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CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 1

Conférencier: 

Melman C. Dr

 EPhEP, Séminaire de Charles Melman, 26/09/2013

Charles Melman : […] le livre que vous avez amené, puisque nous allons commencer ce soir par
l’une des cinq psychanalyses de Freud, et nous allons prendre le cas du petit Hans. Autant vous
dire que c’est vraiment la cerise sur le gâteau… Donc pour notre prochaine rencontre, vous
pourrez avoir lu et relu ce cas, et également vous être intéressés, de façon anticipée, à la
manière dont Lacan l’analyse dans son séminaire sur La relation d’objet ; et vous aurez le plaisir
de voir, également, de quelle façon entre ce texte de Freud, l’analyse de Lacan et ce que, grâce à
lui, nous pouvons en dire aujourd’hui.

Alors, ce cas du petit Hans est absolument admirable, et je pense que vous allez partager
l’intérêt qu’il suscite. Il comporte trois parties, c’est très bien construit du point de vue de
l’exposition : une partie d’introduction, une partie d’analyse, et une partie de commentaires.
Nous allons donc commencer par la partie de l’introduction, et où vous allez d’emblée vous
réjouir à propos de deux incidentes, proposées par Freud. La première, c’est qu’il doit ce cas au
fait, dans lequel il n’est intervenu qu’à l’occasion d’une unique rencontre, comme vous le savez,
avec le petit Hans, alors qu’il devait avoir cinq ou six ans, et qu’il l’a guéri en une seule séance -
ce qui mériterait que nous en prenions, comme ça, quelque inspiration - eh bien dans un premier
temps, vous allez trouver admirable que l’essentiel du cas, ou la totalité, lui est rapporté par le
père du petit Hans qui, non seulement était en analyse chez Freud mais, comme il le dit,
s’intéressait à la psychanalyse, et dans la mesure où Freud souhaitait pouvoir vérifier in vivo ses
thèses sur la sexualité infantile, eh bien le papa s’est en quelque sorte dévoué pour observer
directement sur son enfant ce qu’il en était de son rapport à la sexualité. Et, il y a cette remarque
qui va avoir quelques conséquences, pour la suite de l’aventure à Vienne, c’est que Freud va dire
que finalement cette conjonction de la position du papa, de l’observateur et du thérapeute,
c’est-à-dire le fait qu’une unique personne supporte ces trois dimensions, a sûrement été
favorable pour l’évolution et pour la guérison du cas. Autrement dit si l’analyste est un papa, ça
n’en serait que mieux. Ce qui est assurément une assertion redoutable, d’autant qu’il la mettra
lui-même en œuvre pour analyser sa fille, mais avec des résultats qui ne furent pas probants.
C’est le moins que l’on puisse dire. Sa fille, Anna. Mais, d’un point de vue pour nous qui jugeons
de cette affaire plus de cent ans après, puisque le cas a été publié en 1909, pour nous qui
jugeons de cette affaire plus de cent ans après, on voit bien ce qui était pour Freud ce fantasme
(on ne peut pas le dire autrement) du rapport à un père qui serait suffisamment informé sur la
sexualité de ses enfants pour la leur rendre favorable. Mais, comment dirais-je, il en va sûrement
en ce domaine comme cela a été le cas pour la conceptualisation et la pratique des rayons X,
ceux qui s’y sont livrés, dans cette observation, dans cette activité de transparence, eh bien ils se
sont brûlés, et même grièvement… Et à l’évidence, là, Freud va sérieusement se brûler. La
seconde chose c’est que, évidemment, il est tout à fait heureux de pouvoir rapporter in vivo les
manifestations de la sexualité infantile, à l’occasion d’un cas clinique  chez le petit Hans, dans la
mesure où jusqu’ici ses thèses se trouvaient déduites à partir de souvenirs rapportés par ses
patients adultes sur son divan et, comme nous le savons, cette sexualité infantile étant
particulièrement refusée par notre culture, récusée, niée, il est bien évident que cette
observation directe a, pour Freud, un intérêt tout à fait exceptionnel. D’autant plus exceptionnel
que, comme vous allez le voir, ou comme vous l’avez déjà vu, le petit Hans, qui commence ainsi à
s’intéresser à la chose à partir de l’âge de trois ans, est particulièrement allumé. Je suis sûr que,
enfin, je suis sûr… il est rare d’ailleurs que l’on observe un enfant de trois ans flambant, je dirais,
comme le fait le petit Hans, et je crois que l’on peut avancer que si c’est le cas, c’est peut-être
bien qu’aussi bien papa que maman étaient en analyse chez le grand-père Freud, chez pépé
Freud, et que donc il devait y avoir, vraisemblablement, dans la vie familiale une présence tout à
fait inhabituelle, exotique, de conversations touchant la sexualité. Outre le fait que le projecteur
braqué donc par le père sur son enfant - ce n’est pas un idiot, le petit Hans, pas du tout -
projecteur braqué, sur, soyons précis, sur son organe, ne pouvait manquer d’avoir, bien entendu,
des conséquences. Donc il a trois ans et, chose admirable, voilà qu’il demande à sa mère :
« Maman, as-tu aussi un fait-pipi ? », un Wiwimacher… Et la maman : « Bien entendu.
Pourquoi ? », « J’ai seulement pensé… », c’est admirable, hein, comme dialogue, « J’ai seulement
pensé… » :

            « Au même âge, il entre un jour dans un étable et voit traire une vache :

            « Regarde, du fait-pipi il sort du lait. » »

Nous voyons bien le développement d’une interrogation, et en même temps, bien entendu, je
dirais, d’une façon de se défendre contre ce à quoi il avait pensé c’est-à-dire que le fait-pipi de
maman lui faisait question, à trois ans.

« L’intérêt [dit Freud] qu’il porte [à l’instrument] n’est cependant pas purement théorique ; […]
[mais] le pousse à des attouchements du membre. A l’âge de 3 ans et demi, il est surpris par sa
mère, la main au pénis. Celle-ci menace : « Si tu fais ça, je ferai venir le Dr A… qui te coupera ton
fait-pipi. Avec quoi feras-tu alors pipi ? » »

Je ne sais pas s’il y a des dramaturges, il doit y en avoir, capables de restituer la justesse et la
fraîcheur, ça c’est vraiment… Et réponse de Hans :

            « Avec mon tutu. »

Ce qui veut donc dire qu’il a parfaitement repéré la différence des sexes, et qu’à la provocation
maternelle, il répond en témoignant que la différence des sexes lui est parfaitement perceptible.
Et alors vous trouvez là tout de suite, chez Freud, un élément qui va mériter de vous interroger,
puisqu’il va dire ceci, Freud :

« [Hans] répond sans sentiment de culpabilité encore, mais [il] acquiert à cette occasion le
« complexe de castration » - entre guillemets - auquel on doit conclure si souvent dans les
analyses des névropathes, tandis qu’ils se défendent tous violemment contre sa reconnaissance.
Il y aurait beaucoup de choses importantes à dire sur la signification de cet élément de l’histoire
infantile. Le « complexe de castration » - entre guillemets - a laissé des traces frappantes dans les
mythes (et pas seulement dans les mythes grecs) ; j’ai fait, dans ma Science des rêves et ailleurs
encore, allusion au rôle qu’il joue. »

Or le complexe de castration, tel que Freud, ici, en parle, concerne évidemment ce qui se
présente à ce moment-là comme étant la menace d’une… ablation du pénis et, je vous le signale
tout de suite, il est vraisemblable que c’est à partir de ce type d’écriture chez Freud, que Lacan a
été amené à mettre en place ces trois dimensions du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire.
Pourquoi ? Parce que vous n’allez plus rien comprendre si le complexe de castration chez Freud
doit être entendu comme organisé par cette menace, la crainte d’une ablation du pénis, vous ne
saisissez aucunement en quoi il a un rôle formateur de la sexualité. Et c’est donc très
vraisemblablement à partir des difficultés rencontrées, et chez Freud même, par cette évocation
du complexe de castration, que Lacan va être amené à distinguer la dimension du Réel, c’est-à-
dire effectivement la possibilité d’une ablation chirurgicale, d’une castration du pénis, sa
dimension symbolique, qui est la condition d’un accès à la sexualité, et sa dimension imaginaire,
qui concerne tout ce que l’on va voir foisonner dans la suite de l’introduction opérée par Freud.
Qu’est-ce que ça veut dire la dimension symbolique de la castration ? Si ce n’est qu’il y a en effet
une remise de l’autorité ayant pouvoir sur la sexualité à une puissance tierce, dont
l’interpellation, dont l’autorisation va être désormais nécessaire pour que le sujet lui-même se
permette cet exercice. Opération symbolique qui consiste à déléguer à une autorité dans l’Autre,
à faire d’une autorité dans l’Autre, le référent dont va s’autoriser l’exercice de la sexualité. Est-ce
que ça a toujours été le cas ? Ça, dans la culture, sûrement pas, mais ce n’est pas là ce qui nous
intéresse. En tous cas, c’est comme ça que nous avons à entendre la castration symbolique, et
d’autant plus à l’entendre qu’ordinairement ce thème est plutôt évité que déplié. Sans ces
catégories qui risqueraient de vous paraître abstraites de Réel, Symbolique et Imaginaire, vous
ne pouvez pas comprendre ce qu’il en est chez Freud, qui lui-même n’a pas fait cette distinction.
Il faudrait reprendre, chez Freud, ce qu’il a écrit à propos du complexe de castration, le
rassembler, pour voir de quelle manière il avait les plus grandes difficultés… S’il rencontrait chez
tous les névropathes, comme il dit, et comme il le dit « la menace ressentie sur l’organe »,
ailleurs il a parfaitement situé combien le complexe de castration était une étape sur le chemin
d’une constitution de la sexualité.

Donc, le petit Hans qui a toujours trois ans, trois ans et demi maintenant, il est au zoo devant la
cage du lion, et il est très joyeux, excité :

            « J’ai vu le fait-pipi du lion ! »

Et donc cette intelligence d’identifier donc le fait qu’il y a peut-être là une sorte d’universel, et un
peu plus tard, il voit à la gare une locomotive lâcher de l’eau :

            « Regarde, dit-il, la locomotive fait pipi. Où est donc son fait-pipi ? »

[Et puis] après un moment, il ajout d’un ton pensif [il a trois ans et demi]: « Un chien et un cheval
ont un fait-pipi ; une table et une chaise n’en ont pas. » Ainsi [dit Freud] il est en possession d’un
caractère essentiel pour différencier le vivant de l’inanimé.

[Mais] la soif de connaissance [dit Freud,] semble inséparable de la curiosité sexuelle. [Et] la
curiosité de Hans est particulièrement dirigé vers ses parents.

[…] (3 ans et 9 mois) - Papa, as-tu aussi un fait-pipi ?

[…] - Mais oui, naturellement.

[…] - Mais je ne l’ai jamais vu quand tu te déshabilles.

Une autre fois il regarde, toute son attention tendue, sa mère qui se déshabille avant de se
coucher. Celle-ci demande : « [Qu’est-ce que tu regardes comme ça] ? »

[…] - [Ben,] je regarde seulement si tu as aussi un fait-pipi.

[…] - [Mais] naturellement. […] Ne le savais-tu donc pas ?


[…] - Non [, non], je pensais que, puisque tu étais si grande, tu devais avoir un fait-pipi comme un
cheval. »

Quelle courtoisie ! Mais vous voyez là l’introduction du cheval, puisque maman, comme elle est
grande, elle devait avoir un fait-pipi comme un cheval ; l’introduction du cheval comme l’animal
qui va ensuite, dont on va réentendre parler avec l’éclosion de la phobie.

Mais le grand évènement de la vie de Hans, c’est la naissance de sa petite sœur, Anna, alors qu’il
a exactement trois ans et demi. Et cette occasion, son comportement à cette occasion a été noté
par le père, le père évidemment prend des notes pour Freud, et pour l’avenir de la psychanalyse,
on est sur le terrain expérimental. Et le père écrit donc :

« Ce matin de bonne heure, à 5 heures, comme commencent les douleurs, le lit de Hans est
transporté  dans la chambre voisine. »

On le sort de la chambre conjugale.

« Il se réveille à 7 heures et entend les gémissements de la parturiente ; alors il demande :


« Pourquoi maman tousse-t-elle ? » Puis, après un moment : « Bien sûr […] la cigogne [va venir]
aujourd’hui. »

Un peu plus tard, on le mène dans la cuisine, il voit la trousse du médecin, il dit :

« « Qu’est-ce que c’est ? […] à quoi on répond : « Une trousse. » [Bonne réponse !] Alors lui, d’un
ton convaincu : « C’est aujourd’hui que viendra la cigogne ! » Après la délivrance, la sage-femme
vient à la cuisine et Hans l’entend commander du thé, alors il dit : « Ah ! Parce qu’elle tousse,
maman va avoir du thé. » On l’appelle alors dans la chambre, mais il ne regarde pas sa maman,
rien que les cuvettes, pleines d’une eau sanglante, qui sont encore là, et il remarque, très surpris,
montrant le bassin où il y a du sang : « Il ne sort pas [du] sang de mon fait-pipi à moi. »

Donc, la démonstration de deux choses. D’abord ce qui est son parfait repérage, la parfaite
lecture, son déchiffrage parfait de ce qui se passe ; mais aussi, et c’est sûrement encore bien plus
important là, finalement, la pudeur humoristique avec laquelle il [suit] l’évènement, autrement
dit sa façon de participer à la fable, au mythe, à la façon dont il faut raconter l’évènement, et
qu’il endosse je dirais parfaitement, tout en faisant savoir en même temps qu’il n’est pas dupe.
Alors :

« Hans est très jaloux de la nouvelle venue et, dès que quelqu’un fait des compliments, la trouve
jolie, etc., il dit […] d’un ton sarcastique : « […] Elle n’a pas encore de dents ! » »

« Elle n’a pas encore de dents », il est bien évident qu’il a déjà repéré qu’il n’y avait pas que les
dents qui lui manquaient, et puis il déclare très simplement que cette petite sœur, il lui en veut,
ça ne lui convient pas du tout. Mais :

« Au bout de six mois environ la jalousie est surmontée, et il devient un frère aussi tendre que
convaincu de sa supériorité sur sa sœur.

[Il] assiste au bain de sa sœur, [alors] âgée d’une semaine. [Et] il observe : « Mais son fait-pipi est
encore petit » et il ajoute, en consolation : « Mais elle grandira, et il deviendra plus grand. » »
C’est très… métaphysique, c’est-à-dire c’est d’abord l’isolement d’un signe caractéristique de
toutes les créatures, humaines voire animales, il a fait la distinction, et si on ne le voit pas, c’est
qu’il est quand même soit petit, soit quelque part, et qu’il apparaîtra, qu’il grandira. Autrement
dit cette conception infantile très répandue qu’évidemment tous les enfants, garçons et filles,
relèvent forcément d’un même trait sexuel, quitte à ce qu’à certains moments, la question,
comme on va le voir, de la différence se pose. Et puis, à partir de ce moment-là, vous allez voir
qu’il va se passer chez lui une grande activité de séduction à l’endroit des fillettes de son
entourage, y compris des fillettes bien plus grandes que lui, et vis-à-vis desquelles il adopte une
attitude de type paternel. C’est-à-dire à la fois comme si lui, donc, identifié à son père, disposait
de l’instrument qui lui permettait, je dirais, d’avoir une position de supériorité à l’endroit de ces
fillettes, mais en même temps du fait de l’équivoque des jeux avec elles, qui est fort banal bien
sûr chez les enfants, la virtualité de relations incestueuses. Et puis, dit le père :

« Je dessine une girafe pour Hans, qui [a souvent été], ces derniers temps, au jardin zoologique
[…] »

La girafe vous la trouverez dans le bouquin, la girafe dessinée par papa, et Hans lui dit… Il dessine
une girafe tout à fait convenable, mais Hans lui dit :

« « Dessine […] aussi le fait-pipi. » Je réplique [dit le père] : « Dessine-le toi-même. » Alors il
ajoute à mon dessin de la girafe ce trait, d’abord […] tirant un trait court, puis […] le prolongeant
d’un autre trait, en remarquant : « Le fait-pipi est plus long. » »

C’est un… alors, de mon temps, ce dessin de la girafe était l’objet d’un nombre considérables
d’exégèses, chaque analyste avait, je dirais, sa poésie particulière, excités par ce dessin. Et ce que
vous pourrez, je pense, en retenir c’est vraiment l’intelligence de ce gosse, puisque si le père a
dessiné cet animal au long cou, stipulant en quelque sorte que son trait caractéristique ce serait
la longueur d’une partie du corps, mais identique pour les deux sexes, une girafe générique, en
quelque sorte, abstraite. C’est le petit Hans qui réclame donc le dessin du sexe, et puis qui va en
quelque sorte en dessiner deux. D’abord un trait, et puis ensuite le rallonger d’un autre trait,
réalisant cette opération fabuleuse… vous verrez que mon association vous paraîtra évidemment
excessive… Il y a une assertion biblique qui, elle aussi, est toujours l’occasion d’amusements
herméneutiques, qui est : « Quand Dieu créa Adam, il le fit homme et femme ». Alors, est-ce que
ça veut dire qu’il les a fait bisexués ? Est-ce que… alors qu’il suffit évidemment de prendre Adam
pour le nom générique de l’homme, abstrait, pour savoir qu’effectivement… Alors vous me direz
qu’Adam, c’est le nom d’un individu mâle… bien sûr. Mais en tous cas lui reconstruit là quelque
chose de très simple, c’est que son père lui offrant une girafe générique, il demande qu’elle soit
sexuée, et il lui colle, avec un petit sexe et puis un sexe plus long, il lui colle en quelque sorte
deux sexes. Et puis vous voyez aussi sur le dessin ce que Freud n’analysera pas, qu’il y a un trait
qu’il lui coupe les pattes, à cette girafe, alors vous auriez tous les commentaires des analystes de
l’époque pour évoquer évidemment que la perception par Hans du phénomène de la castration,
et puis vous aurez bien plus tard, parce que Lacan l’ignorait quand il a fait l’étude du cas dans La
relation d’objet, c’est que le nom de famille, donc, du petit Hans, c’est Graf. Et donc qu’il soit
venu spontanément au papa l’idée de dessiner une girafe, c’est le même mot en allemand,
Girafe, évidemment témoigne qu’il s’agit bien chez lui d’une production de l’inconscient dont on
voit de quelle manière il circule activement, dans cette famille. Le père poursuit :

« Je passe avec Hans près d’un cheval [encore !] qui est en train d’uriner. Hans dit : « Le cheval a
son fait-pipi sous lui comme moi. »

Il assiste au bain de sa sœur, âgée de trois mois, et dit, d’un ton de pitié : « Elle [en] a un tout
petit, tout petit fait-pipi. »
On lui fait cadeau d’une poupée comme jouet ; il la déshabille, l’examine avec soin et dit : « Mais
son fait-pipi est tout petit, tout petit ! »

[…] Tout investigateur [dit Freud] court le risque de tomber à l’occasion dans l’erreur. Ce lui est
une consolation lorsque - tel Hans dans l’exemple qui va suivre - il n’est pas seul à errer, mais
peut en appeler, pour son excuse, à l’usage de [la langue]. Hans voit notamment dans son livre
d’images un singe et montre sa queue retroussée en l’air : « Regarde, papa, son fait-pipi ! » »

Je vous disais que Hans était un petit allumé. Il y a là le récit, enfin il est rapporté un évènement
dont l’importance ou dont la qualité ne paraissent pas évidentes. C’est que :

« Dans l’antichambre il y a le lieu d’aisance et aussi un cabinet noir où l’on garde du bois. Depuis
quelque temps, Hans va dans le cabinet au bois, [il] dit : « Je vais dans mon w.-c. » [Et, dit le
père,] Je regardai un jour ce qu’il faisait dans la petite pièce noire. Il fait une exhibition et dit :
« Je fais pipi. » Ceci signifie donc qu’il joue au w.-c. Le caractère ludique de la chose est illustré
non seulement par [ceci] qu’il fait simplement semblant de faire pipi et ne le fait pas vraiment,
mais encore par [cela, etc.] qu’il préfère le cabinet au bois et l’appelle son w.-c. » »

Il est évident que, pas plus Hans que le père, ou Freud ne peuvent savoir ce qu’il fabrique dans
cette activité ludique, mais en tous cas nous pouvons y reconnaître le fait qu’il instaure une
ségrégation entre l’activité urinaire de ses parents et de lui-même, comme s’il y avait en quelque
sorte le cabinet des grands et puis le sien. Comment entendre cette ségrégation ? C’est bien
difficile à dire. Mais en tous cas aussi sans aucun doute un ludisme qui témoigne la perception
que dans toute cette affaire, il y a du semblant. Il y a le réel auquel il est affronté, le réel de la
différence des sexes, et puis il y a aussi cette dimension du semblant à laquelle à l’évidence il est
sensible, et qui sans doute fait partie également de toutes les activités ludiques des enfants
quand ils font semblants à tout ce que l’on veut, c’est-à-dire à jouer au docteur, à jouer à la
marchande, à jouer à ce que vous voudrez ; mais qui n’a évidemment de l’intérêt qu’à venir
témoigner de la mise en place dans la subjectivité de l’enfant de cette dimension du semblant, et
combien finalement elle peut provoquer des investissements affectifs, je dirais, d’une qualité
sans doute égale à ce qu’il en est de la réalité. La réalité qui est, elle-même, de l’ordre du
semblant.

Et puis le père remarque ce qu’il appelle une disposition, chez Hans, à la polygamie. Autrement
dit tous les enfants qui l’entourent, qu’ils soient garçons ou filles sont pour lui l’occasion
d’investissements, de propositions érotique, ou en tous cas de situations pseudo-conjugales, de
jeux de ce type, et sans aucun attachement évidemment spécifique, et donc il est passionné par
cette activité qui témoigne donc, c’est le moins qu’on puisse dire, d’une parfaite identification
chez lui de cette position sexuelle, mâle. Et lorsque son père va lui demander : « Laquelle des
petites filles aimes-tu le mieux ? » puisqu’il y en a toute une série, toute une batterie, il va
répondre : « Fritzl. », c’est un garçon… Alors donc on va évidemment immédiatement évoquer
Freud, on va pas hésiter à évoquer ce qu’il en serait de touches homosexuelles de l’affaire alors
que ça n’a évidemment aucunement ce sens, mais bien plutôt… enfin, c’est un carrefour où l’on
peut retrouver tout ce que l’on peut imaginer, c’est-à-dire aussi bien le désaveu du sexe féminin
comme étant susceptible d’avoir un attrait, que la défense, je dirais, devant le père de s’affirmer
comme son rival eu égard au sexe féminin, voire (comment dirais-je ?) des propositions
libertaires quant à l’usage du sexe et le droit finalement à un usage indifférent à la différences
des sexes, enfin, je veux dire, nous sommes là à un carrefour où toutes les interprétations en
tant qu’éventuellement causales, déterminantes pour Hans, sont possibles, et
vraisemblablement existantes. Et donc sans que l’on puisse le moins du monde parler chez lui, à
ce moment-là, de tendances homosexuelles. Et puis peut-être aussi le témoignage d’un
attachement pour son père. Donc, gardons ça à l’esprit. Et puis, il y a une grande fille qui
s’appelle Mariedl, et il réclame, lui l’homosexuel paraît-il, qu’il veut que Mariedl couche avec lui.
Alors on lui dit, c’est pas possible. Alors il dit :

« Il faut […] qu’elle couche avec maman ou papa. »

Hein, vous voyez que, après tout, la différence des sexes ce n’est pas… après tout c’est rapport
de sexe à sexe ; si sexe masculin et sexe féminin sont équivalents, on voit pas du tout pourquoi y
aurait pas rapport de sexe à sexe, quelles que soit leurs différences. Alors on lui réplique qu’il
n’est pas possible non plus que Mariedl couche avec papa ou avec maman, parce qu’elle doit
aller dormir chez ses parents. Et alors a lieu le dialogue suivant :

« […] - Alors, c’est moi qui [vais descendre] coucher avec Mariedl. »

Alors sa mère :

« […] - Tu veux vraiment quitter ta maman et aller coucher en bas ? »

Hein, tu vas faire ça à ta maman, quand même ?

« Oh ! Je remonterai demain matin pour mon petit déjeuner et pour aller au cabinet.

[La maman] - Si tu veux vraiment quitter papa et maman, prends ton manteau et ta culotte, et…
adieu ! »

Hans, qu’est-ce qu’il fait ? Il prend ses vêtements et gagne l’escalier afin d’aller coucher avec
Mariedl. Voyez… Il est prêt à quitter papa et maman pour… voilà. Le petit homosexuel… il est
quand même bien décidé. Bon. Et alors Freud note quand même :

« Notre petit Hans s’est comporté, en face du défi de sa mère, comme un vrai petit homme,
malgré ses velléités d’homosexualité. »

Mais vous notez bien entendu, en cours de route, le mode d’intervention maternel, qui est à la
fois tellement classique… alors vous vous dîtes, vraiment d’où sort ce classicisme ? Quel est
l’auteur qui a écrit ces textes classiques ? Pourquoi la mère… ? Elle est vraiment formidable,
hein : si tu fais ça, tu vas perdre ta maman, hein. Et lui, il dit, le gosse il a trois ans, quatre ans :
oh, ben d’accord ; j’y vais.

« A une autre occasion, dont nous allons parler, Hans dit aussi à sa mère : « Tu          sais,
j’aimerais tant coucher avec la petite fille. » Cet épisode nous a fort           amusés,        [dit le
père,] car Hans s’est ici vraiment comporté comme un adulte amoureux. Dans   le restaurant où
nous déjeunons vient depuis quelques jours une jolie petite fille de         huit ans de qui bien
entendu Hans s’éprend aussitôt. Il se retourne sans cesse sur             sa chaise afin de lui lancer
des œillades, quand il a fini de manger il va se mettre       près d’elle afin de flirter avec elle, mais
s’il se sent se faisant observé, il devient            cramoisi. La petite fille répond-elle à ses œillades,
il regarde aussitôt d’un air confus    de l’autre côté, sa conduite fait naturellement la joie de tous
les hôtes du restaurant. Chaque jour pendant qu’on l’y mène, il demande : « Crois-tu que la
petite fille sera là aujourd’hui ? » Quand elle apparaît enfin il devient tout rouge ainsi qu’un
adulte en pareil cas. Un jour il vient à moi tout radieux et me murmure à l’oreille : « Tu sais,
papa, je sais maintenant où habite la petite fille. Je l’ai vu en tel et tel endroit monter l’escalier. »
Tandis qu’il se comporte de façon agressive avec les petites filles habitant sa maison, dans cette
occasion-ci, il est un amoureux platonique et transi. »
Alors voilà ce que dit Freud… c’est le père qui dit ça, c’est pas terrible :

« Cela tient peut-être à ce que les petites filles de la maison sont des villageoises, tandis que la
petite fille […] est une dame du monde. »

C’est [radical], hein. Ben voilà.

« Comme je ne veux pas laisser Hans dans la tension psychique où il a été jusqu’alors, de par son
amour pour la petite fille, je leur fais faire connaissance et j’invite la petite fille à venir le voir au
jardin […]. Hans est tellement [ému] par l’attente de la petite fille que, pour la première fois, il ne
peut dormir l’après-midi, mais se tourne et se retourne sans cesse dans son lit. Sa mère lui
demande : « Pourquoi ne dors-tu pas ? Penses-tu à la petite fille ? » Il répond, tout heureux, que
oui. En rentrant du restaurant à la maison, il a aussi raconté à tous les gens de la maison  : « Tu
sais, aujourd’hui ma petite fille [, ma petite fille,] va venir me voir. » Et Mariedl, qui a quatorze
ans, [celle avec qui il voulait aller coucher,] raconte qu’il lui a sans [trêve] demandé : « Crois-tu
[…] qu’elle sera gentille avec moi ? Crois-tu qu’elle me donnera un baiser quand je
l’embrasserai ? » […] Il pleut l’après-midi [et] la visite n’a pas lieu. »

Voilà, voilà, voilà.

« Hans a quatre ans et [demi]. Ce matin, sa mère lui donne son bain quotidien et, après son bain,
elle le sèche et le poudre. Comme elle est en train de poudrer autour de son pénis, en prenant
soin de ne pas le toucher, Hans demande : « Pourquoi n’y mets-tu pas le doigt ? » »

Que va répondre maman ? Qu’est-ce qu’elle répond, une maman, dans ces cas-là ?

Stéphane Renard : Ça ne se fait pas.

Charles Melman : Là vous cherchez dans le texte. Vous vous fiez pas comme ça à…

Stéphane Clément : C’est dégoûtant.

Charles Melman : Elle répond :

« […] - Parce que c’est une cochonnerie.

[…] - Qu’est-ce […]? Une cochonnerie ? Pourquoi ? »

L’insigne vraiment émérite, voilà que c’est une cochonnerie.

« […] - Parce que c’est pas convenable.

Hans (riant) - Mais très amusant ! »

Vous voyez comment il s’en sort. Et donc l’affaire se poursuit avec, évidemment, des jeux de
gages. Mais ce qui va être important, c’est que vous voyez on en est en quelque sorte dans la
phase exhibitionniste, exhibitionnisme, il faut bien le dire, provoqué par l’attention familiale. Et
donc le père va dire ceci :

« Hier, comme j’allais l’aider à faire [son] petit besoin […] »


C’était papa qui le plus souvent allait le déboutonner, et Freud ajoute : « ce qui aide à la fixation
d’une inclination homosexuelle sur le père », en tous cas la question est de savoir pourquoi c’est
pas la mère qui le fait, bien sûr :

« Hier, comme j’allais l’aider à faire un petit besoin, il me demanda pour la première fois […] »

Voilà le drame qui s’installe, tout était jusqu’ici quand même magnifique, le monde simple, tout
en place, tout est en place et voilà que, pour la première fois, il demande à son père :

« […] de le mener derrière la maison, afin que personne ne [puisse] le voir et il [ajoute]  :
« L’année passée, pendant que je faisais pipi, Berta et Olga me regardaient. » Cela veut dire [dit
le père], je pense que l’année passée il lui était agréable d’être regardé, ce faisant, par les petites
filles, mais qu’il n’en est plus ainsi. L’exhibitionnisme a […] succombé [dit le père] au
refoulement. Le fait que le désir d’être regardé par Berta et Olga pendant qu’il fait pipi […] soit
maintenant refoulé dans la vie réelle fournit l’explication de son apparition dans le rêve […] »

Y a un rêve que je vous ai évité, qui n’est pas essentiel…

« […] où ce désir a emprunté le joli déguisement du jeu des gages. J’ai observé depuis, à plusieurs
reprises, qu’il ne veut plus être vu faisant pipi.

[…] Le père de Hans a noté encore une observation datant de la période qui suivit
immédiatement le retour de la famille à Vienne : « Hans ([il a maintenant] 4 ans et demi) […] » »

Vous vous rendez compte, tout ça s’est passé en trois ans, entre trois ans et quatre ans et demi :

 « [Hans] assiste de nouveau au bain de sa petite sœur et commence à rire. On lui demande :
« Pourquoi ris-tu ? »

 […] - Je ris du fait-pipi d’Anna.

 « Pourquoi ? » - « Parce que son fait-pipi est si beau. » »

Le père ajoute :

« La réponse n’est naturellement pas sincère. Le fait-pipi lui semblait en réalité    comique. C’est,
de plus, la première fois qu’il reconnaît aussi expressément la différence entre les organes
génitaux masculins ou féminins, au lieu de la nier. »

Ecrit le père.

Alors, il y a à cet endroit un point qui va donner évidemment la… être à la source de l’installation
de la phobie ; puisqu’on en est, là, à la fin de l’introduction, et que le chapitre suivant, que nous
verrons dans quinze jours, va raconter l’installation de la phobie. En effet, il est facile comme le
fait le père de penser que - et comme Freud l’avait prédit - la sexualité se trouve maintenant
frappée de refoulement. Ce qui, comment dirais-je ? aurait fait partie du processus de castration,
symbolique, autrement dit le fait de renoncer à l’exhibition de son sexe, pour pouvoir s’en
autoriser. Et donc y voir comme le père, là, a tendance à le faire, et comme Freud le reprend lui-
même, le passage à l’étape suivante, que raconte Freud dans sa Métapsychologie, c’est-à-dire de
quelle façon la sexualité infantile va être frappée de refoulement, et voilà que le père l’observe
sur son propre enfant. Sauf que, et la notation qui est faite, qu’il fait néanmoins, parce qu’il y a
quand même une grande sincérité, une grande fidélité dans le rapport des faits, des
évènements… ce fait qu’il regarde Anna dans son bain, qu’il rit, qu’il dit qu’il rit parce que son
sexe est si beau, et le père le prend comme une dénégation, alors que c’est vraisemblablement
l’entrée dans sa phobie, c’est-à-dire le fait que, devant la prévalence familiale du sexe féminin,
lui-même va se sentir dépossédé de toute appartenance sexuelle, et de toute référence sexuelle,
que son sexe est devenu inadéquat, celui dont il était si fier, est devenu inadéquat pour lui
permettre de s’autoriser dans le monde. Ce qui est, et vous le verrez avec la suite de cette
remarquable affaire, ça vaut vraiment Conan Doyle et tous les policiers, c’est qu’effectivement, à
la maison, le phallique, le phallicisme est supporté par les femmes, et y compris maintenant par
la petite sœur. De telle sorte que pendant que le père est là, avec son carnet de notes à observer
les choses, il ne voit pas que le petit Hans maintenant est dans un état de déshérence. Et ceci
donc a l’avantage d’introduire (la prochaine fois, on va frapper les trois coups) à l’acte suivant, et
donc il est merveilleux et normal qu’il se déroule comme d’habitude dans l’aveuglement éclairé
des personnages. Alors donc je vous réserve, je réserve à votre attention la suite qui, vous le
verrez, d’abord expose, propose des surprises… Pour votre amusement, je peux vous dire que
Lacan est allé sur des cartes de la ville de Vienne, rechercher les parcours qu’effectuait le petit
Hans avec sa bonne et où il était frappé de sa phobie des chevaux. Il est allé écrire la topologie,
ses parcours, je crois que ça lui a rien donné d’ailleurs, mais enfin il l’a tenté.

Une petite remarque encore, pour ajouter au dynamisme, à la dynamique interne de cette
affaire. La mère et le père étaient donc en analyse chez Freud. Et à l’évidence, Freud avait investi
le papa, le papa Graf, et semblait ne pas tenir en grande estime la maman. Je pense qu’il devait
la prendre pour une sotte ou… Et il est vraisemblable que la maman s’est vengée, dans sa
maison, et en particulier auprès de ses enfants, et également dans ce qui a été sa vie ultérieure
puisque… après, ensuite, tout ça terminé, et y compris son propre séjour chez Freud, elle s’est
répandue en propos peu amènes sur Freud et également sur l’utilité, ou plutôt l’inutilité de la
cure. Et tout laisse à penser que ce qui est resté là en chantier et inanalysé, c’était la
manifestation de la fixation de Freud sur papa Graf, sur le père, qui devait être un homme
intelligent, et qui en outre lui fournissait cette observation directe, ce qui pour Freud était
évidemment très précieux, très important, et que la maman a ainsi, dans le foyer, retourné la
situation, et dans ce qui est resté son insatisfaction de la relation à Freud et à la psychanalyse.
Mais on aura l’occasion… ce sont à la fois des à-côtés mais en même temps, vraisemblablement,
des éléments déterminants de ce qui a été l’alternative pour le petit Hans, c’est-à-dire la
question de savoir… il pensait que la transmission se faisait du côté paternel, tout bêtement, et
puis voilà qu’il s’est aperçu que c’était sa petite sœur, Anna, qui bénéficiait du privilège d’une
transmission qui faisait d’elle la créature phallique par excellence, et préférée par la mère. Le
petit Hans n’ayant lui-même manifestement rien à lui offrir qu’une cochonnerie. C’est donc à la
fois une situation dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est banale, et qu’elle n’a ici que le
mérite, comment dirais-je ? De venir écrire la première tragédie. Ça se passe comme dans une
tragédie, et y compris, vous le savez sans doute déjà, l’intervention dernière, qui est vraiment
celle d’un deus ex-machina, intervention… une phrase, qui va tomber, c’est génial ! et qui va faire
quoi ? Alors ce sera justement ce que, avec Lacan, nous réinterrogerons. Elle va faire quoi, cette
phrase ?

Alors pour ceux qui aiment les anecdotes, mais ce ne sont pas seulement des anecdotes, il y a un
bonhomme qui est l’un des… des fabricants du Livre noir de la psychanalyse, qui s’est donné la
peine d’aller rechercher - C’est un travail ! Faut vraiment avoir une haine bien vissée au corps -
toutes les vies des patients de Freud. Ça s’appelle d’ailleurs Les patients de Freud, c’est édité par
je ne sais pas qui. Alors, ça fait un petit peu exploration des poubelles, un peu ce caractère,
néanmoins il est certain que sur ce qu’il en est de la mère du petit Hans, dont on ne savait pas
grand’ chose, le nom de famille que l’on ne savait pas - Lacan ignorait qu’il s’appelait Graf ;
puisqu’on verra plus tard, vous le savez, vous vous en souvenez, une girafe chiffonnée -, et puis
également ce qu’il en était du père, et puis aussi bien sûr le destin ultérieur du petit Hans. Donc
je ne vous recommande pas le livre mais… il a le mérite de nous rappeler que la psychanalyse
s’est forcément construite dans un milieu microbien tout à fait privilégié, c’est forcé. Tous ces
gens vivaient au milieu de tous les microbes, et je dirais qu’ils ont plutôt été dignes dans une
situation aussi polluée, et où eux-mêmes évidemment… comme lorsque Freud évoque le fait que
si l’analyste c’est en même temps un père, ou si y a les deux, c’est-à-dire qu’il évoque
évidemment ce qui aurait été pour lui le fait d’avoir eu un père qui aurait été un peu plus éclairé
et averti sur ce qu’il en est de la sexualité des enfants, on parle toujours de soi, forcément. Et
qu’est-ce que ce serait un père qui, vis-à-vis de ses enfants, serait éclairé ? Comment il se
comporterait ? Une mère aussi, d’ailleurs. Evidemment, peut-être qu’elle éviterait de parler de
cochonnerie, du genre « ah ben bon, prends ton manteau et ta culotte, et puis va-t’en », quelque
chose comme ça. Mais si elle le faisait, si elle évitait ça, ça manquerait de sel. Il faut du sel, quand
même.

Voilà, donc c’est une… ce qui est mis là aujourd’hui à l’examen pour nous c’est une
remarquable… comment dirais-je ? Vous avez sans cesse l’impression d’être au plus près de la
vie, de la façon dont la vie est faite, avec tous ses balbutiements, toutes ses erreurs, et en même
temps une espèce d’inflexibilité, l’impression d’un destin, et ce sera celui de Hans évidemment. 

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 2


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, séminaire de Charles Melman, le 10/10/2013

  

Charles Melman : Bon, alors nous allons aujourd’hui nous enfoncer plus profondément dans les
mystères du petit Herbert Graf. Comme vous l’avez vu la dernière fois, il s’agissait pour le papa,
répondant à la demande de Freud, de vérifier in vivo la justesse de ses thèses concernant la
sexualité infantile. Non pas donc par reconstitution à partir des analyses d’adultes, mais par
observation directe chez l’enfant. Et il est assez remarquable, je dirais, assez stupéfiant que, dans
ce qui était déjà le vingtième siècle, notre vingtième siècle ait pu encore rester dans la
méconnaissance absolue de la sexualité de l’enfant, ce qui témoigne bien que notre rapport à la
sexualité a tout de même quelque chose d’un petit peu odd, d’un petit peu… j’ai pas dit odieux,
j’ai dit odd. Donc, voilà, il y a ce papa qui, euh, est en train d’allumer son petit garçon, car il est
évident que celui-ci ne peut pas être insensible, je dirais, au type de projecteur qui est braqué
sur lui ; et vous êtes sensible au remarquable travail de phénoménologue, de logiciel, de
théoricien que fait ce petit garçon, mais nous laissant néanmoins dans une insatisfaction
profonde contre, je dirais, à l’égard de ce que nous percevons comme étant un rapport à des
structures qui nous échappent. En effet, dans un premier temps, il observe qu’il y a un trait, dans
son environnement, qui fait que ceux qui en sont dotés appartiennent soit à l’animé, soit à
l’inanimé. Ah, c’est une première chose. Et c’est donc lié à la possession d’un trait. Humm. Et
puis, dans un second temps, le fait que, bien qu’il soit obligé de reconnaître dans son entourage
que les personnes de sexe féminin relèvent sans doute de l’animé, du règne animal, ils peuvent
pas ne pas posséder ce trait ; et donc ils l’ont obligatoirement. Et s’il n’est pas visible, c’est donc
qu’il est petit, et que ça grandira. Et puis cette observation c’est que cette distinction entre ce qui
est animé et inanimé, donc la distinction de ce qui fait le vivant, est donc marqué par un trait qui
est en même temps le trait de l’appartenance sexuelle, de la sexualité. Donc assimilation,
forcément, des deux caractères qui font ce trait, à la fois la vie animale, et la sexualité  ; l’un et
l’autre se trouvant liés. Et donc dans un premier temps tous les êtres animés sont donc
possesseurs de ce trait qui caractérise le sexe mâle, celui-ci étant en quelque sorte, devant être
(c’est toujours ce que pensent les enfants) général : tous ceux qui vivent l’ont forcément. Et, je
dirais, cette négation de la réalité, c’est-à-dire que chez sa petite sœur, voire chez sa mère, il n’a
rien observé de tel, ce qu’il corrigera en lui disant : « Oh chez toi, il est beau comme… comme
chez un cheval ». Quel compliment, humm ! Je reviendrais sur cette question du cheval.

Je vous reprends cette introduction de Freud pour vous rendre sensible au fait que vous allez
vous perdre dans la suite si d’emblée vous ne vous accordez pas la distinction lacanienne de
Réel, de Symbolique et d’Imaginaire. Ça, je vous le promets, je vous le garantis. Et non seulement
vous ne vous y retrouverez pas, mais vous verrez les conséquences tout à fait pratiques que cela
va avoir pour le petit Herbert, cette confusion permanente entre d’une part le Réel… Le Réel,
c’est-à-dire la différence des sexes ; ça c’est réel, c’est garçon ou fille, y a de la différence des
sexes. Et comme on est obligé de penser que tous les êtres animés en ont un - je dirais là tout de
suite pourquoi on est obligé de le penser - eh bien, c’est que chez les filles, il est plus petit, donc
on le voit pas forcément à l’œil nu. C’est  amusant, cette affaire, parce qu’elle va servir à Freud,
aussi stupéfiant que cela paraisse, à expliquer ce qu’il en est de la spécificité féminine, c’est-à-
dire d’en avoir un plus petit. Le clitoris étant le représentant plus petit de ce trait phallique.
Avouez que c’est génial ! Autrement dit les thèses du petit Hans sont déjà pas
fondamentalement différentes après tout de celles dont Freud va se servir pour essayer de
rendre compte de la féminité, puisque vous savez qu’il l’attribue d’une part à l’acceptation d’un
renoncement au moins partiel à la jouissance clitoridienne, et d’un déplacement de la jouissance
sur le vagin, pour la femme. En tous cas il y a donc ce réel, bon. Mais ce réel, il n’est perçu
comme tel… ce n’est pas une observation naïve, c’est déjà une observation savante que celle qui
est capable de distinguer un trait spécifique. Ça ne s’invente pas, ça. Si je vous demande, dans
cette salle, quel est le trait spécifique, ou si je vous demande de façon générale devant un objet
quelconque quel est le trait spécifique de cet objet, avouez que ça ne va pas de soi. C’est une
élaboration qui est déjà savante et qui, elle, vient du symbolique. C’est en effet le symbolique qui
organise, je dirais, notre perception de l’espace comme marquée d’un certain nombre de traits,
cet espace étant lui-même supporté par le Au-moins-un qui fait exception, et qui donc n’est pas
dans le champ de la perception. Le Père supérieur, il faut grimper bien loin, sur une montagne et
dans les nuages, et au milieu des éclairs, et etc., et etc. Mais enfin, il n’est pas là… on ne peut pas
se tenir les coudes avec lui, je dirais, autour du feu allumé. On peut le célébrer, comme ça. En
tous cas, il n’appartient pas à cet ensemble. En revanche c’est lui qui fonde l’ensemble. Et il
fonde l’ensemble en tant qu’il est lui-même réel, bien que l’observation vienne démentir, cette
fois-ci, toute présence, tout trait qui serait spécifique de ce lieu dans le réel ; sauf évidemment,
comme j’ai déjà eu, ou comme d’autres ont eu l’occasion de le relever, sauf mon amour qui va le
constituer comme ce Un, ce Un essentiel puisque, comme on le voit, tout repose sur lui.
Ce Un essentiel que mon amour et mon sens du sacrifice, je dirais, vont ainsi ériger. Je crois ne
pas être le premier à avoir fait remarquer, à l’occasion d’un colloque qui portait, je ne sais pas
pourquoi, je sais plus quel était son thème exact mais enfin l’un des thèmes adjacents c’était la
mendicité, [à avoir] fait remarquer qu’il est évident que le prince des mendiants, c’était Dieu. Car
c’était celui qui vivait de nos dons, de nos sacrifices, et du même coup de notre amour. Je suis
persuadé que d’éminents théologiens ont dû raconter ça bien avant… bien avant moi. Mais que
c’est la force de Dieu, et je dirais assurément la force du mendiant, je veux dire il se réclame
d’une autorité, il ne travaille pas… il travaille peut-être pour son compte, mais en tous cas c’est
d’une autorité qu’il se réclame ! Et donc il faut le symbolique pour à la fois, je dirais, constituer
ce Un, puisque comme nous l’avons déjà vu et comme je vous l’ai déjà présenté, si la suite des
signifiants n’est faite, dans le langage, que de leurs différences, leur seul trait commun c’est
d’être chacun Un. Et comme je l’ai déjà aussi fait remarqué, mais là je crois bien être original, je
pense pas que ça ait été remarqué avant, ce Un a tellement trait, rapport avec la langue
originelle, avec la langue première que, je l’ai déjà raconté c’est un bateau maintenant, en ce qui
me concerne, je l’ai encore mis à l’épreuve il y a deux ou trois jours, je ne sais pas, chez
quelqu’un qui est dans le plus grand embarras concernant ce qui pouvait être sa langue
maternelle… c’est pas évident. Ça peut être la langue de la nounou et non pas celle de la mère,
cela peut être celle de l’école et non pas celle ni de la nounou ni de la mère, ça peut être celle
d’un père d’occasion, enfin… ça peut être celle d’une migration opérée. Quelle est votre langue
maternelle ? Et alors ce qui est intéressant c’est que dans les phénomènes d’aphasie et donc de 
dégradation des capacités de langage, on va voir successivement disparaître les langues
d’acquisition pour que la dernière qui reste, et à ce moment-là on sait évidemment que c’est
celle-là, ce soit la langue maternelle. Eh bien, petit travail pratique, si l’occasion se présente à
vous de vouloir vérifier pour vous-même, ou pour un amateur quelle est sa langue maternelle,
vous lui demandez tout simplement dans quelle langue il calcule, dans quelle langue il compte,
c’est-à-dire dans quelle langue, pour lui, s’est constitué le Un. Et c’est absolument, je trouve,
remarquable que ce Un, Lacan… c’est-à-dire que si vous parlez une langue, ça a des
conséquences, quand même. Quand vous parlez une langue d’acquisition, vous n’y avez pas
accès, vous n’y figurez pas en tant que Un et vous n’avez pas autorité à vous réclamer du Un qui
fonde cette langue. Alors c’est démenti dans un certain nombre… dans le cas de quelques grands
écrivains qui ont écrit en langue étrangère, brillamment, mais je suis persuadé que même
Conrad, si on l’avait invité, là, à nous dire dans quelle langue il comptait, cela aurait été le
polonais. Comme quoi, vous voyez, il ne suffit pas d’être expert dans une langue étrangère, c’est
bizarre, dans une langue d’acquisition, dans une langue étrangère, pour du même coup être
autorisé du Un que dans l’inconscient elle met ainsi en place. Et puis il y a ce foisonnement de
l’imaginaire, évidemment, chez le petit Hans, c’est-à-dire qu’il essaie de raccorder tout ça, c’est-
à-dire le Un du Réel, du corps, le Un du Symbolique, avec ce qui pour lui appartient au champ des
phénomènes, à l’observation, c’est-à-dire comment faire coïncider le fait que contrairement à ce
que l’observation laisserait penser, le Un, symbolique, serait supporté non pas par le trait qui lui
revient et qui, évidemment, est apparenté à celui du père – hein, il vérifie d’ailleurs : « toi aussi,
t’as un fait-pipi ? », « évidemment, lui dit papa, bien sûr » – mais est supporté contre toute
évidence par la mère ; car ça va bien être ça, son problème. Et je dis son problème, alors que
c’est un problème banal dans l’élevage des enfants. Les expériences que nous avons des
névroses infantiles nous témoignent que, chez les enfants, c’est effectivement le genre
d’aventure qui ne manquent pas, et avec dès lors, ce sentiment d’une catastrophe, imminente,
c’est que s’il veut donc appartenir au groupe de ceux qui l’ont, bien qu’on ne le voit pas, mais qui
l’ont, symboliquement, eh bien il faut qu’il renonce à son petit fait-pipi, parce que sinon, ben, il
est plus nulle part, hein ! Et donc vous voyez à cette occasion combien le terme de complexe de
castration dont va se servir Freud est un terme qui est d’autant plus ambigu, et qui nous rend, je
dirais, la compréhension brouillardeuse, et qui est que, effectivement, du fait de l’ordre du
Symbolique, pour relever du Un, c’est-à-dire se trouver phalliquement marqué, que ce trait soit
visible ou qu’il ne le soit pas, il faut effectivement opérer un renoncement du petit fait-pipi.
C’est-à-dire que pour apparaître - je suis en train d’évoquer pour vous la suite de cette affaire -,
c’est-à-dire que pour avoir le droit d’apparaître dans le champ des représentations, pour y être
légitimé comme Un, y être reconnu comme Un, il convient d’avoir opéré le sacrifice, le don, le
geste d’amour qui va contribuer à la constitution de cet Au-moins-un, et qui est donc la
renonciation à faire apparaître dans la présentation de soi ce trait. C’est en tant que je l’ai
sacrifié que du même coup je l’ai, ce qui, avouons-le, est une opération qui, économiquement,
paraît évidemment étrange : il faut y renoncer, il faut le sacrifier pour l’avoir. Mais quand il s’agit
d’un petit mâle, cette renonciation, ce sacrifice, et là encore vous allez avec beaucoup de
subtilité, la subtilité que je vous connais, vous allez vous servir des catégories de Lacan, et
apprécier le fait que si cette renonciation se fait dans le champ de l’Imaginaire, elle se fait pas
dans le champ du Réel, ni du Symbolique. Elle se fait dans le champ de l’Imaginaire. Qu’est-ce
que ça veut dire, elle se fait dans le champ de l’Imaginaire ? Eh bien ça veut dire que, lorsque l’on
appelle le monde, on va le mettre entre guillemets (on fait comme ça en général), dans le monde
« civilisé », eh bien vous vous présentez, je dirais, à votre interlocuteur comme partageant avec
lui le fait que vous avez renoncé, ensemble, à autoriser votre propos d’une référence sexuelle,
sauf évidemment les cas qui sont parcellaires, de séduction, mais que la relation civile, le
discours, le discours lacanien, les discours, que la relation civile est fondée sur le fait que vous ne
venez pas asseoir l’autorité de votre propos sur ce qu’il en est de votre appartenance sexuelle. Si
vous le faites, ou bien vous êtes dans la provocation, ou bien vous êtes dans l’indécence, ou bien
vous êtes dans la brutalité, ou bien vous êtes dans le traumatisme… ou bien vous êtes dans la
séduction. Et c’est bien pourquoi il peut arriver que la séduction, ou la tentative de séduction ait
du mal à se trouver distingué de ces divers registres. Donc pour notre enfant, la difficulté pour lui
est la suivante c’est que, si pour le petit mâle cette renonciation se fait dans le champ de
l’Imaginaire, dès lors qu’il s’agit, je dirais, de l’acceptation, de l’enregistrement du fait que la
virilité est du côté féminin, il doit accepter que cette renonciation soit de l’ordre du Réel. Vous
voyez comment ça sert, ces registres ? Et avec une conséquence clinique qui n’est absolument
pas négligeable puisque ceux qui relèvent de cette mise en place se trouvent forcément amenés,
du fait que dans cette organisation le manque est réel, eh bien à le désirer ce signe, ce trait, ce
membre, à le désirer comme réel. Et c’est ce qui évidemment donne son assise à la fois à la
féminité, et bien évidemment pas moins à l’homosexualité. Il est bien évident que si féminité et
homosexualité mâle ne sont jamais antagonistes, c’est évidemment que l’objet, finalement,
désiré est le même. Donc communauté, par l’investissement du même objet. Et ce qui est
tordant, parce que y a toujours de quoi se tordre dans ce genre d’affaire et je souhaite que vous
puissiez partager cette torsion, c’est qu’aujourd’hui les groupes sociaux qui se constituent sont
organisés sur le fait de partager le même objet, et il n’est pas étonnant dès lors que ce soit
parfaitement synchrone ou homogène avec, évidemment, ce qui est le coming out de
l’homosexualité. Je crois, mais peut-être certains d’entre vous pourront-ils m’instruire là-dessus,
qu’il y a un livre de Bourdieu, ancien, qui doit s’appeler La distinction, et où y a déjà quarante
ans, je pense, ou soixante ans, ou davantage, je ne sais pas, je crois que c’est un livre des années
soixante, et où il évoque la constitution, la parcellisation de l’organisation sociale par la
constitution de groupes qui se réunissent par le goût du même objet, autrement dit il faut
appeler les choses par leur nom, l’organisation de la société en clubs. On est membre du club ou
on n’est pas membre du club. Et on peut choisir son club...

