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Table ronde

Les maladies inflammatoires chroniques


de l’intestin (MICI)

Les MICI : méthodes et pièges diagnostiques


O. Mouterde
Département de pédiatrie, Hôpital Charles-Nicolle, 76031 Rouen cedex et Université de Sherbrooke.

L
’incidence des MICI est en augmentation dans les pays prendre en compte. Par argument de fréquence, les colites et
développés, cette augmentation étant plus nette chez l’en- iléites infectieuses sont plus probables, dans ces tableaux, que les
fant. L’enfant peut donc être touché, le plus souvent au-delà MICI et guérissent en 2 à 3 semaines. Le syndrome hémolytique et
de dix ans mais parfois plus tôt dans la vie. La maladie de Crohn urémique évolue, lui aussi, de façon aiguë. Yersinia peut donner
représente 2/3 des cas. Les symptômes peuvent être discrets et une iléite terminale. Une prise d’antibiotiques peut orienter vers
non spécifiques, ce qui explique des retards diagnostiques pou- une colite pseudo-membraneuse. Il faut cependant s’assurer
vant atteindre des mois, voire des années. Ce texte se propose de qu’aucun argument clinique n’évoque une évolution chronique
faire le point sur les pièges et les techniques du diagnostic des qui ferait d’emblée rechercher une MICI (retard de croissance dans
MICI chez l’enfant. une pathologie d’allure aiguë).
Deux maladies sont principalement désignées par le terme Les MICI apparaîtraient chez des sujets ayant une prédisposition
MICI : la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. Dans génétique. La notion d’antécédent familial est donc importante
les colites isolées, le diagnostic différentiel entre ces deux entités mais non nécessaire pour évoquer ce diagnostic.
n’est parfois pas porté au début de l’évolution. On parle alors de Le tableau I reprend les signes cliniques et biologiques pouvant
colite indéterminée (15 % des colites à la prise en charge). Les deux évoquer une MICI.
9 maladies peuvent être associées à des symptômes extradigestifs.
D’autres entités sont très rares comme la maladie de Behcet, la
tuberculose iléo-caecale, les connectivites, la sarcoïdose. Tableau I
La maladie de Crohn (3/4 des cas de MICI chez l’enfant) peut Symptômes de MICI chez l’enfant.
toucher, de façon segmentaire et suspendue, l’ensemble du tube – retard de croissance (poids puis taille)
digestif, de la bouche à l’anus. Elle est aggravée par le tabagisme.
– anorexie
L’endoscopie montre des ulcérations qui peuvent être transmu-
– retard pubertaire
rales, séparées par des intervalles de muqueuse saine, l’histologie
montre de façon typique des granulomes épithélioïdes. Les anti- – diarrhée
corps ASCA sont positifs dans 3/4 des cas (voir ci dessous). Elle peut – vomissements
évoluer vers la sténose ou la fistule. La rectocolite hémorragique – arthralgies/arthrites
(RCH) atteint la muqueuse colique, de façon continue à partir du – douleurs abdominales
rectum jusqu’à une hauteur variable (de la proctite à la pancolite), – rectorragies (plutôt dans la RCH)
mais pas l’anus. L’aspect endoscopique est une atteinte muqueuse – lésions anales (fissures, marisques, fistules, abcès : Crohn)
diffuse, l’histologie est non spécifique (inflammation, abcès cryp- – cholangite sclérosante (RCH)
tiques). Les anticorps pANCA sont positifs dans 3/4 des cas. Il existe
– uvéite
un risque à long terme de cancer colique.
– aphtose buccale (Crohn)
La rectocolite peut être associée (3 à 7 % des cas) à une atteinte
inflammatoire chronique des voies biliaires : la cholangite scléro- – érythème noueux, pyoderma gangrenosum
sante, qui évolue pour son propre compte. – fièvre prolongée
– thromboses
1. Quand évoquer le diagnostic de MICI – hippocratisme digital
chez l’enfant ? – occlusion (Crohn)
– tableau d’appendicite, abcès, fistule (Crohn)
Pour la plupart des symptômes : douleur abdominale, fièvre,
– syndrome inflammatoire en l’absence de pathologie aiguë
diarrhée, rectorragies… le cap des 3 semaines est important à
– anémie ferriprive (doit toujours être expliquée chez le grand enfant)
– hypoalbuminémie
Correspondance : – élévation des transaminases et Gamma GT
e-mail : Olivier.Mouterde@chu-rouen.fr

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© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Archives de Pédiatrie 2011;18:9-10
O. Mouterde Archives de Pédiatrie 2011;18:9-10

