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De Blanche-Niaise à Blanche-Neige : sexisme et féminisme du personnage de


Blanche-Neige dans le conte de Grimm et deux de ses adaptations.

Article · February 2013

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Pierre-Marie Bonnaud
Le Mans
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De Blanche‐Niaise à Blanche‐Neige. 
Sexisme et féminisme du personnage de Blanche‐Neige dans le 
conte de Grimm et deux de ses adaptations.     
 
1
Ainsi que nous le prouve Heinz Rölleke , le conte Schneewittchen est un conte très
ancien, il remonte en effet aux mythes germaniques, et si le plus connu est sans nul doute celui
des frères Grimm, il faut garder en tête qu’il ne s’agit que d’une mise en forme de contes oraux
populaires que ces érudits ont patiemment recueillis. L’origine exacte du conte de
Schneewittchen des Grimm (ou Blancheneige en français) est par ailleurs assez trouble, d’aucuns
parlent de Marie Hassenpflug, d’autres de Ferdinand Siebert et Albert Ludewig Grimm tandis
que l’idée des gouttes de sang de la mère naturelle fait penser au conte nord-allemand Vom
Machandelbaum du peintre Philipp Otto Runge. Mais si sa genèse est complexe, ce conte de
1812 n’a rien perdu de sa force inspiratrice ainsi que nous le prouve les multiples adaptations
qu’elles soient cinématographique, théâtrale ou mêmes musicales. Nous avons choisi de mettre
en exergue cette actualisation en nous interrogeant sur le fait de savoir comment les adaptations
cinématographiques successives du conte de Blanche-Neige des frères Grimm par Walt Disney
et Rupert Sanders se font-elles les vecteurs audiovisuels d’un regard contemporain porté sur la
condition féminine au travers du personnage-titre ? Ou, en d’autres termes, de quelles manières
le conte de Blancheneige des frères Grimm de 1812 est-il actualisé pour porter un sexisme
d’époque dans son adaptation animée de 1937, puis pour se faire l’étendard de la revendication
féministe actuelle dans le film de Rupert Sanders en 2012 ? Plus complexe qu’il n’y paraît au
premier abord, le personnage de Blanche-Neige s’est évidemment retrouvé sur le divan du
psychanalyste où il s’est teinté des couleurs sexualiste de ce dernier mais au fil des années la
diversification analytique et l’évolution politico-économique ont permis de mettre en exergue
l’objectivation idéologique possible du personnage tout en ne perdant pas de vue le caractère
profondément chrétien de cette jeune princesse.

1. Blanche-Neige sur le divan : une psychanalyse


2
sexualiste .
1.1. L’hypersexualisation psychanalitique du
Blanche-Neige des Grimm : l’analyse misogyne d’une
initiation érotique à la féminité.
1.1.1. Analyse psychologique : Blancheneige, un
conte initiatique féminin.
Pour le journaliste psychologue et psychotérapeute Erik Pigani le conte des frères Grimm
décrit les étapes de la puberté chez la jeune fille3 :
                                                        
1   Heinz Rölleke (Hrsg.) : Die älteste Märchensammlung der Brüder Grimm. Synopsie de la version originale
écrite de 1810 et première édition de 1812. Fondation Martin Bodmer, Cologny-Geneve 1975, pages 244-265.
2
Dans le sens « système qui présente la sexualité comme principe. », Trésor de la langue française, 1971-
1994.
3
Pigani Erik, Ce que les contes nous racontent, www.psychologie.com, avril 2005.
  1 
La première reine fait tomber trois gouttes de sang sur la neige blanche4 avant de mourir
quelque temps plus tard en donnant naissance à Blanche-Neige : cette scène d’ouverture prépare
la jeune fille à un avenir qui fait écho à l'innocence de l'enfance se perdant dans le sang des
menstruations5, le début de la sexualité et donc la possibilité de concevoir. Tandis que le teint
blanc comme la neige de la jeune fille mettra l'accent sur son innocence, la couleur « aussi rouge
que le sang6 » de ses lèvres sera liée à la sexualité de la jeune fille. Néanmoins, Blanche-Neige
apparaît comme l'exact opposé de la seconde reine car elle n'est ni consciente de sa beauté, ni
apte à comprendre l'obsession de sa marâtre.
La jeune fille est réduite à sa beauté physique par l’animosité de son antithèse féminine et
par la mysoginie contemporaine, comme si une belle femme ne pouvait être intelligente,
Blanche-Neige est représentée comme terriblement naïve, naïveté qui ne lui épargnera pas les
attaques de sa rivale-marâtre. Elle ne considère pas sa beauté comme pouvoir avant d’être
épousée par le Prince7 et ne se rend donc pas compte de la jalousie de sa belle-mère. Elle paiera
d’ailleurs ce défaut de méfiance par sa mort. En effet, malgré les conseils des nains (qui sont par
ailleurs aséxués et chez qui Blanche-Neige fait son éducation de femme en s’occupant des tâches
ménagères et en attendant un hypothétique mari8 pour qui elle s’étouffe d’un désir matérialisée
par la pomme empoisonnée à la fois blanche et rouge : innocente et sexuelle comme la
princesse), la jeune fille manque tant de sagesse, est si peu expérimentée et si candide qu’elle est
incapable d’assimiler ou même simplement d’obéir à quelques mises en garde que ce soit9.
La peinture de la marâtre n’est pas non plus des plus féministe : jalouse de la beauté
fraîche, innocente et pure de Blanche-Neige, toute sa vie est tournée vers la peur de voir sa grâce
se fâner et vers à un miroir magique qu’elle caresse de flatteries10 pour tenter de se rassurer. Elle
est le prototype d’une vision misogyne (d’époque) de la femme effrayée de vieillir, l'œuvre du

