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Réflexions et conseils spirituels en temps de confinement (4)

Deuxième dimanche de la Passion ou


dimanche des rameaux
5 avril 2020

« Ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé. […] Il a été
transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui
nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison »
(Is 53, 4-5)
« Le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez
ses traces » (1 P 2, 21)
« Du fait qu’il a lui-même souffert par l’épreuve, il est capable de venir en aide à ceux
qui sont éprouvés » (He 2, 18).
« La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore
pécheurs, est mort pour nous » (Rm 5, 8).

Chers amis de Saint-Bernard,


L’Évangile du dimanche des rameaux relate que lorsque Jésus rendit l’esprit, « la
terre trembla et les rochers se fendirent » (Mt 27, 51). Sur le mont Alverne (La Verna,
Toscane), où saint François d’Assise reçu les stigmates le 14 septembre 1224, on
montre encore une grande anfractuosité où le saint aimait à se retirer pour prier. De
fait, les fentes des rochers lui rappelaient la sainte Passion du Sauveur car, d’après la
légende, elles se seraient formées lors du tremblement de terre qui suivit la mort du
Christ en croix. Puisse la considération de la Passion briser nos cœurs de pécheurs,
hélas parfois plus durs que pierre. Puisse-t-elle surtout nourrir en nous « les
sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5), cette charité ineffable qu’Il prouva
en mourant pour notre salut (voir la citation de Rm 5, 8 donnée plus haut).
Je vous propose ci-après quelques réflexions au sujet du mal et d’un possible
châtiment de Dieu, sans prétendre traiter ici à fond des questions particulièrement
ardues et océaniques en dimension. La mort inique infligée au Christ manifeste une
forme du mal. L’expérience de l’épidémie actuelle en manifeste une autre. L’homme
se demande : pourquoi le mal existe-t-il ? Commençons par rappeler ce que nous dit
le Catéchisme de l’Église catholique à ce sujet : « À cette question aussi pressante
qu’inévitable, aussi douloureuse que mystérieuse, aucune réponse rapide ne suffira.
C’est l’ensemble de la foi chrétienne qui constitue la réponse à cette question » (CEC,
n. 309). Il existe donc une réponse, mais elle n’est pas facile à trouver. Essayons de
dégager quelques éléments en ce sens.

1
La question du mal appelle tout d’abord une distinction essentielle, à savoir celle
entre le mal physique (ou mal de peine) et le mal moral (ou mal de faute), c’est-à-dire
le péché. Ces deux types de maux n’ont pas la même gravité ni les mêmes
conséquences. L’Église enseigne qu’« aux yeux de la foi, aucun mal n’est plus grave
que le péché et rien n’a de pires conséquences pour les pécheurs eux-mêmes, pour
l’Église et pour le monde entier » (CEC, n. 1488). Autrement dit, le mal moral est
« sans commune mesure plus grave que le mal physique » (CEC, n. 311). C’est ce qui
explique d’ailleurs pourquoi il n’est pas permis de commettre un mal moral pour éviter
un mal physique (voir notamment le cas du martyre). Force est de constater que le
‟monde”1 a une perception diamétralement opposée à celle de la foi. En effet, le
monde, dont le jugement est faussé, ne prête attention qu’à la dangerosité des maux
physiques (maladies, accidents, mort, etc.), mais néglige la gravité du mal moral ou
même le favorise. Or, aux yeux de la foi, il est absurde de mettre un masque et des
gants pour se préserver d’une possible contamination, tout en menant une vie
gravement immorale par ailleurs. Ce serait comme si quelqu’un prenait soin d’assurer
sa trottinette, mais ne contracterait aucune assurance pour sa voiture et sa maison.
On assure soigneusement les choses temporelles, de peu de valeur au regard des
biens éternels, et l’on met follement en péril le salut éternel, qui n’a pas de prix. Oui,
le monde est aveugle lorsqu’il redoute les maux corporels, mais demeure indifférent
devant ses innombrables péchés, la profanation des âmes innocentes par les
spectacles immoraux, par exemple, ou encore l’avortement qui provoque bien plus de
victimes que l’épidémie actuelle. Alors que le meurtre d’un seul de ces petits êtres
innocents est un mal moral d’une gravité particulière.
Retournons à présent à la question initiale : si Dieu a produit une création
exclusivement bonne (cf. Gn 1, 31), d’où viennent les maux ? Commençons par le mal
moral et donc le péché. Celui-ci est dû à un mauvais usage du libre arbitre de la part
des créatures qui en sont dotés (anges et hommes). C’est ce qu’enseigne le
Catéchisme : « Les anges et les hommes, créatures intelligentes et libres, doivent
cheminer vers leur destinée ultime par choix libre et amour de préférence. Ils peuvent
donc se dévoyer. En fait, ils ont péché. C’est ainsi que le mal moral est entré dans le
monde » (CEC, n. 311). Venons-en au mal physique. Le mal physique par excellence,
celui que nous redoutons le plus, est la mort, qui subsume en quelque sorte tous les
maux. Or, « le Magistère de l’Église enseigne que la mort est entrée dans le monde à
cause du péché de l’homme » (CEC, n. 1008 ; cf. Gn 2, 17 ; Rm 5, 12 ; 6, 23). « En
conséquence du péché originel, l’homme doit subir la mort corporelle, à laquelle il
aurait été soustrait s’il n’avait pas péché » (CEC, n. 1018). La logique de fond n’est
pas difficile à saisir : en péchant, l’homme se sépare de Dieu, source de vie. Il en
résulte la mort, d’abord spirituelle, puis physique. Le diable a une responsabilité
spécifique dans l’introduction de la mort en tant qu’il a instigué et instigue encore

