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LA MUSIQUE DE LISZT
ET LES ARTS VISUELS
Musiq ue
Laurence Le Diagon-Jacquin
LA MUSIQUE DE Liszt
ET LES ARTS VISUELS
Essai d’analyse comparée d’après Panofsky,
illustrée d’exemples,
Sposalizio, Totentanz, Von der Wiege bis zum Grabe
HERMANN ÉDITEURS
Depuis 1876
ISBN : 978 2 7056 6815 0
wwww.editions-hermann.fr
The idea that all arts are related and that music ranks highest among
them because it is a kind of meta-language with the ability to express
things beyond words provided a starting point for the development of new
aesthetic concepts in the nineteenth century. Franz Liszt was one of the
most active composers of music about literature, music about the arts, and
even of music about music. He experimented a great deal in this direction
and also came up with the appropriate terminology, most prominently
the term of ‘symphonic poem’, which labelled what was his answer to the
urgent question of how to develop the genre of symphonic music after
Beethoven’s overwhelming creations.
When, in the course of history, the ‘aesthetic of content’ together
with programmatic music was overtaken by the ‘aesthetic of form’ repre-
sented by the idea of so-called absolute music, esteem for Franz Liszt as a
composer declined. Generations of musicians, writers of music literature
and musicologists shared the opinion that Liszt’s reputation was built on
his qualities as a piano virtuoso and teacher, and/or on his highly deve-
loped charitable attitude, but only minimally on his compositional legacy.
Only much later did this ‘conventional wisdom’ become obsolete,
when, under the aspects of post-modern culture, late twentieth-century
music increasingly became a product that could virtually combine sounds
and pieces from different social spheres, from different historical times
and places. Within this development, brought about by the simultaneous
and ubiquitous presence of music ranging back over several centuries
and potentially coming from all over the world, the way was open for a
new perspective on music history aimed at reconsidering widely accepted
aesthetic judgements together with the distinctions of artistic rank and the
functional usage of music.
16 LA MUSIQUE DE LISZT ET LES ARTS VISUELS
lisation du jeu des significations dans le champ des pratiques et des savoirs
artistiques. Avec des dénominations différentes, quand nous passons de La
perspective comme forme symbolique (1924/1925 ; Leipzig, 1927 ; trad. fr.
Paris, 1975), à « Iconographie et iconologie », article paru dans les Essais
d’iconologie (New York, 1939 ; 1962 ; trad. fr., Paris, 1967) et repris dans
L’œuvre d’art et ses significations (Garden City, 1955 ; trad. fr. Paris, 1969),
une préoccupation constante reste sous-jacente à toute sa recherche qui, face
à l’œuvre d’art, s’efforce de dégager trois paliers successifs dans le « sujet »
ou la signification. Ainsi que le rappelle Laurence Le Diagon-Jacquin, fort
justement, un premier plan de référence sert, en quelque sorte, à distinguer
la « signification primaire ou naturelle », qu’Erwin Panofsky subdivise
ensuite en « signification de fait », ou « contenu factuel », et en « significa-
tion expressive ». À ce premier niveau, celui également de l’identification
d’un sujet, il s’attache au seul signifié qui se présente à la vue sous la forme
d’« objets » ou d’« événements » dotés de « certaines qualités expressives ».
Ainsi qu’il l’écrivait dans La perspective comme forme symbolique (op. cit.,
p. 238) : « […] Nous appellerons cette couche signifiante primaire où
nous pouvons pénétrer sur la base de notre expérience existentielle vitale la
région du ‘sens-phénomène’(signification primaire ou naturelle). Si nous
voulons, nous pouvons diviser ce sens-phénomène en sens-chose (signifi-
cation de fait) et sens-expression (signification expressive), car il y a une
grande différence entre s’attacher, dans le signe graphique, à la représen-
tation d’un homme ou à la représentation d’un homme ‘beau’ou ‘laid’,
‘triste’ou ‘joyeux’, ‘expressif’ou ‘inexpressif’. » Vient se superposer à ce
premier palier celui de la signification dite « secondaire ou convention-
nelle », aussi qualifiée de « sens-signification ». À propos de la Résurrection
peinte, de 1512 à 1515, par Matthias Grünewald (v. 1480 – 1528), Erwin
Panofsky remarquait : « […] je qualifie ce même complexe de couleurs
claires se trouvant au milieu du tableau, de Christ s’élevant dans les airs
en flottant, et alors j’aurai présupposé une connaissance surajoutée par
la culture […]. » (La perspective comme forme symbolique, op. cit., p. 238)
Le troisième, et dernier, palier de l’interprétation qu’il dégageait s’avérait
celui de la « […] signification intrinsèque, ou contenu », qu’il situait « […]
à un niveau beaucoup plus profond et beaucoup plus général […] » que les
deux précédents (La perspective comme forme symbolique, op. cit., p. 251).
Cette signification « intrinsèque », nous la saisissons « […] en prenant
connaissance de ces principes sous-jacents qui révèlent la mentalité de base
d’une nation, d’une période, d’une classe, d’une conviction religieuse ou
Préface 21
une rose […]. » La rose, c’est-à-dire le motif dans l’exemple étudié, garde
sa spécificité quel que soit son contexte d’emploi, à l’égal du tricéphale
évoqué dans la peinture du Titien sur l’Allégorie de la Prudence. L’étude de
Laurence Le Diagon-Jacquin vient à point nommé pour décrire ces possi-
bilités d’insertion contextuelle du motif chez Liszt et, ainsi, prolonger,
nuancer, compléter le tableau encore assez flou dressé par Panofsky pour
les arts visuels.
Enfin, au plan des variations thématiques et figuratives, les phéno-
mènes décrits sont de l’ordre de la concomitance : un motif disparaît de la
« composition » et, du coup, change tout le dispositif des autres motifs, en
altérant leur sens, parfois aussi leur association tout entière. De ce point de
vue, la comparaison est également riche en prolongements plus ou moins
inattendus.
Preuve est faite du pari audacieux de l’auteur, et de sa réussite bien
affirmée.
Daniel Russo
Université de Bourgogne
ARTeHIS UMR 5594 (Dijon)
Institut universitaire de France membre senior
Introduction
1. Ce nom figure ici au milieu des deux autres à cause de Goethe. Voir Jean-Jacques
Eigeldinger, « Anch’io son pittore ou Liszt compositeur de Sposalizio et Pensieroso », De
l’Archet au Pinceau, p. 58, n. 16. Pour plus de facilité, nous renvoyons le lecteur à la
bibliographie pour les références complètes.
2. Franz Liszt, « lettre à M. Hector Berlioz », Rome, Gazette musicale du 24 octobre 1839,
rééditée dans les Lettres d’un Bachelier ès Musique, Jean Chantavoine (éd.), in Pages
Romantiques, p. 261-262. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur cette citation très
riche d’un point de vue tant historique qu’esthétique.
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1. Franz Liszt, « lettre à Lambert Massart » de Rome, via della Purificazione, 80, du
1er mars 1839, citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 103.
2. D’ailleurs, il écrit beaucoup sur les créateurs et sur la société de son temps. Ses écrits
restent des sources et des témoignages capitaux d’un point de vue sociologique et esthé-
tique. Voir à ce propos l’ouvrage synthétique des écrits de Liszt, annoté et commenté
par Rémy Stricker, Franz Liszt artiste et société. Pour les rapports épistolaires de Liszt
et des artistes, nous renvoyons à l’abondante correspondance éparse en précisant que
malheureusement, elle n’a pas encore aujourd’hui fait l’objet d’une édition exhaustive.
(Voir la bibliographie pour les références)
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1. Liszt avait en effet un grand projet inter-artistique qu’il ne put réaliser. Nous revien-
drons sur cette question.
2. Scheffer a peint également Liszt et l’a pris comme modèle pour ses Rois Mages.
3. Karin von Maur, op. cit.
4. Helga de La Motte-Haber, Musik und Bildende Kunst, p. 85.
5. Franz Liszt, « Préface » de la Légende de Saint François de Paule marchant sur les flots.
6. Lina Ramann, Artist and Man, 1811-1840, 1882, p. 372, vol.2
Introduction 33
À ces ouvrages généraux s’ajoutent des articles ponctuels sur des sujets
interdisciplinaires précis. L’œuvre lisztienne la plus convoitée sous cette
forme est Sposalizio, avec les écrits de Joan Backus, de Cornelia Knotik et
de Jean-Jacques Eigeldinger, pour ne citer que les travaux les plus achevés.
Par ailleurs, il faut mentionner la floraison de cours et séminaires
inter-artistiques1 comme celui de Michèle Barbe à la Sorbonne, séminaire
(1997-1998) qui a débouché sur plusieurs recueils d’articles – distribués
sous l’égide de l’Observatoire Musical Français2 – et sur un colloque.3 Un
second colloque, toujours sous la direction de Michèle Barbe, du 26 au
28 mai 2008 s’intitule : « Musique et Arts plastiques : la traduction d’un
art par un autre. » À l’université Marc Bloch de Strasbourg, les séminaires
de ce type sont également mis en place, regroupant les plasticiens et les
musicologues. Ces actions sont dirigées en particulier par Márta Grabócz
et Jean-Louis Fleckniakoska. D’ailleurs, le colloque du 22 avril 1995 orga-
nisé par Márta Grabócz était consacré aux « Modèles : esthétique, analyse,
sémiotique ». Il déboucha sur une publication.4 À noter également une
journée d’étude en mars 2001 où Marie-Anne Lescourret et Siglind Bruhn
intervinrent respectivement sur la « correspondance des Arts » et sur l’in-
fluence de Holbein dans la Danse des Morts (musique d’Honegger et texte
de Claudel)5.
Cependant, si les recherches actuelles sont de plus en plus dirigées vers
les relations entre les arts, nous ne disposons pas de méthode précise pour
comparer une partition avec sa source d’inspiration visuelle. En effet, tous
les textes que nous avons lus, aussi riches soient-ils, nous ont fait sentir la
nécessité d’essayer de nous forger un outil méthodologique. Notre corpus
d’étude étant fondé uniquement sur des œuvres d’art visuel figuratives,
nous avons opté pour l’adaptation d’une méthode d’historien de l’art à la
musique de Liszt. D’après ses écrits, nous constatons qu’il s’attache avant
1. Là encore, l’exhaustivité n’est pas possible. Seuls quelques exemples seront donnés.
2. Voir par exemple le recueil Collectif, Musique et Arts Plastiques, Actes du séminaire
doctoral et post-doctoral, novembre 1997-mai 1998.
3. Colloque « Musique et Arts plastiques : intersections », 7-9 décembre 2000 sous la
direction de Michèle Barbe. Actes parus. Références comme suit : Michèle Barbe (dir.),
Musique et Arts plastiques : analogies et interférences.
4. Márta Grabócz (dir.), Les Modèles dans l’Art, Musique, Peinture, Cinéma.
5. Le texte présenté en français a été publié en langue anglaise dans le livre de Siglind
Bruhn cité ci-dessus.
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tout à l’idée constitutive d’une œuvre.1 Aussi nous a-t-il semblé logique
de pouvoir déceler les idées présentes à la fois dans sa musique et dans
les œuvres plastiques inspiratrices. C’est la raison principale pour laquelle
nous avons choisi les travaux de l’historien de l’art Erwin Panofsky. Il
s’attache en effet à différents niveaux de signification d’une œuvre d’art
en la mettant en rapport avec sa situation historique donnée. Ce dernier
élément est important dans la mesure où les œuvres de Liszt sont posté-
rieures parfois de quatre siècles à leur source d’inspiration ! L’aspect histo-
rique ne devait donc pas être omis dans ce travail tout entier réalisé sous le
signe de l’esthétique musicale.2
En résumé, nous nous demanderons dans quelle mesure Liszt est lié
aux artistes de son temps et à ceux des siècles passés ; comment il réagit
face à des œuvres d’art visuel, et en quoi il s’en inspire. Nous éclaircirons
donc ce qu’il appelle « la relation cachée qui unit les œuvres du génie » ; nous
verrons selon quels procédés techniques, formels ou encore esthétiques sa
musique peut être l’objet de correspondances avec ses modèles picturaux,
graphiques et sculpturaux.
Pour répondre à ces questions, nous replacerons dans notre premier
chapitre la musique de Liszt inspirée d’œuvres d’art visuel au sein de la
musique du xixe siècle, en dégageant les principaux enjeux de la musique
à programme. Aussi établirons-nous la place des œuvres lisztiennes par
rapport aux compositions inspirées de sujets similaires jusqu’au xxe siècle.
Force sera également d’observer l’importance des arts visuels dans la pensée
de Liszt. L’étude du texte de sa lettre sur la Sainte Cécile de Raphaël offre
là un témoignage capital. Il montre comment Liszt procède à l’aide d’une
véritable méthode iconographique, dont nous avons constaté que celle de
Panofsky est la théorisation.
Donc, dans notre deuxième chapitre, nous exposerons notre méthode
d’analyse comparée, fondée sur celle de l’historien de l’art Erwin Panofsky
que nous adapterons à la musique. Chaque passage d’un médium – visuel –
à l’autre – musical – y sera expliqué à l’exception des trois œuvres étudiées
de manière approfondie dans notre troisième chapitre. En effet, dans
cette dernière partie, nous appliquerons notre méthodologie d’analyse
tableau.1 Elle n’est pas en mesure non plus de désigner explicitement son
contenu. Elle n’a pas besoin a priori de la pensée pour accéder à l’émotion.
De ce fait, elle est supérieure aux autres arts et beaucoup plus difficile
d’accès car son langage est dénué de contenu sémantique explicite. Il faut
donc parvenir à le déchiffrer.
– La seconde raison réside dans le fait que les conditions de récep-
tion de la musique sont socialement défavorables ; la musique semble être
moins liée aux besoins vitaux les plus indispensables que la poésie et les arts
plastiques.2 En effet, son public se divise en deux catégories, les amateurs
et les connaisseurs, dont les habitudes d’écoute sont opposées. Leur prépa-
ration et leur familiarité avec la musique ne se situent pas au même degré :
le connaisseur est séduit par les sons, les timbres des instruments, les
harmonies, les mélodies… Il aime à comparer ce qu’il entend avec les lois
qu’il connaît. Il perçoit non seulement le discours musical, mais aussi le
« contenu sentimental ». En un mot, selon Liszt, il comprend le langage
musical et sait apprécier ses effets. En revanche, l’amateur ne comprend
pas ce qu’il écoute. Il essaie de donner une signification à ce qu’il entend,
à l’aide de l’entendement. Il voudrait en comprendre le contenu. Aussi
Liszt propose-t-il dès 18373, d’écrire quelques mots d’introduction aux
morceaux de musique purement instrumentaux. C’est l’ébauche des
programmes dans la musique. Notons qu’à cette époque, Liszt compose
l’Album d’un voyageur – plus exactement entre 1835 et 1840 – première
version d’un ouvrage bien plus célèbre : les Années de Pèlerinage, 1re Année,
Suisse. Ce cycle peut apparaître comme l’équivalent musical des souve-
nirs de voyages immortalisés par des peintres – à l’instar de Delacroix,
par exemple, dans des Carnets – et se divise en trois cahiers, eux-mêmes
composés de plusieurs pièces.
Les pièces de l’Album d’un voyageur – véritable « pendant à la préface de
Cromwell, presque contemporaine dans le domaine littéraire »4 selon l’heu-
reuse formule de Jean-Jacques Eigeldinger – d’apparence très éclectiques,
convergent vers un même point : d’une part, elles dévoilent l’œuvre lisz-
tienne comme un exemple emblématique d’une composition romantique,
1. Même si la perception du détail de tous les éléments n’est pas aussi simultanée.
2. Nous tenons à rappeler ici qu’il s’agit de la position de Liszt relevée par Altenburg.
3. Voir les extraits de ses Lettres d’un Bachelier ès Musique cités plus loin.
4. Jean-Jacques Eigeldinger, « Les Années de Pèlerinage de Liszt : Notes sur la Genèse et
l’esthétique », Revue Musicale de Suisse Romande, p. 150.
44 PREMIÈRE PARTIE
tant par les sujets illustrés musicalement que par les références sonores
utilisées, et d’autre part, elles montrent l’application du compositeur à
guider l’auditeur tant par ses titres et citations en exergue, que par son
programme. Le titre même de ce cycle renvoie probablement aux Lettres
d’un Voyageur de George Sand, illustrant déjà l’intérêt du jeune Liszt pour
la littérature. En effet, entre 1830 et 1833, il fréquente les salons parisiens
et y rencontre de nombreux écrivains, comme Victor Hugo, Alexandre
Dumas, Honoré de Balzac, Heinrich Heine, Alphonse de Lamartine,
Alfred de Vigny, Eugène Sue, George Sand – qui séjournera quelque
temps avec Liszt et Marie d’Agoult en Suisse – Alfred de Musset, Étienne
Pivert de Senancour… De plus, il lit énormément et écrit même lettres et
articles sur des sujets musicaux, politiques ou encore esthétiques.1 Aussi,
dans l’Album d’un Voyageur, il mentionne de nombreuses références en
épigraphe, extraites de Byron, Schiller, ou encore de Senancour, dont le
héros éponyme Obermann inspira la Vallée… du même nom, affirmant
ainsi sa sensibilité littéraire. D’ailleurs, il préface cette pièce d’une cita-
tion de Schiller et de deux larges extraits de Senancour dont ces quelques
phrases extraites de son roman épistolaire :
Que veux-je ? Que suis-je ? Que demander à la nature ?…. Toute cause
est invisible, toute fin trompeuse ; toute forme change, toute durée s’épuise.
(Obermann, lettre 63)
Liszt adhère aux interrogations existentielles fondamentales, qui
hantent tous les artistes et autres personnages romantiques devant une
nature a priori hostile puisque Senancour la définit, dans une autre lettre
citée par Liszt, comme apparaissant « partout accablante et partout impéné-
trable ». Le compositeur terminera son œuvre sur une note plus optimiste,
après toute une évolution psychologique décrite par la musique.2
La citation la plus proche de sa vie personnelle, reste sans nul doute
celle de Byron, extraite de Childe Harold dans les Cloches de G… pièce par
laquelle il rend hommage à la naissance de sa fille Blandine, dévoilant aussi
son état psychologique :
1. Voir à ce sujet le recueil : Rémy Stricker (éd.), Franz Liszt, artiste et société.
2. Pour une analyse de la Vallée d’Obermann, nous renvoyons aux travaux de Márta
Grabócz. Voir bibliographie.
Premier chapitre 45
1. Franz Liszt, « Lettre à M. Adolphe Pictet », [Lettres d’un Bachelier ès Musique] Les
Pages romantiques, introduction et notes de Jean Chantavoine, p. 138.
48 PREMIÈRE PARTIE
1. Franz Liszt, « Robert Schumann », Neue Zeitschrift für Musik, XLII, 1855, p. 192 cité
par Detlef Altenburg, « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt », p. 19.
Premier chapitre 49
arguant du fait que leur style de composition prend leur racine dans la
musique de Beethoven, et est donc essentiellement germanique.1
Les poèmes symphoniques, œuvres d’un genre nouveau, sont la solu-
tion lisztienne à la question : « comment écrire après Beethoven ». Alan
Walker y décèle trois modifications principales :
1. Il inventa la structure « cyclique », en coulant en un seul les mouvements
séparés de la sonate. En cela, Liszt ne faisait que poursuivre un procédé
embryonnaire chez Beethoven, dont certains mouvements de ses œuvres
– La Cinquième Symphonie, par exemple – ne sont pas seulement liés,
mais reflètent littéralement leurs contenus réciproques.
2. Il perfectionna la technique de la « transformation de thèmes », qui
permet de développer à partir d’une seule idée musicale les idées contras-
tées d’une œuvre.
3. Il pensa que le langage de la musique pouvait être fertilisé par les autres
arts, la poésie et la peinture en particulier. Il popularisa la notion de
« musique à programme » et amorça ainsi une controverse qui se pour-
suit encore de nos jours. 2
Cette dernière idée renvoie à la synthèse des arts, si présente dans les
écrits et dans la musique de Liszt. Nous reviendrons par la suite abondam-
ment sur ces questions et principalement sur ce dernier point, d’autant
qu’il constitue un élément de divergence important entre les partisans de
la musique « à programme » et les adeptes de la musique absolue.
Les questions débattues lors de la « querelle des romantiques » puisent
leurs origines dans le passé, mais la tournure virulente et passionnée que
prennent les débats est totalement neuve.
Liszt se proclame, avec ses partisans, « musicien de l’avenir ». Alan
Walker3 rappelle que l’origine de cette expression est due à la Princesse
Carolyne. En 1859, le terme de Neue Deutsche Schule [Nouvelle École
Allemande] lui est substitué. Il est dû à Franz Brendel qui, comme
Schumann dans le camp adverse, vante la supériorité germanique sur les
autres styles musicaux – français et surtout italiens – en vogue, à l’époque.
relève donc pour lui d’un oxymore, par une référence littéraire, donc signi-
fiante, d’un côté, et un terme musical, donc dénué de sens, de l’autre.
Hanslick va d’ailleurs jusqu’à reprocher à Schumann d’avoir cautionné
la synthèse des arts, en prétendant que seul le matériau diffère et que les
principes esthétiques sont les mêmes. Pour le critique, la musique ne peut
exprimer un quelconque sentiment… Le modèle auquel il se réfère est
Brahms. Pourtant, nous pouvons remarquer que le critique se rapproche
singulièrement de Liszt lorsqu’il définit l’importance du thème musical au
sein d’une œuvre :
Tout dérive de lui [le thème], tout reconnaît sa détermination ; il est
comme l’axiome se suffisant à lui-même, qui nous satisfait tout seul, mais que
notre esprit désire voir discuté et développé. Le compositeur traite son thème
principal à la manière d’un héros de roman, le faisant intervenir dans les situa-
tions les plus diverses et ne perdant pas de vue, quels que soient les contrastes
qu’il admet, que tout se rapporte à ce premier rôle et gravite dans son orbite.1
Nous pouvons tout à fait imaginer ici que Hanslick expose la technique
lisztienne de transformation thématique. La différence fondamentale entre
les deux hommes se situe donc dans le domaine des idées, dans l’esthétique
que chacun défend. Pour Hanslick, le thème est l’objet de départ, dont
tout découle, tandis que, pour Liszt, il découle lui-même d’une idée extra-
musicale. Mais le travail thématique reste éminemment important, dans
les deux cas. Notons que, dans la musique de Liszt, le travail à partir d’un
même matériau est poussé à l’extrême, ce que relève justement Dahlhaus :
On ne peut pas dire que le principe de la « dérivation contrastée », nom
qu’Arnold Schmitz a donné à la déduction de thèmes opposés à partir d’une
substance commune, soit étranger à la symphonie classique. Cependant, dans
les réalisations de la forme sonate chez Beethoven, ce principe est de nature
accidentelle, il ne fonde ni le sens ni la cohésion de la forme, mais apparaît
comme un facteur de liaison supplémentaire. Ce n’est que consécutivement à la
dissolution du développement, centre de la forme symphonique, que la « déri-
vation contrastée », est devenue formellement constitutive et essentielle en tant
que nouveau fondement du dualisme thématique.2
Les compositions lisztiennes s’imposent donc par leur travail sur la
thématique, comme une continuation aboutie des entreprises beethové-
1. Voir ses écrits sur la Faust Symphonie ou encore sur le Totentanz. Nous reviendrons sur
ces exemples dans nos analyses.
2. Alan Walker, op. cit., p. 844, vol.1.
Premier chapitre 53
Harold » – qui parut en 1855 dans la Neue Zeitschrit für Musik – ainsi
que dans un texte sur Schumann, publié dans le même journal, les préten-
tions philosophiques et esthétiques avec lesquelles ses « poèmes sympho-
niques » sont présentés au public. Il y définit ses principes sur la musique
à programme : pour lui, elle est supérieure à la musique instrumentale
pure car elle prélude à un nouveau chapitre philosophique de l’histoire
de la musique, par la fusion de la musique avec une idée poétique, ce que
Beethoven avait, d’après lui, déjà pressenti. Son texte sur Schumann est, à
cet égard, également significatif. Altenburg précise :
L’objet de la démonstration dans ces écrits est avant tout la propre perspec-
tive lisztienne de l’esthétique et de l’histoire musicales, selon laquelle Berlioz et
Schumann sont interprétés comme des pionniers d’une musique du futur, plus
que le but artistique et les œuvres des compositeurs Berlioz et Schumann.1
Liszt répond aussi – comme Berlioz – aux exigences d’un public scru-
puleux, qui tient à comprendre ce qu’il écoute. Il choisit ses sujets dans les
épopées philosophiques ou modernes, comme Faust, Manfred de Byron
ou Obermann de Senancour… dans lesquelles il voit des sujets poétiques
et philosophiques. Il s’oppose ainsi à la conception de Hanslick2, pour
qui l’esthétique est purement musicale : l’esprit est forme, et la forme est
musique. La forme musicale est l’essence de la musique comme idée. Pour
lui, il n’y a donc pas lieu de séparer la forme du contenu.
Mais quel rôle joue le programme dans la compréhension du
contenu ?
1. Detlef Altenburg, « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt. », p. 10 [trad. par nos soins].
2. Voir à ce sujet : Édouard Hanslick, Du Beau dans la Musique.
3. Franz Liszt, Gesammelte Schriften, éd. Lina Ramann, p. 50, vol. IV [trad. par nos
soins].
54 PREMIÈRE PARTIE
1. Franz Liszt, « II. À un poète voyageur, à monsieur George Sand, Paris, janvier 1837,
parution le 12 février 1836 (sic) dans la Gazette musicale » [« Lettres d’un Bachelier ès
Musique »] rééditée dans Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, p. 73.
Premier chapitre 55
à la foule. Les passions et les sentiments qu’elle doit rendre sont bien dans le
cœur de l’homme, mais non dans le cœur de tous les hommes, tandis que tout
homme se retrouve matériellement dans une statue. De là les malentendus
beaucoup plus fréquents entre le public et le musicien qu’entre le public et le
statuaire.1
Cette « forêt des symboles » qui compose le langage musical, pour
reprendre l’expression de Baudelaire dans ses Correspondances, doit être
déchiffrée. Contrairement aux autres arts, la musique ne repose pas,
d’après Liszt, sur un principe d’imitation. D’autres textes vont dans ce
sens comme celui de la préface de ses poèmes symphoniques2 :
Il est évident que les choses qui ne peuvent apparaître qu’objectivement à
la perception ne peuvent en aucune manière fournir des points de concordance
avec la musique ; le dernier des apprentis paysagistes pourrait, de quelques traits
de pastel, en donner une image beaucoup plus fidèle qu’un musicien disposant
de toutes les ressources du meilleur orchestre. Mais, si ces mêmes choses sont
transposées dans le domaine du rêve, de la contemplation, de l’élan émotionnel,
n’ont-elles pas une parenté avec la musique, et la musique ne devrait – elle pas
pouvoir les traduire dans son mystérieux langage ?3
Là encore, le « mystérieux langage » de la musique nécessite que l’audi-
teur requière des outils. Il doit éviter les contresens, ne pas se tromper dans
les intentions du compositeur, et donc dans la perception de son œuvre.
Aussi, les programmes explicatifs qui décrivent les principales motivations
de l’auteur sont nécessaires pour éviter tout débordement, comme nous
l’avons déjà vu. Parallèlement, le programme affirme l’ambition esthétique
de Liszt. Detlef Altenburg la résume :
Premièrement, la musique trouve son accomplissement dans la mise en
forme de propos poétiques ; deuxièmement, elle doit s’emparer des grands thèmes
1. Detlef Altenburg, « La notion lisztienne de poème symphonique dans son interpéné-
tration avec la conscience nationale à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle », La
Revue musicale, triple numéro 405-406-407, p. 289.
2. Friedrich Schiller, (œuvre non citée) par Charles Rosen, La génération romantique,
Chopin, Schumann, Liszt et leurs contemporains, p. 177-178.
Premier chapitre 57
Meeresstille und Glückliche Fahrt,1 dans le Songe d’une Nuit d’Été, dans
le programme de la Symphonie pastorale ou de morceaux identiques, tout le
monde comprendra la spontanéité de l’allusion musicale. Mais un Mazeppa
est absolument anti musical ; un Prometheus est si loin de toute référence
musicale que le simple fait d’associer de tels titres avec des symphonies, ne peut
que créer une impression de braggadocio.2 […]
Les « poèmes symphoniques » sont publiés avec des préfaces explicatives par
Liszt, rédigées avec une grandiloquence horriblement sentimentale, proche de
celle de Richard Wagner. […] Je laisse le lecteur musicalement éduqué décider
comment l’on peut encore parler de composition musicale, quand « les idées les
plus importantes » ne peuvent pas être traduites par des notes. Les chefs d’or-
chestre et interprètes devront donc être doués d’une perspicacité divine tout à
fait spéciale, et les auditeurs aussi.3
Il faut ici mentionner la difficulté d’un accord sur la définition du
contenu : contrairement à ce qu’affirme Hanslick, le contenu ne découle
pas d’une transposition littérale d’un programme dont il est inspiré. Ce
n’est pas un élément extra-musical en tant que tel. L’inspiration initiale est
en effet parfois sujette à caution dans sa perception : Schumann, dans un
de ses articles, n’a-t-il pas confondu les symphonies « italienne » et « écos-
saise » de Mendelssohn ?
Le contenu est donc un ingrédient du travail musical, comme l’a
démontré Dahlhaus en précisant que Faust est le sujet et non le contenu de
la Faust Symphonie. L’esthéticien germanique donne d’ailleurs des explica-
tions pertinentes sur ce délicat problème :
Et le sujet n’est pas un modèle à imiter mais plutôt une sorte de matériau
que le compositeur élabore. […] Ce n’est que de l’interaction du sujet et de
« formes évoluant en sons » que le contenu musical jaillit. […] La musique à
programme est bâtie sur l’interdépendance de ses composants.4
Les composants de la musique à programme dont il parle sont évidem-
ment les éléments constitutifs de la forme, et le contenu.
Conclusion
D’emblée, nous constatons que les œuvres de musique à programme
prennent leur source indifféremment dans les arts visuels et dans la litté-
rature. Néanmoins, les discours des critiques et des musicologues ou les
explications des compositeurs eux-mêmes n’accordent pas toujours une
Introduction
Dans son étude sur les œuvres musicales inspirées par les arts visuels,
Monika Fink s’appuie sur 711 titres d’œuvres qui renvoient à l’art plas-
tique ou à des artistes plasticiens et ce, de 1839 à nos jours. Il apparaît
nettement qu’au xixe siècle, les compositions de ce type sont rares, tandis
que les deux tiers des compositions nommées ont vu le jour après 1950.
D’après Monika Fink : « Cet emploi renforcé de la musique vers une inspira-
tion visuelle constitua dans les années 60 une des réactions sur la surdétermi-
nation du sérialisme.1 »
De plus, les œuvres musicales inspirées d’un modèle littéraire possè-
dent une tradition remontant à l’Antiquité – se développant tant à l’âge
médiéval qu’à la période de la Renaissance – tandis qu’une composition
d’après des tableaux prend son point de départ seulement en 1839. Ainsi
Monika Fink nous apprend-elle que « Les premiers exemples d’incorpora-
tion de tableaux dans des œuvres musicales, comme Tombeau für Kaiser
Ferdinand IV de Heinrich Ignaz Biber ne peuvent être qualifiées de “compo-
sitions à partir de tableaux” […]. On ne peut pas plus parler d’une incita-
tion à la composition par l’art plastique de Rosenkranzsonaten de Biber2.
1. Monika Fink, Musik nach Bildern, Programmbezogenes Komponieren im 19. und 20.
Jahrhundert, p. 18. [Trad. par nos soins]
2. L’auteur n’explique pas pourquoi.
64 PREMIÈRE PARTIE
I. Généralités
Il est aisé de remarquer que ces données se retrouvent dans les œuvres
lisztiennes composées à partir d’œuvres d’art visuel.
Liszt s’est effectivement inspiré assez souvent de sujets religieux. La
liste est révélatrice :
– Sposalizio, le mariage de la Vierge de Raphaël a été en effet sa première
œuvre composée à partir d’une peinture, en 1839 ;
– l’oratorio La Légende de Sainte Élisabeth, d’après la fresque de Moritz
von Schwind, qui s’appuie sur un livret d’Otto Roquette d’après le
texte de référence de Charles de Montalembert ;
– les Sept Sacrements, dont le titre renvoie à une œuvre picturale
d’Overbeck ;
– la « marche des Rois Mages » dans le Christus, d’après une pein-
ture de la Cathédrale de Cologne. Liszt s’inspire d’une œuvre d’art
visuel uniquement dans la dernière pièce de la première partie de
son oratorio, et non pas dans l’œuvre intégrale. De plus, dans cette
section, il utilise le texte « Et ecce stella, quam viderant » de l’Évangile
selon Saint Matthieu, livre II, chapitre 9. En définitive, la source
visuelle n’est ici encore qu’un prétexte. Pour ces raisons, nous écar-
tons ce morceau de notre corpus d’étude ;
– Saint François de Paule marchant sur les Flots, d’après un dessin de
Steinle.
Les sujets historiques, mythologiques et mythiques font également
partie des inspirations de Liszt. Ainsi La Hunnenschlacht inspirée du tableau
de Kaulbach trouve-t-elle son fondement dans la victoire commune des
Wisigoths et des Romains sur les Huns en 451 après J.-C. dans les champs
catalauniques, à la suite d’une cruelle et terrible bataille. C’est son ami
architecte Leo von Kleuze qui fit part de cette histoire à Kaulbach :
Ainsi la bataille n’est-elle pas seulement disputée sur le sol. Le lieu de l’ac-
tion se trouve plutôt dans les hauteurs spéculatives des régions célestes. Leo
von Kleuze incita Kaulbach de manière décisive pour la mise en scène vision-
naire. Cet architecte, de formation classique, lui avait indiqué une légende
mentionnée par Damascius, selon laquelle les âmes des morts auraient encore
bataillé pendant trois jours et trois nuits dans les airs.1
Cependant, la bataille, qui, par définition, appartient à l’Histoire,
oppose deux camps aux convictions religieuses antagonistes. Nous montre-
rons que c’est précisément cette idée qui est à la base du discours musical.
– dans Orpheus d’après un vase du Louvre, dont nous devrons
préciser l’origine. Liszt retient de ce mythe le rôle rédempteur de la
musique ;
– la Faust Symphonie, dont Monika Fink et Walter Salmen2 attribuent
l’inspiration à trois portraits d’Ary Scheffer, se fonde sur le célèbre
mythe du héros goethéen. Elle allie également les thèmes de la reli-
gion et de la mort.
La mort est en effet également l’un des thèmes récurrents des œuvres
lisztiennes inspirées d’art visuel.
– le Totentanz, variations sur le Dies Irae, trouve son inspiration au
Campo Santo de Pise avec la fresque Le Triomphe de la Mort de
Buffalmacco que Liszt et ses contemporains attribuaient à Orcagna,
ainsi que les gravures de Holbein. Il a été difficile d’en retrouver les
sources qui font l’objet d’un développement conséquent dans notre
partie consacrée à cette œuvre, dans le troisième chapitre. Nous les
posons donc ici comme postulat ;
– Il Pensieroso et La Notte d’après Michel-Ange renvoient aux tombeaux
des Medicis, donc à un sujet d’après la mort ;
– il faut également ajouter Von der Wiege bis zum Grabe, au titre
emblématique, d’après un dessin de Miháli Zichy.
Il est à remarquer qu’un nombre relativement modeste de sujets reli-
gieux a inspiré Liszt. Cependant, quel que soit son thème d’inspiration,
nous verrons qu’il en fait plus ou moins un sujet religieux.
B. Formation utilisée
À propos de la formation instrumentale utilisée généralement par les
compositeurs inspirés d’œuvres d’art visuel, Monika Fink tire des conclu-
sions intéressantes :
Dans une composition écrite d’après des œuvres d’art plastique, le grand
orchestre a naturellement eu la préférence des compositeurs, car il offre la plus
large palette d’expression. À la deuxième place se trouve le piano, utilisé de
manière privilégiée depuis sa naissance pour tout ce qui est descriptif, illus-
tratif, imitatif comme pour tout ce qui est poétique ; par son jeu différencié
et ses multiples possibilités de nuances qui vont du sublime à l’emphatique, il
représente un corps sonore adéquat pour une composition d’après des œuvres
imagées. Ainsi, jusqu’à la moitié de ce siècle, les compositions d’après tableaux
sont presque exclusivement écrites pour orchestre ou pour piano […] Dans les
dernières décennies se sont certes jointes de plus en plus différentes formations de
musique de chambre ou des formations solistes, toutefois, la préséance du piano
et de l’orchestre subsiste toujours.1
Les pièces de Liszt entrent quantitativement tout à fait dans les caté-
gories mises en évidence par Monika Fink. En effet, l’orchestre reste à la
première place (les deux symphonies Faust et Dante, les poèmes sympho-
niques : la Hunnenschlacht, Orpheus, Von der Wiege bis zum Grabe) tandis
que le piano vient tout de suite après (Sposalizio, Il Pensieroso, La Notte,
dont une version pour orchestre a été également transcrite par Liszt
lui-même).
