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Marie-Andrée Bertrand

criminologue, Centre international de criminologie comparée,


Université de Montréal

avec la collaboration de Louise L. Biron, Concetta Di Pisa,


Andrée B. Fagnan et Julia McLean

(1998)

PRISONS
POUR FEMMES
2e partie du livre

Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,


professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi
Courriel: jean-marie_tremblay@uqac.ca
Site web pédagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"


Site web: http://classiques.uqac.ca/

Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque


Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi
Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 2

Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur
de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de :

Marie-Andrée Bertrand [criminologue, Centre international de criminologie


comparée, Université de Montréal.]

avec la collaboration de Louise L. Biron, Concetta Di Pisa, Andrée B. Fagnan,


Julia McLean

PRISONS POUR FEMMES.


Deuxième partie : pp. 241 à 444 de l’édition papier.

Montréal: Les Éditions du Méridien, 1998, 449 pp. Collection Cursus universi-
taire - formation criminologie.

[Autorisation formelle accordée par Mme Marie-Andrée Bertrand de diffuser ce


livre, le 28 juin 2006, dans Les Classiques des sciences sociales.]

Courriel : bertrandumontreal@videotron.ca

Polices de caractères utilisée :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.


Pour les citations : Times New Roman, 12 points.
Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2004


pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)

Édition numérique réalisée le 8 août 2006 à Chicoutimi, Ville de Saguenay,


province de Québec, Canada.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 3

Marie-Andrée Bertrand
criminologue, Centre international de criminologie comparée,
Université de Montréal

avec la collaboration de Louise L. Biron, Concetta Di Pisa, Andrée B. Fagnan,


Julia McLean

PRISONS POUR FEMMES

Montréal: Les Éditions du Méridien, 1998, 449 pp. Collection Cursus univer-
sitaire - formation criminologie.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 4

Données de catalogage

Marie-Andrée Bertrand

Avec la collaboration de
Louise L. Biron
Concetta Di Pisa
Andrée B. Fagnan
Julia McLean

Prisons pour femmes

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération


canadienne des sciences humaines et sociales, dont les fonds provien-
nent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Données de catalogage avant publication (Canada) Bertrand, Ma-


rie-Andrée Prisons pour femmes (Cursus) Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 2-89415-228-0

1. Maisons de correction pour femmes.


2. Prisonnières.
3. Emprisonnement - Alternative.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 5

Table des matières

REMERCIEMENTS

PRÉAMBULE

Introduction
Marie-Andrée Bertrand

Le contexte politique et pénal


Impact de l'actualité sur le programme de recherche
L'orientation de l'étude
Le programme de travail sur le terrain
La démarche de recherche
Le cadre théorique
La méthode
Le déroulement de la recherche

Avant-propos sur le Canada et les États-Unis

Prisons canadiennes et américaines


Julia McLean

Introduction
Le contexte juridico-pénal canadien
La population carcérale féminine au Canada
La Prison pour femmes de Kingston, Ontario, Canada
La fermeture de la Prison des femmes à Kingston : une nouvelle vie pour les
femmes sous sentence fédérale au Canada
Le centre correctionnel pour femmes à Shakopee au Minnesota
Le centre correctionnel pour femmes à Burnaby, Colombie-Britannique, au
Canada
La prison pour femmes de l'État du Massachusetts à Framingham
Le centre correctionnel pour femmes à Waynesburg, dans l'État de Pennsyl-
vanie
La Maison Tanguay à Montréal, dans la province de Québec
Commentaires généraux sur les prisons pour femmes en Amérique du Nord
Qu'arrivera-t-il aux femmes prisonnières désormais ?
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 6

Solutions de rechange à la prison traditionnelle aux Etats-Unis


Concetta Di Pisa

Introduction
Les lieux étudiés
« The Neil J. Houston House », un centre pour condamnées toxicomanes et
leurs nouveau-nés
« The Program Centre », un centre résidentiel préparant des femmes justi-
ciables au travail
((The Minnesota Correctional Facility for Women », la prison de Shakopee
Réflexions après-coup
Conclusion générale
L'avenir

Des prisons au Royaume-Uni


Louise L. Biron

Introduction
Le choix de trois institutions
Durham,
l'aile H
Cornton Vale
Holloway
Conclusion

Trois prisons allemandes


Marie-Andrée Bertrand

Le contexte
Les prisons : tableau d'ensemble
Préparation du travail sur le terrain
La prison des femmes à Vechta
Le cottage mixte de la prison ouverte de Brême
La prison de Butzow en Allemagne de l'Est
Conclusion générale
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 7

Le modèle scandinave
Marie-Andrée Bertrand

Peu de prisonniers et des taux très bas de détention


Les femmes parmi les détenus
Nécessité de données désagrégées selon le sexe
Les prisons pour femmes en Scandinavie

Deux prisons mixtes au Danemark


Andrée B. Fagnan

Bref survol du système correctionnel danois


La prison fermée de Ringe
La prison ouverte de Horserod

Deux prisons norvégiennes


Marie-Andrée Bertrand

Préambule
La prison fermée de Bredtveit à Oslo
La prison ouverte de Ostensjoveien à Oslo
Commentaire général
Conclusion

En Finlande, la prison centrale de Hämeenlinna


Marie-Andrée Bertrand

Préambule
La prison
Vue d'ensemble des lieux, des programmes et des services
Questions
Réflexions

Résumé et conclusion Marie-Andrée Bertrand


Résumé
Conclusion générale
Similarités plutôt que différences dans le sort des femmes condamnées
Shakopee et les États-Unis
La métrique pénale
La différence
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 8

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES
Annexe 1. Notes biographiques sur les auteures
Annexe 2. Lieux étudiés dans le cadre de la recherche Prisons pour fem-
mes
Annexe 3. Taux de détention en 1991 dans les pays sur lesquels porte no-
tre étude et quelques pays voisins

Annexe 3a. Taux de détention en 1993 dans les pays sur lesquels porte
l'étude et dans quelques pays voisins

Annexe 4. Pourcentage de femmes parmi les détenus dans plusieurs pays


1991-1992

Annexe 4a. Pourcentage des femmes parmi les détenus dans plusieurs pays,
1993

Annexe 5. Taux de détention au Massachusetts, au Minnesota et en Penn-


sylvanie en 1991

Annexe 6. Pourcentage des femmes parmi les détenus au Massachusetts,


au Minnesota et en Pennsylvanie en 1991

Annexe 7. Taux d'incarcération des provinces et territoires du Canada en


1992-1993

LISTE DES TABLEAUX


Tableau 1. Durée des sentences, établissements fédéraux, Canada, 1990-
1991

Tableau 2. Population des établissements fédéraux, Canada, 1990-1991


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 9

Photographies

Photo p. 206. La prison fermée de Vechta, en Allemagne de l'Ouest


Photo p. 217. La prison ouverte de Brême en Allemagne de l'Ouest
Photo p. 231. La prison fermée de Butzow en Allemagne de l'Est. Le guichet
extérieur où les visiteurs déposent toutes leurs pièces d'identité et
attendent.
Photo p. 237. La prison fermée de Butzow en Allemagne de l'Est. La cour inté-
rieure de la prison.

Photo p. 298. La prison fermée de Bredtveit à Oslo en Norvège


Photo p. 305. La prison fermée de Bredtveit à Oslo en Norvège
Photo p. 320. La prison ouverte de Ostensjoveien, à Oslo, en Norvège
Photo p. 336. La prison centrale de Hämeenlinna, dans la ville du même nom, en
Finlande.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 10

Prisons pour femmes (1998)

Le modèle scandinave
Marie-Andrée Bertrand

Avant de laisser le lecteur s'engager dans ce voyage et vivre plu-


sieurs heures en notre compagnie dans les prisons pour femmes du
Danemark, de la Norvège et de la Finlande 1 , il faut dire un mot du
système de justice pénale de cette région.

Peu de prisonniers
et des taux très bas de détention

Retour à la table des matières

« Peu de prisonniers et des taux très bas de détention » : dans l'opi-


nion internationale, ce sont là les mots clés qui caractérisent le sys-
tème carcéral des pays de cette partie de l'Europe (Annexes 3 et 3a) 2 .

1 Bien que la Finlande ne soit pas, au sens strict, un pays scandinave à cause de
sa langue très particulière et de son histoire politique, on a coutume de l'asso-
cier à cet ensemble auquel ses représentants reconnaissent appartenir par la si-
tuation géographique et l'économie. Du point de vue pénal et carcéral, les ana-
logies sont frappantes.
2 Ce prix de bonne conduite doit d'ailleurs être décerné d'abord aux Pays-Bas,
lesquels détiennent le record parmi les pays au nord de l'Europe.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 11

Le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande se rangent parmi


les pays européens qui détiennent le moins de personnes au prorata de
leur population. Ainsi, en 1991 et en 1993, c'est-à-dire pendant que
notre étude se déroulait, leur taux de détention allaient de 60 à 70 par
100 000 habitants -c'est-à-dire deux fois moins que le Canada et cinq
fois moins que les États-Unis (voir Annexes 3 et 3a), lesquels, il est
vrai, ne sont pas des pays européens. Toutefois les taux de détention
des pays voisins ou proches, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni
et l'Écosse, sont tous plus élevés que ceux des pays scandinaves.

Un taux peu élevé de détention est évidemment un indice relatif. Il


signifie que les tribunaux d'un pays donné recourent plus modérément
que ceux d'un autre pays à la mesure pénale qu'on ne devrait utiliser
qu'en dernier ressort, la privation de liberté. C'est une caractéristique
enviable qui a valu aux pays scandinaves d'être considérés comme des
modèles à cet égard 3 .

Pour les pénologues avertis cependant, l'indice de « bonne con-


duite pénale » que constitue un taux peu élevé de détention n'est pas
suffisant. Par exemple, la Grèce et la Turquie affichaient en 1993 des
taux comparables ou mêmes inférieurs à ceux de nos trois pays du
nord de l'Europe, soit 68 et 51,6/100 000 respectivement 4 . Or, dans le
cas de la Grèce et de la Turquie, des documents sérieux (par exemple,
ceux de l'Observatoire international des prisons) font état du caractère
sordide des conditions d'emprisonnement et, dans le cas de la Turquie,
de cas de torture en prison.

Aussi, pour apprécier la qualité générale d'un système pénal et car-


céral, utilise-t-on des critères additionnels : la célérité du fonctionne-
ment de la justice ; la durée de la détention préventive et des condam-
nations ; l'existence d'organismes de défense des droits des justiciables
et des prisonniers ; des conditions décentes d'emprisonnement ; la
formation des personnels correctionnels ; la qualité des programmes

3 On se souviendra que leur exemple en matière de politiques sociales et éco-


nomiques a aussi été admiré et émulé il y a quelques armées.
4 Conseil de l'Europe, Bulletin d'information pénologique, nos 19 et 20, décem-
bre 1993.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 12

de travail et de formation pour les détenus ; l'accès à des mesures de


transition vers la communauté, etc.

Il n'est pas évident que les pays scandinaves constituent des « mo-
dèles » à chacun ou à plusieurs de ces égards. Sans doute ne faut-il
pas s'attendre à trouver dans ces pays qui utilisent la détention avec
parcimonie des prisons modèles ni des programmes modèles. Comme
le remarque très justement Pierre Landreville 5 , lorsqu'un pays détient
relativement peu de personnes et s'est doté d'un petit nombre de pri-
sons, il « investit » moins dans son secteur carcéral et il se peut que
les formules utilisées soient moins inventives et la gamme des servi-
ces offerts en détention moins grande qu'ailleurs.

Mais par ailleurs le taux de détention lui-même ne doit pas être pris
hors contexte. Prenons l'exemple de la Norvège : s'il est vrai que seu-
les 2 500 personnes étaient détenues dans les différentes institutions
carcérales de Norvège ces dernières années, 4 500 autres - c'est-à-dire
près de deux fois plus -, déjà condamnées à l'incarcération, attendaient
leur tour pour entrer en prison, faute de places (Christie, 1993 6 ).
« We line them up and let them wait for admission », de dire l'auteur,
qui se demande ce qui est le plus pénible : d'être déjà « dedans » ou
d'attendre pour entrer... Et à ce sujet, il fait un commentaire intéres-
sant : les condamnés qui « ont déjà l'expérience » sont assez inquiets à
la pensée qu'ils devront retourner « en dedans ». Ceux qui n'ont pas
encore connu la prison, les first timers, prennent cela plus à la légère
(p. 36). Il note aussi que les juges hésitent à prononcer des peines de
prison sachant qu'elles ne seront exécutées que « plus tard » (p. 36).

On voit dans l'exemple de la Norvège que le taux est conditionné


par les places disponibles et même par la représentation que s'en font
les juges des tribunaux pénaux. Comme le pays s'apprêtait en 1993 à
ouvrir de nouvelles prisons, il y a tout lieu de croire que les « per-
sonnes en attente »deviendront des détenus de fait et que les juges se-
ront moins hésitants à imposer des peines carcérales.

5 Professeur titulaire de criminologie à l'Université de Montréal et auteur de


nombreux articles sur la question du traitement pénal et carcéral.
6 Nils Christie, Crime Control as Industry, London, Routledge, 1993, page 35.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 13

Les femmes parmi les détenus

Les annexes 4 et 4a montrent que les femmes représentent de 4% à


5% des détenus au Danemark, en Norvège et en Finlande comme à
peu près partout ailleurs - les États-Unis faisant exception « vers le
haut » avec un pourcentage autour de 10%, et le Canada et l'Écosse
vers le bas avec des taux plus proches de 3%.

Ainsi, quel que soit le taux national de détention, presque partout


dans les pays industrialisés la proportion des femmes parmi les déte-
nus est la même.

Et comme on le voit, l'écart entre les deux sexes est énorme : on


trouve une femme contre 24 hommes dans les prisons. On ne connaît
pas de domaine de la vie sociale et économique où l'écart entre les
deux sexes soit aussi considérable. Ce fut le cas il y a quelques années
dans les appareils de pouvoir politique et économique (et il y a plu-
sieurs années dans l'enseignement supérieur), mais la situation a chan-
gé. Par exemple, dans les pays scandinaves, les femmes représentent
maintenant près de 30% des élus.

Nécessité de données désagrégées


selon le sexe

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L’un des avantages de notre étude est de forcer ses auteures à tra-
vailler sur des données désagrégées. Les analyses globales réunissant
les populations d'hommes et de femmes font évidemment disparaître
les différences. Cela est particulièrement vrai (et grave de conséquen-
ces) dans le cas des statistiques carcérales, puisque les femmes oc-
cupent si peu de place parmi les personnes détenues.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 14

Prenons à nouveau l'exemple de la Norvège pour voir comment le


fait de ne pas désagréger les données empêche de saisir la situation
réelle des hommes et des femmes.

Evy Frantzsen 7 montre que le nombre des femmes en détention en


Norvège est passé de 75 en 1983 à 143 en 1991, soit une augmenta-
tion de 89%.

1. Comme le nombre total des détenus au pays est demeuré à


peu près stable pendant cette période, il faut conclure que
celui des hommes diminue, ce que les auteurs ne notent pas.

2. Par ailleurs, pendant mon séjour d'étude dans ce pays, j'ai


constaté que 34 nouvelles places de détention avaient été
créées, pour les femmes seulement, depuis 1991 (prison ou-
verte et prisons fermées). J'en conclus que l'affirmation de
Christie (vid. sup.) à l'effet que les condamnés « attendent
leur place » pour entrer en prison ne s'applique qu'aux hom-
mes. Les femmes n'attendent pas pour entrer en prison, me
disent mes informatrices, sauf quelques toxicomanes dont je
parlerai dans mon chapitre sur la Norvège.

3. Une remarque analogue s'applique aux taux de détention. Le


taux national de 60/100 000 habitants ne dit rien des proba-
bilités d'incarcération des hommes et des femmes, lesquelles
sont pratiquement deux fois plus élevées dans le cas des
hommes, puisque les femmes - qui représentent plus de la
moitié de la population - ne comptent que pour 4% des déte-
nues ; leur propre taux de détention est de moins de 1 / 100
000 habitants.

7 Evy Frantzsen, Mor og barn i fengsel. Institutt for krirninologi. Universitetet i


Oslo, 1993.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 15

Les prisons pour femmes en Scandinavie

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Puisque les pays scandinaves sont des modèles au plan pénal, notre
groupe de recherche n'était que le dernier de plusieurs qui avaient en-
filé leurs bottes de sept lieues pour aller étudier sur place les institu-
tions pénales et carcérales ; dans notre cas, c'était non pas l'ensemble
du système qui était la cible, mais les prisons pour femmes.

En plus des raisons qui avaient attiré les observateurs masculins,


nous avions un motif bien à nous de penser que se trouveraient là des
modèles à émuler, car, comme je le rappelais dans l'introduction, ces
pays sont aussi réputés pour leurs politiques progressistes touchant la
condition des femmes et l'égalité des sexes ; nous pensions que les
conditions carcérales seraient les mêmes pour les femmes et les hom-
mes.

Nous croyions aussi que le petit nombre de prisonnières aurait un


effet sur l'organisation des prisons, laquelle s'avérerait plus informelle,
plus humaine que celle des « grandes » institutions. Nous pensions
aussi, ayant lu les écrits sur le système scandinave, que la plupart des
condamnées seraient en régime ouvert avec possibilité de contacts
avec les enfants et les conjoints. Nous savions que, dans l'un de ces
pays, des formules originales nous attendaient, par exemple, des pri-
sons mixtes, etc.

Si notre étude sur le terrain nous a permis de confirmer quelques


attentes, elle devait nous apprendre beaucoup de choses imprévues.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 16

Prisons pour femmes (1998)

Deux prisons mâles


au Danemark
Andrée B. Fagnan

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Pourquoi le Danemark ? Ce ne sont pas des intérêts touristiques


qui m'amenaient dans ce pays.

Pourquoi le Danemark ? Parce qu'il y a Ringe, la Statsfaengslet i


Ringe 8 , une prison mixte. Ringe qui, selon la littérature recensée, ne
trouvait sa pareille nulle part en Amérique du Nord et en Europe.
Cette prison nous avait été particulièrement signalée par une collègue
criminologue qui l'avait visitée dans le cadre d'une mission du Conseil
du statut de la femme du Québec. Le Commissaire aux Services cor-
rectionnels du Canada nous avait d'ailleurs suggéré d'inclure cet éta-
blissement dans notre étude comparative sur les prisons pour fem-
mes 9 . Ringe, que Frances Heidensohn mentionne, dans Women and
Crime, publié en 1985, comme la prison expérimentale danoise où l'on
a une approche radicale de la mixité.

8 Prison d'État à Ringe.


9 Ole Ingstrup, lui-même Danois d'origine, avait déjà occupé un poste dans le
système correctionnel du Danemark avant sa venue au Canada et avait été té-
moin des débuts de la réalisation du projet de la prison de Ringe.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 17

Et si la prison fermée de Ringe, en opération depuis le début de


l'année 1976, est connue à l'étranger, elle sert de modèle dans son
propre pays. En effet, la prison ouverte de Horserod, qui date de la fin
de la Seconde Guerre mondiale, (1945), la Statsfaengslet ved Horse-
rod 10 , est devenue, elle aussi, une prison mixte.

C'est donc le désir de l'inédit en matière de prisons pour femmes


qui me fait me retrouver à quelque 24 heures d'avion, train et bateau
de l'Université de Montréal, pour étudier deux prisons où se trouvent
des femmes gardées dans des conditions différentes de celles qui pré-
valent ailleurs. Deux prisons où femmes et hommes cohabitent, la pri-
son modèle de Ringe et la prison ouverte de Horserod. Des prisons
dont on nous dit qu'elles défient la nature même de leur appellation.

Bref survol
du système correctionnel danois 11
Le taux d'emprisonnement au Danemark et ailleurs

Retour à la table des matières

Il y a au Danemark, au moment de notre visite, en mai 1993, envi-


ron 3 500 personnes détenues en prison, dont 170 femmes, pour une
population nationale qui ne dépasse guère les 5 000 000 d'individus.
Les femmes représentent donc moins de cinq pour cent (4,8%) de l'en-
semble des personnes incarcérées au Danemark, ce qui est comparable

10 Prison d'État de Horserod.


11 Ce survol s'appuie sur trois sources : la publication gouvernementale intitu-
lée : Prisons in Denmark, Ministry of Justice, Department of Prisons and Pro-
bation, Copenhagen, 1990 ; des données et commentaires fournis par Annika
Snare, assistante à l'Institut de criminologie et de droit criminel de l'Université
de Copenhague ; quelques passages du Rapport 1993, de l'Observatoire inter-
national des prisons, publié par cet organisme et distribué en France par les
soins de Ulysse/Distique, 1993. Dans ce rapport, le chapitre sur le Danemark
est signé par Ida Elisabeth Koch, membre du Centre danois des droits de
l'homme.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 18

généralement à la situation dans les autres pays européens où cette


proportion varie entre trois et six pour cent.

Le Danemark se classe parmi les pays où l'on emprisonne moins


qu'ailleurs : 63,0 par 100 000 habitants. Taux 12 qui tranche nettement
sur celui des États-Unis (532,0) 13 , et même sur celui du Canada
(111,0) qui est près de deux fois plus élevé. Dans le décor
européen 14 , toujours quant au taux d'incarcération, le Danemark se
situe en deçà du Portugal (82,0), de la France (83,9), de la Suisse
(84,9), du Luxembourg (90,3) et de l'Espagne (91,8) ; il s'éloigne,
dans la même direction, encore davantage du Royaume-Uni (92,1) ;
par contre, il se range au-dessus des Pays-Bas (44,4) dont le taux est
des moins élevés d'Europe. Comparé à ses voisins les plus proches, le
Danemark emprisonne moins que l'Allemagne (78,8) qui le limite au
Sud, mais plus que les pays scandinaves qui l'encadrent, la Norvège
(58,0) d'une part et la Suède (55,0) de l'autre. Il importe de souligner
qu'à la différence de la plupart des pays européens, le Danemark n'a
pour ainsi dire pas augmenté ses capacités d'emprisonnement depuis
20 ans, alors que les crimes rapportés ont doublé durant la même
période.
Les types de détention

Au Danemark, on pratique deux types de détention à l'endroit des


personnes condamnées : la détention dite lenient 15 , c'est-à-dire clé-
mente, ou douce, et l'emprisonnement ordinaire. La première, la dé-

12 Notons que cette notion de taux d'emprisonnement est en quelque sorte trom-
peuse si l'on considère que son calcul est fait à partir de la population en géné-
ral, alors que l'on sait que les femmes qui composent la moitié de cette popu-
lation générale sont loin de compter pour la moitié des personnes incarcérées.
Comme le fait si justement remarquer M.-A. Bertrand, directrice de notre
équipe de recherche, cela refléterait plus adéquatement la réalité de doubler
les taux qui représentent au fond une réalité d'hommes et occultent celle des
femmes qui ne sont évidemment pas carcéralisées dans les mêmes proportions
que ces derniers.
13 Ce taux et les suivants expriment le nombre de personnes en prison par 100
000 habitants. « Bureau of Justice Statistics. Departement of Justice in 1993 »,
Penal Reform International, No 16, March 1994.
14 Conseil de l'Europe, septembre 1991.
15 Source : Prisons in Denmark, pages 4 et 8.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 19

tention clémente ou douce, ne donne lieu qu'à de courtes peines de


prison allant de sept jours à six mois et s'accompagne de procédés
moins stigmatisants. L’emprisonnement ordinaire donne lieu aux pei-
nes les plus longues, allant de 30 jours jusqu'à 16 ans ou à vie (20 ans)
et à une privation plus radicale de contacts avec la communauté.

