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Portrait légende sur Abd-el-

Kader. Ses premières


victoires... Son arrivée à
Toulon...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Portrait légende sur Abd-el-Kader. Ses premières victoires... Son
arrivée à Toulon.... 1848.

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ABD-EL-KADER
Paris,— Imprimerie BONAVENTURE et DUCESSOIS,
quai des Grands-Augustins, 55 (prés le Pont-Neuf).
PORTRAIT-LEGENDE
SUR

ABD-EL-KADER

Ses poésies. — Sa suite. — Son arrivée à Toulon.


Les On dit de l'Opposition.
Les sottises des rieurs de l'époque.

PARIS
CHEZ FIQUET, LIBRAIRE-ÉDITEUR
PASSAGE DU COMMERCE, 3.
1848
ABD-EL-KADER EST A TOULON!!!

C'est le nom qui existe dans toutes les bou-


ches; c'est le mot qui remplace la nouvelle de
la mort de Mme Adélaïde, soeur bien-aimée et
tant regrettée par son auguste frère, le Roi.
Le 31 décembre Mme Adélaïde est morte !
Voici la conquête de la mort sur la vie.
Le 29 décembre Abd-el-Kader arrive à
Toulon!
Voici la conquête de la force sur la faiblesse.
Avant d'aller plus loin, récapitulons les faits,
et disons combien cette année sera marquée au
coin de toute sorte de désastres, de toute espèce
de crimes, de tout genre de malheurs.
Année fatale, pour laquelle Dieu lança sa
foudre vengeresse, et que les riches aussi
6
bien que les pauvres ne sauraient oublier, non
plus que les grands du royaume et le paisible
laboureur,
Cette année-là vient de passer, tout habil-
lée de noir et doublée de crêpes funèbres; di-
sons-lui notre adieu, sonnons les cloches pour
son trépas, et saluons l'année nouvelle qui
nous promet la paix et l'abondance; saluons
l'année nouvelle qui revêt la robe de satin
blanc et qui se couronne de lauriers.
Saluons 1848, qui commence par une con-
quête.

Une dépêche télégraphique de Monseigneur


le duc d'Aumale, datée du camp de Nemours,
le 25 décembre, annonce la soumission d'Abd-
el-Kader. Battu par les Marocains, abandonné
de la plupart des siens alliés, il cherchait à ga-
gner le sud par le pays des Benisnassen ; mais,
cerné de ce côté par notre cavalerie, il s'est
rendu.
7
Monseigneur le duc d'Aumale, qui l'a reçu
dans le camp de Nemours, l'a conduit sur-le-
champ à Oran, où il a été embarqué pour Tou-
lon sur le bâtiment l'Asmodée, accompagné du
colonel Beaufort, aide de camp du prince.
La note suivante, provenant d'un officier de
l'armée d'Afrique, contient quelques détails
sur le reddition d'Abd-el-Kader.
Je les transcris textuellement.
Ils offriront à coup sûr un grand intérêt,
surtout si l'on veut bien remarquer que c'est
la dernière scène d'un drame vraiment roma-
nesque.
Mais, pour pouvoir bien remémorer toutes
ses phases, racontons succinctement les prin-
cipaux événements d'Afrique; redisons à ceux
qui le savent, et apprenons à ceux qui pour-
raient encore l'ignorer, ce que c'est que le chef
Abd-el-Kader.
Quel est aujourd'hui celui d'entre nous qui
n'a point un frère, un époux, un ami, sous le
8
ciel toujours bleu de ce beau climat d'Afrique?
Je raconte :
De tous les marabouts ou saints adorés par
les Musulmans, il n'en est peut-être pas de
plus célèbre que Sidi-Abd-el-Kader, connu
dans l'ouest de l'Algérie sous le nom de Mouleï
Abd-el-Kader. Partout, dans la province
d'Oran, s'élèvent des goubba, petits monuments
de forme carrée, surmontés d'un dôme, que nos
soldats appellent marabouts, les confondant
ainsi avec le caractère des individus auxquels
ils sont consacrés, construits en l'honneur de
Mouleï Abd-el-Kader. Ce grand saint, tout-à-
fait digne de la considération universelle dont
il jouit, si nous ajoutons foi aux légendes qui
le concernent, a reçu le surnom de Sultan des
hommes parfaits : il voit tout, il entend tout,
est partout, semblable au Solitaire de M. d'Ar-
lincourt ; mais on ne le voit jamais. On sait qu'il
vit dans l'espace compris entre le troisième et
le quatrième ciel; mais les Arabes ignorent
9
quelle forme il a revêtue depuis le jour où des
anges sont venus l'enlever sur son lit de mort
pour le conduire dans sa nouvelle demeure.
Le marabout Mouleï Abd-el-Kader était né
à Bagdad, et les sept goubba à dômes dorés qui
ont été élevées dans cette ville à sa mémoire
reçoivent chaque année la visite d'un grand
nombre de pèlerins.
En 1828, Abd-el-Kader s'étant rendu à
Bagdad avec son père Mahi-ed-Din, priait dans
de
une ces chapelles consacrées à Mouleï Abd«
el-Kader.
Tout-à-coup le marabout entra dans la
chapelle sous la forme d'un nègre, et tenant à
la main trois oranges :
Où est le sultan de l'Ouest ? demanda-t-

