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Chopin

Vie et œuvre
Du même auteur :
π Nouvelles
Les Madrigaux de Bellone, éditions France-Univers, 2008
π Musicographie
L’opéra tout simplement, éditions Eyrolles, 2008
π Traduction
Les Amours de la belle Maguelonne et du comte Pierre de Provence, de Ludwig TIECK
traduit de l’allemand, éditions Alvik, 2005

Enrigistrement disponible :
Hector BERLIOZ – Nuits d’été
Richard WAGNER – Wesendonk-Lieder
1 CD Tam Attitudes (info@tam-attitudes.com)
Sylvie OUSSENKO - Mezzo-soprano
Noël LEE – Piano

À paraître :
Recueil de poésies, éditions France-Univers
Traductions de l’allemand : Ludwig TIECK : Mélusine et les fils Aymon, éditions
Grèges
Sylvie Oussenko

Chopin
Vie et œuvre

Préface de Dominique Fanal


Éditions Eyrolles
61, Bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Mise en pages : Istria

Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressé-


ment la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or,
cette pratique s’est généralisée notamment dans les établissements d’ensei-
gnement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la
possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire
éditer correctement est aujourd’hui menacée.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiel-
lement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’éditeur
ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006
Paris.
© Groupe Eyrolles, 2009
ISBN 978-2-7081-3744-8
Sommaire
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Première partie : La naissance d’un prodige (1810-1830) . . . . . . . . . . . 19
Chapitre 1 : Enfance (1810-1825) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Chapitre 2 : Apprentissage et premières compositions (1825-1829) . . . 27
Chapitre 3 : L’année de l’épanouissement (1829-1830) . . . . . . . . . . . . . 35
Deuxième partie : Les voies de la gloire (1831-1844) . . . . . . . . . . . . . .43
Chapitre 4 : Interlude au centre de l’Europe (1830-1831) . . . . . . . . . . . .45
Chapitre 5 : Paris (1831-1833) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Chapitre 6 : Maria (1834-1837) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Chapitre 7 : George Sand (1838-1839) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Chapitre 8 : L’impulsion de Nohant (1839-1841) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .89
Chapitre 9 : L’approfondissement (1842-1844) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .99
Troisième partie : La rançon de la gloire (1844-1849) . . . . . . . . . . . . .111
Chapitre 10 : L’accomplissement (1844-1847) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Chapitre 11 : Une triste fin (1848-1849) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Cahier de correspondance entre Chopin et George Sand . . . . . . . . . . . 143
Catalogue des œuvres de Chopin publiées de son vivant . . . . . . . . . . 157
Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
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Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

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Préface
Quand mon amie et partenaire de longue date – cantatrice et écrivain –
Sylvie Oussenko m’annonça qu’elle aurait un livre à écrire sur Frédéric
Chopin, une petite voix intérieure s’éleva en moi, non sans cette malice
un peu perverse qui vous pousse à parfois vous moquer de vos propres
amis, et, comme La Bruyère – si mes souvenirs sont exacts – nous
l’assène perfidement en liminaire de l’un de ses plus célèbres chapitres
des Caractères, c’est « tout est dit et l’on vient trop tard » qui me revint
soudain à l’esprit.
Rubinstein et notre Samson François lui-même, et Bernard Gavoty,
Marcel Beaufils, Jean Rousselot, Camille Bourniquel, Alain Duault – sans
compter le remarquable abbé Carl de Nys – n’ont-ils pas déjà tout dit et
écrit sur Chopin (et nous en omettons mille autres) ? Nos bibliothèques
sont pleines, déjà, d’écrits, d’études, de critiques, d’analyses, d’enquê-
tes sur la vie et la musique de « l’homme de Nohant », de lettres en tous
genres (une Correspondance de Marie d’Agoult et de George Sand fut
récemment publiée), voire de romans à l’eau de rose parfois inspirés de
l’existence même (assez peu commune) de Frédéric Chopin.
Il fut tant écrit, en vérité, sur lui.
Il faut dire que le compositeur – comme son œuvre – a de quoi surpren-
dre, de quoi charmer, de quoi intéresser, de quoi passionner.
En même temps, on a beaucoup simplifié et schématisé le parcours
pourtant souvent sinueux de nos compositeurs romantiques d’outre-
Rhin, voire d’outre-Vistule !
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On a stigmatisé Beethoven et sa surdité, et on voulut en faire une sorte
de vieux lion solitaire rugissant dans son coin entre deux amours
malheureuses, on dépeint volontiers Schubert comme un syphilitique
boutonneux hantant – en quête de quelque aventure, ou simplement à
la recherche d’un bon saucisson arrosé d’un vin blanc viennois bien frais
– les auberges de Grinzing, on simplifie et réduit trop souvent Schu-
mann, au double visage de Janus, habité d’un Florestan et d’un Eusebius
sans cesse querelleurs, et qui (déchiré entre lui et lui-même) finit par
aller se jeter dans les eaux bouillonnantes de l’« unser Vater Rhein1 », et
Brahms, qui, toute sa vie, se mourut d’amour pour la belle Clara Wieck
– géniale et virtuose épouse du précédent – et puis aussi Mendelssohn,
qui, au regard de ses confrères hirsutes, fit office d’enfant sage, héritier
d’une bourgeoisie israélite d’esprits brillants et surdoués, vivant dans
l’amour de la musique et du piano, et la vénération d’un Jean-Sébastien
Chopin, vie et œuvre

Bach qu’il fit redécouvrir au monde. Et puis, il y a enfin ces deux inquié-
tants géants (et génies) du piano-roi, qui se ressemblent si peu : Franz
Liszt et Frédéric Chopin.
Liszt, homme brillant et mondain, qui fut le roi de l’estrade, la plaque
tournante musicale et aussi la radio-télévision de son époque, qui
révéla à ses contemporains sa propre musique (folle, agitée, souvent
nouvelle et prophétique, parfois extérieure) et celle des autres (il multi-
plia les transcriptions, celles, entre autres, des Symphonies de Beetho-
ven ou de Berlioz...), qui fut applaudi sur les plus grandes scènes
d’Europe, qui fit tourner la tête aux femmes – lesquelles firent tourner
la sienne –, qui eut comme égéries les plus fameuses femmes d’esprit
de son temps, de Marie d’Agoult à la princesse Caroline de Sayn-
Wittgenstein, mais qui finit en diable d’abbé Liszt, à la recherche de
l’Esprit, de la Solitude et de Dieu. Le romantique des romantiques, le
créateur fou de Rhapsodies aussi diaboliques qu’injouables, et parfois
plus tziganes que hongroises, l’auteur des plus folles Études pour le
piano (dites « d’exécution transcendante ») et de Transcriptions et
Réminiscences d’après Rossini, Liszt ou Meyerbeer, finit sa vie au milieu
des Via Crucis, Requiem, Psaumes et autre Légende de saint Christophe, et
dans le culte de l’ascèse, avec des pièces étranges, parfois cosmiques,
qui, tels les Lugubres Gondoles, Schlaflos (Insomniaque) ou Unstern
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1. Le Rhin, notre Père.

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(Étoile du malheur, inspirée par le passage de la comète de Halley !),
annoncèrent, à leur manière, Fauré incontestablement, Debussy et
Ravel sans doute, Scriabine sûrement. Comme on dira un siècle plus
tard de Poulenc qu’il a en lui « du moine et du voyou », Liszt dit de lui-
même : « Il y a en moi du Tzigane et du franciscain »...
À côté de Liszt, Chopin fait office de reclus, de pauvre malheureux, de
malade chronique, de malchanceux, d’apatride errant. Et pourtant, on le
sait, c’est à sa musique, probablement plus qu’à celle de Liszt, que le
public – mélomane ou non, connaisseur ou béotien – tient avant tout,
et ce sont ses Valses qu’on écoute (plus que celles de Liszt ou de
Brahms), c’est sa Sonate funèbre que l’on a en tête (bien plus que la
« Sonate des sonates » conçue par Franz Liszt), ce sont plus encore ses
Nocturnes que ceux de Liszt que l’on fait travailler aux élèves et que l’on
imagine dans les salons, et ses Polonaises et ses Mazurkas remplissent
encore plus les salles de concerts que les Rhapsodies de Liszt. Si ses
dernières surprennent et effarent, la danse revisitée par Chopin, quelle
qu’elle soit, melliflue, gracile, solidement attachée au sol polonais,

Préface
émeut toujours, et vous embue le regard : on se doit de s’essuyer les
yeux avant d’applaudir.
En même temps, on a dit les pires niaiseries sur certains aspects de la
musique de Chopin, comme on en dit plus tard, par exemple, sur celle de
Fauré. On a beaucoup parlé de cette note bleue (aussi mystérieuse,
incompréhensible et virtuelle probablement que le rayon vert ou le mons-
tre du loch Ness...), on a beaucoup fait de ses Valses (comme de certains
de ses Nocturnes, comme de certaines Barcarolles de Fauré justement) de
la musique salonarde pour jeunes filles en fleur attardées. Et puis, il y a la
légende, tenace, très inspirée, il est vrai, des heures les plus noires de la
vie de Chopin : si Liszt a en lui du Hongrois, de l’Autrichien et probable-
ment du Tzigane (géopolitique oblige), Chopin est le seul à avoir eu, de
son vivant comme dans la mort, son corps et son cerveau en France, et
son cœur profondément ancré à la grande dépression de Mazovie et au
terroir de Podlasie. Il n’y a qu’à voir, toute l’année, à Paris, les cars déverser
leurs flux de touristes polonais aux portes du cimetière du Père-Lachaise,
et, à Varsovie, les promeneurs français chercher la mystérieuse colonne
de l’église Sainte-Croix contenant le cœur de Chopin, pour comprendre à
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quel point cette double hérédité et ce double héritage ont touché les
esprits et les cœurs.
Si Liszt eut une existence brillante – avec un petit côté dandy parfois –
celle de Chopin correspond à l’idée que l’on se fait, dans les cours de
littérature classique, du grand romantique amoureux et souffreteux.
Tout le monde a en mémoire les errances de Chopinet, déjà tuberculeux
et bien mal en point, dans les jardins de Nohant (la dame au cigare ne
l’appelait-elle pas « mon cher cadavre » ?), l'enfer qu’il vécut, à Major-
que, entre les murs ruisselant d’humidité de la chartreuse de Vallde-
mosa, ses derniers jours dans l’appartement de la place Vendôme, et sa
messe d’enterrement à la Madeleine, où l’on joua, à sa demande, à
l’orgue, deux de ses Préludes, une orchestration de la Marche funèbre de
la Deuxième Sonate, et, tout simplement, la Messe de Requiem d’un autre
génie, qu’il chérissait entre tous et admirait tant, et qui lui-même
Chopin, vie et œuvre

(comme Tchaïkovski, à l’aube de son suicide, composa sa Symphonie


pathétique) avait imaginé le requiem de sa propre mort : Wolfgang
Amadeus Mozart. Il y a vraiment de quoi dire et redire sur la vie et
l’œuvre du Franco-Polonais...
En même temps, sur le plan musical aussi, on croit souvent tout connaî-
tre, et l’on ne sait pas toujours grand-chose. Pourrons-nous évoquer
notre propre expérience ? J’avais derrière moi déjà quelques années
d’études de piano quand je commençais à déchiffrer et modestement
travailler quelques Nocturnes (les plus simples techniquement) et deux
ou trois Valses (la Valse de l’Adieu d’abord, celle qui tombe le plus facile-
ment sous les doigts... ), et je ne pouvais entreprendre mon travail
scolaire – celui du lycéen que j’étais – sans une certaine musique de
fond. Je me souviens qu’il m’était difficile, dès mes classes de seconde
et de première, de concevoir la rédaction d’une dissertation ou d’un
commentaire sans activer, tout près de moi, sur un vieil électrophone
monophonique (en ce temps-là), deux ou trois enregistrements que je
chérissais, ou qui, du moins, me touchaient. Seul le piano pouvait
accompagner mes travaux scolaires. Les timbres de l’orchestre
m’auraient trop interpellé, distrait, l’ampleur du son symphonique eût
détourné mon attention. Alors que le son du piano m’habitait, me
portait, sans me détourner de ma création littéraire de l’époque. Je m’en
servais comme d’un dopant. C’étaient mes petites amphétamines
© Eyrolles Pratique

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personnelles, mes produits interdits à moi ! Plus que d’autres, deux
avaient ma faveur : trois Sonates de Beethoven (toujours les mêmes : la
Pathétique, l'Appassionata et la Clair de lune, bien entendu) par Hans
Richter-Haaser (ce qui n’est pas si mal), et les Quatorze Valses de Chopin,
jouées par Jean Doyen – il s’agissait là d’un vieux disque Fontana dont
la couverture offrait, mauve sur fond mauve, un bouquet de violettes
plus vrai que nature. Je préférais ce disque à un autre que j’avais aussi,
les Polonaises par Witold Malcuzynski, qui, elles, par leurs martèlements
parfois militaires, me détournaient trop de mon travail. Mais je me
souviens encore aujourd’hui que la pochette de ce disque filait, en un
style très lyrique, cette étrange métaphore : la musique de Chopin, ce
sont « des canons sous des fleurs ». Plus tard, bien plus tard, toujours
adolescent, je découvris un coffret édité par Vega, qui regroupait diver-
ses pages de Chopin (de certaines Valses à quelques Études, de quelques
Nocturnes à la Fantaisie-Impromptu, de la Deuxième Sonate à la
Quatrième Ballade ou à la rare Tarentelle...) jouées par des pianistes aussi
différents que Milosz Magin, Alain Berheim, Claude Kahn ou le regretté

Préface
Thierry de Brunhoff, qui, lui aussi, un jour, comme Franz Liszt – mais
bien plus jeune – choisit de quitter l’estrade pour les ordres ! Je
commençais alors, bien tard, à m’apercevoir que Chopin n’était pas que
le compositeur de quatorze Valses parfois ressassées (où, il est vrai,
éclate le génie de la danse – du moins de la danse revisitée et domesti-
quée par Chopin), mais le géniteur (si l’on peut dire) de tout un monde
musical nouveau : des harmonies sourdes, chargées d’angoisse jusqu’à
la nausée, d’accords vénéneux ou sulfureux aux agrégats étranges et
inquiétants, jamais entendus auparavant, et de paysages musicaux un
peu mornes, immobiles, livides et glacés, comme Liszt en conçut aussi
à la toute fin de sa vie, qui annonce les étendues harmoniques glacées
d’un Prokofiev ou d’un Chostakovitch, ou les brouillards givrants chers
à Ravel, et plus encore à notre Debussy. Il n’y a qu’à écouter, ne serait-
ce que trente secondes, les premières mesures du deuxième des vingt-
quatre Préludes (opus 28) que Chopin dédia à son ami Camille Pleyel,
pour s’en convaincre. Un poète qui proposa quelques titres bizarres et
grandiloquents à certains de ces Préludes écrivit en en-tête de celui-ci :
« Méditation douloureuse... La mer, déserte, au loin... » Le Debussy des
Pas sur la neige ou de La Cathédrale engloutie est tout près, alors que tant
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d’années séparent le Franco-Polonais de notre Claude de France. Et le

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chaos symphonique qui ouvre un certain Concerto pour la Main gauche1
semble aussi tout près, soudain...
Plus tard, j’entendis les deux Concertos de Chopin dans l’interprétation
de Samson François (ceux avec Louis Frémeaux, non ceux de Klecki) – et
bien plus tard encore, on m’offrit les Quatre Ballades : la partition (qui
me fit beaucoup souffrir), et l’enregistrement de Zimerman (véritable
bible pour qui veut tout comprendre de Chopin). Et je fus convaincu que
Chopin était le prince du piano. Et que son piano, comme celui d’un
Liszt (avec des variantes) ou d’un Rachmaninov (pour d’autres raisons),
était du grand, du très grand, de l’immense piano.
Lorsque, mû par ce désir impérieux de devenir chef d’orchestre, je repris
des études sérieuses au Conservatoire, j’entendis quelquefois proférer –
y compris par de grands professeurs – des lieux communs : il était de
Chopin, vie et œuvre

bon ton, par exemple, de prétendre que Chopin ne savait pas écrire pour
l’orchestre, que ses Concertos étaient de vastes ballades pour piano de
près de trois-quarts d’heure auxquelles l’orchestre n’était pas indispen-
sable (au fait, à quoi ressemblent aujourd’hui ces Concertos de Chopin
que l’on joue et enregistre avec quatuor à cordes ?). De la même façon,
on entendait dire que Tchaïkovski était vulgaire, que Sibelius, pour
reprendre les termes de Stravinski, était « le plus ennuyeux des compo-
siteurs sérieux », et que Moussorgski écrivait des harmonies laides et
creuses, et ne savait pas davantage orchestrer que Schumann... Or, on
s’est aperçu depuis que, si Ravel avait magnifiquement habillé – d’un si
chatoyant manteau d’arlequin – les Tableaux d’une Exposition (le cycle
pianistique de Moussorgski), l’œuvre était avant tout devenue une
splendide image ravélienne, loin de l’austère et massive eau-forte origi-
nale. De même, que les géniales harmonies (incomplètes et minérales,
en effet) de Boris Godounov, et son orchestration (parfois – volontaire-
ment – taillée à coups de serpe) n’avaient nullement besoin des
révisions clinquantes de Rimski-Korsakov ou de Chostakovitch pour
exister. Que personne mieux que Schumann n’avait su orchestrer ses
Symphonies (d’où l’échec cuisant des réorchestrations de Mahler appli-
quées à une musique aux antipodes de la sienne !). Que Tchaïkovski
était un très grand compositeur et le chantre de l’âme russe, que les
maladresses de Sibelius n’en étaient pas toujours et que ce grand
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1. de Maurice Ravel (1931).

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bûcheron finlandais était un compositeur génial et prophétique, qui
apportait à la composition et la structure symphoniques modernes un
concept autre.
De la même façon, Chopin, s’il n’apparaît pas de prime abord comme un
virtuose de l’orchestration, et s’il n’est pas l’auteur d’ébouriffantes
instrumentations (qui eussent probablement nui à son propos), a su
trouver la parure orchestrale (parure n’est d’ailleurs pas forcément le
bon mot) qui convient le mieux à sa musique. Comme le langage des
Symphonies de Schumann réclame cette instrumentation compacte qui
est la sienne, ramassée dans un « medium » un peu sourd et automnal,
que l’on a à tort décriée (et l’on a vu comment les orchestrations, plus
brillantes mais plus extérieures et plus décoratives, plus scholastiques
aussi, d’un Gustav Mahler ou d’un Felix Weingartner avaient, encore une
fois, défiguré l’univers schumannien qu’elles prétendaient servir,
préciser et sublimer), la musique même de Chopin (lorsque le piano est
accompagné, soutenu, commenté par un orchestre symphonique) ne
mérite pas autre chose que ce dont Chopin l’a dotée. Hormis les tutti

Préface
introductifs, conclusifs ou transitoires, ce sont des accords larges et
tranquilles, souvent immobiles, parfois volontairement réduits à leur
portion congrue lorsque le piano doit parler librement, qu’il se veut
indépendant et qu’il se suffit à lui-même. Mais cette orchestration, si
elle est convenue, simple, suffit à faire sonner l’orchestre. Combien de
fois a-t-on entendu des pianos rachitiques (qui donnent l’impression
qu’on en a baissé les couvercles) égrainer des notes fluettes et cristalli-
nes sur un orchestre auquel un chef « peu gourmand de l’oreille » (pour
reprendre l’expression si juste de la pianiste française France Clidat)
demande de jouer toujours plus piano et plus passif ? L'orchestre de
Chopin, bien au contraire, doit jouer le jeu... comme le piano. Jamais
une musique n’a été si humaine, si narrative, jamais des interprètes
n’ont semblé devoir raconter à ce point-là une histoire. L’orchestre de
Chopin, s’il doit être cet énorme matelas – ou ce moelleux coussin d’air
– sur lequel un pianiste avide de son et de sens peut s’ébrouer et
s’appuyer (ne serait-ce qu’harmoniquement), ne doit pas être non plus
que cela : appui, soubassement, clé de voûte parfois de l’ouvrage, il en
scelle la structure et la base harmonique, en complétant le piano (déjà
si riche, si protéiforme, si symphonique et si parlant) de ses timbres,
© Eyrolles Pratique

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souvent utilisés pour leurs couleurs les plus crues, les plus franches, les
plus primaires, et – malgré le profond romantisme du langage – leurs
contours les plus fermes, les plus nets, les plus précisément dessinés.
J’eus la chance, je dois le dire, de diriger les deux Concertos de Chopin
avec des monstres sacrés du piano ! Dès 1988 (j’avais trente-deux ans),
c’est avec France Clidat (lisztienne reconnue, grande virtuose, musi-
cienne experte, femme intelligente et de grande culture) que j’eus le
bonheur de diriger le Deuxième Concerto (le premier en fait, en fa mineur)
de Chopin, à Paris, au Mans (et, au début des années 2000 à nouveau,
avec une philharmonie polonaise, au théâtre de Vals-les-Bains, dans le
cadre d’un festival d’été ardéchois). En 1990, avec le même orchestre
« Sinfonietta de Paris », nous donnions ensemble le Premier Concerto (le
redoutable mi mineur), à Paris, dans ce regretté et si bien sonnant Audi-
torium du Châtelet-Les Halles, et en banlieue parisienne, à Villiers-le-Bel
Chopin, vie et œuvre

pour être précis, ville où il se passe parfois de bien grandes choses, et où


la musique, elle aussi, peut enflammer le public.
C’était, si mes souvenirs sont exacts, la première fois que France Clidat
– vieille routière (elle me pardonnera cette familiarité) du Second
concerto – présentait le Premier Concerto en public, d’ailleurs juste avant
qu’elle ne parte enregistrer le doublé (mi mineur et fa mineur) à Varsovie,
à deux pas de Swieta Krzyza, l’église dont le deuxième pilier, à gauche
de la nef, contient l’urne renfermant le cœur du compositeur qui avait
pu exprimer, dans ses dernières volontés, son secret désir de retrouver
Varsovie après sa mort.
Plus tard, à Koszalin, en Pologne aussi, je redonnai le « mi mineur » avec
l’étonnant Piotr Paleczny (prononcer palètchné !), qui, depuis Rubinstein
et Malcuzynski, demeure, avec Zimerman – et sans doute le tout jeune
Rafal Blechacz (prononcer bleratch !) – le plus parfait héritier polonais de
Chopin. Clidat comme Paleczny m’ont conforté dans cette idée que
Chopin n’était pas – ô combien jamais – l’auteur de douces et siru-
peuses romances. Et, l’un comme l’autre m’encouragèrent à faire
sonner l’orchestre, à lui donner son relief, à multiplier les contrastes
dynamiques (tellement bien indiqués par Chopin), des plus ineffables
murmures aux effusions les plus passionnées, se servant de ces vagues
orchestrales comme un voilier se sert du vent pour avancer et du roulis
des vagues pour mieux se mouvoir. J’appris là ce qu’était un grand son
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de piano, j’appris là toute la différence entre un vrai staccato et un non-
legato, je réappris là les cent couleurs de la musique (dont parle Chabrier
à propos de sa Bourrée fantasque), je redécouvris (avec France Clidat
surtout) ce qu’est un vrai discours narratif (lorsque l’on suit un concerto
comme on lirait un conte) et (avec les pianistes polonais notamment) ce
qu’est le véritable rubato à la Chopin (ou le rubato tout court) : j’eus
tellement de mal, il y a peu de temps encore, à faire comprendre à des
étudiants s’acharnant sur le Nocturne en si majeur opus 32 n˚ 1 que le
rubato n’était pas un tangage du tempo permanent à donner le mal de
mer à l’auditeur, mais ce sensible rythme interne né d’un décalage
léger, indicible (le rythme ne naît-il pas d’ailleurs toujours d’une forme
de décalage, donc de retard ?) entre une main droite narrative, plus ou
moins libérée, et une main gauche qui, en toute quiétude et sans nervo-
sité, doit imposer le « diktat » du tempo...
Eh oui, on croit tout savoir de Chopin et de ses mystères... mais certains
mystères demeurent bien conservés !

Préface
Ces écrits de Sylvie Oussenko sur Frédéric Chopin – l’homme, sa vie, son
œuvre –, après les mille exégèses nées de la plume et de l’expérience de
ses plus grands interprètes ou de critiques et musicologues, est un
magnifique ouvrage de synthèse (pour qui connaît la musique de
Chopin tout en en ayant une vision assez floue) et, en même temps, un
ouvrage pédagogique susceptible de s’adresser à ceux qui, pleins de
bonne volonté, attirés par les charmes d’une certaine note bleue,
feraient leurs premiers pas vers la connaissance de la musique dite
(souvent à tort) « classique », et du piano-roi.
Sylvie Oussenko « remet les pendules à l’heure », tend à séparer le bon
grain de l’ivraie (entendez par là la seule vérité sur mille et une légendes
tenaces), redéfinit bien l’importance de Chopin dans son temps, le situe
dans son contexte, l’Histoire (l’Histoire avec un grand H, celle de la
France d’alors et de cette Pologne-phénix sans cesse détruite et rayée de
la carte, mais qui, démembrée, dénervée, dépulpée et toujours plus
affaiblie, renaît chaque fois – avec la régularité du nécessaire – de ses
cendres), le situe aussi au milieu de ses contemporains – les autres
génies de la grande ère romantique notamment, et il y en eut ! –,
reliant sans cesse ses œuvres les plus marquantes aux événements les
© Eyrolles Pratique

plus importants (même les plus intimes) de sa vie tourmentée, met en

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valeur tel ou tel éclairage historique donnant une vision nouvelle de tel
ou tel ouvrage, et osant redéfinir – sans honte – ce que sont une harmo-
nie, une mélodie, un mode, une tonalité, un rondo, un scherzo, une
mazurka... Elle situe enfin Chopin avec ceux qu’il a aimés, admirés, ceux
qui l’ont influencé, ceux qu’il a transcrits ou paraphrasés, comme Liszt
aussi le fit : Haendel, Mozart, Rossini ou Donizetti...
Sylvie Oussenko, qui – à la différence de ceux qui écrivent sur la Musi-
que sans la connaître – sait (interprète elle-même) la lire, et possède les
moyens intellectuels et techniques de déchiffrer une partition, va
parfois au cœur des œuvres. Elle les replace dans leur contexte aussi, les
éclaire d’un jour nouveau, en décrit la structure, le contenu, en décrypte
la substantifique moelle...
Un bel ouvrage, en vérité, qui relève parfois de l’art de la dentellière, et
Chopin, vie et œuvre

qui (en suivant tout le parcours de Chopin, de ses découvertes, de ses


émois, de ses amours, de ses tragédies – de la jolie maison de Zelazowa
Wola à l’appartement funèbre du 12, place Vendôme) se veut didactique
et éclairant, résumé et synthèse, mise au point et, parfois, rectification
argumentée... et qui, enfin, se lit et se relit facilement, tel un Guide
Michelin des hauts lieux de cette Vie et de cet Œuvre incroyablement
romantiques, tourmentés, passionnés, follement passionnels, forcé-
ment passionnants...

Dominique Fanal, chef d’orchestre

© Eyrolles Pratique

16
Introduction

La personnalité de Frédéric Chopin présente tous les charmes et tous les


travers du musicien romantique tel que l’imagination le façonne : exilé
d’un pays ami de la France malmené par l’Histoire, enfant chéri de
l’émigration polonaise, mais d’origine française par son père, Chopin se
présente peu au concert, réservant son talent pour les salons et ses
élèves.
La correspondance personnelle de Chopin est quasi inexistante, mais
l’époque est celle où l’on s’exprime dans les échanges de lettres et tout
le monde parle de Chopin tandis qu’il se tait. Il ne se révèle que dans la
musique : enfant prodige, puis compositeur doué, il devient, surtout
après 1840, l’un des novateurs de l’époque.
Atteint de la tuberculose, dont il meurt en 1849, ses faiblesses se muent,
par la magie de l’écriture musicale, en « dynamique imaginative » (le
mot est du germaniste François Poncet). Devenu l’amant de l’infatiga-
ble George Sand, image antagoniste de ce jeune homme transparent, il
forme avec elle un étrange duo : la femme est un roc, l’homme, la
diaphane incarnation d’une musique nourrie de révoltes, de bel canto
pianistique et de prophétiques conceptions harmoniques.
Chopin est souvent le prétexte à de belles histoires, qui font de sa vie
soit un cauchemar perpétuel, soit une promenade idyllique en un siècle
de toutes les tourmentes.
© Eyrolles Pratique

17
Chopin est un musicien, un compositeur, un homme du monde aussi :
être un génie n’affranchit pas des nécessités matérielles. Homme de
son temps, il était reconnu par ses contemporains, mais, comme tous
les « classiques », son talent et sa force de travail ont su faire de lui notre
contemporain. Il vit au XXIe siècle parmi nous, suscite des vocations,
sollicite les interprètes de tout âge et charme ceux qui l’écoutent.
Chopin, vie et œuvre

© Eyrolles Pratique

18
Première partie

La naissance
d’un prodige
(1810-1830)
Chapitre I

Enfance (1810-1825)

1.
En 1787, un jeune Lorrain s’établit en Pologne, Nicolas Chopin. Il quitte
la France avant qu’elle ait commencé sa grande Révolution (14 juillet

1. Enfance (1810-1825)
1789) pour un pays qui vient d’être dépecé, en 1772, par ses puissants
voisins : la Prusse de Frédéric II, la Russie de Catherine II et l’Autriche de
Marie-Thérèse. Malgré la Constitution du roi Stanislas II Poniatowski, en
1793, la Pologne est de nouveau dépossédée d’elle-même, passant, cette
fois, essentiellement sous la tutelle prusso-russe. En 1795, la Pologne est
partagée une troisième fois, après une insurrection, à laquelle participe
Nicolas Chopin, provoquée par le poids de la domination russe.
À chaque partage, la Pologne perd un peu plus de territoire propre pour
subir le joug des pays occupants.
De 1807 à 1814, la Pologne revient à la vie grâce à Napoléon Ier, qui crée le
grand-duché de Varsovie. Mais la chute de l’Empereur des Français
entraîne les travaux interminables du Congrès de Vienne en 1815, année
où la Pologne se voit partagée pour la quatrième fois : la Prusse et
l’Autriche retrouvent les provinces confisquées par Napoléon. Quant à
la Russie, elle obtient toute autorité sur le pays, excepté un territoire
autour de Cracovie, le « royaume de Pologne », dévolu au prince Adam
Czartoryski.

