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ANNPAT-1211; No. of Pages 4 ARTICLE IN PRESS


Annales de pathologie (2017) xxx, xxx—xxx

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HISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PATHOLOGIE

Histoséminaire sur les maladies


inflammatoires chroniques intestinales
(MICI) : cas no 04
Histoseminar on inflammatory bowel diseases (IBD): Case no 04

Jean-François Fléjou a,∗,b

a
Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Saint-Antoine, GH HUEP, AP—HP, 184,
rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75582 Paris cedex 12, France
b
Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, 75571 Paris cedex 12, France

Accepté pour publication le 14 juin 2017

Renseignements cliniques
Homme âgé de 56 ans. Cancer du côlon avec métastases hépatiques synchrones et
carcinose péritonéale, diagnostiqué 2 ans auparavant. Traitement par chimiothérapie (FOL-
FIRI Avastin), puis colectomie gauche, puis hépatectomie droite. Le cancer colique est
MSI avec perte de MSH2. Après la chirurgie, traitement par 6 cures de FOLFOX. Pro-
gression des métastases hépatiques, péritonéales et ganglionnaires. Inclusion dans un
essai thérapeutique par nivolumab et ipilimumab. Après 2 cures, diarrhée liquide abon-
dante sans rectorragies ni fièvre, évoluant depuis 10 jours au moment des biopsies.
En coloscopie, pancolite érythémateuse et érosive, sans ulcération profonde. Biopsies
coliques étagées.

Diagnostic proposé
Colite inflammatoire et érosive sévère. Dans le contexte clinique, il faut évoquer une colite
iatrogénique, et en particulier une colite due à l’immunothérapie.

∗ Correspondance.
Adresse e-mail : jean-francois.flejou@aphp.fr

http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2017.06.005
0242-6498/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Fléjou J-F. Histoséminaire sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) : cas no 04.
Annales de pathologie (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2017.06.005
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2 J.-F. Fléjou

Figure 1. Colite ulcérée chez un patient traité par nivolumab et ipilimumab pour cancer colorectal métastatique. A. Un fragment biop-
sique est ulcéré à la partie gauche de la figure, avec des fausses membranes fibrino-leucocytaires en surface, et ailleurs, une muqueuse
inflammatoire. B. La muqueuse est très inflammatoire, l’épithélium de surface est abrasé ou absent, les cryptes sont d’architecture peu
modifiée, mais leur mucosécrétion est très diminuée. C. Le chorion est abondant, et on note des lésions de cryptite avec des polynucléaires
entre les cellules épithéliales. D. Présence de nombreux corps apoptotiques dans la partie profonde d’une glande.
Ulcerated colitis in a patient under nivolumab and ipilimumab for metastatic colorectal carcinoma. A. On one biopsy, there is ulceration
on the left part with fibrinous exudate, and diffuse inflammation. B. Heavy inflammatory infiltrate, with surface epithelial abrasion,
without major architectural changes. C. Cryptitis with polymorphonuclear cells between epithelial cells. D. Numerous apoptotic bodies in
the deeper part of the glands.