il à Mahi-ed-Din ; ces oranges sont pour lui.
Nous n'avons pas de sultan parmi nous,

répondit Mahi-ed-Din.
Tu te trompes ! lui dit le marabout. Le

règne des Turcs va finir en Algérie, et ton fils
40
Hadj-Abd-el-Kader sera le sultan des Arabes.
Quatre années plus tard, en 1832, lorsque
les chefs et les marabouts de la province d'Oran
se réunirent à Ersebia, dans laprovince d'Egh-
rès, pour mettre un terme à leurs dissensions
en se donnant un chef, Mouleï apparut à Sidi-
el-Arach, marabout centenaire, et engagea
avec lui une conversation sur les affaires du
temps.
— Pour qui ce trône? s'écria le vieillard en
interrompant le marabout, car il venait de voir
se dresser un trône devant lui.
PourEl-Hadj-Abd-el-Kader-Oueld-Mahi-

ed-Din répondit le marabout.
!

Aussitôt Sidi-el-Arach monte à cheval avec


trois cents cavaliers, et va demander à Sidi-
Mahi-ed-Din son second fils, en lui racontant
sa vision et la parole de Mouleï Abd-el-Kader.
Celui-ci lui accorda son fils sans hésiter, car il
avait eu la même vision et la même question
ainsi posée dans son rêve :
M
— Pour qui ce trône?
Pour toi ou pour ton fils Abd-el-Kader.

