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Insatiable DEVON
NOEMIE CONTE
 
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quelque citation que ce soit sous n’importe quelle forme.
Titre : Insatiable Devon Auteur : Noemie Conte ©Studio 5 Éditions Dépôt
copyright : mars 2021
Couverture : ©Studio 5 Éditions Création : Lana Graph Crédit photos :
Istock ISBN : 978-2-492631-04-7
Studio 5 Éditions
65 route de saint leu

95600 Eaubonne
IMMATRICULATION : 891 250 458
 

www.studio5editions.com
 
Table des matières
Prologue
Chapitre 1 Eva
Chapitre 2 Eva
Chapitre 3 Eva
Chapitre 4 Eva
Chapitre 5 Eva
Chapitre 6 Eva
Chapitre 7 Devon
Chapitre 8 Eva
Chapitre 9 Eva
Chapitre 10 Devon
Chapitre 11 Eva
Chapitre 12 Eva
Chapitre 13 Eva
Chapitre 14 Devon
Chapitre 15 Eva
Chapitre 16 Devon
Chapitre 17 Eva
Chapitre 18 Eva
Chapitre 19 Eva
Chapitre 20 Eva
Chapitre 21 Eva
Chapitre 22 Eva
Chapitre 23 Devon
Chapitre 24 Eva
Chapitre 25 Devon
Chapitre 26 Eva
Chapitre 27 Eva
Chapitre 28 Eva
Chapitre 29 Eva
Chapitre 30 Eva
Chapitre 31 Eva
Chapitre 32 Eva
Chapitre 33 Devon
Chapitre 34 Eva
Chapitre 35 Eva
Chapitre 36 Eva
Chapitre 37 Eva
Chapitre 38 Eva
Chapitre 39 Eva
Chapitre 40 Devon
Chapitre 41 Eva
Épilogue
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

À toutes celles qui rêvent d'un patron sexy, mais qui


bossent pour la copie conforme d'Homer Simpson...
puissez trouver ici un peu de réconfort,
Amen.
 
Prologue
*tic-tac-tic-tac*
Comme chaque jour depuis plusieurs années, mes yeux restent rivés
tout droit sur la petite horloge de mon bureau. Celle présente, juste au-
dessus de la porte menant aux enfers. Oui, j'attends impatiemment l'heure
du départ, malgré qu'elle soit pourtant encore bien loin. Enfin… la vérité,
c’est que je devrais partir dans seulement quelques minutes, néanmoins…
mon connard de patron n'est jamais satisfait. Ce soir, il m'a -comme
souvent- forcée à rester pour terminer toute sa paperasse. Bon, le terme
"forcée" est un peu poussé, je dois l'admettre. Disons plutôt que mes heures
supplémentaires sont payées double, alors… je n'allais pas cracher dans la
soupe, tout de même. Cependant, Devon pourrait largement me verser le
triple au vu du travail que je fournis constamment, mais il ne le fait pas.
Pourtant, je suis celle qui gère absolument tout de sa vie, et sans moi…
Anderson ne serait qu'un pauvre petit louveteau, perdu au milieu de nulle
part. Je le déteste. Oui, je hais sa façon de parler, de se tenir, de marcher…
Merde, j'en suis même rendue au point où le simple fait de le regarder suffit
à me donner la nausée. D'ailleurs, je pense que c'est parfaitement
réciproque. Cela fait maintenant plus de trois ans que je travaille chez
Powershot, et je reste probablement la seule de toutes ses secrétaires à ne
pas être passée sous le bureau, donc… j'imagine que son ego en a pris un
sacré coup, à ce niveau-là. Toutefois, si je suis encore sous ses ordres à
l’heure actuelle, c'est principalement grâce à la distance que je laisse entre
nous deux depuis le début. C’est certain, Monsieur Anderson aurait agi
exactement comme avec les autres femmes, si j'avais accepté ses avances
lors de ma toute première semaine de boulot ici. Une fois qu’il aurait tout
obtenu de moi, il m'aurait virée en un seul petit claquement de doigts.
Oui, mais le problème, c’est que moi, je ne pourrai incontestablement
jamais me donner à un homme comme lui. Pourquoi ? Eh bien parce qu’au-
delà de son charme indéniable, il reste cet être froid au cœur de pierre,
implacable et rigide.
Cet éternel connard.
 
Chapitre 1
Eva
 

Un baiser légal ne vaut jamais un baiser volé.


Guy de Maupassant

Juin 2017,
Premier jour de travail au bureau.
 

Je trottine dans les larges couloirs du building après avoir demandé


mon chemin à l’hôtesse d’accueil, bien parée à rejoindre mon poste pour la
toute première fois. C’est étrange, mais j’ai le trac. En temps normal ça ne
m’arrive absolument jamais. Peut-être parce que je redoute légèrement la
rencontre officielle avec mon patron ? Lors de notre entretien téléphonique
la semaine dernière, je l’ai trouvé plutôt froid. Il avait l’air strict, mais ça ne
m’a pas effrayée une seule seconde sur le moment. À vrai dire, je sais que
j’ai les épaules assez solides pour assurer un tel travail, en revanche… je ne
pensais pas redouter autant les premiers instants en sa compagnie. Et après
réflexion, mon angoisse est sûrement liée au fait que je m’apprête à
travailler pour l’un des hommes les plus riches de tout Manhattan. Oui,
d’une certaine façon… c’est impressionnant. Il l’est probablement tout
autant. Mais j’ai besoin de ce job, donc je ferai tout ce qui est en mon
pouvoir pour le faire convenablement. Tout, y compris les corvées les plus
ennuyeuses qui soient.
— Vous êtes en retard.
Cette voix rauque résonne comme un écho dans la grande pièce lorsque
j’y fais mon apparition. Face à moi, le dos à première vue plutôt musclé
d’un homme au costard indigo. Mon boss, je présume. Il est appuyé contre
l’une des larges fenêtres vitrées donnant une magnifique vue sur toute la
ville, mais ne se retourne pas une seule seconde pour me faire face, malgré
mon entrée.
Machinalement, je lève le poignet afin de pouvoir lire l’heure affichée
sur ma montre, et constate que c’est totalement faux. 8 heures 56. J’ai
quatre minutes d’avance.
— Absolument pas, rétorqué-je alors naturellement.
Quelle conne. Celui que je suppose être Monsieur Anderson se
retourne furieusement suite à cette réponse un peu trop franchement
donnée. Il me gratifie ensuite d’un petit plissement de paupières, et c’est à
cet instant précis que je réalise : petit a, il est affreusement canon, et petit b,
j’aurais peut-être mieux fait de la fermer.
— Ici, commence-t-il en approchant, et juste avant de déposer
fermement un index contre le bois de mon bureau. On est à l’heure,
seulement si on arrive avec dix minutes d’avance.
Sans que je ne le contrôle, un petit pouffement m’échappe. Merde,
pourquoi ? Probablement parce qu’il m’intimide un peu, et… peut-être
aussi parce que sa vision de la ponctualité me paraît complètement absurde.
— Ça vous amuse ? me demande-t-il alors, sourcil arqué.
— Non, désapprouvé-je instantanément, et tout en reprenant aussitôt
un air sérieux. Je pensais juste qu…
— Eh bien vous avez mal pensé, m’interrompt-il sèchement.
Ok… Je crois que ça annonce plutôt bien la couleur. Oui, comme dans
quatre-vingt pour cent des cas, les hommes si beaux d’extérieur sont en
réalité tous pourris de l’intérieur. Et ce n’était certainement pas moi qui
allais tomber sur les vingt pour cent restants. Oh non… impossible.
— Maintenant, mettez-vous au travail, reprend-il fermement. Et si
vous avez quelconque demande, ne comptez surtout pas sur moi. Marta est
là pour ça.
Mon patron me contourne rapidement afin de pouvoir rejoindre la
porte présente sur ma droite, et c’est seulement lorsqu’il l’ouvre que j’y
aperçois un large bureau de verre trempé. J’imagine qu’il est à lui, ce
bureau. Et j’imagine aussi que cette porte communicante risque d’être la
principale cause de mes soucis pour les prochaines semaines. Les
prochaines années… ? Brrr. J’en ai des frissons rien que d’y penser.
— D’accord, marmonné-je dans une petite grimace. Mais… qui est
Marta, exactem…
Malheureusement, il ne me laisse pas le loisir de terminer cette
question, préférant plutôt claquer la porte derrière lui, et me laissant donc
là, seule dans cette immense pièce qui m’était encore inconnue il y a de ça
quelques minutes seulement. Super. Ça, c’est ce qu’on appelle avoir le sens
de l’hospitalité.
Ça, c’était seulement le début de mon calvaire.
 

Juin 2020,
De nos jours.
 

La porte séparant nos deux antres s'ouvre brusquement, laissant donc


place à un Monsieur Anderson plus sexy que jamais. Sa cravate est presque
entièrement dénouée, le premier bouton de sa chemise bleu ciel est défait, et
contrairement à d'habitude, aucune veste de costume n'est actuellement
présente sur ses larges épaules musclées. Sans parler de sa crinière
châtaigne complètement mise en bataille sur le dessus de sa tête. Merde, je
crois bien qu'en trois ans au sein de cette entreprise, je ne l'ai jamais vu dans
un tel état de fatigue. C'est d'ailleurs peut-être pour cette raison que j'arrive
à lui trouver quelque chose d’attirant, pour une fois. N'importe quoi. Je suis
simplement -moi aussi- très fatiguée. Après tout… la nuit est tombée depuis
près de deux heures maintenant, et la lumière extrêmement basse de ma
petite lampe de bureau doit très certainement me provoquer des
hallucinations. C’est même certain.
— Dans mon bureau, m'ordonne sèchement la voix naturellement
rauque de mon boss, et sans pour autant qu’il ne bouge du contour de porte.
Mais malgré ça, je reste immobile, les fesses parfaitement bien scellées
à ma chaise. Pourtant, l'envie de la quitter me démange plus que jamais.
Elle est affreusement inconfortable, contrairement à son fauteuil de
créateur, qui lui, doit permettre à ses cervicales de rester en bonne forme
toute l'année. Mais au-delà de ça, ce que je déteste le plus, c’est qu'il se
permette de me parler de manière si autoritaire. Donc en effet, je compte
bien prendre mon mal en patience, et attendre qu’il daigne enfin montrer ne
serait-ce qu'une petite once de sympathie à mon égard. Malheureusement, il
n’a pas l’air de bien saisir le message :
— Je voulais dire… reprend-il alors en arquant furieusement un
sourcil. Tout de suite.
— Non, lui réponds-je naturellement, et tout en remettant le nez dans
ma pile de papiers.
Le soupir las s'échappant d'entre ses lèvres à la suite de ma contestation
me fait aussitôt comprendre qu'il n'a pas l'énergie suffisante pour entrer
dans une petite guéguerre à l'heure actuelle. Il cède finalement :
— S'il vous plaît, soupire-t-il alors, vaincu.
 

Je quitte ma paperasse des yeux pour pouvoir lui faire face, le gratifie
de mon air le plus victorieux qui soit, puis me lève ensuite sans plus
attendre en ajoutant d’un petit rictus moqueur :
— C'est nettement mieux comme ça, vous ne trouvez pas ?
Ensuite, je lui passe devant en balançant délibérément ma longue
queue de cheval brune sous son nez, et remarque aussitôt que l'odeur
habituellement boisée de son parfum est intégralement recouverte par celle
du whisky fraîchement consommé. Ça, c'est assez surprenant. D’ordinaire,
Monsieur Anderson boit uniquement lors de rendez-vous professionnels
dans son bureau. Il partage généralement un ou deux verres de liquide
ambré avant la signature d'un contrat, néanmoins… je ne l'avais encore
jamais surpris à faire ça seul. C'est… étrange. Oui, car jusqu’à maintenant,
je ne pensais pas qu’un homme comme lui pouvait se permettre ce genre de
chose. Ce genre d’écart, plus précisément. Mais voilà finalement que j’en
découvre une toute nouvelle facette, me montrant donc que oui, Devon peut
parfois s’avérer être quelqu'un de tout à fait normal. Quelqu'un qui a des
soucis, comme tout le monde.
— Pourquoi m’avoir demandé de venir ici, au juste ? l’interrogé-je
alors en me retournant rapidement vers lui.
Le sang me monte instantanément à la tête lorsque je le surprends à me
reluquer, toujours fermement appuyé contre le chambranle de porte. Merde,
ça aussi, c'est parfaitement inhabituel. Mais fort heureusement, il met
aussitôt fin à ma gêne, et se contente simplement de regagner son bureau au
pas de course, comme si de rien n’était. Comme si ses iris noisette n'avaient
pas délibérément glissé sur la peau de mes cuisses quelques secondes
auparavant.
— Mon frère arrivera à la première heure demain matin, souffle-t-il en
s'affalant nonchalamment au fond de son large fauteuil.
Voilà qui est plus clair pour moi. Effectivement, je comprends mieux
pourquoi mon implacable boss est dans un tel état de panique ce soir. Son
frère jumeau. Caleb Anderson, ou plutôt… le mâle alpha dans toute sa
splendeur. Merde, moi-même je pourrais perdre mes moyens, rien qu’à
l’entente de ce prénom. Pas pour les mêmes raisons que mon patron, fort
heureusement.
En réalité, Caleb est devenu notre meilleur collaborateur l’an dernier,
toutefois… cette alliance professionnelle n’a absolument pas rapproché les
deux frères. Bien au contraire, je crois qu'ils se détestent encore plus
qu'auparavant. Malheureusement… j’imagine que c’est un risque à prendre,
quand il s'agit de s’allier à son propre frère.
Lors de ma toute première rencontre avec Caleb, j'étais -comme
souvent- en compagnie de Monsieur Anderson. Il ne m'a d'ailleurs pas fallu
plus d'une minute pour saisir combien ils se méprisaient mutuellement. En
réalité, Devon est le parfait opposé de son frère. Mentalement parlant, je
veux dire. Il va de soi qu'ils sont en revanche parfaitement identiques
physiquement. Tous les deux beaux comme des dieux, c'est indéniable.
Cependant, mon cher patron n'est qu'un vulgaire brouillon à mes yeux. Il est
tout ce qu'il y a de plus détestable, tandis que son frère, lui, est un véritable
gentleman. Je crois d'ailleurs n'avoir jamais vu autant de qualités chez une
seule et unique personne. Il est beau, intelligent, souriant, gentil, drôle,
charismatique… bref, ce mec est la définition même du mot perfection. Il
fait partie des derniers vingt pour cent. Ouais, ça existe bel et bien.
— Je sais à quoi vous pensez, Eva.
Le ton affreusement rauque qu'emploie mon patron me sort
soudainement de ma petite bulle de bonheur. Flop ! Elle éclate, comme un
vulgaire ballon de baudruche se frottant d'un peu trop près aux épines
tranchantes d'une magnifique rose rouge.
— N'oubliez pas la dernière ligne de votre contrat, ajoute-t-il ensuite,
mâchoires serrées.
— Je n'oublie pas, approuvé-je d’un ton bien assuré.
C'est faux. En vérité… j'avais complètement oublié que mon connard
de patron m'avait contrainte à signer un bout de chiffon pareil :
 
" Interdiction de coucher avec Monsieur Caleb Anderson, soit mon
propre frère, tant que vous travaillerez sous mes ordres."
 

Ridicule, hein ? Typique du mec qui manque clairement de confiance


en lui, au point de devoir imposer une règle complètement stupide afin de
s'assurer que son propre frangin ne marche pas sur ses plates-bandes.
Heureusement pour moi, je n'ai jamais rien envisagé de plus qu'une relation
purement professionnelle entre Caleb et moi. Même si je dois admettre
avoir déjà rêvé d’un peu plus certaines nuits…
— J'ai besoin de vous, ici, à sept heures tapantes demain matin,
m’interrompt Devon lors de mes pensées érotiques.
Quoi ?! Mais c'est dans moins de huit heures, ça ! D'ailleurs, la
grimace qu'effectue mon visage parle probablement d'elle-même, puisqu'il
s'empresse d'ajouter :
— Il faut que vous prépariez le buffet de réception, reprend-il alors,
tout en griffonnant quelques mots sur un post-it. Ça, c'est le café que prend
mon frère chaque matin, dit-il ensuite en me tendant le morceau de papier
jaune. Ne vous trompez surtout pas dans la commande, sinon, il ne le boira
pas.
Cette part de lui m'a toujours fascinée. Pour être honnête, je n'ai jamais
vraiment compris pourquoi Monsieur Anderson prenait toujours soin
d'accueillir son frère comme un roi. C'est complètement absurde, quand on
ne s'entend pas avec quelqu'un. N’est-ce pas ? Mais bref. Quoi qu'il en
soit… je ne compte pas lui rendre ce service. S'il pense pouvoir me
rabaisser au rang de stagiaire, il se fourre le doigt dans l'œil. Car oui, en
effet, après trois ans au sein de cette entreprise, j’estime valoir un peu
mieux que ça. Depuis plusieurs mois, Devon me confie du travail bien plus
pertinent qu’avant. Je gère maintenant certains dossiers importants, en
collaboration avec des marques mondialement connues telles que Samsung,
Apple, Sony…
Donc effectivement, je ne peux pas le laisser me demander une chose
pareille. Si je ne dis rien maintenant… il ne se gênera pas non plus pour les
prochaines fois.
— Hors de question, rétorqué-je alors spontanément. Je ne le ferai pas.
L’air sceptique qu'il me rend pour toute réponse me fait aussitôt
comprendre que j’ai peut-être était un peu trop franche sur ce coup-là. Mais
malgré tout, je ne me dégonfle pas :
— Je ne suis pas payée pour jouer à la dînette !
Son visage tout entier se tend face à ma réticence. Oui, Devon
Anderson a beaucoup de mal avec le répondant. En général… personne ne
lui tient tête. Personne, excepté moi. Ça a d'ailleurs toujours été le cas, donc
je ne vois pas pourquoi je devrais changer d’attitude pour ce soir. À vrai
dire, j'ai annoncé la couleur dès mon deuxième jour ici, et il l'a accepté sans
rechigner. Effectivement, il était inconcevable à mes yeux d'être une sorte
de servante pour lui. Je n'ai pas fait plusieurs années d'études pour ça,
alors… j'ai directement imposé mes exigences à ce niveau-là. Ça peut
paraître étonnant venant d'une secrétaire de bas étage, néanmoins… ce jour-
là, mon boss s'est simplement contenté d'affirmer d'un petit mouvement de
tête, avant d’ensuite refermer la porte de son bureau. Oui, mais… je dois
admettre que ça ne me laisse pas pour autant le droit de lui répondre de
cette façon. En effet, j'ai trop souvent tendance à oublier qu'il s'agit de mon
patron, et visiblement, il compte bien me le rappeler :
— Je vous demande pardon, Mademoiselle Pierse ?
Quand il emploie mon nom de famille à la fin d'une phrase, ça
n'annonce rien de très bon en général. De plus, l'intonation de sa voix vient
de changer, et je le connais assez bien pour savoir qu'il s'apprête à me
sermonner comme je le mérite. Puisque oui, de toute évidence… je le
mérite. Sérieusement, quel genre de personne se permet de parler de
manière si provocante à son patron ? Une abrutie comme moi, très
probablement.
— C'est moi le boss, n'est-ce pas ? m'interroge-t-il d'un air logique.
Contrairement à ce que je pensais, il attend ma réponse dans un calme
olympien. Ses deux mains se nouent entre elles, tandis que ses iris noisette
refusent de quitter les miens, très certainement dans l'attente d'une
confirmation rapide de ma part. À vrai dire, je n'ai pas franchement
l'habitude d'être confrontée à un Devon aussi paisible. En temps normal,
nous serions partis dans un débat interminable, et comme toujours, il aurait
fini par gagner mon silence. Hors là… j'ai la troublante sensation de devoir
m'excuser sur-le-champ, sans même qu'il n'ait besoin de me le demander de
vive voix. Comme si je risquais dangereusement mon poste, aujourd'hui,
encore plus que les fois précédentes. Ravale ta fierté ma grande. Tu ne
retrouveras probablement jamais un boulot aussi bien payé dans le coin.
— Oui, soufflé-je finalement, un peu honteuse tout de même. Excusez-
moi, je… je me suis laissée emporter par la fatigue, et…
— Je m'en tape, me coupe-t-il sèchement. Ne me parlez plus jamais sur
ce ton. N'oubliez pas que votre présence ici m'importe peu. Des femmes
envient votre place, un peu partout dans les rues de New York.
Je mords abruptement ma langue afin de me forcer à ne surtout rien
répondre à ça. Parallèlement, j'ai envie de lui coller la gifle de sa vie.
Sérieusement, comment peut-il se montrer si arrogant envers moi ?! Je suis
là, toujours présente pour gérer sa paperasse interminable à une heure
parfaitement atypique, mais lui, il trouve encore le moyen de sous-entendre
que je ne suis rien de plus qu'un simple petit pion dans son immense jeu
d'échecs !
— Je pense que la plupart de ces femmes refuseraient de terminer à
une heure pareille, lancé-je finalement tout en croisant furieusement les bras
sous ma poitrine.
— En êtes-vous vraiment certaine ?
Soudain, il se lève de son fauteuil, contourne l'immense bureau de
verre trempé, puis vient ensuite se planter là, tout près -trop près- de moi,
apparemment déterminé à m'affronter dans un ridicule duel de regards.
— J'ai dit que je pensais, précisé-je alors, sans jamais baisser les yeux.
Non pas que j'en étais pleinement certaine.
— Voyons si vos pensées sont réelles, Eva, me murmure-t-il d'une voix
rauque. La porte est juste là.
Ses iris ne lâchent pas une seule seconde les miens lorsqu'il me fait
cette suggestion d'un simple petit geste de la main, tandis que les battements
de mon cœur s'accélèrent au rythme de ma respiration. Merde, mais qu'est-
ce qu'il m’arrive, là ? Pourquoi suis-je si angoissée, tout à coup ? Peu
importe. Hors de question de le laisser m’intimider :
— Sachez que si une proposition alléchante s'offre un jour à moi, je ne
la refuserai pas, rétorqué-je enfin, un rien provocatrice.
— Et moi, renchérit-il d'un sourire narquois. Je vous proposerai
toujours une augmentation défiant toute concurrence.
Hein ? Mais bordel, ça n’a absolument aucun sens !
— Essayez tant que vous voudrez, ajoute-t-il ensuite, et sans jamais
bouger d'un centimètre. Je ne vous laisserai jamais partir, Eva.
J'ai envie de baisser la tête pour mettre un terme à ce moment
particulièrement étrange, mais malheureusement, je n'y parviens pas.
Premièrement, parce que je refuse de le laisser gagner pour cette fois, et
deuxièmement, parce que je reste complètement envoûtée par la couleur de
ses iris. Je n'avais jamais remarqué à quel point ils étaient beaux, avant
aujourd'hui. Enfin… il faut dire que je ne les avais encore jamais vus d'aussi
près. D'ailleurs, je constate qu'ils tirent plus vers le jaune que le marron,
après une brève observation. Les quelques petites taches noires présentes à
l'intérieur me laissent penser que c'est probablement pour cette raison que je
n'y avais pas fait attention auparavant. C'est assez troublant, pour être
honnête. Il est assez troublant. Oui, et d'une certaine façon… Monsieur
Anderson l'a toujours été. Je n'ai jamais vraiment compris comment il
fonctionnait, et… encore moins maintenant, après cet échange on ne peut
plus étonnant. À vrai dire, nous n’avions jamais laissé si peu de proximité
entre nous avant ce soir, alors… j’ose espérer que là est la véritable cause
de mon embarras.
— Il ne fallait pas admettre ce genre de choses, souris-je finalement
d'un air espiègle. Maintenant, continué-je, toujours de ce sourire
affreusement provocateur. Je sais que je peux refuser la tâche de demain
matin, sans prendre le risque de me faire renvoy…
Sa bouche percute brutalement la mienne, interrompant donc
instantanément la fin de ma phrase. Nom de Dieu. Si brutalement d'ailleurs,
que j'en perdrais presque l'équilibre. Seigneur… mon patron est
actuellement en train d'insérer sa langue à l'intérieur de ma bouche, et je
n'arrive même pas à réagir tant je reste sous le choc de cet acte inattendu.
Vraiment ? C'est donc à ça qu'il pensait, depuis tout ce temps ? Chaque fois
qu'il passait son temps à me rabaisser avec dédain… il rêvait en fait de
m'embrasser ? À moins que ce ne soit finalement l'alcool ingurgité quelques
minutes auparavant qui parle ? Oui, c'est même certain. Le whisky vient
indéniablement de prendre le dessus sur lui. Et moi, il faut impérativement
que je reprenne mes esprits.
— Merde, marmonné-je en plaquant fermement mes paumes contre ses
pectoraux pour le repousser. Mais qu'est-ce que vous faites ?!
Et c’est à l’instant précis où nos yeux entrent en contact que je
remarque sa confusion totale. Oui, le masque tombe, tout à coup. Fini le
boss imperturbable. J'ai maintenant affaire à un petit oiseau tombé du nid.
En effet, au cours de mes trois années de travail au sein de son entreprise,
Devon Anderson ne m'avait encore jamais paru aussi vulnérable. Son regard
est complètement vide, et je suis absolument certaine d'avoir parfaitement
tapé dans son orgueil en refusant si violemment ses avances. Mais il faut
dire qu’avant ça… je ne m’étais jamais montrée aussi brutale. En vérité, ça
fait bien des années qu’il n’a rien tenté de nouveau avec moi, et à l’époque,
il s’y prenait de façon nettement moins radicale, tout de même. Seulement
de simples sous-entendus que je m’efforçais toujours d’ignorer. Par
conséquent, j’imagine que là est la raison de son regret simultané.
— Vous êtes complètement cinglé ! m'exclamé-je ensuite d’une large
grimace.
— Désolé, je… grommelle-t-il à reculons, affreusement gêné. Je
pensais qu'on était sur la même longueur d'onde…
Ses doigts viennent ensuite frotter chacune de ses paupières avec
flegme, très certainement pour lui permettre une petite remise en question
au passage. J'hallucine ! Comment a-t-il pu croire ne serait-ce qu'une toute
petite seconde qu'il pourrait véritablement me plaire ? Lui, cet homme aussi
détestable et sarcastique ?!
— Et bien… vous vous êtes foutrement trompé ! rétorqué-je alors,
sincèrement offensée.
Je tourne ensuite rapidement les talons dans le but de rejoindre mon
bureau, laissant donc Monsieur Anderson parfaitement seul avec sa
culpabilité. Oui, et… peut-être aussi avec la certitude que je puisse
éventuellement l'attaquer en justice pour harcèlement sexuel dès la première
heure demain matin :
— Attendez, accourt-il dans mon dos.
Sa main agrippe vivement mon coude afin de me forcer à lui faire face,
tandis que je m'en dégage aussitôt, déjà parée à lui faire savoir que non, je
n'en suis pas rendue à un tel point de médisance à son égard :
— Je n'en parlerai à personne, mais par pitié… commencé-je d’un long
soupir de désespoir. Laissez-moi tranquille.
— Je suis désolé Eva, je…
— Il faut que je rentre chez moi, l'interromps-je d’une main tendue.
Mon fiancé m'attend.
Son visage se ferme, soudainement. Toutes les émotions que j'ai pu y
lire ces dernières secondes disparaissent. Oui, à la suite de cette simple
phrase, le petit oiseau regagne enfin le nid, le louveteau retrouve sa meute,
et… le masque reprend froidement sa place.
— Sept heures, lance-t-il sèchement, et tout en désignant mon bureau
du doigt. Sans faute.
Je le connais bien assez pour savoir qu'il ne tournera pas les talons tant
que je n'y répondrai pas de vive voix, alors…
— J'y serai, réponds-je en lui tournant légèrement le dos pour saisir
mon sac à main.
Et comme je m'y attendais déjà, ses pas s'éloignant suivis du
claquement de la fine porte qui nous sépare me confirment aussitôt que oui,
il est bel et bien hors de portée. Loin de moi. Ce pour quoi j'en profite pour
expirer du plus fort que je le peux, afin de définitivement pouvoir
extérioriser toute la pression qui repose sur mes épaules depuis déjà de
longues minutes. Bordel de merde… Il vient de m'embrasser. Non, je ne
rêve pas. Mon patron vient bel et bien de me rouler une énorme pelle.
 

 
 
Chapitre 2
Eva
 

L'amitié, c'est la fidélité. Et si on me demandait qu'est-ce que la fidélité ?


Je répondrais c'est l'amitié.
Julio Iglesias
 

Lorsque je pousse enfin la porte de mon petit appartement, je n'en


reviens toujours pas. Pourtant, lors de ce court trajet en métro, j'ai eu le
temps de réfléchir à tout ça, seulement… je n’ai trouvé aucune raison
logique à ce changement de comportement si soudain. Comment a-t-il pu
s'imaginer un truc pareil ? Après tout ce temps ?
— Tu rentres tard ce soir… souffle Matt d’un ton complètement
désabusé. Comme d’habitude.
Il me sort d’ailleurs gentiment de mes pensées, alors je m'empresse de
retirer mes escarpins, afin d’ensuite pouvoir le rejoindre sans risquer de
m'infliger toute nouvelle souffrance sur les quelques mètres qui me séparent
de lui. Il est accoudé de façon nonchalante sur l'îlot central de la cuisine, un
peu comme quelqu'un qui vient tout juste de passer une journée de travail
affreusement éprouvante. Oui, et après tout… j'imagine que devoir gérer le
bar le plus côté du coin n'est pas toujours de tout repos. Fort heureusement
pour lui, il est en congé jusqu'à vendredi soir.
— Eh oui… soupiré-je, complètement exténuée. Mais tu commences à
le connaître maintenant, n'est-ce pas ?
J'approche doucement afin de pouvoir venir déposer un petit baiser sur
le sommet de sa tête, puis m'assois sans plus attendre sur le tabouret vintage
présent à ses côtés, qui, à ma grande surprise, est définitivement plus
confortable que ma minable petite chaise de bureau.
— Cet enfoiré va finir par te bousiller la santé, Eva, souffle-t-il d’un air
désapprobateur. Ce n'est pas à prendre à la légère. Il t'en demande beaucoup
trop.
— Ne t'inquiète pas pour moi, lui souris-je en balançant légèrement ma
tête de gauche à droite. Je survivrai ! Et puis… il ne m'y oblige en rien, tu le
sais pertinemment.
Un second soupir traverse les lèvres de mon ami, me forçant donc à me
relever pour aller l'enlacer. Je me dresse derrière lui, entoure ses larges
épaules de mes bras fins, puis le serre ensuite du plus fort que je le peux,
juste avant d'ajouter : — J'espère que tu m'as fait couler un bon bain chaud,
parce que là… grommelé-je au creux de sa clavicule. Je risque d'en avoir
grandement besoin.
Ses mains agrippent tendrement mes poignets afin de me rendre mon
étreinte, puis il y répond :
— Tu m'as pris pour qui, au juste ? lance-t-il alors en tournant
légèrement la tête vers moi. Ton petit ami ?
Un sourire se trace peu à peu sur mes lèvres, tandis que je me redresse
pour étirer le haut de mon corps.
— Non, baillé-je bruyamment. En revanche, tu es mon ami gay, et les
amis gays… c'est fait pour préparer de bons bains moussants à leurs coloc’
hétéros !
Je m'éloigne aussitôt vers la salle de bain afin de m'en charger moi-
même, quand Matt me hurle sa réponse de la cuisine : — Mais tu n'en
prends presque jamais… ! s'exclame-t-il alors, une petite once
d'interrogation dans la voix.
J'entends ses pas se rapprocher pendant que j'actionne le robinet de
douche, et c'est au moment même où j'ôte ma jupe crayon qu'il fait son
apparition à travers le miroir présent tout juste en face de moi.
— Sauf quand quelqu'un t'a contrariée, constate-t-il finalement, tout en
s'appuyant bras croisés sur le chambranle de porte.
En effet, il me connait beaucoup trop bien.
Je retire mon chemisier, dégrafe mon soutien-gorge, saisis le bain
moussant afin d'en déverser quelques gouttes au niveau du jet d'eau, puis
pour finir, me retourne enfin vers mon ami afin d’intégralement pouvoir lui
faire face. C'est étrange, mais avec Matt… je ne me sens jamais
embarrassée, et ce, peu importe la situation. À vrai dire, ça a toujours été
comme ça entre nous. Je me balade à poil devant lui, il en fait parfois de
même, et… aucune ambiguïté ne s'installe pour autant. Évidemment, j'ai
des complexes comme tout le monde. À commencer par mes seins. Je les
trouve affreusement disproportionnés par rapport au reste de mon corps.
Quant aux petites vergetures présentes sur chacune de mes hanches, elles,
elles ne voient en général le jour qu'à la piscine. Soit très rarement, pour
être exact. Mais comme je disais… je ne ressens aucune pudeur en
compagnie de mon meilleur ami.
D'ailleurs, c'est plutôt marrant, car… on ne me croit absolument jamais
quand j'annonce la couleur nous concernant. Chaque personne qui me pose
la question reste sceptique lorsque je maintiens le fait que nous ne sommes
rien de plus que de simples amis. Par-dessus tout, ils n'en reviennent pas
quand Matt leur explique qu'il préfère de loin un "bon gros pénis" à ma
"petite chatte rosée". Mais après tout… je dois admettre qu'il y a parfois de
quoi en douter. C’est vrai, lui et moi restons inséparables depuis l'université,
et disons que… il peut se montrer très -trop- protecteur avec moi par
moment. Lorsque nous sortons ensemble, Matt se la joue petit ami jaloux
avec moi, et arrive à éloigner les charognards en un seul petit regard
menaçant. Effectivement, il fait partie de la catégorie de ceux qui ne portent
pas l'étiquette "homo" sur leur front. Bien au contraire, même. C'est
d'ailleurs probablement pour cette raison que personne ne le croit jamais au
sujet de son orientation sexuelle. Il est immense. Une véritable armoire à
glace. Ses yeux sont d'un bleu saphir enivrant, tandis que ses cheveux, eux,
sont presque intégralement rasés à blanc. Il doit avoir pas moins d'une
cinquantaine de tatouages au total, et j'ai toujours eu l'impression que ses t-
shirts étaient beaucoup trop petits pour ses gros bras, cependant… mon ami
n'en reste pas moins l'un des hommes les plus séduisants de tout mon
entourage. Au début, je disais que c'était du pur gâchis, mais finalement…
pour rien au monde je ne changerai quoi que ce soit à la situation actuelle.
— Tu comptes m'expliquer ? me demande ce dernier, toujours dans
l'attente de ma réponse. Qu'est-ce que ce connard t'a encore fait ?
Je soupire exagérément en retirant ma petite culotte, enjambe
rapidement la baignoire afin d'y tremper le bout de mon gros orteil, puis une
fois bien assurée que l'eau est à bonne température, m'empresse d'y entrer,
tout en espérant que cette simple chose puisse réussir à me détendre un peu.
— Il m'a embrassée, lancé-je alors naturellement.
Mes paupières se ferment délicatement, m'empêchant donc de voir la
grimace qu'arbore mon ami. Car oui, je suis absolument certaine qu'il en
fait une énorme actuellement.
— Tu… marmonne-t-il avec hésitation. Tu peux répéter ?
J'ouvre un œil afin de pouvoir le regarder brièvement, et constate sans
grande surprise que oui, la grimace que j’imaginais quelques secondes
auparavant est toujours bien présente.
— Devon m'a embrassée, lui répété-je alors, sans jamais laisser
paraître ne serait-ce qu'une toute petite émotion.
Mon ami s'approche aussitôt de moi, l'air complètement ahuri. Il
s'accroupit rapidement sur la baignoire, appuie ses avant-bras le long de la
céramique pour y déposer son menton, puis me fixe avec insistance,
probablement dans l'attente d'en entendre davantage à ce sujet.
— Je l'ai repoussé, Matt, soufflé-je alors en levant les yeux au ciel. À
quoi tu t'attendais, au juste ?
— Quoi ?! s'exclame mon ami, encore plus ébahi que la fois
précédente. Merde, non Eva ! Tu n'as pas vraiment fait ça !
— Mais… bien sûr que si ! lui réponds-je d'un air logique.
Il dépose chacune de ses deux mains sur le sommet de sa tête, et en cet
instant précis, je suis absolument convaincue que si Matt avait des cheveux,
il les aurait arrachés.
— Je n'allais tout de même pas le laisser me prendre comme ça, sans
rien dire ! m'exclamé-je ensuite, sincèrement perplexe.
— Tu aurais pu ! Rien qu’une fois !
— Quoi… ? grimacé-je alors, complètement abasourdie. Mais
pourquoi faire ?
Je n'arrive pas à croire que mon ami me sorte une absurdité pareille.
Vraiment, ça n'a aucun sens ! Lui qui passe pourtant son temps à me jurer
qu'il lui casserait la gueule en cas de dérapage… merde, je n'y comprends
strictement rien !
— Parce que au moins… j'aurais pu avoir de meilleurs détails pour me
branler en pensant à lui !
Oh mon Dieu. Oui, je crois que j'aurais préféré l'acceptation d'une
petite baise.
— Tu ne changeras donc jamais, m’esclaffé-je en l’éclaboussant
brièvement à l’aide de mes doigts.
— Je suis une cause perdue, me répond-il, tout aussi hilare que moi.
Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel suite à cette réponse
stupide. Sérieusement… je crois qu'il n'y a pas meilleure façon de me
rappeler qu'effectivement, il fait bien d'être homo. Je n'ose même pas
imaginer le nombre de femmes qu'il aurait pu briser avec un comportement
comme celui-ci. Ce mec est un putain de vautour ! Une vraie salope au
masculin !
— Plus sérieusement, Eva, reprend-il alors, toujours très souriant
malgré tout. Tu aurais peut-être pu tirer tout un tas de trucs utiles, derrière
cette simple baise.
Je suis convaincue qu'il continue de bluffer, et c'est d'ailleurs
exactement pour cette raison que j'entre dans son jeu sans hésiter : — Ah
oui ? demandé-je, faussement sceptique. Comme quoi ?
— Par exemple… réfléchit-il d’une petite moue. Une nouvelle chaise
de bureau ?
Deuxième éclat de rire pour moi. Inévitable, en effet. Ce mec est un pur
génie.
— T'es pas possible, Matt ! soufflé-je avec dégoût. Vraiment ! Je vais
virer ton nom du bail !
— Impossible, désapprouve-t-il d’un rire moqueur. Tu ne pourrais pas
vivre sans moi !
Il dépose ensuite un court baiser sur le sommet de ma tête, puis se
redresse enfin pour but de quitter la pièce, mais tout en prenant la peine de
se retourner une dernière fois pour m'adresser une petite parole : — Par
contre, commence-t-il, sourcil arqué. J'espère que tu as saisi que je
déconnais, tout à l'heure. Hors de question que tu laisses cet enfoiré poser
ses sales pattes sur toi. Il ne mérite rien de ta part, Eva. Pas même tout le
boulot que tu fournis quotidiennement, termine-t-il ensuite en tapotant le
contour de porte à plusieurs reprises.
— Ne t'en fais pas, lui réponds-je sérieusement. Crois-moi, ça ne
risque pas d’arriver.
— Bien, approuve-t-il d'un petit hochement de tête. Passe une bonne
nuit, p'tite femme.
Je lui réponds d’un petit baiser volant, puis le regarde ensuite
s’éloigner, le sourire jusqu’aux oreilles. À vrai dire… c'est probablement
l'une des nombreuses raisons qui font que Matt est mon meilleur ami à
l'heure actuelle. Il est dans la bienveillance permanente lorsqu'il s'agit de
moi, et… quand il dit que je ne pourrais pas vivre sans lui, il a parfaitement
raison. Cet homme est mon pilier… mon bras droit. Le plus fidèle allié que
je n'ai jamais eu auparavant.
 

 
Chapitre 3
Eva
 

Les esprits rebelles ne cèdent qu'à la force de l'autorité.


Isocrate
 

Me voilà maintenant en train de courir après un taxi avec ces


instruments de torture accrochés aux pieds. Petit rappel, Eva : quand tu es à
la bourre… enfile des baskets ! Évidemment, le seul jour où il ne faut
surtout pas arriver en retard… voilà que je le suis. Insupportable. Le
téléphone ne cesse de sonner dans la poche de mon blazer toutes les trente
secondes environ, mais je préfère même ne pas prendre la peine d'en
regarder l'écran. À une heure pareille, ça ne peut-être que mon patron. Oui,
et à vrai dire… actuellement, ma seule priorité reste d'interpeller un foutu
taxi. Ça aussi, c'est insupportable. D'habitude, les rues de New York en sont
bondées, mais ce matin, pas moyen d'en trouver un à l'horizon ! Quoique…
Hallelujah, enfin une voiture jaune ! Je m'empresse donc de sauter sur le
rebord de la chaussée, forme un cercle bâclé à l'aide de mon pouce et de
mon index, puis l'amène aussitôt jusqu'à ma bouche afin de siffler du plus
fort que je le peux. Inévitablement, celui-ci est déjà occupé. Quel karma de
merde. Bon, et bien… je crois qu'il ne me reste plus qu'à parcourir les deux
longs kilomètres me séparant du building à pieds.
Je gonfle les joues en débutant ma marche rapide, jette un petit coup
d'œil à ma montre afin de voir si c'est jouable malgré tout, puis m'insulte
ensuite à haute voix lorsque je réalise que mon temps est largement
dépassé. C'est maintenant une certitude, Anderson va me tuer.
— Eva… ?
Cette voix masculine légèrement étouffée par les multiples bruits de la
ville me laisse pensive une petite seconde, avant qu’enfin je daigne faire
demi-tour sur moi-même afin de pouvoir faire face à la personne qui
s'adresse actuellement à moi. Je pâlis sur-le-champ lorsque j'en prends
réellement conscience. Mon boss. Il est à l'arrière d'un SUV flambant neuf,
tout juste garé sur le bas-côté, probablement pour but de poursuivre la
conversation. Oui, car… quand on est multimillionnaire, j'imagine qu'on
peut se payer un chauffeur à temps complet.
— Que faites-vous à pied ? m'interroge-t-il dans un petit froncement de
sourcils. Les bureaux sont à deux kilomètres d'ici !
— Monsieur Anderson, le salué-je d'un vaste signe de tête.
J'approche ensuite de la voiture afin de pouvoir me faire entendre plus
facilement, puis ajoute sans plus attendre :
— Disons que le métro ne m'a pas attendue ce matin, ricané-je
bêtement, probablement pour mieux dissimuler mon embarras. J'ai
également manqué de temps pour aller chercher le café de Caleb, je suis
désolée.
Le second froncement de sourcils qu'il effectue me laisse penser que je
suis à deux doigts d'en prendre plein la figure, mais je reprends rapidement
un air sérieux afin de ne pas lui montrer que ce simple fait m'angoisse
pourtant considérablement.
— Donc si je comprends bien… grimace-t-il, sincèrement perplexe.
Non seulement mon frère vous laisse prendre le métro toute seule, mais en
plus de ça, il vous oblige à me préparer du café ?
Nom de dieu. Caleb Anderson. Merde ! Comment ai-je pu ne pas m'en
apercevoir plus tôt ? Certes, ils sont parfaitement identiques, mais… tout de
même !
— C'est pour les stagiaires, ce genre de trucs ! ajoute-t-il ensuite
furieusement.
Aucun doute, ça ne peut-être que lui.
— Montez avec moi, Eva. Curtis nous dépose.
Je sais pertinemment que si j'accepte cette proposition, mon patron
risque de m'en parler pendant des semaines, voire même des mois,
seulement… ces chaussures me font un mal de chien, et je suis absolument
convaincue que cette phrase sonnait plus comme un ordre. C'est évident.
Caleb ne me laissera jamais marcher un kilomètre de plus dans les rues de
New York, alors qu'il a la possibilité de m'escorter jusqu'à mon poste.
Parallèlement, je déteste sincèrement les trajets en voiture, mais… disons
que deux petits kilomètres ne risquent pas d’être si insurmontables que ça.
— D'accord, approuvé-je alors, tout en montant rapidement à bord.
J'attache ensuite ma ceinture, souffle un bon coup pour extérioriser le
stress qui gronde en moi depuis déjà près d'une demi-heure, puis me
retourne enfin vers lui pour le gratifier de mon plus large sourire.
— Merci beaucoup, soufflé-je sincèrement.
— C'est tout à fait normal, me répond-il d'un air logique. Je ne
comprends pas que Devon laisse faire ce genre de choses.
— Il n'est pas au courant, rétorqué-je d'une moue désapprobatrice. Je
ne lui parle pas vraiment pour être honnête, alors… j'imagine qu'il pense
que j'ai une voiture.
— Justement, Eva, lance-t-il d’un air logique. La problématique est ici.
Mon frère ne s'intéresse absolument pas à la vie de ses employés, et c'est
désolant.
— Oh, vous savez… grommelé-je alors, tête baissée. Ça me convient
très bien comme ça…
C'est dingue, mais… j'ai la sensation de toujours devoir le défendre. En
permanence. Chaque fois que quelqu'un essaie de me rappeler l'un des
nombreux défauts de Devon, j'ai constamment une bonne excuse à donner
en retour. Comme si je tenais à être la seule à pouvoir le juger. N'importe
quoi. Mon téléphone sonne une nouvelle fois, alors je le sors enfin de ma
poche, pour -sans grande surprise- y découvrir le surnom ridicule que j'ai
moi-même attribué à mon patron à l'écran. Merde. Je le cache
instantanément afin de m'assurer que son frère ne puisse pas faire le lien,
quand ce dernier se met finalement à ricaner :
— Ça lui ressemble bien, me dit-il alors, tout sourire.
Le sang me monte instantanément à la tête. Il l'a vu.
— Moi, j'ai mis Trump, ajoute-t-il ensuite, toujours plus hilare. Mais je
dois admettre que Voldemort lui convient tout aussi bien.
Je le regarde du coin de l'œil en portant une main jusqu'à mon front
pour me cacher, mais lui esquisse un petit sourire malgré tout. À vrai dire…
le fait d'apprendre que lui aussi, fait ce genre de choses complètement
stupides, à tendance à me rappeler qu'au-delà de son statut de grand homme
d'affaires, Caleb reste une personne tout à fait normale. Ça me plaît.
— Nous y voilà, annonce-t-il en tendant une main vers le pare-brise.
Tu peux te garer ici, Curtis.
— Ça marche, chef, lui répond sympathiquement ce dernier. Je
t'attends ici ?
Il vient vraiment de le tutoyer ?
— Non, désapprouve le patron en tapotant légèrement les poches de
son veston. Tu n'as qu'à aller acheter un bijou à ta femme. Dix ans… ça se
fête, mon vieux ! ajoute-t-il en lui tendant une grosse liasse de billets.
Curtis la saisit sans hésiter, puis grimace ensuite exagérément lorsqu'il
comprend ce qu’il tient réellement entre ses doigts.
— Oh, patron… je ne peux pas accep…
— Il s'agit de ta prime hebdomadaire, l'interrompt Caleb sans plus
attendre. Nous venons de loin. Tu la mérites.
J'en reste complètement estomaquée. Wow… Quel contraste avec
Devon ! Non seulement les employés de Caleb le tutoient, mais en plus de
ça, il leur laisse des pourboires qui, du peu que j'ai pu en voir, paieraient
largement mon loyer !
— Eva ? m’appelle ce dernier, tout en me tendant galamment sa main
pour m'inciter à sortir du SUV.
— Pardon, réponds-je en y déposant aussitôt la mienne. J'avais la tête
ailleurs.
Mon nez frôle accidentellement le tissu de sa chemise lorsque je pose
les pieds au sol en me redressant, tandis qu'il ne bouge pas d'un centimètre
pour autant. C'est troublant. Vraiment. Cette manie qu’il a de toujours
paraître parfaitement serein, peu importe la situation… Oui, mais plus
encore, cette sensation dérangeante que d'avoir face à moi la personne que
je déteste le plus au monde, avec comme hôte un homme qui, en revanche,
s’avère être le plus remarquable jamais connu auparavant.
Nous avançons tous deux vers le hall d’entrée, sans qu'aucun son ne
parvienne à traverser nos lèvres. Pour être honnête, Caleb m'a toujours
intimidée. Bien qu'il soit pourtant quelqu'un de fort sympathique
(contrairement à son connard de frère), je me suis toujours laissée
impressionner par sa présence. C'est dingue. À lui seul, cet homme a le
pouvoir de nous rendre encore plus petit qu'un atome. Les deux frères se
ressemblent comme deux gouttes d'eau, certes, mais Caleb reste sans aucun
doute le plus respectable à mes yeux. Les bienfaits d'une bonne attitude, je
présume.
— Vous êtes vraiment radieuse, ce matin, me dit-il, à l’instant même
où nous franchissons le seuil de l’ascenseur.
Une bouffée de chaleur envahit tout mon corps à la suite de ce
compliment, donc je me précipite sur le bouton habituel afin de rapidement
dissimuler ma gêne. Merde, je dois être rouge comme une tomate.
Heureusement, Caleb ne me regarde pas une seule seconde pendant que
l’immense cage d’acier commence à gravir les nombreux étages menant
aux bureaux.
— Merci, lui répond-je d’une petite voix timide. Vous…
Non. Tu ne peux pas le dire.
— Vous n’êtes pas mal non plus.
Merde. Si. Tu l’as dit.
Seigneur, j’ai la sensation d’être au bord d’un volcan en éruption. Mon
pouls doit être bien au-dessus de la vitesse normale, et j’ai chaud. Beaucoup
trop chaud.
— Est-ce qu’à tout hasard… commence-t-il avec hésitation. Enfin…
est-ce que ça vous dirais de venir déjeun…
Malheureusement, sa tentative de flirt est brutalement interrompue par
l’ouverture des portes. Pire, par le ton sec qu’emploie Devon pour me
hurler :
— Vous vous foutez de ma gueule, n'est-ce pas ?!
Retour à la réalité, ma grande.
Ouais, le voilà, le jumeau maléfique. Voldemort fonce sur moi à
grandes enjambées lorsque je sors de l'ascenseur accompagnée de son frère,
et je ne trouve rien de plus à dire que :
— Je suis désolé Monsieur, j…
— Je ne veux rien savoir, putain ! m'interrompt-il furieusement.
Regagnez votre bureau, et n'en sortez pas tant que le travail ne sera pas
effectué !
Et malgré que je ne sache pas de quel travail il parle exactement, je
m'exécute sans rechigner. Après tout… c'est moi qui ai merdé dans
l'histoire. Non seulement je n'ai pas fait le job imposé quelques heures
auparavant, mais en plus de ça, je me permets de débarquer aux côtés de
son propre frangin, comme si de rien n’était. En effet… je crois que cette
fois, je peux oublier ma place sur le mur de l'employé du mois. Oh, mais
que je suis bête… Je ne l'ai jamais eue, cette fameuse place. Je pars alors au
pas de course en direction de mon bureau. De toute évidence, la meilleure
option reste de se faire toute petite pour le moment. De plus, je n'oublie pas
le dérapage de la veille. Je n'en ai d'ailleurs pas dormi de la nuit, alors…
j'imagine qu'il est préférable de rester loin de lui, au moins jusqu'à ce que ce
baiser volé ne tombe aux oubliettes.
 

♤♤♤
 
Lorsque j'ai ouvert la porte de mon antre, j'ai eu le "plaisir" de
découvrir tout le travail supplémentaire que m'avait laissé Monsieur
Anderson. À vrai dire… rien de trop étonnant, au final. Oui, puisqu’il agit
constamment de cette façon. Comme une petite-fille frustrée, après qu'on
lui ait refusé une grosse barba papa à la fête foraine du coin. En effet,
quand mon boss a fini par comprendre que je n'arriverais jamais à temps
pour préparer les mignardises, il s'est précipité sur des dossiers entassés
depuis plusieurs mois, pour seul but de me punir sévèrement. Et bien
évidemment… là non plus, je ne dirai rien. Pour être honnête, je compte
bien continuer à l'éviter un maximum. Quoique… j’ai peut-être oublié un
détail considérable ; Son bureau est accolé au mien.
— Je peux savoir pourquoi vous êtes arrivée au bras de mon frère, ce
matin ?! m'assaille-t-il alors, juste après avoir brusquement ouvert la porte.
Je rougis instantanément. À vrai dire, cette question me met
terriblement mal à l'aise. Je sais pertinemment qu'il ne s'est rien passé
d'extraordinaire avec Caleb, néanmoins… mon patron, lui, voit
incontestablement la chose d'un autre œil.
— Il m'a aperçue sur le trottoir, lui réponds-je finalement, et tout en
faisant au mieux pour ne rien laisser paraître. J'ai loupé le métro, alors…
— Le quoi ? grimace-t-il, sincèrement perplexe.
J'expire un bon coup pour relâcher la pression, puis plante ensuite
intensément mes yeux dans les siens afin de répondre avec sarcasme :
— Vous savez, cette chose qui transporte un être humain d'une ville à
une autre. C'est un peu comme un train, mais…
— Merde, je sais parfaitement bien ce qu'est le métro ! me coupe-t-il
sèchement.
Un air affreusement acrimonieux prend place sur son visage lorsqu'il
termine cette phrase. Il me méprise, je le sens.
— Depuis quand le prenez-vous pour venir au travail, au juste ?
relance-t-il, toujours de cet air détestable.
Depuis quand vous intéressez-vous à ma vie, au juste ? Oui, mais
puisque j'ai décidé de rester sage aujourd'hui…
— Depuis toujours, lui réponds-je finalement, impassible.
Devon avance davantage, puis se met à faire les cent pas dans la pièce.
Il porte ensuite une main jusqu'à son menton, probablement pour but d'y
réfléchir plus sérieusement, puis s'immobilise enfin pour m'annoncer :
— À partir de demain, vous ne le prendrez plus, me dit-il fermement.
Charlie et moi passerons vous prendre au pied de votre immeuble.
— Quoi ? grimacé-je alors, sincèrement perplexe. Non, je… merci
pour l'attention, mais… je refuse. Les transports en commun me
conviennent parfaitement bien.
— Je crois que nous nous sommes mal compris, Mademoiselle Pierse.
Mon boss approche furieusement, appuie ses deux poings contre le
bois de mon bureau, puis percute ensuite intensément mon regard pour
m’annoncer :
— N'y voyez aucune galanterie de ma part, reprend-il d'un ton acerbe.
Je reste muette.
— Je tiens simplement à m'éviter tout nouvel embarras du genre,
poursuit-il, tout en appuyant chacun de ses mots du bout de son index. C'est
un ordre. Nous passerons vous prendre chaque matin, à huit heures
tapantes, sauf autres demandes de ma part.
Je le regarde rejoindre son antre d'un pas décidé, et reste complètement
médusée suite à cet élan d’autorité. Sérieusement ?! Merde, mais depuis
quand se permet-il de m'imposer ce genre de choses ?! Je le supporte déjà
des heures entières ici, mais en plus de ça… il va falloir que je me le coltine
chaque matin à l'arrière de sa voiture ?!
C'est définitif. Ce mec est le roi des enfoirés.
 
 
 
 
 
 

Chapitre 4
Eva
 

C’est quoi la passion ? C’est une attirance irrésistible. Comme celle d’une
aiguille magnétique qui a trouvé son pôle.
Madeleine Chapsal
 

7 heures et 57 minutes.
 

Comme convenu la veille, je descends les escaliers de mon immeuble,


faussement prête à affronter l'arrivée de mon patron au pied de ce dernier.
Bien évidemment, Matt me suit à la trace pour exécuter son plan d'attaque.
Hier soir, lorsque je suis rentrée de cette énième journée de travail, je n'ai
pas trop tardé à lui expliquer ce que Monsieur Anderson m'avait imposé
pour les futurs trajets à venir. Mon ami a littéralement bondi de son fauteuil
à l'entente des mots de mon boss, que j'ai d'ailleurs pris soin de répéter à la
lettre près. Enfin… il a bondi, certes, mais plus particulièrement quand j'ai
prononcé la phrase ; « Nous passerons vous prendre ».
À vrai dire, c'est à cet instant précis qu'une idée parfaitement ridicule a
traversé sa petite tête -presque- chauve. Se faire passer pour mon fiancé.
Pour être honnête, je me suis contentée de hausser les épaules, un peu l'air
de dire que je le laissais gérer la situation. De toute évidence, mon ami ne se
permettrait rien d'indécent sous les yeux de mon propre patron, alors…
Ouais, je crois que je peux lui faire confiance.
— Prêt ? lui demandé-je alors, tout en poussant la lourde porte menant
aux marches du perron.
Je les déboule ensuite d'un engouement qui m'étonnerait presque, puis
pour finir, me plante sur le trottoir afin de définitivement pouvoir faire face
à ce moment tant redouté.
— C'est pas comme si on n'avait jamais fait ce genre de trucs, ricane-t-
il en m'emboîtant rapidement le pas.
Oui, effectivement, ce n'est pas comme si nous n'avions jamais fait ce
genre de choses ensemble auparavant. Ce n'est pas comme si Matt n'avait
jamais cherché à m'aider dans un cas d'extrême urgence comme celui-ci…
pas comme si son poing ne s'était jamais écrasé contre le nez du type le plus
lourd de toute la discothèque, pour seul but de -brusquement- l'éloigner de
moi. Bon, de préférence, je souhaite éviter ce genre de tactique -aussi
efficace soit-elle- avec mon patron. Non, là… je préfère simplement lui
laisser croire que mon "fiancé" est bel et bien réel. Oui, je veux que Devon
Anderson prenne conscience qu'il existe vraiment, afin que rien de tout ce
qui a pu se passer dernièrement ne puisse se reproduire un jour. Même si…
très honnêtement, je ne suis pas sûre de paraître crédible, lorsque je jette un
rapide coup d'œil vers mon ami. Au-delà de sa carrure imposante, cette
tenue, elle, ne risque pas d'impressionner grand monde. Il est encore en
"pyjama", si je puis dire. Soit vêtu d'un simple t-shirt gris, suivi d'un short
en coton assorti, probablement trop court pour ses longues jambes
athlétiques. Mais après réflexion… je ne peux pas vraiment lui en vouloir
pour ça, étant donné qu'il s'est levé spécialement pour l'occasion.
En temps normal, Matt travaille une bonne partie de la nuit, alors je
trouve ça vraiment sympa d’avoir pris du temps crucial sur son sommeil
pour me donner un petit coup de pouce. Mais bien évidemment, ça n'enlève
absolument rien au fait que cet accoutrement manque de virilité.
Sérieusement… qu'est-ce que va bien pouvoir penser Anderson ? Merde, je
me fous complètement de ce qu'il pense, après tout.
 
7 heures et 59 minutes.
 
— Tu sais à quoi ressemble sa voiture, exactement ? me demande mon
ami en passant naturellement une main autour de ma taille.
— Je pense que tu le sauras sans même avoir le temps de ciller, lui
réponds-je, tout en approchant davantage pour lui rendre son étreinte.
— Je vois, souffle-t-il d’un petit rire nerveux. Merde Eva, cette
situation est carrément bandante.
Je plisse les paupières de façon exagérée afin de lui partager le dégoût
que cette simple phrase peut avoir sur moi, quand mon ami préfère
s'esclaffer, probablement pour me faire savoir qu'il le pense tout de même
sincèrement. Je n'en doute d'ailleurs pas une seule seconde. À vrai dire, ça
l'a toujours amusé de faire ce genre de choses avec moi, et… D’accord, je
l’admets. Moi, ça m'a toujours fait jubiler de pouvoir jouer de cette carrure
bodybuildée pour éloigner les autres hommes. J'ai quand même une sacrée
chance de l'avoir, il faut le dire. J'imagine que peu de femmes ont l'avantage
d'avoir un meilleur ami gay, aux allures pourtant on ne peut plus hétéro.
— Ah, marmonne discrètement ce dernier en regardant au loin. J'en
déduis donc que c'est lui, non ?
Je tourne alors rapidement la tête afin de pouvoir regarder dans la
même direction que mon ami, et en conclus instantanément que… oui,
effectivement, ça ne peut être que Devon Anderson. Une énorme Rolls-
Royce noire comme celle-ci n'a absolument pas sa place dans un quartier
comme le mien. Merde… la honte ! Sérieusement, il n'aurait pas pu faire
simple, au moins pour cette fois ?! Je me sens complètement ridicule,
maintenant !
— Allez… grommelé-je, tout en faisant au mieux pour ne pas bouger
mes lèvres. C'est parti pour vivre les quarante minutes les plus longues de
toute ma v…
Mais Matt ne me laisse pas terminer cette phrase, et s'empresse de me
hisser jusqu'à lui d'une simple petite pression sur ma hanche. Nos lèvres se
percutent ensuite soudainement, me faisant donc enfin comprendre le réel
plan qu'il avait en tête depuis le début. L'enfoiré.
À vrai dire, il m'a toujours habituée à de simples petits bécots. Oui, de
vulgaires smacks, et jamais rien de plus que ça. En général, ce genre de
choses suffit amplement à éloigner les vautours, néanmoins… là, sa langue
poussant mes dents afin de mieux pouvoir s'insérer au fond de ma gorge a
tendance à me faire croire qu'il tient vraiment à ce que mon patron n'ait
aucun doute nous concernant. Merde, c'est l'idée la plus stupide qu'il n'ait
jamais eue. Et le pire dans tout ça, c'est que je ne peux même pas le
repousser, sans prendre le risque de tout foutre en l'air.
— Je vais te tuer, marmonné-je entre deux coups de langue. Bordel…
tu vas me faire vomir, Matt…
— Fais-moi confiance, me répond-il rapidement. Pense à Zac Efron si
tu veux mouiller ta culotte.
Il reprend alors de plus belle, tandis que je me contente simplement de
lui obéir. Après tout… je pense que c'est trop tard pour y mettre un terme.
Mon boss a déjà dû tout voir de sa vitre teintée, donc…
— Mademoiselle Pierse, nous interrompt une voix familière.
Dieu merci. Ça devenait presque pesant.
— Charlie… ! m'exclamé-je alors, tout en plaquant fermement mes
mains contre les pectoraux de mon ami pour gentiment le repousser.
Comment allez-vous aujourd'hui ? ajouté-je ensuite en tournant légèrement
la tête dans sa direction.
— Très bien Mademoiselle, me sourit-il en ouvrant la portière. Merci
de poser la question.
Tu m'étonnes. Ce n'est probablement pas un type comme Anderson qui
risque de s'inquiéter du bien-être personnel de ses employés. D'ailleurs…
c'est en jetant un rapide coup d'œil à l'intérieur de l'habitacle que j'aperçois
ce dernier en train de nous observer. Et j'imagine que mon ami l'a lui aussi
très bien remarqué, puisqu'il s'empresse de saisir mon menton du bout de
ses doigts afin de me forcer à faire de nouveau face à son sourire en coin.
— À ce soir, p’tite femme… Il est encore plus canon que sur
Facebook, termine-t-il ensuite dans un murmure, tout en me gratifiant d'un
dernier petit baiser au passage.
Il est carrément allé stalker son Facebook… ? J’hallucine. Je m'efforce
de rester stoïque face à cette remarque. Pourtant, tout un tas de jurons me
chatouille sérieusement la langue actuellement, mais… je combats cette
envie du mieux que je le peux. Mon ami regagne alors les marches du
perron, probablement fin prêt à foncer chercher son téléphone pour me
gratifier d'un message d'excuse faussement sincère, tandis que je le regarde
s'éloigner en secouant exagérément ma main dans les airs pour le saluer, et
ce, tout en lui laissant le loisir de pouvoir lire les mots suivants sur mes
lèvres ; Tu-es-un-homme-mort. Il rigole. Sérieux ? Ce connard est
réellement en train de se marrer, là ? Merde, c'est vraiment du grand
n'importe quoi, tout ça ! Comment a-t-il pu me faire un coup aussi foireux,
juste sous les yeux de mon patron ?!
Un léger raclement de gorge me sort finalement de mes pensées.
Charlie. Le pauvre vieillard est toujours debout, dans l'attente interminable
qu'enfin je daigne rejoindre ma place.
— Excusez-moi, lui dis-je avant de monter à bord.
— Je vous en prie, Mademoiselle, me répond-il sympathiquement.
Je lui souris de toutes mes dents lorsqu’il referme délicatement la
portière sous mon nez, quand le son monotone de la voix de mon cher
patron me pousse à légèrement pivoter dans sa direction.
— Eva, me salue ce dernier d'un vaste signe de tête.
J'y réponds d'un simple petit pincement de lèvres, un peu gênée par les
minutes précédentes. Tu m'étonnes. Oui, mais je ne m'attarde pas sur sa
présence pour autant, et m'empresse d'attacher ma ceinture. Wow… j’ai
l’impression que ce bolide sort tout droit du futur. Sérieusement, c’est un
putain de palace. Il y a un nombre incalculable de boutons partout autour de
moi, ainsi qu’un foutu bac à glaçons intégré au sol. Quant aux sièges…
merde, on dirait de véritables fauteuils de luxe.
Charlie reprend justement place dans le sien, démarre la voiture, puis
s'engage ensuite rapidement sur la chaussée pour nous amener à destination.
La vitre teintée nous séparant de lui est ouverte de moitié, me laissant donc
penser qu'aucune discussion à titre personnel ne risque d'avoir lieu ici. Tant
mieux. Je me vois mal justifier le comportement complètement indécent de
mon présumé fiancé. Matt va sérieusement me le payer.
C'est extrêmement gênant, cette situation. De plus, l'arrière de ce
véhicule est tellement large, que j'ai la sensation d'être à des kilomètres de
mon patron. Mes iris se plongent alors sur le tapis flambant neuf présent
juste sous mes pieds, et je ne peux m'empêcher de serrer mes jambes du
plus fort que je le peux afin d'éviter au mieux quelconque apparition de mon
porte-jarretelles. Quelle idée de merde, que de porter ce genre de trucs.
Après quelques secondes de silence pesant, je décide finalement de
jeter un rapide coup d’œil dans la direction de Monsieur Anderson -
probablement pour tenter un début de conversation-, mais rougis
instantanément lorsque je comprends que ses yeux sont en fait tout droit
rivés sur moi. Bordel.
 

Devon
Je l'observe attentivement monter à bord de la voiture, et ne peux
m'empêcher de la reluquer discrètement pendant qu'elle prend place à
l'intérieur. Merde, cette femme est diablement sexy. À tel point d’ailleurs,
que la présence d'un autre homme à ses côtés n'a même pas suffi à perturber
mon admiration pour ses longues jambes. Pour être honnête, je l'ai toujours
trouvée très attirante. À la seconde même où ses iris vert émeraude ont
croisé les miens pour la première fois, j'ai tout de suite su qu'il fallait
impérativement que je la baise. Sur mon bureau, dans l'ascenseur, contre le
mur de la salle de réunion… peu importe où, mais il fallait que je le fasse.
Malheureusement, mis à part dans ma tête, rien de tout ça n'a jamais eu lieu.
Pourquoi ? Je n'en sais foutrement rien. Peut-être parce qu'elle s'est toujours
montrée distante avec moi. Comme si j'étais un véritable connard, ou
bien… plus probablement parce que je suis un véritable connard. Ouais, je
pense que la seconde option est nettement plus convaincante, mais à vrai
dire… je n'ai trouvé aucun autre moyen que celui-ci pour dissimuler
l'attirance sexuelle que je ressens, chaque fois que mes yeux se posent sur
Eva. Habituellement, je ne suis pas aussi condescendant que ça. Quoique…
si, peut-être que je le suis, finalement. Irréfutablement. Toutefois, il me
semble l'être tout de même beaucoup plus envers ma secrétaire qu’envers
n’importe qui d’autre. Comme si j'étais parfaitement conscient que cette
femme puisse réussir à me faire tourner la tête. Comme si elle était peut-être
même la seule personne autour de moi à pouvoir le faire. Après tout… je
suis plutôt du genre à appeler un chat un chat. Je n'ai jamais croisé une
beauté aussi enivrante auparavant, et je comprends parfaitement bien
pourquoi le fameux fiancé s'est permis de marquer son territoire sans
aucune pudeur les secondes précédentes, juste sous mes yeux.
D'ailleurs, je remarque qu'aucun anneau n'est présent autour de son
doigt lorsque j'y jette un œil, alors… je profite de ce détail ridicule pour la
devancer, avant même qu'elle n'ait le temps de me demander pourquoi j’ai
le regard actuellement rivé sur elle.
— Vous n'avez pas de bague, lui dis-je en désignant brièvement sa
main de mon menton.
Celle qui repose délicatement sur sa cuisse.
— Pourquoi serais-je forcée d'en porter une ? me demande-t-elle alors,
sincèrement perplexe.
— C'est la tradition qui veut ça, lui réponds-je d'un air logique.
Lorsqu'un homme demande sa petite amie en fiançailles, il se doit de lui
offrir une bague.
Au vu du froncement de sourcils qu'elle me rend pour toute réponse,
j'en déduis que mon comportement devient un peu trop suspect à son goût.
Je veux dire… le fait que je m’intéresse à sa vie personnelle, tout à coup.
Ce n'est pas franchement dans mes habitudes en temps normal, et pour être
honnête, je comprends son étonnement. Avant le petit dérapage que j'ai
commis sans réfléchir la dernière fois, je ne m’étais jamais montré aussi
attentif. Merde, je ne sais toujours pas pour quelle raison j'ai tenté de
franchir le pas ce fameux soir. Probablement mon taux d'alcoolémie. Ouais,
c'est même certain. Je me suis senti pousser des ailes grâce au whisky, mais
Eva m'a rapidement ramené à la raison, me rappelant donc sans plus
attendre que jamais ce genre de choses ne pourrait avoir lieu entre nous.
Mon ego en a pris un sacré coup, je dois l'admettre. En effet, puisqu'à
l'instant précis où j'ai compris que mes envies n'étaient pas réciproques, je
ne savais plus du tout où me mettre. Ce pour quoi j'ai sorti ma dernière
carte, et ai de nouveau arboré mon masque de "super connard".
Sérieusement… comment ai-je bien pu croire qu'une femme comme elle
puisse véritablement s'intéresser à l'homme sarcastique que je suis ? Aucun
doute, cette fois-là -et comme beaucoup d'autres d'ailleurs-, Mademoiselle
Pierse a su frapper en plein dans mon orgueil.
Évidemment, elle n'en saura jamais rien, puisque je passe mon temps à
dissimuler les choses depuis trois ans. Par exemple, je me suis vicieusement
servi de son retard d'hier pour lui imposer le fait que dorénavant, les trajets
de chez elle jusqu'au travail se feraient en ma compagnie. C'était non
négociable, mais j'étais tout de même persuadé qu'elle n'accepterait jamais
une chose pareille. Au final… elle n'a pas cherché à résister une seule
seconde, et a accepté sans trop rechigner.
Aussi comme cette autre fois, où j'ai réussi à lui faire croire que j'avais
impérativement besoin de sa présence dans mon bureau chaque lundi, et ce
sur une durée de presque un mois, pour m'aider à gérer un dossier que je
qualifiais d'impossible à clôturer seul. C'était totalement faux. En vérité…
j'aurais pu le boucler sans aucune aide en moins d'une semaine,
seulement… j'aime la savoir si proche de moi. Ça me permet de l'observer
discrètement, sans qu'elle ne s'aperçoive jamais de rien. Mais malgré l'effet
indéniable que cette femme a sur moi, je compte bien continuer à lui
prouver que la présence d'un homme dans sa vie ne changera strictement
rien à la mienne. Je compte bien continuer à me comporter comme cet
homme détestable qu’elle a toujours connu jusqu’à maintenant.
— Aucune importance, relancé-je enfin, parfaitement stoïque. À quels
rendez-vous est-ce-que je dois m'attendre aujourd'hui ?
Je garde un œil discret sur elle pendant qu'elle s'empresse de sortir le
smartphone de son sac à main, tandis que mes pupilles ne peuvent
s'empêcher de bifurquer sur le flanc de sa cuisse gauche, au moment même
où elle se penche en avant. Bordel. Sa petite jupe noire glisse délicatement
contre la soie de ses bas, me permettant donc d'y distinguer une jarretelle
assortie dans la foulée. Mon cœur s'emballe.
— Alors… marmonne-t-elle en se redressant pour mettre un terme à
mon calvaire. À neuf heures, vous devez recevoir le comptable pour un
compte rendu. Ensuite… poursuit-elle d'une petite moue dubitative. Kiara
viendra dans votre bureau pour déjeuner, et…
Je fais mine de l'écouter attentivement pendant qu'elle déblatère dans
l’ordre la journée qui m'attend, puis en profite pour commencer à réfléchir
plus sérieusement à ce qui risque d'arriver lors de cette fameuse "pause
déjeuner". En réalité, je suis convaincu qu'Eva sait pertinemment ce qu'il se
passe derrière sa porte, chaque fois que Kiara vient me rendre visite. Jusqu'à
maintenant, nous avons toujours fait ça discrètement, mais aujourd'hui… je
crois que je n’ai pas trop envie de me cacher.
J'actionne le bouton permettant de fermer la vitre qui nous sépare du
chauffeur, puis me retourne enfin vers Eva, toujours faussement attentif à ce
qu'elle me dit depuis tout à l'heure. Elle s'interrompt dans une grimace pour
me demander :
— Je peux savoir ce que vous faites ?
Son regard va et vient rapidement de moi à la vitre, mais j’ignore
complètement son interrogation précédente :
— Pourquoi avoir choisi Brooklyn comme lieu d'habitation ?
Je la gratifie d'un léger froncement de sourcils afin de l'encourager à
répondre, tandis que sa grimace ne s'estompe pas, me laissant donc penser
qu'elle ne comprend vraiment rien à ce changement de comportement si
soudain.
— Et bien… grommelle-t-elle, un peu hésitante. Disons que les loyers
n’étaient pas trop chers là-bas. Ça correspondait plus à mon budget.
— Je ne saisis pas, désapprouvé-je d'un vaste signe de tête. Avec le
salaire que je vous verse chaque début de mois, vous n'arrivez pas à vous
offrir un logement en plein cœur de New York ?
Elle a l'air assez confuse. Je pense que cette question est un peu trop
indiscrète à ses yeux, mais je ne compte m'en excuser pour autant. Sa
réponse m'intéresse. En effet, contrairement à ce que pense Eva… Elle
m'intéresse.
— Ça ne vous regarde pas, me répond-elle alors sèchement. Qu'est-ce
qui vous prend au juste, ces derniers temps ? Pour commencer…
Le son de sa voix baisse d'une octave avant qu'elle ne poursuive sa
requête, me laissant donc penser qu'elle s'apprête à parler du baiser que je
me suis permis de lui voler la dernière fois. Chose qui se confirme d'ailleurs
instantanément :
— Pour commencer, reprend-elle alors fermement. Vous me sautez
presque dessus dans votre bureau, et maintenant… ma vie entière vous
intéresse ?
Je n'ai aucun argument à lui apporter, cependant… je reste encore
capable de me comporter comme un véritable salopard.
— J'essaie simplement de faire des efforts pour que nos relations soient
plus… "humaines", lancé-je d'un air logique. Et pour ce qu'il en est de cet
incident… il s'agit d'un vulgaire malentendu. J'étais complètement saoul, et
j'aurais probablement sauté sur Marta de la même manière.
Aïe. Ouais, j'imagine que c'est exactement ce qu'elle vient tout juste de
penser. Marta n’est autre que la réceptionniste de notre étage, mais… disons
que la retraite n'est plus très loin pour elle. C'est une femme un peu dodue,
et la vieillesse ne l'a pas franchement épargnée. Sans parler de son aigreur
habituelle. Effectivement, personne n'a rien à lui envier, alors… je pense
que ma petite réflexion était tout de même assez contrariante.
— Et donc… c'est de cette façon, que vous comptez embellir nos
relations ? pouffe-t-elle avec dédain.
Merde. Elle a raison. Je suis vraiment un abruti. Ouais, et ça ne risque
pas de changer de sitôt :
— À vrai dire, répliqué-je alors naturellement. J'ai déjà pensé à d'autres
méthodes avant ça, seulement… je serais forcé de vous virer par la suite.
Il est évident que je n'ai pas besoin de lui donner plus de détails à ce
sujet. Ma réputation me colle à la peau depuis déjà plusieurs années, et ici,
tout le monde me voit comme le tombeur de ces dames. Il faut dire qu'avant
Eva, j'ai dû avoir pas moins d'une quinzaine de secrétaires. La plupart sont
restées deux semaines, tout au plus. Disons que… je ne suis pas du genre à
m'arrêter sur une seule et unique personne, et devoir supporter la présence
d'une femme qui croit dur comme fer à un avenir solide avec moi n'a jamais
été dans mes cordes. Elle, elle n’a jamais agi de cette façon, et c’est
d'ailleurs l'une des nombreuses raisons qui, jusqu'à maintenant, m’ont
encouragé à la garder. C’est vrai, je n'ai jamais eu affaire à une si bonne
employée. Au-delà de son caractère de cochon, elle n'en reste pas moins
mon meilleur élément au sein de cette entreprise.
À vrai dire, Eva est multifonction. Lorsqu'elle a commencé à travailler
pour moi, il était prévu qu’elle gère uniquement la paperasse me
concernant, autant professionnelle que personnelle. Toutefois, j'ai pu
constater combien le monde de la publicité la passionnait, alors… j'ai fini
par lui laisser quelques dossiers en rapport avec ça de temps à autre. Inutile
de préciser qu’elle s’en est sortie comme un chef. Donc oui, effectivement,
je ne peux pas me permettre de la laisser filer.
— Rassurez-vous, lance-t-elle d'un rire spontané. Ça ne risque pas
d'arriver !
Une petite pointe me pique la poitrine lorsqu'elle termine cette phrase,
ce qui m’oblige donc à reprendre mes airs d'homme implacable sur-le-
champ. En vérité… je dois admettre avoir du mal avec cette réticence
permanente. D’ordinaire, les femmes se jettent d'elles-mêmes à mes pieds,
mais avec Eva… c'est complètement différent. Depuis le début, tout l'a
toujours été.
 
 

Chapitre 5
Eva
 

Curiosité : vilain défaut de l'esprit féminin. L'envie de savoir si oui ou


non une femme se consume de curiosité est l'une des passions les plus
actives et les plus insatiables de l'âme masculine.
Ambrose Bierce
 

Lorsque je dévore mon hot-dog à pleines dents, plusieurs sons


provenant du bureau de Monsieur Anderson me valent un petit temps
d'arrêt. Je tends alors l'oreille, toujours assise sur ma chaise inconfortable,
puis finis par écarquiller les yeux de manière exagérée quand je comprends
enfin ce qu'il s'y passe. Oh mon Dieu. Mon sandwich me glisse littéralement
des doigts, retombant donc aussitôt dans son panier cartonné. Je suis
probablement en train de rêver. Oui, après tout… il ne peut quand même
pas faire ça là, juste à côté de moi… si ?
Je secoue rapidement la tête pour me remettre les idées en place, puis
m'empresse ensuite d'ouvrir ma bouteille de soda afin d'en boire une grande
lampée, tout en espérant sincèrement que ce simple geste m’aide à faire
abstraction de tout ça deux petites minutes. Une fois chose faite, je constate
que rien n’y fait. Les hurlements de cette pouffiasse ne cessent toujours pas.
C'est étrange, mais… le fait d'imaginer ce que lui fait mon patron en cet
instant précis a tout de même le pouvoir de provoquer un tourbillon
d'émotions dans mon estomac. Probablement parce que ça fait près de six
mois que personne ne m'a touchée. C'est même certain. Je décide alors de
me lever, puis marche discrètement jusqu'à la porte communicante afin d'y
poser délicatement mon oreille. Je suis vraiment en train de faire une chose
aussi répugnante ? Rien à foutre, personne n'en saura jamais rien.
— Plus fort ! hurle subitement Kiara, très certainement sur le point
d'en finir.
J'appuie maintenant mes deux paumes contre la porte afin d'y coller un
peu plus fort mon oreille, et donc de peut-être pouvoir distinguer la voix de
Devon parmi ces hurlements. Honnêtement, je ne sais pas vraiment ce qui
me pousse à faire ça. La curiosité. Oui, sans aucun doute. Je pense que
chaque personne sur cette planète rêve de savoir de quelle manière jouit son
patron. Ou pas. Mais en tout cas… moi, ça m'intéresse.
— Encore Devon ! crie-t-elle de nouveau. Plus fort ! Oui, comme ça !
Suite à cette nouvelle exclamation, je suis capable d'entendre le
claquement de leur peau se percuter de façon, je l'imagine, on ne peut plus
bestiale. J'en viens même par me laisser divertir. Oui, aussi bizarre et
glauque que ça puisse paraître… ma curiosité laisse maintenant place à de
la complaisance. À tel point d'ailleurs, que je ne me rends pas tout de suite
compte de la porte s'ouvrant brusquement sous le poids de mon corps
reposant tranquillement dessus. Nom de Dieu. Cette dernière vient de
s'ouvrir si rapidement, que je n'ai même pas eu la possibilité de la rattraper
à temps. Bordel.
Me voilà donc maintenant face à mon patron et son amante,
complètement bouche bée, et probablement morte de honte au passage.
Bon, à vrai dire, je ne sais pas qui de nous trois doit se sentir le plus
consterné en ce moment précis. Kiara est intégralement nue, allongée sur le
bureau de Monsieur Anderson, tandis que ce dernier me regarde droit dans
les yeux, ses mains toujours fermement scellées aux hanches de sa
compagne de baise, et son sexe encore bien enfoui à l'intérieur de son vagin.
J'ai envie de disparaître, là, tout de suite.
— Eva ?! s'exclame alors Kiara, les yeux ronds comme des billes, et
tout en prenant soin de cacher sa poitrine en y croisant rapidement ses
mains.
J'aimerais pouvoir lui dire qu'au vu de la position dans laquelle elle se
trouve actuellement, le fait de se cacher n'y changera strictement rien,
néanmoins… je préfère m'abstenir.
— Euh, je… commencé-je, légèrement paniquée.
Trouve-toi une putain d'excuse, bordel !
— Je suis sincèrement désolée, je…
Allez !
— Je voulais vous parler d'une chose importante, et… continué-je, tout
en faisant de mon mieux pour regarder mon patron droit dans les yeux. Et…
OK, j'abandonne.
— Je reviendrai plus tard, abdiqué-je en tournant définitivement les
talons.
Je claque ensuite la porte, m'appuie de tout mon long contre cette
dernière, -en évitant de reproduire la même erreur, de préférence, puis
expire bruyamment, afin de pouvoir extérioriser chaque petit millimètre
d'embarras grondant encore à l'intérieur de mes entrailles. Bordel de merde,
tu es vraiment trop stupide ! Je m'insulte intérieurement pendant de longues
secondes, non sans grimacer à plusieurs reprises pour appuyer le tout,
quand le bruit d’une phalange toquant contre le bois présent dans mon dos
m'interrompt finalement lors de mon propre sermon. Je me stoppe alors
instantanément, et reste là, parfaitement immobile, probablement dans
l'espérance que la personne présente derrière cette foutue porte ne finisse
par renoncer. Pas de chance, le tapotement surgit une seconde fois. Merde.
Je me retourne alors rapidement, inspire profondément afin de me
préparer psychologiquement à recevoir les plaintes amères de mon patron,
puis pose enfin ma main sur la poignée, au moment exact où cette dernière
finit par se tourner. Expire, Eva !
Et c'est à l’instant même où mes yeux se rouvrent enfin, que je tombe
nez à nez avec un Devon Anderson tout luisant, et encore complètement
décoiffé. Comment suis-je censée passer outre les minutes précédentes, s'il
tente de communiquer avec moi dans un accoutrement de retour de baise ?
— Eva, souffle-t-il naturellement.
Merde, mais pourquoi paraît-il parfaitement à l'aise avec la situation ?
C'est vrai, j’oubliais. Ce mec est beaucoup trop arrogant pour être gêné.
— Oh, euh…Monsieur Anderson, lui réponds-je d’un sourire forcé. Je
suis vraiment désol…
— Qu'est-ce que vous me vouliez, au juste ?
OK. Je n'avais pas du tout prévu ça.
Eh bien… soupiré-je en lui tournant le dos pour rejoindre mon bureau.
Je m'y dirige alors doucement, (très doucement), puis laisse ensuite
mes yeux parcourir la pièce de fond en comble de manière on ne peut plus
rapide afin de m'aider à trouver un bon argument sur-le-champ. Ses pas se
rapprochant dans mon dos me mettent une pression monstrueuse sur les
épaules, et je comprends qu'il ne me reste plus beaucoup de temps pour
trouver une solution. Mes iris tombent finalement sur la petite pile de flyers
donnée par Matt la semaine dernière. Je dois impérativement les distribuer
avant demain pour ramener un maximum de monde à la soirée qu'il
organise dans son bar. Il s'agit d'une sorte de gala de bienfaisance. Oui, dans
un bar ambiance, il est vrai que ce genre de choses est peu commune,
néanmoins… l'idée reste tout de même extrêmement bonne. En vérité, Matt
accorde beaucoup de son temps aux plus démunis, et pour cela, il est prêt à
engager le groupe de rock le plus populaire de tout New York.
Effectivement, je pense que cette excuse peut largement tenir la route. Je
me lance en saisissant le bout de papier entre mes doigts, puis me retourne
enfin vers mon patron pour lui faire face :
— Mon ami tient un bar dans le quartier de Williamsburg, et…
commencé-je, légèrement hésitante. À vrai dire, j'ai pensé à vous, car il
organise un gala de charité pour aider les plus démunis. Comme vous
pouvez le voir…
Je m’approche pour lui désigner les quelques lignes de mon index.
— … L'entrée est exceptionnellement payante, et vous pouvez
également faire des dons afin de venir en aide à l'association City Harvest.
C'est une association à but non…
— Non lucratif, me coupe-t-il d'un vaste signe de tête. Je sais, je
connais.
Il me saisit le petit papier des mains, y lit brièvement son contenu, puis
relève ensuite les yeux vers moi pour ajouter :
— Je donne déjà pour eux chaque fin de mois.
Quoi ? OK, tente de paraître naturelle. Après tout… il a parfaitement
le droit d'être sympa, par moment.
— Oh, marmonné-je alors avec une petite touche d’étonnement malgré
tout.
En vérité, je crois que le mot est faible. Vraiment. Je tombe des nues.
Qui aurait cru que Monsieur Devon Anderson puisse véritablement
s'intéresser à la population la plus défavorisée de tout New York ? Lui qui
ne voit généralement pas plus loin que le bout de son nez ?
— Je serai là, approuve-t-il ensuite d'un second signe de tête. De
plus… j'aime bien les DarkSide.
Je souris timidement à l'entente de cette seconde nouvelle étonnante,
mais continue tout de même à faire de mon mieux pour ne pas trop
divulguer ma surprise. En plus d'aider les pauvres, Anderson aime le rock ?
Stupéfiant. En effet, il me surprendra toujours.
— Moi aussi, lui réponds-je alors, impassible. Ils sont super cools.
— En effet, souffle-t-il en tournant les talons. Super cools.
Je l'observe attentivement quitter la pièce sans rien ajouter, quand ce
dernier se retourne finalement, l'air un peu suspicieux :
— Oh, et… Eva ?
— Oui ? l’interrogé-je alors avec enthousiasme.
— Tâchez de frapper, la prochaine fois, termine-t-il avec le sourire, et
me portant donc l'ultime coup de grâce.
Fort heureusement, il ne prend pas le temps de me regarder me
liquéfier sur place, et préfère se contenter de regagner son bureau sans plus
attendre. J'ai tellement honte. Cependant… ma petite tactique a fonctionné
à merveille, et ma couverture reste donc intacte. Quoique… merde, non !
Qu'est-ce que je viens de faire ?! Comment vais-je bien pouvoir justifier la
présence de mon propre patron à la soirée de Matt ?! En plus de me détester
pour ça, il va se moquer de moi pendant des années, si je lui dis toute la
vérité ! Seigneur… dans quoi est-ce que tu t'es encore fourrée…
 

Devon
À vrai dire, j'étais sincèrement content de voir Mademoiselle Pierse
débarquer si brusquement dans la pièce pendant que je prenais Kiara sur
mon bureau. J'étais persuadé qu'elle nous entendait de sa petite chaise, et en
ai donc déduit que le fait de devoir supporter les cris de mon amie l'avait
sincèrement irritée, au point de venir nous interrompre, sans aucune réelle
excuse à m'apporter au final. Toutefois, lorsque je suis allé dans son antre
pour lui demander des comptes au sujet de son entrée fracassante, cette
dernière m'a instantanément donné une raison. Je dois admettre avoir été
légèrement déçu, tout de même. J'aurais préféré y déceler une petite touche
de jalousie, mais… rien. Seulement de la gêne. Beaucoup de gêne. Pour
être honnête, je la pensais bien plus culottée que ça. Avant de déshabiller
Kiara, j'imaginais déjà toutes les façons possibles dont Eva aurait pu entrer
en furie pour nous demander de faire moins de bruit. Au lieu de ça, elle a
très certainement dû manger à la cafétéria, avant d'ensuite entrer dans son
bureau pour directement foncer dans le mien, et ce, sans jamais entendre
quoique ce soit de suspect au préalable.
— Pourquoi veux-tu que je t'accompagne ? me demande Caleb à l'autre
bout du fil.
— C'est pour la bonne cause, lui répond-je en m'affalant dans mon
fauteuil. Deux hommes comme nous dans un endroit comme celui-ci, et…
les dons espérés dépasseront toute attente.
J'entends mon frère marmonner son mécontentement à travers le haut-
parleur du téléphone, mais je reste tout de même persuadé qu'il finira par
accepter. Nous ne sommes jamais d'accord sur rien, en revanche, quand il
s'agit d'aider les plus pauvres, la question ne se pose pas vraiment.
— Je ne resterai que quelques minutes pour boire un verre et faire don
d'un chèque, dans ce cas, cède-t-il dans un soupir. Je suis fatigué en ce
moment avec les trajets à répétition, alors…
J'approuve d'un simple petit « OK », puis le salue brièvement afin de
pouvoir raccrocher. Ce dernier m'interrompt dans ma démarche :
— Devon, lance-t-il d'un ton intrigué.
Généralement, Caleb ne cherche jamais à allonger nos conversations
téléphoniques. Nous avons déjà du mal à nous supporter en chair et en os,
donc… en effet, j’admets que ça attise un peu ma curiosité.
— Oui ? l'interrogé-je alors, sincèrement perplexe.
— Si c'est Eva qui t'en a parlé… commence-t-il avec hésitation.
J'imagine qu'elle sera présente ?
— Effectivement, lui réponds-je, impassible.
Ouais, comme bien trop souvent, je tente de ne surtout rien laisser
paraître. Cependant… je sais très bien à quoi pense mon frère actuellement.
Elle lui a tapé dans l’œil la toute première fois qu'il l'a croisée, et cette idée
a toujours eu tendance à me rendre dingue.
— Bien, souffle-t-il dans ce que je suppose être de la satisfaction.
Heureux de l'apprendre.
— Tu connais les clauses de son contrat, Caleb, lui lancé-je d'un ton
ferme.
— À ce propos, frangin, me dit-il, faussement interrogé. Eva est la
seule de tes employées à avoir signé ce type de contrat ? Je veux dire…
avec la ligne indiquant qu'elle a l'interdiction formelle de coucher avec moi
?
Je peine à déglutir lorsqu'il ose me poser la question. Jusqu’à
maintenant, il n’y avait jamais pensé. Évidemment, Eva reste la seule à
avoir griffonné cette paperasse, aussi surréaliste soit-elle. Je me moque
complètement de savoir si mon frère se tape la comptable de l'étage trois,
ou bien encore… Gary, l'homme à tout faire du bâtiment. Néanmoins, je
compte bien lui mentir à ce sujet. Si je lui dis la vérité… il se contentera de
prendre ça comme un véritable défi à relever, et il en est absolument hors de
question.
— Non, réponds-je alors sans plus attendre. Eva n'est pas la seule à
avoir signé ce type de contrat.
— Tu n'as quand même pas osé faire signer ce chiffon à Marta… si ?
Au point où j'en suis…
— Si, approuvé-je, sans l'ombre d'une hésitation. Je l'ai fait.
— Mh, marmonne-t-il, peu convaincu. D'accord. On se voit demain.
Tu m'enverras l'adresse du bar par SMS.
J'approuve d'un simple grognement, puis raccroche ensuite le
téléphone sur-le-champ, fin prêt à me remettre au travail. J'ai une tonne de
choses à relire avant la sortie définitive de la dernière publicité Samsung.
— Monsieur Anderson ?
La voix d'Eva est légèrement étouffée par le bois de la porte. Cette
dernière est entrebâillée, me laissant donc penser que même de cette façon,
ma secrétaire n'ose plus la franchir sans ma permission. Je jubile.
— Vous pouvez entrer, lui dis-je fermement.
Elle s'exécute alors sans plus attendre, et avance aussitôt vers moi, tête
baissée, les bras chargés de plusieurs dossiers.
—Tenez, me dit-elle en les déposant sur l'angle de mon bureau.
Je les regarde et relève la tête vers elle.
— C'est l'heure pour moi, annonce-t-elle ensuite en s'éloignant. Je vous
souhaite un bon week-end.
— Mademoiselle Pierse ?
Son corps se fige tout entier à l'entente de son nom, tandis qu'elle reste
dos à moi, chacun de ses membres atrocement tendus. J'imagine qu'elle
s'attend déjà à ce que je lui demande de rester quelques heures de plus. Eva
sait pertinemment que quand je prononce son nom de la sorte, ce n'est en
général pas pour me montrer tendre avec elle. Oui, toutefois… elle
n’imagine pas une seule seconde combien ça m’amuse, de jouer ainsi avec
ses nerfs.
— Nous nous verrons demain soir, au bar de votre ami, lui lancé-je
finalement, sourire en coin.
Pour toute réponse, elle me permet d'apercevoir brièvement son profil
gauche, hoche la tête avec flegme, puis s'empresse ensuite de disparaître en
direction de son bureau. Demain soir… Merde, je crois n'avoir jamais eu
autant hâte de signer un chèque. À vrai dire… en trois ans, c'est la toute
première fois que je vais avoir le loisir de voir Eva en dehors de nos heures
de travail. Oui, enfin… elle m'a déjà accompagné à plusieurs séminaires à
l'autre bout du pays, néanmoins, nous n'avons jamais partagé de moments
”intimes” pour autant. En réalité, après ce genre d'après-midi, nous
regagnons systématiquement nos chambres d'hôtel respectives. Mon frère,
lui, n'hésite pas à inviter sa secrétaire à partager un verre après une journée
entière comme celle-ci. En tout bien tout honneur, me dit-il constamment.
Tu parles. Mais après tout… j'admets que le fait de devoir serrer des mains
et sourire poliment à chaque personne nous félicitant pour notre travail n'est
pas franchement de tout repos. Psychologiquement, c'est épuisant. Alors
oui, il n'a pas tort de décompresser, quelle qu'en soit la façon. Un bon verre
de whisky, ou une baise torride avec la petite Mindy.
Moi, en revanche, je n'ai jamais proposé ce genre de choses à Eva, et
pour cause… ; je refusais de lui montrer mon côté sympathique. Elle aurait
fini par me connaître sous d'autres formes, et cette idée ne me convenait
absolument pas. En effet, j'avais du mal à concevoir ce genre de
"rapprochement", mais maintenant… je crois que je suis prêt à lui montrer
l'inverse de ce qu'elle a toujours connu chez moi. C'est étrange, mais j'ai la
sensation que le fait de la savoir fiancée a considérablement brisé les limites
que je peinais pourtant à m'imposer depuis le début. Probablement mon côté
accapareur, ou bien… cette attitude de connard qui ressort en permanence.
Merde, tant pis. Il est maintenant temps de passer à la vitesse supérieure.
Ouais, après tout… le mariage n'a pas encore eu lieu.
 