                                                        
4
« elle se piqua le doigt avec son aiguille et trois gouttes de sang tombèrent dans la neige. » Grimm, Contes,
op. cit. p. 144.
5
Ici Erik Pigani ne fait que reprendre ce que Bruno Bettheleim avait signalé dans sa fondamentale
Psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, 1976, p. 268 : « Le conte prépare la petite fille à accepter ce
qui, autrement, serait un événement bouleversant : le saignement sexuel, la menstruation et, plus tard, la rupture de
l’hymen. En écoutant Blancheneige, l’enfant apprend qu’une petite quantité de sang (trois gouttes, le chiffre trois
étant celui qui, dans l’inconscient, est le plus étroitement relié au sexe) est la condition première de la conception :
ce n’est qu’après ce saignement que nait l’enfant. Ici donc le saignement (sexuel) est étroitement relié à un «
heureux » événement ; le jeune auditeur apprend, sans explication superflues, que sans le saignement, aucun enfant,
pas même lui, ne pourrait naitre.»
6
Ibid.
7
En effet, elle ne parvient à vaincre sa belle-mère que lorsqu’elle est mariée et que protégé par son mari elle
peut forcer sa marâtre à enfiler les « mules de fer ». Ou en d’autres termes, lorsqu’elle parvient à user de sa beauté
comme arme de séduction et d’influence.
8
Il nous paraît intéressant de signaler que la seule description du prince est « fils d’un roi » (p. 155). Jamais
on ne le lit décrit, nous ne savons donc pas s’il est jeune ou / et s’il est beau.
9
Dans l’édition des Contes de Grimm de Marthes Robert, Blanche-Neige est d’ailleurs comparée à un
« enfant » incapable de résister à un jouet (p. 152 « Il plut tellement à l’enfant qu’elle se laissa tenter et ouvrit la
porte. »), un « enfant » qui « ne se méfiait de rien » (p.152).
10
« Petit miroir, petit miroir chéri,
Quelle est la plus belle de tous le pays. » Grimm, Contes, op. cit. p. 145.
  2 
temps terni et amoindri son pouvoir de séduction, seule chose qu’elle possède11. Et elle, femme
narcissique et obsessive refuse cette fatalité. C’est ce que Erik Pigani appelle la « notion
morale12 » du conte initiatique : la mère, même si elle souhaite conserver sa beauté, doit céder la
place à sa fille pour que se construise l'identité féminine.
Et dans son refus de voir sa fille prendre sa place, ne supportant pas la rivalité, la
méchante reine incarne la mauvaise mère. Elle est décrite comme « une belle femme, mais fière
et hautaine »13 qui « ne pouvait pas souffrir que quelqu’un la surpassât en beauté14.». La seule
source de la méchanceté de la marâtre est son narcissisme œdipien.

1.1.2. Analyse psychanalitique : Blancheneige, un


conte œdipien.
Bruno Bettelheim15, souligne cette situation œdipienne16 mettant en conflit la mère et la
fille. L'ainée est restée à un stade narcissique 17 la rendant vulnérable. Son exemple sert
d'avertissement et invite donc le lecteur ou auditeur à dépasser ce stade. Mais l’histoire de
Blanche-Neige ne concerne pas seulement le narcissisme des parents mais aussi celui de l’enfant.
En effet, recueillie par les sept nains, personnages à la fois masculins mais peu menaçants
sexuellement, la jeune fille peut se développer dans un milieu sûr mais non sans être exposé à la
tentation narcissique ainsi que le remarque Betthelheim : « Le narcissisme de Blanche-Neige
risque de lui être fatal quand, par deux fois, elle cède aux tentations de la reine qui se présente à
elle sous un déguisement sous prétexte de la rendre plus belle encore18. »
La dernière tentation, celle de la pomme, représente pour Bruno Bettelheim le moment où
l'adolescent accepte d'entrer dans une sexualité adulte c’est-à-dire le moment où il devient
pubère. Suit une période de latence (la mort qui est en réalité un coma) qui lui permet d'attendre
en toute sécurité que sa maturité psychique jointe à sa nouvelle maturité physique lui donnent
enfin accès à une sexualité adulte.
Blancheneige est donc un conte qui explique à l’adulte que « seule l’acceptation de
l’enfant tel qu’il est, c’est à dire ni en tant que rival, ni en tant qu’objet d’amour sexuel, peut
                                                        
11
En réalité elle possède bien plus que sa simple beauté puisqu’elle maîtrise les arts magiques. Mais, elle ne
s’en sert que pour parvenir à conserver sa grâce physique, comme si elle niait le savoir, la sagesse inhérente à
l’expérience pour rester jeune et donc belle.
12
Pigani Erik, Ce que les contes nous racontent, op.cit.
13
Grimm, Contes, op. cit., p.144
14
Ibid.
15
Psychanalyse des contes de fées, « Blanche Neige », Paris, Robert Laffont, 1976, p. 255-294.
16
« Blanche neige nous raconte comment une mère, la reine, se détruit par jalousie à l’égard de sa fille qui
devient de jour en jour plus belle qu’elle. Dans la tragédie grecque, Œdipe est finalement détruit par les complexes
auxquels on a donné son nom ; sa mère Jocaste, y laisse la vie ; mais le premier de tous, Laïos, le père d’œdipe,
craignant d’être supplanté par son fils, est à l’origine du drame qui les engloutira tous. Le mythe et le conte ont le
même thème central : la jalousie du roi pour le premier, de la reine, pour le second, envers leur enfant (…) A en
croire le mythe quiconque, par l’effet du hasard ou par son propres désirs, s’engage trop profondément dans une
situation “œdipienne” doit être détruit. » ibid., p. 246.
17
« L’attitude de la reine devant son miroir rappelle le vieux thème de Narcisse, qui finit par se laisser engloutir par
l’amour qu’il avait de lui-même. » ibid., p.256.
18
Ibid., p. 256.
  3 
permettre de bonnes relations entre les parents et leurs enfants, et entre frères et sœurs (…)19», et
à l’enfant « qu’il ne doit pas avoir peur de la jalousie parentale, parce qu’il réussira à survivre,
malgré les complications que ces sentiments peuvent créer momentanément (…)20 ». Mais aussi
la peinture de deux objets hypersexualisés en maturation et soumis à un narcissisme réducteur
que Bruno Bettheleim et Marie Louise Van Franz21 22 dans sa lignée semblent penser inhérent à
la qualité de femme. Le psychanaliste va même encore plus loin lorsqu’il suggère que le miroir
magique révèle l’ombre jungienne23 : la part maléfique de la reine, mais aussi son potentiel de
cruauté à Blanche-Neige24.

1.2. La Blanche-Neige animée à l’épreuve de la


psychanalyse : une soeur-mère onaniste.
Pour des raisons évidentes, les analyses psychanalitiques du dessin-animé en lui-même
sont bien moins nombreuses que celle du conte. Ainsi, il nous apparaît intérressant de proposer
un panorama pertinent des quelques études spécifiques à Blanche-Neige et les sept nains tout en
admettant comme postulat que ce qui s’applique au conte (les analyses de Bettelheim) peut aussi
s’appliquer à son adaptation.