La famille Chopin
Nicolas Chopin et Justyna Krzyzanowska se marient en 1806, alors que
le jeune Lorrain donne des cours de français au fils d’une famille aristo-
© Eyrolles Pratique

cratique, à Zelazowa Wola, village situé à une quarantaine de kilomè-

23
tres de Varsovie. De leur union naît en 1807 une fille, Ludwika, puis, le
1er mars 1810, un garçon, Fryderyk. Peu de temps après, les Chopin quit-
tent Zelazowa Wola pour Varsovie, où Nicolas (devenu Mikolaj, ayant
polonisé son prénom) vient d’obtenir un poste de professeur de français
au lycée. Le ménage Chopin fonde un « foyer » pour accueillir les fils des
riches familles venus faire leurs études à Varsovie. Il leur en coûte
2 000 florins par an. Cela assure bientôt un confortable train de vie à la
famille Chopin, qui s’agrandit avec la naissance d’Izabela en 1811 et
d’Emilia en 1812. Après avoir occupé un appartement au palais de Saxe,
où se trouve le lycée, les Chopin suivent le déménagement de l’institu-
tion pour s’installer au palais Casimir (1817), situé sur l’une des élégantes
avenues de Varsovie, le Faubourg-de-Cracovie.
Chopin, vie et œuvre

« Chopinek », ou l’enfant musicien


Élevé par sa mère avec ses trois sœurs dans une famille de bons musi-
ciens, Frédéric s’imprègne des sons du milieu dans lequel il vit. Son
premier professeur de piano est sa mère, Justyna. Sa sœur aînée,
Ludwika, s’attache aussi à dispenser un enseignement au petit garçon,
qui sait bientôt reproduire les mélodies qu’il entend et se risque même
à l’improvisation.
Liszt dit de Frédéric Chopin :
« Son imagination prit ce velouté tendre des plantes qui ne
furent jamais exposées aux poussières des grands chemins. »

Bientôt l’élève dépasse ses premiers professeurs, sa mère et sa sœur,


celles qui l’ont mis au clavier. En 1816, il devient l’élève de Wojciech
Zywny, violoniste, qui l’initie à la théorie selon les principes de Bach,
Haydn et Mozart. En 1817, il commence à « composer » et « Chopinek »
(le petit Chopin) fait fureur dans les salons de la haute société.
Il calme les colères du grand-duc Constantin par son jeu pianistique et
rencontre Angelica Catalani, la grande diva, qui est touchée par son
talent.
Alors que Chopin improvise au piano, son père prend l’habitude de
noter, à la volée, les créations de son fils.
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24
Son professeur Wojciech Zywny s’avoue lui aussi bientôt dépassé par
son élève, qui est alors confié à Wilhelm Würfel pour parfaire sa techni-
que pianistique et aborder l’orgue ; Jozef Elsner lui enseigne quant à lui
l’écriture musicale.

Écriture musicale1 voir Glossaire

Parallèlement, Frédéric suit une bonne scolarité au lycée (1823-1826). Il y


devient l’ami à vie de Tytus Woyciechowski et de Julian Fontana. Le
jeune Chopin compose toutes sortes de morceaux, charme les puissants
(le tsar Alexandre lui offre une bague sertie de brillants), s’essaie à
toutes les formes de la musique de chambre pour violon et piano,

1. Enfance (1810-1825)
déchiffre des quantités d’œuvres. Fêté et recherché, le jeune Chopin
demeure un enfant équilibré et rieur, doué d’un réel sens de l’imitation
qu’il gardera tout au long de son existence.

1. Les définitions des termes musicaux sont regroupées dans un glossaire en fin
© Eyrolles Pratique

d’ouvrage auquel vous pouvez vous référer.

25
Chapitre 2

Apprentissage
et premières
compositions
(1825-1829)

2.
2. Apprentissage et premières compositions (1825-1829)
Frédéric Chopin possède, à quinze ans, la maîtrise de toutes les notions
nécessaires à la composition musicale, dont la combinatoire est infinie,
en plus de la virtuosité pianistique qui lui permet d’aborder les œuvres
les plus difficiles.

La première œuvre
Frédéric Chopin est très influencé par un élève de Mozart, compositeur
fort à la mode, Johann Nepomuk Hummel (1778-1837), qui écrit de
nombreuses pièces du genre rondeau ou rondo. Il y reprend des thèmes
empruntés aux opéras qu’il peut entendre, comme ceux de Bellini (1801-
1835), qu’il ne connaît pas encore personnellement, Gioacchino Rossini
(1792-1868), Mozart (1756-1791) ou Carl Maria von Weber (1786-1826),
l’auteur du Freischütz, composé en 1817, que Varsovie découvre en 1820.
Le Rondeau en ut mineur est la première œuvre que le jeune compositeur
inscrit à son catalogue.

Catalogue voir Glossaire

Rondeau ou Rondo (en italien) voir Glossaire


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29
Si le Rondeau en ut mineur est porté en tant qu’opus 1 au catalogue de
Chopin, une première œuvre a déjà été publiée en 1817, la Polonaise en sol
mineur, laquelle ne porte pas de numéro d’opus. Le Rondeau en ut
mineur opus 1 est publié par le meilleur éditeur de Varsovie, Antoni Brze-
zina. Chopin s’y exprime dans le « style brillant », c’est-à-dire qu’il
impose à l’interprète une virtuosité étincelante, une partition chargée
de notes, de toutes les figures possibles, à exécuter avec une extrême
vélocité. 1825 est une date charnière dans la vie de Chopin, qui est
reconnu, avec cette parution, comme compositeur à part entière et non
plus seulement comme un jeune prodige destiné à divertir les princes.

Tonalité ou ton voir Glossaire


Chopin, vie et œuvre

Modes voir Glossaire

Les opéras dans lesquels Chopin puise de nombreux thèmes reviennent


à l’école italienne, principalement à Rossini et Bellini, déjà cités, mais
aussi à Gaetano Donizetti (1797-1848). En 1813 et 1816, Rossini écrit
respectivement L’Italienne à Alger et Le Barbier de Séville. Bellini et Doni-
zetti ont produit des œuvres, à cette époque, qui ne sont guère restées
au répertoire. Mais Varsovie retentit aussi d’opéras français, d’Auber, de
Boieldieu et de beaucoup d’autres, aujourd’hui tombés dans l’oubli. Des
pièces nationales sont aussi données, ne seraient-ce que celles de Jozef
Elsner, le professeur de Chopin.

Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871)


Compositeur français, très fécond, d’opéras, de ballets. Auteur de Fra
Diavolo, qui a connu un succès durable.

Frédéric Chopin possède, à quinze ans, la maîtrise de toutes les notions


nécessaires à la composition musicale et peut donc travailler des pièces
complexes et difficiles. Il devient expert dans l’art de la modulation,
© Eyrolles Pratique

fondement du discours musical.

30
Modulation voir Glossaire

2. Apprentissage et premières compositions (1825-1829)


Le conservatoire
À l’automne 1826, Frédéric Chopin entre à l’École supérieure de
Musique : il y est un élève peu assidu mais brillant. Durant cette période
au conservatoire, deux Mazurkas sont éditées, mais non répertoriées en
numéros d’opus, respectivement en si bémol majeur et sol majeur, d’une
écriture teintée de folklore qui ne vise pas la virtuosité. Cependant, son
professeur Elsner note :

« Il s’écarte des sentiers battus et des méthodes habituelles, mais


son talent, il faut l’avouer, n’est pas habituel. »

Mazurka voir Glossaire

Développement de la sensibilité
Frédéric s’essaie à une Polonaise en si bémol mineur, qu’il ne porte pas à
son catalogue. Élève du Conservatoire supérieur, il s’inscrit à l’Université
de Varsovie pour suivre des cours d’histoire et de littérature ; ses profes-
seurs opposent les styles classique et romantique, sans perdre de vue ce
mot de Cicéron : « C’est le sentiment qui est la règle. » On avance ainsi
sur un chemin qui enjoint d’exprimer ce que la nature dicte, mais selon
des principes auxquels il est impossible de déroger, sous peine de perdre
tout moyen d’expression. Chopin restera fidèle à ce mode de pensée.
En cette même année 1826, il compose le Rondeau à la Mazur en fa
majeur opus 5. Il mêle à cette évocation villageoise, où perce l’âme
slave, une virtuosité qui fait briller le piano dans une tonalité
lumineuse : les chants d’oiseaux se mêlent à la danse. Son écriture
s’affirme, devient plus sûre. Un tableau idyllique se peint devant les
yeux de l’auditeur. Chopin dédie cette œuvre à la comtesse Alexandrine
© Eyrolles Pratique

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de Moriolles, qu’il rencontre chez le grand-duc Constantin. Il avouera
plus tard à son ami Woyciechowski à propos de la jeune comtesse :

« Il s’agit d’un amour que je confesse volontiers. »

Autres œuvres de cette année-là : la Mazurka en la mineur et la Marche


funèbre en ut mineur. Cette dernière est une sorte d’hommage à Beetho-
ven, avec une réminiscence de la Sonate en la bémol majeur, œuvre de
jeunesse de cet illustre prédécesseur.
L’année 1827 commence tragiquement avec la mort de la plus jeune des
filles Chopin, Emilia, atteinte de tuberculose. On peut imaginer
comment à l’âge de dix-sept ans, Chopin a vécu la perte de sa jeune
sœur, de deux ans sa cadette.
Chopin, vie et œuvre

À la fin de l’année universitaire, en juillet 1827, Chopin obtient l’appré-


ciation « Aptitude exceptionnelle » au Conservatoire, où il a excellé dans
les exercices de contrepoint, et « Aptitude remarquable » à l’Université.

Les grands genres


Chopin se lance ensuite dans l’écriture d’une monumentale sonate, la
Sonate pour piano en ut mineur opus 4, qu’il dédie à son maître, Jozef
Elsner. En choisissant cette forme et en adoptant un langage où l’on
trouve une citation directe de Bach (Invention en ut mineur) et des réfé-
rences permanentes à Haydn et Schubert, il offre à Elsner une sorte de
résumé de son enseignement.
Deux polonaises voient le jour, répertoriées après la mort de Chopin en
opus posthume, la Polonaise en ré mineur et la Polonaise en si bémol
majeur : il y montre son originalité, dégagée du style « corseté » de sa
première sonate. Mais l’œuvre qui couronne cette année 1827 s’intitule
Variations sur un thème de Mozart (« La ci darem la mano » de Don
Giovanni). Le Requiem (1791) de ce dernier sera d’ailleurs chanté aux funé-
railles de Chopin à sa demande.
Les Variations pour piano et orchestre en si bémol majeur, dédiées à l’ami
Tytus Woyciechowski, qui s’inscrivent sur le catalogue au numéro
© Eyrolles Pratique

d’opus 2, font dialoguer l’instrument soliste avec l’orchestre : la virtuo-

32
sité s’y impose. Ce premier essai orchestral annonce déjà la forme du
concerto que Chopin aborde deux ans plus tard.

2. Apprentissage et premières compositions (1825-1829)


Les formes musicales instrumentales voir Glossaire

Sûr de son talent, Chopin envoie ses Variations à l’éditeur viennois


Haslinger : c’est sa première incursion vers l’Ouest. Mais Haslinger reste
de marbre et ne répond pas au jeune Polonais… Cela n’empêche pas
Chopin de persévérer. Il écrit son Trio pour piano, violon et violoncelle et
transcrit son opus 1 pour deux pianos.

Voyage de fin d’études


Chopin part pour Berlin avec un ami de son père, le professeur Feliks
Jarocki, invité à un congrès organisé par le célèbre naturaliste allemand
Alexander von Humboldt (1769-1859). Il profite de ce séjour pour se
rendre fréquemment au concert et à l’Opéra car, à l’époque, c’est le seul
moyen de prendre connaissance des œuvres : il entend des pièces de
Carl Maria von Weber (1786-1826), Gasparo Spontini (1774-1851), Felix
Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), Georg Friedrich Haendel (1685-
1759), Domenico Cimarosa (1749-1801)… et découvre une lettre de
Tadeusz Kosciuszko (1746-1817), le patriote polonais qui a commandé
l’insurrection contre la Russie en 1794.
N’ayant pu rencontrer le prince Radziwill, absent de Berlin, les deux
Polonais regagnent leur pays. Frédéric se prépare à achever le cycle de
ses études dans la classe d’Elsner. Il écrit deux œuvres pour piano et
orchestre : le Rondeau de concert à la Krakowiak opus 14 et la Fantaisie
sur des airs nationaux polonais opus 15. Ces essais préparent, après les
Variations, la plongée dans le grand genre du « concerto ».

Krakowiak voir Glossaire


© Eyrolles Pratique

33
Chapitre 3

L’année de
l’épanouissement
(1829-1830)

3.
3. L’année de l’épanouissement (1829-1830)
En mai 1829, le tsar Nicolas Ier est couronné roi de Pologne à Varsovie.
Son frère aîné, Alexandre Ier, avait été accueilli dans l’enthousiasme, en
1815, lors de son couronnement, qui éveillait un grand espoir au cœur
des Polonais. Si déjà Alexandre bafouait régulièrement la Constitution
qui garantissait la spécificité polonaise, le nouveau roi ne fera que
renforcer le régime policier qui s’était peu à peu instauré au temps de
son prédécesseur. Désormais, le nombre de prisonniers politiques va
s’accroître. La Pologne passe rapidement sous le contrôle total de la
Russie où Nicolas pratique de sanglantes liquidations parmi ceux qui
veulent réaliser la démocratisation de leur pays, décabristes et
membres de la Société patriotique nationale.

L’influence de Paganini
Malgré le faste du couronnement de l’empereur Nicolas – des œuvres de
circonstance ayant été commandées à Elsner et Kurpinski –, la société
polonaise sait que le monarque ne respectera en rien les promesses qu’il
a faites. Un événement musical d’importance s’inscrit pourtant dans
cette morosité : la venue de Nicolo Paganini et de Karol Lipinski, deux
violonistes célèbres qui se mesurent l’un à l’autre.
Assistant aux concerts de Paganini, Chopin est vivement impressionné
par la virtuosité et l’imagination de cet artiste complet. Mais les
ressources du piano lui paraissent si importantes, encore si peu exploi-
tées, qu’il décide de s’en tenir à son instrument. Il écrit alors pour le
piano une œuvre très courte, Souvenir de Paganini, d’un caractère humo-
© Eyrolles Pratique

37
ristique. Mais il lui attache si peu d’intérêt qu’il en néglige l’édition,
dont ses amis se chargeront après sa mort.

Nicolo Paganini (1782-1840)


Violoniste italien né à Gênes, il meurt à Nice. D’origine modeste, il
manifeste très tôt des dons exceptionnels de virtuosité, ainsi que pour
la composition. Il connaît un immense succès dans toute l’Europe. Il
se produit aussi comme chef d’orchestre. Ami de Berlioz, il lui apporta
un soutien financier important aux pires jours de celui-ci.

En juillet 1829, Chopin achève ses études à l’École supérieure de musi-


que, avec cette mention de son directeur, Elsner : « Capacités
exceptionnelles » ! Frédéric alors entreprend une formation internatio-
Chopin, vie et œuvre

nale pour enrichir son art de tous les courants européens en vogue. Son
père sollicite l’attribution d’une bourse auprès du ministre de l’Instruc-
tion publique, qui la lui refuse sous prétexte que les fonds publics ne
peuvent « servir à encourager pareils artistes » !
Frédéric part pour Vienne. Il y a pourtant connu une déconvenue : ses
Variations sur un thème de Mozart et sa Sonate, qu’il a envoyées à
l’éditeur viennois Haslinger, n’ont pas été éditées, Haslinger n’a pas
même gratifié Chopin d’une réponse. Chopin se rend auprès du célèbre
éditeur pour lui jouer ses Variations. Haslinger, finalement enthou-
siasmé, décide de les éditer sur-le-champ, à condition que Chopin les
donne d’abord en concert. Chopin, qui n’apprécie guère de se produire,
y consent cependant. Le 11 août 1829, le concert viennois du jeune
Chopin est un triomphe.

Compositeur et interprète
En cette seule soirée viennoise, à l’âge de dix-neuf ans, Chopin devient
une personnalité importante du monde musical. La critique l’accueille
chaleureusement, tout en pointant son originalité pour l’interprétation
et la technique qu’il approche en ces termes :
© Eyrolles Pratique

38
« Je soumets à ceux qui apprennent l’art de toucher le piano des
idées pratiques bien simples que l’expérience m’a démontré être
d’une utilité réelle… On a essayé beaucoup de pratiques inutiles
et fastidieuses pour apprendre à jouer du piano, et qui n’ont rien
de commun avec l’étude de cet instrument. Comme qui
apprendrait par exemple à marcher sur la tête pour faire une
promenade1. »

3. L’année de l’épanouissement (1829-1830)


Au tableau des célébrités musicales qu’il rencontre dans la capitale
autrichienne, manquent Beethoven et Schubert, respectivement morts
en 1827 et 1828. Chopin va au concert et à l’opéra où il entend des œuvres
de Rossini, Méhul, Boieldieu, Meyerbeer… De Vienne, il passe par
Prague, puis par Dresde pour revenir à Varsovie où il retrouve sa condis-
ciple Konstancja Gladkowska, belle chanteuse mezzo-soprano, dont il
s’est épris quelques mois auparavant. Il confie à son ami Tytus
Woyciechowski :

« Je viens peut-être pour mon malheur de rencontrer mon


idéal. »

De la valse au concerto
L’année 1829 marque le début de la grande production chopénienne : la
Polonaise en fa mineur, où l’influence de Schubert n’est pas absente, la
Valse en ré bémol majeur, la Valse en si mineur, qui révèle un peu de cette
« affliction chopénienne » comme on dira plus tard, sans oublier la Valse
en mi majeur.

Valse voir Glossaire

1. Frédéric Chopin, Esquisses pour une méthode de piano, textes présentés par Jean-
© Eyrolles Pratique

Jacques Eigeldinger, Flammarion,Paris, 1993.

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Mais, à Varsovie, on attend surtout l’œuvre ce sur quoi Chopin travaille :
un concerto. C’est une œuvre réellement ambitieuse pour instrument
soliste (piano) et orchestre. La première a lieu le 19 décembre 1829 :
Chopin ne s’est pas encore fait entendre en Pologne. La presse est
laudative et qualifie l’œuvre de « digne des meilleurs musiciens
d’Europe ». C’est ainsi que naît le Concerto en fa mineur pour piano et
orchestre opus 21. La partie soliste est très sollicitée et l’orchestre, quel-
que peu sacrifié, fait figure d’accompagnement. Chopin utilise le style
brillant, d’une grande virtuosité et sa sensibilité commence à s’expri-
mer dans sa singularité : il fait preuve d’un esprit raffiné et subtil.
Pour des raisons éditoriales, ce Concerto en fa mineur se voit attribuer
l’appellation de Second Concerto, alors qu’il fut le premier composé. Il
comprend trois mouvements : Maestoso, Larghetto et Allegro vivace. Le
premier mouvement procède de toute évidence du chant, les phrases
Chopin, vie et œuvre

musicales se succédant les unes aux autres. Le deuxième mouvement


est inspiré par l’amour de Chopin pour la cantatrice Konstancja
Gladkowska : le piano se fait bel cantiste pour donner forme à un idéal
féminin. Enfin, le dernier mouvement, quant à lui, évoque les danses
populaires polonaises, s’achevant avec virtuosité et puissance.

Concerto voir Glossaire

Alors que Chopin n’a que vingt ans, la critique ne craint pas de le compa-
rer à Mozart après l’audition de cette œuvre. Il se remet au travail pour
son Concerto en mi mineur pour piano et orchestre opus 11, qui devient
son Premier Concerto (selon l’ordre de publication). Sa muse n’est plus
Konstancja Gladkowska, mais la célèbre cantatrice Henriette Sontag,
qui a alors vingt-quatre ans. Chopin est subjugué et avoue qu’elle
« ensorcelle tout le monde ». Il désire créer son œuvre à Varsovie ; ce qui
advient le 15 septembre, dans des conditions d’exécution difficiles. Trois
mouvements la composent : Allegro maestoso, Romanze : Larghetto,
Rondo : Vivace. C’est un tel succès que les amis de Chopin le poussent à
écrire un opéra. Mais lui, qui aime et connaît bien les voix, s’en tient à
faire « chanter » le piano dans la ligne bel cantiste, alors que le succès
© Eyrolles Pratique

d’un compositeur ne peut, à cette époque, être couronné que par le

40
théâtre lyrique. Si Chopin n’écrit que fort peu pour la voix, il utilise, dans
sa création, toutes les figures qui sont spécifiquement l’apanage de la
virtuosité vocale.

Bel canto ou « beau chant » voir Glossaire

3. L’année de l’épanouissement (1829-1830)


Musique et politique
Chopin compose peu d’œuvres vocales : dix-neuf mélodies en tout,
uniquement sur des textes polonais dus à ses amis poètes qu’il
fréquente depuis 1823. Ils appartiennent à la mouvance progressiste,
admiratifs de Byron et de Schiller, et rêvent de secouer le joug russe. À
Varsovie, Chopin écrit six mélodies sur des poèmes de Stefan Witwicki,
les Chansons bucoliques, et met aussi en musique un poème de
Mickiewicz.

Adam Mickiewicz (1798-1855)


Poète polonais, chef de file des opposants à l’oppression tsariste.
Exilé, il devient, à Paris, le chef spirituel de l’émigration polonaise. Il
enseigne, au Collège de France, la littérature slave.

Ces premières mélodies déploient un style populaire fondé sur la musi-


que de danse. Elles sont faciles à retenir, du moins quant à la musique,
et ont un immense succès. Dans sa musique vocale, Chopin n’emploie
pas les ressources du bel canto, qu’il réserve au piano, mais un art de
« dire » proche de celui des conteurs, la voix s’en tenant le plus souvent
au style du « récit ».
© Eyrolles Pratique

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1830 : une année « phare »
Cette année précède l’insurrection polonaise. En France, elle met fin au
règne de la branche aînée des Bourbons, à laquelle succède la branche
cadette des Orléans avec Louis-Philippe qui se proclame « roi des
Français ». La même année, Victor Hugo présente Hernani, à la
Comédie-Française, ce qui déclenche une polémique esthétique.
Hector Berlioz donne la Symphonie fantastique au Conservatoire. Tous
les langages sont bouleversés et les formes bousculées au profit de
l’expression et de la subjectivité, avec le retour au drame
shakespearien où l’on mêle tous les genres pour arriver à la
vraisemblance, au plus proche de la vie réelle.

Les premiers Nocturnes


Chopin, vie et œuvre

En 1830, Chopin écrit ses premiers Nocturnes, ainsi que des œuvres de
musique de chambre. Si ces pièces sont publiées plus tard (Trois Noctur-
nes, opus 15, en 1833), elles manifestent un tournant historique et poli-
tique qui marque autant l’œuvre de Chopin que celle de nombreux
autres auteurs et compositeurs. La production musicale chopénienne
n’est cependant pas altérée par la tourmente politique, même si le
contexte de la création artistique et la réception que lui en fait le public
sont considérablement bouleversés. Les Nocturnes évoquent une confi-
dence à la fois sensuelle et retenue, d’une ligne sinueuse qui manifeste
l’émotion de cette sensibilité exceptionnelle.

Nocturne voir Glossaire

Musique de chambre voir Glossaire


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Deuxième partie

Les voies
de la gloire
(1831-1844)
Chapitre 4

Interlude
au centre de l’Europe
(1830-1831)

4.
4. Interlude au centre de l’Europe (1830-1831)
Si Chopin sent la nécessité de partir à l’Ouest pour parfaire son talent et
prendre des contacts directs avec les éditeurs de renom, il se résout
difficilement à quitter la Pologne. Mais il doit se décider rapidement, car
même si les insurrections éclatent de toute part (à Paris en juillet, en
Belgique en août…), la situation est intenable à Varsovie. Avant son
départ, il souhaite encore se faire entendre en Pologne, ce qu’il fait sous
la forme d’un concert d’adieu. Il donne, pour la seconde fois, son
Concerto en mi mineur, et, aidé de son père, il fuit les événements
violents qui s’annoncent.
Il doit alors se séparer des personnes qui ont jalonné sa vie jusque-là :
sa famille, Konstancja Gladkowska, Elsner et tant d’autres. Son ami
Tytus l’accompagnera pendant plusieurs mois, ce qui l’encourage pour
cette aventure angoissante. En effet, Frédéric ne sait pas de quoi il va
vivre ni si son art s’imposera ou non. Il part le 2 novembre 1830 pour
gagner Vienne par Breslau et Dresde.

Le départ pour Vienne


Chopin quitte Varsovie en musique, accompagné d’une chanson écrite
par Ludwik Dmuszewski, rédacteur en chef du Courrier de Varsovie :

« Né en terre polonaise,
Que son talent soit fameux partout ;
De la Spree, du Tibre ou de la Seine,
© Eyrolles Pratique

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Que selon la coutume polonaise,
La mazur et la krakowiak aimées
Soient chantées
Sur tes mélodies bouleversantes
Qui exaltent notre pays… »

À l’étape de Breslau, Chopin joue un extrait de son opus 11. Il écrit à ses
parents :

« L’un des connaisseurs de Breslau s’approcha de moi et loua la


nouveauté de la forme en disant qu’il n’avait jamais rien
entendu de pareil… »
Chopin, vie et œuvre

Déjà, c’est le compositeur qui prend la première place chez Frédéric :


son talent de pianiste reste pour lui secondaire. À Dresde, il ne donne
aucun concert public, faute de salle !
Fin novembre, Chopin retourne à Vienne ; il y revoit ses amis, ainsi que
son éditeur, Haslinger, toujours réservé à son égard. Frédéric en profite
également pour se rendre au concert et à l’Opéra où il entend des pièces
de Mozart, Rossini et Auber. Au même moment, une insurrection terri-
ble éclate à Varsovie, dont la nouvelle arrive peu après à Vienne. Frédéric
et son ami Tytus veulent rentrer en Pologne, mais ce dernier convainc
Chopin de demeurer seul à Vienne, où il peut devenir la figure embléma-
tique de son pays. À Varsovie, le prince Adam Czartoryski a accepté la
présidence d’un gouvernement indépendant de la Russie, mais les
tensions s’exaspèrent très rapidement : des querelles violentes se mani-
festent entre les diverses tendances politiques. Durant ces conflits, on
chante des textes de circonstance sur la musique de Chopin.

Adam Jerzy Czartoryski (1770-1861)


Ministre, entre 1802 et 1806, du tsar Alexandre Ier, il croit pouvoir
reconstituer la Pologne mais, après sa brève présidence du gouverne-
ment provisoire en 1830-1831, il est condamné à mort par le tsar
Nicolas Ier. Il s’exile alors en France, d’où il continue à mener la lutte
© Eyrolles Pratique

pour l’indépendance de son pays.

48
Si son talent et sa solitude attirent à Chopin une certaine bienveillance,
les Viennois sont néanmoins partisans du tsar, ce qui le met dans une
position délicate et même inconfortable. En effet, il entend, dans les
lieux publics, des réflexions hostiles à ses compatriotes, telles que : « La
Pologne, c’est le vide » ou « Quelle gaffe du bon Dieu, ces Polonais ! »

4. Interlude au centre de l’Europe (1830-1831)


Une production intense
Dans ce douloureux état d’esprit, Chopin écrit la Polonaise en sol bémol
majeur, poursuit la tâche entreprise à Varsovie pour concevoir la Grande
Polonaise brillante en mi bémol majeur – qu’il termine à Paris – et achève
un recueil de 12 Études, les Mazurkas opus 7, tout cela dans son petit
logement du Kohlmarkt (le Marché aux Choux). Son style évolue et il
exploite maintenant la dissonance, qui donne à ses œuvres un caractère
exotique et inattendu.

Dissonance voir Glossaire

L’influence de l’histoire polonaise


Ému par les événements dramatiques que connaît la Pologne, Chopin
reprend le recueil de poésie de Witwicki pour en choisir deux textes
tragiques : Smutna Rzeka (Fleuve triste) et Narzeczony (Fiancé). L’afflic-
tion la plus grande est traduite aussi bien dans les vers que par l’écriture
de Frédéric. Tout en restant fidèle à un style appartenant au fonds folk-
lorique des campagnes polonaises, il en élargit la palette sonore par des
audaces harmoniques très travaillées. Chopin n’a malheureusement
pas exploité davantage la mélodie, où il semble exceller, à l’image des
grands maîtres, comme Schubert (1797-1828), Schumann (1810-1856) ou
Hugo Wolf (1860-1903). Enfin, une troisième mélodie rappelle certains
Lieder de Schubert et vient politiquement manifester l’opposition au
pouvoir russe, car la Lituanie tente, elle aussi, de secouer le joug
tsariste : Chanson lituanienne lui permet de diversifier son écriture
vocale et pianistique dans l’esprit de la musique de chambre, union de
© Eyrolles Pratique

la voix et d’un instrument (le plus souvent le piano). Les paroles de cette

49
chanson sont fortes de symboles : on y remarque un érotisme non
déguisé.
« La conversation (avec l’amoureux) fut brève
Mais humide était la couronne (de la jeune fille). »

Dans le même esprit, Chopin compose, fin 1830, la Valse en la mineur.


Loin de sa famille, il fête Noël chez des amis, se rend à la cathédrale
Saint-Étienne et écrit :

« Une harmonie lugubre s’éleva en moi… Plus que jamais je


ressentis ma solitude. Je m’abreuvais avec délice à la source
d’émotion qu’était pour moi cette vision grandiose
(l’architecture gothique de la cathédrale). »
Chopin, vie et œuvre

Un nouvel élan de composition


On dit que cette méditation dans la cathédrale de Vienne inspire à
Chopin le Scherzo en si mineur, opus 20. Il relève d’une facture nouvelle
sous la plume du compositeur, empreinte d’un ton tragique encore
insoupçonné.

Scherzo voir Glossaire

À la lecture des œuvres de Mickiewicz, Chopin explore une nouvelle


forme : la Ballade (cf. CD plage 1), qui répond à l’imagination du temps,
fortement marquée par le fantastique, voire l’épouvante. Si les Études
ont à l’origine un but purement pianistique, technique et pédagogique,
la Ballade est narrative : à l’auditeur d’imaginer les scènes évoquées,
selon les diverses interprétations des pianistes !
Chopin esquisse ensuite les Nocturnes opus 15 pour, à la fin de 1830,
composer une œuvre proche du Nocturne, le Lento con gran espressione en
ut dièse mineur, fraîche réminiscence, non exempte de nostalgie, de la vie
polonaise. Cependant, il ne publiera jamais cette pièce, pourtant véritable
© Eyrolles Pratique

respiration, nécessaire à l’apnée dramatique des événements récents.

