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VERS NOUVEAUX ET CHANSONS


par
Arthur Rimbaud

LARME

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,


Je buvais à genoux dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'après-midi tiède et vert.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,


Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert,
Que tirais-je à ma gourde de colocase ?
Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer ?

Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d'auberge.


Puis l'orage changea le ciel jusqu'au soir.
Ce furent des pays noirs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares,

L'eau des bois se perdait sur les sables vierges,


Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares,
Et, tel qu'un pêcheur d'or et de coquillages,
Dire que je n'ai pas eu souci de boire !

1
LA RIVIÈRE DE CASSIS

La rivière de cassis roule ignorée,


En des vaux étranges.
La voix de cent corbeaux l'accompagne vraie
Et bonne voix d'anges.
Avec les grands mouvements des sapinaies
Où plusieurs vents plongent.

Tout roule avec des mystères révoltants


De campagnes, d'anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants;
C'est en ces bords que l'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants.
Mais que salubre est le vent !

Que le piéton regarde à ces claires-voies,


Il ira plus courageux,
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux délicieux,
Faites fuir d'ici le paysan matois,
Qui trinque d'un moignon vieux.

2
COMÉDIE DE LA SOIF

I. Les Parents
Nous sommes tes grands parents.
Les Grands !
Couverts des froides sueurs
De la terre et des verdures.
Nos vins secs avaient du cœur !
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l'homme ? boire.

Moi. — Mourir aux fleuves barbares.

Nous sommes tes grands parents


Des champs.
L'eau est au fond des osiers :
Vois le courant du fossé
Autour du château mouillé.
Descendons dans nos celliers ;
Après, le cidre et le lait.

Moi. — Aller où boivent les vaches.

Nous sommes tes Grands-Parents


Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires.
Le thé, le café, si rares,
Frémissent dans les bouilloires.
Vois les images; les fleurs.
Nous entrons du cimetière.

Moi. — Ah ! Tarir toutes les urnes !

3
2. L’Esprit
Éternelles Ondines,
Divisez l'eau fine.
Vénus, sœur de l'azur,
Émeus le flot pur.

Juifs errants de Norwège,


Dites-moi la neige.
Anciens exilés chers,
Dites-moi la mer.

Moi. — Non, plus ces boissons pures,


Ces fleurs d'eau pour verres;
Légendes ni figures
Ne me désaltérèrent;

Chansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle;
Hydre intime, sans gueule,
Qui mine et désole.

3. Les Amis
Viens ! les vins sont aux plages,
Et les flots, par millions !
Vois le Bitter sauvage
Rouler du haut des monts;

Gagnons, pèlerins sages,


L'Absinthe aux verts piliers...

Moi. — Plus ces paysages


Qu'est l'ivresse, Amis ?
J'aime autant, mieux, même,

4
Pourrir dans l'étang,
Sous l'affreuse crème,
Près des bois flottants.

4. Le Pauvre Songe
Peut-être un soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque bonne Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient !

Si mon mal se résigne,


Si jamais j'ai quelque or,
Choisirai-je le Nord
Ou les pays des vignes ?...
- Ah ! songer est indigne,

Puisque c'est pure perte !


Et si je redeviens
Le voyageur ancien
Jamais l'auberge verte
Ne peut bien m'être ouverte.

5. Conclusion
Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier qui court et qui voit la nuit;
Les bêtes des eaux, la bête asservie;
Les derniers papillons !… ont soif aussi.

Mais fondre où fond ce nuage sans guide,


Oh ! favorisé de ce qui soit frais,
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts ?

5
BONNE PENSÉE DU MATIN
A quatre heures du matin, l'été,
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bosquets l'aube évapore
L'odeur du soir fêté.

Mais là-bas dans l'immense chantier


Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s'agitent.

Dans leur désert de mousse, tranquilles,


Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.

Ah ! pour ces Ouvriers charmants


Sujets d'un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants,
Dont l'âme est en couronne.

O Reine des Bergers !


Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.

6
FÊTES DE LA PATIENCE
1. Bannières de mai.
2. Chanson de la plus haute tour.
3. L’Éternité
4. Chanson de la plus haute tour.
Bannières de mai

Aux branches claires des tilleuls


Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange.
L'azur et l'onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.

Qu'on patiente et qu'on s'ennuie


C'est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l'été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
- Ah ! moins seul et moins nul !- je meure.
Au lieu que les Bergers, c'est drôle,
Meurent à peu près par le monde.

Je veux bien que les saisons m'usent.


À toi, Nature, je me rends;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s'il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m'illusionne;
C'est rire aux parents, qu'au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien;
Et libre soit cette infortune.

7
Chanson de la plus haute tour

Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent !

Je me suis dit : laisse,


Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.

J'ai tant fait patience


Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ainsi la Prairie
A l'oubli livrée;
Grandie et fleurie
D'encens et d'ivraies;
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

8
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! que le temps vienne
Où les cœurs s'éprennent !

L’Éternité
Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le Soleil.

Âme sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,


Des communs élans,
Donc tu te dégages
Et voles selon.