1. Nous tenons à remercier Cornelia Szabó-Knotik d’avoir attiré notre attention sur
cet argument.
Deuxième chapitre 71
et Mac Cabe […] ou les mises en musique de Klee par Faltus, Finke, Klebe,
Klusak et Morillo […]. Même si l’opinion de Gadamer, selon laquelle, dans
une reproduction, il ne subsiste « plus rien de l’événement unique qui carac-
térise son modèle »1, semble exagérée, il est tout de même indéniable qu’une
œuvre d’art essuie une perte d’aura par le procédé technique de reproduction
en tant que tel, perte qui se répercute sur l’œuvre musicale.2
Nous voudrions d’emblée apporter une restriction à la réflexion de
Monika Fink : s’il est indéniable qu’une œuvre perde de sa force, de son
« aura », de son émotion dans une reproduction, il n’est pas certain du
tout qu’une œuvre musicale composée à partir d’une copie d’œuvre d’art
plastique souffre d’un manque. En effet, si l’on se réfère à Liszt, nous nous
apercevons qu’il s’attache autant au concept, à l’idée d’une œuvre – en
témoignent les programmes de ses poèmes symphoniques – qu’à la réali-
sation plastique même3.
Pour Liszt, l’inspiration naît principalement d’œuvres admirées en
direct, et rarement de copies. Cependant, les gravures de Holbein nous
obligent à nuancer notre propos. Rappelons rapidement la genèse et l’évo-
lution de cette œuvre.
C’est à Lyon en 1538 que fut imprimée la Danse des Morts de Holbein.
L’un des titres d’origine était Les simulachres et historiees faces de la mort,
même si elle existe aussi sous l’appellation de « Danses des Morts ». Les
libraires Jean et François Frellon optèrent pour la publier tandis que
Melchior et Gaspar Trechsel se chargèrent de l’imprimer. Cet ouvrage était
dédié à Jehanne de Touszele, abbesse du cloître Saint-Pierre de Lyon.
Notons que le nom même de Holbein n’est pas mentionné dans cette
première édition.
Le succès commercial de cet ouvrage fut considérable, si bien qu’il y
en eut plusieurs rééditions. En effet, les quarante et une gravures sur bois,
exécutées d’après les dessins de Holbein le Jeune par Hans Lützelburger,
séduisirent d’emblée le public, d’autant qu’elles étaient accompagnées du
même nombre de quatrains de Gilles Corrozet. Aussi dix autres gravures de
Holbein furent-elles ajoutées dans l’édition suivante. Mais « Lützelburger
étant décédé en 1526, c’est un artiste moins habile qui tailla les dernières
Raphaël et Michel-Ange. Deux noms qui font rêver et… surtout qui
font écrire au xixe siècle ! En France, Balzac était comme envoûté par le
premier, tout en reconnaissant l’importance historique du second. Ainsi
met-il en scène dans La Maison du Chat-qui-pelote, célèbre nouvelle, un
jeune homme, Théodore de Sommervieux, peintre de retour en France
après un séjour à Rome1, l’âme « nourrie de poésie, les yeux rassasiés de
Raphaël et de Michel-Ange ».2 Ici, le binôme résume à lui seul l’influence
de toute une culture italienne. Mais si Michel-Ange apparaît en poin-
tillés dans l’œuvre de Balzac, Raphaël en est le fer de lance. Comme Liszt,
l’écrivain se réfère à la Sainte Cécile ou encore au Mariage de la Vierge.
Rappelons que, dans Une Fille d’Ève, Balzac fait référence au premier
tableau pour montrer le regard extatique du vieux Schmucke au piano, si
heureux de retrouver son élève Marie de Vandenesse qui ne lui rend visite
que pour mieux abuser de sa confiance :
Déjà les mains de cet ange trottaient aux cieux à travers les toits, déjà le
plus délicieux de tous les chants fleurissait dans l’air et pénétrait l’âme ; mais la
comtesse ne laissa ce naïf interprète des choses célestes faire parler les bois et les
cordes, comme le fait la Sainte Cécile de Raphaël pour les anges qui l’écoutent,
que pendant le temps que mit l’écriture à sécher ; elle glissa les lettres de change
dans son manchon.3
Il est curieux de remarquer ici que Balzac voit dans le tableau de
Raphaël la sainte chanter, et les anges l’écouter. En regardant de plus près
la peinture, nous constatons que ce sont les anges qui chantent… et la
Sainte qui les écoute !4
Dans le Cousin Pons, le vieux musicien réapparaît : il joue à nouveau du
piano, cette fois au milieu de la nuit, afin de soulager son ami Pons :
1. Les voyages en Italie, si prisés à la Renaissance, font l’objet de maints écrits d’artistes au
XIXe. Le héros balzacien s’inscrit donc ici dans une tradition fort ancrée. Chateaubriand
ou Stendhal – pour ne citer que deux exemples parmi tant d’autres – relateront des
voyages ou autres chroniques italiens tandis que Liszt relatera en musique ses « pèleri-
nages » sur ces terres transalpines…
2. Cité par Françoise Pitt-Rivers, Balzac et l’Art, p. 16.
3. Honoré de Balzac, Une Fille d’Ève, cité par Françoise Pitt-Rivers, id., p. 64.
4. Nous renvoyons ici à l’analyse de ce tableau à travers la lettre de Liszt dans le troisième
chapitre de cette même partie et à la reproduction du tableau.
Deuxième chapitre 75
Il trouva des thèmes sublimes sur lesquels il broda des caprices exécutés
tantôt avec la douleur et la perfection raphaëlesques de Chopin, tantôt avec la
fougue et le grandiose dantesque de Liszt. […] Mais dans cette nuit Schmucke
fit entendre par avance à Pons les concerts du Paradis, cette délicieuse musique
qui fait tomber des mains de Sainte Cécile ses instruments, il fut à la fois
Beethoven et Paganini, le créateur et l’interprète […] il se surpassa, et plongea
le vieux musicien qui l’écoutait dans l’extase que Raphaël a peinte, et qu’on va
voir à Bologne.1
Si la référence au tableau de Raphaël ressort ici de manière beaucoup
plus explicite que dans Une Fille d’Ève, ce qui frappe le plus est la triple réfé-
rence : musicale (Chopin, Liszt, Beethoven, Paganini), littéraire (Dante) et
artistique (Raphaël) pour qualifier le jeu fascinant du pianiste. Il est tout
à fait remarquable que ces artistes cités par Balzac le soient également par
Liszt dans sa célèbre lettre à Hector Berlioz :
Le sentiment et la réflexion me pénétraient chaque jour davantage de
la relation cachée qui unit les œuvres du génie. Raphaël et Michel-Ange me
faisaient mieux comprendre Mozart et Beethoven. Jean de Pise, Fra Beato,
Francia m’expliquaient Allegri, Marcello, Palestrina ; Titien et Rossini m’ap-
paraissaient comme deux astres de rayons semblables.2
Une double affiliation esthétique sous-jacente regroupant différents
arts peut se résumer ainsi : délicatesse et grâce sont attribuées à Mozart,3
Raphaël, Chopin4 d’un côté, tandis que fougue et puissance caractéri-
sent les œuvres de Beethoven, Michel-Ange,5 Liszt, Dante, de l’autre. De
fait, il n’est pas étonnant de rapprocher le passage lisztien d’un extrait de
texte balzacien, ce que n’a pas manqué de faire Jean-Jacques Eigeldinger !6
Notons que Stendhal lui aussi rapproche Mozart et Raphaël :
Raphaël et Mozart ont cette ressemblance : chaque figure de Raphaël,
comme chaque air de Mozart, est à la fois dramatique et agréable. Le person-
1. Honoré de Balzac, Le Cousin Pons, cité par Françoise Pitt-Rivers, op. cit., p. 64.
2. Franz Liszt, « Lettres l’un Bachelier ès Musique », Pages Romantiques, publié par Jean
Chantavoine, p. 261-262.
3. Absent chez Balzac.
4. Absent chez Liszt.
5. Absent chez Balzac.
6. Jean-Jacques Eigeldinger, « Les Années de Pèlerinage de Liszt », Revue musicale de
Suisse romande, p. 159.
76 PREMIÈRE PARTIE
1. Stendhal, cité par Dominique Fernandez, Le Musée idéal de Stendhal, p. 47. (La réfé-
rence exacte n’est pas donnée).
2. Honoré de Balzac, La Cousine Bette, cité par Françoise Pitt-Rivers, op. cit., p. 110.
3. Johann Joachim Winckelmann (1711-1768) connaît le succès dès son premier ouvrage
en allemand aussitôt traduit en français et en anglais, de 1755 : Réflexions sur l’imitation
des artistes grecs dans la peinture et la sculpture. Son ouvrage le plus célèbre date de 1764,
Histoire de l’Art de l’Antiquité. Il faut retenir de ses travaux une vue synchronique de
l’évolution des arts, tant à la Renaissance que dans l’Antiquité. Raphaël reste le point
de référence, la Madone Sixtine de Dresde ayant littéralement bouleversé l’historien de
l’art. Il décèle en effet quatre périodes pour la Renaissance : Avant Raphaël ; Raphaël ;
les Corrège et les Carrache.
4. Cornelia Knotik, « Sposalizio », Liszt, information, communication, European Liszt
Centre, p. 19.
Deuxième chapitre 77
place son but, non en lui, mais hors de lui ; que la virtuosité lui soit un moyen,
non une fin ; qu’il se souvienne toujours, qu’ainsi que noblesse, et plus que
noblesse sans doute :
GÉNIE OBLIGE.1
Si, dans l’Antiquité, le « génie » suppose une part de surnaturel – ou
plutôt de « sur-naturel » – le mot devient de plus en plus connoté au
xixe siècle ; le génie défie les lois, se dégage des règles :
Les romantiques affranchissent le sujet empirique de ses limites et lui accor-
dent le pouvoir de se donner à lui-même ses lois, indépendamment de la nature,
de la tradition, de la société. Pour Novalis, le génie est la condition naturelle
de l’homme et il se manifeste dès l’enfance. Ainsi est-il affranchi du principe de
raison, ce qui confirme l’assimilation commune entre génie et irrationalisme.2
Cependant, pour Liszt, le fait de forger de nouvelles règles n’im-
plique pas un laisser-aller personnel : le génie est le messager de Dieu qui
doit respecter l’humanité. C’est pour cette raison qu’il rejette l’attitude
égoïste de Paganini, dont il trouve le comportement indigne de son génie
artistique.
Par sa rencontre avec l’art de la Renaissance, Liszt exulte du fait que
« les peintres, les écrivains et les compositeurs sont des êtres qui ressentent de
la même manière, et peuvent idéalement se comprendre. »3 Monika Fink en
conclut :
La pièce de piano Sposalizio de 1839 constitue le premier fruit de cette
constatation d’une unité de l’art. Avec ce morceau de piano, auquel est lié
d’un point de vue programmatique le tableau de Raphaël du même nom, Liszt
se situe au début d’une suite de nombreux compositeurs qui considèrent l’art
plastique comme un moyen vers l’ars inveniendi.4
Liszt se rattache à l’esthétique romantique en vogue tant dans l’ap-
préhension des « génies » de la Renaissance que dans l’influence de leurs
œuvres d’art visuel dans ses programmes. Le fait qu’il insiste auprès de
son éditeur pour disposer une illustration sur sa page de couverture est
significatif :
1. Franz Liszt, « Sur Paganini à propos de sa mort. » (Paru le 23 août 1840 dans la Gazette
musicale), réédité par Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, p. 257-258.
2. Marie-Anne Lescourret, Introduction à l’Esthétique, p. 222.
3. Walter Salmen, « Programmusik nach Werken bildender Kunst » in Akten des 25.
Internationalen Kongress für Kunstgeschichte, p. 134, Band 2.
4. Monika Fink, op. cit., p. 17.
Deuxième chapitre 79
Vous voudrez bien encore une fois demander à M. Kretschmer s’il ne pour-
rait pas bientôt achever les dessins qui conviennent au titre, à savoir :
– pour le n° 1 – Sposalizio – une copie du célèbre tableau exposé à la
galerie de Milan.
(gravures sur cuivre et lithographies de ce tableau représentant le mariage
de Marie et de Joseph, qui existent par milliers).1
Il cite ensuite Il Pensieroso de Michel-Ange. L’illustration sert donc à
la compréhension de l’œuvre musicale, nécessitant de l’auditeur un retour
vers la source compositionnelle de Liszt. Françoise Pitt-Rivers décrit l’im-
portance des tableaux dans l’inspiration, en prenant l’exemple de Balzac :
Si les tableaux admirés par Balzac restent dans sa mémoire et viennent, au
moment de l’écriture, à l’appui de ses descriptions, ils peuvent avoir eu aussi
une influence plus déterminante encore dans le processus même de la création
littéraire comme sources d’inspiration, comme catalyseurs d’idées ou d’images
en suspens.2
Françoise Pitt-Rivers met ici en évidence qu’une œuvre visuelle peut
provoquer deux mécanismes d’inspiration complémentaires. Il est mani-
feste que, dans le cas de Liszt, le double processus est sensiblement le même
que celui décrit chez Balzac :
– la mémoire joue en effet un grand rôle lorsque l’artiste compose
et se réfère à une œuvre, momentanément, comme dans Les Sept
Sacrements ou encore Orpheus. L’intervention de l’image est ponc-
tuelle, dans un acte compositionnel en mouvement. C’est davantage
une allusion, une parenthèse, qu’une référence travaillée ;
– l’image intervient mais de manière plus « catalytique », plus
prégnante, et va jusqu’à provoquer une idée musicale, comme dans
Sposalizio, Il Pensieroso, la Hunnenschlacht, La Légende de Sainte
Élisabeth…
C’est d’ailleurs cette différence de processus dans l’inspiration du
compositeur, qui nous a conduite à éliminer certaines pièces de notre
corpus d’étude… En pastichant Françoise Pitt-Rivers, nous pourrions
écrire : « Si les tableaux admirés par Liszt restent dans sa mémoire et vien-
nent, au moment de l’écriture, à l’appui de ses descriptions, ils peuvent
avoir eu aussi une influence plus déterminante encore dans le processus
1. Nous avons consulté le manuscrit portant la cote Ms.16. Il est conservé aux archives
de Weimar : « Il Pensieroso » (1 + 4 pages) Nous y avons remarqué que la première page
est en fait une version manuscrite barrée par Liszt du passage thématique de la mesure
77 de Sposalizio, c’est-à-dire le retour du thème. Autrement, le manuscrit proprement
dit comprend 4 pages.
Le quatrain de Michel-Ange est écrit par Liszt lui-même au début de la musique. Il n’y
a pas de titre écrit.
Quelques mesures sont barrées, mais l’ensemble donne le manuscrit de manière impec-
cable.
2. Pour La Notte, nous avons consulté quatre sources :
1. Ms. I, U 10 « La Notte » dans les archives de Weimar. (4 pages) :
Au changement d’armure, Liszt a indiqué entre parenthèses : angelico.
– Au second changement d’armure, (mes.140) donc avant le retour de A, Liszt a
écrit au crayon p. 3 : quelque chose de difficilement lisible, peut-être 11 nov. 66,
puis (Sainte Elisabeth !)
– beaucoup d’indications reprises dans l’édition originale, des passages barrés égale-
ment.
2. Ms. I, U 9,1 « Trois Odes funèbres » dans les archives de Weimar. (12 pages)
– copie très propre sur trois portées vraisemblablement réalisée à partir des deux
autres éléments. Ajouts de Liszt.
– Pourtant, ici il y a la citation extraite de Virgile. Elle est ajoutée par Liszt lui-
même.
3. Ms. I, 13, 2 « La Notte » dans les archives de Weimar. (3 pages).
Cette partition est en fait composée d’une partie imprimée d’Il Pensieroso. Liszt a
barré la première mesure anacrousique et a collé sur le titre – donc devenu invisible
– une portée dans laquelle il a écrit les mesures introductives de La Notte : nous
pouvons d’ailleurs lire l’indication « 5 Anfange Takte » que Liszt a soulignée. Il y a
deux fois la même page corrigée. (p. 3 imprimée).
L’indication « funèbre » en bas à gauche, est soulignée. À droite de ce petit collage,
un écrit entre guillemets est souligné, mais rageusement barré. Il s’agit de « La
Notte ».
– mes. 18 (si l’on prend en considération les 5 mesures introductives) : une croix
au-dessus de la mesure.
– mes. 26 : une croix avec des points comme signe et la mesure est barrée. Liszt a
écrit au-dessus trois autres mesures qui aboutissement également sur le la point
d’orgue et sol. Il a indiqué à la main « rechte Hand tacet »
– À la fin de la mesure 35 : une croix.
– Mes. 36 : à la main, ajout rinforzando.
82 PREMIÈRE PARTIE
– Mes. 38 : barrée. Croix au-dessus : à la fin de la portée, deux mesures manuscrites
ajoutées avec au-dessus, la croix de renvoi.
– mes. 50 : Tout est barré jusqu’à la fin. Liszt a indiqué « Weiter (souligné deux fois)
Vier Manuscript Tag : 4-5-6-7 »
4. Le manuscrit de 9 pages de 35,5 cm, portant la cote ML96.L.58 de la Library of
Congress, est une partition autographe à l’encre avec des ajouts et des corrections
au crayon gris et au crayon de couleur. C’est l’arrangement pour violon et piano.
Le quatrain de Michel-Ange est écrit de la main de Liszt, à la différence du titre
de la page.
1. Franz Liszt, « Lettre de Florence du 19 octobre 1839 à Marie d’Agoult », Correspon-
dance Franz Liszt Marie d’Agoult, p. 375.
2. Monika Fink, op. cit., p. 18.
Deuxième chapitre 83
Liszt a été toute sa vie très proche du milieu artistique, et des artistes en
général. Les nombreux portraits et croquis réalisés de sa propre personne1
peuvent en attester De plus, il avait vraiment ce qu’on pourrait appeler
« l’œil » du peintre. En témoignent ces quelques phrases adressées à
Monsieur Louis de Ronchaud :
De la maison où j’habite, j’entends la plainte mélancolique des ondes expi-
rant sur les cailloux, et je vois les derniers rayons du soleil couchant dorer la
montagne. Si vous saviez quelles teintes magiques il jette aux flots en les quit-
tant ! Tantôt vous les voyez d’un rose transparent, pareil à un beau rubis un
peu pâle, tantôt ardents et rougeâtres comme les sables du désert ; quelquefois le
pourpre, le violet, l’orangé se mêlent et se confondent, produisant une couleur
fantastique impossible à décrire.2
Dans un style littéraire raffiné et romantique, Liszt décrit bien les
rapports synesthésiques entre l’ouïe (« j’entends ») et la vue (« je vois »).
Sa description colorée et pittoresque pourrait, elle-même, inspirer un
peintre…
Cependant, malgré son intérêt pour les arts visuels, il ne les a jamais
pratiqués lui-même. De ses rapports avec les artistes, en revanche, il a
composé des œuvres marquantes. Ce n’est pas un phénomène rare. Monika
Fink remarque en effet :
Beaucoup de compositions dont les titres renvoient à des œuvres d’art plas-
tique prennent leur source dans les relations personnelles entre des compositeurs
et des artistes plasticiens qui peuvent se répercuter non seulement dans la simple
dédicace de morceaux musicaux, mais aussi dans une collaboration artistique
avec l’influence sur la pensée de composition ainsi que dans la mise en musique
d’œuvres d’art visuel.3
Comme nous l’avons souligné, Liszt a beaucoup fréquenté les milieux
littéraires et artistiques. Par exemple, il rencontre Kaulbach, peintre de la
Hunnenschacht, qui l’inspirera dans un poème symphonique. Citons égale-
ment, parmi une multitude d’exemples possibles, ses rapports privilégiés
avec Ingres, que Liszt estimait autant pour ses talents de violoniste que
pour le « génie » de son graphisme. Voici un épisode amusant qu’il relate
dans une lettre de San Rossore du 2 octobre 1839 à Hector Berlioz :
1. Ce lien entre Liszt et les artistes nécessiterait une grande étude approfondie.
2. Franz Liszt, « lettre v. À M. Louis de Ronchaud », Extrait de Franz Liszt, Artiste et
société, Rémy Stricker (éd.), p. 102.
3. Monika Fink, op. cit., p. 19.
84 PREMIÈRE PARTIE
1. « Peintre grec du ive siècle avant Jésus-Christ, le plus célèbre de l’Antiquité ; tout son
œuvre est perdu » [note 8 de Stricker, op. cit., p. 402].
2. « Sonate en la mineur pour violon et piano op. 23 de Beethoven » [note 9 de Stricker,
ibid., p. 402].
3. Franz Liszt, « Lettre xiii a M. Hector Berlioz San Rossore, 2 octobre 1839 Paru-
tion le 24 octobre 1839 dans la Gazette musicale », rééditée dans Rémy Stricker, ibid.,
p. 187-188.
Deuxième chapitre 85
A. Zichy et Liszt
Mihaly Zichy2 (1827-1906) est né dans le village de Zala, dans le
département du Somogy-Extérieur. Sa famille possède un domaine et un
château transformés en musée commémoratif dès 1930. Il est l’élève de
Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865). Puis il enseigne à l’Académie
de Vienne, jusqu’à ce qu’il se heurte à l’académisme de l’institution. Son
attitude lui coûte son poste.
Au même titre que Gyula Benczur, Karoly Lotz et Mihaly Munkacsy,
Zichy se classe parmi les peintres romantiques les plus importants du
xixe siècle de la période qui suivit le Compromis austro-hongrois de 1867.
D’ailleurs, il est connu et reconnu de son vivant, peut-être davantage
en tant que dessinateur qu’en tant que peintre. Il effectue une série d’il-
lustrations pour des œuvres littéraires, par exemple pour La Tragédie de
l’Homme d’Imre Madach et pour les Ballades de Janos Arany. Ces œuvres
littéraires ont été plusieurs fois rééditées – et le sont encore – avec ses
dessins 3. Paradoxalement, de nos jours, Zichy est accusé par plusieurs
auteurs de s’être enlisé dans un académisme de plus en plus stérilisant.
Il est en effet comparé au jeune peintre de plein air Pal Szinyei Merse,
1. Il est d’ailleurs impossible de voir d’autres tableaux de lui dans les livres hongrois
traitant du xixe siècle !
2. Anna Dercsényi Dezsö-Zador, chapitre xi : « L’Art de la seconde moitié du xixe siècle
(1848-1896) », extrait de la Petite histoire de l’art hongroise, p. 340 (traduction de Sophie
Kepès, à notre demande).
Deuxième chapitre 87
B. Kaulbach et Liszt
Avant d’étudier les rapports entre Liszt et Kaulbach, il convient de
retracer brièvement la carrière du peintre, qui n’est, aujourd’hui, plus très
connu.
Kaulbach est né à Arolsen en 1805. Il reçoit l’enseignement de
Cornelius dès 1822 à l’Académie de Dusseldorf, puis, à partir de 1826,
à celle de Munich. Il entreprend un voyage en Italie en 1835. En 1849,
il est nommé peintre de la cour du roi de Bavière et directeur de l’Aca-
démie de Munich. À cette époque, il peint des fresques pour l’escalier du
Musée de Berlin – comme la Tour de Babel ou encore la Fleur de la Grèce
– qui furent détruites pendant la seconde guerre mondiale. En 1850, il
réalise des œuvres pour la Neue Pinakothek de Munich autour du thème :
« L’essor des Arts sous le règne de Louis Ier ».
De son vivant, il atteint la célébrité de son maître Cornelius.
Aujourd’hui, il reste surtout connu pour ses illustrations, comme celles du
Reinicke Fuchs de Goethe. Il meurt à Munich en 1874.
Liszt et Kaulbach se connaissaient personnellement depuis 1843, donc
à l’époque où Liszt donnait des concerts. C’est après l’un d’eux que le
peintre entreprit de faire sa connaissance, en octobre. Dans une lettre à
Agnès Street-Klindworth datée du dimanche 15 juillet 1855, Liszt souligne
les rapports amicaux qu’il entretient avec lui :
Heureusement en ce dernier temps la curiosité et l’intérêt passionné que la
Princesse prend aux œuvres d’art (Peinture, Sculpture, Architecture) s’est assez
réveillé chez elle, et comme elle n’a pas été à Berlin depuis une vingtaine d’an-
nées, elle trouvera aisément moyen d’employer son temps d’une manière agréable
et instructive en ce sens. J’espère qu’elle y trouvera Kaulbach avec lequel je
suis assez lié d’autrefois,1 Rauch et peut-être même M. de Humboldt…2
La Princesse rentrera effectivement en contact avec le peintre comme
en atteste la lettre de Liszt à Agnès Street-Klindworth du 21 juillet 1855 :
La Psse se plaît beaucoup à Berlin où elle a pris d’excellentes relations avec
plusieurs notabilités et illustrations contemporaines, Olfers, Kaulbach, Marx,
Varnhagen et M. de Humboldt qu’elle voit fréquemment. Autrefois, j’étais
assez lié à Kaulbach dont l’esprit et la manière d’être me plaisent beaucoup.
D’après ce que la Psse m’écrit, il viendra passer quelques semaines à Weymar et
y fera le portrait de la Psse Marie dans le courant de cet été. Je serai très charmé
de la revoir et suis persuadé que nous nous entendrons et nous irons à merveille.
Sa veine de causticité et d’ironie tient à sa supériorité même ; par cela elle a
quelque chose de généreux (comme on dit « un vin généreux ») et d’élevé qu’il
est aisé de distinguer de la médisance et de la moquerie ordinaires, herbes para-
sites qui poussent sur le sol de l’envie et des passions mesquines. Je ne connais
de lui que quelques cartons ; mais la Princesse m’écrit qu’en cela comme en
d’autres choses il se tranche très avantageusement des autres peintres allemands,
que ses fresques sont supérieures à ses cartons tandis que chez la plupart de ses
collègues, c’est l’inverse, comme on l’a justement remarqué.3
Par ailleurs, entre la fin de novembre et la mi-décembre 1856, le peintre
fit un portrait du compositeur.
L’idée d’un poème symphonique d’après la Hunnenschlacht de
Kaulbach naît en 1855, comme le montre la lettre du 24 juillet de cette
même année, du compositeur à Carolyne Wittgenstein :
Saluez tendrement notre Magnolet, de ma part. Je suis ravi que Kaulbach
veuille faire son portrait, et lui ferai une Hunnenschlacht en échange, qui
ne sera pas non plus piquée des vers ! Il y aura naturellement un long effet de
pianissimo à employer, et par lequel il faudra terminer – pour laisser l’audi-
teur fixé sur le combat dans les airs, comme terrifié et ébloui par ces ombres
insatiables de combat ! – Et moi aussi je me sens parfois Hun, jusqu’à la moelle
des os. Quand mes os seront brisés, et réduits en poussière ou pourriture, mon
esprit respirera le combat, la vaillance et – votre amour !1
Tout le programme est déjà en germe ici ! Cette idée revient dans l’une
des lettres adressées à Agnès Street-Klindworth, datée du 15 août 1855 :
La Psse est revenue fort satisfaite de ses explorations artistiques de Berlin
– elle a rapporté entre autres une belle Esquisse de la Hunnenschlacht de
Kaulbach – et je suis fort tenté de faire une composition musicale d’après cette
esquisse. Il s’entend que ce ne sera pas un Solo de Guitarre [sic] et qu’il s’agira
de mettre une bonne portion de cuivres en mouvement. Mais pour le moment,
il faut que je termine d’abord mon Psaume…2
Il parle à nouveau de son projet un mois plus tard, le 11 septembre 1855,
toujours à Agnès Street-Klindworth :
Kaulbach devant venir ici en Octobre, je tiens à ne pas tarder avec ma
« Hunnen Schlacht » (qui fera suite à mes poèmes symphoniques et une sorte de
pendant au Mazeppa) – de sorte que le Dante sera ma besogne d’hiver3.
Liszt prévoit de terminer sa Hunnenschlacht vers la mi-février de l’année
1857.4 Le 1er mai de la même année, il adresse une copie d’un arrangement
pour deux pianos de ce poème symphonique à l’épouse du peintre, en lui
joignant une lettre explicative :
Avec ces quelques lignes, vous recevrez le manuscrit de mon arrangement
pour deux pianos de mon poème symphonique Hunnenschlacht (écrit pour un
grand orchestre et terminé vers la fin de février dernier), et je vous prie, chère
Madame, de me faire l’honneur d’accepter cette œuvre comme un témoignage
de ma grande reconnaissance et de ma plus grande amitié dévouée envers le
Maître des maîtres5.
Le 29 décembre 1857, Liszt dirigera lors de sa création, le poème
symphonique Hunnenschlacht, composé d’après le tableau de Kaulbach.
Les relations amicales entre le peintre et le musicien sont signalées par
Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper :
1. Lettre de Liszt citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit.,
p. 317-318.
2. Lettre xxvi de Liszt à Agnès Street-Klindworth in Franz Liszt and Agnes Street-Klind-
worth, a Correspondence, 1854-1886, p. 314.
3. Lettre 31 de Liszt à Agnès Street-Klindworth, ibid., p. 317.
4. Voir la lettre 57 de Gotha, datée du 30 janvier 1857 et adressée à Agnès Street-Klind-
worth, ibid., p. 331.
5. Lettre de Liszt à Frau von Kaulbach du 1er mai 1878, citée par Pierre-Antoine Huré
et Claude Knepper, op. cit., p. 338-339.
90 PREMIÈRE PARTIE
1. Nous n’avons consulté qu’une source manuscrite. Elle porte la cote Mf 36/B de la
Mary Flager Lary Music Collection, de la Pierpont Morgan Library. Il s’agit de la version
pour deux pianos.
2. Jacques Vier, « Un Breton d’adoption, grand médecin de Roumanie : le docteur Carlos
Davila documents inédits », in Annales de Bretagne, t. LXVI, 1959, fasc. 3, cité par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps, p. 381.
3. Voir Leo Ewals, Catalogue d’exposition Ary Scheffer.
Deuxième chapitre 93
diable ! Liszt, ne prenez donc pas avec moi ces figures d’homme de génie ! Vous
savez bien que je ne suis pas dupe. »
Que répondit Liszt à ces paroles un peu rudes ? Il se tut un moment, puis
allant à Scheffer : « Vous avez raison mon cher ami. Mais pardonnez-moi,
vous ne savez pas comme cela vous gâte d’avoir été un enfant prodige ! »
Ce mot me semble absolument délicieux de simplicité, je dirais volontiers
d’humilité.1
Cette simple anecdote montre combien les deux artistes étaient proches
et pouvaient se parler librement. Liszt appréciera d’ailleurs le portrait
réalisé par Scheffer, comme en témoigne une lettre adressée à Lambert
Massart, écrite en 1837 de Bellagio :
Avez-vous vu mon portrait de Scheffer ? et comment le trouvez-vous ? si
ultérieurement il y a lieu de le faire Très bien lithographier par Deveria par
exemple, j’en serai bien aise. Le portrait de Deveria n’est plus guère ressem-
blant, et celui de Scheffer, d’ailleurs, vaut la peine d’être publié. Mais peut-être
ne voudra-t-il pas qu’il parût autrement que gravé ?2
Ce portrait deviendra une référence pour Liszt et sa famille, comme
le montre l’allusion d’Hans von Bülow dans une lettre qu’il lui adressa
de Berlin, le 30 septembre 1855. Le chef d’orchestre compare ici les filles
à leur père, par le biais de ce portrait et d’un buste réalisé par Bartolini.
Il remarque ainsi les points communs et les différences entre les deux
sœurs :
Comme j’ai été ému et touché en vous reconnaissant « ipsissimum
Lisztum » dans le jeu de Melle Cosima en l’entendant pour la première fois !
Celle-ci ressemble, je trouve, au Scheffer3 et Melle Blandine au Bartolini. Les
ressemblances et les dissemblances se manifestent, il me semble, de même dans
leurs caractères et individualités respectives.4
Une autre allusion à Scheffer – plus tardive – dans la correspondance
de Liszt montre que le peintre faisait partie de ses intimes. C’est à la prin-
cesse Marie von Sayn-Wittgenstein qu’est adressée la lettre que Liszt écrit
à Weimar, le 14 septembre 1855 :
1. Ernest Legouvé, « Liszt et Thalberg », Le Ménestrel, Paris, 11 mais 1890 cité par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 204.
2. Cité par Jacques Vier, Franz Liszt, l’artiste, le clerc, lettre n°IV et reprise par Pierre-
Antoine Huré et Claude Knepper, Franz Liszt, Correspondance, p. 94.
3. C’est nous qui soulignons.
4. Lettre citée par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper in Franz Liszt, Correspon-
dance, p. 330.
94 PREMIÈRE PARTIE
1. Franz Liszt, « Préface » des Sept Sacrements, Responses avec accompagnement d’orgue ou
d’harmonium, cité par Paul Merrick, op. cit., p. 259 (trad. par nos soins).
2. Pour plus de détails sur cette œuvre, consulter Paul Merrick, ibid., pp.258-259.
3. Il illustra d’ailleurs les écrits de Brentano sur Shakespeare.
98 PREMIÈRE PARTIE
von Carolsfeld jusqu’en 1823. Pour gagner sa vie, il lui arrive de faire
des travaux de gravure. C’est à cette époque qu’il devient l’ami des poètes
Lenau, Grillparzer, Anastasius Grün. De plus, bon violoniste, il fréquente
Franz Schubert et ses amis. En 1828 il part pour Munich, chez Julius
Schnorr von Carolsfeld. Ses activités varient de la peinture à la gravure.
Cornelius lui procure plusieurs commandes de fresques pour la nouvelle
Résidence. Une carrière de peintre en peintures murales s’offre alors à
lui : en 1836, il peint à Munich et au château de Hohenschwangau ; en
1840 à la Kunsthalle de Karlsruhe ; en 1844 au Städel de Francfort ; de
1853 à 1856 à la Wartburg d’Eisenach, en 1866-67, il décore les fres-
ques de l’Opéra de Vienne. Ajoutons également ses activités de professeur,
depuis 1847, à l’Académie de Munich. De plus, il élabore des illustrations
pour la revue humoristique Die fliegenden Blätter et pour les Münchner
Bilderbogen. Il illustre également un cycle de contes en 1854. À partir de
1848, il peint ses « Tableaux de voyage » où apparaît une émotion roman-
tique face à la nature.
Il meurt en 1871 à Niederpöcking près du lac de Starnberg, à côté de
Munich, laissant une œuvre riche et éclectique, dont les illustrations des
contes et légendes allemands n’ont encore rien perdu, de nos jours, de leur
popularité.
C’est après avoir admiré ses fresques que Liszt demande à Otto Roquette
de lui écrire le livret d’un oratorio. Cet écrivain et poète bien connu
deviendra professeur à l’école polytechnique de Darmstadt en 1896. Le
livret est conçu surtout à partir de l’ouvrage de Charles de Montalembert,
L’Histoire de Sainte Élisabeth de Hongrie.
Ce dernier naît à Londres en 1810 d’un père émigré français et d’une
Écossaise protestante. Il vient très tôt à Paris où il participe activement au
mouvement des catholiques libéraux de Lacordaire et de Lamennais. Aussi
collabore-t-il à l’Avenir en 1830. À la suite de la condamnation des thèses
de ce journal par l’encyclique papale Mirari vos en 1832, il se sépare de
Lamennais. Membre de la chambre des pairs, il se prononce pour la liberté
religieuse et la liberté de l’enseignement. En 1848 il est élu à l’Assemblée
constituante, se ralliant à la politique du prince-président Louis-Napoléon
Bonaparte. Il fait partie du corps législatif jusqu’en 1857. Il est directeur
du journal catholique libéral : le Correspondant ; de plus, il écrit un ouvrage
sur L’Histoire de Sainte Élisabeth de Hongrie (1836), sur les Intérêts catholi-
ques au xixe siècle (1852) et étudie les Moines d’Occident depuis Saint Benoît
jusqu’à Saint Bernard, entre 1860 et 1867. Il intègre l’Académie française
100 PREMIÈRE PARTIE
liés dans son esprit. Nous nous appuierons plus particulièrement sur les
travaux de Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper.1
Dans les « leçons » de Valérie Boissier, nous apprenons que Liszt
connaissait l’œuvre de Dante dès les années 1830. Mais c’est seulement à la
suite de son premier voyage en Italie qu’il conçoit un projet à partir de La
Divine Comédie. Il fait en effet allusion à ses lectures de Dante avec Marie
d’Agoult dans la « lettre du Bachelier du 20 septembre 1837 », adressée de
Bellagio, à M. Louis de Ronchaud :
Nous lisons la Divine Commedia assis au pied du marbre de Bomelli : le
Dante conduit par Béatrix. Quel sujet ! Et qu’il est dommage que la statuaire
l’ait si mal compris ! qu’il ait fait de Béatrix une femme épaisse et matérielle ; de
Dante, quelque chose de mesquin, d’étriqué, une manière de pauvre honteux
et non pas quelque signor de l’altissimo canto comme il l’a dit lui-même
en désignant Homère ! Vous l’avouerai-je pourtant ? Dans ce poème immense,
incomparable, une chose m’a toujours singulièrement choqué, c’est que le poète
ait conçu Béatrix, non comme l’idéal de l’amour, mais comme l’idéal de la
science. Je n’aime point trouver dans ce beau corps transfiguré l’esprit d’une
docte théologienne, expliquant le dogme, réfutant l’hérésie, discourant sur
les mystères. Ce n’est point par le raisonnement et la démonstration que la
femme règne sur le cœur de l’homme ; ce n’est point à elle à lui prouver Dieu,
mais à le lui faire pressentir par l’amour, et à l’attirer après elle vers les choses
du ciel. C’est dans le sentiment et non dans le savoir qu’est sa puissance : la
femme aimante est sublime ; elle est le véritable gardien de l’homme ; la femme
pédante est un contresens, une dissonance, elle n’est nulle part à sa place dans
la hiérarchie des êtres.2
Il ressort ici que Liszt ne recherche pas chez la femme une intellec-
tuelle, une « docte théologienne » comme il se plait à la qualifier, mais
une compagne aimante. Comme le font très justement remarquer Pierre
Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt n’a pas vraiment mis en pratique ses
convictions : que ce soit Marie d’Agoult ou la Princesse Sayn Wittgenstein,
ses maîtresses furent passionnément aimantes, certes, mais elles brillèrent
également par leur intelligence et leur culture. Toutes deux furent femmes
de lettres – rappelons le scandaleux Nélida de la première ou encore les
1. Franz Liszt, cité par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps,
n. 19, p. 263.