1
« Monde » est entendu ici au sens johannique, en tant qu’il est incroyant, dominé par les
puissances mauvaises et s’oppose au message de l’Évangile.
2
l’homme à pécher. Voilà pourquoi l’Écriture affirme aussi que « c’est par l’envie du
diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2, 24)2. Mais le péché originel et
actuel (et donc le mal moral) n’entraîne pas seulement la mort, il est aussi la cause,
de près ou de loin, de tous les maux. Répétons ici un texte déjà cité plus haut : « Aucun
mal n’est plus grave que le péché et rien n’a de pires conséquences pour les pécheurs
eux-mêmes, pour l’Église et pour le monde entier » (CEC, n. 1488). Précisons encore
ici que dans le cas des péchés capitaux, le péché est aussi la cause d’autres péchés,
et donc de mal moral.
Concentrons-nous à présent sur l’affirmation que le péché originel et tous les
péchés commis à sa suite sont cause des maux physiques. Ce lien de causalité a
besoin d’être précisé. En effet, déjà les auteurs bibliques ont fait remarquer que le
malheur semble frapper indifféremment bons et mauvais. Ainsi, certains impies
prospèrent dans le bonheur, tandis que des justes connaissent le malheur, la
souffrance ou une mort prématurée (voir notamment Ps 73, 2-15 et le livre de Job).
Pour sa part, Jésus s’était refusé à voir dans la cécité de l’aveugle-né une
conséquence de son péché personnel ou de celui de ses parents (cf. Jn 9, 3). Il avait
aussi réfuté l’idée selon laquelle les victimes de Pilate et de la chute de la tour de Siloé
auraient été des pécheurs particulièrement coupables (cf. Lc13, 1-5). Il s’ensuit que la
relation entre le péché et les maux physiques n’est pas mécanique et individuelle, mais
doit être comprise comme une relation globale et générique : l’humanité déchue dans
son ensemble est désormais sujette à la souffrance et à la mort.
Reste une question redoutable : et Dieu dans tout cela ? Peut-il être à l’origine
d’un mal ? Là encore, il convient de distinguer entre mal moral et mal physique. Il faut
préciser tout d’abord un point capital dans la Révélation, à savoir que « Dieu n’est en
aucune façon, ni directement ni indirectement, la cause du mal moral » (CEC, n. 311).
Il s’ensuit que Dieu ne peut jamais être rendu responsable de quelque péché que ce
soit. Mais qu’en est-il du mal physique (ou mal de peine) ? Dieu peut-il en être la cause
en infligeant par exemple une peine ou un châtiment ? Depuis plusieurs décennies,
beaucoup de catholiques, mais aussi de théologiens et de pasteurs répondent par la
négative : « Dieu ne punit pas », dit-on, comme s’il s’agissait d’une évidence. Or il n’en
est rien. Au contraire, cette affirmation est contredite par les Écritures saintes et la
tradition presque bimillénaire de l’Église. Limitons-nous à quelques références
scripturaires. La destruction des villes de Sodome et de Gomorrhe est présentée
comme un châtiment divin dû aux mœurs perverses de ses habitants (cf. Gn 19, 1-
29). L’Alliance entre Dieu et son peuple est munie de très longues listes de
malédictions en cas d’infidélité (cf. Lv 26, 14-39 ; Dt 28, 15-68). Selon Dt 28, 21, Yahvé
infligera ainsi la peste au peuple s’il n’obéit pas à sa voix. Si 39, 25.28-34 considère
les maux et les fléaux comme des instruments pour le châtiment, et en ce sens utiles

