est compensée par le fait que la musique
est également fondée sur le principe de la forme sonate. Kaiser lui-même
fait référence à cette donnée, même s’il refuse de la lier au programme.
C’est d’ailleurs là le point faible de sa démonstration, comme le relève si
justement Cornelia Knotik :
Paradoxalement, cette tendance, qui consiste à faire de Liszt un musicien
moderne, va de pair avec une sorte de conservatisme culturel qui émane de
l’idéal d’une musique pure liée d’un point de vue extra-musical, ni par la fonc-
tion, ni par le contenu. À partir de là, la tentative, entreprise aussi par Kaiser
pour ignorer le programme et avec lui tout engagement à une idée formulée,
est explicable. Les résultats d’investigation plaçant Liszt au service d’un progrès
musical hypothétique doivent trouver leur fondement dans ce qui est purement
musical. Mais une telle manière de voir « a-historique », ne tenant pas compte

1. Manfred Kaiser : « Anmerkungen zur Kompositions-technik Franz Liszts Am Beispiel


der Hunnenschlacht », Liszt Studien I, p 125.
2. Kaiser cite à ce propos l’exemple de Stockhausen.
Sixième chapitre 325

de la corrélation de la tradition, et qui exclut aussi de l’analyse, l’arrière-plan


de production, n’est pas compatible avec les desiderata d’une science de la
musique prenant comme tâche le bénéfice des connaissances.1
Ce point de vue « a-historique » et « a-programmatique » ne peut en
effet se défendre, surtout chez Liszt, ardent partisan de la musique à
programme. D’ailleurs, les deux préfaces, signées de lui, rendent compte
très clairement des idées à partir desquelles il a fondé son discours musical.
Il serait donc judicieux de confronter l’évolution musicale du poème
symphonique avec les grandes idées exposées dans les programmes lisz-
tiens, afin de préciser le contenu de l’œuvre. Indiquons auparavant que
Monika Fink, dont l’analyse de l’œuvre s’oppose totalement à celle de
Kaiser, affirme :
Le plan musical de l’œuvre est – conformément au modèle imagé et à la
conception spirituelle – divisé en deux parties : la première apporte – à la manière
d’une bagatelle – une peinture musicale de combat, la deuxième explique la
victoire du christianisme. Alors que Kaulbach – comme mentionné au début
– a adopté comme fondement de son tableau la querelle entre christianisme et
paganisme, Liszt a manifesté dans son poème musical – comme continuation
du tableau – la victoire des chrétiens sur les incroyants. Musicalement, cela est
symbolisé par la mélodie grégorienne Crux Fidelis qui est placée au début de
la deuxième partie comme une citation programmée et qui est augmentée en
une puissante apothéose vers la fin de l’œuvre. Avec cette citation au moyen
de laquelle s’intercale quelque chose qui ressemble à la parole, Liszt confère
à sa composition – de la même façon que dans la partie finale de sa Dante
Symphonie – une superstructure néogothique nazaréenne.2
Il ne fait d’ailleurs aucun doute que la volonté du compositeur ait
été d’affirmer la puissance de la Croix : tous les analystes qui prennent
en compte le programme sont d’accord sur ce sujet. Cependant, lorsque
Monika Fink décèle une structure bipartite dans la Hunnenschlacht, nous
restons très sceptique, car cette structure ne peut rendre compte du mode
de composition additif lisztien décelé par Kaiser. Ce mode de composition
est allié à un principe de forme sonate, lui-même rattaché au programme.
Les découpages tripartites de Serge Gut et d’Anne Bongrain nous parais-

1. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 26 (trad. par nos soins).
2. Monika Fink, Musik nach Bildern, Programmbezogenes Komponieren im 19. und 20.
Jahrhundert, p. 26.
326 DEUXIÈME PARTIE

sent en ce sens plus convaincants, même s’ils sont différents.1 En effet,


tous deux se réfèrent au programme en mettant en valeur le principe sous-
jacent de forme sonate.
En ce qui nous concerne, nous nous attachons plutôt au procédé
d’exposition de tensions, de leur intensification et de leur résolution. En
d’autres termes, le programme énoncé par Liszt trouve sa correspondance
musicale dans le principe de forme sonate qui permet la mise en scène d’un
combat entre deux clans et sa résolution par la victoire de l’un d’eux.

Mais détaillons le déroulement musical.


– Une longue introduction de soixante-seize mesures, fondée sur les
deux premiers mottos, met en scène un décor énergique et inquié-
tant, comme le montrent les indications de caractères et de tempo :
tempestoso, feroce, allegro energico, violente, marcato. ed agitato. Le
parcours harmonique se résume globalement à une couleur de sous-
dominante, qui aboutit à une dominante d’ut mineur bien affirmée
à la fin. Cependant, des chromatismes, des enchaînements d’accords
de septièmes diminuées – encore chromatiques – ainsi que quel-
ques accords de tonique ponctuels, viennent jeter un flou dans le
parcours général. Notons que M. I, avec sa couleur modale – nous
avons bien dit couleur – sur pédale de sus-dominante renvoie à ce
que James Deaville nomme « l’autre oriental » donc les Huns, tandis
que M.2 renvoie aux « appels guerriers des cors, auxquels répondent
les trompettes romaines », dont parle Liszt dans sa préface en alle-
mand. Soulignons un passage particulièrement suggestif : il s’agit des
mesures 47 à 52 dans lesquelles Liszt superpose des tierces majeures
ascendantes puis descendantes. L’habitude étant plutôt de présenter
des successions de tierces mineures, cette innovation donne un carac-
tère particulièrement savoureux à cet extrait.

1. Serge Gut : I Présentation des thèmes mesures 1-160. Préparatifs pour la bataille
avec arrivée successive des deux groupes d’armées ; II Enchevêtrement des thèmes (mes.
161-259) Combats acharnés et effroyables ; III Le choral « Crux fidelis » s’impose de
plus en plus (mes. 269-448) Transfiguration grâce à l’amour chrétien. In Serge Gut,
Liszt, p. 371.
Pour Anne Bongrain : I (mes.1-261), lutte entre les Huns et les Chrétiens, acharnée ; II
(mes. 262-311), victoire des Chrétiens ; III (mes. 312-fin) vertus irradiantes de l’Idée
Chrétienne. Anne Bongrain, La thématique des poèmes symphoniques de Liszt : Contribution
à l’étude de l’expressivité musicale dans la musique à programme. p. 170 (vol. annexes).
Sixième chapitre 327

– Vient ensuite l’exposition proprement dite, composée du thème de


combat, noté Th. C, du troisième motif, (M.3), autre image sonore
belliqueuse, et de la première apparition du Crux fidelis, qui corres-
pond, rappelons le brièvement, à la Croix dans le tableau de Kaulbach.
Une première remarque importante s’impose : Liszt présente une
exposition qu’il répète presque de manière identique. Cependant, sa
duplication variée offre une spécificité d’ordre harmonique. Ainsi, le
thème initial, noté Th. C, intervient, P, marc., d’abord en ut mineur,
tonalité cette fois bien affirmée, grâce à l’insistance sur l’accord de
tonique à partir de la mesure 77, puis en sol mineur. La même évolu-
tion harmonique est à noter, pour M.3, présenté initialement agitato.
Quant au choral, mP, marcato, superposé à M.3, il évolue mesure 98
du mode de la sur sol à sol mineur, mesure 106. Sa seconde exposi-
tion offre les mêmes caractéristiques, mais accentue l’ambiguïté entre
les matériaux tonal et modal. La mélodie est clairement en mode de
ré sur do, tandis que l’harmonisation évolue du mode de la sur ré,
mesure 127, à ut mineur, mesure 135. Les différences de caractère,
d’orchestration, de tessiture, d’harmonisation, entre les deux thèmes
– Th. C et Crux fidelis – sont amplifiées par l’énergie incisive de M.3
qui contribue à instaurer une tension soutenue. La double exposition
du matériau thématique n’est pas un phénomène nouveau dans une
forme sonate, mais, ici, Liszt termine sa seconde exposition dans la
tonalité du début de la première – ut mineur –, tonalité qu’il utilisera
à nouveau au début de son développement.
– Ce développement s’étend de la mesure 135 à la mesure 261. Il
suscite plusieurs remarques. Tout d’abord, Liszt ne travaille pas ses
deux thèmes, mais cite uniquement le Crux fidelis en mib majeur,
à partir de la mesure 247, qu’il superpose alors au rythme de M.3
et ensuite à celui du Th. C, mesure 254, à la timbale. L’essentiel
de son développement est en effet fondé sur la juxtaposition ou la
superposition des trois mottos, souvent tels quels, ou sur l’utilisation
de son seul rythme, surtout celui de M.3. Ensuite, Liszt construit
son discours selon un principe d’accumulation qui provoque un
grand crescendo et un effet d’accélération, donc une intensification
d’ordre dramatique. Il rompt ce crescendo mesure 219 pour mieux
l’accentuer ensuite grâce à une écriture fuguée. Le choral retentit
alors sur un accord de sixte et quarte de dominante de mib majeur,
pour proposer à nouveau un crescendo dont le climax sera l’accord
328 DEUXIÈME PARTIE

de tonique énoncé enfin fff, lors de ce que nous considérons comme


la première résolution, mesure 262. Liszt ponctue en effet le déve-
loppement par le Crux fidelis. Comme Kaulbach a disposé de façon
excentrée la représentation de la Croix des Chrétiens, Liszt a excentré
la citation du Crux fidelis dans la dernière section de son dévelop-
pement. Enfin, il fonde son développement musical sur une inten-
sification du matériau harmonique : la tonalité n’est pas toujours
clairement perceptible, ce qui fait perdre parfois ses points de repère
à l’auditeur. Les grands pôles tonals sont fa# mineur, sol mineur, mi
mineur, ré mineur. Le travail motivique, l’évolution harmonique et
la progression du discours ne laissent aucun doute sur la fonction
de ce passage au sein de la macroforme : il s’agit bien d’un déve-
loppement qui met en scène la confrontation entre les Huns et les
Chrétiens, évoquée par Liszt dans ses différents programmes.
– Vient ensuite une section harmoniquement très stable, qui s’op-
pose donc aux fluctuations du développement. Le Th. C et le Crux
fidelis sont en effet juxtaposés à trois reprises en mib majeur, de la
mesure 262 à la mesure 295. Seule la dernière présentation du Crux
fidelis, mes. 296-311, contient une modulation : sol, dominante de
do devient tonique, évolution harmonique schubertienne, s’il en est.
Il s’agit pour nous de la « première résolution » des tensions précé-
dentes. Nous préférons le terme « résolution » à « réexposition » ou
« récapitulation », pour deux raisons : Premièrement, d’une manière
générale, le terme de résolution participe à la compréhension du prin-
cipe même de la forme sonate. Deuxièmement, dans le cas présent,
le terme « réexposition » serait impropre, car Liszt ne réutilise pas
tout le matériau de ses expositions. En effet, il laisse de côté M.3,
élément unificateur dans l’énonciation du conflit initial. L’absence
de ce motif et la juxtaposition des deux thèmes – le Th. C maestoso
et ffff, et le Crux fidelis présenté au contraire lento, dolce, religioso –
tendent à affaiblir la notion de conflit, raison supplémentaire pour
entrevoir ici une première résolution. Cependant, les résolutions
ne sont pas fondées sur une duplication variée d’un point de vue
harmonique, comme la seconde exposition par rapport à la première.
En effet, Liszt propose tout d’abord un passage de transition – aux
mesures 312 à 352 – qui évolue de mib majeur à la dominante de
mi en passant par celle de solb majeur, en introduisant un nouveau
thème, le Th. P « Nicht schleppend, aber sehr ruhig ». Le caractère
Sixième chapitre 329

« espressivo pietoso » de nuance piano, donne à ce thème un caractère


religieux nettement prononcé, qui renvoie à l’esprit du Crux fidelis de
la première résolution. Ce que nous considérons comme la seconde
résolution débute mes. 353 et se poursuit jusqu’à la mesure 473. Les
quelques mesures finales constituent une brillante coda en do majeur.
Cette seconde résolution est intéressante à plusieurs titres. D’abord,
Liszt inclut le Th. P – mes. 399 à 421, donc dans la deuxième section
de cette résolution – sous la forme d’une strette sur dominante de
do, inexistante dans la première résolution. Ensuite, il associe les
deux thèmes principaux, le Crux fidelis et le Th. C aux mesures 353
jusqu’à 398, puis aux mesures 422 à 473, en les travaillant ensemble,
et non pas en se contentant de les juxtaposer, pour aboutir finale-
ment à une éclatante victoire du Crux fidelis. Enfin, l’évolution
harmonique est ici très claire, partant de do majeur – avec quelques
couleurs modales, comme l’enchaînement du second au premier
degré, héritage de la musique de la Renaissance – pour revenir à do
majeur. Seules quelques incursions en mi majeur, dans la première
section, et en si majeur, lab majeur dans la troisième sont à déceler.
Elles résultent des dernières confrontations entre les deux thèmes, là
où, comme l’a si justement souligné Cornélia Knotik, le Crux fidelis
n’est plus une citation en tant que telle, mais un élément thématique
intrinsèquement contenu dans la texture musicale. Le symbolisme
est alors très clair : Liszt donne la victoire aux Chrétiens et manifeste
« les vertus irradiantes de la Croix ».
Nous pouvons maintenant conclure sur la portée sémantique de ce
poème symphonique par ces quelques mots empruntés à Monika Fink :
Franz Liszt voulut, dans sa Hunnenschlacht, accorder proportionnelle-
ment plus de place à « la lumière solaire du christianisme », personnifiée par le
chant grégorien Crux fidelis, que cela ne devait être le cas dans le magnifique
tableau, pour, de cette manière, obtenir la conclusion de la victoire de la Croix
et la représenter succinctement.1
D’ailleurs, dans sa préface en allemand, il fait référence à l’importance
de la lumière dans le tableau de Kaulbach et à sa fonction symbolique :
Du champ couvert de cadavres s’élèvent vers les nuages les spectres en
groupes serrés, et là-haut ils poursuivent leur combat sans merci. Le Fléau de
Dieu, le sanglant Attila, se rue encore une fois avec ses hordes sauvages sur les

1. Monika Fink, Musik nach Bildern, p. 26.


330 DEUXIÈME PARTIE

légions romaines qui, sous le signe de la croix, combattent et vainquent. La


lumière du christianisme dissipe les ténèbres du paganisme. […]
De plus en plus fanatique se poursuit le combat sans merci, de plus en plus
féroce devient la mêlée – jusqu’à ce que soudain un rayon de lumière traverse
les sombres nuages : il vient de la croix victorieuse. De puissantes fanfares
annoncent le triomphe de la Chrétienté.1
Puis il cite les paroles du Crux Fidelis pour conclure sur ces mots :
Le chant guerrier devient un chant d’action de grâces ! In hoc signo
vinces !2
Le message est donc très clair : l’aboutissement de la bataille est le
triomphe de la croix ; Liszt termine alors son poème symphonique sur une
affirmation du Crux fidelis en do majeur.
Ainsi Liszt adapte-t-il parfaitement la forme sonate au programme que
lui inspire la peinture de Kaulbach dans sa Hunnenschlacht. En effet, le
tableau met en scène le combat de deux groupes antagonistes, ainsi que
la Croix victorieuse, symbole de la chrétienté. Par le choix d’un maté-
riau thématique précis, Liszt traduit les différentes forces en présence,
leur combat et la victoire finale de la Croix. Nul mode compositionnel
n’est donc mieux adapté que la forme sonate, qui permet la mise en place
et l’amplification de fortes tensions, ainsi que leur résolution. Mais Liszt
s’échappe de ce modèle communément admis, en introduisant un nouveau
thème, de caractère religieux, qu’il varie dans sa dernière résolution, pour
mieux affirmer ensuite l’hégémonie de la Croix salvatrice. De plus, dans
ces mêmes résolutions, il abandonne le motif des expositions, vraisem-
blablement à cause de sa connotation belliqueuse. En d’autres termes, il
conserve les tensions harmoniques de la forme sonate traditionnelle, mais
adapte le matériau thématique à l’évolution dramatique de son discours.
En cela, la Hunnenschlascht est un parfait exemple d’une forme sonate
réussie et de forte portée sémantique au xixe siècle.
À l’époque de Liszt, le sentiment religieux dans la musique adopte des
formes d’expressions différentes. En effet, la musique instrumentale se voit
revêtue d’un message spiritualiste ou sacré, comme le souligne Michèle
Biget-Mainfroy :

1. Franz Liszt, « Préface » en allemand, de la Hunnenschlacht, trad. Anne Bongrain, op.


cit., vol. annexes, p. 172-173.
2. Idem, Ibidem, p. 173.
Sixième chapitre 331

Cette émotion religieuse devient un message spiritualiste qui pénètre la


symphonie, l’opéra, nouveaux réceptacles de questionnements métaphysiques,
voire le répertoire pianistique, microcosme de l’univers musical du temps.1
Nous pouvons ajouter sans hésitation à cette liste non exhaustive, le
poème symphonique Hunnenschlacht. En effet, la citation du Crux fidelis
dans la préface d’une part, et dans la partition elle-même, d’autre part,
en fait un exemple probant. Cependant, le poème symphonique est, par
définition, un genre appartenant à la musique profane. Ici le sujet peut,
en apparence, être également qualifié de profane, puisqu’il met en scène
une bataille, historiquement vérifiable selon Kaulbach, dans laquelle les
parties adverses incarnent « la barbarie » contre la « civilisation », d’après
les propos de Liszt. Néanmoins, peintre et compositeur, par l’importance
qu’ils ont accordée à la Croix, ont tous les deux, dans cette scène, montré
leur attachement à la spiritualité. D’ailleurs, Liszt, par les différentes
présentations de ses citations du Crux fidelis, met en valeur les diverses
manifestations de la foi au xixe siècle. L’exemple le plus caractéristique
reste celui de la première et de la seconde résolution. Dans la première,
Liszt confie le choral, dolce religioso, à l’orgue (ou à un ensemble de bois
s’il n’en dispose pas), afin d’instaurer une section extrêmement calme et
recueillie, comme une prière. Ces interventions du Crux fidelis tranchent
avec la violence de récurrences du Th.C. À l’inverse, les dernières présen-
tations du choral, au tutti orchestral, à partir de la mesure 422, prennent
de plus en plus d’ampleur par rapport au thème de combat, qui finit par se
désintégrer complètement :
Les deux thèmes se rapprochant toujours, finirent par se toucher, s’étreindre,
lutter corps à corps, comme deux géants, jusqu’à ce que celui qui s’identifie avec
le vrai divin, la charité universelle, le progrès dans l’humanité, l’espérance
transmondaine, fût victorieux et répandit sur toutes choses son jour radieux,
transfigurant, éternel !2
Grâce à cette évolution de l’emploi du Crux fidelis, Liszt synthétise les
deux formes d’expression musicale du sentiment religieux au XIXe :

1. Michelle Biget-Mainfroy, Le Rêve et le Fureur. Les Écritures musicales romantiques,


p. 97.
2. Franz Liszt, « Préface » en français de la Hunnenschlacht.
332 DEUXIÈME PARTIE

– une tournure intimiste empreinte de piété recueillie, qui pourrait se


rapprocher des modes d’expression religieux traditionnels dont Bach
est l’archétype à cette époque, et Mendelssohn le continuateur.1
– une exaltation débordante, dont Berlioz reste l’exemple
emblématique.
Il faut d’ailleurs, pour comprendre cette œuvre, remonter quelques
années en arrière et se référer à la pensée de Liszt sur la musique religieuse.
Il décrit en effet la situation « de la Musique religieuse » dans son article
du même nom2 publié en 1835 dans la Revue et Gazette musicale. Le pano-
rama ainsi dressé compare la musique religieuse du passé – qui pouvait se
contenter d’accompagner les offices catholiques – à celle de son temps, qui
doit répondre à certaines exigences : les fidèles désertant de plus en plus les
lieux saints, le rôle de la musique est donc d’établir un lien entre Dieu et le
Peuple. Et Liszt d’enchaîner :
…pour ce faire, la création d’une musique nouvelle est imminente, essen-
tiellement religieuse, forte et agissante, cette musique qu’à défaut d’autre nom
nous appellerons humanitaire, résumera dans de colossales proportions le
THÉÂTRE et l’ÉGLISE. Elle sera à la fois dramatique et sacrée, pompeuse et
simple, pathétique et grave, ardente et échevelée, tempétueuse et calme, sereine
et tendre.3
Il avait le projet de révolutionner la musique d’église. Dans un article
paru le 11 octobre 1835, il appelle tous les musiciens à « instaurer une
société universelle ». Son but est double : d’une part, servir et développer la
musique ; d’autre part, aider les artistes à se faire reconnaître et respecter
au sein de la société. Huit articles composent la « réforme » culturelle
lisztienne, allant de la création d’un nouveau Musée jusqu’à celle d’une
Encyclopédie de la musique, en passant par l’introduction de la musique
dans les écoles primaires, les réorganisations de la Chapelle avec la réforme
du plain-chant dans toutes les églises, la création d’une école « progres-
sive » de musique en dehors du conservatoire dont les ramifications s’éten-
draient jusque dans les principales villes de province…

1. Voir Michelle Biget-Mainfroy, op. cit., p. 103.


2. Voir Franz Liszt, « De la musique religieuse » extrait de « De la situation des Artistes »,
publié en 1835 et repris dans Franz Liszt, Artiste et Société, Éditions des textes en français,
(éd. Rémy Stricker).
3. Idem, Ibidem, p. 48.
Sixième chapitre 333

Pour ce faire, Liszt voulait revenir à une musique religieuse fondée


sur le plain-chant qu’il harmonise abondamment. Le Nouvel eucologue en
musique1, conservé au musée Liszt de Budapest, met en relief tout l’intérêt
qu’il porte à l’étude des plains-chants.
La Hunnenschlacht offre donc un exemple probant de la nouvelle
conception lisztienne de la musique religieuse qui doit être, comme nous
l’avons vu, « à la fois dramatique et sacrée, pompeuse et simple, pathétique
et grave, ardente et échevelée, tempétueuse et calme, sereine et tendre ». Il
parvient à ses fins grâce à une harmonisation et une utilisation particu-
lières du Crux fidelis.

Conclusion
Ce troisième niveau de signification dans la comparaison entre la
musique et ses modèles visuels met en évidence la similitude des contenus
entre les deux. Nous pouvons cependant préciser les spécificités de la
démarche lisztienne :
Dans la plupart des cas étudiés ici, Liszt donne une portée universelle
à un événement représenté qui n’était, au départ, que ponctuel. L’exemple
emblématique reste, à notre avis, celui d’Orpheus. Le programme écrit par
le compositeur se révèle, à cet égard, très éloquent.
Dans la musique de Liszt, deux sujets semblent récurrents : la mort
et la religion. L’étude du matériau et de son agencement au sein de la
forme musicale s’est avérée précieuse. En effet, Liszt conserve toujours la
portée religieuse, comme dans son oratorio La Légende de Sainte Elisabeth,
et va même jusqu’à substituer à l’événement principal d’une œuvre – par
exemple la bataille, dans la Hunnenschlacht de Kaulbach – sa significa-
tion symbolique religieuse : en l’occurrence ici, la victoire de la Croix
sur les barbares. Le discours musical se déroulant dans le temps, il était
possible pour Liszt de « raconter » musicalement le conflit et de terminer
sur la victoire des hommes de Théodoric. Le compositeur adresse donc
ici un message universel religieux, à travers un genre profane : le poème

1. Titre complet : Nouvel eucologue en musique. Contenant les offices des dimanches et fêtes
de l’année et de la semaine sainte, recueillis et annotés par M. l’Abbé de Roquefeuil. Avec les
plains-chants en notation moderne et dans un diapason moyen par M. Félix Clément (Paris,
L. Hachette et Cie, 1851). Cet ouvrage est cité par Paul Merrick, Revolution and Religion
in the Music of Liszt, p. 317.
334 DEUXIÈME PARTIE

symphonique. De même, le tableau qui présente une scène de bataille avec


une Croix lumineuse serait qualifié par les historiens de l’art de l’adjectif
« historique » ou « légendaire ». Pourtant, chez Kaulbach aussi, la signifi-
cation intrinsèque panofskyenne est religieuse. Les deux œuvres s’apparen-
tent donc nettement dans leur contenu et fonction sociologique…
Liszt emploie souvent le principe compositionnel suivant : exposition
des éléments harmonico-mélodiques, intensification, puis récapitulation
avec résolution des tensions précédentes. En d’autres termes, il utilise une
forme sonate au service de son discours musical et sémantique. Il lui donne
ainsi plus de force en mettant tous les paramètres au service de la signifi-
cation. La Légende de Sainte Elisabeth et la Hunnenschlacht montrent, de
manière éloquente, l’utilisation de ce principe.
Nous avons mis en place une méthodologie d’analyse comparée entre
la musique et les œuvres d’art visuel inspiratrices, à l’aide d’exemples
empruntés au corpus lisztien. Dans cette optique, nous nous sommes
appuyée sur les trois niveaux de Panofsky. Nous avons adapté, et non
adopté radicalement, cette démarche à nos œuvres, en fonction de leurs
spécificités.
Cependant, le découpage, dû à l’explication nécessaire des différents
paliers, empêche une perception globale des œuvres. Aussi proposons-
nous une étude la plus exhaustive possible, de trois pièces de Liszt, compa-
rées à leurs modèles visuels : Sposalizio, Totentanz et Von der Wiege bis zum
Grabe. Là encore, les niveaux de Panofsky seront respectés mais adaptés.
Pour faciliter la compréhension de la lecture, nous en rappellerons rapide-
ment les grandes lignes.
Sixième chapitre

tableau n° 4 : Hunnenschlacht, plan formel schématique


335
Objet d’interprétation en Objet d’interprétation
Acte d’interprétation Équipement pour l’interprétation Principe régulateur de l’interprétation
336

Histoire de l’Art en musique


I. Sujet primaire ou « I. Élément primaire ou « Description pré-iconogra- Expérience pratique (familiarité avec Histoire du style (enquête sur la manière
naturel » de base » phique (et analyse pseudo- des objets et événements) en Histoire dont, en diverses conditions historiques,
a) factuel a) factuel formelle) en Histoire de l’art/ de l’art/Expérience pratique (familia- des objets et événements ont été exprimés
b) expressif b) expressif Description pré-analytique rité avec des éléments thématiques et par des formes) en Histoire de l’art et
constituant l’univers des constituant l’univers des thèmes et motifs au sein des structures musicales.) Histoire du langage musical (comment
motifs artistiques des thèmes et motifs de la structure d’ensemble des thèmes ou motifs ont été placés au
musicaux en musique sein d’une structure et d’une harmonie)
en musique.
II. Sujet secondaire II. Élément secondaire Analyse iconographique Connaissances des sources littéraires Histoire des types (enquête sur la manière
ou « conventionnel », ou « conventionnel », en Histoire de l’art/Analyse (familiarité avec des thèmes et dont, en diverses conditions historiques,
constituant l’univers constituant l’univers sémantique en musique concepts spécifiques) en Histoire de des thèmes ou concepts spécifiques ont
DEUXIÈME PARTIE

des images, histoires et des thèmes à fonction l’art/Connaissances des sources litté- été exprimés par des objets et événements
allégories historique, symbolique raires, artistiques et musicales (fami- en Histoire de l’art et comment des sujets
et allégorique liarité avec des sujets et concepts ou concepts spécifiques ont été exprimés
spécifiques) en musique par des thèmes et des motifs dans une
structure donnée en musique).
III. Signification intrin- III. Signification intrin- Interprétation iconologique Intuition synthétique (familiarité Histoire des symptômes culturels, ou
sèque, ou contenu, sèque, ou contenu en Histoire de l’art/Inter- avec les tendances essentielles de « symboles » en général (enquête sur
constituant l’univers des prétation sémantique en l’esprit humain), conditionnée par une la manière dont, en diverses conditions
valeurs « symboliques » musique. psychologie et une Weltanschauung historiques, les tendances essentielles
personnelles. de l’esprit humain ont été exprimées
par des thèmes et concepts spécifiques
en Histoire de l’art et par des sujets et
concepts au sein d’une macroforme
précise en musique)

Tableau n° 5 : Les trois niveaux de signification en histoire de l’art et en musique d’après Panofsky
Troisième partie

Justification
des œuvres choisies

Je contemple avec tressaillement ces flèches qui percent la nue, sublime


effort du génie humain pour se rapprocher du ciel où il semble vouloir arracher
à Dieu un regard, une espérance ! Et quand ils sont venus de Cologne me dire
qu’ils voulaient achever leur dôme, je n’ai pas pu m’empêcher de m’écrier : « Et
moi aussi je vous apporterai mon grain de sable. Il s’agit de trouver les millions,
prenez aussi, et d’abord, mon pauvre denier d’artiste1. Prenez-le avant l’or des
autres, car l’art ennoblit tout. C’est d’ailleurs notre privilège, à nous artistes, de
donner toujours et partout, lors même que nous n’avons rien. »2
Nous retrouvons bien ici la sensibilité exacerbée de Liszt, portée
à vibrer au Nom de Dieu et à l’idée de l’art. Ces préoccupations l’ont
taraudé toute sa vie, se mêlant à son inquiétude constante de la mort.
Les compositions auxquelles les œuvres d’art visuel ont donné l’impulsion
en sont les témoins : son oratorio Sainte Élisabeth, dont il ne veut faire
qu’une prière, le Totentanz, la Hunnenschlacht, n’en sont que quelques
exemples. Aussi le choix d’œuvres particulières n’a-t-il pas été chose aisée.
Nous avons opté pour : Sposalizio, le Totentanz, et Von der Wiege bis zum
Grabe. En effet, outre le fait que ces trois œuvres recouvrent une longue
période de la vie de Liszt, elles sont le fruit de son émotion dans le contact
direct avec des œuvres d’art visuel, mais encore, donnent une idée de la
variété avec laquelle son imagination la concrétise. Nous souhaitons donc

1. Concert de Liszt à Cologne, le 23 août 1841, au profit de l’achèvement de la cathé-


drale.
2. Franz Liszt, « Lettre xvi à M. Léon Kreutzer », Lettres d’un Bachelier ès Musique,
parution le 19 septembre 1841 dans la Gazette Musicale, repris dans Franz Liszt, Artiste
et Société, Textes réunis présentés et annotés par Stricker, Rémy, Paris, éd. Flammarion,
coll. Harmoniques, 1995, p. 202.
338 TROISIÈME PARTIE

montrer, à travers ces trois œuvres instrumentales, comment fonctionne


la méthode de Panofsky appliquée à la musique autant qu’aux arts visuels.

Religion : Sposalizio
Inspiré par Le Perugin, Raphaël peint Sposalizio ; touché par Raphaël,
Liszt compose Sposalizio lors d’une visite en Italie en 1838-39. Le sujet, le
mariage de la Sainte Vierge et de Saint Joseph rejoint l’un de ses propres
sujets de méditation. Si l’on en croit Helga de la Motte Haber, Sposalizio
est la première pièce musicale inspirée d’art visuel1. Historiquement très
marquée, tant dans la vie de Liszt que dans l’Histoire de la musique en
général, cette œuvre pour piano se devait de figurer dans notre corpus
d’études particulières. Nous lui avons donc donné la priorité sur les autres
œuvres pour piano, inspirées d’art visuel : Il Pensieroso, La Notte, ou encore
Saint François de Paule marchant sur les flots.

Mort : Totentanz
Depuis le De Profundis pour piano et orchestre de 1834 jusqu’au
corpus des dernières pièces de piano, le thème du deuil, ou de la mort
est omniprésent chez Liszt. Ceci transparaît bien dans des œuvres comme
Il Pensieroso ou encore La Notte. Celle qui a retenu notre attention est le
Totentanz. C’est en effet une exception dans la mesure où deux œuvres
d’art visuel s’en disputent la source d’inspiration : des gravures de Holbein
et des peintures de fresque de Buffalmacco. Ce dernier élément implique
des données supplémentaires intéressantes pour l’analyse. Aussi avons-
nous d’emblée adopté cette partition dans notre corpus d’étude. Une autre
caractéristique du Totentanz est la durée de sa composition : la partition
prend sa source dès 1838-39, date de composition du Sposalizio, pour
n’aboutir à une version définitive que dans les années 18602. Elle évolue
donc au fil du temps… Enfin, elle est écrite pour piano et orchestre, et
présente donc un autre aspect de la palette sonore employée par Liszt.

1. Voir notre deuxième chapitre.


2. Voir la partie historique qui lui est consacrée, dans notre huitième chapitre.
TROISIÈME PARTIE 339

Art : Von der Wiege bis zum Grabe

L’inspiration de Liszt est très nette dans cette œuvre : il tient à remercier
le peintre Zichy de son cadeau : un dessin à la plume, intitulé Du berceau
jusqu’au cercueil. Il s’agit d’un hommage rendu à Liszt lui-même, et plus
précisément à sa façon de considérer le rôle de l’artiste dans la société. Liszt
s’intéressait en effet de très près à cette fonction :
Ces hommes d’élite qui semblent choisis par Dieu même pour rendre
témoignage aux plus grands sentiments de l’humanité et en rester les nobles
dépositaires… Ces hommes prédestinés, foudroyés et enchaînés qui ont ravi au
ciel la flamme sacrée, qui donnent une vie à la matière, une forme à la pensée
et réalisant l’idéal nous élèvent par d’invincibles sympathies à l’enthousiasme
et aux visions célestes… Ces hommes initiateurs, ces apôtres, ces prêtres d’une
religion ineffable, mystérieuse, éternelle, qui germe et grandit incessamment
dans tous les cœurs…1
Ce texte de Liszt peut se rapprocher de la préface d’Orpheus, écrite une
vingtaine d’années plus tard, dans laquelle le rôle médiateur de l’artiste est
également à l’honneur.
Outre ce sujet de choix dans l’esthétique du compositeur, Von der Wiege
bis zum Grabe est le dernier poème symphonique de Liszt, et la dernière
œuvre inspirée d’art visuel. Avec Sposalizio, il nous donne les limites
temporelles des compositions de Liszt issues d’œuvres d’art visuel, donc
de 1839 à 1886, près de cinquante ans, ainsi qu’une idée sur ses thèmes
de prédilection. Il présente en outre une formation différente, puisqu’il est
écrit pour orchestre. Liszt y a beaucoup varié les timbres orchestraux, en
utilisant dans la première partie un très petit nombre d’instruments, et en
provoquant, dans les autres parties un crescendo par l’ajout progressif des
autres instruments. En raison de tous ces éléments, nous lui avons donné
la priorité sur les autres œuvres pour orchestre comme Orpheus, ou encore
la Hunnenschlacht.
Ainsi Liszt médite-t-il pendant cinquante ans sur la religion, la mort et
l’art, les reliant de façon étroite dans ses pensées et dans sa vie. La distinc-
tion que nous avons faite de chacun de ces thèmes dans les trois œuvres
choisies doit être nuancée. En effet, dans le Totentanz autant que dans Von

1. Franz Liszt, « Premier article », De la situation des artistes, 3 mai 1835 extrait de la


Gazette musicale, in Franz Liszt, artiste et société (éd. Rémy Stricker), p. 17.
340 TROISIÈME PARTIE

der Wiege bis zum Grabe, la religion se mêle intimement à la pensée de la


mort et de l’art. Liszt a fondu ces trois thèmes en un seul.
De ce fait, les trois œuvres Sposalizio, Totentanz et Von der Wiege bis
zim Grabe nous présentent un portrait de Liszt lui-même…
Septième chapitre
Analyse comparée
de Sposalizio de Raphaël
et de Sposalizio de Liszt,
d’après Panofsky

Introduction

C’est en 1838-39, lors de son premier voyage en Italie que Liszt,


accompagné de Marie d’Agoult, découvre l’œuvre de nombreux artistes
et plus particulièrement de Raphaël. D’ailleurs, Liszt semblait intéressé
par les écrits portant sur ce dernier, en particulier ceux de l’un de ses
premiers biographes, Passavant, comme le prouve sa lettre vénitienne
du 25 octobre 1839 adressée à Marie d’Agoult : « intéressant – Rafael’s
Biographie etc. von Passavant 2 Bände. »1Liszt a probablement pu lire la
genèse et l’historique du tableau de Raphaël dans cet ouvrage. En effet,
Passavant rapporte :
Il est certain que Raphaël peignit ce tableau pour l’église S. Francesco, à
Città di Castello, et que ce tableau lui avait été commandé par les moines de
ce couvent, ainsi que le fait est énoncé dans l’acte2 du notaire Andrea Brozzi
[…]
Pendant près de trois siècles, ce tableau fit l’ornement de l’église S.
Francesco, à Città di Castello, jusqu’au jour où le général comte Giuseppe
Lechi, de Brescia, commandant une brigade française, s’en fit faire présent,
l’épée à la main, par le magistrat de la ville, le 29 janvier 1798. Il passa des
mains du général Lechi dans celles du comte Salazar qui le légua à l’Ospedale
maggiore à Milan, et, sur la proposition de l’excellent directeur du Cabinet

1. Franz Liszt, « lettre du 25 octobre 1839, Venise », Correspondance Franz Liszt Marie


d’Agoult, (Présentée et annotée par Serge Gut et Jacqueline Bellas), p. 388.
2. Acte du 25 août 1633.
342 TROISIÈME PARTIE

numismatique, feu M. Gaetano Cattaneo, il fut acquis par la direction de


la pinacothèque de la Brera, avec quelques autres tableaux sans importance,
moyennant la somme de 53 000 francs.
L’état de conservation de ce tableau est satisfaisant ; il a même gagné,
depuis la bonne restauration exécutée par le cav. Giuseppe Molteni.
On ne connaît qu’une étude pour cet ouvrage, c’est la tête de la Vierge,
dessinée à la pierre noire, qui se trouve dans la collection Wicar à Lille. Nous
devons encore signaler une composition du Mariage de la Vierge, par le
Pérugin, exécutée en l’année 1497, pour le gradin du tableau d’autel, destiné
à S. Maria Nuova di Fano ; elle a souvent été copiée dans l’école du maître,
et ces copies sont passées dans le commerce pour des esquisses de Raphaël. Ce
Mariage de la Vierge, composé par Pérugin, a bien quelque ressemblance avec
le tableau de Raphaël, mais il est dans le sens contraire. L’étude originale du
Pérugin pour ce tableau se trouve dans la collection Albertine à Vienne ; elle a
été publiée dans la onzième livraison des fac-similés de Mannsfeld.1
Ce n’est vraisemblablement pas la genèse du tableau décrite par
Passavant qui va retenir l’attention de Liszt, mais bien le traitement et le
sujet lui-même.
L’œuvre de Michel-Ange fut également l’une des révélations de ce
séjour italien. Le recueil Deuxième Année de Pèlerinage, « Italie », pour
piano de Liszt, s’ouvre alors avec « Sposalizio », suivi de « Il Pensieroso ».
Vasari, le premier biographe d’artistes, que Liszt et Marie d’Agoult lisaient,
semble d’ailleurs accorder autant d’importance à Raphaël qu’à Michel-
Ange lorsqu’il écrit :
…Déjà vaincue par l’art avec Michel-Ange, elle [la nature] voulut l’être à
la fois par l’art et la bonne grâce avec Raphaël.2
Écrites ou pour le moins conçues pendant son étape italienne, les pièces
lisztiennes d’après Raphaël et Michel-Ange ne seront publiées qu’en 1858.
Cependant, les sources nous renseignent sur le fait que Liszt semblait dési-
reux d’écrire une troisième « Année de Pèlerinage », non pas italienne mais
hongroise. Ainsi, dans ses projets de composition des Années de Pèlerinage
(Suisse-Italie-Hongrie) publiés par Rena Charnin Mueller d’après le cahier
d’esquisses intitulé Ce qu’on entend sur la Montagne, (cote : WRg MS N1
à Weimar) le compositeur avait-il indiqué à la page 30 un ordre provisoire

1. Johann David Passavant, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi (1839-1858),
2 vol., 1re édition en allemand de 1839, p. 18-20.
2. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, vol. 5, p. 194.
Septième chapitre 343

de morceaux1 pour l’Italie. Cette liste atteste que Liszt pensait à Sposalizio
et à Il Pensieroso sous le même numéro, en cinquième position.2 Il établis-
sait donc souvent un lien entre les deux artistes. Cependant, il n’est pas
allé au terme de son projet, et la seconde Année de Pèlerinage, « Italie », se
compose de la sorte, des pièces suivantes :

Deuxième Année de Pèlerinage, Italie


1. Sposalizio
2. Il Pensieroso
3. Canzone del Salvatore Rosa3
4. Sonetto 47 del Petrarca
5. Sonetto 104 del Petrarca
6. Sonetto 123 del Petrarca
7. Après une Lecture du Dante (Fantasia quasi Sonata)

Toutes ont un titre qui mentionne ou indique une référence extra-


musicale, ce qui est très fréquent au xixe siècle ; rappelons brièvement que
la musique figurative est alors reine :
Si la musique n’a pas attendu le dix-neuvième siècle pour se vouloir expres-
sive et figurative, si les caprices, fantaisies, pièces de genre ou caractéristiques
abondent dans les siècles précédents, il reste que cette tendance s’accentue à
cette époque : n’a-t-on pas demandé à Liszt, en concert à la Scala de Milan en
1838, de décrire, dans une composition au piano, le dôme de la ville, et même
de répondre, toujours au piano, à la question : « Vaut-il mieux être marié que
garçon ? » En conséquence, le titre thématique triomphe…4
Il ne reste malheureusement rien des improvisations lisztiennes, tant
italiennes que françaises d’ailleurs. Heureusement, il subsiste le recueil des
Années de Pèlerinage5, équivalent musical des carnets des peintres, comme,
par exemple, ceux de Delacroix. L’artiste y transpose ses impressions et
sensations :

1. Rena Charnin Mueller, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works », p. 235.
Nous citons les titres provisoires de Liszt dans notre analyse du Totentanz.
2. Cet élément donne raison à Jean-Jacques Eigeldinger et à son analyse comparée des
deux pièces (voir articles, livres et sources utilisés dans ce même chapitre).
3. Notons que ce Salvator Rosa était un peintre quelque peu bandit, dont la vie attrayante
et pittoresque ne pouvait que séduire les artistes romantiques…
4. Françoise Escal, « Étude séparée : le titre « Aléas de l’œuvre musicale, p. 212.
5. Recueil composé de la « 1re année, Suisse » ainsi que des « 2e et 3e années, Italie ».
344 TROISIÈME PARTIE

Ce recueil, dont le premier titre fut Album d’un voyageur, se présente en


effet comme un journal de voyage, et sa composition s’étend sur une quaran-
taine d’années1. Les pièces qui le constituent ont une forme tout à fait libre
et tirent leurs caractéristiques des sujets divers qui les inspirent. Nous sommes
alors aux plus belles heures de « l’esthétique du contenu » pour reprendre la
formule de Carl Dahlhaus. Les titres annoncent ces sujets. La nature : Au lac
de Wallenstadt, Pastorale, Au bord d’une source, Orage, les Cloches de
Genève, Aux Cyprès de la Villa d’Este… ; les héros de l’histoire, ceux de
la littérature, les grands artistes : La Chapelle de Guillaume Tell, la Vallée
d’Obermann, Sposalizio (cérémonie de mariage d’après le tableau de Raphaël
à la galerie de Brera), Il Pensieroso (en hommage au Michel Ange de la statue
de Laurent de Médicis, duc d’Urbin, à Florence), Après une lecture du Dante
(se référant à l’Enfer de la Divine Comédie), Marche funèbre (« en hommage
à Maximilien Ier de Mexique »)… D’autres pièces sont liées à des villes visi-
tées : Gondoliera, Canzone et Tarentelle furent publiées en 1861 sous le titre
collectif de Venezia e Napoli.2

Articles, livres et sources utilisés :


S’il existe beaucoup d’analyses d’œuvres lisztiennes, très peu prennent
en compte les données extra-musicales en ce qui concerne le rapport avec
les arts, celui avec la littérature ayant donné lieu à de nombreux écrits.
Cependant, Sposalizio fait figure d’exception. En effet, un certain nombre
de textes ont tenté de proposer une interprétation en rapport avec le
modèle pictural :
Dans leur court article « Liszt’s Italian Years : Picturial Highlights »,3
Ralph Nieweem et Claire Aebersold4 évoquent brièvement quelques
rapports entre la musique de Liszt et l’œuvre de Raphaël, mais de manière
très analogique. Ils écrivent au sujet de l’Andante Quieto5 :
Liszt élabore une description tonale remarquable des silhouettes qui s’in-
clinent et du dialogue des trois personnages principaux en faisant appel à des
motifs aux formes « arrondies » qui se renvoient les uns aux autres et s’unissent

1. Si l’on considère les trois années, évidemment.


2. Françoise Escal, op. cit., p. 211-212.
3. Nous tenons ici à remercier Joan Backus d’avoir eu l’extrême gentillesse de nous
envoyer une copie de cet article.
4. Ralph Nieweem et Claire Aebersold, « Liszt’s Italian Years : Picturial Highlights »,
Clavier 23, 1984.
5. Il s’agit des mesures 30 et suivantes…
Septième chapitre 345

dans un motif circulaire correspondant à la présentation de Raphaël de la


bague unissant Marie, Joseph et le prêtre.1
Les autres éléments de l’article restent assez généraux sur la question.
Cornelia Knotik replace l’œuvre d’un point de vue sociologique dans
son court article « Sposalizio »2. Ses remarques analytiques sont pertinentes,
offrant des parallèles éloquents entre la pièce musicale et la peinture.
Jacqueline Bellas3 s’appuie sur la comparaison entre l’œuvre picturale
raphaëlesque et la pièce pour piano de Liszt dans « Franz Liszt, le grand
transpositeur » afin d’établir des liens entre les deux œuvres. L’auteur évoque
également Kaulbach, mais l’exemple le plus approfondi reste Sposalizio.
Elle considère que la pièce de Liszt évolue comme le regard du spectateur,
du premier plan vers l’arrière-plan. De bonnes remarques et précisions
jalonnent cet article, très analogique cependant, dans la démarche.
Serge Gut4, dans son article « Franz Liszt, Années de Pèlerinage,
Deuxième Année : Italie », donne de précieuses informations concernant
l’analyse technique de l’œuvre. En revanche, son analyse sémantique peut
laisser perplexe : Gut assimile en effet la sainte Vierge à Marie d’Agoult,
d’après les portraits les plus célèbres réalisés de la maîtresse de Liszt, par
Henri Lehmann ou encore le relief en bronze de David d’Angers ! De cette
ressemblance anecdotique5, il déduit une identification hypothétique de
Liszt lui-même avec Saint Joseph ! Musicalement, cela se traduirait par une
influence à la fois profane et religieuse dans Sposalizio…6
Joan Backus7, dans « Liszt’s Sposalizio : A Study in Musical Perspective »,
s’appuie sur l’idée lisztienne de « beauté idéelle » et de « beauté plastique »
évoquée dans la lettre du 14 avril 1839 sur Sainte Cécile adressée à M.
Joseph d’Ortigue, pour proposer une analyse très fine de cette pièce de
piano. Elle fonde son travail à la fois sur la perception – en montrant l’évo-
lution de point de vue de l’auditeur – et à la fois sur la conception, mettant
en valeur le travail thématique lisztien. Tout ceci en rapport avec le modèle

1. Ralph Nieweem et Claire Aebersold, op. cit., p. 24.


2. Cornelia Knotik, « Sposalizio », Liszt, information, communication, european Liszt
centre, p. 17-19.
3. Jacqueline Bellas, « Franz Liszt, le grand transpositeur », Transpositions, p. 223-234.
4. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », p. 15-20.
5. Ressemblance déjà notée par Jacqueline Bellas, op. cit., p. 230.
6. Voir Serge Gut, « le profane et le religieux dans les différentes versions de l’Ave Maria
de Franz Liszt », p. 95-102.
7. Joan Backus, « Liszt’s Sposalizio : A Study in Musical Perspective », p. 173-183.
346 TROISIÈME PARTIE

pictural initial. Cependant, elle voit une forme sonate, seule conclusion
analytique avec laquelle nous sommes en désaccord. Nous rappellerons
dans notre analyse ses conclusions techniques et esthétiques.
Jean-Jacques Eigeldinger1, dans son article « Anch’io son’ pittore ou
Liszt compositeur de Sposalizio et Pensieroso » montre de façon rigoureuse
et argumentée que la première pièce des Années de Pèlerinage, 2e volume,
« Italie », est intrinsèquement liée à la seconde. En effet, Sposalizio et Il
Pensieroso ont été respectivement inspirés par Raphaël et Michel-Ange, que
Liszt avait souvent coutume d’associer… en les opposant. L’argumentation
d’Eigeldinger est d’autant plus probante qu’elle s’appuie sur un certain
nombre de sources concernant les arts visuels de l’époque. C’est le premier
texte qui s’attache à retracer ce que Liszt et ses contemporains pouvaient
connaître. Cela accentue la crédibilité de ce texte dense et riche. Là encore,
nous reviendrons sur les conclusions éclairantes de cet article.
La même année que Jean-Jacques Eigeldinger, Elisabeth Way publie
« Raphaël as a Musical Model : Liszt’s Sposalizio ».2 L’auteur s’attache à
montrer les points de convergence entre l’œuvre de Raphaël et celle de
Liszt en s’appuyant sur une analyse picturale et musicale poussée d’un
point de vue technique. L’idée essentielle de Way consiste à faire prédo-
miner le « dessin compositionnel » du tableau sur le « sujet » traité. Si
cette option peut apporter un éclairage un peu différent sur cette œuvre,
nous montrerons que le sujet est en fait beaucoup plus important dans la
compréhension de la musique de Liszt.
S’ajoutent à ces articles des livres qui contiennent des éléments analy-
tiques spécifiques sur Sposalizio.
Márta Grabócz, dans son étude Morphologie des œuvres pour piano
de Liszt,3 étudie Sposalizio à l’aide d’une méthode sémiotique narrative
empruntée à la littérature. Elle met en évidence les différentes isotopies
utilisées pour déboucher sur la « forme du contenu », ici en l’occurrence
« pastoral-religieux ». Elle parle de la forme exceptionnelle de cette pièce
ainsi que de sa catégorie chez Liszt.

1. Jean-Jacques Eigeldinger, « Anch’io son’ pittore » ou Liszt compositeur de Sposalizio


et Pensieroso, in De l’Archet au Pinceau, p. 49-74.
2. Elisabeth Way, « Raphaël as a Musical Model : Liszt’s Sposalizio », p. 103-112.
3. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt. Influence du programme
sur l’évolution des formes instrumentales, 222 p.
Septième chapitre 347

Leon Plantinga étudie le style compositionnel et pianistique de Liszt


dans les années 30 dans La Musique romantique, Le xixe siècle de Beethoven
à Mahler,1 et ce, à partir de Sposalizio. Il donne des éléments analytiques
très intéressants, comme ses réductions harmoniques, éléments sur lesquels
nous reviendrons.
Par ailleurs, nous avons pu consulter des sources manuscrites conser-
vées à Weimar, qui ont été utiles afin de comprendre l’évolution compo-
sitionnelle de Liszt :
Le manuscrit original Ms.I.13/1 de Sposalizio conservé dans les archives
de Weimar se compose d’une copie de trois pages barrées (Ms.I.13/1 a)
d’une part et d’une partition manuscrite de six pages avec des corrections
de Liszt d’autre part (Ms.I.13/1 b). La copie des trois pages barrées de la
main de Liszt porte l’indication « Vide die 3 Seiten ! auf schlechten Pagine
von mir schlecht geschrieben. »
La partition du manuscrit Ms. I, 15 de Sposalizio est conservée égale-
ment à Weimar. C’est une version de la main de Liszt. Cette version offre
certaines différences aussi bien par rapport à la version Ms.I.13/1 b que
par rapport à la version barrée Ms.I.13/1 a. Par exemple, la mesure 6 se
termine sur un ré blanche en octave liée dans la mesure suivante, et non
sur un si qui précède le ré.
Avant tout, comme l’écrit Alan Walker, il est nécessaire pour Liszt
d’illustrer la page de titre de Sposalizio et d’Il Pensieroso « de dessins de
Kretschmer représentant le tableau de Raphaël et la statue de Michel Ange,
comme pour bien souligner qu’ils puisent leur origine dans ces chefs-d’œuvre de
l’art italien »2. Ceci montre effectivement toute l’importance de la source
extra-musicale pour lui, et a fortiori pour l’interprète, ce qui est malheu-
reusement trop oublié de nos jours. En effet, la demande de Liszt n’est pas
toujours respectée. Citons, par exemple, les éditions parisiennes Costallat
et Cie qui ne reproduisent pas d’illustration, mais qui indiquent par un
appel de note, après le titre, au-dessus de la première portée : « d’après le
tableau de Raphaël à la Brera de Milan : Le Mariage de la Vierge ».3 L’esprit

1. Leon Plantinga La Musique romantique, Le xixe siècle de Beethoven à Mahler, 532 p.


2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 283-284, vol. 1
3. Franz Liszt, Sposalizio, Nouvelle Édition avec Notes et Variantes par I. Philipp, Paris,
éd. Costallat et Cie, 1917. Ouvrage consulté à la Bibliothèque nationale de Paris sous
la cote : Vm Casadesus 328 (1).
348 TROISIÈME PARTIE

du compositeur est ainsi en partie respecté, mais l’interprète sérieux serait


obligé de rechercher l’œuvre qui inspira Liszt.1
La confrontation de la peinture de Raphaël à la pièce de Liszt – à
partir de la méthodologie de Panofsky précédemment exposée – mettra en
valeur des éléments esthétiques communs. Nous nous attacherons donc
à les expliciter. Mais nous tenons à préciser encore une fois que seuls les
éléments picturaux relatifs à la comparaison seront retenus, contrairement
à ceux qui ne trouvent pas leur équivalent musicalement, notre dessein
n’étant pas d’aboutir à une étude exhaustive de la peinture de Raphaël.