Au Danemark, les prisons de tous ordres dépendent du Ministère


de la justice. Les établissements où l'on purge des peines privatives
sont de trois types. Il y a d'abord dix prisons ouvertes et cinq prisons
fermées. Sauf exception, crime grave et dangerosité criminelle dé-
montrée, les condamnés à des peines privatives sont d'abord envoyés
en prison ouverte. Le nombre des condamné(e)s à la prison ouverte en
1993 pour tout le pays était de 1356, et celui des personnes ayant été
incarcérées en prison fermée, de 762 16 . Les premières, les prisons
ouvertes, ressemblent assez aux maisons de transition et centres cor-
rectionnels communautaires du Canada et des États-Unis. Les se-
condes, les prisons fermées, a nos prisons à sécurité moyenne ou mi-
nimale. Dans les prisons ouvertes, la possibilité d'aller et venir ne fait
l'objet d'aucun contrôle mécanique ni électronique ; les seules
contraintes proviennent des règlements de l'établissement. Dans le cas
des prisons fermées, un mur d'enceinte et une surveillance audiovi-
suelle assurent le contrôle des détenu(e)s 17 . Il existe un troisième type
d'établissement où l'on est privé de liberté au Danemark, ce sont les
local gaols, au nombre de 41, où sont détenues provisoirement les
personnes en attente de sentence, un bon nombre de celles qui purgent
une peine de détention douce et certaines qui sont condamnées à l'em-
prisonnement ordinaire mais dont la peine est de courte durée.

En général, les prisons danoises sont petites, leur capacité n'excé-


dant pas 250 détenu(e)s. De fait, la Vestre Faengsel de Copenhague
est la seule qui dépasse ce nombre ; elle peut recevoir 430 détenus.

Les droits des détenu(e)s

Voici quelques-uns des aspects les plus importants de la politique


pénale danoise touchant les droits des détenu(e)s :

16 Annual Report, Department of Prisons and Probation, 1993.


17 Prisons in Denmark, p. 24.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 20

1. La politique pénale du pays prévoit que le condamné soit


emprisonné le plus près possible de son lieu d'habitation.

2. En cas de problème de santé, les détenu(e)s ont accès, règle


générale, aux services médicaux des hôpitaux généraux et
publics, ceux-là mêmes auxquels la population recourt. Ce-
pendant, il existe une section d'une prison danoise où des dé-
tenu(e)s peuvent être traité(e)s et un institut psychiatrique
qui est réservé aux condamné(e)s.

3. Les détenu(e)s qui purgent une sentence de cinq mois ou


plus peuvent rendre visite à leur famille après un certain
temps. Ceux qui n'ont pas encore la permission de sortir
peuvent recevoir leurs proches à la prison dans des condi-
tions d'intimité ; ils peuvent à cette occasion avoir des rap-
ports sexuels avec leur proche. Les autorités pénales esti-
ment qu'elles n'ont pas à s'immiscer dans les rapports inti-
mes des détenu(e)s pendant qu'ils et elles reçoivent leurs vi-
siteurs. Dans Prisons in Denmark, on lit : « It is none of the
prison's business what the visit is used for, and it is therefore
also possible for the inmate to have sexual intercourse. » (p.
13). En effet, dans toutes les prisons fermées, il y a des
chambres de visite où le ou la détenu(e) peut être seul(e)
avec ses visiteurs et visiteuses, les visites n'étant supervisées
que dans de très rares cas. Cependant, les visiteurs peuvent
faire l'objet de fouilles et, après les visites, on s'assure que
les détenu(e)s n'ont pas reçu de drogues ou d'armes de leurs
visiteurs. La durée et la fréquence minimales des visites pré-
vues par la loi sont d'une heure par semaine mais, en prati-
que, elles sont plus longues et plus fréquentes.

4. En cas de violation des règlements de la prison et d'usage de


drogue, les détenu(e)s peuvent être envoyé(e)s en isolement
dans un quartier spécial de la prison, privé(e)s de sortie ou
soumis(es) à des amendes (cette dernière sanction est la plus
fréquente) ; en cas de refus de travail, ils et elles sont pri-
vé(e)s de salaire.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 21

La majorité pénale

La majorité pénale est à 15 ans au Danemark ; on peut donc être


soumis à l'emprisonnement « ordinaire » et envoyé en prison fermée à
compter de cet âge. On verra d'ailleurs que la population de l'une des
deux prisons que nous avons étudiées est précisément composée de
jeunes gens de 15 à 24 ans. Il existe même et depuis peu des institu-
tions correctionnelles pour les moins de 15 ans.

La philosophie pénale

Selon Annika Snare, assistante à l'Institut de criminologie et de


droit criminel de l'université de Copenhague, la « normalisation » est à
la base de la philosophie pénale du Danemark et marque le déclin de
l'idéologie de réhabilitation et de traitement qui avait commencé à
poindre déjà dans les années 60. On peut ainsi lire dans Greve, Vagn,
Criminal justice in Denmark, an Outline, Copenhague, Kriminalistisk
Institut, 1991, p. 13 : « In the 1960s and early 1970s [...] doubt began
to arise as to whether it is of any use trying to treat offenders. In 1973,
this led to the abolition of most of the "treatment" sanctions of the Pe-
nal Code [...]. » Par ailleurs, le principe de « normalisation » est clai-
rement posé dans le document Prisons in Denmark du ministère de la
justice, département des Prisons et de la Probation, Copenhague,
1990, p. 12 :

This means that we must seek to approach life in prison as much as possi-
ble to the conditions in the outside world. "Normalization" is the name of
this basic element of the Danish prison philosophy. Other important ele-
ments that are more or less a consequence of this normalization are "open-
ness" and "responsibility". These elements are the real cornerstones in our
"treatment philosophy", where the word "treatment" is used in a very
broad sense.

La « normalisation » passe par la pratique de l'autogestion qu'on


s'efforce d'appliquer de plus en plus dans toutes les prisons danoises,
ouvertes ou fermées.

(T)he so-called self-administration principle (which again) makes the in-


mate responsible for his own daily life. An important element of this is the
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 22

ininate's duty to buy and cook his own food, and this means that is paid a
fixed daily amount for food, and he will then be personally responsible for
buying it in the prison shop and for preparing it. (Prisons in Denmark, p.
15)

En plus d'assumer la responsabilité de ses repas, « the inmate is al-


so responsible for his personal hygiene, and for laundry and repair of
his clothes, etc. » (Prisons in Denmark, p. 15). D'après Annika Snare,
c'est particulièrement à ces égards que la prison de Ringe est devenue
un modèle. Par exemple, dans les vieilles prisons, on est à construire
des cuisines dans chaque unité de vie, et la coutume d'acheter ses pro-
pres denrées devient de plus en plus courante.

Dans l'approche de la « normalisation », une règle universelle s'ap-


plique aux détenu(e)s condamné(e)s : ils et elles doivent travailler 37
heures par semaine comme on le fait dans la vie civile ; ils et elles re-
çoivent alors un salaire de base de 5,82 DK/jour. Ils et elles peuvent
être autorisé(e)s à étudier plutôt qu'à travailler et reçoivent, dans ce
cas, le même salaire de base 18 . Dans des prisons, fermées et ouvertes,
étant donné le faible niveau de scolarité des détenu(e)s et leur peu
d'intérêt ou d'habileté pour les travaux scolaires ordinaires, on a créé
des production schools dans lesquelles une formation aux opérations
intellectuelles de base est intégrée à l'apprentissage des métiers.

Même le travail et les études à l'extérieur de la prison font partie


intégrante de l'application de cette règle. « The total number of leaves
per year is between 55 000 and 60 000. More than half of these are in
the form of work leave where an inmate leaves the prison to go to
work or to take part in educational activities. » (Prisons in Denmark,
p. 14)

18 L'obligation de travailler est commune à toutes les prisons du Danemark ;


« The inmates are obliged to accept employment, according to rules laid down
by the Minister of justice. This obligation to accept employment can be fulfil-
led through participation in education or work in the prison. » (Prisons in
Denmark, p. 28).
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 23

La prison fermée de Ringe

Retour à la table des matières

Depuis l'aéroport de Copenhague jusqu'à Ringe, je découvre le


Danemark. L'hiver n'a visiblement pas laissé de séquelles bien dou-
loureuses sur la péninsule et l'archipel danois. Le printemps hâtif - du
moins, vu du Québec - couvre le pays de rhododendrons en fleurs,
aussi généreux ici que les pissenlits chez nous. D'une superficie de 43
000 km2 dont la majorité sont des terres agricoles, le Danemark m'ap-
paraît comme une grande campagne tranquille, spécialement dans l'île
de Fyn où est situé le village de Ringe.

Deux portes dans le mur

C'est conduites par un des principaux officiers 19 de la prison de


Ringe que nous avons découvert cette prison dont beaucoup de com-
mentateurs ont parlé. Depuis la voiture qui nous y mène, sur la Bol-
tinggaardvej 20 , nous comprenons que nous sommes arrivées, grâce à
une grande pancarte qui annonce le bâtiment d'État. Car ce que l'œil
attrape d'abord, c'est une immense porte de garage en acier bleu gris,
de huit à dix mètres de haut par autant de large. Une porte qui, à pre-
mière vue, paraît flanquée à même la colline. Mais le regard scrute,
cherche à comprendre et devine, de chaque côté de la porte, le mur
d'enceinte, en béton, presque totalement dissimulé par la végétation.
Malgré, sur la gauche, le stationnement où peuvent se garer au moins
une vingtaine de voitures et un long bâtiment de briques rouges, j'ai
l'impression de me trouver aux abords d'un chantier ou d'un entrepôt
secret ou abandonné, ou encore d'une carrière où des travaux présente-
raient quelque danger pour les intrus. Je découvrirai que la porte a des
yeux. On y a dissimulé une caméra.

19 M. Willy Hartmann, officier principal, responsable du personnel, fut notre


premier hôte à la prison de Ringe et nous le remercions du temps qu'il a ac-
cordé à l'organisation de notre visite.
20 Nom de la route rurale sur laquelle la prison a son adresse.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 24

La Statsfaengslet i Ringe est une prison, une prison fermée.

Les mesures de sécurité

Il y a à Ringe, comme dans la plupart des prisons nord-américaines


que j'ai vues, des mesures de sécurité. Caméra et boîte vocale de
contrôle à la porte qui perce le mur, caméras aussi aux confins des
cours de chaque unité, qui permettent de surveiller les éventuels mou-
vements dans le grand parc qui entoure la prison à l'intérieur du mur
d'enceinte. À l'entrée de chacune des six unités de vie, une petite pièce
vitrée, compromis entre le bureau et le poste de garde, est réservée au
personnel ; aux fenêtres, des grillages (dont les mailles, cependant,
sont juste assez grandes pour que les détenu(e)s puissent passer illici-
tement des papiers-messages à ceux et celles de l'aile voisine dont la
cour est adjacente). Aussi, des clés et des portes barrées. Un couvre-
feu : de 10 h 30 le soir à 7 h 00 le matin, chaque détenu(e) est enfer-
mé(e) dans sa chambre. Et si elles et ils peuvent circuler librement, le
jour, à l'intérieur de leur propre unité de vie ou de leur propre lieu de
travail, pour passer de l'un à l'autre, ainsi que pour se rendre à l'épice-
rie, à la salle des loisirs, aux chambres de visite, etc., ils et elles doi-
vent être accompagné(e)s par un garde qui déverrouille et reverrouille
les portes au passage. Cependant, notons ici qu'aucun membre du per-
sonnel de base n'est confiné aux seules tâches de sécurité. Nous re-
viendrons sur ce sujet.

Si l'on en croit l'officier responsable de la sécurité, les mesures de


sécurité mécaniques et physiques sont minimales à Ringe. L'édifice
n'est pas de construction « solide » et « sécuritaire ». Les caméras à
micro-ondes braquées sur les extérieurs suffisent.

Une fois passée la première grande porte, on se trouve enfermé


dans une sorte de garage intérieur. Une deuxième porte, contrôlée
électroniquement, comme la première, donne accès au parc entouré du
mur d'enceinte. De là on découvre la prison, un bâtiment d'architec-
ture sobre datant des années 70, qui ressemble à une école secondaire
de la même époque comme on en trouve dans des petites villes du
Québec. Rien d'un château-fort. Des fenêtres de bonne dimension sur
une grande partie de la façade de l'édifice, une porte d'entrée sans pré-
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 25

tention au niveau du sol. Dans le hall d'entrée se trouve le poste de


contrôle ; un garde, à l'allure décontractée, dispose d'une petite
console-ordinateur peu sophistiquée. Les portes de communication à
l'intérieur de l'édifice sont très « ordinaires » et ce n'est qu'à certains
endroits stratégiques qu'elles sont tenues fermées et sous clé.

Ainsi, à part l'imposante porte d'acier qui perce le mur d'enceinte,


les mesures sécuritaires à la prison de Ringe n'impressionnent pas
mais elles existent et sont à leur manière à la fois omniprésentes et
discrètes. Comme le mur invisible (ou presque) depuis la route, un
mur qui entoure un parc de 100 mètres de rayon, un mur « calé » dans
un ravin de sorte qu'il ne bloque pas la vue de la campagne environ-
nante. Sur la discrétion du mur et la perspective depuis la prison, on
peut lire justement dans un document sur la Statsfaengslet i Ringe :
« [...] a fact that helps considerably to disguise the traditional prison
atmosphere 21 . »

Non seulement les moyens de contrôle se font le plus invisibles


possible, mais le personnel ne porte pas d'uniforme. Une prison ou on
ne se sent pas étouffé, où les repères de « lieu surveillé » sont moins
apparents qu'ailleurs.

De fait, quotidiennement, le quart des détenu(e)s traversent le pé-


rimètre sécuritaire : quelques-un(e)s passent par la grande porte pour
aller travailler au village ; les autres empruntent une deuxième porte
dans le mur et se rendent dans un bâtiment de briques rouges hors de
l'enceinte, une manufacture de meubles de bois qui appartient à la pri-
son.

Ringe, une prison fermée « ouverte ».

Une prison modèle pour jeunes hommes

La prison de Ringe est une idée originale de son directeur fonda-


teur, Érik Andersen, qui en demeurera le directeur jusqu'en 1989. Au

21 Statsfaengslet i Ringe, The Closed Prison at Ringe, Denmark, daté du 4 dé-


cembre 1988 et signé par le directeur d'alors de la prison d'État à Ringe, M.
Erik Andersen.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 26

début des années 70, Erik Andersen conçoit le projet d'une prison
« modèle » pour des jeunes hommes condamnés à l'incarcération. Il
s'agissait à la fois de leur éviter le compagnonnage obligé des détenus
plus vieux et plus criminalisés, et de leur fournir un milieu favorable à
la poursuite de leur formation scolaire et professionnelle. Mais sur-
tout, ce projet visait l'organisation d'un régime qui ressemble le plus
possible à la « vie normale » dans la société hors prison.

Cet objectif de vie normale allait influencer l'architecture, le choix


et la formation du personnel, les horaires et le régime de vie, les me-
sures de contrôle, les programmes, les services et le mode de relations
interpersonnelles.

Une prison pour jeunes hommes, qui se rapproche le plus possible


de la vie normale. Cette prison qui n'avait pas été pensée pour des
femmes à l'origine allait finalement en recevoir. « En dehors, il y a des
hommes et des femmes, ici aussi », nous dit la directrice actuelle, Bo-
dil Philip, qui faisait elle-même partie de l'équipe de fondation.

En octobre 1975, la prison d'État de Ringe ouvrait ses portes,


d'abord au personnel, puis aux premiers détenus trois mois plus tard,
en janvier 1976. A ces débuts, on commença à y recevoir des femmes
en très petit nombre, sept ou huit, et dans une seule unité.

Des femmes, pour rendre la vie normale à des hommes et des


hommes jeunes, dans une prison conçue pour eux. Ringe est une pri-
son mixte, plus justement une prison qui est devenue mixte : une insti-
tution pour jeunes gens où l'on a amené des femmes.

Le contexte pénal

La prison de Ringe a aujourd'hui une capacité de 90 places : elle


reçoit les hommes condamnés à la prison fermée qui sont âgés de
moins de 23 ans et quelques-uns qui passent cet âge, ainsi que toutes
les femmes condamnées à la prison fermée 22 . De 20 à 25 femmes

22 La prison d'État de Ringe est la seule prison fermée du Danemark qui reçoit
des femmes, sauf l'institution de Herstedvester où vont celles qui ont besoin
de traitements psychiatriques.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 27

sont donc incarcérées à la prison de Ringe qui loge par ailleurs trois
fois plus d'hommes. Les personnes détenues dans cette prison fermée
le sont après avoir été condamnées suite à des infractions de gravité
variable (vols, délits reliés aux drogues, meurtres ou autres crimes
violents, évasions, etc.), ce qui entraîne des peines de durée bien diffé-
rente, allant de 30 jours à 16 ans. La durée moyenne de détention à
Ringe est de deux ans et demi pour les hommes et de trois ans et demi
pour les femmes. Au Danemark, les hommes condamnés à purger leur
peine dans une prison fermée peuvent être envoyés dans d'autres insti-
tutions fermées et certains sont incarcérés à Ringe si leur épouse est
détenue dans cette institution. Pour les femmes, comme je le rappelais
plus haut, Ringe est le seul établissement fermé.

La vie normale

Comme, de l'extérieur, le bâtiment peut me faire penser à une


école, c'est un peu la même impression à l'intérieur. Du côté de l'ad-
ministration, tout est propre, bien aménage, simple et fonctionnel, « à
la danoise ». La salle de réunion où nous reçoit d'abord M. Hartmann,
puis plus tard le vaste bureau de secrétariat rappellent plutôt l'universi-
té que la prison. Tant les travailleuses de bureau, qui me semblent en-
tretenir entre elles des contacts sympathiques, que les officières et of-
ficiers, qui ne portent pas l'uniforme, concourent à rendre ces lieux
hospitaliers sans familiarité. Une atmosphère « normale ». Vraiment,
on ne se sent pas en prison.

Mais la « norme » n'est pas la même côté « détention ». En péné-


trant dans les quartiers des détenu(e)s, tout est plus terne, moins gai.
Même si les mesures de contrôle sont ici plus discrètes que dans d'au-
tres établissements carcéraux, même si l'aménagement fait penser à
une école secondaire, même si une certaine camaraderie est d'usage
entre personnel et détenu(e)s, la « vie normale » de ce côté tranche sur
celle de l'administration. Les classes-ateliers situées au sous-sol de
l'immeuble ont des fenêtres qui ressemblent à des soupiraux et une
cuisinette qui n'aiguise pas l'appétit. Tout cela contraste avec les espa-
ces de travail des administrateurs et du personnel de secrétariat situés
au premier étage. À l'étage de l'administration, les fenêtres sont larges,
on a prise sur la campagne qui environne la prison ; la cuisine-salle à
manger est fonctionnelle et invitante.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 28

Mais qu'est-ce que la vie normale ?

À la prison de Ringe, où la « normalisation » est l'objectif, la vie


normale est associée à l'autogestion, au fait de travailler et d'avoir de
l'argent, et à la liberté d'exercer sa sexualité. On a donc créé un centre
de détention fermé dont le régime se rapproche le plus possible de la
vie normale. L'aménagement des lieux physiques et la formation du
personnel sont au service de cet objectif.

Les lieux physiques

La prison de Ringe occupe un seul corps de logis et constitue un


monde en soi, une sorte de petit village artificiel. Un large corridor
sépare les unités de vie des points de travail et de service, et tient en
quelque sorte lieu de grand'rue, au trafic bien orchestré. Les allées et
venues hors des unités de vie sont en effet contrôlées. Quant aux uni-
tés de vie, elles équivalent à des « habitations donnant sur la rue ».
Ces six unités alignées, séparées par de petites cours, sont des ailes
qui prolongent l'édifice vers le grand parc. Les résidences sont plus
profondes que larges, elles n'ont qu'un étage au toit plat. Elles logent
chacune 16 personnes - à l'exception de l'unité spéciale qui n'en loge
que 10. Les résidants et résidantes y ont chacun, chacune sa chambre à
soi et sa clé. Ces chambres sont situées face à face le long d'un corri-
dor qui conduit aux pièces communes : cuisine, séjour, salle de télé,
coin lavage, douche et toilettes. Et chaque unité-résidence a une porte
côté « rue »(corridor principal), gardée sous clé, et une porte côté
cour, celle-là déverrouillée (on se souvient que le parc sur lequel don-
nent ces courettes est complètement fermé par le mur d'enceinte).

Le personnel

À Ringe, il y a, bien sûr, le personnel administratif qui comprend


la directrice et quatre autres officiers principaux (responsables du per-
sonnel, de la sécurité, du travail social, de l'éducation et du soutien),
ainsi que des professionnels (deux travailleurs sociaux, deux infirmiè-
res, un prêtre et des enseignants). Dès la création de la prison de
Ringe, une attention toute spéciale a été portée au choix et à la forma-
tion du personnel de base, les officiers de prison. Ces derniers doivent,
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 29

en effet, accomplir bien plus que la traditionnelle tâche de gardien de


prison. À Ringe, un officier de prison doit assumer quatre tâches : 1.
la sécurité, bien entendu, mais également 2. le travail social (études et
suivis de cas, préparation des sorties, etc.), 3. la gestion du travail sur
les lieux mêmes, c'est-à-dire dans les ateliers-école, à l'usine ou dans
les unités et 4. la participation aux activités de temps libre des déte-
nu(e)s. Ce personnel de base est composé de personnes de « métier »,
au sens littéral, c'est-à-dire qui possèdent la maîtrise d'un métier dont
elles peuvent faire faire l'apprentissage à quelqu'un d'autre. Au mo-
ment de l'ouverture de la prison, comme l'établissement s'était doté
d'une manufacture de bois, ce sont surtout des menuisiers qui ont été
engages, mais maintenant, c'est plus diversifié : le personnel com-
prend aussi des mécaniciens et des cuisiniers, par exemple. Chez les
premiers officiers engages, très peu connaissaient les prisons. On a
formé les nouvelles recrues comme on le fait encore à Ringe, par de
constants allers et retours entre théorie et pratique incluant des stages
en prison, à Ringe (six mois) et ailleurs (deux mois). La formation
théorique se donne à Copenhague, dans un collège sous la direction du
Département des prisons et de la probation, au ministère de la Justice.
Le personnel veille à la sécurité mais il est surtout là, nous rappelle M.
Martin, pour apprendre aux détenus « to take care of themselves »,
soulignant que la vie normale, c'est aussi prendre soin de soi-même.

De fait, les officiers et l'officière que j'ai rencontré(e)s à Ringe, tant


dans l'unité de vie où nous avons passé quelques heures que dans les
ateliers, me sont apparu(e)s beaucoup plus comme des accompagna-
teurs, des éducateurs que des maîtres de discipline.

L'autogestion

À Ringe, comme d'ailleurs dans le système carcéral danois, l'auto-


gestion est non seulement favorisée, mais c'est la règle, chez le per-
sonnel comme chez les détenu(e)s. L'équipe de huit ou neuf officiers
et officières affectée à chaque unité est responsable de l'organisation
de ses horaires et de la répartition de ses tâches. À toutes les deux se-
maines, cette équipe se réunit avec les officiers responsables de la sé-
curité et du travail social et des décisions sont prises, ensemble. Il en
va de même pour le groupe de détenu(e)s dans chaque unité. Ils et el-
les doivent se prendre en main comme groupe et comme individus. À
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 30

Ringe, pas de cuisine institutionnelle, pas de personnel d'entretien. Les


détenu(e)s doivent faire leur marché au magasin de la prison - une
épicerie-dépanneur fort convenable opérée par un commerçant de l'ex-
térieur -, confectionner leurs repas, voir à l'entretien de l'unité et de
leurs propres affaires. Ils et elles sont libres de décorer leur chambre à
leur goût, d'aménager l'unité à leur guise et de s'organiser ensemble -
ou en sous-groupe - quant à l'exécution de certaines tâches : l'entre-
tien, quelques repas et loisirs en commun, etc.

Dans l'unité « 4 », où nous avons été reçues, c'est une détenue qui
prend les choses en main ; entre autres, moyennant rémunération de la
part de ses « colocataires » elle fait l'entretien ménager. D'ailleurs, on
nous a dit que cette unité de vie, où il y a plus de femmes que dans les
autres, était tenue plus propre que les autres et aménagée avec plus de
soin. Heureux effet de la mixité ! Dans cette unité, malgré la vie de
groupe fragmentée, quelques hommes et femmes conviennent parfois
de voir en commun à l'achat de la nourriture et à la préparation du re-
pas du soir. C'est ainsi que nous avons eu droit à un petit festin - sa-
lade, côtelettes et gâteau - cuisiné et agréablement servi par une
femme et deux hommes emprisonnés à Ringe. Comme dans la vie
normale quand on est reçu chez des amis... qui eux-mêmes sortent
peu.