50
La fin du séjour viennois
La ville des Habsbourg devient difficilement supportable pour un Polo-
nais épris de son pays et de sa liberté. En revanche, et à juste titre, Paris
lui semble prospère au lendemain des journées révolutionnaires de
1830. Frédéric est aussi tenté de partir pour l’Italie, mais les troubles
politiques, organisés par le mouvement Jeune-Italie, porteur d’idées

4. Interlude au centre de l’Europe (1830-1831)


républicaines, le découragent.
Tardant pourtant à quitter Vienne, il y rencontre Johann Nepomuk
Hummel (1778-1837), l’élève de Mozart, ainsi que son disciple Sigismund
Thalberg (1812-1871), pianiste prodigieux que le monde entier admire.
Mais Chopin ne supporte pas les éternelles concessions que celui-ci
accorde au public et à la mode.
Longtemps absent de la scène, Chopin donne enfin un concert à Vienne
au mois de juin 1831, avec un extrait de son Concerto en mi mineur, au
milieu d’un programme très éclectique, selon la coutume de l’époque
où l’on entend rarement une œuvre dans son intégralité. Par exemple,
un concert viennois de 1831 s’articule ainsi : un ballet, une ouverture
d’opéra, un mouvement de concerto, un quatuor vocal, et ensuite, les
autres mouvements du même concerto…
Lors de ce concert de juin 1831, Chopin est largement salué par le public,
en tant que compositeur et interprète. Un critique va jusqu’à écrire :
« Celui qui conçoit aussi noblement l’art véritable mérite un véritable
respect. » Un nouvel éditeur, Pietro Mechetti, achète deux œuvres,
tandis que Haslinger et d’autres le boudent. Le 20 juillet, Chopin quitte
enfin Vienne.

En route vers Paris


Avant de se rendre en France, Frédéric passe par Salzbourg puis par
Munich, où il connaît un accueil enthousiaste. Soudain, à Stuttgart,
Chopin traverse une crise existentielle où l’obsèdent la mort et la tris-
tesse d’être loin des siens. À l’annonce de la capitulation de Varsovie, il
est désespéré et le souvenir de Konstancja ne fait qu’attiser sa détresse.
© Eyrolles Pratique

51
En septembre 1831, Chopin arrive à Paris, riche déjà d’une belle réputa-
tion de pianiste. Il y fait entendre des œuvres essentielles déjà rencon-
trées par l’auditoire. La plus significative d’entre elles est le recueil des
12 Études opus 10, presque achevé. C’est à Paris que ces Études prennent
leur sens, car Chopin y vit des leçons dispensées aussi bien à des
amateurs éclairés, qui ne se produisent pas sur scène pour des raisons
de convenances, qu’à des virtuoses qui laissent un nom dans l’histoire
de l’interprétation pianistique.

Étude voir Glossaire

Chopin accomplit en France un parcours qui donne une couleur


Chopin, vie et œuvre

nouvelle au monde pianistique : il fait évoluer la technique, livre des


compositions très originales et dispense un enseignement comme on
l’a peu fait auparavant. Rassuré par ce retour sur la terre de ses ancêtres
paternels, il « mûrit » alors son œuvre.

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52
Chapitre 5

Paris
(1831-1833)

5.
Le Congrès de Vienne (1815) a remodelé l’Europe après la chute de
Napoléon Ier. La France et la Belgique entretiennent un climat de révolte
contre l’ordre instauré par les Alliés, ennemis de la France. La Pologne,

5. Paris (1831-1833)
de son côté, se voit de plus en plus « russifiée ». Le 29 novembre 1830,
l’insurrection de Varsovie commence. Le grand-duc Constantin, frère du
tsar et maître du pays, s’enfuit avec un régiment polonais, qui, bientôt,
l’abandonne, et rejoint les insurgés.
La Pologne se croit alors reconstituée et libre. Un gouvernement auto-
nome se met en place sous la présidence du prince Adam Czartoryski
mais ne résiste pas aux dissensions internes : la Russie veut en finir avec
la Pologne. Le général Chlopicki renonce à la dictature et délègue le
pouvoir à Czartoryski et Lelewel. Le tsar Nicolas Ier envoie ses troupes
pour écraser les Polonais, mais c’est un échec. Le 25 janvier 1831, la Diète
polonaise (Assemblée où l’on règle les affaires politiques ; du latin dies/
jour ; ce terme appartient à certains pays de l’Europe centrale ou du
Nord) proclame l’indépendance de la Pologne.
Cependant Varsovie tombe le 8 septembre 1831 : les combats sont achar-
nés sur les barricades dans la ville même. La Pologne connaît alors une
grande vague d’émigration, surtout vers Paris qui bénéficie de l’apport
de cette intelligentsia.

Le « climat » de Paris
À son arrivée en France, Chopin est ébloui par l’activité culturelle foison-
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nante de Paris et par son magnifique Opéra.

55
L’Opéra national de Paris
Nommé à l’époque « Académie royale de Musique », l’Opéra de Paris
est situé rue Le Peletier, en 1831. On y utilise l’éclairage au gaz pour
des effets de mise en scène.
Aujourd’hui, l’Opéra national de Paris se partage en deux salles : le
Palais Garnier, de 1875, et l’Opéra-Bastille, inauguré en 1989 par
François Mitterrand, afin de rendre l’opéra « moderne et populaire ».

Le théâtre lyrique accapare la faveur du public parisien amateur de


musique ; il en est de même pour le théâtre dramatique qui règne en
maître sur la littérature. Victor Hugo (1802-1885) impose à la scène de
nouvelles règles qui font voler en éclat les trois unités du théâtre classi-
que (temps, lieu et action) avec Hernani et Marion Delorme, tandis
Chopin, vie et œuvre

qu’Alfred de Musset (1810-1857) et Théophile Gautier (1811-1872)


commencent à peine leur carrière littéraire.
À cette époque, de nombreux Allemands viennent s’établir à Paris, aussi
bien dans des échoppes de cordonniers que dans d’élégants magasins
de mode. L’opérette d’Offenbach, lui-même venu de Cologne, La Vie
parisienne, évoque la présence de ces artisans venus de l’Est. Le poète
Heinrich Heine (1797-1856) s’installe à Paris en 1831, la même année que
Chopin, et adopte la langue française pour écrire une partie de son
œuvre. La peinture est alors dominée par Eugène Delacroix, que Chopin
rencontre en 1836, tandis qu’en musique, c’est Hector Berlioz (1803-1869)
qui, en 1830, s’impose par son inattendue Symphonie fantastique.
Chopin s’installe boulevard Poissonnière, non loin de l’Opéra et du
quartier où sont implantés de nombreux théâtres ; il se lie immédiate-
ment avec l’émigration polonaise. Grâce à ces nouvelles rencontres, il
fait le deuil de son histoire de jeunesse avec Konstancja. Dans cette
effervescence, il écrit à son ami Tytus Woyciechowski et se moque des
Français, oubliant la solidarité que ceux-ci manifestent pour les
malheurs de la Pologne.

La vie musicale
Les concerts sont nombreux dans la salle du Conservatoire, située, à
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l’époque, rue Bergère, dans le IXe arrondissement de Paris. Berlioz y a

56
créé sa Symphonie fantastique et Habeneck assure des saisons consa-
crées à des œuvres instrumentales. Chopin entend ainsi les symphonies
de Beethoven, Mendelssohn… Les grands virtuoses se produisent à
Paris : Chopin y retrouve Paganini et rencontre le pianiste allemand Frie-
drich Kalkbrenner, lui aussi installé dans la capitale française. Ce dernier
propose à Chopin de lui donner des cours gratuitement. Flatté de cette
approche, Chopin n’y donne pourtant pas suite, ce qui n’empêche pas
les deux pianistes de demeurer amis.

François Antoine Habeneck (1781-1849)


Violoniste et chef d’orchestre, François Antoine Habeneck fut nommé
directeur de la Société des concerts du Conservatoire en 1828. Il avait
créé en France la Première Symphonie de Beethoven qu’il admirait,
en 1815, ouvrit la première saison des Concerts du Conservatoire avec

5. Paris (1831-1833)
sa Symphonie héroïque (IIIe). Il donna fréquemment les neuf sympho-
nies du maître jusqu’en 1848. Il dirigea la première aux Invalides du
Requiem (Grande Messe des Morts) de Berlioz, en 1837.

L’entourage de Chopin l’encourage à écrire un opéra, ambition néces-


saire à l’époque pour être reconnu comme compositeur à part entière.
Paradoxalement, malgré son admiration pour l’art lyrique et l’utilisa-
tion qu’il fait toujours du langage belcantiste, Chopin accorde sa préfé-
rence au piano dont il continue à explorer toutes les ressources.

Le piano au XIXe siècle


Au XIXe siècle, cet instrument connaît une transformation qui l’amène à
son état actuel. Érard et Pleyel, deux Français, en sont l’origine. Érard
invente le « double échappement » en 1822, et Pleyel l’utilise aussitôt.
Ce changement technique révolutionne l’écriture pianistique, car ce
mécanisme permet de frapper la note autant de fois et aussi
rapidement qu’on le souhaite, avec la possibilité de la répéter tout en en
variant la couleur. Les musiciens peuvent donc développer de
nombreuses figures imaginatives et faire preuve d’une virtuosité
encore plus brillante.
© Eyrolles Pratique

57
Paris, carrefour des arts
En 1831, Félix Mendelssohn-Bartholdy séjourne à Paris. Il y rencontre
Chopin : la sympathie qui s’installe entre les deux hommes repose
davantage sur des centres d’intérêt communs que sur une estime réci-
proque de compositeur à compositeur. Il en va de même pour Ferdinand
Hiller, élève de Hummel, dont Chopin apprécie plus la personnalité que
la musique. La seule rencontre fondée à la fois sur la richesse des
rapports humains et sur l’admiration artistique est celle de Chopin avec
Liszt.
Liszt est séduit par les Études de Chopin opus 10. Mais il doit les
travailler avec une extrême application pour arriver à les jouer, alors
qu’habituellement il déchiffre à la première lecture (a prima vista). Ces
Études ont une parenté certaine avec le Clavier bien tempéré de Jean-
Chopin, vie et œuvre

Sébastien Bach (1742), mais utilisent toute l’étendue du clavier et les


nouvelles possibilités d’expression que permet la facture du piano en ce
début du XIXe siècle. Écrites en 1829 et 1830, elles sont publiées en France
en 1833.
Chopin rencontre ensuite Auguste Franchomme (1808-1884), violoncel-
liste de haut rang, et compose, pour ce nouvel ami et lui-même, un
« pot-pourri » sur les thèmes d’un opéra de Meyerbeer, Robert le Diable,
créé en 1831, à la demande de l’éditeur Schlesinger.

Un compositeur reconnu
Le premier concert en France
Kalkbrenner et d’autres amis demandent à Ignace Pleyel la salle de
concerts qu’il possède rue Cadet, dans le IXe arrondissement de Paris,
pour Chopin. Après diverses vicissitudes, le concert a lieu en février 1832.
Le programme y mêle des œuvres de Beethoven, des œuvres vocales
diverses, le Concerto en mineur, des Nocturnes, Mazurkas et les Varia-
tions sur un thème de Don Juan de Mozart, tout cela de Chopin, qu’il inte-
rprète lui-même, ainsi que des œuvres pianistiques d’autres
compositeurs.
© Eyrolles Pratique

58
Si la critique émet quelques réserves, elle est en général favorable au
jeune auteur. Toutefois, on remarque avec étonnement le peu de puis-
sance de son jeu et son goût pour la demi-teinte. Chopin ne recherche
pas l’effet, mais n’atténue pas pour autant la dynamique sonore, la
palette des nuances. Ceux qui l’ont entendu soulignent cette technique
tout à fait personnelle.

Une grande finesse de jeu


Chopin souhaite se produire dans un cadre moins confidentiel que la
salle de la rue Cadet. Il envoie alors une demande pour donner un
concert dans le cadre prestigieux de la Société des Concerts du
Conservatoire : il essuie un refus. Cependant, il se produit tout de même
dans la salle du Conservatoire, rue Bergère : il y joue, sous la direction de

5. Paris (1831-1833)
Habeneck, un extrait du Concerto en mi mineur pour un concert de bien-
faisance. On constate que la finesse de son jeu s’impose difficilement
au milieu de l’orchestre et son embarras à atteindre le public dans une
grande salle.

Les débuts de la célébrité


Les concerts rapportent à Chopin quelque argent, de même que les
éditions de ses œuvres. Mais ce sont surtout les leçons de piano qui lui
permettent d’obtenir une indépendance financière inconnue jusque-là.
Les familles d’exilés polonais lui fournissent ses premiers élèves : les
Platter, les Komar, par exemple. Son élève Delphine Potocka, née Komar,
devient dès lors une grande amie et le suivra jusqu’à sa mort : elle chan-
tera pour adoucir l’agonie de Chopin à la demande de celui-ci.

Mazurkas opus 17
La Pologne martyre inspire à Chopin ses Quatre Mazurkas opus 17. Il écrit
cinquante-cinq pièces de cette forme au cours de sa vie. Jean-Jacques
Eigeldinger, le grand spécialiste de Chopin, cite Schumann (1836):
© Eyrolles Pratique

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« Si le puissant monarque autocrate du Nord (Nicolas Ier)
savait quel dangereux ennemi le menace dans les œuvres de
Chopin, dans les simples mélodies de ses Mazurkas, il en
interdirait la musique. Les œuvres de Chopin sont des canons
dissimulés sous des fleurs. »

Polonaises opus 26
L’opus 26 est constituées de deux Polonaises : la première, en ut dièse
mineur, la seconde en mi bémol mineur, l’une et l’autre d’un caractère
très dramatique. Elles traduisent la douleur de l’exil des Polonais
réfugiés à Paris et leurs pensées proches de ceux demeurés en Pologne
sous le joug russe.
Chopin, vie et œuvre

Dièses & bémols voir Glossaire

La répression russe en Pologne est féroce : exécutions, déportations,


suppression de tout ce qui pourrait donner à ce pays un statut d’État
indépendant. Le tsar est roi de Pologne, tandis que le général russe
Paskevitch, qui a écrasé Varsovie, est devenu prince de cette ville.
Chopin est désormais le chantre des douleurs polonaises en France,
l’alliée historique de la Pologne, pays slave catholique qui utilise
l’alphabet latin. Les membres de l’éphémère État indépendant (le prince
Czartoryski et les autres grands personnages condamnés à mort par
contumace par les vainqueurs) deviennent, à Paris, les amis de Frédéric
Chopin, qui retrouve aussi Stefan Witwicki, son ami poète. Paris devient
le centre de la culture polonaise broyée par le tsar.
Chopin est l’un des fondateurs de la « Société littéraire polonaise ». Il
trouve au milieu des siens la chaleur qui cimente les minorités. Il est
fortement soutenu par un groupe qui a trouvé sa cohésion dans
l’épreuve et sa raison d’être dans l’histoire de la Pologne et l’avenir qu’il
lui prépare.
© Eyrolles Pratique

60
L’enseignement
Les amis polonais de Chopin ainsi que Liszt l’introduisent auprès des
grandes familles parisiennes de riches industriels dont Chopin connaît
depuis toujours le langage et les manières. Dans ces milieux fortunés, il
apparaît non seulement comme un grand pianiste, un compositeur
reconnu, mais aussi un ami reçu et écouté. Il se met volontiers au piano
dans ces cercles qu’il préfère au cérémonial des concerts. Par l’intermé-
diaire de son amie la comtesse Marie d’Agoult, maîtresse de Liszt, elle-
même écrivain sous le pseudonyme de Daniel Stern, il rencontre les
célébrités musicales et littéraires qui se trouvent à Paris.

Un enseignement fondé sur

5. Paris (1831-1833)
une observation physiologique
La pédagogie de Chopin est fondée sur la position naturelle de la main,
sur sa configuration anatomique, telle qu’il la présente dans son
Esquisse pour une méthode de piano :

« On commence par une (gamme) qui place la main


facilement, occupant les doigts longs avec les touches hautes (les
noires), comme par exemple si majeur (cinq dièses à la clef). »

Une remarque de Mme von Gretsch, permet de mesurer l’importance de


la dimension psychologique dans l’apprentissage et l’exécution de la
musique :

« Pour m’encourager, il [Chopin] me dit entre autres : “Il me


semble que vous n’osez pas vous exprimer comme vous le
ressentez. Plus de hardiesse, plus de laisser-aller […]. Ayez pleine
confiance en vous ; ayez la volonté de chanter comme Rubini, et
vous y réussirez. Oubliez qu’on vous écoute et écoutez-vous
toujours vous-même…” »
© Eyrolles Pratique

61
Chopin met en valeur les qualités propres de l’élève et non la supériorité
(quelquefois provisoire) du professeur. Le domaine des émotions est en
effet subjectif, car il reflète l’intériorité, voire le domaine de l’Incons-
cient tel que l’explorent les psychanalystes. Chopin est un pédagogue
qui adapte son enseignement à chacun et non un dispensateur de
« recettes ». Son hypersensibilité est à coup sûr la raison de cette ouver-
ture d’esprit, qui le prédispose plus à l’empathie qu’à l’autorité aveugle
du professeur.

Un modèle d’interprétation : les chanteurs


Le modèle d’interprétation demeure pour Chopin celui qu’offrent les
chanteurs. Selon Chopin, il appartient à la voix de créer une émotion qui
repose sur le fondement même de la vie, le souffle, l’élan vital qui porte
Chopin, vie et œuvre

le mot mis en musique.


Chopin signe un contrat avec un grand éditeur, Schlesinger, qui
commence à faire paraître ses œuvres en 1833. Les numéros d’opus ne
s’enchaînent nullement suivant l’ordre chronologique des composi-
tions, mais selon une logique éditoriale de rentabilité. Les œuvres pour
orchestre sont remises à plus tard, après l’exploitation des œuvres de
musique de chambre. Ces publications sont généralement destinées à
un dédicataire : pour les Études opus 10, Liszt en est le bénéficiaire.

L’édition musicale
Elle tient un rôle prépondérant dans la création musicale et la diffusion
des œuvres. Au début du XVIe siècle, l’Italien Petrucci invente, à Venise,
la typographie musicale. Tous les pays d’Europe suivent, au fil des
siècles, cet esprit. Quelques maisons d’édition musicales demeurent
célèbres : Schlesinger, fondée à Berlin en 1795, Breitkopf et Härtel, à
Leipzig en 1719. Les compositeurs, à l’image des écrivains, ont laissé
une importante correspondance qui relate leurs relations avec leurs
éditeurs, pour souvent le meilleur et parfois le pire.

C’est à cette époque que le Concerto en mi mineur est publié sous


l’étiquette de Concerto n˚ 1 opus 11 alors qu’il a été composé par Chopin
© Eyrolles Pratique

en seconde position, mais il a l’avantage d’avoir été joué à Paris, donc

62
d’être connu du grand public. Le Concerto en fa mineur, premier
composé, paraît plus tard selon les débouchés qu’en voit Schlesinger :
ce sera l’opus 21, publié en 1836.

La critique des maîtres


Le fait d’être publié permet à chacun d’acheter les œuvres de Chopin et
à la critique de réagir sur elles. C’est ainsi que Robert Schumann n’hésite
pas à écrire que Chopin est un génie. Mais cet enthousiasme n’est pas
unanime : Mendelssohn trouve que Chopin est « maniéré » ; le critique
et poète Ludwig Rellstab, que Schubert a souvent mis en musique, ne
l’épargne pas. Il écrit :

5. Paris (1831-1833)
« Dans ses danses, il assouvit son désir passionné d’écrire de
manière raffinée et artificielle, jusqu’à l’outrance et la nausée1. »

Nouvel arrivé dans la vie de Chopin, Berlioz (Prix de Rome en 1830) se lie
d’amitié avec lui et lui fait rencontrer le milieu littéraire français,
notamment Alfred de Vigny.
Frédéric déménage à nouveau et s’installe au 5 de la rue de la Chaussée-
d’Antin, en colocation avec un ami médecin polonais, Aleksander Hoff-
mann. Puis Vincenzo Bellini, compositeur italien très apprécié, arrive à
Paris. Chopin se lie d’amitié avec l’Italien, sous le signe de tous les raffi-
nements du bel canto.
Le 15 décembre 1833, Chopin participe à un concert à la Société des
Concerts du Conservatoire pour jouer un mouvement du Concerto en ré
mineur de Jean-Sébastien Bach, pour trois pianos. Ses partenaires sont
Hiller et Liszt. Berlioz, qui déteste Bach, écrit alors une critique disant
qu’il est « déchirant de voir trois talents étonnants, pleins d’énergie,
éclatants de jeunesse et de vie, réunis pour exécuter cette psalmodie
inepte et ridicule ». C’est sans doute la raison pour laquelle la renais-
sance de Bach, en France, vient bien plus tard, alors qu’elle commence
déjà en Allemagne sous l’influence de Mendelssohn.
© Eyrolles Pratique

1. Cité par Tadeusz Zielinski in Frédéric Chopin, Fayard, Paris, 1995.

63
Entre-temps, Chopin compose une œuvre ambitieuse, la Fantaisie-
Impromptu en ut dièse mineur, audacieuse surtout sur le plan
rythmique : à la main droite le rythme binaire, à la main gauche le
rythme ternaire. Les deux mains font alliance seulement à la fin de
l’œuvre, en optant toutes deux pour le rythme binaire.
Chopin, vie et œuvre

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64
Chapitre 6

Maria
(1834-1837)

6.
Un ami de toujours rejoint Chopin et l’émigration polonaise à Paris, Jan
Matuszynski : camarade d’école de Frédéric, médecin durant l’insurrec-
tion polonaise, il fuit la Pologne russifiée malgré elle pour s’installer à

6. Maria (1834-1837)
Tübingen, en Allemagne, y obtient son doctorat et gagne Paris où il
cohabite avec Chopin. Ce dernier, au printemps 1834, se rend avec son
ami Hiller, pianiste et compositeur, au festival d’Aix-la-Chapelle dont
Mendelssohn est le directeur : ils y entendent des œuvres de Haendel,
Mozart et Beethoven. Après être passés par Düsseldorf et Coblence, ils
reviennent à Paris : c’est à ce moment que Chopin doit prendre la déci-
sion de retourner en Pologne pour se soumettre au tsar ou d’y renoncer
pour demeurer un émigré.

De nouveaux horizons
La Ballade
La Ballade en sol mineur opus 23, première pièce pianistique à porter ce
nom dans l’histoire de la musique, demande à Chopin un travail de
longue haleine : commencée en 1831, elle est achevée en 1834 et paraît
en 1836. Elle présente une suite de thèmes expressifs, de la majesté ryth-
mique et mélodique au ricanement sardonique de la conclusion.

Ballade voir Glossaire


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67
Le festival d’Aix-la-Chapelle
Lors de son voyage à Aix-la-Chapelle, Chopin assiste au festival qui est
donné tous les ans au moment de la Pentecôte. En 1834, Mendelssohn y
présente l’oratorio de Haendel, Israël en Egypte (1738), une redécouverte,
un événement musical de première importance car, à l’époque, cette
musique « ancienne » est complètement passée de mode.
De retour à Paris, Chopin choisit d’adopter le statut d’émigré, ce qui lui
ferme définitivement les frontières de la Pologne. Mais il reste ainsi
fidèle à ses amis, protecteurs et élèves : Czartoryski, Plater, Jan Matu-
szynski… À Paris, il sait qu’il peut mener à bien sa vocation de créateur.
Chopin compose à cette époque les Quatre Mazurkas opus 24 qui
paraissent en 1836. On y remarque des emprunts au folklore, une grande
richesse harmonique et un caractère général sobre, délicat, triste et
Chopin, vie et œuvre

profond.

Second Concerto en fa mineur


Chopin se produit régulièrement durant la saison 1834-1835. Berlioz
organise un concert, en décembre 1834, au Conservatoire, où Chopin
peut enfin jouer un mouvement de son Concerto en fa mineur. La criti-
que l’accueille sans enthousiasme mais sans hostilité, manifestant
presque de la condescendance, voire de la perfidie à son égard ; elle lui
préfère clairement les éclats berlioziens. Chopin paraît encore plusieurs
fois en tant qu’interprète, jouant des œuvres de Liszt et d’autres
compositeurs. Il décide ensuite de la partie musicale d’un concert orga-
nisé au profit des émigrés polonais. Le concert fait recette mais le public
accueille froidement le Concerto en mi mineur que Chopin y présente.
Une nouvelle fois, le public prouve son incompréhension pour cet art
délicat que Chopin impose dans ses œuvres.
Pourtant, en avril 1835, Habeneck appelle Chopin pour le concert de
clôture de la saison. Il interprète la Grande Polonaise en mi bémol majeur,
sa dernière œuvre, le programme comptant des œuvres de Beethoven et
le Lied de Schubert le Roi des Aulnes (poème de Goethe), chanté par
Nourrit. Le public est cette fois réceptif à son art, mais cela est insuffi-
sant pour que Chopin ne décide pas de s’éloigner des salles de concerts.
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Adolphe Nourrit (1802-1839)
Ténor français de grand talent, élève du ténor Manuel Garcia, qui fut
l’ami de Rossini, le père des cantatrices légendaires Maria Malibran
et Pauline Viardot, et du baryton Manuel Garcia II, auteur d’un Traité
complet de l’Art du Chant (1850), ouvrage sans rival à ce jour. On louait
le raffinement des interprétations de Nourrit tant au théâtre que pour
son art d’interpréter mélodies et Lieder. Il connut un rival en France,
le ténor Gilbert-Louis Duprez (1806-1896), qui lança la mode des aigus
chantés à pleine voix (urlo francese, le « hurlement français » comme
le disaient les Italiens). Cela nuisit à Nourrit qui tenta de redonner vie
à sa carrière en Italie. Mais la censure l’empêcha de créer un opéra de
Donizetti auquel il tenait (Poliuto/Polyeucte), ce qui l’amena à mettre
fin à ses jours au cours d’une crise de désespoir.
Le style de Nourrit, qui relayait l’art de Manuel Garcia, se perpétua
difficilement. Il y eut deux ténors français, retirés à ce jour, qui y
excellèrent : Michel Sénéchal, né en 1927, et Charles Burles, de dix

6. Maria (1834-1837)
ans son cadet.

Études opus 25
Ces douze Études sont dédiées à Marie d’Agoult ; elles viennent complé-
ter la démonstration de la maîtrise technique chopénienne. Certaines
phrases ne manqueront pas d’inspirer Scriabine car le langage de
Chopin s’inscrit dans la spirale de l’avenir.
Le médecin de Chopin lui prescrit une cure durant l’été 1835 pour soula-
ger sa santé fragile, à Enghien, station thermale que fréquente aussi
Delphine Potocka dont il devient l’ami. De nombreux Polonais habitent
Montmorency, ville proche de Paris qui jouxte Enghien. Le marquis de
Custine, esthète raffiné, possède le château de Saint-Gratien, autre ville
qui jouxte Enghien : il est l’ami de Chopin, que sa cure n’isole point de
ses familiers ou de ses admirateurs bien qu’éloigné de Paris d’une
dizaine de kilomètres.

Le « repos » de Carlsbad
La station thermale de Carlsbad, en Bohême, est très célèbre. Chopin,
ayant appris que sa famille a décidé d’y faire un séjour, laisse Enghien et
son lac pour se rendre à Carlsbad au milieu du mois d’août. Il y retrouve
© Eyrolles Pratique

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ses parents, qu’il a quittés avant les terribles événements de Varsovie,
et passe plus de trois semaines avec eux : l’adieu est tendrement émou-
vant. Puis Chopin prend le chemin de Dresde pour y retrouver la famille
Wodzinski qu’il fréquentait assidûment à Varsovie pour être allé au
lycée avec les fils, frères de Maria Wodzinska, dont le poète Slowacki
exalte la beauté. Mais Maria rêve du musicien lointain et adulé, Frédéric
Chopin. Elle a seize ans et possède un charme qui ne peut que toucher
Frédéric.

La Valse en la bémol majeur opus 69 n˚1


Chopin compose pour Maria Wodzinska la Valse en la bémol majeur
opus 69 n˚ 1, œuvre d’une émotion contenue, comme peut le ressentir
un jeune homme épris et timide. Mais Chopin doit rentrer à Paris ; il ne
Chopin, vie et œuvre

manque toutefois pas de passer par Leipzig, où Mendelssohn a pris la


direction du prestigieux Gewandhaus (1835), salle et orchestre de tout
premier plan. Mendelssohn écrit à sa sœur Fanny, compositeur elle-
même, ces lignes :

« Il me fut agréable de me retrouver avec un véritable musicien


éloigné de ces demi-virtuoses à moitié classiques qui veulent
assembler dans leurs productions vertu digne et péchés
voluptueux. J’étais avec un musicien conscient du but qu’il
poursuit. Même si ce but est diamétralement opposé au mien,
nous pouvons nous comprendre, ce qui est impossible avec ceux
qui manquent de détermination. »

Mendelssohn emmène Chopin chez le futur beau-père de Schumann,


Friedrich Wieck. Les Wieck, père et fille, ainsi que Schumann sont
enthousiasmés de cette rencontre durant laquelle la jeune Clara Wieck
joue des œuvres de Chopin et de Schumann : Frédéric admire cette
virtuose de seize ans.
De retour à Paris, le sentiment de Chopin pour Maria Wodzinska ne
cesse de grandir, attisé par les lettres qu’elle envoie au jeune homme,
en français, où transparaît un fort sentiment exprimé avec la pudeur qui
© Eyrolles Pratique

convient.

70
Les premiers symptômes de la maladie
Ce voyage à l’Est a été exténuant pour Chopin. À son retour, il tombe
malade à Heidelberg puis, lorsqu’il rentre à Paris, souffre d’une pneu-
monie, en cette fin d’année 1835 si importante pour son œuvre.
Frédéric est très sollicité aussi bien par les salons aristocratiques et
érudits que pour les fêtes de charité en faveur des réfugiés polonais,
alors qu’il lui faudrait du repos plutôt que les atmosphères confinées
des salons citadins.
Les premiers signes de la maladie mortelle dont il est atteint arrivent
alors qu’il vit un amour platonique avec Maria Wodzinska, amour
fécond pour l’imagination. Il crée ainsi les deux Nocturnes opus 27, en ut
dièse mineur pour le premier et ré bémol majeur pour le second. Malgré
sa santé préoccupante, Chopin est en pleine possession de son langage

6. Maria (1834-1837)
inimitable où le chant se déploie dans des phrases d’une invention infi-
nie. Le drame du premier Nocturne se résout avec la gaieté méditative
du second.

Les retrouvailles
Au cours de l’été 1836, malgré sa fatigue qui persiste depuis 1835, Chopin
refuse toutes les invitations qui se présentent à lui, n’ayant en tête que
les retrouvailles avec Maria Wodzinska. Il est gai, provoquant les rires
autour de lui avec ses imitations et ses plaisanteries. Lors d’une soirée
organisée par Liszt, de passage à Paris, il rencontre Eugène Delacroix
avec lequel il noue une amitié qui ne se démentira jamais.