1.2.1. Transposition indentificatoire : Blanche-


Neige, une grande sœur, une mère.
Dans leur surprenant ouvrage Blanche-Neige, les sept nains et... autres maltraitances. La
croissance empêchée 25 , Danielle Rapoport et Anne Roubergue-Schlumberger mettent en
parallèle l'enfance difficile de Walt Disney, les maltraitances infantiles et l'utilisation des
personnages des nains dans Blanche-Neige.
Partant du constat qui note que lorsque l’environnement d’un enfant ne répond pas à ses
besoins émotionnels et éducatifs, sa croissance se ralentit26 pour remarquer que Walt Disney,
                                                        
19
Ibid., p. 251.
20
Ibid., p. 247.
21
Franz Marie-Louise Van, L'interprétation des contes de fées, J. Renard éd., coll. « La Fontaine de Pierre »,
1978.
22
Franz Marie-Louise Van, La femme dans les contes de fées, Albin Michel, coll. « Espace Libre », 1980.
23
« L’ombre est quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non
d’absolument mauvais. » « Il n’y a pas de lumière sans ombre et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie
nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni
progression, ni ascension. », Jung Carl Gustav, L'Âme et la vie, Livre de Poche, 1995.
24
« Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des
démarches qu'exige notre passage de l'immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de
fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d'abord refléter notre image ; mais derrière cette image,
nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec
lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts. (…)Les mythes mettent en scène des personnalités
idéales qui agissent selon les exigences du surmoi, tandis que les contes de fées dépeignent une intégration du moi
qui permet une satisfaction convenable des désirs du ça. »
25
Rapoport Danielle et Roubergue-Schlumberger Anne, Blanche-Neige, les sept nains et... autres
maltraitances. La croissance empêchée, Belin, coll. « Naître, grandir, devenir », 2003
26
« Lorsqu'un enfant souffre d'un manque de relations affectives et que son environnement ne répond pas à
ses besoins émotionnels et éducatifs, sa croissance se ralentit. La taille et le poids sont touchés, mais aussi le volume
  4 
enfant maltraité, projete dans ses films les terreurs et les insécurités de son enfance. Transposant
un nanisme psychosocial27 d’avant l’heure, Walt Disney transforme les sages petits vieillards du
conte de Grimm en nains isolés, accueillant Blanche-Neige non plus comme une princesse
puérile, mais comme une « grande sœur maternante, compétente et belle qui illuminera leur
vie28 ».

1.2.2. Christophe Bormans 29 et l’analyse


freudienne : Blanche-Neige onaniste, Blanche-Neige
jouisseuse.
Pour le psychanalyste la question que pose le dessin animé de Disney et celle de la
difficulté de la résolution du complexe d’Œdipe de la petite fille, celui qui, selon Freud, « recèle
un problème de plus30 ». En d’autre termes, Blanche-neige et les sept nains met en scène la
difficulté pour la petite fille de réaliser l’abandon de l’investissement libidinal pour sa mère car
elle n’a pas d’organe phallique à sauver. Le dessin animé s’interroge sur le fait de savoir
comment une petite fille, n’ayant rien a perdre, va renoncer à sa mère pour choisir son père
comme nouvel objet libidinal.
Pour Bormans, et Freud à travers lui, la scène du puit dans le dessin animé est une scène
découverte de différence des sexes. Constatant le trou, le creux, en d’autres termes l’absence de
pénis que suggère le motif du puit31, ce qui fait naître un sentiment d’infériorité chez la
princesse32. Son destin se fait écho de se sentiment de dégradation et de diminution, de cette
blessure narcissique, dûe à l’absence d’un pénis : Blanche-Neige est ainsi présentée en haillons,
assignée des tâches basses et dégradantes. La multiplication des colombes, animaux volants,
autour du puit33renvoit certainement au pénis manquant.
Constantant la différence anatomique sus-nommée, la petite fille se détourne de la mère
comme objet d’amour et cherche un substitut ainsi que le montre la chanson que chante Blanche-

                                                                                                                                                                                   
de son cerveau, sa vision, son sommeil et donc la sécrétion nocturne de l'hormone de croissance, ainsi que le
développement de son intelligence. », Ibid.
27
« C’est un nanisme harmonieux auquel sont généralement associés des troubles fonctionnels et
comportementaux, en particulier des troubles du sommeil, une potomanie, une polyphagie. La reprise de la
croissance, spectaculaire au bout de quelques jours d’hospitalisation, permet d’établir le diagnostic. Cet arrêt de
croissance est dû à un blocage fonctionnel de la sécrétion de S.T.H. (ou hormone de croissance) et de la
somatomédine, avec la participation éventuelle d’une carence nutritionnelle.» objectif de module : Maltraitance et
enfant en danger, D. Sibertin-Blanc, C. Vidailhet. Université de Rouen, p. 6.
28
Ibid.
29
Bormans Christophe, « Blanche-neige et les sept nains : L’Œdipe de la petite fille et la rivalité avec la
mère », Psychanalyse des contes et dessins animés (Walt Disney expliqué aux adultes) disponible en fragments sur
http://www.psychanalyste-paris.com.
30
Freud Sigmund, « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes » (1923),
La Vie sexuelle, PUF, Bibliothèque de Psychanalyse, Paris, 1969, p. 125-132.
31
Annexe 2
32
« D’emblée elle a jugé et décidé. Elle a vu cela, sait qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir » (Sigmund Freud,
« Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes » (1923), La Vie sexuelle, PUF,
Bibliothèque de Psychanalyse, Paris, 1969, pp. 125-132.
33
Annexes 2 et 3
  5 
Neige dans le dessin animé34 et ce substitut sera évidemment le prince charmant. Cependant
Lorsque le prince escalade le mur35 et vient la retrouver, Blanche-Neige s’enfuit : elle n’est pas
prête pour l’acte sexuel que symbolise l’escalade : elle est encore une petite fille en plein
développement de sa recherche sexuelle et d’une activité onaniste. Pour conforter cette idée
Bormans remarque que lors de sa première scène, Blanche-Neige lave les marches36 (en y
prenant un manifeste plaisir) ce qui est un évident symbole de masturbation37.
Le personnage de Blanche-Neige selon le psychanalyste est tout entier guidé par ses
pulsions et sa libido, rien n’importe plus, au premier abord, pour la jeune fille que son activité
onaniste. Cependant, après avoir balayé la maison des nains (comprendre son psychisme), cette
libido évolue et Blanche-Neige va se réveiller face à un nouveau désir : les nains. Représentants
du pénis, ils apportent un plaisir libidinal à la princesse ainsi que nous le montre la scène dite de
la tyrolienne des nains38. Constation à laquelle Bormans ajoute :

Travailleurs infatigables comme le membre masculin idéal, ils piochent inlassablement dans la terre. Au
fond de la mine et ses galeries, ils découvrent des pierres précieuses : diamants et rubis qui serviront à
faire les plus beaux bijoux et parures féminines, constituant autant de trésors symbolisant la jouissance
féminine qui découle de cette activité souterraine. 39

                                                        
34
« Je souhaite (écho)
Voir celui que j’aime.
Et qu’il vienne (écho)
Bientôt. (écho)

Je l’attends, (écho)
Je rêve aux doux mots,

Aux mots tendres (écho)


Qu’il dira. (écho)

