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Le prince et le bijou

Mélo

jeudi 8 mars 1894

Ce jour-là, l'horizon n'était pas le même. Il se baladait, déambulait même


dans les rues parisiennes et se retrouva, fortuit, nez à nez avec à une
vitrine. Vitrine luxuriante, réfléchissant la lumière du soleil, emplie de
dominos, de cartes à jouer, de poupées, de toupies et de totons, et plein
d'autres jouets séduisants, de toutes formes et couleurs. Accablé de ne pas
pouvoir se procurer les objets du bonheur, il reprit son chemin, mais ne
déambulait plus. Mains dans les poches, tête inclinée vers l'avant,
regardant ses pieds, il continua son odyssée. Un coup d'oeil à droite, sur la
chaussée en pierre, roulait un fiacre noir, il n'était pas miniature cette fois ;
mais de grandeur nature. Un grand animal, impressionant, aussi beau
qu'inquiétant, tirait ce fiacre noir. Le rythme des percussions de sabots,
entonnait l'hymne, des chemins de Paris. Un peu plus loin, sur le bitume,
kiosque à journaux. Un grand monsieur, deux petits chiens, femme à
ombrelle. Grand bâtiment, lumières éteintes, sur le trottoir...
Un coup d'oeil à gauche. Cacophonie dans le bordel. Bordel de rires, ils
tentent de s'oublier ; foutoir de verres, qui tapent, qui claquent, qui frottent,
qui frappent ! Poupées qui servent les rois, boivent la potion des euphories.
Et des rires et des cris, puis des conflits, ainsi va la vie, dans le bordel des
anthropoïdes. Assailli par le torrent des saouls. il se recroquevilla, acculé,
mains étouffées dans ses poches, continua son voyage. Il releva ses yeux
curieux, et croisa l'ensorcelant regard émeraude d'une dame. Il les abaissa !
Gêné, traça son chemin. Il continua sa marche en pensant à celle qui l'avait
abandonnée, chaque seconde, elle hantait ses pensées, la dame aux yeux
émeraudes...

vendredi 9 mars 1894

Ce soir-là, l'horizon était bien morne. Certains fiacres ne bougeaient plus,


d'autres avancaient calmement. Les femmes à ombrelles rentraient chez
elles, le grand monsieur prit congé, et les lumières sur le trottoir se mirent
à briller. L'hymne des chemins de Paris, s'endormait petit à petit.
Il voulait revoir ce regard vert, cet émeraude aussi magnifique
qu'hypnotique. Ses pas résonnaient dans le silence des rues parisiennes.
Légèrement plus loin, sur le trottoir de gauche, des chants et instruments
entonnaient un nouvel hymne. Un chant mélodieux, rapide, qui se
surperposait sur la cacophonie du bordel. C'était le chant des bars du soir.
Paris dormait et le bordel se réveillait. Le son sibyllin accompagnait ces
corps, dansant en osmose, de désirs, de joies et d'ivresses. Sur la terrasse
ornée de briques roses, un homme. Un homme en smoking. L'homme tout
de noir vêtu. L'Homme galant, charismatique et charmant. L'Homme
marionnettiste la faisait danser. C'était elle, ce bijou, cette émeraude ; elle
dansait. Ses pas ne lui appartenaient pas, elle suivait ceux de l'Homme.
Une marionnette, une poupée emportée par les directives du marionnettiste
; des souliers noirs et un bas blanc se déplacaient au rythmne de la
musique, une jupe noire ornée d'un corsage cintré, se laissaient porter par
les mouvements du vent. Un haut de velours décoré par des perles étoilées
dorées, blanches, argentées et rosées, se serraient au smoking du
marionnettiste. Ainsi que ses yeux, séduisants, perçant le regard envieux
de l'homme. Toujours debout, émerveillé, il ne comprenait franchement
pas pourquoi l'homme glissait ces précieux papiers verts dans le corsage de
la poupée, avant de l'embrasser.