2. Franz Liszt, « lettre v. À M. Louis de Ronchaud, Bellaggio, 20 septembre 1837 »,
Extrait de Franz Liszt, Artiste et société, Rémy Stricker (éd.), p. 102-103.
Deuxième chapitre 103
tation n’excède pas la durée d’une heure et demie, car il n’y a pas de public
capable de supporter plus d’enfer que cela.
Ne faites d’ailleurs aucune attention au soulignement de certains mots de
mon volume que je n’ai fait que pour me rappeler le texte italien ; et sans vous
enchevêtrer dans la multiplicité des détails guarda e passa.
L’important c’est que chaque cercle avec ses tortures et ses principaux
personnages soit nettement dessiné pour les yeux, les oreilles et l’intelligence du
public ; de manière que pour 3 francs 10 sous, chacun puisse refaire à son profit
le voyage de Dante et de Virgile.
Ce mode de concevoir notre poème me paraît somme toute le plus complet et
le plus simple. Si notre Enfer nous réussit, nous n’aurons qu’à continuer pour
le Purgatoire et le Paradis. Vous serez à la fois mon Virgile et ma Béatrix.1
Le diorama devait être confié à Buonaventura Genelli. Il s’agissait de
dessiner des sortes de « diapositives » et de les projeter pendant l’exécu-
tion de la musique. Quant aux « machineries », il s’agit d’appareils proches
de ventilateurs, destinés à traduire la violence de l’enfer ! Liszt voulait ici
réaliser une forme de Gesamtkunstwerk.
Même si ces deux lettres sont écrites à très peu de temps d’intervalle,
elles montrent une évolution très marquée dans la conception de Liszt à
propos de son œuvre future. Il souhaite désormais un personnage central :
Dante. À côté de lui, un personnage important : Virgile. Le texte doit être
narré au présent ; le dernier élément important – et le principal par rapport
à notre recherche – reste l’idée de la mise en scène avec – outre l’orchestre et
le texte poétique mis en musique, récité ou parlé-chanté – la présence d’un
« diorama » et de « machineries ». Ce projet montre combien il était en
avance sur son temps, en envisageant ainsi un spectacle total ! Cependant,
il n’a pas encore la possibilité de réaliser son projet. Mais, en 1845 les
nouveautés lisztiennes s’accumulent. Le pianiste écrit en effet à Lambert
Massart le 6 mars 1845 :
En attendant, Boisselot, charmant, loyal et digne garçon qui vient de faire
tout ce voyage avec moi, et que je chargerai de vous donner de mes nouvelles
quand il passera à Paris, doit me construire mon clavecin-orchestre à deux
claviers à pédale. Je ne fais aucun doute qu’il réussisse et grandement. Ce sera
non seulement un progrès, mais bien une transformation complète du piano.
« À des vins nouveaux il faut de nouveaux vaisseaux » comme l’écrit l’Évan-
A. L’architecture et la sculpture
Il faut remarquer que, parmi les trois genres principaux composant les
arts plastiques, l’architecture n’a que très peu suscité l’inspiration créatrice
des compositeurs. D’ailleurs, Monika Fink mentionne dans son étude que,
sur 711 compositions d’après des œuvres d’art visuel, seules quatre œuvres
ont été suscitées par l’architecture. En revanche, « par comparaison, un plus
grand nombre de sculptures apparaît comme modèle de programmes. »2
Liszt n’a pas été inspiré par l’architecture, même s’il a fréquenté
un grand nombre de lieux très riches d’un point de vue architectural.
Cependant, si une seule partie d’un monument l’a inspiré, comme une
statue dans une chapelle ou un cimetière, il est permis d’imaginer qu’il a
été influencé par le contexte dans lequel elle se trouvait. Les grands exem-
ples de ce type restent – dans le corpus lisztien – le tombeau de Julien et
Laurent de Medicis, la Chapelle Sixtine et la Wartburg. Nous mettons en
effet de côté les musées, les œuvres étant en quelque sorte, « déracinées »
avant d’arriver en ces lieux.
Les architectures monumentales permettent à l’imagination des visi-
teurs de vagabonder à leur aise, en premier lieu pour apprécier l’espace
qu’elles occupent. Dufrenne écrit1 à ce propos :
Les objets, sculptural ou architectural, qui se déploient dans les trois dimen-
sions spatiales, semblent requérir l’imagination pour creuser l’espace en antici-
pant sur de futures visées, et pour saisir l’objet, au-delà de l’apparence toujours
tronquée, dans sa plénitude. Un temple ou une statue, n’avons-nous pas à
les percevoir comme nous percevons une maison ou un dé, en ranimant par
l’imagination l’expérience de la présence ? Sans doute ; et cependant, là encore,
l’imagination est tenue en bride. […] en effet, je n’use point du monument
comme d’une maison ;2
Dufrenne explique également qu’un fidèle qui prie dans un monu-
ment architectural religieux sera plus enclin à ressentir sa foi que s’il fait la
même chose chez lui ; en effet, le monument l’aura comme absorbé dans
son univers, et de spectateur, il deviendra acteur3 :
il [le fidèle] n’est plus devant l’objet esthétique, il est lui-même, à force de
participation, objet esthétique, élément d’une cérémonie dont le monument
dessine la forme. Mais la cérémonie, si elle est pour qui y prend part un puis-
sant moyen de discipline ou d’exaltation, n’est objet esthétique que pour le
spectateur qui n’y prend pas part. Alain dirait sans doute que le spectateur
même y prend part : chacun dans la cérémonie est à la fois acteur et spectateur,
en une admirable réciprocité où s’échange un langage absolu. Mais à l’objet
esthétique il faut un spectateur pur, qui ne croit pas, ou qui n’en croit que ses
yeux. Ce spectateur n’use pas du monument ; s’il y pénètre, ce n’est pas pour
engager son avenir dans quelque entreprise, c’est pour voir ; et sa visite sera
1. Même si sa réflexion peut paraître extrême, elle est importante dans la mesure où
elle pose le problème du rôle de l’imagination dans l’appréhension d’un monument
architectural.
2. Mikel Dufrenne, Phénoménologie de l’expérience esthétique : la perception esthétique,
p. 452-453, vol. 2.
3. C’est sans doute le cas de Liszt qui est absorbé en quelque sorte par le Tombeau des
Medicis à Florence – et par les autres monuments que nous présenterons par la suite
– et qui écrira par la suite ses deux pièces : Il Pensieroso qui deviendra ensuite La Notte.
Deuxième chapitre 109
une suite de présents discontinus, autant de fois que son regard se pose et isole
une perspective sur la totalité de l’objet. Il n’y a pas d’avenir imaginable à
cette exploration, non seulement parce que chaque regard découvre un spectacle
nouveau, mais parce que chacun se suffit à lui-même et n’est pas lié aux autres
par la continuité d’une action.1
Il est clair que Liszt s’est laissé absorber par sa débordante imagination.
Mais cette imagination est détournée de son sens premier. Le compositeur
parvient à en extraire un acte créateur. Son regard, unique, d’artiste qui
rencontre l’émanation d’un autre artiste, est comme « accroché » par un
élément – essentiel ou détail, on ne le sait pas forcément – de la compo-
sition. Puis il retirera de cet élément une source d’inspiration pour une
œuvre tout à fait personnelle. Nous verrons comment son imagination a
agi dans le cas de la Sainte Cécile de Raphaël.2
C’est pour ces raisons que nous présentons brièvement les monuments
architecturaux principaux visités par Liszt, berceaux des œuvres d’art qui
l’ont inspiré.
a. Le style de Michel-Ange
Les livres sur l’art de Michel-Ange abondent. Le texte qui suit ne vise
donc pas une étude exhaustive mais tente seulement de donner les éléments
essentiels qui caractérisent son style.
Dans son article sur « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange »,
Panofsky établit certaines caractéristiques esthétiques du maître italien
en comparant ses œuvres à celles d’artistes contemporains, en particulier
certaines sculptures de Signorelli. En effet, Michel-Ange avait l’art « d’em-
prunter » des sujets ou des réalisations à des confrères, puis de les rendre
totalement « michelangelesques », donc méconnaissables. Panofsky, à
partir des modèles initiaux, déduit des distorsions « michelangelesques »
les différences suivantes :
1. Par le soin d’entourer les parties en creux et d’éliminer les parties en
saillie, chaque unité formelle (personnage ou groupe) se condense en une masse
pas, sans lui, pouvoir obtenir les applaudissements qu’ils méritent, nous avoue-
rons que la chapelle Sixtine étant le seul lieu musical de l’Italie où cet abus
déplorable n’ait point pénétré, on est heureux de pouvoir y trouver un refuge
contre l’artillerie des fabricants de cavatines.1
Cette allusion de Berlioz concernant l’influence négative de la musique
de son temps dans la musique religieuse se retrouve également dans un
texte de Liszt écrit en 1834 et publié en 1835 dans la Revue et Gazette
musicale :
Entendez-vous ce beuglement stupide qui retentit sous la voûte des cathé-
drales ? qu’est-ce que cela ? c’est le chant de louange et de bénédiction que
l’épouse mystique adresse à Jésus-Christ, – c’est la psalmodie barbare, pesante,
ignoble, des chantres de la paroisse.
[…]
Et l’orgue, – ce pape des instruments, cet Océan mystique qui naguère
baignait si majestueusement l’autel du Christ et y déposait avec ses flots d’har-
monie les prières et les gémissements des siècles, – l’entendez-vous maintenant
se prostituer à des airs de vaudeville et même à des galops ?… Entendez-vous,
au moment solennel ou le prêtre élève l’Hostie Sainte, entendez-vous ce misé-
rable organiste exécuter des variations sur Di piacer mi balza il cor, ou Fra
Diavolo ?
Ô honte ! ô scandale ! […] Quand aurons-nous enfin de la musique reli-
gieuse ? 2
Les deux compositeurs considèrent que la musique de la Sixtine est la
seule musique religieuse digne de ce nom. D’ailleurs, Liszt ira même jusqu’à
écrire un projet complet dans son article « De la musique religieuse ».3
Il relate dans une lettre de Rome du 1er novembre 1862, adressée au
Grand-Duc Carl Alexander, son étrange rencontre à la Chapelle Sixtine :
Aussi y ai-je souvent cherché la place où devait être Mozart. J’imaginais
même que je le voyais et qu’il me regardait avec une douce condescendance.
Allegri se trouvait là tout près et semblait presque faire un acte de contrition
sur la célébrité que les pèlerins d’ordinaire peu aptes aux impressions musicales
ont pris soin d’imposer exclusivement à son Miserere.
1. Franz Liszt, « lettre au Grand-Duc Carl Alexander Rome, 1er novembre 1862 », Franz
Liszt, Correspondance, Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 450.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 90, vol. 1. note.
3. Le Musée Liszt de Budapest possède une partition ayant appartenu à Liszt de l’Évo-
cation à la Chapelle Sixtine. Il est répertorié Ms. mus. L. 75, n° 1219. La couverture
comprend plusieurs compositions pour orgue (Neue Orgelcompositionen von Dr. Franz
Liszt) :
I. « Ave Maria » von Arcadelt.
II. « Ora pro nobis », Litanei.
116 PREMIÈRE PARTIE
2. Le château de la Wartburg
1. Franz Liszt, « lettre au Grand-Duc Carl Alexander, Rome, 1er novembre 1862 », Franz
Liszt, Correspondance, Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, op. cit., p. 449-450.
118 PREMIÈRE PARTIE
Moritz von Schwind peint les tableaux sur la vie de Sainte Élisabeth
lors de la restauration de la Wartburg en 1855-1856. Cette fresque se
trouve dans la « galerie Élisabeth » qui constitue la galerie d’arcades du
premier étage. Cette restauration est due à la volonté du Grand-duc de
Saxe-Weimar-Eisenach qui confie la direction d’une vaste campagne de
réaménagement à l’architecte Hugo von Ritgen. Ce dernier s’entoure d’ar-
tisans et d’artistes, dont le plus célèbre reste Moritz von Schwind.
Liszt découvre le château de la Wartburg en 1856. C’est avant tout
une reconstitution historique dans ce lieu, qui lui fit grand effet. Il écrit à
Wagner, au sujet de son Tannhäuser :
Tu as sans doute appris que S.M. le Roi veut que le décor du second acte
reproduise fidèlement le projet de restauration de la Wartbourg et qu’à cet effet,
il a envoyé Gropius à Eisenach. La vue de cette salle avec toutes les bannières
historiques, avec les costumes faits d’après des tableaux anciens, ainsi que tout
le cérémonial de cour pratiqué pendant la réception du landgrave, m’ont fait
un plaisir incroyable.1
Le site même de la Wartburg joue un rôle capital dans le choc esthé-
tique et émotionnel que peuvent engendrer les peintures gigantesques de
Schwind…
1. Lettre de Liszt à Wagner du 14 janvier 1856 (Weimar), citée par Schmidt, L. et Lacant,
J. (traduit par) : Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, p. 349.
2. Monika Fink, op. cit., p. 21.
Deuxième chapitre 119
1. Walter Salmen, « Franz Liszt und die bildende Kunst. Zu einigen programmatischen
Kompositionen ».
2. Monika Fink, Musik nach Bildern.
3. Leo Ewals, Ary Scheffer, sa Vie et son œuvre, p. 71.
4. Il suffit de relire le sous-titre de la symphonie pour s’en convaincre…
5. Heinrich Heine, « salon de 1831 », De la France, p. 326-330.
122 PREMIÈRE PARTIE
C’est sans doute cette dernière indication qui a poussé Walter Salmen à
déduire un peu hâtivement que la Faust Symphonie puisait son sujet dans
les portraits de Scheffer…
Par ailleurs, un autre élément nous fait remettre en doute l’exactitude
de l’affirmation de Salmen. Il s’agit d’une lettre du 9 novembre 1852 de
Wagner adressée à Liszt, dans laquelle l’auteur s’entretient du rôle du
personnage de Gretchen dans une composition symphonique :
Je veux te parler de l’ouverture de Faust. Tu m’as joliment pris en flagrant
délit de mensonge, moi qui voulais me persuader que j’avais écrit une « ouver-
ture de Faust » ! Tu as fort bien démêlé par où cela pèche : ce qui y manque,
c’est la femme ! Mais peut-être comprendrais-tu bien vite mon poème musical
si je l’appelais « Faust dans la solitude » !
Je voulais écrire autrefois toute une symphonie de Faust : la première partie
(celle qui est achevée) était précisément « Faust dans la solitude », le Faust
qui désire, qui désespère, qui maudit ; le « féminin » lui apparaît simplement
comme l’image née de son désir, mais non dans sa divine réalité : et c’est juste-
ment cette image insuffisante de ce qu’il désire qu’il brise dans l’excès de son
désespoir. C’était la seconde partie seulement qui devait présenter Marguerite,
la femme. J’avais déjà le thème voulu, mais ce n’était qu’un thème, le tout en
resta là, et j’écrivis mon Vaisseau fantôme. Voilà toute l’explication !1
Si Liszt s’est souvenu de la lettre de son ami, ce qui est fort probable
étant donnée l’importance qu’il accordait aussi bien au thème de Faust
qu’aux idées du futur maître de Bayreuth, il faut à nouveau écarter la
piste d’Ary Scheffer. Ici, c’est vraiment le rôle de la femme salvatrice qui
est retenu. Il n’y a pas d’allusion à une quelconque représentation de
Marguerite.
Ainsi semble-t-il douteux que la Faust Symphonie prenne sa source dans
les œuvres picturales de Scheffer. Si Liszt les connaissait, il s’en est détaché
rapidement pour se concentrer sur l’œuvre littéraire de Goethe et sur les
compositions musicales de ses contemporains.2 Nous écartons donc cette
œuvre de l’étude de notre corpus, même si nous y ferons ponctuellement
allusion.
1. Richard Wagner, « lettre du 9 novembre 1852 à Franz Liszt », citée dans Schmidt, L. et
Lacant, J. (traduit par) : Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, p. 175.
2. Voir à ce sujet nos articles « Quelques mises en musique de Faust au xixe siècle :
Berlioz, Gounod, Schubert, Alkan, Liszt », in L’Éducation musicale, mars et avril 1999
ainsi que « La Faust Symphonie de Liszt : Analyses pour une Analyse », Musurgia, vol. V,
n° 3/4, p. 15-36.
124 PREMIÈRE PARTIE
Leur voyage de retour se fit sans encombre. Dès que le duc Hermann et la
duchesse Sophie eurent reçu la nouvelle de leur approche et du succès de leur
mission, ils se mirent à genoux, et bénirent Dieu de ce qu’il avait exaucé leurs
vœux. Puis ils descendirent aussitôt de la Wartbourg à Eisenach pour y recevoir
leurs envoyés, que Dieu avait si bien conseillés. La joie d’avoir obtenu une
jeune duchesse leur avait à peu près fait perdre la tête, à ce que dit un des chro-
niqueurs officiels de leur cour. Ils conduisirent tout le cortège dans l’auberge
d’Hellgref, où Klingsohr avait fait sa prédiction, et qui était la meilleure du
temps. Là, le Landgrave prit la petite Élisabeth entre ses bras, la serrant contre
sa poitrine, il remercia encore Dieu de la lui avoir accordée. 1
C’est cette dernière scène que représente Moritz von Schwind. La
petite fille est accueillie par le Landgrave.
La scène suivante concerne directement le miracle des roses. Elisabeth
est alors déjà mariée. Ce miracle est énoncé chez Montalembert dans le
chapitre viii – de son ouvrage intitulé Élisabeth de Hongrie publié en 1836
– sous-titré : « De la grande charité de la chère Sainte Élisabeth et de son
amour pour la pauvreté ». Voici la narration de Montalembert :
Élisabeth aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non seule-
ment de l’argent, mais encore les vivres et les autres objets qu’elle leur desti-
nait. Elle cheminait ainsi chargée par les sentiers escarpés et détournés qui
conduisaient de son château à la ville et aux chaumières des vallées voisines.
Un jour qu’elle descendait, accompagnée d’une de ses suivantes favorites, par
un petit chemin très rude que l’on montre encore, portant dans les pans de son
manteau du pain, de la viande, des œufs et d’autres mets, pour les distribuer
aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari, qui revenait de
la chasse. Étonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau, il lui
dit : « voyons ce que vous portez ; « et en même temps il ouvrit, malgré elle,
le manteau qu’elle serrait, tout effrayée, contre sa poitrine ; mais il n’y avait
plus que des roses blanches et rouges, les plus belles qu’il eût vues de sa vie : cela
le surprit d’autant plus que ce n’était plus la saison des fleurs. S’apercevant
du trouble d’Élisabeth, il voulut la rassurer par ses caresses ; mais il s’arrêta
tout à coup en voyant apparaître sur sa tête une image lumineuse en forme
de crucifix. Il lui dit alors de continuer son chemin sans s’inquiéter de lui, et
remonta lui-même à la Wartbourg, en méditant avec recueillement sur ce que
Dieu faisait d’elle, et emportant avec lui une de ces roses merveilleuses, qu’il
garda toute sa vie. À l’endroit même où cette rencontre eut lieu, à côté d’un
vieil arbre qui fut bientôt abattu, il fit élever une colonne surmontée d’une
croix, pour consacrer à jamais le souvenir de celle qu’il avait vue planer sur la
tête de sa femme. »1
Le peintre peint le moment où la transformation du pain en roses
est totalement consommée. Son époux à cheval se penche doucement
au-dessus d’elle tandis que deux autres personnages montrent par leurs
mains jointes qu’un miracle a eu lieu. L’un d’eux est même agenouillé.
Moritz von Schwind représente également le départ du duc Louis à
la Croisade. Charles de Montalembert raconte la scène dans son ouvrage
Sainte Élisabeth de Hongrie, au chapitre 15 « Comment le bon duc Louis
se croisa et de la grande douleur avec laquelle il prit congé de ses amis, de
sa famille et de la chère Sainte Élisabeth » :
Enfin, le jour de la nativité de Saint Jean-Baptiste, fixé pour le départ,
étant arrivé, il fallut se séparer. […] Il ne pouvait retenir ses pleurs en les (ses
enfants) embrassant ; et, quand il se retourna vers sa bien-aimée Élisabeth, les
sanglots et les larmes étouffèrent tellement sa voix, qu’il ne sut rien lui dire.
Alors, l’entourant d’un de ses bras, et sa mère de l’autre, il les tint ainsi toutes
deux contre son cœur, sans pouvoir parler, en les couvrant de ses baisers et
versant d’abondantes larmes pendant plus d’une demi-heure.2
Le peintre a conservé de cette scène l’idée de l’enlacement du duc avec
son épouse, dont la sainteté est symbolisée par une auréole. Celle-ci lui
donne un tendre baiser sur la joue, les bras autour de son cou. Schwind n’a
pas oublié la mère de Louis, debout à sa droite. Les personnages drapés et
les chevaux que Schwind a serrés dans un espace restreint, suggèrent l’im-
minence du départ du duc. Au-dessus des protagonistes, le ciel est décoré
avec des arabesques, typique du style de Schwind.
La terrible scène où Sainte Elisabeth est chassée se retrouve décrite de
manière très dramatique par Montalembert dans son chapitre « Comment
la chère Sainte Élisabeth fut chassée de son château avec ses petits enfants
et réduite à une extrême misère. Et de la grande ingratitude et cruauté des
hommes envers elle ». Il relate comment des courtisans conspirèrent et réus-
sirent à la chasser.3 Le dessin de Schwind la met en scène avec ses enfants lors
Récapitulation
En résumé, Liszt dispose de critères de choix très évidents : ce n’est
pas la forme artistique – peinture, architecture, sculpture, dessin – mais
le concept contenu dans l’œuvre, qui procure au compositeur la source de
son énergie créatrice.
Cette idée se retrouve abondamment dans ses écrits, d’où il ressort que
Liszt était doté d’une culture pluri-artistique, d’une part, et d’un talent réel
de critique d’art, d’autre part. Nous allons développer cet aspect à partir du
texte de 1839 adressé à Joseph d’Ortigue, sur la Sainte Cécile de Raphaël…
1. Franz Liszt, « Lettre xxvi de Liszt à Agnès Street-Klindworth », Franz Liszt and Agnes
Street-Klindworth, a Correspondence, 1854-1886, p. 314.
Troisième chapitre
Liszt « critique d’art » ?
Étude du texte sur « la Sainte Cécile
de Raphaël » à M. Joseph d’Ortigue
de 1839
En vérité, les œuvres des autres peuvent s’appeler des peintures, mais celles
de Raphaël, c’est la vie même ; la chair palpite, on sent le souffle et le pouls qui
bat dans ces figures dont l’animation même est perceptible. Cette œuvre mit le
comble à son renom. On écrivit en son honneur des vers, en latin et en langue
vulgaire, dont je ne citerai que ceux-ci, pour ne pas allonger mon récit plus
qu’il ne convient :
« Que d’autres peignent avec des couleurs de simples visages !
Raphaël a fait paraître Cécile, son visage et son âme. »
Giorgio Vasari (Les Vies, vol. 5)
I. Historique du tableau
et sentiments du spectateur
1. Lina Ramann avait regroupé les textes en français de Liszt qu’elle avait traduits en
allemand dans les Gesammelte Schriften (Voir Lina Ramann (éd.), Franz Liszt, Gesammelte
Schriften, 6 vol.) La tentative était audacieuse et précieuse, mais elle s’est révélée fautive
et lacunaire (Voir à ce sujet ce qu’écrit Alan Walker, Franz Liszt, p. 18, vol.1). Aussi
avons-nous laissé cette édition de côté.
2. Jean Chantavoine (éd.), Franz Liszt, Pages romantiques. Seuls les textes principaux sont
publiés ici ; mais ce fut l’outil de référence avant le travail minutieux de Stricker.
3. Rémy Stricker, Franz Liszt, artiste et société, 424 p. C’est l’édition de référence. Les
textes sont puisés à la source, principalement dans la Gazette.
4. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », Franz
Liszt, Artiste et Société, Rémy Stricker, ibid., p. 154-155.
5. Voir notre chapitre précédent.
Troisième chapitre 133
L’agencement des formes dans le tableau est fondé sur les diagonales.
Jean-Pierre Cuzin l’explique de manière détaillée :
L’organisation d’ensemble, très simple, resserre les cinq figures verticales
qui oscillent subtilement, grâce aux légères obliques indiquées par l’épée de
Saint Paul et la crosse de Saint Augustin. Les attitudes symétriquement arquées
de Saint Paul et de la Madeleine ménagent un large espace épanoui vers le bas
et vers le haut en forme de gerbe, qui conduit, par l’intermédiaire du corps
de la sainte extasiée, des instruments terrestres devenus inutiles au chœur des
Troisième chapitre 135
anges qui chantent l’amour divin. Les figures sont isolées dans leur extase, leur
méditation ou le regard qu’elles jettent sur le spectateur ; mais Saint Jean et
Saint Augustin portent un regard l’un sur l’autre. La composition se structure
dans le mouvement des diagonales qui ébauchent comme la forme d’un grand
papillon, et ces délicats rythmes obliques établissent des rimes plastiques avec les
formes croisées des instruments de musique, sur le sol. Mais comme la Vierge
Sixtine, la Sainte Cécile va dans le sens d’un abandon des poses contournées,
d’une plus grande simplicité : ainsi l’attitude de la sainte musicienne, frontale,
animée de légers décalages et d’un rythme balancé tenu dans le plan du tableau.
Les draperies luisantes de la Madeleine, leur ombre fortement découpée témoi-
gnent peut-être déjà d’une franchise de parti due au travail contemporain des
cartons de tapisserie.1
D’ailleurs, la symétrie de l’organisation des personnages autour de la
Sainte ainsi que la retenue de leurs gestes contribuent à donner une atmos-
phère sereine et intérieure au tableau. André Chastel rappelle également
que, selon une phrase de Raphaël, ce sont « les regards des personnages qui
déterminent les lignes maîtresses. »2
De plus, les couleurs jouent un rôle essentiel dans l’organisation et le
caractère émanant du tableau. Passavant consacre sur ce point un large
passage explicatif :
A. Son histoire
S’il est possible d’apprécier le tableau de Raphaël sans connaître l’his-
toire de Sainte Cécile, il est néanmoins fort probable que ce n’était pas le
cas de Liszt, homme raffiné et cultivé. Nous supposons d’ailleurs que son
1. Johann David Passavant, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi (1839-1858),
p. 148-149. Liszt connaissait cet ouvrage. Voir notre septième chapitre.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
Troisième chapitre 137
1. Wolfgang Dömling, « Die Heilige an der Orgel, Caecilia – Musica – Musa », Festschrift
Christoph-Helmut Mahling, Bd. 1, p. 271
2. Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, Tome iii, p. 279.
138 PREMIÈRE PARTIE
de prêcher encore les païens. À saint Urbain, venu recueillir son dernier
souffle, elle laissa sa maison pour qu’y soit édifiée une église et elle aban-
donna tous ses biens aux pauvres. Elle mourut le 22 novembre 230.
1. Pour des renseignements sur ce sujet, nous renvoyons, sur les conseils de Jean-Jacques
Eigeldinger, au livre d’A. Pomme de Mirimonde, Sainte-Cécile ou les métamorphoses d’un
thème musical, 232 p.
2. Louis Réau, Iconographie de l’Art chrétien, tome iii, p. 281.
140 PREMIÈRE PARTIE
A. Saint Paul
Vasari décrit ainsi Saint Paul :
Saint Paul, le bras droit posé sur l’épée nue, sa tête appuyée sur une main,
montre par son attitude la profondeur de son intelligence et la fierté de son
caractère qui se mue en gravité. Son manteau, une simple draperie rouge,
recouvre une tunique verte à la manière des apôtres et il est nu-pieds.1
Et voici ce que Liszt, lui, écrit à son sujet :
Sur le premier plan est Saint Paul, la tête penchée sur sa main gauche,
dans l’attitude d’une profonde méditation ; sa main droite est appuyée sur un
glaive, emblème de la parole militaire et dominatrice avec laquelle il dissipa
l’ignorance des peuples et conquit les âmes au Dieu inconnu. Saint Paul fut
le premier, entre les apôtres, qui fit servir l’éloquence et la philosophie à l’éta-
blissement de la religion, à la propagation de la foi. Ce fut lui qui, le premier,
apporta le raisonnement, la doctrine là où il n’y avait encore eu que le senti-
ment. Pour lui, ce qu’il retrouve dans la musique, c’est encore l’éloquence ;
ce qu’il y voit, c’est l’enseignement par intuition ; c’est une autre prédication
plus voilée, mais non moins puissante, qui attire les cœurs et les ouvre à la
vérité. Aussi l’expression de son visage est-elle plutôt celle de la réflexion que
celle de l’entraînement. On voit qu’il cherche à se rendre compte du mystère
de ce langage nouveau pour lui, qu’il veut s’expliquer les effets de ce verbe et
qu’il envie la jeune vierge parce qu’elle n’a point, ainsi que lui, acheté par
les fatigues, les persécutions, la captivité, le don de persuasion et le pouvoir de
changer les cœurs.2
Il apparaît nettement que Liszt s’attache beaucoup moins à la descrip-
tion précise du saint que Vasari : il ne mentionne pas la couleur et la forme
de ses vêtements. De plus, il fait une petite confusion : Saint Paul n’appuie
pas la tête sur sa main « gauche » mais sur la droite. Inversement, il tient
le glaive de sa main gauche et non de la « droite ». En revanche, Liszt s’in-
téresse à l’attitude pensive du saint – « aussi l’expression de son visage est-elle
plutôt celle de la réflexion que celle de l’entraînement » écrit-il – et retrace
les principaux épisodes de son existence en lui conférant une profondeur
1. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, op. cit., p. 211.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
Troisième chapitre 143
B. Sainte Marie-Madeleine
Vasari décrit Sainte Madeleine :
Sainte Madeleine dans une pose infiniment gracieuse, un vase de pierre
fine à la main, tourne la tête et semble toute heureuse de sa conversation : une
image insurpassable.1
Liszt offre, lui, une tout autre version :
Madeleine, dans tout l’éclat de ses ajustements mondains, vient aussi
écouter les cantiques sacrés. Il y a dans son port je ne sais quoi d’altier, de
profane, dans toute sa personne une certaine volupté qui tient plus de la Grèce
que de la Judée, du paganisme que du christianisme. Madeleine, c’est encore
l’amour, mais l’amour qui naît des sens et s’attache à la beauté visible. Aussi
est-elle plus éloignée de Sainte Cécile que Saint Jean ; comme si le peintre avait
voulu donner à entendre qu’elle participe moins que lui à l’essence divine de sa
musique, et que son oreille est captivée par l’attrait sensuel des sons plutôt que
son cœur n’est pénétré d’une émotion surnaturelle.2
Liszt voit donc Sainte Madeleine à travers son passé. Même si « ses
ajustements mondains » sont évoqués, les détails physiques sont presque
absents, leur présence ne servant qu’à illustrer l’analyse et surtout le juge-
ment négatif de Liszt. C’est en effet l’amour charnel qui est dénoncé avec
la représentation de l’ancienne prostituée repentie. Le musicien se rattache
ici à la morale, à l’éthique de son temps. D’ailleurs, la référence à la Grèce
aurait pu donner lieu à un développement sur l’habit « à l’antique » de
la sainte. Mais Liszt n’en a conservé que le côté négatif, dénonçant ainsi
sa « volupté », au même titre que son port jugé « altier et profane » ; il
en confirmera le « paganisme » au détriment du « christianisme ». Cette
sévère critique ne peut-elle pas faire penser au malaise que devait peut-être
1. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, op. cit., p. 211.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
144 PREMIÈRE PARTIE
1. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, op. cit., p. 211.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155.
Troisième chapitre 145
ce n’est qu’en 387 qu’il reçoit le baptême après avoir entendu une
voix céleste lui indiquer le chemin à suivre ;
– Liszt affirme que Saint Augustin se méfie de la musique qu’il entend.
Liszt se fie vraisemblablement à ce qu’il connaît du saint. En effet, ce
dernier n’a-t-il pas écrit un De musica1 ? De plus, dans ses Confessions,
le saint homme affirme se méfier des « plaisirs de l’ouïe » :
…je me rends compte que ces paroles saintes, accompagnées de chant, m’en-
flamment d’une pitié plus religieuse et plus ardente que si elles n’étaient sans
cet accompagnement. C’est que toutes les émotions de notre âme ont, selon leurs
caractères divers, leur mode d’expression propre dans la voix et le chant, qui
par je ne sais quelle mystérieuse affinité les stimule. Mais le plaisir des sens,
par quoi il ne faut pas laisser énerver l’âme, me trompe souvent : la sensation
ne s’en tient pas à accompagner la raison en la suivant modestement, mais elle
qui tient de la raison tous ses titres à être admise, cherche à la précéder et à la
conduire. C’est en cela que je pèche à mon insu ; j’en prends conscience après
coup.2
Dans son texte, il ne fait aucun doute que la musique assaille le saint
et qu’il essaie d’échapper à son pouvoir enchanteur. Or il n’est pas sûr
que, dans le tableau de Raphaël, la musique soit entendue par d’autres que
par Sainte Cécile.3 Les saints attendent peut-être juste qu’elle reprenne sa
musique. En effet, seule Sainte Cécile est en extase, tournée vers les anges
chanteurs.
Comme les autres artistes romantiques, Liszt pense que l’art accom-
pagne tous les événements de la vie d’un individu. Il extrapole donc en
faisant d’une part référence à des connaissances antérieures et d’autre part
en se référant toujours au sujet qui l’interpelle le plus : la musique…
1. Le De Musica est une œuvre qui n’est toujours pas traduite du latin.
2. Saint Augustin, « Chapitre XXXIII. Les plaisirs de l’ouïe », Les Confessions, Livre x,
p. 236-237.
3. Cette remarque est valable également pour Saint Paul, d’ailleurs…
Troisième chapitre 147
[…] Saint Paul et Saint Jean sont ici les représentations du pur amour
divin, l’un plus méditatif, l’autre plus lyrique ; Saint Augustin et Marie-
Madeleine, pécheurs repentis, représentent l’amour terrestre vaincu. On a
justement mis en rapport le tableau de Bologne avec les débats contemporains
sur la charité et l’amour divin. On sait qu’Antonio Pucci, parent et conseiller
de la commanditaire, qui peut-être fut l’intermédiaire auprès de son oncle
le cardinal Lorenzo Pucci pour obtenir que Raphaël exécute l’œuvre, fut un
des premiers membres de la Confrérie de l’Oratorio del Divino Amore, qui
contribua au mouvement de renouveau de l’Église à la Contre Réforme ;
Raphaël lui-même entra en mars 1514 dans la Fraternitas Corporis Domini
d’Urbino, confrérie d’inspiration voisine. Cette dimension religieuse s’impose,
sur un registre dramatique, dans l’attitude et l’expression de Sainte Cécile,
prototype des saints en extase de Guido Réni et de Dominiquin : la Sainte
Cécile est le tableau que Bologne attendait.1
Pour André Chastel :
Le choix des 4 saints n’est pas indifférent : il réunit, comme un abrégé de la
mystique affective, les figures les plus évocatrices de la philosophie chrétienne de
l’amour et des puissances de l’extase. Au milieu de ces saints personnages, Cécile
représente le passage à la musique supérieure.2
Ces explications données par deux des plus prestigieux historiens de
l’art du xxe siècle, vont dans le même sens. La version de Liszt est, elle,
très personnelle et complète la vision allégorique qu’il avait proposée de
Sainte Cécile :
C’est ainsi que ces quatre personnages, groupés avec une inimitable simpli-
cité autour du personnage principal, me sont apparus comme les types suprêmes
de notre art ; ils résument les éléments essentiels de la musique et les effets divers
qu’elle produit sur le cœur de l’homme.3
En effet, la musique est encore son sujet essentiel. La lecture lisz-
tienne ne s’appuie donc pas sur des éléments historiques ou religieux en
rapport avec la philosophie néo-platonicienne de l’époque de Raphaël. Au
contraire, sa description du tableau met bien en évidence le problème de
la dialectique entre sensualité et spiritualité, l’artiste romantique devant
pour le génie et pour le dévouement, ce génie du cœur ? Que toujours, dans l’his-
toire du monde, la souffrance et l’expiation précèdent ou suivent l’initiation ?1
Là aussi, Liszt dépasse la simple description du tableau. Il donne des
explications qui vont, une fois encore, dans le sens de l’idée qui lui est
propre, en lien avec les difficultés de la création artistique. La vérité histo-
rique ou philosophique, telle que Dömling nous l’avait montrée, est ici
complètement omise au profit d’une interprétation très ad libitum de
Liszt.
1. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op. cit.,
p. 154. C’est nous qui soulignons les éléments importants du texte.
2. Franz Liszt, « Lettre ix Le « Persée » de Benvenuto Cellini. Florence, 30 novembre 1838.
Parution le 13 janvier 1839 dans la Gazette musicale », rééditée dans Rémy Stricker, Franz
Liszt, artiste et société, p. 142.
152 PREMIÈRE PARTIE
Implications méthodologiques
Cette manière d’analyser une œuvre d’art visuel s’appuyant d’abord sur
ses émotions avant de s’attarder ensuite sur l’idée trouvera son apogée dans
l’analyse iconographique d’Erwin Panofsky. En effet, lorsque le célèbre
historien de l’art expose sa théorie, il distingue trois niveaux de significa-
tion. Les voici rapidement exposés, ainsi que leurs liens possibles avec la
pensée de Liszt :
Le « niveau de signification primaire » s’attache à explorer les formes
et leur agencement ainsi que la part d’émotion qu’elles suscitent. C’est,
en fait, ce que Liszt appelle la « beauté plastique ». Notons que, pour
Panofsky, l’identification des personnages ne se fait pas encore complè-
tement à ce stade, mais au second. Nous apporterons des nuances dans
notre appropriation de sa méthode à la musique. La reconnaissance du
style est précisée dans cette partie. Précisons que Liszt disposait d’une
solide culture en la matière, comme en attestent ses quelques lignes sur le
Tintoret, Titien et Véronèse.
Le « niveau de signification secondaire » ou « conventionnelle » donne
un sens plus appuyé aux éléments présentés dans son premier niveau. Le
regroupement se fera sous la forme « d’images, histoires et allégories ». De
ce fait, quand Liszt voit Sainte Cécile comme une « image » de la musique,
il lui donne une fonction d’allégorie, ce qui correspond donc au deuxième
niveau d’analyse panofskyen.
Le troisième niveau de signification « intrinsèque ou contenu » corres-
pond à l’interprétation visant à aboutir au sens le plus universel, dans la
phase terminale d’analyse chez Panofsky. Certains commentateurs accen-
tuent évidemment le message religieux de Raphaël. Ainsi Brizio met-il en
valeur l’intériorité de l’extase de la Sainte à laquelle doit répondre un acte
de foi profond des spectateurs :
d’un seul coup, Raphaël transfère la vision sacrée dans l’affectivité de l’in-
dividu, il fait de l’âme du saint personnage le lieu où la divinité se révèle ; au
lieu de proposer au fidèle une image, tangible objet de l’adoration, il fait de
l’adoration un sentiment intérieur1 et en donne une représentation fondée sur
l’élément psychique et symbolique2 […] La divinité n’apparaît pas au regard ;
elle est dans le cœur de Sainte Cécile ; de même que la musique ne résonne pas
matériellement à ses oreilles, mais dans son âme seulement.1
Liszt, lui, voit dans le tableau de Raphaël un message adressé aux
artistes quand il associe la sainte au symbole de la musique. Il explicite
d’ailleurs les difficultés éprouvées par cet artiste à être situé entre Dieu et
les hommes :
N’est-ce pas l’idéalisation la plus poétique de ce découragement qui saisit le
poète dans l’abondance et la plénitude de sa participation aux mystères infinis,
alors qu’il sent et comprend qu’il ne pourra rien rapporter aux hommes du
banquet céleste auquel il a été convié ?2
Les remarques de Liszt correspondent ici à ce que Panofsky qualifierait
de « principes sous-jacents qui révèlent la mentalité de base d’une classe », ici,
la classe étant évidemment celle des artistes. Les deux derniers niveaux de
signification panofskyens peuvent donc trouver leur correspondant dans
ce que Liszt appelle « beauté IDÉELLE », alors que le premier correspond
évidemment à la « beauté plastique » lisztienne.
Conclusion du chapitre
Nous avons démontré que dans le texte de Liszt concernant la Sainte
Cécile de Raphaël se trouvent implicitement tous les éléments de la
méthode iconographique de Panofsky. Cela justifie donc d’adopter cette
méthode dans nos analyses plastiques des œuvres qui ont musicalement
inspiré Liszt. De ce fait, il semble également logique de s’interroger sur la
portée de cette méthode sur les œuvres musicales lisztiennes.
En d’autres termes, nous considèrerons les œuvres musicales de Liszt
en adaptant la méthode de Panofsky. Il nous faudra donc trouver des équi-
valents musicaux à ses différents niveaux de signification. Ce sera l’objet
d’une partie entière…
1. A.M.Brizio, Extrait d’un article de Arte Lombarda, Milan, 1965 cité par Pierluigi de
Vecchi, in Tout l’œuvre peint de Raphaël, p. 111.
2. Franz Liszt, « Lettre xi. La Sainte Cécile de Raphaël. À M. Joseph d’Ortigue », op.
cit., p. 155
Troisième chapitre 155
Postlude
1. Indication fournie par Peter Scholcz et Christo Lelie, dans le texte d’accompagnement
du C.D. Caecilia, AOS classics, 1996. D’autres précieuses remarques nous ont servi pour
brosser le rapide tableau de cette œuvre fort méconnue.
2. Voir à ce sujet Alan Walker, Franz Liszt, p. 315, vol. 2.
Deuxième partie
Réflexions préalables :
Espace et temps dans les arts visuels
et la musique
1. Detlef Altenburg, « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des Programs
im symphonischen Werk von Franz Liszt » in Liszt Studien I, p. 20.
162 DEUXIÈME PARTIE
1. Bernard Teyssèdre ajoute ici une note (n° 3) où il mentionne la référence à la « psycho-
logie de la forme (« Gestalttheorie ») Pour les références, voir note suivante.
2. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, p. 13-14.
Quatrième chapitre 165
2. Application à la musique
Il faut avant tout préciser que les « formes », dont parlent Panofsky et les
historiens de l’art, ne correspondent pas à ce que nous appelons « forme »
en musique. En effet, dans les arts visuels, la « forme » des « objets naturels »
comme les nomme Panofsky correspond à des données matérielles et aisé-
ment repérables, comme des surfaces de couleurs sur une toile, des lignes
figurant un élément précis dans un dessin… Ce sont ces éléments qui
permettent le repérage immédiat des « objets » représentés. En revanche, la
forme d’une œuvre musicale correspond à sa perception dans sa globalité.
La forme est souvent confondue, même par certains musicologues, avec
la structure. Même si c’est sa manifestation propre, elle reste insuffisante
pour en rendre compte de manière exhaustive. Prenons un exemple : la
structure correspond chez l’être humain, au corps composé d’une tête,
d’un buste, de deux bras et de deux jambes. Celui-ci se différencie de
celui d’un animal. En revanche, chaque forme est unique, car chaque être
humain est unique, même si la structure – son corps – est commune à celle
des autres êtres humains. Ainsi, en musique, à une structure ABA corres-
pond un grand nombre d’œuvres. Cependant, chaque œuvre aura une
forme, donc une enveloppe particulière. L’exemple le plus emblématique
de confusion entre forme et structure en musique reste sans doute celui de
« la forme sonate ». Elle correspond d’ailleurs plus à un principe composi-
tionnel qu’à une structure proprement dite. Charles Rosen l’a bien précisé
avec son titre si caractéristique : les Formes sonates plutôt que la forme
sonate. En ce sens, l’exemple de la Faust Symphonie est emblématique :
Liszt se serait inspiré de trois œuvres picturales – deux, en réalité – de
Scheffer avant de se pencher de manière plus approfondie sur les écrits de
Goethe. Il garde la structure des trois tableaux dans leur ensemble, à savoir
qu’il réalise une symphonie en trois mouvements avec des appellations
qui correspondent aux principaux personnages : « Faust » pour le premier
mouvement, « Gretchen », pour le deuxième et « Méphistophélès » pour
le troisième. Cependant, si la structure générale correspond à la référence
visuelle supposée, la forme de chaque mouvement est, elle, très particulière
à chaque fois pour correspondre au sous-titre donné par Liszt lui-même :
« in drei Charakterbildern nach Goethe » (en trois portraits psycholo-
giques d’après Goethe). Les formes de ces mouvements sont intrinsèque-
ment liées au contenu1, alors que la structure reste un schéma figé. Nous
reviendrons sur le problème de la forme sonate dans l’œuvre de Liszt, plus
particulièrement dans la Hunnenschlacht et la Légende de Sainte Élisabeth.2
Percevoir la forme d’une œuvre musicale n’est donc pas chose si aisée.
Pour comparer les « formes et motifs » des œuvres d’art visuel avec
des correspondants musicaux, il faut donc se concentrer sur les éléments
de base du langage musical et non sur leur agencement dans une forme
globale. En un mot, cette première étape constitue la présentation du
matériau musical : matériau thématique et motivique, rythmique, harmo-
nique… Il s’avère qu’en fait, c’est surtout la thématique musicale – à la fois
thèmes et motifs – qui est comparable aux « formes et motifs » des œuvres
picturales, sculpturales, graphiques…
Cependant, cette première étape n’est pas qu’une description sommaire.
Elle fait appel à une « expérience pratique ». Les éléments musicaux de
1. Voir dans notre première partie, le premier chapitre : les explications empruntées à
Dahlhaus sont très claires.
2. Voir notre sixième chapitre, dans cette même partie.
170 DEUXIÈME PARTIE
base de cette « expérience pratique », que sont les intervalles, les rythmes,
les harmonies, présentés dans une écriture musicale, renvoient à un « style
musical ». Celui-ci demeure lié à une période historique précise. Aussi est-il
difficilement possible, comme nous l’avons vu avec l’identification de l’ap-
parition dans l’œuvre de Van der Weyden, de ne pas reconnaître l’époque
d’une pièce pour piano où se déroule un accompagnement fondé sur une
« basse d’Alberti » à la main gauche ! L’auditeur est immédiatement poussé
à identifier ces accords brisés comme étant l’œuvre d’un contemporain de
Haydn ou de Mozart !
Là encore, la reconnaissance des thèmes et des motifs musicaux dépend
de « notre expérience pratique à un principe de contrôle que nous pouvons
appeler « l’Histoire du langage ».1 Précisons, au risque de tomber dans le
truisme, qu’il s’agit ici de l’Histoire du langage musical…
Avant de passer à l’illustration de ces idées à l’aide d’exemples pris dans
le répertoire lisztien, nous tenons à mentionner une expérience intéres-
sante : l’adaptation de la première étape de ce premier niveau panofskyen
à la littérature.
« type », c’est-à-dire le fait qu’un motif n’apparaisse comme tel que grâce à
sa « récurrence » dans plusieurs œuvres :
Le type est perçu dès lors que plusieurs œuvres sont prises conjointement
dans un même regard.1
Cette manière de procéder est aisément transposable à la littérature.
Notons, pour conclure notre brève remarque, qu’Antoinette Weber-
Caflisch ne s’attarde que sur le premier niveau de Panofsky, et, comme
nous l’avons expliqué, plus spécialement sur la première phase.
Il nous reste maintenant à illustrer nos propos à l’aide d’exemples
empruntés au répertoire lisztien.
Joué aux bassons puis aux autres bois, soutenu par des violoncelles
avec sourdine sur un tapis de tremoli aux timbales, il se caractérise par
son départ en anacrouse et son rythme pointé dans un tempo allegro ma
non troppo et une atmosphère tempestoso. Présenté initialement sur une
176 DEUXIÈME PARTIE
sur un court arpège feroce dans une nuance forte aux cors accompagnés de
cordes :
Cet ostinato est fondé sur la tête du premier thème, mais en augmen-
tation. Les changements de mesure (C qui passe ensuite à 6/4 (3/2))
contribuent à une carrure de trois mesures. Ce thème de prière se compose
en effet, dans sa première exposition, de trois paliers successifs dont les
deux premiers sont composés chacun de trois mesures. Seul le dernier est
allongé. Ainsi, le premier commence mélodiquement sur do, mesure 314,
le deuxième sur ré, mesure 317 et le dernier sur mib, mesure 320, dont
182 DEUXIÈME PARTIE
est évidemment Sainte Élisabeth. Elle est en effet présente dans chaque
scène : enfant, habillée d’un long drapé bleu, elle descend de la diligence,
aidée vraisemblablement du Landgrave Hermann, père de son futur mari
Ludwig.
Une fois adulte, elle revêt dans toutes les autres scènes une robe dans
les tons de marron ocre, à l’exception des deux scènes qui la montrent
morte. Notons que, dans le « miracle des roses », elle ouvre son tablier, les
yeux levés vers le cavalier qui se penche aimablement au-dessus d’elle, ce
184 DEUXIÈME PARTIE
qui montre son absence de résistance devant une personne qu’elle connaît,
en l’occurrence ici son mari.
Le Landgraf Ludwig
Le second personnage important de la fresque de Schwind semble être
Ludwig, l’époux d’Elisabeth.
Il est possible qu’il apparaisse dès la première scène, c’est-à-dire lors
de l’arrivée d’Elisabeth enfant à la Wartburg. Ce serait le petit garçon qui
tente de grimper sur la roue de la diligence. À côté de lui, une petite fille
semble vouloir l’imiter.
La seconde scène où il paraît de manière beaucoup plus affirmée est le
célèbre miracle des roses. Il revient de la chasse, à cheval. Il porte d’ailleurs
les couleurs nécessaires au camouflage dans les bois : une tunique verte et
un pantalon beige foncé. À sa ceinture, des attributs indispensables : une
trompe et un couteau. Son chapeau marron laisse entrevoir une bande
dorée qui s’apparente à une couronne. Le jeune homme est tourné de trois
quarts par rapport au spectateur puisqu’il s’adresse à sa femme qui nous
fait face. En revanche, dans la scène qui le représente sur le départ pour
la croisade, il est tourné plus vers l’extérieur du tableau. De bleu vêtu, il
se tient debout appuyé contre son cheval qui laisse entrevoir son écu sous
un drapé blanc. Il enlace sa femme qui l’embrasse tendrement sur la joue
droite.
Si les deux références en tant que telles pour la représentation de Ludwig
dans les tableaux de Moritz von Schwind restent la scène du miracle des
roses et celle du départ pour la croisade, il nous semble pouvoir en ajouter
une troisième : celle de l’enterrement solennel d’Élisabeth. En effet, le
personnage au premier plan, vêtu d’une tunique oscillant entre le beige et
surtout le gris avec une ceinture, qui porte pieds nus le cercueil où gît Sainte
Élisabeth, ressemble beaucoup à la représentation de Ludwig lors du départ
pour la croisade : taille et corpulence sont identiques et les visages affirment
la même impression de douceur. Les cheveux longs bouclés rappellent ceux
du chasseur penché sur Elisabeth dans le miracle des roses, ce qui laisserait
supposer que le peintre prend des libertés par rapport à l’histoire…
Quatrième chapitre 189
Il se caractérise par son rythme dactylique initial très présent dans les
danses populaires slaves, sa tournure mélodique et ses intervalles simples –
principalement conjoints – ses notes détachées.
Le thème 3 est un chant en langue allemande qui se rapproche d’un
cantique :
>> Exemple n° 11 : F. Liszt, thème 3 : « Chant ancien des Pèlerins
du temps des Croisades » (selon Liszt) communiqué
par Gottschalg
La mélodie qui supporte le texte en langue hongroise est fondée sur une
suite d’intervalles conjoints pour les deux premières phrases. La seconde
est en fait une duplication exacte de la première, bien que les paroles
changent. Le même procédé se retrouve presque pour les deux phrases
suivantes, à l’exception de l’unique intervalle de quarte descendante de la
troisième phrase, qui devient une seconde également descendante dans la
quatrième. Là encore, les rythmes sont simples, donnant à cette mélodie
un aspect populaire assez marqué.
Le thème 5 cité par Liszt est le Crux fidelis, qui se caractérise par sa
seconde puis sa tierce ascendantes et à nouveau une seconde ascendante :
Liszt utilise ce thème à plusieurs reprises, tant dans cette œuvre que
dans d’autres. Nous reviendrons sur ce sujet plus loin.
Il faut tout de même remarquer que la majorité des musicologues
n’évoquent que les thèmes empruntés par Liszt pour son oratorio. Mais
il nous semble important de signaler aussi les thèmes récurrents de Liszt
lui-même, qu’il ne mentionne pas dans ses remerciements, et pour cause…
Il en est l’auteur !
Reste encore la chanson des pèlerins, fondée sur un saut de sixte et des
notes conjointes, en sib majeur :
196 DEUXIÈME PARTIE
1. Définition générale
2. Application à la musique
1. Bernard Tesseydre, note 3b de l’introduction dans Erwin Panofsky, op. cit., p. 14.
2. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, op. cit., p. 15.
3. Si, de prime abord, ce terme peut renvoyer à une notion symbolique dépassant le cadre
de ce premier niveau, sa présence se justifie dans la mesure où ce symbolisme est acquis
par l’auditeur. Cela fait partie du « domaine connu ».
Quatrième chapitre 199
Liszt a repris cette pièce pour piano deux fois dans La Notte. Les paral-
lèles que nous allons établir sont donc également valables pour cette autre
pièce, du moins pour ses parties extrêmes. Nous reviendrons sur la section
intermédiaire par la suite.
Quatrième chapitre 201
Parler ici d’emprunt ou de modulation serait osé car la tonalité n’a pas
changé : Liszt a simplement minorisé la tierce de son accord de VIe degré,
tandis qu’il a abaissé la quinte de son accord du IVe, qui devient donc
septième et quinte diminuée. Le même procédé de minorisation d’accord
est utilisé dans la phrase suivante, qui aboutit finalement en mi majeur,
tonalité relative du do# mineur initial :
Il faut noter ici que l’arrivée sur la quinte à vide, précédée d’accords
altérés dont l’accord de dominante avec une neuvième mineure (do bécarre !)
dans la cadence, peut dérouter l’auditeur. Ainsi Serge Gut écrit-il :
C’est ainsi que l’on passe successivement de do dièse mineur à mi mineur
et sol mineur pour aboutir à la dominante du ton principal.1
Il est vrai que dans le déroulement musical, l’absence de tierce peut
aboutir à une ambiguïté : mi mineur ou mi majeur ? Telle est la question.
1. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année, Italie, », p. 19.
Quatrième chapitre 207
>> Exemple n° 27 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 39-41 sans note altérée
>> Exemple n° 28 : F. Liszt, Il Pensieroso, mes. 1-4 et mes. 5-8. Rythme.
1. Virgile à qui il empruntera encore une citation dans son titre Sunt lacrymae rerum
pour piano de 1872.
2. C’est nous qui soulignons.
3. Lucinda Hawkins Collinge et Annabel Ricketts, Michel-Ange, p. 115.
214 DEUXIÈME PARTIE
un petit coffre décoré d’un étrange animal, ainsi que le second bras recro-
quevillé dont le poignet retombe sur la cuisse gauche, les jambes légère-
ment et élégamment croisées, apportent une nuance de décontraction à un
ensemble architectural si imposant.
Liszt a traduit musicalement la solennité de la scène et la dignité des
personnages – principalement Laurent et Julien – par l’emploi d’un tempo
très lent : Lento. Dans sa version ultérieure, La Notte, il ajoutera même un
adjectif très significatif : Lento funèbre. Alliée aux rythmes de croches poin-
tées doubles, cette indication évoque donc une atmosphère de marche,
ici éminemment funèbre. De plus, les silences jouent un rôle important.
Ainsi, à la main gauche, ils contribuent à mettre en valeur le thème sobre
par un accompagnement, de ce fait, très clairsemé. Le début de la pièce
illustre parfaitement cette idée.
À l’époque où naît son projet pour la chapelle des Médicis, Michel-
Ange est occupé à modifier le plafond de la chapelle Sixtine. La représen-
tation monumentale de son Jugement dernier va provoquer un scandale.
Les musculatures, très herculéennes des Ignudi – les superbes nus – le
manque de perspective ainsi que cet amoncellement de corps dans un
espace abstrait, irritent l’Église et furent à l’origine de nombreuses polé-
miques. Ce souci de représenter la puissance se retrouve même dans les
sculptures de la chapelle des Médicis, aussi bien dans celles des deux frères
Laurent et Julien que dans celles des statues allongées à leurs pieds. Le Jour
reste, à cet effet, l’exemple le plus caractéristique, malgré l’inachèvement
de son visage. Cependant, nous voudrions nous pencher un moment sur la
physionomie de la Nuit. Le bras droit replié et les cuisses de la statue sont
en effet très musclés. À l’observation de son visage, on remarque les maxil-
laires émaciées, les lèvres épaisses, le nez imposant et, de plus, la pomme
d’Adam proéminente. L’ensemble est donc très masculin. Un autre détail,
également très masculin, frappe : l’absence de hanches bien marquées et
la musculature esquissée du buste où seuls les seins – qui donnent une
impression d’ajout maladroit à cause d’un strabisme divergeant des tétons
et d’une séparation bien trop grande entre eux – restent le seul élément
féminin affirmé. Il paraît donc probable que le modèle de la Nuit était un
homme, et que Michel-Ange a – consciemment ou non – imposé dans la
chapelle des Médicis un arsenal d’éléments, d’attributs masculins, afin de
montrer toute la puissance de l’aristocratique famille.
Dans son œuvre pour piano, Liszt, traduit cet effet de puissance grâce
à des accords profonds, fournis et riches dans le registre grave.
Quatrième chapitre 215
ments ». Il s’agit des liens entre ces éléments qui contribuent à l’organisa-
tion de l’espace.
Dans le domaine musical, c’est la structuration du temps qui conduit à
une élaboration possible des « liens entre les thèmes et les motifs », et donc
de tout ce qui participe à la structure. Mais encore une fois, nous tenons à
distinguer la « structure » de la « forme », la seconde relevant de l’organi-
sation interne du contenu. Aussi serons-nous confrontée à des choix, car
la structure et la forme sont, il faut quand même en être conscient, liées :
la structure n’est que la partie visible et peu « sensible » de la forme. Notre
choix dans l’explication des « événements musicaux » consistera à éviter
les répétitions possibles avec la « forme » générale étudiée dans la partie
consacrée au « contenu ». Dans certains cas, donc, nous ne donnerons pas
une explication exhaustive de la structure, quand celle-ci sera explicitée
avec la forme du contenu.
ses bienfaits. Puis Élisabeth, épuisée, meurt et est accueillie par les anges.
La section vi décrit l’enterrement solennel d’Élisabeth, conduit par l’em-
pereur Frédéric II.
La structure générale de la fresque – composée de six tableaux – trouve
donc bien son correspondant avec la structure sexpartite de l’oratorio lisz-
tien. Les scènes représentées se retrouvent d’ailleurs dans le livret, même si
ce dernier développe évidemment davantage les épisodes narratifs.
1. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 11.
Quatrième chapitre 219
sixte napolitaine sur la note do à la basse. Mais, dans les deux cas, la réparti-
tion du début du motif aux cors et de la fin à la trompette, suscite un effet
particulier dans l’appréhension de l’espace par l’auditeur. Liszt essaie vrai-
semblablement de recréer l’occupation de l’espace de la bataille, présent
dans le tableau de Kaulbach.
S’il est difficile de définir une structure dans les statues michelange-
lesques comme Il Pensieroso et la Notte, il est cependant plus aisé de définir
le principe structurel présent dans l’ensemble de l’œuvre. Autrement dit,
les deux statues seront étudiées en fonction de leur rôle dans l’architecture
des tombeaux de la chapelle des Médicis. C’est en effet le principe compo-
sitionnel de la structure d’ensemble que nous recherchons ici.
Quatrième chapitre 225
1. Pour plus de détails sur la question, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage d’Erwin
Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », in Essais d’iconologie,
p. 283.
226 DEUXIÈME PARTIE
Si ce schéma d’ensemble peut sembler bien sec face à une œuvre aussi
émouvante, il est cependant utile pour montrer le principe général de
composition : il va sans dire que la structure de La Notte, étant fondée sur
un ABA, rappelle tout à fait l’idée de symétrie présente dans la chapelle
des Médicis.
Les structures des tombeaux florentins des Médicis, grâce à leur symé-
trie, peuvent trouver une correspondance dans la seconde œuvre lisztienne
inspirée de La Notte. Dans ce cas, la comparaison est en effet possible grâce
à l’étude de la division du temps et celle de l’espace qui trouvent un point
commun dans un même principe de symétrie.
Quatrième chapitre 227
Conclusion
Introduction
Afin de bien faire comprendre l’idée de ce qu’il nomme « la significa-
tion secondaire », Panofsky reprend l’exemple de l’homme qui le salue en
soulevant son chapeau. Il avance davantage dans l’analyse sémantique :
Toutefois, quand je prends conscience que soulever son chapeau équivaut
à saluer, j’accède à un domaine tout différent d’interprétation. Cette forme
de salut est propre au monde occidental ; c’est une survivance de la cheva-
lerie médiévale : les hommes d’armes avaient coutume d’ôter leur casque pour
témoigner de leurs intentions pacifiques, et de leur confiance dans les intentions
pacifiques d’autrui. […] Pour comprendre le sens de ce geste, je n’ai pas seule-
ment besoin d’être familiarisé avec l’univers pratique des objets et événements,
ainsi encore avec l’univers (qui déborde le domaine pratique) des coutumes
et traditions culturelles, propres à une certaine civilisation. En retour, cette
personne de ma connaissance n’aurait nullement cru devoir me saluer en soule-
vant son chapeau, si elle n’avait eu conscience du sens de ce geste (quant aux
résonances expressives qui accompagnent son acte, elle peut en avoir conscience
ou non). C’est pourquoi, lorsque j’interprète le fait de soulever son chapeau
comme une salutation polie, je reconnais en lui une signification que nous
pourrons appeler secondaire ou conventionnelle ; elle diffère de la signifi-
cation primaire ou naturelle en ce qu’elle relève de l’entendement, non de la
perception sensible, et qu’elle a été délibérément communiquée à l’acte pratique
chargé de la transmettre.1
1. Erwin Panofsky : Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, p. 15.
230 DEUXIÈME PARTIE
1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
p. 17-19.
Cinquième chapitre 231
I. Les « histoires »
1. Définition générale
et des événements ont été exprimés par des formes (c’est-à-dire sur l’histoire du
style), de même nous pouvons corriger et contrôler notre connaissance de sources
littéraires par l’enquête sur la manière dont, en diverses conditions historiques,
des thèmes ou concepts spécifiques ont été exprimés par des objets et des événe-
ments (c’est-à-dire sur l’histoire des types).1
En d’autres termes, l’examen d’autres œuvres traitant du même sujet
ou d’un sujet voisin peut servir de support dans le choix des sources litté-
raires explicatives et peut éviter ainsi des erreurs d’identification. Cette
démarche suppose un travail dans le domaine de la culture visuelle grâce
aux études des maîtres anciens et contemporains, conseillées notamment
par C. Cennini dans son Libro dell’ Arte. Notons d’ailleurs que ce procédé
d’analyse est également valable pour les « images » et autres « allégories ».
2. Application à la musique
fiait. Deuxièmement, Liszt peut s’être identifié à elle à cause de son expulsion
de la Warburg. Ayant été expulsé de Thuringe, il se sentait comme elle, victime
des politiques locales.1
Les affinités avec son héroïne ont conduit le compositeur à lui recher-
cher une thématique appropriée.
Aussi le personnage de Sainte Élisabeth trouve-t-il son équivalent
musical dans l’oratorio de Liszt avec l’antienne Stella matutina issue d’un
antiphonaire. Le compositeur voulait en effet un thème qui traduise à la
fois l’aspect religieux de la sainte et ses origines hongroises. Rémy Stricker
apporte une précision amusante à ce sujet :
Le [motif le] plus important, qui joue le rôle de Leitmotiv du personnage
principal, est une antienne grégorienne de la fête de Sainte Élisabeth. Il [Liszt]
aurait été cruellement déçu de savoir qu’il s’était trompé de sainte et que celle-
ci était Élisabeth du Portugal.2
La confusion due à la similitude des prénoms est bien compréhensible,
même si elle aurait effectivement affecté le compositeur s’il s’était aperçu
de son erreur.
Liszt n’a pas caché l’influence des arts visuels dans sa deuxième légende
pour piano. Il va jusqu’à décrire le dessin de Steinle avec précision dans
sa préface :
Saint François debout sur les flots agités ; ils le portent à son but, selon
l’ordre de la Foi, qui maîtrise l’ordre de la Nature. Son manteau est étendu
sous ses pieds ; il lève une de ses mains comme pour commander aux éléments ;
de l’autre, il tient un charbon ardent, symbole du feu intérieur qui embrase les
disciples de Jésus Christ ; et son regard est tranquillement fixé au Ciel où reluit
dans une gloire éternelle et immaculée la devise de Saint François, la parole
suprême « Charitas ! »3
1. Paul Munson, chapter 2 « Oratorio as a devotion : Die Legende von der heiligen
Elisabeth », The oratorios of Franz Liszt, p. 23-24 (Trad. par nos soins)
2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 312. Il ne donne pas sa
source.
3. Franz Liszt, extrait de la « préface » de la Légende n° 2 Saint François de Paule marchant
sur les flots.
Cinquième chapitre 235
>> Exemple n° 32 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 6-9
1. Helga de la Motte-Haber, Musik und bildende Kunst, p. 88 (Trad. par nos soins)
2. Márta Grabócz, Morphologie des Pièces pour piano de Liszt, p. 75.
3. Pauline Pocknell, « Author ! Author ! Liszt’s Prayer « An den heiligen Franziskus von
Paula » », p. 34.
4. C’est nous qui soulignons.
236 DEUXIÈME PARTIE
n’avait pas de quoi le payer, il lui signifia qu’il n’y aurait pas de barque
pour le conduire. Témoins de ce refus, quelques habitants d’Arena, qui avaient
accompagné Saint François de Paule, prièrent le batelier, d’embarquer ces
pauvres moines, en assurant que l’un d’eux était un saint. « Eh ! si c’est un
saint, répliqua durement Coloso, il n’a qu’à se promener sur les vagues et à
faire un miracle ! » Et il fit partir la barque en laissant les trois moines sur le
rivage. Sans se troubler de ce mauvais procédé, Saint François, fortifié inté-
rieurement de l’esprit divin qui l’assistait toujours, s’éloigna quelque peu de ses
compagnons, pour prier le Seigneur de le secourir en cette perplexité. Puis il
revint à eux, et leur dit : « Or sus, allègres mes enfants ! La grâce de Dieu nous
a préparé un magnifique navire pour notre passage… avec ce manteau ! » et
il l’étendit sur la mer. Fra Giovanni sourit naïvement et répliqua : « Prenons
plutôt mon manteau, il nous soutiendra mieux, car il est neuf et non rapiécé
comme le vôtre. » Quant à l’autre compagnon, Fra Paolo, homme prudent,
il crut de suite au miracle que le saint allait opérer. En effet, François de
Paule, après avoir béni son manteau, l’élève en guise de voile, se soutient
par son bâton qui sert de mât, se tient debout avec ses deux compagnons
sur ce prodigieux esquif, et navigue de la sorte1…Les habitants d’Arena,
sur le rivage, stupéfaits de la rapidité de ce trajet miraculeux, crient, pleurent,
battent des mains, comme aussi les bateliers de la barque de Coloso, et celui-ci
même, qui demande pardon au saint et le supplie de monter sur sa barque.2
Plusieurs éléments musicaux permettent à la fois l’identification du
personnage et celle de la scène.
Ainsi Liszt emploie-t-il une tournure pentatonique, qui symbolise
pour lui, la sainteté :
>> Exemple n° 33 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 1-5
>> Exemple n° 34 : F. Liszt, Saint François de Paule marchant sur les Flots,
mes. 127-134
240 DEUXIÈME PARTIE
De tels passages virtuoses1 ont suggéré à Walter Salmen que « … l’élan
ampoulé de la virtuosité arrogante et vaniteuse n’a pas été abandonné. »2 Il
nous semble évident que le musicologue allemand n’a pas compris l’im-
portance accordée par Liszt aux éléments naturels, et qu’il n’a pas apprécié
à sa juste valeur la représentation de l’image musicale de l’eau. Ce ne fut
pas le cas de Gustave Doré, le célèbre dessinateur et peintre, qui dédia à
Liszt un dessin représentant Saint François de Paule marchant sur les flots,
réalisé d’après la pièce pour piano du compositeur. La distorsion avec le
modèle initial de Steinle3 – très statique, où le saint personnage est repré-
senté au centre – est évidente : Gustave Doré montre la petitesse humaine
devant une nature aquatique déchaînée, à l’instar du compositeur. Dans
la musique de ce dernier, le saint ressort vainqueur de la violence des
éléments naturels puisqu’il recouvre sa marche initiale, dans la tonalité de
mi majeur, symbole du triomphe de la foi, dans la musique de Liszt.
Liszt a donc transcendé le rôle de la nature par rapport à Steinle, ce que
Gustave Doré a conservé dans sa représentation.
L’eau a d’ailleurs souvent été représentée, au xixe siècle, sous forme de
mouvements mélodiques chromatiques en valeur rythmiques rapides, dans
un tempo assez animé. Dans la musique de Liszt lui-même, les exemples
sont nombreux. Citons le Lied Im Rhein, im schönen Strome, d’après un
poème de Heine, dont il existe trois versions : la première, pour mezzo ou
baryton, dédiée à la Princesse Augusta, date des années 1840 et a été publiée
en 1843 à Berlin ; la seconde, pour ténor, est publiée en 1856, également
à Berlin. La dernière est une transcription pour piano, dont la publication,
à Berlin et Milan, date de 1844. Il est intéressant de comparer la version
qu’en a proposé Schumann à la même époque : 1840. Sa publication date
de 1844. C’est en effet le sixième des Dichterliebe. Schumann choisit la
première version de Heine, là ou le « schönen » [beau] ne remplace pas
encore le « heiligen » [sacré] sous la plume du poète. Le titre est donc : « Im
1. Certains musicologues n’hésitent pas à sortir des sentiers battus pour poser le problème
de la fidélité de l’interprétation, et donner des pistes de recherches originales. Citons, à
ce propos, l’article de Jacques Viret, « Les Variantes du Saint François de Paule de Liszt
et la liberté de l’interprète », p. 9-11. L’auteur s’appuie sur la comparaison de différentes
versions enregistrées de l’œuvre.
2. Walter Salmen, « Liszt und die bildende Kunst. Zu einigen programmatischen
Kompositionen », p. 76 (trad. par nos soins).
3. Nous tenons ici à remercier Madame Mária Eckhardt d’avoir attiré notre attention
sur la comparaison de ces deux œuvres d’art visuel.
Cinquième chapitre 241
L’effet n’est pas encore aussi abouti que dans la seconde Légende
pour piano, mais le chromatisme attaché à l’image de l’eau ne fait aucun
doute.
De nombreux compositeurs ont usé également du chromatisme pour
donner une image auditive de l’eau. Ainsi, le « Vœu pendant l’Orage »,
29e des Quarante Mélodies de Meyerbeer, offre un exemple très proche de
l’utilisation du chromatisme dans la seconde Légende pour piano de Liszt.
Pour conclure sur le thème lisztien de Saint François de Paule marchant
sur les Flots, nous conserverons le petit résumé de Márta Grabócz :
Le thème principal de la pièce Saint François de Paule marchant
sur les Flots incarne en même temps un symbole d’élan, de victoire, de foi
religieuse.1
1. W. F. Goethe, « Les objets des arts plastiques », (1797) in Écrits sur l’Art, p. 95.
2. Tzvetan Todorov, Théories du Symbole, p. 236.
244 DEUXIÈME PARTIE
qu’elle illustre, tandis que dans le symbole, elle peut, dans un premier
temps se suffire à elle-même. Ce n’est que dans un second temps que l’on
comprend que ce même objet a une autre signification.
Dans une dernière maxime citée par Todorov, Goethe affine sa posi-
tion : le contenu du symbole et celui de l’allégorie sont différents. Le
premier est défini par l’idée et le second par le concept. Cela entraîne une
autre spécificité : l’allégorie relève du dicible, et le symbole de l’indicible.
De ce fait, le contenu de l’allégorie est fini, tandis que celui du symbole est
ouvert. Todorov va même jusqu’à dire que :
…le sens est achevé, terminé, et donc en quelque sorte mort dans l’allégorie ;
il est actif et vivant dans le symbole. Ici encore, la différence entre symbole et
allégorie est fixée avant tout par le travail que l’un et l’autre imposent à l’es-
prit du récepteur, même si ces différences d’attitude sont déterminées par des
propriétés de l’œuvre mêmes (que Goethe passe cette fois sous silence).1
Todorov voit dans toutes ces différences une définition « romantique »
du symbole et de l’allégorie.
Un autre penseur apparaît important dans la recherche de définition
du symbole et de l’allégorie. Il s’agit de Schelling.
