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QUE DOIT-ON FAIRE 

?
A LA RECHERCHE DU MEILLEUR PRINCIPE MORAL

Introduction et consigne
Dans la plupart des situations de la vie ordinaire, nous savons ce qu'il est juste de faire.
Nous savons ce qui est bien ou mal, ce qui est condamnable ou louable. Nous ne nous interrogeons
pas vraiment sur les raisons qui nous font qualifier tel acte de bon ou mauvais, précisément parce
que ce jugement est facile, intuitif. Nous « savons », sans avoir besoin d'y réfléchir longuement,
qu'il est mal de tromper une personne qui nous fait confiance, ou de torturer un animal sans
défense.
Il existe en revanche des situations dans lesquelles la bonne chose à faire ne va pas de soi.
Ces situations nous forcent à nous interroger sur les principes moraux sur lesquels nous basons nos
jugements. C'est là le grand mérite des dilemmes moraux : en poussant dans leurs ultimes
retranchements certains principes moraux, ils permettent d'en tester la validité. Nous pourrions être
amenés à réformer ces principes, voire à les abandonner, si nous découvrions qu'ils mènent à des
conséquences que nous ne sommes pas prêts à accepter.
Votre mission va consister à étudier attentivement les situations exposées ci-dessous. Ces
situations sont parfois des expériences de pensée, parfois des exemples issus de cas réels. Il ne
s'agit pas de s'enfermer dans ces exemples, mais de s'en servir comme d'un levier pour formuler par
vous-mêmes ce qui pourrait constituer les fondements d'une bonne morale. Il s'agit, à la fin de
l'exercice, de proposer une réponse claire à la question suivante : Qu'est-ce qui fonde la moralité
d'un acte ? Sur quel(s) principe(s) doit-on s'appuyer pour dire qu'un acte est bon ou mauvais, juste
ou injuste ? Gardez cet objectif à l'esprit à mesure que vous passerez les situations suivantes en
revue.
Si jamais vous n’êtes pas sûrs de la façon dont il faut comprendre le scénario, s’il y a des
ambiguïtés qui vous paraissent moralement significatives, n’hésitez pas à faire appel à moi.

***

A/ Question de psychologie morale : n’est-on moral que par intérêt personnel ?


Pour initier une réflexion : certaines personnes affirment que les êtres humains suivent
seulement les règles morales par intérêt personnel égoïste (par exemple, uniquement pour
éviter la sanction de la loi, pour préserver la confiance de ses proches, ressentir des
émotions agréables).
– Que pensez-vous de cette affirmation ? Voyez-vous des actions apparemment
altruistes qui ne s’expliquent que par intérêt personnel égoïste ? Voyez-vous des
actions humaines qui ne peuvent pas, ou qui ne peuvent que difficilement être
expliquées par intérêt personnel égoïste ?

► Scénario I : Le « bouton du mandarin »1 : : un homme mystérieux vous propose un étrange


défi : si jamais vous appuyez sur le bouton d’une boîte magique, posée devant vous, un riche
mandarin à l’autre bout du monde, mourra dans l’instant, et vous recevrez toute sa fortune.
Personne ne saura que vous êtes responsable : vous ne risquez ni les sanctions légales, ni les
sanctions sociales, ni de subir une vengeance personnelle. Vous êtes certain que les conséquences
énoncées suivront, si vous appuyez sur le bouton. Vous ne connaissez absolument rien de ce riche
mandarin.
– Que feriez-vous ? Et quelle serait la bonne chose à faire ? Pourquoi (d’après quels
principes) serait-ce la bonne chose à faire ?

1 D’après Chateaubriand.
– Faites varier les facteurs dans le scénario. Y en a-t-il qui, s’ils étaient modifiés, vous
feraient changer d’avis sur la situation ?
– – A ne lire que lorsque vous aurez sérieusement répondu aux questions précédentes : [[ Si
jamais vous pensez vous que seules les sanctions de votre conscience (le sentiment de culpabilité etc.) vous retiendrait d’appuyer sur le bouton, pensez à la
variante (absurdement hypothétique) suivante : l’homme mystérieux, voyant vos réticences, vous propose une petite pilule : son effet sur la neurochimie de
votre cerveau vous débarrassera de toute culpabilité pour l’action que vous vous apprêtez à faire, vous vivrez toute votre vie avec l’esprit tranquille. Cela vous
fait-il changer d’avis ?]]