Il était tard, le couple d'intérêt avait disparu, il décida donc de terminer son
odyssée, et de repartir plus tard pour la suite du voyage, aventure
merveilleuse à la poursuite de l'émeraude.

Dimanche 11 mars 1894

Sous son petit toit fatigué, soutenu par des poutres décharnés qui tentaient
de tenir sur le sol patraque qui craque ; il se demandait : qui est-elle ? Cette
poupée décorant parfaitement les pas de l'homme, tel un bijou sur les
doigts d'une main, les joyaux autour du cou ou encore les boucles étoilées
sur les oreilles. Une ombre luminescente qui faisait briller le jeu du
marionnettiste. Allongé sur ses petits draps, regardant les étoiles à travers
sa fenêtre éventrée, il s'endorm...

Mercredi 14 mars 1894

Il recroisait souvent la femme avec des hommes différents qui lui


donnaient ces si précieux papiers verts...
Ce matin-là, l'hymne des chemins de Paris entonnait sa plus belle
performance. Les hommes riaient entre eux, femmes les décorant,
accrochées à leurs bras. Les bateaux virvoletants comme des mouches sur
le lit du fleuve, posaient la tessiture des vagues délassantes. Les fiacres
avancaient en symbiose avec cette même mélodie. Ces mêmes percussions
de sabots. Grand restaurant, terrasse ouverte, sur le beau fleuve. Très grand
monsieur, très bien assis, le regardait. Jolis dessins, sur les tableaux, du
vieil artiste. S'asseyant sur une marche d'escalier, admirant le lit du fleuve
endormi, il s'interrogeait. Pourquoi ces hommes demandaient toujours à
ces femmes si elles étaient libres ? Pourquoi ne seraient-elles pas libres ?
Poupées d'une grande beauté qui se laissent emporter par les sons de la
musique, à travers des danses insouciantes, séductrices et
propensionnistes. Objets de convoitises, affriolants, obtenant tout ce qu'ils
désirent. Pourquoi ne seraient-elles pas libres ? Pouvant être belles sans
limites, une beauté omnubilante, un sinctillement dans la limpidité de
l'existence. Pourquoi ne seraient-elles pas libres ? Insouciant, et prenant le
fait tel qu'il est sans influence de la raison ; il ne put répondre à la
question. Il se leva et gambada, sautillant, se laissant emporter par la douce
polyphonie de la Seine ; les sabots des cheveaux, les mouches du fleuve et
les pas de l'enfa... Le pauvre pris son bras ! Attrapa, demanda, implora !
Affamé, désemparé, fauché et pathétique. Il voyait cette créature miteuse
et monstrueuse qui tentait de l'agresser et le dévorer à travers la vision
noire et miséreuse de ce monstre affamé ; ses griffes sales et saillantes
harponnant le bras de l'enfant, étaient succintement reliées à une peau
chiffonée et tombante. Pattes nues et osseuses, joues creuses dans
lesquelles de pauvres crocs miséreux, malades et jaunissants s'accrochaient
obstinément. Invisible et pourtant toujours bien visible, le pauvre existait,
enfin, à travers les yeux d'un être, comme il existe à travers ces lignes. Il se
dégagea véhément et prit la fuite laissant la carcasse du monstre pourrir sur
les sols de Paris...

Jeudi 15 mars 1894

Là-haut dans le ciel tombait une goutte d'eau, croisant les tuiles grises des
toits de Paris, laissant s'échapper les nuages des foyers. Passant de fenêtres
en fenêtres, de foyers en foyers, d'histoires en histoires. Le bitume
s'approchait fortuitement de la goutte.
Il traçait sa route vers le bordel et reçut une goutte sur la binette. Le ciel
allait se mettre à pleurer.
Au fur et à mesure de l'avancée, les bruits de pas se confondaient au son de
l'eau, glissant le long des toits, s'écoulant tel un fleuve sur le bîtume. Le
chants des rivières du sol accompagnait les pas pressés des passants fuyant
la pluie comme on fuirait la mort. Il entra dans l'antre des désirs, épié par
le regard des rois, jouant la cacophonie des verres en émoi.