Dans Philosophie de l’art, Schelling oppose la notion de symbole à
celle d’allégorie. Il réunit en quelque sorte les deux oppositions : celle de
Kant, entre schématique (désignation directe) et symbolique (désignation
indirecte), ainsi que celle de Goethe, entre allégorie et symbolique, et il
obtient une série à trois termes. Cependant, ses définitions relèvent plus
de la logique que les précédentes car l’auteur combine ici les notions de
« général » et de « particulier » :
Cette représentation dans laquelle le général signifie le particulier,
ou dans laquelle le particulier est appréhendé à travers le général, est le
schématique. Cette représentation cependant dans laquelle le particulier
signifie le général, ou dans laquelle le général est appréhendé à travers le
particulier, est allégorique. La synthèse de ces deux éléments, où le général
ne signifie pas le particulier, ni le particulier le général, mais où les deux
sont absolument un, est le symbolique.
Le « schématique » est donc devenu la désignation du particulier par
le général. Schelling prend ici l’exemple d’un artisan qui fabrique un objet
d’après un dessin ou une idée. Il réalise le même rapport entre le « général »
et le « particulier ».
a. Application à la musique
Nous tenons ici à attirer l’attention sur le fait que Liszt était très
sensible à la signification profonde, aux symboles présents dans les œuvres,
voire dans les objets. Si l’étude de notre premier chapitre consacrée à la
Sainte Cécile de Raphaël est un exemple très probant, nous proposons ici
un autre texte écrit de la main de Liszt, qui montre combien cette idée
est importante pour lui. Il s’agit de l’épisode, très célèbre, de la remise du
« sabre d’honneur », le 4 janvier 1840, par ses compatriotes. Liszt donne,
en effet, ce soir-là dans le vieux théâtre national, en Hongrie, un récital,
à la fin duquel il reçoit le fameux présent de la part d’un petit groupe de
nobles hongrois, qui veulent le remercier de sa générosité lors du déluge
1. Serge Gut, « La Notion d’Art rédempteur dans Orpheus de Franz Liszt », Musiques
d’Orphée, p. 120.
248 DEUXIÈME PARTIE
1. Alan Walker fait remarquer que Liszt commet ici une erreur. Voir note suivante pour
les références.
Cinquième chapitre 249
notre sang soit versé jusqu’à la dernière goutte pour notre liberté, le roi, et la
patrie !1
Il est clair que, pour Liszt, le sabre, si magnifique qu’il soit, repré-
sente avant tout un « symbole », une « image » selon ses propres mots, du
combat pacifiste d’un artiste au service de son pays. C’est justement le fait
d’être reconnu « artiste » et « hongrois », par des Hongrois, qui a causé tant
d’émotion au jeune Franz, et non les pierres précieuses incrustées !
Les critiques et caricaturistes de l’époque se sont acharnés sur Liszt
et les Hongrois, sans véritablement comprendre le sens de ce présent.2
En effet, nombre de dessins moqueurs, aux légendes assassines, abondent.
Comme la lithographie de Lorentz, la première légende en français, qui
aggrave le ton ironique du dessin, en est un exemple éloquent :
Entre tous les guerriers Liszt est seul sans reproches (sic)
Car malgré son grand sabre on sait que ce héros
N’a vaincu que des double-croches (sic)
Et tué que des pianos.3
Si la tournure humoristique peut prêter à sourire, il n’en reste pas
moins vrai que le fond est pathétique : le commentateur s’attache non pas
à la signification symbolique de ce moment privilégié, mais uniquement
à la fonction matérielle de l’objet. Le fait que son pays, reconnaissant, ait
honoré Liszt en lui offrant un sabre, échappe complètement au parti-pris
de ce commentateur. En d’autres termes, ce dernier s’arrête au « premier
niveau de signification » selon Panofsky, alors que Liszt est indubitable-
ment touché par le deuxième.
Les exemples de ce type abondent dans sa correspondance et ses écrits,
mais cet épisode nous a semblé être le plus clair.
1. Franz Liszt, cité par Franz Ritter von Schober, Briefe über F. Liszts Aufenhalt in Ungarn
Berlin, 1843, cité par Alan Walker, Franz Liszt, vol.1, p. 339-340
2. Voir la Caricature de Franz Liszt. Gravure sur acier, vers 1842, éditions Otto, à Burg ;
variante allemande d’une lithographie de Lorentz, publiée le 8 juillet 1842 dans la revue
parisienne le « Miroir drolatique », par exemple dans l’ouvrage d’Ernst Burger, Franz
Liszt, p. 146.
3. idem, Ibidem.
250 DEUXIÈME PARTIE
1. Voir le Pange Lingua dans le Paroissien Romain, éd. par les Bénédictins de Solesmes,
p. 742.
2. Anne Bongrain, op. cit., p. 124
3. Traduction des Moines Bénédictins d’Hautecombe, in Quinzaine Pascale, Paris, p. 974,
cité par Anne Bongrain, id., p. 124 (n. 149)
Cinquième chapitre 251
1. La Hunnenschlacht
Liszt expose clairement les raisons de son choix musical dans la préface
de la Hunnenschlacht ainsi que l’origine de la phrase de choral, l’antienne
grégorienne Crux fidelis :
L’autre (motif)3 porte en lui les forces sereines, les vertus irradiantes de
l’idée chrétienne. Cette idée n’est-elle pas comme incarnée dans l’antique chant
grégorien : Crux fidelis ? 4
Liszt précise davantage son programme dans une lettre adressée à
Louis-Léon Gozlan le 27 janvier 1870, récemment traduite et publiée :
…puisque vous pénétrez dans l’intimité de mes œuvres que vous dépei-
gnez merveilleusement, en Musicien – poète, permettez-moi de vous faire la
confidence de mon programme de la Hunnenschlacht. À mon sens, la pensée
essentielle du tableau de Kaulbach, se symbolise en deux lumières : celle de la
région des fantômes où les Huns combattent à la lueur de la torche d’Attila,
1. « Die Holzbläser tacent, wenn der Choral von dem Harmonium ausgeführt (wird) ».
Voir partition de la Hunnenschlacht, p. 66. Traduction par nos soins.
254 DEUXIÈME PARTIE
Notons que Liszt redonne ce motif à plusieurs reprises : mes. 284, 296
puis dans un tempo allegro mesure 353 avant de le faire retentir au tutti,
mes. 422. Il termine son œuvre sur le Crux fidelis redonné une dernière
fois mes. 463.
Au sujet de la présence du texte du Crux fidelis, Anne Bongrain explique
que « cette indication supplémentaire prouve l’intérêt particulier qu’il [Liszt]
porte à ces paroles ; celle-ci étant axées sur la Croix, elles témoignent de la réfé-
rence directe du choral à la croix que Kaulbach a représentée dans son tableau
et sur laquelle il a concentré le message spirituel qu’il a voulu faire passer. Liszt,
très sensible lui-même à ce message, l’a décrit dans sa préface […] et, convaincu
de l’efficacité du symbole pictural choisi, en a proposé une transposition musi-
cale la plus claire possible. »1
Liszt justifie d’ailleurs son choix, aussi bien dans la préface de l’œuvre,
que dans une lettre à l’épouse de Kaulbach dans laquelle il écrit :
Peut-être y aura-t-il plus tard une occasion, à Munich ou à Weimar, pour
laquelle je pourrai interpréter l’œuvre devant vous avec un orchestre complet,
et que je pourrai donner une voix à la lumière météorique et solaire que j’ai
empruntée à la peinture, et que j’ai dans le Finale transformé en un tout par la
construction graduelle du choral catholique Crux fidelis et avec lequel l’étin-
celle météorique se confond. Comme je l’ai déjà dit à Kaulbach à Munich,
j’ai été guidé par les exigences musicales du matériau pour donner proportion-
nellement plus de place à la lumière solaire de la Chrétienté, incarnée par le
choral catholique Crux fidelis que dans la peinture glorieuse, afin de, par là
même, gagner et de représenter pleinement la conclusion de la Victoire de la
Croix, dont je ne peux, aussi bien comme Catholique que comme Homme, me
dispenser.
Veuillez excuser ce commentaire quelque peu obscur des deux faisceaux de
lumière opposés dans lesquels les Huns et la Croix se meuvent. L’interprétation
rendra la chose lumineuse et claire, et si Kaulbach trouve quelque chose qui
l’amuse en cela dans ce reflet quelque peu hasardeux de son imagination, je
serai royalement enchanté.1
Notons que, dans une lettre du 26 juin 81 de Weimar donc une tren-
taine d’années après la composition de la Hunnenschlacht, Liszt se remé-
more l’épisode du Crux fidelis :
Revenu à Weymar le soir du 1er juin, j’y ai trouvé vos 2 dernières lettres,
et le commentaire de la Hunnenschlacht – reconnaissants et tendres remercie-
ments ! J’aurais voulu savoir mieux faire musicalement – pour adorer la Croix
fidèle, notre espoir et salut !2
Le message est donc clair, même si le compositeur semble un peu déçu
du résultat obtenu.
Laissons à Anne Bongrain le soin de donner une conclusion esthétique
éclairante sur l’utilisation du choral dans la Hunnenschlacht ainsi que sur
les rapports entre la musique et le programme qu’elle illustre :
Il est certain que, pour qui reconnaît la citation, la signification du choral
rejoint la précision de son titre Crux fidelis. Quant à celui qui, ignorant les
1. La Mara, (herausgegeben von) Franz Liszts Briefe, Bd. 1, p. 281 Lettre de Liszt à Frau
von Kaulbach, lettre 183, Weymar, 1. Mai 1857.
2. La Mara, (herausgegeben von) Franz Liszts Briefe an die Fürstin Carolyne Sayn-
Wittgenstein, Vierter Theil, lettre 322 datée du 26 juin 1881, Weymar, p. 320.
256 DEUXIÈME PARTIE
>> Exemple n° 38 : F. Liszt, Crux fidelis, après le miracle des roses,
section II, mes. 345-350
>> Exemple n° 39 : F. Liszt, profil du Crux fidelis après le miracle des
roses, section ii, mes. 401-404 (p. 115 de la partition)
Seulement cette fois, le motif est transformé d’un point de vue inter-
vallique. Liszt n’en conserve que le profil qui est répété en marche descen-
dante sur pédale de dominante en si bémol majeur. La même présentation
revient à partir de la mesure 410 lorsqu’Élisabeth parle de « O Du, der
Rose, blühendes Bild »1 mais la marche mélodique descendante se fait sur
une dominante de do majeur.
C’est sur ce rythme pointé que sera fondée l’entrée du chœur des
chevaliers de la Croix. Il accompagnera encore le début de la phrase en si
bémol majeur, pour arriver enfin sur une dominante de sol mineur afin de
conserver ce caractère, quelques mesures plus tard, lorsqu’ils déclameront :
« Ins heilige Land, Ins Palmenland, wo des Erlösers Kreuz einst stand, »1
1. « Aux bords sacrés, où le Sauveur mourut en Croix pour notre erreur. » (traduction :
partition).
Cinquième chapitre 261
>> Exemple n° 44 : F. Liszt, Prière du chœur des Croisés, mes. 457-475
1. « Toi qui tombas sans crainte pour notre cause sainte » (traduction : partition).
Cinquième chapitre 265
1. Frank Reinisch, « Liszts Oratorium, Die Legende von der Heiligen Elisabeth-ein
Gegenentwurf zu Tannhäuser und Lohengrin », in Liszt Studien 3, p. 135.
266 DEUXIÈME PARTIE
Liszt joue sur deux tableaux : d’une part, il utilise dans la partie de
soprano, le motif A2, extrait du Leitmotiv d’Elisabeth, facilement recon-
naissable grâce à sa broderie caractéristique ; il la transforme à la mesure
412, offrant ainsi les trois premières notes du Crux fidelis. D’autre part, il
superpose la partie d’Elisabeth à celle des sopranos. La ligne mélodique
de la Sainte, doublée par les premiers violons et les premiers hautbois,
offre une parenté à la fois avec A2, qu’elle n’énonce pas explicitement
Cinquième chapitre 267
mais dont elle garde la broderie1 et avec le Crux fidelis dont elle conserve
le profil ascendant sur les trois premières notes. Les intervalles exacts n’in-
terviennent qu’à la mesure 412. L’ensemble est fondé sur une pédale de
dominante en do majeur.
L’auditeur conserve une couleur de A2 dans ces trois mesures, car la
broderie est le fondement de cette partie de la composition musicale : ré,
mi, ré, puis do, ré, do, et enfin, si, do, si.
Mais le choix d’éléments mélodiques aussi proches peut contribuer à
affaiblir l’œuvre, comme le discute violemment Rémi Stricker :
L’important n’est pas, de nouveau, la valeur historique de ce matériau de
base, mais ce qu’en imaginait Liszt. Il le croyait suffisamment chargé de sens
national pour ne pas y ajouter un véritable thème de son invention. Sauf le
motif grégorien et le chant de la Lyra cœlestis, qui ont un vrai profil de thème,
les deux autres sont pauvres et banals. Mais cela ne pourrait pas encore porter
préjudice à l’œuvre quand il s’agit de Liszt, s’il en avait vraiment tiré un
matériau varié par transformation. Ce n’est pas le cas, même pour le premier
motif, qui finit par sembler monotone, quand on l’a entendu tout au long de
l’oratorio. Tout se passe comme si Liszt avait été si pénétré de respect en face
de ces documents qu’il ait eu peur d’y porter trop la main. L’écriture vocale de
la Légende est aussi décevante, comparée à la Messe de Gran ou à Christus.
Du côté soliste, un récitatif permanent, à la fois chromatique et néo-grégorien.
Jamais un grand chant lyrique, ni pour les duos entre Élisabeth et Ludwig,
ni pour celui qui oppose la sainte à la méchante Sophie.2 L’écriture chorale
est aussi assez monochrome et linéaire. Tout repose sur l’orchestre, parfois
merveilleusement coloré, comme on l’a beaucoup dit ; mais l’ensemble de ces
raisons crée une lassante uniformité et un manque de vie et d’individualité,
bien plus graves que le prétendu défaut de dramatisme du livret. Cet argument
est toujours de ceux qu’on va chercher lorsqu’on se sent mal à l’aise devant une
grande œuvre manquée pour des raisons musicales. 3
1. Par exemple, mesure 410 : le do# est appoggiature inférieure du ré ; le fa, appoggiature
supérieure du mi, lui-même appoggiature du dernier ré.
2. Si Liszt a pensé, et on peut le conjecturer, au duo Elsa-Ortrud dans Lohengrin, il a peut-
être fait plus subtil que Wagner, mais bien moins dramatique, moins lyrique ; en un mot,
moins intéressant. Quant à la tempête orchestrale qui suit et qu’il croyait plus terrible
que celles de Beethoven ou de Rossini, il s’illusionnait aussi et a trouvé d’autres accents,
autrement originaux et convaincants, dans le Miracle de Christus. [Note de Stricker.]
3. Rémi Stricker, Liszt, les ténèbres de la Gloire, p. 312-313.
268 DEUXIÈME PARTIE
Remarquons que Liszt a utilisé aussi le Crux fidelis dans d’autres œuvres
sans le mentionner de manière explicite.
Il emploie ainsi ce motif dans Saint François d’Assise, la Prédication aux
oiseaux, au moment où le Saint bénit les oiseaux :
>> Exemple n° 47 : F. Liszt, Crux fidelis dans Saint François d’Assise,
la Prédication aux oiseaux, mes. 71-75
En effet, dans la préface de son œuvre pour piano, Liszt cite un passage
des Fioretti di San Francesco dont il offre une traduction. L’utilisation du
Crux fidelis trouve sans doute sa justification dans le passage suivant :
Enfin, le sermon fini, il leur fit le signe de la croix et leur donna la permis-
sion de partir. Alors tous ces oiseaux s’élevèrent dans les airs en faisant entendre
des chants merveilleux, et selon la croix qu’avait faite saint François, se sépa-
rèrent en quatre bandes, dont l’une prit son vol vers l’orient, l’autre vers l’occi-
dent, la troisième vers le midi et la dernière vers le nord.1
L’image de la croix, solennelle, imposante, est renforcée par l’indica-
tion solenne ainsi que par les rythmes pointés. Márta Grabócz associe ce
thème à ceux de type religioso caractérisés par une mélodie pentatonique :
Stricker, il semble qu’il ait découvert ces « trois notes […] à Rome »1. Mais
il serait bien difficile de préciser l’année de cette découverte. Adrienne
Kaczmarczyk, elle, fait remonter les origines de l’utilisation du Crux fidelis
chez Liszt au De Profundis :
… des extraits du De Profundis peuvent se retrouver dans d’autres œuvres.
Liszt a fondé le motif initial de son thème d’ouverture du concerto pour piano
sur le motif Crux, devenu une carte de visite dans ses compositions religieuses
plus tardives ; il se retrouve dans plusieurs mouvements de la série Harmonies.
Ce motif devint ainsi l’une des formules musicales fondamentales, le motif
de base du cycle de piano, lui-même successeur musical et spirituel du De
Profundis, à cause de ce motif et à cause des extraits des Pensées Des Morts.
Étant donné le rôle joué par le motif Crux dans Harmonies, ses apparitions
dans la première version de 1847-48 en 12 mouvements ainsi que les séries
finales de 1853 seront énumérées.2
La musicologue hongroise cite en effet des extraits puisés dans les diffé-
rentes sources des Harmonies poétiques et religieuses. Elle montre que le
Crux fidelis y est présenté sous différentes formes, en mouvement droit,
renversé ou rétrograde. Si certaines de ses interprétations peuvent se
trouver sujet à caution – comme son analyse du thème d’ouverture de
l’Invocation – l’ensemble de sa démonstration reste plutôt convaincant.
Liszt connaissait donc très tôt ce motif grégorien, et l’a intégré rapidement
au sein de ses compositions. L’une des sources possibles peut être l’office
du Vendredi Saint, auquel Liszt a sûrement assisté depuis son enfance. Il
n’était pas rare à l’époque de posséder un livre de messe dans lequel figurait
la musique des antiennes.
Mais, dans ce cas qui nous importe, si le compositeur connaissait ces
« trois notes », comme l’avance Stricker, il est impossible d’affirmer qu’il
les ait volontairement choisies pour leur symbolisme : les tombeaux ne
représentent pas une image pieuse ou une bénédiction. En conséquence,
il apparaît plus probable que, dans Il Pensieroso, Liszt ait employé incons-
ciemment le profil du Crux Fidelis, voire – et plutôt – n’y a pas fait réfé-
rence. Certes, il est possible, à l’inverse, d’imaginer que le compositeur ait
1. Définition générale
1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
note 1, p. 18.
Cinquième chapitre 273
2. Application à la musique
Bien sûr, la musique ne peut que suggérer les personnages qui renvoient
à des idées, donc à des « allégories », par une thématique signifiante. De
ce fait, le recours le plus fréquent du musicien pour l’illustration musi-
cale d’une allégorie sera l’utilisation d’un thème ou d’une citation que
nous appellerons « à fonction allégorique », c’est-à-dire un thème ou une
citation qui renvoie à un personnage d’une œuvre visuelle, ce personnage
renvoyant lui-même à une idée.
1. Cf. Ripa, au mot « Silentio » : « il dito indice alla bocca » ; « un dito alle labbre della
bocca » ; « col dito alla bocca ». Le « Malanconico » de Ripa (au mot « Complessioni »)
a même la bouche couverte d’un bandeau qui « significa il silentio ».
2. Erwin Panofsky, « le mouvement néo-platonicien et Michel-Ange », Essais d’iconologie,
p. 294.
3. André Chastel, « Signum harpocraticum » extrait de Le Geste dans l’Art, p. 70.
4. André Chastel, « L’art du geste à la Renaissance », Le Geste dans l’Art, p. 34-35.
276 DEUXIÈME PARTIE
1. Poème de Giovanni Strozzi, cité et traduit par Marcel Brion, Michel-Ange, p. 251.
2. id., Michel-Ange, p. 252-253.
3. traduit par Marcel Brion, id., p. 253.
Cinquième chapitre 279
>> Exemple n° 52 : Franz Liszt, La Notte, mes. 60-62, cadence hongroise
Conclusion
Dans ce deuxième niveau de signification, la comparaison entre la
musique de Liszt et ses modèles visuels suggère plusieurs réflexions. La
plus importante est que Liszt a traduit les « images », « histoires » et « allé-
gories » de ses modèles visuels à l’aide d’une thématique signifiante.
Ainsi, pour les « histoires » : soit il évoque les personnages historiques
à l’aide de citations – comme « stella matutina » pour Sainte Élisabeth –
soit il invente lui-même un thème qui se rattache à l’action principale du
personnage dont il est question. Il emploie, par exemple, un thème dans
une mesure à quatre temps pour montrer la marche lente de saint François
de Paule. De plus, il utilise le chromatisme dans des traits pianistiques
virtuoses pour la replacer dans son contexte, ici, les vagues violentes de la
mer. Gustave Doré s’en souviendra…
Pour les « images », que nous avons associées aux symboles, Liszt use
également de citations « à fonction symbolique ». L’exemple le plus emblé-
matique reste évidemment le Crux fidelis, qui renvoie à la représentation
de la Croix dans les œuvres visuelles. Il représente également, parfois,
musicalement des instruments de musique, comme les deux harpes qui
renvoient à la lyre orphique dans Orpheus.
Lorsque Liszt perçoit une allégorie, il en traduit la signification
profonde à l’aide d’une thématique précise, dans un contexte musical
particulier. Le thème peut être original – comme dans Il Pensieroso – ou
une citation, comme dans La Notte. Précisons également qu’il ajoute des
citations littéraires ou des titres qui contribuent à renvoyer à l’idée sous-
jacente présente dans l’allégorie initiale.
Ce deuxième niveau de signification tente donc d’expliquer comment
les divers « thèmes et motifs » du premier niveau de signification, intègrent
des « histoires », « images » ou « allégories » dans des œuvres d’art visuel et
comment ils ont trouvé des équivalents thématiques et motiviques dans la
Cinquième chapitre 283
en sorte que, corrélativement, chaque acte pris isolément peut être interprété à
la lumière de ces propriétés.
La signification ainsi découverte peut être appelée signification intrinsèque,
ou contenu ; elle relève de l’essence, alors que les autres sortes de signification, la
primaire ou naturelle et la secondaire ou conventionnelle, sont du domaine
de l’apparaître. Elle pourrait se définir comme un principe d’unification, qui
sous-tend et explique à la fois la manifestation visible et son sens intelligible, et
qui détermine jusqu’à la forme en laquelle s’incarne la manifestation visible.
Cette signification intrinsèque, ou contenu, ne se situe pas moins au-delà de
la sphère des intentions conscientes, que la signification expressive reste en
deçà.1
La signification intrinsèque est donc la dernière étape dans l’appréhen-
sion d’un événement. Le récepteur doit dégager le « contenu » de ce qui
s’offre à lui.
Mais comment repérons-nous la « signification intrinsèque » dans une
œuvre d’art visuel ou dans une pièce musicale ?
B. La « Signification intrinsèque » :
application aux arts visuels et à la musique
1. Nous renvoyons le lecteur à notre long développement sur le contenu dans la musique
à programme au xixe siècle, dans notre premier chapitre.
288 DEUXIÈME PARTIE
métier. Faire de l’art signifie créer et utiliser une forme uniquement pour
exprimer un sentiment, une idée.1
Cette définition très poétique de la forme comme « récipient d’un
contenu immatériel » qui doit « exprimer un sentiment, une idée », montre
combien Liszt s’attache au lien qui unit la forme et l’idée. Pour lui, le
contenu signifie l’objet idéel ou matériel représenté avec les moyens musi-
caux. Il met bien ici en valeur le contenu de l’œuvre qui, évidemment, ne
doit pas être vide. En d’autres termes, il rejette la forme pour la forme, ou
plutôt la structure pour la structure.
Nous nous attacherons donc à déterminer quelle est la forme des pièces
musicales lisztiennes inspirées d’œuvres d’art, en étudiant l’évolution de
leur matériau. Nous nous appuierons également sur les écrits de Liszt,
comme ses programmes ou ses lettres, quand ils contribuent à nous aider
dans cette quête de « signification intrinsèque » musicale…
1. Franz Liszt, « Robert Schumann », Neue Zeitschrift für Musik, XLII, 1855, p. 159 cité
par Detlef Altenburg dans « Eine Theorie der Musik der Zukunft. Zur Funktion des
Programs im symphonischen Werk von Franz Liszt », p. 19, [trad. par nos soins].
2. Franz Liszt, « Préface » d’Orpheus, extrait.
Sixième chapitre 289
1. C’est nous qui soulignons tous les termes qui renvoient à l’ouïe.
2. Franz Liszt à Alexandre Ritter, LLB, t.1, p. 245 cité par Alan Walker, Franz Liszt,
p. 872.
3. Les commentateurs étant unanimes sur la question, nous ne donnerons que les
grandes lignes analytiques nécessaires à la compréhension de cette absence de section
de développement qui est au service du programme, véritable objet de notre attention
dans cette œuvre.
290 DEUXIÈME PARTIE
thématique qui fait naître des motifs apparentés selon le principe de la trans-
formation par variation.1
Gut fonde son discours sur les travaux de Rémy Stricker2 qui propose,
à juste titre nous semble-t-il, la cellule suivante comme génératrice de tout
le quatrième poème symphonique lisztien :
Tableau n° 3 : Orpheus et ses liens avec le programme, vu par Keith T. Johns.
1. Serge Gut, « La Notion d’art rédempteur dans Orpheus de Franz Liszt », Musiques
d’Orphée, p. 120.
2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 321.
3. Voir à ce sujet : id., p. 321 et suiv.
4. Keith T. Johns, The symphonic Poems of Franz Liszt, p. 61.
Sixième chapitre 291
cette terre. Puissent du moins ne plus jamais revenir ces temps de barbarie, où
les passions furieuses, comme des ménades ivres et effrénées, vengeant le dédain
que fait l’art de leurs voluptés grossières, le font périr sous leurs thyrses meur-
triers et leurs furies stupides.1
Le message est limpide, de même que le contenu de l’œuvre. C’est
d’ailleurs ce même message que Liszt avait cru percevoir dans le vase du
Louvre qu’il avait qualifié d’« étrusque ». Il avait confondu un citharède
en concert avec Orphée, sûrement à cause de la cithare, symbole de la
musique, sujet principal de l’œuvre d’art visuel. Il lui avait, de ce fait,
attribué une vertu cathartique, rédemptrice, salvatrice, à l’instar de la
musique orphique. D’ailleurs, la fin de sa préface va totalement dans ce
sens :
S’il nous avait été donné de formuler notre pensée complètement, nous
eussions désiré rendre le caractère sereinement civilisateur des chants qui rayon-
nent de toute œuvre d’art ; leur suave énergie, leur auguste empire, leur sonorité
noblement voluptueuse à l’âme, leur ondulation douce comme des brises de
l’Élysée, leur élèvement [sic] graduel comme des vapeurs d’encens, leur Éther
diaphane et azuré enveloppant le monde et l’univers entier comme dans une
atmosphère, comme dans un transparent vêtement d’ineffable et mystérieuse
Harmonie.2
N’est-ce pas ici une description possible du fameux… vase étrusque du
Louvre, sur lequel un citharède peut se confondre avec Orphée ?
Cette idée d’universalité de la musique et de son rôle rédempteur
revient à plusieurs reprises dans les écrits de Liszt. Ainsi, dans son texte
« De la Fondation Goethe » de 1849, il insiste déjà sur la place de la
musique au sein des autres arts, après avoir rendu hommage au célèbre
poète allemand :
Goethe a été grand poète et grand écrivain. L’éloquence n’a point fait
défaut à ses écrits. Il s’est occupé des arts avec un intérêt tout particulier. La
peinture, la sculpture et la musique par leur sens poétique, autant que par
leur technologie, ont attiré ses plus curieuses recherches et ses plus ingénieuses
observations. Ce sont aussi ces arts qui précisément se joignent à la poésie et à
l’éloquence, pour réveiller, dans les masses, les émotions dues aux sentiments
qui, à juste titre, enorgueillissent l’humanité ; ce sont ces arts qui, isolés ou
réunis, familiarisent avec elles les masses et qui, en leur en faisant connaître le
1. Franz Liszt, « De la fondation Goethe », réédité dans Rémy Stricker, Franz Liszt,
artiste et société, p. 370.
2. Rémy Stricker, Franz Liszt, les Ténèbres de la Gloire, p. 311.
3. Cornelia Szabo-Knotik a bien illustré cette idée au sujet de la réception de l’oratorio
lisztien. Voir Cornelia Szabo-Knotik, « Changing Aspects of Sacred and Secular : Liszt’s
Legend of St. Elisabeth in the Repertory of the K.K. Hof-Operntheater in Vienna »,
p. 169-178.
294 DEUXIÈME PARTIE
1. Un exemple éloquent montrant les liens entre la musique instrumentale, et plus spéci-
fiquement le poème symphonique, avec l’oratorio se trouve dans la thèse de Cornelia
Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende zum Orato-
rienschaffen als ästhetisches Problem.
2. Janos Matyas, texte de présentation de La Légende de Sainte Élisabeth, C.D. Hunga-
roton, p. 14-15.
3. Nous avons évoqué cette hypothèse dans notre article, Laurence Le Diagon-Jacquin,
« Signification des thèmes et des motifs dans la Légende de Sainte Élisabeth de Liszt »,
Analyse musicale 58, décembre 2008, p. 109-118.
296 DEUXIÈME PARTIE
9. Miracles.
Paul Munson s’est référé à cette catégorisation de Boyer et a tenté de
la percevoir dans l’œuvre de Liszt. L’éducation du Saint ou de la Sainte
pouvant être omise, il montre que le livret de La Légende de Sainte Elisabeth
comporte effectivement tous les ingrédients d’une légende :
– les trois premières étapes de Boyer se retrouvent dans la première
scène : Hermann et un Magnat hongrois rappellent son origine de
bonne famille ; le Landgrave propose de s’occuper d’elle comme un
père pendant le reste de son enfance. Les jeux avec Louis ainsi que
certaines interjections du chœur renseignent sur son enfance à la
Wartburg tandis qu’elle est promise au fils du Landgrave Hermann.
Ce dernier élément se rapproche d’une prédiction, rappelant celle
de Klingsohr dans l’ouvrage de Montalembert, scène absente chez
Schwind et chez Liszt ;
– la deuxième scène de l’oratorio correspond aux cinquième et
neuvième étapes de Boyer. La piété de la Sainte se révèle pendant le
miracle des roses ;
– les troisième et quatrième scènes reposent sur des événements néces-
saires pour expliquer la vie d’Elisabeth : dépouillée puis chassée, elle
entame une existence de misère et d’abnégation. Ajoutons que Paul
Merrick fait une erreur d’appréciation lorsqu’il considère que le pres-
sentiment de Sainte Élisabeth, à propos de sa mort, est une « ficelle
d’opéra ». C’est en effet une émanation appuyée de sa sainteté ;
– la cinquième scène montre à nouveau la piété de la Sainte. Sa mort
est exemplaire, ses dernières paroles rappelant celles du Christ, ce qui
correspond à la sixième étape de Boyer : sur son lit de mort, comme
Saint François d’Assise, elle offrira son dernier morceau de pain et
son manteau. Ce geste d’abnégation absolue, ajouté au caractère
exemplaire de ses actions passées, la confirme dans sa sainteté ;
– la sixième scène renvoie à la huitième étape de Boyer, puisque l’en-
terrement de la Sainte est clairement décrit.
Munson précise que l’union d’Elisabeth avec le Christ est sous-entendue
à chaque fois. Sa démonstration est justifiée, d’une part, dans le titre même
de l’oratorio, et d’autre part, dans certains écrits de Liszt. Ainsi, dans une
lettre à sa mère, Anna Liszt, de Rome, du 2 décembre 1862, il écrit :
Vous y retrouverez, pour ainsi dire, tout le suc et le parfum de l’ouvrage de
monsieur de Montalembert sur Sainte Élisabeth, sans aucune « des exagéra-
tions » qui vous ont quelquefois effarouchée dans ce livre, lequel pour être goûté
300 DEUXIÈME PARTIE
dans son entier demande, ce me semble, des lecteurs un peu familiarisés avec
la Légende des Saints et gagnés par avance à l’expansion surnaturelle d’une
piété ardente, jusqu’à l’héroïsme de l’abnégation la plus absolue, sans cesse
inassouvie, et ne pouvant se désaltérer qu’à des eaux mystiques qui rejaillissent
dans la vie éternelle.1
Il est clair que la vie des saints et les sujets religieux ont toujours été
très chers au cœur de Liszt. D’ailleurs, ne souhaitait-il pas faire de Sainte
Élisabeth une œuvre de dévotion ? Là encore, il l’explique à sa mère dans la
même lettre romaine du 2 décembre 1862 :
L’œuvre que j’intitule la Légende de Sainte Élisabeth de Hongrie, peut
se ranger dans la catégorie des Oratorios avec lesquels elle offre le plus d’ana-
logie. C’est de la musique qui confine à la prière et en relève ;2
Plusieurs éléments vont dans le sens de la piété dont parle Liszt, outre
les tonalités symboliques, dont nous avons déjà donné la signification, à
l’instar du mi Majeur, tonalité principale attachée à Dieu et à ses Saints
dans l’œuvre lisztienne. La modalité joue, elle aussi, un rôle important, de
même que certains enchaînements plagaux qui produisent des sons asso-
ciés à l’adoration religieuse. Ainsi, lors d’une modulation qui aboutit à
l’affirmation du mi Majeur triomphant, Liszt enchaîne la dominante à la
tonique en passant par la sous-dominante, en évitant la cadence parfaite :
1. Franz Liszt, lettre à sa mère, Rome, 2 décembre 1862, citée par Pierre Antoine Huré
et Antoine Knepper, Franz Liszt, Correspondance, (Choisie, présentée et annotée par),
p. 454.
2. Franz Liszt, lettre à sa mère, Rome, 2 décembre 1862, id., p. 453.
Sixième chapitre 301
Les passages modaux, dans Sainte Élisabeth sont importants parce qu’ils
apparaissent au moment où l’on s’attend à ce que l’auditeur réagisse (intérieu-
rement) aux événements de l’histoire, c’est-à-dire, pendant les chœurs.1
Deux autres éléments contribuent à faire de l’oratorio une œuvre de
dévotion à portée universelle : la prise en compte de la spiritualité de la
Sainte, d’une part, et l’importance accordée aux prières, d’autre part. Le
contexte historique et géographique n’est que suggéré.
– L’intrigue de la Légende de Sainte Élisabeth s’inscrit dans un contexte
médiéval, même si le texte de Roquette donne très peu d’indications à
ce sujet, et qu’il induit même parfois en erreur, comme nous l’avons vu
dans le portrait de la comtesse Sophie. L’accent est mis sur l’appartenance
d’Élisabeth à une classe sociale et à une hiérarchie monarchique claire-
ment définies. D’ailleurs le fait que la reine Élisabeth se consacre, jusqu’à
ses derniers moments, aux pauvres renforce la noblesse de ses actes. En
revanche, les lieux ne sont pas toujours explicitement décrits. La première
section se déroule à la Wartburg, la seconde, qui illustre une scène de
chasse avant le miracle des roses, reste floue. Il en est de même pour la
troisième consacrée aux chevaliers de la Croix. La quatrième se déroule
probablement à la Wartburg, dont Élisabeth est chassée, sans que l’on
sache où elle se rend après. La cinquième section, consacrée à Élisabeth,
n’offre pas non plus de précisions géographiques. Même la consécration
d’Élisabeth dans la sixième section laisse des doutes au sujet du lieu de l’ac-
tion. Certes, le retour des croisés permet de supposer que la scène se passe
à la Wartburg, mais la présence des évêques hongrois et allemands, ainsi
que celle de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, et celle des indigents
et du peuple, laissent planer l’ambiguïté.
Les aménagements de Liszt, et surtout de Roquette par rapport au
texte de Montalembert, mettent encore plus nettement en valeur la sain-
teté du personnage en altérant l’exactitude historique et en abandonnant
les références géographiques trop précises. La vie de la Sainte prend alors
une véritable portée universelle.
– Afin de mettre l’accent sur ses prières, Liszt refuse la mise en scène de
son oratorio. Il insiste sur ce point :
… elle est destinée à être chantée, et accompagnée par l’orchestre, – mais
non représentée. Par ce mode, elle s’adresse à des auditeurs, à l’exclusion des
1. Franz Liszt, lettre à sa mère, Rome, 2 décembre 1862, cité par Pierre Antoine Huré
et Antoine Knepper, Franz Liszt, Correspondance, p. 453.
2. Frank Reinisch, « Liszts Oratorium Die Legende von der Heiligen Elisabeth-ein Gege-
nentwurf zu Tannhäuser und Lohengrin », Liszt Studien 3, p. 131.
3. Traduction du livret de La Légende de Sainte Élisabeth, traduction de la partition,
p. 153-154.
304 DEUXIÈME PARTIE
1. id., p. 322.
Sixième chapitre 305
>> Exemple n° 56 : F. Liszt, chœur des indigents dans la cinquième partie
de La Légende de Sainte Élisabeth, mes. 323-330,
p. 344.
ment mélodique, les trois phrases ont une couleur clairement modale. En
revanche, l’harmonisation appartient sans conteste au monde tonal.