I. Signification primaire ou naturelle, subdivisée


en signification de fait et signification expressive

Cette première étape correspond, nous l’avons déjà mentionné, à la


phase de description « pré-iconographique » donc à l’analyse formelle à
partir du matériau de base. Cette démarche vise à expliquer comment les
divers événements ou objets ont été exprimés par des formes au sein d’une
situation historique donnée. En musique, elle consiste à présenter le maté-
riau utilisé. Nous le mettrons évidemment en rapport avec son équivalent
pictural. Ajoutons cependant que la « signification expressive » de Panofsky
sera traduite par l’étude des différents caractères de la musique. Comme
nous l’avons déjà précisé, ils sont généralement liés de manière intrinsèque
aux thèmes ou motifs musicaux. Aussi étudierons-nous les deux éléments –
les thèmes ou les motifs ainsi que leurs caractères – sans les distinguer dans
des parties différentes. Autrement dit, la « signification expressive » en tant
que telle disparaîtra dans la « signification de fait ».

A. Formes et Motifs
1. Personnages raphaëlesques et éléments thématiques lisztiens
Dans le tableau de Raphaël, trois personnages dominent la scène
principale :
– Une jeune femme, à gauche, vêtue d’une robe rouge et d’un drapé
bleu foncé tend sa main droite avec une élégance et une grâce
évidentes. C’est la Sainte Vierge.

1. Un interprète sérieux devrait de toute façon rechercher l’original, qui est réalisé d’une
manière beaucoup plus fine que le dessin de Kretschmer.
Septième chapitre 349

– Un homme d’âge mûr, barbu, à droite, portant une tunique verte
recouverte d’une étoffe dorée, répond au geste de la jeune femme en
tendant également sa main droite. Il tient une petite bague qu’il va
passer au doigt de sa future épouse. C’est Saint Joseph.
– Au centre, un personnage caractérisé par une longue barbe et un
couvre-chef dont les couleurs noire et rouge font écho à celles de ses
autres habits ainsi qu’à celles de ses chaussures, rapproche délicate-
ment les mains des époux. C’est le prêtre.
D’autres personnages entourent les trois protagonistes : des femmes du
côté de Marie, des hommes de celui de Saint Joseph. Mais l’action est
focalisée sur les trois personnages centraux. Le caractère du tableau est
évidemment religieux, serein et recueilli.

Illustration n° 13 : Raphaël, Sposalizio.

Dans la pièce de Liszt, trois éléments thématiques fondamentaux sont


clairement perceptibles :
350 TROISIÈME PARTIE

– Un premier motif (noté M1) : monodique, il est pentatonique et


descend en noires égales dans le registre grave du piano en faisant
alterner – comme l’a justement remarqué Serge Gut – globalement
les quintes descendantes et les secondes ascendantes1. De nuance
piano, il est joué dès la première mesure, dans un tempo Andante et
dans une mesure à 6/4 à la main gauche.

>> Exemple n° 66 : F. Liszt, Sposalizio, (M1) mes. 1-3.

– Un second motif (noté M2) de caractère dolce, d’écriture harmonique


affirmée avec des tierces superposées successives, en mode de si mixo-
lydien, se caractérise par son rythme pointé2, identique d’ailleurs à
celui de la fin de M1, sur pédale de si.

>> Exemple n° 67 : F. Liszt, Sposalizio, (M2) mes. 3-4 : la question du


motif question/réponse.

Un thème unique, composé d’accords en valeurs longues, est présenté


pour la première fois dans la tonalité de sol Majeur :

1. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », p. 16.
2. « rythme de péon crétique » comme le précise Serge Gut, id., p. 16.
Septième chapitre 351

>> Exemple n° 68 : F. Liszt, Sposalizio, (thème en sol majeur) mes. 37-45.

L’étude du matériau employé montre d’ailleurs, selon Leon Plantinga1,


que cet unique thème dérive du motif M2. En effet, la tête du thème est
entièrement fondée sur le deuxième motif initial :

>> Exemple n° 69 : F. Liszt, Sposalizio, comparaison du thème et de M2


de Leon Plantinga.2

Cet unique thème traduit un caractère religieux affirmé – comme plus


tard dans le recueil Harmonies poétiques et religieuses, le thème cantabile
de la deuxième pièce « Ave Maria » – et ce, grâce à plusieurs paramètres
comme le tempo Più lento, dans une nuance PPP, dolcissimo, confortée
par l’utilisation de la pédale una corda. De plus, les accords répétés, en
valeurs longues – la durée la plus courte étant la noire – accentuent encore
ce caractère religieux et imposant. L’étude des sources renforce cette idée.
En effet, il apparaît que Liszt avait, au départ, envisagé le même thème,

1. Leon Plantinga, La Musique romantique, Le xixe siècle de Beethoven à Mahler, p. 212.


2. Leon Plantinga, id., p. 212.
352 TROISIÈME PARTIE

harmoniquement identique, mais dont la formule d’accompagnement


différait :

>> Exemple n° 70 : F. Liszt, Sposalizio, Manuscrit, Weimar Archiv., I. 15,


version barrée par Liszt, mes. 38.

Il est clair que l’écriture choisie à l’origine par Liszt appartient au style
bel canto, en témoignent les arpèges brisés en croches. Le fait qu’il l’ait
modifiée montre que le caractère recherché était vraiment religieux afin
de correspondre à l’œuvre picturale inspiratrice. En effet, Raphaël s’est
appuyé sur des lignes verticales, les colonnes de l’édifice qui engendrent un
côté hiératique. Ce dernier suscite le recueillement, la sérénité en faisant
ressortir la solennité de la scène du premier plan.
Mais si le nombre d’éléments thématiques musicaux correspond à celui
des personnages principaux du tableau de Raphaël, il ne faut cependant
pas en déduire qu’il s’agit d’une traduction littérale. En effet, il n’y a qu’un
seul véritable thème – qui, nous le verrons plus loin, correspond au person-
nage de la Sainte Vierge – et les motifs renvoient à d’autres idées. C’est ce
que nous apportera l’étude de ces éléments à la lumière du second niveau
de signification de l’analyse iconographique de Panofsky.

2. Audace de la perspective. Audaces harmoniques

Les personnages du premier plan sont alignés dans l’œuvre du Pérugin.


En revanche, dans la composition de Raphaël, ils dessinent un arc de
cercle, ce qui permet au spectateur d’entrer pleinement dans la composi-
tion et lui donne la sensation de participer à la cérémonie. Par ce procédé,
Raphaël fait sortir son œuvre de la classification de Wölfflin. Dans son
ouvrage Principes fondamentaux de l’histoire de l’art1, celui-ci développe
l’opposition qu’il avait déjà mise en place dans Renaissance und Barok, eine
Untersuchung über Wesen une Entstehung des Barokstils in Italien, publié à

1. Heinrich Wölfflin, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art.


Septième chapitre 353

Munich en 1888 et insiste sur la notion de « style ». Pour lui, Renaissance


et Baroque s’opposent grâce à cinq traits stylistiques particuliers qui sont :
– linéaire/pictural : les œuvres de la Renaissance se caractérisent par
une ligne qui démarque bien les contours des éléments représentés.
Pour emprunter un terme anachronique du vocabulaire de la bande
dessinée, nous dirions que c’est la « ligne claire », dont Hergé reste
le porte-drapeau. En revanche, les artistes baroques – comme
Rembrandt ou Le Caravage – noient leurs figures grâce à des lignes
qui n’épousent pas les contours des formes et des motifs, et qui s’en-
trecroisent de manière mouvante.
– clarté/obscurité : les lignes que nous venons d’évoquer chez les artistes
dits « baroques » ne sont pas clairement définies car se retrouve
souvent une atmosphère de clair-obscur qui s’oppose à la clarté
affirmée des œuvres de la Renaissance.
– plans/profondeurs : les œuvres de la Renaissance sont fondées sur des
agencements de plans parallèles, alors que les peintures baroques sont
construites à partir de diagonales qui visent à donner une ouverture
entre le premier et l’arrière-plan.
– forme fermée/forme ouverte : les compositions de la Renaissance sont
fermées, grâce à une recherche d’équilibre autour d’un axe central,
contrairement aux œuvres baroques qui s’ouvrent sur le monde exté-
rieur du cadre.
– multiplicité/unité : les personnages baroques peuvent difficilement
être dénombrés et extraits de l’œuvre individuellement, tandis que
ceux des compositions classiques sont clairement individualisés.
Le Sposalizio de Raphaël offre presque toutes les caractéristiques d’une
œuvre classique, à l’exception d’une seule : la composition est ouverte,
grâce à la présentation en arc de cercle des personnages du premier plan.
Le spectateur est invité à participer à l’hymen de Marie et de Joseph. Ce
trait stylistique appartient déjà à l’art baroque. À ce sujet, Passavant écri-
vait déjà en 1839 :
Les lignes de la perspective du temple ont été tracées à l’encre noire, et sont
d’autant plus visibles, que la couleur qui les recouvre est d’une pâte légère.1
D’ailleurs, l’historien de l’art voyait bien les liens entre le maître – donc
Le Pérugin – et l’élève, Raphaël, mais n’avait pas saisi toutes les nouveautés
apportées par ce dernier. En effet, il écrit :

1. Johann David Passavant, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi, p. 19.
354 TROISIÈME PARTIE

D’après l’opinion de Pungileoni (dans le Giornale Arcadico, n° XXXII,


p. 359), et d’après notre propre observation, Raphaël n’a fait que suivre pour
cette composition celle du célèbre tableau de son maître1, le Pérugin, qui était
autrefois dans la cathédrale de Pérouse, et qui, depuis 1804, est placé à l’hôtel
de ville de Caen, en Normandie. La seule différence de composition qu’il y
ait entre l’œuvre du maître et celle de l’élève, c’est que ce dernier transposa les
deux groupes d’hommes et de femmes, donna plus de mouvement aux figures
et ordonna mieux l’architecture du temple. Le jeune homme qu’on voit sur
le premier plan, brisant son roseau, est imité de celui qui, dans le tableau
du Pérugin, se trouve à l’arrière-plan, et qui est « plus beau de mouvement »
que la figure placée au premier plan. Dans beaucoup de détails de l’œuvre de
Raphaël, on retrouve encore la manière du Pérugin, quoique les expressions
des têtes et les mouvements des personnages soient plus vivants et plus fins,
que les tons des chairs soient plus suaves dans les transitions, et qu’en général
les qualités propres de Raphaël commencent à se montrer partout. Parmi les
teintes des draperies, il y en a qui ressemblent à celles que le Pérugin affec-
tionnait. Par malheur, l’élève, encore inexpérimenté, a employé pour faire ces
draperies des couleurs qui, comme le vert du vêtement de la femme placée au
premier plan à gauche, ont fortement poussé au noir. L’exécution de ce tableau
n’est pas celle des autres petits ouvrages de Raphaël, qui se distinguent par un
fini extrême, mais elle est bien davantage calculée pour l’effet général, ainsi
qu’il en doit être dans un ouvrage de grande dimension.2
Les historiens de l’art actuels n’approuvent pas cette analyse. Ainsi, sur
cette dernière remarque concernant les couleurs, nous pouvons citer Jean-
Pierre Cuzin qui, lui, montre combien le choix de Raphaël est approprié :
Et le Sposalizio réalise l’exact point d’équilibre dans les contrastes de
couleurs très sombres, jusqu’au noir, et très claires, jusqu’au blanc, grâce à quoi
sont découpées et tranchées impeccablement les formes, et en même temps dans
le dialogue chantant des couleurs, les chaudes : rouges, roses, orangés, jaunes,
tons de miel, opposées aux froides : bleus intenses ou pâles, gris violacés. C’est ce
dialogue des tons chauds et froids, le plus souvent un bleu et un rouge sonores,
que vont reprendre beaucoup des œuvres florentines, opposition apaisée par les
tons pâles des carnations, le vert mousse des paysages.3

1. Vasari rapporte, pour sa part, que Raphaël était si adroit que ses copies de peintures
ne se distinguaient pas des originales de son maître [note personnelle].
2. Johann David Passavant, op. cit., p. 19.
3. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, p. 246.
Septième chapitre 355

Pierluigi de Vecchi examinera de manière plus précise et approfondie


que Passavant l’idée de perspective dans cette œuvre de Raphaël :
Mais c’est surtout le rapport entre l’architecture et les figures du premier
plan qui diffèrent. Les lignes fuyantes du dallage (dont l’alternance de couleur
accentue l’effet de fuite), éloigne en perspective le temple qui se dresse, plus
élevé sur un escalier : de simple décor architectural, il devient l’axe d’un espace
circulaire imposant aux personnages un rythme curviligne, tandis que chez le
Pérugin, il se dispose sur un plan horizontal unique.1
Elisabeth Way exprime une idée très proche de celle de De Vecchi en
donnant un équivalent musical chez Liszt :
Le motif B réalise unification et stabilité de la même façon que le triangle
dans la peinture de Raphaël (formé par la porte ouverte et les têtes de Marie,
Joseph et le prêtre) franchit l’espace neutre séparant les deux moitiés de la toile
et offre la seule unification potentielle des composants conflictuels. Liszt dépeint
à la fois la nature bipolaire de la composition raphaëlesque et la fonction unifi-
catrice du triangle central en juxtaposant la stabilité du motif B et la mobilité
des motifs A et C.2
D’autres équivalents musicaux sont envisageables. Ainsi, cette audace
de la perspective se retrouve transposée chez Liszt également par des
enchaînements harmoniques audacieux et très libres, fondés sur un enchaî-
nement d’accords conjoints qui implique une montée – à la main droite
– et une descente – à la main gauche –, symétriques des voix :

1. Luigi de Vecchi, Tout l’œuvre peint de Raphaël, p. 90.


2. Elisabeth WAY, « Raphaël as a Musical Model : Liszt’s Sposalizio », p. 108.
356 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 71 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 11 à 16.

Dans les mesures 9 à 17, on remarque une basse descendante par tons
entiers1 à partir, effectivement, de cinq notes sur six.
Leon Plantinga2 a d’ailleurs non seulement expliqué cette idée mais l’a
illustrée en réduisant la partie la plus trouble sur le plan tonal de Sposalizio,
c’est-à-dire les mesures 9 à 30 :

1. Joan Backus mentionne que « Karen Wilson par contraste, tente sans succès de décrire la
progression en termes d’harmonie fonctionnelle comme suit : “la progression évolue logique-
ment du mi majeur au mi mineur par changement de mode, vers un accord en do majeur
(VI en mi majeur), vers un accord en si bémol majeur (un VII abaissé emprunté au do
mineur) vers un accord en ré bémol majeur (Napolitain de do), vers un la bémol majeur (V
du napolitain ou VI en do mineur) vers un accord en si majeur (III abaissé en harmonie
en la bémol majeur qui devient V en mi)”. » Voir Karen Wilson, A Historical Study and
Stylistic Analysis or Franz Liszt’s Années de Pèlerinage (Ph. D. diss., University of North
Carolina, 1977), p. 179-80. » Cité dans Joan Backus, « Liszt’s Sposalizio : A Study in
Musical Perspective », p. 178.
2. Leon Plantinga, op. cit., p. 213.
Septième chapitre 357

>> Exemple n° 72 : Liszt, Sposalizio, mes. 9 à 30,


réduction de Leon Plantinga.1

Si nous nous concentrons sur les mesures 9 à 18, nous voyons que le
même accord de quinte est utilisé pendant deux mesures : accord fondé sur
sol# (mes 9), fa# (mes 11), mi (mes 13) :

>> Exemple n° 73 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 9 à 18.

1. Idem, Ibidem.
358 TROISIÈME PARTIE

À la mesure 14, Liszt introduit un premier accord de sixte avant d’en-


chaîner encore sur un accord de sixte fondé sur ré (mes 15). Cette mesure
15 est d’ailleurs très intéressante car elle propose, à l’œil, un enchaîne-
ment de tierces à la basse sur le papier, et, à l’oreille, une chute de seconde
mineure : on a en effet l’impression que le ré s’enchaîne au ré b avant d’ar-
river mesure 17 sur un accord de sixte à partir de do. Cette série d’enchaî-
nements harmoniques est une recherche de couleurs plus qu’un respect
forcé d’harmonies fonctionnelles.1 De plus, l’espace musical s’élargit par
un investissement progressif grâce à la basse descendante d’une part, et à
la voix supérieure qui progresse de plus en plus dans l’aigu, d’autre part.
Cependant, il faut préciser un élément important : pour créer de la
profondeur dans son tableau, Raphaël fait se rapprocher les lignes de fuite.
Le premier plan implique donc un écartement des lignes, tandis que l’ar-
rière-plan nécessite un rapprochement vers un même point de fuite, à
l’horizon.
Liszt, lui aussi, crée un effet de profondeur. À cette fin, il utilise un
mouvement inverse des voix extrêmes qui s’éloignent progressivement
l’une de l’autre. Il faut donc remarquer que l’effet auditif de proximité est
traduit par un faible ambitus entre les voix tandis que leur éloignement
provoque une impression d’élargissement spatial.
Nous constatons donc que, pour un même résultat, en l’occurrence
celui de recherche de profondeur, nous sommes en présence de procédés
opposés : l’œil perçoit la profondeur d’un grand espace par un rétrécisse-
ment important des lignes de fuite, tandis que l’oreille perçoit la profon-
deur d’un grand espace par un écartement important des différentes voix,
donc de l’élargissement de l’ambitus.
La peinture et la musique traduisent de la sorte un résultat identique de
perception grâce à des procédés contraires. Mais dans les deux cas, musique
et peinture, la recherche de profondeur est manifeste.

3. Courbes raphaélesques et lignes mélodiques lisztiennes

Avant d’étudier les rapports entre les courbes raphaélesques et les lignes
mélodiques lisztiennes, il convient de rappeler certaines expériences dont
celles d’Etienne Souriau qui a bien posé le problème de la spatialisation des
mélodies. D’ailleurs, il écrit à ce sujet :

1. C’est aussi l’opinion de Jean-Jacques Eigeldinger, op. cit., p. 64.


Septième chapitre 359

Il s’agit de savoir […] s’il est des analogies morphologiques positives entre
les œuvres musicales et les œuvres de l’art ornemental, si, par exemple, une
transposition spatiale de la ligne d’une mélodie fournit une courbe ayant une
valeur décorative et un galbe satisfaisant du point de vue des exigences essen-
tielles de l’esthétique de l’arabesque. Si oui, l’expérience est cruciale, et c’est à
nos théories, à nos opinions esthétiques de s’accommoder de ce fait et de l’expli-
quer si nous pouvons : aucune question ne peut rien contre un fait.1
Aussi un problème essentiel est-il à résoudre : celui de la méthodologie
à adopter. Souriau cite, à ce propos, l’expérience de Combarieu qui, à
partir de l’Adagio de la Sonate pathétique de Beethoven, a tracé sur du
papier l’arabesque obtenue en suivant les lignes mélodiques. Le résultat est
évidemment « déplaisant, incohérent et absurde »2. Mais comme l’explique
Souriau, notre système de notation musicale est lacunaire pour traduire
de manière précise et scientifique les éléments sonores dans l’espace. Il
propose donc, avec le même postulat musical beethovénien, une méthode
scientifique, consistant à indiquer en abscisse les temps, en ordonnées les
fréquences physiques des vibrations. Il faut ensuite relier toutes les notes
appartenant à la même voix mélodique en continuant la courbe pendant
toute la durée du son.
Les courbes dessinées révèlent un équilibre, une régularité répon-
dant au modèle musical. Souriau associe le résultat obtenu à un décor
hispano-arabe. Mais il précise toutefois que l’émotion ressentie à la vue des
courbes est nettement moins intense que celle provoquée par l’écoute de
l’adagio de la sonate, car ces diagrammes ne mettent pas en évidence les
relations harmoniques musicales et ne s’attachent qu’à la représentation
des éléments contrapuntiques de la musique. De plus, il remarque qu’en
choisissant pour ordonnées les nombres de vibrations par seconde, il est
impossible de mettre en valeur la hauteur de la mélodie et la voix où elle est
présentée, dans le cadre d’une polyphonie. Aussi prend-il comme exemple
la VIIIe fugue du Clavecin bien Tempéré (sic) de Bach et constate l’absence
de l’identité des courbes mélodiques des diverses voix. Aussi propose-t-il
de changer les ordonnées en employant les logarithmes des fréquences qui
correspondent en fait aux intervalles mélodiques. Il développe ensuite sa
méthode de façon très scientifique, en essayant de s’adapter au problème

1. Étienne Souriau, La Correspondance des Arts, Éléments d’esthétique comparée, p 190.


2. Combarieu, cité par Étienne Souriau, id., p 192.
360 TROISIÈME PARTIE

de l’écriture musicale.1 Reprenant ensuite la VIIIe fugue de Bach en appli-


quant son nouveau système, il s’aperçoit que les courbes représentées
correspondent de façon identique aux entrées des voix. Et il conclut que,
malgré les différences spécifiques dues au changement de médium – les
arabesques n’ont pas toutes les qualités affectives de la musique – il y a la
même idée esthétique :
N’oublions pas, donc, que les arabesques que nous trouvons ainsi sont les
spécialisations dans l’espace d’une idée esthétique originellement spécialisée
pour être donnée dans la durée. Ainsi ce que nous saisissons, à travers ces deux
spécialisations différentes, c’est une essence commune, située par-delà la diffé-
rence du temps et de l’espace.2
Et c’est cette « essence commune » qu’il nous faut déceler dans l’ana-
lyse comparative à partir d’une œuvre plastique.
S’il est indéniable que la musique de Liszt se caractérise par ses courbes
mélodiques, et que, par là-même, il paraît superflu de mentionner l’ana-
logie avec les œuvres d’art plastique, tant cette spécificité se retrouve dans
la plupart des thèmes lisztiens3, il faut cependant mettre en valeur une
particularité entre Sposalizio et son modèle visuel. En effet, dès le début
de l’œuvre pour piano, le premier motif M1 se déroule en une ligne mélo-
dique sinueuse descendante tandis que M2 se caractérise par sa présenta-
tion harmonique. Jean-Jacques Eigeldinger écrit à ce propos :
…sinuosité horizontale et verticalité harmonique sont les deux principes
immédiatement juxtaposés.4
Ces « deux principes » se trouvaient déjà dans l’œuvre de Raphaël. En
effet, les personnages alignés, devant, au premier plan, laissent supposer
une ligne ondulante dans leur disposition qui instaure un rythme à la
composition, tandis que l’édifice du second plan s’impose dans toute sa
verticalité. Le dynamisme du premier plan s’oppose au statisme du second,
comme le mouvement de M1 tranche avec l’immobilisme de M2. Nous
ne voulons pas signifier par cette remarque que les motifs M1 et M2
correspondent explicitement à la disposition des personnages et à celle du

1. Nous renvoyons le lecteur aux pages 201 à 208 de son ouvrage.


2. Étienne Souriau, id., p. 211-212.
3. Voir à ce sujet l’article de Jacques Viret, « L’expressivité mélodique chez Franz Liszt.
Étude de sémantique musicale. », Liszt-Studien 2, p. 237-243.
4. Jean-Jacques Eigeldinger, op. cit., p. 63.
Septième chapitre 361

temple, mais que le principe et le procédé compositionnels renvoient à la


même structure d’esprit chez le musicien et chez le peintre.

B. Événements (liens entre les motifs) : vers une même


perception de l’espace et du temps dans Sposalizio
Dans son tableau, Raphaël travaille sur la perception de la couleur
de manière très particulière : les drapés des personnages du premier plan
mettent en valeur le rouge, le jaune orangé, le bleu et le vert foncé qui peut
aller jusqu’au noir. En témoignent les vêtements de Marie – robe rouge et
drapé bleu foncé – et de Joseph, tunique vert foncé, drapé jaune orangé.
Différents dégradés de ces couleurs se retrouvent dans les vêtements des
autres personnages.
Dans le plan intermédiaire, sur la gauche, deux personnages, vêtus de
rouge et de couleur foncée, semblent discuter. Sur le même plan, à droite,
un petit groupe de cinq personnes fait ressortir les couleurs fondamentales
du premier plan.
Encore plus loin, en haut des marches de l’édifice, un unique person-
nage, à gauche, ainsi que deux à droite mettent en valeur la teinte sombre
par leurs vêtements. Raphaël exige donc un travail de la mémoire oculaire,
en présentant les personnages du plan intermédiaire et ceux de l’arrière-
plan en diminution, en ce qui concerne leur taille, avec les mêmes couleurs
que celles du premier plan. De plus, le rouge et le noir organisent l’espace
par rapport au jaune et dirigent l’œil selon deux lignes convergeant vers la
porte ouverte. Ce sont donc des couleurs structurantes.
Liszt présente au début de sa pièce, nous l’avons vu dans l’exemple 1,
un motif de cloche en noires, sans accompagnement. À la mesure 75, il
utilise à nouveau ce motif initial, mais cette fois en croches :
362 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 74 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 75 et suivantes.

Ces croches accompagnent le thème. Elles changent donc de fonction :


du premier plan à la mesure 1, elles passent au second ici. Ce motif M1
revient, c’est assurément un élément fondamental dans la structure de la
pièce. Liszt joue donc sur la mémoire auditive en présentant un motif
en diminution, structurant ainsi son morceau. Rappelons que Humphrey
Searle a justement évoqué l’influence possible de cette transformation
motivique en croches chez Debussy, et particulièrement dans sa Première
Arabesque1 :

>> Exemple n° 75 : Debussy, Première Arabesque, mes. 6-8.

1. Humphrey Searle, The Music of Liszt, New York, Dover publications, 1966, p. 30, cité
par Jean-Jacques Eigeldinger, id., p. 65 n.29.
Septième chapitre 363

Notons que Paul Henry Lang, en 1936, avait déjà établi un lien entre
Sposalizio et l’esthétique debussyste.1 Joan Backus rapproche ce passage
d’un effet de perspective musicale. Elle explique d’ailleurs l’évolution du
motif M1 jusqu’à sa superposition avec le thème « Ave Maria », superposi-
tion que nous venons de commenter. Elle écrit :
La première moitié de Sposalizio reproduit donc une représentation musi-
cale des deux plans de la scène de Raphaël. C’est dans la deuxième moitié du
morceau que Liszt les réunit, intégrant la nouvelle mélodie en sol majeur au
travail du motif déjà établi et à la tonalité en mi majeur du début. D’abord,
le motif sensuel en arabesque [Notre motif M1] s’insinue dans le thème proces-
sionnel (mesures 46, 48, 50-51…). Avec la répétition du thème (à partir
de la mesure 52), le motif s’intègre davantage dans la texture (un procédé
similaire à son absorption progressive dans la texture de la section A). Dans
la zone de développement, l’arabesque devient le fondement des séquences
montantes, culminant par l’apogée exaltée du second motif [Notre motif M2]
[…]. Pendant toute cette période instable sur le plan tonal, la note basse si
constitue une pédale tonale constante et un ancrage solide : comme la médiante
de sol majeur et la dominante en mi majeur, il donne le pivot tonal (comme
à la fin de l’andante quieto).
Le retour du thème processionnel, maintenant en sol majeur (mesure 77),
créé un effet de récapitulation, de résolution tonale et thématique. Le poids de
cette résolution est mis en valeur par la combinaison des thèmes et l’intégration
des motifs d’arrière-plan au thème processionnel. Tout comme les deux plans
visuels de la scène de Raphaël sont unis par des lignes de perspectives conver-
gentes, les deux plans auditifs de la composition de Liszt sont ici rassemblés
dans une synthèse récapitulative.2
Il y a donc un parallèle possible entre l’appréhension de l’espace pictural
par le spectateur et celle de l’espace temporel pour l’auditeur. Les procédés
en matière de perception sont les mêmes. Cependant, il faut ici préciser
que la démarche de Joan Backus l’amène indubitablement vers l’analyse
d’une forme rattachée à une tradition musicale. En effet, « présentation »,
« développement » et « récapitulation » sont des termes très appropriés
pour parler de « forme sonate ». C’est d’ailleurs l’idée que Backus précise
quand elle écrit :

1. Voir Paul Henry Lang, « Liszt and the Romantic Movement », Musical Quarterly 22,
1936 cité par Joan Backus, op. cit., p. 175 (trad. par nos soins).
2. Joan Backus, id., p. 181 (trad. par nos soins).
364 TROISIÈME PARTIE

La figure 11 donne un aperçu schématique de la conception générale de


Sposalizio, conception qui ne se conforme pas à un modèle conventionnel. Le
fondement des principes de la sonate est immédiatement perceptible, comme le
montre clairement la transition vers la deuxième zone tonale avec son nouveau
thème et la réexposition éventuelle de tous les thèmes et motifs à la tonique.
Apparaît aussi de façon évidente la structure strophique de la section centrale
de la pièce : le thème en sol majeur est répété puis élaboré jusqu’à l’apogée ; la
même procédure de base est reproduite (avec une intensité plus grande) en mi
majeur. Dans ce type de structure Liszt peut avoir été influencé par la nature
strophique des Trois Sonnets de Pétrarque.2
Nous n’adhérons pas à cette analyse. En effet, la forme sonate évoquée
ici n’aurait pas de développement, donc de tension harmonique, ce qui est
le fondement de la forme sonate. Le fait qu’un seul thème soit utilisé ici
n’est pas le plus gênant, même si Liszt a l’habitude de multiplier ses thèmes
quand il use de la forme sonate. En revanche, nous suivons la conclusion
de Backus au sujet de la « nature strophique » de la musique. D’ailleurs, la
« structure strophique » est le fondement de l’analyse formelle de Márta
Grabócz3 à la différence près que cette dernière s’applique à mettre en
relief le contenu de l’œuvre, comme nous le mentionnerons plus spécifi-
quement dans notre dernière partie, qui y est consacrée.

II. Signification « secondaire »


ou « conventionnelle »

Ce deuxième niveau correspond, d’après Panofsky, à la phase d’analyse


iconographique. L’historien de l’art étudie en effet comment les thèmes
et les motifs ont été exprimés, soit par des objets, soit par des événements
particuliers. Il distingue ensuite les images, histoires et allégories.
Dans le morceau de piano inspiré du Sposalizio de Raphaël, il ne semble
pas possible de trouver d’équivalent aux allégories telles que nous les avons
définies dans notre second chapitre. Nous exposerons donc les « images »
et les « histoires » telles qu’elles peuvent apparaître dans la musique de
Liszt.

1. Voir le tableau récapitulatif de Backus dans son article.


2. Joan Backus, id., p. 175-176.
3. Voir ses tableaux formels schématiques dans son ouvrage.
Septième chapitre 365

A. Images

Comme nous l’avons déjà expliqué, nous conserverons ici la notion de


« symboles » au détriment de « personnifications » tant elle nous semble
rattachée à l’idée d’« allégorie ».
Rappelons également que, dans le domaine musical, l’« image » et le
« symbole » dans le sens où l’emploie Panofsky, ne sont pas matérielle-
ment, empiriquement représentés. Assurément, le choix d’un thème ou
d’un motif est en lui-même signifiant, symbolique, surtout dans la musique
à programme. Mais dans le cas qui nous préoccupe d’une comparaison
entre les arts visuels et la musique, seules seront retenues les références
musicales qui renvoient à des objets porteurs d’idées symboliques, donc
(qui renvoient) à des éléments représentés dans le tableau.

1. Une image « sonorisée » : les cloches qui renvoient au mariage

Un motif particulier est à mentionner : celui des cloches, dans


Sposalizio. En effet, le tableau de Raphaël ne montre pas explicitement des
cloches, mais renvoie seulement au mariage de Marie et de Joseph. Certes,
un temple est bien présent au second plan, mais les cloches ne sont pas
perceptibles par le spectateur.
Or Liszt va traduire le mariage de la Vierge par une sonnerie de
cloches, comme pour « sonoriser » le tableau. Il ne renvoie pas ici à l’image
empirique des cloches, mais à l’idée de la cérémonie qu’elles suggèrent
pour l’auditeur. Le compositeur semble avoir adopté ici la même attitude
que celle qu’il a manifestée dans son texte sur la Sainte Cécile de Raphaël.
Rappelons qu’il avait reconnu le chant des anges (« Hosannah ») alors
qu’aucun élément ne nous avait aiguillés sur ce chant religieux spécifique.
Seule l’imagination de Liszt avait pu permettre une telle identification.
Dans Sposalizio, la démarche est donc la même.
D’ailleurs, les cloches sont une « image » au sens de Panofsky, à la seule
différence qu’elles ne sont pas représentées dans le tableau et qu’elles ne
trouvent leur identité que dans la pièce pour piano.
Il faut ajouter que ce motif pentatonique renvoyant aux cloches prend
sa source dans ce que Liszt a pu entendre en Italie lors de son voyage avec
la comtesse d’Agoult. En effet, Walther Rüsh écrit à ce propos :
366 TROISIÈME PARTIE

Rappelons que, dans les régions de la Lombardie et du Piémont, les cloches


sont généralement fondues selon une échelle de cinq sons et sont jouées en sons
isolés et successifs.1
Cela remet en cause l’affirmation de Serge Gut qui voyait dans cet
emploi un pentatonisme « en soi ». En effet, dans sa thèse Franz Liszt, les
éléments du langage musical, il écrit :
Aussi, personnellement, considérons-nous le cas de Sposalizio (1838-39)
comme particulièrement significatif. En effet, un demi-siècle avant Chabrier
et Debussy, nous nous trouvons pour la première fois devant un cas de pentato-
nisme qui ne doit sa raison d’être ni au folklore, ni à l’atmosphère bucolique :
un pentatonisme en soi […] Vu sous cet angle, Liszt nous apparaît comme un
précurseur de l’impressionnisme musical français.2
Gut revient d’ailleurs sur cette affirmation, et ce, à deux reprises. En
effet, dans son texte « Liszt et Debussy – comparaison stylistique », il place
le pentatonisme de Sposalizio dans la catégorie « d’inspiration religieuse »,
ce pentatonisme étant employé selon lui « quand il s’agit de décrire le chris-
tianisme glorieux et rayonnant. »3 Puis il reprend l’idée de « religieux » pour
lui adjoindre celle de « pastorale » dans un article. Il écrit alors :
Cette sonorité de cloches est fidèle au tableau de Raphaël, en rappelant l’at-
mosphère profondément religieuse de cette cérémonie nuptiale et en évoquant
le lieu où celle-ci s’accomplit, c’est-à-dire l’église qui alors fait retentir son
carillon. Mais il ne faut pas oublier que ce thème de départ de Sposalizio, de
par sa structure pentatonique, a une connotation bucolique évidente. Et celle-
ci veut dire que c’est lors de leurs randonnées dans les campagnes avoisinantes
du lac de Côme que Franz et Marie ont entendu s’égrener au vent la mélodie
pentatonique. Celle-ci devient alors le symbole de leur union et – en l’utilisant
pour illustrer le mariage de la Vierge – elle sanctifie leur amour.4
Il faut donc constater l’évolution de la signification du motif pentato-
nique de Sposalizio dans les écrits de Serge Gut. D’un pentatonisme « en
soi » il devient « religieux », puis bucolique, ou du moins « pastoral ». La
seconde interprétation – donc la signification « religieuse » – du penta-
tonisme nous paraît la plus convaincante. En effet, elle s’appuie sur les

1. Walther Rüsch, « Franz Liszt in Bellagio », Liszt Studien I, p. 159.


2. Serge Gut, Franz Liszt, les éléments du langage musical p. 77.
3. Serge Gut, « Liszt et Debussy – comparaison stylistique », Liszt Studien II, p. 72.
4. Serge Gut, « Le profane et le religieux dans les différentes versions de l’Ave Maria de
Franz Liszt », p. 100.
Septième chapitre 367

travaux de Walther Rüsch qui replace le pentatonisme au sein des sons de


cloches de la Lombardie et du Piémont. De plus, elle coïncide avec l’idée
du mariage, les cloches sonnant lors de la célébration de l’hymen. La réfé-
rence à Raphaël est de ce fait bien illustrée.
Mais lorsque Serge Gut mentionne la signification « pastorale » des
cloches, en justifiant son interprétation par les seules balades « bucoliques »
de Marie d’Agoult avec Liszt, nous nous interrogeons sur la pertinence de
cette argumentation. En effet, il n’approfondit pas l’étude de la thématique
par un regard minutieux sur les caractères, à l’instar de Márta Grabócz qui
arrive, elle, à la même conclusion mais avec un raisonnement rigoureux1.
Il en est de même pour l’hypothèse de Serge Gut, dans ce même article,
qui consiste à associer Marie d’Agoult à la Sainte Vierge et Liszt à Saint
Joseph. Même si les allusions autobiographiques sont chose courante au
xixe siècle, il faut remarquer que le tableau de Raphaël est la seule référence
que Liszt donne. Même si l’origine est « inconsciente » pour reprendre le
vocabulaire de Gut, elle n’en reste pas moins purement hypothétique et
anecdotique. Aussi ne retiendrons-nous pour l’instant que le rapport entre
le pentatonisme et l’illustration musicale des cloches. D’autant que l’idée
d’un pentatonisme pour les illustrer n’est pas nouvelle dans le répertoire
lisztien. En effet, le compositeur avait déjà usé de cet élément musical
dans l’une de ses pièces du premier recueil des Années de Pèlerinage, Suisse :
Les Cloches de Genève. D’ailleurs, concernant le motif initial, Jean-Jacques
Eigeldinger écrit :
A-t-on jamais remarqué que Sposalizio, pièce liminaire des Années
italiennes, fait entendre les mêmes notes que Les Cloches de Genève, agencées
là en « série » pentatonique.2
Nous redonnons, à l’image du musicologue suisse, les deux exemples
musicaux fondés sur le pentatonisme :

1. Voir Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt.


2. Jean-Jacques Eigeldinger, op. cit., p. 55.
368 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 76 : F. Liszt, Pentatonisme dans Sposalizio, mes. 1-3 et Les
Cloches de Genève, mes.1-2.

La représentation de cloches est cependant bien absente dans le tableau


de Raphaël qui met en relief un groupe très dense au premier plan. Le
peintre veut ainsi faire partager aux autres personnages présents le bonheur
des mariés. Mais il semble que seules les femmes ressentent cette joie. En
effet, les hommes sont, pour certains, assez inattentifs voire dépités. Ainsi,
le jeune homme du premier plan qui rompt son bâton sur son genou.
L’explication de cette scène se trouve dans les évangiles apocryphes qui
narrent « l’épreuve des prétendants et le miracle de la baguette fleurie. »1
En effet, les veufs et célibataires attendaient tous de savoir lequel d’entre
eux allait devenir l’époux de la jeune Marie. Aussi portèrent-ils tous leur
baguette au temple. Ce fut celle du vieux Joseph qui fleurit, au grand dam
de ses compagnons. De rage, l’un d’eux brisa sa verge sur son genou tandis
qu’un autre leva le poing en direction de l’heureux élu. L’iconographie
conserva la première scène mais pas la seconde. Raphaël reprend donc cet
épisode, illustré pour la toute première fois par Giotto2, par l’intermé-
diaire de l’élégant jeune homme du premier plan. Le mécontentement des
prétendants ne fait aucunement l’objet d’une illustration sonore dans la

1. Voir Louis Réau, « 5. Le Mariage de la Vierge, A) L’épreuve des Prétendants et le


Miracle de la Baguette fleurie », Iconographie de l’Art chrétien, tome second « Iconographie
de la Bible II » Nouveau Testament, p. 170-171.
2. Dans la fresque de la Chapelle de l’Arena, à Padoue, au début du xive siècle.
Septième chapitre 369

pièce de Liszt. Au contraire, il emploie le motif de la « cloche », de manière


presque obstinée.1
L’étude des sources montre d’ailleurs une évolution très nette chez le
compositeur. En effet, au départ, Liszt était beaucoup plus réservé dans
l’emploi du motif des cloches :
– Dans les mesures 9 à 14, dans la version barrée Ms.I.13/1 de Weimar,
Liszt répète simplement les croches à la main droite de manière
continue :

>> Exemple n° 77 : F. Liszt, Sposalizio, version barrée par Liszt, Ms.I.13/1,
Weimar, Gœthe-Schiller Archiv, mes. 9-14.

– En revanche, dans la version définitive, il décale la mélodie confiée


à la main droite d’une croche, par rapport à l’entrée des noires de la
main gauche, de manière à faire naître un effet d’écho :

1. Joan Backus mentionne que : « L’évocation de différents types de sons de cloche est
fréquente dans les compositions pour piano de Liszt. On trouve des exemples dans
Harmonies du soir, Funérailles, le Miserere du Trouvère, Angelus !, Les cloches de Genève,
Ihr Glocken von Marling, Die Zelle in Nonnenwerth, « Carillon » et « Abendglocken »
dans L’arbre de Noël, et La Campanella. » in Joan Backus, op. cit., p. 176 (n.12), (trad.
par nos soins).
370 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 78 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 9-14.

De même, les mesures 16 et 18 de la version définitive n’étaient pas


ainsi présentées dans celle que Liszt a barrée : le motif des cloches à la basse
n’existait pas.
Christiane Weissenbacher1 fait très justement remarquer que la repré-
sentation musicale des cloches évolue au fil du temps, dans la musique
de Liszt, passant progressivement d’une substance musicale mélodique,
comme, par exemple, dans la transcription de la Campanella de Paganini2,
à une prise de conscience de plus en plus harmonique, aussi bien dans
Harmonies du Soir, Funérailles, Ave Maria (Die Glocken von Rom), Angélus
que Mosonyis Grablied ou encore Am Grabe Richard Wagners et Teleki
Làszlò3. Dans cette recherche acoustique, la pédale joue un rôle important
dans la mesure où elle contribue à rendre l’effet harmonique des cloches.
Sposalizio en est un exemple éloquent.

1. Christiane Weissenbacher, « Signum, Signe, Symbole. Les cloches dans le paysage


lisztien », p. 31-37.
2. Quoique, déjà là, Liszt innove puisque c’est la « première œuvre à exploiter au piano
l’effet clochette du concerto de Paganini : le retour du battant sur la dominante, située jusqu’à
deux octaves au-dessus des notes de la mélodie ! » écrit Christiane Weissenbacher dans son
article, id., p. 35-36.
3. Pour une approche harmonique de cette dernière pièce, nous renvoyons à l’article
de Xavier Hascher, « Liszt et les sources de la notion d’agrégat : l’exemple de Ladislaus
Teleki », p. 48-56.
Septième chapitre 371

Liszt accentue ainsi l’effet de cloches de la première version dans sa


version définitive.

2. La demande et l’acceptation/le motif question-réponse


dans Sposalizio

Le tableau met en image le Mariage de Marie et de Joseph. Aussi Liszt


utilise-t-il un motif de question-réponse symbolisant la demande et l’accep-
tation. Bien sûr, le tableau représentant une scène à un temps « T » donné,
il n’est pas possible de représenter – à moins d’inclure plusieurs scènes – le
déroulement de la cérémonie religieuse. En revanche, en musique, il est
plus aisé de trouver une traduction de la demande et de l’acceptation du
mariage par les époux. Encore une fois ici, l’idée n’est que suggérée et pas
représentée explicitement dans le tableau alors qu’elle trouve une équiva-
lence musicale adaptée.
En effet, ce motif se compose de deux courtes interjections musicales,
l’une ouverte, l’autre fermée (cf. exemple 67). C’est sur ce motif que se
fonde la fin de la pièce de piano.

B. Histoires
Rappelons que Bernard Teyssèdre, dans son commentaire de l’ouvrage
Essais d’iconologie de Panofsky, assimile les « histoires » à la représentation
de personnages historiques, légendaires ou mythiques.
Dans le cadre de notre comparaison entre les arts visuels et la musique,
les « Histoires » se situent dans la thématique qui renvoie à un person-
nage historique (ex. Sainte Élisabeth) légendaire (Orphée) ou mythique
(Faust). De ce fait, dans Sposalizio, seul le thème unique de l’œuvre renvoie
à l’image de l’un des personnages de Raphaël : celui de la Vierge.

L’image de la Vierge chez Raphaël – Ave Maria chez Liszt


Comme nous l’avons mentionné précédemment, le thème de la mesure
38 renvoie à l’image visuelle de Marie chez Raphaël. En effet, quand Liszt
reprendra son œuvre de 1838 en 1883 pour en proposer une version pour
orgue ou harmonium et voix d’alto solo, il conservera la structure géné-
rale de sa pièce initiale même s’il ajoutera des mesures, et simplifiera très
largement l’écriture. L’important reste le fait que la voix, qui entre à la
372 TROISIÈME PARTIE

mesure 86, donne le texte : « Ave Maria ». Même si la ligne mélodique est
simplifiée par rapport à son modèle initial, il n’en reste pas moins vrai que
le profil mélodique est tout à fait reconnaissable, puisqu’il est emprunté
aux mesures 77 et suivantes de Sposalizio. Voici les deux versions, celle de
1838 et celle de 1883 :

>> Exemple n° 79 : Comparaison entre F. Liszt, Sposalizio, mes. 74 et


suiv. et F. Liszt, Sposalizio (Trauung), 1883, éd. Carus,
mes. 86 et suiv.

Nous trouvons ici la preuve que Liszt pensait effectivement à la Sainte


Vierge en écrivant ce thème grâce à la transcription qu’il fit pour orgue et
alto en 1883 dans Sposalizio (Trauung) même si Walther Rüsch mentionne
que cette mélodie est en fait au départ une litanie populaire chantée en
Lombardie1. D’ailleurs, les rythmes longs et simples dans le tempo Più

1. Walther Rüsch, op. cit., p. 159-160, n. 9.


Septième chapitre 373

lento, ainsi que la nuance PPP, donnent d’emblée un caractère religieux à


ce passage. Márta Grabócz le classe évidemment dans les sèmes ou classèmes
« religioso ».1

III. Signification intrinsèque, ou contenu :


d’une même conviction religieuse
à une manifestation différente de la foi

Dans la troisième étape de son analyse, Panofsky assimile la signifi-


cation intrinsèque aux « principes sous-jacents » qui appartiennent aux
membres d’une même caste. L’artiste est le médiateur entre le spectateur
et la composition. Inconsciemment, il va intégrer ces points communs
généraux dans son œuvre qui, elle, est unique.
Nous constatons que l’œuvre musicale lisztienne a été composée
plusieurs siècles après son modèle pictural. Cependant, malgré cette
distance dans le temps, subsiste la même conviction religieuse. Pourtant,
ses moyens d’expression diffèrent. Nous sommes donc en présence d’une
œuvre qui reste éminemment marquée par… le xixe siècle : d’une même
« conviction religieuse », les œuvres manifestent une expression différente
de la foi. Pour étayer notre propos sur cette différence de manifestation de
la foi dans l’œuvre de Liszt et celle de Raphaël, nous étudierons l’œuvre
pianistique dans son ensemble, ce qui mettra en relief sa forme générale.
En effet, la pièce lisztienne évolue. Elle change de caractère, illustrant au
début celui du tableau pour s’en éloigner progressivement.
Dans le tableau de Raphaël, la joie des participants est toute inté-
rieure : une attitude concentrée, marquée par des visages sérieux et lumi-
neux. Seules quelques femmes esquissent un sourire discret, avec un regard
tendre. De plus, la prédominance de couleurs sombres dans les vêtements
des personnages au premier plan renforce cette idée. L’importance et la
longueur des drapés accentuent la sensation donnée par les verticales des
colonnes. Raphaël n’utilise cependant pas ceci à des fins d’alourdissement :
le contrapposto maniériste de Marie et de Joseph laisse voir, avec précision,
la finesse des plis de leurs vêtements qui épousent leurs formes. Tous ces
éléments contribuent à imposer un caractère recueilli, voire méditatif, qui
suscite une joie intérieure chez le spectateur, joie retenue et dense.

1. Márta Grabócz, Morphologie des pièces pour piano de Liszt, p. 171.


374 TROISIÈME PARTIE

I. Liszt conserve cette impression de douceur et de recueillement au


début de sa pièce : le motif 1 donné à la basse dans la nuance piano, inter-
rompu par le motif 2, dolce, revient dans le registre medium, mezzo forte,
tandis qu’ils réapparaissent encore une fois successivement (mes. 5-6 et
7-8). Puis Liszt utilise le procédé de variation sur le deuxième motif, dans
une nuance encore plus piano avec l’indication PPP una corda, avant d’ac-
célérer le tempo poco a poco et termine encore une fois dans le grave et sans
accompagnement avec ce même motif en octaves accentuées et fortissimo
(mes. 27 à 29).
II. L’Andante quieto qui suit cette introduction superpose ou alterne
les deux motifs, reprenant le calme initial – comme le montre la préci-
sion dans le tempo : quieto et l’indication de nuance dolce – laissant l’audi-
teur en suspens sur une pédale de tonique mi. Jean-Jacques Eigeldinger
rapproche ces mesures 30 à 37 – donc le passage qui précède la première
énonciation du thème de la Sainte Vierge – d’une « sacra conversazione
musicale ». Voici ce qu’il écrit :
Suit un conduit [après une première cadence en mi majeur] (mes.30-37)
qui renvoie au genre de l’idylle avec ses bourdons de quinte à la basse et son
dialogue entre a21 (soprano) et la tête de a12 (ténor). Ce moment de stase
(manière de jardin clos, de sacra conversazione musicale – d’un Liszt naza-
réen – encadré de doubles barres qui l’isolent) module à la dominante, qui reste
en suspens. Silence. 3
Précisons qu’une « sacra conversazione » (sainte conversation) implique
dans les représentations iconographiques la présence de la Vierge – avec ou
sans l’Enfant Jésus – et de saints. D’une certaine manière, le Sposalizio de
Raphaël est une « sacra conversazione » picturale puisque le peintre montre
Marie en compagnie de Saint Joseph. Transposée en musique, une « sainte
conversation » implique donc la présence d’une représentation musicale
de la vierge et des saints. Ici, l’atmosphère peut déjà renvoyer à une « sacra
conversazione » par le caractère recueilli et par l’effet de dialogue dû à l’al-
ternance des voix. De plus, nous avons déjà identifié ces effets de dialogue
comme une demande et une acceptation musicale de la part de la sainte
Vierge et de son époux.

1. Notre M2.
2. Notre M1.
3. Jean-Jacques Eigeldinger, op. cit., p. 64.
Septième chapitre 375

Tous ces éléments viennent donc confirmer la totale adéquation


entre l’idée musicale et son équivalent pictural évoqué par Jean-Jacques
Eigeldinger.
Comme le note à juste titre Serge Gut1, l’arrêt sur la dominante si de
la mesure 37 peut également être perçu comme une tonique momentanée,
aboutissement d’une cadence parfaite (avec le la #) en si Majeur. Mais
ce n’est pas l’analyse la plus convaincante dans le contexte donné. Nous
sommes en effet en présence d’un enchaînement de Doppeldominante à sa
Dominante pour reprendre des termes riemanniens.2 Mais il faut remar-
quer que ces sept mesures offrent une stabilité harmonique pour l’audi-
teur, qui n’a pas toujours pu déceler où il se trouvait de ce point de vue
auparavant. Joan Backus écrit à ce propos :
L’effet de cette soudaine impression de stabilité change la perspective de
l’auditeur. Tandis que l’oreille est dans un premier temps prête à percevoir la
section A comme une section d’exposition, l’arrivée dramatique de la stabilité
tonale et harmonique de l’Andante quieto entraîne un changement de percep-
tion. De façon rétrospective, la section A est perçue comme une section intro-
ductive, une transition conduisant à l’affirmation plus précise des motifs.3
Ensuite, l’enchaînement romantique à la tierce du thème « Ave Maria »
selon la qualification de Márta Grabócz – donc en sol Majeur – se fait
dans une atmosphère très recueillie (cf. mes.38) avec une résurgence de
M1 dans l’accompagnement, aux mesures 46, 48, 50 et 51. Ce thème est
présenté ensuite varié, mais dans la même atmosphère (mes. 52) ; pour
conclure cette partie, un postlude intervient, fondé sur les éléments mélo-
diques du thème et du premier motif. Il évolue de sib majeur (mes. 60) à
mi majeur (mes. 66) en passant par réb majeur, mesure 62.
III. Le caractère de la pièce change radicalement après. Il devient plus
tendu, de crescendo stringendo (mes 68), en passant par molto rinforzando
ed appassionato (mes. 71-72), on arrive à un fortissimo, juste avant les deux
mesures introduisant de nouveau le thème « Ave Maria », donc mesure
74. Cet ensemble progresse sur pédale de si, basse d’un accord de septième
diminuée qui évolue en septième de dominante mesure 74. Le thème en

1. Voir Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie »,
p. 15-20.
2. Serge Gut, dans l’article cité ci-dessus, explique ce passage par un vocabulaire emprunté
à Heinrich Schenker. Il parle en effet de « toniqualisation » de la dominante.
3. Joan Backus, op. cit., p. 178.
376 TROISIÈME PARTIE

mi majeur, cette « blonde lumière […] qui restitue les frais coloris du peintre »
comme dirait Eigeldinger1, offre ensuite un accompagnement de croches
qui utilise toute l’étendue du piano, dans une atmosphère cependant très
feutrée, comme le demande par exemple l’indication con grazia dans la
nuance pianissimo, mesure 85. Mais très vite, on aboutit à un renforce-
ment de la tension grâce :
– au thème exposé à nouveau mesure 92 toujours en mi majeur mais
de façon différente, fortissimo, dans le registre aigu du piano avec
d’impressionnantes croches en octaves à l’accompagnement :

>> Exemple n° 80 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 92 et suiv.

– à ce déferlement des croches rageuses de l’accompagnement qui


arrive, mesure 106, sur un accord sforzando noire pointée en do#
majeur, suivi des croches tutta forza, cette fois sans le thème :

1. Jean-Jacques Eigeldinger, « Les Années de Pèlerinage de Liszt : Notes sur la Genèse


et l’esthétique », p. 160.
Septième chapitre 377

>> Exemple n° 81 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 106 et suiv.