Jeudi 8 mars 1894

Le grognement ardant des hommes, sonate de la bête affamée, complétait


la cacophonie du bordel d'arts responsorial. La dame attendant son
prochain quidam, scrutait l'horizon restreint des rue parisiennes décorées,
au loin, par une petite boutique de bricoles enfantines. Un peu plus proche,
un kiosque à journaux dans lequel les anthropoïdes boulottaient des idées
tel des moutons broutant le gazon. Ainsi qu'un fiacre noir tiré par un
étalon, passa devant un petit marmot qui croisa son regard et prit la fuite.
Elle posa sa main sur son entraille, a l'intérieur de son être, une stupre
innocence, fruit du péché de la débauche des dames, dont il fallait qu'elle
se débarrasse.

Vendredi 9 mars 1894

Ce soir-là, dans les méandres du bordel, le son sibyllin s'entendait jusqu'en


haut des escaliers. Le chant des bars du soir frappait sur la porte de sa
chambre, dans laquelle résonne le silence de la joliesse. Elle enfilait le
masque du mascara pour faire briller les yeux verts de Râ. Décore ses cils
et ses cheveux comme un pauvre clown malheureux. Peint sa bouche de
rouges retouches. Et caresse ses joues de poudre rose pour la
métamorphose. Elle se lève et ouvrit la porte, la chorégraphie de la poupée
endormie, commença pour se debarasser de son fruit, son infamie. Un pas,
elle se dirigea vers le marionettiste détenant l'argent requis. Deux pas, elle
consent de se laisser porter par ses fils. Trois pas, ne veut le décevoir pour
se débarrasser du fruit. Une danse accompagnée par l'intérêt de ne faire
renaître un enfant. Un pas, le marionnettiste la faisait virvoleter. Deux pas,
elle l'enflammait de par son regard émeraude. Trois pas, elle lui tend un
baiser, épiés par un enfant omnubilé. Une danse ardente de la servitude de
la dame, pour les désirs du quidame. Fallait-elle qu'elle paye de son corps
pour qu'il paye de son argent, ne jamais décevoir ou contrarier la bête
affamée.
Jeudi 15 mars 1894

La polyphonie de la pluie accompagnée par les sifflements du vent,


s'engouffrait dans le bordel, faisant résonner les verres, grincer le bois des
tables, couler des larmes sur les fenêtres du foyer de la luxure. Un coup
d'oeil en face, le bar laissait entrevoir des potions d'euphories pour soutirer
les possessions d'autrui. Le barman habillé d'un chiffon, distribuait les
liquides de l'oubli au hommes seuls ou mariés, au dames attendant leur
prochain chalant ou encore aux âmes désemparées. Assis face au bar, un
homme demanda discrètement un homme à ce barman, loin d'être le seul,
chaque client avait des demandes uniques, passant au-delà des tabous
pudiques. Elle était assise là, sur les bords d'un piano quand elle revit ce
petit marmot. L'enfant regarde la dame dans les yeux ; la dame regarde
l'enfant dans les yeux. Les percussions de sabots, le piano du bordel et la
pluie du ciel ; orchestre symphonique des rues de Paris. Elle l'observa, et
s'avança, trois petits pas. Il l'observa, et recula, trois petits pas. Prise d'une
douleur au ventre, accablée par la culpabilité, à la vue de cet enfant
délabré. Une goutte d'eau ne naissant pas des pleurs des nuages coula sur
la joue du bijou. L'orchestre des rues de Paris reprit sa mélodie, Un peu
plus loin, dans la grande rue, une belle calèche. Cet enfant rêvant de jouets
et de totons, ces objets du bonheur qu'il n'obtiendra jamais, l'enfant seul
des rues de Paris s'en alla, hors du bordel sous le torrent du sanglot des
nuages gris. En plein milieu du chemin de Paris, contemplé par le regard
du ciel assombri, sous les roues de la calèche dépolie, l'enfant aux yeux
émeraude s'en alla, et ne revint jamais plus.

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