Ce qui est fantastique, c’est que vous observez, au lieu d’observer simplement et banalement le
fait que le petit Hans, évidemment il est intelligent et il fonctionne en tout ça, observateur,
logicien, métaphysicien, etc., mais que ces dimensions sont à l’œuvre, chez lui. C’est-à-dire que
ce que vous observez en réalité in vivo c’est que chez cet enfant qui a trois ans, et c’est bien
comme ça que la sexualité se met en place, tout ça est à l’œuvre. Et le problème, le grand
problème pour lui étant : ces trois ronds, comment les nouer ? Et comment les nouer de telle
sorte que lui il y trouve son assise subjective ? Qu’il s’y retrouve dans ce nouage.

Nous en sommes là quand brusquement le petit Hans va tomber malade. Et je dois dire que
Freud a un réel talent pour exposer ces cas, vraiment… je ne suis pas sûr que depuis on ait fait
aussi bien, c’est une progression à la fois évènementielle et dramatique qui est, je dirais,
fascinante. Et il avait peur de ça, il disait : « on va lire mes écrits comme des romans ». Mais lire
ses écrits comme des romans… on pourrait lui répondre que : « qu’est-ce que la vie sinon un
roman ? » Si ce n’est que grâce à lui on peut mieux s’expliquer sur ce qu’on entend par roman, et
comment ça se met en place, le roman individuel. Voilà. Alors il tombe malade parce qu’il
éprouve de l’angoisse. C’est le père donc… je commence avec vous le deuxième chapitre,
l’Histoire de la maladie et analyse, et donc c’est une lettre que cite Freud, que lui adresse le
père :

« Je vous adresse encore quelque chose touchant Hans - hélas, cette fois-ci, c’est une
contribution à l’histoire d’un cas. Comme vous l’allez voir, se sont manifestés chez lui, ces
derniers jours, des troubles nerveux qui nous inquiètent beaucoup, ma femme et moi, car nous
n’avons pu trouver aucun moyen de les dissiper. Je me permettrai d’aller demain… vous voir,
mais… je vous envoie un rapport écrit de ce que j’ai pu recueillir.

Sans doute le terrain a-t-il été préparé de par une trop grande excitation sexuelle due à la
tendresse de sa mère, mais la cause immédiate des troubles, je ne saurais l’indiquer. »
Ça, c’est merveilleux, c’est-à-dire que s’il est malade, c’est que sa mère le sert d’un peu trop
près, et en particulier quand il se plaint d’être anxieux, eh bien elle le met dans son lit, et puis
elle lui fait des câlins. Alors… alors pourquoi cette attribution, pourquoi cette idée ? C’est
évidemment que, Max Graf, il veut aussi valider la thèse freudienne selon laquelle l’angoisse est
liée à une libido qui n’a pas pu normalement s’écouler. Et donc tout phénomène provoquant une
montée de la libido va inévitablement provoquer de l’angoisse. Et que donc il n’y a qu’une seule
façon de faire céder l’angoisse, c’est d’apaiser la libido par les moyens qu’on voudra. Et lui-même
étant luxurieux n’a qu’un moyen à sa disposition, c’est évidemment Martha, et à qui il refuse
tout moyen de prévention parce que, et il l’écrit dans ses théories, le coïtus interruptus est
source et générateur d’angoisse. Si la satisfaction n’aboutit pas à un abaissement parfait de la
libido, c’est l’angoisse. Donc il dit à Freud : « voilà c’est sa mère qui l’excite et qui donc fait
monter en lui de la libido, évidemment, voilà, vous voyez c’est »… Et puis il y a autre chose
évidemment c’est qu’il reconnait, Hans, qu’il se touche, il y met la main. Et donc ça aussi ça doit
contribuer à exciter, faire monter la libido, etc., etc. Et donc deux manifestations pathologiques,
premièrement cette angoisse dont je viens de parler, et deuxièmement « la peur d’être mordu
dans la rue par un cheval » qui :

« […] semble être en rapport d’une façon quelconque avec le fait d’être effrayé par un grand
pénis », dit le père.

Il a, dit le père :

« […] remarqué [de bonne heure], le grand pénis des chevaux et il [en] avait tiré la conclusion
que sa mère, parce qu’elle était […] grande, devait avoir un fait-pipi comme un cheval. »

Voilà ce que rappelle le père. Bon, y a quand même une certaine pudeur, dans cette affaire, qui
n’évoque pas le fait que, vraisemblablement, ce qu’il appelle le grand pénis des chevaux, c’est
qu’il a dû voir des chevaux en érection, ce qui après tout est un spectacle qui n’a rien
d’exceptionnel, et qu’il a certainement dû remarquer qu’il y avait là quelque chose de particulier
qui se proposait ; il ne serait pas absurde qu’il ait pu le rapporter, je dirais, à d’autres espèces
animales, et en particulier humaine, voire à ses propres expériences d’attouchement. En tous cas
y a, je dirais, de façon… c’est pas un élément décisif dans l’observation, mais en tous cas, on ne
veut pas évoquer là le fait qu’il y a pas seulement le petit pénis des filles et puis l’autre, celui des
garçons, mais il y a aussi le fait que chez les garçons, il peut y avoir un petit pénis et un grand
pénis, pénis en érection, et… et que c’est effrayant. La nature de ce qui fait là l’effroi, chez les
enfants, car c’est aussi quelque chose d’assez général, ça n’est pas propre au petit Hans, la
nature, là, de ce qui fait l’effroi n’est pas claire. Peut-être est-ce le sentiment que dès lors leur
appartenance au Un s’en trouve désavouée, puisque eux-mêmes n’auraient pas l’instrument
adéquat ? C’est possible, je n’en sais rien. Il est rare que les analyses d’enfants aillent… ce n’est
pas un thème tellement favorisé, je dirais, par l’observation, par les… y compris de nos collègues.
Mais il est bien évident que lorsqu’il attribue ce grand pénis à sa mère, c’est à la fois bien
entendu… c’est pas un démenti, c’est pas un démenti de la réalité, mais c’est l’assertion que, elle
ne l’a finalement grand, que parce que justement elle a fait le sacrifice, puisqu’elle ne l’a pas ;
donc si elle ne l’a pas c’est qu’elle en a fait le sacrifice et que du même coup, chez elle, elle
relève, son appartenance est celle du, d’un grand pénis. Et c’est bien pourquoi il a peur d’être
mordu. Pourquoi est-ce qu’il a peur d’être mordu ? Et on apprendra très vite que c’est les doigts,
il a peur que ses doigts ne soient mordus par le cheval. Eh bien c’est qu’évidemment, s’il veut
appartenir au grand pénis maternel, il faut qu’il sacrifie non plus dans l’imaginaire mais dans le
Réel son petit zizi. Alors, dit le père, pfff je ne sais pas que faire de ces données. Il a bien raison :

« A-t-il vu quelque part un exhibitionniste ? Ou […] tout n’est-il en rapport qu’avec sa mère ? »
C’est quand même formidable, cette assimilation de l’exhibitionniste et de la mère ! Hein, c’est
pas beau, ça ?

« [Et] il […] n’est pas très agréable qu’il commence de si bonne heure à nous proposer des
énigmes [hein]. En dehors de la peur d’aller dans la rue et d’une dépression survenant chaque
soir, [d’une dépression survenant chaque soir,] Hans est au demeurant toujours le même, gai et
joyeux. »

Alors là, bon, sur le fait de la dépression du soir, et qui n’est pas rare non plus chez les enfants,
toutes les mamans connaissent ça, et les enfants aussi d’ailleurs, c’est évidemment,
évidemment, la crainte d’être abandonné. Dès lors que l’insertion symbolique n’est pas assurée,
y a toujours la crainte, en l’absence physique de la personne protectrice, tutélaire, la peur d’être
abandonné, d’être laissé. Mais il y a dans cet épisode quelque chose de beaucoup plus amusant,
et que vous n’avez évidemment pas vu, parce que vous n’êtes pas disposés toujours à vous
amuser comme il faut, quelque chose de beaucoup plus amusant, et qui est, je crois, alors
vraiment très rarement exploré, donc vous avez là un privilège, si ce n’est peut-être même un
scoop, c’est la distinction entre l’espace domestique et l’espace public. Distinction de ces deux
espaces, dans la mesure où ils ne sont pas dans le même espace, et ils ne relèvent pas des
mêmes dimensions - ça, alors ! Ça alors, car vous verrez comment toute la phobie de Hans va
effectivement, et comme toutes les phobies d’ailleurs, se construire sur cette incapacité à sortir
de l’espace privé, domestique, pour passer dans l’espace public. Qu’est-ce qu’ils ont
d’hétérogènes, l’un à l’autre ? J’ai, au cours d’un colloque sur la féminité je crois, j’avais fait
remarquer que, finalement, les femmes ne devenaient un problème social, problème de société,
sociétal il faut dire, problème sociétal, que parce qu’elles avaient été sorties de l’espace
domestique, c’était leur espace. Elles y étaient en quelque sorte plus ou moins confinées. C’est
d’une grande élégance le port du voile, l’imposition du voile; ça rappelle qu’elles n’ont pas à être
là, dans l’espace public, ce n’est pas leur domicile, ça. Leur domicile, c’est à la maison, parce que,
dans cet espace, elles ne peuvent apparaître que au titre de Un, Un quelconque; pas telle
femme, ce n’est pas madame Truc, madame Machin. Je vais quand même vous raconter une
anecdote. Je dois participer je sais plus quand, j’ai été invité par le Conseil général du val d’Oise
qui organise une journée sur la sexualité chez les personnes âgées et handicapées, ils ont pensé
que j’étais un spécialiste de la question, et ils me demandent d’ouvrir leur colloque. Ce qui ne
m’arrangeait pas pour l’horaire, mais enfin… Et donc ils me demandent, évidemment le titre de
mon intervention, par téléphone, et je leur propose : Abraham et Sarah étaient-ils des coquins ?
Là-dessus, je reçois un mail d’un inconnu qui a reçu une invitation, et qui me dit, je ne
comprends pas très bien le titre de votre intervention, pourquoi dites-vous : Abraham et Farah
étaient-ils des coquins ? J’oublie de dire que, quand je lui avais dit Sarah, il s’agit de la Déléguée
culturelle, de la responsable culturelle du Conseil général, je ne veux pas redire de quel
département, elle m’avait demandé de lui épeler ce prénom. Et ce que j’avais fait de bonne
grâce, et sans discuter. Et donc je me retrouve avec ce titre, que je trouve absolument délicieux,
et celui qui m’interroge ainsi me rappelle que Farah, après tout, était la dernière reine d’Iran, et
que sans doute cette association d’Abraham et de Farah a quelque lien profond… ! Enfin,
quelque chose… Je trouve ça quand même vraiment amusant. Donc je vais traiter de savoir si
Abraham et Farah étaient des coquins, bon… Alors pourquoi je vous raconte cette affaire ? Je
vous raconte cette affaire, j’en étais à la question de l’espace domestique des femmes, à qui était
réservé un espace domestique hors de l’espace social ; c’était pas leur affaire ! J’évoque là aussi
bien évidemment la Grèce que… la Grèce, faut pas dire la Grèce, faut dire Athènes, puisqu’à
Spartes c’était autre chose. A Spartes, ils étaient bien en avance sur nous parce que, à Spartes, ils
étaient tous semblables, donc ils avaient résolu le problème, et bien avant nous. Nous, on
réclame la parité, mais à Spartes la parité ils l’avaient établie et réussie, humm. Ça veut dire quoi,
la parité ? Ça veut dire tous avec le même, c’est un progrès, c’est ce qu’on appelle une économie
de redistribution. C’est ça. Bon, ne nous égarons pas. En tous cas, séparation de l’espace
domestique… ça, si vous voulez comprendre la phobie, vous ne pourrez pas éviter, je dirais, la
mise en place de cette distinction radicale. Ce qui caractérise… prenons le sentiment que vous
éprouvez tous, je pense, lorsque vous rentrez chez vous et quittez l’espace public, c’est d’abord
que vous n’êtes plus sous un regard… c’est étrange ça. Vous n’êtes plus sous un regard, et avec le
côté inévitablement toujours surmoïque du regard. Le regard, il n’est pas dans la tombe, il est, je
dirais, le projecteur qui éclaire l’espace public, le champ des représentations, le champ de la vie
sociale. Et vous appartenez, je dirais, à cet espace en tant que vous avez opéré, justement, le
sacrifice semblable à celui des autres membres de la communauté pour en relever de cet espace.
Si vous n’avez pas opéré le même sacrifice c’est-à-dire si vous relevez d’une autre culture, si vous
êtes de passage, si vous relevez d’une autre religion, etc., tous les problèmes à ce moment-là
surgissent de : qu’est-ce que vous foutez là ? Et qu’est-ce qui légitime votre présence là ? Et pour
anticiper un peu sur la suite, si je vous parle de cette présence incontournable du regard dans
l’espace public, et qui est encore plus présente dans la culture voisine de l’autre côté de la
Méditerranée, mais qui est pas moins présente chez nous, c’est qu’il s’agit bien entendu
évidemment de partager aussi le même objet petit a. Et avec ce qui sera si facilement éprouvé
comme malaise subjectif, si volontiers, je dirais, par tout névrosé de bonne qualité, c’est-à-dire
de ne pas être à sa place dans cet espace. Donc ça nécessite, comme je viens de le dire, pour
avoir droit à cet espace, le sacrifice, et le fait de relever de ce même Au-moins-un, du même
espace domestique, ça veut pas dire qu’il est sans dieu. Au contraire, au contraire. L’espace
domestique, c’est… ça aussi c’est un de mes bateaux, mais il faut le remettre à flot de temps en
temps. L’espace domestique, il y a toujours… une maison, c’est constitué par… c’est construit
autour d’un dieu lare. Une fois que vous construisez une maison, c’est comme si vous faisiez le
temple d’un dieu lare. Et je pourrais m’amuser à évoquer, faudrait… tenez, voilà un beau sujet de
roman pour ceux d’entre vous qui ont un peu de plume, c’est justement la visite des maisons, et
comment vous pouvez être sensibles au fait qu’il est clair qu’il y a eu dans cette maison une
présence qui bizarrement est restée, là quelque part, sur les murs, dans les objets, dans la
disposition, dans les odeurs, etc., etc. Alors vous me direz, mais alors ? Ben oui, mais ce dieu lare,
je dirais, il n’a pas d’exigence sacrificielle spécifique, lui, en quelque sorte. Il vient conjoindre.
C’est peut-être autant le dieu de la vie que le… c’est plus le dieu de la vie que le dieu du sexe. Et
le dieu de la vie, il exige pas de sacrifice. Et le dieu de la vie, il est là pour tout le monde. C’est
pourquoi il prend si facilement, je dirais, une figure maternelle, bien sûr. Quoique tu fasses,
quoique tu deviennes, quoique tu paraisses, eh bien là tu es chez toi. Pas dans l’espace public,
mais là tu es chez toi. Et ce que l’on oublie également, c’est combien l’espace domestique est
beaucoup plus le lieu d’un… comment dirais-je ? D’abord il est clair que, ne serait-ce que vis-à-vis
des enfants, mais y a même pas besoin d’enfant, enfin, c’était en général et jusqu’ici le lieu où
s’exerçait la plus grande pudeur à l’endroit du sexe, c’est-à-dire non seulement le regard n’est
plus là, mais il n’était plus nécessaire d’endosser, je dirais, de la même façon les signes extérieurs
d’identité sexuelle. Et ça frappe, chez les enfants, ce type de relâchement. Ça les interroge,
évidement. Et c’est, enfin je vais pas faire de la poésie à ce sujet, c’est bien pourquoi finalement
l’activité sexuelle à proprement parler, d’abord bien souvent les enfants la perçoivent même pas
dans leur… dans le lieu domestique auquel ils ont appartenu ; c’est très fréquent qu’ils restent
dans l’ignorance qu’il y a de ça dans ce lieu qui, en tous cas, se distingue de l’espace public d’être
un lieu purement réel. Ça, c’est étrange de le dire comme ça. Un lieu réel. Et l’on y est… où l’on
est Un non pas d’être symboliquement identifié, mais d’être simplement marqué par la vie,
d’être vivant ; et c’est bien ce qui compte pour une mère. Alors que l’espace public se définit
d’être à la fois, de relever à la fois de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel. Donc l’espace
domestique a un curieux privilège, c’est une espèce d’îlot, d’enclave, de bulle comme ça, de Réel.
« Ah, je rentre chez moi », alors là peu importe mon apparence extérieure, je m’affaisse, je suis
tranquille, et je me repose. C’est très curieux tous ces effets, et que je ne développe pour vous
uniquement pour faire quelque poésie, mais parce que ça va être au cœur du problème de toute
phobie. Et que là encore, vous voyez, cette référence, ces trois catégories vont s’avérer
déterminantes.

Je vous donne encore, avant de vous laisser vous proposer d’intervenir, de contribuer par
quelques remarques, je vous lis rapidement un début de suite. Le père toujours :
« Hans ([qui a maintenant] quatre ans et neuf mois) se lève un matin en larmes et répond à sa
mère qui lui demande pourquoi il pleure : « Pendant que je dormais, j’ai cru que tu étais partie et
que je n’avais plus de maman pour faire câlin avec moi. » »

Et c’est vrai que le sexe, c’est ce qui sépare un enfant de sa mère, c’est vrai. Et ce qu’on appelle
finalement la castration, c’est bien cette séparation là, c’est bien elle qui fait qu’effectivement la
mère se trouve partie.

« Donc, [dit le père,] un rêve d’angoisse. »

Et le père poursuit :

« Cet été, à Gmunden, j’avais déjà remarqué quelque chose d’analogue. Le soir, au lit, il était le
plus souvent très sentimental et fit une fois cette remarque : « si je n’avais plus de maman », ou
bien « si tu t’en allais » […], je ne me rappelle plus les termes exacts. Malheureusement, [à]
chaque fois qu’il manifestait cette humeur élégiaque, sa mère le prenait dans son lit. »

J’attire votre attention sur le nom du lieu « Gmunden », puisque dans « Gmunden » vous avez le
« Mund », la bouche. Et que comme par miracle, comme par enchantement, ça va être la bouche
du cheval. Comme vous voyez, il s’en passe des choses à Gmunden.

« Le 5 janvier environ, il vint de bonne heure dans le lit de sa mère et dit alors : « Sais-tu ce que
la tante M… a dit : [elle a dit] « Comme il a un gentil petit machin ! » (la tante M… avait habité
chez nous voici quelques semaines ; un jour en regardant ma femme donner son bain au petit
garçon, elle dit en effet tout bas à ma femme ces paroles. Hans les entendit et chercher à s’en
servir maintenant à son profit.) »

[Quelques jours plus tard] il va comme d’habitude avec la bonne dans le Stadtpark, commence à
pleurer dans la rue et demande à être reconduit à la maison : il veut faire câlin avec sa maman.
Comme on lui demande, à la maison, pourquoi il n’a pas voulu aller plus loin et s’est mis à
pleurer, il ne veut pas le dire. Il est gai comme d’habitude jusqu’au soir ; mais le soir
[évidemment] il a peur, il pleure et on ne peut le séparer de sa maman ; il veut de nouveau faire
câlin. Ensuite, il redevient gai et dort bien.

Le 8 janvier, ma femme décide, afin de voir ce qu’il en est, de le mener elle-même à la


promenade, et ceci à Schönbrunn, où il va d’ordinaire volontiers. Il recommence à pleurer, ne
veut pas partir, il a peur. A la fin il y va quand même, mais a visiblement peur dans la rue. En
revenant de Schönbrunn il dit à sa mère, après une grande lutte intérieure : « J’avais peur qu’un
cheval ne me morde ». (Il avait en effet, à Schönbrunn, manifesté de l’inquiétude à la vue d’un
cheval.) Le soir, il aurait eu un accès semblable à celui du jour précédent, et demandé à faire
câlin. On le calme. Il dit en pleurant : « je sais que demain il faudra encore que j’aille me
promener », et ensuite [il dit] : « le cheval va venir dans [ma] chambre. »

Ça, c’est curieux, ça, hein ? Eh bien je vous propose que ce soir nous restions sur cet élément de
suspens. J’encourage évidement vivement votre lecture attentive de la suite. Car on se promène
dans un monde magique, enchanté, c’est beaucoup mieux que Lewis Carroll, quand même…
indiscutablement. 

Charles Melman

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 3


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, Séminaire de l'année Professionnelle, 21/11/2013 

  

Charles Melman : Nous avons droit à un chapitre remarquable et qui j'espère vous fera plaisir
puisque chacun d'entre vous pourra y trouver la possibilité d’apporter son adhésion aux diverses
thèses, facilement contradictoires, qui constituent le fond de ce chapitre. Je parle du chapitre
deux, donc, du petit Hans que nous allons traiter ce soir pour, la prochaine fois, pouvoir conclure,
afin de passer à la façon dont Lacan dans La relation d'objet a repris cette observation.

La gageure est donc ce soir de traiter l'essentiel des soixante pages qui constituent le paragraphe
numéro deux Histoire de la maladie et analyse et vous allez voir, à votre stupéfaction, combien
c'est facile et agréable.

C'est facile et agréable parce que vous allez y voir, au moment de la constitution des théories
sexuelles de cet enfant, de cet enfant intelligent, vous allez assister au foisonnement des thèses
les plus imaginaires, normales donc, je veux dire qui ont la caractéristique non seulement d'être
propres potentiellement à chaque enfant mais qui en outre ont ici le mérite d'être
successivement reprises par les honorables adultes et savants qui entourent cet enfant et qui
vont à chaque fois, à partir de ces constructions à proprement parler imaginaires, essayer de
construire une interprétation qui soit efficace sur le symptôme du petit Hans. Et à la limite vous
pourrez vous dire en lisant ce chapitre que vous y trouvez la matrice, avec ces thèses
imaginaires, des diverses écoles psychanalytiques qui peuvent se construire à partir de chacune
de ces thèses ; il n'y a aucune raison pour que quelqu'un qui se sente quelque charisme ne
puisse, à partir d'une de ces thèses, construire le type d'élaboration auquel vous allez assister.

Ce qui évidemment n'a pas manqué de vous surprendre c'est que finalement, dans ce cas de
phobie, de phobie il n'est à proprement pas fait question ; il n'est proprement pas parlé de ce
qu'est la phobie. L'observation est entièrement détournée du côté de l'angoisse, l'effet phobique
devenant, je dirais, un effet secondaire de l'angoisse et à la limite accessoire. Il est donc, je dirais,
assez remarquable (mais je sais que vous n’avez pas manqué de le faire) de pointer le fait que, de
ce cas de phobie, eh bien il n'est tiré aucun enseignement sur ce qu'est la phobie. En revanche,
toute la construction théorique est faite sur l'angoisse éprouvée par le petit Hans à l'occasion, je
dirais, de ses sorties hors de la maison, et cette angoisse venant en quelque sorte justifier la
thèse freudienne - le papa s'y emploie avec beaucoup de bienveillance à l'endroit de Freud -, la
thèse freudienne selon laquelle l'angoisse est l'effet d'une libido qui ne peut se satisfaire, qui ne
peut s'écouler, qui ne peut s'exprimer. Et Freud va à cette occasion distinguer deux types
d'angoisses : l'une étant normale dès lors qu'elle peut céder à la pratique sexuelle qui permet
l'apaisement de la tension libidinale ; l'angoisse névrotique venant résister à toute satisfaction de
l'objet.

Vous allez donc assister à ce qui sera la démonstration de la tension libidinale érotique de ce
petit garçon vis-à-vis de sa mère, de l'effet d'angoisse produit par cette montée libidinale. Et
l'intervention, dont on ne comprend pas comment dans cette économie libidinale elle est
susceptible d'avoir un effet satisfaisant, l'intervention salvatrice du professeur Freud, qui va donc
recevoir cet enfant avec son père et qui va lui dire (et ça, ça fait partie des classiques de la
psychanalyse) à cet enfant : « j'ai toujours su qu'il y aurait un jour un petit garçon qui aimerait
tellement sa maman, qu’il ne voudrait pas y renoncer et qu'il éprouverait des sentiments de
rivalité et d'hostilité à l'endroit de son père ».

C'est là l'unique intervention que fait Freud dans ce cas et qui a une conséquence passionnante :
nullement du fait d'avoir un effet sur le symptôme, absolument pas (Hans est toujours aussi
perturbé qu’auparavant), mais du fait d’une déclaration d’amour à son père, une déclaration
d'amour à son père et quelque chose comme une tentative d'identification à son père, voire
même d'être en quelque sorte peut-être un rival dans l'amour que ce père a pour sa femme,
pour la mère. Il est donc, je dirais, assez génial, assez remarquable qu'après avoir enseigné
l'Œdipe à cet enfant, qui a une réponse tout à fait passionnante puisqu'en sortant de la
consultation chez le professeur Freud, il dit à son père : « Est-ce que le professeur a des relations
avec Dieu pour savoir aussi bien ? » et cætera, et cætera. Et il est évident que le professeur est
très flatté et très justifié dans sa proposition du fait que le petit Hans vienne ainsi placer au bon
endroit finalement n'est-ce pas, ce qu'il en est du savoir, du savoir sur le désir et du savoir en
tant qu'organisateur du désir.

Mais, comme vous n'avez pas manqué de le remarquer si vous avez pris soin de lire
attentivement cette observation, cet effet d'identification va être transitoire. Il va être transitoire
puisqu’on va découvrir en cours de route - parce que ça se lit comme un roman policier c'est
très, très bien construit, je ne suis pas certain que nous serions... faut un certain talent pour être
capable d’écrire un polar comme celui-là -, nous allons découvrir que, au fond, une identification
se dégage… à qui ? Au cheval, qu'il est un jeune cheval.

Alors, si nous prenons soin en ce qui nous regarde, si nous prenons soin d'interroger ce qui est
plus spécifiquement la phobie, et en particulier bien sûr ce qui est la phobie des animaux qui,
comme on le sait, est après tout très répandue, hein… Levez le doigt ceux qui ont une phobie des
araignées ? Tout le  monde, je le vois tout de suite, ce n'est pas un problème… La phobie des
animaux… Et avec la question que vous vous posez immanquablement : mais pourquoi ?
Pourquoi est-ce que les animaux… et alors on va voir un passage, un étalage de tous les animaux
du zoo de Schönbrunn. Pourquoi cette phobie des animaux ? Pourquoi l'animal est-il si
facilement pour nous, pauvres créatures parlantes, emblématique de la phobie qu'il peut nous
provoquer ? Sans doute parce que chaque animal est le symbole, bien entendu, de la vie, mais
symbole en tant que nous en sommes écartés, de ce symbole-là ; c'est-à-dire que nous ne
relevons pas de ce règne. Et qu'il viendrait en quelque sorte représenter pour nous l'énigme de
ce qu’est le symbole de la vie, dès lors que je ne peux pas m'en réclamer de ce symbole-là au
titre d'une appartenance. Et, je crois que ce point est une assez bonne illustration de ce que va
être le choix chez Hans de l'animal phobogène, alors qu’il en avait un sous la main qui va être
forcément évoqué, et qui est la girafe. Je dis qu'il l'avait sous la main alors qu’en réalité il l'avait
au-dessus de sa tête, puisqu’une représentation de la girafe se trouvait, avec celle de l'éléphant,
dans un tableau, une gravure qui était située au-dessus de son lit. Et il va donc avoir avec cette
girafe un rapport assez remarquable, dans une tentative identificatoire qui bizarrement va
tourner court, alors que dans un rêve elle vient se présentifier sous la forme de deux girafes,
l'une au long cou et l'autre chiffonnée, plus petite et chiffonnée. Ce que ne savait pas Lacan, ni
d'ailleurs son auditoire, au moment où il a fait son séminaire, et même à la fin de sa vie ça ne se
savait pas encore, c'est qu’il suffit donc de faire tomber une lettre du signifiant Girafe pour
trouver le nom, enfin il faut en faire tomber deux, pour trouver le nom de la famille, le
patronyme du petit Hans, qui était donc Graf.

C'est un passage qui, à lui tout seul, mériterait un colloque d'au moins trois jours. Pourquoi ?...
Pourquoi ? Parce que d’abord ce rêve survient justement au moment où se pose à cet enfant la
question, criante, de la castration, et en tant qu'elle est nommément dirigée sur son fait-pipi, sur
son organe. Et où, là, nous voyons cette castration opérer, je dirais, sur le signifiant même qui va
rendre compte ensuite de son nom, c'est-à-dire le passage du nom de l'animal phobogène au
patronyme, à un nom humain, l'opération consistant en la chute d'une lettre principalement,
deux si vous voulez, et où il est assez remarquable qu'à cette occasion la thèse lacanienne de la
chute de la lettre comme organisatrice du désir se trouve, de façon tellement innocente chez cet
enfant, présentifiée à l'occasion de ce rêve; dans une complexification qui est la suivante, c'est
qu’il va, à cette occasion, vouloir dégager la girafe au long cou qui donc est préservée de tout
froissement, c'est-à-dire subsiste dans son intégrité, opposer donc à ce qui serait la girafe au long
cou, non castrée, l'autre, castrée. C'est-à-dire que l'opération symbolique est elle-même
interprétée en terme imaginaire. Quelque chose comme la spéculation ordinaire de l'enfant qui
cherche à se repérer dans le champ de l'Imaginaire à partir du fait que : y en a qui l'ont, et y en
qui l'ont pas. Mais le processus lui est bien en place, et le père d'ailleurs sera tellement généreux
que, à un moment donné, quittant, sortant de la maison, peut-être avec le petit Hans, etc., il va
lui dire « ah ben oui donc tu laisses à la maison la grande girafe, désignant par là la maman, et la
petite girafe, désignant par là la sœur, Anna ». Et ces quiproquos sont admirables, je veux dire
que, vraiment, un auteur dramatique aurait à se régaler de la permanence des quiproquos qui
vont là sans cesse se jouer entre les protagonistes puisque nous, nous avons la chance d'être
dans une position, je dirais, en double abyme. D'une part nous avons ce que nous pouvons
supposer être l'argumentation ordinaire de parents bienveillants à l’égard d'un enfant qui
manifeste une phobie, donc le bla bla ordinaire conventionnel qui s'articule à ce propos ; là-
dessus nous avons un premier abyme qui est que les parents dûment informés des théories de la
sexualité de Freud vont introduire, substituer à ce discours commun un discours réputé savant et
qui est complètement imaginaire, c'est-à-dire  finalement qui n'est pas d'un ordre différent de
celui qu'auraient tenus des parents, je dirais, normaux ; parce qu'ils ne sont pas normaux, hein,
les parents du petit Hans. Et donc nous assistons à ce qui est leur délire imaginaire concernant
les symptômes du petit Hans. Et nous, nous avons encore une deuxième position en abyme sur
ce qu'ils disent puisque nous sommes en mesure, à partir d'une lecture lacanienne de l'affaire,
d'y introduire un ordre… surprenant, et dont je crois qu'on pourrait dire qu'il apparaît souverain
par l'économie qu'il introduit dans l'affaire. En quoi est ce que notre lecture serait moins
délirante que celle de Freud et des parents ? Mais c'est sans doute que c'est d'abord une lecture
très économique, grâce à une distinction que j'ai déjà évoqué du Réel, du Symbolique et de
l'Imaginaire, très économique, et qui je dois dire même lorsque je cherche à la secouer, à la
bousculer, à la tirer s'avère extraordinairement opératoire.

Alors donc nous, nous sommes dans une position d'enfants gâtés, puisque c'est tout à fait dans
une position de double surplomb que nous assistons à ce qui se déroule, avec évidemment cet
espèce de contentement un peu niais d'avoir les clefs de cette affaire. Mais c'est vrai que nous
les avons, c'est vrai, et en particulier sur ce qui n'est absolument pas traité, c'est-à-dire la phobie.
Névrose d'angoisse… le petit Hans est traité comme une névrose d'angoisse.

Alors ceci étant, pourquoi le cheval ? Qui va donc être l'un des… finalement l'un des modes de
traitement de la phobie, par identification, du petit Hans. Au lieu de le traiter comme un animal
phobogène, il va dire qu'après tout il est de la famille des poulains, des jeunes chevaux, lui-
même il galope. Alors le terme de galoper va servir du pont, je dirais, pour justifier cette
identification.

Alors, pourquoi le cheval ? D'abord nous apprenons, au détour d'une page et dans une petite
note qui tient juste une ligne en bas de page, qu’il y a eu un déménagement. On a quitté un
premier appartement pour passer dans le second, et dans le second… c'est dans le second que
Anna est née, la petite sœur. Que Anna est née et nous apprenons aussi que l’objet phobogène
est constitué par le cheval en train de tirer des wagons chargés, il faut qu'ils soient chargés, ou
des omnibus ; si c'est un wagon vide, non ! C'est pas phobogène. Et il est bien évident que
s'éclairera un petit peu plus loin, à la fin du chapitre, que ce wagon chargé est évidemment
représentatif de la grossesse maternelle. C'est la condition.
Ce qui est pour nous, je dirais, qui pourrait nous donner une étrange leçon, c'est que, au fond,
cet animal qui, en quelque sorte, est à l'origine du mouvement des wagons, qui est comme la
locomotive, qui est ce qui entraîne les wagons, nous ne pouvons pas faire autrement que y voir
une projection imaginaire de ce qui entraîne la chaîne signifiante, et dont nous savons que ce qui
est réputé être l'instance motrice du mouvement de la chaîne signifiante, du transport du
signifiant, c'est le phallus. Et donc je dirais que d'un point de vue épistémologique il est assez… je
dirais, ça fait un choc de voir qu'un élément aussi abstrait puisse venir se figurer dans un
symptôme phobogène. Alors, vous me direz : « ho, c'est quand même… hein, tiré par les
chevaux, par les cheveux, bon faut pas exagérer là ! ». Et cependant vous allez aussitôt trouver le
deuxième argument qui vient illustrer cette thèse irréfutable, et cet élément c'est que il y a, avec
le cheval, un risque : c'est qu'il vienne mordre les doigts. Et alors vous avez cette autre surprise,
c'est la façon dont la menace de la castration, qui est précisément interne, liée au transport de la
chaîne signifiante, et à partir du moment où elle est animée par le phallus, soit ainsi présentifiée,
illustrée comme une BD, par le fait que le cheval risque de… Alors, d'où est ce que ça vient, ça,
pour le petit Hans ? Ça vient de ce que, à l'âge de deux ans ou trois ans je ne sais plus où, à la
campagne, avec son amie, sa copine qui s’appelait Lisa, elle caressait le museau du cheval et son
père lui a dit : « Ne donne pas ta main au cheval parce qu'il pourrait te mordre »… « Ne donne
pas ta main au cheval parce qu’il pourrait te mordre ». Et, à cette occasion, vous trouverez dans
le texte une équivoque très jolie en allemand autour du mot « beißen » qui veut donc
dire mordre, mais qui veut dire aussi démanger ; c'est amusant, ça, mordre et démanger, c'est
curieux. Bon, ça, c'est en français. Démanger. Mais je veux dire que… une lésion cutanée qui
irrite, qui est urticante, on utilisera pour caractériser son effet le verbe « beißen », elle
« démange », et Freud ainsi que le papa vont y associer le fait que l'enfant a pu ressentir au
niveau de son fait-pipi des sortes de démangeaisons, ça le mordait, là. Et donc l'association, le
pont, le pont avec le fait que ça pouvait faire disparaître les doigts. Et puis, dans ce monde
enchanté qui est le nôtre, vous avez encore cette surprise de trouver en allemand l'homophonie
qui existe entre « Wagen », le wagon donc de transport, et « Wegen », la cause. Avouez, quand
même, c'est pas beau, ça ? Humm… Comme si justement dans cette chaîne de transport - je vous
dis Lacan il est freudien, vous voyez -, comme si dans cette chaîne de transport, eh bien vous
aviez ce qui se présentifie à propos de chaque wagon comme la manifestation, là, d'une cause,
d’un « Wegen », et qui provoque tout ce mouvement. Enfin, toujours pour rester dans notre
haras, vous avez le fait que l'un des éléments de la phobie va tourner autour du cheval
qui tombe ; et il aurait assisté, sa mère le confirme, au fait que se promenant avec elle eh bien il
y a un pauvre cheval qui a dérapé des quatre fers sur le pavé viennois, et qui est tombé. Le
cheval qui tombe. Et est associé à cette chute de cheval le charivari, le charivari, le bruit qu'il
faisait avec ses pattes, et en particulier postérieures, dans cette chute ou en essayant de se
relever et en n’y parvenant pas. Ce qui est amusant c'est que, dans cette crainte de la chute du
cheval, on peut sûrement voir plus précisément ce qu'il en est de l'organisation phobogène de
l'affaire, c'est-à-dire la crainte, l'angoisse que le phallus ne vienne à disparaître ; qu'il se casse la
figue, qu'il se casse la gueule, et il est bien clair qu'à partir de ce moment-là, si c'est le cas, eh
bien c'est plus embêtant.

Ce qui nous émerveille c'est de vérifier que cette affaire de charivari va être rapprochée du fait
que… enfin, ça alors c'est admirable aussi… du fait que le petit Hans, comme il semble que ça soit
pas mal pratiqué dans ces bonnes familles, accompagnait sa maman au cabinet et que lui-même
contestait le fait d'être mis sur le pot par des mouvements charivaresques de ses membres
inférieurs. Et que donc sera évoqué sa constipation, ce qui était vraisemblablement une
opposition tout à fait banale à la mère, mais que ce charivari va être mise au compte, donc,
d'une contestation à la propreté, à l'ordre anal, alors que on sait que le petit Hans a dormi dans
la chambre parentale jusqu'à l'âge de quatre ans et qu'il est vraisemblable, c'est même sûrement
peu évitable, qu'il a assisté à des charivaris d'un tout autre ordre que celui du pot de chambre.
Mais, et c'est ça je dis bien le confort de notre position en surplomb, mais ce qui a dû être la
crainte à ce moment pour cet enfant que dans cette affaire le cheval ne tombe et ne disparaisse,
ne se fasse engloutir, eh bien que cette évocation qui, je dois dire, vient immanquablement à
l'esprit des élèves de Freud et de Lacan et de… est radicalement absente. On n’y est absolument
pas. Et que donc on fait basculer du côté de l'analité ce qui… on partage, du côté de l'analité,
l'interprétation sexuelle de l'enfant ; je veux dire que l’enfant ne peut pas interpréter le moment
sexuel de ses parents autrement que dans le champ de l’analité. Et donc on voit de quelle
manière les adultes, là en l’occurrence, eh bien viennent tout simplement partager cette thèse
du petit et font un blanc sur ce qui n'était pas un blanc pour ce gosse, et qui devait donc essayer
de se débrouiller avec ce qu'étaient ses perceptions dans ladite situation.

Donc il y a eu l'intervention du professeur Freud, intervention œdipienne, et qui a sûrement eu


un effet symbolique puisqu'au fond ce que lui disait le professeur Freud c'est que, au fond, cette
libido qui l’embarrassait, il avait pas à chercher à la satisfaire, il avait à y renoncer  ; mais ça, ce
fait que dans l'économie psychique, Freud invite un enfant à renoncer à sa libido, pour entrer
dans la phase de latence, ça, ça n'est nullement je dirais… ça n'est nullement pris en compte, ça
n'est nullement expliqué qu'il avait à y renoncer. Et cela au profit donc de ce qui va être cette
éclosion absolument admirable de l'amour pour son père. Avec quelque chose d'autre, j'ai pas
retenu la page, qui va être un moment pas moins sensationnel, je l'ai souligné mais… et où il
frappe le sol avec une canne, le petit Hans, en disant : « Est-ce qu'il y a quelqu'un
dessous ?». C'est admirable, hein ? C'est admirable de quelle manière le contact direct de
l'enfant avec les problèmes soulevés, je dirais, justement par sa capture dans l'interprétation
libidinale du langage est claire… est tellement… c'est nous évidemment qui, chaque fois, tordons
ça à notre manière. Mais chez le gosse, c'est d'une pureté absolument… Vous le retrouverez
vous-mêmes, c'est pas la peine que je vous le cherche... Bon, vous le trouverez vous-mêmes cet
épisode, et qui je dis bien est tout à fait admirable là encore dans la mise en place, comme
venant illustrer la mise en place de l'ordre symbolique ; qui nous donne pas encore quelles vont
être ses identifications dans l'ordre symbolique, mais qui nous montre que l'ordre symbolique il
est là, il est à l'œuvre.

Et vont intervenir, pour ce qu'il en est finalement de son identification, avant qu'il ne se
reconnaisse comme un poulain, comme un jeune cheval, autrement dit se réconcilie avec
l'animal phobogène, deux rêves qui concernent le plombier. Le plombier… premier rêve où le
plombier vient avec un perçoir lui perforer l'abdomen. Voyez, là encore, interprétation
évidemment sexuelle féminisée du rapport à son père. Et puis un deuxième rêve qui est vu là par
Freud comme étant un rêve de victoire thérapeutique, le plombier toujours mais qui vient
modifier, enlever le postérieur et le fait-pipi pour le remplacer par un autre, et donc ce qui serait
l'accession, à partir de ce remplacement fait par le plombier, l'accession à une identification, dira
Freud (et le papa), virile. Question pouvant rester ouverte de savoir pourquoi le postérieur était
concerné dans l'affaire… Hein, on aurait bien vu un geste chirurgical sobre, et qui se dispense
comme ça d'un élargissement suspect du champ opératoire, mais c'est comme ça et justement
sur ce rêve qui sera pris comme conclusif et venant illustrer la réussite thérapeutique, eh bien
vous verrez de quelle manière Lacan reprend cette question. Vous verrez également donc, dans
ce chapitre deux du petit Hans, intitulé Histoire de la maladie et analyse, le nombre de pages qui
sont... témoignent de la pollution, introduite par les interventions paternelles voire maternelles,
dans l'état du gosse, je veux dire que les questions du père sont telles que… Je crois que ça a dû
être extrêmement thérapeutique pour l'enfant que le père soit complètement à côté de la
plaque, c'est-à-dire ne puisse aucunement passer pour un personnage omniscient, pénétrant
avec précision et justesse ses pensées, lisant dans ses pensées les plus secrètes, et où on voit très
bien comment aurait pu se dessiner un personnage persécutif qui aurait rendu le gosse
complètement zinzin. Donc à la fois on est agacé de voir de quelle manière le père y va avec, je
dirais, sa grossièreté théorique, comment il induit chez le petit Hans des réponses, je dirais… qui
entrent à partir de ce moment-là dans le jeu normal des méconnaissances, de la méconnaissance
telle qu'elle règle nos communications. Hein, voilà, on fait rentrer cet enfant de plein pied dans
la méconnaissance ordinaire de ce qu'est la communication. Après tout, c'est peut-être
thérapeutique, ça aussi ? Faudrait savoir… Peut-être que ça fait beaucoup de bien à l'enfant de
pointer le fait que ses parents, ils… pfff, ils sont complètement à côté et qu'ils disent n'importe
quoi, ou bien qu'ils parlent eux-mêmes comme des enfants, dans leur interprétation imaginaire…
qu'on parle d'enfant à enfant c'est-à-dire qu'on se raconte des histoires, peut-être que... Alors
vous verrez, c'est un chapitre qui fait soixante pages, vous verrez que sur ces soixante pages y a
bien la moitié qui est constituée du délire du papa, et qui dit au petit Hans les choses les plus
aberrantes… les plus aberrantes… Par exemple, quand il y a le rêve :

« Le plombier est venu et il m'a d'abord enlevé, avec des tenailles, le derrière et alors il m'en a
donné un autre, et puis la même chose avec mon fait-pipi. Il a dit : « Laisse-moi voir ton
derrière », alors j'ai dû me tourner et il l'a enlevé et alors il a   dit : « Laisse-moi voir ton fait-
pipi » ».

Alors Freud dit :

« Le père saisit le caractère de ce fantasme de désir et ne doute pas un instant de la seule
interprétation qu'il comporte. »

Le père disant :

« [...] - Il t'a donné un plus grand fait-pipi et un plus grand derrière.

Hans - Oui.

[Le papa] - Comme ceux de papa, parce que tu aimerais bien être papa ?

[…] - Ha, oui j'aimerais aussi avoir une moustache comme toi et aussi des poils comme toi. [...] »

Donc vous voyez, vous voyez dans quoi…

Alors « il faut », ajoute le père :

« […] rectifier l'interprétation du fantasme précèdent de Hans, dans lequel le plombier était


venu, avait dévissé la baignoire et lui avait enfoncé un perçoir dans le ventre. La grande baignoire
signifie le « derrière », le perçoir ou les tenailles, comme nous l'avions déjà interprété, le fait-
pipi. Ce sont des fantasmes identiques. »

Voilà. Bon, voilà par exemple le genre de chose, le genre de baignoire dans laquelle plonge le
papa, et tout ça, je dis bien, je vous passe tous les détails sur la présence du petit Hans dans les
toilettes avec maman, mais vous vérifierez ça vous-mêmes, bon… les histoires de cigognes…
enfin bref, bon.

Et puis après ce rêve, donc, du plombier-thérapeute, le père de Hans écrit à Freud la chose
suivante :

« Cher Docteur,

Je voudrais ajouter encore ce qui suit à l'histoire de la maladie de Hans : [Premièrement] La


rémission qui suivit les premières révélations que je lui fis, relativement aux choses sexuelles,
n'était pas aussi complète que je l'ai peut-être représentée. [Ah, il est honnête ; il dit que la
rémission…] Hans allait certes à la promenade, mais rien que quand on l'y forçait et avec une
grande angoisse. Il alla une fois avec moi jusqu'à la station de la Douane Centrale, d'où l’on voit
encore notre maison, mais rien ne put le décider à aller plus loin. »

Donc vous voyez, hein, pour ce qui est de la phobie, le papa il dit : j'ai peut-être exagéré les
bonnes nouvelles parce que Hans, il est toujours aussi phobique…

« [Deuxièmement] Sirop de framboises, fusil. [Parce que intervient dans un rêve du sirop de


framboise et le fusil ; mais c'est intéressant, pourquoi ?] On donne à Hans [dit le père] du sirop
de framboise quand il est constipé. Schiessen [qui veut dire « tirer », schiessen, et même pas
seulement tirer une voiture mais tirer au fusil, schiessen] et scheissen [qui veut dire aller au
cabinet] sont des mots que Hans ainsi confond souvent »

Il confond schiessen, tirer et scheissen, faire caca. Voyez, voilà un élément du réseau, là,
associatif qui se précise.

« [Troisièmement] Hans avait environ 4 ans quand on lui a donné une chambre à part ; jusque-là
il avait couché dans notre chambre ; »

C'est drôle que le père éprouve, à ce moment-là, au moment où il donne une lettre conclusive,
hein, à Freud le besoin de préciser ça.