L’arrivée à Marienbad
Les dames Wodzinska arrivent en juillet à Marienbad, peu de temps
avant Chopin. Le piano se trouve toujours au centre des conversations
entre Frédéric et Maria, qui a appris certaines œuvres de Chopin. Elle
exerce aussi sur lui ses talents de portraitiste et le peint à l’aquarelle,
traduisant l’expression mûre et grave qui émane de son visage. Tout ce
qui n’est pas Maria laisse Frédéric indifférent, même la présence d’amis
qui lui ont toujours témoigné admiration et fidélité. Chopin demande la
© Eyrolles Pratique

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main de la jeune fille à sa mère Teresa, qui ne la lui refuse pas, mais la
mauvaise santé déjà bien perceptible de Chopin ne joue pas en sa
faveur.
L’expression « Heure grise » est un code que les dames Wodzinska et
Chopin emploient à propos de la conversation durant laquelle Chopin a
demandé la main de Maria à Teresa, en septembre 1836. Rentré à Paris,
Frédéric reçoit une lettre de Teresa Wodzinska lui recommandant de
mener une vie moins trépidante. Mais Chopin n’en a cure. Il déménage
de nouveau pour un autre appartement, toujours rue de la Chaussée-
d’Antin, au 38, cette fois.

Une rencontre annonciatrice


Chopin, vie et œuvre

Liszt, à son retour de Suisse, s’installe rue Laffitte, à Paris, où il organise


maintes réceptions, toujours en compagnie de la comtesse d’Agoult. Au
cours de l’une d’elles, il invite George Sand, dont Chopin fait la connais-
sance à cette occasion. Chopin invite bientôt George chez lui pour un
dîner avec Liszt et Marie d’Agoult.
Frédéric est alors aimé et célèbre ; ses œuvres sont régulièrement
publiées. Il est très heureux : il mène la vie qu’il apprécie avec ses amis
artistes, français et polonais, donne des leçons à des élèves talentueux
et respectueux. De plus, la critique lui devient de plus en plus favorable
et ses ennemis du passé, comme Rellstab à Berlin, commencent à entrer
dans son univers, à accepter la nouveauté de son écriture.
Les Quatre Mazurkas opus 30 marquent cette période par leur originalité,
ainsi que la composition d’une mélodie sur un poème de Mickiewicz,
Ma Mignonne, d’un grand élan amoureux. Viennent encore les deux
Nocturnes opus 32, le deuxième Scherzo en si bémol mineur opus 31 et
l’Impromptu en la bémol majeur opus 29. Ces pièces font preuve d’une
grande liberté d’invention, comme si, chaque fois, Chopin ouvrait une
nouvelle voie dans le processus créateur qui lui est propre. La sûreté de
son écriture ne le trahit jamais ; au contraire, elle s’affirme.
© Eyrolles Pratique

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« Moja bieda » (Mon malheur)
De nouveaux symptômes
La correspondance entre Chopin et les dames Wodzinska (Teresa, la
mère, et Maria) n’a cessé durant toute la fin de 1836. Mais au début de
1837, Chopin tombe de nouveau malade : il a de la fièvre et crache du
sang. La famille Wodzinski sait que Chopin n’observe en rien les
résolutions qu’il a promis de prendre pour ménager sa santé. De plus,
il fréquente deux femmes célèbres dont les mœurs ne sont guère
recommandables : Marie d’Agoult et George Sand. La première vit
ouvertement avec Liszt après avoir quitté son mari ; la seconde passe
de liaison en liaison. Cela n’encourage pas la famille Wodzinski à pour-
suivre le projet du mariage de Maria avec Chopin. Les lettres prennent

6. Maria (1834-1837)
un tour purement amical, perdant cette tendre connivence qu’elles
manifestaient jusque-là. Chopin en est déconcerté, bien qu’il soit lui-
même l’artisan de ce refroidissement. Quant à Maria, il semble qu’elle
ait rêvé cet amour plutôt que projeter une vie commune avec le jeune
compositeur.

La fuite à Londres
Chopin, au lieu de se soigner, part pour Londres avec Camille Pleyel pour
se consoler de cet échec amoureux, point final à tout espoir de vie
conjugale avec Maria. Camille Pleyel et lui fréquentent l’Opéra et les
salles de concerts. Cependant, Londres a un effet mitigé sur Chopin, qui
écrit à son ami Fontana :

« Tout est lavé et relavé, c’est pourtant noir comme un c… de


gentilhomme ! »

En août 1837, Chopin réunit les lettres des dames Wodzinska en les liant
d’un ruban bleu et note sur le petit paquet : « Moja bieda » (Mon
malheur). Le rêve de cette idylle polonaise s’achève ainsi.
© Eyrolles Pratique

73
Chapitre 7

George Sand
(1838-1839)

7.
L’hiver 1837-1838 absorbe Chopin par de nombreux concerts à Paris, un

7. George Sand (1838-1839)


concert également à Rouen où il joue son Concerto en mi mineur. Si le
succès est retentissant, la critique est loin d’être unanime : son inventi-
vité et la richesse de son imagination choquent les esprits convention-
nels.
Il compose étonnamment rapidement, comme Mozart, comme s’il
transcrivait la musique déjà précisément conçue dans son esprit. Il écrit
la Valse en fa majeur, une mélodie sur un texte de Witwicki, le Printemps,
et d’autres œuvres encore.

Une rencontre décisive


En 1838, Frédéric Chopin est en pleine possession de ses moyens de
compositeur et de pianiste, mais sa rupture douloureuse avec Maria
Wodzinska le laisse vulnérable et seul face à la maladie.
C’est à ce moment qu’il rencontre George Sand. La première fois que
Chopin l’aperçoit, les allures masculines et émancipées de l’écrivain et
journaliste lui déplaisent fortement. À cette époque, elle entretient une
liaison avec Michel de Bourges, un être autoritaire et tyrannique, qui a
été son avocat lors de son procès contre son mari. Chopin, que George
Sand a connu par Liszt, attire son attention par sa fragilité, sa délica-
tesse et son talent. Elle tente de l’attirer à Nohant, sa propriété du Berry
où elle séjourne régulièrement, mais il refuse son invitation. Pour mieux
l’approcher, elle décide alors de se mêler à l’émigration polonaise. C’est
© Eyrolles Pratique

77
ainsi qu’elle devient l’amie de Wojciech Grzymala (né en 1793), très lié à
Chopin, fondateur de la « Société littéraire polonaise », avec Chopin et
d’autres émigrés.

Mazurkas opus 33
Chopin dédie ce sixième recueil de Quatre Mazurkas à Roza Mostowska,
la fille du ministre qui lui a refusé, neuf ans plus tôt, la bourse qu’il avait
sollicitée pour se rendre à Vienne et en Italie.
Les tonalités respectives de ces Quatre Mazurkas sont les suivantes : sol
dièse mineur, ré majeur, ut majeur, si mineur.
Chopin poursuit activement l’élaboration de son œuvre. On dit même
que le tsar tente de l’amadouer en l’attirant à la cour de Saint-
Chopin, vie et œuvre

Pétersbourg par des arguments oiseux sur la date de son départ de


Varsovie avant l’insurrection. Mais Frédéric demeure intraitable, indif-
férent à ces manœuvres.

Les prémices d’une passion


Chopin et George Sand ont l’occasion de se faire quelques confidences.
Toutefois, le musicien évite de révéler sa récente rupture avec Maria
Wodzinska et George Sand que le précepteur de son fils est aussi son
amant ! Mais ils sont fort troublés l’un par l’autre : George Sand et son
amie la comédienne Marie Dorval, éprise de George, ont un jour grif-
fonné à l’intention de Chopin ce badinage mondain : « On vous adore ! »
Enfin George en vient à écrire une lettre interminable à leur ami
commun Wojciech Grzymala, datée de Nohant, au mois de juin 1838
(Nohant où se trouve son amant, Félicien Mallefille, très épris d’elle) :
elle désigne dans cette lettre Chopin par des expressions telles que
« notre enfant » ou « notre petit », termes affectueux que Grzymala, de
dix ans plus âgé que Chopin, emploient souvent à son égard. Voici quel-
ques passages de cette longue missive très significative de l’état
d’esprit de George :
© Eyrolles Pratique

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■ L’aveu

« Jamais il ne peut m’arriver de douter de la loyauté de vos


conseils, cher ami […]. Moi, je ne veux pas m’abandonner à la
passion, bien qu’il y ait au fond de mon cœur un foyer encore
bien menaçant parfois. Mes enfants me donneront la force de
briser tout ce qui m’éloignerait d’eux […]... On est meilleur
quand on aime d’un amour sublime, et loin de commettre un
crime, on s’approche de Dieu, source et foyer de cet amour […].
Le passé est une chose appréciable et limitée ; l’avenir, c’est
l’infini parce que c’est l’inconnu […]. J'ai toujours condamné la

7. George Sand (1838-1839)


femme quand elle voulait être heureuse au prix du bonheur de
l’homme ; j’ai toujours absous l’homme quand on lui
demandait plus qu’il n’est donné à la liberté et à la dignité
humaine d’engager. Un serment d’amour et de fidélité est un
crime ou une lâcheté quand la bouche prononce ce que le cœur
désavoue, et on peut tout exiger d’un homme excepté une lâcheté
et un crime […]... Il y aura de beaux jours et de saintes flammes
[…]. Les sentiments ont toujours été plus forts que les
raisonnements et les bornes que j’ai voulu me poser ne m’ont
jamais servi à rien. »

Cette lettre de George Sand manifeste la profondeur de ses sentiments


pour Chopin. Grzymala, de son côté, encourage cette liaison et devient
le confident des deux parties.
Blessé, mais désormais remis de sa rupture avec Maria, Chopin s’éprend
de cette femme plus âgée que lui, pleine d’admiration et de sollicitude.
Elle le séduit d’autant plus par la carrière artistique qu’elle mène elle
aussi, mais en littérature. Elle connaît les impératifs d’une telle profes-
sion et affiche une tendresse qui séduit Chopin par son caractère
protecteur.

■ Une nouvelle compagne


Animé d’une ardente passion, Chopin n’hésite pas vivre aux côtés de
© Eyrolles Pratique

George Sand. Il veut ne plus rien conserver de sa vie antérieure pour ne

79
plus la quitter. À son tour, George Sand s’engage auprès de Chopin : elle
rompt avec Mallefille, son amant.
Ennemi du scandale, Chopin désire s’éloigner de Paris pour vivre en paix
son nouvel amour, d’autant plus qu’il est dans une fièvre créatrice qui
s’accommode mal de rencontres clandestines. George Sand, quant à
elle, projette un nouveau roman (Spiridion). Ils décident de partir pour
Majorque, mais l’argent leur manque. Chopin prend la résolution de
contracter un emprunt : il vend ses Préludes non encore achevés à Pleyel,
qui, en échange, se charge de lui envoyer un piano aux Baléares pour
pouvoir travailler.

Concert chez le marquis de Custine


Chopin, vie et œuvre

Le marquis de Custine1 apprécie bien peu ce qu’il considère comme un


enlèvement de Chopin par George Sand et confie sa tristesse en écrivant
à son amie et consœur Sophie Gay, le 22 octobre 1838, ces lignes :

« Il [Chopin] part pour Valence en Espagne, c’est comme pour


l’autre monde. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que
Madame Sand a fait de lui en un été. La phtisie se reflète sur sa
figure qui a l’air d’une âme sans corps. Il a joué pour nous en
guise d’adieu avec l’expression que vous connaissez. D’abord
une Polonaise qu’il vient d’achever, superbe par sa puissance et
sa vigueur. C’est une orgie de joie. Ensuite il a exécuté la Prière
des Polonais et, à la fin, la Marche funèbre, qui, malgré moi,
m’a fait pleurer. C’était comme un cortège le conduisant au
repos éternel et, quand je me suis dit que je pouvais ne plus le
revoir sur cette terre, mon cœur a saigné. »

La Prière des Polonais, mentionnée par Custine, fait référence à une


courte pièce en forme d’hymne. Quant à la Marche funèbre, il s’agit de
l’austère mouvement que Chopin insère dans sa célèbre Sonate en si
bémol mineur.

1. que l’auteur se plaît à nommer « le Mage de Saint-Gratien » : il résidait au château


© Eyrolles Pratique

de cette ville du Val-d’Oise.

80
Chopin joue aussi, chez Custine, la Polonaise en la majeur et la Polonaise
en ut mineur, les deux volets de l’opus 40. Ces deux nouvelles polonaises
présentent deux caractères contraires, l’optimisme face au pessimisme,
illustration de l’écrasement et de l’espoir en une Pologne débarrassée
de la domination russe.

Le départ pour l’Espagne


Une agréable découverte
Chopin rejoint George qui l’attend à Perpignan avec ses enfants et une
domestique. Ils font route vers Barcelone, puis vers Palma de Majorque,

7. George Sand (1838-1839)


qu’ils atteignent le 8 novembre 1838.
Le paysage les séduit, mais ils sont malheureusement déçus par le
manque de confort de leur auberge. Le consul de France à Palma signale
à George et à Frédéric une chartreuse abandonnée à Valldemosa, dans
les montagnes, à une quinzaine de kilomètres de la capitale. En atten-
dant de pouvoir s’y installer, ils louent, près de Palma, une maison dans
un site vallonné. Chopin décrit avec enthousiasme son arrivée en Espa-
gne à son ami Julian Fontana, le 15 novembre 1838 :

« Du soleil toute la journée. […] La ville et tout ici en général


reflète l’Afrique. Bref, une vie admirable ! Aime-moi. Fais une
petite visite à Pleyel car le piano n’est pas encore arrivé. […] Je
suis près de ce qu’il y a de plus beau au monde. Je me sens
meilleur. »

La maladie
Chopin et George travaillent chacun à de nouvelles œuvres dans le
bonheur. Mais, au cours d’une promenade, ils essuient un orage et
Frédéric tombe malade. Il écrit le 3 décembre 1838 à Julian Fontana :

« J’ai été malade comme un chien, ces deux dernières semaines.


J’avais pris froid en dépit des dix-huit degrés de chaleur, des
© Eyrolles Pratique

roses, des orangers, des palmiers et des figuiers. Trois médecins –

81
les plus célèbres de l’île – m’ont examiné. L’un a flairé mes
crachats, l’autre a frappé pour savoir d’où je crachais, le
troisième m’a palpé en écoutant comment je crachais. Le
premier a dit que j’allais crever, le deuxième que j’étais en train
de crever, le dernier que je l’étais déjà. »

Malheureusement, la bronchite interminable de Chopin laisse présager


la phtisie. De plus, lorsque vient l’hiver, le climat se dégrade et le couple
d’artistes souffre beaucoup du froid et de l’humidité. Le bruit se répand
alors que Chopin est phtisique et le propriétaire de la maison les somme
de partir par crainte de la contagion. Avant de pouvoir s’installer à Vall-
demosa, les amants, qui ne savent plus où loger, sont hébergés par le
consul de France.
Chopin, vie et œuvre

L’arrivée à Valldemosa
La route est difficile pour gagner Valldemosa : Chopin et George Sand
doivent franchir des ravins, puis progresser à flanc de montagne ; le sol
est meuble et les sentiers non tracés.
Ils découvrent enfin cette belle bâtisse du XVe siècle, isolée sur ses
rochers. Le trajet entre Palma et Valldemosa se révélant périlleux et
inconfortable, Chopin s’inquiète pour l’arrivée de son piano envoyé par
Pleyel début novembre ; il n’arrivera à Palma que fin décembre. Chopin
peut alors se remettre au travail à un rythme satisfaisant, même s’il est
régulièrement interrompu par la toux et les douleurs pectorales. Quant
à George Sand, elle pourvoit à tout : les courses, la cuisine, ses enfants…
Cependant, les Espagnols n’accueillent pas très favorablement ces
étranges personnages venus de France qui ne sont pas mariés, ne vont
pas à l’église et qui passent leur temps à écrire ou à jouer du piano. De
plus, la femme fume le cigare et sa fille, habillée en garçonnet, ne cesse
de dessiner.

La progression de la maladie
Les pluies sont torrentielles et les murs de la chartreuse suintent
© Eyrolles Pratique

d’humidité, ce qui n’arrange pas la maladie de Chopin. Il est à bout de

82
force, de plus en plus épuisé par la toux. Son moral est aussi affecté, car
le courrier n’arrive pas. Il se sent coupé du monde alors qu’il attend des
lettres des siens et de ses éditeurs.
Chopin achève son opus 40, qu’il dédie à Julian Fontana pour le remer-
cier de s’occuper de ses affaires à Paris durant son absence. Cependant,
la présence de George Sand ne suffit pas à adoucir les souffrances du
jeune homme déprimé, qui décide de rentrer à Paris en février.
Les manifestations d’amour, de tendresse entre Frédéric Chopin et
George Sand sont pourtant nombreuses. Dans la lettre citée plus haut,
George exprime le coup de foudre qu’elle a éprouvé pour le jeune
compositeur. Pour lui, elle n’a pas hésité à mettre un terme à sa liaison

7. George Sand (1838-1839)


avec Mallefille et elle semble lui rester fidèle jusqu’à leur rupture diffi-
cile, en 1847. Frédéric, quant à lui, manifeste son affection en utilisant
le prénom d’origine de sa compagne pour s’adresser à elle : Aurore ; il y
ajoute une touche d’exotisme en le traduisant par le mot polonais
« Jutrzenca ».

Barcelone
Le passage à Barcelone sur le chemin du retour en France est à la fois
épique et pénible. George Sand écrit de cette ville à son amie parisienne,
la comtesse Marliani, pour lui raconter cette aventure :

« Barcelone, 15 février 1839


Ma bonne chérie,
Me voici à Barcelone. Dieu fasse que j’en sorte bientôt et que je
ne remette jamais le pied en Espagne ! C’est un pays qui ne me
convient sous aucun rapport et dont je vous dirai ma façon de
parler quand nous en serons hors, comme dit La Fontaine. Le
climat de Majorque devenait de plus en plus funeste à Chopin,
je me suis hâtée d’en sortir. Nous avons été à Majorque comme
des parias à cause de la toux de Chopin et aussi parce que nous
n’allions pas à la messe. Mes enfants étaient assaillis à coups de
pierres sur les chemins. On disait que nous étions païens, que
sais-je ? […] Enfin nous avons gagné Barcelone qui nous semble
© Eyrolles Pratique

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le paradis par comparaison. Nous avons voyagé sur le bateau à
vapeur en compagnie de cent cochons dont l’odeur n’a pas
contribué à guérir Chopin. mais le pauvre enfant serait mort de
spleen à Majorque et, à tout prix, il a fallu l’en faire sortir… »

Le spleen
Ce mot anglais vient d’un mot grec qui signifie la « rate ». En 1839, il
possède une connotation de nature aristocratique, car seule la classe
dominante peut se permettre d’en souffrir. Il signifie l’imprécision des
émotions, une sorte de flou en soi-même qui peut mener au suicide.
Lord Byron a baptisé un vin de Bordeaux (moulis) « Chasse-Spleen »,
nom qu’il possède encore.
Chopin, vie et œuvre

Le retour en France
Chopin reprend quelques forces à Barcelone, mais le médecin précise
que le voyage de retour doit se passer en plusieurs étapes, chacune
prolongée, afin que le malade puisse se reposer. C’est ainsi qu’arrivent
Chopin, George Sand et ses enfants à Marseille le 24 février. Chopin n’a
fait qu’aggraver sa faiblesse pulmonaire au cours de ce séjour totale-
ment néfaste à un tuberculeux.

Un foisonnement d’œuvres
Les 24 Préludes opus 28, dédiés à Pleyel
Cette œuvre explore toutes les tonalités, un hommage rendu à Jean-
Sébastien Bach et plus particulièrement à son œuvre essentielle pour
Chopin, le Clavier bien tempéré. Chaque pièce des deux recueils de Bach
est constituée d’un prélude suivi d’une fugue dans chacune des tonali-
tés majeures et mineures.

Fugue voir Glossaire


© Eyrolles Pratique

Comme le dit plaisamment le philosophe et musicien Vladimir Jankélé-


vitch, le prélude a pour particularité, chez Chopin et Liszt, qu’il

84
n’annonce rien, contrairement à ce que sa dénomination indique ; il se
suffit à lui-même. Ces 24 Préludes sont des moments de musique aux
climats divers, pleins d’idées nouvelles, fruits peut-être du spleen. Ces
pièces se tiennent entre elles mais peuvent être données séparément,
comme s’il s’agissait d’un tout organique dont chaque élément pouvait
se suffire à lui-même. Cet opus 28 traduit la complexité de la création,
construction cohérente et mystérieuse.
Liszt, ami du compositeur, apprécie fort cette œuvre et ne tarit pas
d’éloges à son propos :

« Les Préludes de Chopin sont des compositions d’un ordre tout

7. George Sand (1838-1839)


à fait à part. Ce ne sont pas seulement, ainsi que le titre pourrait
le faire penser, des morceaux destinés à être joués en guise
d’introduction à d’autres morceaux, ce sont des préludes
poétiques, analogues à ceux d’un grand poète contemporain
[Lamartine, qui inspirera à Liszt un de ses Préludes pour
orchestre / 1848-1854], qui bercent l’âme en des songes dorés, et
l’élèvent jusqu’aux régions idéales. »

Quant à Frédéric lui-même, peu prolixe en commentaires de ses œuvres,


il écrit de Marseille une lettre à son fidèle Julian Fontana, le 7 mars 1839,
où il lui donne toutes les directives pratiques pour utiliser l’argent
rapporté par son opus 28 : loyer, remboursement de dettes, besoins
personnels.
De nombreux compositeurs se sont inspirés de cet opus 28 de Chopin,
pour écrire à leur tour des préludes : Debussy, Fauré, Scriabine, Szyma-
nowski (1882-1937), Chostakovitch (1906-1975), Maurice Ohana (1914-
1992).

La Mazurka opus 41 n˚ 2 en mi mineur


Chopin nomme cette Mazurka la « Palmienne ». Elle est profondément
marquée de tristesse et d’un sentiment d’abandon. Samson François
(1924-1970), pianiste français interprète passionné de Chopin, écrit :
© Eyrolles Pratique

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« Le naturel des Mazurkas ! J’ai longtemps été impressionné
par elles. Il fallait être Polonais pour bien les interpréter. Il
fallait prendre garde au rythme particulier. J’en suis arrivé à la
conclusion qu’elles ressemblaient plus à des chansons qu’à des
danses et, dès lors, je ne me suis pas inquiété de leur signification,
laissant couler ces flots de musique sans m’interroger,
transporté… »

Samson François
Samson François (1924-1970), né à Francfort-sur-le-Main, en Alle-
magne, est mis au piano à l’âge de deux ans. En Italie, le compositeur
Mascagni lui donne ses premières leçons, puis il obtient un premier
prix de piano à Belgrade, suivant à travers l’Europe les postes occupés
par son père dans divers consulats de France. En 1932, sa famille
Chopin, vie et œuvre

s’installe à Nice. Il obtient un premier prix au Conservatoire de cette


ville. Alfred Cortot le remarque et lui conseille de suivre l’enseigne-
ment d’Yvonne Lefébure à l’École normale de Musique de Paris. Il est
aussi l’élève de Nadia Boulanger pour l’harmonie. En 1938, après la
Licence de Concert à l’École normale, il entre au Conservatoire natio-
nal supérieur de Paris, dans la classe de Marguerite Long. Il obtient
son premier prix en 1940 et, en 1943, reçoit le premier prix du
concours Long-Thibaud. À partir de 1945, il commence sa grande
carrière internationale, et meurt, terrassé par une crise cardiaque, à
Paris, le 22 octobre 1970.

Deuxième Ballade en fa majeur opus 38


Dans cette œuvre, écrite en grande partie à Majorque, on entend succé-
der au bercement initial des sons sarcastiques qui rompent cette
douceur comme dans un cauchemar, sorte d’apparition digne de la
Divine Comédie de Dante.
Cette pièce s’achève en un apaisement blessé, qui est comme la traduc-
tion sonore du calme que ressent le malade après une crise, retour à un
stade antérieur abîmé par la souffrance, voué à la solitude face à
l’inéluctable.
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Marseille : un séjour troublé
Chopin tente de se reposer pendant ce séjour de trois mois à Marseille.
Il écrit alors à Julian Fontana pour lui préciser les dispositions finan-
cières qu’il doit tenir auprès de ses éditeurs. Le musicien ne manque pas
non plus d’écrire à ses amis ; cette lettre, adressée en français à
Grzymala, le 12 mars 1939, en témoigne :

« Ma santé s’améliore de jour en jour. Les vésicatoires, la diète,


les pilules, les bains et, plus que tout, les soins infinis de mon
ange [George Sand] m’ont remis sur pieds – sur des jambes un
peu maigres. Tu t’intéresses à mes projets ? Alors, voici : le

7. George Sand (1838-1839)


médecin ne veut pas me libérer avant mai… juin. De Marseille,
nous comptons gagner Nohant où l’air d’été me fera beaucoup
de bien. Si ma santé l’exige et suivant l’état de mes finances, je
passerai l’hiver prochain dans le midi de la France ou à Paris.
J’ai maigri et pâli terriblement mais maintenant je mange
beaucoup. »

Le 20 mars, Chopin et George apprennent le suicide d’Adolphe Nourrit


qui vient de se jeter de sa fenêtre, à Naples, à la suite d’une déception
professionnelle.
Très affectée elle aussi par cet événement, George Sand écrit à une amie,
la comtesse Marliani, ce 20 mars 1839 :

« Chopin va très bien, il a été secoué aujourd’hui par l’histoire


qu’on est venu nous raconter sur Nourrit, lequel se serait jeté
d’une fenêtre et brisé sur le pavé en mille pièces, la nouvelle
arrive par le bateau à vapeur de Naples. Pourtant nous en
doutons encore, c’est trop affreux. J’en suis malade moi-même.
J’aimais beaucoup Nourrit comme vous savez. Je fais mes efforts
pour persuader Chopin que cette nouvelle est fausse. Elle lui fait
bien du mal… »
© Eyrolles Pratique

87
Quelques jours auparavant, Chopin écrit à Fontana que Pleyel est un
« crétin », Probst (un éditeur) une « canaille », émet l’opinion que Schle-
singer peut toujours attendre les Préludes que Pleyel lui a achetés
500 francs et que, de ce fait, ce dernier a « le droit de s’en torcher la
partie se trouvant de l’autre côté du ventre » ! Il a donc repris des forces,
tandis que George Sand fait « une grande tartine sur Goethe, Byron et
Mickiewicz » (sic), destinée à La Revue des Deux Mondes. D’ailleurs, elle
ne manque pas d’ajouter des post-scriptum aux lettres que Chopin écrit
à son confident Grzymala, d’un style toujours vivement imagé :

« Je suis en couches d’un roman qui aurait besoin de forceps »,


du 12 avril 1839.
« Bonjour, mon vieux. Je suis au lit et pendant que le petit te
Chopin, vie et œuvre

griffonne du tartare (polonais), je t’aime et je t’embrasse,


(signé) Ta femme », du 16 avril 1839.

Au service funèbre célébré à Marseille en l’église Notre-Dame-du-Mont


pour Nourrit, dont le corps doit ensuite être inhumé à Paris, Chopin joue
sur un mauvais orgue un Lied de Schubert cher à Nourrit et à lui-même,
die Gestirne/les Astres, sur un poème de Klopstock. Cela déçoit hélas la
foule venue en masse pleurer Nourrit et… entendre Chopin. Après un
bref voyage à Gênes, Chopin et George prennent le chemin de Nohant.

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Chapitre 8

L’impulsion de Nohant
(1839-1841)

8.
8. L’impulsion de Nohant (1839-1841)
George Sand possède, à Nohant, dans le Berry, une grosse demeure de
famille. Situé non loin de Châteauroux et jouxtant La Châtre, cette
grande maison est élégante, entourée d’un parc prolongé par les
champs cultivés.

Le départ pour Nohant


Une demeure reposante en Berry
Le 2 juin 1839, Frédéric et George sont enfin à Nohant. Dès leur arrivée,
Chopin écrit à Grzymala :

« Enfin sur place après une semaine de voyage, nous nous


sentons tous parfaitement bien. Belle campagne : alouettes,
rossignols. Il ne manque que toi, mon oiseau. »

Il a la joie de trouver sur place un piano à queue, commandé par George


à Pleyel, en secret, de Marseille. Passent à Nohant les voisins et des amis
parisiens, comme le poète Witwicki, Grzymala. Chopin joue Bach à n’en
plus finir et compose. Le « cher cadavre », ainsi que le nomme George,
travaille à son œuvre, profitant du calme des lieux, loin des leçons et de
la trépidante vie parisienne.
Chopin est très sollicité par ses amis pour composer enfin un oratorio
ou un opéra, afin d’atteindre la gloire. Néanmoins il ne se laisse pas
© Eyrolles Pratique

influencer et demeure fidèle au piano.

91
Opéra voir Glossaire

Oratorio voir Glossaire

Une production éclectique


De nombreuses œuvres nouvelles voient le jour en cet été 1839, le
premier que Chopin passe à Nohant.

■ Scherzo n˚ 3 opus 39
Chopin, vie et œuvre

Tout d’abord, Chopin écrit l’opus 39, Scherzo n˚ 3 en ut dièse mineur.


André Boucourechliev observe que cette œuvre commence par une série
de douze sons qui évoque la musique dodécaphonique.

Dodécaphonisme voir Glossaire

Ensuite, vient la Sonate en si bémol mineur dite « Funèbre » opus 35.

■ La Marche funèbre
La célèbre Marche funèbre, qui se trouve au cœur de la Sonate opus 35,
lui confère ce nom. Pourtant, Chopin ne semble pas y attacher un carac-
tère aussi sombre que le laisse entrevoir ce titre. L’auditeur se retrouve
devant cette pièce comme devant un immense point d’interrogation et
l’arrivée de la Marche funèbre paradoxalement le rassure.

■ Mazurkas opus 41
Les Mazurkas opus 41 sont au nombre de quatre, d’une écriture plus
élaborée que les précédentes. Elles présentent des difficultés d’un
nouveau genre qui semblent figer les thèmes en eux-mêmes.
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■ Nocturnes opus 37
Les Deux Nocturnes opus 37 offrent une palette sonore fondée sur le
chromatisme, errance de la tonalité.

Chromatisme voir Glossaire

■ Un été riche en création

8. L’impulsion de Nohant (1839-1841)


Les fruits de ce premier été à Nohant sont d’une richesse
impressionnante : Chopin a beaucoup composé. Ses œuvres ouvrent
des voies nouvelles tant les idées s’y succèdent, tandis que les genres se
métamorphosent même s’ils demeurent fidèles à eux-mêmes. Cette vie
idyllique a rendu à Chopin un peu de sa santé et favorisé le développe-
ment de son langage musical.

