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Couverture 

: Delphine Dupuy

© Dunod, 2010, 2021

pour cette édition augmentée11 rue Paul Bert,


92240 Malakoff

www.dunod.com

ISBN : 978-2-10-082485-4
Table des matières

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Préface. Par Françoise Barré-Sinoussi

Prologue

Chapitre 1. Le destin des épidémies

Les modes de transmission

Infection et maladie

Le destin des épidémies

Chapitre 2. Grandeur et décadence d’une maladie


pandémique : la peste

Première pandémie pesteuse

La Grande Peste noire

Troisième pandémie pesteuse

Situation actuelle

Chapitre 3. Migrations et épidémies : le choléra

Première pandémie (1817-1824)


Deuxième pandémie (1826-1837)

Troisième pandémie (1841-1860)

Quatrième pandémie (1863-1875)

Cinquième pandémie (1881-1896)

Sixième pandémie (1899-1923)

Septième pandémie (1961-1992)

Bactériologie du choléra

Situation actuelle

Chapitre 4. Une épidémie maîtrisée : la variole

Histoire de la variole

La lutte contre la variole

La variolisation

Jenner et la vaccination

L’éradication de la variole

Situation actuelle et perspectives

Chapitre 5. Concentrations humaines et épidémies : le typhus

Origine du typhus

Le typhus dans l’Histoire

Découverte de la transmission du typhus

Découverte du microbe du typhus


Le typhus, modèle de l’infection inapparente

La vaccination contre le typhus

Situation actuelle

Chapitre 6. Grands travaux et épidémies : la fièvre jaune

Histoire de la fièvre jaune

Le creusement du canal de Panama

Transmission de la fièvre jaune : l’hypothèse des moustiques

La démonstration de Walter Reed

Gorgas et la lutte contre la fièvre jaune

Reprise du chantier du canal de Panama

La fièvre jaune selvatique

Les vaccins contre la fièvre jaune

Situation actuelle et perspectives

Chapitre 7. Plus meurtrière que la Première Guerre mondiale :


la grippe espagnole

Histoire ancienne de la grippe

La pandémie de « grippe espagnole »

La « grippe asiatique » (1957-1958)

La « grippe de Hong-Kong » (1968-1969)

La découverte du virus grippal

Structure moléculaire des virus grippaux


Situation actuelle

Chapitre 8. Sexe et épidémies : la syphilis et le sida

La syphilis

Histoire de la syphilis

Perception ancienne de la syphilis

Évolution de la syphilis

Traitements anciens

Où la génétique des microbes apporte une clé à


l’épidémiologie

Histoire du traitement de la syphilis

Situation actuelle

Le sida

Les débuts de l’épidémie

La découverte du virus

La lutte contre le sida

L’extension mondiale

Progrès thérapeutiques et origine du VIH

Situation actuelle et perspectives

Chapitre 9. Épidémies contemporaines : Ebola et autres


émergences

Les fièvres hémorragiques virales


Dengue

Infections émergentes non hémorragiques

Autres zoonoses virales

Chapitre 10. Covid-19 : une pandémie non préparée aux


conséquences inédites

Le SRAS

Le MERS

La Covid-19

Chapitre 11. Ce que disent les épidémies

Ce que les épidémies disent sur l’Homme

Ce que les épidémies disent sur elles-mêmes

L’avenir des épidémies, ou les épidémies à l’heure de la


mondialisation

Épilogue

Remerciements

Bibliographie

Index des noms de personnes

Index des noms de microbes, maladies et produits

Dans la même collection


Préface

Au début des années 1970, lorsque j’ai débuté ma carrière de


chercheur, l’heure était à l’optimisme quant à une possible
éradication des maladies infectieuses. Et pour cause, la médecine
avait accompli d’immenses progrès au cours des décennies
précédentes. Depuis la première utilisation de la pénicilline chez
l’Homme en 1941, d’autres antibiotiques avaient été découverts et
commercialisés. Le développement de vaccins contre la coqueluche,
la variole, la poliomyélite et bien d’autres pathologies, permettait
d’espérer, grâce à de larges campagnes de vaccination, une
réduction considérable de la mortalité notamment infantile.
L’émergence de nouvelles épidémies mortelles, telles que les
infections par les virus Ebola en 1976 ou le VIH en 1981, nous a
cruellement rappelé que l’humanité n’était pas à l’abri d’infections
émergentes ou ré-émergentes.
Les grandes épidémies qui ont marqué l’histoire contemporaine
sont pour la plupart des zoonoses dues à des agents infectieux
d’origine animale. Cette transmission interespèce est souvent
associée à un accroissement de la virulence de ces agents
infectieux. Mais au-delà des facteurs biologiques, les épidémies
trouvent leur ancrage dans l’évolution des sociétés au niveau
mondial. Leur apparition et leur dissémination à l’échelle globale
sont largement favorisées par l’intensification des échanges humains
et animaux, par les migrations de populations, par les inégalités
sociales ou les bouleversements écologiques. La réponse à apporter
face à de telles pathologies infectieuses ne peut pas être seulement
scientifique et médicale, elle doit aussi être politique, économique,
comportementale…
Tour d’horizon des grandes épidémies qui, depuis toujours, ont
accompagné l’Homme dans son développement, cet ouvrage
didactique, fort bien documenté, permet de comprendre leur
émergence et leur influence sur notre histoire. Il apporte aussi des
pistes de réflexion pour mieux anticiper l’émergence de nouveaux
agents pathogènes. Rien ne permet de prédire quand, où et sous
quelle forme apparaîtra un nouvel agent infectieux, c’est pourquoi
nous devons nous tenir prêts. L’épidémie actuelle de Covid-19 nous
l’a cruellement rappelé. De la connaissance et de l’analyse des
épidémies passées, les générations futures pourront tirer des
enseignements indispensables pour organiser une riposte efficace
face aux défis posés par les agents pathogènes d’aujourd’hui et de
demain.

Françoise Barré-Sinoussi
Aux Pastoriens auxquels je dois ma passion pour
les épidémies : Marcel Baltazard, Henri H. Mollaret, André Dodin
et Pierre Sureau ; et bien sûr Charles Nicolle.

À Marie-Pascale, toujours.
 
Prologue

Les maladies infectieuses accompagnent l’Homme depuis des


temps immémoriaux. Elles atteignent non seulement les individus,
mais également les groupes humains, l’Homme ayant toujours vécu
en communauté. Si tout Homme a souffert de maladie infectieuse à
un moment ou à un autre de sa vie, toutes les populations en ont été
affectées, de façon plus ou moins dramatique, à un moment ou à un
autre de leur histoire, car ces maladies peuvent prendre des
proportions alarmantes, atteignant un grand nombre d’individus en
même temps et générant ce que l’on appelle des « épidémies ».
Les épidémies ne restent pas toujours limitées à une communauté
humaine et un territoire géographique. Certaines d’entre elles ont
une large diffusion, qui peut même atteindre l’ensemble du monde :
elles sont alors qualifiées de «  pandémies  ». Parmi elles, les
grandes maladies pestilentielles1 telles la peste, le choléra ou le
typhus, ou plus récemment la grippe, le sida et la Covid-19, ont été
responsables d’un nombre considérable de morts, et ont eu des
conséquences sociales, culturelles, religieuses et économiques
majeures.
Bien qu’elles aient parfois joué un rôle important dans l’Histoire et
marqué le monde de façon indélébile, les épidémies sont pourtant
restées l’affaire de spécialistes, microbiologistes, médecins et
infectiologues, et sont pratiquement passées sous silence dans les
ouvrages d’histoire. La bataille d’Azincourt, qui dura trois heures et
fit moins de 5  000 victimes, le 25  octobre 1415, y occupe plus de
place que la grande peste noire qui décima la population de l’Europe
occidentale, au xive  siècle, la réduisant de moitié en cinq ans, et
entraînant des bouleversements qui marquèrent le continent de
façon durable. Qui se souvient que la variole, fléau qui se répandit
en Europe à partir du viiie  siècle, fut introduite en Amérique par les
conquérants européens où elle participa activement à l’extermination
de nombre de populations amérindiennes  ? Ou encore que le
typhus, malheur des armées en campagne et des camps de
concentration, s’allia à la folie des Hommes dans des massacres
organisés ? De même oublie-t-on que la Première Guerre mondiale,
souvent qualifiée de « grande boucherie » avec ses huit millions de
morts, fut très largement surpassée en termes de mortalité par
l’épidémie de grippe espagnole qui parcourut le monde en 1918 et
1919, tuant entre 20 et 50 millions de personnes parmi les quelque
200 millions de sujets atteints. Aussi, nous est-il apparu nécessaire
de réhabiliter ces épidémies, en les replaçant en situation dans
l’Histoire.
Les maladies infectieuses ne sont pas l’apanage de l’Homme. De
nombreux microbes atteignent également les animaux ou les
végétaux. Mais même dans ces cas, l’Homme est encore affecté
indirectement par les conséquences économiques que peuvent
entraîner les destructions d’espèces exploitées. Un seul exemple
suffira à convaincre le lecteur, celui de l’épidémie de rouille due au
champignon Phytophtora infestans qui, au xixe  siècle, détruisit les
cultures de pommes de terre en Irlande, et provoqua, dans ce pays,
une famine sans précédent, responsable de la mort d’un million de
personnes et de l’exode d’un autre million vers les États-Unis. Cette
immigration massive eut une influence profonde sur l’émergence
économique et politique de ce nouveau pays. Sur le plan
linguistique, elle contribua à assurer la suprématie définitive de la
langue anglaise sur le français. Sans ce champignon de la pomme
de terre, les États-Unis d’Amérique seraient peut-être aujourd’hui un
pays francophone !
Pendant des siècles, les épidémies ont été subies par les
populations comme des plaies d’origine mystérieuse, liées à des
causes naturelles voire surnaturelles. S’en protéger relevait de
l’empirisme, voire constituait une action impie. Depuis Hippocrate,
on les attribuait aux miasmes, émanations malsaines provenant des
matières organiques en décomposition qui souillaient l’air et
pouvaient pénétrer dans le corps par la respiration. Girolamo
Frascator, médecin italien du xvie  siècle, fut le premier, en 1546, à
postuler l’existence possible d’agents infectieux invisibles, les
seminaria, capables d’envahir le corps humain et d’y provoquer une
maladie. L’idée que des seminaria pouvaient passer d’un Homme à
une autre le conduisit au concept visionnaire de « contagion ».
Mais ce n’est qu’avec l’avènement de la théorie microbienne des
maladies, au cours du xixe  siècle, grâce aux travaux de Louis
Pasteur et de Robert Koch, que la cause première des épidémies
put être élucidée. Il fallut attendre encore de nombreuses années
avant que l’histoire naturelle des microbes soit comprise et que les
facteurs écologiques favorisant leur éclosion et leur diffusion soient
connus.
À partir du milieu du xixe  siècle, le constant développement de la
microbiologie provoqua un recul progressif des plaies que
constituaient les épidémies. Cette science ne fut pas seulement une
formidable avancée dans la connaissance des microbes et de leurs
maladies, mais elle constitua aussi une remarquable force de
mouvement et d’évolution pour la médecine, qu’elle contribua à sortir
de l’irrationnel dans lequel elle végétait depuis des siècles. Les
avancées de l’hygiène, l’utilisation à grande échelle des vaccinations
et la découverte des médicaments antiinfectieux (sulfamides et
antibiotiques) se conjuguèrent aux acquis de la médecine et de la
chirurgie modernes pour entraîner une forte réduction de la mortalité
humaine et un accroissement de l’espérance de vie. Malgré deux
guerres mondiales meurtrières, la population de notre planète est
passée d’un milliard d’habitants au début du xixe  siècle à presque
sept milliards et demi en 2017. Dans les pays à revenus élevés,
l’espérance de vie a quasiment doublé, durant cette période,
passant de 40 à 80 ans.
Ces avancées furent si spectaculaires que, dans les années 1950,
l’Homme se prit à imaginer qu’il avait maîtrisé les épidémies, et qu’il
pouvait supprimer les maladies infectieuses. L’éradication de la
variole à l’échelle mondiale, obtenue en 1977, sous l’égide de
l’Organisation mondiale de la Santé (chapitre  4), le conforta dans
l’idée que cet objectif était à sa portée. Mais c’était sans compter la
grande diversité des micro-organismes, leur large distribution dans
le monde vivant, leur capacité d’évolution spontanée, leur potentiel
d’émergence, leur pouvoir de résistance. C’était méconnaître la
nature réelle des épidémies et leurs possibilités de retour.
Le réveil fut brutal, car, en matière de retour des épidémies, notre
époque a été particulièrement féconde. Les alertes ont été
nombreuses et les catastrophes sanitaires variées  : pandémies de
grippe espagnole en 1918-1920, de grippe asiatique en 1957-1958,
de grippe de Hong Kong en 1968, de fièvres hémorragiques dans
les années 1970, de maladie de Lyme en 1975, de légionellose en
1976, de sida à partir de 1981, de SRAS en 2003, de grippe A/H1N1
en 2009, ou encore de Covid-19 en 2020. Et l’examen historique
auquel nous nous livrons dans les chapitres qui suivent, montre que
tous les siècles ont eu leurs émergences, dont nous essaierons de
dégager les facteurs déterminants.
L’Homme a désormais compris qu’il lui faudrait cohabiter avec les
maladies infectieuses, et que leurs épidémies menaceraient
constamment le monde. Un savant l’avait prophétisé, qui écrivait en
1933  : «  Il y aura des maladies infectieuses nouvelles, c’est un fait
fatal  ». C’était Charles Nicolle, médecin et biologiste français, prix
Nobel de Médecine et Physiologie en 1928, dont nous reparlerons
plus bas (voir encadré). Mais les prophètes sont rarement entendus
à leur époque, et les graines semées doivent attendre patiemment le
moment favorable de la germination.
Pour lutter efficacement contre un ennemi, mieux vaut le bien
connaître. C’est pourquoi la recherche en microbiologie, infectiologie
et épidémiologie doit être intensifiée. Mieux connaître l’agent
infectieux et son mode de transmission, c’est pouvoir organiser la
surveillance, développer des outils de diagnostic et de traitement,
mettre au point des moyens de lutte et des programmes de
prévention. Et dans ce domaine, la connaissance des épidémies
passées peut apporter une aide à la prévision de celles à venir.
Cet ouvrage se voudrait une réflexion sur l’histoire naturelle des
épidémies. En racontant l’histoire de quelques-unes, il ambitionne de
contribuer à apprécier la magnitude du phénomène épidémique, à
comprendre les comportements des populations, en réaction. Son
objectif in fine est d’apporter une contribution aux plans de
préparation aux risques pandémiques futurs.
Face au grand nombre d’épidémies existantes, il nous a fallu
opérer un choix. Il n’était pas possible de multiplier les cas de figure.
Nous avons choisi de nous limiter aux épidémies affectant
directement l’Homme. Et encore, parmi celles-ci, nous sommes-nous
restreints aux grandes pestilences particulièrement démonstratives :
peste, choléra, variole, typhus, fièvre jaune, grippe, syphilis, sida,
fièvres hémorragiques et Covid-19. Non pas que la diphtérie, la
tuberculose, la méningite cérébro-spinale, la poliomyélite, la fièvre
typhoïde ou le paludisme n’eussent pas été dignes de figurer aux
côtés des précédentes, mais il n’était pas question d’un catalogue
exhaustif qui eut été quelque peu fastidieux sans être plus informatif.
Pour chaque épidémie abordée, nous avons choisi de raconter
deux histoires : celle de l’évènement historique et celle de l’évolution
de nos connaissances. Ainsi, progressons-nous depuis l’apparition
du phénomène et sa description, jusqu’à la découverte de sa cause
et de son cycle épidémiologique. La situation actuelle de l’épidémie
est ensuite envisagée. Le passé et le présent s’éclairant
mutuellement, nous tentons enfin de projeter dans l’avenir les
expériences du passé pour dégager un essai d’anticipation.
Si la conviction est partagée aujourd’hui que des épidémies
menacent et menaceront toujours, pourquoi l’Homme attendrait-il
passivement leur arrivée  ? Les pandémies pesteuses ont décimé
des populations ignorantes et passives en proie aux superstitions les
plus folles. La grippe espagnole a ravagé une population mondiale
prise au dépourvu, à la fin d’un conflit généralisé meurtrier. Ne peut-
on imaginer que leurs impacts eussent été moindres si les systèmes
sanitaires avaient été préparés à faire face  ? C’est l’hypothèse
qu’ont faite les autorités sanitaires internationales en 2004, lorsque
l’épizootie de grippe aviaire A/H5N1 a fait planer une menace de
pandémie humaine. Plusieurs pays ont commencé à préparer des
plans de gestion d’une pandémie, d’organisation des services
sanitaires, de continuité des services de l’État. L’émergence
soudaine et inopinée du virus A/H1N1 en 2009 a trouvé des pays
préparés et organisés sur le plan sanitaire, mais l’épidémie a tourné
court, se résolvant en définitive en une épidémie moins importante
que les grippes saisonnières précédentes, démontrant une fois de
plus à quel point les phénomènes épidémiques peuvent être
imprévisibles. Beaucoup de pays, dont la France, baissèrent alors la
garde, si bien qu’ils se trouvèrent dix ans plus tard dans un état
d’impréparation critique lors de l’arrivée du coronavirus responsable
de la Covid-19 (chapitre 10).
Nous trouvons là une justification supplémentaire à la prise en
compte des expériences du passé.
1
Le destin des épidémies

« L’existence historique de la maladie est sa vie à travers


les âges. On est en droit de lui supposer, comme à tout
ce qui vit, une origine (naissance) et une fin (mort)… Il y aura
donc des maladies nouvelles, c’est un fait fatal ».

Charles Nicolle2

Passage obligé avant d’entrer dans le vif du sujet et dans l’histoire


des épidémies, il convient d’abord de définir les termes, de
s’entendre sur les concepts, de donner leur sens aux mots. Que sont
les maladies infectieuses, quand parle-t-on d’épidémie ou
d’épizootie, comment passe-t-on à la pandémie ? C’est l’objet de ce
premier chapitre qui se veut volontairement court, schématique, et,
nous l’espérons, didactique.
Quel meilleur guide pouvions-nous trouver pour atteindre ce but,
que Charles Nicolle (voir encadré), cet homme qui, au soir de
découvertes scientifiques et médicales majeures, a entrepris de
conceptualiser ses connaissances et de les faire partager à ses
étudiants du Collège de France. Bien des notions évoquées dans ce
chapitre sont issues des leçons qu’il donna de 1932 à 1934 dans
cette prestigieuse institution.

Charles Nicolle (1866-1936)

Médecin et biologiste français né à Rouen, Charles Nicolle fit ses études de


médecine à Paris, puis suivit le Cours de Microbie Technique de l’Institut
Pasteur, où il travailla sous la direction d’Elie Metchnikoff, le découvreur de la
phagocytose et de l’immunologie cellulaire. Il prit en 1902 la direction de
l’Institut Pasteur de Tunis, où il demeura jusqu’à sa mort. C’est là qu’il
effectua ses recherches célèbres sur le typhus exanthématique mondial, dont
il découvrit la transmission par le pou. Expérimentateur en laboratoire et
homme de terrain, il étudia les maladies infectieuses méditerranéennes  :
brucellose, fièvres récurrentes, leishmanioses. L’ensemble de ses travaux sur
le typhus lui valurent l’attribution du Prix Nobel de Physiologie et Médecine en
1928.

Pourtant, si nous voulons commencer par le commencement, ce


sont Louis Pasteur et Robert Koch qu’il faut évoquer, car ce sont eux
qui ont établi, dans la deuxième moitié du xixe  siècle, que les
maladies infectieuses étaient dues à la présence d’organismes
microscopiques pathogènes, les « microbes », selon le terme adopté
par l’Académie des Sciences en 1878, sur proposition du chirurgien
Charles Sédillot. Ils avaient également établi que les microbes
pouvaient être responsables de maladies non seulement chez
l’Homme, mais aussi chez l’animal, ou même chez les plantes (voir
encadré), et qu’à chaque maladie correspondait un microbe
spécifique.
Certains microbes infectent exclusivement les humains, donnant
des maladies strictement humaines, qu’on appelle anthroponoses,
comme la variole, le typhus ou la rougeole, cependant que d’autres
atteignent les animaux, provoquant des zoonoses, maladies
animales pouvant secondairement être transmises à l’Homme,
comme la peste, la rage ou la fièvre jaune. Les Hommes dans le
premier cas, les animaux dans le second, constituent ce que l’on
appelle les réservoirs des microbes correspondants. Mais en dehors
de ces réservoirs vivants, humains ou animaux, certains microbes se
conservent dans un substrat inerte, comme l’eau pour la bactérie du
choléra ou le sol pour la bactérie du charbon et le bacille du tétanos.

Les microbes

Les microbes sont des organismes vivants de trop petite taille pour être vus
à l’œil nu, et qui nécessitent d’être examinés au microscope (bactéries,
champignons, protozoaires), ou même au microscope électronique pour les
plus petits d’entre eux, les virus. La très grande majorité des microbes jouent
un rôle bénéfique dans la nature et chez les êtres vivants. Mais un petit
nombre d’entre eux sont sources de maladies.

Chez leurs hôtes, les microbes pénètrent par des voies d’entrée
variées, qui peuvent être les voies cutanées, muqueuses, digestives
ou aériennes. Ils se localisent à la superficie du corps, peau ou
muqueuse, dans des cavités naturelles, cavités du nez ou de la
bouche, tube digestif, voies pulmonaires. Certains envahissent les
organes profonds qu’ils gagnent en général par voie sanguine, au
cours d’un épisode de septicémie. Chaque microbe a un territoire
d’élection, un organe cible, auxquels correspondent les signes
cliniques de la maladie.
Les microbes les plus couramment responsables d’épidémies sont
soit des bactéries soit des virus. Et d’emblée, nous pouvons
présager que le très grand nombre d’antibiotiques disponibles, en
général efficaces contre les bactéries, nous met aujourd’hui en
position de lutter efficacement contre les épidémies d’origine
bactérienne, alors que le petit nombre d’antiviraux nous laisse
démunis face aux épidémies virales.

Les modes de transmission
La transmission des microbes d’un hôte à un autre s’effectue par
différentes voies, suivant leur localisation à la surface ou dans les
organes de leur hôte. Certains d’entre eux se transmettent
directement, par contact ou transport de peau à peau, par exemple
le virus de la variole, maladie éruptive dont les pustules sont
contagieuses, ou par contact de muqueuse à muqueuse, comme le
virus de l’immunodéficience humaine (VIH), ou d’autres microbes à
transmission sexuelle. Les microbes respiratoires, comme les virus
de la grippe, les coronavirus ou le bacille pesteux durant la peste
pulmonaire, se transmettent par les postillons et les gouttelettes
émises au moment des éternuements ou de la toux. Un microbe est-
il éliminé par les excrétats, comme le vibrion cholérique, il pourra
être transmis par la manipulation du linge ou du matériel souillés.
Tous ces modes de transmission d’Homme à Homme, sont
l’apanage des maladies contagieuses.
D’autres microbes se trouvent piégés à l’intérieur de leur hôte,
dans son sang par exemple, dont ils ne peuvent sortir par leurs
propres moyens. Ils ont besoin pour ce faire des services d’un agent
animé qui puise le microbe à l’occasion d’un repas sanguin, et
l’inocule ensuite à un nouvel hôte lors du repas sanguin suivant. Ces
vecteurs de microbes sont le plus souvent des insectes
hématophages, comme la puce, qui transmet le bacille pesteux de
rat à rat, et occasionnellement du rat à l’Homme. C’est également le
cas du pou, vecteur de la rickettsie du typhus, ou du moustique
vecteur du virus de la fièvre jaune. Des arthropodes autres que les
insectes peuvent également jouer un rôle de vecteurs de microbes
animaux infectant occasionnellement l’Homme, comme les tiques
qui transmettent la bactérie de la maladie de Lyme. Peste, typhus,
fièvre jaune, maladie de Lyme sont des maladies que l’on dit à
transmission vectorielle. Les virus transmis par des arthropodes sont
nombreux et rangés dans la famille particulière des arbovirus,
abréviation dérivée de l’anglais ARthropod BOrne VIRUS, qui
signifie en français Virus portés par des arthropodes.
Il est évident que le mode de transmission des microbes
conditionne bien des aspects de l’épidémiologie des maladies
infectieuses, c’est-à-dire leur développement dans les populations.
Nous reviendrons plus loin sur ce point.

Infection et maladie
Chez l’individu dans lequel il pénètre, un microbe ne crée pas
obligatoirement une maladie. L’infection, c’est-à-dire la présence
d’un microbe chez un hôte, commence par être dénuée de signe
clinique, c’est la période dite d’incubation. Puis, elle est suivie de
l’apparition des premiers signes cliniques (phase d’invasion) qui
s’épanouissent à la phase d’état de la maladie. Celle-ci peut se
dérouler suivant un mode aigu et rapide, ou chronique, plutôt lent.
Ensuite, suivant les microbes et les patients, l’évolution de la
maladie se fait vers la guérison, avec une période plus ou moins
longue de convalescence, ou dans certains cas, elle aboutit à une
évolution fatale, le patient succombant à sa maladie.
De temps à autre, l’infection n’aboutit pas à la maladie  : c’est le
cas des infections inapparentes, un concept découvert par Charles
Nicolle en 1919, qui montra leur importance dans la genèse de
certaines épidémies puisque le sujet atteint d’infection inapparente
n’est pas malade (il est porteur sain) mais dissémine le microbe
sans le savoir. Nous en reparlerons à propos du typhus (chapitre 5).

Charles Nicolle au microscope.

© Institut Pasteur.

L’agencement des cas entre eux au sein d’une population est


important à connaître pour la compréhension de l’épidémiologie des
maladies infectieuses. Certaines maladies ne s’observent que sous
forme de cas isolés, sans liens : on parle alors de cas sporadiques.
Lorsque les cas sont réguliers et à un niveau constant, on parle de
maladies endémiques, qui présentent une grande stabilité évolutive.
Lorsque la virulence des microbes est élevée, que leur
transmissibilité est forte, ou que la contamination se trouve favorisée
par de grandes facilités de contact, ou mieux encore, si toutes ces
conditions sont réunies, la maladie infectieuse frappe
simultanément, et dans un laps de temps court, un grand nombre
d’individus  : c’est l’épidémie. Nous comprenons aisément que le
mode de transmission des microbes, dont nous avons parlé plus
haut, conditionne la marche des épidémies et leur dynamique  :
rapidité de diffusion, territoires d’extension, catégories de personnes
atteintes.
Une épidémie peut s’étendre géographiquement. Non seulement
elle atteint la plupart des membres d’un groupe humain ou d’une
agglomération, mais elle peut aussi dévaster une ville, une région,
un pays, un continent, voire s’étendre à l’ensemble du monde, et,
dans ce cas, on la qualifie de pandémie nous l’avons dit plus haut.
Lorsqu’un grand nombre de cas d’une maladie infectieuse se
déclarent chez l’animal, on parle d’épizootie, et non plus d’épidémie.

Le destin des épidémies
Les maladies infectieuses ne sont pas plus figées dans le temps
qu’elles ne le sont dans l’espace. Dans ses leçons au Collège de
France, Charles Nicolle avait énoncé le concept, novateur à l’époque
(1933), de «  destin des maladies infectieuses  ». Comme à tout
phénomène biologique, il leur reconnaissait un commencement, une
vie et une fin. Il en est de même, des épidémies qui nous occupent
dans cet ouvrage. Un des plus beaux exemples de cette évolution
des épidémies est sans aucun doute celui de la suette (voir
encadré).

La suette
La suette est une maladie infectieuse tout à fait étonnante, qui fit son
apparition en Angleterre vers 1485, et s’est manifestée par plusieurs
épidémies durant le xvie siècle. À partir de 1529, elle s’est étendue à l’Europe
du Nord, la Scandinavie, l’Allemagne, la Pologne et la Russie, pour
disparaître ensuite définitivement après une dernière épidémie, en 1551. Elle
atteignait les adultes jeunes en bonne santé, de classe sociale élevée, et se
manifestait par une atteinte brutale, avec frissons, fièvre, une grande
faiblesse et surtout une transpiration profuse et nauséabonde. Son évolution
était brutale, le décès survenant en quelques heures. Différente des autres
maladies épidémiques de l’époque, il n’existe pas d’explications sur son
origine soudaine en 1485, son confinement initial en Angleterre, son incursion
en Europe du Nord en 1529 et sa disparition totale après 1551.

Presque un siècle après Charles Nicolle, les principes de la


genèse et de l’évolution des épidémies sont toujours valides, mais
l’avancée des connaissances a permis de préciser nombre de
mécanismes. Phénomènes biologiques complexes, les épidémies
résultent des interactions entre trois catégories de facteurs, qui
tiennent aux microbes responsables, aux populations d’hôtes qu’ils
colonisent, et à l’environnement dans lequel cet ensemble évolue.
L’ensemble constitué par le microbe et ses hôtes fut désigné, en
1943, par le géographe Max Sorre, sous le terme de «  complexe
pathogène  », un concept qui mettait l’accent sur les interrelations
entre les espèces vivantes évoluant dans un même milieu et
responsables d’une maladie. Il soulignait l’implication
environnementale des épidémies et jetait les bases d’une « écologie
médicale ».
Pour qu’une épidémie naisse, il est indispensable que les
microbes et les hôtes se rencontrent, et que la population de
microbes se propage dans la (ou les) population(s) d’hôtes, deux
filtres, de rencontre et de compatibilité, que le parasitologue français
Claude Combes imagine tels des diaphragmes s’ouvrant ou se
fermant suivant les circonstances.
Le déclenchement d’une épidémie est souvent lié à l’augmentation
d’une population de microbes, voire d’un clone sélectionné, dont la
transmissibilité est augmentée, les capacités pathogènes
exacerbées, la résistance aux médicaments accrue. Les populations
d’hôtes, qu’il s’agisse des réservoirs humains ou animaux ou des
vecteurs, contribuent d’autant mieux à une explosion épidémique
qu’elles ont vu leur densité augmenter, ou qu’elles présentent une
réceptivité liée à une absence d’immunisation préalable, ou à un
affaiblissement des défenses comme en génèrent les guerres, la
misère, la malnutrition et certaines maladies, ainsi que l’ont montré
le typhus (chapitre 5) ou la grippe espagnole (chapitre  7). Enfin les
modifications environnementales qui favorisent le plus le
déclenchement des épidémies, sont celles qui facilitent
l’accroissement des populations d’hôtes, entraînent une
multiplication des contacts entre les hôtes, génératrice de flux de
microbes, comme illustré par l’exemple du typhus (chapitre  5).
L’Homme a une place centrale dans l’évolution des épidémies. En
tant qu’hôte d’abord, ses déplacements favorisent la dissémination
des microbes, comme nous le verrons avec le choléra (chapitre 3). Il
a également une action prépondérante sur l’environnement qu’il
bouleverse et modifie, parfois pour le plus grand bénéfice des
épidémies.
L’évolution des épidémies est extrêmement variable. Certaines
s’éteignent progressivement, soit parce que le germe a perdu de sa
virulence (le téponème de la syphilis n’a plus, à l’heure actuelle, la
très grande virulence qu’il avait au xvie  siècle, de sorte que sans
avoir totalement disparu, il ne circule pratiquement plus sur un mode
épidémique) (chapitre  8), soit parce qu’une large partie de la
population a été en contact avec le microbe et est ainsi devenue
immunisée et résistante. On estime couramment qu’une épidémie
s’éteint spontanément lorsqu’elle a touché 60 % de la population, ce
qui a dû se passer dans le cas de la grippe espagnole. Dans
certains cas, l’Homme a su créer artificiellement cette situation
d’immunité de la population à l’aide de son programme de
vaccination massive contre la variole, qui a permis à l’Organisation
mondiale de la Santé d’obtenir son éradication totale dans le monde
en 1979, après dix ans d’une campagne de vaccination et de
dépistage systématiques (chapitre  4). C’est également en cours
actuellement pour la poliomyélite. Dans d’autres cas, des mesures
de dépistage systématique suivies de l’isolement des sujets porteurs
du microbe ont permis de faire chuter le taux de transmission du
microbe (R0) au-dessous de 1, aboutissant à l’extinction de
l’épidémie, comme pour l’épidémie de SRAS de 2003 (chapitre 10).
D’autres microbes encore, comme ceux de la grippe, cessent de
se transmettre lorsque la température ambiante s’écarte de leur
optimum thermique : la grippe saisonnière se manifeste sous forme
d’épidémies hivernales, donnant lieu à un balancement
hémisphérique de ses épidémies  : d’octobre à avril dans
l’hémisphère boréal et d’avril à octobre dans l’hémisphère austral
(chapitre 7).
Enfin, il est des épidémies (peste, choléra) qui n’ont pas disparu,
sans que cette situation pose de réels problèmes à l’Homme. Le
territoire géographique de la peste s’est considérablement réduit
avec le temps  : elle reste aujourd’hui limitée à des foyers
circonscrits, que l’on dit «  foyers invétérés  », d’où elle ne sort plus
pour parcourir le monde (chapitre 2). Le choléra a disparu des pays
à revenus élevés grâce à une politique d’assainissement et
d’organisation sanitaire des agglomérations humaines (réseaux
d’eau potable, épuration des eaux usées), mais il n’en demeure pas
moins une plaie dans les pays à revenus faibles où ces standards
sanitaires n’existent pas (chapitre 3). Les épidémies sont en général
de remarquables révélateurs des inégalités.
On peut prévoir sans crainte de se tromper que le futur des
épidémies est prometteur. Il est évident qu’il y aura encore des
épidémies dans l’avenir  : des épidémies existantes étendront leurs
territoires, de nouvelles épidémies verront le jour et certaines
deviendront à l’occasion des pandémies. Si leur avenir est aussi
prometteur, c’est parce que la biodiversité s’étend également à
l’univers microbien  : les microbes existent en très grand nombre et
vivent dans de nombreux hôtes dans lesquels ils se modifient
génétiquement. C’est aussi parce qu’ils voyagent par le biais d’hôtes
(Hommes, animaux réservoirs ou vecteurs), que la mondialisation
généralise les déplacements et que les progrès techniques ont
considérablement accéléré les modes de transports. C’est enfin
parce que des modifications comportementales (par exemple
l’engouement croissant pour les animaux de compagnie non
conventionnels) et environnementales (en particulier le
réchauffement climatique) apportent de meilleures conditions de
rencontre entre le microbe et l’Homme ou l’animal, entre le vecteur
et l’Homme. Les zoonoses sauvages d’origine virale constituent tout
particulièrement de sévères menaces car elles peuvent être, à tout
moment, sources possibles d’émergences ou de ré-émergences
(chapitre 9).
Dans les chapitres qui suivent, nous décrirons un certain nombre
d’épidémies ou de pandémies. Nous nous attacherons à
comprendre leur genèse et à suivre leur évolution dans le temps et
dans l’espace. Ces situations seront l’occasion d’une réflexion sur
les mécanismes responsables de leurs évolutions respectives.
2
Grandeur et décadence d’une
maladie pandémique : la peste

« La peste conserve les positions où les conditions biologiques


permettaient son implantation définitive et se retire d’une bataille
en apparence perdue avec un bilan de victoire. Solidement
implantée en de nombreux points du monde, elle y attend
à partir de bases multipliées, la prochaine erreur de l’Homme ».

Marcel Baltazard, 19603

Au cours de l’histoire de l’humanité, la peste (voir encadré), s’est


régulièrement manifestée de façon foudroyante sous forme de
pandémies, dont le caractère dévastateur générait une forte intensité
dramatique. Elle fut longtemps ressentie comme une calamité
absolue. Des études récentes de biologie moléculaire sur des restes
humains de patients morts de peste au cours des trois pandémies
pesteuses successives ont montré qu’elles avaient été dues, toutes
trois, au même génotype « Orientalis » de la bactérie Yersinia pestis.

La peste

La peste est une maladie bactérienne hautement contagieuse. C’est une


maladie des rongeurs sauvages (rats, mérions, marmottes, selon les foyers),
dont la bactérie responsable, Yersinia pestis, est transmise par les puces
La maladie peut revêtir chez l’Homme trois formes cliniques différentes.
Une forme bubonique, dans laquelle le signe majeur est une inflammation du
ganglion formant une tumeur, appelée bubon, et localisée différemment
suivant le site de la piqûre infectante de la puce. Un envahissement des
poumons peut compléter la forme bubonique, c’est la peste pulmonaire, grâce
à laquelle la dissémination de la peste se fait directement d’Homme à
Homme, par l’intermédiaire de la toux et des expectorations. Cette forme de
peste est terriblement contagieuse. Dans la forme septicémique enfin, la
généralisation de l’infection entraîne la mort rapide du sujet.

Première pandémie pesteuse


La « peste de Justinien », que l’on s’accorde à considérer comme la
première pandémie que l’on puisse rattacher avec suffisamment
d’arguments à la peste, eut lieu au vie siècle après Jésus-Christ dans
l’Empire romain d’Orient. Venue d’Éthiopie, elle apparut en Égypte,
en 541, et fit le tour du Bassin méditerranéen. Sa diffusion se fit de
port à port par le cabotage. Par Antioche, la Palestine et les côtes
d’Asie mineure, elle gagna Constantinople où elle décima la moitié
de la population. Elle s’étendit ensuite à l’Italie, où elle atteignit
Rome, à la France, où, à partir de Marseille, elle gagna la vallée du
Rhône. Au nord, elle remonta par le Danube, en Autriche et en
Hongrie. Au sud, par Carthage, elle atteignit l’Espagne. Cette
pandémie s’éteignit trois siècles plus tard, après onze vagues
épidémiques.
Lorsque la peste apparut, elle déconcerta les médecins de
l’époque, tous disciples du grand Galien, qui vécut à Rome et
Pergame au iie siècle. Ceux-ci ne trouvaient pas dans les traités de
leur maître de description de la maladie, ni de conseils pour traiter
les pestiférés. C’était une maladie nouvelle pour l’époque,
émergente dirions-nous aujourd’hui, et donc d’autant plus
inquiétante. Grégoire de Tours la désigne dans son Histoire des
Francs sous le nom de «  maladie des aines  », en référence à la
forme bubonique.

La Grande Peste noire


La deuxième pandémie, ou Grande Peste noire, a ravagé l’Europe
au Moyen Âge. Venue sans doute des hauts plateaux d’Asie
Centrale, elle explosa dans le Kurdistan dans les années 1330, puis
gagna les rives de la mer Caspienne. Elle atteignit en 1348 le
comptoir génois de Caffa alors assiégé par les Tartares de la Horde
d’Or. Leur Khan Djaniberg, désespéré de voir ses troupes décimées
par la peste, alors que les assiégés se trouvaient à l’abri de la
contagion, fit catapulter des cadavres de pestiférés pardessus les
remparts. Les Génois eurent beau s’empresser de jeter les cadavres
dans le port, la peste se déclara dans la cité. Lorsque les Tartares
eurent levé le siège, les marchands génois chargèrent leurs galères
de marchandises précieuses et prirent la direction de l’Italie,
essaimant la peste sur leurs escales : Constantinople, d’où la peste
gagna Alexandrie, et le port de Messine (voir figure). La maladie se
répandit à toute la Sicile et les navires marchands l’emportèrent
jusqu’à Tunis, l’Italie et les principaux ports du sud de l’Europe. De
là, elle envahit l’ensemble de l’Europe occidentale jusqu’aux Pays
nordiques et à la Russie qu’elle atteignit en 1352.
Extension initiale de la deuxième pandémie de peste : entre 1347 et 1352 elle
parcourut l’Europe. Elle y fut ensuite épisodiquement présente jusqu’à
la fin du xviiie siècle. (Source : Brossollet et Mollaret, 1994).

Il lui avait fallu à peine cinq années pour parcourir toute l’Europe,
décimant environ le quart de la population. Il n’est pas possible de
chiffrer avec exactitude l’ensemble des décès survenus durant cette
période, faute d’état-civil. Selon un recensement ordonné par le
pape Clément VI en 1352, la peste aurait fait 25 millions de victimes
parmi les populations chrétiennes. Mais quel que soit le chiffre exact,
il est évident que la pandémie fut responsable d’une tragique
hécatombe humaine qui entraîna de profonds bouleversements
sociaux et marqua durablement les peuples atteints (voir encadré).
D’autant qu’elle demeura en Europe jusqu’à la fin du xviiie siècle, à la
fois installée de façon plus ou moins permanente en certains points,
mais aussi périodiquement ré-importée d’Orient. Entre 1348 et 1670,
c’est-à-dire durant plus de trois siècles, il n’y eut pas une seule
année où la peste ne se manifestât en un ou plusieurs points de
l’Europe. Et en France, pendant cette même période, le pays ne fut
exempt de peste que pendant 14  années. Elle revenait
régulièrement ravager les villes  : Paris en 1437, Constantinople en
1466, Venise en 1478 et 1575, Lyon en 1628, Montpellier en 1629,
Nimègue en 1635, Londres en 1665, Marseille en 1720, Moscou en
1721. Au xviiie  siècle, elle connut un déclin important, conservant
seulement quelques foyers en Europe centrale. Il n’y eut plus de
retour massif de la peste, sauf à Marseille en 1720 et à Moscou en
1771. Sa dernière apparition eut lieu en 1841 en Turquie.

Conséquences sociales de la peste

Les vides laissés dans toutes les couches de la population eurent une
incidence sur tous les aspects de la vie quotidienne. Hausses des prix,
renchérissement de la vie s’observèrent dès la deuxième moitié du
xive  siècle. L’imminence de la mort incita bien des malades à préciser leurs
dernières volontés. Mais le déroulement habituel de la rédaction d’un
testament, en présence d’un notaire et d’un ou deux témoins, n’était plus
observé et les irrégularités furent fréquentes. Souvent, ceux qui recueillaient
les dernières volontés des mourants ne les respectaient pas, et nombreux
furent ceux qui s’attribuaient des legs destinés à des héritiers légitimes.
Parfois, le mourant ignorait que son héritier était déjà mort. Bref, chaque
poussée épidémique fut à l’origine de batailles juridiques qui firent la fortune
des avocats. Les survivants s’empressaient de jouir excessivement de leur
chance. À chaque passage de la peste succédaient une hausse du nombre
de mariages et une hausse de la natalité.

La peste et le divin
Lors de la deuxième pandémie, la peste restait tout aussi méconnue
que lors de la première. « Interrogez les médecins, ils sont glacés de
peur » résumait Pétrarque en 1348. Pour l’expliquer, on invoqua des
causes aussi variées qu’une conjonction d’astres néfastes,
l’apparition de nombreuses comètes ou un désordre climatique
(déjà). L’Église, prédominante à cette époque dans le domaine des
idées, avait une explication évidente : par ce fléau, Dieu châtiait les
Hommes pour leurs péchés. Nombre des représentations picturales
du xive  siècle figurent le Christ envoyant du haut du ciel les flèches
de la peste, qui frappent les corps aux lieux de prédilection des
bubons pesteux.
D’emblée donc, la peste fut reliée au monde divin, et cette relation
avec le ciel dura tout au long de la deuxième pandémie. Elle joua un
rôle essentiel dans la lutte contre la maladie : combattre une punition
divine aurait été non seulement vain, mais aussi impie. Il n’y avait
rien d’autre à faire que d’exorciser la colère divine par la prière et par
la procession. Qui prier  ? Dieu bien sûr. Mais la meilleure manière
de le fléchir était de faire intercéder la Vierge Marie, sa mère (voir
encadré).

La Vierge protectrice de la peste

Selon la légende de Saint Grégoire, c’est en purifiant l’air que la Vierge prit,
en 590, sa place de grande protectrice contre la peste. Celle-ci, en effet,
s’était déclarée à Rome en 589, dans un contexte de guerre (les Lombards
assiégeaient la ville depuis 23  ans), de famine et d’inondation. Dès les
premiers cas de peste, ce fut la terreur dans la population qui ne pouvait fuir.
Les morts trop nombreux furent jetés dans des fosses, ou entassés dans des
barques dérivant jusqu’à la mer. Aussi, lorsqu’en 590 mourut le pape Pelage
II, l’élection de son successeur fut aussitôt décidée. Le sénat, le clergé et le
peuple élirent d’un commun accord un saint moine, Grégoire, qui leur parut
être le seul à pouvoir apaiser la colère divine. Selon la Légende Dorée,
lorsque Grégoire mena la procession en tenant l’image de la Bienheureuse
Marie Toujours Vierge, l’air corrompu et infecté s’écarta pour faire place à
l’image. Parvenus devant le môle d’Hadrien, les pèlerins virent apparaître
l’Ange du Seigneur remettant son épée au fourreau et arrêtant l’épidémie.
Coïncidence, la peste décrut à partir de 590 et abandonna Rome pour un
temps.

La protection de Marie contre le fléau fut symbolisée dans la


peinture religieuse par son manteau. Longtemps sur les tableaux, le
manteau de la Vierge n’avait abrité que des moines et des
religieuses. Mais au xve  siècle, des laïques (rois, nobles, paysans,
bourgeois) remplacèrent les religieux, indiquant que l’humanité tout
entière cherchait refuge et protection auprès de la Vierge.
Première protectrice contre la peste, Marie fut rapidement rejointe
par de nombreux saints guérisseurs, en particulier Saint Sébastien
en 680. Au iiie siècle, Sébastien était officier de la garde impériale de
Dioclétien, qui le chargea de conduire les Chrétiens au supplice.
Témoin de leur foi, il se fit baptiser et quitta le service impérial.
Condamné à mort par Dioclétien, il fut attaché à un arbre et criblé de
flèches par les archers Numides de l’Empereur. Laissé pour mort, il
fut secouru par la pieuse Irène qui le soigna et le guérit. Repris
ensuite par les hommes de Dioclétien, il fut fouetté à mort et son
corps jeté dans la Cloaca Maxima, le grand égout de Rome. Trois
siècles plus tard, lors de la peste de 680, son culte apparut comme
intercesseur contre la peste  : parce qu’il survécut aux flèches des
hommes, il fut chargé de les protéger contre les flèches de Dieu.
Son culte persista jusqu’à la fin du xviiie siècle.
Au xiie  siècle fut introduit le culte de Saint Roch. Celui-ci était né
dans une famille aristocratique de Montpellier. Son père lui laissa sa
fortune à condition qu’il l’utilise pour les pauvres et les infirmes.
Quand il eut distribué sa fortune, il partit en pèlerinage à Rome où il
resta plusieurs années au service d’un évêque qu’il soigna et guérit
de la peste. Il soigna également les malades pesteux dans le nord
de l’Italie et en fut lui-même atteint. Mais il en réchappa,
miraculeusement secouru par un chien, qui chaque jour lui apportait
un peu de viande. Revenu à Montpellier, il fut soupçonné
d’espionnage et jeté dans un cachot où il mourut en 1327. Il devint
alors un saint guérisseur très populaire, invoqué contre la peste et
les maladies contagieuses. Un culte est rendu à Saint Roch en
France, en particulier à Montpellier, en Italie, où l’église San Rocco
de Venise fut construite pour abriter ses os, et en Allemagne, où
plusieurs hôpitaux ont porté son nom.
Un certain nombre de personnes, constatant que la prière n’était
pas suffisante pour racheter les péchés des Hommes, s’infligèrent
des mortifications, se flagellant au cours de séances publiques. Ce
mouvement prit de l’ampleur, et, à partir de 1348, de longs cortèges
de « Flagellants » parcoururent l’Italie, la France, l’Allemagne et les
Flandres. Ces flagellants se disaient envoyés par la Vierge. Nus
jusqu’à la ceinture, ils se fouettaient le dos durant 33 jours. Accusés
de s’arroger une autorité mettant la société en danger, ils furent
excommuniés.
Lorsque les foules constatèrent que ni les médecins, ni les
processions, ni les prières n’arrêtaient la peste, elles cherchèrent
des boucs émissaires, et dès 1348, les Juifs furent accusés d’avoir
empoisonné les fontaines. Des bûchers s’allumèrent partout en
Europe. On brûla des Juifs en Espagne, en Provence, en Suisse, en
Allemagne, dans les Flandres, tandis que leurs biens étaient
confisqués et entraient dans les recettes des églises et des
communes.
À Mayence, 12 000 Juifs furent brûlés en quelques jours, et le feu
fut si intense qu’il fit fondre le plomb des vitraux de l’église Saint-
Quirius auprès de laquelle se dressaient les bûchers. Pourtant, dès
les premiers autodafés, en 1348, le pape Clément  VI s’était élevé
contre ces massacres, menaçant d’excommunication ceux qui
tuaient et pillaient. Mais les massacres se poursuivirent jusqu’à la fin
du xive siècle.
Par la suite, le besoin de victimes expiatoires se porta sur des
« semeurs de peste », accusés de fabriquer des onguents avec du
pus de bubon, et d’en enduire, d’en « graisser » des objets afin de
répandre la peste et de profiter des troubles sociaux pour voler les
habitations. La lutte contre les «  graisseurs  » qui marquaient les
portes et les rampes d’escaliers pour répandre la peste s’organisa. À
Lyon, en 1628, on pendit les semeurs de peste avec un écriteau
autour du cou : « engraisseur de porte et infecteur public ».
L’arrivée de la peste semait l’épouvante dans les populations et
engendrait des réflexes de panique, dont le principal était la fuite.
L’exemple venait d’ailleurs d’en haut  : des souverains comme
Charles V, François Ier ou Henri III, fuirent la peste. Les nobles et les
bourgeois fortunés firent de même, emportant leurs biens qui leur
permettaient de subsister ailleurs. Les pauvres, eux, ne sachant où
aller, demeuraient sur place, sans travail ni ressources, une situation
qui participa à de nombreuses remises en cause. L’un des
pamphlets de Luther, qui refusa de fuir Wittenberg lorsque la peste
atteignit la ville, s’intitulait  : «  A-t-on le droit de s’enfuir lors des
épidémies  ?  ». La fuite de certaines parties de la population
participait d’ailleurs à la diffusion de la peste. Certains parmi les
fuyards étaient déjà contaminés et transportaient le mal avec eux,
contaminant de nouvelles localités.

La peste et les médecins
Une forte proportion des médecins s’enfuirent devant la peste, à la
fois par peur de la contracter, mais aussi parce qu’ils étaient très
démunis devant cette maladie qu’ils ne connaissaient pas. Leur
maître à penser, Hippocrate ne conseillait-il pas, en cas d’épidémie,
de « fuir le plus tôt, le plus loin et revenir le plus tard possible » ? Le
célèbre médecin anglais Sydenham expliqua son départ de Londres
pendant la peste de 1665 par le fait qu’il ne voyait aucune raison de
demeurer dans la capitale que ses riches patients avaient désertée.
Pour traiter les pestiférés, les médecins avaient peu de moyens.
Ils avaient observé qu’un pestiféré dont le bubon s’abcédait et se
vidait spontanément avait des chances de survie. Ils essayaient
donc de créer la suppuration des bubons, et, pour ce faire, Guy de
Chauliac y appliquait un mélange de figues et d’oignons cuits, puis
les chirurgiens-barbiers incisaient et cautérisaient ensuite la plaie.
Ce traitement n’avait en réalité pas grand succès.
Un petit nombre de médecins seulement restèrent à leur poste,
comme Guy de Chauliac en Avignon, le Suisse Conrad Gesner, ou
Johann Pauludanus à Lübeck. Et beaucoup des médecins qui
soignèrent les pestiférés moururent victimes de leur devoir, tel
Gentile da Foligno, à Pérouse.

La peste et les gens d’Église


À l’inverse, les gens d’Église se signalèrent, en général, par un
dévouement exceptionnel. Certes, durant la deuxième pandémie,
quelques religieux s’enfuirent ou, comme les moines de l’abbaye
Saint-Victor à Marseille s’enfermèrent soigneusement, ne
réapparaissant qu’après la fin de l’épidémie. Mais la plupart firent
face au danger, réconfortant les malades, leur permettant de ne pas
mourir sans confession. Lorsque les autorités civiles avaient fui, ce
furent les prêtres qui menèrent la lutte contre le fléau. Souvent, les
prêtres et les médecins s’associaient aux efforts des bureaux de
santé. C’était une occasion pour les gens d’Église d’entretenir la
vieille croyance selon laquelle Dieu châtiait les pécheurs. Écoutées
distraitement en d’autres temps, ces exhortations avaient un profond
retentissement en période d’épidémie. Des figures exemplaires ont
marqué les mémoires  : monseigneur de Belsunce, évêque de
Marseille, ou Charles Borromée, évêque de Milan. Celui-ci, pendant
l’épidémie de peste de 1576, parcourait chaque jour les rues
jonchées de malades et de morts, consolant et réconfortant. Il prit
avec le bureau de santé des mesures énergiques. Mort en 1584, il
fut canonisé en 1610.
Les Capucins ont montré partout au xviie  siècle un dévouement
total et leurs noms sont rappelés dans les archives de Rouen,
d’Agen, de Toulouse ou de Montpellier, en Savoie, en Vivarais, en
Franche-Comté ou en Belgique. Les Franciscains ont laissé
d’émouvants souvenirs en France, en Italie et en Allemagne. Le
dévouement des religieux trouvait parfois sa récompense, des biens
leur étant attribués pour les aider à vivre et œuvrer au milieu de
l’épidémie. Mais, le plus souvent, ces remerciements arrivaient trop
tard. À Bordeaux en 1629 tous les religieux de l’hôpital des
pestiférés succombèrent (voir encadré ci-dessous).

La peste noire à l’origine de la Réforme ?

La démographie religieuse fut bouleversée par cette deuxième pandémie.


Nombreux furent les gens d’Église qui disparurent avec leurs patients. Des
ordres religieux entiers furent décimés. Ainsi, en octobre  1637, le pape
Urbain VIII autorisa les Capucins de Franche-Comté de faire rapidement des
ordinations, afin de remplacer quatre-vingts des leurs, morts.
Le dépeuplement des monastères et des abbayes imposa le recrutement
de moines souvent ignorants et cupides, qui contribuèrent à discréditer
l’Église. La disparition des moines érudits et fins lettrés eut parfois des
conséquences inattendues. Ainsi la pratique du français, langue officielle
outre-Manche depuis la conquête de Guillaume le Conquérant, s’éteignit
faute d’enseignement par les moines décimés par le fléau, le peuple anglais
imposant dès lors sa langue vernaculaire. Mais surtout cette détérioration du
clergé constitua un des ferments de la Réforme.