Le travail

La grande règle de la vie normale : le travail. A la prison de Ringe,


elle est appliquée sans équivoque. Tous et toutes les détenu(e)s doi-
vent travailler. Le refus de se soumettre à cette obligation entraîne la
ségrégation (isolement). Celui ou celle qui refuse de travailler est
confiné à l'une des chambres de réclusion. On travaille 37 heures par
semaine, de 8 h 00 à 15 h 30 (15 h 00 le vendredi), comme dans la
société danoise. Comme dans la « vraie vie », les détenu(e)s quittent
leur unité-résidence le matin pour n'y revenir qu'en fin d'après-midi -
ils et elles prennent leur repas du midi sur les lieux du travail. Il y a
principalement trois formules d'occupation à la prison de Ringe : 1. les
ateliers-école (production schools), 2. la manufacture de meubles et 3.
des travaux à l'extérieur de la prison, dans la communauté environ-
nante.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 31

La production school n'est pas exclusive à la prison de Ringe, mais


existe dans d'autres prisons danoises. Il s'agit d'une combinaison des
apprentissages scolaires traditionnels (langue écrite, mathématiques,
etc.) et de l'apprentissage de métiers (menuiserie, mécanique, etc.). Au
Danemark, le curriculum académique comprend d'abord neuf ans de
scolarisation régulière de base et, par la suite, ceux et celles qui ne
veulent pas poursuivre dans la voie académique peuvent se diriger
vers des programmes à profil professionnel ; mais le mariage « sco-
laire-professionnel » de la production school est une spécificité des
prisons. À la prison de Ringe, enseignants et officiers de prison-
artisans travaillent ensemble avec les détenus dans des locaux conti-
gus - petites classes et ateliers - selon des modalités organisationnelles
et pédagogiques diverses qu'ils déterminent eux-mêmes ; par exemple,
on accordera une leçon de mesure ou de géométrie à une opération de
coupe dans le bois ou le métal. Chaque intervenant travaille avec un
petit groupe de six élèves-apprentis. Un maître d'atelier nous fait re-
marquer l'absence de l'un d'entre eux qu'il a envoyé en isolement
parce qu'il a pris de la drogue : pour des raisons de sécurité, on ne peut
laisser quelqu'un qui n'est pas en pleine possession de ses moyens uti-
liser les machines-outils. Les ateliers-école n'ont pas toujours existé à
la prison de Ringe. Jusqu'en 1987, il n'y avait que des classes à temps
plein, sans apprentissage concret. On a instauré la production school
afin de s'ajuster davantage à la clientèle, sous scolarisée et peu moti-
vée pour les études régulières. Comme au Danemark la scolarité obli-
gatoire, c'est-à-dire celle qui conduit a un premier diplôme, est de neuf
ans, on offre donc à la production school de la prison de Ringe un
programme scolaire de base qui permet aux détenu(e)s d'obtenir ce
diplôme d'étude. Ils et elles passent les examens de l'État et ce, sans
être identifié(e)s comme venant de la prison. Quelques-un(e)s, plus
rapides, ou dont la scolarité à l'entrée en prison est plus avancée, peu-
vent aller plus loin grâce au matériel pédagogique individualisé et au
suivi fait par les professeurs. C'est le cas d'un des jeunes détenus avec
qui nous avons dîné et qui a parlé avec fierté de la rapidité avec la-
quelle il avançait dans son programme scolaire et de ses ambitions
dans le domaine. Par ailleurs, poursuivre des études collégiales ou
universitaires ne semble pas facile à Ringe ; c'est du moins ce que m'a
laissé entendre une détenue qui a démissionné devant la nécessité de
le faire par correspondance. La scolarisation des détenu(e)s est un des
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 32

buts visés par la production school de la prison de Ringe, mais l'initia-


tion au travail m'a semblé peut-être prévaloir sur la formation scolaire.

La manufacture de bois, sise hors du mur d'enceinte, est un « véri-


table » lieu de travail et de production pour les personnes incarcérées
à la prison de Ringe, comparé aux classes-ateliers qui sont d'abord des
lieux d'apprentissage. Une vingtaine de détenu(e)s viennent y travail-
ler quotidiennement à la fabrication de meubles de bois (étagères, pu-
pitres, etc.) qui sont vendus surtout à des institutions d'État. Cette ma-
nufacture occupe un très grand bâtiment dont l'intérieur est à aire ou-
verte, exception faite de quelques alcôves de service comme le bureau
des officiers et la cuisinette ; les espaces spécifiques à chacune des
étapes de production sont délimités soit par la machinerie, soit par les
installations de rangement du matériel brut ou des produits déjà en
processus de fabrication. En la visitant, je suis impressionnée par la
machinerie spécialisée dont un officier-artisan prend plaisir à m'expli-
quer les rouages. Au fur et à mesure de la visite, quelques détenus-
travailleurs ajoutent aux explications en me démontrant tantôt com-
ment opère telle machine à tailler le bois, tantôt comment on procède
au sablage, etc. Les locaux de service sont négligés, particulièrement
la cuisinette, très défraîchie et peu invitante. Comme la fin de journée
de travail approche, certains vaquent sans enthousiasme au rangement,
quelques autres se pressent déjà sur le pas de la porte (vers la pri-
son...). J'ai l'impression d'un groupe d'écoliers qui attend que le pro-
fesseur donne le signal de départ. D'ailleurs, l'officier chef d'atelier me
dit que les jeunes détenus-ouvriers ne sont pas très travaillants et qu'il
faut sans cesse les motiver. Ce jour-là, trois détenu(e)s qui devraient
se trouver à la manufacture, sont en chambre d'isolement faute de
s'être rendu(e)s au travail. Si un travailleur ou une travailleuse ne se
présente pas à la manufacture avant la fin de la première heure de tra-
vail, il ou elle est envoyé(e) en ségrégation. La manufacture de la pri-
son de Ringe ne fait pas de profit, c'est à peine si le fruit des ventes
comble les dépenses de l'entreprise qui se trouve parfois « dans le
rouge », dit le chef d'atelier. Et, parlant des « travailleurs » il ajoute :
« They are not professionnal. »

Deux groupes de six détenu(e)s vont carrément travailler à l'exté-


rieur de la prison, dans les environs de Ringe. Chaque groupe est ac-
compagné d'un officier de la prison. Nous avons causé avec des déte-
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 33

nus qui approchaient du terme de leur séjour en prison et qui allaient


ainsi travailler en ville. Malgré les durs travaux de restauration qu'ils
devaient accomplir, ils m'ont semblé bien apprécier le fait d'aller
complètement à l'extérieur de la prison pour travailler.

L'argent

Le contrôle de l'argent et sur l'argent (d'autrui) est bien l'un des


contrôles sociaux les plus puissants. Posséder de l'argent et disposer
du pouvoir de le dépenser à sa guise donne un grand sentiment de
pouvoir. Avoir de l'argent dans ses poches est une sorte de passeport
pour l'autonomie. À la prison de Ringe, c'est une condition de « vie
normale ». Avant de venir à Ringe, je n'avais jamais vu, dans les pri-
sons, des détenu(e)s avec de l'argent en main. Eh oui ! à la prison de
Ringe, ils et elles manipulent du « vrai » argent, dur et de papier. Cha-
cun(e) reçoit une allocation de nourriture de 260 DKr (en 1993, ± 65 $
par semaine). Le salaire est de 5,82 DKr de l'heure (± 1,45 $) pendant
les quatre premières semaines de travail, auxquels s'ajoutent 1,79 DKr
(± 0,45 $) par la suite. De quoi vivre à la prison, sans beaucoup plus.
Même si la marge de manoeuvre n'est pas grande pour la plupart des
détenu(e)s de Ringe, le fait de posséder en propre de l'argent constitue
une forme d'autocontrôle et de pouvoir qui est habituellement sous-
traite aux individus incarcérés. Ainsi, les détenu(e)s à la prison de
Ringe peuvent s'emprunter ou se donner de l'argent, faire du troc, faire
équipe pour les achats de nourriture, vendre des services, etc. Et ils et
elles le font. Mais aussi, ils et elles doivent prévoir, budgéter, comp-
ter, et protéger leur avoir. Comme le dit un jeune détenu rencontré à
l'unité 4 : « You have money in that wing and up to you to do what
you want. »

La sexualité

Si le contrôle par autrui des avoirs d'une personne, particulière-


ment les avoirs monétaires, réduit la possibilité de propre prise en
charge personnelle, le contrôle du corps est bien l'ultime pouvoir que
quelqu'un peut exercer sur autrui. L'emprisonnement porte atteinte à la
mobilité de corps, c'est là sa forme première de contrôle. La prison de
Ringe demeure une prison et dans ses murs, toute ambition de « vie
normale » porte en elle une ambiguïté incontournable.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 34

À la prison de Ringe, la sexualité est contrôlée bien sûr, mais non


désavouée. Le contrôle des corps prend un peu de recul. Les relations
sexuelles sont permises entre détenus et détenues d'une même unité :
dans votre chambre, porte barrée, Personne ne vient vous déranger, ni
les codétenu(e)s ni les officier(ère)s. Un(e) détenu(e) peut même ren-
dre visite à son ami(e) de cœur (amant, amante) qui habite dans une
autre unité. En fin de semaine, les résidant(e)s de la prison peuvent
recevoir des visiteurs de l'extérieur. Ils et elles doivent à cet effet ré-
server, comme on le fait à l'hôtel, une des petites salles de visite, cha-
cune équipée d'un canapé-lit et d'un meuble d'appoint où sont rangés
draps et condoms. On ne les y dérangera pas non plus. La sexualité à
la prison de Ringe fait partie de la « vie normale », mais de la « vie
normale » de ce milieu fermé où les normes pas plus qu'ailleurs ne
sont données de soi. « We don't moralize », disent les intervenants de
la prison de Ringe, mais quelle serait la morale qui justifierait quoi
que ce soit en matière de sexualité alors que les rapports entre indivi-
dus sont limités par le contrôle de la mobilité, le nombre de contacts
possibles et les inégalités liées au genre et à l'âge des partenaires dis-
ponibles ?

Une prison mixte

Ringe est officiellement une prison fermée et mixte. Si au premier


abord il est évident que la prison de Ringe est une prison fermée, il en
va autrement de son caractère mixte. La présence d'une clientèle « fé-
minine » ne saute pas aux yeux. En effet, dans le hall d'entrée, je ne
retrouve pas les indices familiers des prisons pour femmes. À Ringe,
ce ne sont pas des travaux à l'aiguille qui sont en montre, mais des
objets d'ébénisterie.

Les premières personnes a nous y accueillir, notre guide, l'officier


à l'entrée, sont des hommes. Les premières femmes que nous croisons
sont celles qui, bien traditionnellement,' remplissent des fonctions de
secrétariat.

La mixité à Ringe signifie que des femmes et des hommes cohabi-


tent dans une même unité (dans cinq unités sur six au moment de no-
tre passage). Hommes et femmes participent aux mêmes activités et
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 35

ce, en même temps ; ils et elles ont accès aux mêmes services ; ils et
elles sont traité(e)s également, eu égard aux droits de visite et de sor-
ties, aux sanctions, etc. Cela veut dire aussi qu'ils et elles sont libres
d'entretenir entre eux et elles des relations sexuelles. La mixité à
Ringe se trouve aussi dans le fait qu'un tiers des 52 prison officers
sont des femmes.

Mais la mixité à la prison de Ringe a ses limites : les femmes déte-


nues y sont en bien plus petit nombre que les hommes, elles n'ont pas
le même âge qu'eux, elles y jouent des rôles différents, et quatre sur
cinq des principal officers sont des hommes.

Des femmes détenues parmi des hommes, parmi des garçons plus
précisément... La notion de mixité se forge ici difficilement. Limage
que je garde : des femmes emprisonnées dans un lieu d'hommes.

Vingt femmes incarcérées sur un total de 90 détenus. Quatre fem-


mes ou moins dans chaque unité de 16 détenus. Quoique l'on évite
qu'une femme se retrouve seule parmi 15 compagnons, c'est le cas au
moment où nous sommes à Ringe ; on nous dit cependant que c'est le
choix de la détenue et qu'elle n'est pas obligée de rester dans cette uni-
té maintenant qu'elle y est la seule femme. Au sujet de la proportion
« idéale », un officier responsable fait remarquer, a l'inverse, que lors-
qu'il y a trop de femmes dans une même unité, cela cause des problè-
mes. Par contre, nous dit-on, il West pas souhaitable non plus qu'une
unité ne reçoive que des hommes. D'ailleurs ceux-ci ne le souhaitent
pas. On note une différence dans les comportements des hommes se-
lon qu'ils sont incarcérés dans des prisons pour hommes ou des pri-
sons mixtes. En présence de femmes, les hommes ont une autre façon
de parler, de faire le ménage même, car... « si leur chambre est sale,
ils n'auront pas la visite de femmes ... ».

La directrice de l'institution reconnaît que la disproportion entre le


nombre de femmes et d'hommes emprisonnés à Ringe cause un pro-
blème. Mais plus grave est à ses yeux la difficulté venant de la dispa-
rité d'âge entre les personnes de chaque groupe sexuel. À notre avis,
ces deux problèmes sont intimement liés. La prison de Ringe a été
créée pour les hommes jeunes et continue de recevoir des hommes
jeunes. Le critère d'âge ne s'applique pas dans le cas des femmes
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 36

condamnées à la prison fermée puisque Ringe doit toutes les recevoir.


Seules six ou sept seraient du groupe d'âge des garçons. Les femmes y
sont donc en moyenne de plus de 10 ans les aînées des hommes. Elles
ont en moyenne 32 ans, tandis que l'âge moyen de leurs partenaires de
détention est de 21 ans. La directrice n'est pas la seule qui soit préoc-
cupée par cette disparité d'âge ; d'autres officiers responsables parta-
gent cette préoccupation. Les femmes n'aiment pas vivre avec de jeu-
nes garçons. Elles disent elles-mêmes que « ce sont des enfants ». Un
des officiers principaux, en parlant de la clientèle masculine de la pri-
son, aura aussi cette expression, de « grands enfants ».

Mais tout compte fait, selon B. Philip, ces quelque 20 femmes sont
mieux à Ringe, dans une institution de 90 détenus, que dans une
grosse prison de 180 à 200 détenus, mais où les hommes seraient
moins jeunes. C'est aussi l'opinion de quelques détenues avec qui j'ai
parlé. De toute façon, elles n'ont pas le choix.

À la prison de Ringe, les femmes sont différentes des hommes sous


d'autres rapports. Elles sont plus souvent mères que ne sont pères leurs
jeunes compagnons ; elles viennent plus souvent d'un pays étranger
que leurs codétenus ; elles sont plus sérieusement touchées par des
problèmes de consommation de drogues qu'ils ne le sont ; leurs sen-
tences sont plus longues que celles des jeunes gens.

Il n'y a pas d'arrangement spécial pour les détenu(e)s qui ont des
enfants. Une femme détenue me raconte d'ailleurs les complications
qui entourent le fait de maintenir des contacts satisfaisants avec sa
jeune adolescente. À propos des liens mères-enfants, la directrice
émet l'opinion qu'en prison, comme « les choses vont moins vite », les
femmes pensent davantage à leurs enfants, alors qu'en dehors elles en
avaient moins le temps, souvent prises, entre autres, par le trafic de
drogue. Si une femme doit donner naissance à un enfant pendant
qu'elle est détenue, elle va à l'hôpital pour accoucher et peut en prin-
cipe ramener son bébé avec elle à la prison ; mais rien dans les instal-
lations ne semble explicitement prévu pour un tel cas 23 .

23 Il n'y avait ni nouveaux-nés ni jeunes enfants à la prison lors de notre visite.


Cependant, nous savons que quelques-uns y avaient séjourné précédemment et
que, depuis, un autre enfant y a été gardé par sa mère détenue.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 37

De l'avis de plus d'un responsable de la prison de Ringe ainsi que


de celui des quelques détenu(e)s que nous avons rencontrés, il y a de
nombreux problèmes reliés à la consommation de drogues dans cette
prison. S'ils concernent près de la moitié des hommes incarcérés, ils
sont généralisés chez les femmes : on dit que 90% d'entre elles sont
des utilisatrices. Les problèmes de toxicomanie ne sont pas traités en
prison ; s'ils nécessitent une intervention particulière, on a recours à
l'hôpital. On projette cependant pour l'automne la mise sur pied d'une
section spéciale, à la prison, pour les utilisateurs et utilisatrices de
drogue 24 .

D'une part, le fait que les femmes soient plus impliquées dans des
affaires de drogue, notamment le trafic, explique leur surreprésenta-
tion parmi les étrangers incarcérés à Ringe. D'autre part, on nous a dit
que le fait que les femmes emprisonnées à Ringe aient de fortes habi-
tudes de consommation de drogues les entraîne à offrir leurs services
sexuels pour se procurer l'argent nécessaire à leur consommation. A la
prison de Ringe, on tente par ailleurs de limiter la prostitution en en-
courageant plutôt le « one boyfriend ».

À Ringe, il se trouve quelques hommes condamnes pour avoir


agressé des femmes ou des enfants. En plaçant ces détenus dans une
unité où il y a des femmes, on fait l'hypothèse qu'ils apprendront à
vivre avec elles.

Touchant les agressions possibles des hommes envers les femmes,


le responsable de la sécurité affirme qu'il ne reçoit pas même une
plainte par année en moyenne.

Comme chez les détenus, la mixité dans le personnel est vue à


Ringe comme quelque chose de positif : les officiers masculins, en
l'absence de collègues femmes sont plus durs, nous dit-on. Dans le
même sens, le responsable de l'éducation nous dit que les enseignantes
réussissent mieux que les enseignants à motiver leurs élèves, qu'elles
sont des mother figures for boys, lesquels se confient à elles plus faci-

24 Nous apprenons à l'été 1994 que la prison a passé un contrat de service avec
un organisme de traitement.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 38

lement qu'à des hommes. Cependant, lors de l'embauche, on choisit le


meilleur candidat. C'est le cas à ce moment et, bien qu'il eût préféré
engager une femme, c'est un homme qui va remplacer la professeure
qui quitte son poste.

À Ringe, on trouve une mixité « à petite dose ». Une mixité où les


femmes, minoritaires, adoptent les rôles qui leur ont été traditionnel-
lement dévolus : mères et amantes. Des rôles implicites, informels,
bien sûr. Un contexte de mixité où les genres sont inégalement repré-
sentés et qui entraîne des iniquités : les besoins particuliers des fem-
mes plus âgées (toxicomanie, besoins de formation) ne trouvent pas
ici de réponses particulières. Toutes choses qui traduisent leur statut
de minoritaires et de moindre pouvoir.

À Ringe, on est dans un monde d'hommes - une école de garçons -


où quelques femmes adultes s'aménagent un peu d'espace, dans les
ateliers-école et dans l'usine où on fait l'apprentissage des métiers de
bois et de fer. Parfois aussi comme détenue, on se retranche, on s'or-
ganise, comme cette femme à qui l'institution a peu à offrir en matière
de formation académique et qui cultive un potager qu'elle a elle-même
créé. Ou encore on s'isole dans l'unité de vie, comme cette femme
étrangère qui paraît la soixantaine, qui ne parle pas ou si peu le danois
et qui passe des heures assise à la fenêtre de sa chambre.

Vie « normale » ? Pour qui ?

La prison ouverte de Horserod

Retour à la table des matières

Ringe est située au sud-ouest de Copenhague. Horserod au nord-


est. Nous sommes le 2 juin. Nouveau paysage danois, celui de la côte
orientale que le train sillonne stoppant à toutes les petites villes parmi
lesquelles je devine des banlieues cossues. En ce matin de semaine,
comme on sort de Copenhague, il y a peu de passagers à bord. Helsin-
gor, environ une heure plus tard. Sortir de la gare n'est pas évident !
15-20 minutes plus loin en taxi, voilà la « prison ouverte ». Le chauf-
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 39

feur, après avoir corrige ma prononciation approximative de Horse-


rod, ne semble pas surpris par ma destination. Ce n'est certes pas la
première fois qu'il s'y rend.

Une prison sans mur

Un tournant de la route sur la Esrumvej 25 puis j'aperçois, je recon-


nais la prison sans l'avoir jamais vue. Il est vrai que j'ai entendu parler
de la prison de Horserod par des membres du personnel et des déte-
nu(e)s de la prison de Ringe. Je sais donc qu'il s'agit d'une sorte de
camp. Les terrains de la prison s'étendent d'un côté de la route sur en-
viron un quart de km et de l'autre côté sur à peu près 100 m. Encore
assise dans le taxi qui ralentit et s'apprête à tourner dans le chemin
d'entrée, j'aperçois une quinzaine de bâtiments en bois rouge qui res-
semblent à ceux de colonies de vacances. C'est au deuxième coup
d'oeil que je prends une photo d'ensemble de cette prison qui n'en a
pas l'air, en tout cas, tellement différente des prisons que j'ai vues jus-
qu'à maintenant. Ici, pas de clôture, pas de métal ni de béton, mais des
constructions basses, en bois, sises parmi des arbres, des fleurs et des
bosquets, au gré de petites allées piétonnières. Une dizaine d'hommes
s'affairent à des gros travaux extérieurs -tuyauterie, je crois. Prison-
niers, gardiens ou ouvriers de l'extérieur ? je ne peux le dire. Lorsque
je marche vers le redwood cottage où le chauffeur de taxi m'a indiqué
de me présenter, personne ne se préoccupe de ma présence. je
m'étonne de circuler librement sans être interpellée. Mais je dois me
rappeler que je suis sur le terrain d'une prison ouverte... Ma concep-
tion canadienne de ce type d'institution n'est sans doute pas adaptée à
la réalité danoise.

Oui, la Statsfaengslet ved Horserod est une prison OUVERTE, une


prison sans mur.

J'entre dans le pavillon d'accueil dont la porte est ouverte sans que
personne ne m'arrête ou ne m'interpelle. Je dois frapper à la porte d'un
bureau pour m'annoncer. Une réceptionniste m'accueille. Un homme,
qui s'identifie comme un membre du personnel de direction, me
conduit vers le pavillon de l'administration où je rencontre Mme Helle

25 Nom de la route rurale sur laquelle la prison a son adresse.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 40

Hald, la directrice de la prison. Elle me souhaite la bienvenue et me


confie aux bons soins de Mme Annemarie Lund 26 , ma guide pour la
journée, qui parle un anglais fonctionnel et occupe le poste de vice-
directrice responsable des femmes détenues à Horserod.

Les mesures de contrôle

Le contrôle, à la prison de Horserod, m'a semblé tenir davantage à


des règlements qu'à des mesures de sécurité comme telles, un peu
comme si on avait presque partout et tout le temps « accès à », mais
pas nécessairement « le droit de ». Des règles gouvernent les allées et
venues et l'emploi du temps. Aucune contrainte physique n'oblige les
résidant(e)s à se trouver en tel lieu à tel moment. Théoriquement, ils
pourraient être à peu près n’importe où n'importe quand. Mais les rè-
glements interdisent formellement aux résidants de sortir sans permis-
sion du terrain de la prison, lequel n'est cependant pas clos par une
barrière ; de même, il est interdit d'aller dans les autres pavillons dont
les portes sont pourtant déverrouillées pendant la journée.

Les mesures de contrainte physique et mécanique à Horserod se ré-


sument à quelques portes verrouillées. Les portes des bureaux des
membres du personnel dans chaque pavillon sont sous clé. Les pavil-
lons de service comme l'école, les ateliers et la cafétéria sont égale-
ment fermés à clé : on y entre et on en sort à heures fixes et en groupe.
Enfin, les unités de vie des résidant(e)s sont verrouillées chaque soir,
de l'extérieur, de 21 h à 7 h.

Chaque résidant(e) possède la clé de sa chambre. Les chambres à


Horserod sont les plus grandes qu'il m'ait été donné de voir dans les
prisons pour femmes que j'ai étudiées. Les chambres des résidant(e)s
ne sont pas fermées à clé depuis l'extérieur par le personnel comme
c'est le cas dans les prisons fermées, y compris à Ringe. Jamais on
n'enferme les résidant(e)s, même pas la nuit. C'est plutôt la porte du
pavillon qui est verrouillée de l'extérieur. Les résidant(e)s d'un pavil-
lon sont libres de circuler la nuit à l'intérieur de leur unité, même de se

26 Mme Lund, vice-directrice de la prison, a su rendre notre visite des plus profi-
tables et nous l'en remercions.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 41

visiter entre eux(elles) dans leur chambre. À l'extérieur des pavillons,


les détenu(e)s se déplacent sans surveillance immédiate.