Je souhaite (écho)
Voir celui que j’aime.
Qu’il me trouve (écho)
Bientôt. »
35
Annexe 4.
36
Annexe 5.
37
« Marches, échelles, escaliers, en l’occurrence le fait de s’y déplacer, et ce aussi bien vers le haut que vers
le bas, sont des présentations symboliques de l’acte sexué. » Freud Sigmund, L’Interprétation du rêve, Œuvres
complètes, Psychanalyse, volume IV : 1899-1900, PUF.
38
Annexe 6
39
Bormans Christophe, op. cit.
  6 
Puis il note que Blanche-neige « prend en charge de manière active sa féminité40 » en
faisant les travaux ménagers chez les nains, elle surmonte en quelque sorte le motif de la jalousie
maternelle et en profite pour reconnaître le pouvoir séductif inhérent à sa qualité de femme.
Enfin la fin de la période de latence où Blanche-Neige, dans le coma (elle est glacée,
symbole clair de la frigidité) se réveille grâce à un baiser du prince symbole l’éveil de la jeune
fille à la puberté, l’acception pleine et entière de sa sexualité et de l’objet désir. Ainsi que le dit
Freud : « la pulsion sexuelle se met à présent au service de la fonction de reproduction ; elle
devient pour ainsi dire altruiste41 », ou en d’autres termes : ils se marièrent et eurent beaucoup
d’enfants.
La vision du psychanalyste freudien, Christophe Bormans, quant au personnage de
Blanche-Neige de Blanche-Neige et les sept nains de Walt Disney nous paraît être un parti pris
réducteur. En effet, il nous semble que réduire le personnage de Disney à son unique sexualité,
laquelle ne semble d’ailleurs se résumer qu’à l’interrogation de la vie libidinale sans pénis, au
travers d’analyses touchant parfois au sexisme n’est pas représentatif de sa complexité. La
mutliplicité interprétative de notre étude l’illustre d’ailleurs fort bien.

1.3. Une désexualisation de l’héroïne du film au profit


d’un symbolisme féministe : une Blanche-Neige
iconoclaste42.
Le film de Rupert Sanders réécrit et réduit le conte originel au profit d’un renversement
féministe des scènes cultes. Nous sommes face à une actualisation iconoclaste mais, selon nous,
nécessaire de l’histoire. L’exemple le plus parlant est sans aucun doute la scène de rencontre
avec les sept nains : fuyant un massacre, Blanche-Neige et le chasseur se retrouve dans une forêt
où ils sont tabassés par des assaillants masqués et finissent supendus par les pieds43 : la jeune
fille est alors considérée comme l’égal de l’homme et plus encore, l’égale du guerrier puisque
traitée de même44.
De plus, le fait que Blanche Neige dise au chasseur : « vous n’aurez jamais mon
45
cœur . »lui donne une assurance féministe. La jeune fille n’est pas effrayée par le masculin et en
tant que femme, elle est libre de décider de ses choix et de la personne qu’elle aime46. Mais cette
réplique est plus vaste, car en plus de s’émanciper la Blanche-Neige de Sanders se revendique
femme, par cette phrase elle explique au chasseur que sa simple position d’homme l’empêche de

                                                        
40
Ibid.
41
Freud Sigmund, « Les métamorphoses de la puberté », Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Paris,
Gallimard, Coll. « Folio-essais », 1987, p. 143
42
Texte librement inspiré de Salome Charlene, « Bon vent Blanche-Neige. Blanche-Neige Et Le Chasseur :
trahir pour mieux servir ? », www.vodkaster.com, 21.06.2012.
43
Annexe 9.
44
C.f. 3.3 pour plus d’information sur le caractère guerrier de cette vision du personnage de Blanche-Neige.
45
Sanders Rupert, Snow White and the Huntsman, , Etats-Unis, Universal pictures, 2012.
46
On remarquera d’ailleurs que le mariage est remplacé par une scène de couronnement symbole évident de
la consécration de Blanche-Neige comme femme de pouvoir.
  7 
ressentir les choses comme elle les ressent, elle est femme et cela étant, elle est à la fois libre et
l’égale de l’homme mais différente de par sa sensibilité.
Enfin On remarque l’ajout d’un symbolisme féministe très fort au conflit
intergénérationnel primaire 47 . Ravenna 48 , la seconde-mère prend le statut d’une femme
vengeresse, punissant par projection le seigneur qui abusait des femmes de son village49. On peut
y voir sans aucun doute la lutte féministe contre le droit de cuissage. Cependant, le sortilège50 de
protection qui la rend si puissante et lui permet de rester la plus belle (comprendre jeune), en
aspirant la beauté, est maternel, ses pouvoirs sont autant un don qu’une malédiction. Son combat
est vicié car sa lutte semble lui être imposée par une mère revancharde. Son choix du mal n’est
en réalité qu’un mal / mâle subit. Un passage de ce sortilège retient particulièrement notre
intention : lorsque la mère entaille la main de sa fille, trois gouttes de sang en tombent51. Ainsi la
mère de Ravenna créée non-seulement une femme maléfique mais aussi le double négatif de
Blanche-Neige : tandis que le trois gouttes de sang de la mère de la princesse sont tombés par
hasard dans la neige52 pour faire naître l’amour, les trois gouttes de sang sont prises à Ravenna
pour faire naître la haine. L’une est née de la nature et du hasard, l’autre de l’homme et du
destin.

Quelle que soit l’époque qui le réactualise, la psychanalyse fera toujours du personnage
Blanche-Neige une femme-vagin. Or la réduction de ce personnage à son attribut sexuel voire
reproductif peut selon nous s’apparenter à une objectivation et en autoriser une encore plus
flagrante.

2. L’objectivation de Blanche-Neige : le personnage-


outil porteur d’un motif.
2.1. L’objectivation artistique de Blanche-Neige chez
les frères Grimm : une négation sexiste de sa qualité même
de personne humaine53.
Dans le début du conte, les frères Grimm décrivent la « naissance » de Blanche-Neige
tout d’abord comme un projet esthétique. La mère génétique de Blanche Neige a en effet
l’« idée » de créer Blanche-Neige suite à un événement soudain qui trouble son appréhension de
                                                        