Les débuts de l’organisation sanitaire


La République de Venise fut, à la fin du xive  siècle, la première à
prendre des mesures de lutte collective contre la peste, avec la
nomination de Provveditori alla sanita, chargés d’édicter des
règlements. Au xve  siècle, en France, certaines villes eurent un
«  bureau de santé  » avec à sa tête un «  capitaine de la peste  »
chargé de faire appliquer par les membres du bureau les règlements
qui furent ordonnés ville par ville, puis province par province, et au
xviie  siècle, par certains états. Il s’agissait d’engager le personnel
chargé de nettoyer les rues, transporter les ordures hors de la cité,
signaler les maisons infectées soit par une croix peinte sur la porte,
soit par une botte de paille suspendue au-dessus de la porte,
ramasser les morts dans des charrettes et les enterrer dans des
fosses communes, assurer la garde permanente aux portes de la
ville (en empêchant d’entrer ou de sortir sans permission). Les
bureaux de santé appointèrent des «  médecins de peste  » et des
«  chirurgiens de peste  », chargés de soigner uniquement les
pestiférés. Pour être reconnus dans la rue, médecins et chirurgiens
de peste portaient à la main une baguette (rouge, jaune ou blanche,
selon les villes). On leur assigna souvent un logement séparé, près
des lazarets4.
En 1619, durant un passage de la peste à Paris, le médecin de
Louis  XIII formé au Collège Royal de médecine de Montpellier,
Charles Delorme, inventa un costume destiné à le protéger des
miasmes responsables selon lui de la maladie. Ce costume,
composé d’une ample robe à longues manches et d’un masque dont
les yeux étaient de cristal et le long nez empli de parfum (voir figure).
Ces médecins, parfaitement protégés des puces par le costume, ne
contractèrent pas la peste. Ils y virent une confirmation à leur théorie
que les miasmes inhalés étaient responsables de la maladie.

Costume de médecin de la peste inventé par Charles Delorme. Il fut porté en Italie


pendant la peste de Rome en 1656, et à Marseille en 1720 par François
Chicoyneau, Régent de la Faculté de Médecine de Montpellier, envoyé en mission
dans la ville contaminée par Pierre Chirac, premier médecin du Régent. (Source :
gravure de Paul Fürst (1656) © Wikimedia Commons.
Miasmes ou contagion ?
Mais, qu’étaient donc ces miasmes directement issus de la
Médecine hippocratique ? Le médecin anglais Boghurst en donna au
xviie siècle une définition aussi creuse qu’inefficace « une exhalaison
subtile, particulière, infectante, émanant de la putréfaction des
excréments de la terre et répandue dans l’air par la chaleur du
soleil ». Le problème de la théorie des miasmes est qu’elle impliquait
la non-contagiosité de la peste. Selon les tenants de cette théorie,
«  les miasmatiques  », pour se protéger, il fallait interposer entre le
malade et le médecin des plantes aromatiques (en particulier dans le
nez du masque du médecin), la flamme d’une bougie ou d’un cierge,
ce qui donna la coutume d’allumer des feux pour purifier l’air. Et s’ils
préconisaient l’isolement des pestiférés, c’était surtout en raison de
la corruption de l’air qu’ils expiraient.
On se mit aussi en devoir de protéger certaines catégories
exposées de la population. Les personnels des bureaux de santé se
protégeaient en fumant du tabac. On imagina de détruire les
miasmes qui pouvaient être contenus dans les lettres cachetées, en
les plaçant sur un petit brasero, après les avoir perforées à l’aide de
pinces pourvues de pointes. Pour désinfecter les monnaies, on
utilisa des préparations à base de vinaigre, dont chaque apothicaire
avait une recette. L’une d’elles, le «  vinaigre des quatre voleurs  »,
infusion de diverses herbes et aromates dans du vinaigre, eut un
large succès.
Mais tous les médecins ne partageaient pas les vues de Charles
Delorme et autres tenants de la théorie miasmatique. Ceux qui
pensaient que la maladie était contagieuse préconisaient la
séparation des malades de leur entourage encore sain. À partir du
xvie siècle, ces « contagionnistes » obtinrent l’isolement des pesteux,
d’abord dans leur maison, enfermés avec tous les habitants de celle-
ci, la porte clouée, avec interdiction de sortir, et gardée ainsi jusqu’à
la mort du dernier d’entre eux. Les pesteux furent ensuite regroupés
dans la cité, puis emmenés hors de la ville, dans des établissements
sommaires constitués de cabanes hâtivement construites et qui
étaient brûlées après le dernier cas.
Toute une série de mesures visant à limiter les attroupements et
réglementer les voyages furent progressivement édictées. Les foires
et les marchés furent interdits, l’approvisionnement de la population
relevant du bureau de santé. Les bateaux devaient présenter une
«  patente  », qui était «  nette  » s’ils arrivaient d’un port non
contaminé, ou « brute » s’ils arrivaient d’un pays contaminé. Et dans
ce dernier cas, le bateau devait faire « quarantaine » avant d’entrer
au port, les voyageurs malades étant conduits dans un
établissement dédié, appelé lazaret, du vénitien lazzaretto, du nom
d’un îlot sur la lagune de Venise, où fut édifié en 1468 par la
République de Venise un établissement de mise en quarantaine
destiné à prévenir la contagion des maladies apportées par les
équipages ou les passagers des bateaux. L’ensemble de ces
mesures contribua à réduire notablement l’expansion de la peste à
l’intérieur des villes.
Au demeurant, cette deuxième pandémie pesteuse qui se solda
par une effroyable catastrophe humanitaire, amena peu d’acquis
dans le domaine de la compréhension de la maladie. C’est tout juste
si sa connaissance clinique et épidémiologique progressa. Guy de
Chauliac, gloire de l’Université Médicale de Montpellier au xive siècle,
décrivit en 1348 les deux formes majeures de la peste : bubonique
et pulmonaire. En fin de pandémie, la notion de contagion s’imposa
parmi le corps médical et les mesures d’isolement des pestiférés et
de quarantaine commencèrent à porter leurs fruits, mais elles ne
suffisent pas à expliquer le recul de la peste. D’autres causes ont été
invoquées  : remplacement de l’habitat en torchis, favorable aux
rongeurs par des maisons de brique et pierre, arrivée en Europe
vers 1727 d’une nouvelle espèce de rat, le surmulot, Rattus
norvegicus, moins proche de l’Homme que le rat noir, Rattus rattus,
qui prédominait avant lui, mais aussi plus résistant à la peste, car
porteur de Yersinia pseudotuberculosis, bacille mutant de Yersinia
pestis et d’immunité croisée avec lui. Mais toujours est-il que la
pandémie s’éteignit et que la peste disparut d’Europe à la fin du
xviiie siècle.
Troisième pandémie pesteuse
La troisième pandémie pesteuse fut réellement mondiale, puisqu’elle
atteignit tous les continents. Ayant débuté vraisemblablement dans
la province du Yunnan, en Chine, vers 1840, elle s’étendit dans ce
pays à la faveur de désordres sociaux et atteignit en 1894 le port de
Canton, où elle fit 100  000 victimes. Elle gagna rapidement Hong
Kong, importante place commerciale et colonie de la Couronne
britannique depuis 1842, d’où elle dissémina dans le monde par voie
maritime. Elle s’étendit rapidement à l’ouest vers l’Inde (Calcutta en
1895, Bombay en 1896) et à l’est vers les Philippines, Kobé, au
Japon, Hawaï, et Brisbane en Australie en 1899. Depuis Bombay, la
peste poursuivit sa progression vers l’ouest, gagnant Tamatave, à
Madagascar, en 1898, Alexandrie, en Égypte, et Porto, au Portugal,
en 1899. Le continent américain fut également atteint en 1899, à la
fois par le nord, à San Francisco à partir d’Hawaï, et par le sud, à
Santos, au Brésil à partir de Porto. D’Amérique du Sud, elle revint en
Afrique par Le Cap en 1900. On la retrouva enfin à Java en 1911 et
Ceylan en 1914.
Dans tous les pays, à partir du port d’entrée, la peste gagna les
territoires adjacents, multipliant les victimes. Elle fit 13 millions de
morts en Inde entre 1898 et 1948. L’Europe occidentale fut, à de
rares exceptions près, épargnée par la troisième pandémie. On y
déplora à peine un millier de cas au Portugal et quelques centaines
à Paris de 1918 à 1920 ou à Marseille (1920).
En Mandchourie on assista, en 1910, à une épidémie de peste
pulmonaire, dont la genèse mérite d’être contée car elle est
démonstrative de l’importance des facteurs humains dans le
déclenchement des épidémies. La mode des manteaux de fourrure
en peau de marmotte faisant fureur à Paris et à Londres, les
commandes de peaux de marmottes s’intensifièrent dans les
factoreries. Mais l’approvisionnement vint à manquer, les trappeurs
mandchous refusant de piéger les marmottes dont ils avaient
observé la mortalité spontanée. Les marchands, soucieux de
poursuivre leur lucratif négoce, embauchèrent une main-d’œuvre
inexpérimentée qui se trouvait sur place. C’est ainsi que les familles
des ouvriers construisant un tronçon du Transsibérien furent
chargées de la capture des marmottes et firent les frais de
l’opération qui se solda par 50 000 morts en cinq mois.

La découverte du bacille pesteux


C’est durant cette troisième pandémie que fut élucidée la nature
infectieuse de la maladie. En quelques années, tous les éléments de
son complexe pathogène furent identifiés par des Pastoriens des
Instituts Pasteur d’Indochine. À quelques années d’intervalle furent
découverts le microbe responsable de la maladie, le bacille de la
peste, et son réservoir, le rat, par Alexandre Yersin, ainsi que son
vecteur, la puce, par Paul-Louis Simond. Cette pandémie survenait
en effet en pleine révolution scientifique, à un moment où les travaux
de Louis Pasteur (voir encadré) et de Robert Koch (voir encadré)
avaient démontré l’origine microbienne de certaines maladies.

Louis Pasteur (1822-1895)

Chimiste formé à l’École Normale de Paris, Pasteur révolutionna la


Médecine avec sa découverte du rôle pathogène des microbes. Après avoir
réfuté la génération spontanée, il démontra que les fermentations étaient
dues à des organismes vivants microscopiques, les levures. Après l’étude
des maladies des vers à soie, ses travaux sur les bacilles du charbon et du
choléra des poules firent non seulement le lien entre microbe et infection,
mais conduisirent à la notion d’atténuation de la virulence, et à son
application magistrale avec la vaccination. La démonstration expérimentale
de l’efficacité de la vaccination animale dans le cas de la maladie du charbon,
que Pasteur apporta lors de son expérience publique de Pouilly-le-Fort
(1881), lui permit d’aborder la vaccination humaine contre la rage. Son
succès dans ce domaine eut un retentissement mondial qui conduisit, grâce à
une souscription publique internationale, à la construction d’un institut, que
Pasteur définissait, lors de son inauguration le 14 novembre 1888, comme un
«  dispensaire pour le traitement de la rage, centre de recherches pour les
maladies infectieuses et centre d’enseignement pour les études qui relèvent
de la microbie ».
Alexandre Yersin (voir figure) avait suivi le « Cours de Microbie »
que délivrait, depuis 1888, Émile Roux, un disciple de Pasteur. Il
avait intégré l’Institut Pasteur et avait travaillé aux côtés de Roux,
aussi bien dans ses recherches (ils découvrirent tous deux la toxine
diphtérique, en 1889) que dans son enseignement. Après quatre
années passées à l’Institut Pasteur, il l’avait quitté pour s’engager en
Indochine comme médecin sur la ligne Saigon-Haiphong des
Messageries Maritimes. Passant et repassant devant le site de
Nhatrang, il conçut le projet de s’y faire débarquer et de mener à
partir de ce village l’exploration de la chaîne annamitique inconnue à
cette époque. Il réalisa ce projet en juillet  1891 et prit goût à
l’aventure. D’abord en congé des Messageries Maritimes, puis ayant
quitté définitivement la compagnie, il consacra les deux années
suivantes à l’exploration des pays moïs. La survenue de la troisième
pandémie de peste au sud de la Chine en 1894, allait ramener
Alexandre Yersin à la microbiologie et à l’Institut Pasteur. Craignant
en effet que la peste ne passe du Yunnan au Tonkin voisin, le
Ministère des colonies demanda à l’Institut Pasteur d’étudier la
nature du fléau et les moyens de le prévenir. Le directeur de l’Institut
Pasteur requit Alexandre Yersin pour aller à Hong Kong
entreprendre ce travail.
Alexandre Yersin (1863-1943) découvrit le bacille de la peste à Hong Kong
en 1894. © Institut Pasteur.

En un temps extrêmement court, dans une paillote installée en


laboratoire de fortune, et malgré la mauvaise volonté des autorités
anglaises désireuses de favoriser les travaux du japonais
Shibasaburo Kitasato qu’ils avaient appelé en renfort, Alexandre
Yersin isola, décrivit et cultiva le bacille de la peste. Il souligna
également le rôle de réservoir joué par le rat, et ceci à la barbe, si
l’on peut dire, de Kitasato dont les appuis locaux et les moyens
matériels étaient importants, et qui disposait d’une étuve à 37°,
comme c’était la règle pour la recherche des germes infectieux. Le
dénuement matériel de Yersin fut d’ailleurs la condition de sa
réussite. Yersin, en effet, ne possédait que son microscope
personnel et un autoclave prêté par l’Hôpital de Saigon, mais pas
d’étuve, ce qui le condamnait à garder ses cultures à température
ambiante. Là fut sa chance  : les températures moyennes à Hong-
Kong étaient de 27  °C en juin et de 28,4  °C en juillet, c’est-à-dire
celles qui convenaient le mieux au développement en culture du
bacille de la peste. La concurrence fut rude autour de la paternité du
germe de la peste, en raison de la mauvaise foi de Kitasato et de
James A. Lawson, son correspondant britannique sur place. Kitasato
isola du sang de pestiférés une bactérie qu’il crut être l’agent de la
peste, mais qui s’avéra être un pneumocoque. Yersin rechercha le
microbe directement dans les bubons de cadavres morts de peste,
qu’il allait prélever clandestinement dans les caves de l’hôpital grâce
à la complicité intéressée du personnel. Il n’existe aujourd’hui aucun
doute sur la paternité exclusive d’Alexandre Yersin dans la
découverte du bacille qu’il nomma d’abord Pasteurella pestis, et qui
fut rebaptisé Yersinia pestis en 1974 en hommage à son découvreur.

Le sérum antipesteux
En avril  1895, Alexandre Yersin fut rappelé à Paris pour participer
dans le laboratoire d’Émile Roux, aux travaux entrepris par Albert
Calmette et Amédée Borrel, sur les cultures du bacille de la peste
qu’il avait envoyé de Hong Kong. D’avril à juillet  1895, les trois
hommes travaillèrent d’arrache-pied sur l’atténuation du bacille, dans
l’espoir d’obtenir une souche pouvant convenir à la mise au point
d’un vaccin. En fait, ces résultats permirent aux trois chercheurs
l’immunisation du cheval et l’obtention d’un sérum antipesteux, dont
l’injection protégeait le lapin, le cobaye et la souris contre
l’inoculation du bacille de la peste. Ces résultats permettaient
d’envisager le traitement et la guérison de la peste humaine. Ils
servirent d’argument principal à Yersin pour la création d’un nouvel
Institut Pasteur, à Nhatrang, susceptible d’assurer la préparation du
sérum antipesteux en grande quantité.

La découverte de la transmission
En 1897, Paul-Louis Simond (1858-1947), qui également venait de
suivre le « cours de microbie » et travaillait depuis un an et demi à
l’Institut Pasteur, était nommé à la tête de l’Institut Pasteur de
Saigon, créé en 1891 par Albert Calmette. Son ordre de mission
précisait qu’il pourrait s’arrêter à Bombay pour expérimenter le
sérum antipesteux, à l’occasion d’une nouvelle poussée épidémique.
Il fit là ses premières constatations sur l’infestation des puces par le
bacille pesteux. Mais il ne put s’éterniser et dut poursuivre sur
Saigon. Il prit la tête du laboratoire dont il commença la
réorganisation, mais fut rappelé dès 1898 en Inde, où il réalisa à
Karachi son expérience décisive démontrant le rôle joué par la puce
comme vecteur du bacille pesteux. Il introduisit dans un grand bac
de verre un rat moribond capturé dans la maison de pestiférés, ainsi
qu’une cage grillagée contenant un rat sain. Les deux animaux ne
pouvaient se toucher, mais le grillage laissait passer les puces. Cinq
jours après la mort du rat pesteux, le rat sain tombait malade à son
tour et mourait en présentant des bubons inguinaux et axillaires, une
congestion du foie et de la rate, où fourmillaient les bacilles pesteux.
Bien que les travaux de Yersin et de Simond aient apporté la
preuve du rôle du rat et de la puce dans le cycle épidémiologique de
la peste, il fallut attendre cinq ans pour que la Convention
internationale sanitaire rende obligatoire la destruction des rats sur
les bateaux infectés.
Il est parfaitement établi aujourd’hui que la transmission du bacille
pesteux, que ce soit au rat ou à l’Homme, se fait par le biais des
puces du rat  : Xenopsylla cheopis dans les régions chaudes et
Nosopsyllus fasciatus dans les régions tempérées.

La vaccination antipesteuse
On ne peut clore ce court chapitre sur les découvertes
fondamentales réalisées dans le domaine de la peste sans évoquer
un pastorien plus mineur, Waldemar Haffkine (1860-1930). Cet
émigré russe d’Odessa, qui avait travaillé à l’Institut Pasteur, à Paris,
dans le laboratoire de Metchnikoff, entreprit en 1891 ses travaux sur
la vaccination contre le choléra. En 1896, le gouvernement indien
l’invita à se rendre à Bombay pour y étudier l’épidémie de peste
bubonique. Il y prépara un vaccin antipesteux, la «  lymphe
haffkinienne », qu’il essaya sur des rats, puis sur lui-même, et enfin
sur des prisonniers. Les résultats furent jugés suffisamment
encourageants pour que, dans les mois suivants, plus de 11  000
habitants de Bombay fussent vaccinés à leur tour. Pour répondre à
la très forte demande du pays, fut créé en 1899 le Plague
Reasearch Laboratory dont Haffkine assura la direction jusqu’à son
départ d’Inde en 1914. Ce vaccin ne prévenait pas la peste, mais
faisait fortement chuter sa mortalité.
À l’Institut Pasteur de Madagascar, Georges Girard travailla durant
18 ans à l’étude de la peste qui avait fait son apparition sur les Hauts
Plateaux malgaches en 1919. Avec Jean Robic, il développa en
1933 un vaccin vivant atténué. Une souche de bacille pesteux isolée
à Madagascar en 1926 d’un enfant mort de peste et dont les deux
premières lettres du nom passèrent à la postérité (EV) fut cultivée
pendant six ans. Elle perdit son pouvoir pathogène pour l’animal par
atténuation en milieu bilié, tout en conservant un pouvoir protecteur
élevé, permettant la vaccination de cobayes, souris, rats et
lémuriens. Les premiers essais de vaccination humaine eurent lieu
en 1932, sur des lépreux et sur Jean Robic lui-même. En
janvier  1933, le vaccin EV fut expérimenté sur 1  600  volontaires
vivant dans une région où sévissait une épizootie murine.
L’évaluation fut plus que satisfaisante avec une réduction de plus de
deux tiers de la mortalité par la peste bubonique chez les sujets
vaccinés. Le vaccin EV fut dès lors produit massivement et utilisé à
grande échelle sur les Hauts Plateaux, où plus de dix millions de
doses individuelles furent injectées en 28  ans. Les effets furent
spectaculaires  : l’incidence annuelle de la peste à Madagascar
passa en quelques années de 3 600 cas (avec 95 % de mortalité) à
moins de 200 en 1935. Ce vaccin, qui sauva des milliers de
personnes à Madagascar, fut également utilisé dans les foyers de
peste d’autres régions du monde (Afrique du Sud, Congo belge, ex-
U.R.S.S.) jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, où les
sulfamides, les antibiotiques et le DDT récemment découverts
prirent le relais de la vaccination pour lutter contre ce fléau.
En effet, dès le milieu du xxe  siècle, la peste bénéficia des
avancées de la chimiothérapie anti-infectieuse, que furent la
découverte des sulfamides et des antibiotiques. Les cas humains
furent efficacement traités dès 1938 par les sulfamides, et dès 1946
par l’emploi de la streptomycine, antibiotique découvert en 1943 par
Selman A.  Waksman aux États-Unis, à partir d’un champignon
Streptomyces du sol. Depuis cette époque, les cas de peste sont
efficacement traités par injections intramusculaires de
streptomycine, amenant une guérison quasi certaine des patients
d’une maladie dont l’évolution spontanée se ferait vers la mort dans
plus de la moitié des cas.

Situation actuelle
À la fin de la troisième pandémie, la peste ne disparut pas de la
surface du globe. Elle resta limitée à des foyers naturels résiduels,
dans lesquels son cycle sauvage se maintient, et que l’on dit
« foyers invétérés ». Le grand spécialiste de la peste que fut Marcel
Baltazard (1908-1971), en fit une démonstration remarquable, au
Kurdistan iranien, où l’étude qu’il mena de 1947 à 1963 constitue un
modèle d’enquête épidémiologique qui permit la compréhension du
cycle naturel de cette maladie.

La peste endogée
Le bacille pesteux se maintient dans les terriers des rongeurs
sauvages, les mérions. Le passage du bacille d’un animal à l’autre
se fait par l’intermédiaire de la puce qui va de rongeur à rongeur
avec son contenu infectant. Un enfant d’un village voisin vient-il
jouer avec un rongeur qu’il trouve mort ou mourant, il est piqué par
les puces de l’animal et ramène la maladie au village. C’est le début
d’une épidémie humaine. Au début, les cas sont buboniques, limités
à l’entourage de l’enfant. Puis la peste prend la forme pulmonaire,
hautement contagieuse, qui passe d’Homme à Homme très
facilement, par voie aérienne, favorisant la dissémination du
microbe. L’épidémie peut rester limitée au village, ou s’étendre à la
région, au pays, ou au-delà, suivant les comportements humains.
Pendant ce temps, la peste sauvage poursuit son destin
autonome, dans le foyer naturel. Lorsque les rongeurs ont été
décimés par la peste, leurs puces disparaissent également, et, avec
elle, la maladie pourrait-on penser. Il n’en est malheureusement rien,
car le bacille pesteux peut se conserver des années durant dans le
sol des terriers de rongeurs. De sorte que, lorsque de nouvelles
populations de rongeurs viennent coloniser un terrier anciennement
infecté, elles contractent à leur tour le bacille pesteux qui se
maintenait en attente dans le sol. C’est ce que Marcel Baltazard
appela la «  peste endogée  », gage du maintien permanent de la
maladie dans certaines régions du monde, les foyers invétérés de
peste. Suivant les foyers, les espèces de rongeurs changent et les
modalités précises de la dynamique des foyers peuvent varier  :
gerbilles en milieu désertique, mérions en zone aride, marmottes
dans les steppes d’Asie Centrale. Mais quelle que soit l’espèce, le
principe est le même que celui magistralement décrit par Baltazard
en Iran. Le risque pour l’Homme augmente lorsque sont atteints les
rats, qui vivent proches de l’Homme, rat noir dans les zones rurales
et surmulot dans les villes et les ports.

Les foyers invétérés de peste


Il n’y a plus eu de pandémie pesteuse, depuis la fin de la troisième,
en 1910. Pourtant la maladie reste présente dans de nombreux pays
d’Afrique subsaharienne, d’Asie et d’Amérique. Entre 1989 et 2003,
25 pays ont déclaré plus de 38 000 cas de peste, dont environ 30 %
ont été mortels. La majorité des cas rapportés provenaient d’Afrique
(Algérie, Bostwana, Kenya, Madagascar, Malawi, Mozambique,
Namibie, Ouganda, République Démocratique du Congo, Tanzanie,
Zambie et Zimbabwe). Les deux autres continents infectés étaient
l’Asie (Chine, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Laos, Mongolie,
Myanmar et Vietnam) et l’Amérique (Brésil, Bolivie, Pérou et même
aux États-Unis). Plus récemment encore, en 2007, de petites
épidémies de quelques dizaines de cas se sont produites dans
plusieurs pays d’Afrique et à Madagascar.

L’avenir de la peste
On le comprend, tant qu’il y aura des rongeurs sur terre, il y aura des
puces et du bacille pesteux et la peste ne disparaîtra pas de la
surface du globe. Elle reste cantonnée dans les foyers invétérés,
d’où elle peut être à l’origine de quelques cas humains sporadiques,
voire de petites épidémies. Mais la question cruciale est de savoir si
elle peut se répandre à travers le monde en une pandémie aussi
meurtrière que les précédentes. Les quelques démarrages
épidémiques auxquels nous avons assisté depuis la fin de la
troisième pandémie, et qui ont tous été rapidement jugulés apportent
un début de réponse.
Ainsi, à Paris en 1920, une épidémie apparut dans les 18 et
19e  arrondissements et dans les communes voisines, parmi une
population essentiellement constituée de chiffonniers vivant dans
des conditions de grande insalubrité. Cette épidémie, consécutive à
l’arrivée d’une péniche de charbon venant de Londres, fut
rapidement maîtrisée par la vaccination d’environ 1 000 personnes,
en contact ou dans l’entourage des sujets infectés. Cette «  peste
des chiffonniers  » fit néanmoins une trentaine de victimes sur
environ 90 personnes atteintes.
En Inde, après avoir disparu pendant plus de trente ans, deux
épidémies de peste de plusieurs milliers de cas se déclarèrent à
nouveau en 1994 dans l’état du Maharashtra, dont la capitale est
Bombay, et dans celui du Gujerat, au nord de Bombay, suivant des
pullulations de rats. Les maladies furent essentiellement de forme
bubonique dans un cas et pulmonaire dans l’autre. Le fléau fut
endigué grâce aux traitements antibiotiques des patients et à des
mesures de lutte antivectorielle, avec insecticides et raticides.
Entre 2010 et 2015, plus de 3 000 cas de peste (dont presque 600
mortels) ont été observés dans le monde, principalement à
Madagascar, en République démocratique du Congo et au Pérou.
Une forte épidémie de peste pulmonaire a fait environ 200 victimes à
Madagascar en 2017, et la peste bubonique vient de réapparaître en
Chine, en 2020. On le voit, la peste reste d’actualité et une
surveillance rigoureuse s’impose dans les foyers invétérés.
La connaissance que nous avons aujourd’hui de l’épidémiologie
de la peste, les moyens de lutte à notre disposition (insecticides et
raticides) et la disponibilité en médicaments anti-infectieux
(sulfamides et antibiotiques) rendent improbables dans l’avenir des
épidémies de grande amplitude, et a fortiori une nouvelle
dissémination pandémique. Il ne faudrait pourtant pas rester sur
cette impression de sécurité. L’histoire de la microbiologie fournit
plusieurs exemples de renversements soudains de situations. Les
substances permettant le contrôle d’un microbe ou de son vecteur
peuvent perdre leur efficacité, le microbe ou le vecteur devenant
progressivement résistants. L’émergence de souches de Yersinia
pestis résistantes aux antibiotiques, outre qu’elle compliquerait la
prise en charge des cas, pourrait amener une reprise évolutive de la
maladie. Une surveillance des foyers invétérés s’impose donc afin
de n’être pas pris au dépourvu en cas de résurgence de la peste.
Les risques de bioterrorisme international incitent également à
maintenir active la recherche sur Yersinia pestis, un microbe de
choix pour une utilisation dévoyée au service de projets monstrueux.
3
Migrations et épidémies : le choléra

« Les anciens, comme les modernes, disent qu’il y a choléra


lorsque, par suite de causes ordinaires d’indigestion, et très
souvent sans elles, on voit survenir les accidents suivants :
vomissements et déjections alvines simultanés, chute prompte
du pouls, refroidissement, crampes, suppression d’urine, danger
de mort, mort ou guérison ».

Lazare Rivière5

Le choléra est une maladie infectieuse strictement humaine très


contagieuse (voir encadré), originaire de l’Inde où il est resté confiné
durant des siècles, sans sortir de ses frontières. Son foyer originel
est localisé dans les deltas du Gange et du Brahmapoutre,
correspondant au Bengale de la période coloniale et actuellement au
Bangladesh et à la province indienne du Bengale. En Inde, le mot
sanskrit désignant le choléra est visuchika, que l’on rencontre dans
le Sushruta Samhita, le texte fondateur de la médecine ayurvédique,
écrit probablement au ve siècle avant J.-C., et durant des siècles on
sacrifia des chèvres sur les autels de la déesse Markhai Devi pour
endiguer ses épidémies. Les symptômes du choléra figurent sur les
pierres tombales d’officiers de l’armée d’Alexandre le Grand, morts
de la maladie au cours de son expédition en Inde occidentale. À part
ces quelques mentions anciennes, il n’existe pas, avant l’arrivée des
Européens en Inde, d’écrits indiens rapportant des épidémies de
choléra, car considérées comme des phénomènes banals (voir
encadré). En revanche, dès les tout premiers écrits des Européens,
au xvie  siècle, figurent des écrits sur des épidémies meurtrières de
choléra survenant en juin-juillet à Goa, en particulier celles de 1543,
1563 et des années 1580.
Le choléra

Le choléra est dû à une bactérie, Vibrio cholerae, découverte par Robert


Koch, en 1884. Ses principaux symptômes comprennent des vomissements,
une diarrhée intense, très fluide avec des selles blanchâtres, à «  grains de
riz », cataclysmique, entraînant un état de choc par perte hydrique. Le patient
a des yeux « caves », enfoncés dans les orbites et une coloration bleu-vert de
la peau. La maladie est mortelle en quelques heures. L’introduction du vibrion
cause de la maladie est toujours orale et sa transmission peut se faire
directement, d’Homme malade à Homme sain (cycle court), ou par les eaux
de boissons contaminées (cycle long). C’est dire que les mesures d’hygiène,
individuelles ou collectives, sont prépondérantes dans la prévention de cette
maladie.

C’est au début du xixe  siècle que le choléra sortit d’Inde,


empruntant les voies d’échanges et suivant le rythme des moyens
de transport. Entre 1817 et 1992, le choléra donna naissance à sept
pandémies, dont les six premières parcoururent le monde à partir de
son foyer originel du Bengale. Seule la septième se développa à
partir des îles Célèbes et Moluques. En 1817 se déclara la première
pandémie qui frappa essentiellement l’Asie. Quatre autres
pandémies se succédèrent durant le xixe siècle, puis deux nouvelles
occupèrent le xxe siècle.

Pénétration des Européens en Inde

À partir du moment où Vasco de Gama eut découvert la route maritime des


Indes en franchissant le Cap de Bonne Espérance (1490), les Européens
installèrent des comptoirs commerciaux sur les côtes indiennes de Malabar et
de Coromandel. Ce furent d’abord les Portugais qui, grâce à Albuquerque,
créèrent un empire dont le centre principal était Goa, conquis en 1510. Au
XVIIe  , les Hollandais installèrent trois factoreries sur ces côtes qui leur
servaient de bases sur la route de l’Indonésie, et supplantèrent les Portugais.
À partir de 1619, la Compagnie anglaise des Indes orientales établit à son
tour des comptoirs commerciaux permanents à Surat, Madras, Bombay et
Calcutta, sous la protection des dirigeants locaux, en particulier des
empereurs moghols à la cour desquels la Compagnie bénéficiait d’une
représentation diplomatique. La victoire britannique sur la Hollande, en 1652,
laissa les Anglais maîtres du terrain en Inde et leur permit de prendre de
nombreuses possessions portugaises. La Compagnie française des Indes,
née en 1664, prit pied à son tour et fonda le comptoir de Pondichéry en 1673.
Après la conquête d’une grande partie de l’Inde du sud par Joseph François
Dupleix, son rappel en France en 1753 laissa le champ totalement libre à
l’Angleterre.

Durant toutes ces pandémies, la maladie s’est répandue le long


des voies de communication, suivant les migrations humaines, les
voyages, les échanges de marchandises. Le lien entre le
développement des moyens de transport et l’extension du choléra
est exemplaire. Les premières pandémies se développèrent
lentement, mettant une dizaine d’années pour parcourir les
continents, à partir de leur foyer originel du Bengale. C’est qu’elles
se déplaçaient au rythme des caravanes et des bateaux à voile, les
moyens de transport de l’époque. Ce lent cheminement sur de très
longues distances laissait parfois le temps à la maladie d’anéantir la
colonne avant qu’elle n’atteigne sa destination. Au fur et à mesure
que les moyens de transport se sont modernisés, que les échanges
se sont intensifiés, les conditions devinrent de plus en plus
favorables à la propagation du choléra et à son extension accélérée.
Durant la septième pandémie, à la fin du xxe siècle, on a vu les cas
diffuser d’un continent à l’autre en quelques jours, grâce aux
transports aériens.

Première pandémie (1817-1824)


Alors que, durant dix-neuf siècles, les flambées épidémiques de
choléra étaient toutes restées limitées à l’Inde, celle qui survint au
Bengale en 1817 se transforma soudain en une pandémie qui
parcourut l’Asie et parvint aux frontières de l’Europe et de l’Afrique
(voir figure). La cause de cette dissémination est attribuée à la
conjonction de deux facteurs : l’un naturel (l’éruption cataclysmique
du volcan indonésien Tambora, en 1815) et l’autre humain (la
conquête territoriale de l’Inde par les troupes de la Compagnie
anglaise des Indes orientales).
L’éruption du Tambora entraîna la présence, durant une année,
d’un voile stratosphérique autour de la Terre bloquant toute
précipitation d’eau sur l’Inde qui connut, en 1816, une année sans
mousson  ; les pluies diluviennes de l’année suivante entraînèrent
une modification de l’habitat naturel du vibrion cholérique dans les
eaux du delta du Gange et du Brahmapoutre, avec émergence d’un
vibrion modifié génétiquement, hautement pathogène pour les
populations locales et que les troupes de la Compagnie commerciale
des Indes orientales, parcourant le sous-continent en tous sens,
eurent tôt fait de disséminer à travers le pays. Au-delà de l’Inde, le
pèlerinage à La Mecque et la présence des troupes anglaises dans
les émirats du golfe Persique assurèrent l’expansion du choléra à
l’ensemble du Proche et Moyen-Orient. Le choléra put alors se
lancer à la conquête du continent asiatique, et, au-delà, du monde.
Vers le nord, ce sont les campagnes des troupes persanes et
turques qui jouèrent ce rôle, amenant le choléra jusqu’aux rives de la
mer Caspienne et dans les ports de la mer Noire. Le choléra envahit
vers l’est la péninsule indochinoise, l’Insulinde, la Chine et le Japon,
et, au sud, Madagascar et le Mozambique. En bref, ce que l’on
considère comme la première pandémie fut en fait une épidémie
presque exclusivement asiatique.

Deuxième pandémie (1826-1837)


C’est la première grande pandémie cholérique, à proprement parler,
puisque, outre l’Asie, elle parcourut l’Europe, traversa l’Atlantique
Nord et atteignit le continent américain, et gagna l’Afrique du Nord et
de l’Est (voir figure).
La flambée originelle eut lieu au Bengale en 1826, mais elle ne
gagna la Mésopotamie et la Caspienne qu’à la fin 1829. Une fois le
Caucase franchi, la Russie fut atteinte. Le choléra gagna la Pologne
avec les troupes russes venues « rétablir l’ordre à Varsovie ». Il mit
deux ans pour envahir l’Europe occidentale jusqu’au Royaume-Uni,
où l’on compta environ 5  500 victimes en 1831. Les villes de
Londres et Paris furent atteintes en 1832. L’épidémie mit trois ans
pour parcourir la France du nord au sud et atteindre les rives de la
Méditerranée. Un régiment contaminé, partant de Toulon, l’importa
en Algérie, en 1835, en pleine conquête.
En France, comme ailleurs en Europe, la mortalité fut très élevée
(plus de 100 000 décès), ce qui contribua à frapper les esprits. Car,
au début de l’épidémie de 1832 l’incrédulité était forte, la population
parisienne accusant le gouvernement d’empoisonner les puits et la
nourriture, et s’en prenant aux médecins, les accusant de pratiquer
des expériences sur les pauvres. Mais lorsque l’épidémie fut établie
à l’évidence, la peur fut extrême. Un malade sur deux mourait et la
rapidité de la mort frappait au point que chacun avait peur d’être
enterré avant d’avoir expiré, souci d’autant plus fondé qu’un
cholérique vivant ressemble à un cadavre. Les traitements en
vigueur à l’époque n’avaient aucune raison d’améliorer l’état des
patients, partagés entre les préconisations de François Broussais
(saignées répétées, sangsues et glace) et celles de François
Magendie (boissons excitantes), un peu moins nocives que les
premières mais tout aussi inefficaces. Faute de secours médical
donc, les vieilles recettes ressurgirent. Le recours à la religion se
manifesta largement dans la population, avec une grande assiduité
dans les processions organisées, des affiches de « bénédiction des
maisons » placardées sur les façades, des ex-voto témoignant de la
reconnaissance pour avoir été épargné. En Pologne des pogroms
éclatèrent, en 1831, dans plusieurs villes, les Juifs étant accusés
d’avoir empoisonné les puits et considérés comme responsables de
l’épidémie.
Extension géographique des deux premières pandémies cholériques. Alors
que la première fut presque exclusivement localisée au continent asiatique,
la deuxième s’étendit jusqu’au continent américain. (Sources : Bourdelais
et Dodin, 1987 ; Cliff et coll., 1996).
Durant cette pandémie, une première observation prémonitoire fut
faite sur le rôle de l’eau dans le déclenchement du choléra. En effet,
lors du passage de l’épidémie à Paris, la mortalité dans la rue
Chaillot accusa une différence importante entre les deux côtés de la
rue  : 45 habitants du côté des numéros impairs moururent de la
maladie, contre 5 de l’autre côté. L’atlas du Préfet Eugène Poubelle6
indiquait clairement que l’eau distribuée aux bornes du côté impair
provenait de la Seine, où se déversaient les égouts, alors que celle
des bornes du côté pair était pompée dans le canal de l’Ourcq.

Troisième pandémie (1841-1860)


Cette troisième pandémie emprunta les mêmes itinéraires que les
deux précédentes. Partie du Bengale en 1841, elle s’étendit vers
l’est, jusqu’aux Philippines, et vers l’ouest, dans toute l’Europe
occidentale. Elle se dédoubla en deux vagues successives, l’une de
1841 à 1850 et l’autre de 1849 à 1860. Pour la France, ce fut
l’épidémie la plus sévère de tout le xixe  siècle, avec près de
150 000 morts.
L’amélioration des moyens de transport joua un rôle déterminant
dans la diffusion de l’épidémie. En effet, la machine à vapeur avait
permis le développement des chemins de fer et du transport
maritime. Dans les années  1850, de grands paquebots
commencèrent à sillonner les océans, réduisant la durée des trajets
et augmentant le nombre de passagers, toutes conditions favorables
à la propagation du choléra. De fait, l’Amérique du Nord fut atteinte
dès 1848, et l’Amérique du Sud touchée pour la première fois.
L’année 1854 fut la plus meurtrière aussi bien pour les États-Unis et
l’Amérique du Sud que pour l’Europe.
Au cours de cette troisième pandémie, la cause du choléra
commença à être suspectée. En effet, en 1854, le chirurgien anglais
John Snow (1813-1858) découvrit le mode de transmission du
choléra par l’eau de boisson  : étudiant la répartition des cas de
choléra dans le quartier londonien de Soho, il avait été frappé de la
très forte mortalité sévissant dans une zone très circonscrite.
L’examen d’un plan détaillé du quartier l’amena à penser que toutes
les familles touchées tiraient leur eau à la même fontaine publique
de Broad street. Il fit retirer la poignée de la pompe, ce qui amena en
quelques jours une diminution spectaculaire l’épidémie. Mais cette
observation convainquit d’autant moins le milieu médical
contemporain, qu’elle survenait à un moment où l’épidémie déclinait
spontanément. Cette même année 1854, l’anatomiste italien Filippo
Pacini (1812-1883), étudiant le choléra qui avait atteint Florence, mit
en évidence dans la muqueuse intestinale d’un patient mort du
choléra, un bacille en forme de virgule qu’il nomma Vibrio et auquel il
rapporta la maladie. Sa découverte passa totalement inaperçue, car
il s’agissait d’une simple observation microscopique sans
conséquence théorique ni pratique.
Il fallut attendre la cinquième pandémie, trente années plus tard,
pour que Robert Koch réussisse l’isolement et la mise en culture du
vibrion cholérique, permettant le diagnostic du choléra et ouvrant la
voie à son étude physiopathologique et épidémiologique.

Quatrième pandémie (1863-1875)


La quatrième pandémie débuta encore au Bengale en 1863 et se
généralisa à l’Inde la même année. Sa dissémination se fit encore à
l’est vers la Chine et le Japon, et à l’ouest vers le Proche et le
Moyen-Orient. Dès 1865 elle atteignit la péninsule Arabique et,
partant, la mer Rouge et le bassin oriental de la Méditerranée, à
partir duquel la pandémie gagna toute l’Europe. Car le percement de
l’isthme de Suez, depuis 1859, avait été l’occasion d’un immense
rassemblement de populations, avec toutes les migrations qui en
résultèrent. À l’inauguration du Canal de Suez, en 1869, les lignes
maritimes sur l’Inde virent leurs distances réduites et
l’acheminement accéléré pour des passagers toujours plus
nombreux et des marchandises en plus grandes quantités. La
France ne se situait dès lors plus qu’à 10 000  kilomètres de l’Inde,
au lieu des 17 000 nécessaires au contournement de l’Afrique par Le
Cap. Ces progrès contribuèrent à une intensification des échanges
en lien avec les développements économiques et les évolutions
politiques. Cette problématique fut à la base d’une conférence
sanitaire internationale, convoquée à l’initiative de l’Empereur
Napoléon  III, tenue en 1866 à Constantinople, et à laquelle
participèrent quatorze États européens, ainsi que la Turquie,
l’Égypte et la Perse. Ses objectifs étaient de définir les moyens de
contenir le choléra afin de préserver les intérêts politiques,
commerciaux et sanitaires des pays.
Au cours de cette pandémie, les continents américain et africain
furent largement envahis.

Cinquième pandémie (1881-1896)


La cinquième pandémie débuta en 1881, à nouveau au Bengale, et
diffusa au reste de l’Asie, et en Europe, en Afrique et en Amérique.
Mais c’est au cours de cette pandémie que le microbe responsable
de la maladie fut isolé et cultivé par Robert Koch (voir figure), en
1884, rendant le diagnostic bactériologique opérationnel et la
quarantaine efficace. De même l’hygiène progressa fortement dans
les pays occidentaux. Si bien que le choléra ne s’implanta pas en
Angleterre, grâce à la généralisation de l’accès à l’eau potable, pas
plus qu’aux États-Unis, grâce à l’efficacité du premier laboratoire de
dépistage de New York. Cette pandémie marqua le déclin du choléra
dans les pays à standards d’hygiène élevés, marquant la différence
de statut des pays selon leurs niveaux d’hygiène.
Robert Koch en 1889, cinq ans après sa découverte du vibrion cholérique.
Il est alors professeur d’Hygiène à la Faculté de Médecine et directeur de l’Institut
d’Hygiène de Berlin. © Archiv der Humboldt-Universitaet zu Berlin. NL Koch,
Nr. F012.

La découverte du vibrion cholérique est un grand moment de


l’histoire de la bactériologie. Elle marqua profondément les esprits et
contribua d’autant plus à la renommée de Robert Koch que celui-ci
venait de découvrir deux années plus tôt le microbe responsable de
la tuberculose (voir encadré). En 1883 donc, le choléra parti d’Inde
deux ans plus tôt, atteignit l’Égypte qui demanda l’aide de la France
et de l’Allemagne, les deux pays fondateurs de la microbiologie. La
mission d’étude française, composée d’Émile Roux et de Louis
Thuillier, de l’Institut Pasteur, mais aussi d’Isidore Straus et Edmond
Nocard, arriva la première à Alexandrie et s’installa à l’Hôpital
français. Elle allait se solder par un échec scientifique : les cultures
du sang restèrent négatives et les examens anatomo-pathologiques
de l’intestin donnèrent des informations peu probantes. La mort de
Thuillier atteint de choléra précipita le retour de la mission, rendue
de toute façon inutile par l’extinction de l’épidémie.

Robert Koch (1843-1910)

Robert Koch, d’une génération plus jeune que Pasteur, avait fait ses études
de Médecine à Göttingen. Médecin de campagne, il aborda la microbiologie
tout seul, durant les rares loisirs que lui laissait l’exercice de sa profession, et
conduisit une étude remarquable sur le bacille du charbon.
Alors que Pasteur cultivait les bactéries sur des bouillons liquides, Koch mit
au point une méthode de culture solide sur agarose, très nettement
supérieure car elle permettait d’obtenir des colonies bactériennes pures,
issues d’une seule bactérie. Cette mise au point technique fut déterminante
pour le développement de la bactériologie  : elle permit à Koch de découvrir
les grandes bactéries pathogènes pour l’Homme, comme le bacille
tuberculeux et le vibrion cholérique. Cette technique est encore utilisée de
nos jours quotidiennement dans les laboratoires de bactériologie.

La mission allemande était arrivée un peu plus tard que la


française. Elle comprenait Robert Koch lui-même et trois de ses
collaborateurs, et transportait dans ses bagages un laboratoire
complet de bactériologie. Elle s’établit à l’Hôpital grec d’Alexandrie.
Les travaux des Allemands montrèrent la présence constante d’une
bactérie dans l’intestin des patients atteints, mais il fut impossible
d’isoler le germe en culture et d’obtenir son développement chez
l’animal. Les cas de choléra se raréfiant en Égypte, la mission se
transporta avec son laboratoire en Inde, à Calcutta, où l’épidémie se
poursuivait. Là Koch et ses collaborateurs mirent en évidence, dans
les selles et l’intestin des patients décédés, le même bacille en
virgule qu’en Égypte. Ils réussirent son isolement en culture pure.
Bien qu’ils ne pussent reproduire de maladie chez les différents
animaux d’expérimentation utilisés, l’étude épidémiologique qu’ils
firent leur permit de retrouver le même bacille dans les eaux des
citernes utilisées par les familles atteintes de choléra. Cette
constatation fournit une preuve supplémentaire que le bacille en
virgule décrit par Koch était bien l’agent de la maladie. La mission
rentra en Allemagne, huit mois après son départ, et reçut un accueil
triomphal.
Lorsque le choléra atteignit le sud de la France, durant l’été 1884,
Koch fut appelé comme expert. Il se rendit à Toulon où il isola le
bacille en virgule à partir de l’intestin des patients et en fit la
démonstration à Roux et Straus, venus spécialement de Paris. Il
ramena en Allemagne une souche, ce qu’il n’avait pas osé faire avec
les souches isolées en Inde.
Dès 1885, un médecin de Barcelone, Jaume Ferran eut l’idée d’un
vaccin, simple suspension de vibrions atténués par chauffage. Ce
premier vaccin, qui fut employé à partir de 1885 en Espagne, fut
amélioré par Haffkine, qui le purifia en 1892, à l’Institut Pasteur.

Sixième pandémie (1899-1923)


En 1899, le choléra repartit du Bengale, mais son extension au
monde demeura limitée, avec une aire assez comparable à celle de
la première pandémie. Il toucha essentiellement l’Asie et l’Europe
orientale et fit quelques incursions en Afrique du Nord. Mais l’Europe
de l’ouest et le continent américain demeurèrent indemnes,
conséquence probable de l’établissement de contrôles sanitaires
aux frontières. Les déplacements du vibrion sur les grandes lignes
maritimes étaient surveillés : le microbe était recherché par examen
bactériologique chez les malades et leur entourage à l’arrivée dans
les ports. Le transport aérien débutant avait un rayon d’action trop
limité et une clientèle trop réduite à cette époque pour être un
facteur de dissémination du germe. Mais les guerres et les armées
en campagnes furent encore des occasions de poussées
épidémiques, par exemple en 1916, dans les Balkans.
Le procédé de désinfection de l’eau par adjonction de doses de
chlore testé lors du siège de Verdun en 1916, et appelé pour cette
raison «  verdunisation  », fut adopté sur les théâtres d’opérations
militaires où la présence de nombreux cadavres humains ou
animaux représentait un risque épidémiogène.
Septième pandémie (1961-1992)
Cette dernière pandémie diffère totalement des six précédentes, car
elle est due à un variant du vibrion cholérique, le vibrion El Tor, qui
remplaça entièrement le vibrion classique, mais aussi parce qu’elle
démarra en dehors du foyer traditionnel du Bengale.
Le vibrion El Tor fut d’abord considéré comme non pathogène, car
isolé en 1903 à partir d’un porteur sain. Pourtant, il décima, dans les
années 1930, la population des îles Célèbes et Moluques, dans
l’archipel indonésien, son foyer d’origine. Mais les opérations
militaires de la Seconde Guerre mondiale limitèrent la dissémination
du vibrion, en empêchant les échanges interhumains. Dès la paix
revenue, le vibrion se propagea avec d’autant plus d’efficacité qu’il
continua d’être considéré comme non pathogène jusqu’en 1961.

Extension géographique de la septième pandémie, durant laquelle le choléra


s’installa durablement en Afrique. Il ne fit que de très brèves incursions en Europe
et Amérique du Nord.

L’intense développement du transport aérien conféra à cette


pandémie un tableau épidémiologique original. La rapidité croissante
des avions gros-porteurs mit rapidement tous les pays du monde à
moins de 24  heures d’une zone contaminée. La multiplication de
vols transcontinentaux avec de plus en plus de passagers
submergea le contrôle sanitaire aux frontières. Il n’y eut dès lors plus
d’obstacle à la circulation du vibrion El Tor, qui ne s’en priva pas.
L’Europe et les États-Unis enregistrèrent quelques cas chaque
année, vite circonscrits et sans essaimage épidémique. En
revanche, le choléra s’installa définitivement en Afrique, à la suite de
l’importation du vibrion, en 1970, par des étudiants africains
revenant de Moscou à bord d’un Tupolev d’Aéroflot, qui se posa à
Conakry après une escale à Alexandrie. De ces deux villes, le
vibrion diffusa vers l’Afrique du Nord, avec une poussée vers le
Maghreb et l’Espagne (1973), l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique
subsaharienne.
Un autre vol célèbre dans les annales de la médecine des
voyages est le vol 386 des Aerolineas Argentinas du 14 février 1992
qui montre la rapidité de dissémination du choléra durant la
septième pandémie. Ce vol parti de Buenos Aires, après une escale
à Lima, atterrit à Los Angeles avec 336 passagers et 20 membres
d’équipage. Dans les jours suivants, 85 participants du vol furent
atteints de diarrhées, et le vibrion cholérique mis en évidence dans
les selles de 31 d’entre eux, dont 10 dans le Comté de Los Angeles,
8 dans d’autres parties de la Californie, 9 au Nevada, 3 au Japon et
un en Argentine. C’était la deuxième fois que le choléra atteignait les
États-Unis au cours de la septième pandémie. C’est également au
cours de cette pandémie que l’Australie et la Nouvelle-Zélande
furent atteintes pour la première fois par le choléra, avec une
épidémie chez 40 passagers contaminés par un repas servi à bord
du vol Londres-Sydney, repas qui avait été préparé à Bahreïn.

Bactériologie du choléra
Le bacille virgule initialement détecté par Filippo Pacini en 1854,
puis cultivé par Robert Koch, ou vibrion cholérique, est un germe
exclusivement humain qui prolifère dans les boues alcalines et les
eaux saumâtres des deltas du Gange et du Brahmapoutre, au
Bengale, son foyer originel. Cet environnement aquatique constitue
le véritable réservoir du vibrion.
Bien qu’il existe plus de 200 sérogroupes de Vibrio cholerae, c’est
le seul sérogroupe O1 qui a été responsable des sept pandémies, y
compris la dernière, due à l’un de ses biotypes variants, baptisé El
Tor.
La physiopathologie du choléra fut comprise en 1965 grâce à la
découverte de la toxine cholérique par Richard A.  Finkelstein de
l’Université du Texas, à Dallas. Seul le sérogroupe O1 est porteur de
cette toxine.
Des études expérimentales récentes ont montré que dans son
environnement aquatique, le vibrion cholérique interagit avec les
sédiments et les divers organismes vivants dans lesquels il peut
survivre en période interépidémique  : zooplancton, phytoplancton,
protozoaires, crustacés, plantes aquatiques. Le déclenchement des
épidémies dépend donc des facteurs environnementaux
(pluviométrie, salinité, température) et de la prolifération des
organismes vivants dans lesquels il peut exacerber sa virulence.
Le choléra n’est pas une maladie infectieuse comme les autres.
Ses désordres sont essentiellement provoqués par la lyse des
vibrions dans l’intestin grêle et la libération de la toxine qui pénètre à
l’intérieur des cellules intestinales, sans les endommager, mais en
entraînant une hypersécrétion d’eau responsable de la
déshydratation, caractéristique de la maladie. Le traitement consiste
en une réhydratation massive et rapide, avec rétablissement de
l’équilibre hydroélectrolytique. Le rôle des sulfamides et des
antibiotiques est tout à fait secondaire, destiné à permettre une
élimination plus rapide des vibrions. Le traitement individuel, ou pour
un petit nombre de cas, ne pose pas de problème. En revanche, en
cas d’épidémie, la capacité d’hospitalisation est rapidement
dépassée et les problèmes rencontrés sont des problèmes
logistiques de lits adaptés à la surveillance des cholériques, de
quantité de liquides de réhydratation, de personnel habilité à placer
des perfusions. Depuis 1978, existe un programme de l’OMS de
lutte contre les maladies diarrhéiques codifiant la thérapie de masse
par réhydratation orale à l’aide de solutions des sels de
réhydratation.
Le vibrion n’étant jamais au contact du milieu interne, les vaccins
par injection parentérale, comme ceux de Ferran et de Haffkine,
n’ont pas d’efficacité. Deux vaccins oraux sont disponibles : le WC-
rBS (vaccin monovalent contenant une suspension bactérienne tuée
par la chaleur et le fomol associée à une sous-unité recombinante
de la toxine cholérique) et un vaccin bivalent sans sous-unité de la
toxine cholérique. Tous deux ont une efficacité certaine, autour de
70 %, et développent une forte immunité protectrice collective. Mais
l’essentiel de la prophylaxie réside dans le renforcement des
mesures d’hygiène individuelle et familiale (lavage des mains,
désinfectants ménagers), ainsi que l’amélioration de la qualité des
eaux d’alimentation et de l’assainissement. Pour lutter contre la
diffusion du choléra, le contrôle sanitaire aux frontières est une
possibilité qui a ses limites, dues aux voies parallèles de
cheminement des Hommes et des marchandises. En 1970, lors de
l’extension du choléra depuis Alexandrie, une fois la Libye infectée,
la Tunisie ferma totalement sa frontière sud. Le premier cas tunisien
survint au nord du pays, dans le port de La Goulette, amené par de
petits bateaux de contrebande ayant remonté la côte par cabotage.