Sur ce terrain de quelques milliers de mètres carrés, et dans les uni-


tés de vie comprenant chacune environ 15 ou 20 pièces, la présence
du personnel se fait discrète. En tout cas, c'est ainsi qu'elle m'est appa-
rue. La vice-directrice, pour désigner les membres du personnel qui
interviennent directement auprès des résidant(e)s, parle du uniformed
personnel. Cela m'est apparu plus être une expression du jargon insti-
tutionnel qu'une réalité ; l'uniforme n'étant pas porté ici de manière
rigide, il est plus ou moins évident pour la visiteuse étrangère que je
suis. La prison de Horserod comprend quatre sections de deux ou trois
pavillons chacune, c'est-à-dire 10 pavillons au total. Chaque section
est supervisée et encadrée par une équipe d'au moins neuf membres du
personnel (13 entre 13 h et 22 h).

La vice-directrice, à qui je demande, en cours de visite, si elle n'a


pas un peu l'impression d'administrer une sorte de grand collège, me
répond sans hésiter et sans équivoque, quoiqu'en souriant : « It is
not. » La prison de Horserod est une prison, ouverte oui, mais une pri-
son. Le « mur » de la prison de Horserod, c'est la menace de la prison
fermée.

Historique

Les bâtiments de la prison datent de la Première Guerre mondiale :


la Croix Rouge internationale les utilisait alors pour y garder les pri-
sonniers de guerre russes et allemands. Par la suite, ces pavillons ont
eu encore d'autres vocations, par exemple celle de camps pour enfants.
Durant la Seconde Guerre, ils ont servi, sous l'occupation allemande,
de camp d'internement des volontaires de la Guerre civile d'Espagne
et des communistes. C'est en 1945 que le ministère responsable des
prisons au Danemark a décidé d'en faire une prison ouverte.

Le contexte pénal

La Statsfaengslet ved Horserod est le plus important lieu « ou-


vert » de détention du Danemark par le nombre de ses résidants : 254
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 42

personnes y sont détenues dont 38 femmes. Horserod n'est cependant


pas la seule prison ouverte qui reçoit des femmes 27 .

La moyenne d'âge des détenu(e)s est de 25 à 30 ans. Aucune n'est


amenée à Horserod si elle n'a pas atteint l'âge de 18 ans et rares sont
les personnes qui dépassent la cinquantaine.

En 1992, la durée moyenne des séjours d'emprisonnement à Horse-


rod a été de 10,5 mois pour les hommes et de 12 mois pour les fem-
mes. Cette durée va de 14 jours à 6,5 ans environ, soit les deux tiers
d'une sentence de 10 ans.

Il y a moins de cas lourds à Horserod qu'à Ringe, mais de l'avis de


A. Lund, certain(e)s résidant(e)s de la prison ouverte de Horserod se-
raient mieux à leur place à Ringe, dans une prison fermée.

Quand j'aborde la question des évasions, la vice-directrice m'in-


forme qu'il y en a eu une centaine en 1992, le flot annuel des rési-
dant(e)s à Horserod étant d'environ 1000 condamné(e)s. Le nombre
des évasions semble lui paraître normal et cela ne l'inquiète pas. Cer-
tain(e)s qui s'évadent reviennent à la prison de leur propre chef, tandis
que d'autres seront retrouvé(e)s par la police, plus ou moins rapide-
ment, parfois même après être resté(e)s au large toute une année. A la
prison de Horserod, on ne reprend les fugueur(euse)s qu'une fois et s'il
y a une deuxième tentative, c'est le transfert dans une prison fermée.

La vie normale

À la prison de Horserod, comme dans les autres prisons danoises,


pas d'équivoque, la règle c'est qu'on doit travailler ou étudier. Une pe-
tite proportion de détenu(e)s vont à l'extérieur pour l'une ou l'autre de
ces activités.

27 Une annexe pour femmes à la prison d'État de Horsens dans le Jutland a été
construite dans la campagne à 25 km du campus principal ; elle peut recevoir
une vingtaine de prisonnières.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 43

La formation scolaire

Intra muros, si je peux dire, la formation scolaire s'arrête avant le


high school, c'est-à-dire qu'on dispense de l'enseignement jusqu'à la
neuvième année inclusivement. À la prison, on propose aux détenu(e)s
d'aller à l'école mais on ne les force pas, la motivation devant être là.
Cependant, on stimule davantage les personnes analphabètes à le
faire. Il y a trois classes dont une de langue danoise pour les déte-
nu(e)s étranger(ère)s qui sont une trentaine, surtout yougoslaves, ira-
nien(ne)s ou turc(que)s. (Notons que ces étranger(ère)s sont déte-
nu(e)s dans une prison ouverte parce qu'ils-elles ont la permission de
séjourner au Danemark. Autrement, ils-elles seraient détenu(e)s dans
une prison fermée). L'école occupe un bâtiment dans le style des au-
tres. Lors de ma visite, il n'y a aucun élève sur place, trois classes vi-
des : c'est juin et ils-elles sont en préparation d'examens - ils-elles pas-
sent les examens d'État. Dans ce pavillon scolaire, on se croirait dans
une école de campagne des années 40 au Québec. Les locaux sont ce-
pendant aménagés de manière fonctionnelle selon les besoins de cha-
que classe. Par exemple, sur le tableau d'une classe, où je reconnais
une leçon de basic danish (j'en aurais bien besoin moi-même), le local
comporte de petits enclos individuels comme c'est souvent le cas dans
les cours de langue. Dans une autre classe d'alphabétisation, les pupi-
tres sont disposés en cercle pour favoriser la communication. Cette
école, en retrait des autres bâtisses, est sans doute un lieu propice à
l'activité intellectuelle. C'est le lieu scolaire que j'ai perçu comme le
mieux organise de tous ceux que j'ai visités dans d'autres prisons.

Pour illustrer l'un des problèmes touchant la formation académi-


que, mon hôte me cite le cas d'une détenue désireuse de poursuivre
des études qui exigent qu'elle aille à l'extérieur, mais qui en est empê-
chée parce qu'elle n'a pas encore purgé la part de sa longue sentence
qui donnerait droit à des sorties quotidiennes.

Le travail

Quant au travail sur les lieux mêmes de la prison, il est plutôt di-
versifié. D'abord, comme traditionnellement dans bien des prisons, il y
a la buanderie et la cuisine centrale, le lieu de travail le plus prisé par
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 44

les détenu(e)s de Horserod (le salaire y est bon à cause des heures plus
longues et, à la cuisine, on est à même de faire quelques provisions de
son choix). Cependant, on est à installer l'équipement nécessaire dans
chaque unité pour que les détenu(e)s puissent y faire leurs repas et
leur propre lessive, de façon à ce que ces tâches soient intégrées à leur
routine de vie. Cette décentralisation n'est pas sans poser de problè-
mes : on doit trouver d'autres postes de travail, non seulement pour les
résidant(e)s mais aussi pour le personnel affecté à ces tâches. Il existe
d'autres lieux de travail pour les détenu(e)s : ce sont des ateliers de
couture, de bois, de fer, de petits objets. On y fabrique des objets fort
divers (rideaux, lingerie domestique, corbeilles à papier, tables d'ordi-
nateur et autres meubles) qui sont vendus à des institutions publiques
ou privées. S'ajoutent à cela tous les travaux qui touchent à l'entretien
des bâtiments et des aires extérieures, sans compter ceux de rénova-
tion qui battaient leur plein lors de mon passage à la prison.

À l'extérieur de l'enceinte de la prison, les résidantes vont souvent


chercher une formation dans différents types d'industrie. Il est très rare
que les résidants retournent pendant leur incarcération dans les em-
plois qu'ils occupaient auparavant. La prison se tient constamment en
contact avec les milieux de travail fréquentés par les détenu(e)s.
Ceux-ci savent que leur présence et leur comportement au travail fe-
ront l'objet d'enquête. Les résidant(e)s qui étudient (20) ou travaillent
(15) à l'extérieur le font dans des lieux le plus rapprochés possibles de
la prison bien que certain(e)s voyagent jusqu'à Copenhague.

L'argent

À la prison même, les salaires vont de 5,82 DKr (± 1,45 $) de


l'heure à 9 DKr (2,25 $) de l'heure, l'augmentation étant associée à la
productivité. Une nouvelle réglementation qui vise à augmenter les
salaires pour motiver davantage au travail est en voie d'implantation.
La semaine de travail est de 37 heures, comme partout au Danemark.

Les détenu(e)s reçoivent une allocation alimentaire de 40 DKr (±


10 $) par jour. Il leur est possible de s'acheter tabac, café, friandises,
etc. à une cantine. Ils(elles) peuvent aussi recevoir de l'argent et d'au-
tres biens ou denrées de leurs proches, parents et amis.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 45

Les visites, la sexualité et les sorties

Les relations sexuelles sont permises entre les détenu(e)s et, à ce


sujet, A.L. me dit : « We don't moralize. »

Chaque résidant(e) a droit à au moins trois heures de visite par se-


maine, davantage si des salles de visite sont libres. Les salles de visite
se trouvent dans le bâtiment d'accueil. Chacune de ces salles est une
sorte de grand salon équipé d'un canapé-lit, d'un fauteuil, d'une table
et d'un petit bureau qui contient literie et condoms. Pour les beaux
jours, des petites cours « intimes » sont aménagées dehors. Les visites
doivent avoir lieu en dehors des heures de travail. Certain(e)s rési-
dant(e)s obtiennent la permission de recevoir des ex-détenu(e)s.

Dans l'unité « couples et familles », les résidant(e)s ont droit à six


heures de visite par semaine et ces rencontres ont lieu dans le pavillon
même. Les résidant(e)s de cette unité, quelques fois par semaine, ont
le privilège d'aller en ville à la piscine avec les enfants, ou de marcher
en forêt dans des sentiers de l'autre côté de la route.

La « vie normale » n'est pas la même pour tous et toutes à la prison


de Horserod. Chacun ou chacune n'a pas non plus accès à la même
mixité. La prison n'est pas également ouverte pour toutes et tous les
détenus : certains y ont des « clés » que d'autres n'ont pas.

Dans la grande prison ouverte de Horserod, il y a plusieurs petites


prisons, certaines plus ouvertes que d'autres.

Une prison mixte

Comme on l'a vu, les femmes sont très minoritaires à Horserod


parmi les résidants. En fait, elles ne constituent que 15% des résidants,
ce qui, déjà, qualifie la « mixité » dont il sera question ici.

Des unités sont « consacrées » aux femmes, d'autres aux hommes,


d'autres aux deux genres. La majorité des femmes (25 sur 39) loge
dans une même unité de vie ; mais elles participent par ailleurs aux
activités et occupations générales de l'institution avec les hommes et
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 46

les femmes des autres unités. Les autres femmes (14) se retrouvent
dans l'un ou l'autre des deux pavillons mixtes, en nombre bien infé-
rieur aux résidants masculins, ou dans le pavillon « famille » qui re-
groupe un nombre à peu près égal d'hommes et de femmes et quelques
enfants.

Dans le pavillon réservé exclusivement à des femmes, l'organisa-


tion des lieux, semblable à celle des autres unités de vie, comprend
des bureaux pour le personnel, une cuisinette tout juste équipée pour
les collations, un salon, des douches et toilettes, une vingtaine de
grandes chambres individuelles. Le pavillon m'est apparu comme
manquant d'ordre et de propreté. Peut-être faut-il attribuer ce fait aux
rénovations en cours. De surcroît, cette unité est sombre. En effet, elle
est située dans un boisé ; on la devine à peine depuis les environs. Ma
guide s'adresse aux quatre femmes assises au vivoir ; aucune n'a l'air
très intéressée par ce que dit A.L., mais finalement une résidante ac-
cepte de nous laisser voir sa chambre. Chaque détenue dispose les
meubles à sa guise, accroche ce qu'elle veut aux murs et garde en sa
possession toutes sortes d'objets - livres, radios, bibelots, etc. Dans ce
pavillon-ci, je trouve l'atmosphère triste comme dans certaines des
prisons pour femmes que j'ai visitées en Amérique du Nord. La prison
ouverte se referme ici sur elle-même.

Dans le pavillon destiné à des hommes et des femmes, je ne vois


que des hommes. Ce pavillon fait très chic compare au précédent -
une cuisine complète, qui servira à la préparation des repas, vient d'y
être aménagée ; elle est propre et bien organisée. C'est aussi le cas du
lavoir où est déjà affichée une feuille de réservation des appareils.
Deux hommes résidants sont à astiquer le plancher de la salle de sé-
jour. Dans un bureau, deux hommes membres du personnel tiennent
une réunion de travail. Un autre homme, résidant de ce pavillon, est
assis dans sa chambre dont la porte est ouverte ; il accepte volontiers
que nous jetions un coup d'œil à l'intérieur de son « chez-lui » : orga-
nisation, bon goût et propreté dans ce lieu rempli de livres, de plantes,
et où se trouve un savant aquarium. Les résidant(e)s de cette unité
s'engagent par contrat -et ils sont les seuls à le faire - à ne pas
consommer de drogues et d'alcool et à se comporter convenablement.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 47

Le « pavillon famille » (family ward), peut accueillir 14 parents et


sept enfants. Peuvent y être logés des couples (« often sentenced in
the saine case ») mariés ou non, réunis avant ou pendant l'emprison-
nement sans enfant ou avec des enfants nés avant ou pendant la déten-
tion des parents. Un parent « unique » peut aussi loger là avec son en-
fant, que ce parent soit un homme ou une femme. On me dit qu'habi-
tuellement, il y a au moins deux ou trois enfants qui résident dans ce
pavillon de la prison, mais il n'y en a aucun lors de mon passage à
Horserod. Les enfants peuvent y être gardés jusqu'à l'âge de deux ans
et demi ou trois ans. Après cet âge, ils sont trop conscients, selon A.L.
Il n'y a pas de personnel spécialisé pour les enfants, ce sont les parents
qui s'en occupent. On aperçoit un coin de rangement où se trouve du
matériel de base pour les enfants. Mais chacun doit avoir ses jouets,
me précise-t-on. Dans le jardin, sur lequel s'ouvrent de grandes portes
vitrées, il y a des installations de jeux pour enfants. Dans cette unité
familiale, chaque adulte a droit à sa chambre, mais les couples organi-
sent des « deux pièces » en petit appartement : une chambre et un sa-
lon-vivoir-bureau. Au moment de ma visite, deux couples flânent dans
la salle de séjour commune, je les salue au passage. Propre et bien te-
nu, ce pavillon genre « bungalow de banlieue » ne fait décidément pas
prison. Je m'y suis sentie plus une intruse que dans les autres unités,
ayant l'impression de me trouver chez quelqu'un qui ne m'a pas vrai-
ment invitée, un peu comme quand on visite avec un agent immobilier
une maison encore habitée.

La plupart des femmes emprisonnées à Horserod ont des problè-


mes liés à la consommation de drogues, mais beaucoup d'hommes
aussi, d'ajouter A.L. Certaines détenues se prostituent pour obtenir la
drogue dont elles ont besoin. Les drogues consommées sont surtout le
haschisch, les amphétamines et des médicaments de toutes sortes.
L'usage de l'héroïne n'est pas toléré à la prison ouverte ; si un(e) déte-
nu(e) se pique à l'héroïne, il(elle) est transféré(e) dans une prison fer-
mée.

La vice-directrice note que, malgré leur petit nombre, les femmes


exigent beaucoup de temps de la part du personnel. La travailleuse
sociale que j'ai rencontrée abonde dans le même sens. Cette dernière
me dit aussi combien elle trouve que les femmes sont « more open
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 48

about their life » comparativement aux hommes qui sont plus fermés
et solitaires.

Parmi le personnel de la prison de Horserod, on trouve proportion-


nellement autant de femmes que d'hommes, soit environ 50 hommes
et 50 femmes, un nombre disproportionné par rapport au rapport
hommes-femmes chez les résidants. Deux des trois membres du per-
sonnel infirmier sont des femmes. Ce sont aussi majoritairement des
femmes qui occupent les postes dans le secteur du travail social. Deux
des trois principaux officiers de la prison, dont la directrice, sont éga-
lement des femmes. Notons aussi que l'aumônerie de la prison est as-
sumée par une femme pasteure.

Selon A.L., le personnel dans les prisons (pas dans les plus vieilles
cependant) est en majorité féminin probablement « because of the so-
cial aspect of the job ».
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 49

Prisons pour femmes (1998)

Deux prisons norvégiennes


Marie-Andrée Bertrand

Préambule
Le pays

Retour à la table des matières

Au plan physique, la Norvège est le plus varié de tous les pays


scandinaves avec sa côte escarpée, ses fjords, ses 150 000 îles et îlots
et ses 200 000 petits lacs ; c'est aussi le pays qui s'étend le plus au
nord, jusqu'au-delà du cercle polaire, dans l'océan Arctique.

La Norvège est un pays de 4,5 millions d'habitants qui a conquis


son indépendance en 1905 après avoir été dominé pendant des siècles
par ses voisins. C'est une monarchie parlementaire.

Le pays s'est acquis une réputation enviable au plan social par ses
politiques en matière de travail, de santé et de sécurité du revenu. Ses
préoccupations écologiques sont aussi reconnues.

Le contexte pénal et carcéral

Comme on l'a vu au chapitre 6, la Norvège a une réputation de


modération et d'« humanité » dans le domaine pénal et carcéral.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 50

En 1991, on trouvait, en moyenne, un jour donné, 2 510 hommes et


femmes, prévenus et condamnés, dans les prisons norvégiennes, soit
un taux de 59 par 100 000 habitants 28 , ce qui faisait alors de la Nor-
vège l'un des pays européens recourant le moins à la détention tant
pour les prévenus que pour les condamnés. Cette année-là, parmi les
personnes condamnées à l'emprisonnement, 115 étaient des femmes,
en moyenne, une journée donnée.

On comptait, en 1991, cinq prisons centrales et 30 prisons locales


pour les hommes. Du côté des femmes, il n'existait qu'une seule prison
pour femmes seulement, mais 20 places étaient réservées aux femmes
à la prison centrale de Bergen pour les hommes. Les femmes dispo-
saient aussi de quelques places, de deux à huit en moyenne, dans 10
des prisons locales pour hommes.

En Norvège, le nombre et la proportion des personnes condamnées


à l'emprisonnement ont eu tendance à augmenter ces dernières an-
nées ; aussi, a-t-on assisté à un certain engorgement des prisons et, en
1991, un grand nombre de personnes condamnées à la prison atten-
daient-elles « à la maison » de pouvoir purger leur peine 29 . Évidem-
ment, étant donné que les hommes représentent près de 96% des
condamnés, c'est surtout d'hommes qu'il s'agit ici.

Pourtant l'accroissement du recours à l'emprisonnement dans le cas


des femmes a été particulièrement sensible, toutes proportions gar-
dées. Comme le montre Evy Frantzsen, le pourcentage des femmes
dans la population carcérale, en Norvège, n'a cessé d'augmenter de-
puis 1983, passant de 3,5% de l'ensemble de la population carcérale 30
à 4,1% en 1990 31 .

Alors que la politique du pays était, jusqu'à tout récemment, de ne


pas accroître le nombre de places en prison, on voit s'en ajouter dans
le cas des femmes. Tout d'abord, une prison ouverte, celle de Ostens-

28 Voir le chapitre 6, Le modèle scandinave, tableau 1.


29 Nils Christie, Crime Control as Industry, Londres, Routledge, 1993, p. 35.
30 Il s'agit ici des prévenues et des détenues.
31 Evy Frantzsen, Mor og barn i fengsel - om soningsmuligheter for foreldre i
Norden, Institutt for Kriminologi, Universitetet i Olso, 1993, pp. 8-9.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 51

joveien à Oslo, leur est affectée en 1990 et elles commencent à l'occu-


per en 1991 (10 places). Puis on réserve à leur intention 20 places
dans la nouvelle prison centrale de Bergen pour hommes, et quatre
cellules à la prison de Drammen, qui est un établissement à sécurité
maximale (isolement complet, 23 heures sur 24). Il s'agit de 34 nou-
velles places en 10 ans pour des femmes condamnées seulement ; no-
tons que les établissements mentionnés servent à la détention de per-
sonnes recevant de longues sentences.

Malgré cet accroissement de 34 places, il se trouverait aussi chez


les femmes condamnées à la prison quelques personnes qui attendent
à la maison qu'une cellule soit libre ! Evy Frantzsen rapporte que, lors
de ses travaux sur le terrain auprès de femmes toxicomanes condam-
nées à l'emprisonnement, certaines lui ont dit qu'elles veulent cesser
de consommer de l'héroïne et souhaitent avoir accès à un traitement de
substitution. Or, il se trouve qu'en Norvège ce traitement (la métha-
done) n'est accessible qu'aux justiciables et pour y avoir accès la per-
sonne condamnée à la prison doit d'abord purger sa sentence. Dans
l'attente et sans traitement, les risques de se livrer aux délits habituels
pour payer sa consommation sont grands.

La préparation à l'entrée sur le terrain

Il existe en Norvège un Institut de criminologie réputé, le plus im-


portant d'Europe du nord et sans doute l'un des plus importants de
toute l'Europe. Plusieurs de ses professeurs ont une réputation interna-
tionale comme auteurs d'ouvrages notamment sur la pénologie. En
fait, Thomas Mathiesen 32 et Nils Christie 33 en Norvège, et Louk
Hulsman 34 aux Pays-Bas sont les chefs de file d'un courant de pensée
et d'une politique qui proposent de réduire au strict minimum le re-
cours au pénal ou même d'en supprimer quelques pans sinon l'édifice

32 Thomas Mathiesen, The Politics of Abolition, Essays in Political Action Theo-


ry. Oslo, 1974. Également, du même auteur : Prisons on Trial : A Critical As-
sessment. Oslo, 1990.
33 Nils Christie, Limits to Pain. Oxford, 1981. Également, Crime Control as In-
dustry. London, Routledge, 1993.
34 Louk Hulsman et Jacqueline Bernat de Celis, Peines perdues. Le système pé-
nal en question. Éditions du Centurion, 1982.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 52

en entier et de les remplacer par d'autres modes de règlement des


conflits. Ces auteurs sont aussi des acteurs très engagés dans la modi-
fication concrète des politiques pénales de leur pays. Ils sont souvent
consultés par les dirigeants.

Par ailleurs, l'Institut de criminologie de l'Université d'Oslo a pro-


gressivement recruté des professeures et des chercheuses féministes ;
l'équipe actuelle en compte une plus grande proportion que partout
ailleurs dans les départements de criminologie, y compris aux Etats-
Unis. Cela s'est fait sous la conduite de Cecilie Hoigård, elle-même
professeure avec rang senior à l'Institut. Voici un résumé de la situa-
tion sur ce plan :

[...] Quatre des six professeurs permanents à l'Institut de criminologie


d'Oslo sont des femmes ; [...] trois d'entre elles sont clairement féministes.
Des 15 assistants de recherche qui vont et viennent au département, huit
travaillent dans une perspective féministe 35 .

C'est avec l'aide de deux de ces collègues féministes que j'ai prépa-
ré et effectué le travail sur le terrain dans deux prisons pour femmes à
Oslo. Liv Finstad, professeure et chercheuse à l'Institut de criminolo-
gie d'Oslo, avait pris les arrangements auprès des autorités des deux
prisons que je devais visiter quant aux jours et heures de ma venue,
m'ouvrant aussi la voie auprès des groupes de défense des droits des
détenus. Une autre collègue, Evy Frantzsen, chercheuse à l'Institut
avec qui j'étais déjà en contact depuis 1992 36 , m'a accompagnée tout
au long des visites. J'ai réalisé sur le terrain combien elle est familière
avec notre sujet d'étude. J'ai par ailleurs eu des contacts et conversa-
tions importants avec Nils Christie concernant l'ensemble de la situa-
tion pénale et carcérale en Norvège.