 
 
 
 
 
 

Chapitre 6
Eva
 

Danser, c’est s’interroger, aller au plus profond de soi.


Marie-claude Pietragralla
 
— C'est hors de question que je fasse un truc pareil, Matt ! m'exclamé-
je, les yeux tout écarquillés. Non mais vraiment… tu m'as vue ?! Je n'ai plus
du tout la même allure qu’il y a quelques années !
— Si, m’assure-t-il d'une grimace approbatrice. Tu as dû prendre
genre… un kilo, depuis que tu as tout arrêté ?
Je secoue vivement la tête de gauche à droite afin de lui faire savoir
que ce genre de compliment maladroitement dissimulé ne fonctionnera pas
sur moi, tandis qu'il se met à genoux sous mes yeux, et arbore son air le
plus adorable qui soit pour me supplier ;
— Pitié Eva ! commence mon ami en entremêlant ses doigts entre eux
pour marquer sa supplication. Il faut absolument chauffer la salle avant que
les DarkSide ne démarrent leur concert !
— Eh bien… trouve d'autres solutions ! balancé-je dans un froncement
de sourcils. Mais ne compte pas sur moi pour jouer les allumeuses devant
une centaine de personnes !
Sérieusement… qu'est-ce qui a bien pu lui passer par la tête, pour me
demander de ressortir ma vieille barre de pole dance ? C'est complètement
absurde ! Tant qu'à faire, autant placarder une immense banderole au-dessus
de ma tête avec écrit ; "Faites un maximum de dons, et surtout, rincez-vous
bien l’œil, les gars !" N'importe quoi. J'aurais l'impression d'être
comparable à une prostituée !
— Je t'en supplie p’tite femme, souffle-t-il tristement. La soirée
commence dans moins de cinq heures, et je n'ai trouvé aucune autre idée
pour remplacer la danseuse qui m'a planté, alors j…
— Ce n'est pas mon problème, Matt, l'arrêté-je sèchement. Tu n'as qu'à
demander à Mara. Je suis sûre qu'elle acceptera sans problème.
— J'en suis convaincu moi aussi, mais…
— Et bien voilà, l'interromps-je de nouveau, l'air un peu sceptique tout
de même. Problème réglé, pas vrai ?
Pour être honnête, ça ne m'étonnerait pas que notre amie lui rende ce
genre de service. Bien qu'elle n'ait jamais pratiqué ce type de sport, cette
femme serait tout de même prête à tout pour tenter de convertir Matt à
l'hétérosexualité. Ce qui, par conséquent, inclut donc le fait de toujours être
la première à répondre présente, peu importe quand, et aussi farfelue qu'en
soit la raison.
— Je t’en prie… grimace ce dernier d’un air désapprobateur. Mara
aurait l’allure d’une sardine séchée sur cette foutue bar.
Cette remarque désobligeante concernant notre amie me vaut un petit
gloussement incontrôlé, toutefois… ça ne change strictement rien à ma
réponse. Je lui fais d'ailleurs aussitôt comprendre en balançant de nouveau
ma tête de gauche à droite.
— Très bien, dans ce cas… dit-il en se redressant lentement. Je vais
être obligé d'employer la manière forte.
Je plisse les paupières en le regardant s'éloigner dans la cuisine, tandis
qu'il se contente simplement d'ouvrir la porte du frigo pour en sortir une
canette de soda. Il la décapsule sur-le-champ, en boit lentement la première
gorgée, puis effectue ensuite un claquement de gorge insupportable, sans
jamais cesser de me fixer, et toujours de cet air affreusement agaçant que je
lui connais.
— Quel genre de chantage tu comptes encore me faire, au juste ?
soufflé-je en levant les yeux au ciel, excédée.
Mon ami prend le temps de boire une seconde lampée, reproduit de
nouveau ce bruit de gorge parfaitement épouvantable, puis me gratifie
ensuite d'un petit sourire en coin avant d'annoncer :
— Deux semaines tout entières de ménage, commence-t-il en
approchant rapidement, un rien compétiteur. Plus de lessives pour toi, plus
de vaisselles, plus… rien, Eva. Pendant deux longues semaines.
Je connais mon ami, alors je suis plutôt bien placée pour savoir qu'il ne
rigole pas avec ce genre de deal. Nous avons dû le faire une cinquantaine de
fois au total depuis que nous habitons ensemble, et jamais, ô grand jamais,
il n'a tenté de m'arnaquer. Non, Matt est quelqu'un de fiable, et… c'est
d'ailleurs exactement pour cette raison que je compte bien négocier :
— Un mois, suggéré-je, tout en tendant une main vers lui pour l'inciter
à accepter ma proposition.
Il se décompose, tout à coup. Oui, son regard se vide, mais je suis
absolument convaincue qu'il finira par approuver malgré tout. De toute
évidence… il n'a pas vraiment le choix, s'il tient à faire carton plein ce soir.
Chose qui se confirme d'ailleurs instantanément :
— Marché conclu, souffle-t-il en me rendant une poignée de main
paresseuse.
— Yes, chuchoté-je bruyamment, victorieuse.
— Tu n'as pas franchement de quoi être fière, peste-t-il en tournant les
talons.
— Pourquoi donc ? lui demandé-je alors, intriguée. J'ai tout de même
gagné un mois entier de repos !
— Oui, ricane-t-il dans plusieurs hochements de tête. C'est bien ça le
plus déprimant, p’tite femme. Tu vendrais probablement ton âme au diable
pour une vie sans tâches ménagères.
Aïe. Oui, mais à vrai dire… il n'a pas tout à fait tort à ce niveau-là. Non
seulement je viens d'échanger quatre semaines de répit contre ma propre
dignité, mais en plus de ça, je serais indéniablement capable de bien pire
pour ne plus jamais avoir à tenir un manche à balai entre mes mains. Tant
pis. Même si je risque fort de le regretter au moment venu, je préfère me
dire que ça en vaut probablement le coup. De plus, je dois admettre être une
excellente danseuse quand il s'agit de me trémousser contre une barre en
inox, alors… je ne pense pas prendre le risque de me ridiculiser.
— Au fait, relance mon ami, tranquillement appuyé contre le contour
de porte de sa chambre.
— Oui ? l'interrogé-je, sourcils arqués.
— Tu vas présenter un vrai show, cette fois, commence-t-il, bras
croisés. Ce ne sera pas dans ta chambre, ou bien à la salle de danse, alors…
mets ta brassière de côté, et enfile une tenue sexy, d’accord ?
— Quoi ?! grimacé-je, sincèrement confuse. Non, c'est hors de
question que je…
— Pense à tous ces gens qui vont enfin pouvoir manger à leur faim
grâce à ton joli petit cul !
Matt tourne rapidement les talons après m'avoir interrompue, large
sourire aux lèvres, et me laissant donc complètement médusée sur notre
canapé d’angle. L'enfoiré. Mais pour être honnête… je crois que le pire
dans cette histoire, c'est le fait que je me souvienne tout juste avoir proposé
à mon patron de venir, pas plus tard qu'hier. Tout ça pour me sauver les
fesses d'une situation délicate dans laquelle je m’étais -encore une fois-
moi-même fourrée. Ce qui signifie donc que ce dernier va me voir en dehors
de notre lieu de travail pour la toute première fois en trois ans, et ce, plus
déchaînée que jamais. Seigneur. Je suis déjà morte de honte, rien qu'à l'idée
de voir sa tête lorsqu'il découvrira mes talents cachés de danseuse de club
privé. C'est certain, les journées aux bureaux risquent d'être complètement
différentes à compter de lundi.
 

♤♤♤
 

Évidemment, je n'avais aucune tenue pouvant convenir aux critères de


mon meilleur ami dans mon dressing. Oui, car comme si tout ça ne suffisait
pas déjà… je me dois de porter une chose qui lui conviendra parfaitement.
D'après Matt, l'un de mes ensembles en dentelle aurait largement pu faire
l'affaire, cependant… il est absolument inconcevable que je prenne le risque
d'abîmer mes porte-jarretelles, pour seul but de jouer les stripteaseuses le
temps d'un instant. Tout ça m'a coûté la moitié d'un salaire l'année dernière,
et je préfère éviter devoir vendre mon rein pour un énième morceau de soie.
Oui, et puis… ça reste des sous-vêtements, tout de même. Alors je refuse de
danser dans une tenue comme celle-ci sous les regards émoustillés des plus
gros pervers de la soirée.
C'est donc principalement pour cette raison que j'ai décidé de me
rendre au centre commercial le plus proche, avec pour seul but d’acheter
quelque chose d'un peu plus convenable. D'ailleurs, une fois rendue dans
l'un de mes magasins favoris, il ne m'aura pas fallu plus de dix minutes pour
trouver l'équipement idéal. Je me suis simplement contentée de foncer tout
droit vers les bodys, en pensant sincèrement que cette option était la
meilleure. Après tout, c'est largement suffisant pour ne pas paraître trop
aguicheuse, et il y a bien assez de matière pour cacher mes multiples petits
défauts. Évidemment, il fallait que je m'assure de sélectionner le tissu le
plus épais, afin que personne ne puisse profiter de trop près de mes courbes
généreuses. Celui que j'ai choisi est en nylon noir, joliment décoré de petits
strass sur le décolleté. Deux ouvertures sont présentes au niveau des
hanches, quant au dos, lui, il est intégralement nu, ce qui me permettra donc
une meilleure accroche à la barre.
Oui, celui-ci est vraiment parfait.
— Eva… ?
Cette voix féminine me prend instantanément aux tripes pendant que je
repose les trois autres body sélectionnés quelques minutes auparavant sur
leur portant. Je la reconnaîtrais parmi cent autres, cette voix.
— Mince, ça fait bien… reprend-elle, légèrement hésitante. Deux ans !
Je ferme les paupières, expire profondément, puis décide finalement de
me retourner pour pouvoir faire face à cette femme qui n'est maintenant pas
plus qu'une vulgaire inconnue à mes yeux. Elle est encore plus laide que la
toute dernière fois que je l'ai vue. Soit dans mon lit, avec mon propre fiancé.
Le vrai, cette fois-ci. Sérieusement… je ne comprends toujours pas ce qu'il
a pu lui trouver. Bien que je ne me considère pas particulièrement comme
étant la plus belle, je pense tout de même l'être dix fois plus que cette
espèce de…
— Un an et demi, plus exactement, lui réponds-je d'un ton sec.
Aujourd'hui était la date prévue de mon mariage avec Nate, tu te souviens ?
ajouté-je ensuite d’un large sourire hypocrite.
Mon interlocutrice baisse instantanément les yeux au sol suite à cette
remarque bourrée de sarcasme. Remarque un peu tirée par les cheveux, je
dois l'admettre. À vrai dire… la date prévue était il y a déjà deux mois, mais
ça -à moins que cette pétasse n'ait gardé le faire-part, (et j'en doute
sincèrement), elle n'en saura jamais rien. Alors… oui, en effet, je pense
pouvoir me permettre de jouer avec sa culpabilité. Quoique… au final, je ne
suis pas vraiment sûre qu'elle ait la capacité de ressentir ne serait-ce qu'un
tout petit peu de compassion à mon égard. Après tout… quel genre de
femme est assez culottée pour venir saluer celle dont elle vient tout juste de
voler le futur mari ? Elle, visiblement. Oui, ou plutôt… Aria Campbell. Soit
la fille sur qui je pensais pouvoir compter jusqu'à la fin des temps, il y a
encore quelques mois de ça seulement. Tu parles. Baiser avec mon fiancé
était sans aucun doute plus attractif que de se préoccuper de la vie de sa «
meilleure amie ».
— Oh, Eva…
La voilà, la cerise sur le gâteau. Le fameux ex-fiancé !
— Nate, lui souris-je avec hypocrisie. Déçue de constater que tu n'es
pas encore passé sous un bus.
Il fronce les sourcils pour me gratifier de son air le plus médisant qui
soit, puis passe ensuite une main autour des hanches de sa compagne afin
de l'inciter à partir :
— Allons-y bébé, lui dit-il, sans jamais me quitter des yeux. Elle n'en
vaut pas la peine.
Un petit pouffement m'échappe. C'est clairement l'hôpital qui se fout
de la charité, là ! Mais pour être honnête, je préfère ne pas relever cette
remarque stupide, et me contente simplement de grimacer à l'entente du
surnom qu'il vient tout juste d'emprunter pour nommer Aria. Bébé… Ça
pourrait presque me donner la nausée. Enfin… à vrai dire, je crois que toute
chose provenant d’eux est capable de me faire ressentir ce sentiment,
depuis.
— J'étais contente de te revoir malgré tout, marmonne mon ancienne
amie, tout en se laissant guider par son connard de mec.
— Je n'en dirai pas autant, lui réponds-je, sans l'ombre d'une hésitation.
Ils s'éloignent ensuite bras dessus bras dessous afin de fuir au mieux la
crise d'hystérie qui les guette, tandis que je reste médusée des secondes
précédentes. Sérieusement… comment peut-elle s'adresser à moi de cette
façon, et en toute sérénité, qui plus est ? C'est complètement absurde, tout
ça ! Dix années entières pourraient passer, que jamais je ne lui pardonnerais
ses actes ! Qui le ferait, d'ailleurs ?
— Tu as trouvé ce qu'il te fallait, p’tite femme ?
La voix rauque de Matt me sort gentiment de mes pensées, et c’est
alors que je me mets à sourire bêtement en me disant qu'au moins, avec un
ami comme lui, je ne risque pas de me faire voler mon futur mari.
Quoique… moi et ma poisse légendaire…
— Oui, lui réponds-je dans un pouffement.
— J'ai dit quelque chose de drôle ? grimace-t-il alors, légèrement
perplexe.
— Non, souris-je en tapotant brièvement son buste. Je me fais rire
toute seule, rassure-toi.
Mon ami plisse les paupières, un peu suspicieux. Il va de soi que je ne
peux pas l’informer de la présence de Nate dans les parages. Oui, Matt se
précipiterait aussitôt sur lui pour le frapper, et disons que je me passerais
bien d’un petit détour au poste de police. Heureusement, il ne relève pas,
préférant plutôt me taquiner un peu :
— C'est compliqué d'être rassuré, quand je retrouve ma p'tite femme en
train de ricaner toute seule face à un rayon rempli de soutifs, lance-t-il alors
d’un air moqueur.
Ce qui me vaut donc un second petit éclat de rire, un peu plus poussé
pour cette fois. Merde, heureusement qu'il est là, lui.
 

♤♤♤
 

— Putain de merde… s’étonne mon ami, complètement bouche bée.


Je pourrais presque regretter d'aimer les hommes quand je te vois comme
ça !
— Il est deux fois trop petit pour mes nichons, grommelé-je alors en
tirant sur le tissu du body pour l'élargir, et ignorant donc parfaitement sa
dernière remarque bourrée d'hypocrisie.
— Justement, p’tite femme…
Il s’approche pour saisir mes épaules, puis poursuit avec un sourire en
coin :
— C'est exactement ce qui va les faire casquer.
Je soupire profondément afin d'évacuer le stress, et ignore de nouveau
la seconde réflexion de mon ami. Habituellement, ce genre de choses
pourrait presque me faire mourir de rire, cependant… là, je crois que je me
laisse un peu trop submerger par mes émotions. À vrai dire, je n'ai encore
jamais dansé devant autant de monde. Si je me souviens bien de ce que m'a
dit Matt hier soir, le bar est prévu pour accueillir près de deux cents
personnes au total. Soit dix fois plus que mon public habituel. En effet,
généralement… je ne danse que dans ma chambre, ou bien encore… lors
des cours en salle. Cours que je n'ai d'ailleurs pas pratiqués depuis près de
deux ans maintenant. Oui, je suis vraiment dans la merde.
— Tu es sûr d'avoir fixé la barre correctement, au moins ? lui
demandé-je alors, tout en m'appuyant contre le frigo de la réserve pour
sceller mes escarpins.
— Évidemment, lance-t-il, sans l'ombre d'une hésitation. J'ai dû faire
ça des milliers de fois, je te rappelle !
Effectivement, oui. Pour être honnête, c'est bien la seule chose que je
déteste faire dans ce sport, et je peux toujours compter sur Matt pour gérer
cette tâche particulièrement agaçante. De plus, je ne sais pas vraiment
pourquoi je pose la question. Je n'en suis jamais tombée jusqu'à maintenant,
alors il n'y a absolument aucune raison pour que ça arrive aujourd'hui.
Quoique… comme je disais plus tôt dans la journée, moi et ma poisse
légendaire…
— Tu es belle comme un cœur, Eva, relance sincèrement mon ami,
probablement pour m'aider à décompresser un peu. J'aime beaucoup les
traits de crayon noir sous tes yeux. Ça les rend encore plus verts qu'ils ne le
sont déjà.
— Merci, lui réponds-je, toujours aussi crispée. Ça m'a semblé être une
bonne idée au vu de la couleur du body…
Il approuve d’un vaste signe de tête.
— Et ça te va à merveille. Ils vont tous se déboîter la mâchoire en te
voyant monter sur scè…
— Matt !
Cette exclamation le force à tourner la tête vers la personne entrante,
interrompant donc simultanément sa tentative de réconfort. Il s'agit de l'un
de ses employés. Le jeune homme reste d'ailleurs complètement bouche bée
lorsqu'il remarque ma présence dans la réserve, ce qui, j'ose espérer,
confirme donc probablement les dernières paroles rassurantes de mon ami.
— Ne la regarde pas comme ça, lui lance sèchement ce dernier. Tu es
trop jeune pour elle, de toute façon.
Le serveur baisse instantanément les yeux au sol suite à cet ordre
strictement donné, me valant donc un petit rire nerveux incontrôlable. Le
pauvre. Matt se retourne ensuite de nouveau vers moi, puis me gratifie d'un
baiser sur le front avant d'ajouter :
— Je reviens dans une minute. Tu es géniale, tu ne dois jamais en
douter.
Je l'observe alors quitter la petite pièce pour rejoindre le bar, ce qui me
permet donc d'apercevoir brièvement la foule d'inconnus déjà présente dans
la salle adjacente. Mon Dieu. La boule de stress que contient mon estomac
depuis maintenant plusieurs minutes grossit de plusieurs tailles, tout à coup.
Il y a un monde pas possible derrière cette porte, et je crois que je prends
tout juste conscience de ce que je m'apprête réellement à faire. Pourvu que
Monsieur Anderson n'arrive qu'à l'heure prévue du concert…
Je tente d'ôter cette pensée de mon esprit, et saisis rapidement le
peignoir satiné assorti à ma tenue pour pouvoir l'enfiler. Avant de me
préparer tout à l'heure, j'ai pris quelques minutes afin de me remémorer
l’une des chorégraphies déjà apprises auparavant. Dans la foulée, j'ai
également cherché un clip me rappelant comment réussir une entrée à la
perfection. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai ressorti mes vieux
cartons contenant absolument tout mon attirail de pole dance. À l'intérieur
de l'un d'entre eux se trouvait ce petit kimono noir, et en le voyant, je n'ai
pas hésité une seule seconde pour l'emmener avec moi jusqu'ici.
— Tu es prête ? me demande mon ami en passant seulement la tête à
travers l'embrasure de porte. Jared a préparé ton son.
J'inspire une énième fois avant de lui répondre, puis expire ensuite
rapidement, bien parée à aller mettre le feu à cette salle remplie de gens qui
n'attendent que ça.
— Oui, affirmé-je d’un vaste signe de tête. Je suis prête.
— Parfait.
Mon ami ouvre davantage la porte pour m'encourager à saisir sa main,
alors je m'exécute sans plus attendre, et le suis doucement jusqu'à la partie
cachée de la scène.
— Allez Eva, me souffle Matt, plein d'engouement. Je suis certain que
tu vas tout déchirer.
Je lui réponds de mon plus beau sourire sans hésiter, puis y ajoute :
— Tant que je ne déchire pas le body… ça me va.
Pour être honnête, je dois dire que le fait de partager mes
connaissances en pole dance avec tous ces gens me rend tout de même un
peu euphorique. Après tout… ce sport m'a toujours passionnée, et je doute
en avoir trop oublié à son sujet. De plus, ce n'est pas comme si j'avais cessé
toute activité sportive en parallèle. J'ai repris les footings il y a maintenant
trois mois de ça, alors je pense avoir encore les capacités physiques pour
m'en sortir sans trop transpirer.
La musique que j'ai pris soin de sélectionner retentit soudainement des
grosses enceintes, me donnant donc le feu vert pour avancer sur scène. Le
cover « Dancing on my own » de Calum Scott va donc m'accompagner pour
les trois prochaines minutes. À vrai dire… Matt était un peu réticent à l'idée
du choix de cette chanson, mais j'ai réussi à le convaincre que la
chorégraphie était beaucoup trop jolie à regarder pour endormir qui que ce
soit dans cette salle. En réalité, je pense que mon ami s'attendait plutôt à des
sons comme « Toxic » de Britney Spears, ou bien encore « Hung up » de
Madonna, seulement… moi, je n'ai jamais apprécié ce type de danse. Ce
que j'affectionne plus particulièrement dans ce sport, c'est la douceur, la
grâce, et l'élégance que je peux communiquer. D'ailleurs… c'est le moment
de prouver à mon colocataire qu'il a eu entièrement raison de me faire
confiance.
J'avance alors en défaisant doucement le nœud de mon peignoir, le
retire ensuite de façon on ne peut plus lascive, et ce, tout en saisissant
fermement la barre d'acier entre mes doigts, pour seul but d’enfin pouvoir
me tendre à ses côtés. Une fois ma tenue entièrement dévoilée, je tourne
ensuite lentement autour de cette dernière afin de me donner un peu d'élan
pour la figure qui va suivre, y mettant -bien évidemment- absolument toute
la sensualité que peut contenir mon corps. Pour finir, je porte l'intérieur de
ma cuisse droite sur le métal gelé, me permettant donc d'effectuer plusieurs
rotations autour de la barre pour y faire une figure sophistiquée. Je tourne
lentement au rythme de la douce mélodie, et me laisse littéralement porter
par ce moment. Oui, inconsciemment, mes paupières se ferment afin de me
permettre une immersion totale lors de cet instant magique. Wow. J'ai le
sentiment de trouver un second souffle, tout à coup. Comme si le simple fait
de ressentir de nouveau cette sensation suffisait à me procurer tout le
bonheur dont j’ai réellement besoin. C'est fabuleux. À tel point d'ailleurs,
que je ne peux m'empêcher d'esquisser un petit sourire dans la foulée. En
effet, Matt a vraiment eu raison d'insister.
Une fois que mes genoux touchent enfin le sol, je décide de rouvrir les
yeux pour pouvoir passer à la figure suivante, et mon cœur raterait presque
un battement lorsque je me prends soudainement la réalité en pleine face.
Nom de Dieu. Je tente de continuer mon show sans ne rien laisser paraître,
néanmoins… le fait de constater que mon boss et son frère ont actuellement
les yeux rivés sur moi a tendance à me mettre légèrement mal à l'aise.
Pourquoi l'a-t-il invité ?! Merde, il faut que je respire. Oui, ce n'est
absolument pas le moment de tout gâcher. Je m'efforce alors de déglutir
convenablement, permettant donc à mon souffle de reprendre son cours
normal, et d'ensuite pouvoir me recentrer sur l'instant présent. C'est
définitif, aucun de ces deux hommes ne me prendra plus jamais au sérieux
après ça.
 

 
Chapitre 7
Devon
 

On dit qu'il n'y a rien de pire que de trinquer avec de l'eau, mais pourtant
si. Il y'a trinquer avec le diable.
Noemie Conte
 

Intérieurement, je reste médusé face à cette scène déroutante. C'est


impossible, ça ne peut pas être Eva. Non, cette femme ne peut pas être la
même que celle qui déambule habituellement chaque jour de la semaine
entre les murs de mes bureaux.
— J'aurais presque eu du mal à la reconnaître ! me hurle Caleb à
l'oreille, juste avant de boire une petite gorgée de sa bière.
Nous sommes tous deux accoudés au bar, assez proche de la scène où
Mademoiselle Pierse vient de débuter son show, et je sais exactement à quoi
pense mon frère en ce moment précis. D'ailleurs, cette simple idée suffit à
me déranger. À vrai dire, je suis parfaitement conscient que Caleb a tous les
atouts pour plaire à une jeune femme comme Eva, néanmoins… je ne suis
pas pour autant prêt à le laisser s'en approcher. Pour être honnête, je suis
très heureux que nos vies professionnelles nous aient forcés à vivre si loin
l'un de l'autre il y a maintenant plusieurs années. Sans ça… elle serait
probablement déjà tombée dans ses bras.
Caleb a choisi de racheter l'entreprise en Californie, tandis que moi, je
me suis contenté d'accepter de rester à Manhattan. De toute évidence, ça me
convenait parfaitement bien. Je suis plutôt du genre casanier en temps
normal, alors une ville comme Los Angeles n'était vraisemblablement pas
faite pour moi. Puis je dois dire que sans autant de distance entre nous, cet
enfoiré aurait continué à marcher sur mes plates-bandes, et nous n'aurions
donc jamais réussi à nous supporter aussi bien qu'actuellement.
Malheureusement, mon frère ne peut toujours pas s'empêcher de rôder
autour de chaque femme qui m'entoure quand il vient me rendre visite, et
ce, quelles qu'elles soient. À vrai dire… le fait que la principale concernée
ne me tente pas spécialement a du bon. En général, il ne s'attarde pas sur sa
proie, quand il comprend qu'aucune concurrence ne s'est dressée entre nous.
D'ailleurs, c'est principalement pour cette raison que je persiste à lui faire
croire qu'Eva ne m'intéresse pas le moins du monde. J'ose espérer que le
défi sera moins alléchant à relever pour lui, face à tant de désinvolture de
ma part. Cependant, je me permets tout de même de lui rappeler une énième
fois :
— Le contrat, Caleb, marmonné-je dans un léger froncement de
sourcils. Tu peux baiser qui tu veux sur cette planète, mais pas mes
employées.
À la suite de cette petite remarque, mon frère tourne légèrement la tête
pour me faire face, puis me gratifie à son tour d'un froncement de sourcils.
C'est d'ailleurs à ce moment précis que chaque personne présente autour du
bar pause leurs yeux sur nous. Effectivement, ce genre de scène a toujours
eu tendance à troubler les gens. Il faut dire que généralement, la plupart des
frères jumeaux trouvent une solution pour se démarquer l'un de l'autre. Hors
Caleb et moi avons la même allure, et ce, des pieds à la tête. Du style
vestimentaire, jusqu'à la coupe de cheveux. Tout est identique, chez l'un
comme chez l'autre. Excepté pour ce qu'il en est du caractère, bien
évidemment. En effet, le monde extérieur a tendance à nous regarder avec
insistance lorsqu'il croit voir double, mais la vérité… c'est que nos proches,
eux, n'ont qu'à nous entendre parler pour savoir de qui il s'agit réellement.
Eva, par exemple.
— Tu sais mon frère, lance-t-il finalement, et tout en reposant les yeux
sur cette dernière. Je te connais bien assez pour savoir que si tu avais
vraiment voulu la baiser depuis tout ce temps, tu l'aurais déjà fait. Alors…
poursuit-il, légèrement sceptique. Pourquoi m'en empêcher, si elle ne
t’intéresse au final pas du tout ?
Voilà l'une des nombreuses raisons qui me font haïr ce mec au plus
haut point. Sérieusement, je ne supporte pas sa persévérance constante
lorsqu'il s'agit d'en apprendre un peu plus sur mes réelles intentions. Pire, je
déteste quand il se sert vicieusement de ce genre d'argument pour chercher
à en savoir davantage sur moi. Ça a toujours été, et c’est exactement pour
cette raison qu’on en est là aujourd’hui.
Toutefois, contrairement à ce qu'il me dit là, Caleb ne me connaît pas si
bien que ça. En réalité… si je n'ai pas encore eu le loisir de mettre Eva dans
mon lit jusqu'à maintenant, c'est simplement parce qu'elle reste la seule
femme à me résister. Mais bien évidemment, ça non plus, il n'en saura
jamais rien.
— Elle te plaît tant que ça ? lui demandé-je alors, tout en observant
cette dernière tourner gracieusement autour de sa barre.
— Probablement tout autant qu'à n'importe quel homme présent ici ce
soir, me répond-il d'un air logique.
Mes iris parcourent brièvement la pièce afin de jeter un rapide coup
d’œil à la foule. Ils sont tous là, mâchoire grande ouverte, à regarder cette
femme danser, tout en se demandant à quoi elle pourrait bien ressembler
dans leur lit. Comme je le fais moi-même depuis plusieurs années. Oui,
toutefois… je doute sincèrement que quiconque n'arrive à désirer Eva au
même niveau que moi. C’est impossible. À vrai dire, je reste le seul homme
de cet endroit à devoir supporter sa présence chaque jour, tout en
m'interdisant formellement de l'allonger contre mon bureau, pour seul but
de la prendre sauvagement dessus.
— Désolé de devoir briser tes rêves, mais… commencé-je en déposant
une main sur l’épaule de mon frère. Elle est fiancée.
Ce dernier grimace exagérément à l'entente de mes mots, puis décide
finalement de quitter le sujet principal de notre conversation des yeux afin
de pouvoir me faire face :
— Qu'est-ce que tu racontes, lance-t-il alors, affreusement perplexe.
Eva n'a même pas de petit ami !
— Pourtant… Il est même juste là, dis-je en désignant l'un des barmans
du menton.
Celui à la carrure de John Cena.
— Quoi… grimace alors Caleb, sincèrement sceptique. Lui ?
— Oui, affirmé-je sans hésiter. Lui.
Mon frère éclate d'un rire franc, puis s'empresse ensuite de rétorquer :
— Merde ! Mais d'où est-ce que tu sors une connerie pareille ?!
— Je suis passé la prendre chez elle avec Charlie hier, et j…
— Wow wow wow, m'interrompt-il aussitôt. Tu quoi ?!
Fait chier.
— Je n'ai tout simplement pas supporté qu'elle se pointe en retard le
seul jour où j'avais impérativement besoin d'elle, me justifié-je sans plus
attendre. Mais peu importe. Je te dis juste que j'ai vu ce mec lui rouler une
pelle au pied de son bâtiment, juste avant qu'il ne remonte tranquillement se
coucher.
Et deuxième fou rire pour mon frangin.
Bordel, mais qu'est-ce qu'il y a de si drôle là-dedans, au juste ?!
— Si tu t'intéressais un minimum à la vie de tes employés, tu saurais
que ce mec n'est d’autre que son meilleur ami, ajoute-t-il ensuite, toujours
plus hilare.
Quoi ? Mais comment peut-il émettre une chose pareille ? Je ne saisis
pas. Quel genre de personne salue son ami de cette façon ? De plus, c'est
Eva elle-même qui m'a assuré être fiancée à cet homme ! Non, il y a
forcément un malentendu. Ouais, aucun doute sur le fait que Caleb ait raté
un épisode dans cette histoire. Voire même une saison entière.
— Peut-être qu'ils se sont découverts un amour commun au fil des
années, suggéré-je d'une moue dubitative.
— Devon… souffle mon frère en approchant rapidement son visage du
mien. Il faut que tu saches un truc.
Sa main se pose brusquement contre mon épaule afin d’en malaxer
abruptement la peau, probablement de manière à adoucir ce qui va suivre :
— Ce gars est comme Ricky Martin, poursuit-il d’une petite moue. Il
n’en a pas forcément l’aspect, et pourtant…
Attends… Ricky quoi ? Merde, mais ce mec est gay, non ? Oh…
d’accord. Je crois que je viens de comprendre. Oui, néanmoins… un détail
me titille un peu l’esprit.
— Bordel, grimacé-je alors en balançant rapidement ma tête de gauche
à droite. Comment pourrais-tu avoir autant d'informations au sujet de ma
secrétaire ?
— Il n'y a rien à comprendre, mon frère, pouffe-t-il en tendant l'index
pour encourager le présumé fiancé à venir nous resservir. Elle s'est juste
foutue de ta gueule. Probablement pour s'assurer que tu ne la tripotes pas
lors du trajet, et… j'admets qu'avec un mec pareil en guise de fiancé, moi-
même je n'aurais pas cherché à tenter quoi que ce soit d'indécent.
Je peine à déglutir convenablement lorsque je comprends enfin où veut
en venir Caleb. Nom de Dieu… Eva n’a donc aucun fiancé ? Mais pour être
honnête, je crois que le pire dans tout ça, c'est que je suis absolument
convaincu que mon frère dit vrai. Suite à ma petite incartade de la veille,
elle a simplement voulu me montrer de quel genre d'homme elle était
accompagnée, afin de s'assurer que plus jamais je ne me permette d'essayer
quoi que ce soit de déplacé avec elle. La salo…
— Sinon, relance-t-il plus sérieusement. J'en suis informé, parce que
contrairement à toi, moi, je prends le temps de discuter avec les gens qui
m'entourent.
Au même moment, The rock dépose enfin nos pintes remplies de bière
fraîche sous nos yeux, me permettant donc d'apercevoir un bracelet LGBT
autour de son poignet. C'est donc certain. Caleb n’invente rien. Il repart
ensuite en faire de même à l'autre bout du bar, tandis que je relève la tête
vers mon frère afin de pouvoir poursuivre notre conversation :
— Quoiqu’il en soit, reprend-il en détournant le regard vers Eva. Tu es
bien placé pour savoir que fiancée ou pas… ça n'aurait absolument rien
changé pour moi. Mais tu as mis ce foutu contrat entre nous, alors… Disons
que je vais faire un effort pour cette fois !
Cette phrase m'irrite au plus haut point. Enfin… à vrai dire, ce qui me
dérange le plus dans cette histoire, c'est le fait de savoir que sans ce contrat,
il se serait littéralement jeté sur elle, comme un véritable charognard.
Comme je l'aurais moi-même fait si elle me l’avait permis. En réalité, je
savais parfaitement ce que je faisais en imposant cette règle supplémentaire
à Mademoiselle Pierse. Avec une simple signature de sa part, j'avais réussi à
faire taire ses envies à mon frère. Oui, car… dans le fond, je sais que c’est
un gars bien. Je sais que jamais il ne prendrait le risque de la faire renvoyer,
simplement pour réaliser l’un de ses nombreux fantasmes. Effectivement,
Caleb a de multiples défauts, mais je ne peux pas nier sa bienveillance
permanente envers tout le monde.
— Elle est vraiment canon, lance-t-il ensuite d'un air approbateur.
Tiens. Tu lui donneras de ma part.
Je baisse les yeux vers le morceau de papier que me tend mon frère, et
le saisis ensuite sur-le-champ lorsque je comprends de quoi il s'agit
réellement. Un chèque à l'ordre de l'association. Dix mille dollars. J'en ferai
donc un à hauteur de vingt mille.
— Tu t'en vas déjà ? lui demandé-je d'un léger froncement de sourcils.
— Oui, souffle-t-il en bâillant exagérément fort. Je n'ai pas dormi dans
un vrai lit depuis trois jours, alors…
Je n'insiste pas, et me contente simplement d'approuver d'un petit
hochement de tête. De toute évidence, je n'aurais rien pu faire de suspect en
sa présence, alors… disons que ça m’arrange grandement de le voir partir
maintenant.
 
Eva
Les sifflements suivis des applaudissements grondant à travers les
murs me font comprendre que j'ai probablement réussi mon show. Ça m'a
fait un bien fou. Je les remercie, puis saisis ensuite le micro pour
brièvement leur parler de la cause qui nous réunit tous ici ce soir. Même si
la plupart en sont déjà informés, j'imagine que ça reste utile de le préciser
une nouvelle fois.
En effet, ça l'a été. À la fin de mon petit discours, je peux déjà voir une
bonne partie des hommes de la salle ouvrir leur portefeuille ou chéquier
pour commencer les dons. Finalement… Matt avait raison. Il suffisait juste
d'une grosse paire de seins pour les faire casquer.
— Mademoiselle Pierse.
Mes poils se dressent lorsque je crois reconnaître la voix de mon
patron, au moment même où je me penche pour ramasser mon peignoir
encore présent au sol. J'effectue ensuite une petite grimace, probablement
déçue de savoir qu'il ne peut s'agir que de lui, puis arbore un petit sourire
forcé afin de ne rien laisser paraître quand je me retourne pour lui faire face
:
— Monsieur Anderson, le salué-je à mon tour. Désolée que vous ayez
dû assister à tout ça, ajouté-je ensuite d'une petite moue dubitative. Ce
n'était pas vraiment prévu au programme.
Il tend galamment sa main vers moi pour but de m'aider à descendre de
scène, sans jamais laisser ne serait-ce qu'une toute petite expression
traverser son visage. Je regarde alors sa paume ouverte un court instant,
puis finis par me dire que le geste est bien trop sympathique pour que je la
refuse. D’ailleurs, c’est vraiment étrange, comme geste. Tellement, que j’en
viens même à me demander si je n’ai pas plus simplement affaire à Caleb.
— Devon, m’éclaire-t-il finalement, tandis que je franchis les quelques
marches. En dehors du travail, vous pouvez m'appeler Devon.
J’aurais préféré voir juste, mais je fais au mieux pour ne pas laisser
paraître ma déception. Après tout… c’est la première fois que mon boss se
montre si courtois avec moi, alors je ne peux pas vraiment me permettre de
lui en vouloir pour ça.
Me voilà maintenant à sa hauteur, et c’est alors que je réalise les
quelques mots qu’il vient tout juste de m’adresser. L’appeler par son
prénom… ? Sérieusement ?
— Et je suis plutôt content d'avoir pu assister à cette danse, au
contraire, ajoute-t-il ensuite, impressionné. Vous êtes vraiment douée.
Quoi ? Mais depuis quand a-t-il les capacités d'être aussi gentil ?
— Merci… lui réponds-je alors, un peu suspicieuse tout de même.
De toute évidence, il pense aux mêmes choses qu'à peu près tous les
autres hommes présents dans cette pièce en ce moment même. Oui, et
Anderson sera sans aucun doute le dernier d’entre eux avec qui
j'accepterais de coucher.
— Je vous offre un verre ?
Je me sens pâlir sur place, et visiblement, mon boss le remarque
instantanément :
— En tout bien tout honneur, Eva, ajoute-t-il ensuite d'un air logique.
Je suis venu ici parce que vous m'y avez invité, alors… la moindre des
choses serait d'accepter, vous ne croyez pas ?
Il n'a pas tout à fait tort, c'est vrai. Quel genre de personne serais-je, si
je refusais un verre offert par mon patron, qui, en plus de ça, a accepté de se
rendre à une œuvre de charité sans rechigner, et pour seul but d'y participer
?
— D'accord, cédé-je en pinçant légèrement mes lèvres entre elles. Ça
tombe bien, je meurs de soif.
Devon répond à son tour d'un sourire timide, et m'invite aussitôt à le
suivre en direction du bar. Merde, non ! Tout le monde connaît parfaitement
bien Matt ici, et… je ne pourrai certainement pas me permettre de
l'embrasser aux yeux de tous, sans que quiconque ne se mette à éclater de
rire sous nos yeux. Il me faut une autre solution dans trois, deux, un…
— Je préfère aller en terrasse, si vous voulez bien, suggéré-je alors en
désignant cette dernière de mon index. Je meurs de chaud.
Trop forte. Ce à quoi il se contente d'approuver d'un simple petit signe
de tête, juste avant de continuer sa marche vers le comptoir afin de pouvoir
se charger de la commande. De mon côté, je prends le sens inverse pour
rejoindre l'extérieur, tout en réfléchissant sérieusement à la conversation qui
va suivre. Je crois n'avoir jamais eu de discussion privée avec Monsieur
Anderson au cours de ces trois dernières années. Mis à part peut-être hier
matin, dans sa voiture. Et encore, il s'agissait plus simplement d'un point de
vue donné sur le fait d'avoir une bague en sa possession lorsque le mot
"fiançailles" s'impose. Rien de trop personnel, dans le fond.
Je m’installe à l’une des tables du fond, puis noue fermement le nœud
de mon peignoir afin que personne n’ait trop de visibilité sur mes attributs.
À peine une seconde plus tard, j’aperçois mon boss se glisser à travers la
foule, une coupe de champagne entre chaque main. Comme toujours, les
femmes cessent toute occupation pour prendre le temps de l'admirer lors de
son passage. Elles coucheraient probablement toutes avec sans hésiter. Si
seulement elles savaient quel genre d'homme il est vraiment. Mais
visiblement, ce soir, il a l'air disposé à me montrer son côté sympathique,
alors… je m'efforce de faire abstraction du Devon Anderson que je connais
réellement, pour le moment. Après tout… peut-être qu'en dehors du travail,
il n'est autre qu'une personne tout à fait normale ? On va vite le savoir.
— Cheers, dit-il en me tendant ma coupe.
— Cheers, lui réponds-je d'un sourire, juste avant de lever mon verre
pour trinquer avec lui.
 
 
 
 
 
 
 

Chapitre 8
Eva
 

Quand un mensonge ne prend pas c'est qu'il est bête.


Sacha Guitry
 

Nous discutons depuis près de vingt minutes autour de cette petite


table, et aussi étrange que ça puisse paraître, je ne ressens absolument pas le
besoin de partir en courant. Au contraire, je passe même un agréable
moment en compagnie de mon boss. Le contraste est assez étonnant,
d'ailleurs. Autant caractériellement, que "vestimentairement" parlant. Non
seulement j'ai la sensation d'être face à un homme complètement différent,
mais en plus de ça, c'est la toute première fois que je vois Devon habillé de
façon si décontractée. Ce soir, c'est avec un simple t-shirt blanc,
accompagné d'un jean bleu on ne peut plus basique, qu'il a décidé de se
rendre ici. C'est impossible. Ce n'est certainement pas la même personne.
— Finalement, vous n'êtes pas si affreux que ce que je pensais.
Cette phrase m'a complètement échappée. De plus, Monsieur Anderson
était encore en train de parler lorsque ces quelques mots ont trouvé le
chemin menant jusqu'à ma bouche. Je me sens vraiment conne, tout à coup.
Oui, cependant… je ne compte pas le lui faire savoir pour autant.
— Je veux dire… me reprends-je alors, faussement détendue. Je suis
un peu déçue de constater que tout aurait pu mieux se passer entre nous,
bien avant ce soir.
Le froncement qu'effectue ses sourcils, suivi de son visage se refermant
me fait de suite comprendre que je n'aurais peut-être pas dû dire ça. (Du
moins… pas de cette manière.) En effet, je viens sûrement de griller toutes
mes chances pour une meilleure entente au bureau.
— Que voulez-vous dire par là, Eva ? me demande-t-il ensuite en
approchant légèrement au-dessus de la table. Pour quel genre d'homme me
prenez-vous, exactement ?
En retour, je lui offre un air un peu étonné. À vrai dire… je n'avais pas
vraiment prévu qu'il me demande franchement ce que je pense de lui à
l'heure actuelle. Pour être honnête, il y a tellement de choses à dire que je ne
saurais par où commencer. Toutefois… c'est probablement le moment idéal
pour lui faire savoir à quel point il peut être ingrat, parfois.
— Eh bien… commencé-je, tout en avançant un peu plus à mon tour.
Je vous trouve macho, criard, sarcastique, borné, arrogant, présomptu…
— Je crois que j'ai saisi, m'interrompt-il à reculons.
Il hausse ensuite les sourcils dans une petite moue d’étonnement,
balance doucement sa tête de haut en bas, puis y ajoute ;
— Est-ce que j'ai, d'après vous, au moins quelques qualités ?
— Oui, lancé-je, tout sourire. Une seule.
— Oh, s'étonne-t-il sincèrement. Et laquelle ?
— Votre frère.
Celle-là, j’aurais pas aimé la recevoir.
Oui, bon… j'admets qu’elle était un peu violente, quand même.
Néanmoins, je me vois mal lui faire des éloges après toutes les fois où il
s'est mal comporté avec moi. À vrai dire, j'aurais pu parler de sa plastique
de rêve sortant tout droit d'un magazine de mode, ou bien encore… de ses
iris aux couleurs d'automne parfaitement enivrants, mais j'imagine que le
fait de citer Caleb dans cette discussion peut paradoxalement lui faire
comprendre que je le trouve très attirant malgré tout. Il s'esclaffe :
— Je dépose les armes, lance-t-il en tapotant la table à multiples
reprises. J'ai tendu la perche, je l'admets.
Je ris sincèrement à mon tour.
Merde, mais depuis quand arrive-t-il à me faire rire ?
— Cependant… grimace-t-il ensuite d’un air perplexe. Avez-vous déjà
tenté de creuser un peu avant d'affirmer toutes ces choses-là ?
— Oui, une fois. Et… vous m'avez rejetée comme une mal propre.
C'est la stricte vérité. La mort de Monsieur Anderson, soit son propre
père, n'a pas trop tardé à s'ébruiter entre les murs de nos locaux l'an passé.
Cette nouvelle dramatique m'avait complètement dévastée. Avant même de
commencer à travailler pour Devon, je connaissais déjà l'existence de cet
homme. Oui, et en même temps… qui ne le connaissait pas ? Bill Anderson
n'était autre qu'un célèbre écrivain. L’un des plus connus à l’international.
J'avais eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises, et il ne m'avait
d'ailleurs pas fallu trop longtemps pour savoir à quel point il était -comme
le reflétait chacun de ses bouquins- quelqu'un de bien. Oui, en effet,
j’affectionnais déjà sincèrement cet homme avant de le connaître comme
étant le père de mon propre patron. Il m’inspirait, et j’ai tout de suite
compris pourquoi sa mort avait été si douloureuse pour chacun des
habitants de la ville. La nouvelle avait fait énormément de bruit tant le
personnage était important. Inévitablement, les proches de ce dernier en ont
donc d’autant plus souffert, et je me devais de venir en aide, au moins à l’un
d’entre eux.
Lorsque je voyais Devon le regard vide, chaque fois que j’entrais dans
son bureau, je savais que ma mission était de le réconforter un peu. J'avais
commencé discrètement, en lui apportant des barres chocolatées achetées
spécialement pour lui au distributeur du dessous. J’ai également tenté les
mignardises déposées chaque matin sur son bureau, mais au final… rien de
tout ça ne fonctionnait. Ce dernier ne m'accordait même pas une toute petite
œillade en guise de remerciement, et après tout… je le comprenais
parfaitement. Moi aussi, je connaissais ce sentiment. Oh oui, je ne savais
que trop bien ce que l'on pouvait ressentir quand un proche disparaissait si
brutalement de nos vies, étant donné que je le vivais avec ma propre mère,
exactement au même moment que lui. « Simple coup de fatigue », disaient
les médecins. À peine trois semaines plus tard, je la voyais déjà s'éteindre
sur son lit d'hôpital.
C'est donc exactement pour cette raison que j’avais décidé de persister
avec Devon. À vrai dire, à cette époque, je ne le haïssais pas totalement.
Il était déjà détestable sur bien des points, mais ça n’était rien comparé
à ce qu’il s’apprêtait à me faire là.
— Je m'étais renseignée sur vous afin de pouvoir vous préparer l’un de
vos plats préférés, reprends-je alors d'une moue dubitative. Et je l'ai
finalement retrouvé dans la poubelle, pas moins de trente minutes après
l’avoir déposé sur votre bureau.
Son visage se crispe, tout à coup. Je ne sais pas s'il tente de se souvenir
de quoi je parle exactement, ou plus simplement s'il cherche une explication
plausible à tout ça.
— Je venais de perdre mon père, Eva, lance-t-il alors d'un air logique.
Je n'avais pas vraiment la tête à manger lors de cette période.
Donc il s'en souvient parfaitement bien.
D'un côté, le fait de le constater me réchauffe un peu le cœur. Ça me
prouve que l'attention avait tout de même eu son effet. Parallèlement, je
reste légèrement froissée. Je m'étais levée une heure plus tôt pour pouvoir
me mettre en cuisine, ce matin-là. Fatalement… ma déception était donc
largement justifiée. Mais pour être honnête, ce qui m'a le plus affectée, c'est
surtout la manière dont il a agi. La sauce dégoulinait tout au long du sac
poubelle, à tel point que mon Tupperware en était devenu irrécupérable.
Quant au petit mot sympathique qui l'accompagnait, lui… déchiré. En mille
morceaux. Comme si mon boss s'était fait un malin plaisir à balancer mon
œuvre. Oui, mais ça… ce n’est rien comparé à la finalité de cette histoire.
Lorsque je suis retournée dans mon bureau après cette découverte, j’ai
trouvé un post-it collé à l’écran de mon ordinateur. Dessus était écrit ;
 
« Je n’ai même pas eu à ouvrir la boîte pour savoir que c’était
dégueulasse. À l’avenir, épargnez-moi cette foutue sympathie, et
concentrez-vous sur votre putain de travail. Je ne vous paye pas pour jouer
à Top Chef. »
 
J'avais trouvé ça vraiment cruel de sa part, et ai donc cessé toute
tentative par la suite.
— Pourquoi ne pas me l'avoir dit, tout simplement ? l'interrogé-je
alors, sincèrement perplexe. Je les aurais mangées moi, ces Enchiladas.
— Parce que je ne suis pas du genre à parler des choses qui
m'affectent, rétorque-t-il d'un ton ferme. Ne le saviez-vous pas déjà ?
J'acquiesce d'un simple petit hochement de tête approuvant cette
réponse sensée, puis m'empresse de finir ma coupe de champagne d'une
seule traite, tout en évitant de rebondir sur le fameux post-it qui
accompagnait cet acte injustifié. De toute évidence… ça ne servirait à rien.
Il est très bon, ce champagne. En revanche, il a tendance à légèrement
me piquer la gorge lors du passage dans mon œsophage. C'est donc
probablement pour cette raison que je grimace en déglutissant, avant
d’enfin changer de sujet :
— Caleb ne voulait pas se joindre à nous ce soir ?
Je tourne la tête suite à cette question afin de brièvement pouvoir le
chercher des yeux dans la foule.
— Il est parti se coucher, me répond Devon, tout en fouillant la poche
intérieure de son veston. Mais il a tout de même laissé un petit quelque
chose.
Il me tend un morceau de papier. Je le saisis sans plus attendre, puis
fronce exagérément les sourcils en tentant de lire ce qu'il contient. Merde,
Matt m'avait pourtant dit de prendre mes lunettes de repos. La pénombre a
tendance à me faire voir double. Je l'approche donc davantage afin d'y voir
plus clair, puis constate finalement que non, je n'ai bel et bien pas vu de
zéro en trop sur ce chèque. Nom de Dieu.
— Wow, grommelé-je alors, complètement ébahie. Il ne va pas en
reven…
Mais je ne termine pas cette phrase, me rappelant donc aussitôt que
mon patron reste encore persuadé que Matt est mon fiancé à l'heure
actuelle. Et d'ailleurs, quand on parle du loup…
— Tu n'as besoin de rien, p’tite femme ? me demande ce dernier en
déposant un court baiser sur le sommet de ma tête.
Il gratifie ensuite un vaste signe de tête à mon patron pour le saluer,
puis retourne rapidement les yeux vers moi en attente de ma réponse. Je le
connais, ce regard. Il veut clairement dire "Besoin d'un coup de main, Eva
?" Ce pour quoi je lui offre mon plus large sourire en retour, lui permettant
donc de comprendre que tout va pour le mieux, et juste avant d'ajouter :
— Je veux bien une autre coupe, s'il te plaît… dis-je en plissant les
paupières, légèrement hésitante. Mon cœur… ?
Ridicule. Oui, vraiment, je me trouve ridicule. De plus, ces derniers
mots sonnaient plutôt comme une question. Comme si je n'étais pas tout à
fait sûre de mon coup. Mais malgré ça, mon ami continue tout de même à
jouer le jeu, me quémandant donc un petit bécot, avant d'ensuite partir pour
exécuter la tâche gentiment demandée quelques secondes auparavant. C’est
alors que Devon éclate de rire, tandis que je fronce les sourcils, un peu
confuse.
— Qu'est-ce qui vous fait rire comme ça ? lui demandé-je, sincèrement
perplexe.
Mais il n'arrive pas à s'arrêter, me mettant donc extrêmement mal à
l'aise. Merde, le fait que je puisse plaire à un aussi bel homme lui paraît
donc si absurde que ça ?
— C'est insultant, grimacé-je ensuite.
Mon patron expire bruyamment pour, je l'espère, tenter de retrouver
son sérieux, puis se penche ensuite légèrement vers moi afin de pouvoir me
murmurer :
— Inutile de continuer à faire semblant, Eva, commence-t-il, sourire en
coin. Je sais qui est vraiment ce type pour vous.
Je me liquéfie, tout à coup. Quoi ? Mais qui a bien pu lui dire ? Oh…
merde. Caleb, évidemment. Quelle conne. Au moins, ça m'apprendra à trop
discuter avec le frère de mon boss. Et puis… peut-être aussi à mentir
bêtement à ce dernier.
 

 
Chapitre 9
Eva
 

Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure.


Publius Syrus
 

— Hors de question, désapprouve fermement Devon d'un vaste signe


de tête. Allez-vous changer, je vous ramène. Vous ne prendrez pas le métro
toute seule à une heure pareille.
Bien que cet ordre me vaille un petit étonnement, je ne rechigne pas, et
m'empresse de foncer vers la réserve afin de pouvoir récupérer mes affaires.
À vrai dire, je suis bien trop fatiguée pour refuser quelconque proposition,
surtout lorsqu'elle se montre aussi arrangeante. Premièrement, il me faudrait
près de dix minutes de marche pour atteindre le premier quai, et
deuxièmement, cette option me laisse l'opportunité de ne pas avoir à me
changer. En effet, je suis fatiguée au point d'en avoir la fainéantise, mais…
je doute que ce détail ne pose réellement problème à mon patron, étant
donné que ce dernier m'a vue dans la même tenue pendant déjà près de trois
heures. Trois heures, oui. Et je ne les ai pas vues défiler, pour être
parfaitement honnête. Enfin… à compter du moment où Devon m'a fait part
de sa découverte concernant mon soi-disant fiancé, j'ai bien cru devoir
partir en courant, néanmoins… il s'est empressé de passer à autre chose,
m'évitant donc toute autre gêne supplémentaire.
La porte de la réserve s'ouvre brusquement dans mon dos, me valant
donc un énorme sursaut. Je me retourne alors sur-le-champ, puis expire
bruyamment en constatant qu'il s'agit en réalité de mon ami. Merde, il m'a
fait une peur bleue !
— Je ne rêve pas, là, grimace-t-il furieusement. Tu t'apprêtes à rentrer
avec le type qui attend patiemment contre le bar ? Soit ton putain de patron
?!
Il est très en colère contre moi, mais cette réaction arrive tout de même
à m'arracher un petit sourire. Matt a toujours été un grand protecteur avec
moi, et encore plus quand il s'agit de mon boss. Après tout… mon ami est le
seul à avoir séché mes larmes, chaque fois que je rentrais du travail à bout
de nerfs par la faute de ce dernier.
— Et qu’est-ce que je devrais faire, moi ? me demande-t-il ensuite,
complètement abasourdi. On est censé être fiancés, tu te souviens ?! Il va
trouver ça louche que je te laisse repartir sans rien di…
Le bout de mes doigts se pose rapidement contre sa bouche pour le
forcer à se taire, tandis que mon rire résonne entre les murs de la petite
pièce. Trop adorable.
— Ne t'épuise pas, lancé-je alors, toujours hilare. Son frère a déjà
vendu la mèche en début de soirée.
Je retire ma main de ses lèvres pendant qu'il se contente simplement de
froncer les sourcils, probablement pour mieux réfléchir à la façon dont
Caleb a bien pu découvrir la vérité nous concernant. J'imagine qu'il ne lui
faudra d'ailleurs pas plus de trois secondes pour en déduire que j'ai -comme
d'habitude- beaucoup trop parlé de ma vie privée. Enfin… en vérité, lorsque
Caleb vient rendre visite à son frère, il passe constamment par mon bureau
pour échanger quelques mots avec moi. J'ai donc déjà entretenu plusieurs
conversations banales avec lui, qui, contrairement à mon boss, s'intéressait
un peu plus à mon quotidien. C'est donc par petites sections seulement que
j'ai appris à le connaître, mais à vrai dire… il ne m'en a pas fallu plus pour
constater qu'il était le parfait opposé de Monsieur Anderson.
— Tu ne vas quand même pas rentrer avec lui, s’interroge mon ami,
sincèrement sceptique. Si... ?
— Il me dépose juste à l’appart, Matt, soupiré-je, lassée. Et puis…
même si j'arrive enfin à lui trouver autre chose que des défauts, ce n'est pas
pour autant que je compte le laisser m'approcher.
Jamais de la vie. Je bourre mes vêtements dans le sac de sport, le
referme aussitôt une fois chose faite, puis pour finir, accroche la anse à mon
épaule, fin prête à enfin rentrer chez moi.
— Au fait, ajouté-je en plongeant la main dans mon décolleté. Tiens,
dis-je ensuite en lui tendant les deux morceaux de papier. Ce sont les dons
de Caleb et Devon pour l'association.
Matt s'empresse de saisir les chèques, et ce, sans même effectuer la
petite grimace que je lui connais quand il s'agit de me voir sortir tout un tas
de trucs de mon soutien-gorge. D'habitude, ce genre de choses le dégoûte au
plus haut point, cependant… là, le nombre de zéros couchés sur le papier
est nettement plus important que celui des gouttes de transpiration sur mes
nibards. Il les lit à plusieurs reprises afin de s'assurer que ce soit bel et bien
réel, puis lève la tête pour m'offrir son air le plus ébahi qui soit :
— Trente-mille dollars au total ?! s'exclame-t-il ensuite, complètement
bouche bée.
— Quand je te dis que j'arrive enfin à lui trouver des qualités… dis-je
en esquissant un sourire satisfait.
Je suis sincèrement heureuse de notre récolte. En tout, je pense que
nous pouvons presque nous attendre à quarante-mille, si on y ajoute la
totalité des autres dons. Bien que cette somme soit parfaitement dérisoire
aux yeux des frères Anderson, je suis tout de même contente de voir que
mon ami a réussi à dépasser ses espérances, en grande partie grâce à eux.
Ce dernier arbore finalement un air sceptique, probablement pour appuyer
ce qui va suivre :
— Ce mec ne baisera pas ma p’tite femme sous prétexte qu'il a fait don
d'une somme colossale à l'association que je préside, commence-t-il très
sérieusement. Cependant… tu pourras le remercier de ma part, et aussi lui
dire que tu vaux bien plus que vingt-mille dollars.
Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire face à son air sarcastique.
N'importe quoi. Comme si j'allais bêtement me laisser tomber dans les bras
de Devon, simplement parce que -pour une fois- il a su montrer qu'il y avait
bel et bien un cœur caché sous cette immense carapace blindée. De plus, je
suis absolument certaine que la somme présente sur son chèque concerne
plutôt une histoire d'orgueil. Les deux frères sont en compétition perpétuelle
depuis que je les connais, et j'imagine que c'est exactement pour cette raison
que le montant du don de mon patron est multiplié par deux face à celui de
Caleb.
— Je t'écris quand j'arrive, Matt, lancé-je en avançant vers la porte. Ne
t'inquiète pas pour moi.
Je dépose un petit baiser sur sa joue en passant, puis le contourne
ensuite sans plus attendre afin de pouvoir rejoindre Devon. Ce dernier
m'attend patiemment, son menton nonchalamment appuyé au creux de sa
paume. On dirait qu’il est sur le point de s’endormir, alors je le réveille sans
plus attendre :
— Je suis prête ! m'exclamé-je, tout sourire.
Devon m’examine de la tête aux pieds.
— Mais… Vous ne vous êtes même pas changée…
— Inutile, lui réponds-je l'air de rien.
Comme si je n'avais pas vu son regard ténébreux glisser tout le long de
mon corps.
— Il doit faire plus de vingt degrés dehors, alors…
Il ne répond pas suite à cette justification douteuse, me facilitant donc
un peu plus la tâche malgré tout. Je n'aimerais pas qu'il pense que je fais ça
pour seul but de l'allumer. De toute évidence… il se tromperait. Je ne
cherche pas à relancer la conversation, et lui emboîte instantanément le pas
lorsqu'il prend la direction de la sortie. À ma grande surprise, mon boss me
tient la porte. Du jamais vu. Et une fois que j'ai enfin mis les pieds en
dehors du bar, mon regard s'empresse de chercher la Rolls-Royce des yeux,
sans jamais parvenir à la trouver au final.
— Charlie n'est pas encore là ? demandé-je alors, un peu intriguée.
— Il a fini sa journée à la même heure que moi, rétorque Devon d'un
air logique.
Quoi… ?
— Oh, et… comment allons-nous faire, alors ?
Je lui lance un sourire crispé.
— Vous savez Eva, ricane-t-il en sortant une petite carte de sa poche.
J'ai le permis, moi aussi.
Il appuie ensuite sur l'un des boutons, quand le petit bruit annonçant
l'ouverture de portes attire aussitôt mon attention. Nom de Dieu. Sa voiture
est en fait garée tout juste sous nos yeux, et je ne sais même pas pourquoi
l'idée qu'elle lui appartienne bel et bien ne m'a pas traversé l'esprit avant.
— Mademoiselle, dit-il en ouvrant la portière pour m'inviter à y entrer.
Mais je reste parfaitement immobile face à cette découverte, bras
fermement croisés sous ma poitrine. Merde, non seulement mon boss ne
passe pas sa vie à compter sur les autres, mais en plus de ça, il a en sa
possession un bolide dernière génération, tout droit sorti du futur.
— Il s'agit de la toute nouvelle Ferrari présente sur le marché de
l’automobile. La Roma, pour être plus exact.
L'air présomptueux qu'il arbore à la suite de cette information ne
m'irrite pas une seule seconde tant je reste complètement obnubilée par ce
magnifique bolide. Merde… mis à part peut-être à la télé, je n'en avais
encore jamais vu des comme ça auparavant.
— Qu'attendez-vous, au juste ? m'interroge-t-il, sourire en coin. Que je
change d'avis ?
— Si vous pensez que je vais prendre le risque de louper une balade
comme celle-ci… lui réponds-je dans un pouffement, tout en montant
finalement à bord de l'engin. Vous vous trompez sincèrement !
En effet, je crois que pour une fois, je vais être capable de combattre
ma peur des quatre roues.
Il referme la portière derrière moi pendant que je prends soin de
m'attacher sans trop oser bouger, puis contourne la voiture afin de pouvoir
se positionner derrière le volant. Lorsqu'il la démarre, c'est un tourbillon de
sensations qui se mélangent à l'intérieur de mes entrailles. Mis à part le
tracteur de mon père, je n'avais encore jamais entendu un moteur aussi
bruyant. C'est impressionnant. Et je ne parle même pas du tableau de bord,
qui lui, est probablement digne de celui d'un véritable avion de chasse. On
se croirait en pleine période de Noël, là-dedans. Ça brille de mille feux !
— Je vois qu'elle vous plaît, me dit-il en s'engageant tranquille sur la
chaussée.
— Je crois qu'elle plaît à absolument toutes les personnes présentes sur
ce trottoir, lui réponds-je en tendant l'index vers les regards envieux visibles
à travers la vitre teintée.
Devon laisse un petit rire s'échapper d'entre ses dents. Je pense qu'il est
fier, mais après tout… qui ne le serait pas ?
— Pourquoi n'avez-vous pas de voiture ? me demande-t-il en tournant
brièvement la tête vers moi pour me gratifier d'un air perplexe.
Seigneur… Oui, il fallait bien que je m'attende à ce genre de question
un jour ou l'autre. Quoique… j'étais pourtant persuadée qu'il serait le
dernier à me la poser. À vrai dire, c'est assez gênant. En temps normal, je ne
parle pas de ce genre de choses avec Monsieur Anderson. Cependant… là,
je n'ai absolument aucun mensonge plausible en stock. Je lui réponds donc
en toute transparence, sans jamais quitter la route des yeux :
— J'ai eu un accident il y a dix ans. Ça m'a complètement traumatisée,
donc je me suis toujours refusée à passer le permis par la suite.
Devon a l'air pensif suite à cette réponse. Effectivement, j'imagine qu'il
ne s'attendait pas au fait que je ne possède même pas le permis de conduire.
Malgré ça, il tient tout de même à me donner son avis sur le sujet :
— Quand on tombe à cheval et qu'on s'en sort intact… le mieux reste
de remonter en selle sans plus attendre, non ?
— Je n'en suis pas sortie intacte, rétorqué-je aussitôt, mais tout en
tentant de rester impassible.
Il tourne légèrement sa tête vers moi afin de me monter le froncement
qu’effectuent ses sourcils, puis me demande ensuite, sincèrement sceptique
:
— Peut-être avez-vous été blessée sur le moment, mais… vous êtes
pourtant bel et bien là aujourd'hui, n’est-ce pas ?
Je me mords abruptement l'intérieur de la joue afin d’éviter d’éclater en
sanglots. Le fait de repenser à ce soir d'hiver a toujours eu le don de me
mettre dans un sale état.
— Mes blessures ne sont pas physiques, lui réponds-je alors, tête
baissée. J'ai perdu tous mes amis dans cet accident, et la culpabilité ne me
quittera probablement jamais.
Je suis capable de ressentir combien ces explications un peu trop
détaillées le mettent mal à l'aise. Oui, et même temps… c'est toujours l'effet
que ça fait, quand je parle de cette histoire. Merde, c’est exactement pour ça
que je déteste en parler.
— Vous étiez au volant ? me demande-t-il alors, perplexe.
— Absolument pas, mais… enfin... Ils sont tous morts, tandis que
moi…
— Alors vous n'êtes pas responsable, m'interrompt-il fermement.
Je tourne la tête vers la vitre côté passager.
— D'une certaine façon, si. J'aurais pu les empêcher d'agir comme des
idiots, mais j'ai préféré rire de leur stupidité avec eux.
Voilà… l'inévitable finit par arriver, et bien évidemment, il fallait que
je craque à seulement quelques mètres de chez moi. Les larmes roulent
discrètement sur mes joues, tandis que je m'empresse de porter une main
jusqu'à ma bouche afin d'éviter de laisser un sanglot s'en échapper. Déjà que
mon boss m'a vu danser de façon on ne peut plus sensuelle en début de
soirée… il ne manquerait plus qu'il me voie chouiner, en plus de ça. Ce
dernier se gare le long du trottoir de mon immeuble, coupe le contact, puis
expire profondément avant de me répondre :
— Vous étiez jeune, Eva, commence-t-il d'un ton réconfortant. Moi-
même je me serais contenté de rire des conneries de mes amis. N'importe
quel gamin de dix-sept ans l'aurait fait.
Attends… il connaît mon âge ?
Aucune importance. Je ferme alors les yeux, faisant donc de mon
mieux pour paraître impassible avant de lui faire face, quand la chaleur de
sa paume se posant sur mon épaule me provoque un courant électrique dans
l’abdomen. Il n'avait encore jamais employé de geste aussi tendre avec moi
auparavant. Le baiser volé ne compte pas, évidemment.
— Je vais y aller, dis-je alors en me penchant pour attraper mon sac de
sport.
Je me sens un peu gênée par la situation.
— Désolée, souris-je ensuite bêtement, tout en secouant vivement la
tête de gauche à droite. C'était stupide, tout ça.
— Non, désapprouve-t-il en saisissant fermement mon bras,
probablement pour m'empêcher de partir si vite. Ça ne l'était pas.
À la suite de ce second geste étonnamment affectueux, je lève enfin les
yeux pour lui faire face. L'expression qu’arbore actuellement son visage est
parfaitement inhabituelle. Elle est douce, gentille, et… bourrée de bons
sentiments. Wow. Il relâche tout de même son étreinte.
— Vous n'auriez rien pu y changer, de toute façon. Parfois… la vie est
injuste, mais ça ne fait pas de vous une mauvaise personne.
Il porte ensuite une main jusqu'à ma joue afin d'en retirer les gouttes
salées fraîchement tombées, mais sans jamais baisser les yeux pour autant.
C'est troublant, ce changement si soudain. Enfin… comme je le dis bien
trop souvent, je crois que tout l'a toujours été chez cet homme. Autant
négativement que positivement parlant, d'ailleurs.
— Je vous remercie, soufflé-je en baissant timidement la tête.
Sincèrement.
J'ouvre ensuite la portière afin de pouvoir définitivement sortir de
l'habitacle, tandis qu'il ne cherche pas à me retenir davantage. Je me
retourne tout de même une dernière fois pour saisir mon sac, et en profite
pour lui dire une petite chose avant de gravir les marches de mon perron :
— Pour la soirée, et pour vos mots réconfortants… merci, commencé-
je en percutant intensément ses iris. Finalement… je crois que je vous aime
bien.
Le sourire qui étend mes lèvres à la suite de cette petite remarque
devient rapidement contagieux. Il me répond de la même façon, juste avant
d'y ajouter :
— Bonne nuit, Eva.
— Bonne nuit, Devon.
Puis je referme enfin la portière.
Merde, je viens vraiment de prononcer son prénom, là ? Ok, il faut
juste que je continue à marcher vers la porte de mon bâtiment, et il ne
remarquera jamais à quel point cette toute petite chose peut pourtant
considérablement me déstabiliser. Oh, et puis après tout… c'est lui, qui m'a
demandé de l'appeler de cette façon en tout début de soirée. Non… il ne
remarquera rien.
 

 
Chapitre 10
Devon
 

Personne ne peut porter longtemps le masque.


Sénèque
 

Je l'observe attentivement grimper les marches du perron avant de


redémarrer ma voiture. À vrai dire, ce quartier ne m'inspire pas vraiment,
alors… je préfère m'assurer qu'elle est bel et bien rentrée avant de quitter la
rue. Eva se retourne brièvement pour me gratifier d'un petit signe de tête,
tout en levant timidement la main qui détient son trousseau de clefs afin de
me saluer une dernière fois. Je le lui rends alors instantanément, juste avant
d'enfin pouvoir faire gronder le moteur de mon bolide. Juste avant qu'elle
ne disparaisse définitivement dans le hall de son immeuble.
Le son de sa voix au moment même où elle a prononcé mon prénom
refuse catégoriquement de quitter mon esprit lorsque je regarde encore la
porte se refermer dans son dos. "Bonne nuit, Devon." C'était la toute
première fois. Ouais, et… aussi étrange que ça puisse paraître, le simple fait
d'entendre ce mot sortir de sa bouche a suffi à me nouer l'estomac.
Reprends-toi un peu, mon gars. Effectivement, ce genre de réaction ne me
ressemble pas vraiment. Depuis quand une femme possède-t-elle ce genre
de pouvoir sur moi ? Aucune importance. C'est probablement en raison de
notre dernière conversation. Cette histoire d’accident a réussi à m'atteindre,
et le fait de découvrir une chose pareille la concernant m'a sans doute
désarçonné un peu. Le temps d'un instant, seulement.
Oui, ou bien… c’est peut-être aussi que cette discussion vient plus
simplement de me remémorer certains souvenirs que je m’efforce pourtant
d’oublier depuis moi aussi près de dix ans. Des souvenirs douloureux, qui
font sûrement de moi l’homme détestable que je suis devenu.
 
♤♤♤
 
J'ouvre la porte de chez moi, désactive l'alarme sur-le-champ, puis vide
aussitôt mes poches afin de déposer tout ce qu'elles contiennent sur le large
buffet présent dans l'entrée. Cette maison est tellement grande… je ne sais
toujours pas pourquoi je l'ai achetée. Je dois admettre qu'à moi tout seul,
autant de surface au plancher reste parfaitement inutile. Un sol en marbre,
des murs blancs, de grands tableaux un peu partout, dont je ne connais
d'ailleurs absolument rien de l'auteur… c'est complètement absurde, tout ça.
Bref. Je secoue brièvement la tête afin de me remettre les idées en place,
puis fonce dans la cuisine afin de me trouver quelque chose à grignoter sans
plus attendre. Mis à part du champagne, je n'ai rien englouti de plus
aujourd’hui. J'ouvre alors l'un des placards à gâteaux, et opte directement
pour un sachet d'Oreo. Ça devrait faire l'affaire.
 

Pendant que je mâche encore la première bouchée, je réalise qu'Eva


occupe toujours mes pensées. Putain… c'est dingue ! Ma main s'empare du
paquet de gâteaux avec flegme, pour ensuite le faire glisser sur le côté avec
un peu plus de brutalité. En réalité, je crois ne pas avoir réellement faim de
nourriture actuellement. Ouais, j'ai plutôt faim de ma secrétaire. Pathétique.
La sonnerie de mon portable retentit tout à coup dans l'entrée, alors je
m'empresse d'y accourir afin de voir qui peut bien téléphoner à une heure
pareille. Caleb, évidemment. Je jette un rapide coup d’œil à ma montre
avant de prendre une décision. Minuit douze. Sérieusement ? Merde, ce
connard n'est pas censé dormir en ce moment même ? Tant pis.
— Allô, réponds-je alors sèchement.
— Je te dérange ? me demande-t-il d'une voix enrouée.
Ce qui me permet donc de constater qu'il se réveille tout juste. Oui,
puisque j'ai l'impression de m'entendre parler moi-même au petit matin. En
effet, nous sommes identiques, jusqu'aux cordes vocales.
— Oui, soufflé-je finalement, déjà lassé. Qu'est-ce que tu veux ?
— Juste m'assurer que tu ne sois pas rentré avec elle, lance-t-il d'un rire
moqueur.
Je ferme les yeux et me mords abruptement la langue pour ne laisser
aucune insulte franchir mes lèvres.
— C'est tout ? l'interrogé-je ensuite, impassible.
— C'est tout.
Voilà pourquoi mon frère ne séjourne pas chez moi lorsqu'il vient
passer quelques jours à New York. Parce qu’il est insupportable. Contrarié,
j’abrège :
— Bonne nuit. J'ai des choses à faire, là.
— Comme t’astiquer le poireau en pensant à Eva ?
J'ai envie de le frapper.
— Moi, ajoute-t-il d'un ton amusé. C'est déjà fait !
Pire : je VAIS, le frapper.
— Bonne nuit Caleb, me répété-je, imperturbable.
Je ne le laisse pas en rajouter et m'empresse de retirer le téléphone de
mon oreille pour pouvoir raccrocher. Ce connard vient vraiment de me
mettre les nerfs à vif. À tel point d'ailleurs, que je fonce gravir les escaliers
menant à la salle de bain, afin de prendre une bonne douche chaude, et
d'ensuite pouvoir lui donner raison sur ses dernières paroles. Ouais, je vais
bel et bien me branler en pensant à Eva, et… ce ne sera d’ailleurs pas la
première fois.
 

♤♤♤
 

Lorsque je sors enfin de la douche, j'ai la sensation que tout va pour le


mieux. Fatalement… les couilles vides, la prospérité devient beaucoup plus
accessible. Je noue une serviette autour de ma taille, en attrape une seconde
afin de venir la déposer sur mes épaules, puis frotte ensuite ma tête d'un
geste indolent à l'aide de cette dernière pour but d'essorer plus
convenablement mes cheveux. Une fois chose faite, je prends aussitôt la
direction de la chambre pour aller me coucher. Je m'affale volontairement
sur les draps, ferme les paupières afin de profiter pleinement du noir
complet, et… y distingue de nouveau le visage de ma secrétaire. Fait chier.
Pourquoi j'en suis rendu à ce point-là ? Avant ce soir… cette femme ne
prenait pas autant de place dans mon esprit ! Oui, justement. Avant que je ne
m'autorise à la connaître davantage… je ne la comparais à rien de plus
qu'un vulgaire morceau de viande. Merde, je savais bien que j'aurais dû
m'écouter à son sujet. À partir du moment où j'ai ressenti ce petit
picotement dans le bas-ventre lors de la toute première fois que je l'ai vue…
j'aurais dû comprendre. Comprendre qu’il fallait en rester loin.
 
 
3 ans auparavant…
 
 
J’attends patiemment l’arrivée de ma nouvelle secrétaire, les yeux
plongés sur les gratte-ciels visibles à travers la large fenêtre de son bureau.
Je jette un rapide coup d’œil à ma montre, puis constate l’heure exacte. 8
heures 56.
C’est son tout premier jour au sein de cette entreprise, mais elle n’a
même pas songé à arriver avec un peu d’avance. Insupportable. À peine
quelques secondes plus tard, j’entends de multiples bruits de pas approcher
dans le couloir adjacent. Ce son résonne comme un écho à travers les murs,
et il m’agace déjà au plus haut point. C’est d’ailleurs exactement pour cette
raison que je l’assaille directement lors de son entrée dans la pièce :
— Vous êtes en retard, lui dis-je alors sèchement, et sans jamais me
retourner pour lui faire face.
Quelques secondes s’écoulent sans qu’elle n’y réponde rien, quand elle
rétorque finalement :
— Absolument pas.
Je me retourne instantanément suite à cette réponse un peu trop
franchement donnée, un air furieux bien ancré sur le visage. Bordel de m…
Face à sa beauté indéniable, il me faudra un petit instant pour reprendre mes
esprits. Une fois chose faite, j’approche en trombe pour lui lancer :
— Ici, commencé-je en posant fermement mon index sur le bois de son
bureau. On est à l’heure, seulement si on arrive avec dix minutes d’avance.
Pour toute réponse, Mademoiselle Pierse laisse un petit pouffement
s’échapper d’entre ses lèvres. Vraiment ?
— Ça vous amuse ? lui demandé-je, sourcil arqué.
— Non, désapprouve-t-elle instantanément, et tout en reprenant
aussitôt un air sérieux. Je pensais juste qu…
— Eh bien vous avez mal pensé, la coupé-je froidement.
Je peux lire la confusion sur chaque trait de son visage lorsque
j’achève cette phrase. Oui, mon autorité ne lui plaît vraisemblablement pas,
mais malheureusement… je ne vois aucun autre moyen possible pour
dissimuler l’effet qu’elle me fait actuellement.
— Maintenant, mettez-vous au travail. Et si vous avez quelconque
demande, ne comptez surtout pas sur moi. Marta est là pour ça.
Effectivement, il ne faut pas qu’elle compte sur moi. Notre entretien
téléphonique était très convaincant, donc ce serait vraiment dommage de
tout gâcher pour une simple pulsion sexuelle. Je le sais, si je reste trop près
d’elle, je ne pourrai pas m’en empêcher. Et dans les jours qui suivront,
Mademoiselle Pierse sera forcée de quitter les lieux, comme exactement
toutes les autres avant elle. La différence, c’est que jusqu’à maintenant,
aucun autre C.V. n’avait été si bien rempli. Par conséquent… j’aimerais
pouvoir lui laisser sa chance. Elle la mérite.
— D’accord… marmonne-t-elle dans mon dos, tandis que je prends
direction de la porte communicante. Mais qui est Marta exactem…
Je ne lui laisse pas l’opportunité de terminer sa phrase, préférant
rapidement mettre un terme à cet échange. De toute évidence… cette
femme à l’air assez intelligente pour s’en sortir toute seule. De toute
évidence… cette femme doit rester le plus loin possible de moi.
 

De nos jours…
 

Je me redresse du lit de façon nonchalante afin de pouvoir m'assoir sur


son rebord, attrape mon téléphone présent sur la table de chevet, puis en
allume aussitôt l'écran, sans jamais rien faire de plus au final. Pour être
honnête, l'envie de lui envoyer un message me démange sincèrement les
doigts, néanmoins… cela ne ferait rien de plus que de lui prouver combien
mes pensées lui sont dédiées. Oui, c'est une très mauvaise idée. Tant pis.
C'est aussi peut-être la seule option pour me permettre d'enfin fermer les
yeux. En effet, si Eva me répond… je pourrais probablement rejoindre
Morphée sans trop de difficulté. Je me lance ;
 

« C’était sympa. Dormez bien… »


Envoyé.
 
J'ai mis des putains de points de suspension. Quel con. Il est clair que
là… ça ne peut être que révélateur. Trop tard. Je repose le téléphone afin de
m'occuper quelques minutes pour ne pas trop attendre, et descends les
escaliers menant au salon, bien paré à fumer un petit pétard. Ça doit faire
près d'une semaine que je n'en ai pas pris avant d'aller dormir, alors… j'ose
espérer que seul le manque de cannabis est à l'origine de mon insomnie
pour ce soir. J'ouvre le tiroir de la cuisine -celui où se trouvent toutes mes
réserves-, porte le carton du joint déjà roulé jusqu'à ma bouche, puis saisis
ensuite un briquet afin d'allumer le bout de ce dernier en rejoignant les
escaliers. Lorsque cette saveur glisse sur ma langue, ça me rappelle
énormément de choses. Des choses que j’aimerais pouvoir oublier, mais qui
font maintenant partie de moi. Plusieurs fois, j’ai voulu arrêter de fumer
cette merde pour m’éviter toute nouvelle torture psychologique,
seulement… je refuse d’en arriver à un tel point de déni. Ouais, je refuse
d’oublier cette tragédie. Ce serait… beaucoup trop facile.
Je gravis lentement les marches, tout en tirant sur ma cigarette magique
à plusieurs reprises afin de rapidement ôter ces pensées moroses de mon
esprit. Une fois de retour dans la chambre, je cherche rapidement mon
cendrier des yeux, l'aperçois aussitôt sur la petite commode, puis
m'empresse d'aller y jeter la cendre qui menace déjà de tomber sur la
moquette. Je pose mon pétard dessus, et rejoins enfin mon lit afin de
pouvoir aller me rasseoir sur son rebord. Mes yeux ne peuvent s'empêcher
de regarder attentivement l'écran noir du téléphone présentement posé sur la
table de chevet. Et si elle n'y avait pas répondu ? Comment est-ce que je le
prendrais ? Pour le savoir… une seule solution. Vérifier. J'attrape alors ce
dernier d'un geste brusque, le déverrouille sans plus attendre, et… constate
finalement que non, elle ne l'a pas fait. Elle doit dormir. Ouais… c'est
probablement ce que je préfère me dire.
 

♤♤♤
 

Je me réveille la tête en vrac, ce matin. Merde, j’avais déjà oublié à


quel point le mélange de bulle et de marijuana était nocif pour mon cerveau.
Je jette un rapide coup d’œil au réveil afin de pouvoir y lire brièvement
l'heure, et la surprise me ferait presque bondir du lit lorsque je comprends
avoir échappé de peu au coma. Midi trente-deux. Bordel, c'est
complètement surhumain de dormir autant ! Je frotte abruptement mon
visage à l'aide de mes doigts afin de pouvoir ouvrir intégralement les
paupières, puis tends le bras vers la table de chevet pour y attraper mon
téléphone. À une heure comme celle-ci, je suis déjà persuadé d'y lire une
réponse de la part de Mademoiselle Pierse.
Et ma déception pourrait très probablement se faire ressentir à l'autre
bout de la maison si je n'étais pas seul, quand je constate qu'elle n'a en fait
rien répondu. Non, rien. Pas même un tout petit "merci". Merde… mais
quelle salope ! Je grimace en comprenant qu'elle ne le fera donc
probablement jamais, et m'insulte intérieurement d'avoir osé penser que la
soirée d'hier aurait potentiellement pu déboucher sur autre chose que de
simples relations professionnelles. Abruti. Bien sûr… c'était évident. Si je
l'avais vraiment intéressée… elle aurait répondu sur-le-champ. Peu importe
quoi, mais elle l'aurait fait. Or là, mis à part me faire comprendre que je ne
suis qu'un putain d'idiot… rien ne se passe. Rien, excepté une petite prise de
conscience, tout de même. Ouais… ça va de soi. Je ne m'en tiendrai jamais
à de vulgaires relations amicales avec Eva. C'est certain. Si je ne peux pas
baiser cette femme, je ne pourrai donc indéniablement jamais sympathiser
avec elle. À vrai dire, je pense m'être bien assez ridiculisé jusqu'à
maintenant, alors… le mieux serait de me contenter d'enfiler de nouveau
mon masque de super enfoiré. Le masque du patron indéfiniment détestable.
 
 
 
 
 
 

Chapitre 11
Eva
 

Ce qui est le plus à craindre, c'est la rivalité d'un frère, pas celle d'un
étranger.
Mrtb
— Il faut tout relire avant ce soir, me dit mon cher patron, tout en
lâchant brusquement un large dossier sur le bureau. Ensuite, vous me ferez
un débriefe complet de sa contenance par écrit.
Visiblement, Devon ne s'est pas levé du bon pied ce matin. En effet,
mon boss se montre assez distant depuis qu'il est passé me prendre au pied
de mon immeuble tout à l'heure. Ce dernier ne m'a pas accordé ne serait-ce
qu'une toute petite parole lors du trajet. Pas de brèves salutations, ni même
un regard... rien. Étrange, mais… peut-être voulait-il simplement me
rappeler que malgré tout, il reste mon patron ? Probablement. De toute
évidence… je n'avais pas oublié ce détail considérable. Notre conversation
un peu trop intimiste de la dernière fois ne change strictement rien aux
réelles raisons de ma présence ici. Je ne compte pas me la couler douce,
simplement sous prétexte que mon boss s'intéresse un peu plus à ma vie
privée.
— D'accord Devon, approuvé-je alors sans rechigner. Je m'en occupe
dans la journée.
Ses poings s'écrasent contre le bois brut de mon plan de travail lorsque
ses paupières se referment. Il soupire ensuite longuement, puis relève
doucement la tête pour me faire face :
— Monsieur Anderson, me reprend-il très sérieusement.
Je grimace, un peu intriguée.
— Oh, marmonné-je ensuite, probablement rouge écarlate. Désolée, je
pensais que…
— Et bien comme trop souvent, vous avez mal pensé, m'interrompt-il
en arquant furieusement un sourcil. Nous sommes au travail, là, n'est-ce pas
?
Quel connard. Je reste impassible :
— C'est exact, Monsieur Anderson.
— Parfait, souffle-t-il alors, juste avant de définitivement tourner les
talons pour quitter la pièce.
Je n'y comprends strictement rien. L'autre soir… j'ai eu la chance de
rencontrer un Devon bien plus agréable que celui qui vient tout juste de
claquer cette fine porte nous séparant. Aujourd'hui, j'ai la sensation que ce
type étonnamment sympathique s'est volatilisée. Comme ça, en un seul petit
claquement de doigts. Pour être honnête, suite à ces quelques heures en sa
compagnie, j'étais convaincue que tout irait pour le mieux à partir de
maintenant, toutefois… c'était sans compter sur son intermittente bipolarité.
Vraiment, j'ai beau réfléchir… je n'arrive toujours pas à savoir à quel
moment ça a merdé. Je ne pense pourtant pas avoir été désagréable avec lui.
Pas plus que d'habitude, du moins. Après tout… nous avions beaucoup
échangé, alors je pensais sincèrement avoir grimpé d'un échelon dans son
estime, néanmoins… il faut croire que je me suis foutrement trompée.
Enfin… de toute évidence, le réel problème ne vient pas de moi. Disons
plutôt que mon boss a tout simplement remis son masque de super enfoiré,
probablement déçu de ne pas avoir pu arriver à ses fins le week-end dernier.
C'est à dire me baiser contre le capot de sa voiture à deux-cent-mille
dollars. C'est insupportable. Il est, insupportable.

Devon
 

Lorsque je referme la porte derrière moi suite ce bref échange avec


Mademoiselle Pierse, mon cœur palpite encore à mille à l'heure.
Effectivement, contrairement à elle, il m'est difficile de cacher mes
émotions. Je suis fou de rage. Sincèrement. Moi, je me fais violence pour ne
rien lui dire, mais elle, elle continue d'agir comme si de rien n'était.
Comment fait-elle ?
Oui, depuis ce matin… Eva fait comme si je n'avais jamais cherché à
relancer la conversation par SMS après l'avoir déposée chez elle vendredi
dernier. Comme si… elle s'en foutait royalement, au final. Et en y
réfléchissant un peu, c'est probablement le cas. Oui, elle se moque
complètement d'entretenir de bonnes relations avec moi, puisque sa
présence dans mes bureaux est sans aucun doute uniquement liée au bon
salaire que je lui verse chaque mois. À l'opposé de toutes les autres… elle
n'a pas postulé pour mettre le grappin sur son patron (et sur son compte en
banque, par la même occasion).
— Salut frangin, lance Caleb en entrant dans la pièce.
Je suis toujours adossé contre la porte communicante lorsque ce
dernier s'empresse de rejoindre mon bureau. L'air intrigué qu’arbore son
visage me laisse aussitôt comprendre qu'il ne saisit pas vraiment pourquoi je
reste immobile à cet endroit. Je me gifle alors intérieurement, puis lui
emboîte rapidement le pas avant qu'il ne se pose trop de questions. Chose
qu'il finit tout de même par faire :
— Tu viens encore de la tyranniser, c'est ça ? me demande-t-il alors,
sourcil arqué.
J'ai approximativement trois secondes pour inventer un bobard. Trois,
deux, un…
— Elle a encore oublié de mettre le sucre dans mon café, soupiré-je,
sincèrement contrarié. Mais ça n’a aucune réelle importance. Que fais-tu ici
?
Je m'installe rapidement derrière le bureau, puis croise ensuite mes
deux mains entre elles, tout en priant intérieurement pour qu'il ne relève pas
ce mensonge parfaitement bidon. Lui-même le sait. Je ne mets jamais de
sucre dans mon putain de café.
— Je passais simplement te rendre visite… avant d'aller proposer à
Eva de se joindre à moi pour le déjeuner, souffle-t-il finalement, tout en
s’asseyant face à moi.
Mes muscles se tendent instantanément, et ce, de façon parfaitement
incontrôlée. C'est un peu comme si la simple idée d'imaginer mon frère en
compagnie de ma secrétaire lors d'un rendez-vous privé suffisait à me
glacer le sang. Merde, c'est hors de question qu'il fasse une chose pareille.
— Combien de fois vais-je encore devoir te rappeler les clauses de son
contrat, Caleb ? l'interrogé-je en arquant les sourcils. Tu ne coucheras
jamais avec elle, alors… à quoi bon ?
— Je l'aime bien, et… commence-t-il d'une moue dubitative. Je n'ai
pas envie de manger seul aujourd'hui.
— Pour ça tu as Mindy, ou bien encore… Curtis, suggéré-je d’un air
logique. Qu'est-ce qui t'empêche de manger avec l'un d'entre eux ?
Mon frère se lève de son fauteuil en soupirant, probablement fin prêt à
se justifier avant d'aller au bout de cette idée. À vrai dire, je sais déjà ce
qu'il compte répondre à ça, et je n'y croirai bien évidemment pas une seule
seconde.
— Au-delà de son sex-appeal indéniable, commence-t-il alors en
étirant brièvement ses mains. J'apprécie sincèrement sa compagnie. Elle est
pétillante. Bien plus que tu ne le crois, d'ailleurs.
Ça aussi, je le savais déjà. Et comme je l'avais prédit un instant
auparavant… je ne crois pas une seule seconde à son baratin. Non, ce qui
attire particulièrement mon frère chez cette jeune femme, c'est… l'interdit.
Inévitablement. Caleb aime le défi. Devoir se contenter de désirer une si
belle créature est d'ailleurs sans aucun doute l'un des meilleurs qu'il n'ait
jamais eu à relever jusqu'à maintenant.
— Ramène-la-moi pour treize heures trente, lui ordonné-je,
imperturbable. J'ai quelques trucs à voir avec elle avant qu'elle ne regagne
intégralement son poste.
— Des trucs comme la maudire d'avoir accepté un rencard avec moi ?
me demande mon frère, un rien provocateur.
Le mot "rencard" me tord littéralement l'estomac, mais je ne laisse
strictement rien paraître pour autant :
— Plutôt des trucs comme lui rappeler que, elle aussi, devra se limiter
à de simples déjeuners en ta compagnie, réponds-je alors, tout en effectuant
plusieurs petits ronds sur l'accoudoir du fauteuil à l’aide de mon index. De
plus, qui te dit qu'Eva va accepter cette invitation ?
La moue dubitative qui accompagne ma question ne lui plaît pas, je le
sais. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il m'offre son air le plus
compétiteur qui soit, tout en défroissant rapidement sa chemise du plat de la
main. Il relève ensuite les yeux pour venir percuter les miens, puis me
lance, plein d'assurance :
— On va le savoir tout de suite, commence-t-il en prenant direction de
la porte communicante. Mais tu sais…
Il s'arrête net, pivote légèrement sur ses deux jambes afin de me faire
face, et poursuit d'une voix rauque :
— Chaque fois que ses yeux se posent sur moi, je suis capable d'y lire
combien elle me désire.
Je déglutis avec difficulté suite à cette petite remarque, tandis que mes
doigts se resserrent instantanément sur le cuir de l'accoudoir. Fort
heureusement, mon frère ne prend même pas la peine de me voir pâlir, et
fonce directement vers le bureau de Mademoiselle Pierse. Bordel. Plus le
temps passe, et plus je réalise qu'un simple morceau de papier n'arrêtera
probablement pas ses envies. Plus le temps passe, et… plus je réalise que si
Caleb tient vraiment à se taper Eva, il finira par le faire. Oui, un jour ou
l'autre, il le fera, et… ce sera entièrement ma faute. Car l'abruti qui refuse
de lui expliquer les réelles raisons de ma réticence concernant un éventuel
rapprochement entre eux, c'est moi. L'abruti qui a délibérément imposé cet
interdit à un mec, qui lui, adore les challenges, c'est encore moi.
 