Situation actuelle
Le choléra a été pratiquement éradiqué de la plupart des pays à
revenus élevés grâce à une politique d’assainissement et
d’organisation sanitaire des agglomérations humaines, avec,
principalement, l’installation de réseaux d’eau potable et l’épuration
des eaux usées. Mais il demeure une plaie dans les pays à revenus
faibles où ces standards sanitaires n’existent pas.
Depuis le début du xxie  siècle, se sont succédé une série de
flambées épidémiques dans de nombreux pays d’Afrique
subsaharienne  : Nigeria, Mozambique et Tchad en 2004, sept pays
d’Afrique de l’Ouest en 2005, Angola et Soudan en 2006. L’année
2008 fut particulièrement tragique avec plus de 7 000 cas en Guinée
Bissau, et culmina au Zimbabwe où plus de 100 000 cas, dont plus
de 4 000 morts, furent recensés entre août 2008 et mai 2009.
Le choléra s’est durablement installé sur le continent africain
bénéficiant du naufrage sanitaire post-colonial de ce continent (voir
encadré). La désorganisation, voire l’inexistence, des structures
sanitaires de nombre de ses pays y rend les épidémies
particulièrement dramatiques. Seule l’élévation du niveau de vie,
avec son corollaire d’amélioration de l’hygiène et de la santé
publique, pourrait permettre de contrôler les maladies infectieuses.
Mais le continent africain est loin d’en prendre le chemin, largement
doté qu’il est de potentats plus enclins à favoriser leurs intérêts
privés que le bien-être de leurs populations ou le développement de
leur pays. La gestion politique de l’épidémie de choléra de 2008-
2009 au Zimbabwe par Robert Mugabe est un modèle d’aliénation
idéologique et d’aveuglement coupable. La théorie du complot
anglo-américain destiné à déstabiliser le régime, retarda de façon
impardonnable l’appel à l’aide internationale, indispensable à la
gestion d’une épidémie que la désintégration totale du tissu sanitaire
du pays rendait impossible en interne. L’expulsion des organisations
humanitaires en décembre  2008 par Robert Mugabe au motif de la
fin de l’épidémie a sonné comme un glas pour les dizaines de
milliers de morts que la maladie devait encore provoquer jusqu’en
août 2009.
Plus récemment, entre 2010 et 2018, une épidémie de choléra a
ravagé Haïti, qui n’avait pas connu d’épidémie depuis plus d’un
siècle. Due à un V. cholerae de sérogroupe O1 importé par le
contingent népalais des forces de l’ONU, elle a également touché la
République dominicaine, Cuba et le Mexique. Au total, environ
800  000  personnes ont été atteintes et 10  000  morts ont été à
déplorer.
Durant la seule année 2015, 42 pays, dont 16 africains et 13
asiatiques, ont notifié à l’OMS un total de 172  000  cas de choléra,
dont 1 300 décès.
Plus récemment, le Yemen a connu, en 2017, la plus importante
épidémie de choléra au niveau mondial, avec 540  000 cas dont
2 000 morts.
Le choléra n’a donc pas disparu, en tout cas pas dans tous les
pays.

Vers une nouvelle pandémie ?


Dans le foyer traditionnel du Bengale est apparu en 1992 un
nouveau sérogroupe toxinogène de vibrion cholérique, le O139
Bengale, variant génétique du biotype El Tor associé à des formes
plus sévères de la maladie. Il a déjà été responsable d’une
importante épidémie au Bangladesh de plus de 100  000 cas et a
également diffusé à la Thaïlande, la Malaisie et au Pakistan. Très
contagieux, ce sérogroupe pourrait être responsable de l’émergence
d’une nouvelle pandémie cholérique dans les années à venir. Il
montre en tout cas que les sérogroupes O1 et O139 sont capables
de présenter des réarrangements génétiques pouvant contribuer à la
réémergence d’épidémies. Le maintien d’une surveillance
épidémiologique s’impose.
4
Une épidémie maîtrisée : la variole

« C’est une étrange expérience que de voir son propre visage


criblé de petits cratères, ses traits boursouflés et brouillés –
 comme un paysage familier ravagé par une explosion »

Lawrence Durrell, Mountolive7

La variole était l’une des maladies épidémiques la plus


anciennement connue. C’est la seule que l’Homme ait réussi à
éradiquer de la surface du globe, grâce à la vaccination
systématique de la population mondiale. Tout autant que son histoire
propre, l’histoire exemplaire et instructive de son éradication mérite
d’être contée en détail.

Histoire de la variole
Bien que la variole soit d’origine ancienne, elle ne fut pas, durant des
siècles, clairement distinguée des autres maladies éruptives. Il est
pourtant couramment admis que la variole était, à l’origine, une
maladie orientale, connue des habitants de l’Inde il y a plus de trois
mille ans. Très présente dans la tradition indienne, elle y a été
divinisée, en particulier sous les traits de Mâryammâ, déesse qui
apporte la variole et la guérit. La variole semble de même avoir été
présente en Égypte plus de 1  000  ans avant J.-C. La momie du
pharaon Ramsès V, de la xxe dynastie, qui serait mort en 1157 avant
J.-C., porte des stigmates d’une éruption pustuleuse très évocateurs
de lésions de variole. Enfin, la maladie aurait été introduite dans la
Chine ancienne en l’an 49 de notre ère. Les relations historiques font
régulièrement état d’épidémies de variole en Inde et en Chine, ainsi
que d’une méthode de s’en prémunir, la variolisation dont nous
parlerons plus bas.

La variole

La variole, ou petite vérole, était une maladie infectieuse d’origine virale


terriblement grave et excessivement contagieuse. Elle débutait brutalement
par une forte fièvre, avec douleurs violentes et délire, puis s’installait
l’éruption caractéristique de la maladie. Sur le visage d’abord, ensuite sur
l’ensemble du corps, apparaissaient des boutons remplis d’une sérosité
jaunâtre, vésicules qui suppuraient et formaient des pustules. Plus de la
moitié des sujets atteints mouraient, les autres entamaient une lente
convalescence, mais, même guéris, ils demeuraient marqués à vie, le visage
«  grêlé  » par les cicatrices disgracieuses des pustules. Certains étaient
devenus sourds ou aveugles. La maladie, strictement humaine, se
transmettait directement, par contact avec les lésions ou par les sécrétions
naso-pharyngées, car le virus se localisait également aux muqueuses du nez
et de la bouche, ou par inhalation de particules virales en suspension dans
l’air. Elle pouvait aussi se transmettre de façon indirecte, par des objets ou les
vêtements d’un malade.

La variole se répandit en Europe à l’occasion des grandes


migrations du Moyen-Âge. Elle pénétra en Europe méridionale à la
suite des invasions arabes du viiie siècle. Elle se répandit ensuite en
Europe centrale, à partir du xie siècle, avec les Croisés revenant de
Terre Sainte, au point que l’empereur d’Allemagne Frédéric
Barberousse fit bâtir des hospices spéciaux pour les varioleux. Au
xiiie siècle, les invasions des Normands ajoutèrent à la contamination
générale de l’Europe. De siècle en siècle, les épidémies se
manifestèrent, voire se répétèrent, dans tous les pays d’Europe,
jusqu’en Angleterre au xvie siècle et en Islande. Elle était considérée
comme un mal inéluctable, une manifestation de la colère divine
pour une vie de péché. Elle fut responsable d’une forte mortalité,
que l’on estime environ à 400 000 décès annuels au xvie siècle. Elle
atteignait toutes les catégories de la population, les pauvres, chez
lesquels la maladie était généralement infantile, comme les
aristocrates et les têtes couronnées, où les victimes étaient plutôt
des adultes. De très nombreux princes et souverains régnants
moururent de variole, tels Mary II d’Angleterre en 1494, le Grand
Dauphin de France en 1711. Le roi Louis  XV, amant compulsif
toujours à la recherche d’une nouvelle conquête, périt par où il avait
péché : il fut contaminé en 1774 par une toute jeune fille que lui avait
procurée la Comtesse Du Barry, et succomba rapidement.
Au xviiie  siècle, la maladie fut particulièrement grave en Europe,
avec une mortalité infantile élevée. Elle représentait un véritable
fléau dans les populations pauvres des grandes villes. Elle fut
responsable de la perte de près du quart de la population française.
En 1796, la Prusse compta plus de 26 000 victimes de la variole, et
la Russie, environ 2 millions.

La variole comme arme d’élimination

Durant la guerre franco-anglaise d’Amérique du Nord (1754-1767), les


Britanniques utilisèrent la variole pour éliminer les tribus indiennes ennemies.
«  Par considération pour eux (deux chefs indiens) nous leur avons donné
deux couvertures et un mouchoir qui sortaient de l’hôpital des varioliques.
J’espère que l’effet souhaitable en résultera  » peut-on lire sous la plume du
Capitaine Ecuyer du régiment des Royal Americans. Et de fait, Fort Pitt fut
pris après que les tribus indiennes de l’Ohio aient été décimées par la variole.
De même, les émigrants européens en Amérique du Nord, partis à la
conquête des vastes territoires de l’ouest, eurent tôt fait de s’apercevoir qu’ils
avaient avec la variole une alliée imprévue dont ils n’hésitèrent pas à se servir
dans la tâche d’extermination des Peaux-rouges qu’ils avaient entreprise. Ils
cherchèrent à accélérer la diffusion de la maladie en introduisant des objets
contaminés dans les campements ennemis, selon des documents officiels  :
« Vous ferez bien de chercher à inoculer les Indiens au moyen de couvertures
et d’essayer en même temps toute autre méthode susceptible de contribuer à
l’anéantissement de cette race ».

La variole fut introduite sur le continent américain par les


conquérants espagnols et portugais, et se répandit rapidement,
faisant de véritables hécatombes, au sein des populations
autochtones dépourvues d’immunité vis-à-vis de ce germe étranger.
En 1517, elle exerça ses ravages dans l’île d’Hispaniola,
actuellement Haïti et Saint-Domingue, à laquelle avait abordé
Christophe Colomb en 1492. Un an après l’arrivée des troupes de
Cortez au Mexique (1519), la variole était introduite au Mexique où
elle se propageait de façon foudroyante faisant plus de trois millions
de morts dans ce pays. Les colons français l’amenèrent en 1616
dans la région du Saint Laurent, en Nouvelle France, l’actuel
Canada, où elle décima nombre de peuples indigènes, dont les
Hurons et les Iroquois, entre 1634 et 1640.
Sur les autres continents également, l’installation d’Européens
introduisant la variole amena l’extermination des populations locales,
comme au Cap où s’installèrent les Hollandais en 1652, au
Groenland, dont la capitale Nuuk, fondée par le pasteur danois Hans
Egede en 1721, connut une épidémie de variole en 1736, ou en
Australie où l’arrivée des premiers immigrants, en 1788, fut suivie
d’une épidémie qui tua environ la moitié de la population aborigène.
Le Brésil, colonie portugaise depuis sa découverte en 1500 par
Pedro Álvares Cabral, fut contaminé par la variole introduite en 1834
par un esclave noir.

La lutte contre la variole


Ainsi, au xviiie  siècle, la variole avait atteint une extension mondiale
et représentait dans tous les pays une des causes majeures de
mortalité. C’était une maladie connue bien avant l’époque
pastorienne, en raison de ses symptômes cliniques évidents et, en
particulier, de son éruption caractéristique. Tout comme la rougeole,
elle avait été décrite pour la première fois en Chine au ive  siècle
après J.-C., par Ko Hong (281-340) et Tche Fa Ts’ouen, vers 307. Le
grand médecin arabe Rhazès (850-925) en fit une description
extrêmement précise, la distinguant nettement de la rougeole.
Deux vaccins empiriques avaient été développés contre la variole
avant même que l’on sût qu’il s’agissait d’une maladie infectieuse : la
variolisation et la vaccination. La variolisation consistait dans
l’injection volontaire d’une forme bénigne de variole, destinée à
protéger le sujet contre l’atteinte de la variole grave. La vaccination
développée par le médecin anglais Edward Jenner était basée sur
l’immunité croisée observée entre la variole et une maladie éruptive
de la vache, la vaccine.
Ce n’est que beaucoup plus tard que les virus varioleux furent
identifiés par Amédée Borrel, en 1904 à l’Institut Pasteur, pour les
virus de la variole aviaire et de la variole du mouton, et par Enrique
Paschen, en 1906, pour le virus de la variole de la vache. Les corps
élémentaires qu’ils décrivirent tous deux dans les cellules cutanées
correspondaient à des amas de particules virales.

La variolisation
Les Chinois avaient remarqué que les épidémies de variole n’avaient
pas toutes la même gravité. Parfois survenaient des épidémies de
variole bénigne, au cours desquelles la maladie était moins grave et
de mortalité réduite. Ils avaient eu l’idée de prélever des pustules de
cas bénins, en y passant un fil de soie, ou en les ponctionnant avec
une aiguille. Le produit récolté était ensuite desséché et donné à
inhaler, dans la narine, droite pour les garçons, gauche pour les
filles. Cette prise était suivie de l’apparition d’un accès fébrile vers le
septième jour et d’une éruption cutanée qui était accompagnée de
signes de gravité dans seulement 1 à 5 % des cas. Cette pratique de
la «  variolisation  » par prise nasale resta limitée à la Chine, à la
Corée et au Japon.
Une méthode alternative de variolisation consistait à piquer un
sujet sain à l’aide d’une aiguille chargée du pus d’une lésion mûre de
varioleux. Il en résultait une forme atténuée de variole qui assurait
une solide immunité, empêchant toute variole ultérieure. Cette
méthode était pratiquée chez les Circassiens et les Georgiens pour
prévenir la variole chez les jeunes filles et préserver leur beauté très
appréciée dans les harems ottomans. C’est ainsi que cette
deuxième méthode pénétra en Turquie et en Grèce, avant de faire le
tour du monde.
Les premières informations sur la variolisation parvinrent en
Angleterre par une lettre d’un représentant de l’East India Company
en Chine et, en 1700, par un rapport du docteur Clopton Havers à la
Royal Society de Londres. L’épouse de l’ambassadeur auprès de la
Sublime Porte à Istanbul, Lady Mary Wortley Montagu, qui avait elle-
même contracté la variole, usa, à partir de 1712, de son influence
pour préconiser l’adoption de la variolisation dans la famille royale
anglaise. Après un complément d’information fourni en 1716 par le
docteur Jacobo Pylarini, consul de Venise à Smyrne, qui confirma
l’efficacité et l’absence de nocivité de la technique, la Royal Society
fit procéder à un essai sur des condamnés à mort, avant de donner
son accord à la variolisation des enfants de la famille royale. Lady
Montagu fit «  varioliser  » en public ses deux enfants, et son salon
devint le lieu de réunion de nombreux adeptes de la méthode. La
généralisation de la variolisation à l’Angleterre fut surtout l’œuvre de
Hans Sloane, médecin du Roi et président de la Royal Society. Mais
la fréquence des épidémies n’en fut guère réduite, car la variolisation
n’était pratiquée que dans la haute société. La reprise des épidémies
amena la fondation en 1746 à Londres du Smallpox and Inoculation
Hospital et entraîna la généralisation de la méthode.
La variolisation se répandit en Europe avec une certaine difficulté,
car elle se heurtait à l’indifférence de la population et à l’opposition
du clergé. Elle fut introduite aux Pays-Bas en 1748, puis à Genève
en 1749. Elle fut peu de temps après appliquée en France, en
premier lieu à la famille royale et à la noblesse. Ainsi en 1756 eut
lieu à Paris la variolisation publique du duc de Chartres et de
Mademoiselle de Montpensier. Voltaire et La Condamine firent
activement campagne pour la généralisation de cette méthode. C’est
vraisemblablement l’influence de Voltaire qui amena la Tsarine
Catherine II de Russie à se faire inoculer, en 1768. Aux États-Unis,
Benjamin Franklin, dont le fils unique mourut de variole, fut un ardent
avocat de la variolisation.

Jenner et la vaccination
Grâce au médecin anglais Edward Jenner (1749-1823), la
variolisation, technique aux résultats aléatoires, fut remplacée au
xviiie siècle, par la vaccination. On avait noté, dans plusieurs régions
d’Angleterre (Comté de Gloucester) et de France (Picardie,
Languedoc), que le contact préalable avec une maladie des vaches
caractérisée par une éruption sur les mamelles et nommée picote ou
vaccine en France, et cow-pox en Angleterre, protégeait contre la
variole. Ces observations avaient frappé Edward Jenner, car elles
correspondaient à son expérience de médecin chargé de la
variolisation en milieu rural, dans le Comté de Gloucester. Sur les
conseils de son maître John Hunter, brillant chirurgien et
expérimentateur talentueux, Jenner réunit les observations de 28
individus qui avaient été en contact avec le cow-pox et avaient
acquis une immunité antivariolique. Il décida d’apporter une preuve
quasi expérimentale de la protection qui pouvait être obtenue par le
cow-pox. Le 14  mai 1796, il effectua sur un jeune garçon la
transmission de suc vaccinal prélevé sur la pustule d’une vachère
contaminée par le cow-pox, puis, secondairement, lui fit une
inoculation d’épreuve avec du suc varioleux. Le sujet montra alors
une résistance à cette infection par la variole. Mais cette observation
ne fut pas jugée suffisante par la Royal Society, et Jenner répéta
plusieurs fois l’expérience et publia ses résultats en 1798. Ses
observations firent sensation et la méthode de la « vaccination » (le
terme fut créé à la suggestion d’un chirurgien de Plymouth, Richard
Dunning avec l’approbation de Jenner) se répandit en Autriche et en
Allemagne.
Grâce au duc de Liancourt, elle fut introduite en France, où
Napoléon ordonna en 1805 la vaccination de tous les soldats sous
ses ordres. Elle gagna ensuite les Pays-Bas, la Prusse et la Russie.
Elle fut introduite en Amérique du Nord dès 1798 par le révérend
John Clinch, un ami d’Edward Jenner. L’Espagne, où la première
vaccination fut pratiquée en 1800, organisa, sous les auspices du
roi, une expédition maritime philanthropique destinée à introduire la
vaccination antivariolique en Amérique, aux Philippines et en Chine.
Dirigée par Francisco Javier Balmis, cette expédition partit de la
Coruña en 1803 emportant vingt deux orphelins qui furent
successivement vaccinés durant le voyage : chaque fois qu’un sujet
présentait une lésion pustuleuse, du matériel virulent était inoculé au
bras d’un nouvel enfant. Ainsi des pustules fraîches purent arriver
dans le Nouveau Monde et être utilisées pour vacciner les
populations locales. Ce tour du monde de trois ans constitua sans
aucun doute la première expédition sanitaire internationale jamais
organisée.
La vaccination de bras à bras, telle qu’elle était pratiquée du
temps de Jenner, présentait de sérieux inconvénients, dont celui de
devoir disposer d’un porteur de pustules vaccinales susceptibles
d’être prélevées, c’est-à-dire au septième jour après l’inoculation. De
plus, le risque était grand de transmettre occasionnellement des
maladies infectieuses, dont l’hépatite épidémique et la syphilis. Ces
accidents infectieux furent particulièrement fréquents à Naples, ce
qui donna à Gennaro Galbiati (1776-1844) l’idée, en 1804, de
revenir à l’hôte originel du virus de la vaccine. Il s’agissait d’inoculer
largement la vaccine sur les flancs d’une génisse et de récolter
ensuite une grande quantité de matériel vaccinant. Ce procédé,
révélé au Congrès de Médecine de Lyon en 1864, se répandit en
Europe. Une génisse inoculée en Italie et ramenée en France en
décembre 1864 est à l’origine des souches vaccinales françaises.
À l’Institut de la Vaccine animale, créé à Saint Mandé, Ernest
Chambon consacra sa vie à l’obtention de la vaccine et à la
propagation de la vaccination, par la création de services de
vaccination et la formation de leurs directeurs. La vaccination devint
obligatoire en France en 1902. Les autorités britanniques qui avaient
été favorables à la variolisation furent d’abord réticentes à la
remplacer par la vaccination, mais elles la rendirent obligatoire en
Angleterre et au pays de Galles en 1835, et dix ans plus tard en
Écosse et Irlande.
La génisse employée pour produire le vaccin fut parfois remplacée
par d’autres espèces animales, comme le bufflon à l’Institut Pasteur
de Saigon, en Indochine, à l’initiative d’Albert Calmette, ou le
mouton, technique de l’Institut Lister à Londres. Plusieurs progrès
techniques permirent d’obtenir une meilleure conservation du vaccin.
En 1850 en Grande-Bretagne, Cheyne utilisa la glycérine comme
stabilisateur du vaccin, ce qui permettait sa conservation prolongée
et son transport à distance, et permit la généralisation de la
vaccination dans l’empire colonial français, en atteignant les
populations les plus reculées.
En 1897, Chambon et Saint-Yves Ménard imaginèrent le « vaccin
sec  », par dessiccation dans une cloche à vide, au moyen de
chlorure de calcium. Ensuite Lucien Camus et André Fasquelle
mirent au point la dessiccation de la pulpe vaccinale à basse
température sous vide (lyophilisation). Plus tard, les techniques
élaborées disponibles en virologie, comme l’inoculation à l’œuf de
poule ou les cultures de tissus, permirent d’obtenir des semences
vaccinales totalement indemnes de germes cutanés.
Ces améliorations techniques successives contribuèrent à une
généralisation de l’emploi de la vaccination, qui amena le déclin de
la variole dans la seconde moitié du xixe  siècle. Mais si la maladie
s’éteignit progressivement en Europe et en Amérique du Nord à
partir du premier quart du xxe  siècle, elle persista dans les régions
pauvres et surpeuplées du monde, particulièrement en Inde, en
Indonésie, en Amérique du Sud et dans la Corne de l’Afrique.

L’éradication de la variole
Au milieu du xxe siècle, la variole affectait encore annuellement de 10
à 15 millions de personnes dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie
ou d’Amérique du Sud, avec une mortalité d’un à deux millions de
décès par an.
L’idée se fit progressivement jour qu’une maladie strictement
humaine, contre laquelle on possédait un vaccin depuis près de
200  ans, pouvait être totalement éradiquée grâce à l’effort de la
communauté internationale. Point n’était besoin d’un vaccin
sophistiqué et coûteux, mais seulement d’une campagne de type
militaire, coordonnée à partir du siège de l’Organisation mondiale de
la Santé (OMS) à Genève. Et de fait, c’est la classique lymphe
vaccinale produite sur les flancs d’une génisse ou d’une jeune
bufflesse qui rendit possible l’éradication de la maladie, sans avoir
recours aux méthodes modernes de la Virologie ou de la Biologie
moléculaire. Les besoins immenses nécessaires à la réalisation de
la campagne mondiale d’éradication ne permettaient pas l’emploi de
techniques de production plus sophistiquées et coûteuses.
Un premier programme d’éradication avait été proposé par Fred L.
Soper, directeur du Pan American Sanitary Bureau en 1950, pour
l’Amérique Centrale et du Sud. Il permit d’interrompre en 1958 la
transmission de la variole dans les Caraïbes, l’Amérique Centrale et
certains pays d’Amérique du Sud. Mais l’objectif d’éradication totale
fut proposé en 1958 à l’OMS par le virologue soviétique V.M.
Zhdanov et conduisit à une première campagne qui échoua faute de
stocks de vaccins suffisants et d’un budget adéquat.

Virus de la vaccine contenu dans le vaccin antivariolique grâce auquel fut obtenue


l’éradication de la variole. © Institut Pasteur.

Lorsque l’OMS lança le nouveau programme mondial


d’éradication, en 1967, le nombre annuel de cas de variole était
estimé à 10 millions. Le programme fut conçu avec réalisme et doté
de moyens suffisants (2,5 millions de dollars). Le vaccin lyophilisé fut
sélectionné, inoculé à l’aide d’une aiguille bifurquée ou d’un injecteur
sous pression, sans aiguille. La vaccination s’accompagna d’une
surveillance épidémiologique étroite, qui consistait dans une traque
serrée de tous les cas, village par village. Rien qu’en Inde, il fallut
recruter 100 000 auxiliaires de santé pour assurer cette surveillance.
Entre 1967 et 1972, l’éradication fut obtenue en Amérique du Sud,
Indonésie, et la plupart des pays d’Afrique. De 1972 à 1975, ce fut le
tour de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh d’être débarrassés de
la maladie. Il fallut attendre 1977 pour libérer les pays de la Corne
de l’Afrique, Djibouti, Éthiopie et Somalie. Deux ans après le dernier
cas de variole, le 26  octobre 1979 fut officiellement déclaré «  jour
zéro de la variole » (voir figure ci-dessous).

Affiche de l’Organisation mondiale de la Santé célébrant l’éradication de la variole


en Afrique, dernier continent à avoir été délivré de la maladie. © Organisation
mondiale de la Santé.

La certification de l’éradication de la variole a été proclamée lors


de l’Assemblée Mondiale de la Santé à Genève, en mai  1980,
quelque deux cents ans après la première vaccination réalisée par
Edward Jenner. Il faut encore une fois souligner que ce résultat
remarquable fut obtenu grâce à un vaccin imaginé en 1796, et qui
avait fort peu évolué avec le temps. Cet évènement démontre que
l’éradication d’une maladie repose sur une volonté politique
beaucoup plus que sur des développements techniques. L’adhésion
des populations et une logistique élaborée sont des conditions
indispensables au succès.

Situation actuelle et perspectives


L’éradication obtenue en 1979 signifie-t-elle que l’humanité en ait
terminé avec la variole  ? En principe oui, puisque son agent
strictement humain s’est éteint avec le dernier cas, mais la réalité
n’est pas aussi simple. L’existence de collections de souches de
variole dans les nombreux laboratoires qui fabriquaient le vaccin,
représente un risque, car ce virus constitue un candidat de choix
pour une utilisation terroriste. Et puis des virus de variole d’origine
animale, proches de celui de la variole humaine, pourraient s’inviter
chez l’Homme, et provoquer des épidémies nouvelles. N’est-ce pas
d’ailleurs ce qui semble s’être passé dans les temps anciens, où,
selon des études récentes de génétique moléculaire, le virus de la
variole humaine aurait résulté de l’adaptation du virus, très proche,
de la variole du chameau ?
Les virus de la variole des singes inquiètent particulièrement les
spécialistes, depuis qu’à la fin des années 1950 sont apparues, sur
des singes des animaleries de plusieurs instituts de recherche
européens et nord américains, de petites épidémies d’une maladie
cutanée pustuleuse ressemblant fort à la variole humaine, et dont le
virus, proche de celui de la variole, fut baptisé par les Anglo-saxons
monkeypox virus. Les singes infectés étaient tous d’origine africaine
ou asiatique. Un peu plus de 20  ans plus tard, en 1970 apparut le
premier cas humain de maladie éruptive à virus de la variole du
singe, chez un enfant de 9 ans vivant au Zaïre, actuellement
République Démocratique du Congo. Cet enfant, seul malade de la
famille, était également le seul à n’avoir pas été vacciné contre la
variole. Entre 1970 et 1980, une centaine de cas humains
sporadiques furent diagnostiqués en Afrique de l’Ouest et en Afrique
Centrale, principalement au Gabon, au Cameroun et au Zaïre. Dans
ce dernier pays, une épidémie de plusieurs centaines de cas survint
en 1996-1997. L’éruption cutanée était typique de la variole, la
mortalité d’environ 3  %, et la maladie était nettement moins grave
chez les personnes qui avaient été antérieurement vaccinées contre
la variole.
Et puis, surprise en 2003  : une petite épidémie d’une maladie
éruptive due au virus de la variole du singe toucha 72  personnes,
principalement des enfants, dans les états du Centre-ouest des
États-Unis. La forme clinique était plus bénigne qu’au cours de
l’épidémie africaine et il n’y eut pas de morts. La source de
l’infection, rapidement identifiée, provenait d’une cargaison de
plusieurs centaines de Rats de Gambie et d’écureuils arboricoles
importés du Ghana, en Afrique de l’Ouest. Toutes les personnes
infectées avaient été en contact avec ces rongeurs sauvages
importés, ou avec des chiens de prairie, animal de compagnie à la
mode aux États-Unis, qui eux-mêmes avaient été infectés par les
rongeurs importés. Durant cette épidémie, il n’y avait pas eu de
transmission interhumaine, ce qui permit d’enrayer rapidement le
phénomène. Et à cette occasion, il apparut que l’histoire naturelle
des virus de la variole des singes était plus complexe qu’on ne le
croyait, et que l’on avait manqué jusqu’alors un échelon du cycle du
virus. On montra que les réservoirs du virus dans la nature, en
Afrique, étaient des rongeurs sauvages, écureuils forestiers ou rats,
et non les singes, qui eux n’étaient que des hôtes occasionnels, tout
comme les antilopes ou les Hommes. La contamination humaine,
dans les foyers naturels d’Afrique Centrale se fait à l’occasion
d’activités de chasse. Ainsi donc, nous nous trouvons en présence
d’un virus animal pouvant aisément passer chez l’Homme lorsque
celui-ci fait intrusion dans son foyer naturel d’infection. Au
demeurant, l’épidémie américaine à virus de la variole du singe a
montré la facilité qu’il pouvait y avoir à importer un virus pathogène
par l’intermédiaire d’animaux domestiques ou sauvages.
Dans l’avenir, la pérennisation d’une épidémie chez l’Homme sera
conditionnée à la capacité du virus à se transmettre directement
d’Homme à Homme, dans un contexte favorable où celui-ci a perdu
toute immunité antivariolique. En effet, la vaccination systématique
des enfants ayant cessé dès l’éradication de la variole, il n’y a, à ce
jour, sur la terre, plus aucun sujet de moins de 30  ans immunisé
contre la variole.
La deuxième menace que la variole continue à faire peser
concerne le risque biologique intentionnel. Le virus de la variole,
hautement contagieux par voie aérienne et très résistant dans
l’environnement, figure en effet en bonne place sur la liste des
microbes potentiellement utilisables dans la guerre et le terrorisme
microbiologiques. Il est «  la bête noire de la guerre bactériologique
pour tous les pays développés  » selon Steven Block, biophysicien
de l’Université de Stanford, aux États-Unis. D’ailleurs, certains pays,
dont les États-Unis, Israël ou l’Iraq, ont maintenu la vaccination
antivariolique de leurs militaires largement au-delà de la date
d’éradication. Du virus variolique répandu dans le système
d’aération d’un avion, ou d’un immeuble entraînerait la
contamination de nombreuses personnes, qui, à leur tour, seraient
source de dissémination. L’opération menée dans le métro d’une
grande ville aurait une efficacité encore supérieure.
Consciente du danger que représentait à l’avenir la variole, l’OMS
décida, aussitôt l’éradication obtenue, de restreindre à deux les sites
autorisés à garder des souches du virus de la variole  : le CDC
d’Atlanta, aux États-Unis et l’Institut Ivanovsky de préparations
virales de Moscou, en URSS. De même, recommanda-t-elle de
détruire les stocks détenus par d’autres instituts ou laboratoires.
Mais la destruction des stocks est difficile à contrôler dans certains
pays et ne garantit pas la disparition du virus. Quant à la Russie, elle
décida unilatéralement de transférer le stockage des souches de
virus variolique de Moscou au Centre Vektor, près de Novossibirsk,
en Sibérie, où elle menait des recherches sur la variole à des fins
militaires, ce qui augure mal des véritables intentions de ses
dirigeants.
Le séquençage complet du génome du virus de la variole a été
terminé en 1992, et sa séquence publiée dans les revues
scientifiques. Les fragments d’ADN utilisés sont conservés dans les
divers laboratoires ayant participé à cette opération. Ils pourraient
être utilisés pour créer un nouveau virus recombinant hautement
pathogène, en introduisant des gènes de virulence dans le virus de
la variole du singe, par exemple.
La montée du terrorisme international au cours des dernières
décennies a relancé les craintes de la communauté internationale
sur les possibilités d’utilisation dévoyée des agents infectieux très
pathogènes, et en particulier les possibilités de réintroduction
délibérée de la variole. Après les attentats du 11  septembre 2001,
Sanofi Pasteur a pris l’initiative de mettre les stocks vaccinaux
encore disponibles à la disposition des autorités médicales de
France et des États-Unis, et a développé un vaccin de deuxième
génération sur culture cellulaire. D’autres firmes sont également en
capacité de produire un vaccin de deuxième génération, et travaillent
en parallèle sur la mise au point de vaccins de troisième génération.
Divers tests diagnostiques, en particulier des tests par PCR, ont
été developpés. La recherche d’antiviraux antivarioliques en cours a
permis l’homologation de deux produits, et d’autres recherches sont
en développement.
L’enjeu est de disposer de moyens de diagnostiquer et traiter la
maladie au cas où elle réapparaîtrait, et de moyens de vacciner
dans l’urgence les populations menacées pour gagner la course que
des irresponsables pourraient engager.
5
Concentrations humaines
et épidémies : le typhus

« L’incidence du typhus peut servir d’indicateur de la folie


des Hommes »

Taylor, Kingston et Rizk8

Le typhus exanthématique mondial est une des grandes maladies


pestilentielles qui fit des ravages durant des siècles, dans de
nombreux pays. Il est provoqué par une bactérie de très petite taille
de la famille des Rickettsies, Rickettsia prowazeki. C’est un microbe
spécifique de l’Homme, qui constitue son réservoir. Elle lui est
transmise par l’intermédiaire d’un insecte vecteur, le pou du corps.
Celui-ci se contamine en prenant un repas sanguin sur un Homme
infecté. Après une dizaine de jours, les déjections du pou infecté
sont virulentes. Il suffit que le porteur de pou se gratte pour qu’il
charge ses doigts, ses ongles de déjections ou de fragments de pou
écrasé, contenant des rickettsies qui pourront pénétrer à travers la
peau excoriée, lésée par le grattage, ou à travers les muqueuses,
conjonctive de l’œil en particulier.

Conditions de maintien du typhus

Pour que le typhus se maintienne dans la nature, il faut que son microbe
puisse se transmettre d’Homme à Homme. Il faut donc des personnes vivant
dans des conditions d’hygiène défectueuse, ne se lavant pas ni ne changeant
leurs vêtements, permettant ainsi la pullulation des poux dans les poils, les
plis de leurs corps et leurs vêtements. Il faut également que ces personnes
soient en étroit contact, pour pouvoir échanger leurs poux. C’est pourquoi le
typhus est resté cantonné aux régions tempérées et froides, épargnant le
monde tropical où le mode vestimentaire est en général impropre à la
préservation du pou.

Le domaine d’élection du typhus a longtemps été l’Europe, en


particulier orientale, l’Afrique du Nord, le Proche et Moyen-Orient, où
la maladie se manifestait durant l’hiver, sous forme de petites
épidémies familiales. En Tunisie où travaillait Charles Nicolle, le
typhus «  se réveillait pendant l’hiver dans le fond des campagnes
tunisiennes. De ces foyers éloignés, (il) gagnait les asiles de nuit, les
pénitenciers, les faubourgs des villes. Les quartiers indigènes de
Tunis, les prisons, étaient régulièrement frappés. L’épidémie
rétrocédait en juin  ; elle reculait vers les campagnes lointaines.
Jusqu’aux derniers jours de l’année, on n’en entendait plus parler. »
Dès qu’étaient créées des concentrations humaines, telles les
armées en campagne ou les camps de prisonniers, les poux
proliféraient, s’échangeaient rapidement, conditions favorables au
déclenchement d’une grave épidémie de typhus, faisant des milliers
de victimes. Tout au long de son histoire marquée par des conflits
incessants, l’Europe a été la proie de dramatiques épidémies de
typhus. Les armées non seulement ont été décimées par ces
épidémies, mais elles ont disséminé la maladie, infectant les
populations civiles des pays ravagés par les guerres.
Grâce aux découvertes scientifiques du xxe  siècle, l’Homme s’est
progressivement doté des moyens de combattre le typhus. Le
vecteur une fois identifié, on le combattit, par l’épouillage
systématique et sa destruction par un insecticide, le DDT. La
découverte du microbe permit la mise au point de techniques pour le
multiplier et le développement de vaccins, destinés à prévenir
l’infection de l’Homme. Enfin, l’ère des antibiotiques amena le
remède spécifique permettant de guérir le patient et d’éviter sa mort.

Origine du typhus
Maladie certainement ancienne, son entité eut du mal à se dégager
du grand groupe des « fièvres ». Ce que l’on a appelé la « peste de
Syracuse », en 395 avant Jésus-Christ, ou la « peste de Cyprien  »
en l’année 251, pouvait tout à fait correspondre à des épidémies de
typhus.
Dès le xvie  siècle, on nota que des humains entassés dans les
lieux surpeuplés et obligés de vivre dans la saleté, se trouvaient
fréquemment atteints d’un mal dont les ravages augmentaient
progressivement. Son lien avec les guerres, les sièges, les retraites
et les camps est ancien, comme en témoignent les diverses
dénominations dont la maladie fut longtemps dotée : fièvre militaire,
fièvre des camps, morbus bellicosus, fièvre maligne des armées,
peste de guerre ou typhus des camps. Faire l’histoire du typhus,
c’est parcourir l’histoire des guerres entre les nations, en particulier
européennes.
Ce n’est que vers le xvie  siècle que le typhus commença à être
individualisé. Dans son ouvrage De contagione et contagiosis
morbus, paru en 1546, Girolamo Frascator (1478-1553) distingua le
typhus de la peste et en donna une première description. Heinrich
Skreta von Zavorziz, médecin personnel du duc de Württemberg, lui
consacra un ouvrage, en 1676. Le médecin montpelliérain François
Boissier de Sauvages en donna en 1760 une description clinique et
proposa de le nommer «  typhus exanthématique  ». En effet, la
maladie se caractérise par une très forte fièvre accompagnée d’une
éruption de petites taches roses sur le corps (l’exanthème), petites
taches qui s’assombrissent progressivement jusqu’à devenir
noirâtres, cependant que le patient, au début délirant, sombre
progressivement dans un état de torpeur profonde, presque de
coma, qualifié de tuphos.

Le typhus dans l’Histoire


La première épidémie que l’on puisse attribuer de façon quasi
certaine au typhus se produisit en 1489 en Espagne, où, lors du
siège de Grenade, 17 000 hommes de l’armée des rois catholiques,
Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, périrent d’une fièvre
accompagnée d’exanthème. De grandes épidémies se produisirent
au xvie  siècle en Europe, véhiculées semble-t-il par cette même
armée espagnole, à l’occasion des nombreux conflits entre la France
et l’Espagne : épidémie dans l’armée française qui assiégeait Naples
en 1528 et perdit quelque 30 000 hommes ; épidémie encore dans
l’armée impériale partie combattre les Turcs en Hongrie (1542) ou
dans l’armée de Charles Quint à Metz en 1552. De même, le typhus
accompagna la campagne de l’armée espagnole aux Pays-Bas
(1572-1573). Les Conquistadors importèrent le typhus dans le
Nouveau Monde, où de graves épidémies se produisirent en 1576
dans les populations indigènes du Mexique et du Pérou. Au
xviie  siècle, le typhus sévit dans l’Allemagne dévastée par la guerre
de Trente ans et en Russie.
Les grands conflits qui secouèrent l’Europe aux xviiie et xixe siècles
furent autant d’occasions pour le typhus de se manifester
bruyamment. Les armées napoléoniennes parcourant l’Europe en
tous sens, y disséminèrent le typhus. Leurs campagnes furent
ponctuées de nombreuses épidémies dans les troupes françaises,
parmi les prisonniers et dans les populations des villes où
séjournaient les armées  : durant la campagne d’Espagne (1808),
après Iéna (1806), Austerlitz ou Wagram (1809). Le typhus fut le
revers des victoires napoléoniennes. La campagne de Russie fut
également accompagnée de graves épidémies de typhus. À Wilna
en 1812, sur 30 000 prisonniers, 25 000 en succombèrent. Pendant
la retraite, le typhus fit de nombreux ravages, à Dantzig et Mayence.
De Mayence, les troupes apportèrent le typhus à Strasbourg et à
Metz. Après l’Alsace et la Lorraine, la Champagne et la Bourgogne
furent infectées.
À partir de 1820, le typhus disparut presque totalement d’Europe
Occidentale et Centrale, mais demeura actif dans la partie est du
continent et dans les Balkans. Durant la guerre de Crimée,
l’épidémie commença en décembre 1854 dans les troupes Russes.
Elle gagna ultérieurement les armées anglaises et françaises,
culminant en 1855. De retour de campagne, ces troupes
provoquèrent des épidémies dans les grandes villes du pourtour
méditerranéen, Constantinople, Gallipoli, Marseille ou Toulon. Au
cours de la guerre russo-roumaino-turque de 1877-1878, le typhus fit
d’énormes ravages dans l’armée russe. Ce siècle fut également
marqué par une série d’épidémies de typhus sur l’ensemble des Îles
Britanniques, en particulier en Irlande où la maladie s’ajouta à la
grande famine pour décimer la population. En 1847 une épidémie
éclata au Canada, apportée par des émigrants irlandais. Après
1880, le typhus sembla s’être retiré dans les pays de l’est de
l’Europe, ne se manifestant plus que de façon occasionnelle en
Europe Occidentale. En Afrique, la guerre de 1876 entre l’Égypte et
l’Éthiopie s’accompagna d’épidémies dans les deux pays.

Typhus et prisons

De manière moins massive, le typhus sévissait dans les prisons provoquant


la mort de prisonniers, et atteignant parfois de façon anecdotique, les
membres des tribunaux. À Cambridge, en 1552, plusieurs juges, des jurés et
des huissiers tombèrent malades, et certains succombèrent, quelques jours
après le procès de criminels extraits de prison. À Oxford en 1577, la maladie
frappa quelques prisonniers, puis les fonctionnaires du tribunal, et gagna
ensuite la population, dans laquelle plus de 500 personnes moururent dans le
mois qui suivit. On parla des « assises noires ». Au xviiie siècle, un procès au
tribunal du Comté de Londres fut suivi par la maladie et la mort du
bourgmestre, du juge de paix, d’un avocat, de sept membres du jury et de
quarante assistants. On parla alors de «  fièvre patibulaire  ». D’ailleurs la
première moitié du xviiie  siècle fut marquée par une succession d’épidémies
de typhus à Londres, de 1709 à 1720, puis en 1726-29, 1741-42, 1750.

Le typhus durant la Première Guerre mondiale


Au xxe  siècle, le typhus aggrava tous les conflits, en particulier les
deux guerres mondiales, mais son histoire y est caractérisée
également par les découvertes à la fois de son mode de
transmission, de son microbe et des moyens de le combattre.
Pendant la Première Guerre mondiale, le typhus fut la pathologie
infectieuse dominante sur le front oriental, avec le paludisme, alors
que la tuberculose dominait sur le front occidental. Le typhus éclata
en 1914, dans l’armée autrichienne. L’invasion de la Serbie par les
troupes autrichiennes et l’agglomération des populations civiles dans
les parties non occupées du pays qui en résulta, entraînèrent
l’éclosion du typhus à la fois dans l’armée, et dans la population
civile de ce pays. De même, le typhus n’était pas présent en
Roumanie lorsque ce pays entra en guerre, en 1916. L’épidémie y
commença en novembre  1916, avec la retraite des troupes de
Moldavie et atteignit son apogée en mai  1917. Pendant toute la
guerre, il y eut de très fortes épidémies de typhus en Pologne, en
Allemagne et en Autriche, alors que l’épouillage systématique
adopté dans les armées alliées à la suite de la découverte de la
transmission par le pou, faite par Charles Nicolle en 1909, les mit, le
plus souvent, à l’abri du fléau.
La révolution russe s’accompagna d’épidémies massives de
typhus. Entre 1919 et 1922, 5 millions de cas furent officiellement
recensés, mais l’ampleur de l’épidémie fut vraisemblablement 3 à
4  fois supérieure. Le pou fut alors stigmatisé par Lénine comme
« ennemi du communisme ».

Le typhus durant la Seconde Guerre mondiale


La Seconde Guerre mondiale vit une explosion du typhus dans de
nombreux pays, belligérants ou non  : Égypte, 1940-45, Iran, 1942-
44, Italie, 1943-44, Japon et Corée en 1945-1946. Et durant cette
même guerre, le typhus ajouta sa touche à l’horreur de l’holocauste.
La création des ghettos juifs dans les territoires d’Europe occupés
par l’Allemagne hitlérienne reposait sur l’argument de créer des
«  zones de contagion  » interdites aux Allemands afin de les
préserver des maladies véhiculées, selon l’idéologie nazie, par les
populations juives. Et de fait, le typhus, associé à la surpopulation et
à la famine, fut responsable de plus de 100 000 morts dans le ghetto
de Varsovie en 1941-1942.
Selon Charles Larson, médecin qui, dès l’ouverture des camps de
concentration, enquêta sur les crimes de guerre allemands pour le
département juridique de l’Armée américaine, le typhus fut la
première cause de mortalité dans les camps de Dachau,
Buchenwald et Bergen-Belsen. À Bergen-Belsen, où n’existaient pas
de chambres à gaz, de très nombreux détenus moururent de typhus,
parmi lesquels Anne Franck et sa sœur Margot, et la mère de
Simone Veil, en mars  1945. À la libération du camp, le typhus y
sévissait de façon intense, au point que les Britanniques décidèrent
de déplacer tous les détenus vers les casernements de l’armée
allemande, afin de pouvoir brûler l’ensemble des baraquements de
bois du camp, ce qui représentait la meilleure façon de stopper
l’épidémie. Mais, malgré les efforts des Britanniques, 13  000
prisonniers moururent (voir encadré).
Les armées allemandes furent également affectées par le typhus
durant l’invasion de l’URSS, en 1941. Aussi, ce fut l’une des
maladies particulièrement étudiées par les médecins des camps de
concentration. Le camp d’Auschwitz eut un département de
«  médecine expérimentale  », dans lequel furent conduits de
nombreux essais thérapeutiques sur des patients atteints de typhus,
en particulier par le docteur Helmuth Vetter, médecin du camp et
employé d’une grande firme pharmaceutique allemande. Entre 1942
et 1944, divers produits, tels le 3582, une préparation d’acridine, le
ruthenol et le periston, furent expérimentés au bloc 20. L’observation
du «  groupe expérimental  » était conduite méthodiquement et
poursuivie jusqu’à son terme, quelle que soit la gravité des effets
collatéraux du produit testé. Beaucoup trop de patients moururent
durant les expérimentations. Dans la recherche d’un vaccin
antityphique destiné à protéger les soldats allemands, le docteur
Vetter infecta délibérément d’innocents prisonniers, par injection de
sang de typhiques.

Découverte de la transmission du typhus


Le mode de transmission du typhus fut découvert avant même son
microbe, grâce aux travaux du microbiologiste français Charles
Nicolle (voir encadré).
Au moment où Charles Nicolle aborda l’étude du typhus, en 1903,
la connaissance des formes cliniques et évolutives de la maladie
était aussi étendue qu’elle l’est de nos jours et son diagnostic était
facile à établir. Mais si sa très grande contagiosité apparaissait
évidente, le mode précis de sa transmission n’était pas connu.
Pour Charles Nicolle, il était évident que le typhus était
contagieux. Les grandes épidémies survenant lors des
concentrations humaines le montraient à l’évidence. Les cas qu’il
observait en Tunisie étaient regroupés, familiaux, résultant ici encore
d’une contagion interhumaine. Or aucun cas de typhus ne survenait
chez les médecins et le personnel soignant des services hospitaliers
recevant des typhiques. «  La contagion s’arrête à la porte de
l’hôpital  » remarquait Charles Nicolle. Quelle différence y avait-il
entre le patient avant et après son entrée à l’hôpital, se demandait-
il ? La différence, c’était l’hygiène. Dès son admission à l’hôpital, le
patient était débarrassé de ses vêtements et lavé. Donc débarrassé
de ses ectoparasites, en particulier de ses poux. Car l’hypothèse de
Charles Nicolle était celle de la transmission par le pou.
Mais comment vérifier cette hypothèse sans animal
d’expérimentation  ? Charles Nicolle butait depuis le début de ses
travaux sur un obstacle majeur  : lui qui ne concevait de médecine
qu’expérimentale, n’arrivait pas à reproduire le typhus chez l’animal.
Il avait essayé en vain tous les animaux courants d’expérimentation :
souris, rat, cobaye, lapin, ou chien. L’expérimentation sur l’Homme
était une possibilité. On proposa d’ailleurs à Charles Nicolle
d’inoculer un condamné à mort. Il y songea un instant, mais écarta
rapidement cette solution. Ayant obtenu une subvention, il put
acheter un chimpanzé qui, inoculé, déclara, au 25e  jour, un typhus
typique, avec fièvre et éruption, à partir duquel Charles Nicolle put
inoculer des macaques qui développèrent alors la maladie. Et c’est
grâce à ces macaques, plus petits, moins chers et plus manipulables
que les chimpanzés, qu’il mit en évidence le rôle du pou du corps9
dans la transmission de la maladie  : des poux mis à gorger sur un
macaque en pleine maladie, puis déposés sur un macaque sain, lui
transmirent le typhus. Il communiqua à l’Académie des Sciences, le
6  octobre  1909, cette observation capitale, rendant possible les
premières mesures de lutte contre la maladie, que furent l’épouillage
et plus tard la destruction des poux par l’utilisation des insecticides
(voir encart ci-dessus).

Charles Nicolle, Prix Nobel 1928

Lors de son discours de réception du prix Nobel à Stockholm, Charles


Nicolle avait stigmatisé en ces termes la responsabilité humaine dans la
génération des épidémies de typhus  : «  Et voici la leçon la plus haute que
nous apporte la connaissance du mode de transmission du typhus : l’Homme
porte sur sa peau un parasite, le pou. La civilisation l’en débarrasse. Que
l’Homme se dégrade, qu’il se fasse semblable à la brute primitive, le pou se
multiplie de nouveau et il traite comme elle le mérite la brute humaine  ».
Quelle leçon d’humanité donnait-il là, d’une maladie traversant l’histoire par
son accompagnement des guerres, des conflits en tous genres, et jusqu’aux
camps de concentration où la brute révéla son inhumanité absolue.

Charles Nicolle étudia les conditions d’infection du pou et les


modalités de transmission du typhus à l’Homme. Mais c’est son
élève, Georges Blanc (1884-1963) qui montra, avec Marcel
Baltazard, à l’Institut Pasteur de Casablanca, en 1942, que la
transmission du microbe du typhus se faisait par l’intermédiaire des
déjections virulentes du pou, déposées sur les muqueuses ou sur la
peau excoriée du porteur de pou. Et c’est celui-ci qui se contamine
lui-même par grattage ou transport de matériel virulent au niveau
des conjonctives des yeux.

Découverte du microbe du typhus


La découverte du microbe lui-même revient au bactériologiste
américain Howard T. Ricketts (1871-1910), de l’Université de
Chicago. Travaillant sur une maladie éruptive voisine du typhus, la
fièvre pourprée des Montagnes Rocheuses, il découvrit qu’elle était
due à une bactérie de petite taille, se développant à l’intérieur des
cellules et donc ne se cultivant pas sur les milieux couramment
utilisés en bactériologie. Etudiant une épidémie de typhus à Mexico,
il observa en 1910, la bactérie responsable dans le sang des
patients, mais mourut après s’être infecté au laboratoire. Ces
mêmes petites bactéries furent retrouvées non seulement dans le
sang de patients, mais aussi dans des poux infectés par le
microbiologiste autrichien Stanislas von Prowazek (1875-1915),
directeur de l’Institut de Médecine tropicale de Hamburg, qui lui
aussi mourut d’un typhus contracté au laboratoire. C’est le
microbiologiste brésilien Henrique da Rocha Lima (1879-1956),
élève de von Prowazeck à Hambourg, qui décrivit la bactérie
responsable du typhus et la nomma, en 1917, Rickettsia prowazeki,
en hommage aux deux scientifiques morts de la maladie.

Le typhus, modèle de l’infection inapparente


Le prix Nobel de Médecine et Physiologie ne fut pas attribué à
Charles Nicolle pour sa seule découverte de la transmission du
typhus par le pou, mais pour l’ensemble de son œuvre sur cette
maladie. Parmi les travaux majeurs qu’il lui consacra, la découverte
qu’il fit du typhus inapparent eut une importance considérable sur le
plan conceptuel dans la compréhension de la genèse des
épidémies.
Chez le cobaye, Charles Nicolle mit au point une méthode
correcte de prise de température, lui permettant de suivre la courbe
thermique de l’animal infecté. Ce faisant, il s’aperçut que l’animal
inoculé avec du sang de macaque typhique voyait sa température
monter, puis chuter après un plateau, selon une courbe identique à
celle de l’Homme typhique. Pendant la durée de l’épisode fébrile, le
cobaye, tout comme l’Homme, se montrait virulent, c’est-à-dire que
son sang inoculé à un nouveau cobaye lui transmettait la maladie. Il
eut dès lors un modèle plus pratique à manipuler et moins coûteux
que le singe.
Passant le typhus de cobaye à cobaye, Charles Nicolle remarqua
que de temps à autre, certains animaux ne présentaient pas de
fièvre. Mais en faisant malgré tout un passage à partir d’un animal
qui était demeuré non fébrile, il eut la surprise de constater qu’il
transmettait également le typhus à un nouvel animal, tout comme un
cobaye fébrile. Il en déduisit que le cobaye faisait un «  typhus
inapparent  ». C’est cette observation originale qui fut à la base de
l’élaboration qu’il fit du concept d’«  infection inapparente  ».
L’infection inapparente évolue comme une maladie infectieuse
ordinaire, en ce sens que l’animal est virulent et développe une
immunité, mais il n’y a pas de signe clinique, la symptomatologie
reste inaccessible aux moyens d’investigation habituels.
Charles Nicolle supposa que cet état d’infection inapparente
existait chez l’Homme. Et de fait, son hypothèse fut vérifiée au cours
des épidémies de typhus de Serbie et de Russie, où l’on rencontra
des sujets sans fièvre ni symptôme morbide et dont le sang
cependant était virulent pour le cobaye. Ces sujets entretenaient, et
surtout disséminaient le typhus à leur insu, ce qui donne toute sa
dimension épidémiologique à la découverte de Charles Nicolle.
Nicolle s’est attaché à montrer que la connaissance des infections
inapparentes éclaire la genèse de maintes épidémies, en dehors du
typhus, comme celles de la rougeole, de la coqueluche, ou de la
poliomyélite. Les infections inapparentes renseignent également sur
le mode de conservation du microbe dans la nature. Les
perspectives qu’ouvrait cette découverte sont d’autant plus
redoutables que les animaux peuvent eux aussi présenter des
infections inapparentes. Charles Nicolle montra que l’infection
inapparente était la seule façon dont les rats et les souris
répondaient à l’inoculation par le typhus, et que ces animaux
transmettaient l’infection sans jamais extérioriser de
symptomatologie.