Le retour à Paris
Le célèbre pianiste Ignaz Moscheles, établi à Londres depuis 1821, rend
visite à Chopin et note dans son journal la manière particulière qu’a
Chopin de jouer librement, sans contrainte de mesure, d’une façon qui
n’appartient qu’à lui. Il en conclut que Chopin est « un spécimen unique
dans le monde du piano ».
Chopin et Moscheles, fin octobre, sont appelés pour jouer devant la
famille royale. Ils interprètent leurs propres œuvres : des Études et des
Nocturnes. Le roi ne manque pas de les remercier par des présents. Bien
que l’on connaisse l’aversion de Chopin pour le roi Louis-Philippe,
Moscheles note qu’il est pourtant traité « comme un favori ».
À la demande de Moscheles, Chopin écrit Trois Nouvelles Études desti-
nées à la méthode de perfectionnement que celui-ci veut éditer. Paral-
lèlement, Chopin achève son Impromptu en fa dièse majeur opus 36,
d’une difficulté redoutable.
© Eyrolles Pratique

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Ignaz Moscheles (1794-1870)
Pianiste et compositeur né à Prague. Il étudie à Vienne et rencontre
Beethoven, qui lui confie la réalisation de la partition chant et piano de
son opéra Fidelio, en 1814. Il commence une grande carrière de
pianiste en 1816 et devient professeur à Leipzig. Il est l’auteur d’une
méthode de piano dans laquelle il cite des œuvres de Chopin, Liszt et
Mendelssohn.

1840, l’année transitoire


Un compositeur affaibli
Le bilan de l’année chopénienne 1839 est très important : c’est le début
d’une nouvelle vie avec une femme d’exception, George Sand, un
Chopin, vie et œuvre

nombre considérable d’œuvres nouvelles sont créées, son art est


reconnu par ses pairs (Liszt, Mendelssohn…), ses élèves sont nombreux,
talentueux et riches et, enfin, ses œuvres sont publiées par les plus
grands éditeurs. Il fréquente aussi les éminentes personnalités artisti-
ques de l’époque, mais sa santé le trahit : il se réfugie chez George Sand,
rue Pigalle. Cependant, cette dernière ne veut pas se rendre à l’évidence
de la gravité de la maladie et écrit, en avril 1840, à son médecin :

« Je crois que c’est un rhumatisme. J’espère que ce n’est pas


l’invasion d’une maladie de poitrine quoique son Polonais [Jan
Matuszynski, lui-même phtisique] ait l’air de le croire. »

L’heureuse, énergique et impétueuse nature de George Sand est portée


à l’optimisme, mais Chopin s’affaiblit tous les jours davantage. Les
mauvais rapports entre George et la comtesse d’Agoult, maîtresse de
Liszt au caractère froid et perfide, nuisent à cette franche et directe
amitié qui unit les deux hommes dont les relations deviennent conven-
tionnelles.
George et Frédéric passent l’été 1840 à Paris ; ils rendent visite à leurs
amis qui habitent autour de Paris en prenant le train. Saint-Germain-en-
Laye, Saint-Gratien, etc., deviennent ainsi plus accessibles.
© Eyrolles Pratique

94
Toutefois, cette année 1840 est moins propice à la composition et Paris
n’offre pas à Frédéric le calme de Nohant. Il écrit la Valse en la bémol
majeur opus 42, dite « Grande Valse ». Schumann ne manque pas d’écrire
à ce sujet :

« S’il la jouait pour faire danser, il faudrait que la bonne moitié


des danseuses fussent comtesses pour le moins. Il a raison, la
Valse est aristocratique de pied en cap. »

8. L’impulsion de Nohant (1839-1841)


Il compose aussi une Mazurka en la mineur (cf. CD plage 3), un peu
triste…
Chopin est préoccupé par l’édition de son importante production de
1839. Bien qu’il ait rompu ses accords avec Schlesinger, il n’a pas encore
trouvé d’arrangement avec Pleyel. Mais cela lui permet de prendre un
recul nécessaire sur son œuvre.
Chopin vit selon un mouvement pendulaire entre son appartement et la
maison de George, ponctué par ses leçons qui comblent ses besoins
d’argent. S’il a pour élèves des personnes de la très haute société et de
la finance, il rencontre aussi des personnalités artistiques qui lui
demandent conseil et pour lesquelles il organise des soirées musicales.
Leur ami Mickiewicz, de retour en France, s’installe à proximité de
George et de Chopin. Gravite autour du poète patriote polonais une
société choisie attirée par la littérature slave, si bien qu’il est nommé
professeur au Collège de France.
Chopin va au concert, écoute Liszt et Pauline Viardot et même Gilbert-
Louis Duprez, la cause indirecte du suicide de son ami Adolphe Nourrit.
L’année 1840 se présente comme une parenthèse nécessaire à Chopin
pour « digérer » l’année précédente tellement féconde. Il a besoin de
recul pour envisager l’avenir de son œuvre par les moyens éditoriaux,
mais aussi via son enseignement et ses réflexions sur l’esthétique musi-
cale. Il joue à ses élèves le Clavier bien tempéré de Bach par cœur : voyant
leur étonnement pour ce prodigieux effort de mémoire, il leur répond
qu’« une chose pareille ne s’oublie pas ».
Enfin, en décembre 1840, les cendres de Napoléon reviennent en France
© Eyrolles Pratique

aux Invalides, accompagnées du Requiem de Mozart. Chopin est trans-


porté par cette œuvre lors de la répétition générale à laquelle il assiste.

95
Le retour sur scène
Le concert prévu dans la salle de Pleyel le 26 avril 1841 ne manque pas
d’angoisser Chopin car il n’a pas joué en public depuis six ans. Voici
comment George Sand présente cet événement dans une lettre qu’elle
adresse à la cantatrice Pauline Viardot, en date du 18 avril 1841 :

« Une grande, grandissime nouvelle, c’est que le petit Chip-Chip


[diminutif qu’elle servait à Chopin] va donner un grrrrrrand
[sic] concert. […] À peine avait-il lâché le oui fatal, que tout s’est
trouvé fait comme par miracle. […] Ce cauchemar chopinesque
se passera dans les salons de Pleyel, le 26. Il ne veut pas
d’affiches, il ne veut pas de programmes, il ne veut pas de
Chopin, vie et œuvre

nombreux publics. Il ne veut pas qu’on en parle. Il est effrayé de


tant de choses que je lui propose de jouer sans chandelles et sans
auditeurs sur un piano muet. »

L’humour et la verdeur de langage de George traduisent l’agacement


qu’elle éprouve devant le peu de détermination de Chopin pour se
montrer à un public pourtant avide de l’entendre.
C’est un grand succès. Au programme, des œuvres de Frédéric lui-
même, avec un mélange d’airs d’opéras et d’interventions d’autres
instrumentistes. Le temps du récital n’est pas encore venu.

Récital voir Glossaire

Chopin ne saura quoi dire contre le principe du récital, qui n’est pour lui
que fatuité d’un interprète au détriment de la musique elle-même.
Les plus grands noms sont venus l’écouter : Berlioz, Liszt, Delacroix,
Heine, Mickiewicz, etc. Toute l’assistance est conquise par cet art
empreint de subtilité, d’émotion et d’innovation.
Léon Escudier, directeur de La France musicale, en fait un compte
rendu dans la Gazette musicale :
© Eyrolles Pratique

96
« Nous avons parlé de Schubert parce qu’il n’est pas une autre
nature qui ait avec Chopin une analogie plus complète. L’un a
fait pour le piano ce que l’autre a fait pour la voix.[…] Chopin
est le pianiste du sentiment par excellence. […] On peut dire que
Chopin est le créateur d’une école de piano et d’une école de
composition. »

Pour Chopin, être comparé à Schubert ne peut que le ravir : il est l’inte-
rprète des sentiments, certes, mais respecte les formes classiques dont

8. L’impulsion de Nohant (1839-1841)


Haydn et Mozart sont les plus illustres représentants. Si Chopin déteste
se produire en public, c’est cependant de cette façon que sa musique se
propage et acquiert la popularité que l’on connaît.

La « note bleue »
Cette expression de George Sand est souvent citée hors contexte, c’est-
à-dire vidée de son contenu chopénien :

« Chopin a vraiment inventé le piano. Le chant d’un toucher, le


timbre d’une main, la note bleue sont une découverte incessante
de l’instrument, chaque doigt, chaque dent du clavier, chaque
hésitation ayant sa résonance particulière… »

Ce texte de George Sand, daté de janvier 1841, apparaît comme une


description anticipée de l’été de cette même année à Nohant. C’est une
période où naissent des œuvres essentielles, comme celles de l’été 1839.
George Sand met alors en scène cinq personnages : elle-même, son fils
Maurice Sand, élève de Delacroix, Delacroix lui-même, Mickiewicz et
Chopin. La conversation, sorte de dialogue platonicien, se passe entre le
maître et l’élève, Delacroix et Maurice Sand ; George est la narratrice,
l’observatrice ; tandis que Chopin est au piano, improvise, s’arrête et :

« reprend, sans avoir l’air de recommencer, tant son dessin est


vague et comme incertain. Nos yeux se remplissent peu à peu des
© Eyrolles Pratique

teintes douces qui correspondent aux suaves modulations saisies

97
par le sens auditif. Et puis la note bleue résonne et nous voilà
dans l’azur de la nuit transparente. Des nuages légers prennent
toutes les formes de la fantaisie. Ils remplissent le ciel1. »

Nohant est devenu un symbole


George Sand est une fervente d’ésotérisme et connaît la signification du
bleu toujours symbole d’immatérialité, de transcendance, de pureté…
En effet, cette couleur est à la fois apaisement et appel vers l’infini,
l’irréalité, l’immatérialité. George Sand associe cette « note bleue » à
une nuit d’été, cela en plein mois de janvier. On perçoit l’évocation
sous-jacente de Nohant, lieu voué au rêve, surtout depuis les mois idyl-
liques de l’été 1839.
Chopin, vie et œuvre

Avant de quitter Paris, Chopin a composé une valse et une mélodie,


tandis qu’à Nohant, il donne sa forme définitive à la Polonaise en fa dièse
mineur opus 44. Il est loin, avec cette œuvre, de ses Polonaises
précédentes : l’atmosphère est dantesque, comme une stagnation au-
dessus d’un gouffre, avec des élans de révolte vivement réprimés.
Il écrit une Tarentelle (opus 43) ainsi que la Ballade n˚ 3 en la bémol
majeur opus 47 (cf. CD plage 8), scène lyrique aux couleurs qui expri-
ment un questionnement qui demeure sans réponse.
Le Prélude en ut dièse mineur opus 45 s’ajoute aux vingt-quatre déjà
écrits pour le titre sinon pour la forme. La pièce est une sorte de marche
imaginaire dans un monde irréel, moment de la « note bleue » où tout
bascule « derrière le miroir ». Ce Prélude est le plus long de tous ; Chopin
s’y autorise une grande liberté avec des passages qui frisent l’atonalité,
toujours dans l’interrogation jusqu’à la fin qui répugne à revenir à la
tonalité initiale.
Les deux Nocturnes opus 48, la Fantaisie en fa mineur opus 49 sont
autant d’œuvres écrites dans le bonheur mais qui expriment néanmoins
tristesse et questionnement devant le sentiment d’éternité que rien
pourtant ne devrait altérer.
© Eyrolles Pratique

1. George Sand, Impressions et Souvenirs, Paleo, Clermont-Ferrand, 2008.

98
Chapitre 9

L’approfondissement
(1842-1844)

9.
9. L’approfondissement (1842-1844)
L’année 1839 a fait découvrir à Chopin un amour pleinement accompli
avec une femme qui lui épargne toute tâche, bien qu’elle-même doive
satisfaire à une œuvre de création. En 1840, il s’est consacré à l’édition
de ses œuvres. 1841 lui permet de prendre un nouvel envol. Il utilise
toujours les termes de « Polonaise », « Nocturne », « Prélude », mais ces
références techniques ne correspondent plus à une forme définie : ils
sont prétextes à une expression complexe dictée non seulement par
l’émotion, mais surtout par une quête, une interrogation sur un avenir
qu’il sait malheureusement soumis à la maladie. Il n’est désormais plus
prisonnier des genres : il a rejeté le poids des convenances aussi bien
musicales que sociales. Toutefois, il craint la solitude et prend donc la
décision d’aller vivre chez George Sand tant est précieuse sa présence
qui écarte à ses yeux les risques de rechute.

De nouvelles œuvres
Un style inclassable
Chopin continue à bouleverser les attentes de ses pairs et du public :
certains l’en louent, tel Schumann qui trouve quelque chose d’énigma-
tique dans les dernières compositions de Frédéric, semblables au
sourire d’une sphinge. D’autres l’en blâment, les uns publiquement, les
autres avec discrétion pour ne pas être pris en flagrant délit d’émettre
une opinion critique au sujet d’un maître adulé !
© Eyrolles Pratique

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Chopin est confronté aux mêmes difficultés que tous ceux qui ont voulu
créer de nouvelles voies hors des sentiers de la mode : il est dorénavant
devenu inclassable. De cette manière, il échappe aux idées reçues rassu-
rantes et, à ce titre, devient presque dangereux.
Le 21 février 1842, un concert réunit Chopin, la cantatrice Pauline Viardot
et son ami violoncelliste Auguste Franchomme. Leur prestation est
auréolée de succès mais endeuillée par l’annonce de la mort du premier
maître de Chopin, Wojciech Zywny. Deux mois plus tard meurt
également son ami Matuszynski, dans les bras de George et de Frédéric :
il est emporté par la phtisie. Chopin en est bouleversé. Seule la vie à
Nohant peut maintenant lui redonner suffisamment d’énergie pour
lutter contre sa propre maladie.
Chopin, vie et œuvre

Une atmosphère de félicité


Chopin retrouve à Nohant une atmosphère propice à l’amélioration de
son état de santé et à sa création. George et lui reçoivent cet été-là des
amis chers, comme Delacroix qui y fait son premier séjour. Ses lettres
décrivent les délices de l’endroit :

« Le lieu est très agréable, et les hôtes on ne peut plus aimables


pour me plaire. (…) Par instants, il vous arrive par la fenêtre
ouverte sur le jardin des bouffées de la musique de Chopin qui
travaille de son côté. Cela se mêle au chant des rossignols et à
l’odeur des roses. (…) J'ai des tête-à-tête à perte de vue avec
Chopin, que j’aime beaucoup et qui est un homme d’une
distinction rare. C’est le plus vrai artiste que j’aie rencontré. Il
est de ceux en petit nombre qu’on peut admirer et estimer. »

Cependant, Nohant commence à être le théâtre d’intrigues domesti-


ques pénibles pour Chopin. Ce même été, il apprend le futur mariage
de son ancienne fiancée Maria Wodzinska, ce qui ne manque pas de
l’affecter.
George et Frédéric quittent ensuite Nohant durant quelques jours pour
un bref séjour à Paris afin de trouver une nouvelle habitation pour
© Eyrolles Pratique

102
l’hiver. Un appartement au square d’Orléans, dans le quartier de la
« nouvelle Athènes », au cœur du IXe arrondissement de Paris, devient
leur domicile parisien.

La « nouvelle Athènes »
On nomme ainsi le quartier Saint-Georges, dans le IXe arrondissement
de Paris, dans la première partie du XIXe siècle, en raison du nombre
d’artistes qui y habitent. On y compte les acteurs de la Comédie-
Française : François Joseph Talma (qui réforme le costume de scène,
grand interprète de Corneille et de Shakespeare) ou Mlle Mars, par

9. L’approfondissement (1842-1844)
exemple (elle crée le rôle de Dona Sol dans Hernani de Victor Hugo). Le
« square d’Orléans » lui-même est aujourd’hui la rue Saint-Lazare,
entre les églises Notre-Dame-de-Lorette et de la Trinité.

L’éternel bienfait de Nohant


Les œuvres se succèdent en chaîne dès le retour à Nohant.

■ Mazurkas opus 50
La troisième de ces Mazurkas poursuit ce qui s’est révélé en 1841. La
tonalité d’ut dièse mineur exprime par le chromatisme les interrogations
sur l’insaisissable et l’inexorable. C’est toujours dans ce champ-là que
se joue l’immuable dialogue de sourds entre Erôs et Thanatos, l’Amour-
Passion et la Mort. Cette pièce s’achève sur trois accords forte, ultime
sursaut d’une révolte inutile.

■ Polonaise en la bémol majeur opus 53


La Polonaise en la bémol majeur opus 53 (cf. CD plage 9) présente une
incertitude tonale dans l’introduction : Chopin semble chercher sans
répit la tonalité qui conviendrait à l’œuvre. Vient enfin le thème
« héroïque », surnom que l’on donne parfois à cette polonaise. Cet
opus 53, à part cet épisode, est d’une écriture attendue, conforme à
celle du Chopin d’avant 1841. Cette musique est virtuose, un peu
grandiloquente : l’intériorité et le questionnement se sont estompés, il
y a là plus de « paraître » que d’« être ».
© Eyrolles Pratique

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■ Scherzo en mi majeur opus 54
Le quatrième Scherzo en mi majeur opus 54 revient, lui aussi à l’esthéti-
que brillante et attirante d’avant 1841, un peu creuse mais puissamment
séduisante.

De nouvelles « tonalités »
Ballade en fa mineur opus 52
Avec cette Ballade, Chopin confirme l’adoption d’un langage qui
influencera par la suite Liszt et Wagner. Le chromatisme s’achemine
vers l’atonalité, tandis que le « brillant » des salons cède le pas à des
engagements plus essentiels. Si Zielinski note que cette dernière
Chopin, vie et œuvre

Ballade marque une frontière entre le « style tardif » (sic) de Chopin et le


style précédent, ce passage demeure flou, les premières mutations se
faisant déjà entendre en 1841.
Chopin aurait-il basculé brusquement dans ce « style tardif » ? Il s’agit
plutôt d’une évolution telle qu’on la voit chez tous les compositeurs :
Mozart à partir de 1787 avec Don Giovanni, Verdi à partir de 1853 avec la
Traviata (fort mal accueillie) et surtout de 1884 avec Don Carlo, Liszt à
partir de 1853 avec sa Sonate en si mineur et Wagner à partir de 1857 avec
les premières ébauches de Tristan et Isolde.

Chopin, Liszt et Wagner : trois compositeurs contemporains


Chopin est né en 1810, Liszt en 1811 et Wagner en 1813 : ces trois
compositeurs de nationalités différentes, tous trois marqués par les
révoltes et révolutions qui ont eu lieu autour de 1830, font évoluer leur
langage musical dans des directions d’abord parallèles et qui conver-
gent ensuite. Ce changement vient-il de Beethoven, considéré comme
le premier compositeur qui avait refusé le style convenu, « de cour »,
pourrait-on dire, pour affirmer la liberté du créateur ? Cette explosion
d’existence s’exprime avec ces trois titans du XIXe siècle, Chopin, Liszt
et Wagner. Le premier utilise essentiellement le piano, le deuxième le
piano et l’orchestre, et le troisième le genre de l’opéra, auquel il assi-
gne le projet fabuleux d’accomplir le fantasme du spectacle total,
« précipité », au sens chimique, de tous les arts de la scène.
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La Ballade opus 52 épouse au plus près cette succession d’états d’âme,
cette « bipolarité », comme l’indique la psychiatrie contemporaine,
entre la révolte et la résignation, entre l’action et la contemplation
devant la mort. L’amour et la mort se confondent dorénavant dans la vie
de l’artiste, car celui-ci ne sait exister sans l’un ni sans l’autre.
Cet opus 52 ne cesse de moduler, de passer d’une tonalité à une autre,
jusqu’à toutes les fondre dans le chromatisme déjà évoqué, comme si
aucune n’était satisfaisante. Toutefois, la tonalité de fa mineur
s’affirme dans les derniers accords.

9. L’approfondissement (1842-1844)
L’Impromptu en sol bémol majeur opus 51
Le sentiment du tragique est d’autant plus présent dans cette pièce
qu’il se cache a priori sous une forme légère et ornée. Puis l’inéluctable
se fait de plus en plus pressant, d’abord exprimé par un motif descen-
dant qui désire s’affirmer jusqu’à envahir, sous la forme d’une mélodie
sinistre ; la partie ornée qui disparaît comme un personnage hoffman-
nien. Malgré la feinte gaieté de l’introduction, le motif dramatique
persiste. Cela ressemble aux vanités, peintures où sont juxtaposées la
beauté d’une jeune fille et ce que deviendra le cadavre en
décomposition de celle-ci. On peut y déceler aussi l’ambiguïté du senti-
ment amoureux qui appelle et concrétise le bonheur puis s’achève dans
la conflagration des émotions.

Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822)


Juriste, compositeur, chef d’orchestre et romancier allemand. Il reste
de son œuvre ses Contes, qui appartiennent au genre fantastique. La
vigueur des images et leur portée symbolique montrent une réelle et
profonde connaissance du psychisme humain, de son ambivalence, de
son ambiguïté.

Le « viol de Lucrèce »
Des lettres de George Sand nous renseignent sur le climat de Nohant cet
été-là. Chopin et elle-même servent de bonnes d’enfant à Pauline
© Eyrolles Pratique

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Viardot, gardant sa fille Louise d’à peine plus d’un an, car la chanteuse
est partie se produire à l’autre bout de l’Europe :

« Elle jabote le plus drôlement du monde, écrit George à


Pauline, elle m’appelle sa maman ne vous en déplaise, et dit
"p’tit Chopin" à désarmer tous les Chopins de la terre. Aussi,
Chopin l’adore, et passe sa vie à lui baiser les mains… »

Chopin a l’illusion d’être, pour quelques semaines, un véritable père de


famille grâce à cette petite fille dont il s’occupe. L’entourage du musi-
cien frémit néanmoins en pensant au risque de contagion qu’il repré-
sente pour ce tout jeune enfant auquel il manifeste tant de tendresse.
Il est si faible alors qu’il ne peut plus marcher longtemps. George Sand
Chopin, vie et œuvre

lui procure alors une ânesse, « Margot », monture pour accompagner


l’infatigable romancière dans ses longues marches. Voici comment
George raconte à son fils les aventures de Margot :

« La bourrique est très bon enfant. Elle ne veut marcher que le


nez dans ma poche, où elle flaire des croûtes de pain. Avant-hier
nous avons été poursuivis par un baudet entreprenant qui
voulait attenter à sa pudeur. Elle se défendait à grands coups de
pieds comme une vraie Lucrèce. Chopin criait et riait, moi je
rabrouais le Sextus à coups d’ombrelle. Enfin nous sommes
sortis tous sains et saufs de cette aventure terrible, et la bourrique
n’a pas été forcée de se poignarder… »

Le viol de Lucrèce
Ce sujet a souvent été illustré par les peintres, ainsi que les
compositeurs (Haendel, Benjamin Britten, etc.). Lucrèce, morte en 509
avant J.-C., était une matrone romaine qui fut violée par Sextus, fils de
Tarquin. Déshonorée, elle se poignarda. Cet événement a suscité la
révolution qui a mis fin à la monarchie et donné naissance à la
République de Rome, elle-même remplacée, peu avant le début de
notre ère, par l’Empire romain.
© Eyrolles Pratique

106
Ainsi, Chopin, bien que très affaibli, peut encore rire, juché sur son
ânesse, jouir de la campagne de Nohant à l’origine de tant d’œuvres.

Les Deux Nocturnes opus 55


L’opus 55 n˚ 1, en fa mineur, énonce un thème sobre, langoureux et
pathétique à la fois. C’est une promenade solitaire et bienfaisante, avec
cette nuance mélancolique que ressent l’amant (ou l’amante) privé(e)
de la présence aimée. Mais la marche se poursuit, elle s’accélère même

9. L’approfondissement (1842-1844)
si bien que l’on perçoit le petit trot saccadé de la brave Margot.
La musique doit beaucoup au rythme des montures : tous les composi-
teurs connaissent leurs allures pour être eux-mêmes le plus souvent
cavaliers. Et pourquoi ne pas voir Margot trottiner dans ce Nocturne en
fa mineur ? Pourtant elle s’efface devant le retour de l’inéluctable, qui
s’enracine dans le chromatisme et l’incertitude tonale. Enfin, c’est le
retour au calme contemplatif, au pas, cette fois, d’une Margot qui
évolue vers des éclaircies où la nuance mélancolique fait place à la certi-
tude du mode majeur, sorte de palier de décompression pour reprendre
souffle.
L’opus 55 n˚2 adopte le ton de mi bémol majeur, apparemment plus
détendu. La présence de l’inéluctable est plus diffuse, nettement
contemplative, la révolte dépassée.

Les Trois Mazurkas opus 56


Elles sont composées successivement en si majeur, ut majeur (tonalité
sans dièse ni bémol, la plus difficile techniquement aux yeux de Chopin)
et ut mineur. Elles retracent cette atmosphère d’interrogation ou de joie
passagère évoquée précédemment, interrompues par des sections
atonales qui sonnent d’autant plus comme un désarroi que l’atmos-
phère première était apparemment joyeuse et insouciante. L’inélucta-
ble quant à lui obsède le musicien.
© Eyrolles Pratique

107
■ « L’inéluctable »
Nous employons ce mot depuis que Chopin, après la pause de 1840,
exprime ce qui est certainement le plus profond de lui-même. 1840
semble correspondre à un besoin de faire le bilan d’une « première
manière » de jouer et de régler les impératifs éditoriaux. Cela ressemble
aux respirations musicales comme la pause, la demi-pause, le soupir, le
demi-soupir. L’inéluctable nous paraît représenter l’interrogation de
Chopin sur les « fins dernières », lui qui fait profession de scepticisme
face à la religion. Mais l’inéluctable, c’est la Mort qui le frôle de près à
chacune de ses crises et s’affermit en lui au fur et à mesure qu’il s’affai-
blit. Il sait néanmoins qu’il survivra par son œuvre. À partir de 1841,
Chopin n’a plus rien à prouver, il est désormais lui-même : il ne fait plus
ce qu’on attend de lui, il écrit une œuvre testamentaire où il se révèle tel
Chopin, vie et œuvre

qu’en lui-même.

Des tensions créatrices


Une compagne de plus en plus distante
George Sand écrit à Grzymala, au moment où Chopin reprend le chemin
de Paris, ces mots qui ne trompent personne : « Le petit se porte bien. »
Elle a décidé de rester encore quelque temps à Nohant. Mais Chopin va
de plus en plus mal : il crache le sang et souffre de la poitrine. Pourtant
George le laisse repartir seul.

■ L’hiver 1843-1844
Le comportement de George Sand à partir de l’hiver 1843-1844 se révèle
à l’opposé de celui qu’elle a adopté depuis cinq ans avec Chopin. Elle a
toujours fait preuve de générosité, d’abnégation et s’est rendue dispo-
nible malgré tous ses travaux d’auteur, sans compter qu’elle se charge
de toutes les obligations domestiques et de l’éducation de ses enfants.
Elle prend de la distance comme si elle ressentait une fatigue de devoir
assister Chopin pour toutes les choses de la vie courante. Plus qu’une
maîtresse, elle est une infirmière, l’organisatrice de tout un mode
d’existence. Sa « distance » s’expliquerait par la nécessité de se retrou-
© Eyrolles Pratique

ver, de se concentrer sur sa propre création dont elle a besoin pour vivre

108
et faire vivre tous ceux qui sont à sa charge. Son emploi du temps est
inconcevable à notre époque : elle est sans cesse active et ne dort pres-
que pas. Mais sa robuste nature fléchit, cette année-là, comme si elle
était saturée de toutes ses obligations, de tous ses devoirs. Elle sacrifie
Chopin, d’abord sans brutalité, par un besoin de solitude, tout en
essayant de se mentir à elle-même, prétendant qu’elle sera toujours
présente pour lui : l’avenir montrera le contraire.

■ Nouveaux accès de la maladie

9. L’approfondissement (1842-1844)
L’année 1844 commence mal : Chopin souffre de nouvelles crises malgré
les soins de son médecin. Le docteur Molin, homéopathe, manifeste son
opposition aux saignées, lesquelles viennent à bout des constitutions
les plus solides.
Comment Chopin peut-il continuer à composer et à donner des leçons
dans cet état ? Comment peut-il se mettre au piano dans les salons où
on l’invite ? Quelle énergie, sinon la puissance mystérieuse de l’art, peut
le maintenir debout ?

La rencontre avec mademoiselle Stirling


Une nouvelle élève se présente à Chopin, de six ans son aînée, céliba-
taire et éprise de lui… Originaire d’Écosse, elle vient régulièrement à
Paris où vit sa sœur, Mme Katherine Erskine, idolâtre la musique de
Chopin et déteste George Sand. Mlle Jane Stirling est riche et, à ce titre,
est persuadée qu’elle peut arriver à ses fins bien que Chopin ne l’aime
pas.
À la fin du mois de mai 1844, Chopin apprend la mort de son père : il
souffre de cette disparition et tombe à nouveau malade. Entre-temps,
George et lui ont repris le cours habituel de leur existence. George Sand
profite des lettres de condoléances qu’elle adresse à la famille de
Chopin pour entrer en contact direct avec celle-ci, ce qui a pour effet de
clarifier la situation.
© Eyrolles Pratique

109
La visite de Ludwika
Fin mai 1844, Chopin, George Sand et toute leur suite sont à Nohant. La
sœur de Frédéric et son mari, Kalasanty Jedrzejewicz, annoncent leur
venue. Chopin part pour Paris afin de les installer dans l’appartement de
George Sand, 5 square d’Orléans. Il est impatient de les recevoir car il ne
les a pas revus depuis son départ définitif de Pologne. Seul dans la capi-
tale, le couple polonais visite les lieux touristiques, se rend au théâtre et
surtout rencontre des émigrés polonais. Puis, les Jedrzejewicz partent
pour Nohant, où les attendent George et Chopin – qui est retourné rapi-
dement à la campagne. Ils conversent à n’en plus finir sur la famille et
les amis de Varsovie. Ludwika et son mari regagnent la Pologne en
septembre, tandis que Chopin demeure à Nohant jusqu’à la fin du mois
de novembre mais, une nouvelle fois, rentre seul à Paris, suivi une quin-
Chopin, vie et œuvre

zaine de jours plus tard par George Sand.

© Eyrolles Pratique

110
Troisième partie

La rançon
de la gloire
(1844-1849)
Chapitre 10

L’accomplissement
(1844-1847)

10.
10. L’accomplissement (1844-1847)
Si Chopin a composé seulement deux œuvres durant l’année 1844,
celles-ci concentrent toute la recherche d’un musicien libéré des obliga-
tions de succès et des contraintes éditoriales.

La Berceuse en ré bémol majeur opus 57


La Berceuse en ré bémol majeur opus 57 est une sorte de condensé des
œuvres de la « première manière » qui annoncent la libération des
conventions ornementales : on y décèle des réminiscences des deux
Concertos, de la Marche funèbre de la Sonate opus 35… Le thème est
exposé en premier, puis des « variantes », comme le dit Chopin qui veut
éviter le terme technique de « variations », s’égrènent tout au long de
l’œuvre.