47
Nous ne développerons pas l’évident symbolisme du village des scarifiées, ce village exclusivement
féminin dans lequel se réfugie Blanche-Neige et détruit à l’arrivée des hommes : il s’agit clairement de la
dénonciation du viol et de son impact sur la psychologie féminine.
48
Bien que notre étude porte sur le personnage de Blanche-Neige, il nous paraît impossible de faire l’impasse
sur un personnage aussi important que celui de la belle-mère. Elle permet de comprendre l’ambiance féministe
générale du film.
49
Annexe 10.
50
“Your beauty is all that can save you, Ravenna. This spell will make your beauty your power and your
protection.”
51
Annexe 10.
52
Annexe 11.
53
Cette analyse est librement inspirée de la conférence-performance de Pauline Colonna d’Istria et Florian
Gaité au Centre Pompidou le 23 juillet 2010 et intitulée : « Le foie et le poumons : Digérer Blanche-neige? »
  8 
l’univers : « Et tandis qu’elle cousait ainsi et regardait neiger, elle se piqua le doigt avec son
aiguille et trois gouttes de sang tombèrent dans la neige54. » Cet évènement est à l’origine d’un
choc esthétique semblable à celui que l’on rencontre dans des récits d’artistes (on pense à Dali et
à son Journal d’un génie). À la reine de s’écrier « Oh, puissé-je avoir une enfant, aussi blanche
que la neige, aussi rouge que le sang et aussi noire que le bois de ce cadre ! 55 ». Le projet de
Blanche-Neige est né, et en toute logique, la concrétisation de ce dernier prend forme peu de
temps après.
Le problème avec le monde de l’art c’est que c’est un monde très concurrentiel56 et il
n’est pas rare que des artistes au travail assez proche entrent dans une forme de concurrence
relativement malsaine où ils se mettent à détester le cœur de l’œuvre de l’autre. Une fois la
première mère-reine morte survient une seconde mère-reine qui hérite malgré elle du « travail »
de son prédécesseur : à savoir le « chef-d’œuvre » Blanche-Neige. Se considérant elle-même
comme « chef-d’œuvre » et confortée dans cette idée par le miroir magique qui se fait pour
l’occasion critique d’art la mauvaise reine n’aura de cesse que de vouloir éliminer le
meisterstück de sa prédécesseure.
Contrairement à leur adaptation animée de Walt Disney, les nains des Grimm sont une
masse, aucune personnalité individuelle ne leur est accordée. Ils sont apparentable à une tribu
sylvestre créant la contemplation esthétique de la mort grâce à son exposition dans un autre
« white cube 57 » : le cercueil de verre. Cette composition funéraire révèle la capacité de
conceptualisation créative de personnages que l’on pensait bornés à une inventivité « primitive »
tant leur première approche de Blanche-Neige avait été strictement utilitariste58. Cependant ce
choix créatif magnifiant la beauté d’une morte est tout autant négation de la qualité humaine de
la jeune princesse que l’était sa réduction précédente59. Blanche-Neige est objectivée par les
nains et donc par extension, les hommes. Cette constatation trouve sa seconde justification dans
la scène qui suit la mise en bière de notre héroïne. En effet, Blanche-Neige comme œuvre d’art
trouve acquéreur en la personne du prince qui subit tout comme les nains et la première mère-
reine un choc esthétique en voyant la gisante dans son écrin.

                                                        
54
Grimm, Contes, Marthes Robert, Paris, Gallimard, Folio, 1986, p.144.
55
Ibid. p.144.
56
Ainsi que le développe Pierre Michel Menger dans son ouvrage Portrait de l’artiste en travailleur, Paris,
Seuil, La République des idées.
57 Dans Inside the White Cube : The Ideology of the Gallery Space, San Francisco, First University of
California press edition, 1999 Brian O’Doherty explique que le « white cube » est une présentation de l’espace
d’exposition moderniste censé refléter l’idéal de ce dernier dans sa quête de pureté et surtout d’autonomisation de
l’œuvre d’art. Le « white cube », est l’opportunité pour l’œuvre de s’exprimer sans les entraves de la contingence
imposée par le monde « extérieur ».
58
Les nains lui dirent : « Si tu veux t'occuper de notre ménage, faire la cuisine, les lits, la lessive, coudre et
tricoter, tu peux rester chez nous, tu ne manqueras de rien. » Grimm, Contes, op.cit. p. 148-149.
59
C.f note 5. Cependant, si la scène traitée précedemment était une réduction utilitariste de la jeune fille,
cette scène-ci, est encore pire en cela qu’elle réduit Blanche-Neige à une gemme dans un écrin. Blanche-Neige
morte devient chef-d’œuvre des nains comme si ces derniers avaient détérré une pierre tellement extraordinaire
qu’elle ne pouvait retourner à la terre (n’oublions pas que Blanche-Neige est née de la neige) et devait être exposée,
dans une considération égoïste exclusivement esthétique et artistique, au yeux du monde
  9 
Le prince fini d’objectiver Blanche-Neige lorsqu’il dit aux nains : « Laissez-moi
ce cercueil je vous donnerai tout ce que vous voulez en échange.» Devant le premier refus des
nains à vendre60, il se comporte alors comme un collectionneur obsessif et se met à négocier à la
manière d’un acheteur d’art en déclarant aux nains qui ne veulent pas se défaire de l’artefact
Blanche-Neige 61 : « En ce cas, faites-m’en cadeau, car je ne peux pas vivre sans voir
Blancheneige, je le vénérerai et le tiendrai en estime comme mon bien62 le plus cher63 ».
Le drame survient alors lors du transport de l’œuvre qui se brise. Blanche-Neige
se réveillant redevient une mortelle, c’est-à-dire une non-œuvre d’art, une simple princesse. La
réaction du prince est immédiate, il va nier de nouveau la qualité d’individu à part entière de la
princesse et à Blanche-Neige qui demande « Ah Dieu, où suis-je64? » il répond mécaniquement65
« Je t’aime plus que tout au monde ; viens avec mo au chateau de mon père, tu seras ma
femme66. » Cependant, il n’est pas certain qu’un mariage avec un ex-chef-d’œuvre (re)devenu
princesse67 puisse parvenir à combler le souvenir du premier choc esthétique du prince.

2.2. L’objectivation marketing de Blanche-Neige chez


Walt Disney : le rêve projeté de l’ascension sociale68.
« Les femmes Disney sont incomplètes sans un homme69. » Comme toute les héroïnes
Disney Blanche-Neige a besoin d’être secouru par un homme et d’entrer dans sa vie pour vivre
                                                        