Eva
 

— Je n’en sais rien Matt, soufflé-je à mon ami présent à l'autre bout du
fil. Je t'assure, la soirée était super sympa ! C'est comme s'il avait deux
personnalités. Une au travail, et l'autre en dehors !
— C'est un sale con. Mais ça… tu l'as toujours su, pas vrai ?
Je soupire longuement tant cette histoire me démoralise. Sincèrement.
J'en ai plus qu'assez d’avoir la sensation de marcher sur des œufs avec mon
patron. Quoique… ce qui me chagrine particulièrement, c'est plus
probablement la déception que de finir par constater que non, il n'est pas si
sympa que ça, finalement. Peut-être était-ce simplement une attitude de
façade, ou bien… comme je le disais tout à l'heure, une manière d'essayer
de me mettre dans son lit, comme toutes les autres. Et puisque je n'ai pas
cédé… voilà qu'il se la joue maintenant gamin frustré.
— Continue de faire ton boulot. S'il y a bien une chose que tu ne peux
pas lui reprocher, c'est ton salaire, alors…
— Tu as raison, oui. J'ai besoin de ce travail.
La porte communicante qui sépare nos deux bureaux s'ouvre
soudainement, me forçant donc à prendre une posture plus adaptée sur-le-
champ. Mon boss me gratifie d'un air jovial, et… il ne me faudra pas plus
de trois secondes pour comprendre que si j'ai droit à ce large sourire, c'est
simplement parce qu'en vérité, il ne s'agit tout simplement pas de lui.
— On se voit ce soir, dis-je à mon ami, juste avant de reposer le
combiné sur son socle.
J’offre mon attention entière à celui qui se tient non loin de là :
— Bonjour Caleb.
Ce dernier approche à grandes enjambées pour jeter un rapide coup
d’œil à mon agenda, regarde brièvement sa montre, puis me lance ensuite
sympathiquement :
— Parfait, commence-t-il en relevant le nez pour me faire face. Vous
êtes donc libre pour venir déjeuner avec moi ce midi.
Je pince fortement mes lèvres entre-elles, un peu confuse tout de
même. C'est une invitation ? Drôle de manière de s'y prendre, cependant…
— Eh bien apparemment, oui, approuvé-je finalement, tout sourire.
La blancheur de ses dents pourrait presque m'éblouir tant mon
approbation le rend heureux.
— Dans trente minutes, disons… dans le hall d'entrée ?
— Ça marche, oui, lui réponds-je sans hésiter, mais toujours assez
timidement quand même.
Il m'offre un vaste signe de tête en retour, puis tourne aussitôt les
talons, probablement déjà paré pour foncer m'y attendre. En vérité, j'ai pu
sentir une petite once de mal-être sur son visage avant qu'il ne prenne la
décision de quitter cette pièce. Ce qui, par conséquent, m'angoisse donc
nettement moins. Caleb est sans doute tout autant stressé que moi à l'idée de
partager un peu de son temps libre en ma compagnie, alors… disons que
c'est plutôt positif pour mon anxiété, que de pouvoir le constater. En
revanche, s'il y a bien une chose que j'appréhende, c'est ce qu'en pensera
mon patron. Je sais qu'il m'est impossible de coucher avec Caleb à cause de
ce foutu contrat, et je n'y compte d'ailleurs -pour le moment- pas vraiment,
néanmoins… je sais aussi qu'un simple petit repas risque de le mettre
sérieusement en rogne. Il n'a jamais supporté que son frère ait l'ascendant
sur lui. Toutefois, je m'en tape un peu, de ses restrictions. De nous deux,
c'est bien lui qui se comporte mal depuis le début, donc… je pense que je ne
devrais pas trop me soucier de son égo, aussi surdimensionné soit-il. Ouais,
je vais aller manger avec Caleb, et ouais, je vais passer un super bon
moment. Probablement bien meilleur que celui partagé avec son frère
vendredi dernier. Aucun doute là-dessus.
 
Chapitre 12
Eva
 

Rien ne trouble plus puissamment quelqu'un que la réalisation subite de


son ardent désir.
Stefan Zweig
 

— Apportez-nous votre meilleure bouteille, ordonne sympathiquement


Caleb à l’homme chargé de nous servir.
Pour être honnête, je ne m'attendais pas à ce genre de déjeuner en
acceptant de le partager avec lui. Moi, j'imaginais plutôt quelque chose
d'assez simple, comme… un bon vieux McDo, ou encore… un rapide
détour au Subway du coin. Bref, tout, sauf le restaurant le plus huppé de
Manhattan. À vrai dire, tout ça me met extrêmement mal à l'aise. Je sais
qu'il ne me laissera jamais payer une partie de la note, et heureusement,
d'ailleurs. Si cet homme n'était pas si gentleman, je devrais me jeter sur
mon téléphone pour faire une demande de prêt sur-le-champ. Néanmoins…
ce qui me gêne le plus dans cette histoire, c'est le fait -je crois- qu'on puisse
clairement appeler ça un rencard. Improvisé et finement dissimulé, certes,
mais tout de même. Après tout… quel genre d'homme invite une femme à
déjeuner dans un endroit comme celui-ci, pour un rendez-vous dit
”standard” ? Aucun que je ne connaisse déjà, en tous cas.
Le serveur revient les mains chargées de cette bouteille de vin valant
très probablement le montant de mon loyer, en déverse un fond dans le
verre de Caleb afin de l'inciter à goûter, puis remplit le mien lorsque ce
dernier approuve d'un vaste signe de tête :
— Il est délicieux, lance-t-il après avoir avalé l'intégralité de sa gorgée.
Dites-moi ce que vous en pensez, Eva.
À quelle heure suis-je censée admettre n'avoir absolument aucune
notion en termes de vin rouge ? Et surtout… quand dois-je lui dire que je
déteste ça, en vérité ? Jamais. Je saisis donc le pied de mon verre sans plus
attendre, le porte jusqu'à ma bouche, et fais ensuite mine de déguster ce
liquide affreusement amer, tout en faisant de mon mieux pour éviter de le
recracher.
— En effet, souris-je faussement en reposant le verre quasi aussitôt.
Délicieux.
Dégueulasse, ouais !
Mais visiblement, j'ai été assez convaincante, puisque ni lui, ni le
serveur, n'ont remarqué mon dégoût pourtant certain pour cette
abomination. Ce dernier pose d'ailleurs la bouteille encore pleine au centre
de la table, me faisant donc comprendre qu'il va me falloir une force
monstrueuse pour accepter d'en prendre une seconde fois avant la fin du
repas. Quoique… je reprends le boulot juste après, alors… oui, c'est une
excuse plus que valable. Devon n’accepterait pas me voir arriver un peu
pompette au bureau, et même si je ne suis pas du genre à aller dans son sens
en temps normal, je crois bien que là, je vais me servir de cet argument avec
grand plaisir.
— Mon frère vous a informée concernant votre petit séjour chez moi ?
me demande alors, Caleb, tout en découpant sa viande avec dextérité.
Mes poumons se rétractent, tout à coup. C'est un peu comme si je
n'avais plus la capacité de respirer suite à cette annonce étonnante.
— Comment… Je veux dire… non, il ne m'a rien dit, enfin…
Merde, j'en perds mes mots.
— Le séminaire, dans deux semaines ? poursuit-il d’un air logique. En
Californie ?
Toujours pas, non. Cependant… je suis plutôt rassurée d'apprendre que
par "chez moi", Caleb faisait plus principalement référence à l'état dans
lequel il vit.
— Il ne m'a pas parlé de ce séminaire, lui réponds-je enfin, juste avant
de saisir ma serviette pour essuyer le coin de ma bouche.
Pour toute réponse, il se contente de soupirer longuement,
probablement pour me faire savoir son mécontentement. Effectivement, en
temps normal, Devon aime bien me prévenir au dernier moment pour ce
genre de choses. Je crois que c'est une astuce sadique pour mieux briser
chacun de mes plans, à vrai dire. Comme si ce connard adorait voir ma
déception, chaque fois qu'il entre en trombe dans mon bureau pour
m'annoncer notre départ imminent pour le lendemain matin. Oui, c'est
constant. Je dois toujours m'adapter à son emploi du temps, tandis que lui…
il ne s'inquiète pas une seule seconde du mien en dehors des heures de
travail. Une fois, j'ai acheté des places pour aller voir U2 en concert, pas
moins de six mois à l'avance. Matt devait m'accompagner, et nous étions
censés nous y rendre un samedi soir. Je crois n'avoir jamais été aussi
impatiente de toute ma vie auparavant, néanmoins… mon cher patron s'est
fait un malin plaisir à tout gâcher. J'ai eu beau lui dire que les billets étaient
non remboursables, cet enfoiré n'a rien voulu entendre. Je devais
l'accompagner à son séminaire, et c'était non négociable. Depuis… il passe
son temps à me faire ce genre de plan foireux. Mais fort heureusement pour
moi, j'ai compris la leçon après la deuxième fois seulement. Maintenant, je
ne prévois tout simplement plus rien de coûteux. Fini les week-ends à la
campagne, les concerts avec mes amis, les séjours au parc d'attraction… fini
d'avoir une vie normale, quoi.
— Il ne changera donc jamais, reprend son frère d'un ton las.
Ce à quoi je me contente de répondre d'une simple moue dubitative, un
peu comme pour lui confirmer cette dernière parole. En effet, Devon restera
probablement un éternel connard, et ce, toute sa misérable vie.
— Enfin bon, dans ce cas… continue-t-il en portant la fourchette
jusqu'à sa bouche. C'est moi qui vais tout vous expliquer.
Fin prête à savoir ce qui m’attend réellement, j’approuve :
— Je vous écoute.
Je pique le bout de ma fourchette dans les haricots verts pour pouvoir
finir de les déguster, et ne peux m'empêcher de jeter un coup d’œil à
l'horloge présente, juste derrière lui. Plus que trente minutes avant que le
carrosse ne se transforme en citrouille…
— Il y a donc un séminaire à Los Angeles dans deux semaines. Ça,
vous l'aviez compris.
Je confirme de plusieurs petits hochements de tête consécutifs, tandis
qu'il poursuit sans plus attendre :
— Il s'agit du plus grand auquel on n’ait encore jamais assisté
auparavant, et comme chaque année, une vente aux enchères aura lieu le
samedi soir pour clôturer le tout. Ça, c’est la partie festive du week-end,
comme vous le savez déjà.
J'avale mes légumes avec difficulté. Le fait d'entendre que ce séminaire
s’avère être le plus grand me rebute un peu. J'ai toujours eu horreur de ce
genre de rassemblements. Tous ces gens réunis dans une même et grande
salle pour parler de choses parfaitement inintéressantes, pendant des heures
entières… j'en ai déjà la migraine. En revanche, la partie qui concerne cette
fameuse vente aux enchères me satisfait sincèrement. J’aime bien voir les
bourgeois se battre pour obtenir gain de cause. Ça me divertit.
— L’hôtel où aura lieu ces multiples événements se trouve à seulement
quelques pas de chez moi, continue-t-il en reprenant son verre.
J'en fais de même tant la suite de cette histoire m'intrigue. En effet, je
m'attends déjà au pire, et j'ai la bouche sèche, tout à coup. Je porte alors le
bord du verre jusqu'à mes lèvres, et regrette instantanément d'avoir fait ça.
Merde, tant pis. J'en reprends finalement une seconde gorgée dans l'attente
de ce qui va suivre :
— J'ai donc proposé à Devon de vous accueillir tous les deux pour le
week-end, et à ma grande surprise…
Les battements de mon cœur s'accélèrent peu à peu.
— Il a accepté.
La troisième gorgée de vin que je m'apprêtais à engloutir emprunte le
chemin inverse, et retombe donc simultanément dans mon verre. Le liquide
passe par mes cloisons nasales, me brûlant donc les narines d'une force que
j'imaginais encore inatteignable jusqu'à aujourd'hui. Bordel, je suis
sûrement en train de rêver. Ou bien de cauchemarder. Ouais, ça se résume
plus précisément à un vilain cauchemar, là.
— Tout va bien ? s'inquiète aussitôt Caleb en se levant d'un bond.
Tenez, Eva, panique-t-il ensuite en me tendant sa serviette.
Il l’agite exagérément afin de m'encourager à la saisir, tandis que je me
jette littéralement dessus pour pouvoir essuyer le liquide rougeâtre coulant
encore très probablement de mon nez. Mon Dieu. Je repose enfin le verre,
tapote légèrement mon visage à l'aide du morceau de tissu, puis pour finir,
lève les yeux vers Caleb afin de marmonner, un peu -beaucoup- gênée :
— Je suis vraiment désolée, je…
— Aucun souci Eva, m'interrompt-il sans plus attendre, sourire en
coin. J’ai compris que vous n’aimiez pas le vin rouge à la seconde même où
la première gorgée a traversé vos lèvres. Ne vous tracassez pas pour ça.
Oh mon Dieu… c’est le pompon.
S'il était possible de mourir de honte, je crois que je serais tout juste en
train d'agoniser. Oui, mais à vrai dire… le plus dramatique dans tout ça,
c'est surtout le fait de constater que, apparemment, je vais devoir séjourner
entre les mêmes murs que mon boss. Pire, les mêmes que ceux de son frère
jumeau. Non, pire encore, je vais devoir partager la même maison, et ce, au
milieu de ces deux-là, parfaitement seule, qui plus est. Seigneur. Oui,
effectivement, ça… ça bat absolument tous les records.
 

Devon
Mes yeux restent figés sur l'horloge depuis déjà un long moment. Il est
treize heures quarante-six exactement, ce qui signifie donc que Caleb n'a
pas respecté ma demande. Seize minutes de retard. Merde, il peut s'en
passer des choses, en seize minutes. Je secoue vivement la tête pour ôter ces
images de mes pensées, et vaque enfin à mes occupations. Tant pis. J'aurai
une discussion avec Eva lorsqu'elle reviendra. Et puis de toute évidence…
sa pause se termine officiellement à quatorze heures, alors… disons qu'elle
est encore dans ses droits.
Je plonge le nez sur l'écran de ma tablette afin de pouvoir consulter
mes mails, quand une idée me traverse soudainement l'esprit. Je n'ai encore
jamais été voir son profil Facebook en trois ans. Non, c'est sûrement une
mauvaise idée. Puis après tout… j'ai du mal à croire qu'une femme comme
Eva laisse son compte ouvert au public. Pour le savoir, une solution ; aller y
jeter un œil. Merde, oui, tant pis. J'ouvre alors l'application sans plus
attendre, tape aussitôt son nom dans la barre de recherche, puis clique enfin
sur la première suggestion qui s’offre à moi. Effectivement, c'est bien son
profil. Je reconnaîtrais probablement ses iris vert émeraude parmi cent
autres. Curieusement, sa photo principale est tout le contraire de ce que
j'imaginais. Elle est parfaitement seule dessus, mais tient entre ses mains un
large verre rempli de ce que je pense être du mojito. Ses yeux sont injectés
de sang, me laissant donc croire qu'elle était complètement saoule au
moment de la prise. Sa bouche pulpeuse brille légèrement, probablement
grâce au baume à lèvres que je la vois constamment utiliser. Je descends
alors davantage afin de voir s'il y a de nouvelles choses à apprendre sur elle,
puis tombe instantanément sur un second cliché. Eva est présente dessus,
enlaçant une femme qui lui ressemble curieusement. La phrase présente en
légende éclaire aussitôt ma lanterne :
 

" Tu m'as tant appris Maman. Oui, énormément de choses même, mais
malheureusement… je ne sais toujours pas vivre sans toi. 20/03/2019, le
jour où nous nous sommes éteintes ensemble."
 

Mes sourcils se froncent quand je comprends de qui il s'agit réellement.


Non pas pour le fait de saisir que cette magnifique femme n'est autre que sa
propre mère au final, mais plus principalement parce que je comprends sans
effort qu'elle est morte. C'est étrange, mais… ça me rend triste. Oui, je suis
triste d'apprendre cette tragédie, triste d'en être informé seulement
maintenant, mais surtout… triste de devoir constater qu'en effet, je suis le
roi des enfoirés. Mars deux-mille-dix-neuf. Je me souviens de cette période.
Merde, je ne pourrais d'ailleurs probablement jamais l'oublier, étant donné
que j'ai moi-même perdu mon père à ce moment précis. Putain. Alors tout
ce temps… je l'ai méprisée, sans même me douter ne serait-ce qu'une toute
petite seconde que, elle aussi, vivait un moment atrocement difficile ? Eva
était en fait en train de faire le deuil de sa propre mère, pendant que moi, je
passais ma vie à lui reprocher tout un tas de choses, malgré le mal qu'elle se
donnait pourtant chaque jour pour me remonter le moral ? Bordel… je ne
me suis jamais senti aussi con qu'en ce moment même.
—Tu n'as pas intérêt à l'engueuler, lance mon frère en entrant
subitement dans la pièce.
Merde ! Je m'empresse de prendre la tablette entre mes mains pour
rapidement en refermer son étui. Il ne manquerait plus qu'il me surprenne à
la surveiller, en plus de ça. D'ailleurs, la grimace qu'effectue son visage
suite à mon geste brusque lui met aussitôt la puce à l'oreille :
— T’étais en train de mater un porno ou quoi ? me demande-t-il,
sincèrement perplexe.
— Oui, lui réponds-je sans réfléchir. D’ailleurs, c’est bien pour ce
genre de raison qu'on est censé frapper à la porte, avant d'entrer chez
quelqu'un.
Évidemment, cette réponse spontanée ne le met absolument pas mal à
l'aise. De même pour moi. En effet, je préfère de loin que mon frère me
surprenne à mater des culs sur un écran, plutôt qu'il ne comprenne qu'en
réalité… je ne fais rien de plus que fantasmer sur ma secrétaire.
— Je t'avais dit de la ramener à la demie, reprends-je alors
furieusement.
— Et tu n'es pas son tuteur, rétorque-t-il du tac au tac. Elle a vingt-sept
ans, Devon. Si son contrat indique que la pause déjeuner prend fin à
quatorze heures, eh bien… elle est dans ses droits de revenir à quatorze
heures.
Je plisse les paupières afin de lui faire savoir à quel point son
comportement me déplaît. Il a tendance à oublier qu'ici, entre ces murs,
c'est moi, le patron. Néanmoins, il ne relève pas, et change rapidement de
sujet :
— Bref, je repasserai probablement dans la semaine.
— Tu n'es pas obligé.
— Ça me fait plaisir, lance-t-il dans un sourire hypocrite, juste avant de
définitivement tourner les talons. À plus frangin !
Enfoiré. Ouais, c'est très certainement ce que mon frère vient, lui aussi,
tout juste de penser. Mais aucune importance au final. Là, ce qui m'importe
le plus, c'est d'avoir des explications de la part d'Eva. Ou bien… plutôt une
bonne excuse pour la faire venir dans mon bureau. Je saisis alors le
téléphone fixe, appuie sur le bouton spécialement prévu pour me mettre en
relation directe avec elle, puis attends patiemment qu’elle me réponde,
quand sa voix résonne délicatement à l'intérieur de mon tympan :
— Eva Pierse, dit-elle machinalement. Comment puis-je vous aid…
— Dans mon bureau, lui ordonné-je sans plus attendre. Tout de suite.
Je raccroche sur-le-champ, m'adosse plus confortablement contre le
dossier de mon fauteuil, puis joins ensuite chacun des bouts de mes doigts
entre eux dans l'attente de son arrivée. Chose qui a d'ailleurs lieu presque
instantanément :
— Je viens tout juste de débuter la lecture du dossier, me dit-elle en
avançant d'un petit pas.
Jusqu'à maintenant, je n'avais pas vraiment pris le temps de la regarder
aujourd’hui. Sans grande surprise, elle est toujours aussi désirable. Sa
longue jupe grise est parfaitement ajustée à sa taille de guêpe, quant à son
maquillage, lui, il est toujours aussi discret. Toutefois, Eva risque de trouver
ça louche si je ne réponds rien dans les trois prochaines secondes. Je
m'exécute :
— Depuis quand déjeunez-vous avec mon frère ? lui lancé-je alors,
sourcils bien arqués.
Elle fait mine d’y réfléchir brièvement.
— Je ne suis jamais contre un bon restau.
Je me redresse avec flegme lorsque ces quelques mots sortent
naturellement de sa bouche. C’est étrange, mais cet après-midi… son
audace m’irrite un peu plus que d’habitude.
— Ça n'arrivera plus, lui dis-je alors fermement. D'ailleurs, vous ne le
verrez plus que pour le travail, dorénavant.
Mon ton bourré d'autorité ne lui plaît pas, je le sais. À vrai dire…
l'agacement est très clairement visible sur chacun des traits de son visage, et
je pense qu’elle compte bien me le faire savoir à haute voix :
— Pourquoi ne pas m'avoir informée concernant ce séminaire en
Californie ? me demande-t-elle finalement, tout en croisant furieusement les
bras sous sa poitrine. Et pourquoi êtes-vous si froid, depuis ce matin ? Je
croyais que vous vouliez entretenir de meilleures relations avec moi ?
Quelque chose de plus… "humain" ?
Eva ajoute des guillemets avec ses doigts sur le dernier mot, et ce, de
façon on ne peut plus sarcastique. Curieusement, ça m'énerve.
Paradoxalement, ça m'excite. Ouais, j'ai toujours aimé son franc-parler.
— De plus, j'aurais aimé pouvoir donner mon avis en ce qui concerne
notre petit séjour chez Caleb.
Ce connard lui a donc absolument tout balancé. Merde, il est
insupportable ! Je ne voulais pas lui dire avant la veille même de notre
départ ! En effet, comme d'habitude, je ne comptais en faire-part à Eva
seulement quelques heures avant le départ. De cette manière, elle n'aurait
donc jamais le temps de demander un arrêt de travail au premier médecin
qu'elle trouverait. Car oui, je suis convaincu qu'elle en serait capable, pour
seul but de ne pas avoir à me supporter durant tout un week-end. En
l'occurrence, là, ça lui laisse approximativement douze jours pour le faire.
Fait chier. Je me lève rapidement de ma chaise, contourne mon bureau, puis
me plante ensuite bien devant elle, fin prêt à lui tenir tête :
— Ici, commencé-je d'une voix rauque. C'est moi qui pose les
questions.
Ses yeux roulent vers le haut pour me faire part de sa lassitude, tandis
qu'un soupire en profite pour traverser ses lèvres légèrement maquillées.
— Pourquoi ne pas avoir répondu à mon SMS vendredi dernier ?
demandé-je ensuite, sincèrement perplexe.
Le froncement qu'effectuent ses sourcils à la suite de cette question me
laisse comprendre qu'Eva n'a pas vraiment l'air de voir où je veux en venir.
— Je… Ma ligne a été coupée la semaine dernière, donc…
Elle plisse légèrement les paupières.
Merde.
— Comment ça ? Vous n'avez pas payé vos factures ?
Ses iris se plantent intensément dans les miens, et c'est alors que je
peux y lire l'embarras certain. Quoi ? Mais… comment peut-elle manquer
de moyens avec le salaire que je lui verse…?
— Comm…
— C'est compliqué, m'interrompt-elle rapidement, probablement pour
m'éviter toute nouvelle question personnelle. Pour quelles raisons m’avez-
vous contactée par SMS ? Habituellement… vous téléphonez.
Bordel, ça non plus, je ne l’avais pas prévu.
— J'avais besoin de vérifier mon agenda avec vous, mais j'ai
finalement réussi à me débrouiller autrement.
Pas mal, pas mal…
— Oh… marmonne-t-elle d'un air perplexe. Bien.
— Bien, répété-je, impassible.
Eva pince fortement ses lèvres entre elles pour clôturer le tout,
permettant donc à mon mal-être de s'accentuer davantage. Certes, ma
répartie n'était pas trop mal trouvée, néanmoins… je doute qu'elle n’y ait
vraiment cru au final.
— Bon, eh bien… Je vais retourner travailler…
— Moi aussi, oui, lui réponds-je en frottant abruptement ma mâchoire.
Merde, je crois ne jamais avoir été confronté à autant de confusion au
court de ma vie. Quoique… si. Avec Eva, tout est toujours plus confus.
Émotionnellement parlant, je veux dire. Oui, c'est la stricte vérité. Chaque
fois que je suis face à elle… je ne me reconnais pas.
Bref, il faut que je me change un peu les idées.
Je m’enfonce donc de nouveau au fond du fauteuil lorsqu’elle quitte
définitivement la pièce, rouvre l'étui de ma tablette, et… retombe -sans
grande surprise- sur le profil Facebook de cette dernière. Évidemment, je
n'ai pas pris le temps de quitter la page lorsque Caleb est entré en trombe
dans mon bureau tout à l'heure. Je secoue brièvement la tête de gauche à
droite, puis repose ensuite les yeux sur mon écran afin d'observer sa photo
une dernière fois. Qu'est-ce qu… Merde ! Quand est-ce que j'ai envoyé cette
foutue demande d'ami ?! Je n'ai pourtant pas le souvenir d'avoir fait ça,
alors… Nom de Dieu. L'entrée fracassante de mon frère, assurément. J'ai dû
faire cette mauvaise manipulation en verrouillant brusquement la tablette.
Fait chier. Oui, sincèrement même, car… je sais que malgré la rectification
de cette erreur, ma secrétaire recevra tout de même une notification. Bordel
de merde.
 

 
Chapitre 13
Eva
 

Le seul moyen de se délivrer d'une tentation, c'est d'y céder. Résistez, et


votre âme se rend malade à force de languir ce qu'elle s'interdit.
Oscar Wilde
 

Déjà deux heures que je suis penchée sur ce satané dossier. Pff… j'ai la
sensation que je ne verrai jamais le bout du tunnel. Ma tête commence
sérieusement à me faire mal, quant à mes yeux, eux, ils me brûlent
exagérément depuis maintenant plusieurs minutes. Il faut vraiment que
j'aille acheter cette foutue paire de lunettes. C'est bon, j'en ai marre. Je dois
impérativement m'accorder une petite pause avant de définitivement péter
les plombs. Je pousse alors le tas de paperasse sur le côté, me penche
ensuite vers le tiroir du bureau afin d'y saisir un petit paquet de gâteaux,
puis pour finir, m'affale nonchalamment sur le dossier de cette chaise, qui
elle, serait presque semblable à un bloc de parpaing actuellement. Quelle
vie de merde. C'est décidé, je vais demander un fauteuil à Matt pour mon
anniversaire.
Au passage, j'en profite pour agiter la souris de mon ordinateur afin
d'en rallumer l'écran en veille, et donc d'aller faire un rapide tour sur
Facebook. Ce dernier s'illumine d'ailleurs aussitôt sur mon profil, et
m'affiche directement plusieurs notifications, ainsi qu'une toute nouvelle
demande d'ami. Tiens, tiens… Je m'empresse alors d'emmener la petite
flèche jusqu'au logo, clique dessus sans hésiter, puis… manque presque de
m'étouffer avec mon Oreo quand je reconnais sans effort le nom de mon
patron. Merde… quoi ?! Par réflexe, je claque subitement le clapet de mon
pc pour le refermer. Non, c'est impossible. Pourquoi m'aurait-il ajoutée sur
Facebook ? Ce matin encore, la demande n'y était pas ! Et puis… que suis-
je censée faire, maintenant ? Accepter ? Décliner ? Si je refuse, Devon
pourrait y voir une nouvelle opportunité pour m'en faire baver, tandis que si
j'accepte… il ne pourra pas me le reprocher. Oui, je vais accepter. Je
m'exécute donc sans plus attendre, quand un message d'erreur s'affiche
finalement dans la petite case. Mes sourcils se froncent lorsque je tente de
comprendre la provenance du problème. Je tape alors son nom dans la barre
de recherche afin de pouvoir accéder à son profil, puis constate aussitôt que
la demande d'ami s'est annulée. Étrange… il a dû faire une fausse
manipulation. Et après réflexion, c'est plutôt une bonne chose. Oui,
toutefois… pourquoi mon boss est allé sur mon profil Facebook
aujourd'hui… ? Doublement étrange. Je n'ai qu'à envoyer un message,
histoire de lui faire savoir que je suis bel et bien au courant. (Et aussi
histoire de le taquiner un peu, tant qu’à faire.)
 

« Finalement… vous ne voulez plus de moi dans vos amis ? »


commencé-je avec sarcasme.
 

Soudain, mon cœur palpite à toute allure quand le mot « vu » s'affiche


presque aussitôt. Merde Eva, qu'est-ce que tu viens encore de faire…
 

Devon
 

Quand la sonnerie de mon téléphone a retenti pour m'avertir d'une


notification Messenger, je n'ai pas hésité une seule seconde, et en ait donc
instantanément déverrouillé l'écran. À vrai dire, une infime partie de moi
savait déjà que ça ne pouvait être qu'elle, cependant… mon impatience de
découvrir le contenu de ce message a dépassé tout le reste, à tel point
d'ailleurs, que je n'ai même pas pris quelques secondes pour réfléchir avant
de l'ouvrir. J'aurais pourtant pu me faire désirer, mais… même pas. Trop
tard.
 

« Fausse manipulation, désolé. » lui réponds-je alors sans plus


attendre.
 

C'est complètement absurde, tout ça. Non seulement elle sait déjà
pertinemment que j'ai été jeter un coup d’œil sur son profil, mais en plus de
ça, nous sommes à seulement quelques mètres l'un de l'autre.
 
« Je vais faire comme si j'y croyais, dans ce cas. » me lance-t-elle, un
rien sarcastique. « Comme pour le fameux SMS, vous savez… » ajoute-t-elle
ensuite, me portant donc le coup de grâce.
 

Effectivement, cette femme est bien loin d'être facile à duper. Je me


mords abruptement la lèvre inférieure afin d'éviter à mon sourire naissant de
totalement faire son apparition. Comme si Eva était véritablement en face
de moi pour pouvoir le voir.
 

« Vous êtes toujours là ? » reprend-elle.


 

Oui, Mademoiselle, seulement… je n'ai aucun argument à vous


apporter. Toutefois, je n'ai pas vraiment envie de mettre un terme à notre
conversation, aussi inutile soit-elle. Non, en vérité… je crois que j'apprécie.
Tout me paraît beaucoup simple, de cette manière. Et c'est sans doute pour
cette raison que je réponds enfin :
 

« Est-ce une façon de me faire savoir que vous auriez préféré un SMS
plus personnel ? »
 

« Plus probablement une façon de vous faire savoir que je ne suis pas
totalement idiote. » me lance-t-elle, sûrement le sourire aux lèvres de son
bureau. « J'ai encore une centaine de pages à lire. Je vous ferai un
débriefing complet par écrit juste après. »
 

Ce qui, je suppose, annonce donc la fin officielle de notre petit jeu


virtuel.
 

« Bonne journée, Mademoiselle Pierse. » lui réponds-je alors, tout en


soupirant lorsque mon doigt tape sur le bouton « enter ».
 

« Bonne journée, Monsieur Anderson. »


 

Je n'arrive toujours pas à savoir pourquoi mon organe vital tambourine


si fort dans ma poitrine lorsqu'il s'agit simplement d'échanger de manière
plus personnelle avec cette femme. Une chose est sûre, je ne suis pas
amoureux. En revanche… Eva arrive toujours à me rendre contradictoire. Il
lui suffit d'un rien pour me faire passer de la colère à l'apaisement. Bien
évidemment, ça, elle n'en saura jamais rien, néanmoins… moi, j'en suis
parfaitement conscient, et ça ne me convient pas. Vraiment pas. J'ai horreur
de constater qu'une femme puisse me rendre si différent, sans rien faire de
particulier. Oui, je déteste devoir admettre combien Eva me rend dingue.
 
 

Eva
 

Le soleil est tout juste sur le point de se coucher, mais je suis pourtant
toujours assise sur cette chaise de bureau, en train de taper ce foutu
débriefing sur mon clavier d'ordinateur. Pour être honnête, j'aurais très bien
pu terminer tout ça chez moi, mais je n'ai jamais vraiment été du genre à
ramener du travail à la maison. Non… moi, je préfère me dire qu'une fois
mes escarpins retirés et mon soutien-gorge dégrafé, la fête peut enfin
commencer. Bon, pour le coup, c'est plus probablement avec mon lit que je
risque de la faire, ce soir.
— Vous n'êtes pas encore partie ?
Je reconnais instantanément la voix de mon patron, et ce, sans même
avoir besoin de lever le nez de mon écran. Merde. Habituellement, je laisse
cette porte ouverte lorsque je suis persuadée que Devon est bel et bien
rentré chez lui. Sûrement une façon de me rassurer, ou… je ne sais pas.
Comme si le fait d'avoir vue sur le couloir allait réellement pouvoir m'éviter
d'échapper aux griffes tranchantes d'un serial killer. N'importe quoi.
— Je n'ai pas terminé, lui réponds-je alors, sans jamais lever la tête
pour autant.
J'entends ses pas approcher peu à peu, mais m'interdis tout de même
formellement de le regarder. En vérité, je crois ne pas trop assumer notre
bref échange virtuel de ce milieu d'après-midi. Il faut dire que le fait de
converser avec son patron via un réseau social est assez inhabituel. Intime,
personnel… bref, tout, sauf professionnel. Pourtant, il s'agissait d'une
discussion parfaitement banale entre deux personnes normales, mais… j'ai
tout de même tendance à penser que c'était en réalité un peu plus que ça, au
final. À vrai dire, c'est comme si le moment partagé avec Devon vendredi
dernier refusait de quitter mon esprit. Comme si… je restais persuadée qu'il
était véritablement quelqu'un de bien, dans le fond. Tout tout tout au fond,
oui.
Ma main droite quitte le clavier un court instant tandis que la gauche
continue à taper. Je la porte alors rapidement jusqu'à ma nuque, et en
malaxe ensuite abruptement la peau afin de, peut-être, pouvoir détendre
mes nerfs.
— Vous êtes épuisée, grommelle mon boss, toujours bien dressé devant
moi. Faites une petite pause.
— Non merci, désapprouvé-je d’un vaste signe de tête. Ça ira.
Comme à son habitude, il serre les poings, juste avant de fermement
les appuyer contre le bois de mon bureau. Je n'ai jamais compris pourquoi
Devon faisait ce genre de choses, aussi stupides soient-elles. À croire qu'il
se sent constamment obligé de prendre une posture d'homme puissant pour
me montrer la part du véritable mâle Alpha qui sommeille en lui. Comme si
cette attitude le rendait tout de suite beaucoup plus autoritaire qu'il ne l'est
déjà. Ouais, bon… c’est peut-être le cas, je l’admets.
— Ça n'était pas une question, Eva, ajoute-t-il ensuite d'une voix
ferme.
Une sensation agréablement familière grouille à l'intérieur de mon
estomac lorsque ce son grave traverse délicatement mes tympans.
Étrangement, cette manière virile qu'il a de s'adresser à moi me fait quelque
chose, ce soir. Pourquoi ? Je n'en sais foutrement rien. Généralement,
Monsieur Anderson n'a absolument pas ce type de pouvoir sur moi, mais
dernièrement… il faut croire que tout est différent. Oui, curieusement, je le
trouve plus à mon goût que d’ordinaire. Plus sexy, plus désirable, plus…
baisable. OK, je déraille complètement. C'est sûrement la fatigue, ou bien
encore… ma libido qui me joue des tours. Probablement. Après tout, ça fait
tellement longtemps qu'aucun homme ne m'a touchée… Des semaines,
voire même des mois ! Merde, j'ai arrêté de compter depuis déjà un long
moment, et jusqu'à maintenant, mes petits jouets me convenaient
parfaitement bien, seulement… cette fois, j'ai l'impression que mon corps a
besoin de plus qu'un simple pénis de latex.
Oui, mais bien évidemment… il est absolument hors de question que
j’assouvisse mes besoins avec cet homme-là. Plutôt crever.
— Prenez votre chaise, me suggère-t-il ensuite en prenant direction de
la porte communicante, très certainement pour m'encourager à le suivre.
Et malgré cet ordre strictement donné, je ne bouge tout de même pas
d'un centimètre de cette dernière. C'est d'ailleurs probablement pour cette
raison que mon boss s'arrête net au niveau du contour de porte, juste avant
de se retourner pour ajouter :
— S'il vous plaît.
Je préfère ça. Oui, malgré le fait que je n'en ai pas vraiment envie au
final, j'admets ne rien pouvoir lui refuser quand mon patron se montre aussi
aimable avec moi. Un donné pour un rendu. Il met sa fierté de côté
quelques secondes pour me brosser dans le sens du poil, donc j'en fais de
même afin de lui prouver que je sais être fair-play, moi aussi. Je me lève
alors sans plus attendre, puis lui emboîte aussitôt le pas, chaise à la main, et
tout en me questionnant intérieurement sur ses réelles intentions. Une fois
rendue dans son bureau, j’arque un sourcil afin de l'interroger d'un seul petit
regard, quand il tend finalement son bras en direction du large fauteuil :
— Installez-vous.
Quoi ?
— Vous voulez dire… à votre place ? demandé-je alors, un peu
suspicieuse tout de même.
— Oui, dit-il en me prenant la chaise des mains. J'ai besoin de votre
aide pour faire un achat, alors cette place est idéale pour être correctement
face à l'écran d'ordinateur.
Je l'observe positionner mon instrument de torture aux côtés du large
fauteuil de cuir noir, et… m'exécute directement, n'attendant donc pas qu'il
ne me le demande une seconde fois. En effet, je rêve de pouvoir m'assoir
sur quelque chose de moelleux depuis des heures, donc il ne fallait pas
m'offrir une telle opportunité ce soir. Non seulement je vais permettre un
peu de répit à mes cervicales, mais en plus de ça, j'ai la chance de pouvoir
profiter de la place la plus convoitée de tout ce building. La classe. Je m'y
installe alors sans plus attendre, quand un long soupir de relaxation
s'échappe d'entre mes lèvres de manière incontrôlée.
— Il est confortable, n'est-ce pas ?
Il a encore ce fameux sourire en coin. Seigneur, pourquoi ce simple
petit rictus suffit à me faire de l'effet ? Et mon Dieu, pourquoi cet homme
me donne si chaud, tout à coup ?! Merde Eva, ressaisis-toi !
— Bien plus que ma chaise, en effet, ricané-je en désignant cette
dernière du menton. De quel genre de cadeau s'agit-il, au juste ?
Cette question vient de m'échapper. À vrai dire, j’ai simplement
cherché à rapidement changer de sujet, mais… je ne suis pas tout à fait sûre
de pouvoir me permettre de la poser. Et après réflexion, si je suis ici, c’est
pour l'aider à choisir, alors… j'imagine qu'il est important de m'en informer.
Devon se dirige vers le petit bar présent sur ma droite, saisit la bouteille de
cristal pleine de whisky qu'il secoue ensuite brièvement pour m'en proposer,
puis en déverse aussitôt dans deux verres assortis, juste après que je lui ai
répondu d'un vaste signe de tête approuvant sa proposition. Je l'ai
grandement mérité, ce verre.
— Pour être franc, je n'y connais strictement rien en habits féminins,
alors… commence-t-il en avançant, les mains chargées de nos abreuvoirs.
Disons que je comptais sur vous pour passer commande. Vous êtes partante
?
Sur ces paroles étonnantes, il prend place à mes côtés, l’air de rien.
Quoi…? Merde, c'est probablement une mauvaise blague. D'ailleurs, je suis
presque certaine que mon patron peut constater l'effet de surprise indéniable
présent sur mon visage actuellement. Il n'est donc pas seul ? Et… pourquoi
ça m'irrite autant de l'apprendre de cette façon ? Probablement parce que, -
comme à son habitude- mon connard de boss est incapable de faire les
choses bien quand il s'agit de moi. Sérieusement… me demander de
sélectionner une tenue pour sa petite amie… à moi ? Putain, il ne manque
pas d'air ! Oui, toutefois… je ne compte pas lui montrer que cette attitude
presque humiliante me dérange au plus haut point. Non, je me contente plus
simplement d'arborer un air stoïque, puis lui réponds finalement :
— Je connais quelques sites, oui, lui dis-je alors, tout en faisant glisser
la souris pour déverrouiller l'écran. Mais ça risque de vous coûter assez
cher, pour être honnête.
C'est complètement faux. J'ai de bons tuyaux pour ne pas trop me
ruiner en termes de vêtements haut de gamme, mais bien évidemment… je
ne vais pas lui en faire part. Premièrement, il est plein aux as, et
deuxièmement, ça lui apprendra à me demander ce genre de service
totalement absurde.
— Le prix m'importe peu, me dit-il finalement, tout en se penchant
vers l'écran pour observer mes recherches de plus près. Prenez ce qui vous
semble être le mieux.
Je vais me gêner, tiens. Mon index fait donc rouler la molette quelques
secondes dans l'attente du véritable coup de cœur, quand mes yeux s'arrêtent
subitement sur une magnifique robe bleue. Elle est dotée d'un large
décolleté en V, et d'une longue tulle fluide en mousseline ornée de strass et
de paillettes. Je clique alors simultanément dessus, puis fais ensuite défiler
les quelques autres photos afin de pouvoir la voir de plus près. Le dos est
presque intégralement nu, quant aux bretelles, elles sont si fines qu'elles
laissent les épaules du mannequin parfaitement dégagées. Seigneur, elle est
vraiment sublime.
— Celle-ci me semble parfaite, dis-je alors à mon patron en tournant
légèrement le regard vers lui.
Et je me sens rougir de façon instantanée lorsque je constate qu'au lieu
d'être sur l'écran, ses yeux sont en fait tout droit rivés sur moi. Je baisse
alors la tête sans plus attendre, puis saisis ensuite mon verre pour en boire
une grande lampée. Ma gorge est en feu tant ce liquide ambré est brûlant,
mais… tant pis.
— Dans ce cas… allez-y, me dit-il en haussant les épaules, un peu
désinvolte. Mes codes de cartes sont déjà enregistrés dans les données.
J'approuve de plusieurs petits hochements de tête consécutifs en
reprenant une nouvelle gorgée, puis fais ensuite légèrement glisser la souris
afin d'atteindre le bouton d'achat. Nom de Di…
— Huit-cents dollars pour une robe ?! m'exclamé-je après avoir
rapidement dégluti, complètement bouche bée. Elle est ornée de diamant
véritable, ou quoi ?!
OK, je ne pourrai donc jamais me l'offrir. Lui, reste absolument
imperturbable.
— Comme je vous l’ai dit tout à l'heure… le prix m'importe peu.
Je n'en reviens pas. Comment peut-on mettre une telle somme dans un
cadeau ? Ou plutôt… dans un morceau de tissu ?! À la limite, pour une
voiture, je ne dis pas, mais… une putain de robe ?! Je termine mon verre
d'une seule traite pour tenter de recouvrer mes esprits, tandis que Devon en
profite pour faire de même, juste avant de les remplir de nouveau. C'est très
étrange, comme situation. Je n'avais encore jamais fait ce genre de chose en
sa compagnie. Bien évidemment… la soirée de vendredi dernier ne compte
pas, puisque nous étions dans une ambiance le permettant un peu plus
communément. Oh, puis… après tout, j'ai passé ma journée à bosser comme
une forcenée, alors ce ne sont probablement pas deux-trois verres d’alcool
qui risquent de me faire mal.
— Quelle taille faut-il, exactement ? demandé-je dans un froncement
de sourcils. Je veux dire… de quel gabarit est l'heureuse élue ?
Mon patron fronce les sourcils à reculons sur sa chaise, me dévisage de
la tête aux pieds, boit ensuite une fine gorgée de sa boisson, puis me dit,
toujours de cet air insupportablement léger :
— Je dirais… Le même que vous.
Je vois. Si seulement cette femme savait de quelle façon il s'y prend
réellement… je suis presque convaincue qu'elle partirait en courant.
Quoique… un mec au portefeuille on ne peut plus attrayant et aussi
séduisant que Devon ne doit pas faire fuir grand monde en temps normal.
Assurément.
— C'est fait, dis-je alors en m'adossant plus confortablement au dossier
du fauteuil, juste après avoir validé la commande d'un seul petit clic.
Je pousse ensuite légèrement sur la pointe de mes pieds afin de pouvoir
reculer mon -son- siège, et croise délicatement mes jambes entre elles,
évitant donc à mon boss d'avoir une vue un peu trop détaillée sur mes
dessous.
— Même si vous n'y avez pas vraiment mis du vôtre… J'imagine que
cette robe fera tout de même son effet, ajouté-je dans un pouffement, et
juste avant de porter le verre jusqu'à ma bouche.
Voilà que je commence à ricaner bêtement. Oui, effectivement, l'alcool
brun n'est définitivement pas fait pour moi. Combiné avec la fatigue, ça a
toujours été un véritable fiasco.
— Je vous trouve incroyablement belle, Eva, me dit-il sans raison
apparente, et interrompant donc simultanément mes petits gloussements.
Je suis incapable de savoir si seul l'alcool est à l'origine de cette
soudaine chaleur ardente, ou bien s'il s'agit plus probablement du
compliment que vient tout juste de me faire mon patron. Seigneur… moi
aussi, je le trouve incroyablement beau. Mais bien évidemment, je suis
encore bien assez lucide pour ne pas me laisser emporter si facilement.
Non, comme je l'ai déjà dit un nombre incalculable de fois… je ne céderai
pas à ses avances. Jamais. La place que j'ai dans cette boîte est nettement
plus importante que ma vie sexuelle. J'ai impérativement besoin de ce
boulot, et ce n'est certainement pas avec un salaire de barmaid que
j'arriverais à aider mon père chaque fin de mois. Déjà qu'il m'est assez
difficile de joindre les deux bouts en ce moment… Merde, c'est non
négociable. Cette envie si soudaine de sexe me passera probablement. Et si
ce n’est pas le cas, je demanderai une prime pour me payer un gigolo.
— Ne croyez-vous pas qu'il est un peu indécent de me dire une chose
pareille, en ayant pourtant déjà quelqu'un dans votre vie ? demandé-je avec
audace, et tout en désignant la robe encore présente sur l’écran d'ordinateur.
Devon se redresse légèrement pour approcher son visage du mien, mais
laisse tout de même une certaine distance entre nos lèvres. De là où il se
trouve, je ne peux pas encore sentir son souffle frôler ma peau.
— Qui vous dit que cette tenue n'est pas pour, par exemple… ma mère
? suggère-t-il d'une moue dubitative. Ou bien encore… une tante ?
— Je pense que si ça avait été le cas, vous me l'auriez dit dès les
premières secondes.
— Peut-être pas, désapprouve-t-il, sans jamais baisser les yeux.
— J'en suis convaincue. Cette robe est pour une femme que vous
baisez actuellement. Une femme comme… Kiara.
Nom de Dieu, mais qu'est-ce qu'il me prend, tout à coup ?! Pourquoi
ma bouche vient-elle de sortir une telle connerie ?! Par-dessus tout…
pourquoi est-ce que je passe ma vie à tendre le bâton pour me faire battre ?!
Sa langue glisse délicatement entre ses lèvres à la suite de ma remarque, ce
qui, j'imagine, est censé me prouver qu'il ne se sent absolument pas
consterné par cette dernière. Pire, je dirais même que ça l'amuse, de me
découvrir sous cet angle-là. Effectivement, l'alcool a toujours eu tendance à
me mettre un peu trop à l'aise, une fois mon cerveau en étant bien atteint.
— Ça me plaît de vous entendre parler de cette façon, Eva, me répond-
il alors, tout en buvant une nouvelle gorgée, mais sans jamais bouger d'un
centimètre pour autant.
Le dessous de son verre pourrait presque toucher le bout de mon nez
lorsqu'il le soulève intégralement pour en boire son contenu. J'attends
patiemment qu'il le repose, puis en fais de même. Oui, je crois que j'en ai
grandement besoin, là, maintenant. C'est un peu comme une dose
d'assurance que je m'accorde. Un peu comme… une gorgée de courage,
pour m'aider à affronter la tension sexuelle planant actuellement entre les
murs de cette pièce. Devon remplit de nouveau son verre, alors je lui tends
aussitôt le mien afin de l'encourager à ne surtout pas perdre la main. C'est
certain, je vais finir complètement saoule. Oui, certes, mais… si ça peut
m'aider à calmer un peu mes ardeurs…
— Ça aussi c'est indécent, comme comportement, rétorqué-je alors,
sourire en coin. En vérité… je crois que vous êtes la définition même de
l’indécence.
Mon boss plisse les paupières suite à cette nouvelle remarque
désobligeante, mais je n'arrive tout de même pas à distinguer quelconque
vexation à travers ses iris ambrés. Non, à vrai dire… j'ai plutôt la sensation
que ma répartie attise quelque chose en lui. Quelque chose de très bestial.
Merde, il faut que j’arrête ça, et tout de suite.
— Voulez-vous que je vous montre ce qu'est vraiment un
comportement indécent, Mademoiselle Pierse ? me demande-t-il alors en
arquant un sourcil.
Mon corps tout entier frissonne à l'entente de cette proposition. Pour
être honnête, je sais d'avance qu'il m'est parfaitement inutile de lui poser la
question, puisque je comprends en fait très bien ce qu'il veut dire par là,
néanmoins… je me contente de jouer les ignorantes malgré tout :
— Ne me dites pas que vous comptez courir tout nu dans les bureaux ?
ricané-je alors, faussement calme. Parce que là… vous gagneriez à coup sûr
!
Malgré tout le mal que je me donne pour paraître détendue, je suis
convaincue que Devon peut lire la nervosité présente sur chacun des traits
de mon visage. Ainsi que sur ma jambe droite, d'ailleurs. Cette dernière
chevauche la gauche, et est légèrement surélevée, probablement pour mieux
me permettre de l'agiter frénétiquement dans le vide. Vraiment, s'il ne
constate pas mon taux d'anxiété pourtant flagrant… c'est qu'il y a un souci.
— À vrai dire… commence-t-il à reculons, permettant alors à ma
respiration d'enfin reprendre un rythme régulier. Je pensais à une tout autre
chose.
Pour la seconde fois, sa langue glisse sensuellement entre ses lèvres
pleines et parfaitement rosées, y laissant donc une petite couche luisante, et
faisant bien évidemment ressortir cet air séducteur que je m'efforce de ne
surtout pas relever depuis déjà de trop longues minutes. Ma respiration
s'accélère quand son regard bifurque délicatement sur le flanc de ma cuisse.
Merde, c'est complètement absurde. Je n'ai jamais fantasmé sur mon boss
auparavant, et voilà maintenant que l'envie qu'il me prenne là, tout de suite,
occupe absolument toutes mes pensées. Pourquoi ? Peut-être parce que,
physiquement, il est le parfait identique de son frère qui lui, m'attire
incontestablement. Ou bien plus probablement parce que je serais prête à
me taper n'importe qui tant le manque de sexe se fait ressentir ce soir.
Merde. Le travail, Eva… Oui, pense à ton travail.
— Ça n'arrivera jamais, Devon, lui dis-je alors, une fois mes esprits
bien retrouvés.
Ses yeux reviennent doucement percuter les miens, et ce pendant de
longues secondes, sans jamais qu'il ne daigne lâcher prise par la suite. Il
s’approche de nouveau et cette fois-ci, beaucoup trop près.
— Croyez-le ou non… Je vais vous baiser, ici même, dans ce bureau.
Peut-être pas ce soir, peut-être pas demain non plus, mais… je suis
convaincu qu’un jour ou l’autre, ça finira par arriver.
Après quelques secondes de silence complet, je m'esclaffe de façon
incontrôlée. Oui, ou alors… peut-être que je tente plus simplement de
dissimuler l'effet indéniable que ce langage pourtant on ne peut plus crû a
sur moi. Fait chier.
— Vous m'empêchez de respirer convenablement, soufflé-je ensuite,
juste après avoir repris mon sérieux.
— Et encore… sourit-il, un rien provocateur. Je ne suis jamais entré à
l'intérieur de vous.
Mon cœur rate à battement à la fin de sa phrase. Enfin… à vrai dire, je
crois que cette défaillance est plus probablement due à l'image qui vient
tout juste de traverser mon esprit. Lui sur moi, ses mains contre ma peau,
nos corps entremêlés… Bon sang, le simple fait d'imaginer cette scène suffit
à me provoquer un torrent de sensations dans l'estomac. Ça suffit. Oui, il
faut que je sorte d'ici, et… tout de suite. Je me lève alors d'un bond, saisis
mon verre au passage afin de pouvoir le boire d'une seule traite, puis le
repose ensuite brusquement, juste avant de prendre direction de la porte, en
prenant soin de ne surtout pas passer devant Devon.
Mes talons claquent sur le sol de béton ciré. Ce bruit résonne d'ailleurs
si fort entre les murs de la pièce, que j'en aurais presque la migraine. En
effet, il cogne tellement, que… je n'ai même pas entendu les pas de mon
patron se rapprocher dans mon dos. Ce dernier me saisit alors subitement
par la taille, juste avant de me retourner face à lui, pour finalement me
plaquer de tout mon long contre la porte principale de son bureau. Nom de
Di…
— Je sais que vous en avez autant envie que moi, Eva, murmure-t-il
ensuite, tout proche de mes lèvres. J'ai pu le voir dans vos yeux lors de ces
cinq dernières minutes. C'est évident… vous me désirez.
Ma poitrine se soulève au rythme de la sienne. Ses mains tiennent
fermement chacune de mes hanches, tandis que je peine à déglutir
convenablement sous son regard animal. Curieusement, il me rend toute
chose. Oui, j’ai envie de lui, là, maintenant, et… c’est littéralement en train
de me dévorer de l’intérieur.
 

 
Chapitre 14
Devon
 

La plus grande pulsion n'est pas la libido, mais le besoin de sécurité.


Jean Delumeau
 

Seule la respiration d’Eva suffit à confirmer mes dernières paroles.


Merde, oui. Je suis à deux doigts seulement d'enfin pouvoir réaliser une
infime partie de ce dont je rêve depuis maintenant plusieurs années. Deux
doigts de réaliser l'un de mes fantasmes les plus profonds.
— J'ai envie de sentir vos lèvres contre les miennes, murmuré-je, tout
en faisant glisser ma paume sur le côté de sa cuisse.
Ses paupières se ferment lorsque je la fais doucement passer sous
l'ourlet de sa jupe. J’en soulève ensuite délicatement le tissu, allant donc
jusqu'à effleurer l'élastique de sa petite culotte du bout de mes doigts, mais
redescends finalement aussitôt pour faire durer le plaisir un peu plus
longtemps. La tendresse de ce simple geste fait de nouveau gonfler sa
poitrine, tandis que son souffle en profite pour brièvement venir réchauffer
mes lèvres légèrement humides. En effet, je sens qu'elle est en train de se
donner à moi, alors… je poursuis la torture :
— Besoin de sentir votre peau contre la mienne… continué-je, tout en
déposant plusieurs petits baisers au creux de son cou.
Curieusement, Eva ne tente toujours pas de me fuir. Au contraire, elle
répond à mes caresses en laissant tomber sa tête contre le bois de la porte,
me permettant donc de savourer pleinement l'odeur affriolante qu'est celle
de son parfum. Le même flottant entre ces murs depuis près de trois ans
maintenant.
— Devon… grommelle-t-elle d'un ton suppliant.
C'est fou comme le simple fait d'entendre mon prénom sortir de sa
bouche suffit à me faire frissonner. Venant d'elle, c'est toujours aussi
excitant. Ouais, et c'est d'ailleurs probablement pour cette raison que je lui
interdis de l'employer au travail en temps normal. Sûrement une manière de
m'éviter ce que je suis pourtant tout juste en train de commettre, là, tout de
suite. Bordel.
— On ne devrait pas faire ça… ajoute-t-elle ensuite en se cambrant
davantage contre la porte malgré tout.
Non, en effet, cependant… j'ai déjà bien assez résisté jusqu'à
maintenant.
— Mais vous en avez envie aussi, n'est-ce pas ? lui demandé-je alors
d'une voix rauque, et juste avant de délicatement faire remonter mes baisers
vers sa mâchoire.
— Oui, me souffle-t-elle en déposant une main contre mon buste.
Seulement… j'ai vraiment besoin de ce travail.
Elle me pousse ensuite légèrement en arrière pour appuyer cette
supplication, tandis que son regard, lui, me hurle très clairement de ne pas
renoncer si facilement.
— Vous garderez ce boulot, Eva, dis-je alors en réduisant de nouveau
le peu d'espace nous séparant. Il serait bien trop stupide de ma part que de
virer la meilleure recrue de toute cette entreprise.
Je crois que c'est la première fois que j'ose lui faire ce genre de
compliment depuis qu'elle bosse pour moi, et visiblement… ça a plutôt l'air
de faire son effet. L'une de ses deux mains agrippe subitement le nœud déjà
défait de ma cravate, pendant que l'autre se pose brutalement sur le derrière
de ma nuque afin de m'approcher tout près de son visage. Nos lèvres sont à
seulement quelques millimètres d'entrer en contact, mais Eva préfère faire
durer cet instant en plongeant intensément ses iris couleur émeraude à
l'intérieur des miens :
— Sachez que ce sera la seule et unique fois, me dit-elle alors d’une
respiration haletante. Dès demain, nous ferons comme si jamais rien n’avait
eu lieu.
— Je m'en contenterai, lui réponds-je, sans l'ombre d'une hésitation.
C'est probablement faux.
Son poing s'enroule instantanément autour de ma cravate pour réduire
l'espace encore présent entre nous. Nos lèvres se percutent donc enfin de
plein fouet, tandis que je m'empresse de faire glisser mes paumes jusqu'à
ses fesses afin de pouvoir la soulever d'un seul petit porté. Je colle
davantage mon corps au sien pour la maintenir fermement contre cette
porte, puis tente ensuite de venir défaire ma ceinture d'un geste impatient,
quand elle détache finalement sa bouche de la mienne pour ajouter :
— Sachez que je n'ai pas spécialement envie de vous, souffle-t-elle
difficilement. Mais je reste un être humain, et parfois, j’ai vraiment besoin
d’une bonne baise pour me détendre un peu.
Cette façon vulgaire qu'elle a de s'adresser à moi ne fait qu'accentuer
mon érection pourtant déjà bien avancée. Merde, je me fous complètement
des raisons qui l'amènent à me laisser l'approcher de si près. Actuellement,
ce qui m'intéresse réellement, c'est de saisir cette opportunité. Oui, il le faut.
Car peut-être qu'après ça, cette femme sortira définitivement de mes
pensées. Peut-être que… ma vie pourra définitivement reprendre son cours.
Ma vie sexuelle, plus précisément.
— Et vous, lui lancé-je, tout en reculant légèrement la tête pour
l’observer. Sachez que je vais vous baiser comme vous le méritez.
Je ne lui laisse pas le loisir de répondre à ça, et m'empresse alors de
regagner ses lèvres, afin d'ensuite pouvoir glisser ma langue à l'intérieur de
sa bouche. Elle gémit sous cette caresse au délicieux goût de bourbon,
pendant que je m'acharne sur sa petite culotte pour la lui retirer dans la
foulée. Putain, impossible. Je la déchire donc finalement d'un geste
brusque, sans chercher à réfléchir davantage, quand un grognement plaintif
vibre à l'intérieur de nos bouches. Apparemment, la brûlure de la dentelle
contre sa peau n'était pas vraiment la bienvenue. Chose qui se confirme
d'ailleurs aussitôt :
— C’était ma préférée, grommelle-t-elle, toute haletante.
J'étouffe ses plaintes dans un énième baiser, puis recule ensuite de
nouveau la tête pour pouvoir lui répondre :
— J'ai les moyens d'en acheter des milliers comme celle-ci s'il le faut,
dis-je alors en arquant un sourcil, et tout en levant ma main qui tient encore
le morceau de tissu pour le lui montrer.
— Vous êtes trop arrogant, me répond-elle dans un petit plissement de
paupières.
Pour toute réponse, je lui offre un sourire machiavélique, jette la cause
de sa déception dans un coin de la pièce, puis regagne ses lèvres, juste avant
de fermement venir plaquer mon sexe encore vêtu contre son intimité.
— Dépêchez-vous, m'ordonne-t-elle entre deux baisers, et tout en
positionnant l'une de ses mains sur ma ceinture. Je n'en peux plus.
Et c'est exactement pour cette raison que je m’empresse de sortir le
petit carré d’aluminium de la poche intérieure de ma veste, afin de
rapidement en déchiqueter son coin à l’aide de mes dents. D’ailleurs, le fait
de me voir faire ça provoque une petit moue d’étonnement à Eva. À vrai
dire, je ne sais pas si elle est juste bluffée de voir que j’y ai pensé sans
aucun rappel de sa part, ou bien… plus simplement si elle trouve étrange de
constater que je me promène avec un préservatif dans la poche intérieure de
mon veston. Peu importe. Oui, car pour être honnête… moi non plus, je ne
peux pas attendre davantage. Putain, ça fait bien trop longtemps que
j'attends ce moment. Je ne sais pas pourquoi, mais… j'ai ce besoin
inexplicable de savoir ce que ça ferait, avec elle. Besoin de comprendre
pourquoi cette femme m'obsède autant. Besoin d'en avoir le cœur net,
comme si ma propre vie en dépendait. J'arrive enfin à défaire mon pantalon,
et en sors donc aussitôt ma queue afin de rapidement pouvoir y faire glisser
le morceau de latex que je viens tout juste de sortir de son emballage. Une
fois proprement déroulé, je fais délicatement glisser mon sexe à l'entrée du
sien, sans pour autant y pénétrer totalement. Elle est toute chaude contre ma
peau, ce qui me pousse donc à le lui faire remarquer, et ce, sans jamais la
quitter des yeux :
— Vous êtes trempée, Eva, lui dis-je alors d'une voix rauque. Rien que
pour moi.
— Arrêtez… me répond-elle dans un soupir de frustration. Arrêtez de
faire durer ce moment, je… je vais devenir complètement folle.
Et il ne me faudra pas une seconde de plus pour que je cesse enfin la
torture. Je prends alors distinctement mon membre entre mon pouce et mes
quatre autres doigts, puis le positionne ensuite sans plus attendre à l'entrée
de son vagin, juste avant de l'y insérer tranquillement. Sa respiration se
coupe simultanément lorsque nos corps se lient. J'observe sa bouche
s'entrouvrir légèrement, et ne peux m'empêcher d'enfouir mon visage au
creux de son cou quand ce dernier se tend, juste sous mon nez. Mes deux
mains tiennent fermement chacune de ses cuisses pour me permettre un
meilleur appui, alors je commence enfin les va-et-vient. Délicatement pour
débuter, puis… plus brutalement. Ses ongles se plantent dans la peau de ma
nuque, tandis qu'une multitude de petits gémissements s'échappent d'entre
ses lèvres, sans jamais qu'elle ne me quitte une seule seconde des yeux pour
autant. Ils sont magnifiques, ses yeux. Oui, leur couleur hypnotique est
digne d'une véritable aurore boréale, et… je ne peux m'empêcher de lui
faire remarquer combien ce détail me plaît :
— Tu es encore plus belle quand ton regard brille pour moi, lui dis-je
alors, juste avant de fortement pincer mes lèvres entre elles pour ne pas
laisser de gémissements en sortir.
— Merde, tais-toi, souffle-t-elle en m'embrassant de nouveau.
J'accentue aussitôt la force de mes coups afin de lui faire savoir
combien sa hardiesse me déplaît, et resserre ensuite fortement l'étreinte que
mes doigts forment déjà autour de ses cuisses pour appuyer le tout.
— Ne me parle pas sur ce ton, lui lancé-je furieusement. Je suis ton
patron, n’est-ce pas ?
Eva se tord littéralement de plaisir sous chacun de mes gestes, mord
ensuite abruptement sa lèvre inférieure pour étouffer ce que j'imagine être
un petit hurlement, puis me répond, un rien provocatrice :
— Exactement, commence-t-elle en plaquant fermement ses paumes
contre mon buste, et me forçant donc à interrompre les mouvements. Tu
devrais peut-être arrêter, du coup.
Son air faussement sarcastique m'arrache un petit sourire en coin.
Merde, cette femme me rend complètement dingue.
— Toi et moi, lui réponds-je d'une voix rauque. On sait pertinemment
que tu ne le souhaites pas vraiment.
— C'est la stricte vérité, oui, me dit-elle, sans l'ombre d'une hésitation.
Alors… qu'est-ce que tu attends pour continuer ?
Pour toute réponse, mes mains glissent instantanément jusqu'à ses
fesses afin de pouvoir fermement les saisir, et donc de me permettre un
nouveau coup de reins, donné un peu plus profondément, cette fois. Je la
sens se contracter autour de mon membre, tant mes mouvements répétitifs
lui procurent du plaisir. Ma peau claque fortement contre la sienne, chaque
fois que j'ondule brusquement des hanches. Oui, nos corps s'entrechoquent,
et ce simple fait suffit à me provoquer une lourde barre dans le bas ventre.
Cette, lourde barre. Ou plus simplement ce qui indique que ma jouissance
est déjà sur le point de faire son apparition. Merde. Je me retiens du plus
fort que je le peux afin de pouvoir continuer à la faire gémir comme il se
doit, quand un cri bien plus intense que tous les précédents s'échappe
d'entre les lèvres pulpeuses de ma secrétaire.
C'est ce gémissement, qui m'autorise enfin à décontracter chacun de
mes muscles. Ce gémissement, qui déclare la fin définitive de cet instant
bestial. Effectivement, la chaleur ardente de mon sperme se répand alors à
l'intérieur de la capote, me libérant donc définitivement de ce lourd fardeau.
Quoique… peut-être pas totalement, après réflexion. Merde. C'était pourtant
tellement évident… Je viens de causer ma propre perte en cédant à la
tentation. Oui, car en vérité… je suis déjà parfaitement certain que cette
ultime fois risque de me hanter de nombreuses semaines encore. Je suis
parfaitement certain qu'à l'instant même où ma tête se posera sur l'oreiller
tout à l'heure, j'aurai encore envie d'elle.
 
 

Eva
 

— C'est étrange, mais…


Matt plisse exagérément les paupières en se questionnant
intérieurement. Il me connaît beaucoup trop bien.
— D'habitude, poursuit-il en positionnant son index contre sa bouche,
sincèrement perplexe. Quand tu rentres à une heure pareille, ton humeur est
désastreuse.
Je me sens rougir sous son regard affreusement insistant. J'ai honte.
Oui, honte de ce que j'ai fait l'heure précédente, honte d'avoir mordu à
l’hameçon, honte de ne pas réussir à me confier à mon ami… honte d'avoir
couché avec mon patron. Pourtant… est-ce que je le devrais vraiment, au
final ? Ne serait-ce pas plutôt un comportement tout à fait normal ? Un
comportement… humain ? Après tout… je n'ai rien fait de plus qu'assouvir
mes propres envies, mes propres besoins… alors… Merde, je n’en sais
foutrement rien.
— Je sais, conclut Matt, tout en faisant claquer son pouce et son
majeur entre eux de manière distincte.
Ma respiration se fait de plus en plus frénétique tant je suis terrorisée
par le fait que mon meilleur ami ne constate cet échec. Vraiment, je
n'assume pas. À vrai dire… j'ai longuement revendiqué mes principes au
sujet de tout ça. Pour moi, il était absolument inconcevable que je me tape
cet homme détestable à l'égo surdimensionné qu'est Devon. Oui,
seulement… voilà qu'après trois ans (sans aucune lutte contre moi-même,
d'ailleurs), j'ai fini par le faire. Bordel de merde.
— Je vais t'expliqu…
— Tu as enfin mis le grappin sur Caleb, m'interrompt-il, légèrement
hésitant. C'est ça ?
Dis-lui la vérité, Eva. Ne profite pas bêtement de cette supposition
pour mentir à ton pote… Ce serait vraiment trop stupide de ta part.
— Exactement, lui réponds-je alors dans un sourire parfaitement
hypocrite.
Après tout… ils sont identiques, alors c'est presque pareil.
— La salope… ricane-t-il en balançant lentement sa tête de gauche à
droite. Merde, t'aurais au moins pu m'envoyer un texto !
— Pendant qu'il me prenait contre la porte de son bureau ? demandé-je
alors, un peu sceptique.
— Quel bureau ?
L'air perplexe qui arbore son visage me fait de suite comprendre que je
viens tout juste de dire une énorme connerie. Merde.
— Le mien, tenté-je d'un air logique. Je voulais dire… mon, bureau.
Sa mâchoire pourrait presque se décrocher tant mon annonce le
surprend. Et ouais, ta p’tite femme n'est pas si prude qu'elle en a l'air, chéri.
— Attends, attends… grommelle-t-il ensuite, toujours plus abasourdi.
Tu veux dire que tu as laissé ce mec te baiser dans ton bureau, soit à
seulement quelques mètres de son propre frangin ? Merde, et il n'a rien
entendu ?!
— Nous étions seuls, rétorqué-je alors du tac au tac.
Oui, et puis… il y a une part de vérité dans tout ce que je lui dis depuis
tout à l'heure, au final. J'étais bien seule avec lui, il m'a bien prise contre la
porte de ce foutu bureau, et physiquement, c'était bel et bien Caleb
Anderson. Du moins… c’est probablement ce que je préfère me dire.
— Wow, Eva… souffle-t-il en hochant doucement la tête,
impressionné. T’as changé !
— Arrête tes conneries, Matt, rétorqué-je en approchant pour le
gratifier d'une petite tape sur l'épaule. J'ai déjà fait bien pire, seulement… je
ne te dis pas toujours tout, tu sais ! terminé-je ensuite en avançant
rapidement vers ma chambre.
Effectivement, je ne lui dis pas tout.
Je l'entends s'esclaffer dans la cuisine, mais ne répond rien, préférant
plutôt fermer la porte derrière moi, afin d'ensuite pouvoir m'y adosser pour
extérioriser mon stress. Bordel. Non seulement j'ai baisé avec mon boss,
mais en plus de ça, je viens tout juste de mentir à mon meilleur ami. Droit
dans les yeux, qui plus est. Pourquoi ? Merde, c'est complètement absurde,
tout ça ! Je sais pertinemment que Matt ne jugera jamais mes décisions,
alors… quel intérêt de ne pas lui avoir dit ? Je n'en sais foutrement rien,
putain. Enfin… peut-être que si, finalement. Oui, en vérité, ça le mettrait
complètement hors de lui. Il me détesterait de prendre autant de risques
avec ma vie professionnelle. Pire, avec moi-même. Mais de toute façon, la
question ne se pose déjà plus. Pour être honnête, je crois ne pas avoir vécu
une chose aussi existante depuis des lustres, cependant… ça n'aura plus
jamais lieu. Non, impossible. Car premièrement, je ne supporte pas les
façons d'être de mon boss, et deuxièmement, je ne compte pas non plus lui
laisser croire qu'il m'a dans la poche. Oui, en réalité, tout ça n'aurait jamais
dû arriver. Nous nous sommes simplement laissés aller, et à partir de
maintenant, je vais devoir en payer les conséquences, chaque nouveau jour
de la semaine. Seigneur… plus jamais je ne boirai de whisky.
 
Chapitre 15
Eva
 

La jalousie est un monstre qui s'engendre lui-même et naît de ses propres


entrailles. William
Shakespeare
 

Quelques jours plus tard…


 

— Mademoiselle… me dit chaleureusement le voiturier en ouvrant la


portière, au moment même où je dévale les marches du perron.
— Merci beaucoup Charlie, mais… marmonné-je, un peu confuse. Je
vais prendre le métro pour cette fois.
Ses sourcils grisonnants se froncent légèrement suite à mon annonce,
quant au bleu presque blanc de ses yeux, lui, il arrive à me faire regretter
cette décision sur-le-champ. Cet homme est tellement gentil, et… j'admets
m'en vouloir de lui dire ça seulement maintenant, soit après les quarante
minutes de trajet qu'il vient tout juste de parcourir, uniquement pour but de
me conduire jusqu'au travail. Bon, je suis tout de même parfaitement
certaine qu'il sera payé pour sa course, cependant… ça m'embête un peu
malgré tout. Le pauvre devrait sans doute déjà être à la retraite depuis un
long moment. Je sais que s'il continue à travailler aujourd'hui, c'est
simplement pour pouvoir payer le traitement médical de sa femme, alors…
oui, effectivement, j’ai de quoi culpabiliser.
— Monsieur Anderson ne va pas vraiment appréci…
— Mais monsieur Anderson n'est pas là.
Je lui adresse un large sourire pour adoucir cette réponse un peu trop
stricte, puis reprends la parole en lui octroyant une petite caresse sur son
épaule :
— Ne vous inquiétez pas, Charlie, je lui dirai la vérité. Vous êtes
quelqu'un de formidable, et jamais je ne me permettrais de vous causer du
tort.
Pour toute réponse, le vieil homme m'offre une simple moue
dubitative, bien conscient que rien ni personne ne pourra m'empêcher de
prendre ce foutu métro.
— Tenez, dit-il ensuite en me tendant une petite carte de visite. Si
jamais vous changez d'avis… téléphonez-moi. Je viendrai sur-le-champ.
C'est bien ce que je dis… quelqu’un de formidable.
 

♤♤♤
 

Finalement, je crois que je regrette un peu ma décision. À vrai dire, je


m'étais déjà habituée aux trajets luxueux que m'offrait mon boss en grosse
berline. Au moins, il n'y avait aucune odeur, si ce n'était celle du cuir
flambant neuf. Merde, c'est dingue comme les gens peuvent être sales,
parfois. Certains ne se lavent probablement pas tous les jours. Bon, la chose
positive au milieu de tout ça, c'est que mon cher patron pourra peut-être
comprendre à quel point il se comporte mal, en ce moment. Oui, toutefois…
je crois que je serais quand même prête à vendre un rein pour ne pas devoir
poser ne serait-ce que le petit doigt sur cette barre métallique remplie de
microbes. Pire, j'irais peut-être jusqu'à donner mon âme au diable, pour ne
plus jamais avoir à supporter les regards pervers de tous ces machos qui,
mis à part boire du café provenant de chez Starbucks, ne savent rien faire de
plus que de mater les culs qui passent. Pour une bande de mec en costard…
ça la fout vraiment mal. Prendre le métro en costard devrait être sévèrement
puni par la loi, soit dit en passant.
En effet… je suis bel et bien prête à tout pour montrer à Devon que,
avec ou sans lui, ma vie garde exactement le même rythme. De toute
évidence… c'est un peu comme s'il n'en faisait plus vraiment partie, ces
derniers temps.
Depuis une semaine, mon boss a complètement disparu de la
population. Le lendemain de notre petit incident, il n'était pas assis à
l'arrière de sa Rolls-Royce. Le surlendemain non plus. Quant aux jours
suivants… inutile de préciser. Et je ne parle même pas de son bureau. Pour
être parfaitement honnête, je suis presque certaine de n’avoir jamais connu
autant de silence lors d'une journée complète de travail. Effectivement, cette
semaine a été d'un calme plat, et j'ai déjà hâte de retrouver mon petit
appartement, pour enfin pouvoir profiter d’un week-end détente bien
mérité. Quoique… pas si détente que ça, au final. Pour une fois, j'ai pu me
permettre d'accepter l'invitation de Matt. Mon séminaire étant prévu pour la
fin de semaine prochaine, je suis donc tranquille en ce qui concerne les
plans habituellement foireux de mon patron.
Mon ami tenait absolument à m'emmener voir un match de football. Ça
fait des lustres qu'il attendait le feu vert de ma part, alors… je comprends
les raisons qui l'ont poussé à sauter au plafond suite à cette approbation tant
attendue. En vérité, les journées comme celles-ci, ce n'est pas vraiment mon
truc. Être entourée d'une bande de mecs en délire, prêts à bondir de leurs
chaises en cas de touchdown… Ouais, je dois admettre que tout ça m'ennuie
déjà profondément. En revanche, il y aura de la bière, des hot-dogs, ainsi
que mon meilleur ami, donc… disons que j'ai probablement connu pire,
comme situation d'ennui.
— Eva…?
Qu'est-ce qu…
Je me retourne rapidement afin de pouvoir faire face à la personne qui
tente d'entrer en contact avec moi, et recule aussitôt d'un pas en arrière en
constatant de qui il s'agit réellement. Nate. Génial.
— Oh, soufflé-je, déjà agacée par sa présence. Tu n'es pas avec…
Mes yeux parcourent brièvement la contenance du wagon afin de
chercher sa meilleure alliée d'adultère, mais n'y voient finalement rien de
plus qu'une tonne de personnes serrées les unes contre les autres.
— Non, m'interrompt-il rapidement. À vrai dire… Aria et moi ne
sommes plus ensemble à l’heure actuelle.
— Ah ? l'interrogé-je alors, un peu sceptique tout de même.
— Je l’ai retrouvée dans le lit d'Alex en passant à l’improviste.
Je pince fortement mes lèvres entre elles afin de ne surtout pas laisser
un bruyant éclat de rire en sortir. Merde, c'est en train de me brûler la
langue. Alex… ? Son meilleur ami… ? Je jubile intérieurement.
— Vas-y, souffle-t-il en levant flegmatiquement les yeux au ciel.
Marre-toi.
Et bien évidemment, il ne me faudra pas plus que cette simple
suggestion pour m'esclaffer comme une baleine. Oui, j’éclate d’un rire
franc, sans m'inquiéter ne serait-ce qu’une toute petite seconde de l’effet
que cette réaction pourrait avoir sur l'orgueil de mon ex-fiancé. À vrai dire,
j’ai même franchement du mal à m'arrêter tant cette nouvelle -peu étonnante
au final- vient d'embellir ma journée. Ce qui, par conséquent, ne tarde pas
trop à l’agacer. Il se racle exagérément la gorge, puis y ajoute :
— Je pense que c'est suffisant, là, tu ne crois pas ?
— Désolée, dis-je en positionnant une main devant ma bouche pour
étouffer mon rire de hyène.
Désolée ? Merde, jamais de la vie !
— Enfin… me reprends-je rapidement. En vérité… non. Je ne le suis
pas du tout.
Ses sourcils se froncent légèrement suite à mon manque de
compassion, et j’admets trouver ça un peu culotté venant de lui, tout de
même.
— Tu sais, Nate… je t'avais prévenu, poursuis-je, un rien sarcastique.
Le mal revient toujours à celui qui l’a causé.
Il mord abruptement l'intérieur de sa joue, probablement pour étouffer
le juron qui lui démange actuellement la langue, et se restreint plus
simplement à me répondre, large sourire aux lèvres :
— La différence, Eva, c’est que moi… j'étais constamment là pour
elle. Moi, je ne passais pas TOUT mon temps au travail.
Qu… quoi ?!
— Non mais… je rêve là ! m’exclamé-je alors, complètement ahurie.
Donc tu essaies de me faire croire que si tu m’as trompée, c'est uniquement
parce que je me tuais à ramener un bon salaire à la maison, chaque putain
de mois ?!
— En grande partie, oui, rétorque-t-il d’une moue dubitative. En
revanche, Aria, elle, elle n'a aucune excuse valable.
— Merde, mais depuis quand faut-il une excuse pour trahir la personne
qui partage ta vie ?!
Les regards sont actuellement tous posés sur nous. Je les sens chauffer
sur chaque partie de mon visage. Et après tout, il faut dire que deux
personnes debout, en plein milieu d'une rame bondée… oui, difficile
d'entretenir une conversation privée dans de telles conditions. Puis je dois
admettre ne pas avoir été vraiment discrète sur ce coup-là, c’est vrai. Mais
pour être honnête, je crois que ce détail m'importe peu. En effet, je me fous
complètement de ce que quiconque pourrait en penser, car actuellement, la
seule chose qui m’intéresse, c’est de lui clouer le bec.
— Le travail… parlons-en, tiens ! lancé-je en réduisant l'espace encore
présent entre nous deux. Tu te souviens, quand tu disais qu'un type comme
mon patron ne t'effrayait pas le moins du monde… ? Soi-disant je n'étais
rien de plus qu'une minable secrétaire, et donc… un homme comme lui ne
s'intéresserait probablement jamais à moi ?
Nate affirme d’un simple petit hochement de tête, donc j’en déduis
sans effort que ces paroles dénigrantes et affreusement méchantes tiennent
toujours pour lui à l’heure actuelle. Sombre con.
— Eh bien aujourd'hui, poursuis-je d’un air compétiteur. Sache que
c'est lui, mon fiancé !
Je donnerais tout pour que ma mère soit encore présente, ce n’est pas
nouveau, mais alors là… mon besoin se décuple par milliers quand il s'agit
de ce genre de moments particulièrement satisfaisants. Et par ce genre de
moments, je parle de la tête que fait Nate actuellement. Bon, même si j’ai
un peu -beaucoup- déformé la réalité… je suis néanmoins certaine que
l'incision vient d’être parfaitement tranchante. Je jubile encore plus. Le
métro se stoppe un court instant pour me permettre d’en descendre, alors je
m’exécute, tandis que Nate en profite pour m’emboîter le pas à grandes
enjambées.
— Inutile de me suivre, lui balancé-je sans me retourner. Je ne
répondrai plus à aucune de tes attaques.
— Pourquoi ton richissime fiancé te laisserait-il prendre le métro pour
aller au travail ? me demande-t-il, toujours au pas de course derrière moi. À
moins qu’il n’en soit rien au final… je ne vois pas d’autre réponse logique à
ça.
Je pile sur-le-champ afin de pouvoir lui faire intégralement face, ce qui
l'interrompt donc instantanément lors de sa marche rapide.
— Je n'aime pas les trajets en voiture, et tu sais pertinemment
pourquoi, rétorqué-je alors furieusement. Maintenant, arrête de me suivre.
Suite à mon élan de nervosité, je reprends sans plus attendre ma course
menant au building. Il est neuf heures moins dix, et je suis déjà certaine
d'être à la bourre. Bon, en soi… rien de trop dérangeant, puisque Devon ne
risque pas d’y être aujourd’hui non plus.
— Je ne suis pas en train de te suivre, reprend Nate, toujours présent
dans mon dos. Je vais simplement au même endroit que toi, pour mon tout
premier jour de boulot.
Hein ?
— Comment ça ? grimacé-je, sceptique, mais sans jamais m'arrêter.
— Eh bien… ton cher fiancé recherchait un nouveau designer, et… il
se trouve que j'en suis un, tu te souviens ? Le meilleur diplômé de mon
école, au cas où tu l'aurais aussi oublié.
Nom de Dieu. OK ma grande. Ne stresse pas. Du moins… ne lui
montre pas combien c'est le cas. Merde, non. Il ment. Assurément.
Irréfutablement.
— Bizarre, m’interrogé-je, toujours au pas de course. Je n'ai vu aucun
C.V au nom de Nate Ginaghal, pourtant… c'est moi qui gère les dossiers
avant l’entretien téléphonique. Histoire de virer les parasites dans ton genre,
je veux dire.
Mon ex-fiancé me passe rapidement devant afin de me bloquer le
passage, puis tend ensuite une main contre le mur présent sur ma gauche,
pour mieux pouvoir m'empêcher d'avancer. Je soupire longuement :
— Je suis déjà en retard, donc tu devr…
— Peut-être parce que mon C.V était au nom de Bill Whiters, me
coupe-t-il alors de nouveau. Je savais pertinemment que tu jetterais mon
dossier à la poubelle en y voyant mes coordonnées, donc…
Un sourire narquois prend maintenant place sur son visage, tandis que
ses pupilles se dilatent instantanément à la fin de cette phrase. Bill
Whiters… Effectivement, je m'en souviens parfaitement bien, puisque la
toute première réflexion que je me suis faite, c'est que cet homme portait
exactement le même nom que ce célèbre chanteur de soul. Bordel. Comme
un requin sentant la présence de sa proie dans les parages, Nate sort les
crocs, affreusement satisfait de son coup de maître. Quel enfoiré.
— T'es vraiment…
— Super rusé, ouais, lance-t-il, juste avant de se retourner fièrement
pour poursuivre son chemin.
Et moi je reste là, parfaitement immobile au milieu des gens pressés
qui foncent tête baissée en direction de je ne sais où.
Bordel, je n'en reviens pas. Comment peut-il venir s'immiscer sur mon
propre lieu de travail ? Non seulement cet homme m'a brisé le cœur, mais
en plus de ça, il vient maintenant briser ma carrière ! Puis merde, le
principal problème n'est même pas là ! En effet, je réalise que je viens tout
juste de lui dire que Devon Anderson était mon putain de fiancé ! Bon, le
point positif, c'est que les designers ne sont pas au même étage que nous.
Oui, cependant… les réunions sont assez fréquentes pour que mon patron
puisse -ou non- valider les divers graphismes. Et bien évidemment, je suis
présente, à ce genre de réunions. Seigneur… comment vais-je bien pouvoir
aller au bout de ce mensonge pitoyablement absurde ? Peut-être que je
devrais lui dire la vérité maintenant, au risque de passer pour la nana la plus
stupide que la terre ait jamais portée ? Impossible. Non, je ne peux
certainement pas lui tendre une perche aussi longue, et… oui, je vais
assurément devoir aller au bout de cette situation merdique. Situation que je
viens -encore une fois- de m'imposer à moi-même. C'est définitif, je suis la
femme la plus conne de cet univers.
 

♤♤♤
 

Je trottine dans les larges couloirs menant aux bureaux, mon sac à main
fermement plaqué contre ma poitrine, et le cœur battant la chamade sur le
cuir ferme de ce dernier. En réalité, je ne devrais pas être dans cet état,
seulement… me voilà maintenant à quelques mètres de nos bureaux, avec
quinze minutes de retard au compteur. Rien d'alarmant, dit comme ça,
néanmoins… les hurlements que je distingue depuis ma sortie de
l'ascenseur m'ont de suite fait comprendre que Devon Anderson venait
indéniablement de faire son grand retour parmi nous. Fait chier. Pour être
honnête, je pensais pouvoir me permettre un peu de laisser-aller pour
aujourd'hui, étant donné que mon boss ne s'était pas présenté les jours
précédents, toutefois… les quelques mots sortant de sa bouche au moment
même où j'entre dans son antre pour présenter des excuses me font
rapidement comprendre qu'il n'est clairement pas disposé à entendre
quelconque baratin venant de moi :
— Je vous ai dit qu'il était hors de question de la laisser reprendre ce
foutu métro, Charlie ! s'exclame-t-il alors, fou de rage.
Ses muscles sont intégralement tendus lorsque je fais mon apparition
dans le bureau. Il est actuellement dos à moi, mais je suis capable de voir à
quel point son corps se contracte à travers cette chemise blanche
parfaitement bien ajustée. La main qui tient son téléphone portable est
fermement appuyée sur son oreille, tandis que l'autre, elle, repose contre
l'une des larges fenêtres donnant une vue imprenable sur tout Manhattan.
Exactement comme la toute première fois que je l’ai vu.
— À cause de vous, elle est encore en retard ! ajoute-t-il ensuite
furieusement.
Merde, il est donc en train de s'en prendre à ce pauvre Charlie, et… je
ne peux certainement pas rester là sans rien dire. J'ouvre alors la bouche, fin
prête à plaider la cause de ce dernier, quand mon boss reprend finalement la
parole :
— Je me fous de vos excuses, mon vieux ! l'assaille-t-il sèchement.
Ramenez-moi vos clefs, et ne remettez plus jamais les pieds dans ce putain
de building !
Quoi ?!
 

— Non ! hurlé-je alors soudainement.


Enfin, mon boss se retourne intégralement pour me faire face. Son
sourcil s’arque exagérément tant il est surpris de me trouver ici. Comme s’il
avait pensé au fait que je ne reviendrais peut-être jamais.
— Vous ne pouvez pas virer ce pauvre homme, simplement parce que
je lui ai demandé de repartir ! continué-je, tout en avançant rapidement vers
lui.
Je lui saisis ensuite le portable des mains, puis me permets d'adresser
quelques paroles rassurantes au vieillard :
— Je suis désolée, Charlie. Je vous attendrai ce soir, à dix-huit heures
précises, exactement comme d'habitude. Vous n'êtes pas viré, rassurez-vous.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre quoi que ce soit d'autre à ça,
puis raccroche aussitôt, un regard assassin bien ancré sur le visage dédié à
Devon. D’ailleurs, ce dernier n’a pas l'air d'avoir apprécié mon intervention
soudaine, et visiblement il compte me faire partager son mécontentement :
— Je peux savoir pour qui est-ce que vous prenez, au juste ?
m'interroge-t-il alors, sincèrement perplexe.
— Pour une personne sensée ! lancé-je d'un air logique. Quelqu'un qui
a un cœur, et qui ne peut cautionner le fait que vous osiez renvoyer un
pauvre monsieur ayant travaillé toute sa vie pour le confort des Anderson !
Merde, il vous a vu grandir, tout de même !
Mes mains effectuent plusieurs gestes incontrôlés tant son
comportement détestable vient de me hérisser le poil. Sérieusement… ce
type n'a donc aucun sentiment ?! Aucun état d'âme ?! Je n’en reviens pas.
D’après ce que m’a raconté Charlie, Bill Anderson et lui, ont travaillé
ensemble sur plus de deux décennies. À l’époque, il était bien plus qu’un
simple chauffeur privé, puisqu’il gérait absolument tout de la vie
professionnelle de Monsieur Anderson père. Un peu comme je le fais
aujourd’hui avec son propre fils, mais en plus amusant, d’après le vieil
homme. Effectivement, j’imagine que des séances de dédicaces aux quatre
coins de la planète devaient être un peu plus distrayantes que le genre de
voyages d’affaires auxquels je suis forcée d’assister. Assurément.
Cependant, une tumeur a été détectée sur le cerveau de Bill, mettant donc
sur pause un bon nombre de ses capacités neurologiques. Plus le temps
passait, et plus ses écrits devenaient brouillons. Oui… quand le cancer a
commencé à se propager, il ne pouvait plus faire grand-chose de ses dix
doigts. Terminées les interviews, terminés les longs voyages… terminé sa
carrière d’écrivain. Alors pour promettre un avenir plus glorieux à son
agent, ce brave homme qu’était Bill Anderson a demandé à son fils
d’accepter Charlie en tant que chauffeur privé lorsque ce dernier a racheté
l’entreprise. Le vieil homme n’avait aucune notion dans le monde de la
publicité, donc cette proposition lui semblait plus que convenable. Elle
l’était, financièrement parlant. En revanche, elle l’est un peu moins en ce
qui concerne sa santé mentale. Oui, avec un véritable tortionnaire en guise
de patron, Charlie risque de finir sur un brancard des suites d'une foutue
crise cardiaque. Il me rend chèvre.
— Votre père serait probablement très en colère contre vous, s'il avait
eu le malheur d'assister à une chose pareille !
Cette phrase m'a complètement échappée, et j'admets la regretter
instantanément. Il a raison. Pour qui est-ce que je me prends, au juste ? J'ai
la sensation d'être sa mère, tout à coup. Oui, le genre de femme qui prend
des décisions à sa place, ne se privant donc pas de lui rappeler à quel point
il peut être pathétique par moment.
— Mais mon père n'est plus là, marmonne-t-il dans un froncement de
sourcils.
Il plisse davantage les paupières en approchant son visage du mien,
certainement fin prêt à me rappeler que de nous deux, c'est bel et bien lui,
qui prend les décisions ici. Enfin… ça, c’est ce à quoi je m’attendais à
l’origine :
— Vous êtes en retard, dit-il finalement, et sans jamais bouger d'un
centimètre.
— Et vous, vous n'êtes pas venu pendant près d'une semaine, rétorqué-
je fermement.
Étrangement… Devon reste assez calme face à l'intérêt que je porte à
son absence. Habituellement, il me cracherait sèchement de me mêler de
mes affaires, or là… je le trouve totalement décontracté. Oui, contrairement
à moi, qui suis très probablement comparable à une sorte de métronome.
Merde, mon cœur palpite si fort dans ma poitrine, qu'il pourrait sans aucun
doute assurer la répétition d'un groupe de rock complètement déjanté.
— J'avais besoin de prendre du recul, m'explique-t-il alors, impassible.
— À propos de quoi ?
— À votre avis…
Le son de sa voix rauque me vaut un frisson incontrôlable tout au long
de la colonne vertébrale. Le genre de frisson pouvant presque me provoquer
un malaise de par son intensité. Pourquoi ? Pourquoi arrive-t-il encore à
me faire cet effet ? Il est vrai que la question est assez intéressante. Je n'ai
pas pensé une seule seconde à lui lors de ces sept derniers jours, mais voilà
que le simple fait d'être dans la même pièce que lui suffit à me faire
dérailler. Ça n’a aucun sens.
— Je ne pensais pas que ce moment parfaitement impersonnel méritait
une remise en question, balancé-je alors stoïquement.
Son visage se crispe tout à coup, remplaçant donc le calme absolu par
une petite once de frustration. Oh… je crois que notre mâle Alpha est en
train de perdre de son assurance…
— Donc tout ça, ça n'avait aucun réel sens à vos ye…
— Bonjour Devon, l'interrompt finalement une petite voix dans mon
dos.
Voix que je reconnais d'ailleurs sur-le-champ, simplement de par son
grain beaucoup trop incisif.
— Kiara, lui répond-il en me contournant rapidement pour foncer la
saluer.
Je reste immobile, les jambes bien scellées au sol de béton ciré, et les
joues probablement encore rouge cramoisi suite aux secondes précédentes.
Souffle, ma grande. Ça n'était rien de plus qu'un bref échange avec ton
patron. Oui, beaucoup plus bref que le précédent. Je lève alors la tête en
prenant une grande inspiration, tourne aussitôt les talons pour pouvoir leur
faire face, puis offre ensuite mon plus large sourire à la cause de notre
interruption :
— Bonjour Kiara !
— Eva, me répond-elle froidement.
J'ai envie de l'imiter dans une grimace enfantine, mais bien
évidemment, je m'abstiens de le faire. À vrai dire… elle s'est toujours
comportée comme un véritable bloc de glace avec moi. Ça doit faire
environ un an et demi qu'elle rend régulièrement visite à Devon pour leur
petite "réunion" hebdomadaire, et il ne m'a pas fallu plus de trois semaines
pour comprendre combien elle était déjà folle amoureuse de lui. Folle de
jalousie, aussi. Oui, je suis presque certaine que Kiara me prend pour une
rivale, néanmoins… je n'en suis rien. Quoique… peut-être que si,
finalement. J'imagine que le fait d'avoir laissé mon boss me prendre dans
son bureau la semaine dernière peut donc maintenant lui permettre d'être
aux aguets me concernant. Même si… je doute franchement que ce dernier
lui ait parlé de notre petite incartade. Aucune importance, de toute façon.
Devon dépose un bref baiser sur sa joue, et aussi étrange que ça puisse
paraître, ce simple geste suffit à me provoquer une sensation dérangeante
dans l’estomac. Pourquoi est-ce que me fait ça, au juste ? Peut-être parce
qu’elle, elle a le privilège d'être correctement traitée, contrairement à moi.
Indéniablement. Il fait ensuite demi-tour afin de pouvoir rejoindre son
bureau, prenant donc bien soin de me passer devant, puis en profite pour me
gratifier de son air le plus sarcastique qui soit, tout en m'offrant un sourire
en coin on ne peut plus provocateur :
— Rejoignez votre poste, Eva, lance-t-il dans la foulée, comme si de
rien n'était. Nous avons des choses importantes à revoir avec Kiara.
L'air de son passage me frôle la peau, quant à la manière dont il vient
tout juste de m'adresser cette dernière parole… elle me glace le sang.
Vraiment. J'ai comme la sensation que Devon tente de… me rendre jalouse
? Merde, s'il pense pouvoir y arriver, il se fourre le doigt dans l’œil !
— Tout de suite Monsieur, lui réponds-je alors, tout en m'empressant
de rejoindre la porte communicante. Bonne journée Kiara.
Je ponctue mes salutations par un petit sourire sympathique lui étant
destiné, et comme bien trop souvent, elle n'y répond strictement rien. Pas un
seul rictus, ni même un tout petit au revoir… nada. Connasse, va. Je
referme alors la porte derrière moi, m'appuie de tout mon long contre cette
dernière en fermant les paupières, puis commence ensuite à me questionner
plus sérieusement sur les minutes précédentes. Pourquoi Devon vient-il
d'agir de la sorte ? Après près d'une semaine sans nouvelles de sa part…
c'est assez étrange, que de se montrer si provoquant, non ? Puis… pourquoi
j'ai tout de même l'impression d'être atrocement dérangée par la présence de
cette jeune femme ? Merde, ça suffit Eva. Oui, ça suffit. Je souffle alors tout
l'air que contiennent actuellement mes poumons, rouvre ensuite rapidement
les yeux, puis m'empresse de vaquer à mes occupations afin de pouvoir
reprendre le cours normal de ma journée, tout en faisant au mieux pour
oublier le fait que mon connard de patron est actuellement en train de baiser
son amie à seulement quelques mètres de moi. Ok, tout va parfaitement
bien se passer.
 