La vaccination contre le typhus


L’impossibilité de cultiver le microbe du typhus sur des milieux
utilisés en bactériologie représentait un sérieux handicap dans la
mise au point d’un vaccin. Le biologiste polonais Rudolf Weigl (1883-
1957) eut l’idée d’utiliser la multiplication de la rickettsie du typhus
dans l’ampoule rectale du pou pour mettre au point, à partir de 1930,
le premier vaccin contre cette maladie. Des poux de 12 jours étaient
inoculés par un lavement avec une suspension de rickettsies, ce qui
permettait d’obtenir, 5  jours plus tard, des quantités énormes du
microbe dans l’intestin du pou. Les poux étaient alors disséqués, et
les intestins broyés permettaient d’obtenir une suspension très riche
en microbes, qui constituaient le vaccin une fois tués. Ce vaccin
historique était dangereux à produire, car nécessitant la
manipulation de matériel hautement virulent, et difficile à produire en
quantité, car nécessitant l’élevage de milliers de poux, un insecte
hématophage ne se nourrissant qu’en piquant l’Homme. Dans ces
élevages, les poux étaient nourris sur des hommes qui portaient,
plaquées contre leur peau, un certain nombre de petites cagettes de
bois grillagées, remplies de nombreux poux qui les piquaient à
travers le grillage. Cette technique fut largement utilisée à l’Institut
Pasteur de Tunis.

Charles Nicolle et son préparateur Magid Rahal qui passa maître dans


la technique de précision du lavement au pou, à la base du premier vaccin
antityphique. Sur la photo, Magid Rahal manipule un cobaye, animal grâce auquel
Charles Nicolle découvrit les maladies inapparentes. © Institut Pasteur de Tunis.
Travaillant, à l’Institut Pasteur de Casablanca, sur un typhus
voisin, le typhus murin, Georges Blanc et Marcel Baltazard
constatèrent, en 1937, la protection croisée contre le microbe du
typhus exanthématique qu’assurait Rickettsia mooseri, l’agent du
typhus murin. D’où l’idée qu’ils eurent d’utiliser le microbe de ce
typhus bénin, transmis par la puce, pour préparer un vaccin qui
protégerait du typhus exanthématique. Marcel Baltazard découvrit
que la virulence de la rickettsie du typhus murin se conservait très
longtemps à l’état sec dans les déjections des puces infectées. Il
conçut donc un vaccin préparé à partir de déjections de puces
infectées. Les puces infectées furent dès lors élevées par millions
dans des cuvettes émaillées spécialement fabriquées, profondes, à
parois parfaitement lisses, avec bordures en relief et rigoles remplies
d’huile pour empêcher l’évasion des puces, insectes sauteurs par
excellence, et la dispersion de la poussière des déjections. En
plusieurs mois, le nombre des puces infectées dépassa les 10
millions et le tas de déjection 50 grammes, ce qui ne faisait pas un
bien gros tas, mais représentait tout de même 5 millions de doses de
vaccin. L’utilisation massive de ce vaccin en 1939 stoppa
momentanément le typhus au Maroc.
Mais heureusement, on découvrit bientôt comment obtenir, de
façon moins scabreuse, les quantités de rickettsies nécessaires à la
préparation d’un vaccin. Herald R. Cox (1907-1986), un biologiste
américain travaillant au Rocky Mountain Laboratory de Hamilton
(Montana), découvrit en 1938 la possibilité d’obtenir de grandes
quantités de rickettsies dans le jaune de l’œuf embryonné de poule.
Il put ainsi développer un vaccin formolé qui fut largement utilisé à
partir de 1943. De même, à l’Institut Pasteur de Tunis, Hélène
Sparrow et Paul Durand réussirent à obtenir de grandes quantités de
rickettsies sur poumons de souris, permettant la mise au point, en
1939, du vaccin anti-rickettsien de Durand et Giroud.
En Afrique du Nord, le typhus exanthématique sévissait à l’état
endémo-épidémique durant la seconde guerre mondiale. On
dénombra environ 300 000 cas en Algérie entre 1941 et 1944, près
de 40 000 cas au Maroc de 1942 à 1945, 100 000 cas en Tunisie en
1942. À partir de la fin 1941, les Instituts Pasteur d’Afrique du Nord
réalisèrent des campagnes de vaccination de masse avec les
vaccins qu’ils préparaient. Le débarquement américain, en
novembre  1942, et la libération de l’Afrique du Nord qui s’ensuivit,
donna à ces mêmes instituts la possibilité de participer à l’effort de
recherche des armées alliées. Edmond Sergent, directeur de
l’Institut Pasteur d’Algérie, y organisa un service de production du
vaccin de Durand et Giroud sur poumon de souris. Il participa à un
essai comparatif de ce vaccin avec celui de Cox sur œuf
embryonné, parmi des volontaires de l’armée britannique. Les
résultats de cet essai vaccinal furent contradictoirement interprétés,
les experts français jugeant le vaccin de Durand et Giroud supérieur
à celui de Cox, cependant que les experts américains affirmaient
l’inverse, sur la vue des taux d’anticorps apparus dans la population
vaccinée.
Dans la lutte contre le pou, les armées alliées de la Première
Guerre mondiale avaient bénéficié de l’épouillage systématique.
Celles de la seconde guerre mondiale bénéficièrent de la découverte
du DDT, ou dichlorodiphényltrichloréthane, produit découvert en
1874 par Othmar Zeidler, mais dont le chimiste suisse Paul Hermann
Müller découvrit en 1939 l’activité insecticide. Cette découverte, qui
valut au seul Müller le prix Nobel de Médecine et Physiologie en
1948, permit dès 1945 de lutter avec efficacité contre plusieurs
maladies à vecteurs, comme le typhus, mais aussi le paludisme. Le
DDT fut utilisé pour la première fois massivement pendant l’hiver
1943-1944 lors d’une épidémie de typhus à Naples, où les troupes
italiennes de retour d’Afrique du Nord avaient contaminé la
population civile. Le DDT et les campagnes de vaccination eurent,
dès lors, raison du typhus.
Enfin, les tétracyclines, antibiotiques découverts dans les années
1940 à partir de bactéries du sol, actifs sur Rickettsia prowazeki,
permirent de traiter et guérir les cas humains. On comprend dès lors
que, grâce aux armes dont on disposa pour détruire le pou
transmetteur du microbe, protéger l’Homme par la vaccination et
traiter les cas si l’infection s’est établie, le typhus exanthématique
mondial ait cessé d’être la maladie pestilentielle qui exerça ses
ravages durant des siècles.
Situation actuelle
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les grandes épidémies
de typhus ont subi une régression parallèle à la disparition des
grands conflits mondiaux. Dans les années 1990, seuls quelques
cas de typhus ont été rapportés en Éthiopie, au Nigeria et au Pérou.
La maladie réapparut ensuite dans des pays embrasés par des
conflits locaux, tel le Kosovo où la guerre ramena le typhus. De
même, la guerre civile de 1993 au Burundi et les troubles qui
suivirent s’accompagnèrent d’une épidémie faisant plus de 24  000
victimes.
En dehors de ces zones, le typhus se limite à certains foyers, où
les conditions sociales l’entretiennent, en particulier dans les pays
pauvres aux populations démunies d’Afrique. Mais il y est
généralement méconnu, et, dans la majorité des cas, seulement
révélé par le retour en Europe de cas importés, tel celui d’une
infirmière suisse revenant, en 1995, du Burundi, qui fut l’occasion de
découvrir une épidémie dans une prison de N’Gozi, dans le nord du
pays. De même un cas découvert en France en 1999 chez un
patient revenant d’Algérie révélait la permanence de la maladie dans
ce pays.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les pays
développés peuvent occasionnellement voir des cas, dans les
communautés marginales des laissés-pour-compte et des exclus.
6
Grands travaux et épidémies :
la fièvre jaune

« Combien il est fréquent, en parcourant les îles des Caraïbes,


de rencontrer une croix, une tombe isolée ou un cimetière
abandonné, qui témoignent comment nos conquérants,
nos soldats ont rencontré la mort, non pas des mains de leurs
ennemis, mais, comme nous le savons maintenant, vaincus
par la piqûre d’un insignifiant insecte. »

Rubert Boyce10

La fièvre jaune est une maladie redoutable (voir encart) qui fit des
ravages du xviie au xixe siècle, à la fois sur le continent américain, du
sud des États-Unis au nord de l’Amérique du Sud, et en Afrique
subsaharienne. Depuis le débarquement des Espagnols sur le
continent américain, au xviie  siècle, jusqu’à l’époque où l’on eut les
moyens de la combattre, au début du xxe siècle, elle fut un obstacle
constant aux entreprises de l’Homme aussi bien dans le Nouveau
Monde qu’en Afrique de l’Ouest. Elle fut une plaie qui gangrena les
grands travaux entrepris dans ces régions, comme nous le verrons à
propos du chantier du Canal de Panama.

La fièvre jaune

La fièvre jaune est une arbovirose fréquemment mortelle, transmise par


des moustiques. C’est une fièvre hémorragique accompagnée d’une hépatite
aiguë et d’une atteinte rénale pouvant générer une insuffisance rénale. Le
vomito negro, ou vomissement noir, qui avait frappé les malades et les
médecins de l’époque historique, est le signe d’une hémorragie digestive et
de graves perturbations de la coagulation.
La fièvre jaune est installée à la fois en Amérique et en Afrique (voir figure
ci-dessous), mais son origine géographique fait encore débat  : il n’est, en
effet, pas clairement établi si elle est d’origine américaine ou africaine. En
revanche, on sait qu’elle a toujours été absente du continent asiatique, pour
des raisons qui échappent.

Carte des territoires d’extension de la fièvre jaune.

Histoire de la fièvre jaune


On admet que la fièvre jaune est une des plus anciennes maladies
du Nouveau Monde, où, selon Alexander Von Humboldt, elle existait
au xie siècle. Elle aurait même été connue des Aztèques sous le nom
de matlazahualt. Les premières épidémies pour lesquelles la fièvre
jaune peut être précisément identifiée sont celles qui se produisirent
dans le golfe du Bénin en Afrique en 1520, puis dans les Caraïbes,
où, en 1635, le Père Dutertre fut le premier à décrire en détail la
symptomatologie de la maladie. Des épidémies furent signalées dès
1620 à La  Havane, où le vomito negro était décrit en 1761 par le
docteur Thomas Romay.
La fièvre jaune a longtemps représenté un problème majeur de
santé publique dans l’Amérique intertropicale, depuis le nord de
l’Amérique du Sud jusqu’au sud de l’Amérique du Nord, où ses
incursions furent régulièrement rapportées. Sa première apparition y
remonte à 1668, à New York. Elle réapparut à Boston en 1691 et à
Charleston en 1699. En 1793, ce fut au tour de Philadelphie d’être
ravagée par une terrible épidémie. La maladie était solidement
installée en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, comme le
vérifièrent les troupes britanniques qui furent décimées lors de
l’attaque de Carthagène, en Colombie, en 1741 (20 000 morts) et à
Cuba en 1762 (8  000  morts). De même, le corps expéditionnaire
français à Saint-Domingue, en 1802-1803, compta 24 000 morts sur
34 000 hommes.
Les épidémies de fièvre jaune du xixe siècle en Amérique du Nord
furent d’une grande violence. En 1853, à La Nouvelle Orléans, qui
comptait alors 150  000  habitants, la fièvre jaune atteignit
40  000  personnes, faisant 11  000  morts. Au début du xxe  siècle, la
fièvre jaune frappa encore les villes nord américaines, mais la
gravité des épidémies fut moindre, sans doute à cause de l’immunité
acquise antérieurement par les populations, mais aussi grâce aux
mesures d’assainissement mises en œuvre. En 1905, la fièvre jaune
se manifesta pour la dernière fois sur le sol des États-Unis  : elle
frappa tour à tour toutes les villes de la côte atlantique, depuis le
Texas jusqu’au New Hampshire ; elle pénétra même à l’intérieur des
terres, atteignant Saint Louis sur les rives du Mississipi. À La
Nouvelle Orléans, elle ne fit, cette fois-ci, que 423 morts.
La fièvre jaune était solidement implantée dans les Caraïbes d’où
elle s’exporta épisodiquement vers les ports européens de la côte
atlantique et vers ceux du Bassin méditerranéen grâce à
l’intensification des échanges commerciaux. Aux xviiie et xixe siècles,
de nombreux ports d’Espagne, du Portugal, de France, et même
d’Italie furent la proie d’épidémies qui durèrent parfois plusieurs
La fièvre jaune en Guyane

Voulant peupler la Guyane à la fin du xviiie  siècle, le duc de Choiseul,


Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, à la Guerre et à la Marine de
Louis  XV, décida l’envoi sur le Kourou de 13  000 colons, Français,
Allemands, Canadiens et Acadiens, encadrés par un Gouverneur, Etienne-
Henri Turgot, et un Intendant, Thibault de Chanvalon. L’aventure tourna
bientôt à la catastrophe. Entre 1763 et 1766, 10 000 colons périrent de fièvre
jaune, et les survivants se réfugièrent sur des îles qu’ils baptisèrent «  du
Salut ». Comme il fallait trouver un responsable à pareille débâcle, Chanvalon
fut poursuivi et lourdement condamné par la justice du Roi. Sa réhabilitation
demanda d’interminables procédures.

mois. Le port de Cadix fut le plus régulièrement atteint, puisque la


fièvre jaune y fit environ 100  000  morts entre 1730 et 1830. En
août  1821, un navire négrier, de retour de La  Havane, apporta la
maladie à Barcelone, où elle fit 20  000 victimes en cinq mois. À
Gibraltar, cinq épidémies de fièvre jaune se succédèrent de 1804 à
1828, décimant à chaque fois la garnison anglaise. Durant
l’épidémie de 1828, on y observa que les singes mouraient en aussi
grand nombre que les humains, observation prémonitoire, comme
nous le verrons ultérieurement. Lisbonne fut touchée en 1857, avec
1  800 cas dénombrés. En Italie, une sévère épidémie se déclara à
Livourne en 1804, et atteignit la ville marchande voisine de Lucques.
Les ports français de l’Atlantique, Nantes, Le  Havre, Brest, Saint-
Nazaire, Pauillac, et Marseille sur la Méditerranée ne furent pas
épargnés, bien qu’ayant été dotés de lazarets sur les
recommandations de la Commission d’enquête dépêchée à
Barcelone par le gouvernement français impressionné par l’ampleur
de l’épidémie de 1821.
En Afrique Occidentale, une première épidémie décima, en 1778,
les troupes françaises et britanniques qui s’affrontaient pour la
possession de l’île de Gorée, face à Dakar, mettant fin aux combats.
Onze épidémies se succédèrent au Sénégal entre 1778 et 1938 ; sur
les 1 300 Européens ayant vécu au Sénégal entre 1878 et 1881, 685
succombèrent à la fièvre jaune.
La fièvre jaune fut non seulement un obstacle aux entreprises
coloniales, en particulier des Européens en Afrique, mais elle
constitua un frein à des entreprises de développement et à la
réalisation de grands travaux. Elle est étroitement associée à
l’histoire du creusement du Canal de Panama, comme nous allons le
voir à présent.

Le creusement du canal de Panama


Lorsque les Conquistadors européens atteignirent le Panama, au
xve  siècle, ils découvrirent les routes tracées à travers l’isthme,
depuis plusieurs siècles, par les populations précolombiennes.
Vasco Nuñez de Balboa fut le premier explorateur européen à
traverser l’isthme et à voir le Pacifique. Il entreprit de construire une
route destinée à transporter ses navires, projet vite abandonné.
Charles Quint suggéra, en 1524, que creuser la terre quelque part
au Panama rendrait les voyages vers l’Équateur et le Pérou plus
courts et plus sûrs. Mais, en 1590, José de Acosta décréta le projet
infaisable  : «  couper cet intervalle de six lieues et joindre une mer
avec l’autre,... ce serait noyer la terre, une mer étant plus basse que
l’autre ». Un projet de creusement d’un canal interocéanique sous le
pavillon anglais de Guillaume  III vit le jour en 1695, mais avorta
rapidement.
Au xixe  siècle, le peuplement de la côte ouest des États-Unis par
des colons de plus en plus nombreux et la ruée vers l’or qui suivit
l’annexion de la Californie, accrurent encore le besoin, pour les
États-Unis, d’une route entre les deux océans. Après plusieurs
projets, le chemin de fer de Panama fut construit, de 1850 à 1855,
dans des conditions difficiles. Cette entreprise coûta la vie à environ
12  000  personnes, décimées à la fois par la fièvre jaune, le
paludisme et le choléra dont la troisième pandémie atteignit le
Panama en 1852. Long de 75 km, entre Colón sur la côte atlantique
et Panama sur la côte pacifique, il fut intensément utilisé jusqu’à
l’ouverture du canal, dont l’idée fut relancée par l’explorateur
allemand Alexander Von Humboldt.
En 1819, le gouvernement espagnol autorisa la création d’une
compagnie chargée de la construction d’un canal. Mais ce ne fut
qu’en 1839 que la république de Nouvelle-Grenade, actuelle
Colombie, accorda à une compagnie française une concession pour
ouvrir une communication entre la ville de Panama et la côte
atlantique. Mais un ingénieur, envoyé sur place par le Premier
Ministre français Guizot, souligna l’énorme difficulté de l’entreprise,
amenant au renoncement du Gouvernement français.
En 1879, le Français Ferdinand de Lesseps, auréolé par sa
réussite dans le percement du Canal de Suez, décida de se lancer
dans l’aventure du Panama. Présidant le jury du Congrès
international du Canal interocéanique organisé par la Société de
Géographie de Paris, il fit retenir le projet de percement d’un canal
sans écluse, à niveau, présenté par Lucien Wyse et Armand Reclus.
Ayant racheté les droits de la Concession Wyse obtenue en 1876,
Lesseps lança la Compagnie Universelle du Canal interocéanique
de Panama. Grâce à l’appui des banques françaises, l’émission, en
1880, des actions de la Compagnie Universelle connut un véritable
succès.
Les travaux débutèrent le 1er  février 1881 dans l’euphorie. Les
gigantesques volumes à excaver pour la construction d’un canal de
niveau nécessitaient une main-d’œuvre innombrable, que l’on
importa des îles caraïbes anglaises, cependant que les ingénieurs
provenaient de France. Il s’avéra rapidement que les difficultés
techniques de l’entreprise avaient été largement sous-estimées, en
particulier pour ne pas décourager les investisseurs. Le massif
montagneux de Culebra constituait un obstacle quasi insurmontable
et l’instabilité politique de la région ne facilitait pas l’entreprise. Enfin,
l’hostilité du milieu naturel avait été ignorée. Les problèmes
sanitaires entraînèrent une véritable hécatombe parmi les
travailleurs. Les blancs furent emportés par la fièvre jaune, alors que
les noirs venus des îles des Caraïbes succombèrent massivement à
une forme particulièrement sévère de paludisme. Entre 1881 et
1889, le nombre de morts dépassa 22  000, dont plus de 2  000
atteints par la fièvre jaune. Et l’on estime que les trois quarts des
ingénieurs français venus travailler sur le projet moururent de la
fièvre jaune dans les mois suivant leur arrivée.
À partir de 1885, année noire où une révolution et un cyclone
atteignirent le Panama, l’opinion publique commença à se retourner :
« Monsieur de Lesseps est-il un creuseur de canal, ou un creuseur
de tombes ? » ironisait le Harper’s Weekly. Les fonds commencèrent
à manquer. Malgré des intrigues politiques pour faire de nouveaux
appels de fonds, la faillite de la Compagnie Universelle du Canal
interocéanique fut déclarée en 1889, conduisant à l’arrêt du chantier,
et, en 1892, éclata le scandale politico-financier dit « de Panama ».
La liquidation de la Compagnie Universelle fut prononcée en 1893,
suivie l’année suivante de la création de la Compagnie Nouvelle du
Canal de Panama, qui essaya de reprendre les travaux, mais dut y
renoncer et se résoudre à négocier avec les États-Unis.

Transmission de la fièvre jaune : l’hypothèse


des moustiques
La cause de la fièvre jaune demeura longtemps méconnue, ainsi
que son mode de transmission. Il s’agissait d’une maladie paraissant
contagieuse, puisqu’elle donnait lieu à d’impressionnantes
épidémies, mais sans que l’on pût comprendre son facteur
déclenchant. Elle ne paraissait pas se transmettre d’Homme à
Homme, puisqu’elle ne touchait pas les personnes au contact des
malades, entourage, infirmières et médecins, alors que l’épidémie
s’étendait progressivement en tache d’huile.
Durant les premiers siècles où sévit la maladie, on la pensa
transmise par les miasmes, mais à partir de l’époque pastorienne,
dans la seconde moitié du xixe  siècle, on commença à rechercher
son microbe comme pour les autres maladies infectieuses, et à
explorer les modalités de sa transmission. Plusieurs précurseurs,
remarquèrent une relation entre épidémies de fièvre jaune et
pullulations de moustiques, en particulier les médecins américains
John Crawford en 1807 et Josiah C.  Nott en 1848, ainsi que le
médecin créole Louis-Daniel Beauperthuy, en 1854. Mais c’est
Carlos Finlay, Cubain d’origine franco-anglaise, qui approcha le plus
près de la solution, sans la démontrer de manière irréfutable. Installé
comme médecin praticien à La Havane, Finlay fit piquer, entre 1880
et 1900, un grand nombre de volontaires par des moustiques
Stegomyia calopus (actuellement appelés Aedes aegypti), ayant
préalablement pris un repas de sang chez des patients atteints de
fièvre jaune. Mais si Finlay avait bien trouvé le véritable vecteur de la
fièvre jaune, ses expérimentations n’apportèrent pas la preuve de sa
responsabilité dans la transmission de la maladie. En effet, aucun
des volontaires piqués par des moustiques ne déclara de fièvre
jaune, pour des raisons qui s’éclairèrent à partir des travaux de
Walter Reed.

La démonstration de Walter Reed


Le médecin militaire américain Walter Reed (1851-1902) aborda
tardivement dans sa carrière la bactériologie et l’hygiène. Devenu
major, il fut désigné en 1900 pour diriger la Seconde Commission de
la fièvre jaune, envoyée dans l’île de Cuba, devenue indépendante
sous contrôle américain, à la suite de l’intervention, en 1898, des
États-Unis dans la guerre que menaient les Cubains contre
l’Espagne. Il s’agissait d’apporter un appui aux troupes américaines
déployées à Cuba, fortement affectées par la fièvre jaune et le
paludisme. Étudiant une épidémie de fièvre jaune survenue à
Quemados, non loin de La  Havane, Walter Reed et ses
collaborateurs constatèrent que la fièvre jaune n’était pas
transmissible directement d’Homme à Homme. Reprenant
l’hypothèse des moustiques, ils réalisèrent des expérimentations sur
des volontaires humains payés, soldats américains, émigrants
récents venus d’Espagne, ou membres de la Commission.
Bien qu’éthiquement discutables, ces expérimentations eurent le
mérite d’être menées avec une rigueur technique parfaite qui permit
de démontrer définitivement non seulement la transmission de
l’agent de la fièvre jaune par le moustique, mais la nature virale de
l’agent en cause. Elles montrèrent qu’après la piqûre d’un Aedes
aegypti infectant, la fièvre jaune survenait en trois à cinq jours, et
qu’une première atteinte protégeait les survivants d’une nouvelle
piqûre infectante. Le sang du sujet atteint de fièvre jaune pouvait
transmettre le virus seulement dans les deux ou trois premiers jours
de la maladie. Enfin les moustiques gorgés sur des patients atteints,
ne pouvaient transmettre le virus qu’après une dizaine de jours de
développement interne, et restaient ensuite infectieux durant au
moins deux mois. On comprend dès lors pourquoi Finlay n’avait pu
transmettre la fièvre jaune au cours de ses expérimentations. En
effet, il faisait piquer des «  jauneux  » en phase avancée de la
maladie, où les virus n’étaient plus présents, et il n’attendait que
deux ou trois jours après le repas sanguin du moustique pour tenter
d’infecter ses volontaires, alors que le virus nécessite plusieurs jours
de maturation avant d’être inoculable à l’Homme.
Les découvertes de Walter Reed et de la commission qu’il dirigeait
furent immédiatement suivies de vastes campagnes
d’assainissement menées par un autre médecin militaire américain,
William Gorgas.

Gorgas et la lutte contre la fièvre jaune


William Crowford Gorgas (1854-1920) était Officier Sanitaire en chef
à La Havane au moment des travaux de la Commission de la fièvre
jaune. Dès février 1901, il établit, en concertation avec Walter Reed,
un plan de campagne contre la maladie, dont les cibles furent les
humains infectés et les gîtes de moustiques. Les patients atteints de
fièvre jaune étaient isolés dans des structures sanitaires
spécialement conçues, où ils étaient placés dans des box anti-
moustiques. Ainsi protégés de la piqûre de ces insectes, ils ne
pouvaient plus leur transmettre le virus, rompant ainsi la chaîne
épidémiologique.
Contre Aedes aegypti, moustique urbain responsable de la
transmission du virus, on luttait à la fois contre les formes adultes, à
l’intérieur des habitations, et contre les larves qui se développent
dans toutes les collections d’eau, et vont produire ultérieurement des
adultes. Les maisons dont venaient les malades étaient
soigneusement calfeutrées puis traitées par fumigations avec divers
produits insecticides, dont la poudre de pyrèthre ou le sulfure. Les
fumigations étaient étendues aux maisons voisines. Contre les
larves, on traquait toutes les collections d’eaux créées par l’Homme,
susceptibles d’héberger des larves, à l’intérieur et autour des
maisons. Tous les gîtes larvaires, aussi petits soient-ils, comme les
vases de fleurs par exemple, étaient surveillés et éliminés. Toutes
les réserves d’eau devaient être supprimées ou munies de
couvercles ou de grillages.
Les résultats de cette campagne furent spectaculaires. La fièvre
jaune, qui tuait environ 700  personnes par an à La  Havane, y
disparut fin 1901 et aucun cas n’y fut plus décelé jusqu’en 1904.
Semblable campagne fut ensuite appliquée à La Nouvelle Orléans,
où, en 1905, elle permit de décapiter une épidémie en trois
semaines. La méthode fut exportée dans les grandes villes de
l’Amérique intertropicale, et servit à éradiquer la fièvre jaune à Rio
de Janeiro, grâce à Oswaldo Cruz en 1903, en Amazonie et au
Bélize en 1905, et dans les îles britanniques des Caraïbes entre
1906 et 1909. Mais c’est certainement sur le chantier du canal de
Panama que la campagne d’éradication fut la plus riche de
conséquences, comme nous le verrons plus bas.
Emporté par ses succès, Gorgas postula que l’élimination
progressive de tous les foyers permanents de fièvre jaune dans le
monde devait permettre l’éradication totale de la maladie de la
surface de la terre. Pour lui, ce n’était qu’un problème de moyens et
de ténacité dans les actions. Mais ce concept d’éradication était tout
aussi illusoire pour la fièvre jaune, qu’il le fut plus tard pour le
paludisme. Et malgré les campagnes de lutte de la Troisième
Commission de la fièvre jaune soutenue par la Fondation
Rockefeller de New York, malgré des millions de dollars engloutis, la
fièvre jaune reprit l’offensive en Afrique de l’Ouest, en 1926-1927, et
au Brésil, en 1928.

Reprise du chantier du canal de Panama


Lorsque les États-Unis rachetèrent les droits de la Compagnie
Nouvelle du Canal de Panama, en 1904, l’épidémiologie de la fièvre
jaune avait été décryptée, et la  campagne d’éradication conduite à
La  Havane, par William Gorgas avait obtenu un succès complet.
Bénéficiant de l’expérience française, les États-Unis optèrent pour
un canal à écluses. Ils avaient soutenu la révolution locale qui avait
donné naissance, en 1903, à la République du Panama, par laquelle
ils s’étaient fait attribuer à perpétuité une zone de 16 kilomètres de
large. Enfin, dès sa prise de fonction, l’Isthmian Canal Commission,
missionna Gorgas pour prendre en charge les aspects médicaux du
chantier. Celui-ci effectua sur place une courte visite d’évaluation
des conditions locales en avril, puis un voyage à Paris pour étudier,
dans les archives de la Compagnie Universelle, les aspects
sanitaires de l’expédition française. Il revint s’installer au Panama en
juin 1904, avec une troupe de médecins et d’inspecteurs sanitaires.
Bien que les besoins sanitaires sur place fussent multiples, Gorgas
décida de se focaliser dans un premier temps sur la lutte contre la
fièvre jaune, dont les épidémies provoquaient la panique parmi les
ingénieurs blancs, éléments indispensables au projet,
préférentiellement décimés par la maladie. Le mot d’ordre qu’il lança
était : « plus aucun moustique au Panama ».
Le défi était immense, car, à la différence de La  Havane, Aedes
aegypti était présent au Panama tout au long de l’année. La
première inspection montra que des larves du moustique se
trouvaient dans toutes les maisons. Mais l’incrédulité du gouverneur
local entrava les mesures de lutte de Gorgas. Une épidémie de
fièvre jaune survint à la fin de l’année, qui amena la panique dans la
population venue des États-Unis. Gorgas ne fut maintenu à son
poste que grâce à l’intervention personnelle du Président Roosevelt,
qui commanda que tous les moyens lui fussent accordés.
Dans toute la zone du chantier, la nourriture et le logement des
travailleurs furent améliorés. Mais surtout, en juillet 1905 commença
la plus fameuse campagne de lutte contre une maladie réalisée dans
l’histoire. Des brigades anti-moustiques furent formées pour tous les
districts de Panama et Colon. Des médecins panaméens furent
recrutés pour inspecter quotidiennement les habitations. Chaque cas
de fièvre jaune était exploré à la recherche de la source de
contamination. Chaque demeure subissait des fumigations
abondantes, au point qu’un épais nuage blanc de vapeurs de sulfure
dominait la ville de Panama. En juillet  1905, l’eau courante était
installée à Panama, ce qui évitait les collections d’eau à domicile, et
facilitait la campagne de lutte contre les moustiques. Les équipes
purent se consacrer à la recherche et à l’élimination des gîtes
occasionnels. Même les bénitiers de la cathédrale furent visités, et
l’eau changée quotidiennement pour éviter la colonisation des
moustiques. Le nettoyage de la végétation autour des villes
s’accompagna de l’utilisation massive de pièges à moustiques, petits
réceptacles d’eau placés intentionnellement pour récolter les pontes
des Aedes femelles, et que l’on vidait tous les matins sur le sol,
empêchant ainsi le développement des œufs de moustiques pondus
pendant la nuit. Les habitations étaient protégées par des grillages
anti-moustiques.
Toutes ces mesures furent suivies d’effets concrets. Les cas de
fièvre jaune commencèrent à décroître en août, et le dernier cas fut
diagnostiqué en novembre 1905. L’éradication de la fièvre jaune était
obtenue à Panama. Elle avait demandé deux fois plus de temps qu’à
La  Havane, mais la voie était désormais libre pour
l’accomplissement du projet. Et en effet, le canal de Panama put être
ouvert à la navigation dix ans plus tard, en août 1914.

La fièvre jaune selvatique


Dans les années 1920-1930, de nombreux chercheurs de la
Fondation Rockefeller s’impliquèrent dans l’étude de la fièvre jaune,
aussi bien en Afrique de l’Ouest que sur le continent américain.
Leurs découvertes eurent d’importantes implications dans la
compréhension de l’épidémiologie de la maladie et pour la mise au
point d’un vaccin.
Une mission de cette fondation, installée à partir de 1925 au
Nigéria et en Côte d’Or, l’actuel Ghana, montra que le macaque
Macacus rhesus, un singe asiatique dont elle avait reçu des
exemplaires d’Inde, était extrêmement sensible à l’inoculation du
sang de malades et à la piqûre d’Aedes aegypti, alors que les singes
locaux se montraient réfractaires.
L’épidémiologsiste américain Fred L. Soper, étudia, en 1932, une
épidémie de fièvre jaune qui sévit durant trois mois dans une zone
rurale de l’État d’Espirito Santo au Brésil, où le moustique Aedes
aegypti était totalement absent. Il constata que la maladie
n’atteignait que les hommes travaillant en forêt, et épargnait les
membres de leurs familles. Cette étude fut à la base de l’élaboration
du concept de fièvre jaune selvatique, dans laquelle le virus circule
en forêt, dans la voûte forestière, ou canopée, entre les singes et
des moustiques du genre Haemagogus. Semblable situation fut
retrouvée dans d’autres pays d’Amérique du Sud, en particulier en
Colombie et en Bolivie.
Des épidémies rurales en l’absence d’Aedes aegypti furent
également signalées en Afrique de l’Est, au Soudan anglo-égyptien
dans les années 1940 et en Éthiopie en 1960-1962, ainsi qu’en
Afrique de l’Ouest, au Sénégal en 1965, au Nigeria et en Haute-
Volta en 1969 et en Gambie en 1978-1979. Les études de terrain
menées en Ouganda par les chercheurs britanniques de l’East
African Virus Research Institute montrèrent que les singes
arboricoles étaient piqués par Aedes africanus, moustique sauvage
à activité nocturne, qui leur transmettait le virus de la fièvre jaune.
Ainsi la fièvre jaune se révélait être une zoonose sauvage se
maintenant en forêt, parmi les singes, entre lesquels le virus se
transmettait par la piqûre d’espèces selvatiques de moustiques. Le
passage à l’Homme se faisait par le biais des singes venus piller les
plantations de bananiers, où ils contaminaient le moustique
domestique Aedes simpsoni qui, à son tour, infectait l’Homme.
En Afrique de l’Ouest, les travaux menés dans les années 1970-
1980 dans les Instituts Pasteur de Dakar et de Bangui, en
collaboration avec les centres ORSTOM correspondants, ont montré
une variante épidémiologique au modèle d’Afrique de l’Est. Si la
fièvre jaune était bien ici encore une zoonose sauvage de la forêt,
l’Homme se contaminait à partir des Aedes selvatiques qu’il
rencontrait dans les zones de forêt galerie. Puis, un cycle de fièvre
jaune domestique de type classique se reconstituait dans les villages
de savane, grâce aux Aedes aegypti adaptés au milieu rural.
Dans les cycles selvatiques, non seulement le virus passe de
singe à singe par l’intermédiaire du moustique, mais, chez ce
dernier, la femelle le transmet verticalement à sa descendance,
phénomène dit de transmission trans-ovarienne qui fait du
moustique un réservoir efficace du virus, en même temps que son
vecteur, et contribue à assurer la pérennité du cycle sauvage.
On comprend que, dans ces conditions, l’éradication totale de la
fièvre jaune, telle que rêvée par William Gorgas, ne pouvait réussir,
les cycles sauvages demeurant hors d’atteinte des méthodes de
lutte urbaine employées. Le meilleur moyen de se protéger de la
fièvre jaune reposait donc sur la vaccination, ce qui est encore
valable à l’heure actuelle.

Les vaccins contre la fièvre jaune


La mise au point d’un vaccin fut possible dès lors que les avancées
techniques permirent l’isolement de souches du virus et leur
conservation au laboratoire. Deux souches furent isolées chez le
macaque rhésus à partir du sang de malades  : la souche Asibi, en
1927 au Ghana, souche dite pantrope, car se multipliant dans tous
les tissus du singe, et, en 1928 à Dakar, la souche neurotrope, car
se multipliant dans le tissu nerveux et pour cela dite souche FN,
pour French Neurotropic. Ces deux souches furent ensuite
transformées par les virologistes en vaccins efficaces. La découverte
par Max Theiler, de la Harvard Medical School à Boston, en 1930,
de la sensibilité de la souris blanche au virus inoculé par voie
intracérébrale, permit de travailler en laboratoire de façon plus
simple, en s’affranchissant du passage par le macaque, modèle
lourd et coûteux.
Après des passages en série sur l’encéphale de la souris que
Watson Sellars pratiqua en 1932, la souche FN perdit sa virulence
pour le macaque et pour l’Homme. Elle servit à préparer le premier
vaccin contre la fièvre jaune que Sellars et Jean Laigret mirent au
point à l’Institut Pasteur de Tunis. À partir de 1934, ce vaccin fut
testé à Dakar, fabriqué à l’Institut Pasteur de cette ville et largement
utilisé en Afrique de l’Ouest. Au départ, le vaccin «  phosphaté  »
nécessitait trois injections de virulence croissante à 20 jours
d’intervalle ; il fut rapidement remplacé par le vaccin au jaune d’œuf
qui ne demandait qu’une seule injection. Ce dernier pourtant
nécessitait une conservation au froid, peu compatible avec une
utilisation de terrain. Il lui fut substitué le vaccin sec, composé de
lyophilisat de cerveau de souris inoculées. Les différentes formes de
ce vaccin furent utilisées dans toute l’Afrique francophone avec
succès. En 1940, ce vaccin fut associé au vaccin sec antivariolique,
qui permettait de réaliser en une seule séance une vaccination
mixte. Il permit une très large couverture vaccinale en Afrique jusque
dans les années 1960. Malgré ces améliorations successives, ce
vaccin avait conservé un certain tropisme pour le système nerveux
qui pouvait être responsable, chez l’enfant en particulier, d’accidents
neurologiques, ce qui entraîna son abandon et son remplacement
par le vaccin « 17D », mis au point en 1937.
En 1937, Theiler et Smith avaient obtenu un clone de la souche
africaine Asibi, atténué par plus de 200 passages en culture
cellulaire d’embryons de poulet dont on avait retiré le système
nerveux central, pour éliminer le neurotropisme de la souche. Ce
clone, produit en grande quantité dans l’œuf de poule embryonné,
permit la préparation du vaccin 17 D, très efficace et assez anodin,
si l’on exclut d’exceptionnelles encéphalites du jeune enfant. Ce
vaccin fut largement utilisé dans les zones rurales d’Amérique du
Sud, puis en Afrique où il supplanta totalement le vaccin de Dakar.
Sa généralisation permit d’obtenir ce que les campagnes
d’assainissement n’avaient pu assurer  : la disparition des grandes
épidémies urbaines de fièvre jaune.

Situation actuelle et perspectives


Contrairement aux espérances de William Gorgas, la fièvre jaune n’a
jamais été éradiquée de son territoire géographique. Elle représente
encore à l’heure actuelle un problème de santé publique dans de
nombreux pays du monde. Le virus de la fièvre jaune est
constamment présent chez le moustique et chez les primates non
humains de plus de 30  pays d’Afrique, 13 d’Amérique latine et des
Caraïbes, entre les latitudes 15° Nord et 10° Sud, ce qui correspond
à une population exposée au risque d’environ 470  millions de
personnes.
Depuis une trentaine d’années, la fièvre jaune a opéré un retour
en force dans les zones à risque, en particulier en raison de l’arrêt
des programmes de vaccination. Les cas sporadiques qui
persistaient dans de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique
résultaient d’une contamination de sujets non vaccinés à partir des
foyers selvatiques de fièvre jaune. Mais la modification des
comportements humains a accru les risques d’épidémies  :
urbanisation et périurbanisation intenses, facilitation et
accroissement de la rapidité des mouvements humains et
recrutement d’une importante main-d’œuvre à l’international ont
provoqué des flambées épidémiques urbaines de grande ampleur,
telles les épidémies de 2016 à Luanda (Angola) et à Kinshasa
(République démocratique du Congo), avec la propagation de cas
importés dans d’autres pays (Chine). Ces regains épidémiques ont
nécessité l’emploi de 28 millions de doses de vaccin, épuisant les
stocks mondiaux.
On redoute actuellement le développement de véritables cycles
urbains interhumains, déconnectés des cycles sylvatiques, basés
sur des populations urbaines d’Aedes aegypti. Enfin, la possibilité
d’une propagation de la maladie à d’autres continents où d’autres
espèces d’Aedes sont présentes (Inde, Chine) n’est pas exclue.
Toutes ces menaces ont conduit au développement, en 2017, sous
l’égide de l’OMS, d’un programme d’élimination mondiale des
épidémies de fièvre jaune (programme EYE, pour Elimination of
Yellow fever Epidemics). La stratégie est basée sur des campagnes
de vaccination préventives de masse, qui vont nécessiter la
production de 1,38 milliard de doses de vaccin. L’objectif est de
vacciner 80 % des populations exposées (le seuil de sécurité étant
de 60 à 80 %).
Les principaux messages délivrés par la fièvre jaune sont, non
seulement celui de l’impossible éradication des cycles zoonotiques
sauvages, à partir desquels peuvent ré-émerger des épidémies que
l’on croyait maîtrisées, mais encore celui de la possibilité
d’humanisation11 de ces épidémies liée à une urbanisation excessive
et désordonnée. C’est la situation actuelle en Amérique du Sud et en
Afrique subsaharienne, qui a conduit à l’élaboration de la stratégie
d’élimination mondiale EYE.
7
Plus meurtrière que la Première
Guerre mondiale : la grippe
espagnole

« Il est difficile de réaliser que la grippe est la maladie la plus


dangereuse qui ait jamais frappé l’humanité.

La raison principale est qu’elle se cache sous les traits d’une


affection saisonnière bénigne, ce qu’elle est également ».

Claude Hannoun12

La Première Guerre mondiale débuta en juillet 1914 et se poursuivit


quatre années durant, impliquant plus d’une quinzaine de nations.
Le conflit embrasa l’Europe entière, mais atteignit également une
petite partie de l’Asie et de l’Afrique, et l’Atlantique Nord. Il se solda
par des pertes humaines effroyables, atteignant huit millions de
morts et faisant plus de 10 millions d’invalides. Elle a souvent été
qualifiée de «  grande boucherie  ». Tout ce qui la concerne, les
alliances entre pays, les campagnes, les batailles, se trouve
abondamment détaillé dans les livres d’Histoire. En revanche,
l’hécatombe qui suivit, due à la pandémie dite de «  grippe
espagnole » de 1918-1919, ne se trouve pas, elle, dans les manuels
scolaires, bien qu’elle ait atteint au moins 200 millions de personnes
et causé la mort d’au moins 21 millions à travers le monde (certains
avancent des chiffres deux fois supérieurs). Aussi meurtrière que la
grande peste noire du Moyen Âge, elle causa beaucoup moins de
panique et de désordres sociaux, peut-être parce que la sensibilité
des populations était émoussée au sortir d’une guerre longue et
meurtrière.
La grippe et son épidémiologie

La grippe est une maladie pulmonaire virale très contagieuse, survenant le


plus souvent sous forme d’épidémies hivernales. Ce caractère saisonnier de
la grippe est souligné par l’autre nom donné à la maladie depuis le
xviiie siècle : « influenza », de l’italien influenza di freddo (sous l’influence du
froid), tant la maladie est toujours apparue liée au temps froid et humide de
l’hiver. Dans les pays tempérés, les virus circulent alternativement dans
l’hémisphère boréal, où les épidémies se déroulent d’octobre à avril, puis
dans l’hémisphère austral, où les épidémies se situent d’avril à octobre. Entre
les deux hémisphères, le milieu tropical n’est pas indemne, mais le virus y
circule plus irrégulièrement, sans épidémies manifestes. Ce «  basculement
hémisphérique  » du virus, avec des épidémies saisonnières alternées,
représente le mode épidémiologique habituel de la grippe.
Si les épidémies saisonnières de grippe sont en général banales, certaines
peuvent être sévères. De temps à autre, des pandémies résultant de l’arrivée
d’un nouveau sous-type de virus grippal peuvent se répandre dans le monde,
affectant gravement les populations de nombreux pays. Au cours des
pandémies, le caractère saisonnier de l’affection n’est pas toujours respecté.

Son histoire, et celle de sa famille de virus, méritent d’être


contées.

Histoire ancienne de la grippe


La grippe a une histoire ancienne que certains auteurs font remonter
à l’antiquité : Hippocrate aurait décrit une épidémie en 412 avant J.-
C. Depuis le xiie  siècle, plusieurs épidémies se sont succédé, dont
certaines semblent avoir eu une dimension pandémique. L’une des
premières fut celle de 1580 qui partit d’Asie mineure et d’Afrique du
nord, et gagna l’Espagne et l’Italie.
Une série d’épidémies se sont succédé au xviiie siècle en Europe.
Elles apparurent à des intervalles de 10 à 20  ans, furent plus ou
moins intenses et étendues, se déplacèrent souvent d’est en ouest,
certaines franchissant l’océan. La pandémie de 1729-1730 est la
première pour laquelle des documents sont disponibles. Partie de
Russie en avril  1729, elle gagna la Suède et l’Autriche, puis la
Hongrie, la Pologne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Irlande. En
1732, elle franchit l’océan et toucha la Nouvelle-Angleterre à Boston,
et au-delà le Mexique, les Caraïbes et le Pérou.
La pandémie de 1781-1782 partit vraisemblablement de Chine et
se propagea en Inde et en Russie, d’où elle envahit l’Europe
jusqu’en Grande-Bretagne et aux pays du Bassin méditerranéen.
Elle franchit également l’Atlantique et diffusa aux États-Unis. Sa
mortalité fut élevée, mais sans commune mesure avec ce que fut la
grippe espagnole de 1918-1919. La pandémie de 1788-1789 débuta
en Russie, gagna l’Europe par la Scandinavie, traversa l’Atlantique
et s’étendit largement aux États-Unis.
De même, le xixe  siècle connut plusieurs pandémies de grippe,
dont les plus importantes furent celles de 1830-1832 et de 1889-
1890. Une série d’épidémies dues à un virus hautement
transmissible, mais de faible virulence, parcoururent l’Asie, puis
l’Europe en 1830. Partie de Canton, en Chine, fin 1829, la pandémie
parcourut la Chine, les îles Philippines, les principales îles
indonésiennes, Singapour et la péninsule malaise, puis l’Inde et le
Japon. Fin 1830, l’épidémie était à Moscou, sans que l’on sache
comment le virus y était arrivé, mais d’où elle gagna l’Europe
occidentale, frappant Pologne, Allemagne, Autriche-Hongrie, France,
Hollande, Belgique, Îles Britanniques, Suisse, Italie et Espagne. Puis
le virus franchit l’Atlantique et envahit à son tour les États-Unis en
1832.
Après des épidémies restreintes en 1836-1837, une véritable
pandémie se déclara en 1889. Elle fut plus sévère et d’extension
plus large que les pandémies précédentes. Originaire
vraisemblablement d’Asie Centrale, elle envahit la Sibérie et la
Russie, puis la Scandinavie et l’ensemble des autres pays d’Europe.
Franchissant les océans elle se propagea au Canada et aux États-
Unis, puis gagna l’Amérique Centrale et du Sud. L’Afrique fut
également affectée en 1890, de même l’Inde et l’Asie, jusqu’au
Japon. La pandémie toucha également l’Australie et la Nouvelle-
Zélande. Dans les pays atteints, elle se manifesta par des vagues
successives plus graves que la vague initiale. L’hypothèse que cette
pandémie ait pu être due en fait à un coronavirus a été formulée en
2005 (Vijgen et collaborateurs) sans qu’il soit malheureusement
possible de la vérifier.
Les trois pandémies grippales du xxe  siècle, la «  grippe
espagnole » de 1918-1919, la « grippe asiatique » de 1957-1958 et
la « grippe de Hong Kong » de 1968-1969, sont bien documentées.
Nous nous étendrons plus longuement sur elles.

La pandémie de « grippe espagnole »


Ce fut la pandémie grippale la plus meurtrière et la plus mystérieuse.
Son origine géographique et temporelle demeure inconnue. Débuta-
t-elle en Chine, comme la plupart des pandémies grippales, ou en
Europe où des épidémies de bronchites purulentes avec des signes
compatibles avec la grippe et une forte mortalité avaient été
observées, entre 1915 et 1917, dans des camps militaires du nord
de la France et du sud de l’Angleterre  ? Si ces manifestations
épidémiques étaient dues à la grippe, il s’agirait là des premières
manifestations du phénomène.

Pourquoi « grippe espagnole » ?

Le mystère demeure sur ce nom de «  grippe espagnole  » qui lui fut


attribué. Pour certains auteurs, c’est parce que l’Espagne, et en particulier
Madrid, fut un point d’attaque important de cette grippe. Pour d’autres,
l’Espagne étant un des seuls pays non engagés dans le conflit, l’information
sur les ravages de la maladie pouvait y être faite sans tomber sous le coup de
la censure, soucieuse de ne pas renseigner l’ennemi sur l’affaiblissement des
troupes par l’avancée de la maladie. Ces deux raisons ne s’excluent
mutuellement pas, car l’épidémie atteignit au total environ 8 millions
d’Espagnols. Toujours est-il que c’est ce terme de grippe espagnole qui
prévalut mondialement pour qualifier ce que les Britanniques avaient
commencé par appeler Flanders grippe (grippe de Flandre) et les Allemands
Blitz katarrh (catarrhe éclair). Les Américains, quant à eux, l’affublèrent du
sobriquet de Spanish lady (Dame espagnole).
Au cours de l’année 1918, deux vagues épidémiques successives
balayèrent l’Amérique du Nord et l’Europe. Elles frappèrent
durement les bases militaires à travers l’Europe, mettant hors de
combat des dizaines de milliers de soldats britanniques, français et
allemands, ainsi que ceux des autres pays belligérants. Aux États-
Unis également, les camps militaires furent atteints en premier.
L’épidémie semble y avoir débuté en mars 1918, dans un camp du
Kansas où, en quelques heures, plus d’une centaine de soldats
présentèrent une atteinte typique de grippe. Ils étaient plus de 500
quarante-huit heures après. Très rapidement, d’autres camps
militaires furent atteints à travers les États-Unis, où aucune région
n’échappa à l’épidémie. Mais l’épidémie se répandit également
rapidement dans les populations civiles.
D’Europe, la vague épidémique gagna l’Asie, jusqu’en Chine et au
Japon, et, en mai, elle gagna l’Afrique et l’Amérique du Sud. Cette
première vague fut très contagieuse, avec un grand nombre de cas,
mais une faible mortalité.

La deuxième vague
La deuxième vague débuta en septembre  1918. Tout aussi
contagieuse que la précédente, elle fut associée à une mortalité
élevée, probablement liée à des complications bactériennes. La
maladie ressemblait au départ à une grippe banale, comme au cours
de la première vague, mais rapidement les patients étaient cloués au
lit par une forte fièvre, une toux incessante et des difficultés
respiratoires. Ils n’arrivaient bientôt plus à respirer, devenaient bleus
(on qualifia ce signe de «  cyanose héliotrope  ») et se mettaient à
cracher du sang. Beaucoup mouraient de cette pneumonie
hémorragique. En octobre, certains camps de l’armée américaine
recensèrent un mort chaque heure, les Britanniques comptèrent
2 000 morts par semaine, dont 300 à Londres.
Hôpital improvisé durant la pandémie de grippe espagnole, en 1918, dans
une caserne de l’armée américaine à Camp Funston, Kansas. © (NCP 001603).
OHA 250: New Contributed Photographs Collection. Otis Historical Archives,
National Museum of Health and Medicine.

À Paris et dans les villes françaises les taux de mortalité


s’élevèrent dans le courant de l’année, d’autant que l’Académie
Nationale de Médecine refusa pendant plusieurs mois de considérer
l’épidémie comme dangereuse et retarda l’adoption des mesures
préventives. Paris compta plus de 12 000 morts. Ses hôpitaux furent
rapidement débordés par l’afflux des patients. Ils étaient de toute
façon dépourvus de médicaments et d’équipements permettant de
combattre la maladie. La ville connut une pénurie de cercueils et
pratiqua des enterrements sommaires nocturnes. Aux États-Unis, un
américain sur quatre fut atteint. Dans certaines villes, comme
Boston, Philadelphie et New York, les réunions publiques furent
temporairement interdites, et les églises, les théâtres et les bars
furent fermés. Beaucoup de commerces et d’industries n’ouvrirent
qu’à mi-temps. Des hôpitaux furent improvisés dans des mairies,
des écoles ou des églises. La mortalité fut si importante (environ
550  000 Américains trouvèrent la mort) que les morgues furent
saturées, les cercueils manquèrent et des fosses communes furent
ouvertes par endroits. On estime à 6 millions le nombre de
Canadiens touchés par l’épidémie. La Chine fut totalement dévastée
par la maladie. L’Inde fut le pays du monde le plus atteint, avec
environ 12  500  000  morts  ; la deuxième vague, à partir de
septembre 1918, se déplaça avec une vitesse telle que les autorités
sanitaires et administratives désorganisées par une mousson
exceptionnelle furent dans l’incapacité d’apporter une réponse au
phénomène. En Indonésie, il y eut 1 500 000 victimes sur l’ensemble
de l’archipel. Les îles du Pacifique Sud, l’Australie et la Nouvelle
Zélande furent également atteintes de façon dramatique.
Durant cette même deuxième vague, le virus se propagea
également dans les colonies anglaises d’Afrique de l’Ouest. Les
navires anglais ramenant des soldats africains furent à l’origine de
sévères épidémies dans les colonies, comme en Sierra Leone
(1 072 morts en août-septembre 1918), au Nigeria (521 000 morts),
ou au Ghana, où 9  000 indigènes Ashanti, soit 2  % de leur
population, périrent en septembre  1918. Dans plusieurs endroits,
une troisième vague, également dévastatrice, se produisit au début
de 1919.
Et puis, 18 mois après son apparition, la pandémie s’éteignit, mais
la grippe se manifesta à nouveau par de petites épidémies
hivernales, comme cela avait été le cas dans les autres pandémies.

Bilan de la pandémie
Au demeurant, on estime que la pandémie de grippe espagnole
toucha au moins entre 25 à 30  % de la population mondiale et
qu’elle sévit dans toutes les parties du monde. Les pourcentages de
malades varièrent suivant les pays : 20 % chez les Inuits de l’Alaska,
90  % dans les populations des îles Samoa. La mortalité fut
effroyable, atteignant plus de 20 millions de personnes, chiffres que
certains pensent largement sous-estimés. Le taux de mortalité fut
d’environ 4 % des sujets atteints, nettement plus élevé que celui des
épidémies de grippe classique. Mais eux aussi varièrent suivant les
pays et les populations, de 11 à 16  % dans certaines villes des
États-Unis, jusqu’à 60 % chez les Inuits.
Contrairement aux autres épidémies de grippe, la grippe
espagnole frappa électivement les adultes jeunes, entre 20 et
40 ans, particulièrement dans les troupes engagées dans le conflit.
Le corps expéditionnaire américain compta 35  000  morts durant la
guerre, auxquels s’ajoutèrent 9  000  morts de grippe. Mais les
populations civiles également furent lourdement atteintes. Le
nombre des victimes fut estimé à 650 000 aux États-Unis, 400 000
en France.
S’il y eut une retombée positive de la pandémie de grippe
espagnole, ce fut la prise de conscience par les nations de la
menace des épidémies et de la nécessité d’y faire face
collectivement. L’un des articles de la Charte de la Société des
Nations indiquait la nécessité de créer un Comité International
d’Hygiène, future Organisation mondiale de la Santé.