« [Quatrièmement] Un résidu du trouble subsiste encore, seulement il ne se manifeste plus sous


forme de peur, mais sous la forme de [l'instinct] normal chez les enfants, [de] poser des
questions. Ces questions se rapportent principalement à ceci : de quoi sont faits les
objets (tramways, machines, […]), qui fait les objets, etc. Il est caractéristique [de] la plupart de
ces questions que Hans les pose bien qu'il y ait déjà répondu lui-même. Il recherche simplement
des confirmations. Comme un jour, fatigué de ses questions, je lui disais : « Crois-tu donc que je
puisse répondre       à tout ce que tu demandes ? » il répliqua « Mais je croyais, parce que tu as
su la   chose à propos du cheval, que tu saurais ça aussi » »

C'est très amusant, ça, ce que fait Hans, parce qu’il persécute son père à l'envers, hein, il
l’emmerde : « Toi qui es tellement savant, alors explique-moi toutes les choses, hein qu'est-ce
quelles sont, qui les a faites, qui les a fabriquées, d'où elles sortent, d'où elles viennent ? Hein,
puisque tu es si fort ». Je trouve ça absolument délicieux. Alors :

« [Cinquièmement] Hans ne parle plus de sa maladie que comme d'un fait historique passé [alors
qu'il l'a toujours, il dit] : « [alors] quand j'avais la bêtise...» ; »

Alors je suis désolé, j'ai pas eu le temps d'aller rechercher le terme allemand pour bêtise ; mais il
faut le faire puisque c'est une affaire de bête, cette histoire. Il y a des germanophones parmi
vous ? Non. Il n’y a pas de bonne volonté germanophone. Donc faudra que je me tape d'aller
rechercher.

Myriam Bacarisse : Je me demande si c'était pas Dummheit ?

 
Charles Melman : J'en suis pas sûr, j'y ai pensé spontanément mais j'en suis pas sûr. Si
c'est Dummheit, euh… Dumm, c'est pas… c’est une bêtise abstraite, c'est pas spécialement
animal. Si vous avez ça sous la main, un dictionnaire, c'est formidable. Alors :

« [Sixièmement] Le résidu qui [se cache] derrière est celui-ci : Hans se casse la tête pour
comprendre ce que le père a à faire avec l'enfant, puisque c'est la mère qui met celui-ci au
monde. On peut le voir d’après ses questions, par exemple, quand il demande : « N'est-ce
pas, [quand il dit à son père] j'appartiens aussi à toi ? » (Il veut dire, pas seulement à sa mère.)
Mais de quelle manière il m'appartient, cela ne lui est pas clair. [Par contre], je n'ai aucune
preuve directe qu'il ait, comme vous le supposez [il dit à Freud], épié un coït de ses parents »

Dit le père. « J'appartiens aussi à toi », donc ce qui veut dire que l'ordre symbolique pour avoir
été ébauché, ben il est pas… il s'est pas conclu. Le rond du symbolique est là ouvert,
problématique. De quelle manière lui Hans, qui a maintenant plus de quatre ans, il appartient à
son père ? « J'appartiens aussi à toi », il y a quelque chose là qui le tourmente.

« [Septièmement] En exposant ce cas il faudrait peut-être souligner la violence de l'angoisse, car


sans cela on pourrait dire : « il [aurait] bien vite [été] promener si on lui avait seulement donné
une bonne fessée.» »

Finalement le père, au point où il en est là de son parcours, il dit, après tout hein on s'est bien
compliqué la vie, si on lui avait filé une bonne fessée au moment où il a démarré son machin, on
se serait peut-être évité... Il nie le spectacle du coït parental… Elle est d'une ambivalence à
l'endroit de Freud remarquable, hein, cette dernière lettre.

Freud maintenant… heu c'est le père ou Freud ? Oui, c'est Freud qui termine la lettre du papa en
disant :

« J'ajouterai pour finir que, dans le dernier fantasme de Hans [celui du plombier], l'angoisse


émanée du complexe de castration est surmontée, l'attente anxieuse muée en attente
[bienheureuse]. Oui, le docteur (le plombier) vient, et lui enlève son pénis, mais ce n'est que
pour lui en donner un plus grand à la place. Quant au reste, notre jeune investigateur a
simplement fait de bonne heure la découverte que tout [savoir] est fragmentaire et que sur
chaque degré gravi de la connaissance un résidu non résolu demeure. »

Donc vous voyez, il y a là un élément de dialogue avec la persécution que fait subir le petit Hans
à son père, en essayant de lui dire : puisque tu es tellement malin, explique-moi, puisque tu sais
tout expliquer, vas-y…

Alors, pour conclure ce soir, je vous rappellerai le secret que je vous ai déjà à dire vrai, je pense,
transmis, enseigné (mais peut-être faut-il vous le rappeler), c'est que, comme vous le savez, le
couple des parents était en analyse chez Freud. C'était très audacieux, très moderne, très avant-
gardiste, très progressiste. Et ils l'étaient l'un et l’autre justement pour pouvoir bien élever leurs
enfants, et également pour avoir une vie conjugale plus satisfaisante. Rien de tout cela, de ces
souhaits ne se réalisera puisque le petit Hans a été bien cogné, pas la sœur, Anna, c'est lui qui a
pris. Et que d'autre part le couple s'est séparé, et s'est séparé sans doute à cause d'une rivalité à
l’intérieur du couple, d'une rivalité virile à l’intérieur du couple et où la mère supportait mal que
le papa soit l'enfant chéri de Freud. Parce que le papa lui a fourni toute cette documentation sur
le petit Hans, que le papa était invité aux réunions du mercredi, réunions qui se tenaient chez
Freud et ils étaient une douzaine comme ça de personnes qui balançaient comme ça des thèses,
des théories, qui racontaient des cas, etc. Et donc Freud estimait beaucoup le papa qu'il trouvait
intelligent, courageux. Et manifestement la mère, elle, était écartée. Et on peut même supposer
que, à l'endroit du petit Hans, cette rivalité à l'égard de Freud dans la quête de l'amour de Freud,
cette rivalité entre la mère et le père, et dans la volonté de la mère d'afficher, je dirais, sa valeur
aux yeux de son enfant, alors que c'était le père qui était le favori de Freud, on peut imaginer (ça
coûte rien) que ça a pu avoir un rôle déterminant dans la phobie, dans l'histoire du petit Hans.

Mais en revanche le secret, et c'est drôle que Lacan l'a pas, ce secret, il ne l'a pas mentionné ou
peut-être que je le lui ai pas transmis… ça doit être ça. Eh bien, ce secret c'est que, comme vous
le savez, le cheval en allemand se dit « Pferd ». Et que toute la famille, le père et la mère, étaient
suspendus à un réfèrent organisateur de leur vie familiale qui était Pfreud, le professeur Freud...
Pferd-P(r.)Freud... Professeur Freud dont le pauvre petit Hans, je dirais, était, de la référence à ce
professeur, exclu, il n'en était pas de cet ancêtre-là, du « Pferd-P(r.)Freud », humm… Lui, il n'en
était pas, il devait en entendre parler à longueur de journée. Et puis il savait qu'il était sous
observation, pour le professeur, etc., etc. Et c'est à partir du jour où, une fois, il a été reçu par
P(r.)Freud, une fois, où donc il a été admis et reconnu, que ça a eu un effet, je dirais, essentiel
dans son, pas la guérison de sa phobie mais dans son identification à un père, son père. Qui
malheureusement était sans doute incapable de soutenir la validité de cette identification, du
fait de la rivalité avec une mère qui était sans doute, je dirais, assez remontée dans l'affaire ; elle
était assez remontée dans l'affaire et d'ailleurs quand vous relirez l'observation vous verrez que
ses interventions, c'est admirable, elles se font sans cesse dans le registre du bon sens maternel
et contre toute idée d'une référence aux théories freudiennes. C'est toujours comme une bonne
maman, hein, qui répond à son petit gamin, y compris quand elle accepte qu'il l’accompagne au
cabinet, qu'il vienne dans son lit, qu'ils fassent des câlins, etc. Alors le papa dénonce, « mais
non ! Il faut pas, parce que ça fait monter la libido et faire monter la libido ça fait monter
l'angoisse, tout ça... », mais la mère, « du calme, du calme ».

Et donc, voilà… Donc vous voyez que ce qui nous manque encore avant que nous puissions
conclure, la prochaine fois, l'observation de Freud, avec ce qui sera donc son commentaire, avant
que nous puissions donc conclure, ce qui nous manque c'est l'auteur dramatique qui aura le
talent de mettre ça en musique parce que c'est un passage tellement pur, tellement significatif
de la discordance propre à la communication… à nos discordances. Et on aimerait penser que
c'est le contact avec cette discordance qui a fait du petit Hans un musicien de talent.
Transmission indirecte… Le père était musicologue et réputé, le père Graf; ses chroniques dans la
presse sur les évènements musicaux étaient toujours suivies, enfin jouaient un rôle dans la vie
culturelle à Vienne. 

Donc, l'un des exercices que nous ferons au moment de clore notre étude du petit Hans, ce sera
sûrement la tentative d'écrire le nœud borroméen du petit Hans. Chacun de vous sera invité… ça
sera notre devoir, le devoir terminal, chacun de nous sera invité à imaginer ce qu'a pu être le
nœud borroméen du petit Hans.

Charles Melman

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 4


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, séminaire de Charles Melman, le 28/11/2013

 
Charles Melman : Comme j'espère que vous l'avez constaté, ces commentaires font 25 pages ;
c'est ce que l'on peut appeler le gâteau cent fois bon. Vous savez ce que c'est, vous avez déjà
mangé du gâteau cent fois bon. J'en suis sûr quand je vois vos mines, je suis sûr  que vous avez
connu ce genre de délice. Le gâteau cent fois bon, c'est le gâteau où la maman, ne sachant pas
trop comment faire pour assurer le dessert de qualité, le meilleur dessert pour ses enfants, eh
bien met dans le gâteau tout ce qu'elle peut trouver sur ses étagères, les meilleures choses, et
donc tout cet ensemble fait le gâteau cent fois bon de telle sorte [qu’]on ne voit pas comment
l'enfant pourrait résister à cette générosité, hum.

Eh bien, le commentaire de Freud mérite notre admiration dans la mesure où tous les traits qu'il
va retenir - nous sommes en 1909 ; [en] 1905 il a publié les Trois essais sur la sexualité et dont
l'un des essais porte sur la sexualité infantile. 1909, il s'agit donc cette fois-ci d'illustrer ses thèses
par l'examen direct, in vivo, de l'enfant et tout ce qu'il apporte, à propos de cette sexualité
infantile, 1909 après 1905, est absolument un choc dans la culture, puisque personne n'a osé
auparavant, et quel que soit le lieu, quel que soit le degré de culture, quelle que soit la religion,
quel que soit le niveau de la science, personne n'a osé évoquer le fait qu'il y ait une sexualité
infantile. Alors que, bien  évidemment, l'observation directe pouvait largement le justifier et il est
évident d'autre part que ce n'était pas politiquement correct puisque vouloir ainsi polluer
l'innocence propre à l'enfant est une opération qui ne pouvait paraître que dégradante aux
gardiens de la culture. C'est pas beau quand même d'aligner ainsi l'innocence de l'enfant. Mais
même faire pire, c'est-à-dire montrer que la sexualité se mettait en place dans l'enfance, et que
c'est ensuite cette sexualité infantile qui allait commander la vie adulte, alors là, ça c'est quand
même charrier. Ce qui veut dire tout simplement que ceux qui se pensent adultes oublient qu'ils
vivent une sexualité infantile qui s'est mise en place dans l'enfance, et qu'elle est régie, que ça
leur plaise ou pas, que ça leur convienne ou pas. Il y a donc bien toujours de l'enfant dans
l'adulte, et il est bien évident que ce n'est pas le fonctionnement social qui permettrait d'en
douter. Donc ce commentaire, c'est du gâteau cent fois bon puisqu'on va y retrouver tous ces
ingrédients merveilleusement découverts par Freud et qu'il va nous servir sans aucun  égard
pour notre appétit, voire notre rassasiement, et en même temps, en même temps qu'il opère
ainsi pour le meilleur, il va opérer pour le pire puisque ce rassemblement va être la matrice de
tous les malentendus et de toutes les erreurs à venir.

Ce qui, je suis persuadé, vous a ému, à la lecture de ces 25 pages, c'est le mal que se donne
Freud pour organiser son commentaire en un récit qui soit cohérent et consistant. Autrement dit
une mise en ligne d'une succession d'événements enchaînés les uns aux autres et qui furent les
conditions de la névrose du petit Hans et qui aboutirent, je dirais, à son traitement et à sa
guérison.

Donc faire en quelque sorte une observation clinique qui soit cohérente et trouvant dans sa
cohérence même la justification des thèses, en particulier celles qui concernent le
développement de l'enfant, les étapes successives et qui aboutiraient grâce au traitement
analytique à la normalisation des symptômes du petit Hans. En même temps dans ce
commentaire il doit écarter un certain nombre de préjugés qui concerneraient aussi bien les
accusations de dégénérescence qui seraient les thèses avancées à l'époque, la dégénérescence
c'était une thèse pour rendre compte de la maladie mentale, qui était soutenue en particulier
par un psychiatre français du nom de Morel, je ne sais pas si c'est le premier à l'avoir fait ou s'il
l'a repris des allemands, moi à mon idée ça devait sûrement venir d'Allemagne cette affaire de
dégénérescence, mais enfin c'est évidemment un terme qui ne veut pas dire grand-chose si ce
n'est que c'est mettre sur le dos des abus de boissons et des abus sexuels des ancêtres la cause
du triste état dans lequel nous sommes ; et ça c'était donc la grande thèse pour rendre compte
des affections névrotiques, donc Freud doit répondre à cette objection incontournable à
l'époque pour dire que, manifestement, Hans était un petit garçon physiquement parfait, bien
vivant, gai, joyeux, intelligent qui ne portait aucun stigmate de dégénérescence. Si ça vous amuse
je vous amènerai un jour le livre des illustrations des tableaux de la dégénérescence. Vous verrez
que ce sont des tableaux tout à fait sympathiques mais dont le… le petit Hans ne relevait en
aucun cas. Il a également à se laver de la thèse de la suggestion autrement dit que le petit Hans
aurait été entièrement influencé par le traitement qu'il subissait de la part de son père puisque
son père est là en position d'analyste vis à vis de lui et c'est bien aussi comme ça que Freud le
présente, et vous verrez d'ailleurs qu'à la fin il va quand même faire l'aveu de quelque chose qui
pesait sur le petit Hans, « c'est vrai » dit-il à la fin « il avait quand même dans son hérédité
quelque chose qui n'allait pas, c'est que sa mère était un peu tarée », dit-il, ce n'est pas l'adjectif
qu'il emploie, mais il va dire à la fin que « il y a quand même une tare entre guillemets
héréditaire "sa jolie mère" était en effet devenue la proie d'une névrose due à un conflit du
temps ou elle était jeune fille. J'avais pu alors lui être de quelques secours et de là datait de fait
mes rapports avec les parents de Hans. Ce n'est que timidement que j'oserai avancer quelque
considérations en faveur de celui-ci » et il reprend le fait que malgré la névrose maternelle qui
datait du temps ou elle était jeune fille, le petit Hans n'avait rien d'un petit taré. Mais quoiqu'il
en soit il tente d'écrire le récit de la maladie. Alors le problème c'est que la phobie fait objection
à tout récit. La phobie n'est pas une névrose, c'est à dire un dispositif qui se prête à une mise en
histoire. La phobie précède les névroses, est un état pré-névrotique, anté-névrotique, on aurait
envie de dire que, précisément, ce qui lui manque, c'est le récit qui permettrait de rétablir une
continuité qui apparaît constamment trouée et cependant bien sûr et dans un souci justement
thérapeutique, Freud va force dans le sens d'une succession ordonnée des événements qui sont
venus commander la phobie et cette succession d'événements étant ordonnée par une finalité
qui sera celle du salvateur complexe d'œdipe, c'est à dire la révélation faite à Hans que sa
tension libidinale cause d'angoisse, dit Freud, cause d'angoisse pour le petit Hans, il n'a qu'une
seule chose à faire c'est à se la mettre dans un tiroir et à s'en passer ce qui il faut l'avouer, est
quand même un curieux mode de traitement pour une tension libidinale, encore que, nous
soyons bien obligé de reconnaître que la période de latence, c'est lui Freud qui l'a révélée chez
les enfants, ça existe, pas toujours, il y a des enfants qui ne connaissent jamais la période de
latence, des petits vicieux qui passent comme ça leur temps dans des coins obscurs, mais
ordinairement il y a après cet émoi initial, quelque chose qui doit se passer qui doit se faire, on
va mettre quelque chose entre guillemets puisque il faudrait quand même en dire un mot,
quelque chose qui va se faire pour que ça se calme et que l'enfant oublie ce qu'a été pour lui ce
premier cinéma en technicolor, et qui, pour lui, a mis en place la sexualité.

Le pire, et qui va être la source de tout les malentendus à venir, et en particulier pour les élèves,
c'est que cette tentative, donc, d'écrire une histoire, est entièrement dominée par l'imaginaire,
même si sa conclusion est supposée être symbolique, dominée par l'imaginaire. Or comme
j'essaierai de le montrer à la fin de cette heure, l'imaginaire, le développement de l'imaginaire, la
tentative par l'enfant de résoudre ses difficultés, se fonde précisément sur une extension abusive
de l'imaginaire, abusive je veux dire donc faussement interprétative, de la dimension propre à
l'imaginaire. Autrement dit, Freud est fidèle à son cas en s'aidant lui-même à cette expansion de
l'imaginaire, pour rendre compte de cette affaire, et à partir de ce moment là, de cette
extension, nous nous trouvons donc devant des rassemblements d'arguments qui vont être
tantôt réels, tantôt symboliques, tantôt imaginaires mais sans que nous puissions à aucun
moment, par leur type de rassemblement, y introduire un petit peu d'ordre. Ordre qui n'est pas
purement spéculatif mais qui est évidemment souhaitable pour essayer de comprendre ce qui va
être constamment esquivé dans l'observation : qu'est ce qu'il en est de la spécificité d'une
phobie puisque Freud va en faire une hystérie d'angoisse, une hystérie d'angoisse en tant qu'elle
s'oppose à une hystérie de conversion, l'hystérie d'angoisse étant l'accumulation d'une libido qui
ne trouve pas de localisation corporelle susceptible de s'écouler alors que l'hystérie de
conversion est, bien entendu, la fixation sur l'organe que vous voulez en évitant plutôt l'organe
génital, l'organe sexuel, la fixation sur cet organe de libido en souffrance puisque dans
l'incapacité de s'écouler. Donc hystérie d'angoisse, transformée donc en angoisse, problème
quantitatif puisqu'il n'y à pas d'organe susceptible de s’y prêter, de fixation corporelle sur un
organe propre à lui assurer son écoulement. Ce qui fait donc que dans ce foisonnement de
l'imaginaire, ce qu'il en est de la spécificité à l'espace et en particulier le fait que vont s'opposer
tout de suite deux espaces très différents, mais j'ai déjà peut-être abordé ce thème avec vous,
l'espace domestique et l'espace public, et bien ce problème de la constitution de l'espace pour le
parlêtre, le problème de la localisation propre à l'espace domestique qui n'appartient donc pas à
cet espace public, eh bien ces questions qui sont du point de vue clinique essentielles, vont se
trouver, on va dire, définitivement évitées et contournées, or vous le verrez si vous reprenez la
lecture de ce texte, tantôt la sortie hors de la maison puisqu'il s'agit sans cesse, dans son
symptôme, il s'agit sans cesse de ça, il sort de la maison et c'est l'angoisse, alors au début on
l'explique par le fait qu’il est séparé de sa maman et donc il est angoissé de la perdre et puis
ensuite il sort avec sa maman et ça n'empêche absolument pas l'angoisse évidemment de surgir
et le contraindre à rentrer à la maison. Alors puisque j'évoque là la question  de la séparation
d'avec la maman, ça consiste en quoi la séparation d'avec la maman ? À quel moment peut-on
dire qu'il y a eu séparation d’avec la maman ? Et ça consiste en quoi ? Ça consiste en quoi,
puisque ça n'empêche absolument pas d'aller dans son lit de faire câlin toute chose après tout
plutôt normale. L'accompagner au cabinet c'est un peu spécial, c'est un peu spécial, encore que
ce ne soit pas exceptionnel, ça se voit et on se demande, mais il n'y a pas trop de spéculation là
dessus, quel est l'intérêt pour une maman de conduire son enfant avec elle dans les waters, mais
en tout cas ici je ne vais pas épiloguer sur ce point, ce n'est pas notre objet, mais on voit bien
cette séparation d’avec la maman on ne voit pas très bien ou elle est d'autant plus que la maman
voit son enfant malheureux : plus elle est proche de lui fort légitimement et plus elle essaye de le
tenir rapproché et elle même n'a pas envie de s'écarter, mais ça veut dire quoi, ça veut dire quoi
avoir peur de perdre sa maman ? Avoir peur de perdre sa maman on peut l'entendre comme le
fait  de la crainte de perdre un monde positivé c'est à dire un type de relation qui n'est pas régi
par les effets du langage mais où finalement, se trouve établi une communication que l'on
pourrait dire réussie, que ce soit, par des signes langagiers ou conventionnels, spécifiques à telle
ou telle relation à telle ou telle famille mais où en tout cas, je dirais, la relation du signe à l'objet
n'est pas métaphorique ni métonymique, elle est directe, qu'est-ce que tu veux mon chéri,
même si la réponse, elle, est métaphorique l'objet, lui, aura valeur de tuer la métaphore, et c'est
même sans doute pour ça qu'il y a des bébés qui résistent, je dirais, à cette opération maternelle
qui s'espère bienveillante, qui veut éviter à l'enfant les conséquences, je dirais, tellement
pénibles de l'entrée dans le langage de n'avoir plus, je dirais, que des semblants, la maman ce
n'est pas du semblant, elle n'est pas un semblant pour l'enfant, et l'enfant n'est pas un semblant
pour elle, c'est pas un semblant d'enfant, ni un semblant de maman, et quand vous avez affaire
bizarrement, comme dans les cas d'adoption, à ce type de semblant, eh bien ça tourne mal, ça ne
se passe pas bien, c'est là une dimension où la catégorie du vrai est irréfutable, le bon lait c'est
ça, alors évidemment ça fait du même coup qu’il y a des bébés qui sont rétifs et qui ne le
tolèrent pas, ça ne va pas ça ne colle pas, c'est vraiment trop du bon lait donc il dégueule et les
difficultés et les ennuis commencent mais en tout cas se séparer de sa maman c'est accepter de
passer d'un régime régi par le signe à celui du signifiant.

Je passe évidemment bien entendu sur les histoires de langage babisch enfin je veux dire, tout le
système de complicité et de connivence qui peut s'établir et qui est      toujours merveilleux
d'ailleurs, parce que c'est fascinant évidemment cette parfaite entente, une maman déchiffre
parfaitement, peut déchiffrer parfaitement les signes qui viennent de son enfant et
réciproquement bien sûr, ça constitue un duopole dont les tiers ne font pas partie si ce n'est à
titre intrusif bien sûr, et la maman, très bonne maman, c'est clair, non seulement jolie jeune fille
mais maman aimant son petit garçon, elle veut son bien, elle a bien raison, on ne va pas le lui
reprocher, et le petit, il ne veut pas se séparer de sa maman parce qu'il perçoit bien il y a là une
menace. Alors d'où elle vient cette menace ? Elle vient justement sans qu'il situe très bien
l'auteur je dirais, de cette menace, elle vient cette menace, justement de son entrée croissante
dans un langage qui n'est plus celui de la complicité, du patois, on va le dire comme ça, du patois
qu'il parlait avec la maman, le patois, le patois et pas moi, le patois c'est un langage positivé,
c'est la structure des patois, donc il y a une menace qui est liée à quoi  ? Mais qui est liée à sa
socialisation, c'est à dire que la mère n'est pas son unique interlocuteur, interlocutrice, il y en a
d'autres et avec les autres ce n'est pas la même chose, on entre dans un autre système de
communication, qui est celui du langage, et qui implique qu'il renonce à sa maman enfin à cette
maman là, ce qu'on appelle La Maman. Alors pourquoi chez le petit Hans, ce passage d'un
langage des signes à celui du signifiant pourquoi ça fait problème? Eh bien parce que pour passer
de ce réel du signe à un langage symbolique – je vais m'expliquer, hein, je ne vous laisserai pas
simplement, moi je suis très positiviste avec vous, j'explique tous les termes, je ne veux pas que
vous ayez l'impression que vous manquez ici de bonne maman, j'explique tout – eh bien pour
passer à l'ordre symbolique qui implique donc une perte de l'objet, il y faut, je dirais, le
représentant, le réfèrent, le référent qui, je ne peux pas le dire autrement, qui en assure la
police, il faut un policier, c'est à dire il faut une autorité, sinon c'est pas obligé, c'est tout le
problème des enfants qui à la maison n'ont pas trouvé justement une autorité de ce type, et ce
passage se supporte, je dirais, d'une mise en scène théâtrale et qui est celui de l'intervention
entière du père qui sépare la mère de son enfant et qui signifie à son enfant  : « elle est peut être
ta mère mais elle est ma femme » et qui donc du même coup a la grossièreté, la vulgarité,
l'obscénité d'y introduire la dimension sexuelle.

Vous le présenter comme ça de façon aussi élémentaire, j'allais dire alimentaire, toujours à cause
du gâteau, pour vous le présenter comme ça vous voyez bien tout de suite de quelle manière
effectivement dans l'histoire familiale eh bien, le papa, il n'est pas en mesure d'être là l'agent de
police, autrement dit pour imposer l'ordre symbolique, il faut une autorité réelle, pas imaginaire,
réelle, autrement dit une autorité dans le réel, et ce papa très gentil et cette maman très gentille
eh bien la maman d'abord, elle ne reconnaît pas, c'est clair, les tentatives du papa de mettre un
peu de champ entre les deux, alors l'alibi du papa, c'est ça le problème, l'alibi du papa il est
thérapeutique : « comme tu l'excites, ça fait monter la libido et donc l'angoisse ». Voilà,
autrement dit toutes les interventions dans cette affaire sont en réalité celles d'un thérapeute,
d'un docteur, et tous ceux qui ont eu pour papa des docteurs qui agissaient comme tels dans leur
famille doivent savoir que c'est pas terrible, s'il agissent comme docteur autrement dit pour le
bien de l'enfant. Un papa ça n'agit pas à la maison pour le bien de l'enfant, ça agit parce que c'est
la maison et qu'il a là une fonction à occuper, si ça fait du bien c'est un bénéfice secondaire, mais
ce n'est pas ce qui est recherché, ce n'est pas ce qui est visé, « c'est pas parce que je recherche
ton bien que je t'engueule, je t'engueule parce que c'est ma fonction de t'engueuler, c'est tout,
c'est comme ça, ça ne te fait pas plaisir, évidemment c'est désagréable, moi ça m'enroue, tout ça
d'accord, mais c'est comme ça ». Eh bien toute cette observation comme je vous l'ai fait
remarquer la dernière fois, elle est dominée par le fait que, premièrement, dans la mesure où le
papa qui travaille pour Freud, le petit Hans a deux ans quand paraissent les trois essais sur la
sexualité, Freud demande que l'un de ses proches observe directement son enfant pour vérifier
directement ses thèses, le papa s'y emploie c'est à dire qu’à partir de ce moment là il a les yeux
fixés sur son zizi, de telle sorte que pour ce pauvre chou, son zizi cesse éventuellement d'être
symbolique pour devenir bien réel. Symbolique, ça veut dire, j'explique à chaque fois,
symbolique, ça veut dire qu'il est l'insigne de ce qui ne prend valeur que d'une perte, ça veut dire
ça, symbolique, il prend sa valeur et sa fonction que d'être le représentant d'une perte, le signe
représentant d'une perte, il est symbolique de cette perte et donc du même coup apte au désir,
à endosser le désir, à le servir, et si il est réel c'est comme si il devenait l'objet d'une étude
médicale, et j'ai l'audace, qui ne me coûte pas cher, pour une fois, d'affirmer que c'est cette
attitude là de ce gentil papa et de ce gentil Freud vis à vis de cette enfant, qui l'a rendu phobique,
autrement dit qui l'a protégé de l'accès à un ordre symbolique possible et qu'à partir de ce
moment là on est entré, je ne sais pas si vous avez été sensible au cours de cette opération, dans
un monde qui semble constamment positivé, sauf pour ce qui ressemble à de l'imaginaire. On a
l'impression de pénétrer dans un intérieur un peu étouffant comme ça, chaud, tiède, étouffant,
où rien ne manque, où tout défaut semblerait immédiatement comblé, c'est pas rare comme
situation, et donc le petit Hans se trouve par l'opération même qui commande son histoire, se
trouve exposé à ne plus avoir à faire qu'à un monde positivé, autrement dit, à faire que le
phallus, et vous trouvez ce terme de phallus dans l'observation dans une note en bas de page –
vous vous demandez si phallus est un terme exclusivement introduit par Lacan, eh bien vous
verrez, voyez dans cette observation et en particulier dans le commentaire, que le terme de
phallus est en bas de page – eh bien donc du même coup que le phallus qui aurait à n'être perçu
que symbolisé c'est-à-dire représenté par les signifiants, va se trouver émerger dans le champ du
réel sous la forme de ce dada sous la forme du cheval, et dans la mesure où cette présence dans
le réel n'est plus garantie par quoi que ce soit, la crainte que ce référent essentiel ne puisse venir
à disparaître, ne tombe, alors là vous verrez dans le commentaire, des termes allemands qui sont
très embarrassants et il faudra que je vérifie, je ne l'ai pas fait encore je le ferai pour la prochaine
fois, niederkommen pour tomber, le cheval niederkommt ; niederkommen c'est accoucher aussi
bien, c'est mettre bas, enfin je vérifierai pour nous la prochaine fois, si Freud se sert du terme de
« Dummheit » pour bêtise ou si c'est un autre terme, qui se réfère plus explicitement à la bête,
puisque « dumm » c'est l'idiot, ce n'est pas spécifiquement animal "Dummheit". Et puis
également des termes comme niederkommen et vous retrouverez également dans ce
commentaire pour spécifier l'histoire de la baignoire  et du plombier qui vient percer le ventre
avec un perçoir, l'usage des termes « bohren » qui veut dire donc percer, et « geboren » qui veut
dire naître, donc vous voyez comment les signifiants qui interviennent dans le rêve témoignent
de la parfaite connaissance que le petit Hans a du mécanisme de la fécondation et quelque chose
qui rentre dans le ventre vient percer le ventre. Il s'y livrera lui même sur une poupée, à l'aide
d'un canif, autrement dit il a parfaitement compris. Avec une question majeure qui surgit à ce
moment là, c'est que toute l'observation est régie par l'évocation de la série d'expériences,
d'expérimentations auquel le petit Hans s'est livré. C’est à dire que c'est un monde d'expériences
et de sensations qui vient asseoir son savoir, alors que rien de cette expérimentation ne pourrait
justifier un certain nombre de symptômes, comme la crainte d'être mordu. Un jour il a entendu
un papa qui disait à sa fille « ne met pas ta main tu pourrais être mordue », ça ne suffit pas pour
être retenu et constituer un événement, ça. Si ça constitue un événement, c'est pour d'autres
raisons, puisque, en outre, il nie la différence des sexes, et vous pouvez voir tout du long qu’en
réalité la série de ces expériences est entièrement commandée par, justement, le rapport de ce
petit parlêtre aux signifiants, et que c'est de là, dans la mesure où il a quitté le langage de signes
qu'il avait avec sa mère, que c'est de ce rapport au signifiants que naissent non seulement les
problèmes mais toute une série d'images qui vont être décisives. Alors je ne vais pas reprendre le
Pferd et son rapport avec le PFreud, je ne vais pas reprendre la girafe avec son patronyme c'est à
dire Graf, je ne vais pas reprendre la question de ces wagons chargés que tire le cheval. Qu'un
cheval tombe ça ne le fait pas disparaître pour autant, mais au fond et c'est là un élément propre
à la phobie et que Freud escamote, la grande crainte c'est celle de se trouver face à un trou dans
la sémiologie. L’élément phobogène majeur c'est le trou, la rencontre dans l'espace d'un trou, la
rencontre d'un espace troué et qui, à partir de là, se défait comme espace, de sorte qu'il ne peut
plus bouger parce que pour bouger, il faut être dans un espace plan. Si on n’a pas l'assurance de
se déplacer dans un espace plan et dans la mesure ou cet espace plan est forcément régi par le
plan projectif, c'est à dire un regard qui se situe du côté de l'autre, et qui en quelque sorte
illumine en les légitimant les objets qui se déplacent dans cet espace plan, eh bien si vous n'avez
pas ce dispositif là, et qui implique donc avec la présence de ce regard la perte d'un objet, l'objet
regard, eh bien vous ne pouvez plus bouger, vous êtes cloué sur place. Vous ne pouvez plus ni
avancer ni reculer parce vous manquez de l'espace dans lequel vous pourriez vous déplacer.
Puisqu'on ne s'y déplace qu'au titre de silhouette, qu'au titre d'image on ne s'y déplace pas avec
son corps, on s'y déplace comme une image, en représentation, pas en tant qu'objet, en tant que
représentation, et c'est donc à partir de son expérience du langage, de son entrée dans le
langage que l'enfant va ordonner ses perceptions, ce ne sont pas ces perceptions qui ordonnent
son langage, c’est son langage qui ordonne ses perceptions, et il ordonne tellement ses
perceptions qu'elles font que ce que l'on voit ce n'est jamais que ce que l'on sait, que ce que l'on
ne sait pas, on ne le voit pas ! Ce n'est pas compliqué. On ne voit jamais que ce que l'on sait et ça
nous renvoie à l'un des problèmes de la démarche clinique de Freud dans cette observation, il n'y
apprend rien de cette observation, on n'y trouve que l'application de ce qu'il sait. Et cette
situation nous explique pourquoi Lacan à propos de la clinique a parlé de la carte forcée de la
clinique parce que vous trouvez volontiers chez les psychiatres en particulier, cette idée, qu’on
apprend de la clinique, c'est la clinique qui nous enseigne. Le seul problème c'est que je ne
perçois dans le champ des symptômes que ce que je sais, que ce que je répertorie comme
symptôme, autrement dit la clinique ne fait que vérifier, confirmer ou infirmer ce que je sais. Et
c'est ce dont Freud nous donne la démonstration magistrale. C'est à dire qu'il opère comme tous
les scientifiques, j'ai des thèses et vous voyez, elles s'appliquent au champ de la réalité et la
réalité vient confirmer mes thèses.

Et il y avait dans la démarche de Lacan quelque chose d'extraordinaire, absolument, une chose
complètement étrangère à la démarche habituelle de ceux qui traitent la réalité, et y compris,
pas seulement dans sa présentation de malade, mais à l'égard de ses patients. Il se présentait
toujours comme celui qui ne savait pas, qu'au fond ce qui l'intéressait ce n'était pas de vérifier
son savoir, ce qui l'intéressait c'était ce qui justement échappait à son savoir et pouvait
éventuellement être perçu par lui et éclairer son savoir autrement. Pour faire ça, hein il faut être
fort, il ne faut pas avoir peur d'être ignorant, la docte ignorance, ça s'est appelé comme ça avec
Nicolas de Cues – tiens, il faudra le relire un jour – la docte ignorance, eh bien c'est ça,
c'est-à-dire être suffisamment savant pour pouvoir affronter ce qu'il en est du Réel et non pas
simplement se conforter, se consoler, en disant, ben vous voyez ça confirme bien ce que je sais.
C'est exactement ce que fait Freud et le papa tout du long de cette observation. Et alors
évidemment le temps fort, ça va être l'entrée en jeu du clown blanc, c'est à dire de Œdipe, c'est
le temps fort, c'est le temps fort puisque, là quelque chose va être émis comme par un oracle, un
oracle qui a beaucoup de rapport avec le cheval, un cheval qui parle, Freud c'est le cheval qui
parle, il murmure à l'oreille du petit Hans, et qui va lui dire « il y a du papa et maman il faut que
tu lui dises au revoir », c'est comme ça et personne ne s'étonnera du même coup que cette libido
est supposée justement s'aplatir et rentrer dans la période de latence … Ca n'étonnera personne
pourtant, d'un point de vue économique, pourquoi il suffirait de dire ça ? Peut-être parce le
signifiant introduit un ordre, soit de la tempérance, soit de la remise à demain, ce que tu ne peux
pas faire aujourd'hui, tu le feras demain quand tu seras grand, donc pour le moment tu te
calmes, et ça suffirait pour faire tomber la libido. C'est génial ça. Mais en tout cas c'est bien
comme ça que ça opère, c'est à dire l'introduction dans cette affaire de la relation à l'objet, dans
la relation au monde d'un trou, mais d'un trou ayant un sens sexuel, c'est ça l'Œdipe, c'est-à-dire
que la séparation opérée là par le père n'est pas traumatique, ce n'est pas un acte de violence,
même s'il y en a des assertions ou des cas sûrement, mais cette séparation a un sens sexuel et
c'est bien ainsi que ce manque est susceptible d'entretenir le désir et donc la fonction phallique.
Si Lacan avance que la mise en place de cet ordre symbolique aboutit chez Hans à l'identification
féminine, et d'ailleurs il relève également dans ses commentaires, Freud, l'attachement que Hans
aura pour sa petite sœur, pour Anna. Les parents divorceront, comme il se doit mais Hans
restera. On pourrait supposer qu'il y ait une hostilité fondamentale contre cette intruse, mais
comme si après tout c'était peut-être Anna dont la naissance avait fait rupture, là, dans sa
relation à sa mère, fait coupure dans sa relation à sa mère et comme si peut être Anna était la
représentante en tant que féminine de ce référent phallique qui est en cause dans l'affaire, et
comme si, dès lors, une identification phallique qui vaut, qui tienne était nécessairement
féminine, le père thérapeute, ne s'étant guère montré à la hauteur. Ça, c'est en tout ça
l'interprétation très intéressante que fait Lacan en s'appuyant sur l'analyse du second rêve du
plombier là où c'est tout l'appareil que le plombier vient changer. Réel, Symbolique et Imaginaire
vous avez le bonheur exceptionnel, bien que vous ne le sachiez pas toujours, de disposer sur vos
étagères à vous, qui ont fait le vide des ingrédients délicieux qui sont dans cette affaire, vous
avez la chance de disposer des dimensions. Dimensions ça veut dire mentions du dit. Mention,
menta c'est la table, bizarrement c'est l'esprit aussi, c'est curieux; ce sont les mentions du dits, ce
sont les surfaces qu'établit tout dit. Vous avez la chance de disposer de ces mentions du Réel du
Symbolique et de l'Imaginaire qui vous permettent de ne pas vous endormir après avoir mangé
de ce gâteau et donc de pouvoir démêler, car c'est complément enchevêtré, complément confus,
passer sans cesse d'une dimension à l'autre, et de pouvoir vous interroger, vous dire : « mais
voyons, si je devais essayer de représenter, sur le mode borroméen puisque Lacan c'est risqué
dans ce genre de chose, cette affaire qu'est ce que je dirais d'abord ? Je dirais que ce que l'on
voit c'est que l'on a affaire à un Réel, le cheval, qui n'est pas symbolisé. Il n'est pas symbolisé,
c'est à dire qu'il y a là une présence qui, au lieu de s'absentifier du champ des représentations
comme c'est le devoir de tout réel, comme c'est le devoir de l'objet petit a quand il est regard,
quand l'œil se met à figurer dans le champ des représentations ça devient gênant, le mauvais œil
là, c'est pas agréable, bon... Eh bien ce Réel n'est donc pas symbolisé et donc comment les faire
tenir ensemble, comment ne pas supposer que le Réel par exemple recouvre le Symbolique mais
sans y être noué, alors comment ça tient ? Comment ça tient ? Ça tient peut être par justement
le fait que ce déploiement de l'Imaginaire peut être déploiement de l'imaginaire, pour, se
faufilant dans ces deux ronds non pas noués, ni l'un pénétrant l'autre, mais superposés, pour
faire un nouage qui n'est plus borroméen. Alors là il faudrait ouvrir un chapitre qui serait très
intéressant pour la clinique de la phobie, qu'est ce que ce devient un nouage de la sorte quand il
n'est plus borroméen, quelles en sont les conséquences cliniques ?

Et c'est donc sur ce qui vous introduit dans un suspens absolument haletant que je vais donc
m'arrêter là ce soir, avec le fait donc que la prochaine fois puisque nous avons encore plusieurs
rencontres nous abordions la façon dont Lacan, dont je ne me suis aucunement inspiré hein ?
Pour vous faire cette lecture, je ne me suis pas du tout inspiré à ce qu'il raconte, ce qui fait que
ça va conserver pour nous sa fraîcheur. On va voir sa manière de procéder, on va voir si nous
sommes d'accord, et donc à partir de la prochaine fois nous aborderons la relation d'objet et le
trimestre consacré à notre cas. Alors Freud le conclut, vous l'avez vu, en disant « voilà
l’épilogue » en 1922, un beau jeune homme est venu le voir, bien sous tous rapports, qui a 19
ans, et qui lui raconte que « oui il va très bien, il va très bien, et qui n'a aucun souvenir de cette
affaire et il a lu tout ça évidemment et il ne s'est absolument pas reconnu dans cette histoire »
alors dit Freud : « voilà, c'est l'effet du refoulement ». Peut être, mais peut être aussi n'était ce
pas son histoire. Eh bien c'est ce que nous allons vérifier à partir de la prochaine fois.

Est-ce que vous avez des questions ?

- Est-ce que cette séparation entre un espace domestique et un espace public, ça détermine, par
rapport à la phobie, une pathologie qu'on pourrait dire, une pathologie du refoulement
originaire ? 

- Oui, j'ai laissé tomber ça, vous avez raison de m'y ramener. Ce qui est étrange c'est de penser
que l'espace domestique, c'est une enclave dans l'espace public, et que l'espace domestique,
c'est un espace réel, ce n'est pas un espace imaginaire. Et ça faudra le développer, mais en tout
cas donc, c'est comme ça. Et c'est ce qui fait que quand on rentre à la maison c'est comme si on
n'était plus sous le poids du regard, on met des pantoufles, on se déshabille, on se néglige, on
s'affaisse, on n'a plus d'image à tenir enfin certains, ce n'est pas obligatoire, c'est très étrange ça,
ce que je vous fait remarquer. C'est un espace réel. 

- L'espace public est-il imaginaire ?

 
-L'espace public, il est les trois. Mais l'espace domestique il n'est pas dans l'espace public.
Autrement dit c'est l'espace de la divinité. De la divinité familiale, du dieu lare et dont la mère est
la vestale. Vestales, vous connaissez les vestales, vous savez qu'elles étaient aussi bien
définitivement vierges que définitivement prostituées, ça fait rêver les enfants ça, non ?

- La chute du phallus. Alors est-ce qu'elle est liée bien sûr à ce que vous avez dit, au père
thérapeute, puisque vous aviez insisté sur le fait que le déclenchement de la phobie était lié au
fait qu’il mettait le phallus du coté de la mère, alors est-ce que cette question vous dites la que
c'est Anna elle même est représentante du phallus,  donc est-ce que la fragilité de ce phallus qui
peut tomber à chaque instant –  j'ai une patiente dont la phobie c'est déclenchée au moment ou
elle a vu la chute des twin towers – est-ce que donc c'est également lié à cette conservation du
phallus du côté féminin.

- Non, non, c'est lié au fait que si ce phallus n'est pas garanti en quelque sorte par les
manifestations que produit l'ordre symbolique du même coup il n'est plus soutenu que par lui
même, je veux dire qu’il n'a plus d'autre support que lui même

- D'accord, donc le fait que pour lui ça reste du coté féminin n'a pas d'autre … 

- Vous verrez que j'ai fait pour le site de l'association un petit billet, un édito là, comme on dit et
qui traite du vrai et du faux à la suite de la journée sur l'imposture à laquelle vous étiez tous bien
sûr et vous verrez de quelle manière c'est directement branché sur cette lecture, de ce qui fait le
vrai et le faux, et pourquoi donc ce cheval n'est garanti par rien que par lui même,  donc il peut
tomber à tout instant.

-Stéphane : Bon alors puisque vous m'y poussez, une question pour vous, à partir de la fonction
du nom du père, la fonction du nom du père est une fonction, donc une fonction, comme une
fonction mathématique qui nous emmène vers les mathématiques, vers la science ?

-. CM :Oui,

- S : Et c'est la fonction qui peut prendre en fait deux valeurs, une valeur 0 : il n'y a pas de nom du
père il n'y a pas de sujet, forclusion, ou bien il y a un sujet si, bon, c'est un deuxième cas. C'est à
dire dans la valeur 0 il peut y avoir ou ne pas y avoir de sujet, et dans la valeur 1, il y a du sujet,
autrement dit on est là avec une fonction, mathématique, c'est à dire qui se conçoit sans sujet en
tant que telle en tant que fonction, qui génère du sujet.
 

- CM : Oui,

- S :C'est la fonction, c'est dieu quoi ?

- CM : C'est Dieu…chacun à le droit de l'appeler comme ça si ça lui plait, hein, moi tout à l'heure
j'ai évoqué, d'yeux, d'apostrophe y e u  x mais on peut l'écrire autrement.

- S. :C'est quand même paradoxal d'avoir une fonction qui crée le sujet, alors que la fonction en
elle même est dépourvue de tout sujet, en tant que fonction.

- CM : Absolument. Ben oui. C'est ça qui est, qui est quoi ? C'est du créationnisme. Et oui, bien
sûr.

- Stephane : Moi j'ai une question, pourquoi il n'est pas devenu pervers le petit Hans avec cette
présentification de son zizi réel ?

- CM : Alors c'est ce que dit Freud il y à la un chapitre là, qui est très amusant, pour dire pourquoi
il n'est pas devenu homosexuel. Sans doute il n'est pas devenu homosexuel, parce que, je ne sais
pas. Moi je dirai qu'il n'est pas devenu homosexuel parce qu'il savait que la maman ne
s'intéressait pas beaucoup au sexe des messieurs. Que ce n'était pas pour elle un objet
d'élection. Quelque chose comme ça.

- C'est bien

- A bientôt, donc. 

Charles Melman

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 4


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, séminaire de Charles Melman, le 28/11/2013

Charles Melman : Comme j'espère que vous l'avez constaté, ces commentaires font 25 pages ;
c'est ce que l'on peut appeler le gâteau cent fois bon. Vous savez ce que c'est, vous avez déjà
mangé du gâteau cent fois bon. J'en suis sûr quand je vois vos mines, je suis sûr  que vous avez
connu ce genre de délice. Le gâteau cent fois bon, c'est le gâteau où la maman, ne sachant pas
trop comment faire pour assurer le dessert de qualité, le meilleur dessert pour ses enfants, eh
bien met dans le gâteau tout ce qu'elle peut trouver sur ses étagères, les meilleures choses, et
donc tout cet ensemble fait le gâteau cent fois bon de telle sorte [qu’]on ne voit pas comment
l'enfant pourrait résister à cette générosité, hum.

Eh bien, le commentaire de Freud mérite notre admiration dans la mesure où tous les traits qu'il
va retenir - nous sommes en 1909 ; [en] 1905 il a publié les Trois essais sur la sexualité et dont
l'un des essais porte sur la sexualité infantile. 1909, il s'agit donc cette fois-ci d'illustrer ses thèses
par l'examen direct, in vivo, de l'enfant et tout ce qu'il apporte, à propos de cette sexualité
infantile, 1909 après 1905, est absolument un choc dans la culture, puisque personne n'a osé
auparavant, et quel que soit le lieu, quel que soit le degré de culture, quelle que soit la religion,
quel que soit le niveau de la science, personne n'a osé évoquer le fait qu'il y ait une sexualité
infantile. Alors que, bien  évidemment, l'observation directe pouvait largement le justifier et il est
évident d'autre part que ce n'était pas politiquement correct puisque vouloir ainsi polluer
l'innocence propre à l'enfant est une opération qui ne pouvait paraître que dégradante aux
gardiens de la culture. C'est pas beau quand même d'aligner ainsi l'innocence de l'enfant. Mais
même faire pire, c'est-à-dire montrer que la sexualité se mettait en place dans l'enfance, et que
c'est ensuite cette sexualité infantile qui allait commander la vie adulte, alors là, ça c'est quand
même charrier. Ce qui veut dire tout simplement que ceux qui se pensent adultes oublient qu'ils
vivent une sexualité infantile qui s'est mise en place dans l'enfance, et qu'elle est régie, que ça
leur plaise ou pas, que ça leur convienne ou pas. Il y a donc bien toujours de l'enfant dans
l'adulte, et il est bien évident que ce n'est pas le fonctionnement social qui permettrait d'en
douter. Donc ce commentaire, c'est du gâteau cent fois bon puisqu'on va y retrouver tous ces
ingrédients merveilleusement découverts par Freud et qu'il va nous servir sans aucun  égard
pour notre appétit, voire notre rassasiement, et en même temps, en même temps qu'il opère
ainsi pour le meilleur, il va opérer pour le pire puisque ce rassemblement va être la matrice de
tous les malentendus et de toutes les erreurs à venir.

Ce qui, je suis persuadé, vous a ému, à la lecture de ces 25 pages, c'est le mal que se donne
Freud pour organiser son commentaire en un récit qui soit cohérent et consistant. Autrement dit
une mise en ligne d'une succession d'événements enchaînés les uns aux autres et qui furent les
conditions de la névrose du petit Hans et qui aboutirent, je dirais, à son traitement et à sa
guérison.