Mais la tonalité est ici élargie, puisque Liszt fonde son discours sur la
gamme suivante :
repérons les conditions de notre vie et de notre mort : nous pensons, grâce à lui,
notre destinée.1
La notion de « corps humain qui porte sur soi les marques de son vieillis-
sement » est à retenir. En effet, reprendre une pièce ancienne et l’étoffer,
équivaut, pour Liszt, à se retourner sur son passé tout en voulant intro-
duire des marques du présent. La démarche même du compositeur renvoie
au symbolisme de son modèle visuel. Les « corrections » apportées à Il
Pensieroso montrent « les marques du vieillissement », de la maturité, de son
auteur. L’étude de la forme de La Notte ainsi que les liens qui l’unissent
aux autres pièces de son cycle, permettront de préciser cette idée.
Rappelons brièvement que La Notte est un vaste ABA’, les parties
extrêmes se rapportant à la musique d’Il Pensieroso. Cependant, la troi-
sième partie (A’) est tronquée par rapport à la première, A. En effet, Liszt
ne reprend pas la première phrase de la première strophe. Il choisit de
commencer sa réexposition par la troisième phrase de cette première
strophe. L’accompagnement de la mélodie gagne ici en intensité drama-
tique, car Liszt substitue à ses pesants accords des trémoli de triples croches :
Ici, Liszt surprend l’auditeur en ne concluant pas par une cadence sur
le do# final :
1. La Hunnenschlacht :
Peinture musicale à signification historique ?
Dans la préface de la Hunnenschlacht, Liszt donne des références très
précises sur le sujet qu’il traite en expliquant le tableau de Kaulbach qui :
… immortalise la légende très riche du combat qui eut lieu entre les esprits
des Huns et des Chrétiens tombés devant les portes de Rome.1
Dans son autre préface en français, il fait encore allusion à cette
« légende » :
Kaulbach nous disait une fois comment, dans l’une des dernières conver-
sations qu’il eut avant de quitter Rome avec un historien de ses amis, le jeune
savant raconta la légende qui s’était attachée à la terrible bataille livrée dans
les Champs Catalauniens (451) par Théodoric, à la tête des peuples chrétiens,
à Attila, roi des Huns, chef de leurs hordes païennes…2
L’aspect légendaire porte sur le fait que les âmes des morts continuent
à se battre après leur mort, la bataille dont il est question étant historique-
ment vérifiable. Cependant, Alan Walker apporte une précision impor-
tante sur la nature du sujet traité par Liszt. Il remarque en effet que les
précisions de Kaulbach sont incorrectes d’un point de vue historique :
Ces indications, qui sont tirées de la préface de Liszt, sont historiquement
inexactes. Théodoric n’était pas né en 451 ; de plus, c’est en 452 qu’Attila
marcha sur Rome, et fut repoussé par Léon Ier. Comme pour prévenir tout
reproche à cet égard, Liszt nous dit de façon charmante qu’il tient l’histoire de
Kaulbach, qui l’avait lui-même recueillie auprès d’« un jeune savant ». Rien
de tout cela ne change quoi que ce soit à la musique, bien sûr, ni au tableau
de Kaulbach, dont le sujet change simplement de catégorie, passant de l’histoire
à la fable.3
La précision est importante, bien qu’elle ne change pas réellement le
contenu de l’œuvre lisztienne, ni celle de Kaulbach. Tous deux ont mis en
scène deux clans qui s’opposent. Liszt explique d’ailleurs que :
Kaulbach vit en cette lutte suprême de Theodoric contre Attila, deux
principes s’entrechoquer : la barbarie et la civilisation, le passé et l’avenir de
l’humanité.4
Ce principe de dualité antagoniste – qui se trouve effectivement déjà
dans le tableau du peintre – se confirme dans le poème symphonique lisz-
tien. James Deaville mentionne à ce propos :
Je crois que la clé de la compréhension n’est pas dans la façon dont on pose
les programmes sur la musique, mais dans la série de dichotomies entre le bien
et le mal, la civilisation et la barbarie, le christianisme et le paganisme que
Liszt met dans le programme français et dans leur représentation sur le tableau.
Ces dichotomies nous rappellent une œuvre contemporaine de Flaubert, son
roman orientaliste Salammbô de l’année 1862 qui dépeint également une
bataille historique entre des forces civilisées (c’est-à-dire carthaginoises) et des
forces barbares que Lisa Lowe appelle une « frénésie de violence ». Dans le
roman, les Barbares sont l’« Autre » méchant, destructeur vis-à-vis de la civi-
lisation carthaginoise. À l’exemple de Flaubert, Lowe remarque que l’orienta-
lisme du xixe siècle « a coutume de présenter l’Orient comme l’Autre féminin
ou barbare. »1
La symbolique du programme lisztien de la Hunnenschlacht et celle
du roman de Flaubert sont donc tout à fait comparables. James Deaville
précise alors :
La même conformation orientaliste des masses barbares est à la base des
programmes de Liszt de la Hunnenschlacht bien qu’ici elles se matérialisent
comme étant l’Autre par rapport au christianisme. Le tableau de Kaulbach
dépeint efficacement la frénésie de la bataille où deux forces (armées) se présen-
tent séparément comme des masses barbares. Un examen plus approfondi du
tableau m’amène toutefois à supposer que le personnage en haut à droite peut
être interprété comme un Barbare oriental en habits bédouins avec l’épée dans
le fourreau. À mon avis, le motif orientaliste est transposé dans la musique. Je
devrais aussi remarquer que Liszt se souvenait très certainement des origines
ethniques orientales des Huns. Les descriptions traditionnelles concernant les
premières pages de la partition sont pour la plupart non satisfaisantes, étant
donné qu’elles ne s’occupent pas de la représentation musicale des Huns.2
Puis, James Deaville explicite son idée, en s’appuyant sur les thèmes de
la partition. Le matériau musical employé a, en effet, de quoi étonner :
Je suppose que l’emploi surprenant de la quarte augmentée dans la
première partie, ne caractérise pas seulement la fureur de la bataille, mais
qu’il symbolise aussi la dissonance de l’Orient, car Liszt affirme que l’inter-
valle de quarte augmentée est un « intervalle oriental » comme il l’écrit quel-
1. James Deaville, « Liszts Orientalismus : Die Gestaltung des Andersseins in der Musik »
Liszt und die Nationalitäten, p. 174-175.
2. James Deaville, id., p. 174.
322 DEUXIÈME PARTIE
ques années plus tard dans une lettre.1 Les rythmes anguleux, irréguliers, et
les relations concernant les intervalles de la scène de la bataille introductive,
offrent certainement l’antithèse païenne-orientale efficace de Crux Fidelis qui
caractérise les Romains ou les Chrétiens, et leur victoire finale. […] Je voudrais
également poser la question de savoir si la seconde augmentée du premier
thème – un intervalle que Jonathan Bellman rattache au style bohémien du
xixe siècle2 – est une allusion aux Huns comme étant l’Autre oriental, exacte-
ment comme les Bohémiens furent l’Autre vis-à-vis de la société européenne ?
On peut citer comme autres éléments de l’orientalisme dans la musique de la
Hunnenschlacht l’accentuation de la différence de l’Autre oriental [c’est-à-
dire] le contraste musical précisément défini, le regard dominant du spectateur
occidental (dans ce cas, le vocabulaire musical « occidental » du compositeur
Liszt) et la tournure « réaliste » (fanfares de guerre, etc.)
Est-il possible que Liszt évitât, il est vrai, l’orientalisme « notoire » et qu’il
se laissât pourtant influencer par lui pour la peinture musicale des Huns, par
quoi les Huns deviennent l’Autre barbare, oriental ? Un scénario semblable
apparaît dans Mazeppa dont le modèle poétique ne provient pas directement
de Byron, mais du recueil de poèmes Les Orientales de Hugo.3
L’idée de Deaville dépasse la simple opposition guerrière des clans en
présence, pour en donner une portée beaucoup plus étendue : l’opposition
entre l’orient et l’occident. Liszt n’avait-il pas, dans son programme, opposé
la notion de « barbarie » à celle de « civilisation » ? Le danger supposé de
l’altérité, décrit par Deaville, est bien présent, comme dans toute bataille,
mais est ici renforcé par l’idée d’« étranger », celui qui vient de loin, dont
les coutumes, les rites et les religions inquiètent. Liszt a acquis des connais-
sances précieuses et précises au sujet de la musique qui se réfère à, ou qui
veut illustrer l’Orient. Il s’en imprègne très tôt :
Il connaissait une quantité de morceaux orientalistes qui visiblement lui
firent un grand effet. Un recueil de 244 pages de danses turques (Danses
turques pour piano) […] se trouve parmi les 2 500 typographies musicales du
recueil de notes de Budapest appartenant à Liszt […]. Une certaine Madame
Herzmainska de Slupno transcrivit et arrangea les mélodies vraisemblablement
1. cf. lettre de Liszt à Julie Waldburg du 10 mai 1874, in Franz Liszts Briefe, vol. 2,
p. 202.
2. Jonathan Bellman, The Style Hongrois in the Music of Western Europe, p. 120.
3. James Deaville, « Liszts Orientalismus : Die Gestaltung des Andersseins in der Musik »,
p. 174-175.
Sixième chapitre 323
2. La Hunnenschlacht :
Peinture musicale à signification religieuse
Comme nous l’avons vu dans notre étude sur la thématique lisztienne
de la Hunnenschlacht, trois thèmes jalonnent la partition. Nous les avions
respectivement appelés « thème du Combat », « Crux fidelis » et « thème
de Prière ». Trois mottos viennent également alimenter le discours musical.
Ces thèmes et mottos sont aisément reconnaissables. Toutefois, ils s’orga-
nisent au sein d’une structure qui, elle, n’est pas si facilement décelable. En
effet, le fondement compositionnel s’appuie sur un principe que Manfred
Kaiser a très justement qualifié d’« additif », et qui trouble la perception
globale de l’auditeur :
…il s’avère que, d’une part apparaissent des facteurs décisifs qui soutien-
nent l’existence d’un mouvement de sonate classique, mais que d’autre part
apparaissent des facteurs qui font valoir le principe d’ordre additif et qui, par
conséquent, rendent impossible un propos incontestable concernant la concep-
tion formelle de l’œuvre.1
D’après Kaiser, Liszt travaille ses motifs qui se modifient constam-
ment, en les variant sous forme de « blocs » à dominante mélodique ou
rythmique. De plus, une « structure sonore » supplémentaire caractérise et
relie lesdits blocs qui sont proposés sous forme additionnelle. Cette tech-
nique de composition, éminemment moderne et qui annonce certaines
pièces musicales du xxe siècle2, est compensée par le fait que la musique
est également fondée sur le principe de la forme sonate. Kaiser lui-même
fait référence à cette donnée, même s’il refuse de la lier au programme.
C’est d’ailleurs là le point faible de sa démonstration, comme le relève si
justement Cornelia Knotik :
Paradoxalement, cette tendance, qui consiste à faire de Liszt un musicien
moderne, va de pair avec une sorte de conservatisme culturel qui émane de
l’idéal d’une musique pure liée d’un point de vue extra-musical, ni par la fonc-
tion, ni par le contenu. À partir de là, la tentative, entreprise aussi par Kaiser
pour ignorer le programme et avec lui tout engagement à une idée formulée,
est explicable. Les résultats d’investigation plaçant Liszt au service d’un progrès
musical hypothétique doivent trouver leur fondement dans ce qui est purement
musical. Mais une telle manière de voir « a-historique », ne tenant pas compte
1. Cornelia Knotik, Musik und Religion im Zeitalter des Historismus : Franz Liszts Wende
zum Oratorienschaffen als ästhetisches Problem, p. 26 (trad. par nos soins).
2. Monika Fink, Musik nach Bildern, Programmbezogenes Komponieren im 19. und 20.
Jahrhundert, p. 26.
326 DEUXIÈME PARTIE
1. Serge Gut : I Présentation des thèmes mesures 1-160. Préparatifs pour la bataille
avec arrivée successive des deux groupes d’armées ; II Enchevêtrement des thèmes (mes.
161-259) Combats acharnés et effroyables ; III Le choral « Crux fidelis » s’impose de
plus en plus (mes. 269-448) Transfiguration grâce à l’amour chrétien. In Serge Gut,
Liszt, p. 371.
Pour Anne Bongrain : I (mes.1-261), lutte entre les Huns et les Chrétiens, acharnée ; II
(mes. 262-311), victoire des Chrétiens ; III (mes. 312-fin) vertus irradiantes de l’Idée
Chrétienne. Anne Bongrain, La thématique des poèmes symphoniques de Liszt : Contribution
à l’étude de l’expressivité musicale dans la musique à programme. p. 170 (vol. annexes).
Sixième chapitre 327
Conclusion
Ce troisième niveau de signification dans la comparaison entre la
musique et ses modèles visuels met en évidence la similitude des contenus
entre les deux. Nous pouvons cependant préciser les spécificités de la
démarche lisztienne :
Dans la plupart des cas étudiés ici, Liszt donne une portée universelle
à un événement représenté qui n’était, au départ, que ponctuel. L’exemple
emblématique reste, à notre avis, celui d’Orpheus. Le programme écrit par
le compositeur se révèle, à cet égard, très éloquent.
Dans la musique de Liszt, deux sujets semblent récurrents : la mort
et la religion. L’étude du matériau et de son agencement au sein de la
forme musicale s’est avérée précieuse. En effet, Liszt conserve toujours la
portée religieuse, comme dans son oratorio La Légende de Sainte Elisabeth,
et va même jusqu’à substituer à l’événement principal d’une œuvre – par
exemple la bataille, dans la Hunnenschlacht de Kaulbach – sa significa-
tion symbolique religieuse : en l’occurrence ici, la victoire de la Croix
sur les barbares. Le discours musical se déroulant dans le temps, il était
possible pour Liszt de « raconter » musicalement le conflit et de terminer
sur la victoire des hommes de Théodoric. Le compositeur adresse donc
ici un message universel religieux, à travers un genre profane : le poème
1. Titre complet : Nouvel eucologue en musique. Contenant les offices des dimanches et fêtes
de l’année et de la semaine sainte, recueillis et annotés par M. l’Abbé de Roquefeuil. Avec les
plains-chants en notation moderne et dans un diapason moyen par M. Félix Clément (Paris,
L. Hachette et Cie, 1851). Cet ouvrage est cité par Paul Merrick, Revolution and Religion
in the Music of Liszt, p. 317.
334 DEUXIÈME PARTIE
des images, histoires et des thèmes à fonction l’art/Connaissances des sources litté- été exprimés par des objets et événements
allégories historique, symbolique raires, artistiques et musicales (fami- en Histoire de l’art et comment des sujets
et allégorique liarité avec des sujets et concepts ou concepts spécifiques ont été exprimés
spécifiques) en musique par des thèmes et des motifs dans une
structure donnée en musique).
III. Signification intrin- III. Signification intrin- Interprétation iconologique Intuition synthétique (familiarité Histoire des symptômes culturels, ou
sèque, ou contenu, sèque, ou contenu en Histoire de l’art/Inter- avec les tendances essentielles de « symboles » en général (enquête sur
constituant l’univers des prétation sémantique en l’esprit humain), conditionnée par une la manière dont, en diverses conditions
valeurs « symboliques » musique. psychologie et une Weltanschauung historiques, les tendances essentielles
personnelles. de l’esprit humain ont été exprimées
par des thèmes et concepts spécifiques
en Histoire de l’art et par des sujets et
concepts au sein d’une macroforme
précise en musique)
Tableau n° 5 : Les trois niveaux de signification en histoire de l’art et en musique d’après Panofsky
Troisième partie
Justification
des œuvres choisies
Religion : Sposalizio
Inspiré par Le Perugin, Raphaël peint Sposalizio ; touché par Raphaël,
Liszt compose Sposalizio lors d’une visite en Italie en 1838-39. Le sujet, le
mariage de la Sainte Vierge et de Saint Joseph rejoint l’un de ses propres
sujets de méditation. Si l’on en croit Helga de la Motte Haber, Sposalizio
est la première pièce musicale inspirée d’art visuel1. Historiquement très
marquée, tant dans la vie de Liszt que dans l’Histoire de la musique en
général, cette œuvre pour piano se devait de figurer dans notre corpus
d’études particulières. Nous lui avons donc donné la priorité sur les autres
œuvres pour piano, inspirées d’art visuel : Il Pensieroso, La Notte, ou encore
Saint François de Paule marchant sur les flots.
Mort : Totentanz
Depuis le De Profundis pour piano et orchestre de 1834 jusqu’au
corpus des dernières pièces de piano, le thème du deuil, ou de la mort
est omniprésent chez Liszt. Ceci transparaît bien dans des œuvres comme
Il Pensieroso ou encore La Notte. Celle qui a retenu notre attention est le
Totentanz. C’est en effet une exception dans la mesure où deux œuvres
d’art visuel s’en disputent la source d’inspiration : des gravures de Holbein
et des peintures de fresque de Buffalmacco. Ce dernier élément implique
des données supplémentaires intéressantes pour l’analyse. Aussi avons-
nous d’emblée adopté cette partition dans notre corpus d’étude. Une autre
caractéristique du Totentanz est la durée de sa composition : la partition
prend sa source dès 1838-39, date de composition du Sposalizio, pour
n’aboutir à une version définitive que dans les années 18602. Elle évolue
donc au fil du temps… Enfin, elle est écrite pour piano et orchestre, et
présente donc un autre aspect de la palette sonore employée par Liszt.
L’inspiration de Liszt est très nette dans cette œuvre : il tient à remercier
le peintre Zichy de son cadeau : un dessin à la plume, intitulé Du berceau
jusqu’au cercueil. Il s’agit d’un hommage rendu à Liszt lui-même, et plus
précisément à sa façon de considérer le rôle de l’artiste dans la société. Liszt
s’intéressait en effet de très près à cette fonction :
Ces hommes d’élite qui semblent choisis par Dieu même pour rendre
témoignage aux plus grands sentiments de l’humanité et en rester les nobles
dépositaires… Ces hommes prédestinés, foudroyés et enchaînés qui ont ravi au
ciel la flamme sacrée, qui donnent une vie à la matière, une forme à la pensée
et réalisant l’idéal nous élèvent par d’invincibles sympathies à l’enthousiasme
et aux visions célestes… Ces hommes initiateurs, ces apôtres, ces prêtres d’une
religion ineffable, mystérieuse, éternelle, qui germe et grandit incessamment
dans tous les cœurs…1
Ce texte de Liszt peut se rapprocher de la préface d’Orpheus, écrite une
vingtaine d’années plus tard, dans laquelle le rôle médiateur de l’artiste est
également à l’honneur.
Outre ce sujet de choix dans l’esthétique du compositeur, Von der Wiege
bis zum Grabe est le dernier poème symphonique de Liszt, et la dernière
œuvre inspirée d’art visuel. Avec Sposalizio, il nous donne les limites
temporelles des compositions de Liszt issues d’œuvres d’art visuel, donc
de 1839 à 1886, près de cinquante ans, ainsi qu’une idée sur ses thèmes
de prédilection. Il présente en outre une formation différente, puisqu’il est
écrit pour orchestre. Liszt y a beaucoup varié les timbres orchestraux, en
utilisant dans la première partie un très petit nombre d’instruments, et en
provoquant, dans les autres parties un crescendo par l’ajout progressif des
autres instruments. En raison de tous ces éléments, nous lui avons donné
la priorité sur les autres œuvres pour orchestre comme Orpheus, ou encore
la Hunnenschlacht.
Ainsi Liszt médite-t-il pendant cinquante ans sur la religion, la mort et
l’art, les reliant de façon étroite dans ses pensées et dans sa vie. La distinc-
tion que nous avons faite de chacun de ces thèmes dans les trois œuvres
choisies doit être nuancée. En effet, dans le Totentanz autant que dans Von
Introduction
1. Johann David Passavant, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi (1839-1858),
2 vol., 1re édition en allemand de 1839, p. 18-20.
2. Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs Peintres, Sculpteurs et Architectes, vol. 5, p. 194.
Septième chapitre 343
de morceaux1 pour l’Italie. Cette liste atteste que Liszt pensait à Sposalizio
et à Il Pensieroso sous le même numéro, en cinquième position.2 Il établis-
sait donc souvent un lien entre les deux artistes. Cependant, il n’est pas
allé au terme de son projet, et la seconde Année de Pèlerinage, « Italie », se
compose de la sorte, des pièces suivantes :
1. Rena Charnin Mueller, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works », p. 235.
Nous citons les titres provisoires de Liszt dans notre analyse du Totentanz.
2. Cet élément donne raison à Jean-Jacques Eigeldinger et à son analyse comparée des
deux pièces (voir articles, livres et sources utilisés dans ce même chapitre).
3. Notons que ce Salvator Rosa était un peintre quelque peu bandit, dont la vie attrayante
et pittoresque ne pouvait que séduire les artistes romantiques…
4. Françoise Escal, « Étude séparée : le titre « Aléas de l’œuvre musicale, p. 212.
5. Recueil composé de la « 1re année, Suisse » ainsi que des « 2e et 3e années, Italie ».
344 TROISIÈME PARTIE
pictural initial. Cependant, elle voit une forme sonate, seule conclusion
analytique avec laquelle nous sommes en désaccord. Nous rappellerons
dans notre analyse ses conclusions techniques et esthétiques.
Jean-Jacques Eigeldinger1, dans son article « Anch’io son’ pittore ou
Liszt compositeur de Sposalizio et Pensieroso » montre de façon rigoureuse
et argumentée que la première pièce des Années de Pèlerinage, 2e volume,
« Italie », est intrinsèquement liée à la seconde. En effet, Sposalizio et Il
Pensieroso ont été respectivement inspirés par Raphaël et Michel-Ange, que
Liszt avait souvent coutume d’associer… en les opposant. L’argumentation
d’Eigeldinger est d’autant plus probante qu’elle s’appuie sur un certain
nombre de sources concernant les arts visuels de l’époque. C’est le premier
texte qui s’attache à retracer ce que Liszt et ses contemporains pouvaient
connaître. Cela accentue la crédibilité de ce texte dense et riche. Là encore,
nous reviendrons sur les conclusions éclairantes de cet article.
La même année que Jean-Jacques Eigeldinger, Elisabeth Way publie
« Raphaël as a Musical Model : Liszt’s Sposalizio ».2 L’auteur s’attache à
montrer les points de convergence entre l’œuvre de Raphaël et celle de
Liszt en s’appuyant sur une analyse picturale et musicale poussée d’un
point de vue technique. L’idée essentielle de Way consiste à faire prédo-
miner le « dessin compositionnel » du tableau sur le « sujet » traité. Si
cette option peut apporter un éclairage un peu différent sur cette œuvre,
nous montrerons que le sujet est en fait beaucoup plus important dans la
compréhension de la musique de Liszt.
S’ajoutent à ces articles des livres qui contiennent des éléments analy-
tiques spécifiques sur Sposalizio.
Márta Grabócz, dans son étude Morphologie des œuvres pour piano
de Liszt,3 étudie Sposalizio à l’aide d’une méthode sémiotique narrative
empruntée à la littérature. Elle met en évidence les différentes isotopies
utilisées pour déboucher sur la « forme du contenu », ici en l’occurrence
« pastoral-religieux ». Elle parle de la forme exceptionnelle de cette pièce
ainsi que de sa catégorie chez Liszt.
A. Formes et Motifs
1. Personnages raphaëlesques et éléments thématiques lisztiens
Dans le tableau de Raphaël, trois personnages dominent la scène
principale :
– Une jeune femme, à gauche, vêtue d’une robe rouge et d’un drapé
bleu foncé tend sa main droite avec une élégance et une grâce
évidentes. C’est la Sainte Vierge.
1. Un interprète sérieux devrait de toute façon rechercher l’original, qui est réalisé d’une
manière beaucoup plus fine que le dessin de Kretschmer.
Septième chapitre 349
– Un homme d’âge mûr, barbu, à droite, portant une tunique verte
recouverte d’une étoffe dorée, répond au geste de la jeune femme en
tendant également sa main droite. Il tient une petite bague qu’il va
passer au doigt de sa future épouse. C’est Saint Joseph.
– Au centre, un personnage caractérisé par une longue barbe et un
couvre-chef dont les couleurs noire et rouge font écho à celles de ses
autres habits ainsi qu’à celles de ses chaussures, rapproche délicate-
ment les mains des époux. C’est le prêtre.
D’autres personnages entourent les trois protagonistes : des femmes du
côté de Marie, des hommes de celui de Saint Joseph. Mais l’action est
focalisée sur les trois personnages centraux. Le caractère du tableau est
évidemment religieux, serein et recueilli.
1. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », p. 16.
2. « rythme de péon crétique » comme le précise Serge Gut, id., p. 16.
Septième chapitre 351
>> Exemple n° 68 : F. Liszt, Sposalizio, (thème en sol majeur) mes. 37-45.
Il est clair que l’écriture choisie à l’origine par Liszt appartient au style
bel canto, en témoignent les arpèges brisés en croches. Le fait qu’il l’ait
modifiée montre que le caractère recherché était vraiment religieux afin
de correspondre à l’œuvre picturale inspiratrice. En effet, Raphaël s’est
appuyé sur des lignes verticales, les colonnes de l’édifice qui engendrent un
côté hiératique. Ce dernier suscite le recueillement, la sérénité en faisant
ressortir la solennité de la scène du premier plan.
Mais si le nombre d’éléments thématiques musicaux correspond à celui
des personnages principaux du tableau de Raphaël, il ne faut cependant
pas en déduire qu’il s’agit d’une traduction littérale. En effet, il n’y a qu’un
seul véritable thème – qui, nous le verrons plus loin, correspond au person-
nage de la Sainte Vierge – et les motifs renvoient à d’autres idées. C’est ce
que nous apportera l’étude de ces éléments à la lumière du second niveau
de signification de l’analyse iconographique de Panofsky.
1. Johann David Passavant, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi, p. 19.
354 TROISIÈME PARTIE
1. Vasari rapporte, pour sa part, que Raphaël était si adroit que ses copies de peintures
ne se distinguaient pas des originales de son maître [note personnelle].
2. Johann David Passavant, op. cit., p. 19.
3. Jean-Pierre Cuzin, Raphaël, vie et œuvre, p. 246.
Septième chapitre 355
Dans les mesures 9 à 17, on remarque une basse descendante par tons
entiers1 à partir, effectivement, de cinq notes sur six.
Leon Plantinga2 a d’ailleurs non seulement expliqué cette idée mais l’a
illustrée en réduisant la partie la plus trouble sur le plan tonal de Sposalizio,
c’est-à-dire les mesures 9 à 30 :
1. Joan Backus mentionne que « Karen Wilson par contraste, tente sans succès de décrire la
progression en termes d’harmonie fonctionnelle comme suit : “la progression évolue logique-
ment du mi majeur au mi mineur par changement de mode, vers un accord en do majeur
(VI en mi majeur), vers un accord en si bémol majeur (un VII abaissé emprunté au do
mineur) vers un accord en ré bémol majeur (Napolitain de do), vers un la bémol majeur (V
du napolitain ou VI en do mineur) vers un accord en si majeur (III abaissé en harmonie
en la bémol majeur qui devient V en mi)”. » Voir Karen Wilson, A Historical Study and
Stylistic Analysis or Franz Liszt’s Années de Pèlerinage (Ph. D. diss., University of North
Carolina, 1977), p. 179-80. » Cité dans Joan Backus, « Liszt’s Sposalizio : A Study in
Musical Perspective », p. 178.
2. Leon Plantinga, op. cit., p. 213.
Septième chapitre 357
Si nous nous concentrons sur les mesures 9 à 18, nous voyons que le
même accord de quinte est utilisé pendant deux mesures : accord fondé sur
sol# (mes 9), fa# (mes 11), mi (mes 13) :
1. Idem, Ibidem.
358 TROISIÈME PARTIE
Avant d’étudier les rapports entre les courbes raphaélesques et les lignes
mélodiques lisztiennes, il convient de rappeler certaines expériences dont
celles d’Etienne Souriau qui a bien posé le problème de la spatialisation des
mélodies. D’ailleurs, il écrit à ce sujet :
Il s’agit de savoir […] s’il est des analogies morphologiques positives entre
les œuvres musicales et les œuvres de l’art ornemental, si, par exemple, une
transposition spatiale de la ligne d’une mélodie fournit une courbe ayant une
valeur décorative et un galbe satisfaisant du point de vue des exigences essen-
tielles de l’esthétique de l’arabesque. Si oui, l’expérience est cruciale, et c’est à
nos théories, à nos opinions esthétiques de s’accommoder de ce fait et de l’expli-
quer si nous pouvons : aucune question ne peut rien contre un fait.1
Aussi un problème essentiel est-il à résoudre : celui de la méthodologie
à adopter. Souriau cite, à ce propos, l’expérience de Combarieu qui, à
partir de l’Adagio de la Sonate pathétique de Beethoven, a tracé sur du
papier l’arabesque obtenue en suivant les lignes mélodiques. Le résultat est
évidemment « déplaisant, incohérent et absurde »2. Mais comme l’explique
Souriau, notre système de notation musicale est lacunaire pour traduire
de manière précise et scientifique les éléments sonores dans l’espace. Il
propose donc, avec le même postulat musical beethovénien, une méthode
scientifique, consistant à indiquer en abscisse les temps, en ordonnées les
fréquences physiques des vibrations. Il faut ensuite relier toutes les notes
appartenant à la même voix mélodique en continuant la courbe pendant
toute la durée du son.
Les courbes dessinées révèlent un équilibre, une régularité répon-
dant au modèle musical. Souriau associe le résultat obtenu à un décor
hispano-arabe. Mais il précise toutefois que l’émotion ressentie à la vue des
courbes est nettement moins intense que celle provoquée par l’écoute de
l’adagio de la sonate, car ces diagrammes ne mettent pas en évidence les
relations harmoniques musicales et ne s’attachent qu’à la représentation
des éléments contrapuntiques de la musique. De plus, il remarque qu’en
choisissant pour ordonnées les nombres de vibrations par seconde, il est
impossible de mettre en valeur la hauteur de la mélodie et la voix où elle est
présentée, dans le cadre d’une polyphonie. Aussi prend-il comme exemple
la VIIIe fugue du Clavecin bien Tempéré (sic) de Bach et constate l’absence
de l’identité des courbes mélodiques des diverses voix. Aussi propose-t-il
de changer les ordonnées en employant les logarithmes des fréquences qui
correspondent en fait aux intervalles mélodiques. Il développe ensuite sa
méthode de façon très scientifique, en essayant de s’adapter au problème
1. Humphrey Searle, The Music of Liszt, New York, Dover publications, 1966, p. 30, cité
par Jean-Jacques Eigeldinger, id., p. 65 n.29.
Septième chapitre 363
Notons que Paul Henry Lang, en 1936, avait déjà établi un lien entre
Sposalizio et l’esthétique debussyste.1 Joan Backus rapproche ce passage
d’un effet de perspective musicale. Elle explique d’ailleurs l’évolution du
motif M1 jusqu’à sa superposition avec le thème « Ave Maria », superposi-
tion que nous venons de commenter. Elle écrit :
La première moitié de Sposalizio reproduit donc une représentation musi-
cale des deux plans de la scène de Raphaël. C’est dans la deuxième moitié du
morceau que Liszt les réunit, intégrant la nouvelle mélodie en sol majeur au
travail du motif déjà établi et à la tonalité en mi majeur du début. D’abord,
le motif sensuel en arabesque [Notre motif M1] s’insinue dans le thème proces-
sionnel (mesures 46, 48, 50-51…). Avec la répétition du thème (à partir
de la mesure 52), le motif s’intègre davantage dans la texture (un procédé
similaire à son absorption progressive dans la texture de la section A). Dans
la zone de développement, l’arabesque devient le fondement des séquences
montantes, culminant par l’apogée exaltée du second motif [Notre motif M2]
[…]. Pendant toute cette période instable sur le plan tonal, la note basse si
constitue une pédale tonale constante et un ancrage solide : comme la médiante
de sol majeur et la dominante en mi majeur, il donne le pivot tonal (comme
à la fin de l’andante quieto).
Le retour du thème processionnel, maintenant en sol majeur (mesure 77),
créé un effet de récapitulation, de résolution tonale et thématique. Le poids de
cette résolution est mis en valeur par la combinaison des thèmes et l’intégration
des motifs d’arrière-plan au thème processionnel. Tout comme les deux plans
visuels de la scène de Raphaël sont unis par des lignes de perspectives conver-
gentes, les deux plans auditifs de la composition de Liszt sont ici rassemblés
dans une synthèse récapitulative.2
Il y a donc un parallèle possible entre l’appréhension de l’espace pictural
par le spectateur et celle de l’espace temporel pour l’auditeur. Les procédés
en matière de perception sont les mêmes. Cependant, il faut ici préciser
que la démarche de Joan Backus l’amène indubitablement vers l’analyse
d’une forme rattachée à une tradition musicale. En effet, « présentation »,
« développement » et « récapitulation » sont des termes très appropriés
pour parler de « forme sonate ». C’est d’ailleurs l’idée que Backus précise
quand elle écrit :
1. Voir Paul Henry Lang, « Liszt and the Romantic Movement », Musical Quarterly 22,
1936 cité par Joan Backus, op. cit., p. 175 (trad. par nos soins).
2. Joan Backus, id., p. 181 (trad. par nos soins).
364 TROISIÈME PARTIE
A. Images
>> Exemple n° 76 : F. Liszt, Pentatonisme dans Sposalizio, mes. 1-3 et Les
Cloches de Genève, mes.1-2.
>> Exemple n° 77 : F. Liszt, Sposalizio, version barrée par Liszt, Ms.I.13/1,
Weimar, Gœthe-Schiller Archiv, mes. 9-14.
1. Joan Backus mentionne que : « L’évocation de différents types de sons de cloche est
fréquente dans les compositions pour piano de Liszt. On trouve des exemples dans
Harmonies du soir, Funérailles, le Miserere du Trouvère, Angelus !, Les cloches de Genève,
Ihr Glocken von Marling, Die Zelle in Nonnenwerth, « Carillon » et « Abendglocken »
dans L’arbre de Noël, et La Campanella. » in Joan Backus, op. cit., p. 176 (n.12), (trad.
par nos soins).
370 TROISIÈME PARTIE
B. Histoires
Rappelons que Bernard Teyssèdre, dans son commentaire de l’ouvrage
Essais d’iconologie de Panofsky, assimile les « histoires » à la représentation
de personnages historiques, légendaires ou mythiques.
Dans le cadre de notre comparaison entre les arts visuels et la musique,
les « Histoires » se situent dans la thématique qui renvoie à un person-
nage historique (ex. Sainte Élisabeth) légendaire (Orphée) ou mythique
(Faust). De ce fait, dans Sposalizio, seul le thème unique de l’œuvre renvoie
à l’image de l’un des personnages de Raphaël : celui de la Vierge.
mesure 86, donne le texte : « Ave Maria ». Même si la ligne mélodique est
simplifiée par rapport à son modèle initial, il n’en reste pas moins vrai que
le profil mélodique est tout à fait reconnaissable, puisqu’il est emprunté
aux mesures 77 et suivantes de Sposalizio. Voici les deux versions, celle de
1838 et celle de 1883 :
1. Notre M2.
2. Notre M1.
3. Jean-Jacques Eigeldinger, op. cit., p. 64.
Septième chapitre 375
1. Voir Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie »,
p. 15-20.
2. Serge Gut, dans l’article cité ci-dessus, explique ce passage par un vocabulaire emprunté
à Heinrich Schenker. Il parle en effet de « toniqualisation » de la dominante.
3. Joan Backus, op. cit., p. 178.
376 TROISIÈME PARTIE
mi majeur, cette « blonde lumière […] qui restitue les frais coloris du peintre »
comme dirait Eigeldinger1, offre ensuite un accompagnement de croches
qui utilise toute l’étendue du piano, dans une atmosphère cependant très
feutrée, comme le demande par exemple l’indication con grazia dans la
nuance pianissimo, mesure 85. Mais très vite, on aboutit à un renforce-
ment de la tension grâce :
– au thème exposé à nouveau mesure 92 toujours en mi majeur mais
de façon différente, fortissimo, dans le registre aigu du piano avec
d’impressionnantes croches en octaves à l’accompagnement :
1. Serge Gut, « Franz Liszt, Années de Pèlerinage, Deuxième Année : Italie », p. 18.
Septième chapitre 379
Conclusion
Il se dégage de notre analyse comparée que Liszt s’attache à recréer l’at-
mosphère recueillie et solennelle du tableau illustrant le sujet biblique du
Mariage de la Vierge. À ce dessein, il utilise le pentatonisme pour illustrer
un effet de cloches, ainsi qu’un motif « question-réponse » pour symboliser
la demande et l’acceptation des deux époux. Un seul thème sera employé.
La seconde version de 1883 Sposalizio Trauung reprendra cet élément
thématique avec un texte consacré à la Vierge Marie : « Ave Maria ».