 
Chapitre 16
Devon
 

Le désir sexuel est une faim de l'autre, et ressemble par bien des côtés à
une pulsion cannibalesque.
Michel Tournier
 

Kiara vient tout juste de quitter mon bureau, et aussi étrange que ça
puisse paraître, la seule chose à laquelle je pense, là, tout de suite, c'est à
déverrouiller l'écran de ma tablette pour écrire un message à Eva. Je la
saisis alors rapidement en m'asseyant confortablement dans mon fauteuil,
ouvre la housse de protection, puis m'empresse ensuite de cliquer sur le
petit logo Messenger. Elle est en ligne. Merde, mais quand est-ce qu'elle
bosse, au juste ?! Aucune importance. J'appuie donc sur notre bulle de
conversation, puis reste ensuite immobile face à cette dernière, sans jamais
parvenir à taper ne serait-ce qu'une seule petite lettre. Après tout…
Mademoiselle Pierse finirait par penser que je m'intéresse un peu trop à elle,
dernièrement. Pire, après mon absence complète de cette semaine, elle
pourrait s'imaginer beaucoup trop de choses. Rien à foutre. Merde, j'en suis
arrivé à un point où même une beauté latine comme Kiara ne me fait plus
aucun effet, alors… j'imagine que ma secrétaire en est l'unique responsable.
Oui, j'ai besoin d'une seconde fois. Besoin d'en connaître davantage sur elle,
sexuellement parlant. Besoin de… la baiser comme je l'aimerais
véritablement, pour enfin pouvoir dormir paisiblement.
 

« Désolé si le bruit a été dérangeant. » lui écris-je, un rien provocateur.


 

Merde, non. Je ne peux certainement pas débuter la conversation de


cette façon. J'efface alors le tout, puis reprends plus simplement ;
 

« Pourquoi avoir refusé les services de Charlie ce matin ? »


 
La petite bulle glisse rapidement vers le bas, m'indiquant donc qu'Eva a
bel et bien vu mon message. Oui, cependant… elle n'y répond pas
immédiatement. Les secondes défilent sous mes yeux pendant qu'ils restent
figés sur cette satanée petite bulle, quand le téléphone fixe sonne
soudainement à mes côtés, interrompant donc ce moment atrocement
angoissant.
— Devon Anderson, réponds-je aussitôt d'une voix ferme.
— Parce que je ne dépends pas de vous, Monsieur.
Seul le son de sa voix suffit à me faire sourire. Pire encore, cette
manière arrogante dont elle fait preuve, chaque fois qu'il s'agit de me
montrer son austérité… ça pourrait presque me faire bander.
— Je pensais rendre service en vous évitant les trajets en métro, lui dis-
je d'une moue dubitative.
Un long soupir traverse le haut-parleur du téléphone, allant jusqu'à me
soutirer une petite grimace suite au grésillement qu'il effectue.
— Écoutez Devon, commence-t-elle, à première vue plutôt lassée.
Nous n'aurions jamais dû nous laisser-aller de cette façon la dernière fois.
Le mieux serait d'oublier, et de repartir de zéro. Comme si rien ne s'était
jamais passé.
Son ton est assez strict. Ça ne sonne pas vraiment comme une
demande, mais plutôt comme un ordre. Elle poursuit :
— Je n'aimerais pas que tout ça installe de nouvelles tensions entre
nous… vous voyez ce que je veux dire ?
— Non, rétorqué-je fermement. Je ne vois pas ce que vous voulez dire,
Mademoiselle Pierse.
— Eh bien… me répond-elle, légèrement hésitante. Ça n'a jamais
vraiment été le top entre vous et moi depuis que je travaille ici, alors j…
— Je ne vois pas ce que vous voulez dire par "laisser-aller",
l'interromps-je sèchement. Il ne s'est strictement rien passé entre nous.
Un silence de plomb s'installe à l'autre bout du fil lorsque je joue la
carte de l'amnésie. Bien évidemment, elle comme moi savons pertinemment
que je n'ai rien oublié, toutefois… mon égo me pousse très probablement à
rétorquer de cette façon. En vérité, je crois que je ne supporte pas sa
demande. Premièrement, il va falloir que je m'adapte, et deuxièmement,
c'est un peu comme un putain de râteau. Le plus gros jamais pris, et ce
depuis des décennies.
— Bien… murmure-t-elle, à priori plutôt confuse. Je vois.
Je déglutis avec difficulté tant le fait d'en arriver là me chagrine. Nous
aurions pourtant pu continuer sur cette lancée, mais visiblement… Eva n'a
pas vraiment l'air ouverte à ce genre de petit jeu. Non, en vérité, je crois
qu’elle n’est tout simplement pas ouverte à quelconques choses susceptibles
de nous lier personnellement. Comme elle a tenté de me le faire savoir à
plusieurs reprises, ce travail compte énormément pour elle. Fatalement, se
donner à moi une seconde fois lui ferait prendre de nouveaux risques. Dans
le fond, j’ai envie d’accepter cette situation. Oui, je peux comprendre
qu'Eva ait peur de mettre sa place en danger. Paradoxalement, ça me met en
colère. Sincèrement. Bordel, pourquoi avoir cédé la première fois ? Trois
ans sans que rien ne se passe, et voilà maintenant qu’elle veut tout oublier
une fois qu’on a enfin laissé nos corps parler ? Putain, je n’y comprends
rien.
— Dans ce cas… reprend-elle plus fermement. C'est parfait.
— En effet, réponds-je, sans l'ombre d'une hésitation. Parfait.
Un second silence s'installe, mais je décide de ne pas le laisser durer
pour cette fois :
— Bon appétit, Mademoiselle Pierse.
— Également, Monsieur Anderson.
 

Eva
 

Je repose le combiné sur son socle dans une grimace d'interrogation.


C'était… très étrange, comme conversation. Non seulement Devon vient de
faire comme s'il avait tout oublié, mais en plus de ça, voilà qu'il termine le
tout dans une dernière parole sympathique. N'importe quoi. Mais bref. Peu
importe, au final. J'en retiens juste une chose ; la fin définitive de ce petit
jeu malsain. Oui, à compter d'aujourd'hui, cette histoire de coucherie est
enfin derrière moi. Je vais donc pouvoir venir au travail sans avoir la boule
au ventre, et assurer ma journée plus tranquillement. En effet, je pense que
j'ai eu raison de la jouer franc-jeu avec Devon. Ça vient de m'enlever une
sacrée épine du pied. Peut-être même une rose tout entière, d'ailleurs.
Seigneur… pourvu que ça dure.
 

♤♤♤
 

— Merci beaucoup Charlie, lui dis-je en descendant de la voiture.


— C'est moi qui vous remercie, Mademoiselle, me répond-il en
refermant délicatement la portière derrière moi.
J'imagine qu'il fait référence à mon intervention plus tôt dans la
matinée. Après tout… ça m'a paru tout à fait logique de plaider sa cause. Je
n'ai même pas eu besoin de réfléchir avant d'agir.
— Oh, vous savez… réponds-je alors d'une moue dubitative. C'était
totalement légitime de ma part. Comme je vous l’ai déjà dit ce matin,
jamais je ne vous aurais laissé dans l'embarras.
Son visage se crispe dans un petit sourire gêné, juste avant qu'il ne se
dirige vers la portière côté passager pour pouvoir l'ouvrir. Je le regarde alors
faire, un peu intriguée tout de même, tandis qu'il relance la conversation en
saisissant le large paquet rouge présent sur le siège passager :
— À vrai dire… commence-t-il, légèrement hésitant. Je vous
remerciais plutôt pour ça.
Charlie me tend ensuite la boîte, mais mes mains refusent
catégoriquement de réagir tant je reste sceptique. Effectivement, je ne
comprends pas vraiment ce geste, aussi adorable soit-il.
— Charlie… grommelé-je alors, un peu confuse. Il ne fallait pas, je…
— En vérité, ce n’est pas de ma part.
Je suis presque certaine que la grimace qu'effectue actuellement mon
visage le met mal à l'aise. Je suis moi-même mal à l'aise. Nous sommes mal
à l'aise.
— Comment… marmonné-je, incomprise. Enfin… je veux dire…
— C'est pour cette raison que je vous remercie, m'interrompt-il
calmement. Vous offrir ce cadeau en arrivant ici était l'une des conditions
pour que je puisse continuer à travailler pour Devon.
Ma grimace ne s'estompe pas. Non seulement mon boss se sert de la
détresse de ce vieil homme pour arriver à ses fins, mais comme si tout ça ne
suffisait pas déjà, il tient en plus à m'offrir quelque chose. Oui, il veut
m'offrir un cadeau, alors que je pensais pourtant avoir été claire plus tôt
dans l'après-midi. Visiblement, pas assez. Fait chier.
— Je suis désolée Charlie, mais je n'accepterai rien venant de lui, dis-je
alors d'une moue désapprobatrice.
— La seconde condition est que je vous convainque de l'accepter,
insiste-t-il en tendant davantage le paquet vers moi.
Génial.
 

— Donc si je refuse… vous serez définitivement renvoyé ? lui


demandé-je d'un rire nerveux.
— Tout à fait, Mademoiselle.
— Mais quelle espèce de connard, lâché-je naturellement.
Et je ne m'excuse d'ailleurs pas à la suite de cette injure. Il ne
manquerait plus que ça. Merde, c'est dingue comme cet homme a le
pouvoir de me faire changer d'avis si rapidement à son sujet. Une minute
auparavant, je l'appréciais toujours, et voilà maintenant que je le déteste au
plus haut point. Insupportable.
— S'il vous plaît, je… marmonne le vieil homme d'un air suppliant.
J'ai encore besoin de ce travail, Mademoiselle Pierse. Vous savez… ma
femme a besoin de…
— Je vous en prie, Charlie, l'interromps-je en saisissant finalement le
paquet rouge. Il est évident que des supplications sont parfaitement inutiles.
Vous allez garder ce job.
Pour toute réponse, ce dernier m'offre son sourire le plus sympathique.
Je distingue même du soulagement à travers ses iris bleu océan. Comme s'il
avait été longuement torturé ces dernières heures. Seigneur… Devon est
vraiment un homme cruel, parfois.
— Vous pouvez maintenant aller prendre soin de votre épouse, sans
avoir à vous soucier de quoi que ce soit, ajouté-je ensuite en m'éloignant
tranquillement vers les marches du perron. On se voit lundi matin !
Je me retourne une dernière fois vers lui afin de pouvoir le gratifier de
mon plus beau sourire, puis m'empresse d'ouvrir cette satanée porte, tout en
prenant soin de ne surtout pas faire tomber le paquet cadeau. À défaut
d’être énorme, il est assez léger. D'ailleurs, je me demande bien ce qu'il
contient. Des chocolats ? J'espère. J'arrive enfin à pousser cette lourde
porte, ce qui me permet donc d’entrer dans le hall sans plus attendre, pour
ensuite foncer vers mon appartement. À cette heure-ci, Matt n'est pas
encore rentré. Cela me laisse donc le temps de découvrir le contenu de cette
boîte avant son arrivée. En effet, je ne lui ai pas menti sur mon ultime
rapprochement avec Devon, pour finalement lui avouer que ce cadeau vient
de lui.
Je pose alors la boîte sur le plan de travail après avoir refermé la porte
derrière moi, l'analyse ensuite attentivement, puis me questionne davantage
sur son contenu. À vrai dire, je crois que j'angoisse un peu. Oui, j'ai peur de
découvrir quelque chose comme… des dessous féminins, ou bien encore…
des jouets douteux. Il en serait capable. Ça suffit. Je défais alors le large
nœud d'un geste brusque, puis fais ensuite glisser le couvercle en carton
vers le haut, tout en faisant au mieux pour ne rien abîmer. J'ai déjà ma petite
idée de ce que j'en ferais si tout ça me paraissait un peu trop déplacé, alors
mieux vaut garder l'emballage intact. Matt serait très heureux d'avoir de
nouveaux sextoys.
— Nom de Dieu…
Ma respiration se coupe soudainement. Je ne rêve pas, c'est… Merde,
oui, c'est elle. Il s'agit bien de la robe que j'ai minutieusement sélectionnée
la semaine passée dans le bureau de mon boss, à ses côtés, juste avant qu'il
ne me… bordel. Je la sors rapidement de sa boîte, fonce en direction du
miroir accroché à la porte d'entrée, puis la plaque ensuite contre mon buste
afin de pouvoir l'observer plus attentivement contre moi. Seigneur, elle est
encore plus belle en vrai, mais… non. Connaissant parfaitement bien son
prix, il est évident que je ne peux pas me permettre d’accepter un tel
cadeau. Et puis d'abord… pourquoi ? Pourquoi Devon tenait à me l'offrir, à
moi ? Pourquoi m'avoir demandé de la sélectionner, alors qu'il savait déjà
pertinemment à qui elle était dédiée ? Je n'y comprends strictement rien.
Je repars alors en direction de la cuisine pour la ranger, puis trouve
finalement une petite enveloppe noire au fond du carton. Je pose la robe sur
le dossier du tabouret, puis m'empresse de déchirer le collant afin de
pouvoir en sortir son contenu. Les premiers mots suffisent déjà à faire
cesser toutes questions qui fusent actuellement dans mon esprit :
 

« N'y voyez rien de personnel, Mademoiselle. »


 
Quelle espèce d’enfoiré.
 
« Comme vous le savez déjà, une vente aux enchères aura lieu le
samedi soir, juste après notre séminaire. Étant donné que vous êtes la
secrétaire de l'un des deux grands patrons, il est donc primordial que vous
soyez présentable. Les autres femmes porteront elles aussi des robes de
créateurs. Merci de bien vouloir jouer le jeu. Bien cordialement, Devon A. »
 
Je reste médusée à la fin de ma lecture. Il a osé. Ouais, ce connard a
osé me rappeler combien je n'étais pas à la hauteur de son milieu. Devon a
osé me rappeler à quel point j'étais bien trop plouc, bien trop… pauvre pour
sa catégorie. En effet, une femme comme moi est probablement considérée
comme fauchée, aux yeux de personnes comme Monsieur Anderson.
Pathétique. Oui, autant que moi, son comportement est pathétique. Voilà
qu'il vient de redescendre de dix étages sur l'échelle du peu d'estime que
j'avais pour lui, et… je compte bien le lui faire savoir. Ouais. Hors de
question que je porte cette foutue robe lors de cette soirée caritative. Hors
de question que je la porte, tout court.
— Qu'est-ce que c'est ?
Je sursaute soudainement suite à l'entrée de Mara dans l'appartement.
Merde, mais quand va-t-elle apprendre à frapper aux portes, celle-là ?!
— Rien du tout ! m'exclamé-je en rangeant rapidement la robe dans sa
boîte.
— Fais voir… me demande-t-elle d’un léger froncement de sourcils.
Mon cœur s'emballe lorsqu'elle s'approche, et je suis parfaitement
incapable d'en déterminer la cause. Enfin… si. Après tout, si j'ai menti à
Matt, ce n'est certainement pas pour dire toute la vérité à Mara.
— Wow, lance-t-elle dans une grimace d'étonnement. Ça, c'est du
cadeau !
— En vérité… je l'ai achetée moi-même, lui souris-je, un peu gênée.
— Toi ? Depuis quand est-ce que tu as les moyens d'acheter des
fringues chez Alexander McQueen ?
Merde. La beauté de cette robe m'avait tellement éblouie pendant
l'achat, que je n'ai même pas fait attention à ce détail pourtant considérable.
En revanche, voilà maintenant que je trouve le prix nettement plus
compréhensible.
— Oh… ça ? demandé-je d'un air innocent, et tout en désignant
l'étiquette dorsale de mon index. Non… tu sais bien que j'ai déjà du mal à
payer mon forfait téléphonique chaque fin de mois, alors…
— Merde… s'insurge-t-elle, complètement bouche bée. Tu l'as volée ?!
— Quoi ? grimacé-je exagérément. Seigneur… ça va pas ! Non, je suis
juste allée l'acheter dans le quartier chinois !
Mensonge parfaitement bien envoyé. Ouais, c'est un beau dix sur dix,
là ! Mon ami expire bruyamment pour me faire partager son soulagement
sincère, portant une main sur sa poitrine histoire d'appuyer le tout. Quelle
Drama Queen. Épuisante.
— Ouais, je me disais aussi… ajoute-t-elle dans un pouffement. Eva
Pierse qui fait du vol à l'étalage ? Impossible !
Je lui reprends subitement la robe des mains en fronçant furieusement
les sourcils, puis m'empresse de rétorquer :
— Arrête de toujours me voir comme quelqu'un d'inoffensif. Ce n'est
pas le cas.
Je lui passe ensuite rapidement devant après avoir refermé la boîte,
puis fonce en direction de ma chambre, bien parée à cacher mon énorme
mensonge.
— Ouh… alors toi, souffle-t-elle dans mon dos. Tu t’es levée du
mauvais pied ce matin !
Je me retourne après avoir déposé la boîte sur ma coiffeuse, puis tombe
sans surprise face à mon amie, confortablement appuyée contre le
chambranle de porte. Je soupire :
— Vas-y, commencé-je, déjà agacée. Crache ton venin.
Mara croise les bras sous sa poitrine, forme ensuite une petite grimace
avec sa bouche, puis me lance ;
— Qu'est-ce que tu caches exactement, Eva, lance-t-elle en plissant
légèrement les paupières.
— Rien du tout ! lui réponds-je, un peu affolée.
Elle balance vivement sa tête de gauche à droite.
— Arrête. On se connaît depuis quoi… trois ans ? m'interroge-t-elle
après une brève réflexion. Je sais que tu caches un truc, et toi, tu sais
pertinemment que je finirai par le découvrir un jour ou l'autre, alors…
autant me le dire maintenant, tu ne crois pas ?
Fait chier. Voilà pourquoi je ne tisse plus aucun lien avec personne. Ça
a tendance à me rendre beaucoup trop vulnérable par moment. Mais après
tout… Mara est mon amie, alors… merde, non ! Je ne peux vraiment pas
me permettre de lui en parler. Même si je suis pourtant persuadée qu'elle me
comprendrait trois fois mieux que Matt, mais ce dernier serait très furieux
d’apprendre que contrairement à lui, notre amie, elle, savait tout depuis le
début.
— Je t'assure, il n'y a absolument rien, insisté-je finalement, et tout en
posant furieusement les mains sur mes hanches. Tu devrais aller donner un
coup de main à Matt, plutôt que de t'inquiéter bêtement pour moi.
Pour toute réponse, mon amie me rend une petite moue d'étonnement :
— Il a besoin d'aide ?
— Apparemment. Il m'a demandé de venir faire l’ouverture avec lui
par SMS tout à l'heure, mais je n'avais pas encore quitté le travail.
— SMS ? m'interroge-t-elle, perplexe. Tu veux dire que tu as récupéré
ta ligne ?
— Je ne sais pas encore comment, ni pour combien de temps, mais…
apparemment, oui.
— Et tu ne m'as même pas envoyé de message pour prévenir ?
— Je ne savais même pas que c'était possible avant d'en recevoir un de
Matt ! m’agacé-je alors d'un air logique.
— Oh… je vois, marmonne-t-elle, peu convaincue. Et comment Matt
pouvait-il le deviner, lui ?
Mara quitte la chambre pour rejoindre le salon en me posant cette
question, alors je lui emboîte aussitôt le pas, bien déterminée à la pousser
vers la sortie.
— Par simple habitude, j'imagine, dis-je en lui ouvrant
sympathiquement la porte.
Pour toute réponse, mon amie me suspecte de son air le plus perplexe,
juste avant d’ajouter :
— Mouais… commence-t-elle d’une petite moue. Bref. Je repasserai
demain soir. J'ai plein de trucs à te raconter !
— Ramène la bière, suggéré-je d’un sourire approbateur. Je risque d'en
avoir besoin après le match de football qui m'attend !
Elle me répond d'un rapide salut militaire en démonstration de son
soutien, puis s'empresse aussitôt de quitter l'appartement pour foncer
rejoindre Matt au travail. Quand la porte se referme enfin derrière elle, j'en
profite pour relâcher la pression dans un long soupir de soulagement. À vrai
dire… j'ai toujours horreur de devoir mentir aux gens que j'aime,
néanmoins… là, ça me semble grandement nécessaire. Oui, je refuse
d'entendre son sermon. Pire, de prendre le risque de décevoir Matt.
 

*toc-toc-toc*
 

Quoi ? Merde, mais qui ça peut bien être, à une heure pareille ? Matt
ne frapperait certainement pas pour entrer dans son propre appartement,
tandis que Mara, elle… elle ne frappe tout simplement jamais. Seigneur…
pourvu que ça ne soit pas Nate. Je me dirige alors vers la porte d'une
démarche on ne peut plus lasse, actionne la poignée sans plus attendre en
gardant les yeux rivés au sol, puis tombe finalement sur une paire de
baskets blanche, tout ce qu'il y a de plus basique. Mes iris remontent ensuite
délicatement jusqu'au visage de celui que j'imagine être mon ex, quand je
comprends finalement que… ça n’a strictement rien à voir avec lui…
— Monsieur Anderson ? grimacé-je, sincèrement perplexe. Qu'est-ce
qu…
— J'ai trop envie de toi, me coupe-t-il en approchant. Merde, je ne
pense qu'à ça depuis une semaine.
Mais… mais…
— Eva, poursuit-il d'un air suppliant. Putain, ça me hante…
Bordel de merde. Ouais, en effet, je crois que j'aurais préféré la
présence de Nate sur ce foutu palier.
 
 

Chapitre 17
Eva
Douce et la vengeance, surtout pour les femmes.

Stephen Vizinczey

Je reste immobile face à lui, parfaitement incapable d'émettre ne serait-


ce qu'un ridicule petit son. OK Eva. Rien de tout ça n'est réel. D’ailleurs…
tu vas bientôt te réveiller.
— Laisse-moi une dernière opportunité pour le faire, relance-t-il d’un
ton suppliant. Plus convenablement, cette fois-ci.
Donc c'est réel. Oui, mon boss est bel et bien présent sur le palier de
cet appartement, un air affreusement vulnérable ancré sur le visage, et tout
juste en train de me quémander une dernière baise. Je n'en reviens pas.
— Euh… marmonné-je, un peu déboussolée tout de même. Je…
— Une prime de mille dollars, en plus de ton salaire habituel, suggère-
t-il, à priori très sérieusement.
Mes paupières se plissent. Attends… quoi ?!
— Merde, mais je ne suis pas une prostituée ! m'exclamé-je alors,
sincèrement contrariée. Vous n'avez qu'à aller en chercher une, d'ailleurs !
Le trottoir d’en bas en est bondé à cette heure-ci !
Ensuite, ma main s'empare furieusement du côté de la porte, puis
pousse brutalement dessus afin de la lui claquer délibérément au visage.
Prends-toi ça, connard ! Non mais là… j'aurai tout entendu ! Sans rire, de
quel droit mon patron se permet-il de me faire ce genre de proposition
complètement désobligeante ?! J'hallucine !
 

*toc-toc-toc*
 

Évidemment, un homme comme Devon n'est pas vraiment du genre à


laisser tomber si facilement, et je suis plutôt bien placée pour savoir qu'il
insistera lourdement, jusqu'à ce que j'accepte sa requête. Oui, ou bien…
peut-être qu’avec des menaces, l’envie lui passerait plus facilement ? On va
vite le savoir. J’ouvre de nouveau la porte, puis lui lance, un peu agacée :
— Je vais appeler les flics si vous continuez à me harcel…
Mais le dernier mot n'a pas le temps de traverser mes lèvres, que mon
boss s'est déjà brusquement jeté sur moi pour m’embrasser. Sa langue glisse
entre mes dents afin de s’insérer à l’intérieur de ma bouche, et aussi étrange
que ça puisse paraître… je ne le repousse pas une seule seconde. Il claque
finalement la porte à l'aide de son pied, puis m'entraîne ensuite sans plus
attendre en direction de je ne sais où. Merde… pourquoi je ne le repousse
pas ? Probablement parce que moi aussi, j'en crève d'envie. Oui, il est clair
que je me voile la face depuis près d'une semaine, et ça m'irrite
profondément que de devoir l'admettre aujourd'hui. Parallèlement, je sais
que c’est une erreur de le laisser continuer. Mon boulot… je ne peux pas
perdre mon foutu boulot…
— Ta chambre, m'interroge-t-il entre deux baisers, tout haletant.
— Deuxième porte sur la gauche, lui réponds-je, sans l'ombre d'une
hésitation.
Bordel, mais pourquoi est-ce que je n'hésite pas, au juste ?! Il m'y
entraîne alors à reculons, tandis que je m'empresse de faire glisser mes
paumes le long de ses flancs afin de pouvoir lui retirer ce t-shirt noir
inhabituellement moulant. Putain, c'est trop excitant, de le voir si
simplement vêtu. Je le soulève d'un seul petit mouvement, à l'instant exact
où mon dos pousse violemment la porte de ma chambre. Devon me jette
ensuite sur le lit, et c'est juste après ça qu'il me laisse le loisir de pouvoir
l'observer, presque entièrement nu face à moi. Wow… jusqu'à maintenant, je
n'avais encore jamais vu son torse. Ses abdos parfaitement bien dessinés
sont magnifiquement soulignés de deux traits creusés sur chaque côté,
rejoignant donc délicieusement son bas-ventre. C'est… encore plus excitant.
Il s'approche de moi, tel un véritable lion prêt à bondir sur sa proie, pendant
que je défais le bouton de mon pantalon en un rien de temps, bien parée à
l’accueillir. Tu es en train de faire n’importe quoi, Eva. Ses doigts
s'agrippent subitement à la taille de mon jean, juste avant de tirer sur chaque
extrémité d'un coup sec pour me le retirer. Je n'avais bien évidemment pas
pensé que mes dessous sexy me seraient utiles pour ce soir, mais
visiblement… ce détail n'a pas l'air de déranger Devon, puisqu'il se contente
de retirer ma petite culotte d’un geste impatient, pour rapidement la faire
glisser jusqu'à mes chevilles.
— Je rêve de te faire ça depuis des jours, me dit-il alors, le regard plus
sombre que jamais.
Mes jambes se mettent à trembler de manière incontrôlée, rien qu'à
sentir le bout de son nez frôler mon épiderme lors de sa descente vers mon
bas-ventre. Il l’embrasse d'ailleurs à plusieurs reprises, puis glisse ensuite
peu à peu en direction de l'endroit propice, mais tout en prenant soin de
tendre une main, pour fermement venir envelopper ma poitrine. Ses doigts
sont bouillants. Si bouillants, qu’ils pourraient presque m’en brûler la peau.
C’est ta dernière chance pour mettre un terme à tout ça, ma grande.
— Devon… gémis-je, à l'instant même où sa langue se pose contre
mon clitoris.
Suite à la simple prononciation de son prénom, il resserre aussitôt
l'étreinte que forme déjà sa paume autour de mon sein, ce qui, sans grande
surprise, m’arrache donc un second gémissement dans la foulée. Nom de
Dieu… il se débrouille comme un chef. Comme s'il savait parfaitement bien
de quelle manière me satisfaire. Je me tords de plaisir sous chaque nouvelle
caresse que sa langue effectue sur mon intimité. Littéralement. Impossible
pour moi de me contenir, jusqu'à ce qu'il mette finalement un terme à mon
extase personnel. Je me redresse rapidement sur les coudes pour le gratifier
d'un léger froncement de sourcils, tandis qu'il remonte tout doucement vers
mon visage afin de venir m'embrasser langoureusement. Très,
langoureusement. Merde, heureusement que je me rince constamment aux
lingettes intimes. Non mais, sérieusement, pourquoi est-ce que je pense à ce
genre de truc en plein acte ? C'est complètement stupide ! Tout autant que
ce que tu fais là, Eva.
Le doigt que Devon insère à l'intérieur de mon vagin me ramène
aussitôt à la réalité, et m’oblige donc à gémir, peut-être un peu plus
bruyamment pour cette fois.
— Elle te plaît ? me demande-t-il d'une voix lascive.
Je m'efforce d'ouvrir les yeux afin de comprendre le sens de cette
question, et constate aussitôt qu'il fait en réalité simplement allusion à la
boîte rouge présente sur ma coiffeuse. Boîte qui détient une robe à huit-
cents dollars, mais également une lettre bourrée de paroles sarcastiques.
Quel sombre connard, quand j'y repense. C'est exactement le genre de
raisons qui me rappellent que je devrais le virer de cette chambre sur-le-
cha…
— Seigneur… m'interromps-je, tout en portant mon poing serré jusqu'à
ma bouche.
Je mords abruptement mes phalanges pour étouffer le hurlement qui
menace sérieusement d'en sortir. Avec deux doigts, c'est encore mieux.
— Je suis certain que tu seras la plus belle femme de cette soirée, dans
une robe pareille, murmure-t-il au creux de mon oreille.
Merde, mis à part me motiver davantage à le foutre dehors, il ne fait
rien de plus, là.
— La ferme Devon, craché-je alors sèchement.
Pour toute réponse, je sens glisser un troisième doigt entre les parois
humides de mon intimité. Il continue les va-et-vient, ne tardant pas trop à
accélérer la cadence. Probablement une manière bien à lui pour me punir de
l'ordre précédemment -et strictement- donné.
— Ne me parle pas sur ce ton, grogne-t-il, dents serrées. Ce n’est
d'ailleurs pas la première fois que je te le dis, pas vrai ?
Puis il entre de nouveau brusquement pour appuyer le tout. Nom de
Dieu. Ma main s'agrippe subitement à son jean, et c'est à cet instant précis
que je me sens tout proche de l'implosion. À seulement deux doigts. Et
comme si Devon lisait dans mes pensées, voilà qu'il y ajoute les derniers
dans la seconde qui suit ma prière à double sens.
— Retiens-toi, m'ordonne-t-il d’une voix rauque.
— Pourquoi, lui demandé-je, toute haletante.
— Attends simplement que je te le dise.
— Nous ne sommes pas au travail, Monsieur Anderson, grogné-je, tout
en me cambrant davantage sur le matelas.
Je peux sentir la chaleur de son souffle me frôler la peau lorsqu'il rit
courtement de ma réponse, mais décide tout de même d’obéir à cet ordre
sans rechigner. Ça l'excite d'obtenir autant de contrôle, autant de… pouvoir
sur moi. Oui, ça l'amuse sincèrement de me sentir toute trempée entre ses
doigts, sans que je ne puisse moi-même mettre un terme à cette souffrance
affriolante. Bordel, je n'en peux plus.
— Devon, le supplié-je alors d’un petit grognement.
Il accélère ses mouvements, probablement pour me rendre un peu plus
folle encore, tandis que je cambre davantage mon dos, et ce, sans jamais
relâcher l’étreinte que forment mes doigts depuis déjà de longues secondes
autour de son pantalon.
— Maintenant, m'accorde-t-il enfin.
Mon autre main s’empare alors rapidement de la couette, afin que je
puisse fermement m’y accrocher pour ne surtout pas crier. Bien
évidemment, rien n’y fait. L’orgasme est beaucoup trop intense pour qu’une
quelconque tentative m’évite l’égosillement. Je termine dans un dernier
souffle, tente de retrouver un rythme cardiaque plus approprié, puis rouvre
enfin les yeux pour faire face à la vilaine réalité : cet insatiable Devon.
— Il n’y a rien de plus beau sur cette planète que ce à quoi je viens tout
juste d’assister, me dit-il d’un sourire narquois.
À en croire son expression bourrée de désir charnel, Devon ne compte
pas s’arrêter là pour ce soir. Oui, néanmoins… moi, j’ai largement eu ma
dose de sexe pour les cinq prochaines semaines. De plus, je n’oublie pas la
pitoyable façon dont il m’a traitée en arrivant ici. Une prime de mille
dollars… sérieusement ? Merde, pour qui me prend-il, au juste ?
— Approche, dit-il en penchant sa tête pour m’embrasser.
 

Mais je roule rapidement sur le côté pour l’éviter, juste avant de saisir
ma petite culotte, afin de pouvoir la remettre. Il grimace en m’observant,
tandis que je me fais violence pour ne surtout pas éclater de rire :
— Qu’est-ce qu…
— Tu devrais rentrer, l’interromps-je en enfilant mon pantalon dans un
bond.
Devon ne comprend clairement pas où je veux en venir, alors je me
répète :
— Au revoir.
Mon air logique le cloue sur place.
— Bye-Bye, Arrivederci… Hasta luego ! terminé-je ensuite, un rien
sarcastique.
Mais malgré ça, mon boss reste parfaitement scellé au matelas. Une
expression abasourdie prend maintenant place sur son visage, me
permettant donc de comprendre la tempête qui me guette actuellement.
— Tu es en train de dire que tu me plantes, là ? m’interroge-t-il en
baissant furieusement les yeux vers son entre-jambes. Avec ça ?!
J’admets avoir envie de redécouvrir ce qui se cache sous cette énorme
bosse, cependant… ma dignité passe avant tout. Et elle n’a pas de prix,
contrairement à ce qu'il a bien pu s'imaginer en me faisant sa petite
proposition de tout à l’heure. Bon… peut-être excepté pour les tâches
ménagères, c’est vrai...
— Ce n’est pas mon problème, Devon. Tu t’es juste fait prendre à ton
propre jeu, poursuis-je en ramassant son haut pour le lui balancer au visage.
Maintenant… sors de chez moi.
Je me dirige ensuite vers la porte afin de pouvoir lui indiquer le chemin
à suivre d’un bref signe de la main, tandis qu’il ne cherche pas à contester
une seconde de plus. Un sourire menace de m'échapper lorsque j’observe
ses mouvements. Il est très en colère, aucun doute là-dessus. Parfait. L’air
de son passage enivre mes narines, mais je ne me laisse pas abattre pour
autant. Il me faudrait indéniablement beaucoup plus que l’odeur naturelle
de son parfum pour vaciller.
Je lui emboîte alors le pas sans plus attendre, bien décidée à voir son
visage se décomposer jusqu’à la fin :
— À bientôt, lui souris-je exagérément.
— Tu vas me le payer, Eva, rétorque-t-il furieusement. Je vais me
venger, compte sur moi.
— Oui, oui, me moqué-je en le poussant davantage sur le pallier. Allez,
à plus dans le bus !
Le vent qu’effectue la porte lors de sa fermeture me frappe gentiment
le visage, tandis que mon sourire refuse catégoriquement de s’effacer.
Seigneur… c’était jouissif. Au sens propre, comme au sens figuré.
— La prochaine fois, intervient une voix de la cuisine.
Je tressaille de façon incontrôlable. Nom de D… Mes yeux
s’écarquillent de manière exagérée quand je comprends sans effort de qui il
s’agit. Matt. Oh bordel.
— Tâche de hurler un peu moins fort, reprend-il ensuite, tout en
mâchant bruyamment ses céréales. J’ai déjà la 4G, pour mater du porno.
Seigneur… je suis foutue.
— Qu’est-ce que tu fais là…? lui demandé-je d’un sourire atrocement
crispé, et tout en ignorant parfaitement la remarque précédente.
— Migraine carabinée, souffle mon ami, visiblement mort de fatigue.
Mara a pris le relais.
— D'accord…
Étonnamment, il ne dit rien de particulier face au départ précipité de
mon patron une minute auparavant.
— Euh… bafouillé-je en approchant doucement. Tu…
— Merde… ricane-t-il alors doucement. Il est encore plus canon que
ton boss ! s’exclame-t-il ensuite vivement. Le style un peu streetwear…
j’adhère grave !
Hein ? Mais qu’est-ce qu’il raconte, là ? Oh, bordel ! Bien sûr ! Caleb
! Il pense que c’est Caleb !
— Par contre… reprend-il aussitôt d’une large grimace. Je ne
déconnais pas concernant tes hurlements. A l’avenir… évite, si tu tiens à ne
pas me faire gerber.
Je m’esclaffe de façon on ne peut plus hypocrite, puis fonce
rapidement vers le placard à gâteaux afin de me goinfrer à mon tour. En
effet, je pense que c’est une très bonne alternative pour oublier à quel point
je suis la pire des menteuses. La pire des meilleures amies.
 

 
Chapitre 18
Eva
 
Tout est tentation à qui la craint.
 
Jean de la Bruyère
 

Nous rentrons tout juste du match de football avec Matt. Il est près de
vingt heures, et j'ai déjà la cervelle en compote. Rien de trop étonnant au
final, puisque comme je l'avais prédit, les estrades étaient bondées
d'énergumènes en tout genre. En effet, elles contenaient un tas d'hommes
virilement repoussant, hurlant à chaque point, chaque faute, chaque… oui,
bon, ils hurlaient pour absolument tout et n'importe quoi.
— On commande une pizza ? me propose mon ami en refermant la
porte derrière nous. Il me reste une petite heure avant d'aller bosser, alors…
Je soupire longuement afin de lui faire comprendre que cette idée ne
m'enchante pas des masses. Pour être honnête, j'ai mangé des tonnes de
cochonneries tout au long de la journée, donc je dois dire que rien de tout ça
ne me tente pour le moment.
— Merci, mais je pense que je vais me contenter d’un bon bain chaud
pour ce soir, lui dis-je en bâillant exagérément. Ensuite, j’irai sûrement me
coucher, puis je…
— Dormir ?! intervient subitement Mara en faisant son entrée.
Certainement pas !
Merde. Je me retourne alors sur-le-champ pour lui faire face, et
remarque aussitôt le pack de Desperados présent entre ses mains.
Seigneur… j’avais déjà oublié notre rapide conversation d’hier.
— On peut peut-être remettre ça à plus tard ? suggéré-je d’un air
suppliant. Je suis vraiment crevée, et…
— Hors de question, m’interrompt-elle sèchement. J’ai dû parcourir la
ville tout entière pour trouver une épicerie qui avait encore tes bières
préférées en stock, alors tu ne vas pas me faire ce coup-là maintenant !
— Mais j…
— C’est non négociable, Eva, lance-t-elle ensuite fermement. En
revanche… on peut transformer ça en une petite soirée pyjama, si tu
préfères ?
— C’est une bonne idée, intervient Matt en hochant brièvement la tête.
Il reste de quoi faire du pop-corn dans les placards. De plus, ça te fera du
bien après la semaine de travail que tu viens tout juste de subir.
Même si la nourriture ne me tente toujours pas, je dois admettre que
l’idée du pyjama n’est pas mauvaise, dans le fond. Oui, j'ai probablement
besoin de ce genre de choses pour décompresser un peu. Sans parler du fait
que je suis presque convaincue de ne pas réussir à fermer l'œil avant de
longues heures, alors…
— Bon, soufflé-je finalement, vaincue. C’est d’accord, mais avant
toute chose… Laisse-moi prendre ce foutu bain. J’en ai rêvé tout l’après-
midi.
— Le match était si pourri que ça ? grimace mon amie, sincèrement
sceptique.
— Tu n’as même pas idée, soupiré-je en rejoignant la salle d’eau.
 

♤♤♤
 

Je me jette enfin sur le lit après avoir enfilé mon large peignoir blanc.
Mon Dieu… quel bonheur !
— Tu viens tout juste de prendre un bain de trente minutes, me
suspecte Mara. Et tu trouves encore le moyen de lâcher un long soupir de
soulagement ?
Mes paupières se plissent pour la gratifier d'un air faussement méchant,
tandis que je m'empresse de saisir la bière fraîchement ouverte actuellement
présente entre ses mains. Je risque probablement d'en avoir besoin, avec la
soirée qui m'attend.
— Hey ! se plaint furieusement mon amie. Il y en a cinq autres, juste
ici ! ajoute-t-elle ensuite en me désignant le pied du lit de son index.
— Oui, approuvé-je en buvant la première gorgée. Mais elles, elles ne
sont pas déjà ouvertes !
Je souris ensuite légèrement en portant le goulot une seconde fois
jusqu'à ma bouche, fière de mon petit coup machiavélique. Pendant ce
temps, Mara se hisse littéralement au bout du lit pour en attraper une
nouvelle. Aussitôt, elle l'ouvre à l'aide de ses molaires, et… Nom de Di…
— Merde ! grimacé-je, sincèrement écœurée. Tu me dégoûtes, quand
tu fais ça !
— Bah quoi, marmonne-t-elle, la capsule encore accrochée au bord des
lèvres.
Face à sa tête d’abruti, je ne retiens pas mon rire une seconde de plus.
Qu'est-ce qu'elle m'agace… mais qu'est-ce que je l'aime ! Oui,
indéniablement. Et après tout… Mara est mon amie depuis plus de trois ans
maintenant, donc même si elle peut parfois s'avérer être insupportable, je ne
nierais jamais l'évidence présente entre nous deux. Elle, c'est une amie. Une
vraie. Il va de soi que Matt reste -et restera- au premier plan, mais je dois
admettre n'avoir aucun doute la concernant. C'est vrai, je n'ai qu'à sortir le
téléphone de ma poche en cas de problème, et comme par magie, elle
apparaît. En un seul petit clignement de paupières. À vrai dire, c'est dans sa
nature. Cette femme est du genre à rendre service sans aucune attente en
retour, et c'est principalement ce qui me plaît chez elle. Bon, j'admets que sa
vie professionnelle lui permet d'être assez présente pour ses proches, mais
tout de même. Je veux dire… rien ne l'y oblige, et malgré ça, elle est
toujours là. D'ailleurs, elle le serait probablement tout autant si j'avais
besoin d'enterrer un cadavre au fin fond de la forêt. Un cadavre, comme
celui de Devon Anderson, par exemple.
— Ton boss t'en demande toujours autant, à ce que je vois, me dit-elle
en engloutissant une pleine bouchée de pop-corn.
Comment ça ?
L'angoisse doit probablement se lire sur mon visage actuellement. J'ai
la sensation que mon amie fait référence à une certaine chose, mais dans le
fond, je sais que ça n'a absolument aucun lien avec ma dernière incartade.
Elle me le confirme d'ailleurs aussitôt :
— Du moins… marmonne-t-elle, la bouche encore pleine. D'après ce
que disait Matt tout à l'heure.
— Oh… ça ! m'exclamé-je alors soudainement. Oui, enfin disons
que… je ne refuse jamais une meilleure paie, tu le sais bien.
 

Mon amie se met à mastiquer son maïs soufflé au ralenti, tout en


arborant un air affreusement sceptique. Beaucoup trop sceptique.
— Tu pensais que je parlais de quoi, exactement ? me demande-t-elle
alors.
J'en étais sûre. Putain, pourquoi suis-je si nulle quand il s'agit de passer
inaperçue ?!
— Bah… euh… bafouillé-je lamentablement. Enfin, tu sais…
— J'en reviens pas, m'interrompt-elle, complètement bouche bée.
Littéralement. Une partie de sa purée de pop-corn vient tout juste de
tomber sur le dessus de la couette.
— Quoi… ? l’interrogé-je alors d'un air innocent.
Mais malgré ma pitoyable tentative de dissimulation, Mara ne cesse de
me fixer avec insistance. À vrai dire, je sais qu'elle a compris, et d'une
certaine façon… ça m'arrange peut-être un peu. Premièrement, Matt n'en
voudra pas qu'à moi pour cette petite cachotterie, et deuxièmement, je vais
enfin pouvoir vider mon sac. Ou plutôt… ma valise tout entière.
— Merde, tu déconnes, là ! s'exclame-t-elle enfin, complètement
ahurie. Ne me dis pas que tu baises avec ce conna…
— Chut… ! la supplié-je en plaquant rapidement ma paume contre sa
bouche. Matt n'est pas encore parti !
— Parcektunluenamempaparlé ? marmonne-t-elle d’un froncement de
sourcils.
— Quoi ? grimacé-je alors face à ses propos incompréhensibles.
Mon amie expire profondément par le nez en écarquillant exagérément
les yeux, me faisant donc comprendre que ma main est toujours fermement
appuyée contre sa bouche. Je la retire alors sans plus attendre, lui laissant
donc le loisir de répéter :
— Parce que tu ne lui en as même pas parlé ?!
J’effectue une grimace furax pour lui faire comprendre que non, je ne
l'ai pas encore fait, et que donc par conséquent, il est préférable de rester
discrète pour le moment.
— Disons plutôt qu'il pense que je traîne avec Caleb, son frère jumeau,
chuchoté-je, un peu honteuse tout de même. Du coup…
Mara plonge son visage au creux de ses mains, probablement pour ne
pas complètement me montrer son désarroi. Merde, je culpabilise déjà bien
assez pour recevoir quelconque leçon, mais malheureusement… je crois
qu'il ne me reste plus qu'à encaisser.
 

*toc-toc-toc*
 
Mon corps se tend instantanément lorsque Matt entrouvre légèrement
la porte pour nous faire part de son départ. J'ouvre alors grand les yeux en
direction de mon amie pour la supplier de ne surtout rien dire au sujet de sa
récente découverte.
— Je pense dormir au bar ce soir, soupire-t-il alors, un peu dépité. Je
risque de finir tard, et… disons que le retour à pied ne m'enchante pas
vraiment.
— Je peux passer te prendre à la fermeture, si tu veux ? propose
aussitôt Mara. Contre… un petit repas en tête-à-tête ? suggère-t-elle ensuite
d'une moue suggestive. Je veux dire… un truc comme… un rencard ?
J'hallucine… Elle ne n’abandonnera donc jamais !
—Toi et moi, lui sourit notre ami, tout en rejoignant la sortie. Ça
n’arrivera jamais !
— Qui ne tente rien n'a rien ! lui hurle Mara avant qu’il ne disparaisse
totalement. Je te rejoins à la fermeture quand même !
La porte claquant derrière lui me laisse aussitôt penser qu’il est enfin
parti. Ouf. Je plisse alors les paupières en regagnant les iris de mon amie,
bien parée à lui répéter pour la millième fois qu'elle n'a vraiment aucune
chance :
— Tu…
—Oh non, désapprouve-t-elle en balançant rapidement sa tête de
gauche à droite. Toi, tu ne peux plus te permettre de me dire quoi
que ce soit à partir de maintenant.
Quelle pétasse. Oui, mais elle n'a pas tout à fait tort, pour être honnête.
Je suis en très mauvaise posture pour lui faire une quelconque remarque
actuellement.
— Bon, reprend-elle dans un souffle. Tu comptes m'expliquer
comment tu t'es fourrée dans cette gigantesque merde ?
— Oui, je… soupiré-je, sincèrement honteuse. Je vais tout t'expliquer.
 

♤♤♤
 

Je termine tout juste mon petit récit, et curieusement, Mara s'est


montrée silencieuse du début à la fin. Évidemment, je sais d'avance que ce
silence de plomb cache quelque chose. Quelque chose d'explosif.
— OK, souffle-t-elle enfin. Pour commencer, je me doutais bien qu'il
était peu probable de trouver une robe aussi bien imitée dans les quartiers
chinois.
J'ai envie d'esquisser un petit sourire suite à cette remarque ridicule,
mais m'efforce de garder un air sérieux malgré tout. Mon amie réfléchit
alors un court instant à la tournure finale que pourrait prendre sa phrase,
puis une fois enfin trouvé, elle poursuit sans plus attendre :
— Ensuite, il ne faut surtout pas en parler à Matt, suggère-t-elle alors
fermement. Il vous ferait la peau.
— Je sais, réponds-je en baissant doucement la tête, peu fière.
— Et il faut aussi que tu mettes un terme à tout ça.
— J'y compte bien, oui, mais… disons que c'est… enfin… tu vois,
quoi.
Mon amie pose sa main contre la mienne, probablement pour
m'apporter un peu de son soutien face à cette situation plus que délicate. À
vrai dire, je m'attendais plutôt à une bonne leçon de morale. Le genre de
leçon que je mérite plus que quiconque, néanmoins… Mara à plutôt l’air de
compatir. Bon, après tout… j'aurais probablement fait pareil face à une
copine un peu saoule et débordante de larmes. Car oui, j'ai failli pleurer.
Pour être honnête, je ne pensais pas que cette histoire me tourmentait
autant. Jusqu'à maintenant, j'avais plutôt la sensation d'être en position de
force face à Devon, mais au final… je réalise que je n'ai rien fait de plus
que de lui accorder un énième caprice. Une nouvelle opportunité de me
foutre à la porte. Oui, un jour ou l’autre, il se lassera de cette situation.
Comme mon boss l’a déjà fait avec toutes les autres… il finira par me jeter.
J’en suis convaincue, et pour être parfaitement franche, je me moque
complètement de n'être qu'une énième conquête à ses yeux, en revanche…
je me moque un peu moins de la tournure dramatique que peut prendre ce
petit jeu malsain.
— Tu en as envie, au moins ? me demande alors mon amie, intriguée.
Je fronce légèrement les sourcils en relevant la tête dans sa direction. Si
j'ai envie de mettre un terme à cette histoire…? Merde, je n'en sais
foutrement rien.
— Je… marmonné-je, un peu hésitante. Je ne sais pas trop, pour être
honnête.
— Tu m'étonnes, pouffe-t-elle spontanément. Moi, je passerais
probablement ma vie sous son bureau pour lui sucer la qu…
Mon regard menaçant la coupe instantanément dans sa réponse.
Vraiment ? Seigneur…
— Désolée, se reprend-elle finalement. Je voulais juste… Bref, on s'en
fout. Tu sais ce que tu devrais faire ?
— Quoi ?
— Une petite virée chez ton père, suggère-t-elle ensuite. Ça fait des
mois que tu ne l’as pas vu, et je suis convaincue que ça te ferait un bien fou
d’aller lui rendre visite.
Je penche légèrement la tête sur le côté pour réfléchir à cette idée, et…
merde, elle a entièrement raison. Rien de mieux qu’un petit séjour à la
campagne pour m'aérer un peu l'esprit. Ouais, enfin… encore faudrait-il que
Devon m'accorde mon lundi. Demain (ou plutôt tout à l'heure), il ne me
restera plus que quelques heures pour foncer chez mon père, et si je dois
revenir le soir même, je risque de passer plus de temps dans le bus qu'en sa
compagnie. Le souci, c’est que ça ne fait pas vraiment partie de mes
habitudes, que de demander des congés supplémentaires à mon patron. Oui,
et paradoxalement… je n'ai encore jamais fait ce genre de truc en trois ans.
Merde, ouais. Je vais le faire.
— Tu as raison, réponds-je finalement. Je vais aller voir mon père, et
ensuite, tout ira mieux.
Du moins… ça, c'est sûrement ce que j'aimerais.
 

♤♤♤
 

Voilà seulement cinq minutes que Mara est partie récupérer Matt au
travail, et je tombe déjà littéralement de sommeil. Il doit être pas loin de
deux heures du matin, alors je pense que ma somnolence n'a rien de trop
étonnant au final. Je retire intégralement mon peignoir, puis m'emmitoufle
aussitôt dans les draps afin de pouvoir définitivement fermer les yeux. Bien
évidemment, c'est à cet instant précis que mon cerveau décide de reprendre
du service. Il me rappelle la discussion que j'ai eue avec mon amie en
milieu de soirée, juste après qu'elle ne m'est suggérée de partir rendre visite
à mon père. D'après elle, je devrais tout arrêter entre Devon et moi, avant
que ça ne prenne des proportions trop importantes. Que je le veuille ou non,
Mara pense qu'il est préférable pour moi d'y mettre un terme, et… je sais
combien elle à raison. Pour le moment, Devon s'amuse simplement, mais
quand il aura obtenu tout ce qu'il voulait réellement de moi à l'origine… je
serai bonne pour la casse. Bonne pour finir chez Starbucks. Alors oui, il faut
que je le fasse. Juste après lui avoir demandé mon lundi, bien évidemment.
Je saisis donc mon téléphone sans plus attendre, puis cherche
rapidement son numéro dans mes contacts. Une fois trouvé, je clique
dessus, puis commence à écrire ;
 

« Je ne suis pas au top de ma forme en ce moment. Est-ce possible de


revenir seulement mardi ? »
Envoyé.
 
Maintenant, plus qu'à attendre demain matin pour avoir sa réponse. Le
connaissant, je risque fortement d'être déçue, mais au moins… j'aurai
essayé. Le vibreur annonçant l'arrivée d'un nouveau SMS me provoque une
grimace d'étonnement. Effectivement, c'est bel et bien Voldemort. Mes yeux
bifurquent alors brièvement vers l'heure présente en haut de l'écran. 2
heures 12. Merde, il ne dort toujours pas ? Quoique… après réflexion, moi
non plus.
 

« Je vous préfère en bonne forme. Prenez le temps qu'il vous faudra


pour vous remettre sur pied. »
 

Ma bouche s'entrouvre légèrement suite à ma courte lecture. Je dois


probablement halluciner. Wow, non. C'est bien réel. Devon Anderson vient
vraiment de se montrer compréhensif avec moi.
 

« Merci beaucoup. Passez un bon dimanche. »


 

Moi-même je ne me reconnais pas dans ma façon de lui répondre.


C'est… étrange. Jamais nous ne nous étions montrés si sympathiques l'un
envers l'autre avant maintenant. La preuve, même nos parties de jambes en
l'air sont basées sur la mesquinerie et la petitesse. « Nos parties de jambes
en l'air »… seigneur. Comment puis-je véritablement y mettre un terme, si
le simple fait de repenser à nos corps entremêlés suffit à me faire frissonner
?
 
« Ça risque d'être compliqué. La frustration d'hier est toujours
présente, alors… » me répond-il quasi aussitôt.
 

Un petit sourire vient élargir mes lèvres lorsque les souvenirs de cet
instant me reviennent en tête. Je peux me comporter comme une véritable
connasse, quand je m’y mets. Oui, cependant… c'était grandement mérité, il
faut le dire. Une belle vengeance, pour tous les coups bas que Devon a pu
me faire au cours de ces trois dernières années.
 

« Vous les hommes, vous n'êtes jamais satisfaits" lui réponds-je


ironiquement. « On vous donne un bon morceau de viande, mais vous en
voulez toujours plus ! »
 

À quoi est-ce que je joue, au juste ? J'ai vu mieux, comme manière de


stopper un foutu jeu sexuel !
 

« Probablement parce qu'on n'est jamais vraiment rassasié, quand il


s'agit de femmes dans ton genre. »
 

Cette manie qu'il a de me tutoyer lorsque nous partageons un moment


intime, mais de toujours reprendre son sérieux quand on parle boulot…
c'est troublant. J'ai l'impression que Devon tient à laisser cette barrière entre
nous. Comme si… il tenait absolument à trancher entre le travail et la vie
personnelle. Comme si nous étions deux personnes complètement
différentes, en dehors des bureaux.
 

« De femmes dans mon genre ? » lui demandé-je alors, un peu curieuse


tout de même.
 

« De si belles femmes, je veux dire. »


 

Les battements de mon cœur s'accélèrent quand je lis ce compliment.


C'est assez inhabituel venant d'un homme comme mon boss. Enfin… après
tout, je ne connais rien de plus qu'une infime partie de lui. Bref. Il faut
impérativement que j’y réponde par de l'indifférence pure et simple. Oui,
j'imagine qu'il n'y a rien de mieux pour insérer tranquillement un petit
"stop" au milieu de tout ça.
 

« … passez une bonne nuit, Monsieur Anderson. »


 

Trois points de suspension…? Je ne suis pas tout à fait certaine que ce


soit l'idée du siècle pour paraître indifférente. Trop tard.
 

« Profite des tiennes, tant que je ne dors pas dans le même lit que toi. À
mardi, Eva »
 

Seigneur, il me donne chaud, tout à coup. Non ma grande… tu ne peux


pas répondre à ça. Putain, si, bien sûr que je le peux.
 

« Comment dois-je interpréter ça ? » demandé-je alors, faussement


innocente.
 

Je sais que c'est mal. Oui, je sais que je ne respecte absolument pas ce
que je me suis pourtant promis de faire, mais… je sais aussi que tout ça
m'excite considérablement. D'ailleurs, c'est principalement pour ce fait-là
que je n'arrive pas à tout arrêter entre nous. Sa présence dans ma vie ajoute
une bonne dose de piment, et en réalité… je crois que j’adore ça.
 

« Tu me demandes une démonstration, là ? Si oui… je peux venir tout


de suite pour te la faire. » me répond-il, probablement le sourire jusqu’aux
oreilles.
 

Je crève sincèrement d'envie de lui répondre que oui, mais d’autre


part… je suis parfaitement consciente que ce ne serait pas du tout une
bonne idée. Non, Eva. Ne cède pas à cette putain de tentation.
 

« Pour la seconde fois… Bonne nuit, Devon. » me restreins-je


finalement.
 
« C’est fou ce que j’aime quand tu m'appelles comme ça. » me répond-
il. « Bonne nuit à toi aussi. »
 

Je verrouille aussitôt l'écran de mon téléphone après avoir rapidement


lu ce dernier message, puis le pose ensuite sur son socle de charge, avec la
ferme intention de ne jamais rien y répondre. Lorsque je me rallonge
intégralement sur le dos, un large soupir de soulagement glisse d'entre mes
lèvres. Bordel… j'ai réussi. Oui, malgré mon envie débordante de l'avoir
dans mon lit pour terminer la nuit, j'ai bel et bien réussi à ne surtout pas lui
accorder ce énième appel au sexe. Maintenant, il me reste deux jours pour
définitivement combattre mon appétence soudaine, et à vrai dire, je sais
d'avance que ça s'annonce compliqué, puisqu'en vérité… mon unique hâte
reste d'être à mardi pour retrouver mon bureau, ainsi que le véritable tyran
qui me sert de patron en temps normal. Compliqué… je crois que le mot est
faible.
 
Chapitre 19
Eva
 

C'est la confrontation avec les autres qui vous permet de dévoiler toutes
vos facettes.
Björk
 

Lorsque j'arrive enfin devant cette immense maison de campagne, mon


cœur se réchauffe instantanément. C'est une vieille ferme perdue au milieu
de nulle part, avec pour seuls habitants ; mon père et une dizaine
d’animaux, dont Ritchie, son perroquet vert. La peinture censée être rouge
écarlate a viré au bordeaux depuis déjà des décennies, mais je dois dire
qu'aucun de tous ces détails ne me dérange vraiment au final. Après tout…
j'y ai passé près de dix-huit ans de ma vie, et c'est ici que j'ai vécu les plus
beaux instants de toute mon existence. De plus, je n'ai pas vu mon père
depuis près de dix mois maintenant, alors… rien ne me fait plus plaisir que
le large sourire sur son visage lorsqu'il aperçoit approcher au loin. Je le vois
se lever d'un bond de la balancelle présente sous son porche. Il porte
aussitôt une main jusqu'à son front afin de se cacher du soleil, probablement
pour s'assurer que c’est bel et bien moi.
— Eva ?! s'interroge-t-il alors, surpris, mais tout de même très heureux
à la fois. C'est bien toi, je… je ne rêve pas ?!
Face à tant d'émotions, je ne peux m'empêcher de sourire en accélérant
la cadence de mes pas. Le chemin terreux menant jusqu'à lui est si long que
j'ai la sensation de ne jamais en voir la fin. Dix mois, c'est déjà bien assez
d'attente !
— Surprise ! m'exclamé-je alors d'un air jovial.
Je monte enfin les marches bancales du perron en bois, puis pose
rapidement mon bagage au sol afin de pouvoir étreindre mon cher papa. Il
me le rend d'ailleurs sans hésiter, inspirant même profondément l'odeur de
mes cheveux au passage.
— Mais comment as-tu bien pu venir jusqu'ici ?! me demande-t-il
d'une voix tremblante. Tu as dû dépenser une fortune !
— Pas vraiment, lui réponds-je, légèrement étouffée par son accolade.
Disons que Mara m'a un peu aidée à payer le trajet…
À vrai dire… c'est totalement faux. Pourtant, hier soir, mon amie a
lourdement insisté pour que ce soit réellement le cas, mais j'ai persisté dans
mon refus. Hors de question de commencer à emprunter de l'argent à mes
proches. C'est de cette façon que je ne m'en sortirais jamais, au final. C'est
de cette façon que mon père s'est retrouvé complètement à sec. Oui, et
d'ailleurs, ce dernier n'est absolument pas au courant de mes problèmes
d'argent. Pour être honnête, je préfère lui laisser croire que tout se passe à
merveille de mon côté. Inutile de le faire culpabiliser vis-à-vis des chèques
que je lui envoie chaque fin de mois. Je le fais de bon cœur, alors je
n'aimerais pas qu'il finisse par refuser mon aide, au risque de ne même plus
pouvoir se nourrir tout seul.
— Entre, me propose-t-il une fois les embrassades terminées. Tu es
toujours chez toi ici, tu le sais bien !
Évidemment ! Toute ma vie, je m'y sentirai comme chez moi ! Je lui
emboîte alors le pas sans plus attendre, quand cette odeur habituelle de
vieux meuble frappe soudainement mes narines. Même ça, ça m'avait
manqué. En vérité, cela fait maintenant près de cinq ans que je n'ai pas mis
les pieds ici. Chaque fois que je voyais mon père ces derniers temps, il
venait directement me rendre visite à Brooklyn, grâce aux billets de train
que je lui envoyais par la poste. Malheureusement, depuis que les soucis
financiers ont débuté, je ne peux plus me permettre ce genre de choses. En
réalité, je trouve constamment des excuses pour ne pas le faire venir, et
jusqu'à maintenant, il n'y a toujours vu que du feu. D'après ce qu'il imagine,
sa parfaite petite fille passe des heures entières au bureau, alors… elle n'a
pas vraiment de temps à accorder à son vieux père. Oui, et c'est presque la
vérité, dans le fond.
À vrai dire, c'est suite au décès de ma mère que ma petite vie tranquille
s'est vue basculer. Quelque temps seulement après sa disparition, j'ai appris
le nombre incalculable de dettes qu'elle avait accumulé au cours des
derniers mois précédents sa mort. D'ailleurs, ça non plus, mon père ne le
sait pas. Non, il ne connaît strictement rien de l'existence de ces dettes, et
pour cause… ; le divorce avait déjà été prononcé un an auparavant. Depuis,
j'en fais les frais parfaitement seule. Rien de plus logique, puisqu’au final…
c'est moi, qui refuse catégoriquement de lui confier les dessous de cette
histoire. Et puis de toute évidence, il n'aurait vraisemblablement pas les
moyens de m'aider un peu, donc… ce serait parfaitement inutile que de le
mêler à tout ça.
Pour être honnête, mes parents n'ont jamais roulé sur l'or, et la
séparation n’a rien arrangé. Suite à la somme colossale qu'à dû verser mon
père pour assurer le procès, il n’avait ensuite que très peu pour vivre
convenablement. De son côté, ma mère a jugé bon de commencer à noyer
son chagrin -et le peu d'argent qui lui restait- dans l'alcool. Oui, sans même
réfléchir ne serait-ce qu'une toute petite seconde aux conséquences que tout
ça pourrait engendrer par la suite. Le cancer du foie l'a emportée en
quelques semaines seulement, et… disons qu'elle n'a pas vraiment eu le
temps de faire le nécessaire pour m'éviter ce destin si désastreux. Mais
bon… dans le fond, je ne lui en veux absolument pas. Oui, car en vérité…
j'aurais probablement été capable d'accepter tout et n'importe quoi, rien
pour l’avoir une petite année de plus à mes côtés.
— J'ai pu faire réparer le ballon d'eau chaude grâce au chèque que tu
m’as envoyé la semaine dernière, dit-il en me désignant ce dernier de son
index. Tu arrives donc juste à temps pour pouvoir prendre une douche à
bonne température !
Je suis ravie d'apprendre que mon père fait bon usage de l'argent que je
lui envoie chaque mois. Maman, si tu m'entends…
— Au fait ! s'exclame-t-il en me refaisant subitement face. Abby va
avoir un bébé !
Ma bouche s'entrouvre légèrement suite à cette nouvelle étonnante.
C'est pas vrai…
— Ma, Abby ? lui demandé-je alors, un peu intriguée tout de même.
Chose qu'il me confirme aussitôt d'une petite moue approbatrice, juste
avant de continuer à déblatérer sans retenue sur le sujet. C'est dingue, mais
j'ai la sensation que mon père n'a vu personne depuis des mois. Il a l'air
tellement heureux de ma venue ici ! Je croirais voir un enfant devant le
sapin, le matin même de Noël !
— Wow, m'étonné-je davantage. Le temps passe tellement vite !
— Tu l'as dit, pouffe-t-il alors d'un air moqueur. Même ta jument aura
un marmot avant toi !
Je lui réponds d'une petite grimace mimant pathétiquement la phrase
précédente, tandis qu'il s'empresse de me suggérer :
— Allez ! Va t'installer ! Ta chambre est restée telle quelle, tu sais !
s'exclame-t-il fièrement. Je vais préparer le dîner en attendant. Poulet rôti,
ça te convient ?
Je le regarde attentivement avant d'approuver sa demande, lui offre
mon plus tendre sourire, puis y réponds d'une voix douce :
— C'est parfait, papa.
Puis je reste ensuite immobile, ici, dans le hall d'entrée, pour seul but
de l'observer attentivement se diriger vers la cuisine en sifflotant, plus
énergique que jamais. Quel plaisir pour mes oreilles, ce son mélodieux. Il a
bercé toute mon enfance.
Pour être parfaitement franche, je crois ne jamais avoir vu mon père de
si bonne humeur avant aujourd'hui. Oui, et… c'est affolant, le bonheur que
ce simple fait peut me procurer. Merde, aucun doute, j'ai vraiment bien fait
de venir jusqu'ici !
 

♤♤♤
 

Je regagne tout juste ma chambre après une courte douche. Elle était
bien méritée, après les deux heures entières passées avec mon père autour
du superbe dîner qu'il nous a préparé plus tôt dans la soirée. Nous avions
tout un tas de choses à nous raconter depuis le temps. À vrai dire, il n'est
pas trop du genre à téléphoner habituellement, mais je dois admettre
préférer ça. Parfois, mieux vaut passer plusieurs heures à discuter en face,
plutôt que dix minutes par jour derrière un écran. Bien évidemment, je ne
lui ai absolument pas parlé de Devon lorsqu'il s'est empressé de me
demander où en était ma vie sentimentale. De toute évidence, il n'en est rien
avec mon boss, et je n'allais certainement pas avouer à mon père que je
couchais avec ce dernier. Impossible. Il me pense probablement encore
vierge.
Bref. J'aimerais bien pouvoir penser à autre chose, et ça tombe plutôt
bien, puisque je suis exténuée. Demain matin, je compte me lever tôt pour
aider un peu mon père à nourrir le bétail. Au passage, j'aimerais en profiter
pour rester un instant avec Abby avant l'heure du départ. Ça fait des lustres
que je ne l'ai pas vue, et j'ai déjà hâte de pouvoir la câliner. Ça peut paraître
assez étrange que d'accorder autant d'importance à un cheval, mais j'ai
toujours eu un lien très fort avec. Lorsqu'elle est arrivée à la ferme, j'avais
tout juste onze ans. J'étais souvent seule à la maison, puisque mes parents
passaient la plupart de leurs journées à faire les récoltes aux alentours.
Inévitablement, Abby était donc ma seule amie en cas de chagrin.
D'ailleurs, Dieu sait combien j'en ai eus. Nous partions régulièrement tuer
le temps toutes les deux, lors de longues balades entre les champs. En effet,
nous avons plus ou moins grandi ensemble, et comme dit si bien mon
père… voilà qu'elle attend son tout premier marmot avant moi. C'est
déprimant.
Je soupire longuement, m'assois au centre du lit après avoir retiré mes
chaussettes, puis tire ensuite légèrement sur la couette pour recouvrir un
peu mes jambes. Une fois bien installée, mes yeux en profitent pour
parcourir lentement la chambre dans toute son intégralité. Mon père avait
raison… elle est vraiment telle quelle. Il n'a absolument rien changé à ma
déco personnelle. Toutes les photos sont restées accrochées au mur face au
lit, formant une immense fresque au centre. Dessus, je peux y voir Megan,
Mike, Laureen… Merde, ça me fout la chaire de poule. Ils me manquent, et
le fait de réaliser encore une fois que je ne pourrai pas les voir si ce n’est au
cimetière… ça me met le moral à zéro. Bref. Je ne suis pas venue ici pour
me torturer. Au contraire. Je secoue vivement la tête, puis poursuis aussitôt
ma découverte. Mes livres sont toujours rangés par couleur, quant à ma
coiffeuse, elle, elle contient encore chacun des produits de beauté que j’y ai
laissés. Le tout est probablement devenu inutilisable depuis bien longtemps,
mais le fait de constater que mon père a tout gardé comme le jour de mon
départ me touche sincèrement. C'est comme si je n'étais jamais vraiment
partie, au final.
Un large bâillement s'échappe d'entre mes lèvres, me forçant donc à
enfin éteindre la lampe de chevet, pour ensuite définitivement fermer les
paupières.
 

♤♤♤
 

Un boucan monstrueux me sort subitement du sommeil. Je crois


reconnaître la voix affolée de mon père, suivie de ses pas approchant
rapidement vers mon lit. Mes yeux tentent alors de s'ouvrir, sans que je n'y
parvienne totalement au final.
— Eva ! s'exclame-t-il, tout en saisissant mes épaules pour les secouer.
Réveille-toi !
Du peu que j'y vois, le soleil n'est même pas encore levé. Qu'est-ce
qu…
— Quoi… marmonné-je, encore endormie. Mais… pourquoi faire… ?
Il part en trombe en direction de la sortie lorsque je me redresse
lentement, et c'est alors que mon regard bifurque sur le réveil. 2 heures 36.
Sérieusement ?
— Abby est en train de mettre bas ! me hurle-t-il des escaliers.
Nom de Dieu. Je me lève d'un bond suite à cette nouvelle
enthousiasmante. Merde, je n'en reviens pas ! Je suis vraiment revenue ici, à
ce moment précis ? C'est dingue ! Comme si ma présence avait été
primordiale pour elle !
— J'arrive tout de suite ! lui réponds-je en sautant rapidement dans mes
baskets.
Je ne prends même pas le temps d'enfiler une tenue plus adéquate que
mon pyjama, et me contente simplement de saisir le vieux peignoir éponge
encore accroché au petit portant présent derrière ma porte. Qu'est-ce qu'il
est laid, ce peignoir… La Eva d'il y a dix ans n'avait vraiment aucun goût
vestimentaire. Peu importe. Je fonce rapidement vers les escaliers pour les
descendre trois par trois, puis rejoins aussitôt la porte d'entrée afin de
pouvoir courir jusqu'à l'écurie. Il fait nuit noire dehors, mais j'ai
l'impression de ne jamais avoir quitté les lieux. En effet, je me souviens de
chaque petit détail présent sur ce chemin. De la grosse pierre présente au
centre, aux multiples tas de bois qui le longent par endroit. La lumière de la
grange éclaire les derniers mètres que je suis actuellement en train de
parcourir, alors c'est sans difficulté que j'atteins enfin mon but. Je retrouve
donc mon père dans l’étable spécialement dédiée à Abby, à genoux auprès
de cette dernière, et en plein milieu d'un large lit de paille. À leurs côtés, se
trouve un homme dont je ne distingue que la carrure. Il est assez grand, et
ne me dit strictement rien à première vue. Oui, du moins… ça, c’était juste
avant que mon père ne me rafraîchisse la mémoire :
— Tu te souviens de Jackson ? lance-t-il en me le désignant
brièvement de son menton. Il est venu aider en cas de problème.
Le concerné se retourne exactement au même moment pour me faire
face, et… bordel. À vrai dire, la dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a
environ dix ans, soit après ce terrible accident de voiture. Soit le lendemain
même de mon souvenir le plus douloureux. Contrairement à ce que
beaucoup pensent, je n'étais pas la seule survivante de ce drame. En réalité,
si je ne parle pas de Jackson lorsque je m'exprime au sujet de cette histoire,
c'est simplement parce que je refuse d'être confrontée à toute chose pouvant
me ramener à cette terrible soirée. Oui, sauf qu'au final… lui aussi, était bel
et bien présent à l'intérieur de l'habitacle. À l’arrière, tout proche de moi.
Pour être honnête, c'est totalement normal, puisqu'il était en faite mon petit
ami à cette époque. Par conséquent, nous ne restions donc jamais éloignés
de plus d’un mètre l’un de l’autre. À cette époque, oui. Ou juste avant que je
ne coupe brutalement les ponts, afin de pouvoir fuir à New York, pour seul
but de poursuivre mes études loin de tout ça. En effet, depuis ce soir-là, et
malgré mon précédent séjour ici… je ne l'avais encore jamais revu.
— Hey, le salué-je timidement, tout en pinçant légèrement mes lèvres
entres elles.
— Hey, me répond-il d'un sourire chaleureux.
Ce magnifique sourire que je n'aurais sans doute jamais pu oublier.
Merde, en tout cas une chose est sûre, la Eva d'il y a dix ans avait bon goût,
en ce qui concerne les hommes ! C'est dingue, mais il n'a pas changé.
Quoique… peut-être que si, finalement. Disons que Jackson frôle
maintenant le mètre quatre-vingt-dix, et sa carrure semblable à celle d'un
véritable rugbyman me fait penser qu'il passe très probablement tout son
temps libre à la salle de sport.
— Les sabots sont sortis depuis déjà une quinzaine de minutes, relance
mon père en jetant un rapide coup d’œil sur sa montre. Ça ne devrait plus
trop tarder.
J'approche lentement pour pouvoir m'asseoir aux côtés d'Abby, tout en
tentant au mieux de faire abstraction du fait que oui, mon premier amour est
juste là, à seulement quelques mètres de moi. Je prends la tête de ma jument
entre mes mains, puis la positionne délicatement sur mes jambes afin de lui
apporter un peu de mon soutien lors de cette épreuve particulièrement
douloureuse. C'est étrange, mais j'ai la sensation qu'elle sait exactement qui
je suis. Oui, dès l'instant même où nos iris entrent en contact, c'est comme
si le temps ne s'était jamais écoulé, malgré toutes ces années.
— C'est le moment, souffle calmement mon père. Allez ma belle… on
voit enfin le bout du tunnel.
Je poursuis les caresses pendant qu'il se positionne derrière cette
dernière afin d'avoir une vue plus convenable sur l'avancée des travaux, et
en profite ensuite pour jeter un bref coup d’œil en direction de Jackson.
Merde. Il est actuellement en train de me regarder. En même temps… après
dix ans sans aucun signe de vie, j'imagine qu'il s'attend enfin à des réponses
de ma part. Fait chier.
— Encore un petit effort ma fille… reprend mon père dans un
murmure.
Et suite à ça, il ne faudra pas plus de quelques secondes à Abby pour
enfin être libérée de ce poids.
— En voilà, un beau bébé ! C'est bien ma grande, tu as fait du bon
boulot, la félicite-t-il sans plus attendre dans une large caresse.
C'est vrai qu'il est très beau, ce petit poulain. Tout luisant et tout
gluant, certes, mais quand même très beau. D'ailleurs, mon sourire à lui
seul suffit à confirmer les paroles de mon père. Ce dernier pose sa tête
contre le ventre d'Abby, tout en bâillant exagérément fort. Comme s'il venait
lui-même de vivre cette douleur insoutenable. Bon, je dois admettre que
contrairement à moi, lui n'a probablement pas eu le loisir de dormir ne
serait-ce qu'une toute petite heure. Le connaissant, il a dû rester cloué face
au baby phone, en quête d'un petit signe de poulinage. Une fois l'ultime
indice trouvé, il a patiemment attendu le moment propice pour venir me
réveiller. Il faisait déjà ça lors des vêlages, à l'époque où je vivais encore
ici. De plus, je suis absolument certaine qu'il répète exactement le même
schéma depuis près de deux semaines maintenant, afin de s'assurer de ne
surtout rien rater de cet instant magique. Le pauvre… il doit être épuisé.
 

— Tu devrais aller dormir un peu, lui suggéré-je alors d'une voix


douce. Je vais attendre la première tétée avant d'en faire de même.
— Ne t'en fais pas, je…
— Va te coucher, papa, l'interromps-je calmement. Fais-moi confiance,
je m'en occupe. Je t'ai vu faire ça un nombre incalculable de fois avec les
vaches, tu te souviens ?
Je lui adresse un sourire.
— Oui, mais ce n'est pas vraiment par…
— Papa… insisté-je, sourcil arqué.
Suite à ça, il cesse de tergiverser, soupire longuement -probablement
pour s'avouer vaincu-, puis finit par se redresser, juste avant de me répondre
:
— Bon… souffle-t-il finalement. Après réflexion… Jackson s'y connaît
tout autant que moi.
Quoi ? Merde, non ! Par je m'en occupe… je voulais dire toute seule !
— Rassure-toi, Tom, renchérit ce dernier en s'agenouillant face à moi.
Je m'occuperai de lui, dès qu'il aura pris sa petite dose d'anticorps.
Mon père le remercie mollement d'un léger signe de tête, puis disparaît
quasi aussitôt dans la pénombre. Génial. Mais malgré ma gêne pourtant
certaine, je tente d'arborer mon air le plus détaché qui soit. Abby bouge de
façon à atteindre son poulain pour débuter la toilette, alors je l'aide
brièvement, avant d'ensuite me relever, sans vraiment prendre soin de
garder mon peignoir scellé. Heureusement, je ne m'étais pas couchée à poil,
pour une fois.
— Sympa ta tenue, me lance naturellement Jackson. La dernière fois
que je t'ai vue… poursuit-il en baissant légèrement les yeux sur mon
peignoir. Tu avais exactement le même.
Je baisse la tête à mon tour pour y jeter un bref coup d'œil, puis termine
dans un petit rire spontané en le refermant à l'aide de son cordon.
— En revanche… toi, pouffé-je légèrement. Pas sûre que ton bermuda
à fleurs de l'époque soit encore adapté.
Il s'esclaffe à son tour, probablement pour approuver cette dernière
remarque, puis rapidement baisse de nouveau la tête vers Abby afin de la
gratifier d'une petite caresse. Pendant ce temps, je m'empresse d'aller
chercher un peu de paille dans un coin de l'enclos, pour ensuite pouvoir la
frotter contre son bébé.
— Pourquoi est-ce que tu es revenue… ? me demande Jackson, un peu
hésitant. Après tout ce temps, je veux dire ?
Parce que j'ai baisé avec mon patron, et que je n'assume pas du tout
les retombées. Non, Eva. Ne dis pas un truc aussi stupide.
— J'avais besoin d'une courte pause, soufflé-je finalement. La vie à
New York est… différente d'ici. Vraiment, différente.
— Ouais, mais ça… tu le savais déjà avant de tout plaquer, rétorque-t-
il froidement. N’est-ce pas ?
Prends-toi ça dans la tronche. Oui, et en même temps… c'était
grandement mérité, je dois l'admettre.
— Je suis désolée, Jackson, lâché-je tristement. Désolée d'être partie
comme ça, sans rien dire. Désolée de ne pas avoir eu les épaules assez
solides pour affronter cette perte.
Les larmes menacent sérieusement de couler pendant que je tente
encore de me justifier. Pire, mes yeux me brûlent, et je sais que ça n'a
strictement rien n'à voir avec la forte odeur qui flotte actuellement dans
cette foutue étable.
— Désolé de t'avoir laissée seul face à cette tragédie, je n'ai pas
réfléchi, et je…
— Je ne t'en ai jamais voulu pour ça, Eva, m'interrompt-il alors dans
une grimace. En revanche… mon cœur était déjà bien assez brisé pour que
tu puisses te permettre de m'achever si brutalement.
Et de deux. Oui, mais celle-là aussi, je la méritais. Après tout… il a
complètement raison. Je n'aurais jamais dû partir comme ça, et le laisser là,
seul face à la perte de ses amis, mais sans l'unique personne encore capable
de le pousser à garder la tête hors de l'eau. C'est vrai, j'ai été égoïste, et tout
ça a fini par me jouer de mauvais tours. Au final, le karma me rattrape
chaque putain de jours.
— Pour ça aussi je… marmonné-je d'une voix tremblante. Pour ça
aussi, je suis désolée.
Fatalement, il ne me faudra pas un mot de plus pour succomber aux
sanglots. Les larmes roulent alors sur mes joues de manière incontrôlée,
tandis que je fais toujours mon maximum pour ne surtout pas laisser la
grimace s'emparer de mon visage. Et malgré ça, Jackson se lève aussitôt
pour me rejoindre. Sans rien dire, il m'emprisonne de ses longs bras
musclés, puis me serre ensuite fort contre lui afin de pouvoir me réconforter
du mieux qu'il le peut.
— Et moi… me répond-il, son menton fermement appuyé sur le dessus
de ma tête. Je te pardonne.
 

♤♤♤
 

Le soleil est à seulement quelques minutes de se lever lorsque Jackson


me raccompagne jusqu'à la porte de chez-moi. Cela fait près de trois heures
que nous discutons tous les deux dans l'attente de la première tétée, et
contrairement à ce que je pensais, ça m'a permis de définitivement faire
table rase du passé. Pas totalement au final, puisque dans le fond… aucune
discussion du genre ne pourra ramener nos amis. Mais je me sens tout de
même atrocement libérée. À vrai dire, c'est un peu comme si le simple fait
d'en avoir parlé avec l'unique personne capable de me comprendre avait
retiré un énorme poids de mes épaules. Comme si je pouvais de nouveau
respirer convenablement.
— Tu repars quand ? me demande-t-il une fois arrivés sous le porche.
— Demain, lui réponds-je spontanément. Ou plutôt… tout à l'heure,
ajouté-je dans un petit pouffement.
Jackson harmonise mon rire au sien, puis reprend ensuite rapidement
son sérieux afin de me demander :
— Bien, alors… peut-être à bientôt ?
— Je l'espère, en tout cas.
Pour toute réponse, il me gratifie d'un magnifique sourire, que je lui
rends simultanément, juste avant de venir replacer une petite mèche de
cheveux derrière mon oreille à l'aide de ses doigts. Par timidité, je baisse
doucement la tête.
— Moi aussi, je l'espère, me répond-il d'une voix douce. J'espère aussi
pouvoir un jour te présenter à ma femme, ainsi qu'à mon fils.
Mes sourcils forment un accent circonflexe, tout à coup. Sa quoi ? Et
attends… il vient vraiment de dire "mon fils", là ? Face à mon étonnement,
Jackson éclate d'un rire franc.
— Tu pensais que je ne passerais jamais à autre chose, ou quoi ?
m'interroge-t-il, toujours hilare.
Aïe.
— Je pensais que tu aurais au moins eu la décence de me dire ça dès
les premières minutes de nos retrouvailles ! m'exclamé-je en lui envoyant
une petite tape sur l'épaule.
Vraiment, je n'en reviens pas ! Comment a-t-il pu me cacher un truc
pareil pendant près de trois heures ?!
— Évidemment, que je souhaite les rencontrer ! ajouté-je ensuite avec
enthousiasme.
Il sourit de nouveau, tend le bras vers moi pour me hisser jusqu'à lui,
puis dépose un long baiser sur mon front avant d'ajouter :
— Dès que tu reviendras, commence-t-il alors dans un murmure. Je te
promets d'amener ma petite famille ici.
Je l’étreins une dernière fois pour approuver cette proposition, me
défais ensuite rapidement de ses bras, puis pour finir, me dresse sur la
pointe des pieds afin de déposer un long baiser sur sa joue à mon tour.
— Ce sera avec grand plaisir, lui réponds-je d'un large sourire.
Je tourne ensuite les talons pour rejoindre la porte d'entrée, mais me
retourne tout de même une dernière fois pour ajouter :
— À bientôt, Jackson.
— À bientôt, Eva, me répond-il, un brin de nostalgie dans la voix.
 
Chapitre 20
Eva
 

L'homme devrait mettre autant d'ardeur à simplifier sa vie qu'il en met à


la compliquer.
Henri Bergson
 

Je n'ai pas dormi plus de trois heures avant que mon père ne vienne
gentiment me sortir du lit, il y a tout juste quinze minutes de ça. De toute
façon, j'ai environ quatre heures de bus pour rattraper la nuit dernière, alors
ce n'est pas si dramatique que ça. Puis pour être honnête, je préfère de loin
partager les derniers instants qu'il me reste, ici, avec mon père, plutôt qu'en
compagnie d'un oreiller affreusement inconfortable.
— Tu as bien dormi ? me demande justement ce dernier, avant de
porter une énorme bouchée de bacon grillé jusqu'à sa bouche.
— Peu, mais plutôt bien quand même, lui réponds-je en bâillant
exagérément fort.
— Tant mieux.
À vrai dire, mon père est parfaitement au courant des liens forts que
j'avais avec Jackson avant de définitivement quitter la maison. Par
conséquent, il imagine bien les heures de discussion que nous avons
partagées plus tôt dans la matinée. Peut-être qu'il s'imagine d'autres choses
aussi, mais… merde, non.
— Je vais sûrement devoir vendre une parcelle du terrain d'ici quelques
mois, relance-t-il finalement, et tout en me désignant la fenêtre du bout de
sa fourchette.
— Quoi… ? grimacé-je, sincèrement perplexe. Mais pourquoi faire ?
Je saisis une tranche de porc dans l'attente de sa réponse. Sur son
visage, je peux lire combien ça l'ennuie de me faire part de cette nouvelle
désolante.
— Maintenant que je fais tout tout seul… reprend-il entre deux
bouchées. Je n'ai plus vraiment de temps pour entretenir la totalité de cette
propriété. Et puis… ça me permettra sûrement de vivre normalement pour
quelques mois.
Cette dernière remarque me vaut un petit mouvement de recul. De
vivre normalement ? Comment ça ?
— Les chèques que je t'envoie ne suffisent pas ? m'enquiers-je alors,
légèrement sceptique. Si c'est ça… je peux peut-être m'arranger pour te
donner plus.
De quelle façon, je ne le sais pas encore, mais une chose est sûre… je
trouverais un moyen.
— Hors de question, désapprouve-t-il fermement. Tu en fais bien assez
pour ton vieux père. À l'origine, ça n'est déjà pas très normal. Aucun parent
ne devrait recevoir d'argent de son enfant, c'est… un peu comme le monde à
l'envers.
— Non, le contredis-je sans hésiter. C'est tout à fait normal que je
t'aide, papa.
Il soupire longuement en balançant vivement sa tête de gauche à droite,
probablement pour insister sur le fait que non, ça ne l'est pas.
— De toute façon, la retraite n'est plus très loin, reprend-il alors d'une
moue dubitative. Si je rembourse une partie de ce que j'ai à payer grâce à la
vente, j'aurai sans doute un peu plus de chance d'être tranquille quand le
moment viendra.
Cette simple phrase me fait l'effet d'une véritable bombe. J'ai du mal à
imaginer mon père à la retraite, avec peu de revenus, et parfaitement seul
ici, au milieu de tous ces champs. Les drames se multiplient déjà bien assez
dans ma vie pour que je prenne le risque de voir mon père se donner la mort
suite à de simples problèmes d'argent. Impossible. Oui, je vais trouver un
moyen de lui envoyer de plus grosses sommes, qu'il le veuille ou non, et
peu importe l'énergie supplémentaire que tout ça devra me coûter.
 

♤♤♤
 

L'heure du départ a sonné, et me voilà déjà rendue à la gare en


compagnie de mon cher papa. En effet, cette fois, je n'ai pas été forcée de
payer un taxi pour m'y déposer. La surprise ayant déjà fait son effet, mon
père pouvait donc m'accompagner jusqu'ici avec son pick-up. Au final, je
ne suis restée que vingt-quatre heures auprès de lui, mais ce petit laps de
temps m'aura tout de même bien requinquée. Oui, je suis maintenant prête à
affronter mon boss. Prête à lui dire que plus rien de tout ça n'aura lieu entre
nous. Prête à définitivement stopper ce petit jeu.
— Passe un bon voyage, ma fille, lance mon père en m'entraînant dans
une embrassade serrée. Et tu reviens vite, surtout.
— Oui papa, lui réponds-je sans hésiter. J'y compte bien.
Je me détache ensuite de son étreinte après l'avoir gratifié d'un long
baiser bruyant sur la joue, saisis mon bagage encore présent dans la
remorque du 4x4, puis lui adresse un dernier au revoir avant de prendre
direction du bus :
— Je viendrai pour les fêtes de Noël, c'est promis, commencé-je d'un
air certain. Et si je ne peux pas… c'est toi qui viendras.
Il me répond d'un sourire pendant que je prends le large, juste avant
d'ajouter :
— La ville de New York est tout de même plus belle à voir que le
Connecticut, en période de fêtes !
— Probablement, oui ! lui souris-je à mon tour, et tout en agitant ma
main dans les airs pour le saluer.
Une fois confortablement installée sur mon siège, je peux encore le
voir à travers la vitre. Il attend patiemment le départ du bus, les yeux aussi
brillants qu'un ciel étoilé. Cette image me brise le cœur. Sincèrement. C'est
étrange, mais je ne peux m'empêcher de penser au fait que… c'est peut-être
la dernière fois que je le vois, lui aussi. À vrai dire, les gens disparaissent si
vite de ma vie, que je me pose constamment la question. C'est un peu
devenu une habitude, que de me méfier de la mort.
Mon père m'envoie un baiser volant, alors je fais mine de le rattraper
au vol, puis en fais ensuite rapidement de même, avant que le départ du bus
ne me sépare définitivement de sa présence. Merde, voilà pourquoi je refuse
toujours de venir chez lui. C'est beaucoup trop douloureux. Oui, à chaque
fois, les au revoir sont un véritable crève-cœur pour moi. Vivement Noël…
 
Après seulement quelques minutes de trajet, je sens déjà mes paupières
s'alourdir. Sans aucune lutte, je les laisse donc se fermer, afin de, je l'espère,
pouvoir rattraper la nuit presque blanche récemment passée.
 

♤♤♤
 
Je marche en direction de l'appartement après avoir quitté la gare. Mine
de rien, les quatre heures de ”sieste” que je viens tout juste d'effectuer m'ont
fait un bien phénoménal. En effet, j'avais vraiment besoin de récupérer un
peu. Actuellement, je pète tellement le feu que j'ai un rythme de marche
assez étonnant. Je trottine dans les rues de Brooklyn, bien parée à retrouver
Matt avant qu'il ne parte travailler. À vrai dire, lui seul connaît l'existence
de Jackson. Par conséquent, un petit débriefing s'impose. Oui, j'ai vraiment
hâte de lui expliquer combien ma courte virée à la campagne a été
thérapeutique pour moi.
— Eva… ? Mais que faites-vous ici ?
Cette voix familière provenant de la terrasse du café présent dans mon
dos me crispe sur-le-champ. Je m'efforce donc de lui faire face, faussement
détendue :
— Monsieur Anderson, lui réponds-je d’un large sourire hypocrite.
— Monsieur Anderson ? me demande-t-il ensuite, sincèrement
perplexe.
Quoi ? Merde, mais pourquoi mon boss joue-t-il à répète Jacquot avec
moi ? Mes paupières se plissent alors légèrement, et c'est seulement lorsque
je remarque la présence de Curtis dans son dos, que je finis par faire le
rapprochement. Seigneur… Caleb ! Mais que fait-il ici ?
— Oh… excusez-moi, lui dis-je très sincèrement. J'ai encore un peu de
mal à faire la différence entre vous et votre frère, à vrai dire.
Il ricane brièvement avant de définitivement me rejoindre, puis me
propose sympathiquement :
— Un petit café ?
— C'est gentil de votre part, mais je dois vite rejoindre Matt avant qu'il
n'aille trav…
— Aucun souci, m'interrompt-il alors d'un vaste signe de tête.
Cependant… vous n'avez pas encore répondu à ma question. Que faites-
vous ici, chargée de tous ces bagages ?
— J'ai été rendre visite à mon père pour le week-end, lui dis-je alors,
tout sourire.
— Avec l'accord de Devon ?
— Naturellement, approuvé-je, sans l'ombre d'une hésitation.
Il effectue une petite moue d’étonnement suite à cette réponse donnée
spontanément. Un peu comme s'il était dingue que son frère se montre si
sympa, par moment. Je vous rassure, Caleb. Moi-même je n'en reviens
toujours pas.
— Et vous ? lui demandé-je ensuite, légèrement sceptique. Pourquoi
êtes-vous revenu ? Le séminaire a lieu cette fin de semaine à Los Angeles,
alors…
— Effectivement, oui, me coupe-t-il rapidement. Mais à vrai dire…
nous organisons une fête surprise pour l'anniversaire de ma mère. Elle aura
lieu ce jeudi soir, du coup… ma présence était un peu primordiale, si vous
voyez ce que je veux dire.
Inévitablement.
— Oh d'accord ! m'exclamé-je alors avec plusieurs petits hochements
de tête. En effet, je comprends mieux !
Caleb fronce légèrement les sourcils, un peu comme pour réfléchir à sa
future réponse. Ensuite, il hausse les épaules, forme une petite moue avec sa
bouche, puis me lance avec panache :
— Vous n'avez qu'à vous joindre à nous ! Ma mère serait ravie de
rencontrer la femme qui gère absolument tout de la vie de son fils !
Bordel. Comment suis-je censée refuser une invitation de ce genre ?
J'ai déjà ma petite idée.
— Oh… c'est vraiment gentil de votre part, seulement… je dois aider
Matt au bar, tenté-je d'un air sincèrement désolé. Les fins de semaine sont
plus chargées en général, et il…
– Je dirai à Curtis de s'en occuper, dans ce cas, suggère-t-il en me
désignant ce dernier d'un vaste signe de tête. Ça ne doit pas être trop
difficile de préparer quelques cocktails.
— Eh bien c’est que… euh… nous décollons le lendemain même, alors
j’aimerais être en forme pour le grand dépa…
— Vous le serez, me coupe-t-il subitement. Je passerais vous prendre
au pied de votre immeuble ! ajoute-t-il ensuite, plein d’engouement. Le
manoir est à seulement quelques minutes d'ici !
Le manoir ?
— Bon, et bien dans ce cas… lui réponds-je, un peu crispée tout de
même.
Atrocement crispée.
— On se voit jeudi ! ajouté-je aussitôt, probablement l’air très
embarrassé.
— Parfait ! me lance-t-il en rejoignant Curtis. C'est une soirée chic,
donc prévoyez une belle tenue !
— Génial ! m'exclamé-je, tout en dressant un pouce vers le haut.
"Génial ?" Merde, sérieusement ?! Et ce geste parfaitement débile…
pathétique. Je reste immobile de courtes secondes en l’observant regagner
sa table, puis m'insulte ensuite intérieurement à plusieurs reprises.
Premièrement, pour ne pas avoir trouvé d'excuse plus compliquée à contrer,
et deuxièmement, pour ne pas daigner bouger mon cul de ce foutue trottoir.
Allez Eva, reprends ta marche, bon sang ! Après un petit instant de lutte
pour enfin y parvenir, je fonce rapidement dans l'angle de la rue. Mon
appartement est à seulement deux petites minutes de là, alors je cours
presque pour l'atteindre. Oui, et pendant ce petit laps de temps… je ne peux
m'empêcher de penser à la soirée qui m'attend jeudi. Pire, à la réaction de
mon patron, lorsqu'il apprendra ma présence pour ce jour pourtant dédié à
sa propre mère. Nom de Dieu… Je sais que je passe les trois quarts de ma
vie à me poser cette question, mais… dans quel genre de merde tu t'es
encore fourrée ?!
 

 
 
Chapitre 21
Eva
 

Souhaiter oublier la douleur causée par la perte d'un être cher, c'est
courir après cette même douleur.