L’accompagnement fondé sur M1 a eu raison du thème, et prend son


autonomie, avant de laisser une courte place à M2, en octaves pour arriver
sur un accord de sixte, toujours en do# majeur. Ce motif structure égale-
ment la phrase musicale suivante mais dans une atmosphère calme qui
tranche avec l’épisode antérieur. Présentée dolce, avec l’indication ritenuto
il tempo, elle aboutit sur la dernière cadence parfaite qui ramène la tonalité
de mi majeur, mesure 120.
Márta Grabócz résume ainsi cet épisode :
Le premier motto d’introduction quasi « cloche » (devenu accompagne-
ment), le deuxième motto « question-réponse » et le thème de prière, ne sont
entonnés comme une unité logique et cohérente, que dans la dernière phase,
avant la coda, à la fin de la deuxième « forme » variée. Cette section de la
forme – en tant que point culminant, point final de l’œuvre,- exalte le thème
de prière et transforme le motto du geste, de demande et de prière « parlante »,
« hésitante » en une déclaration-révélation glorifiée dans la foi.1
Cette « déclaration-révélation glorifiée dans la foi » montre combien
Liszt s’est détaché du modèle pictural : la joie et l’exaltation intérieures des
personnages de Raphaël deviennent une joie et une exaltation extérieures
dans l’œuvre du musicien qui a montré de manière exaltée toute sa foi.

1. Márta Grabócz, op. cit., p. 136.


378 TROISIÈME PARTIE

IV. La coda offre une dernière présentation de M1 Pianissimo en


croches (mes. 119 à 130) ainsi qu’une allusion à M2 (mes.130 à la fin)
avec son rythme pointé caractéristique, qui fait terminer le morceau par
une nuance PPP, dans un tempo Adagio. Mais le plus frappant reste ici les
deux enchaînements harmoniques cadentiels. En effet, le premier, plagal
(mes.121-122) est répété aux mesures 123-124.

>> Exemple n° 82 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 121-122.

Le second enchaînement (mes. 130) également répété mais deux fois à


la mesure suivante est une cadence de plain-chant :

>> Exemple n° 83 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 130.

D’ailleurs, Serge Gut écrit à ce sujet :


Il faut attendre la coda pour que l’atmosphère se décante et devienne forte-
ment religieuse, grâce aux cadences ecclésiastiques IV – > I et VI – > I.1
Il semble donc que la coda, éminemment religieuse par ses cadences
successives résolve les tensions de la partie précédente qui est le point
culminant de la pièce. Liszt retrouve ici la sérénité de la scène peinte par

1. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », p. 18.
Septième chapitre 379

Raphaël, sérénité qu’il avait troquée contre une manifestation exacerbée,


exaltée de sa foi.
Nous tenons également à attirer l’attention sur le fait que Liszt a
employé le motif M1 de manière quasi omniprésente. De plus, d’autres
références aux cloches en tant que telles sont également fréquentes. En
témoignent les mesures 53, 55 où une idée de cloche se manifeste sous la
forme de deux octaves répétées à la main gauche dans l’aigu, main gauche
qui croise d’ailleurs la main droite en clé de sol :

>> Exemple n° 84 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 52-57.

Il serait également possible de percevoir les blanches accentuées à la


basse des mesures 108, 109 et 110 comme des échos de cloches.
Comme nous l’avons vu précédemment, la référence aux cloches peut
être le résultat d’une imagination lisztienne que nous avions qualifiée de
« synesthésique ». Nous pouvons sans doute donner une signification
plus poussée et également en rapport avec celle du tableau contemplé par
Liszt. En effet, nous assistons au mariage de la Sainte Vierge. Cet événe-
ment est présenté d’une manière relativement personnelle et intimiste
dans la peinture de Raphaël. Liszt part de cet événement personnel, mais
la multiplication du motif ou de sonorités proches de celles des cloches
lui donne un caractère universel. Il est possible d’ailleurs d’analyser cette
récurrence sonore comme un appel à la foi dans le temps et dans l’espace,
« pour les siècles des siècles » pourrait-on dire. Cela illustrerait les paroles
de Marie elle-même – que Liszt connaissait évidemment – énoncées dans
son Magnificat1 : « Désormais, toutes les générations me diront bienheureuse ».
Ces sonorités de cloches visent donc à une propagation mondiale par-delà
le temps et l’espace de cet événement unique qu’est le mariage de la Sainte
Vierge.

1. Pour une mise en musique de ce texte, nous renvoyons évidemment au Magnificat


de Jean-Sébastien Bach.
380 TROISIÈME PARTIE

Ainsi, Liszt, musicien du xixe siècle, a illustré – en particulier la sainte


conversation – et commenté le tableau avec les moyens et la sensibilité de
son temps.

Conclusion
Il se dégage de notre analyse comparée que Liszt s’attache à recréer l’at-
mosphère recueillie et solennelle du tableau illustrant le sujet biblique du
Mariage de la Vierge. À ce dessein, il utilise le pentatonisme pour illustrer
un effet de cloches, ainsi qu’un motif « question-réponse » pour symboliser
la demande et l’acceptation des deux époux. Un seul thème sera employé.
La seconde version de 1883 Sposalizio Trauung reprendra cet élément
thématique avec un texte consacré à la Vierge Marie : « Ave Maria ».
Le matériau de Liszt peut donc être associé au modèle pictural de
Raphaël : deux motifs et un thème pour trois personnages principaux, les
mariés et le prêtre. Cependant, la signification du matériau musical ne
correspond pas explicitement aux protagonistes du tableau. En effet, si
le thème unique correspond bien à la Sainte Vierge, les motifs, eux, ne
renvoient pas à Saint Joseph et au prêtre. Il semble que le premier soit
l’image des cloches, tandis que le second implique la mise en scène de la
question et de la réponse chez les mariés.
D’un point de vue technique, Raphaël a surpassé son maître Le
Pérugin dans l’élaboration de la perspective. Liszt, quant à lui, propose des
enchaînements d’accords très audacieux et peu employés à son époque afin
d’obtenir des « couleurs » harmoniques particulières. L’utilisation d’un
motif qui structure la pièce par sa quasi-omniprésence et sa présentation
en diminution oblige l’auditeur à faire un effort de mémoire. Ce procédé
peut renvoyer aux couleurs rouge et noire dont l’organisation structure
l’espace et construit des lignes directrices pour l’œil dans le tableau. Les
procédés de perception dans le temps et dans l’espace sont ici tout à fait
comparables.
Pour caractériser le partage du bonheur de cet événement unique, il se
sert du premier motif que Márta Grabócz appelle « quasi cloche » presque
de manière obstinée. La joie intérieure des participants est extériorisée vers
la fin de la pièce musicale, le musicien réagissant en artiste et en croyant
du xixe siècle, s’opposant ainsi à l’expression dégagée par les protagonistes
du tableau. Liszt interprète ici véritablement les sentiments intérieurs de
ces personnages, sans tenir vraiment compte de l’esthétique de Raphaël. Le
Septième chapitre 381

message divin par-delà le temps et l’espace est cependant très clair dans les
deux œuvres. Le calme revient à la fin de la pièce de piano, rappelant alors
l’atmosphère du tableau.
Le compositeur a donc su illustrer et commenter de manière très
personnelle le tableau de Raphaël avec les moyens et la sensibilité de son
temps dans « l’une des pages les plus étonnantes peut-être [qu’il] ait écrites »1.
Comme l’écrit Joan Backus :
Il semble […] très probable qu’en écrivant une œuvre comme Sposalizio,
Liszt essayait à son tour de saisir le « même »2 double aspect qui l’impression-
nait tant dans l’œuvre de Raphaël – l’expression duelle de l’intégrité formelle et
de la représentation symbolique.3
Il apparaît que Liszt a réussi sa gageure…

1. Jacques Viret, « L’expressivité mélodique chez Franz Liszt. Étude de sémantique


musicale », p. 237.
2. L’auteur renvoie à l’écrit de Liszt sur la « Sainte Cécile de Raphaël ». Voir à ce sujet la
troisième partie de notre premier chapitre.
3. Joan Backus, op. cit., p. 173.
Huitième chapitre
Analyse comparée
d’après Panofsky
du Totentanz de Liszt
et de ses modèles visuels

Introduction

Genèse
Lors de son voyage italien avec Marie d’Agoult, Liszt écrit en
février 1839 dans des Feuillets d’album publiés par Daniel Ollivier dans les
Mémoires de Marie :
Si je me sens force et vie, je tenterai une composition symphonique d’après
Dante, puis une autre d’après Faust – dans trois ans – d’ici-là, je ferai trois
esquisses : le triomphe de la mort (Orcagna) ; la Comédie de la Mort (Holbein),
et un fragment dantesque. Le Pensiero (sic) me séduit aussi. 1
Liszt projetait donc déjà la Dante et la Faust symphonies ainsi que
le Pensieroso du second cahier des Années de Pèlerinage. Le « fragment
dantesque » deviendra la Dante Sonate, du second volet des Années de pèle-
rinage, 2e année (Italie). Quant au Triomphe de la Mort et à la Comédie de
la Mort, divers documents nous montrent que ce sont les sources d’inspi-
ration du Totentanz.2 Liszt s’y attelle en 1847. Il reprend et modifie son
œuvre en 1865.
Dès le début de la composition du Totentanz, il se montre très réservé
en ce qui concerne les orientations programmatiques de son œuvre.

1. Franz Liszt, cité par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps,
n. 19, p. 263.
2. Voir la partie concernant les sources.
384 TROISIÈME PARTIE

Il persistera dans cette attitude jusqu’à la fin de sa vie. En témoigne sa


rencontre avec Vladimir Stasov en 1869. Ce dernier écrit en effet :
En vain je l’implorai de jouer quelque chose du Totentanz, de Faust
dans la Taverne, Nächtlicher Zug, Hunnenschlacht ou Dante : « Toutes
ces œuvres appartiennent à cette période ! Non, je ne les jouerai plus ». Cela
ne servait à rien de lui demander d’expliquer les variations principales dans
le Totentanz pour lequel aucun programme n’était donné (contrairement à
l’habitude que Liszt avait suivie dans tous ses travaux symphoniques). Il refusa
platement de jouer cette pièce et, comme pour le programme, il dit seulement
que c’était une de ses œuvres dont le contenu ne devait pas être rendu public.
Un étrange secret, une étrange exception, l’effet étrange de sa vie d’abbé et de
son séjour à Rome.1
L’étude du Totentanz nous amènera à proposer une hypothèse plau-
sible sur le silence de Liszt au sujet de son programme.

Les sources d’inspiration


Le fait que Liszt se soit inspiré de Holbein pour composer est attesté
par les sources, dont la plus ancienne est une lettre adressée à un certain M.
Huber, le 28 novembre 1847. Nous pouvons lire :
La Danse des Morts de Holbein est à moitié écrite, mais si [vous] ne voulez
pas occasionner une maladie mortelle qui pourrait s’opposer à son achèvement,
tranquillisez-moi sur le sort de mes malles.2
Il semble donc que le futur Totentanz ait été inspiré par les gravures sur
bois de Holbein. Mais il faut préciser absolument que la (ou les) source(s)
d’inspiration de cette œuvre fait (ou font) l’objet de maintes discussions
contradictoires et ce, même avant sa publication, en 1865. L’hypothèse
que Holbein fut l’unique référence de Liszt se dégage des premières discus-
sions sur le sujet. Ainsi, lors de la première du Totentanz, Richard Pohl ne
s’appuie que sur cette référence dans le programme qu’il rédige. Il écrit
en effet :

1. Vladimir Vasilevich Stasov, Selected Essays on Music, p. 50.


2. Franz Liszt, lettre à M. Huber du 28 novembre 1847. Vente aux enchères chez Sothebys
du 15 mai 1996, n° 397, cité par Adrienne Kaczmarczyk dans « Liszt, Lamennais und der
Totentanz », Studia Musicologica Academiae Scientiarum Hungaricae, Budapest, 43/1-2,
2002, p. 58, n. 11.
Huitième chapitre 385

Chaque variation révèle un personnage différent : l’homme sérieux, le


jeune irresponsable, celui qui doute, sarcastique, le moine priant, le guerrier
imprudent, la charmante vierge, l’enfant joueur.1
Il faut cependant remarquer que les personnages mis en scène par
Holbein dans ses œuvres ne correspondent pas tous à la description de
Pohl : le moine ne prie pas, mais tente au contraire de s’enfuir ; l’enfant
adopte un air plus boudeur que joueur, pour ne citer que quelques exem-
ples représentatifs. Malgré ces imprécisions, la référence à Holbein est
toutefois à conserver. Liszt et Pohl étaient en effet en étroite relation, et il
est tout à fait possible que le compositeur ait donné, en passant, une réfé-
rence à Pohl. Ce dernier a sans doute forcé les détails dans sa présentation
programmatique.
En 1865, lors de la première publication du Totentanz, le journaliste
Jurij von Arnold propose une autre interprétation de l’œuvre dans la Neue
Zeitschrift für Musik le 6 octobre. Pour lui, la seule source d’inspiration de
Liszt est la fresque « Totentanz » de Holbein située sur le mur du cimetière
de Zürich. Anna H. Celenza Harwell souligne les inexactitudes de cette
affirmation :
Le Totentanz d’Holbein est une série de sculptures sur bois ; les seules fres-
ques qu’il ait réalisées sont pour une maison de Bâle et il n’existe aucune preuve
qu’il ait jamais mis les pieds à Zürich. Néanmoins, il y a quelque chose à
apprendre de la description d’Arnold. Comme son prédécesseur Pohl, Arnold a
reçu apparemment des indications concernant l’origine du Totentanz de Liszt
et il a lui-même décidé de créer un programme reflétant les différentes caracté-
ristiques de la composition. 2
Là encore, même si les précisions apportées par Arnold sont erronées, il
est évident que la piste de Holbein soit à creuser ; en effet, comme l’affirme
Anna H. Celenza Harwell, Arnold a probablement « brodé » autour de
l’idée vraisemblablement donnée par Liszt lui-même, qu’Holbein était à
l’origine (l’une des origines ?) du Totentanz.
Cependant, l’hypothèse qu’Holbein soit l’unique source d’inspiration
de Liszt est sérieusement remise en cause par la première biographe du

1. Richard Pohl, Programme zu Symphonischen Dichtungen Liszts : IV. Totentanz,


p. 401-402, cité par Anna H. Celenza Harwell, « Death transfigured : The Origins and
Evolution of Franz Liszt’s Totentanz », Nineteenth-Century Music : selected Proceedings of
the tenth international Conference, University of Bristol, 1998, [edited by Jim Samson
and Bennett Zon], p. 139.
2. Anna H. Celenza Harwell, id., p. 145.
386 TROISIÈME PARTIE

compositeur : Lina Ramann. En effet, elle affirme que la fresque Il Trionfo


della Morte est la seule référence véritable. Pour étayer son propos, elle
s’appuie sur l’une de ses conversations avec Liszt lors d’un concert où était
donné le Totentanz par Alexander Siloti, le 3 juin 1886. Ramann rapporte
cette conversation dans Lisztiana :
« – Comment êtes-vous venu à Holbein ? À Chur ? demandai-je ;
Pas du tout, Pise, répondit-il laconiquement. Je ne sais pas comment Pohl
est arrivé à cette idée. En Italie, j’ai vu plus que quelques tableaux. L’un à Pise
m’a fasciné. Le « Dies Irae » m’a toujours été cher. »
Je l’interromps : « La cathédrale de Fribourg, 1836. »
Il intervint soudainement : « Là, j’ai improvisé le thème sur l’orgue. (Siloti
était en train de jouer la Variation 1 avec grâce). Vous les trouvez à Pise chez
Orcagna. »
De plus, Liszt a écrit dans un carnet de notes pour Siloti quelques expres-
sions idiomatiques incluant des fanfares de chasse. 1
Ramann conclut de cette conversation que le Totentanz de Liszt est
influencé par une seule œuvre d’art, le Trionfo della Morte, fresque qu’il
attribue à Orcagna2. Mais elle interprète à sa manière ce qu’avait dit
Liszt. En effet, il n’avait pas nié l’influence d’Holbein dans la création
du Totentanz, mais avait simplement affirmé qu’il n’avait pas découvert
les gravures à Chur, mais à Pise. D’ailleurs, lui-même se réfère à deux
œuvres d’art visuel dans ses lettres et journaux : quelques notes de 1839
dans le Journal de Zyi mentionnent des extraits musicaux fondés sur le
Totentanz de Holbein et sur le Trionfo della Morte3. Anna H. Celenza
Harwell nous apprend également que Liszt, dans un memo – datant du
milieu des années 1840 – extrait du cahier d’esquisses de Ce qu’on entend
sur la Montagne, entrevoyait ces extraits comme une première esquisse de
ses Années de Pèlerinage.4
En effet, rappelons que, dans les années 1844, Liszt envisageait trois
années de pèlerinage, dont la dernière étape était la Hongrie. Rena Charnin
Mueller a publié les projets de composition des Années de Pèlerinage

1. Lina Ramann, Lisztiana : Erinnerungen an Franz Liszt in Tagebuchblättern, Briefen und


Dokumenten aus den Jahren 1873-1886/7, p. 331.
2. Rappelons qu’aujourd’hui, les historiens de l’art attribuent cette fresque à Buonamico
di Cristofano Buffalmaco. Notons que Francesco Traini a été pendant un temps l’auteur
présumé de Il trionfo della Morte.
3. Voir l’article d’Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 127.
4. Weimar : Gœthe-Schiller Archive, Liszt Kollektion : Z31, n° 2 et H6.
Huitième chapitre 387

(Suisse-Italie-Hongrie) d’après des cahiers d’esquisses, et en particulier


celui intitulé Ce qu’on entend sur la Montagne, qui porte la cote : WRg MS
N1. Ce projet d’Années de Pèlerinage (Suisse-Italie-Hongrie) se trouve à la
page 30 de ce « mémo ». Voici l’ordre des morceaux1 :
Dante
3 Soñets de Pet = +
Campo Santo di Pisa Danse des Morts
Venezia (Milan-Venezia) Canto d’amori
Sposalizio-Pensieroso (Mich-Ange)/pictore
Venise – [illisible] in Ven :… [illisible]/Gondolier
Campo Santo di Pisa Danse des Morts
Chapelle Sistine/Stabat Mater
Tarentelle nap.
Charnin Mueller remarque que Liszt a changé l’ordre de ses morceaux
de manière à respecter un parcours géographique. Notons également qu’il
voulait intégrer À la Chapelle Sixtine et le Stabat Mater de Rossini transcrit
pour le piano. Cependant, il n’a réalisé ces œuvres que dans les années 60.
Là encore se retrouve une référence implicite à la lettre écrite à Berlioz en
1839.2
Mais le plus intéressant pour notre recherche dans ces projets lisztiens
est la référence à une œuvre au titre emblématique : « Campo Santo di
Pisa Danse des Morts. » Ce titre renvoie de manière explicite à l’œuvre de
Buffalmacco au Campo Santo de Pise, tandis que la « Danse des Morts »
peut, elle, être rapprochée des Simulachres de la Mort… de Holbein. Il
comporte à lui seul la double référence aux arts visuels qui semblent être à
l’origine du futur Totentanz.
Si Liszt a abandonné son projet initial, il s’est vraisemblablement
souvenu des deux références extra-musicales dans sa dernière version du
Totentanz.

1. Rena Charnin Mueller, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works », Studia
Musicologica Academiae Scientiarum Hungaricae, p. 235.
2. Voir notre introduction.
388 TROISIÈME PARTIE

Articles, livres et sources littéraires utilisés :

Deux articles qui prennent en compte le problème des liens entre la


musique et les arts visuels dans le Totentanz nous ont été particulièrement
utiles :
– Anna Harwell Celenza1, dans son article « Death Transfigured : The
Origins and Evolution of Franz Liszt’s Totentanz » propose une étude
à partir des sources puis en retire des éléments esthétiques probants
dont nous nous sommes inspirée pour notre propre analyse ;
– Adrienne Kaczmarczyk2 offre, dans son article « Liszt, Lamennais
und der Totentanz » les résultats d’une recherche génétique poussée
et analysée très précisément. Les résultats esthétiques partent des
mêmes éléments – à savoir que l’œuvre musicale lisztienne s’inspire
de deux œuvres extra-musicales – que ceux de Harwell Celenza, mais
la conclusion diffère. Nous reviendrons sur ce point.
Un autre article important est à mentionner, même s’il laisse de côté les
arts visuels : « Totentanz, Variation, Aufbau und modale Transformation
in Franz Liszts Musik », de Josef Ujfalussy.3 L’auteur fait une synthèse
sur l’importance historique et musicale de Liszt. L’article du professeur
hongrois dépasse largement le cadre du titre qu’il a donné pour retracer
une véritable histoire du langage musical.
Nous avons également écrit deux courts articles4 qui résument l’emploi
de la méthode de Panofsky et tirent des conclusions spécifiques sur l’œuvre

1. Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 125-154. Nous tenons ici encore à remercier
l’auteur d’avoir accepté de nous confier le manuscrit avant la publication.
2. Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der Totentanz », op. cit., p. 53-72.
3. Josef Ujfalussy, « Totentanz, Variation, Aufbau und modale Transformation in Franz
Liszts Musik », Akademische Antrittsvorlesung am 17. März 1986, in Studia Musicologica
Academicae Hungaricae, 42 (2001/3-4) p. 373-389.
4. Laurence Le Diagon-Jacquin, « La Totentanz de Liszt : Essai d’analyse comparée
d’après Panofsky », Music and the Arts Proceedings from ICMS 7, edited by Eero Tarasti,
Acta Semiotica Fennica XXIII, Approaches to Musical Semiotics 10, Finnish Network
University of Semiotics, Imatra, International Semiotics Institute, Imatra, Semiotic
Society of Finland, Helsinki, 2006, p. 294-304 ; Laurence Le Diagon-Jacquin, « Propo-
sition d’Analyse comparée entre la Musique et les Arts visuels : les trois Niveaux de
Signification panofskyiens appliqués à la Totentanz de Liszt. » la Musique représentative,
actes des Premières rencontres interartistiques de l’O.M.F., Paris IV Sorbonne, journée
du 23 mars 2004, textes réunis et édités par Vanessa Guy, Série Conférences et Séminaires,
n° 18, 2005, p. 89-102.
Huitième chapitre 389

lisztienne. Au demeurant, nous avons également composé sur le Totentanz,


mais sans nous référer à Panofsky, dans une analyse plus traditionnelle et
plus complète.1
Par ailleurs, nous avons pu avoir accès à diverses sources : certaines
concernent les arts visuels, d’autres la musique.
– Concernant les arts visuels, nous tenons à mentionner deux ouvrages
particuliers. Les deux ont été publiés du vivant de Liszt.
Le premier ouvrage est une réflexion sur les danses macabres. Ce
livre, La Danse des Morts dessinée par Hans Holbein,2 non daté – mais
probablement de la première partie du xixe – contient une reproduc-
tion des gravures de Holbein telles qu’elles étaient connues au xixe siècle.
D’ailleurs, il existe de nos jours une édition moderne de ces gravures chez
Dover.3 Cependant, cette dernière édition omet huit gravures dont cinq
dans lesquelles la Mort est absente. L’intégrale des œuvres de Holbein sont
présentes dans l’édition du livre de Fortoul. Outre ces représentations,
ce livre de petit format a également l’avantage de présenter un texte fort
instructif sur les danses macabres, les images qu’elles ont inspirées aux
artistes, ainsi qu’une réflexion dans le troisième chapitre sur Il Trionfo della
Morte, fresque attribuée alors à l’époque à Orcagna.
Le second ouvrage reste encore de nos jours une référence pour les
études sur les danses macabres. Il s’agit du fameux livre de Kastner, Les
Danses macabres.4 Nous avons eu la chance de pouvoir consulter l’exem-
plaire appartenant à Liszt lui-même au musée Liszt de Budapest. Ses indi-
cations manuscrites nous seront précieuses.
D’autres sources littéraires concernant le Totentanz et ses sources
visuelles nous ont aidée. Nous les avons déjà mentionnées dans notre partie

1. Laurence Le Diagon-Jacquin, « Variété historique, variantes analytiques et variations


sémantiques dans la Totentanz de Liszt », Analyse musicale, n° 51, septembre 2004,
p. 67-87.
2. Hippolyte Fortoul, La Danse des Morts dessinée par Hans Holbein, gravée sur pierre par
Joseph Schlotthauer, (expliquée par), 252 pages.
3. Werner L. Gundersheimer, (introduction by) A complete Facsimile of the Original 1538
Edition of Les Simulachres et Historiees faces de la Mort.
4. (Johann Georg) Georges Kastner, Les Danses des Morts, Dissertations et recherches,
historiques, philosophiques, littéraires et musicales sur les divers monuments de ce genre
qui existent ou qui ont existé tant en France qu’à l’étranger, accompagnées de La Danse
Macabre, Grande ronde vocale et instrumentale, Paroles d’Édouard Thierry, musique de
Georges Kastner, et d’une suite de planches, Paris, Brandus et Cie Éditeurs, Pagnerre,
Librairie-Éditeur, 1852. Exemplaire de Liszt conservé au Musée Liszt de Budapest.
390 TROISIÈME PARTIE

consacrée à la recherche des sources d’inspiration. Nous ne les présente-


rons pas à nouveau afin d’éviter une redite inutile.
Il nous reste donc à présenter les sources qui renvoient à la musique
proprement dite : les différents manuscrits consultés. Nous nous référerons
également à l’article d’Adrienne Kaczmarczyk1 déjà cité, tant son travail
sur les sources est précis et important. Il contribuera aussi à présenter les
manuscrits auxquels nous n’avons pas pu avoir accès, c’est-à-dire principa-
lement les versions pour piano et deux pianos. Précisons que l’étude de ces
sources musicales permettra d’établir l’historique de cette œuvre si riche.

Sources musicales et Historique de l’œuvre


Nous allons préciser les sources musicales utilisées par Liszt afin de
reconstituer la délicate chronologie de l’œuvre.
Comme nous l’avons vu plus haut, Liszt abandonne bientôt son
projet d’Années de Pèlerinage (Suisse, Italie, Hongrie), et utilise entre 1847
et 1849 d’après Adrienne Kaczmarczyk et en 1848 pour Anna H. Celenza
Harwell, les extraits de « Campo Santo di Pisa Danse des Morts » dans une
grande œuvre pour piano et orchestre, appelée Todtentanz.2 Nous avons
consulté ces sources qui comprennent une partition d’orchestre (WRgs
60/H6) sans la partie de piano, puis une partie de piano à part (WRgs
60/Z31 n°2). La partition d’orchestre comporte une page de titre : « 1.
Concert/Todtentanz/Partitur » et une série de 21 pages numérotées plus
une à la fin. La page 4 comporte une indication manuscrite « piano forte »
avec des portées tracées à la main où figure une variation sur la fin de la
deuxième phrase du Dies irae écrite pour la main droite du pianiste. Ce
détail, ajouté au mot « concert » barré dans le titre, montre combien la
pensée d’une œuvre pour orchestre ET piano était claire chez Liszt. Quant
à la partie de piano WRgs 60/Z31 n°2, elle est fragmentaire. C’est un
manuscrit autographe. Nous disposons des pages numérotées 2 à 5. Elles
correspondent aux pages 13 et suivantes de la partition d’orchestre. La
page 2 offre les parties « récitativo » indiquées mais non réalisées musicale-
ment dans la partition d’orchestre, page 13. La page suivante se caractérise
par ses trémolos à la main droite, trémolos dignes de Sigismund Thalberg,

1. Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der Totentanz », op. cit.


2. À Weimar, dans les archives Gœthe-Schiller, Collection « Liszt » sous la cote : WRgs
60/Z 31, n° 2 et : WRgs 60/H6.
Huitième chapitre 391

grand spécialiste de ce geste musical à l’époque1. Liszt reprend dans cette


partition le thème d’une œuvre antérieure inédite à l’époque intitulée
De Profundis, composée en 1834. Nous n’avons pas consulté l’original
de cette partition mais la version proposée et éditée par le Professeur Jay
Rosenblatt.2 Notons que Liszt a écrit un « De profundis » vocal dans
son cahier d’esquisses « Tasso » (D-WRgs 6/N5) page 115. Adrienne
Kaczmarczyk reproduit cette page dans son article.3
Liszt paie ensuite August Conradi pour faire une copie propre de la
partition, copie qui se trouve actuellement à New York, dans la biblio-
thèque Pierpon Morgan. Elle appartient à la collection Lehman. Nous
avons pu étudier cette partition composée de 38 pages d’après les micro-
films disponibles à la Bibliothèque Liszt de Budapest. Notons que c’est à
cette époque que Liszt adopte le titre de Totentanz pour cette pièce qu’il
considérait jusque-là comme un concerto de piano. Le titre est précisé-
ment : « Todtentanz-/PHFantasie für Pianoforte und Orchester-/terminé
le 21 octobre 1849/F. Liszt ». Un élément important est à souligner : les
variations 2 et 3 adoptent déjà leur place définitive.
Rena Charnin Mueller écrit au sujet de Conradi et de la version du
Totentanz de l’époque :
Milieu 1848, August Conradi assuma le rôle permanent de secrétaire
copiste pour Liszt. Il transcrivit et mit en ordre le contenu de tous les précé-
dents documents tout en préparant le MS Z15. Il intitula différemment le
document : « Programme général »4 et indexa le répertoire interprété par Liszt
sous la forme ff. 1-3r. Conradi continua ensuite ff. 3v-7r, maintenant intitulé
« Catalogue/des Compositions et Publications/pour le piano/de F. Liszt. » 5
Apparemment, ce transfert de données fut fait directement sous la direction
de Liszt car un certain nombre de travaux qui apparaissent dans la copie de
Conradi ne sont pas présents dans l’exemplaire de Liszt. L’avant-dernière page
de cette section du Programme général6, f. 7r, est entièrement de la main
de Liszt, une énumération de toutes les œuvres chorales et une section inti-

1. Il suffit d’écouter par exemple ses Variations sur les thèmes de la 7e Symphonie de
Beethoven pour s’en convaincre !
2. Pour les différentes versions de ce De Profundis, se reporter à notre première partie
consacrée à la présentation des « thèmes et motifs ».
3. Voir Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der Totentanz », op. cit. p. 56.
4. En français dans le texte.
5. Idem.
6. Idem.
392 TROISIÈME PARTIE

tulée « Manuscrits »1. Dans cette dernière section, Liszt réduit le nombre de


concertos de piano à deux ; ceci, évidemment, coïncide avec la preuve de la
page titre « Todtentanz » (WRgs MS H6) de Weimar, autrefois appelée Piano
Concerto I, titre que Liszt lui-même a supprimé.2
En 1855, Liszt édite la copie de Conradi. Il avait auparavant apporté
des modifications de détails sur la partition d’une part, et sur des feuillets
séparés, d’autre part.3 Les folios de correction utilisés pour modifier cette
copie sont dans une collection privée aux États-Unis et malheureusement
inaccessibles. Adrienne Kaczmarczyk précise cependant qu’ils se compo-
sent de 28 pages numérotées.4 Mais les résultats des changements de Liszt
se retrouvent dans une seconde copie de la partition réalisée par Dionys
Pruckner5. Cette copie est ensuite reliée de cuir. On peut penser qu’à
ce moment, Liszt considère le Totentanz comme achevé, bien qu’il ne
soit jamais joué dans cette version de son vivant. Une dizaine d’années
plus tard, il fait des projets avec Hans von Bülow pour la première du
Totentanz. À cette époque, il se penche sur la version de 1853 et la modifie
considérablement, en particulier en en changeant l’orchestration et en en
supprimant plusieurs parties. Il complète cette copie avec 17 pages que
Jay Rosenblatt date de 1864.6 C’est sous cette forme que la composition a
paru à la Hague en 1865 et a été publiée ensuite pour la première fois par
C.F.W. Seigel sous le titre : Totentanz, paraphrase sur le Dies Irae.
Si nous avons consulté l’essentiel des sources musicales pour piano
et orchestre, nous n’avons cependant pas fait de même avec les versions
pour piano et deux pianos. Nous donnons cependant ici leurs références et
leurs principales caractéristiques en nous appuyant toujours sur l’excellent
article d’analyse génétique d’Adrienne Kaczmarczyk et en rappelant ses
conclusions.
Il existe deux sources de la transcription du Totentanz pour deux
pianos.

1. Idem.
2. Rena Charnin Mueller, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works », op. cit.,
p. 240-241
3. Hypothèse convaincante reprise à Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der
Totentanz », op. cit., p. 60.
4. Adrienne Kaczmarczyk, id., p. 69.
5. Weimar : Gœthe-Schiller Archive, Kollektion Liszt, H10.
6. Cité par Adrienne Kaczmarczyk, op. cit., p. 61, n.22.
Huitième chapitre 393

La première est conservée à Vienne, dans la bibliothèque natio-


nale autrichienne, et porte la cote Mus. Hs.41.195 (Awn). Adrienne
Kaczmarczyk pense qu’elle a été élaborée en deux temps : au début, Liszt
a réalisé une transcription complète de la copie de Pruckner, de 28 pages
autographes numérotées. Sur la couverture, le titre apposé est le suivant :
« Todten Tanz/(Pianoforte und Orchester/für 2 Claviere)/FL ». À l’inté-
rieur, une indication supplémentaire est donnée : « NB/Das 1te Clavier/
nach der Partitur/ausschreiben –/mit den Veränderungen,/Zusätzen
und/Cadenzen – wie/in der Partitur ». Adrienne Kaczmarczyk reconnaît
l’écriture de Raff pour la première partie de piano et situe cette première
étape après 1853. La seconde étape consiste en 3 pages ajoutées, notées :
« Correctur Blatt A-B-C » Elles correspondent aux ajouts de 17 pages de la
version pour piano et orchestre. C’est la version définitive de la transcrip-
tion qu’Adrienne Kaczmarczyk replace entre 1860 et 1862, c’est-à-dire en
même temps que la version finale pour piano et orchestre.
La seconde source est conservée à Weimar et porte la cote : D-WRgs
60/W20. Son titre est : « Todten Tanz’für 2 Pianoforte./2tes Pianoforte. »
Elle contient les deux parties de pianos complètes ainsi qu’un fragment
de la partie de piano seul. Adrienne Kaczmarczyk date ce manuscrit vers
1864-65.
Deux sources de la version pour piano seul sont également à
répertorier :
La première est une ébauche autographe de 7 pages numérotées de
A à G. Ce manuscrit est conservé à Washington, dans la bibliothèque
du Congrès et porte la cote [Wlc] M 196.L58. Le titre est le suivant :
« ‘Todten Tanz’/für Piano-Forte allein. » Adrienne Kaczmarczyk pense
que cette ébauche est née après l’autre source.
La seconde source est en effet une édition imprimée datant de 1865 qui
porte le titre suivant : « Hanz von Bülow/gewidmet./ TODTENTANZ./
(Danse macabre.)/PARAPHRASE/über/’DIES IRAE’/für/Piano und
Orchester/von/FR. Liszt./Partitur Pr. Geh.3Rth/Arrangement für zwei
Pianoforte Pr.3 Rth.15 Ngr./Arrangement für Pianoforte allein Pr.1
Rth.15Ngr./[…]/LEIPZIG, C.F. SIEGEL./2814-2816. »
Pour notre analyse du Totentanz, nous avons travaillé sur l’édition
« Musica Budapest », tant pour la version écrite pour piano seul que pour
la partition de piano et orchestre. Les exemples donnés sont extraits de
cette dernière partition.
394 TROISIÈME PARTIE

Nous proposons à présent l’analyse comparée du Totentanz lisztien et


de ses modèles visuels, c’est-à-dire les gravures sur bois de Holbein et la
fresque de Buffalmacco du Campo Santo de Pise. Notre étude comparée
sera encore bien évidemment fondée sur la méthode iconographique de
Panofsky dont nous retracerons à nouveau brièvement les grandes lignes.

I. Signification « primaire » ou « naturelle »,


subdivisée en « signification de fait »
et « signification expressive »

Cette première étape panofskyenne sert à présenter le matériau de


base inspirateur, ici les gravures de Holbein et la fresque de Buffalmacco,
grâce à l’analyse de leurs formes et de leurs motifs. La même démarche
est adoptée pour la musique de Liszt correspondante : nous en étudions
donc les thèmes et motifs. Cependant, contrairement à Sposalizio que
nous venons d’analyser, nous ne traiterons pas systématiquement simul-
tanément la « signification de fait » et la « signification expressive ». Pour
être précise, nous déterminerons les propriétés des thèmes et des motifs
en même temps que leurs autres caractéristiques. Les mêmes thèmes étant
utilisés à diverses reprises, nous avons choisi d’apporter des précisions sur
les caractères dans une partie à part, consacrée donc à la « signification
expressive ».

A. Formes et Motifs

1. Un personnage principal chez Holbein – la Mort –


et un thème essentiel chez Liszt : le Dies Irae
Les gravures de Holbein dans ses Simulachres de la Mort sont fondées
sur la récurrence d’un personnage principal. En effet, hormis les deux
premières vignettes, toutes les autres comportent un squelette, qui appa-
raît déjà dans la troisième représentant Adam et Eve chassés du paradis
terrestre. Ce personnage est évidemment une personnification de la Mort.
Il vient toujours rendre visite aux vivants. Toutes les catégories sociales
Huitième chapitre 395

sont soumises au même destin macabre comme en témoigne la liste des


gravures de Holbein1 :
01. La Création
02. Le Péché originel
03. Adam et Eve chassés du paradis
04. Adam cultive le sol
05. Les Ossements de tous les Hommes
06. La Mort et le Pape
07. La Mort et l’Empereur
08. La Mort et le Roi
09. La Mort et le Cardinal
10. La Mort et l’Impératrice
11. La Mort et la Reine
12. La Mort et l’Évêque
13. La Mort et le Duc
14. La Mort et l’Abbé
15. La Mort et l’Abbesse
16. La Mort et le Noble
17. La Mort et le Prêtre
18. La Mort et le Juge
19. La Mort et l’Avocat
20. La Mort le Sénateur
21. La Mort et le Prêcheur
22. La Mort et le Curé
23. La Mort et le Moine
24. La Mort et la Nonne
25. La Mort et la vieille Femme
26. La Mort et le Physicien
27. La Mort et l’Astrologue
28. La Mort et l’Avare
29. La Mort et le Marchand
30. La Mort et le Marin
31. La Mort et le Chevalier
32. La Mort et le Comte

1. Les titres mentionnés ici renvoient à l’appellation en anglais de l’édition de Werner


L. Gundersheimer, (introduction by) A complete Facsimile of the Original 1538 Edition
of Les Simulachres et Historiees faces de la Mort.
396 TROISIÈME PARTIE

33. La Mort et le Vieillard


34. La Mort et la Comtesse
35. La Mort et la grande Dame
36. La Mort et la Duchesse
37. La Mort et Le Colporteur
38. La Mort et le Laboureur
39. La Mort et l’Enfant
40. La Mort et le Guerrier
41. La Mort et le Joueur
42. La Mort et l’Ivrogne
43. La Mort et le Fou
44. La Mort et le Brigand
45. La Mort et l’Aveugle
46. La Mort et le Charretier
47. Sans titre (absence du squelette)
48. Sans titre
49. Sans titre
50. Sans titre
51. Sans titre
52. Le Jugement Dernier
53. Emblème
Nous proposons une présentation des gravures de Holbein dans une
édition du xixe siècle, que Liszt a pu connaître. Les reproductions de ce
livre sont issues de la sixième édition de Bâle de 15541. Elle comporte les
cinquante-trois gravures.
Le Totentanz est fondé sur la séquence médiévale chantée à la messe des
morts : le Dies Irae, dont Liszt avait découvert l’utilisation dans un contexte
symphonique2 grâce à la Symphonie Fantastique de Berlioz. De cette simple
mélodie caractérisée principalement de tierces et de secondes (au début :
broderie inférieure suivie d’un saut de tierce mineure), Liszt élabore une
œuvre impressionnante :

1. Les titres mentionnés ci-dessus relèvent de notre propre traduction des indications
présentées dans Werner L. Gundersheimer (introduction by), id.
2. Nous insistons sur le contexte car Liszt connaissait assurément depuis son enfance,
cette séquence dans son cadre liturgique.
Huitième chapitre 397

>> Exemple n° 85 : le Dies Irae.

Dans son Totentanz, Liszt n’utilise que la première paire de vers, qui
comporte l’intervalle caractéristique signalétique du chant. Il présente
plusieurs variations en gardant le thème intact. Puis il fait dériver un
second thème à partir de celui du Dies Irae. C’est le thème central noté
M(ozart) dans les tableaux synthétiques donnés à la fin de notre texte et
dans notre article d’Analyse musicale.1

1. Voir Laurence Le Diagon-Jacquin, « Variété historique, variantes analytiques et varia-


tions sémantiques dans la Totentanz de Liszt », op. cit., p. 67-87.
398 TROISIÈME PARTIE

2. Une deuxième source d’inspiration visuelle et un autre thème


central : du ground à Mozart
Buffalmacco a réalisé à Pise un triptyque monumental « peint à fresque,
le Triomphe de la Mort et le Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, la
Thébaïde sur le mur d’en face, le Jugement dernier au fond. L’ensemble est
commandité par les Dominicains du couvent Sainte Catherine, tout proche, et
la confrérie des Pénitents qui compte parmi ses membres les plus riches citoyens
de la ville. »1
Dans Il Trionfo della Morte, Buffalmacco présente différents person-
nages parmi lesquels un ange très particulier. En effet, le regard inquié-
tant, les cheveux au vent, il semble menacer les jeunes gens assis dans le
paisible jardin. La couleur sombre de ses ailes rappelle celle du charnier
qu’il surplombe ainsi que celle des êtres démoniaques. Il tient une faux des
deux mains, l’armant à droite. Daniel Russo l’a identifié comme « l’ange
de la Mort ».2

Illustration n° 14 : Buffalmacco, fresque du Campo Santo de Pise.

Dans le Totentanz de Liszt, un second thème intervient après l’intro-


duction et l’énoncé varié à cinq reprises du Dies Irae. Ce nouveau thème se
caractérise par des intervalles éminemment conjoints :

1. Daniel Russo, « Être Ermite, Exercices de solitude et Spiritualité érémitique dans l’Oc-
cident médiéval. », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 36, automne 1987, P.S.A.11, p. 65.
2. Daniel Russo, « Le Corps des Saints Ermites en Italie centrale aux xive et xve siècles :
étude d’iconographie », Médiévales, 8, 1985, « Le Souci du Corps », p. 62.
Huitième chapitre 399

>> Exemple n° 86 : F. Liszt, second thème du Totentanz.

Il trouve en effet sa source musicale à la fois dans le Dies Irae et dans


deux autres thèmes antérieurs : un thème mozartien et une basse obstinée
de la Renaissance.
Comme nous l’avons indiqué, le Dies Irae est un emprunt lisztien aux
séquences médiévales. Mais de ce modèle, Liszt tire un second thème qui
n’est autre… qu’un thème mozartien extrait du Requiem, comme l’indique
très justement Anna H. Harwell Celenza :
Liszt s’est souvenu du Requiem quand il est entré au Campo Santo. De
même, quand il commença à composer la musique inspirée du « Trionfo della
Morte » d’Orcagna, il utilisa un extrait du Requiem de Mozart comme thème
central. Le second thème du Totentanz est une citation directe de la phrase
vocale d’ouverture du Requiem de Mozart.1
La ressemblance avec le thème mozartien est en effet probante :

1. Anna H. Harwell Celenza, op. cit., p. 147.


400 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 87 : W.A. Mozart, entrée des voix du Requiem.

Nous trouvons d’ailleurs la preuve que Liszt pensait au Requiem


lorsqu’il a visité le Campo de Pise, grâce à sa fameuse lettre adressée à
Hector Berlioz et publiée dans la Gazette musicale du 24 octobre 1839 :
Jean de Pise, Fra Beato, Francia m’expliquaient Allegri, Marcello,
Palestrina ; Titien et Rossini m’apparaissaient comme deux astres de rayons
semblables. Le Colysée et le Campo Santo ne sont pas si étrangers qu’on pense
à la Symphonie héroïque et au Requiem. Dante a trouvé son expression
Huitième chapitre 401

pittoresque dans Orcagna et Michel-Ange ; il trouvera peut-être un jour son


expression musicale dans le Beethoven de l’avenir.1
De plus, le fait que le Totentanz soit en ré mineur le rapproche encore
du Requiem. Tous les compositeurs romantiques connaissaient la couleur
tragique de cette tonalité. Ils avaient en mémoire le célèbre testament
musical mozartien de même que le Don Giovanni, dans lequel la tonalité
de ré mineur sonne déjà comme l’annonce de la descente aux enfers du
héros éponyme. Il faut préciser que cette tonalité a toujours un aspect
tragique chez Liszt. Alan Walker mentionne d’ailleurs que « L’enfer est
évoqué en ré mineur (Totentanz et les sections “Purgatorio” de la Dante
Sonata et de la Dante Symphonie se situent dans cette tonalité). »2
La relation établie par Liszt lui-même entre le Campo Santo et le
Requiem se manifeste à deux niveaux ; d’une part, ils sont fondés sur un
sujet commun : la mort ; d’autre part, se retrouve la citation d’un thème
du Requiem de Mozart dans le Totentanz, œuvre inspirée par la fresque Il
Trionfo della Morte du Campo Santo. Ainsi le modèle médiéval utilisé par
le « Beethoven de l’avenir » (donc Liszt lui-même) donne-t-il naissance à
une distorsion… mozartienne par le biais d’une citation… à partir d’une
citation. Mais cette citation est elle-même une référence à une œuvre anté-
rieure comme le montre encore Anna H. Harwell Celenza :
Mais ce n’est pas l’unique lien qui unit le Totentanz de Liszt au « Trionfo
della Morte ». Liszt a clairement reconnu la similitude entre la mélodie du
Requiem de Mozart et la mélodie de la folia du XVIIe – appelée parfois
« Farinelli’s Ground » […] – Dans cet effet de créer ce qu’il croyait être un
son de « musique ancienne », Liszt utilisa la structure harmonique de la folia
quand il créa une peinture orale de la fresque d’Orcagna.3
Il semble que le ground dont parle ici Anna. H. Harwell Celenza soit
en fait non pas appelé « Farinelli‘s Ground » mais « Faronel’s ground » :

1. Franz Liszt, Lettres d’un Bachelier ès Musique, publié par Jean Chantavoine, in Pages
Romantiques, p. 261-262.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 620, vol.1.
3. Anna H. Harwell Celenza, op. cit., p. 147.
402 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 88 : Faronel’s ground.

La mélodie est encore une fois très proche du thème lisztien utilisé
dans la partie centrale de son Totentanz.
Il faut ajouter ici que, sans harmonisation, le thème lisztien sonne
comme une phrase grégorienne. Nous avons approfondi nos recherches
dans ce sens, mais elles n’ont pas donné de résultats probants. Il semble
donc que, comme le pense Adrienne Kaczmarczyk, la référence essentielle
de ce thème lisztien qui se trouve déjà – ainsi que nous l’avons dit plus
haut – dans son cahier d’esquisses dit « Tasso », est en fait la référence
mozartienne.
Ce second thème lisztien renvoie au Requiem de Mozart, donc à un
thème macabre par excellence. Il évoque la même idée que la Mort person-
nifiée dans la fresque du Campo Santo. Cependant, nous tenons à préciser
qu’il n’est pas une « traduction » littérale de cet élément de la fresque.

3. Apparition et disparition du De Profundis :


de la première à la dernière version

Dans la première version du Totentanz, Liszt inclut un autre thème


d’essence grégorienne : le De Profundis. Il faut préciser ici qu’il reprit ce
thème d’une œuvre antérieure datant de 1834, du même nom grégorien,
dédiée à l’Abbé de Lamennais. Liszt fut en effet fasciné par l’important
ouvrage Les Paroles d’un Croyant, dont la lecture le bouleversa et l’incita à
en rencontrer l’auteur. Flatté, ce dernier l’invita dans son repère breton à
la Chênaie. Liszt y séjourna plusieurs semaines de la fin de l’été au début
de l’automne 1834. Il restera nettement influencé par les théories philoso-
phico-religieuses de l’homme d’Église. Outre le fait qu’il passa de longues
heures à discuter avec Lamennais, Liszt trouva aussi le temps de travailler
son instrument et de concevoir la composition de plusieurs œuvres musi-
cales importantes, comme les trois Apparitions, la première version des
Harmonies poétiques et religieuses, ainsi qu’une œuvre moins connue sous-
titrée « psaume instrumental pour piano et orchestre » : le De Profundis.
Huitième chapitre 403

Cette dernière, d’un seul tenant, comme plus tard peut-être, le Totentanz,
semble devoir être redevable au Konzertstück de Weber. Corinne Schneider
pense que :
…la nature de la transformation thématique et la conception formelle en
un seul mouvement d’œuvres comme la Grande Fantaisie symphonique sur
des thèmes du « Lélio » de Berlioz, le De Profundis pour piano et orchestre
ou la Malédiction pour piano et orchestre à cordes, doivent beaucoup à la
partition de Weber.1
Ce De Profundis est une œuvre trop peu souvent interprétée et extrê-
mement méconnue encore à notre époque. Il n’en existe qu’un manus-
crit autographe, conservé actuellement à Weimar. Inachevé, il a donné
aujourd’hui naissance à trois versions différentes qui proposent chacune
une fin possible :
1. Une version pour deux pianos, publiée par Acs, jugée « particulière-
ment inadéquate » par Leslie Howard2 à cause de l’omission de 52
mesures orchestrées.
2. La seconde version est celle du compositeur canadien Michael
Maxwell.3 Ce dernier renforce l’orchestration de manière spora-
dique et a ajouté une fin grandiose.
3. La troisième et dernière version est celle du professeur américain Jay
Rosenblatt4 qui a retouché l’œuvre originale au minimum. Tout
comme Maxwell, il a ajouté une fin mais beaucoup plus courte. Elle
s’appuie sur les mesures initiales du plain-chant.
Zsuzsanna Domokos s’est penchée sur les rapports entre la musique
de Liszt et la musique d’église interprétée à la Chapelle Sixtine à l’époque
où le compositeur l’a entendue. Elle met d’ailleurs en rapport la première
version du Totentanz, composée à partir du Dies Irae et du De Profundis,
avec le Miserere interprété en Italie :

1. Corinne Schneider, « Liszt médiateur des œuvres de Weber à Paris (1828-1844) » Liszt
2000, The Great Hungarian and European master at the Threshold of the 21st Century,
p. 273.
2. Voir le texte de la pochette du disque concernant le De Profundis in Music for piano
and orchestra, vol. 2, c.d. hypérion, LC 7533, p. 22.
3. Il en existe d’ailleurs un enregistrement par Philip Thomson au piano et le Hunga-
rian State Orchestra, sous la direction de Kerry Stratton, chez Hungaroton classic,
HCD31525.
4. C’est la version enregistrée par Leslie Howard.
404 TROISIÈME PARTIE

Ce sentiment [de tragique au moment le plus intense du crescendo] est très


semblable à l’entrée dramatique du De Profundis dans la première version
de 1849 du Totentanz, où les références au psaume étaient renforcées par le
forte de trois trompettes et d’un tuba après le développement des variations
du Dies Irae. En prenant en compte de telles modifications dans le caractère
de la mélodie du De Profundis, nous pouvons supposer que l’influence de
l’expérience du Miserere de Liszt envahit aussi les sentiments du compositeur
puisque cela met en valeur le même caractère tragique et sombre à la fois dans
le Miserere et dans les dernières versions du De Profundis.1
Précisons, grâce aux recherches de Zsuzsanna Domokos, que le Miserere
interprété à la Sixtine n’était pas toujours la version d’Allegri, mais souvent
celle de Tommaso Bai, ou encore celle de Giuseppe Baini et plus tard, celle
de Domenico Mustapha2. La musicologue hongroise précise d’ailleurs que
Liszt aurait pu entendre la version d’Allegri avec une partie écrite par Bai,
en 1839.

B. « La signification expressive » dans les sources d’art


visuel et dans la musique de Liszt.
Nous préférons présenter ici directement la « signification expressive »
plutôt que respecter l’ordre conseillé par Panofsky. En effet, il nous semble
plus adéquat de définir les caractères des « thèmes et motifs » précédem-
ment exposés avant leur organisation. Les « événements » panofskyens
seront donc abordés dans une troisième et dernière partie. Trois carac-
tères principaux se dégagent des personnages représentés dans les œuvres
de Buffalmacco et de Holbein ainsi que dans la pièce musicale de Liszt :
d’abord le caractère violent, puis le caractère surprenant et enfin le carac-
tère paisible, serein.

1. Le caractère violent

C’est sûrement l’élément le plus présent dans chacune des trois œuvres
visuelles et musicale.