— Si tu acceptes, ton fils mourra ; dans le
cas contraire, tu mourras bientôt!
Dans la même journée, El-Hadj-Abd-el-
Kader fut proclamé sultan.
Ainsi l'avait voulu le marabout centenaire
Tous les Arabes accueillirent l'élu du ciel-
Depuis lors, disent-ils, un seul jour ne s'est
point écoulé sans que le marabout ne vienne
visiter son protégé, et aucune action impor-
tante, aucune attaque n'a été faite sans avoir
invoqué la sauvegarde de son homonyme de
Bagdad.
Voici l'origine du sultan des Arabes, de l'élu
du marabout, du Benjamin de Mahomet le
grand prophète.
Tous lès Arabes célèbrent ce souvenir par
une fête annuelle, appelée fête du fameux ma-
rabout Mouleï Abd-el-Kader.
Il me prend le désir de la décrire ici, bien
12
que beaucoup de lecteurs sachent ce qu'est
une fantasia.
Je laisse parler le lieutenant T...
Figurez-vous une plaine immense au mi-
lieu de laquelle s'élancent environ deux mille
Arabes. Les spectateurs assis, debout ou à
cheval, forment un vaste carré long qui sert
d'hippodrome.
Quand on n'a pas l'habitude de voir accourir
droit sur soi, à fond de train, avec des cris
sauvages, trois, quatre, six, dix et vingt cava-
liers qui vous ajustent avec un fusil étincelant
de mille feux, et qui ne s'arrêtent tout court
qu'à deux ou trois pas de vous en vous
déchargeant dans la figure leur arme mena-
çante, on éprouve, je l'avoue, un certain
saisissement; mais bientôt cette première
impression s'efface, la chaleur vous fait monter
le sang à la tête, la scintillation des armes
vous éblouit, les cris des coureurs, des specta-
teurs, les hennissements des chevaux, le bruit
13
incessant des détonations vous assourdissent ;
vous ne voyez, vous n'entendez plus rien;
vous vous sentez entraîné malgré vous vers
cette vie sauvage qui doit être .bien difficile à
assujettir aux froides exigences de la civilisa-
tion ! Lorsque la fantasia doit se terminer, les
chefs font un signe; aussitôt cinq ou six
hommes s'élancent dans le cercle, que quatre
musiciens parcourent en jouant du tam-tam,
en poussant des cris inarticulés et en dansant
à la manière des ours.
A la fantasia succède la rahba.
Que l'on me pardonne cette dernière des-
cription ; ces divertissements complètent mer-
veilleusement une esquisse de moeurs arabes.
La rahba est un jeu pareillement de force et
d'adresse.
Deux lutteurs, n'ayant pour tout vêtement
qu'un caleçon, s'avancent l'un contre l'autre
dans l'arène en se dandinant en mesure, au
son d'un abominable instrument, préféré par
2
14
les Arabes mêmes à nos orchestres militaires,
cette espèce de tambour long que les musi-
ciens, je devrais dire les batteurs, portent sur.
le bras gauche, et contre la peau duquel ils
agitent leurs deux mains d'une façon si mono-
tone. Arrivés face à face, ils se regardent, ils
s'observent, ils s'épient, ils se visent. Enfin,
profitant du moment qui leur semble le plus
favorable, ils se retournent brusquement en
élevant en l'air la jambe droite de manière que
le pied aille frapper leur adversaire sur la
nuque. Il leur est défendu de se toucher autre-
ment. Quand ils étendent les mains en avant
pour s'éloigner et se garantir mutuellement,
ou quand ils se prennent à bras le corps pour
se terrasser, on les sépare. Ce jeu est assez
dangereux.
Il arrive parfois que le vaincu reste mort
sur la place. Ainsi se termine la fête annuelle
du fameux marabout Mouleï Abd-el-Kader.
Revenons aux escarmouches des Arabes, jeu
15
plus sérieux, qui coûta tant de braves enfants
à la France et fit couler bien des larmes inta-
rissables à leurs veuves, à leurs mères déso-
lées. C'est une chose triste que la gloire soit
le synonyme de la mort! Je lis dans : Un Mois
en Afrique, publié par M. A. Joanne (je ne
crois pas me tromper), que l'histoire d'Oran se
lie intimement à celle d'Abd-el-Kader.
