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#2 Nostalgie d'un avenir subversif - Evelyne Pieiller

L'avidité avec laquelle les adolescents écument les collections de disques de leurs aînés ne relève
sans doute pas uniquement d'une curiosité compréhensible pour les productions culturelles
d'hier. Écouter les « vieux tubes » - des Rolling Stones aux Beatles, en passant par David Bowie -,
c'est également se replonger dans l'esprit d'une époque et prendre contact avec les utopies qui
l'animaient.

On ne fait jamais trop attention à l'air du temps. Celui qui se fredonne. Celui qui mine de rien se
propage. Et se partage. Parce qu’il fait danser les émotions de l'époque. Et les tensions.

Au début de ce siècle, en France, il était double, l'air du temps. Il chantait, au présent, des airs
anciens. Patrick Bruel batifole dans les meilleures ventes avec ses reprises de vieilles chansons,

ô la Complainte de la Butte... La diva Brigitte Fontaine requinque, avec la complicité de M., le


sautillant Y a des zazous dans mon quartier, et on ne compte plus les spectacles, les reprises
consacrés à Brassens ou à l'inégalable Boby Lapointe. Et Sheila revient et Johnny n'est jamais
parti, et Renaud resurgit après des années de silence, toujours « pote », et Gainsbourg et
Françoise Hardy sont des icônes et des inspirations, et...Ah, drôle d'a aire.

Jadis, on inventa le terme « rétro ». On ne sait trop s'il abrégeait le rétro-spectif ou le rétro-viseur,
toujours est-il qu'il désignait un goût pour le passé proche, et donc démodé.

Il semble bien que ce penchant n'est pas véritablement « rétro ». Il fait plus que commémorer il se
saisit des chansons d'hier pour les mettre au présent. Ce n'est plus démodé, c'est au contraire le
goût même du jour. En bref, on n'exhume pas, on ressuscite.

Ce qui se passe là, c'est l'a rmation d'un lien avec les prédécesseurs, l'a rmation d’une
continuité, d'une histoire, qui se prolonge, la même, mais déclinée ici et maintenant, et riche de
son passé.

Alors bien sûr, on peut parler de nostalgie, on peut supposer que s'exprime ainsi le désir de
retrouver une époque plus heureuse, celle... d'avant, celle d'un Paris « éternel », doux et familier -
le syndrome d'Amélie Poulain -, celle d'un temps où il n'y avait pas de « cités », mais des
faubourgs, et où l'on était occupé d'abord et avant tout par les amours et les amitiés. D'accord.
Mais cette nostalgie-là, si elle se déploie si généreusement et avec tant d'écho, c'est
probablement parce qu'elle témoigne d'un trouble, d'un sentiment de perte, c'est probablement
parce qu'elle raconte à sa façon le besoin d'a rmer la mémoire d'un pays.

Bon, ce n'est pas tout à fait une révélation que de le dire : en ce jeune XXle siècle, l'avenir
apparaît ou sinon menaçant, le présent perturbant, et l'européanisation, conjuguée à la
mondialisation, a donné assez largement le sentiment que l’identité française risquait de se perdre
- le succès de la nation d'exception culturelle l'a montré. c'est là ce qui est beau, dans cette
histoire de reprises et de retours, c'est là ce qui est beau, dans cette histoire de reprises et de
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retours, c'est là ce qui fait qu'il ne s'agit pas seulement de passéisme. Aussi bien Qu'une
nostalgie s'y chante une aspiration : que se maintienne l'esprit d'un peuple, tel qu'en lui-même la
légende l'a xé, tel que parfois le cristallise une chanson, qui, pour savoir faire d'un fantasme
collectif ou d'une émotion commune un refrain, en devient... populaire.

« Baisse le son, c'est trop fort! »

Ce qui se chante ici, c’est de se retrouver, de caresser des repères, d’a rmer qu'il y a des
souvenirs et qu'ils se sont transmis qu'il n'y a pas eu de rupture avec « avant », qu’il n’y a pas
d’exil. On peut aussi penser que, loin de n’être qu’un repli franchouillard; béret , baguette, frilosité
et guinguettes, s’exprime la nécessité de s’inscrire dans une histoire de la faire chanter pour la
poursuivre, en la reprenant à son compte. c’est ambigu ? Oui. C’est une réaction ? Oui. Mais il est
de plus en plus essentiel de ne pas confondre populiste et populaire, et ce regain de jeunesse
pour les ritournelles d’avant, avant le chômage, avant la marchandisation généralisée, avant la
transformation du peuple en public ou en catégories ghettoïsantes, etc., peut susciter quelque
optimisme. Car la modernité, c’est sans doute aussi connaître son héritage, et donner à sentir
qu’il est un bien commun, qui prend son sens d’être réactivé.

Dans le rock aussi, et c’est peut-être encore plus troublant, on assiste au retour des « vieux».
C’habitude, les générations se heurtent : « Baisse un peu le son, c’est trop fort. - C’est sûr que de
ton temps, c’était plus mou.» D’habitude, une nouveauté chasse l’autre…

Et voilà qu’on trouve des familles réunies pour des concerts, en train d’applaudir les mêmes
morceaux. Si l’on soupçonne que les aînés sont là par nostalgie, probablement, de leur jeunesse,
les cadets sont sans doute animés par la nostalgie d’un… avenir qui ressemblerait à la jeunesse
des parents, à cette époque où les parents manifestaient et scandaient leur refus d’un monde
qu’ils voulaient changer. Parce que, quand même, c’était ça, le rock’n’roll et peur importe quel se
soit baptisé, au l du temps, pop ou metal. Il partait la subversion, le refus de l’ordre en place, des
valeurs en place, et il accompagnait, et il symbolisait, la révolte, la contestation et la protestation.

Évidemment, les ados ont, également, leur musique à eux, rien au’à eux. Mais ils ont trouvé,
aussi, des pères spirituels dans les stars de la jeunesse de leurs géniteurs. Alors est-ce que, pour
reprendre le titre d’un album de Zebda, ils cherchaient des «utopies d’occase» ? Peut-être
simplement qu’ils ont envie de renouer avec les rêves de la génération précédente et de croire,
aussi, que des adultes peuvent être fréquentables, et rester beaux, et agiter des désirs de
transformation - malgré la trahison des pères, qui leur o rent un monde peur recommandable et
qui ont oublié depuis longtemps mandable de manifester… leur mécontentement. Oui, peut-être
bien qu’ils cherchent, comment on disait autrefois, un idéal, comment ils ont su le montrer à
l’issue du premier tour de ls dernière élection présidentielle. Et peut-être bien toutes ces
nostalgies vont faire de l’horizon comme dit Manu Chao Proxima Estacion, Esperansa ?
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