La « grippe asiatique » (1957-1958)


D’origine chinoise, la pandémie de grippe dite «  asiatique  » s’est
rapidement répandue dans la plupart des pays du monde durant
l’hiver 1957 et le printemps 1958. On estime qu’elle a été
responsable au total d’environ un million de morts. Apparu début
février  1957 à Kweichow, dans le sud-ouest de la Chine, le virus a
gagné Hong Kong et Singapour.
La diffusion de l’épidémie fut d’abord asiatique, débutant par le
Japon qui connut deux vagues épidémiques, la première de mai à
juillet  1957 et la seconde de septembre à décembre. Très
rapidement, l’Indonésie, les Philippines, l’Inde, l’Australie, le
Pakistan, l’Iran, l’Irak et le Yémen furent atteints. L’épidémie gagna
ensuite la Région Pacifique ainsi que l’Afrique, où l’Égypte et le
Soudan furent atteints en juillet. Durant le même mois, l’épidémie
apparut sur la côte ouest de l’Amérique du Sud et gagna le reste du
continent. En août et septembre, la plupart des pays d’Europe
Centrale, la Roumanie, la Grèce étaient atteints. Les États-Unis et
les Îles Britanniques furent les pays les plus sévèrement touchés.
Deux jours après la contamination, les patients souffraient de
maux de tête et commençaient à frissonner. La fièvre s’accroissait
brutalement et le patient développait des courbatures sévères avec
intensification des maux de tête. Excepté dans les cas sévères, la
fièvre disparaissait en deux ou trois jours, mais les écoulements et la
toux persistaient. Certains patients développaient des complications
respiratoires, avec possibilité de pneumonie fatale. Durant cette
pandémie, des complications neurologiques furent rapportées dans
plusieurs pays. La seconde vague fut accompagnée d’une plus
grande mortalité que la première  : la majorité des cas fatals se
situèrent entre septembre 1957 et mars 1958.

La « grippe de Hong-Kong » (1968-1969)


La pandémie de grippe de Hong Kong provenait également de
Chine, soit du sud, soit de la province du Yunnan. Comme la
précédente, elle diffusa à l’ensemble du monde en une année. Elle
fut très sévère, provoquant la mort d’environ deux millions de
personnes, dont 30 000 aux États-Unis et 18 000 en France.
Le virus fut isolé en juillet 1968 à Hong Kong, d’où le nom qui fut
donné à la pandémie. De Hong Kong, où 15 % de la population fut
atteinte, l’épidémie gagna Singapour et les Philippines. De
nombreux pays du sud-est asiatique furent également envahis. Bien
que le Japon ait été envahi en juillet, l’épidémie ne s’y déclara qu’en
octobre.
Des scientifiques participèrent activement à la mondialisation de
l’épidémie, une fois n’est pas coutume. Le cinquième Congrès
international de Médecine tropicale et Paludisme se tenait en
septembre  1968, à Téhéran alors indemne de grippe. Des cas de
grippe apparurent parmi les congressistes, dès le 7  septembre,
premier jour de la réunion. Une enquête rétrospective menée par
l’OMS montra que huit participants, venus des zones infectées
d’Asie, dont Macao, la Malaisie et Singapour, avaient présenté des
symptômes de grippe dans les jours précédant le congrès. Au total,
372 congressistes furent atteints, dont plus de 50 repartirent avec
une grippe évolutive. Dix-huit d’entre eux déclarèrent à l’OMS avoir
contaminé une ou plusieurs personnes de leur entourage à leur
retour. Le virus fut ainsi introduit aux États-Unis, en Thaïlande, au
Pakistan, en Belgique, en Angleterre, au Libéria, au Sénégal, et au
Koweït. Quant à Téhéran, siège du congrès, les premiers cas
apparurent dans la population le 9 septembre.
Les États-Unis furent également atteints par des troupes
américaines revenant du Vietnam, et atterrissant en Californie. Le
virus diffusa également vers le sud et gagna l’Australie. Les
épidémies qu’il causa furent particulièrement sévères aux États-Unis
en novembre et décembre  1968 et en Grande-Bretagne en 1969.
Dans certains pays européens, des épidémies persistèrent jusqu’en
avril 1970.
Les deux groupes d’âges les plus atteints par la pandémie de
Hong Kong furent les enfants de moins de cinq ans et les adultes
entre 45 et 64 ans. La mortalité élevée dans certains pays, comme
en Grande-Bretagne en 1970, était liée aux complications de
bronchite et de pneumonie.

La découverte du virus grippal


Son histoire débute sur une erreur, celle de Richard Pfeiffer (1858-
1945), microbiologiste allemand élève de Robert Koch, qui, durant la
pandémie de 1889-1890, trouvant avec fréquence une bactérie dans
les crachats de patients atteints de grippe, lui attribua la
responsabilité de la maladie. Cet Influenza bacillus, que l’on baptisa
ensuite Haemophilus influenzae en raison de sa croissance
exclusive sur des milieux enrichis au sang, passa pour être l’agent
responsable de la grippe pendant de nombreuses années. Il n’en
était rien puisqu’il s’agissait en réalité d’une bactérie fréquente des
voies respiratoires, qui acquérait une virulence particulière durant la
grippe, et était responsable de beaucoup de complications et de
décès de patients grippés. Il fallut attendre les années 1930, et le
développement de la virologie, pour que le virus grippal, véritable
agent de la maladie, soit découvert.
La grippe espagnole stimula les recherches dans ce domaine. À
Tunis, en 1918, Charles Nicolle et Charles Lebailly réussirent à
transmettre la grippe à «  des gens de bonne volonté  », en leur
inoculant l’expectoration de patients grippés, passée au préalable à
travers un filtre de porcelaine de Chamberland arrêtant les bactéries.
Ils en conclurent que l’agent de la grippe était un « virus filtrant ». En
1919, un vétérinaire américain, J.-S.  Koen, remarqua que les
élevages de porc étaient fréquemment décimés par des épidémies
ayant une grande similitude avec la grippe humaine. Reprenant
l’étude de la grippe porcine en 1931, Richard Shope réussit à
transmettre la maladie de porc à porc par inoculation de filtrat de
matériel d’autopsie de porcs morts de la grippe, inoculés par voie
nasale à des porcs sains. Il montrait à son tour la responsabilité d’un
« virus filtrant » dans la genèse de la grippe porcine. Ajoutant un peu
de culture d’Haemophilus influenzae au filtrat virulent, il observait
l’aggravation de la maladie, confirmant le rôle de germe de
surinfection de cette bactérie.

L’isolement du virus
L’isolement du virus grippal est dû à trois chercheurs anglais du
National Institute for Medical Research, près de Londres, Wilson
Smith, Christopher Andrewes et Patrick Laidlaw, qui eurent l’idée
originale d’utiliser le furet comme animal d’expérience. En 1932, ces
trois scientifiques piétinaient dans leur recherche du virus de la
grippe, n’ayant réussi à infecter aucun des animaux courants de
laboratoire. L’épidémie de l’année touchait à sa fin. En désespoir de
cause, ils inoculèrent, par voie nasale, deux furets avec le filtrat de
sécrétions recueillies chez les ultimes grippés. Ces deux furets
manifestèrent rapidement une apathie (état inhabituel chez le furet),
de la fièvre, des éternuements et un écoulement nasal. La maladie
expérimentale put être reproduite chez d’autres furets, par
inoculation de filtrats de tissus des furets infectés, puis entretenue
par passage régulier de furet à furet. Ces chercheurs eurent la
preuve qu’ils venaient d’isoler le premier virus de la grippe humaine,
lorsque l’un d’entre eux examinant un furet infecté fut contaminé par
les éternuements du petit animal et contracta la grippe. Le virus
grippal fut baptisé Myxovirus influenzae. Ces mêmes auteurs
montrèrent que la grippe porcine était également inoculable au furet.

Plusieurs types de virus grippaux


À partir de là, les découvertes s’enchaînèrent. Thomas Francis, de
l’Institut Rockefeller de New York, isola à son tour le virus des
prélèvements de gorge des grippés, mais aussi des lésions
pulmonaires de patients décédés. Le grand virologiste australien
Mac Farlane Burnet (1899-1985) réussit en 1940 la culture du virus
de la grippe dans la cavité amniotique de l’œuf de poule, ce qui
permit de nombreuses applications. Francis découvrit, en 1940, un
second type de virus de la grippe, le virus de type B, entièrement
différent par la sérologie des souches isolées des épidémies
précédentes, qui furent désignées dès lors comme virus de type A.
Et, en 1950, il isola le troisième type de virus grippal, le type C.
En 1941, Georges Hirst, aux États-Unis, mit en évidence la
propriété des virus grippaux de former des amas visibles à l’œil nu
avec les globules rouges de poulet. Ce phénomène
d’hémagglutination conduisit à des applications fructueuses
permettant de repérer la présence du virus dans l’œuf de poule où
on le cultive, ou encore de faire le diagnostic chez les patients
infectés par la détection des anticorps hémagglutinants apparus
secondairement à l’infection. Ces techniques de diagnostic
sérologique permirent d’effectuer des études épidémiologiques
rétrospectives et de connaître les épidémies antérieures. Cette
mémoire sérologique a permis de reconstituer l’histoire de la grippe.
Structure moléculaire des virus grippaux
Les travaux sur la structure moléculaire des virus de la grippe ont
montré l’existence de deux antigènes majeurs à la surface du virus,
qui conditionnent l’épidémiologie et la physiopathologie de la
maladie. Ce sont l’hémagglutinine (antigène H), responsable non
seulement du phénomène d’hémagglutination que nous avons décrit
plus haut, mais aussi de la fixation du virus à la cellule de
l’épithélium pulmonaire, et la neuraminidase (antigène N) à activité
enzymatique qui contribue à fluidifier le mucus des voies
respiratoires, et favorise la dissémination du virus dans les voies
respiratoires. Ainsi, chaque souche de virus grippal se définit par un
antigène interne qui détermine son type (A, B ou C) et par la nature
de ses antigènes de surface H et N. Les recherches de génétique
moléculaire développées depuis les années 1990, basées sur
l’amplification et le séquençage des génomes viraux trouvés dans du
matériel biologique particulièrement préservé, ont permis d’identifier
rétrospectivement les virus grippaux ayant circulé au cours des
pandémies historiques. Ainsi le virus de la pandémie de grippe de
1918-1919 était de type A, sous-type H1N1, alors que celui
responsable de la pandémie de grippe asiatique de 1957-1958 était
de type A, sous-type H2N2.
Les virus grippaux se caractérisent par leur grande variabilité
génétique s’exprimant par de fréquentes variations de leurs
antigènes. Ces variations sont généralement de type mineur,
résultant de mutations ponctuelles du génome viral, et expliquant
l’apparition chaque hiver de souches légèrement différentes par
leurs antigènes H et N de celles de l’hiver précédent. Mais, de temps
à autre, des variations majeures se produisent, avec un
remplacement complet du matériel antigénique H ou N, voire des
deux. L’arrivée de ces variants entièrement nouveaux dans une
population humaine dépourvue d’anticorps contre eux, et donc
particulièrement sensible, est à l’origine des pandémies. Ainsi, pour
reprendre les deux exemples donnés ci-dessus, le virus A/H2N2,
apparu en Chine en 1957, était totalement différent du virus A/H1N1
circulant dans le monde depuis 1947, et fut à l’origine de la
pandémie de grippe asiatique de 1957-1958.
Une autre particularité des virus grippaux est d’être présents chez
de nombreuses espèces animales, surtout le virus grippal de type A,
qui, outre chez l’Homme, peut se trouver dans la nature chez le
porc, le cheval ou encore chez les oiseaux domestiques ou
sauvages. Les oiseaux sont porteurs de tous les sous-types de virus
connus, et constituent de véritables réservoirs pour toutes les formes
de grippe A, qui attaquent les animaux mais parfois également
l’Homme. Car ces virus peuvent passer d’une espèce animale à une
autre  : on dit qu’ils franchissent la barrière d’espèce. Ainsi le virus
A/H1N1 de la pandémie grippale de 1918-1919 était très
vraisemblablement un virus d’oiseau passé chez l’Homme. Si deux
virus grippaux de sous-type différent se retrouvent en même temps
chez un même hôte, ils vont pouvoir se recombiner entre eux et
donner naissance à un nouveau virus. Ainsi la dernière pandémie
grippale de l’époque moderne, la grippe de Hong Kong de 1968, fut
causée par un virus A/H3N2 résultant du réarrangement d’un virus
aviaire à H3 et d’un virus humain H2N2.
De très nombreuses pandémies grippales eurent pour origine la
Chine, particularité qui n’est sans doute pas étrangère au fait que,
dans ce pays, d’énormes quantités de porcs, de canards et d’autres
animaux hébergeant des virus grippaux vivent en étroit contact de
populations humaines dont les hautes densités se prêtent
parfaitement à une diffusion interhumaine rapide. La transmission
interhumaine s’effectue préférentiellement à l’occasion de contacts
directs avec des patients infectés, par l’inhalation de virus en
suspension dans les gouttelettes excrétées avec les postillons, la
toux ou les éternuements. Dans une pièce confinée où repose un
patient, l’air renferme des aérosols qui pourront contaminer
indirectement les personnes respirant dans cette atmosphère. Mais
les virus grippaux ont également la possibilité de se maintenir
virulents sur les supports solides, pouvant donner lieu à
contamination indirecte. Ainsi des scientifiques suisses ont montré
que la survie du virus grippal A/H3N2 sur les billets de banque est
comprise entre deux et 17 jours suivant la quantité de virus et la
présence ou non de mucus respiratoire. Ces expériences
démontrent l’importance de la transmission du virus grippal en
période pandémique par les objets de la vie courante, et valident les
recommandations de lavage soigneux et répétés des mains, comme
première mesure préventive.

Situation actuelle
Depuis la pandémie de 1968-1969, la grippe s’est maintenue dans le
monde sous forme d’épidémies hivernales principalement dues au
virus A/H3N2 de la dernière pandémie, avec lequel est venu
cohabiter en 1977 le virus A/H1N1. D’ailleurs, le vaccin contre la
grippe saisonnière utilisé depuis plusieurs années est préparé à
partir de trois types vaccinaux, dont les sous-types H3N2 et H1N1.

La grippe aviaire A/H5N1


L’actualité de la grippe a été chargée ces dernières années. En
décembre 2003, a surgi en Chine un virus grippal de type A/H5N1,
qui avait déjà décimé les élevages de volailles à Hong Kong en
1997. Ce virus a été responsable d’une épizootie aviaire
cataclysmique, qui, en cinq ans, a atteint 65 pays sur trois continents
(Asie, Afrique et Europe). Ce virus se transmettait d’autant plus
facilement parmi les volailles que les conditions d’élevage industriel
imposaient une surpopulation des élevages, ce qui a conduit à
l’abattage de 300 millions de volailles, pour tenter d’enrayer
l’épizootie. Ce virus, extrêmement contagieux chez les volailles, ne
passait qu’accidentellement chez l’Homme  : il a atteint uniquement
les personnes en étroit contact avec les volailles, comme les
éleveurs ou les vétérinaires. Heureusement, car les quelques cas
humains de grippe aviaire apparus (413 au début 2009) étaient
particulièrement graves et se soldaient par une mortalité élevée (de
plus de 60 %). L’absence de transmission interhumaine de ce virus
empêcha une épidémisation chez l’Homme. Mais l’histoire des
pandémies antérieures fit craindre à la communauté internationale
que ce virus puisse s’adapter à l’Homme et devienne responsable
d’une nouvelle pandémie. Ce qui motiva une préparation sans
précédent des structures sanitaires de très nombreux pays destinée
à parer à tout déclenchement pandémique.

La pandémie H1N1
En avril 2009, coup de théâtre : une épidémie de grippe humaine se
déclencha au Mexique, due à un nouveau virus, que l’on crut
d’abord d’origine porcine, d’où le nom de « grippe porcine  » qui fut
d’abord donné à l’épidémie, mais s’avéra ensuite être un lointain
descendant du virus A/H1N1 de la grippe espagnole, ce qui fit
craindre la survenue d’une pandémie majeure.
Fin avril, ce virus avait déjà atteint plusieurs centaines de
personnes au Mexique et tué au moins 20 d’entre elles. Il
progressait rapidement aux États-Unis et au Canada, puis se
propageait en Europe, en particulier en Espagne et en Grande-
Bretagne, et en Amérique Centrale. Début mai, le virus apparut en
Asie, en Corée du Sud et à Hong Kong. Mi-mai, c’était au tour de la
Chine et du Japon d’être atteints, et, début juin, celui du continent
africain, puis de l’Australie.
À la fin juillet, les chiffres officiels recensés par l’OMS faisaient état
de plus de 300  000 cas et d’au moins 3  500  décès, dont une
majorité sur le continent américain. À partir de là, le dénombrement
des cas fut arrêté, car devenu impossible, mais la pandémie
poursuivit son extension à l’ensemble du monde. Les pays de
l’hémisphère austral – Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, Chili
en particulier  – vécurent une épidémie sévère favorisée par les
basses températures de l’hiver austral, deux à trois fois supérieure à
leurs épidémies saisonnières habituelles. À partir de septembre, la
vague épidémique parcourut l’Europe à la faveur des baisses de
températures, et gagna l’Asie.
Au total, l’épidémie atteignit entre un et deux milliards de
personnes dans 213 pays et territoires, mais, par son taux de
mortalité estimé entre 150  000 et 250  000  morts, la pandémie
A/H1N1 se situait bien en deçà des autres grandes pandémies
grippales du xxe  siècle, et même dans la marge basse d’une
épidémie de grippe saisonnière. Elle s’éteignit en août  2010, bien
que le virus continuât de circuler et soit responsable d’une petite
réplique aux États-Unis, en 2014.
Le virus A/H1N1 responsable de cette pandémie fut typé dès le
début, puis entièrement séquencé au Canada au mois de mai. Une
souche en fut sélectionnée en juin par l’OMS et confiée aux
laboratoires industriels pour commencer la production d’un vaccin
qui fut disponible dès octobre 2009. Les campagnes de vaccination
furent plus ou moins bien suivies selon les pays, le taux de
couverture vaccinale de la population générale s’établissant, en
janvier 2010, à 9 % en France contre 60 % en Suède.
En France, la vague épidémique s’est étalée sur sept mois, avec
un pic épidémique en novembre et décembre  2009. La maladie a
atteint entre 8 et 14 millions de personnes, la majorité parmi les
tranches d’âge 15-64 ans, les sujets nés avant 1958 ayant été
protégés par des anticorps contre le H1N1 acquis antérieurement.
La grippe a été modérée, se traduisant par quelques jours de fièvre,
courbatures et maux de tête et une atteinte pulmonaire avec toux et
essoufflement, et suivie d’une guérison rapide. Mais le tableau
clinique a été plus grave chez les sujets présentant des facteurs de
risque, tels qu’une pathologie respiratoire chronique, une
immunodépression, un diabète. Et même, chez un petit nombre de
sujets sains, sans facteurs de risque, l’atteinte pulmonaire massive a
donné lieu à un syndrome de déficience respiratoire aiguë
nécessitant une réanimation respiratoire. Plus de 1  300  cas graves
ont dû faire l’objet d’une hospitalisation et 323 décès ont été notifiés.
Au demeurant, la vague épidémique en France s’est montrée tout à
fait modérée, et même inférieure à une épidémie saisonnière, ce qui
fit rétrospectivement apparaître comme disproportionné et
inutilement onéreux le plan national de prévention et de lutte contre
la pandémie de grippe A/H1N1. Ce plan, complet et détaillé, incluait
la définition des circuits et des procédures de prise en charge des
patients, l’organisation logistique (respirateurs, stocks de masques
de protection, de médicaments) et une campagne de vaccination de
masse. Cette dernière, non obligatoire, lancée par le ministère de la
Santé dès septembre 2009, excluait les médecins généralistes pour
des raisons de conditionnement du vaccin par flacons multidoses et
devait se dérouler dans des dispensaires et centres de vaccination.
Cette restriction, ajoutée aux réticences de la population travaillée
depuis plusieurs années par les activistes antivaccination, eut pour
résultat un taux de vaccination excessivement bas, qui, par chance,
n’eut aucune conséquence sanitaire, puisque la pandémie tournait
court trois mois plus tard. Ce contexte explique sans doute
l’impréparation au niveau sanitaire et l’insouciance dans laquelle la
pandémie de la Covid-19 trouva notre pays en 2020. On avait oublié
qu’une épidémie n’est pas toujours à l’endroit ou au moment où on
l’attend.
8
Sexe et épidémies : la syphilis
et le sida

Parmi les maladies à transmission interhumaine directe, certaines


nécessitent un contact intime et sont préférentiellement transmises
par voie sexuelle. Ces maladies dites sexuellement transmissibles,
ou encore maladies vénériennes, sont nombreuses, mais parmi
elles, deux ont donné lieu à de vastes épidémies de dimension
mondiale.
Il s’agit de la syphilis, maladie historique qui fut responsable de
millions de cas entre le xve et le xixe  siècles, et du sida, pandémie
moderne apparue à la fin du xxe siècle et qui persiste encore de nos
jours sur un mode inquiétant. Bien que de même voie de
transmission, ces deux affections s’opposent par de nombreux
aspects de leur pathogénie13, de leur histoire et par les
problématiques de contrôle qu’elles posent. La syphilis, maladie
bactérienne, attendit trois siècles avant que son microbe ne soit
identifié et elle fut maîtrisée dès la découverte des antibiotiques. Le
sida survint à une époque de fort développement des connaissances
et des moyens techniques, ce qui permit une identification rapide du
virus en cause. Pourtant son contrôle nécessite encore des
avancées thérapeutiques supplémentaires et la mise au point d’un
vaccin.
 
La syphilis

« Ce mal apparut en Italie une dizaine d’années avant


la fin du siècle, au moment où les Français vinrent dans
le Royaume de Naples sous la conduite du Roi Charles VIII ;
c’est ce qui fait que les Napolitains l’ont appelé mal français,
en échange les Français l’ont appelé mal napolitain, quant
à moi je lui ai donné le nom de syphilis. »

Girolamo Frascator14

L’explosion de la syphilis (voir encadré) à la Renaissance fut si


soudaine qu’elle apparut comme une maladie nouvelle. On pensa
que les conquistadors espagnols l’avaient rapportée des Amériques.
Mais dans les années 1990 l’origine américaine de la syphilis fut
mise en doute, en raison de la découverte en Europe de lésions
similaires à celles de la syphilis sur des ossements antérieurs à
1493, semblant indiquer sa présence ancienne sur le continent. Si
l’on se range à l’hypothèse d’une origine européenne de la syphilis, il
faut admettre qu’elle fut confondue des siècles durant avec une
autre maladie éruptive, comme la lèpre, et que la contamination du
Nouveau Monde se serait faite depuis l’Europe. Enfin, d’autres
grands voyageurs, les Portugais, ont également effectué plusieurs
voyages de découverte, en Afrique ceux-là, qui pourraient tout aussi
bien être à l’origine de l’importation de la maladie depuis un foyer
originel africain. Cette troisième hypothèse est étayée par le fait que
les grands primates africains sont porteurs de bactéries proches de
celle de la syphilis.
Parmi ces trois hypothèses, l’origine américaine a l’avantage de
s’appuyer sur de solides arguments historiques et d’être étayée par
les nombreux écrits des chroniqueurs contemporains des
évènements. Nous verrons plus bas l’apport de la génétique
moléculaire à la résolution de ce problème.
La maladie

La syphilis, ou vérole, est une maladie bactérienne transmise par voie


sexuelle et très contagieuse. Elle évolue en trois phases. Au stade de début,
ou syphilis primaire, le patient présente une plaie ulcérée, indurée et indolore,
localisée au niveau des organes génitaux, c’est le chancre d’inoculation qui
s’accompagne de ganglions à l’aine. Le deuxième stade, ou syphilis
secondaire, est caractérisé par une éruption cutanée généralisée, la roséole,
et par des douleurs articulaires. Le dernier stade, ou syphilis tertiaire,
s’accompagne de lésions de nécrose, ou gommes, qui siègent au niveau de
la peau, de la muqueuse buccale, des os, des organes profonds ou du
système nerveux central, entraînant paralysie générale et démence, et qui
conduisent le patient à la mort. Jusque vers 1550, la maladie était
particulièrement virulente, rapidement mortelle, puis elle prit sa forme
actuelle, plus chronique et moins meurtrière.

Histoire de la syphilis
Toujours est-il qu’à la fin du xve  siècle, la syphilis apparut
soudainement en Europe et se répandit dans le monde, véhiculée
par les armées en campagne. Elle était d’ailleurs reconnue par
chaque nation comme la maladie de l’ennemi : mal de Naples (pour
les Français, lors de la conquête du Royaume de Naples), mal
français, ou morbus gallicus (pour les Italiens et les Espagnols), mal
espagnol (pour les Portugais et les Hollandais), mal anglais (pour les
Écossais), mal allemand (pour les Polonais), mal polonais (pour les
Russes).
La première mention de la maladie date de 1493, année du retour
de la première expédition de Christophe Colomb, avec une épidémie
qui se déclencha à Barcelone et se répandit en Espagne. Bartolomé
de las Casas, dont le père et l’oncle participèrent au deuxième
voyage de Christophe Colomb, et qui, lui-même, consacra sa vie à la
défense des Indiens du Nouveau Monde, parle, dans son Histoire
des Indes, d’une affection dite bubas, fréquente et bénigne chez les
Indiens des îles, et que les marins « qui n’observèrent pas les vertus
de la chasteté » contractèrent en masse.
La syphilis se retrouva à Naples en 1494, au cours du siège de la
ville par les troupes du roi de France, Charles VIII, venu faire valoir
ses droits sur la couronne de Naples. Cette armée comprenait des
mercenaires espagnols qui pouvaient être contaminés. Le père de
l’anatomiste et chirurgien italien Gabriel Fallope se trouvait dans la
ville et rapporte que les Napolitains assiégés chassèrent les femmes
dont ils savaient qu’elles étaient atteintes par la maladie, au prétexte
qu’il n’y avait pas assez de vivres dans la place. Les Français pris de
pitié, mais aussi séduits par leur beauté, les accueillirent. La
propagation de la maladie fut rapide. Charles VIII dut lever le siège
sous la pression de la Sainte Ligue et remonter vers le nord avec
ses armées décimées par la syphilis  : le cortège et la syphilis
atteignirent Lyon en novembre  1595, puis Paris. L’Europe fut
entièrement contaminée à la fin du xve  siècle. Seules ses régions
septentrionales de Finlande et de Laponie demeurèrent indemnes.
D’Europe, la syphilis gagna l’Afrique, si elle n’en venait pas, puis
le Proche-Orient. Les explorations portugaises et l’installation de
comptoirs en Inde y introduisirent la maladie. De Calcutta, elle gagna
Canton et s’étendit bientôt à toute la Chine. Le Japon fut touché au
milieu du xvie  siècle avec l’arrivée des premiers navires hollandais.
Bref, en moins d’un siècle, la syphilis avait envahi le monde.

Perception ancienne de la syphilis


Dès l’apparition de la maladie, les médecins décrivirent le mal avec
une grande précision, en particulier le médecin du pape Paul  III,
Girolamo Frascator (1478-1553). Également poète, il publia en 1530
un poème intitulé Syphilis, sive morbus gallicus, dans lequel il
mettait en scène un berger mythique, Syphilus, frappé d’une horrible
maladie de peau pour avoir offensé Apollon. Ce nom de Syphilus,
probablement variante orthographique de Sipylus, personnage des
Métamorphoses d’Ovide, s’imposa au xviiie  siècle pour désigner la
maladie. Quant à Jean-François Fernel, médecin du roi Henri  II, il
donna à la syphilis le nom de lues venerea (peste vénérienne).
La contagiosité de nature sexuelle de la syphilis fut également
perçue dès l’apparition de la maladie. Elle fut immédiatement une
maladie de mauvaise réputation, tenue pour déshonorante, sur
laquelle s’acharna l’Église. Maladie et péché ne faisaient qu’un  :
l’adage «  on est puni par là où on a péché  » apparut à cette
occasion. «  L’ire de Dieu a permis que cette maladie tombât sur le
genre humain pour réfréner leur lascivité et débordée
concupiscence  » note Ambroise Paré (1510-1590), le grand et très
religieux chirurgien des Valois. La grange de Saint-Germaindes-Prés
affectée aux vénériens par arrêté du Parlement de Paris en 1497,
n’était pas considérée comme un hospice, mais comme une maison
de force, un établissement de réclusion et de punition, où chaque
entrant était passé par le fouet. Mais comme parmi les illustres
victimes de la maladie figuraient un pape (Alexandre  VI), quelques
cardinaux (Jean Borgia, le Cardinal de Ségovie) et de nombreux
évêques (la liste serait longue et fastidieuse), on inventa, pour que la
morale fût sauve, des histoires de contamination par l’air, par le
souffle, voire par l’eau bénite !
Frascator, qui professa à Vérone, formula, en 1546, grâce à son
expérience dans le traitement de nombreux syphilitiques et
tuberculeux, le concept de contagion, dans un ouvrage prémonitoire
De contagione et contagionis morbis. Pour la première fois étaient
évoqués sous sa plume, des germes, que Frascator appelait
«  semences  » (seminaria), capables de se multiplier, d’envahir le
corps humain et de se transmettre d’Homme à Homme. Cette idée
novatrice trouva sa démonstration trois siècles plus tard, dans les
travaux de Louis Pasteur et de Robert Koch.

La prévention de la syphilis

Gabriel Fallope, dont nous avons parlé plus haut, mit au point un « fourreau
d’étoffe légère fait sur mesure pour protéger des maladies vénériennes », et
publia, en 1564, les résultats de l’essai qu’il fit de ce premier préservatif sur
1 100 Napolitains, dont aucun ne contracta la syphilis. Mais cette judicieuse
invention demeura méconnue et de nombreuses recommandations pour
éviter la contamination fleurirent, comme celle de Massa, en 1532, conseillant
aux partenaires de se laver les organes génitaux avec du vin blanc avant et
après l’acte sexuel. Le moyen le plus efficace recommandé par l’Église était,
bien entendu, l’abstinence.

Évolution de la syphilis
La syphilis de la Renaissance était extrêmement virulente. Elle
évoluait de manière aiguë, avec des symptômes spectaculaires.
L’ulcération génitale était perforante et dégageait une odeur fétide.
Les patients ressentaient d’intolérables douleurs musculaires et
articulaires. La phase tertiaire apparaissait en quelques mois et
l’issue était souvent rapidement fatale. À partir des années 1550, la
gravité de la syphilis s’atténua. La maladie prit la forme chronique
que nous lui connaissons aujourd’hui. Ce changement était sans
doute dû à une baisse de virulence du microbe. On peut imaginer en
effet qu’un microbe trop virulent, comme l’était le microbe de
l’époque, éliminant la majorité des patients qu’il infectait, ne pouvait
survivre que par sélection d’un mutant plus bénin. Cette évolution de
la maladie fut perçue par des médecins de l’époque, comme
Frascator qui pensait la syphilis en déclin. Ce qui n’était pas le cas,
car, si la syphilis régressa un peu au xviie  siècle, elle revint sur le
devant de la scène au xixe siècle.
Toujours est-il que la syphilis de l’époque classique, et jusqu’à ce
jour, se manifesta sur un mode moins dramatique. La durée
d’évolution des trois phases se prolongeait sur des années,
compatible avec une durée de vie courante. Durant son évolution, la
syphilis finissait toujours par atteindre le système nerveux central.
Mais avant qu’elle n’y détermine une dégradation de la personnalité,
elle pouvait provoquer chez des individus particulièrement doués
une intensification des capacités intellectuelles de sorte que ces
individus étaient capables de réalisations remarquables. Et de fait,
de très nombreux hommes célèbres, artistes, musiciens, auraient
été atteints de syphilis  : Alfred de Musset, Alphonse Daudet,
Nietzsche, Charles Baudelaire, Guy de Maupassant, Gustave
Flaubert et Frantz Schubert, pour n’en citer que quelques-uns.

Traitements anciens
Le traitement de la syphilis fit très tôt appel à des métaux  : l’or à
partir de 1540, puis le mercure, à la suite de la recommandation de
Guy de Chauliac, qui, dans son traité La Grande Chirurgie en 1368,
conseillait son emploi pour lutter contre les maladies épidémiques.
Les frictions mercurielles étaient appliquées à l’aide d’une brosse
par un barbier, puis les patients étaient enfermés dans des étuves
surchauffées pour favoriser leur transpiration. Peu guérissaient ainsi
de la syphilis, mais un grand nombre succombait à une intoxication
mercurielle favorisée par la très forte sudation. À partir du xviie siècle,
le mercure s’administra par voie buccale, sous forme d’un sel, le
calomel, et au xixe  siècle, un autre sel, le sublimé, fut injecté aux
patients. Grâce à son coût élevé, le mercure fit la fortune des
alchimistes, pour qui « grâce à la vérole, le mercure se transformait
en or ».
Une substance naturelle concurrença très tôt le mercure : le bois
de gaïac, ou «  saint bois  », ou encore «  bois des Français  ». Petit
arbre d’Amérique tropicale découvert dans l’île d’Hispaniola, son
usage fut recommandé, dès 1517, sur l’aphorisme que le remède
devait venir de l’endroit dont la maladie était originaire. Durant tout le
xvie  siècle, certains riches malades firent le voyage du Nouveau
Monde pour y être soignés. Mais ensuite, le bois de gaïac fut
importé en Europe, où il connut un franc succès, bien que son
emploi ne soit pas de tout repos. Le traitement incluait 40 jours de
jeûne, de purgations et de prises de gaïac. Le malade avalait une
décoction chaude, puis devait transpirer pendant deux ou trois
heures, plusieurs fois par jour.
Pendant de nombreuses années, les partisans du mercure et ceux
du gaïac s’affrontèrent. Mais leurs clientèles se distinguaient en fait
selon leurs ressources : le gaïac avait la faveur des riches, et ceux
qui ne pouvaient s’offrir le bois, se contentaient du mercure.
Où la génétique des microbes apporte une clé
à l’épidémiologie

Les tréponèmes
Le zoologiste allemand, Fritz Schaudinn (1871-1906), avec l’aide du
«  syphiligraphe  » Eric Hoffmann (1868-1959), découvrit en 1905
l’organisme responsable de la syphilis, dans le chancre génital d’une
syphilis primaire, et dans des lésions cutanées et le sang de la rate
au cours d’une roséole. Il s’agissait d’un très petit organisme spiralé,
mobile et difficile à colorer, un spirochète qu’ils appelèrent
«  tréponème pâle  », Treponema pallidum. La même année, le
microbiologiste italien Aldo Castellani découvrit un autre tréponème,
Treponema pertenue, dans une maladie cutanée non vénérienne
des régions intertropicales d’Afrique et du Pacifique sud, appelée
«  pian  ». Et plusieurs années plus tard, en 1939, fut identifié un
nouveau tréponème, Treponema carateum, également agent d’une
maladie cutanée non vénérienne, le «  caraté  », sévissant dans les
régions tropicales, américaines cette fois. Enfin, Treponema
endemicum fut individualisé comme agent d’une syphilis endémique
non vénérienne, ou « béjel », des régions désertiques d’Afrique et du
Proche-Orient.
Il apparaissait ainsi que les tréponèmes constituaient une famille
de bactéries responsables d’un groupe de maladies, les
tréponématoses, incluant des infections essentiellement cutanées et
muqueuses, dont une seule était de nature vénérienne, la syphilis
proprement dite. Ces découvertes ne firent, dans un premier temps,
que rendre plus complexe le problème de la syphilis, et ne résolurent
pas le problème de l’origine de la maladie. Mais l’utilisation récente
de la génétique moléculaire a permis de revisiter l’épidémiologie des
tréponématoses.

Génétique évolutive des tréponèmes


En comparant les séquences de nombreuses parties du génome de
26 souches de tréponèmes, d’espèces et d’origines géographiques
différentes, Harper et ses collaborateurs ont établi, en 2008, les
relations phylogénétiques de ces souches, permettant d’entrevoir
l’ordre dans lequel les différentes espèces de tréponèmes ont
successivement émergé. L’espèce Treponema pertenue d’Afrique et
du Pacifique sud se positionne à la base de l’arbre évolutif, ce qui en
fait, selon toute vraisemblance, l’ancêtre de tous les tréponèmes
humains. Un autre argument en faveur de cette position ancestrale
est sa grande similarité génétique avec les souches de tréponèmes
infectant les babouins. Ainsi, le pian serait une maladie héritée des
singes, dont le microbe se serait adapté à l’Homme. L’existence de
la maladie chez nos proches voisins chimpanzés et gorilles renforce
cette hypothèse.
L’espèce ancestrale T. pertenue aurait ensuite voyagé avec
l’Homme au cours de ses migrations, depuis les régions chaudes et
humides où elle sévissait, pour donner T. endemicum dans des
zones moins chaudes et plus sèches d’Afrique du Nord et du
Proche-Orient, aboutissant finalement à l’espèce T. pallidum. Celle-ci
aurait commencé sa carrière comme microbe d’une syphilis
endémique, non vénérienne, dans les populations de l’Ancien
Monde, et migrant avec certaines d’entre elles dans le Nouveau
Monde, par le détroit de Béring. À l’occasion des voyages de retour
des conquérants européens, à la fin du xve siècle, T. pallidum serait
revenu en Europe avec une virulence exacerbée, engendrant la
syphilis vénérienne classique. Ses souches auraient alors diffusé à
l’Europe et au reste du monde.
Cette hypothèse d’explication évolutive des tréponématoses a le
double avantage de concilier des données de la génétique moderne,
avec les données historiques classiques. Elle ne résout sans doute
pas toutes les énigmes de cette mystérieuse épidémie de la
Renaissance, mais elle constitue un apport appréciable à sa
compréhension.

Histoire du traitement de la syphilis


Au début du xxe  siècle, la syphilis entra dans l’ère de la
connaissance scientifique. Les découvertes se succédèrent dans le
domaine de son diagnostic et de son traitement. En 1903, à l’Institut
Pasteur à Paris, Émile Roux (1853-1933) et Elie Metchnikoff
réussirent à transmettre expérimentalement la maladie aux
chimpanzés. En 1906, le bactériologiste allemand August von
Wassermann (1866-1925) mit au point un test de diagnostic
précoce, en adaptant à la syphilis la réaction de déviation du
complément développée par Jules Bordet en 1901. Cette technique,
dite test de Bordet-Wassermann, ou BW, connut une utilisation
mondiale et permit le diagnostic de millions de cas.
Les premiers traitements efficaces apparurent vers 1910, grâce au
bactériologiste allemand Paul Ehrlich (1854-1915), considéré
comme le fondateur de la chimiothérapie anti-infectieuse (voir
figure). Celui-ci aborda l’étude systématique des arsenicaux, sur la
syphilis expérimentale du lapin que venait de mettre au point
Sahachiro Hata, élève du japonais Shibasaburo Kitasato. Ehrlich lui
fournit tous les arsénobenzènes, imaginables théoriquement et
pouvant être synthétisés, dans de petites fioles numérotées. Cette
recherche systématique aboutit en 1909 à la découverte du
dihydroxy-diamino-arsénobenzène, ou 606 (le 606e  produit testé).
Utilisé chez 24 syphilitiques, le produit les guérit. Il fut commercialisé
dès 1910 sous le nom de salvarsan, et son emploi se répandit
rapidement. Il valut à Ehrlich une renommée mondiale, d’autant qu’il
découvrit ensuite un autre produit actif, le 914, plus connu sous le
nom de « novarsénobenzol », ou « néosalvarsan ».
Paul Ehrlich, fondateur de la chimiothérapie anti-infectieuse et découvreur
des arsénobenzènes, premiers produits efficaces dans le traitement de la syphilis.
Photographie prise lors de sa visite à l’Institut Pasteur, le 4 février 1914 © Institut
Pasteur/Musée Pasteur (photo Henri Manuel).

Salvarsan et néosalvarsan représentaient un progrès considérable


dans le traitement de la syphilis. Ils furent utilisés de façon intensive
durant toute la première moitié du xxe siècle, jusqu’à ce qu’ils soient
détrônés par la pénicilline, première substance antibiotique trouvée.
Celle-ci fut discrètement découverte par le bactériologiste anglais
Alexander Fleming (1881-1955) en 1922, mais sa mise au point
complète, jusqu’à la production, demanda pratiquement 20  ans et
l’intervention de deux scientifiques, Howard Florey et Ernest Chain,
qui partagèrent avec Fleming le prix Nobel de Physiologie et
Médecine en 1945. Grâce à la pénicilline, la syphilis connut non
seulement une baisse remarquable de son incidence, mais aussi
une réduction importante de sa gravité. Elle devint exceptionnelle
sous sa très grave forme tertiaire.
Situation actuelle
Dans les années 1980-1990, la syphilis marqua un recul important,
lié à l’apparition du sida et aux campagnes de prévention par
l’emploi généralisé du préservatif. Elle fut même retirée de la liste
des maladies à déclaration obligatoire en raison de sa quasi-
disparition. Mais à partir de 2005, la syphilis opéra un retour dans le
monde. Sans que le sida ait diminué, les campagnes de prévention
se sont relâchées et les ventes de préservatifs ont décru. La syphilis
réapparaît de façon importante, y compris dans les pays
développés. Elle représente encore un problème de santé publique
à l’échelle mondiale avec environ 12  millions de nouveaux cas
chaque année. En France, environ 4 000 à 5 000 nouveaux cas de
syphilis ont été détectés en 2015.
Le sida

« Si le sida ne s’attrapait qu’à travers une seringue,


il n’intéresserait personne. »

Françoise Giroud15

Jusqu’à présent, nous avons considéré des épidémies historiques :


la peste au Moyen-Âge, la syphilis à la Renaissance, le choléra au
xixe siècle, la grippe espagnole au début du xxe siècle. Certaines se
sont maintenues pendant des siècles, mais ne représentent plus de
nos jours les fléaux qu’elles furent autrefois.
Avec le sida, nous abordons une épidémie contemporaine, ayant
débuté à la fin du xxe  siècle et poursuivant ses ravages sous nos
yeux  : c’est la première pandémie des temps modernes. Autre
différence avec les autres pandémies, l’histoire du sida est courte et
connue dans ses moindres détails. Les connaissances scientifiques
le concernant, en particulier l’identification de son agent
responsable, furent presque concomitantes de son émergence. De
plus, le sida est arrivé dans une période de forte médiatisation, où la
santé, comme d’autres sujets spécialisés, était entrée dans le
domaine public. Il vit l’intervention, dans le débat sur sa prise en
charge individuelle et collective, de nouveaux acteurs, les malades,
leurs associations et les médias, tous pesant sur les politiques de
santé et les stratégies de prise en charge.

Les débuts de l’épidémie

Aux États-Unis
En juin 1981, un rapport du CDC16 d’Atlanta, attira l’attention sur un
regroupement de cinq observations de cas d’une pneumonie due au
champignon Pneumocystis carinii, une maladie rare rencontrée
habituellement chez des malades immunodéprimés. Les cinq
patients étaient de jeunes homosexuels qui présentaient une
quantité anormalement basse de lymphocytes T CD4, des cellules
du système immunitaire jouant un rôle central dans la défense
contre les infections, alors que ces patients n’avaient aucune cause
d’immunodépression thérapeutique ou pathologique (voir encadré).
Deux d’entre eux étaient décédés au moment de la publication.
Ce rapport fut suivi, quelques semaines plus tard, de l’apparition
de 26 cas à New York et en Californie, associant, encore chez des
homosexuels jeunes, un taux bas de lymphocytes TCD4, un cancer
habituellement rencontré chez des hommes âgés, le sarcome de
Kaposi, et un certain nombre d’infections opportunistes causées par
les champignons P. carinii et Candida albicans.
Les médias et certaines franges de la population, dont une grande
partie du milieu médical, privilégièrent d’emblée le lien entre la
maladie et le mode de vie homosexuel avec une multiplicité des
rapports sexuels. «  Cancers chez des homos  » titra le New York
Times. Cette hypothèse fut encore renforcée par le résultat de
l’enquête épidémiologique rétrospective du CDC, qui avait conduit
au cas à l’origine des contaminations : il s’agissait d’un personnel de
bord d’une compagnie aérienne nord-américaine, homosexuel ayant
environ 250 partenaires par an et atteint d’un sarcome de Kaposi en
juin  1980. Cette enquête révélait en outre que les cas les plus
anciens remontaient à 1978, l’expansion de la maladie n’ayant été
détectée qu’en 1981.
Fin août  1981, le CDC annonçait que le nombre de cas signalés
dépassait la centaine. La gravité de la maladie se confirmait puisque
près de la moitié des malades étaient alors décédés, et que les
autres s’acheminaient vers la même issue. La prévalence de la
maladie augmenta de façon exponentielle, au début de 1982 on
dépassait les 200 malades, et sa diffusion, à partir des trois foyers
originaux de New York, Los Angeles et San Francisco, se fit
rapidement à d’autres états américains, dont 15 étaient atteints en
1982.

En Europe
La maladie ne paraissait pas limitée aux États-Unis, puisqu’un mois
après le premier communiqué du CDC, des cas étaient
diagnostiqués à Copenhague, Paris, Londres et Genève, capitales
européennes des rencontres en tous genres. Dans leur très grande
majorité, ces cas non seulement confirmaient l’hypothèse
américaine initiale de maladie propre aux homosexuels, mais
permettaient de déceler un contact direct ou indirect avec des
homosexuels new-yorkais. Ainsi, le premier cas français
diagnostiqué à Paris en juillet  1981 concernait un steward d’une
compagnie aérienne ayant fait de nombreux voyages en Amérique
et en Afrique, ayant eu de nombreux partenaires sexuels et
également usager de drogue. À la fin 1981, l’Europe comptait 36 cas
reconnus de cette maladie, dont 17 en France, 6 en Belgique, 5 en
Suisse, 3 au Danemark, 2 au Royaume-Uni, 2 en Allemagne et 1 en
Espagne.

Les Haïtiens
Au début de l’année 1982, des praticiens de l’Université de Miami
découvrirent des cas de la maladie chez plusieurs habitants de la
ville, qui n’étaient ni homosexuels, ni drogués, mais qui avaient tous
la particularité d’être d’origine haïtienne. Une étude rétrospective sur
tous les Haïtiens admis au Jackson Memorial Hospital de Miami,
durant le premier semestre 1982, montra qu’au moins 20 immigrés
haïtiens (17  hommes et 3  femmes) étaient atteints par la nouvelle
maladie. On observa d’autres cas chez des Haïtiens à New York et
au Canada, ce qui suffit pour que les Haïtiens soient stigmatisés aux
États-Unis. Alertés, les médecins haïtiens constatèrent que la
nouvelle maladie était bien présente sur l’île, et que 30  % des
patients admettaient avoir eu des rapports homosexuels, notamment
avec des étrangers. Jusqu’au début des années 1980, Port-au-
Prince était un haut lieu du tourisme sexuel, où les homosexuels
américains et européens venaient nombreux et avaient
vraisemblablement importé la maladie, qui, dans l’île, était passée
dans la population générale. Si les Haïtiens avaient
vraisemblablement hérité de la maladie des homosexuels
américains, ils contribuèrent ensuite à sa dissémination dans le
monde, à la fois par la commercialisation du sexe sur leur île, mais
aussi par leur émigration. En septembre  1983, il y avait dans la
diaspora haïtienne au moins 250 malades avérés.

À la recherche d’un nom de maladie


Encore au début de l’année 1982, une première statistique publiée
dans le New England Journal of Medicine, portant sur
159  personnes atteintes, comportait majoritairement des
homosexuels, mais également 8  % d’hétérosexuels, une femme et
de nombreux usagers de drogues injectables. L’accent était encore
mis sur un certain « mode de vie gay » fréquent à New York, avec
promiscuité, partenaires multiples et drogue. Aussi l’affection se vit-
elle appelée Gay Related Immune Deficiency, ou GRID, ou encore
en français «  Immunodéficience associée à l’homosexualité  ».
Il  devint pourtant rapidement évident que la maladie ne se  limitait
pas aux seuls homosexuels, mais atteignait également les
hétérosexuels. Si bien que le «  GRID  », devint « AIDS », Acquired
Immune Deficiency Syndrome, ou Syndrome d’Immunodéficience
Acquise en français, dont l’abréviation correspondante, «  SIDA  »,
évolua rapidement en «  Sida  », puis devint simplement «  sida  »,
signe de la banalisation d’une maladie qui se répandait rapidement.

L’atteinte des hémophiles
Dans le courant de l’année 1982, deux faits nouveaux apparurent
dans l’épidémiologie de la maladie. Plusieurs pays d’Europe, dont la
France et la Belgique, rapportèrent plusieurs cas chez des Africains,
ou chez des sujets ayant vécu en Afrique, et qui, les uns et les
autres ne mentionnaient pas de pratiques homosexuelles ni de lien
avec les États-Unis. Et, deuxième élément, en avril  1982 était
rapporté un cas de sida chez un hémophile, non homosexuel et non
toxicomane. Le nombre d’hémophiles contaminés augmenta
progressivement : huit fin 1982, 29 en 1983 dont huit Européens. Le
premier cas de sida post-tranfusionnel hors hémophilie s’était produit
en 1981, chez un nouveau-né accouché par césarienne, qui avait
reçu six transfusions sanguines dans les cinq premiers jours de sa
vie, et était mort à quatre mois. Ce cas, passé inaperçu, revint sur le
devant de la scène un an plus tard, lorsque l’enquête
épidémiologique révéla qu’un des donneurs du sang qui avait été
transfusé au nouveau-né était mort du sida, alors qu’il était en bonne
santé au moment du don.
En 1983, le CDC rapportait 39 cas, chez lesquels la transfusion de
produits sanguins dans les cinq ans précédents était le seul facteur
susceptible d’expliquer l’apparition du sida. L’observation était
d’importance, car si la notion de transmission par le sang était
apparue évidente dans le cas des hémophiles, on pensait que cette
catégorie de patients constituait une exception, du fait des quantités
massives de concentrés sanguins qu’ils recevaient. Il s’avérait dès
lors que le sida pouvait se transmettre non seulement par contact
sexuel, mais également par la transfusion sanguine, constatation
lourde de conséquences.
On assista dès lors à une véritable explosion du nombre de cas
avec l’atteinte de populations très diverses, incluant certes de jeunes
homosexuels, mais aussi des hétérosexuels, des drogués
intraveineux, des Haïtiens, des enfants, des hémophiles et des
sujets transfusés non hémophiles. On reconnut également la
possibilité de transmission hétérosexuelle et de transmission
materno-fœtale.

É
Extension du sida aux États-Unis
Aux États-Unis, fin 1983, la maladie était signalée dans 44 des 50
états existants, mais était inégalement répartie, l’État de New York,
le New Jersey, la Floride et la Californie recensant à eux seuls 80 %
des malades. La répartition des groupes à risque présentait une
évolution notable  : les homosexuels masculins qui représentaient
92  % des malades en 1982 n’étaient plus que 72  % fin 1984. Les
autres groupes à risque, consommateurs de drogues intraveineuses,
hétérosexuels, hémophiles, émigrés haïtiens, s’étaient accrus en
proportion. Certains purent stigmatiser les groupes particulièrement
à risque en les qualifiant de «  club des quatre H  »  : homosexuels,
héroïnomanes, Haïtiens et hémophiles.
En 1988, la moitié est du pays et les états de la côte ouest
présentaient des taux élevés de prévalence. Le sujet était
politiquement sensible et le dénombrement des cas entravé. Une
nouvelle définition du sida devait entrer en vigueur en janvier 1992,
mais elle fut retardée jusqu’après l’élection présidentielle de
novembre. On estime rétrospectivement qu’à cette époque les États-
Unis comptaient entre 1 et 2 millions de cas.
En Europe, où l’épidémie avait démarré avec un certain retard par
rapport aux États-Unis, la propagation fut d’emblée moins forte et le
nombre de cas moins élevé. En octobre  1983, le sida affectait 15
pays d’Europe, avec un total de 267 cas. À la fin 1984, le nombre
dépassait les 800, avec la particularité par rapport au sida américain
que 22  % des cas européens étaient d’origine africaine. L’Afrique
semblait sévèrement atteinte, mais la situation était totalement niée
par les autorités légales des pays concernés.

La découverte du virus

La piste des HTLV
L’allure épidémique rapidement prise par le sida fit très tôt privilégier
une cause infectieuse. Et la question posée était en fait : quel genre
de microbe est capable de détruire le système immunitaire de
personnes appartenant à des groupes ethniques et à des catégories
de populations aussi différents  ? Certains microbiologistes, dont
Robert Gallo, de l’Université du Maryland à Baltimore, suspectèrent
d’emblée une origine virale, en particulier rétrovirale, puisque l’on
connaissait de telles immunodépressions au cours d’infections
rétrovirales animales. Bernard Poiesz et le groupe de Robert Gallo
avaient découvert, en 1980, le premier rétrovirus humain
responsable d’un cancer malin des lymphocytes  T, qu’ils avaient
baptisé HTLV-1, pour Human T-cell leukemia virus-1. Ce virus
s’avéra responsable d’une leucémie fréquente au Japon, et fut
retrouvé dans certaines parties de l’Afrique. Sa transmission
s’effectuait par voie sexuelle, par le sang et de la mère à l’enfant. Il
était proche des virus de leucémie des primates de l’Ancien Monde.
En 1982, le groupe de Robert Gallo, encore, isola, à partir d’un
patient atteint d’un autre type de leucémie à lymphocytes  T, un
deuxième rétrovirus humain qui fut baptisé HTLV-2. Les conditions
de transmission du sida donnaient à Robert Gallo un argument
supplémentaire pour suspecter que le sida soit dû à un nouveau
virus de la famille des HTLV dont il était le découvreur et le
spécialiste.