1. Zsuzsanna Domokos, « The miserere Tradition of the Cappella Sistina, mirrored in


Liszt’s Works » in The Great Hungarian and European master at the Threshold of the 21st
Century, op. cit., p. 132 (trad. par nos soins).
2. Voir l’article de Zsuzsanna Domokos, id.
Huitième chapitre 405

Chez Holbein, la Mort offre un visage emporté, souvent tyrannique


dans un grand nombre de gravures. Nous avons répertorié les différentes
situations dans lesquelles la violence est au centre des préoccupations.
Ainsi, dans la gravure n° 11, « La Mort et la Reine », la Mort tente
d’attraper farouchement la femme tandis qu’un courtisan essaie de la
repousser. Dans la 13e gravure, « La Mort et le Duc », le squelette, coiffé
d’une couronne de lierre, semble interpeller le grand homme qui refuse
avec un geste de la main son offre de l’accompagner. Le caractère est tendu.
La violence est latente, mais le spectateur la sent monter. Dans la gravure
suivante, « la Mort et l’Abbé », coiffé d’une mitre, une crosse posée sur son
épaule droite, le squelette déambule fièrement en tirant solidement l’ec-
clésiastique qui semble résister. De même, dans « La Mort et l’Abbesse »
n° 15, le squelette tire par son habit la jeune femme qui tient un chapelet.
La bouche entrouverte, elle est terrorisée. Dans la gravure 16, « La Mort et
le Noble », la Mort tire là encore durement le personnage armé qui tente
de se défendre. Dans la gravure n° 23, « La Mort et le Moine », le squelette
tire très rudement vers lui le personnage par sa capuche. Celui-ci résiste,
la bouche ouverte, les yeux exorbités. Lui aussi est terrorisé. L’agitation
des eaux contre la coque du navire ainsi que la présence du squelette qui
monte sur le mât dans la gravure n° 30 « La Mort et le Marin », contri-
buent à donner une expression de terreur aux marins. La gravure suivante,
« La Mort et le Chevalier » montre le personnage combattant le squelette
avec son épée. Il paraît cependant mortellement touché par la lance de
son adversaire. Phénomène assez rare, non pas un, mais deux squelettes
abordent, dans la gravure n° 37 « La Mort et Le Colporteur », un homme
qui porte une hotte. L’un commence à vider son chargement, tandis que
l’autre tire par le bras le porteur qui résiste, apeuré. La scène de la gravure
n° 39, « la Mort et l’Enfant », est ici véritablement tragique, puisque la
Mort enlève de force un petit bambin qui essaie de résister devant des
parents éplorés. Un duel oppose dans la gravure n° 40 « La Mort et le
Guerrier », le squelette et l’homme armé d’une épée. Même si l’issue est
évidente, le duel paraît équilibré et brutal.
Dans « La Mort et le Joueur », gravure n° 41, la violence atteint son
paroxysme. En effet, la Mort n’est pas seule à tirer à elle ce joueur terrifié
et surpris : un diable ailé et cornu, de l’autre côté, semble vouloir se l’ap-
proprier, tandis que les autres partenaires continuent à jouer gaiement.
Éléments sataniques, surprise et Mort sont donc les principaux composants
406 TROISIÈME PARTIE

de cette scène très dense.1 Dans la gravure n° 44, « La Mort et le Brigand »,
l’intensité de la scène se retrouve à deux niveaux : d’abord l’agression de
la femme par un homme robuste et ensuite celle de cet homme par la
Mort elle-même. Pour une fois, le squelette semble en position difficile. Il
a du mal à faire lâcher sa proie à l’homme. La scène de la gravure n° 46,
« La Mort et le Charretier », appartient au registre dramatique puisqu’elle
présente un chariot accidenté avec un homme qui a du mal à se remettre.
Le squelette surplombe la carriole. Il essaie de vider le tonneau de vin.
Nous constatons ici les effets dus à la frénésie de la Mort.
La violence est donc un élément prédominant dans les gravures de
Holbein. Mais on la retrouve également dans des scènes peintes par
Buffalmacco.

Dans Il Trionfo della Morte, c’est en effet une caractéristique majeure


de la seconde scène. Ainsi, la partie droite en haut de la fresque qui repré-
sente le partage des âmes entre des créatures démoniaques et d’autres,
angéliques, montre que ledit partage ne se fait pas sans douleur ni combat.
Anges et démons vont jusqu’à essayer de s’accaparer la même victime en la
tirant à eux chacun de son côté : un pauvre moine dénudé est, par exemple,
la proie d’un petit diable qui le tire par les pieds et d’un ange salvateur
qui lui saisit les mains. Plus bas, presque au-dessous d’eux, « l’ange de la
Mort »2 arrive menaçant vers les calmes personnages assis dans le jardin
fleuri. Armé d’une faux, nous l’avons dit, son expression montre toute la
brutalité dont il est capable.

Dans le Totentanz, la violence est éminemment présente. Nous en


proposons ici quelques exemples emblématiques. Ainsi, les modes de jeu
employés dans certains passages sont à remarquer ; par exemple dans la
quatrième variation sur le second thème, mesure 532 :

1. L’équivalent musical pourrait être envisagé dans l’introduction qui surprend l’auditeur
et qui offre des septièmes diminuées – symboles s’il en est des êtres démoniaques – ainsi
que la séquence du Dies Irae. Nous renvoyons le lecteur à notre partie sur les allégories,
où le Diable et le triton sont ainsi mis en parallèle.
2. Expression nous le rappelons empruntée à Daniel Russo. Voir notre développement
sur les « thèmes et motifs ».
Huitième chapitre 407

>> Exemple n° 89 : F. Liszt, mes. 532-537 du Totentanz.

À partir de ce moment, les cordes doivent jouer Col legno, procédé


moderne pour l’époque, qui donne un timbre particulièrement démo-
niaque dans cette œuvre macabre. Ajouté aux autres indications (marcato
aux bois, tutto staccato au piano), ce timbre renforce l’énergie frénétique
du passage. Ce mode de jeu ainsi que la référence au dies irae sont déjà
bien présents dans le dernier mouvement « Songe d’une Nuit de Sabbat »
de la Symphonie Fantastique. La partie intitulée par Berlioz1 « Dies Irae et

1. Curieusement, il ne parle pas de ce mode de jeu dans son Traité d’Instrumentation.


408 TROISIÈME PARTIE

Ronde du Sabbat (ensemble) » comporte en effet une partie de cordes col


legno qui accompagne une mélodie très appoggiaturée à l’orchestre :

>> Exemple n° 90 : H. Berlioz, « Dies Irae et Ronde du Sabbat (ensemble) »,


extrait de la Symphonie Fantastique, mes. 444-451.
Huitième chapitre 409

Berlioz souhaitait, quelques années avant Liszt, traduire une atmos-


phère démoniaque et morbide. Il ne serait pas étonnant que le composi-
teur du Totentanz s’en soit souvenu dans ce contexte, d’autant qu’il avait
transcrit magistralement cette symphonie pour le piano. Schumann s’en
souviendra puisqu’il s’appuya pour son article, non pas sur la partition
orchestrale, mais sur la transcription lisztienne.
Un autre passage donne plus particulièrement une impression de
violence. Notons que le compositeur exploite, par son écriture, les possibi-
lités instrumentales du piano. En effet, la main droite du pianiste exécute
des glissandi, donc n’évolue que sur les touches blanches – en mode de ré
dorien, mais pas perçu comme tel – tandis que la main gauche affirme le
si bémol très clairement dans l’harmonisation de l’accord de sol mineur.
410 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 91 : F. Liszt, glissando de la main droite, mesure 83 et suiv.


extrait du Totentanz.
Huitième chapitre 411

Le glissando de la main droite entraîne une superposition de modes. En


effet, Liszt a pensé à un geste musical, à un effet qu’il désirait particuliè-
rement, ce qui a entraîné une superposition de différents matériaux musi-
caux. Le choix du compositeur/pianiste dans la conception de ce passage a
été guidé par les possibilités techniques et gestuelles de l’interprète, mises
au service de l’expression. De ce fait, l’auditeur ne perçoit pas ce passage
comme une superposition de modes, mais comme un geste instrumental
superposé à un mode stable. C’est d’ailleurs ce geste instrumental allié à
une nuance ff, qui donne un caractère virulent à ce passage.
Il est donc possible de mettre en rapport ces passages avec le carac-
tère violent de certaines gravures de Holbein dans lesquelles la Mort attire
brutalement ses victimes physiquement1.
Une autre variation peut être associée à cette même idée par l’intensité
du « suspens » qu’elle suscite, grâce à un très long crescendo. Il s’agit de la
« variation III », selon la propre appellation de Liszt, qui est fondée sur le
mode de ré dorien. Serge Gut écrit à son sujet :
La variation III est remarquable par sa modalité maintenue d’un bout à
l’autre. La sous-tonique do bécarre est toujours harmonisée par l’accord parfait
mineur du cinquième degré (la-do-mi)2 :

1. Cf. « la Mort et l’Abbé » par exemple.


2. Serge Gut, Franz Liszt. Les Eléments du langage musical, op. cit., p. 61.
412 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 92 : F. Liszt, Variation III, extraite du Totentanz,


mes.96-103.

Notons que les parties de hautbois et de clarinette égrainent une


mélodie polyphonique fondée sur une gamme à partir de la note la, domi-
nante de ré. Mais c’est le crescendo dans lequel évolue cette ligne mélo-
dique ainsi que les syncopes qui donnent une impression d’incertitude et
qui impliquent une violence latente. Un équivalent graphique et pictural
peut être établi avec la gravure n° 13 de Holbein où le duc semble vouloir
décliner l’invitation du squelette d’une part, et dans l’arrivée de « l’ange
de la Mort » chez Buffalmacco, d’autre part. En effet, dans les deux cas, la
lutte est absente de la scène mais explicite cependant.
Liszt a traduit la violence des scènes de Holbein par des effets instru-
mentaux, harmoniques, et orchestraux. L’intensité sonore et les tempi
jouent également un rôle important.
Huitième chapitre 413

2. La Mort et la surprise
Certaines gravures de Holbein montrent clairement que la Mort
surprend ses victimes.
Ainsi, dans « la Mort et l’Avare », gravure n° 28, la Mort déconcerte
l’homme qui lève les bras au ciel. Elle lui enlève les biens qu’il a entassés, et
qu’il n’emportera pas dans l’autre monde. Dans la gravure n° 29 « La Mort
et le Marchand », elle prend également le personnage par surprise, mais de
manière encore plus violente que le précédent, en le tirant par-derrière.
L’homme est horrifié. De même, le squelette de la gravure n° 32, dans
« La Mort et le Comte », déroute le noble en lui enlevant sa cuirasse. De ce
fait, l’homme semble décidé à prier. Dans la gravure n° 36, « La Mort et
la Duchesse », deux squelettes viennent tirer rudement la jeune femme du
lit. Cette dernière semble désorientée.

Dans la fresque de Pise, la surprise est également présente, mais de


manière latente. En effet, à deux reprises, ce sentiment de surprise peut
être suggéré dans deux scènes. Ainsi, avec les « Trois Morts et les Trois
Vifs », la surprise appartient en quelque sorte au passé : l’apparition des
cercueils ainsi que celle de Saint Macaire a dû étonner, voire effrayer le
cortège. D’ailleurs, l’un des cavaliers se retourne, comme pour interroger
ou demander conseil. A contrario, la scène du jardin suggère une surprise
dans le futur. En effet, les jeunes gens semblent épanouis tandis que « l’ange
de la Mort » vole vers eux. Dans tous les cas ici, la surprise des victimes de
la Mort est donc latente.

Dans le Totentanz, Liszt joue avec la perception de l’auditeur pour


créer des effets de surprise. L’introduction est un exemple caractéristique
que nous expliciterons de manière détaillée dans notre partie consacrée à :
« Le Diable et le triton ». Le compositeur tend, si l’on peut dire, des pièges
auditifs en travaillant le matériau musical. D’autres exemples peuvent illus-
trer cette idée comme l’exploitation de la modalité savamment dosée avec
des passages à tonalité affirmée, ou encore des surprises dans les enchaîne-
ments harmoniques tonals. Ainsi Ujfalussy explique :
Le mouvement final de la symphonie Eroica parcourt les diverses tona-
lités des mouvements de la symphonie, alors que le Totentanz de Liszt ose des
414 TROISIÈME PARTIE

changements plus audacieux et touche des tonalités à la tierce inférieure ou


supérieure.1
L’un des exemples les plus manifestes de ce genre de modulation se
trouve dans l’enchaînement de la mesure 143 à la mesure 144. En effet,
après le point d’orgue qui s’arrête sur une harmonie de sixte et quarte, la
cadence facultative du piano débute sur un accord de quatrième degré
égrainé qui aboutit sur l’appoggiature inférieure de sib puis celle de ré.

>> Exemple n° 93 : Franz Liszt, mes.139-144 du Totentanz.

Malgré la couleur modale due au si bécarre des mesures 140 à 141,


la tonalité est toujours ré mineur. Aussi est-ce surprenant pour l’auditeur
d’arriver sur une harmonie de si Majeur, mesure 145.

3. La Mort sarcastique et ironique

Ces caractères sont très présents dans les gravures de Holbein. Ainsi,
dans la troisième gravure, Adam et Eve sont chassés du paradis terrestre.
Le squelette tient un instrument à cordes en regardant ironiquement fuir
les époux, épouvantés par l’archange Saint Michel armé d’une épée de feu
menaçante. Cet épisode est important car il montre pour la première fois
l’apparition de la Mort, inexistante jusqu’alors au paradis terrestre. Dans
« La Mort et l’Empereur », septième gravure du cycle de Holbein, le sque-
lette se tient légèrement penché au-dessus du monarque. Il s’appuie sur sa

1. Josef Ujfalussy, « Totentanz, Variation, Aufbau und modale Transformation in Franz


Liszts Musik », Akademische Antrittsvorlesung am 17. März 1986, manuscrit de l’auteur,
(trad. par nos soins).
Huitième chapitre 415

tête, en regardant ses sujets d’un air moqueur et ironique. Si la Mort était
invisible aux personnages présents dans la gravure précédente, elle s’im-
pose victorieusement dans la gravure n° 8. Le squelette provoque en effet
le Roi en versant une boisson dans une assiette creuse. Lui faisant face, il
semble lui rappeler narquoisement son funeste sort. Dans la gravure n° 10
« La Mort et l’Impératrice », habillée d’un drapé superbe, la Mort regarde
railleusement la jeune femme qu’elle accompagne. La même situation se
retrouve dans la gravure n° 12 où le squelette donne le bras au vieil évêque,
toujours avec un sourire narquois. Dans la gravure n° 17, « La Mort et le
Prêtre », le squelette, vêtu à l’image du personnage auquel il rend visite,
lui montre sarcastiquement un sablier, symbole du temps qui s’écoule. La
même attitude du squelette se retrouve dans la gravure n° 19, « La Mort et
l’Avocat », où il s’interpose de manière ironique entre deux hommes, bran-
dissant un sablier. La Mort se tient derrière le prêcheur de la gravure n° 21,
prêcheur qu’elle regarde railleusement, le sablier toujours à côté d’elle. Dans
la gravure suivante, le squelette porte une cloche et une lanterne. Il précède
le porteur du Saint Sacrement. Il sourit de manière sarcastique. Dans la
gravure n° 26, la Mort tend ironiquement au Physicien un sac. Elle s’in-
terpose entre l’homme de sciences et son visiteur qu’elle prend par la main.
De même, dans la gravure suivante, le squelette brandit fièrement une tête
de Mort au jeune astrologue qui semble fasciné par son globe céleste. Dans
la gravure n° 33 « La Mort et le Vieillard », le squelette donne le bras à un
vieil homme tout en tenant un instrument de musique à percussions, l’ac-
compagnant pompeusement… vers le tombeau qui s’offre, béant, devant
lui. Le vieillard a presque physiquement « un pied dans la tombe »… La
scène relève donc d’un burlesque fantastique. Le squelette de la gravure
n° 34 « La Mort et la Comtesse » aide la dame à se parer, comme, de l’autre
côté, sa femme de chambre. La scène baigne dans une atmosphère sereine,
teintée d’ironie. Celle de la gravure n° 42 montre une agitation notable,
au milieu de différents ivrognes et d’une jeune serveuse. La Mort, sourire
aux lèvres et bouche ouverte, verse du vin dans le gosier de l’un d’eux, avec
une expression sarcastique, voire sadique. Plus loin, elle marche devant
l’aveugle de la gravure n° 45, aveugle dont elle tire le bâton. Son regard
et son sourire adressés au handicapé sont empreints d’un certain cynisme.
L’ultime scène où la Mort se présente de manière sarcastique et ironique se
trouve dans l’Emblème, donc dans la dernière gravure, qui offre le retour
du squelette, disparu pendant les six gravures précédentes. Avec le sablier,
la Mort se présente victorieuse par le biais d’une tête de mort – sourire aux
416 TROISIÈME PARTIE

lèvres et regard moqueur – qui sort d’un tombeau sur lequel triomphe un
sablier. Deux personnages, féminin et masculin, encadrent ce tombeau.
L’air triste, morose, ils ressemblent aux personnages de la gravure n° 35.
Si les caractères ironique et sarcastique sont abondamment présents
dans l’œuvre de Holbein, ils sont absents de la fresque pisane.
Dans le Totentanz, les indications et effets d’expression peuvent traduire
les deux caractères largement présents dans l’œuvre de Holbein. L’exemple
le plus probant est sans doute la « variation 1 » selon les propres termes de
Liszt. En effet, le Dies Irae sert de support harmonique en étant joué par
les cordes graves en pizzicati. Le contre-chant, lui, est confié initialement
au basson dans l’aigu, avec l’indication staccato tandis que la doublure aux
alti est marcato. Notons que Berlioz dans son Traité d’Instrumentation met
en garde les orchestrateurs sur l’emploi du basson :
Sa sonorité n’est pas très forte, et son timbre, absolument dépourvu d’éclat
et de noblesse, a une propension au grotesque, dont il faut toujours tenir compte
quand on le met en évidence.1
Notons que dans le Totentanz, le début de la phrase est en ré mineur
harmonique, avec l’intervalle de seconde augmentée sib-do#, tandis que
la fin offre une descente du contre-chant en ré mineur mélodique, fondée
sur une cadence modale avec l’enchaînement du VIIe degré (do naturel)
au Ier degré.
Cordes et bois se partagent donc la première exposition de cette
nouvelle variation. La seconde est confiée au piano solo. Le pianiste joue
exactement la même phrase musicale, avec le Dies Irae à la main gauche
et le contre-chant à la main droite. Mais cette fois, l’indication marcato
concerne la basse, tandis que le contre-chant doit être interprété capric-
cioso. Cette indication, ajoutée à l’esprit staccato de la première exposition,
donne une impression d’ironie macabre qui correspond bien aux gravures
de Holbein.

1. Hector Berlioz, Traité d’Instrumentation et d’Orchestration, p. 128.


Huitième chapitre 417

>> Exemple n° 94 : F. Liszt, Totentanz, mes. 51-54.

C. Événements (liens entre les motifs) : deux sources


d’inspiration pour une « mise en abyme » musicale
Rappelons qu’il apparaît, d’après notre étude des sources, que Liszt
s’est inspiré de deux œuvres d’art visuel : la danse macabre de Holbein inti-
tulée Les Simulachres de la Mort… et la fresque de Buffalmacco Il Trionfo
della Morte du Campo Santo de Pise.
Comme nous l’avons vu, la version du Totentanz de 1865 est conçue
sur des variations libres fondées à partir du Dies Irae. Nous avons tout
d’abord une courte introduction orchestrale, ensuite l’exposition du thème
par le piano, et enfin un ensemble de cinq variations numérotées, mesure
51.1
Cependant, Liszt abandonne le Dies Irae mesure 466, au profit d’un
nouveau thème, de même profil. Ce nouveau thème sert de base pour un
second ensemble non numéroté de variations, mesures 466 à 590. C’est
donc un thème et variation à l’intérieur d’un thème et variation, Liszt

1. Voir les tableaux synthétiques à la fin de notre texte dans notre article publié dans
Analyse musicale n° 51, reproduits ici à la fin de ce chapitre.
418 TROISIÈME PARTIE

réalise ce qu’en littérature, on appelle une « mise en abyme ».1 Le Dies Irae


revient dans la troisième cadence finale, mesure 590 et sera présent jusqu’à
la fin de la pièce.
Un autre élément important est à ajouter ici : Liszt a donné la possi-
bilité de jouer son œuvre avec des coupures. En effet, les mesures 144 à
182, interprétées principalement par le pianiste, ne sont pas obligatoires.
C’est en effet la première coupure facultative. De même, les mesures 446
à 590, confiées également au piano dans un premier temps puis à l’or-
chestre dans un second, peuvent être omises. Elles correspondent à l’épi-
sode concernant le second thème (M) et ses variations. Si, de prime abord,
il pourrait nous sembler évident que Liszt ait proposé ces coupures pour
faciliter l’exécution de l’œuvre, il ressort, après un examen plus approfondi
de la partition, que cette hypothèse est totalement illogique ; en effet, la
partie de piano est beaucoup plus virtuose dans les première et seconde
parties que dans l’épisode central. Les raisons de cette coupure sont donc
à chercher ailleurs, et vraisemblablement dans l’organisation formelle de
l’œuvre. Nous reviendrons sur ce point.
Liszt a donc élaboré ici l’une des premières « œuvres ouvertes » de
l’Histoire de la musique, en laissant aux interprètes la possibilité de ne pas
jouer certaines sections de son œuvre.
Le fait que Liszt ait utilisé deux thèmes qui se réfèrent musicalement
à la mort – le Dies Irae et le thème M issu du Requiem mozartien – a
une importance éminemment marquée d’un point de vue sémantique. Les
deux thèmes nous semblent en effet renvoyer aux deux sources d’inspira-
tion visuelle de Liszt par le biais d’une « mise en abyme » musicale…

II. Signification « secondaire »


ou « conventionnelle »

A. Les images

Nous conservons de la définition panofskyenne de « l’image » la notion


de symbole. Nous prendrons en compte les objets qui renvoient donc à
une idée.

1. C’était l’objet de notre article concernant l’analyse comparée du Totentanz d’après


Panofsky lors du colloque finlandais (Voir la bibliographie).
Huitième chapitre 419

1. Image sonore des instruments représentés graphiquement :


timbales et trombones
La partie consacrée au piano révèle une telle importance qu’il est tout
à fait possible d’apparenter cette œuvre à un véritable concerto pour piano
et orchestre. Liszt n’avait-il pas lui-même barré le mot « concert » de son
premier titre ? L’instrument soliste est en effet présent dès l’introduction,
et ce, pratiquement de manière ininterrompue, jusqu’à la fin.
Cependant, les sources1 nous indiquent que cette introduction a subi
des transformations depuis sa première présentation. En effet, la version
de 1865 présente une orchestration différente de celle de 1849. Au départ,
Liszt n’utilise que les timbales et les trombones. Peut-être se réfère-t-il à la
gravure de Holbein « Les ossements de tous les hommes », comme l’écrit
Anna Celenza Harwell :
À noter que le sacqueboute et les timbales occupent les positions les plus
importantes. J’insiste sur ce point parce que si nous polarisons notre attention
sur l’ouverture du Totentanz de Liszt de 1849, nous trouvons une citation
précise de cette instrumentation frappante. Ici Liszt remplace le sacqueboute et
les timbales par leurs équivalents du XIXe, le trombone et les timbales.2

Illustration n° 15 : Holbein, « les Ossements de tous les hommes ».

1. Nous tenons ici à remercier le musicologue Damien Ehrhardt de nous avoir facilité
l’accès aux sources conservées à Weimar.
2. Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 140.
420 TROISIÈME PARTIE

Dans sa nouvelle orchestration de 1865, Liszt ajoute aux timbales et


aux trombones, dès l’introduction, des clarinettes, bassons, altos, violon-
celles et contrebasses, ainsi que du piano.

2. Image sonore des instruments représentés graphiquement :


un effet de vièle à roue…

Liszt donne parfois un effet archaïque à sa musique. Il s’appuie


vraisemblablement sur la gravure d’Holbein « les ossements de tous les
hommes » (voir illustration n° 15). En effet, il faut remarquer que, sur la
gauche, au second plan, des squelettes jouent du cromorne tandis que, au
premier plan, un squelette joue de la vièle à roue : bien sûr, Liszt n’a pas
utilisé cet instrument au son « aigre et grinçant »1 au sein de l’orchestre.
Cependant, une allusion à son timbre se retrouve aux violons, dans les
mesures 504-505, 509-510, 514-515 :

>> Exemple n° 95 : F. Liszt, Totentanz, mes. 500-505.

1. Roger Bragard et Ferd J. de Hen, Les instruments dans l’Art et l’Histoire, p. 64.
Huitième chapitre 421

L’impression d’un bourdon rageur, due à l’arrivée sur la quinte, est


manifeste ici. De plus, les accents et les appoggiatures contribuent à donner
l’image sonore du célèbre instrument populaire.
Liszt met en scène le timbre de l’instrument afin de susciter dans l’ima-
gination de l’auditeur sa représentation physique.
La présence suggérée d’une vièle à roue était déjà présente chez
Berlioz, dans la Damnation de Faust, lorsque, dans la troisième partie,
Méphistophélès fait, selon les propres mots du compositeur « le mouve-
ment d’un homme qui joue de la vielle à roue ». Là aussi, la quinte est l’élé-
ment harmonique caractéristique, dès la seconde mesure du chiffre 104 :

>> Exemple n° 96 : H. Berlioz, La Damnation de Faust, 3 premières


mesures du chiffre 104.

Dans la chanson qui suit cette courte introduction, Méphisto termine


son ironique interrogation « Petite Louison, Que fais-tu dès l’aurore ? Que
fais-tu ?… » sur une intervention des cordes tout aussi ironique :
422 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 97 : H. Berlioz, La Damnation de Faust, « Sérénade de


Méphistophélès et chœur de Follets », mes. 11-19.

Contrairement à Liszt, Berlioz fait ici retentir ses cordes à l’unisson, et


non à la quinte : il avait déjà fait entendre cet intervalle préalablement dans
la petite introduction, comme nous l’avons déjà montré.
Les deux éléments essentiels qui caractérisent musicalement la vièle à
roue – l’intervalle harmonique de quinte et les appoggiatures mélodiques
– étaient donc déjà présents chez Berlioz avant d’être réutilisés par Liszt. Il
Huitième chapitre 423

semble alors assez probable que la référence au compositeur français soit à


ajouter à celle de la gravure de Holbein.

3. Image sonore d’instruments non représentés graphiquement :


Du cor de chasse aux chasseurs…

Exceptionnellement, à deux reprises, nous n’avons pas trouvé d’équi-


valent plastique proprement dit aux cors de chasse, alors qu’il est possible
d’en reconnaître musicalement l’allusion dans l’œuvre de Liszt. Cependant,
les cors de chasse renvoient, par essence, aux chasseurs qui les portent et en
jouent. Or les chasseurs sont, eux, bien représentés.
Ainsi, dans Le Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, trois chasseurs se
retrouvent face à trois morts en différents états de décomposition. C’est du
moins ce que précise la légende comme le mentionne Kastner. D’ailleurs,
Liszt a indiqué par deux petits traits parallèles au crayon à papier dans la
marge de la page 10 du livre de ce dernier, le passage concernant la légende
des Trois Morts et des Trois Vifs. Voici le résumé de Kastner :
Enfin la légende des trois Morts et des trois Vifs, qui à cette époque jouis-
sait d’une immense popularité dans toute l’Europe, dramatise cette idée, ainsi
que l’ont fait plus tard les danses en question. D’après cette légende, un pieux
solitaire avait eu une vision dans laquelle trois jeunes seigneurs, allant à la
chasse, le faucon au poing (3)1, faisaient en chemin la rencontre de trois morts
qui tout à coup se dressaient devant eux, nus et dépouillés, comme pour leur
montrer leur propre image dans un temps à venir.2
Kastner ajoute que « plusieurs écrivains nous ont donné diverses leçons
en vers de la légende des trois Morts et des trois Vifs, entre autres Baudoin
de Condé et Nicolas de Marginal, les seuls dont les noms sont connus, car les
autres poètes ont gardé l’anonymat […]. Les artistes, à leur tour, s’emparèrent
de ce sujet et les imagiers le reproduisirent dans quelques Heures manuscrites
du xve siècle. »3
Dans le Totentanz, Liszt a fait allusion à deux reprises au son du cor :

1. Dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale, coté n° 2736 (fonds La Vallière), les


seigneurs sont à pied, portant sur le poing un faucon ; dans d’autres documents, parti-
culièrement dans quelques Heures Mss du xve siècle, les trois seigneurs sont représentés
à cheval et n’ont point d’oiseau [note 3 de Kastner].
2. (Johann Georg) Georges Kastner, Les Danses des Morts, op. cit., p. 10.
3. Idem, p. 10-12.
424 TROISIÈME PARTIE

– la première se situe après la seconde cadence du piano. En effet,


à la mesure 418, le piano entame une variation sur le Dies Irae en
triolets sur pédale de do#, dominante de fa# Majeur : l’indication
est Animato, quasi corni da caccia. De même, les courtes transitions
entre les motifs inspirés de la séquence grégorienne imitent bien une
combinaison de cors. Elles sont en effet fondées sur des arpèges :

>> Exemple n° 98 : F. Liszt, Totentanz, mes. 418-425.

Curieusement, Holbein n’a, à aucun endroit, représenté cet instru-


ment. Il s’est appliqué cependant à attribuer aux squelettes des sacque-
boutes et des cromornes dans la gravure n° 5 dite « Les Ossements de tous
les Hommes ».
– la seconde allusion se trouve dans la série de variations sur le second
thème. C’est d’ailleurs la première présentation de cet élément
thématique :
Huitième chapitre 425

>> Exemple n° 99 : F. Liszt, Totentanz, mes. 466-471.

En effet, le cor fait retentir un contre-chant au second thème donné


aux bois (clarinettes et bassons) et cordes (violons I et II, alti, violoncelles
et contrebasses). Si le début de la phrase contribue à donner un caractère
plutôt funèbre, le motif de la fin, caractérisé par sa quinte ascendante fff
affirme l’allusion de chasse très présente dans ce type de sonneries.
Avec ces effets de cors de chasse – fondés, nous l’avons dit, sur l’inter-
valle de quinte ascendante – Liszt donne une transposition musicale de la
présence des chasseurs, le cor étant l’instrument, l’attribut caractéristique
de ces derniers. Certes, Buffalmacco n’a pas représenté d’instrument de
musique dans sa scène « Le Dit des Trois Morts et des Trois Vifs », mais
l’idée était bien de mettre en scène des chasseurs. L’imagination de Liszt,
que nous avons qualifiée de « synesthésique » dans notre premier chapitre,
426 TROISIÈME PARTIE

associe sans aucun mal les chasseurs à leur attribut, facilement « transpo-
sable » dans le domaine musical.
Là encore, l’idée prime sur les figures dessinées proprement dites.

4. Un cas particulier : l’emprunt du Crux Fidelis,


symbole de la Croix

Comme nous l’avons vu précédemment, Liszt utilise à plusieurs


reprises dans ses œuvres, de manière plus ou moins explicite, le Crux
Fidelis, antienne de l’hymne Pange lingua. Le Totentanz est une œuvre
particulière dans sa production. En effet, il n’en a pas explicité précisément
le programme. Seules quelques traces, quelques allusions aux références
extra-musicales évoquées antérieurement1 dans sa correspondance ou dans
des témoignages nous donnent quelques pistes.
À propos du matériau musical utilisé, seule la référence au Dies Irae
est clairement mentionnée dans le premier sous-titre donné par Liszt
lui-même : « Paraphrase sur le Dies Irae ». Cependant, il est possible d’y
trouver une citation du Crux Fidelis. Liszt utilise cette antienne d’une
façon particulière, en la camouflant. Ainsi, lors d’une cadence du piano
soliste, le Crux Fidelis apparaît dans l’aigu, à la main droite, décalé, en
contre temps :

>> Exemple n° 100 : F. Liszt, cadence du piano mes. 393 et suiv. avec
Crux Fidelis caché.

1. Le Trionfo della Morte du Campo Santo de Pise ainsi que les gravures sur bois de
Holbein.
Huitième chapitre 427

Cette cadence est totalement absente de toutes les versions antérieures


du Totentanz.1 De plus, contrairement aux œuvres précédemment citées
dans lesquelles Liszt emploie le Crux Fidelis, le Totentanz présente cette
antienne dans un contexte très sombre : elle intervient juste après l’affir-
mation du Dies Irae. Lorsque le pianiste cesse de jouer le passage avec l’an-
tienne, il fait sonner, dans un tempo Presto, une succession de septièmes
diminuées, marcatissimo. Rappelons que cet accord est composé d’une
superposition de deux tritons à distance de tierce mineure. La présenta-
tion harmonique terminée, Liszt propose l’intervalle de septième diminuée
sous forme mélodique à la main gauche, au piano :

>> Exemple n° 101 : F. Liszt, Septièmes diminuées au piano mes.


409-412, extrait du Totentanz.

Revient ensuite la première phrase du Dies Irae.


Si l’on se rapporte aux références visuelles de Liszt, il paraît évident
que le Crux Fidelis est encore employé ici comme une image sonore de
la Croix. Le Dies Irae représente toujours la Mort, tandis que les tritons
contenus dans les septièmes diminuées nous font penser à une existence
diabolique. Dans la symbolique, il semble ainsi possible de rapprocher ce

1. Nous tenons à remercier notre collègue Adrienne Kaczmarczyk d’avoir bien voulu
vérifier cette affirmation.
428 TROISIÈME PARTIE

passage cadentiel de l’image de Holbein : « la Mort et le Pape ». C’est en


effet la seule œuvre visuelle dont Liszt s’est inspiré qui contienne les trois
éléments ainsi assemblés : la Croix, l’image du diable et la Mort. Dans cette
gravure, la Croix est, en effet, représentée deux fois au second plan, mais
largement supplantée par la Mort, c’est-à-dire les deux squelettes ; les petits
diables, eux, dominent jusqu’à la bulle papale :

Illustration n° 16 : Holbein, « La Mort et le Pape ».

Contrairement à la Hunnenschlacht, à la Légende de Sainte Élisabeth ou


encore à la Dante Symphonie, la référence au Crux Fidelis dans le Totentanz
n’est pas revendiquée par Liszt. De plus, la citation n’est pas clairement
perceptible à l’oreille. Cependant, sa présence au milieu des septièmes
diminuées semble tout à fait signifiante : la Croix ne sort pas victorieuse
des éléments sataniques.

B. Les Histoires : Diable et Tritons


Rappelons juste que les « histoires » panofskyennes renvoient aux
personnages historiques, mythologiques et mythiques.
Dans les deux œuvres visuelles qui ont inspiré Liszt, le diable ou ses
serviteurs sont représentés. En effet, dans Le Triomphe de la Mort, des
démons cornus se battent afin d’obtenir les âmes des morts. De même, le
Huitième chapitre 429

personnage qualifié par Daniel Russo d’« ange de la Mort » peut également


être associé au démon. Chez Holbein, une référence explicite aux démons
et des références démoniaques se trouvent dans la gravure « la Mort et le
Pape ». La mort s’attaque en effet ici au représentant le plus important de
l’Église. Elle vient le frapper pendant qu’il exerce sa plus grande responsa-
bilité temporelle : le sacre d’un roi ou d’un empereur.1 Là encore, Holbein
veut rappeler que tous les humains sont mortels. Cependant, il faut remar-
quer la présence signifiante des démons dans la scène. Comme l’expliquent
Oskar Bätschmann et Pascal Griener :
La gravure sur bois de Holbein ne juxtapose pas seulement les plus hautes
autorités ecclésiastiques et la Mort ; elle met en scène le pape soumis à Satan
et donc devenu l’Antéchrist. La source d’inspiration est, sans nul doute, la
gravure sur bois illustrant le baisement du pied dans le Passional Christi
und Antichristi, publié en 1521 à Wittenberg, qui comprenait une série de
vingt-six gravures sur bois de Cranach l’Ancien et son atelier, accompagnées
de commentaires de Philipp Melanchthon et de Johann Schwertferger. Martin
Luther, dans son opuscule de 1520, An der christenlichen Adel deutscher
Nation, décrit le baisement du pied comme un exemple typique du comporte-
ment de l’Antéchrist : il se fonde sur une comparaison entre cette coutume et le
lavement des pieds du Christ.2
Il y aurait donc une véritable critique de l’Église, ici, et un combat
latent qui opposerait les défenseurs d’une Église saine aux membres d’une
Église corrompue. La présence de personnages démoniaques va sans
conteste dans ce sens.
Dans la musique de Liszt, l’image du diable – nous avons bien dit
« l’image » – se retrouve de manière évidente avec l’utilisation de l’inter-
valle de triton. En effet, cet intervalle a toujours été considéré comme le
diabolus in musica, autrement dit le « diable en musique ». Il semble l’un
des éléments les plus récurrents de la pièce. Dans l’orchestration de 1865,
sa première apparition se trouve aux timbales, doublées par le piano dès
l’introduction, dans le grave, grâce à l’égrainement d’un accord de quinte
diminuée (ou de septième diminuée incomplet, sans le ré) sur pédale de
fa. Cette première présentation mélodique du triton sera donc masquée
par le sol dièse :

1. Oskar Bätschmann et Pascal Griener optent pour cette seconde hypothèse in Hans
Holbein, p. 56.
2. Oskar Bätschmann et Pascal Griener, id., p. 56-57.
430 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 102 : F. Liszt, « introduction » du Totentanz.

Cet accompagnement est le début de l’œuvre, et plus précisément, de


l’introduction qui provoque d’ailleurs d’emblée un malaise chez l’auditeur.
En effet, l’entrée du thème du Dies irae mesure 3 est décalée d’un temps
par rapport à l’accompagnement qui débute seul le morceau. De ce fait,
l’arrivée de ce thème surprend l’auditeur qui l’attendait un temps plus
tard.
Nous pensons qu’il est possible de voir ici une traduction musicale
de « l’attaque surprise » de la Mort à l’égard de toutes ses victimes chez
Holbein1. De plus, cette idée de surprise se retrouve également dans la
suite de l’introduction, lorsque retentissent les violents accords sf à tout
l’orchestre. Ils aboutissent à chaque fois sur un égrainement de septième
diminuée au piano, figure emblématique encore du triton sous une forme
de superposition harmonique :

1. Voir notre partie sur la « signification expressive » pour plus de détails.


Huitième chapitre 431

>> Exemple n° 103 : F. Liszt, suite de l’introduction du Totentanz, mes.


11.
432 TROISIÈME PARTIE

Liszt sous-entend donc, dès l’introduction de son Totentanz, l’idée que


la mort peut conduire en enfer. D’autres passages comportent également
ce fameux triton qui se présente sous une forme aussi bien harmonique
que mélodique. À ce sujet, Anna H. Celenza Harwell a proposé une inter-
prétation intéressante concernant la variation 4 dite « canonique » :

>> Exemple n° 104 : F. Liszt, Totentanz, variation 4 dite « canonique »,


mes. 124-127.

Elle explique :
En apparence, la variation 4 semble de caractère assez sain. Mais si nous
regardons de plus près sa structure harmonique, nous découvrons bientôt des
éléments plus pernicieux. Le plus évident est l’utilisation par Liszt du triton
(« diabolus musicae »). Le premier triton apparaît mesure 1261, quand la
troisième entrée du premier sujet commence une quarte augmentée plus haut
que si naturel dans la voix du milieu. L’utilisation du triton n’est pas ici
une erreur. C’est la seule entrée du sujet accentuée par une parenthèse infor-
mant le pianiste qu’il faut frapper les hauteurs séparément, (cette parenthèse
est également présente dans les extraits antérieurs de l’œuvre). À la fin de la
« Canonique », Liszt emploie à nouveau le triton. Ici, nous voyons un accord
de sixte allemande qui évolue vers la quarte et sixte de cadence. Si nous suppo-
sons que le la, à la basse, doit être tenu, alors l’accord ne se résout jamais sur
la position 5/3 attendue. En ayant introduit le sol# dans l’accord de sixte alle-
mande, Liszt le reprend comme tonalité dominante de la dans l’accord final.
En tant que ton principal, le sol# devrait être frappé simultanément avec le
ré de la voix supérieure, accentuant ainsi le triton sol#-ré. Comme dans la
description des figures religieuses de Holbein, le canon de Liszt a une façade
attrayante mais un cœur diabolique.2

1. Donc mesure 125 de notre édition.


2. Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 144.
Huitième chapitre 433

Elle fait ici entre autres, référence à la gravure qui met en scène « la
Mort et le Pape » que nous avons précédemment évoquée et expliquée.
Nous pourrions ajouter la gravure « la Mort et le Joueur », où se retrouvent
les mêmes éléments.

C. Allégorie : La Mort et le Dies Irae


La définition que nous conservons pour l’allégorie est celle que nous
avons empruntée à Bernard Teyssèdre dans notre second chapitre, à savoir :
un personnage qui renvoie à une idée, à une notion précise.
Rappelons qu’en musique, les personnages qui renvoient à des idées,
donc à des « allégories » ne peuvent être que suggérés par une thématique
signifiante. De ce fait, le recours le plus fréquent du musicien pour illustrer
musicalement une allégorie sera celui d’une citation que nous appellerons
« à fonction allégorique », c’est-à-dire une citation qui renvoie à un person-
nage d’une œuvre visuelle, ce personnage renvoyant lui-même à une idée.
L’exemple d’allégorie le plus probant dans le Totentanz est évidemment
celui de la Mort, représentée musicalement par une citation « à fonction
allégorique » du Dies irae :

>> Exemple n° 105 : « Dies irae », d’après celui extrait des Offices
du Dimanche et des Fêtes, Messes, Vêpres et Complies,
Chant grégorien issu de l’Édition vaticane, et signes
rythmiques des Bénédictins de Solesmes.
434 TROISIÈME PARTIE

Liszt appréciait cette séquence et avait eu l’occasion d’en jouer des


variations. Ainsi, en 1832, la Comtesse Dash rapporte un épisode amusant :
Litz (sic) était le voisin le plus incommode qu’on pût voir. Il ne jouait
jamais ni un morceau, ni une improvisation. Il donnait quelques leçons à des
privilégiés, et quant à lui, il faisait pendant des heures de suite, une cadence
double, des deux mains, sur la même note ! Ou bien il adoptait une phrase,
comme l’évocation des nonnes de Robert : il jouait :
« Nonnes qui reposez sous cette froide pierre ! »
Et puis il recommençait, en variant les tons et à n’en plus finir, mais
toujours la même phrase.
Une nuit, ce fut le commencement du dies irae et il n’en sortit plus. Il y
avait de quoi devenir fou, je vous assure. »1
Un autre texte replace l’improvisation au cœur même de la pratique
musicale lisztienne. Il s’agit de la dixième des Lettres d’un Voyageur de
George Sand. Elle est adressée à Herbert. La romancière rapporte qu’en
1836 Liszt a essayé le nouvel orgue – un « gigantesque instrument […]
équipé de soixante-trois registres et quatre mille tuyaux »2 – de l’église Saint
Nicolas de Fribourg et qu’il a interprété une Dies Irae Fantasie à partir du
Dies Irae extrait du Requiem de Mozart :
Ce fut seulement lorsque Franz posa librement ses mains sur le clavier, et
nous fit entendre un fragment du Dies irae de Mozart, que nous comprîmes
la supériorité de l’orgue de Fribourg sur tout ce que nous connaissions en ce
genre. La veille, déjà, nous avions entendu celui de la petite ville de Bulle, qui
est aussi un ouvrage de Mooser, et nous avions été charmés de la qualité des
sons ; mais le perfectionnement est remarquable dans celui de Fribourg, surtout
les jeux de la voix humaine, qui, perçant à travers la basse, produisirent sur
nos enfants une illusion complète […] mais nous étions tous absorbés par les
notes austères du Dies irae. Jamais le profil florentin de Franz ne s’était dessiné
plus pâle et plus pur, dans une nuée plus sombre de terreurs mystiques et de
religieuses tristesses. Il y avait une combinaison harmonique qui revenait sans
cesse sous sa main, et dont chaque note se traduisait à mon imagination par les
rudes paroles de l’hymne funèbre :
Quantus tremor est futurus
Quando judex est venturus, etc.

1. cité par Pierre Antoine Huré et Claude Knepper in Liszt en son Temps, p. 141-142.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 233, vol. 1.
Huitième chapitre 435

Je ne sais si ces paroles correspondaient, dans le génie du maître, aux notes


que je leur attribuais, mais nulle puissance humaine n’eût ôté de mon oreille
ces syllabes terribles, Quantus tremor…1
La romancière évoque ainsi les effets de l’orgue de Fribourg sous les
doigts du jeune Liszt lorsqu’il improvise sur le Dies Irae. Elle se lance
ensuite dans une description soignée des émotions qu’elle ressent ainsi
que de l’attitude subjuguée de sa complice Arabella2 pendant ce moment
musical privilégié.3
Mais comme le fait très justement remarquer Adrienne Kaczmarcyk,
il n’est pas certain que le thème de cette fantaisie ait été la mélodie grégo-
rienne comme Liszt l’affirmera plus tard, ou bien la phrase du Dies Irae du
Requiem de Mozart, comme en témoigne George Sand. De plus, la musi-
cologue hongroise suggère – en s’appuyant également sur les différents
titres comme « fantasie » ou « paraphrase » – que :
Toutes les variantes du titre témoignent que le Totentanz prend racine
dans l’improvisation et qu’il a un caractère d’improvisation.4
Cependant, Adrienne Kaczmarczyk précise que Liszt utilisait déjà
ce thème dans une œuvre vocale : « Prose des Morts ». Cette dernière
se trouve à la page 115 de son cahier d’esquisses « Tasso » (D-WRgs 6/
N5) que le pianiste emporta pendant sa tournée en Europe de l’est de
1845 à 1847. Cette courte pièce alterne une strophe pour soliste avec
la suivante pour quatuor vocal et ainsi de suite pendant cinq strophes.
Notons cependant que, dès les années 1845-47, Liszt avait déjà composé
ce qui serait le second thème de la version de son Totentanz de 1865. Les
paroles « Quántus trémor est futœrus… » du soprano dans sa Prose des
Morts sont en effet fondées sur la ligne mélodique : « fa-mi-fa-sol-la-sol-
fa-mi. » Avant d’avoir accès à ce document, nous pensions que Liszt avait
emprunté cette mélodie au répertoire grégorien. Nos recherches dans ce
sens n’ayant malheureusement rien donné, nous nous rangeons du côté
d’Adrienne Kaczmarczyk qui explique :
Si l’on tient compte des sources des variantes et des commentaires en fran-
çais, cette strophe peut être rattachée à la pratique liturgique française. Cette
séquence a probablement été recopiée dans le même ouvrage de cantiques que

1. George Sand, « Xe lettre à Herbert », Lettres d’un Voyageur, p. 290.


2. Pseudonyme de Marie d’Agoult.
3. Voir la suite du texte.
4. Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der Totentanz », op. cit., p. 62.
436 TROISIÈME PARTIE

l’extrait du psaume qui vient immédiatement après et qui est une harmonisa-
tion à 4 voix en faux-bourdon des strophes 1 et 2 du psaume 129. Le thème De
Profundis correspond exactement avec le thème De Profundis instrumental
composé en hiver 34-35 donc la source de ce travail peut probablement être
située dans ces ouvrages liturgiques en usage au début du siècle. Le fait que
ces deux citations figurent dans les esquisses Tasso et ensuite dans la copie de
la Princesse Sayn Wittgenstein (1847) indique que Liszt avait une concep-
tion très précise de ce qu’il allait faire quand il commença à travailler et que
les deux thèmes grégoriens paraissaient dans son imagination, sa fantaisie, et
étaient reliés probablement bien avant de composer le Totentanz1.
L’hypothèse donnée ici concernant la relation entre les deux thèmes
semble séduisante, même si, contrairement à notre collègue hongroise,
nous voudrions ajouter que Liszt a peut-être inventé ce second thème.
Mais de toute façon, il est lié indubitablement depuis très longtemps au
Dies irae dans l’imaginaire du musicien.
Au sujet de la séquence du Dies irae proprement dite, Luca Ricossa
donne des précisions importantes :
… Attribuée sans certitude à Thomas de Celano (mort vers 1250), elle [la
séquence] trouve son origine dans une prosule2 du répons Libera me et ne peut
donc pas être tout à fait considérée comme une véritable séquence3. Chanté sans
alleluia, le Dies Irae n’en est pas moins apparenté au genre de par sa forme,
empruntée à celle des séquences victorines. Les paires de vers se suivent en une
série de strophes ayant la structure AA BB CC/AA BB CC/AA BB C D E F.
À cela, il faut ajouter que plusieurs versets et demi-versets sont identiques,
donnant dans l’ensemble une structure répétitive qui a certainement contribué
à sa popularité.
Le Dies Irae est l’une des cinq séquences à avoir été conservées après les
réformes de la liturgie promulguées par le concile de Trente (missel de 1571)4
Liszt connaissait d’ailleurs les origines de cette séquence, et ce, vraisem-
blablement à partir de 1852. En effet, Kastner, l’auteur du fameux ouvrage
Les Danses des Morts, écrit :

1. Adrienne Kaczmarczyk, id., p. 57-58.


2. Technique consistant à insérer des syllabes de texte sur des mélismes plus ou moins
longs d’un chant donné afin d’enrichir, de colorer le texte et la mélodie (note person-
nelle).
3. Genre musical et littéraire issu de l’alleluia (note personnelle).
4. Luca Ricossa, article « Dies Irae » in Guide de la Musique du Moyen Âge, p. 175.
Huitième chapitre 437

Enfin l’hymne célèbre du jugement dernier paraît. Thomas de Celano, né


dans les Abruzzes et l’un des premiers membres de l’ordre nouvellement fondé
des Minorites (1208), trace les vers foudroyants du Dies irae, dies illa (2).1
Mais le plus important et le plus significatif est ce que Liszt a fait
précéder d’une accolade dans son exemplaire de Kastner à la note 2, dont
il a souligné deux passages. Voici cette note 2 :
Thomas de Celano fut l’ami du fondateur de l’ordre des Minorités, Saint
François d’Assise, dont il écrivit la vie sous le titre de Legenda antiqua. En
1221, il visita l’Allemagne, et séjourna quelque temps à Mayence, à Worms
et à Cologne. En 1230, il retourna en Italie. On ne pense pas que l’époque de
sa mort soit antérieure à l’année 1255. L’hymne grandiose du Dies Irae a été
attribuée à plusieurs auteurs, mais il est prouvé aujourd’hui qu’elle est bien de
Celano. M. Lisco, docteur en théologie, a publié à ce sujet2 un très beau travail
dans lequel il a rassemblé toutes les traductions3 allemandes du texte latin et les
différentes leçons de la mélodie. On croit que le texte original est celui que l’on
a découvert sur une table de marbre, à Mantoue. Dans un livre de choral de
Königsberg, on avait joint au Dies Irae la notice suivante : Ces rimes antiques
ont été trouvées sur un crucifix, dans l’église de Saint François, à Mantoue. Le
docteur Mohnike possède une copie du texte gravé sur marbre, copie qui est
du xviie siècle et provient de la collection d’un nommé Charisius : elle offre au
commencement quatre strophes de plus que la leçon ordinaire4, une de moins
à la fin, et quelques autres variantes dont le lecteur pourra juger en comparant
le texte qui va suivre avec celui dont se sert aujourd’hui l’église catholique.5
Kastner cite ensuite le texte latin6. Il invite le lecteur à le comparer avec
celui du Dies Irae. Voici le texte latin des deux premières phrases musicales
– dont Liszt s’est servi – du Dies irae avec sa traduction :

1. (Johann Georg) Georges Kastner, Les Danses des Morts, op. cit.
2. C’est Liszt qui souligne.
3. Idem note précédente.
4. À partir d’ici s’arrête l’accolade de Liszt dans la marge gauche.
5. (Johann Georg) Georges Kastner, Les Danses des Morts, op. cit., p. 7, note 2.
6. Voir note précédente pour les références du texte latin.
438 TROISIÈME PARTIE

Dies irae, dies illa, Solvet sæclum in favilla : Teste David cum Sibylla.
Quantus tremor est futurus, Quando judex est venturus, Cuncta stricte
discussurus !
Jour de colère que ce jour-là, qui réduira en cendres le monde, David
l’a prédit avec la Sibylle. Quelle terreur quand le Juge viendra pour tout
examiner avec rigueur.

Il est clair que ce texte renvoie à la mort, et plus spécifiquement au


Jugement dernier : « quand le Juge viendra pour tout examiner avec rigueur ».
L’image de cette scène a d’ailleurs été représentée dans la gravure n° 52 de
Holbein. En revanche, Buffalmacco représente le moment qui suit immé-
diatement la mort, ce que nous avons qualifié de « bataille pour les âmes »
entre les anges et les démons. Cette bataille peut en fait être rapprochée
du Jugement dernier dans la mesure où elle consiste à « partager » les âmes
entre les deux clans du Bien et du Mal. C’est, en fait, une représentation
du jugement particulier.
Par son titre « Totentanz » et par l’utilisation explicite du Dies Irae,
l’œuvre de Liszt est donc une référence évidente au thème de la mort.
La phrase musicale du Dies Irae renvoie par son contenu textuel impli-
cite à une référence picturale explicite : le squelette de Holbein. Dans ce
contexte, le Dies Irae est donc, comme nous l’avons déjà dit, une citation
« à fonction allégorique » puisqu’il renvoie au squelette qui est lui-même
une allégorie de la Mort.
Au sujet du « Jugement dernier » dans la représentation de Holbein,
Anna H. Celenza Harwell offre une hypothèse de comparaison intéres-
sante avec la variation 5 de Liszt. Elle écrit à ce propos :
La variation 5 peut être aussi considérée comme une imitation des gravures
sur bois de Holbein. Appelée « fugato », c’est la plus longue et la plus complexe.
Bien qu’elle ne contienne pas de références aux quatre variations précédentes,
le fugato utilise des motifs rythmiques variés qui les caractérisent. Comme le
« Jugement Dernier », dans les sculptures sur bois de Holbein, […], la varia-
tion 5 présente une combinaison conclusive des personnages précédents.1
Chez Liszt, cette cinquième variation offre le thème du Dies Irae sous
la forme d’un sujet de fugue en doubles croches répétées :

1. Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 145.


Huitième chapitre 439

>> Exemple n° 106 : F. Liszt, « variation 5 » extrait du Totentanz, mes.


184-195.