Donc faire en quelque sorte une observation clinique qui soit cohérente et trouvant dans sa
cohérence même la justification des thèses, en particulier celles qui concernent le
développement de l'enfant, les étapes successives et qui aboutiraient grâce au traitement
analytique à la normalisation des symptômes du petit Hans. En même temps dans ce
commentaire il doit écarter un certain nombre de préjugés qui concerneraient aussi bien les
accusations de dégénérescence qui seraient les thèses avancées à l'époque, la dégénérescence
c'était une thèse pour rendre compte de la maladie mentale, qui était soutenue en particulier
par un psychiatre français du nom de Morel, je ne sais pas si c'est le premier à l'avoir fait ou s'il
l'a repris des allemands, moi à mon idée ça devait sûrement venir d'Allemagne cette affaire de
dégénérescence, mais enfin c'est évidemment un terme qui ne veut pas dire grand-chose si ce
n'est que c'est mettre sur le dos des abus de boissons et des abus sexuels des ancêtres la cause
du triste état dans lequel nous sommes ; et ça c'était donc la grande thèse pour rendre compte
des affections névrotiques, donc Freud doit répondre à cette objection incontournable à
l'époque pour dire que, manifestement, Hans était un petit garçon physiquement parfait, bien
vivant, gai, joyeux, intelligent qui ne portait aucun stigmate de dégénérescence. Si ça vous amuse
je vous amènerai un jour le livre des illustrations des tableaux de la dégénérescence. Vous verrez
que ce sont des tableaux tout à fait sympathiques mais dont le… le petit Hans ne relevait en
aucun cas. Il a également à se laver de la thèse de la suggestion autrement dit que le petit Hans
aurait été entièrement influencé par le traitement qu'il subissait de la part de son père puisque
son père est là en position d'analyste vis à vis de lui et c'est bien aussi comme ça que Freud le
présente, et vous verrez d'ailleurs qu'à la fin il va quand même faire l'aveu de quelque chose qui
pesait sur le petit Hans, « c'est vrai » dit-il à la fin « il avait quand même dans son hérédité
quelque chose qui n'allait pas, c'est que sa mère était un peu tarée », dit-il, ce n'est pas l'adjectif
qu'il emploie, mais il va dire à la fin que « il y a quand même une tare entre guillemets
héréditaire "sa jolie mère" était en effet devenue la proie d'une névrose due à un conflit du
temps ou elle était jeune fille. J'avais pu alors lui être de quelques secours et de là datait de fait
mes rapports avec les parents de Hans. Ce n'est que timidement que j'oserai avancer quelque
considérations en faveur de celui-ci » et il reprend le fait que malgré la névrose maternelle qui
datait du temps ou elle était jeune fille, le petit Hans n'avait rien d'un petit taré. Mais quoiqu'il
en soit il tente d'écrire le récit de la maladie. Alors le problème c'est que la phobie fait objection
à tout récit. La phobie n'est pas une névrose, c'est à dire un dispositif qui se prête à une mise en
histoire. La phobie précède les névroses, est un état pré-névrotique, anté-névrotique, on aurait
envie de dire que, précisément, ce qui lui manque, c'est le récit qui permettrait de rétablir une
continuité qui apparaît constamment trouée et cependant bien sûr et dans un souci justement
thérapeutique, Freud va force dans le sens d'une succession ordonnée des événements qui sont
venus commander la phobie et cette succession d'événements étant ordonnée par une finalité
qui sera celle du salvateur complexe d'œdipe, c'est à dire la révélation faite à Hans que sa
tension libidinale cause d'angoisse, dit Freud, cause d'angoisse pour le petit Hans, il n'a qu'une
seule chose à faire c'est à se la mettre dans un tiroir et à s'en passer ce qui il faut l'avouer, est
quand même un curieux mode de traitement pour une tension libidinale, encore que, nous
soyons bien obligé de reconnaître que la période de latence, c'est lui Freud qui l'a révélée chez
les enfants, ça existe, pas toujours, il y a des enfants qui ne connaissent jamais la période de
latence, des petits vicieux qui passent comme ça leur temps dans des coins obscurs, mais
ordinairement il y a après cet émoi initial, quelque chose qui doit se passer qui doit se faire, on
va mettre quelque chose entre guillemets puisque il faudrait quand même en dire un mot,
quelque chose qui va se faire pour que ça se calme et que l'enfant oublie ce qu'a été pour lui ce
premier cinéma en technicolor, et qui, pour lui, a mis en place la sexualité.

Le pire, et qui va être la source de tout les malentendus à venir, et en particulier pour les élèves,
c'est que cette tentative, donc, d'écrire une histoire, est entièrement dominée par l'imaginaire,
même si sa conclusion est supposée être symbolique, dominée par l'imaginaire. Or comme
j'essaierai de le montrer à la fin de cette heure, l'imaginaire, le développement de l'imaginaire, la
tentative par l'enfant de résoudre ses difficultés, se fonde précisément sur une extension abusive
de l'imaginaire, abusive je veux dire donc faussement interprétative, de la dimension propre à
l'imaginaire. Autrement dit, Freud est fidèle à son cas en s'aidant lui-même à cette expansion de
l'imaginaire, pour rendre compte de cette affaire, et à partir de ce moment là, de cette
extension, nous nous trouvons donc devant des rassemblements d'arguments qui vont être
tantôt réels, tantôt symboliques, tantôt imaginaires mais sans que nous puissions à aucun
moment, par leur type de rassemblement, y introduire un petit peu d'ordre. Ordre qui n'est pas
purement spéculatif mais qui est évidemment souhaitable pour essayer de comprendre ce qui va
être constamment esquivé dans l'observation : qu'est ce qu'il en est de la spécificité d'une
phobie puisque Freud va en faire une hystérie d'angoisse, une hystérie d'angoisse en tant qu'elle
s'oppose à une hystérie de conversion, l'hystérie d'angoisse étant l'accumulation d'une libido qui
ne trouve pas de localisation corporelle susceptible de s'écouler alors que l'hystérie de
conversion est, bien entendu, la fixation sur l'organe que vous voulez en évitant plutôt l'organe
génital, l'organe sexuel, la fixation sur cet organe de libido en souffrance puisque dans
l'incapacité de s'écouler. Donc hystérie d'angoisse, transformée donc en angoisse, problème
quantitatif puisqu'il n'y à pas d'organe susceptible de s’y prêter, de fixation corporelle sur un
organe propre à lui assurer son écoulement. Ce qui fait donc que dans ce foisonnement de
l'imaginaire, ce qu'il en est de la spécificité à l'espace et en particulier le fait que vont s'opposer
tout de suite deux espaces très différents, mais j'ai déjà peut-être abordé ce thème avec vous,
l'espace domestique et l'espace public, et bien ce problème de la constitution de l'espace pour le
parlêtre, le problème de la localisation propre à l'espace domestique qui n'appartient donc pas à
cet espace public, eh bien ces questions qui sont du point de vue clinique essentielles, vont se
trouver, on va dire, définitivement évitées et contournées, or vous le verrez si vous reprenez la
lecture de ce texte, tantôt la sortie hors de la maison puisqu'il s'agit sans cesse, dans son
symptôme, il s'agit sans cesse de ça, il sort de la maison et c'est l'angoisse, alors au début on
l'explique par le fait qu’il est séparé de sa maman et donc il est angoissé de la perdre et puis
ensuite il sort avec sa maman et ça n'empêche absolument pas l'angoisse évidemment de surgir
et le contraindre à rentrer à la maison. Alors puisque j'évoque là la question  de la séparation
d'avec la maman, ça consiste en quoi la séparation d'avec la maman ? À quel moment peut-on
dire qu'il y a eu séparation d’avec la maman ? Et ça consiste en quoi ? Ça consiste en quoi,
puisque ça n'empêche absolument pas d'aller dans son lit de faire câlin toute chose après tout
plutôt normale. L'accompagner au cabinet c'est un peu spécial, c'est un peu spécial, encore que
ce ne soit pas exceptionnel, ça se voit et on se demande, mais il n'y a pas trop de spéculation là
dessus, quel est l'intérêt pour une maman de conduire son enfant avec elle dans les waters, mais
en tout cas ici je ne vais pas épiloguer sur ce point, ce n'est pas notre objet, mais on voit bien
cette séparation d’avec la maman on ne voit pas très bien ou elle est d'autant plus que la maman
voit son enfant malheureux : plus elle est proche de lui fort légitimement et plus elle essaye de le
tenir rapproché et elle même n'a pas envie de s'écarter, mais ça veut dire quoi, ça veut dire quoi
avoir peur de perdre sa maman ? Avoir peur de perdre sa maman on peut l'entendre comme le
fait  de la crainte de perdre un monde positivé c'est à dire un type de relation qui n'est pas régi
par les effets du langage mais où finalement, se trouve établi une communication que l'on
pourrait dire réussie, que ce soit, par des signes langagiers ou conventionnels, spécifiques à telle
ou telle relation à telle ou telle famille mais où en tout cas, je dirais, la relation du signe à l'objet
n'est pas métaphorique ni métonymique, elle est directe, qu'est-ce que tu veux mon chéri,
même si la réponse, elle, est métaphorique l'objet, lui, aura valeur de tuer la métaphore, et c'est
même sans doute pour ça qu'il y a des bébés qui résistent, je dirais, à cette opération maternelle
qui s'espère bienveillante, qui veut éviter à l'enfant les conséquences, je dirais, tellement
pénibles de l'entrée dans le langage de n'avoir plus, je dirais, que des semblants, la maman ce
n'est pas du semblant, elle n'est pas un semblant pour l'enfant, et l'enfant n'est pas un semblant
pour elle, c'est pas un semblant d'enfant, ni un semblant de maman, et quand vous avez affaire
bizarrement, comme dans les cas d'adoption, à ce type de semblant, eh bien ça tourne mal, ça ne
se passe pas bien, c'est là une dimension où la catégorie du vrai est irréfutable, le bon lait c'est
ça, alors évidemment ça fait du même coup qu’il y a des bébés qui sont rétifs et qui ne le
tolèrent pas, ça ne va pas ça ne colle pas, c'est vraiment trop du bon lait donc il dégueule et les
difficultés et les ennuis commencent mais en tout cas se séparer de sa maman c'est accepter de
passer d'un régime régi par le signe à celui du signifiant.

Je passe évidemment bien entendu sur les histoires de langage babisch enfin je veux dire, tout le
système de complicité et de connivence qui peut s'établir et qui est      toujours merveilleux
d'ailleurs, parce que c'est fascinant évidemment cette parfaite entente, une maman déchiffre
parfaitement, peut déchiffrer parfaitement les signes qui viennent de son enfant et
réciproquement bien sûr, ça constitue un duopole dont les tiers ne font pas partie si ce n'est à
titre intrusif bien sûr, et la maman, très bonne maman, c'est clair, non seulement jolie jeune fille
mais maman aimant son petit garçon, elle veut son bien, elle a bien raison, on ne va pas le lui
reprocher, et le petit, il ne veut pas se séparer de sa maman parce qu'il perçoit bien il y a là une
menace. Alors d'où elle vient cette menace ? Elle vient justement sans qu'il situe très bien
l'auteur je dirais, de cette menace, elle vient cette menace, justement de son entrée croissante
dans un langage qui n'est plus celui de la complicité, du patois, on va le dire comme ça, du patois
qu'il parlait avec la maman, le patois, le patois et pas moi, le patois c'est un langage positivé,
c'est la structure des patois, donc il y a une menace qui est liée à quoi  ? Mais qui est liée à sa
socialisation, c'est à dire que la mère n'est pas son unique interlocuteur, interlocutrice, il y en a
d'autres et avec les autres ce n'est pas la même chose, on entre dans un autre système de
communication, qui est celui du langage, et qui implique qu'il renonce à sa maman enfin à cette
maman là, ce qu'on appelle La Maman. Alors pourquoi chez le petit Hans, ce passage d'un
langage des signes à celui du signifiant pourquoi ça fait problème? Eh bien parce que pour passer
de ce réel du signe à un langage symbolique – je vais m'expliquer, hein, je ne vous laisserai pas
simplement, moi je suis très positiviste avec vous, j'explique tous les termes, je ne veux pas que
vous ayez l'impression que vous manquez ici de bonne maman, j'explique tout – eh bien pour
passer à l'ordre symbolique qui implique donc une perte de l'objet, il y faut, je dirais, le
représentant, le réfèrent, le référent qui, je ne peux pas le dire autrement, qui en assure la
police, il faut un policier, c'est à dire il faut une autorité, sinon c'est pas obligé, c'est tout le
problème des enfants qui à la maison n'ont pas trouvé justement une autorité de ce type, et ce
passage se supporte, je dirais, d'une mise en scène théâtrale et qui est celui de l'intervention
entière du père qui sépare la mère de son enfant et qui signifie à son enfant  : « elle est peut être
ta mère mais elle est ma femme » et qui donc du même coup a la grossièreté, la vulgarité,
l'obscénité d'y introduire la dimension sexuelle.

Vous le présenter comme ça de façon aussi élémentaire, j'allais dire alimentaire, toujours à cause
du gâteau, pour vous le présenter comme ça vous voyez bien tout de suite de quelle manière
effectivement dans l'histoire familiale eh bien, le papa, il n'est pas en mesure d'être là l'agent de
police, autrement dit pour imposer l'ordre symbolique, il faut une autorité réelle, pas imaginaire,
réelle, autrement dit une autorité dans le réel, et ce papa très gentil et cette maman très gentille
eh bien la maman d'abord, elle ne reconnaît pas, c'est clair, les tentatives du papa de mettre un
peu de champ entre les deux, alors l'alibi du papa, c'est ça le problème, l'alibi du papa il est
thérapeutique : « comme tu l'excites, ça fait monter la libido et donc l'angoisse ». Voilà,
autrement dit toutes les interventions dans cette affaire sont en réalité celles d'un thérapeute,
d'un docteur, et tous ceux qui ont eu pour papa des docteurs qui agissaient comme tels dans leur
famille doivent savoir que c'est pas terrible, s'il agissent comme docteur autrement dit pour le
bien de l'enfant. Un papa ça n'agit pas à la maison pour le bien de l'enfant, ça agit parce que c'est
la maison et qu'il a là une fonction à occuper, si ça fait du bien c'est un bénéfice secondaire, mais
ce n'est pas ce qui est recherché, ce n'est pas ce qui est visé, « c'est pas parce que je recherche
ton bien que je t'engueule, je t'engueule parce que c'est ma fonction de t'engueuler, c'est tout,
c'est comme ça, ça ne te fait pas plaisir, évidemment c'est désagréable, moi ça m'enroue, tout ça
d'accord, mais c'est comme ça ». Eh bien toute cette observation comme je vous l'ai fait
remarquer la dernière fois, elle est dominée par le fait que, premièrement, dans la mesure où le
papa qui travaille pour Freud, le petit Hans a deux ans quand paraissent les trois essais sur la
sexualité, Freud demande que l'un de ses proches observe directement son enfant pour vérifier
directement ses thèses, le papa s'y emploie c'est à dire qu’à partir de ce moment là il a les yeux
fixés sur son zizi, de telle sorte que pour ce pauvre chou, son zizi cesse éventuellement d'être
symbolique pour devenir bien réel. Symbolique, ça veut dire, j'explique à chaque fois,
symbolique, ça veut dire qu'il est l'insigne de ce qui ne prend valeur que d'une perte, ça veut dire
ça, symbolique, il prend sa valeur et sa fonction que d'être le représentant d'une perte, le signe
représentant d'une perte, il est symbolique de cette perte et donc du même coup apte au désir,
à endosser le désir, à le servir, et si il est réel c'est comme si il devenait l'objet d'une étude
médicale, et j'ai l'audace, qui ne me coûte pas cher, pour une fois, d'affirmer que c'est cette
attitude là de ce gentil papa et de ce gentil Freud vis à vis de cette enfant, qui l'a rendu phobique,
autrement dit qui l'a protégé de l'accès à un ordre symbolique possible et qu'à partir de ce
moment là on est entré, je ne sais pas si vous avez été sensible au cours de cette opération, dans
un monde qui semble constamment positivé, sauf pour ce qui ressemble à de l'imaginaire. On a
l'impression de pénétrer dans un intérieur un peu étouffant comme ça, chaud, tiède, étouffant,
où rien ne manque, où tout défaut semblerait immédiatement comblé, c'est pas rare comme
situation, et donc le petit Hans se trouve par l'opération même qui commande son histoire, se
trouve exposé à ne plus avoir à faire qu'à un monde positivé, autrement dit, à faire que le
phallus, et vous trouvez ce terme de phallus dans l'observation dans une note en bas de page –
vous vous demandez si phallus est un terme exclusivement introduit par Lacan, eh bien vous
verrez, voyez dans cette observation et en particulier dans le commentaire, que le terme de
phallus est en bas de page – eh bien donc du même coup que le phallus qui aurait à n'être perçu
que symbolisé c'est-à-dire représenté par les signifiants, va se trouver émerger dans le champ du
réel sous la forme de ce dada sous la forme du cheval, et dans la mesure où cette présence dans
le réel n'est plus garantie par quoi que ce soit, la crainte que ce référent essentiel ne puisse venir
à disparaître, ne tombe, alors là vous verrez dans le commentaire, des termes allemands qui sont
très embarrassants et il faudra que je vérifie, je ne l'ai pas fait encore je le ferai pour la prochaine
fois, niederkommen pour tomber, le cheval niederkommt ; niederkommen c'est accoucher aussi
bien, c'est mettre bas, enfin je vérifierai pour nous la prochaine fois, si Freud se sert du terme de
« Dummheit » pour bêtise ou si c'est un autre terme, qui se réfère plus explicitement à la bête,
puisque « dumm » c'est l'idiot, ce n'est pas spécifiquement animal "Dummheit". Et puis
également des termes comme niederkommen et vous retrouverez également dans ce
commentaire pour spécifier l'histoire de la baignoire  et du plombier qui vient percer le ventre
avec un perçoir, l'usage des termes « bohren » qui veut dire donc percer, et « geboren » qui veut
dire naître, donc vous voyez comment les signifiants qui interviennent dans le rêve témoignent
de la parfaite connaissance que le petit Hans a du mécanisme de la fécondation et quelque chose
qui rentre dans le ventre vient percer le ventre. Il s'y livrera lui même sur une poupée, à l'aide
d'un canif, autrement dit il a parfaitement compris. Avec une question majeure qui surgit à ce
moment là, c'est que toute l'observation est régie par l'évocation de la série d'expériences,
d'expérimentations auquel le petit Hans s'est livré. C’est à dire que c'est un monde d'expériences
et de sensations qui vient asseoir son savoir, alors que rien de cette expérimentation ne pourrait
justifier un certain nombre de symptômes, comme la crainte d'être mordu. Un jour il a entendu
un papa qui disait à sa fille « ne met pas ta main tu pourrais être mordue », ça ne suffit pas pour
être retenu et constituer un événement, ça. Si ça constitue un événement, c'est pour d'autres
raisons, puisque, en outre, il nie la différence des sexes, et vous pouvez voir tout du long qu’en
réalité la série de ces expériences est entièrement commandée par, justement, le rapport de ce
petit parlêtre aux signifiants, et que c'est de là, dans la mesure où il a quitté le langage de signes
qu'il avait avec sa mère, que c'est de ce rapport au signifiants que naissent non seulement les
problèmes mais toute une série d'images qui vont être décisives. Alors je ne vais pas reprendre le
Pferd et son rapport avec le PFreud, je ne vais pas reprendre la girafe avec son patronyme c'est à
dire Graf, je ne vais pas reprendre la question de ces wagons chargés que tire le cheval. Qu'un
cheval tombe ça ne le fait pas disparaître pour autant, mais au fond et c'est là un élément propre
à la phobie et que Freud escamote, la grande crainte c'est celle de se trouver face à un trou dans
la sémiologie. L’élément phobogène majeur c'est le trou, la rencontre dans l'espace d'un trou, la
rencontre d'un espace troué et qui, à partir de là, se défait comme espace, de sorte qu'il ne peut
plus bouger parce que pour bouger, il faut être dans un espace plan. Si on n’a pas l'assurance de
se déplacer dans un espace plan et dans la mesure ou cet espace plan est forcément régi par le
plan projectif, c'est à dire un regard qui se situe du côté de l'autre, et qui en quelque sorte
illumine en les légitimant les objets qui se déplacent dans cet espace plan, eh bien si vous n'avez
pas ce dispositif là, et qui implique donc avec la présence de ce regard la perte d'un objet, l'objet
regard, eh bien vous ne pouvez plus bouger, vous êtes cloué sur place. Vous ne pouvez plus ni
avancer ni reculer parce vous manquez de l'espace dans lequel vous pourriez vous déplacer.
Puisqu'on ne s'y déplace qu'au titre de silhouette, qu'au titre d'image on ne s'y déplace pas avec
son corps, on s'y déplace comme une image, en représentation, pas en tant qu'objet, en tant que
représentation, et c'est donc à partir de son expérience du langage, de son entrée dans le
langage que l'enfant va ordonner ses perceptions, ce ne sont pas ces perceptions qui ordonnent
son langage, c’est son langage qui ordonne ses perceptions, et il ordonne tellement ses
perceptions qu'elles font que ce que l'on voit ce n'est jamais que ce que l'on sait, que ce que l'on
ne sait pas, on ne le voit pas ! Ce n'est pas compliqué. On ne voit jamais que ce que l'on sait et ça
nous renvoie à l'un des problèmes de la démarche clinique de Freud dans cette observation, il n'y
apprend rien de cette observation, on n'y trouve que l'application de ce qu'il sait. Et cette
situation nous explique pourquoi Lacan à propos de la clinique a parlé de la carte forcée de la
clinique parce que vous trouvez volontiers chez les psychiatres en particulier, cette idée, qu’on
apprend de la clinique, c'est la clinique qui nous enseigne. Le seul problème c'est que je ne
perçois dans le champ des symptômes que ce que je sais, que ce que je répertorie comme
symptôme, autrement dit la clinique ne fait que vérifier, confirmer ou infirmer ce que je sais. Et
c'est ce dont Freud nous donne la démonstration magistrale. C'est à dire qu'il opère comme tous
les scientifiques, j'ai des thèses et vous voyez, elles s'appliquent au champ de la réalité et la
réalité vient confirmer mes thèses.

Et il y avait dans la démarche de Lacan quelque chose d'extraordinaire, absolument, une chose
complètement étrangère à la démarche habituelle de ceux qui traitent la réalité, et y compris,
pas seulement dans sa présentation de malade, mais à l'égard de ses patients. Il se présentait
toujours comme celui qui ne savait pas, qu'au fond ce qui l'intéressait ce n'était pas de vérifier
son savoir, ce qui l'intéressait c'était ce qui justement échappait à son savoir et pouvait
éventuellement être perçu par lui et éclairer son savoir autrement. Pour faire ça, hein il faut être
fort, il ne faut pas avoir peur d'être ignorant, la docte ignorance, ça s'est appelé comme ça avec
Nicolas de Cues – tiens, il faudra le relire un jour – la docte ignorance, eh bien c'est ça,
c'est-à-dire être suffisamment savant pour pouvoir affronter ce qu'il en est du Réel et non pas
simplement se conforter, se consoler, en disant, ben vous voyez ça confirme bien ce que je sais.
C'est exactement ce que fait Freud et le papa tout du long de cette observation. Et alors
évidemment le temps fort, ça va être l'entrée en jeu du clown blanc, c'est à dire de Œdipe, c'est
le temps fort, c'est le temps fort puisque, là quelque chose va être émis comme par un oracle, un
oracle qui a beaucoup de rapport avec le cheval, un cheval qui parle, Freud c'est le cheval qui
parle, il murmure à l'oreille du petit Hans, et qui va lui dire « il y a du papa et maman il faut que
tu lui dises au revoir », c'est comme ça et personne ne s'étonnera du même coup que cette libido
est supposée justement s'aplatir et rentrer dans la période de latence … Ca n'étonnera personne
pourtant, d'un point de vue économique, pourquoi il suffirait de dire ça ? Peut-être parce le
signifiant introduit un ordre, soit de la tempérance, soit de la remise à demain, ce que tu ne peux
pas faire aujourd'hui, tu le feras demain quand tu seras grand, donc pour le moment tu te
calmes, et ça suffirait pour faire tomber la libido. C'est génial ça. Mais en tout cas c'est bien
comme ça que ça opère, c'est à dire l'introduction dans cette affaire de la relation à l'objet, dans
la relation au monde d'un trou, mais d'un trou ayant un sens sexuel, c'est ça l'Œdipe, c'est-à-dire
que la séparation opérée là par le père n'est pas traumatique, ce n'est pas un acte de violence,
même s'il y en a des assertions ou des cas sûrement, mais cette séparation a un sens sexuel et
c'est bien ainsi que ce manque est susceptible d'entretenir le désir et donc la fonction phallique.
Si Lacan avance que la mise en place de cet ordre symbolique aboutit chez Hans à l'identification
féminine, et d'ailleurs il relève également dans ses commentaires, Freud, l'attachement que Hans
aura pour sa petite sœur, pour Anna. Les parents divorceront, comme il se doit mais Hans
restera. On pourrait supposer qu'il y ait une hostilité fondamentale contre cette intruse, mais
comme si après tout c'était peut-être Anna dont la naissance avait fait rupture, là, dans sa
relation à sa mère, fait coupure dans sa relation à sa mère et comme si peut être Anna était la
représentante en tant que féminine de ce référent phallique qui est en cause dans l'affaire, et
comme si, dès lors, une identification phallique qui vaut, qui tienne était nécessairement
féminine, le père thérapeute, ne s'étant guère montré à la hauteur. Ça, c'est en tout ça
l'interprétation très intéressante que fait Lacan en s'appuyant sur l'analyse du second rêve du
plombier là où c'est tout l'appareil que le plombier vient changer. Réel, Symbolique et Imaginaire
vous avez le bonheur exceptionnel, bien que vous ne le sachiez pas toujours, de disposer sur vos
étagères à vous, qui ont fait le vide des ingrédients délicieux qui sont dans cette affaire, vous
avez la chance de disposer des dimensions. Dimensions ça veut dire mentions du dit. Mention,
menta c'est la table, bizarrement c'est l'esprit aussi, c'est curieux; ce sont les mentions du dits, ce
sont les surfaces qu'établit tout dit. Vous avez la chance de disposer de ces mentions du Réel du
Symbolique et de l'Imaginaire qui vous permettent de ne pas vous endormir après avoir mangé
de ce gâteau et donc de pouvoir démêler, car c'est complément enchevêtré, complément confus,
passer sans cesse d'une dimension à l'autre, et de pouvoir vous interroger, vous dire : « mais
voyons, si je devais essayer de représenter, sur le mode borroméen puisque Lacan c'est risqué
dans ce genre de chose, cette affaire qu'est ce que je dirais d'abord ? Je dirais que ce que l'on
voit c'est que l'on a affaire à un Réel, le cheval, qui n'est pas symbolisé. Il n'est pas symbolisé,
c'est à dire qu'il y a là une présence qui, au lieu de s'absentifier du champ des représentations
comme c'est le devoir de tout réel, comme c'est le devoir de l'objet petit a quand il est regard,
quand l'œil se met à figurer dans le champ des représentations ça devient gênant, le mauvais œil
là, c'est pas agréable, bon... Eh bien ce Réel n'est donc pas symbolisé et donc comment les faire
tenir ensemble, comment ne pas supposer que le Réel par exemple recouvre le Symbolique mais
sans y être noué, alors comment ça tient ? Comment ça tient ? Ça tient peut être par justement
le fait que ce déploiement de l'Imaginaire peut être déploiement de l'imaginaire, pour, se
faufilant dans ces deux ronds non pas noués, ni l'un pénétrant l'autre, mais superposés, pour
faire un nouage qui n'est plus borroméen. Alors là il faudrait ouvrir un chapitre qui serait très
intéressant pour la clinique de la phobie, qu'est ce que ce devient un nouage de la sorte quand il
n'est plus borroméen, quelles en sont les conséquences cliniques ?

Et c'est donc sur ce qui vous introduit dans un suspens absolument haletant que je vais donc
m'arrêter là ce soir, avec le fait donc que la prochaine fois puisque nous avons encore plusieurs
rencontres nous abordions la façon dont Lacan, dont je ne me suis aucunement inspiré hein ?
Pour vous faire cette lecture, je ne me suis pas du tout inspiré à ce qu'il raconte, ce qui fait que
ça va conserver pour nous sa fraîcheur. On va voir sa manière de procéder, on va voir si nous
sommes d'accord, et donc à partir de la prochaine fois nous aborderons la relation d'objet et le
trimestre consacré à notre cas. Alors Freud le conclut, vous l'avez vu, en disant « voilà
l’épilogue » en 1922, un beau jeune homme est venu le voir, bien sous tous rapports, qui a 19
ans, et qui lui raconte que « oui il va très bien, il va très bien, et qui n'a aucun souvenir de cette
affaire et il a lu tout ça évidemment et il ne s'est absolument pas reconnu dans cette histoire »
alors dit Freud : « voilà, c'est l'effet du refoulement ». Peut être, mais peut être aussi n'était ce
pas son histoire. Eh bien c'est ce que nous allons vérifier à partir de la prochaine fois.

Est-ce que vous avez des questions ?

- Est-ce que cette séparation entre un espace domestique et un espace public, ça détermine, par
rapport à la phobie, une pathologie qu'on pourrait dire, une pathologie du refoulement
originaire ? 

- Oui, j'ai laissé tomber ça, vous avez raison de m'y ramener. Ce qui est étrange c'est de penser
que l'espace domestique, c'est une enclave dans l'espace public, et que l'espace domestique,
c'est un espace réel, ce n'est pas un espace imaginaire. Et ça faudra le développer, mais en tout
cas donc, c'est comme ça. Et c'est ce qui fait que quand on rentre à la maison c'est comme si on
n'était plus sous le poids du regard, on met des pantoufles, on se déshabille, on se néglige, on
s'affaisse, on n'a plus d'image à tenir enfin certains, ce n'est pas obligatoire, c'est très étrange ça,
ce que je vous fait remarquer. C'est un espace réel. 

- L'espace public est-il imaginaire ?

-L'espace public, il est les trois. Mais l'espace domestique il n'est pas dans l'espace public.
Autrement dit c'est l'espace de la divinité. De la divinité familiale, du dieu lare et dont la mère est
la vestale. Vestales, vous connaissez les vestales, vous savez qu'elles étaient aussi bien
définitivement vierges que définitivement prostituées, ça fait rêver les enfants ça, non ?

- La chute du phallus. Alors est-ce qu'elle est liée bien sûr à ce que vous avez dit, au père
thérapeute, puisque vous aviez insisté sur le fait que le déclenchement de la phobie était lié au
fait qu’il mettait le phallus du coté de la mère, alors est-ce que cette question vous dites la que
c'est Anna elle même est représentante du phallus,  donc est-ce que la fragilité de ce phallus qui
peut tomber à chaque instant –  j'ai une patiente dont la phobie c'est déclenchée au moment ou
elle a vu la chute des twin towers – est-ce que donc c'est également lié à cette conservation du
phallus du côté féminin.

- Non, non, c'est lié au fait que si ce phallus n'est pas garanti en quelque sorte par les
manifestations que produit l'ordre symbolique du même coup il n'est plus soutenu que par lui
même, je veux dire qu’il n'a plus d'autre support que lui même

- D'accord, donc le fait que pour lui ça reste du coté féminin n'a pas d'autre … 

- Vous verrez que j'ai fait pour le site de l'association un petit billet, un édito là, comme on dit et
qui traite du vrai et du faux à la suite de la journée sur l'imposture à laquelle vous étiez tous bien
sûr et vous verrez de quelle manière c'est directement branché sur cette lecture, de ce qui fait le
vrai et le faux, et pourquoi donc ce cheval n'est garanti par rien que par lui même,  donc il peut
tomber à tout instant.

-Stéphane : Bon alors puisque vous m'y poussez, une question pour vous, à partir de la fonction
du nom du père, la fonction du nom du père est une fonction, donc une fonction, comme une
fonction mathématique qui nous emmène vers les mathématiques, vers la science ?

 
-. CM :Oui,

- S : Et c'est la fonction qui peut prendre en fait deux valeurs, une valeur 0 : il n'y a pas de nom du
père il n'y a pas de sujet, forclusion, ou bien il y a un sujet si, bon, c'est un deuxième cas. C'est à
dire dans la valeur 0 il peut y avoir ou ne pas y avoir de sujet, et dans la valeur 1, il y a du sujet,
autrement dit on est là avec une fonction, mathématique, c'est à dire qui se conçoit sans sujet en
tant que telle en tant que fonction, qui génère du sujet.

- CM : Oui,

- S :C'est la fonction, c'est dieu quoi ?

- CM : C'est Dieu…chacun à le droit de l'appeler comme ça si ça lui plait, hein, moi tout à l'heure
j'ai évoqué, d'yeux, d'apostrophe y e u  x mais on peut l'écrire autrement.

- S. :C'est quand même paradoxal d'avoir une fonction qui crée le sujet, alors que la fonction en
elle même est dépourvue de tout sujet, en tant que fonction.

- CM : Absolument. Ben oui. C'est ça qui est, qui est quoi ? C'est du créationnisme. Et oui, bien
sûr.

- Stephane : Moi j'ai une question, pourquoi il n'est pas devenu pervers le petit Hans avec cette
présentification de son zizi réel ?

- CM : Alors c'est ce que dit Freud il y à la un chapitre là, qui est très amusant, pour dire pourquoi
il n'est pas devenu homosexuel. Sans doute il n'est pas devenu homosexuel, parce que, je ne sais
pas. Moi je dirai qu'il n'est pas devenu homosexuel parce qu'il savait que la maman ne
s'intéressait pas beaucoup au sexe des messieurs. Que ce n'était pas pour elle un objet
d'élection. Quelque chose comme ça.

- C'est bien
 

- A bientôt, donc. 

Charles Melman

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 5


EPhEP, Séminaire de Charles Melman, le 19 décembre 2013  

Charles Melman : Je vous propose que nous nous attachions à l'approche lacanienne du petit
Hans avec cette remarquable leçon 11 – n'ayez pas peur si vous ne l'avez pas relue, je ne vous l'ai
pas indiqué d'ailleurs – du séminaire sur La relation d'objet et les structures freudiennes (1957).
C'est une leçon mémorable et dont vous allez voir que, effectivement, elle introduit les
dimensions qui sont pour nous essentielles, à partir de ce fait que la dimension majeure, celle du
Symbolique, ici abordée, n'est pas une dimension qui soit directement observable. Autrement dit
ce n'est pas parce que je vais scruter avec des appareils subtils mon champ perceptif que j'y
trouverai trace du Symbolique, et c'est évidemment contrairement aux dimensions de
l'Imaginaire et du Réel qui se situent beaucoup mieux, c'est évidemment ce qui fait la difficulté
de l'appréhension de cette dimension du Symbolique, qui n'est donc isolable qu'à partir de la
lecture des énonciations d'un psychanalysant. Et ce sera une leçon d'autant plus, je dirais,
surprenante qu'elle introduit de façon, on va dire, irruptive, dans un champ que pour ma part à
l’époque je connaissais assez bien qui était celui des travaux classiques des psychanalystes, elle
introduit cette dimension qui, je dirais, aussi bien à Freud qu'à ses suivants, était complètement
opaque.

Le départ de cette leçon 11 nous permet d'aborder cette question du Symbolique par l'une de
ses conséquences, théorisée classiquement par le terme de frustration, étant au principe de la
théorisation de l'époque que les névroses sont liées à la frustration qu'un sujet est susceptible de
rencontrer de la part de l'environnement, que celles-ci suscitent chez lui de l'agressivité et du
même coup une régression. Là où on l'attendait adulte, la frustration rencontrée dans sa relation
à l'environnement, va provoquer chez lui ces deux temps et donc l'amener à actualiser une
névrose témoignant de sa stase à une époque infantile, à un âge infantile. Cette théorie de la
frustration, agressivité, régression était une espèce de lieu commun, que vous retrouverez si
vous allez chercher dans les articles, dans les travaux, dans les conférences des psychanalystes
de l'époque.

Vous ferez comme moi c'est-à-dire qu'en relisant cette leçon vous allez tiquer sur le fait que ce
qu'il va essayer d'articuler sera peut-être, dit-il, un peu plus algébrique que d'habitude, encore
que vous ne verrez apparaître aucune mathématisation de l'affaire ; néanmoins retenons cette
référence à l'algèbre. À cette triade frustration-agressivité-régression, Lacan substitut la suivante
frustration-castration-privation, distinguant ainsi trois dimensions du rapport au manque
d'objet : la frustration dans le champ imaginaire, la castration dans le champ symbolique et la
privation dans le champ réel. Et rien qu'à faire ressurgir ces trois catégories, vous voyez aussitôt
comment ce qui va être central dans l'observation du petit Hans, c'est-à-dire ce qu'il en est du
rapport d'une femme au phallus, va se trouver, je dirais, distribué d'une façon utilisable, puisque
vous avez pu voir de quelle manière on était sans cesse à voyager d'une dimension à l'autre, sans
plus rien arriver à distinguer. La privation chez une femme elle est facile à repérer, elle est
réelle ; c'est bien, je dirais, d'un organe dont elle serait supposée manquer, dont elle serait
donc privée réellement. La castration, opération donc symbolique et qui l'introduit, comme tout
parlêtre, à la dimension du manque. Et puis la frustration, c'est-à-dire la revendication, est-ce
que l’on va dire tout de suite imaginaire ou de l'objet imaginaire, en tout cas la revendication que
je dirais imaginaire, d'un objet imaginaire et qui viendrait lui faire défaut. Alors pour nous
amuser à situer ces trois dimensions dans le champ des relations familiales… La privation,
"l'anatomie c'est le destin" disait le professeur Freud, ce qui est faux puisque justement ce qui va
prévaloir c'est la dimension symbolique qui, là, n'a plus rien à voir avec l'anatomie, mais
sûrement a à voir avec un père, auquel, je dirais, elle se trouve référée, qu'il s'agisse d'un garçon
ou d'une fille ; quant à la frustration, elle concerne sûrement le rapport de cette femme, de cette
jeune fille, avec le spectacle du frère qui, lui, se trouverait ainsi propriétaire de ce qui viendrait à
elle lui manquer. La frustration traduit en français le mot allemand de Freud de Versagung. C'est
un mot assez riche, la Versagung, qui est donc fait du mot sagung, sagen qui veut
dire dire, versagen, le fameux ver- qui est toujours la déviation d'un verbe, on va dire normatif,
hum ; par exemple brechen c'est casser, Verbrecher c'est le voleur, celui qui fait effraction, il
casse mais avec de mauvaises intentions, par exemple. Versagen sera à entendre  comme la
promesse, ce qui a été dit, ce qui a été promis et qui n'a pas été tenu, et c'est bien après tout le
sort d'une fille, effectivement, de se trouver exposée à la Versagung, c'est-à-dire qu'avec sa
naissance même et son investissement comme enfant il y a là une promesse en quelque sorte
faite quant à la valeur de sa représentabilité. Et cette promesse s'avèrera non tenue, eu égard à
l'investissement du frère, en général… on parle dans l'abstrait et en général, ce qui se produit le
plus couramment dans nos sociétés hautement éduquées. Et donc inévitablement, bien sûr, le
sentiment de cette promesse non tenue, d'une frustration, de naître sous le signe d'une étoile, je
dirais, ternie ou obscurcie par cet effet.

Lacan, pour justifier sa façon de lire ce terme chez Freud, fait remarquer ceci c'est que on ne
peut pas tenir la frustration comme refus d'un objet de satisfaction puisque, fait-il remarquer, un
désir qui serait ainsi frustré, un besoin ainsi frustré, ne manquerait pas, c'est la réponse
organique qu'il est légitime d'attendre, ne manquerait pas de s'éteindre. Or il se trouve, comme
nous le savons, que le désir inconscient, lui, est indestructible. De telle sorte que l'on pourrait au
contraire postuler que c'est du fait de se trouver frustré, ce désir, qu'il se trouve entretenu et
engagé dans le processus de répétition. Il y a donc dans ce chapitre une critique qui est datée et
qui ne vous concerne plus, puisque vous n'avez plus à faire à ce genre de trinité, une critique
datée, je dis bien, de cette triade frustration-agressivité/agression-régression, mais en faisant
remarquer que on pourrait aussi bien en envisager bien d'autres, de trinités, pour venir s'inscrire
avec la frustration. Et alors on va rentrer partir de ce moment-là, dans un château enchanté
puisque il va nous dire ceci, c'est une phrase assez longue que je vais lire à partir d'une virgule :

« […] la frustration en elle-même », il dira d'abord « La frustration donc, n'est pas un refus d'un
objet de satisfaction et ce n'est pas à cela qu'elle tient. »  « […] la frustration en elle-même n'est
pensable, non pas comme n'importe quelle frustration, mais comme une frustration utilisable
dans notre dialectique, que comme le refus de don [d, o, n] en tant qu'il est lui-même symbole
de quelque chose qui s'appelle l'amour. »

Le refus de don en tant qu'il est lui-même symbole de quelque chose qui s'appelle l'amour.
Autrement dit il ne s'agit pas d'un refus d'un objet de satisfaction. Il s'agit du refus d'un signe,
d'un don, symbole de quelque chose qui s'appelle l'amour. Nous disant que vous trouvez ça chez
Freud en toutes lettres, ce qui n'est pas évident, mais ce n'est pas ce qui est important.

« Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela ne veut pas dire que l'enfant a fait la philosophie de
l'amour, qu'il a fait la distinction de l'amour [et] du désir, cela veut dire qu'il est déjà dans un
bain qui implique l'existence de cet ordre symbolique, et que nous pouvons déjà en trouver dans
sa conduite des preuves, c'est à savoir que certaines choses passent, qui ne sont concevables que
si cet ordre symbolique est présent. »

L'ordre symbolique, le don qui lui est attaché, c'est celui d'introduire à ce manque, moteur des
désirs à venir ; le voilà le don, c'est le don d'amour. Si vous en voulez une preuve grossière, mais
je dirais qui se vérifie très facilement en clinique, c'est évidemment ce qu'illustre le texte de
Freud sur Un enfant est battu, c'est-à-dire d'envisager, pour un enfant, comme signe d'amour le
fait que son frère est battu, est frappé, est marqué dans son corps, est forcé, contraint au
manque. Le don donc, porté par l'ordre symbolique, ce signe d'amour en tant qu'il introduit le
locuteur au manque générateur moteur du désir, et si j'ai évoqué tout à l'heure l'image du frère
en tant que susceptible de susciter la frustration, c'est bien en ce fait que s'il est porteur d'un
phallus, c'est en tant que signe, ce phallus, en tant que signe qu'il est propre à l'exercice du désir,
rien de plus. Donc s'il paraît cet objet comme un don, un don d'amour, c'est en tant qu'il est pris
dans cette affaire. Je ne vais pas… comme je souhaite au cours de cette soirée aller au bout de
cet article, je laisse tomber certaines digressions, dont vous vous chargerez vous-mêmes, qui ne
sont pas difficiles d'ailleurs.

Mais il va tout de suite développer la question du don qui d'ailleurs va inévitablement  nous
amener à Lévi-Strauss quelques pages plus loin, pour dire que le don, la catégorie du don sur
laquelle, comme vous le savez, les ethnologues se sont largement appesantis, et j'évoque pour
vous Marcel Mauss, c'est toujours intéressant, ça ne se lit plus en dehors des cercles spécialisés
ce qui est dommage :

«Le don lui-même implique tout le cycle de l'échange, il n'y a don que parce qu'il y a une
immense circulation de dons qui prennent tout l'ensemble intersubjectif du point de vue du sujet
qui y entre et qui s'y introduit aussi primitivement que vous pouvez le supposer. Le don…»,

et voilà qui…comment dirais-je, introduit une tempérance radicale dans notre relation à l'objet
puisque le don, signe d'amour,

« Le don alors surgit d'un au-delà de la relation objectale, puisque justement il suppose derrière
lui tout cet ordre de l'échange pour l'enfant qui va y entrer, et il ne va surgir de cet au-delà que
dans son caractère qui est ce qui le constitue proprement symbolique […] »,

autrement dit il ne sert à rien, ce n'est pas lui qui va apaiser un quelconque besoin, il est
seulement le signe, de l'amour, c'est-à-dire de  l'introduction à ce manque. Et donc,

« […] il ne va surgir de cet au-delà que dans son caractère qui est ce qui le constitue proprement
symbolique, et qui fait que rien n'est don qui ne soit constitué par cet acte qu'il a préalablement
annulé, révoqué. C'est sur un fond de révocation que le don surgit et est donné. »
Qu'est-ce qu'il a annulé et révoqué ? C'est justement le poids, le prix de l'objet.

« C'est donc sur ce fond, en tant que signe de l'amour, annulé d'abord pour reparaître comme
pure présence […] »,

annulé, on le verra un petit peu plus loin à propos du sein, de la relation de l'enfant à la mère,

« […] en tant que signe de l'amour, annulé d'abord pour reparaître comme pure présence, que le
don se donne ou non à l'appel. […] Mais l'appel, si nous le maintenons isolé, le premier temps de
la parole ne peut pas être soutenu isolément. »

La notion même d'appel suppose ce qui a été perdu, il n'y aurait pas d'appel si l'enfant n'était
confronté à quelque perte. Et il y aura là une reprise qui pourrait nous paraître déjà un peu usée
tellement elle est utilisée mais, enfin, peu importe, c'est le petit enfant avec son fort-da, dont
vous connaissez par cœur l'histoire, la petite fille de Freud qui joue avec sa bobine, et qui
s'amuse donc à la faire partir au bout de sa ficelle, pour pouvoir la faire revenir. Il faut donc que
la bobine se sépare pour être susceptible de revenir, il faut donc que l'ordre symbolique ait déjà
institué ce qu'il en est d'un départ inaugural de l'objet, pour qu'il puisse y avoir appel à son
retour. L'appel à Dieu n'est pensable qu'à poser que l'ordre symbolique l'a perdu, qu'à la place
qui pourrait lui être ménagé il y a un vide, il y a un trou, et qu'il s'agit donc par cet appel même
de le faire revenir. Et il y a là, dans ces pages, une dialectique vraiment très jolie, un peu
philosophique en apparence, je dirais hégélienne en apparence, mais qui est extrêmement fine
cliniquement et très jolie :

« C'est précisément en tant que ce don se manifeste à l'appel de ce qui est quand il n'est pas là,
[…] »

Il faut que ce soit pas là pour être dans l'appel. Hein, si dieu était là, là gentiment avec nous,
autour de cette table ça nous éviterait bien des adresses, hum.

« C'est précisément en tant que ce don se manifeste à l'appel de ce qui est, […] »

et c'est de l'être dont il est question,

« […] de ce qui est quand il n'est pas là, et quand il est là se manifeste essentiellement comme
seulement signe du don, c'est-à-dire en somme comme rien en tant qu'objet de satisfaction. »

Il ne s'agit nullement, avec sa présence, de quoi que ce soit qui le traite comme objet de
satisfaction puisqu'il n'est que le signe de l'amour c'est-à-dire de cette réponse venue de l'Autre
et qui, comme telle, est prise comme signe d'amour. Vous avez là, en ces quelques lignes, une
clinique de la relation de l'enfant à sa mère… du bébé à sa mère, et de l'importance de l'appel,
auquel elle répond ou ne répond pas ; parce que ce n'est qu'en tant qu'elle ne répond pas que,
bien entendu, elle prend sa place ; mais d'autre part si elle ne répond jamais, il n'y a pas
davantage le moindre signe de son amour. Alors vous voyez le travail d'une mère… comme c'est
facile… puisqu'elle doit donc trouver le moyen d'exercer à la fois ce qu'il en est de son absence…
Et vous voyez comment déjà rien que dans l'ordre symbolique que vous imaginez de quelle
manière cette absence de la mère pourra être interprétée par un bébé précoce (et ils le sont
souvent) comme étant liée au fait que… elle est avec un autre et que donc que le signe d'amour,
c'est pas pour lui. Tout ça, ça ne met pas en cause le père, hein. C'est pas papa qui… c'est l'ordre
du signifiant qui dispose les choses comme ça. Donc,
« C'est précisément en tant que ce don se manifeste à l'appel de ce qui est quand il n'est pas là,
et quand il est là se manifeste essentiellement comme seulement signe du don, c'est-à-dire en
somme comme rien en tant qu'objet de satisfaction. Et quand il est là il est justement là pour
pouvoir être repoussé en tant qu'il est ce rien. »

Faut pas non plus qu'il insiste trop, qu'il pèse.

« Le caractère donc fondamentalement décevant de ce jeu symbolique […] »

La déception, c'est un joli mot déception, c'est bien construit, ça veut dire que c'est vraiment ce
que je ne peux pas saisir.

« Le caractère […] fondamentalement décevant de ce jeu symbolique, c'est cela qui est
l'articulation essentielle autour de laquelle et à partir de laquelle la satisfaction elle-même se
situe et prend […] sens. »

Il n'y a pas de satisfaction brute, naturelle, à l'endroit de l'environnement ou à l'endroit de


l'objet.

« Je ne veux pas dire naturellement qu'il n'y ait pas chez l'enfant, à l'occasion, cette satisfaction
accordée où il y aurait pur rythme vital […] »

Autrement dit… il a ses besoins, il faut au début que, toutes les trois heures, il ait son biberon,
pur rythme vital,

« […] mais je dis que toute satisfaction mise en cause dans la frustration y vient sur ce fond de
caractère fondamentalement décevant de l'ordre symbolique, et qu'ici la satisfaction n'est que
substitut, compensation, et ce sur quoi l'enfant, si je puis dire, écrase ce qu'a de décevant en lui-
même ce jeu symbolique dans la saisie orale de l'objet de satisfaction, le sein en l'occasion, […]
l'objet réel. »

Je dirais que toutes les mamans ont pu s'étonner du type de complexité qui, souvent très tôt, est
manifesté par le bébé dans sa relation au sein, à l'objet oral, en tant qu'à la fois il le veut et ne le
veut pas, qu'il le veut en tant que, après tout, il est le signe de l'amour, mais que en même temps
par la satisfaction même qu'il procure, il abolit ce caractère de don, et qu'il devient un pur objet
réel de satisfaction, autrement dit à vomir.

« Et en effet ce qui l'endort [, ce bébé,] dans cette satisfaction, c'est justement sa déception, sa
frustration, le refus qu’à l’occasion il a éprouvé, cette douloureuse dialectique de l'objet à la fois
là et jamais là [puisque pour être là il faut qu'il ne soit pas], et à laquelle il s'exerce dans cette
chose qui nous est symbolisée dans cet exercice généralement saisi par Freud comme étant
l'aboutissement comme étant le jeu pur de ce qui est le fond de la relation du sujet au couple
présence-absence. […] L'enfant donc, dans la satisfaction, écrase l'inassouvissement fondamental
de cette relation […] »

Il a l'un ou l'autre, comment avoir les deux ? S'il a l'objet il n'a pas le don, s'il n'a pas l'objet, il n'a
pas la satisfaction, débrouillez-vous avec ça, hum… Mais enfin, ça doit vous rappelez des choses
quand même.