Quand les Arabes se révoltaient, et depuis
1830 cela est arrivé chaque jour, les Turcs,
qui finissaient toujours par les soumettre, ne
leur accordaient aucun quartier. Un jour,
Mohammed avait envoyé mille têtes à Alger.
Une autre fois, Hassan, redoutant l'influence
croissante des marabouts fanatiques que les
Arabes regardent comme des saints, s'était
décidé à faire périr les plus influents: Sur son
ordre, des cavaliers montèrent à cheval et
allèrent décapiter dans leurs tribus tous les
marabouts qui leur avaient été signalés comme
suspects. Ils n'en épargnèrent qu'un seul, le
16
plus célèbre, le plus dangereux, leur chef en
quelque sorte, qu'ils amenèrent à Oran avec
son fils, devant Hassan, pour qu'il pût en faire
justice lui-même. Hassan, après les avoir in-
terrogés, donna l'ordre de les exécuter. Mais
sa femme, qui exerçait sur lui un grand em-
pire, demanda et obtint leur grâce. Toutefois,
ils restèrent en prison. Un an après leur ar-
restation seulement, ils furent remis en liberté
et ils partirent pour la Mecque.
Ces deux captifs, mis en liberté, se nom-
maient : Sidi-el-Hadj-Meheddin, le père d'Ab-
el-Kader, et Abd-el-Kader.
Ce fut aussi sous les murs de cette ville, où
il avait si miraculeusement échappé à la mort,
que, plusieurs années après,Abd-el-Kader fit
ses premières armes, en 1832.
Pendant la nuit du 2 au 3 mai, des groupes
nombreux d'Arabes s'étaient portés du camp de
Meheddin sur le caravansérail de la mosquée
de Gargantua, où ils avaient attendu le jour.
17
Prévenus de leur approche, les Français
avaient passé la nuit sous les armes, et l'au-
rore les trouva ' debout sur les batteries du
château neuf. Le lever du soleil fut le prélude
du combat.
Au moment où ses premiers rayons frap-
paient le sommet du minaret, un homme parut,
entonnant d'une voix éclatante la profession de
foi des Musulmans, qui est aussi leur cri de
guerre : aussitôt, et comme si le Dieu de la
bataille eût frappé le sol, ce cri, répété de la
plaine aux montagnes, fit sortir de toutes parts
des combattants. La mosquée et les ruines
fournissaient des fantassins, et Ton voyait des-
cendre des collines une nombreuse et mobile
cavalerie ; et, suivant l'expression des Arabes,
la poudre ayant commencé à parler, en un in-
stant la ville entière fut entourée dune cein-
ture de feu.
Déjà les hommes à pied voulaient, après
avoir pénétré dans le ravin, se précipiter sur
18
la porte du Marché et l'enfoncer, lorsque des
décharges réitérées leur firent perdre conte-
nance et ralentir leur ardeur.
On vit alors un jeune cavalier s'élancer sur
les glacis, s'efforçant de rallier les fuyards
autour d'un étendart vert qu'il agitait au
milieu de la mitraille et des balles; rien ne put
le faire reculer, aucun coup ne l'atteignit.
Ce guerrier, rempli de force et de courage,
c'était Abd-el-Kader.
Enfin, deux années après, le général Des-
michels signait cet onéreux traité de paix avec
l'envoyé d'Abd-el-Kader.
Pendant l'espace de seize années, Abd-el-Ka-
der, aidé par son immense courage, soutenu
par cette ferme croyance, que ses compagnons
partageaient encore tout récemment, qu'il
était écrit qu'Alger serait son royaume; Abd-
el-Kader a combattu pied à pied les troupes
françaises, sans être ému par leur nombre,
sans être rebuté par la fatigue, sans redouter
19
la faiblesse des siens, sans craindre la tra-
hison.
Les Arabes le respectaient comme sultan
et l'adoraient comme envoyé de Mahomet.
—Allah est grand, que sa volonté soit faite,
disait-il aux Marocains, parfois découragés ; en
avant! Et les plis de son burnous blanc,
flottant au vent de la montagne, ralliaient ses
troupes éparses, comme jadis le panache blanc
du bon Henri IV ranima le courage chance-
lant.
Une plume plus hardie, plus complète que
la mienne, retracera les faits exacts de la cam-