35 Cecilie Hoigård, citée dans « The place and status of feminist criminology in
Germany, Denmark, Norway and Finland », par Marie-Andrée Bertrand, in N.
H. Rafter et F. Heidensohn, International Feminist Perspectives in Criminolo-
gy : Engendering a Discipline, Buckingham, England, Open University Press,
1995, p. 113.
36 Elle avait participé au Séminaire international sur les femmes en détention
organisé par le ministère de la justice des Pays-Bas à Noordwijk.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 53

La mise en contexte

Il était relativement facile dans ces conditions idéales de me prépa-


rer a comprendre en contexte les institutions que j'allais étudier sur le
terrain. Mais je voulais aussi saisir la situation des femmes dans la
société norvégienne pour mieux apprécier le traitement fait aux fem-
mes en prison, en contexte également.

Concernant le contexte pénal, outre les contacts mentionnés précé-


demment, j'ai procédé à des entrevues sur le terrain avec les directeurs
et les membres des services professionnels des institutions au cours
des visites ; j'ai consulté les documents pertinents dans l'excellente
bibliothèque de l'Institut de criminologie d'Oslo. J'ai rencontré les jeu-
nes conseillers juridiques (des étudiants en droit) qui visitent fré-
quemment les prisonniers et surtout les prisonnières.

Concernant la place des femmes en Norvège, j'ai surtout analysé


des documents et écouté mes collègues de l'Institut. Nombreuses sont
les publications qui parlent de la place des femmes dans toutes les
sphères de la vie éducative, culturelle et artistique, professionnelle,
économique et politique du pays 37 . Entre autres particularités témoi-
gnant des efforts pour arriver à l'égalité entre les sexes, la Norvège
pratique un système de quota dans l'accès aux postes politiques in-
fluents, aux niveaux municipal, provincial et national.

Le moment

Dans les pages qui suivent, je décris les conditions de vie des
femmes dans deux prisons norvégiennes telles que j'ai pu les observer
en juin 1993. Les données citées dans le rapport sur le terrain sont
donc celles de juin 1993 et ne s'appliquent qu'à ce moment précis.

37 Voir par exemple, Women's Status in Norway 1990, Likestillings Raadet. Voir
aussi Milestones in 150 years of Norwegian Women, Likestillingsraadet (The
Equal Status Council), Dec. 1989. Voir enfin Arsmelding 1992, Likestillings
Raadet, QG 2065, April 1993, spécialement la section rapportant la répartition
des hommes et des femmes dans les lycées et les universités, sur la scène poli-
tique municipale et nationale, etc.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 54

Mes rapports d'observation ont été révisés par la collègue de l'Institut


de criminologie d'Oslo, Evy Frantzsen, qui m'accompagnait pendant
les visites sur les lieux. je l'ai revue à Oslo, en juillet 1994, après
qu'elle en ait pris connaissance et suite à ses remarques, j'ai effectué
les corrections de faits.

Le climat

J'emploie le mot climat ici dans ses deux sens, physique et psycho-
logique. Un mot de mise en garde concernant le contexte physique qui
influe sur l'autre.

J'ai passé à Oslo la première partie du mois de juin 1993. Il faisait


un temps superbe et on ne saurait nier l'effet de cette condition sur
l'observatrice et ses perceptions. Aussi, n'est-il pas inutile de citer ici
une remarque que m'a faite ma collègue et consultante finlandaise,
remarque que le lecteur trouvera au chapitre 9. Elle écrivait après
avoir pris connaissance de mes rapports d'observation : « Il faudrait
revenir en hiver. »

La remarque s'applique aussi à la Norvège. Qu'aurais-je vu en dé-


cembre, quand le soleil ne se montre que de 11 h à 14 h et que les fe-
nêtres des prisons sont fermées ?

La méthode et l'instrument

Méthodologiquement, il s'agissait à Oslo, comme ailleurs, d'obser-


ver directement les prisons pour femmes dont mes consultants norvé-
giens me diraient qu'elles étaient les plus importantes et/ou les plus
originales et avant-gardistes ; de le faire en suivant le schéma établi
pour l'étude des autres établissements ; de procéder à des entrevues
avec les directeurs de ces établissements afin de recueillir, comme
partout ailleurs, des données sur les contraintes et contrôles, les pro-
grammes de travail et de formation, les services offerts, les contacts
avec les enfants, les conjoints, les proches.

Cependant, se posait en Norvège une question additionnelle : dans


ce pays réputé pour son attitude libérale et son « minimalisme » pénal
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 55

et pour la place faite aux femmes dans la vie politique et sociale,


quelle serait la condition des femmes en prison ?

La prison fermée de Bredtveit à Oslo


L'importance d'avoir des guides autochtones

Retour à la table des matières

Il est possible de pénétrer (physiquement) sur un terrain étranger


aussi fermé qu'une prison, dans un pays dont la langue nous est bien
étrangère, sans l'aide de guides autochtones ; mais le risque de ne pas
comprendre ce qui s'y passe est grand, même si la culture carcérale
nous est relativement familière. Les différences nationales ne sont pas
négligeables et le monde carcéral ne se laisse pas facilement saisir.

Si on est accompagné, il est particulièrement important de l'être par


des personnes et des experts locaux qui ne se sont pas rendus antipa-
thiques aux autorités pénales par leurs déclarations intempestives ou
leurs critiques inconsidérées, soulevant ainsi l'agressivité des direc-
teurs d'établissements et faisant monter leurs défenses. Les prisons, en
effet, ne sont pas, comme les universités, les musées et les salles de
concerts, des institutions qu'un gouvernement et ses représentants
s'empressent de faire visiter aux étrangers.

L'lnstitut de criminologie de l'Université d'Oslo et ses professeurs


sont connus pour leurs propos critiques et leurs combats politiques
concernant les prisons. Par exemple, comme groupe, les collègues de
l'Institut pratiquent un engagement très visible à l'endroit des person-
nes marginalisées. Ainsi, l'Institut lui-même, depuis de longues an-
nées, emploie a son secrétariat et service d'accueil un ou des détenus
en fin de sentence. Plusieurs des chercheuses se sont transformées en
policières et en travailleuses de rue pour effectuer leur travail de ter-
rain. Elles ont combattu pour que changent les conditions de détention
des femmes, que cesse la discrimination à leur endroit, etc.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 56

La prison fermée de Bredtveit à Oslo en Norvège

Retour à la table des matières

L'unité prélibératoire située hors du quartier sécuritaire, à l'étage


supérieur du pavillon de l'administration. Une fenêtre entr'ouverte
avec vue sur la ville.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 57

Je me demandais donc comment je serais accueillie dans les pri-


sons norvégiennes accompagnée d'une chercheuse jeune, féministe et
très engagée, officiellement affiliée à cet Institut.

Je n'allais pas tarder à avoir la réponse à cette question.

L'entrée dans la prison

La prison de Bredtveit à Oslo est la seule prison nationale pour


femmes seulement en Norvège. C'est une prison fermée, située sur les
collines de la ville, dans la partie est, hors du quartier chic et central,
dans un secteur peu cossu et en retrait de la circulation et des com-
merces.

De loin, la prison s'apparente à une école secondaire pas très mo-


derne : c'est un complexe fait de deux édifices de brique jaune (du
moins, ce sont les seuls qu'on aperçoive depuis une certaine distance)
de trois étages chacun, interreliés. L’ensemble n'est ni attrayant ni
menaçant. La sécurité West pas omniprésente. De loin, on ne voit pas
les barreaux dont sont garnies les fenêtres de l'un des deux édifices.

L'histoire de l'établissement et de ses occupants successifs est à la


fois intéressante et typique. Lune des deux bâtisses a d'abord servi
d'école de réhabilitation pour des jeunes délinquants au début du siè-
cle ; ensuite, pendant la Seconde Guerre mondiale (de 1940 à 1944),
on y a incarcéré les « résistants », des instituteurs surtout, s'opposant à
l'occupation allemande ; ces prisonniers étaient ensuite déportés en
Allemagne pour être acheminés vers les camps d'extermination.

Il n'est pas très compliqué d'approcher de la prison de Bredtveit, en


voiture. À la différence de ce que nous avons expérimenté à Ringe au
Danemark, on entre sur le terrain sans contrôle. Ensuite, vous station-
nez votre véhicule, vous montez l'escalier de l'édifice de l'administra-
tion et vous vous présentez à un portier. Pas d'identification, pas
d'embarras, pas de complication.

Pénétrer dans la prison même, dans mon cas, s'est avéré encore
plus facile pour des raisons que je n'arrive pas encore à bien compren-
dre.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 58

Le portier, après nous avoir tout juste regardées, a tendu à Evy


Frantzsen le trousseau complet des clés de l'institution. je n'en
croyais pas mes yeux et j'ai failli en concevoir de la méfiance à l'en-
droit de ma cicérone. J'apprendrai plus tard qu'Evy est venue travailler
chaque semaine à la prison pendant deux ans, sous contrat, pour un
organisme gouvernemental, afin de préparer le retour au travail des
détenues. Elle concevait d'ailleurs sa mission comme s'étendant à
d'autres aspects de la réinsertion sociale ; par exemple, elle rétablissait
les rapports entre les détenues et leurs proches, les aidait à progresser
à travers le système jusqu'aux ressources prélibératoires. Aussi, était-
elle bien connue de tout le personnel comme j'ai eu l'occasion de le
constater, ainsi que de la majorité des détenues. A l'époque, dès la
quatrième ou la cinquième de ses visites à la prison, le portier lui avait
déjà laissé les clés pour se délester ainsi de l'obligation de l'accompa-
gner sur les lieux de ses entrevues avec les détenues. Sur le coup, cela
l'avait étonnée et un peu embarrassée, car elle ne connaissait pas en-
core tous les coins et recoins de la prison. Plus tard, elle s'était habi-
tuée à cette pratique et n'y prenait même plus garde. Elle s'était dit
qu'elle venait si régulièrement qu'on avait décidé de la traiter comme
un membre du personnel. Mais en juin 1993, lors de notre visite,
comme elle n'était plus « assidue » à la prison depuis près d'un an,
elle-même a été surprise que le portier répète ce geste.

On n'imagine pas pareille scène à Kingston ou à Burnaby, à Fra-


mingham ou à Waynesburg, à Holloway, à Cornton Vale ou à Dur-
ham, et certainement pas à Ringe !

Impossible de savoir si c'est la personne elle-même, Evy Frantzsen,


ou une chercheuse de l'Institut, ou une personne sous contrat gouver-
nemental auprès des détenues qui se méritait ce traitement. Ou encore,
si ce geste n'était possible qu'en Norvège, ou parce que nous étions
dans cette prison-là de Norvège. Une prison étant une prison et, par
définition, chargée de la garde des détenues, il semble qu'aucune de
ces conditions ne suffise à expliquer le geste, car, de surcroît, le risque
que la porteuse du trousseau de clés soit prise en otage n'est pas
mince.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 59

Rencontre avec l'adjointe à la direction

Dans le plan prévu par les collègues de l'Institut, nous devions ren-
contrer la direction d'abord. Le directeur avait délégué son adjointe
pour l'occasion, n'étant pas lui-même très polyglotte.

Mme Hilde Lundeby est une psychologue, dans la trentaine avan-


cée, grande, vivante, alerte, portant un « t-shirt », une jupe courte, des
sandales, et ayant toute l'apparence d'une femme occupée, profession-
nelle, qui aime ce qu'elle fait. Elle entend changer pas mal de choses
dans le régime de la prison et a déjà commencé de le faire avec un
certain succès ; mais au fur et à mesure qu'elle nous parle, il est visible
qu'elle sait bien que les changements n'iront pas de soi et qu'il faudra
procéder lentement. Elle occupe son poste depuis un an et demi.

Après qu'Evy Frantzsen lui eût résumé, en norvégien, le but de no-


tre recherche, l'adjointe au directeur entreprit de décrire, à mon inten-
tion, le système de classement et les activités de la prison. La situation
était assez étrange, madame Lundeby étant parfaitement consciente
qu'Evy connaissait tout cela plus et mieux, puisque cette dernière fré-
quentait la prison depuis plus longtemps. Aussi, était-il visible qu'elle
cherchait du regard l'appui de mon guide en plusieurs occasions, sans
doute aussi parfois pour trouver l'expression correcte en anglais.

Au moment de ma visite à Bredtveit, il y avait 48 détenues à la pri-


son, la plupart purgeant des peines de plus de six mois (c'est-à-dire de
longues peines ; en Norvège 55% des détenus sont incarcérés pour
trois mois et moins). Quelques-unes (rares), étaient incarcérées pour
des périodes plus courtes et on les avait autorisées, sur demande, à
demeurer à Bredtveit par mesure humanitaire parce que leur famille
habitait la capitale. Il y avait aussi quelques prévenues (personnes en
attente de procès).

La classification des détenues par unités

L'un des deux édifices est sécuritaire. On y loge trois unités de dé-
tenues, les unités 1, 2 et 3, un groupe par étage. C'est la prison pro-
prement dite.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 60

Un quatrième groupe loge à l'étage supérieur de l'édifice de l'admi-


nistration, lequel n'est pas pourvu des mesures de sécurité habituelles.
C'est l'unité 4.

L'unité 3, à l'étage supérieur de « la vraie prison », loge les déte-


nues les plus difficiles ainsi que les nouvelles arrivées et les préve-
nues. Ces personnes passent de nombreuses heures en cellule, isolées ;
elles prennent cependant leurs repas dans une petite salle à manger
commune. Faute de place dans les unités 1 et 2, il arrive qu'on doive
rester dans l'unité 3.

Les unités 1 et 2 occupent les premier et deuxième étages de la pri-


son proprement dite. Les résidantes de ces unités doivent travailler ou
étudier. Leur programme horaire est très strict, nous dit Mme Lunde-
by :

travail ou fréquentation des activités offertes à


l'« école » : 8 h 30 à 14 h 30 ;

souper : 15 h 30, dans une grande salle à manger com-


mune aux deux unités ;

16 h 00 : activités de loisir, dans les cours extérieures ou


à l'intérieur.

Les détenues de ces unités ont quelques activités culturelles dans la


prison ou à l'intérieur du périmètre de sécurité. Elles peuvent faire des
téléphones (durée totale hebdomadaire : 20 minutes) à leurs frais. El-
les vont et viennent librement àl'intérieur de leur unité et peuvent
même se mêler aux détenues de l'autre unité. Elles ont la clé de leur
chambre, mais celle-ci est verrouillée de l'extérieur de 20 h 30 à 7 h
00.

Lorsqu'elles travaillent ou fréquentent l'école, elles reçoivent un sa-


laire de 45 à 50 KR/jour (environ 10 $). Si elles refusent de travailler
ou d'aller en classe, elles sont confinées à leur chambre pendant la
journée et ne reçoivent pas de salaire ; mais elles peuvent participer à
la vie commune lorsque les autres détenues rentrent dans l'unité.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 61

Les résidantes des unités 1 et 2 peuvent être réincarcérées dans


l'unité 3, « if they do not behave ». L’adjointe au directeur avoue qu'il
n'est pas facile d'obtenir une définition claire et univoque de ce qui
constitue un bon et un mauvais comportement et que cela varie sou-
vent d'une officière à l'autre. À Bredtveit, il n'existe pas de Manuel de
la détenue comme on en a vu dans les prisons nord-américaines ou
anglaises.

Deux organisations se portent à la défense des détenues dans la re-


vendication de leurs droits, l'une est constituée par des étudiantes de la
Faculté de droit de l'Université d'Oslo ; la ministre du culte affectée à
la prison, une femme, appartient à l'autre organisation (moins comba-
tive que la première, me dira plus tard Evy Frantzsen).

Les détenues de l'unité 4, qui ont leurs quartiers d'habitation à


l'étage supérieur de l'édifice de l'administration, ont beaucoup plus de
liberté d'aller et venir, sauf dans les unités sécuritaires. Les fenêtres de
leurs chambres sont sans barreau. Elles participent aux activités sco-
laires et peuvent même fréquenter les ateliers de travail, mais d'autres
occupations leur sont aussi proposées en fonction de leur prochain
transport en prison ouverte.

Les activités de formation scolaire à Bredtveit ont une grande im-


portance et l'« école », ici, inclut la formation physique et sportive.

Pendant qu'elle me décrit l'institution, j'observe Mme Lundeby. Il


est évident qu'elle cherche à me donner une image positive de l'éta-
blissement, mais en même temps, elle sait que ses propos seront en-
suite repris dans mes conversations ultérieures avec Evy Frantzsen,
qu'elle connaît bien. Elle ne se tient pas vraiment sur la défensive,
mais elle insiste, à quelques reprises, sur les progrès qui ont commen-
cé de se manifester et cela, sans cacher les faiblesses du secteur « tra-
vail » (voir ci-dessous) ; elle voudrait croire que le dynamisme qui
caractérise l'« école », où se dispensent la formation proprement sco-
laire, l'éducation physique et sportive, compense les lacunes des ate-
liers de travail. Ce dernier secteur n'est d'ailleurs fréquenté que par un
petit nombre de détenues, ajoute-t-elle : les prévenues ne doivent pas
travailler et quelques prisonnières sont trop perturbées pour qu'on leur
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 62

propose de fréquenter les ateliers. je me demande à part moi si la fré-


quentation des activités scolaires et sportives est aussi affectée par ces
mêmes raisons.

La prison fermée de Bredtveit à Oslo en Norvège

Une petite salle commune dans la partie sécuritaire de la prison.


Malgré tout, une note familiale et une vue agréable.

La visite des unités de vie

À la suggestion de madame Lundeby, on m'amène d'abord dans


l'unité 4, la plus libre de contraintes. J'ai le sentiment que l'ordre de
présentation des lieux est destiné à m'impressionner favorablement.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 63

Opération réussie : je suis favorablement impressionnée.

Depuis cette unité située au dernier étage du pavillon de l'adminis-


tration, par cette magnifique journée de juin, la vue est fort belle sur
les collines de la ville et sur le port, et la lumière se fait éclatante à
travers de grandes fenêtres sans barreau.

Les lieux sont agréables à cause de leur arrangement physique,


mais aussi en raison de l'atmosphère qui s'en dégage. Les pièces sont
bien décorées, confortables mais pas surchargées de mobilier. Le li-
ving-room est vaste, donnant sur une grande cuisine-salle à manger.
Deux détenues prennent un repas léger dans un coin de la cuisine sans
se préoccuper de nous, sinon pour saluer Evy ; d'autres détenues et des
membres du personnel viennent aussi lui parler familièrement. Les
chambres des résidantes 38 ne sont pas grandes mais pas trop petites
non plus. Je prends quelques photos des chambres et des pièces com-
munes. Les membres du personnel ont là un bureau-chambre à cou-
cher également très agréable, coloré, intime. La coordonnatrice qui est
de garde ce jour-là semble bien intégrée au groupe, elle est active et
communicative ; ses interventions ne ressemblent en rien aux propos
de quelqu'un exerçant des fonctions de sécurité. D'ailleurs, les lieux et
leur personnel donnent une impression de vie de famille.

Il y avait neuf résidantes dans l'unité 4 au moment de mon passage.


Les détenues en phase prélibératoire ici peuvent sortir, mais elles sont
escortées ; en fait leur unité ne se trouve pas incluse dans le périmètre
de sécurité. Elles commencent déjà à faire des démarches pour se
trouver du travail à l'extérieur ou à s'inscrire dans des programmes de
formation (condition pour accéder à la prison ouverte), mais elles
n'occupent pas encore d'emplois réguliers. Elles sortent aussi, accom-
pagnées toujours, pour aller au cinéma ou pour d'autres loisirs.

Nous nous rendons ensuite dans la prison proprement dite, c'est-à-


dire dans l'édifice sécuritaire.

38 Je réalise que l'appellation « résidantes » m'est venue sans que j'y prenne
garde à partir du moment où je décrivais l'unité de vie no 4. En effet, les
conditions dans cet endroit ne rappellent pas la prison et ne se prêtent pas à
l'appellation « détenues ».
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 64

Déjà, dans le corridor qui y conduit, c'est un autre monde.

Ici, la sécurité est bien présente.

Sans que j'aie pu bien comprendre l'état des lieux ni comment je


m'y suis rendue, nous arrivons dans l'édifice qui comprend trois unités
traditionnelles situées sur autant d'étages.

Une unité est constituée par deux rangées de six cellules se faisant
face de chaque côté d'un large corridor qui débouche sur un vivoir-
salle à manger avec petite cuisine attenante, où on peut faire réchauf-
fer un plat (les plats viennent de la cuisine centrale) ; le corridor
donne aussi sur l'aire des salles de bain et de lavage. Les unités ne
sont ni belles ni laides. Les cellules sont plutôt petites. Mais la vue sur
l'extérieur, spécialement depuis l'étage supérieur (celui qui est le plus
sécuritaire), est fort belle, car elle donne sur la vallée.

Il n'y a pas de toilettes dans les cellules. Comme celles-ci sont ver-
rouillées de l'extérieur pendant la nuit, les détenues doivent appeler
pour en sortir et aller à la salle de bain commune ; il y a cinq person-
nes de garde pour les trois unités pendant la nuit ; trois sont sur les
étages de l'édifice sécuritaire, deux demeurent dans les locaux de
l'administration, prêtes à intervenir sur appel.

Un curieux mélange de dureté et d'humanité marque les lieux. Par


exemple, les portes des cellules sont des portes pleines, en métal so-
lide et du style le plus conservateur et dur ; la seule ouverture dans ces
portes consiste dans un judas qui permet au personnel de garde de je-
ter un coup d'œil dans la cellule.

Comment expliquer que je me sente ici dans un lieu relativement


humain ? Est-ce l'effet du petit nombre ? Un trait culturel ?

Pour les détenues des unités 1 et 2, il existe quelques pièces com-


munes où les résidantes des deux « planchers » peuvent se retrouver,
par exemple un café et une petite salle de rencontre. Mme Lundeby
nous avait expliqué qu'elle estime important que les détenues puissent
échapper à leur groupe et « se mêler » un peu, nouer d'autres rapports.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 65

D'ailleurs, comme mentionné précédemment, les détenues de ces deux


unités prennent en commun le repas du soir dans une grande salle à
manger au sous-sol de leur édifice.

On voit des téléviseurs et des radios dans la plupart des cellules :


les détenues apportent leur appareil de chez elles ou en reçoivent en
cadeau ; celles qui le désirent peuvent en louer à l'institution ; plu-
sieurs étrangères 39 n'en ont pas. Des vidéocassettes choisies par le
personnel, après consultation des détenues, sont présentées une fois la
semaine.

Au fur et à mesure où nous progressons dans la visite de l'institu-


tion, des détenues et des membres du personnel viennent causer avec
Evy ; parmi les officières, il s'en trouve quelques-unes qui sont en pé-
riode d'examen à l'Institut de criminologie d'Oslo ; elles viennent lui
parler de leur anxiété àla veille de l'oral et lui demander des conseils.

je demande à jeter un coup d'oeil sur les cours extérieures. Pour


avoir une vue d'ensemble qui permette vraiment de comprendre la to-
pographie des lieux, il faut retourner à l'étage supérieur, dans l'unité 3.
Depuis ce point de vue, j'aperçois, pour la première fois, le mur d'en-
ceinte et ce que les gens de Bredtveit appellent the school qui se pro-
longe dans un gymnase : c'est un long édifice d'un seul étage qui a un
peu l'apparence d'un ranch texan. En plus des « classes ordinaires » et
de la formation aux activités physiques et aux sports, on offre là de la
physiothérapie, ce que les détenues aiment bien. Les sports se prati-
quent surtout à l'extérieur, dans des cours murées.

Au moment de ma visite, 17 des 48 détenues fréquentent l'école.


Celles qui ne fréquentent pas l'école travaillent dans des ateliers (voir
plus bas). Mais au début de leur séjour, toutes les condamnées sont
d'abord employées dans des fonctions d'entretien intérieur et extérieur.
Comme autre lieu de travail, il y a la buanderie. Quelques détenues,
peu intéressées aux travaux « féminins » d'entretien, ont demandé à
contribuer à la rénovation de l'édifice dans des « travaux d'hommes »

39 La proportion d'étrangers est élevée en Norvège et plus élevée pan-ni les po-
pulations pénales. Sur les 58 femmes détenues à la prison fermée et à la prison
ouverte d'Oslo, 19 étaient étrangères en juin 1993.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 66

et certaines étaient occupées à repeindre les murs des corridors de


l'édifice sécuritaire au moment de ma visite.