Lehann
 

Voilà déjà plusieurs heures que je suis installée derrière mon petit
bureau, toujours dans la panique extrême que mon boss vienne
soudainement ouvrir cette fine porte qui nous sépare. Étrangement, il n'est
pas encore venu me saluer. Bon, je dois dire que ça n'a jamais vraiment fait
partie de ses habitudes, cependant… après les derniers événements, disons
que je m'attendais à un minimum d'attention de sa part. Oui, pour être
parfaitement franche, je crois que j'aurais apprécié le trouver dans la voiture
ce matin, lorsque Charlie m'a gentiment ouvert la portière. Pourquoi,
d'ailleurs ? Je n'en sais strictement rien.
La sonnerie du téléphone fixe me sort subitement de mes pensées
stupides. Je soupire alors exagérément, puis saisis le combiné sans plus
attendre afin de pouvoir répondre :
— Eva Pierse, comment puis-je vous aid…
— Amenez-moi un café.
Curieusement, cette interruption pourtant familière et peu étonnante
venant de Devon me dérange sincèrement. Aujourd'hui plus que d'habitude.
Vraiment ? Et les bonnes manières… c'est fait pour les chiens ?!
— Bonjour Monsieur Anderson, lancé-je alors de façon à l'inciter à me
rendre la pareille.
— Sans sucre, ajoute-t-il fermement, et ignorant donc complètement
ma salutation précédente.
Sérieusement ? Bon… très bien. Dans ce cas, il ne va pas être déçu.
— Tout de suite, Monsieur, lui réponds-je l'air de rien.
Je repose aussitôt le téléphone sur son socle, puis me lève rapidement
afin d'exécuter l'ordre strictement donné. Pour ce, je n'ai qu'à rejoindre la
machine à café présente à l’accueil, juste entre les deux ascenseurs. Une
fois devant, je positionne le petit gobelet au bon emplacement, puis
actionne aussitôt le bouton adapté à la demande de mon patron. Pas de
sucre, comme d'habitude. Oui, toutefois… il n'a fait aucune précision, en ce
qui concerne tout autre assaisonnement. Un sourire machiavélique prend
place sur mon visage pendant que je saisis l'un des petits sachets bleus
présents sur la table haute d'à côté. Aussitôt, je le déverse entièrement à
l'intérieur du verre cartonné, puis mélange ensuite énergiquement le tout
afin de ne surtout pas laisser de résidus stagner au fond du gobelet. Ce
serait vraiment trop bête, que d'en gaspiller une petite miette.
— Je crois que tu viens de te tromper, me lance Marta de sa chaise. Le
sucre, c'est les sachets roses. Là, tu viens de mettre du sel.
Depuis quand se montre-t-elle sympathique avec moi, elle ? Ah oui.
Son pot de départ aura lieu demain soir. J'avais oublié.
— Non, lui réponds-je naturellement, et tout en continuant à touiller. Je
ne me suis pas trompée.
Ses paupières se plissent légèrement, probablement pour tenter de
comprendre la raison qui me pousse à boire mon café de la sorte.
Soudainement, l'éventualité que ça ne me soit pas vraiment destiné la frappe
en pleine tête. Elle esquisse un petit sourire narquois, puis me lance :
— Si on me demande quoi que ce soit… je n'ai rien vu.
— Vous comprenez vite, Marta, marmonné-je, toujours de cet air
affreusement démoniaque.
J'ai l'impression d'avoir dix ans d'âge mental, surtout lorsque je longe
le large couloir, plus pimpante que jamais. C'est stupide, tout ça. Oui, mais
tout aussi amusant. J'arrive donc devant la porte de mon cher patron après
seulement deux petites minutes, et en frappe aussitôt le bois pour annoncer
mon arrivée. À peine une demi-seconde plus tard, il me hurle d'entrer,
toujours de la façon agréablement aimable que je lui connais. Je m'exécute :
— Votre café, lui dis-je en déposant ce dernier sur le bureau, tout
sourire.
Il fronce les sourcils, probablement surpris de me voir si joviale. En
même temps… je dois admettre que c'est tout, sauf très commun de ma part.
— Ces quelques jours vous ont fait du bien, à ce que je vois, remarque-
t-il en saisissant son dû.
Rien ne peut être plus bénéfique que ce à quoi je suis sur le point
d'assister. Ses yeux restent plongés sur l'écran de son PC lorsqu'il porte le
gobelet jusqu'à sa bouche. Pendant ce temps, je reste debout face à lui, raide
comme un piquet. L'impatience est en train de me ronger de l'intérieur.
— Eva, s'interrompt-il alors en levant les yeux vers moi.
Merde.
— Oui ? lui demandé-je, tout en tentant de dissimuler mon stress.
J'en ai sûrement trop mis, putain. À tous les coups, il a pu le sentir rien
qu'à travers les vapeurs.
— Qu'avez-vous fait de particulier, ce week-end ? s’intéresse-t-il
finalement.
Je fronce légèrement les sourcils suite à cette question on ne peut plus
étonnante. Depuis quand s'en inquiète-t-il, au juste ? Mais bien
évidemment, je ne vais pas lui en vouloir de se montrer sympathique envers
moi. C'est si rare… Je réfléchis alors quelques secondes à la réponse que je
pourrais bien donner pour ne pas trop m'étaler, et… une seule et unique
option me traverse l'esprit :
— J'ai participé à l'accouchement d'un cheval, balancé-je alors, un peu
désinvolte. Enfin… d’une jument, plus précisément.
La grimace qu'effectue Devon à la suite de cette réponse étrange
pourrait presque m'arracher un fou rire, mais malheureusement, mes
pensées restent obnubilées par le fait de le voir boire ce foutu verre de café.
— Intéressant… marmonne-t-il alors, juste avant de définitivement le
porter jusqu'à ses lèvres.
Mon regard ne le quitte pas une seule seconde tant je jubile d'avance.
D'ailleurs, c'est seulement lorsque mes yeux remontent légèrement vers les
siens que je constate en fait qu'eux aussi, sont rivés tout droit sur moi. Il
repose aussitôt le gobelet devant lui, un air affreusement suspicieux ancré
sur le visage :
— Vous me prenez pour un imbécile, n'est-ce pas ?
— Comment…
— Vous avez craché dedans, c'est ça ? m'interrompt-il en désignant
l'arme du crime de son menton.
Je tente de déglutir convenablement, puis finis par bégayer :
— Quoi ? Non, je… enfin…
Merde, tu es beaucoup trop faible, ma grande.
— Bon d'accord, avoué-je d’un large soupir, vaincue. J'y ai peut-être
versé un sachet de sel tout entier.
Le sang me monte instantanément au cerveau suite à cette réponse
spontanée. En vérité, je comptais maintenir le mensonge coûte que coûte,
mais ma bonne foi m'a trahie. Fait chier. Étonnamment, Devon s'esclaffe
sans retenue. Quoi ? Son rire résonne entre les murs de la pièce, et je serais
presque étonnée de constater que même hilare, il n'en reste pas moins
affreusement sexy. Fait doublement chier.
— Vous êtes épatante, Eva, poursuit-il dans un énième éclat de rire. Un
peu flippante, mais vraiment épatante !
De mon côté, j'ai tellement honte que je n'arrive même pas à esquisser
ne serait-ce qu'un ridicule petit sourire. Oui, je suis minable. Puis pour être
honnête, je dois admettre me méfier de lui. En trois ans au sein de cette
entreprise, jamais, ô grand jamais, Devon Anderson n'a rigolé si fort. Ça
cache forcément quelque chose. D'ailleurs… une demi-seconde aura
amplement suffi pour que mes doutes ne se confirment. Après un dernier
souffle, voilà qu'il retrouve intégralement son sérieux. À vrai dire, c'est un
peu comme s'il n'avait jamais ri les secondes précédentes, tant son
expression vient de devenir glaciale. Un foutu iceberg.
— Maintenant… lance-t-il d'un regard assassin. Ramenez-moi mon
putain de café.
J’arque un sourcil de manière exagérée, puis rétorque sans plus
attendre :
— Vous savez pertinemment que je ne le ferai pas si vous me le
demandez de cette façon.
Aucune expression ne traverse son visage suite à ça, mais voilà qu'il se
lève finalement de son fauteuil, probablement pour seul but de venir
m'affronter de plus près. Ses iris se plantent avec intensité dans les miens
lorsqu'il arrive enfin à mon niveau, et c'est à cet instant précis que mon
cœur se met à battre la chamade. Pourquoi il bat si fort, d'ailleurs ?
— Tu penses avoir été courtoise la dernière fois, toi ? me demande-t-il
d'une voix rauque.
Je mordille ma lèvre inférieure pour dissimuler mon angoisse. Merde,
nous sommes beaucoup trop proches l’un de l’autre, là. Oui, Devon est à
seulement quelques centimètres de moi, et… ce simple fait suffit à
complètement faire dérailler mon rythme cardiaque.
 

Devon
 

Eva tente de déglutir convenablement, mais je suis capable de voir


combien il lui est difficile de le faire sans risquer de s'étouffer. C'est
d'ailleurs pour cette raison que je compte bien poursuivre la torture
psychologique :
— Je t'avais pourtant prévenue, lancé-je dans un murmure, et tout en
approchant davantage mon visage du sien. Je t'avais dit que je me
vengerais.
Elle arbore un petit air moqueur, puis rétorque ensuite :
— En me demandant du café ? pouffe-t-elle avec dédain. C'est ça,
votre vengeance ? s'esclaffe-t-elle ensuite sans retenue. Merde, mais… c’est
pathétique !
Sans que je ne le contrôle, ma main empoigne brutalement sa hanche à
la fin du dernier mot. Je réduis de nouveau l'espace nous séparant, et cette
fois-ci, nos lèvres sont à seulement quelques millimètres d’entrer en
contact. À vrai dire, je crois que je n'apprécie pas trop le fait qu'elle se
permette de me narguer de cette façon. Je n’apprécie pas trop le fait qu’elle
ait raison, aussi.
— Ne me provoque pas, lui conseillé-je d'un ton sec.
— Sinon… quoi ? continue-t-elle malgré tout, et toujours de cet air
diaboliquement sexy. Vous allez me renvoyer ?
L'étreinte que forment déjà mes doigts sur le tissu de son chemisier se
resserre davantage. Je les fais délicatement glisser vers le creux de ses reins,
puis d'un seul petit mouvement, la hisse brusquement contre mon bassin.
Un hoquet d'étonnement lui échappe lorsque nos os s'entrechoquent. Oui,
ou bien… peut-être vient-elle plus simplement de sentir la grosseur présente
au niveau de mon entrejambe. Ouais. Eva n’a jamais grand-chose à faire
pour que ma queue double de volume.
— Disons plutôt que sinon… la reprends-je dans un murmure. Je
risque de faire une chose complètement irrationnelle.
Je peux sentir l'excitation sur chacun des traits de son visage lorsque sa
respiration s'accélère. Visiblement, elle aussi, s'apprête à être contradictoire.
— Eh bien… vas-y, m'affronte-t-elle en arquant légèrement un sourcil.
Montre-moi de quoi tu es capable.
Je soupire longuement pour lui faire savoir à quel point il m'est
difficile de résister. Oui, comme bien trop souvent d'ailleurs.
Au fond, moi aussi, j'ai envie de tout arrêter depuis le commencement.
Et pour cause ; je sens combien Eva a ce pouvoir sur moi. Celui que
personne n'a jamais eu auparavant. Disons que c'est uniquement pour cette
raison que j'ai envie de la fuir, aussi fort que de l'embrasser. Putain, ça n’a
aucun sens.
— Personnellement… marmonne-t-elle en déposant délicatement une
main sur ma virilité. Je sais tout autant que toi que nous ne le devrions pas,
seulement… je sais aussi d’avance que je ne résisterai pas, alors autant en
finir maintenant.
Du bout de ses doigts, elle caresse mon sexe à travers l’épais tissu du
pantalon. Ce qui, sans grande surprise, me provoque un torrent d'émotions
dans l'abdomen. Merde, cette femme est trop…
— Baise-moi Devon, me supplie-t-elle dans un murmure charnel. Une
dernière fois.
Putain de merde. La main qui ne tient pas sa hanche remonte alors
rapidement jusqu'à son visage pour fermement lui saisir la mâchoire. Sa
bouche pulpeuse s'entrouvre légèrement sous ce geste brutal, me permettant
donc d'y insérer ma langue sans plus attendre.
 

*toc-toc-toc*
 
— Merde, crache-t-elle, juste avant de plaquer ses paumes contre mon
buste pour légèrement reculer.
Mais je n'accorde aucune importance à la personne actuellement
présente derrière cette porte, et la hisse de nouveau brusquement contre moi
pour poursuivre ce baiser langoureux. Curieusement, Eva ne tente pas de se
défaire de mon étreinte pour autant. Bien au contraire, sa langue glisse à son
tour sur la mienne, tandis que son bas-ventre se presse davantage contre ma
queue.
 

*toc-toc-toc*
 
— Devon ! s'exclame la voix étouffée de mon frère à travers la large
porte.
Putain…
Mais malgré ça, nous continuons sur notre lancée. Les doigts d'Eva
glissent peu à peu vers l'une de mes fesses pour l'empoigner, tandis que je
me contente de lui accorder la même caresse en retour, avec un peu plus de
fermeté pour ma part.
— Je te préviens au cas où tu materais encore un porno, s'impatiente
sérieusement Caleb.
Quel connard.
— J'entrerai à dix ! ajoute-t-il aussitôt. Un… deux… trois…
À vrai dire, je me moque complètement qu'il finisse par le faire. Au
moins, les choses seront parfaitement claires entre nous. Eva deviendra
définitivement inaccessible à ses yeux s'il nous surprend à nous bécoter.
Quoique… merde, non. Ça lui laisserait juste une nouvelle opportunité pour
me défier. Oui, et puis toute façon, cette dernière est beaucoup trop
distinguée pour se permettre ce genre de dérapage en public. Par
conséquent, lorsque mon frère annonce le chiffre sept, elle se détache de
mes lèvres, puis effectue ensuite trois pas en arrière, non sans me lancer un
regard bourré de désir charnel au passage. Bordel, elle est beaucoup trop
bandante.
— Zéro ! s'exclame alors Caleb en entrant soudainement dans la pièce.
— J'en ai plus qu'assez de vos caprices, Monsieur Anderson ! hurle
subitement ma secrétaire, tout en faisant de multiples gestes incontrôlés
avec ses mains. Préparez-le vous-même, à compter d'aujourd'hui !
Merde, mais de quoi parle-t-elle, au juste ?
Suite à ça, elle tourne furieusement les talons, puis s'empresse de
regagner la porte communicante menant à son bureau.
— Désolé Caleb, lui lance-t-elle au passage. Mais vous feriez mieux de
dire à votre frère d'arrêter ses exigences bidon concernant la caféine ! C'est
insupportable !
 

*BAM*
 

En effet, la porte se claque brutalement derrière elle, et… je reste


médusé par les dernières secondes. Putain, quel talent d'actrice. Je suis sur
le cul.
— Merde… marmonne mon frère en approchant, un peu gêné, mais
tout de même très amusé à la fois. On n'entend vraiment rien, de l'autre côté
de cette foutue porte !
C’est dingue comme seul le son de sa voix suffit à me hérisser le poil.
— Qu’est-ce que tu fais là, lui demandé-je alors sèchement.
Caleb trottine fièrement entre les murs de mon bureau. Il commence à
toucher à tout, ce qui attise alors davantage mon sentiment d’irritation.
— Et la politesse entre frangins ?
Pour toute réponse, je soupire longuement, bien conscient qu’une
surenchère reste inutile. Oui, et puis en vérité, je crois que le sujet de sa
venue est en partie responsable de mon humeur si soudainement macabre.
Sans avoir à le lui demander, je sais déjà de quoi mon frère compte me
parler. La date tant redoutée approche à grands pas, et… merde, disons que
je me passerais bien des prochaines minutes à venir.
— Dans quelques jours, ça fera dix ans, commence-t-il alors, tandis
que je rejoins mollement mon bureau. Un événement aura lieu pour lui
rendre hommage aux falaises de Summer Hills.
Pendant que je m’installe confortablement sur mon fauteuil, Caleb
dépose une petite carte sur le verre de mon bureau pour appuyer le tout. Sur
la face avant se trouve un cliché. Une photo de nous trois. Je la saisis donc
sans plus attendre afin de rapidement la retourner, et en lis ensuite les
premiers mots. C’est d’ailleurs après seulement quelques secondes de
lecture que -sans grande surprise- mon hypothèse concernant la réelle
raison de sa venue se confirme. Mes iris quittent alors le papier pour
percuter ceux de mon frère, impassible :
— Je ne pourrai pas être là. J’ai un…
— Merde, j’en étais sûr ! m’interrompt-il furieusement. Tu as toujours
une bonne excuse !
Je déglutis difficilement, mais tente tout de même de rester
imperturbable face à lui. En effet, je refuse que Caleb puisse voir ne serait-
ce qu’une toute petite once de faiblesse à travers mes iris. Et c’est justement
face à mon indifférence qu’il décide de poursuivre dans son
mécontentement :
— Pour l’hommage des un an, ta voiture a refusé de démarrer.
L’anniversaire des cinq ans, tu avais des examens soi-disant importants,
m'énumère-t-il à l’aide de ses doigts. Bordel, même pour son putain
d’enterrement, tu n’étais pas là !
Sans que je le veuille vraiment, mon poing s’écrase brutalement contre
le verre du bureau. C’était un geste parfaitement incontrôlé, et il aura valu
un léger mouvement de recul à mon frère. Aussitôt, j’y ajoute mes
justifications :
— Je m’apprêtais à signer le contrat qui a lancé ma carrière, ce jour-là
! hurlé-je alors d’un air logique. Je ne pouvais pas louper ma seule chance
de réussir, juste pour assister à l’enterrement de Cameron !
Pour toute réponse, les paupières de mon frère se plissent dans une
grimace d’incompréhension. Il marmonne :
— Juste pour assister à l’enterrement de Cameron… ? répète-t-il alors
avec dédain. Merde, tu te rends compte de ce que tu dis, Devon ? On ne
parle pas d’un inconnu, mais… de notre petit frère, bordel !
— Et tu crois vraiment qu’un jour, je pourrais oublier qui il était pour
nous ?!
Je suis en train de perdre patience. Oui, mon cœur s’emballe quand les
souvenirs me submergent, et si Caleb n’arrête pas tout de suite son petit
manège, je pense que ça risque de très mal tourner.
— Merde, ma présence ne l’aurait jamais fait revenir ! ajouté-je
ensuite, complètement fou de rage.
Suite à ça, Caleb se laisse nonchalamment tomber sur le siège présent
en face de moi. Oui, il le sait. Il sait combien j’ai raison. Et c’est après
quelques secondes de silence pesant qu’il décide de relancer malgré tout :
— En vérité… grommelle-t-il d’une petite grimace. Si tu refuses de
venir à chaque fois, c’est simplement parce que tu culpabilises encore.
— Ne joue pas à ça avec moi, désapprouvé-je en balançant
frénétiquement ma tête de gauche à droite. N’essaie pas de te prendre pour
ma putain de psy, Caleb.
Mon frère soupire en baissant les yeux au sol, probablement pour but
de me prouver son total désarroi. Dans le fond, je sais qu’il dit vrai. Oui,
depuis ce jour-là, mon âme est rongée par la culpabilité. En revanche, je ne
supporte pas le fait qu’il se permette de me le rappeler une nouvelle fois.
Effectivement, Caleb a souvent tendance à oublier que cet après-midi-là, je
n’étais pas seul avec mon petit frère.
— Tu te sens encore responsable de ce qu’il s’est passé, et ça non plus,
ça ne le fera jamais revenir, me répond-il dans un soupir douloureux.
Ma gorge se resserre, au même rythme que mes doigts autour du cuir
de l’accoudoir. Je tente au mieux de garder mon calme afin de ne surtout
pas laisser mes mots dépasser ma pensée, mais malheureusement… lui n’a
pas l’air décidé à m’aider à ce niveau-là :
— Ce n’est pas de ta faute, Devon, poursuit-il en tentant de percuter
mes iris. On était jeune. N’importe qui d’autre aurait pu faire ce genre
d’erreurs.
C’en est trop.
Bordel, je ne peux pas supporter sa mauvaise foi une minute de plus.
— Rien de tout ça ne serait arrivé s’il n’avait pas pris toutes ces
merdes. Ce n’est pas seulement ma faute, Caleb, continué-je en approchant
doucement mon visage du sien. Mais la nôtre. À tous les deux.
Ses paupières se plissent lorsque je fais balancer mon index entre nous
pour appuyer ma précédente remarque. Oui, depuis tout ce temps, je suis le
seul à porter ce lourd fardeau. Depuis tout ce temps, mon frère se persuade
de notre innocence. Depuis tout ce temps… il se voile complètement la face,
et c’est exactement ce qui nous a éloignés.
— Autant toi que moi, on n’a pas su le protéger, poursuis-je en me
levant rapidement de mon fauteuil. C’est de notre faute Caleb, et persister à
croire que non, c’est se mentir à soi-même.
Je saisis la carte encore présente sur le verre trempé, la glisse aussitôt
dans la poche intérieure de mon veston, puis rejoins ensuite la porte à
grandes enjambées, pour rapidement quitter cet endroit. De toute évidence,
lui n’aurait rien lâché, donc le mieux reste que je parte de moi-même. Loin
de mon frère, loin des souvenirs qui se bousculent… loin de toutes choses
pouvant me rappeler combien on a merdé cette fameuse fois.
 

 
Chapitre 22
Eva
 

L'interdit crée le désir, le désir donne l'envie et l'envie provoque l'acte.


Buimpe
 
 

Mon trajet à l'arrière de cette berline aurait pu me permettre de


réfléchir plus sérieusement au comportement que j'ai eu plus tôt dans la
journée face à Devon, mais malheureusement… il fallait que ce dernier soit
présent pour bousiller mes plans. Depuis déjà plus de vingt minutes, je tente
de me faire discrète en jetant de brefs coups d'œil dans sa direction, même
si au final… la tâche n'est pas franchement difficile à gérer, puisque ses
yeux restent parfaitement scellés à l'écran de son téléphone. Merde, mais
comment peut-il toujours faire comme si de rien n'était ?! Je le déteste. Oui,
tout autant que je le désire. Merde.
Moi qui m’étais pourtant levée ce matin avec la ferme intention de
mettre un terme à cette petite histoire stupide… me voilà finalement en
grosse contradiction avec moi-même. Bon sang, c'est dingue, mais… j'ai la
sensation de ne pas pouvoir m'en empêcher. Non, je n'ai vraisemblablement
pas les capacités requises pour réussir à combattre cette tension sexuelle si
soudaine que j'éprouve pour mon boss depuis maintenant plusieurs jours. À
vrai dire, j'ai comme la désagréable impression de me démener pour débuter
un régime alimentaire strict, sans jamais y parvenir totalement au final. Oui,
et puis… il faut dire qu'entre une salade sans saveur, et un fondant au
chocolat, le choix est souvent vite fait. Devon n'est pas le fondant. Ma soif
de sexe, est le fondant.
— Je ne serai sûrement pas là de la journée jeudi, lance-t-il alors,
probablement pour briser ce silence plus que pesant.
— Je sais, oui, lui réponds-je sans réfléchir.
— Comment pourriez-vous le savoir ? grimace-t-il, légèrement
sceptique. Je n'en ai informé personne, à part… vous.
Putain-de-merde. Quelle poète je suis, parfois. Quelle sombre conne,
aussi.
— Eh bien… soufflé-je, un peu hésitante. Disons que Caleb m'a
brièvement parlé de la surprise que vous réserviez à votre mère.
Il hoche doucement la tête suite à cette simple révélation, mais je peux
tout de même lire la frustration présente sur chacun des traits de son visage.
On dirait qu'il n'apprécie pas franchement le fait que Caleb puisse le
devancer. Oui, et en même temps… c'est bien souvent le cas. Qu’en sera-t-
il, lorsqu'il découvrira ma venue à cette fameuse fête surprise ? Je crois
qu'on va vite le savoir :
— À vrai dire… poursuis-je, toujours avec hésitation. Il m'y a même
conviée.
L'accent circonflexe que forment les sourcils de Devon à la fin de ma
phrase me laisse de suite comprendre que je n'aurais peut-être pas dû le lui
avouer maintenant. Non, en vérité… je crois que j'aurais mieux fait de
laisser cette corvée à son propre frère.
— Il vous a quoi ?! s'exclame-t-il ensuite subitement.
— J'ai tenté de décliner, mais… me justifié-je rapidement d'un air
ahuri. Il avait toujours réponse à tout !
— Merde, il suffisait juste d'être un peu plus ferme !
Oui, bon… j'admets ne pas l'avoir trop été, c'est vrai. Cependant…
comment aurais-je bien pu refuser une proposition si sympathiquement faite
? Seigneur, ça aurait été affreusement malpoli de ma part, que de persister
dans le refus ! Et puis… pourquoi cette nouvelle pourtant peu inquiétante
arrive à le mettre dans un tel état ?! Merde, c’est dingue comme il peut être
différent, d’une minute à l’autre ! Avant que je ne quitte son bureau en
fausse furie tout à l’heure, tout avait l’air d’aller, et maintenant… j’ai la
sensation d’avoir retrouvé cet homme froid et détestable !
— Vous enverrez un message à mon frère pour lui faire part de votre
grippe foudroyante, à la première heure jeudi matin, m'ordonne-t-il alors
fermement.
Qu… Quoi ?! Merde, à ce point-là ?!
— Donc ma présence parmi vous est si dérangeante que ça ? grimacé-
je, un peu offensée tout de même. À moins que ce ne soit mon rang de
petite secrétaire fauchée, qui ne vous déplaise ? poursuis-je d'un regard
d'affrontement.
Sans grande surprise, il n'y répond strictement rien. Non, à vrai dire…
Devon préfère se contenter de rester stoïque, tout en replaçant
convenablement le col de sa chemise. Ce qui, bien évidemment, provoque
instantanément ma colère :
— Putain, je n'en reviens pas ! hurlé-je alors, complètement bouche
bée. Pour me baiser, il y a du monde, en revanche… quand il s'agit de me
présenter, je ne suis plus qu'une vulgaire inconnue !
J'ai sûrement dû exprimer mon mécontentement un peu trop fort,
puisque Devon s'empresse d'appuyer sur le bouton prévu pour refermer la
petite vitre nous séparant de Charlie. Pour être honnête, je me moque
complètement que ce dernier participe à la conversation. Merde, après tout !
Mon salopard de patron n'a qu'à se comporter comme un homme, pour
changer un peu !
Ce dernier frotte abruptement la peau de son visage à l'aide de sa
paume, une fois la vitre entièrement close. De là où je me trouve, je peux
comprendre à quel point ma dernière remarque vient de l'irriter. Il me le
confirme d'ailleurs aussitôt dans ses gestes en détachant brusquement sa
ceinture pour me rejoindre. L'une de ses deux mains agrippe fermement le
haut de ma cuisse, laissant donc reposer ses doigts vers l'intérieur, soit à
seulement quelques centimètres de mon entrejambe.
Putain-de-merde.
 

Devon
 

Mes doigts sont tellement serrés autour de sa peau ferme, que je peux
en voir les jointures blanchir à vue d'œil. Putain, pourvu que Charlie n'ait
pas entendu ses dernières paroles. Tu parles. Bien sûr qu'il les a entendues.
Eva vient de hurler si fort, que même les passants ont pu l'entendre. "Pour
me baiser". C'est dingue comme une phrase aussi banale venant d'elle peut
me faire vaciller. Enfin… disons plutôt que c'est principalement cette
femme, qui me fait vaciller. Ouais, à elle seule, elle me fait tourner la tête.
— Vous me faites mal, marmonne-t-elle, le souffle court.
— Tu ne peux pas t'immiscer dans ma vie personnelle de cette façon,
Eva, lui réponds-je au creux de l'oreille.
— Je n'ai rien fait de plus qu'accepter une invitation gentiment donnée.
C'est probablement vrai, oui, seulement… si mon frère l'a fait, c'est
pour une raison bien précise. Il tente de s'en rapprocher davantage, je le
sais. Depuis le début, elle lui fait de l'effet.
À quel genre d'homme n'en ferait-elle pas, d'ailleurs ?
— Il veut simplement te mettre dans son lit, lui dis-je d'une voix
rauque.
— Parce que votre but n'était pas le même, à l’origine, Monsieur ?
m'interroge-t-elle d'un air espiègle.
Fait chier.
— Quoiqu'il en soit… poursuit-elle dans un petit soupir. De cette
façon, les choses seraient nettement plus simples pour moi.
— Comment ça ? lui demandé-je alors d'un léger froncement de
sourcils.
Elle soupire une nouvelle fois, tout en se tordant légèrement sur son
siège, certainement pour me faire savoir que mon emprise devient vraiment
inconfortable. Malgré tout, je ne la relâche pas. Non, là, ce qui m'importe le
plus, c'est sa réponse. D'ailleurs, elle a l'air assez disposée à me la donner,
puisque son regard bifurque légèrement dans ma direction pour pouvoir me
faire face :
— Je pourrais coucher avec exactement le même homme que vous,
sans avoir à me soucier ne serait-ce qu'une toute petite seconde de la
tournure que pourrait prendre ma carrière professionnelle par la suite.
Sans que je ne le contrôle, mes doigts remontent rapidement vers son
entrejambe, puis s'arrêtent juste avant d'entrer en contact avec sa petite
culotte. Aussitôt, sa respiration s'accélère davantage, et malheureusement
pour elle… je ne compte pas en finir là-dessus. Exactement le même homme
? Merde, est-elle en train de sous-entendre qu'il n'est question que d'un
physique, dans cette histoire ?
— Dois-je en déduire qu'il t'importe peu de le faire avec moi, tant que
tu as en face de toi un homme qui remplit tes critères physiques ?
— C'est tout à fait ça, oui.
Encore une fois, mon étreinte se resserre. Le fait de l'imaginer dans
cette même posture avec un autre suffit à me hérisser le poil. Pire, avec mon
propre frère. Merde, je ne sais pas pourquoi, mais ça m'est tout bonnement
insupportable.
— Tu as signé un contrat en arrivant ici, lui murmuré-je à l'oreille. Tu
te souviens ?
— Oui. Et d'ailleurs… tout comme vos mains actuellement posées sur
ma peau, je serais curieuse d’entendre ce qu'une cour d'assises en penserait.
Des menaces… toujours des menaces.
— Tu aimes ça, grommelé-je, tout en remontant un peu plus vers son
intimité. Admets-le.
Elle gonfle le buste pour empêcher le gémissement de sortir de sa
bouche, ce qui me suffit donc amplement comme approbation. Je poursuis :
— Lui, il ne te fera jamais le même effet que moi.
— Qu'est-ce qui vous fait penser ça, au juste ?
Je réfléchis de courtes secondes avant de lui apporter une réponse
précise, et en profite pour inhaler l'odeur de son parfum au passage :
— Ce que tu aimes, Eva, reprends-je alors en remontant davantage mes
doigts vers la dentelle de sa culotte. C'est l'interdit présent entre nous deux.
Caleb n'est pas ton patron, et coucher avec lui ne t'apportera strictement
rien. Ça ne réalisera aucun de tes fantasmes.
Mon index tire légèrement sur le fin tissu pour le faire glisser sur le
côté. Une fois chose faite, je frôle l'entrée de son vagin, pour -sans grande
surprise-, y découvrir l'effet indéniable que j'ai actuellement sur sa libido.
Effectivement, comme la dernière fois, Eva est toute trempée entre mes
doigts.
— Détrompez-vous, lance-t-elle alors, avec un peu plus d'assurance
dans la voix pour cette fois. Je suis certaine qu'il pourrait m'apporter tout un
tas de choses utiles.
— Ah oui ? ricané-je, perplexe. Et lesquelles, exactement ?
— De la douceur, pour commencer. Caleb ne se permettrait pas de se
montrer si grossier avec moi.
Un rire nerveux traverse mes lèvres, à l'instant même où Eva termine
cette phrase. En vérité, elle a probablement raison, mais… je refuse de
l'admettre à haute voix.
— Crois-moi, Caleb n'est pas un homme pour toi, réponds-je une fois
mon sérieux retrouvé.
Le moteur de la voiture s'arrête, ce qui signifie donc que nous sommes
arrivés à destination. Évidemment, ça ne suffira pas à me stopper. Non, là…
il faut impérativement que je lui passe l'envie de faire une chose pareille.
Que je lui passe l'envie d'aller voir un autre homme que moi.
— Au-delà de toutes les qualités qu’il te montre, c’est un lâche. Tu
seras forcément déçue un jour ou l’autre.
— N'êtes-vous pas plutôt en train de parler de vous-même, Monsieur
Anderson ?
Un - Zéro.
Merde, je suis presque à court d'arguments.
— Tu sais… souris-je finalement, mon visage toujours très proche du
sien. Mon frère est un homme riche. Des femmes comme toi, il peut en
avoir à la pelle.
Elle s'esclaffe de façon incontrôlable suite à cette remarque tranchante,
et je n'ai même pas besoin d'attendre sa réponse pour savoir qu'elle sera
encore meilleure que la précédente.
— Idem pour vous, n'est-ce pas ? m'interroge-t-elle en déposant sa
main contre la mienne. Alors, pourquoi persister malgré tout ?
Encore une fois, je n'ai aucun putain d'argument face à ça. Non, aucun.
De ce fait, je ne réfléchis pas davantage pour lui répondre :
— Question de facilité, balancé-je alors du tac au tac. Une si belle
femme, à seulement quelques mètres de moi… pourquoi irais-je chercher
plus loin ?
— Donc c'est ça ? grimace-t-elle avec dégoût. Pour vous, je suis… "la
facilité" ?
— Par excellence, terminé-je naturellement.
Pour toute réponse, ses doigts se resserrent autour de ma main afin de
la saisir fermement, puis d'un geste brusque, l'envoient valser sur le côté.
OK. Visiblement, parler sans réfléchir, ce n’est définitivement pas fait pour
moi. Oui, mais au final… c’est peut-être mieux comme ça.
— Je crois que je viens tout juste de me souvenir des raisons qui me
poussent à rester loin de toi, Devon, reprend-elle d'un air dédaigneux.
Elle détache ensuite sa ceinture, actionne la poignée de porte afin de
pouvoir l'ouvrir, puis se retourne une dernière fois pour me lancer :
— Tu es un sale con.
Les talons de ses escarpins claquent fermement sur le bitume
lorsqu'elle sort de l'habitacle, alors je l'observe en silence, sans jamais
trouver quoi dire de plus.
— Compte sur moi pour coucher avec tous les hommes du service, y
compris Caleb, crache-t-elle, plus déterminée que jamais. Et au diable, ton
foutu contrat.
Pour finir, Eva claque brusquement la porte derrière elle, me laissant
donc là, parfaitement seul avec mon désarroi. Bordel. Je suis vraiment le roi
des connards. Moi qui voulais simplement l'éloigner de lui… voilà que je
viens tout juste de faire l'exact opposé. Oui, à vrai dire… c'est souvent
comme ça que ça se passe, quand une chose me rend nerveux. Et pour être
parfaitement franc, je crois que j'aurais réagi exactement de la même
manière qu'elle.
Rien de plus excitant que de braver les interdits.
 

 
Chapitre 23
Devon
 

La vengeance est un plat qui se mange froid ? Qui est le crétin qui a
décrété ça ? La vengeance se mange chaud. Chaud à s'échauder la
langue, les amygdales, les viscères. Chaud à s'ébouillanter les tripes.
Tatiana de Rosnay
 

— Tu n'es pas au top de ta forme, ce soir… me marmonne Kiara au


creux de l'oreille, et tout en massant délicatement mes épaules.
Pas vraiment, non. À vrai dire, je pensais qu'une petite baise
insignifiante pourrait me faire du bien, néanmoins… j'ai sûrement dû me
tromper. Je suis presque entièrement nu, assis sur le rebord de ce lit King
size, avec pour seule compagnie celle d'une femme dont je me passerais
sans effort. Oui, et d'ailleurs… je ne compte pas lui confier mes états d'âme.
— La journée a été assez rude, me restreins-je alors d’un large soupir.
Je suis fatigué. Tu devrais rentrer chez toi.
À travers l'immense miroir présent en face de nous, je peux voir la
frustration que cette simple suggestion lui procure. Kiara est complètement
nue sous ma chemise blanche. Sa poitrine bouge délicatement sous chacun
des gestes qu'elle effectue contre ma peau, et malgré ça, je n'ai pas réussi à
lui offrir ce qu'elle était pourtant venue chercher, ici même ce soir. C'est
assez étonnant, quand on a affaire à une telle beauté, mais
malheureusement… cette femme ne me fait plus aucun effet. Probablement
parce que ça fait maintenant près d'un an que je la baise. Oui, c'est certain.
Aucune autre raison ne peut être liée à ça. Aucune…pas même Eva.
— Je ne peux pas dormir ici, pour une fois ? me demande-t-elle d’une
moue dubitative. Ça fait des mois qu'on se retrouve chez toi ou à ton
bureau, et… je n'ai encore jamais passé la nuit à tes côtés.
Mes mains saisissent fermement les siennes afin de les faire cesser
toutes caresses. Son regard percute ensuite ardemment le mien à travers la
glace, probablement pour but de me pousser à lui donner une explication. Je
m'exécute sur-le-champ :
— Toi et moi, nous ne sommes pas un couple, Kiara, commencé-je en
repoussant vivement ses bras en arrière. Tu sais pertinemment que
j’apprécie nos moments, mais tu sais aussi que ça n'ira jamais plus loin
entre nous.
Je me lève aussitôt, tandis qu'elle se laisse retomber mollement sur le
lit pour bouder. Je croirais voir une gamine frustrée, mais n'y accorde
aucune réelle importance, préférant me consacrer à l'unique chose encore
capable de m'apaiser ; un bon petit pétard. Je n'ai pas fini celui de la veille,
alors je le saisis aussitôt dans le cendrier présent sur la table de chevet pour
pouvoir l'allumer. Pendant ce temps, Kiara ne bouge pas d'un centimètre. Si
elle pense que je vais céder… elle se fourre le doigt dans l'œil.
— Je viens de te dire quelque chose, me répété-je alors en recrachant
un large nuage de fumée. Rentre chez toi.
Suite à ça, elle se lève furieusement, attrape son sac à main pour y
fourrer toutes ses affaires à l’intérieur, puis prend enfin direction de la
sortie, toujours à moitié nue. Une fois arrivée au niveau de l'encadrement de
porte, je l'interpelle une dernière fois :
— Kiara ?
Elle se retourne aussitôt, me laissant donc l’opportunité d'apercevoir
tout l'espoir que contiennent ses iris.
— Ma chemise, lui ordonné-je finalement, impassible. Rends-la-moi.
Son corps tout entier se tend suite au ton ferme que je viens
d’employer. Il faut dire que parfois, je me comporte comme un véritable
salaud.
— C'est à cause d'elle, c'est ça ?! m'interroge-t-elle alors d'une voix
tremblante, et tout en approchant furieusement vers moi. Je sais que
quelque chose a changé entre vous depuis plusieurs semaines, alors… si tu
la vois aussi, dis-le-moi Devon ! Tu sais pertinemment que je refuse de te
partager !
Je tente d'arborer une grimace interrogatrice pour lui faire savoir que je
ne comprends vraiment pas où elle veut en venir, même si au final… je le
sais parfaitement.
— De qui est-ce que tu parles, au juste ?
— Ne me prends pas pour une idiote, rétorque-t-elle en croisant
brusquement les bras sous sa poitrine. Tu es amoureux d'Eva, je le sais.
Je manque presque de m'étouffer avec la fumée de ma cigarette
magique lorsque cette constatation traverse ses lèvres. Merde ! Mais qu'est-
ce qu'elle va s'imaginer ?!
— Quoi ?! m'exclamé-je dans une énorme grimace. Putain, jamais de
la vie ! C'est juste une très belle femme ! Toi-même tu l'as déjà dit, pas vrai
? N'importe quel homme serait attiré par Eva !
Kiara baisse les yeux au sol, probablement pour seul but de me cacher
ses yeux emplis de tristesse. Elle réfléchit ensuite de courtes secondes, puis
décide finalement de rétorquer :
— J'en suis simplement convaincue, commence-t-elle dans un soupir.
Tu la regardes d'un autre œil que moi. Je ne te parle pas de tensions
sexuelles, je… je dis juste qu'il se passe quelque chose avec elle. Quelque
chose de différent.
Je laisse un petit temps de pause après cette constatation, comme
incapable de réagir à l’entente de ces quelques mots, puis finis par lui
répondre sèchement :
— Pense ce que tu veux. Ça m'est complètement égal.
Elle n'y répond rien, préférant se contenter de définitivement tourner
les talons pour quitter cette maison, et toujours vêtue de ma foutue chemise
froissée, qui plus est. Fait chier. À vrai dire, j'ai été clair avec elle dès le
début. Entre nous, il n'y aurait jamais rien de plus que de bonnes parties de
jambes en l'air. Oui, mais… c'était sans compter sur la possibilité qu'un jour,
cette femme tombe raide dingue amoureuse de moi. Merde, je déteste ça.
Au-delà du fait qu'une relation stable avec elle ne m'intéresse pas le moins
du monde, Kiara n'en reste pas moins méritante d'un avenir meilleur. Ouais,
elle, elle a droit à un homme bon, capable de lui offrir une parfaite vie de
famille. Tout l'inverse de ce que je pourrais moi-même apporter à
quiconque. Évidemment, Eva aussi est digne de ce genre de chose,
néanmoins… je sais pertinemment qu'elle n'est pas encore prête à fonder
une famille. Non, ce qu'elle veut pour le moment, c'est s'amuser. Ni plus, ni
moins. Sinon… pourquoi marcher tout proche du précipice avec moi ?
Cette nana aime le danger, c'est évident. Et ayant les mêmes besoins
actuellement, je ne suis donc pas la bonne personne pour Kiara. D'ailleurs,
je l'ai su dès le départ, et c'est donc pour cette raison que j'ai directement
posé des limites entre nous. Pas de nuits partagées, pas de cinémas, pas de
restaurants… bref, rien qui puisse lui faire croire à une vraie relation
amoureuse. D’ailleurs, elle était parfaitement d'accord avec cette idée-là à
l’origine, mais… je ne peux pas lui en vouloir d'avoir laissé les sentiments
s'installer. Au final, c'est un peu de ma faute, je dois l'admettre. Dès que j'ai
su ce qu'elle ressentait vraiment pour moi, j'ai comme bien trop souvent
joué les ignorants, pour continuer à la fréquenter sans avoir à me soucier de
quoi que ce soit. Oui, et pour être honnête, je connais parfaitement bien la
cause de cet acte égoïste. Eva. À mes yeux, elle seule arrive à changer la
donne. Depuis toujours. Je n'en suis pas amoureux, loin de là, néanmoins…
je sais qu'avec une femme comme elle, beaucoup de choses peuvent
changer. La preuve aujourd'hui. J'en suis rendu à un point où je profite
vicieusement des faiblesses d'une autre, pour seul but de ne pas trop penser
à celle qui passe pourtant sa vie à torturer mon esprit. Comme un foutu
parasite, Eva s'empare de mon cerveau, à chaque nouveau moment que je
passe en sa compagnie. Ça me rend dingue.
Elle me rend dingue.
 
 

Eva
 
— J'en reviens toujours pas qu'il t'ait invité à un événement aussi
personnel, me lance Mara à travers le miroir de ma chambre, légèrement
sceptique. En plus… c’est complètement pourri d’organiser une fête un
jeudi soir ! Sérieusement… qui fait encore ça de nos jours ?!
Pendant que mon amie réfléchit à des choses essentielles, je me donne
littéralement corps et âme pour clore cette satanée fermeture dorsale. Et
après, ce connard de Matt ose me dire que je n'ai pas pris un seul gramme
?! Tu parles !
— Il-ne-m'a-pas, peiné-je en me contorsionnant dans tous les sens.
Invitée, soufflé-je ensuite une fois ma tâche accomplie.
Merde, je suis serrée comme un véritable rôti ficelé, là-dedans.
Sérieusement… mon buste est tellement tendu, que j'ai la désagréable
sensation de porter un corset. Or… du peu que je sache, je n'en ai aucun en
ma possession. Fait chier. Je soupire bruyamment, relâchant donc ma
posture atrocement droite dans la foulée, quand un large bruit de
craquement me pousse à écarquiller les yeux de manière exagérée.
— Je crois que tu peux la foutre à la poubelle, pouffe mon amie, regard
tout droit rivé sur ma colonne vertébrale.
Effectivement, j'avais bien cru sentir un courant d'air frais sur cette
même zone la seconde précédente. Encore une fois… fait chier. Ma main
tente d'atteindre mon dos afin de pouvoir constater l'étendue des dégâts, et
c’est alors que je frôle la déchirure du bout de mes doigts. Merde, j'ai envie
de pleurer.
— Putain, craché-je furieusement. Je n'ai aucune autre robe à peu près
convenable à me mettre !
C'est forcément un signe. Je ne dois surtout pas me rendre à cette
satanée fête.
— Qu'est-ce que tu voulais dire, par "il ne m'a pas invitée" ? s'enquiert
alors Mara d'un léger froncement de sourcils.
Visiblement, ce sujet pourtant peu inquiétant l'intrigue trois fois plus
que ma récente prise de poids. Et malgré tout, je lui réponds sans sourciller
:
— Caleb l'a fait, et Devon m'a demandé de simuler une grippe
foudroyante en l'apprenant.
— Vraiment… ? grimace-t-elle alors, incertaine.
— Vraiment, pouffé-je, un peu agacée tout de même.
Je tire brusquement sur les extrémités de cette foutue robe afin de
pouvoir la retirer en un rien de temps. Après tout… je ne suis plus à ça près.
— Et toi… tu y vas quand même ? me demande-t-elle ensuite d'un air
dubitatif.
— J'y comptais, oui, lui réponds-je en jetant le morceau de tissu
déchiré au pied de mon lit. Mais sans robe adaptée, ça ne risque pas
d'arriver. Déjà que mon boss a honte de présenter sa "petite secrétaire
fauchée" aux siens, alors… si je me pointe en jean, je doute que ça arrange
vraiment la situation.
Mara croise les bras sous sa poitrine, probablement fin prête à
approuver cette décision plus que plausible, quand ses iris bifurquant sur
ma coiffeuse me poussent à effectuer une petite rotation vers cette dernière.
Je tombe alors sur la fameuse boîte rouge. Celle qui contient encore la robe
que Devon m'a offerte, afin que je sois assez "présentable" à ses yeux lors
de la soirée caritative qui aura lieu pendant le séminaire. Ensuite, je regagne
le visage de mon amie pour l'interroger d'un simple petit coup d'œil. Elle
insiste en me désignant de nouveau la boîte, et c'est à cet instant précis que
je comprends où elle veut réellement en venir.
— Merde, jamais de la vie ! m'exclamé-je alors, horrifiée. Je n'avais
déjà pas prévu de la mettre pour la réception de samedi soir, alors
certainement p…
— Tu vas la mettre, ma belle, m'interrompt-elle en se dirigeant vers le
meuble malgré tout. De gré ou de force, je t'assure que tu vas enfiler cette
robe.
Je l'observe attentivement la sortir de son carton, et ne bouge pas d'un
centimètre quand elle approche de nouveau vers moi. De gré ou de force…
? J'hallucine ! Mais pour qui me prend- elle, elle avec ?
— Et moi, rétorqué-je, sourcil arqué. Je t'assure que j…
— Deux semaines de ménage, me coupe-t-elle aussitôt, tout en tendant
le vêtement vers moi.
— C'est d'accord, approuvé-je du tac au tac.
— J'en étais sûre.
Merde ! C'est dingue comme je suis facile en affaire ! En plus du
régime, j'ai un véritable coaching à prévoir à ce niveau-là !
— Donne-moi ça, l'assaillis-je alors en la lui arrachant brusquement
des mains.
Aussitôt, Mara se jette sur le lit pour jouer avec son téléphone, tandis
que j'en profite pour l'enfiler. Cette fois, pas de fermeture dorsale, et… c'est
peut-être mieux comme ça, au final. J'y passe alors mes deux bras sans plus
attendre, et glisse ensuite le tissu jusqu'à mes hanches afin de pouvoir retirer
mon soutien-gorge. De toute évidence, il est préférable de ne pas en mettre,
au vu du large décolleté en V qu'elle présente. Une fois chose faite, je
remonte délicatement les bretelles, et les dépose exactement de la même
manière sur mes épaules. Arrive maintenant l'épreuve la plus compliquée ;
me regarder dans le miroir. À vrai dire… j'ai peur de me trouver aussi
repoussante que lors du premier essayage. (Du premier sabotage).
— Bordel de merde… marmonne Mara dans mon dos.
Le vacarme qui s'ensuit me force à tourner la tête sur-le-champ, et c'est
alors que je découvre le téléphone portable de mon amie au sol, face contre
terre. Mes yeux remontent doucement vers son visage, pour finalement y
découvrir un air abasourdi.
— C'est si moche que ça ? m’offensé-je, sincèrement perplexe.
— Putain, Eva… non ! dément-elle aussitôt. Merde, regarde-toi !
Je ferme alors les paupières en pivotant doucement face au miroir, puis
les rouvre ensuite intégralement une fois bien devant.
Nom de D…
— Elle était vraiment faite pour toi, m'assure Mara en hochant
frénétiquement la tête.
Je souris bêtement en observant chacun des détails que cette
magnifique robe contient. Mon amie à raison, elle me va comme un gant.
Sa couleur saphir est affreusement enivrante, quant aux petites paillettes qui
terminent le long tulle assorti… tout simplement splendide.
— Cet enfoiré va s'en mordre les doigts, ajoute-t-elle en arquant
exagérément les sourcils. Aucun doute là-dessus.
Un sourire narquois prend maintenant place sur mon visage. Là aussi,
elle a complètement raison.
— Et quand il n'en aura plus… grommelé-je d'un air machiavélique. Il
finira sûrement par ses orteils.
Mara plisse les paupières. Apparemment, elle ne saisit pas trop la
métaphore. Oui, et en même temps… j'ai peut-être oublié un petit détail,
parmi mes récentes explications.
— Je lui ai promis de me taper son frangin, dis-je, tout sourire. Et ça
tombe plutôt bien, puisque c'est justement lui qui passe me prendre ce soir.
Je dois probablement avoir l'air d'une véritable psychopathe,
néanmoins… ça n'a pas vraiment l'air de la déranger, puisqu'elle s'empresse
d'écarquiller les yeux pour me répondre :
— Oh bordel, oui ! crie-t-elle d'un rire sarcastique. C'est tout ce que
ton connard de patron mérite ! Te voir arriver au bras de son propre frère…
quel pied !
Pour être honnête, quand je parle de me taper Caleb, je veux plutôt
dire… pour de faux, quoi. Disons que l'idée de faire croire coûte que coûte
à Devon que je vais vraiment passer à l'acte me paraît plus amusante. Plus
convenable, aussi. Et puis de toute évidence… je ne compte pas me faire
son frère pour le moment. À l'origine, je ne comptais me faire personne,
d'ailleurs. Mais ça, Mara n'a pas besoin d'en être informée. Je la connais
bien assez pour savoir qu'elle me pousserait à agir, à l'aide de tout un tas
d'arguments solides. Oui, alors… c'est avec grand plaisir que je me passe de
ses leçons de vengeresse professionnelle.
— Merde, ajoute cette dernière, tout enjouée. Je veux une photo de sa
tête lorsqu'il l'apprendra, pour pouvoir l'accrocher au mur de ma putain de
chambre par la suite !
OK, je crois que je comprends mieux pourquoi ma soif de vengeance
ne la choque pas le moins du monde. En vérité… cette nana est trois fois
plus cinglée que moi.
 
 
Chapitre 24
Eva
 
Il faut se garder de jouer avec le feu puisque le risque de se brûler est
évident.
 
Thomas Gatabazi
 

Caleb gare son S.U.V avec dextérité devant cette magnifique demeure.
Il le gare, oui. Étant donné que Curtis est actuellement au bar pour aider
Matt, il n'a donc pas pu nous conduire jusqu'ici. En effet, Caleb a bel et bien
tenu parole à ce sujet, et… même si tout ça n'était rien d'autre qu'une
vulgaire tentative d'évasion de ma part, je trouve que c'est plutôt cool pour
mon ami. Les vingt minutes de trajet en compagnie du charmant frangin de
mon patron se sont bien passées, mais ça n'a rien de trop étonnant au final.
Comme souvent, nous trouvons constamment des choses à nous dire lui et
moi. Aujourd'hui, nous avons passé la route entière à parler du court séjour
que j'ai récemment passé chez mon père. Je me suis confiée sur tout un tas
de choses le concernant, y compris ses problèmes d'argent récurrents. En
temps normal, ça ne fait pas vraiment partie de mes habitudes, cependant…
avec Caleb, j'ai la sensation de ne jamais être jugée. Au contraire, ce dernier
s'est montré très compatissant envers moi, et m'a même félicitée d'être si
généreuse avec les miens. Après tout… comme je lui disais avant qu'il ne
coupe définitivement le moteur ; rien de plus normal à mes yeux.
— Avant de rejoindre la fête, je voulais vous parler de quelque chose
d'important, Eva, me dit-il en tournant légèrement sa tête dans ma direction.
Ma bouche forme une petite moue dubitative dans l'attente
d'explications. Pour être honnête, je n'ai absolument aucune idée de ce que
Caleb tient à me confier, mais étrangement… ça m'angoisse.
— À vrai dire… poursuit-il avec hésitation. Ça fait déjà quelque temps
que j'y pense.
— Je vous écoute, l'encouragé-je alors vivement.
Il se pince l’arrête du nez, probablement pour but de réfléchir à la
tournure que pourrait prendre sa phrase. Pendant ce temps, un nœud se
forme à l'intérieur de mon estomac. Qu'est-ce qu…
— Vous aimeriez pouvoir verser plus d'argent à votre père chaque fin
de mois, n'est-ce pas ? lance-t-il enfin, assez nerveux tout de même.
Bordel. Pourvu qu'il ne me propose pas une somme astronomique pour
coucher avec, lui, aussi.
— Tout à fait, oui, lui réponds-je, légèrement sceptique. Mais je ne
comprends pas vraiment où est-ce que vous voulez en ven…
— J'ai besoin d'une femme comme vous à mes côtés, me coupe-t-il
subitement.
Seigneur.
— Professionnellement parlant, je veux dire, ajoute-t-il rapidement.
Dieu merci. En effet, heureusement qu'il s'est empressé de préciser. J'ai
bien cru frôler la syncope, là.
— Comment ça ? lui demandé-je alors d'un petit froncement de
sourcils.
Je détache ma ceinture afin de pouvoir me positionner plus
correctement face à lui, tandis qu'il reprend les explications sans plus
attendre :
— Pour faire court… je vous propose un poste de rédactrice en chef,
au sein de mon entreprise, souffle-t-il en insistant fortement sur l'avant-
dernier mot. Évidemment, le salaire sera bien plus conséquent que celui
d'une simple secrétaire.
Ma vue se trouble, tout à coup. Ce qui, par conséquent, me force à
battre des cils à toute allure afin de m'aider à regagner pleinement mes
esprits.
— Quoi… grimacé-je, un peu déboussolée. Vous voulez dire… à Los
Angeles ?
— Oui, approuve-t-il d'un vaste signe de tête. À Los Angeles.
— Mais je… enfin… bégayé-je lamentablement. Je n'ai presque
aucune notion là-dedans, c'est…
— Je vous formerai pendant plusieurs mois, ça va de soi.
Merde, je n'étais clairement pas préparée à ce type de proposition. Oui,
mais… ça vaut peut-être le coup d'y réfléchir, en vérité. Premièrement, Los
Angeles faisait partie de mon top trois, en ce qui concerne l'endroit où je
comptais m'installer au début de mes études. Le bord de mer, tout ça… Ça
m'a toujours donné envie. Deuxièmement, c'est un travail dont j'ai
longtemps rêvé. Très longtemps. D'ailleurs… c'est principalement pour cette
raison que j'avais postulé en tant que secrétaire auprès de Monsieur
Anderson. N'ayant pas les capacités requises pour devenir rédactrice, je
m'étais donc résolue à un petit poste, me permettant d'être proche du monde
de la publicité malgré tout. Au final, mon boss a fini par me confier
quelques projets, mais… ça n'enlève strictement rien au fait qu'aujourd'hui,
je n'ai quand même que très peu de connaissances dans le milieu. Oui, et
malgré ça… voilà qu'on me propose une immense opportunité. Mon Dieu…
je n'en reviens pas.
— Je vous laisse le week-end pour y réfléchir, reprend fermement
Caleb. Vous pourrez visiter nos locaux pendant votre petit séjour, ainsi que
ses alentours, histoire de vous faire une idée de ce que pourrait être la vie
là-bas.
Je ne trouve même pas les mots tant cette nouvelle vient d'être brutale
pour mon cerveau. C'est une occasion en or qui s'offre actuellement à moi,
et je serais vraiment trop bête de la refuser. Oui, néanmoins… je ne peux
pas oublier ma vie ici, à New York. Il y a Matt, et puis… Mara. Sans parler
de tout ce que j'ai construit auprès d'eux lors de ces dernières années.
Parallèlement, je risque de toucher le double de mon salaire actuel, et ce
n'est pas franchement négligeable. Merde, en effet… il va falloir que j'y
réfléchisse sérieusement.
— D'accord, lui réponds-je enfin, toujours un peu à l'ouest. Je vous
donnerai ma réponse après réflexion, une fois rentrée du séminaire.
Suite à ça, il approuve d'un simple petit hochement de tête, juste avant
de se détacher pour sortir de l'habitacle. Pendant ce temps, moi, je reste
littéralement scotchée à mon siège. Mes idées sont encore un peu floues,
mais la porte s'ouvrant subitement sur ma droite les remet aussitôt en place.
Caleb me tend galamment sa main afin de m'aider à descendre de la voiture,
alors je la saisis sans hésiter.
— Merci, lui souris-je, tout en soulevant le côté de ma robe pour ne
pas la laisser traîner sur les cailloux.
— Je vous en prie, me répond-il, juste avant de refermer la portière.
Ensuite, il me tend son coude, probablement pour but de m'escorter
jusqu'à la fête, donc j’y pose ma main au creux sur-le-champ. Au vu du
costard haute couture qu'il a sélectionné pour cette soirée, j'admets ne pas
regretter d'avoir cédé à Mara. Heureusement qu'elle sait comment me faire
changer d'avis en moins de deux. Merde, j'aurais eu l'air cruche, aux côtés
d'un si bel homme d'affaires.
De là où je me trouve, je peux déjà entendre la musique retentir de
l'arrière de la "maison". À vrai dire, quand Caleb m'a parlé d'une fête dans
un manoir, je ne pouvais pas vraiment m'attendre à écouter du hip-hop. Oui,
cependant… je ne m'attendais pas non plus à devoir supporter une colonie
tout entière de violonistes. Putain, je ne suis clairement pas à la bonne
place, ici, parmi les riches.
À l'aide de sa main libre, Caleb enveloppe délicatement la mienne,
sûrement afin de me rassurer un peu. Mes doigts sont serrés si fort contre le
pli de son coude, qu'il ne lui aura sans doute pas fallu plus d'une demi-
seconde pour analyser mon degré de stress :
— La fête a lieu dans le jardin fleuri, dit-il en m'y guidant sans plus
attendre. Détendez-vous, Eva. Tout va très bien se passer.
Certainement, mais… j'ai un léger doute, en ce qui concerne la
réaction du jumeau maléfique. Nous gravissons les quelques marches
menant à la porte principale du manoir, et c'est sans grande surprise que j'y
découvre une première pièce, aussi grandiose que l'entrée de cette propriété.
Wow… Les hauts plafonds sont décorés de fresques représentant un
immense ciel bleu, tandis que les lustres qui y sont accrochés brillent de
mille feux grâce aux multiples rayons de soleil y reflétant. De chaque côté
du hall, deux grands escaliers longent les murs, permettant donc à plusieurs
personnes de rejoindre le premier étage en même temps. Au centre, une
immense statue grecque, proprement arborée de multiples feuilles de lierre
grimpant. Quelques personnes font leur apparition derrière nous,
probablement prêtes à rejoindre la fête elles aussi. Je les observe alors
prendre la direction du salon, juste avant qu'elles ne disparaissent une fois la
grande baie en ferronnerie franchie. Je remarque d'ailleurs qu'aucun d'entre
eux n'a prêté attention à moi. Rien de plus logique, puisque je passe
finalement inaperçue parmi eux, vêtue de cette façon.
— Bonjour Devon, lui lance une femme en passant. Ravie de te trouver
ici.
— Je ne suis p…
— Tu viendras discuter un peu avec moi, n'est-ce pas ? l'interrompt-
elle, sans jamais lui laisser le loisir de répondre au final.
Non, jamais, puisqu'elle s'empresse aussitôt de rejoindre le jardin à son
tour. Lorsque Caleb la regarde prendre le large d'un air légèrement
déconcerté, un rictus moqueur en profite pour prendre place sur mon visage.
Visiblement… je ne suis pas la seule à peiner pour les différencier.
— Le plus gênant dans tout ça… grommelle-t-il d’une petite grimace.
C'est qu'il s'agit de ma tante.
J’éclate d'un rire franc suite à cette révélation étonnante, me
cramponnant donc davantage à son bras dans la foulée. En effet, je
comprends la vexation ! Caleb harmonise aussitôt mon rire au sien, puis
avance tranquillement vers l'immense baie vitrée pour rejoindre la terrasse.
Tout comme le reste de cette maison, cette dernière est absolument
gigantesque. Autant en largeur qu'en hauteur, d'ailleurs. Un escalier en
pierre comptant une bonne vingtaine de marches nous sépare du lieu exact
de la réception. Je vais me casser la gueule devant tout le monde, c'est
certain. Mais très franchement… la beauté indéniable des lieux m'ôte
rapidement cette angoisse de la tête.
Un énorme tivolis a été installé sur la pelouse fraîchement tondue, y
accueillant donc une cinquantaine de personnes au total. Partout autour,
d'autres discutent sous les multiples arbres fleuris, coupe de champagne à la
main. D'ailleurs… d'où est-ce qu'ils les sortent, exactement ? Je risque d'en
avoir besoin. Ni une ni deux, un bel homme vêtu d'un costard et muni d'un
plateau vient répondre à cette question :
— Une petite coupe, Mademoiselle ? me propose-t-il alors
sympathiquement.
Carrément… ? Je lance un air étonné à Caleb, puis regagne
instantanément les yeux du serveur pour approuver :
— Avec grand plaisir, lui réponds-je en saisissant le verre de cristal,
tout sourire.
J'en bois aussitôt la première gorgée, tout en continuant ma petite
découverte. Bordel, il y a même une scène dédiée aux musiciens, suivi de sa
petite piste de danse. Vraiment ? Merde, mais qui peut bien danser sur du
Vivaldi, au juste ?!
— J'en connais un qui n'a pas l'air très heureux de vous trouver ici, me
murmure Caleb à l'oreille. Vous l'aviez prévenu, n’est-ce pas ?
Je tourne rapidement la tête afin de pouvoir suivre la direction qu'il
m'indique à l'aide de son menton. Ses yeux sont tout droit rivés sur Devon,
qui est actuellement en bas des escaliers, très probablement dans l'attente de
me voir les descendre. Seigneur… il est plus beau que jamais. Sa chemise
noire est ouverte au premier quart, me laissant donc le plaisir d'y apercevoir
un bout de son torse hâlé. Il a pris soin de correctement la rentrer dans son
pantalon assorti, et… merde, je crois n'avoir jamais vu un si bel homme
auparavant. Bien que Caleb soit pourtant son portrait craché, la prestance
n'est indéniablement pas la même entre les deux frères.
Nos iris se percutent brutalement lorsque je termine par son visage.
Son regard est tellement ardent, que je pourrais presque sentir ma peau se
réchauffer. Son allure, elle, est atrocement virile. Chacune de ses deux
mains sont fermement enfoncées à l'intérieur des poches de son pantalon, et
sa mâchoire se contractant à multiples reprises suffit à me faire frissonner.
Merde, c'est tellement… sexy. Oui, enfin… à vrai dire, je ne sais pas
vraiment comment interpréter ce type de regard venant d'un homme comme
Devon. J'hésite entre le fait qu'il veuille me tuer, ou plus simplement me
traîner de force dans les toilettes les plus proches, pour ensuite me baiser
sauvagement contre un mur. Non, je crois qu'il veut juste me tuer, en fait.
— Je vous rejoins dans une minute, me souffle gentiment Caleb en
s'éloignant. Et ne vous laissez surtout pas intimider.
Quoi ? Pitié… non !
Bien évidemment, je me retiens de lui hurler cette supplication à haute
voix. OK ma grande. Tu n'as qu'à faire comme si tout allait bien. Comme
si… ton patron ne t'impressionnait pas le moins du monde. Ouais, je vais le
faire. Je vais descendre ces foutues marches, et lui prouver qu'ici, personne
n'a le droit de me dicter ma propre vie. Personne n'a le droit de me dire si
oui ou non, je peux venir à une fête d'anniversaire surprise atrocement
pourrie.
 

 
Chapitre 25
Devon
 

La jalousie est un sentiment démoniaque ; elle conduit les hommes à


ne plus savoir ce qu'ils font.

Patrick Wentwoth
 

Elle a osé. Oui, Eva Pierse a osé venir ici, chez ma propre mère, et ce,
malgré mon interdiction formelle de le faire. Putain. Je l'observe dévaler les
marches d'un pas décidé. Elle a l'air assez sûre d'elle, mais dans le fond, je
sais combien elle redoute ma réaction. Son large chignon orné de strass ne
bouge pas d’un centimètre lorsqu'elle descend pour me rejoindre. Une
coupe de champagne est présente dans l'une de ses deux mains, tandis que
l'autre soulève légèrement le côté de sa robe pour ne pas la laisser traîner.
Cette robe. Un jour où l'autre, je savais qu'elle finirait par la porter. Merde,
elle lui va à merveille. D'ailleurs… je crois qu'elle n'irait à personne d'autre
qu'Eva.
Je cesse de la reluquer, à l'instant même où elle franchit la dernière
marche. D'un geste machinal, je tends une main vers le ciel pour l'inviter à y
déposer la sienne. Chose qu'elle fait -étonnamment-, sans hésiter.
— Qu'est-ce que vous faites là, marmonné-je ensuite, impassible.
— J'ai estimé que vous n'étiez personne pour me donner des ordres, me
répond-elle d'un air provocateur. En dehors des heures de travail, je veux
dire.
J'ai tout autant envie de l’emmener dans les toilettes les plus proches
pour la prendre contre un mur que de la tuer. Ses doigts relâchent la paume
de ma main, me sortant donc aussitôt cette idée stupide de la tête. Eva
m'affronte dans un petit duel de regard, mais je ne compte pas lui laisser
penser que l'anniversaire de ma mère est une nouvelle opportunité pour
jouer :
— Je vais vous ramener chez vous, dis-je, tout en tendant le bras vers
la sortie pour l'inviter à me suivre.
— Certainement pas, me répond-elle avec audace. Je ne suis pas venue
seule, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué.
Évidemment, que je l'avais remarqué. Cette espèce d'enfoiré saisit la
moindre opportunité pour se rapprocher un peu plus d'elle.
— Vous ne repartirez pas seule non plus, puisque comme je viens de le
dire… commencé-je en approchant doucement mon visage du sien. Je vais
vous ramener chez vous.
À son tour, Eva réduit le peu d'espace encore présent entre nous pour
venir me murmurer à l'oreille :
— C'est avec Caleb que je souhaite repartir d'ici ce soir.
Je déglutis difficilement lorsque ces quelques mots traversent
délicatement ses lèvres. Quelle espèce de sal…
— Devon ! s'exclame subitement une voix dans mon dos.
Merde.
— Maman ! lui souris-je faussement, tout en me retournant rapidement
pour lui faire face.
Aussitôt, ma mère prend appui sur mon flanc droit dans une petite
accolade. Je ne vois rien de plus que la silhouette d'Eva dans mon champ de
vision, mais je reste certain qu'elle se marre intérieurement.
— Eh bien mon fils, lance-t-elle d’un air intrigué. Tu ne me présentes
pas à cette charmante jeune femme ?
— Non, lui réponds-je, sans l'ombre d'une ironie.
Mais bien évidemment, ma chère petite maman sait parfaitement bien
voir les choses là où elles ne le sont jamais. De ce fait, elle s'esclaffe sans
retenue en me frappant gentiment l'épaule, juste avant de s'adresser à Eva :
— Mais quel gros blagueur, celui-là ! s'exclame-t-elle alors, morte de
rire.
Ma secrétaire lui répond d'un rire parfaitement hypocrite, puis se
charge finalement des présentations elle-même :
— Eva, commence-t-elle, tout sourire. Je suis ravie de vous rencontrer,
Madame Anderson.
— Je t'en prie… appelle-moi Nancy ! la reprend-elle sur-le-champ, un
peu offensée.
À en croire les décibels anormalement élevés de sa voix, j'en déduis
donc qu'elle est déjà complètement saoule. Génial.
— Nancy, répète Eva d'un vaste signe de tête approuvant sa demande.
— Et donc… j'imagine que tu es la charmante compagne de mon
garçon, n'est-ce pas ?
Une toux sèche s'échappe soudainement de ma gorge à la fin de cette
question. Sérieusement ? Merde, il va falloir que je paye la totalité des
serveurs pour les inciter à ne surtout pas la resservir.
— Seulement sa secrétaire, désapprouve rapidement Eva, mais
toujours très souriante malgré tout.
Ma mère a l'air déçue de cette réponse négative. Oui, et… rien de trop
étonnant, au final. Ça fait des lustres qu'elle attend ça. Des lustres qu'elle
attend l'arrivée officielle d'une femme dans ma vie.
— Quel dommage… souffle-t-elle alors tristement. Pourtant, tu es tout
à fait son genre.
— Maman… grogné-je, un peu mal à l'aise.
Eva tourne aussitôt son regard vers moi, puis sans grande surprise,
m'offre un air affreusement satisfait. Son sourcil s’arque légèrement, tandis
que ses lèvres forment un petit rictus moqueur dans la foulée. Un peu l'air
de dire : "Oh… vraiment ?" Je la déteste.
— Quoi… ? grimace furieusement ma mère. Tu oses dire que ce n'est
pas le cas ? Les grandes brunes comme elle, en général… tu ne les laisses
pas dormir dans la baignoire ! s'esclaffe-t-elle ensuite sans retenue.
Bordel. Ouais. Si ce n'était pas ma mère, je crois que je l'aurais déjà
plaquée au sol.
— Nancy ! l'appelle l'un de ses amis au loin. Viens te joindre à nous !
Dieu merci. Elle lui répond d'un bref signe de tête approuvant cette
demande, puis commence enfin à partir, mais décide finalement de s'arrêter
pour poser une main sur l'avant-bras de ma charmante secrétaire.
— Ravie de t'avoir rencontrée, ma jolie, lui dit-elle d'une voix douce et
sincère.
— Le plaisir est partagé, Nancy.
Ensuite, ma mère s'éloigne définitivement. Ouf. Une minute de plus, et
je risquais l'infarctus.
— Désolé, elle a un peu trop b…
— Tout à fait votre genre, alors ? m'interrompt Eva d'un large sourire.
La peste. Elle en joue. Oui, ça l'amuse, mais… je compte bien aller au
bout de ma toute première idée :
— Allons-y, lui dis-je en désignant le large escalier de mon menton. Je
vous ramène.
Pour toute réponse, Eva balance doucement sa tête de gauche à droite
en terminant sa coupe de champagne d'une seule traite, me faisant donc
comprendre qu'elle ne compte pas changer d'avis à ce sujet. Je la regarde
donc fixement dans les yeux afin de l'en persuader, et c'est alors que j'y lis
de la détermination. Elle ne bougera pas d'ici, c'est certain.
— Une autre coupe, Mademoiselle ? lui propose l'un des serveurs d'un
ton étrangement sympathique.
Sans hésiter, elle repose son verre vide dans le plateau qu'il lui tend,
puis en saisit un second, tout en le remerciant d'un petit sourire séducteur au
passage. C'était quoi, ce putain d'air aguicheur ? L'homme lui répond
aussitôt de la même manière, et y ajoute :
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit d'autre… appelez-moi. Je
m'appelle Jesse.
Sérieusement ?
— Avec plaisir… Jesse, lui marmonne-t-elle d'une voix lascive.
Merde, je rêve, ou ils sont en train de se séduire mutuellement, ici, soit
juste sous mes yeux ?!
— Je ne vous paye pas pour ça, les interromps-je alors d'un regard
assassin. Faites votre boulot, et allez distribuer vos coupes ailleurs.
Ni une ni deux, ce dernier s'exécute en me faisant part de ses plus
plates excuses. En effet, il ne le savait pas encore, mais ici aussi, c'est moi
le patron. À vrai dire, je m'étais chargé de toute l'organisation de cette fête
par téléphone, alors ça me paraît plutôt logique qu'il ne m'ait pas reconnu
instantanément. Oui, mais au moins… voilà que les choses sont maintenant
parfaitement claires. Le serveur part alors en direction d'autres personnes
pour exécuter l'ordre précédemment donné, et c'est seulement lorsque je
regagne les iris de ma secrétaire que je remarque son air colérique.
— Vous étiez vraiment obligé de vous adresser à lui de cette façon ?
grimace-t-elle alors, un peu agacée. Nous étions en train de parler !
— Non, lui réponds-je en avançant de quelques centimètres, intrépide.
Vous étiez plutôt en train de l'inviter à partager une nuit agitée.
Eva arque un sourcil en approchant à son tour, puis me demande dans
un petit murmure :
— Et… qu'est-ce que ça pourrait bien vous faire, au juste ?
— Absolument rien.
— Parfait, me répond-elle fermement.
— Parfait, répété-je de la même manière.
Putain, c'est pathétique.
— Devon, me salut mon frère d'un vaste signe de tête.
Je me redresse rapidement afin de laisser l'air se frayer un chemin entre
nos corps bouillants d'animosité, puis lève ensuite les yeux vers ce dernier
pour pouvoir lui répondre :
— Caleb.
J'essaie par tous les moyens de faire abstraction du fait que ses doigts
sont actuellement posés au creux des reins de ma secrétaire, en vain. Oui,
j'y jette finalement un rapide coup d'œil, et je suis d'ailleurs absolument
certain qu'Eva a pu lire le sincère dérangement que ce simple geste vient
tout juste de me provoquer.
— Je voudrais vous présenter aux autres, lui propose-t-il alors. Ils se
demandent tous, qui est cette belle inconnue.
Sans hésiter, elle acquiesce instantanément, fin prête à le suivre, et
juste avant de me dire, sourire en coin :
— Bonne soirée, Monsieur Anderson.

♤♤♤
 

Depuis plus d'une heure, je prends remarquablement mon mal en


patience. Caleb a tenu à présenter ma charmante secrétaire à tout le monde,
y compris Dean, notre cousin le plus proche. De là où je me trouve, je peux
voir que ce dernier n'a pas changé en trois ans. En effet, il est toujours aussi
charmant et séducteur, néanmoins… Eva ne lui accorde pas plus
d'importance que ça. À vrai dire, elle préfère de loin rester cramponnée au
bras de mon frère, et ne cesse de rire à pleins poumons tout en lui tapotant
délicatement l'épaule, à chaque nouvelle blague foireuse qu'il balance.
Putain, ça me rend dingue.
— Bonsoir Devon, souffle une voix familière dans mon dos.
Je me retourne aussitôt, déjà parfaitement conscient de qui il s'agit
réellement. Kiara. Merde, je ne l'ai même pas invitée, alors… Caleb, bien
évidemment.
— Pourquoi avoir accepté son invitation, l'assaillis-je aussitôt d'un
froncement de sourcils.
Elle m'offre un sourire satisfait en retour, probablement bien
déterminée à montrer que ma froideur ne la repoussera pas. Pas cette fois.
— Moi aussi, je suis super contente de te revoir, ricane-t-elle
doucement. Du moins… beaucoup plus qu'elle, visiblement.
Kiara appuie cette phrase en jetant un bref coup d'œil dans la direction
d'Eva, mais malgré ça, je fais tout mon possible pour ne plus y prêter
attention.
— Ne recommence pas, réponds-je finalement, dents serrées. Tu sais
parfaitement bien que je n'en ai rien à foutre.
Un sourire narquois prend maintenant place sur son visage pendant
qu'elle s'approche de moi. L'une de ses mains glisse contre ma mâchoire,
tandis que l'autre se pose sur la peau nue de mon thorax.
— En es-tu vraiment certain ? Ça fait environ dix minutes que je
t'observe, et… j'aurais pourtant juré le contraire, sourit-elle, tout en faisant
délicatement glisser le bout de ses doigts un peu plus bas.
Ma main saisit brusquement son poignet afin de stopper cette caresse
charnelle. J'arbore ensuite un air encore plus furieux que le précédent, puis
lui marmonne d'un regard assassin :
— À quoi est-ce que tu joues, putain…
Kiara peine à déglutir en constatant la colère qui gronde à l'intérieur de
mes iris, mais me répond tout de même sans hésiter :
— Je marque mon territoire, chéri… lance-t-elle d’un air
machiavélique.

 
Chapitre 26
Eva
 

La passion détruite se transforme en passion de détruire.


Raoul Vaneigem
 

Mes doigts se resserrent fortement autour du cristal présent entre eux


lorsque j'aperçois Kiara tout près de Devon. Trop près. Bordel. Ma mère
m'a pourtant appris qu'à force de jouer avec le feu, on finissait forcément
par se brûler. Ce soir, je comprends combien elle avait raison. Oui, en
revanche… j'ai du mal à saisir à quel moment la première flamme a bien pu
faire son apparition entre lui et moi. Encore ce matin, je me moquais
complètement de savoir ce que mon boss pouvait bien faire de son temps
libre, or là… merde, ça me tord l'estomac, que de le savoir si proche de
cette femme. Pourquoi ? Je n'en sais foutrement rien.
Je porte rapidement la troisième coupe de champagne jusqu'à mes
lèvres pour -de nouveau- en boire son intégralité, quand Caleb m'interroge :
— Quelque chose ne va pas ? s'enquiert-il d'un léger froncement de
sourcils. Vous êtes toute blanche.
Fait chier.
— Je crois que j'ai un peu trop bu, me justifié-je rapidement. Je vais
aller faire un petit tour à la salle de bain.
Il acquiesce à ma phrase précédente d'un simple hochement de tête,
juste avant d'y ajouter :
— La première se trouve à l’étage. Cinquième porte sur la droite.
— Merci, lui souris-je timidement, et tout en m'éloignant.
J'avance aussitôt vers la direction que Caleb vient tout juste de
m'indiquer à l'aide de son index, y croisant donc inévitablement Devon,
toujours très proche de sa charmante pétasse. Je la déteste. Merde, mais
pourquoi est-ce que je réagis comme ça, au juste ? Qu'est-ce que ça peut
bien me faire ?! Le champagne. Oui, c'est le champagne, qui me pousse à
agir de la sorte.
Je lance un regard assassin à mon boss en passant (malgré tous mes
efforts pour ne surtout pas le faire), puis grimpe les marches deux par deux
afin de rejoindre ma destination le plus rapidement possible. J'ai besoin de
me rafraîchir le visage. Les bulles sont en train de me monter au cerveau, et
je sens que ça risque de me porter préjudice si je ne me calme pas sur-le-
champ. Comme Caleb me l’a précisé tout à l'heure, je me dirige vers la
sixième porte sur la gauche. Une fois bien devant, j'actionne la poignée,
entre, puis allume enfin la lumière. Merde. Ça ne ressemble pas vraiment à
une salle de bain, ça. Oui, et en même temps… je ne suis pas tout à fait sûre
d'avoir vraiment écouté les directives de Caleb. Mon regard prend
finalement le temps de parcourir la pièce d'un œil curieux, et c'est alors que
je remarque une seconde porte sur ma droite. Dans une chambre, ça ne
peut-être qu'une salle de bain. J'y fonce donc d'un pas décidé, -tout en
tentant de ne pas trop tituber- puis ouvre ensuite la double porte avec
engouement, pour finalement me retrouver face à un énorme dressing vide.
Bordel, mais cette maison est une putain de poupée russe !
— Qu'est-ce que tu fais ici, surgit une voix dans mon dos.
Je tressaille soudainement, ce qui accélère donc aussitôt les battements
déjà anormalement rapides de mon cœur. Seigneur… c'est vraiment un très
mauvais soir pour mon organe vital. J'expire profondément en cherchant ce
que je vais bien pouvoir répondre à Devon lors de notre face à face, puis me
décide enfin une fois mon calme à peu près retrouvé
— Je cherchais la salle de bain, et… commencé-je en me retournant
doucement.
Tout doucement.
— Disons que je suis finalement tombée dans cette pièc…
Mes sourcils se froncent lorsque je réalise être en train de me justifier
auprès de mon patron. Non, si je suis ma démarche de ce début de soirée, je
n'ai pas à le faire. Je me reprends finalement :
— Vous n'êtes pas avec Kiara ? demandé-je alors, faussement étonnée.
Pourquoi est-ce que j'ai posé cette question stupide ? Il ricane
silencieusement en croisant les bras sous sa poitrine, son flanc droit
confortablement appuyé sur le contour de porte. Je pâlis sur-le-champ, mais
malgré ça, Devon n'a pas l’air décidé à m'épargner toute autre gêne :
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire ? m'interroge-t-il en approchant
calmement. La compagnie de mon frère ne te suffit pas ?
La salive a du mal à traverser mon œsophage lorsque je l'observe
réduire l'espace nous séparant. Quant à ma tête, elle, j'ai la sensation qu'elle
tourne davantage, à chaque nouveau pas qu'il fait dans ma direction.
— Si, approuvé-je, faussement sûre de moi. À vrai dire… à lui seul,
Caleb réunit absolument toutes les qualités dont rêve une femme, donc… sa
présence m’est largement suffisante.
Mon boss fait claquer sa langue à plusieurs reprises contre son palet en
balançant frénétiquement sa tête de gauche à droite, me faisant donc
comprendre qu'il n'est pas tout à fait d'accord sur ce point-là.
— Tu as oublié une petite chose, Eva, marmonne-t-il en continuant
d'avancer.
— Quoi donc ? grimacé-je innocemment.
À peine quelques secondes plus tard, sa main se pose délicatement
contre l'une des deux portes du dressing pour la refermer. Dans la foulée,
mon dos se plaque contre cette dernière, probablement afin de m'éviter tout
contact avec le corps de Devon. Il est actuellement si proche du mien, que
je peux clairement sentir l'odeur de cigarette fraîchement consommée sur sa
chemise. Il fume ? Merde, mais depuis quand ?
— La passion, me dit-il alors d'une voix rauque. Mis à part une vie
bien rangée, Caleb ne t'apportera jamais cette chose-là, aussi importante
soit-elle.
Son souffle chaud se dépose délicatement contre mes lèvres, tandis que
ma respiration s'accélère au rythme de la sienne. Pourquoi est-ce que ça me
fait constamment ça, quand il s'approche trop près de moi ? À vrai dire…
je crois que c'est exactement ce dont il me parle, là, maintenant. Chaque
fois que nos corps sont si proches l'un de l'autre, la passion me dévore.
Littéralement. J'ai comme la sensation qu'elle s'empare de chaque atome
présent à l'intérieur de moi. Comme l'impression que… mon boss n'a plus
qu'un mot à dire, pour enfin m'avoir à sa merci. Et bien évidemment, il ne
doit surtout pas le savoir :
— Qui te dit que je la ressens avec toi ? tenté-je alors, sourcil arqué.
— Ta respiration suffit à me le confirmer, me répond-il du tac au tac.
— Je viens de franchir une trentaine de marches au pas de course,
murmuré-je, un rien provocatrice.
Il expire longuement et bruyamment, comme vaincu. Oui, enfin… ça,
c'est ce que j'ai cru comprendre le temps d'un instant :
— Tu pourras t'en rapprocher autant que tu le voudras, lance-t-il d'une
moue dubitative. Je sais que quoiqu'il arrive, tu penseras toujours à moi.
Chaque fois qu'il posera ses mains sur toi… continue-t-il en approchant
davantage. Tu n'auras que mon prénom en tête.
— C'est un peu présomptueux, tu ne crois pas ? lui demandé-je en
arquant un sourcil.
Sa main libre saisit fermement ma hanche, m'arrachant donc un râle
presque trop bruyant au passage.
— Tu penses ? m'interroge-t-il d'un petit sourire narquois. Regarde. Je
n'ai qu'à poser mes doigts sur toi pour te faire gémir.
— À l'intérieur ce serait mieux, rétorqué-je sans réfléchir.
Seigneur… Oui, à partir de demain, plus jamais de champagne.
—C'est vraiment ce que tu veux ? me demande-t-il, légèrement
sceptique tout de même. Là, à seulement quelques mètres de l'homme qui
t'a escortée jusqu'à cette fête ?
— Et toi, l'affronté-je, sourcil arqué. À seulement quelques mètres de
Kiara ?
— Elle n'en vaut pas dix comme toi, me répond-il aussitôt.
— Alors qu'est-ce que tu attends ?
— Ton accord.
— Tu l'as tout entier.
Pour toute réponse, ses lèvres s'écrasent brusquement contre les
miennes, étouffant donc instantanément le gémissement qui s'apprêtait à en
sortir pour la seconde fois. Ensuite, Devon laisse retomber sa main de la
porte du dressing pour venir envelopper ma joue, juste avant de la rouvrir,
pour finalement m'entraîner à l'intérieur. Putain. Pourquoi est-ce que je
passe mon temps à reproduire les mêmes erreurs ?
— Cette fois, commence-t-il entre deux baisers. Tu n'as pas intérêt à…
— Ça ne risque pas, le coupé-je en m'empressant de défaire les
boutons de sa chemise.
Oh non, impossible, vu comme je meurs de désir pour lui. Merde, c’est
complètement insensé. Oui, mais malheureusement… je n’ai pas les épaules
assez solides pour résister à cette tension permanente qui plane entre nous.
Et même si je sais que je ne fais rien de plus que de provoquer ma propre
chute…
L’impatience de Devon m’interrompt dans mes pensées ;
— Très bien, répond-il en remontant rapidement le tulle de ma robe
pour mieux pouvoir me toucher.
— Très bien, répété-je, toujours plus haletante.
Une fois son torse dépourvu de tissu, je m'attaque à sa ceinture. Il ne
me faudra d'ailleurs pas plus de trois secondes pour la lui défaire, tant le
besoin de le sentir encore plus proche de moi me consume de l'intérieur.
L'une de ses deux mains empoigne fermement ma fesse gauche, tandis que
je me cambre exagérément contre le lambris afin de lui faire savoir combien
j'aime sa fermeté. Il regagne alors mes lèvres pour écourter mon soupir,
pendant que mes doigts en profitent pour délicatement faire glisser son
pantalon à mi-cuisses. D'un geste machinal, Devon saisit ma jambe droite
afin de la déposer contre sa hanche. Sa bouche se détache ensuite
rapidement de la mienne, pour finalement me murmurer :
— Cette robe est encore plus belle quand tu la portes.
Sans réfléchir, je m'empresse de l'entraîner de nouveau contre moi.
Merde, je me fous royalement de ses putains de compliments ! Mais
visiblement, il tient à en rajouter une petite couche :
— Elle fait ressortir la couleur de tes ye…
— Non, l'interromps-je fermement. S'il te plaît… tais-toi.
Je peux lire la chaleur ardente présente dans ses iris à la suite de cet
ordre. Bien évidemment, même lors de moments comme ceux-ci, Devon
reste fidèle à lui-même. Autoritaire, stricte, et… brutal. De ce fait, il
n'attend pas davantage pour me le rappeler, et me retourne brusquement
contre la paroi du dressing. Mon visage s'y écrase presque intégralement,
alors je m'aide rapidement de mes deux paumes afin de pouvoir laisser l'air
convenablement entrer à l'intérieur de mes poumons.
— Ne me donne pas d'ordre putain, crache-t-il sèchement, tout en
baissant rapidement ma culotte.
— Baise-moi, rétorqué-je, en tournant légèrement la tête dans sa
direction. Tout de suite.
Et c’est après un rapide claquement de latex que ce dernier entoure
mon bassin de ses longs doigts, bien paré à s'exécuter. Oui, Devon déteste
qu'on lui donne des ordres, mais quand il s'agit de ce genre-là… je constate
que ça ne lui pose absolument aucun problème.
— Je rectifie, grommelle-t-il, tout haletant. Tu peux le faire, quand ils
sont si joliment donnés.
À la suite de ça, son sexe entre profondément à l'intérieur de moi. Si
profondément d'ailleurs, que je me suis laissée porter par la puissance de ce
geste. Ma tête à tellement heurté le lambris, que le bruit résonne encore
dans mes tympans lorsqu'il donne le second coup de reins. Seigneur. Sa
main attrape fermement mon cou, me forçant donc à me cambrer davantage
pour venir répondre à sa prochaine demande :
— Embrasse-moi, souffle-t-il, dents serrées.
Je m'exécute alors du bout des lèvres, tandis qu'il continue les va-et-
vient, un peu plus brutalement à chaque fois. La cadence devient d'ailleurs
bien trop rapide pour que je puisse garder cette position, donc je laisse de
nouveau ma tête retomber contre le bois. Un gémissement sort subitement
de ma bouche lorsqu'il resserre l’étreinte déjà présente autour de mes
hanches, donc il s'empresse d’y porter une main pour étouffer les suivants.
Je mords abruptement sa paume, tandis qu'il la presse davantage contre mes
dents, probablement pour but de m'encourager à continuer sur cette lancée.
— Ça vient, me murmure-t-il douloureusement.
— Plus fort, marmonné-je, toujours étouffée par son emprise.
Devon retire aussitôt sa main de ma bouche pour fermement reprendre
appui contre mes reins, et donne finalement les derniers coups de bassin, à
l'instant même où un immense courant électrique en profite pour s'emparer
de mon corps tout entier. Bordel. Rapidement, il porte de nouveau sa paume
sur mon visage pour tenter d'y amortir mon hurlement, en vain. La chaleur
ardente de nos corps entremêlés brûle chaque partie de mon corps, à tel
point d’ailleurs, que mes jambes deviennent semblables à du coton. Merde,
je crois bien que c'était l'orgasme le plus fou jamais vécu auparavant.
— Tu vois, lance-t-il en se plaquant délicatement contre moi. Je n'ai
même pas eu à te supplier. Tu hurles pour moi, sans même que je n’ai
besoin de lever le petit doigt.
Je tente toujours de retrouver ma respiration quand Devon me chuchote
ces quelques mots à l'oreille. Effectivement, il n'a rien eu à faire de trop
fatiguant pour que je lui cède de nouveau. Sans grande surprise, ça m'agace
sincèrement que de devoir l’admettre. Oui, et… c'est d'ailleurs
probablement pour cette raison que je me retourne enfin pour lui faire face,
large sourire aux lèvres :
— Tu vois, soufflé-je, tout en replaçant convenablement ma robe. Je
n'ai même pas besoin de coucher avec Caleb, pour le faire réellement.
Sur ce dernier mot, j'esquisse un dernier rictus moqueur, puis lui passe
ensuite devant, fin prête à rejoindre la fête. Curieusement, l'air déconcerté
que j'ai le plaisir de voir sur son visage en passant me provoque un
sentiment de bien-être inexplicable. Celle-là, tu ne l'avais pas vu venir,
champion.
 
 
Devon
 

Je regagne le jardin à peine trois minutes après Eva, et comme si sa


dernière remarque n'avait pas déjà été suffisante, voilà que je la retrouve
maintenant collée aux basques de mon cousin. Pétasse.
— Vous en avez mis du temps à redescendre, me lance mon frère en
prenant place à mes côtés.
Merde.
— Vous ? l'interrogé-je alors, perplexe. J'étais justement parti
raccompagner Kiara à sa voiture, donc forcément… elle n'est plus ici.
C'est dingue comme je peux être doué en improvisation, parfois. Oui,
néanmoins… le rire sarcastique qu'emploie mon frère a plutôt tendance à
me prouver le contraire. Je fronce alors les sourcils pour l'interroger,
toujours dans l'optique de lui faire gober que je ne vois absolument pas où il
veut en venir.
— Tu parles de la femme que j'ai moi-même raccompagnée à son
Uber, il y a tout juste dix minutes de ça ? me demande-t-il en portant
calmement le verre de petites bulles jusqu'à ses lèvres.
Nous restons tous deux dressés côte à côte, sans jamais qu’aucun de
nous ne daigne se regarder dans le blanc des yeux. Je réfléchis alors de
courtes secondes, puis décide finalement de persister dans mon mensonge :
— Elle avait oublié son sac, tenté-je avec sûreté. Alors je l'ai
raccompagnée une seconde fois.
Il finit son verre d'une seule traite, le pose ensuite aussitôt sur le poteau
en pierre de l'escalier, puis tourne légèrement sa tête vers moi pour me faire
face. Et malgré tout, mes yeux restent toujours scellés à l'horizon.
— Kiara avait déjà son sac en partant, Devon.
Fait chier. Oui, néanmoins… c’était bien tenté, non ? Il se retourne
davantage, puis me fixe avec insistance, probablement dans l'attente que
j'en fasse de même. Évidemment, je ne bouge pas d'un putain de centimètre,
et malgré ça, je suis capable de sentir la chaleur ardente de ses iris reflétant
contre la peau de mes pommettes.
— Ça fait des mois que tu connais mon attirance pour cette femme, et
mis à part me mettre des bâtons dans les roues, tu n'as rien fait de plus,
continue-t-il d'une voix rauque. L'avantage, c'est que maintenant… je sais
enfin pourquoi.
Mon regard s'assombrit, tandis que ma mâchoire se crispe. Il poursuit :
— D'un côté, tes coups en douce m'arrangent un peu. Au moins… je
n'aurai aucun regret, quand je l'inviterai à venir passer la nuit dans mon lit.
Mes ongles se plantent à l’intérieur de ma paume, et malgré tout, je ne
trouve absolument rien à répondre de plus à ça. Oui, je me contiens, car il
est préférable de ne pas lui montrer combien cette simple image a le
pouvoir de me mettre hors de moi. Ça ne ferait rien de plus que l'amuser,
alors je refuse de lui accorder ce genre de satisfaction.
— Et si jamais tu restes persuadé qu'elle ne se laissera pas tenter à
cause de ton foutu contrat… pouffe-t-il nerveusement. Sache qu'Eva
s'apprête à accepter mon offre d’emploi.
Son offre de quoi ?
Caleb frappe brusquement mon épaule du plat de sa main pour appuyer
le tout, puis s'éloigne ensuite paisiblement, juste avant de se retourner une
dernière fois pour m'achever :
— Les dés sont lancés, frangin, lance-t-il avec sarcasme. Passe une
bonne fin de soirée.