Le matériau de Liszt peut donc être associé au modèle pictural de
Raphaël : deux motifs et un thème pour trois personnages principaux, les
mariés et le prêtre. Cependant, la signification du matériau musical ne
correspond pas explicitement aux protagonistes du tableau. En effet, si
le thème unique correspond bien à la Sainte Vierge, les motifs, eux, ne
renvoient pas à Saint Joseph et au prêtre. Il semble que le premier soit
l’image des cloches, tandis que le second implique la mise en scène de la
question et de la réponse chez les mariés.
D’un point de vue technique, Raphaël a surpassé son maître Le
Pérugin dans l’élaboration de la perspective. Liszt, quant à lui, propose des
enchaînements d’accords très audacieux et peu employés à son époque afin
d’obtenir des « couleurs » harmoniques particulières. L’utilisation d’un
motif qui structure la pièce par sa quasi-omniprésence et sa présentation
en diminution oblige l’auditeur à faire un effort de mémoire. Ce procédé
peut renvoyer aux couleurs rouge et noire dont l’organisation structure
l’espace et construit des lignes directrices pour l’œil dans le tableau. Les
procédés de perception dans le temps et dans l’espace sont ici tout à fait
comparables.
Pour caractériser le partage du bonheur de cet événement unique, il se
sert du premier motif que Márta Grabócz appelle « quasi cloche » presque
de manière obstinée. La joie intérieure des participants est extériorisée vers
la fin de la pièce musicale, le musicien réagissant en artiste et en croyant
du xixe siècle, s’opposant ainsi à l’expression dégagée par les protagonistes
du tableau. Liszt interprète ici véritablement les sentiments intérieurs de
ces personnages, sans tenir vraiment compte de l’esthétique de Raphaël. Le
Septième chapitre 381
message divin par-delà le temps et l’espace est cependant très clair dans les
deux œuvres. Le calme revient à la fin de la pièce de piano, rappelant alors
l’atmosphère du tableau.
Le compositeur a donc su illustrer et commenter de manière très
personnelle le tableau de Raphaël avec les moyens et la sensibilité de son
temps dans « l’une des pages les plus étonnantes peut-être [qu’il] ait écrites »1.
Comme l’écrit Joan Backus :
Il semble […] très probable qu’en écrivant une œuvre comme Sposalizio,
Liszt essayait à son tour de saisir le « même »2 double aspect qui l’impression-
nait tant dans l’œuvre de Raphaël – l’expression duelle de l’intégrité formelle et
de la représentation symbolique.3
Il apparaît que Liszt a réussi sa gageure…
Introduction
Genèse
Lors de son voyage italien avec Marie d’Agoult, Liszt écrit en
février 1839 dans des Feuillets d’album publiés par Daniel Ollivier dans les
Mémoires de Marie :
Si je me sens force et vie, je tenterai une composition symphonique d’après
Dante, puis une autre d’après Faust – dans trois ans – d’ici-là, je ferai trois
esquisses : le triomphe de la mort (Orcagna) ; la Comédie de la Mort (Holbein),
et un fragment dantesque. Le Pensiero (sic) me séduit aussi. 1
Liszt projetait donc déjà la Dante et la Faust symphonies ainsi que
le Pensieroso du second cahier des Années de Pèlerinage. Le « fragment
dantesque » deviendra la Dante Sonate, du second volet des Années de pèle-
rinage, 2e année (Italie). Quant au Triomphe de la Mort et à la Comédie de
la Mort, divers documents nous montrent que ce sont les sources d’inspi-
ration du Totentanz.2 Liszt s’y attelle en 1847. Il reprend et modifie son
œuvre en 1865.
Dès le début de la composition du Totentanz, il se montre très réservé
en ce qui concerne les orientations programmatiques de son œuvre.
1. Franz Liszt, cité par Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper, Liszt en son temps,
n. 19, p. 263.
2. Voir la partie concernant les sources.
384 TROISIÈME PARTIE
1. Rena Charnin Mueller, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works », Studia
Musicologica Academiae Scientiarum Hungaricae, p. 235.
2. Voir notre introduction.
388 TROISIÈME PARTIE
1. Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 125-154. Nous tenons ici encore à remercier
l’auteur d’avoir accepté de nous confier le manuscrit avant la publication.
2. Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der Totentanz », op. cit., p. 53-72.
3. Josef Ujfalussy, « Totentanz, Variation, Aufbau und modale Transformation in Franz
Liszts Musik », Akademische Antrittsvorlesung am 17. März 1986, in Studia Musicologica
Academicae Hungaricae, 42 (2001/3-4) p. 373-389.
4. Laurence Le Diagon-Jacquin, « La Totentanz de Liszt : Essai d’analyse comparée
d’après Panofsky », Music and the Arts Proceedings from ICMS 7, edited by Eero Tarasti,
Acta Semiotica Fennica XXIII, Approaches to Musical Semiotics 10, Finnish Network
University of Semiotics, Imatra, International Semiotics Institute, Imatra, Semiotic
Society of Finland, Helsinki, 2006, p. 294-304 ; Laurence Le Diagon-Jacquin, « Propo-
sition d’Analyse comparée entre la Musique et les Arts visuels : les trois Niveaux de
Signification panofskyiens appliqués à la Totentanz de Liszt. » la Musique représentative,
actes des Premières rencontres interartistiques de l’O.M.F., Paris IV Sorbonne, journée
du 23 mars 2004, textes réunis et édités par Vanessa Guy, Série Conférences et Séminaires,
n° 18, 2005, p. 89-102.
Huitième chapitre 389
1. Il suffit d’écouter par exemple ses Variations sur les thèmes de la 7e Symphonie de
Beethoven pour s’en convaincre !
2. Pour les différentes versions de ce De Profundis, se reporter à notre première partie
consacrée à la présentation des « thèmes et motifs ».
3. Voir Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der Totentanz », op. cit. p. 56.
4. En français dans le texte.
5. Idem.
6. Idem.
392 TROISIÈME PARTIE
1. Idem.
2. Rena Charnin Mueller, « Liszt’s Catalogues and Inventories of his Works », op. cit.,
p. 240-241
3. Hypothèse convaincante reprise à Adrienne Kaczmarczyk, « Liszt, Lamennais und der
Totentanz », op. cit., p. 60.
4. Adrienne Kaczmarczyk, id., p. 69.
5. Weimar : Gœthe-Schiller Archive, Kollektion Liszt, H10.
6. Cité par Adrienne Kaczmarczyk, op. cit., p. 61, n.22.
Huitième chapitre 393
A. Formes et Motifs
1. Les titres mentionnés ci-dessus relèvent de notre propre traduction des indications
présentées dans Werner L. Gundersheimer (introduction by), id.
2. Nous insistons sur le contexte car Liszt connaissait assurément depuis son enfance,
cette séquence dans son cadre liturgique.
Huitième chapitre 397
Dans son Totentanz, Liszt n’utilise que la première paire de vers, qui
comporte l’intervalle caractéristique signalétique du chant. Il présente
plusieurs variations en gardant le thème intact. Puis il fait dériver un
second thème à partir de celui du Dies Irae. C’est le thème central noté
M(ozart) dans les tableaux synthétiques donnés à la fin de notre texte et
dans notre article d’Analyse musicale.1
1. Daniel Russo, « Être Ermite, Exercices de solitude et Spiritualité érémitique dans l’Oc-
cident médiéval. », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 36, automne 1987, P.S.A.11, p. 65.
2. Daniel Russo, « Le Corps des Saints Ermites en Italie centrale aux xive et xve siècles :
étude d’iconographie », Médiévales, 8, 1985, « Le Souci du Corps », p. 62.
Huitième chapitre 399
1. Franz Liszt, Lettres d’un Bachelier ès Musique, publié par Jean Chantavoine, in Pages
Romantiques, p. 261-262.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 620, vol.1.
3. Anna H. Harwell Celenza, op. cit., p. 147.
402 TROISIÈME PARTIE
La mélodie est encore une fois très proche du thème lisztien utilisé
dans la partie centrale de son Totentanz.
Il faut ajouter ici que, sans harmonisation, le thème lisztien sonne
comme une phrase grégorienne. Nous avons approfondi nos recherches
dans ce sens, mais elles n’ont pas donné de résultats probants. Il semble
donc que, comme le pense Adrienne Kaczmarczyk, la référence essentielle
de ce thème lisztien qui se trouve déjà – ainsi que nous l’avons dit plus
haut – dans son cahier d’esquisses dit « Tasso », est en fait la référence
mozartienne.
Ce second thème lisztien renvoie au Requiem de Mozart, donc à un
thème macabre par excellence. Il évoque la même idée que la Mort person-
nifiée dans la fresque du Campo Santo. Cependant, nous tenons à préciser
qu’il n’est pas une « traduction » littérale de cet élément de la fresque.
Cette dernière, d’un seul tenant, comme plus tard peut-être, le Totentanz,
semble devoir être redevable au Konzertstück de Weber. Corinne Schneider
pense que :
…la nature de la transformation thématique et la conception formelle en
un seul mouvement d’œuvres comme la Grande Fantaisie symphonique sur
des thèmes du « Lélio » de Berlioz, le De Profundis pour piano et orchestre
ou la Malédiction pour piano et orchestre à cordes, doivent beaucoup à la
partition de Weber.1
Ce De Profundis est une œuvre trop peu souvent interprétée et extrê-
mement méconnue encore à notre époque. Il n’en existe qu’un manus-
crit autographe, conservé actuellement à Weimar. Inachevé, il a donné
aujourd’hui naissance à trois versions différentes qui proposent chacune
une fin possible :
1. Une version pour deux pianos, publiée par Acs, jugée « particulière-
ment inadéquate » par Leslie Howard2 à cause de l’omission de 52
mesures orchestrées.
2. La seconde version est celle du compositeur canadien Michael
Maxwell.3 Ce dernier renforce l’orchestration de manière spora-
dique et a ajouté une fin grandiose.
3. La troisième et dernière version est celle du professeur américain Jay
Rosenblatt4 qui a retouché l’œuvre originale au minimum. Tout
comme Maxwell, il a ajouté une fin mais beaucoup plus courte. Elle
s’appuie sur les mesures initiales du plain-chant.
Zsuzsanna Domokos s’est penchée sur les rapports entre la musique
de Liszt et la musique d’église interprétée à la Chapelle Sixtine à l’époque
où le compositeur l’a entendue. Elle met d’ailleurs en rapport la première
version du Totentanz, composée à partir du Dies Irae et du De Profundis,
avec le Miserere interprété en Italie :
1. Corinne Schneider, « Liszt médiateur des œuvres de Weber à Paris (1828-1844) » Liszt
2000, The Great Hungarian and European master at the Threshold of the 21st Century,
p. 273.
2. Voir le texte de la pochette du disque concernant le De Profundis in Music for piano
and orchestra, vol. 2, c.d. hypérion, LC 7533, p. 22.
3. Il en existe d’ailleurs un enregistrement par Philip Thomson au piano et le Hunga-
rian State Orchestra, sous la direction de Kerry Stratton, chez Hungaroton classic,
HCD31525.
4. C’est la version enregistrée par Leslie Howard.
404 TROISIÈME PARTIE
1. Le caractère violent
C’est sûrement l’élément le plus présent dans chacune des trois œuvres
visuelles et musicale.
de cette scène très dense.1 Dans la gravure n° 44, « La Mort et le Brigand »,
l’intensité de la scène se retrouve à deux niveaux : d’abord l’agression de
la femme par un homme robuste et ensuite celle de cet homme par la
Mort elle-même. Pour une fois, le squelette semble en position difficile. Il
a du mal à faire lâcher sa proie à l’homme. La scène de la gravure n° 46,
« La Mort et le Charretier », appartient au registre dramatique puisqu’elle
présente un chariot accidenté avec un homme qui a du mal à se remettre.
Le squelette surplombe la carriole. Il essaie de vider le tonneau de vin.
Nous constatons ici les effets dus à la frénésie de la Mort.
La violence est donc un élément prédominant dans les gravures de
Holbein. Mais on la retrouve également dans des scènes peintes par
Buffalmacco.
1. L’équivalent musical pourrait être envisagé dans l’introduction qui surprend l’auditeur
et qui offre des septièmes diminuées – symboles s’il en est des êtres démoniaques – ainsi
que la séquence du Dies Irae. Nous renvoyons le lecteur à notre partie sur les allégories,
où le Diable et le triton sont ainsi mis en parallèle.
2. Expression nous le rappelons empruntée à Daniel Russo. Voir notre développement
sur les « thèmes et motifs ».
Huitième chapitre 407
2. La Mort et la surprise
Certaines gravures de Holbein montrent clairement que la Mort
surprend ses victimes.
Ainsi, dans « la Mort et l’Avare », gravure n° 28, la Mort déconcerte
l’homme qui lève les bras au ciel. Elle lui enlève les biens qu’il a entassés, et
qu’il n’emportera pas dans l’autre monde. Dans la gravure n° 29 « La Mort
et le Marchand », elle prend également le personnage par surprise, mais de
manière encore plus violente que le précédent, en le tirant par-derrière.
L’homme est horrifié. De même, le squelette de la gravure n° 32, dans
« La Mort et le Comte », déroute le noble en lui enlevant sa cuirasse. De ce
fait, l’homme semble décidé à prier. Dans la gravure n° 36, « La Mort et
la Duchesse », deux squelettes viennent tirer rudement la jeune femme du
lit. Cette dernière semble désorientée.
Ces caractères sont très présents dans les gravures de Holbein. Ainsi,
dans la troisième gravure, Adam et Eve sont chassés du paradis terrestre.
Le squelette tient un instrument à cordes en regardant ironiquement fuir
les époux, épouvantés par l’archange Saint Michel armé d’une épée de feu
menaçante. Cet épisode est important car il montre pour la première fois
l’apparition de la Mort, inexistante jusqu’alors au paradis terrestre. Dans
« La Mort et l’Empereur », septième gravure du cycle de Holbein, le sque-
lette se tient légèrement penché au-dessus du monarque. Il s’appuie sur sa
tête, en regardant ses sujets d’un air moqueur et ironique. Si la Mort était
invisible aux personnages présents dans la gravure précédente, elle s’im-
pose victorieusement dans la gravure n° 8. Le squelette provoque en effet
le Roi en versant une boisson dans une assiette creuse. Lui faisant face, il
semble lui rappeler narquoisement son funeste sort. Dans la gravure n° 10
« La Mort et l’Impératrice », habillée d’un drapé superbe, la Mort regarde
railleusement la jeune femme qu’elle accompagne. La même situation se
retrouve dans la gravure n° 12 où le squelette donne le bras au vieil évêque,
toujours avec un sourire narquois. Dans la gravure n° 17, « La Mort et le
Prêtre », le squelette, vêtu à l’image du personnage auquel il rend visite,
lui montre sarcastiquement un sablier, symbole du temps qui s’écoule. La
même attitude du squelette se retrouve dans la gravure n° 19, « La Mort et
l’Avocat », où il s’interpose de manière ironique entre deux hommes, bran-
dissant un sablier. La Mort se tient derrière le prêcheur de la gravure n° 21,
prêcheur qu’elle regarde railleusement, le sablier toujours à côté d’elle. Dans
la gravure suivante, le squelette porte une cloche et une lanterne. Il précède
le porteur du Saint Sacrement. Il sourit de manière sarcastique. Dans la
gravure n° 26, la Mort tend ironiquement au Physicien un sac. Elle s’in-
terpose entre l’homme de sciences et son visiteur qu’elle prend par la main.
De même, dans la gravure suivante, le squelette brandit fièrement une tête
de Mort au jeune astrologue qui semble fasciné par son globe céleste. Dans
la gravure n° 33 « La Mort et le Vieillard », le squelette donne le bras à un
vieil homme tout en tenant un instrument de musique à percussions, l’ac-
compagnant pompeusement… vers le tombeau qui s’offre, béant, devant
lui. Le vieillard a presque physiquement « un pied dans la tombe »… La
scène relève donc d’un burlesque fantastique. Le squelette de la gravure
n° 34 « La Mort et la Comtesse » aide la dame à se parer, comme, de l’autre
côté, sa femme de chambre. La scène baigne dans une atmosphère sereine,
teintée d’ironie. Celle de la gravure n° 42 montre une agitation notable,
au milieu de différents ivrognes et d’une jeune serveuse. La Mort, sourire
aux lèvres et bouche ouverte, verse du vin dans le gosier de l’un d’eux, avec
une expression sarcastique, voire sadique. Plus loin, elle marche devant
l’aveugle de la gravure n° 45, aveugle dont elle tire le bâton. Son regard
et son sourire adressés au handicapé sont empreints d’un certain cynisme.
L’ultime scène où la Mort se présente de manière sarcastique et ironique se
trouve dans l’Emblème, donc dans la dernière gravure, qui offre le retour
du squelette, disparu pendant les six gravures précédentes. Avec le sablier,
la Mort se présente victorieuse par le biais d’une tête de mort – sourire aux
416 TROISIÈME PARTIE
lèvres et regard moqueur – qui sort d’un tombeau sur lequel triomphe un
sablier. Deux personnages, féminin et masculin, encadrent ce tombeau.
L’air triste, morose, ils ressemblent aux personnages de la gravure n° 35.
Si les caractères ironique et sarcastique sont abondamment présents
dans l’œuvre de Holbein, ils sont absents de la fresque pisane.
Dans le Totentanz, les indications et effets d’expression peuvent traduire
les deux caractères largement présents dans l’œuvre de Holbein. L’exemple
le plus probant est sans doute la « variation 1 » selon les propres termes de
Liszt. En effet, le Dies Irae sert de support harmonique en étant joué par
les cordes graves en pizzicati. Le contre-chant, lui, est confié initialement
au basson dans l’aigu, avec l’indication staccato tandis que la doublure aux
alti est marcato. Notons que Berlioz dans son Traité d’Instrumentation met
en garde les orchestrateurs sur l’emploi du basson :
Sa sonorité n’est pas très forte, et son timbre, absolument dépourvu d’éclat
et de noblesse, a une propension au grotesque, dont il faut toujours tenir compte
quand on le met en évidence.1
Notons que dans le Totentanz, le début de la phrase est en ré mineur
harmonique, avec l’intervalle de seconde augmentée sib-do#, tandis que
la fin offre une descente du contre-chant en ré mineur mélodique, fondée
sur une cadence modale avec l’enchaînement du VIIe degré (do naturel)
au Ier degré.
Cordes et bois se partagent donc la première exposition de cette
nouvelle variation. La seconde est confiée au piano solo. Le pianiste joue
exactement la même phrase musicale, avec le Dies Irae à la main gauche
et le contre-chant à la main droite. Mais cette fois, l’indication marcato
concerne la basse, tandis que le contre-chant doit être interprété capric-
cioso. Cette indication, ajoutée à l’esprit staccato de la première exposition,
donne une impression d’ironie macabre qui correspond bien aux gravures
de Holbein.
1. Voir les tableaux synthétiques à la fin de notre texte dans notre article publié dans
Analyse musicale n° 51, reproduits ici à la fin de ce chapitre.
418 TROISIÈME PARTIE
A. Les images
1. Nous tenons ici à remercier le musicologue Damien Ehrhardt de nous avoir facilité
l’accès aux sources conservées à Weimar.
2. Anna H. Celenza Harwell, op. cit., p. 140.
420 TROISIÈME PARTIE
1. Roger Bragard et Ferd J. de Hen, Les instruments dans l’Art et l’Histoire, p. 64.
Huitième chapitre 421
associe sans aucun mal les chasseurs à leur attribut, facilement « transpo-
sable » dans le domaine musical.
Là encore, l’idée prime sur les figures dessinées proprement dites.
>> Exemple n° 100 : F. Liszt, cadence du piano mes. 393 et suiv. avec
Crux Fidelis caché.
1. Le Trionfo della Morte du Campo Santo de Pise ainsi que les gravures sur bois de
Holbein.
Huitième chapitre 427
1. Nous tenons à remercier notre collègue Adrienne Kaczmarczyk d’avoir bien voulu
vérifier cette affirmation.
428 TROISIÈME PARTIE
1. Oskar Bätschmann et Pascal Griener optent pour cette seconde hypothèse in Hans
Holbein, p. 56.
2. Oskar Bätschmann et Pascal Griener, id., p. 56-57.
430 TROISIÈME PARTIE
Elle explique :
En apparence, la variation 4 semble de caractère assez sain. Mais si nous
regardons de plus près sa structure harmonique, nous découvrons bientôt des
éléments plus pernicieux. Le plus évident est l’utilisation par Liszt du triton
(« diabolus musicae »). Le premier triton apparaît mesure 1261, quand la
troisième entrée du premier sujet commence une quarte augmentée plus haut
que si naturel dans la voix du milieu. L’utilisation du triton n’est pas ici
une erreur. C’est la seule entrée du sujet accentuée par une parenthèse infor-
mant le pianiste qu’il faut frapper les hauteurs séparément, (cette parenthèse
est également présente dans les extraits antérieurs de l’œuvre). À la fin de la
« Canonique », Liszt emploie à nouveau le triton. Ici, nous voyons un accord
de sixte allemande qui évolue vers la quarte et sixte de cadence. Si nous suppo-
sons que le la, à la basse, doit être tenu, alors l’accord ne se résout jamais sur
la position 5/3 attendue. En ayant introduit le sol# dans l’accord de sixte alle-
mande, Liszt le reprend comme tonalité dominante de la dans l’accord final.
En tant que ton principal, le sol# devrait être frappé simultanément avec le
ré de la voix supérieure, accentuant ainsi le triton sol#-ré. Comme dans la
description des figures religieuses de Holbein, le canon de Liszt a une façade
attrayante mais un cœur diabolique.2
Elle fait ici entre autres, référence à la gravure qui met en scène « la
Mort et le Pape » que nous avons précédemment évoquée et expliquée.
Nous pourrions ajouter la gravure « la Mort et le Joueur », où se retrouvent
les mêmes éléments.
>> Exemple n° 105 : « Dies irae », d’après celui extrait des Offices
du Dimanche et des Fêtes, Messes, Vêpres et Complies,
Chant grégorien issu de l’Édition vaticane, et signes
rythmiques des Bénédictins de Solesmes.
434 TROISIÈME PARTIE
1. cité par Pierre Antoine Huré et Claude Knepper in Liszt en son Temps, p. 141-142.
2. Alan Walker, Franz Liszt, p. 233, vol. 1.
Huitième chapitre 435
l’extrait du psaume qui vient immédiatement après et qui est une harmonisa-
tion à 4 voix en faux-bourdon des strophes 1 et 2 du psaume 129. Le thème De
Profundis correspond exactement avec le thème De Profundis instrumental
composé en hiver 34-35 donc la source de ce travail peut probablement être
située dans ces ouvrages liturgiques en usage au début du siècle. Le fait que
ces deux citations figurent dans les esquisses Tasso et ensuite dans la copie de
la Princesse Sayn Wittgenstein (1847) indique que Liszt avait une concep-
tion très précise de ce qu’il allait faire quand il commença à travailler et que
les deux thèmes grégoriens paraissaient dans son imagination, sa fantaisie, et
étaient reliés probablement bien avant de composer le Totentanz1.
L’hypothèse donnée ici concernant la relation entre les deux thèmes
semble séduisante, même si, contrairement à notre collègue hongroise,
nous voudrions ajouter que Liszt a peut-être inventé ce second thème.
Mais de toute façon, il est lié indubitablement depuis très longtemps au
Dies irae dans l’imaginaire du musicien.
Au sujet de la séquence du Dies irae proprement dite, Luca Ricossa
donne des précisions importantes :
… Attribuée sans certitude à Thomas de Celano (mort vers 1250), elle [la
séquence] trouve son origine dans une prosule2 du répons Libera me et ne peut
donc pas être tout à fait considérée comme une véritable séquence3. Chanté sans
alleluia, le Dies Irae n’en est pas moins apparenté au genre de par sa forme,
empruntée à celle des séquences victorines. Les paires de vers se suivent en une
série de strophes ayant la structure AA BB CC/AA BB CC/AA BB C D E F.
À cela, il faut ajouter que plusieurs versets et demi-versets sont identiques,
donnant dans l’ensemble une structure répétitive qui a certainement contribué
à sa popularité.
Le Dies Irae est l’une des cinq séquences à avoir été conservées après les
réformes de la liturgie promulguées par le concile de Trente (missel de 1571)4
Liszt connaissait d’ailleurs les origines de cette séquence, et ce, vraisem-
blablement à partir de 1852. En effet, Kastner, l’auteur du fameux ouvrage
Les Danses des Morts, écrit :
1. (Johann Georg) Georges Kastner, Les Danses des Morts, op. cit.
2. C’est Liszt qui souligne.
3. Idem note précédente.
4. À partir d’ici s’arrête l’accolade de Liszt dans la marge gauche.
5. (Johann Georg) Georges Kastner, Les Danses des Morts, op. cit., p. 7, note 2.
6. Voir note précédente pour les références du texte latin.
438 TROISIÈME PARTIE
Dies irae, dies illa, Solvet sæclum in favilla : Teste David cum Sibylla.
Quantus tremor est futurus, Quando judex est venturus, Cuncta stricte
discussurus !
Jour de colère que ce jour-là, qui réduira en cendres le monde, David
l’a prédit avec la Sibylle. Quelle terreur quand le Juge viendra pour tout
examiner avec rigueur.
une partie de sa musique traite de la mort, que symbolisent des titres tels que
Totentanz, Funérailles, La lugubre Gondole, Pensée des morts.1
La liste n’est pas exhaustive, mais montre un échantillon varié des
travaux lisztiens sur ce sujet. Cependant, le Totentanz nous semble requérir
une place à part dans l’œuvre lisztienne, pour plusieurs raisons. D’abord,
son titre renvoie aux origines des œuvres inspirées par la mort. Ensuite,
Liszt semble avoir travaillé et mûri son projet de Totentanz tout au long de
sa vie, ce qui montre combien le sujet lui tenait à cœur. Ajoutons à cela le
fait qu’il refusait de parler de son programme, phénomène assez rare chez
lui et qui mérite d’être à nouveau souligné. Enfin, il semble se référer à
plusieurs œuvres inspirées elles-mêmes de la mort, ce qui n’est pas le cas
des autres compositions citées par Alan Walker. Nous allons donc nous
arrêter sur chacun des éléments brièvement évoqués pour comprendre la
signification de cette œuvre énigmatique et riche.
Gaby Sikora décrit très justement les origines et les rôles des premières
danses macabres :
Le topique initial des premières danses macabres, qui furent créées au
temps de la peste au xive siècle, représentait la « Mort au sein de la Vie »,
n’épargnant personne. Il a la fonction d’un memento mori, rappelant l’ur-
gence de se préparer à la vie éternelle. Il voulait être un avertissement sévère
de la religion.2
L’œuvre de Liszt semble se rattacher à la fonction originelle des danses
des morts. Après l’avoir analysée, il nous paraît en effet probable qu’elle
fasse office de memento mori et qu’elle rende également hommage à d’autres
artistes – des compositeurs, entre autres – qui se sont intéressés à la mort.
Rappelons que l’œuvre de Liszt est fondée sur deux œuvres d’art visuel
qui traitent de la mort : les gravures sur bois de Holbein et Il trionfo della
Morte de Buffalmacco. De plus, le compositeur a utilisé également deux
thèmes musicaux qui renvoient à l’idée de mort,3 et organisé son œuvre
en trois grandes parties selon la technique littéraire de « mise en abyme ».4
1. Daniel Russo, « Le Corps des Saints Ermites en Italie centrale aux XIVe et xve siècles :
étude d’iconographie », op. cit., p. 63.
2. Idem, p. 62
442 TROISIÈME PARTIE
Conclusion
Le Totentanz tient une place particulière dans le corpus lisztien pour
trois raisons. D’abord, non pas une, mais deux œuvres d’art visuel l’ont
inspiré ; ensuite, le Crux fidelis y est cité d’une manière inhabituelle, et
enfin, son programme a toujours fait l’objet d’un silence systématique de
la part du compositeur.
Ses deux sources d’inspiration, tout comme son titre, parlent de la
mort. Elles font office de memento mori. Le Crux fidelis, présenté caché
Introduction
Genèse
Le dessin à l’encre offert par le peintre et dessinateur Zichy à Liszt est
daté du 6 avril 1881. Il est dédicacé : « Salut à François Liszt de la part de
Michel de Zichy ». À peine une semaine plus tard, le 12 avril 1881, Liszt
adresse au peintre cette lettre de Vienne très enthousiaste :
Célèbre Artiste,
Vous m’avez fait un cadeau magnifique. Votre dessin sur le genre de la
musique est une symphonie miraculeuse. J’essaie de le mettre en musique et je
vous l’offrirai. Je vous prie d’accepter mon estime profonde et sincère,
Franz Liszt.1
Dans une lettre envoyée le samedi 11 juin 81 de Magdebourg, Liszt
écrit à la Princesse Wittgenstein :
Peut-être avez-vous lu dans quelque journal que Michel Zichy2 – un peu
cousin de mon ami Géza Zichy – m’a fait don d’un beau dessin représentant la
musique, entourée de plusieurs figures d’anges. Au bas, se trouve l’inscription :
« du berceau jusqu’au cercueil. » Dans mes lignes de remerciement à Zichy, je
1. Franz Liszt, lettre du 12 avril 1881 à Zichy ; cité par Keith T. John, « Von der Wiege
bis zum Grabe » in The symphonic Poems of Franz Liszt, p. 70.
2. Ungarischer Historienmaler (geb.1827) [note de la Mara].
452 TROISIÈME PARTIE
lui disais que son dessin me servira de programme à une composition musicale.
Elle est faite pour piano, mais non encore instrumentée !1
La trace de l’œuvre lisztienne achevée d’après ce dessin se retrouve dans
une lettre du 9 août 1881 adressée à son éditeur « Bote et Bock » :
Monsieur,
Vous avez été bien aimable de me demander une petite œuvre. Alors je
vous présente un poème symphonique intitulé « Du berceau jusqu’au cercueil »
(« Von der Wiege bis zum Grabe »). Mon excellent ami Lessmann vous appor-
tera le dessin de Michel Zichy plus la musique correspondante. Celle-ci serait
à publier en 3 éditions :
A. Partition
B. 4 mains (pianoforte)
C. 2 mains (pianoforte)
Lessmann va vous apporter l’arrangement pour piano à 2 mains (la parti-
tion et l’arrangement pour 4 mains sont encore chez le copiste.) En outre, une
« Vergessenen Walz[er] » – « Valse oubliée ». –
S’il vous convient, Monsieur, d’accepter ces deux choses pour les éditer,
alors il me reviendra des honoraires (pour la propriété en tout pays) de mille
thalers. Si non, je vous prie de me renvoyer simplement le manuscrit, sans autre
remarque.
Le 9 août 81- [Signature coupée] Weimar.2
La pièce initiale a d’ailleurs fait l’objet d’une première version pour
piano à deux mains, sous le nom de Wiegenlied (Chant du Berceau).
Elle est dédiée à l’un de ses élèves, le Russe Arthur Friedheim, et date du
18 mai 1881. Anne Bongrain explique les implications programmatiques
de cette première œuvre :
En fait, on s’aperçoit que cette « citation » présente une telle similitude à la
fois musicale et extra-musicale qu’on est en droit de penser, les circonstances de
composition aidant […] que Wiegenlied est en quelque sorte le « manuscrit »
de « Die Wiege » ; le principe de la citation n’offre alors plus d’intérêt en ce qui
concerne le pouvoir signifiant du morceau, car il aboutit obligatoirement à un
même rapport musique-programme du fait que musique et programme sont
1. La Mara (éd.), Franz Liszts Briefe an die Fürstin Carolyne Sayn-Wittgenstein, 4e volume,
Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1902, lettre 321 datée du samedi 11 juin 1881, Magde-
bourg, p. 320-321.
2. Franz Liszt, Franz Liszt in seinen Briefen (Überzetzung der französischen Briefe von
Eva Beck), Berlin, Henschelverlag, coll. Kunst und Gesellschaft, 1987, p. 280. [trad. de
l’allemand par nos soins].
Neuvième chapitre 453
visuel, dans le deuxième mouvement. De plus, il est l’un des rares commen-
tateurs à s’intéresser aux liens entre les motifs.
Keith T. John1, dans son ouvrage de 1997 The symphonic Poems of
Franz Liszt, consacre naturellement une partie à « Von der Wiege bis zum
Grabe ». Il apporte des précisions historiques.
Patrick Otto,2 dans son article de juin 2002 intitulé « Originalité du
dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum Grabe », fait un bilan
des principales analyses de l’œuvre. Malgré quelques erreurs de détail, il
donne quelques pistes d’analyse comparée intéressantes. Cependant, il tire
trop vite la conclusion d’un contenu identique entre le poème sympho-
nique et son modèle visuel.
b. Les sources
Comme nous l’avons vu précédemment, Von der Wiege bis zum Grabe
est publié chez Bote und Bock en 1883. Ce dernier poème symphonique
se compose de trois mouvements :
1. Die Wiege
2. Der Kampf um’s Dasein
3. Zum Grabe : Die Wiege des zukünftigen Lebens
Notre édition de travail – dont les exemples cités dans notre texte sont
extraits – est Eulenburg. C’est à ce jour l’édition conseillée avant l’édition
en Urtext.
Dans le premier mouvement, Liszt a orchestré en la modifiant très peu,
une pièce pour piano, Wiegenlied, écrite en mai 1881 et publiée en 1883
chez Bote und Bock. Nous avons consulté une photocopie de l’original au
Musée Liszt de Budapest. Il est constitué de neuf petites pages – moitié du
format A4 – et porte une dédicace signée de Liszt : « An Arthur Friedheim,
der 18 mai ‘81, Weimar, freundlichst, dankend ». De plus, Liszt a écrit
le titre puis a indiqué la traduction française entre parenthèses : « Chant
du Berceau ». L’original de cette partition se trouve à l’Österreichische
Nationalbibliothek, sous la cote : suppl. mus. n° 0001.
Par ailleurs, Liszt a composé une version pour piano à quatre mains du
second mouvement, publiée en 1883 chez Bote und Bock. Anne Bongrain
1. Keith T. John, « Von der Wiege bis zum Grabe », op. cit., p. 70-72.
2. Patrick Otto, « Originalité du dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum
Grabe », Ostinato Rigore, n° 18, p. 113-128.
456 TROISIÈME PARTIE
Après cet état des lieux des documents utiles à l’analyse, nous allons
tenter d’établir des liens entre l’œuvre lisztienne et la source graphique de
Zichy.
1. Nous avons déjà dévié par rapport à la méthode de Panofsky dans certaines de nos
analyses précédentes en ne dissociant pas l’aspect « affectif » de la « signification expres-
sive », de la « signification de fait ». Nous conserverons d’ailleurs l’étude des caractères
mêlée à celle des thèmes et des motifs.
Neuvième chapitre 459
B. Formes et Motifs
>> Exemple n° 107 : F. Liszt, M1a de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.
1-3.
Elle est présentée à l’alto dans un tempo Andante, avec des valeurs
longues. Le même rythme et le même profil se retrouveront dans la seconde
partie :
Neuvième chapitre 461
>> Exemple n° 108 : F. Liszt, M1b de « Die Wiege », extrait de Von der
Wiege bis zum Grabe, mes. 5-7.
Cependant, c’est ici l’intervalle final de quarte juste qui retient l’atten-
tion de l’auditeur.
2. Le second motto est joué par les violons en tierces superposées :
>> Exemple n° 109 : F. Liszt, M2, extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 3-4.
De plus, son rythme régulier paraît lent : la pulsation est ici perçue à la
mesure donc à la ronde, tandis que le thème initial donne une impression
de rapidité à cause de la pulsation ressentie à la blanche.
Ces thèmes s’opposent, se superposent, s’affrontent jusqu’à la victoire
finale du premier.
Contrairement à la scène du tableau de Zichy, l’atmosphère est ici
animée et violente. Il semble donc que la correspondance entre l’œuvre
musicale et son modèle graphique soit structurelle mais en aucun cas
sémantique. Nous reviendrons sur ce point très important par la suite.
Neuvième chapitre 465
>> Exemple n° 114 : F. Liszt, « Choral » de « Zum Grabe : die Wiege des
zukünftigen Lebens », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 410-417.
466 TROISIÈME PARTIE
>> Exemple n° 115 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 25-31.
Liszt alterne ici les accords de septième et quinte diminuée avec des
accords de septième de dominante (de nature « dominante », mais pas
de fonction1) en passant par un intermédiaire, apparenté à un accord
« broderie ». Là encore, le chromatisme s’oppose au diatonisme de la
première partie du thème et ce, de manière encore plus affirmée que dans
la première présentation du thème.
Dans la troisième pièce « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », le chromatisme est également très présent. En effet, il conta-
mine la première partie du thème A dans une présentation dolente au cor
1. Aussi avons-nous évité le traditionnel chiffrage qui implique une fonction de domi-
nante.
468 TROISIÈME PARTIE
>> Exemple n° 117 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 313-319.
1. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt. Influence du programme
sur l’évolution des formes instrumentales, p. 121.
Neuvième chapitre 469
>> Exemple n° 118 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 426-430.
A. Images
Comme nous l’avons déjà mentionné, nous associerons les « images »
aux « symboles » et, contrairement à Panofsky, abandonnerons l’idée
de « personnifications » que nous mettons en relation avec les « allégo-
ries ». Par ailleurs, précisons à nouveau qu’en musique, l’« image » et le
« symbole » ne sont pas matériellement, empiriquement représentés et
ce, même si le thème ou le motif s’appuie sur une signification d’essence
empirique. Aussi, dans le cadre d’une comparaison entre les arts visuels et
la musique, seules seront retenues les références musicales qui renvoient à
des objets porteurs d’idées symboliques, donc à des éléments représentés
visuellement dans le tableau.