pagne d'Afrique : je les esquisse rapidement
pour arriver aux derniers faits qui précèdent
et deviennent la conséquence de la soumission
du chef arabe.
En 1846, après avoir cherché à mettre en
mouvement les tribus du sud de l'Algérie,
Abd-el-Kader, épuisé par l'infatigable persévé-
rance de nos colonnes, harcelé et traqué dans
20
toutes les directions, se décida à regagner les
montagnes du Maroc, qui longent notre fron-
tière entre Nemours (Djemma-Ghazaouat) et
Melillah, place occupée par les Espagnols. Les
Kabyles de ces montagnes traitaient avec res-
pect dans leur hôte le représentant de la cause
sainte. L'empereur lui-même semblait peu dis-
posé à inquiéter sérieusement l'ex-émir, lors-
que celui-ci, poussé sans doute par la fatalité,
suscita contre lui successivement l'empereur
et les montagnards, en anéantissant un camp
régulier dont il tua le chef, puis en massacrant
une fraction des Guerara qui lui faisait quelque
opposition.
Depuis ces faits, qui datent de quelques
mois, l'empereur avait mis en mouvement ses
troupes commandées par les princes ses fils,
et ordonné des dispositions pour faire prendre
les armes aux montagnards. La lenteur de ses
préparatifs et l'état avancé de la saison sem-
blaient présager encore de longs délais, lors-
21
que, il y a trois semaines, les affaires prirent
tout-à-coup une marche rapide : les troupes
se rapprochèrent de la deïra, les contingents
se soulevèrent d'une manière désespérée.
Abd-el-Kader alors tenta une démarche d'ac-
commodement. On connaît les détails de l'en-
voi de Bou-Hamedi à Fez : on sait comment il
fut retenu, et comment les deux conditions
posées par l'empereur à Abd-el-Kader ne lais-
saient plus à celui-ci que l'alternative entre le
combat ou un assujettissement absolu.
Les dernières nouvelles en étaient restées
là ; nous reprenons la suite des faits.
L'ex-émir prit bravement son parti ; et le 11,
dans la nuit, il se jeta tête baissée, avec ses
hommes de guerre, sur les camps marocains.
On affirme que, pour mieux y porter le dés-
ordre, il y fit placer des chameaux revêtus de
goudron, auxquels on avait mis le feu. Mais son
projet avait été éventé; le chef était trahi; le
premier camp était évacué; au second, il n'é-
22
prouva de résistance que de la part de quel-
ques déserteurs espagnols, qui défendirent
vigoureusement la tente du fils de l'empereur.
Mais les masses marocaines, repliées les unes
sur les autres, étaient devenues si considéra-
bles, que, malgré le courage, l'énergie de ses
troupes, Abd-el-Kader fut forcé de se retirer.
Les montagnards, se mettant de la partie, lui
firent éprouver quelques pertes.
Après Cette non-réussite, il revint à la deïra,
et la ramena en arrière. Les camps marocains
le suivaient de près ; et, comme toujours, en
voyant les chances tourner contre lui, les mon-
tagnards devinrent très-menaçants.
L'es deux partis restèrent en présence quel-
ques jours par un temps affreux ; une misère
horrible régnait à la deïra. Abd-el-Kader se
décida à regagner notre frontière, et la traversa
à l'embouchure de la Moulaïa.
Ce passage fut le théâtre d'une lutte héroï-
que. Quarante mille ennemis suivaient la re-
traite. Mille fusils restaient à Abd-el-Kader;
mais c'étaient les débris de ses vieilles bandes,
formées depuis huit ans par les épreuves les
plus rudes. Embusqués en avant du passage,
ils protégèrent la retraite tout le jour, et suivi-
rent la deïra ; mais ils payèrent ce succès par
le sang d'une partie des leurs. Les Marocains,
arrivés à notre frontière, s'arrêtèrent court et
cessèrent la poursuite; preuve évidente et re-
marquable du respect qu'ils portent à notre
drapeau national.
La deïra échappée aux Marocains, épuisée
de faim et de fatigue, était donc sur notre ter-
ritoire occupé par des colonnes dont elle con-