 
Chapitre 27
Eva

Le paradoxe de l’homme, c’est


d’adorer les jeux de hasard au
point de s’y ruiner, et de craindre
les imprévus qui pourraient
pourtant être juteux.
Layla Namani

Charlie se gare tout proche de la piste de décollage, tandis que mon


souffle se coupe à la vue de cet engin. Mon Dieu, je n'avais encore jamais
vu un jet privé de si près. Enfin… à vrai dire, je n'avais tout simplement
jamais vu d'avion avant aujourd'hui. Si ce n'est à la télé, bien évidemment.
— Ça doit coûter des milliers de dollars, lancé-je à travers la vitre,
complètement bouche bée.
— J'aurais plus probablement parlé de millions, Mademoiselle, me
répond Charlie en manœuvrant avec dextérité.
Wow.
Mon nez est presque collé à la vitre de la voiture tant je reste
émerveillée par ce que je vois. (Et ce que je viens d'entendre) Des millions
de billets… ? Bon sang.
Soudain, un homme à l'allure assez imposante vient interrompre mes
rêveries, pour sympathiquement m'ouvrir la portière. Je descends alors sans
plus attendre de la voiture, bien parée à découvrir tout ça de plus près. De
son côté, Devon sort de l'habitacle, sans même prendre la peine de
commenter ma dernière remarque. Pour être honnête, il n'a pas dit grand-
chose, depuis que nous nous sommes retrouvés en bas de mon immeuble
plus tôt dans la matinée. Pourtant après la soirée d'hier, je pensais que…
Non, en réalité, il agit exactement comme depuis plusieurs semaines.
Chaque fois que cet enfoiré obtient ce qu'il veut de moi, c'est comme si je
n'existais plus au lever du jour. Comme si j'étais redevenue la petite
secrétaire bas de gamme qu'il aime tant mépriser. Merde, à croire qu'il me
prend pour sa putain de marionnette. Oui, et d'ailleurs, ce sera probablement
le cas, jusqu'à ce qu'il ne doive de nouveau assouvir ses besoins les plus
charnels. Une chose est sûre, cette fois-ci, ce ne sera pas avec moi. Plutôt
crever que de reproduire constamment les mêmes erreurs.
— Bonjour Eva, me sourit gentiment Caleb du haut des escaliers.
Comment allez-vous, ce matin ?
Je réponds à son sourire sans hésiter, juste avant de grimper les
marches deux par deux, impatiente de découvrir l'intérieur de cette véritable
maison volante. Pendant ce temps, Devon se charge de saisir nos bagages
pour les ramener en soute. Vraiment ? Merde, si j'avais un jet privé en ma
possession… je ne prendrais pas la peine d'y monter mes propres valises !
Ma foi… ça lui fera les pieds.
— Comme quelqu'un qui s'apprête à voyager telle une véritable
célébrité ! m'exclamé-je alors, tout excitée.
Une fois la dernière marche enfin franchie, Caleb se pousse sur le côté
pour me permettre de découvrir plus amplement les lieux. Sans grande
surprise, je m'extasie davantage. J'y vois alors quatre larges fauteuils en cuir
disposés de manière à ce que les occupants puissent se faire face, avec un
peu plus loin, un immense canapé assorti. Parallèlement à ce dernier, une
gigantesque télé est accrochée au "mur". Bordel, la mienne doit faire la
moitié de celle-ci ! Oui, enfin… mon appartement à lui seul, fait très
probablement la moitié de ce jet.
— Il y a aussi une salle de bain tout au fond, m'indique Caleb de son
index. Avec hammam intégré.
Ma bouche s'ouvre davantage suite à cette annonce on ne peut plus
étonnante. OK, c'est maintenant certain, je suis en plein rêve éveillé. Un
hammam dans un avion ? Seigneur, c'est de la pure folie !
— Eh bien… marmonné-je d'un air faussement hésitant. Je crois que je
vais devoir y faire un tour. Histoire de m'assurer qu'il fonctionne
correctement, je veux dire.
Caleb s'esclaffe sans retenue suite à cette suggestion bourrée d'ironie,
puis en profite ensuite pour me lancer :
— C'est vrai que vous êtes une petite privilégiée, à côté de tous les
autres employés, commence-t-il, toujours hilare.
Privilégiée ? Merde, je crois que le mot est beaucoup trop faible !
— Les pauvres se coltinent un vol en classe économique actuellement,
ajoute-t-il ensuite dans une grimace. C'est triste, quand on sait dans quel
genre de bolide on a la chance de pouvoir voyager !
Comment…
— Mes collègues participent aussi au séminaire ? me renseigné-je
alors, sincèrement perplexe. Je… je n'étais pas au courant.
— Quelques un seulement, oui, m'affirme aussitôt Caleb d'un petit
hochement de tête. Devon les a sélectionnés par catégories différentes, à
vrai dire. Il y aura des directeurs marketing, des concepteurs rédacteurs, des
designers, ainsi que des…
— Des designers ?! l'interromps-je subitement, un peu affolée.
Bordel de merde.
— Oui, mais aussi des chargés de prod…
— Sauriez-vous me donner leurs noms, à tout hasard ? le coupé-je de
nouveau, toujours plus paniquée. Simple curiosité, me rattrapé-je aussitôt
d'une petite moue innocente.
Mon comportement doit tout de même sacrément lui mettre la puce à
l'oreille, puisqu'il fronce légèrement les sourcils, apparemment étonné de
mes interruptions à répétition.
— Ils sont une trentaine, intervient Devon en faisant son entrée dans
l'avion. Nous n'avons pas tous les noms en tête.
— Pas même une petite liste ? lui demandé-je d'un sourire crispé. Vous
avez toujours une liste pour ce genre d’événements.
Oui, Devon a toujours une foutue liste quand nous partons en
séminaire. Nom, prénom, photo. Tout y est, afin qu'il s'assure de ne jamais
pouvoir se planter lorsque quelqu'un vient lui adresser la parole. Sûrement
une piteuse façon de se faire passer pour le boss irréprochable. Tu parles.
Ce dernier me dévisage un court instant, certainement dans
l'incompréhension totale, puis fouille finalement la poche intérieure de son
veston.
— Je crois que je l'ai sur moi, oui, réfléchit-il, juste avant d'en sortir
cette dernière.
Le graal. Sans hésiter, je lui fonce dessus afin de pouvoir m'en
emparer.
— Wow, doucement ! lance-t-il furieusement. J'en ai besoin pour
savoir à qui j'ai à fai…
— Si vous vous intéressiez un peu plus à vos employés, elle ne vous
serait pas utile, l'interromps-je sèchement, et tout en plongeant rapidement
mes yeux sur la feuille de papier.
Je relève brièvement la tête afin de pouvoir le gratifier d'un sourire
espiègle, et constate aussitôt son geste parfaitement enfantin. Comme j'ai
déjà pu le voir faire d'autres fois, Devon fait mine de mordre les phalanges
de son poing dans un regard menaçant, probablement pour mieux me
prouver son agacement. Je n'y prête absolument pas attention, préférant
plutôt de nouveau baisser les yeux pour me consacrer à ma recherche. Mes
pupilles parcourent alors la fiche à une vitesse folle, jusqu'à ce que la réalité
vienne -sans trop d'étonnement au final-, me frapper en plein visage. Nate
Ginaghal, évidemment. Ouais, c'était bel et bien évident, quand j'y réfléchis.
Le grand patron se doit d'inviter les nouveaux arrivants lors d'événements
comme ceux-ci, et mon karma est beaucoup trop défectueux pour que ce
genre de choses parfaitement merdique ne m'arrive pas. Seigneur… je suis
en train de tourner de l'œil.
— Il y a un souci… ? s'enquiert alors Caleb, un peu hésitant.
— Aucun ! m'exclamé-je en relevant brusquement la tête vers eux.
Tout va très bien !
Les deux frères s'échangent de multiples regards perplexes, alors je
m'empresse de rapidement mettre un terme à leurs doutes :
— Je crois que je vais aller prendre un bain, lancé-je en désignant le fin
fond du jet privé de mon menton. La douche de ce matin ne m'a pas assez
réveillée.
Aucun d'eux ne s'y oppose, alors je fonce rapidement en direction de la
porte afin de pouvoir m'exécuter. Merde, oui. J'ai vraiment besoin d'eau, là,
tout de suite. Froide. Gelée. Histoire de faire redescendre les cinq litres de
sang qui viennent tout juste de me monter au cerveau. Bordel… j'ai
vraiment le chic, pour me fourrer dans de sales situations. Qu'est-ce qui a
bien pu me passer par la tête, pour mentir à mon ex-petit ami ? Enfin… à
vrai dire, je crois que la véritable question est plutôt : comment vais-je bien
pouvoir lui faire croire que je suis la plus heureuse, au bras de mon soi-
disant fiancé, qui lui, ne sait strictement rien de notre futur mariage à venir
? Putain, à croire que la toute première fois ne m'avait pas servi de leçon.
 

♤♤♤
 
 
J’emboîte le pas à mon patron lorsqu’il descend enfin du jet privé après
les cinq heures de vol que nous venons tout juste de parcourir. Subir. Oui, le
mot est probablement plus adapté. Sans mentir, c'était le trajet le plus long
de toute ma vie. Pendant environ trois-cent-trente minutes, j'ai fait tout mon
possible pour animer un peu l'ambiance, et ce, malgré mon angoisse
flagrante que de retrouver Nate sur place. Au final, les deux frères ne me
répondaient que brièvement, et j'ai fini par en conclure qu'ils étaient peut-
être fâchés. Plus que d'habitude, je veux dire. À moins que ce ne soit à
cause de la tenue que je porte…? Peut-être me prennent-ils moins au
sérieux, vêtue de cette façon ? J'en doute. Oui, et puis même si c'était le cas,
je pense que je m'en moquerais complètement. Mon tailleur est beaucoup
mieux dans ma valise actuellement. Puis après tout… qui parcourt le pays
tout entier habillé de façon inconfortable ? Les frères Anderson. Merde, oui.
Il n'y a bien que ces deux-là pour faire ce genre de chose. Moi, j'ai préféré
me contenter d'un vulgaire survêtement de sport, et je crois que c'est la
meilleure idée que je n'ai jamais eue jusqu'à maintenant. Une minute de
plus dans cet avion, avec comme seule compagnies deux grincheux, et un
ensemble qui me provoque des démangeaisons insupportables… Ouais, en
effet, je me serais probablement tirée une balle en pleine tête avant
l'atterrissage. Avant le décollage, même. En revanche, je dois dire qu'il y a
du positif dans tout ça. Si Devon se montre si froid avec moi depuis ce
matin, c'est très certainement dû aux tensions présentes entre son frère et
lui. Bien qu'elles soient en général assez constantes, j'admets ne jamais les
avoir vus aussi distants l'un envers l'autre avant aujourd'hui.
Mon boss avance à grandes enjambées vers la voiture que j'ai pris soin
de sélectionner plus tôt dans la matinée, tandis que Caleb, lui, prend le
chemin complètement opposé. Je stoppe alors ma marche rapide dans une
moue de réflexion, puis demande à Devon :
— Nous ne finissions pas le voyage ensemble ? Je veux dire… tous les
trois ?
— Non, me répond-il froidement, sans jamais cesser d'avancer. Notre
hôtel est dans le centre-ville.
Notre hôtel ?
— Mais je croyais qu'on séjournait chez Cal…
— Ce n'est plus le cas, m'interrompt-il rapidement, juste avant d'ouvrir
sa portière pour pouvoir prendre place au volant.
Bon, eh bien… je crois que mes doutes sont à présent confirmés.
Effectivement, comme deux gamins, ils se font la gueule. D'un côté, ça me
soulage un peu de ne pas avoir à séjourner chez le frère jumeau de mon
patron. Je préfère de loin avoir ma propre chambre d'hôtel, plutôt que de
devoir supporter leurs têtes de cochon tout au long du week-end. Sans
parler du fait qu'au moins, maintenant, je suis enfin sûre des raisons qui
poussent Devon à se montrer si froid avec moi. Oui, mais parallèlement…
ça m'embête un peu pour eux. Déjà qu'ils ne s'entendent pas à merveille en
temps normal, alors… Merde, les deux prochains jours s'annoncent très
ennuyeux.
— OK… grommelé-je en reprenant ma course.
Je marmonne mes pensées à voix semi-haute en atteignant la portière
côté passager, puis tout comme Devon, finit par prendre place à mon tour.
Aujourd'hui, pas de chauffeur privé. Enfin… pour moi, si, puisque c'est le
patron lui-même qui va m'escorter jusqu'à l'hôtel.
— Au moins une chose de positive, marmonné-je à nouveau, tout en
attachant ma ceinture de sécurité.
— Un problème, Mademoiselle Pierse ?
Merde, je viens vraiment de penser ça à voix haute ?
— Aucun, lui réponds-je aussitôt, un peu mal à l'aise tout de même.
— Bien, dit-il en allumant le contact.
Il entre rapidement une adresse dans le GPS, probablement, pour aller
plus directement vers notre hôtel, et c'est à cet instant précis que je
comprends le nombre de minutes interminables qui m'attend encore. Vingt-
deux. Oui, vingt-deux minutes avant d'enfin pouvoir être un peu seule avec
moi-même, et… vingt-deux minutes à devoir supporter l'humeur plus que
désastreuse de mon patron. Bordel… achevez-moi.
 

 
Chapitre 28
Eva
 

Il n’est pas honteux pour l’homme de succomber sous la douleur, il est


honteux de succomber sous le plaisir.
Blaise Pascal
 

Voilà déjà près de trois minutes que je négocie seule face à la jeune
réceptionniste, afin d'obtenir deux chambres dans ce foutu hôtel de luxe.
Trois minutes que je bataille, plus exactement. À vrai dire, je peux lire dans
ses yeux combien elle ne me prend pas au sérieux. Oui, c'est même certain.
Cette pétasse à l'air d'avoir du flair, en ce qui concerne les comptes en
banque de ses potentiels clients. Après tout… une femme comme moi,
vêtue d'un vulgaire sweat à capuche, ne doit pas vraiment lui laisser croire
que j'ai les moyens de me payer une nuit dans un endroit comme celui-ci. Et
la vérité, c'est qu'elle a complètement raison. Moi, je ne les ai pas. En
revanche, Devon pourrait sans aucun doute s'offrir le bâtiment tout entier
sur-le-champ. Et ça tombe plutôt bien, puisque… c'est lui qui paye la note
pour les deux prochains jours.
— Vous êtes sûre de ne pas vouloir revérifier ? suggéré-je d'un sourire
parfaitement hypocrite. Je suis certaine qu'il vous reste quelque chose pour
me satisfaire.
La grande blonde se penche doucement au-dessus du comptoir de
marbre, probablement afin de se montrer discrète pour les secondes qui
vont suivre. Une fois bien avancée vers moi, elle me murmure avec mépris :
— Entre nous… je pense que le motel du coin de la rue vous sera plus
accessible.
Pardon… ? Merde, mais quelle espèce de sal…
— Bonjour, intervient Devon, tout en se positionnant à environ un
mètre de moi.
Lui aussi, il a honte de mon sweat à capuche ?
— Bonjour Monsieur, lui répond miss pétasse, large sourire aux lèvres.
Comment puis-je vous aider ?
Oh, c'est étrange ! Elle est nettement plus aimable, ce coup-ci !
— J'aurais besoin de louer deux chambres pour le week-end, lui dit-il,
plein d'assurance.
— Bien sûr, approuve-t-elle sans rechigner. Je regarde ça tout de suite.
Parfait. Je peux donc aller au bout de ma première pensée, et ce, sans
ressentir ne serait-ce qu'une toute petite once de regret. Quelle espèce de
salope !
— Je suis désolée, mais malheureusement… il n'en reste plus qu'une,
annonce-t-elle alors tristement. Cependant, il s'agit de la plus grande suite
de tout le bâtiment. À elle seule, elle comble une très belle partie du dernier
étage.
La blonde dépose aussitôt le badge électronique sur le comptoir afin
d'appuyer cette suggestion, tandis que Devon effectue une petite moue
dubitative, apparemment peu convaincu par cette idée. Il lance ensuite un
bref coup d'œil dans ma direction, puis tente rapidement les négociations en
arborant son sourire le plus séducteur :
— Je suis certain qu'on peut s'arranger. N'est-ce pas… marmonne-t-il
en baissant rapidement les yeux vers le badge doré de l'hôtesse. Kimberley
?
Cette dernière rougit instantanément, puis baisse ensuite la tête vers le
clavier de son ordinateur de manière atrocement timide. Il lui plaît, c'est
évident. D'ailleurs… à qui ne plairait-il pas ?
— Je vais regarder ce que je peux faire, ajoute-t-elle en battant des cils
à plusieurs reprises.
— Je n'en attendais pas moins de vous, Kimmy.
Quoi ? Merde, je ne rêve pas, là… Il vient vraiment d'employer ce
surnom ridicule pour la nommer ?
Visiblement, ça fait plutôt bien son effet, puisqu'elle se contente de
ricaner bêtement, tout en replaçant une petite mèche de cheveux derrière
son oreille. Pétasse. Ensuite, elle saisit de nouveau la souris de son PC, fin
prête à répondre à la demande de mon boss, mais toujours en lui jetant
quelques regards aguicheurs par moment. Je ne pensais jamais dire ça un
jour étant donné que j'ai déjà vu Devon faire ce genre de trucs parfaitement
répugnants un nombre incalculable de fois, mais aujourd'hui… ça m'agace.
Sincèrement, même. Pourquoi ? Je n'en sais rien. C'est peut-être dû à la
fatigue accumulée lors de ces dernières heures, ou bien encore… parce que
cette blondasse vient tout juste de me recaler, pour finalement dire oui au
premier beau mec susceptible de lui plaire. Oui, on va prendre ces options-
là. Après tout… ça n'a absolument rien à voir avec le fait qu'elle rêve de
finir dans le lit de mon boss. Merde, si. Bien sûr que c’est lié.
— Une seule suite fera l'affaire, interviens-je alors, tout sourire. Étant
donné qu'on couche ensemble tous les deux, continué-je, en agitant mon
index entre Devon et moi. J'imagine que le fait de partager le même lit ne
posera donc aucun problème.
"Kimmy" pâlit sur-le-champ, tandis que la mâchoire de mon patron
pourrait presque se décrocher tant mon interruption vient de le surprendre.
Malgré tout, je ne me dégonfle pas :
— Vous ferez monter nos bagages, lancé-je en m'emparant du badge en
passant. Et j'espère n'avoir rien à redire en ce qui concerne l'état de la
chambre, poursuis-je en m'éloignant, l’air toujours plus hautaine. Ce serait
vraiment dommage de devoir comparer un hôtel aussi luxueux, avec le
motel du coin de la rue…
 

Devon
 

Ma bouche forme une petite moue approbatrice après s'être lentement


refermée, un peu comme pour confirmer les récentes paroles de ma
secrétaire. D'ailleurs, cette dernière est en train de rejoindre l'ascenseur au
pas de course, et je ne compte pas la laisser s'enfuir sans me donner plus
d'explications au sujet de son intervention.
— Je reviendrai plus tard pour le paiement, dis-je à Kimberley, tout en
déposant rapidement ma CB sur le comptoir. Gardez ça en attendant.
— Monsieur ! s'exclame-t-elle alors à travers le hall d'entrée. Attendez
! J'ai d'autres informations à vous demander pour compléter le…
Malgré ses supplications, je ne me retourne pas une seule fois lors de
ma course menant à l'ascenseur. Au loin, j'aperçois Eva y entrer. Lorsqu'elle
comprend que je tente de la rejoindre, elle appuie sur le bouton à plusieurs
reprises, probablement afin de me fuir le plus rapidement possible. Par
chance, j'arrive au moment idéal pour repousser les portes automatiques.
— Je crois qu'on va au même endroit, lui souris-je en me hissant
difficilement entre elles.
Sans trop d'étonnement, elle n'y répond strictement rien. Je me dresse
alors plus proprement à ses côtés, me positionne ensuite de façon à garder
le regard rivé tout droit sur les portes d'acier, puis pour finir, actionne le
premier bouton que je trouve. Inconsciemment, j'appuie sur le numéro 62,
soit l'étage menant à notre suite. Parfait.
— Je peux savoir ce que ça voulait dire, tout ça ? demandé-je aussitôt
d'un ton moqueur.
— N'y voyez rien de personnel, me répond-elle naturellement. Je
n'avais simplement pas envie de passer le restant de ma journée à chercher
une chambre d'hôtel à peu près convenable.
Je jette un coup d'œil furtif dans sa direction, et constate aussitôt
qu'elle n'a pas bougée d'un centimètre, malgré la sensation de vertige causée
par le départ de l'ascenseur. Ses jambes sont toujours parfaitement scellées
au sol, tandis que ses yeux, eux, ne se détachent pas une seule seconde du
petit écran présent sur notre droite. C'est étrange, mais… je la trouve
affreusement sexy, dans cette simple tenue de sport. Vraiment très étrange,
oui.
— Tu viens quand même de dire qu'on couchait ensemble aux yeux de
tous, lancé-je, légèrement sceptique. Sans aucun problème, qui plus est.
Enfin, Eva pivote légèrement de façon à pouvoir me faire face, puis
arque un sourcil avant de rétorquer :
— Cette connasse était en train d'insinuer que je n'avais rien à faire
dans un hôtel comme celui-ci ! peste-t-elle, visiblement assez offensée.
Donc je me suis permise de lui prouver combien ma vie de pauvrette était
tout de même nettement plus amusante que la sienne ! Rien de plus !
Curieusement, cette simple constatation suffit à m'arracher un petit
sourire. Plus amusante… ? Vraiment ?
— Donc tu trouves que ta vie est plus "amusante", depuis que toi et
moi on…
— C'était simplement pour la faire taire, m'interrompt-elle rapidement.
— Tu veux dire que… marmonné-je en me tournant face à elle. Tu n'en
pensais pas un mot ?
Sa tête part en arrière dans un large soupire de lassitude, juste avant
qu'elle ne daigne enfin me faire intégralement face à son tour :
— Qu'est-ce que ça pourrait y changer, de toute façon ? s'agace-t-elle
alors sincèrement. Et puis… arrêtez de me tutoyer en permanence !
s'exclame-t-elle ensuite, tout en effectuant de multiples gestes avec ses
mains. Nous sommes là pour le travail, n'est-ce pas ?! Alors comportez-
vous comme mon boss !
Mon sourire ne s'efface pas malgré son irritation soudaine. Au
contraire, il ne fait que s'accroître, à chaque nouveau mot sortant de sa
bouche. Oui, car en vérité… je sais exactement quoi répondre à ça :
— Eva… commencé-je, en approchant dangereusement d'elle.
L'une de mes mains se dépose délicatement contre la paroi gelée de
l'ascenseur, tandis que l'autre en fait presque aussitôt de même, me
permettant donc d'emprisonner la tête de ma secrétaire au centre. Mes yeux
se baissent un quart de seconde vers sa poitrine, pour finalement constater à
quel point ce simple geste suffit à la faire haleter. Comme bien souvent, Eva
suffoque, lorsque nos corps sont si proches d'entrer en contact.
— Étant donné qu'on s'apprête à partager le même lit pour deux nuits
consécutives… poursuis-je dans un murmure charnel. Je pense avoir le droit
de te tutoyer.
Ses iris vert émeraude harponnent brutalement les miens, et c'est à cet
instant précis que l'envie folle de déposer mes lèvres contre les siennes
vient me submerger. Littéralement. Je crois n'avoir jamais ressenti ce besoin
aussi fort auparavant. Malheureusement, le bip retentissant soudain des
haut-parleurs interrompt mes plans. Eva plaque alors l'une de ses paumes
contre mon buste, puis me repousse gentiment, afin d'ensuite pouvoir sortir
de l'espace réduit que j'ai moi-même créé autour de sa tête il y'a de ça
quelques secondes.
— Comme je le disais tout à l'heure… lance-t-elle en me tournant le
dos pour prendre direction de la sortie. J'ai simplement fait ça pour la faire
taire.
Je penche la tête sur le côté en arquant un sourcil afin d'appuyer mon
air perplexe, mais reste tout de même immobile à l'intérieur de la petite
cage d'acier. Ma secrétaire pivote alors sur ses deux jambes, formant un
rapide et majestueux tour sur elle-même :
— Je pense que le sofa sera confortable, ajoute-t-elle d'un air
sarcastique. Pour vous, je veux dire…
Les portes commencent à se refermer sous mon nez, et malgré ça, je ne
déracine toujours pas mes pieds du sol. Non, en vérité, je reste absolument
subjugué par tant d'audace. Bordel, je viens encore de me prendre un
râteau. Oui, et au final… c'est peut-être ça, qui me plaît tant chez cette
femme-là. Quoique… non. Ce qui me plaît davantage, c'est le son
mélodieux que ses cordes vocales effectuent lorsqu'elle regarde mon visage
se décomposer en s'esclaffant sans retenue. Merde, j'aime l'entendre rire aux
éclats, malgré que ce ne soit pourtant pas vraiment grâce à moi. J'aime la
façon dont ses lèvres s'étirent, pour mieux me laisser apercevoir son
magnifique sourire. Sa merveilleuse bouche, ses merveilleuses dents…
Putain, le tout ferait un parfait collier autour de ma bite.
— À tout à l'heure, Monsieur Anderson, m'achève-t-elle, plus fière que
jamais.
 

*clac*
 

Bordel, cette pétasse sait exactement comment s’y prendre pour me


rendre fou. En effet, depuis toujours, elle a le pouvoir de me faire passer par
toutes les émotions possibles et imaginables. De la colère à la joie, de
l'irritation à la complaisance, et… de la prospérité, à la crainte absolue. À
vrai dire… oui, je crains Eva, plus que quiconque d'autre sur cette planète.
Dans le fond, je sais ce qu'une femme comme elle peut faire de moi, et ça
m'effraie. Mais pour être honnête, ce qui m'effraie le plus dans cette
histoire, je crois que c'est de la perdre. Définitivement. D'ailleurs, c'est
principalement pour cette raison -aussi étonnante soit-elle-, que je me fais
violence pour ne surtout pas aborder les sujets qui fâchent. Je parle du poste
que Caleb lui a proposé de saisir, ici même, en Californie. En vérité, j'ose
espérer qu'elle ne l'acceptera pas. Paradoxalement, je sais combien elle
serait stupide de ne pas le faire. Un job plus enrichissant, pour un salaire
plus important, avec un patron plus indépendant, moins… accablant. Oui,
après tout… quel genre de personne sensée refuserait une telle opportunité ?
Aucune. Encore moins Eva, qui malgré un plus gros chèque de ma part,
pourrait tout de même y foncer tête baissée. Mais comme je disais… elle
serait stupide de ne pas accepter. Tout autant que je le serais moi, si je ne
tentais pas de la convaincre un minimum de rester. Merde, évidemment. Je
me dois de lui prouver combien sa présence dans ma société m’est
primordiale. Combien sa présence dans ma vie, m’est primordiale. Ouais.
C’est ça, le vrai plan. Il faut que je mette toutes les chances de mon côté
pour qu'Eva reste auprès de moi.
 
Chapitre 29
Eva
 

La peur n'est pas le pire. L'atroce, c'est la honte de se regarder


succomber à la peur. Pierre
Gélinas
 

Me voilà allongée ici, sur cet immense canapé vintage, depuis déjà près
de trente bonnes minutes. Heureusement, mon téléphone est là pour tuer un
peu le temps. Dieu merci. Moi qui ne pensais jamais m'intéresser à une
appli comme Tiktok… je crois que je viens tout juste de changer d'avis.
Sérieusement, c'est dingue, le tas de trucs qu'on peut y trouver ! Des beaux
gosses musclés, des nanas plutôt douées en danse improvisée, des chanteurs
qui ont clairement loupé le coche pour les auditions à l'aveugle de The
Voice, et surtout… des chats tout mignons. Plein de chats tout mignons.
Alors en effet, je suis plutôt contente d'avoir pu récupérer ma ligne si
rapidement. Oui, cependant… c'est assez étrange, tout de même. Aucun
prélèvement n'a été effectué sur mon compte en banque dernièrement, donc
je dois admettre redouter la prochaine facture. Tant pis. Au moins, là, ça
m'est d'une grande utilité. Tout comme la décoration de cette gigantesque
suite, d'ailleurs. J'ai dû passer la moitié de mon temps à la contempler. Sans
rire, je n'avais jamais vu une telle chambre d'hôtel avant aujourd'hui.
Enfin… pour être honnête, je ne suis même pas certaine qu'on puisse
vraiment appeler ça une chambre. Non, à vrai dire… c'est plutôt comme une
sorte d'immense appartement.
Le lit peut accueillir pas moins de six personnes au total, tandis que le
salon, lui… merde, je pourrais largement y vivre avec mon père, Matt, et
Mara, sans jamais me sentir oppressée ne serait-ce qu'une toute petite
seconde. Sérieux, il y a carrément un couloir pour séparer les deux pièces
principales ! Je n'ai pas encore pris le temps d'aller faire un tour à la salle de
bain, étant donné que je me suis littéralement jetée sur le canapé en arrivant
ici, mais je reste absolument certaine qu'elle sera à la hauteur des lieux, elle
aussi. Quel dommage… moi qui comptais vraiment laisser un mauvais avis
sur TripAdvisor. Ouais, il faut croire que Kimmy a eu chaud aux fesses.
— Qu'est-ce que vous faites ?
La voix de Devon sortant de nulle part me vaut un sursaut à couper le
souffle, allant même jusqu'à me faire instantanément bondir du canapé.
Seigneur… je viens de frôler la crise cardiaque, là ! Je porte aussitôt une
main sur ma poitrine pour tenter de contrôler ma respiration, lève ensuite
les yeux dans sa direction, puis lui hurle, complètement terrorisée :
— Merde ! Mais comment avez-vous fait pour entrer ?! J'ai laissé le
badge sur la serrure !
Mon boss agite une carte noire sous mes yeux afin de facilement
justifier sa présence, puis il y ajoute d'un sourire narquois :
— On a pas mal de privilèges, quand on est millionnaire. Mais ça…
vous le saviez déjà, n'est-ce pas Mademoiselle Pierse ?
Mes paupières se plissent, formant alors une grimace dédaigneuse.
Premièrement, je déteste qu'il passe son temps à me rappeler qui est le boss
ici, et deuxièmement, j'ai du mal à comprendre son changement de
comportement si soudain. Il y a tout juste trente minutes de ça, Devon était
à deux doigts de me prendre contre la paroi d'un foutu ascenseur, et voilà
maintenant qu'il reprend les vouvoiements. Un peu comme si une petite
demi-heure lui avait largement suffi pour rebâtir le mur de pierres qui nous
sépare en temps normal. Merde, c'est tellement agaçant ! Oui, et malgré ma
frustration… je décide de répondre à sa toute première question, nous
évitant donc un sempiternel conflit :
— J'étais sur Tiktok, réponds-je alors naturellement.
— Quoi ? m'interroge-t-il avec mépris. Vous voulez dire… cette
application stupide, pour ados prépubères ?
— Elle est super cool, cette application ! rétorqué-je, un peu offensée.
Et il n'y pas que des "ados prépubères", dessus !
— Mh… me suspecte-t-il d'un léger plissement de paupières. Quoi
d'autre, alors ?
Je baisse rapidement les yeux sur l'écran de mon smartphone, puis le
lui tends ensuite aussitôt afin de justifier plus clairement ma réponse. Il
fronce les sourcils en découvrant la vidéo qui y défile, puis me lance :
— Des chats ? ricane-t-il d'un air moqueur. Sérieusement… ?
Devon continue à se moquer sans retenue pendant quelques secondes,
tandis que je me contente de poser une main sur ma hanche en mimant
bêtement ses mimiques agaçantes. Hahaha, qu'est-ce qu'on se marre !
— Donc si je comprends bien… reprend-il, toujours hilare. Je paye un
forfait téléphonique pour vous voir regarder des vidéos de chats à longueur
de journée ?
— Qu'est-ce que ça peut bien vous fai…
Attends… il quoi ?
Face à mon interruption soudaine, son rire se stoppe de manière
instantanée. En effet, je crois que mon boss réalise tout juste la gaffe
phénoménale qu'il vient de commettre.
— Bref, se rattrape-t-il en balançant rapidement sa tête de gauche à
droite. Nous devons aller faire un tour en ville. J'ai besoin d'un nouveau
costume, et j'aimerais qu…
— Alors… c'était vous ? l'interromps-je, un peu hésitante tout de
même. Je veux dire… pour le téléphone, ajouté-je en battant des cils à
plusieurs reprises, sincèrement perplexe. C'était vous ?
Nos regards se lient quelques instants, et c'est après seulement trois
petites secondes que je comprends combien cette simple constatation suffit
à le mettre mal à l'aise. Malgré tout, il tente l'un de ses nombreux jokers :
— Euh… je… grommelle-t-il en se grattant l'arrière de la tête d'un
geste machinal. Disons que sans ça… il est compliqué de travailler
convenablem…
— Non, le coupé-je d’une voix étonnamment douce. Dites-moi plutôt
la vérité, pour changer.
 

Devon
 

La vérité ? Merde, la vérité, c'est que j'ai besoin de te savoir joignable,


constamment. Oui, j'ai besoin de pouvoir entendre ta voix à n'importe quel
moment de la journée. Besoin de pouvoir converser par SMS ou Messenger,
comme bon me semble. Besoin de regarder les stories ou les publications
que tu postes par moment. Besoin d'être en contact permanent avec toi,
pour une raison que j'ignore encore moi-même. Ouais, et
malheureusement… je ne peux pas me permettre d'admettre les choses de
cette façon. En effet, il ne faut pas que je baisse ma garde si facilement. Elle
en jouerait trop.
— Je vous écoute, insiste-t-elle alors, probablement de manière à
m'encourager à répondre.
— J'ai juste voulu rendre service, me justifié-je enfin d’un air logique.
Je pense qu'Eva peut clairement lire la gêne présente sur mon visage, et
c'est exactement pour cette raison que je m'empresse d'ajouter :
— Quand vous m'avez confié ne plus avoir de ligne, j'ai fait des
recherches, et ai fini par en conclure que vous n'aviez pas toujours les
moyens de…
— Merci, me coupe-t-elle calmement. C'est… vraiment très gentil de
votre part. Surprenant, mais gentil.
Je relève la tête pour lui faire intégralement face -un peu hésitant tout
de même-, et constate finalement la sincérité de ses propos. En effet, je ne
remarque aucune once de colère dans ses iris lorsqu'ils se plantent
intensément dans les miens. Pour être honnête, je pensais plutôt qu'Eva
allait m'arracher les yeux en apprenant ça, mais visiblement… je me suis
trompé. Bien au contraire, je crois que je viens tout juste de grimper d'un
échelon dans son estime. Prends-toi ça, frangin.
Nous nous regardons droit dans les yeux pendant de longues secondes
sans que rien d'autre ne se passe, et malgré la vague de chaleur qui traverse
actuellement mon corps, je n'arrive pas à lâcher. Curieusement, j'aime
pouvoir lire la douceur dans ses iris, même si aucun son ne parvient à sortir
de sa bouche. C'est plutôt étrange, mais je ne ressens absolument plus
aucune gêne. Je dirais même que je me sens… bien. Oui, cette sensation qui
gronde à l'intérieur de moi actuellement est complètement différente des
autres fois. À tel point d'ailleurs, que je ne sais absolument pas ce que tout
ça peut signifier. Bordel, Eva est en train de me faire ressentir une toute
nouvelle chose aujourd'hui, et je suis incapable d'en connaître sa véritable
provenance. C'est… frustrant. Affreusement frustrant.
— Pourquoi voulez-vous partir en ville, exactement ?
Soudainement, elle brise ce moment agréable de manière assez
désinvolte en baissant de nouveau la tête sur l'écran de son téléphone, un
peu comme si les secondes précédentes ne lui avaient absolument rien
procuré. Rien. Pas même un tout petit frisson. Quant à moi, il me faudra un
long moment avant de réussir à bouger. Allez connard… fais quelque chose
! Mes pieds se déracinent enfin du sol, me permettant donc de rejoindre la
salle de bain au pas de course. Je fais face au large miroir, défais ma cravate
d'un geste brusque, m'appuie contre la double vasque, puis me regarde
ensuite droit dans les yeux, en espérant que tout ça puisse m'aider à
reprendre un peu mes esprits. Putain… c'était quoi, ça ?! Merde, il faut que
je me passe de l'eau sur le visage. Oui, je dois réactiver ma putain de
cervelle, et non, je ne laisserais pas cette femme entrer à l’intérieur de ma
tête.
 

Eva
 

Devon fonce rapidement en direction de la salle de bain, tandis que je


reste immobile aux côtés du canapé en écoutant l'eau couler du robinet.
Merde, quelle conne. Pour être honnête, je ne sais pas vraiment ce qu'il m'a
pris de poser cette question complètement stupide dans un moment comme
celui-ci. En vérité, je pense que je me suis sentie obligée d'y mettre un
terme. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être parce que je connais
parfaitement bien la sensation que j'ai eue dans la poitrine, lorsque mon
patron m'a regardée avec tant de douceur dans ses iris. Et peut-être aussi
parce qu'elle me fait peur, cette sensation. Très peur.
— Il me faut un nouveau costume pour ce soir, me dit-il finalement,
juste après avoir coupé l'eau du robinet. Et… j'ai besoin d'un avis féminin
pour ne pas faire d'erreur, continue-t-il avec une petite touche d'hésitation.
Habituellement, je compte sur ma mère, seulement… comme vous le savez
déjà, elle n'est pas là.
Pendant qu'il me fait part de ses justifications, comme toujours,
complètement bidons, j'approche lentement de la salle de bain afin de
pouvoir lui montrer mon air dubitatif. En effet, j’ai de gros doutes sur cette
révélation. Depuis quand un homme comme Devon a-t-il besoin de sa mère
pour l’aider à choisir une tenue ? Au vu des boutiques qu'il fréquente en
temps normal, je suis convaincue que plusieurs stylistes sont présents sur
place pour répondre à n'importe laquelle de ses demandes ! D'ailleurs, c'est
bien pour cette raison que je continue d'avancer, afin de mieux pouvoir le
taquiner à ce sujet. Lorsque j'atteins enfin mon but, je le vois en train
d'essuyer son visage à l'aide d'une petite serviette éponge. Merde, il est
vraiment trop canon, quand il perd ses moyens. Je m'appuie sur le
chambranle de porte, croise les bras sous ma poitrine en l'observant, et
attends ensuite patiemment qu'il rouvre les yeux pour lui lancer :
— Est-ce une manière discrète de passer un peu de temps seul en ma
compagnie ? lui demandé-je alors, sourcil arqué. À moins que vous n’ayez
juste pas d’autres options pour tuer un peu le temps…
Pendant qu'il se redresse lentement, ses iris se plantent de nouveau
intensément dans les miens. À vrai dire, je sais d'avance qu'il ne répondra
pas de vive voix à la première remarque, mais je reste persuadée que c'est
pourtant bel et bien le cas. Oui, dans le fond, Devon tient à passer du temps
seul avec moi. Ce dernier avance alors dans ma direction pour quitter la
pièce, mais une fois à mon niveau, voilà qu'il prend tout de même une petite
seconde afin de brièvement s’adresser à moi :
— J’ai besoin d’un nouveau costume, me murmure-t-il d'une voix
rauque, son visage tout proche du mien. Et je ne compte pas vous laisser
seule dans un palace pareil. Vous êtes en voyage d’affaires, pas en séjour
dans un putain de spa.
— Mh… On va dire que je vous crois.
Pour toute réponse, il arque un sourcil, puis décide finalement de
reprendre sa marche, préférant visiblement ne rien ajouter. L'odeur de son
parfum envahit mes narines lorsqu'il commence à s'éloigner, ce qui me vaut
donc un frisson incontrôlable dans l'abdomen. Seigneur, cette odeur…
Inconsciemment, ma main s’agrippe à son bras avant qu'il ne m'échappe
totalement. Devon se retourne alors d'un air intrigué, tandis que je me
rattrape aussitôt :
— Je vérifiais simplement la qualité de ce costume, lui dis-je d'un air
logique, et tout en faisant mine de tâter la manche de ce dernier. En effet, un
neuf ne serait pas de refus.
Sans trop d'étonnement, mon boss se contente d’esquisser un petit
sourire moqueur. Tu fais chier, Eva !
— On va dire que je vous crois… rétorque-t-il, juste avant de
gentiment se défaire de mon emprise pour s’éloigner.
Et ouais ma grande… il fallait t'y attendre ! Retour à l'expéditeur !
Merde, je dois l'admettre, il est très doué à ce jeu-là. Et c'est d'ailleurs
pour cette raison que je ne retiens pas mon sourire en le regardant rejoindre
le salon. Putain, il est tellement… sexy.
Bordel, mais qu'est-ce qu'il me prend, au juste ?! Pourquoi je souris
sans arrêt, aujourd'hui ?! Et puis… pourquoi l'envie débordante de
l'embrasser me hante à ce point ?! Soudain, les mots de Mara reviennent
frapper mon esprit. Effectivement, je me souviens de chaque phrase qu'elle
a pu me lancer après les aveux que je lui ai faits, la veille du départ chez
mon père :
 

« Il s'agit de ton putain de patron, Eva ! Tu risques gros en laissant ce


jeu malsain s'installer entre vous ! Mais ça… j’imagine que tu en es déjà
consciente, n'est-ce pas ? »
 

Oui, j'en suis même parfaitement bien consciente, néanmoins… j'ai la


sensation que c'est plus fort que moi. Plus fort que tout.
 
 
 
Chapitre 30
Eva
 

Le meilleur moyen de faire cesser la tentation, c'est d'y succomber.


Tristan Bernard
 

Nous sortons tout juste de la boutique une fois la nouvelle tenue de


Devon sélectionnée. C’est sans grande surprise que je ne lui ai été d'aucune
utilité. Besoin d'un avis féminin, hein… ? Évidemment, j'ai évité de le
relancer à ce sujet. Oui, et puis de toute manière… mes batteries sont
beaucoup trop à plat pour débuter quelconque débat. Sans rire, j'en viens
même à regretter d'avoir changé de tenue. Bien que je doute qu'un
survêtement soit adapté à ce genre de lieu, je ne peux m'empêcher de penser
au fait qu'au moins, j'aurais été beaucoup plus à l'aise lors de l'heure
d’attente interminable que je viens tout juste de subir.
— Vous avez faim ? me demande mon boss, tout en ouvrant la voiture
à distance.
Mon regard se tourne rapidement vers lui pour le gratifier d'une petite
moue désapprobatrice de refus, juste avant qu'il ne propose :
— Alors... Un café, peut-être ?
Je fais instantanément claquer mon pouce et mon majeur entre eux
pour valider cette merveilleuse suggestion, puis y ajoute, avec un peu plus
d'énergie pour cette fois :
— C'est tout ce dont j'ai besoin actuellement !
— Parfait, me sourit-il en déposant l'étui qui contient son costume à
l'arrière du S.U.V.
Aussitôt, nous prenons direction du café le plus proche à pied, tandis
que j'en profite pour faire un peu de lèche-vitrines sur le trajet. C'est dingue,
le nombre de boutiques qu'on peut trouver dans un endroit comme celui-ci.
Bon, après tout… je dois admettre ne pas être la plus à plaindre en termes
de shopping, dans une grande ville comme New York. Mais disons que le
cadre est nettement plus appréciable ici, à Los Angeles. Ce qui me rappelle
d'ailleurs qu'il ne me reste plus que quarante-huit heures pour donner une
réponse définitive à Caleb. Merde, c'est -beaucoup- trop peu.
Je stoppe soudain ma marche en passant devant une énième vitrine. À
vrai dire, celle-ci vient d'attirer mon attention, bien plus que toutes les
précédentes. La longue robe noire présente sur le portant du milieu est à
couper le souffle. Vraiment. Elle est d'une simplicité hors norme, mais je la
trouve tout de même très captivante. Ses bretelles ont l'air assez légères,
tandis que le col en V prolongé apporte une touche sensuelle absolument
torride au reste de la tenue. Enfin… pour être franche, je crois que ce qui
me plaît le plus, c'est la large fente présente tout au long de la jambe droite.
Splendide.
— Vous voulez y jeter un œil ? me propose sympathiquement Devon
en approchant.
Je tente de trouver un prix proche des mannequins avant de lui apporter
ma réponse, mais n'y vois finalement rien d'autre que de multiples
accessoires assortis. Ce qui, j'imagine, annonce donc probablement déjà la
couleur. En effet, pour qu'aucun prix ne soit affiché en vitrine, c'est
sûrement signe qu'elle coûte un bras. Oui, et après réflexion… je viens tout
juste de passer près d'une heure à attendre lors des essayages de mon cher
patron, alors… ouais, j'ai bien le droit de rêver un peu, moi aussi.
— Pourquoi pas, oui, lui souris-je en m'empressant de rejoindre la
porte.
D'ailleurs, je n'ai même pas le temps de la pousser, qu'un homme se
charge déjà de le faire pour moi. Dans la foulée, une femme d'une
quarantaine d'années approche à grandes enjambées vers nous, une coupe
de champagne présente dans chaque main. Bon, d'accord. J'ai vraiment bien
fait de me changer avant de partir, et… effectivement, cette robe n'est
définitivement pas faite pour moi.
— Monsieur Anderson, lance-t-elle en lui tendant le verre plein, tout
sourire. Ravie de vous revoir parmi nous ! Vous avez fait bon voyage,
j'espère ?
Comment… merde, alors c'est ici que vient Devon, pour acheter les
cadeaux de ses multiples conquêtes ? Je me retourne pour le gratifier d'un
regard perplexe, tandis qu'il saisit sa coupe dans un bref hochement de tête
afin d'approuver la demande de la vendeuse. Ensuite, je m'empare du verre
qu'elle tend toujours dans ma direction, puis m'éloigne sur-le-champ pour
leur laisser un peu d'intimité. Ce n'est pas vraiment du café, mais… ça
devrait faire l'affaire pour ralentir mon rythme cardiaque.
Étonnamment, mon boss m'emboîte le pas sans donner suite, alors j'en
profite pour lancer discrètement :
— Donc vous achetez régulièrement des vêtements féminins, à ce que
je vois… marmonné-je, tout en tentant au mieux de dissimuler mon
irritation pourtant quasi indéniable.
Il boit l'intégralité de son verre d'une seule traite, le pose au sommet du
premier comptoir qu'il trouve sur son chemin, puis me répond naturellement
:
— Caleb, plus probablement.
Quoi ?
Je stoppe furieusement ma marche en plein milieu du rayon afin de
pouvoir lui faire face, tandis qu'il en fait aussitôt de même, me rendant donc
une petite grimace perplexe en retour.
— Pourquoi toujours tout ramener à votre frère ? l'interrogé-je alors
subitement. Je suis en train de parler de vous, là, pas vrai ?!
Je tente de rester discrète, néanmoins… je suis certaine que chaque
vendeuse a pu profiter de mon mécontentement tant les décibels en étaient
anormalement élevés.
— Vous savez, Mademoiselle… grommelle-t-il alors. Ici, mon frère est
très réputé. Et comme une grande partie de la ville… les murs de cette
boutique lui appartiennent, poursuit-il d’un air logique. Inutile de vous
rappeler qu’on est identique, et que donc par conséquent, tout le monde
pense que je suis lui ?
Il me faudra quelques secondes pour comprendre le réel sens de cette
phrase, et c'est seulement lorsque je fais enfin le lien, que je me sens virer
au rouge cramoisi. Putain… évidemment. Quelle sombre conne je peux être,
parfois.
— Oh… soufflé-je alors, affreusement gênée. Oui, c'est… je…
— Vous êtes toute rouge, Eva, m'interrompt-il en s'éloignant, tout
sourire. Buvez un coup, me suggère-t-il ensuite en désignant ma coupe de
son menton. Ça refroidira sûrement vos ardeurs.
L'enfoiré…
Oui, mais malgré tout, je m'exécute instantanément, et en bois la
totalité d'une seule traite à mon tour. En effet, il me faut cette petite dose
d'audace, avant de rapidement le rejoindre pour rétorquer. Peu importe quoi,
mais je dois absolument le faire. Je pose alors mon verre au même endroit
que lui une fois ce dernier terminé, puis fonce aussitôt dans sa direction
pour l'assaillir :
— Ça n'aurait rien changé, de toute façon, balancé-je sèchement, mais
un peu plus discrètement pour cette fois. Je me moque complètement de
savoir ce que vous faites, avec qui vous le faites, et surtout, pour qui est-ce
que vous le fai…
— Je peux peut-être vous aider, Mademoiselle ? m'interrompt
gentiment la vendeuse.
Mes iris restent ancrés à ceux de mon boss un court instant, pendant
que ce dernier profite très clairement de la situation pour me provoquer d'un
air malicieux. J'ai envie de lui arracher les yeux. Toutefois, je refuse de me
donner en spectacle ici, dans une boutique aussi luxueuse, alors…
— Pourquoi pas, oui, souris-je en me retournant intégralement, comme
si de rien n'était.
Il s'agit de la même femme qui s'est chargée de nous accueillir trois
minutes auparavant. Ses cheveux blonds sont impeccablement tirés en
arrière, formant un énorme chignon rempli de laque sur le derrière de sa
tête. Quant à ses iris, eux, ils sont d'un bleu océan vraiment très hypnotisant.
Sur son badge en plaqué or, je remarque aussitôt un prénom ; Rachel.
— Dites-moi tout, m'encourage justement cette dernière avec panache.
— Eh bien, j…
— La robe noire présente en vitrine, me coupe Devon en lui désignant
de son index. Quel est son prix ?
Mais… qu'est-ce qu'il fait ?! Merde, je n'ai même pas les moyens de me
payer un cintre, ici ! Rachel effectue une petite moue de réflexion en y
jetant un bref coup d'œil, puis lui demande, tout en y tendant le bout de son
stylo :
— Vous parlez de celle présente sur le mannequin au centre ?
— Oui, approuve-t-il sans hésiter. Celle-là précisément.
— Elle est à mille-quatre-cent-soixante dollars, Monsieur Anderson,
lui répond-elle naturellement. C'est une haute couture de chez Versace. La
crème de la crème, ricane-t-elle ensuite doucement.
Bordel de merde.
— Je la prends, dit-il alors fermement.
Il la quoi ?! Mes sourcils se froncent, tandis que mes yeux
s’écarquillent exagérément. Seigneur… non !
— Je ne…
— Souhaitez-vous l'essayer ? me coupe Rachel d'un air jovial. Je vous
le conseille vivement. Après ça… vous ne pourrez plus jamais vous en
séparer !
Elle s'esclaffe à la suite de cette simple suggestion, tandis que je me
contente de lui rendre un sourire atrocement crispé en retour. Merde, hors
de question !
— Ce ne sera pas utile, commencé-je alors, un peu mal à l'aise tout de
même. À vrai dire, je n’ai pas vraiment les moy…
— Elle va l'essayer, m'interrompt de nouveau Devon.
Nom de Dieu, est-ce qu'on peut me laisser finir mes phrases, ne serait-
ce qu'une toute petite fois ?!
— Parfait ! s'extasie la vendeuse en s'exécutant. Installez-vous en
cabine, je vous amène ça de suite !
Fatalement… je n'ai plus vraiment le choix que de céder face à tant
d'obstination. En revanche, contrairement à ce que pense Rachel, je serai
assurément capable de repartir de sa boutique sans cette foutue robe. Ou
plutôt ce lingot d'or, au vu du prix exorbitant qu'elle fait.
— Allons-y, m'ordonne Devon en commençant à marcher en direction
des cabines.
— Allons-y ? pouffé-je avec dédain. Non, vous… vous restez là, lancé-
je ensuite, tout en lui passant rapidement devant.
Ni une ni deux, je me retrouve à l'intérieur de l'immense cabine
d'essayage. Merde, elle fait presque la taille de ma chambre ! Oui, c'est
vrai. Depuis quelques heures, je compare absolument tout ce que je vois
avec mon appartement. Mais en même temps… j'ai la sensation que tout est
surdimensionné, dans la vie de Devon. Et je ne parle pas que de ses biens
matériels…
— Tenez, Mademoiselle, sourit la vendeuse en me tendant
délicatement la robe. Si besoin, je reste à votre disposition.
— Merci beaucoup, lui réponds-je en pinçant timidement mes lèvres
entre elles.
Je la saisis sans plus attendre, puis referme ensuite le verrou de la porte
coulissante derrière moi. En effet, je n'ai pas vraiment confiance en Devon.
Ensuite, j'ôte tranquillement mes vêtements, pour enfin pouvoir enfiler cette
magnifique robe. Magnifique robe qui risque de me coûter très cher si j'ai
le malheur de l'abîmer, soit dit en passant. Une fois mon soutien-gorge
retiré, je la passe rapidement au-dessus de ma tête, tire légèrement sur
chaque extrémité avant de la lisser du plat de ma main, remonte le décolleté
afin que ma poitrine ne soit pas trop visible, puis relève enfin les yeux vers
le large miroir pour admirer le résultat. Mon Dieu… Rachel avait raison.
Maintenant… je n'ai plus du tout envie de la quitter. Oui, mais… non.
Impossible pour moi d'accepter quoi que ce soit venant de Devon. Et au
moins, cette fois, il ne pourra pas me prendre lamentablement par les
sentiments, puisque Charlie n'est pas là pour faire l'intermédiaire.
— Tout se passe comme vous voulez ? me demande sympathiquement
la vendeuse à travers la porte.
— Oui ! C'est parfait, elle… elle est vraiment très belle !
— Super ! s'exclame-t-elle alors joyeusement. Puis-je avoir le loisir de
voir ça ?
Je ne prends pas la peine d'y répondre de vive voix, et m'empresse de
venir déverrouiller la porte afin de directement lui donner mon approbation.
Une fois cette dernière grande ouverte, l'émerveillement de Rachel me
confirme rapidement la chose : elle veut absolument me vendre cette foutue
robe.
— J'ai juste besoin d'un petit coup de main, suggéré-je en lui tournant
le dos afin d'appuyer ma demande. Pour la fermeture dorsale, je veux dire.
Sans discuter, Rachel s'exécute, et la referme, en un rien de temps, me
valant donc un petit sursaut dans la foulée.
— Vous êtes resplendissante, Mademoiselle, euh… réfléchit-elle d'un
ton hésitant.
— Eva, lui dis-je en me retournant pour lui faire de nouveau face. Vous
pouvez m'appeler Eva.
Pour toute réponse, j'ai droit à un sourire plus que radieux, ce qui me
fait donc aussitôt penser qu'elle est parfaitement sincère dans ses
compliments. D'un côté, c'est assez rassurant, mais parallèlement… j'en
attendais autant de la part de quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui est pourtant à
seulement quelques mètres de moi, mais qui ne fait rien de plus que de me
reluquer de la tête aux pieds, sans rien dire, ni rien faire. Vraiment. Oui,
aucune expression ne traverse le visage de Devon, et aussi étrange que ça
puisse paraître… ça me froisse un peu dans mon égo.
— Je vous prépare sa housse ? me demande la vendeuse, légèrement
perplexe.
— Oh non, je…
— S'il vous plaît, oui, m'interrompt Devon, pour la millième fois.
Je le gratifie d'un regard atrocement assassin en retour, puis attends
patiemment que Rachel s'éloigne, afin d'ensuite pouvoir approcher en
trombe sur lui :
— Que ce soit clair, Bill Gates, commencé-je en réduisant
furieusement l'espace nous séparant. Je n'accepterai plus rien qui puisse
venir de v…
Soudainement, sa main se plaque contre ma bouche pour faire cesser
mes plaintes, juste avant qu'il ne me traîne de force dans la cabine. Merde,
les battements de mon cœur ont probablement atteint leur maximum, tant je
n'étais pas préparée à ça. Une fois entrés dans la pièce, mon boss ferme le
verrou derrière nous, puis détache ensuite doucement sa paume de mes
lèvres pour me murmurer :
— Un cadeau… commence-t-il d’une voix rauque. Ça ne se refuse pas.
Ma respiration s'accélère davantage lorsque je le vois faire glisser sa
langue entre ses lèvres. Seigneur… Curieusement, je ne cherche pas à le
fuir, et sans surprise, il en profite pour pousser le vice un peu plus loin,
déposant donc fermement ses longs doigts contre mes hanches. Il les
emprisonne avec force, m'arrachant une inspiration un peu trop bruyante
dans la foulée.
— Depuis ce matin… marmonne-t-il au creux de mon oreille. Je sais
combien tu en as envie, toi aussi.
Oh mon Dieu… oui.
— Je ne voulais pas craquer, Eva, mais… continue-t-il en déposant
quelques baisers tout au long de mon cou. Te voir dans cette robe, c'est…
de la vraie torture, putain.
Je laisse ses lèvres remonter jusqu'à ma mâchoire sans rien dire, et me
fais violence pour étouffer chacun des gémissements qui menacent
actuellement de sortir de ma bouche. Comme Devon me le disait hier soir…
il n'a qu'à poser ses doigts sur moi pour me faire gémir.
— Je vais t'embrasser, murmure-t-il délicatement contre ma peau.
— Non, désapprouvé-je dans un souffle.
Ma main se pose contre son buste afin de le forcer à reculer
légèrement, me permettant donc de profiter des courtes secondes de doute
que ce geste lui procure pour l'observer attentivement. Bordel, c'est dingue
comme ce mec est beau…
— Cette fois, c'est moi qui vais le faire, lancé-je ensuite, juste avant de
rapidement me hisser jusqu'à lui.
Nos lèvres s'entrechoquent alors pour partir dans un baiser torride et
sensuel. Beaucoup plus que tous les précédents. L'une de ses mains
enveloppe délicatement ma joue, tandis que la seconde se contente de
contourner le bas de mes reins, afin d'ensuite pouvoir m'entraîner encore
plus proche de lui. Nom de Dieu. C'est une putain de bombe nucléaire, qui
éclate à l'intérieur de moi. Fort heureusement, la raison ne tarde pas trop à
me rattraper. Effectivement, nous sommes dans une boutique de fringues de
luxe, et je ne suis pas tout à fait sûre qu'on puisse se permettre de faire ce
genre de chose.
— On ne peut pas faire ça ici, soufflé-je en me détachant subitement de
ses lèvres.
Pour toute réponse, Devon fronce légèrement les sourcils :
— Qui te dit que c'est vraiment ce que j'attends de toi ? m'interroge-t-il,
visiblement un peu sceptique.
Aussitôt, mes yeux se baissent en direction de son entrejambe. En effet,
personne n'a fait de précisions à ce sujet, néanmoins… parfois, il est inutile
de trop parler.
— Je ne sais pas… Ça, peut-être ? suggéré-je ensuite en désignant son
membre de mon index.
— Évidemment, pouffe-t-il d'un air logique. Sérieusement… tu t'es vue
? ajoute-t-il ensuite, sourcils arqués. Dis-moi comment on pourrait te
résister, elle et moi ?
Il me dévisage brièvement à la fin de cette dernière question, tandis
qu'un sourire timide en profite pour apparaître sur mon visage. Merde, ça
n'était vraiment pas son but ? Devon ne voulait pas me prendre ici, entre les
quatre murs de cette pièce ?
— Ça… reprend-il, tout en baissant doucement la tête vers le sujet
principal de notre conversation. C'est juste l'effet que tu me fais
constamment, Eva.
Je tente de calmer le rythme un peu trop agité qu'à ma respiration, mais
n'y parviens pas totalement au final. Non, en réalité… ses mots me
provoquent beaucoup trop de choses pour que je puisse intégralement
reprendre le contrôle de mon corps.
— Une demi-seconde, poursuit-il en venant délicatement poser son
front contre le mien. C'est le temps qu'il me faut pour avoir envie de toi,
chaque fois que je me réveille le matin.
Son souffle chaud reflète contre ma peau lorsque Devon expire
calmement, probablement de manière à contenir ses envies actuelles au
maximum.
– Merde… reprend-il en caressant délicatement ma joue. Si j’avais su,
jamais je n’aurais succombé à la toute première fois. Depuis… ça
m’obsède.
À la suite de cette phrase, Devon vient caresser ma lèvre inférieure à
l'aide de son pouce, et… c'est à cet instant précis que je comprends combien
il m'est impossible de lui résister, à moi aussi. Oui, depuis tout ce temps, je
fais de mon mieux pour me persuader du contraire, mais… la vérité, c'est
qu'il y a bien plus qu'une simple tension sexuelle entre nous. Bien plus
qu'une simple attirance physique.
— Tout va bien, là-dedans ?
L'interrogation perplexe de Rachel nous sort subitement de la petite
bulle qui venait pourtant tout juste de prendre forme autour de nos deux
corps bouillants de désir. Fait chier. Mais malgré ça, je ne bouge pas d'un
centimètre pour lui répondre :
— Oui oui ! commencé-je d'une voix enthousiaste. J'avais simplement
besoin d'aide pour la retirer !
Elle ne répond pas instantanément, alors j'imagine sans effort le
nombre de questions qu'elle est actuellement en train de se poser. Enfin,
Rachel trouve le courage de relancer :
— Oh… je vois ! s'exclame-t-elle d'un ton faussement compréhensif.
Dans ce cas… je vous attends en caisse !
Je décide de me dégager de l'emprise de Devon pour rapidement la
rejoindre, mais malheureusement, j'ai bien peur de ne pas réussir à résister
aux prochaines secondes, puisque… :
— Je… marmonné-je timidement. Je vais vraiment avoir besoin de ton
aide pour la retirer, par contre.
Sans rechigner, il me fait simplement signe de faire un petit tour sur
moi-même afin de pouvoir accéder à la fermeture dorsale. Je l'observe alors
s'exécuter à travers le large miroir présent en face de nous, et ne peux
m'empêcher de penser aux minutes précédentes. Qu'est-ce qu'il vient de se
passer, au juste ? Pourquoi j'ai la sensation de ne plus du tout le détester ?
Pire, pourquoi ce sentiment de haine est en train de virer au parfait
opposé…?
— Voilà, murmure-t-il d'une voix rauque, et tout en me regardant droit
dans les yeux à travers la glace.
— Est-ce que tu peux aussi… marmonné-je en lui indiquant les
bretelles d'un simple petit coup d'œil.
— Bien sûr, me répond-il sans hésiter.
En vérité, lui comme moi savons pertinemment que je n'ai pas besoin
d'aide pour ça, néanmoins… tant pis. Il fait alors glisser l'une d'entre elles
du bout de ses doigts, et ce, sans jamais me lâcher ne serait-ce qu'une toute
petite seconde du regard. Une fois cette dernière délicatement retirée de
mon épaule, Devon s'occupe de la seconde. Ici, la pièce est très lumineuse,
mais je ne me sens absolument pas mal à l'aise quand ma poitrine se
retrouve intégralement nue face à lui. Au contraire, je peux lire sur son
visage combien il me dévore. Littéralement. Son regard est semblable à
celui d'un lion face à sa proie, et… merde, j'adore ça.
Je fais glisser la robe jusqu'au bas de mes chevilles en me tortillant
légèrement, toute proche de sa virilité, lui permettant donc de découvrir
pleinement mon reflet, seulement vêtue d'une culotte de dentelle noire.
— Tu es sublime, me dit-il en déposant un court baiser sur le sommet
de mon épaule.
Son index glisse doucement contre mon bras, pour ensuite rejoindre le
dessus de ma main. Il caresse délicatement mes doigts du bout des siens,
puis pour finir, les entremêle tous ensemble dans une étreinte assez serrée.
Pendant ce temps, nos regards restent encore liés à travers le miroir.
Impossible pour moi de décrocher tant l'instant même est à couper le
souffle. Il est à couper le souffle.
— Rhabille-toi, m'ordonne-t-il finalement, mettant donc un terme
définitif à tout ça.
Qu…
— Pourquoi ? lui demandé-je, intriguée, et tout en me retournant pour
lui faire face. Tu n'aimes pas ce que tu vois ?
Devon soupire longuement en me saisissant fermement par les côtes,
mais comme il peut probablement le voir dans mes iris, ça ne suffit pas à
me rassurer. Il m'explique alors :
— Bien sûr que si, lance-t-il d'un air logique. Seulement… ce n'est ni
le bon endroit ni le bon moment.
OK. J'ai un peu de mal à suivre, là.
— Pourtant… grimacé-je, légèrement sceptique. Jusqu'à maintenant, tu
n'avais aucune préférence en ce qui concerne le lieu de nos…
— S’il te plaît, me coupe-t-il simultanément.
L'air sérieux qu'il arbore ensuite me laisse aussitôt comprendre
combien je me dois de lui obéir. Malheureusement, je n’ai jamais été du
genre à aller dans son sens. Par conséquent, je lui réponds de mon regard le
plus provocateur, avant d’ensuite descendre délicatement le long de son
corps pour pouvoir me mettre à genoux face à lui. Comme je m’y attendais
déjà, il ne cherche pas à fuir la situation. Je défais alors aussitôt le bouton
de son pantalon, fais glisser la fermeture éclair vers le bas avec lenteur, puis
pour finir… baisse son caleçon d’un geste brusque, lui valant donc un petit
râle plaintif dans la foulée.
— Relève-toi, et remets ce foutu tailleur, crache-t-il ensuite sèchement.
— Chut… lui réponds-je en saisissant son sexe entre mes doigts.
Rachel risque de nous entendre, si tu ne te tais pas tout de suite.
Puis j’ouvre ensuite grand la bouche, lui ôtant donc probablement toute
nouvelle envie de mettre un terme à cet instant. L’une de mes deux mains se
positionne sur le derrière de sa cuisse, tandis que l’autre reste bien autour
de sa queue pour me permettre d’avoir un meilleur appui.
— Putain, Eva… grommelle-t-il en agrippant fermement mes cheveux.
J’effectue plusieurs va-et-vient en levant les yeux dans sa direction afin
de pouvoir l’observer prendre du plaisir, et constate aussitôt qu’il a eu
exactement la même idée que moi. Je continue alors les mouvements en
faisant délicatement tourner ma langue autour de son membre, tandis que
ses doigts se resserrent davantage contre ma tête. Devon tente de me faire
accélérer la cadence, alors je réponds instantanément à sa demande.
— Ça vient… marmonne-t-il entre ses dents, et tout en me faisant aller
plus rapidement encore.
Je vais d’ailleurs si vite, que le léger frottement de mes molaires
devient inévitable. Et malgré, ça, il ne se plaint pas une seule seconde. Au
contraire. Mon cuir chevelu commence à sérieusement me tirailler, mais
moi non plus, je ne m’en plains pas. Bordel, je n’ai jamais éprouvé autant
de plaisir en faisant un truc comme ça.
— Attention, dit-il en tenant de se retirer.
Mais j’effectue une forte pression sur sa cuisse afin de le pousser à
rester scellé entre mes lèvres. Oui, j’ai besoin de sentir quel goût a vraiment
mon boss. D’ailleurs, il ne tarde pas trop à me le faire découvrir.
C’est très sucré. Il boit probablement beaucoup de jus d’ananas.
— Wow, souffle-t-il, tandis que sa semence termine tout juste de se
répandre à l’intérieur de ma bouche. Tu es…
Mais il ne termine pas sa phrase lorsque je me relève doucement en
avalant la totalité de sa liqueur. Un peu comme si les minutes précédentes
venaient de le paralyser. Eh ouais. C'est ça, de vouloir résister à Eva. Une
fois à bonne hauteur, je porte le bout de mon pouce vers le coin de ma lèvre,
puis le fais ensuite glisser jusqu’à l’intérieur de ma bouche pour en sucer le
restant, toujours sous le regard déstabilisé de Devon.
— Ça, souffle-t-il, encore tout haletant. C’était vraiment pas correct.
— Je sais, lui souris-je en me penchant pour ramasser mes vêtements.
Allons-y.
En moins d'une minute, nous voilà rhabillés, et fin prêts à quitter cette
petite pièce. Je m'empare alors de la robe, puis commence à avancer en
direction de la sortie, quand la main de mon boss se pose subitement contre
la porte afin de m'empêcher de l'ouvrir.
— Tu n'as rien oublié ? me demande-t-il, sourcil arqué.
Les miens se froncent aussitôt dans un regard d'incompréhension. Je
laisse alors mes yeux parcourir la totalité des lieux, pour finalement
constater que non, je n'ai rien oublié. Rien, mis à part peut-être… des
remerciements ? Oui, c'est sûrement de ça dont il parle.
— Merci ? suggéré-je alors d'une moue dubitative. Pour la robe, je
veux dire.
— Non, désapprouve-t-il d'une voix ferme. Je ne parlais pas de ça.
Je ne comprends toujours pas où Devon veut en venir après de courtes
secondes de réflexion, alors il me le fait rapidement savoir en enveloppant
ma mâchoire de sa paume. Ensuite, il me plaque gentiment contre la porte,
puis dépose ses lèvres sur les miennes pour délicatement m’embrasser.
Seigneur.
— Maintenant, reprend-il, juste après avoir descellé nos bouches. On
peut partir tranquille.
OK. Je ne sais pas vraiment comment prendre ça, mais… d’une
certaine façon, ça me plaît. Il me plaît. Il m'a toujours plu, putain. Merde, je
viens de l'admettre. Oui, après plus de trois ans… je viens d'admettre que
Devon Anderson m'a toujours fait de l'effet, et ce, malgré la haine que
j'éprouvais paradoxalement pour lui.
 
 
 

 
Chapitre 31
Eva
 

Ceux qui n’ont pas l’esprit libre ont des pensées toujours confuses.
Anton Tchekhov
 
 
Il est exactement dix-neuf heures douze, et nous rentrons tout juste à
l’hôtel après notre « petite virée ». En vérité, elle n’avait rien de si petite,
puisqu’après avoir acheté ma robe, nous sommes allés dans d’autres
boutiques afin de trouver une paire de chaussures assortie. En effet, Devon
à lourdement insisté pour compléter ma tenue. Au début, ça me gênait
sincèrement, puis après réflexion… je me suis dit qu’il me devait bien ça.
Oui, bon… pas vraiment, mais je préfère sans doute me rassurer de cette
manière. Une fois les escarpins idéaux enfin trouvés, nous avons cherché un
magasin alimentaire afin de ne pas aller au restaurant pour le dîner. À vrai
dire, je pense que Devon est un peu mal à l’aise avec cette idée-là. Devoir
manger en tête-à-tête avec moi, dans un lieu plutôt luxueux… Oui, ça sonne
comme un rencard, donc ce genre de choses n’est définitivement pas faite
pour lui. Et ça m’arrange, dans un sens. Effectivement, je suis bien trop
fatiguée pour faire ça. Actuellement, je ne rêve de rien de plus qu’un
énorme plat de sushis, avec à la clef un bon bain chaud afin de me reposer
un maximum avant la journée interminable qui m’attend demain. Par
chance, mon boss avait les mêmes envies culinaires que moi, alors… en
plus de la bière, nous avons opté pour ce merveilleux délice japonais. Oui,
des bières. J’ai insisté pour en avoir, mais Devon n’a pas mis trop
longtemps à céder non plus. En vérité, je suis certaine que lui aussi rêve de
ce parfait moment de détente. Bien qu’on ne soit mutuellement pas les
meilleures personnes pour le partager ensemble, j’imagine que ça nous fera
tout de même beaucoup de bien après les nombreuses heures de vol subies
plus tôt dans la matinée.
— Vous préférez quelle sauce ? lui demandé-je en dispatchant les
multiples plats sur la petite table basse.
Mais pour toute réponse, Devon se contente de plisser les paupières, un
peu dubitatif de ma précédente question.
— À vrai dire… commence-t-il finalement. Deux réponses me
traversent l’esprit actuellement.
— Oh… ? le suspecté-je d’un air interrogateur. Et… lesquelles ?
Il accentue sa moue, puis porte ensuite un doigt jusqu’à sa bouche,
probablement pour y réfléchir plus sérieusement avant de m’expliquer :
— Tout d’abord… pourquoi est-ce-que tu continues à me vouvoyer
après ce que tu m’as fait dans la cabine d’essay…
— Et la deuxième ?! le coupé-je subitement.
Il penche légèrement la tête sur le côté suite à mon interruption
soudaine, un peu comme pour me montrer combien ça le fait marrer de me
voir si vulnérable. Enfoiré.
— Tu es vraiment sûre de ne pas vouloir entendre la fin de ma
première question ? me demande-t-il, faussement intrigué.
— Certaine, oui, souris-je de manière très hypocrite.
— Bien… comme tu voudras, lance-t-il alors naturellement. Donc
voici la deuxième : j’imagine qu’il est inutile de te demander quelle est ta
sauce favorite, car je crois l’avoir très clairement compris dans cette même
cabine d’essayage tout à l’heure, n’est-ce pas ?
Devon vient de déblatérer si vite que je n’ai même pas eu le temps de
l’interrompre une seconde fois. Ma bouche s’entrouvre alors légèrement
suite à la fin de ses explications, et je peinerais presque à ravaler ma salive
tant cette remarque était parfaitement inattendue. Merde, le salaud. Moi qui
faisais pourtant mine de rien depuis cet instant précis… voilà qu’il vient
tout juste de me couper l’herbe sous le pied. C’est d’ailleurs étrange, de se
sentir si gênée après avoir fait une chose pourtant parfaitement naturelle.
C’est vrai, j’ai la sensation d’être une autre personne, en plein acte sexuel.
Probablement une fille moins sage. Sans une queue entre mes dents,
j’imagine que ça fait de moi quelqu’un de bien plus discipliné,
effectivement.
— Je ne répondrai rien qui puisse faire poursuivre cette conversation
stupide, ricané-je en m’asseyant sur le canapé.
— Tu viens pourtant tout juste de le faire, rétorque-t-il du tac au tac. Je
prendrai du Wasabi, ajoute-t-il ensuite rapidement, sûrement de manière à
mettre un terme à mon calvaire. Mais avant ça… je vais aller prendre une
douche.
Tandis que je m’apprêtais à tremper mon maki dans la sauce soja, je
décide finalement de le reposer à sa place afin d’attendre mon boss pour
débuter. Fait chier, je meurs de faim. C’est dingue ça ! Je ne l’ai pas vu
transpirer une seule fois dans la journée, mais il ressent tout de même le
besoin de prendre une douche sur-le-champ ? Insupportable. Oui, tout
comme la tension étrangement pesante qui plane dans cette pièce,
d’ailleurs.
— Ne te sens pas forcée de m’attendre, dit-il en fouillant rapidement
dans sa valise.
— Ça ne risque pas de refroidir, ironisé-je alors.
— Comme tu voudras, me répond-il en s’éloignant.
Et enfin, la porte se claque pour permettre à mon visage de se détendre
pleinement. À vrai dire, c’est très bizarre, comme situation. Le fait de
partager une soirée comme celle-ci avec mon boss, je veux dire. Au final,
son petit détour à la salle de bain m’arrange un peu. Oui, car ça signifie que
j’ai environ dix minutes pour me préparer psychologiquement à ce repas en
tête-à-tête, aussi insignifiant soit-il. La bière. Ouais, je vais me prendre une
bière.
 

Devon
 

En vérité, la douche, c’était juste un vulgaire prétexte pour


décompresser un peu. Effectivement, j’ai besoin de me préparer à la soirée
pourtant banale que nous nous apprêtons à partager ensemble. Je n’ai pas
l’habitude de faire ça en temps normal. En dehors de cet hôtel, ce n’était
pas vraiment pareil. Aujourd’hui, il s’agissait d’une simple après-midi entre
un patron et sa secrétaire, et j’ai juste tenu à ce qu'Eva ait une robe
parfaitement à son goût pour la soirée caritative de demain. Rien de plus.
Oui… rien de plus.
En revanche, le fait d’être dans cette chambre, ici, parfaitement seul
avec elle… merde, disons que tout devient beaucoup plus personnel. Je suis
d’ailleurs certain qu'Eva pense exactement à la même chose que moi,
puisque son comportement a changé du tout au tout suite à notre dernière
incartade.
Tout à l’heure, dans la cabine d’essayage, j’ai eu affaire à une femme
intrépide, absolument prête à tout pour me défier. Mais une fois sortie de la
boutique… c’est comme si cette aventurière féroce et pleine d’engouement
s’était volatilisée. Comme ça, en un seul petit claquement de doigts.
Pourtant, la situation a légèrement changé, en comparaison à toutes les
autres fois. Oui, et… c’est peut-être ça, le vrai problème. Peut-être qu’elle
ne se sent tout simplement pas confortable avec le fait de partager du bon
temps, autre que sexuel, en ma compagnie. Et peut-être que moi non plus, je
ne suis pas tout à fait à l’aise avec cette situation. Merde, un resto aurait
probablement été moins compliqué.
Je soupire longuement en retirant mon t-shirt, puis actionne aussitôt le
robinet de douche afin de permettre à l’eau de monter à bonne température
le temps que je termine de me déshabiller. Une fois chose faite, j’entre sans
plus attendre, et réalise rapidement qu’il m’est impossible de ne pas penser
à Eva. Non, il n’y a pas une minute qui passe sans que je ne pense à cette
femme, malgré qu’elle soit pourtant à seulement quelques mètres moi.
Putain, c’est insupportable. Je ne sais pas pourquoi, mais sa présence ici, si
près… elle exacerbe absolument tout. C’est comme si je devais sortir de
cette salle de bain sur-le-champ pour foncer la baiser, afin de permettre un
peu de répit à mon cerveau. Et à ma queue. Merde, oui. Elle se dresse sans
arrêt quand il est question d'Eva, et ça aussi, c’est insupportable. Tout est
insupportable, quand nos corps sont si proches l’un de l’autre.

 
Chapitre 32
Eva
 

Il n'y a rien de plus facile à dire ni de plus difficile à faire que de lâcher
prise.
Santoka
 

Je n’arrive pas à penser convenablement quand j’entends le bruit de


l’eau claquer sur les galets de ce foutu bac à douche. En réalité, je ne peux
pas m’empêcher de l’imaginer à travers le mur qui nous sépare. Ses
cheveux trempés, l’eau qui ruisselle joliment dessus, ses muscles roulant
doucement sous sa peau ferme à chaque nouveau mouvement qu’il
effectue… ça me hante. Vraiment, je n’ai jamais eu autant de sensations
dans l’estomac, sans même avoir besoin d’être en contact physique avec
mon présumé partenaire de baise. Seule l’image de son corps nu et trempé
suffit à me faire frissonner. Ça suffit, bordel. Oui, stop. Il faut que je me
change les idées en attendant le retour de Devon. De ce fait, je me lève du
canapé avec panache, bien parée à me trouver une occupation en attendant.
Mes yeux parcourent alors la pièce de fond en comble en quête d’une tâche
à accomplir, quand ils voient finalement quelques vêtements en vrac sur
l’énorme lit à l’autre bout du couloir. Mon boss a défait une partie de sa
valise, mais il s’est contenté de tout balancer en boule sur un côté,
probablement de manière à rapidement trouver quelque chose de plus
confortable à se mettre avant de sortir de la salle de bain. Parfait. Je n’ai
qu’à ranger un peu ce foutoir. J’y fonce alors au pas de course, puis
commence aussitôt à plier ses chemises. Je les empile toutes les unes sur les
autres après les avoir brièvement défroissées, et m’attaque ensuite à sa veste
de costume. Celle qu’il avait encore sur le dos cet après-midi. Je la saisis
fermement par les épaulettes, puis la secoue ensuite d’un coup sec afin de
retirer un maximum de plis. Inévitablement, l’odeur présente sur le tissu
frappe mes narines de plein fouet. Seigneur… ce parfum. Il est tellement…
viril. Mais mon attention est vite redirigée sur une tout autre chose quand je
vois un carré blanc voltiger dans les airs. Mince, ça doit être sa fameuse
liste d’employés.
Je pose la veste au pied du lit afin de rapidement me précipiter vers le
morceau de papier pour le ramasser, et constate finalement que non, ça n’a
absolument rien d’une liste de prénoms. En réalité, il s’agit d’une sorte de
flyer cartonné. Sur la face avant se trouve une photo. J’y reconnais
d’ailleurs instantanément Devon et Caleb, accompagnés d’un troisième
garçon. Ils étaient si jeunes… mais je ne m’attarde pas trop sur ce détail,
préférant en lire le verso. C’est mal, ce que tu fais là. Oui, je sais,
seulement… la curiosité a toujours été un vilain défaut. Chez moi, plus
précisément.
 
« En mémoire à mon fils Cameron, vous êtes chaleureusement conviés
au rassemblement qui aura lieu en son honneur, le Dimanche 22 juillet à
partir de 19 heures, aux grandes falaises de Summer Hills. »
Mais c’est deux jours après mon anniversaire, ça… Et qui est Cameron
? Un ami d’enfance ? Un cousin ? Merde, je savais bien que je n’aurais pas
dû commencer à lire cette satanée carte. Maintenant… j’ai envie de savoir
de qui il s’agit vraiment. Il n’en saura jamais rien, après tout. Oui, c’est
vrai.
« Ce moment sera l’occasion de partager un pique-nique tous
ensemble, au milieu de ses frères, amis, cousins, oncles, tantes, et parents.
S’en suivra un lâcher de lanternes à la tombée de la nuit, afin de rendre un
hommage à la hauteur de qui était Cameron : Chaud, brillant, lumineux, et
indéniablement beau.
Nous vous attendons nombreux pour qu’il sache que même après 10
ans, nous pensons toujours à lui. En effet, il sera à jamais dans nos cœurs.

Merci d’avance à tous, Nancy Anderson. »
OK, je crois que je ne saisis pas trop, là. Nancy, soit la mère de Devon
? Ce dénommé Cameron serait donc son fils ? Un hommage ? Pourquoi
faire ? Merde, je suis complètement paumée. Devon et Caleb ont donc un
autre frère ? Un autre frère qui, d’après ce qu'indique ce morceau de papier
cartonné, serait… décédé ?
— Qu’est-ce que tu fais, intervient subitement Devon dans mon dos.
Je tressaille puis me retourne ensuite sur-le-champ pour lui faire face,
tout en cachant rapidement la carte derrière moi. Bordel, mon rythme
cardiaque est en train de dépasser toute norme humaine, et ce, surtout quand
je me retrouve face à son torse complètement dépourvu de tissu. Ce type
veut ma mort, putain.
— Rien du tout, lui réponds-je alors du tac au tac.
Ses yeux se dirigent aussitôt sur la valise ouverte, puis ils regagnent
ensuite les miens pour me faire part de leurs doutes. Naturellement, je finis
par me rattraper :
— Enfin… marmonné-je alors d’une moue dubitative. Je rangeais
simplement ce qui traînait en attendant que tu sortes de la douche.
— Je déteste qu’on touche à mes affaires, crache-t-il en avançant
furieusement pour ranger sa veste. Tu devrais le savoir, non ?
— Je pensais rendre service, lui réponds-je, un peu irritée par son ton
acrimonieux.
Mais il n’y répond rien, préférant plutôt tâter les poches de son veston.
Merde. Bien évidemment, il ne va jamais trouver ce qu’il y cherche, ce qui
signifie donc que je viens tout juste de signer mon propre arrêt de mort.
— La photo, lance-t-il sèchement, et tout en s’affolant davantage sur
chaque poche. Où est-elle ?!
À vrai dire, je crois qu’il ne me reste pas beaucoup d’alternatives
actuellement. Je pourrais mentir et lui dire que je ne vois absolument pas de
quoi il parle, mais je sais d’avance qu’il n’y croirait pas une seule seconde.
Devon est trop perspicace. Impossible de le berner. Par conséquent, je me
restreins à l’option la plus plausible, et décide finalement de lui avouer :
— Elle est ici, abdiqué-je alors en la lui tendant, peu fière. Je suis
désolée, je ne voulais pas tomber dessus, mais je…
— Ne fouille plus dans mes affaires, m'interrompt-il en me l’arrachant
brusquement des doigts. Plus jamais, Eva.
Puis il s’éloigne au pas de course vers le salon après avoir
convenablement rangé la photo au centre de sa valise, apparemment fin prêt
à passer à table, et comme si les secondes précédentes n’avaient jamais eu
lieu. Et sans même prendre la peine d’enfiler un foutu t-shirt, bien
évidemment.
Je lui emboîte alors le pas histoire de paraître naturelle, même si dans
le fond… je tremble comme une feuille. Et pour cause ; je compte bien en
savoir un peu plus au sujet de tout ça. Pourquoi ? Probablement parce que je
me vois mal agir comme lui, à constamment faire comme si de rien n’était.
Mais malgré tout, je tente de ne pas trop divulguer mon stress lorsque je
prends place à ses côtés. Une fois mes fesses confortablement installées et
ma gorge bien éclaircie, j'ose enfin lui demander :
— Donc… commencé-je avec une petite touche d’hésitation. Caleb et
toi, vous aviez un autr…
— Oui, me coupe-t-il sèchement, et tout en ingurgitant la moitié de sa
canette de bière. Je pensais que tu le savais déjà.
Étonnamment, je n’en savais strictement rien avant ce soir. Oui, c’est
étonnant. Dans les bureaux… personne n’en a jamais parlé en ma présence.
Pourtant, je suis absolument certaine que tout le monde était déjà
parfaitement au courant. Tout le monde, excepté moi.
— Mais… m’interrogé-je dans une grimace d’incompréhension.
Pourquoi ne pas m’en avoir parlé avant ?
Devon prend un sushi qu’il trempe dans le wasabi, puis me répond
entre deux mastications :
— Depuis quand est-ce que je me confie, au juste ? lance-t-il avec
dédain. Cette merde a fait la une pendant des semaines il y a dix ans. Je n’ai
jamais eu à le dire à qui que ce soit.
C’est très étrange, cette manière qu’il a de me répondre avec tant de
désinvolture. C’est étrange oui, car dans le fond, je suis capable de voir
combien ce sujet le touche profondément.
— Comment… marmonné-je, un peu dubitative. Que s’est-il passé ?
— C’est une longue histoire, répond-il alors d’un vaste signe de tête.
Tu n’auras qu’à aller voir sur internet.
Il reprend ensuite sa bière précédemment posée sur la table, puis la
termine d’une seule traite, sans jamais grimacer. En temps normal, j’aurais
été véritablement impressionnée par une telle descente, néanmoins... disons
que mes idées sont tourmentées par une toute autre chose actuellement. Une
chose dont j’espère comprendre plus amplement le sens dès ce soir.
— Je préférerais que ça vienne de toi, lui avoué-je d’une voix douce, et
tout en m’asseyant en tailleur face à lui. Les médias déforment tout, alors…
Pour toute réponse, Devon soupire longuement en fermant lentement
ses paupières. J’ai la sensation que mon insistance le dérange au plus haut
point, alors je pense qu’il est plus convenable de mettre un terme à cette
conversation.
— Laisse tomber, abdiqué-je finalement. Tu as raison. J’irai voir sur
internet.
Je me lève ensuite aussitôt du canapé pour rejoindre la salle de bain, un
peu honteuse des secondes précédentes. Merde, quelle conne. C’est vrai.
Comment ai-je bien pu croire au fait qu’un homme comme Devon finirait
par me révéler l’une des parties les plus sombres de son passé ? Jamais il ne
ferait une chose pareille. Oui, enfin… comme je l’ai déjà souvent dit, il peut
être surprenant, parfois :
— Nous étions tous à Summer Hills, commence-t-il finalement dans
mon dos.
Je stoppe subitement ma marche en plein milieu du petit corridor, dans
l’attente d’entendre le reste de cette histoire que je sais déjà dramatique. De
là où je me trouve, Devon ne me voit pas, et d’un côté… je pense que c’est
exactement ce qui le motive à poursuivre :
— C’est un coin tranquille, à seulement quelques kilomètres de New
York, lance-t-il alors d’une voix étouffée. Une sorte de piscine naturelle,
avec de multiples falaises tout autour.
Il laisse ensuite quelques secondes de silence s’installer, probablement
pour trouver le courage de continuer son récit.
— Lors de ces journées, on fumait pas mal de trucs, et on buvait
beaucoup d’alcool.
Les battements de mon cœur s’accélèrent au fur et à mesure de ses
explications. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai la sensation de déjà
connaître le fin mot de cette histoire. Je me retourne alors délicatement pour
prendre appui contre l’angle du couloir, me permettant donc d’avoir une
parfaite vue sur son dos voûté. En effet, Devon a actuellement le visage
plongé entre ses deux mains, ce qui explique donc plus amplement le son si
lointain de sa voix.
— Cameron avait dix-sept ans, alors… j’ai pensé qu’une petite bière
mélangée à un joint ne lui ferait pas tant de mal que ça, continue-t-il dans
un petit haussement d’épaules. J'avais tort.
Ma gorge se noue peu à peu face à son accablement. Seigneur… en
trois ans, je n’ai jamais vu mon boss aussi triste. Même après la mort de son
père, il n’avait pas l’air si déchiré.
— Il a voulu nous impressionner, et plonger de la plus grande falaise,
poursuit-il dans un soupir. Vingt mètres de haut, environ.
J’avance de quelques pas vers lui afin de pouvoir délicatement faire
glisser mes deux mains sur ses épaules. Elles caressent sa peau ferme avec
douceur pendant de courtes secondes, quand je le sens finalement se crisper
sous mes doigts. Un peu comme s’il refusait ma compassion. Sa tête se
redresse alors subitement sous ce geste, et c’est alors qu’il termine en se
levant d’un bond :
— Il s’est brisé la nuque sur un rocher.
À la fin de cette annonce, Devon rejoint aussitôt le mur d’en face pour
s’y appuyer à l’aide de ses avant-bras, et ce, sans jamais se retourner pour
me faire face. Sa tête se penche ensuite face au sol, probablement de façon
à ne surtout pas me montrer le déshonneur assurément présent dans ses iris.
Wow, alors la… merde, je ne m’attendais pas à un final si tragique. Non, en
vérité… j’avais plutôt opté pour la noyade, ce qui explique donc plus
clairement le choc que me provoque cette révélation. Quoique… peut-être
que si je tombe d’aussi haut, c’est plus probablement dû à la manière dont
Devon vient tout juste de s’y prendre pour me l’annoncer. Il n’a mis aucun
gant, et malgré le fait que j’ai pourtant l’habitude, je dois admettre en rester
scotchée. Ressaisis-toi, bordel.
Oui, il faut que je reprenne mes esprits. Dans cette histoire, ce n’est
indéniablement pas moi qui ai besoin de soutien. J’inspire alors un
maximum d’air, puis l’expire aussitôt de façon on ne peut plus discrète. Une
fois mon cerveau bien oxygéné, je hoche brièvement la tête pour
m’encourager à avancer, puis m’approche enfin de lui, pour -une seconde
fois- déposer une main contre son dos. Cette fois, je la fais doucement
glisser entre ses deux omoplates, puis remonte tranquillement jusqu’à sa
nuque pour la caresser avec tendresse. Comme tout à l’heure, je sens les
muscles de mon boss se contracter sous ma paume. En vérité, je ne sais pas
le réel effet que mes caresses lui procurent. Est-ce qu’il est simplement
surpris de me voir si avenante, ou alors… juste réticent à l’idée que je le
sois bel et bien ? Avant aujourd’hui, jamais je ne m’étais montrée si douce
avec lui, donc… disons que les deux options me paraissent assez
convenables.
— Pourquoi est-ce-que je me sens si responsable… ? me demande-t-il
finalement, toujours bien appuyé au mur.
Son souffle est court, et je peux sentir combien la culpabilité règne
dans chacun de ses mots. Oui, Devon culpabilise. Comme moi, il pense que
tout est arrivé par sa faute. Ce qui me remémore d’ailleurs un souvenir
récent que je me dois de lui faire partager sur-le-champ :
— Je me souviens d’un homme, qui un jour m’a dit une chose bourrée
de sens, commencé-je, sans jamais faire cesser mes caresses. « Parfois… la
vie est injuste, mais ça ne fait pas de vous une mauvaise personne. », lui
rappelé-je ensuite d’une voix douce.
Sa tête se tourne légèrement vers moi, ce qui me permet donc
d’apercevoir une bribe de son profil. Sa mâchoire se contracte à plusieurs
reprises, tandis qu’il déglutit difficilement à l’entente de mes paroles
précédentes. Ses, paroles. Oui, je suis sûre qu’il s’en souvient. Je suis
certaine que Devon se rappelle la façon remarquable dont il m’a réconfortée
ce fameux soir. Celui où tout a réellement commencé entre nous.
— Seul le bien engendre de la culpabilité, poursuis-je en approchant
d’un peu plus près. Vous êtes quelqu’un de bien, Monsieur Anderson. N’en
doutez jamais.
Ma joue s’écrase contre son dos musclé, pendant que mes bras
entourent distinctement son buste afin de l’entraîner dans une accolade
serrée. Dans le fond, je suis persuadée que c’est exactement ce dont il a
besoin. Tout le monde a besoin d’un câlin, dans un moment comme celui-ci.
Tout le monde, même un cœur forgé à l’acier comme le sien.
 

 
Chapitre 33
Devon
 

Le sexe est le baromètre des sentiments.