Le procédé employé par Holbein qui consiste à reprendre différents


personnages de ses autres gravures se retrouve effectivement ici chez Liszt
sous la forme de références rythmiques et évidemment mélodiques, avec
encore une fois, la présence du Dies Irae. L’association entre les deux nous
semble probante et offre un résumé des deux œuvres.
Cependant, l’œuvre de Liszt ne s’arrête pas sur cette hypothétique –
et possible – référence à la gravure de Holbein sur le Jugement dernier.
L’œuvre musicale est en effet avant tout une réflexion très aboutie sur le
thème de la mort, et nous le verrons, plus encore que ce que nous en avons
déjà dit…

III. Signification intrinsèque, ou contenu :


vers un « tombeau » musical…

Afin de mettre en évidence le contenu du Totentanz, nous allons étudier


comment son contexte général passe initialement d’un memento mori à
un tombeau musical. Nous évoquerons ainsi les principes sous-jacents qui
révèlent la mentalité de base d’une conviction philosophique.
Précisons avant tout que Liszt s’est souvent intéressé à des sujets qui
parlent de la mort. Alan Walker va jusqu’à affirmer que :
Liszt était réellement hanté par la pensée des morts, des mourants et des
damnés, et cette obsession déclenchait souvent une réponse musicale. Toute
440 TROISIÈME PARTIE

une partie de sa musique traite de la mort, que symbolisent des titres tels que
Totentanz, Funérailles, La lugubre Gondole, Pensée des morts.1
La liste n’est pas exhaustive, mais montre un échantillon varié des
travaux lisztiens sur ce sujet. Cependant, le Totentanz nous semble requérir
une place à part dans l’œuvre lisztienne, pour plusieurs raisons. D’abord,
son titre renvoie aux origines des œuvres inspirées par la mort. Ensuite,
Liszt semble avoir travaillé et mûri son projet de Totentanz tout au long de
sa vie, ce qui montre combien le sujet lui tenait à cœur. Ajoutons à cela le
fait qu’il refusait de parler de son programme, phénomène assez rare chez
lui et qui mérite d’être à nouveau souligné. Enfin, il semble se référer à
plusieurs œuvres inspirées elles-mêmes de la mort, ce qui n’est pas le cas
des autres compositions citées par Alan Walker. Nous allons donc nous
arrêter sur chacun des éléments brièvement évoqués pour comprendre la
signification de cette œuvre énigmatique et riche.
Gaby Sikora décrit très justement les origines et les rôles des premières
danses macabres :
Le topique initial des premières danses macabres, qui furent créées au
temps de la peste au xive siècle, représentait la « Mort au sein de la Vie »,
n’épargnant personne. Il a la fonction d’un memento mori, rappelant l’ur-
gence de se préparer à la vie éternelle. Il voulait être un avertissement sévère
de la religion.2
L’œuvre de Liszt semble se rattacher à la fonction originelle des danses
des morts. Après l’avoir analysée, il nous paraît en effet probable qu’elle
fasse office de memento mori et qu’elle rende également hommage à d’autres
artistes – des compositeurs, entre autres – qui se sont intéressés à la mort.
Rappelons que l’œuvre de Liszt est fondée sur deux œuvres d’art visuel
qui traitent de la mort : les gravures sur bois de Holbein et Il trionfo della
Morte de Buffalmacco. De plus, le compositeur a utilisé également deux
thèmes musicaux qui renvoient à l’idée de mort,3 et organisé son œuvre
en trois grandes parties selon la technique littéraire de « mise en abyme ».4

1. Alan Walker, Franz Liszt, p. 158, vol. 1.


2. Gaby Sikora, « Aspects of the Dance of Death as a semiotic system », in Musical Signi-
fication, Essays in the Semiotic Theory and Analysis of Music, éd. Eero Tarasti, p. 579.
3. Voir notre développement concernant les « événements » dans la première partie de
notre analyse.
4. Pour le détail technique du déroulement musical, se référer à nos tableaux, dans
notre article : « Variété historique, variantes analytiques et variations sémantiques dans
la Totentanz de Liszt », op. cit., reproduits à la fin de ce chapitre.
Huitième chapitre 441

Si les variations musicales rappellent sans aucun doute la structure des


gravures de Holbein, elles-mêmes fondées sur un thème (la Mort) et varia-
tions (de contextes, d’attitudes…), il est tout à fait possible de relier la
« mise en abyme » de Liszt à la construction de la fresque Il trionfo della
Morte, du Campo Santo de Pise. En effet, l’artiste est parti d’un même
sujet, la mort, et en a représenté trois facettes dans trois scènes différentes :
– La première scène, à gauche, est une illustration de la légende « les
trois Morts et les trois vivants », légende très en vogue au Moyen
Âge. Trois chasseurs rencontrent trois cadavres à différents stades de
décomposition. Plus les cercueils sont proches du spectateur, plus le
cadavre est décomposé. D’ailleurs, celui du premier plan ressemble
davantage à un squelette qu’à un cadavre. Derrière le cercueil se tient
un vieillard barbu qui déroule un parchemin devant le cortège : c’est
Saint Macaire. Daniel Russo précise son rôle :
…il se situe dans une zone de forte turbulence, entre la vie et la mort :
d’un âge fort avancé, il n’est plus du monde des vivants, pas encore cependant
de celui des morts. C’est de cet entre-deux qu’il tire sa légitimité à ce rôle de
prophète invitant à la pénitence ;1
Au-dessus de lui, « le peintre a placé un ermitage devant lequel deux
vénérables Pères conversent ; ils complètent le rôle joué par Macaire ».2 Les
nobles sont donc prévenus de la signification qu’ils doivent donner à leur
vie : ascèse et pénitence.
– La seconde scène, au centre de la fresque, est fondée sur le devenir
des âmes après la mort. Pendant que des démons se battent contre
des anges pour emporter les âmes, l’ange qui vole joue avec une faux.
C’est une allégorie de la Mort. Le caractère de la scène est avant tout
terrifiant.
– La troisième scène, à droite, montre un groupe de jeunes gens qui
jouent de la musique. Le décor est champêtre, avec de la verdure et
des fleurs. Elle fait office de memento mori.
Les scènes de cette œuvre étaient très connues au xixe siècle, même si
l’auteur supposé était Orcagna alors qu’elles sont de la main de Buffalmacco.
Des témoignages comme celui de Ludwig Tieck en attestent. Ainsi, dans

1. Daniel Russo, « Le Corps des Saints Ermites en Italie centrale aux XIVe et xve siècles :
étude d’iconographie », op. cit., p. 63.
2. Idem, p. 62
442 TROISIÈME PARTIE

Franz Sternbalds Wanderungen (Randonnées de Franz Sternbald), le roman-


cier écrit :
« “Je me souviens”, répondit Rudolf, “d’un vieux tableau à Pise, qui avait
déjà plus de cent ans et qui te plaira peut-être aussi ; si je ne me trompe, il est
peint par Andrea Orcagna. Cet artiste a étudié Dante avec une prédilection
particulière et a voulu aussi composer quelque chose de semblable dans son art.
Sur son grand tableau, c’est en fait toute la vie humaine qui est illustrée de
manière fort mélancolique. […] – En bas, on voit trois rois aller à la chasse à
cheval avec leurs épouses, à qui un saint homme1 montre des tombes ouvertes
dans lesquelles on voit des corps de rois décomposés. – La Mort vole dans les
airs, en vêtement noir, la faux dans la main ; sous elle des cadavres de toutes
conditions qu’elle montre du doigt.2- Ce tableau, avec ses rimes naïves qui
sortent de la bouche de beaucoup de personnages, m’a toujours évoqué l’image
de la grande vie humaine, dans laquelle personne ne sait rien de l’autre et où
tous bougent en tous sens, aveugles et sourds.” »3
En effet, Le Triomphe de la Mort présente en fait trois scènes qui peuvent
s’enchaîner chronologiquement à l’intérieur d’un récit qui aurait comme
sujet commun « le triomphe de la Mort ». D’abord, il y a la vie sur terre,
courte et éphémère. C’est la scène qui se situe à droite. Puis, une fois que
nous avons disparu, notre corps se décompose jusqu’à une totale désinté-
gration. Cette idée se concrétise ici par la rencontre des trois Morts et des
trois Vivants. Enfin, notre âme doit suivre sa destinée, soit du côté du mal,
soit du côté du bien. C’est le combat opposant les anges aux démons, au
centre. Pour appréhender ces différentes étapes, le spectateur doit passer
d’une atmosphère à une autre. Le procédé renvoie donc à ce qu’en littéra-
ture on nomme un « enchâssement ». En effet, si les trois scènes différentes
sont représentées simultanément dans la même fresque, le temps de lecture
du spectateur4 se déroule en plusieurs étapes afin d’aboutir à la reconsti-
tution chronologique du récit. « L’enchâssement » se retrouve donc dans
ce temps de lecture. Liszt a transformé le procédé d’enchâssement en une
« mise en abyme », procédé d’enchâssement particulier.

1. Il s’agit de Saint Macaire [note personnelle].


2. Notons ici une petite erreur : la mort a les deux mains posées sur sa faux ; elle n’a donc
pas le loisir de pointer son doigt… [note personnelle].
3. Ludwig Tieck, Franz Sternbalds Wanderungen, cité dans : Helga de la Motte-Haber,
Musik und bildende Kunst, p. 85.
4. Voir dans notre partie introductive de cette troisième partie, le texte consacré à
l’« Espace et [le] temps dans les arts visuels et la musique ».
Huitième chapitre 443

Ce procédé de « mise en abyme » se retrouve à deux niveaux :


– un thème et variations dans un thème et variations, comme nous
l’avons déjà dit ;
– une citation à partir d’une citation. En effet, comme nous l’avons
indiqué, le Dies Irae est un emprunt lisztien aux séquences du Moyen
Âge. Mais de ce modèle, Liszt tire un second thème qui n’est autre…
qu’un thème mozartien extrait du Requiem, comme l’a prouvé Anna
H. Harwell Celenza.1
D’ailleurs, il semble que ce procédé compositionnel lisztien renvoie
à ce qui est appelé une syllepse sémantique en littérature, c’est – à-dire à
l’emploi d’un même mot pour évoquer un double sens, et principalement
un cas particulier que relève Catherine Fromilhague :
Un exemple extrême de syllepse est représenté par l’emploi d’un terme
pourvu de deux signifiés venus d’homonymes : usage ludique et usage savam-
ment poétique se rejoignent, au moins dans leurs procédés, ce qui montre que
la reconnaissance des effets n’a de pertinence que si le contexte énonciatif est
d’abord identifié.2
Le thème du Dies Irae donne, en effet, ici, naissance à une série de
variations, dont l’une d’entre elles est porteuse d’une idée très proche de
l’originale, mais renvoie à une autre source. Il y a donc un glissement de
sens : du Dies Irae, nous arrivons au Requiem de Mozart, autre œuvre de
référence s’il en est, à partir de la mort.
Ainsi, le modèle médiéval utilisé par le « Beethoven de l’avenir » (donc
Liszt lui-même) donne naissance à une distorsion… mozartienne, par le
biais d’une citation… dans une citation.

Conclusion
Le Totentanz tient une place particulière dans le corpus lisztien pour
trois raisons. D’abord, non pas une, mais deux œuvres d’art visuel l’ont
inspiré ; ensuite, le Crux fidelis y est cité d’une manière inhabituelle, et
enfin, son programme a toujours fait l’objet d’un silence systématique de
la part du compositeur.
Ses deux sources d’inspiration, tout comme son titre, parlent de la
mort. Elles font office de memento mori. Le Crux fidelis, présenté caché

1. Voir notre partie sur les « thèmes et les motifs ».


2. Catherine Fromilhague, Les Figures de Style, p. 47.
444 TROISIÈME PARTIE

dans une cadence pour piano au milieu d’intervalles et d’accords de


septièmes diminuées, ne semble pas en ressortir vainqueur. Il nous paraît
donc possible que le silence du compositeur à l’égard de son programme
soit significatif d’une mise en doute de la puissance divine, ou du moins
de la difficulté de supporter la douleur à l’échelle humaine : Liszt vient
en effet de perdre deux de ses enfants1, tandis que la troisième, Cosima,
entretient des relations adultérines avec Wagner, relations vécues comme
une infamante trahison par son père.
Cependant, la redondance de la thématique de la Mort peut revêtir
une autre signification, complémentaire de la précédente : l’œuvre est
construite comme si Liszt avait souhaité rendre hommage aux artistes qui
l’ont illustrée aussi, à travers un véritable « tombeau musical ». Plusieurs
références extérieures empruntées à divers domaines artistiques, attestent
cette hypothèse :
En musique, le thème du Dies Irae renvoie à la mort, tant par le texte
implicite sur lequel il est fondé à l’origine et qui évoque le Jugement
dernier, que par la musique elle-même, déjà présente dans un contexte
orchestral dans la Symphonie fantastique, si admirée par Liszt. Le deuxième
thème important, qui s’apparente au précédent par son profil, rappelle
le thème d’ouverture du Requiem de Mozart, véritable œuvre funèbre de
référence au xixe siècle.
Les deux sources d’inspiration visuelles de Holbein et de Buffalmacco
rejoignent par leurs titres respectifs évocateurs – Danse macabre et Triomphe
de la Mort – les interrogations métaphysiques de Liszt.
Du « Triomphe de la Mort », nous passons progressivement à une
œuvre personnelle qui défie le temps, qui affirme la singularité de l’ar-
tiste et de son œuvre. En un mot, nous aboutissons au « Triomphe de
l’Art »…
D’un point de vue méthodologique, il ressort que la musique et les
arts visuels, figuratifs ici, relèvent de procédés identiques à la fois chez le
compositeur et les autres artistes par, entre autres, celui de mise en abyme.
De même, l’auditeur et le spectateur sont confrontés à des caractères
expressifs similaires.

1. Son fils Daniel en 1859, puis sa fille Blandine en 1862.


Huitième chapitre 445

Sposalizio est un exemple de pièce musicale à signification religieuse.


Le Totentanz, avec l’emploi caché du Crux fidelis, implique une relation à
la religion, mais où l’angoisse de la mort domine. Dans le dernier exemple
que nous allons étudier, Von der Wiege bis zum Grabe, ces deux thèmes –
religion et mort – sont évidemment présents.

Mais le programme lisztien correspond-il au message présent dans le


modèle graphique de Zichy ?
446 troiSiÈME PartiE

tableau n° 6 : totentanz, plan formel schématique (1)


Huitième chapitre 447

tableau n° 6 : totentanz, plan formel schématique (2)


448 troiSiÈME PartiE

tableau n° 6 : totentanz, plan formel schématique (3)


Huitième chapitre 449

tableau n° 6 : totentanz, plan formel schématique (4)


Neuvième chapitre
Analyse comparée d’après Panofsky
de Du Berceau jusqu’au Cercueil
de Zichy et de Von der Wiege
bis zum Grabe de Liszt

Introduction

Genèse
Le dessin à l’encre offert par le peintre et dessinateur Zichy à Liszt est
daté du 6 avril 1881. Il est dédicacé : « Salut à François Liszt de la part de
Michel de Zichy ». À peine une semaine plus tard, le 12 avril 1881, Liszt
adresse au peintre cette lettre de Vienne très enthousiaste :
Célèbre Artiste,
Vous m’avez fait un cadeau magnifique. Votre dessin sur le genre de la
musique est une symphonie miraculeuse. J’essaie de le mettre en musique et je
vous l’offrirai. Je vous prie d’accepter mon estime profonde et sincère,
Franz Liszt.1
Dans une lettre envoyée le samedi 11 juin 81 de Magdebourg, Liszt
écrit à la Princesse Wittgenstein :
Peut-être avez-vous lu dans quelque journal que Michel Zichy2 – un peu
cousin de mon ami Géza Zichy – m’a fait don d’un beau dessin représentant la
musique, entourée de plusieurs figures d’anges. Au bas, se trouve l’inscription :
« du berceau jusqu’au cercueil. » Dans mes lignes de remerciement à Zichy, je

1. Franz Liszt, lettre du 12 avril 1881 à Zichy ; cité par Keith T. John, « Von der Wiege
bis zum Grabe » in The symphonic Poems of Franz Liszt, p. 70.
2. Ungarischer Historienmaler (geb.1827) [note de la Mara].
452 TROISIÈME PARTIE

lui disais que son dessin me servira de programme à une composition musicale.
Elle est faite pour piano, mais non encore instrumentée !1
La trace de l’œuvre lisztienne achevée d’après ce dessin se retrouve dans
une lettre du 9 août 1881 adressée à son éditeur « Bote et Bock » :
Monsieur,
Vous avez été bien aimable de me demander une petite œuvre. Alors je
vous présente un poème symphonique intitulé « Du berceau jusqu’au cercueil »
(« Von der Wiege bis zum Grabe »). Mon excellent ami Lessmann vous appor-
tera le dessin de Michel Zichy plus la musique correspondante. Celle-ci serait
à publier en 3 éditions :
A. Partition
B. 4 mains (pianoforte)
C. 2 mains (pianoforte)
Lessmann va vous apporter l’arrangement pour piano à 2 mains (la parti-
tion et l’arrangement pour 4 mains sont encore chez le copiste.) En outre, une
« Vergessenen Walz[er] » – « Valse oubliée ». –
S’il vous convient, Monsieur, d’accepter ces deux choses pour les éditer,
alors il me reviendra des honoraires (pour la propriété en tout pays) de mille
thalers. Si non, je vous prie de me renvoyer simplement le manuscrit, sans autre
remarque.
Le 9 août 81- [Signature coupée] Weimar.2
La pièce initiale a d’ailleurs fait l’objet d’une première version pour
piano à deux mains, sous le nom de Wiegenlied (Chant du Berceau).
Elle est dédiée à l’un de ses élèves, le Russe Arthur Friedheim, et date du
18 mai 1881. Anne Bongrain explique les implications programmatiques
de cette première œuvre :
En fait, on s’aperçoit que cette « citation » présente une telle similitude à la
fois musicale et extra-musicale qu’on est en droit de penser, les circonstances de
composition aidant […] que Wiegenlied est en quelque sorte le « manuscrit »
de « Die Wiege » ; le principe de la citation n’offre alors plus d’intérêt en ce qui
concerne le pouvoir signifiant du morceau, car il aboutit obligatoirement à un
même rapport musique-programme du fait que musique et programme sont

1. La Mara (éd.), Franz Liszts Briefe an die Fürstin Carolyne Sayn-Wittgenstein, 4e volume,
Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1902, lettre 321 datée du samedi 11 juin 1881, Magde-
bourg, p. 320-321.
2. Franz Liszt, Franz Liszt in seinen Briefen (Überzetzung der französischen Briefe von
Eva Beck), Berlin, Henschelverlag, coll. Kunst und Gesellschaft, 1987, p. 280. [trad. de
l’allemand par nos soins].
Neuvième chapitre 453

identiques. Pour étudier l’importance de ce rapport musique-programme, il va


suffire d’analyser l’unique thème A, qui, du fait de sa présence constante dans
ce court premier mouvement, en résume parfaitement l’esprit.1
Certes, le thème A est l’élément le plus important du morceau, mais
nous verrons plus loin que des motifs présents dans cette première pièce
ont une importance au sein de la macroforme du poème symphonique
entier. Patrick Otto mentionne par ailleurs que « l’ensemble de l’œuvre fut
ensuite arrangé pour piano à deux puis à quatre mains (1881)2 avant d’être
orchestré (1881-1882). »3
Le 8 septembre 1881, Liszt remercie les éditeurs Bote et Bock d’avoir
publié Von der Wiege bis zum Grabe. Il en profite pour justifier le rôle du
dessin :
Monsieur, [Weimar, le 8 septembre 1881)]
Recevez mes remerciements les plus vifs pour votre lettre et l’envoi des hono-
raires. Ci-joint le reçu d’édition signé. Avant la fin du mois, vous recevrez l’ar-
rangement pour piano à quatre mains du poème symphonique « Du berceau
jusqu’au cercueil » – et quelques jours plus tard la partition. D’après celle-ci, il
faudrait aussi modifier l’arrangement pour piano à 2 mains, à deux endroits.
C’est pour cela que je vous prie de me retourner prochainement la copie que je
vous ai envoyée.
La gravure de la « Valse oubliée » peut être faite immédiatement. Votre
remarque, Monsieur, concernant la reproduction du dessin de Zichy à côté du
titre du poème symphonique, ma composition, est tout à fait juste. Le titre doit
donc figurer sans autre complication, et sans dessin.
+ Mon ami Lessmann ne vous a apporté ce dessin que pour faire
comprendre la musique qui s’y rapportait.+4
Je vous prie de bien vouloir faire paraître le premier mouvement, « Chant
du berceau », séparément, ce que je vous indiquerai plus précisément prochai-
nement, lors de l’envoi du manuscrit.5 [Signature coupée]

1. Anne Bongrain, La thématique des poèmes symphoniques de Liszt : Contribution à l’étude


de l’expressivité musicale dans la musique à programme, p. 139.
2. Pièce n° 524 dans le catalogue établi par Serge Gut (n° 324 pour Peter Raabe et n° 598
pour Humphrey Searle).
3. N° 163 dans le catalogue établi par Serge Gut (n° 424 pour Peter Raabe et n° 107
pour Humphrey Searle).
4. C’est nous qui soulignons.
5. Franz Liszt, Franz Liszt in seinen Briefen, op. cit., p. 280.
454 TROISIÈME PARTIE

Serge Gut précise que ce n’est « qu’en octobre 1882 que l’orchestration


est terminée. »1 Nous avons d’ailleurs la preuve qu’elle n’est pas terminée
en septembre 1882. En effet, dans sa lettre du 25 de ce même mois, Liszt
explique à Carolyne Sayn Wittgenstein :
Mes paperasses musicales avancent lentement. Je corrige les dernières
épreuves du 3e vol. de mes Années de pèlerinage, Villa d’Este, Cyprès – et
partitionne le poème symphonique d’après le dessin de Zichy : Du berceau
jusqu’à la tombe.2
Et ce n’est qu’en octobre 1882 effectivement que Liszt termine son
orchestration. En effet, il adresse de Weimar à nouveau une lettre à
Carolyne datée du mardi 10 octobre 1882 lui spécifiant que :
Il me faut remanier sans cesse pour arriver à un semblant de satisfaction
– très proche du parfait mécontentement ! J’ai fini avant-hier la partition du
poème symphonique Du berceau à la tombe – et livré enfin à Kahnt pour
l’impression le Cantico del sol de St François. En plus, il se charge de 2 ou
3 courtes compositions pour une voix seule, avec accompagnement de piano
ou d’orgue – et aussi du Ps De Profondis, écrit à Rome, Nov. 81. Il est très
simple, sans chœurs ni orchestre, ni fatras quelconque. Je ne sais s’il se rencon-
trera un chanteur pour en exprimer le sentiment d’intime prosternation.3

Articles, livres et sources utilisés :

a. Articles et livres utilisés


Les articles sur Von der Wiege bis zum Grabe ne sont pas tellement
nombreux. Voici les quelques titres que nous avons compulsés pour notre
travail.
Jürgen Schläder4, dans « Der schöne Traum vom Ideal. Die künst-
lerische Konzeption in Franz Liszt letzter symphonischer Dichtung »,
explique la conception de l’art chez Liszt à travers cette composition. Il
perçoit une différence de contenu entre la pièce de Liszt et son modèle

1. Serge Gut, Franz Liszt, p. 373.


2. La Mara (éd.), op. cit., lettre 353 datée du 25 septembre 1882, Weimar, p. 357.
3. La Mara (éd.), id., lettre 354 du mardi 10 octobre 1882, Weimar, p. 357.
4. Jürgen Schläder, « Der schöne Traum vom Ideal. Die künstlerische Konzeption in
Franz Liszt letzter symphonischer Dichtung », Hamburger Jahrbuch für Musikwissenschaft,
n° 6, 1983, p. 47-62.
Neuvième chapitre 455

visuel, dans le deuxième mouvement. De plus, il est l’un des rares commen-
tateurs à s’intéresser aux liens entre les motifs.
Keith T. John1, dans son ouvrage de 1997 The symphonic Poems of
Franz Liszt, consacre naturellement une partie à « Von der Wiege bis zum
Grabe ». Il apporte des précisions historiques.
Patrick Otto,2 dans son article de juin 2002 intitulé « Originalité du
dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum Grabe », fait un bilan
des principales analyses de l’œuvre. Malgré quelques erreurs de détail, il
donne quelques pistes d’analyse comparée intéressantes. Cependant, il tire
trop vite la conclusion d’un contenu identique entre le poème sympho-
nique et son modèle visuel.

b. Les sources

Comme nous l’avons vu précédemment, Von der Wiege bis zum Grabe
est publié chez Bote und Bock en 1883. Ce dernier poème symphonique
se compose de trois mouvements :
1. Die Wiege
2. Der Kampf um’s Dasein
3. Zum Grabe : Die Wiege des zukünftigen Lebens
Notre édition de travail – dont les exemples cités dans notre texte sont
extraits – est Eulenburg. C’est à ce jour l’édition conseillée avant l’édition
en Urtext.
Dans le premier mouvement, Liszt a orchestré en la modifiant très peu,
une pièce pour piano, Wiegenlied, écrite en mai 1881 et publiée en 1883
chez Bote und Bock. Nous avons consulté une photocopie de l’original au
Musée Liszt de Budapest. Il est constitué de neuf petites pages – moitié du
format A4 – et porte une dédicace signée de Liszt : « An Arthur Friedheim,
der 18 mai ‘81, Weimar, freundlichst, dankend ». De plus, Liszt a écrit
le titre puis a indiqué la traduction française entre parenthèses : « Chant
du Berceau ». L’original de cette partition se trouve à l’Österreichische
Nationalbibliothek, sous la cote : suppl. mus. n° 0001.
Par ailleurs, Liszt a composé une version pour piano à quatre mains du
second mouvement, publiée en 1883 chez Bote und Bock. Anne Bongrain

1. Keith T. John, « Von der Wiege bis zum Grabe », op. cit., p. 70-72.
2. Patrick Otto, « Originalité du dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum
Grabe », Ostinato Rigore, n° 18, p. 113-128.
456 TROISIÈME PARTIE

mentionne également qu’il existe, au Lisztmuseum de Weimar, l’original


de cette transcription pour piano à quatre mains, avec le titre « Der Kampf
ums Leben ».
Au sujet des sources mêmes du poème symphonique, un manuscrit
des deux derniers mouvements se trouve à la Bibliothèque Nationale de
Paris. Le second mouvement « Der Kampf um’s Dasein » est répertorié
sous la cote M.S. 179. Ce second mouvement se compose de neuf pages.
Curieusement, le manuscrit renferme également le troisième mouvement
« Die Wiege des zukünftigen Lebens » et ce, à partir de la page 10 jusqu’à
la page 16. Ces deux pièces semblent très proches de la partition publiée
malgré quelques différences, comme nous allons le montrer.
Au sujet de ces sources, Anne Bongrain explique :
celui [le manuscrit] du deuxième mouvement, intitulé « Der Kampf um’s
Dasein » (au crayon bleu et orangé, et au stylo rouge) présente de nombreuses
retouches, qui sont pour beaucoup l’ajout des parties de cuivres.1
En effet, page 3 du manuscrit par exemple, l’orchestration a été modi-
fiée. Elle concerne la mesure 168. À l’origine, il n’y avait pas de thème aux
cors. Les violoncelles et les contrebasses étaient plus statiques, alternant
lab et la bécarre à raison d’une note par mesure. Cette version est donc
différente dans les corrections apportées par Liszt lui-même : « Correctur
Blatt zur Seite 3 »2 notée « a » doublement souligné. Les mêmes remarques
peuvent être faites page 6 du manuscrit, ce qui correspond à la mesure 213
publiée. D’autres indications montrant les hésitations de Liszt en matière
d’orchestration peuvent être relevées. Ainsi, page 7, il écrit « Pauken
allein »3, puis barre ces deux mots.
Il nous faut cependant donner quelques précisions supplémentaires sur
ce manuscrit.
D’abord, Liszt indique une traduction française entre parenthèses : « Le
Combat pour la Vie ». Notons qu’il met une majuscule au mot « Vie ».
Ensuite, des différences d’indications sont notables entre ce manus-
crit et la version publiée chez Eulenburg. Ainsi les premières mesures
ne comportent-elles pas le caractère « violente » contrairement à la pièce
publiée ; en revanche, d’autres indications sont mentionnées ici et absentes
de l’édition actuellement disponible. Ainsi, page 2, à ce qui correspond à la

1. Anne Bongrain, op. cit., vol. des annexes, p. 201.


2. « Page de correction correspondant à la page 3 » (traduction par nos soins).
3. « Timbales seules » (traduction par nos soins).
Neuvième chapitre 457

mesure 145, les cordes graves portent l’indication staccato. De même, à la


mesure 153, ou encore 161, « sempre legato » est indiquée, contrairement
à l’édition Eulenburg.
Enfin, Liszt a barré un certain nombre de mesures. Par exemple, les
mesures 139 et suivantes étaient une reprise des mesures 137-138, mais
Liszt les a supprimées. Des mesures également barrées sont visibles aux
pages 8 et 9 du manuscrit.
Anne Bongrain rapporte, on l’a vu, que le manuscrit du troisième
mouvement « (au crayon bleu et orangé, et au stylo rouge) présente lui très
peu de retouches. »1 Il nous faut cependant préciser certains éléments :
D’une part, Liszt n’a pas indiqué de traduction française entre paren-
thèses comme dans le second mouvement. De même, il n’a pas mentionné
de mouvement métronomique.
D’autre part, des indications diffèrent d’avec celles publiées chez
Eulenburg. En effet, parfois Liszt a mentionné des éléments qui n’ont pas
été apparemment retenus dans l’édition définitive. Ainsi, page 11 figure
à côté du nom de l’instrument « Englische Horn » entre parenthèses :
« ad libitum ». Cette précision disparaît dans l’édition Eulenburg. Dans
le même ordre d’idée, Liszt a indiqué « solo » lors de l’entrée des hautbois
et des flûtes, page 12. De même, page 14, Liszt a, curieusement, indiqué
« solo » aux parties de hautbois et de bassons qui doivent accompagner
la clarinette, mesure 378. De plus, aucune mention « dolce cantando »
n’est notée à cette partie de clarinette dans cette mesure, contrairement, là
encore, à l’édition imprimée. D’autres différences de ce type peuvent être
notées aux pages 152 et 163. Dans cette dernière page, nous pouvons lire
une autre mention particulière entre parenthèses au-dessus de la clé d’ut :
« Tenor Schlüssel », ce qui signifie « clé du ténor ». Cela renvoie donc à la
clé d’ut 4e.
Hormis ces quelques détails, la partition publiée du troisième mouve-
ment de von der Wiege bis zum Grabe reste fidèle au modèle autographe
conservé à la Bibliothèque nationale de Paris.

1. Anne Bongrain, op. cit., p. 201, vol. des annexes.


2. À la mesure 397, il n’y a pas d’indication legato aux flûtes ni PPP. La même remarque
est valable pour le pupitre de clarinettes à la mesure suivante aux clarinettes qui comporte,
en revanche, l’indication solo. Toujours page 15, à la mesure 410, les cors doivent jouer
sostenuto et non piano (P) comme nous pouvons le lire dans la partition Eulenburg.
3. Un « solo » est indiqué aux cors mesure 454.
458 TROISIÈME PARTIE

Après cet état des lieux des documents utiles à l’analyse, nous allons
tenter d’établir des liens entre l’œuvre lisztienne et la source graphique de
Zichy.

I. Signification primaire ou naturelle, subdivisée


en signification de fait et signification expressive

Il faut, avant de commencer, préciser un élément important : l’œuvre


graphique sur laquelle nous allons nous attarder maintenant offre une parti-
cularité par rapport à celles que nous avons déjà abordées. En effet, elle se
caractérise par une structure générale tripartite tout à fait comparable aux
trois pièces de musique qui constituent le dernier poème symphonique lisz-
tien. De ce fait, il nous a semblé opportun de commencer la comparaison
non pas par les thèmes et motifs, mais par leur agencement, en étudiant
donc la structure générale des deux œuvres. Certes, nous ne serons pas
complètement fidèle à la méthode de Panofsky, mais nous resterons quand
même dans « l’esprit ». De ce fait, nous montrerons à nouveau1 que cette
méthode peut être adaptée dans cet esprit avec beaucoup de souplesse.
Nous privilégions en effet l’œuvre sur la méthode.

A. Événements (liens entre les motifs) :


une macrostructure picturale et macrostructure
musicale comparable
L’analogie structurale de la microforme entre l’œuvre de Zichy et celle
de Liszt est aisée, et ce, de prime abord. En effet, le dessin de l’artiste
hongrois se compose de trois parties clairement définies :
D’abord, la partie basse se compose de deux « scènes », séparées l’une
de l’autre par un ruban qui se déroule de haut en bas et qui porte le titre
du dessin « Du Berceau jusqu’au cercueil » :
1. À gauche de l’arabesque, une femme assise qui nous fait face tient
dans ses bras un nourrisson qu’elle semble bercer. Elle se penche légère-
ment au-dessus de lui. Le berceau, à sa droite, est donc vide.

1. Nous avons déjà dévié par rapport à la méthode de Panofsky dans certaines de nos
analyses précédentes en ne dissociant pas l’aspect « affectif » de la « signification expres-
sive », de la « signification de fait ». Nous conserverons d’ailleurs l’étude des caractères
mêlée à celle des thèmes et des motifs.
Neuvième chapitre 459

2. À droite du ruban, la douleur, le deuil sont représentés. La silhouette


d’un homme courbé, de dos, semble prier devant une couronne mortuaire
bien mise en évidence par la lumière dispensée par les cierges. D’autres
personnages debout, à droite, semblent chanter. Cette partie basse du
tableau symbolise le début et la fin de la vie terrestre « du berceau jusqu’au
cercueil ».
3. La partie supérieure est composée d’un unique personnage assis, vêtu
d’un long drapé, qui se tient la tête d’un air rêveur, le coude gauche plié sur
une pile de livres, tandis que la main droite tient une lyre. Six anges ailés,
vêtus également de longs drapés, forment un demi-cercle au-dessus de cet
énigmatique personnage. Les deux anges du fond donnent l’impression
de chanter.

Illustration n° 17 : M. Zichy « Du Berceau jusqu’au cercueil »


460 TROISIÈME PARTIE

De même, l’œuvre lisztienne se compose de trois épisodes différents :


1. La première pièce « Die Wiege » (« Le berceau ») se rapporte à la
partie inférieure gauche de la gravure de Zichy.
2. La seconde pièce, « Der Kampf um’s Dasein » (« La lutte pour l’exis-
tence ») est à mettre en parallèle avec la partie médiane du dessin de
Zichy, même si le sens donné par Liszt est apparemment différent
de celui du dessinateur. Nous reviendrons sur ce point.
3. La troisième pièce, « Zum Grabe : Die Wiege des zukünftigen
Lebens » (« De la tombe : le berceau de la vie future ») renvoie à la
partie inférieure droite du tableau.
Ainsi, d’un point de vue structurel, la composition tripartite musicale
renvoie à son modèle graphique initial.

B. Formes et Motifs

1. La scène du berceau / « Die Wiege »


Trois éléments composent la scène de gauche du dessin de Zichy :
1. Un personnage principal : une femme assise vêtue d’un long drapé à
l’antique, penchée sur un nourrisson qu’elle berce dans ses bras.
2. Le nouveau-né emmitouflé
3. Un berceau à gauche, légèrement en retrait des personnages.
Trois éléments motiviques principaux ainsi qu’un thème unique
composent la première pièce musicale de Liszt :
1. Le premier motto se compose de deux parties M1a et M1b. La
première est fondée sur un intervalle de tierce mineure :

>> Exemple n° 107 : F. Liszt, M1a de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.
1-3.

Elle est présentée à l’alto dans un tempo Andante, avec des valeurs
longues. Le même rythme et le même profil se retrouveront dans la seconde
partie :
Neuvième chapitre 461

>> Exemple n° 108 : F. Liszt, M1b de « Die Wiege », extrait de Von der
Wiege bis zum Grabe, mes. 5-7.

Cependant, c’est ici l’intervalle final de quarte juste qui retient l’atten-
tion de l’auditeur.
2. Le second motto est joué par les violons en tierces superposées :

>> Exemple n° 109 : F. Liszt, M2, extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 3-4.

Il se caractérise par sa broderie mélodique à la seconde majeure


inférieure.
3. Le dernier motto se détermine par ses valeurs rythmiques régulières
en blanches et ses appoggiatures :

>> Exemple n° 110 : F. Liszt, M3 de « Die Wiege », extrait de Von der


Wiege bis zum Grabe, mes. 9-12.

4. Le thème se définit grâce à une mélodie aux violons, accompagnée


d’un ostinato rythmique à l’alto :
462 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 111 : F. Liszt, Thème A de « Die Wiege », extrait de Von


der Wiege bis zum Grabe, mes. 17-31.

Ce thème se compose, comme le premier motto, de deux parties. Le


profil ascendant de la première (notée A1) s’oppose au profil descendant
de la seconde (A2).
De tempo lent, le thème et l’ensemble des motifs sont joués dans le
medium et dans l’aigu. Dotés de valeurs rythmiques longues au caractère
indiqué « dolce », ils contribuent à donner une atmosphère paisible qui
correspond bien à celle du dessin de Zichy : la douceur de la scène du
berceau.

2. La scène d’en haut/« Der Kampf um’s dasein »

La scène supérieure du dessin de Zichy se caractérise par son calme


apparent. Un personnage est assis, accoudé sur une pile de livres, la tête
délicatement soutenue par la main gauche. De l’autre main, il tient une
lyre. Contrairement aux personnages d’en bas, il lève la tête, le regard
songeur en direction du ciel. Notons que Pierre-Antoine Huré et Claude
Knepper voient ici un homme. Ses longs cheveux, ses bras minces, sa
poitrine légèrement saillante, son cou gracieux… laissent à penser qu’il
s’agit plutôt d’une femme, et ce, malgré un visage asexué, à l’instar de ceux
des anges qui l’entourent.
Neuvième chapitre 463

Liszt emploie deux thèmes tout au long de sa seconde pièce « Der


Kampf um’s Dasein ».
Le premier thème se caractérise par son expression martiale, violente. Les
intervalles de son motif initial sont plutôt disjoints. L’ensemble dessine un
profil ascendant marqué. Présenté d’abord aux cordes à l’unisson (mes.129
et suiv.) dans une tonalité difficile à identifier, il se propage ensuite aux
bois et aux cors, offrant des successions de septièmes diminuées, mes. 141,
pour arriver en réb Majeur.

>> Exemple n° 112 : F. Liszt, Thème B de « Der Kampf um’s Dasein »,


extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.129 et
suiv.

Le second thème présenté sur une pédale de dominante en ré b Majeur


s’oppose au premier par son caractère doux, nobilmente cantando et ses
intervalles conjoints :
464 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 113 : F. Liszt, Thème C de « Der Kampf um’s Dasein »,


extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 149 et
suiv.

De plus, son rythme régulier paraît lent : la pulsation est ici perçue à la
mesure donc à la ronde, tandis que le thème initial donne une impression
de rapidité à cause de la pulsation ressentie à la blanche.
Ces thèmes s’opposent, se superposent, s’affrontent jusqu’à la victoire
finale du premier.
Contrairement à la scène du tableau de Zichy, l’atmosphère est ici
animée et violente. Il semble donc que la correspondance entre l’œuvre
musicale et son modèle graphique soit structurelle mais en aucun cas
sémantique. Nous reviendrons sur ce point très important par la suite.
Neuvième chapitre 465

3. La scène d’en bas, à droite –


« Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens »
Dans le tableau de Zichy, la partie en bas à droite représente une scène
de deuil. Des personnages se recueillent autour d’une couronne mortuaire,
seul élément baigné de lumière.
La troisième et ultime pièce du dernier poème symphonique de Liszt
se fonde sur un rappel de tous les thèmes entendus, dans une atmosphère
sombre qui ne s’éclaire qu’à la fin. Un seul élément apparemment nouveau
intervient à la mesure 410 :

>> Exemple n° 114 : F. Liszt, « Choral » de « Zum Grabe : die Wiege des
zukünftigen Lebens », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 410-417.
466 TROISIÈME PARTIE

Il s’agit d’une mélodie proche d’un choral, en blanches régulières, dans


une harmonisation simple.

C. Clair – obscur/diatonisme – chromatisme


Avant de commencer, nous tenons à préciser une idée de Jean-Marie
Floch. Pour lui, le clair-obscur n’est pas « une unité du seul plan de l’ex-
pression : il conjoint un contraste de valeurs avec une organisation de l’espace
représenté fondée sur l’opposition, sémantique, de la lumière et de l’ombre.
C’est pourquoi il convient de distinguer d’une part le clair/obscur et, d’autre
part, le contraste clair/sombre qui, lui, n’est pas lié par sa définition à un usage
historique. »1 Nous allons donc ici nous référer au clair-obscur et non au
contraste clair-sombre.
D’un point de vue global, le dessin à l’encre de Zichy oppose la lumino-
sité de la partie supérieure à l’obscurité plus affirmée de la partie inférieure.
Cette partie inférieure est elle-même fondée sur le clair-obscur. Les deux
scènes qui la composent offrent un contraste entre le clair du bercement
de l’enfant et le foncé de la scène du deuil. Ce procédé de clair-obscur se
retrouve dans chaque scène elle-même :
La jeune maman tenant son enfant ressort clairement sur un fond
sombre. La technique utilisée rappelle celle de l’émergence – du moins
pour la tête – technique abondamment employée par Le Caravage – par
exemple – au début de l’âge baroque. La lumière qui constitue une partie
essentielle de cette scène apparaît cependant beaucoup moins intense au
spectateur que celle de la scène de deuil qui lui est juxtaposée.
En effet, les silhouettes très sombres des personnages se recueillant,
l’une debout, l’autre agenouillée, se détachent devant la clarté du cercueil
sur lequel est posée une couronne. La lumière vient d’un cierge placé à
gauche du personnage debout qui en cache la flamme. L’effet dû à l’inten-
sité de ce clair-obscur est ici saisissant.
Liszt, lui, joue sur l’effet d’éclairage auditif principalement grâce à
l’utilisation du diatonisme après une période chromatique.
Ainsi, dans la première pièce, « die Wiege », la première partie du
thème, diatonique, s’oppose à la seconde où la ligne mélodique descen-
dante du premier violon est composée de chromatismes, auxquels s’ajou-
tent des couleurs de chromatismes retournés :

1. Jean-Marie Floch, Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, p. 24.


Neuvième chapitre 467

>> Exemple n° 115 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 25-31.

Le passage entre les deux membres de phrase se fait en douceur, comme


celui des parties éclairées et sombres de la scène inférieure gauche du dessin.
D’ailleurs, le chromatisme sert également de base dans l’harmonisation de
l’amplification de A2, donc de A2’. En effet, trois paliers de marche chro-
matique se succèdent, de la mesure 63 à la mesure 73 :

>> Exemple n° 116 : F. Liszt, résumé harmonique de « Die Wiege »,


extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 63-73.

Liszt alterne ici les accords de septième et quinte diminuée avec des
accords de septième de dominante (de nature « dominante », mais pas
de fonction1) en passant par un intermédiaire, apparenté à un accord
« broderie ». Là encore, le chromatisme s’oppose au diatonisme de la
première partie du thème et ce, de manière encore plus affirmée que dans
la première présentation du thème.
Dans la troisième pièce « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », le chromatisme est également très présent. En effet, il conta-
mine la première partie du thème A dans une présentation dolente au cor

1. Aussi avons-nous évité le traditionnel chiffrage qui implique une fonction de domi-
nante.
468 TROISIÈME PARTIE

anglais et rinforz. espressivo dolente assai au premier violon, dans un tempo


Moderato quasi Andante :

>> Exemple n° 117 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 313-319.

Toute cette séquence, fondée sur le premier thème de l’œuvre, inter-


vient juste après la partie caractérisée par le triton, intervalle présenté
dans le registre grave des bois et aux cordes graves. Cet ensemble donne
un caractère sombre au début de la troisième pièce. Il appartiendrait à
l’isotopie sémantique de « l’interrogation macabre, de la quête lugubre », si
l’on se réfère aux travaux de Márta Grabócz.1 Il correspond, bien évidem-
ment, à l’illustration de la première partie du titre donné par Liszt « de
la Tombe » et donc aux silhouettes sombres de l’image inférieure droite

1. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt. Influence du programme
sur l’évolution des formes instrumentales, p. 121.
Neuvième chapitre 469

de Zichy. En revanche, dès la mesure 346, l’atmosphère se transforme


radicalement : le chromatisme disparaît pour laisser place au diatonisme de
tonalités bien affichées (de ré b Majeur au début à si Majeur, mes. 426),
et ce, dolce, sempre legato ou encore dolce cantando… avant d’arriver mf
espress. mes. 426. Ce moment est particulier, car si la thématique B ressort
nettement à la trompette, sur une pédale de tonique, si, elle n’en est pas
moins accompagnée d’une ligne mélodique descendante chromatique :

>> Exemple n° 118 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 426-430.

Cette courte phrase musicale fait ici office de suspension – réminiscence


esquissée du combat intérieur précédent – de même que les répétitions de
470 TROISIÈME PARTIE

M2 qui suivent, juste avant l’affirmation du thème A en do# Majeur mes.


442. Ce thème termine ainsi l’œuvre, avant que les principaux motifs ne
reviennent dans l’aigu au violoncelle, P dolciss. puis perdendo. L’éclairage
de la couronne mortuaire de Zichy trouve ainsi son équivalent musical, de
même que la seconde partie du titre lisztien : «… berceau de la vie future »…

II. Signification « secondaire »


ou « conventionnelle »

Panofsky définit cette seconde étape comme la « phase d’analyse icono-


graphique. » 1 Il précise ensuite son idée en évoquant les images, histoires
et allégories. Nous verrons ici comment se retrouvent les « images » dans
le sens panofskyen du terme. En revanche, comme dans Sposalizio, nous
n’avons pas trouvé d’élément renvoyant aux allégories. D’ailleurs, ici,
même les « histoires » n’auront pas d’équivalent musical. En effet, il n’y a
pas vraiment de personnage considéré comme historique représenté dans
le dessin.

A. Images
Comme nous l’avons déjà mentionné, nous associerons les « images »
aux « symboles » et, contrairement à Panofsky, abandonnerons l’idée
de « personnifications » que nous mettons en relation avec les « allégo-
ries ». Par ailleurs, précisons à nouveau qu’en musique, l’« image » et le
« symbole » ne sont pas matériellement, empiriquement représentés et
ce, même si le thème ou le motif s’appuie sur une signification d’essence
empirique. Aussi, dans le cadre d’une comparaison entre les arts visuels et
la musique, seules seront retenues les références musicales qui renvoient à
des objets porteurs d’idées symboliques, donc à des éléments représentés
visuellement dans le tableau.

1. Image sonore des instruments représentés graphiquement

Dans la première pièce « die Wiege » [de son poème symphonique Von
der Wiege bis zum Grabe] Liszt utilise un petit effectif instrumental :

1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
p. 19.
Neuvième chapitre 471

I. Deux flûtes
II. Une harpe
III. Deux violons
IV. Un alto
De prime abord, il paraît probable que le compositeur ait employé ces
instruments pour leurs timbres et leurs sonorités douces, contribuant ainsi
à instaurer l’atmosphère paisible requise en présence d’un nouveau-né.
Cependant, lorsque nous observons le dessin de Zichy, nous nous aper-
cevons que Liszt n’a pas seulement voulu traduire le caractère de la scène
en bas à gauche du tableau, mais qu’il a sans doute voulu illustrer musica-
lement… les instruments représentés dans la scène supérieure. En effet, la
lyre implique au xixe siècle une « traduction » simple par l’utilisation de la
harpe. D’ailleurs, Liszt l’avait déjà employée à cet effet dans Orpheus. De
même, l’instrument représenté aux pieds du personnage central trouve sa
correspondance chez Liszt avec l’emploi des instruments à cordes : l’alto et
les deux violons :

Illustration n° 18 : M. Zichy « Du Berceau jusqu’au cercueil », détail.


472 TROISIÈME PARTIE

Reste à se demander pourquoi Liszt a écrit une partie de flûte, instru-


ment absent de la scène centrale. L’explication la plus convaincante – bien
que contestable, certes – prend sa source dans la présence des anges chan-
teurs. En effet, dans un poème symphonique, il n’est pas d’usage d’em-
ployer les voix. Il faut donc trouver un instrument au timbre aigu pour
renvoyer aux chanteurs célestes. Or ici, Liszt ne peut traduire le chant des
anges par le violon, les cordes illustrant déjà un instrument présent dans le
tableau. La même remarque peut être émise au sujet de la harpe. Dans les
cuivres, la trompette est trop connotée religieusement, car elle renvoie à
l’apocalypse. Son utilisation pour illustrer musicalement le chant des anges
est donc proscrite. Enfin, les instruments à percussion n’ont pas, à l’époque
de Liszt, pris suffisamment d’autonomie pour remplir cette fonction.1 Il ne
reste donc au compositeur que le choix de l’instrument au timbre aigu
des bois, donc les flûtes, pour « musicaliser » le chant des anges. Berlioz
ne reconnaissait-il pas « en elle une expression qui lui est propre, et une apti-
tude à rendre certains sentiments qu’aucun autre instrument ne pourrait lui
disputer »2 ?
D’ailleurs, Liszt écrit deux parties de flûte tandis que seuls deux anges
semblent chanter, au fond, les bras tendus vers le ciel. La seconde exposi-
tion du thème A – variée ici tant du point de vue de l’orchestration que
d’un point de vue intervallique – avec son caractère dolce et son registre
aigu et suraigu donne une atmosphère angélique à ce passage :

1. Un célesta par exemple, aurait été tout à fait approprié.


2. Hector Berlioz, Traité d’Instrumentation et d’Orchestration, p. 153.
Neuvième chapitre 473

>> Exemple n° 119 : F. Liszt, Thème A’de « Die Wiege », extrait de Von
der Wiege bis zum Grabe, mes. 51-58.

Pour le reste, les arpèges des flûtes et les accords arpégés de la harpe
accentuent la douceur ainsi que l’impression céleste du moment.
Liszt adapte, apparemment, le tableau de Zichy à ses propres besoins.
Il y a donc ici un glissement de sens par rapport à une traduction littérale
qui impliquerait que cette formation soit utilisée non pas dans la première,
mais dans la seconde pièce musicale. Or le titre lisztien définit un combat,
une lutte et de ce fait implique la présence d’autres instruments, à la tessi-
ture grave, au timbre plus âpre, à la sonorité plus tonitruante. Le choix du
compositeur s’explique donc, de ce fait.

2. Image du « berceau » à la « berceuse »


ou de la « berceuse » au « berceau » ?

Dans le premier mouvement « Die Wiege », le rythme lent et régulier


de l’accompagnement du thème A renvoie à la scène du dessin où l’enfant
est bercé par sa mère. L’ostinato rythmique de l’alto illustre bien le mouve-
ment du bercement :
474 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 120 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 17 – 25.

Ce rythme était en germe dès les premières mesures de l’œuvre, toujours


à l’alto, mais en augmentation par rapport à sa présentation, mesure 17,
comme l’a fait très justement remarquer Jürgen Schläder1 :

>> Exemple n° 121 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 1-8.

Notons d’ailleurs que la mélodie initiale de M1a est également reprise


dans le début de l’accompagnement toujours à l’alto, avec son balance-
ment caractéristique de tierces brisées. Ensuite, l’évolution harmonique du
morceau implique que seul le profil est conservé.
Il faut noter que, dans la plupart des cas, la mélodie et le rythme des
berceuses sont volontairement dépouillés, sobres. De nombreux composi-
teurs ont laissé de petites pièces de ce genre, comme Brahms, Schumann,
plus tard Fauré, Ravel… Liszt lui-même a transmis à la postérité plusieurs

1. Jürgen Schläder, « Der schöne Traum vom Ideal. Die künstlerische Konzeption in
Franz Liszt letzter symphonischer Dichtung », op. cit., p. 47-62.
Neuvième chapitre 475

berceuses. La plus connue est sans doute celle de Brahms, un « Lied » à


l’origine, dont nous donnons ici l’entrée de la voix de la mesure 3 :

>> Exemple n° 122 : Johannes Brahms, « Wiegenlied », op. 49, n° 4, mes.
3-6 (éd. Dover).

Là encore, la sobriété de la ligne mélodique est due à l’emploi d’inter-


valles de faible ambitus et à des rythmes simples : noires, croches, noires
pointées.
Dans le premier mouvement de Von der Wiege bis zum Grabe, le thème
A, recèle, outre l’aspect répétitif de son accompagnement, tous les ingré-
dients d’une berceuse grâce à son tempo lent, à la simplicité redondante
de sa ligne mélodique de faible ambitus, au timbre doux, de caractère dolce
des cordes avec la sourdine. Notons également la douceur émanant des
tierces simultanées jouées aux violons. Anne Bongrain analyse le premier
thème de « Die Wiege » de manière très détaillée et montre comment Liszt
a mis en scène une atmosphère particulièrement tranquille et sereine :
– grâce à la recherche d’une certaine discrétion sonore, aussi bien dans la
dynamique utilisant les seules nuances « piano » et « pianissimo », ou
dans l’orchestre miniature1, réduit ici aux premiers et seconds violons, et
aux altos (accompagnés de temps en temps par deux flûtes et une harpe),
que dans la tessiture, qui omet complètement les graves, mais aussi dans
la « maigre » harmonisation plus suggérée que réellement présente, ou
dans le choix mélodique de petits intervalles diatoniques comme la
seconde et la tierce. […]

1. Liszt a d’ailleurs déjà donné une impression de musique de chambre dans l’utilisation
de l’orchestre dans les introductions de ses oratorios La Légende de Sainte Élisabeth et
Christus (note personnelle).
476 TROISIÈME PARTIE

– grâce à l’absence de précipitation rythmique (choix des valeurs « lentes »


ou « modérées » comme la ronde, la blanche, qui est l’unité de temps, et
la noire).
– et à cause de l’utilisation presque systématique du principe répétitif
provoquant par exemple un effet « ronronnant » et très agréable dans
la mélodie, principe qui ôte tout effet de surprise et toute réactivité à
l’auditeur […]
Si on ajoute à cette discrétion sonore, cette tranquillité, ce confort d’écoute
et ce doux balancement, le caractère simple et très chantant de la mélodie, et
le charme un peu suave des quelques notes mélodiques altérées ; tout est réuni
pour assimiler ce thème A à une émouvante berceuse, à un « Wiegenlied ». Et
avec un tel chant, on ne peut qu’approuver le titre « Die Wiege », en ce qu’il
suggère lui aussi l’atmosphère calme, paisible et attendrissante que concrétise le
sommeil de l’enfant.1

3. Image de la mort et du deuil / Emploi du triton


dans les première et troisième pièces

Dans le dessin de Zichy, la partie inférieure droite met en scène des


personnages se recueillant devant une couronne mortuaire. Comme
nous l’avons déjà mentionné, les silhouettes sombres favorisent le registre
tragique. La mort est en effet le principal protagoniste.
Liszt fait débuter la dernière pièce de son treizième poème sympho-
nique par deux courtes phrases ; tout d’abord les clarinettes, ensuite les
bassons font retentir l’intervalle connoté de triton, suivant l’indication
dolente, dans une nuance ff puis f. Cet intervalle mélodique est présenté
sous la forme d’une quarte augmentée – aux clarinettes – puis de son
renversement, donc d’une quinte diminuée aux bassons. L’enchaînement
de ces deux courtes phrases rappelle le début des entrées de fugue, avec le
sujet et sa réponse. Mais la référence à la fugue s’arrête là. En effet, il n’y a
ni contre-sujet, ni contre-réponse…
Les bassons répètent ensuite la phrase initiale des clarinettes, accompa-
gnés cette fois des cordes graves :

1. Anne Bongrain, op. cit., p. 139.


Neuvième chapitre 477

>> Exemple n° 123 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des Zukünftigen
Lebens » extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 282-295.