Thème voir Glossaire

Variations voir Glossaire

L’opus 57 comporte quatorze variations, de plus en plus enchevêtrées,


sur l’idée du thème initial, sorte de rappel de ce que la « musique
ancienne » nomme « diminution ».
© Eyrolles Pratique

115
Diminution voir Glossaire

La Berceuse opus 57 n’est pas une œuvre anodine, sorte de concession à


un genre de salon. Le thème est d’une sobriété qui frise l’austérité, une
sorte de pensée musicale essentielle avec un accompagnement à la
main gauche immuable.

Accompagnement voir Glossaire

Le calme qu’engendre cette musique est prolongé, dans la même


atmosphère, par les variations qui se greffent sur elle comme l’état de
Chopin, vie et œuvre

béatitude du demi-sommeil. Le chromatisme s’impose mais, si l’inéluc-


table affirme sa présence, il est accepté ici comme une délivrance dans
une sorte d’apesanteur.

La Sonate n˚ 3 en si mineur opus 58


La Sonate n˚ 3 en si mineur opus 58 adopte une forme « opératique »
pour le premier mouvement Allegro maestoso : on y voit des personna-
ges en proie aux contradictions de l’âme humaine. Ce morceau consti-
tue une succession de récitatifs et d’airs, de joie et d’angoisse,
d’interrogations sur le destin de l’homme, avec des passages chromati-
ques.

Sonate voir Glossaire

Le premier mouvement est d’une grande complexité d’écriture ; sorte


d’orage avec ses éclairs, sursauts de l’âme en travail. Le deuxième
mouvement, Scherzo, est une danse de follets, d’elfes malicieux. Le troi-
sième mouvement, Largo, mouvement lent, propose une marche inexo-
rable, une marche vers « l’inéluctable » ; on y perçoit le cheminement
© Eyrolles Pratique

inévitable de Chopin vers la mort. Le dernier mouvement, Presto non

116
tanto/Agitato, n’éclaircit guère ce sombre tableau au cheminement
effréné, même s’il prête parfois au rire, ne fait pas oublier l’indicible.
Durant l’année 1844, Chopin a ralenti le rythme de sa production afin
d’arriver à cette quintessence du langage qu’il impose. La Sonate n˚ 3
est l’une de ses plus longues œuvres, au cours de laquelle chaque idée
est menée à son terme ; l’attention est sans cesse en alerte. Ainsi, cette
Sonate est l’aboutissement de toute la quête antérieure.

Après l’hiver

10. L’accomplissement (1844-1847)


Un regain de vigueur
George Sand projette un séjour dans les pays chauds, si elle gagne assez
d’argent (sic), pour guérir Chopin de sa toux. Mais, au printemps, le
musicien se porte mieux, reprend ses sorties, entend le Requiem de
Mozart, participe à un concert pour les Polonais. Parmi l’aristocratie
polonaise, il découvre de grands talents révélés par ceux et celles qui
deviennent ses élèves mais qui ne peuvent se présenter au public en
raison de leur naissance. C’est le cas de Marcelina Radziwill, princesse
Czartoryska, nièce d’Adam Czartoryski qui a pour peu de temps pris la
tête de la Pologne libre. La princesse Marcelina devient l’amie de Chopin
et l’une de ses plus fidèles interprètes. Karol Mikuli, musicien et méde-
cin, noue avec Chopin la même qualité d’intimité artistique et person-
nelle que la princesse. Chopin a besoin de ce soutien moral et musical
car il a été profondément affligé par la mort de son élève le plus promet-
teur, Carl Filtsch, le 11 mai 1845, âgé de quinze ans.

Trois Mazurkas opus 59


Pièces brèves, les Mazurkas résument les moments créatifs de Chopin
en en captant l’esprit. Elles sont toujours émaillées d’interrogations, la
tension vers un devenir inconnu, le désir du beau donnant à toutes ces
douleurs une forme attachante. Successivement en la mineur, en la
bémol majeur et en fa dièse mineur, les pièces de l’opus 59 appartiennent
à « ces mondes étranges » dans lesquels Chopin évolue comme détaché
de ce monde.
© Eyrolles Pratique

117
Deux Mélodies
Les Mélodies de Chopin sont rarement évoquées. Or, si discrètes soient-
elles dans son œuvre, elles ont pourtant jalonné toute sa vie de créa-
teur. Ce sont deux chants d’une facture mélancolique sur des poèmes
de Bohdan Zaleski.

Une influence quotidienne


Une atmosphère disharmonique
Déjà l’année précédente, des querelles domestiques ont commencé à
empoisonner la vie de Nohant. George Sand écrit à une amie :
Chopin, vie et œuvre

« Les jours de soleil, il [Chopin] s’égaye, mais les grands jours de


pluie, il devient sombre et ennuyé à mourir. Il ne s’amuse pas de
tout ce qui m’occupe et me plaît à la campagne. Alors je voudrais
le transporter à Paris d’un coup de baguette. Mais, d’un autre
côté, je sais qu’il s’ennuie sans moi là-bas. Je lui ferais volontiers
le sacrifice de mon amour de la campagne, mais Maurice [Sand,
son fils] n’est pas de cet avis-là, et si j’écoutais Chopin plus que
Maurice, on jetterait les hauts cris. Voilà comme tout ne va pas
de soi-même dans les familles les mieux unies. »

Tout est dit dans ces quelques lignes : George est lasse des querelles
incessantes qui ont lieu depuis que ses enfants ont atteint l’âge adulte.
Les jalousies viennent à bout de tout et George doit pourtant maintenir
sa « production » pour vivre et subvenir aux besoins de sa famille. Mêlé
à toutes ces intrigues, Chopin n’a pas le beau rôle et sa maladie ne lui
laisse d’énergie que pour continuer son travail.
George Sand prend le prétexte des rhumes de chacun pour ne pas fêter
Noël, ce que Chopin déplore dans une lettre aux siens. Il n’a pas la foi,
mais aimerait tout de même rester fidèle aux traditions.
© Eyrolles Pratique

118
La santé de Chopin est encore mise à rude épreuve durant l’hiver.
Cependant il ne manque pas, en février, le bal de bienfaisance organisé
pour l’émigration polonaise.
La Pologne se soulève à nouveau en vain contre les Russes. Quant à
Chopin, il ne voit plus aucune possibilité pour son pays de retrouver son
autonomie et compose frénétiquement pour conjurer la cruauté du
sort. Il part alors pour Nohant fin mai 1846 afin d’achever les œuvres
commencées à Paris.

10. L’accomplissement (1844-1847)


Barcarolle en fa dièse majeur opus 60
Jean-Jacques Eigeldinger note combien les compositeurs français
doivent à cet opus 60 (cf. CD plage 11). Claude Debussy (1862-1918),
Emmanuel Chabrier (1841-1894) et Gabriel Fauré (1845-1924) révèlent leur
filiation, fascinés par ce balancement aquatique non exempt de
réminiscences belcantistes. Quant à Maurice Ravel (1875-1937) – dans
l’œuvre duquel le pianiste et compositeur Noël Lee voit des figures déjà
présentes chez Chopin –, il écrit (Le Courrier musical, 1er janvier 1910) :

« La Barcarolle synthétise l’art expressif et somptueux de ce


grand Slave, Italien d’éducation. […] La ligne mélodique est
continue. Un moment, une mélopée s’échappe, reste suspendue,
et retombe mollement, attirée par des accords magiques.
L’intensité augmente. Un nouveau thème éclate, d’un lyrisme
magnifique, tout italien. Tout s’apaise. Du grave s’élève un trait
rapide, frissonnant, qui plane sur des harmonies précieuses et
tendres. On songe à une mystérieuse apothéose… »

L’opus 60 est tout entier marqué par la volupté d’une Venise languide et
vénéneuse, hoffmannienne. Elle est le fruit de l’imagination de Chopin,
qui n’est jamais allé à Venise. Son balancement est le bercement d’une
promenade en gondole sur laquelle passe le souffle d’un érotisme
direct : celui de la caresse. L’inéluctable, cette fois, ne se vit pas en soli-
taire et le plaisir apaise le corps. Cependant, cet amour-là n’est pas
exempt de souffrance : sait-on jamais ce que l’aimé(e) en fera ?
© Eyrolles Pratique

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Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur opus 61
Cette fois-ci encore, l’introduction de l’œuvre expose l’incertitude
tonale : Chopin passe par le chromatisme pour trouver la tonalité qui
correspond à sa pensée. Mais n’est-ce pas plutôt une façon d’entrer
dans un monde qui bâtit d’autres constructions harmoniques ? Est-ce à
cela que mène l’inéluctable ? La danse elle-même n’apparaît qu’après
tous ces tâtonnements apparents : elle est prétexte à une recherche qui
la dépasse, abstraite, plus idée que réalité.
Chopin parcourt ses mondes imaginés pour arriver aux portes de l’Enfer
avec un trille interminable qui oscille entre le sarcasme et la terreur.

Trille voir Glossaire


Chopin, vie et œuvre

Les vagues que l’on retrouve dans Tristan et Isolde (1857-1859) de Wagner,
au moment du Liebestod (La mort par amour) qui clôt l’opéra, submer-
gent les amants. Elles représentent une ultime manifestation de
l’inconscient : on les entend dans la conclusion de l’opus 61, discerna-
bles sous les volutes ornementales. Le chromatisme ne cesse de s’impo-
ser et les inquiétantes phrases descendantes traduisent cette proximité
du gouffre.
La conclusion de l’œuvre prend le parti de continuer la route en effec-
tuant un pari, celui d’une possible éclaircie.

Musique et psychanalyse
Peut-on trouver un lien entre la production d’un artiste, quel qu’il soit,
et ses tribulations affectives et domestiques ? À chaque créateur, à
chaque œuvre son mystère. Mais la psychanalyse nous a familiarisés
avec l’exploration de l’« inconscient ». Les travaux de Sigmund Freud
(1856-1939) s’appuient certes sur le courant scientifique des
recherches psychiatriques, mais l’évidence de l’« inconscient » a
pénétré les créateurs depuis toujours, aussi bien en littérature
(Goethe : le Roi des Aulnes/Erlkönig) qu’en musique (Beethoven :
Symphonie n˚ V) ; d’autant plus que la musique, pour reprendre le mot
du sémiologue Roland Barthes (1915-1980), « renforce la signifiance du
© Eyrolles Pratique

texte », chanté ou sous-entendu. La « signifiance » n’équivaut pas à la


« signification », mais va bien au-delà de celle-ci : c’est la révélation de
l’épaisseur des mots.

120
Les Deux Nocturnes opus 62
Le Nocturne n˚ 1 en si majeur opus 62 est une sorte de Songe d’une nuit
d’été, perdu dans les brumes des saisons chaudes, évoquées grâce à
l’ornementation riche en trilles et petites notes qui soulignent les appa-
ritions d’entités oniriques.
Le Nocturne n˚ 2 en mi majeur de l’opus 62 représente le dépouillement
même. Il avance en affirmant une mélodie aussi sobre que celle des
pièces vocales de Chopin, comme si un texte allait se poser sur le thème,
malgré l’absence de celui-ci. La prosodie y est présente ; elle se fait

10. L’accomplissement (1844-1847)


discours essentiel qui pourrait évoluer vers le style durchkomponiert
(mélonie continue), mais elle y renonce en réexposant l’idée première.
Boucourechliev, dans son ouvrage Regard sur Chopin, dit de la partie
centrale de ce Nocturne qu’« on dirait (une œuvre de) Bach né au siècle
romantique ! » Voilà le Spätstil – le style tardif – de Chopin.

Durchkomponiert voir Glossaire

Ces deux œuvres, écrites en mode majeur, abolissent le cliché de ce


mode synonyme d’allégresse opposé au mode mineur qui traduirait la
dépression, l’asthénie. Chopin articule dans chacun des deux modes,
majeur et mineur, l’ambiguïté des états de conscience, tous les reflets
du psychisme humain, lequel ne peut se satisfaire de catégories prédé-
terminées pour une classification définitive.

La fin d’une passion


Nohant agité
Chopin souffre de ne plus trouver grand monde autour de lui qui parle
polonais. Ses amis sont absents – ou morts – et, sous la pression de la
famille de George, il a dû congédier son domestique polonais, Jan.
George Sand n’accepte plus de recevoir à Nohant les Polonais de
passage, après avoir essuyé quelques déconvenues proches du parasi-
tisme. On se demande souvent comment George Sand peut écrire dans
© Eyrolles Pratique

121
l’agitation qui règne dans la demeure, tout en faisant sa confiture, en
cousant et assurant vie à son théâtre de marionnettes ! George Sand est
éternellement obligée de subvenir aux besoins des siens par sa plume…
et la tension monte. Les scènes entre le groupe de base, George, ses
deux enfants et Chopin, sont fréquentes et violentes. George écrit à une
amie :

« J’ai bien fait d’avoir un peu de colère qui m’a donné un jour
de courage pour lui [Chopin] dire ses vérités et le menacer de
m’en lasser. Depuis ce moment il est dans son bon sens, et vous
savez comme il est bon, excellent, admirable, quand il n’est pas
fou. »
Chopin, vie et œuvre

Delacroix passe par Nohant, ainsi que Pauline Viardot, ce qui permet de
calmer les esprits et de vivre encore d’agréables heures durant l’été
1846, le dernier pour Chopin dans cette atmosphère familiale, avec tous
les bons et mauvais côtés.

Les Trois Mazurkas opus 63


Respectivement en si majeur, fa mineur et ut dièse mineur, elles ont été
publiées du vivant de Chopin. Le style chromatique et les phrases inter-
rogatives y sont toujours présents mais n’excluent pas une certaine joie
dans ces courtes pièces au cours desquelles l’épanchement ne peut être
bien long. Il faut vite conclure et aller de l’avant. Elles constituent des
tableaux à part entière très denses, ramassés sur eux-mêmes, où
chaque accord prend toute son importance, surtout dans la dissonance.
La dimension « affective » apparaît très fortement suggérée à cette
période où se consomment les dernières heures des amours chopénien-
nes avec George Sand.
Ces Mazurkas répondent aux concepts forgés par le philosophe Vladimir
Jankélévitch, grand admirateur de Chopin : elles sont très brèves et se
situent entre le « je-ne-sais-quoi » et le « presque-rien », chers à ce
penseur. Elles paraissent ne signifier qu’elles-mêmes, danses bien
© Eyrolles Pratique

122
rythmées, mais elles évoquent des lieux où l’on danse sur les rives du
Styx1 plutôt que sur celles de la Vistule2.
La subtilité de l’évocation ne nuit en rien à sa profondeur, surtout dans
la Mazurka en ut dièse mineur, tonalité souvent choisie par Chopin.

La Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur


opus 65
De retour à Paris mi-novembre, Chopin espère partir pour l’Italie avec

10. L’accomplissement (1844-1847)


George, une fois calmée la tempête familiale née des affaires sentimen-
tales qui agitent les deux enfants de celle-ci. Il se rapproche alors des
Polonais, des Czartoryski et de Delphine Potocka.
ll fréquente aussi assidûment Delacroix et, surtout, en profite pour
achever sa Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur.
Stravinski (1882-1971) en dira :

« L’inspiration (…) est une force motrice que l’on trouve dans
n’importe quelle activité humaine et qui n’est nullement le
monopole des artistes. Mais cette force ne se déploie que quand
elle est mise en action par un effort, et cet effort, c’est le travail 3. »

Depuis longtemps, Chopin s’est lié avec le violoncelliste Auguste Fran-


chomme. Il l’a même rencontré dès son arrivée à Paris. Né en 1808,
soliste de l’Orchestre du Conservatoire, il a déjà collaboré avec Chopin
pour une œuvre de commande qui reprend les thèmes d’un opéra à la
mode dans les années trente, Robert le Diable, de Meyerbeer.

1. Fleuve des Enfers dans la mythologie grecque, le premier que les âmes des morts
devaient traverser avant de passer devant le tribunal d’Hadès, le Zeus souterrain.
2. En polonais Wisla. Fleuve polonais de plus de 1 000 km. Il passe par Cracovie,
Varsovie et se jette dans la Baltique par un delta dont l’un des bras relie Gdansk à la
mer.
3. Cité par Philippe Mougeot in coffret CD de Samson François, Valses / Impromptus /
© Eyrolles Pratique

Ballades / Scherzos de Chopin, EMI Classics, 2002.

123
Giacomo Meyerbeer (1791-1864)
Compositeur allemand qui connut un succès immense dans le monde
entier. L’œuvre est datée et a mal survécu à son siècle. Meyerbeer
était fort riche et participait financièrement à la production de ses
opéras. Il avait construit son style sur un mélange des apports alle-
mands et italiens qu’il accommoda, à partir de 1831, au goût français.
Wagner lui rendit parfois hommage ; Berlioz, Schumann et Mendels-
sohn émettaient des réserves sur sa création construite sur les soli-
des livrets d’Eugène Scribe (1791-1861).

Chopin a fait quelques incursions dans la musique de chambre lors de


sa toute jeunesse, mais il aborde maintenant ce genre, dans sa maturité
d’homme et de compositeur, avec dans l’esprit cette permanence de
l’inéluctable.
Chopin, vie et œuvre

Le chromatisme développé dans cette œuvre conduit à des dissonances


auxquelles on peut prêter toutes sortes de significations, car Chopin a
confiance en l’imagination des interprètes et en celle des auditeurs. Le
dialogue entre les deux instruments imbrique les timbres et les inten-
tions, les couleurs, pour manifester une énergie débordante qui émane
de ce corps frêle et bientôt à l’agonie. Cette Sonate comprend quatre
mouvements : Allegro moderato, Allegro con brio, Largo et Finale. Les
thèmes sont fortement affirmés, la virtuosité n’y est que peu présente.
Le chromatisme s’y implante résolument et Chopin apparaît plus
soucieux du demi-ton que des envolées pianistiques de sa période
brillante d’avant 1841. Dans le premier mouvement, on décèle un thème
avec un intervalle dont Wagner se souviendra lorsqu’il composera le
Final des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, entre 1861 et 1867.
Jean-Jacques Eigeldinger note dans son ouvrage, Frédéric Chopin :

« L’opus 65 a commencé sa carrière dans nos concerts de


musique de chambre voilà moins d’un quart de siècle. Après les
opinions défavorables de maints analystes et commentateurs,
elle [l’œuvre] continue de troubler : complexité d’une œuvre
partiellement aboutie1 ? »
© Eyrolles Pratique

1. Jean-Jacques Eigeldinger, Frédéric Chopin, « Mirare », Paris, Fayard, 2003.

124
Une fin proche
Lucrezia Floriani : un roman à clefs
En 1847 George Sand traduit dans ce roman les difficultés qui amènent
la rupture avec Chopin, les incompréhensions diverses, la lassitude et la
fatigue pour une si puissante nature de suppléer à la faiblesse constitu-
tive de Chopin.
Chopin est de plus en plus malade malgré les périodes de rémission. En
outre, il est pris à témoin par les différents membres d’une famille qui

10. L’accomplissement (1844-1847)


se déchire d’autant plus que s’y sont adjointes de nouvelles personnes
au gré des liaisons et mariages. On en vient aux mains et Chopin est prié
par George d’adopter une attitude à laquelle il ne se soumet pas. Il le
manifeste dans une lettre qu’il lui envoie au mois de juillet.
Mais la réponse de George est foudroyante : son exaspération y explose.
Elle s’en explique à un ami :

« Pour moi, quel débarras ! Quelle chaîne rompue ! Toujours


résistant à son esprit étroit et despotique, mais toujours
enchaînée par la pitié et la crainte de le faire mourir de chagrin,
il y a neuf ans que, pleine de vie, je suis liée à un cadavre. […]
Dieu merci, ce ne sera pas moi qui le tuerai, et je pourrai
recommencer à vivre, moi qu’il tue à coups d’épingles, depuis
neuf ans. […] Je lui ai toujours dit qu’une coquette habile lui
convenait, et non une amie sincère, loyale et dévouée. »

George fait ici allusion à sa propre fille, Solange, pour laquelle Chopin a
une tendre affection. Mais si l’exaspération de George est compréhensi-
ble, elle se trompe de cible, Chopin étant poursuivi des assauts de Jane
Stirling. George Sand n’est pas fautive, bien au contraire, c’est à elle que
Chopin doit le confort matériel et moral qu’il trouve à Nohant, lieu si
propice à l’épanouissement de son art. Toutefois, si l’expédition de
Majorque a été désastreuse pour la santé de Frédéric, c’est que l’époque
considère le Sud comme la panacée, ainsi que la saignée, pour lutter
contre la maladie.
© Eyrolles Pratique

125
Solange Sand et son mari le sculpteur Clésinger restent proches de
Chopin jusqu’à sa mort, malgré la brutalité de Clésinger et l’antipathie
que Chopin avait ressentie spontanément envers celui-lui.

Auguste Jean-Baptiste Clésinger (1814-1883)


Jeune sculpteur, il épouse, dans le plus grand tumulte, la fille de
George Sand, Solange. Son œuvre la plus célèbre est la Femme au
serpent (1847). C’est Clésinger qui prend le masque mortuaire de
Chopin et le moulage de sa main gauche (1849). Il est aussi l’auteur du
monument funéraire de Chopin.

C’est Chopin, rencontrant George Sand par hasard, le 4 mars 1848, qui
lui annonce la naissance de la fille que Solange vient de mettre au
Chopin, vie et œuvre

monde, morte peu après sa naissance.

L’inspiration se tarirait-elle ?
La veine créatrice de Chopin s’est-elle affaiblie ? La maladie a-t-elle
détruit son énergie ? La solitude lui pèse-t-elle ? Il est vrai que l’encom-
brante et stérile Jane Stirling n’a rien à voir avec la tendresse de la proli-
fique George Sand, d’autant plus que Chopin n’en est guère amoureux…
Durant cette période, il crée les Deux Valses opus 64, respectivement ré
bémol majeur n˚ 1, ut dièse mineur n˚ 2. Il dédie la première à son amie
Delphine Potocka. Venue après les œuvres composées à partir de 1841,
cette Valse n˚ 1 propose, malgré ses dissonances, une vision de salon,
charmante mais un peu mièvre.
La Valse n˚ 2 marque le retour au langage adopté depuis 1841 et, surtout,
depuis le Nocturne n˚ 2 opus 62. Elle est comme un paysage mélancoli-
que, souligné par un chromatisme discret qui fait cheminer l’œuvre
jusqu’à une partie médiane brillante, sursaut de vie au milieu de cette
lassitude qui n’a rien de la pose d’un dandy revenu de tout. Chopin
s’émerveille encore de pouvoir danser, dirait-on.
Il compose aussi une mélodie, la plus remarquable de toute sa produc-
tion vocale : Melodia, sur un texte de Zygmunt Krasinski, opus 74 n˚ 9.
© Eyrolles Pratique

126
Les Polonais émigrés se retrouvent dans ce poème sans espoir, à jamais
exilés de leur patrie mise en pièces. La mélodie ressemble aux Lieder de
Liszt, avec une partie de piano qui n’est pas construite comme un dialo-
gue avec la voix, dans la tradition de la musique de chambre. Ce n’est
pas l’« accompagnement » qui soutient le chanteur et disparaît happé
par le brillant de la voix. Ici, comme chez Liszt, le piano ponctue le texte,
après une introduction de deux phrases à la recherche d’une tonalité,
comme on fredonne un air oublié et obsédant. Puis, les dissonances se
succèdent et la mélodie s’achève sobrement par le constat de l’infinie
tristesse due à l’oubli des siècles et des siècles.

10. L’accomplissement (1844-1847)


Melodia, composition seule de son espèce, est accompagnée de ces
mots : « Nella miseria » que Chopin a glanés dans la Divine Comédie de
Dante, partie consacrée à l’Enfer :

« Nessun maggior dolore


Che ricordarsi del tempo felice
Nella miseria. »

« À personne douleur plus grande


N’est de se rappeler jours heureux
Accablé de misère1. »

Avec cet emprunt au poète italien, Chopin se dirige vers son inévitable
destin, ayant accompli, depuis 1831, lors de son arrivée à Paris, un
parcours étonnant et poignant. Il y a obtenu la notoriété, vécu un
amour rare avec une femme d’exception et accompli une œuvre d’une
densité peu commune. Ses élèves sont toujours nombreux, fidèles et
généreux.
Il n’est pourtant que tristesse : sent-il sa fin prochaine ? Peut-il survivre
sans amour ? Devra-t-il mourir seul ? Il a quitté George Sand sur ces
interrogations, peut-être même sur un « à quoi bon ? »…
© Eyrolles Pratique

1. Traduction de l’auteur.

127
Chapitre 11

Une triste fin


(1848-1849)

11.
11. Une triste fin (1848-1849)
En 1848, barricades et violences mettent fin au règne de Louis-Philippe :
après la chute de la branche aînée des Bourbons en 1830, c’est mainte-
nant la branche cadette des Orléans qui abdique et émigre en Angle-
terre. Le banquet interdit par Guizot, ministre de Louis-Philippe, le
22 février, lance le peuple dans la rue. La Deuxième République est
proclamée quelques jours plus tard, le 25 février. Le régime autoritaire
et conservateur doit s’effacer devant ce soulèvement à la suite duquel
de nombreux autres suivent à travers l’Europe, Allemagne, Autriche,
Hongrie, Italie, sans oublier la Pologne, une nouvelle fois.

Le dernier concert parisien


Le 16 février 1848, Pleyel décide d’organiser un concert pour Chopin, qui
ne doit compter dans le public que le roi et les siens, l’aristocratie, les
artistes les plus en vue de l’époque et les proches du compositeur.
Le concert a lieu le 22 février, à la veille des journées révolutionnaires de
1848. Le climat parisien n’est pas au beau. Mais cela n’empêche pas
Chopin de jouer des œuvres de Mozart et de lui-même. C’est un
mélange de genres musicaux : ainsi, ce jour-là, entend-on des airs
d’opéra, divers morceaux de musique de chambre et des œuvres de
Chopin lui-même, une variété qui frise le « pot-pourri ». Avec Fran-
chomme, Chopin joue trois des quatre mouvements de sa Sonate
opus 65, puis des pièces pour piano seul : la Barcarolle, des Valses, des
Études, un Nocturne, des Mazurkas et la Berceuse.
© Eyrolles Pratique

131
Chopin reste étranger à l’événement politique qui bouleverse la France.
Cependant il tourne les yeux vers la Pologne qui participe à ce
« printemps des peuples » et son espoir renaît de la voir enfin grande et
libre. À se demander s’il y croit vraiment ou s’il tient un discours destiné
à combattre la solitude dans laquelle il se trouve.

Le départ pour la Grande-Bretagne


Londres
Jane Stirling, dans le désarroi où se trouve Chopin, débarrassée de
George Sand, veut faire le bonheur de Chopin malgré lui. Elle le pousse
à aller vivre à Londres avec elle, loin des émeutiers parisiens.
Chopin, vie et œuvre

Chopin arrive à Londres le 20 avril 1848, où l’attendent Jane Stirling et sa


sœur Catherine, épouse Erskine. Il y retrouve des émigrés polonais qui
ont quitté Paris en raison de l’incertitude politique. Mais il mène une vie
peu propice au repos dont il a besoin, pourtant nécessaire à sa santé et
à sa création, trop sollicité par des obligations mondaines, assailli par
ses deux « tutrices ». Il retrouve son amie Pauline Viardot qui connaît un
grand succès à Londres, et il rend visite aux Français émigrés qui ont fui
eux aussi à la suite des journées de février.
Jane Stirling fait un énorme battage autour de Frédéric qui joue dans les
salons aristocratiques. On lui propose un concert avec orchestre qu’il
décline. Cependant il joue tout de même devant la reine Victoria, bien
étrangère à sa musique : elle préfère les opéras à la mode.
Frédéric joue aussi dans de petites salles où il est très bien payé. On sait
reconnaître la nouveauté de son style, son « génie de compositeur ».
Il rencontre ensuite la grande cantatrice Jenny Lind et tous deux
découvrent leurs affinités personnelles et musicales pour le folklore de
leurs deux pays d’origine, la Pologne pour Chopin, la Suède pour Jenny
Lind.

Jenny Lind (1820-1887)


Cantatrice suédoise qui vint à Paris en 1841 travailler avec le baryton
Manuel Garcia II, frère de Pauline Viardot. Elle connut un grand
© Eyrolles Pratique

succès en Allemagne, en Autriche et en Angleterre. En 1849, elle


renonça à l’opéra pour ne chanter qu’en concert. Elle fit une tournée

132
en Amérique, organisée par Barnum en 1850-1852, où on lui fit un
triomphe. On la surnommait « le Rossignol suédois ».

Toutefois Chopin est toujours torturé par les nouvelles qui viennent de
Pologne.
En France, les suites de la Révolution de 1848 sont manifestes et l’agita-
tion permanente : Chopin demeure alors en Angleterre bien qu’il ait
conservé son appartement parisien.

L’Écosse

11. Une triste fin (1848-1849)


Chopin est attendu ensuite en Écosse par Jane Stirling et sa famille,
dans le château de Calder House. Voici ce qu’il en dit dans une lettre aux
siens :

« C’est un vieux manoir entouré d’un parc immense aux arbres


séculaires. On ne voit que pelouses, frondaisons, montagnes et
ciel. Les murs du château sont épais de huit pieds. De tous côtés,
ce ne sont que galeries et couloirs sombres ornés d’innombrables
portraits d’ancêtres de toutes couleurs et portant tous les
costumes qui se puissent imaginer. Il y a des seigneurs vêtus à
l’écossaise ou portant l’armure et des dames en vertugadin. Quel
charme pour l’imagination. Il y a même un certain chaperon
rouge qui fait des apparitions, cependant je ne l’ai pas encore vu.
J’ai examiné hier tous les portraits mais je n’ai pas discerné celui
de l’ancêtre qui hante le château. De la chambre que j’occupe,
on découvre la vue la plus splendide que l’on puisse rêver. »

Le climat de l’Écosse est cependant préjudiciable à sa santé de plus en


plus fragile : il crache le sang, ne peut plus monter les escaliers seul et il
avoue à Franchomme sa totale stérilité d’inspiration. Calder House, à
plus d’un titre, n’est pas Nohant ! Frédéric est à la fois faible et accaparé
par la sollicitude encombrante de Jane Stirling. Elle lui organise des
concerts pour le (ou se) mettre en valeur. Il doit reprendre la route pour
© Eyrolles Pratique

133
jouer à Manchester dans une salle beaucoup trop vaste où sa sonorité
se perd, ce que la critique ne manque pas de souligner.
Il retourne ensuite en Écosse, avec les visites ennuyeuses qui l’épuisent
et engendrent amertume et stérilité.
Heureusement, il rencontre quelques Polonais à Édimbourg, se produit
dans cette ville et à Glasgow : sa vie d’agitation se poursuit entre
concerts et visites. Jane Stirling se conduit, elle, comme un véritable
« vampire », contrairement à George Sand, pourtant désignée comme
telle par Custine.