Description histologique
Les principaux types de colite médicamenteuse et les
Les lésions sont intenses et présentes au niveau de tous principaux médicaments responsables sont figurés dans le
les fragments biopsiques (Fig. 1). Dans certains territoires, Tableau 1. Si certains médicaments sont responsables d’un
la muqueuse est ulcérée, avec des débris de fausse mem- type précis de colite, la plupart peuvent entraîner diffé-
brane fibrino-leucocytaire au-dessus d’un chorion qui prend rents profils lésionnels. La palme dans ce domaine revient
l’aspect d’un bourgeon charnu œdémateux et inflamma- aux AINS, sans doute les médicaments les plus souvent
toire (Fig. 1A). Au niveau des fragments non ulcérés, la responsables d’effets secondaires digestifs, en particulier
muqueuse est inflammatoire, mais ne présente que peu de coliques, qui peuvent entraîner pratiquement tous les types
remaniements architecturaux (Fig. 1B). L’épithélium de sur- de lésions.
face, quand il est présent, est aplati, dédifférencié, avec Les patients traités pour un cancer sont particuliè-
une exocytose de polynucléaires neutrophiles, sans aug- rement exposés au risque de colite. Il peut s’agir de
mentation du nombre des lymphocytes intra-épithéliaux. colites infectieuses, favorisées par l’immunosuppression
Les glandes sont de calibre homogène, sans branchement liée au cancer et surtout à son traitement, de colites
ni aspect contourné, mais leur mucosécrétion est dimi- radiques, et de lésions liées à la chimiothérapie, elles aussi
nuée. Des lésions de cryptite et de rares abcès cryptiques polymorphes.
sont présents (Fig. 1C). On observe dans la partie moyenne Depuis quelques années, a été décrit un nouveau groupe
et profonde des glandes de nombreux corps apoptotiques de colites compliquant le traitement de certains can-
(Fig. 1D). Le chorion est inflammatoire, avec un infiltrat cers par les « biothérapies » (biological treatments dans
lymphocytaire et plasmocytaire, et des polynucléaires neu- la littérature anglo-saxonne). Des cas rares de colite au
trophiles et éosinophiles, sans granulome tuberculoïde. Il rituximab (anticorps anti-CD20), et plus récemment à
n’y a pas d’inclusion virale. Quand la partie superficielle de l’idelalisib (inhibiteur de la PI3Kd), utilisés dans le trai-
la sous-muqueuse est visible, elle est œdémateuse et modé- tement des lymphomes, ont été décrits, pouvant mimer
rément inflammatoire. Il n’y a pas d’infiltration tumorale. des MICI, mais particuliers par la présence de nombreux
corps apoptotiques [1,2]. Surtout, plusieurs séries de colites
de mécanisme immunitaire, dites « auto-immunes », ont
Commentaires été publiées, survenues chez des malades recevant un
traitement immunologique dirigé contre un des « check-
Les médicaments font partie des causes les plus fréquentes points » immunitaires [3—6]. Ces colites sont proches au
de colite. De nombreuses drogues peuvent être en cause, et plan histologique d’une MICI, notamment de la RCH, et c’est
peuvent induire des lésions ressemblant à celles de colites dans ce cadre que se situe l’observation rapportée dans le
d’autres causes, notamment infectieuses, ou à des MICI. cas no 04.

Pour citer cet article : Fléjou J-F. Histoséminaire sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) : cas no 04.
Annales de pathologie (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2017.06.005
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Histoséminaire sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) 3