La découverte
En janvier  1983, à Paris, le groupe de Luc Montagnier à l’Institut
Pasteur, constatant que l’hypertrophie des ganglions lymphatiques,
ou adénopathie, était souvent un signe précoce de la maladie,
s’orientait vers la recherche du virus dans ces organes. À partir d’un
ganglion d’un patient de Willy Rozembaum, infectiologue à l’Hôpital
de la Pitié-Salpétrière, Françoise Barré-Sinoussi, du groupe de
Montagnier, isola un rétrovirus qui, s’avéra ne pas reconnaître les
sérums de Robert Gallo dirigés contre les HTLV. Ce virus fut décrit
par Françoise Barré-Sinoussi, Jean-Claude Chermann et Luc
Montagnier dans un article paru dans la revue Science la même
année, et fut baptisé par eux LAV, pour lympadenopathy associated
virus. L’isolement de plusieurs autres virus de même type à partir de
cinq cas d’adénopathies et de trois patients atteints de sida
confirmés montra très rapidement à Luc  Montagnier le lien de ces
virus avec l’immunodépression, d’où le nouveau nom qu’il proposa
pour eux de Immune deficiency-associated virus (IDAV).
Pendant ce temps, le groupe de Robert Gallo recherchait
activement des activités anti-HTLV dans les cellules des patients
atteints de sida, et n’en trouvait que très peu. À partir d’un
prélèvement humain venant de France, Mika Popovic, chez Robert
Gallo, isola deux virus, l’un « mature » qu’ils nommèrent HTLV-3, et
dans lequel ils virent l’agent responsable du sida, rebaptisant le sigle
HTLV en Human T-lymphotropic virus, et l’autre «  aberrant  », qui
s’avéra en fait plus tard être le virus du sida. Entre-temps, Luc
Montagnier avait envoyé à Robert Gallo son virus LAV pour une
caractérisation plus approfondie, et il se trouva que, quelque temps
après, la culture du HTLV-3 de Gallo fut contaminée par le LAV de
Montagnier. Le doute sur le virus en cause amena, dans un premier
temps, à désigner le virus du sida du double acronyme LAV/HTLV-3,
comme le recommanda l’OMS, transformé en HTLV-3/LAV par le
gouvernement américain et les principales revues anglo-saxonnes.
Une Commission de Nomenclature Virologique mit fin, en 1986, à
cette situation en rebaptisant l’agent du sida en human
immunodeficiency virus ou HIV (VIH en français).
Cependant, le groupe de Robert Gallo obtint le premier la
croissance en culture cellulaire continue d’un virus du sida dont on
ne sut pas trop s’il était celui de Montagnier et son groupe ou s’il
provenait d’un isolement nouveau. Ils déposèrent un brevet pour la
production d’un test de dépistage du sida, cinq mois après les
Français, mais, remarquablement, leur brevet fut accepté un an
après alors que la demande française demeurait encore en suspens.
La paternité de la découverte du VIH donna donc lieu à une
controverse scientifique et politique de plus de vingt ans, sur fond
d’intérêts économiques pour l’exploitation du test de dépistage. La
controverse politique fut résolue par un accord diplomatique entre la
France et les États-Unis, pour un partage des droits d’exploitation
d’un test présenté comme une « invention commune », accord signé
au plus haut niveau, entre Ronald Reagan et Jacques Chirac en
1987. Quant à la controverse scientifique, après deux articles
jumeaux dans la revue Science en 2002, où Robert Gallo
reconnaissait que l’article de Barré-Sinoussi, Chermann et
Montagnier de 1983 représentait indubitablement la première
description du virus du sida, elle trouva son épilogue dans
l’attribution du prix Nobel de Physiologie et Médecine 2008 aux seuls
Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi pour leur découverte du
virus du sida.

Les découvreurs des virus de l’immunodéficience humaine, VIH1 et VIH2, agents


du sida. De gauche à droite, Jean-Claude Chermann, Françoise Barré-Sinoussi
et Luc Montagnier. Ces deux derniers se sont vu attribuer, pour cette découverte,
le prix Nobel de Médecine et Physiologie en 2008. © Institut Pasteur.

Il avait fallu à peine deux ans, pour que la cause du sida soit
identifiée, et quatre pour qu’un test diagnostique soit disponible. Ce
qui est un temps extrêmement court en termes de recherche
scientifique, mais parut beaucoup trop long au public en général, aux
patients en particulier. Il faut pourtant dire que l’émergence du sida
était survenue à un moment particulièrement favorable du
développement des connaissances virologiques, la découverte de la
transcriptase réverse par Howard Temin et David Baltimore en 1970,
ayant ouvert la voie au développement de la rétrovirologie. Le sida
aurait-il émergé une douzaine d’années plus tôt, les virologistes
n’eussent pas été armés pour découvrir son virus.
En 1986, soit trois ans après leur découverte du LAV, l’équipe de
Luc Montagnier isolait un deuxième rétrovirus responsable du sida, à
partir de patients africains atteints de la maladie. Ce virus fut qualifié
de LAV-2, puis devint VIH-2, transformant de ce fait le VIH en VIH-1.

La recherche sur le sida
La recherche sur le sida devint rapidement un sujet prioritaire,
attirant de nombreux financements et un grand nombre de
chercheurs. En témoigne la participation de scientifiques de plus en
plus nombreux aux conférences internationales sur le sida, dont la
première édition avait réuni 2 000 participants à Atlanta en 1985. Ils
étaient 10  000 à Montréal en 1989 et 22  000 à Mexico pour la
17e édition en 2008.
La compréhension des mécanismes cellulaires régissant la
relation du VIH avec les cellules de l’hôte a tenu une place prioritaire
dans la recherche de médicaments actifs contre le virus, ou de
vaccin prévenant l’infection (voir encadré). Les molécules de
reconnaissance et de pénétration, et les modalités de la réplication
virale et de la sortie du virus de la cellule, constituaient en effet
autant de cibles potentielles pour le développement de produits
pouvant entraver le cycle vital du virus. Mais ces recherches
demandaient un certain délai avant de produire des résultats
tangibles. Aussi les médecins demeurèrent assez démunis dans le
traitement du sida, durant sa première décennie d’existence.

Le sida
Le sida représente une maladie particulière, dans laquelle le virus attaque
une population de cellules immunitaires  : les lymphocytes T porteurs de la
molécule CD4. La destruction de ces cellules provoque une
immunodépression profonde qui fait du patient infecté par le VIH la proie
d’infections opportunistes virales, bactériennes, parasitaires ou fongiques, ou
encore de tumeurs, dont celui-ci finit par succomber. Le développement
remarquable de la recherche sur le sida fut l’occasion d’une stimulation
importante dans de nombreux domaines de la recherche en infectiologie.

La lutte contre le sida


Dans les 10 années qui suivirent son apparition, le sida connut une
extension foudroyante en Amérique du Nord et en Europe
Occidentale, nous l’avons vu précédemment. Maladie aiguë,
rapidement mortelle, le nombre de morts dont elle fut responsable
crût rapidement d’années en années, dans les pays atteints, d’autant
plus facilement qu’il s’agissait d’une maladie contre laquelle aucune
arme thérapeutique n’était disponible. Les antibiotiques, inefficaces
contre les virus, étaient sans action contre celui-ci en particulier. La
thérapeutique antivirale était alors rudimentaire, pratiquement limitée
au seul acyclovir, dont l’efficacité contre le virus de l’herpès, avait été
démontrée, en 1977, par Gertrude Elion, mais qui était sans action
contre le VIH. Et bien entendu, il n’existait pas de vaccin contre un
virus à peine découvert. D’ailleurs, en 2020, presque 40  ans plus
tard, le vaccin contre le VIH n’est toujours pas mis au point.
La seule stratégie que l’on pouvait proposer dans les années 1980
consistait dans la prévention. Éviter la contamination impliquait à la
fois de se protéger contre une transmission vénérienne au cours
d’un rapport homo ou hétérosexuel, et d’empêcher la transmission
par la seringue et par le sang transfusé, des mesures simples en
apparence mais qui posèrent de nombreux problèmes dans leur
application, et furent à l’origine de polémiques de grande ampleur.
Pour prévenir la contamination sexuelle, l’alternative se limitait à
l’abstinence, comme le préconisa l’Église catholique, ou au rapport
sexuel protégé par un préservatif. La théorie du péché dans l’acte
sexuel hors mariage ressurgit en cette fin de xxe  siècle avec autant
de vigueur qu’elle en avait eu au xive  siècle. Récurrence historique
d’un invariant cultuel certes, elle eut pourtant un écho certain dans
une frange de la population qui découvrait à cette occasion des
modes immodérés de sexualité, liés à la libération sexuelle des
années 1970. Les tout premiers cas de sida avaient en effet
concerné des populations particulières que le grand public ne
connaissait pas, communautés homosexuelles, «  style de vie new-
yorkais  » fait de fréquentation de bars et saunas, de grande
promiscuité avec partenaires multiples, et de prise de drogues
aphrodisiaques.
À une époque où la sexualité était faiblement médiatisée, la prise
de drogue stigmatisée, et l’homosexualité considérée comme une
pratique marginale, la prévention du sida nécessita l’adoption d’un
certain nombre de mesures allant à l’encontre de la pensée
courante. Et en ce sens, le sida joua un rôle majeur dans l’évolution
des mentalités. Le préservatif existait depuis le xvie  siècle (voir
encadré), encore fallait-il préconiser son emploi massif. L’année
1987 fut décisive dans la prévention du sida. Coup sur coup, la
publicité sur les préservatifs fut autorisée, une campagne télévisée
de prévention du sida apparut sur le petit écran, et Michèle Barzac,
ministre de la Santé, signa le décret d’autorisation de vente libre des
seringues et des aiguilles dans les pharmacies.

Le scandale du sang contaminé


Le sang contaminé par des donneurs portant le VIH représentait un
risque majeur de transmission non sexuelle. Dès juin  1983, le
Professeur Jacques Roux, Directeur général de la Santé au
Ministère, avait adressé une circulaire aux Centres de Transfusion
sanguine, leur enjoignant d’exclure du don de sang les donneurs à
risque, en attente d’un test de dépistage qui tarda à être disponible
en France. Plus les sujets recevaient de transfusion, plus ils se
trouvaient exposés. Ce fut le cas des hémophiles polytransfusés à
l’origine d’un des plus grands scandales touchant à la santé, le
scandale du sang contaminé, qui mérite que l’on s’y arrête quelques
instants.

L’hémophilie

L’hémophilie est une maladie héréditaire familiale, caractérisée par un


retard de coagulation responsable d’hémorragies prolongées, survenant
spontanément ou à l’occasion du moindre traumatisme. Le traitement de ces
hémorragies nécessitait la transfusion de produits sanguins enrichis en
facteurs de coagulation VIII et IX, déficitaires chez les hémophiles. De plus,
leur injection régulière à titre préventif permettait aux hémophiles de
bénéficier d’une vie normale, incluant la pratique du sport. Mais la préparation
des concentrés de facteurs VIII ou IX par les Centres de Transfusion
sanguine nécessitait le mélange des sangs de plusieurs centaines, voire
plusieurs milliers de dons, ce qui accroissait considérablement le risque de
transmission du virus du sida dans la population des hémophiles.

Des cas de sida s’étaient déclarés chez des hémophiles dès 1982.
En 1983, il apparut que le chauffage de certains produits sanguins,
en particulier des concentrés de facteur VIII, inactivait le VIH. Bien
que la nocivité des concentrés non chauffés soit connue depuis fin
1984-début 1985, et que des concentrés chauffés fussent
disponibles dès cette époque, le Centre National de Transfusion
sanguine (CNTS) continua de distribuer des concentrés non
chauffés jusqu’en octobre  1985, afin d’écouler ses stocks. Il ne
cessa que lorsque la Sécurité Sociale décida de leur non-
remboursement, le 1er octobre 1985. La logique comptable du CNTS
coûta la vie à plusieurs dizaines d’hémophiles. L’affaire, révélée
dans la presse en 1987, fit scandale. Il paraissait intolérable que le
sang, source de vie à travers le don, avec la connotation de
générosité du don anonyme et gratuit, puisse être devenu véhicule
de mort, par négligence médicale. Que les victimes puissent être
des enfants innocents ajoutait encore à l’indignation.
En avril  1991, la publication d’un rapport interne du CNTS,
révélant que la direction de l’établissement avait sciemment refusé
de prendre la décision de rappeler tous les lots de concentrés en
facteur VIII que l’on savait contaminé en totalité, aux motifs de
l’incidence économique de la mesure, et du «  problème de son
efficacité réelle  » (sic), amena la Justice à sortir d’une réserve de
plus en plus pesante. Elle se saisit du dossier et inculpa les
responsables. Le procès du sang contaminé se déroula dans une
ambiance passionnée de juin à août  1992 devant la 16e  Chambre
Correctionnelle de Paris, et le verdict fut rendu le 23  octobre. Le
docteur Michel Garetta, directeur du CNTS au moment des faits, fut
condamné à quatre ans d’emprisonnement et 500  000  francs
(76 200 €) d’amende, et le docteur Jean-Pierre Allain, également du
CNTS, à quatre ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Tous
deux avaient été accusés de «  tromperie sur les qualités
substantielles d’un produit  ». Le Professeur Jacques Roux et le
docteur Robert Netter, directeur du Laboratoire National de Santé,
poursuivis en même temps pour «  non-assistance à personne en
danger  », se virent, le premier condamné à quatre ans
d’emprisonnement avec sursis, et le second relaxé. Au procès
d’appel, en 1993, les peines furent confirmées, voire aggravées pour
le docteur Allain, et le docteur Netter se vit infliger un an
d’emprisonnement avec sursis.
L’affaire du sang contaminé se poursuivit au-delà, avec la mise en
examen des trois ministres en fonction au moment des faits  :
Laurent Fabius, alors Premier Ministre, Georgina Dufoix, alors
Ministre des Affaires Sociales et Edmond Hervé, alors Secrétaire
d’État à la Santé. Ils comparurent tous trois en 1999 devant la Cour
de Justice de la République, créée en juillet  1993 pour juger des
infractions commises par des ministres dans l’exercice de leur
fonction. Les deux premiers furent relaxés, et le troisième
condamné, mais dispensé de peine.
Cette affaire avait duré plus de 10  ans. Elle avait conduit à un
retournement de l’opinion sur la médecine, que l’on découvrait
capable de générer des risques pour la santé des patients. Elle joua
un rôle essentiel dans le développement du principe de précaution et
fut à l’origine d’une tendance réglementaire pléthorique dans de
nombreux domaines médicaux.
L’extension mondiale
Au détour des années 1990, le sida prit réellement une dimension
pandémique, en s’étendant à l’ensemble des continents. Il s’était
manifesté en Afrique subsaharienne dans le courant des années
1980, mais l’intérêt restait alors focalisé sur l’Amérique du Nord et
l’Europe Occidentale. Pourtant la transmission du virus en Afrique
avait l’originalité d’y être essentiellement hétérosexuelle, ce qui allait
déboucher dans les années 1990 sur une situation dramatique.
L’Afrique subsaharienne est la région du monde où l’épidémie a été
la plus terrible, et où son impact dévastateur se poursuit encore.
Durant l’année 2000, le nombre de nouveaux cas d’infection par le
VIH s’y élevait à 3,8 millions. La prévalence moyenne y était de
8,8 % de la population adulte (15 à 49 ans), mais elle atteignait 20 %
dans neuf pays localisés dans le cône sud du continent, et culminait
à 36  % au Bostwana. Sur ce continent, la population touchée
comptait autant de femmes que d’hommes, avec de graves
conséquences démographiques. La forte transmission périnatale du
virus entraînait une prévalence élevée d’infection chez les jeunes
enfants. À la fin de l’année 2000, on estimait que plus d’un million
d’enfants de moins de 15  ans étaient contaminés par le VIH en
Afrique subsaharienne. De même, l’atteinte simultanée des deux
parents entraînait un nombre élevé d’orphelins, résultat de la forte
mortalité des deux parents. Globalement au tournant du xxe  siècle,
l’épidémie en Afrique subsaharienne touchait la population générale
et atteignait les zones rurales au même titre que les villes.
Dans les autres régions du monde, Europe de l’Est, Moyen-Orient,
Asie et Pacifique, l’introduction du virus fut plus tardive, et l’évolution
de l’épidémie variable selon les continents et les pays.
C’est au cours des années 1990 que l’on assista à la phase initiale
du sida en Inde et en Thaïlande. Le premier cas indien fut détecté en
1986 chez un malade qui avait contracté le virus à l’occasion d’une
transfusion sanguine, aux États-Unis. La Chine se prétendait encore
indemne de sida. Mais les choses se mirent à changer. Dans le sud
et le sud-est asiatique, le nombre de nouveaux cas de contamination
par le VIH s’élevait à 700 000 pour la seule année 2000, dont 64 %
d’hommes. Les pays les plus atteints de cette région du monde
étaient la Thaïlande, le Cambodge et la Myanmar. En Inde, la
situation du sida était diverse, ce qui n’a rien de surprenant pour un
sous-continent plus peuplé que l’Afrique dans son ensemble. Dans
le sud, l’épidémie se propagea essentiellement à l’occasion des
relations hétérosexuelles, avec une prévalence de 2 % dans certains
états. Dans les états du nord, c’étaient plutôt parmi les usagers de
drogues intraveineuses que la maladie se répandit, avec une
fréquence demeurant faible. En Chine l’incidence de l’infection VIH
paraissait encore faible à la fin des années 1990, localisée parmi les
usagers de drogues intraveineuses.
En Europe de l’Est, le sida s’est répandu rapidement à la fin des
années 1990. Fin 2000, on estimait à 300  000 le nombre de
séropositifs dans la Fédération de Russie, principalement parmi les
personnes se droguant par voie intraveineuse, et leurs conjoints. La
maladie était présente dans 82 des 89 régions de Russie. Dans les
années 2000, la progression se fit vers d’autres pays de l’Europe de
l’Est, dont l’Ouzbékistan et l’Estonie. En Roumanie, des centaines
d’enfants de l’hôpital pédiatrique de Kalmoukie furent infectés à
l’occasion de transfusions sanguines.
Sur le continent américain, la situation était variable suivant les
grandes régions. Les Caraïbes étaient la zone la plus touchée. À la
fin 1999, la prévalence globale de l’infection dans la population
d’Haïti dépassait 5  %, seul pays en dehors de l’Afrique
sudsaharienne à détenir un chiffre aussi élevé. La prévalence
d’adultes et d’enfants infectés par le VIH en Amérique latine et
Amérique centrale s’élevait à 1,4 million à la fin de l’année 2000. Au
Brésil, l’incidence a crû de façon modérée et la mortalité a décliné
sous l’effet conjoint des thérapeutiques antirétrovirales et d’efforts
concertés de prévention.
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord enfin, l’épidémie a
commencé à progresser au début des années 2000, mais partant
d’un niveau excessivement bas.

Progrès thérapeutiques et origine du VIH


Le formidable effort de recherche, poursuivi depuis l’apparition des
premiers cas, permit le développement de plusieurs antirétroviraux
dirigés contre des cibles distinctes. Les uns bloquent l’enzyme
caractéristique de cette famille de virus, la transcriptase réverse,
capable de transformer l’acide ribonucléique (ARN) du virus en acide
désoxyribonucléique (ADN), ce qui permet au VIH d’intégrer le
génome à ADN des cellules humaines. L’AZT, ou zidovudine, fut le
premier antiviral actif employé pour traiter le sida, dès 1987. Mais
ses effets secondaires sévères limitent son utilisation, d’autant que
divers autres produits efficaces et mieux supportés vinrent enrichir
l’arsenal thérapeutique anti-VIH des années 1990. Outre cette
famille des inhibiteurs de la transcriptase réverse, d’autres familles
d’antiviraux furent découvertes, inhibiteurs de la protéase virale, qui
empêchent la production de virus par les cellules parasitées, ou
inhibiteurs d’entrée du virus dans les cellules de l’Homme. Aucune
de ces molécules ne permet d’éliminer le virus, mais leur utilisation
combinée, en particulier l’utilisation simultanée d’une molécule de
chaque famille, ou trithérapie, a permis de limiter sérieusement la
multiplication virale et d’augmenter la durée de vie des personnes
infectées. La XIe Conférence Mondiale sur le sida de Vancouver, en
1996, où furent annoncés les premiers résultats de la trithérapie,
marqua un tournant dans la prise en charge du sida. En 2020,
l’arsenal des antirétroviraux s’est considérablement enrichi, avec
presque 50 molécules réparties dans cinq familles distinctes.

L’origine des VIH
L’origine des VIH a été l’objet de controverses et des hypothèses
fantaisistes ont vu le jour. Au milieu des années 1980, une rumeur,
propagée semble-t-il par le KGB, attribua la paternité du virus aux
militaires américains en faisant du VIH un virus échappé d’un
laboratoire et se répandant à New York puis, au-delà, dans le
monde. Une autre rumeur accusa le vaccin antipoliomyélitique,
fabriqué à partir de cellules de rein de singes d’avoir été contaminé
par le VIH, et disséminé en Afrique à l’occasion des campagnes de
vaccination dans les années 1950.
Les études moléculaires conduites sur l’ensemble des lentivirus,
un groupe de rétrovirus responsables d’immunodépressions non
seulement chez l’Homme, comme le VIH, mais également chez les
singes, comme les SIV (Simian immunodeficiency virus), ont permis
d’éclairer l’origine des virus humains. Elles ont montré la grande
parenté génétique existant entre ces diverses catégories de virus.
Les groupes M et N du VIH-1 dérivent des SIV des chimpanzés
d’Afrique Centrale, cependant que le groupe O du même VIH-1 est
présent chez le gorille d’Afrique de l’Ouest. Quant au VIH-2, il dérive
d’un SIV du singe mangabey, également d’Afrique de l’Ouest
(Peeters et coll., 2014). Le mode exact du passage des virus
simiens de chimpanzés, de gorilles ou de mangabey à l’Homme
n’est pas formellement connu. Il est toutefois très vraisemblable que
l’exposition à du sang ou à des sécrétions d’animaux infectés à
l’occasion de la chasse ou de la préparation du gibier, ait été le
facteur de transmission à l’Homme. Celle-ci aurait ensuite conduit à
l’adaptation des VIH à l’espèce humaine et à leur transmission
interhumaine. Les études d’horloge moléculaire ont permis d’estimer
approximativement l’époque de ce franchissement de la barrière
d’espèce aux années 1930 pour le VIH-1 et aux années 1940 pour le
VIH-2.
Mais si le virus est aussi ancien, se pose la question de savoir
pourquoi l’épidémie humaine n’a pas eu lieu avant. Sans doute,
parce que le déclenchement d’une épidémie nécessite la
convergence de divers facteurs tenant non seulement à l’agent
infectieux, mais également à l’Homme et son comportement dans un
environnement particulier. Les grandes modifications
démographiques, avec des concentrations urbaines, et les
bouleversements des mœurs survenues dans les années 1970, ont
dû jouer un rôle capital dans le déterminisme de l’épidémie humaine,
et son expansion mondiale. D’ailleurs, des études rétrospectives ont
mis en évidence l’existence de cas humains vraisemblables dès les
années 1950.
Situation actuelle et perspectives
Avec près de 80 millions de personnes infectées jusqu’à présent par
le VIH, et près de 32 millions de morts, le sida est l’une des
pandémies les plus meurtrières de l’histoire humaine. Quarante
années après son déclenchement, elle est toujours présente et
active. Pour la seule année 2019, le nombre de nouvelles
contaminations s’élevait à plus de 1,7 million, plus de 38 millions de
personnes vivaient avec le virus et 690  000 décès avaient été
occasionnés par le sida.
Dans ce sombre tableau pourtant existent quelques lueurs
d’espoir. L’arsenal thérapeutique s’est considérablement amélioré,
l’infectiologue disposant aujourd’hui de nombreux antirétroviraux
actifs sur trois ou quatre cibles potentielles, et le traitement repose
aujourd’hui sur des associations de plusieurs molécules (trithérapie).
Ceci explique la diminution régulière, depuis quelques années, du
nombre annuel de décès (690  000 en 2019 pour 1,4 million en
2000). Les nouvelles infections d’ailleurs suivent la même tendance
(1,7 million en 2019, pour 2,7  millions en 2000). Mais ces chiffres
globaux varient fortement selon les continents.
En effet, au cours des dernières années, la physionomie du sida
s’est profondément modifiée dans ses aspects cliniques,
sociologiques et géographiques. Dans les premiers pays atteints, en
Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, le sida est devenu une
maladie chronique. L’usage de la trithérapie a eu un impact
favorable sur la progression de la maladie, qui a ralenti, et sur sa
mortalité. L’infection par le VIH ne correspond plus à un arrêt de
mort imminente, mais s’accompagne d’une espérance de vie non
négligeable, d’une dizaine d’années, voire plus. Si au début de
l’épidémie, il y avait une association positive entre infection VIH et
catégories socio-professionnelles élevées, la tendance s’est
aujourd’hui renversée et l’infection touche de façon sélective les
catégories sociales à faible éducation et défavorisées, ainsi que les
minorités ethniques.
Mais la situation épidémiologique globale reste préoccupante du
fait d’un relâchement de la prévention qui entraîne une certaine
reprise épidémique. À l’heure actuelle, les sujets qui s’infectent sont
majoritairement des jeunes femmes hétérosexuelles et des hommes
homosexuels.
Dans les pays des continents postérieurement gagnés par le virus
– Europe de l’Est, Asie, Amérique du Sud, mais surtout Afrique –, le
sida demeure la maladie aiguë, rapidement mortelle qu’il fut pour
tous à son début. Il y a acquis une forte féminisation du fait d’une
prostitution large et non protégée. Dans les pays du sud, il est un
frein à la croissance économique et un facteur supplémentaire de
pauvreté. Seuls 30 à 40 % des personnes nécessitant un traitement
y ont accès, et l’on estime que pour une personne mise sous
traitement, trois nouvelles infections ont lieu. L’accès à la trithérapie
pour les populations des pays pauvres représente l’un des défis
majeurs posés à l’ensemble du monde par cette pandémie qui
constitue une incroyable tragédie humaine. L’impact sur la
croissance économique de ces pays sera considérable, ce qui est
d’autant plus dommageable qu’il s’agit généralement de pays à
faibles revenus.
Le sida est également une menace pour la sécurité du monde, en
raison de son potentiel d’aggravation du déséquilibre nord-sud. Près
de 95  % des nouveaux sujets infectés habitent dans les pays à
faibles revenus, dans lesquels l’accès aux médicaments est réduit.
Plus de 57  % des patients contaminés dans le monde en 2019 se
trouvaient en Afrique subsaharienne. Dans cette seule partie de
l’Afrique, l’épidémie a réduit de près de 20  ans l’espérance de vie,
fait plus de 12 millions d’orphelins, totalement bouleversé la
pyramide des âges et érodé le capital humain. Le poucentage des
personnes bénéficiant d’une trithérapie précoce y est certes en
augmentation, mais demeure encore insuffisant et très variable
suivant les pays.
C’est pourquoi, lors de son Assemblée générale de la santé de
2015, l’OMS a lancé son programme ambitieux, «  Objectifs 90-90-
90  », visant à ce que, à l’horizon 2030, 90  % de la population
mondiale soit dépistée, 90 % des séropositifs mis sous traitement et
que la charge virale soit supprimée chez 90 % des patients traités.
Le développement d’un vaccin, l’un des pôles prioritaires de la
recherche sur le sida, est loin d’avoir abouti. Il se heurte à la grande
variabilité de la glycoprotéine de surface du virus, qui empêche la
mise au point d’un vaccin d’une efficacité permanente et constante.
Plusieurs dizaines de vaccins à l’étude ont vu leur développement
aller jusqu’à la phase d’essais cliniques sans permettre pour autant
l’utilisation d’aucun d’entre eux. Pour tous les patients du monde, le
vaccin n’est pas à l’ordre du jour, pas plus que la guérison. Aussi la
recherche de nouveaux médicaments se pousuit-elle activement,
avec deux objectifs prioritaires  : trouver des molécules pouvant
prévenir l’infection et mettre au point des produits permettant de
passer d’une trithérapie en prise quotidienne à des prises
hebdomadaires ou mensuelles.
Au demeurant, les virus du sida risquent de continuer de
nombreuses années leur œuvre de désolation, malgré les Objectifs
90-90-90 de l’OMS, dont on voudrait croire qu’ils ne sont pas qu’une
utopie altruiste.
9
Épidémies contemporaines : Ebola
et autres émergences

« Il y a lieu de considérer désormais une nouvelle maladie dans


le diagnostic différentiel d’un patient venant d’Afrique et atteint
d’une sévère affection fébrile. »

Samuel Saltzmann17

Les cinquante dernières années ont été fécondes en épidémies, qu’il


s’agisse de résurgences de germes anciens ou d’émergences de
nouveaux microbes. Les années 1970 ont vu l’apparition des fièvres
hémorragiques virales, dues, entre autres, aux virus Marburg, Lassa
et surtout Ebola, mais aussi la survenue d’une maladie bactérienne
nouvelle, la légionellose. Le virus du sida, dont nous avons parlé
plus haut, a fait intrusion dans la médecine humaine dans les
années 1980, cependant que les années 1990 ont été marquées par
l’hépatite C.  SRAS, grippe et chikungunya ont occupé le devant de
la scène dès le début des années 2000. Et c’est sans parler de
l’émergence de la maladie de Lyme, de l’extension de la dengue ou
de la survenue du virus zika. Et, plus récemmment, la pandémie à
coronavirus SARS-CoV-2 a déclenché une crise sanitaire importante
aux lourdes implications économiques et sociales.
Cette multiplicité d’attaques épidémiques est démonstrative des
potentialités des germes que l’on dit émergents. Ce concept, en
effet, apparu dans le dernier quart du xxe  siècle, se réfère
principalement à des virus qui franchissent les barrières d’espèces,
par exemple qui passent de l’animal à l’Homme, et font montre de
degrés de pathogénicité et de contagiosité importants.
Certaines de ces émergences ont posé, et parfois posent encore,
des problèmes majeurs de santé publique. Certaines d’entre elles se
sont produites dans les régions tempérées de nos pays, comme la
légionellose, ou l’hépatite C.  La plupart sont des émergences
tropicales, comme les fièvres hémorragiques, les arboviroses
dengue, chikungunya ou fièvre du Nil Occidental. Mais même dans
ce deuxième cas, les pays tempérés sont menacés par la possibilité
d’importation de l’agent infectieux par un patient de retour d’une
zone endémique, comme c’est le cas des fièvres hémorragiques ou
de la Covid-19, ou par la diffusion d’un vecteur potentiel, tel le
moustique Aedes albopictus en train d’envahir le monde (voir
encadré).
Il ne saurait toutefois être question de décrire en détail l’ensemble
des épidémies des cinquante dernières années. Mais une évocation
rapide de certaines d’entre elles illustrera différents cas de figure, et
aidera à la compréhension du phénomène d’émergence, si important
dans une prospective sanitaire. L’hétérogénéité de ce chapitre est le
reflet de la diversité des micro-organismes, de la multiplicité de leurs
cycles et des potentialités des risques qu’ils représentent. Compte
tenu des particularités de la pandémie de Covid-19, le chapitre 10 lui
est consacré.

Aedes albopictus

Aedes albopictus, communément qualifié de «  moustique-tigre  », est


originaire du Sud-est asiatique. Il a connu une dispersion mondiale, grâce à
ses déplacements passifs le long des voies de communication. Son transport
s’effectue dans les pneus usagés, dont le commerce mondial est intense, et
qui constituent des biotopes larvaires pérennes par les eaux de pluie
résiduelles qu’ils contiennent. Il a été introduit en Italie dans les années 1990
et a gagné la France métropolitaine en 2004, dans les Alpes-Maritimes et la
Haute-Corse, puis dans le Var et la Corse du Sud, en 2008. Il a
progressivement envahi la plus grande partie du pays et est actuellement
présent dans 58 départements. Ce moustique à activité diurne s’adapte aux
habitats urbanisés, et est parfaitement à l’aise dans des biotopes artificiels de
régions tempérées, ce qui souligne le risque de transmission vectorielle de
divers virus dans le sud de l’Europe. En milieu tropical, il est un vecteur avéré
des virus de la dengue, du chikungunya et du zika, et un vecteur potentiel de
celui de la fièvre jaune.

Les fièvres hémorragiques virales


On range sous le terme générique « fièvres hémorragiques virales »
une série d’infections virales associées à une hémorragie, causées
par des virus appartenant à différentes familles : Arenaviridae (fièvre
de Lassa), Bunyaviridae (fièvre Congo-Crimée, fièvre de la vallée du
Rift), Filoviridae (maladie de Marburg, Ebola) ou encore Flaviviridae
(fièvre jaune, dengue, fièvre hémorragique d’Omsk). Bien que la
fièvre jaune (chapitre 6) et la dengue soient connues de longue date,
les fièvres hémorragiques virales sont devenues des sujets
d’actualité depuis la deuxième moitié du xxe  siècle, en raison de la
découverte de nombreux virus qui en sont responsables chez
l’Homme dans diverses régions du monde.
Il s’agit en général de virus animaux transmis à l’Homme par
contact direct ou indirect avec un animal réservoir, ou par
l’intermédiaire d’un vecteur (tique ou moustique). Si leurs foyers
naturels sont la plupart du temps localisés, en Afrique ou en Asie,
certains peuvent avoir une extension mondiale du fait de leur très
fort degré de transmission interhumaine, par contact avec les
liquides biologiques (excrétions et sécrétions diverses, sang) ou les
organes des sujets infectés. Il n’existe pas de traitement spécifique
homologué de ces diverses affections, ce qui explique partiellement
leur taux élevé de mortalité. Des vaccins sont activement recherchés
contre ces maladies, dont au moins deux sont disponibles pour la
prévention de la fièvre Ebola et de la dengue.

La maladie de Marburg
Elle se manifesta pour la première fois fin août 1967, à Marburg en
Allemagne, chez trois employés de la société pharmaceutique
Berhingwerke, qui avaient été en contact avec le sang ou les tissus
de singes verts, Cercopithecus aethiops, reçus d’Ouganda quelque
temps auparavant. En trois semaines, 17 cas furent admis à
l’hôpital, où la maladie se déclara ensuite chez un médecin et une
infirmière, et plus tard chez l’épouse d’un des malades. D’autres cas
furent observés ensuite à Francfort-sur-le-Main et en Yougoslavie, à
Belgrade, dans des sociétés pharmaceutiques ayant reçu des singes
verts appartenant aux mêmes lots que ceux de Marburg. Le tableau
clinique était composé d’un état fébrile grave, avec diarrhée,
éruptions et phénomènes hémorragiques. Au total, cette épidémie
européenne compta 31 cas dont sept furent mortels. Un virus tout à
fait particulier fut isolé, que sa forme filamenteuse fit classer dans la
famille des Filoviridae.
Par la suite, la maladie de Marburg se manifesta à deux reprises,
sous forme de petites épidémies limitées à trois cas en Afrique du
Sud en 1975, et à deux cas au Kenya en 1980. Les études
épidémiologiques permirent d’incriminer des chauves-souris comme
le réservoir naturel du virus. Pendant près de 20 ans, la maladie de
Marburg fut considérée comme une affection certes sévère (taux de
mortalité aux environs de 50  %), mais avec des capacités
épidémiogènes réduites. Pourtant, les épidémies meurtrières de la
République démocratique du Congo (1998-2000) et d’Angola (368
cas dont 223 mortels au cours de la première moitié de l’année
2005), ainsi que la permanence de cas en Ouganda entre 2007 et
2014 démontrèrent que la maladie de Marburg représentait toujours
une importante menace.

La fièvre de Lassa
Le virus Lassa tire son nom d’une petite localité de la région de Jos,
au nord-est du Nigeria, où il se manifesta pour la première fois en
1969, atteignant une sage-femme missionnaire de 69  ans. Celle-ci
avait vu apparaître une fièvre progressive, avec de fortes douleurs
dans le dos, une atteinte rapide de l’état général, une prostration,
une déshydratation et un syndrome hémorragique. Évacuée sur
l’hôpital de Jos, elle mourut après avoir contaminé une infirmière qui
présenta le même tableau. Une autre infirmière ayant assisté à
l’autopsie du deuxième cas fut à son tour contaminée et évacuée sur
les États-Unis, en même temps que les prélèvements des deux
premières patientes. L’étude de ces prélèvements au Yale Arbovirus
Research Unit, à New Haven, permit l’isolement d’un agent
cytopathogène nouveau que l’on classa dans la famille nouvellement
décrite des Arenaviridae. Ce virus se révéla rapidement dangereux à
manipuler, puisqu’il infecta deux personnes dans le laboratoire où il
fut découvert, dont l’une succomba, amenant l’arrêt des recherches
sur le virus. Au total, cette épidémie partie de Lassa et importée aux
États-Unis se solda par cinq cas, dont trois mortels.
L’année suivante, la fièvre de Lassa frappa à nouveau à Jos  : à
partir d’un cas initial originaire du village de Bassa, 23 cas se
déclarèrent parmi le personnel médical et soignant et les malades de
l’hôpital, dont 13 furent mortels. En 1972, d’autres épidémies intra-
hospitalières se déclarèrent au Liberia (4 décès sur 11 sujets
atteints) et en Sierra Leone. Plus tard, plusieurs épidémies
apparurent au Nigeria, entre 1974 et 1977, et au Bénin, en 1978.
Le réservoir naturel du virus fut identifié à l’occasion de l’épidémie
du Sierra Leone  ; il s’agit d’un rongeur, Mastomys natalensis, dans
l’urine duquel se rencontre le virus. Ainsi, le virus de Lassa apparaît
largement répandu en Afrique de l’Ouest où il est disséminé dans la
population humaine par l’urine du Mastomys, rongeur certes
sauvage, mais approchant au contact de l’Homme dans les villages
de brousse, où la population porte des traces sérologiques
d’infections inapparentes. Les épidémies dues à ce virus très
contagieux se produisent à la suite de l’admission dans un hôpital
rural africain d’un cas initial de contamination villageoise à partir du
rongeur.
De nos jours, la fièvre de Lassa est endémique dans divers pays
d’Afrique de l’Ouest, dont le Bénin, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le
Mali, le Nigeria et la Sierra Leone. On estime à environ 150 000 le
nombre de cas annuels et à 5  000 le nombre de décès. Dans
certaines régions de la Sierra Leone et du Liberia, entre 10 et 16 %
des personnes hospitalisées sont atteintes de fièvre de Lassa.
La fièvre Ebola
La fièvre hémorragique à virus Ebola est aussi redoutable, sinon
plus, que les deux maladies précédentes. Elle se manifesta pour la
première fois en 1976 par des épidémies presque simultanées
survenant dans deux localités distantes d’environ 180 km et situées
l’une dans le sud-ouest du Soudan, l’autre dans le nord-est du Zaïre
(actuelle République démocratique du Congo, couramment abréviée
en RDC). Les premiers cas furent hospitalisés et donnèrent lieu à la
diffusion de la maladie parmi les autres malades et le personnel
médical de l’hôpital. La panique qui s’ensuivit entraîna la fuite des
sujets contacts, disséminant largement le virus. Ces deux épidémies
totalisèrent environ 500 cas, dont 400 mortels. Le tableau clinique
s’apparentait fortement à la maladie de Marburg, avec fièvre,
douleurs musculaires et articulaires, diarrhée, éruptions et
hémorragies.
Les enseignements des épidémies de Marburg et de Lassa ayant
porté, les prélèvements furent confiés à des laboratoires de haute
sécurité, dont trois existaient à l’époque, au CDC d’Atlanta, aux
États-Unis, à Porton, en Grande-Bretagne et à Anvers, en Belgique.
L’agent infectieux isolé était un virus très polymorphe, filamenteux
comme celui de Marburg auprès duquel il fut classé dans la famille
de Filoviridae (voir figure). Il fut baptisé «  Ebola  », du nom d’une
petite rivière proche de Yambuku, village zaïrois du premier malade
ayant fourni un prélèvement positif.
Le virus Ebola, en microscopie électronique.

© Institut Pasteur.

D’autres cas isolés ou des épidémies apparurent ensuite en RDC


(1977), au Soudan (1979) et au Kenya (1980), et des enquêtes
sérologiques montrèrent que le virus circulait également au Gabon,
au Cameroun et en République Centrafricaine, principalement dans
les populations forestières.
Par la suite, des épidémies réapparurent à nouveau, en Ouganda
(2000-2001), au Gabon (2002), au Soudan (2004) et en RDC (2002,
2003 et 2005), signant une extension géographique importante de
ce virus, dont on a dénombré quatre sous-types. Si le nombre de
sujets atteints au cours de ces épidémies demeurait restreint, sans
doute grâce à l’aide d’organisations internationales, leur mortalité y
fut élevée. La recherche d’un réservoir de virus, longtemps
demeurée infructueuse, a récemment montré l’implication des
chauves-souris, ainsi que des grands primates dans les cycles
naturels  : ceux-ci se contaminent en mangeant feuillages et fruits
contaminés par les déjections des chauves-souris. L’Homme se
contamine à son tour en consommant la viande de brousse, et
l’épidémisation se produit ensuite par transmission interhumaine.
Alors que cette affection semblait exclusivement localisée en
Afrique centrale, on eut la surprise, en 2014, de la voir apparaître
soudainement en Afrique de l’ouest. Surgie d’abord en Guinée, elle
s’étendit au Libéria et à la Sierra-Léone, atteignant en deux ans
28 000 personnes et faisant plus de 11 000 morts.
À partir de 2018, c’est à nouveau en RDC qu’une nouvelle
épidémie surgit dans le nord-est du pays (provinces du Kivu et
d’Ituri), avec 3  400 cas et 2  250  morts, soit un taux global de
mortalité de 66 %.
C’est au cours de cette dernière épidémie qu’a commencé, en
août  2018, l’utilisation en RDC d’un premier vaccin  : le rVSV-
ZEBOV-GF de la firme américaine Merck Sharpe et Dohme, qui a
permis de vacciner plus de 200  000  personnes. Un deuxième
vaccin, le Ad26-ZEBOV-GP, fabriqué par la filiale belge de
l’américain Johnson & Johnson, a été également introduit à partir de
novembre  2019, créant une polémique en RDC. L’essentiel, au
demeurant, est que l’épidémie prit fin en février 2020.

Autres fièvres hémorragiques


L’Afrique n’a pas l’exclusivité des fièvres hémorragiques, pas plus
que celle des virus émergents. Sur le continent américain, des
fièvres hémorragiques à Arenaviridae ont été observées en
Argentine (virus Junin), en Bolivie (virus Machupo et Chapare), au
Brésil (virus Sabia) et au Venezuela (virus Guanarito). Sur le
continent asiatique, la fièvre hémorragique d’Omsk, en Sibérie, est
due à un filovirus transmis par des tiques à partir du rat musqué, et
le virus Nipah, transmis par des chauves-souris, sévit en Malaisie et
à Singapour. Quant à la fièvre hémorragique Congo-Crimée
présente sur les deux continents, elle est due à un bunyuavirus
transmis par des tiques à partir de divers mammifères domestiques
ou sauvages.
Certains virus animaux de fièvres hémorragiques ont une
distribution mondiale, tel le virus d’un mulot asiatique, Apodemus
agrarius, qui se révéla responsable de la fièvre de Hantaan, une
fièvre hémorragique avec atteinte rénale, révélée durant la guerre de
Corée en 1951-54. Considéré longtemps comme seulement présent
dans l’Ancien Monde, ce virus fut retrouvé en 1993 sur le continent
américain, grâce à un épisode de pullulation de souris à pattes
blanches qui suivit des pluies exceptionnelles dans une région aride
des États-Unis. Il s’y montra responsable chez l’Homme d’une forme
pulmonaire rapidement fatale. Ce virus fut également détecté en
Amérique Centrale (Panama) et dans plusieurs pays d’Amérique du
Sud (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Paraguay et Uruguay).
Cette liste non exhaustive des fièvres hémorragiques virales est
donnée dans le seul but de mettre en évidence la grande variété de
virus de mammifères pouvant occasionnellement infecter l’Homme
et déclencher des épidémies interhumaines. La recherche de ces
virus animaux relève d’une politique de veille sanitaire destinée à
anticiper les émergences pour tenter de s’y préparer.
Si la majorité des fièvres hémorragiques sont d’émergence
récente, il en est une ancienne, bien connue, la dengue, qui connaît
de nos jours une forte extension mondiale et constitue une menace
préoccupante d’extension au monde tempéré.

Dengue
La dengue est une maladie épidémique connue depuis le xviiie siècle,
mais dont la nature virale et la transmission par le moustique Aedes
aegypti ne furent établies qu’au début du xxe siècle. Qualifiée parfois
de « grippe tropicale », la dengue est une maladie infectieuse fébrile,
avec douleurs musculaires et articulaires sévères et éruption
cutanée. Elle est en général bénigne, mais sa forme hémorragique
peut entraîner la mort. L’incidence de la forme hémorragique est en
augmentation préoccupante depuis plusieurs décennies et constitue
aujourd’hui une importante cause de mortalité dans les régions
éndémiques.
La dengue est due à un virus de la famille de Flaviviridae, comme
la fièvre jaune. Il en existe quatre sérotypes, numérotés de 1 à 4,
étroitement apparentés, responsables des mêmes symptômes
cliniques, mais sans protection immunitaire croisée, c’est-à-dire qu’il
est possible d’être infecté quatre fois par ce virus, ce qui est une
donnée cruciale, car la forme grave, hémorragique, semble liée à
une nouvelle infection chez un sujet précédemment atteint.
Le vecteur de la dengue est le moustique diurne Aedes aegypti,
qui transmet le virus du singe à l’Homme en milieu rural, et de
l’Homme à l’Homme dans les zones urbaines et semi-urbaines.
Précisons ici un point de terminologie : tout comme la fièvre jaune, la
dengue peut être considérée à la fois comme une arbovirose, par
son mode de transmission, mais aussi comme une fièvre
hémorragique virale, selon son expression clinique.
La dengue a longtemps été limitée au sud-est asiatique, en
particulier en Inde et en Indonésie, où elle fut décrite en 1779, mais
aussi en Chine et Thaïlande. Mais depuis le xixe siècle, elle n’a cessé
de s’étendre à d’autres zones intertropicales de l’océan Indien, du
Pacifique et de l’Amérique où des épidémies ont été signalées aux
États-Unis, dans les Caraïbes et de nombreuses villes côtières et
ports d’Amérique du Sud. Elle a ensuite fait son apparition dans des
zones tempérées, en particulier en Europe (Espagne, France et
Italie du Sud), probablement importée d’Amérique par le commerce
triangulaire, et tout au long du xxe siècle, des épisodes épidémiques
se sont succédé en Méditerranée orientale. La dernière grande
épidémie de dengue européenne est survenue en Grèce, en 1927-
1928, avec environ un million de cas et un millier de morts.
En sommeil jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ses épidémies
ont repris durant la guerre du Pacifique. Depuis les années 1960, la
dengue est en plein développement, avec des épidémies sévères
dans les zones intertropicales classiques, mais aussi une extension
aux zones tempérées, en particulier grâce à la diffusion
d’A. albopictus, devenu un vecteur efficace du virus. Une trasmission
locale s’est effectuée pour la première fois en France et en Croatie,
en 2010, et une épidémie de 2  000 cas à Madère, en 2012, a
provoqué l’importation de plusieurs cas au Portugal et dans dix
autres pays d’Europe.
Ces dernières années, l’incidence mondiale de la dengue a
augmenté de manière spectaculaire. En 2019, 4,2 millions de cas de
dengue ont été notifiés à l’OMS par 129 pays, dont 25  000 cas de
dengue grave et 4 000 décès.
En France, les cas importés de dengue ont remarquablement crû
ces dernières années (189 en 2018 et 657 en 2019) et les cas de
transmission autochtone également, mais à un degré moindre (7 cas
en 2018, 9 en 2019).
Un vaccin contre la dengue, le Dengvaxia®, a été mis au point par
Sanofi-Pasteur. Il s’agit d’un vaccin vivant atténué, issu de la souche
17D de la fièvre jaune, recombiné par des antigènes de dengue. Il a
été approuvé par les autorités sanitaires d’une vingtaine de pays, et
est indiqué dans la prévention de la dengue hémorragique, c’est-à-
dire qu’il est réservé, en cas d’épidémie, aux personnes ayant déjà
eu une primo-infection par un virus de dengue.

Infections émergentes non hémorragiques

Légionellose
En juillet  1976, apparut soudainement, aux États-Unis, une
mystérieuse épidémie de pneumonie qui tua 26 des 260 vétérans de
la Légion américaine, réunis en Convention dans le Bellevue
Stratford Hotel de Philadelphie. Prise d’abord pour une grippe
porcine, une fièvre de Lassa et enfin une peste pulmonaire, la
maladie qualifiée au départ de «  plus grand mystère médical du
siècle  » fut enfin attribuée, deux ans plus tard, à une bactérie
nouvelle, nommée Legionella pneumophila.
Plusieurs petites épidémies furent rapportées dans le monde, aux
États-Unis, en Europe et jusqu’en Australie. L’une des plus sévères
eut lieu aux Pays-Bas et toucha près de 200 visiteurs du Westfriese
Flora Show 1999, la plus grande exposition florale intérieure du
monde, parmi lesquels on compta 21 décès. L’enquête
épidémiologique permit d’incriminer les projections d’un vaporisateur
d’eau tempérée d’une exposition commerciale voisine.
L. pneumophila est une bactérie normalement présente dans le
sol et les eaux douces naturelles des milieux aquatiques, naturels ou
artificiels. Elle résiste bien aux procédés classiques de traitement
des eaux. Elle se développe particulièrement bien entre 25 et 42°.
Favorisée par des conditions chaudes et humides, elle prospère
dans les canalisations d’eau, en particulier des circuits chauds, et
dans l’air tiède et humide des systèmes de ventilation. Les tours
aéro-réfrigérées peuvent être également contaminées, la bactérie
pouvant se répandre dans l’air par les petites gouttelettes d’eau en
suspension dans le courant d’air éliminé. Elle exerce d’autant mieux
son pouvoir pathogène pour l’Homme qu’il est sensible au froid du
système de climatisation.
Si la majorité des cas de légionellose passent inaperçus, donnant
l’impression d’une maladie rare, la maladie est grave chez les sujets
fragilisés par une immunodépression ou une affection pulmonaire
sous-jacente. Aussi, une surveillance des légionelloses a été
instituée en France à partir de 1997, qui a résulté dans la déclaration
régulière de nombreux cas  : entre 1  200 et 1  500 cas déclarés
annuellement en France, et 2  133 en 2018, par exemple). La
prévention de la colonisation d’un réseau d’eau par L. pneumophila
reste l’approche la plus sûre de la prévention de cette maladie.
Causée par une bactérie environnementale devenue pathogène
dans un environnement artificiel, la légionellose est l’exemple d’une
maladie émergente résultant directement de l’activité humaine.

La fièvre du virus du Nil occidental


Le virus du Nil Occidental, ou West Nile virus en anglais, doit son
nom au district West Nile, en Ouganda, où il a été isolé pour la
première fois, en 1937, chez une femme souffrant de fièvre. Il a été
retrouvé en Égypte dans les années 1950 chez l’Homme, des
oiseaux et des moustiques.
C’est un arbovirus de la famille des Flaviviridae, comme ceux de
la dengue ou de la fièvre jaune, mais son réservoir est représenté
par des oiseaux, domestiques ou sauvages, entre lesquels il se
transmet par l’intermédiaire de moustiques du genre Culex. La
transmission directe entre oiseaux paraît également être un
mécanisme important dans le maintien de la zoonose. Les oiseaux
migrateurs permettent la diffusion du virus de l’Afrique aux zones
tempérées. Le virus atteint également les chevaux et l’Homme, et
éventuellement d’autres espèces de mammifères. Des cas
sporadiques ont été régulièrement signalés tant chez l’Homme que
chez le cheval dans divers pays d’Afrique, au Moyen-Orient, en Inde
et en Europe, y compris dans le sud de la France (voir encadré ci-
dessous).

La fièvre du Nil Occidental en France

Une épizootie équine se développa en Camargue en 1963, accompagnée


par 19 cas humains, puis le virus ne se manifesta plus durant 37 ans. Entre
août et novembre  2000, une épizootie se déclara dans les départements
voisins de la Camargue, Gard, Hérault et Bouches-du-Rhône, atteignant
141  chevaux, dont 20 succombèrent. S’il n’y eut pas de cas humains cette
année-là, il n’en fut pas de même dans les années suivantes, en particulier en
2003, où sept cas humains se déclarèrent dans le Var, conjointement à des
cas équins. En 2006, le virus se manifesta à nouveau chez le cheval, mais
dans les Pyrénées-Orientales cette fois, et sans cas humain. En bref, le virus
est bien établi dans les départements méditerranéens du sud de la France,
où il circule sur un mode plus ou moins discret suivant les années. En 2018,
ce sont 25 cas humains qui y ont été diagnostiqués, un taux particulièrement
élevé, correpondant à une augmentation de la circulation du virus en Europe.
La surveillance continue du virus du Nil Occidental s’accompagne d’une lutte
antivectorielle durant la saison estivale de transmission.

L’infection humaine par le virus du Nil Occidental demeure le plus


souvent à un stade infraclinique, sans signe apparent. Elle est
parfois responsable de syndromes fébriles discrets, semblables à la
grippe, et plus exceptionnellement d’une encéphalite, pouvant
occasionnellement se révéler fatale. Chez le cheval, la maladie,
caractérisée par une fièvre avec paralysie des membres postérieurs,
a un taux élevé de mortalité.
En Afrique du Sud, une importante épidémie humaine a touché
plus de 3  000  personnes dans la région du Cap, en 1974, et, en
1996-97, plus de 500 cas ont été recensés à Bucarest, en
Roumanie. Mais l’épidémie survenue à New York, en 1999, est tout
à fait remarquable par son extension ultérieure rapide à l’ensemble
des États-Unis.

L’épidémie nord-américaine de 1999


Le virus du Nil Occidental introduit à New York était étroitement
apparenté à une souche isolée en Israël en 1998. Le transport
d’oiseaux ou de moustiques infectés fut incriminé sans que l’on ait
obtenu de preuve de l’un ou de   l’autre. Mais, le fait est que
l’épidémie humaine fut précédée de quelques semaines par une
mortalité élevée des oiseaux dans le zoo du Bronx et dans le Wildlife
Conservation Park. Les premiers cas humains apparurent en
août  1999, dans un hôpital du Queens, où deux personnes âgées
présentèrent un syndrome fébrile avec atteinte neurologique,
d’abord pris pour une encéphalite de Saint-Louis. C’est
l’identification du virus du Nil Occidental chez des oiseaux qui permit
de démontrer l’étiologie de cette épidémie, qui toucha au total
62 personnes et fit 7 morts, entraînant une vaste campagne de lutte
contre les moustiques.
Le virus était dès lors installé en Amérique du Nord. Entré à New
York, il fut ensuite localisé au New Jersey et au Connecticut. Il
s’étendit dans les années suivantes à la majorité des États-Unis (voir
figures), sous forme d’épidémies saisonnières de plus en plus
sévères : 4 156 cas, avec 284 décès en 2002 et 9 862 cas avec 264
décès, dans 46 états en 2003. Les années suivantes virent les
épidémies se maintenir, à un niveau moindre toutefois, puis un
certain fléchissement est apparu à partir de 2008. Le virus du Nil
Occidental s’est parfaitement adapté aux espèces des moustiques
nord-américaines du genre Culex. Ses trois vecteurs majeurs y sont
Culex pipiens dans l’est des États-Unis, un moustique bien adapté
au milieu urbain et adepte des eaux polluées, C.  tarsalis (Middle
Ouest et Ouest) et C. quinquefasciatus (états du Sud-Est).
Des États-Unis, le virus a gagné les Caraïbes, en 2001, le Canada
et le Mexique, en 2002, l’Amérique Centrale en 2003, et le nord de
l’Amérique du Sud en 2004. De nombreux cas chez des humains,
des chevaux et des oiseaux sont régulièrement détectés dans de
nombreux pays du continent américain qui apparaît dès lors
définitivement et totalement colonisé par le virus.
En Europe centrale et du Sud, une circulation accrue du virus a
été observée, depuis 2010, avec de très nombreux foyers animaux
chez les chevaux et dans l’avifaune sauvage, et un accroissement
des cas humains. Durant l’année 2018, 401 cas humains, dont 22
décès, ont été diagnostiqués en Europe, principalement en Serbie,
Italie et Grèce.