La désillusion
On ne peut trouver deux personnalités plus éloignées l’une de l’autre
Chopin, vie et œuvre

que George Sand et Jane Stirling.


La première est une femme qui doit lutter pour s’imposer dans un
métier exigeant et en vivre. Personne d’autre que George Sand ne peut
subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Elle crée sans cesse : elle
écrit un nombre considérable de romans, d’articles, sans compter ses
lettres. Elle joue un rôle politique important et lutte pour que les
femmes soient considérées comme des êtres responsables à part
entière, alors que l’époque en fait légalement d’éternelles mineures,
redoutables d’ailleurs quand elles savent jouer de ce misérable statut.
Quant à Jane Stirling, elle est née très riche, sorte de « vieille fille-enfant
gâtée » à laquelle rien ne doit résister, pas même la maladie de Chopin.
Elle ne sait calmer son ardeur débordante à exhiber un mourant dont la
fréquentation la flatte. Son comportement paraît infantile au plus haut
point. C’est certainement en raison de son état de grande faiblesse que
Chopin ne peut résister à ce raz-de-marée qui attriste sa dernière année
de vie. Chopin s’ennuie dans cette agitation perpétuelle engendrée par
une frustration sexuelle évidente que Jane Stirling compense par un
excès d’empressement. « Mes Écossaises ne peuvent me laisser en
paix », écrit Chopin à Grzymala.

■ L’ardeur insatiable de Jane Stirling


On parle de fiançailles entre Frédéric et Jane Stirling, bruit que Chopin
© Eyrolles Pratique

fait rapidement taire. Et il ajoute dans une lettre à Grzymala :

134
« Je suis plus près du cercueil que d’un lit nuptial. »

■ Un art luxueux
Ce rude jugement de Chopin adressé injustement, il est vrai, aux
Anglais : « Les Anglais n’ont de respect pour l’art que parce que c’est un
luxe », s’applique à un type de public qui prend l’art pour gage d’appar-
tenance à une certaine classe sociale, le plus souvent déterminée par
l’argent. L’art devient une sorte de denrée, d’ornement dont on se pare
sans jamais s’être donné la peine d’en pénétrer les mystères : mystère
de la création artistique, mystère de l’émotion reçue par le public et

11. Une triste fin (1848-1849)


suscitée par l’artiste, mystère de l’œuvre qui résiste à l’épreuve du
temps, mystère des familles et filiations artistiques…
Il est vrai que l’art ne peut exister sans argent, d’où l’importance des
mécènes privés ou publics, car il a besoin de lieux pour se manifester et
est lié à un certain luxe.

■ L’ultime concert
Chopin reprend le chemin de Londres, de plus en plus faible : il donne un
concert pour les émigrés polonais dans un but charitable. Ce concert est
plus un acte de mondanité qu’un événement musical. Chopin rentre à
son hôtel exténué, se couche à bout de forces, soigné par des amis polo-
nais. La presse ne mentionne même pas sa présence. C’est sa dernière
apparition publique en tant que pianiste.
Il écrit à Grzymala fin novembre 1848 :

« Encore un jour de plus ici et je serai fou sans en crever. »

Cette tournée anglaise et écossaise est catastrophique pour Chopin. Il y


gagne un peu d’argent mais s’y détruit moralement et physiquement. Il
n’a rien composé et s’est épuisé.
© Eyrolles Pratique

135
Les derniers moments à Paris
Chopin regagne le square d’Orléans à Paris avec une certaine amertume
que compense la présence de ses amis : Delacroix, Franchomme… Jane
Stirling et sa sœur suivent Frédéric et lui rendent visite.
Chopin ne peut plus guère donner de leçons en raison de son état de
santé et il se trouve à court d’argent. Jane Stirling y pourvoit sans qu’il
le sache, geste d’une naïve générosité.
Malgré sa peine, Chopin retrouve des forces et se remet à composer de
courtes pièces (après l’éblouissement de la Sonate opus 65) car il est
dorénavant trop faible pour produire de tels monuments.
Il écrit deux Mazurkas, en sol mineur et fa mineur. La mélancolie y prédo-
mine, surtout avec la Mazurka en fa mineur, que Franchomme retrou-
Chopin, vie et œuvre

vera par hasard, pièce testamentaire où Chopin se projette dans les


siècles futurs. Il préfigure si nettement le chromatisme de Wagner
qu’on y entend déjà le fameux accord dit « accord de Tristan », lequel
fera couler beaucoup d’encre sous l’expression : « l’homme malade de
l’Europe ».

« L’accord de Tristan » voir Glossaire

Une fin proche


Ayant foi en le renouvellement perpétuel de la musique par elle-même,
Chopin cesse d’écrire, terrassé par la maladie. Les audaces chromati-
ques n’arrivent plus à le tenir hors de l’abîme qui l’attire à lui depuis
tant d’années. Sur l’avis de ses médecins, il quitte le square d’Orléans
pour la campagne sur la colline de Chaillot. Cela lui est profitable,
d’autant plus que le choléra a fait son apparition dans la capitale. Mais
Chopin n’a plus d’argent pour louer un nouvel appartement ; ses amis y
pourvoient donc discrètement. Delphine Potocka, Jenny Lind, Delacroix,
Franchomme et la Catalani, qui l’a connu très jeune à Varsovie, viennent
lui rendre visite. Chopin trouve parfois la force de se promener au bois
de Boulogne. Cependant, le grand médecin Cruveilhier, appelé auprès
© Eyrolles Pratique

de lui, déclare que Frédéric est au dernier degré de la phtisie :

136
l’hémoptisie fatale (hémorragie par les voies respiratoires) peut se
produire à tout moment.
Chopin se sait perdu ; il écrit à sa sœur Ludwika :

« Je suis très faible et aucun médicament ne peut m’aider autant


que toi. […] Les cyprès n’ont-ils pas leurs caprices ? Mon caprice
est de vous avoir ici. »

Chopin évoque cet arbre, connaissant parfaitement la symbolique


mortuaire qu’un de ses auteurs favoris, le poète Lord Byron, attache à

11. Une triste fin (1848-1849)


cet arbre méditerranéen.
Dans cette lettre, sa sœur Ludwika perçoit la gravité de la situation et
arrive à Paris à la mi-août. On lui déconseille d’emmener Frédéric à Nice
chez Delphine Potocka. Un nouvel appartement, le dernier, doit
accueillir Chopin au 12, place Vendôme, après l’été passé sur la colline de
Chaillot, lieu dérisoire après tous les séjours estivaux à Nohant.
Ses amis vont le voir, tous, sauf George Sand. Elle s’informe par lettre de
l’état de Chopin auprès de Ludwika qui ne lui répond pas.
L’argent manque à Chopin ; Jane Stirling lui dépose alors une enveloppe
contenant une somme importante, d’abord perdue par la concierge,
puis retrouvée par l’intermédiaire d’un célèbre mage. Cette anecdote,
digne d’une nouvelle de Balzac, impressionne beaucoup Chopin,
d’abord sceptique sur les pouvoirs du magnétiseur…
À la mi-octobre, il est à l’article de la mort, si bien que ses amis lui dépê-
chent une de ses vieilles connaissances, un prêtre polonais, le père
Jelowicki. Mais Chopin se refuse à recevoir les sacrements, puis s’y
résout en disant à son ami : « Sans toi, je serais mort comme un cochon. »

17 octobre 1849 : la mort de Chopin


Le 15 octobre, Chopin est à l’agonie. Delphine Potocka lui chante alors
les airs des compositeurs d’antan qu’il aime, tandis que Marcelina Czar-
toryska et Franchomme jouent le premier mouvement de la Sonate
opus 65.
© Eyrolles Pratique

137
Le 16 octobre, son état s’améliore suffisamment pour qu’il demande
que le Requiem de Mozart soit joué lors de son enterrement et que son
cœur revienne à la Pologne.
Mais, à deux heures du matin, le 17 octobre, entouré de ses amis, Chopin
répond à son médecin qui lui demande s’il souffre : « Plus. » Il murmure
encore des syllabes non discernables, lève la main… qui retombe.
Frédéric Chopin est mort.
Delacroix se trouve en Normandie au moment de la mort de Chopin. Il
ne l’apprend que le 20 octobre et note dans son Journal, à cette date :

« J’ai appris, après déjeuner, la mort du pauvre Chopin.[…]


Quelle perte ! Que d’ignobles gredins remplissent la place,
pendant que cette belle âme vient de s’éteindre ! »
Chopin, vie et œuvre

30 octobre 1849 : les funérailles


À la Madeleine, on entend sa Marche funèbre, orchestrée, deux des Prélu-
des de l’opus 28 (mi mineur, si mineur), le Requiem de Mozart, Pauline
Viardot, drapée de noir, étant parmi les solistes.
Ludwika repart ensuite pour Varsovie, en emportant le cœur de son frère
qui sera scellé à l’intérieur d’un pilier de l’église Sainte-Croix. Chopin est
inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Le monument funéraire, grâce à
une collecte organisée par Eugène Delacroix, est réalisé par Clésinger.
© Eyrolles Pratique

138
Conclusion
La vie et l’œuvre de Frédéric Chopin, considérées dans leur ensemble,
mêlées l’une à l’autre, s’éclairent mutuellement : Chopin est l’auteur
d’une œuvre charnière. Il clôt un monde et appartient à ceux qui
ouvrent la musique à des voies nouvelles, tout en en conservant les
assises.
Les années et siècles à venir sauront gré à Chopin de ses audaces, de la
vaillance de sa musique qui ne renie jamais la recherche de la beauté, de
sa conception de la virtuosité pianistique, empruntée à la virtuosité
vocale, justifiée par un contexte et toujours expressive.
La courte vie de Chopin, cette fin « grelotteuse », dans la gêne, sous des
dehors élégants voire brillants, est pathétique. Son œuvre prophétise
les douleurs de son agonie, symbole des convulsions du monde.
Goethe dit : « Meurs, et deviens » (Stirb, und werde) dans les vers de son
poème Selige Sehnsucht/Béatitude désirée, extrait du recueil le Divan
occidental-oriental (1814-1816). Cette formule lapidaire convient au
destin de Chopin et à la présence de son œuvre au fil des siècles.
© Eyrolles Pratique

139
Annexes
Cahier de correspondance entre Chopin et
George Sand
(extrait de Correspondance de Chopin, La Revue musicale,
éditions Richard Masse, Paris, 1981, 3 volumes)

N˚ 2601
George Sand à Frédéric Chopin,
s.d.

On vous adore
George

Annexes
et moi aussi ! et moi aussi ! et moi aussi ! ! !
Marie Dorval

1. Nous conservons la numérotation des lettres établie par l’éditeur (Note de


© Eyrolles Pratique

l’auteur).

143
N˚ 372
George Sand à Frédéric Chopin, à Paris,
[Cambrai, 13 août 1840]

Cher enfant,
Je suis arrivée à midi bien fatiguée, car il y a quarante-cinq
lieues et non trente-cinq de Paris jusqu’ici. Nous vous
raconterons de belles choses des bourgeois de Cambrai. Ils sont
beaux, ils sont bêtes, ils sont épiciers ; c’est le sublime du genre.
Si la Marche historique ne nous console pas, nous sommes
Chopin, vie et œuvre

capables de mourir d’ennui des politesses qu’on nous fait. Nous


sommes logés comme des princes ; mais quels hôtes, quelles
conversations, quels dîners ! Nous en rions quand nous sommes
ensemble ; mais quand nous sommes devant l’ennemi, quelle
piteuse figure nous faisons. Je ne désire plus vous voir arriver ;
mais j’aspire à m’en aller bien vite, et je commence à
comprendre pourquoi mon Chop ne veut pas donner de
concerts. Il serait possible que Pauline Viardot ne chantât par
après-demain faute d’une salle. Nous repartirons peut-être un
jour plus tôt. Je voudrais être déjà loin des Cambrésiens et des
Cambrésiennes.
Bonsoir, Chip-Chip ; bonsoir, Bouli. Je vais me coucher, je
tombe de fatigue. Aimez votre vieille comme elle vous aime.
© Eyrolles Pratique

144
N˚ 551
Frédéric Chopin à George Sand, à Nohant,
[Paris, 2 décembre 1844]1
Lundi, 3 heures

Comment chez vous ? Je viens de recevoir votre excellente lettre.


Il neige ici tant que je suis bien aise que vous ne soyez pas en
route et je me reproche de vous avoir pu susciter l’idée du voyage
en poste par ce temps-là. La Sologne doit être déjà mauvaise car
il neige depuis hier matin. Votre décision d’attendre quelques
jours me paraît la meilleure et j’aurai plus de temps à vous faire
chauffer vos appartements. L’essentiel c’est de ne pas vous mettre
en route par ce temps, avec des perspectives de souffrances. Jean
a mis vos fleurs dans la cuisine. Votre jardinet est tout en boules
de neige, en sucre, en cygne, en fromage à la crème, en mains de

Annexes
Solange et de Maurice. Les fumistes viennent de venir, car je
n’osais pas faire beaucoup de feu sans eux.
Votre robe est en levantine noire, tout ce qu’il y a de meilleur. Je
l’ai choisie selon vos ordres. La couturière l’a emportée avec
toutes vos instructions. Elle a trouvé l’étoffe bien belle, simple,
mais bien portée. Je crois que vous en serez contente. La
couturière m’a paru bien intelligente. L’étoffe a été choisie
parmi dix autres, elle est de neuf francs le mètre, ainsi tout ce
qu’il y a de meilleur en qualité, elle sera, à ce qu’il paraît,
excellente… tout a été prévu du côté de la couturière qui veut
bien faire. Il y a ici beaucoup de lettres pour vous. Je vous
envoie une qui me paraît être de la mère de Garcia. Il y a une
des Colonies, une de la Prusse à Mme Dudevant, née
Francueil, que je vous enverrais aujourd’hui si elles étaient
moins grandes. Je vous les enverrai si vous le voulez. Il y a tout
plein de journaux (l’Atelier, le Bien Public, le Diable),

1. Toutes les lettres de Chopin reproduites dans cet ouvrage sont écrites en français.
© Eyrolles Pratique

145
quelques livres, quelques cartes, entre autres celles de
M. Martins. J’ai dîné hier chez Franchomme, je ne suis sorti
qu’à quatre heures, à cause du mauvais temps, et j’ai été le soir
chez Mme Marliani. Je dînerai aujourd’hui chez elle, avec
Leroux m’a-t-elle dit, si la séance du procès de son frère, qui doit
être plaidé aujourd’hui, finit de bonne heure. J’ai trouvé les
Chopin, vie et œuvre

Marliani assez bien portants, sauf le rhume. Je n’ai vu ni


Grzymala ni Pleyel, c’était dimanche. Je compte aller
aujourd’hui les voir si la neige cesse un peu. Soignez-vous, ne
vous fatiguez pas trop avec vos paquets. À demain une nouvelle
lettre, si vous permettez. Votre toujours plus vieux que jamais,
et beaucoup, extrêmement, incroyablement vieux.
Ch.

Et puis voilà !
À vos enfants.
Franchomme a passé la matinée avec moi. Il est bien bon pour
moi. Il se met à vos pieds. Je reçois à l’instant une lettre qui me
paraît de Delatouche et je la joins.
© Eyrolles Pratique

146
N˚552
Frédéric Chopin à George Sand, à Nohant,
[Paris, 5 décembre 1844]
Jeudi, 3 heures

Ne souffrez pas, ne souffrez pas.


Je viens de recevoir votre excellentissime lettre et je vous vois
toute tracassée par vos retards. Mais par pitié pour vos amis,
prenez patience car vraiment nous serions tous peinés de vous
savoir en chemin par ce temps-là et pas en parfaite santé. Je
voudrais que vous n’ayez des places que le plus tard possible,
afin qu’il fasse moins froid ; ici c’est fabuleux, tout le monde
prétend que l’hiver s’annonce beaucoup trop brusquement.
Tout le monde, c’est M. Durand et Franchomme, que j’ai vu
déjà ce matin, et chez lequel j’ai dîné hier au coin du feu dans

Annexes
ma grosse redingote et à côté de son gros garçon. Il était rosé,
frais et jambes nues. J’étais jaune, fané, froid et trois flanelles
sous le pantalon. Je lui ai promis du chocolat de votre part.
Vous et le chocolat, c’est synonyme maintenant pour lui. Je
crois que vos cheveux, qu’il racontait être si noirs, sont devenus
dans son souvenir couleur chocolat. Il est drôle tout plein et je
l’aime tout particulièrement. Je me suis couché à dix heures et
demie. Mais j’ai dormi moins fort que la nuit après le chemin
de fer.
Que je suis fâché que vos plantations soient finies ; j’aurais
voulu que vous ayez quelque chose à faire en sabots et dehors,
car malgré le froid et le glissant, ici il fait beau. Le ciel est pur et
ne s’embrume pas pour laisser tomber un peu de neige. J’ai écrit
à Grzym [ala]. Il m’a écrit, mais nous ne nous sommes pas
encore vus. J’étais cependant chez lui, mais il est introuvable.
Je sortirai comme toujours porter cette lettre à la Bourse, et
avant d’aller chez Mlle de Rozières, qui m’attend à dîner, j’irai
voir Mme Marliani, que je n’ai vue ni hier ni avant-hier. Je ne
© Eyrolles Pratique

147
suis pas allé non plus chez Mme Doribeaux, car je suis sans
beaux habits, ce qui fait que je ne ferai pas des visites inutiles.
Mes leçons ne sont pas encore en train. Primo, je viens de
recevoir seulement un piano. Secundo, on ne sait pas encore
trop que je suis arrivé : je n’ai eu qu’aujourd’hui seulement
quelques visites intéressées. Cela viendra peu à peu, je ne m’en
Chopin, vie et œuvre

inquiète pas.
Mais je m’inquiète de vous avoir quelquefois impatientée, et je
mets mon nez à vos pieds pour vous prier de vous armer d’un
peu d’indulgence pour les voituriers qui ne vous rapportent pas
de réponse de Châteauroux, et pour des choses semblables. À
demain.
Je vous envoie une lettre pour vous éveiller mieux encore.
Je pense qu’il fait matin et que vous êtes dans votre robe de
chambre, entourée de vos chers fanfi, que je vous prie de bien
vouloir bien embrasser de ma part, ainsi que de me mettre à vos
pieds. Pour les fautes d’orthographe, je suis trop paresseux pour
voir dans [le dictionnaire] Boiste.
Votre momiquement vieux.
Ch.

Jean nettoie dans ce moment le salon. Il est fort occupé des glaces
et y met le temps.
© Eyrolles Pratique

148
N˚629
Frédéric Chopin à George Sand, à Nohant,
[Mercredi, 3 heures, Paris, 25 novembre 1846]

Je compte que votre migraine est passée et que vous voilà mieux
disposée que jamais. Je suis bien aise du retour de tout votre
monde et je vous souhaite du beau temps. Il fait ici noir et
humide, on ne peut vivre qu’enrhumé. Grzym[ala] est mieux. Il
a dormi hier une petite heure pour la première fois depuis dix-
sept jours. J’ai vu Delacroix, qui vous dit mille tendresses à tous.
Il souffre mais va cependant à son travail au Luxembourg. Je
suis allé hier soir chez Mme Marliani. Elle sortait avec
Mme Scheppard, M. Aubertin (qui a eu l’audace de lire votre
Mare au Diable en plein collège comme exemple de style) et

Annexes
M. d’Arpentigny. Ils allaient entendre un nouveau prophète que
le capitaine1 protège (ce n’est pas un apôtre). Sa nouvelle
religion est celle des fusionistes, le prophète qui a eu la révélation
au bois de Meudon, où il a vu Dieu. Il promet pour comble de
bonheur, dans une certaine éternité, qu’il n’y aura plus de sexe.
Cette idée ne plaît pas beaucoup à Mme de M.[arliani], mais le
capitaine est pour et déclare la baronne en ribotte chaque fois
qu’elle se moque de son fusionisme. Je vous enverrai demain la
fourrure et vos autres commissions. Le prix de votre piano est de
neuf cents francs. Je n’ai pas vu Arago, mais il doit se porter
bien, car il était sorti, quand Pierre lui a porté votre billet.
Remerciez, je vous prie, Marquis2 de ses flairaisons [sic] à ma
porte. Soyez heureuse et bien portante. Écrivez quand vous
aurez besoin de quelque chose.
Votre dévoué.
Ch.
© Eyrolles Pratique

1. Le capitaine d’Arpentigny qui vient d’être évoqué.


2. Le chien de George Sand.

149
À vos chers enfants,
Je reçois votre lettre, qui est en retard de six heures. Elle est
bonne, bonne et parfaite. Ainsi, je n’enverrai pas demain vos
commissions. J’attendrai. Ne m’enverrez-vous pas votre camail
pour la faire arranger ici ? Avez-vous des ouvrières capables ?
Ainsi j’attendrai vos ordres. Je suis bien aise que les bonbons ont
Chopin, vie et œuvre

eu du succès. Je suis fautif du briquet mais je ne sais pas s’il y a


suffisamment d’amadou. Je vais à la grande poste avec cette
lettre avant d’aller chez Grzym[ala].

© Eyrolles Pratique

150
N˚ 639
Frédéric Chopin à George Sand, à Nohant,
[Mardi, 3 heures, Paris, 12 janvier 1847]

Votre lettre m’a amusé. Je connais beaucoup de mauvais jours


mais en fait des Bonjours, je n’ai rencontré que l’éternel
candidat de l’Académie, M. Casimir Bonjour. Mon ami
improvisé m’a rappelé le monsieur mélomane de Châteauroux,
dont je ne sais pas le nom et qui disait à M. de Préaux me
connaître beaucoup. Si cela continue, je finirai par me croire un
personnage important. Vous êtes donc maintenant tout entière
à l’art dramatique. Je suis sûr que votre prologue est un chef-
d’œuvre et que les répétitions vous amuseront beaucoup,
seulement n’oubliez jamais votre wilchura1 ou votre muse. Ici il

Annexes
refait froid. J’ai vu les Veyret, qui vous présentent leurs
hommages. Je n’oublierai pas vos fleurs, votre note du jardinier.
Soignez-vous, amusez-vous, soyez bien portants tous.
Votre dévoué
Ch.

À vos chers enfants.


© Eyrolles Pratique

1. Fourrure (en peau de loup), terme polonais.

151
N˚ 590
George Sand à Frédéric Chopin, à Paris,
[Nohant] samedi soir, minuit s.d.

Nous partons demain de bonne heure. Nous avons trouvé un


cheval de voiture et nous emmenons mon frère. Comme je ne
pourrai guère vous écrire en voyage, je veux au moins que vous
receviez un petit mot de moi à Paris. Je suis triste en pensant que
vous êtes en voiture, que vous passez une mauvaise nuit. Prenez
au moins le tems [sic] d’en passer trois bonnes à Paris, et ne vous
Chopin, vie et œuvre

fatiguez pas trop. Aime-moi, cher Ange, mon cher bonheur. Je


t’aime.

© Eyrolles Pratique

152
N˚ 664
Frédéric Chopin à George Sand, à Nohant,
[Paris, 24 juillet 1847]

Je n’ai pas à Vous parler de M. Cl[ésinger]. Ma pensée ne s’est


familiarisée avec le nom même de M. Cl[ésinger] que du moment
ou [sic] Vous lui avez donné votre fille.
Quant à celle-ci – elle ne peut m’être indifférente. Vous vous
rappellerez que j’intercédais auprès de Vous en faveur de Vos
enfants sans préférence, chaque fois que l’occasion s’en
présentait, certain que Vous êtes destinée à les aimer toujours –
car ce sont les seules affections qu’on ne change pas. Le malheur
peut les voiler, mais non dénaturer.

Annexes
Il faut que ce malheur soit bien puissant aujourd’hui pour qu’il
deffende [sic] à Votre cœur d’entendre parler de Votre fille, au
début de sa carrière définitive, à l’époque où son état physique
exige plus que jamais des soins maternels.
En présence d’un fait aussi grave qui touche à Vos affections les
plus saintes – je ne relèverai pas ce qui me concerne. Le temps
agira. J’attendrai – toujours le même.
Votre tout dévoué
Ch.

À Maurice
© Eyrolles Pratique

153
N˚ 665
George Sand à Frédéric Chopin, à Paris,
[Nohant] mercredi [1847]

J’avais demandé hier les chevaux de poste et j’allais partir en


cabriolet par cet affreux temps, très malade moi-même ; j’allais
passer un jour à Paris pour savoir de vos nouvelles. Votre silence
m’avait rendue inquiète à ce point sur votre santé. Pendant ce
temps-là, vous preniez le temps de la réflexion et votre réponse
est fort calme.
Chopin, vie et œuvre

C’est bien, mon ami, faites ce que votre cœur vous dicte
maintenant et prenez son instinct pour le langage de votre
conscience. Je comprends parfaitement.
Quant à ma fille, sa maladie n’est pas plus inquiétante que
celle de l’année dernière, et jamais mon zèle, ni mes soins, ni
mes ordres, ni mes prières n’ont pu la décider à ne pas se
gouverner comme quelqu’un qui aime à se rendre malade.
Elle aurait mauvaise grâce à dire qu’elle a besoin de l’amour
d’une mère qu’elle déteste et calomnie, dont elle souille les plus
saintes actions et la maison par des propos très atroces. Il vous
plaît d’écouter cela et peut-être d’y croire. Je n’engagerai pas un
combat de cette nature ; il me fait horreur. J’aime mieux vous
voir passer à l’ennemi que de me défendre d’un ennemi sorti de
mon sein et nourri de mon lait.
Soignez-la puisque c’est à elle que vous croyez devoir vous
consacrer. Je ne vous en voudrai pas, mais vous comprendrez
que je me retranche dans mon rôle de mère outragée et que rien
n’en fera, désormais, méconnaître l’autorité et la dignité. C’est
assez être dupe et victime. Je vous pardonne et ne vous
adresserai aucun reproche désormais, puisque votre confession
est sincère. Elle m’étonne un peu, mais, si vous vous sentez plus
© Eyrolles Pratique

154
libre et plus à l’aise ainsi, je ne souffrirai pas de cette bizarre
volte-face.
Adieu, mon ami, que vous guérissiez de tous vos maux, et je
l’espère maintenant (j’ai mes raisons pour cela) ; et je
remercierai Dieu de ce bizarre dénouement à neuf années
d’amitié exclusive.
Il est inutile de jamais revenir sur le reste.