60
« Nous ne vous le céderons pas pour tout l’or du monde. » Grimm, Contes, op.cit. p. 154-155. Les nains se
placent alors entièrement dans la position de l’artiste refusant de fixer un prix sur sa création et trop attaché à son
œuvre pour la mettre sur le marché.
61
Artefact auquel le cercueil transparent donne une forte valeur ajoutée puisqu’il joint le savoir faire des
nains à la beauté naturelle de la princesse.
62
Le mot parle de lui-même, le prince ne peut pas aimer une jeune fille qu’il ne connait pas, cependant il veut
la posséder dans une logique toute capitaliste, afin de privatiser sa contemplation. Elle n’est qu’un bien de plus et
certainement pas une personne humaine.
63
Grimm, Contes, op.cit. p. 155.
64
Ibid. p.156.
65
On pour reprendre William Shakespeare: “thy love did read by rote and could not spell.” Roméo and
Juliette, act. II sc. III, The Plays and Poems of William Shakespeare with the corrections and illustrations of various
commentators, London, C. Baldwin, 1821 p.95.
66
Grimm, Contes, op.cit. p. 156.
67
Qui dit princesse dit humaine et même si elle était un chef-d’œuvre pour sa mère et la mauvaise reine, sa
mort-objectivante l’avait rendue œuvre d’art définitive, à la fois non-soumise aux affres du temps et non-
soumettante car non-décidante. On pouvait la nier pour la contempler uniquement ce qui n’est plus le cas avec son
réveil : le prince devra prendre en considération sa qualité de femme bien que le mariage immédiatement proposé
(imposé ?) puisse s’apparenter à une tentative d’atténuation voire d’étouffement d’une quelqueconque démarche
d’émancipation féminine.
68
Texte librement inspiré des analyses de Kathi Maio : “Disney’s dolls”, New Internationalist, no308, 5
décembre 1998 et du professeur Tala El Hallak de l’université américaine de Beyrouth, “Disney film analysis: Snow
White and the Seven Dwarfs”, disponible sur le site http://talaeh.wordpress.com/disney-film-analysis-snow-white-
and-the-seven-dwarfs/
69
Lamb Sharon, Brown Lyn Mikel, Packaging Girlhood: Rescuing our Daughters from Marketers’ Schemes,
St. Martin's Griffin, 2007, p. 66-71. Les auteurs ajoutent aussi d’autres constatations amusantes et tout à fait
susceptibles de s’appliquer à Blanche-Neige parmis lesquelles : “Disney girls are women with Barbie doll bodies.” ;
“Disney girls mother and do the housework.” ; “Disney girls have lovely voices.” ; “Disney girls have no support
systems.” ; “Disney girls can't resist a mirror.” ; “Disney girls are innocent.”
  10 
la sienne. Elle charrie, comme Cendrillon ou d’autres, une idée de femme incapable de vivre sa
vie sans un homme. Cette pensée a de grands risques d’affecter les jeunes filles lesquelles se
projettent dans un personnage véhiculant l’idée que les femmes sont faibles et qu’elles doivent se
marier pour trouver le vrai bonheur. Quand le film commence, Blanche-Neige chante son souhait
d’amour70 et ne pense qu’à son beau prince durant l’intégralité du film. Prince qui n’apparaît
d’ailleurs que deux fois, où est-il le reste du temps? La question reste ouverte.
Autre fait porteur d’un message risqué : l’épanouissement de Blanche-Neige comme
femme d’intérieur. En effet, peu importe qui vit dans cette maison perdue en plein cœur des bois,
elle est sale et doit être nettoyée. Le message est clair, il s’agit d’enseigner aux petites filles /
futures femmes l’importance de tenir une chambre / maison propre et soignée et puis le ménage
doit être agréable puisque Blanche-Neige nettoyant chante et sourit en permanence71 que ce soit
dans le dessin animé lui-même ou dans les produits dérivés72 (ou d’ailleurs elle ne porte plus de
haillons). De plus comme le signale Kathi Maio : « La corvée domestique ne la déconcerte plus
depuis qu'elle est sûre qu'un bonhomme canon de la noblesse va, bientôt, venir et la sauver73 ».
En conclusion, la stéréotypisation de Blanche-Neige (semblable à celle de toutes les
femmes Disney) apprend au public à penser d’une certaine façon. Cette influence se perçoit
quand vient l’heure du marketing : tous les produits dérivés Disney sont relatifs à l’héroïne, ce
qui incite d’autant plus l’enfant à s’identifier. La Blanche-Neige de Disney est destinée à
transmettre des valeurs mysogynes à l’enfant et ainsi à perpétuer le schéma familial en vogue
dans l’Amérique des années 40.

2.3. L’objectivation écologique de Rupert Sander 74 :


une Blanche-Neige pré-chrétienne référentielle75.
Comme Terry Gilliam dans Les Frères Grimm, Rupert Sanders revient aux origines
primaires du conte76 : il fait s’inscrire le récit dans une époque médiévale très sombre, où
christianisme et paganisme s’ont encore mêlés. La saturation des réferences relatives à l’héroïc-
fantasy n’étonne alors pas : on pense au Seigneur des anneaux de Tolkien adapté par Peter
Jackson sur certaines scènes de batailles.
Le personnage de Blanche-Neige par Sanders se présente comme héroïne pré-chrétienne
imbibée de référence tant à l’héroïque-fantasy qu’aux fables écologiques actuelles (Avatar de
James Cameron). En effet, on constate rapidement que si la jeune fille est presque constamment
entourée d’une nature verdoyante qui s’ouvre à elle, l’accueillant comme une libératrice et une

                                                        
70
C.f note 66.
71
Annexe 7.
72
Annexe 8.
73
“Snow White is young, virginal, pretty, sweet-natured and obedient. Domestic drudgery doesn’t faze her
since she is sure that a handsome owning-class chap will, someday soon, come and save her.”, Kathi Maio, op. cit.
74
Nous nous sommes aussi aidé de la novélisation du film de ce dernier par Blake Lily, Snow White and the
Huntsman, Hachette UK, 2012
75
Texte librement inspiré de l’analyse “Snow White and huntsman : an analysis” disponible en ligne sur
http://fairyweekly.tumblr.com, 10.07.2012.
76
Et non du mythe qui remonte selon toute vraisemblance bien plus loin.
  11 
protectrice 77 , Ravenna quand à elle est constamment entourée de métal et de pierre, de
construction froide et vide78. Si la jeune fille devient une sorte d'héroïne écologique c’est parce
qu’elle est chargée par la Nature d'éliminer une sorcière qui a tout d'un promoteur immobilier.
Quand à la symbolique pré-chrétienne elle est évidente : la Blanche Neige de Sanders
charrie à la fois une croyance chrétienne qui lui fait réciter une prière à Dieu dans sa cellule et
une croyance ancestrale païenne lui permettant d’accéder à la forêt des fées (on remarquera
l’influence celtique) puis faire face a un cerf79 qui était associé au culte de Cernunnos80 le dieu
païen symbolisant la mort et la résurrection des gaulois81.

Cette objectivation du personnage de Blanche-Neige est particulièrement influencée par


les préoccupations sociétale contemporaine, ce personnage devient mythe car davantage symbole
que réellement humain. Or, et la chose est admise, pas un mythe de notre société ne passe au
travers du filet chrétien. Blanche-Neige reste, quelle que soit l’époque, profondément influencée
par l’imagerie chrétienne.

3. Blanche-Neige et l’église : une héroïne influencée


par l’imagerie chrétienne.
3.1. La Blanche-Neige du conte comme figure
renouvelée d’Ève : un féminin à l’épreuve de la croyance.
Le conte de Blancheneige commence réellement à la mort de la première mère-reine, la
génitrice de la princesse qui se trouve alors expulsé hors du paradis originel, de nouveau mise au
monde. Le père, absent82, représente le créateur ou en d’autres termes, Dieu. La belle-mère,
seconde-reine, elle, est l’image du nouvel état d’existence, l’héritage de la chute originelle de
Blanche-Neige dans le monde mortel (dans tous les sens du termes), elle est le serpent biblique
d’autant plus qu’elle est celle qui tendra le fruit interdit à la jeune femme.
Cette affiliation entre la reine-sorcière et le démon est encore plus violente lorsque l’on
prend en compte son obsession à vouloir être la plus belle, obsession qui n’est pas sans rappeller
la tradition biblique selon laquelle Lucifer avant sa chute fut le plus beau de tous les anges. La
substitution du marcassin à Blanche-Neige qu’effectue par le chasseur est évidemment l’exemple
même du symbolisme chrétien. Un animal innocent donne sa vie pour sauver la jeune femme.
Comment alors ne pas l’apparenter Jésus Christ donnant sa vie sur la croix pour sauver les
hommes.