Les condamnées peuvent aussi être affectées à d'autres travaux


plus ou moins déprimants. Quelques ateliers sont situés au sous-sol de
l'édifice sécuritaire. L’animatrice des lieux semble faire l'impossible
pour rendre l'endroit acceptable : elle y apporte des fleurs, elle est sou-
riante, accueillante ; face à mes questions et malgré les déficiences
évidentes de l'endroit et des occupations proposées, son attitude n'est
pas défensive. Elle avoue que les détenues en général n'aiment pas
venir dans ces ateliers : il y fait sombre même l'été parce que nous
sommes dans un sous-sol. La réflexion de ma consultante finlandaise
me revient : qu'est-ce que ce doit être pendant les longs hivers nordi-
ques ?

Dans ce sous-sol, les apprentissages et travaux proposés tournent


autour de la couture et du tricot. Mais parmi les vêtements et autres
objets confectionnés par les détenues, plusieurs sont attrayants. Les
détenues apprennent à faire des poupées, des tapis, des ceintures et
des sacs en cuir. L'été, elles aiment se confectionner des shorts (j'en
vois qui sont très « mode ») des robes en soie, etc. La production est
mise en vente ; parfois ce sont les détenues qui l'achètent pour elles-
mêmes ou pour leurs proches, parfois on la vend à l'extérieur. Au
moment de ma visite, huit détenues travaillaient dans cet endroit, par
choix ou par obligation.

La salle de concert

Une grande pièce, s'apparentant un peu à un bar-café, occupe un


autre sous-sol. C'est en fait un lieu de rassemblement pour les déte-
nues des unités 1 et 2, et même 3, car une fois la semaine environ,
quelques résidantes offrent ici un concert auquel toutes les détenues
de la « vraie » prison sont admises. On voit des instruments de musi-
que à l'arrière de la pièce, contrebasses et percussions. La pièce a un
petit air « lendemain de spectacle », elle est un peu poussièreuse, un
peu « usée », mais sympathique. On me dit que l'ensemble musical
qu'ont créé les détenues, First Rated (sic, c'est son vrai nom), a une
bonne réputation ; les musiciennes ont été invitées à se produire à
Oslo.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 67

Les résidantes de l'unité 4 ne sont pas admises à ces concerts et aux


autres activités du « concert hall » : comme elles ont accès à l'exté-
rieur, on redoute qu'elles profitent de ces contacts pour passer de la
drogue aux détenues des unités 1, 2 et 3, et/ou que ces dernières fas-
sent de grandes pressions sur elles pour en obtenir. Il y aurait (eu) un
très sérieux problème de consommation de drogues à Bredtveit.

La chapelle

La chapelle luthérienne (le luthéranisme est la religion nationale)


est un lieu simple et austère. je ne me suis pas enquise de la place que
tient la religion dans la vie des détenues ni du rôle que joue la ministre
du culte attachée à la prison.

Mes premières impressions

Mes premières impressions sont mixtes, plus négatives que positi-


ves. À bien des égards, la prison de Bredtveit est un lieu de détention
conventionnel, une prison typique pour femmes, dont l'organisation
physique, psychologique et psychopédagogique n'est ni particulière-
ment inhumaine ni progressive, une prison qui présente plusieurs des
caractéristiques que nous avons déplorées tout au long de notre étude
des prisons pour femmes : une certaine platitude, une allure rétro-
grade, en particulier dans le secteur des activités dites de travail, les-
quelles, à Bredtveit, sont décrochées de la vie des femmes modernes.

Il est vrai qu'on y sent une réelle valorisation de l'éducation et par-


ticulièrement de l'éducation physique (en tout cas, mes guides ont ré-
ussi à me convaincre que tel était le cas et les dispositifs physiques
semblent témoigner de ce fait), une attention accordée au corps, a sa
mise en condition, au travail d'estime de soi à travers la physiothéra-
pie. On me dit que ce sont là des valeurs et des méthodes typiques de
la culture norvégienne. Les activités de plein air et les excursions -
accessibles même aux détenues des unités sécuritaires 1 et 2 -vont
dans le même sens.

Mais les propos de tous mes interlocuteurs me font comprendre


que le dynamisme de ce secteur d'activités à Bredtveit tient aux per-
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 68

sonnes responsables de l'« école » - the school - qui est ici le lieu où
s'organise tout programme d'apprentissage non seulement scolaire
mais physique et sportif ; les responsables de cette animation sont
l'institutrice, la personne en charge de l'éducation physique et des
sports, et la physiothérapeute qui vient régulièrement. Il est vrai que
les heures passées à l'« école » sont nombreuses, mais ce ne sont pas
toutes les détenues qui y ont accès, loin de là.

S'ajoute à l'« école » et à sa pertinence, la réelle volonté de chan-


gement que l'on perçoit chez l'adjointe au directeur de la prison. Mais
cela ne saurait se substituer à un véritable programme de travail.

Malgré ce qui précède, le bilan est bien maigre, car la prison de


Bredtveit est, dans ce pays, la seule institution carcérale pour femmes
seulement, celle où les condamnées purgent des peines considérées
comme longues et relativement sévères, dans le contexte.

Échange avec Evy Frantzsen

Ma cicérone avait soigneusement évité de me faire part de ses pro-


pres impressions sur la prison de Bredtveit avant que je m'y rende.
Elle répond par la suite à mes nombreuses questions :

À propos de la direction

L'actuelle adjointe au directeur, Mme Lundeby, est une personne


connue à Oslo. Elle a dirigé des organismes publics s'intéressant à la
condition féminine. Elle a une réputation méritée de féministe, car elle
s'est engagée dans plusieurs combats pour l'égalité des femmes. De-
puis qu'elle est à la prison, elle a mené quelques luttes dans ce sens.
Par exemple, elle s'est opposée à ce qu'on exige des détenues qu'elles
retirent leur serviette hygiénique pendant les fouilles corporelles au
retour de congés à l'extérieur (l'exigence de le faire procédait évi-
demment de la crainte qu'elles dissimulent de la drogue dans la ser-
viette ou dans leur vagin) ; elle a soutenu que procéder ainsi consti-
tuait une forme de harcèlement sexuel et on lui a donné raison. Elle a
mené d'autres combats, mais elle n'a pas toujours eu gain de cause.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 69

Touchant les unités mères-enfants en prison

Il n'y en a pas dans les prisons pour femmes en Norvège. La popu-


lation et les autorités pénales ne sont pas favorables à cette politique.
Cependant, des pressions pour que de semblables unités soient éta-
blies viennent de groupes de femmes, des journalistes et des crimino-
logues ; les autorités pénales et les politiciens continuent de résister à
ces pressions et sont appuyés dans leur résistance « par les travailleurs
sociaux qui prétendent savoir ce qui est bon et mauvais pour les en-
fants », dit Evy.

À propos de l'importance de /'« école »

L'accent mis sur l'éducation à Bredtveit correspond à un trait de la


société norvégienne dans son ensemble ; il y a un grand effort national
à cet égard depuis quelques années. La valorisation des activités spor-
tives et de plein air est également très « norvégienne ».

Presque toutes les détenues qui ont fréquenté l'« école » à Bredtveit
ont rapporté à Evy qu'elles avaient aimé ce qui s'y passe et apprécié
les personnes responsables. Evy me résume tant leurs propos que sa
propre opinion : « The teachers are nice, the school is nice (because) a
lot depends on the teachers who are all right and who respect the in-
mates », rapporte-t-elle. Le programme de formation générale à
Bredtveit ne dépasse pas la 9e année (là s'arrête le programme de fré-
quentation scolaire obligatoire en Norvège) et à la prison des femmes,
on ne trouve aucun enseignement technique, informatique et profes-
sionnel, alors que de tels programmes existent dans les prisons pour
hommes. Evy Frantzsen a tenté de faire valoir auprès du ministre res-
ponsable des prisons que l'État doit consacrer autant d'argent per capi-
ta à la formation scolaire et professionnelle des femmes en prison qu'il
en dépense pour les hommes prisonniers, mais sans succès. Jusqu'à
tout récemment, aucune femme prisonnière ne pouvait fréquenter
l'université alors que des hommes détenus le font. Elle attribue cette
inégalité des chances à deux facteurs : un certain manque d'aspirations
à faire des études supérieures chez les femmes condamnées et l'ab-
sence de moyens pratiques (transport, contacts ?) dans les institutions
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 70

pour femmes 40 . Il se peut que cela soit en train de changer, de dire


Evy : deux femmes détenues (dans une autre prison) auraient été auto-
risées à étudier à l'université.

L'« école » à Bredtveit, le lieu des activités les plus convoitées (ou
les moins désagréables ou le moins dépassées), n'est pas automati-
quement accessible ; il se peut qu'on doive attendre qu'une place se
libère pour être admise. Comme je l'ai mentionné, seules 17 des 48
détenues y avaient accès au moment de ma visite.

Dans l'ensemble

L'opinion d'Evy sur la prison de Bredtveit, en particulier en ce qui


touche aux programmes de formation et de travail, n'est pas, ne peut
pas être positive : « On the whole, the women can choose between
sewing, knitting, cleaning and attending the elementary school. À
l'atelier, on a déjà offert, dans le passé, une plus grande variété d'ap-
prentissages et même de possibilités de production : il y a quelques
années, on pouvait travailler en cosmétologie, dans la céramique, dans
la peinture sur porcelaine, etc. À présent, les seules activités « in » à la
prison sont physiques : on fait l'apprentissage du jogging, du ski, de la
randonnée et de l'ascension en montagne. Cette dernière activité est
accessible à des groupes de cinq ou six détenues à la fois, accompa-
gnées de membres du personnel. Les détenues des unités 1 et 2 peu-
vent aussi aller parfois au cinéma à la ville avec escorte, une fois
écoulé le premier tiers de leur sentence. Pendant ces sorties, les déte-
nues sont « sous contrat » : avant d'y être autorisées, elles doivent
avoir signé un engagement à l'effet qu'elles ne rapporteront pas de
drogue et ne tenteront pas de s'évader, et s'engager à se soumettre à
des tests d'urine, au hasard, au retour de ces sorties. En cas de rupture
de contrat, c'est la fin des sorties et éventuellement le retour à l'unité
3, si les manquements sont graves.

40 Cette réflexion me laisse perplexe, car on voit qu'une proportion non négli-
geable des femmes emprisonnées le sont dans des institutions pour hommes.
Les « moyens pratiques » dans ce dernier cas ne sont-ils pas ceux qui existent
dans les prisons pour hommes ? - On n'en finit pas d'inventer des obstacles.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 71

Certains aspects du système pénal en Norvège

Il n'y a pas de système de libération conditionnelle en Norvège :


les détenus sont libérés après qu'ils ont purgé les deux tiers de leur
sentence de prison. Certains demandent l'aide et le support d'un offi-
cier de probation pendant le dernier tiers, en liberté.

La durée des sentences d'emprisonnement

Les sentences en Norvège ne peuvent dépasser 21 ans. En


moyenne, les peines purgées effectivement à Bredtveit sont de deux à
quatre ans.

Caractéristiques des détenues

La moitié environ des détenues sont des mères et ont de jeunes en-
fants. S'il existait un programme pour mères-enfants à Bredtveit, un
tiers des condamnées présentement détenues à Bredtveit pourraient
s'en réclamer, car c'est là la proportion des femmes détenues qui ont
des enfants en très bas âge.

L'âge moyen de la population pénale à Bredtveit, en juin 1993,


était de 33 ans mais l'écart est considérable : certaines ont 70 ans et
d'autres 20.

La moitié des femmes détenues à Bredtveit ont été condamnées


pour des affaires de drogues (22 ou 24 d'entre elles) ; une douzaine
pour des infractions aux lois sur la propriété ; 10 pour crimes contre la
vie humaine, meurtre et tentative de meurtre.

À propos des affaires de drogues

En Norvège, la réaction à l'usage et au trafic de drogues est très


négative et très forte 41 . À titre d'indication de ces tendances répressi-

41 À ce sujet, Christie, dans son dernier livre Crime Control as Industry, montre
que les peines de prison pour infractions reliées aux lois sur les drogues ont
augmenté en nombre et en durée au cours des dernières années ; au début des
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 72

ves, une manifestation, organisée il y a quelques années pour générali-


ser la pratique de la distribution de seringues stériles aux usagers de
drogues, a suscité une vague de protestations dans la population.

La drogue en prison

À Bredtveit, comme dans les autres prisons norvégiennes, il se tra-


fique et se consomme beaucoup de drogues. Il semble que récemment
le phénomène soit davantage sous contrôle suite aux fouilles corporel-
les et au fait que l'institution dénonce elle-même des détenues à la po-
lice qui vient alors effectuer des fouilles à la prison même, une politi-
que que déplore Evy.

Sur la politique de décentralisation ou de régionalisation touchant


la détention des femmes

Bredtveit est la seule prison centrale fermée pour femmes seule-


ment, mais comme je l'ai mentionné plus haut, les femmes condam-
nées à de longues peines ont maintenant accès à deux prisons pour
hommes, l'une à Bergen, et l'autre à Drammen (24 places en tout). En
Norvège, ce sont là les prisons où les femmes condamnées pour les
crimes graves sont incarcérées.

Cependant, comme dans d'autres pays, il arrive que les autorités


pénales acceptent d'incarcérer dans des prisons locales, moins éloi-
gnées de leur domicile, les condamnées à de longues peines. J'ai parlé
plus haut des dix prisons locales dans lesquelles quelques femmes
sont détenues. La majorité d'entre elles sont cependant des prévenues
ou des personnes purgeant de courtes peines.

À la réflexion...

En revoyant mes notes d'observation en regard de notre schème


d'évaluation, je suis amenée à la conclusion que la prison fermée de
Bredtveit se compare aux plus sécuritaires et aux moins avant-
gardistes des prisons que nous avons étudiées.

années 90, elles représentaient 25% de toutes les années d'emprisonnement en


Norvège (op. cit., note 9).
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 73

La grande majorité des prisonnières (39 sur 48) vit en régime de


strict contrôle : sécurité interne, sécurité externe et mur d'enceinte.
Bien que les détenues des unités 1 et 2 aient quelque liberté de mou-
vement à l'intérieur et puissent s'associer entre unités, elles ne dépas-
sent pas le périmètre de sécurité de l'institution sauf lors de rares per-
missions de sorties sous escorte et sous contrat, une fois purgé le tiers
de leur peine.

Quant aux détenues de l'unité 3, elles sont presqu'en régime de sé-


grégation.

Les contrôles exercés en regard du trafic et de la consommation de


drogues sont très sévères. Les affaires de drogues sont utilisées pour
justifier des contraintes accrues. Il semble que cela reflète bien les va-
leurs ambiantes.

En relisant mes notes, je constate que les détenues n'ont pas accès
au salaire qu'elles gagnent, lesquels s'accumulent dans des comptes
desquels on déduit leurs dépenses.

Les chambres pour les visiteurs sont petites et je n'en ai compté


que deux, fort peu attrayantes, situées à l'entresol. On a droit à une
heure de visite par semaine. Les visites sont contrôlées : un officier
s'assure qu'il n'y a pas de contacts entre les détenues et leurs visiteurs ;
on ne doit pas se toucher. On peut bénéficier de visites non surveillées
après un certain temps, mais au sortir de la visite les détenues sont
fouillées au cas où elles auraient reçu de la drogue.

Un régime très puritain, à comparer au Danemark et même au Ca-


nada.

En principe, quand les contacts extérieurs et la mobilité interne et


externe sont réduits, une politique carcérale humanitaire prévoit que
les activités de formation, de production et de loisir sont plus variées
et plus modernes, surtout dans le cas des longues peines. Tel n'est pas
le cas à Bredtveit. Il y a peu d'activités compensant cette sécurité
stricte.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 74

Le lendemain

Afin de mieux jauger mon évaluation négative « en contexte », je


demande à Evy comment elle réagirait si elle était condamnée à une
longue peine de prison dans son pays, la possibilité la plus évidente
étant qu'on l'enverrait à Bredtveit. Elle me répond : « I would feel aw-
ful. I would ask to go to Bergen. »

En résumé malgré l'existence de l'unité 4, et malgré les opinions


favorables sur l'« école », la prison de Bredtveit est un établissement
correctionnel sans vrai programme, très contrôlant pour la majorité de
sa population, discriminatoire à l'endroit des femmes détenues, car
sans comparaison avec ce qui est accessible dans les prisons pour
hommes, si j'en juge par ce que rapportent les collègues criminologues
qui connaissent bien ces derniers établissements.

La section des femmes à Bergen

Cette prison est assez éloignée de la capitale, mais selon Evy, elle a
plusieurs avantages sur celle de Bredtveit 42 : l'établissement est aussi
une prison fermée, recevant des personnes condamnées à de longues
peines pour crimes graves ; il est entouré d'un mur de béton, mais si-
tué dans un fort bel endroit. La sécurité périphérique est totale, mais la
mobilité à l'intérieur des murs est bien plus grande qu'à Bredtveit.
L'institution est du style « complexe autosuffisant », avec boutiques
d'approvisionnement à l'intérieur des murs. Les unités sont modernes,
ce sont de petites maisons où logent six résidantes. Les hommes ne
cohabitent pas avec les femmes qui ont leurs quartiers propres, mais
les programmes sont plus variés et plus modernes, « and there is a bet-
ter school because it is a men's prison », dit Evy. On pratique, à Ber-
gen, un système progressif (d'élargissement vers la communauté) ; il
existe une maison de semi-liberté dans le village.

42 N'ayant pas visité cette prison, je me fie ici à la description que m'en a faite
Evy Frantzsen.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 75

8 juin

Il fait toujours aussi beau, la ville baigne dans un soleil immense.


Hier soir, plusieurs milliers d'Osloiens qui soupaient dans le port
riaient de bonheur en attendant la nuit qui ne venait pas. Vers deux
heures du matin, l'aube était là.

La prison ouverte de Ostensjoveien à Oslo

Retour à la table des matières

À quatre milles environ de la prison de Bredtveit, toujours dans la


partie « est » d'Oslo, mais moins éloignée de la ville que ne l'est
Bredtveit, se trouve la prison ouverte de Ostensjoveien.

Celle-ci se présente comme une grande maison familiale de ban-


lieue, accrochée à un coteau. C'est une maison de bois et d'aluminium
sise parmi les arbres.

De toute évidence, nous sommes attendues. Sur la terrasse, une pe-


tite table est dressée avec du thé et des biscuits, ce qui semble satis-
faire amplement les besoins de nourriture des Norvégiens à l'heure du
lunch. Dans ce pays, on déjeune copieusement à 7 h ou 8 h, puis on
soupe à 15 h 30.

La vue depuis la terrasse est extrêmement agréable.

En route, Evy m'a expliqué que la prison ouverte peut recevoir 10


résidantes qui viennent ici en sortant de l'unité 4, de la prison de
Bredtveit.

Le directeur

Celui qui nous attend est le directeur, Victor, un homme dans la


jeune quarantaine, attrayant, très « mâle » dans ses attitudes physiques
et psychologiques. Il a décidé de nous vendre les mérites de « sa »
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 76

maison. Comme Evy n'y est jamais venue, il s'adresse autant et davan-
tage à elle qu'à moi.

La prison ouverte de Ostensjoveien, à Oslo, en Norvège

Retour à la table des matières

Le parterre de la prison ouverte par un après-midi d'été. La résidence ressem-


ble à une vaste propriété de campagne. Comme toutes les prisons ouvertes en Eu-
rope du Nord, celle-ci accueille les condamnés après leur séjour en prison fermée
avant leur libération complète. Les résidantes se rendent chaque jour à Oslo pour
y travailler ou y poursuivre une formation professionnelle. En Norvège, les fem-
mes condamnées ont attendu dix ans (de 1980 à 1990) avant d'avoir accès à cette
ressource, disponible pour les détenus masculins depuis 1980.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 77

En fait, tout au long de sa description, il s'agira de « sa »maison, sa


conception, son travail, ses décisions et ses résidantes.

L'histoire de Ostensjoveien

Victor prend très au sérieux l'une de mes questions concernant


l'histoire de la maison ou plutôt de son affectation actuelle.

Il y a plusieurs années, cette maison était la propriété d'un boucher


à l'aise qui, à sa mort, l'a donnée à la Croix Rouge, laquelle en a fait
une sorte de maison-refuge pour des sans-logis et des alcooliques,
l'hiver surtout. En 1972, la Croix Rouge a vendu cette propriété à
l'administration pénale qui cherchait, à l'époque, à créer un centre de
semi-liberté pour des jeunes prisonniers arrivés au stade prélibéra-
toire. La maison a été utilisée à cette fin pendant près de 20 ans, c'est-
à-dire jusqu'en 1990, alors que les responsables du secteur « mascu-
lin » de l'administration correctionnelle du pays ont estimé que l'en-
droit était devenu trop petit et qu'il s'avérait trop éloigné du centre-
ville pour l'usage que l'on en faisait : on avait besoin pour les jeunes
gens de 20 chambres plutôt que de 10. Le directeur de la prison des
femmes de Bredtveit de l'époque, apprenant la chose, se dit que la
maison conviendrait bien aux détenues en fin de sentence et « vendit »
son idée à l'administration pénale avec d'autant plus de facilité, dit
Victor, que « cela ne coûterait rien » puisque la maison était déjà pro-
priété de l'État. Mais en fait, cela a coûté quelque chose : la résidence
était en fort mauvaise condition après ces 20 années d'occupation par
des jeunes détenus ; elle nécessitait pas mal de réparations et de pein-
ture. L'acte de cession eut lieu le 8 juin 1990, mais le nettoyage et les
réparations durèrent quelques mois (« it was a pigsty », dit Victor) et
ce n'est qu'en décembre 1991 qu'on engagea le premier employé per-
manent (lui-même).

Le personnel, le programme, la clientèle

Il y a maintenant cinq à six employés permanents à Ostensjoveien.


C'est une « maison heureuse ». - « This is now a happy place. There is
a good atmosphere. » - « Nous avons appris de nos erreurs passées ;
nous avons fait des gaffes et en avons tiré des leçons. »
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 78

Victor ne jure que par la Reality Therapy, de William Glasser 43 .


Toutes les personnes ici, dit-il, doivent être confrontées aux exigences
de la réalité et amenées à faire des choix, « and do something about
their own life ».

Mais quels choix ?

« Des choix touchant leur avenir, leur travail. »

Il s'inquiète de la difficulté qu'ont les résidantes à établir des rap-


ports de confiance et il attribue cela au fait qu'elles ont été, dans le
passé, victimes d'abus. « Il faut du temps, dit-il, (pour construire cette
confiance). C'est pour cela que les séjours à Ostensjoveien doivent
être d'au moins six mois. » Et comme ces séjours doivent se situer à
l'intérieur de la peine à purger en prison, c'est-à-dire des deux tiers de
la sentence imposée, il est arrivé à Victor « d'aller chercher » des dé-
tenues dans l'unité 4, avant qu'elles aient peut-être envie d'en partir. Il
voit Ostensjoveien comme un lieu de transition entre la prison fermée
et une ressource plus communautaire que la prison ouverte ; il sou-
haite l'instauration d'une maison tenue par le service de probation,
dans la ville même ; cela n'est pas encore tout à fait organisé mais ce
sera une étape nécessaire sur le chemin de la libération complète.

À Ostensjoveien, les résidantes travaillent ou étudient à l'extérieur


sauf les toutes nouvelles arrivées qui sont chargées de la tenue de la
maison et des repas. Les autres partent tous les jours vers la ville
d'Oslo, mais doivent rentrer immédiatement après leurs activités quo-
tidiennes pour le repas du soir, qui se prend ici vers 15 h 30 comme
dans les familles norvégiennes, et pour la réunion quotidienne qui suit.
On peut passer une nuit chez des parents ou amis à toutes les quatre
semaines. Les visiteurs, parents, enfants, amis, sont bienvenus à Os-
tensjoveien durant l'après-midi du samedi et toute la journée du di-
manche, mais on ne les garde pas à coucher.

43 Il s'agit d'une méthode d'intervention clinique qui a un succès certain dans


plusieurs milieux pénaux et criminologiques. William Glasser, Reality Thera-
py, A New Approach to Psychiatry, New York, Harper and Row, 1965.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 79

Pendant que nous parlons sur la terrasse, une voiture est arrivée et
un homme jeune, qui semble être l'ami ou le mari de l'une des résidan-
tes, en est sorti ; une résidante descend de sa chambre pour le ren-
contrer. Nous sommes mardi plutôt que samedi... Victor nous dit qu'il
s'agit là d'un cas spécial.