Yann Moix
 

C’est curieux comme seule la chaleur de sa peau contre la mienne


suffit à panser mes blessures. Je ne sais pas vraiment comment Eva arrive à
faire ça, mais ça fonctionne. Oui, ses paroles, ainsi que ses caresses… elles
m’apaisent.
Bon, je dois dire que cette cicatrice est assez lointaine maintenant,
seulement… merde, je crois que c’est la toute première fois qu’on arrive à
me faire déculpabiliser avec si peu de mots. En dix ans, jamais personne n’a
réussi à me faire cet effet-là. Pff, ouais. J’ai la sensation de toujours dire ça,
quand ça la concerne. En vérité, je savais qu’on finirait par avoir la
discussion, seulement… j’aurais préféré n’avoir aucune attache à ce
moment-là. Merde. Je viens de l’admettre. Oui, je viens d’admettre qu’au-
delà de cette tension sexuelle constamment présente entre nous, je suis
attaché à cette femme. Au-delà d’une simple attirance physique, elle me
plaît. Ça m’effraie. Sincèrement. J’ai peur, car c’est comme foncer vers
l’inconnu. J’ai peur, mais… je n’ai pas vraiment envie de penser à ça pour
le moment.
Je me retourne alors lentement, la forçant donc à détendre légèrement
l’étreinte que forment actuellement ses bras autour de mon corps, puis
l’entoure ensuite à mon tour à l’aide des miens afin de lui rendre son geste
sans plus attendre. Bordel, jamais de ma vie je n’ai fait une chose pareille,
mais j’ai la sensation que c’est plus fort que moi. En ce qui la concerne,
tout est toujours plus fort que moi. Merde, je ne contrôle rien, lorsque cette
femme est dans les parages. C’est comme si elle avait un pouvoir de
contradiction sur moi. Le genre de chose qui nous rend différents, même
quand on se pensait incapable de changer. Le genre de chose qui nous fait
dire n’importe quoi, à un moment parfaitement inapproprié :
— J’ai envie de toi, lancé-je alors naturellement.
Aussitôt, l’air frais reprend sa place entre nos deux corps chauds. Eva
me gratifie d’un regard sceptique, avant d’ensuite me demander :
— Vraiment… ?
Je lui rends un regard perplexe, un peu hésitant après ce que je viens
moi-même de lui avouer, mais finis tout de même par approuver :
— Vraiment.
Elle a l’air confuse. Ouais, j’imagine qu’elle ne s’attendait pas à ce
genre de demande après toutes mes révélations, mais moi… j’ai toujours eu
tendance à apaiser mon mal-être à travers le sexe. C’est comme un
médicament. Mon médicament.
— Désolée, souffle-t-elle ensuite. C’est juste que d’habitude, tu ne me
dis pas les choses de cette faç…
— OK, la coupé-je alors simultanément. Laisse-moi rectifier ça.
Je porte une main jusqu’à sa joue avec délicatesse, à la fin de ma
phrase, puis la fais ensuite peu à peu glisser sur le derrière de sa tête. Mes
doigts s’écartent aussitôt de manière à laisser ses cheveux prendre place
entre eux, et c’est à ce moment précis que je ferme brusquement le poing
pour lui murmurer :
— Je vais vous baiser, Mademoiselle Pierse.
Un petit râle incontrôlé s’échappe d’entre ses lèvres.
— Je vais vous baiser si fort, que vous ne pourrez même plus vous
assoir sur votre petite chaise de bureau.
Pour toute réponse, Eva ricane doucement en baissant les yeux au sol.
Je le connais, ce rire narquois. Il signifie qu’elle s’apprête à me rappeler
combien sa répartie est tranchante :
— C’est vraiment dommage, se moque-t-elle en arquant un sourcil.
Car avec ou sans baise torride, je ne peux déjà plus m’assoir sur cette
satanée chaise.
Mes sourcils se froncent légèrement lorsqu’elle se défait de mon
étreinte pour prendre direction de la chambre, alors je lui emboîte
tranquillement le pas, dans l’attente de plus amples explications.
— J’ai un patron blindé aux as qui n’a jamais pensé à m’acheter un
vrai fauteuil, me dit-elle en faisant un petit demi-tour sur elle-même.
Je pince fortement mes lèvres entre elles afin de ne pas laisser le
sourire qui me démange prendre place, puis approche ensuite davantage
d’elle pour lui répondre :
— J’ai une secrétaire qui passe son temps à jouer aux insolentes avec
moi, dis-je en posant gentiment mes mains sur ses hanches pour l’entraîner
plus près de moi. Elle ne mérite pas vraiment de faveur de ma part.
— Et pourtant… murmure-t-elle, tout en passant ses bras autour de
mon cou. Elle se tape le patron. C’est déjà une belle faveur ça, pas vrai ?
Un sourire machiavélique prend maintenant place sur son visage, et
j’en fais aussitôt de même tant cette réponse était parfaitement bien
envoyée. Bordel, c’est une faveur pour moi, oui.
— Tu me flattes, lui dis-je en la hissant un peu plus encore.
Je porte ensuite une main jusqu’à sa joue pour délicatement
l’envelopper, afin d’ensuite pouvoir amener mes lèvres tout près des
siennes. Eva ne résiste pas une seule seconde, alors j’insère ma langue à
l’intérieur de sa bouche sans plus attendre. Elle répond d’ailleurs à chacune
des caresses que je lui offre, donc nous partons dans un baiser aussi
langoureux que tous les précédents. À l’aide d’une de mes mains, je saisis
fermement sa hanche, puis la pousse ensuite nonchalamment sur le matelas,
fin prêt à passer à l’action.
— Wow, s’étonne-t-elle dans une petite grimace lors de sa chute. Tout
doux, Monsieur Anderson…
Mes paupières se plissent lorsque nos iris entrent en contact.
Habituellement, elle ne se plaint pas, quand je me montre un peu brutal
avec elle. Ses jambes se serrent face à moi, afin qu’ensuite elle puisse y
faire glisser sa jupe tout au long. Je l’observe sans bouger d’un centimètre,
tel un véritable lion prêt à bondir sur sa proie. Une fois le bas totalement
retiré, elle s’attaque délicatement à son chemisier. Ses yeux restent
parfaitement scellés aux miens lorsqu’elle défait chaque bouton, et je ne
peux m’empêcher de mordiller ma lèvre inférieure en la regardant se mettre
à nu pour moi. Bordel, elle est trop… sexy.
Pour finir, Eva dégrafe son soutien-gorge. Elle le saisit en deux temps
trois mouvements du bout de ses doigts, puis le lâche hors du lit, tout en me
gratifiant d’un air aguicheur au passage. Pendant ce temps, moi, je reste
encore et toujours immobile face à elle. C’est un peu comme si mes pieds
refusaient de quitter le sol. Comme si… j’étais complètement envoûté par la
beauté de ses courbes.
— Viens, me murmure-t-elle d’un regard charnel.
Et enfin, j’arrive à bouger. Je retire alors mon jogging pour la rejoindre
sans plus attendre, et me dresse ensuite peu à peu au-dessus de son corps
presque entièrement nu. Actuellement, seule la dentelle de sa petite culotte
cache la partie la plus intime de son corps. Aussitôt, j’entoure l’élastique de
mes cinq doigts, puis tire dessus d’un coup sec pour la lui ôter. Ce second
geste brusque lui vaut un râle plaintif, suivi d’une petite supplication :
— Plus doucement, s’il te plaît, me murmure-t-elle au creux de
l’oreille.
C’est la deuxième fois qu'Eva me le demande en moins de trois
minutes. J’en conclus donc qu’elle attend vraiment plus de finesse de ma
part. Malheureusement, je n’ai jamais été du genre docile, alors… il va
peut-être falloir m’apprendre à le devenir.
— Qu’est-ce que tu attends de moi en ce moment même, lui demandé-
je sérieusement. De la douceur ? l’interrogé-je ensuite en remontant
tranquillement une main le long de son flanc.
— Je crois, oui, m’avoue-t-elle dans un petit soupir.
Ma bouche se pose à de multiples reprises contre la peau de son cou,
tandis que ma main continue son chemin jusqu’à sa hanche. Elle remonte
ensuite peu à peu vers sa poitrine, puis se stoppe une fois arrivée à hauteur
de cette dernière.
— Tes seins sont parfaits, lui dis-je en empoignant fermement le
gauche.
— Ils sont un peu trop gros, me répond-elle, peu convaincue.
— Et tu sais ce qu’on peut faire avec une aussi grosse poitrine ?
l’interrogé-je en me dressant bien au-dessus d’elle.
Eva fronce les sourcils, probablement sceptique des explications à
venir. Merde, elle vient tout juste de me demander quelque chose, et…
disons que le fait de suggérer une petite branlette espagnole dans un
moment comme celui-ci ne risque pas de lui prouver combien je peux être
doux, parfois. Je me reprends finalement :
— Je te montrerai ça plus tard, me restreins-je en déposant un court
baiser sur ses lèvres gonflées. Ce soir, je vais juste te donner ce que tu veux
vraiment.
— Et qu’est-ce que tu crois que je veux, exactement ?
Je réfléchis de courtes secondes, et ne trouve finalement pas de réponse
claire à cette question. Évidemment. Qu’est-ce qu’une femme peut bien
attendre, quand elle demande de la douceur ? Je n’en sais foutrement rien.
— À vrai dire… je ne sais pas, dis-je dans un petit haussement
d’épaules. À toi de me le dire.
Eva soupire longuement, un peu comme si elle n’était pas tout à fait
sûre de sa réponse. Et pourtant, elle finit par me la donner :
— J’aimerais savoir ce que ça fait, commence-t-elle alors en faisant
délicatement glisser un index entre mes pectoraux. J’aimerais savoir ce que
ça fait de faire l’amour avec un homme comme toi, Devon.
— Un homme comme moi ? m’interrogé-je dans un léger froncement
de sourcils.
— Le genre d’homme qui n’a probablement jamais fait ça auparavant.
C’est curieux, qu’elle en déduise d’elle-même que je n’ai jamais dû
faire ça dans le passé. Mais ce qui est le plus curieux au final, c’est qu’elle
voit juste. Ouais, je n’ai jamais fait l’amour à une femme au cours de ma
vie, tout simplement parce qu’on ne me l’a jamais demandé. Et d’ailleurs…
c’est peut-être le moment idéal pour changer ça.
 

Eva
 

Pour être totalement franche, j’étais persuadée que Devon allait me


faire comprendre qu’il était hors de question de me montrer quoi que ce soit
de nouveau chez lui. C’est exactement pour cette raison que j’étais un peu
craintive à l’idée de lui faire part de ce que j’attendais réellement. À ma
grande surprise, il a plutôt l’air disposé à me laisser découvrir cette infime
partie de lui. Ou plutôt… cette partie inexistante de lui. Oui, je suis certaine
que mon boss n’a encore jamais partagé ce type de moment avec
quiconque. Je l’ai clairement ressenti dans la manière qu’il a eue de me
traiter lors de nos derniers ébats. Il ne sait clairement pas ce que c’est, et…
je suis sincèrement honorée de pouvoir le lui apprendre. Les rôles
s’inversent complètement ce soir, et aussi étrange que ça puisse paraître…
ça me plaît.
— Très bien, approuve-t-il, tout en me regardant droit dans les yeux. Je
vais te faire l’amour, Eva.
Je n’y réponds rien, préférant plutôt porter une main sur son visage
pour le caresser.
— Mais pour le faire convenablement… reprend-il, sans jamais
desceller nos regards. J’ai besoin de toi. J’ai besoin que tu me guides.
Pour toute réponse, ma main continue les caresses sur sa mâchoire,
puis monte délicatement jusqu’à sa nuque. Une fois qu’elle y est
convenablement posée, j’incite Devon à approcher son visage du mien, puis
l’embrasse ensuite tendrement. Sa langue bouge au rythme de la mienne,
c’est-à-dire avec lenteur et sensualité. Pendant ce temps-là, je sens la
chaleur de sa paume se frotter contre ma peau. Devon la fait délicatement
glisser de haut en bas, puis au même moment, insère son membre à
l’intérieur de moi. Toujours avec la délicatesse que je lui ai demandé
d’avoir quelques minutes auparavant. C’est marrant, mais… pour quelqu’un
qui n’a pas franchement l’habitude de se montrer si docile… je dois dire
qu’il s’en sort plutôt bien. Ses hanches ondulent avec douceur, et
contrairement à toutes les autres fois, nos os ne s’entrechoquent pas. Le
bruit normalement habituel de nos peaux claquant entre elles ne se fait pas
entendre non plus. Ici, dans cette immense chambre d’hôtel, je peux
seulement ouïr nos respirations. Elles se mélangent avec finesse, et j’adore
ça.
Je pose une main sur son dos pour le caresser, mais il la retire
instantanément, préférant plutôt fermement entremêler nos doigts, juste à
côté de ma tête. L’étreinte qu’ils effectuent entre eux se resserre petit à petit,
tandis que ma bouche se libère de la sienne pour me permettre de reprendre
une grande inspiration. À chaque nouveau coup que Devon effectue, mes
poumons se rétractent. Il enfouit son visage au creux de mon cou, et son
souffle est si chaud qu’il pourrait presque m’en brûler la peau. Merde, je ne
pensais pas autant apprécier un moment comme celui-ci. Moi aussi, j’ai la
sensation de le vivre pour la toute première fois. La sensation de
redécouvrir ce qu’est une véritable nuit d’amour.
Et ça déclenche quelque chose en moi. Peu à peu, la haine que
j’éprouvais encore pour lui il y’a de ça quelques jours seulement se
transforme en une tout autre chose. Une chose que je suis incapable de
décrire clairement. Il ne s’agit pas d’un sentiment amoureux, non, mais je
sens combien c’est particulier. Je sens comme tout est particulier avec lui.
Depuis le début.

 
Chapitre 34
Eva
 

Un mensonge en entraîne un autre.


Térence
 

Je viens tout juste de finir de me préparer, et suis maintenant fin prête à


rejoindre la soirée qui se déroulera dans l'une des nombreuses propriétés de
Caleb. Le point négatif, c'est que je vais y revoir Nate, mais le point
positif… c'est que je m’y rends au bras de Devon. D'ailleurs, je n'ai pas
vraiment compris pourquoi ce dernier n'a pas directement pensé à séjourner
dans l'hôtel de son frère. Ce dernier est juste en face du nôtre, et grâce à ça,
mon boss aurait pu faire de belles économies. Sûrement une question de
fierté, comme d’habitude.
Aucune réelle importance. Pour le moment, je me focalise plus
principalement sur la soirée qui m’attend. Oui, car ce soir, ma seule
véritable mission sera d’éviter Nate, coûte que coûte. Merde, là est le
principal problème. Comment ne pas voir un visage qu’on connaît pourtant
par cœur, en plein milieu d’une foule qui elle, m’est complètement
inconnue ? Impossible. Mais le pire dans cette histoire, c’est que si je venais
à tomber nez à nez avec lui… il ne se gênerait pas pour m’humilier devant
celui qu’il pense être mon fiancé. En effet, non seulement Nate balancerait
tout un tas de vieux dossiers me concernant, mais en plus de ça, il
prêcherait très probablement le faux pour avoir le vrai. Évidemment, son
plan fonctionnerait à merveille, tandis que moi, je passerais pour la reine
des menteuses aux yeux de Devon. Seigneur… après les instants partagés
hier, j’imagine que ce n’est pas trop le moment pour tout foutre en l’air.
Non, absolument pas, même. Mais je dois rester optimiste pour le moment.
Apparemment, le lieu de réception est immense, alors la situation devrait
être gérable. Du moins… ça, c’est ce que j’espère sincèrement.
De ce que l'on m’a dit, il s'agit du plus grand hôtel de tout Los
Angeles. Au cours de ces trois dernières années, j'ai eu la chance de visiter
un bon nombre de biens appartenant à Caleb dû aux multiples séminaires,
mais c'est avec hâte que j'attends de découvrir celui-ci. J'ai entendu dire que
les lustres étaient faits de cristal véritable, là-bas. Oui, c'est vraiment un
truc de fou.
D’ailleurs, pour être à la hauteur de cette occasion, j'ai laissé mes
cheveux détachés, et me suis simplement contentée de leur apporter une
petite touche de volume en les bouclant légèrement. Le résultat me convient
parfaitement, et aussi étrange que ça puisse paraître… je me trouve
vraiment très belle, ce soir. J'apporte alors la touche finale à ma tenue en
enfilant de jolies boucles d'oreilles baroques.
Je les ai achetées hier sur Hollywood boulevard, et effectivement,
comme je le pensais déjà, elles sont parfaitement bien assorties à la robe
que Devon m'a offerte. Et c’est en pensant à lui que je réalise combien mon
sourire est radieux à travers le large miroir. Merde Eva. Efface ce satané
sourire ! C’est étrange. Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui, je me
sens mieux que jamais. À vrai dire, suite à notre soirée improvisée d’hier, je
ne m’attendais pas à un réveil comme celui que nous avons tous deux
partagé ce matin. Je pensais que Devon se comporterait comme chaque fois
qu’il obtient ce qu’il veut vraiment de moi, mais au final… absolument pas.
Non, en réalité, j’ai eu la sensation d’être traitée à ma juste valeur. Comme
une femme. Le genre qui n’est pas seulement là pour gérer la paperasse
interminable de son patron.
Effectivement, ce réveil matinal n’avait rien d’ordinaire à mes yeux,
étant donné que j’ai eu l’agréable sensation d’exister, en comparaison à ce
que mon boss m’a toujours fait ressentir.
Nous avons débuté cette journée par une nouvelle partie de jambe en
l’air complètement torride, puis il m’a ensuite invitée à l’accompagner sous
la douche, (pour bien évidemment remettre ça), et juste avant que le service
de chambre ne nous apporte le petit déjeuner. Avant ça, je n’avais jamais
partagé ce type de moment avec quiconque. Pas même avec Nate. Oui, c’est
totalement nouveau pour moi, et en vérité… je crois que ça l’est tout autant
pour lui.
Étonnamment, nous avons beaucoup de points communs. Les drames
nous ont tous deux accompagnés lors de notre adolescence, et aujourd’hui,
je comprends parfaitement pourquoi mon boss se montre si glacial en temps
normal. En réalité, tout comme la mienne, l’âme de Devon est
complètement meurtrie. Pour être totalement franche, j’aurais préféré savoir
tout ça plus tôt afin de pouvoir le comprendre plus amplement, seulement…
je préfère me dire qu’il vaut mieux tard que jamais, au final. En tout cas,
contre toute attente, mon séjour en sa compagnie se passe à merveille, et
c'est tout ce que je retiens pour le moment. Bon… la journée d’aujourd’hui
n’était pas au top du top, je dois l’admettre, mais… j’ai survécu. Dans le
fond, ce qui a été le plus difficile lors de la grande réunion, c’était de ne pas
porter trop d’importance aux instants intimes précédemment partagés avec
Devon. Oh oui, ça… c’était une sacrée épreuve du combattant. Devoir
rependre les vouvoiements devant tout le monde, ne pas lui lancer de
regards trop aguicheurs, ou même encore… ne surtout prêter aucune
attention à toutes les femmes qui se jetaient littéralement à ses pieds pour
venir le féliciter à la suite de son discours… Insupportable. Seigneur… je
ne comprends pas ce qui m’arrive. Non, je ne comprends pas pourquoi
j’accorde autant d’importance à tout ça seulement maintenant. C’est
insensé.
Une fois bien assurée que tout est en ordre, je range un peu mon bazar,
et prends enfin direction du salon pour y rejoindre Devon. Le pauvre m'a
demandé où est-ce que j'en étais il y'a de ça près de vingt minutes
maintenant, alors… disons que je l'imagine déjà bien endormi sur le sofa.
J'actionne rapidement la poignée afin de mettre un terme à son
calvaire, et le trouve finalement debout, dos à moi, ses deux mains
fermement enfouies dans les poches pantalon de son costume gris
anthracite. Nom de Dieu. La coupe est assez slim, ce qui convient
parfaitement bien à chaque petit centimètre du corps athlétique de mon
boss. De quoi me faire fondre en moins de deux. Lorsque ce dernier
comprend que j'en ai finalement terminé avec les préparatifs, il se retourne
lentement pour me faire face. Sans que je ne comprenne réellement
pourquoi, mon œsophage se rétracte, et mon souffle se fait de plus en plus
court. Quoique… à vrai dire, si, je sais exactement pour quelle raison
l'oxygène peine toujours à regagner mes poumons à la vue de cet homme.
En réalité, je n'ai jamais trouvé Devon aussi beau que ces dernières vingt-
quatre heures. D'ailleurs, je crois que mes pensées sont tout autant
réciproques de son côté :
— Wow… lance-t-il spontanément lors de sa découverte.
— Wow… répété-je timidement, mais tout de même atrocement
souriante.
Pour toute réponse, ce dernier tend galamment une paume vers le ciel
afin de m'encourager à rapidement venir y poser mes doigts. Je m'exécute
alors sans plus attendre, et le laisse ensuite déposer ses lèvres sur le dessus
de ma main, tel un véritable gentleman. Vraiment ? Devon a donc les
capacités d'être aussi délicat, par moment ? Bien qu’il me l’ait déjà prouvé
hier soir… je n’en demandais pas tant !
— Tu me surprends de jour en jour, lui dis-je alors avec étonnement.
Aussitôt, ses yeux se redressent pour pouvoir percuter les miens, juste
avant qu'il ne détache sa bouche de ma peau pour rétorquer :
— Tu préfères peut-être ça, dit-il en m'entraînant brusquement contre
lui.
Comme bien trop souvent, il n'a rien à faire de plus pour accélérer mon
rythme cardiaque. Et malgré tout, je lui réponds en m'approchant davantage
:
— Pour être franche… oui, soufflé-je d'un petit sourire satisfait. Je
préfère largement ça.
À la suite de ma réponse, l'une de mes mains se pose spontanément sur
sa virilité, pour, -sans trop d'étonnement-, la sentir durcir contre ma paume.
Oui, mais malheureusement pour moi… mon cher patron n'a pas l'air
disposé à m’accorder ce petit plaisir charnel pour le moment :
— Pas maintenant, Eva, désapprouve-t-il en s'emparant délicatement
de mon poignet. Ils nous attendent.
Je retiens difficilement mon soupir de frustration suite à son refus. Mon
vagin frétille beaucoup trop, ces derniers temps.
— C'est dur pour moi aussi, tu sais ? me murmure-t-il ensuite d'un air
faussement frustré.
— On verra pour qui ça le sera vraiment, lancé-je en me libérant de son
étreinte, et juste avant de m'éloigner vers la porte.
Je fais ensuite un petit tour sur moi-même lors de ma course, lui offrant
donc la possibilité d'apercevoir mon large sourire, puis termine enfin, un
rien provocatrice :
— Peut-être que quand tu seras disposé… moi, je ne le serai plus.
Aussitôt, Devon effectue plusieurs petits hochements de tête en
mordillant sa lèvre inférieure, comme vaincu par mes dernières paroles. Et
malgré ça, je reprends ma marche menant à la sortie, quand il rétorque
finalement :
— Dans ce cas… marmonne-t-il d'une voix rauque. J'irai chercher du
plaisir ailleurs.
Qu… quoi ? Mes sourcils se froncent lorsque je stoppe subitement mes
pas. Je tente ensuite d'arborer un air détaché, puis une fois chose faite, me
retourne intégralement pour lancer à mon tour :
— Ça m'est complètement égal, Devon, commencé-je, faussement
détendue. Toi et moi… nous ne sommes pas ensemble, que je sache. Tu es
donc libre de faire ce que tu veux, et avec qui tu le veux, terminé-je ensuite,
impassible.
— Je confirme.
Un petit pincement me serre le cœur, mais je ne faiblis pas pour autant
:
— Bien, réponds-je alors sèchement.
—Bien, répète-t-il, toujours de ce sourire atrocement agaçant
accroché au bord des lèvres.
Suite à ça, je le gratifie d'un vif hochement de tête, puis décide de
définitivement tourner les talons afin de mettre un terme à ce moment
particulièrement irritant. Lui, avec une autre… ? Merde, pourquoi ça me
dérange autant que de l’imaginer ?
— Cependant… reprend-il finalement dans mon dos. Je ne te crois pas
une seule seconde, quand tu dis que ça t'est complètement égal.
Mon corps se tend lorsque je constate qu'il ne compte pas laisser
tomber. Et malheureusement pour lui, je ne suis pas non plus du genre à
déposer les armes si facilement :
— Ah oui ? l'interrogé-je alors en me retournant de nouveau. Et…
qu'est-ce qui te fait dire ça, au juste ?
— J'en suis tout bonnement certain, me répond-il, sans l'ombre d'une
hésitation. Tu n'aimes pas voir d'autres femmes me tourner autour. Je l’ai
parfaitement bien compris cet après-midi.
Un petit rire s'échappe d'entre mes lèvres. Non mais alors là… Bon, il
dit peut-être vrai, je dois l’admettre. En fait, je suis profondément jalouse,
et devoir l’admettre me dérange au plus haut point. C’est complètement
stupide. Oui, seulement… je refuse de lui laisser croire qu’il m’a dans sa
poche, simplement sous prétexte que je ne suis pas du genre à partager mon
fondant au chocolat. De plus, je sais à qui j’ai réellement affaire, puisque je
connais probablement cet homme mieux que personne. Et jamais, ô grand
jamais, je ne le laisserai prendre davantage de pouvoir sur moi.
— Et bien sache que tes convictions sont complètement erronées, lui
mens-je alors d'un petit pouffement. Je n’ai jamais été du genre jalouse.
— Eva… soupire-t-il, visiblement peu convaincu, et tout en balançant
doucement sa tête de gauche à droite. Il y a aussi la jeune réceptionniste
d’hier matin…
— Ça n'a strictement rien à voir, je… j'ai... Merde, cette pétasse s'est
montrée super insultante envers moi !
Pour toute réponse, Devon me gratifie d'un énième sourire. Oui, encore
un rictus moqueur, accompagné d'une petite touche de provocation. Il
cherche à me rendre folle. Et ça fonctionne.
— Mais ça t'amuse, en plus ?! m'exclamé-je alors furieusement.
— Non, désapprouve-t-il d'une petite moue, mais toujours très souriant
malgré tout. Je te trouve juste très belle, quand tu es en colère.
— Je ne suis pas en colère ! m'offensé-je davantage. Pas du tout !
Bon… là-dessus aussi, il a peut-être raison.
— Aucune importance, reprend-il sérieusement. Puisque comme tu l'as
dit… toi et moi, nous ne sommes pas ensemble, pas vrai ?
Ses sourcils s’arquent dans une grimace interrogatrice, probablement
dans l’attente de ma réponse. Je sais ce qu’il aimerait entendre
actuellement, et malheureusement pour lui, je ne compte pas lui accorder
cette satisfaction.
Exactement, approuvé-je alors fermement. Nous ne sommes pas
ensemble.
L'air enfantin de Devon s'estompe sur-le-champ suite à cette réponse
froidement donnée. Je crois que ça ne lui a pas vraiment plu, mais je m’en
moque complètement. S’il pense que je vais me jeter au sol pour le supplier
de ne voir personne d’autre que moi… il se fourre le doigt dans l’œil.
Profondément, même.
Il me passe alors devant, sans même prendre la peine de m'accorder ne
serait-ce qu'un tout petit regard, puis fonce ensuite vers la porte de sortie
afin de l'ouvrir.
— Allons-y, lance-t-il après un bref raclement de gorge.
Ouais, c'est ça. Allons-y. Allons rejoindre cette soirée merdique,
remplie de personnes que je me serais bien passé de revoir pour le moment.
 

♤♤♤
 
Après seulement cinq minutes de marche, (en comptant la descente en
ascenseur qui a eu lieu dans un silence de plomb), nous voilà enfin arrivés à
destination. C'est dingue, mais avec Devon… j'ai la sensation que c'est soit
tout, soit rien. Merde, cet homme est capable de passer d'une humeur on ne
peut plus joviale, à celle désastreuse d'une femme de cinquante ans en
pleine préménopause. Déprimant. Bon… cette fois, je dois admettre être
plus ou moins responsable de ce changement si soudain de comportement.
Après tout… notre dernier échange n'était pas très glorieux, alors… Merde,
non. Pour être parfaitement franche, je m'en moque complètement. J'en ai
fini depuis longtemps, avec mes remises en question permanentes. Oui, et
puis… disons que j'ai tellement été habituée à sa bipolarité au cours des
trois dernières années, que maintenant, ça ne me fait ni chaud ni froid.
— Monsieur Anderson, Mademoiselle Pierse, nous salue Curtis devant
l'entrée du bâtiment. Inutile de vérifier si vos noms sont présents sur la liste,
j'imagine… ironise-t-il ensuite en nous ouvrant sympathiquement la porte.
Comme depuis maintenant plusieurs années, ce dernier cumule
plusieurs jobs à la fois. En premier lieu, chauffeur privé, ensuite, garde du
corps, et maintenant… portier. Je le trouve assez remarquable, à vrai dire.
D'ailleurs, c'est bien pour cette raison que je lui réponds aussitôt de mon
plus large sourire, tout en espérant sincèrement qu'il ne prenne pas à mal le
fait que Devon, lui, ne réagisse pas une seule seconde à sa précédente petite
blague. Oui, puis après réflexion… lui aussi, doit être habitué au
comportement déplorable de mon boss.
— C'est dingue que Curtis soit chargé de faire tout ça, marmonné-je
alors, un peu ébahie. Ses fiches de paie doivent être sacrément bien rempl…
— C'est en étant égoïste qu'on devient encore plus riche qu'on ne l'est
déjà, m'interrompt sèchement Devon. Moi, je préfère créer des emplois.
OK, je vois.
Petit a, ne jamais tenter la discussion après l’avoir froissé, et petit b…
Ne surtout pas complimenter son frère de la soirée, au risque de finir
plaquée au sol.
 

Nous entrons enfin dans l'immense hall d'entrée de cet hôtel, et c'est
alors que la beauté des lieux vient éblouir mes pupilles. Bordel de merde, je
n'ai jamais rien vu d'aussi chic auparavant. Oui, sans mentir. Les sols sont
intégralement faits de marbre brun, tandis que les plafonds, eux, sont de
véritables œuvres d'art. D'ailleurs, je constate aussitôt que les rumeurs
concernant ces fameux lustres de cristal n'étaient au final pas du tout des
rumeurs. Wow, ça doit valoir des milliers de dollars, tout ça…
— Bonsoir Monsieur Anderson, lui lance l'un des hommes vêtus de
smokings. Je vous en prie, c'est juste par ici, ajoute-t-il en tendant
chaleureusement son bras vers la porte présente tout au fond du hall.
— Je sais où je dois aller, oui, lui répond-il sèchement, et tout en y
fonçant rapidement.
Seigneur…
— Merci beaucoup, dis-je chaleureusement pour tenter d’apaiser les
propos de Devon.
J’emboîte ensuite le pas à mon boss sans plus attendre, et ne peux
m'empêcher de repenser à toutes ces raisons qui font qu'habituellement, je
le déteste du plus profond de mon âme. Ouais, en effet, les deux dernières
ont amplement suffi à me rafraîchir la mémoire. Et le fait que ce salopard
ne daigne même pas me tenir la porte du lieu de réception en est une
troisième. Tout ça parce que j’ai un peu trop bousculé son ego avant de
quitter la chambre tout à l’heure… J'hallucine.
— Oh… bonsoir Monsieur, lance une voix familière, dès l'instant
même où nous faisons notre apparition dans la gigantesque pièce.
Nom de Dieu… cette voix. Je la reconnaîtrais parmi cent autres.
— Bonsoir, euh… réfléchit Devon dans un léger froncement de
sourcils.
— Nate Ginaghal, se présente-t-il rapidement, tout en lui tendant
vivement sa main. Chef designer dans votre entreprise.
Chef ? Merde, mais depuis quand a-t-il obtenu le statut de chef, celui-
là ?! Chef des connards, oui ! Bref, actuellement, ça n'est pas le plus urgent.
Non, là… ce qui m'inquiète le plus, c'est les minutes qui vont suivre. Oui,
car même si je doute que mon ex-fiancé ne se permette de poser trop de
questions indiscrètes à son patron, la situation n'en reste pas moins
atrocement angoissante. Pour m’occuper un peu l'esprit, je laisse mon
regard parcourir la pièce. De toute évidence, Nate à l'air beaucoup plus
préoccupé par son échange purement professionnel avec notre boss.
La salle est bondée de monde. Je dirais qu'il y a environ deux-cents
personnes, mais fort heureusement, l'endroit est bien assez grand pour y
accueillir le double. Une vingtaine de tables rondes sont dispatchées un peu
partout, chacune y recevant dix couverts au total. Elles sont joliment
décorées de nappe blanches, avec comme large chemin de table de beaux
bouquets de fleurs aux couleurs bleu turquoise de l'entreprise. Au centre des
assiettes de porcelaine, les serviettes de tissus assorties forment de multiples
oiseaux en tout genre. Beurk, qu'est-ce que c'est kitsch. Et je ne parle même
pas des housses de chaises en soie blanche, délicatement nouées d'un ruban,
qui lui aussi, à l'honneur d'être aux couleurs vives de PowerShot. Oui,
toujours plus de bleu.
Mon regard regagne enfin l'affreux visage de Nate afin de suivre la
discussion d’un peu plus près, quand je remarque que ses iris ne cessent de
loucher sur les doigts de Devon. À peine quelques secondes plus tard, il en
fait exactement de même avec les miens. C'est curieux, mais… j'ai la
sensation qu'il cherche quelque chose. La bague ! Merde, évidemment ! Les
paroles de mon patron me reviennent instantanément en tête suite à cette
simple constatation. Oui, je me souviens soudainement de cette
conversation. Celle que nous avions eue il y a de ça maintenant quelques
semaines, à l’arrière de sa voiture. Ça donnait quelque chose comme… :
 

« Lorsqu'un homme demande sa compagne en fiançailles, il se doit de


lui offrir une bague. C’est la tradition. »
 

Putain, oui. Nate étant déjà passé par cette étape au cours de sa vie, il
va donc de soi qu'il en est lui aussi parfaitement informé. Seigneur… non, il
ne va pas oser. C'est impossible, Eva. Il ne peut pas oser lui demander une
chose pareille. En effet, il n'osera jamais.
— Et sinon… marmonne justement ce dernier, tout sourire. La
cérémonie est prévue pour quand ?
Bordel de merde. Il a osé.

 
 

Chapitre 35
Eva
 

La jalousie n'est pour une femme que la blessure de l'amour-propre.


Anatole France
 

Les sourcils de Devon se froncent exagérément suite à la question on


ne peut plus indiscrète précédemment posée par Nate. Pendant ce temps, je
me sens pâlir, et reste incapable de me sortir de la situation merdique dans
laquelle je me suis -encore une fois-, moi-même fourrée. Fatalement, mon
boss finit par lui demander plus de détails au sujet de cette soi-disant
cérémonie, et d'un air atrocement perplexe au passage :
— De quoi parlez-vous, exactement ?
Les yeux de mon ex bifurquent brièvement dans ma direction afin de
m'interroger, et c'est à ce moment précis qu'il peut de lui-même constater
l'évidence. Oui, il lit sans effort dans mes yeux que j'ai tout inventé, et le
connaissant, c'est l'occasion rêvée pour lui de m'humilier un peu. Manque
de pot, je ne compte pas le laisser me ridiculiser :
— Oh ! m'exclamé-je, un peu paniquée tout de même. Nate parle
probablement du mariage de ma tante Katy, balancé-je ensuite d'un geste
désinvolte de la main.
Je n'ai même pas de tante, putain.
— Mais aucune importance, puisqu'il n'y est absolument pas convié,
ajouté-je ensuite en me tournant vers ce dernier pour lui offrir mon plus
large sourire. Pas vrai ?
Suite à cet énième mensonge, nos regards restent liés de longues
secondes, et ce, jusqu'à ce que Devon ne finisse par comprendre la tension
indéniablement palpable présente entre Nate et moi. Par conséquent, notre
boss se racle légèrement la gorge pour interrompre ce moment
particulièrement gênant :
— Bien, souffle-t-il ensuite, un peu mal à l'aise. Je vais aller nous
chercher de quoi boire avant que les ventes ne commencent.
— Bonne idée, lui répondons-nous vivement, et en parfaite harmonie,
qui plus est.
Mon patron fronce les sourcils en me gratifiant brièvement d'un regard
perplexe, puis décide finalement de tourner les talons pour s'exécuter. Une
fois que j'estime qu'il est assez loin, j'en profite pour lancer sèchement à
Nate :
— Je te préviens, commencé-je en dressant furieusement mon index
entre nous deux. Tu n'as pas intérêt à lui dire pour notre précédente relation,
sinon, je jure que je te…
— Depuis quand est-ce que tu as une tante Katy, toi ? m'interrompt-il
alors d'un rire moqueur.
Espèce de… Merde, cet enfoiré a toujours fait ça. Oui, se servir de la
moindre petite erreur que j'aurais pu commettre quelques instants
auparavant, afin d'avoir une réelle excuse pour pouvoir tourner la
conversation à son avantage. C'est… exaspérant. Ouais, mais tout autant
fastidieux, je dois l'admettre. En effet, cette tactique détestable fonctionne
encore à merveille sur moi, la preuve, seulement… ce soir, une chose
change légèrement la donne : ma répartie.
— Depuis que tu es devenu un homme honnête, balancé-je alors,
sourire en coin. Oh, mais j'oubliais… poursuis-je de mon air le plus
sarcastique qui soit. Tout comme le fait que je n'ai aucune tante prénommée
Katy, tu n'as jamais été ne serait-ce que le quart d'un homme.
Mes bras se croisent sous ma poitrine afin d'appuyer mon expression
dédaigneuse, tandis qu'il s'empresse de répliquer :
— De nous deux… grommelle-t-il alors, légèrement perplexe. Je me
demande bien qui a été le plus honnête, sur ce coup-là, termine-t-il en me
désignant brièvement Devon de son menton.
Mon nez se plisse dans une grimace enfantine mimant pathétiquement
ses mimiques précédentes. Oui, bon… ma superbe répartie n'aura pas duré
très longtemps. D'ailleurs, c'est exactement pour cette raison que Nate se
permet d'en rajouter une couche :
— Sérieusement, Eva… soupire-t-il alors, une petite once de pitié dans
les iris. Tu pensais vraiment que j'allais croire à un truc aussi stupide ?
Il avance d'un pas vers moi afin de réduire l'espace encore présent entre
nous, probablement pour poursuivre les médisances d'un peu plus près.
Probablement pour entendre mon pouls s'accélérer davantage.
— J'ai su que c'était faux, à la seconde même où tu as ouvert la bouche
dans cette foutue rame de métro, peste-t-il avec dédain. Je te l'ai toujours
dit. Un mec comme lui ne s'intéressera jamais à une femme comme toi.
Ses paroles me font l'effet d'une lame de cutter enfoncée en plein cœur.
Quel enfoiré. Et malgré tout, je tente de rester impassible. Mon visage garde
sa forme initiale, tandis que mes paupières se plissent légèrement. J'avance
ensuite de quelques centimètres à mon tour, et l'affronte dans un duel de
regards tranchants. Évidemment, qu'un homme comme Devon n'est pas du
style à marier une femme dans mon genre. Cependant, j'ai d'autres
révélations à faire à mon ex ce soir. Des vraies, pour cette fois.
— Sache que je ne t'ai pas totalement menti, Nate, commencé-je d'un
air compétiteur. En effet, cette histoire de mariage était complètement
bidon, néanmoins… tu dois savoir que je m'envoie quand même en l'air
avec ce type. Régulièrement, même, terminé-je ensuite, sourire en coin.
Bon, je dois admettre que ce n’était pas très malin de ma part,
cependant… l'effet recherché est bien là. Les traits de son visage se ferment
instantanément, me laissant donc penser que cette nouvelle ne le laisse pas
totalement indifférent. Malgré tout, il tente de me faire croire le contraire :
— Permets-moi d'en douter, grommelle-t-il alors d'une moue
désapprobatrice.
— Eh bien dans ce cas… marmonné-je en approchant davantage pour
lui murmurer à l'oreille. Tu n'as qu'à le lui demander directement, suggéré-
je ensuite en désignant brièvement Devon d'un petit signe de tête. Je suis
certaine qu'il ne s'en cachera pas.
Ça, c'est complètement faux. Oui, et j'espère sincèrement que cette fois,
Nate ne sera pas assez culotté pour poser la question. Mon boss serait
probablement capable de me virer, s'il apprenait toutes les « rumeurs » que
je m'amuse à lancer sur lui. Sur nous. Ce dernier approche d'ailleurs à
grandes enjambées, une coupe de champagne dans la main gauche, et deux
bières dégoulinantes d'eau fraîche dans la droite. Rapidement, je m'éloigne
de mon ex-fiancé, laissant donc de nouveau l'air se frayer un chemin entre
nous.
—Tenez, dit-il en nous tendant respectivement nos biens.
 

Nous les saisissons sur-le-champ, sans qu'aucun autre son ne parvienne


à sortir de nos bouches par la suite. Et c'est après seulement cinq petites
secondes de néant, que Devon décide finalement de briser ce silence
affreusement pensant d’un léger raclement de gorge :
— Et donc... D'où est-ce que vous vous connaissez, exactement ?
— Longue histoire, m'empressé-je de rétorquer.
Merde, mais depuis quand s'intéresse-t-il à ce genre de détails de ma
vie, lui ?!
Au temps pour moi, j'avais oublié. Lors d'événements comme ceux-ci,
Devon fait constamment mine de s'intéresser un peu à son personnel. Oui, à
moins que… À moins que ce ne soit pas vraiment pour cette raison-là :
— J'ai tout mon temps, marmonne-t-il en me gratifiant aussitôt d'un
petit coup d'œil menaçant, et juste avant de regagner le visage de Nate pour
lui laisser le loisir d'y répondre.
Ce dernier me lance un sourire machiavélique, probablement pour
mieux me montrer qu'il va se faire un malin plaisir à vendre la mèche.
Enfoiré de psychopathe.
— Donc elle ne vous a rien dit, à ce que je vois… souffle-t-il d'un air
faussement désolé.
— Apparemment pas, lui répond Devon, sceptique. Que devrais-je
savoir, au juste ?
Je peine à déglutir convenablement face à la conversation qui va
suivre. Pas que je craigne la réaction de mon boss après cette annonce, mais
plus simplement parce que j'ai du mal avec le fait qu'il puisse en connaître
davantage sur ma vie privée.
— Et bien… reprends mon ex-fiancé, faussement hésitant. Eva et moi
avons partagé près de trois ans de nos vies, à vrai dire.
Seigneur… heureusement que les prisons existent, sinon, je lui aurais
très probablement coupé les c…
— Ah oui ? m'interroge Devon d’un air étonné.
— Oui, renchérit Nate, tout sourire. Nous étions même fiancés !
Et après tout, je suis certaine que Mara saura m'aider à dissimuler un
cadavre. Merde, ça suffit. Il ne faudrait pas que ça me tente de trop.
Pour toute réponse, je pince fortement mes lèvres entre-elles en
haussant exagérément les sourcils, puis porte ensuite le bord du verre
jusqu'à ma bouche afin d'en boire sa première gorgée. J'en ai grandement
besoin, là.
— Effectivement, affirme alors mon boss, impassible. Elle ne me
m'avait absolument rien dit à ce sujet.
— Ça n'a rien d'un exploit, si vous voulez tout savoir, m'esclaffé-je
donc sans retenue.
En vérité je ris jaune, mais ça… je pense, -j'espère- être la seule à le
savoir. Nate arque un sourcil pour me prouver sa vexation, mais n'y répond
finalement rien par la suite. Dieu merci. En effet, je me passerais bien d'un
débriefing complet des trois années en sa compagnie. J'en ai d'ailleurs des
haut le cœur rien qu'à y repenser.
— Je vais aller voir si…
Un bruit atrocement strident vient traverser mes tympans, interrompant
donc simultanément ma tentative d'évasion.
— Un deux - un deux, marmonne un vieil homme au micro, et tout en
tapotant à multiples reprises dessus.
— C'est le moment d'aller s'installer, me dit sèchement Devon en
s'exécutant.
Je lui emboîte aussitôt le pas pour en faire de même, sincèrement
soulagée par la fin définitive de cet échange ridicule. Seigneur… un peu
plus, et mon cœur s'arrêtait.
Habituellement, nous sommes placés au même endroit que Caleb et
Mindy. J'aperçois aussitôt les longs cheveux dorés de cette dernière au loin,
qui est d'ailleurs confortablement assise autour de l'une des tables les plus
proches de la scène, et tout juste à côté de son charmant patron. Je
m'empresse donc de les rejoindre au pas de course, puis une fois chose faite,
effectue une rapide vérification sur le marque-place afin de m'assurer que
mon nom y est bien inscrit. C'est le cas, alors… je tire légèrement ma chaise
en arrière, et m'installe enfin à mon tour.
— Bonsoir, les salué-je discrètement au passage.
Mindy me répond de son plus large sourire, et Caleb fait exactement de
même, avant de reprendre sa conversation privée avec l’homme à sa droite.
Étonnamment, ce soir, Devon n'a pas été positionné à mes côtés. Non, cette
fois, c'est en compagnie d'une belle brune au teint particulièrement hâlé
qu'il va partager son repas. C'est étrange, mais je ne l'avais encore jamais
vue avant aujourd'hui. Comme je viens tout juste de dire, elle est vraiment
très belle, et… je dois avouer que ce détail me froisse un peu. N'importe
quoi.
— Qui est-ce… ? chuchoté-je discrètement à l'oreille de Mindy, et tout
en désignant la mystérieuse jeune femme de mon menton.
Ma voisine de table tourne aussitôt sa tête vers la cause de mon
interrogation, puis revient ensuite rapidement sur moi pour me répondre :
— Sofia, me souffle-t-elle alors d'une moue dubitative. Je crois que
c'est une amie.
— Amie de qui ? l'interrogé-je d'un léger froncement de sourcils.
— Bah… de Devon, me répond-elle d'un air logique.
— Oh, d'accord ! m'exclamé-je, presque trop bruyamment. Je vois !
Plus transparente, tu meurs.
— Et tu ne saurais pas me dire ce qu'elle vient faire ici par hasa…
— Bonsoir à tous, et bienvenue à la cinquième édition de notre célèbre
gala de charité ! m'interrompt subitement le vieil homme au micro. Comme
beaucoup le savent déjà, je m'appelle Robert, et je suis très honoré de
pouvoir présenter la vente aux enchères cette année !
Je baisse de nouveau les yeux vers Mindy, puis constate finalement
qu'elle n'a pas prêté attention au début de ma question précédente. Oui, et
malgré tout, je m'abstiens de la lui reposer. Il ne manquerait plus qu'elle
cherche à savoir ce qu'il se passe réellement dans ma tête, en plus de ça.
— Comme chaque année, poursuit Robert d'une voix bien assurée. La
totalité des dons récoltés sera reversée à l'association "jeux d'enfants". Il
s'agit d'une association à but non lucratif, créée pour aider les jeunes atteints
de maladies, telle que la leucémie, ou bien encore le syndrome de Down,
mais aussi la…
Pendant qu'il récite son texte de façon presque intuitive, mes yeux ne
peuvent s'empêcher de faire plusieurs allées et venues entre la scène et mon
patron. À vrai dire, ce que je vois autour de cette table ne me plaît pas
vraiment. Cette dénommée Sofia ne cesse de lui murmurer des choses à
l'oreille, tandis que ce dernier lui répond constamment d'un large sourire.
OK Eva… ils parlent peut-être simplement boulot. Oui, très probablement.
— Avant toute chose, je tenais à remercier Monsieur Caleb Anderson
de nous accueillir pour cette cinquième année, lance alors le vieil homme,
tout en désignant chaleureusement ce dernier du bout de son index. Comme
tous les ans, il se montre très généreux, et nous permet de tous nous réunir
dans de magnifiques lieux comme celui-ci, termine-t-il ensuite, juste avant
d'applaudir vivement pour encourager la salle à en faire de même.
Caleb se lève afin de brièvement pouvoir se présenter aux yeux de
tous, un peu gêné, mais tout de même très sûr de lui à la fois. Plutôt pas
mal, ce nouveau costume. Le rouge bordeaux lui va à merveille.
— Maintenant… à vos chéquiers !
Ni une ni deux, le premier lot nous est proposé. Oui, enfin… leur est
proposé. Pour être parfaitement franche, moi, je ne fais rien de plus qu'acte
de présence, et ce, pour la troisième année de suite maintenant. En effet, je
n'ai pas vraiment les moyens de m'offrir quoiqu'il soit mis aux enchères ici.
Et pour cause :
— Huit-mille dollars pour ce merveilleux séjour en France ? Qui dit
mieux ?
— Dix-mille, lance une femme de la table voisine en agitant sa
pancarte dans les airs.
— Dix-mille dollars pour une superbe semaine en amoureux au pied de
la tour Eiffel … Une nouvelle proposition peut-être ?
Pendant près de trois secondes, aucune autre offre ne fait son
apparition, alors…
— Une fois, deux fois… marmonne Robert avec suspens. Adjugé à la
magnifique femme en rouge ! lance-t-il ensuite en faisant brusquement
cogner le plat de son marteau sur le pupitre.
Les multiples claquements de mains remplissent de nouveau
intégralement la pièce, mais visiblement, ce vacarme ne suffit pas encore
assez pour camoufler les divers échanges entre Devon et son "amie".
Curieusement, mon cœur s'emballe davantage. Bordel, mais qu'est-ce qu'il
m'arrive ?!
— Le deuxième lot de cette soirée est assez intéressant, puisqu'il s'agit
en fait d'une splendide voiture de collection, que vous pourrez apercevoir
juste ici, sur cet écran, annonce l'homme en se retournant pour nous
indiquer l'immense photo de son index. L'offre de lancement s'élève à vingt-
mille dollars !
Nom de Dieu. Les jantes sont en or 18 carats où quoi ?!
— Quarante-mille, propose subitement Caleb.
Vraiment ? Merde, mais à quoi bon… ? Il a un foutu chauffeur privé,
disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre !
— Cinquante, le contre un homme du fond de la salle.
— Pour information, lance Robert d'un air prévenant. Elle est équipée
d'un moteur V8… !
Précision ultra nécessaire, je présume.
Effectivement, elle l'était, puisqu'un troisième homme s'empresse de
faire une proposition encore plus farfelue que toutes les précédentes.
Quatre-vingt mille dollars pour un vieux tas de ferraille ? Merde,
sérieusement ? Bon, j'admets être un peu excessive dans mes jugements. En
vérité, ça m'amuse d'être ici. C'est dingue ce que j'aime assister à ce genre
d'événements. Voir les gens se battre pour obtenir gain de cause m'a
toujours divertie. C'est d'ailleurs exactement pour cette raison que j'ai déjà
vu toutes les saisons de Storage Wars. Vraiment, je trouve ça passionnant.
Quoique… peut-être un peu moins pour cette fois, je dois l'admettre. Oui,
puisque les petits pouffements mutuels des deux personnes présentes en
face de moi n'en finissent toujours pas. Ne les regarde pas, ne les regarde
pas, ne les regarde pas. Merde, tant pis. Je tourne alors la tête en direction
de Devon, pour finalement constater qu'en effet, je n'aurais peut-être pas dû
les regarder. L'une des deux mains de Sofia est délicatement posée contre le
cou de mon boss, probablement afin de mieux pouvoir lui murmurer tout un
tas de choses que je n'ose même pas imaginer à l'oreille. Mais d'où est-ce
qu'elle sort, cette sombre pétasse ?!
— Eva…
Le simple petit chuchotement de Mindy suffit à me faire sursauter.
Dans la bataille, j'emporte lamentablement la fourchette sur laquelle
reposait mon avant-bras. Fait chier.
— Oui ? l'interrogé-je alors discrètement, et tout en me penchant pour
la ramasser.
 

Comme s'ils y étaient irrémédiablement attirés, mes yeux ne peuvent


s'empêcher de bifurquer sur les deux paires de jambes présentes en face de
moi. Je reste alors bloquée de courtes secondes sous la table, probablement
dans l'attente d'y voir quelque chose susceptible de me rendre plus folle
encore, quand cinq doigts parfaitement manucurés se posent délicatement
contre la cuisse de Devon. Nom de Dieu. Ils sont d'ailleurs si proches de son
entrejambe, que je ne supporte pas la vue une seconde de plus.
— Tout va bien… ? m'interroge alors ma voisine, à l'instant même où
je refais surface. Tu es… vraiment très pâle.
— Je crois que les gambas ne m'ont pas réussie, me justifié-je
rapidement. De quoi voulais-tu me parler, exactement ? demandé-je ensuite,
comme si de rien n'était.
Comme si j'avais vraiment goûté aux amuse-gueules.
Ses sourcils se froncent légèrement pour me gratifier d'une grimace
sceptique, mais elle décide finalement de ne pas insister davantage sur le
sujet.
— J'ai entendu dire que Caleb t'avait proposé un post ici ? reprend-elle
alors d'un large sourire.
— Oui, effectivement, je…
Mon regard est incapable de rester scellé au sien tant la curiosité est en
train de me ronger. À vrai dire, j'ai comme ce besoin incommensurable que
de savoir ce qu'il fait, et avec qui. C'est pathétique.
— J'ai… continué-je, toujours plus distraite.
— Tu vas l'accepter, n'est-ce pas ?
Devon tourne lentement sa tête vers moi, et m'offre un sourire
affreusement satisfait au passage. Putain. Une fois bien assuré de mon
désarroi total, il regagne les yeux de Sofia, puis poursuit sa petite
conversation privée, sans aucun scrupule pour moi. Merde, réveille-toi, ma
grande ! Je m'efforce alors de reprendre mes esprits, et réponds enfin à mon
interlocutrice :
— Je me suis laissée le week-end pour y réfléchir.
Oui, et au vu du spectacle que mon connard de patron est en train de
m'offrir, j'ai très envie de poser mes valises, là, tout de suite. Pour toute
réponse, cette dernière me rend un sourire encore plus radieux que le
précédent, puis y ajoute aussitôt :
— J'espère sincèrement que tu rejoindras notre équipe, en tout cas.
Parfois… grimace-t-elle ensuite d'un air dubitatif. Je m'ennuie un peu, au
milieu de tous ces hommes.
Et je ne peux que la comprendre, en effet. Bien que j'ai la chance de ne
pas être confrontée à autant de testostérone de mon côté, je suis capable de
concevoir combien ça doit être ennuyeux, par moment. Ici, Mindy est l’une
des rares femmes de tout le building, et ce, depuis maintenant près de deux
ans. À vrai dire, Caleb a pris la décision de ne plus employer de personnel
féminin ayant moins de trente ans, et ça peut -effectivement- paraître très
étrange à première vue, toutefois… J'ai entendu dire que les raisons de ce
choix étaient en fait liées aux nombreuses groupies ayant déjà tenté de
coucher avec lui. Apparemment, la seule à ne jamais avoir essayé quoi que
ce soit jusqu'à maintenant, c'est Mindy. Ce qui, j'imagine, a donc fait d'elle
une personne remarquable aux yeux de son boss. Peut-être d’ailleurs tout
autant que moi, si j'en crois sa récente proposition.
— Mesdames et messieurs… reprend finalement Robert. Sachez que le
troisième lot est complètement atypique !
Cette annonce attise aussitôt la curiosité des personnes présentes dans
la pièce, puisqu'une multitude de chuchotements font maintenant leur
apparition entre les murs.
 

— Oui, car ce soir… vous aurez peut-être la chance de remporter un


merveilleux rencard, auprès de la plus belle créature de cette salle !
s'exclame-t-il ensuite fièrement. J'ai nommé, la magnifique Sofia !
Quoi ? Bordel… qui ça ?!
— Évidemment, elle ne vend pas son corps, alors… j'espère que vous
saurez faire chavirer son cœur, si vous désirez un peu plus qu'un simple
repas en sa compagnie !
Cette dernière se lève aussitôt afin de se présenter au public, me faisant
donc instantanément comprendre que non, je ne viens pas d'être victime
d'une simple hallucination. Seigneur…
— Venez donc vous joindre à moi, Mademoiselle García !
Elle s'exécute instantanément, et c'est alors que je constate à quel
niveau cette pétasse se trouve sur l’échelle de la beauté. Effectivement, c'est
une véritable bombe atomique. De sa démarche, jusqu'à la longueur de ses
cheveux, Sofia est indéniablement la plus belle femme de cette soirée.
D'ailleurs, le regard que Devon lui porte tout au long du trajet qu'elle
parcourt parle probablement de lui-même. Il la baiserait bien. De toute
évidence… il l'a déjà fait. Merde, mais pourquoi cette simple supposition
me provoque autant d'énervement ?!
— Le prix de lancement pour une soirée romantique au côté de cette
beauté latine s'élève à… dix-mille dollars ! s'exclame alors Robert, tout en
tendant galamment une main à cette dernière pour l'aider à franchir les
quelques marches menant jusqu'à lui.
Sans que je ne le contrôle, un rire spontané traverse bruyamment mes
lèvres. Malheureusement, le silence était parfaitement plein au moment
même où ce son est sorti de ma bouche. Les yeux du vieil homme se
tournent alors aussitôt dans ma direction, juste avant qu'il ne me demande,
très souriant malgré tout :
— Cette "vente" vous semble folle, n'est-ce pas ?
Je prends un quart de seconde pour jeter un rapide coup d'œil autour de
moi, et comprends sans effort que je me dois d'y répondre, si je ne tiens pas
à passer pour la reine des idiotes. Je me lance donc à contrecœur :
— Ce qui me semble le plus fou, rétorqué-je alors, sourcils arqués.
C'est le fait de vendre sa présence pour le plaisir personnel d'un homme.
Les messes basses qui s'ensuivent me collent une pression monstrueuse
sur les épaules, et malgré tout, je ne me dégonfle pas :
— Je veux dire… poursuis-je, un peu hésitante tout de même. Pourquoi
ne pas avoir choisi quelqu'un comme… vous, par exemple ?
Je désigne le vieillard d’une main mollement tendue, et constate
aussitôt que ma remarque vaut un petit moment de réflexion à ce dernier. Il
croise les bras sous sa poitrine, apparemment dubitatif de mon intervention
si soudaine. En effet, comme chez absolument chaque personne présente ici
ce soir, je viens de provoquer une prise de conscience, et… c'est plutôt une
bonne chose, dans le fond. Tout est bon pour priver notre ennemi juré de
crédibilité, pas vrai ? Eva… sérieusement ? Tu vois vraiment cette femme
comme ton ennemie ? Mais enfin, tu ne la connais même pas ! Oui, c'est
exactement ce que ma mère m’aurait dit si elle avait été là, et malgré tout, je
n'arrive pas à cesser mes médisances concernant Sofia. C'est plus fort que
moi, je la déteste déjà. Ridicule.
— Vous n'avez pas tout à fait tort, je dois l'admettre, approuve alors
Robert d'une petite moue.
Oh ?
Le silence perdure un instant après cette approbation, jusqu'à ce que la
première concernée ne décide finalement de prendre la parole pour justifier
ce choix :
— Comme le disait ce cher monsieur, commence alors Sofia en
approchant du micro.
Pitié, faite qu'elle trébuche, pitié, faite qu'elle trébuche, pitié, faite
qu'elle trébu…
— Je ne suis pas là pour vendre mon corps, mais plus simplement pour
lier l'utile à l'agréable, poursuit-elle, pleine d'assurance. Il ne faut pas
oublier la cause que nous sommes tous venus soutenir, ici même ce soir.
Je rectifie ma prière : faites plutôt en sorte qu'elle ferme sa gu…
— Par conséquent, je doute que la façon dont je décide de récolter des
dons ne soit très importante, puisqu’au final… c'est uniquement pour aider
les enfants malades.
À la fin de cette phrase, les applaudissements encourageant ses
dernières paroles retentissent de nouveau entre les murs de la pièce, tandis
que Sofia en profite pour me gratifier d'un petit sourire narquois. Espèce de
sale…
Évidemment, je me contente de disparaître peu à peu au fond de ma
chaise, probablement rouge écarlate. Merde, pourquoi est-ce que je me suis
lancée dans ce type de débat, au juste ?! Mais parce que je la déteste, bordel
!
— Bon, et bien… marmonne alors le vieil homme, un peu mal à l'aise.
Puisque la parenthèse est close, les propositions peuvent maintenant débuter
!
Je cache mon visage dans mes paumes, sincèrement honteuse du
spectacle que je viens tout juste de leur offrir. Seigneur… c'est dingue, ce
que peut nous pousser à faire la jalousie. D'ailleurs, pourquoi est-ce que je
suis jalouse de cette femme ? Ça n'a absolument aucun sens ! Je n'ai rien à
lui envier ! Moi aussi, je suis jolie ! Ouais, mais je n’ai pas son corps de
déesse.
— Ton intervention était vraiment très bonne, me chuchote alors
Mindy, tout en me donnant un petit coup d'épaule au passage. Je suis
complètement d'accord avec toi.
Malgré mes difficultés à trouver une touche de sincérité dans ses
propos, je relève doucement la tête pour lui marmonner :
— Merci beaucoup, mais je crois qu'on est parfaitement seules sur ce
coup-là…
— Ça n'a pas vraiment d'importance, m'assure-t-elle alors fermement.
Tu as parlé de choses réelles, et je te garantis que ça en fera cogiter plus
d'un dans cette salle.
Mes sourcils se froncent lorsque je réfléchis plus sérieusement à cette
réponse. Après tout… elle a sûrement raison. Dans le fond, j'ai simplement
mis en lumière l'un des nombreux problèmes de notre société actuelle, et il
est vrai que ce type d'intervention féministe ne plait pas toujours en temps
normal. Merde, oui, j'ai juste dit tout haut ce que la moitié de cette pièce
pensait tout bas. Je me redresse alors fièrement, bien parée à prouver mon
assurance à Devon, quand cette dernière vole -sans trop d'étonnement au
final- aussitôt en éclat. C'est en posant justement mes yeux sur lui que je
constate qu'il me fixe, un petit rictus moqueur au coin des lèvres. Non, je ne
rêve pas, cet enfoiré est en train de me narguer. Lui aussi, je le déteste. Oui,
et malgré tout, je ne baisse pas les yeux une seule seconde. En effet, tandis
que les propositions fusent partout autour de nous, nos iris restent liés dans
un ridicule duel de regard.
— Vingt-mille-trois-cents annonce une voix dans mon dos.
Mon Dieu, c'est du grand n'importe quoi.
— Cinquante-mille dollars, lance finalement Devon en levant sa
pancarte, et sans jamais me quitter ne serait-ce qu'un quart de seconde des
yeux.
Qu… quoi ?
— Quelle merveilleuse offre ! s'exclame alors Robert d'un ton enjoué.
Personne d'autre pour en faire une supérieure ? Cinquante-cinq-mille, peut-
être ? C’est une très belle femme, tout de même…
Sous le silence de plomb qui règne suite à la proposition complètement
folle de mon salopard de boss, aucun autre homme n'ose renchérir. Par
conséquent, le vieillard frappe son marteau :
— Adjugé au beau Devon Anderson ! s'exclame-t-il ensuite avec
enthousiasme.
Aussitôt, le sourire de Sofia suffit à me faire savoir qu'elle n'en
attendait pas moins venant de lui. Et pendant qu'elle descend les marches
pour rejoindre son acquéreur, je sens ma gorge se nouer peu à peu. Non… il
n'a pas vraiment fait ça. Devon n'a pas pu dépenser tout cet argent pour une
soirée en tête-à-tête avec cette femme, juste sous mes yeux. Merde, si. Bien
sûr qu'il l'a fait. Oui, il l'a fait, et moi, je dois impérativement sortir d'ici,
avant qu'il ne voie ce que me provoque réellement cet acte répugnant. Avant
qu'il ne remarque combien ça me brise sincèrement le cœur.
 
 
 

Chapitre 36
Eva
Tant que l'irrémédiable est en suspens, l'angoisse rôde, pire que la
défaite.
Gilbert Choquette
 

Mon souffle se fait de plus en plus court, et cette sensation ne fait


qu'accroître quand j'observe Sofia reprendre place aux côtés de Devon,
encore plus pimpante que tout à l'heure. Seigneur, je suis en train de frôler
l'infarctus.
— Je… marmonné-je en me levant doucement de ma chaise. Je vais
prendre un peu l'air. On étouffe ici.
Oui, beaucoup trop. D'ailleurs, c'est sûrement dû à la chaleur ardente
présente entre les cuisses de cette sombre salope. Merde, voilà que j’en
deviens méchante. Je vais lui raser la tête. Bordel, ça suffit !
— Tu n'as pas l'air bien du tout, grimace alors Mindy, sincèrement
perplexe. Tu veux que je t'accompagne jusqu’aux toilettes ?
— Non, lancé-je en balançant vivement ma tête de gauche à droite. Les
gambas, comme je te disais. J'ai dû faire une intolérance. Ça ira sans doute
mieux après un petit bol d'air frais.
Je prends rapidement direction de la large porte menant au hall d'entrée
-ne lui laissant donc pas l'opportunité d'insister davantage-, et m'empresse
ensuite de rejoindre la sortie définitive, quand une petite pancarte attire
finalement mon attention sur le trajet. « Bar ». C'est étrange, mais… avant
ce soir, jamais un si petit mot n'avait réussi à me réjouir autant.
Effectivement, rien de mieux qu'un petit cocktail pour fuir cette satanée
soirée. Ou plutôt deux cocktails. Bon, trois cocktails. Oui, après tout, ça n'a
jamais tué personne de décompresser un peu. Et au final, je me vois mal
ruminer pendant des heures dans l'immense chambre d'hôtel. De notre
chambre d'hôtel. Merde, oui, c'est vrai. Impossible de m'y rendre. Je refuse
d'être de nouveau confrontée à la sale tronche de mon boss.
Je descends alors les escaliers menant à ma petite thérapie improvisée,
puis après une dizaine de marches franchies, entre aussitôt dans la pièce.
Wow… À ce niveau-là, j'ai plutôt l'impression qu'il s'agit d'une véritable
boîte de nuit ! Oui, et je dois dire que ça me convient encore plus. La
lumière est juste assez tamisée pour me permettre de distinguer un visage,
tandis que le volume de la musique, lui, est impeccablement ajusté pour ne
pas me forcer à hurler trop fort ma demande suivante :
— Une Margarita s'il vous plaît ! dis-je en levant vivement une main
au ciel pour attirer l'attention du barman.
Sans discuter, il s'exécute et commence le mélange, avant d'ensuite
brasser énergiquement son shaker. Une fois le tout bien agité, il déverse ce
merveilleux liquide jaunâtre dans une petite coupelle qui m’est destinée,
puis la fait délicatement glisser sous mon nez. L'avantage quand on est
conviée à ce genre d'événements privés, c'est que la carte bancaire peut
rester bien au chaud, tout au fond du sac à main. Ici, mon poste de
secrétaire basique n'existe plus. À partir du moment où mon nom me permet
d'entrer dans un endroit comme celui-ci, je suis considérée comme
n'importe quelle autre personne déjà présente entre ces murs. Une vraie
V.I.P. Le genre à ne pas avoir à payer ses propres consos, et ce, malgré mon
incapacité totale à laisser un foutu chèque lors des ventes aux enchères.
Heureusement, personne ne se doute de ça.
— L'intervention de tout à l'heure était vraiment très culottée.
Cette voix masculine qui m'est complètement inconnue me pousse à
légèrement tourner sur moi-même, afin de faire face à la personne venant
tout juste de prendre place sur le tabouret voisin. Évidemment, je sais
d'avance qu'il s'agit d'un homme tentant l'ultime approche. Une chose est
sûre, la méthode est nulle à chier. Merde… c'est dingue ! La seule
possibilité d'aborder une femme dans un bar, c'est de lui offrir un verre,
mais faute de moyens, ce dernier a tout de même l'air prêt à tout pour ne pas
rentrer seul ce soir ! Mauvaise pioche, chéri !
— Le fait de mettre les deux sexes à parts égales, je veux dire,
continue-t-il d'une moue dubitative, et probablement pour but de m'éclairer
un peu sur son approche.
Ah ? Au temps pour moi. Je me suis peut-être emballée un peu trop
rapidement à son sujet.
— J'ai trouvé ça à la fois nécessaire, et… vraiment très courageux de
votre part, renchérit-il, toujours plus impressionné. Il faut en avoir une
sacrée paire pour oser dire la vérité devant autant de personnes, alors…
bravo.
À première vue, ce type n'a rien d'exceptionnel. C'est un blond aux
yeux bleus. Son style vestimentaire est on ne peut plus adapté à cette soirée.
Des cravates… toujours des cravates. Mais au-delà de ça, je dois dire qu'il
dégage une certaine prestance. Oui, il est plutôt beau gosse. Banal, mais
beau gosse. Sans parler du fait qu’il s’y prend plutôt bien pour m'arracher
un petit sourire, alors…
— Je m'appelle Eva, lui dis-je en tendant chaleureusement une main
dans sa direction. Mais j'en ai quand même une sacrée paire.
Il ricane silencieusement lorsque nos paumes se serrent dans une brève
poignée de main, et je lui rends son rire discret sans hésiter, fin prête à tuer
un peu le temps en sa compagnie. Après tout… je n'ai rien de mieux à faire
actuellement.
— Justin, me répond-il, ses iris bien ancrés au mien. Ravi de faire
votre connaissance.
— Ravie de voir que je ne suis pas la seule à m'ennuyer ce soir,
répliqué-je en me défaisant gentiment de son étreinte pour l'inviter à
trinquer.
Il saisit le verre de liquide ambré présent face à lui afin de délicatement
venir le faire cogner contre le mien, puis me répond naturellement :
— Ma mère m'a toujours dit : on ne laisse pas bébé dans un coin.
Oh… je vois.
— J'aime beaucoup la référence, m'esclaffé-je alors, agréablement
surprise. Votre mère est une grande fan de Dirty Dancing, je me trompe ?
l'interrogé-je ensuite, toujours hilare.
— Plus principalement de Patrick Swayze, ricane-t-il à son tour. Mais
ça… je crois que c'est à peu près pareil pour une majorité de femmes, n'est-
ce pas ?
Je souris avant de boire une petite gorgée de mon cocktail, repose le
verre correctement face à moi, joue quelques secondes avec le parasol en
papier, puis lui lance enfin :
— C’est exactement ça, oui.

Devon
 

— J'ai bien cru devoir dîner avec le vieux moustachu du fond de la


salle, glousse discrètement Sofia au creux de mon oreille.
Pour toute réponse, je m'efforce de lui rendre un rire nerveux
approuvant cette dernière réflexion, mais ne peux m'empêcher de laisser
mes yeux parcourir l'intégralité de la pièce pour la millième fois. Putain,
mais où est passée Eva ?! Ça suffit. Il faut que j'aille la retrouver. Ça doit
faire pas moins de trente minutes que je l'ai vu filer en direction de la sortie,
et je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme le sentiment qu'elle n'est plus
dans les parages. Ouais, en réalité, je pense plutôt qu'elle vient de fuir cette
soirée. De me fuir. Pourquoi ? Sûrement parce que je viens de me "payer"
une femme, juste sous ses yeux. Et pour quelle raison, j'ai fait cette chose
stupide ? Probablement parce que mon bref échange avec le chef designer,
alias ex-fiancé de ma charmante secrétaire, a suffi à m'irriter. Pire, à me
rendre fou, au point de trouver l'ultime méthode pour la blesser en retour.
Ridicule.
— Je reviens, dis-je à ma voisine de table, tout en me levant
rapidement de ma chaise.
— J'y compte bien, me sourit-elle d'une voix lascive en retour.
Je ne prends pas la peine de me retourner pour y répondre, et fonce
aussitôt en direction du hall d'entrée de l'hôtel. Il est vrai que Sofia est une
magnifique femme, néanmoins… ce soir, ce n'est pas elle qui occupe toutes
mes pensées. Hier non plus, d'ailleurs. Avant-hier non plus, putain. Merde,
la vérité, c'est que ça fait des semaines que je ne pense à personne d'autre
qu'Eva, et je crois en prendre pleinement conscience seulement maintenant.
Peut-être trop tard.
Lorsque je passe devant le comptoir d'accueil, j'y aperçois un jeune
garçon quasiment endormi derrière son poste de travail. Je fonce dans sa
direction, et tapote le marbre à plusieurs reprises pour marquer ma
présence, ce qui lui vaut donc un petit sursaut dans la foulée. Malgré tout, je
ne m'en excuse pas, préférant m'empresser de demander :
— Une femme vêtue d'une longue robe noire est passée par là il y a de
ça maintenant près d’une heure, déblatéré-je à une vitesse folle. La plus
belle de cette soirée.
Mes yeux bifurquent sur son badge afin d'y trouver un prénom lorsque
je comprends qu'il n'a absolument rien saisi à ma requête.
— Zachary, l'appelé-je en déposant un billet vert sur le comptoir. Une
magnifique femme, vêtue d'une longue robe noire, articulé-je ensuite plus
lentement.
À la vue du morceau de papier, les yeux du jeune réceptionniste
s’écarquillent exagérément. C'est triste, mais mon père a toujours eu raison,
quand il disait que seul l'argent était efficace pour attirer l'attention de
quiconque.
— Elle est au bar, me répond-il en saisissant mollement son dû,
légèrement sceptique tout de même.
Le bar ? Qu'est-ce qu… Sans réfléchir, j'y fonce au pas de course.
— Et c'est vrai qu'elle est très jolie ! s'exclame-t-il avec enthousiasme
dans mon dos. La femme en robe noire !
Indéniablement. D'ailleurs, c'est exactement pour cette raison que mon
cœur bat la chamade lorsque je dévale les escaliers. Merde, mais pourquoi
est-ce-que je cours si vite, au juste ? Peut-être parce que je réalise avoir
donné toutes les cartes en main à Eva pour qu'elle rentre avec un autre
homme que moi ce soir. Peut-être parce que je suis le roi des connards…
peut-être parce que depuis le début, je n'assume pas ce que je ressens
réellement pour elle. Et peut-être aussi parce que ça me rend fou de devoir
l'admettre seulement maintenant. Putain.
J'entre enfin dans la pièce, et laisse mes iris la parcourir de fond en
comble en espérant sincèrement ne pas y trouver une chose susceptible de
me mettre hors de moi. De la piste de danse jusqu'à chacune des banquettes,
et des banquettes jusqu'à… Bordel de merde. C'est lorsque mes yeux se
posent sur le comptoir du bar que mon cœur rate un battement. Morgan.
Oui, Eva est accoudée à ce putain de bar en compagnie de Justin Morgan.
Merde, mais qu'est-ce qu'il fout ici, à Los Angeles ?!
Sans grande surprise, mon sang ne fait qu'un tour à la vue de cette
image. En réalité, le fait de voir un autre homme que lui à ses côtés aurait
pu me mettre dans un état de colère quasi identique, néanmoins… là, j'ai
tout de même la sensation que ce sentiment est décuplé par mille. Et pour
cause : il s'agit de mon tout premier associé. Avant de l'être, il était aussi un
ami. Un ami qui m'a trahi sans aucun remord dès que la première occasion
s'est présentée.
Effectivement, lorsque nous n'étions encore que de vulgaires stagiaires
dans le milieu, Justin n'a pas hésité une seule seconde pour s'attribuer tous
les mérites de mon propre boulot. J'avais bossé des heures entières sur ce
projet afin de pouvoir atteindre la meilleure place possible dans l'entreprise
de mes rêves, mais cet enfoiré m'a devancé, en volant la clé USB qui
contenait la totalité de mon travail. Depuis, beaucoup de choses ont changé.
Oui, puisque comme il le sait déjà à l'heure actuelle… aujourd’hui, c'est
moi, le patron de cette putain d'entreprise de rêve. En effet, il ne le sait que
trop bien, puisque c'est aussi moi qui l'ai licencié lors de mon arrivée, il y a
maintenant huit ans de ça. Ce qu'il ne sait pas encore en revanche, c'est que
je suis également le patron de la femme à qui il est actuellement en train de
caresser la joue. Je suis celui qui ne le laissera pas me voler une seconde
fois. Celui qui refuse de voir quiconque s'approcher de l'une des rares
personnes ayant généré de l'intérêt à mes yeux lors de ces vingt-neuf
dernières années. Lui, en revanche, il est l'homme qui me laisse enfin
l'opportunité de lui coller mon poing en pleine gueule.
 

 
 
 

 
 
 

Chapitre 37
Eva
 

Qui apaise la colère éteint un feu, qui attise la colère, sera le premier
à périr dans les flammes.
 
Hazrat Ali
 
 

— Je ne suis pas d'accord avec toi, ricané-je en portant la paille de mon


troisième cocktail jusqu'à mes lèvres. Ce mec est abominable ! Glenn ne
méritait absolument pas le sort qui lui a été attribué !
Justin désapprouve pour la troisième fois en balançant vivement sa tête
de gauche à droite, ce qui m'arrache donc un nouveau fou rire inévitable.
Merde, si un jour on m'avait dit que je débattrais sur The Walking Dead
accoudé à un bar, face à un inconnu vêtu d'un costard, et en plein milieu
d'une soirée caritative… je n'y aurais jamais cru.
— Negan est un bel enfoiré, certes, mais sans lui, la série n'aurait pas
pris un si bon tournant ! s'exclame-t-il alors d’un air logique. Moi, j'adore
ce type !
— Donc tu es probablement le genre de mec à idolâtrer quelqu'un
comme… Norman Bates ? l'interrogé-je, sourire en coin.
— Exactement ! m'affirme-t-il, sans l'ombre d'une hésitation.
— D'accord, je vois, pouffé-je, toujours plus hilare. Désolée de te le
dire, mais… tu es tout aussi taré que ces deux hommes réunis.
Nous éclatons simultanément de rire, juste avant que Justin n'en profite
pour poser une main contre ma joue. OK, je crois que nos attentes ne sont
pas vraiment les mêmes, et malheureusement… je me dois de lui faire
savoir rapidement, au risque de plomber la bonne ambiance.
— Euh… marmonné-je timidement, et tout en baissant doucement les
yeux au sol. Je crois que…
— Que tu devrais rentrer chez toi.
Aussitôt, mes paupières s’écarquillent, tandis que ma tête se redresse
d'un seul jet. Bordel.
— Devon, lui sourit ce dernier avec ce que je crois être une petite
touche de sarcasme.
Attends… ils se connaissent ? Oui, et visiblement plutôt bien, puisque
mon ami de beuverie n'a absolument pas peiné à différencier les deux
frères. Merde, je ne sais plus où me mettre.
— Monsieur Anderson, le reprend mon boss d'une voix ferme. Ici, c'est
comme ça qu'on m'appelle, mais ça… sourit-il à son tour. Tu le sais déjà.
Les paupières du blondinet se plissent, et c'est à cet instant précis que
je constate la tension qui plane probablement depuis déjà plusieurs années
entre les deux hommes. Oui, de toute évidence… ils ne s'aiment pas. Ça
crève les yeux.
— Je peux savoir pour qui tu te prends, au juste ? l'interroge Justin,
sans bouger de sa place pour autant.
La mâchoire de Devon s'agite tellement, que j'ai comme la sensation
qu'il tente de l'harmoniser aux rythmes des battements de son cœur. Si c'est
le cas, il bat très vite.
— Son patron, lui répond-il en me désignant d'un bref coup d'œil.
C'est maintenant la mâchoire de Justin qui fait des siennes.
Effectivement, elle est à deux doigts de se décrocher tant cette nouvelle
vient de le surprendre. Néanmoins, il retrouve rapidement ses esprits pour
rétorquer :
— Le fait d'être devenu riche ne te laisse pas pour autant le droit de
décider qui cette jeune femme doit fréquenter.
Ça, c'est de la répartie.
Et dix points de plus pour Gryffondor !
— En revanche, le fait d'être devenu riche me laisse le droit de te
foutre à la porte de cet endroit, rétorque alors Devon, dents serrées. Tu n'as
rien à faire ici. Dégage de mon lieu de réception.
Pourquoi accorde-t-il autant d'importance à la présence de cet homme,
ici, dans cet endroit ? Non, pire encore, pourquoi n'apprécie-t-il pas le fait
de le voir à mes côtés ? N'était-il pas en bien meilleure compagnie, il y a de
ça quelques minutes ?
— Théoriquement, renchérit le blondinet, un rien provocateur. Il s'agit
du lieu de réception de mon patron. Tu sais… Caleb, ton frère.
Suite à cette réponse qui sonnait plutôt comme une annonce, le regard
de mon boss s'assombrit, tandis que sa mâchoire, elle, se serre davantage. À
tel point d'ailleurs, que je me demande encore comment ses molaires
peuvent bien rester intactes. Oui, à première vue, le fait d'apprendre que
Justin travaille pour Caleb ne l'enchante pas des masses. Les raisons ? Je
m'en moque complètement. Moi, ce que je vois là, c'est un homme qui
n'accepte pas de laisser l'un de ses nombreux "trophées" lui échapper. Un
homme qui pense pouvoir me posséder à sa guise, mais qui,
paradoxalement, ne se prive absolument pas de faire ce qui lui chante de
son côté.
— Nous étions juste en train de discuter, lancé-je alors de ma place. Je
pense que vous devriez nous laisser tranquilles. Cette soirée n'est
absolument pas liée au travail, ce qui signifie donc que je suis libre de faire
absolument tout ce qu'il me plaît.
Le regard foudroyant que me rend Devon pour toute réponse provoque
un courant électrique dans mes entrailles. C'est un peu comme si toutes les
mauvaises ondes qui l'habitent actuellement venaient littéralement de
transpercer mon âme.
— Tu rentres avec moi, m'ordonne-t-il en me saisissant fermement par
le coude.
Quoi ?
Aussitôt, il me soulève du tabouret sans trop forcer, et commence à
m'entraîner vers la sortie de manière assez brutale.
— Non ! m'exclamé-je d’une large grimace, et tout en tentant de me
libérer de son étreinte.
Après un coup sec donné dans le vide, j'arrive enfin à m'en défaire.
Mes sourcils se froncent sans que je ne le contrôle réellement, tandis que je
recule de quelques pas en arrière afin d'imposer une distance entre nous.
— Vos histoires ne me regardent pas ! commencé-je furieusement. Si
j'ai envie de partager quelques verres avec cet homme, je le ferai !
Sérieusement… pour qui est-ce qu'il se prend ?!
— Tu ne le feras pas, m'assure Devon, le regard plus menaçant que
jamais.
— Vous avez besoin d'aide, Mademoiselle ? me demande le barman,
légèrement intrigué par cette scène de cirque.
Je laisse le loisir à mon boss de lui répondre de manière habituelle,
c'est à dire beaucoup trop présomptueuse. De toute évidence, ça ne servirait
à rien que j'approuve cette demande, puisque comme Devon l'a dit tout à
l'heure, il a le pouvoir de faire déguerpir absolument n'importe qui de cet
endroit. Par conséquent, je préfère éviter un renvoi injustifié à ce pauvre
employé.
— C'est moi qui décide quand elle a besoin d'aide, lui lance-t-il alors
sèchement.
Non mais alors là…
— J'hallucine, soufflé-je, sincèrement excédée. Désolé Justin, c'est…
c’est complètement absurde, tout ça, soupiré-je ensuite en saisissant mon
sac à main encore présent sur le comptoir. J'ai été ravie de te rencontrer.
Pour définitivement clore cet affront, je prends finalement la décision
de quitter le bar de moi-même. Ils peuvent régler leurs comptes tant qu'ils le
veulent, mais ce sera sans moi. Seigneur… qu'est-ce qu'il lui prend, au juste
?! Depuis quand se montre-t-il si violent envers moi ? Des tas de fois, j'ai
été confrontée à sa répartie tranchante, mais jamais, ô grand jamais, Devon
Anderson ne s'était comporté de manière si brutale avant ce soir. Merde,
c'est clairement la goutte d'eau qui fait déborder le vase ! Qu'il me provoque
délibérément en se payant une pute de luxe sous mes yeux, c'est une chose,
mais qu'il en vienne à me traiter comme ça quand je refuse simplement
d’accepter de le suivre… c'est juste impossible. Bon sang, on marche
clairement sur la tête, là !
— Eva, attends !
Sa supplication résonne dans mon dos lorsque je commence à gravir
les quelques marches menant au hall d'entrée. Sans réfléchir, j'accélère la
cadence afin de ne pas lui laisser l’opportunité de me rattraper. Une fois
enfin hors de cette satanée cage d'escalier, je fonce en trombe vers les portes
rotatives, bien parée à me tenir le plus loin possible de Devon. Par manque
de chance -et comme si tout ça ne suffisait pas déjà-, c'est seulement
lorsque je mets le premier pied dehors que je constate la grosse averse qui
s'abat actuellement dans les rues de Los Angeles. Merde, mes belles boucles
! J'ai mis trente minutes à les faire ! Oui, et pourquoi faire, d'ailleurs ?
Probablement pour que ce connard finisse par me prouver combien j'avais
vu juste, depuis le début !
— Vous nous quittez déjà, Mademoiselle ?
Curtis me pose sympathiquement cette question, tandis que je reprends
ma marche rapide sans plus attendre, tentant au mieux de rester à l'abri de la
pluie malgré tout.
— Oui, je… bégayé-je alors, sans vraiment savoir quoi dire. Le
décalage horaire ne me réussit pas trop, je crois !
Et pour le coup, ça n'est pas totalement faux. Entre New York et Los
Angeles, il y a trois heures de décalage au total. Techniquement, c'est
comme si nous étions arrivés à midi, mais en réalité, ici, il n'était que neuf
heures du matin. Donc oui, la fatigue est une excuse assez plausible.
— Je peux peut-être vous raccompagner jusqu'à l'hôtel, ou bien… vous
trouvez un parapluie ?! hurle-t-il dans mon dos, tandis que je continue à
m'éloigner.
— Non merci ! lui réponds-je en me retournant brièvement. Un peu de
pluie ne me fera pas tant de mal que ça, vous savez !
Puis je dois dire qu’une pneumonie foudroyante serait la bienvenue
actuellement.
— Comme vous voudrez !
Je le gratifie d'un bref salut militaire, avant d'enfin me lancer sous ce
torrent d'eau pour traverser la route. Nom de Dieu. Mais pourquoi la pluie
tombe-t-elle si fort ?! Malgré tout, je tente de faire abstraction de ce détail,
puis accélère la cadence afin de rapidement pouvoir me trouver un endroit
plus tranquille. Un endroit comme un autre bar, par exemple.
Heureusement, ce n'est pas vraiment ce qu'il manque par ici.
À peine quelques secondes plus tard, une main m'agrippe fermement
par le coude, me forçant donc à pivoter sur mes deux jambes. Sans grande
surprise, il s'agit de Devon. Merde, même trempé de la tête aux pieds, je le
trouve beau. Affreusement beau. Beaucoup trop beau. La pluie ruisselle
tout au long de ses pointes brunes, les faisant donc légèrement retomber sur
le sommet de son front. Chaque goutte poursuit son chemin sur l'extrémité
de son nez, et la termine ensuite au sol, tout proche de mes escarpins
mouillés. Merde, oui. Mes pieds sont trempés, et c’est uniquement par la
faute de cet enfoiré.
— Lâche-moi ! lui hurlé-je alors sèchement, et tout en me libérant
brusquement de son étreinte.
Maintenant, son regard est semblable à celui d'un enfant venant tout
juste de se faire gronder. Étrangement, j'ai la sensation de retrouver
l'homme perdu que j'ai déjà rencontré un soir, dans son propre bureau. Ce
fameux soir. Celui où tout a réellement commencé. Oui, le soir ou jamais je
n'aurais pensé pouvoir un jour ressentir autre chose que de la haine envers
mon boss. D'ailleurs, qu'est-ce que je ressens, exactement ? De la colère.
Oui, actuellement, je ne ressens rien de plus que de la colère à son égard.
— Laisse-moi juste te parl..
— Tu devrais rejoindre la soirée, le coupé-je froidement. Ton
acquisition t'attend sûrement de pied ferme.
Suite à ma petite remarque concernant Sofia, Devon arque un sourcil.
— Et toi, s'agace-t-il d’un air dédaigneux. Ton ex t'attend
probablement lui aussi, n'est-ce pas ? À moins que ce ne soit Justin… je ne
sais plus trop, pour être honnête.
Attends… il parle de Nate, là ?
— Donc c'est ça… ? grimacé-je, sincèrement perplexe. C'est pour cette
raison que tu t’es comporté de façon presque insultante sous mes yeux tout
à l’heure ? ricané-je ensuite, un peu ébahie.
Son expression précédente disparaît, laissant maintenant place à la
fureur. Une fureur que je qualifierais bien au-dessus de l'effroyable. À vrai
dire, durant ces trois dernières années, j'ai vu tout un tas d'expressions
traverser ce visage parfaitement symétrique, mais je n'avais encore jamais
connu celle-ci. Ouais, Devon déteste que je me montre arrogante envers lui,
ce n’est pas nouveau.
Il frotte abruptement sa mâchoire du plat de sa main avant de répondre,
sûrement pour but de se contenir un maximum. Une fois qu'il pense avoir à
peu près réussi, il m'assaille :
— Tu as fait rentrer ton connard d’ex-fiancé dans ma putain
d’entreprise ! commence-t-il alors, fou de rage. Et comme si ça ne suffisait
pas déjà, voilà que je te retrouve accoudée à un bar, avec mon enfoiré de
pire ennemi !
Je ne retiens pas la dernière phrase tant la première vient de me
surprendre. Mon ex ? Dans son entreprise… ? La grimace qu'effectue mon
visage parle probablement d'elle-même. Seigneur, mais qui serait assez
stupide pour délibérément faire une chose pareille ?!
— Je n'ai pas… grimacé-je, un peu confuse tout de même. Il n'avait
pas mis ses vraies coordonnées, alors je pensais que…
Et pourquoi est-ce que je me justifie encore, au juste ?
— Merde, rien de tout ça n’explique tes précédents agissements !
m’insurge-je alors furieusement. Non seulement tu te payes cette… cette…
bégayé-je avec dédain. Non seulement tu te payes cette pouffiasse sous mes
yeux, mais en plus de ça, tu as le culot de venir jouer les possessifs quand je
ne fais rien de plus que partager un verre avec un autr…
— Et l’offre d’emploi que t’as faite Caleb, m’interrompt-il d’un regard
assassin. Tu comptais m’en parler à quel moment, exactement ?
Cette question vient de me couper l’herbe sous le pied. Littéralement.
Comment le sait-il ? Et surtout… pourquoi a-t-il attendu d’en arriver là
pour m’en parler ? Merde, je ne sais même pas quoi y répondre.
— Je… réfléchis-je alors brièvement. Je n’ai pas encore donné de
réponse définitive à ce sujet, lui dis-je ensuite en baissant les yeux au sol.
— Tu comptais attendre que ce soit trop tard, c’est ça ? renchérit-il,
une petite once de tristesse dans sa voix.
— Qu... grimacé-je en relevant doucement la tête, incomprise. Trop
tard pour quoi, Devon ?
Son air abattu est soudainement remplacé par de l’indifférence totale.
Oui, comme toujours, le côté bipolaire de mon boss prend le dessus, et ça a
le don de me rendre complètement folle.
— Pour rien, abdique-t-il finalement. Tu n’as qu’à l’accepter, ce poste.
Je suis certain de te trouver une remplaçante en moins d’une journée.
Le son de sa voix est atrocement rauque lorsqu’il déblatère cette
phrase, probablement pour mieux me prouver son aplomb face à la
situation. Curieusement, l’entendre me dire ça provoque quelque chose en
moi. Oui, je crois que mon ego vient d’en prendre un sacré coup, et… c’est
sans doute pour cette raison que je m’apprête à faire une chose
complètement stupide :
— En fait, tu sais quoi ? le défié-je alors, intrépide. Tu as raison. Je
ferais mieux de l’accepter, ce poste.
Son visage se tend légèrement suite à mon approbation. Il n’aime pas
ce qu’il vient d’entendre, c’est évident, mais… peu importe, puisque je
compte bien aller au bout de mon idée. De toute manière, cette histoire est
vouée à l’échec. Merde, c’était pourtant si prévisible depuis le début… J’ai
causé ma propre perte.
— C’est sans doute bien mieux comme ça, oui, me lance-t-il
stoïquement.
La pluie continue à couler à flots partout autour de nous, mais j’ai la
sensation de ne même plus la sentir s’abattre contre ma peau. Comme si
mon corps tout entier était endormi. Comme si je ne pouvais plus ressentir
la moindre douleur suite à cette simple approbation venant de lui.
— Bien, soufflé-je, impassible. J’en informerai Caleb à la première
heure demain matin.
Je vais regretter cette décision, c’est certain. Tout quitter, pour tout
recommencer… je ne suis même pas sûre d’en être vraiment capable. Peu
importe. C’est trop tard. Et suite à mon annonce foudroyante, je vois
quelque chose se briser à l’intérieur des iris de Devon. Oui, mais malgré
tout… il ne l’admettra pas. Non, il ne me dira jamais combien ma décision
l’atteint pourtant profondément. Bien au contraire :
— Parfait, crache-t-il alors sèchement. Comme je te le disais, tu n’es
pas indispensable. Je trouverai quelqu’un d’autre.
— Très probablement, approuvé-je sans hésiter.
Je le regarde ensuite un court instant droit dans les yeux, puis décide
finalement de tourner les talons pour rejoindre l’hôtel. Il faut que j’aille
virer cette robe dégoulinante d’eau de pluie, mais aussi récupérer mes
affaires pour pouvoir quitter cet endroit sur-le-champ. Oui, tant pis pour
mon banquier. Peu importe ce que le trajet pourra me coûter, je compte bien
rentrer pour New York dès ce soir.
Mais avant de disparaître totalement, j’ai une dernière chose à partager
avec mon connard de boss. Par conséquent, je me retourne intégralement,
non sans continuer à marcher à reculons afin de pouvoir lui hurler :
— En tout cas, bon courage pour trouver quelqu’un qui te supportera
aussi bien que moi !
De là où je me trouve, il m’est assez difficile de distinguer l’expression
arborant actuellement son visage, mais j’en conclus rapidement qu’elle est
identique à la mienne : Furieuse.
— Ça devrait aller ! hurle-t-il à son tour. La prochaine sera sans aucun
doute beaucoup moins chiante que toi !
Quoi ?! Espèce de sale…
— Va te faire foutre ! rétorqué-je d’un ton acerbe.
Puis je lui tourne de nouveau le dos pour entamer une marche rapide
absolument pathétique. En effet, tous mes muscles sont tendus, et j’ai la
sensation d’être la petite fille de cinq ans à qui on vient de refuser une
vulgaire friandise. C’est ridicule.
— De toute façon ! renchérit-il finalement. J’ai déjà eu tout ce que
j’attendais de toi, alors tu as bien raison de dégager !
Quoi… ? Aussitôt, je stoppe ma marche pour lui faire face. Mon regard
est très probablement semblable à celui du diable en personne, et c’est
exactement pour cette raison que je reste immobile quelques secondes afin
que Devon puisse convenablement le distinguer. Une fois que ce dernier a
bien analysé mon degré de colère, j’avance à grandes enjambées dans sa
direction pour l’affronter. Il a déjà eu tout ce qu’il attendait de moi, hein…
?
Les talons de mes escarpins claquent bruyamment contre le bitume
inondé, mais l’eau n’est toujours pas assez fraîche pour m’arrêter. Enfin,
j’arrive à son niveau. Nos iris se percutent de plein fouet, juste avant que je
ne porte brutalement ma paume droite jusqu’à sa joue. L’eau de pluie jaillit
vivement de sa peau sous la force de ma gifle, tandis que sa tête se tourne
d’un seul coup sur le côté, me permettant donc d’observer son profil une
dernière fois avant d’y ajouter :
— Ma lettre de démission sera sur ton bureau, fin de semaine
prochaine, lancé-je d’une voix rauque. Après ça, je jure que plus jamais tu
ne me reverras.
Puis je tourne définitivement les talons pour rejoindre l’hôtel, sans
qu’il ne tente quoiqu’il soit susceptible de me faire rester davantage. Oui, et
dans le fond… je crois que c’est bien mieux comme ça.
Merde, Mara avait raison. Jamais je n’aurais dû céder à la tentation.
Maintenant, je me retrouve à devoir déménager à l’autre bout du pays, pas
par choix, mais plutôt par simple fierté. Seigneur… quelle idiote j’ai pu
être. Oui, quelle idiote j’ai pu être, pour croire qu’un homme comme lui
pourrait véritablement s’intéresser à moi.
Bordel. Même ce connard Nate disait vrai.
 

 
 
 
 
 

Chapitre 38
Eva
 

La lâcheté commence là ou cesse la puissance.