                                                        
77
La forêt des fées en est l’exemple flagrant. Annexe 12.
78
Annexe 13.
79
Annexe 14.
80
Annexe 15.
81
On peut signaler pour mémoire qu'à l'époque protohittite il existait déjà dans la civilisation du Hatti un
culte du cerf.
82
On ne fait mention du roi (et non du père) qu’une unique fois : « Un an plus tard, le roi prit un autre
épouse. », Grimm, Contes, op.cit. p. 144.
  12 
3.2. La simplification puritaine de Disney : Blanche-Neige,
une ravissante idiote chrétienne.
Le 9 août 193483 un note interne aux studios précise que le scénario version Disney devra
être : « une romance avec une héroïne attirante et un héros, la menace d'un horrible méchant ; la
comédie et la bonté des nains, une fin heureuse, une histoire éternelle du folklore familière du
public mondial »84. Ce qui est une simplification terriblement manichéiste du conte quand même
bien plus complexe des Grimm : pour Walt Disney, ce qui compte est la jalousie de la Reine
envers une Blanche-Neige innocente 85 . Ce qui permet d’expliquer par exemple le choix
d’individualiser les nains comme autant personnalités86 stéréotypées87.
En septembre de la même année un autre script précise:
‐ « La reine ne se déguisera plus en vendeuse mais se transformera en
88
sorcière . » Cette transformation de la reine en sorcière au lieu d’un déguisement de
sorcière s’explique non seulement de par l’influence capitalistique américaine (dans le
monde du « Dieu Dollar89 » un vendeur ne peut pas être maléfique) de plus le choix de la
sorcière permet de caractériser et de caricaturer le mal dans une vision manichéiste
inspirée du puritanisme ambiant.
‐ « On assistera à une seule tentative de meurtre par le chasseur et une
d'empoisonnement avec la pomme90. »Ces deux tentatives de meurtres sont autant de
choix desservant le personnage de Blanche-Neige, si elle comprend que le chasseur veut
la tuer dans le conte des frères Grimm. En revanche dans le dessin animé éponyme c'est
le chasseur qui est obligé de lui expliquer ce qu'il se passe. L’empoisonnement unique
avec la pomme (plutôt que le choix de trois tentatives) permet aux studios d’accentuer la
figure chrétienne de pécheresse cédant à la tentation de façon plus explicite que dans le
conte (dans lequel elle est davantage perçue comme narcissique).
‐ « La léthargie de la princesse sera achevée dans un baiser donné par prince
et non par le rejet du morceau de pomme lors de la chute du cercueil91. » Ce dernier
                                                        
83
« Aux origines de l'œuvre : La production du film », texte disponible sur le DVD 2 de Blanche-Neige et les
Sept Nains - édition collector Zone 2, David Hand, Walt Disney Production, 2001 (date originale 1938).
84
Bob Thomas, Disney's Art of Animation : From Mickey Mouse to Beauty and the Beast, New York,
Hyperion Books éd., 1991, p.65.
85
Frank Thomas et Ollie Johnston, The Illusion of Life : Disney Animation, New York, Hyperion Book,
1995, p. 233.
86
A propos de la personnalité des nains, le pédopsychiatre Marcel Rufo écrit dans L’express culture daté du
18 août 2009 : « Quant aux sept nains, ils ont tous les défauts ou les qualités enfantines. Le gamin introverti se
rapprochera de Timide, l'aîné se prendra pour Prof... Simplet, personnage fédérateur, est un cas à part : il incarne le
doute de soi, propre à tous les enfants. »
87
Allan Robin, Il était une fois…Walt Disney : Aux sources de l'art des studios, Paris, Réunion des musées
nationaux, 2006, p.178.
88
Lambert Pierre, Girveau Bruno, Walt Disney, l'âge d'or, Démons et merveilles, 2006, p. 50.
89
« (...) les Américains en fait de Dieu n’en connaissent qu’un seul : Le Dieu Dollar ! qui de tout temps a été
le seul adoré par les pirates de toutes les contrées. », Gustave Aimard, Les Trappeurs de l’Arkansas, Éditions De
L'érable François Beauval, Genève, 1973, p.118.
90
Walt Disney, l'âge d'or, op. cit., p. 50
91
Ibid.
  13 
choix opéré par l’équipe du dessin animé de Disney rend Blanche-Neige et les sept nains
encore plus sexiste que le conte. En effet, si dans le conte, Blanche-Neige renaît, à cause
de la maladresse des serviteurs92. Dans le dessin animé, pas de maladresse, la pomme qui
tue Blanche Neige disparaît grâce au baiser du prince : c'est l'homme qui sauve la femme
et non la contingence.
Dans le dessin animé, Blanche Neige rencontre les sept nains après avoir fait le ménage
dans leur maison. Ce qui signifie que Blanche Neige commence son aventure dans un milieu où
sa qualité de femme, de mère93 et de ménagère sont mêlées, en d’autre terme elle devient femme
en faisant le ménage (la première scène qui présente la jeune fille la montre d’ailleurs entrain de
nettoyer les marches du chateau [et fredonnant comme si c’était un véritable bonheur!]94).
Blanche-Neige se couche ensuite dans le lit dans des sept nains, ce qui indique une
tranquillité d'esprit qui confine à la stupidité. En effet, entrer par effraction dans une maison
inconnue, voler de la nourriture et se coucher dans un lit qui n'est pas le sien est peu raisonnable.
Ce comportement aurait pu s'expliquer de par la qualité royale de la jeune princesse (bien que
dans le dessin animé, son enfance se résume davantage à une vie de domestique). Cependant un
élément nous en empêche d'admettre cette excuse. Il nous paraît en effet absolument illogique
que l'on puisse se coucher en toute quiétude (le conte ne dit-il pas : « Ensuite, elle était tellement
lasse qu'elle se coucha (…) 95 », « lasse », mais ni inquiète, ni angoissée) tout en sachant
pertinemment que l'on vient d'échapper à un meurtre et que l'on est certainement poursuivie par
des assassins. Et, bien que le conte et le dessin animé 96 proposent une réponse à cette
interrogation, « elle y resta, se recommanda à Dieu et s'endormit97. », cette dernière ne semble
aller sans une négation de la capacité réflexive de la jeune fille : sa foi, jamais évoquée
auparavant, semble si forte qu'elle permet à Blanche-Neige de s'endormir et de mettre sa vie
entre les mains d'inconnus.
Enfin, le conte est légèrement moins sexiste que le dessin animé car dans le conte ce sont
les sept nains qui invitent Blanche-Neige (laquelle accepte bien volontiers) à s'occuper de leur
ménage, cuisine, lessive98… tandis que chez Disney c’est Blanche-Neige elle-même qui propose
ses services aux nains inquiets de recueillir chez eux une fugitive : « Si vous me gardez, je
m’occuperai de tout : je ferai la lessive, la couture, le ménage et la cuisine. » lesquels à la