► Scénario II : L’ « anneau de Gygès »2 : vous trouvez par hasard une bague qui vous rend
invisible lorsque vous etournez la pierre. Vous pourriez faire absolument tout ce que vous voulez
sans jamais être vu, ou pris : aller aux concerts de votre choix, dévaliser une banque, rentrer dans la
chambre de vos amis pour lire leur journal intime, et bien d’autres choses.
– Y a-t-il des lois que vous transgresseriez ? Des lois, ou des principes moraux, que vous ne
transgresseriez jamais ? Des actions que vous ne feriez pas, quand bien même elles seraient
dans votre avantage et qu’elles ne blesseraient personne ? Pourquoi ?

B) Questions de morale appliquée : y a-t-il des immoralités sans victime ?

► Scénario III  : promesse sincère : Jean promet, au chevet de sa femme très malade, de venir
fleurir sa tombe chaque semaine. Un an après, il a le sentiment que cette promesse l’empêche de
faire son deuil. Il décide de ne plus tenir sa promesse.
– Jean agit-il mal en trahissant sa promesse ? (est-ce moralement permis, interdit,
obligatoire...)
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario IV : mensonge protecteur : Pierre et Jade sont en couple depuis longtemps. Leur
couple est très épanoui. Au détour d’une conversation avec des amis, et sans que Jade aie nourri des
doutes, Pierre jure à sa femme ne l’avoir jamais trompée. Pourtant, il y a dix ans, il a bien commis
une infidélité. Un soir seulement, dans une auberge de jeunesse, avec une Péruvienne, repartie
aussitôt dans son pays. Il ne l’a jamais revue, et il ne sera jamais découvert. Avouer son infidélité,
cela serait sans doute détruire son couple et sa famille.
– Pierre agit-il mal par son mensonge ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario V : inceste heureux3 : Gabriel et Alice sont deux jeunes adultes, frère et sœur. Un soir,
ils décident de s’offrir une nuit d’amour. Ils se protègent, ne le feront jamais plus, n’auront pas de
regret ni de traumatisme, ils ne le diront jamais à personne. Ils sont très contents de leur expérience.
– Gabriel et Alice agissent-ils mal ? Ou est-ce seulement dégoûtant ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario VI : Le lancer de nain4 : Ce soir, à la discothèque de la commune, c’est l’événement


tant attendu. La grande soirée « lancer de nain ». Vous pourrez, lors d’un grand tournois, lancer un
homme atteint de nanisme sur une piste cirée, jusqu’à des quilles, comme s’il s’agissait d’une boule
de bowling, ou bien (il sera équipé alors d’une combinaison en velcro), tenter de le lancer au centre
d’une cible géante comme s’il s’agissait d’une fléchette. Bien entendu, le nain est consentant, c’est

2 D’après Platon
3 D’après Ruwen Ogien
4 Il s’agit d’une histoire vraie. cf. le fameux arrêt Morsang-Sur-Orge.
son métier. Il porte un casque, il ne risque pas de se faire mal. Le maire de Morsang-sur-orge,
horrifié par cette idée, interdit l’événement.
– Pensez-vous que le maire a bien agit ? Serait-il mal agir que de participer à un tel
événement pour son divertissement ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

C) Questions de morale appliquée : les limites du devoir

► Scénario VII : le commerçant opportuniste5 : il y a un Ouragan à Orlando, la ville est privée


d’électricité. Un petit commerçant itinérant arrive, et se met à vendre 15$ des sacs de glace qu’il
vendait 1$ la semaine d’avant, et 1000$ les générateurs qu’il vendait 250$ avant cela. Seuls les plus
riches peuvent se les acheter. Il se fait beaucoup d’argent.
– Pensez-vous que le commerçant a mal agit ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario VIII : le scientifique6 : Un scientifique, invente un médicament permettant de soigner


une maladie rare et mortelle. Il décide de le commercialiser à 40 000€ la boîte, de sorte que seuls les
plus riches pourront acheter ce médicament. Le médicament n’est pas particulièrement coûteux à
réaliser.
– Pensez-vous que le scientifique agit mal ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario IX : la résidence secondaire : Léo et Zoé, décident d’acheter une maison somptueuse
à l’étranger. Au Portugal ou à Madère, avec la crise économique, il y a des affaires à faire. Leur
action seule, en elle même, n’a pas beaucoup de conséquences. Mais le fait que beaucoup de
personnes fassent comme eux participe à l’augmentation des prix pour les résidents, qui ont
d’énormes difficultés à se loger.
– Pensez-vous que Léo et Zoé agissent mal ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