« L'enfant donc, dans la satisfaction, écrase l'inassouvissement fondamental de cette relation,


dans la saisie orale avec laquelle il endort le jeu. Il étouffe ce qui ressort de cette relation
fondamentalement symbolique, et rien dès lors pour nous étonner que ce soit justement dans le
sommeil qu'à ce moment-là se manifeste la persistance de son désir sur le plan symbolique, car
je vous le souligne à cette occasion, même le désir de l'enfant dans ce rêve […] archi-simple
qu'est le rêve infantile, le rêve de la petite Anna Freud, ce n'est pas ce désir lié à la pure et simple
satisfaction naturelle. […] »

Vous savez que la petite Anna Freud rêve de framboise, de flan, etc. Elle a eu son repas, elle a
parfaitement mangé, pourquoi elle rêve de framboise et de flan, si ce n’est justement… Qu'est-ce
que cela veut dire ?

« Tous ces objets-là [dit Lacan] sont des objets transcendants, […] »

Ça c'est un mot étrange qu'il ne va pas utiliser souvent, hein, ça va pas revenir, ça, le
transcendantal.

« Tous ces objets-là sont des objets transcendants, voire d'ores et déjà tellement entrés dans
l'ordre symbolique que ce sont justement tous les objets interdits en tant qu'interdits. »

La petite Anna Freud elle n'a nullement été inassouvie ce soir-là, bien au contraire.

« Ce qui se maintient dans le rêve comme un désir sans doute exprimé sans déguisement, […]
c'est le désir de l'impossible ; et […] si la petite Anna Freud [ne l'avait] pas articulé […] en paroles,
nous n'en aurions jamais rien su. »

Désir de l'impossible, c'est-à-dire de faire coïncider la satisfaction avec la conservation de ce don


d'amour que représente la perte de l'objet.

« Mais alors que se passe-t-il au moment où la satisfaction en tant que satisfaction du besoin
entre ici pour se substituer à la satisfaction symbolique ? »

Voyez il ne lâche pas, il poursuit.

« Puisqu'elle est là justement pour s'y substituer […] »

… la satisfaction du besoin, se substituer à la satisfaction symbolique. La satisfaction du besoin,


l'objet, pour se substituer à la satisfaction symbolique, le manque radical d'objet,

« Puisqu'elle est là justement [cette satisfaction du besoin] pour s'y substituer, de ce fait même
elle subit une transformation. Si cet objet réel devient lui-même signe dans l'exigence d'amour,
c'est-à-dire dans la requête symbolique, il entraîne immédiatement une transformation. Je dis
que l'objet réel prend ici valeur de symbole. Ce serait un pur et simple tour de passe-passe que
de vous dire que de ce fait il est devenu symbole ou presque, mais ce qui prend accent et valeur
symbolique, c'est l'activité qui met l'enfant en possession de cet objet, c'est son mode
d'appréhension, et c'est ainsi que  l'oralité devient non seulement ce qu'elle est, à savoir mode
instinctuel de la faim porteuse d'une libido conservatrice du corps propre [mais elle n'est pas que
cela, et c'est] ce sur quoi Freud s'interroge. »
Cette libido du corps propre, est-elle libido de la conservation ou libido sexuelle ? Donc vous
voyez, petit tour de passe-passe qui va faire de cet objet réel lui-même le symbole de ce don
d'amour, et qui donc va en quelque sorte substituer à la libido de conservation, la libido sexuelle.

« Bien sûr elle est [cela en] elle-même [la libido sexuelle, cette libido elle est libido sexuelle], c'est
même cela qui implique  la destrudo […] »

C'est parce qu'elle est sexuelle qu'elle implique le désir de mort. Beeerk ! Ça s'arrange pas, hein.
Puisque… bon, je ne vais pas reprendre ça, c'est un bateau.

« […] mais c'est précisément parce qu'elle est entrée dans cette dialectique de substitution de la
satisfaction à l'exigence d'amour [il y a maintenant substitution de la satisfaction à l'exigence
d'amour], qu'elle est bien une activité érotisée,  libido au sens propre, et libido sexuelle. »

Et, un petit mot, Lacan a rarement parlé de l'anorexie mentale, mais c'est au moins à cet endroit 
qu'il va la faire intervenir :

« Je vous fais également remarquer au passage que cela va si loin, qu'il y a possibilité pour jouer
le même rôle [le rôle essentiel de l'objet] qu'il n'y ait pas d'objet réel du tout, puisqu'il s'agit en
cette occasion de ce qui donne lieu à cette satisfaction substitutive de la satisfaction
symbolique. »

S'il s'agit avec l'objet d'une satisfaction substitutive de la satisfaction symbolique,  il peut même
ne pas y avoir d'objet du tout.

« C'est ceci qui peut, et qui peut seul expliquer la véritable fonction de symptômes tels que ceux
de l'anorexie mentale. »

Alors, il y a dans ce passage l'isolement d'un objet qui s'appelle le rien ; pourquoi d'un objet,
comment peut-on appeler un objet rien ?  Eh bien dans la mesure où il fonctionne comme
support d'une satisfaction libidinale, c'est un objet. Si le rien est susceptible de venir satisfaire la
libido, il se présente dans la catégorie de l'objet ; et c'est pourquoi beaucoup plus tard Lacan
dira, dans une formule expéditive que vous connaissez sûrement, que l'anorexique est celle qui
mange du rien. Ce n'est pas si simple que ça, mais ça ne fait rien, c'est le cas de le dire. Hein,
c’est joli quand même. Ça nous sort, en tout cas, des facilités de l'évidence. Il y a dans tout ce
passage une complexification, qui n'est pas seulement stimulante mais qui est très proche, pour
rendre compte d'un certain nombre des manifestations du nourrissage chez le bébé qui sont
forts complexes, beaucoup plus complexes qu'elles n'ont l'air.

Et nous débouchons là sur un chapitre qui va beaucoup vous plaire puisqu'il concerne la relation 
primitive à la mère. Alors à l'époque, en 56, on pouvait encore en parler. Et donc il y va, et en
disant ceci :

« […] la mère, qui devient au même moment un être réel [comme l'objet… qui est devenu… qui,
dans son caractère réel, est devenu signe d'amour, et donc la mère qui devient au même
moment elle-même un être réel], précisément en ceci que pouvant refuser indéfiniment
[autrement dit être celle qui en tant que réel se dérobe], elle peut littéralement tout, et comme
je vous l'ai dit, c'est à son niveau et non pas au niveau de je ne sais quelle espèce d'hypothèse
d'une sorte de mégalomanie qui projetterait sur l'enfant ce qui n'est que l'esprit de l'analyste,
qu'apparaît pour la première fois la dimension de la toute-puissance, la Wirklichkeit qui en
allemand signifie efficacité et réalité [le wirklich, c'est l'efficace], l'efficace essentiel qui se
présente d'abord à ce niveau comme la toute-puissance de l'être réel, dont dépend absolument
et sans recours, le don ou le non-don. »

Soit en effet elle joue d'une absence, je dirais, sans remède, soit d'une présence étouffante, soit
je dirais elle collabore à cette dimension de présence sur fond d'absence ; c'est difficile pour une
mère, cette présence sur fond d'absence, puisque ça voudrait dire déjà qu'elle n'est pas-toute
justement, ce n'est donc pas du tout évident. Mais c'est elle qui se trouve là, alors que nous
parlions de l'effet de l'ordre du Symbolique, c'est elle qui en tant que réel incarné, c'est d'elle
dont va dépendre absolument et sans retour le don et le non-don. Le père, encore, dans tout ça,
n'a rien à foutre.

« Je suis en train de vous dire que la mère est primordialement toute-puissante, et que dans
cette dialectique nous ne pouvons pas l'éliminer pour comprendre quoi que ce soit qui vaille. »

Alors il y a un chapitre sur Melanie Klein qui, effectivement, situe bien la mère comme toute-
puissante mais, fait remarquer Lacan à ce propos, qu'elle n'est toute-puissante que parce que
justement l'ordre symbolique est venu enclore, je dirais, dans son corps toute la lyre des objets
que l'enfant pourrait rêver ; et que c'est de son bon ou mauvais vouloir que dépend, justement,
cette satisfaction si délicate, qui a à jouer entre présence et absence. Je vous passe là les
digressions sur Melanie Klein dont la lecture est très intéressante, toujours, et il se trouve que les
Kleiniens sont des gens qui par leur formation, sans que j'aie jamais pu comprendre pourquoi,
comprennent tout de suite Lacan, contrairement aux Freudiens. Ils sont tout de suite de plain
pied avec Lacan. Et donc, le fait que cette mère soit toute-puissante, engendre un effet dépressif
chez le bébé, vous vous en souvenez de cet effet dépressif, chacun, non ? Vous ne vous en
souvenez pas ?

« […] engendre un effet dépressif, il faut que le sujet puisse réfléchir sur lui-même et sur le
contraste de son impuissance. »

Et c'est là que Lacan va introduire l'expérience clinique du miroir, c'est-à-dire dans cette
impuissance… vous savez ses textes, ses agencements sont faits avec une rigueur algébrique, une
intelligence diabolique ; le fil que vous pouvez suivre dans tout ça, c'est assez admirable.
Puisque… c'est dans cet état dépressif face à la mère toute-puissante, il est là sur le dos n’est-ce
pas, à gigoter comme il peut, il ne connaît même pas les limites de son corps. Et ça, chez les
enfants autistes, c'est toujours remarquable, ils ne connaissent pas les limites de leurs corps… et
la maman ne sait pas ce qu'elle fait quand elle passe son temps à le modeler, à le caresser, à le
bisouiller, c'est-à-dire justement à lui tracer, à lui rendre sensible les limites de son  corps…
jusqu'à ce moment où, dit Lacan, dès le sixième mois, se produit le phénomène du stade du
miroir, c'est-à-dire cette expérience de maîtrise, justement, par le bébé, de l'image de son
corps… avec cet effet de splitting, nous dira Lacan.

Il est remarquable que, dans ce texte, il situe le stade du miroir à l'époque de six mois, alors que
dans l'article originel qu'il avait repris en 47 (exposé en 36 à Marienbad, repris en 47), et puis
maintenant en 57, c'est à l’âge de six mois… et c'est vrai, on voit chez le bébé dès l’âge de 6 mois
sa capture, sa captivation par son image dans le miroir, et les sourires et la motricité qu'il va
échanger avec cette image, le fait aussi d'aller la chercher en frappant le miroir.
Pourquoi fait-il intervenir, à cet endroit-là, la maîtrise par le bébé de son image, parce que nous
en sommes, nous en étions à la toute-puissance maternelle ?

« C'est bien parce qu'en effet la forme de la maîtrise lui est donnée sous la forme d'une totalité à
lui-même aliénée, […] »

La forme de la maîtrise lui est donnée sous la forme d'une totalité à lui-même aliénée,

« […] mais de quelque façon étroitement liée à lui et dépendante, mais que, cette forme une fois
donnée, c'est justement devant cette forme dans la réalité du maître, c'est à savoir si le moment
de son triomphe est aussi le truchement de sa défaite et si c'est à ce moment que cette totalité,
en présence de laquelle il est cette fois, sous la forme du corps maternel ne lui obéit pas. »

Nous en étions dans la relation de dépendance et de dépression, nous passons par l'état de
maîtrise acquis par le stade du miroir : mais est-ce que ce moment de triomphe est aussi le
truchement de sa défaite, si c'est à ce moment que cette autre totalité qu'est la forme du corps
maternel ne lui obéit pas ?

« C'est très précisément donc, en tant que la structure spéculaire réfléchie du stade du miroir
entre en jeu, que nous pouvons concevoir que la toute-puissance maternelle n'est alors réfléchie
qu'en position nettement dépressive, c'est à savoir le sentiment d'impuissance de l'enfant. C'est
là que peut s'insérer ce quelque chose à quoi je faisais allusion tout à l'heure, quand je vous ai
parlé de l'anorexie mentale. »

Qui est évidemment l'engagement dans un conflit de maîtrise et d'annulation de cet objet réel
qu'est devenue la mère.

« On pourrait là aussi aller un peu vite et dire que le seul pouvoir que le sujet a contre la toute-
puissance, c'est de dire non au niveau de l'action et faire introduire là la dimension du
négativisme, qui bien entendu n'est pas sans rapport avec le moment que je vise. »

Le moment du négativisme qui est toujours un moment admirable chez le bébé, celui où il
découvre qu'il peut dire non, et il s'emploie à le faire, avec un plaisir... Là on peut y aller, hum.

« Néanmoins […] »

Je vous le lis, là, ce passage ligne à ligne parce que… peu importe là encore la totalité du contenu
de ce texte que vous pouvez, chez vous (c'est la leçon 11), reprendre etc., mais pour vous rendre
sensible à sa démarche et donc vous habituez un peu au déchiffrage de son énonciation,

« Néanmoins je ferai remarquer que l'expérience nous montre, et non sans doute sans raison,
que ce n'est pas au niveau de l'action et sous la forme du négativisme que la résistance à la
toute-puissance dans la relation de dépendance s'élabore, c'est au niveau de l'objet en tant qu'il
nous est apparu  sous le signe  du rien, de l'objet annulé en tant que symbolique, c'est au niveau
de l'objet que l'enfant met en échec sa dépendance, et justement en se nourrissant de rien, c'est
même là qu'il renverse sa relation de dépendance en se faisant par ce moyen maître de la toute-
puissance avide de le faire vivre, lui qui dépend d'elle, et dont dès lors c'est elle qui dépend par
son désir, qui est à la merci par une manifestation de son caprice, à savoir de sa toute-puissance
à lui. »
C’est sympa ? C'est sympa, hein, et si vous avez approché des enfants, ou si vous vous souvenez
de votre propre enfance, ce qui n'est pas impossible, eh bien voilà, il raconte votre vie là, hein.
Ce qui est fou c'est que tout ça est resté… on n'a pas le sentiment que beaucoup de personnels
attachés à l'éducation, à l'élevage des bébés etc. aient beaucoup développé tout ça, qui était
cependant tellement vif, tellement observable ; ça c'est observable, ça c'est pas déductible. On le
voit sans le comprendre d'ailleurs. Bon.

Nous avons… bon. Alors, je vous épargne l'intentionnalité de l'amour… l'intentionnalité de


l'amour, l'intentionnalité c'est un terme jaspersien, ça vient de la philosophie de Jaspers, et de la
psychologie de  Jaspers. Alors il le reprend, il ne s'en servira plus beaucoup ; de même que vous
trouverez beaucoup dans ce texte l'intersubjectivité, alors cela aussi il laissera tomber,
l'intersubjectivité, parce que l'intersubjectivité c'est pour évoquer l'échange de paroles,
autrement dit ce qui plus tard sera écrit sous le terme de discours, or le discours ne va pas d'un
sujet à un autre. Alors l'intersubjectivité c'était également une tarte à la crème, c'est comme
l'intentionnalité, c'était une tarte à la crème de la psychologie, je ne saurais pas dire exactement
d'où ça sort, l'intersubjectivité, je ne sais plus d'où ça sort… mais la moindre expérience viendra
nous rappeler que nous ne parlons jamais dans nos échanges de sujet à sujet. Moi je ne vous
parle pas de sujet à sujet, je vous parle du sujet que je suis aux objets que vous êtes. L'inverse est
aussi vrai puisque c'est une question de place dans le discours, et que d'autre part dans le
discours ce n'est pas le sujet qui parle sauf… sauf bien entendu si c'est le discours hystérique.
Donc le terme d'intersubjectivité va choir.

Une petite remarque amusante :

« Avant la parole, un enfant ne réagit pas […] »

Pourquoi il dit avant la parole ?

« Avant la parole, un enfant ne réagit pas de la même façon à un heurt et à une gifle. Je vous
laisse méditer ce que ceci implique. »

Bon c'est vrai, puisque le heurt est un accident et la gifle est un signe de désamour. Alors
évidemment il est pas étonnant que l'on puisse aussi prendre le heurt comme un signe de
désamour, hein. C'est le mur qui vous est rentré dedans… bien sûr, bien sûr. Alors il y a une
petite remarque amusante, c'est que chez l'animal domestique, ça marche aussi ça. Mais ça ne
va pas plus loin ; qu'est-ce que ce serait aller plus loin d'ailleurs ? Et puis une évocation sur le fait
que la psychanalyse officielle à l'époque, en 56, commence à s'intéresser au problème du
langage, il y a un article de Löwenstein (qui était donc son analyste à Lacan) – il faudrait que vous
retrouviez pour l'anecdote, ça a été publié, ça doit se trouver sur Internet – la lettre que Lacan a
adressé à Löwenstein au moment où il a demandé l'intégration de son nouveau groupe – qui
avait quitté la société psychanalytique de Paris – l'intégration de son nouveau groupe, la Société
Française de Psychanalyse, à l'International Psychanalytic, et donc il avait adressé une lettre à
Löwenstein qui avait été son analyste à Paris juste avant la guerre, c'est-à-dire au moment où ces
braves gens avaient quitté Berlin, c'est-à-dire à partir de 1933, et avaient fait étape à Paris avant
de se diriger vers New York où ils se sont perdus, où New York les a absorbés. C'est une lettre…
elle mériterait une analyse pour elle-même, la lettre qu'un ancien analysant adresse à son
analyste. Vous pourriez Marie-Charlotte essayer de la retrouver ? Ornicar l'a publié en son
temps. Elle est sûrement sur le site. Car c'est l'appel à une honnêteté intellectuelle qui, je dois
dire, dans notre milieu, n'est pas forcément la règle. C'est même ce qui est frappant d'ailleurs. Et
donc je vais vous dire encore un mot puisque… il évoquera un second article, qui parle lui de la
théorie de la communication, et qui évoque le cri. La relation de l'enfant à la mère marquée par
ce mode d'expression qu'est le cri. L'enfant crie, la mère reçoit son cri comme un signal. Alors
donc communication qui court-circuite le signifiant puisqu'il s'agit là d'une onomatopée, d'un
son, et que celui-ci s'avèrerait tenir une place importante dans la relation de l'enfant à la mère.
Et Lacan dira :

« Le fait est […] absolument essentiel, c'est un cri, mais le cri dont il s'agit, celui dont nous tenons
compte dans la frustration, c'est un cri en tant qu'il s'insère dans un monde synchronique de cris
organisés en système symbolique. Il y a d'ores et déjà, ici et virtuellement, de ces cris organisés
en un système symbolique. Le sujet humain n'est pas seulement averti comme de quelque chose
qui, à chaque fois, signale un objet. Il est absolument vicieux, fallacieux, erroné de poser la
question du signe quand il s'agit du système symbolique, par son rapport avec l'objet du signal,
avec l'objet de l'ensemble des autres cris. »

Toute la question qui est là soulevée à propos du cri, et je m'arrêterai là-dessus ce soir, c'est
donc de savoir s'il existe dans la communication de l'enfant avec sa mère un système de signes,
et non pas de signifiants. Est-ce qu'il y a entre la mère et son enfant une communication qui
s'établit soutenue par un système de signes ? C'est indubitable. Mais, oui. Une mère attentive
déchiffre tout un ensemble de signaux que son enfant est capable de lui transmettre, des signes.
Et lui-même d'ailleurs, l'enfant, perçoit bien, ne serait-ce que dans le visage de sa mère, qui joue
un rôle si essentiel pour lui… il perçoit parfaitement sa tristesse par exemple, ça c’est avéré. Et
j'ai vu là-dessus des films absolument admirables où on voyait l'enfant essayer de traiter la
tristesse de sa mère, vraiment en thérapeute, essayer de la relancer, de l'intéresser… assez
impressionnant. C’est indiscutable. Et le fameux parlé babisch relève lui aussi évidemment d'un
langage de signes. Et dira Lacan,

« […] l'enfant se nourrit de paroles autant que de pain, car il périt de mots et que, comme le dit
l'Evangile, l'homme ne périt pas seulement par ce qui entre dans sa bouche mais aussi par ce qui
en sort.

Il s'agit alors de faire l'étape suivante. Vous vous êtes bien aperçus de ceci, ou plus exactement
vous ne vous en êtes pas aperçus, mais je tiens à vous signaler, à vous souligner [pardon] que le
terme de régression peut prendre ici pour vous une application, vous apparaître sous une
incidence sous laquelle il ne vous apparaît pas d'ordinaire à tous les titres. Le terme de
régression est applicable à ce qui se passe quand l'objet réel, et du même coup l'activité qui est
faite pour le saisir, vient se substituer à l'exigence symbolique. »

C'est-à-dire quand c'est justement la relation, la communication par le signe qui vient se
substituer à l'exigence symbolique.

« Quand je vous ai dit l'enfant écrase sa déception dans sa saturation et son assouvissement au
contact du sein ou de tout autre objet, il s'agit à proprement parler là ce qui va lui permettre
d'entrer dans la nécessité du mécanisme qui fait qu'à une frustration symbolique peut toujours
succéder, s'ouvrir la porte de la régression. »

Autrement dit à la frustration symbolique peut s'opérer la régression et le passage à la


communication par le signe. Mais ce n'est pas un langage naturel premier, la communication par
le signe ; ici en tout cas pour Lacan. Ça se présente comme l'enfant pris d'abord dans un bain de
langage et, à partir de là, cette régression qui va le faire entrer dans un langage de signes.

Voilà, je suis désolé, ça a sûrement été un peu difficile pour vous parce que je ne vous ai pas
averti que je prendrai la leçon 11, mais j'espère que les éléments que je vous ai donnés vous
faciliteront l’accès à la totalité de cette leçon, qui va donc être la leçon introductrice au petit
Hans, et qui se conclura donc en annonçant l'abord de la question du petit Hans ; et donc en
janvier, je ne me souviens plus à quelle date, nous allons nous revoir. Voyons, voyons, voyons…
nous allons nous revoir le jeudi 16 janvier. Très brièvement, je terminerai cette première leçon
avec juste les éléments qui nous conviennent pour aborder la douzième, c'est-à-dire entrer dans
l'examen par Lacan du petit Hans.

Est-ce que vous avez quelques questions ? Stéphane ?

Stéphane Clément : Je me posais une question du côté de la mère par rapport au don d'amour et
par rapport, en particulier, à ses enfants qui ne semblent pas appelés. Je me posais la question
s’il ne fallait pas déjà chez la mère… alors, est-ce que c’est symbolique, est-ce que c’est
imaginaire ? Mais qu’elle doit voir quelque chose chez l'enfant pour que lui puisse appeler ? 

Charles Melman : Oui, on peut tout à fait dire ça, bien sûr. S'il s'agit d'un enfant purement réel, il
est certain que nous ne sommes pas ici dans le domaine ni de l'adresse, ni de l'appel. Mais, en
tout cas, de cette leçon-là se dégage très clairement de quelle manière il est dans la toute-
puissance de la mère de ne pas faire entrer son… de faire que l’enfant ne soit pas pris pour elle
dans un ordre symbolique. Et avec euh… Moi c'est ce que j'essaie à chaque fois de faire valoir aux
spécialistes de la question qui s'égarent du côté de l'anatomie, du thalamus et de je ne sais quoi,
ce qui est toujours hautement comique, parce qu'ils ne savent pas que l'histoire du thalamus
c'est un vieux cheval de retour pour ceux qui ont fait de la neurologie et de la psychiatrie de ma
génération, ce sont des éléments qui paraissent introduire quelque nouveauté alors qu'il s'agit
de vieux machins, de vieilles resucées, mais que donc c'est bien par le fait que la mère, au
moment de la naissance de son bébé, ne se trouve pas en mesure, soit pour une raison qui lui est
personnelle et qui tient à son état, soit qui est une raison purement de circonstance, elle a le
droit d'avoir des circonstances qui rendent que… elle n’est pas disponible, elle peut être
indisponible au moment de la naissante du bébé, eh bien on aura systématiquement un bébé
autiste, ça c'est clair. Est-ce qu'il y a des causes organiques ? C'est possible, mais en tous cas…
elles sont peu probables pour une raison très simple, c'est que les réseaux sollicités dans la
relation à autrui, ce ne sont pas comme les diverses fonctions sensorielles ou motrices, ces
fonctions mettent en jeu tous les centres, corticaux et sous-corticaux, l'ensemble des centres. Et
il assez difficile d'imaginer qu'il puisse y avoir une atteinte de l'ensemble de ces centres qui
n'aurait pas une traduction neurologique, c'est difficile à penser ; si ça existe, on en attend la
démonstration, mais en tout cas elle n'est pas là.

Intervenant : Vous tenez au mot « systématiquement » dans votre phrase « la mère indisponible
au moment de la naissance aura systématiquement un bébé autiste » ?

Charles Melman : Ah oui, ah oui, bien sûr ; s'il n'est pas pris dans son adresse, s'il n'est pas pris
dans la parole, et ça, ça s'est déjà passé quand il était intra-utérin. Puisque nous savons
maintenant, et ça c'est sûrement un progrès de l'échographie, nous savons maintenant de quelle
façon l'enfant… nous ne savons pas exactement avec les déformations ce qu'il entend, mais nous
savons qu'il entend et qu'il réagit à ce qu'il entend, et quand il naît, il connaît les voix de son
entourage, il connaît la voix du chien, il connaît la sonnerie du téléphone.

Stéphane Clément : Mais même… Ils ont fait des études très récemment, il connaît la grammaire.
Ils ont fait écouter à des bébés, des prématurés, et s'il y a des fautes de grammaire, ils le notent.

Charles Melman : La grammaire ? J'aimerais voir ces travaux-là, mais nous connaissons très…

Stéphane Clément : Ils font entendre à un bébé des phrases in utero, je crois que c’est 5 mots, et
après ils le font entendre quand le bébé est né, et si la phrase a une erreur, il réagit.

Charles Melman : Mais écoutez… Dans la mesure où ce qu’une mère sait quand elle se met
devant son clavier que le bébé in utero va réagir aux diverses musiques qu'elle joue ; il ne réagit
pas de la même façon aux diverses musiques, donc nous ne savons pas jusqu'où va la formation
chez le bébé… enfin, le développement chez lui des circuits intra cérébraux en fonction
justement des perceptions qu’il peut avoir alors qu’il encore... Ce que l'on sait, ce que l'on a vu,
ce sont des bébés qui se masturbent, des fœtus qui se masturbent. Vicieux déjà, hein.

Stéphane Clément : Quand vous aviez posé la question sur l’autisme chez les animaux, j’avais
beaucoup regardé, et en fait ce qui est très frappant… la différence entre l'animal et l'homme,
c'est en fait les capacités sensorielles. Chez les animaux nidifuges (qui vont partir du nid), qui ont
des capacités motrices, les capacités sensorielles sont acquises in utero, mais chez les animaux
nidicoles pas du tout, ils sont sourds, aveugles, en général, et ça c’est une énorme différence.

Charles Melman : Ah oui ? Formidable. Bon.

Stéphane Renard : Est-ce que je peux vous poser une petite question ?

Charles Melman : Oui.

Stéphane Renard : A propos du don, il me semblait qu'on était dans notre petite fenêtre du
fantasme, et qu'on n'en sortait pas beaucoup, et je me demandais, si comme le don provenait
d'un champ qui était au-delà de l'objet, est-ce que le fait de recevoir un don, avec ce qu'il pouvait
avoir d'inattendu, n'était pas une manière de sortir, d'agrandir, d'élargir… enfin de sortir du
fantasme ?

Charles Melman : C'est une question originale. Il faudrait que j'y réfléchisse, je n'y ai jamais
pensé, mais il faudrait y réfléchir. A suivre. Bon eh bien bonnes fêtes, et à bientôt.

Transcription : S. Renard

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 6


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, Séminaire de Charles Melman, le 16/01/2014

L’axe général de cette leçon consiste à dire que les premières relations qu’a l’enfant avec ses
parents et, en particulier sa mère, ses premières relations sont d’emblée organisées sur la
question de l’appartenance et de la répartition phallique dans une relation qui se trouve réglée
par l’imaginaire. Autrement dit relation en miroir impliquant donc la confrontation entre l’enfant
et sa mère et l’exposition à un risque permanent qui est que son absence puisse être sans retour.
Autrement dit, dans cette confrontation, non seulement la tension agressive liée à la
concurrence mais encore le risque (interruption de Charles Melman qui reprend son texte)…
donc une reprise de l’observation du petit Hans, une reprise de tout le départ du petit Hans sous
le signe de la relation imaginaire et concurrentielle nouée entre le petit Hans et sa mère avec
cette activité d’exploration chez elle, je veux dire le caractère intrigant du fait qu’il ne le voit pas
chez elle mais dit-il : « Tu dois l’avoir aussi grande que celle d’un cheval. » Autrement dit, ce n’est
pas parce qu’il ne la voit pas que néanmoins il dénie son caractère phallique éminent « voire
premier » dans l’économie familiale. Dans ce premier temps ce qui est tout de même là encore
intrigant est que cette relation semble située dans l’axe qui lie le petit Hans avec sa mère mais,
Lacan place cette relation sous le signe d’un tiers qu’il appelle « le grand Autre » et qui est là
supposé être le témoin – c’est très étrange – le témoin de cette relation. Mais néanmoins, sans
être capable d’apporter aucune garantie quant à la légitimité de l’enfant ou de la mère quant à
cette appartenance phallique. Et donc, la façon de venir inscrire la frustration et la privation sous
le signe de cette relation imaginaire. Et avec, je dis bien, le risque permanent que la victoire sur
cette concurrente ne soit en même temps la pire des défaites puisqu’elle ferait disparaître celle
dont la possession phallique a précisément légitimée cette concurrence.

Donc le caractère insoluble, l’absence de toute sortie possible de ce conflit duel malgré la
présence de ce tiers. Je suppose que tous ceux d’entre vous qui fréquentent la clinique peuvent
évidemment retenir combien ce type de relation imaginaire qui lie l’enfant à sa mère et donc
précisément la question de la répartition phallique, de quelle manière ce type de relation peut
s’avérer déterminant lorsqu’elle ne trouve pas de résolution dans l’étape suivante qui va être
abordée. Combien cette situation peut être définitive et venir marquer à jamais les relations
adultes avec autrui, c’est-à-dire les engager définitivement sous le signe d’une concurrence
agressive d’un « Ou toi ou moi » qui s’avère ne jamais être satisfaisant quelque soit l’issue
évidemment du conflit.

Et donc relecture souhaitable pour chacun d’entre vous du petit Hans avec cette clé pour
déboucher comme ce qui va se présenter comme étant l’issue possible de cette impasse et sous
la forme donc de l’acceptation, ou pas, du registre symbolique, puisque là nous n’avons affaire
qu’à l’imaginaire et au réel. Le réel dans le cas est, là aussi la clinique est, fort-à-propos, étant
constitué par le sein maternel.

Alors, qu’est-ce que c’est que la castration ? Puisque là nous sommes entre privation et
frustration, qu’est-ce que c’est que la castration pour Lacan et dans sa façon d’interpréter le cas
du petit Hans ? Eh bien, elle consiste dans le fait de l’acceptation du renoncement à la possession
de l’insigne qu’entretenait la concurrence pour en déléguer la présence et le pouvoir dans le
grand Autre et ensuite, dans un second temps, sa répartition et sa distribution au gré de
l’engagement de chacun des partenaires vis-à-vis de lui ; cet engagement venant s’inscrire sous
la forme d’une dette symbolique. Une dette symbolique dont vous regretterez évidemment
comme moi que dans cette leçon le contenu de cette dette ne soit pas précisé. Quoiqu’il en soit,
la castration passerait donc par le processus d’un renoncement pour en déléguer la délivrance à
cette instance Une dans l’Autre et qui ensuite serait susceptible de la répartir sous la forme du
don. Du don. Ça c’est vraiment une drôle d’affaire puisque ça consiste d’abord à reconnaître
dans l’Autre, ou à instituer dans l’Autre, la présence d’un Un. C’est un acte arbitraire. C’est un
acte arbitraire parce que dans l’Autre il n’y a rien qui fonde le Un. Il n’y a pas de zéro dans
l’Autre. C’est un continu assurément ouvert, sans limite et sans rien qui vienne en quelque sorte
par une procédure -qui logiquement n’est pas possible si l’on suit ce qu’il en est de la formation
des nombres - il n’y a rien dans ce continuum qui se prête, je dirais, à individualiser ce qu’il en
serait d’un Un et donc du même coup ce qui serait dans l’Autre. Il faut bien le dire, non plus
lalangue en un seul mot, mais Une langue puisque Une langue se caractérise évidemment d’être
organisée par des signifiants « uns » et, qui de se référer à l’au-moins-Un qui les justifie prennent
le caractère d’être des signifiants maîtres. Maître, c’est-à-dire organisateur du réel sans toutefois
épuiser ce réel puisque la propriété du Un est de laisser, d’ouvrir la place de ce qui justement
échappe à la maîtrise du signifiant et qui est la place Autre. Mais dans l’Autre il n’y a pas, comme
le répète à l’occasion Lacan, d’Autre de l’Autre. Est-ce que je suis clair jusque là ? Oui ? Je suis en
train de vous donner en quelque sorte le schéma de ce qui organise ses arêtes, de ce qui
organise le texte pour vous en faciliter une lecture qui ne me paraît pas évidente, pas commode.

Lacan pour rendre compte de ce Un dans l’Autre est brusquement passé de cette construction
qui est purement logique au mythe, celui évoqué par Freud dans Totem et Tabou – c’est pour
vous dire que c’est évidemment un mythe. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi il le discrédite
comme si les autres mythes avaient plus de portée que celui-là mais en tout cas, il le discrédite et
il inscrit ce Un dans l’Autre sous le signe du Père mort. Alors comme nous sommes ici tous très
rationalistes, c’est bien connu, qu’est-ce que c’est que ce « Père mort » ? Et qu’est-ce que j’ai
bien pu faire, évidemment, pour que dans l’Autre se situe ce Père mort – ce qui nous ramène
bien entendu à cet autre mythe qui est celui d’Œdipe. On peut banalement répondre que ce père
mort est le père supposé primitif de la lignée, sans avoir besoin d’aller jusqu’à la horde, et que
donc se trouve pour chacun, bien entendu, dans sa lignée un ancêtre. Mais pourquoi cette mort
serait-elle l’effet d’un meurtre ? Donc ce qui reste, ce qui subsiste en clinique et dans la vie
psychique c’est évidemment la culpabilité. Je veux dire la trace la plus évidente que ce meurtre
aurait été perpétré, c’est évidemment la culpabilité qui en subsiste et nous savons que
l’obsessionnel se distingue par ce trait que je trouve à chaque fois magnifique tellement il est
pur. C’est toujours très pur chez l’obsessionnel. La structure est dénudée de façon tellement
remarquable qu’il a besoin toujours de se retourner en arrière voire de revenir sur ses pas, pour
vérifier au cours de son trajet qu’il n’aurait pas par inadvertance zigouillé quelques passants,
quelques cyclistes… J’ai le souvenir, toujours, des tourments de ce brave homme qui était
médecin militaire, qui est arrivé chez moi épuisé – toujours très en retard évidemment – à cause
des allers retours auxquels il se trouvait contraint pour vérifier et pour demander si une
ambulance n’était pas passée et avait ramassé quelque cadavre sur la voie. Et, comme si
justement – c’est étrange tout de même – ce trait de rétention propre à l’obsessionnel avait un
lien, un rapport avec la crainte justement d’une séparation, d’une coupure, d’une exonération
qui serait responsable de cette mort. C’est comme si donc il fallait sans cesse protéger le père du
risque de cette mort.

Mais là je suis dans une digression clinique qui ne figure pas dans la leçon et qui nous ramène à
ceci que Lacan isole ce père mort également sous les traits du surmoi dont il note dans l’histoire
du petit Hans la manifestation, la présence. Ensuite, ce serait donc aussi une question de dette.
La dette, remarquez-le avec ce que je viens de raconter, nous commençons à saisir mieux en quoi
elle consiste. Elle consiste tout simplement à renoncer à la possession de ce trait puisque on le
lui délègue. Et c’est sans doute cette délégation, de ce trait qui vient constituer dans l’Autre ce
Un. Lorsque Lacan a été interrogé à l’occasion de Vatican II – vous vous en souvenez tous bien
sûr, je pense que vous étiez tous nés au moment de Vatican II, eh bien lorsqu’il a été interrogé
sur la question du mariage des prêtres, Lacan a mis son beau chapeau. Il avait un chapeau qui le
faisait tout à fait ressembler au traître de la comédie italienne, à trois bords, un tricorne, c’était
très étrange. Et il est allé à Rome (au Vatican) pour expliquer qu’il ne fallait surtout pas autoriser
le mariage des prêtres puisqu’il fallait bien qu’il y en ait pour qui le sacrifice est explicite et
définitif, pour que dans l’Autre il y ait du Un paternel, du Un phallique, du surmoi. C’est aussi
bête que ça d’un côté. C’est un marchandage élémentaire. Mais en tout cas donc la castration
comme vous le voyez c’est ça pour ensuite, je dirais, se livrer au caprice supposé de ce Un dans
l’Autre et du don qu’il voudra ou ne voudra pas faire. Et comme vous le savez, il y a des églises
qui se séparent sur ce point, puisque le protestantisme s’est distingué dès son origine matricielle
par justement l’affirmation que Dieu accordait la grâce à ceux qu’il voulait. C’était son libre
arbitre. Autrement dit, il ne pouvait pas être contraint, Dieu, par la nécessité de la donner à tous
parce que donner à tous cela aurait été, je dirais, le lier à une contrainte incompatible avec son
statut. Et que donc finalement, il le donnait à qui il voulait, la donnait à qui il voulait et quelles
que soient les œuvres. Vous savez tous, je dirais, les conséquences pratiques dans la vie sociale
et familiale évidemment. Une petite disposition qui à l’air comme ça de pas grand chose, de
petits détails. C’est comme dans la religion orthodoxe où est refusée la consubstantialité du père
et du fils. C’est ce qui distingue la religion orthodoxe de la religion catholique romaine. Ça n’a
l’air de rien ça aussi, la consubstantialité du père et du fils, pour dire qu’il y a une inégalité
définitive entre le père et le fils. Et là aussi, vous réfléchirez sur les conséquences politiques et les
modalités du rapport au pouvoir que peuvent entraîner ce qui a l’air de simples spéculations, un
parti pris de théologien, et les modalités que ça va induire et du rapport de ceux qui vont être
définitivement condamnés à être des fils et donc livrés en quelque sorte à ceux qui occuperaient
la position injoignable des pères.

Alors si je vous donne là donc la strate de ce texte qui se conclut d’une façon qui est à la fois
occasionnelle, autrement dit qui répond à ce qui était à l’époque un bateau des théories
analytiques et qui était donc le souci, l’encouragement au bonheur conjugal, à la complétude de
la relation conjugale. Et donc pour faire valoir le type de dysharmonie qui se trouve d’abord
introduit par justement le fait que ce don venu du père n’est évidemment pas le même dans les
deux cas, dans les deux sexes. Il va entraîner, par exemple, pour une femme une revendication
narcissique originale, d’un côté. Et puis également  – mais ça on a déjà eu l’occasion d’en parler –
une exigence à la monogamie puisque le fait d’être distinguée comme Une, autrement dit
comme marquée par ce trait, néanmoins ce trait ne lui permet pas de venir s’inscrire dans un
ensemble des femmes dont elle serait l’une des représentantes comme si « les femmes » ça
existait. Si « les femmes » ça existait, elle pourrait bien sûr se vivre une parmi les autres. Mais si
« les femmes » ça n’existe pas, à ce moment-là elle ne peut se soutenir, se réaliser dans la
possession de ce trait que comme étant l’exception, c’est-à-dire « La femme ». Et alors, comme
je l’évoquais tout à l’heure, cette fin ébouriffante qui consiste à dire qu’à partir du moment où
le conjugo a été décidée par un amour réciproque, il est incestueux. Je pense – moi je n’y étais
pas à cette époque-là – je pense que ça a dû faire pas mal de bruit dans les chaumières quand
même. Car, il est évident que le mythe standard du bonheur conjugal est quand même l’une des
premières exigences qui puisse être mise en circulation dans notre culture, le bonheur conjugal
comme une promesse, comme une exigence, comme une dette, comme un devoir.  Quelque
chose qui vient s’inscrire sous le signe du surmoi puisque ce ne serait quand même pas le bon
père dans l’Autre qui serait capable de manigancer un truc qui viendrait décompléter la bonté de
son don, la qualité de son don quand même ! Donc la discorde conjugale serait en quelque sorte
une injure, une offense faite à celui qui a été généreux avec chacun des deux partenaires. C’est
vraiment savoir profiter de sa générosité. Et alors pourquoi est-ce que cela rendrait du même
coup l’union conjugale incestueuse ? Alors là, Lacan avance sur des pattes de velours, il a rentré
les griffes pour faire valoir que l’amour c’est primordialement ce qui se porte pour l’enfant
originellement sur la mère avec le souci justement de la faire valoir comme Une phalliquement
marquée. Et dès lors que c’est, je dirais, chez le partenaire qu’est exigé qu’il soit le support de
l’amour, c’est s’engager sur la voie que je viens de dire.

Ceci donc, ce que je viens donc là pour vous de dessiner à grands traits, pour vous guider dans la
lecture de cette leçon 12 qui assurément mériterait que dans l’Ecole ou que dans l’Association on
consacre – puisque l’on se sert de terme de « castration » sans savoir en général de quoi on parle
– mériterait que l’on passe au moins une journée pour débattre de cette leçon. C’est vraiment un
coup de force et dont comme vous le voyez, les résonnances vont très loin.

Si je reprends maintenant avec vous, pour situer un modèle de la lecture qu’il y a à faire de ce
texte, je pense que nous avons encore plusieurs rencontres devant nous consacrées au petit
Hans, j’en assurerai peut-être avec vous justement une lecture partagée. Si vous prenez ce
tableau que j’évoquais à l’instant et dont je vous ai spécifié la combinatoire, vous voyez quelle
était sa façon d’enseigner tout de même. Ça devrait avoir eu un rôle stimulant sur les ménages,
que ça n’a pas forcément eu. Vous voyez que cela part de ce qui est le père symbolique inscrit
donc dans le langage.

Qu’est-ce que ça veut dire inscrit dans le langage ? Là encore, est-ce que c’est une formule
passe-partout ou est-ce que ça correspond à quelques simplifications de l’écriture ? Qu’est-ce
que ça veut dire le père symbolique comme inscrit dans le langage ? Ça veut dire que lorsque
nous parlons, autrement dit dialoguons – il ne s’agit pas du soliloque, le soliloque ça ne mène
jamais bien loin. Lorsque nous nous adressons à autrui, c’est-à-dire que nous mettons en œuvre
un discours, les places de chacun des partenaires, des interlocuteurs, se trouvent réglées par
leurs rapports dissymétriques à l’autorité dont se réclament les signifiants qui vont être
actionnés à l’occasion de ce dialogue. Pour qu’il y ait un dialogue, vous ne pouvez pas vous
dispenser de ce tiers qui est là présent par son absence même entre les deux et qui règle, je
dirais, leurs places et qui règle également les possibilités signifiantes qui leur sont données pour
entrer en relation l’un avec l’autre. Et, quelque soit cette relation, qu’elle soit de l’amour, qu’elle
soit sexuelle, qu’elle soit de haine, etc. Et comme vous le voyez, on peut être aussi abstrait que je
le fais sans avoir à spécifier le type de discours puisque là aussi il y a une combinatoire qui fait
que ces discours ne peuvent être que quatre et peut-être cinq mais pas plus. Si l’on se dispense
du passage par le discours, est-ce que deux interlocuteurs ne peuvent pas néanmoins
s’apostropher ? Bien sûr, ils le font. Ça fonctionne et même ça fonctionne de plus en plus et c’est
ce que l’on appelle le contrat. Non plus la loi, c’est-à-dire la référence à celui qui… je ne vais pas
tout reprendre mais le contrat c’est-à-dire la façon pour les deux partenaires, cette fois-ci, soit de
se reconnaître dans leur similitude. Ils sont frères, ils sont semblables, ils ont les mêmes goûts, ils
font les mêmes voyages, ils ont la même musique, etc. Et, comme cette mêmeté finit
évidemment, je dirais, par réaliser l’entropie du système, c’est-à-dire qu’il n’y a plus rien à
moudre, à ce moment-là, vont surgir les différences qui très facilement et même nécessairement
mènent à la séparation. Au conflit et à la séparation. Là aussi, je suis en train de vous faire de la
clinique parce que là aussi vous connaissez parfaitement ce type de relations. Arriver à être
semblables entre partenaires pour pouvoir devant la réussite finir par se détester et donc à tout
prix forcer la mise en place d’une différence qui ne sera pas moins, je dirais, insupportable
puisqu’il y a là divorce. Donc vous voyez, il y a là quand même une petite morale qui est cachée
là derrière. C’est que l’accord des différences et qui commencent bien entendu par la différence
sexuelle ne peut se faire que par la référence commune, partagée à ce père mort et en tant que
justement par la différenciation des dons qu’il opère – celui que reçoit le garçon n’est pas le
même que celui que reçoit la fille, eh bien, par là même met la différence sous le signe de
l’espoir d’une possible jouissance partagée.

Je dis ça parce qu’il est évident de plus en plus, ce qui circule sur internet et qui est considérable
se dispense du discours. C’est sûrement l’un des traits de ce qui circule sur internet, c’est-à-dire
la recherche justement d’un type de communauté ou la mêmeté des participants, leurs identités,
leurs égalités, leurs partages des mêmes goûts, etc. serait susceptible enfin de guérir le mal qui
vient de la différence. Avec le discours, elle n’est jamais parfaitement soluble. Elle n’est jamais
parfaitement heureuse. Et donc cette tentative de dépasser cette impossibilité par la constitution
de communautés homogènes et qui donc se dispensent de discours et fonctionnent, je dirais, par
une approche signifiante sans cesse exposée bien évidemment aux risques que le signifié ne soit
pas forcément partagé par les deux partenaires. Pas forcément. La signification n’est pas
forcément commune. Mais en tout cas, ça introduit une modernité et une diversité des
possibilités de relations qui est sûrement très intéressante d’observer et de suivre, y compris
dans ses effets qui d’ailleurs ne s’accomplissent parfaitement que lorsque le langage cède à sa
fonction purement musicale ; puisqu’il y a dans toute parole une partie incluse qui est une partie
chantée. Il y a même actuellement des travaux assez surprenants, je dois dire, qui tendent à
montrer qu’il manquerait dans la voix des mères de bébés autistes la musique qu’il faudrait.
Hein, c’est fort quand même ! Il y a des phonogrammes impressionnants puisque ça fait très
scientifique, très rigoureux et donc que les mamans de bébés autistes ne leur chanteraient pas la
parole comme il faut. Et nous savons tous comment justement les mamans ont cette
particularité. Elles ne parlent pas au bébé, elles lui chantent les paroles. Il y aurait une chanson là
qui devrait aller de soi alors qu’elle mérite une interrogation…

Donc pour revenir à notre légitimation d cette présence du Un dans l’Autre, en tant qu’il s’avère
dans sa position de surmoi, de père, de phallus. J’ai hésité parce que vous verrez dans ce texte
quelque chose d’étrange, parce que finalement Lacan dit que un père qui peut dire ce que c’est ?
C’est même impossible à dire. Ce sont des formules que je reprendrais avec vous la prochaine
fois et qui sont très intéressantes. Ne serait-ce d’ailleurs que par, si j’ose m’exprimer ainsi, par
relent de théologie puisqu’on est au Centre Sèvres, je veux dire finalement le caractère
inconnaissable de celui dont l’unique trait finalement c’est qu’il est un trait. Donc voyez Lacan
n’est pas gnostique. Alors quoiqu’il en soit pour déjà ce soir regarder ce tableau ternaire qui est
exposé agressivement à notre vue éberluée, le père symbolique celui-là il est là. Il est là dans le
langage. Pas de discours sans lui et également pas d’homme et de femme. Ce qui vous amène
directement à cette conclusion très simple, c’est qu’à vouloir supprimer homme/femme, c’est-à-
dire à réclamer l’égalité, l’abolition des différences consiste très exactement à supprimer celui
qui dans l’Autre est l’agent supposé responsable en tant que père, en tant que phallus. On ne
sait pas qui c’est mais on lui attribue quand même une jouissance à ce père. C’est cela qui est
étrange. On ne peut pas dire quel est son être sauf : « Tu es ce que tu es » ce que Lacan
détournera en : « Tu es ce que TU… boum… ce que TU es. » Mais en tout cas, on lui prête une
jouissance, ça c’est la religion. On lui prête une jouissance puisque le langage ce n’est pas
toujours forcément un donateur de partenaires religieux. La religion lui suppose une jouissance,
c’est que son geste donateur du phallus et de la reproduction est supposé lui plaire et lui faire
plaisir quand on fait usage de son cadeau.
À propos de ce cadeau, si j’ose dire, il y a un paragraphe, nous le verrons également de façon
plus précise, très intéressant sur la problématique du jeu. Pas du jeu de cartes, ni du jeu du
bilboquet. Non, mais du jeu de hasard, autrement dit la mise qui est faite dans l’attente d’un
retour qui serait un cadeau avec, comme vous le savez, l’existence de cette catégorie très
intéressante – moi, il y a longtemps que je n’en ai plus vu – c’est une catégorie passionnante, il y
en a peut-être parmi vous d’ailleurs, cette catégorie des joueurs. Intéressante puisqu’il s’agit,
comme nous le savons, et c’est énigmatique, d’une addiction, avec la question qui surgit
aussitôt : mais quel est l’objet de cette addiction ? Quand il s’agit, je ne sais pas moi, du golf ou
du hash, bon ça va, on comprend. Mais quand il s’agit d’une addiction au jeu, au casino, quel est
l’objet de cette addiction ? Et, le plus beau texte clinique sur cette addiction, vous le connaissez,
c’est évidemment le texte de Dostoïevski. C’est d’une justesse… Du jeu, c’est-à-dire donc voilà,
non pas je paie ma dette mais je t’offre une mise et qu’est-ce qui va arriver en retour ? Vous
reconnaissez là la spéculation qui a intéressée cet esprit extraordinaire qui était Pascal. Avec
cette discussion chez Pascal formidable, c’est-à-dire la répartition des gains quand la partie
s’arrête parce que normalement chez le joueur, la partie s’arrête quand il va se jeter du haut
d’un pont. Ce n’est pas n’importe quoi non plus. Mais là, si la partie s’arrête en cours de route,
comment faut-il répartir les gains ? Et, est-ce qu’au cours d’une vie, au cours d’une existence, il
n’y a pas justement si facilement en permanence cette question de la part de jouissance qui
revient à chacun ou bien de celle qu’il doit et dont le sacrifice est dû.
Alors vous avez remarqué, je vais m’arrêter là-dessus ce soir, que ce sacrifice c’est un sacrifice
symbolique. Qu’est-ce que c’est qu’un sacrifice symbolique ? Comment est-ce possible ? Alors
vous arrivez immanquablement au premier des sacrifices symboliques inscrit dans l’Histoire de
notre culture et à propos duquel on continue inlassablement, il faudrait voir les milliers de pages
consacrés à ce qu’est ce sacrifice quand même, alors qu’on ne sait pas dire si c’est le sacrifice
d’Abraham ou d’Isaac. Qu’est-ce qu’il faut dire ? Alors on dit la ligature comme on ne sait pas qui
fait le sacrifice et le supposé sacrifié dans l’affaire. On dit la ligature d’Isaac ce qui n’est pas très
joli hein… la ligature… Moi, j’ai déjà entendu là-dessus tout et n’importe quoi. Le sacrifice chez
les Grecs et à l’époque je dirais « gentille » eh bien comme dirait Lacan, ils n’étaient pas si gentils
que ça parce que le sacrifice était bien réel. Et même, comme vous le savez, on prenait les plus
beaux jeunes gens et jeunes filles – je crois que nous serions ici sûrement très concernés – on les
mettait sur un bateau et… bon. Sacrifice réel. Et voilà quelque chose qui se passe, c’est que c’est
un sacrifice symbolique. Il y a quand même un animal qui est sacrifié dans l’affaire, bon il peut se
dire que bien entendu plus tard c’est une corne de bélier qui va venir rappeler l’affaire et qu’il
rentre dans l’Histoire mais enfin le bélier, il n’est pas content quand même. Ça c’est clair. Mais, il
est clair que ce bélier est symbolique de la part d’animalité qui est évidemment présente en
chacun de nous et dont il s’agissait de faire le sacrifice pour plaire à ce Dieu et afin d’accomplir
son humanité. Et que ce soit un bélier c’est-à-dire le représentant, je dirais, évident du facteur de
reproduction, du facteur génésique, on peut très bien voir dans ce bélier justement le sacrifice
symbolique attendu. Là en l’occurrence, par exemple, de l’enfant dans ce qui va être sa
formation, c’est-à-dire le renoncement à ce trait phallique que, au demeurant, il n’a pas.
Imaginairement, il peut plus ou moins se l’attribuer, s’en habiller, l’endosser, affirmer l’être ce
phallus, être un phallus pour sa mère, c’est quand même une opération qui n’a rien
d’exceptionnel dans la relation de l’enfant avec sa mère, c’est même très souvent ce qu’elle
attend, ce qu’elle exige. Eh bien donc, il s’agit du sacrifice symbolique. Autrement dit, on ne lui
demande pas de passer chez le chirurgien même s’il y a symboliquement une opération qui
s’appelle la circoncision et qui elle aussi est éminemment symbolique puisqu’elle est supposée
au contraire autoriser l’usage, je veux dire marquer l’autorisation de l’usage de l’instrument.
Donc la castration symbolique, c’est-à-dire le renoncement à ce qui finalement n’est que
imaginaire et non pas réel et qui est donc fait pour l’Autre. Je crois que nous saisissons mieux en
cette occasion ce que cela peut signifier.