Tableau 1 Principaux types de colites médicamen- Effets secondaires des ACI


teuses.
Main types of drug-induced colitis. CTLA-4 et PD-1/PD-L1 jouent un rôle physiologique dans
la tolérance immunitaire en inhibant les lymphocytes T
Type de colite Principaux médicaments auto-réactifs. Des polymorphismes de ces gènes sont res-
responsables ponsables de diverses pathologies auto-immunes. Il n’est
Colite à éosinophiles AINS, sels d’or, donc pas étonnant que, en réactivant le système immu-
carbamazépine, nitaire, les agents immunomodulateurs anti-CKI soient à
antiagrégants plaquettaires, l’origine de toxicités « auto-immunes » inhabituelles, appe-
œstroprogestatifs lées dans la littérature anglo-saxonne effets indésirables liés
Colite microscopique AINS, lansoprazole, à l’immunité (immune-related adverse events [IrAE]). Ces
(lymphocytaire, ticlopidine, ranitidine « IrAEs » peuvent concerner de nombreux organes et sys-
collagène) tèmes, en particulier la peau, le tube digestif, le foie, les
Colite focale active AINS, phosphosoda glandes endocrines et les poumons. Ils sont très fréquents,
Colite ischémique AINS, glutaraldéhyde, se produisant chez 90 % des malades traités par anti-CTLA-
antibiotiques, 4 et 70 % de ceux traités par anti-PD-1. Ils peuvent être
chimiothérapies, peu sévères, notamment au niveau cutané, mais sont par-
vasopresseurs, cocaïne, fois graves, en particulier au niveau du tube digestif. Leur
œstroprogestatifs fréquence et leur sévérité seraient liées à la dose pour les
Colite « apoptotique » Phosphosoda, laxatifs, anti-CTLA-4, mais pas pour les anti-PD-1. Leur fréquence
chimiothérapie, AINS, augmente en cas d’association des deux classes thérapeu-
mycophénolate mofétil, tiques [8,9].
colchicine, rituximab,
idelalisib Colite liée aux AIC
Colite AINS, antibiotiques
pseudo-membraneuse La diarrhée est un des effets secondaires les plus fréquents
Colite neutropénique Chimiothérapies de ces traitements, observée chez 30 % des patients sous
Colite « auto-immune » Biothérapies : anticorps ipilimumab, 15 % de ceux sous anti-PD-1, plus de 40 % de
anti-CTLA-4, anti-PD-1/PD-L1 ceux sous traitement combiné. Une diarrhée sévère (grade
3 ou 4) avec colite s’observe chez 8 à 20 % des patients
sous ipilimumab, mais est moins fréquente sous anti-PD-1.
Les symptômes apparaissent dans un délai variable après le
Les traitements « anti-immune checkpoint » début du traitement, en moyenne 34 jours (3 à 91) dans la
(AIC) plus grande série publiée de colite aux anti-CTLA-4, souvent
plus tardivement sous anti-PD-1 [3]. Les lésions endosco-
De nombreux travaux ont montré l’importance du piques sont variables, souvent sévères, allant d’un érythème
microenvironnement tumoral dans l’histoire naturelle des à des ulcérations étendues, de topographie variée, discon-
cancers. Il s’agit en particulier de la réaction immunitaire tinues. Une atteinte digestive haute est possible.
qui accompagne le développement des cellules tumorales. Les lésions histologiques ont été décrites dans plusieurs
Les cellules tumorales ont la capacité de détourner à leur séries récentes. Dans une série française de 39 cas de colite
avantage les molécules immunosuppressives en inhibant aux anti-CTLA-4, des prélèvements biopsiques ou chirurgi-
les lymphocytes anti-tumoraux, échappant ainsi à leur caux étaient disponibles dans 27 cas [3]. Ils montraient des
destruction par le système immunitaire. Les molécules lésions aiguës, souvent diffuses, avec des érosions, des abcès
de type « immune checkpoint » telles que cytotoxic T cryptiques, souvent une apoptose épithéliale, un infiltrat
lymphocyte-associated antigen 4 (CTLA-4), programmed inflammatoire polymorphe sans plasmocytose basale, gra-
cell death protein (PD-1) et son ligand PD-L1 sont forte- nulome, ni modifications architecturales significatives. Des
ment exprimées dans le microenvironnement tumoral. En lésions similaires sont décrites sous anti-PD-1, mais elles
ciblant ces molécules, les AIC activent les lymphocytes T sont en moyenne moins fréquentes et moins sévères [10,11].
cytotoxiques qui peuvent détruire les cellules tumorales. Des lésions de colite microscopique de type colite lympho-
Ces agents sont actuellement les anticorps anti-CTLA-4 cytaire peuvent d’observer. On peut également observer des
(ipilimumab et tremelimumab), anti-PD-1 (nivolumab, lésions inflammatoires de l’intestin grêle.
pembrolizumab, pidilizumab) et anti-PD-L1. L’efficacité de Le diagnostic différentiel comprend, dans ce contexte
ces traitements a d’abord été montrée dans le mélanome clinique particulier des colites infectieuses bactériennes ou
métastatique, puis dans de nombreux autres types tumo- virales (CMV), et l’effet secondaire éventuel d’autres trai-
raux, dont le cancer bronchique non à petites cellules. tements.
Trois de ces traitements (ipilimumab, nivolumab, pembroli- Dans les formes sévères, la prise en charge repose sur
zumab) disposent d’une autorisation de prescription, seuls l’arrêt du traitement en cause et sur les corticoïdes. En cas
ou en association (ipilimumab + nivolumab). Une efficacité de non-réponse, un traitement par Infliximab est générale-
spectaculaire du pembrolizumab a été rapportée dans ment efficace. Dans les formes très sévères avec perforation
des cancers métastatiques présentant une déficience du colique ou mégacôlon toxique, une colectomie subtotale
système MMR, d’origine colorectale et non colorectale [7]. peut être nécessaire.
Deux essais thérapeutiques internationaux sont actuelle- Après rémission clinique, les biopsies restent souvent
ment en cours dans cette indication, et c’est dans un de anormales, et la réadministration de la substance entraîne
ces essais que le patient rapporté ici avait été inclus. souvent une récidive.