D) Questions de morale appliquée : les incertitudes concernant les conséquences


► Scénario X : Cannibalisme de survie : Affaire Dudley and Stephens7, 1884 : trois
hommes tentent de survivre après le naufrage de la Mignonette, le 5 juillet 1884. Ils dérivent
sur un frêle esquif. Ils ont à leur dispositions quelques boîtes de conserve. L’un d’eux,
Richard Parker, 17 ans, assoiffé, finit par boire l’eau de mer. Suite à cela, il délire et il est à
l’article de la mort. Le 25 juillet, les deux autres décident après un intense débat de le
manger pour survivre. Ils sont, le 29 juillet, sauvés par un bateau. Ils ne pouvaient pas savoir
s’ils seraient sauvés, quand ils seraient sauvés. Un grand procès s’ensuivra en Angleterre.
– Pensez-vous qu’ils ont mal agit ? (que leur action était moralement admissible,
interdite, autorisée, obligatoire…)
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

5 Il s’agit d’une histoire vraie.


6 Inspiré d’histoires vraies. Par exemple, l’augmentation par Martin Shkreli du Daraprim (traitement de la Malaria,
du Sida...) de 13€ à 750€ aux USA, ou bien le Zolgensma, un médicament destiné aux enfants atteints d’atrophie
musculaire spinale, qui coûte 1,9 million d’euros par injection.
7 Il s’agit d’une histoire vraie.
► Scénario XI : Opération Red Wings : en 2005, en Afghanistan8, 20 militaires d’élite américains,
en opération en montagne pour tuer un leader taliban, tombent nez à nez avec 2 éleveurs de chèvres.
Ne sachant pas s’ils soutiennent les talibans ou non, les américains se demandent ce qu’ils doivent
faire. Les accrocher à un arbre reviendrait à les condamner à mort, puisque des bêtes sauvages
rodent. Les emmener avec eux compromettrait totalement leur mission d’infiltration.
– Doivent-il les tuer ou les laisser partir ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

E) Questions de morale appliquée : les dilemmes concernant les conséquences


► Scénario XII : Héritage et promesse : un ami vous indique une cachette dans laquelle il a mis à
l'abri une importante somme d'argent. Il vous indique également qu'il souhaite, à sa mort, que cet
argent soit entièrement versé à son neveu, qui ignore tout de cette somme. Vous lui promettez
d'exaucer ce dernier vœu. Votre ami décède, et vous vous trouvez donc en charge du trésor dont tout
le monde ignore l'existence. Il se trouve qu'à cette époque, vous êtes en très grande difficulté
financière... à l'inverse, le neveu de votre ami vit très confortablement et ne semble pas avoir besoin
d'un tel héritage.
– Serait-il moralement injuste de garder l’héritage pour vous ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario XIII : Torture : La DGSE met la main sur un terroriste qui a participé à la pose d'un
engin explosif dans le centre d'une grande ville française. La culpabilité de cette personne est avérée
par de nombreux enregistrements. Il est prévu que l'engin explose dans la journée, or il faudrait des
jours et des jours avant de pouvoir retracer l'endroit prévu de l'explosion. La seule source
d'information exploitable est ce terroriste que détient la DGSE. Serait-il juste que les agents tentent
d'exploiter cette source en la torturant ? Si le terroriste n'avoue pas où se situe l'engin, il est
extrêmement probable que les services de renseignements ne pourront pas prévenir l'explosion. Ou
bien l'on torture un des responsables de l'attentat, et il est possible que des milliers de personnes
soient sauvées ; ou bien il faut renoncer à la torture et trouver d'autres moyens de déceler l'endroit
où se situe la bombe, et il est alors probable que des milliers de personnes soient condamnées.
– Est-il moralement acceptable de torturer le terroriste ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?
– Variante : Même scénario, mais on sait qu’il ne cédera pas. En revanche, il est fort attaché
à sa petite fille. Serait-il moralement permis de torturer sa fillette ?