Je suis un peu effrayé d’avoir abordé mais ce n’est pas de ma faute c’est Lacan le responsable.
Remuer comme ça tant de viscères en si peu de temps, en une soirée. Mais c’est une leçon trop
importante, je dirais, pour qu’après cet abstract que je vous ai proposé et afin je l’espère de
faciliter votre lecture eh bien la prochaine fois, on pourra reprendre le détail et j’espère que vous
pourrez manifester votre étonnement devant des assertions qui sûrement le méritent. Je veux
dire, un type qui dit des choses comme ça, moi je suis surpris qu’il n’ait pas été pendu. Ce n’est
pas possible. Non seulement ce n’est pas politiquement correct mais c’est incorrect partout.
Alors est-ce que ce soir vous avez quelques remarques ? Prenez votre temps.

Sophie Angosto Melman : Qu’est-ce qui a amené Lacan à dire à la fin de sa vie que la castration il
ne savait plus ce que c’était ?

Charles Melman : Alors évidemment, il n’est plus tellement là pour que nous puissions
l’interroger et… je n’en sais rien. Je n’en sais rien du tout… ce qui a pu l’amener à dire ça. Est-ce
que c’est un effet de l’âge ? Alors, je peux quand même vous proposer une interprétation qui est
que ce qui le heurtait considérablement c’est que dans notre culture le comportement de chacun
continue d’être réglé par des sacrifices bien réels, non pas symboliques mais bien réels et qu’il y
a une police des mœurs qui est à l’œuvre pour faire que chacun contribue à ce sacrifice, des
plages de débordements étant bien entendu entretenues, tolérées, favorisées, etc. mais que
néanmoins la vie des couples est placée volontiers sous le signe d’une castration bien réelle et
non pas symbolique. Autrement dit que nous entretenions parmi nous des rites païens. On peut
dire ça comme ça. Comme si c’était nécessaire et comme si ça plaisait à Dieu. Ce qui est certain
c’est que cet aspect de notre vie sociale l’agaçait terriblement, cette espèce d’inconfort mis au
centre des échanges sociaux et comme s’il y avait sans cesse une dette bien réelle dont il fallait
s’acquitter. Voilà ce que je dirais là-dessus.

Intervenant : Oui excusez-moi. C’est à propos de la position du père, j’ai une mauvaise version,
j’en rougis un peu mais dans cette leçon 12 dans ma version il n’y justement rien de marqué au
niveau du père et plus tard dans les leçons d’après à cet endroit du père il y aura marqué que
c’est le père réel et que toute la question – si j’ai bon souvenir parce que je l’ai un peu travaillé –
et que ce passage du père réel, du père symbolique et du père imaginaire m’avait toujours paru
toujours très compliqué et que là vous avez tranché : la castration, l’agent ça serait le père
symbolique donc ma version est fausse…

Charles Melman : Non, non. Votre version me paraît excellente.

Intervenant : C’est moi qui ai mal compris ce que vous avez dit ?

Charles Melman : La dimension du réel ne prend place qu’à partir de l’ordre symbolique donc
finalement un père réel, celui qui est dans ses pantoufles et dans son fauteuil. Il ne tient, je
dirais, son existence que de sa référence, que de l’autorisation qui lui vient d’un père
symbolique. Et, c’est pourquoi dans ce très étrange tableau que vous avez au début de cette
leçon, vous avez à gauche isolé tout seul, le pauvre, le père symbolique et puis vous avez ensuite
les conséquences, la tripartition qui s’opère à partir de cette ex-sistence du père symbolique.
Mais on expliquera chacun… nous allons être très stupides, bornés, positivistes. On va à chaque
fois expliquer ce qu’il en est de chacun de ces pères car, après tout, le père symbolique, il est
symbolique de quoi le père symbolique ? Donc il faudra que l’on explique, enfin que l’on
commente au moins tout ça. D’accord ? Est-ce que vous avez avant d’aller rêver chacun…

Intervenant : Est-ce que vous pouvez revenir au début de ce que vous avez dit ? Vous avez parlé
au début de la relation de la mère et de l’enfant… Vous avez dit que l’enfant pouvait être marqué
à jamais par le type de relation entretenue avec la mère au départ. Moi, je m’interroge sur cette
constance, qu’est-ce qui assure cette constance ? Parce qu’effectivement c’est vrai. Je me
demandais pourquoi c’est aussi immuable.

Charles Melman : Parce qu’il peut refuser cet acte de foi qui consiste au sacrifice de ce trait que
son échange imaginaire, que sa relation imaginaire autorise. Pourquoi il ferait confiance après
tout ? Tout ça repose sur un acte de foi. Faut faire confiance là, que le fait, que la condition d’y
renoncer eh bien c’est comme ça que ce sera donné en retour. Est-ce que ce n’est pas un
partenaire trompeur voire crapuleux voire avaricieux. Il y en a qui le pensent qu’on est volé dans
l’échange, que ce dieu là est un voleur. Tout ça a des conséquences assez désagréables.
Bon et bien écoutez, là je crois vraiment que chacun peut aller rêver chez soi et donc à bientôt.

Charles Melman

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 7


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, Séminaire Charles Melman, le 30/01/2014  


Je vous propose de reprendre cette « Leçon XII », dont nous allons voir que nous l’avons jusqu’ici survolée,
et dont vous allez voir également qu’elle est un pivot des processus de l’organisation psychique et que vous
avez beaucoup de chance, de pouvoir vous y introduire, grâce à un guide, qui va vous mener par la main,
dans la mesure où il s’agit d’une leçon centrale, je dis bien, et qui a la particularité d’être restée – elle est
faite en 57, d’être restée à peu près négligée ou méconnue ou mal interprétée par les élèves.

Nous allons donc voir si sommes nous-mêmes capables aujourd’hui, à partir de ce cas clinique du
Petit Hans, si nous sommes capables non seulement de mieux la lire mais d’en accepter les
données, car elle nécessite assurément que vous attachiez vos ceintures ; vous n’en avez pas,
tant pis.

Vous avez d’abord, à cette « Leçon XII » –  que nous allons suivre pas à pas, nous n’allons rien
laisser de côté – vous avez d’abord ce tableau, étrange et auquel, de façon tout-à-fait normale,
vous n’avez rien compris. Vous avez d’abord ce tableau, qui anticipe ce que seront les nœuds
borroméens mais qui l’ignorait à l’époque. Ce tableau est constitué par une combinatoire, celle
du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Rappelons en passant qu’à la lecture du cas du  Petit
Hans  vous avez pu remarquer, vous avez sûrement pu être sensibles au fait que les diverses
représentations qui étaient données, à la fois du pénis, du sexe féminin, de la castration, de
l’Œdipe, etc., étaient manifestement, ne pouvaient que laisser une impression de confusion, y
compris d’ailleurs avec des conséquences pour le Petit Hans qui sont assez connues ;
conséquences, dont il sera souligné dans cette leçon que  l’Œdipe ne suffit pas pour assurer
l’identité sexuelle. Je veux dire que si l’Œdipe peut désigner le choix de l’objet, il n’exclut
aucunement une position fondamentalement homosexuée ; ce qui est une remarque, je dois
dire, non conventionnelle mais intéressante et qui justifie ce qu’il va là aborder, c’est-à-dire que
ce qui s’avère déterminant dans l’organisation de la vie psychique n’est pas tant la façon dont
nous allons  rationaliser une suite  d’évènements et d’interprétations, mais que ce qui est à
l’œuvre est une combinatoire ; une combinatoire de catégories que Lacan amène : Réel,
Symbolique et Imaginaire.

En rappelant ceci : c’est que si le signe est, je dirais, le moyen de communication de l’animal,
celui que nous constituons se trouve habité par le signifiant. Commençons par le plus simple. Le
signe a le bonheur, l’avantage de représenter, dit Lacan, quelque chose pour quelque « un » ; par
exemple, lorsque Robinson voit sur le sable des traces de pas, voilà bien des signes qui désignent
le passage d’un homme : l’île est habitée. Pourquoi : pour quelqu’un ? Quelque chose, encore, on
comprend ; remarquez que c’est le rapport direct à la chose, et effectivement, quand Robinson
rencontrera Vendredi, eh bien voilà, c’est bien un homme à qui il a affaire. Mais pourquoi :
représente quelque chose pour quelque « un » ?  Eh bien, cela peut s’entendre, ce « un »,
comme l’élément d’une communauté animale et pour laquelle ce signe est significatif : ce n’est
pas le même signe qui est représentatif pour toutes les espèces animales. Je crois que les termes
de chose et de un, je dirais ici que ces termes sont à souligner.

  Le signifiant, dira de façon restée toujours originale Lacan, c’est ce qui représente un sujet pour
un autre signifiant. Autrement dit, l’émergence dans notre espace de perception d’un signifiant
nous indique là la présence d’un sujet, non pas d’un « un », mais d’un sujet et qui se trouve
représenté pour un autre signifiant, l’interlocuteur par exemple, moi, par exemple, à qui ce
signifiant s’adresse. Le signifiant – je reprends ce développement pour essayer de vous rendre
sensibles à la matérialité du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire : ce ne sont pas des concepts
abstraits – le signifiant, comme vous savez, n’a pour propriété que d’être différent des autres
signifiants : ce qui constitue sa spécificité, ce n’est pas tant de renvoyer à une constitution
matérielle propre mais simplement au fait que les phonèmes qui le composent sont chacun
différents des autres signifiants ; un signifiant représente donc une pure différence, et dans la
mesure où il n’est représentatif d’un sujet que pour un autre signifiant, puisque nous n’avons
jamais affaire qu’à ce registre de la parole, eh bien il est clair que dans cette adresse c’est bien la
Chose qui se trouve perdue, puisque je n’aurai à me mettre sous la dent par l’usage du signifiant,
cette invocation faite par le signifiant, qu’à un autre signifiant ; je n’aurai à me mettre sous la
dent qu’un signifiant, et la Chose d’ailleurs, ne prendra ses qualités que par le signifiant qui la
représente.

Si le signifiant ne vaut que par sa différence, il vient en quelque sorte trouver sa matérialité, cette
fois-ci, comme étant chaque fois « un » ; chaque signifiant vaut comme « un » : Dans la suite des
signifiants, eux qui sont tous différents, leur identité, c’est d’être chacun une unité, d’être chacun
« un ». Et ce « un » devient le symbole – nous entrons là dans le registre du Symbolique -  le
symbole de ce que le signifiant perd à l’occasion de son exercice, c’est-à-dire qu’il ne peut
épuiser le champ des représentations : il peut toujours y avoir un signifiant de plus ,mais en
outre, entre deux signifiants il y a un gap, il y a une coupure,  et pour les mathématiciens ce qu’il
y a entre le zéro qui est donc le premier des « uns » qu’il faut compter dans la suite des nombres,
il faut commencer par zéro  – 0, 1, 2, 3  –  entre zéro et un il y a une suite de nombres réels,
comme vous le savez, infinie, et qui, elle, a la propriété d’être continue, dont les éléments ont la
puissance du continu ; c’est-à-dire qu’entre deux chiffres pris dans une suite de nombres réels,
eh bien je peux toujours entre les deux en intercaler un troisième, et entre ce troisième et le
premier en intercaler un quatrième, et entre ce quatrième et le premier en intercaler un
cinquième : un tissu continu.

Le signifiant donc, en tant que un, est symbole de ce qu’il ne peut atteindre, de ce qui lui
échappe, et ce qui lui échappe ainsi et que Lacan va appeler le Réel, dans ce qui lui échappe de
ce Réel se trouve entre autres, bien sûr, cet objet qu’il rate. Alors vous me direz pourquoi est-ce
que le petit humain n’a pas uniquement affaire à un signifiant et pourquoi vient intervenir là la
notion d’un objet ? Comment est-ce qu’il a accès à la notion d’objet  L’objet qui est donc réel,
puisqu’il échappe au signifiant, il échappe à la prise par le  un : d'où est-ce que ça lui vient ? Eh
bien justement, nous allons voir ça.

Donc, en tout cas, le signifiant dans sa dimension symbolique, est symbolique toujours de ce qui
échappe à son pouvoir, et ça vaut comme nous l’avons dit aussi bien pour le concept, y compris
bien entendu les concepts dont nous nous servons et qui n’entendent pas couvrir, rendre le
champ de la théorie comme venant couvrir l’ensemble du domaine. Outre  le Réel donc, en tant
que ce qui échappe au signifiant, se trouve l’Imaginaire qui est une dimension essentielle
puisqu’elle est la représentation que nous pouvons nous faire de ce qui dans le Réel est désiré,la
représentation que nous nous en faisons. Et il y a quelque part une remarque de Lacan disant
qu’il est certain que la fixation de l’enfant est dépendante, est liée au fait qu’elle est la première
image qui lui est apparue ; à sa mère donc et du même coup assurément à une femme, et pour
des enfants qui ont été élevés par des boys, il n'est pas extraordinaire que des problèmes
puissent survenir.

Donc Réel, Symbolique et Imaginaire. Alors vous me direz : oui le Symbolique mais pourquoi le
symbole ?  Vous savez que le symbole c’est cet élément qui, détaché d’une pièce de monnaie
selon une ligne de fracture spécifique, sera susceptible d’en être rapproché pour reconstituer
cette pièce –  la reconstituer intégralement comme une assiette brisée en deux morceaux et vous
pouvez la recoller, σύνβολειν (« sunbolein »), remettre ensemble  – sauf que dans le cas qui nous
concerne, la pièce cassée, la pièce manquante, celle dont le fragment est le symbole, va s’avérer
ne jamais  pouvoir parfaitement venir reconstituer la forme inaugurale, autrement dit, faire une
union parfaite. Ceci pour les raisons que je ne vais pas là reprendre mais dont vous avez quand
même une idée, d’ailleurs là je crois qu’avec cette introduction je suis déjà pour vous dans des
truismes, mais Réel, Symbolique et Imaginaire sont des catégories trop importantes pour qu’on
ne soit pas au clair là-dessus. Donc le signifiant est le symbole d’une perte qui ne sera jamais
réparée, on ne pourra jamais recoller les deux morceaux, et c’est au point où vous savez que
Lacan dira qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ce qui veut dire que les deux morceaux ne vont pas
ensemble, malgré des efforts déployés de part et d’autre, et par les institutions.

Alors donc, maintenant lisons ce tableau qui inaugure la « Leçon XII » et qui restera tellement, je
dirais malentendu, que dans la « Leçon XIII » Lacan va revenir sur la définition qu’il inaugure dans
cette leçon. Ce qui vous frappe d’abord, c’est que la première ligne, quand vous la lisez
horizontalement : père réel ; castration ; dette symbolique ; phallus, vous vous demandez
pourquoi il n’y a pas : père réel, père symbolique et phallus. De même dans la ligne
verticale : père réel, mère symbolique, mère imaginaire. Pourquoi : mère symbolique, et non pas
à cet endroit père symbolique ? Pourquoi cette cassure dans ce tableau, et pourquoi le père
symbolique est-il inscrit tout seul à gauche ? Et qu’est-ce que c’est que ce père symbolique ?
Alors le père symbolique, c’est ce qui plus tard sera appelé par Lacan le nom du père ; c’est un
signifiant, qui a une particularité très amusante  et c’est sans doute pourquoi il réjouit toujours. Il
a une particularité très amusante, c’est que lui, il ne représente pas un sujet pour un autre
signifiant. Autrement dit, il ne fonctionne pas comme les autres : il fonctionne comme ce que
Lacan appellera plus tard un point de capiton. Vous savez ce que c’est, un point de capiton, vous
avez peut-être chez vous un matelas par hasard, c’est ce qui vient unir comme cela deux
couches. Il a repris cela des dessins de Saussure avec les deux courants du signifiant et du
signifié, et voilà que, avec le nom du père nous sommes renvoyés à un signifié, non pas à un sujet
représenté pour un autre signifiant, mais un signifié, point de capiton. Et lequel ? Quel signifié ?
Et bien, le signifié d’une instance qui aurait à se tenir dans le Réel, une instance Une, puisqu’il lui
est prêté d’être génératrice, génitrice, génératrice des « uns » qui organisent le champ de la
représentation et le monde, qui le peuplent, donc cette instance supposée être présente dans le
Réel, et dont la seule certitude qu’il y ait est qu’elle répond. C’est génial son truc, elle répond.
Qu’est-ce que ça veut dire, qu’elle répond ? Eh bien, ça veut dire que nous sommes en général
habités par un dialogue intérieur qui se tient, qui se fait   –  aujourd’hui ça se fait moins parce
qu’on a des écouteurs sur les  oreilles et que l’on écoute… Stromae (rires)  –  mais jusque-là,
avant les écouteurs, il y avait donc ce dialogue intérieur,  dont personne ne s’étonne d’ailleurs,
cela paraît vraiment aller de soi, alors qu’il s’en faut de peu de choses pour que ça puisse
apparaître comme bizarre. Un dialogue avec une instance assurément Une avec laquelle le sujet
s’interpelle, dont il reçoit des injonctions, voire s’adresse des messages qui viennent de cette
instance supposée.  Par exemple, « tu es vraiment un pauvre petit connard », « vraiment, c’est
pas fort ce que tu fais »...   Autrement dit, cette instance que Lacan va spécifier comme étant
celle du Surmoi, cette instance Une dans le Réel, et dont le caractère générateur, le pouvoir
générateur qui lui est attribué, va faire qu’aussi bien, de façon plus laïque, il puisse être nommé
phallus.

Donc, le père symbolique, ce signifiant atypique, en tout cas bien différent des autres signifiants,
puisqu’il est indexé, on aurait presque envie de dire qu’il est traité comme un signe s’il y avait à
l’extrémité qu’il désigne une chose, alors que ce qu’il y a là, c’est une instance hypothétique,
puisqu’il n' y en a pas beaucoup qui l’ont rencontrée, et ceux qui l’ont rencontrée en sont
revenus un petit peu secoués. Donc c’est la supposition de ce Un dans l’Autre, dans le Réel, qui
n’existe peut-être que du fait de mon amour, de mon amour pour le faire exister, puisque je ne
suis pas sûr de son existence, et l’amour, c’est toujours faire exister ce qui manque d’être : est-ce
qu’on aime quelqu’un ou quelqu’une pour ce qu’elle a ou pour ce qu’il a, ou pour ce qui lui
manque ? On peut éventuellement désirer ce qu’elle a ou ce qu’il a, mais aimer ce n'est pas la
même dimension, et on n’aime évidemment quelqu’un que dans la mesure où il est porteur,
animé par ce qui lui manque, et que par l’amour il s’agit bien de le faire exister. Au point que
Lacan dira, mais je ne m’étendrai pas sur cette conséquence, que l’amour est toujours
réciproque. Ça, c’est toujours très, très amusant dans les cas d’érotomanie, et où la personne qui
en est marquée est absolument à chaque fois  persuadée que… la vedette, par exemple, dont elle
s’est éprise, eh bien quand elle apparaît sur l’écran, elle lui fait des signes tout à fait privés, elle
s’adresse à elle, elle signifie que… L’amour est toujours réciproque, puisque celui-là ou celle-là
que j’aime, c’est-à-dire dont je fais un « un » parfait, c’est bien aussi parce qu’en retour il me fait
« un » parfait, et que l’un et l’autre étant des « uns » parfaits, sans aucune coupure entre nous 
–  c’est pourquoi l’érotomane va toujours sous les fenêtres de son objet  –  il n’y a que la fusion,
enfin réussie, qui nous attend. C’est quand même fort, je dirais, que nous soyons animés par des
déterminations aussi indifférentes à nous-mêmes, aussi sourdes, bien que ce Surmoi, nous ayons
l’habitude de lui prêter parole.

 En tout cas, c’est bien la présence dans le Réel de ce Un supposé, dont le nom du père est le
représentant, je n’en ai jamais que le nom, et Lacan dira dans le texte  : mais qui a jamais été, a
pu assumer le fait d’être un père complet, d’être un père parfait, d’être un père réussi et qu’est-
ce que ce serait d’ailleurs puisque ceux qui ont cette charge, ils essaient d’en assurer la fonction
avec évidemment un décalage par rapport à cet idéal qui sera toujours perçu immédiatement
par les enfants, bien sûr, et décalage qui habituellement provoque l’amour de l’enfant, pas
seulement la revendication : pauvre papa, hein, il a bien besoin d’être aimé…

Il y a,  je vous la conseille, elle  se joue encore,  la pièce d’Ibsen Le canard sauvage et qui tourne
entièrement autour de la question des pères ; du père. Et il y a là le personnage d’un homme
d’affaires qui a réussi, un type intelligent, crapuleux, mais honnêtement, crapuleux parce quand
on est un homme d’affaires, on n’a pas tellement le choix, et qui donc voudrait bien que son fils
rentre dans la société, qu’il s’associe à son père,  pour prendre la suite, etc. … Et le fils s’insurge
contre son père lubrique, malhonnête et profiteur ; s’insurge au nom de quoi : au nom justement
du Surmoi, au nom de l’Idéal. Et donc il récuse ce père.  On découvre au cours de la pièce ses
malversations, et alors que l’autre père qui est mis en scène, et qui est le fils d’une des victimes
de cet homme d’affaires, et qui est un pauvre bougre, dont la vie est ratée, enfin bref, un
velléitaire, névrosé, etc. et qui élève une fille qui a quatorze ans dans la pièce, et ce père faible,
lâche, velléitaire, elle l’adore. Or il y a donc le fils du premier qu’il dénonce, qui est un type
normal, et puis il y a l’autre, le raté, et que sa fille, aux petits soins pour lui, adore, elle a besoin
de le  constituer, d’être la fille dont il pourrait être fier. C’est une pièce très lacanienne. C’est
écrit en 1885, c’est-à-dire au moment où Freud arrive à Paris ; et Freud était fasciné par le
théâtre d’Ibsen, vous avez l’inconscient qui est là mis sur la table. Mais il fallait évidemment un
clinicien pour prendre la position du thérapeute. Ibsen est un dramaturge. Et Ibsen avait
également cette particularité, il était lui-même dans une relation tout-à-fait spécifique à son
propre père puisque norvégien, il appartenait à un pays que le congrès de Vienne venait de
détacher du Danemark qui était donc le patron de la Norvège, pour le donner à la Suède. Donc
son pays était passé du Danemark à la Suède, c’est agréable quand on est le citoyen d’un pays, et
il écrivait en danois, mais un danois truffé d’idiotismes norvégiens, d’idiotismes populaires, du
parler populaire. Mais il écrivait en danois. Et il n’y a qu’une pièce qui est écrite en norvégien,
une seule, qui est la plus connue, qui est Peer Gynt, et donc on ne s’étonnera pas que Joyce soit
tombé sur Ibsen, il a tout de suite reconnu là un frère ; A un moment où les Norvégiens vont
montrer leur lâcheté en refusant de se défendre contre les Prussiens et les Autrichiens qui
viennent de se saisir de deux provinces appartenant au Danemark, il quitte son pays à ce
moment-là pour aller où ? À Trieste ; en tout cas pour descendre en Italie et passer vingt-sept
ans en exil, comme ça. Est-ce que ça ne vous dit rien, tout ça ? Et le père de Henrik Ibsen était un
riche négociant qui bien entendu, a dissipé sa fortune en menant joyeuse vie, ce qui fait que le
petit, il devait avoir sept ou huit ans quand le statut social de la famille s’est trouvé détruit, que
ce petit qui lui parlait donc une langue étrangère, dont le père a provoqué la décadence de sa
famille, s'est trouvé affronter en plus  dans la petite ville où ils étaient la rumeur qu’il n’était pas
le fils de son père. C’est pas beau, tout ça (rires) ? Lui-même fera un enfant à la bonne qui
travaillait dans la pharmacie où il était préparateur, à l’âge de dix-huit ans, et toute sa vie il lui
paiera une pension alors qu’il n’avait pas un sou. Il aura avec sa femme légitime qu’il épouse vers
l’âge de trente ans un second fils, prénommé Sigurd, qui deviendra quoi ? Et bien Sigurd
deviendra Premier Ministre de Norvège. Et si vous lisez cette pièce, vous aurez l’impression de
lire une observation de Freud . Alors que Freud à ce moment-là arrive donc à Paris,en 1886, ce
qui était de sa part extrêmement courageux parce que nous étions peu après la guerre de 70 et
que venir faire des études en France avec une bourse, c’était une bourse d’État qu’il avait
obtenue, c’était pas s’assurer une carrière. Et toute la pièce dont je vous parle est organisée
autour d’un silence, quelque chose qui ne doit pas être dit, concernant justement le
comportement de l’homme d’affaires et dont dépend le destin de tous les personnages, et dont
le fils de cet homme d’affaires voudra que la vérité éclate : ce qui va causer la ruine de tous les
protagonistes. Avec cette interrogation formulée par un médecin  –  un médecin dans la pièce
qui est un bon vivant, c’est un noceur, faut prendre son pied quoi, faut pas s’occuper du reste  – 
et qui dira que ce qu’il faut préserver, c’est le mensonge vital. C’est chez Ibsen. Avec donc cette
interrogation : vérité ou mensonge ? Et dont vous savez comment même au sein de la
psychanalyse, c’est une question qui reste ouverte puisque le style, je dirais, qui s’est inspiré de
celui de Freud consistait justement à mettre sur la table ce qu’il pouvait y avoir de caché dans
l’histoire familiale, voire dans les sentiments : voilà, il faut le dire. Et alors que Lacan a agi de
façon radicalement différente, c’est-à-dire nullement pour négliger l’accès à la vérité des faits, ce
qui n’est pas la même chose que la vérité tout court ; l’authenticité des faits, oui, ça, il faut
l’établir. Mais en maintenant toujours ce qu’il en est de ce silence fondamental qui nourrit et qui
entretient la parole, et le désir.
Alors, après cette excursion théâtrale, et la vérification du fait que le public entend très bien, je
veux dire que c’est une pièce qui fait vibrer immanquablement, on ne peut pas rester insensible
à cette pièce qui se termine tragiquement. Mais le public ne veut pas qu’on lui gâche son plaisir.
C’est-à-dire que l’imbécile qui viendrait expliquer les ressorts de la pièce, on n’en veut pas, et ça
c’est un point intéressant parce que le masochisme est un ressort de cette histoire ; Leopold
Sacher-Masoch viendra rendre visite à Ibsen et sur le cahier de Masoch Ibsen écrira, il aura mis
un mot sur son album, il mettra : « La littérature nouvelle doit déplacer les poteaux des
frontières ». Il n'a rien déplacé du tout, puisque le public ne veut pas que les poteaux soient
déplacés. Et la résistance à l’analyse doit une bonne part à cette condition, c’est-à-dire : Ne venez
pas me déranger dans ma façon de souffrir. C’est ce que Freud a appelé abusivement l’instinct de
mort, parce qu’il était fâché de voir que ce qu’il faisait ne marchait pas trop.

Nous avons encore le temps, nous avons encore trois rencontres et dans ces trois rencontres
devant nous je compte bien faire que cette « Leçon XII », qui est un pivot, qui est essentielle,
nous soit parfaitement claire. Mais donc pour revenir à ce tableau, et à la ligne supérieure : père
réel ; castration ; dette symbolique ; phallus, qui a donc pour combinatoire R, S, I., vous voyez
que la lecture verticale de la colonne : castration ; dette symbolique,  vous avez au-
dessous : frustration ; dam imaginaire et au-dessous : privation ; trou réel . Donc, vous avez là
une autre combinatoire qui est : S, I, R, mais dont vous voyez que dans tous les cas elle concerne
le traitement du trou, de ce qui fait trou, c’est-à-dire le Réel. Mais dans le cas où il s’agit de la
castration et de la dette symbolique, eh bien c’est là une interprétation du Réel comme
susceptible d’entretenir le désir, sexuel. Frustration, dam imaginaire : c’est l’interprétation du
même Réel comme étant la cause d’une injustice fondamentale, d’une promesse non tenue, à la
fille, par exemple ; pourquoi n’est-elle pas traitée à l’égal du garçon, comme le Petit Hans en fait
la recension: tous les êtres animés, ils en ont un, alors ? Et puis, le même Réel, le même trou,
interprété comme privation, autrement dit là comme traumatisme, comme amputation, comme
handicap. Donc, j’attire votre attention là-dessus : la façon, la lecture qui sera faite de ce même
trou, selon qu’elle sera symbolique – castration, imaginaire  –  frustration, réelle  –  privation, va
avoir des conséquences subjectives décisives : c’est toute la vie qui se trouve là appendue, par
l’effet de la lecture symbolique, imaginaire ou réelle qui sera faite de ce même trou ; alors,
pourquoi dette symbolique en haut ? Eh bien, dette symbolique, puisque nous l’avons vu je crois
bien la dernière fois, ce que la relation imaginaire permet de repérer comme appartenance
phallique - dans le cas du Petit Hans, réciproque avec la mère : tu l’as, moi aussi, la question
étant de savoir chez qui elle est la plus grande  –  eh bien, le processus de la castration consiste,
nous l’avons vu explicitement,  à renoncer à cette représentation imaginaire de l’appartenance
phallique au profit d’une reconnaissance symbolique , cette fois par l’instance Une que
j’évoquais tout à l’heure, et que signifie le nom du père. Autrement dit, je consens à me séparer
de ce que l’assignation imaginaire me permet, m’autorise, pour maintenant être tributaire du
don, et le terme de don va revenir très souvent  dans cette leçon du séminaire, du don qui me
revient de l’Autre mais cette fois-ci sous une forme qui n’est plus liée, je dirais, à l’occasion, à la
circonstance occasionnelle du partenaire avec qui je peux nourrir ce jeu du leurre  –  le terme de
leurre est également souvent repris, là chez Lacan  –  mais il y a maintenant cette indépendance
de la relation en miroir, celle par exemple du Petit Hans avec sa mère, où s’entretient cette
compétition phallique, pour être maintenant, je dirais une inscription, et qui rend au porteur de
cette inscription une liberté, un détachement de la relation duelle à laquelle il était jusque-là
assigné .

Frustration ; dam imaginaire. Dam imaginaire : alors il est évident  que vous connaissez Lacan,
c’est pas par hasard, il aurait pu mettre dommage imaginaire. De même  il propose de
traduire Vergleichung, c’est-à-dire Vergleichung c’est la « comparaison ». Il propose de la
traduire  « équipotence ». « Équipotence », alors pourquoi il se sert du terme d’équipotence,
hein ? Au lieu d’ « équivalence », puisque Vergleichung, c’est « équivalence ». Alors, pourquoi il
se sert  du terme d’équipotence ? Faites marcher un peu votre fantaisie. C'est tout bête, mais
c’est du Lacan ça, c’est-à-dire que vous retrouvez là le fameux cheval, avec « équi / potence ».
Vous me direz : dans « équi / valence » aussi. Oui mais dans « équipotence » ça prend un relief, si
j’ose ainsi m’exprimer, plus précis. C’est amusant, tout ça, non ?

Auditrice :

-          « Impotence » aussi.

Charles Melman :

-          C’est vrai. Vous avez raison, ça met en résonance le terme d’impotence.

 Alors je voudrais quand même qu’on épuise cette première ligne ce soir. Père réel, qu’est-ce que
ça veut dire, père réel ? Alors il n'est pas très disert là-dessus. Qu’est-ce que c’est, le père réel ?

Auditeur :

 Est-ce que l'on peut dire que comme il doit y avoir un interdit dans le Réel, de ce fait on en
déduit un père réel ?

Charles Melman :

-          Le représentant de la fonction paternelle qui se trouve au foyer, il a aussi un certain Réel,
je veux dire : il n'est pas fabriqué à la chaîne. C’est celui-là et pas un autre: il y a aussi un Réel du
père, il est foutu comme ça, aussi bien physiquement, mentalement qu'émotionnellement,
libidinalement, tout ce que l’on voudra: c’est le père réel auquel on a affaire ; mais qui a
cependant à tenir la fonction qui lui est dévolue du fait d’être nommé père : c’est la nomination.
Il n'y a rien d’autre que la nomination qui fait de lui un père. Et s’il récuse cette nomination, si
l’enfant naît sous X, eh bien, il est affranchi.

 Mais alors, pourquoi est-ce qu’il faut le père réel ? Pourquoi est-ce qu’après tout un père
symbolique ne suffirait pas, voir la photo du père sur la commode , ce n’est pas exceptionnel.
Pourquoi est-ce qu’il faut un père réel ?

Auditrice :

-          Pour voir si ça tient.

Charles Melman :

-          Il faut qu’il y ait un père réel, et qu’il s’occupe de la maman, bien sûr. Pourquoi est-ce qu’il
faut qu’il s’occupe de la maman ? Mais parce qu'il faut justement qu’il valide cette puissance
dans le Réel du phallus, dont il est un représentant. Ce qu’on pourra lui reprocher d’ailleurs au
nom de la protestation contre l’obscénité.

  Auditrice :

-          Je crois que vous avez parlé de la toute-puissance maternelle. Est-ce que c’est ce père réel
qui vient faire limite aussi à ça, donc une certaine protection de l’enfant contre la toute-
puissance ?
 Charles Melman :

-          C’est-à-dire qu’à partir du moment où le père réel témoigne que la maman n’est  pas la
représentante souveraine de cette instance profilée derrière elle et qui s’appelle le phallus , du
même coup il fait limite. Mais il peut aussi bien sûr parfaitement accepter que ce soit la maman.
Et pourquoi ai-je parlé du phallus, eh bien parce que justement, l’interprétation imaginaire de
cette instance supposée dans le Réel, c’est bien que c’est là l’instance dont la fonction est d’être
génératrice.

Et donc, on a là cette première ligne. Très rapidement car j’aurais préféré que la prochaine fois
on puisse aller au-delà de ce schéma : Mère symbolique. Mère symbolique de quoi ? Mère
symbolique, eh bien justement, la mère en tant que symbole de cette instance phallique profilée
derrière elle. Une remarque, tout de même, son pouvoir ne tient pas à une nomination. Elle n’est
pas fonctionnaire. Une mère – le père est un fonctionnaire, il a à assumer la fonction – une mère
n’est pas une fonctionnaire. Mais cela ne l’empêche pas d’être en tout cas représentante de
cette instance phallique. Mais avec pour conséquence que le Réel auquel elle n'a pas moins
affaire, justement, le trou sera interprété comme frustration, c’est-à-dire que ne lui a pas été, je
dirais, donné, ce que la promesse initiale avait engagé. « Frustration », c’est en
allemand Versagung, c’est-à-dire la promesse, le dit qui n’est pas tenu. Ce qu’elle oblitère dans le
champ oral par un objet bien réel, et qui est le sein. Ne serait-ce qu’à le raconter comme ça, on a
l’impression de décrire des situations cliniques, qu’on ne saurait rendre plus abstraites que par
ce rassemblement, je dois dire. Mais vous remarquez quand même ceci, c’est que – et c’est ça la
beauté, si je puis dire, de l’affaire – c’est que ce sein réel, eh bien il a quand même un aspect,
une dimension imaginaire du fait qu’il est néanmoins dans la colonne avec au-dessus, le phallus,
qui lui est imaginaire. Donc il en prend quand même une coloration, c’est-à-dire de venir à la
place du phallus ; du phallus en tant qu’imaginaire, le sein réel.

Et puis dans la dernière ligne, le trou réel attribué à un père imaginaire, c’est-à-dire injuste ou
défaillant, et l’objet ayant la valeur de quoi ? Eh bien justement du fait qu’il ne vient pas garantir
ce phallus symbolique, dont nous avons suivi la trace au cours de cette élaboration,  c’est bien
pour ça que le trou est purement réel, ce n’est pas un trou habité. En quoi ce trou est réel et
origine une privation, eh bien c’est qu’il est déshabité de la supposition phallique, la supposition
d’être habité par le phallus. Et  je vous recommande au moins la lecture du Canard sauvage pour
que vous voyiez se déployer sous vos yeux la mise en scène de ce tableau, avec une justesse
époustouflante.

Je vous signale tout de suite pour ceux qui voudraient, avant notre prochaine rencontre, se
préciser pour eux-mêmes ces notions de père imaginaire, de père réel et de père symbolique,
que comme Lacan a pu vérifier, entre le « séminaire XII » et avant le « séminaire XIII », il reprend,
dans la « Leçon XIII », la question du père symbolique, du père imaginaire, du père réel et il
reprend aussi le tableau que je viens d’évoquer avec vous. Alors j’espère que pour vous ceci est
parlant ; je dois dire que pour moi c’est absolument remarquable de voir combien, c’était 1957,
c’est resté sans audience, et sans doute comme je le disais tout à l’heure à cause de ceci, c’est
que : comment, nous serions, nous, dépendants d’une pure combinatoire ? Alors que le récit, y
compris l’histoire clinique, laisse toujours, profile toujours je dirais la présence du fauteur dans
toute cette affaire, n’est-ce pas. Un récit est toujours habité, forcément. Y compris quand c’est
un récit clinique : il s’est passé ceci et donc il y a eu ça, et ça, ça a eu pour conséquence cela, etc.
La consécution du récit ne manque jamais de mettre en vibration, je dirais l’auteur de ce qui fait
consécution, de ce qui fait cause et effet. En revanche, vouloir évoquer le rôle décisif d’une pure
combinatoire – je veux dire si vous avez une lecture par exemple symbolique du trou - forcément
ça a tout de suite… Et puis le fait que vingt ans plus tard il est tombé sur l’histoire du nœud
borroméen, c’est-à-dire la façon dont Réel, Symbolique et Imaginaire peuvent tenir ensemble et
ouvrir une autre combinatoire, et qui justement n’a plus besoin de l’hypothèse de cette instance
Une dans le Réel, autrement dit de l’au-moins-Un, pour faire qu’un sujet puisse fonctionner,
puisse se tenir.

Autre auditrice :

-          Merci. Juste une question un peu à côté, ce que l’on voit là c’est que en fonction de la
lecture du trou, ça va avoir des effets tout-à-fait différents ; En même temps ces différents trous, 
comment on passe de l’un à l’autre ?

Charles Melman :

-          Je ne crois pas. C’est en tout cas la vocation de la cure, de favoriser une lecture différente,
ça c’est sûr. Mais spontanément nous n’avons aucune liberté à cet égard. Ce qui veut dire que
nous disons toujours les mêmes choses. Et est-ce que les patients de Freud ont pu s’engager
dans des lectures différentes ? Ce n’est pas évident. C’est souhaitable évidemment. C’était la
formule mannonienne, d’Octave Mannoni : « Je sais bien mais quand même ». Autrement dit :
oui oui, tout ça d’accord, c’est bien beau mais quand même. Autrement dit : faut quand même
pas me déranger, quoi. D’accord ?

Autre auditrice :

-          Du coup est-ce que ça ne voudrait pas dire qu’il n’y aurait que trois lectures…

Charles Melman :

-          Oui, il n’y en a que trois. Mais oui. C’est une combinatoire relativement réduite.  Et ce qui
veut dire qu’il y aurait une clinique à écrire et qui n’est pas faite.

   

Charles Melman

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 8


Conférencier: 

Melman C. Dr

EPhEP, Séminaire de Charles Melman, le 13/02/2014

Charles Melman : Bon, alors nous allons faire, ce soir, un étrange parcours dans le séminaire
numéro treize, la leçon numéro treize, que je vous propose de démarrer – nous prendrons le
début ensuite – sur ce que va être de façon extrêmement précise les définitions de père réel,
symbolique et imaginaire, pour se conclure, ce chapitre, sur une interprétation très lacanienne et
très surprenante concernant la genèse de la phobie du petit Hans. Interprétation très lacanienne
et surprenante dans la mesure où il est traditionnel que nous accordions le privilège au récit des
évènements, à leur succession ; c’est ce qu’on appelle l’histoire d’un cas. Alors que nous allons
avoir la surprise, et je crois qu’elle mérite d’être appréciée comme telle, nous allons avoir la
surprise de voir que la genèse de la phobie est attribuée à un évènement survenu chez le petit
Hans, et dont, je dirais, nous ne saurions, et Freud pas davantage, apprécier toute l’importance
que lui donne Lacan.

Commençons, avant d’en venir à cet évènement survenu chez le petit Hans, revenons-en à la
définition donc du père réel, symbolique et imaginaire, à commencer par le père symbolique, et
qui va se poursuivre, avant que nous en venions à cet évènement, par le moment de relation
privilégiée qui s’installe entre une mère et son enfant, dans ce qu’il faudra bien appeler, et ce
que j’appelle pour résumer, une dépendance phallique réciproque. C’est un passage là aussi qui
mérite éminemment d’être souligné dans la mesure où vous pourrez y lire en filigrane ce que
nous pouvons mettre en cause dans la genèse de l’autisme infantile, qui est aujourd’hui, comme
vous le savez, en discussion. Je ne peux pas vous donner de pagination car je sais que vous avez
un autre exemplaire que le mien qui est archaïque, donc en tous cas deux pages après le début
de cette leçon (au bas de ma page qui pour moi est 217), le père symbolique. Le père symbolique
dont il nous dit qu’il n’est nulle part représenté, ce qui est tout de même une assertion
extraordinaire puisque dès lors il n’y aurait que la foi pour le faire exister, dont il dit à ce moment
de son élaboration qu’il n’est nulle part représenté mais, on peut le signaler tout de suite, ce
n’est pas gênant, que plus tard néanmoins ce père symbolique se trouvera dûment représenté
par ce qu’il appellera le Nom-du-père, autrement dit par un certain nombre de
signifiants, les Noms-du-père ; mais pour le moment il n’en est pas là. Et donc il nous dit qu’il
n’est nulle part représenté alors qu'il est effectivement utile à nous faire retrouver,  dans la
réalité complexe du drame de la castration. S’il n’est nulle part représenté, c’est que bien
entendu son domicile, c’est le réel, et comme nous le savons le réel est précisément ce qui
échappe au champ de la représentation.

                        « Si le père symbolique est le signifiant […] »

Ah, quand même…

« […] qu’on ne peut jamais parler qu’en retrouvant à la fois sa nécessité et son caractère […] »

C’est une démarche intéressante, hein ? Pour le retrouver ce père symbolique, eh bien voilà il est
de l’ordre de la nécessité, il faut qu’il y ait dans le réel cette instance Une que l’on va
nommer père, mais aussi son caractère et :

« […] qu’il nous faut accepter comme une sorte de donnée irréductible du monde du signifiant
[…] »

Rien donc, comme vous le voyez, à voir avec une création qu’on dirait aujourd’hui sociétale (c’est
joli le terme de sociétal…), voire une création religieuse, il faut l’accepter comme une sorte de
donnée irréductible du monde du signifiant. A partir du moment où il y a du langage, il va se
trouver supposé que dans le réel, il y ait cette instance que l’on va donc appeler père. Et,

« […] si donc il en est ainsi pour le père symbolique, le père imaginaire et le père réel sont deux
termes à propos desquels nous avons beaucoup moins de difficultés.

[Alors] le père imaginaire, [alors le père imaginaire, c’est évidemment…] nous avons tout le
temps affaire à lui [...], [c’est celui qui commande] toute la dialectique de l’agressivité […] »
Y compris bien entendu œdipienne, puisque je vais lui attribuer le fait d’être séparé de mon
objet, de la castration,

« […] toute la dialectique de l’identification […] »

Puisque c’est ce qui va servir de support à l’homme comme à la dame, je dirais, pour autoriser
leur sexualité. Je parlais hier soir à la Maison de Solène des difficultés de l’adolescent, et il est
évident que toute la difficulté de l’adolescent tourne autour du fait qu'il n’a pas l’autorisation
depuis le père symbolique d’exercice de sa sexualité. Pourquoi il ne l’a pas ? Eh bien parce que la
prolongation de la scolarité, propre à notre développement industriel, retarde comme on le sait
l’entrée dans la pratique d’une sexualité qui était bien plus précoce il n'y a pas très longtemps, il
y a 150 ans. Et donc on peut dire évidemment qu’il y a 150 ans il n’y avait pas de problèmes
d’adolescence. Bon. En tous cas je ne vais pas vous refaire ma conférence d’hier. Alors, la
dialectique de l’identification,

« […] la dialectique de l’idéalisation […] »

L’idéalisation, puisqu'il fonctionne comme Un. Comme j’ai déjà eu tellement de fois l’occasion de
le souligner, c’est une maladie. C’est une maladie puisqu’il s’agit d’un Un totalisant et qui fait
donc de la castration, que cependant lui commande – vous voyez le double bind, comment
le double bind il est dans la structure, ce n’est pas l’invention de mauvais pédagogues ou de
mauvais parents – eh bien lui qui régit la castration nous demande cependant de réaliser une
complétude que nous sommes en général bien incapables de satisfaire. C’est-à-dire qu’il nous
prive d’être comme lui, et en exigeant que nous soyons comme lui. Je pense qu’à le formuler
comme ça, ça doit vous rappeler un certain nombre de choses. Et donc :

« […] toute la dialectique de l’idéalisation par où le sujet accède à quelque chose qui s’appelle
l’identification au père. »

Ça explique aussi évidemment ce que seront si souvent les traits caractériels du père réel, dans la
mesure où il cherche à transmettre à ses enfants un accomplissement idéal qu’ils sont bien en
peine, évidemment, comme lui-même (cela a été le cas pour lui-même), d’accomplir.

« Tout cela se passe au niveau du père imaginaire. Si nous l’appelons imaginaire, […] »

Pourquoi ? Pourquoi ce n’est pas le père symbolique, pourquoi c’est le père imaginaire ? Lacan
s’explique :

« […] c’est aussi bien parce qu’il est intégré à cette relation de l’imaginaire qui forme le support
psychologique de relations qui sont à proprement parler des relations d’espèce, des relations au
semblable, les mêmes qui sont au fond de toute capture libidinale, comme aussi de toute
réaction agressive. »

Vous saisissez immédiatement, je le vois à votre regard, ce dont il est question, c’est-à-dire que
la dimension de l’imaginaire le repère, le situe dans une dimension en miroir, modèle de la
relation au semblable et du type de celles qui sont au fond de toute capture libidinale,
autrement dit « je l’aime, il m’aime », mais aussi de toute réaction agressive, autrement dit
« ôtes-toi de là que je m’y mette ».

« Ce père imaginaire aussi bien participe de ce fait […] »


??De relation, donc, de ce type de relations au semblable. Cela ne va pas de soi, le père comme
relation au semblable. Remarquez simplement que dans le cas du petit Hans, ça va être tout le
problème de la phobie ; c’est-à-dire que justement, ce qu’il va repérer dans le réel c’est une
figure qui n’a rien du semblable, puisque ça va être celle de l’animal. Figure de l’animal qui est si
fréquente dans toutes les phobies de l’enfance, par ailleurs. Donc vous voyez que ça a un certain
trait. Mais aussi,  n’oublions pas que l’animal humain a vécu beaucoup plus longtemps, je dirais,
dans des régimes totémiques, c’est-à-dire carrément identifié à un animal, avant d’entrer dans
une relation à l’ancêtre, au père qui ait figure de semblable. Donc vous voyez, c’est pas assuré, ni
obligatoire. Des tas de gens ont pu fonctionner en se parant de plumes, ou de coquillages,
d’écailles, de tout ce que l’on veut, etc. Et de couleurs animales. Alors, ce père imaginaire, il :

« […] a des caractères typiques. [Il] est à la fois le père effrayant que nous connaissons au fond
de tellement d’expériences névrotiques, c’est un père qui n’a aucunement d’une façon obligée
de relation avec le père réel qu’a l’enfant. »

Le père imaginaire. C’est étrange, enfin, toutes ces subtilités, toutes ces nuances que sans cesse
Lacan déplie, comme ça, en cours de route. Je sais pas si ça pourrait se faire encore, aujourd’hui.