naissait depuis longtemps la vigueur et la
mobilité. Ses chefs prirent le parti d'implorer
la générosité française, et vinrent faire sou-
mission au général de Lamoricière.
Pendant ce temps, Abd-el-Kader, suivi de
quelques fidèles, songea fuir vers le sud ; il
arrive, le 21 à minuit, à un col appelé Kerbtns.
24
Mais ce col est gardé par des cavaliers qui
reçoivent ses éclaireurs à coups de fusil ; ce
sont des chasseurs au service de France.
Quel parti prendre?
Bien des sentiers lui restent encore, et il
peut fuir, car la nuit est sombre; mais l'instant
de la réflexion ou peut-être du décourage-
ment a sonné pour le chef; il se décide à dé-
tacher deux des siens en pourparlers. Ses en-
voyés sont reçus par le commandant de la
troupe opposée, le lieutenant de spahis Ben-
Khonia, qui vient en personne trouver Abd-el-
Kader,. et offre de conduire ses envoyés au
général de Lamoricière. Celui-ci, averti à
temps, venait lui-même précédé d'éclaireurs,
avec sa colonne. La nuit était noire, la pluie
tombait par torrents ; Abd-el-Kader, ne pou-
vant écrire, apposa son cachet sur un morceau
de papier et le donna à son émissaire pour
l'accréditer. Le général le reçut convenable-
ment et lui renvoya, comme preuve de bonnes
25
dispositions, une cachet apposé de même et
son sabre ; puis il établit son camp près de la
frontière, disposa ses gardes et attendit.
La nouvelle communication de l'émir se fit
longtemps attendre.
On la reçut vers onze heures du soir. Il
demandait des assurances, qui lui furent immé-
diatement données. Elles firent cesser ses der-
nières hésitations, et il promit de venir le
lendemain au marabout de Sidi-Brahim.
En effet, à l'heure dite, il vint se rendre à
ce même endroit, théâtre de son dernier suc-
cès et de la défense héroïque de cette malheu-
reuse troupe du colonel Montagnac, qui y
avait été anéantie le 23 septembre 1845, jour
pour jour, deux ans et trois mois auparavant!
Singuliers rapprochements que Dieu semble
se plaire à mettre entre les jours et les lieux de
triomphes et de revers.
Rappelons en peu de mots ce souvenir, car
il trouve ici sa place, ce me semble, et nul ne
26
peut me savoir mauvais gré de le retracer
aujourd'hui.
La colonne de l'ouest, 2e chasseurs à che-
val, quitta son bivouac, emmenant avec elle
M. l'abbé Suchet, du diocèse d'Alger, si hono-
rablement connu et aimé de l'armée ; après
avoir salué en passant le célèbre marabout de
Sidi-Brahim, elle est arrivée sur le mamelon
où tombèrent les deux premières compagnies
du 8e bataillon d'Orléans et l'escadron du 2e
hussards.
Des ossements et des vêtements épars çà-et-
là dans les broussailles et les touffes de pal-
miers-nains, témoignent encore de la lutte
glorieuse qui nous a coûté tant de sang. Une
tristesse profonde s'empara de tous; un autel
fut improvisé par le capitaine de génie, tout
auprès d'une fosse creusée fraîchement, et le
service divin commença au milieu d'un silence
religieux.
27
La messe achevée, M. l'abbé Suchet prit la
parole et commença ainsi :
«
Soldats français, vous le savez, quatre
cents de vos camarades, conduits par l'hon-
neur, poussés par un généreux courage, affron-
tèrent dans ce lieu même un ennemi dont leur
ardeur méprisa le nombre. C'est ici qu'un carré
de héros devint une enceinte de cadavres. Cha-
cun de ces buissons fut témoin d'un exploit....
chacune de ces pierres fut un lit d'agonie.
«
Ils sont là, et l'Arabe foule en paix leur
tombe solitaire.
«
Disons-leur un dernier adieu.
« Cet acte aura,
n'en doutez point, un heu-
reux retentissement parmi ces fiers musul-
mans que vos armes ont vaincus, mais non sou-
mis. L'Arabe croyant et aguerri connaît et re-
doute votre valeur; il admire et bénit votre
justice, mais il demande encore avec inquié-
tude où est votre Dieu ? Qu'ils viennent et qu'ils