► Scénario XIV : Le violoniste de génie9 : Vous entrez à l’hôpital pour une intervention bénigne.
Lorsque vous vous réveillez, l’on vous a relié par des tuyaux à un violoniste de génie. C’était le seul
moyen de sauver sa vie. Il est en quelque sorte greffé à vous. Les médecins s’excusent de vous
imposer un choix peu agréable : demander à le débrancher et le condamner à mort, ou bien accepter
cette pénible greffe durant un an...
– Indépendamment de la question de savoir si les médecins ont, eux, bien agi, que devriez
vous faire ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

8 Il s’agit d’une histoire vraie.


9 Expérience de pensée totalement fantaisiste, inventé par la philosophe américaine Judith Jarvis Thomson en 1971.
► Scénario XV : Le dilemme du tramway10 : un tramway vide roule à pleine vitesse. Sur les rails,
ont été attachés quatre innocents, par un savant fou. Vous ne savez rien d’eux. Vous passez par là
par hasard. Si vous ne faites rien, le tramway tuera 4 personnes. Si vous appuyez sur le levier près
de vous, seule une personne sera tuée.
– Devriez-vous ou non appuyer sur le levier ?
– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?

► Scénario XVI : Le dilemme du tramway II 11 : un tramway vide roule à pleine vitesse. Sur les
rails, ont été attachés quatre innocents, par un savant fou. Vous ne savez rien d’eux. Vous passez par
là par hasard. Si vous ne faites rien, le tramway tuera quatre personnes. Vous passez par hasard sur
le pont au dessus des rails. Un passant, physiquement plus massif que vous, regarde, sidéré, la
situation, il se penche un peu... Vous savez par une certitude surnaturelle qu’il suffirait de le
pousser, de sacrifier un innocent, pour que le train s’arrête et que les 4 personnes soient sauvées.

– Devriez-vous pousser l’homme ?


– Sur quels principes moraux appuyez-vous votre réponse ?
– Si votre réponse diffère par rapport au scénario précédent, pourquoi ? Quelle différence
avec la situation précédente ?
– A ne lire que lorsque vous aurez sérieusement répondu aux questions précédentes : [[Variante :
et si vous n’étiez pas sur le pont, mais que vous pouviez appuyer sur un levier ouvrant une trappe sur le pont, et faire tomber l’homme ? Votre intuition sur
ceette variante met elle en échec votre réponse à la question précédente ?]]

10 Expérience de pensée inventée par la philosophe anglaise Philippa Foot en 1967.


11 Expérience de pensée inventée par la philosophe anglaise Judith Jarvis Thomson en 1985.
► Scénario XVII : Le chirurgien12 : Vous êtes un brillant chirurgien spécialiste des
transplantations. Suite à un terrible accident, quatre personnes arrivent aux urgences, et les quatre
ont besoin en urgence d'une greffe d'organes. Il se trouve qu'au même moment, un patient
parfaitement sain se trouve aux urgences. Ses organes fonctionnent bien, il a simplement passé
quelques examens de routine. Il s’est endormi dans sa chambre. Il vous suffirait de le tuer, et de
récolter ses organes. Par hypothèse, vous ne seriez jamais découvert. Si vous ne le faites pas, les
quatre autres patients mourront. Vous n'avez que deux options : soit vous assassinez le patient sain
pour récupérer ses organes, et les quatre patients accidentés survivront ; soit vous laissez le patient
sain quitter les urgences et alors les quatre patients accidentés décéderont.
– Quelle est la bonne chose à faire ?
– Pourquoi est-ce la bonne chose à faire ?
– En quoi la situation diffère des deux précédentes ?

***

Bilan
– A la lumière des situations précédentes, estimez-vous que vos réponses aux différents cas
sont cohérentes ?
– Si elles se contredisent, quel principe moral doit selon vous l'emporter et pourquoi ?
– Quelles difficultés avez-vous rencontré dans l'évaluation des situations précédentes ?

12 D’après la philosophe Judith Jarvis Thomson

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