« C’est ce par quoi nous est expliqué combien fréquemment nous voyons dans les fantasmes de
l’enfant intervenir une figure du père, spécialement de la mère aussi, cette figure à l’occasion
tout à fait grimaçante, qui n’a vraiment qu’un rapport extrêmement lointain avec ce qui a été là
présent du père réel de l’enfant, et ceci est uniquement lié à la période et aussi à la fonction que
va jouer ce père imaginaire à tel moment du développement. »

A quel moment du développement ? Eh bien c’est ce que vous allez très vite découvrir, si vous ne
le savez déjà.

Donc la figure de grand guignol, la figure de l’ogre. Les enfants adorent d’ailleurs, en général,
l’effroi que ça leur procure. Les films d’horreur, c’est ça, au fond. Les films d’horreur, c’est les
avatars d’un père imaginaire. Donc c’est une marchandise, voilà. Bon.

« Le père réel, c’est tout à fait autre chose […] »

Et là il va y avoir, sur le père réel, des développements dont l’originalité est toujours présente. Je
veux dire qu’à chaque fois on va les redécouvrir car on va les oublier. Car le réel, ça s’oublie.

« […] c’est quelque chose dont l’enfant, en raison de cette interposition des fantasmes, de la
nécessité aussi de la relation symbolique, n’a jamais eu comme pour tout être humain qu’une
appréhension en fin de compte très difficile. »

Le père réel, celui qui était là vraiment, à la maison, là.

« S’il y a quelque chose qui est à la base et au fondement de toute l’expérience analytique, c’est
pourquoi nous avons tellement de peine à appréhender ce qu’il y a de plus réel autour de nous,
c’est-à-dire les êtres humains tels qu’ils sont. »

C’est pas génial, ça ? Et pourquoi est-ce qu'on a des difficultés à les appréhender ? Parce qu’il est
bien évident que nous allons les appréhender dans le champ de l’imaginaire, voire du
symbolique. Mais ce qu’ils sont, réels, comment pourrions-nous en prendre connaissance ? Dès
lors que nous allons opérer comme traditionnellement par une nomination, nous les faisons
entrer dans le champ du symbolique et de l’imaginaire. Donc en tant que réels, on les loupe.
C’est la façon ordinaire que nous avons de louper le réel de ceux avec qui nous faisons
compagnie.

« C’est toute la difficulté, aussi bien du développement psychique que simplement de la vie
quotidienne, de savoir à qui nous avons réellement affaire, au moins à un personnage qui est
dans les conditions ordinaires aussi lié par sa présence au développement d’un enfant, qui est un
père, qui peut à juste titre être considéré comme un élément constant de ce qu’on appelle de
nos jours l’entourage de l’enfant. »

Et d’ailleurs soyons bêtement précis, combien d’enfants se soucient du réel, de ce qui est le réel
de leur père ? Quelle idée ils ont ? ça fait partie évidemment de ce qui sera vécu sous le registre
des méconnaissances réciproques, voilà.

« Et assurément je vous prie donc de prendre ce qui par certains côtés, peut-être au premier
abord, peut vous présenter dans ses caractères avoir été la question qui au premier abord peut
vous paraître paradoxale. Effectivement, et contrairement à une sorte de notion normative ou
typique qu’on voudrait lui donner dans l’instance du complexe de castration, dans le drame de
l’Œdipe, c’est au père réel qu’est déférée effectivement la fonction [qu’il va qualifier de] saillante
dans ce qui se passe autour du complexe de castration. »

Or voilà que ce père réel, dont par ailleurs on a guère coutume de se soucier, c’est néanmoins lui
qui va, ce père réel, avoir la fonction saillante, et comme vous le savez ses qualificatifs ne sont
jamais chez le petit père Lacan choisis au hasard, et dans ce qui se passe autour du complexe de
castration. Le père réel. Alors, est-ce que ça veut dire que s'il n'y en a pas de père réel, à la
maison, comme ça n’est plus une rareté, mais une constante, qui a une valeur statistique, nous
sommes actuellement en train de fabriquer des générations qui seront orphelines de père,
quand elles ne le sont pas déjà. Et quand on essaye d’attirer l’attention sur les conséquences que
ça a quant à l’organisation psychique des jeunes, et même je dirais maintenant aujourd’hui des
trentenaires, des adultes, le fait d’être orphelins de père, en général on ne veut pas le savoir. Je
me trouve bizarrement assez seul à vouloir attirer l’attention sur ce qui est cependant tellement
patent. Mais on veut pas savoir, que la génération qui arrive, et qui est très spéciale, et je dirais
passionnante, eh bien c’est une génération qui est orpheline de père. Il n'y a pas eu de père réel.
Ce qui veut dire donc que du même coup, s'il n' y a pas eu de père réel, il n'y a pas eu de
castration. Et donc comment ça s’organise, pour ces jeunes, de fonctionner sans ? Et ça remet
donc en question justement ce qu’il en est de la castration puisqu’ils fonctionnent. Alors,

« Donc vous voyez que dans la façon dont je vous le formule, ce qui peut apparaître déjà comme
contingence, comme peu explicable […] »

C’est un terme fréquent, chez Lacan, celui de contingence.

« […] pourquoi cette castration, pourquoi cette forme bizarre d’intervention dans l’économie du
sujet qui s’appelle castration, ça a quelque chose de choquant en soi. J’en redouble la
contingence […] »

Vous voyez, il ne dit pas que c’est nécessaire.

 « J’en redouble la contingence en vous disant que ça n’est pas par hasard, que ça n’est pas une
espèce de bizarrerie des premiers abords de ce sujet qui ferait que d’abord le médecin s’est
arrêté à ces choses que l’on a reconnu être plus fantasmatiques que l’on croyait, à savoir les
scènes de la séduction primitive.
Vous savez que c’est une étape de la pensée de Freud, avant même qu’il analyse, avant [même]
d’être doctriné sur ce sujet. »

En effet, ce que Lacan veut dire et je vous l’explique, puisque c’est sûrement nécessaire, eh bien
c’est comment la sexualité s’est-elle trouvée posséder à la fois le corps et la subjectivité du sujet,
du bonhomme ? Comment ça lui est entré dedans ? Alors, comme vous le savez, il y a si souvent
cette interprétation traumatique, Freud a commencé par là. Il a découvert chez les hystériques
qu’elles avaient été violées, par leur papa ; il a dit l’oncle parce qu’il s’est dit qu'il se ferait
vraiment un peu trop cogner dessus s’il disait le papa, alors il a dit l’oncle, dans ses premiers
travaux, mais en tous cas les patientes disaient que c’était le papa.

« Mais pour la castration, il ne s’agit point de fantasmatiser toute l’affaire de la castration


comme on l’a fait des scènes de séduction primitive. Si effectivement la castration est quelque
chose qui mérite d’être isolé, qui a un nom dans l’histoire du sujet, ceci est toujours lié à
l’incidence, à l’intervention du père réel, ou si vous voulez également marqué d’une façon
profonde, et profondément déséquilibrée par l’absence du père réel, et c’est uniquement par
rapport à cette nécessité qui introduit comme une profonde atypie et demande alors la
substitution au père réel de quelque chose d’autre qui est profondément névrosant. »

Alors vous voyez, si le père réel n’est pas là, il faut quelque chose d’autre, et qui est
profondément névrosant. Il n’y aura pas de développement là-dessus. Alors si vous voulez des
développements, eh bien on mettra ça sur la table la prochaine fois, parce que là je souhaite
avancer. C’est une affirmation, laissons-là en attente.

« C’est donc sur la supposition du caractère fondamental du lien qu’il y a entre le père réel et la
castration que nous allons partir pour tâcher de nous retrouver dans ces drames complexes que
Freud élabore pour nous et où bien souvent nous avons le sentiment qu’il se laisse à l’avance
guider par une sorte de droit fil tellement sûr de temps en temps, comme dans le cas du petit
Hans, que je vous ai souligné que nous avions nous-mêmes l’impression de nous trouver à
chaque instant guidés, mais sans rien saisir, ni les motifs qui nous font choisir à chaque carrefour.
Je vous prie donc pour un instant, à titre provisoire, d’admettre que c’est autour d’une telle
position que nous allons commencer d’essayer de comprendre cette nécessité de la signification
du complexe de castration. »

Alors il poursuit :

« Prenons le cas du petit Hans. Le petit Hans, à partir de quatre ans et demi, fait ce qu’on appelle
une phobie, c’est-à-dire une névrose. »

Nous allons l’accepter, nous n’allons pas chipoter, nous n’allons pas dire que plus tard Lacan se
dément lui-même en disant que la phobie c’est ce qui précède la névrose ; que ce n’est pas à
proprement parler une névrose, mais que c’est un symptôme, légitime, je dirais, d’être reconnu
à part entière dans sa spécificité. Peu importe pour le moment.

Alors, il va nous parler tout de suite de ceci c’est que :

« Cette phobie est prise en mains ensuite par quelqu’un qui se trouve être un des disciples de
Freud […] »

C’est-à-dire le papa, le père réel. Le père réel du petit Hans.


« […] et aussi bien il nous est dit que le petit Hans a vraiment pour lui tous les bons sentiments [à
l’endroit de son père], il est clair qu’il aime beaucoup son père, et en somme il est loin de
redouter de lui des traitements aussi abusifs que celui de la castration. D’autre part, on ne peut
pas dire que le petit Hans soit [frustré de grand’] chose. »

En effet il est…

« […] enfant unique, [et il] baigne dans le bonheur. […] objet [d’]attention [pour] le père […] »

Avant qu’apparaisse la phobie, dit Lacan,

« […] et [puis] l’objet des soins les plus tendres de la [môman] »

« [Et à] la vérité, [dit Freud… dit Lacan] il faut la sublime sérénité de Freud pour entériner l’action
de la mère, il est tout à fait clair que de nos jours tous les anathèmes seraient déversés sur cette
mère qui admet tous les matins le petit Hans en tiers dans le lit conjugal, ceci contre les réserves
expresses que fait le père et époux. »

C’est bizarre, ça ? Il est bizarre, ce paragraphe, hein ? Parce qu’il ne faut pas exagérer quand
même. Voilà, si l’enfant peut plus aller faire câlin dans le lit des parents, alors vraiment… Où
allons-nous, n’est-ce pas ? C’est drôle. Et d’autre part, en réalité, si vous vous souvenez de la
lecture que nous avons fait du texte de Freud, eh bien à la suite du père, Freud dénonce les
tendresses excessives de la mère, comment elle fait monter l’angoisse du petit. Donc vous voyez,
c’est sympathique de voir que Lacan lui-même, il retient finalement ce qu’il veut ; il fait comme
nous, quoi.

Et puis alors ça c’est bien vrai :

« […] nous ne voyons pas un seul instant que la mère en question tienne une seule minute le
moindre compte de l’observation qui lui est respectueusement suggérée par le personnage du
père. »

Non mais je vous demande un peu… Vous en connaissez beaucoup des mamans qui tiennent
compte des observations qu’on leur fait dans la conduite de leur enfant ? C’est même à vrai dire
très stimulant pour l’enfant, de voir que la mère signifie que

ce que dit le papa c’est bien sympa, mais enfin quand même entre nous, bon… et après, quoi  ?
Donc c’est stimulant pour l’enfant parce qu’il y a un élément ludique dans l’affaire. Et auquel
évidemment le père finit en général par participer, c’est-à-dire il sait bien qu’il sera pas écouté.
Mais tout ça, tout ça a son côté évidemment dynamique. Donc :

« Il n’est frustré de rien ce petit Hans, [et] il n’est vraiment privé [de] rien. »

Vous voyez il n'est pas frustré, il n'est pas privé, il ne lui manque rien. Et alors ça suppose qu’il est
heureux. Ça aussi, c’est étrange, ça suppose qu’il est dans le bonheur. Moi j’adore toutes ces
démonstrations parce que vous voyez, vous pouvez aussi leur faire dire le contraire, dire
« écoutez, vraiment, il ne manquait de rien, il n'était privé de rien, il étouffait ce gosse ! Il ne
pouvait pas respirer. Il devait être asthmatique quelque part ». Eh bien non, vous voyez… voilà.

Je vous dis cela pour peut-être encourager ce qui doit être notre prudence dans la catégorisation
que nous faisons dans cette affaire.
Et alors :

« Au début de l’observation, [dit Lacan] la mère a [quand même] été jusqu’à lui interdire la
masturbation, non seulement ça n’est pas rien, mais elle a même été jusqu’à prononcer [ces]
paroles fatales [… ces paroles fatales]: «Si tu te masturbes, on fera venir le docteur A… qui te la
coupera.» »

Bon. C’est vrai que ça peut agir comme parole fatale, mais ça peut aussi rester dans le domaine
du ludisme que j’évoquais tout à l’heure. Tous les enfants ne réagissent pas forcément à ce genre
de propos, qui n’étaient pas rares. Je pense qu’aujourd’hui ça ne se profère plus beaucoup, ou
sûrement beaucoup moins ; sans doute à cause de la psychanalyse, on a là une notion qui circule
mais le caractère fatal, je dirais, de tels propos n’est pas forcément généralisable. En tous cas
nous, nous suivons pas à pas, et avec le plus grand intérêt ce que Lacan nous dit à ce sujet,
puisqu’il souligne le caractère fatal de ces propos, qui évidemment dessine en pointillé ce que
pourrait être le renoncement à l’organe ; mais ça va s’expliquer deux pages plus loin.

« Ceci nous est rapporté au début de l’observation et nous n’avons pas l’impression que ce soit là
quelque chose de décisif. [Puisque l’]enfant continue. »

En tous cas, ça l’empêche pas de continuer.

« Bien entendu c’est une chose qui n’est pas un élément d’appréciation, mais assurément cette
intervention doit être notée en raison du scrupule avec lequel il a relevé l’observation du fait que
les parents se sont suffisamment informés, ce qui d’ailleurs ne les empêche pas de se conduire
exactement comme s’ils ne savaient rien. »

Donc les parents qui sont informés, ça ne les empêche pas d’avancer cette parole comme s’ils ne
savaient rien.

« Néanmoins, ce n’est certainement pas à ce moment que, même un seul instant, Freud lui-
même songe à rapporter quoi que ce soit de décisif quant à l’apparition de la phobie. L’enfant
écoute cette menace, je dirais presque comme il convient. »

« Et vous verrez qu’après coup même ressort cette implication qu’après tout on ne peut rien dire
de plus à un enfant, que c’est justement ce qui lui servira de matériaux à construire ce dont il a
besoin, c’est-à-dire justement le complexe de castration. »

Alors là… on tourneboule, voilà maintenant que ces paroles fatales sont devenues justement ce
qui va lui servir de matériel pour construire le complexe de castration.

« Mais la question de savoir pourquoi il en a besoin est justement une autre question, […] »

Elle appartient au petit Hans, cette question,

« […] et c’est à celle-là que nous sommes, et nous ne sommes pas près de lui donner tout de
suite une réponse.

Pour l’instant il ne s’agit pas de castration, ce n’est pas là le support de ma question, il s’agit de la
phobie et du fait que nous ne pouvons en aucun cas même la relier d’une façon simple et directe
à l’interdiction de la masturbation. »
« Comme le dit très bien Freud, […] la masturbation en elle-même est une chose qui n’entraîne
aucune angoisse, [et] l’enfant continuera sa masturbation. »

Ce qui est bizarre c’est qu'il n’y a pas de développement à ce moment-là, chez Lacan, sur ce qui
est la fréquence de la masturbation chez l’enfant. Car après tout, pourquoi l’enfant a-t-il le
besoin de se masturber ? Répondre qu’il s’agit d’un apaisement d’organe, c’est sûrement un
petit peu court. Ne serait-ce que parce que justement la masturbation sera éventuellement
marquée, enfin le plus souvent, ordinairement, par une culpabilité, et qui fait qu’elle reste
comme on dit une pratique solitaire c’est-à-dire qui n’entre pas dans la discursivité, qui n’entre
pas dans ce qui serait partageable avec un autre. A la rigueur avec un petit semblable, mais en
tous cas qui ne pourrait pas être introduit dans le rapport à un adulte ; avec la question de
savoir, pourquoi ? Pourquoi est-ce que l’enfant en est coupable et en a honte ? Et pourquoi est-
ce qu’il a besoin de cette masturbation ? Et moi j’irais même plus loin : en quoi cette
masturbation, mais ça c’est mon aparté, pourquoi est-ce que cette masturbation, elle ne serait
pas, chez le petit Hans, une défense contre un risque de phobie ? Puisqu’elle témoigne après
tout d’une participation à la jouissance phallique. Ça vaut aussi bien pour la fille, d’ailleurs.

Donc vous voyez, là où nous cherchons bien entendu des arguments relevant de la certitude,
vous voyez que ce sont des leçons de prudence nécessaire. Non pas de doute systématique,
sûrement pas. En tous cas de prudence nécessaire. Et Lacan admettait parfaitement que tout ça
puisse être repris, autrement, et discuté.

Donc, dit Lacan, cette masturbation le petit Hans :

« […] l’intégrera dans la suite au conflit qui va se manifester au moment de sa phobie, mais ça
n’est certainement pas quoi que ce soit d’apparent, une incidence traumatisante qui survienne à
ce moment qui nous permette de comprendre le surgissement de la phobie. »

C’est-à-dire ni la masturbation, ni la condamnation par la mère. Cette condamnation par la mère,


on pourrait écrire un article de vingt pages là-dessus, sur les résonances que ça peut avoir chez
un enfant ; mais continuons :

« Les conditions autour de cet enfant sont optima, et le problème de la portée de la phobie reste
un problème qu’il faut savoir introduire avec justement son caractère véritablement digne,
questionnable en l’occasion, et c’est à partir de là que nous allons pouvoir trouver tels ou tels
recoupements [aïe, aïe, aïe] qui seront pour nous éclairants voire favorisants. »

Allons-y pour les recoupement. Et là nous entrons dans ce qui va être passionnant :

« Il y a deux choses, une considération que je vais faire devant vous, qui sera un rappel de ce que
nous pouvons appeler la situation fondamentale quant au phallus de l’enfant par rapport à la
mère. »

Ce phallus que nous avons mis en place tout à l’heure avec le père symbolique. Car le nom
de père, je dirais, est sûrement la capacité du signifiant à pointer cette instance, phallique.

Alors,

« Nous l’avons dit, dans la relation pré-œdipienne, dans la relation de l’enfant à la mère
qu’avons-nous ? »
La relation pré-œdipienne, c’est-à-dire la relation à deux.

« La relation de l’enfant à la mère en tant qu’elle est objet d’amour, objet désiré pour sa
présence, objet qui suppose une relation aussi simple que vous pouvez la supposer, mais qui est
très précocement manifestable dans l’expérience, dans le comportement de l’enfant, la
sensibilité, [sa] réaction à la présence de la mère, et très vite son articulation en un couple
présence-absence. »

Autrement dit, de façon qui n’est pas évidente par un élevage de l’enfant, il y a des cultures où
l’enfant ne quitte pas sa mère, si elle le porte accroché à son dos par exemple, bon, on voit bien
qu’il s’agit là d’une forme de permanence, y compris la nuit, où elle dort avec lui ; donc l’absence
de la mère, cette irruption d’une possibilité de l’absence ne relève pas d’un fait de culture, c’est-
à-dire que chez nous la mère aura d’autres occupations que celle qui consiste à être collée à son
enfant en permanence, mais consiste en ceci c’est que le signifiant n’introduit pour nous la
présence que sur le fond d’une absence. Et de telle sorte que l’absence de la mère va venir en
quelque sorte activer ce qu’il en est d’une relation au signifiant. Mais est-ce que cette absence
est définitive ? Est-ce qu’elle est acquise ? Non, pas du tout. Au point où nous en sommes, dans
cette relation duelle, imaginaire, pré-œdipienne, c’est une absence relevée comme telle mais
occasionnelle et qui donne, qui ménage en quelque sorte le plaisir de l’attente de son retour. Et
c’est tout ce qui sera développé dans un autre registre, avec toute cette histoire, là, du Fort-Da, 
du jeu de la bobine. Elle a drôlement servi, cette bobine, dans la théorisation.Et au point, comme
vous le savez, que Winnicott notera ça dans le développement comme la manifestation d’un
stade de l’objet en tant que transitionnel, il ne dit pas transitoire, transitionnel. Je ne sais plus le
terme anglais, ça devait être le même qu’en français, je pense.

Ce qui est évidemment pour nous très amusant, c’est de voir bien entendu comment des adultes
peuvent avoir une relation à l’objet exactement de ce type, et en particulier, bien sûr, les
toxicomanes, où je fais remarquer depuis longtemps que la jouissance n’est pas seulement dans
l’absorption du produit mais dans ce moment d’angoisse considérable que marque son absence,
autrement dit que la mise en jeu d’une absence a tout son rôle dans le mécanisme de la
toxicomanie. Pourquoi est-ce qu'un toxicomane n’a pas son frigo, je dirais, muni de réserves qui
lui permettent en quelque sorte d’être à l’abri de tout manque ? Eh bien c’est que bien
évidemment le manque de produit est nécessaire à l’économie de sa satisfaction, c’est-à-dire de
jouer de ce qui est l’absence ; bien que ça n’en ait pas l’air, quand on le voit à ce moment-là, il
est dans un état de trémulation, de sueur, de souffrance, de malaise intense, mais dont on peut
se demander si c’est pas une forme d’acmé de la jouissance. Donc simplement pour faire
remarquer que ce jeu de la présence-absence, ce jeu de la bobine, ce jeu du Fort-Da se
présentifie parfaitement, a parfaitement laissé sa trace dans l’économie libidinale d’un adulte.
Bon. Alors :

« [ce] couple présence-absence[, c’est], vous le savez, ce sur quoi nous partons, et si les
difficultés ont été élevées à propos de ce qu’on peut appeler le monde objectal premier de
l’enfant, c’est en raison d’une insuffisante distinction du terme même d’objet. »

C'est plus intéressant, ça. Et c’est vrai, indistinction du terme même d’objet. A quoi est-ce que
nous reconnaissons un objet ? Est-ce que vous pouvez en proposer une définition qui ne soit pas
négative, qui ne relève pas de la théologie négative ?

Charles Melman
 

CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 9


Conférencier: 

Melman C. Dr

Ephep, Séminaire du 20 mars 2014

Nous allons reprendre de façon très précise les éléments qui, pour Lacan, sont organisateurs de
la phobie par une démonstration, une série d’assertions qui lui sont parfaitement originales et
qui, entre autres, mettent en pratique ce tableau que nous avons pu regarder, ce tableau qui
comporte la permutation du réel, du symbolique et de l’imaginaire – je dis bien la permutation
des termes – était susceptible de rendre compte de ce qui dans la déclaration du petit Hans ne
peut manquer de nous paraître confus et finalement, je dirais, incompréhensible. Ne serait-ce
que parce qu’à la recherche permanente du sens à laquelle se soumet Freud vient là se
substituer chez Lacan une pure combinatoire entre père symbolique, père réel, mère
symbolique, père imaginaire, une pure combinatoire qui rend des phénomènes subjectifs et tout
simplement par une permutation automatique de ces termes. Autrement dit, une sortie du récit,
de la narration, du caractère romanesque, si je puis dire, donné à l’explication de la mise en
place de la phobie du petit Hans pour rendre compte d’un jeu purement de structure. Et, il est
évident que d’un point de vue purement méthodologique, c’est non seulement d’une originalité
entière mais c’est également, je dirais, ce qui en quelque sorte ouvre la porte à ce qui sera
beaucoup plus tard le maniement des nœuds. En tout cas, la pensée qu’un symptôme, ici en
l’occurrence la phobie, puisse être déterminé indépendamment du récit et de la volonté du sujet
par une pure combinatoire est d’une originalité qui mérite, je dirais, d’être soulignée.

Je reprends cette leçon qui est donc la leçon 13. Je la reprends quelques pages avant la fin au
niveau, je le dis bien, de ce qui va se présenter comme le nœud de l’affaire.

Alors, il va nous dire ceci : « Nous sommes dans une relation pré-oedipienne dans ce qui
détermine la phobie. » (p 221) La phobie donc comme détermination pré-oedipienne alors que la
névrose, vous voyez tout de suite la différence aura, elle, une causalité oedipienne. La névrose
est, on va dire, un refus opposé à la loi paternelle. Une contestation. La phobie est liée à l’étape
pré-oedipienne. Autrement dit, indépendante donc de ce qui serait l’intervention structurante,
on ne peut pas dire que le papa n’est pas là, en tout cas indépendante donc de ce que serait
l’intervention structurante du père.

Alors ce qui va tout de suite nous frapper dans ce que raconte Lacan, il va nous dire ceci  : « Il y a
deux choses, une considération que je vais faire devant vous, qui sera un rappel de ce que nous
pouvons appeler la situation fondamentale quant au phallus de l’enfant par rapport à la mère. »
(p 221) Situation de l’enfant quant au phallus par rapport à la mère, pré-oedipienne. « La relation
de l’enfant à la mère en tant qu’elle est objet d’amour, objet désiré pour sa présence, objet qui
suppose une relation aussi simple que vous pouvez la supposer, mais qui est très précocement
manifestable dans l’expérience, dans le comportement de l’enfant, la sensibilité, la réaction à la
présence de la mère, et très vite son articulation en un couple présence-absence. » (p 221)
L’introduction immédiate de l’enfant à la dimension de l’absence et, bien qu’il ne le dise pas mais
nous pouvons aisément en ce qui nous concerne le déduire, la présence ne prenant en quelque
sorte son effectivité que du fait de la possibilité de cette absence : qu’elle s’absente. Il est bien
évident qu’à défaut, supposons la mère collée à son enfant, il est bien évident que l’absence elle-
même ne saurait être pensée. Je ne m’attarde pas trop là-dessus.

Mais il ajoute : « C’est vous savez ce sur quoi nous partons [le couple présence/absence] et si les
difficultés ont été élevées à propos de ce qu’on peut appeler le monde objectal premier de
l’enfant, c’est en raison d’une insuffisante distinction du terme même d’objet. » (p 221) Et je
crois que les fois précédentes, nous étions amener à réfléchir sur finalement l’étrangeté du
terme et, je dirais, la difficulté à le définir. Je crois bien que nous en avions parlé ensemble. À
quoi est-ce que l’on reconnaît un objet ? Et comme je crois que nous avions été très savants,
nous avions fait remarquer ceci : de même que la présence de la mère n’est individualisable que
du fait de sa possible absence, de même la notion d’objet ne se présentifie que parce qu’il
manque. C’est parce qu’il manque que nous sommes amenés à évoquer ce que serait la présence
d’un objet alors que cette présence nous est ordinairement épargnée sauf dans cette relation en
quelque sorte première marquée par le couple présence/absence et où la dimension de l’objet
qu’il s’agisse de la mère comme objet pour l’enfant ou de l’enfant objet pour la mère ne se met,
je dirais, en relief à cause de la réciproque possible de l’absence. Et, ça a une conséquence
clinique dont je n’oserais pas dire qu’elle est amusante parce que je serais sûrement le seul à la
trouver telle mais, cela rend compte de ce qui est si fréquent chez les mamans justement, la
crainte que le bébé ne disparaisse, autrement dit ne vienne à mourir puisque ce serait en
quelque sorte la condition pour que sa présence soit enfin pleinement attestée. Il faudrait sa
disparition pour que sa présence puisse être attestée et donc cette dimension que nous savons
et à laquelle le bébé va être bien évidemment sensible et réagir à sa façon.

Lacan ajoute : « Qu’il y ait un objet primordial, que nous ne puissions pas, en aucun cas
constituer idéalement, c’est-à-dire dans notre idée, ce monde de l’enfant comme étant un pur
état de suspension aux limites indéterminées à l’organe qui le satisfait, c’est-à-dire à l’organe du
nourrissage, c’est une chose que je ne suis pas le premier à contredire […] ». (p 221) Il parle
d’Alice Balint, etc. Cet objet premier, j’explique cette phrase qui risque de vous paraître obscure
malgré le degré maintenant très avancé de vos travaux sur la question. Et bien je m’explique. Elle
est très simple. Cet objet primordial, nous ne pouvons pas le constituer idéalement, c’est-à-dire
le nommer puisqu’il existe que par son absence. Et, il met en cause cette espèce de conception
que ce qui serait un monde premier de fusion entre le bébé et sa maman, puisqu’il manque cette
représentation, un espèce d’enfermement réciproque de la mère et de l’enfant constituant une
masse indistincte, ne saurait se voir, ne saurait s’observer.

Alors, la mère existe mais ça ne suppose pas pour autant qu’il y est déjà quelque chose qui
s’appelle moi et non-moi. Donc, la mère existe du fait de cette absence qui fonde son existence.
Mais, ça ne suffit pas pour marquer la distinction, la séparation d’avec elle, la distinction du moi
et du non-moi, ce qui est elle et ce qui est le bébé même si l’on a mis en cause, bien entendu, la
masse indistincte qu’il constituerait et, ça ne suffit pas non plus, pour faire que la mère existe
comme objet symbolique et comme objet d’amour. Cette époque fondée sur le couple
présence/absence, ce dispositif ne suffit pas pour qu’il puisse faire la distinction entre le moi
maternel et le moi du bébé ou le non-moi représenté par la mère, ni non plus le fait qu’elle
existe comme objet symbolique et comme objet d’amour. Objet symbolique, c’est-à-dire
représentante de cette absence, le symbole – et nous allons de plus en plus y être habitués –, il
n’est jamais que le représentant d’une absence.
C’est bien pourquoi, je dirais, que l’ordre symbolique est devenu aujourd’hui de plus en plus
incertain puisque nous fonctionnons dans un monde compact, sans limite. L’accès au symbole
est devenu éminemment problématique ainsi que, bien entendu, la pensée de l’absence qui ne
sera vécue que dans le registre de la privation et la frustration.

Donc, ça ne veut pas dire qu’à cette époque la mère existe comme objet symbolique, symbolique
de cette absence et, comme objet d’amour, c’est-à-dire comme ce qui est là investi au lieu de
cette absence et comme support donc de l’amour. C’est ce que confirmera à la fois l’expérience
et ce que je suis en train de formuler dans la position que je donne ici à la mère sur ce tableau, à
ce stupéfiant tableau que j’évoquais au départ et en tant qu’elle est d’abord, nous dit-on, mère
symbolique et que ce n’est que dans la crise de la frustration qu’elle commence à se réaliser par
un certain nombre de chocs et avec la particularité de ce qui arrive dans les relations entre la
mère et l’enfant, cette mère comme objet d’amour qui peut être à chaque instant la mère réelle
justement pour autant qu’elle frustre cet amour, objet d’amour en tant que justement ce qui fait
qu’elle est susceptible d’y faire défaut. Ce qui la fonde, c’est cette frustration même. La relation
de l’enfant avec elle est une relation d’amour où il y a, en effet, ce quelque chose qui peut ouvrir
la porte à ce qu’on appelle d’habitude la relation indifférenciée première. C’est ce que je vous
disais mais, c’est faute d’avoir l’aptitude, il réfute, il met en cause cette notion de relation
indifférenciée première, cette fusion entre la mère et l’enfant.

« En fait, ce qui se passe fondamentalement, ce qui est la première étape concrète de cette
relation d’amour comme telle, à savoir ce quelque chose qui fait le fond sur lequel, se passe ou
ne se passe pas, avec une signification, la satisfaction de l’enfant, qu’est-ce que c’est ? C’est que
l’enfant prend cette relation en s’y incluant lui-même comme l’objet de l’amour de la mère,
c’est-à-dire que l’enfant apprend ceci qu’il apporte à la mère le plaisir, c’est une des expériences
fondamentales de l’enfant qu’il sache que si sa présence commande si peu que ce soit celle de la
présence qui lui est nécessaire, c’est en raison où lui-même il y introduit quelque chose, cet
éclairement qui fait que cette présence là l’entoure comme quelque chose, à quoi, lui, apporte
une satisfaction d’amour. »

(p 222) Voilà une jolie phrase, emberlificotée à souhait mais qui nous dis bien ce que cela veut
dire. Autrement dit, c’est dans cette sorte de réciprocité, il apprend son amour pour la mère
dans la mesure où lui-même est pris là comme objet d’amour mais Lacan n’évoque pas ce que je
disais tout à l’heure. C’est-à-dire qu’au fond, il serait lui-même objet d’amour que dans le risque
de sa disparition, de son absentification.

Je ne vais pas évoquer là, ce serait trop arbitraire mais enfin, il y a comme vous le savez ce qu’on
appelle les morts subites du nourrisson. Une affaire étrange à laquelle les médias ne
comprennent rien parce qu’il s’agit d’enfants qui en général du point de vue organique sont
impeccables. Absentification brutale du nourrisson.

« Le « être aimé » entre guillemets est fondamental, [ça chacun de nous est un peu au courant
de ça] c’est le fond sur lequel va s’exercer tout ce qui va se développer entre la mère et l’enfant,
c’est précisément en tant que quelque chose s’articule peu à peu dans l’expérience de l’enfant
qui lui indique que dans cette présence de la mère à lui-même, il n’est pas seul. » (p 222) On est
dans la phase pré-oedipienne. Il y a quelque chose qui va lui apprendre que dans cette présence
de la mère à lui-même il n’est pas seul. « C’est autour de cela que va s’articuler toute la
dialectique du progrès de cette relation de la mère à l’enfant. […] S’il n’est pas seul et si tout
tourne autour de là, ceci bien entendu ouvre à notre esprit une des expériences les plus
communes, que d’abord il n’est pas seul parce qu’il y a d’autres enfants. [Ce n’est pas
obligatoire.] Mais nous avons indiqué comme hypothèse de base qu’il y a un autre terme
constant et radical, et indépendant des contingences et des particularités de l’histoire et de la
présence ou de l’absence de l’autre enfant, par exemple, c’est le fait que la mère conserve à un
degré différent selon les sujets, le pénis-neid qui fait est quelque chose par rapport à cela. » (p
222-223) Voilà le terme troisième et avant toute intervention du papa, l’enfant qui vient
s’inscrire dans ce rapport à un troisième terme qui se manifeste par le pénis-neid. « Il le comble
ou il ne le comble pas, mais la question est posée. La découverte, et de la mère phallique pour
l’enfant, et du pénis-neid pour la mère sont strictement coexistants du problème que nous
essayons d’aborder pour l’instant. » (p 223) Qu’est-ce que ça veut dire la mère phallique et le
pénis-neid ? Et bien, ça veut dire quelque chose d’extrêmement simple. C’est que du fait de sa
maternité – c’est quelque chose que j’ai l’habitude de répéter – que du fait de sa maternité, une
femme va se trouver enfin décorée de la médaille phallique. Au champ d’honneur. Sur le front.
Dans les tranchées, si j’ose dire. Ben oui, elle en a maintenant la médaille. Et donc, c’est grâce à
cet instrument que représente le bébé et qui vient répondre à son pénis-neid puisque du même
coup elle se trouve marquée de l’index phallique. C’est donc bien que le bébé peut s’assimiler à
l’instrument.

Il y a un texte de Freud que je ne saurais assez vous recommander dont le titre me reviendra
sûrement un jour mais que vous pourrez retrouver vous-mêmes, c’est sur l’équivalence d’un
certain nombre d’objets. Il y en a quatre. Il y a pénis, argent, fèces et enfant. C’est audacieux de
la part de Freud d’avoir pu établir une telle équivalence. Faudra que je vous donne, si vous ne
connaissez pas cet article, faudra que je vous en trouve les coordonnées.

Donc « […] où l’on voit que c’est dans la relation à la mère que l’enfant éprouve le phallus – au
fond lui, il ne prend du prix pour elle que parce qu’il vient répondre à cette instance qui est – le
centre du désir de la mère et où il se situe lui-même en différentes positions, par où il est amené
à maintenir, et très exactement à leurrer, ce désir de la mère. » (p 223) C’est-à-dire, à être le
semblant, le semblant de pénis qui lui donne cette valeur phallique. «  De quelque façon, l’enfant
se présente à la mère comme étant ce quelque chose qui lui offre le phallus en lui-même, et à
des degrés et dans des positions diverses. » (p 223) Et, écoutez la suite de cette histoire
absolument fabuleuse. « Ici il peut s’identifier à la mère, s’identifier au phallus, s’identifier à la
mère comme porteuse du phallus ou se présenter lui-même comme porteur du phallus. Il y a là
un haut degré, non pas d’abstraction, mais de généralisation de ce niveau de la relation
imaginaire, – autrement dit de la relation en miroir – de la relation que j’appelle leurrante, par
où l’enfant en quelque sorte atteste à la mère qu’il peut la combler, non seulement comme
enfant, mais aussi pour ce qui est le désir et ce qui manque, pour tout dire, à la mère. » (p 223)

Je dois vous dire qu’à ma surprise ce moment qui est ici si finement décrit et rapporté est
assurément déterminant ; lorsqu’il ne peut pas avoir lieu, il est déterminant de l’autisme.
L’autisme infantile c’est ce qui se produit quand une mère ne peut pas venir inscrire son enfant
comme venant répondre à un pénis-neid et venant lui donner la médaille phallique. Je suis
évidemment à chaque fois surpris de devoir remettre ça sur l’ouvrage et à chaque fois insister en
étant, je dirais, heurté de la déxesualisation radicale que nos collègues qui s’intéressent à la
question introduisent dans la question de l’autisme infantile. C’est vraiment une opération qui
vient hors sexe pour elle alors que c’est justement parce que c’est hors sexe que l’enfant devient
autiste. Si on ne veut pas qu’un enfant devienne autiste, il faut qu’il soit pris dans cette
dialectique sexuelle anté-oedipienne et, on sait qu’il y a des mères qui, pour des raisons diverses,
ne sont pas intéressées ou ne peuvent pas, je dirais, faire valoir, mettre en œuvre cette
économie-là, à ce moment-là. C’est pas compliqué, c’est simple comme chou, comme petit chou.

Et bien voilà, c’est quand même étrange… Je vous conseille vivement un bouquin qui vient de
sortir chez Érès,Autismes et Psychanalyses [1] qui est constitué d’articles écrits par différents
praticiens de l’autisme infantile. Vous regarderez ça et vous vous demanderez dans quelles pages
la psychanalyse est concernée parce que ce n’est pas parce que ce sont des gens qui sont
psychanalystes et qu’ils s’occupent de ces bébés, qu’ils font de la psychanalyse. C’est je dois dire
assez impressionnant. Moi, personnellement, ça m’impressionne, de quelles façons ces
praticiens reçoivent eux-mêmes des cas qu’ils étudient sur un mode imaginaire, le fait qu’il n’y a
pas de sexe dans l’affaire et donc qu’il n’y a pas à mettre en cause quelques déterminations
sexuelles. Ben oui, y a pas de sexe mais c’est à ça qu’est dû l’autisme infantile. Étrange affaire.

Alors, une digression clinique, pourquoi pas. La situation, c’est-à-dire, le fait que cet enfant peut
combler la mère non seulement comme enfant mais aussi pour ce qu’il en est du désir et de ce
qui lui manque, il ajoute : « La situation est certainement structurante, fondamentale, puisque
c’est autour de cela, et uniquement autour de cela que peut s’articuler la relation du fétichiste à
son objet […] ». (p 223) C’est fantastique de rattacher la genèse du fétichisme à cette étape
précoce. « […] par exemple toutes les gammes intermédiaires qui le lient à une relation aussi
complexe et aussi élaborée, et à laquelle seule la psychanalyse a pu donner son accent et son
terme, le transvestisme, l’homosexualité étant ici réservée à ce dont il s’agit dans
l’homosexualité, c’est-à-dire du besoin de l’objet et du pénis chez l’autre. » (p 223) Donc, dans ce
travail de la genèse du fétichisme, du transvestisme et de l’homosexualité, à cette étape pré-
oedipienne et tout à fait primitive, tout à fait première, ce besoin de la présence du pénis réel
chez l’autre ou de l’objet dans l’homosexualité féminine. « À quel moment allons-nous voir que
quelque chose met un terme à la relation ainsi soutenue ? » (p 223) Ah, ah, ah ! Vous allez dire,
ben voilà, on va attendre que Guignol sorte des coulisses avec son gros bâton. Et bien, voyons si
c’est bien de Guignol dont il est question. « Ce qui met un terme dans le cas du petit Hans par
exemple, que nous voyons au début de l’observation par une sorte d’heureuse rencontre de
l’éclairage, de mirage heureux qui se produit à chaque fois que nous faisons une découverte,
nous voyons l’enfant complètement engagé dans cette relation où le phallus joue le rôle le plus
évident. Les notes qui sont données par le père comme étant ce qui a été relevé dans le
développement de l’enfant jusqu’à l’heure H où commence la phobie nous apprennent que
l’enfant est tout le temps en train de fantasmer le phallus, d’interroger sa mère sur la présence
du phallus chez la mère précisément, puis chez le père, puis les animaux. On ne parle que du
phallus, le phallus est vraiment l’objet pivot, l’objet central de l’organisation de son monde, du
moins si nous nous en tenons aux propos qui nous sont rapportés. Nous sommes devant le texte
de Freud, nous essayons de lui donner son sens. » (p 223-224) Qu’il y a-t-il donc de changé pour
que cette période heureuse où il est dans la relation de leurre avec sa mère ? « Qu’y a-t-il donc
de changé, puisqu’il n’y a véritablement rien d’important, rien de critique qui survienne dans la
vie du petit Hans ? » (p 224) Qu’est-ce qu’il y a de changé pour qu’il entre dans la phobie ? Alors
c’est pas la trique que nous attendions, c’est pas Guignol. « Ce qu’il y a de changé, c’est que son
pénis à lui commence à devenir quelque chose de tout à fait réel – Hein ! Plus d’imaginaire ! –, il
commence à remuer, il commence à se masturber, et ça n’est pas tellement que la mère
intervienne à ce moment-là qui est un élément important. » (p 224) Comme vous vous en
souvenez évidemment, comme il ne pensait qu’à ça, la mère lui a dit : « Si tu te touches, je vais
te le couper » ou un truc dans ce genre-là. « Que déjà le pénis devienne quelque chose de réel,
ceci c’est le fait massif de l’observation ; à partir de là il est tout à fait clair que nous devons nous
demander s’il n’y a pas une relation entre cela et ce qui apparaît à ce moment-là, c’est-à-dire
l’angoisse. » (p 224)

On n’est pas encore dans la phobie. C’est l’angoisse. Il y a la relation leurrante, imaginaire. C’est
son pénis réel qui se met à remuer. Il commence à se masturber et c’est l’angoisse. « Je n’ai pas
encore abordé le problème de l’angoisse ici, parce qu’il faut prendre les choses par ordre.
L’angoisse, vous le savez, tout au long de l’œuvre de Freud est véritablement une des questions
permanentes, à savoir comment nous devons la concevoir. » (p 224) Je vous renvoie à ce travail
qui est très difficile et qui s’appelle Inhibition, symptôme, angoisse de Freud. « Je ne donne pas
dans une phrase le résumé du chemin parcouru par Freud, c’est tout de même quelque chose
qui, comme mécanisme, est là toujours présent dans les étapes de son observation, la doctrine
vient après. » (p 224) Alors la doctrine de Freud c’est que l’angoisse est liée à un excès de libido
dont l’insuffisance d’épanchement provoque cet affect. L’angoisse est la montée d’une libido qui
n’est pas satisfaite et, c’est pourquoi en bon hygiéniste contre l’angoisse, le petit père Freud
refusera ce que sûrement Martha Freud aurait souhaité, parce qu’elle en avait assez de
pouponner tout le temps, refusera le coitus interruptus puisque le coitus interruptus nous dit
Freud est une soustraction de libido, de satisfaction qui entraine est source d’angoisse. On est là
dans une mécanique relativement simple qui est celle de Freud.

« L’angoisse dont il s’agit en cette occasion, comment devons-nous la concevoir ? Aussi près que
possible du phénomène. Je vous prie un instant simplement d’essayer cette sorte de mode
d’abord qui consiste à faire preuve d’un peu d’imagination et de vous apercevoir que l’angoisse
– écoutez bien – par cette relation extraordinairement évanescente par où elle nous apparaît
chaque fois que le sujet et, si insensiblement que ce soit, décollé de son existence et où pour si
peu que ce soit il s’aperçoit comme étant sur le point d’être repris dans quelque chose que vous
appellerez comme vous voudrez suivant les occasions, image de l’autre – image de l’Autre avec
un grand A – tentation, bref ce moment où le sujet est suspendu entre un temps où il ne sait plus
où il est, vers un temps où il va être quelque chose qu’il ne pourra plus jamais se retrouver, c’est
cela l’angoisse. » (p 224) C’est-à-dire ce moment, ce temps de bascule entre un temps où d’un
côté il ne sait plus où il est et l’autre où il va être quelque chose qui ne pourra plus jamais se
retrouver. Moment charnière en quelque sorte. « Ne voyez-vous pas qu’au moment où apparaît
chez l’enfant sous la forme d’une pulsion dans le sens le plus élémentaire du terme, quelque
chose qui remue, le pénis réel, – Ah ! Voilà le moment nouveau. Il partait d’un temps qui était
celui de l’imaginaire auquel il doit renoncer pour entrer dans un temps où il va être quelque
chose – c’est à ce moment-là que commence à apparaître comme un piège ce qui longtemps a
été le paradis même du bonheur, à savoir ce jeu où on est ce qu’on est pas – c’est-à-dire ce
moment de leurre imaginaire avec la mère – où on est pour la mère tout ce que la mère veut,
parce que bien entendu je ne peux pas parler de tout à la fois, mais tout cela dépend du fait
après tout ce que l’enfant est réellement pour la mère, et nous allons essayer d’y mettre tout à
l’heure quelque différence, et nous allons tâcher d’approcher de plus près ce qu’était Hans pour
sa mère. Mais pour l’instant nous restons dans ce point crucial qui nous donne le schéma général
de la chose. Jusque-là l’enfant, d’une façon satisfaisante ou pas – mais après tout dont il n’y a
aucune raison de ne pas voir qu’il peut mener très longtemps ce jeu d’une façon satisfaisante –
l’enfant est dans ce paradis du leurre avec un peu de bonheur, et même très peu pour
sanctionner cette relation, si délicate qu’elle puisse être à mener. Par contre l’enfant essaie de se
couler, de s’intégrer dans ce qu’il est pour l’amour de sa mère. Mais à partir du moment où
intervient sa pulsion à lui, son pénis réel, il apparaît ce décollement dont je parlai tout à l’heure,
à savoir qu’il est pris à son propre piège, qu’il est dupe de son propre jeu, que toutes les
discordances, que toutes les béances, et la béance particulièrement immense qu’il y a entre le
fait de satisfaire à l’image et de, lui, avoir là justement quelque chose à lui présenter, à présenter
cash si je puis dire, et ce qui ne manque pas de se produire n’est pas simplement que l’enfant,
dans ses tentatives de séduction, échoue pour telle ou telle raison, ou qu’il soit refusé par la
mère qui joue à ce moment-là le rôle décisif. C’est que ce qu’il a en fin de compte à présenter – à
sa mère – est quelque chose qui peut lui apparaître à l’occasion, et nous en avons mille
expériences dans la réalité analytique, comme quelque chose de misérable. » (p 224-225)

Catastrophe. Il était là dans cette relation imaginaire de leurre et de bonheur avec la maman et
prêt à assurer justement les images qu’elle pourrait souhaiter et puis voilà ce pénis réel qui
s’agite et d’un coup l’image qui tombe et la béance entre ce qui était cette image idéale et
l’affaire misérable qu’il a à lui présenter. Pourquoi misérable ? La question mériterait d’être
posée à Lacan. Il est pas là, on lui posera pas. Mais c’est en tout cas sûrement un moment où
l’enfant prend… On est toujours dans la phase pré-oedipienne, or Lacan continue de penser que
l’enfant ne prend cette appréhension du caractère misérable de ce qu’il a à proposer à sa mère
que par une comparaison avec ce qu’il a pu observer ailleurs et pas seulement chez le cheval où,
même chez la mère parce que vous vous souvenez qu’il dit : « Toi, tu dois en avoir une grosse,
une grosse comme le cheval » et donc avec ça vient le sentiment effectivement du caractère
misérable de ce qu’il a à offrir. Alors, il essaie. Tout ça, c’est merveilleusement délicat.
Alors. « À ce moment le fait que l’enfant soit mis devant cette ouverture – cette béance – ce
dilemme, ou d’être captif […] ». (p 225) Cette phrase, elle sera plus claire. Mais, ça ne fait rien,
nous y allons. On avance. On verra bien ce qu’on en fait. « […] la victime ou l’élément pacifié d’un
jeu où il devient dès lors la proie des significations de l’autre. » (p 225) Je pense que là au niveau
de cette phrase, il y a des erreurs de transcription ou sténographiques. Mais, ça débouche sur
quelque chose de tout à fait inattendu. Je suis sûr qu’aucun de nous ne l’attendait à ce moment-
là. Et, c’est le débouché sur ceci : « C’est très précisément en ce point – c’est-à-dire lorsqu’il
devient le captif, la victime ou l’élément pacifié d’un jeu où il devient dès lors la proie des
significations de l’autre. Je dis bien que cette phrase est sûrement fautive. Je ne sais pas
comment Lacan rédigeait encore – que s’embranche ce que je vous ai indiqué l’année dernière
– nous n’y étions pas – comme origine de la paranoïa, parce qu’à partir du moment où le jeu de
leurre devient sérieux et où en même temps ce n’est qu’un jeu de leurre, l’enfant est
entièrement suspendu à la façon dont le partenaire indique par toutes ses manifestations, pour
lui toutes les manifestations du partenaire deviennent sanction de sa – suffisance ou
insuffisance. » (p 225)

C’est étrange qu’il fasse là encore remonter la paranoïa, cette période, je dis bien, pré-
oedipienne, entièrement suspendue à ce qui serait la stase d’un moment où, dans la relation à la
mère, il trouverait le modèle d’une relation à l’autre dont il serait entièrement et en permanence
dépendant quant à sa suffisance ou insuffisance. « C’est ce qui se passe très précisément dans la
mesure où cette situation est poursuivie, c’est-à-dire où ne vient pas intervenir la Verwerfung –
c’est-à-dire la forclusion – laissant dehors ce terme du père symbolique, dont nous allons voir
dans le concret justement combien il est nécessaire. » (p 225) Là encore la phrase est fautive
puisqu’il faut la lire en supprimant une négation : « C’est ce qui se passe très précisément dans la
mesure où cette situation est poursuivie, c’est-à-dire où vient intervenir la Verwerfung, la
forclusion, laissant dehors ce terme du père symbolique, dont nous allons voir dans le concret
justement combien il est nécessaire ». Il y a tout lieu de penser que pour Lacan lui-même
l’élaboration de ces points n’était pas évidente pour que ces phrases soient aussi tordues.
« Laissons le donc de côté pour l’autre enfant, – le père symbolique – pour celui qui n’est pas
dans cette situation très particulière de voir et d’être livré entièrement, à partir de ce moment, à
l’œil et au regard, – du grand Autre – c’est-à-dire au paranoïaque futur. » (p 225) C’est drôle
comment il se prend lui-même les pieds dans ses phrases. « Pour l’autre la situation est
littéralement sans issue par elle-même. – C’est-à-dire celle du paranoïaque livré aux caprices de
l’Autre. – Bien entendu elle est avec l’issue puisque, si je suis là, c’est pour vous montrer en quoi
le complexe de castration en est l’issue. » (p 225-226)

Voyez pourquoi je prends ça ligne après ligne puisque c’est vraiment nodal. « Le complexe de
castration reprend sur le plan purement imaginaire tout ce qui est en jeu avec le phallus et c’est
pour cela précisément qu’il convient que le pénis réel soit en quelque sorte mis hors du coup.  »
(p 226) Alors là, vous vous rendez compte ? « C’est par l’intervention de l’ordre qu’introduit le
père avec ses défenses, avec le fait qu’il introduit le règne de la loi, à savoir le quelque chose qui
fait que l’affaire à la fois sort des mains de l’enfant, mais qu’elle est quand même réglée ailleurs,
qu’il – le père – est celui avec lequel il n’y a plus de chance de gagner qu’en acceptant la
répartition des enjeux telle quelle. Cela fait que l’ordre symbolique intervient et sur le plan
imaginaire précisément. » (p 226)

Vous ne comprenez rien pour le moment, c’est très bien. Attendez un tout petit peu. « Ce n’est
pas pour rien que la castration c’est le phallus imaginaire mais c’est en quelque sorte hors du
couple réel que l’ordre peut être établi où l’enfant retrouve quelque chose à l’intérieur de quoi il
pourra attendre l’évolution des évènements. » – Autrement dit entrer en période de latence.
C’est moi qui l’ajoute. – « Ceci peut vous paraître simple pour l’instant comme solution du
problème. C’est une indication, ce n’est pas une solution, c’est rapide, c’est un pont jeté. Si
c’était facile, s’il n’y avait qu’un pont à jeter, il n’y aurait pas besoin de le jeter, c’est le point où
nous en sommes qui est intéressant. Le point où nous en sommes c’est précisément celui où en
est privé le petit Hans où il ne se produit justement pour lui rien de pareil, où il est confronté, où
il est mis à ce point de rencontre de la pulsion réelle et de ce jeu du leurre imaginaire phallique,
et ceci par rapport à sa mère. » (p 226)

Alors qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? C’est que le complexe intervient d’abord en effaçant
dans le champ imaginaire la représentation pénienne et d’autre part – ça c’est encore bien plus
amusant – venant affirmer, je dirais, le caractère réel du pénis, c’est-à-dire en le mettant hors
champ puisque le réel c’est ce qui se trouve, je dirais, hors du symbolique ; autrement dit là le
pénis réel venant, je dirais, en quelque sorte nourrir l’instance phallique présente dans le réel. Ça
vous étonne tout ça hein ? C’est complètement farfelu et donc ça mérite que vous repreniez
attentivement… Je vous le redis : cela fait que l’ordre symbolique intervient sur le plan
imaginaire précisément, c’est-à-dire avec cette découpe de l’image pénienne dans l’image du
corps. Découpe de l’image pénienne dans l’image du corps. Ce n’est pas pour rien que la
castration c’est le phallus imaginaire, c’est-à-dire qu’elle porte sur le phallus imaginaire. Mais,
c’est en quelque sorte hors du couple réel que l’ordre peut-être établi où l’enfant retrouve
quelque chose à l’intérieur de quoi il pourra attendre l’évolution des évènements.