Liszt a illustré ici par le biais du triton, à la fois l’image de Zichy et la


première partie du titre qu’il a donné à son troisième mouvement : « de la
tombe… ». En effet, c’est bien de la « tombe » dont il s’agit et de la mort,
ici symbolisée par la marque du triton.
Mais si, dans ce cas, l’emprunt du triton est évident, il faut pourtant
s’interroger sur le sens de sa présence dans la première pièce « Die Wiege ».
En effet, Liszt a employé le triton dans l’accompagnement de son thème A
dès sa première présentation, à l’alto :
478 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 124 : F. Liszt, « die Wiege » extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 25-31.

Il jongle ainsi entre l’intervalle de quinte diminuée : si-fa et celui de


quinte juste : si-fa#. Cette alternance se retrouve d’ailleurs aux mesures
33-35. Elle sera de nouveau présente dans la seconde présentation du
thème, aux mesures 63-65.
Pourquoi Liszt a-t-il ressenti le besoin de faire sonner le triton au début
de sa pièce « le berceau » ?
L’image de Zichy représentant le « berceau », en bas à gauche, n’en
donne aucun indice. En effet, la jeune femme berce tranquillement son
enfant, et la mort est vraiment très loin de cette paisible scène. La raison
est donc à chercher ailleurs.
Dans l’imagerie musicale courante, le triton symbolise soit la mort, soit
le diable. Dans le cas du dernier poème symphonique lisztien, il semble
que la référence au diable en tant que tel soit à écarter. Encore que…
Liszt a vraisemblablement marqué du sceau du triton sa berceuse comme
l’enfant est marqué par le péché originel (donc par le sceau du démon), et
de ce fait, doit mourir. Le « berceau » renvoie ainsi à la dernière scène, « la
tombe », et ce, par essence. Le compositeur met ainsi en place une sorte de
symétrie sémantique :
Le « berceau » est aussi bien le berceau de la vie – terrestre – que celui
de la mort.
La « tombe » est qualifiée elle-même par Liszt de « berceau de la vie
future » et renvoie donc à la vie éternelle.
Le triton sert donc de tremplin à un commentaire musical polyséman-
tique d’une représentation visuelle très riche où berceau et mort sont inti-
mement, intrinsèquement liés…
Neuvième chapitre 479

III. Signification intrinsèque, ou contenu :


une symbolique différente – d’un hommage
individuel à un message universel religieux

Nous allons donc tenter de déceler ici le contenu de l’œuvre lisztienne


en nous référant à son modèle visuel.
L’image de Zichy représentant le bercement d’un enfant par sa mère,
en bas à gauche dans le dessin, prend un sens beaucoup plus fort grâce
aux deux autres scènes de la composition. En effet, sans ces dernières, la
femme berçant l’enfant aurait été certes une jolie réalisation graphique,
mais d’une portée sémantique très – voire trop – simple. Aussi Zichy a-t-il
amplifié cette portée signifiante en l’incluant dans une construction tripar-
tite. La scène de droite est assez éloquente : il s’agit du deuil causé par la
perte d’un être cher. L’inscription en caractères majuscules « Du Berceau
jusqu’au Cercueil » nous amène à penser qu’il s’agit de l’enfant bercé qui a
grandi puis qui est mort. La figure centrale surélevée est, elle, plus difficile
à identifier : Le vêtement à l’Antique, la lyre, le violon, les livres sur lesquels
repose le coude gauche de cette femme assise, la partition enroulée à ses
pieds, sont autant d’éléments qui définissent une allégorie avec ses attri-
buts. Mais laquelle ? Le personnage est assis, et six anges évoluent au-dessus
de lui dans une lumière surnaturelle. La harpe semble être son attribut
ainsi que les livres sur lesquels repose son coude. De plus, sa ressemblance
avec Liszt jeune ne peut que retenir l’attention. Il est donc fort probable
que Zichy ait voulu représenter l’allégorie1 de l’Art, de la Culture ou de
l’Artiste. Le dessin étant dédié à Liszt, le message serait donc d’autant plus
clair : art, culture et artiste sont donc les médiateurs entre l’Homme et
Dieu, et ce, du berceau jusqu’au Cercueil.
Liszt ne s’y est pas trompé quand il écrit le samedi 11 juin 81 à sa
compagne, la Princesse Sayn Wittgenstein :
Peut-être avez-vous lu dans quelque journal que Michel Zichy2 […] m’a fait
don d’un beau dessin représentant la musique, entourée de plusieurs figures d’anges.
Pour lui, l’allégorie est donc celle de la musique. Par ailleurs, Keith T. John
nous apprend qu’il existe plusieurs œuvres de Zichy portant le nom « Du
berceau au cercueil ». Il écrit :

1. Si nous déterminons ici une allégorie, nous n’avons cependant pas trouvé sa corres-
pondance musicale dans l’œuvre de Liszt.
2. Ungarischer Historienmaler (geb.1827) [note de la Mara].
480 TROISIÈME PARTIE

Il y a deux œuvres d’art de Zichy appelées Du Berceau au cercueil. La


première est une série de dessins représentant la place de la musique dans la
société, et ce, du berceau à la tombe. On suppose que Zichy a fait ces dessins
pour Liszt (le prêtre dans l’illustration intitulée Saumes et le chef d’orchestre
dans le dessin appelé Oratorium, ressemblent vraiment à Liszt âgé.) Mais
cependant, il n’y a aucune preuve que Liszt ait vu ces dessins.1
La seconde œuvre offerte à Liszt a probablement le même sens que la
première. L’hommage au musicien est donc ici explicite et profond : c’est
la reconnaissance d’un artiste par un autre artiste.
Cependant, le titre donné par Zichy « du Berceau jusqu’au Cercueil »
implique une évolution, et peut-être l’évolution d’un même individu.
Liszt transpose cette évolution par la variation de thèmes issus des mêmes
motifs, et ce, tout au long de son œuvre. Nous tenons à préciser que ce
procédé compositionnel n’est pas nouveau chez lui ; mais il prend ici une
ampleur significative plus grande par sa similitude avec la construction de
l’œuvre graphique.
Ainsi, dans le premier mouvement, « Die Wiege », il emploie de manière
récurrente les mêmes intervalles, tous présents dès l’introduction :
La tierce caractérise M1a et la tête de M1b. Elle termine, mais en descen-
dant, M3. C’est aussi l’élément essentiel du balancement M1a’(ostinato
rythmique caractéristique du balancement), ce qui n’est pas étonnant,
puisque ce motif est le même que M1a ; de plus, le rythme est celui de M1a
en diminution par rapport à sa première présentation.
La seconde majeure et plus précisément la broderie est le second maté-
riau de base : elle caractérise M2, mes. 3-4. C’est aussi le fondement de la
première incise du thème A1. Les broderies sont le matériau essentiel de la
transition, mes. 42 et suivantes ; contrairement à A1, ce sont des broderies
supérieures et non inférieures. Le rythme du thème est, lui, totalement
conservé. Cependant, les broderies de A1 sont transformées en tierces lors
de sa reprise variée, mes. 51, au premier violon.

1. Keith T. John, « Von der Wiege bis zum Grabe », op. cit., p. 70.
Neuvième chapitre 481

>> Exemple n° 125 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 51-58.

Elles renvoient ici à M1, tant par le balancement que par l’intervalle.
Les broderies se retrouvent présentées comme dans A1 mesure 77, au
second violon et en mouvement contraire à l’alto. De même, elles seront
l’élément principal de la fin du premier mouvement.
I. La quarte juste est le troisième élément mélodique important de l’in-
troduction ; elle termine M1b, contribuant à renforcer l’ambiguïté tonale
perçue par l’auditeur. Elle commence – exception faite du sol# appog-
giature – M3, qui est donc fondé sur les mêmes intervalles que M1b,
mais dans le sens contraire. Toujours issue de ce motif, la seconde incise
de A1 est fondée sur un ambitus de quarte, intervalle caractéristique de
M1b. Cependant, M1b contient également, comme nous l’avons déjà
mentionné, des appoggiatures, qui, mélodiquement, peuvent engendrer
des chromatismes retournés (sol#-la-sol bécarre) et ainsi avoir une parenté
avec la deuxième partie du thème c’est-à-dire A2. Il n’est donc pas surpre-
nant que Liszt termine son mouvement sur ce motif (M1b), en lui ajoutant
une dernière courte broderie, intervalle caractéristique de M2 : il réalise
ainsi la synthèse mélodique de tous les principaux éléments intervalliques
utilisés.
482 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 126 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 122-fin.

Par ailleurs, si la première pièce de Von der Wiege bis zum Grabe est
entièrement fondée sur les mêmes intervalles et les mêmes motifs, il en est
de même pour les deux autres mouvements.
Les deux thèmes « Der Kampf um’s Dasein » se réfèrent respective-
ment à M1 et à M2. Ainsi, le thème B offre au début de l’œuvre le même
profil que M1a. (mes.1-2). Puis il renvoie à M2 pour la broderie et M1a
pour le saut de tierce (mes. 141-142). D’ailleurs, lorsqu’il sera superposé
à C, le second thème de ce mouvement, il sera entièrement composé de
tierces (mes. 168 et suivantes). Quant à la première présentation de C, elle
évoque sans conteste M2, tant par les broderies mélodiques que par les
tierces superposées :
Neuvième chapitre 483

>> Exemple n° 127 : F. Liszt, « Der Kampf um’s Dasein », extrait de Von
der Wiege bis zum Grabe (mes. 149-155).

Tout le mouvement est bâti sur une confrontation de ces deux thèmes
avant de terminer sur une courte coda, aux timbales, elle-même formée de
tierces, renvoyant encore directement à M1 :
484 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 128 : F. Liszt, Coda de « Der Kampf um’s Dasein », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 269-fin.
Neuvième chapitre 485

Le troisième mouvement reprend tous les motifs et les thèmes précé-


demment évoqués :
Dès le début, M2 est l’élément motivique principal : il est fondé sur
le rythme pointé du début dans sa première présentation dolente (mes.
282-286) aux clarinettes. Viennent ensuite les bassons, d’abord seuls puis
accompagnés par les cordes graves, jouant deux motifs de même profil que
le premier contenant également l’intervalle de triton. M2 ressort ensuite
en valeurs longues, aux bassons accompagnés toujours par les violoncelles
et les contrebasses, mes. 300. Les instruments jouent toujours à l’unisson.
L’écriture est trompeuse : ré#-fa-ré#, mais on entend bien une broderie au
ton supérieur. Puis c’est une broderie au demi-ton supérieur aux mêmes
instruments : sol#-la-sol# ; ces deux présentations en valeurs longues
seront ensuite répétées mais à la clarinette accompagnée par les altos et
les violoncelles. M2 servira ensuite de conduit, comme à la mesure 366
aux clarinettes, ou encore mes. 405-407, avant le choral. De même, le
pont en noires entrecoupées de silences mes. 430 est également fondé sur
la broderie caractéristique de M2. C’est d’ailleurs sur une broderie que se
termine ce dernier mouvement, et donc le poème symphonique entier.
Mais comme dans le second mouvement, c’est surtout dans le thème C en
do Majeur mes. 378-404, que M2 s’épanouit :

>> Exemple n° 129 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des Zukünftigen
Lebens » extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 378-384.
486 TROISIÈME PARTIE

Le motif M1a est le plus étendu dans une présentation variée du thème
A1. Cette fois, il appartient au registre des thèmes « macabres » – si l’on
se réfère à l’appellation de Márta Grabócz – par l’indication dolente, et par
l’adjonction de chromatismes descendants. (cf. mes. 313 et suiv.) La tierce
ascendante du motif est bien mise en valeur. De même, on retrouve ce
début de thème à la mesure 347 aux violons II et altos :

>> Exemple n° 130 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes.347-350.

L’intervalle est ici présent dans le sens ascendant à l’alto, et descendant


au violon II. Le contrechant thématique des hautbois et des flûtes en réb
majeur renvoie, de manière plus développée, à la mesure 77 du premier
mouvement. Si les bois prédominent, le thème A1 est tout de même
présent aux cordes, laissant entendre la tierce caractéristique de M1a. Cet
intervalle détermine également la mélodie des cors, mes. 418-425, mais en
descendant cette fois, pour revenir sur la note initiale :
Neuvième chapitre 487

>> Exemple n° 131 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes.418-425.

Il est possible de rapprocher ce mouvement mélodique de celui de M2.


Ici, la broderie serait à la tierce. De plus, le rythme employé se rapproche
de celui du thème B. Il y a donc ici fusion de plusieurs éléments mélodico-
motiviques. La dernière partie de l’œuvre s’appuie sur M1, dans ses deux
présentations a et b. D’ailleurs, le thème B du second mouvement, fondé
sur M1, retentit en si Majeur à la trompette mes. 426, juste avant un effet
de tuilage de M1 en do# Majeur (mes.442).
I. Quant au motif M3, on retrouve ses caractéristiques intervalliques :
la quarte ascendante, la seconde puis la tierce descendantes sans les appog-
giatures, dans le passage aux cordes aiguës en écriture canonique mes. 367
et suivantes, c’est-à-dire avant l’entrée du thème C en do Majeur :
488 TROISIÈME PARTIE

>> Exemple n° 132 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 367-372.

Ainsi le matériau employé par Liszt est-il omniprésent dans les trois
mouvements. Le compositeur a travaillé musicalement ses motifs afin
d’élaborer une composition très originale. Aussi sommes-nous en total
désaccord avec les commentateurs qui évincent cette facette, voire qui la
nient, comme Antoine Huré et Claude Knepper qui écrivent :
Ainsi les trois phases de la vie s’enchaînent-elles dans cette œuvre sans lien
organique ni continuité ; aucune d’entre elles (aucun des mouvements) n’est
structurée autour d’une tonalité ni d’une thématique véritable ; des fragments
de motifs sans personnalité ni développement se succèdent et s’anéantissent :
le Combat pour la vie meurt sur un glas funèbre ; le Berceau et l’ascension
finale, sur la nuance perdendo.1
Liszt ne souhaitait pas vraiment développer ces motifs, comme il l’écrit
à la Princesse Sayn-Wittgenstein dans une lettre de Magdebourg datée du
samedi 11 juin 81 :
Les motifs [ceux de Von der Wiege…] ne m’en déplaisent point – je
les développerai peut-être en écrivant la partition, malgré mon antipathie
croissante contre les obésités polyphones, auxquelles ma maigreur ne s’adapte
guère.2
Cependant, nous pouvons constater que ces motifs et [non ces « bribes
de motifs »] se transforment tout au long de l’œuvre, selon des « liens orga-
niques » évidents, comme nous l’avons démontré.

1. Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, Franz Liszt, Correspondance, (Choisie,


présentée et annotée par) p. 48.
2. La Mara (éd.), lettre 321 datée du samedi 11 juin 1881, Magdebourg, op. cit.,
p. 320-321.
Neuvième chapitre 489

L’évolution de ce même matériau chez Liszt correspond peut-être


à l’évolution du même individu chez Zichy – ce que Huré et Knepper
nomment à juste titre « les trois phases de la vie » – et ce… du berceau
jusqu’à la tombe. Dans le dessin, la clarté dans laquelle ressort l’allégorie
tranche avec la pénombre où l’on discerne les instruments de musique aux
pieds du personnage. Cela pourrait effectivement être une Allégorie de la
Vie.
Il semble donc que la composition de Zichy renvoie, pour Liszt, aux
trois âges de la vie terrestre d’un même individu.
D’ailleurs, un autre élément conforte cette hypothèse. Liszt a donné des
titres aux trois mouvements qui composent son dernier poème sympho-
nique. Les deux derniers comportent deux termes très proches : « Dasein »
(existence) et « Leben » (Vie). Or Liszt est catholique. La « vie » signifie
donc pour lui la vie éternelle,1 c’est-à-dire la vie après la mort, tandis que
« l’existence » renvoie à la vie terrestre. Le « Combat pour l’existence »
est par conséquent un conflit qui, pour Liszt, peut opposer les contin-
gences matérielles aux aspirations plus spirituelles. N’oublions pas que le
compositeur a modifié son premier titre : de « Der Kampf um’s Leben »,
il écrit « der Kampf um’s Dasein ». Contrairement à Patrick Otto2, nous
ne pensons pas que le titre initial était « plus prosaïque » que le second ; au
contraire, « Leben » tend davantage vers une spiritualité affirmée. Ce terme
a, par conséquent, une portée plus forte, d’un point de vue religieux que
« Dasein ». D’ailleurs, deux mots3 composent « Dasein » : « Da » (« ici »)
et « Sein » (être »). Le fait « d’être là » implique une immobilité, un aspect
contemplatif qui, d’une part, s’oppose à l’énergie latente de « Leben », et
d’autre part, traduit bien l’état physique du personnage immobile dessiné
par Zichy : le combat est tout intérieur, et ce combat est pour la « vie »
terrestre, s’opposant d’ailleurs aussi à la « Vie » (« Leben ») dont il est
question dans le dernier mouvement. Les difficultés matérielles font donc
partie intégrante des préoccupations de l’individu.
Le fait d’opposer dans le combat intérieur les éléments matériels aux
aspirations plus spirituelles serait d’ailleurs une lecture tout à fait possible

1. Nous avions déjà explicité cette idée chez Liszt dans notre article « Isoldens Liebestodt :
Mort… ou Transfiguration ? », Quaderni del Istituto Liszt n° 2, p. 39-44.
2. Patrick Otto, « Originalité du dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum
Grabe », op. cit., p. 116.
3. Nous tenons ici à remercier Cornelia Szabo-Knotik d’avoir attiré notre attention sur
ce point.
490 TROISIÈME PARTIE

du dessin, puisque la partie basse qui contient les pieds de l’individu assis
ne ressort que très peu, à cause d’une absence d’éclairage. En revanche, la
partie supérieure baigne d’une lumière surnaturelle qui descend du ciel
et irradie les anges ainsi que le haut du personnage. En ce sens, l’oppo-
sition entre la partie éclairée et la partie sombre justifie le titre de Liszt :
la personne si songeuse, de prime abord, peut effectivement être tiraillée
entre les éléments terrestres et les attirances divines. Cela engage chez lui
une lutte intérieure, que Liszt a qualifiée de « combat pour l’existence ».
Zichy a offert ce dessin à Liszt en témoignage de sa reconnaissance.
Reconnaissance d’un artiste à un autre artiste qu’il considérait comme le
médiateur entre Dieu et les hommes. L’allégorie centrale peut tout à fait se
lire dans ce sens. Liszt, lui, traduit le dessin comme l’évolution d’une vie
humaine, avec ses difficultés et ses combats pour accéder à la Vie éternelle.
D’un message personnel, le dessin prend ici un sens universel religieux.
Si la méthodologie panofskienne employée a permis de mettre en
parallèle les points de convergence entre l’œuvre graphique de Zichy et
l’œuvre musicale de Liszt, elle reste cependant relativement impuissante
pour révéler les spécificités musicales, en particulier la forme. La « forme
du contenu » comme dirait Dahlhaus est évidemment spécifique à l’œuvre
lisztienne, même si elle semble offrir des similitudes avec des éléments
de la construction graphique. C’est ce que nous allons essayer de préciser
maintenant.

IV. Cercles, forme en arche


et spécificités musicales formelles

Le dessin Du Berceau jusqu’au Cercueil de Zichy est principalement


construit sur la base de courbes et de cercles. Certes, les lignes de forces
montrent que l’œuvre est séparée en deux, tant verticalement qu’horizon-
talement. Mais les scènes inférieures sont incluses dans des arcs de cercles
qui englobent les formes et les silhouettes représentées.1
Quant à la scène supérieure, elle est entièrement contenue dans un
cercle qui passe en dessous des pieds du personnage assis et qui intègre
toutes les figures des anges. Bien sûr, ce n’est pas un cercle fermé, car une
percée conique vers le ciel supporte les rayons lumineux vers lesquels les
anges tendent les bras. Mais l’aspect circulaire ou, du moins elliptique, est

1. Voir l’illustration avec les lignes de forces.


Neuvième chapitre 491

prédominant et se retrouve dans la représentation de la lumière entou-


rant la tête du personnage assis. Il répond ainsi au cercle de la couronne
mortuaire, dans la scène inférieure droite.
Il serait envisageable, à première vue, de penser que Liszt a traduit les
courbes du dessin de Zichy par des courbes mélodiques. Mais si l’ana-
logie est séduisante, elle n’en est pas moins trompeuse et erronée. L’aspect
« circulaire » ne se retrouve pas en tant que tel dans l’œuvre musicale.
Un cercle étant, par définition, une figure géométrique qui revient sur
elle-même, l’élément présent chez Liszt est donc une sorte de forme « en
arche », c’est-à-dire une forme qui revient sur elle-même. Ainsi, dans la
macroforme de l’œuvre, le début de la première pièce trouve son écho dans
la fin de la dernière (voir les tableaux synoptiques). Patrick Otto nuance à
juste titre cette idée :

Illustration n° 19 : « Du Berceau jusqu’au cercueil »,


de M. Zichy, lignes de forces.

Dans son dernier poème symphonique conçu en trois mouvements, la


reprise de la thématique du premier mouvement, le Berceau, associée aux
492 TROISIÈME PARTIE

éléments propres à ce troisième mouvement, oriente l’allure globale de la pièce


vers une forme en arche, nuancée malgré tout par la présence d’éléments issus
du deuxième mouvement central et contrastant, la Lutte pour l’Existence.1
En effet, si le retour des thèmes et particulièrement celui du début dans
le troisième mouvement est à souligner, le point formel essentiel à retenir
réside dans le fait que les mouvements s’enchaînent selon l’évolution du
programme et non d’après un schéma structurel pré-établi.
Ainsi, le premier mouvement qui illustre « le berceau » est-il entiè-
rement conçu à partir d’un même thème issu de trois motifs de base2,
dans une atmosphère paisible. La tessiture aiguë, la simplicité rythmique,
la nuance piano recherchée aussi grâce à l’emploi des sourdines dans le
pupitre des cordes, le tempo Andante, l’orchestre miniature3, sont autant
d’éléments qui se retrouvent dans les deux présentations de ce thème
ainsi que la variante, mes. 77. La répétition du rythme du bercement ne
se retrouve pas dans la variante qui engendre au contraire une mélodie
nouvelle aux flûtes. Ce sont les seconds violons qui se voient confier la
première partie du thème. Celui-ci perd le premier rôle, grâce au contre-
chant des bois. En termes de structure, le premier mouvement pourrait
donc se résumer ainsi :
– introduction (sur les trois motifs) ;
– partie A (exposition du thème) ;
– partie A’(exposition du thème varié) ;
– partie A2 (variante de A avec contre-chant aux flûtes) ;
– coda ;
– le tout entrecoupé de transitions diverses.
Les caractères ne varient pas beaucoup dans l’ensemble, même si
l’orchestration de la partie A’puis de A2 donne un aspect beaucoup plus
céleste que la première présentation du thème, grâce à l’ajout des flûtes et
de la harpe. L’enveloppe formelle de ce premier mouvement pourrait être
ainsi schématisée : < >, soit crescendo decrescendo. En effet, l’aspect évanes-
cent des motifs initiaux se retrouve à la fin du mouvement, avec, entre ces
extrêmes, l’exposition variée et la variante de A.
Ce schéma pourrait d’ailleurs coïncider avec l’utilisation du matériau
harmonique. En effet, au départ, la tonalité de do majeur n’est pas clai-

1. Patrick Otto, op. cit., p. 118-119.


2. Voir le tableau schématique formel n° 1 de cette œuvre.
3. Avec seulement des cordes dans la première présentation du thème.
Neuvième chapitre 493

rement définie. Même si do est entendu comme une tonique, la tonalité


proprement dite de do majeur n’intervient que dans la première présen-
tation du thème, donc dans la partie A, suivie de chromatismes et d’une
période transitoire en mi majeur – et non en mi mineur comme l’affirme
Patrick Otto1 – qui aboutit sur un accord de do dans la partie A’. Mais il
y a là une ambiguïté : do est-il premier degré de do majeur ou sixième de
mi majeur ? La descente chromatique qui suit évolue différemment de la
première partie : amplifiée, elle aboutit à une marche chromatique ascen-
dante, avant que n’intervienne la variante de A en la bémol puis la majeur.
Cette variante engendre à son tour une amplification en fa# majeur – ou
du moins, VIe degré de la majeur – puis mi majeur (mes. 95), si majeur
(mes. 106). Le motif M3 est ensuite présenté en écriture canonique qui
aboutit à une courte élimination sur mi. C’est mi qui terminera la courte
coda, reposant, comme au début, une interrogation : mi est-il le IIIe degré
de do ou le fondement d’un accord mi-sol#-si ?
Les ambiguïtés harmoniques initiales et finales laissent cependant place
à des passages tonals plus affirmés. Mais, dans les deux cas – ambiguïté et
affirmation – la tierce joue un rôle capital. En effet, l’ambiguïté initiale se
situe entre do et sa relative la, tandis que mi remplace le la dans le dernier
questionnement, donc dans la dernière mesure. Nous retrouvons ces
mêmes pôles harmoniques – mais plus affirmés, cette fois, dans la première
présentation du thème (de do à mi majeur) puis dans la seconde (ambiguïté
du do : Ier degré en do majeur ou VIe de mi majeur ?). Cette couleur de do
arrive, dans la variante, en la bémol puis en la majeur. Seule l’élimination
progressive de la variante sera fondée sur le cycle de quintes traditionnel.
Rappelons que la tierce est l’élément de base des motifs et des thèmes
de toute l’œuvre comme le montre notre tableau récapitulatif des dérivés
motiviques et thématiques suivant :

1. Patrick Otto, op. cit., n. 33 p. 121. Le sol dièse est en effet très présent.
494 TROISIÈME PARTIE

M1a M1b M2 M3
cf. M1b
Caractéristi- Tierces Tierce quarte Broderie seconde
app. inférieures
ques rythme pointé rythme pointé rythme pointé
chromatismes
M1a +
M1b + +
M2 harm. +
M3 + + +
Th. A1 + + +
Th. A2 + + +
Th. A1’ + + +
Th. A2’ + + +
Th. B profil + +
Th. C harm. +
Choral + amplification

Tableau n° 7 : Récapitulatif des dérivés motiviques et thématiques


de Von der Wiege bis zum Grabe

La seconde pièce diffère de la première par son caractère martial, et


appartient au topos des « luttes héroïques », si l’on se réfère aux appellations
de Márta Grabócz.1 Cependant la structure générale n’en est pas aussi éloi-
gnée que l’on aurait pu l’imaginer. En effet, mise à part l’introduction qui
est ici absente, les différentes sections peuvent être rapprochées de celles
du premier mouvement :
– partie A ;
– partie A’(ici : répétition de la partie A mais transposée. Seule la fin
diffère) ;
– développement (qui peut être mis en parallèle avec la variante) ;
– coda.
De même, l’enveloppe générale formelle peut également être schéma-
tisée comme suit :
< >
L’accumulation progressive des instruments de l’orchestre joue en effet
un grand rôle dans ce grand crescendo sonore.

1. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt, influence du programme
sur l’évolution des formes instrumentales.
Neuvième chapitre 495

Cependant, si ces analogies structurelles et formelles entre les deux


premiers mouvements peuvent être relevées, elles doivent être nuancées,
et ce, pour plusieurs raisons :
– La différence fondamentale entre les deux premiers mouvements est
l’emploi de non pas un – à l’instar de « Die Wiege » – mais de deux
thèmes, juxtaposés d’abord, superposés ensuite dans « Der Kampf
um’s Dasein ». En effet, le programme évoque un « combat », et
donc deux parties adverses qui s’affrontent. Les thèmes ont d’ailleurs
des caractères vraiment différents de la douceur du thème unique du
premier mouvement : le thème B est martial, violent, nerveux, agité
tandis que le thème C est plutôt imposant quoique chantant voire
dansant. Il est donc tout à fait logique que le thème B parvienne à la
désintégration du thème C.
– L’harmonie employée dans le second mouvement se distingue de
celle du premier. En effet, elle est globalement beaucoup plus claire
et s’appuie sur des tonalités qui empruntent plus facilement le cycle
des quintes. Ainsi la première présentation du thème B est-elle en
lab majeur et aboutit à réb majeur. La seconde apparition des deux
thèmes est transposée : sib majeur pour arriver en mib majeur. Certes,
le passage de réb à sib se fait à la tierce, mais l’enchaînement par
quinte domine. La transition mes. 218, fondée également sur les
deux thèmes, respecte encore le cycle des quintes avec lab puis réb
majeur. Le développement qui suit joue sur l’enharmonie entre ré
bémol et do dièse et présente successivement deux enchaînements
à la tierce : de ré bémol donc à mi majeur d’une part, puis de mi
majeur à sol majeur, d’autre part avant de revenir en mi majeur. Le
thème B ressortira ensuite seul, vainqueur du thème C, affirmant
une dominante de mi majeur. La courte coda se terminera sur ré#,
vraisemblablement tierce de l’accord de dominante en mi majeur.
Ce second mouvement offre une utilisation homogène et régulière
de la tonalité. En effet, hormis le tout début qui fait douter l’auditeur
pendant quatre mesures, la pièce est entièrement tonale. En cela, ce
deuxième mouvement s’oppose au troisième « Zum Grabe : die Wiege des
zukünftigen Leben »…
En effet, la troisième et dernière pièce de Von der Wiege bis zum Grabe
diffère des deux précédentes aussi bien par sa structure et sa forme que par
le langage musical employé. Aussi nous référons-nous aux isotopies mises
496 TROISIÈME PARTIE

en place par Márta Grabócz1 tant l’évolution formelle dépasse les cadres
traditionnels.
La structure est ici particulière, fondée sur le rappel de tous les thèmes
et motifs précédemment entendus. Elle s’appuie sur la juxtaposition de ces
différents éléments présentés dans des caractères et des tempi nouveaux.
Ainsi, la tête du thème B – fondée elle-même sur M2 – est transformée à la
fois d’un point de vue intervallique, le triton remplaçant la quarte initiale,
et à la fois à cause du tempo. En effet, dans le second mouvement ce thème
était présenté agitato rapido, tandis qu’il sonne ici dolente dans un tempo
Moderato quasi Andante. C’est toujours dolente qu’intervient ensuite le
thème A chromatisé, cette fois, pour mieux faire ressentir l’impression de
deuil, jusqu’à la mesure 345. C’est en effet la douleur, la perte d’un proche
que commentent cette introduction et cette première séquence appar-
tenant à l’isotopie « macabre ». Liszt illustre ainsi la première partie de
son titre : « de la tombe ». Afin peut-être d’accentuer la transition entre le
monde terrestre et le monde céleste, la tonalité n’est pas définie.
Les repères auditifs ne s’établissent franchement qu’à partir de la
mesure 346 où le thème de la variante A du premier mouvement – initiale-
ment à la flûte – sonne en ré bémol majeur. Le hautbois s’ajoute à la flûte,
les cordes accompagnent toujours. Le caractère pastoral est ici évident.
C’est d’ailleurs l’isotopie de ce passage. Liszt emploie de subtils chroma-
tismes, et brode l’accord de sixte et quarte avec une septième diminuée –
d’ailleurs comme dans le début des Préludes – mes. 351 et suiv. Il présente
ensuite son thème en la majeur avant une courte élimination et une tran-
sition en la mineur sur les motifs M2 puis M3 – sans les appoggiatures
– en écriture canonique. Cette transition aboutit également à une courte
élimination…
La troisième grande section appartient à la catégorie des isotopies reli-
gieuses. En effet, le thème dolce cantando – qui est le thème C du second
mouvement – frappe par sa douceur et sa couleur modale qui le rapproche
davantage du mode de do que de do majeur proprement dit. D’ailleurs,
les quintes parallèles lors de l’élimination ne sont-elles pas une signature
modale ? De même, le choral de la mesure 410 sonne en mode de do
également.
Survient alors une « lutte macabre » avec tout d’abord le thème A et
puis le B, respectivement de tonalité indéfinie puis sur dominante de mi

1. Márta Grabócz, id.


Neuvième chapitre 497

mineur. L’indication marcato pour les deux thèmes ainsi que le chroma-
tisme accentuent l’aspect macabre. La transition sur M2, aux cordes qui
alternent l’archet avec les pizzicati, impose une atmosphère mystérieuse.
Puis intervient la dernière section, fondée sur les motifs initiaux et le
thème A. Le caractère est plutôt doux grâce à la nuance piano, aux valeurs
rythmiques simples et longues, ainsi qu’au registre aigu des cordes, des bois,
et des cors. L’isotopie est ici panthéiste (- religieuse ?) pour terminer sur
une courte coda au violoncelle, coda qui récapitule les trois motifs débu-
tant la première pièce « Die Wiege » et illustrant ainsi la seconde partie du
titre lisztien « Berceau de la vie future ». Il faut ici noter que, d’un point de
vue harmonique, la tonalité de do# majeur est nettement affirmée lors de la
présentation du thème A, tandis que la coda offre une ambiguïté entre mi
et do#. Cette ambiguïté se manifeste dans les armures des instrumentistes
qui ont soit sept, soit quatre dièses. De plus, on retrouve la notion de tierce
qui avait envahi tout le premier mouvement.
Comme dans les cercles de Zichy, la boucle est bouclée et Liszt a
illustré musicalement l’histoire d’une vie terrestre qui aboutit à… une Vie
céleste…

Conclusion
Le dernier poème symphonique de Liszt offre une similitude structu-
relle avec l’œuvre graphique de Zichy dont il s’inspire. En effet, tous deux
s’appuient sur une division tripartite : du temps pour l’un, de l’espace pour
l’autre. Dans les première et troisième pièces, le compositeur traduit fidèle-
ment l’atmosphère des scènes représentées ainsi que les sujets eux-mêmes :
berceau et mort sont en effet au rendez-vous. En revanche, la seconde laisse
entrevoir un aspect belliqueux absent de la scène supérieure du dessin.
En matière de procédés, l’harmonisation chromatique qui alterne avec
les accords diatoniques peut tout à fait répondre aux effets contrastants
de clair-obscur présents dans l’œuvre de Zichy. Par ailleurs, l’évolution
du matériau musical – même si cette manière de composer est loin d’être
unique dans le répertoire lisztien – peut renvoyer à l’évolution du même
individu dans le dessin du Hongrois.
Mais le contenu des deux œuvres semble différent. En effet, Zichy a de
toute évidence voulu rendre hommage à Liszt. Cet hommage est personnel,
individuel, marquant le rôle décisif de l’artiste « voyant » pourrait-on dire
en empruntant des termes rimbaldiens, c’est-à-dire de l’artiste médiateur
498 TROISIÈME PARTIE

entre Dieu et les hommes. Même si Liszt l’a parfaitement saisi, comme
en témoigne sa correspondance, son œuvre semble comporter un message
plus universel, illustrant les difficultés de la vie terrestre pour accéder à la
Vie éternelle. Le message de Liszt a donc une portée religieuse universelle.
Si les correspondances avec l’œuvre de Zichy semblent pouvoir s’éta-
blir assez aisément, la forme musicale de Von der Wiege bis zum Grabe
nécessite, elle, une étude à part entière, malgré l’évolution cyclique qui la
caractérise et la rapproche de son modèle visuel. Échappant à toute défi-
nition traditionnelle, elle a obligé l’analyste à se référer à des « isotopies »
dans le sens employé par Márta Grabócz pour définir son déroulement
qui part de la vie terrestre par la naissance pour aller jusqu’à la Vie céleste,
après la mort. Ne serait-ce pas une forme d’Idéal vers laquelle tendrait
chaque individu ?
Liszt écrivait d’ailleurs dans sa lettre du samedi 11 juin 81 adressée à
la Princesse Sayn Wittgenstein, à la suite de l’évocation de Von der Wiege
bis zum Grabe :
Exprimer l’Idéal en musique, quel beau rêve ! Je le poursuis – Beethoven et
d’autres grands maîtres, y compris notre ami Berlioz, l’ont atteint parfois !1
Il apparaît que Liszt a tenté, dans son dernier poème symphonique,
d’atteindre l’Idéal. Contrairement à son modèle d’inspiration, il n’a
cependant pas omis d’évoquer musicalement et littérairement les diffi-
cultés matérielles pour y accéder, grâce à la confrontation de deux thèmes
dans son second mouvement auquel il a donné le titre : « Le Combat pour
l’existence »…

1. La Mara (éd.), lettre 321 datée du samedi 11 juin 1881, Magdebourg, op. cit.,
p. 320-321.
Neuvième chapitre 499

tableau formel schématique n° 8 :


« Die Wiege », de Von der Wiege bis zum Grabe
500 troiSiÈME PartiE

tableau formel schématique n° 9 :


« Der Kampf um’s Dasein », de Von der Wiege bis zum Grabe
Neuvième chapitre 501

tableau formel schématique n° 10 : « zum grabe : Die Wiege des zukünftigen


Lebens », de Von der Wiege bis zum Grabe (1)
502 troiSiÈME PartiE

tableau formel schématique n° 10 : « zum grabe : Die Wiege des zukünftigen


Lebens », de Von der Wiege bis zum Grabe (2)
Conclusion
L’œil écoute.
Paul Claudel

« J’entends ce que je vois ». Cette formule peut, à elle seule, résumer


la position de Liszt face à une œuvre plastique. En effet, nous avons pu
constater que sa passion pour les arts visuels provoque son imagination
musicale, et se manifeste dans son propre processus de création. Aussi
avons-nous qualifié cette imagination de « synesthésique ». Certes, l’atten-
tion des commentateurs s’était jusqu’ici polarisée sur l’importance de la
littérature et des programmes dans la compréhension de ses œuvres, mais
cette attention restait extérieure à l’acte créateur. Grâce au texte sur La
Sainte Cécile de Raphaël, en particulier, nous avons pu mettre en évidence
les liens profonds qui s’établissent dans l’esprit lisztien entre les arts visuels
et la musique. N’y entend-il pas l’alléluia des anges ? Nous avons constaté
le même phénomène dans Sposalizio lorsqu’il entend véritablement les
cloches sonner, lors du mariage de la Sainte Vierge, cloches dont il a abon-
damment traduit l’effet dans sa pièce pour piano, alors qu’elles n’existent
pas dans le tableau de Raphaël. Liszt traduit ainsi le caractère religieux et
solennel de la cérémonie et du temple, par un message sonore universel et
intemporel.
Cette imagination « synesthésique » s’est manifestée à propos d’œu-
vres d’art que Liszt connaît et apprécie, toutes époques confondues, mais
donc forcément « figuratives ». Si l’évidence de cette remarque peut laisser
perplexe de prime abord, elle n’en est cependant pas moins l’un des fonde-
ments de notre réflexion et de notre choix méthodologique. La musique
de Liszt correspond aux figures des œuvres d’art visuel : elle les illustre
et, mieux encore, en traduit la signification et ce, en dépit des idées de
Hanslick, pour qui la musique est impuissante à exprimer quoi que ce soit.
Notre travail a prouvé que ce critique, dont l’opinion était si respectée de
son vivant, a été trop catégorique dans le cas de Liszt.
Nous avons pu déterminer les spécificités du cheminement de
Liszt lorsqu’il aborde une œuvre d’art, parallèlement à son mécanisme
synesthésique :
– d’abord, il est sensible aux couleurs, à l’expression des figures, à la
construction au sein d’une composition. Nous avons même décelé
dans son regard sur des paysages « l’œil du peintre ». Cette sensibilité
504 TROISIÈME PARTIE

se nourrit d’une culture des styles artistiques aussi remarquable que


sa culture musicale !
– ensuite, il faut insister sur le fait qu’il disposait d’une culture générale
hors du commun. De ce fait, les symboles ou allégories d’une œuvre
ne lui échappent pas. Il suffit de lire les programmes de ses poèmes
symphoniques ou certains autres de ses écrits, épistolaires ou journa-
listiques, pour s’en convaincre.
– enfin, cette sensibilité à l’art et sa pensée artistique, entièrement
placées sous l’éclairage de ses convictions religieuses et politiques,
entraînent chez lui la faculté de donner à ce qui l’entoure une inter-
prétation à portée universelle. D’ailleurs, dans un esprit très roman-
tique, Liszt ne considère-t-il pas le « génie » comme le médiateur
entre Dieu et les hommes ? Cette idée se retrouve autant dans ses
lectures d’œuvres visuelles que dans les programmes – écrits ou sous-
entendus – de ses propres œuvres musicales.
Nous avons remarqué que les trois grands points caractéristiques de sa
perception d’œuvres d’art visuel correspondent aux trois niveaux de signi-
fication de la méthode théorisée par l’historien de l’art Erwin Panofsky, un
siècle plus tard. Fondement de l’iconographie, cette méthode permet l’étude
de toute œuvre d’art visuel figurative. En d’autres termes, elle convient au
corpus des œuvres qui ont inspiré Liszt. Aussi l’avons-nous prise comme
référence pour notre analyse comparée. Évidemment, nous avons établi
les correspondances entre éléments visuels et matériau musical, notre but
étant de comprendre la signification du discours musical influencé par
les sources d’inspiration visuelles. Les résultats de notre analyse comparée
d’après les trois niveaux panofskyens sont éloquents :
– la confrontation du matériau de base, comme les thèmes et les
motifs, dans le premier niveau, révèle que les éléments musicaux
correspondent quantitativement le plus souvent à leur modèle visuel.
En revanche, leur signification diffère. En d’autres termes, l’identifi-
cation des thèmes et des motifs visuels ne correspond pas à celle des
thèmes et motifs musicaux. Leur agencement au sein d’une structure
trouve souvent une correspondance exacte, mais nous avons vu des
exceptions. Le repérage des thèmes et des motifs ainsi que leur agen-
cement s’appelle, rappelons-le, la « signification de fait ». Les carac-
tères expressifs trouvent, eux, souvent leur équivalent musical, dans
ce que Panofsky appelle « la signification expressive ».
Conclusion 505

– dans la signification « secondaire ou conventionnelle », Panofsky


tend à préciser la portée symbolique des thèmes et des motifs dans
des œuvres visuelles. Dans le domaine musical, nous avons vu que la
thématique peut contenir une signification extra-musicale symboli-
quement édifiante et correspondre aux personnages historiques, aux
images, donc aux symboles et aux allégories panofskyens. Les cita-
tions sont souvent le matériau musical employé. Nous leur avons
attribué une « fonction historique » quand elles renvoient à un
personnage historique, comme par exemple, le thème stella matu-
tina, de Sainte Elisabeth, une « fonction symbolique » quand elles
suggèrent un objet lui-même symbolique, à l’instar de la Croix dans
le Crux Fidelis, et surtout une « fonction allégorique », quand elles
correspondent à un personnage porteur d’une idée, comme le Dies
irae, qui renvoie au squelette de Holbein et à « l’ange de la Mort »
de Buffalmacco dans Il Trionfo della Morte et donc à la Mort dans
le Totentanz. Les correspondances se retrouvent ici de manière beau-
coup plus aisée que celles qui mettent en parallèle le matériau de
base, dans le premier niveau de signification.
– dans le dernier niveau de signification, nous avons pu ici constater,
par l’étude formelle des œuvres musicales lisztiennes mises en regard
avec leurs modèles visuels, que le contenu était sensiblement le même
entre les pièces musicales et les sources artistiques. Une exception est
cependant à souligner : le dessin de Zichy, dont la dédicace person-
nelle à Liszt, musicien et artiste accompli, s’est muée en un message
collectif empreint de spiritualité. Nous retrouvons ici la portée
universelle religieuse omniprésente dans le processus de perception
et de conception chez le compositeur. Dans ce cadre, nous pouvons
dire que nous avons mis en évidence ce qu’il appelle « les liens qui
unissent les œuvres du génie ». Il s’agit de la signification profonde,
« intrinsèque » pour reprendre un terme panofskyen.
Nous pouvons constater que chez Liszt, ces œuvres évoquent surtout
l’art et la mort, sujets qui le ramènent toujours à sa passion religieuse.
506 TROISIÈME PARTIE

L’analyse comparative ainsi réalisée aura permis de progresser dans


la compréhension du fonctionnement, de la personnalité de Liszt. Nous
pouvons ainsi déduire que, plus nous nous dégageons de la forme que
prend le symbole, plus les convergences entre deux œuvres fondées sur des
matériaux différents se resserrent. Cependant, nous tenons ici à rappeler
que les œuvres de Liszt ne sont en aucun cas des transpositions littérales
des œuvres d’art visuel initiales. Au départ, nous disposons d’une œuvre
d’art ; à la fin, de deux. Ainsi, Saint François de Paule marchant sur les
Flots de Liszt est une interprétation du dessin de Steinle, tout comme la
peinture de Gustave Doré est une interprétation de l’œuvre pianistique de
Liszt. Et ces deux interprétations successives gardent leur part de magie,
d’indicible, propre à toute œuvre d’art, car ce sont avant tout des composi-
tions qui, certes, peuvent se réfléchir mutuellement, mais qui ont une exis-
tence propre. Une étude comparée apporte des éléments supplémentaires
pour comprendre les affinités qui unissent modèle et distorsion. Mais il
faut toujours garder à l’esprit que l’œuvre lisztienne a une destinée person-
nelle totalement indépendante de sa référence initiale. D’ailleurs, il est
parfaitement productif d’analyser les œuvres musicales pour elles-mêmes
en apportant un éclairage sur le matériau musical pur.
Si nous avons pu établir les liens qui se créent entre la conception d’une
œuvre musicale et celle de son modèle visuel, notre analyse comparative
a permis également de mettre en relief les points de convergence entre les
modes de perception visuel et auditif. Ainsi, dans Sposalizio, les figures au
premier plan, répétées de couleurs identiques à l’arrière-plan, contribuent
à la structuration du tableau de Raphaël, tandis que le motif initial en
noires du morceau de Liszt revient en croches, mais cette fois, dans l’ac-
compagnement. Dans les deux cas, le récepteur – spectateur ou auditeur
– comprend que le point commun réside dans le procédé de diminution
dans l’utilisation du matériau. Les exemples de ce type sont nombreux.1
Mais nous pouvons également citer des cas de figure inverses, par
exemple dans la recherche de profondeur. Ainsi le peintre la construit-
il grâce à un rétrécissement notoire des lignes de fuite. En revanche, le
compositeur édifie une profondeur spatiale par le biais d’un écartement

1. Nous n’en dresserons cependant pas la liste, car chaque œuvre étudiée dans notre
essai l’a été pour elle-même et en elle-même. Écrire ce type de catalogue équivaudrait à
prendre ces résultats comme uniques, et surtout comme des références. D’autres richesses
attendent les chercheurs dans la comparaison d’œuvres encore non analysées.
Conclusion 507

progressif des voix extrêmes, formant ainsi un élargissement de l’ambitus.


Pour un résultat similaire, les procédés utilisés sont donc opposés.
La perception de l’analyste doit prendre en compte ces différentes
utilisations du matériau. D’ailleurs, il nous faut préciser que, même dans
le premier niveau de signification panofskyen, le travail du spectateur ou
de l’auditeur nécessite des pré-requis, en particulier dans la connaissance
des styles ; et il nécessite déjà des prises de position. En d’autres termes, il
n’y a pas d’analyse objective.1 De plus, précisons encore une fois que la
mise en place de la méthode d’analyse comparée empruntée à Panofsky est
une adaptation et non une adoption littérale. En effet, une caractéristique
importante est la souplesse d’utilisation de cette méthode. D’ailleurs, les
trois exemples étudiés dans notre dernière partie montrent trois manières
distinctes de l’utiliser. Ces différences touchent toutes le premier niveau
de signification :
– ainsi dans Sposalizio avons-nous étudié simultanément la significa-
tion « expressive » et la signification « de fait » et ce, afin d’éviter des
redites ;
– notons que cette manière de procéder nous a semblé plus logique
dans la plupart des œuvres abordées, exception faite du Totentanz
où la différenciation entre le matériau et ses caractères expressifs s’est
révélée nécessaire, car ce sont précisément les caractères qui permet-
tent de mettre en évidence les divers retours du thème dans une
structure à variations ;
– dans Von der Wiege bis zum Grabe, nous avons abordé en premier
lieu la structure.2 La tripartition de l’espace dans l’œuvre picturale
et du temps dans le poème symphonique est en effet ce qui est le
plus frappant au départ. Ensuite, nous avons détaillé les thèmes et les
motifs avec leurs caractères expressifs.
La méthode de Panofsky s’adapte donc de manière à la fois souple et
rigoureuse à la musique.

Nous avons concentré notre travail sur la musique de Liszt, dont les
œuvres s’inscrivent tout au long du xixe siècle ; la musique tonale répond
alors aux arts figuratifs. Cependant, le langage musical aboutira à l’atona-
lité, au début du xxe siècle. De même, l’histoire des arts visuels a évolué

1. Ou d’analyse dite « de niveau neutre », en musique.


2. Que Panofsky appelle « événement ».
508 TROISIÈME PARTIE

depuis la mort de Liszt, avec un phénomène important : l’arrivée de l’abs-


traction, avec Kandinsky. De cette double évolution naît une question qui
pourrait faire l’objet de recherches futures : l’adaptation de la méthode de
Panofsky à des sujets musicaux du xxe siècle pourrait-elle se révéler aussi
pertinente que dans l’étude de la musique de Liszt ?
Il faut préciser que des musiciens du xxe siècle se sont inspirés d’œu-
vres d’art visuel qui n’appartiennent pas forcément à leur époque. Dans ce
cas, la méthode iconographique panofskyenne semblerait pouvoir fonc-
tionner… surtout lorsque le compositeur utilise encore une thématique
traditionnelle ! Mais la question devient plus délicate pour les sources
d’inspiration qui relèvent de l’art abstrait. A priori, il semble qu’ici notre
méthode d’analyse comparée trouve ses limites.
En revanche, elle a été parfaitement productive en permettant de
mieux appréhender la sensibilité artistique de Liszt, son propre processus
de perception, et les liens unissant ses œuvres musicales à leur(s) modèle(s)
visuel(s).

Nous espérons donc que notre travail suscitera chez le lecteur l’envie
d’écouter, de jouer et de « voir » autrement la musique de Liszt. En un
mot, de pouvoir dire grâce à lui : « je vois ce que j’entends »…
Bibliographie
Sources consultées

Partitions manuscrites ou annotées de la main de Liszt


1. Autour du Totentanz :
Todtentanz, Weimar, archives Gœthe-Schiller, Collection « Liszt » sous la cote :
– WRgs 60/Z 31, n° 2 une partie de piano à part.
– WRgs 60/H6, partition d’orchestre sans la partie de piano (WRgs 60/Z31 n°2).
– Totentanz, Weimar, archives Gœthe-Schiller, Collection « Liszt », H10, version
de 1853 copié par Dionys Pruckner.
– « Todtentanz-/PHFantasie für Pianoforte und Orchester-/terminé le
21 octobre 1849/F. Liszt », copie de Conradi, New York, Pierpon Morgan
library, coll. Lehman, mf 36/11, 38 pages.
– « De Profundis vocal » dans le cahier d’esquisses Tasso, (D-WRgs 6/N5).
2. Autour de Von der Wiege bis zum Grabe :
– Von der Wiege bis zum Grabe : « Der Kampf um’s Dasein » (9 pages) et « Die
Wiege des zukünftigen Lebens » (7 pages) répertoriés sous la cote M.S. 179 à
la Bibliothèque nationale de Paris.
– Wiegenlied, l’Österreichische Nationalbibliothek, sous la cote : suppl. mus.
n° 0001. Pièce écrite en mai 1881 et publiée en 1883 chez Bote und Bock.
3. Autour de Sposalizio :
le manuscrit original Ms.I.13/1 de Sposalizio conservé de Weimar sous la forme :
– d’une copie de trois pages barrées (Ms.I.13/1 a).
– d’une partition manuscrite de six pages avec des corrections de Liszt (Ms.I.13/1
b).
Le manuscrit Ms. I, 15 de Sposalizio conservé dans les archives de Weimar.
4. la Notte et Il Pensieroso :
– Ms. I, U 10 « La Notte » dans les archives de Weimar. (4 pages).
– Ms. I, U 9,1 « Trois Odes funèbres » dans les archives de Weimar. (12 pages).
– Ms. I, 13, 2 « La Notte » dans les archives de Weimar. (3 pages).
– La Notte : manuscrit ML96.L.58 de la « Library of Congress », 9 pages de
35,5 cm partition autographe.
– Il Pensieroso, Ms.16, archives de Weimar (1 + 4 pages).
510 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

La première page est en effet un extrait d’un manuscrit de Sposalizio.