À M. Chopin

Annexes
Rue Saint-Lazare, 9, cour d’Orléans, Paris.
© Eyrolles Pratique

155
Catalogue des œuvres de Chopin publiées
de son vivant

Piano seul
■ Ballades
Ballade n˚ 1 en sol mineur opus 23 1831-1835
Ballade n˚ 2 en fa majeur opus 38 1836-1839
Ballade n˚ 3 en la bémol majeur opus 47 1841
Ballade n˚ 4 en fa mineur opus 52 1842

■ Études
12 Études opus 10 1829-1831
12 Études opus 25 1832-1836
3 Nouvelles Études 1839

■ Impromptus
Impromptu n˚ 1 en la bémol majeur opus 29 1837
Impromptu n˚ 2 en fa dièse majeur opus 36 1839
Impromptu n˚ 3 en sol bémol majeur opus 51 1842
© Eyrolles Pratique

157
■ Mazurkas
2 Mazurkas 1825-1826
si bémol majeur
sol majeur
4 Mazurkas opus 6 1830-1831
fa dièse mineur
ut dièse mineur
mi majeur
mi bémol mineur
5 Mazurkas opus 7 1830-1831
si bémol majeur
Chopin, vie et œuvre

la mineur
fa mineur
la bémol majeur
ut majeur
4 Mazurkas opus 17 1832-1833
si bémol majeur
mi mineur
la bémol majeur
la mineur
4 Mazurkas opus 24 1834-1835
sol mineur
ut majeur
la bémol majeur
si bémol mineur
4 Mazurkas opus 30 1836-1837
ut mineur
si mineur
ré bémol majeur
© Eyrolles Pratique

ut dièse mineur

158
4 Mazurkas opus 33 1837-1838
sol dièse mineur
ré majeur

Catalogue des œuvres de Chopin publiées de son vivant


ut majeur
si mineur
4 Mazurkas opus 41 1838-1839
ut dièse mineur
mi mineur
si majeur
la bémol majeur
Mazurka en la mineur (pour É. Gaillard) 1839-1841
Mazurka en la mineur (pour le recueil Notre Temps) 1840-1841
3 Mazurkas opus 50 1841-1842
sol majeur
la bémol majeur
ut dièse mineur
3 Mazurkas opus 56 1843
si majeur
ut majeur
ut mineur
3 Mazurkas opus 59 1845
la mineur
la bémol majeur
fa dièse mineur
3 Mazurkas opus 63 1846
si majeur
fa mineur
ut dièse mineur
© Eyrolles Pratique

159
■ Nocturnes
3 Nocturnes opus 9 1830-1831
si bémol mineur
mi bémol majeur
si majeur
3 Nocturnes opus 15 1831-1832
fa majeur
fa dièse majeur
sol mineur
2 Nocturnes opus 27 1835
ut dièse mineur
Chopin, vie et œuvre

ré bémol majeur
2 Nocturnes opus 32 1835-1837
si majeur
la bémol majeur
2 Nocturnes opus 37 1837-1839
sol mineur
sol majeur
2 Nocturnes opus 48 1841
ut mineur
fa dièse mineur
2 Nocturnes opus 55 1843
fa mineur
mi bémol majeur
2 Nocturnes opus 62 1846
si majeur
mi majeur
© Eyrolles Pratique

160
■ Polonaises
Polonaise en sol mineur 1817
2 Polonaises opus 26 1832-1835

Catalogue des œuvres de Chopin publiées de son vivant


ut dièse mineur
mi bémol mineur
2 Polonaises opus 40 1838-1839
la majeur
ut mineur
Polonaise en fa dièse mineur opus 44 1841
Polonaise en la bémol majeur opus 53 1842
Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur opus 61 1846

■ Préludes
24 Préludes opus 28 1837-1839
Prélude en ut dièse mineur opus 45 1841

■ Rondeaux
Rondeau en ut mineur opus 1 1825
Rondeau à la Mazur en fa mineur opus 5 1826-1827
Rondeau en mi bémol majeur opus 16 1832-1833

■ Scherzos
Scherzo n˚ 1 en si mineur opus 20 1831
Scherzo n˚ 2 en si bémol mineur opus 31 1835-1837
Scherzo n˚ 3 en ut dièse mineur opus 39 1839
Scherzo n˚ 4 en mi majeur opus 54 1842
© Eyrolles Pratique

161
■ Sonates
Sonate n˚ 1 en ut mineur opus 4 1827-1828
Sonate n˚ 2 en si bémol mineur opus 35 1837-1839
Sonate n˚ 3 en si mineur opus 58 1844

■ Valses
Valse en la mineur opus 34 n˚ 2 1831
Valse en mi bémol majeur opus 18 1833
Valse en la bémol majeur opus 34 n˚ 1 1835-1838
Valse en fa majeur opus 34 n˚ 3 1838
Valse en la bémol majeur opus 42 1840
Chopin, vie et œuvre

Valse en la bémol majeur opus 64 n˚ 3 1840


Valse en ré bémol majeur opus 64 n˚ 1 1847
Valse en ut dièse mineur opus 64 n˚ 2 1847

■ Variations
Variations en mi majeur sur l’air allemand
« Der Schweizerbub » 1824-1829
Variations en si bémol majeur sur
« Je vends des scapulaires », extrait de Ludovic d’Hérold
(Variations brillantes) opus 12 1833
Variation en mi majeur sur
La Marche des Puritains de Bellini 1837-1838

Œuvres isolées
Barcarolle opus 60 1845-1846
Berceuse opus 57 1844
Boléro opus 19 1833
Fantaisie en fa mineur opus 49 1841
Tarentelle en la bémol majeur opus 43 1841
© Eyrolles Pratique

162
Œuvres pour piano et orchestre
Variations sur « La ci darem la mano » de Mozart opus 2 1827-1828
Krakowiak, grand rondo de concert en fa majeur opus 14 1828

Catalogue des œuvres de Chopin publiées de son vivant


Fantaisie sur des airs polonais opus 13 1829
Concerto pour piano en fa mineur (Concerto n˚ 2) opus 21 1829-1830
Concerto pour piano en mi mineur (Concerto n˚ 1) opus 11 1830
Grande Polonaise brillante précédée d’un Andante spianato,
en mi bémol majeur opus 22 1830-1834
Allegro de concert opus 46 1832-1841

Musique de chambre
Trio pour piano, violon et violoncelle en sol mineur opus 8 1828-1829
Introduction et Polonaise brillante en ut majeur,
pour piano et violoncelle opus 3 1829-1831
Grand Duo concertant pour piano et violoncelle,
sur des thèmes de Robert le Diable de Meyerbeer 1832
Sonate en sol mineur pour piano et violoncelle opus 65 1845-1847
© Eyrolles Pratique

163
Dix-neuf mélodies toutes publiées
après la mort de Chopin
Dix mélodies, poèmes de S. Witwicki
Zyczenie opus 74 n˚ 1 1829
Gdzie lubi opus 74 n˚ 5 1829
Czary 1830
Hulanka opus 74 n˚ 4 1830
Posel opus 74 n˚ 7 1830
Wojak opus 74 n˚ 10 1830
Smutna rzeka opus 74 n˚ 3 1831
Chopin, vie et œuvre

Narzeczony opus 74 n˚ 15 1831


Pierscien opus 74 n˚ 14 1836
Wiosna opus 74 n˚ 2 1838

Quatre mélodies, poèmes de B. Zaleski


Dumka 1840
Sliczny chlopiec opus 74 n˚ 8 1841
Dwojaki koniec opus 74 n˚ 11 1845
Nie ma czego trzeba opus 74 n˚ 13 1845

Deux mélodies, poèmes d’A. Mickiewicz


Precz z moich oczu opus 74 n˚ 6 1827-1830
Moja pieszczotka opus 74 n˚ 12 1837

Autres
Piosnka litewska (paroles de L. Osinski) opus 74 n˚ 16 1831
Leci liscie z drzewa (paroles de W. Pol) opus 74 n˚ 17 1836
© Eyrolles Pratique

Melodia (paroles de Z. Krasinski) opus 74 n˚ 9 1847

164
Glossaire
« L’accord de Tristan » : terme qui désigne le premier accord de l’opéra
de Wagner, Tristan und Isolde (1858). On le qualifie d’« homme
malade de l’Europe ». En effet, alors que nous sommes en la mineur,
il présente la particularité de contenir une note (ré dièse) dite
« étrangère » à cet accord. Il conduit ainsi, en bafouant l’harmonie
classique, à une porte qui s’ouvre sur l’« atonalité », en passant par
les méandres de la passion amoureuse.
Accompagnement : partie qui soutient la mélodie principale harmoni-
quement et/ou rythmiquement.
Ballade : genre poétique d’abord destiné à la musique vocale. Dès le
début du XIXe siècle, ce morceau devient une forme instrumentale
destinée au piano. Elle permet une invention dramatique, sans céder
à la mode de la « musique à programme » qui se veut l’illustration de
scènes précises généralement exposées par le compositeur dans un
feuillet remis aux spectateurs, avant l’exécution de l’œuvre elle-
même.
Bel canto ou « beau chant » : art d’utiliser toutes les possibilités de la
voix humaine.
Catalogue : classement qu’un compositeur donne de ses œuvres. Le
plus généralement, elles figurent par numéro d’opus (œuvre, en
latin) ou ordre de parution. On attribue parfois, pour certains
compositeurs, le nom de l’auteur de leur catalogue à l’ordre dans
lequel leurs ouvrages sont répertoriés. Ainsi, les productions de
© Eyrolles Pratique

165
Mozart sont-elles classées par numéro de Köchel, nom du savant
autrichien qui lui a consacré de nombreux ouvrages, dont le catalo-
gue complet de ses œuvres (Leipzig, 1862-1864). Le catalogue des
œuvres de Chopin publiées de son vivant est reproduit en fin
d’ouvrage p. 157.
Chromatisme : utilisation de tous les demi-tons de la gamme de sept
notes, ce qui donne une échelle de douze notes. Par exemple : do, do
dièse, ré, ré dièse, mi, fa, fa dièse, sol, sol dièse, la, la dièse, si. Le chro-
matisme est opposé au diatonique, lié à la gamme (do, ré, mi, fa, sol,
la, si pour la gamme do majeur). Le chromatisme rend l’existence de
la tonalité si floue qu’elle disparaît : c’est ainsi que naît l’atonalité.
Concerto : dialogue entre l’instrument (ou les instruments) soliste(s) et
l’ensemble de l’orchestre. Cette forme apparaît en Italie au
Chopin, vie et œuvre

e
XVI siècle pour désigner des pièces vocales. Trois siècles plus tard,
sous l’influence de Beethoven, le concerto évolue vers la forme
instrumentale, qui présente un premier mouvement aux thèmes
contrastés. Le nombre de mouvements est variable (de deux à cinq).
Dièses & bémols : ces notations altèrent la note initiale considérée dans
son état « naturel ». Le dièse élève la note d’un demi-ton, le bémol
l’abaisse d’un demi-ton (exemple : do [état naturel], do dièse, do
bémol). La note altérée revient à son état « naturel », lorsqu’elle est
précédée d’un bécarre.
Diminution : procédé qui consiste à raccourcir la valeur de chaque note
d’un thème pour y apporter une riche ornementation ; cela revient à
agrémenter le thème original de ce qui serait une sorte de dentelle
sonore.
Dissonance : sons joués ensemble (accord) de façon non conforme à la
tonalité choisie. Cela crée un effet de tension qui demande une
« résolution », c’est-à-dire un retour à la conformité établie par la
tonalité.
Dodécaphonisme : mot qui vient du grec et signifie « douze voix ». C’est
l’atonalité qui ne considère pas l’attraction d’une note, la tonique,
comme dans la tonalité, mais accorde une égalité entre les douze
notes de la gamme chromatique : do, do dièse, ré, ré dièse, mi, fa, fa
dièse, sol, sol dièse, la, la dièse, si.
© Eyrolles Pratique

166
Durchkomponiert : terme allemand difficilement traduisible. Il s’agit
d’un chant dont la mélodie est continue, sans jamais être répétitive,
par opposition aux mélodies strophiques ou à l’air classique tel
qu’on le trouve le plus souvent chez Mozart. Ce style de la « mélodie
continue » est systématiquement employé par Wagner, qui a le souci
de faire avancer l’œuvre lyrique comme le théâtre, sans l’assujettis-
sement musical de la « reprise » (ou da capo) qui retarde l’action. Le
durchkomponiert se veut également lié aux impératifs du texte.
Écriture musicale : système de notation fondé sur deux modes de
lecture. Le premier est celui de l’harmonie, de l’art de combiner les
accords, émissions simultanées des sons. Cette lecture est verticale,
de bas en haut. Le second est celui de la mélodie. Cette lecture est
horizontale : les notes sont prises comme des sons égrenés l’un
après l’autre. Le piano, ainsi que tous les instruments à clavier, est à
la fois harmonique – on peut faire entendre plusieurs sons à la fois
– et mélodique – on peut y jouer une succession de sons suscepti-

Glossaire
bles d’être chantés.
Étude : œuvre destinée à développer la technique pianistique. Chaque
étude aborde une difficulté particulière. À partir de 1830, le genre
acquiert, en plus de ses qualités pédagogiques, un caractère
artistique : cela permet à Chopin de donner les Études en concert.
Formes musicales instrumentales : les principales formes musicales
instrumentales sont la sonate, le concerto et la symphonie. La
sonate est une pièce pour soliste, deux ou plusieurs instrumentistes ;
le concerto, pour un ou plusieurs solistes dialoguant avec l’orchestre ;
la symphonie présente tout l’orchestre.
Fugue : forme polyphonique la plus élaborée qui expose un thème
simple et bref, repris successivement par plusieurs voix (contre-
point). Il convient de la différencier du canon, système de mélodies
décalées les unes par rapport aux autres.
Krakowiak : danse polonaise originaire de Cracovie, rapide, sur un
rythme binaire. Chopin l’utilise, entre autres, dans le finale du
Concerto en mi mineur, opus 11.
Mazurka : danse polonaise originaire de la province de Mazovie. De
rythme ternaire, elle adopte un mouvement rapide. Elle a donné
© Eyrolles Pratique

naissance à deux autres danses : une version très rapide, l’oberek, et

167
une version lente, la kujawiak. D’autres compositeurs polonais ont
écrit des mazurkas, comme Szymanowski et Moniuszko. Des
compositeurs étrangers ont aussi utilisé cette forme : Scriabine,
Glinka, Moussorgski, Tchaïkovski, etc.
Modes : le mode majeur est associé à un sentiment joyeux, tandis que
le mode mineur traduit le plus souvent un climat mélancolique. Les
modes sont liés à la tonalité. Le CD joint à l’ouvrage propose des
œuvres en modes mineur ou majeur.
Modulation : art de passer d’une tonalité à une autre, selon un système
d’accords successifs appropriés.
Musique de chambre : œuvres vocales et/ou instrumentales destinées
à un petit effectif d’exécutants.
Nocturne : morceau destiné, à l’origine, à être joué la nuit. Au XIXe siècle,
Chopin, vie et œuvre

le Nocturne devient une pièce simple et gaie. Chopin l’enrichit


d’ornementations qui le rapprochent du bel canto.
Opéra : œuvre théâtrale mise en musique.
Oratorio : sujet religieux, qui n’a pas nécessairement de lien avec la
liturgie, mis en musique.
Récital : genre de concert où ne se produisent qu’un ou deux artistes.
On doit le premier « récital » de piano à Liszt, en 1840, à Londres.
Rondeau ou rondo (en italien) : forme musicale qui fait alterner un
refrain et des couplets. Très employée dans la musique française des
XVIIe et XVIIIe siècles, cette forme est reprise par Mozart et par Chopin
lui-même pour le final de son Concerto n˚ 1.
Scherzo : terme d’origine italienne qui indique une atmosphère ludique,
badine. Chopin en écrit quatre. Ce mouvement, qui appartient à la
symphonie chez Beethoven, évolue vers une sorte d’humour grin-
çant jusqu’à prendre, chez Chopin, un aspect dramatique : les éclats
de rire relèvent du sarcasme.
Sonate : pièce musicale pour un soliste ou un petit groupe instrumen-
tal, difficile à cerner car elle a évolué au cours du temps. La « forme
sonate » désigne, à l’origine, une structure A B A (exposition – déve-
loppement – réexposition).
© Eyrolles Pratique

168
Thème : idée musicale dominante exposée au commencement d’une
œuvre. Le « thème » peut être mélodique et/ou rythmique.
Tonalité ou ton : organisation des sons, selon une combinatoire très
riche, à partir d’une note de référence ou « tonique » qui engendre
un accord parfait de trois notes (do - mi - sol, par exemple pour la
tonalité de do majeur, do - mi bémol - sol, pour la tonalité du do
mineur). À cette tonalité, s’ajoute le mode, qui peut être majeur ou
mineur.
Trille : figure ornementale très usitée qui consiste, pour tout instru-
ment de même que pour la voix, à partir d’une note principale, en
une sorte de battement spasmodique (terme dû à Manuel Garcia II)
de cette note avec la note conjointe supérieure. Par exemple : do-ré-
do-ré-do-ré, répétés très rapidement.
Valse : danse à trois temps, populaire puis mondaine. D’origine austro-
bavaroise, elle apparaît au XIVe siècle et évolue au fil du temps pour
devenir, au XIXe siècle, prétexte à des œuvres de concert, sous la

Glossaire
plume de Chopin et d’autres compositeurs.
Variation : toute « variation » est précédée d’un « thème » dont elle
s’inspire. La variation reprend ce thème en le modifiant par toutes
sortes d’inventions ornementales, harmoniques et/ou rythmiques.
© Eyrolles Pratique

169
Bibliographie sélective
Chopin, ouvrage collectif (Marcel Beaufils, Camille Bourniquel, Samson
François, Bernard Gavoty, Philippe Julian, Carl de Nys, Anna Langfuss
Myriam Soumagnac et Robert Aguettant), Hachette, collection
« Génies et Réalités », Paris, 1965.
Correspondance de Chopin, La Revue musicale, Richard Masse, Paris, 1981,
(3 volumes).
L’Harmonie des Peuples, les Écoles musicales nationales aux XIXe et XXe
Siècles, ouvrage collectif. Pour la Pologne, contribution de Didier van
Moere : « L’Inspiration nationale dans la musique polonaise de
Chopin à Szymanowski », Fayard, collection « Mirare », Paris, 2006.
Dictionnaire de la Musique, Marc Honegger (dir.), Paris, Bordas, 1970
(2 volumes).
Science de la Musique, Marc Honegger (dir.), Bordas, Paris, 1977 (2 volu-
mes).
***

Boucourechliev André, Regard sur Chopin, Fayard, collection « Les


chemins de la musique », Paris, 1996.
Dachez Roger, Histoire de la franc-maçonnerie française, PUF, collection
« Que sais-je ? », Paris, 2004.
Delacroix Eugène, Journal (1822-1863), Plon, Paris, 1996.
© Eyrolles Pratique

Duault Alain, Chopin, Actes Sud, collection « Classica », Arles, 2004.

171
Eigeldinger Jean-Jacques, Frédéric Chopin, Fayard, collection « Mirare »,
Paris, 2003.
Eigeldinger Jean-Jacques, L’Univers musical de Chopin, Fayard, Paris,
2000.
Eigeldinger Jean-Jacques, Esquisses pour une méthode de piano de Frédé-
ric Chopin, Flammarion, collection « Harmoniques », Paris, 1993.
Eigeldinger Jean-Jacques, Chopin vu par ses élèves, Fayard, Paris, 2006.
François Maximilien Samson, Samson François, Histoires de… mille vies,
Bleu Nuit, Paris, 2002.
Gregor-Dellin Martin, Richard Wagner, Fayard, Paris, 1981.
Hillairet Jacques, Connaissance du vieux Paris, Rivages, Paris, 1993.
Jankélévitch Vladimir, La Musique et les Heures, Seuil, Paris, 1988.
Chopin, vie et œuvre

Liszt Franz, Frédéric Chopin, 1re édition 1849-1850, Buchet-Chastel, Paris,


1997.
Massin Jean et Brigitte, Wolfgang Amadeus Mozart, Fayard, Paris, 1970.
Mourlet Michel, Histoire d’un maléfice, e-dite, Paris, 2001.
Sand George, Lucrezia Floriani, Omnibus, Paris, 1992.
Sand George, Consuelo, la comtesse de Rudolstadt, Éditions de l’Aurore,
Meylan, 1983 (3 volumes).
Sand George, Correspondance (Extraits), Gallimard, « Folio », Paris, 2004.
Sand George, Impressions et Souvenirs, Paleo, Clermont-Ferrand, 2008.
Zielinski Tadeusz, Frédéric Chopin, Paris, Fayard, 1995.

***

Balzac Honoré de, Béatrix, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris,


1976.
Balzac Honoré de, Modeste Mignon, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, Paris, 1976.
© Eyrolles Pratique

172
Discographie sélective
Danses polonaises de Chopin, par Romain Hervé (Calliope).
Nombreux enregistrements d’œuvres de Chopin, par Samson François
(EMI).
Œuvres de Chopin, par Dinu Lipati (EMI).
Nombreux enregistrements d’œuvres de Chopin, par Milosz Magin
(Accord).
Les deux Concertos de Chopin, par France Clidat, dir. Wojciech Mich-
niewski (Forlane).
La Sonate en sol mineur pour violoncelle et piano, par Jacqueline du Pré et
Daniel Barenboim (« Les Introuvables »/EMI).

Discographie sélective
Préludes, par Claudio Arrau (Pentatone).

Pièces du CD offert
Ballade n˚ 1 (1831-1835), interprétée par Noël Lee.
Mazurka en sol majeur, opus 67, n˚ 1 (opus posthume)(1829-1830), inter-
prétée par Romain Hervé1.
Mazurka en la mineur, opus 17, n˚ 4 (1832-1833), interprétée par Romain
Hervé1.
Étude n˚ 1, interprétée par Romain Hervé1.
Andante Spianato (1834), interprété par Romain Hervé1.
Ballade n˚ 2 (1836-1839), interprétée par Noël Lee.
Polonaise n˚ 2 opus 40 (1838-1839), interprétée par Romain Hervé1.
Ballade n˚ 3 (1841), interprétée par Noël Lee.
Polonaise opus 53 (1842), interprétée par Romain Hervé1.
Ballade n˚ 4 (1842), interprétée par Noël Lee.
Barcarolle (1845-1846), interprétée par Noël Lee.
© Eyrolles Pratique

1. Avec l’aimable autorisation des disques Calliope.

173
Romain Hervé
Romain Hervé, né en 1977, fut l’élève de Pierre Froment, élève lui-
même d’Alfred Cortot, à Rennes, et de Bruno Rigutto au Conservatoire
national supérieur de Musique de Paris. Il y obtient les premiers prix
de piano et de musique de chambre. Il est lauréat des fondations Czif-
fra et Natexis-Banque populaire, premier prix du Concours de Radio-
France, lauréat des Concours de Genève et du Festival Polignac. Sa
carrière commence en 2005 avec son CD consacré à Liszt, suivi de son
disque Chopin.
On lui reconnaît une musicalité sans faille qui ne s’efface jamais
derrière la virtuosité.

Noël Lee
Né en 1924 à Nankin de parents américains en poste en Chine, Noël
Lee, citoyen des États-Unis, réside en France depuis 1948 et est
Chopin, vie et œuvre

devenu récemment citoyen français. C’est un des grands pianistes de


notre temps, connu sur tous les continents. Il a enregistré plus de
deux cents disques de piano et de musique de chambre. Couronné
quatorze fois par des prix du disque, il aborde toutes les époques. Il
est lui-même compositeur, et ses œuvres lui ont valu de nombreuses
récompenses.
Il est le pianiste que les chanteurs recherchent pour des récitals de
mélodie.
Commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres, Grand Prix de la Musi-
que de la Ville de Paris, il a reçu en 2004 la Grande Médaille de la Ville
de Paris pour l’ensemble de son œuvre de compositeur et d’éditeur
(Debussy), ainsi que pour ses interprétations, de Schubert à la musi-
que américaine, en passant par la musique française qu’il aime à
servir. © Eyrolles Pratique

174
Index
A C
Agoult, comtesse d’, née Marie de Catalani, Angelica 24, 136
Flavigny 61, 69, 73, 94 Chabrier, Emmanuel 14, 119
Auber, Daniel-François-Esprit 30 Chostakovitch, Dimitri
Dimitrievitch 11, 12, 85
B
Cimarosa, Domenico 33
Bach, Jean-Sébastien 8, 58, 63, 84,
91, 95 Clésinger, Auguste Jean-Baptiste
126, 138
Balzac, Honoré de 137
Custine, Astolphe marquis de 69, 80
Barthes, Roland 120
Czartoryski, Adam 48, 55, 60
Beethoven, Ludwig van 8, 10, 32, 57,
58, 94, 104 D
Bellini, Vincenzo 29, 30, 63 Dante, Durante Alighieri dit 86, 127
Berlioz, Hector 8, 38, 42, 56, 63, 68, Debussy, Claude Achille 8, 11, 85, 119
96 Delacroix, Eugène 56, 71, 96, 102, 122,
Boieldieu, François Adrien 30, 39 135, 136, 138
Boucourechliev, André 92, 121 Donizetti, Gaetano 16, 30, 69, 87
Bourbons (famille des) 42, 131 Dorval, Marie 78, 143
Breitkopf und Härtel (éditeurs) 62 Duault, Alain 7
Britten, Benjamin 106 Duprez, Gilbert-Louis 69, 95
Burles, Charles 69
Byron, George Gordon (Lord) 41, 84,
88, 137
© Eyrolles Pratique

175
E Hoffmann, Ernst Theodor Amadeus
Eigeldinger, Jean-Jacques 39, 59, 119, 105
124 Hugo, Victor 42, 56, 103
Elsner, Jozef 25, 30, 31, 32, 37, 38, 47 Hummel, Johann Nepomuk 29, 51,
Érard (facteur de piano) 57 58

F K
Fauré, Gabriel 8, 9, 85, 119 Kalkbrenner, Friedrich 57, 58
Filtsch, Carl 117 Köchel, Ludwig von 166
Fontana, Julian 11, 25, 73, 81, 83, 85, Komar (famille) 59
87, 88 Kosciuszko, Tadeusz 33
Franchomme, Auguste 58, 102, 123, Krasinski, Zygmunt 126
131, 133, 135, 136, 137, 145, 146, 147
Freud, Sigmund 120 L
Chopin, vie et œuvre

Lee, Noël 119, 173, 174


G Lind, Jenny 132, 136
Garcia, Manuel 69, 132, 145 Liszt, Franz 8, 24, 58, 61, 62, 71, 72, 77,
Gautier, Théophile 56 85, 104
Gladkowska, Konstancja 40, 47
M
Glinka, Mikhaïl Ivanovitch 168
Malibran, Maria, née Garcia 69
Goethe, Johann Wolfgang von 68,
Mars Mlle, Anne Boutet, dite 103
88, 120, 139
Matuszynski, Jan 68, 94
Gretsch, Emilie von 61
Mendelssohn-Bartholdy, Félix 33, 58
Grzymala, Wojciech 78, 79, 87, 91,
108, 134, 135, 146 Meyerbeer, Giacomo 8, 58, 123, 124
Guizot, François 131 Mickiewicz, Adam 41, 50, 72, 88, 95,
96, 97
H Mikuli, Karol 117
Habeneck, François Antoine 57, 59, Moniuszko, Stanislas 168
68
Moscheles, Ignaz 93, 94
Haendel, Georg Friedrich 16, 33, 67,
Mougeot, Philippe 123
68, 106
Moussorgski, Modest Pétrovitch 12
Haydn, Josef 24, 32, 97
Mozart, Wolfgang Amadeus 10, 24,
Heine, Heinrich 56, 96
29, 40, 48, 51, 58, 77, 95, 131, 137,
Hiller, Ferdinand 58, 63, 67 138
© Eyrolles Pratique

Musset, Alfred de 56

176
N Spontini, Gasparo 33
Nourrit, Adolphe 68, 69, 87, 88, 95 Stirling, Jane 109, 125, 126, 132, 133,
134, 136, 137
O
Stravinski, Igor 12, 123
Ohana, Maurice 85
T
P
Talma, François Joseph 103
Paganini, Nicolo 37, 38, 57
Tchaïkovski, Piotr Ilitch 168
Pleyel (facteur de piano et éditeur)
57, 58, 80, 82, 91, 95, 96, 131 V
Poncet, François 17 Viardot, Pauline, née Garcia 69, 95,
Potocka, née Komar, Delphine 59, 96, 102, 105, 122, 132, 138, 144
69, 123, 126, 136, 137 Vigny, Alfred de 63
R W
Radziwill (famille) 33, 117 Wagner, Richard 104, 120, 136, 165
Ravel, Maurice 11, 12, 119 Weber, Carl Maria von 29, 33
Rossini, Gioacchino 8, 16, 29, 30, 39, Wieck, Clara, épouse Schumann 8,

Index
48, 69 70
Wieck, Friedrich 70
S
Sand, George, née Aurore Dupin, ex- Witwicki, Stefan 41, 49, 60, 77
baronne Dudevant, dite 17, 72, 75, Wodzinski (famille) 71, 72, 73
77, 78, 80, 82, 84, 88, 91, 110, 117, Wodzinska, Maria 70, 71, 77, 78, 102
118, 122, 125, 132 Wolf, Hugo 49
Sand, Maurice 97 Woyciechowski, Tytus 25, 32, 39, 56
Sand, Solange 126
Schiller, Friedrich 41 Z
Zaleski, Bohdan 118
Schlesinger (éditeur) 58, 62, 63, 88,
95 Zielinski, Tadeusz 104
Schubert, Franz 8, 32, 39, 49, 63, 68, Zywny, Wojciech 24, 102
87, 88
Schumann, Robert 12, 49, 59, 63, 95
Scriabine, Alexandre Nicolaïevitch
9, 69, 85, 168
Sénéchal, Michel 69
© Eyrolles Pratique

Sontag, Henriette 40

177
Table des matières
Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Première partie : La naissance d’un prodige (1810-1830) . . . . . . . . . . . 19


Chapitre 1 : Enfance (1810-1825) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
La famille Chopin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .23
« Chopinek », ou l’enfant musicien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Chapitre 2 : Apprentissage et premières compositions (1825-1829) . . . 27
La première œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29
Le conservatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Développement de la sensibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Les grands genres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Voyage de fin d’études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Chapitre 3 : L’année de l’épanouissement (1829-1830) . . . . . . . . . . . . . 35
L’influence de Paganini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .37
Compositeur et interprète . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .38
De la valse au concerto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .39
Musique et politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Les premiers Nocturnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
© Eyrolles Pratique

179
Deuxième partie : Les voies de la gloire (1831-1844) . . . . . . . . . . . . . .43
Chapitre 4 : Interlude au centre de l’Europe (1830-1831) . . . . . . . . . . . .45
Le départ pour Vienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47
Une production intense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
L’influence de l’histoire polonaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Un nouvel élan de composition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
La fin du séjour viennois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
En route vers Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Chapitre 5 : Paris (1831-1833) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Le « climat » de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
La vie musicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Paris, carrefour des arts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Chopin, vie et œuvre

Un compositeur reconnu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Le premier concert en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Une grande finesse de jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Les débuts de la célébrité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Mazurkas opus 17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Polonaises opus 26 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
L’enseignement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Un enseignement fondé sur une observation physiologique . . . . . .61
Un modèle d’interprétation : les chanteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
La critique des maîtres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Chapitre 6 : Maria (1834-1837) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
De nouveaux horizons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
La Ballade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Le festival d’Aix-la-Chapelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Second Concerto en fa mineur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Études opus 25 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Le « repos » de Carlsbad . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
La Valse en la bémol majeur opus 69 n˚1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Les premiers symptômes de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71
Les retrouvailles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
L’arrivée à Marienbad . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71
Une rencontre annonciatrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
© Eyrolles Pratique

180
« Moja bieda » (Mon malheur) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .73
De nouveaux symptômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
La fuite à Londres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Chapitre 7 : George Sand (1838-1839) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Une rencontre décisive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .77
Mazurkas opus 33 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Les prémices d’une passion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Concert chez le marquis de Custine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Le départ pour l’Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Une agréable découverte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
La maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
L’arrivée à Valldemosa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
La progression de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

Table des matières


Barcelone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Le retour en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Un foisonnement d’œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Les 24 Préludes opus 28, dédiés à Pleyel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
La Mazurka opus 41 n˚ 2 en mi mineur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Deuxième Ballade en fa majeur opus 38 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Marseille : un séjour troublé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .87
Chapitre 8 : L’impulsion de Nohant (1839-1841) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .89
Le départ pour Nohant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Une demeure reposante en Berry . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Une production éclectique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Le retour à Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .93
1840, l’année transitoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Un compositeur affaibli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Le retour sur scène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
La « note bleue » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .97
Nohant est devenu un symbole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Chapitre 9 : L’approfondissement (1842-1844) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .99
De nouvelles œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Un style inclassable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .101
Une atmosphère de félicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
© Eyrolles Pratique

L’éternel bienfait de Nohant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

181
De nouvelles « tonalités » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Ballade en fa mineur opus 52 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
L’Impromptu en sol bémol majeur opus 51 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Le « viol de Lucrèce » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Les Deux Nocturnes opus 55 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .107
Les Trois Mazurkas opus 56 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .107
Des tensions créatrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
Une compagne de plus en plus distante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
La rencontre avec mademoiselle Stirling . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
La visite de Ludwika . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

Troisième partie : La rançon de la gloire (1844-1849) . . . . . . . . . . . . .111


Chapitre 10 : L’accomplissement (1844-1847) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .113
Chopin, vie et œuvre

La Berceuse en ré bémol majeur opus 57 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115


La Sonate n˚ 3 en si mineur opus 58 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
Après l’hiver . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .117
Un regain de vigueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Trois Mazurkas opus 59 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Deux Mélodies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Une influence quotidienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Une atmosphère disharmonique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Barcarolle en fa dièse majeur opus 60 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur opus 61 . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Les deux Nocturnes opus 62 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
La fin d’une passion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Nohant agité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Les Trois Mazurkas opus 63 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .122
La Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur opus 65 . . . . . . . .123
Une fin proche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Lucrezia Floriani : un roman à clefs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .125
L’inspiration se tarirait-elle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .126
Chapitre 11 : Une triste fin (1848-1849) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Le dernier concert parisien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .131
Le départ pour la Grande-Bretagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Londres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .132
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L’Écosse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .133

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La désillusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
Les derniers moments à Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Une fin proche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
17 octobre 1849 : la mort de Chopin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .137
30 octobre 1849 : les funérailles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Cahier de correspondance entre Chopin et George Sand . . . . . . . . . . . 143
Catalogue des œuvres de Chopin publiées de son vivant . . . . . . . . . . 157
Piano seul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157
Œuvres isolées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
Œuvres pour piano et orchestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Musique de chambre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

Table des matières


Dix-neuf mélodies toutes publiées après la mort de Chopin . . . . . . . . 164
Dix mélodies, poèmes de S. Witwicki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Quatre mélodies, poèmes de B. Zaleski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Deux mélodies, poèmes d’A. Mickiewicz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Discographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Pièces du CD offert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
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