contemplent ce spectacle que nous offrons en
28
ce moment au monde entier, et qu'ils osent
douter de votre foi. «
L'espace me manque pour retracer complè-
tement cette allocution noble et touchante;
mais ceux qui se sont trouvés en Afrique lors
de cette époque douloureuse se souviendront
toujours de l'imposante cérémonie qui eut lieu
en l'honneur des mânes de nos frères morts en
combattant à Sidi-Brahim; ils se rappelleront
avec un juste orgueil que là où les vociférations
de l'Arabe applaudissaient, en les insultant, à
la mort d'une poignée de héros, ils sont venus
en vainqueurs prier le ciel pour le repos de
leurs frères ; ils ont planté la croix sur la terre
qui les recouvre à jamais, en jurant de mourir
comme eux, et ils ont porté sur leurs baïon-
nettes, en face et en défi du croissant, le chris-
tianisme, symbole de toute civilisation.
Revenons au chef Abd-el-Kader.
Accompagné du colonel de Montauban et
du général de Lamoricière, Abd-el-Kader fut
29
amené à Nemours, où Son Altesse Royale
Monseigneur le duc d'Aumale^était arrivée le
matin par une mer affreuse. L'émir paraissait
exténué de fatigue, fort abattu, et son attitude
devant le gouverneur-général et ses paroles
étaient empreintes de respect et de cette su-
blime résignation que la religion musulmane
donne à ses adeptes.
Vers le matin, Abd-el-Kader a fait une dé-
marche très-remarquable, en ce qu'elle est le
symbole d'une renonciation complète à l'indé-
pendance et au pouvoir; il a amené au prince
son dernier cheval comme gage de soumission.
A quatre heures, il était embarqué avec ses
femmes et quelques serviteurs dévoués, à bord
du Solon, bâtiment sur lequel le duc d'Aumale
retournait à Oran. Arrivé à cinq heures du ma-
tin à Mers-el-Kebir, il est parti peu de moments
après pour Toulon.
Abd-el-Kader a demandé instamment, en
faisant sa soumission, et a posé comme condi-
30
tion, d'être transporté en pays musulman.
La traversée a été mauvaise, ce qui explique
le long temps que l'on amis à aborder.
Abd-el-Kader l'émir, sans être atteint du
mal de mer, s'est trouvé cependant fatigué du
mauvais temps, et assez indisposé pour ne point
sortir de sa chambre.
Quelques appartements du lazaret, destinés
à le recevoir, ont été préparés à la hâte. Abd-
el-Kader en a paru satisfait. Les gens de sa
suite observent à son égard le plus grand res-
pect. Tous marchent à une assez grande distan-
ce de leur chef, et nul ne lui adresse la parole.
Voici le nom des principaux personnages
débarqués au lazaret et formant la suite de l'ex-
émir.
Hadj-Abd-el-Kader-ben-Mehiddin,sa mère,
ses trois enfants en bas-âge et une suite de
vingt personnes.
Sa mère est fort âgée, et deux femmes l'ai-
dent à marcher.
31
Hadj-Mustapha-Ben-Tehami, cousin et beau
frère d'Abd-el-Kader, ses deux femmes et sa
suite.
Hid- Kadderiba-Mihhidin, kalifat, sa femme
et sa suite.
Plusieurs aghas de cavalerie et d'infanterie;
En tout : 61 hommes, 21 femmes, 15 en-
fants des deux sexes. Total, 97 personnes.
Un détachement de grenadiers fait le service
de l'ex-émir Abd-el-Kader.
Abd-el-Kader est un homme de taille ordi-
naire, d'une physionomie douce et un peu
mystique; son teint n'est point parfaitement
pur comme celui de beaucoup d'Arabes de
distinction; sa barbe est noire et peu fournie;
il a au milieu du front une légère marque de
tatouage, et n'accuse guère que trente-cinq ans,
malgré les fatigues et les périls incessants qu'il
a affrontés.
Abd-el-Kader est taciturne comme tous les
Arabes, et son caractère s'est encore assombri
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par la perte de sa favorite, pour laquelle il
avait composé, dit-on, cette jolie chanson
arabe que le colonel... a traduite en ballade.
Je citerai le premier couplet, car je l'ai entendu
chanter mainte fois à Paris :