Dans la première pièce « die Wiege » [de son poème symphonique Von
der Wiege bis zum Grabe] Liszt utilise un petit effectif instrumental :
1. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie, Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance,
p. 19.
Neuvième chapitre 471
I. Deux flûtes
II. Une harpe
III. Deux violons
IV. Un alto
De prime abord, il paraît probable que le compositeur ait employé ces
instruments pour leurs timbres et leurs sonorités douces, contribuant ainsi
à instaurer l’atmosphère paisible requise en présence d’un nouveau-né.
Cependant, lorsque nous observons le dessin de Zichy, nous nous aper-
cevons que Liszt n’a pas seulement voulu traduire le caractère de la scène
en bas à gauche du tableau, mais qu’il a sans doute voulu illustrer musica-
lement… les instruments représentés dans la scène supérieure. En effet, la
lyre implique au xixe siècle une « traduction » simple par l’utilisation de la
harpe. D’ailleurs, Liszt l’avait déjà employée à cet effet dans Orpheus. De
même, l’instrument représenté aux pieds du personnage central trouve sa
correspondance chez Liszt avec l’emploi des instruments à cordes : l’alto et
les deux violons :
>> Exemple n° 119 : F. Liszt, Thème A’de « Die Wiege », extrait de Von
der Wiege bis zum Grabe, mes. 51-58.
Pour le reste, les arpèges des flûtes et les accords arpégés de la harpe
accentuent la douceur ainsi que l’impression céleste du moment.
Liszt adapte, apparemment, le tableau de Zichy à ses propres besoins.
Il y a donc ici un glissement de sens par rapport à une traduction littérale
qui impliquerait que cette formation soit utilisée non pas dans la première,
mais dans la seconde pièce musicale. Or le titre lisztien définit un combat,
une lutte et de ce fait implique la présence d’autres instruments, à la tessi-
ture grave, au timbre plus âpre, à la sonorité plus tonitruante. Le choix du
compositeur s’explique donc, de ce fait.
>> Exemple n° 120 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 17 – 25.
>> Exemple n° 121 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 1-8.
1. Jürgen Schläder, « Der schöne Traum vom Ideal. Die künstlerische Konzeption in
Franz Liszt letzter symphonischer Dichtung », op. cit., p. 47-62.
Neuvième chapitre 475
>> Exemple n° 122 : Johannes Brahms, « Wiegenlied », op. 49, n° 4, mes.
3-6 (éd. Dover).
1. Liszt a d’ailleurs déjà donné une impression de musique de chambre dans l’utilisation
de l’orchestre dans les introductions de ses oratorios La Légende de Sainte Élisabeth et
Christus (note personnelle).
476 TROISIÈME PARTIE
>> Exemple n° 123 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des Zukünftigen
Lebens » extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 282-295.
>> Exemple n° 124 : F. Liszt, « die Wiege » extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 25-31.
1. Si nous déterminons ici une allégorie, nous n’avons cependant pas trouvé sa corres-
pondance musicale dans l’œuvre de Liszt.
2. Ungarischer Historienmaler (geb.1827) [note de la Mara].
480 TROISIÈME PARTIE
1. Keith T. John, « Von der Wiege bis zum Grabe », op. cit., p. 70.
Neuvième chapitre 481
>> Exemple n° 125 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 51-58.
Elles renvoient ici à M1, tant par le balancement que par l’intervalle.
Les broderies se retrouvent présentées comme dans A1 mesure 77, au
second violon et en mouvement contraire à l’alto. De même, elles seront
l’élément principal de la fin du premier mouvement.
I. La quarte juste est le troisième élément mélodique important de l’in-
troduction ; elle termine M1b, contribuant à renforcer l’ambiguïté tonale
perçue par l’auditeur. Elle commence – exception faite du sol# appog-
giature – M3, qui est donc fondé sur les mêmes intervalles que M1b,
mais dans le sens contraire. Toujours issue de ce motif, la seconde incise
de A1 est fondée sur un ambitus de quarte, intervalle caractéristique de
M1b. Cependant, M1b contient également, comme nous l’avons déjà
mentionné, des appoggiatures, qui, mélodiquement, peuvent engendrer
des chromatismes retournés (sol#-la-sol bécarre) et ainsi avoir une parenté
avec la deuxième partie du thème c’est-à-dire A2. Il n’est donc pas surpre-
nant que Liszt termine son mouvement sur ce motif (M1b), en lui ajoutant
une dernière courte broderie, intervalle caractéristique de M2 : il réalise
ainsi la synthèse mélodique de tous les principaux éléments intervalliques
utilisés.
482 TROISIÈME PARTIE
>> Exemple n° 126 : F. Liszt, « Die Wiege », extrait de Von der Wiege bis
zum Grabe, mes. 122-fin.
Par ailleurs, si la première pièce de Von der Wiege bis zum Grabe est
entièrement fondée sur les mêmes intervalles et les mêmes motifs, il en est
de même pour les deux autres mouvements.
Les deux thèmes « Der Kampf um’s Dasein » se réfèrent respective-
ment à M1 et à M2. Ainsi, le thème B offre au début de l’œuvre le même
profil que M1a. (mes.1-2). Puis il renvoie à M2 pour la broderie et M1a
pour le saut de tierce (mes. 141-142). D’ailleurs, lorsqu’il sera superposé
à C, le second thème de ce mouvement, il sera entièrement composé de
tierces (mes. 168 et suivantes). Quant à la première présentation de C, elle
évoque sans conteste M2, tant par les broderies mélodiques que par les
tierces superposées :
Neuvième chapitre 483
>> Exemple n° 127 : F. Liszt, « Der Kampf um’s Dasein », extrait de Von
der Wiege bis zum Grabe (mes. 149-155).
Tout le mouvement est bâti sur une confrontation de ces deux thèmes
avant de terminer sur une courte coda, aux timbales, elle-même formée de
tierces, renvoyant encore directement à M1 :
484 TROISIÈME PARTIE
>> Exemple n° 128 : F. Liszt, Coda de « Der Kampf um’s Dasein », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 269-fin.
Neuvième chapitre 485
>> Exemple n° 129 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des Zukünftigen
Lebens » extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 378-384.
486 TROISIÈME PARTIE
Le motif M1a est le plus étendu dans une présentation variée du thème
A1. Cette fois, il appartient au registre des thèmes « macabres » – si l’on
se réfère à l’appellation de Márta Grabócz – par l’indication dolente, et par
l’adjonction de chromatismes descendants. (cf. mes. 313 et suiv.) La tierce
ascendante du motif est bien mise en valeur. De même, on retrouve ce
début de thème à la mesure 347 aux violons II et altos :
>> Exemple n° 130 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes.347-350.
>> Exemple n° 131 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes.418-425.
>> Exemple n° 132 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen
Lebens », extrait de Von der Wiege bis zum Grabe,
mes. 367-372.
Ainsi le matériau employé par Liszt est-il omniprésent dans les trois
mouvements. Le compositeur a travaillé musicalement ses motifs afin
d’élaborer une composition très originale. Aussi sommes-nous en total
désaccord avec les commentateurs qui évincent cette facette, voire qui la
nient, comme Antoine Huré et Claude Knepper qui écrivent :
Ainsi les trois phases de la vie s’enchaînent-elles dans cette œuvre sans lien
organique ni continuité ; aucune d’entre elles (aucun des mouvements) n’est
structurée autour d’une tonalité ni d’une thématique véritable ; des fragments
de motifs sans personnalité ni développement se succèdent et s’anéantissent :
le Combat pour la vie meurt sur un glas funèbre ; le Berceau et l’ascension
finale, sur la nuance perdendo.1
Liszt ne souhaitait pas vraiment développer ces motifs, comme il l’écrit
à la Princesse Sayn-Wittgenstein dans une lettre de Magdebourg datée du
samedi 11 juin 81 :
Les motifs [ceux de Von der Wiege…] ne m’en déplaisent point – je
les développerai peut-être en écrivant la partition, malgré mon antipathie
croissante contre les obésités polyphones, auxquelles ma maigreur ne s’adapte
guère.2
Cependant, nous pouvons constater que ces motifs et [non ces « bribes
de motifs »] se transforment tout au long de l’œuvre, selon des « liens orga-
niques » évidents, comme nous l’avons démontré.
1. Nous avions déjà explicité cette idée chez Liszt dans notre article « Isoldens Liebestodt :
Mort… ou Transfiguration ? », Quaderni del Istituto Liszt n° 2, p. 39-44.
2. Patrick Otto, « Originalité du dernier poème symphonique Von der Wiege bis zum
Grabe », op. cit., p. 116.
3. Nous tenons ici à remercier Cornelia Szabo-Knotik d’avoir attiré notre attention sur
ce point.
490 TROISIÈME PARTIE
du dessin, puisque la partie basse qui contient les pieds de l’individu assis
ne ressort que très peu, à cause d’une absence d’éclairage. En revanche, la
partie supérieure baigne d’une lumière surnaturelle qui descend du ciel
et irradie les anges ainsi que le haut du personnage. En ce sens, l’oppo-
sition entre la partie éclairée et la partie sombre justifie le titre de Liszt :
la personne si songeuse, de prime abord, peut effectivement être tiraillée
entre les éléments terrestres et les attirances divines. Cela engage chez lui
une lutte intérieure, que Liszt a qualifiée de « combat pour l’existence ».
Zichy a offert ce dessin à Liszt en témoignage de sa reconnaissance.
Reconnaissance d’un artiste à un autre artiste qu’il considérait comme le
médiateur entre Dieu et les hommes. L’allégorie centrale peut tout à fait se
lire dans ce sens. Liszt, lui, traduit le dessin comme l’évolution d’une vie
humaine, avec ses difficultés et ses combats pour accéder à la Vie éternelle.
D’un message personnel, le dessin prend ici un sens universel religieux.
Si la méthodologie panofskienne employée a permis de mettre en
parallèle les points de convergence entre l’œuvre graphique de Zichy et
l’œuvre musicale de Liszt, elle reste cependant relativement impuissante
pour révéler les spécificités musicales, en particulier la forme. La « forme
du contenu » comme dirait Dahlhaus est évidemment spécifique à l’œuvre
lisztienne, même si elle semble offrir des similitudes avec des éléments
de la construction graphique. C’est ce que nous allons essayer de préciser
maintenant.
1. Patrick Otto, op. cit., n. 33 p. 121. Le sol dièse est en effet très présent.
494 TROISIÈME PARTIE
M1a M1b M2 M3
cf. M1b
Caractéristi- Tierces Tierce quarte Broderie seconde
app. inférieures
ques rythme pointé rythme pointé rythme pointé
chromatismes
M1a +
M1b + +
M2 harm. +
M3 + + +
Th. A1 + + +
Th. A2 + + +
Th. A1’ + + +
Th. A2’ + + +
Th. B profil + +
Th. C harm. +
Choral + amplification
1. Márta Grabócz, Morphologie des œuvres pour piano de Liszt, influence du programme
sur l’évolution des formes instrumentales.
Neuvième chapitre 495
en place par Márta Grabócz1 tant l’évolution formelle dépasse les cadres
traditionnels.
La structure est ici particulière, fondée sur le rappel de tous les thèmes
et motifs précédemment entendus. Elle s’appuie sur la juxtaposition de ces
différents éléments présentés dans des caractères et des tempi nouveaux.
Ainsi, la tête du thème B – fondée elle-même sur M2 – est transformée à la
fois d’un point de vue intervallique, le triton remplaçant la quarte initiale,
et à la fois à cause du tempo. En effet, dans le second mouvement ce thème
était présenté agitato rapido, tandis qu’il sonne ici dolente dans un tempo
Moderato quasi Andante. C’est toujours dolente qu’intervient ensuite le
thème A chromatisé, cette fois, pour mieux faire ressentir l’impression de
deuil, jusqu’à la mesure 345. C’est en effet la douleur, la perte d’un proche
que commentent cette introduction et cette première séquence appar-
tenant à l’isotopie « macabre ». Liszt illustre ainsi la première partie de
son titre : « de la tombe ». Afin peut-être d’accentuer la transition entre le
monde terrestre et le monde céleste, la tonalité n’est pas définie.
Les repères auditifs ne s’établissent franchement qu’à partir de la
mesure 346 où le thème de la variante A du premier mouvement – initiale-
ment à la flûte – sonne en ré bémol majeur. Le hautbois s’ajoute à la flûte,
les cordes accompagnent toujours. Le caractère pastoral est ici évident.
C’est d’ailleurs l’isotopie de ce passage. Liszt emploie de subtils chroma-
tismes, et brode l’accord de sixte et quarte avec une septième diminuée –
d’ailleurs comme dans le début des Préludes – mes. 351 et suiv. Il présente
ensuite son thème en la majeur avant une courte élimination et une tran-
sition en la mineur sur les motifs M2 puis M3 – sans les appoggiatures
– en écriture canonique. Cette transition aboutit également à une courte
élimination…
La troisième grande section appartient à la catégorie des isotopies reli-
gieuses. En effet, le thème dolce cantando – qui est le thème C du second
mouvement – frappe par sa douceur et sa couleur modale qui le rapproche
davantage du mode de do que de do majeur proprement dit. D’ailleurs,
les quintes parallèles lors de l’élimination ne sont-elles pas une signature
modale ? De même, le choral de la mesure 410 sonne en mode de do
également.
Survient alors une « lutte macabre » avec tout d’abord le thème A et
puis le B, respectivement de tonalité indéfinie puis sur dominante de mi
mineur. L’indication marcato pour les deux thèmes ainsi que le chroma-
tisme accentuent l’aspect macabre. La transition sur M2, aux cordes qui
alternent l’archet avec les pizzicati, impose une atmosphère mystérieuse.
Puis intervient la dernière section, fondée sur les motifs initiaux et le
thème A. Le caractère est plutôt doux grâce à la nuance piano, aux valeurs
rythmiques simples et longues, ainsi qu’au registre aigu des cordes, des bois,
et des cors. L’isotopie est ici panthéiste (- religieuse ?) pour terminer sur
une courte coda au violoncelle, coda qui récapitule les trois motifs débu-
tant la première pièce « Die Wiege » et illustrant ainsi la seconde partie du
titre lisztien « Berceau de la vie future ». Il faut ici noter que, d’un point de
vue harmonique, la tonalité de do# majeur est nettement affirmée lors de la
présentation du thème A, tandis que la coda offre une ambiguïté entre mi
et do#. Cette ambiguïté se manifeste dans les armures des instrumentistes
qui ont soit sept, soit quatre dièses. De plus, on retrouve la notion de tierce
qui avait envahi tout le premier mouvement.
Comme dans les cercles de Zichy, la boucle est bouclée et Liszt a
illustré musicalement l’histoire d’une vie terrestre qui aboutit à… une Vie
céleste…
Conclusion
Le dernier poème symphonique de Liszt offre une similitude structu-
relle avec l’œuvre graphique de Zichy dont il s’inspire. En effet, tous deux
s’appuient sur une division tripartite : du temps pour l’un, de l’espace pour
l’autre. Dans les première et troisième pièces, le compositeur traduit fidèle-
ment l’atmosphère des scènes représentées ainsi que les sujets eux-mêmes :
berceau et mort sont en effet au rendez-vous. En revanche, la seconde laisse
entrevoir un aspect belliqueux absent de la scène supérieure du dessin.
En matière de procédés, l’harmonisation chromatique qui alterne avec
les accords diatoniques peut tout à fait répondre aux effets contrastants
de clair-obscur présents dans l’œuvre de Zichy. Par ailleurs, l’évolution
du matériau musical – même si cette manière de composer est loin d’être
unique dans le répertoire lisztien – peut renvoyer à l’évolution du même
individu dans le dessin du Hongrois.
Mais le contenu des deux œuvres semble différent. En effet, Zichy a de
toute évidence voulu rendre hommage à Liszt. Cet hommage est personnel,
individuel, marquant le rôle décisif de l’artiste « voyant » pourrait-on dire
en empruntant des termes rimbaldiens, c’est-à-dire de l’artiste médiateur
498 TROISIÈME PARTIE
entre Dieu et les hommes. Même si Liszt l’a parfaitement saisi, comme
en témoigne sa correspondance, son œuvre semble comporter un message
plus universel, illustrant les difficultés de la vie terrestre pour accéder à la
Vie éternelle. Le message de Liszt a donc une portée religieuse universelle.
Si les correspondances avec l’œuvre de Zichy semblent pouvoir s’éta-
blir assez aisément, la forme musicale de Von der Wiege bis zum Grabe
nécessite, elle, une étude à part entière, malgré l’évolution cyclique qui la
caractérise et la rapproche de son modèle visuel. Échappant à toute défi-
nition traditionnelle, elle a obligé l’analyste à se référer à des « isotopies »
dans le sens employé par Márta Grabócz pour définir son déroulement
qui part de la vie terrestre par la naissance pour aller jusqu’à la Vie céleste,
après la mort. Ne serait-ce pas une forme d’Idéal vers laquelle tendrait
chaque individu ?
Liszt écrivait d’ailleurs dans sa lettre du samedi 11 juin 81 adressée à
la Princesse Sayn Wittgenstein, à la suite de l’évocation de Von der Wiege
bis zum Grabe :
Exprimer l’Idéal en musique, quel beau rêve ! Je le poursuis – Beethoven et
d’autres grands maîtres, y compris notre ami Berlioz, l’ont atteint parfois !1
Il apparaît que Liszt a tenté, dans son dernier poème symphonique,
d’atteindre l’Idéal. Contrairement à son modèle d’inspiration, il n’a
cependant pas omis d’évoquer musicalement et littérairement les diffi-
cultés matérielles pour y accéder, grâce à la confrontation de deux thèmes
dans son second mouvement auquel il a donné le titre : « Le Combat pour
l’existence »…
1. La Mara (éd.), lettre 321 datée du samedi 11 juin 1881, Magdebourg, op. cit.,
p. 320-321.
Neuvième chapitre 499
1. Nous n’en dresserons cependant pas la liste, car chaque œuvre étudiée dans notre
essai l’a été pour elle-même et en elle-même. Écrire ce type de catalogue équivaudrait à
prendre ces résultats comme uniques, et surtout comme des références. D’autres richesses
attendent les chercheurs dans la comparaison d’œuvres encore non analysées.
Conclusion 507
Nous avons concentré notre travail sur la musique de Liszt, dont les
œuvres s’inscrivent tout au long du xixe siècle ; la musique tonale répond
alors aux arts figuratifs. Cependant, le langage musical aboutira à l’atona-
lité, au début du xxe siècle. De même, l’histoire des arts visuels a évolué
Nous espérons donc que notre travail suscitera chez le lecteur l’envie
d’écouter, de jouer et de « voir » autrement la musique de Liszt. En un
mot, de pouvoir dire grâce à lui : « je vois ce que j’entends »…
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131 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes.418-425...........................487
132 : F. Liszt, « Zum Grabe : die Wiege des zukünftigen Lebens », extrait
de Von der Wiege bis zum Grabe, mes. 367-372..........................488
Index des noms
et des œuvres musicales
et visuelles cités
Les numéros entre parenthèses renvoient à la place des notes de bas de
pages. Les noms présents dans les remerciements et les préfaces ne sont pas
indexés, de même que ceux de la bibliographie.
Blandine (fille de Liszt), 44, 93, 65, 71, 271, 386, 383, 389,
95 (2), 444 (1) 398, 401, 406, 417, 428,
Boileau, P., 48 440, 441, 442, 505
Boisselot, 105-106 Thébaïde, 398
Boissier, V., 102 Bülow, H. von, 91 (2), 93, 297,
Bonaparte, L.N., (prince prési- 392-393
dent), 99 Burger, E., 249 (2)
Bongrain, A., 10, 250 (2,3)-251 Bürger, G.A., 174
(1), 254-256 (1), 291 (1), 320 Buttkeuitz, 70
(1), 325-326 (1), 330, 452-453, Byron, Lord, 44-45, 53, 212, 322
455-457 (1), 475-476 (1)
Bosseur, J.-Y., 34 (8, 10) c
Bouton, 105 (2) Canova, 80 (3)
Boyer, R., 298 (4)-299 Caravage, 353, 466
Bragard, R., 420 Cassirer, E., 21, 163, 242, 286
Brahms, J., 48, 50-51, 474-475 Cattaneo, G., 342
Première symphonie, 48 Cavallino, 139
Wiegenlied, op. 49 n°4, 475 Celanza Harwell, A.H., voir
Brascassat, 94 Harwell Celenza,
Brendel, 42, 48-50, 52 Cellini, B., 54-55 (1), 151 (2),
Brentano, 97 (3) 227 (2)
Bresgen, C., 82 Cennini, C., 232
Brion, M., 278 (1, 3) Chabrier, E., 366
Brizio, A.M., 153-154 Chagall, 71
Bronsart, 52 Chantavoine, J., 27 (2), 47(1),
Brozzi, A., 341 75(2), 103 (4), 132 (2), 401(1)
Bruhn, S., 34 (9)-35 (5) Charisius, 437
Brunel, P., 531 Charles, D., 10, 160
Buck, S., 73 (1) Charles X, 69
Buffalmacco, B., 31, 65, 67, 271, Charnin Mueller, R., 205,
338, 387, 394, 398, 404, 406, 342-343, 386-387, 391-392
412, 417, 425, 438, 440-441, Chassériau, 28
444, 505 Chastel, A., 135 (2), 147 (2), 275
Dit des Trois Morts et des Trois (3, 4)-276
Vifs, 398, 423, 425 Chateaubriand, F.R., 74 (1)
Jugement dernier, 398, 438 Chaun, H., 82
Le Triomphe de la Mort, (ou Chopin, F., 9, 28, 56 (2), 75, 94,
Il Trionfo della Morte) 31, 315 (3), 319
546 TROISIÈME PARTIE
Eigeldinger, J.-J., 27, 35, 43, 75 Fra Beato, 27, 75, 77, 400
(6), 139 (1), 205, 314,315 (1, Francia, 27, 75, 77, 400
3), 318, 343 (2), 346 (1), 358 Frédéric II (empereur de
(1), 360 (1), 362 (1), 367 (2), Hohenstaufen), 217, 302
374(3), 375-376 (1) Frellon, J., 72-73
Eisenmann, W., 82 Fromilhague, C., 443 (2)
Elsa, 267 Fürstenau, W., 82
Enée, 279
Ernst, M., 70, g
Escal, F., 343 (4), 344 (2) Gadamer, H.G., 72 (1)
Eschenbach d’, W., 128 Garcia, 28
Eurydice, 289, 291 Gautier, L., 100 (1),
Ewals, L., 92 (3), 121 (3) Gautier, T., 174
Genelli, B., 32, 67, 106
f
Gentileschi, 139
Faltus, 72 Giotto, 368
Fauré, G., 474 Giovanni (Fra), 236
Faust, 30 (5), 32, 53, 57-61, Girardin, (de) Mme E., 155
67, 121-123, 169, 232, 371,
Gluck, C.W. von, 31, 67-68, 70,
383-384
288
Fernandez, D., 76 (1)
Orphée et Eurydice, 288
Ficino, 112
Goethe, W. von, 27 (1), 28,
Fink, M., 32, 33 (1), 34 (4), 63 32, 57 (1), 58-59, 61, 65, 76,
(1), 64 (1, 2), 65-66 (1), 67 (1), 86-87, 121-123, 150 (3), 169,
71 (1), 72 (2), 78 (4), 82 (2), 212, 243 (1), 244-245, 273,
83 (3), 85 (1), 107 (2), 118 (2), 292-293 (1)
121 (2), 122 (1), 325 (2), 329
Gottschalg, A.W., 116, 192
(1)
Gounod, 123 (2)
Finke, 72
Gozlan, L.-L., 251-252 (2)
Finscher, L., 41 (1)
Grabócz, M., 30 (4), 35 (4), 44
Fischer, M., 34
(2), 59 (5), 60 (2), 61 (1, 3),
Flandrin, 94 198, 207, 235 (2), 237 (1, 2),
Flaubert, 321 242 (1), 268-269 (1), 294 (3),
Fleckniakoska, J.-L., 35 308 (2), 309 (1), 346 (3), 364,
Floch, J.-M., 466 (1) 367 (1), 373 (1), 375, 377 (1),
Floros, C., 59 (2, 4), 61 (2) 380, 468, 486 (1), 494 (1), 496
Förster, J.-B., 82 (1), 498
Fortoul, H., 389 (2) Grand-Duc Carl Alexander,
114-115 (1), 117 (1)
548 TROISIÈME PARTIE
Maur, Karin von, 31 (1), 32 (3), 307-308 (1), 311-312 (1), 317,
34 (3) 319, 342, 346, 401
Maximilien Ier (Empereur du Chapelle Sixtine, 108, 109,
Mexique), 403 113, 114, 117, 119, 214,
Maxwell, M., 403 403
Médicis, Cosme, (Duc de), Cosme, 111, 112, 226
111-112, 279, Damien, 111, 112, 226
Médicis, Julien, 71, 108-109, Il Pensieroso, 67, 71, 79, 201,
111-112, 210, 213-214, 225, 203, 204, 224-225, 226,
274, 307, 280, 307, 308
Médicis, Laurent (dit le L’Aurore, 210, 225
Magnifique), 71, 108-109, La Notte, 13, 24, 67, 71,
111-112, 135 (2), 147 (2), 201-203, 210-211,
204-205, 210, 213-214, 225, 224-225, 226, 278-280,
274, 307, 314, 344 282, 311
Meeùs, N., 30 (2) Le Crépuscule, 210, 225
Melanchthon, Ph., 429 Le Jour, 210, 214, 225
Mendelssohn, F., 28, 50, 57 (1), Tombeaux des Médicis, 66,
332 110
Meeresstille und Glückliche Jugement dernier, 82, 113,
Fahrt, op. 1 n° 27, 57 115, 214
Songe d’une Nuit d’Été, 57 Tombeau des Magnifici, 112
Symphonie écossaise, 57 Madone Medicis, 112
Symphonie italienne, 57 Mignard, 139
Mérimée, 174 Mirimonde (A. Pomme de), 139
Merrick, P, 96 (1), 97 (1, 2), 101 (1)
(2), 299, 333 (1) Miscimarra, G., 29, 98, 235-236
Meyerbeer, 28, 50, 94, 242 (2), 238 (2)
Quarante mélodies, 242 Mohnike (docteur), 437
„Voeu pendant l’orage“, 242 Moïse, 80
Meyerdorff von, O., 96 Molteni, G., 342
Mezentius, 279 Montalembert de, C., 32, 64,
Michel-Ange, 27, 31, 66-67, 71, 98-101, 124 (1), 125 (1), 126
74-75, 77, 79-81 (1), 82, 103, (1, 2, 3), 127 (1, 2), 128-129
109-110 (1), 111-113, 115, (1), 297-298 (1), 299, 302
117, 151, 199-201 (1), 202, Histoire de Sainte Élisabeth de
204 (1), 205, 211, 213 (3)-214, Hongrie, 99
225 (1), 274 (1), 275 (2), Mooser, 434
277-278 (1,2), 279-280, 282, Morellet, F., 34 (9)
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 555
364-365, 371, 373, 383, 388 Raphaël, 27, 29, 31, 36 (1), 64,
(4)-389, 394, 404, 418 (1), 428, 67, 71 (2), 74-76 (3) 77-78, 80,
451, 458 (1), 470 (1), 504-505, 82, 84, 94-95, 109, 118-119,
507 (2)-508 130-132 (4), 133 (1, 3),
Paolo (Fra), 236 134-135 (1), 136 (1,2)-137,
Pascal Ier (Pape), 139 139-140 (1), 141 (1), 142
Passavant, J.-D., 135-136 (1), (2), 143 (2), 144 (2), 145 (1),
341-342 (1), 353 (1), 355 146-147 (1, 3), 148, 149 (3),
150 (1, 2), 151 (1), 153-154 (1,
Patersi, 94
2), 157-158 (3), 173-174, 247,
Pétrarque, 28, 364 338, 341-342 (1), 344-346 (2),
Petrovics, E., 86 347-349, 352-353 (1), 354 (1,
Pforr, F., 95 3)-355 (1, 2), 358, 360-361,
Phidias, 84, 151 363-368, 371, 373-374, 377,
Pic de la Mirandole, G., 274 (1) 379-381 (2), 503, 506
Pise, de J., 27, 75, 77, 400 La Madonne d’Alba, 77
Pitt-Rivers, F., 74 (2, 3), 75 L’incendie du Borgo, 173
(1)-76 (2), 79 (2) Sainte Cécile, 36 (1), 71 (2),
Plantinga, L., 347 (1), 351 (1, 2), 74, 77, 94, 109, 130-137,
356 (2), 357 140-151, 153-154, 158,
Pocknell, P., 98 (2), 235 (3) 247, 365, 381 (2), 503
Pohl, R., 52, 59 (1), 384-385 (1), Sposalizio (ou le Mariage de la
386 Vierge), 16, 24, 27 (1), 29,
64, 67, 71, 74, 76, 97, 118,
Poirier, A., 297 (1)
119, 157, 338, 341, 344,
Prince Eugène, 76 346, 347, 349, 354, 364
Pruckner, D., 90, 392-393 Vierge Sixtine, 135
Pucci A, 147 Rauch, 88
Pucci, L., 132 Ravel, M., 474
Pungileoni, 354 Réau, L., 137 (2), 139 (2), 368 (1)
Redepenning, D., 58 (1)
r
Reinisch, F., 265 (1), 298 (3), 303
Raabe, P., 59 (3), 155, 251, 453 (2)
(2, 3)
Rembrandt, 353
Raczynski, A. (comte), 120
Reményi, 191
Raff, 393
Réni, G., 147
Ramann, L., 32 (6), 53 (3), 96,
Ricketts, A., 213 (3)
122 (4, 5, 7, 9), 132 (1), 318
(2), 386 (1) Ricossa, L., 436 (4)
Riegl, 163
Index des noms et des œuvres musicales et visuelles cités 557
Sue, E., 44 v
Szabo-Knotik (Voir également Vackar, T., 82
Knotik), C. 70, 122 (3), 293 Valérien, 137-139
(3), 489 (3) Vandenesse (de), M., 74
Szinyei Merse, P., 85 Varnhagen, 88
t Vasari, 95, 131-132, 140 (2), 142
(1), 143 (1), 144(1), 148(2),
Tasso, 212, 289, 391 342(2), 354 (1)
Tenerani, 95 Vecchi, (de), P., 154 (1), 355 (1)
Tervarent (de), G., 168 (1), 246 Venantius Fortunatus, 250
(3,4), 273 (2)
Vénus, 242
Teyssèdre, B., 163 (1), 164 (1),
Viardot, P., 28
197, 231 (2), 273 (3), 371, 433
Vier, J., 92 (2)-93 (2)
Thalberg, 92-93 (1), 390
Vierge (Marie), 21, 64, 74, 76,
Variations sur les thèmes de la
103, 112, 119, 121, 135, 140,
7e Symphonie de Beethoven,
157, 188, 226, 338, 342, 345,
391 (1)
347-348, 352, 365-368 (1),
Théodoric, 174-175, 182, 320, 371-372, 374, 379-380, 503
333
Vigny, A. de, 28, 44
Thierry, E., 389 (4)
Viret, J., 240 (1), 360 (3), 381 (1)
Thomson, P., 403 (3)
Virgile, 81 (2), 105-106, 213 (1),
Tiburce, 137-139 279-280, 317-319
Tieck, L., 76, 441, 442 (3) Vite (de), B., 137
Titien, 22, 25, 27, 75, 77, 153, Vogelweide (von der), W., 128
400
Voragine, J. de, 29, 148
Todorov, T., 243 (2), 244 (1, 2),
245 (1), 246(1) w
Touszele, J. (de), 72 Wackenroder, 76
Traini, F., 31, 386 (2) Wagner, R., 50 (2), 57, 117-118
Tranchefort, F-R., 204 (2) (1), 123 (1), 171, 191, 194,
Trechsel, G., 72 267(2), 279, 303, 370, 444,
Trechsel, M., 72 Faust Ouvertüre, 123
Lohengrin, 265 (1), 267 (2),
u 298 (3), 303 (2)
Udine (Da), G., 148 Tristan und Isolde, 203
Uhland, 121 Vaisseau fantôme, 123
Ujfalussy, J., 388 (3), 413, 414 (1) Waldmüller, F. G, 85
Ungher, 28
560 TROISIÈME PARTIE
Walker, A., 45, 49 (2, 3)-50 (1), Wittgenstein, M., 88, 90, 93,
52 (2), 55 (2), 96 (2), 115 129-130
(2), 132 (1), 155 (2), 217 (1), Wolff, H.C., 82
221-222 (1), 248 (1)-249 (1), Wölfflin, 163, 352 (1)
289 (2), 320 (3), 347 (2), 401 Worringer, 197
(2), 434 (2), 439-440
Warburg, A., 163 y
Way, E., 346 (2), 355 (2) Yong, 71
Weber, C. M. von, 54, 403
Konzertstück, 403 z
Weber-Caflisch, A., 170-172 Zichy, G. (Comte de), 87, 452
Weissenbacher, C., 370 (1, 2) Zichy, M., 31, 66, 70, 85, 87,
Weyden (Van der), R., 165-166, 118, 339, 445, 451-454,
170, 173, 228 458-460, 462, 464-466,
Vision des Rois Mages, 165, 469-471, 473, 476-480,
172 489-491, 497-498, 505
Wilson, K., 356 (1) Du Berceau au Cercueil, 70,
Winckelmann, 76 (3) 85, 479, 480
Wittgenstein, C., 32, 88, 90-91 Le Génie de la destruction, 86
(1), 93, 102, 107, 122, 129, Oratorium, 480
255 (2), 270 (1), 318 (2), 436, Saumes, 480
451-452 (1), 454, 479, 488, Zwetzen, de R., 128
498 Zwingenberger J., 73 (4)
Table des matières
Remerciements.................................................................................. 9
Avertissement................................................................................... 13
Introduction.................................................................................... 27
Première partie
Deuxième partie
Réflexions préalables : Espace et temps dans les arts visuels
et la musique................................................................................. 157
Troisième partie
Justification des œuvres choisies.................................................... 337
Religion : Sposalizio.............................................................................338
Mort : Totentanz..................................................................................338
Art : Von der Wiege bis zum Grabe........................................................339
Conclusion.................................................................................... 509
Bibliographie
Sources consultées...............................................................................509
Partitions manuscrites ou annotées de la main de Liszt................................. 509
Sources littéraires éditées............................................................................. 510
Écrits et correspondances de Liszt................................................................. 511
Partitions (éditions modernes).............................................................512
Études générales sur les arts, la musique
et l’analyse musicale.............................................................................. 514
Ouvrages et articles esthétiques et littéraires.........................................515
Ouvrages et articles sur la musique à programme.................................518
Ouvrages et articles sur Liszt et ses œuvres...........................................519
Ouvrages et articles sur Liszt....................................................................... 519
Ouvrages et articles spécifiques sur des œuvres de Liszt................................... 522
Ouvrages iconographiques........................................................................... 522
Ouvrages et études autour de Sposalizio,
Sainte Cécile (Raphaël et Liszt)......................................................523
Ouvrages et études sur Raphaël et son œuvre................................................. 523
Ouvrages et études sur Sainte Cécile............................................................. 524
Ouvrages et études sur le Sposalizio de Liszt................................................. 524
Ouvrages et études sur Il Pensieroso et la Notte
de Liszt, Michel-Ange et ses œuvres...............................................524
Ouvrages et études sur Michel-Ange............................................................. 524
Ouvrages et études sur le Il Pensieroso et La Notte......................................... 525
Ouvrages et études autour de A la Chapelle Sixtine
de Liszt................................................................................................ 525
Ouvrages et études autour de la Faust Symphonie
(Ary Scheffer, Liszt, Goethe)..........................................................526
Ouvrages autour de Bonaventura Genelli............................................527
Table des matières 571
La passion de Liszt pour les arts est essentielle : il ne peut regarder certaines œuvres
illustration : Liszt © Christian Fattelay
sans les mettre en musique. Ses écrits, lettres et articles révèlent sa culture et sa
connaissance de l’art et du milieu artistique. Son texte sur la Sainte Cécile de
Raphaël, par exemple, dévoile ses talents de critique et d’observateur méthodique.
Son regard semble procéder à l’instar de celui de Panofsky un siècle plus tard.
Grâce à ce rapprochement, l’auteur de ce livre a pu présenter l’ensemble des œuvres
de Liszt inspirées d’arts visuels, notamment Sposalizio, Totentanz, Von der Wieger
bis zum Grabe, qui reflètent ses préoccupations principales que sont l’art, la religion
et la mort.
LAURENCE LE DIAGON-JACQUIN, agrégée d’éducation musicale, licenciée d’histoire de l’art, est maître de conférences
à l’Université de Rennes II en histoire de la musique et dirige la publication de la gazette interdisciplinaire internationale
Le Paon d’Héra / Hera’s Peacock aux éditions du Murmure.
Depuis 1876
9 782705 668150
www.editions-hermann.fr 45 €