5. La Hunnenschlacht :
– Die Hunnenschlacht, version pour deux pianos, New York, Pierpon Morgan
library, Mary Flager Lary Music Collection, Mf 36/B.
6. Saint François de Paule marchant sur les Flots :
– Légendes. n° 2, Saint François de Paule marchant sur les flots, « version facilitée »,
National Széchényi Library, Budapest, Ms mus. 15, 6 pages.
– Franz Liszt, Légendes pour piano, 2.Saint François de Paule marchant sur les flots,
éd. Rozsavölgyi, Pest, et J.N. Dunkl, Vienne, 1re édition, conservée à Buda-
pest, Mus. pr., 2430, 1866.
7. Légende de Sainte Élisabeth :
– Ms. mus. L.39 Die Legende von die heiligen Elisabeth, Musée Liszt de Budapest,
195 p. (27,5x20 cm).
– Ms. mus. L. 61 Die Legende von die heiligen Elisabeth, Musée Liszt de Budapest.
8. Autres pièces :
– An die Künstler, Ms. mus. L. 35, Musée Liszt de Budapest, 40 p. (35,5x29 cm).
– Ave Maris stella, Ms. mus. L. 39, Musée Liszt de Budapest, 7 p. (26,5x17 cm).
– Ave Maris stella, Ms. mus. L. 55, Musée Liszt de Budapest.
– Die heilige Cäcilia. Lengende, Ms. mus. L. 4, Musée Liszt de Budapest, 18 p
(29x22 cm).
– Évocation à la Chapelle Sixtine. Ms. mus. L. 75, Musée Liszt de Budapest.

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Berlioz, Hector, Traité d’Instrumentation et d’Orchestration, Paris-Bruxelles, éd.
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Delacroix, Eugène, Journal, Paris, Plon, 1982, 3 vol.
Eigeldinger, Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Neufchätel, La Baconnière,
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pagnées de La Danse Macabre, Grande ronde vocale et instrumentale, Paroles
d’Édouard Thierry, musique de Georges Kastner, et d’une suite de planches,
Paris, Brandus et Cie Éditeurs, Pagnerre, Librairie -Éditeur, 1852. Exemplaire
de Liszt conservé au Musée Liszt de Budapest.
Passavant, Johann David, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi (1839-1858)
trad. Jules Lunteschutz, Paris, Renouard, 1860, 2 vol. 1re édition en allemand
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Ouvrages et articles sur la musique à programme


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Dahlhaus, Carl, « Program music », Esthetics of Music, translated by William
Austin, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, (1re éd. 1967 à
Cologne), p. 57-63.
Dahlhaus, Carl, L’idée de la musique absolue. Une esthétique de la musique roman-
tique. Ed Contrechamps, trad. : non spécifiée, (version allemande : 1978),
1997.
Finscher, Ludwig, « Zwischen Absoluter und Programmusik », zur Interpretation
der deutschen romantischen Symphonie, in Festschrift Walter Wiora zum 70.
Geburstag, Tutzing : Hans Schneider, 1979.
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Franz Liszt Studies Series n° 9, New York, Pendragon Press, p. 157-168.

Ouvrages et articles sur Liszt et ses œuvres

Ouvrages et articles sur Liszt


Altenburg, Detlef, « Vom Poetisch-Schönen. Franz Liszts useinandersetzung mit
der Musikästhetik Eduard Hanslicks », Festschrift Heinrich Hüschen, hrsg. von
Detlef Altenburg, Köln, 1980, p. 1-9.
Altenburg, Detlef, « La notion lisztienne de poème symphonique dans son inter-
pénétration avec la conscience nationale à la fin du xixe siècle et au début
du xxe siècle », La Revue musicale, triple numéro 405-406-407, « Actes du
colloque international Franz Liszt », trad. : Michelle Biget et Serge Gut, 1987,
p. 287-296.
Autexier, Philippe A., « La pensée religieuse de Liszt », L’Éducation musicale,
septembre/octobre 1986, n° 391.
Barrie et Jenkins, Franz Liszt, The Man and his Music, éd par Alan Walker,
London, 1970, 2/1976.
Bory, Robert, Une Retraite romantique en Suisse Liszt et la Comtesse d’Agoult, Paris,
éd. Victor Attinger, Deuxième édition considérablement augmentée, 1930.
Chantavoine, Jean, Liszt, Paris, 1910. Réed. Paris, Plon, 1950.
Charnin Mueller, Rena, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works »,
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Collectif, Liszt, Paris, Hachette, Collection Génies et Réalités, 1967.
Eckhardt, Maria und Liepsch, Evelyn, Franz Liszts weimarer Bibliothek, Weimar,
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Eigeldinger, Jean-Jacques, « Les Années de Pèlerinage de Liszt », Revue musicale de
Suisse romande, septembre 1980, n° 4, p. 147-172.
Faure-Cousin, Jeanne et Clidat, France, Aux Sources littéraires de Franz Liszt, Paris,
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Floros, Constantin, « Literarische Ideen in der Musik des 19. Jahrhunderts », in :
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Grabócz, Márta, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt. Influence du programme
sur l’évolution des formes instrumentales, Paris, 2e éd. Kimé, 1996.
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Chailley). Paris, Klincksieck, 1975.
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Liszt-Studien II, Referate des 2. Europäischen Liszt-Symposions, Eisenstadt, 1978.
éd par Serge Gut. Munich, Salzbourg, Katzbichler, 1981.
Liszt-Studien 3, Franz Liszt und Richard Wagner, Musikalische und geistesges-
chichtliche Grundlagen der neudeutschen Schule, Referate des 3. Europäischen
Liszt-Symposions, Eisenstadt 1983, Herausgegeben von Serge Gut, Munich-
Salzbourg, éd. Katzbichler, 1986.
Liszt Studien 4, der Junge Liszt, Referate des 4. Europäischen Liszt-Symposions
Wien 1991, Herausgegeben von Gottfried Scholz, Redaktion : Cornelia
Szabo-Knotik und Gerhard Winkler, München-Salzburg, Musikverlag Emil
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Walker, Alan, Franz Liszt, (traduit par Odile Demange) Paris, Fayard, 1998, vol.
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Walker, Alan, Liszt, Carolyne, and the Vatican, The story of a thwarted marriage,
as it emerges from the original Church documents edited and translated by
Gabriele Erasmi, with additional commentaries by Alan Walker, American
Liszt Society Studies Series n° 1, General Editor : Michael Saffle, New York,
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Weissenbacher, Christiane, « Signum, Signe, Symbole. Les cloches dans le paysage
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Rossana Dalmonte, Franz Liszt Studies Series n° 9, New York, Pendragon
Press, p. 157-168.

Ouvrages et articles spécifiques sur des œuvres de Liszt


Bartoli, Jean-Pierre, « Des Cloches de G***** aux Cloches de Genève et les deux
versions de la Vallée d’Obermann de Franz Liszt – une étude comparative »
Liszt 2000, The Great Hungarian and European master at the Threshold of the
21st Century, (edité par Klara Hamburger), Budapest, Liszt Ferenc Társaság,
p. 135-156.
Bongrain, Anne, La thématique des poèmes symphoniques de Liszt : Contribution
à l’étude de l’expressivité musicale dans la musique à programme. Thèse de
Doctorat (arrêté du 5 juillet 1984). Université de Paris IV Sorbonne, 1985.
Floros, Constantin, « Die Faust-Symphonie von Franz Liszt » in : Musikkonzepte
12, München, 1980, p. 42-87.
Gut, Serge, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », L’Édu-
cation musicale, janvier 1988, n° 344, p. 15-20.
Gut, Serge, « le profane et le religieux dans les différentes versions de l’Ave Maria
de Franz Liszt », Revue de Musicologie, Paris, tome 76, n° 1, 1990, p. 95-102.
Grabócz, Márta : « la Sonate en si mineur, une stratégie narrative complexe »,
Analyse musicale n° 8, 3e trimestre 1987, p. 64-70.
Kaczmarczyk, Adrienne, « The Genesis of the Funérailles. The Connections
between Liszt’s Symphonie révolutionnaire and the Cycle Harmonies poétiques
et religieuses », Studia Musicologica, 35/4, 1993-1994.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « Isoldens Liebestodt : Mort… ou Transfigra-
tion ? », Quaderni del Istituto Liszt n° 2, Ricordi, 2000, p. 39-44.
Lang, Paul Henry, « Liszt and the Romantic Movement », Musical Quarterly 22
(1936).
Viret, Jacques, « L’expressivité mélodique chez Franz Liszt. Étude de sémantique
musicale. », Liszt-Studien 2, Kongress-Bericht Eisenstadt, 1978, éd. Serge Gut
(Munich, 1981), p. 237-243.

Ouvrages iconographiques
Bory, Robert, La Vie de Liszt par l’image (Introduction biographique d’Alfred
Cortot). Paris, Éd des Horizons de France, 1936.
Burger, Ernst, Franz Liszt, Préface d’Alfred Brendel, Paris, éd. Fayard, 1988.
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Collectif, Franz Liszt et le romantisme français, Paris, Paris-Musées, 1986.


Laszlo, Zsigmond et Matéka, Béla, Franz Liszt, Sein Leben in Bildern, Kassel,
Bärenreiter, 1967.
Weilguny, Hedwig et Handrick, Willy, Franz Liszt, Leipzig, VEB Deutscher
Verlag für Musik, 2D Révisée 4/1980.

Ouvrages et études autour de Sposalizio,


Sainte Cécile (Raphaël et Liszt)

Ouvrages et études sur Raphaël et son œuvre


Beguin, Sylvie, Les Peintures de Raphaël au Louvre, Paris, ed. des Musées nationaux,
1984.
Buck, Stéphanie, Hohenstatt, Peter, Raphaël, Allemagne, éd. Könemann, 1998,
coll. Les maîtres de l’Art.
Collectif, Raphaël, coll. Regard sur la peinture n° 15, Paris, ed. Fabbri, 1988.
Cuzin, Jean-Pierre, Raphaël, vie et œuvre, Paris, Bibliothèque des Arts, 1983.
Dömling, Wolfgang, « Die Heilige an der Orgel, Caecilia – Musica – Musa »,
Festschrift Christoph-Helmut Mahling, Bd. 1, Tutzing, 1997.
Dussler, Luitpold, Raphaël : a critical catalogue of his pictures, Wall-paintings and
tapestries, London, New York, Phaïdon, 1971.
Focillon, Henri, Raphaël, Paris, Presses Pocket, 1990.
Lucco, Mauro, Tout Raphaël, coll. la peinture, Paris, Flammarion, 1981.
Netzer, Susanne et Schorr, Roland, Raphaël, Reproduktiongraphik aus vier Jahrhun-
derten, Coburg, Druckhaus Neue Presse Coburg, 1984.
Passavant, Johann David, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi (1839-1858)
trad. Jules Lunteschutz, Paris, Renouard, 1860, 2 vol. 1re édition en allemand
de 1839.
Santi, Bruno, Raphaël, Paris, editions Scala, 1983.
Vasari, Giorgio, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs, et Architectes, (Raphaël,
p. 187-242), Edition commentée sous la direction d’André Chastel, éd.
Berger-Levrault (arts), vol. 5.
Zerner, Henri, (Introduction par), et Vecchi, Pierluigi de, Tout l’œuvre peint de
Raphaël, Paris, éd. Flammarion, cop. 1982.
524 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Ouvrages et études sur Sainte Cécile


Dom Guéranger, (Abbé de Solesme), Sainte Cécile et la Société romaine aux deux
premiers Siècles, Paris, Société Générale de Librairie catholique, nouvelle
édition, 1884.
Kemp, Robert, Sainte Cécile, patronne des Musiciens, Paris, éd. Albin Michel, coll.
Pages catholiques, 1942.
Mirimonde, A. Pomme de, Sainte-Cécile ou les métamorphoses d’un thème musical,
Genève, éd. Minkoff, coll. iconographie musicale, 1974.
Moutard-Uldry, Renée, Sainte Cécile, patronne des Musiciens, Paris, éd. Henri
Lefèvre, coll. Les Saints Patrons, 1944.

Ouvrages et études sur le Sposalizio de Liszt


Backus, Joan, « Liszt’s Sposalizio : A Study in Musical Perspective », n° spécial de
19th. Century Music, X, 1988, p. 173-183.
Bellas, Jacqueline, « Franz Liszt, le grand transpositeur », Transpositions, Actes du
Colloque National (Toulouse, 15-16 mai 1986) éd. Université de Toulouse-
Le Mirail, Service des Publications, 1986, série A, tome 38, p. 223-234.
Eigeldinger, Jean-Jacques, « Anch’io son pittore » ou Liszt compositeur de
S­posalizio et Pensieroso, De l’Archet au Pinceau, Lausanne, éd. Payot, 1996,
p. 49-74.
Knotik, Cornelia, « Sposalizio », Liszt, information, communication, european
Liszt centre, Eisenstadt, Burgenland, mitteilungsblatt n° 9, 1979, p17-19.
Nieweem, Ralph and Aebersold, Claire, « Liszt’s Italian Years : Picturial
Highlights », Clavier 23, 1984, p. 22-27.
Way, Elisabeth, « Raphaël as a Musical Model : Liszt’s Sposalizio », The Journal of
the american Liszt Society, Volume 40-decembre 1996, p. 103-112.

Ouvrages et études sur Il Pensieroso et la Notte


de Liszt, Michel-Ange et ses œuvres

Ouvrages et études sur Michel-Ange


Ackerman, James S., l’Architecture de Michel-Ange, Paris, ed. Macula, 1991.
Battisti, Eugenio et Chanteloup, Lucien, Les Sculptures de Michel-Ange, Paris, éd.
Atlas, 1983.
Brion, Marcel, Michel-Ange, Paris, éd. Albin Michel, 1995.
Bibliographie 525

Daniels, Jeffery, Michel-Ange, Paris, Compagnie Internationale du Livre Éditeur,


1981.
Hawkins Collinge, Lucinda et Ricketts, Annabel, Michel-Ange, Hong Kong,
P.M.B Éditions.
Lamarche-Vadel, Bernard, Michelangiolo di Buonarroti, Paris, Nouvelles éditions
françaises, 1981.
Lapouge, Gilles, l’Univers de Michel-Ange, Paris, éd. H. Scrépel, 1973.
Le Bot, Marc, Michel-Ange, Paris, Flammarion, 1991.
Panofsky, Erwin, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », Essais
­d’iconologie, Paris, éd. Gallimard, coll. Nrf, 1967.
Salmi, Mario (présentation de), Michel-Ange, l’Artiste, sa pensée, l’écrivain, Paris,
Ed. Atlas, 1980.
Sidona, Enio (sous la direction de) Tout Michel-Ange, Paris, Flammarion, 1981.

Ouvrages et études sur le Il Pensieroso et La Notte


Damschroder, David, « Liszt’s composition Lessons from Beethoven (Florence
1838-1839) : Il Pensieroso, in The Journal of the American Liszt Society, 28
(juillet-décembre 1990), p. 3-19.
Edel, Theodor, « Liszt’s La Notte piano music as self-portrait » The Journal of the
American Liszt Society, 1997.
Eigeldinger, Jean-Jacques, « Anch’io son pittore » ou Liszt compositeur de Sposa-
lizio et Pensieroso, De l’Archet au Pinceau, Lausanne, éd. Payot, 1996, p. 49-74.
Stewart, Arthur Franklin, « La Notte and Les Morts : Investigations into progres-
sive aspects of Franz Liszt’s Style », The american Liszt Society, vol. 18,
décembre 1985.

Ouvrages et études autour de A la Chapelle Sixtine


de Liszt
Domokos, Zsuzsanna, « The miserere Tradition of the Cappella Sistina, mirrored
in Liszt’s Works. », Liszt 2000, The great Hungarian and European Master at
the Threshold of the 21st Century, A nagy magyar és európai mester a 21.század
küszöbén, (edité par Klara Hamburger), Liszt Ferenc Társaság, Budapest,
2000, p. 117-134.
526 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Ouvrages et études autour de la Faust Symphonie


(Ary Scheffer, Liszt, Goethe)
Arlettaz, Vincent, « La Faust Symphonie de Liszt d’après le Manuscrit de Budapest
(1854) », Revue musicale de Suisse Romande, juin 2003, p. 36-52.
Biget, Michelle, « La Quête faustienne dans la musique romantique et post-
romantique » dans Littérature et Nation, n° 10, 2e série, « Mythe, Musique,
Poésie, Don Juan, Faust, » Publication de l’Université François Rabelais,
Tours, janvier 1993, p. 83-98.
Brown, David, « The introduction to Liszt’s Faust Symphonie with a Postscript on
the B minor Sonata « in The Music Review, novembre 1988, p. 267-271.
Cannata, David, Butler, « Mephisto incognito », communication du Colloque
international sur la 19th Century Music, de l’Université de Bristol, juillet 1998,
consulté avant publication grâce à l’amabilité de l’auteur, à paraître.
Dabezies, André, Le Mythe de Faust, Paris, éd. A. Colin, coll. U prisme, 1972.
Dahlhaus, Carl, « Liszts Faust Symphonie und die Krise der Symphonischen
Form », in Über Symphonien. Beiträge zu einer musikalischen Gattung : Fests-
chrift Walter Wiona zum 70. Geburstag. Tutzing : Hans Schneider, 1979 ;
p. 129-139.
Ewals, Léo, Ary Scheffer, sa Vie et son œuvre, éd. Nimergue, 1987.
Ewals, Léo, Catalogue d’exposition Ary Scheffer, Paris, éd. Paris Musée, 1996.
Faure-Cousin Jeanne et Clidat, France, « Aux Sources littéraire de Franz Liszt », La
Revue musicale, n°s 292-293, 1973.
Floros, Constantin, « Der Mephisto-Satz der Faust Symphonie von Liszt, Eine
semantische Analyse » in Gustav Mahler II, Mahler und die Symphonik des 19.
Jahrhunderts in neuer Deutung, Wiesbaden, ed. Breitkopf und Härtel, 1977,
p. 91-103.
Floros, Constantin, « Die Faust-Symphonie von Franz Liszt. Eine semantische
Analyse », Musik-Konzepte n° 12 « Liszt », 1980, p. 42-87.
Francois-Sappey, Brigitte (sous la direction de) : Charles-Valentin Alkan, Paris,
Fayard, 1991, 336 p.
Gruber, Gernot, « Zum Formproblem in Liszts Orchesterwerken-exemplifiziert
am ersten Satz der Faust-Symphonie » in Liszt Studien n° 1, 1977, p. 81-95.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « La Faust Symphonie de Liszt : Analyses pour une
Analyse », Musurgia, vol. V, n° 3/4,1998, p. 15-36.
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Liszt. » Studia musicologia 2, 1962, p. 87-137.

Ouvrages autour de Bonaventura Genelli


Genelli, Bonaventura, Aus dem Leben eines Künstlers, Berlin, herausgegeben und
eingeleitet von Ulrich Christoffel, Impropyläen Verlag, 1922, 24 planches
d’illustrations.
Crass, Hanns Michael, Bonaventura Genelli als ein Illustrator, Bonn, Bouvier
Verlag H. Grundmann, 1981, p. 61-66.

Ouvrages autour de la Hunnenschlacht


(Friedrich August von Kaulbach/Liszt)

Ouvrages et études sur Kaulbach


Dürck-Kaulbach, Josepha, Erinnerungen an Wilhelm v. Kaulbach und sein Haus,
München, 1921.
Zimmermanns, Klaus, Friedrich August von Kaulbach : 1850-1920 : Monographie
und Werkverzichnis, München, Prestel, 1980.

Ouvrages et études sur la Hunnenschlacht de Liszt


Deaville, James, « Liszts Orientalismus : Die Gestaltung des Andersseins in der
Musik » in Liszt und die Nationalitäten, Bericht über das internationale
Musikwissenschaftliche Symposion, Eisenstadt, 10-12 März 1994, Herausge-
geben von Gerhard J. Winkler, Eisenstadt, 1996, p. 163-183.
528 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Kaiser, Manfred, « Anmerkungen zur Kompositionstechnik Franz Liszts, Am Beis-


piel der Hunnenschlacht », Liszt-Studien I, Kongreßbericht Eisenstadt 1975,
hsg. von Wolfgang Suppan, Graz, 1977, p. 125-129.
Knotik, Cornelia, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts
Wende zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, Eisenstadt, 1982.
Liszt, Franz, « Lettre à Léon-Louis Gozlan du 27 janvier 1870 de la Villa d’Este »,
manuscrit autographe, US-NY pm, traduit par Damien Erhahrdt, dans « La
réception de l’œuvre symphonique de Liszt en France (1866-1886) », Ostinato
Rigore n° 18, Paris, Ed Jean-Michel Place, 2002, p. 216-217.

Ouvrages autour de la Légende de Saint Élisabeth


(Moritz von Schwind/Liszt)
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « Signification des thèmes et des motifs dans la
Légende de Sainte Élisabeth de Liszt », Analyse musicale 58, décembre 2008,
p. 109-118.
Liszt, Franz, « Postface » de la partition la Légende de Sainte Élisabeth.
Matyas, Janos, texte de présentation de La Légende de Sainte Élisabeth, C.D.
Hungaroton.
Montalembert, Charles, Vie de Sainte Élisabeth de Hongrie, préface de Léon
Gautier, Alfred Mame et fils éditeurs, Tours, 1878.
Reinisch, Frank, « Liszt Oratorium Die Legende von der Heiligen Elisabeth-ein
Gegenenwurf zu Tannhäuser und Lohengrin », Liszt Studien 3, ed. Katz-
bischler, 1986.
Saffle, Michaël, « Liszt and the Birth of the new Europe, Reflections on Moder-
nity, Wagner, the Oratorio, and Die Legende von der heiligen Elisabeth », Liszt
and the Birth of Moderne Europe, Music as a Mirror of Religious, Political,
Cultural, and Aesthetic Transformations, Edited by Michael Saffle and Rossana
Dalmonte, Franz Liszt Studies Series n° 9, New York, Pendragon Press.
Szabo-Knotik, Cornelia, Changing Aspects of Sacred and Secular : Liszt’s Legend
of St. Elisabeth in the Repertory of the K.K. Hof-Operntheater in Vienna »,
Nineteenth-Century Music. Selected Proceedings of the Tenth International
Conference, hg. by Jim Samson and Bennett Zon, Ashgate, Aldershot 2002,
p. 169-178.
Vayerne Zibolen, Agnès, Moritz von Schwind, Budapest, Corvina, 1984.
Bibliographie 529

Ouvrages et études autour du Totentanz de Liszt,


du Triomphe de la Mort de Buffalmacco
au campo santo de Pise, des gravures de Holbein

Ouvrages et articles généraux sur les Arts au Moyen


Âge
Baltrusaitis, Jurgis, Le Moyen-Âge fantastique. Antiquités et Exotismes dans l’Art
gothique, Paris, Flammarion, 1955, rééd. 1994.
Gaby Sikora dans « Aspects of the « Dance of Death » as a semiotic system » in
Musical Signification, Essays in the Semiotic Theory and Analysis of Music, éd.
Eero Tarasti, Berlin, New York, éd. Mouton de Gruyter, 1995, p. 575-584.

Ouvrages et études sur le Triomphe de la mort


et le Campos santo de Pise
Collectif, « Pise, le Champ des Miracles » Chefs-d’œuvre de l’Art – Merveille du
Monde n° 40, Paris, Hachette, 1981.
Russo, Daniel, « Être Ermite, Exercices de solitude et Spiritualité érémitique dans
l’Occident médiéval. », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 36, automne 1987,
P.S.A.11.
Russo, Daniel, « Le Corps des Saints Ermites en Italie centrale aux xive et xve siècles :
étude d’iconographie », Médiévales, 8, 1985, « Le Souci du Corps ».

Ouvrages et études sur les gravures de Holbein


Bätschmann, Oskar et Griener, Pascal, Hans Holbein, Paris, éd. Gallimard, traduit
de l’anglais par Ann Sautier-Greening et Béatrice de Brimont, 1997.
Buck, Stéphanie, Hans Holbein, Cologne, éd. Könermann, traduction de l’Alle-
mand par Virginie de Bermond-Gettle, coll. « Les maîtres de l’Art », 1999.
Fortoul, Hippolyte, La Danse des Morts dessinée par Hans Holbein, gravée sur pierre
par Joseph Schlotthauer, (expliquée par), Paris, Jules Labitte, Libraire-Éditeur,
n.d.
Gundersheimer, Werner L., (introduction by) A complete Facsimile of the Original
1538 Edition of Les Simulachres et Historiees faces de la Mort, New York, Dover,
1971.
Zwingenberger, Jeanette, Hans Holbein le Jeune, L’Ombre de la Mort, Londres,
Pakstone Press, 1999.
530 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Ouvrages et études autour du Totentanz de Liszt


Harwell Celenza, Anna H., « Death transfigured : The Origins and Evolution of
Franz Liszt’s Totentanz », Nineteenth-Century Music : selected Proceedings of
the tenth international Conference, University of Bristol, 1998, [edited by Jim
Samson and Bennett Zon], Burlington, Ashgate Publishing Compagny, 2002.
Kaczmarczyk, Adrienne « Liszt, Lamennais und der Totentanz », Studia Musicolo-
gica Academiae Scientiarum Hungaricae, Budapest, 43/1-2, 2002.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « Variété historique, variantes analytiques et
variations sémantiques dans la Totentanz de Liszt », Analyse musicale, n° 51,
septembre 2004, p. 67-87.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « Proposition d’Analyse comparée entre la Musique
et les Arts visuels : les trois Niveaux de Signification panofskyens appliqués à la
Totentanz de Liszt. » la Musique représentative, actes des Premières rencontres
interartistiques de l’O.M.F., Paris IV Sorbonne, journée du 23 mars 2004,
textes réunis et édités par Vanessa Guy, Série Conférences et Séminaires,
n° 18, 2005, p. 89-102.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « La Totentanz de Liszt : Essai d’Analyse comparée
d’après Panofsky », Music and the Arts Proceedings from ICMS 7, edited by
Eero Tarasti, Acta Semiotica Fennica XXIII, Approaches to Musical Semiotics
10, Finnish Network University of Semiotics, Imatra, International Semiotics
Institute, Imatra, Semiotic Society of Finland, Helsinki, 2006, p. 294-304.
Ricossa, Luca, « Dies Irae », Guide de la Musique du Moyen-Age, sous la direction
de Françoise Ferrand, Paris, éd. Fayard, 1999, p. 175.
Ujfalussy, Josef, « Totentanz, Variation, Aufbau und modale Transformation in
Franz Liszts Musik », Akademische Antrittsvorlesung am 17. März 1986, in
Studia Musicologica Academicae Hungaricae, 42 (2001/3-4) p. 373-389.
Stasov, Vladimir Vasilevich, Selected Essays on Music, traduits par Florence Jonas,
Londres, Barrie et Rockliff, The Cresset Press, 1968, p. 50. (trad. par nos
soins).

Documents sur Steinle et sur La Légende de Saint


François de Paule marchant sur les flots de Liszt
Maillard, Jean, « Franz Liszt (1811-1886) Légende de Saint François-de-Paule
marchant sur les Flots », L’Éducation musicale, février 1977, n° 235, p. 14-20.
Pocknell, Pauline, « Author, author ! Liszt’s Prayer « An der heiligen Franziskus
von Paula » », The Journal of the American Liszt Society 30, juillet-décembre
1991, p. 28-43.
Viret, Jacques, « Les variantes du Saint François de Paule de Liszt et la liberté de
l’interprète », L’Éducation musicale, juin/juillet 1987, N° 339-340, p. 9-11.
Bibliographie 531

Éléments bibliographiques sur Mihaly Zichy


et Von der Wiege bis zum Grabe de Liszt
Dercsényi Dezsö-Zador, Anna, chapitre xi : « L’Art de la seconde moitié du
xixe siècle (1848-1896) », extrait la Petite Histoire de l’art hongrois, Editions
du Fonds de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts, Budapest, 1980, p. 325-369
(traduction à notre demande : Sophie Képès).
Johns, Keith T., « Von der Wiege bis zum Grabe » extrait de The symphonic Poems
of Franz Liszt, « Franz Liszt studies » Series n° 3, Pendragon Press, 1997,
p. 70-72.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « Von der Wiege bis zum Grabe de Zichy à Liszt via
Panofsky », I.M.S., Leuven, août 2002, non publié.
Otto, Patrick, « Originalité du dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum
Grabe », in Ostinato Rigore, n° 18, Paris, éd. Jean-Michel Place, juin 2002,
p. 113-128.
Schläder, Jürgen, « der schöne Traum vom Ideal. Die künstlerische Konzeption
in Franz Liszt letzer symphonischer Dichtung », in Hamburger Jahrbuch für
Musikwissenschaft, n° 6, 1983, p. 47-62.
The erotic drawings of Mihaly Zichy, Forty Drawings, Grove Press, Inc., New York,
1969.

Catalogues d’exposition
Battisti Eugenio (sous la direction de) Les Sculptures de Michel-Ange, Genève, coll
Splendeur du Monde, Ed. Service, Évreux (diffusion la Guilde internationale
du disque) cop. 1987.
Collectif, Catalogue d’exposition : Fontane und die bildende Kunst, Neue Pinako-
thek, München 1998-1999.
Maur, Karin von, Vom Klang der Bilder, Stuttgart, Munich, Prestel, 1985, p. 455
à 462.

Articles autour d’Orpheus


Denoyelle, Martine, « Citharède à figures rouges », Musiques au Louvre, Paris, éd.
de la Réunion des Musées nationaux, 1994.
Gut, Serge, « La Notion d’Art rédempteur dans Orpheus de Franz Liszt », Musiques
d’Orphée, sous la direction de Danièle Pistone et Pierre Brunel, Paris, Puf,
1999, p. 115-121.
Le Diagon-Jacquin, Laurence, « Une Apologie de l’Art : l’Orpheus de Liszt », Le
Paon d’Héra n° 2, Neuilly-les-Dijon, éd. du Murmure, juin 2007, p. 37-45.
Liste des illustrations

1 : Détail du « Citharède en concert » d’Andokidès,


vers 525 av. J.-C. Dessin de Christian Fattelay................................69
2 : Raphaël, Sainte Cécile, 1514, Bologne, pinacothèque......................134
3 : W. von Kaulbach, Hunnenschacht...................................................173
4 : Moritz von Schwind, L’Arrivée d’Elisabeth
âgée de 4 ans à la Warburg (1211).................................................183
5 : Moritz von Schwind, Le Miracle des Roses.......................................184
6 : Moritz von Schwind, L’expulsion d’Elisabeth
de la Warburg (1228).....................................................................185
7 : Moritz von Schwind, La Mort d’Elisabeth à Marbourg (1231).........186
8 : Moritz von Schwind, L’Enterrement d’Elisabeth
à Marbourg (1231)........................................................................187
9 : Moritz von Schwind, L’Adieu d’Elisabeth à Ludwig IV (1227).........189
10 : Michel-Ange, Il Pensiero, chapelle des Médicis..............................200
11 : Michel-Ange, La Notte, chapelle des Médicis................................202
12 : Plan de la Chapelle des Médicis de Michel-Ange.
Coupe transversale....................................................................... 225
13 : Raphaël, Sposalizio........................................................................349
14 : Buffalmacco, fresque du Campo Santo de Pise.................................398
15 : Holbein, « les Ossements de tous les hommes »............................419
16 : Holbein, « La Mort et le Pape »....................................................428
17 : M. Zichy « Du Berceau jusqu’au cercueil »...................................459
18 : M. Zichy « Du Berceau jusqu’au cercueil », détail.........................471
19 : « Du Berceau jusqu’au cercueil », de M. Zichy, lignes de forces....491
Liste des tableaux

1 : Structure d’ensemble d’Il Pensieroso................................................226


2 : Structure d’ensemble de La Notte....................................................226
3 : Orpheus et ses liens avec le programme, vu par Keith T. Johns........290
4 : Hunnenschlacht, plan formel schématique.......................................335
5 : Les trois niveaux de signification en histoire de l’art
et en musique d’après Panofsky.....................................................336
6 : Totentanz, plan formel schématique (1)..........................................446
6 : Totentanz, plan formel schématique (2)..........................................447
6 : Totentanz, plan formel schématique (3)..........................................448
6 : Totentanz, plan formel schématique (4)..........................................449
7 : Récapitulatif des dérivés motiviques et thématiques
de Von der Wiege bis zum Grabe.....................................................494
Tableau formel schématique n° 8 :
« Die Wiege », de Von der Wiege bis zum Grabe.............................499
Tableau formel schématique n° 9 :
« Der Kampf um’s Dasein », de Von der Wiege bis zum Grabe........500
Tableau formel schématique n° 10 : « Zum Grabe : Die Wiege des
zukünftigen Lebens », de Von der Wiege bis zum Grabe (1)............501
Tableau formel schématique n° 10 : « Zum Grabe : Die Wiege des
zukünftigen Lebens », de Von der Wiege bis zum Grabe (2)............502
Liste des exemples musicaux

1 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 1- 4.................................................175


2 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 11-13..............................................177
3 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 85-87..............................................178
4 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 77-85..............................................179
5 : F. Liszt, Hunnenschlacht, rythme caractéristique
du premier thème..........................................................................179
6 : F. Liszt, Crux Fidelis dans la Hunnenschlacht, mes. 97-101.............180
7 : F. Liszt, Thème de prière P (Début) dans la Hunnenschlacht,
mes. 314-316.................................................................................181
8 : F. Liszt, Hunnenschlacht, ostinato rythmique du 3e thème..............181
9 : F. Liszt, thème 1 de la Légende de Sainte Élisabeth :
thème d’Elisabeth [Antiphonaire : « quasi stella matutina »]............191
10 : F. Liszt, thème 2 de la Légende de Sainte Élisabeth [Mélodie
populaire hongroise, communiquée à Liszt par Reményi]............ 191
11 : F. Liszt, thème 3 : « Chant ancien des Pèlerins du temps
des Croisades » (selon Liszt) communiqué par Gottschalg............ 192
12 : F. Liszt, thème 4, « mélodie religieuse hongroise »
extraite du Lyra coelestis dans la Légende de Sainte Élisabeth......... 192
13 : F. Liszt, thème 5, « Crux fidelis » de la Légende
de Sainte Élisabeth [antienne de l’hymne Pange lingua]................ 193
14 : F. Liszt, Thème de la méchante Sophie
dans la Légende de Sainte Élisabeth (mes. 18-20 p. 247)............... 194
15 : F. Liszt, Motif de la méchante Sophie
extrait de La Légende de Sainte Élisabeth...................................... 195
16 : F. Liszt, « thème de bienvenue » extrait de La Légende
de Sainte Élisabeth (p. 33 de la partition)..................................... 195
536 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

17 : F. Liszt, « la chanson des pèlerins » extrait de La Légende


de Sainte Élisabeth (p. 153 de la partition).....................................196
18 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 23-26..................................................203
19 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 33-39..................................................203
20 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique, mes. 1-4.................206
21 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique, mes. 5-8.................206
22 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique, mes. 9-13...............207
23 : F. Liszt, Il Pensieroso, réduction harmonique et réécriture
sans les notes altérées, mes. 9-13...................................................208
24 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 15.......................................................208
25 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 9.........................................................209
26 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 39-41..................................................209
27 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 39-41 sans note altérée........................210
28 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 1-4 et mes. 5-8. Rythme......................211
29 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 135-137........................................219
30 : F. Liszt, Crux Fidelis dans la Hunnenschlacht, mes. 127-130.........221
31 : H. Berlioz, « Chœur des paysans »
extrait de la Damnation de Faust, mes 1-10...................................223
32 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 6-9........................................................................................235
33 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 1-5........................................................................................237
34 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 127-134................................................................................239
35 : R. Schumann, « Im Rhein, im heiligen Strome »,
Dichterliebe n° 6, mes.1-4.............................................................241
36 : F. Liszt, Im Rhein, im schönen Strome, éd. Dover, mes.1-3............241
37 : F. Liszt, Hunnenschlacht, mes. 271-272........................................254
Liste des exemples musicaux 537

38 : F. Liszt, Crux fidelis, après le miracle des roses, section II,


mes. 345-350................................................................................257
39 : F. Liszt, profil du Crux fidelis après le miracle des roses,
section ii, mes. 401-404 (p. 115 de la partition)...........................258
40 : F. Liszt, Présentation du Crux fidelis,
au début de la section III, mes. 10-14...........................................260
41 : F. Liszt, Entrée du chœur des chevaliers de la Croix,
mes. 18-29....................................................................................261
42 : F. Liszt, début de la « Marche des Croisés », mes. 575-577...........262
43 : F. Liszt, « Gott will es », mes. 137-139.........................................263
44 : F. Liszt, Prière du chœur des Croisés, mes. 457-475.....................264
45 : F. Liszt, Combinaison du motif de la croix et d’éléments
du Leitmotiv d’Élisabeth, mes. 369 à 374 à la fin
du « miracle des roses »................................................................ 265
46 : F. Liszt, Présence du motif de la croix et d’éléments
du Leitmotiv d’Élisabeth, mes. 410 à 412, p. 117......................... 266
47 : F. Liszt, Crux fidelis dans Saint François d’Assise,
la Prédication aux oiseaux, mes. 71-75.......................................... 268
48 : F. Liszt, Profil du Crux fidelis dans Il Pensieroso,
mes. 26 (4e temps)-31.................................................................. 269
49 : Franz Liszt, Il Pensieroso, mes. 1-4.................................................276
50 : Franz Liszt, Il Pensieroso, mes. 21-22.............................................277
51 : Franz Liszt, Il Pensieroso, mes. 45-48.............................................277
52 : Franz Liszt, La Notte, mes. 60-62, cadence hongroise...................280
53 : Franz Liszt, La Notte, Réduction harmonique mesures 1-5...........281
54 : F. Liszt, Orpheus, cellule génératrice d’après Rémy Stricker...........290
55 : F. Liszt, Légende de Sainte Élisabeth, mes.100-105
de l’introduction...........................................................................301
56 : F. Liszt, chœur des indigents dans la cinquième partie
de La Légende de Sainte Élisabeth, mes. 323-330, p. 344................305
538 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

57 : F. Liszt, gamme à tonalité élargie de sol mineur,


« chœur des indigents » dans la cinquième partie
de La Légende de Sainte Élisabeth, mes. 323-330...........................306
58 : F. Liszt, La Notte, mes. 142-146...................................................312
59 : F. Liszt, La Notte, mes. 150-153...................................................313
60 : F. Liszt, La Notte, mes. 156-161...................................................313
61 : F. Liszt, La Notte, mes. 55-60.......................................................314
62 : échelle hongroise sur la.................................................................315
63 : F. Liszt, La Notte, mes. 72-78.......................................................316
64 : F. Liszt, La Notte, mes. 97-99.......................................................316
65 : F. Liszt, La Notte, mes. 119-120...................................................317
66 : F. Liszt, Sposalizio, (M1) mes. 1-3................................................350
67 : F. Liszt, Sposalizio, (M2) mes. 3-4 :
la question du motif question/réponse..........................................350
68 : F. Liszt, Sposalizio, (thème en sol majeur) mes. 37-45...................351
69 : F. Liszt, Sposalizio, comparaison du thème
et de M2 de Leon Plantinga..........................................................351
70 : F. Liszt, Sposalizio, Manuscrit, Weimar Archiv., I. 15,
version barrée par Liszt, mes. 38...................................................352
71 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 11 à 16...................................................356
72 : Liszt, Sposalizio, mes. 9 à 30, réduction de Leon Plantinga............357
73 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 9 à 18.....................................................357
74 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 75 et suivantes........................................362
75 : Debussy, Première Arabesque, mes. 6-8.........................................362
76 : F. Liszt, Pentatonisme dans Sposalizio, mes. 1-3
et Les Cloches de Genève, mes.1-2. ............................................... 368
77 : F. Liszt, Sposalizio, version barrée par Liszt, Ms.I.13/1,
Weimar, Gœthe-Schiller Archiv, mes. 9-14................................. 369
Liste des exemples musicaux 539

78 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 9-14........................................................370


79 : Comparaison entre F. Liszt, Sposalizio, mes. 74 et suiv.
et F. Liszt, Sposalizio (Trauung), 1883, éd. Carus,
mes. 86 et suiv............................................................................. 372
80 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 92 et suiv................................................376
81 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 106 et suiv..............................................377
82 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 121-122..................................................378
83 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 130.........................................................378
84 : F. Liszt, Sposalizio, mes. 52-57......................................................379
85 : le Dies Irae....................................................................................397
86 : F. Liszt, second thème du Totentanz................................................399
87 : W.A. Mozart, entrée des voix du Requiem....................................400
88 : Faronel’s ground...........................................................................402
89 : F. Liszt, mes. 532-537 du Totentanz.............................................407
90 : H. Berlioz, « Dies Irae et Ronde du Sabbat (ensemble) »,
extrait de la Symphonie Fantastique, mes. 444-451....................... 408
91 : F. Liszt, glissando de la main droite, mesure 83 et suiv.
extrait du Totentanz..................................................................... 410
92 : F. Liszt, Variation III, extraite du Totentanz, mes.96-103.............412
93 : Franz Liszt, mes.139-144 du Totentanz........................................414
94 : F. Liszt, Totentanz, mes. 51-54.....................................................417
95 : F. Liszt, Totentanz, mes. 500-505.................................................420
96 : H. Berlioz, La Damnation de Faust,
3 premières mesures du chiffre 104.............................................. 421
97 : H. Berlioz, La Damnation de Faust, « Sérénade
de Méphistophélès et chœur de Follets », mes. 11-19................... 422
98 : F. Liszt, Totentanz, mes. 418-425.................................................424
99 : F. Liszt, Totentanz, mes. 466-471.................................................425
540 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

100 : F. Liszt, cadence du piano mes. 393 et suiv.


avec Crux Fidelis caché................................................................426
101 : F. Liszt, Septièmes diminuées au piano mes. 409-412,
extrait du Totentanz...................................................................427
102 : F. Liszt, « introduction » du Totentanz........................................430
103 : F. Liszt, suite de l’introduction du Totentanz, mes. 11................431
104 : F. Liszt, Totentanz, variation 4 dite « canonique »,
mes. 124-127..............................................................................432
105 : « Dies irae », d’après celui extrait des Offices du Dimanche
et des Fêtes, Messes, Vêpres et Complies, Chant grégorien
issu de l’Édition vaticane, et signes rythmiques
des Bénédictins de Solesmes........................................................433
106 : F. Liszt, « variation 5 » extrait du Totentanz, mes. 184-195.........439
107 : F. Liszt, M1a de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 1-3.............460
108 : F. Liszt, M1b de « Die Wiege »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 5-7.......................461
109 : F. Liszt, M2, extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 3-4.....................................................................................461
110 : F. Liszt, M3 de « Die Wiege », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 9-12...........................................................461
111 : F. Liszt, Thème A de « Die Wiege »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 17-31...................462
112 : F. Liszt, Thème B de « Der Kampf um’s Dasein »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.129 et suiv............463
113 : F. Liszt, Thème C de « Der Kampf um’s Dasein »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 149 et suiv...........464
114 : F. Liszt, « Choral » de « Zum Grabe : die Wiege
des zukünftigen Lebens », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 410-417.....................................................465
115 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 25-31.........................................................467
Liste des exemples musicaux 541

116 : F. Liszt, résumé harmonique de « Die Wiege »,


extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 63-73...................467
117 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 313-319..........................468
118 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 426-430..........................469
119 : F. Liszt, Thème A’de « Die Wiege »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 51-58...................473
120 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 17 – 25......................................................474
121 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 1-8.............................................................474
122 : Johannes Brahms, « Wiegenlied », op. 49, n° 4,
mes. 3-6 (éd. Dover)..................................................................475
123 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des Zukünftigen Lebens » extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 282-295..........................477
124 : F. Liszt, « die Wiege » extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 25-31.........................................................478
125 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 51-58.........................................................481
126 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege
bis zum Grabe, mes. 122-fin.......................................................482
127 : F. Liszt, « Der Kampf um’s Dasein »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe (mes. 149-155).............483
128 : F. Liszt, Coda de « Der Kampf um’s Dasein »,
extrait de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 269-fin.................484
129 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des Zukünftigen Lebens » extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 378-384..........................485
130 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.347-350...........................486
542 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

131 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.418-425...........................487
132 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 367-372..........................488
Index des noms
et des œuvres musicales
et visuelles cités
Les numéros entre parenthèses renvoient à la place des notes de bas de
pages. Les noms présents dans les remerciements et les préfaces ne sont pas
indexés, de même que ceux de la bibliographie.

a Miserere, 114, 115, 116,117,


Abizzini, 119 403
Adam, 394-395, 414 Almachius, 138
Adam, F., 323 Altenburg, D., 42 (3), 43 (2), 48
(1), 53 (1), 55-56, 122, 161,
Adorno, T.W., 33-34, 76,
288 (1)
159-161
Andokidès, 68-70
Aebersold, C., 344 (4)-345 (1)
Angers, D. (d’), 345
Agésandros, Polydoros et
Athénodoros de Rhodes, Antarès, 279
Laocoon, 162 Apelle, 84
Agoult, Marie d’, 28, 44, 71, 77, Apostel, 85
80, 82 (1), 102-103 (5), 144, Arabella (pseudonyme de Marie
341 (2)-342, 345, 365, 367, D’Agoult), 94, 435
383, 435 (2) Arcadelt, 115
Alain, 33, 108 Ave Maria, 115
Albert Ier, 97 Archange Gabriel, 157
Alberti, 170 Archange Saint Michel, 414
Alexandre, 105 Archiduc Rodolphe, 115
Alkan, 123 (2) Aristote, 33
Allegri, 27, 75, 114-117, 400, 404 Armengaud, J.-P., 34 (10)
Arnold, von, J., 385
544 TROISIÈME PARTIE

Arpin, 82 Missa Solemnis, 115


Attila, 174-175, 182, 251, 320, Sonate Clair de lune, 115
329 Sonate n° 12 op.26, 204
Augusta (Princesse), 240 Sonate op. 27 n°2, 115, 205
Autran, d’, J., 104-105 Sonate pathétique, 359
Symphonies, 46
b Symphonie n° 3 dite héroïque,
27, 400
Bach, J.-S., 116 (2), 359-360, 379
Symphonie n° 5, 49
Magnificat, 379 (1) Symphonie n° 7, 115, 391 (n.1)
Cantate Weinen, Klagen, 116 (3, Symphonie pastorale, 57
suite) Symphonie n° 9, 48
Angst und Noth sind des Christen Marche funèbre sur la mort d’un
Thränen brod, 116 (3, suite) héros, 115
Clavecin bien tempéré, (sic), 359 Sonate quasi Fantasia, 115
Backus, J., 35, 344 (3)-345 (7), Bellas, J., 341 (1), 345 (3, 5)
356, 363-364, 369 (1), 375,
Bellman, J., 322
381
Benczur, G., 85
Bai, T., 404
Berlioz, H. 27 (2)-28, 48, 52-53,
Miserere, 404
75, 77, 80, 83-84 (3), 94,
Baini, G., 404 103(4), 113-114(1), 123(2,
Miserere, 404 222-224, 307, 332, 387, 396,
Ballanche, 28 400, 403, 407-409, 416(1),
Balzac, H. de, 27-28, 37, 44, 421-422, 472 (2), 498
74-77, 79 Damnation de Faust, 222,
Barbe, M., 34 (10), 35 (3) 223, 224, 421, 422
Bartoli, J.-P., 30 (3), 45 (3) « Chœur des Paysans », 222, 223
Bartolini, 93 « La course à l’abîme », 224
Bätschmann O., 73 (2), 429 (1, 2) Enfance du Christ (L’), 307
Baudelaire, C., 55 Harold en Italie, 53
Beauharnais, 119 Symphonie fantastique, 396,
407, 408, 444
Beethoven, L. van, 15, 27-29, 46,
48-49, 51-54, 57, 75, 84, 92, Traité d’instrumentation et
103, 115, 119, 204, 205, 267 d’orchestration, 407 (n.1),
(2), 294, 310, 314-315, 319, 416 (n.1), 472 (2)
347, 351, 359, 391 (1), 401, Biber, I., 63
443, 498 Bibesko, G. (prince), 92
An die Ferne Geliebte, 294 Biget-Mainfroy, M. 223 (1), 281
Hammerklavier, 48 (1), 330-332
Miserere, 115 Bitterolf, 128
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 545

Blandine (fille de Liszt), 44, 93, 65, 71, 271, 386, 383, 389,
95 (2), 444 (1) 398, 401, 406, 417, 428,
Boileau, P., 48 440, 441, 442, 505
Boisselot, 105-106 Thébaïde, 398
Boissier, V., 102 Bülow, H. von, 91 (2), 93, 297,
Bonaparte, L.N., (prince prési- 392-393
dent), 99 Burger, E., 249 (2)
Bongrain, A., 10, 250 (2,3)-251 Bürger, G.A., 174
(1), 254-256 (1), 291 (1), 320 Buttkeuitz, 70
(1), 325-326 (1), 330, 452-453, Byron, Lord, 44-45, 53, 212, 322
455-457 (1), 475-476 (1)
Bosseur, J.-Y., 34 (8, 10) c
Bouton, 105 (2) Canova, 80 (3)
Boyer, R., 298 (4)-299 Caravage, 353, 466
Bragard, R., 420 Cassirer, E., 21, 163, 242, 286
Brahms, J., 48, 50-51, 474-475 Cattaneo, G., 342
Première symphonie, 48 Cavallino, 139
Wiegenlied, op. 49 n°4, 475 Celanza Harwell, A.H., voir
Brascassat, 94 Harwell Celenza,
Brendel, 42, 48-50, 52 Cellini, B., 54-55 (1), 151 (2),
Brentano, 97 (3) 227 (2)
Bresgen, C., 82 Cennini, C., 232
Brion, M., 278 (1, 3) Chabrier, E., 366
Brizio, A.M., 153-154 Chagall, 71
Bronsart, 52 Chantavoine, J., 27 (2), 47(1),
Brozzi, A., 341 75(2), 103 (4), 132 (2), 401(1)
Bruhn, S., 34 (9)-35 (5) Charisius, 437
Brunel, P., 531 Charles, D., 10, 160
Buck, S., 73 (1) Charles X, 69
Buffalmacco, B., 31, 65, 67, 271, Charnin Mueller, R., 205,
338, 387, 394, 398, 404, 406, 342-343, 386-387, 391-392
412, 417, 425, 438, 440-441, Chassériau, 28
444, 505 Chastel, A., 135 (2), 147 (2), 275
Dit des Trois Morts et des Trois (3, 4)-276
Vifs, 398, 423, 425 Chateaubriand, F.R., 74 (1)
Jugement dernier, 398, 438 Chaun, H., 82
Le Triomphe de la Mort, (ou Chopin, F., 9, 28, 56 (2), 75, 94,
Il Trionfo della Morte) 31, 315 (3), 319
546 TROISIÈME PARTIE

Sonate op. 35, 315 De Marginal, N., 423


Claudel, 35, 170 (2)-171, 503 Deaville, J., 120 (2), 320, 321
Clément VII (Pape), 139 (1-2), 322 (3), 323 (1, 3), 326
Coloso, P., 235-236, 238 Debussy, C., 362, 363, 366 (3)
Combarieu, 359 (2) Première Arabesque, 362
Conradi, A., 391-392 Delacroix, E., 43, 94-95, 121, 173
Cornelius, P., 87, 97, 99, 122, Marguerite au Rouet, 121
303 Delaroche, 28, 94, 95, 121
Corrège, 71, 76 (3), 95, 151 Sainte Cécile, 94
Corrozet, G., 72 Denizeau, G., 34 (6, 7, 9)
Cosima (fille de Liszt), 93, 444 Denoyelle, 68 (3), 69 (1)
Cranach (l’Ancien), 429 Dercsényi Dezsö-Zador, A., 86 (2)
Cupidon, 168 Deschamps, 95
Cuzin, J.-P., 133 (1), 134, 135 Deuhoff M., 82
(1), 146, 147 (1), 149 (3), 150 Deveria, 93
(2), 354 (3) Diderot, 162
Dominiquin, (Le), 71, 139, 147
d
Dömling, W., 137 (1), 144, 148,
Daguerre, 105 (2) 149 (1, 2), 150
Dahlhaus, C., 42 (1), 51 (2), 57 Domokos, Z., 10, 113 (2), 205 (2,
(4), 58, 169 (1), 344, 490 3), 403, 404 (1, 2)
Damascius, 65 Don Quichotte, 231
Damrosch, L., 212 Doré, G., 240, 282, 506
Damschroder, D., 204 (3), 205 Dufrenne, M., 108 (2), 109 (1)
(1), 310 (1) Dumas, A., 28, 44
Daniel (fils de Liszt), 444 (1) Duprèz, 28
Danielik, J.N., 100 (3), 101 Dürck-Kaulbach, J., 90
Dante, 27-28, 66, 75, 89, Dürer, 204, 275
101-107, 383-384, 400, 442
Melencolia, 204, 275
Dash (Comtesse), 434
David, 50, 112, 140, 438 e
David, J.-L., 173 Eben, 71
Les Licteurs portant à Brutus le Echo, 231
corps de son fils, 173 Eckhardt, M., 100, 240
Davila, C., 92 (2), 122 (6)
Edel, Th., 212 (1), 279 (1-2), 318
de Celano, Th., 436-437 (1, 3)
de Condé, B., 423 Ehrhardt, D., 252 (1), 419 (1)
De Hen, F.J., 420 (1),
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 547

Eigeldinger, J.-J., 27, 35, 43, 75 Fra Beato, 27, 75, 77, 400
(6), 139 (1), 205, 314,315 (1, Francia, 27, 75, 77, 400
3), 318, 343 (2), 346 (1), 358 Frédéric II (empereur de
(1), 360 (1), 362 (1), 367 (2), Hohenstaufen), 217, 302
374(3), 375-376 (1) Frellon, J., 72-73
Eisenmann, W., 82 Fromilhague, C., 443 (2)
Elsa, 267 Fürstenau, W., 82
Enée, 279
Ernst, M., 70, g
Escal, F., 343 (4), 344 (2) Gadamer, H.G., 72 (1)
Eschenbach d’, W., 128 Garcia, 28
Eurydice, 289, 291 Gautier, L., 100 (1),
Ewals, L., 92 (3), 121 (3) Gautier, T., 174
Genelli, B., 32, 67, 106
f
Gentileschi, 139
Faltus, 72 Giotto, 368
Fauré, G., 474 Giovanni (Fra), 236
Faust, 30 (5), 32, 53, 57-61, Girardin, (de) Mme E., 155
67, 121-123, 169, 232, 371,
Gluck, C.W. von, 31, 67-68, 70,
383-384
288
Fernandez, D., 76 (1)
Orphée et Eurydice, 288
Ficino, 112
Goethe, W. von, 27 (1), 28,
Fink, M., 32, 33 (1), 34 (4), 63 32, 57 (1), 58-59, 61, 65, 76,
(1), 64 (1, 2), 65-66 (1), 67 (1), 86-87, 121-123, 150 (3), 169,
71 (1), 72 (2), 78 (4), 82 (2), 212, 243 (1), 244-245, 273,
83 (3), 85 (1), 107 (2), 118 (2), 292-293 (1)
121 (2), 122 (1), 325 (2), 329
Gottschalg, A.W., 116, 192
(1)
Gounod, 123 (2)
Finke, 72
Gozlan, L.-L., 251-252 (2)
Finscher, L., 41 (1)
Grabócz, M., 30 (4), 35 (4), 44
Fischer, M., 34
(2), 59 (5), 60 (2), 61 (1, 3),
Flandrin, 94 198, 207, 235 (2), 237 (1, 2),
Flaubert, 321 242 (1), 268-269 (1), 294 (3),
Fleckniakoska, J.-L., 35 308 (2), 309 (1), 346 (3), 364,
Floch, J.-M., 466 (1) 367 (1), 373 (1), 375, 377 (1),
Floros, C., 59 (2, 4), 61 (2) 380, 468, 486 (1), 494 (1), 496
Förster, J.-B., 82 (1), 498
Fortoul, H., 389 (2) Grand-Duc Carl Alexander,
114-115 (1), 117 (1)
548 TROISIÈME PARTIE

Greimas, 60 Hohenzollern-Hechingen, de, F.