Je lui demande si les jeunes enfants sont, ou seront, admis dans la


maison lorsque leur mère s'y trouve. Il nous dit que cela a fait l'objet
de longs débats ici ; suite à une autorisation de la Direction des affai-
res pénales, on recevra sous peu une enfant dont la mère est ici. Evy
se réjouit que la ministre de la justice ait donné suite à la promesse
qu'elle lui avait faite à ce propos ; il semble qu'il s'agira d'une expé-
rience sujette à évaluation 44 . Les résidantes ont beaucoup hésité avant
d'accepter que cela soit tenté ; certaines craignent que cela change
toute l'atmosphère de la maison.

À propos des sorties et des relations avec la famille, Victor nous


dit que, deux ou trois fois l'an, les résidantes vont faire de la randon-
née en montagne avec leurs enfants, en hiver comme en été ; elles
passent la nuit dans les camps de montagne avec leur famille ; les
compagnons et maris sont invités si les résidantes le désirent.

Je m'informe des emplois et autres occupations des résidantes.


Deux vont à l'école ; quatre 45 ont des emplois salariés ; une est
convalescente (nous devinons sa présence ; elle est à prendre un bain
de soleil, à demi nue, à quelques 30 mètres de nous) ; une remplit les
fonctions de cuisinière et une autre, une femme souffrant de domma-
ges cérébraux, aide la cuisinière ; une est responsable de l'entretien de
la maison, toujours la dernière entrée à Ostensjoveien ; une fréquente
une école de formation professionnelle ; une autre fait un apprentis-
sage dans l'industrie du vêtement.

Les résidantes qui travaillent à la maison sont payées 63 KR/jour


(environ 14 $) ; elles doivent défrayer leur pension : 1400 KR/ mois
(autour de 300 $). Le coût par tête, par jour, à Ostensjoveien est de

44 J'ai appris, en juillet 1994, que cette décision n'a pas eu de suite.
45 L'une d'elles est secrétaire-réceptionniste à l'Institut de criminologie.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 80

600 à 700 KR (130 à 155 $) tandis qu'il en coûte de 1200 à 1300


KR/jour (260 à 280 $) à Bredtveit.

Le profil pénal de la clientèle est le suivant : quatre des résidantes


ont été condamnées pour meurtre, une pour tentative de meurtre, une
pour vol qualifié, deux ont été reconnues coupables de fraudes et au-
tres crimes économiques et deux sont là pour des affaires de drogues.

Victor nous raconte qu'il a dû livrer pas mal de combats afin que
les résidantes de la prison ouverte soient autorisées à faire les études
pour entrer dans les carrières de leur choix. Les autorités ne sont pas
toujours d'accord avec lui. Récemment, il a dû se battre aussi pour
qu'une détenue étrangère puisse venir à Ostensjoveien : quelques per-
sonnes en autorité au ministère ne croient pas que les étrangères puis-
sent être admises à un régime ouvert. Les étrangères, dit-on, sont le
plus souvent impliquées dans des affaires de trafic de drogues, - et on
a vu qu'en Norvège, on ne traite pas ces affaires à la légère. Depuis
peu, une des résidantes étrangères de nationalité pakistanaise (mais
d'origine norvégienne) est autorisée à travailler à l'extérieur de la pri-
son ouverte.

Victor est très fier de son personnel, qui compte un autre homme à
part lui. Il est particulièrement heureux d'avoir recruté une femme
dans la quarantaine qui pratiquait auparavant le métier de marin. Cette
personne exerce une très bonne influence sur les résidantes 46 . Mal-
heureusement, d'autres membres du personnel s'assoient dans leur bu-
reau les pieds sur leur pupitre (nous aurons l'occasion de constater ce-
la quelques minutes plus tard) plutôt que de se tenir avec les détenues
et d'interagir activement avec elles.

Nous visitons rapidement la maison.

L'intérieur n'est pas à la hauteur de l'extérieur.

Tout a l'air un peu négligé, un peu « jeté là », sans soin, comme si


ce n'était pas vraiment habité. Ce n'est pas une maison « chaude ». La

46 J'apprendrai en juillet 1994 qu'elle exerce les fonctions de directrice de la mai-


son.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 81

résidante dont le compagnon est arrive quelques minutes plus tôt part
maintenant avec lui. Quelques autres veulent causer avec Evy, au pas-
sage 47 . Une autre, très émue, qui connaît aussi Evy, s'apprête à quitter
définitivement la maison. Elle consent à nous montrer sa chambre,
laquelle, évidemment ne contient plus que des boîtes et des malles
bien remplies. Elle dit qu'elle n'a pas été heureuse ici : « On se sent un
pied en dedans et un pied en dehors. C'est difficile », dit-elle.

Entrevue avec une résidante de Ostensjoveien

Une des résidantes de la prison ouverte était employée à l'Institut


de criminologie d'Oslo comme secrétaire et réceptionniste. Plusieurs
collègues de l'Institut : Evy, Cecilie Hoigård et Nils Christie,
m'avaient suggéré de la rencontrer, car elle avait des opinions et sur
Bredtveit et sur la prison ouverte.

Je lui ai donc demandé de m'accorder un peu de temps, ce qu'elle a


fait pendant la pause, à l'Institut.

Son opinion, à propos de la prison ouverte, était beaucoup moins


favorable que le souvenir qu'elle a emporté de la prison fermée et sur-
tout de l'unité 4.

Selon elle, à Ostensjoveien, on est bien moins libre qu'il y paraît.


L'obligation de rentrer directement après le travail, sans perdre une
minute en route, est très pénible quand on a passé toute la journée à
l'extérieur, en liberté, dans le monde normal. Le souper quotidien en
commun et la réunion qui suit sont des règles très contraignantes. Les
horaires et programmes hebdomadaires sont décidés par Victor seul
ou par tout le groupe des résidantes. Mais elle trouve qu'on n'a jamais
la possibilité d'organiser son temps à sa guise, ce qu'elle souhaiterait,
et d'être seule. Elle estime qu'à la prison ouverte les pressions de la vie
de groupe sont plus présentes qu'en prison fermée.

Elle raconte qu'une des résidantes qui s'était montrée difficile à Os-
tensjoveien a été retournée à Bredtveit, et que cela avait causé beau-
coup d'anxiété chez les autres. Ellemême prétend qu'un jour où, par-

47 Il est maintenant 15 h et la plupart des résidantes sont rentrées.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 82

lant avec une compagne, elle osait exprimer quelques critiques sur la
prison ouverte, un des membres du personnel l'a entendue et l'a mena-
cée : « You are not loyal to that house. This time I am only warning
you. But next time ... »

À ses yeux Victor est un directeur très mâle et parfois un peu


sexiste.

Elle a par ailleurs plusieurs souvenirs positifs de Bredtveit. Elle dit


avoir été heureuse dans l'unité 4. Elle se sentait plus en sécurité là-bas
et elle aurait préféré y demeurer plutôt que de venir à Ostensjoveien
au moment où on le lui a proposé. C'est Victor qui est venu la cher-
cher parce que, selon elle, il avait une place inoccupée à Ostensjo-
veien.

À Bredtveit, même dans les unités 1 et 2, elle commençait à se sen-


tir acceptée grâce surtout à un membre du personnel avec qui elle
avait établi un bon rapport, une officière qui suit maintenant des cours
à l'Institut, une personne compréhensive et remplie de chaleur hu-
maine. Elle doit beaucoup à cette employée de la prison. « Je voudrais
maintenant faire des choses pour elle et la remercier de ce qu'elle a
fait pour moi », dit-elle.

Mais il y avait aussi des aspects bien négatifs à Bredtveit. L’un


d'eux, c'était que les détenues étaient stoned tout le temps, spéciale-
ment celles qui fréquentaient les ateliers de travail. C'était moins le
cas à l'« école » parce que les détenues aimaient la professeure et fai-
saient au moins en sorte d'arriver suffisamment à jeun pour répondre
aux questions. Mais il semble que tout cela se soit un peu calmé main-
tenant, dit-elle.

Selon cette résidante, ses copines de la prison ouverte dépensent


énormément d'argent pour s'acheter de la drogue : le salaire de quel-
ques-unes y passe. Tel n'est pas son cas : elle épargne son argent et
compte louer bientôt un appartement où elle aura l'autorisation de re-
cevoir ses enfants qui vivent maintenant avec leur père et la seconde
épouse de celui-ci.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 83

Impression d'ensemble sur Ostensjoveien

Ce qui gêne un peu devant cette « réalisation » qu'est la prison ou-


verte pour les femmes à Oslo, c'est, premièrement, le sentiment que,
maintenant qu'elle existe, il faille l'occuper quels que soient le besoin
qu'en aient les détenues de Bredtveit et le moment où elles en senti-
raient elles-mêmes l'envie ; et, deuxièmement, si on suit le raisonne-
ment de Victor - qui a tout l'air d'être en mesure de prévoir les pro-
chains développements -, c'est que, après la prison ouverte, il faudrait
encore un autre relais, une résidence encore plus proche de la commu-
nauté, où résider avant d'être tout à fait libre. On se demande si tout
cela n'est pas une façon d'étendre le contrôle pénal sur le plus de per-
sonnes possible pendant le plus longtemps possible. Toutefois, cette
critique ne peut s'adresser à la prison ouverte de Ostensjoveien puis-
qu'on y passe, théoriquement, les six derniers mois qu'on aurait vécus
en prison fermée. La surveillance qui se prolongerait encore dans la
communauté, c'est autre chose.

On a par ailleurs le sentiment que l'équilibre entre contrôle et auto-


nomie, responsabilité et liberté est assez mal géré à ce moment-ci
(juin 1993) à la prison ouverte. Certes, pour appuyer cette impression,
nous ne disposons que de deux témoignages. Et même s'il s'avérait
que la majorité des résidantes partagent le jugement de leurs compa-
gnes, ce n'est pas la formule qui serait ici en cause ; l'existence d'une
prison ouverte pour les femmes qui désirent y passer une partie de leur
temps de prison ferme paraît tout à fait opportune et désirable. Ce qui
fait peut-être problème, c'est la façon dont le directeur actuel conçoit
son rôle. Bien qu'il ne s'agisse que d'une personne, il semble difficile
de ne pas tenir compte du témoignage de la résidante qui termine son
séjour : la prison ouverte lui est apparue un peu comme un piège. C'est
aussi le sentiment de cette autre résidante qui est employée à l'Institut
de criminologie.

Concernant la formule - la routine quotidienne, les règlements, les


occupations, la politique générale -, la prison ouverte de Ostensjo-
veien présente des similitudes avec les centres correctionnels commu-
nautaires et les maisons de transition comme nous les connaissons au
Canada et aux États-Unis, tandis que l'unité no 4 ressemble aux unités
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 84

prélibératoires (les independant living units) des prisons de Kingston,


Burnaby et Shakopee.

Les coutumes des premiers, les centres de semi-liberté, ont fait


leurs preuves ; la règle de « rentrer directement après le travail »,
d'être présent au souper et à la réunion sinon quotidienne en tout cas
pluri-hebdomadaire semble porter ses fruits. De ce côté, Ostensjo-
veien n'est pas original. Les moyens connus pour « réguler une liberté
progressive » se retrouvent en Norvège, sans innovation.

On doit se demander cependant si tous les détenus doivent obliga-


toirement passer par tous les stades du « très contrôlé » au « très libé-
ré » comme il semble qu'on le leur impose à Oslo : prison fermée, sta-
des 3, 2, 1, puis unité 4 prélibératoire, puis prison ouverte, enfin, si les
désirs de Victor se réalisent, centre de transition sous l'autorité du ser-
vice de probation.

Tout cet éventail d'étapes vers la libération pourrait être disponible


sans être obligatoire.

Commentaire général

Retour à la table des matières

À Bredtveit, malgré l'excès de sécurité et le caractère traditionnel


du milieu physique, on note quelques façons d'habiter et d'agencer les
lieux - les fleurs sur les tables, l'existence d'une salle de concert, d'un
café permettant des rencontres interunités, d'un ensemble musical, la
possibilité de randonnées de plusieurs jours en montagne avec les en-
fants et les conjoints -, qui parlent d'un climat communautaire ou plu-
tôt d'une volonté de créer des liens de solidarité.

Comment expliquer cela ? Par « les petits nombres » ? Ou par la


culture nationale ? Mais Bredtveit, à tout prendre, n'est pas une petite
institution. Sur un autre plan, que penser de la discrimination dont les
femmes font l'objet concernant l'accès à des programmes de travail et
d'études ?
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 85

Toujours à propos du traitement réservé aux femmes dans le sys-


tème pénal en Norvège, que penser des édifices qui leur sont affec-
tés ? De leur histoire ? De l'état dans lequel on le leur cède « parce que
cela ne coûte rien » au service correctionnel ?

On a attendu 20 ans avant de donner une prison ouverte aux fem-


mes. Victor n'insiste pas là-dessus. Ce qu'il ne dit pas non plus, c'est
que les femmes (les futures résidantes) ont dû en faire le ménage el-
les-mêmes, avec lui il est vrai, et rendre la maison habitable, en
somme, se donner une prison ouverte pendant que les services d'entre-
tien du ministère de la Justice préparaient la nouvelle résidence des
hommes.

Dans ce pays où les femmes ont réussi à occuper 30% des postes
dans le domaine politique, depuis le municipal jusqu'au national, on
leur offre les restes dans le domaine pénal et correctionnel. Comment
expliquer cela ?

Conclusion

Retour à la table des matières

En réponse à la première question soulevée au début de ce chapi-


tre : « Trouvera-t-on dans ces pays scandinaves quelque chose de par-
ticulièrement positif dans la façon dont les femmes détenues sont trai-
tées ? », je dirai : rien ne parle d'un « modèle » à imiter dans le traite-
ment fait aux femmes détenues à la prison fermée de Bredtveit et dans
la prison ouverte de Ostensjoveien. S'il existe un « modèle scandi-
nave » dans le domaine pénal, et que la Norvège y participe, c'est dans
le secteur des hommes qu'il faudrait peut-être en chercher la réalisa-
tion. Car rien n'est d'avant-garde et bien peu est particulièrement
« humain » à la prison fermée de Bredtveit ou à la prison ouverte de
Ostensjoveien.

À la seconde question qui portait sur l'effet des progrès réalisés par
les femmes dans ce pays sur le traitement des prisonnières, je répon-
drai : rien n'est très égalitaire et encore moins équitable, dans la façon
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 86

dont les détenues sont traitées. Dans les prisons, on ne leur consent
pas, per capita, ce que l'on dépense pour un homme. Bien souvent, on
leur sert les restes.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 87

Prisons pour femmes (1998)

En Finlande, la prison centrale


de Hämeenlinna
Marie-Andrée Bertrand

Préambule

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Comme je l'ai mentionné au chapitre 1, notre étude s'inscrit dans la


foulée des recherches qualitatives qui étudient les personnes, les situa-
tions et les institutions sur leur terrain, en les observant le plus en pro-
fondeur possible dans le respect de leur dynamique propre.

Les chercheurs qui s'inscrivent dans ce courant reconnaissent ce


qui relève de la subjectivité dans leur démarche ainsi que le caractère
singulier des objets et des contextes observés. Conscients des limites
que pose cette approche, ils tentent d'en limiter l'effet de trois façons :
tout d'abord, ils travaillent en équipe le plus souvent possible ; ensuite,
ils s'immergent pendant de longues heures ou/et à plusieurs reprises
dans les mêmes milieux. Enfin, ils recourent aux avis de plusieurs in-
formateurs extérieurs à leur équipe mais familiers avec le milieu et
reconnus comme tels. De toutes façons, ils s'efforcent de ne pas sur-
généraliser.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 88

Ce rappel, d'allure un peu générale, m'apparaît nécessaire en pré-


ambule à mon rapport sur la prison centrale des femmes en Finlande
et cela pour trois raisons : d'abord, j'étais seule à faire l'étude des
lieux ; or, l'un des moyens de prendre de la distance par rapport à ses
perceptions, c'est de les confronter avec celles d'autres observateurs
qui sont sur les lieux en même temps et qui voient autre chose. Dans
notre équipe, nous avons beaucoup utilisé ce moyen 48 mais dans
quelques pays, ce ne fut pas possible d'opérer à plusieurs. Tel fut le
cas en Finlande. Ensuite, mes sources d'information sur les lieux
étaient plus limitées qu'ailleurs à cause de la barrière de la langue, ici
infranchissable pour la première fois. Enfin, j'ai séjourné en Finlande
durant les plus beaux jours de l'été 1993. Nous avons, dans plus d'un
cas, utilisé la période estivale pour faire nos observations, puisque
c'est celle durant laquelle les professeures et les assistantes étaient
plus disponibles, mais j'avais, pour ma part, négligé l'impact de ce fac-
teur sur bon nombre de nos observations.

Contexte sociopénal

La Finlande, ce pays aux forêts ondulantes et aux innombrables


lacs dont certains sont grands comme des mers, est à la fois slave et
scandinave. Dominé pendant de longues années par la Suède et pen-
dant un bref intervalle par l'URSS, le pays est depuis 1920 un État in-
dépendant.

À la différence de ses voisins scandinaves qui sont des monarchies


parlementaires, la Finlande est une république démocratique dont le
pouvoir exécutif est entre les mains d'un président élu et d'un Conseil
d'État composé du premier ministre et de 16 ministres responsables.

Sa population de cinq millions d'habitants jouit d'un niveau de vie


assez élevé, mais le pays est affecté par l'inflation et un fort taux de
chômage.

48 Non seulement nous sommes allées sur les terrains à plusieurs, mais nous
étions des personnes d'âge différent, de culture et de langue diverses, et nous
n'avions pas la même connaissance des milieux ni la même expérience.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 89

C'est le ministère de la justice et son département des prisons qui


sont responsables des établissements carcéraux. Cependant, les gou-
verneurs des prisons locales et leur conseil ont un pouvoir étendu ; le
département n'intervient pas dans la gestion interne des établissements
ni dans les cas individuels.

Depuis 20 ans, la population carcérale n'a cessé de décroître en


Finlande, passant de 5 000 détenus en 1974 à 3 400 en 1992, sous l'ef-
fet conjugué du recours à des politiques non carcérales et d'une dimi-
nution de la criminalité officielle. Les hommes condamnés à la prison
le sont surtout pour des crimes contre la propriété et des vols qualifiés,
des actes de violence contre les personnes et enfin pour conduite en
état d'ébriété. Chez les femmes, ce sont les actes de violence contre les
personnes qui constituent le premier chef d'incarcération.

Parmi les 3 400 détenus, on compte, ces dernières années, plus de


110 femmes. En 1993, toutes étaient incarcérées dans des prisons fer-
mées, tandis que 24% des hommes condamnés àdes peines privatives
étaient détenus dans des prisons ouvertes. Il existe maintenant (depuis
1994) une prison ouverte pour les femmes.

Tous les condamnés doivent travailler. Dans les prisons ouvertes,


le salaire horaire est semblable au salaire moyen (de 21 à 35 MF de
l'heure, environ de 5,00 $ à 8,40 $, en 1993) ; les résidants doivent
payer l'impôt et leurs frais de séjour. En prison fermée, le salaire ho-
raire est 10 fois moindre, de 2 à 5 MF (de 0,48 $ à 1,20 $), mais les
résidants ne paient pas leur pension.

Une fois purgée la moitié de leur sentence, les condamnés qui le


demandent et dont le comportement le permet ont droit à six jours de
congé dans leur famille à tous les quatre mois, trois jours à la fois,
sans compter le déplacement 49 .

49 Sources : The Department of Prison Administration in the Ministry of justice


of Finland, Survey of the Enforcement of Imprisonment Sentences in Finland,
Helsinki, the Government Printing Office, 1994. - De la même agence gou-
vernementale, Information of Prisoners, 1993. - Voir aussi : Tornudd, Patrik,
« Fifteen years of decreasing prisoners rates in Finland », Helsinki, National
Research Institute of Legal Policy, Research Communications, 1993.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 90

La prison centrale de Hämeenlinna,


dans la ville du même nom, en Finlande.

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Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 91

Ma consultante universitaire Tarja Pösö 50 , m'écrivait en marge du


rapport que j'ai soumis à son attention :

On sent que vous avez vécu ces jours en Finlande dans l'enchantement de
la belle saison ; ce furent d'ailleurs les plus beaux jours de l'été 1993. Il
faudrait revenir en hiver 51 .

Je n'ai pu retourner en hiver à Hämeenlinna, mais je reprendrai à la


fin de ce chapitre et dans la conclusion la remarque de Tarja Pösö
concernant l'effet de la saison sur les lieux observés, spécialement
lorsque ceux-ci sont des milieux fermés.

31 mai et 1er juin 1993

Sur le paquebot de la ligne Silja, qui transportait des familles de


vacanciers de Stockholm à Helsinki en cette longue fin de semaine de
la Pentecôte, l'atmosphère était joyeuse. La traversée s'était effectuée
par une de ces nuits de lumière blanche à peine coupée de deux heures
d'obscurité, comme cela se produit dans les pays du nord de l'Europe
en cette saison de l'année.

En ce qui me concerne, je vivais là la fin d'une parenthèse.

Après le séjour à la prison danoise de Ringe, lequel avait été suivi


d'une journée d'échanges avec notre consultante universitaire à Co-
penhague 52 , j'avais entrepris de me rendre du Danemark à la Fin-
lande. Pendant ce voyage de vingt-quatre heures en train et en bateau,
je m'étais sentie tantôt possédée par ce que nous venions de vivre à la
prison de Ringe, tantôt préoccupée par ce que j'allais trouver à la pri-

50 Professeure au département de politique sociale de l'Université de Tampere et


auteure de plusieurs études sur la famille finlandaise. je cite les plus pertinen-
tes pour notre propre sujet de recherche dans le cours de ce chapitre.
51 C'était décidément un très beau prélude à l'été dans le nord de l'Europe. Nous
l'avions déjà constaté Andrée Fagnan et moi pendant notre séjour à Ringe au
Danemark durant la semaine du 23 mai. Nils Christie luimême m'écrira,
concernant la semaine du 10 juin que je passerai à Oslo : « The days you were
here were the most beautiful of our summer. »
52 Annika Snare, professeure et chercheuse à l'Institut de criminologie et de droit
pénal de la Faculté de droit de l'Université de Copenhague.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 92

son de Hämeenlinna en Finlande, parfois et pour quelques instants, en


congé.

L'arrivée dans le port d'Helsinki sonnait la fin de la récréation.

1er juin 1993, 9 h : rencontre de mon ange gardien

Dans la gare maritime d'Helsinki, Pirkko Villikka et moi allons ra-


pidement l'une vers l'autre. Me reconnaît-elle la première ? Ou est-ce
moi qui la voit d'abord ? Nous nous sommes aperçues l'année précé-
dente lors du Séminaire international sur les femmes en détention qui
s'était tenu à Noordwijk en Hollande, mais nous ne nous connaissons
pas vraiment. Cependant, cette rencontre de l'automne 1992 nous a
permis de nous observer et de nous entendre nous exprimer sur le su-
jet qui m'amène maintenant en Finlande : les conditions dans lesquel-
les les femmes sont emprisonnées.

Elle est mon ange gardien, car j'ai grand besoin d'une guide et
d'une interprète dans ce pays dont la langue est tellement étrangère à
mes univers linguistiques. Sans elle, je puis voir mais ne puis vrai-
ment comprendre.

En route vers Hämeenlinna où se trouve la prison centrale pour les


femmes, j'apprends déjà beaucoup de choses sur l'établissement et sur
celle qui me guidera.

Pirkko Villikka

Mon ange gardien est une femme dans la jeune cinquantaine,


charmante, raffinée, qui parle couramment l'anglais. Elle joue trois
rôles majeurs à la prison. Elle est la directrice de la section des fem-
mes, l'adjointe du directeur de la prison, M. Seppo Marttinen. Elle di-
rige tous les programmes d'éducation pour les détenus des deux sexes
ainsi que le secteur de la vie culturelle et des loisirs du côté des fem-
mes. Tout cela depuis 1989. Auparavant, Pirkko et son mari ont passé
plusieurs années comme missionnaires dans un des pays de l'Afrique
anglophone. Ils ont trois enfants dont deux vivent aux États-Unis.
Leur cœur est resté en Afrique où ils retourneraient avec bonheur.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 93

En route d'Helsinki à Hämeenlinna

Hämeenlinna est à 94 kilomètres d'Helsinki.