Extension de la fièvre du Nil Occidental aux États-Unis de 2000 à 2001.


L’épidémie démarra en 1999 dans la ville de New York, gagna l’ensemble
des états en trois ans, et se poursuit de nos jours. Les états en grisés sont ceux
où des cas humains ont été rapportés. (Source : CDC, USA). Poursuite
de l’extension chez l’Homme de la fièvre du Nil Occidental aux États-Unis en 2002
et 2003. À noter que, dans les trois états indemnes en 2003, le virus est présent
chez l’animal. (Source : CDC, USA).

Autres zoonoses virales

L’encéphalite japonaise
De l’autre côté du globe terrestre, des virus de chauves-souris sont
apparus dans les années 1990, occasionnant des maladies
respiratoires et neurologiques chez l’Homme  : le virus Hendra en
Australie et le virus Nipah en Malaisie et à Singapour. Ce dernier est
responsable d’une maladie bénigne du porc, pouvant contaminer
l’Homme par contact. C’est dire la grande variété de virus de
mammifères pouvant passer à l’Homme.

Chikungunya
Le chikungunya a fait irruption dans les médias français au début de
l’année 2005 à l’occasion de l’épidémie qui s’est déclarée dans
l’Océan Indien. Mais ce n’était pas une maladie nouvelle, car ce
virus avait été isolé pour la première fois en 1952 en Tanzanie, à
l’occasion d’une épidémie de fièvre. Il est d’ailleurs vraisemblable
qu’il ait existé antérieurement à sa découverte.
Le virus chikungunya est un arbovirus qui se transmet par des
moustiques du genre Aedes. Son aire de distribution inclut l’Afrique
subsaharienne et l’Asie du Sud-est, mais son épidémiologie est
différente dans ces deux grandes régions géographiques. En Afrique
subsaharienne, le cycle du chikungunya est essentiellement
forestier, faisant intervenir diverses espèces de singes et des Aedes
selvatiques, alors qu’en Asie, où le virus est d’introduction récente,
le cycle est essentiellement urbain, et implique les Aedes
domestiques que sont A. aegypti et A. albopictus (voir encadré).
Depuis sa description en Tanzanie, des épidémies rurales
cycliques se sont manifestées en Afrique, de l’Ouganda à l’Afrique
australe. La dernière épidémie importante a intéressé le Gabon, en
2007. En Asie du Sud, des épidémies affectent régulièrement l’Inde,
l’Indonésie, les Philippines et les pays de la péninsule indochinoise
(Thaïlande, Vietnam, Cambodge et Laos).
Il est vraisemblable que comme pour beaucoup d’autres agents
infectieux, l’Afrique soit le foyer primaire du chikingunya, à partir
duquel le virus a connu une dispersion mondiale.
Le nom de « chikungunya » vient du swahili et signifie « marcher
courbé », évoquant la démarche du patient associant une raideur à
de fortes douleurs articulaires. Car la maladie est une polyarthrite
aiguë fébrile, évoluant en général vers une amélioration progressive
rapide. Mais elle peut se compliquer de troubles hémorragiques ou
de formes neurologiques graves.

L’épidémie de 2005-2007
En juillet  2004, le virus chikungunya apparut aux Comores,
vraisemblablement importé d’Afrique de l’Est par des voyageurs. Il
diffusa dès lors dans l’Océan Indien, affectant le nord de
Madagascar, les îles Mascareignes et les Seychelles. L’épidémie a
été particulièrement importante à La Réunion, où, elle a débuté en
mars  2005, a atteint son pic épidémique en février  2006, pour
s’éteindre ensuite en avril  2007. Au total, elle a touché environ
266 000 personnes, sur une population totale de 750 000 habitants
que compte l’île et a occasionné 250 décès.

Essor pandémique (2013-2017)


À partir de deux cas autochtones apparus en 2013 dans l’île de
Saint Martin, le chikungunya a diffusé en Guadeloupe et Martinique
(environ 180  000 cas dans les Antilles françaises), puis s’est
propagé à toutes les Caraïbes, où il a sévi de 2013 à 2015. Il s’est
ensuite répandu à l’ensemble du continent américain, atteignant 23
pays, du nord (Canada et États-Unis) au sud (Argentine et Chili), et
atteignant plus d’un million et demi de personnes entre 2014 et
2017. À partir d’un cas importé des Antilles en mai 2014, il a gagné
la Polynésie (70 000 cas à Tahiti en 2014-2015) et l’Océanie.
Le chikungunya vient de ressurgir au Tchad en août  2020, avec
8 000 cas signalés en deux mois.

La situation en Europe
L’Europe est aujourd’hui sérieusement menacée par le chikungunya,
car au risque d’importation du virus par des voyageurs revenant de
zones d’épidémies actives, s’ajoute une possibilité d’implantation par
transmission locale par l’intermédiaire d’A. albopictus qui a colonisé
une grande partie du continent (voir encadré). Déjà, de juillet à
septembre  2007, une épidémie de chikungunya s’était développée
dans la province d’Emilie-Romagne en Italie du Nord. Cette
épidémie s’était déclenchée à la suite de l’importation du virus par
un voyageur provenant du Kerala, en Inde. Cette épidémie avait
atteint environ 250 personnes dans deux communes de la région de
Ravenne. En 2017, l’Italie a de nouveau rapporté 428  cas de
chikungunya autochtones.
En France, quatre premiers cas d’infection locale ont été signalés
en 2014, à Montpellier. Puis après un silence durant les trois années
suivantes, 17 cas autochtones ont été rapportés en 2017. Dans
plusieurs autres pays d’Europe (Allemagne, Espagne, Grèce,
Royaume-Uni et Suisse), les cas importés n’ont pas donné lieu pour
l’instant à implantation locale. Mais il est évident que la menace
épidémique se précise en Europe et qu’une surveillance s’impose
pour éviter tout démarrage d’épidémies autochtones.
La meilleure mesure de protection individuelle réside dans
l’utilisation de répulsifs pour éviter la piqûre des moustiques et dans
l’élimination des gîtes de reproduction de ce moustique domiciliaire.
Sur le plan collectif, des épandages d’insecticides se justifient dans
l’environnement des cas importés de chikungunya.
La menace préoccupante du chikungunya au niveau mondial a
motivé la recherche biomédicale dans deux directions  : mise au
point de vaccins et recherche d’armes de contrôle des populations
d’A. albopictus. À l’heure actuelle, trois candidats vaccins ont été mis
au point, dont un par l’Institut Pasteur, et en sont au stade d’essais
cliniques de phase III. Leur utilisation pourrait intervenir en 2022.
Dans la lutte antivectorielle, deux pistes sont privilégiées. Le
lâcher de mâles stérilisés par irradiation a pour but de rendre
l’accouplement impossible, avec pour objectif final de décimer les
populations de moustiques. La deuxième piste consiste dans le
lâcher de mâles infectés par une bactérie Wolbachia capable
d’interférer avec le cycle viral et permettant donc de diminuer la
transmission du virus par les populations de moustiques.

Zika
Le virus zika a été détecté pour la première fois en Ouganda, chez le
singe en 1947, puis chez le moustique Aedes aegypti l’année
suivante. Des épidémies humaines ont été signalées dans les
années 1970 dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie.
Par la suite, ce virus a atteint l’Océanie : la Micronésie en 2007, puis
la Polynésie en 2013-2014 (55 000 cas en Polynésie française). En
2015, c’est le continent américain qui a été touché, avec une
épidémie particulièrement sévère dans au moins une douzaine de
pays, en particulier le Brésil, où ont été rapportés entre un million et
un million et demi de cas, ayant pour conséquence quelques
malformations fœtales.
La fièvre zika est le plus souvent asymptomatique (dans 70 à
80  % des cas). Lorsqu’elle est cliniquement patente, il s’agit d’un
syndrome pseudo-grippal, avec fatigue, fièvre, maux de tête et
douleurs musculaires et articulaires des membres. La maladie peut
exceptionnellement se compliquer d’une paralysie ascendante
progressive de type Guillain-Barré. L’infection par le virus zika de la
femme enceinte peut entraîner une anomalie du développement
cérébral du fœtus.
Le risque d’implantation du virus zika en France est identique à
celui du chikungunya et de la dengue, A.  albopictus en étant un
vecteur efficace. En 2017, la France métropolitaine connut 15  cas
importés de zika et 1 cas autochtone.
Ce court chapitre met en lumière la saisissante diversité des
menaces que représentent les virus animaux. Certes, leur nombre
interpelle, mais il faut se souvenir que la recherche virologique s’est
intensifiée depuis l’émergence de la première fièvre hémorragique
(Marburg) en 1967 et que de nombreux pays du monde traquent les
nouveaux virus. L’explosion du nombre de laboratoires de haute
sécurité, dits P4, en est le témoignage  : d’à peine trois dans les
années 1970, leur nombre est passé à près de quarante aujourd’hui,
répartis dans divers pays du monde.
Il est vraisemblable que ces virus existaient de longue date, et si
deux continents, Afrique et Asie, apparaissent comme des réservoirs
privilégiés, l’expérience montre qu’on en découvre régulièrement
dans d’autres continents.
En réalité, le risque vient d’ailleurs, en particulier de l’Homme, de
son mode de vie et de ses activités qui favorisent grandement la
diffusion de ces virus dans le monde et leur franchissement de la
barrière d’espèce.
Et en premier lieu, son alimentation. Le commerce et la
consommation de viandes sauvages (viande de brousse) ou
d’élevages sanitairement non contrôlés sont des occasions
fréquentes d’humanisation de ces virus. Les importations
alimentaires en provenance de certains pays ne correspondent pas
toujours aux critères sanitaires imposés dans les pays occidentaux
qui les consomment.
La multiplication des voyages intercontinentaux entraîne un
accroissement des cas de maladies importées, avec parfois pour
corollaire l’installation de foyers autochtones si le vecteur est
présent, comme c’est le cas pour les arboviroses dengue,
chikungunya et zika.
10
Covid-19 :

une pandémie non préparée


aux conséquences inédites

« Oui, nous pouvons arrêter le monde. Et c’est même très facile.


Voilà le miracle que semble accomplir le Coronavirus. Mais c’est
nous, et non le virus qui l’avons fait ! … On sait comment
on freine. Que fait-on après ? »

Hartmut Rosa18

Le 31 décembre 2019, les autorités sanitaires chinoises informaient


l’OMS de l’existence de plusieurs cas de pneumonie atypique dans
la ville de Wuhan (province de Hubei). Le premier cas signalé dans
la ville datait du 17  novembre 2019, mais il est vraisemblable que
des cas aient existé auparavant dans le Hubei, possiblement dès le
mois d’octobre. Huit médecins de Wuhan, qui avaient signalé les cas
de la maladie diagnostiqués chez leurs patients fin décembre 2019,
furent arrêtés le 1er  janvier 2020 et accusés de diffuser de fausses
informations. L’un d’entre eux, Li Wenliang, est d’ailleurs lui-même
décédé de la Covid-19, dix jours après que la Cour populaire
suprême chinoise les ait tous réhabilités, le 28  janvier. À partir de
cette date, la communication officielle des autorités sanitaires
chinoises a été régulière. D’ailleurs, les autorités nationales, qui
avaient pris la mesure du danger, placèrent sous quarantaine, le
22  janvier, trois villes du Hubei, dont Wuhan, afin de tenter de
contenir l’épidémie. Mais si celle-ci semble avoir été effectivement
contenue dans ces provinces, le virus diffusa progressivement dans
le reste du monde en quelques mois.
La maladie fut rapidement reliée à un coronavirus nouveau pour la
science, identifié et séquencé dès le début du mois de janvier (la
publication de la séquence intégrale de son génome a été faite le
11  janvier 2020 par des chercheurs d’un laboratoire de Shanghai,
qui fut fermé dès le lendemain).
Le génome de ce nouveau coronavirus, alors baptisé 2019-nCoV,
et plus tard SARS-CoV-2, présente 80  % d’homologie avec le
coronavirus du SRAS, et est à 96 % identique à celui du coronavirus
RaTG13 isolé en 2013 à partir de chauves-souris Rhinolophus
capturées dans une mine désaffectée près de Tongguan (province
du Yunnan). Comme un constat semblable avait été réalisé lors de
l’émergence du virus du SRAS de 2003 (à présent devenu le SARS-
CoV-1), l’hypothèse la plus vraisemblable sur l’origine de l’épidémie
de Covid-19 est celle de la transmission à l’Homme d’un virus de
chauve-souris, par l’intermédiaire d’une autre espèce animale, hôte
relai (le pangolin, initialement incriminé, a depuis été disculpé),
suivie ensuite d’une épidémisation par transmission interhumaine.
Mais la contamination humaine directement à partir des chauves-
souris semble la plus probable dès lors qu’avaient été signalés en
2012 six cas de pneumonie bilatérale sévère, comparables à celle
de la Covid-19, dont trois mortels, chez des personnes ayant
pénétré dans la mine de Tongguan.

Les coronavirus

Les Coronavirus sont des virus animaux de mammifère, la plupart du temps


peu pathogènes pour leur hôte. L’Homme a aussi «  ses  » coronavirus (les
virus du coryza, ou rhume), qui se transmettent par voie aérienne, en
particulier chez l’enfant. Deux de ces virus humains ont une origine
(ancienne) animale, et l’un d’entre eux, originaire de rongeurs, est passé par
un hôte intermédiaire bovin avant de s’adapter à l’Homme. Pourtant, cet
exemple n’a pas été pris en compte dans les travaux tentant de prédire
l’émergence de virus pandémiques, qui ont préféré se focaliser sur les virus
grippaux plutôt que sur les Coronavirus, pas plus que les deux épidémies
humaines liées à des coronavirus d’origine animale du début du xxie siècle :
celle du SRAS (virus originaire d’une chauve-souris) et celle du MERS
(originaire du chameau). Ces infections humaines se caractérisent pourtant
par un syndrome respiratoire aigu, parfois accompagné de pneumonie sévère
avec détresse respiratoire.

Virus à ARN simple brin, les coronavirus sont enveloppés par une « couronne »


de pointes (spikes) portant la protéine S, clé de la fixation et de la pénétration
du virus dans les cellules humaines. Image de coronavirus isolé, par Diana Kuehn
30010, de Pixabay.

Un court retour sur le SRAS et le MERS nous permettra de


comprendre pourquoi la Covid-19 fut une pandémie non anticipée,
prise à la légère à son début par beaucoup d’épidémiologistes et de
médecins, alors qu’elle a, à l’heure où j’écris ces lignes, touché plus
de 104 millions de personnes, fait plus de 2,2 millions de morts19 et
qu’elle a eu des conséquences inattendues sur les plans sanitaire,
politique, financier, économique et social.

Le SRAS
Le SRAS, ou syndrome respiratoire aigu sévère, SARS en anglais,
affection grave et très contagieuse, apparut brutalement en
février 2003, à Hong Kong. Il a parcouru brièvement le monde, pour
s’éteindre grâce aux sévères mesures de contrôle mises en place.
Ce fut la première pandémie du xxie siècle.

Déroulement de l’épidémie
Tout commença apparemment à Hong Kong le 22  février 2003,
lorsqu’un médecin néphrologue du sud de la Chine continentale,
venu rendre visite à son beau-frère et descendu à l’hôtel Métropole,
fut hospitalisé pour une pneumonie atypique sévère, dont il décéda.
Dans les jours suivants, son beau-frère, plusieurs personnes du
même hôtel et son voisin de chambre à l’hôpital furent atteints de la
même affection, et contaminèrent à leur tour des infirmières de
l’hôpital et divers sujets contacts. Parmi les malades, treize avaient
logé à l’hôtel Métropole, dont neuf au neuvième étage, comme le
médecin chinois, qui a été identifié comme le «  patient zéro  », à
l’origine de l’épidémie. C’est à cause des déplacements de ces
treize voyageurs que l’épidémie a ensuite diffusé internationalement
car, à part trois d’entre eux qui essaimèrent dans les hôpitaux de
Hong Kong, les autres prirent des vols internationaux pendant
l’incubation de l’infection. Les deux qui atterrirent à Toronto furent à
l’origine de l’épidémie de l’Ontario, au Canada (251 cas, dont 37
décès). Un homme d’affaires américain tomba malade à Hanoï, où il
fut hospitalisé à l’hôpital français, contaminant 22 membres du
personnel de cet hôpital et générant l’épidémie du Vietnam (63 cas
dont 5 décès). Trois voyageurs arrivant à Singapour déclenchèrent
une épidémie de 206 cas. Les autres, enfin, provoquèrent des cas
sporadiques en Europe.
Si l’épidémie de SRAS s’était révélée à Hong Kong le 22  février
2003, elle durait en fait depuis plusieurs mois, dans le sud de la
Chine. En effet, depuis novembre 2002, les autorités sanitaires de la
province de Guangdong (Canton) signalaient des pneumonies
inexpliquées, que les autorités pensaient être dues à une bactérie
Chlamydia et qu’elles traitaient par un antibiotique, la doxycycline.
Le gouvernement chinois avait opposé un refus complet à l’OMS qui
souhaitait envoyer des experts sur place. Aussi fallut-il attendre que
l’épidémie dépasse les frontières du pays, et essaime dans le
monde, pour qu’une alerte puisse être lancée (13 mars 2003) et que
la Chine accepte l’aide de spécialistes internationaux (2 avril).
Au total, entre novembre  2002 et fin juin  2003, la pandémie de
SRAS a contaminé 8  546  personnes dans 33  pays du monde,
principalement d’Asie, où 15 pays furent impliqués (8 081 cas, dont
771  morts), dont la Chine continentale (5  327 cas), Hong Kong
(1  755 cas), Taïwan (682 cas), Singapour (206 cas) et le Vietnam
(63  cas). Hors du continent asiatique, c’est au Canada que
l’épidémie fut la plus importante. Onze pays d’Europe détectèrent
quelques cas chacun. Sur 437 cas suspects hospitalisés en France,
entre mars et juillet  2003, quatre cas seulement furent confirmés,
dont un seul décéda.
L’épidémie s’éteignit en juin  2003, grâce à des mesures
énergiques d’isolement des patients et des contacts, et à la
surveillance étroite de la circulation du virus dans plusieurs régions
de Chine. Il y eut bien quelques cas sporadiques en décembre 2003,
en particulier par contamination de laboratoire, mais ils furent
immédiatement contenus.

Recherche du virus responsable


Le SRAS était une entité pathologique nouvelle, totalement inconnue
au moment de son émergence, comme le conclut Carlo Urbani,
infectiologue italien mandaté par l’OMS au Vietnam, où il succomba
de la maladie le 29 mars 2003. La nature infectieuse d’origine virale
apparut d’emblée évidente, mais ce fut d’abord à la grippe que l’on
pensa, d’autant qu’à Hong Kong, des cas humains de grippe aviaire
à virus A/H5N1 avaient été identifiés à différentes reprises depuis
quelques années.
Le 17  mars 2003, l’OMS décida la constitution de trois réseaux
internationaux  : un réseau de cliniciens chargés de décrire la
maladie, un réseau d’épidémiologistes chargés de suivre sa
propagation et un réseau de laboratoires chargés de l’identification
de l’agent causal. La traque du microbe commença dans des
échantillons biologiques de patients de différents pays du monde.
Après une fausse piste suivie par les chercheurs de l’université
chinoise de Hong Kong (des fragments de paramyxovirus observés
en microscopie électronique sur des prélèvements), l’agent
responsable se révéla être un coronavirus jusqu’alors inconnu chez
l’Homme. Le séquençage intégral de son génome fut obtenu le
12  avril par un laboratoire canadien, à partir du virus d’un patient
canadien, et par le centre pour le contrôle et la prévention des
maladies (CDC) des États-Unis, deux jours plus tard, à partir du
virus d’un patient asiatique. Un mois s’était écoulé entre l’alerte de
l’OMS et l’identification du virus en cause.
Les coronavirus étant des virus animaux, les laboratoires chinois
se mirent alors à rechercher un réservoir animal. En mai 2003, une
équipe du Guangzhou Center for disease control and prevention
isola un coronavirus chez des Civettes palmistes à masque
(Paguma larvata) achetées sur un marché de la ville de Shenzhen,
dans la province de Guangdong, où l’espèce est élevée pour la
consommation locale. Le séquençage du virus de la civette révéla sa
grande homologie avec l’agent du SRAS. Cela conduisit les autorités
chinoises à interdire le commerce de la civette et à entreprendre
l’élimination des élevages. Mais la civette n’a en fait joué qu’un rôle
d’amplification, comme l’ont démontré des travaux rétrospectifs en
2005  : un parent très proche du SRAS a été identifié chez des
chiroptères du sud de la Chine, ce qui a renforcé l’hypothèse d’un
franchissement de la barrière d’espèce depuis ce réservoir vers
l’Homme, avec un passage plus ou moins efficace (sur le plan viral)
par la civette.

Les leçons du SRAS
Quelques leçons peuvent être tirées de la pandémie de SRAS.
D’abord la très forte présence de nombreuses espèces animales
sauvages, sur les marchés et dans des élevages dédiés, pour la
consommation humaine au sud-est asiatique, qui représente un
réservoir important de virus encore inconnus. Ensuite, le mécanisme
d’émergence, depuis un réservoir animal via une autre espèce
amplificatrice. Enfin, le rôle primordial du transport aérien dans la
diffusion de ce virus une fois passé à l’Homme, grâce à sa
transmission directe (voie aérienne majoritaire), donnée déjà
évoquée à propos d’autres pandémies comme la grippe, mais aussi
le choléra.
La nouveauté du SRAS résidait aussi dans la démonstration de
l’intérêt d’une gestion internationale organisée dans une crise
sanitaire de ce type, dans un monde où la mondialisation et les
échanges se développent à vitesse exponentielle. Sa disparition fut
si rapidement obtenue que les deux candidats vaccins développés
n’ont pu être testés, faute de patients. Ils n’ont donc jamais été
commercialisés, et les équipes de recherche correspondantes ont
été démantelées, ce qui peut être regretté au moment de l’arrivée de
la Covid-19.

Le MERS
Le syndrome respiratoire à coronavirus du Moyen-Orient (MERS) est
apparu en 2012 en Arabie saoudite. Le responsable de cette
épidémie est un coronavirus (MERS-CoV) proche d’un coronavirus
de chauve-souris (le virus est différent des précédents et l’espèce de
chauve-souris en cause est également différente, mais n’a pas
encore été identifiée avec certitude), dont l’hôte introduisant le virus
chez l’Homme serait le dromadaire. Là encore, on suspecte le
phénomène réservoir animal, autre espèce animale d’amplification et
passage à l’Homme. La transmission interhumaine de ce
coronavirus semble peu importante : 27 pays seulement ont rapporté
des cas sur près d’une décennie d’évolution. Le nombre de cas
cumulés s’élevait, en mars  2020, à 2  553, dont 80  % étaient
localisés en Arabie saoudite. Deux cas (importés) ont été
diagnostiqués en France en 2013. L’expression clinique est une
pneumonie sévère avec un taux de mortalité élevé (environ 34 %). Il
n’existe pas de traitement spécifique dans ce cas, pas plus que dans
celui du SRAS.
La Covid-19

L’origine chinoise de la pandémie


Revenons donc à l’épidémie chinoise, qui s’est déroulée à partir de
novembre 2019 jusqu’en avril 2020. Elle a affecté principalement la
province de Hubei et, dans une moindre mesure, certaines autres
grandes villes du pays. Le nombre total de cas déclarés par les
autorités chinoises s’élève à 101  000, dont 4  831  décès20. Le plan
national de lutte mis en place alliait des campagnes de dépistage
massif (10 millions de tests à Wuhan, 11 millions à Pékin) avec des
mesures de quarantaine strictes et contrôlées des personnes
infectées (56 millions dans la province de Hubei), un confinement
très surveillé dans les grandes villes comme Wuhan, Pékin ou
Shanghai, avec annulation de toutes les manifestations populaires
(en particulier des célébrations du Nouvel An), une interdiction des
voyages et le déploiement d’hôpitaux-abris temporaires (Fangcang),
dans lesquels des milliers de patients légers à modérés furent isolés
et soignés entre le 3 février et le 11 mars 2020. Le confinement de
56  millions de personnes dans le cœur industriel de la deuxième
économie mondiale aurait dû attirer l’attention des pays occidentaux
dès le 22 janvier sur la gravité de la crise sanitaire débutante. Mais
l’expérience observée de la bénignité du SRAS et du MERS les ont
à l’inverse incités à l’optimisme.
Beaucoup d’observateurs étrangers ont mis en doute la fiabilité
des chiffres fournis par les sources sanitaires chinoises. Ils
paraissent en effet incroyablement bas eu égard à la densité de
population de ce pays, et particulièrement lorsque comparés à ceux
affichés par la suite dans les pays européens, aux États-Unis ou au
Brésil. Sans vouloir entrer dans une polémique incertaine sur la
volonté des autorités nationales de minimiser l’impact sanitaire de
cette épidémie, il paraît plus juste de penser que les autorités
sanitaires elles-mêmes ignoraient l’ampleur exacte de l’épidémie,
leurs autorités locales ayant vraisemblablement menti sur le nombre
de sujets infectés et de morts, par craintes de représailles venues
d’en haut. Et le sort réservé aux premiers médecins lanceurs d’alerte
et aux chercheurs du laboratoire de Shanghai permet de
comprendre de tels comportements.

La diffusion mondiale
Le 13 janvier 2020, un premier cas de Covid-19 fut signalé hors de
Chine continentale et quelques cas exportés vers la Thaïlande, la
Corée du Sud et le Japon furent détectés. Les pays voisins de la
Chine (Vietnam, Corée du Sud, Singapour, Hong Kong et Taïwan)
adoptèrent une stratégie sanitaire très précoce et radicale  :
fermeture des frontières avec la Chine, dépistage systématique des
passagers à leur arrivée, traçage complet du parcours des contacts
de chaque personne positive afin de repérer rapidement les foyers
de contamination. Grâce à ces mesures précoces et systématiques,
les courbes de contamination dans ces pays se sont aplaties dès le
début du mois de mars et l’épidémie a été maîtrisée en un temps
record de quelques semaines (Taïwan : 900 cas, 9 morts, Vietnam :
1  957 cas, 35  morts, Thaïlande  : 22  600 cas, 79  morts, Corée du
Sud  : 80  1000  cas, 1  459  morts). Cette remarquable réactivité des
pays limitrophes de la Chine est liée à une préparation soigneuse
pour faire face à une épidémie, en termes de structures et de
moyens de protection (équipements, consommables, réactifs), fruit
de leur expérience des épidémies de SRAS de 2002-2003 et de
MERS, associée à une culture ancienne de distanciation physique et
de port du masque dans les lieux publics en cas d’affection
respiratoire.
Courant 2020, l’épidémie s’étendit au reste du monde au fur et à
mesure de l’arrivée des touristes Chinois (Paris, deux cas le
24 janvier, Rome, deux cas le 31 janvier) ou du retour de Chine des
touristes et travailleurs (États-Unis, un cas le 21 janvier).
La progression vers l’ouest prit des proportions graves en Iran,
puis en Europe. En Iran, deux facteurs se sont conjugués pour
aggraver la situation sanitaire (1,4 million cas et 58 256 morts selon
les chiffres officiels) : le déni des autorités qui ont retardé l’annonce
de la pandémie à la population et la prise des mesures adéquates
pour y répondre, ainsi que l’embargo total auquel est soumis, depuis
plusieurs décennies, le pays par les États-Unis, embargo qui a
fragilisé dramatiquement son système sanitaire.
Les premiers cas européens de Covid-19 furent détectés en
France (24 janvier), en Allemagne (28 janvier) et en Italie (29 janvier)
et, à la fin du mois de février, tous les pays européens avaient
déclaré au moins un cas. L’Europe était devenue l’épicentre de la
pandémie. L’Italie, la première massivement et brutalement atteinte
(2,9  millions de cas, 90  200  morts), plaça des régions entières en
confinement, suivie en cela par les autres pays européens fortement
atteints  : Espagne (2,9  millions de cas, 60  800  décès), France
(3,2 millions de cas, 77 500 morts), Allemagne (2,2 millions de cas,
60  600  décès), et plus tardivement Royaume-Uni (3,8  millions de
cas, 110  000  décès). Les pays faiblement atteints (Norvège,
Danemark, Suisse, Autriche) pratiquèrent un confinement partiel et
limité.

La Covid-19 en France

En France, depuis les premiers cas du 24 janvier 2020, tous ceux détectés


jusqu’au 27  février étaient des cas importés d’autres pays, en particulier de
Chine, puis d’Italie et d’Égypte. Certains furent à l’origine de foyers de
contamination locale, dans l’Oise, la Haute-Savoie et le Morbihan. Une étude
rétrospective a identifié un patient infecté mi-décembre 2019, en région
parisienne, qui n’a pas donné lieu à une chaîne de transmission évidente.
Mais à partir de la fin février, le virus s’est propagé rapidement,
principalement dans deux régions  : le Grand-Est, où un rassemblement
religieux évangéliste de 2  000 à 2  500  personnes, à Mulhouse, du 17 au
24  février, est à l’origine de cas groupés dans la région et d’une diffusion à
d’autres régions du territoire métropolitain, mais aussi outre-mer. Dès lors, la
courbe du nombre de cas fut en constante augmentation, passant de 1  000
cas et deux morts le 29  février à 4  500 cas et 91  morts quinze jours après,
amenant à la prise de mesures de limitation des rassemblements.
L’accroissement du nombre de morts conduisit à l’établissement, le 17 mars,
d’un confinement total de la population à domicile pendant deux mois, destiné
à stopper la diffusion exponentielle du virus et à soulager les services
hospitaliers de réanimation (plus de 7 000 personnes en réanimation ou soins
intensifs pour cause de Covid-19 à cette période). Le pic de l’épidémie s’est
situé dans la deuxième quinzaine de mars (1 000 morts le 24 mars), puis le
reflux commença très progressivement. Le confinement fut graduellement
levé à partir du 11 mai. Mais la circulation virale se maintenait et de nombreux
foyers d’infection persistaient, nécessitant la prise de mesures préventives
ciblées. La reprise évolutive du mois de septembre amena à un re-
confinement partiel de la population en octobre, qui se solda, après un pic
épidémique à la mi-novembre, par une lente décroissance des nombres de
cas journaliers d’hospitalisation et de décès.
Au total, le nombre de cas de Covid-19 diagnostiqués en France s’élève à
3,2  millions, avec 77  500  morts (dont 92  % âgés de 65  ans ou plus), et on
estime qu’entre 10 et 15 % de la population a déjà rencontré le virus, un taux
nettement insuffisant pour entraîner une immunité protectrice de groupe.

Le confinement a été levé dans toute l’Europe en mai, cependant


que l’épidémie progressait vers l’ouest et que le continent américain
devenait de plus en plus impacté. Les États-Unis sont devenus
l’épicentre de la pandémie à partir d’avril. Ils concentrèrent la
majorité des cas de contamination détectés et près de la moitié des
décès du continent, ce qui est statistiquement logique car il s’agit
non seulement du pays le plus peuplé, mais également de celui qui
réalise le plus de tests (26,1  millions de cas détectés et 452  000
décès).
Fin mai 2020, c’est l’Amérique latine qui est devenue, à son tour,
le foyer central de la pandémie, en particulier le Brésil (9,3 millions
de cas, 227  500  décès), le Colombie (2,1  millions de cas,
54  900  décès), le Pérou (1,1  million  de  cas, 41  500  décès), le
Mexique (1,8 million de cas, 161 200 décès), le Chili (740 000 cas,
18 700) et l’Argentine (1,9 millions de cas, 48 500 décès).
La situation en Afrique interroge les épidémiologistes. En effet la
faiblesse de ses structures sanitaires et l’insuffisance de ses
disponibilités en eau ont fait redouter une catastrophe sanitaire et
démographique. Or, jusqu’en février 2021, il n’en a rien été. Certes,
la pandémie a déjà envahi l’Afrique du Nord, de l’Égypte au Maroc,
et elle gagne progressivement l’Afrique de l’Est et l’Afrique
subsaharienne. Mais si des cas de Covid-19 ont bien été signalés
dans tous les pays, les chiffres rapportés sont remarquablement
faibles, à deux exceptions près : l’Afrique du Sud (1,5 million de cas,
45 600 morts) et l’Egypte (168 000 cas et 9 500 morts).
En Océanie, l’Australie, la terre la plus peuplée de ce continent, a
présenté le plus grand nombre de cas (28  800) avec un faible
nombre de décès (907). La Nouvelle-Zélande n’a compté que
1  959  cas et seulement 25 décès et a réussi, par un programme
associant confinement strict et dépistage, à éliminer totalement la
circulation virale, profitant ainsi à plein de son insularité.
Les chiffres absolus cumulés rapportés à fin février 2020 donnent
une idée de l’importance numérique globale du phénomène. Mais, si
nous souhaitons faire des comparaisons, il vaut mieux les exprimer
par rapport aux taux de population des pays. L’étude du nombre de
cas cumulés confirmés rapporté à un million d’habitants fait
apparaître deux groupes de pays :
• ceux dont les taux sont de l’ordre d’une dizaine à quelques
centaines, correspondant globalement au sud-est asiatique et
au Pacifique sud (Vietnam  : 20  ; Taïwan : 38 ; Chine : 69 ;
Thaïlande : 331 ; Nouvelle-Zélande : 406 ; Australie : 1 131) ;
• et celui dont les chiffres sont de l’ordre de plusieurs milliers de
cas, correspondant à l’Europe et à l’Amérique. Le nombre de
cas par million d’habitants se situe entre des valeurs inférieures
à 15 000 (Norvège : 11 775 ; Mexique : 14 735…) et des valeurs
hautes au-dessus de 30  000 (France  : 49  349, Espagne  :
62  313, Brésil  : 44  200, Argentine  : 44  200, Pérou  : 35  335,
Chili  : 38  921  ; Belgique  : 62  025. Les USA culminent avec
79 812 cas).
Mais ce classement dépend de l’intensité du dépistage effectué,
de la fiabilité des données rapportées comme de l’hétérogénéité du
mode de diagnostic retenu dans les pays (cas positifs au dépistage,
ou maladies confirmées, ou encore patients hospitalisés ?).
Les chiffres cumulés de mortalité par million d’habitants et par
pays constituent un marqueur direct plus fiable, permettant
d’ébaucher des comparaisons géopolitiques. Ils confirment le
partage des pays face à la Covid-19 en deux groupes, déjà noté plus
haut, avec :
• d’une part l’Asie, l’Afrique et l’Océanie, où le nombre cumulé de
morts par million est inférieur à 100 (Taïwan et Vietnam  : 0,3  ;
Thaïlande  : 1,13  ; Chine  : 3,2  ; Corée  : 28  ; Inde  : 112  ;
Nigeria  :  8  ; Ethiopie  :  18  ; Sénégal  : 39  ; Kenya  :  33  ;
Mauritanie  :  90  ; Algérie  : 66  ; Egypte  : 93  ; et Nouvelle-
Zélande : 5 ; Australie : 36) ;
• et d’autre part l’Europe et l’Amérique où le nombre cumulé de
morts par million est nettement supérieurs, en général compris
aux environs de 1  000 (Allemagne  : 723  ; Russie  : 519  ;
Suède 1 190 ; France : 1 188 ; Italie : 1 492 ; Espagne : 1 300 ;
Belgique  : 1  834  ; et Colombie  : 676  ; États-Unis  : 1  366  ;
Mexique : 1 263 ; Chili : 934 ; Brésil : 1 076 ; Argentine : 1 077 ;
Pérou : 1 266).
S’interroger sur les raisons de cette partition du monde face à la
pandémie revient à comparer les stratégies de lutte mises en place
par les pays du premier groupe par rapport à ceux du second. Il est
évident que la Chine, par ses mesures de confinement précoce,
massif et surveillé, a réussi à éradiquer la pandémie en sept à huit
mois. Les pays asiatiques voisins ont réussi à limiter sa propagation
grâce aux mesures de protection qu’ils ont immédiatement
adoptées, en particulier la fermeture de leurs frontières. Pour les
pays insulaires d’Asie (Taîwan, le Japon) et d’Océanie, l’insularité a
représenté un facteur facilitateur aux mesures de protection. Et dans
tous ces cas, une préparation soigneuse anticipée et une culture de
distanciation sociale et de port habituel du masque ont également
contribué au succès. Pour l’Afrique, les raisons de ses faibles taux
de prévalence sont moins évidentes. Parmi les facteurs explicatifs
supposés, figurent la jeunesse de sa population, ou encore une
immunité collective solide résultat d’une circulation soutenue de
nombreux virus, en particulier sans doute, de coronavirus banals.
A contrario, l’Europe et l’Amérique ne s’étant pas préparées à la
survenue d’une crise sanitaire majeure ont manqué de masques et
de solutés hydro-alcoolique, empêchant l’adoption immédiate de
mesures-barrières efficaces. Elles ne se sont pas protégées par une
fermeture des frontières, ont mis en place un dépistage
systématique tardif sans isolement sérieux des sujets infectés.
Quant aux différences dans les taux de mortalité d’un pays à l’autre,
elles reflètent principalement l’inégalité dans l’état des structures
hospitalières et de la stratégie dans la gestion sanitaire.
Les chiffres cumulés de mortalité donnés dans les paragraphes
précédents, chiffres absolus ou chiffres par million d’habitants, des
morts attribuées à la Covid-19 dans les statistiques nationales
réunies par l’OMS ne donnent pas une idée réelle de l’impact
sanitaire de la pandémie. Sa prise en compte mérite d’être
complétée par l’étude de l’excès de mortalité qui permet de
comptabiliser non seulement les morts directes résultant de la
Covid-19, mais aussi celles qui lui sont indirectement liées, ou
encore celles dont le diagnostic n’a pas été établi. Cet indicateur doit
être établi rétrospectivement en comparant la totalité des morts
durant une période donnée au moment de la Covid-19 avec celles
de plusieurs périodes similaires des années précédentes.
Un exemple est fourni par les taux de mortalité des pays de
l’OCDE durant onze semaines (de début mars à mi-mai 2020, par
comparaison aux mêmes périodes de 2015 à 2019), faisant
apparaître des excès de mortalité disparates dans les différents pays
d’Europe, allant de 60  % en Espagne et 52  % au Royaume-Uni, à
moins de 5  % pour l’Allemagne, avec un large éventail de valeurs
intermédiaires pour les autres pays (Italie : 42 % ; Belgique : 40 % ;
Pays-Bas : 33 % ; Suède : 24 % ; France : 23 % ; Portugal : 13 %). À
l’automne également (1er septembre-9 novembre), l’INSEE a noté en
France un excès de mortalité de 12 à 14 % en 2020, par rapport aux
mêmes périodes de 2019 et 2018. Ces données, complétées par
d’autres caractères tels que l’âge, le sexe ou le statut socio-
économique, permettent une meilleure compréhension des facteurs
de mortalité. Ainsi a-t-il été possible de mettre en évidence une
surmortalité par la Covid-19 accentuée dans les catégories
défavorisées de la population.

La maladie et sa prise en charge


Virus inconnu au moment de son émergence, la prise en charge de
la forme sévère de la maladie dont il est responsable a nécessité
quelques mois de pratique aux médecins hospitaliers des divers
pays atteints. On sait qu’il s’agit d’une infection respiratoire aiguë de
gravité variable. Environ 50 % des personnes infectées par la Covid-
19 ne présentent pas ou très peu de symptômes, cette proportion
dépendant très fortement de l’âge des sujets. Lorsque symptômes il
y a, il s’agit principalement de signes d’atteinte des voies
respiratoires supérieures (écoulement nasal, mal de gorge, perte de
l’odorat et/ou du goût) associés à de la fièvre, des courbatures et de
la fatigue. Une atteinte pulmonaire peut apparaître, avec de la toux,
parfois associée à des signes de gravité liés à la production massive
de molécules anti-inflammatoires par un système immunitaire trop
fortement sollicité dans la lutte contre l’infection – on appelle cela un
«  orage cytokinique  ». La pneumonie peut se compliquer de
thromboembolie, et peut également survenir un syndrome de
détresse respiratoire aigu, et même, dans certains cas, une
défaillance multiviscérale. Parmi les facteurs de risque principaux
figurent le grand âge et les maladies chroniques, en particulier
l’obésité, l’hypertension et le diabète.
Sur le plan thérapeutique, la nouveauté du virus eut également
pour corollaire la méconnaissance de médicaments efficaces.
Plusieurs antiviraux utilisés dans le traitement du Sida (lopinavir,
ritonavir) et d’autres produits ayant fait preuve d’une certaine
efficacité in vitro, ou dans un modèle animal, étaient des candidats
médicaments, parmi lesquels la chloroquine et l’hydroxychloroquine,
les interférons alpha et béta, le vaccin BCG. Les homéopathes
proposèrent également plusieurs remèdes homéopathiques à
l’efficacité non évaluée. L’antiviral remdesivir a semblé accélérer la
guérison, mais s’est révélé sans effet dans les formes graves.
Les espoirs générés par certains de ces produits étaient à la
mesure de l’angoisse face à la gravité ressentie de la situation
sanitaire. Au point que certains médecins eurent tendance à négliger
l’étape d’essais cliniques respectant une méthodologie rigoureuse.
Le découverte de la cible cellulaire du virus (les récepteurs ACE2,
enzymes au cœur du système rénine/angiotensine/aldostérone) a
éclairé la physiopathologie de l’infection, défini la cible vaccinale et
contribué à un meilleur traitement des formes graves, par corticoïdes
et anticoagulants. En l’absence de traitement efficace contre la
Covid-19, tous les gouvernements ont rapidement privilégié la piste
du vaccin et, afin d’accélérer les processus de recherche et
développement, la plupart firent des investissements considérables,
engageant une course internationale au vaccin. En quelques mois,
plus de 200 candidats-vaccins étaient à l’étude à travers le monde et
une dizaine d’essais cliniques étaient lancés ou en cours début
juillet 2020.
Parmi les divers vaccins en développement, trois catégories
peuvent être distinguées. En premier lieu, on trouve les vaccins
traditionnels à virus entiers inactivés (en particulier les vaccins
chinois de Sinovac, Sinopharm et le vaccin russe du Gamaleya
Research Institute de Moscou). La deuxième catégorie regroupe les
plus nombreux, utilisant la technologie des protéines recombinantes,
qui consiste dans l’inclusion de séquences du SARS-CoV-2 dans un
autre virus, vecteur viral réplicatif ou non (vaccins
d’Oxford/AstraZeneca, et de Sanofi/GSK). Enfin, les vaccins de la
troisième catégorie utilisent une technologie plus originale,
consistant dans l’injection du code génétique du SARS-CoV-2 via
l’ARN viral (Moderna/NIAID, Pfizer/BioNTech)  ; dans ces deux cas,
c’est l’information génétique apportée au sujet vacciné qui doit
déclencher chez lui une réponse immunitaire préventive.
Au début du mois de septembre 2020, pas moins de 45 candidats
vaccins en étaient au stade d’essais cliniques, dont neuf de phase
III, destinés à tester leur efficacité en termes de protection contre
l’infection virale. Seul le vaccin russe avait reçu à cette date une
approbation pour mise sur le marché, avant même la réalisation de
son essai clinique de phase III, manœuvre de communication à
usage de propagande interne illustrant bien les aspects politiques de
la gestion de cette pandémie. Mais, au demeurant, Chinois et
Russes furent les premiers à vacciner leurs populations.
En novembre 2020, Pfizer, puis Moderna, dévoilèrent une analyse
intermédiaire de leurs essais cliniques de phase  III, annonçant une
efficacité de leurs candidats-vaccins dans 94-95  % des cas. Une
autorisation de mise sur le marché fut rapidement obtenue pour ce
vaccin aux États-Unis et auprès de la Commission européenne, ce
qui permit le démarrage de la vaccination dans ces pays dès fin
décembre 2020.
Il est tout à fait remarquable qu’à peine un an après le début de la
pandémie, plusieurs vaccins soient déjà disponibles, produits
industriellement, et que des campagnes de vaccination de masse
soient en cours.
Début 2021, la Covid-19 a atteint plus de 204 pays et territoires du
monde. Dans trois pays (Biélorussie, Corée du Nord et
Turkmenistan), les dictateurs au pouvoir nient encore formellement
l’existence de cas.
Le bilan de la pandémie en février 2021, exprimé à nouveau en
chiffres absolus (104  millions de cas signalés et plus de 2,3  million
de décès), reste provisoire. Si elle semblait maîtrisée en Asie, elle se
poursuivait aussi bien sur le continent américain qu’en Europe. En
Europe, en effet, le confinement total de la majorité des pays durant
dix semaines environ a stoppé momentanément la transmission,
mais le virus circulant à bas bruit avait repris sa progression dans les
semaines qui ont suivi le déconfinement. L’émergence de plusieurs
variants de haute transmissibilité dans plusieurs pays risque de
compliquer encore la prise en charge de cette pandémie,
décidément atypique.
Le taux de létalité (ou mortalité) réel (nombre de morts rapporté au
nombre estimé de sujets infectés) au niveau mondial est évalué par
l’OMS entre 0,5 et 1  %. Selon l’Institut Pasteur, ce taux serait en
France de 0,7  %. Il faut ici encore se garder de faire des
comparaisons entre pays ou entre régions, les données de base
utilisées pour le calcul de cet indice variant suivant les endroits.
Malgré ces réserves, on peut assurer que le nombre de morts
rapportés dans le monde fait de la Covid-19 une pandémie
d’intensité modérée, qui ne peut se comparer aux pandémies
majeures qui ont causé des hécatombes dans la population
mondiale à certains moments de son histoire. On est loin des
millions de morts de la peste ou des grippes  : 2,2  million de morts
sur 7,8  milliards d’habitants de la planète n’ont statistiquement que
peu de poids.

Les conséquences de la pandémie
L’aspect marquant de la Covid-19 est ailleurs  : c’est la première
pandémie qui ait bouleversé à ce point la géopolitique et l’économie
mondiales. Les mesures prises par les gouvernements du monde
pour enrayer la propagation de la pandémie, en particulier les
mesures de confinement sanitaire d’une moitié de l’humanité, se
sont soldées par une importante réduction de l’activité humaine,
transformant une crise sanitaire sérieuse en crise économique
majeure.
L’arrêt total ou partiel de nombreuses entreprises industrielles ou
commerciales, l’interruption des flux de passagers et des échanges
de marchandises, l’annulation des évènements collectifs, politiques,
culturels et sportifs, ont entraîné un coup d’arrêt brutal de l’offre et
de la demande qui a affecté des secteurs entiers de l’économie.
Cette situation, associée à la chute des cours du pétrole brut liée
aux désaccords entre pays exportateurs, a entraîné un krach
boursier en mars  2020, provisoirement enrayé par les ripostes
financières de grandes économies du monde qui ont émis des
milliards de liquidités bancaires et acheté des titres de dette
supplémentaires. Ces mesures ont permis d’amortir partiellement le
choc économique, mais ont engendré une augmentation majeure
des dettes publiques et créé une importante récession dont tous les
pays mettront des années à se remettre, tout particulièrement ceux à
faibles revenus.
Les périodes de confinement imposées dans un très grand
nombre de pays eurent également des effets environnementaux
(baisse de la consommation de matières premières, baisse des
émissions de CO2, réapparition de la faune des villes), ainsi que des
conséquences psychiques sur la sociabilité, les modes de
consommation et de travail, au point que certains utopistes
envisageaient que cet évènement puisse permettre de réinventer la
société et ses modes de fonctionnement. Nous touchons là du doigt
l’impact considérable de cette pandémie sur les populations et leur
environnement.
En France, une autre nouveauté de cette crise sanitaire fut le
déchaînement médiatique déclenché par les chaînes d’information
en continu, avides d’annonces originales voire sensationnelles,
fussent-elles secondaires et sans intérêt, mais ressassées à l’infini
pour maintenir l’audience. Le résultat fut un véritable délire
médiatico-politique auquel participèrent de nombreux
« spécialistes » ne maîtrisant pas toujours leur sujet. Le public captif
puisque confiné découvrit avec stupeur que la connaissance
scientifique et médicale ne faisait pas consensus entre gens de
bonne volonté, mais que les médecins pouvaient être des personnes
passionnées, excessives dans leurs réactions et pas toujours de
bonne foi.
Le sommet du délire fut atteint avec la controverse autour de la
place de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19,
dans laquelle deux logiques s’affrontèrent  : celle de l’urgence
thérapeutique préconisant l’emploi d’une molécule disponible et de
faible coût, et celle de la rigueur scientifique se refusant à prescrire
un produit dont l’efficacité dans le cas du coronavirus n’était pas
démontrée. La population fut partagée en deux catégories : ceux qui
souhaitaient se rassurer (et la figure prophétique du chantre français
de la chloroquine fut déterminante dans leur adhésion), et les
rationnels attachés à une médecine factuelle basée sur les preuves.

Faillite de la gouvernance mondiale de la santé


Enfin, une conséquence supplémentaire de la Covid-19 aura été une
remise en cause de la gouvernance mondiale de la santé. Les
conférences sanitaires internationales initiées à Paris, en 1851,
durant la troisième pandémie cholérique, avaient finalement abouti à
la création de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), en 1948,
et à l’élaboration d’un Règlement sanitaire international (RSI), en
1951, destiné à la prise en charge de la gestion des phénomènes
épidémiques mondiaux. Or, la gestion de l’épidémie de Covid-19
s’est heurtée aux réalités politiques et économiques mondiales, et,
en particulier, à l’opposition entre Washington et Pékin et au regain
d’influence des États-nations. En témoigne l’hétérogénéité des
réponses de tous les pays concernés (Europe) voire des États
(États-Unis). Le retard pris par l’OMS, sous la pression de la Chine,
pour déclarer l’épidémie comme une « urgence de santé publique de
portée internationale  », alors que de nombreux pays avaient déjà
limité, voire stoppé, leurs échanges avec la Chine, illustre les
difficultés de l’OMS à conserver sa place d’autorité supérieure. Cette
perte d’influence avait déjà été perceptible lors de la crise sanitaire
de 2014 liée au virus Ebola, au cours de laquelle d’autres institutions
d’intervention avaient été mises en place. S’il s’avère que l’OMS a
une grande part de responsabilité dans la non-application du
Règlement sanitaire international, elle pourrait être une victime
supplémentaire de la pandémie de Covid-19.
Constater que le multilatéralisme a été pratiquement absent de la
gestion internationale d’une crise sanitaire modérée comme celle-ci,
augure mal ce qui pourrait survenir en cas de crise majeure.
Il est impératif que s’organise une coopération internationale réelle
et sincère dans la surveillance des risques infectieux, le
déclenchement des alertes, l’homogénéisation des méthodes de
lutte, ainsi que dans la recherche et le développement de produits
diagnostiques, thérapeutiques ou vaccinaux afin d’optimiser leurs
résultats.
Il est impératif de remettre en ordre de marche le Règlement
sanitaire international, c’est-à-dire de retrouver une coordination
internationale de la réponse à une menace sanitaire mondiale. La
protection contre les épidémies est à ce prix.
11
Ce que disent les épidémies

« Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal.


Un autre fait aussi fatal est que nous ne saurons jamais
les dépister dès leur origine. »

Charles Nicolle21

Depuis des siècles, les épidémies ont été nombreuses et


d’importance variée tant dans leur extension territoriale que par le
nombre de sujets atteints. Dans les pages qui précèdent, nous
avons présenté un certain nombre de pandémies majeures qui se
sont développées depuis la grande peste noire, au Moyen Âge,
jusqu’au sida à la fin du xxe siècle. Nous avons également décrit les
émergences récentes de ces quarante dernières années, dont la
toute dernière en date, la Covid-19. Mais en dehors des cas décrits,
de nombreuses autres épidémies auraient pu être envisagées.
S’il existe des constantes dans les conditions d’apparition et de
développement des épidémies, toute épidémie a également des
caractères spécifiques tenant aux particularités du cycle du microbe
et à celles de l’environnement dans lequel elle se développe. C’est
pourquoi l’étude comparée des épidémies est source d’information,
d’enrichissement et d’expérience.
Les épidémies disent énormément sur les Hommes et leur
Histoire. Elles renseignent également beaucoup sur elles-mêmes.
Elles annoncent, enfin, ce que pourrait être notre avenir. À tous ces
titres, leur enseignement peut être fécond.
Ce que les épidémies disent sur l’Homme
Une maladie n’est pas seulement un désordre biologique, c’est
également un phénomène humain aux fortes implications
comportementales. C’est tout aussi vrai pour l’épidémie, dans
laquelle le grand nombre de cas survenant simultanément apporte
au phénomène une dimension sociale source de désorganisation et
d’agitation.
Toutes les pandémies meurtrières entraînèrent des
bouleversements dans les communautés humaines. Nous en avons
parlé à plusieurs reprises s’agissant d’épidémies historiques, telle la
peste au Moyen Âge, ou la syphilis à la Renaissance. Plus près de
nous, le sida et la Covid-19 n’ont pas dérogé à la règle. Seules la
peste et la syphilis eurent un impact social aussi fort qu’eux. Mais
ces épidémies contemporaines frappent une humanité marquée par
la mondialisation, la révolution des technologies de la
communication et la libre circulation des marchandises, des
personnes, des connaissances et des idées. De plus, nous les
avons vécues et les vivons en direct.
Au début des épidémies, c’est l’incrédulité qui prévaut, ce
phénomène nouveau n’est pas pris au sérieux dans la population.
Lorsque la menace se précise, on recherche des explications. Puis,
dès que le danger apparaît, la peur s’installe et donne lieu à des
comportements irréfléchis, souvent liés d’ailleurs aux croyances
irrationnelles sur les causes du phénomène. On fuit pour se
soustraire au danger, ou au contraire on le subit avec résignation. Le
plus souvent, on recherche des responsables, on ostracise, on peut
même tuer. Les épidémies renvoient l’Homme à ses angoisses
profondes et irraisonnées. Cette succession de comportements n’est
pas sans rappeler la manière dont l’Homme vit psychiquement le
deuil. Par analogie, nous pouvons assimiler le rapport de la
population à l’épidémie à une sorte de «  deuil social  », au cours
duquel se succèdent différentes phases. La première correspond au
déni, où la réalité est écartée car trop gênante. Lorsque le
phénomène se confirme, vient la phase de recherche de sens, suivie
de la dépression avec ses formes de résignation, ou à l’inverse la
phase de rébellion et de fuite. Enfin, l’acceptation conduit le corps
social à l’organisation pour une tentative de résolution de la crise.