                                                        
92
« Il advint alors qu'ils trébuchèrent contre un buisson et que, par suite de la secousse, le trognon de pomme
empoisonné dans lequel Blancheneige avait mordu lui sortit du gosier. » Op. cit., Contes, p. 156
93
En découvrant la maison, elle pense les nains comme des enfants et agit alors comme la mère qu’elle pense
qu’ils n’ont pas.
94
Annexe 1
95
op. cit., Contes, p. 147.
96
Afin de bien comprendre le caractère puritain du dessin-animé, il nous faut signaler que ce dernier sort
durant l'application du Motion Pictures Producers and Distributors Association. Les États-Unis traversent alors
dans une période de rigueur morale qui durera jusqu'en 1968 et l’instauration du Motion Picture Association of
America film rating system.
97
op. cit., Contes, p. 147.
98
C.f. note 5.
  14 
mention du dernier acceptent avec joie99. Le personnage de Blanche-Neige du film de Walt
Disney est pensé pour transmettre des valeurs de femme soumise à la petite fille, Blanche-Neige
est ainsi dépeinte comme une ravissante idiote dont le bonheur est de faire celui de l’homme
tandis que la reine qui « représente la femme redoutée par les hommes dans une société dominée
par les hommes (…) est à la fois la femme fatale et un personnage inquiétant issu d'un monde
plus ancien100 »et simplifié pour être « froide, cruelle, malicieuse et extrême101 » ainsi sa mort
n’en sera que plus justifiée.

3.3. La figure vierge guerrière féminisée du film : une


Blanche-Neige Jeanne d’Arc102.
Cependant même si nous avons vu son féminisme et la symbolique pré-chrétienne qui
l’entoure, le personnage de Blanche-Neige de Rupert Sanders reste profondément influencée par
le protestantisme américain. Ainsi elle est présentée comme pure car vierge et ne tombe
amoureuse que du chasseur lui aussi pur car veuf. Si lors de sa rencontre avec les nains elle est
considérée comme une guérrière à l’égale de l’homme, elle prend très vite la position d’un figure
messianique : elle guérit l’âme de ceux qui sont à ses côtés.
Ce pouvoir de guérison christique diffère profondément de la symbolique du conte ou du
dessin-animé car il donne un pouvoir à Blanche-Neige qui la rend supérieure au commun des
mortels, elle est la figure salvatrice. En d’autres termes, si le personnage de Rupert Sanders est
au premier abord moderne, le féminisme de l’héroïne est si fortement chargé d’influence
chrétienne qu’à la tête d’une armée, elle devient le stéréotype moral traditionnel de la vierge
guerriere103 (on pense à Milla Jovovich, la Jeanne d’Arc104 de Besson) plutôt qu’un personnage
réellement novateur.

En conclusion, si le conte des Grimm et le dessin-animé de Hand on pour but de préparer


les jeunes filles à devenir des épouses et mères modèles en nous présentant des adulescentes
stupides et naïves qui ne semblent exister que grâce aux figures masculines qu’elles côtoient, le
film de Sanders, lui, est bien différent. En effet, sa Blanche-Neige, loin d’être gourde, se
transforme vite à la fois en une instance curative, porteuse d’une douceur féminine poussée à son
paroxysme, et en une vierge guerrière harangueuse et vengeresse. On le voit, si le sexisme du
conte et de son adaptation animée n’est pas à démontrer, le film permet, en revanche, à la jeune
fille de prendre sa revanche. C’est d’ailleurs en toute liberté que la princesse de Sanders
                                                        
99
Ce qui avait été prévu par Blanche-Neige au courant de son rôle de femme, rôle indispensable à la bonne
tenue d’une maison et au bonheur des hommes qui y habitent : « Mettons de l'ordre, faisons leur une surprise, ils me
permettront peut-être de rester. »
100
Il était une fois…Walt Disney : Aux sources de l'art des studios, op.cit., p. 144.
101
The Illusion of Life : Disney Animation, op. cit., p. 418.
102
Texte librement inspiré de l’analyse de Avenel Vincent, « Place aux jeunes? Blanche-Neige et le
chasseur.», www.critikat.com, 12.06.2012.
103
Annexe 16.
104
Annexe 17.
  15 
s’émancipe et délaisse la noblesse féminisée d’un prince gâté pour la virilité mature d’un
chasseur prolétaire et veuf. Loin d’être un chef-d’œuvre, ce film n’en est pas moins la saine
réhabilitation du personnage dont l’histoire berça notre enfance.
 
 

  16 
ANNEXES
   

  17 
 
 

Snow White and the Seven Dwarfs, David Hand,  
Etats‐Unis, Walt Disney Productions, 1937. 
1 et 2  
 
 
 
 

  18 
Snow White and the Seven Dwarfs, David Hand, 
Etats‐Unis, Walt Disney Productions, 1937. 
3 et 4 
   

  19 
 
 

Snow White and the Seven Dwarfs, David Hand, 
Etats‐Unis, Walt Disney Productions, 1937. 
5 et 6 
 
   

  20 
 
 

Snow White and the Seven Dwarfs, David Hand, 
Etats‐Unis, Walt Disney Productions, 1937. 
Snow White and the Seven Dwarfs Cottage Play Set, 
Disney Store, 2009. 
7 et 8 
   

  21 
 
 
 
 
 
 
 
 
 Snow White and the Huntsman, Rupert Sanders,  
Etats‐Unis, Universal pictures, 2012. 
9 et 10  
 
 
   

  22 
 
 
 
 
 
 
 
Snow White and the Huntsman, Rupert Sanders,  
Etats‐Unis, Universal pictures, 2012. 
10 et 11 
 
   

  23 
 
 
 
 
 
 
 
Snow White and the Huntsman, Rupert Sanders,  
Etats‐Unis, Universal pictures, 2012. 
12 et 13 
 
 
   

  24 
 
 
 
 
Snow White and the Huntsman, Rupert Sanders,  
Etats‐Unis, Universal pictures, 2012. 
Détail d'un panneau intérieur du chaudron de Gundestrup.  
14 et 15 
 
 
   

  25 
 
 
 
Snow White and the Huntsman, Rupert Sanders,  
Etats‐Unis, Universal pictures, 2012. 
The Messenger: The Story of Joan of Arc, Luc Besson,  
Etats‐Unis, Gaumont Buena Vista Internationl, 1999 
16 et 17 
 
 

  26 

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