Puisque de vous seules,


Braises de satin,
Le Devoir s’axhale
Sans qu’on dise : enfin.

9
Là pas d’espérance.;
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.


Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.

Age d’or
Quelqu'une des voix,
Toujours angélique
- Il s'agit de moi, -
Vertement s'explique:

Ces mille questions


Qui se ramifient
N'amènent, au fond,
Qu'ivresse et folie ;

Reconnais ce tour
Si gai, si facile;
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c'est ta famille !

Puis elle chante. O


Si gai, si facile.
Et l’invisible à l’œil nu…
- Je chante avec elle, -

10
Reconnais ce tour
Si gai, si fragile,
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !… etc…

Et puis une voix,


— Est-elle angélique ! —
Il s'agit de moi,
Vertement s'explique;

Et chante à l'instant,
En sœur des haleines;
D'un ton Allemand,
Mais ardente et pleine :

Le monde est vicieux,


Si cela t'étonne !
Vis ! et laisse au feu
L'obscure infortune...

O joli château !
Que ta vie est claire.
De quel Age es-tu,
Nature princière
De notre grand frère ? etc …

Je chante aussi, moi ;


Multiples sœurs ! voix
Pas du tout publiques !
Environnez-moi
De gloire pudique… etc…

11
JEUNE MÉNAGE

La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin;


Pas de place : des coffrets et des huches !
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Où vibrent les gencives des lutins.

Que ce sont bien intrigues de génies


Cette dépense et ces désordres vains !
C'est la fée africaine qui fournit
La mûre, et les résilles dans les coins.

Plusieurs entrent, marraines mécontentes,


En pans de lumière dans les buffets,
Puis y restent ! Le ménage s'absente
Peu sérieusement, et rien ne se fait.

Le marié a le vent qui le floue


Pendant son absence, ici, tout le temps.
Même des esprits des eaux, malfaisants
Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve.

La nuit, l'amie oh ! la lune de miel


Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.

- S'il n'arrive pas un feu follet blême,


Comme un coup de fusil, après des vêpres.
- O spectres saints et blancs de Bethléem,
Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre !

12
BRUXELLES
Boulevard du Régent.
Juillet.
Plates-bandes d'amarantes jusqu'à
L'agréable palais de Jupiter.
— Je sais que c'est Toi qui, dans ces lieux,
Mêles ton Bleu presque de Sahara !

Puis, comme rose et sapin du soleil


Et liane ont ici leurs jeux enclos,
Cage de la petite veuve !...
Quelles
Troupes d'oiseaux, ô ia, ia io !...

— Calmes maisons, anciennes passions !


Kiosque de la Folle par affection.
Après les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et très bas de la Juliette.

— La Juliette, ça rappelle l'Henriette,


Charmante station du chemin de fer,
Au cœur d'un mont, comme au fond d'un verger
Où mille diables bleus dansent dans l'air !

Banc vert où chante au paradis d'orage,


Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle à manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.

Fenêtre du duc qui fais que je pense


Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C'est trop beau ! trop ! Gardons notre silence.

13
— Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comédie,
Réunion des scènes infinie,
Je te connais et t'admire en silence.

EST-ELLE ALMÉE ?…

Est-elle almée ?… aux premières heures bleues


Se détruira-t-elle comme les fleurs feues...
Devant la splendide étendue où l'on sente
Souffler la ville énormément florissante !

C'est trop beau ! c'est trop beau ! mais c'est nécessaire


- Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !

14
FÊTES DE LA FAIM

Ma faim, Anne, Anne,


Fuis sur ton âne.

Si j'ai du goût, ce n'est guère


Que pour la terre et les pierres.
Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Mangeons l'air,
Le roc, les charbons, le fer.

Tournez, les faims, paissez, faims,


Le pré des sons !
Puis l'aimable et vibrant venin
Des liserons ;

Mangez
Les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'églises,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises !

Mes faims, c'est les bouts d'air noir;


L'azur sonneur ;
- C'est l'estomac qui me tire,
C'est le malheur.

Sur terre ont paru les feuilles !


Je vais aux chairs de fruit blettes.
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.

Ma faim, Anne, Anne!


Fuis sur ton âne.

15
QU’EST-CE POUR NOUS, MON CŒUR…

Qu'est-ce pour nous, mon cœur, que les nappes de sang


Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre; et l'Aquilon encor sur les débris,

Et toute vengeance ? Rien !... — Mais si, toute encor,


Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats:
Périssez ! puissance, justice, histoire: à bas !
Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d'or !

Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur,


Mon esprit ! Tournons dans la morsure: Ah ! passez,
Républiques de ce monde ! Des empereurs,
Des régiments, des colons, des peuples, assez !

Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,


Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?
A nous, romanesques amis: ça va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux !

Europe, Asie, Amérique, disparaissez.


Notre marche vengeresse a tout occupé,
Cités et campagnes ! — Nous serons écrasés !
Les volcans sauteront ! Et l'Océan frappé...

Oh ! mes amis ! — Mon cœur, c'est sûr, ils sont des frères
Noirs inconnus, si nous allions ! Allons ! allons !
O malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond.

Ce n'est rien: j'y suis; j'y suis toujours.