2
La Bible de Jérusalem (édition major, 181998), commente : « La mort que le diable a fait
entrer dans le monde est la mort spirituelle, avec sa conséquence la mort physique » (note c.
sur Sg 2, 24).
3
et bons. L’économie du récit du serpent d’airain en Nb 21, 4-9 – avec la séquence :
péché du peuple, châtiment, reconnaissance de la faute, intercession d’un médiateur
et remède de salut – est particulièrement intéressante, en ce qu’elle met en lumière la
dimension pédagogique du châtiment. Dieu punit, mais procure aussi un remède et
ouvre ainsi une espérance de salut, moyennant la conversion. Contrairement à ce que
pensent beaucoup, les thèmes du châtiment divin et de la colère de Dieu ne sont pas
réservés à l’Ancien Testament. Au contraire, le Nouveau Testament comporte des
passages particulièrement sévères, en se concentrant sur la possibilité d’un châtiment
dans l’au-delà, bien plus redoutable encore que des maux temporels, puisque sans
fin. Jésus a souvent mis en garde contre le feu inextinguible de la géhenne (voir
notamment Mt 5, 29 ; 18, 8-9 ; Mc 9, 45.47 ; Lc 12, 5), auquel seront condamnés les
« maudits » (Mt 25, 25, 41-46). On lit dans le quatrième évangile : « Qui croit au Fils a
la vie éternelle ; qui résiste au Fils ne verra pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure
sur lui » (Jn 3, 36). Saint Paul écrit que le Seigneur Jésus « tirera vengeance de ceux
qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de notre
Seigneur Jésus. Ceux-là seront châtiés d’une perte éternelle » (2 Th 1, 8-9). Pour ceux
qui pèchent volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, l’Épître aux
Hébreux évoque « une perspective redoutable, celle du jugement et d’un courroux de
feu qui doit dévorer les rebelles. […] Oh ! chose effroyable que de tomber aux mains
du Dieu vivant ! » (He 10, 27.31). Bref, pour l’ensemble des Saintes Écritures, il ne fait
aucun doute qu’« on ne viole pas impunément les lois divines » (2 M 4, 17). Dieu n’est
pas un automate du pardon. Il va de soi que cet aspect austère du message
évangélique est très largement passé sous silence dans la prédication contemporaine,
et ce pour le plus grand dommage des âmes, ainsi privées de mises en garde
salutaires contre le péril de la damnation éternelle.
À ceux qu’effrayeraient ces passages rudes qu’il ne nous est pas permis de
censurer ou de récuser (cf. Jn 10, 35), il convient de préciser que « l’éventuelle
punition divine n’acquiert jamais de valeur démoniaque : elle est conditionnée par la
volonté de la sainteté de Dieu de détruire le mal et l’injustice »3. En effet, en raison de
sa sainteté et de sa justice absolues, Dieu ne peut pas assister passivement à la
prolifération du mal qui détruit le monde et les hommes. Un Dieu permissif ne serait
pas bon puisqu’il ne s’opposerait pas au mal. Autrement dit – et mis à part le cas des
damnés qui sont punis purement et simplement puisqu’ils sont fixés à jamais dans leur
choix du mal et de la haine de Dieu –, le châtiment divin doit être compris comme un
ultime recours, une correction salutaire pour pousser l’homme à se convertir avant qu’il
ne soit trop tard. C’est la réaction d’un père aimant qui fait tout pour que son enfant ne
s’autodétruise pas en choisissant le mal. He 12, 5-13 développe cette éducation
paternelle de Dieu : « Celui qu’aime le Seigneur, il le corrige, et il châtie tout fils qu’il