Gretchen, 122-123, 169 (prince), 113 (1)
Griener, P., 73 (2), 429 (1, 2) Holbein, H. (le Jeune), 31 (3),
Grillparzer, 99 35, 66-67, 72-73 (1, 2, 4),
Gropius, 118 271, 338, 383-387, 389 (2),
394-396, 404-406, 411-414,
Grün, A., 99
416-417, 419-420, 423-424,
Grünewald, M., 20 426 (1), 428, 429 (1, 2), 430,
Guicciardi, G. (comtesse), 115 432, 438-441, 444, 505
Gundersheimer, W.L., 389 (3), Comédie de la Mort, 383
395 (1), 396 (1) Danse des Morts, 72, 73, 384,
387, 389, 390
h
Historiees de la Mort, 271
Halaczinsky, R., 82 Jugement dernier, 396, 398,
Halévy, L., 94 438-439
Hanslick, E., 50, 51 (1)-53 (2), La Mort et le Pape, 395,
56-57 (1, 3), 252, 503 428-429, 433, 533
Hartmann, 70 Les ossements de tous les
Harwell Celenza, A., 385 (1, hommes, 395, 419-420,
2)-386 (3), 388 (1), 390, 399 424, 533
(1), 401 (3), 419 (2), 432 (2), Simulachres de la Mort, 387,
438 (1), 443 394, 417
Hascher, X., 370 (3) Homère, 102, 105
Hawkins Collinge, L., 213 (3) Honegger, 35
Haydn, J., 84, 170 Danse des Morts, 35
Haynald, L. (Archevêque), 155 Howard, L., 403 (4)
Hegel, 33 Huber, F., 46, 384 (2)
Heine, 28, 44, 121 (5), 240-241 Hugo, V., 28, 44, 46, 118, 322
(1) Humboldt, de, 88
Herbert, 434 (1), 435 Huré, P.-A., 28 (2)-29 (1), 80
Hercule, 168, 273 (3-5), 88 (2), 89 (1,5), 90 (1),
Hergé, 353 92 (2), 93 (1-3), 94 (1), 102 (1)
Hermann (Landgrave), 124-125, 103 (1-3, 5), 104 (1, 2), 107
128, 183, 195, 216, 294 (2), (1), 113 (1), 115 (1), 117 (1),
299 300 (1), 303 (1), 383 (1), 434
Herzmainska de Slupno, Mme, (1), 462, 488 (1), 489
322
i
Hiller, F., 28
Hoffmann, E.T.A., 174 Ingres, J., 28 (3), 83-84, 95
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 549

j Knepper, C., 28 (2)-29 (1), 80(3-


Janin, J., 28 5), 88 (2), 89 (1,5), 90 (1), 92
Jésus-Christ, 84 (1), 114 (2), 93 (1-3), 94 (1), 102 (1)
103 (1-3, 5), 104 (1, 2), 107
Joachim, J., 50
(1), 113 (1), 115 (1), 117 (1),
Johns, K.T., 290 (4), 291, 323 300 (1), 303 (1), 383 (1), 434
Joly, S. 71 (1), 462, 488 (1), 489
Judith, 112, 231 Knop, 46
Jupiter, 168, 274 Knotik (voir également Szábo-
Knotik), C., 35, 76 (4), 79 (1),
k 91 (3), 218 (1), 219 (1), 251
Kaczmarczyk, A., 85 (2), 270 (2), (2), 252 (2), 256 (2), 295 (1),
384(2), 388 (2), 390 (1), 391 324-325 (1), 329, 345 (2)
(3), 392 (3, 4,6), 393, 402, 427 Kokoschka, 85
(1), 435 (4), 436 (1) Krätzschmar, 71
Kahnt, 454 Kretschmer, 79, 347-348 (1)
Kaiser, M., 176 (1), 324 (1, 2), Kuppelweiser, 97
325
Kandinsky, W., 508 l
Kant, 243, 245 La Mara, 91 (4), 255 (1, 2), 270
Kastner, J.-G., 389 (4), 423 (1, 2), (1), 452 (2), 454 (2, 3), 479 (2),
436-437 (1, 5) 488 (2), 498 (1)
Kaulbach (von), J., 89, 90 (4) La Motte Haber (de), H., 32 (4),
Kaulbach (von), W., 13, 24, 34 (5), 73 (5), 235 (1), 338,
31, 65, 67, 73, 83, 87-90 (5), 442 (3)
91 (4), 92, 120 (4), 172-173, Lacant, J., 118 (1), 123 (1)
182, 220, 224, 228, 251, 254, Lacordaire, 99
255 (1), 256, 319-321, 325, Lamartine, 28, 44, 46
327-331, 333-334, 345
Lamblin, B., 158 (1, 2), 160
Hunnenschlacht, 67, 73, 88,
Lamennais, abbé F. de, 28, 46, 99,
89, 91, 120, 220, 333
212, 384 (2), 388 (2), 390 (1),
Kepès, S., 86 391 (3), 392 (3), 402, 435 (4)
Kii Higashyama, 71 Landino, 112
Klebe, 72 Lang, P.-H., 363 (1)
Klee, 72 Le Bernin, 80
Kleuze von, L., 65 Le Bot, M., 201 (1), 311-312 (1)
Klingsohr, 125, 128, 299 Le Caravage, 353, 466
Klusak, 72
550 TROISIÈME PARTIE

Le Diagon-Jacquin, L., 60 (1), 103 (4), 131, 337 (2), 401


182 (1), 241 (1), 295 (3), 388 (1),
(4), 389 (1), 397 (1) « II. À un poète voyageur. À
Le Pérugin, 31, 338, 342, M. George Sand. », 54 (1),
353-355, 380 94 (2),
La remise des Clefs de Saint « IV. À M. Louis de
Pierre, 119 Ronchaud », 83 (2), 102
Le Mariage de la Vierge, 119, (n.2)
342 « IX. Le Persée de Benvenuto
Le Sauteur, L. (prince), 117 Cellini », 54
Lechi, G. (général comte), 119, « XI. La « Sainte Cécile »
341 de Raphaël. À M. Joseph
Leclercq, G., 30 (1), 207 (1) d’Ortigue », 71 (2), 131,
132 (4), 136 (2), 140 (1),
Legouvé, E., 92-93 (1)
141 (1), 141 (2), 143 (2),
Lehmann, H., 28, 94, 345 144 (2), 145 (1), 147 (3),
Lelie, C., 155 (1) 150 (1), 151 (1), 154 (2),
Lenau, 99 158 (3), 345
Léon Ier (pape), 320 « XIII. À M. Hector Berlioz »,
Léonard, 52, 95 27 (2), 84 (3), 103 (4)
Léonidas, 231 – « Sur Paganini à propos de sa
Lescourret, M.-A., 33 (3), 35, 78 mort », 78 (1)
(2), 162 (1), 170 – « De la Fondation Gœthe »,
Lessing, 162 292, 293 (1)
Lessmann, O., 293, 452-453 – « Préface » de la
Liepsch, E., 100 (2) Hunnenschlacht en
allemand, 320 (1), 330 (1),
Lipps, 197
– « Préface » de la
Lisco, 437 Hunnenschlacht en français,
Lista, M., 34 (10) 320 (2 et 4), 331 (2),
Liszt, B., 44, 93, 95 (2), 444 (1) – « Préface » de ses Poèmes
Liszt, C., 93, 444 symphoniques, 55 (3)
Liszt, F., (citations uniquement) – « Préface » d’Orpheus, 68 (1),
Œuvres littéraires : 288 (2), 291, 292 (1)
– De la situation des artistes, – « Préface » de Saint François
114 (2), 332 (2), 339 (1), de Paule marchant sur les
– Lettres d’un Bachelier ès flots, 32 (5), 234 (3), 236
Musique, 27 (2), 43 (3), 47 (2), 238 (2)
(1), 54 (1), 71 (2), 77 (4),
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 551

– XXVI Á Agnès Street- Canzone del Savatore Rosa,


Klindworth, 87-88 (3)-89 343
(2-4)-90 (2-3), 130 (1) Carillon, 369 (1)
Œuvres musicales : Ce qu’on entend sur la
À la Chapelle Sixtine, 32, 205 montagne, 342, 386-387
Abendglocken, 369 (1), Chapelle de Guillaume Tell,
Album d’un Voyageur, 43-44, 344
46 (1), 47, 344 Christus, 32, 64, 267 (2), 475
Am Grabe Richard Wagners, (1)
370 Cloches de Genève (les), 45 (3),
Angelus !, 369 (1) 344, 366-369 (2)
Années de Pèlerinage, 342-343, Dante Sonate, 103, 383
356 (1), 386-387, 390 Dante Symphonie, 32, 67,
Années de Pèlerinage, 1re 101, 103, 107, 256, 271,
Année, Suisse, 43 (3), 75 325, 401, 428
(6), 367 De profundis, 270, 338, 391
Années de Pèlerinage, 2e Année, (2), 402, 403 (2), 404, 436
Italie, 205-206 (1), 310 (2), Évocation à la Chapelle
319, 345 (4), 346, 350 (1), Sixtine, 32, 115 (3)-116
375 (1), 376 (1), 378 (1), Faust Symphonie, 32, 51 (2),
383 52, 57, 58 (1), 59 (2, 4), 60
Années de Pèlerinage, 3e Année, (1), 65, 121, 122-123 (2),
Villa d’Este, Cyprès, 454 169, 297, 383
Antiphona I, in Festa Sancta Fleurs mélodiques des Alpes, 46
Caeciliae, 155 Festklänge, 289
Apparitions, 402 Funérailles, 270 (2), 369 (1),
Après une lecture du Dante, 370, 440
343-344 Gondoliera, 344
Arbre de Noël, 369 Grande Fantaisie symphonique
Au bord d’une Source, 45-46, sur des thèmes du Lélio de
344 Berlioz, 403
Au Lac de Wallenstadt, 45, Harmonies du Soir, 369 (1),
344 370
Aux Cyprès de la Villa d’Este, Harmonies poétiques et
344 religieuses, 270 (2), 351,
Ave Maria (Die Glocken von 402
Rom), 370 Hunnenschlacht, 16, 31,
Campanella, 369 (1), 370 65, 66, 79, 88, 89, 90,
Canzone, 344 120, 159, 169, 172, 175,
176 (1), 177-181, 217,
552 TROISIÈME PARTIE

219-221, 250-253 (1), Notte (la), 16, 31, 66, 81 (2),


254-256 (3), 271, 319-320 108 (3), 199-201, 203,
(1-4), 321-325, 329-330 205, 210-213, 224, 226,
(1), 331 (2), 333-335, 357, 228, 274, 278-282, 307,
339, 384, 428 311-319, 338
Ihr Glocken von Marling, 369 Odes funèbres, 81 (2),
(1) 212-213, 317
Il m’aimait tant, 155 Orage, 238, 344
Il Penseroso, 31, 66, 79, 81 Orpheus, 31, 65-68 (1), 71,
(1), 199, 203, 204 (2, 79, 247 (1), 282, 288 (2),
3)-213, 226, 228, 268-271, 289-293, 333, 339, 471,
274, 276-278, 280, 282, Pastorale, 344
307-308, 310 (1), 312, Pensées Des Morts, 270
314-315, 317, 319, 338, Préludes, 496
342-344, 346-347 « Prose des morts », 435
Im Rhein, im schönen Strome, Psaume XIII, 319
240-241 Requiem, 155
Invocation, 237, 270 Saint François d’Assise, la
La lugubre Gondole, 440 prédication aux oiseaux, 235,
Légende de Sainte Cécile, 155 268 (1)
Légende de Saint François de Saint François de Paule
Paule marchant sur les flots, marchant sur les Flots, 16,
29, 32 (5), 97 29, 32 (5), 65, 97, 98 (1,
Légende de Sainte Élisabeth, 2), 232, 234 (3), 235, 236
24, 32, 64, 67, 79, 98, 101, (2), 237, 238 (2), 239-240,
116 (continuation de note), 242, 338, 506
124, 169, 170, 182 (2), Saint Stanislas, 293
191-196, 216-217, 256 Sept Sacrements, 32, 64, 79,
(4), 271, 293, 295 (2-3), 96 (1), 97 (1)
299-303 (3), 305-306, Sonetto 47 del Petrarca, 343
333-334, 428, 475 (1),
Sonetto 104 del Petrarca, 343
Lieder, 122, 170
Sonetto 123 del Petrarca, 343
Lyon, 46
Sonate en si mineur, 50, 194
Marche funèbre, 344
Sposalizio, 27 (1), 29, 31,
Mazeppa, 57, 89, 238, 322 35, 37, 64, 66, 71, 76 (4),
Messe du Gran, 256 77-79 (1), 81, 97, 118-119,
Miserere, 205, 404 157, 205, 315 (1), 334,
Morts (les), 212, 281 (2), 318 337-345 (2, 7) 346 (1, 2),
Mosonyis Grablied, 370, 347 (3), 349-355 (2), 356
Nächtlicher Zug, 384 (1), 357, 360-372, 374,
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 553

376-381, 387, 394, 445, (1), 481-489 (2), 494-495,


470, 503, 506-507. 498-502, 507
Sposalizio (Trauung), 372 Wiegenlied, 452, 455, 476,
Sunt lacrymae rerum, 213 (1) Zelle in Nonnenwerth (die),
Sursum corda, 237 369 (1)
Tarentelle, 344, 387 Lobkowitz, (prince), 115
Tasso (cahier d’esquisses), 205 Lotholary, B., 59
(3), 391, 402, 435-436 Lotz, K., 85
Tasso, lamento e Trionfo, 212, Louis XIV, 273
289 Louis, (duc, époux d’Elisabeth),
Teleki Làszlò, 370 (3) 124, 126, 295, 296, 299, 303
Totentanz, 31, 37, 46, 52 Louison, 421
(1), 65, 67, 118, 271-272, Lowe, L., 321
274, 334, 337-340, 343, Lukacs, 59
383-384 (2), 385 (1)-388
(2, 3, 4), 389 (1)-390 (1), Luther, 117, 429
391 (3), 392 (3)-394, Lutzelburger, H., 72
396-397 (1), 398-399,
401-404, 406-407, m
409-410, 412-414 (1), Mac Cabe, 85
416-418 (1), 419-420, Madach, I., 85 (3)-86
423-428, 430-433, 435 Maffei, F., 231
(4)-436, 438-440 (1), 443, Mahler, 61 (2), 159, 347 (1), 351
445-449, 505, 507 (1)
Trois Odes funèbres, 81 (2), Symphonie n° 1, 159
212-213, 317 Marc-Aurèle (Empereur), 138
Trois sonnets de Pétrarque, 364 Marcello, 27, 75, 400
Vallée d’Obermann, 44 (2), 45
Marie (Voir Sainte Vierge) 21,
(3), 61, 238, 314, 344
79, 112, 345, 349, 353, 355,
Venezia e Napoli, 344 361, 365, 368, 371, 373-374,
Valse oubliée, 452-453 379-380
Via Crucis, 96-97 Martinu, B., 71
Vision à la Chapelle Sixtine, Fresques de Piero della
116 Francesca, 71
Von der Wiege bis zum Grabe, Marx, J. 71, 88
31, 37, 61 (4), 66, 70, 85,
Castelli Romani, 71
334, 337, 339, 345, 451
(1), 452-455 (1, 2), 457, Massart, L., 29 (1), 80 (5), 93,
460, 461-465, 467-470, 106, 107 (1)
473-475, 477-478, 480 Matyas, J., 295 (2)
554 TROISIÈME PARTIE

Maur, Karin von, 31 (1), 32 (3), 307-308 (1), 311-312 (1), 317,
34 (3) 319, 342, 346, 401
Maximilien Ier (Empereur du Chapelle Sixtine, 108, 109,
Mexique), 403 113, 114, 117, 119, 214,
Maxwell, M., 403 403
Médicis, Cosme, (Duc de), Cosme, 111, 112, 226
111-112, 279, Damien, 111, 112, 226
Médicis, Julien, 71, 108-109, Il Pensieroso, 67, 71, 79, 201,
111-112, 210, 213-214, 225, 203, 204, 224-225, 226,
274, 307, 280, 307, 308
Médicis, Laurent (dit le L’Aurore, 210, 225
Magnifique), 71, 108-109, La Notte, 13, 24, 67, 71,
111-112, 135 (2), 147 (2), 201-203, 210-211,
204-205, 210, 213-214, 225, 224-225, 226, 278-280,
274, 307, 314, 344 282, 311
Meeùs, N., 30 (2) Le Crépuscule, 210, 225
Melanchthon, Ph., 429 Le Jour, 210, 214, 225
Mendelssohn, F., 28, 50, 57 (1), Tombeaux des Médicis, 66,
332 110
Meeresstille und Glückliche Jugement dernier, 82, 113,
Fahrt, op. 1 n° 27, 57 115, 214
Songe d’une Nuit d’Été, 57 Tombeau des Magnifici, 112
Symphonie écossaise, 57 Madone Medicis, 112
Symphonie italienne, 57 Mignard, 139
Mérimée, 174 Mirimonde (A. Pomme de), 139
Merrick, P, 96 (1), 97 (1, 2), 101 (1)
(2), 299, 333 (1) Miscimarra, G., 29, 98, 235-236
Meyerbeer, 28, 50, 94, 242 (2), 238 (2)
Quarante mélodies, 242 Mohnike (docteur), 437
„Voeu pendant l’orage“, 242 Moïse, 80
Meyerdorff von, O., 96 Molteni, G., 342
Mezentius, 279 Montalembert de, C., 32, 64,
Michel-Ange, 27, 31, 66-67, 71, 98-101, 124 (1), 125 (1), 126
74-75, 77, 79-81 (1), 82, 103, (1, 2, 3), 127 (1, 2), 128-129
109-110 (1), 111-113, 115, (1), 297-298 (1), 299, 302
117, 151, 199-201 (1), 202, Histoire de Sainte Élisabeth de
204 (1), 205, 211, 213 (3)-214, Hongrie, 99
225 (1), 274 (1), 275 (2), Mooser, 434
277-278 (1,2), 279-280, 282, Morellet, F., 34 (9)
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 555

Morillo, 72 Orcagna, 27, 65, 71, 103, 271,


Mosonyi, M., 294 (1) 383, 386, 389, 399, 401,
Motte-Haber de la, H., 32 (4), 34 441-442
(5), 235 (1), 442 (3) Le Triomphe de la Mort (en
Mouchanoff (von), M., 155 fait de Buffalmacco), 31, 65,
Moussorgski, M. 70 71, 273, 383, 398, 428,
442
Mozart, W.A., 27-29, 52, 75,
84, 114-116 (2), 117, 170, Orphée, 68-69, 232, 247 (1),
398-402, 418, 434-435, 289-290 (1), 291-292, 371
443-444 Ortigue d’, J., 71 (2), 77, 130-131
Ave verum corpus, 115-116 (1), 132 (4), 136 (2), 140 (1),
141(1), 142 (2), 143 (2), 144
Don Giovanni, 401
(2), 145 (1), 147 (3), 150
Requiem, 27, 399-402, 418, (1)-151 (1), 154 (2), 158 (3),
434, 435, 443-444 251, 345
Mueller Charnin, R. : voir Ortrud, 267
Charnin Mueller.
Otto, P., 453, 455 (2), 489 (2),
Munkacsy, M., 85 491-492 (1), 493 (1)
Munro, T., 34 Otton III, 166
Munson, P., 233-234 (1), 298 (2, Overbeck, J. F., 32, 64, 67, 95-97
4), 299, 302 (1), 307 (1)
Sept Sacrements, 32, 64, 67,
Musset, A. de, 44 96, 97
Mustapha, D., 404 Ovide, 272
n p
Narcisse, 231 Paganini, N., 75, 77-78 (1), 370
Nieweem, R., 344 (4)-345 (1) (2)
Nourrit, A., 28 Palestrina, 27, 75, 113, 400
Novalis, 78 Panofsky, E., 36, 109-110 (1),
111 (1,2, 3, 4)-112 (1, 2),
o 153-154, 158, 163 (1)-164 (2),
Ofterdingen d’, H., 128 165 (1)-167 (1, 2), 168, 170
Oglio (dall’), Benedetto, 133 (1)-173, 197 (1), 198 (1, 2)-199
Oglio (dall’), Elena, 133 (1), 204 (1), 215 (1), 225 (1),
Olfers, 88 227 (1)-229 (1), 230 (1), 231
Ollivier, D., 95 (2), 383 (2), 232 (1)-233, 242 (2)-243,
246 (2)-247, 249, 272 (1)-273
Onslow, 94
(3), 274 (1), 275 (2)-276,
283, 285-286 (1, 2), 308 (1),
334, 336, 338, 341, 348, 352,
556 TROISIÈME PARTIE

364-365, 371, 373, 383, 388 Raphaël, 27, 29, 31, 36 (1), 64,
(4)-389, 394, 404, 418 (1), 428, 67, 71 (2), 74-76 (3) 77-78, 80,
451, 458 (1), 470 (1), 504-505, 82, 84, 94-95, 109, 118-119,
507 (2)-508 130-132 (4), 133 (1, 3),
Paolo (Fra), 236 134-135 (1), 136 (1,2)-137,
Pascal Ier (Pape), 139 139-140 (1), 141 (1), 142
Passavant, J.-D., 135-136 (1), (2), 143 (2), 144 (2), 145 (1),
341-342 (1), 353 (1), 355 146-147 (1, 3), 148, 149 (3),
150 (1, 2), 151 (1), 153-154 (1,
Patersi, 94
2), 157-158 (3), 173-174, 247,
Pétrarque, 28, 364 338, 341-342 (1), 344-346 (2),
Petrovics, E., 86 347-349, 352-353 (1), 354 (1,
Pforr, F., 95 3)-355 (1, 2), 358, 360-361,
Phidias, 84, 151 363-368, 371, 373-374, 377,
Pic de la Mirandole, G., 274 (1) 379-381 (2), 503, 506
Pise, de J., 27, 75, 77, 400 La Madonne d’Alba, 77
Pitt-Rivers, F., 74 (2, 3), 75 L’incendie du Borgo, 173
(1)-76 (2), 79 (2) Sainte Cécile, 36 (1), 71 (2),
Plantinga, L., 347 (1), 351 (1, 2), 74, 77, 94, 109, 130-137,
356 (2), 357 140-151, 153-154, 158,
Pocknell, P., 98 (2), 235 (3) 247, 365, 381 (2), 503
Pohl, R., 52, 59 (1), 384-385 (1), Sposalizio (ou le Mariage de la
386 Vierge), 16, 24, 27 (1), 29,
64, 67, 71, 74, 76, 97, 118,
Poirier, A., 297 (1)
119, 157, 338, 341, 344,
Prince Eugène, 76 346, 347, 349, 354, 364
Pruckner, D., 90, 392-393 Vierge Sixtine, 135
Pucci A, 147 Rauch, 88
Pucci, L., 132 Ravel, M., 474
Pungileoni, 354 Réau, L., 137 (2), 139 (2), 368 (1)
Redepenning, D., 58 (1)
r
Reinisch, F., 265 (1), 298 (3), 303
Raabe, P., 59 (3), 155, 251, 453 (2)
(2, 3)
Rembrandt, 353
Raczynski, A. (comte), 120
Reményi, 191
Raff, 393
Réni, G., 147
Ramann, L., 32 (6), 53 (3), 96,
Ricketts, A., 213 (3)
122 (4, 5, 7, 9), 132 (1), 318
(2), 386 (1) Ricossa, L., 436 (4)
Riegl, 163
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 557

Riemann, 198, 208, 375 Saint Macaire, 413, 441-442 (1)


Ripa, 275 Saint Matthieu, 65
Ritgen, H. von, 118 Saint Paul, 133-136, 142-143,
Ritter, A., 289 (2), 290 146 (2)-147, 150, 152
Robert, L., 95 Saint Thomas d’Aquin, 96
Rois Mages, 32 (2), 64, 92, Saint Urbain, 138-139
167-168 Sainte Cécile, 75, 133, 135-137,
Ronchaud, de L., 83 (2), 102 (2) 139-141, 143-144, 146-149,
Roquette, O., 32, 64, 98-99, 101, 153, 381, 503
170, 196, 216, 298, 302-303 Sainte Élisabeth du Portugal, 234
Rosa, S. 343 (3) Sainte Élisabeth, 32, 67, 100,
Rosen, Ch., 56 (2), 169, 297, 315 117-118, 124, 126, 128, 130,
(3) 170, 182-183, 188, 190, 196,
Rosenblatt, J., 391-392, 403 216, 232-234, 282, 296,
298-300, 307, 371
Rossini, 27-28, 75, 267 (2), 387,
400 Sainte Marie-Madeleine,
133,143-144
Rubens, P.P., 139, 272
Sainte Monique, 145
Rubini, 28
Sainte Vierge, 119, 188, 226, 338,
Rudolf, 442
345, 348, 352, 367, 372, 374,
Rüsch, W., 366 (1), 367, 372 (1) 379-380, 503
Russo, D., 31 (2), 398 (1, 2), 406 Sainte-Beuve, 28
(2), 429, 441 (1)
Salazar (Comte), 341
s Salmen, W., 65 (2), 77 (2)-78 (3),
121 (1), 122 (2)-123, 240 (2)
Sabinin, M., 98 (2)
Salomé, 231
Saint Ambroise, 145
Sambeth, H., 251
Saint Augustin, 133-135,
144-147, 152 Sancho, 231
Saint Barthélemy, 230, 242 Sand, G., 44, 46, 53-54 (1), 94
(2), 103, 434-435 (1)
Saint François d’Assise, 233, 299,
437 Santi, G., 136 (1), 342 (1), 353
(1)
Saint François de Paule, 234-236,
282 Saturne, 274
Saint Jean, 133, 135, 136, Sayn-Wittgenstein, C. von
143-144, 147, 152 (Princesse), 91 (1), 107, 255
(2), 270 (1), 452 (1), 488
Saint Jean-Baptiste, 126
Sayn-Wittgenstein, M. von
Saint Joseph, 119, 338, 345, 349,
(Princesse), 88, 90, 93, 130
367, 374, 380
Schaeffer, J. M, 92
558 TROISIÈME PARTIE

Scheffer, A. 30 (5), 32 (2), 65, 67, Fresques de Sainte Élisabeth,


71, 92 (3), 93-95, 121 (3)-123, 32, 99, 129, 216, 233, 307
169 Searle, H., 203 (1), 362 (1), 453
Christ, 94 (2, 3)
Marguerite implorant la Seigel C.F.W., 392
Vierge, 121 Senancour, E. Pivert de, 28, 44,
Faust, 30 (5), 121 53, 61
Rois mages, 32 Sender, 70
Schelling, 243, 245-246 (1), 273 Serassi, 212
Schenker, H., 30 (2)-31, 375 (2) Shakespeare, 97 (3)
Schiller, 33, 44-45, 56 (2), Sibylle, 438
121-122, 243-244 Signorelli, 109
Schläder, 454 (4), 474 (1) Sikora, G., 440 (2)
Schlegel, 76, 242 Siloti, A., 386
Schlotthauer, J., 389 (2) Sophie, (duchesse), 125, 128,
Schmidt, L., 118 (1), 123 (1) 193-196, 216, 267, 296-298,
Schmucke, 74-75 302-303
Schneider, C., 403 (1) Stasov, V., 384 (1)
Schnorr von Carolsfeld, L., 99 Stefano, M., 139
Schober (von), F.R., 249 (1) Steinle, E. von, 32, 65, 95, 97-98,
Scholcz, P., 155 (1) 234-235, 237, 240, 506
Schreiber, H., 128 Saint François de Paule,
Schubert, F., 99, 123, 310, 319, 234-235, 240
328 Stendhal, 74 (1)-76 (1)
Wandererfantasie, 310 Stewart, A.F., 281 (2)
Schumann, R., 47-48 (1), 49-51, Stratton, K., 403 (3)
53, 56(2), 57, 240-241 (1), Street-Klindworth, A., 87, 88 (3),
287-288 (1), 307, 409, 474 89 (2, 3, 4), 90 (2, 3), 130 (1)
Dichterliebe, 240, 241 Stricker, R., 29 (2), 44 (1), 54 (1),
Im Rhein, im heiligen Strome, 55 (1), 71 (2), 78 (1), 83 (2), 84
241 (2, 3), 94 (2) 95 (1), 102 (2),
Novelettes, 50 114 (2), 132 (2, 3, 4), 151 (2),
Schwanthaler, 80 227 (2), 234 (2), 256 (5), 267
Schwertferger, J., 429 (2, 3), 270 (1), 290 (2), 293 (1,
2), 307 (2), 318-319 (1), 332
Schwind, M. von, 24, 32, 64, 67, (2), 337 (2), 339 (1)
71, 98, 101, 118, 124, 126-130,
182 (1)-190, 196, 216-217, Strozzi, G., 211, 278 (1), 279
233, 295, 299, 307 Sturler, 82
Sue Morrow, 49 (1)
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 559

Sue, E., 44 v
Szabo-Knotik (Voir également Vackar, T., 82
Knotik), C. 70, 122 (3), 293 Valérien, 137-139
(3), 489 (3) Vandenesse (de), M., 74
Szinyei Merse, P., 85 Varnhagen, 88
t Vasari, 95, 131-132, 140 (2), 142
(1), 143 (1), 144(1), 148(2),
Tasso, 212, 289, 391 342(2), 354 (1)
Tenerani, 95 Vecchi, (de), P., 154 (1), 355 (1)
Tervarent (de), G., 168 (1), 246 Venantius Fortunatus, 250
(3,4), 273 (2)
Vénus, 242
Teyssèdre, B., 163 (1), 164 (1),
Viardot, P., 28
197, 231 (2), 273 (3), 371, 433
Vier, J., 92 (2)-93 (2)
Thalberg, 92-93 (1), 390
Vierge (Marie), 21, 64, 74, 76,
Variations sur les thèmes de la
103, 112, 119, 121, 135, 140,
7e Symphonie de Beethoven,
157, 188, 226, 338, 342, 345,
391 (1)
347-348, 352, 365-368 (1),
Théodoric, 174-175, 182, 320, 371-372, 374, 379-380, 503
333
Vigny, A. de, 28, 44
Thierry, E., 389 (4)
Viret, J., 240 (1), 360 (3), 381 (1)
Thomson, P., 403 (3)
Virgile, 81 (2), 105-106, 213 (1),
Tiburce, 137-139 279-280, 317-319
Tieck, L., 76, 441, 442 (3) Vite (de), B., 137
Titien, 22, 25, 27, 75, 77, 153, Vogelweide (von der), W., 128
400
Voragine, J. de, 29, 148
Todorov, T., 243 (2), 244 (1, 2),
245 (1), 246(1) w
Touszele, J. (de), 72 Wackenroder, 76
Traini, F., 31, 386 (2) Wagner, R., 50 (2), 57, 117-118
Tranchefort, F-R., 204 (2) (1), 123 (1), 171, 191, 194,
Trechsel, G., 72 267(2), 279, 303, 370, 444,
Trechsel, M., 72 Faust Ouvertüre, 123
Lohengrin, 265 (1), 267 (2),
u 298 (3), 303 (2)
Udine (Da), G., 148 Tristan und Isolde, 203
Uhland, 121 Vaisseau fantôme, 123
Ujfalussy, J., 388 (3), 413, 414 (1) Waldmüller, F. G, 85
Ungher, 28
560 TROISIÈME PARTIE

Walker, A., 45, 49 (2, 3)-50 (1), Wittgenstein, M., 88, 90, 93,
52 (2), 55 (2), 96 (2), 115 129-130
(2), 132 (1), 155 (2), 217 (1), Wolff, H.C., 82
221-222 (1), 248 (1)-249 (1), Wölfflin, 163, 352 (1)
289 (2), 320 (3), 347 (2), 401 Worringer, 197
(2), 434 (2), 439-440
Warburg, A., 163 y
Way, E., 346 (2), 355 (2) Yong, 71
Weber, C. M. von, 54, 403
Konzertstück, 403 z
Weber-Caflisch, A., 170-172 Zichy, G. (Comte de), 87, 452
Weissenbacher, C., 370 (1, 2) Zichy, M., 31, 66, 70, 85, 87,
Weyden (Van der), R., 165-166, 118, 339, 445, 451-454,
170, 173, 228 458-460, 462, 464-466,
Vision des Rois Mages, 165, 469-471, 473, 476-480,
172 489-491, 497-498, 505
Wilson, K., 356 (1) Du Berceau au Cercueil, 70,
Winckelmann, 76 (3) 85, 479, 480
Wittgenstein, C., 32, 88, 90-91 Le Génie de la destruction, 86
(1), 93, 102, 107, 122, 129, Oratorium, 480
255 (2), 270 (1), 318 (2), 436, Saumes, 480
451-452 (1), 454, 479, 488, Zwetzen, de R., 128
498 Zwingenberger J., 73 (4)
Table des matières
Remerciements.................................................................................. 9

Avertissement................................................................................... 13

Preface by Cornelia Szabó-Knotik................................................... 15

Préface de Daniel Russo.................................................................. 19


Une approche théorisée : celle d’Erwin Panofsky..............................19
Motif et niveaux de sens..................................................................21
Quelques présupposés tirés des analyses d’Erwin Panofsky...............24

Introduction.................................................................................... 27

Première partie

Premier chapitre. Le problème de la musique absolue


et de la musique à programme au xixe siècle.
La position de Liszt............................................. 41
I. Conflit esthétique au xixe siècle : musique absolue
et musique à programme.................................................................41
A. Les fondements socio-historiques du conflit : le compositeur et le public....... 42
B. Les fondements musicaux et esthétiques du conflit :
de Beethoven à la musique à programme.................................................. 48
II. Rôle de Liszt, de ses poèmes symphoniques et des programmes,
dans le conflit esthétique du xixe siècle..................................52
562 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

A. Position de Liszt et de sa musique............................................................ 52


B. Rôle des programmes et leur implication
dans la compréhension du contenu........................................................... 53
C. Un exemple d’application dans la Faust Symphonie :
le rapport entre la forme et le contenu...................................................... 58
Conclusion............................................................................................61

Deuxième chapitre. Place de la musique de Liszt


au sein des œuvres inspirées d’art visuel.......... 63
Introduction..........................................................................................63
I. Généralités.......................................................................................64
A. Les sujets d’inspiration............................................................................ 64
B. Formation utilisée.................................................................................. 66
C. Pays d’origine des œuvres visuelles............................................................ 67
II. Approche des œuvres d’art...............................................................70
A. Les différentes visites............................................................................... 70
B. Des reproductions comme point de départ................................................ 71
C. Un cas à part : Raphaël et Michel-Ange
vus par le xixe siècle, et par Liszt en particulier......................................... 74
III. Des œuvres nées de relations entre artistes.......................................82
A. Zichy et Liszt......................................................................................... 85
B. Kaulbach et Liszt................................................................................... 87
C. Ary Scheffer et Liszt................................................................................ 92
D. Liszt, Overbeck et Steinle........................................................................ 95
E. Liszt, Moritz von Schwind, Otto Roquette et Charles de Montalembert..... 98
F. Un cas particulier : le projet de la Dante Symphonie............................... 101
IV. Arts visuels généralement mis en musique......................................107
A. L’architecture et la sculpture................................................................. 107
1. Les œuvres michelangelesques : le tombeau de Julien
et Laurent de Medicis et la Chapelle Sixtine................................. 109
a. Le style de Michel-Ange............................................................ 109
b. La Chapelle et les Tombeaux des Medicis.................................. 110
2. Le château de la Wartburg............................................................ 117
Table des matières 563

B. Peinture et arts graphiques.................................................................... 118


1. Sposalizio, d’après un tableau de Raphaël...................................... 119
2. La Hunnenschlacht, d’après un monumental tableau de Kaulbach.120
3. La Faust symphonie composée à partir de tableaux d’Ary Scheffer.. 121
4. La Légende de Sainte Élisabeth, d’après la fresque
de Moritz von Schwind................................................................ 124
Récapitulation.....................................................................................130

Troisième chapitre. Liszt « critique d’art » ? Étude du texte


sur « la Sainte Cécile de Raphaël »
à M. Joseph d’Ortigue de 1839...................... 131
I. Historique du tableau et sentiments du spectateur.........................132
II. Composition du tableau................................................................134
III. Sainte Cécile.................................................................................136
A. Son histoire............................................................................................ 136
B. Aperçu de l’iconographie de Sainte Cécile................................................. 139
C. La représentation de Sainte Cécile chez Raphaël....................................... 140
IV. Les Saints.......................................................................................142
A. Saint Paul........................................................................................... 142
B. Sainte Marie-Madeleine....................................................................... 143
C. Saint Jean et Saint Augustin................................................................. 144
V. Symbolique des saints....................................................................146
VI. Rôle de la musique dans le tableau Sainte Cécile de Raphaël..........148
Conclusion sur le tableau....................................................................150
Conclusion du chapitre.......................................................................154
Postlude..................................................................................................... 155
564 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Deuxième partie
Réflexions préalables : Espace et temps dans les arts visuels
et la musique................................................................................. 157

Quatrième chapitre. Première étape panofskyenne :


Signification primaire ou « naturelle ».......... 163
I. Première phase : les « objets » et « thèmes » panofskyens
et leurs équivalents musicaux.........................................................164
A. Présentation des « objets » et « thèmes » panofskyens
et de leurs équivalents musicaux............................................................ 164
1. Définition générale et application aux arts visuels......................... 164
2. Application à la musique.............................................................. 168
3. Un cas à part : l’adaptation de la première étape
du premier niveau de Panofsky à des œuvres littéraires................. 170
B. Quelques exemples chez Liszt.................................................................. 172
1. « Formes et motifs » picturaux et « Thèmes et motifs »
musicaux dans la Hunnenschlacht.................................................. 172
a. « Formes et motifs » picturaux chez Kaulbach............................ 172
b. « Thèmes et motifs » dans le poème symphonique de Liszt........... 175
2. « Formes et motifs » picturaux et « thèmes et motifs » musicaux
dans La Légende de Sainte Élisabeth............................................... 182
a. Les personnages et motifs de Moritz von Schwind....................... 182
b. « Thèmes et motifs musicaux »
dans la Légende de Sainte Élisabeth de Liszt........................... 191
b1. Les emprunts thématiques de Liszt.................................. 191
b2. Les thèmes d’invention lisztienne..................................... 193
II. Deuxième phase : la « Signification expressive »..............................197
A. Présentation de la « Signification expressive »......................................... 197
1. Définition générale....................................................................... 197
2. Application à la musique.............................................................. 198
B. Un exemple caractéristique chez Liszt :
le cas d’Il Pensieroso et de sa seconde version : La Notte......................... 199
1. Des œuvres au caractère sombre, douloureux et morbide.............. 201
a. Atmosphère sombre et douloureuse du tombeau
et caractère sombre et douloureux de la pièce.............................. 201
b. Vers la manifestation d’une obsession morbide........................... 210
Table des matières 565

2. Des œuvres solennelles et imposantes........................................... 213


III. Troisième phase : Analyse comparée
des « Événements » (« liens entre les motifs »)................................215
A. Présentation des « Événements »............................................................ 215
1. Définition générale et application aux arts visuels......................... 215
2. Application à la musique : repères généraux.................................. 215
B. Quelques exemples chez Liszt................................................................ 216
1. La Légende de Sainte Élisabeth : Six tableaux de Schwind
pour six sections chez Otto Roquette et Liszt................................ 216
2. Problème d’espace et superpositions de plans
dans la Hunnenschlacht............................................................... 217
a. Disposition spatiale des instruments.......................................... 217
b. Superposition de plans picturaux –
superposition de plans musicaux................................................ 220
3. Division de l’espace et du temps : Il Pensieroso et La Notte............ 224
Conclusion..........................................................................................227

Cinquième chapitre. Deuxième étape panofskyenne : signification


secondaire ou « conventionnelle »................ 229
Introduction........................................................................................229
I. Les « histoires »................................................................................231
A. Définition et application à la musique................................................... 231
1. Définition générale....................................................................... 231
2. Application à la musique.............................................................. 232
B. Les « histoires » dans la musique de Liszt............................................... 232
1. Le Personnage de Sainte Élisabeth/
le thème Stella matutina [Antiphonaire]....................................... 233
2. Le personnage de Saint François de Paule de Steinle
comparé au thème de Saint François dans l’œuvre de Liszt........... 234
II. Les « images »................................................................................242
A. Définition et application à la musique................................................... 242
1. Définition panofskyenne de « l’image »........................................ 242
2. Approche des « images » en tant que « symboles », opposées
aux « allégories » en général et chez Panofsky, en particulier......... 243
566 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

3. Application à la musique et point de vue de Liszt......................... 247


a. Application à la musique......................................................... 247
b. Point de vue de Liszt............................................................... 247
B. Un exemple caractéristique : la Croix/Le Crux fidelis.............................. 249
1. La Hunnenschlacht........................................................................ 251
2. La Légende de Sainte Élisabeth....................................................... 256
3. Autres exemples de l’emploi du Crux fidelis :
Saint François d’Assise, la Prédication aux oiseaux et Il Pensieroso.... 268
4. Un cas particulier : le Crux Fidelis dans le Totentanz..................... 271
III. Les « Allégories »............................................................................272
A. Définition et application à la musique................................................... 272
1. Définition générale....................................................................... 272
2. Application à la musique.............................................................. 273
B. Deux Exemples caractéristiques : Il Pensieroso et la Notte........................ 274
1. Il Pensieroso : visions allégoriques. De Michel-Ange à Liszt…........ 274
2. La Notte : l’allégorie de Michel-Ange vue par Liszt........................ 278
Conclusion..........................................................................................282

Sixième chapitre. Troisième étape panofskyenne :


signification « intrinsèque » ou « contenu »....... 285
I. « Signification intrinsèque » : définition générale,
application aux arts visuels et à la musique.....................................285
A. La « Signification intrinsèque » : approche générale................................ 285
B. La « Signification intrinsèque » :
application aux arts visuels et à la musique............................................ 286
1. La « Signification intrinsèque » dans les arts visuels....................... 286
2. La « Signification intrinsèque » dans la musique........................... 287
II. Quelques exemples de « Signification intrinsèque »
dans le corpus lisztien inspiré d’art visuel.......................................288
A. Orpheus : une apologie de l’Art.............................................................. 288
B. Une forme répertoriée mais cachée au service d’un contenu
religieux et nationaliste dans La Légende de Sainte Élisabeth................ 293
C. Deux attitudes face à la Mort : de Il Pensieroso à La Notte...................... 307
Table des matières 567

D. La Hunnenschlacht : Portée historique et/ou religieuse ?........................... 319


1. La Hunnenschlacht : Peinture musicale à signification historique ?. 319
2. La Hunnenschlacht : Peinture musicale à signification religieuse.... 324
Conclusion................................................................................................. 334

Troisième partie
Justification des œuvres choisies.................................................... 337
Religion : Sposalizio.............................................................................338
Mort : Totentanz..................................................................................338
Art : Von der Wiege bis zum Grabe........................................................339

Septième chapitre. Analyse comparée de Sposalizio de Raphaël


et de Sposalizio de Liszt, d’après Panofsky...... 341
Introduction........................................................................................341
I. Signification primaire ou naturelle, subdivisée
en signification de fait et signification expressive............................348
A. Formes et Motifs.................................................................................. 348
1. Personnages raphaëlesques et éléments thématiques lisztiens......... 348
2. Audace de la perspective. Audaces harmoniques........................... 352
3. Courbes raphaélesques et lignes mélodiques lisztiennes................. 358
B. Événements (liens entre les motifs) : vers une même perception de l’espace et
du temps dans Sposalizio...................................................................... 361
II. Signification « secondaire » ou « conventionnelle ».........................364
A. Images................................................................................................. 365
1. Une image « sonorisée » : les cloches qui renvoient au mariage...... 365
2. La demande et l’acceptation/le motif question-réponse
dans Sposalizio............................................................................. 371
B. Histoires.............................................................................................. 371
III. Signification intrinsèque, ou contenu : d’une même conviction
religieuse à une manifestation différente de la foi...........................373
Conclusion..........................................................................................380
568 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Huitième chapitre. Analyse comparée d’après Panofsky


du Totentanz de Liszt
et de ses modèles visuels.................................. 383
Introduction........................................................................................383
Genèse....................................................................................................... 383
Les sources d’inspiration.............................................................................. 384
Articles, livres et sources littéraires utilisés :................................................... 388
Sources musicales et Historique de l’œuvre.................................................... 390
I. Signification « primaire » ou « naturelle »,
subdivisée en « signification de fait » et « signification expressive ».394
A. Formes et Motifs.................................................................................. 394
1. Un personnage principal chez Holbein – la Mort –
et un thème essentiel chez Liszt : le Dies Irae................................. 394
2. Une deuxième source d’inspiration visuelle et un autre thème
central : du ground à Mozart......................................................... 398
3. Apparition et disparition du De Profundis :
de la première à la dernière version............................................... 402
B. « La signification expressive » dans les sources d’art visuel
et dans la musique de Liszt................................................................... 404
1. Le caractère violent....................................................................... 404
2. La Mort et la surprise................................................................... 413
3. La Mort sarcastique et ironique.................................................... 414
C. Événements (liens entre les motifs) : deux sources d’inspiration
pour une « mise en abyme » musicale..................................................... 417
II. Signification « secondaire » ou « conventionnelle ».........................418
A. Les images............................................................................................ 418
1. Image sonore des instruments représentés graphiquement :
timbales et trombones.................................................................. 419
2. Image sonore des instruments représentés graphiquement :
un effet de vièle à roue…................................................................. 420
3. Image sonore d’instruments non représentés graphiquement :
Du cor de chasse aux chasseurs…................................................. 423
4. Un cas particulier : l’emprunt du Crux Fidelis,
symbole de la Croix...................................................................... 426
B. Les Histoires : Diable et Tritons.............................................................. 428
C. Allégorie : La Mort et le Dies Irae.......................................................... 433
Table des matières 569

III. Signification intrinsèque, ou contenu :


vers un « tombeau » musical…......................................................439
Conclusion..........................................................................................443

Neuvième chapitre. Analyse comparée d’après Panofsky


de Du Berceau jusqu’au Cercueil de Zichy
et de Von der Wiege bis zum Grabe de Liszt.. 451
Introduction........................................................................................451
Genèse....................................................................................................... 451
Articles, livres et sources utilisés :......................................................... 454
a. Articles et livres utilisés............................................................... 454
b. Les sources................................................................................. 455
I. Signification primaire ou naturelle, subdivisée
en signification de fait et signification expressive............................458
A. Événements (liens entre les motifs) : une macrostructure picturale
et macrostructure musicale comparable.................................................. 458
B. Formes et Motifs.................................................................................. 460
1. La scène du berceau/« Die Wiege »............................................... 460
2. La scène d’en haut/« Der Kampf um’s dasein »............................. 462
3. La scène d’en bas, à droite –
« Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens »...................... 465
C. Clair – obscur/diatonisme – chromatisme.............................................. 466
II. Signification « secondaire » ou « conventionnelle ».........................470
A. Images................................................................................................. 470
1. Image sonore des instruments représentés graphiquement............ 470
2. Image du « berceau » à la « berceuse »
ou de la « berceuse » au « berceau » ?............................................. 473
3. Image de la mort et du deuil/Emploi du triton
dans les première et troisième pièces............................................. 476
III. Signification intrinsèque, ou contenu : une symbolique différente
– d’un hommage individuel à un message universel religieux.........479
IV. Cercles, forme en arche et spécificités musicales formelles..............490
Conclusion..........................................................................................497
570 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS

Conclusion.................................................................................... 509

Bibliographie
Sources consultées...............................................................................509
Partitions manuscrites ou annotées de la main de Liszt................................. 509
Sources littéraires éditées............................................................................. 510
Écrits et correspondances de Liszt................................................................. 511
Partitions (éditions modernes).............................................................512
Études générales sur les arts, la musique
et l’analyse musicale.............................................................................. 514
Ouvrages et articles esthétiques et littéraires.........................................515
Ouvrages et articles sur la musique à programme.................................518
Ouvrages et articles sur Liszt et ses œuvres...........................................519
Ouvrages et articles sur Liszt....................................................................... 519
Ouvrages et articles spécifiques sur des œuvres de Liszt................................... 522
Ouvrages iconographiques........................................................................... 522
Ouvrages et études autour de Sposalizio,
Sainte Cécile (Raphaël et Liszt)......................................................523
Ouvrages et études sur Raphaël et son œuvre................................................. 523
Ouvrages et études sur Sainte Cécile............................................................. 524
Ouvrages et études sur le Sposalizio de Liszt................................................. 524
Ouvrages et études sur Il Pensieroso et la Notte
de Liszt, Michel-Ange et ses œuvres...............................................524
Ouvrages et études sur Michel-Ange............................................................. 524
Ouvrages et études sur le Il Pensieroso et La Notte......................................... 525
Ouvrages et études autour de A la Chapelle Sixtine
de Liszt................................................................................................ 525
Ouvrages et études autour de la Faust Symphonie
(Ary Scheffer, Liszt, Goethe)..........................................................526
Ouvrages autour de Bonaventura Genelli............................................527
Table des matières 571

Ouvrages autour de la Hunnenschlacht


(Friedrich August von Kaulbach/Liszt)..........................................527
Ouvrages et études sur Kaulbach.................................................................. 527
Ouvrages et études sur la Hunnenschlacht de Liszt...............................527
Ouvrages autour de la Légende de Saint Élisabeth
(Moritz von Schwind/Liszt)...........................................................528
Ouvrages et études autour du Totentanz de Liszt,
du Triomphe de la Mort de Buffalmacco
au campo santo de Pise, des gravures de Holbein...........................529
Ouvrages et articles généraux sur les Arts au Moyen Âge.....................529
Ouvrages et études sur le Triomphe de la mort
et le Campos santo de Pise.............................................................529
Ouvrages et articles généraux sur les gravures de Holbein....................529
Ouvrages et études autour du Totentanz de Liszt.................................530
Documents sur Steinle et sur La Légende de Saint François de Paule
marchant sur les flots de Liszt........................................................530
Éléments bibliographiques sur Mihaly Zichy
et Von der Wiege bis zum Grabe de Liszt.........................................531
Catalogues d’exposition.......................................................................531
Articles autour d’Orpheus....................................................................531

Liste des illustrations..................................................................... 533

Liste des tableaux........................................................................... 534

Liste des exemples musicaux.......................................................... 535

Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités.............. 555


L AURENCE L E D IAGON -J ACQUIN
LA MUSIQUE DE LISZT
ET LES ARTS VISUELS
essai d’analyse comparée d’après Panofsky, illustrée d’exemples

La passion de Liszt pour les arts est essentielle : il ne peut regarder certaines œuvres
illustration : Liszt © Christian Fattelay

sans les mettre en musique. Ses écrits, lettres et articles révèlent sa culture et sa
connaissance de l’art et du milieu artistique. Son texte sur la Sainte Cécile de
Raphaël, par exemple, dévoile ses talents de critique et d’observateur méthodique.
Son regard semble procéder à l’instar de celui de Panofsky un siècle plus tard.
Grâce à ce rapprochement, l’auteur de ce livre a pu présenter l’ensemble des œuvres
de Liszt inspirées d’arts visuels, notamment Sposalizio, Totentanz, Von der Wieger
bis zum Grabe, qui reflètent ses préoccupations principales que sont l’art, la religion
et la mort.
LAURENCE LE DIAGON-JACQUIN, agrégée d’éducation musicale, licenciée d’histoire de l’art, est maître de conférences
à l’Université de Rennes II en histoire de la musique et dirige la publication de la gazette interdisciplinaire internationale
Le Paon d’Héra / Hera’s Peacock aux éditions du Murmure.

HERMANN ÉDITEURS 978 2 7056 6815 0

Depuis 1876
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www.editions-hermann.fr 45 €

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