16
ENTENDS COMME BRAME

Entends comme brame


près des acacias
en avril la rame
viride du pois !

Dans sa vapeur nette,


vers Phoebé ! tu vois
s'agiter la tête
de saints d'autrefois ...

Loin des claires meules


des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois...

Or, ni fériale
ni astrale ! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.

Néanmoins ils restent,


- Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement

17
MICHEL ET CHRISTINE

Zut, alors, si le soleil quitte ces bords !


Fuis, clair déluge ! Voici l'ombre des routes.
Dans les saules, dans la vieille cour d'honneur,
L'orage d'abord jette ses larges gouttes.

O cent agneaux, de l'idylle soldats blonds,


Des aqueducs, des bruyères amaigries,
Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons
Sont à la toilette rouge de l'orage !

Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre


Fuyez l'heure des éclairs supérieurs;
Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,
Tâchez de descendre à des retraits meilleurs.

Mais moi, Seigneur ! voici que mon esprit vole,


Après les cieux glacés de rouge, sous les
Nuages célestes qui courent et volent
Sur cent Solognes longues comme un railway.

Voilà mille loups, mille graines sauvages


Qu'emporte, non sans aimer les liserons,
Cette religieuse après-midi d'orage
Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront !

Après, le clair de lune ! partout la lande


Rougis et leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers
Chevauchent lentement leurs pâles coursiers !
Les cailloux sonnent sous cette fière bande !

18
— Et verrai-je le bois jaune et le val clair,
L'épouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ô Gaule,
Et le blanc Agneau pascal, à leurs pieds chers,
— Michel et Christine, — et Christ ! — fin de l'Idylle.

HONTE

Tant que la lame n'aura


Pas coupé cette cervelle,
Ce paquet blanc, vert et gras,
A vapeur jamais nouvelle,

(Ah ! Lui, devrait couper son


Nez, sa lèvre, ses oreilles,
Son ventre ! et faire abandon
De ses jambes ! Ô merveille !)

Mais, non; vrai, je crois que tant


Que pour sa tête la lame,
Que les cailloux pour son flanc,
Que pour ses boyaux la flamme,

N'auront pas agi, l'enfant


Gêneur, la si sotte bête,
Ne doit cesser un instant
De ruser et d'être traître,

Comme un chat des Monts-Rocheux,


D'empuantir toutes sphères !
Qu'à sa mort pourtant, ô mon Dieu !
S'élève quelque prière !

19
MÉMOIRE
I

L’eau claire; comme le sel des larmes d'enfance,


L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ;
la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ;

l'ébat des anges ; - Non... le courant d'or en marche,


meut ses bras, noirs, et lourds et frais surtout, d'herbe. Elle,
sombre, ayant le ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle
pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.

II

Eh ! l'humide carreau tend ses bouillons limpides !


L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes.
Les robes vertes et déteintes des fillettes
font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides.

Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière


le souci d'eau - ta foi conjugale, ô l'Épouse ! -
au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
au ciel gris de chaleur la Sphère rose et chère.

III

Madame se tient trop debout dans la prairie


prochaine où neigent les fils du travail ; l'ombrelle
aux doigts ; foulant l'ombelle ; trop fière pour elle ;
des enfants lisant dans la verdure fleurie

leur livre de maroquin rouge ! Hélas, Lui, comme


mille anges blancs qui se séparent sur la route,
s'éloigne par delà la montagne ! Elle, toute
froide et noire, court ! après le départ de l'homme !

20
IV

Regrets des bras épais et jeunes d'herbe pure !


Or des lunes d'avril au cœur du saint lit ! Joie
des chantiers riverains à l'abandon, en proie
aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures !

Qu'elle pleure à présent sous les remparts ! l'haleine


des peupliers d'en haut est pour la seule brise.
Puis, c'est la nappe, sans reflets, source grise :
un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine.

Jouet de cet œil d'eau morne, je n'y puis prendre,


ô canot immobile ! oh ! bras trop courts ! ni l'une
ni l'autre fleur ; ni la jaune qui m'importune,
là ; ni la bleue, amis, à l'eau couleur de cendre.

Ah ! la poudre des saules qu'une aile secoue !


Les roses des roseaux dès longtemps dévorées !
Mon canot toujours fixe ; et sa chaîne tirée
Au fond de cet œil d'eau sans bords , -à quelle boue ?

21
O SAISONS, O CHÂTEAUX

O saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?

O saisons, ô châteaux,

J'ai fait la magique étude


Du bonheur, que nul n'élude.

O vive lui, chaque fois


Que chante le coq gaulois.

Mais je n'aurais plus d'envie,


Il s'est chargé de ma vie.

Ce charme ! il prit âme et corps,


Et dispersa tous efforts.

Que comprendre à ma parole ?


Il faut qu'elle fuie et vole !

O saisons, ô châteaux,

22
LE LOUP CRIAIT…

Le loup criait sous les feuilles


En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.

Les salades, les fruits


N'attendent que la cueillette ;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.

Que je dorme ! que je bouille


Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.

Recueil numérisé et mis en ligne par


Jacques Lemaire pour Poetes.com

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