Radoudja, ma maîtresse,
Que j'aime tes yeux !
J'aime aussi la tresse
De tes noirs cheveux, etc., etc.

Je ne veux point dire pour cela que l'ex-


émir ait renoncé à la poésie et à l'amour; les
femmes qui composent sa suite sont là pour
prouver le contraire.
Les Arabes ont cru et croient encore à la
puissance de leur chef; ils venaient à lui dans
leurs maux, dans leurs chagrins et dans leurs
joies, comme les Italiens vont prier à la Ma-
done, comme les bandits napolitains à San
Lorenzo, leur patron.
On raconte que la belle Radoudja lui avait
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été amenée par un de ses cavaliers, qui l'avait
trouvée pleurant et priant au bord d'une ci-
terne.
— Pourquoi pleures-tu, lui demanda Abd-
el-Kader ?
— J'ai du chagrin, répondit-elle fièrement.
— Pourquoi pries-tu, fit-il encore?
— Pour mon vieux père, qui est retourné
vers Mahomet, le grand prophète.
— Reste avec moi, lui dit le chef, car tu es
belle.
Et Radoudja,surnommée la Fille à la Tresse
d'ébène, resta ; et longtemps elle affronta les
mêmes dangers que son époux et son maître.
Abd-el-Kader est donc à Toulon.
Celui qui a passé dix années de sa vie dans
les déserts, dans les montagnes, rompu aux
fatigues, en proie aux émotions de la carrière
forte et aventureuse des Arabes; celui qui,
à l'aide d'une volonté de fer que la crainte
d'une défaite ne laissait point abattre, celui
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que quelques-uns ont comparé au Messie,
tant il était humble dans le bonheur et doux
aux jours de l'adversité ; Abd-el-Kader enfin
va vivre de notre vie civilisée, remplie d'exi-
gence et renforcée en hypocrisie ; il faudra
qu'il mette un mors et une bride à son impé-
tuosité guerrière; il faudra qu'il change le
sang arabe qui coule dans ses veines, contre
le sang français, plus calme, et que comman-
dent la convenance et la froide raison.
xVbd-el-Kader regrettera le beau ciel de
l'Afrique et l'air pur et vif de la liberté.
Comme à Paris l'on rit de tout, que reli-
gion, politique, infortune et triomphe, sont
portés sur un mot, je rapporterai ici ce qui se
disait hier dans un salon de l'Opposition.
« Un bon moyen de nous remplir de nos
Irais de guerre, insinuait plaisamment O..., ce
serait l'exploitation d'Abd-el-Kader : nous
avons bien été voir les sauvages Ioways moyen-
nant 2 fr. 50 c; que ne donnerait-on pas pour
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Voir, pour contempler de près le vaillant émir,
l'enfant chéri, le Benjamin du grand prophète,
le doux et mystique Abd-el-Kader!»
On affirmait hier qu'un gros banquier a
conçu l'idée d'offrir au gouvernement dix mil-
lions comptant, contre la permission d'avoir en
sa toute propriété le soumissionné.
Le gouvernement, dit-on, n'y seraitque trop
porté.
Après cela, osons dire qu'on ne rit plus en
France ! ! !

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