3
Félix-Alejandro PASTOR, art. « Dieu – A. Le Dieu de la révélation », dans René LATOURELLE
(éd.), Dictionnaire de théologie fondamentale, Montréal – Paris, Bellarmin – Cerf, 1992, p. 264-
285, ici p. 277.
4
agrée. C’est pour votre correction que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite »
(He 12, 6-7 ; cf. Pr 3, 12 ; Ap 3,19). Tant que l’homme est pèlerin sur la terre, la
punition ou correction divine est toujours mue par la bonté de Dieu qui désire non la
mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive (cf. Ez 18, 23 ; 33, 11). Et même
si les générations passées insistaient davantage sur la sévérité de Dieu et la rigueur
de ses jugements, ni l’Écriture sainte ni la grande Tradition de l’Église n’ont jamais
perdu de vue le primat de la bonté et de la miséricorde divines, en vertu duquel Dieu
est plus prompt au pardon qu’à la condamnation4.
Une réflexion plus approfondie permet d’ailleurs de comprendre que la notion de
châtiment divin n’est pas purement négative, ne serait-ce qu’en raison de son lien avec
le bien de la justice. En effet, en tant que correction, l’action punitive vise l’amendement
et, en fin de compte, le salut du pécheur. Aussi la Bible va-t-elle jusqu’à déclarer
« heureux l’homme que Dieu corrige ! » (Jb 5,17 ; cf. Ps 94, 12). De plus, tant qu’il y a
possibilité de conversion, l’action divine ne se limite pas à châtier, mais elle restaure
et guérit également, d’où une ouverture à l’espérance : « Venez, retournons vers
Yahvé. Il a déchiré, il nous guérira ; il a frappé, il pansera nos plaies » (Os 6, 1 ;
cf. Jb 5,18). Au contraire, c’est l’absence de correction qui peut paradoxalement
apparaître comme un châtiment suprême, dans la mesure où elle pourrait signifier que
Dieu considère que le pécheur est définitivement endurci5, en l’abandonnant à son
sort : « Mais mon peuple n’a pas écouté ma voix, Israël n’a pas voulu de moi. Je l’ai
livré à son cœur endurci : qu’il aille et suive ses vues ! » (Ps 81, 12-13)6.
Pour notre réflexion, il est également important de tenir compte du fait qu’en
raison de son essentielle bonté, Dieu avertit généralement les individus et les peuples
coupables afin qu’ils se corrigent, et ce précisément pour n’avoir pas à recourir à une
correction douloureuse, voire au châtiment strictement punitif pour les endurcis,
comme celui de Sodome et Gomorrhe. C’est ainsi que le prophète Jonas fut envoyé à
Ninive pour lui annoncer le châtiment qui menaçait ses habitants, et ce avec succès :
la ville fit pénitence et Dieu l’épargna. Tous les prophètes ont appelé le peuple à la
conversion. Un grand nombre d’entre eux ont annoncé la ruine du Temple, l’invasion
d’Israël et de Juda, ainsi que l’exil, si le peuple ne se convertissait pas (voir par
exemple Am 2 ; Jr 7, 1-15.29-34 ; 21, 11-14 ; Ez 4–5). Le prophète a précisément la
grave responsabilité d’avertir le méchant de la mort qui l’atteindra s’il refuse de se
convertir (cf. Ez 3, 16-19). Jésus avait lui-même annoncé la ruine de Jérusalem pour
avoir refusé son message (cf. Lc 19, 41-44). Ces avertissements prophétiques ne sont
pas réservés au passé. On lit ainsi que deux ans avant que n’éclate la terrible peste
de Marseille de 1720, Sœur Anne-Madeleine Rémuzat, avertie surnaturellement,