Bon. Et donc pour le petit Hans, le fait que pour lui cette castration symbolique ne s’est pas
produite. Et qu’est-ce qui se produit à ce moment-là ? Et bien ce qui se produit c’est une
régression. Une régression. Ça c’est un passage, je dirais, très amusant. Très amusant. La
régression c’est un élément important de la topique freudienne. Autrement dit, quand une étape
ne peut être satisfaite chez Freud et bien il se produit un retour à l’état précédent.

Et bien Lacan reprend dans ce séminaire ce procès-là des questions en disant ceci : « Je
préférerai quand même que vous en soyez étonnés, parce que le terme de régression, je
l’articule ni plus ni moins qu’à la stricte portée que je lui ai donnée dans la dernière séance avant
l’interruption, quand nous avons parlé de la frustration. De même qu’en présence de défaut de
la mère – quand elle est absente – je vous ai dit que l’enfant s’écrase dans la satisfaction du
nourrissage, de même à ce moment où c’est lui qui est le centre qui ne suffit plus à donner ce
qu’il y a à donner, il se trouve dans ce désarroi de ne plus suffire. – Le moment où du faut de
l’intervention de ce pénis réel, il ne se trouve plus suffire. – À ce moment-là la régression se
produit, qui fait feindre ce même court-circuit qui est celui avec lequel se satisfait la frustration
primitive, de même que lui s’emparait de sein pour clore tous les problèmes. La seule chose qui
s’ouvre devant lui comme une béance, c’est exactement ce qui est en train de se passer
d’ailleurs, c’est la crainte d’être dévoré par la mère, et c’est le premier habillement de la phobie.
C’est très exactement ce qui apparaît dans le cas de notre petit bonhomme, car tout cheval que
soit l’objet de la phobie, c’est quand même d’un cheval qui mord dont il s’agit et le thème de la
dévoration est toujours, par quelque côté, trouvable dans la structure de la phobie. » (p 226)
Autrement dit s’il ne peut plus la satisfaire dans le leurre imaginaire phallique, retour à la phase
antérieure ; de même lui venait répondre à la possibilité d’absence de la mère en venant
s’écraser dans la satisfaction du nourrissage, de même là, il va imaginer qu’il ne peut plus
satisfaire sa mère que elle-même venant écraser son insatisfaction en le bouffant, ce qui n’est
pas gentil.

Quel suspens ! Vous voudriez savoir qui est le coupable, attendez encore un peu. On n’est pas
très loin. Mais vous voyez, on ne peut pas… J’aurais dû réfléchir à la façon de corriger les phrases
où il y a des erreurs de transcription. Mais voyez qu’on peut rien laisser passer là. Essayez
d’imaginer ce qu’un auditoire pouvait en retenir, il n’y avait aucun texte, il fallait prendre des
notes. C’est pas évident de prendre des notes avec des phrases ainsi. Voyez dans quel état de
déshérence se trouvaient les élèves et quelle chance vous avez. Vous ne la mesurez pas.
Bon alors, est-ce là tout ? Bien entendu non. « Ce n’est pas n’importe quoi qui mord, ni qui
dévore. Nous nous trouvons confrontés avec le problème de la phobie chaque fois qu’il se
produit avec un objet un certain nombre de relations fondamentales, dont il faut bien laisser
certaines de côté pour pouvoir articuler quelque chose de clair. Ce qui est certain, c’est que les
objets de la phobie qui sont en particulier des animaux, se marquent d’emblée à l’œil de
l’observateur le plus superficiel, par ce quelque chose qui en fait par essence un objet de l’ordre
symbolique. Si l’objet de la phobie est un lion, que l’enfant habite ou non, et surtout quand il
n’habite pas des contrées où cet animal ait le moindre caractère, non seulement de danger, mais
simplement de présence, c’est à savoir que le lion, le loup, et voire la girafe, sont justement ces
objets étranges parmi lesquels le cheval montre justement une sorte de limite extrêmement
précise, qui montre bien à quel point il s’agit là d’objets, si on peut dire, qui sont empruntés à
une sorte de liste ou de catégorie de signifiants qui sont de la même nature, homogène, ce qu’on
trouve dans les armoiries. » (p 227) Autrement dit emblématique non pas d’une filiation
totémique mais emblématique de certaines propriétés prêtées à l’animal qui sont assurément le
courage, la vaillance, la force, l’agilité, la rapidité, tout ce que vous voudrez. « Ces objets qui ont
mené Freud et rendu également nécessaire pour Freud dans la construction de Totem et Tabou
l’analogie entre le père et le totem, ont une fonction bien spéciale et sont là pour autant
justement que par quelque côté ils ont à suppléer – là, il fait une faute de français : « ils ont à
suppléer à », c’est pas beau – à ce signifiant du père symbolique, signifiant dont nous ne voyons
pas quel est le dernier terme et dont c’est justement la question de savoir pourquoi il se revêt de
telle ou telle forme, de tel ou tel habillement. Il faut bien qu’il y ait quelque chose qui soit de
l’ordre du fait ou de l’expérience et du positif et de l’irréductible dans ce que nous
rencontrons. » (p 227)

D’où ça sort ce père symbolique ? Et pourquoi est-ce que là il prend telle forme ? « Ceci n’est pas
une déduction mais est quelque chose qui est un appareil nécessité pour le soutien de ce que
nous trouvons dans l’expérience. Aussi bien nous ne sommes pas là pour résoudre pourquoi la
phobie prend la forme de tel ou tel animal ; ce n’est pas là la question. » (p 227) Et bien il est clair
que si l’animal est là présent, c’est en témoignage je dirais, c’est une présentification d’une
absence structurale, d’une instance là dans le réel, symbolique de ce qui à l’occasion est
représenté comme ce qui mord faute, je dirais, d’être représentatif de ce qui châtre et faute
évidemment que ce soit l’instance paternelle vienne honorablement la représenter. Et Lacan
essaie d’expliquer pourquoi il y a là quelque chose qui est irréductible, « Il faut bien qu’il y ait
quelque chose qui soit de l’ordre du fait ou de l’expérience et du positif et de l’irréductible dans
ce que nous rencontrons. –Autrement dit, ça peut pas s’expliquer autrement. – Ceci n’est pas
une déduction mais est quelque chose qui est un appareil nécessité pour le soutien de ce que
nous trouvons dans l’expérience. » (p 227)

Donc, cet animal qui mord, en tout cas c’est l’animal menaçant. Et on ne va pas dire tout à fait
que – c’est drôle – que l’enfant ne peut pas imaginer quelques relations, quelques filiations avec
cet animal puisque d’abord la girafe, lui-même s’appelle Graf, il n’en n’est pas très loin et puis
quant au cheval, nous savons qu’il va jouer au cheval à la maison comme s’il était un petit
cheval et puis aussi comme je le faisais remarquer… c’est Freud, le professeur Freud qui était le
vrai père symbolique de cette famille sauf de lui jusqu’au moment où le papa l’y a amené, du
jour au lendemain Freud est devenu un membre de la famille et c’est ça qui l’a guéri. C’est drôle
hein.

Bon donc on va terminer. Encore trois minutes et trente secondes et terminons ce chapitre. La
tempête est passée, la mer se calme. Donc, dit Lacan, la phobie de Freud « c’est une phobie en
marche » – C’est-à-dire que pour qu’on voit l’évolution que va développer le petit Hans – à plein
tuyau toutes sortes d’imaginations – extrêmement – romancées concernant ses relations avec
tout ce qu’il adopte comme ses enfants. – C’est-à-dire qu’il prend une position dont on ne sait
pas trop si elle est maternelle ou paternelle mais en tout cas une position, on va dire ça d’un
terme neutre pour dire le géniteur ou génitrice – une position qui mêle l’identification à la mère,
l’adoption d’enfants » (p 228). Il prend « toute une série de formes amoureuses » (p 228). Mais
en même temps – voyez c’est intéressant ce qu’il dit là – à la fois l’identification à la mère mais
aussi des petites filles dont il est le géniteur, je dirais, de fixations amoureuses sur elles. C’est-à-
dire en même temps, elles sont sexuellement concernées et « le contraste entre cela c’est ce qui
va se passer quand après les interventions du père, sous la pression de l’interrogation analytique
plus ou moins dirigée du père auprès de lui, il se livre à cette sorte de roman vraiment
fantastique dans lequel il – le petit Hans –reconstruit la présence de sa petite sœur dans une
caisse dans la voiture sur les chevaux, bien des années avant sa naissance. Bref la cohérence que
vous pourrez voir se marquer massivement entre ce que j’appellerai l’orgie imaginaire au cours
de l’analyse du petit Hans avec l’intervention du père réel. » (p 228)

Intervention du père réel nous dit Lacan à ce moment-là. Le père réel donc en tant que
castrateur et il attribue ce danger imaginaire du petit Hans à la fois dans ses identifications
génitrices, si je puis dire, et sa toute-puissance prolifique et puis également ses attachements
amoureux aux petites filles. L’intervention du père réel nous dit Lacan. « En d’autres termes, si
l’enfant aboutit à une cure des plus satisfaisante, nous verrons ce que veut dire cure satisfaisante
à propos de sa phobie, c’est très nettement pour autant qu’est intervenu le père réel qui était si
peu intervenu jusque-là, parce qu’il a pu intervenir d’ailleurs parce qu’il avait derrière le père
symbolique qui est le père Freud. Mais il est intervenu, et dans toute la mesure où il intervient,
tout ce qui tendait à se cristalliser sur le plan d’une sorte de réel prématuré repart dans un
imaginaire si radical qu’on ne sait plus même tellement bien où on est, qu’à tout instant on se
demande si le petit Hans n’est pas là pour se moquer du monde ou pour faire un humour raffiné,
et il l’est d’ailleurs incontestablement, puisqu’il s’agit d’un imaginaire qui joue pour réorganiser
le monde symbolique. Mais il y a en tout cas une chose certaine, c’est que la guérison arrive au
moment où s’exprime de la façon la plus claire sous la forme d’une histoire articulée, la
castration réelle, c’est à savoir que « l’installateur » – le fameux plombier – vient, la lui dévisse et
lui en donne une autre. C’est exactement là que s’arrête l’observation. La solution de la phobie
est liée à, si on peut dire, la constellation de cette triade, intervention du père réel, et nous y
reviendrons la prochaine fois, tout soutenu et épaulé qu’il soit par le père symbolique. Il entre là-
dedans comme un pauvre type. Freud à tout instant est forcé de dire, c’est mieux, il fallait bien le
laisser parler, surtout dit-il […] « ne comprenez pas trop vite ». […] le résultat est scandé par ces
deux points, l’orgie imaginaire de Hans, l’avènement si on peut dire de la castration pleinement
articulée comme ceci, on remplace ce qui est réel – son petit pénis réel – par quelque chose de
plus beau, de plus grand – ( p 228-229) qui est donc de l’ordre d’un imaginaire mais cette fois-ci,
je dirais, référé au symbolique, c’est-à-dire référé parce ce qu’il en est de l’inscription du petit
Hans dans une lignée, dans une généalogie.

« L’avènement, la mise au jour de la castration est ce qui met un terme à la fois à la phobie et ce
qui montre, je ne dirais pas sa finalité, mais ce à quoi elle supplée. Il n’y a là, vous le sentez bien,
qu’un point intermédiaire de mon discours[…] Nous reprendrons la prochaine fois cette
dialectique de la relation de l’enfant avec la mère et la valeur véritable du complexe de
castration. » (p 229)

Voilà. C’est un chemin que j’ai voulu faire pas à pas qui est, je dois dire, entièrement lacanien
avec l’implication à l’observation de Freud de ces trois dimensions. À vrai dire, on pourrait
penser que c’est de la lecture de l’étude même de cette observation du petit Hans que Lacan en
est venu à les forger ces trois catégories du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Ça ne lui est
pas sorti de la tête, je dirais, comme Athéna sortant de la tête de Zeus. C’est pas venu comme ça
mais c’est en se confrontant avec ce que nous-mêmes quand nous avons à l’étudier que
l’intervention du petit Hans a pu nous paraître au bout d’un moment… parce que personne ne
pouvait plus y retrouver ses petits. C’est bien le cas de le dire. Et bien, c’est vraisemblablement à
l’occasion de l’étude d’une observation comme celle du petit Hans que Lacan en est venu à
forger comme nécessaire ces trois catégories et, en outre, en donnant au complexe de
castration, je dirais, en reconnaissant un processus complètement évidemment inédit puisque,
comme nous l’avons vu, c’est la prise de l’imaginaire et du réel par le symbolique, la sanction
donnée par le symbolique à l’imaginaire de la représentation phallique et au réel du petit zizi que
Hans pouvait douloureusement, je dirais, proposer à sa maman.

Ça va pas de soi hein ! Ça va pas de soi.

Charles Melman

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→ Les citations de Charles Melman sont extraites du séminaire de Jacques Lacan La relation
d’objet et les structures freudiennes, Éditions de l’Association lacanienne internationale, texte
revu et corrigé en 1994.

  

[1] Autismes et psychanalyses, Évolutions des pratiques, recherches et articulations, Marie


Dominique Amy, Éditions Érès, 2014
CHARLES MELMAN : "LE PETIT HANS" - 10
Conférencier: 

Melman C. Dr

EPHEP, Séminaire de Charles Melman, le 3/04/2014

Nous allons terminer en beauté c'est-à-dire nous intéresser exclusivement aux filles, d'accord?
Pour résoudre un problème dont il est vrai qu'il est rarement abordé mais comme dans cette
école nous ne nous refusons rien, et bien donc nous allons traiter la phobie chez les dames, pour
les dames. Ça n'est d'ailleurs qu'inaugurer ce qui quand même se fera un jour c'est-à-dire la
reconnaissance du fait que la pathologie n'est évidemment pas la même selon le sexe. C'est bien
normal puisque si la structure est différente, il est bien normal que la pathologie soit différente
mais nous avons toujours cette excellente habitude de traiter la question à partir d'un homme
abstrait, et il est tellement abstrait que finalement c'est toujours le même. Et donc on ne parle
jamais des dames comme il faudrait.

Alors, nous sommes partis de ceci, c'est que l'enfant, pour une maman, est toujours ou presque,
ce qui vient répondre à son Penisneid, et c'est ce qui assurément fait sa valeur et comme nous
l'avons rapidement évoqué, préserve ce petit bout de chou de se désintéresser, de renvoyer à
une mère elle-même désintéressée par son produit, son propre désintérêt en retour et donc une
entrée dans l'autisme. L'autisme c'est ça, c'est un enfant qui ne s'intéresse pas, et comme vous le
savez lorsqu'on veut faire remarquer que s'il ne s'intéresse pas, c'est que sans doute le message
qu'il reçoit est déjà celui d'un désintérêt majeur, et bien on se fait à ce moment-là mal voir.
Donc, l'enfant comme venant répondre au Penisneid maternel, et donc chez chaque enfant, cet
imaginaire du phallus, puisqu'il vient occuper cette place, et donc ce qui vient répondre à cette
question autrement énigmatique: comment se fait-il que la petite fille, au même titre que le petit
garçon, s'éprouve également pénienne, et cela jusqu'à à peu près deux ou trois ans, cela ne fait
pas problème, ce qui montre bien, je dirais, la prévalence de l'Imaginaire sur le Réel.

Cela mériterait un instant de réflexion cette prévalence de l'Imaginaire sur le Réel puisque cela
vient nous confirmer que l'observation, ça nous donne évidemment prioritairement accès à
l'Imaginaire bien plus qu'au Réel. Rien que cette étape mériterait de mettre chez nous en doute,
exposer au doute systématique ce qui relève de l'Imaginaire.

Et donc, on a pu vérifier chez le petit Hans que sa petite soeur, il a beau voir le réel de son
anatomie, il n'empêche qu'il lui attribue un instrument comme le sien et qu'il va attribuer à sa
maman, évidemment comme elle est grande, un instrument grand comme celui d'un cheval, etc.
Ce qui pose évidemment cette question: quand est-ce que l'enfant va opérer la rupture entre
Imaginaire et Réel, et découvrir le Réel? Alors la réponse que nous avons vu de Lacan à cette
légitime interrogation, on ne saurait la lui reprocher, et que cela se produit pour le petit Hans
quand il commence à éprouver des sensations dans son petit Wiwimacher, dans son petit fait-
pipi, et que donc celui-ci d'imaginaire devient bien réel.
 

Mais est-ce qu'il en est de même pour la petite fille? Ah, nous commençons à entrer dans la
particularité de la question. Est-ce qu'il en est de même pour la petite fille, autrement dit, est-ce
qu'elle va connaitre la même opération que lacan appelle castration c'est-à-dire l'effacement de
l'imaginaire de la zone phallique au profit de ce qui sera la promesse d'un retour par une
reconnaissance symbolique de l'identité sexuée. Le problème, c'est que nous ne pouvons pas
présumer d'éventuelles sensations chez la petite fille à l'égal de celles du petit Hans, mais en tout
cas nous sommes bien obligés de remarquer que en général elle ne subit pas le même sort, c'est-
à-dire qu'elle est d'emblée entretenue dans des signes extérieurs d'appartenance féminine,
autrement dit comme une petite future bonne femme, ou une future petite bonne femme, ou
une bonne petite future femme, comme vous voudrez. Et donc il n'est pas exceptionnel que loin
que soit attendu d'elle justement un renoncement à l'imaginaire phallique, au contraire ne soit
entretenue chez elle cette reconnaissance d'une féminité sans doute précoce mais en tout cas
promise, et qui fait que bien évidemment la petite fille a, par rapport au garçon, ce gros pataud,
une intelligence, une allure et des capacités qui aujourd'hui sont vérifiées à l'école bien sûr, et
une lucidité beaucoup plus éveillée que celle de ce gros pataud, avec cependant une petite
différence sociale qui est à noter, c'est que la petite fille sera en général partie d'un couple avec
une autre petite fille, organisation en couple, aboutissant toujours à la dispute, au conflit, à la
séparation, à la dénonciation avec la petite semblable, relation à l'image de soi comme
usurpatrice, abusive. Alors que le pataud, lui, s'organise en bande, il est beaucoup plus rare qu'il
fasse partie d'un duo, mais en général il fait partie d'une bande, opposée à telle autre etc, mais
c'est en tout cas en bande qu'il s'organise, et Lacan aura cette remarque apparemment singulière
qui sera de dire que plus tard les filles sortent par deux pour venir décrocher l'un des garçons de
la bande, et que c'est comme ça que ça se fait.

Alors si cela est exact, dans ce cas de figure parce que il n'est pas toujours généralisé
évidemment, puisqu'il y a des mères, et en particulier lorsqu'elles sont de stricte observance de
leur religion, qui témoignent d'un renoncement aux signes extérieurs de féminité qui semble
tout à fait s'apparenter à la castration opérée par le garçon, autrement dit renoncement de tout
signe extérieur de phallicisme, pas besoin de spécifier dans quelle religion cela s'observe, et avec
des conséquences qui ne sont pas quelconques puisqu'elles pourront de la sorte espérer en
retour une reconnaissance symbolique à l'égal de celle du garçon, ce qui ne se produit pas
toujours. Si nous prenons une religion fort répandue qui s'appelle le protestantisme, il est bien
clair et aisément vérifiable, on pourrait aussi bien évoquer le judaïsme avant lui, que la fillette est
exposée au type de castration à l'égal de celui de son frère et cela pour un futur qui viendra
entretenir le renoncement à tout signe extérieur qui pourrait paraitre impudique,
exhibitionniste. Je ne sais pas si on fait souvent remarquer ce genre de choses qui pourtant sont
bien réelles.

Mais supposons que, dans un cas de figure qui, là encore, peut exister parce qu'il y a à ce niveau
toute une gamme de comportements bien entendu possibles, supposons que la fillette passe par
le même type de renoncement aux signes extérieurs imaginaires de phallicisme, et qu'elle
attende en retour une reconnaissance symbolique à l'égal de celle du garçon, et qui ne vient pas,
d'où bien entendu la production d'un vif sentiment d'injustice, de tromperie, de vol, et on sait
combien ce type de rapport aussi bien avec les parents qu'avec le milieu social, on sait combien
c'est fréquent, on va dire ça comme ça, c'est basique. Et puis, supposons qu'avec cette castration
subie par la fillette à l'apparence identique à celle du petit garçon, s'introduise donc la période
de latence, et nous arrivons à la puberté, avec à ce moment-là une période de crise identitaire,
qui est égale dans les deux sexes, et cette crise identitaire est simplement le témoignage de la
réticence de notre culture à entériner le passage à la sexualité de l'enfant, autrement dit de
célébrer ce passage par un rituel dont le caractère symbolique viendrait dès lors le conforter, le
justifier et le déculpabiliser dans son identité sexuelle. C'est quand même assez rude ce que l'on
fait subir là à nos adolescents en leur disant : c'est une affaire privée, débrouillez-vous. Et ce qui
est pire, c'est que dans ce contexte culturel, des parents libéraux qui acceptent, et qui ont le
courage, ou qui ferment les yeux sur les manifestations sexuelles de leur ado, ne sont pas
forcément mieux perçus, ce qui montre simplement que le problème essentiel est celui de la
reconnaissance symbolique, non pas « tu seras un homme, mon fils », mais « tu es maintenant
un homme mon fils » ou « maintenant tu es une jeune femme ma fille », et rien que de formuler
les propositions en ces termes vous voyez combien notre culture en est éloignée et que nous ne
faisons là encore que renvoyer à nos ados le message de notre propre refus de la sexualité. Je
vous trouve drôlement sages ce soir.

- Dans une conférence que vous avez faite en Belgique qui s'appelait « Une langue sans signifiant
maitre », vous avez apporté cette question de la puberté que vous avez développée à partir du
Noeud à trois, et si je vous dis ça c'est que ce serait peut-être intéressant de le développer un
peu, mais ce que j'avais retenu c'est que entre le noeud, le réel du sexuel qui advient à
l'adolescent et l'interdiction qui lui est faite, l'impossibilité qui lui est faite, enfin le symbolique lui
étant interdit, il y avait une dissociation entre les trois ronds du noeud, et vous aviez pris cet
exemple pour illustrer de la manière, vous aviez dit une des plus belle manière qui soit, que le
noeud à trois était très pratique, très utile dans la clinique.

-Je vous remercie de le rappeler, je trouve que c'est pas mal ce que j'ai dit à ce moment-là. Je
reprendrai ça très rapidement tout à l'heure.

En tout cas, donc, la puberté c'est-à-dire ce qui vient à ce moment-là dans le réel, dans le réel du
corps, et qui ne trouve en face de lui qu'un symbolique défaillant et un imaginaire jugé piteux.
C'est absolument stupéfiant de voir de très beaux ados se juger difformes ou mal foutus ou laids
ou disgraciés etc. Et donc, dans ces cas, évidemment la proximité dans cette crise de l'identité
sexuelle, qui est donc une phase littéralement, et bien donc la légitimité d'une émergence de la
phobie.

Alors la phobie, on va partir de l'un de ses paradoxes cliniques qui est que, ça peut être aussi
bien de la claustrophilie qu'une claustrophobie, voire même le passage de l'un à l'autre. Voyez,
ce n'est pas ou l'un ou l'autre.

Alors, la claustrophilie, commençons par elle, c'est quand même la plus fréquente, autrement dit
le fait de ne pas pouvoir quitter son domicile, et la notion de domicile est là essentielle, c'est le
domicile parental, de ne pas pouvoir le quitter de plus d'une distance variable mais en général
assez courte pour laisser penser que le retour au foyer peut rapidement se faire, c'est pas une
distance qui nécessiterait par exemple un moyen de transport, une attente, etc, et que c'est une
limite qui n'est pas métrée, on ne dit pas: là je peux faire 30 mètres et la trente et unième je ne
peux pas, faut que je rentre, c'est une limite, je dirais, élastique, comme si au-delà il n'y avait pas
d'espace. Comme si l'espace, au lieu de fonctionner comme le plan euclidien qui nous est
ordinairement familier et dans lequel nous nous situons, comme s'il y avait là une maladie de
l'espace c'est-à-dire justement, de l'imaginaire, et que son extension était à la fois variable mais
limitée au centrage autour du domicile et que au delà, la marche n'était plus possible.
Alors, on pourrait prendre cette impossibilité comme étant un refus hystérique, et que une
bonne paire de claques viendrait guérir cet empêchement, eh bien pas du tout, ça n'est pas du
tout hystérique, c'est physiologique. Parce que cela témoigne simplement que au delà de cette
zone limitée, centrée par le domicile, il n'y a plus d'espace, et que donc vous ne pouvez plus vous
déplacer, et la motricité se trouve littéralement à partir de ce moment-là, c'est-à-dire au niveau
de la limite, la motricité se trouve défaite.

La motricité, le jeu de la motricité suppose évidemment une harmonisation permanente entre


des muscles mis au repos tandis que d'autres entrent en activité, autrement dit la motricité, et
nous en avons le témoignage à l'occasion de cette affaire, suppose une césure dans l'organisation
musculaire, césure elle-même sans cesse variable avec le mouvement, avec la marche, et qui
périodiquement, ou instantanément met au repos tel groupe musculaire pour permettre la
contraction de tel autre. Cela procure d'ailleurs toujours, quand ce dispositif est de bonne
qualité, une impression d'harmonie, il y a une notion de beauté qui est attachée à cette affaire,
lorsque ça se déroule bien, il est évident que la danse fait partie de ce qui procure cette idée
d'une harmonie. Et il est évident que cette césure au niveau des groupes musculaires implique la
participation à une césure plus fondamentale qui est celle que nous appelons celle de l'objet a, et
dont c'est précisément la chute qui va mettre en place, avec le plan projectif, l'espace euclidien
qui, ce plan projectif, vient le masquer ou le représenter sous la forme du tableau qui n'est
apparu, comme vous le savez, qu'au xv° siècle. C'est quand même merveilleux que, jusqu'au xv°
siècle, on ait ignoré le plan projectif. Constitution donc, avec la chute de cet objet a, et dont fait
partie bien évidemment le regard, du plan euclidien, qui toujours inclut le moi de celui que
j'appellerai non l'opérateur, mais l'opéré. Il est toujours dans le tableau. Et c'est ce que vous
retrouvez à propos de cette analyse que fait Lacan du tableau des Ménines, interprétation très
audacieuse et évidemment fort intéressante. Et comme si donc, je dirais, avec ce défaut d'une
chute de l'objet a, et qui peut s'interpréter comme relevant du registre de la castration, eh bien
avec ce défaut, absence de mise en place de l'espace et de la présentification de cet espace du
moi de l'opéré et en tant que ce moi ne va pas sans l'identité sexuée qui lui est, ah voilà on va
poursuivre le problème, de l'identité sexuée qui est toujours phallique. Il est bien évident que cet
espace domestique ne doit ce privilège qu'au fait évidemment d'être l'abri de ce que j'appelle le
dieu lare, que vous écrirez comme vous voudrez, c'est-à-dire du lieu qui abrite réellement le
phallus générateur de la famille. C'est très étrange cette disposition.

Eh alors vous me direz: j'en suis là à la clautrophilie, ou bien à la disposition d'un espace limité
autour de ce phallus réel, comment expliquez vous la claustrophobie, et le fait que le même sujet
puisse être amené à se sentir expulsé de chez lui pour s'en aller dans l'espace public, si ce n'est à
considérer que la présence de ce phallus réel ainsi appelé au secours ne masque pas toujours la
carence du phallus symbolique, c'est-à-dire du pur trou qui aurait ici à se trouver agencé, et dont
la vacuité dès lors, je veux dire en tant que symboliquement non achevé, non marqué, non
identifié, dont la vacuité par cet espèce de renversement, fait que ce sera l'espace public qui sera
fréquentable, et alors que l'espace domestique va paraitre insupporté.

C'est à partir de cet endroit, de ce moment que vous entrez dans cette clinique remarquable de
la phobie puisque les éléments phobogènes, dans cet espace dnt je parle, vont être en quelque
sorte la dénudation dans le champ perceptif du plan projectif, c'est-à-dire, dénudation du plan
projectif, que ce qui sera phobogène, ce sera par exemple les espaces constitués d'avenues qui
viennent toutes converger à l'infini vers le même point, autrement dit les espaces des villes
modernes. Et je racontais volontiers que l'espace de la ville médiévale était assurément une
grande protection contre la phobie, on s'y sent d'ailleurs toujours très bien dans une ville
médiévale, hein? C'est toujours très sympa on ne sait pas pourquoi, eh bien maintenant vous
saurez pourquoi, parce qu'elle n'est pas construite sur ce plan où vous êtes exposés à toutes ces
avenues qui concourent vers un point à l'infini, lui-même qui dans le plan projectif évidemment
n'est pas un trou mais qui, ici, dans cette dénudation est vécu comme un trou. Et je trouve assez
remarquable que dans la phobie ce qui va déclencher l'accès, c'est-à-dire l'immobilisation sur
place, ce soit la perception de la structure du plan projectif, et, par exemple il est tout à fait
connu, les cliniciens, les psychiatres classiques qui ont écrit sur la phobie et en particuliers
Lasègue, si je ne me trompe pas, qui a écrit sur la phobie, ils font très bien le répertoire de tous
ces cas, par exemple d'être situé dans ce qu'on appelle le paradis d'une salle de théatre à
l'italienne, tout en haut, la scène est en bas, toute petite, et il est évident que toutes les lignes
concourent vers ce petit trou qui est là en bas et immanquablement le déclenchement de l'accès
phobique, par exemple.

Et quelque chose d'encore plus remarquable, ce soir nous allons ensemble du remarquable au
plus remarquable, et qui n'est pas évident à expliquer, c'est-à-dire la présentification dans
l'espace d'une ligne de fracture, d'une ligne de coupure entre deux rives et le franchissement de
cette ouverture entre ces deux espaces, en général grâce à un pont, ce franchissement
provoquant chez le phobique le fait que à mi-distance, il s'arrête et il ne peut plus bouger, ce qui,
s'il a quelque obligation peut provoquer quelque inconvénient,ce qui se produit avec angoisse
évidemment. Et comment interpréter cette autre circonstance topographique pour rendre
compte comme cause du déclenchement de l'accès phobique, si ce n'est justement que dans le
plan projectif, c'est comme si on passait, et je vous renvoie là à la structure du cross-cap, comme
si on passait d'une rive à l'autre sans coupure, c'est-à-dire que la chute de l'objet a fait justement
que l'on passe d'un côté à l'autre sans coupure et là, cette présentification de deux bords, de
deux rives séparées par une coupure semble la perception justement de ce qui est la cause c'est-
à-dire l'échec de la mise en place du plan projectif et donc de la constitution d'un plan de
projection de type euclidien, comme si c'était là la vérité de l'affaire qui se révélait. Quand on a
affaire à un phobique, il sait qu'à un moment ou à un autre il va se retrouver devant une affaire
comme celle-là c'est-à-dire il y aura deux bords, il y aura un large pont, solide, tout ce qu'on veut,
sur lequel passent les camions, les autobus, et il ne pourra pas, et il le sait, il le sait à l'avance.

-Est-ce que la question du vertige se rattache à la phobie?

-Je ne sais pas.

C'est donc maintenant le moment enfin venu où nous allons voir, je crois que les éléments ont
été apportés qui nous permettent d'en venir facilement à ces conclusions: pourquoi une femme
va se trouver plus particulièrement vulnérable par rapport à la phobie, c'est-à-dire par rapport à
la perception de l'espace et ne serait-ce déjà à l'orientation de l'espace ? J'adore toujours ça, de
voir comment cette mise en place de l'espace, de ses repères, peut se trouver si facilement
contrariée et je dirais faire partie, moi je le dis comme ça, de ce qui est le charme spécifique
d'une femme. Comme si le type, lui, il savait toujours d'où il vient et où il va, tandis qu'une
femme, s'il est vrai qu'elle est pas-toute, eh bien dans ce lieu Autre il lui est beaucoup plus
difficile de savoir d'où elle vient, s'il n'existe pas de « x non phi de x », d'où est-ce qu'elle sort? Je
vous le demande, et donc si elle ne sait pas d'où elle sort, elle ne sait pas non plus d'où elle vient.

Et vous voyez que à aborder cette clinique de la façon suivante, vous voyez déjà qu'une femme
va se trouver exposée au petit problème suivant, c'est-à-dire que pour justifier sa présence dans
l'espace euclidien, elle se doit de faire valoir des signes d'appartenance phallique, alors que lui, le
bonhomme, du fait de cette reconnaissance symbolique, il est supposé au niveau de son image,
justement, radicalement sacrifier de ce qu'il en serait de l'indice de son appartenance, une
femme devrait, elle, comme la petite fille dont je parlais tout à l'heure, une femme devrait, elle,
pour être admise, maintenir au niveau de l'imaginaire des signes extérieurs d'appartenance, qui
sans cesse l'exposent au malaise de ce qui pourrait être mal interprété, par exemple être
interprété comme une invitation alors qu'il s'agit simplement d'une assurance de l'identité, rien
de plus mais qui a néanmoins besoin de passer par quelque chose qui est cet acquiescement de
l'invitation possible, donc vous voyez comme c'est embêtant, et donc il nous faut bien mesurer
ce que cela veut dire dans le cadre de cette clinique, qu'une femme ne soit pastoute phallique.
Pas toute phallique dans cette affaire pourrait se dire ainsi, par exemple, que faute de l'être
symbolique à l'égal du garçon, il lui faut des arguments de l'ordre de l'imaginaire pour le faire
valoir c'est-à-dire témoigner de l'attrait qu'elle est susceptible - non pas du trait mais de l'attrait,
voyez c'est amusant, l'attrait c'est joli ça - de l'attrait qu'elle est susceptible de faire valoir et en
même temps du fait qu'elle est là dans cet espace mais que en même temps elle est ailleurs, que
en même temps elle est Autre, qu'elle est là mais pas tout à fait là, et qu'elle a aussi cet espèce
d'espace réservé qui ne relève pas du champ euclidien, vous n'avez jamais vu l'espace de l'Autre
dans l'espace euclidien, et donc elle est là mais sans tout à fait y être. Et que c'est donc un
balancement permanent entre ce qui risquerait de paraître comme une exhibition et une
provocation, et un retrait, que va se produire toute une gamme de conduites, faute ou avant de
trouver avec la maternité le signe enfin d'une reconnaissance symbolique qui, à ce moment-là lui
permet parfaitement de renoncer à la féminité, elle n'a plus besoin de prétendre relever d'un
champ Autre, elle est entièrement partie prise, au même titre que son compagnon, dans l'espace
euclidien. Donc vous voyez ce problème, ce type de difficulté, cette d'énergie qui peut alimenter
toute une vie, je dirais, du malaise qui lui est spécifique, sentiment de ne jamais être tout à fait
comme il faudrait, de ne jamais être en paix avec soi-même, et le fait que le passage à une
reconnaissance enfin tamponnée implique le détournement des signes de la féminité au profit
de ce qui est la maternité. Et donc du même coup, avec cet avènement, le fait que la sexualité
n'est plus nécessaire. Moi j'adore sur les trottoirs étroits de mon quartier quand se profile au loin
une dame avec la poussette, et il vaut mieux s'écarter hein! Parce que elle fonce comme un
instrument guerrier.

Tout ceci ne vaut que dans un dispositif qui implique évidemment que la reconnaissance passe
par le père originel, et puisque c'est lui qui délivre, je dirais, les passeports. Et donc nous savons
là aussi, à l'endroit de ce père originel, tous les modes de relation qui pourront, toute la gamme,
tout l'éventail de relations qui pourront se déployer, allant de la passion à la dénonciation la plus
féroce. Et le fait que si vous considérez le noeud à trois ronds, vous voyez là que ce qui fait tenir
les trois dimensions consacrées, c'est le cas de le dire, ce n'est plus le passage obligé par le Nom-
du-Père, mais c'est l'objet a. L'objet a en tant que, et ça, nous n'arrivons pas encore à le penser,
en tant que pur recoupement de trous produit par le serrage de ronds, mais qui n'opère la saisie
d'aucune substance, qui n'opère que le cernage d'un trou en tant que celui-ci va être commun
aux trois ronds, aux trois dimensions. L'objet a dont nous parlons sous la forme du regard, de la
voix, du sein, des fécès etc, c'est la partie du corps que nous déléguons en quelque sorte pour
venir faire sens et faire jouissance dans un dispositif qui par lui-même ne comporte aucun objet
prédestiné, qui attendrait en quelque sorte le sujet; pur trou l'objet a. Et il est certain que du
même coup, avec le rond à trois, la question de l'identité sexuelle se pose de manière
radicalement différente, elle ne passe plus du tout par la répartition de ce trait séparateur, mais
elle passe par, ah! alors là! elle passe par quoi? ah! vous aimeriez le savoir! Alors nous allons
poétiser un petit peu, encore pendant deux minutes, avant que je m'expose à la multiplicité des
questions dont vous allez m'assaillir.

Qu'est-ce que seraient deux sexes, qui tout en étant différents, et dont l'un qu'on pourrait
supposer mâle, et l'autre femelle, se reconnaitraient comme participant d'un même manque,
central et organisateur de leur identité? Pas d'un même objet, mais, je dirais, dépendant du
même manque.

N'oublions pas que dans le noeud à 4, l'objet c'est le phallus, c'est lui là qui est central, je dirais, à
la place de l'objet désiré. Et c'est bien ce qui donne son caractère éminemment homosexuel à
nos vies de couple, même si dans la réalité ils sont hétérosexués. Autrement dit, que ce qui est
sans cesse demandé à l'une comme à l'autre, c'est de s'accomplir dans l'identification phallique.
Avec, puisque c'est notre dernière séance de cette troisième année, pour nous en tout cas, avec
ce fait que l'identité homme et femme serait donc construite tout autrement que par ce
marquage phallique. Et de telle sorte que, ce que nous voyons se produire sous nos yeux avec la
théorie du genre et tous ces machins, ce sont en réalité des manifestations, évidemment tout ça
s'est fait dans la suite, ce sont les conséquences de Foucault, Michel Foucault, Judith Buttler,
mais ça a son sens quelque part, c'est-à-dire comment justement, même si les chemins qu'ils
prennent sont erronés et n'aboutissent qu'à une indistinction généralisée, c'est ce qu'on appelle
l'égalité, mais c'est une tentative de répondre à ces difficultés qui sont bien réelles, ça c'est sûr.

Alors Lacan, on reprendra ça sûrement au cours du séminaire d'été, Lacan tentait évidemment ce
qui serait la possibilité d'une écriture de l'identité sexuelle puisque si c'est le trait est le support
de l'identification phallique, dans ce dispositif, une femme ne se situe jamais que comme ce qui
échappe au trait, ce qui est Autre par rapport à lui, et donc, il n'y a pas moyen de la saisir, ou
pour celle-ci de se constituer puisque la simple écriture du trait suffirait à la renvoyer au fait que
c'est comme Autre qu'elle serait femme et désirée.

Et aux journées de la semaine dernière ou du week-end dernier sur la question de l'égalité et de


la parité, je faisais remarquer ceci, c'est que la question de l'égalité ne peut se poser que dans le
champ de l'écriture. Vous ne pouvez aucunement poser la question de l'égalité dans le champ de
la parole. Il suffit qu'une adresse soit faite pour que l'inégalité des locuteurs soit constituée. Alors
vous vous n'avez pas connu Mai 68 parce que vous étiez trop petits, mais alors c'était joyeux
parce que c'était vraiment la tentative, y'avait pas de tribune pour parler, y'avait plus d'estrade,
on s'asseyait tous en rond, parterre de préférence, ce qui n'était pas tellement agréable, et puis
donc il fallait que la parole soit comme ça, bien égale. Mais comme vous vous doutez bien ,il y a
des résistance qui sont insurmontables et qui tiennent tout simplement au langage lui-même,
puisqu'il suffisait qu'il y en ait un dans le groupe qui parle pour que, il se trouvait qu'il parlait
mieux que les autres, ne serait-ce que parce qu'il était plus démagogue par exemple, ça ne veut
pas dire qu'il avait raison, et donc tout le cirque recommençait.

 
C'est donc au niveau de l'écriture que l'égalité peut se penser parce qu'elle peut s'écrire. Alors
vous allez me dire: oui mais l'égalité entre quels éléments? Par exemple, alors si j'écris 1 = 1,
voilà, ça c'est de l'égalité, hein? Sauf qu'évidemment à les distinguer, ce ne sont plus les mêmes
et que si, grâce à ce signe, je souhaite qu'ils soient les mêmes, eh bien ils viennent à se
confondre effectivement, et que mes deux 1 deviennent un 1 tout seul. Lacan le raconte, ça,
quelque part. Et de telle sorte que pour lui, le 1 ne nait que du 3, parce que le 3 suppose
qu'entre le 1 premier, et le 1 second, il y a l'instance Au-moins-Un qui fonde leur statut en les
séparant, en les distinguant, sinon, miroir, ils fusionnent l'un avec l'autre. Donc 1=1, ce n'est pas
une égalité, c'est embêtant ça.

Alors est-ce que si j'écris, à la place de ça, si j'écris A=A, est-ce que ça c'est une égalité? Eh bien si
une lettre, quelle qu'elle soit, et comme nous le montre l'inconscient, est susceptible, par son
intrusion dans le discours conscient, de venir donner à lire le désir refoulé, si c'est le cas, une
lettre est strictement égale à une autre, et donc à elle-même, parce que n'importe quelle lettre
dans une névrose quelconque est susceptible, c'est pas une lettre spécifique qui va venir dire le
désir inconscient, c'est n'importe quelle lettre qui va venir dire le trou qui anime le désir
inconscient.

Et de telle sorte que, et je conclurai là-dessus, il y a chez chacun de nous deux désirs; il y a le
désir qui est socialement et publiquement, je dirais, partagé, c'est-à-dire le désir phallique. Et
dans le refus de considérer que le Un ouvre l'espace de l'Autre, qui est incapable en quelque
sorte d'absorber, quelques soient les chiffres que je viendrai tenter d'épuiser l'espace ouvert
entre deux Un, et donc il y a ce désir Autre qui n'est donc entretenu, non pas par le Un phallique
mais par la faille ouverte entre deux Un, et qui est le désir inconscient. Et le fait qu'ils
incompatibles, de structure. Et c'est donc avec ça que nous avons ordinairement à nous
débrouiller, c'est-à-dire à relever socialement d'un désir collectivement partagé, dont l'instance
est partagée et phallique, et clandestinement, et là on tombe évidemment dans le theatre de
boulevard, clandestinement, de la mise en oeuvre de ce désir refoulé, et qui lui, vous me
permettrez l'expression, fait la nique à l'instance phallique. Alors là vous voyez, je ne suis pas
sorti de notre clinique ordinaire.

Voilà, j'espère ne pas vous avoir déçu ou menti sur la promesse de parler de la question de la
phobie féminine. Est-ce qu'il vous reste quelque espace Autre pour poser une question ou est-ce
que vous êtes saturés?

- Je voulais revenir sur la phobie des animaux, puisque le petit Hans c'était le cheval, et ce qui me
frappe c'est qu'il semble qu'il y ait des catégories pour les femmes qui sont très phobogènes, on
pense bien sûr à tout ce qui grouille, les serpents, les insectes, c'est quand même très fréquent,
je ne connais pas beaucoup de femmes qui voudraient bien toucher un serpent, on pense au
phallus, on pense à Eve, le premier qui a parlé c'est le serpent, et je me posais la question, si on
pouvait considérer que c'était le même mécanisme que chez le petit Hans pour une petit fille,
mais que elle, il n'y a rien qui vient faire héraldique pour la protéger de ça.

 
Ch M: C'est vrai qu'une femme, faute de cette reconnaissance symbolique, risque de se vivre
dans une équivalence de l'animalité, et qui peut lui faire paraitre les espèces animales réelles
comme étant représentatives de cette instance qui fait défaut pour fonder sa propre biologie, on
peut le dire comme ça. Ceci étant, il y a quand même une richesse dans le choix de l'animal ou
des animaux, l'araignée par exemple a toujours beaucoup de succès, et on voit bien pourquoi.
Parce que nous sommes tous attendus par la petite bête tapie au centre de la toile.

Maintenant Eve et le serpent, Eve n'était pas phobique du serpent, au contraire, elle a fait son
travail au serpent, c'est-à-dire qu'elle est cause de ce que s'est opérée cette distinction du bien
et du mal. Je faisais remarquer la chose suivante, c'est que les grecs ne connaissaient pas cette
distinction du bien et du mal, ce qu'ils connaissaient c'étaient l'excès et la tempérance.
Autrement dit l'excès n'était aucunement vécu comme étant le défit porté à ce qui serait
quelque autorité, c'était avant tout vis à vis de soi-même, et c'était plutôt une faute logique et
une offense faite à la spécificité de l'homme qui, se distinguant de l'animal, a à vivre dans la
maitrise de son corps, c'était donc plutôt une offense faite à la dignité de l'homme qu'une
offense à quelque dieu que ce soit puisque les dieux, ils étaient dans l'excès tout le temps, c'était
même ce qui les caractérisaient, ils ne connaissaient pas la tempérance eux. Mais ils n'étaient
pas pour autant pris comme exemplaires, puisque le propre de l'homme c'était la maîtrise de son
corps, pour ne pas être, justement à l'égal de l'animal.

L'animal est évidemment une représentation facile et idéale de la force vitale, sans même passer
par ce qu'il en est de son impudeur.

-C'est peut-être un détail, mais j'avais cru comprendre que selon les schémas de Lacan et ce qu'il
disait sur les noeuds à 4 et à 3, de temps en temps le phallus il le spécifiait et il n'était pas au
centre.

Ch M: Si vous voyez le Noeud à 4, il passe par l'objet a, donc cette place vouée à la vacuité, se
trouve dans ce cas-là substantifiée par le phallus.

Je vois à votre mine réjouie que vous êtes pleinement satisfaits. Allez, je vous dis bonsoir.

Charles Melman

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