2. Les pièges cliniques des MICI chez l’enfant adéquat. L’examen de l’intestin ne fait pas partie de l’échographie
de routine, il est nécessaire de bien préciser la demande. L’écho-
La RCH est le plus souvent d’emblée symptomatique, du fait de graphie est capable de détecter un épaississement pariétal du
l’atteinte rectale. La notion de rectorragies accompagnées de colon ou du grêle, une inflammation par l’utilisation du doppler,
glaires est importante. Les diagnostics différentiels principaux une sténose avec distension d’amont, parfois une fistule. C’est
sont les fissures, les polypes juvéniles et les colites infectieuses. donc un examen très complet.
Des rectorragies chroniques, ou aiguës sans cause doivent faire Le dosage de la calprotectine fécale pourrait dans l’avenir être
conseiller une endoscopie basse. À noter de possibles formes un nouvel outil simple de dépistage d’une inflammation colique,
fulminantes de RCH responsables d’un tableau aigu grave à donc d’une MICI (surtout la RCH) devant un tableau clinique
ne pas confondre avec une colite infectieuse. Certaines formes évocateur.
localisées de RCH ne s’accompagnent pas de syndrome inflam-
matoire.
3.2. Le bilan de confirmation et d’extension
La maladie de Crohn peut avoir une évolution à bas bruit, surtout Lorsqu’une MICI est suspectée, l’étape suivante est la confirmation,
dans les formes iléales terminales isolées : les patients n’ont pas le diagnostic différentiel entre RCH et Crohn et le bilan d’exten-
de diarrhée, pas de rectorragies, des douleurs abdominales parfois sion. Les aspects macroscopique et microscopique en endoscopie,
d’allure banale. C’est dans ces formes, où le délai diagnostique et l’imagerie permettent de mener à bien cela.
peut atteindre des mois voire des années que prennent leur Une coloscopie et une gastroscopie sont organisées (des lésions
importance les éléments suivants : gastroduodénales histologiques sont trouvées dans 30 % des cas
– cassure de courbe de poids puis de taille, retard de puberté (diffi- dans la maladie de Crohn).
cile à détecter lorsque le patient reste dans la fourchette normale Outre l’échographie, l’entéroscanner peut être utilisé, ainsi que
de déclenchement de puberté. Un enfant suspect ou atteint de l’entéro-IRM selon les équipes. Le transit du grêle est d’indication
MICI doit être suivi par un praticien maîtrisant les connaissances marginale actuellement. Dans de rares cas atypiques, la vidéocap-
sur la croissance et la puberté) ; sule endoscopique peut être utile.
– hippocratisme digital ; Une fois le bilan mené à bien, le diagnostic de Crohn ou RCH est
– lésion anale (qui peut être totalement asymptomatique, non habituellement porté sur l’ensemble des arguments biologiques,
signalée par le patient, non diagnostiquée par le médecin qui anatomiques, macroscopiques et histologiques. Certains dossiers
hésite à examiner le périnée). Un abcès de la marge anale chez le restent en suspens (colite indéterminée) dans un premier temps,
grand enfant est toujours une suspicion de maladie de Crohn ; le bilan étant repris lors d’une poussée ultérieure lorsque des
– la localisation en fosse iliaque droite de la douleur ainsi que la enjeux pronostiques ou thérapeutiques l’imposent (décision de
palpation d’une masse sont évocatrices ; chirurgie).
– biologiquement un syndrome inflammatoire même modéré, un
VGM bas, sont des indices capitaux.
3.3. Le bilan de suivi
Il se discute en milieu spécialisé. Certaines études soulignent
3. Quelle stratégie d’examens l’intérêt de la cicatrisation muqueuse pour évaluer l’effet du traite-
complémentaires ? ment et le pronostic, ce qui suppose un contrôle endoscopique. Un
suivi clinique au moyen de scores de gravité est toujours effectué,
l’échographie étant un moyen non invasif de suivre l’évolution des
3.1. Le bilan de « débrouillage »
lésions. De nouvelles poussées n’impliquent pas la répétition du
Il est simple et à la portée du pédiatre généraliste : NFS, VS, CRP, fer bilan initial. Lorsque le diagnostic est assuré, selon les cas la cli-
sérique, ANCA, ASCA, échographie digestive. La numération peut nique et l’échographie suffiront à apprécier la situation. Les autres
montrer une anémie, une microcytose qui témoigne de la chro- explorations sont prescrites à la demande.
nicité de la pathologie sous-jacente. L’inflammation est prouvée
de façon plus spécifique par la CRP que par la VS. Les pANCA sont
3.4. Le bilan de complications
les anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires. Ils sont positifs Les lésions anales sont accessibles à l’examen clinique et éventuel-
dans trois quarts des cas de RCH et un quart des Crohn et associés lement à l’IRM (recherche d’abcès et de fistules).
plus fréquemment à la cholangite sclérosante. Les ASCA (anticorps Les suspicions de sténose ou de fistule peuvent être confirmées
anti-Saccharomyces cerevisiae, de signification inconnue), sont par différentes explorations (échographie, scanner, IRM), à l’excep-
positifs dans trois quarts des maladies de Crohn (15 % des RCH). Le tion de la vidéocapsule qui est contre-indiquée dans les sténoses.
profil ASCA/ANCA permet donc une bonne approche du dépistage Le transit du grêle garde là quelques indications.
de MICI et de diagnostic. La positivité n’assure cependant pas
un diagnostic de MICI (positif chez 3 à 5 % des sujets normaux). Références
D’autres examens peuvent orienter : albumine, bilan hépatique.
L’échographie digestive est un excellent examen dans l’explo- Les références complètes peuvent être obtenues sur demande
ration des MICI, entre des mains entraînées et avec le matériel auprès de l’auteur.

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