4
Voir ainsi le Catéchisme Romain, 3, 2, 32 : « …combien la bonté et la miséricorde de Dieu
l’emportent sur sa justice ».
5
En Jn 8, 21.24, Jésus dit ainsi à ses adversaires qu’ils mourront dans leur péché.
6
Traduction liturgique.
5
prévint Mgr de Belsunce : si Marseille ne se convertit pas, un terrible fléau ravagera la
ville. Hélas, les édiles et le peuple ne tinrent aucun compte de ces avertissements7.
Il est un fait que, dans son ensemble – époque contemporaine mise à part –, la
conscience et la piété chrétiennes, telle qu’elles se sont formalisées dans la lex orandi,
la prière publique de l’Église, ont fait leur l’idée biblique qu’une calamité temporelle
puisse être un châtiment divin. Le missel romain antérieur à la réforme liturgique
postconciliaire comporte ainsi une missa votiva tempore mortalitatis (messe votive en
temps de mortalité), appelée aussi missa pro vitanda mortalitate vel tempore
pestilentiae (messe pour éviter la mortalité ou messe en temps d’épidémie). Dans
l’oraison de cette messe, qui thématise la peste infligée en 2 S 24, 10-17 (introït et
épître), ainsi qu’un autre châtiment en Nb 17, 9-15 (offertoire), l’Église demande à Dieu
« d’écarter en sa bonté le fléau de sa colère » (iracundiae tuae flagella ab eo clementer
amoveas). Cette demande est renouvelée dans la postcommunion : « Libérez votre
peuple des terreurs de votre colère » (populum tuum ab iracundiae tuae terroribus
liberum). Dans l’ancien Rituale Romanum8, on trouve cette supplication : « Nous vous
prions, Seigneur, de nous accorder l’effet de notre humble prière, et d’éloigner avec
bonté la peste et la mortalité, afin que les mortels saisissent en leur cœur que de tels
fléaux procèdent de votre indignation et cessent par votre miséricorde »9. Dans la
litanie des saints, enfin, le peuple fidèle prie : « De votre colère, délivrez-nous,
Seigneur ». Dans toutes ces prières s’exprime justement la conscience du peuple
chrétien que ses péchés lui attirent des châtiments ou « excitent la colère de Dieu »,
pour reprendre les mots de saint François de Paule10, mais aussi que Dieu, en raison
de sa miséricorde, est prompt à faire grâce, en épargnant ceux qui l’implorent et
reviennent à lui, le cœur contrit. La théologie chrétienne a, par ailleurs, toujours
maintenu que Dieu punissait en-deçà de ce qui était mérité par les coupables en stricte
justice, y compris dans le cas des damnés. Enfin, s’il était vrai que Dieu ne punit jamais,
l’Église n’aurait pas pu reconnaître l’authenticité de certaines révélations particulières,
comme celle de Fatima, dans lesquelles de très grands maux sont annoncés comme
des châtiments divins, « si on ne cesse d’offenser Dieu »11.
Il n’est pas dit pour autant qu’il faille voir dans toutes les calamités des châtiments
divins, d’autant plus que « la mentalité religieuse de l’ancien Israël rapportait tout à