Gérard Klein
 

Quelques jours plus tard…


 

Aujourd’hui, j’ai vingt-huit ans. Je trouve ça plutôt banal comme âge,


et c’est exactement pour cette raison que je ne compte pas le fêter ce soir.
Ni demain, ni… jamais. Oui, enfin… à vrai dire, la principale raison liée à
mon désenchantement en ce jour pourtant censé être si particulier, c’est plus
probablement mon humeur macabre. Elle est constante, depuis plusieurs
jours. Et pour cause ; je n’ai quasiment plus adressé la parole à Devon
depuis la gifle que je lui ai collé l’autre soir. Celle juste après m’avoir
rappelé combien j’avais eu tort de m’offrir à lui. Évidemment, lui aussi
passe maintenant la plupart de son temps à faire comme si je n’existais pas.
Les seules phrases que je l’ai entendu me dire ces derniers temps étaient
uniquement en rapport avec le travail. Rien de plus. Pas même un tout petit
bonjour, mais… bref. Pour le moment, ce qui m’importe le plus, c’est de
terminer cette journée. Et pour ce, faudrait-il déjà la commencer.
— Bonjour Eva ! me salue chaleureusement la nouvelle réceptionniste,
à l’instant même où je pose un pied hors de l’ascenseur.
— Bonjour Paige, lui réponds-je de mon plus large sourire. Tout se
passe comme tu veux depuis ton arrivée ? m’enquiers-je ensuite en
avançant dans le large couloir.
— À merveille !
Pour toute réponse, son air naturellement jovial m’arrache un second
sourire lors de ma course. Je l’aime bien, cette jeune fille. Du haut de ses
vingt ans, elle est nettement plus appréciable que Marta. Dommage que ce
soit ma dernière journée ici. Je secoue vivement la tête pour ôter cette
vilaine pensée de mon esprit. Ce n’est pas vraiment le moment de faiblir, là.
J’ai réussi à assurer mon job tout au long de la semaine, alors je ne dois
surtout pas baisser les bras si près du but. Oui, et d’un côté… ça m’attriste
sincèrement. Non seulement je ne verrai plus jamais ces locaux, mais en
plus de ça, je vais me retrouver à des milliers de kilomètres de mes
meilleurs amis. Ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas… Et c’est à
l’instant même où une larme menace sérieusement de s’échapper, que
j’ouvre tranquillement la porte de mon antre pour y découvrir une chose qui
stoppe simultanément mes pleurnicheries. Qu’est-ce qu…
J’approche lentement de mon bureau pour y voir d’un peu plus près, et
réalise finalement que non, je ne suis pas en train de rêver. Merde. Une
nouvelle chaise de bureau… ? Enfin, je dirais plutôt qu’il s’agit d'un
véritable fauteuil de luxe ! Il est en cuir brun, et joliment décoré d’un large
nœud de soie rouge. Effectivement, j’imagine qu’il doit être un peu
compliqué d’emballer une chose de cette taille-là. Wow… je n’en reviens
pas. De qui est-ce que ça peut bien provenir ? J’ai dû me plaindre de
l’ancienne chaise un nombre incalculable de fois à Matt, donc j’en déduis
que ça ne peut être que de sa part. Je vais lui téléphoner. Ce matin,
lorsqu’on a pris le café ensemble avant que je parte pour le travail, cet
enfoiré a fait mine de ne pas avoir pensé à moi. Évidemment, je n’ai rien
dit. Je savais bien que ça cachait forcément quelque chose, et… voilà que
j'ai enfin ma réponse.
Je m’assieds alors sur mon magnifique trône afin de pouvoir en tester
son confort, et manque presque de m’assoupir instantanément tant il est
d’une aisance parfaite. Pas maintenant, Eva. Oui, avant, il faut vraiment
que je remercie Matt. Je saisis alors le combiné, puis tape aussitôt son
numéro sur le clavier. À peine deux sonneries plus tard, il me répond :
— Allô ?
— Merci beaucoup… lui dis-je d’un sourire atrocement poussé.
Mon ami laisse de longues secondes de silence s’installer entre nous
deux, avant de finalement me dire, une petite touche d’hésitation dans la
voix :
— Pour quelle raison... ?
— Bah… D’avoir pensé à moi le jour de mon anniversaire, par
exemple… ?
— Ton quoi ?! s’étonne-t-il soudainement.
Je rêve, là ?
— Mon anniversaire, Matt ! m’exclamé-je alors d’un rire nerveux.
— Oh, merde… marmonne-t-il d’une voix presque inaudible.
Non, je ne rêve pas. Cet enfoiré m’a bel et bien oubliée.
— Tu rigoles là, pas vrai ? ricané-je ensuite, pleine d’espoir. C’est une
mauvaise blague, hein… ?
— Je suis désolé, p'tite femme, me répond-il d’un soupir las. Entre le
bar et l’association… ça m’est complètement sorti de la tête.
Je suis vexée, c’est clair, mais pour être honnête… ce qui me tracasse
le plus actuellement, c’est le fait que Matt ne soit pas à l’origine de ce
cadeau.
— Mais qui m’a offert ce fauteuil, alors ? m’interrogé-je d’une large
grimace.
— Quel fauteuil ? s'enquiert mon ami, légèrement sceptique. Merde, tu
peux m’expliquer les choses plus clairement ?
— Oui, pardon, euh… réfléchis-je brièvement. Quand je suis arrivée au
bureau tout à l’heure, je suis tombée sur une chaise flambant neuve, avec un
beau nœud accroché dessus. Disons qu’elle était présentée comme un vrai
cadeau, donc… j’en ai conclu que ça venait forcément de toi.
Pour toute réponse, mon ami soupire bruyamment à travers le micro de
son téléphone. Ensuite, je l’entends marmonner quelque chose de
complètement brouillon, puis il ajoute :
— Eh bien non, désapprouve-t-il. Ça ne vient pas de moi.
— Ça, je l'avais compris, pesté-je doucement.
Bien assez pour qu’il n’entende rien.
— Mis à part de ton boss… reprend-il finalement. Je ne vois pas
vraiment de qui ça peut provenir.
Pour être franche, je crois que mon coloc dit vrai. Si ça ne vient pas de
lui… je ne vois donc aucune autre possibilité actuellement.
— Il cherche sûrement à t’empêcher de quitter la ville, suggère mon
ami dans ce que j’imagine être une moue dubitative. Le jour J approche,
alors… il réalise peut-être qu’il est en train de perdre son meilleur élément.
— Probablement, dis-je en haussant légèrement les épaules, un peu
désinvolte. Dans tous les cas… il est un peu trop tard pour ça.
En effet, beaucoup trop tard, même.
Oui, tout est presque prêt pour mon grand départ de lundi. J’ai fait la
plupart de mes cartons, et ai bouclé mes trois valises de linge. J’ai
également déjà trouvé un petit appartement, tout proche de mes nouveaux
locaux. Il n’a rien de trop exceptionnel, mais ça devrait faire l’affaire, au
moins jusqu’à ce que Caleb me verse un meilleur salaire une fois ma
formation terminée.
Matt était un peu réticent à l’idée de me voir partir si loin, mais il a fini
par en conclure de lui-même qu’une grande histoire d’amour m’attendait
très probablement là-bas, avec mon futur patron. Seigneur, je jure que plus
jamais je ne commettrais cette erreur. Et malgré tout, je préfère de loin lui
laisser croire à cette hypothèse-là, plutôt que de passer aux aveux après tout
ce temps. Ce serait complètement stupide de ma part, et puis comme dit si
souvent mon père… il n’y a rien à avouer, s’il ne s’est jamais rien passé.
C’est le cas. Il ne s’est strictement jamais rien passé avec Devon.
Mara elle, était vraiment très heureuse d’apprendre mon départ, malgré
sa précipitation. Étant donné que mon amie reste la seule à connaître le fin
fond de cette histoire, elle a, sans surprise, de suite approuvé la nouvelle. À
ses yeux, c’est ce que j’aurais dû faire dès le départ. Oui, mais… mieux vaut
tard que jamais, pas vrai ?
Et quant à moi… disons que je suis un peu dubitative par rapport à ce
qui m’attend réellement là-bas. À vrai dire, j’ai toujours la sensation de m’y
rendre par obligation. De ce fait, il me faudra donc probablement encore un
peu de temps pour encaisser. Fort heureusement, les finances un peu
bancales ne sont plus qu’un vilain souvenir pour moi dorénavant. En effet,
après avoir effectué un nombre interminable de calculs, j’ai fini par en
conclure que je vivrais aisément, tout en versant une belle somme d’argent
à mon père chaque début de mois. Par conséquent, je pourrai donc revenir
ici, à New York, un minimum d’une fois par mois. C’est largement
suffisant. Au moins, quand je viendrai rendre visite à mes amis, on aura tout
un tas de choses à se raconter. De plus, je ne laisse pas Matt dans
l’embarras. Suite à mon annonce, il a directement proposé à Mara de
reprendre la coloc’ derrière moi. Évidemment, il n’aura pas fallu plus d’une
demi-seconde à notre amie pour approuver. « Si je peux rendre service ! »
lui a-t-elle dit. Tu parles. Moi, je crois qu’elle y voit plutôt une nouvelle
opportunité pour tenter de convertir Matt à l’hétérosexualité. Cette femme
est cinglée. Oui, mais pour être franche… même ça, ça va sincèrement me
manquer.
— Tu devrais quand même le remercier, me lance Matt à l’autre bout
du fil. Peut-être qu’il tient juste à ce que vous vous quittiez en bon terme, tu
ne crois pas ?
— Le remercier ? l’interrogé-je alors avec dégoût. Merde, jamais de la
vie !
Matt ricane à la fin de ma phrase, juste avant d’ajouter ;
—Il a vraiment dû t’en faire baver pour que tu en arrives à le détester,
même dans ses meilleurs moments !
Si seulement tu savais…
Bon sang, ça me hante toujours autant de voir qu’il ne se doute pas une
seule seconde de ce qui me tourmente autant. Pire, de ne rien pouvoir lui
dire, simplement parce que j’ai été assez stupide pour ne pas oser le faire
dès le départ. Oui, mais parallèlement… je me vois mal admettre que la fois
où il m’a surprise en pleine jouissance, ça n’était en fait pas du tout avec
celui qu’il pensait. En vérité… je crois que je préfère éviter toute chose
susceptible de le décevoir. Toute chose susceptible de mettre notre amitié en
péril.
— Effectivement, approuvé-je enfin. C’est exactement pour ça qu’il ne
mérite pas mes remerciements.
— Comme tu voudras, p’tite femme, souffle Matt d’un ton désinvolte.
Bon, je dois te laisser, j’ai une journée assez chargée au bar, alors…
— Ah oui ? l’interrogé-je avec étonnement. Mais je pensais que tu
étais en congé jusqu’à mardi ?
Mon ami marque un petit temps d’arrêt, puis il reprend finalement :
— Oui, mais du coup… grommelle-t-il, un peu hésitant. Jared a besoin
de moi pour l’après-midi. Il y a un monde de fou en ce moment.
— D’accord, approuvé-je d’une petite moue. Et bien… bon courage.
On se voit ce soir !
— Bisous.
Matt raccroche le téléphone, tandis que je me focalise aussitôt sur le
sujet qui me tracasse le plus actuellement. Ce satané fauteuil. Il va de soi
que je ne peux accepter un tel cadeau venant de Devon après les derniers
événements. Non, c’est même certain, je n’accepterai pas cette chaise de
luxe. Je m’en lève d’ailleurs d’un bond, puis expire ensuite bruyamment,
tout en fermant les paupières afin d'y réfléchir plus sérieusement. Merde.
Inutile d’y réfléchir, c’est juste non négociable.
Oui, et je compte bien le lui faire savoir sur-le-champ. Enfin… presque.
Je sais que mon futur ex-patron n’est pas dans son bureau ce matin. Ouais,
car étant donné que je suis encore sa secrétaire jusqu’à ce soir, je connais
donc son emploi du temps pour la journée. Parfait.
Je me penche rapidement vers mon bureau pour attraper une feuille et
un stylo, puis griffonne ensuite mon mécontentement en quelques lignes sur
le papier. Une fois terminé, je le plie proprement en deux, me dirige vers la
porte communicante, l’ouvre lentement afin de m’assurer qu’il ne soit bel et
bien pas présent entre les murs, puis fonce rapidement déposer ma feuille
sur le verre de son bureau. Je la positionne de manière à ce que mon boss ne
puisse pas la rater, et tourne aussitôt les talons pour rejoindre mon poste.
Voilà une bonne chose de faite. Oui, voilà une parfaite façon que de lui
prouver combien son geste m’est au final complètement égal.
 
Devon
 

Lorsque je marche dans le large couloir menant à mon bureau, une


sensation curieusement désagréable me prend soudainement aux tripes.
Souffle, mon pote. En réalité, depuis plusieurs jours, c’est constamment
l’effet que ça me fait lorsque je m’apprête à passer devant la porte d'Eva.
Chaque fois, mon regard y est irrémédiablement attiré. Aujourd’hui, elle est
grande ouverte, mais personne n’est présent à l’intérieur de la pièce. Le
nœud que j’avais pris soin de nouer autour de son nouveau fauteuil n’y est
plus, ce pour quoi j’en déduis qu’il a bel et bien servi ce matin. Voilà déjà
une bonne nouvelle.
Si ma secrétaire n’est actuellement pas dans son bureau, c’est
probablement parce qu’elle a décidé d’aller prendre sa pause déjeuner en
compagnie de Mademoiselle Lynn, la nouvelle réceptionniste. Avant
l’arrivée de cette dernière, Eva mangeait régulièrement seule dans son
antre, mais depuis plusieurs jours… je la vois constamment attablée au côté
de Paige, chaque fois que je passe devant l’immense vitrine du restaurant de
l’entreprise. Sûrement une façon de m’éviter un maximum.
J’expire profondément en prenant place derrière mon bureau, lorsque
mes yeux se posent aussitôt sur une feuille blanche proprement pliée
dessus. Étrange… Elle n’était pas là hier soir. Je plisse alors légèrement les
paupières, puis la saisis ensuite, non sans une petite touche d’hésitation.
Une fois chose faite, je l’ouvre, et… mon sourire s’élargit instantanément à
la vue des premiers mots ;
« Je n’accepterai pas ce fauteuil, Devon. »
Elle est insupportable.
« En revanche… ça devrait être parfait pour la prochaine
secrétaire. Il est clair qu’elle sera forcément moins chiante que moi,
avec un matériel si confortable ! Et non, je ne compte pas vous
remercier. Bonne journée. Eva. »
Cette femme est exceptionnelle. Oui, elle est exceptionnellement folle,
mais en vérité… je crois que ça me plaît. Je crois que ça m’a toujours plu.
— Salut frangin !
La voix de Caleb vient irriter mes tympans, à l’instant même où il fait
son apparition dans la pièce. Pour la seconde fois… souffle, mon pote.
Instantanément, je replie la feuille de papier, puis la fais délicatement
glisser sur un côté de mon bureau afin d’éviter qu’il ne me pose quelconque
question à ce sujet. Une fois cette dernière correctement rangée, je gratifie
mon frère d’un regard assassin :
— Tu es déjà là, marmonné-je sèchement. Le rassemblement pour
Cameron aura lieu seulement dimanche, alors…
Caleb soupire en prenant place sur le fauteuil présent en face de moi.
— À vrai dire… réfléchit-il en nouant ses deux mains sur l’arrière de
sa tête. Je suis venu pour deux autres raisons.
— Oh, m’étonné-je faussement. Et lesquelles ?
— Tout d’abord… souffle-t-il avec hésitation. Eva.
Je me lève spontanément à l’entente de son prénom, puis fonce me
servir un verre de whisky en tentant discrètement d’expirer ma frustration.
Ma mâchoire se contracte à plusieurs reprises lorsque le liquide ambré se
déverse tranquillement dans mon verre. Bordel… il ne va pas assez la voir,
à compter de lundi prochain ?
— Il est à peine midi, s’enquiert-il dans mon dos. Tu ne vas quand
même pas boire d’alcool à une heure parei…
— Je fais ce que je veux, le coupé-je froidement. Si ça ne te plaît pas,
tu n’as qu’à dégager.
Et malgré cette suggestion, Caleb ne bouge pas d’un centimètre de son
siège. Je m’assois confortablement sur le rebord du buffet, porte le bord de
mon verre jusqu’à mes lèvres, puis le regarde ensuite droit dans les yeux,
dans l’attente interminable d’explications. Sous mon air insistant, il cède en
moins de cinq secondes :
— La deuxième raison te concerne personnellement, Devon, soupire-t-
il alors.
Une grimace d’incompréhension prend maintenant place sur mon
visage. Depuis quand est-ce que je fais partie des raisons qui amènent mon
frangin à débarquer plus tôt que prévu ?
— J’ai longuement réfléchi, et… je pense que tu ne me dis pas tout,
poursuit-il, toujours de cet air étrangement préoccupé.
— Que je ne te dis pas tout… ? répété-je, légèrement sceptique.
— À propos de la première raison qui m’amène justement ici, précise-
t-il naturellement.
Comme si j’avais pu le deviner. Ok, je crois que je ne saisis pas tout, là.
Il est encore en train de me parler d'Eva ? Pourquoi ? Et surtout… quel
rapport avec moi ?
— Est-ce que tu aimes cette fille, Devon ?
Mon cœur rate un battement.
— Quoi ? grimacé-je alors exagérément. Merde, mais qu’est-ce que tu
racont…
— Arrête, m’interrompt-il en se levant gentiment de sa place.
Il se dirige aussitôt dans ma direction pour -étonnamment- s’emparer
du second verre de cristal propre présent au centre du plateau. Sans lui
poser de question, j’en déverse un fond de whisky à l’intérieur. De toute
évidence, nous risquons d’en avoir besoin pour les prochaines minutes.
— On est jumeaux, pas vrai ? me demande-t-il en portant le bord de
son verre jusqu’à ses lèvres.
— Merde, Caleb, ricané-je nerveusement. Ça ne veut strictement rien
dire !
Combien sont-ils dans sa tête, bordel ?!
— Tu crois que tu peux savoir ce que je ressens, simplement sous
prétexte qu’on est frères ? le questionné-je ensuite d’un air moqueur. Putain,
tu es ridicule !
— Jumeaux, me reprend-il fermement. On est jumeaux, Devon. C’est
complètement différent.
Aussitôt, mes yeux se lèvent au ciel de manière exagérée. Pour
couronner le tout, mes joues se gonflent un maximum, juste avant de lâcher
un énorme soupir de lassitude. Putain, on frôle clairement la stupidité, là.
Oui, et malgré mon scepticisme, Caleb, lui, à l’air bien déterminé à me faire
entendre raison :
— Tu te souviens de la fois où tu t’es cassé le tibia ? relance-t-il, plein
d’engouement. En tombant du gigantesque arbre de chez tante Ellen ?
Ma grimace s’élargit suite à cette question absurde. Bien sûr que je
m’en souviens. Merde, impossible pour moi d’oublier une telle souffrance.
Physiquement, aucun gamin de sept ans ne devrait avoir à vivre ça. En effet,
c’était terriblement douloureux, néanmoins…
— Quel rapport avec nous deux ? lui demandé-je alors d’un air
suspicieux.
Après avoir bu une belle gorgée de sa boisson, Caleb pince fortement
ses lèvres entre elles, hésitant un peu sur ce qu’il compte très probablement
me dire par la suite. En vérité, j’ai la sensation qu’il n’ose pas franchir le
pas. Par conséquent, je l’encourage en penchant légèrement la tête sur le
côté :
— Quel putain de rapport, Caleb ? insisté-je en arquant exagérément
les sourcils.
Mon frère pince maintenant l’arête de son nez à l’aide de ses doigts
pour but d’y réfléchir brièvement, avant d’enfin me marmonner :
— Je ne te l’ai jamais dit avant, mais ce jour-là… ta douleur, je l’ai
ressentie aussi.
Oh bordel… Ce mec est cinglé.
— Tu devrais aller voir un prêtre, Caleb, lui conseillé-je alors en me
levant du buffet.
— Je te dis la vérité, frangin ! s’exclame-t-il en m’emboîtant
rapidement le pas. Je suis capable de ressentir certaines de tes douleurs,
qu’elles soient physiques ou psychologiques !
Je tente de camoufler mon rire en portant de nouveau le verre jusqu’à
ma bouche. Nom de Dieu… mais quel genre de secte fréquente-t-il ?
— Merde, c’est pas des conneries tout ça ! s’agace-t-il d’un large
froncement de sourcils. Renseigne-toi, c’est… hésite-t-il ensuite. Ça
s’appelle le lien psychique ! C’est super commun entre jumeaux !
Et c’est alors qu’il me devient impossible de retenir davantage le rire
qui démange mes lèvres depuis déjà de trop longues secondes. Merde…. Il
pense vraiment pouvoir me faire gober ça ?
— OK Caleb, me moqué-je de nouveau. C’était sympa, mais j’ai du
travail qui m’attend, donc tu devrais vraiment y all…
— Depuis plusieurs jours, me coupe-t-il subitement. Je n’ai jamais été
aussi malheureux de toute ma vie.
Les iris de mon frère percutent brutalement les miens, probablement de
manière à me faire partager l’intensité de ses propos. Étrangement, il
parvient à attirer mon attention, plus sérieusement que les minutes
précédentes. C’est un peu comme si j’avais pu lire la sincérité sur son
visage. Comme si… il n’était pas si timbré que ça, finalement.
— Je sais que ça vient de toi, Devon, car moi… grommelle-t-il d’une
petite grimace d’incompréhension. Je n’ai absolument aucune raison d’être
malheureux… !
Il entoure le haut de mon bras à l’aide de ses cinq doigts pour me
prouver sa franchise, tandis que mon incrédulité reprend doucement sa
place ;
— Tu essaies de me dire quoi, là ? lui demandé-je en me défaisant
rapidement de son étreinte. Que ta crise existentielle arrive par ma faute ?
me moqué-je ensuite. Tout ça parce que tu penses avoir des supers pouvoirs
qui nous lient ? Un truc comme… de la télépathie ?
— Ça n’a strictement rien à voir, bordel ! crache-t-il sèchement. Et
arrête de te foutre de ma gueule !
— Excuse-moi, mais admets quand même qu…
— Je sais que tu aimes cette fille, Devon, me coupe-t-il, sûr de lui. Peu
importe ce que tu pourras me dire, moi, j’en suis tout bonnement persuadé.
— Tu dis n’importe qu…
— Tiens, m’interrompt-il de nouveau en me tendant un morceau de
papier cartonné. Il s’agit de l’invitation que m’a donnée Matt pour la fête de
ce soir.
— Une fête ? répété-je d’un petit plissement de paupières. Quelle fête ?
— Là est la première raison de ma venue ici, me répond-il en
m’incitant à saisir le carton. Les amis d'Eva lui organisent une immense
surprise pour son anniversaire, et je pense vraiment que tu devrais y aller à
ma place.
Mes doigts s’emparent de l'invitation lorsque j’écoute attentivement les
suggestions de mon frère. Effectivement, ça m’a tout l’air d’être une
gigantesque surprise. De ce que j’y lis, la soirée devrait avoir lieu dans une
immense villa en bord de mer. Apparemment, ses amis ont vu les choses en
grand. Il faut dire qu’elle le mérite.
Dans le fond, je ne vois pas l’intérêt qu'aurait Caleb à me dire tout ça.
Mis à part devoir trouver une nouvelle rédactrice en chef sur-le-champ, se
faire passer pour fou, ou même encore rater son unique chance d’obtenir ce
qu’il veut d'Eva…
— Pourquoi me la laisserais-tu si facilement ? me méfié-je alors. La
dernière fois, tu étais carrément prêt à entrer en guerre avec moi, et
maintenant… tu m’encourages à la conquérir ?
Mon frère hausse légèrement les épaules, puis me dit :
— J’aime beaucoup Eva, seulement... moi, je n’ai aucun sentiment
amoureux pour cette femme, contrairement à toi.
Merde, mais d’où est-ce qu’il sort ça, au juste ?!
— Et puis… poursuit-il, un peu hésitant. Je me suis dit que c’était
peut-être elle, au final.
— Elle ? l’interrogé-je, sceptique. Comment ça, « elle » ?
Il termine son verre d’une seule traite, prend direction de la porte, en
actionne sa poignée afin de pouvoir intégralement l’ouvrir, puis se retourne
une dernière fois pour m’expliquer :
— La femme de ta vie, frangin, souffle-t-il d’un air logique. Ou peut-
être pas, finalement. En vérité… le choix n’appartient qu’à toi, termine-t-il
en me désignant l’invitation de son menton. Bonne chance, mon frère.
Le claquement qu’effectue la porte lorsque Caleb la referme derrière
lui ne suffit même pas à réactiver mes neurones. La femme de ma quoi… ?
Merde, mais ça n’a aucun sens ! Oui, je suis malheureux depuis quelques
jours, oui, j’ai la sensation d’avoir un manque impossible à combler, oui,
c’est encore plus douloureux qu’une foutue fracture du tibia, mais… non,
rien de tout ça ne peut-être lié à Eva. Cette sensation dans ma poitrine
chaque fois que je la vois, les frissons qui s’emparent de chaque centimètre
carré de mon corps lorsque son parfum traverse mes narines… Ça ne veut
rien dire. Strictement rien.
 
*toc-toc-toc*
 
Le bruit du bois suivi d’un léger raclement de gorge me pousse à enfin
relever la tête. Je me retourne alors légèrement, puis tombe sans grande
surprise face à l’unique cause de ma torture psychologique actuelle.
— J’ai déjà terminé tout ce que j’avais à faire, alors… m’annonce Eva
d’une toute petite voix. Je pourrais peut-être y all…
— Oui, la coupé-je sèchement. Allez-y.
Je crois qu’elle vient tout juste de me remercier, mais je n’en suis pas
tout à fait certain, pour être honnête. Le son de sa voix était bien trop bas
pour que je puisse le déterminer, et mes yeux étaient bien trop focalisés sur
ses longues jambes prenant direction de la sortie pour que je ne me
concentre totalement.
Bordel, elle est en train de partir. Oui, Eva est en train de quitter les
lieux. Définitivement. Et c’est à ce moment précis que je réalise. C’est
lorsque je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine que je comprends
combien mon frère dit peut-être vrai. Merde… oui. Je crois que c’est
possible. Putain. Il a raison. Caleb a raison. Je ne peux pas la laisser partir
comme ça.
— Eva ! m’affolé-je en me dirigeant rapidement vers la sortie.
Mes semelles claquent bruyamment contre le sol de béton ciré lorsque
je tente de la rattraper. Au loin, je l’aperçois prendre place à l’intérieur de
l’ascenseur, un carton présent entre ses mains, alors j’accélère la cadence
sans réfléchir, bien déterminé à ne surtout pas la laisser filer. Ses yeux
harponnent les miens quand elle comprend ce que je suis actuellement en
train de faire, et c’est seulement lorsque ma main s’insère entre les portes
d’acier pour les empêcher de se refermer, que je réalise ne pas avoir prévu
quoi lui dire.
— J’ai… me suspecte-t-elle d’une petite grimace. J’ai oublié quelque
chose, peut-être ?
C’est curieux comme je me sens tétanisé, tout à coup. J’ai la sensation
d’en être incapable. Incapable de lui avouer ce que je ressens vraiment. Et
c’est exactement le cas, putain. Ouais, j’en suis tout bonnement incapable.
— Non, euh… bafouillé-je alors. Je voulais juste… réfléchis-je, un peu
confus.
Le bip annonçant la seconde fermeture de portes retentit, alors j'en ôte
rapidement mes mains afin de les laisser se refermer. Je recule ensuite d’un
pas en arrière, puis la regarde une dernière fois avant que les parois d’acier
ne s’entrechoquent totalement.
— Au revoir Eva, lui dis-je finalement, tout en contractant ma
mâchoire à plusieurs reprises, impuissant.
Et elle n’y répond rien, préférant plutôt laisser les portes automatiques
mettre un terme à cette courte conversation. Oui, l’ascenseur se referme,
déliant donc nos iris une bonne fois pour toutes. Peut-être même à jamais.
Bordel, je suis vraiment le roi des connards. Un putain de dégonflé.
 
 

Chapitre 39
Eva
 

Confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix : 1)


combattre ; 2) ne rien faire ; 3) fuir.
Henri Laborit
 

Me voilà ici, allongée n’importe comment sur mon lit, en peignoir, les
cheveux intégralement trempés, et avec pour seule compagnie une
amertume des plus totale. Je le savais. Oui, je savais combien ça me ferait
mal d’être enfin confrontée à la dure réalité. Face au néant. Face à la future
nouvelle vie qui m’attend. Loin de cette ville que j’ai longuement côtoyée,
loin de mes amis les plus proches… loin de lui. Mon cœur se serre lorsque
je repense aux derniers mots adressés par Devon plus tôt dans la journée. «
Au revoir Eva. » C’est curieux, mais j’ai pris ça comme de véritables
adieux. Des adieux que je me suis formellement interdit de lui rendre.
Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être parce que je n’ai jamais été douée
pour ce genre de chose. Ou bien plutôt parce qu’au fond de moi, j’espère
pouvoir le revoir un jour. Merde, non Eva. Tu ne peux pas espérer une
chose pareille. Oui, c’est bel et bien fini, tout ça. Ce petit jeu malsain entre
Devon et moi, son besoin incommensurable de toujours vouloir avoir le
dessus… sa peau ferme et musclée sous mes doigts, ses lèvres pleines
contre les miennes, son gros pénis à l’intérieur de ma…
— Bordel, mais qu’est-ce que tu fous dans cette tenue ?!
— Nom de Dieu ! bondis-je soudainement de mon lit.
Matt vient de faire irruption si brutalement dans ma chambre, que
même une fois debout, mon cerveau n’a toujours pas pris le temps
d’analyser la situation. Et c’est seulement après lui avoir fait les gros yeux
d’une respiration saccadée que je lui hurle :
— Merde, mais tu peux pas toquer, non ?! commencé-je en me
réinstallant furieusement. J’aurais pu être en train de me masturb…
— Stop ! me supplie-t-il en tendant vivement une main dans ma
direction. Ce n’était vraisemblablement pas le cas, et c’est tout ce qui
compte à l’heure actuelle, ok ?
Je soupire longuement en le gratifiant d’une large grimace, puis saisis
aussitôt mon téléphone afin de vaquer à mes occupations. C’est-à-dire…
aucune.
— À quoi est-ce que tu joues, Eva ? m’interroge alors Matt,
sincèrement perplexe. Merde, qu’est-ce que tu attends pour aller te préparer
?!
— Me préparer ? sourcillé-je, incomprise. Mais pourquoi faire ?
Il avance dans ma chambre afin de pouvoir prendre place au pied du
lit, pose nonchalamment sa main sur ma jambe, puis m’annonce enfin d’un
air logique :
— Peut-être parce que c’est ton anniversaire, et que j’ai prévu de
t’emmener dîner pour me faire pardonner d’avoir légèrement zappé ce
matin ?
— Légèrement ? l’interrogé-je, un peu sceptique tout de même.
— Totalement, s’avoue-t-il alors.
Évidemment, ma vexation n’est déjà plus d’actualité, et il le sait très
bien. Non, en vérité… je comprends parfaitement que mon ami ait
malencontreusement oublié la date de mon anniversaire. Il est constamment
en train de penser à tout, pour tout le monde. Par conséquent… je peux
concevoir que ce soit parfois compliqué de se souvenir de chaque chose
importante.
— Je ne me sens pas super bien, et il me reste encore quelques cartons
à faire, alors j…
— En réalité, me coupe-t-il d’une petite pression sur la cheville. Ça
n’avait rien d’une question, p’tite femme.
Matt tapote ensuite le bas de ma jambe à plusieurs reprises, puis se
lève aussitôt pour quitter la chambre. Avant de disparaître totalement, il
ajoute d’un large sourire ;
— Mets ta plus belle robe, car j’ai réservé une table pour trois au
Séquoia !
— Quoi ?! paniqué-je. Mais je n’ai pas de…
— Même Mara a prévu la haute couture pour l’occasion !
— Mais j…
Mon ami ferme rapidement la porte, probablement de manière à ne pas
me laisser le loisir que de décliner une nouvelle fois. De toute évidence, je
n’aurais même pas essayé. Il a déjà réservé, et visiblement pas n’importe
où, alors… Fais chier. Le problème ? C’est que comme je tentais de lui
expliquer quelques secondes auparavant, je n’ai absolument aucune robe
adaptée à ce genre d’endroit. Quoique… si, peut-être bien, finalement. Je
me retourne alors vers mon dressing, et y vois aussitôt ces deux robes
étendues, seules au milieu de tout un tas de cintres vides. À vrai dire, je
comptais les laisser ici avant de partir. Simple question de fierté. Et j'y
compte toujours, d’ailleurs, néanmoins… peut-être que je pourrais me
permettre de porter la bleue une dernière fois… ? Oui, juste pour ce soir.
Merde, de toute manière… Devon n’en saura jamais rien.
Je fonce alors la saisir sans plus attendre, puis la jette aussitôt sur mon
lit afin de débuter les préparatifs. Matt a raison. Je ne peux pas rester là à ne
rien faire le soir de mon propre anniversaire. Ce serait… stupide. Vraiment
très stupide.
 
♤♤♤
 
— Je dois faire un petit détour chez ma tante, nous annonce Mara en
actionnant son clignotant. J’ai un truc à récupérer.
Quoi… ?
— T’as une tante ? lui demandé-je avec étonnement.
— Par alliance, approuve-t-elle de plusieurs petits hochements de tête.
C’était la femme du frère de mon père. Ils sont divorcés depuis des lustres,
mais j’ai toujours gardé contact.
Mon amie gare sa voiture devant le portail d’une gigantesque villa,
tandis que mes yeux sont à seulement deux doigts de sortir de leurs orbites
suite à la découverte de cette dernière. Sérieusement ?
— Tu m’étonnes, ricané-je silencieusement.
Moi aussi, j’aurais gardé contact.
— Aller venez, dit-elle en sortant de l’habitacle. Elle est super sympa,
vous allez voir !
— Oh, euh… non merci, désapprouvé-je d’une petite moue. Je préfère
attendre ici.
Tandis que Matt s’exécute, Mara, elle, s’appuie nonchalamment contre
la portière pour me soupirer :
— C’est un ordre, ma jolie, commence-t-elle d’un air bien assuré. En
plus, je dois impérativement te montrer sa collection de livres !
— Ah ? m’intéressé-je alors. Et quel genre de livres, exactement ?
Oui, en général, je n’aime pas trop aller chez les inconnus, mais quand
il s’agit de mordues de lecture comme moi… ma timidité disparaît.
— Bah… marmonne-t-elle, un peu mal à l’aise. Comme ceux que tu lis
d’habitude, tu sais.
— Des livres de cul, quoi, en conclut finalement Matt d’un ton
désinvolte.
Hein… ? Merde, non ! C’est dingue, de toujours faire cet amalgame
stupide ! À croire que je m’instruis uniquement de revues porno !
— Érotique ! le reprends-je furieusement. Je lis de la romance érotique,
Matt !
— Mais c’est exactement pareil, putain ! insiste-t-i avec une grimace.
Bordel de merde.
— Ça n’a rien à voir ! m’exclamé-je alors en actionnant la poignée de
porte. Dans mes bouquins, il n’y a aucune image !
Je sors rapidement de la voiture pour me dresser face à lui, bien
déterminée à en débattre. À vrai dire, ce n’est pas la première fois qu’on a
cette discussion lui et moi. Et comme toujours, Matt n’en démord pas. À ses
yeux, je lis juste de la pornographie, et ça a le don de me rendre
complètement hystérique. Vraiment. Je déteste ça.
— Mais ça raconte toutes les scènes en détail ! s’agace-t-il à son tour.
Comme un véritable film porno !
— Là est tout l’intérêt d’un livre, Matt ! lui expliqué-je d’un air ahuri.
Sans détails, aucune utilité d’ouvrir le roman !
Je ne sais pas pourquoi ce type de débat a toujours le pouvoir de nous
faire hausser le ton de cette façon. C’est ridicule.
— Ok, abdique-t-il enfin d’une moue approbatrice.
Dieu merci.
— Mais pour moi, reprend-il finalement. Ça reste du porno.
— Merde, t’es pas possible ! m'approché-je en levant une main dans
les airs. Je vais t’en coll…
— Stop ! hurle subitement Mara.
J’ai presque failli l’oublier, celle-là.
— Non mais vous vous êtes vus, là ! s’impatiente-t-elle ensuite. On
dirait des gosses !
Elle a probablement raison. Assurément. Depuis toujours, c’est
exactement comme ça que ça se passe lorsque nous ne sommes pas en
accord avec Matt. Heureusement, une minute suffit pour que tout
redevienne très calme entre nous. La preuve lorsque nous débutons notre
marche en direction de la porte d’entrée :
— J’ai acheté tes céréales préférées pour demain matin, me dit-il en
continuant d’avancer.
— Oh, cool, lui réponds-je d’une petite moue approbatrice.
— Vous êtes vraiment insupportables, souffle Mara en actionnant la
poignée.
Et je n’y réponds strictement rien, préférant plutôt lancer un petit
sourire complice à mon meilleur ami. C’est vrai, elle a raison. On est
insupportable.
J’emboîte le pas à Mara lorsqu’elle entre sans frapper, quand mes
paupières se plissent instantanément pour tenter d’y voir plus clair.
— Tu es certaine qu’elle est bien là ? lui chuchoté-je discrètement. Il
fait tout noir, ici…
Mis à part mes chuchotements, aucun autre bruit ne se fait entendre
entre les murs, et je dois dire que ça devient légèrement flippant.
Paradoxalement… je me demande bien qui laisserait sa porte ouverte en
partant d’une maison aussi luxueuse.
— J’ai tout inventé, m’avoue finalement Mara. Je n’ai absolument
aucune tante par alliance, et il n’y a pas de collection de livres porno dans
cette maison.
Je ne relève même pas la dernière réflexion tant le reste me laisse sans
voix. Comment… merde, mais qu’est-ce que ça veut dire ?! Aussitôt, mon
amie appuie sur l’interrupteur, et c’est alors que…
— SURPRIIIIISE !
Nom de Dieu.
— Mais…
— Bon anniversaire, p’tite femme, me lance Matt en déposant un
rapide baiser sur ma joue.
Attends… quoi ?
— Donc tu n’avais pas oublié ? le questionné-je, toujours plus
perplexe. Et tout ça… c’est rien que pour moi ?
— Je crois que ça répond clairement à ta question, tu ne crois pas ?
intervient Mara en me désignant la salle bondée de son index.
Effectivement, ça y répond même très clairement. Wow… je n’en
reviens pas. À qui appartient cette immense villa, si Mara n’a au final
aucune tante ? Et puis… comment ont-ils faire pour réunir autant de
personnes ici, à New York, sachant que la moitié des visages que j’aperçois
ne sont pas du tout du coin ? C’est dingue. Vraiment. Ça ne se voit pas
forcément à première vue étant donné mon degré de surprise, mais dans le
fond… je suis la plus heureuse du monde.
— Allez ma grande ! s’exclame mon amie en me tirant brusquement
dans la foule. Maintenant, c’est l’heure de se saouler la gueule !
— Wowowow, la calmé-je instantanément. Laisse-moi le temps d’aller
saluer tout le monde d’abord, non ?
— Bien, souffle-t-elle alors. Mais ensuite, tu me rejoins au bar !
Je tourne la tête afin de regarder dans la direction que m’indique
l’index de Mara, puis y trouve sans grande surprise le fameux bar dans un
coin de cet immense salon. Derrière ce dernier, deux hommes en costard
chic s’occupent de servir les invités. Ok. Ils n’ont vraiment pas fait les
choses à moitié.
— On verra, lui dis-je finalement d’une petite moue. Tu sais, j’ai
encore beaucoup de choses à faire avant le grand dép…
— Fais pas ta mijaurée… soupire-t-elle avec lassitude. Juste une petite
bière, d’accord ? Ça ne devrait pas te faire trop de mal ! Et puis en plus…
c’est ton anniversaire, donc tu as tous les droits !
Bon, elle n’a pas tout à fait tort, je dois l’admettre. Mes amis ont tout
de même organisé cette gigantesque fête rien que pour moi, alors… je peux
peut-être m’autoriser quelques bières pour l’occasion.
— D’accord, abdiqué-je finalement. Mais je te préviens… poursuis-je
en dressant vivement un index entre nous deux. Pas une seule goutte
d’alcool fort pour moi ce soir.
— Comme tu voudras ! me répond-elle avec enthousiasme.
 

Une heure plus tard…


 
— Nom de Dieu ! grimacé-je en reposant brusquement mon verre de
shooter sur le comptoir. Celui-là vient de me brûler la gorge !
— C’est parce qu’il y a du piment de Cayenne dedans ! m’explique
alors Matt en m’en tendant un second.
OK, c’est maintenant une certitude. Je vais finir complètement saoule.
— À la tienne, souris-je à mon amie avant de jeter ma tête en arrière
pour la cinquième fois consécutive.
Bordel. J’ai super chaud !
— Je reviens ! lui dis-je alors. J’ai besoin de me passer un peu d’eau
sur le visage !
La musique gronde si fort dans mes oreilles que j’ai la sensation d’être
forcée de lui hurler ces dernières paroles, tandis que les stroboscopes ne
font rien de plus que de m'aveugler lorsque je cherche le chemin menant à
la salle de bain.
— Tu viens enfin danser ! me crie Mara, à l’instant même où je lui
passe devant.
— Pas vraiment ! lui réponds-je à reculons. Où est la salle de bain ?!
— La quoi ?!
— La salle de bain ! répète-je plus fort encore, et tout en agitant une
pomme de douche invisible au-dessus de ma tête.
— Oh ! approuve mon amie. À l’étage ! Deuxième porte sur la droite !
Pour éviter toute nouvelle souffrance à mes cordes vocales, je me
contente d’y répondre en dressant un pouce vers le ciel. Seigneur. Les
basses, plus les jeux de lumières, plus la tequila… je crois que ça n’est pas
vraiment fait pour moi. Ma tête commence à sérieusement tourner lorsque
je tente de gravir les marches ultramodernes sans risquer d’en tomber.
Merde, il est super dangereux, cet escalier. Où est passée la rambarde de
sécurité ? Aucune importance.
Je me remémore les récentes directives de Mara, puis fonce aussitôt
vers la deuxième porte présente sur la droite. Visiblement, je m’en suis
souvenue du premier coup. Impeccable. Je referme alors rapidement la
porte derrière moi, puis me dirige aussitôt vers l’immense double vasque
afin d’appuyer chacune de mes paumes contre le marbre blanc.
— Pffff, soupiré-je nonchalamment. Tu es complètement bourrée, ma
pauvre fille, me méprisé-je ensuite d’une grimace à travers le miroir.
Je secoue vivement la tête afin de me secouer un peu, puis actionne
enfin le robinet d’eau pour m’en asperger le visage dans la foulée. Wow. On
peut dire que ça réveille !
 
*toc-toc-toc*
 
— C'est occupé ! y réponds-je instantanément.
— Ouvre ! s’exclame une voix féminine que je peine sérieusement à
distinguer. Dépêche !
— C’est qui… ? demandé-je en approchant.
— Mère Theresa, s’agace-t-elle sérieusement. Bordel, à ton avis !
Effectivement, inutile d’en rajouter davantage pour que je comprenne
de qui il s’agit réellement. J’ouvre alors à Mara sans plus attendre pour lui
demander ;
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Il faut que tu viennes voir ça, m’assure-t-elle de plusieurs petits
hochements de tête.
— Voir quoi ? grimacé-je, incomprise.
Pour toute réponse, mon amie me saisit brusquement par le bras afin de
me sortir hors de la pièce. Elle m’entraîne ensuite jusqu’à la grande
mezzanine, alors je m’appuie sur sa barrière d’inox, et regagne aussitôt les
yeux injectés de sang de mon amie, tout en espérant avoir une réponse un
peu plus claire au sujet de son comportement si soudainement étrange.
— Tu ne vois vraiment pas ce qui cloche ? s’étonne-t-elle alors, juste
avant de fermement saisir mes joues à l’aide de ses doigts. Regarde bien.
Je fronce légèrement les sourcils en exécutant l’ordre précédemment
donné, et laisse ensuite mes iris parcourir la pièce tout entière afin de
chercher plus amplement la réponse. Il fait tellement sombre que j’ai un peu
de mal à y voir clair, mais au final… il ne me faudra pas plus de cinq
secondes pour comprendre d’où vient le réel problème. Pas plus de cinq
secondes pour le reconnaître, malgré la foule et l’obscurité.
— Oh… dis-je alors après avoir difficilement dégluti.
— Tu l’as dit, approuve mon amie d’un petit rire nerveux. Qu’est-ce
que Caleb va bien pouvoir répondre à Matt, si ce dernier lui parle de votre
soi-disant relation de couple ?
Effectivement, Matt discute paisiblement avec lui dans un coin de la
pièce, tout proche du bar. Pendant ce temps -là, mon rythme cardiaque
s’accélère.
— Le vrai problème n’est pas là, dis-je alors à Mara, les yeux tout droit
rivés sur eux.
— Qu’est-ce qui peut être pire que ça ? ricane-t-elle de nouveau.
Je tourne aussitôt la tête dans sa direction afin de pouvoir lui montrer
mon large sourire hypocrite, et lui annonce enfin ;
— Je ne sais pas… commencé-je, faussement hésitante. Peut-être le
fait que cet homme ne soit pas vraiment Caleb ?
Mara grimace exagérément, apparemment un peu sceptique de ma
récente explication. Rapidement, elle fait le lien, et se souvient d’un détail
fondamental : Caleb a un frère jumeau. Mon boss.
— Putain de merde… grommelle-t-elle en bougeant à peine ses lèvres.
— Comme tu dis.
 

 
 

Chapitre 40
Devon
 

Personne ne sait quand ni comment l'amour ou la foudre vont tomber,


mais tout ce qu'on sait, c'est que ça ne tombe jamais deux fois au même
endroit.

William Faulkner
 

À l’instant même où je fais mon apparition dans la villa, une voix


parmi le son des basses attire mon attention. Enfin… en vérité, je crois que
c’est plutôt le mot employé, qui attire mon attention :
— Caleb !
Et c’est seulement lorsque je me retourne pour voir de qui il s’agit
réellement, que je reconnais l’ami d'Eva. Évidemment, ce soir, je me
présente comme étant mon propre frère, donc je devais m'attendre à ce
genre d'accueil, aussi irritant soit-il.
— Content de voir que tu as pu venir ! hurle-t-il ensuite en me faisant
signe d’approcher.
Je lui réponds d’un vaste signe de tête en m’exécutant, tandis qu’il lève
deux doigts vers le ciel, probablement pour but d’inciter les serveurs à
préparer notre commande. Aussitôt, l’un d’entre eux décapsule deux bières
à l’aide de son limonadier, puis les faits ensuite glisser tout long du
comptoir noir laqué. D’un geste machinal, je réceptionne la mienne sans
hésiter, exactement au même moment que Matt.
— À la tienne ! s’enthousiasme justement ce dernier en levant
vivement sa canette.
J’en fais aussitôt de même, puis viens ensuite brusquement trinquer
avec lui, juste avant qu’il ne s’approche davantage pour pouvoir me dire :
— L’ambiance est top ! hurle-t-il, probablement de manière à ce que je
l’entende convenablement. Regarde, ils s’éclatent tous comme des gosses !
Matt me désigne la salle bondée de son index, et il ne me faudra pas
plus d’une demi-seconde pour y voir la reine de la soirée, tout juste en train
de descendre les marches apriori plutôt dangereuses de cet immense
escalier. Putain. Elle est comme un rayon de soleil en plein milieu d’une
nuit sombre. Impossible de la louper. Les paillettes arborant sa robe brillent
de mille feux sous les lumières des projecteurs. La façon dont elle marche
me donne aussitôt envie de me joindre à elle. Ouais, j’ai ce besoin
incommensurable d'entourer sa hanche de mon bras lorsque je la vois
doucement se pavaner vers la foule. Bordel, qu’est-ce qu’elle est belle.
— Je crois qu’elle t’aime vraiment bien, me lance alors son ami d’une
petite tape sur l'épaule.
Ça me ferait presque sourire, néanmoins… je n’oublie pas qu’ici, Matt
pense que je suis mon propre frère.
— Elle t’a parlé de moi ? me renseigné-je alors l’air de rien.
Comme si c’était vraiment correct de faire une chose pareille.
— Mh… pas vraiment, désapprouve-t-il d’une petite moue. Disons
plutôt que… tu sais la faire crier.
Attends… quoi ? Matt ricane suite à cet aveu. J’ai la sensation que ça le
fait vraiment marrer de me confier une chose pareille, néanmoins… il
n’imagine probablement pas une seule seconde ce que moi, je ressens
actuellement. Et c’est finalement face à mon silence de plomb qu’il décide
d’en rajouter une petite couche ;
—D’ailleurs, me taquine-t-il alors, sourire en coin. À l’avenir… ce
serait bien d’éviter ce genre de truc quand je suis dans le coin.
Son sourire ne s’efface pas lorsqu’il porte de nouveau le goulot de sa
bière jusqu’à sa bouche, tandis que moi, je peux clairement entendre le flux
sanguin s’accélérer à l’intérieur de mes tympans.
—Tu sais… souffle-t-il, un peu plus sérieusement pour cette fois. Eva
est comme une sœur pour moi, alors… ne lui brise jamais le cœur.
La fin de cette phrase sonnait plutôt comme un ordre, mais je ne relève
pas. En vérité, il a complètement raison d’agir de la sorte. Et puis de toute
manière… ce n’est pas la principale raison qui attise ma curiosité
actuellement. Non, là, ce qui me tourmente le plus, c’est surtout les récentes
révélations de Matt concernant la façon dont « je sais faire crier Eva ».
Ouais, ou du moins… la façon dont Caleb, sait la faire crier.
— Je devrais peut-être te dire que je ne suis pas Cal…
— Hey ! me coupe subitement la première concernée.
Le son de sa voix me provoque un courant électrique si puissant dans
l’abdomen, que j’en deviens incapable de poursuivre mes révélations.
— Contente que tu sois venu, Caleb, me sourit-elle ensuite
exagérément.
C’est d’ailleurs à ce moment précis que je comprends. Elle sait. Oui,
elle sait pertinemment que je ne suis pas celui dont elle vient pourtant tout
juste de prononcer le nom.
— Allons discuter un peu plus loin ! s’exclame-t-elle en me prenant
vivement par la main.
Et malgré sa tentative d’évasion, mes jambes restent parfaitement
scellées au sol. Eva se retourne alors lentement vers moi, puis déglutit
difficilement lorsqu’elle comprend ce que je viens vraisemblablement
d’apprendre. J’en fais d’ailleurs aussitôt de même en comprenant que j’ai
bel et bien vu juste.
— Je t’en supplie… chuchote-t-elle, probablement de manière à ce que
je puisse seulement le lire sur ses lèvres. Pas maintenant.
Sous son air suppliant, je me restreins plus simplement à approcher
mes lèvres de son oreille pour lui murmurer :
— J’espère que mon frère te baise aussi bien que moi, commencé-je
d’une voix rauque. Du moins… ça, c’est ce que tes hurlements ont laissé
croire à Matt.
Puis j’éloigne de nouveau lentement mon visage du sien afin de
pouvoir observer son air déconcerté. Ensuite, j’effectue un rapide demi-tour
sur moi-même, puis avance enfin en direction de la sortie.
— Attends ! me stoppe-t-elle en agrippant mon poignet. Allons dans
un endroit plus calme, ça n’est pas du tout ce que tu crois, je…
— Va te faire foutre, la coupé-je en me libérant brusquement de son
étreinte. Dégage avec lui aussi loin que possible d’ici, et ne reviens surtout
jamais.
Je tourne les talons une bonne fois pour toutes après l’avoir gratifiée
d’un regard assassin, et ne me retourne à aucun autre moment lors de ma
marche menant à la sortie de cette maison. Pas même lorsqu’elle me supplie
d’une voix tremblante ;
— Devon… !
Le claquement qu’effectue la porte derrière moi sonne comme un
véritable coup de fusil tiré un peu trop proche de l’oreille. Mon cœur palpite
à une allure folle dans ma poitrine, tandis que ma respiration, elle,
s’accélère davantage à chaque nouvelle vision qui traverse mon esprit. Je
les imagine tous les deux, dans le même putain de lit. Son lit. Oui, celui où
j’ai moi aussi déjà eu le loisir de la toucher. Bordel, je vais tuer cet enfoiré.
Je fonce vers ma voiture à grandes enjambées, l’ouvre à distance afin
de ne pas perdre une minute de plus, puis active ensuite la localisation sur
mon téléphone pour chercher l’endroit où se trouve actuellement Caleb. Ce
connard est à seulement dix kilomètres d’ici. Parfait. Ça veut donc dire qu’il
lui reste approximativement sept minutes à vivre.
Je n’en reviens pas. Comment a-t-il pu me faire une chose pareille ?
Comment a-t-il pu me faire croire qu’il me laisserait Eva sans faire
d’histoire ? Ouais, en réalité, cette main tendue… ça n’était rien de plus
qu’un putain de plan foireux. Une vulgaire manière que de me faire savoir
la vérité, tout en évitant de se mouiller face à moi.
 
Eva
 

— Va te faire foutre, m’interrompt-il en se libérant brusquement de


mon étreinte. Dégage avec lui aussi loin que possible d’ici, et ne reviens
surtout jamais.
Mon cœur bat la chamade lorsque son regard empli de colère
transperce intensément le mien, une seconde avant qu’il ne tourne
définitivement les talons. Bordel… non ! Il ne comprend vraiment rien !
— Devon ! tenté-je rapidement d’une voix tremblante.
Mais sans trop d’étonnement, il ne se retourne pas une seule seconde
pour me regarder lors de sa course. La porte se referme dans son dos, quand
tout à coup, j’ai la sensation d’entendre les basses en retrait. Un peu comme
si je venais moi-même de refermer cette satanée porte pour quitter la soirée.
Seigneur… Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir s’imaginer… ?
Moi, je voulais juste éviter à Matt d’apprendre la vérité de cette façon,
ici, le soir de l’anniversaire surprise qu’il a lui-même pris soin d’organiser
pour moi ! Merde, je voulais simplement empêcher Devon d’en dire trop
devant lui, mais c’était sans compter sur ce que venait pourtant tout juste de
lui balancer -malgré lui- mon meilleur ami… ! Je suis trop conne. Oui,
même bien au-delà, car dans le fond, tout ça… je l’ai bien cherché. C’est
l’effet boule de neige dont m’a souvent parlé ma mère lorsque j’étais plus
jeune. Elle roule, elle roule… puis elle grossit davantage à chaque nouvelle
roulade effectuée. Oui, la boule de glace prend de l’ampleur, car rien ne
l’arrête sur son passage. Rien, jusqu’au jour où… elle explose littéralement
contre un arbre. Pouf. Et c’est à cet instant précis qu’elle réalise combien
c’était stupide que de rouler si longtemps. Tout ça pour fondre
lamentablement sur le sol.
En effet, un mensonge en entraîne constamment un autre, et quand ça
éclate… ça n’est en général jamais très beau à voir.
— Devon… ? s’interroge alors Matt dans mon dos.
Le voilà, ce moment tant redouté. Je me retourne alors lentement dans
sa direction, peu fière, quand il marmonne ensuite d’une grimace
d’incompréhension ;
— Mais qu’est-ce que ça veut dire…
Sans même que mon ami n’ait totalement saisi ce qu’il se passait
vraiment, je peux déjà lire la déception dans ses iris. Les larmes me montent
instantanément aux yeux lorsque je réalise l’erreur colossale que j’ai
commise. Pourquoi est-ce-que j’ai tant tenu à lui cacher cette chose-là ?
Pour bien des raisons, oui, seulement…est-ce que ça valait vraiment le coup
de prendre autant de risques ? Est-ce que ça valait vraiment le coup de voir
tant d’amertume dans les yeux de mon meilleur ami ?
— Je t’ai menti sur toute la ligne, lui avoué-je alors d’un soupir
douloureux. Ce mec que tu as vu sortir de l’appartement la dernière fois…
ce n’était pas Caleb.
Mon ami déglutit difficilement face à mes aveux. Il attrape ensuite
rapidement la première bouteille présente sur le bar, puis y boit sans plus
attendre plusieurs gorgées directement au goulot, sans même prêter
attention au regard perplexe du serveur. Une fois ses idées très certainement
remises en place, il m’assaille :
— Merde, mais… pourquoi ?! Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt
?!
— J’en sais rien ! m’exclamé-je alors, tout en faisant au mieux pour
empêcher aux sanglots de s’échapper. Je crois que j’avais peur de ta
réaction, et que… que…
— Elle était terrifiée à l’idée de te décevoir, Matt, intervient Mara en
déposant délicatement une main sur la sienne.
Mais pour toute réponse, notre ami arbore une grimace encore plus
prononcée que la précédente.
— Parce que tu étais au courant ?! lui demande-t-il furieusement.
— Depuis le début, avoue-t-elle sans sourciller.
Et c’est alors que Matt saisit de nouveau la bouteille de tequila entre
ses doigts, pour en reprendre quelques grandes lampées dans la foulée.
Seigneur, il va finir mort saoul. Il la repose ensuite brusquement sur le
comptoir, puis entoure distinctement sa tête de ses deux mains afin de la
frotter avec fermeté. Heureusement qu’il est déjà chauve.
— Mais ça n’a aucune importance, je t’assure, me justifié-je en
approchant rapidement de lui. Il… enfin… ça n’était pas fait pour
fonctionner de toute faç…
— Tu l’aimes ? me coupe subitement Mara.
Cette question si soudainement posée me pousse à tourner la tête dans
sa direction.
— Quoi ? grimacé-je alors, un peu sceptique.
— Je te connais par cœur Eva, m’assure-t-elle fermement. Et là, tout de
suite, je suis capable de voir combien tu es raide dingue de ce type.
— Qu…quoi ? Non… je… enfin… je… bégayé-je lamentablement.
Bordel.
— C’est le cas… ? m’interroge Matt, un peu dubitatif.
Double bordel.
— Merde, peut-être bien que oui ! soufflé-je finalement d’un air ahuri.
Triple bordel ! Nom de Dieu, je ne voulais même pas le dire à haute
voix !
— Putain, alors arrête de te poser des questions ! s’exclame
soudainement mon ami. Cours-lui après !
— Mais je…
— On en reparlera plus tard, ok ? me coupe-t-il d’une tape sur l'épaule.
Pour le moment, fais seulement ce que tu as à faire.
— Euh… je… bafouillé-je, complètement bouche bée.
C’est stupide, tout ça. Matt est déjà complètement saoul, et je sais qu’il
m’en voudra comme il se doit au lever du jour demain matin. Oui, mais
parallèlement… je le connais bien assez pour savoir que sa réaction est
sincère. Comme il me l’a souvent dit auparavant, peu importe mes choix.
Quoi qu’il en soit, il me soutiendra toujours. Et pourquoi est-ce-que je n’ai
pas pensé à ça avant, au juste ?
— Je peux savoir ce que tu attends ?! me hurle Mara, mains fermement
posées sur ses hanches.
Merde, elle a raison. Qu’est-ce que j’attends pour foncer lui dire ce que
j’ai réellement sur le cœur ? Qu’est-ce que j’attends pour lui dire que je ne
pense à personne d’autre que lui depuis une semaine ?!
— Je vous aime trop, dis-je à mes amis en courant rapidement vers la
sortie.
En moins de dix secondes, me voilà déjà en dehors de la villa. Mes
talons claquent sur le bitume lorsque je cours tout au long de l’allée, en
quête du moindre détail qui me mènera jusqu’à Devon. Depuis son départ, à
peine deux minutes se sont écoulées. Il ne peut donc pas être bien loin.
Un bruit strident attire mon attention un peu plus loin dans la ruelle. Je
crois reconnaître le crissement des pneus d’une voiture. Je passe alors
rapidement le large portail, pour finalement découvrir que oui, c’est bien le
cas. Elle arrive d’ailleurs en trombe dans ma direction, visiblement bien
parée à griller le stop présent à l’autre bout de la rue. Et je la reconnais sans
effort, cette voiture. Difficile d’oublier un tel bolide.
— Arrête ! hurlé-je en me jetant rapidement au milieu de la chaussée.
Fort heureusement, Devon était encore bien assez loin lorsque j’ai
décidé de faire cette chose parfaitement stupide, ce qui lui a donc permis de
me voir largement à temps. De nouveau, ce bruit affreusement strident vient
envahir mes tympans. Il pile, très probablement pour ne pas me renverser.
Dieu merci. Ça aurait été le pompon. Une fois la voiture totalement
immobilisée, mon boss en sort furieusement, puis fonce rapidement vers
moi pour me hurler ;
— Putain, mais t’es complètement cinglée ! commence-t-il, fou de
rage. J’aurais pu te percuter !
— Eh bien peut-être qu’au moins, tu m’aurais écoutée ! rétorqué-je à
l’identique.
Devon stoppe sa marche menant à moi à la fin de cette réponse
absurde, puis me grimace ensuite avec dédain ;
— Je ne veux pas de tes explications, bordel !
— Tu n’as pas le choix ! m’exclamé-je à mon tour.
Son air condescendant ne disparaît pas malgré ma persévérance. J’ai la
sensation qu’il ne me prend absolument pas au sérieux. Un peu comme si
ma parole ne valait rien face à la sienne. Son côté macho, je présume.
— Si Matt t’a parlé de Caleb, poursuis-je, faussement sûre de moi.
C’est simplement parce que tout ce temps, je lui ai fait croire que tu l’étais !
Son visage arbore maintenant une grimace d’incompréhension, et je le
comprends parfaitement. Moi non plus, je ne suis pas certaine d’avoir été
tout à fait claire.
— Que j’étais qui ? m’interroge-t-il alors, sincèrement perplexe.
— Caleb ! lui réponds-je d’un air ahuri. J’ai fait croire à Matt que tu
étais Caleb !
Sa grimace ne s’estompe pas lorsqu’il réfléchit plus sérieusement à
mes dernières révélations. Ça lui semble fou, et… je crois qu’il a raison.
Oui, ça l’est.
— Donc lui et toi, vous n’avez pas…
— Non ! désapprouvé-je instantanément d’un rire nerveux. Jamais !
Enfin, ses traits se détendent pour laisser place à ce que j’imagine être
une petite touche de soulagement. Mais bien évidemment, Devon ne
s’éternise jamais lorsqu’il s’agit de dévoiler ses sentiments ;
— Bien, approuve-t-il finalement. De toute façon… ça ne m’aurait fait
ni chaud ni froid.
J’hallucine.
— J’étais seulement en colère d’apprendre que tu n’aies pas respecté
les closes de ton contrat, ajoute-t-il ensuite d’un air détaché.
— Tu mens, pouffé-je d’un petit froncement de sourcils.
Mes paupières se plissent afin d’accentuer mon expression précédente.
C’est dingue comme cet homme arrive toujours à me faire changer d’avis
sur sa personne en un éclair. Insupportable.
— Non, désapprouve-t-il fermement. Je te dis la vérité.
— Très bien, approuvé-je d’un air compétiteur. Peut-être que je ferais
mieux de le faire, dans ce cas.
Soudain, cette expression faussement paisible s’évapore. Comme ça, en
un rien de temps. Sa mâchoire se crispe, tandis que ses pupilles se dilatent,
me faisant donc presque penser que les couleurs habituellement automnales
de ses iris n’ont jamais existé auparavant.
— Faire quoi, marmonne-t-il en approchant.
— Bah tu sais, commencé-je d’un air logique. Coucher avec Caleb.
Peut-être que je devrais vraiment le faire, finalement.
Devon réduit davantage l’espace nous séparant. Oui, il approche
dangereusement de moi, mais je garde la tête bien haute malgré tout.
— Arrête, me dit-il fermement. Ne joue pas à ça avec moi.
Un rictus moqueur vient habiller mes lèvres, juste avant que je ne lui
réponde d’une voix rauque :
— Je vais me gêner…
Sa main agrippe hardiment mon poignet, tandis que mon souffle se
coupe simultanément. Bordel. Ça me fera toujours le même effet.
— Tu ne le feras pas, lance-t-il, dents serrées. Dans ta tête, il n’y a que
moi.
— Et qu’est-ce qui te fait dire ça, au juste ? le provoqué-je, sourcil
arqué.
— Tu veux vraiment que je te montre ? me demande-t-il en resserrant
légèrement son étreinte.
— Peut-être que c’est exactement ce que j’attends depuis que tu es
arriv…
Mais ma phase est soudainement interrompue par ses lèvres se posant
brusquement contre les miennes. Ses deux mains enveloppent ensuite
distinctement chacune de mes joues avec une délicatesse qui m'étonnerait
presque, avant de finalement entraîner ma langue dans une caresse mutuelle
absolument divine. Nom de Dieu. Oui, Devon m'embrasse tendrement,
comme jamais il ne l'a fait auparavant. Cette fois, son baiser n'a ni le goût
de cigarette fraîchement consommée ni celui du bourbon tout juste
ingurgité. Non, mis à part la douceur… sa bouche n'a aucune autre saveur.
Il y met malheureusement un terme de lui-même après de courtes secondes
afin de déposer son front contre le mien, pour finalement me murmurer :
— Voilà pourquoi j'agis toujours comme un sale con avec toi, Eva,
m’avoue-t-il, tout proche de mes lèvres.
Mon cœur bat la chamade actuellement, et je n'ai aucune explication
plausible à tout ça.
— Tu me rends fou, ajoute-t-il d’un murmure presque inaudible.
Depuis le début.
 
Je peine sérieusement à déglutir face à ses révélations. Bordel… c’est
une déclaration, là ?
— À vrai dire… poursuit-il difficilement. Je crois en avoir pris
conscience seulement aujourd'hui.
Je pense avoir très clairement compris ce que Devon tente actuellement
de me faire savoir, cependant… je me dois d’en être pleinement certaine
avant d’y répondre ;
— De quoi as-tu pris conscience, exactement ? lui demandé-je alors
d’une petite voix.
Il inspire profondément, pince fortement ses lèvres entre-elles, y fait
délicatement glisser sa langue afin de les humidifier légèrement, puis se
lance enfin :
— En vérité, je l'ai probablement su dès le premier instant où je t'ai vu,
néanmoins… j'ai toujours refusé de me l'admettre, souffle-t-il
douloureusement. J'ai toujours refusé d'admettre que j'étais déjà fou
amoureux de toi, avant même que tu ne me salues pour la toute première
fois.
Après avoir tambouriné beaucoup trop fort dans ma poitrine, mon
organe vital s'arrête. Oui, mon cœur cesse de battre. Enfin… non. En réalité,
je crois qu'il est juste sur le point d'exploser. Littéralement. Et qu'est-ce que
ça signifie, au juste ? Seigneur, je n'en sais foutrement rien. Pourtant, je suis
déjà tombée amoureuse plusieurs fois au cours de ma vie, mais… jamais je
n'ai ressenti une telle sensation auparavant. Jamais je n'ai eu cette
oppression dans la cage thoracique avant ce soir. Ouais, c’est comme un
énorme poids. Un énorme poids, qui m'empêcherait presque de regagner
mon souffle convenablement de par sa force.
— Dis-moi que c’est réciproque, me supplie-t-il, tout en faisant
percuter nos iris entre eux.
Je peux voir la fissure se tracer dans ses yeux lorsqu’il comprend que
je ne le ferai pas. Oui, car en vérité… j’ai d’autres choses à lui confier avant
tout :
— Moi, je t'ai détesté pendant des années, lancé-je alors, sans jamais
baisser les yeux.
Comme la seconde précédente, le regard de Devon s’éteint peu à peu.
Je n’en prends pas compte, et me contente simplement de poursuivre pour
lui avouer :
— Jusqu'à cette soirée, dans le bar sympa de mon meilleur ami, souris-
je finalement. Ce soir-là… j'ai rencontré un nouvel homme, et je l'ai
sincèrement apprécié.
Mes iris ne se dénouent pas une seule seconde des siens lorsque je
débute mes aveux. Seigneur… je suis en train de réaliser. Oui, je réalise que
je me mens à moi-même depuis des semaines.
— J'ai fini par apprendre à connaître celui que tu étais vraiment, et j'ai
adoré ça, soufflé-je en baissant doucement la tête. Merde, je ne sais
absolument pas ce qu'il m'arrive Devon. Je ne sais pas ce que signifie cette
sensation dans ma poitrine, mais si j'en crois mon intuition… j'imagine que
c'est une forme de réciprocité, oui.
Je relève la tête. Son sourire s'élargit quand il termine d'analyser
l'intégralité de mes propos, juste avant que ses lèvres ne regagnent
finalement les miennes. Juste avant que cet énième baiser ne vienne
répondre à toutes les questions que je me posais les secondes précédentes.
Juste avant que je ne réalise que oui, moi aussi, je suis bel et bien tombée
amoureuse de cet homme. Bel et bien tombée amoureuse de mon connard
de patron.
 

 
Chapitre 41
Eva
 

Aimer, c’est savoir dire je t’aime sans parler.


Victor Hugo
 
 
Devon me pousse brutalement contre la porte de mon appartement,
avant que je ne me retourne rapidement pour insérer ma clef dans la serrure.
Pendant que je tente de m’y prendre correctement, ce dernier ne cesse de
couvrir mon cou de baisers langoureux. Seigneur… je n’arriverais jamais à
ouvrir cette satanée porte.
— Dépêche-toi, grommelle-t-il en collant davantage son sexe contre
moi.
— J’essaie ! lui réponds-je, un peu paniquée.
Enfin j’y parviens. Je me retourne donc instantanément vers Devon
afin de pouvoir regagner ses lèvres, et ne lui dis bien évidement strictement
rien lorsqu’il m'entraîne avec férocité en direction de la chambre. En réalité,
je doute pouvoir me permettre quelconque remarque en ce qui concerne son
excitation si poussée, puisque c’est moi qui ai commencé à le provoquer
dans le hall, il y a de ça quelques secondes seulement.
— Je suis désolé, car cette robe te va vraiment à merveille, lance-t-il
entre deux baisers.
— Désolé de quoi ? lui demandé-je d'une respiration haletante.
— De devoir faire ça.
Le son de la déchirure qui s'ensuit répond plus amplement à ma
question. Mon Dieu… non !
— Je t’en achèterai d’autres, souffle-t-il en voyant mon visage se
décomposer.
Ses doigts glissent contre ma peau pour faire descendre jusqu’à mes
pieds ce qu'il reste de ma tenue. C'est étrange, mais je ne lui en veux
absolument pas. Non, là… je ne pense à rien d'autre que de m'allonger sur
ce lit, histoire de me donner une nouvelle fois à lui, et de manière un peu
plus adaptée, pour changer un peu.
— C'est bizarre, mais… hésite-t-il, tandis que nous nous donnons tous
deux corps et âme pour retirer sa chemise. J’ai le trac.
Sérieusement ?
— Donc parfois… me moqué-je légèrement. Il arrive que le grand
Devon Anderson en vienne à perdre ses moyens ?
Pour toute réponse, son sourcil s’arque exagérément, et ce, à l'instant
même où il défait enfin le dernier bouton de son vêtement. Ce corps
d'athlète… il m'avait manqué.
— Je les ai toujours perdus face à toi, ajoute-t-il en me poussant
presque gentiment sur le matelas.
Il rampe ensuite doucement au-dessus de mes jambes pour me
rejoindre, tout en déposant de multiples petits baisers sur chaque nouvelle
partie de mon corps au passage. Son regard animal me provoque une
sensation inexplicable dans l'abdomen, et mes muscles se tendent de façon
incontrôlée, chaque fois que ses lèvres entrent en contact avec ma peau.
Seigneur…
— En vérité, je suis juste un très bon menteur, termine-t-il, juste avant
d'atteindre ma bouche.
Nos langues se mélangent dans une énième caresse charnelle, tandis
que je tends une main vers sa hanche afin de l'encourager à ôter son
pantalon. Ni une ni deux, il s'exécute, mais sans jamais se détacher de mes
lèvres pour autant. D'ailleurs, c'est principalement ce qui lui cause autant de
difficultés à en finir avec ce satané caleçon.
— Laisse-moi t'aider, lui dis-je en me redressant légèrement sur mes
coudes.
— Non, désapprouve-t-il, tout en emprisonnant fermement mes deux
mains à l'aide des siennes. Toi, tu ne bouges pas.
Mes paupières se plissent lorsque je tente de comprendre où Devon
veut réellement en venir. D'un bref signe de tête, il m'indique la tête de lit,
alors je m'y hisse sur les coudes sans rechigner, même si toujours dans
l'incompréhension totale de sa requête. Pendant ce temps, je l'observe
attentivement se relever pour faire glisser le fin tissu recouvrant encore son
membre à première vue déjà bien endurci. Il le retire lentement,
probablement pour rendre l'instant présent d'autant plus savoureux.
— Tu le sais, dis-je alors en le dévorant littéralement des yeux. Tu sais
comme tu es beau… n'est-ce pas ?
Sans prendre la peine d'y répondre, il avance de nouveau vers moi, et
en profite pour délicatement faire glisser sa langue, de ma cheville, jusqu'au
creux de ma mâchoire. Ensuite, ses iris percutent intensément les miens,
probablement de manière à pouvoir me murmurer :
— Ce que je sais, commence-t-il en plaçant délicatement son sexe à
l'entrée de mon intimité. C'est combien je le suis quand nos deux corps sont
liés.
Seigneur… Cette simple réponse pourrait presque me faire jouir tant
elle est sexy. Malheureusement, voilà que Devon soupire en se retirant
légèrement. Je l’interroge alors d’un regard perplexe, quand il m’explique :
—La dernière fois… on a oublié de mettre un préservatif.
C’est totalement vrai, oui, mais pour être franche… je pensais que comme
moi, il en était parfaitement conscient sur le moment. En vérité, je suis sa
secrétaire, donc fatalement… je sais quand il va se faire dépister. Par
conséquent, je sais aussi qu’il est parfaitement clean. Le contraire aurait été
étonnant venant d’un homme comme lui, je dois l’admettre.
Mais peu importe. À vrai dire… j’ai la sensation que cette conversation le
met un peu mal à l’aise. Il tente de poursuivre :
—Généralement c’est comme un réflexe, mais avec toi, je…
—Je n’ai pas oublié, le coupé-je alors vivement. Je voulais juste…
Te sentir pleinement.
Il est assez surpris de ma réponse. De quelle façon, je ne le sais pas, mais…
il ne devrait pas trop tarder à m’éclairer sur le sujet :
—C’est toujours le cas ? me demande-t-il alors, tout en replaçant
convenablement son membre contre ma peau moite.
—Toujours, approuvé-je sans hésiter.
Et c'est à la fin de cette approbation on ne peut plus sincère que je le
sens enfin s'insérer à l'intérieur de moi. Nom de Di… Ma main droite
agrippe la housse de couette d'un geste machinal, tandis que la gauche se
dirige rapidement vers nos bas-ventres afin de pouvoir pleinement profiter
de chacun de mes sens. Oui, actuellement, j'ai le délicieux goût de sa langue
contre la mienne, l'odeur enivrante de son parfum à l’intérieur de mes
narines, la douceur de sa peau contre mes doigts, et le bruit de son souffle,
tout proche de mes tympans. Merde, Devon ondule si bien du bassin que je
peine à retenir mes gémissements. Visiblement, les sensations sont aussi
fortes de son côté, puisqu'il se redresse rapidement pour pouvoir regagner
une respiration plus ou moins adaptée. Ensuite, ses doigts de déposent
gentiment autour de mon cou, avant de se resserrer peu à peu, à chaque
nouveau coup qu'il me donne. Je peux sentir mon souffle se faire de plus en
plus court sous cette emprise, et malgré tout, je ne lui demande pas de
cesser.
— Dis-le-moi, m’ordonne-t-il d’une voix enraillée.
— Te dire quoi, soufflé-je douloureusement.
— Avec tes mots, dis-moi combien tu me veux rien que pour toi.
Avec mes mots… ? D'accord.
Je lâche subitement la housse de couette, passe mes doigts autour de sa
nuque, puis l'entraîne ensuite rapidement vers moi afin de pouvoir lui
ordonner à mon tour :
— Baise-moi encore plus fort, Devon, commencé-je, mes yeux bien
ancrés aux siens. Et baise-moi de la même manière que tu le fais là, chaque
nouveau jour de ta vie.
Le sourire satisfait qu'il affiche à la suite de ma vulgaire demande parle
indéniablement de lui-même. Il n'en attendait pas moins venant de moi.
— Autant de fois que tu le voudras, me dit-il alors, juste avant
d'enfouir son nez tout au creux de mon cou.
Aussitôt, ses mouvements s'accélèrent, en plus de s'intensifier
davantage. Nos os s'entrechoquent à maintes et maintes reprises, tandis
qu'une profonde brûlure en profite pour s'emparer de chaque petit
centimètre de mon corps. Bordel. Devon attrape mes cheveux, puis les
empoigne si fort, qu'un hurlement bruyant ne peut s'empêcher de traverser à
nouveau mes lèvres. Sans le contrôler, je pose une main dans son dos, et lui
lacère littéralement la peau à l'aide de mes ongles.
— Putain, crache-t-il, tout proche de mon oreille. Tu me rends
complètement fou.
Une multitude de gémissements sortent simultanément de ma bouche
quand Devon va-et-vient de plus en plus rapidement, tandis que de son côté,
il tente de contenir les siens un maximum. Il tente seulement, oui, puisque
j'ai tout de même le loisir d'entendre un râle puissant sortir de sa bouche
lorsque sa semence se répand ardemment entre les parois élargies de mon
vagin. Wow.
Je garde les yeux grands ouverts face au plafond, tandis que Devon,
lui, reste dans cette sa position initiale, visiblement incapable de se retirer
pour le moment. Malheureusement, il va bien falloir qu'il finisse par en
sortir s'il tient à ne pas me faire suffoquer, alors…
— Il faudrait que tu…
— Je ne peux pas, Eva, m'interrompt-il d'une voix étouffée.
Quoi ?
— Pourquoi… ? l’interrogé-je, un peu sceptique tout de même.
Son souffle bouillant effleure ma peau pendant qu’il réfléchit à la
question.
— Je… hésite-t-il alors. Il… Enfin… Merde. Je ne débande pas.
Oh.
— Tu… tu en es vraiment certain ? lui demandé-je d'une petite grimace
d’étonnement.
Pour toute réponse, Devon contracte son membre toujours présent à
l'intérieur de moi, probablement pour but de me prouver que oui,
effectivement, il en est bel et bien certain.
— Je vois… marmonné-je alors, un peu mal à l’aise.
Merde, avant aujourd'hui, je ne savais pas que ce genre de chose était
humainement possible.
— Ça ne m'était encore jamais arrivé, donc je présume que c'est de ta
faute, me lance-t-il alors en redressant légèrement sa tête pour me faire
face.
— Ma faute ? m'offensé-je d’un petit sourire d’incompréhension.
— Tu es tellement bandante qu’une fois ne m’a vraisemblablement pas
suffi, lance-t-il d’un air logique.
J’éclate de rire de façon incontrôlée suite à cette réponse si spontanée,
tandis que Devon me supplie de cesser. En effet, j’imagine que ça ne doit
pas être super agréable pour son pénis encore en érection. Je me stoppe
alors, puis le regarde ensuite intensément afin de pouvoir lui dire :
— Eh bien dans ce cas… qu'est-ce que tu attends pour remettre ça ?
Ma question sonne plutôt comme une évidence, et j'imagine que Devon
l'a parfaitement bien interprétée. Son sourire s'élargit, juste avant qu'il ne le
laisse finalement s'éteindre pour me murmurer :
— J'espère que c'est vous, commence-t-il d’une voix étonnamment
douce, et tout en déposant un court baiser sur la peau de mon cou.
Il relève ensuite doucement la tête pour me faire de nouveau face, me
laissant donc apercevoir la douceur de son regard lors des quelques
secondes de silence qu’il s’accorde, puis reprend finalement :
— J'espère sincèrement que vous êtes l'unique femme de ma vie,
Mademoiselle Pierse.
Mon cœur fait des bonds dans ma poitrine à la seconde même où ses
lèvres regagnent enfin les miennes. Est-ce que c'est ce que j'espère, moi
aussi ? Peut-être bien. Seigneur, en vérité… je crois que c'est exactement ce
que je veux. Merde, oui. Évidemment. Je veux être l’unique femme qui
partagera son quotidien à compter d’aujourd’hui. L’unique femme qui
partagera ses nuits. L’unique femme qui partagera sa vie.
 
 
 

Épilogue
 

5 mois plus tard,


Jour du réveillon de Noël.
 

Mon sourire ne s’estompe pas, même lorsque je porte la coupe de


champagne jusqu’à mes lèvres pour en boire une petite gorgée. Vraiment,
mes yeux brillent de mille feux face aux personnes actuellement présentes
autour de cette table joliment décorée par mes soins. Qu’est-ce que je me
sens bien… Oui, je n’ai même jamais été aussi heureuse avant aujourd’hui,
et ça… c’est en grande partie grâce à Devon. Qui l’aurait cru ? Sans rire…
qui aurait cru que derrière cette immense carapace se cachait en vérité un
homme si gentil, si généreux, si… doux et attachant ?
— Tout va comme tu veux ? me demande justement ce dernier, tout en
me gratifiant d’un court baiser sur la joue avant de poser le plat d’amuse-
gueule au centre de la table.
— Oui, approuvé-je en déglutissant rapidement ma gorgée. Tout est
parfait !
Et par tout, je veux aussi parler de ma belle table de Noël. Vraiment,
elle est splendide ! Plusieurs rondins de bois sont disposés sous chacune de
mes belles assiettes de céramique blanche. En guise de chemin de table, j’ai
opté pour de multiples feuilles de sapins fraîchement cueillies de ce matin,
avec au centre de jolies pommes de pin légèrement bombées de fausse
neige. Le magnifique chandelier argenté termine l’ambiance chaleureuse,
tandis que les guirlandes lumineuses arborant actuellement chaque recoin
de la maison brillent de mille feux à travers les verres à pied, qui sont eux
aussi bien évidemment présents sur la table.
C’est merveilleux. Oui, merveilleux d’être ici, dans la charmante
maison que je viens tout juste d’acquérir, pour fêter cette chose aussi belle
et importante qu’est Noël à mes yeux. Effectivement, me voilà maintenant
propriétaire de ma propre maison. Comment est-ce arrivé ? Et bien…
disons que mon cher patron m’a offert exactement le même job que m’avait
proposé son propre frère il y a de ça quelques mois en arrière. Eh oui, je
suis enfin rédactrice en chef chez PowerShot ! Ce qui justifie donc plus
clairement l’ampleur qu’a récemment pris mon compte en banque. À
l’origine, Devon voulait absolument tout payer. Mes factures, mon loyer,
mes loisirs… mais j’ai bien évidemment décliné cette offre. Pour moi, le
meilleur moyen de correctement gagner sa vie, c’est de le mériter
pleinement. Oui, et puis… il était absolument hors de question pour moi de
dépendre totalement d’un homme, quel qu’il soit. Plutôt crever.
— Merde, ce truc est vraiment trop bon ! s’exclame Mara, la bouche
encore totalement pleine.
Et c’est à cet instant précis que je réalise que n’aurais peut-être pas dû
l’inviter, finalement. Sérieusement, la famille de Devon est tellement
disciplinée que je me sens tache, au milieu de tout ça.
— Ça s’appelle du foie gras, lui explique alors Caleb, un rien
méprisant.
Pour toute réponse, mon amie lui rend un air dédaigneux. Je crois
qu’elle n’apprécie pas franchement son arrogance, et elle crève sûrement
d’envie de le lui faire savoir. Pitié ma chérie… garde ta petite injure bien
au chaud, sois sympa…
— Excuse-nous, Steve Jobs, lui lâche-t-elle finalement d’une grimace
médisante.
Seigneur… j’aurais probablement préféré une ribambelle d'insultes.
— Pardon… ? l’interroge-t-il, sourcil arqué.
— T’as bien enten…
— OK ! les interromps-je en claquant simultanément mes mains entre
elles. Et si on ouvrait les cadeaux avant de débuter le repas ?
— Bonne idée, approuve aussitôt Nancy. J’attends ce moment depuis
des lustres !
Son sourire radieux apaise instantanément la tension plus que palpable
actuellement présente dans la pièce. Cette femme est une vraie magicienne.
Vraiment. Depuis que je suis avec son fils, j’ai comme la sensation d’avoir
trouvé une deuxième mère. Bien évidemment, jamais rien ne remplacera ma
chère petite maman, néanmoins… je dois dire que c’est un réel soulagement
d’avoir aujourd’hui cette superbe femme dans ma vie. À elle seule, elle
remplit le manque à merveille.
Malheureusement pour Devon, ça n’est pas tout à fait le cas avec mon
père. Oui, car comme je m’y attendais déjà… ce dernier n’a pas vraiment
apprécié la nouvelle nous concernant. Pourquoi ? Eh bien… peut-être parce
que j’ai attendu le dernier moment pour le lui avouer, c’est-à-dire lorsque
son avion a atterri avant-hier soir. Et peut-être aussi parce qu’il a un peu -
beaucoup- de mal avec le fait d’apprendre que l’homme qui partage
actuellement ma vie, est aussi celui qui m’a longtemps malmenée.
— J’ai lu dans un livre que la digestion était nettement plus
appréciable après avoir déjà ouvert les cadeaux, lance alors Caleb en se
levant de sa chaise.
Un rire moqueur sort de la bouche de Mara suite à cette intervention
qui, je dois l’admettre, était très étrange, alors je la gratifie d’un léger
froncement de sourcils afin de la pousser à cesser son petit jeu sur-le-
champ. De toute évidence, je sais d’avance que ces deux-là finiront par
coucher ensemble, alors… inutile de la jouer pires ennemis sous mes yeux.
Ouais, je commence à avoir du flair, en ce qui concerne ce genre
d’histoires.
— Et moi, renchérit Devon en se dirigeant vers l’immense sapin. J’ai
lu dans un livre que seuls les mecs comme toi lisaient ce genre de merde.
Caleb s’empresse de rejoindre son frère afin de lui donner une petite
pichenette sur la joue, forçant donc ce dernier à la lui rendre
instantanément, pour qu’ensuite ils finissent par s’esclaffer sans retenue,
toujours en se taquinant mutuellement. Je les trouve adorables. Oui,
vraiment. C’est fou comme j’aime les voir rire ensemble. J’aime savoir que
tout va pour le mieux depuis plusieurs semaines… j’aime sincèrement
l’idée qu’ils soient devenus de vrais jumeaux. Liés comme les deux doigts
de la main.
— Je crois que c’est pour toi.
La voix de Matt me sort gentiment de mes pensées. Je me retourne
alors vers lui, puis constate finalement qu’un paquet est actuellement
présent entre ses doigts. Il le tend dans ma direction, très probablement pour
me pousser à le saisir. Je le prends alors sans plus attendre, et comprends
rapidement à travers son regard enfantin qu’il ne peut être que de lui.
À vrai dire, Matt n’a jamais été trop rancunier. Avec ses proches, du
moins. Oui, car le lendemain de sa fâcheuse découverte me concernant,
nous avons eu une très grande discussion. Pas de hurlements, aucun
jugement… juste une discussion entre deux adultes responsables. Il a tenu à
ce que je pèse le pour et le contre de cette relation, alors je l’ai fait devant
lui, probablement en espérant que le résultat puisse le faire changer d’avis
au sujet de Devon. C’était sans compter sur le nombre de points négatifs.
Aoutch. En effet, ils l’emportaient de loin sur les positifs, néanmoins…
mon ami à rapidement compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’une
lubie. Oui, il a vite saisi combien je tenais déjà à cet homme, et c’est
exactement pour cette raison qu’il s’est contenté de soupirer, avant
d’ensuite me dire que peu importe mes choix, il me soutiendrait toujours.
En vérité, sa seule grosse peine dans cette histoire, c’est le secret en lui-
même. Matt a eu beaucoup de mal avec le fait que je puisse lui cacher des
choses, et il m’a fallu bien des heures de ménage pour me faire pardonner
auprès de lui. Fort heureusement, tout ça fait maintenant partie du passé,
alors…
— J’ai encore le ticket, si jamais ça ne te plaît pas, ajoute-t-il ensuite
d’une petite moue dubitative.
Chaque année, j’ai droit au même scénario. Oui, Matt fait toujours
mine de ne pas être sûr de son coup, pour qu’au final… je découvre le
cadeau le plus cool de la soirée.
— Mais tu sais tout autant que moi que ça va me plaire, n’est-ce pas ?
lui demandé-je, faussement intriguée.
— Exactement, m’avoue-t-il naturellement.
En souriant, je défais alors le petit nœud de soie rose actuellement
présent partout autour de ce magnifique paquet noir, pour finalement
découvrir que ma dernière hypothèse était bel et bien réelle. Effectivement,
je ne suis, encore une fois, absolument pas déçue du cadeau de mon ami.
Bien au contraire.
— Wow ! m’exclamé-je alors, le sourire jusqu’aux oreilles. Je le
voulais depuis tellement longtemps !
Il est complètement fou. Oui, car en réalité… je connais parfaitement
bien la valeur de ce parfum, et c’est d’ailleurs exactement pour cette raison
que je ne me suis jamais permise de l’acheter jusqu’à maintenant.
— Tu sais bien que je ne me trompe absolument jamais, répond-il
fièrement, et tout en me gratifiant d’un rapide clin d’œil au passage.
Jamais, c’est la vérité. Il est exceptionnel. Je lui saute alors dans les
bras sans plus attendre afin de le remercier pour cette magnifique idée,
quand plusieurs petites tapes sur mon épaule me poussent à me retourner.
— À mon tour, sourit alors mon père en me tendant une petite boîte.
— Oh, papa… lui réponds-je d’une moue triste. Tu n’étais pas obligé,
je…
— Ouvre-la, Eva, me coupe-t-il d’un vaste signe de tête.
Ça me gêne sincèrement. À vrai dire, je sais qu’il vient tout juste de
vendre une parcelle de son terrain, malgré mes multiples supplications pour
le lui éviter. Par conséquent, il était donc évident que mon père ne se
priverait pas une année de plus me concernant. Comme il me le dit depuis
des mois ; « Un jour, je t’offrirai un cadeau merveilleux pour te remercier
de tout le mal que tu te donnes pour moi. » Je crois que ce jour est arrivé,
et… disons que je ne peux pas vraiment me permettre de gâcher son plaisir.
Je soupire alors doucement par le nez en lui rendant un air vaincu, puis
m’exécute finalement sans plus attendre, impatiente de découvrir ce que
cette petite boîte contient malgré tout.
— C’est bien parce que j’adore les surprises, lui souris-je en
m’empressant de défaire le petit nœud. Sans ça, je crois que je n’aurais
jamais accept…
Mais cette phrase est interrompue par ma découverte. Nom de D… ma
respiration se coupe simultanément. Qu’est-ce qu…
— Mais ça va pas ! m’exclamé-je alors subitement. Enfin, papa ! Cette
bague a dû te coûter une fortune !
Sans rire, je ne suis pas une grande connaisseuse en termes de bijoux,
mais j’ai tout de même l’œil quand s’agit d’un objet de si grande qualité.
Merde, la pierre présente au centre est tellement grosse, que je pourrais
presque me maquiller à travers !
— Là n’est pas mon véritable cadeau, ma fille, souffle-t-il, tout en me
faisant signe de me retourner.
Mes paupières se plissent. En effet, je crois que j’ai un peu de mal à
saisir la situation. Là n’est pas son véritable cadeau… ? Comment… Mais
je ne me pose pas davantage de questions, et obéis finalement en me
retournant comme indiqué quelques secondes auparavant. J’y vais
lentement, peu confiante de ce que je risque d’y découvrir, quand je tombe
finalement nez à nez avec un Devon tout souriant. Pourquoi a-t-il cet air
imbécile ancré sur le visage ?
— Mais qu’est-ce que tu fais, me moqué-je alors d’une petite grimace
d’étonnement.
Il se racle brièvement la gorge, baisse rapidement les yeux au sol avant
de finalement regagner les miens, puis se lance enfin :
— Je ne veux plus seulement espérer, Eva, commence-t-il en me
saisissant délicatement la petite boîte des mains.
Aussitôt, son genou droit se pose au sol, tandis que mon rythme
cardiaque s’accélère. Il tend ensuite la boîte ouverte sous mes yeux,
probablement de manière à ce que j’y distingue plus convenablement ce
qu’elle contient. Bordel… il n’est pas vraiment en train de faire ça… si ?
— J’ai besoin que tu le deviennes, continue-t-il d’un air suppliant. J’ai
besoin que tu deviennes l’unique femme de ma vie.
Attends… quoi ? Merde, c’est une demande en mariage qu’il me fait là
? Je veux dire… pour de vrai ? Oui, mis à part intérieurement, il m’est
impossible de réagir tant je reste sous le choc des dernières secondes. Et
c’est probablement pour ça que Devon poursuit sa requête :
— Voulez-vous m’épouser, Mademoiselle Pierse ?
Le voilà, le coup de grâce. Littéralement. Oui, car… ça répond
clairement à la question que je me posais quelques secondes auparavant. En
effet, Devon vient tout bonnement de me demander en mariage. Mais ce
n’est pas ça qui fera définitivement couler les larmes qui menacent de sortir
depuis déjà de longues secondes. Non, en vérité… ce qui va déclencher
mon premier sanglot, ce sont les paroles que mon père vient me murmurer
au creux de l’oreille :
— Je crois que je l’aime bien, finalement, commence-t-il en déposant
chacune de ses paumes contre mes épaules. Le fait qu’il soit venu me
demander ta main comme un homme, a très probablement joué en sa
faveur, je dois l’admettre.
Un pouffement m’échappe, exactement au même moment où les
larmes se mettent à dévaler sur mes joues.
— Fonce ma fille, renchérit-il en resserrant légèrement son étreinte. Et
n’aie pas peur, car comme tu le sais déjà si bien…
— La peur n’évite pas le danger, terminé-je à sa place, et tout en
déposant une main sur la sienne. Merci papa, reniflé-je ensuite. Tu es le
meilleur.
De là où je suis, je peux voir des gouttes de sueur suinter sur le front de
Devon. Le pauvre est dans l’attente interminable de ma réponse, et… je
compte bien la lui donner ;
— C’est oui, lâché-je finalement.
— Oui ? me demande-t-il, incertain.
— Oui, répété-je d’un petit hochement de tête, et tout en approchant
pour l’embrasser.
Sans plus attendre, Devon se redresse en me saisissant fermement par
les côtes dans la foulée. Il me fait ensuite tournoyer dans les airs en me
rendant mon baiser, puis me repose après seulement deux tours afin d’y
ajouter :
— Je vous aime comme un fou, Mademoiselle Pierse.
— Et moi comme une folle, Monsieur Anderson, lui réponds-je sans
hésiter.
Il défait ensuite notre étreinte, puis s’empresse de saisir ma main
gauche afin de rapidement faire glisser la bague au doigt prévu pour
l’accueillir. Parfaite. Elle est absolument parfaite.
— Merde, pouffé-je, en faisant face à nos amis. Je vais m’appeler
madame Anderson ! hurlé-je ensuite en agitant rapidement ma main sous
leurs yeux.
Putain, ouais. Voilà que je m’apprête à épouser mon connard de boss.
 

Fin.
 
 
 
Remerciements
Tout d'abord, je tiens à remercier mes lecteurs sans lesquels je n'en
serais probablement pas là aujourd'hui. Merci du soutien que vous
m'apportez au quotidien, c'est très important pour moi.
À mes parents, qui croient en moi depuis le début de cette aventure.
J'espère pouvoir vous prouver que ça en valait la peine !
À mon homme et mes enfants, qui, comme depuis déjà 2 ans,
supportent mon implication parfois un peu trop excessive dans l'écriture de
mes bouquins… je vous aime si fort ♡
À Lola, merci pour ton investissement dans les débuts de cette histoire.
Ton aide m'a été précieuse.
À Illona, qui m'a également apporté ses idées pour certains détails
importants. Sans elles, ce livre ne serait sûrement pas aussi bien !
À mes autres amies, Océane, Stéphanie… qui elles aussi me
soutiennent depuis le début. Merci à toutes de faire partie de ma vie
aujourd'hui !
À toutes les chroniqueuses qui me suivent depuis les débuts,
selena.urquizar.auteure, lydianaromance, imperct.reading, louloubouquine,
my_tagada, mel_tattoo_books, et toutes les autres que je n'oublie bien
évidemment pas, merci !
Par-dessus tout, merci à Studio5, qui m'a permis de rendre public ce
nouvel ouvrage.
Pour finir, (car le meilleur pour la fin ahaha) : à Layla, merci pour
tout… ♡
 
 
 
 
 
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Noemiecnt_writes
 
Déjà parus chez Studio 5 éditions :
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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