Pour citer cet article : Fléjou J-F. Histoséminaire sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) : cas no 04.
Annales de pathologie (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2017.06.005
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4 J.-F. Fléjou

Il apparaît au total que les lésions de colite induites par Références


les immunomodulateurs anti-checkpoint immunitaire sont
souvent à l’origine de colites, en particulier l’ipilimumab [1] Louie CY, DiMaio MA, Matsukuma KE, Coutre SE, Berry GJ, Lon-
(anti-CTLA-4). Ces colites pourraient représenter un modèle gacre TA. Idelalisib-associated enterocolitis. Clinicopathologic
de colite induite par les lymphocytes T chez l’homme. De features and distinction from other enterocolitides. Am J Surg
façon intéressante, des mutations germinales hétérozygotes Pathol 2015;39:1653—60.
de CTLA-4 ont été récemment montrées comme pouvant [2] Weidner AS, Panarelli NC, Geyer JT, Bhavsar EB, Furman RR,
Leonard JP, et al. Idelalisib-associated colitis. Histologic fin-
entraîner des colites « Crohn-like » à début précoce, fai-
dings in 14 patients. Am J Surg Pathol 2015;39:1661—7.
sant ainsi le lien avec la thématique abordée dans le cas
[3] Marthey L, Mateus C, Mussini C, Nachury M, Nancey S, Grange
précédent. F, et al. Cancer immunotherapy with anti-CTLA-4 monoclonal
antibodies induces an inflammatory bowel disease. J Crohns
Colitis 2016;10:391—401.
[4] Michot JM, Bigenwald C, Champiat S, Collins M, Carbonnel
Points importants à retenir F, Postel-Vinay S, et al. Immune-related adverse events with
• Les médicaments sont une cause fréquente de colite, immune checkpoint blockade: a comprehensive review. Eur J
Cancer 2016;54:139—48.
qui peut revêtir des aspects très variés, dont celui de
[5] Gupta A, De Felice KM, Loftus Jr EV, Khanna S. Systematic
colite chronique « de type MICI ». review: colitis associated with anti-CTLA-4 therapy. Aliment
• Les AINS sont les médicaments le plus souvent à
Pharmacol Ther 2015;42:406—17.
l’origine de colite. [6] Spain L, Diem S, Larkin J. Management of toxicities of immune
• Les immunothérapies récemment montrées comme checkpoint inhibitors. Cancer Treat Rev 2016;44:51—60.
très efficaces dans certains cancers peuvent être à [7] Le DT, Uram JN, Wang H, Bartlett BR, Kemberling H, Eyring AD,
l’origine de colite « auto-immunes », ressemblant à et al. PD-1 blockade in tumors with mismatch-repair deficiency.
une MICI. Il s’agit essentiellement des traitements N Engl J Med 2015;372:2509—20.
anti-CTLA-4, plus rarement anti-PD-1. [8] Abdel-Wahab N, Shah M, Suarez-Almazor ME. Adverse events
• Les lésions observées dans ces colites « auto- associated with immune checkpoint blockade in patients with
cancer: a systematic review of case reports. PLoS One 2016,
immunes » iatrogènes peuvent poser des problèmes
http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0160221.
diagnostiques difficiles, mais elles constituent des [9] Cousin S, Italiano A. Molecular pathways: immune check-
modèles pour la compréhension des mécanismes mis point antibodies and their toxicities. Clin Cancer Res
en jeu au cours des MICI. 2016;22:4550—5.
[10] Gonzales RS, Salaria SN, Bohannon CD, Huber AR, Feely MM, Shi
C. PD-1 inhibitor gastroenterocolitis: case series and appraisal
of « immunomodulatory gastroenterocolitis ». Histopathology
2017;70:558—67.
Déclaration de liens d’intérêts [11] Chen JH, Pezhouh MK, Lauwers GY, Masia R. Histopathologic
features of colitis due to immunotherapy with anti-PD-1 anti-
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. bodies. Am J Surg Pathol 2017;41:643—54.

Pour citer cet article : Fléjou J-F. Histoséminaire sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) : cas no 04.
Annales de pathologie (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2017.06.005

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