7
Cf. Alain DENIZOT, Le Sacré-Cœur et la Grande Guerre, Paris, Nouvelles Éditions latines,
1994, p. 29.
8
Nous nous référons au Rituale Romanum promulgué par Paul V en 1614, en sa dernière
version publiée par ordre de Pie XII en 1957 (réimpression : Bonn, Nova et Vetera, 2012).
9
Rituale Romanum, Titulus X, Caput X, De processione tempore mortalitatis et pestis : « Da
nobis, quaesumus, Domine, piae petitionis effectum: et pestilentiam mortalitatemque
propitiatus averte; ut mortalium corda cognoscant, et te indignante talia flagella prodire, et te
miserante cessare ». On relèvera le contraste, en termes de contenu, entre ce genre de prière
et les formulaires eucologiques élaborés dans le cadre de l’épidémie du coronavirus en 2020.
10
FRANÇOIS DE PAULE, Lettre de 1486 (citée d’après La liturgie des heures, vol. II, Paris,
A.E.L.F., 1980, p. 1292).
11
Voir ainsi le message de l’apparition mariale du 13 juillet 1917 à Fatima.
6
Dieu comme à la cause première »12. Les sept années de sécheresses annoncées à
Pharaon en Gn 41, 1-32 sont ainsi certes présentées comme étant décidées par Dieu,
mais non comme un châtiment. Comme cela a été dit plus haut, il existe
indubitablement un lien de causalité globale entre le mal moral du péché (en général)
et les maux physiques, puisque sans le péché originel et tous les péchés actuels qui
l’ont suivi l’humanité n’aurait connu ni souffrance ni mort. Mais cela ne permet pas
d’établir un lien de causalité immédiat et automatique entre tel péché précis et telle
calamité déterminée. Qui pourrait dire, par exemple, que le peuple ukrainien subit la
terrible famine de l’Holodomor en raison de telles fautes particulièrement graves ? Et
qu’en est-il des victimes en général, enfants compris, des systèmes totalitaires ? Si le
lien entre le péché et ses conséquences est malaisé, sinon impossible à déterminer
dans le détail – le mal demeure une réalité mystérieuse comme le suggère l’expression
« mystère de l’impiété » en 2 Th 2, 7 –, dans leur ensemble les malheurs et les fléaux
peuvent toutefois être et ont été compris traditionnellement comme des appels à la
conversion et à la pénitence. Jésus a lui-même tiré de deux faits divers tragiques de
son époque un appel urgent à se convertir : « Si vous ne vous repentez pas, vous
périrez tous pareillement » (Lc 13, 3.5).
C’est ici que l’on peut constater une discontinuité frappante entre la mentalité
biblique et traditionnelle et la mentalité contemporaine. Dans le domaine de l’économie
et de l’écologie, notamment, il est admis sans difficulté que les actes et les choix
humains ont des conséquences parfois dramatiques pour l’homme. En revanche, dans
le domaine de la morale, on prétend que les choix restent sans conséquence, étant
donné que « Dieu ne punit pas ». Certes, quelqu’un pourrait objecter que les péchés
ne sont pas sans conséquences, mais que celles-ci sont intrinsèques au péché et non
voulues par Dieu. Cependant, cette approche ne résout rien car si les conséquences
sont internes au péché, il reste que Dieu a disposé qu’il en soit ainsi, en tant qu’il est
l’auteur et l’ordonnateur de toute la création. En réalité, l’incapacité et le refus
contemporains de voir le lien de causalité entre le péché et les maux sont liés à la
diminution du sens du péché et des peines qu’il comporte13, elle-même liée à la baisse
du sens de Dieu, de sa sainteté transcendante, et donc de la sainte crainte de Dieu
(timor Domini). Cette incapacité et ce refus ont pour conséquence tragique le fait que,
désormais, même de très graves calamités ne sont plus comprises comme des appels
à se convertir, puisqu’elles apparaissent comme privées de sens ou seulement dues
à des causes naturelles. Les Ninivites se sont convertis à la prédication de Jonas
seulement parce qu’ils étaient convaincus de la relation entre leur comportement

12
Bible de Jérusalem, note c. sur 2 S 24, 1.
13
Cf. CEC, n. 1472. Jean-Paul II déplorait : « Au lieu de voir le péché partout, on ne le
distingue plus nulle part ; au lieu de trop mettre l’accent sur la peur des peines éternelles, on
prêche un amour de Dieu qui exclurait toute peine méritée par le péché » (Exhortation
apostolique Reconciliatio et paenitentia, 2 décembre 1984, n. 18.
7
antérieur coupable et le malheur qui leur était annoncé, mais aussi parce qu’ils
croyaient que leur changement de vie pouvait à son tour écarter le châtiment.
En tabouisant l’idée selon laquelle une calamité n’est pas privée de tout lien avec
le péché et peut être une correction providentielle appelant à la conversion, le discours
ecclésial contemporain croit sûrement bien faire en cherchant à disculper Dieu au
regard de maux graves. Mais, ce faisant, et mis à part le fait qu’un Dieu incapable de
punir n’a aucun fondement dans la Révélation, cette approche favorise un discours
indigent, convenu et parfois banal, en tous cas manquant de profondeur. À côté de
manifestations bienvenues de compassion et de solidarité envers les victimes et les
soignants, l’Église continue certes d’en appeler au secours divin, mais il manque, dans
ce contexte précis, la dimension pénitentielle et la profondeur proprement religieuse
de l’appel prophétique à la conversion. (Voir ainsi le formulaire de la messe « en temps
de pandémie » publié par décret de la Congrégation pour le culte divin et la discipline
des sacrements le 30 mars 2020, de même que l’intention spéciale « pour ceux qui
souffrent en ce temps de pandémie », ajoutée en 2020 à la prière universelle du
Vendredi saint par décret à la même date.) De toute manière, une mentalité qui
accepte le principe d’une intervention divine lorsqu’elle est secourable, mais qui le
refuse quand elle corrige et punit n’est pas cohérente. Car de deux choses l’une : ou
bien Dieu intervient dans le monde et s’intéresse aux choix moraux des hommes, et
dans ce cas on ne saurait exclure une correction de sa part. Ou bien Dieu s’est retiré
de ce monde et ne joue aucun rôle dans les événements qui surviennent, et dans ce
cas il faut également exclure le principe d’une intervention divine secourable, puisque
tout dépend alors des seules causes naturelles. Du reste, le maintien d’un Dieu
‟mou”14, auquel on refuse le droit de sanctionner, qui ne juge pas, mais qui est prié de
tout pardonner et de secourir lorsque cela va mal, n’est généralement qu’un stade
intermédiaire d’une évolution débouchant en fin de compte à l’athéisme pratique.
Salva debita reverentia et à quelques exceptions près, il semble bien que les
pasteurs de l’Église n’aient rien à dire de significatif au sujet de l’épidémie planétaire
en cours, comme si la clef de compréhension des « interactions surnaturelles des
événements de l’histoire du monde » (Edith Stein)15 leur avait échappée. Car un
discours ecclésial exclusivement axé sur la catégorie de l’amour et de la miséricorde
de Dieu est contraire à la Révélation et, de ce fait, inapte à armer les fidèles
spirituellement et intellectuellement quand surgit le mal avec force. « Notre maison
brûle et nous regardons ailleurs », avait affirmé un responsable politique au sujet de
l’écologie. Au vu d’un monde où la loi divine est massivement et parfois
institutionnellement bafouée (voir aussi les « structures de péché »), où le bien est