L’Incrédulité du début de l’épidémie


Les sentiments qui se manifestent avec le plus de constance au
début de toutes les épidémies sont le déni du phénomène
épidémique lui-même et l’incrédulité sur les façons de s’en protéger.
L’arrivée de la deuxième pandémie cholérique en France, en
1832, se fit dans l’indifférence totale de la population. Le choléra fut
d’ailleurs une aubaine pour les caricaturistes et les chansonniers qui
s’en donnèrent à cœur joie (voir figure), comme le montre si bien
l’ouvrage de Bourdelais et Dodin. Même des institutions spécialisées
eurent du mal à mesurer la gravité de la situation. Durant la
pandémie de grippe espagnole en France, l’Académie Nationale de
Médecine refusa pendant plusieurs mois de considérer l’épidémie
comme dangereuse, retardant ainsi l’adoption de mesures de prise
en charge et contribuant à la désorganisation générale. Que
représentait la sous-estimation de la Covid-19 à son début par une
grande partie des médecins («  une simple grippette  »), sinon une
forme de déni ?
Première page de l’hebdomadaire « Le Mirliton » du 7 juillet 1893, tournant
en dérision l’arrivée du choléra, lors de la cinquième pandémie cholérique.
La chanson d’Aristide Bruant « V’là l’choléra qu’arrive » a été pastichée en « V’là
la grippe A qu’arrive » dans diverses vidéos diffusées sur internet durant
l’épidémie de grippe A/H1N1 de 2009. Autres temps, autres moyens
d’expressions, mais même scepticisme sur les épidémies. © Collection privée.

Le scepticisme concerne également les méthodes de prévention


proposées. Ainsi, la généralisation en Europe de la variolisation,
méthode de prévention de la variole, s’est heurtée à l’indifférence de
la population et à l’opposition du clergé, nous verrons pourquoi.
Semblable opposition à la vaccination s’est bruyamment manifestée
en France lors de la campagne nationale de vaccination contre la
grippe A/H1N1, en 2009. Les arguments des opposants à la
vaccination dénonçaient pêle-mêle la rapidité de fabrication du
vaccin, la toxicité potentielle des adjuvants et le risque de
transmission d’affections d’étiologie inconnue, comme le syndrome
de Guillain-Barré. Sans fondements scientifiques, ces allégations,
solidement répandues sur internet, ont eu d’autant plus d’écho dans
la population que l’épidémie fut de gravité modérée.

La recherche de sens
Ceux qui cherchent à comprendre ont vu, pendant des siècles, dans
l’arrivée des épidémies la manifestation de la colère divine, un
châtiment pour le rachat des péchés. Ce fut particulièrement
manifeste lors de la grande peste noire, dans le cas du choléra, de
la variole ou de la syphilis. Cette irruption du sacré dans la vie
profane ne manquait pas de poser des problèmes pour la prise en
charge : « Quiconque pratique la vaccination cesse d’être un fils de
Dieu : la variole est un châtiment voulu par Dieu, la vaccination est
un défi au ciel », disait le Pape Léon XII en 1829.
Cette tentative d’explication par le divin, compréhensible dans des
temps où l’Église catholique dominait la pensée occidentale, n’a pas
totalement disparu de l’inconscient collectif dans les sociétés
modernes pragmatiques et rationnelles. La théorie du péché est
réapparue, à la fin du xxe siècle, avec l’épidémie de sida, au début de
laquelle les homosexuels et les drogués furent largement ostracisés.
Des causes naturelles furent également avancées pour expliquer
l’arrivée des épidémies de peste, durant la deuxième pandémie  :
conjonction d’astres néfaste, apparition de comètes, désordres
climatiques.
La théorie du complot évoquée au moment de l’arrivée des
épidémies par des organisations ou des dirigeants procède d’un
souci de falsifier l’explication auprès des masses affectées. L’origine
du sida attribuée par le KGB aux militaires américains, dans les
années 1980, servait la propagande communiste dans un contexte
de guerre froide. Le complot américano-britannique destiné à
déstabiliser le régime, dénoncé par Robert Mugabe lors de
l’épidémie de choléra du Zimbabwé en 2008, n’avait d’autre objet
que de masquer l’incompétence de son gouvernement et
l’inefficacité de sa politique. Durant l’épidémie de la Covid-19, a
circulé dans les médias et les journaux une rumeur sur un
coronavirus relâché par négligence, voire intentionnellement, pour
certains, à partir du laboratoire haute sécurité (P4) de l’Institut de
virologie de Wuhan, rumeur relayée entre autres par d’importantes
personnalités politiques des États-Unis.

La recherche des boucs émissaires


La recherche d’un responsable fut également une constante des
civilisations confrontées à une crise sanitaire. Le premier d’entre
eux, le responsable naturel pourrait-on dire, est le gouvernement
que l’on accusa d’empoisonner les puits et la nourriture (deuxième
pandémie cholérique), ou encore d’une mauvaise gestion de la crise
(Covid-19). Les médecins sont également des cibles privilégiées.
Durant la deuxième pandémie cholérique, lors de l’arrivée de
l’épidémie à Paris, les médecins furent accusés de faire des
expériences sur les pauvres.
Les groupes de populations qui furent ostracisés avec le plus de
constance furent les immigrants et les Juifs. Les premiers furent
fréquemment accusés d’avoir propagé l’épidémie au travers des
frontières, comme dans le cas du typhus, et, dès lors, retenus dans
des camps. Pour les seconds, les épidémies furent prétextes à de
nombreux pogroms, comme durant la grande peste noire du Moyen
Âge dans de nombreuses villes d’Europe ou lors de la deuxième
pandémie cholérique, en Pologne en 1831.
La recherche de boucs émissaires ne fut pas réservée à la
population générale. Les médecins, les travailleurs de santé eurent
parfois tendance à confondre groupe à risque et groupe
responsable. Cela a été manifeste au moment du sida, en fin de
xxe  siècle, à une époque pourtant où la rationalité scientifique
prévalait. Dès l’émergence des premiers cas, en 1981, les patients
atteints furent dénoncés par les medias et le public, voire par
certaines fractions du corps médical. Homosexuels, adeptes de
pratiques sexuelles excessives, consommateurs de drogues,
Haïtiens furent les «  groupes à risque  » les plus couramment
stigmatisés avec une implicite connotation morale dans la
dénonciation. Car ils furent parfois, et par certains, considérés
comme des déviants par rapport à la norme morale. De « groupe à
risque  » à «  groupe dangereux  », il n’y eut qu’un pas que certains
franchirent allégrement, allant jusqu’à proposer l’enfermement de
ces patients dans des «  sidatorium  » comme le fit, en France, le
leader d’un parti politique. La démarche procédait du même
inconscient collectif que la recherche des boucs émissaires durant la
grande peste noire du Moyen Âge, montrant que l’attitude des
populations n’avait pas fondamentalement varié à cinq siècles
d’intervalle. Les craintes et les comportements irrationnels étaient,
somme toute, peu différents dans les deux cas. Il fallut la lutte des
associations de patients et l’apport des épidémiologistes pour
recentrer la notion de risque des groupes sur les pratiques. Ce
qualifiant comportemental n’impliquait plus le rejet d’un groupe, mais
plus positivement débouchait sur un message d’évitement et de
prévention.

Résignation ou fuite ?
Lorsque l’épidémie s’accentue, que la situation sanitaire devient
préoccupante et que le danger se précise, c’est la peur qui s’installe,
avec ses premiers réflexes de résignation ou de fuite.
La résignation a régulièrement donné lieu à des comportements
de conjuration. Prières et processions se sont multipliées durant la
grande peste noire. Les processions de flagellants qui parcoururent
l’Europe répondaient à une même logique. Durant la deuxième
pandémie cholérique, les affiches de bénédiction des maisons
fleurirent pour protéger les foyers.
À l’inverse, le refus d’acceptation conduisit à la fuite par laquelle
on cherchait à mettre le plus de distance entre soi, sa famille, et le
phénomène épidémique, comme nous l’avons évoqué à propos de
la peste au Moyen Âge, ou comme cela s’est reproduit lors de
l’épidémie de fièvre Ebola au Zaïre en 1976. Ce réflexe de fuite
n’était pas obligatoirement lié à la connaissance de la contagion. Le
dicton cito longe fugas et tarde redeas, «  fuis vite et longtemps et
reviens tard », connu au xive siècle, était attribué à Hippocrate, pour
lequel les épidémies provenaient des miasmes du milieu
environnant.

L’organisation de la réponse
Une réponse sociale coordonnée, et visant à combattre efficacement
l’épidémie, apparut dans le cas de la peste, bien avant la découverte
du germe et des modalités de transmission. La République de
Raguse, aujourd’hui Dubrovnik, sur la côte dalmate, fut la première
cité à imposer, en 1377, la mise en quarantaine des voyageurs
arrivant. La prise en charge de la peste fut confiée aux Provveditori
alla sanita dans la République de Venise à la fin du xive  siècle, ou
aux bureaux de santé avec un capitaine de la peste dans certaines
villes françaises au xve  siècle. Mais l’isolement des pesteux ne fut
pratiqué qu’à partir du xvie siècle : on isolait alors les cas dans leurs
habitations, dont on allait même jusqu’à murer portes et fenêtres en
attendant la mort de tous les habitants  ; on mettait également à
l’isolement des quartiers, des villes, voire des provinces.
Les quarantaines organisées dans les lazarets à l’occasion de la
dernière épidémie de peste à Marseille, en 1720, furent ensuite
utilisées pour éviter l’importation du choléra, mais avec une efficacité
limitée. Plus tard, la découverte du vibrion cholérique et sa
recherche systématique chez les sujets arrivant empêchèrent
l’implantation du choléra au Royaume-Uni et aux États-Unis, lors de
la cinquième pandémie.
La première Conférence sanitaire internationale, tenue à Paris en
1851, visait à homologuer les règlements internationaux des
quarantaines contre la propagation du choléra, de la peste et de la
fièvre jaune. Il fallut pas moins de douze conférences sanitaires pour
aboutir à la création du Comité de la Santé de la Société des
Nations (SDN), en 1922. Ce Comité de la Santé, considéré
généralement comme la composante la plus efficace de la SDN,
joua un rôle déterminant dans la naissance de l’Organisation
mondiale de la Santé, en 1948. En 1951, l’OMS adoptait un
instrument de droit international contraignant pour ses états
membres, le Règlement Sanitaire International, destiné à prévenir
les risques graves pour la santé publique, et à planifier la réponse et
la lutte contre les épidémies.
La restriction des déplacements avec parfois construction de
murs, la mise en quarantaire des arrivants, l’interdiction des
rassemblements de population (autrefois les foires, principalement)
étaient des mesures anciennes prises durant les épidémies de peste
ou plus tard de choléra.
Mais il semble que le confinement complet de la population d’un
pays entier, au domicile, avec restriction sévère des déplacements
hors de celui-ci, ait été une nouveauté de la Covid-19. À l’exemple
de la Chine qui avait confiné plus de 56  millions de personnes de
février à mars  2020, la majorité des pays européens, qui n’avaient
nullement anticipé cette situation et n’étaient pas prêts à y faire face,
confinèrent leurs populations, avec les conséquences sociales,
sanitaires, économiques et financières que nous avons évoquées
dans le chapitre précédent.

Ce que les épidémies disent sur elles-mêmes


D’abord leur permanence  : les épidémies, mode d’expression
particulier des maladies infectieuses, ont existé de tout temps. Leur
naissance et leur développement sont des phénomènes
multifactoriels impliquant l’interaction de facteurs naturels, en
particulier environnementaux, et de facteurs humains.
L’épidémie comme consubstantialité du vivant
Les épidémies ne sont pas des phénomènes biologiques du passé,
d’époques révolues où les connaissances scientifiques, biologiques
et médicales étaient inexistantes. Les exemples modernes du sida et
de la Covid-19 nous rappellent qu’une pandémie peut frapper même
aujourd’hui. En réalité, la maladie infectieuse est un phénomène
pérenne. Elle apparut dès l’origine du vivant : à partir du moment où
deux espèces vivantes existent, l’une peut infecter l’autre et donner
lieu à maladie. En ce sens, on peut dire que la maladie infectieuse et
son expression épidémique sont consubstantielles du vivant.
L’évolution spontanée des épidémies dépend du pourcentage de
sujets atteints dans les populations. Des modèles mathématiques
existent qui calculent cette évolution. Lorsque ce taux est massif, la
proportion de population atteinte devenue résistante devient élevée
et empêche la circulation du microbe (voir ici). L’épidémie diminue
dès lors d’intensité, puis s’éteint, comme l’ont montré la peste, la
grippe, ou, plus récemment, le chikungunya à La Réunion. Dans les
cas où l’épidémie est modérée, elle peut se maintenir indéfiniment.
Le problème se pose alors de son éradication. S’il est concevable
qu’une anthroponose stricte comme la variole puisse voir son
microbe totalement éradiqué, les zoonoses, particulièrement celles
qui sont à transmission vectorielle, se maintiennent dans leurs foyers
naturels. Les exemples de la peste ou de la fièvre jaune en
témoignent.

L’épidémie comme composante du milieu


Les microbes qui furent à l’origine des grandes épidémies
historiques dont nous avons décrit un certain nombre, étaient
d’origine soit humaine, soit animale. Les continents que nous avons
retrouvés avec le plus de constance à l’origine des épidémies sont
l’Asie ou l’Afrique. L’Asie, en particulier le sous-continent indien, où
de fortes concentrations humaines favorisent la transmission
interhumaine, fut le berceau des épidémies par germes humains,
telles le choléra ou la variole. L’Afrique fut préférentiellement à
l’origine des épidémies par des microbes d’origine animale. De
nombreux agents pathogènes, en particulier des virus, y ont montré
leur capacité à passer du réservoir animal à l’Homme, pour donner
quelques cas (fièvres hémorragiques) ou de grandes pandémies
(sida).
Si la Chine apparaît comme un foyer originel de nombreuses
épidémies, les raisons que l’on peut invoquer associent de fortes
densités de populations favorables à la contamination interhumaine,
et de fortes densités d’élevages et de marchés d’animaux propices
au franchissement de la barrière d’espèces pour certains microbes
(grippes, SRAS, et peut-être pour la Covid-19, l’avenir nous le dira
probablement).
En réalité, la naissance d’une épidémie est un phénomène
complexe, multifactoriel, souvent difficile à décrypter, comme nous
l’avons vu dans le cas de la peste, de la syphilis, de la grippe
espagnole et du sida.

L’épidémie comme reflet d’un comportement


Le comportement humain, dans ses différentes expressions,
représente le plus souvent une opportunité pour l’épidémie. Les
migrations humaines, les grands pélérinages, sont sources
importantes de dissémination des épidémies, et de leur
transformation en pandémie. C’est particulièrement évident avec le
choléra dont les différentes pandémies apparaissent étroitement
dépendantes des moyens de transport. De même, la variole a gagné
l’Europe à la faveur des grandes migrations du Moyen Âge,
invasions arabes, retour des Croisades, invasions normandes. Elle a
envahi le nouveau monde avec les conquistadors espagnols et
portugais, ou encore les colons français au Canada. Le typhus
dissémina en Europe en suivant les armées en campagne et en
bénéficiant de toutes les concentrations humaines. Il fut importé
dans le Nouveau Monde par les conquistadors espagnols.
Mais les déplacements humains ne sont pas les seuls
pourvoyeurs de diffusion des épidémies. Dans le cas des maladies
zoonotiques ou des maladies vectorielles, les déplacements des
hôtes animaux peuvent également avoir de graves conséquences.
Ainsi, l’établissement, dans les années 1930, d’une ligne aérienne
entre le Sénégal et le Brésil a provoqué l’introduction du moustique
Anopheles gambiae, vecteur majeur du paludisme africain, qui fut
responsable de graves épidémies de cette maladie parasitaire dans
le nord-est du Brésil.
L’importation de Rats de Gambie en provenance du Ghana fut à
l’origine d’une épidémie de variole du singe aux États-Unis en 2003.
Les migrations animales naturelles peuvent également être sources
de diffusion de virus, comme dans le cas de la grippe aviaire ou du
virus du Nil occidental.
Qu’ils soient d’origine humaine ou animale, ces transports de
microbes occasionnent des épidémies d’autant plus meurtrières
qu’ils implantent un germe dans une population qui ne l’a pas déjà
rencontré et se trouve, de ce fait, non protégée et donc
particulièrement réceptive.
Les comportements alimentaires sont souvent à l’origine de
l’humanisation d’une zoonose, comme ce fut de cas pour la fièvre
Ebola ou le SRAS.

L’épidémie comme révélateur des inégalités


La relation entre géopolitique et crise sanitaire paraît évidente, mais
elle recouvre en fait une problématique complexe. Il existe un lien
très fort entre maladies infectieuses et pauvreté. Beaucoup de
maladies dites tropicales sont en fait des maladies de la pauvreté.
Les conditions sanitaires défavorables des populations favorisent la
transmission de maladies, que le déficit de couverture sanitaire et le
manque de médicaments ne permettent pas de prendre en charge
efficacement.
Dans ces régions d’ailleurs, des épidémies peuvent même passer
inaperçues, comme les fièvres hémorragiques, ou le typhus, révélés
à l’occasion de cas importés dans les pays développés. De même,
l’absence de diagnostic correct peut conduire à des situations
paradoxales, comme lors d’épidémies de fièvre de la vallée du Rift
en Mauritanie en 1987, ou de fièvre Ebola en 1994 au Gabon, où un
diagnostic erroné de fièvre jaune a conduit à des campagnes de
vaccination en pure perte.
Parmi les régions à faibles revenus, l’Afrique apparaît comme un
continent malade, celui dont le marasme économique et les troubles
sociaux font le lit de toutes les épidémies (voir encadré ci-dessous).

L’Afrique, continent malade

La situation sanitaire de l’Afrique subsaharienne est catastrophique. Ce


constat est particulièrement vrai concernant les maladies infectieuses et les
épidémies. À elle seule, l’Afrique subsaharienne concentre plus de 90 % des
cas mondiaux de choléra, 90 % des morts de paludisme et 57 % des sujets
porteurs du VIH. La peste, non seulement s’y maintient comme sur d’autres
continents, mais des épidémies y sont réapparues depuis les années 1990.
L’Afrique compte neuf des dix pays du monde où l’incidence de la tuberculose
est la plus élevée. C’est un des rares continents où le typhus se maintienne
encore.
L’exode rural et la migration vers les villes s’est amplifié au lendemain de la
décolonisation, cependant que les grands programmes d’éradication et les
campagnes de vaccination étaient abandonnés, ce qui eut pour conséquence
le retour en force de maladies parasitaires éradiquées, comme la maladie du
sommeil, ou la reprise d’épidémies comme la fièvre jaune. Dans ce contexte,
l’apparente préservation du continent vis-à-vis de la Covid-19 représente une
heureuse exception.

L’évolution des épidémies
L’évolution des épidémies est également un problème géopolitique,
un système de détection rapide, une structure de prise en charge
adéquate et un programme de lutte ne pouvant se passer d’une
volonté politique.
Ce qu’ont montré les épidémies modernes comme le SRAS et la
Covid-19 dans les pays voisins de la Chine, c’est que la rapidité de
détection et d’identification du microbe responsable est un point
fondamental pour l’organisation de la réponse et la maîtrise de
l’épidémie. Mais la découverte rapide du microbe ne suffit pas
toujours à obtenir l’éradication de l’épidémie. Si le VIH a été
rapidement découvert et décrypté, le sida n’en a pas pour autant été
maîtrisé. Le cas du sida est particulièrement difficile, par le mode
original de ce virus atteignant le système immunitaire du sujet
infecté.

L’avenir des épidémies, ou les épidémies


à l’heure de la mondialisation
On peut prévoir que le futur des épidémies est prometteur. Il est
évident qu’il y aura encore des épidémies dans l’avenir  : des
épidémies existantes étendront leurs territoires, de nouvelles
épidémies verront le jour et certaines deviendront, à l’occasion, des
pandémies.
Pourquoi pouvons-nous être aussi sûrs de cet avenir ? Parce que
la biodiversité s’étend également à l’univers microbien et que les
microbes existent en très grand nombre. Parce qu’ils voyagent,
seuls ou avec leurs hôtes (Hommes, animaux réservoirs ou
vecteurs), et que la mondialisation généralise déplacements et
transports. Parce que les modifications environnementales apportent
de meilleures conditions de rencontre entre le microbe et l’Homme
ou l’animal, entre le vecteur et l’Homme.

Biodiversité
Nous connaissons à l’heure actuelle plus de 1  400 espèces
différentes de microbes pathogènes pour l’Homme. Ce qui, entre
parenthèses, est fort peu comparé aux trois millions d’espèces
connues de micro-organismes. Mais ce n’est pas une question
d’arithmétique. D’ailleurs ce chiffre ne peut que croître, car il existe
encore des espèces animales non décrites, dont certaines sont de
possibles réservoirs de microbes également inconnus. Sur plus de
600 arbovirus détectés chez les mammifères ou les insectes des
forêts tropicales de l’hémisphère sud, pas plus de 20  % sont
associés à des maladies humaines. La fonte du permafrost liée au
réchauffement climatique peut aboutir à la réapparition de
pathogènes anciens préservés dans les cadavres congelés
d’animaux ou d’Hommes. Le potentiel de nouveaux microbes pour
l’Homme est donc élevé.
Les plus graves des germes à venir seront sans aucun doute
d’origine virale. Il est en effet raisonnable de penser que l’arsenal
antibiotique à notre disposition, depuis plus d’un demi-siècle,
permettra de juguler les épidémies bactériennes. Le risque
d’épidémies bactériennes concerne davantage des bactéries à
germes multi-résistants. De plus, dans le cas des virus, la
disponibilité de médicaments antiviraux est très modeste, même si le
sida a suscité un effort remarquable de recherche et développement
ayant abouti, en une dizaine d’années, à la mise sur le marché d’une
trentaine de produits actifs.
Les microbes d’origine animale ont une grande capacité
d’adaptation à l’Homme, comme illustré par le sida, les fièvres
hémorragiques, la grippe ou les coronavirus. Et souvenons-nous
qu’un virus aussi typiquement humain que celui de la rougeole,
résulte d’une adaptation à l’Homme d’une souche de virus de la
peste bovine. Le concept de maladie émergente est apparu dans le
dernier quart du xxe siècle. Il se réfère principalement à des virus qui
franchissent les barrières d’espèces, qui passent de l’animal à
l’Homme, chez lequel ils font montre de pathogénicité et de
contagiosité importantes. Certains d’entre eux ont posé des
problèmes majeurs de santé publique, comme les virus de la grippe,
le VIH ou les coronavirus.
La biodiversité concerne également des animaux réservoirs, en
particulier les rongeurs (la moitié des espèces de mammifères) et les
chauves-souris, ou chiroptères, (le quart des mammifères). C’est
dire que les zoonoses ont un avenir prospère. Et même si certaines
espèces animales sont menacées de disparition cela ne signifie pas
obligatoirement disparition des zoonoses correspondantes, car on
peut imaginer que, les hôtes se raréfiant, les microbes deviennent
plus agressifs et passent sur des animaux voisins.

Le transport des microbes et des vecteurs


La globalisation des échanges entraîne un va-et-vient incessant des
microbes, des vecteurs et de leurs réservoirs. Le choléra, la grippe,
le SRAS ou la Covid-19 ont montré que les voyageurs disséminaient
leurs germes le long des axes de circulation, au rythme des moyens
de transport. La globalisation des transports de marchandises
favorise également la dissémination de certains vecteurs d’agents
infectieux, telle la circulation intense des pneus à travers le monde
qui est à l’origine de la diffusion mondiale du moustique-tigre, Aedes
albopictus (voir encadré).

Microbes et voyages dans l’espace

Le voyage dans l’espace lui-même n’est pas dépourvu de risque pour la


dissémination des épidémies du futur. La promiscuité et le confinement dans
les stations spatiales habitées est particulièrement propice à la transmission
interhumaine et à l’éclosion d’épidémies. Mais indépendamment de ce facteur
favorisant la transmission, l’effet de l’apesanteur sur les microbes est
déterminant. Des travaux de chercheurs américains ont montré une exaltation
de la virulence d’un germe (Salmonella typhimurium) embarqué à bord des
navettes spatiales. On peut donc craindre qu’une banalisation des voyages
dans l’espace puisse générer la diffusion d’épidémies nouvelles,
particulièrement sévères. Mais on peut également tirer bénéfice des
conditions de culture des microbes en apesanteur. Ainsi, des microbes
cultivés dans des sacs perméables aux gaz et flottant dans l’espace autour
d’une navette spatiale, ont une production d’antibiotiques largement
supérieure aux microbes cultivés au sol.

La vogue des animaux de compagnie non conventionnels, c’est-à-


dire autres que le chien, le chat, la perruche ou le canari, et le
commerce auquel elle donne lieu, peut faire craindre l’importation de
microbes pathogènes nouveaux pour l’Homme, et la génération
d’épidémies d’importation, d’autant plus difficiles à détecter que le
trafic clandestin empêche toute surveillance sanitaire. Ce fut le cas
de l’importation du virus de la variole de singe aux États-Unis, grâce
au transport de rongeurs depuis le Ghana, jusqu’à des animaleries
américaines où ils contaminèrent des chiens de prairie, animal de
compagnie en vogue outre-atlantique, chaîne à l’origine d’une
épidémie humaine.

Les comportements humains
La démographie mondiale galope principalement dans les pays à
faibles revenus, ce qui aggrave une situation sanitaire déjà précaire,
et crée des conditions favorisant le développement des épidémies.
La migration des populations rurales vers les grandes villes, et leur
concentration dans des zones périurbaines insalubres à
l’urbanisation anarchique entraînent une forte promiscuité qui
débouche sur une circulation rapide des microbes à transmission
directe. De même l’absence d’urbanisme multiplie les eaux
stagnantes, source de pullulation de moustiques, en particulier
Aedes aegypti, à l’origine d’épidémies d’arboviroses, comme celles
de dengue hémorragique des années 1950 en Asie du Sud, ou de
fièvre jaune comme dans certains pays d’Afrique. L’absence d’eau
courante réduit les populations à l’utilisation d’eaux impropres à la
consommation, voire microbiologiquement contaminées, avec les
conséquences déplorables qui en découlent, sur l’alimentation, en
particulier celle des jeunes enfants. Souvenons-nous que dans les
pays industrialisés, le traitement systématique de l’eau instauré à la
fin du xixe  siècle a amené la disparition du choléra et un recul
important de la fièvre typhoïde.
Si les pays à faibles revenus sont particulièrement exposés aux
futures émergences, les pays à hauts revenus seraient coupables et
imprudents de ne pas s’en préoccuper. Car outre l’aspect moral de
solidarité mondiale, un calcul égoïste devrait leur faire comprendre
qu’en aidant les pays pauvres à résoudre leurs crises sanitaires, ils
se protègent eux-mêmes de l’importation des épidémies.
L’évolution des modes de vie favorise l’émergence ou la
réémergence de divers microbes humains. L’exemple le plus
remarquable est celui de la Legionella, bactérie répandue dans les
canalisations d’eaux et les systèmes de climatisation.
De même, l’industrialisation des modes de production des denrées
alimentaires est souvent génératrice d’épidémies. Ainsi, le
développement d’élevages industriels concentrationnaires a facilité
la transmission accélérée de virus tels ceux de la grippe aviaire. Des
bactéries comme Salmonella enteritidis contaminent les élevages de
volailles et sont transmises à l’Homme par les œufs. L’utilisation
massive d’antibiotiques pour accélérer la croissance des volailles a
généré l’émergence de souches de Salmonella typhimurium
résistantes aux antibiotiques. Un aliment faiblement contaminé au
moment de sa fabrication ou de son stockage peut atteindre en
quelques jours un taux de contamination élevé, pouvant provoquer
une infection grave, parfois mortelle, comme c’est le cas avec
Listeria, microbe dit « du réfrigérateur ».
La sophistication des techniques modernes d’exploration et de
traitement générée par les extraordinaires progrès de la médecine
contemporaine représente un facteur moderne d’émergence. Les
maladies nosocomiales sont un domaine de l’infectiologie en plein
développement. Nous avons vu au chapitre  8 comment un geste
thérapeutique comme la transfusion sanguine avait pu générer du
malheur. Et, en Amérique du Sud, avant l’arrivée du sida, on savait
déjà que la transfusion sanguine pouvait transmettre le trypanosome
de la maladie de Chagas.
Le vieillissement des populations et la multiplication des causes
d’immunodépression entraînent l’émergence de nouvelles
pathologies, dites d’opportunité, liées à des microbes non
pathogènes chez l’individu sain, et qui se révèlent pathogènes chez
l’immunodéprimé.
Il faut également se souvenir que l’éradication ou la réduction
d’incidence d’une maladie infectieuse obtenue par la vaccination
n’est pas indéfiniment acquise. La perte de la couverture vaccinale
qui fait suite à l’abandon des campagnes de vaccination entraîne le
retour de la maladie correspondante, comme on a pu le voir avec la
diphtérie dans les pays de l’ancienne URSS, la fièvre jaune en
Afrique ou la rougeole aux États-Unis et en France.
On peut également ranger dans ce chapitre un facteur socio-
économique tel que les inégalités au sein des populations. Même
dans les pays à fort standard de développement, existent des
populations marginalisées ou exclues, vivant dans des conditions de
grande insalubrité, sans suivi médical. Ces groupes peuvent être la
cible de ré-émergence de microbes (syphilis) ou d’installation de
germes venus de zones endémiques, comme ce fut le cas par
exemple avec la peste des chiffonniers, dans les 18e et
19e arrondissements de Paris, en 1920. À New York, la disparition de
la prise en charge sociale de la tuberculose dans les années 1975-
80 a entraîné l’apparition à Haarlem d’une véritable épidémie de
tuberculoses à bacilles multirésistants.

Les modifications environnementales
Les modifications environnementales, générées directement ou
indirectement par l’Homme, en plus de mettre en danger la vie sur
Terre, pèseront sur les épidémies de l’avenir.
La déforestation réduisant les surfaces couvertes, domaines de
nombreux mammifères réservoirs, augmente le contact entre
l’Homme et ces mammifères, en particulier les singes ou les
rongeurs, favorisant le franchissement de la barrière d’espèce. Le
défrichement des zones forestières et la mise en place de cultures
intensives apportent une abondante nourriture aux rongeurs
entraînant leur multiplication et celle des microbes qu’ils portent.
Les barrages et les grands programmes d’irrigation qui entraînent
la pullulation des moustiques, par la multiplication de leurs gîtes de
reproduction, sont sources d’épidémies futures, comme ils le furent
dans le passé, avec par exemple l’épidémie de fièvre de la vallée du
Rift en Égypte, à la suite de la construction du Barrage d’Assouan,
en 1977-78 (200 000 personnes atteintes, 598 morts).
Enfin, puisqu’il faut bien parler du climat, les changements
climatiques pèseront sans aucun doute sur les épidémies du futur.
Une corrélation entre intensité des pluies et circulation de virus de la
Vallée du Rift a été notée depuis longtemps en Afrique de l’Est. Le
réchauffement climatique a déjà eu un impact sur la remontée vers
le nord de certains vecteurs comme Aedes albopictus, vecteur des
virus du Nil Occidental, de la dengue et du chikungunya. Mais les
interactions entre les différents facteurs conditionnant la genèse et le
développement des épidémies sont trop complexes pour être réduits
à la seule problématique du réchauffement climatique, objet d’une
attention médiatique privilégiée.
Épilogue

Nous avons exposé l’histoire de quelques épidémies, dont certaines


furent de redoutables fléaux pandémiques qui ont provoqué de
véritables hécatombes, généré des bouleversements sociaux et
culturels, opposé un frein à bien des entreprises humaines. Pour
chacune, nous avons également retracé l’évolution des
connaissances scientifiques et médicales qui ont permis d’en
comprendre les causes, d’en limiter les peurs. L’Homme a pu dès
lors borner ses angoisses, conjurer ses démons, même si des
réflexes de morale irrationnelle subsistent encore à l’occasion. À la
lumière de cet historique, nous avons proposé une théorie de
l’épidémie comme « deuil social ».
L’histoire des épidémies se divise de façon constante en deux
périodes distinctes, avant et après la connaissance de leurs
microbes et le décryptage de leurs modes de transmission. Au stade
initial où l’on subit le phénomène épidémique, succède une phase
de prise en charge rationnelle de la crise, avec programme de lutte
ou campagne de vaccination. Certaines actions spectaculaires,
comme l’éradication de la variole ou de la fièvre jaune urbaine, ou
encore la maîtrise du choléra grâce au développementr de l’hygiène
publique, ont montré qu’avec des mesures adéquates le succès
pouvait être atteint à condition qu’une volonté politique existe. Une
meilleure compréhension du monde microbien entraîne une
transformation radicale de la prise en charge des crises sanitaires,
et, en ce sens, l’effort de recherche doit être intensifié. Mais il
convient de garder présent à l’esprit que les complexes pathogènes
ne sont pas toujours réductibles. L’existence de réservoirs animaux
a mis en évidence les limites des programmes de contrôle dans le
cas des zoonoses. Mais l’effort de recherche aboutit en général au
développement de produits nouveaux, de méthodes originales,
sources d’espoir de solution.
Si l’expérience du passé est nécessaire, anticiper les épidémies
de demain s’avère un exercice difficile, dans un monde en profonde
mutation. Les modifications profondes des comportements humains,
les changements drastiques des milieux naturels et le
bouleversement écologique global de la planète qui s’annonce,
constituent autant de facteurs propices à l’installation et à la diffusion
d’émergences microbiennes. Car la grande plasticité génétique des
microbes et les capacités d’adaptation des populations animales
sont largement supérieures à celles de l’Homme.
L’Homme n’a certes pas le pouvoir de prévenir les épidémies
nouvelles, du moins a-t-il le devoir de les détecter le plus rapidement
possible, afin de les combattre le plus précocement possible. La
mise en place, ces dernières années, de réseaux de surveillance,
par de nombreux pays, et même à l’échelle mondiale, permet
d’envisager une détection rapide des émergences rendant possible
la mise en place de mesures de lutte. Ces réseaux impliquent un
échange permanent de données indispensable à une surveillance
efficiente. Or le partage de l’information est parfois difficile à obtenir
de certains pays. Le SRAS n’a été connu qu’à partir du moment où il
a passé les frontières de la Chine. Il est indispensable que les
réseaux d’information sanitaires puissent bénéficier des possibilités
de mondialisation de l’information, au bénéfice des programmes
internationaux de lutte contre les pandémies.
Cependant, la mondialisation de l’information a son revers. En
effet, depuis le SRAS, en 2003, toute épidémie de grande ampleur
bénéficie d’une couverture médiatique qui en assure le suivi en
direct à travers le monde. Dans ce contexte, les spécialistes n’ont
pas droit à l’erreur, et la prévision des épidémies risque de passer
d’un exercice difficile, à une pratique dangereuse. Et ceci, pour le
meilleur et pour le pire, car si la recherche d’explication des
phénomènes se justifie, elle ressemble parfois à une quête des
responsabilités, ce qui nous ramène plutôt en arrière. Les
polémiques sur la grippe A/H1N1, en 2009, ou sur la Covid-19, en
2020, en France, en sont une parfaite illustration. Les programmes
de prévention et de contrôle ne sauraient bénéficier de controverses
où les considérations politiques prennent le pas sur des arguments
scientifiques.
Remerciements

Je souhaite remercier les personnes qui ont pris une part active à la
rédaction de cet ouvrage et en particulier Vincent et Guillaume
Dedet, pour les discussions fructueuses et une lecture avisée et
constructive de tout ou parties du manuscrit.
Je suis vivement reconnaissant à Françoise Barré-Sinoussi,
Professeur à l’Institut Pasteur, Prix Nobel de Médecine et
Physiologie 2008, pour avoir accepté d’écrire la préface de cet
ouvrage, et à Yves Balard qui a réalisé toutes les cartes qui illustrent
ce livre.
Mes remerciements vont également aux divers spécialistes que
j’ai consultés sur des maladies ou des thèmes ponctuels  : Eric
Delaporte et Jacques Reynes (professeurs à la Faculté de Médecine
de l’Université de Montpellier et au CHU de Montpellier), Pascal
Launois (Maître de conférences à l’Université et au CHU de Nice), et
Paul Reiter (Professeur à l’Institut Pasteur).
Toute ma gratitude va également aux personnes qui m’ont apporté
leur aide dans la collecte iconographique, et, en particulier, Annick
Perrot, Conservateur honoraire du Musée Pasteur à Paris, et
Michaël Davy, Photothèque de l’Institut Pasteur, pour m’avoir
autorisé, une nouvelle fois, à utiliser gracieusement les ressources
de la Photothèque historique de l’Institut Pasteur.
Je voudrais remercier également les autres personnes qui ont mis
gracieusement à ma disposition certaines des illustrations, et, en
particulier, le Dr Aleksandra Pawliczek, Archiv der Humbold-
Universitaet, Berlin (Allemagne), Dolores Campanario, Organisation
mondiale de la Santé Presse, à Genève (Suisse), Trenton Streck-
Havill, National Museum of Health and Medicine, Silver Spring
(USA), Hichem Benhassine et le Pr Herchmi Louzir, directeur, Institut
Pasteur de Tunis (Tunisie).
Je suis reconnaissant aux éditions Dunod, et en particulier à Anne
Pompon, qui m’ont, une nouvelle fois, fait confiance.
Notes

 
1. Pestilence  : terme dérivé de peste, classiquement utilisé par extension pour
désigner les maladies contagieuses épidémiques, de pronostic redoutable.
2. Nicolle C., Le destin des maladies infectieuses (1933).
3. Baltazard M. Déclin et destin d’une maladie infectieuse  : la peste. Bull. Org.
Mond. Santé, 1960, 23 : 247-262.
4. Lazarets  : établissements à l’extérieur des villes ou des ports, destinés à
l’isolement des personnes atteintes de maladies contagieuses, telle la peste, ou de
voyageurs provenant d’un pays infecté.
5. Lazare Rivière, docteur en médecine en 1611, professeur à la Faculté de
Médecine de Montpellier à partir de 1622, fut conseiller et médecin de Louis XIII.
6. Le Préfet Poubelle est l’homme qui obligea en 1884 les propriétaires
d’immeubles à mettre à la disposition des locataires des récipients de capacité
suffisante et munis d’un couvercle, que les parisiens eurent tôt fait de baptiser du
nom du préfet.
7. Durrell L., Le quatuor d’Alexandrie. Mountolive, Editions Buchet/Chastel, 1963,
p. 501.
8. Taylor R.M., Kingston J.R., Rizk F. « A note on typhus in Egypt and the Sudan ».
Am. J. trop. Med. Hyg., 1957, 6 : 663-670.
9. Le pou de tête est différent du pou du corps et ne transmet aucun microbe.
10. Boyce R. Mosquito or man ? The conquest of the tropical world. John Murray,
London, 1909, p. 111.
11. C’est-à-dire l’évolution du cycle sauvage de la maladie vers un cycle
domestique, où l’Homme a pris la place du réservoir animal.
12. Hannoun C.  La grippe, ennemie intime. Itinéraire d’un virologue. Balland,
2009, p 267.
13. pathogénie : mécanime d’apparition de la maladie.
14. Frascator G. De contagione et contagionis morbis. (1546)
15. Journaliste, écrivaine et femme politique française (1916-2003).
16. CDC : Centre for Diseases Control : agence fédérale créée à Atlanta en 1942
pour contrôler le paludisme dans les zones de guerre, cet organisme évolua après
la guerre et fut chargé de la surveillance et du contrôle des maladies
transmissibles aux États-Unis.
17. Saltzmann S. La fièvre de Lassa. Editions Groupes Missionnaires
(Annemasse), 1978.
18. Rosa H., « Le miracle et le monstre –  un regard sociologique sur le
coronavirus  » (2020). https://aoc.media/analyse/2020/04/07/le-miracle-et-le-
monstre-un-regard-sociologique-sur-le-coronavirus/
19. Statistiques du 06/02/2021.
20. Les chiffres présentés dans ce chapitre sont ceux fournis par l’OMS, sur son
site internet WHO Coronavirus Disease (Covid-19) Dashboard WHO, à la date du
06/02/2021.
21. Nicolle C., Le destin des maladies infectieuses (1933).
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Index des personnes

A
Acosta, José de 1
Albuquerque 1
Alexandre VI 1
Alexandre le Grand 1
Allain, Jean-Pierre 1
Alvares Cabral, Pedro 1
Andrewes, Christopher 1
Apollon 1

B
Balboa, Vasco Nunez de 1
Balmis, Francisco Javier 1
Baltazard, Marcel 1, 2, 3, 4, 5
Baltimore, David 1
Barberousse, Frédéric 1
Barré-Sinoussi, Françoise 1, 2, 3
Barzac, Michèle 1
Baudelaire, Charles 1
Beauperthuy, Louis-Daniel 1
Belsunce, monseigneur de 1
Blanc, Georges 1, 2
Block, Steven 1
Boghurst 1
Boissier de Sauvages, François 1
Bordet, Jules 1
Borgia, Jean 1
Borrel, Amédée 1, 2
Borromée, Charles 1
Bourdelais 1
Boyce, Rubert 1
Brossollet 1
Broussais, François 1
Bruant, Aristide 1
Burnet, Mac Farlane 1

C
Calmette, Albert 1, 2
Camus, Lucien 1
Casas, Bartolomé de las 1
Castellani, Aldo 1
Catherine II 1
Chagas 1
Chain, Ernest 1
Chamberland 1
Chambon, Ernest 1, 2
Chanvalon, Thibault de 1
Charles Quint 1
Charles V 1
Charles VIII 1, 2
Chartres, Duc de 1
Chauliac, Guy de 1, 2, 3
Chermann, Jean-Claude 1, 2
Cheyne 1
Chicoyneau, François 1
Chirac, Jacques 1
Chirac, Pierre 1
Choiseul, duc de 1
Clément VI 1, 2
Cliff 1
Clinch, John 1
Colomb, Christophe 1, 2
Combes, Claude 1
Cortez, Hernán 1
Cox, Herald R. 1, 2
Crawford, John 1
Cruz, Oswaldo 1

D
Daudet, Alphonse 1
Delorme, Charles 1-2
Dioclétien 1
Dodin, André 1, 2
Du Barry, Contesse 1
Dufoix, Georgina 1
Dunning, Richard 1
Dupleix, Joseph François 1
Durand, Paul 1, 2
Durrell, Lawrence 1
Dutertre 1
E
Egede, Hans 1
Ehrlich, Paul 1, 2
Elion, Gertrude 1
Fabius, Laurent 1

F
Fallope, Gabriel 1, 2
Fasquelle, André 1
Ferdinand d’Aragon 1
Fernel, Jean-François 1
Ferran, Jaume 1, 2
Filippo Pacini 1
Finkelstein, Richard A. 1
Finlay, Carlos 1, 2
Flaubert, Gustave 1
Fleming, Alexander 1
Florey, Howard 1
Foligno, Gentile da 1
Francis, Thomas 1
Franck, Anne 1
François Ier 1
Franklin, Benjamin 1
Frascator, Girolamo 1, 2, 3, 4-5

G
Galbiati, Gennaro 1
Gallo, Robert 1-2
Gama, vasco de 1
Garetta, Michel 1
Gesner, Conrad 1
Girard, Georges 1
Giroud, Françoise 1, 2, 3
Giroud, Paul 1, 2
Gorgas, William 1-2, 3, 4
Grand Dauphin 1
Grégoire de Tours 1
Guillaume III 1
Guillaume le Conquérant 1
Guizot, François 1

H
Haffkine, Waldemar 1, 2, 3, 4
Hannoun, Claude 1
Harper 1
Hartmut, Rosa 1
Hata, Sahachiro 1
Havers, Clopton 1
Henri II 1
Henri III 1
Hervé, Edmond 1
Hippocrate 1, 2, 3, 4
Hirst, Georges 1
Hoffmann, Eric 1
Humboldt, Alexander Von 1, 2
Hunter, John 1
I
Isabelle de Castille 1

J
Jenner, Edward 1, 2, 3, 4
Justinien 1

K
Kaposi 1
Kingston, J.R. 1
Kitasato, Shibasaburo 1, 2
Ko Hong 1
Koch, Robert 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
Koen, J.-S. 1

L
La Condamine, Charles Marie de 1
Laidlaw, Patrick 1
Laigret, Jean 1
Larson, Charles 1
Lawson, James A. 1
Lebailly, Charles 1
Lénine 1
Léon XII 1
Lesseps, Ferdinand de 1, 2
Liancourt, duc de 1
Li, Wenliang 1
Louis XIII 1, 2
Louis XV 1, 2
Luther 1

M
Magendie, François 1
Mary II 1
Mâryammâ 1
Maupassant, Guy de 1
Ménard, Saint-Yves 1
Metchnikoff, Elie 1
Mollaret 1
Montagnier, Luc 1-2
Montpensier 1
Mugabe, Robert 1, 2, 3
Müller, Paul Hermann 1
Musset, Alfred de 1

N
Napoléon 1
Napoléon III 1
Netter, Robert 1
Nicolle, Charles 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12
Nietzsche, Friedrich 1
Nocard, Edmond 1
Nott, Josiah C. 1

O
Ovide 1

P
Pacini, Filippo 1
Paré, Ambroise 1
Paschen, Enrique 1
Pasteur, Louis 1, 2, 3, 4, 5, 6
Paul III 1
Pauludanus, Johann 1
Pelage II 1
Pétrarque 1
Pfeiffer, Richard 1
Poiesz, Bernard 1
Popovic, Mika 1
Poubelle, Eugène 1
Prowazeck, Stanilas von 1
Pylarini, Jacobo 1

Q
Quint, Charles 1

R
Rahal, Magid 1
Ramsès V 1
Reagan, Ronald 1
Reclus, Armand 1
Reed, Walter 1-2
Rhazès 1
Ricketts, Howard T. 1
Rivière, Lazare 1
Rizk, F. 1
Robert Koch 1
Robic, Jean 1
Rocha Lima, Henrique da 1
Romay, Thomas 1
Roosevelt, Franklin 1
Roux, Émile 1, 2, 3, 4, 5
Roux, Jacques 1, 2
Rozembaum, Willy 1

S
Saint Grégoire 1
Saint Roch 1
Saint Sébastien 1
Sainte Irène de Rome 1
Saltzmann, Samuel 1
Schaudinn, Fritz 1
Schubert, Frantz 1
Sédillot, Charles 1
Sellars, Watson 1
Sergent, Edmond 1
Shope, Richard 1
Simond, Paul-Louis 1, 2, 3
Sloane, Hans 1
Smith 1
Smith, Wilson 1
Snow, John 1
Soper, Fred L. 1
Sparrow, Hélène 1
Straus, Isidore 1, 2
Sydenham, Thomas 1

T
Taylor, R.M. 1
Tche Fa Ts’ouen 1
Temin, Howard 1
Theiler, Max 1, 2
Thuillier, Louis 1
Turgot, Etienne-Henri 1

U
Urbain VIII 1
Urbani, Carlo 1

V
Veil, Simone 1
Vetter, Helmuth 1
Vierge Marie 1
Voltaire 1

W
Waksman, Selman A. 1
Wassermann, August von 1
Weigl, Rudolf 1
Wortley-Montagu, Mary 1
Wüttemberg, duc de 1
Wyse, Lucien 1

Y
Yersin, Alexandre 1-2

Z
Zavorziz, Heinrich Skreta von 1
Zeidler, Othmar 1
Zhdanov, V.M. 1
Index des microbes, maladies
et produits

A
Acyclovir 1
Aedes 1, 2, 3, 4
Aedes aegypti 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Aedes africanus 1
Aedes albopictus 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
Aedes simpsoni 1
A/H1N1 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
A/H5N1 1, 2
AIDS 1
Anopheles gambiae 1
Antibiotiques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
antilopes 1
Apodemus agrarius 1
arbovirus 1, 2, 3, 4
Arenaviridae 1, 2, 3
arsenicaux 1
Arsénobenzènes 1
AZT 1

B
babouins 1
bacille
du charbon 1, 2
pesteux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
du tétanos 1
tuberculeux 1
bactérie
du charbon 1
du choléra 1
béjel 1
brucellose 1

C
calomel 1
canard(s) 1
canari 1
Candida albicans 1
Cercopithecus aethiops 1
champignons 1, 2
Chapare 1
charbon 1
chat 1
chauve-souris 1
chauve-souris 1, 2, 3
chauves-souris 1, 2
cheval 1, 2, 3, 4
chien(s) 1, 2, 3
de prairie 1, 2
chikungunya 1-2, 3-4, 5, 6
chimpanzé(s) 1, 2, 3, 4
chiroptères 1, 2
Chlamydia 1
choléra 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15-16, 17, 18, 19,
20-21, 22, 23, 24, 25, 26
Choléra des poules 1
Civettes 1
cobaye(s) 1, 2, 3, 4, 5, 6
coqueluche 1, 2
coronavirus 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8
Covid-1 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13
Covid-1 2
cow-pox 1
Culex 1, 2
Culex pipiens 1
Culex quinquefasciatus 1
Culex tarsalis 1

D
DDT 1, 2, 3
dengue 1-2, 3-4, 5, 6, 7
diphtérie 1, 2
Djaniberg, Khan 1
doxycycline 1
dromadaire 1

E
Ebola 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
écureuils 1, 2
El Tor 1, 2, 3, 4
encéphalite japonaise 1
encéphalite de Saint-Louis 1

F
fièvre
de Hantaan 1
hémorragique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
hémorragique d’Omsk 1
jaune 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
de Lassa 1, 2, 3, 4
du Nil Occidental 1, 2, 3
pourprée 1
typhoïde 1, 2
de la vallée du Rift 1, 2, 3
fièvre de Lassa 1
fièvre hémorragique d’Omsk 1
fièvre jaune 1
fièvres hémorragiques 1, 2, 3, 4
fièvres récurrentes 1
Filoviridae 1, 2, 3
Flaviviridae 1, 2
furets 1

G
gaïac, bois de 1
Galien, Claude 1
gerbilles 1
gorille 1
Gorille(s) 1
GRID 1
grippe 1
grippe(s) 1, 2, 3, 4
grippe aviaire A/H5N1 1
grippe de Hong Kong 1
grippe(s) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
A/H1N1 1, 2
asiatique 1, 2, 3, 4
aviaire 1, 2, 3, 4
aviaire A/H5N1 1
espagnole 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
de Hong Kong 1, 2, 3
Guillain-Barré 1, 2

H
Haemagogus 1
Haemophilus influenzae 1
Haemophilus influenzae 1
hémophilie 1, 2
hémorragique Congo-Crimée 1
hémorragiques 1
hépatite 1, 2
hépatite C 1, 2
herpès 1
HIV 1
HTLV 1, 2
HTLV-1 1
HTLV-2 1
HTLV-3 1

I
IDAV 1
infection inapparente 1
infections inapparentes 1
Influenza bacillus 1
insecte(s) 1, 2, 3, 4, 5
insecticide 1, 2

L
lapin 1, 2
Lassa 1, 2, 3-4
LAV 1, 2, 3
LAV-2 1
Legionella 1
Legionella pneumophila 1
légionellose 1, 2, 3, 4, 5
leishmanioses 1
lentivirus 1
lèpre 1
Listeria 1

M
macaque Macacus rhesus 1, 2
macaque(s) 1, 2, 3
maladie
du charbon 1
de Lyme 1, 2, 3
du sommeil 1
mammifère(s) 1, 2, 3, 4, 5, 6
mangabey 1
Marburg 1, 2-3, 4, 5
marmottes 1, 2, 3
Mastomys 1
Mastomys natalensis 1
méningite 1
mercure 1, 2
mérions 1, 2, 3
MERS 1, 2, 3
MERS-CoV 1
monkeypox virus 1
moustique(s) 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
moustiques 1, 2
mulot asiatique 1
Myxovirus influenzae 1

N
néosalvarsan 1, 2
Nosopsyllus fasciatus 1

O
O1 1, 2, 3
O139 1, 2
oiseaux 1, 2, 3, 4
or 1

P
Paguma larvata 1
paludisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
pangolin 1
paramyxovirus 1
Pasteurella pestis 1
pénicilline 1, 2
perruche 1
peste 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8-9, 10-11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20-21, 22, 23
bovine 1
noire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Phytophtora infestans 1
pian 1, 2
picote 1
pneumocoque 1
Pneumocystis carinii 1
poliomyélite 1, 2, 3, 4
porc 1
porcs 1, 2, 3
pou 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
primates 1, 2, 3, 4
protozoaires 1, 2
puces 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9
R
rage 1, 2
rat 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
rat noir 1, 2
rat musqué 1
rats 1, 2, 3
rats de Gambie 1, 2
Rattus norvegicus 1
Rattus rattus 1
rétrovirus 1, 2, 3
Rhinolophus 1
Rickettsia mooseri 1
Rickettsia prowazeki 1, 2, 3
rickettsie(s) 1, 2, 3-4
rongeur(s) 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
rougeole 1, 2, 3, 4, 5
rouille 1

S
Salmonella enteritidis 1
Salmonella typhimurium 1, 2
salvarsan 1, 2
sarcome 1
SARS-CoV-1 1
SARS-CoV-2 1, 2
sida 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11-12, 13-14, 15, 16, 17, 18, 19-20,
21, 22, 23, 24, 25
singe(s) 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
SIV 1
Sorre, Max 1
souris 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
SRAS 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10
Stegomyia calopus 1
Streptomyces 1
sublimé 1
suette 1, 2
sulfamides 1, 2, 3, 4
surmulot 1, 2
symptômes
grippe 1
syphilis 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9, 10, 11

T
T. endemicum 1
tétracyclines 1
tique 1
tiques 1, 2, 3
T. pallidum 1
Treponema carateum 1
Treponema endemicum 1
Treponema pallidum 1
Treponema pertenue 1, 2
tréponématoses 1, 2
trypanosome 1
tuberculose 1, 2, 3, 4, 5, 6
typhus 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13-14
typhus murin 1
V
vaccine 1, 2, 3, 4
variole 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14-15, 16, 17-18, 19
variole du singe 1-2, 3, 4
vérole 1, 2, 3
Vibrio cholerae 1, 2
vibrion cholérique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
VIH 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11
VIH-1 1, 2, 3
VIH-2 1, 2, 3
virus
de la grippe 1, 2, 3
Guanarito 1
Hendra 1
Junin 1
Machupo 1
du Nil Occidental (West Nile virus) 1, 2, 3
Nipah 1, 2
Sabia 1
de la Vallée du Rift 1
volailles 1, 2
vomito negro 1, 2

W
Wolbachia 1

X
Xenopsylla cheopis 1
Y
Yersinia pestis 1, 2, 3, 4, 5
Yersinia pseudotuberculosis 1

Z
zidovudine 1
zika 1, 2, 3-4
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