14
Daniel Marguerat avait employé à ce propos la comparaison humoristique d’« un chat qui
ronronne sur le radiateur » (dans Marie BALMARY – Daniel MARGUERAT, Nous irons tous au
paradis. Le Jugement dernier en question, Paris, Albin Michel, 2012, p. 23).
15
Edith STEIN, Source cachée. Œuvres spirituelles, Genève – Paris, Ad Solem – Cerf, 1998,
p. 233.
8
appelé mal et le mal bien, où le désordre sexuel et la pornographie contaminent
infiniment plus d’âmes qu’un coronavirus n’infecte de corps, où des ministres
s’inquiètent lorsqu’il y a moins d’avortements, bref au vu d’un monde que beaucoup
veulent sans Dieu ou contre Dieu, ne faut-il pas parler d’un aveuglement similaire sur
le plan spirituel, théologique et pastoral, lorsqu’une calamité globale ne parvient plus
à susciter des appels à la pénitence, à l’expiation et à la réparation ? Mais ce n’est là
qu’une des manifestations de la pénétration déjà avancée d’une mens sécularisée à
l’intérieur de l’Église (parfois sous couvert de nouvel humanisme). Mens qui a déjà
largement perdu le sens du péché en tant qu’« offense à la sainteté et à la justice de
Dieu »16, mais aussi de ses conséquences sur l’homme et l’ensemble de la création.

* * * * * * * *

Voici à présent quelques indications et conseils plus concrets :


1) Je vous encourage à suivre au mieux les offices de la semaine sainte en famille,
à l’aide vos missels (ce qui est peut-être encore préférable aux retransmissions
virtuelles).
2) Si vous pouvez récupérer des rameaux de buis, ils pourraient
exceptionnellement être bénis ultérieurement.
3) Le monastère de la Visitation de Nantes diffuse des Sauvegardes du Sacré-
Cœur (un peu différentes de celles de Sr Rémuzat de Marseille).
4) Sur un problème de société important, il existe le documentaire « Le tsunami
pornographique : le comprendre, le combattre » : https://youtu.be/37S9TaMlDjk
5) Au 31 mars 2020, douze prêtres de notre diocèse avaient contracté le covid-19,
dont trois étaient hospitalisés. Un prêtre âgé de 68 ans est décédé le 31 mars
des suites du virus. Portons-les dans notre prière.
6) Enfin, continuons à bien prier pour le chanoine André Dukiel qui doit entamer
une série de traitements à l’hôpital Belle-Isle, à partir du 7 avril.
J’espère de tout cœur et je prie afin que vous soyez et demeuriez saints et saufs.
Je souhaite à tous une intense semaine sainte. Que Dieu vous garde dans la paix et
que Notre Dame vous protège. Je vous bénis, en union de prière.

Mgr Christophe J. Kruijen+

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JEAN-PAUL II, Bulle d’indiction Incarnationis mysterium, 29 novembre 1998, n. 10. Cf. CEC,
n. 431 ; 1440 ; 1850.
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