Au fur et à mesure que nous nous éloignons de la mer en direction


nord-ouest vers la province de Hamen, le paysage devient gentiment
vallonné ; les lacs apparaissent à chaque détour.

Nous allons vers la capitale de la province de Hamen 53 , l'une des


plus vieilles villes du pays. Il y a maintenant deux Hämeenlinna, l'an-
cienne et la nouvelle. La partie ancienne est remarquable par le carac-
tère très typé des résidences entièrement en bois rond verni. La nou-
velle partie ressemble à nos petites villes proprettes de banlieue nord-
américaines. Hämeenlinna est la ville natale de Jan Sibelius, où se si-
tue, d'ailleurs, son monument dans un très beau parc de l'ancienne par-
tie de la ville.

Pirkko Villikka me dépose à 10 heures à mon hôtel, un établisse-


ment simple, aéré, confortable, d'une propreté impeccable, le genre de
pied-à-terre qui offre de l'espace, de la lumière et où tout est fonction-
nel, sur la grand-rue.

L'entrée dans la prison

La prison est à quatre kilomètres du centre de la ville. En fait, elle


jouxte la banlieue. En la voyant de loin, je crois qu'il s'agit de l'école
secondaire ou d'un pensionnat en brique jaune, situé un peu en retrait,
comme à la campagne.

L'immeuble occupe un grand terrain bordé d'arbres.

Juste avant d'y arriver, la route longe une prairie dans laquelle des
gens jouent paisiblement à la balle molle.

« Ce sont nos voisins (les voisins de la prison), des membres des


familles de nos employés », dit Pirkko. « Mais les détenus viennent

53 Le suffixe « linna » signifie ville.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 94

aussi jouer ici. » Le terrain est pourtant « hors les murs »... On m'avait
dit que c'était une prison fermée, la prison centrale, la plus sécuritaire
du pays ?...

Nous entrons librement, sans entrave, dans le terrain de stationne-


ment. Certes, je suis dans la voiture de l'adjointe du directeur. Mais
aucun signal à notre arrivée. Aucun contrôle d'identité. Aucune bar-
rière. Il existe bien une clôture de fil de fer, mais elle est entrouverte.

Je compare mentalement avec les abords de la prison de Ringe : au


Danemark, rigoureuse sécurité périmétrique, poste de garde, deux por-
tes pleines, trois contrôles... Ce que je vois ici est bien différent mal-
gré la proximité relative de ces pays du nord de l'Europe qu'on assi-
mile souvent les uns aux autres quant à leurs politiques pénales. Pour-
tant les deux prisons, celle de Ringe au Danemark et celle-ci en Fin-
lande, ont le même statut, celui de prison fermée et centrale.

Pirkko stationne la voiture sous les branches d'un saule pleureur à


l'abri d'un soleil resplendissant qui baigne tout. Nous nous dirigeons,
au son du chant des criquets, vers l'entrée du personnel et des visi-
teurs. je devine, malgré les arbres qui m'empêchent d'avoir une vue
d'ensemble de la prison, deux ailes latérales accrochées au corps de
logis dans lequel nous nous apprêtons à entrer.

Et me voilà dans cette prison de Hämeenlinna dont je serai l'hôte


pendant plus d'une semaine.

Le contexte pénal

En Finlande, tout comme au Danemark et en Norvège 54 , le taux


de détention est plus bas que le nôtre. Ce n'est pas le fait du hasard ou
de la providence. C'est l'effet d'une volonté politique qui prend appui
sur la culture, la démographie, la qualité des liens sociaux, l'impor-
tance de la famille. Ce sont là les termes dans lesquels le directeur des
services pénaux et correctionnels du pays, M. Lang, a évoqué les fac-
teurs de « succès » de la politique correctionnelle, dans son pays, lors
de notre colloque en Hollande.

54 Voir le chapitre 6.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 95

En 1991, le taux de détention était de 62,6 pour 100 000 habitants,


c'est-à-dire la moitié de celui du Canada, un peu supérieur à ceux de la
Suède, de la Norvège et du Danemark 55 .

Les femmes représentaient 3,3% de la population carcérale du


pays, un taux sensiblement plus bas que ceux des pays voisins :
Suède, 4,8% ; Norvège, 4,7%, Danemark, 4,8% 56 .

La prison
Sa population

Retour à la table des matières

En juin 1993, il y avait 175 détenus à la prison de Hämeenlinna :


75 hommes et 100 femmes. Dix autres prisonniers masculins étaient
détenus à l'hôpital qui reçoit tous les prisonniers malades, de tous les
établissements du pays, il est situé sur le terrain de la prison 57 . Dans
cet hôpital, deux chambres sont réservées aux femmes. En juin 1993,
elles étaient inoccupées.

Concernant la durée des sentences effectivement purgées à la pri-


son, la population se répartit comme suit :

- 35,9% des femmes et 29,0% des hommes sont à la prison


moins de six mois ;

- 43,6% des femmes et 38,5% des hommes, de six mois à


deux ans ;

- 20,5% des femmes et 32,5% des hommes, deux ans et plus.

55 Voir l'annexe 3.
56 Voir les annexes 4 et 4a.
57 Il existe un hôpital pour malades mentaux criminels dans la ville de Turku.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 96

Ses fonctions

La prison de Hämeenlinna est dite « centrale » parce qu'elle est


unique et relève de l'autorité pénale nationale. En principe, elle reçoit
tous les hommes et toutes les femmes condamnés à de longues peines
et requérant un régime de sécurité maximale.

L'établissement a en réalité plusieurs fonctions. Il sert de lieu de


détention pour les hommes et pour les femmes condamnés pour les
crimes les plus graves ; il est aussi utilisé comme prison provinciale
pour les détenus hommes et femmes de la province de Hamen ; enfin,
sur le terrain de la prison, dans un édifice distinct, se trouve l'hôpital
pour les délinquants, la seule ressource de ce genre au pays.

La fonction principale de la prison - servir de lieu national de dé-


tention pour les hommes et pour les femmes condamnés à des peines
de longue durée - souffre des exceptions. Pour des raisons humanitai-
res, le pays étant vaste, des condamnés sont autorisés à purger leur
sentence dans la prison de leur province de résidence. Ce n'est pas un
droit, c'est une pratique. Elle est appliquée différemment aux femmes
et aux hommes. Dans le cas des femmes, seules quatre ou cinq
condamnées originaires de Carélie, une province au sud-est du pays,
fort éloignée de la capitale et de la ville de Hämeenlinna, sont héber-
gées dans la prison pour hommes de cette province. Dans le cas des
hommes, ils peuvent « échapper » à la prison centrale de Hämeenlinna
de deux façons. Tout comme les femmes, mais depuis beaucoup plus
longtemps et en plus grande proportion, on les envoie dans les prisons
provinciales s'ils sont originaires de régions éloignées de la capi-
tale 58 . De surcroît, les prisonniers masculins qui répondent à certaines
conditions 59 peuvent purger la dernière partie de leur sentence dans
des camps de travail ; ceux-ci sont en fait des prisons ouvertes. Les
femmes n'ont pas encore accès à ces mesures prélibératoires.

58 Il faut toutefois que les établissements provinciaux soient suffisamment sécu-


ritaires.
59 Comportement jugé satisfaisant en prison, absence de délits de drogues, retour
ponctuel à l'établissement après un congé dans la famille, etc.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 97

Les mesures de sécurité

Les mesures de sécurité à la prison sont difficiles à saisir.

l'extérieur des murs, une clôture de fil de fer entoure, en principe,


toute la propriété, mais cette barrière semble plus symbolique qu'effi-
cace, car elle n'est ni très élevée ni hermétiquement fermée. À l'inté-
rieur du périmètre que créent les divers corps de logis, des cours sont
réservées à des populations distinctes et sont murées.

Au moment de ma visite, on devait incessamment rendre la clôture


« étanche », la fermer hermétiquement, la renforcer et y faire passer
un courant électrique en réaction à des évasions récentes.

Mais les avis étaient bien partagés quant à la signification de ces


évasions et à la réaction qu'il convenait d'y opposer. Alors que, selon
certains, les faits justifiaient le renforcement de la sécurité autour de la
prison, d'autres notaient que les détenus ne s'évadaient pas de la prison
même. Les absences étaient plutôt le fait de « congés prolongés » :
quelques détenus n'étaient pas rentrés après un séjour dans leur fa-
mille. En effet, comme leurs sentences sont longues, les prisonniers
sont autorisés à aller dans leur foyer une ou deux fois par année. Ils
vont aussi en excursion et certains en profitent pour prendre la clé des
champs. Mme Villikka manifestait quelque sympathie ou en tout cas
de la compréhension pour les détenus qui allongent leurs jours de li-
berté ; elle croyait que la clôture électrifiée ne réglerait pas tout et que
d'autres mesures s'imposaient pour garder les détenus : par exemple,
un personnel mieux formé et plus compétent.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 98

Vue d'ensemble des lieux,


des programmes et des services
Les lieux et les programmes communs

Retour à la table des matières

Nous commençons la visite par les locaux et les services communs


dans la prison proprement dite, lieux accessibles à tous les prisonniers,
sauf à ceux qui sont malades 60 .

La chapelle est très vaste, aérée, très nue à comparer avec les lieux
habituels de culte catholique 61 ; cela est voulu, me dit-on, afin que les
adeptes de toutes les confessions chrétiennes s'y sentent à l'aise. Les
hommes et les femmes y viennent ensemble et apprécient cette occa-
sion de s'entr'apercevoir. Pirkko croit que cette occasion d'être tous
ensemble est importante pour eux. J'apprendrai, plus tard, que les lo-
caux scolaires sont aussi des lieux fréquentés concomitamment par
des détenus des deux sexes. La chapelle est d'une propreté resplendis-
sante.

Le gymnase est également vaste et aéré ; il est équipé de telle sorte


qu'on peut y jouer au ballon-panier et à la balle au mur. Il est utilisé
comme salle de réunion pour les détenus, pour le personnel et pour les
deux groupes réunis. Les hivers sont longs dans ce pays et les détenus
ont besoin d'un lieu semblable, me dit Pirkko. On l'emploie aussi
comme « parloir » lors de certaines fêtes nationales ou religieuses
quand les visites des parents et amis des détenus rassemblent beau-
coup de monde. Enfin, c'est l'endroit où se tiennent les sessions de
formation pour le personnel.

60 Je n'ai pas étudié la prison-hôpital.


61 La Finlande est très « religieuse ». L'Église nationale est luthérienne.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 99

Les salles de classe ne sont pas grandes mais agréables bien que
les pupitres soient vraiment trop petits ; ils rappellent ceux des écoles
primaires. J'imagine le sentiment qu'on doit avoir en y travaillant : ce-
lui d'être ramené à des tâches d'enfants.

La bibliothèque est petite, mais, au moment de mon passage, elle


est très vivante. C'est une bibliothèque scolaire. Des hommes et des
femmes y travaillent ; elle avoisine les salles de classe.

Le programme d'éducation générale et professionnelle

Ce premier « tour guidé » est l'occasion pour Mme Villikka de me


parler de son secteur préféré, la formation scolaire et professionnelle
qui, comme on l'a vu, est l'une de ses responsabilités majeures.

En principe, ce sont des enseignants payés par la ville de Hämeen-


linna qui pourvoient à la formation scolaire et professionnelle à la pri-
son. La direction de l'établissement est en droit d'exiger ce service de
la municipalité, spécialement pour les classes du niveau primaire.
Mais récemment, à cause de ses problèmes financiers, la ville n'a pas
pu dégager un nombre suffisant d'instituteurs pour satisfaire aux be-
soins de la prison.

La prison est tenue d'offrir les enseignements de la 1re à la 9e an-


née incluse à ceux qui n'ont pas obtenu le diplôme d'études primaires,
car c'est là le niveau de scolarisation obligatoire en Finlande. On s'ef-
force de dépasser cette exigence en offrant aux détenus quelques cours
de niveau secondaire, de la 9e à la 12e année. Ce n'est pas simple en
cette période où la ville rationne le nombre d'heures que ses ensei-
gnants donnent à la prison. Parce qu'elle a la responsabilité de la for-
mation scolaire, Mme Villikka se sent forcée de faire de la sup-
pléance ; elle aide individuellement les étudiants du primaire et du
secondaire à faire les travaux requis et à préparer les examens ; autre-
ment, les élèves seraient contraints de travailler trop souvent seuls.
Elle a également recours à des bénévoles qui font comme elle du tuto-
rat auprès des étudiants. Elle « invente » aussi des cours, et d'ailleurs
des activités de formation pratique, pour les détenus qui purgent de
très longues sentences et ont épuisé tout ce que la prison pouvait leur
offrir comme enseignement et apprentissage. Ses propos me rappel-
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 100

lent ici ceux d'une agente correctionnelle de la prison des femmes de


Burnaby 62 , qui nous racontait avoir aussi créé une activité spéciale,
une formation en recyclage du papier et de matières textiles, à l'inten-
tion d'une détenue qui était à la prison depuis trop longtemps.

Les prisonniers qui purgent de très longues sentences ont raison


d'être déprimés, dit madame Villikka, les occupations disponibles sont
trop peu nombreuses ici.

En juin 1993, 28 détenus sur les 175 étaient inscrits aux program-
mes de formation scolaire et professionnelle, primaire, secondaire et
post-secondaire. Une proportion qui semble peu élevée mais qui est
sans doute comparable ou supérieure à celle des institutions carcérales
canadiennes.

Les rares détenus qui ont la préparation nécessaire et le désir de le


faire sont autorisés à suivre des cours de niveau postsecondaire, d'au-
tres des formations pratiques (métiers) et professionnelles, au besoin
hors de la prison. Un petit nombre de détenus masculins suivent des
cours post-secondaires dispenses par l'Université de la ville voisine de
Tampere. Ils le font surtout par correspondance et sont aidés par les
professeurs de l'Université qui viennent leur faire passer les examens à
la prison. D'autres, très rares, se rendent à l'Université pour les épreu-
ves de fin de session et quelques entrevues tutoriales. Il n'est pas pos-
sible de suivre régulièrement des cours à l'Université de Tampere
quand on est incarcéré à Hämeenlinna, dit madame Villikka ; quel-
ques détenus, qui avaient été autorisés à le faire, ont été l'objet de tel-
les pressions de la part des autres prisonniers pour faire le commerce
de la drogue ou d'autres substances illégales que leur situation est de-
venue intenable et l'administration a cessé d'autoriser ces déplace-
ments.

À Hämeenlinna, on est tenu de travailler. Aussi, les détenus qui


veulent étudier doivent-ils d'abord être exemptés de l'obligation de
travail. Être autorisé à étudier est un privilège 63 . La permission de

62 La prison provinciale située à Burnaby, C.B., au Canada.


63 Je n'ai pas réussi à réconcilier cette règle avec l'autre obligation : compléter
des études allant jusqu'à la neuvième année inclusivement.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 101

remplacer le travail obligatoire par les études n'est pas accordée auto-
matiquement. Elle fait l'objet d'une décision du Conseil de la prison.
Le prisonnier autorisé à étudier reçoit le même salaire que celui qui
travaille dans la prison.

Le programme de formation à Hämeenlinna s'étend à quelques mé-


tiers comme la cuisine pour les hommes, la couture pour les femmes,
l'administration des affaires (business administration). Ce dernier
champ est particulièrement prisé par les hommes qui, voyant le haut
taux de chômage dans le pays, pensent à créer leur propre entreprise à
leur sortie de prison. Certains sont très habiles de leurs mains, dit
Pirkko, et savent quelles entreprises ils veulent mettre sur pied ; ils
entendent les gérer eux-mêmes. Le cours d'administration des affaires
est donné en sessions intensives. En juin 1993, neuf hommes et cinq
femmes y étaient inscrits.

Les lieux de ségrégation et d'isolement

Les chambres d'isolement sont particulières. Chacune est précédée


d'une sorte de vestibule dans lequel se tient le membre du personnel 64
qui vient visiter la personne en ségrégation. La chambre d'isolement
est seulement fermée par des barreaux, qui la séparent de ce vestibule.
Depuis celui-ci, on peut donc toujours observer le détenu en ségréga-
tion.

L'éclairage n'est pas bon à cet endroit, la fenêtre est haut perchée et
la vitre n'est pas transparente ; de plus on est à l'entresol ; enfin, la
ventilation est minimale. Le lit me paraît ordinaire ; il y a un évier et
une toilette dans cette cellule. La période de ségrégation ne doit pas
dépasser sept jours. Pour la prolonger, il faut une décision du Conseil
de la prison et, de toutes façons, on ne doit pas laisser quelqu'un en
ségrégation plus de 20 jours.

64 Et, sans doute, le conseiller juridique dont il a le droit de requérir l'assistance,


ainsi que le pasteur.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 102

Les chambres pour la visite des conjoints

Les détenus peuvent recevoir leur conjoint trois heures par mois,
en privé. La porte de la chambre est fermée pendant la visite. Il y a un
lit dans les chambres réservées aux visites des conjoints, comme à la
prison de Ringe au Danemark.

La cuisine centrale

La cuisine centrale est immense. On y prépare les repas de près de


300 personnes le midi (le personnel mange sur les lieux) et d'environ
175 ou 200 le soir. Seuls les détenus masculins peuvent travailler à la
cuisine. Après un temps de formation, ils peuvent obtenir un certificat
de compétence, mais on indiquera sur leur diplôme qu'ils ont reçu leur
formation à la prison de Hämeenlinna 65 .

Les cours intérieures

Quatre cours sont situées à l'intérieur du périmètre dessiné par les


bâtiments ; comme je le disais plus haut, des murs de plusieurs mètres
les séparent les unes des autres. Elles sont vastes (la plus grande fait
environ 300 m2), l'espace est la règle. Malheureusement, elles ne sont
pas attrayantes ; le sol est sec et recouvert de gravelle, sauf aux abords
des murets où on aperçoit un peu de verdure.

L'une des cours est réservée aux prisonnières présentant de graves


problèmes et qui, sans être malades mentales, ne peuvent participer
aux activités quotidiennes ; une autre aux détenus masculins et une
troisième aux prisonnières « ordinaires ». Une quatrième sert de ter-
rasse à l'unité pour les mères et les enfants.

La cour des hommes m'apparaît particulièrement vaste et cela


m'étonne puisqu'il y a moins d'hommes que de femmes dans cette pri-
son. J'en passe la remarque à Pirkko qui tente de m'expliquer cette dif-
férence en alléguant que les hommes y pratiquent des sports qui exi-

65 Tel n'est pas le cas pour les certificats d'études générales comme on le verra
plus loin.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 103

gent beaucoup d'espace. Elle me rappelle que les détenus « ordinai-


res », femmes et hommes, sont autorisés en certaines occasions à aller
pratiquer des sports d'équipe et à se détendre « hors les murs », dans le
champ que j'ai aperçu à mon arrivée.

La salle de musculation

La salle de musculation est impressionnante. Du point de vue de


l'éclairage et de l'aération, elle n'est pas attrayante, car elle est située
dans un entresol ; apparemment cela n'empêche pas les prisonnières
d'y venir. L'équipement est imposant et complexe. Comme je m'en
étonne et que je rapporte à Pirkko Villikka nos observations à l'effet
que dans plusieurs établissements pour femmes les engins sportifs et
les salles de gymnastique sont peu utilisés par les détenues, Pirkko me
dit que tel n'est pas le cas ici : les prisonnières à Hämeenlinna tiennent
au contraire à venir faire de la musculation. Les nouvelles venues sont
initiées par la monitrice d'éducation physique au fonctionnement des
appareils avant d'être autorisées à s'en servir. L’éducatrice physique
vient deux fois la semaine. Sur ce point, les détenues finlandaises
semblent différentes des nord-américaines chez qui l'inactivité physi-
que et la passivité sont souvent la règle.

Les programmes de travail

Le travail de buanderie est réservé aux hommes. Je n'ai ni observé


ni même visité ce lieu de travail.

Les hommes sont aussi responsables de tous les travaux exté-


rieurs, nettoyage du terrain, peinture et réparations des bâtiments. Cet
été est le premier au cours duquel les prisonniers sont autorisés à tra-
vailler à l'extérieur des bâtiments. « A pity, dit Pirkko, que cela n'ait
pas été permis les années précédentes ; l'été dans notre pays les jours
sont longs et la température est si belle ; en hiver il fait noir long-
temps, même le jour ». Les travaux extérieurs, le jardinage et l'entre-
tien général sont réservés aux hommes.

Les travaux accessibles aux femmes se limitent à la couture. Du


moins, c'est ce que j'ai cru pendant les deux premiers jours.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 104

L'atelier de couture

L'atelier de couture est à la fois un lieu de formation et de travail.


Le travail se fait sous contrat avec des industries environnantes. La
qualité des lieux m'impressionne. Comme ailleurs, les locaux sont
vastes ; ils sont bien éclairés et très aérés. La machinerie est perfec-
tionnée, moderne et semble en excellent état à en juger par la rapidité
avec laquelle les femmes la font fonctionner. Les pièces, dans lesquel-
les 8 à 10 détenues 66 travaillent au moment de ma première visite
dans ce lieu, ont au moins 15 mètres de longueur. Deux des femmes
sont en pause-café ; elles viennent causer familièrement avec Pirkko
comme avec une personne que l'on aime bien. Quelques-unes veulent
savoir qui je suis et l'une d'elles s'adresse à moi en anglais.

L'unité mères-enfants

Il y a une unité mères-enfants dans le secteur des femmes ; au


moment de mon séjour à la prison, six détenues s'y trouvaient. Elles
passent une partie de la journée et toutes leurs soirées avec leur en-
fant, mais elles doivent aussi travailler et gagner un salaire. Lune de
ces mères était justement dans l'atelier de couture quand nous y som-
mes passées un peu plus tôt. Les enfants vivant avec leur mère à Hä-
meenlinna sont très jeunes : ils ont de six à dix-huit mois. La loi fin-
landaise sur les prisons prévoit qu'ils peuvent être hébergés dans les
prisons avec leur mère jusqu'à l'âge de deux ans.

Les aires de vie commune sont agréables, simples, moins « déco-


rées » que ne l'étaient la cuisine, le vivoir et la salle de jeux des en-
fants à la prison allemande de Vechta. Comme à Vechta, il y a un
« stationnement » commun où l'on range les poussettes et voiturettes
des enfants.

66 Le mois de juin est un peu mois de vacances pour les résidants ; pendant l'été,
ils ne sont pas tenus à un horaire aussi strict. Ils ont d'ailleurs droit à deux se-
maines de vacances payées. Je n'ai donc pas observé la prison dans son fonc-
tionnement normal.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 105

Toute l'unité est bien aérée et les fenêtres sont grandes ouvertes. La
propreté des lieux est sans affectation.

Les chambres des mères sont décorées plus sobrement que tout ce
que j'ai vu ailleurs, spécialement dans certaines des prisons canadien-
nes où les cellules des détenues regorgent d'oursons en peluche, de
poupées, de fleurs artificielles, de poissons dans des bocaux, etc.

L'unité reçoit ses repas de la cuisine centrale, mais on peut prépa-


rer et réchauffer les mets destinés aux enfants sur place.

L'unité mères-enfants est une section en soi ; elle occupe une partie
du rez-de-chaussée de l'aile des femmes et ouvre directement sur sa
propre cour qui est une véritable terrasse. C'est de loin l'espace exté-
rieur le plus soigné et le plus joli.

L'ensemble fait « familial », simple.

L'unité des détenues présentant des problèmes particuliers

je visite et j'observe l'unité des détenues présentant des handicaps


particuliers. On y reçoit des condamnées dont le niveau intellectuel est
très limité, d'autres souffrant de problèmes d'apprentissage et de diffi-
cultés émotionnelles, et des toxicomanes. Il y a quatre détenues dans
cette unité au moment de mon passage. Lune est occupée à faire cuire
des aliments, une autre à tricoter et deux autres ne font rien. Il me
semble que ces deux dernières sont en désintoxication.

Les quartiers d'habitation des détenus « ordinaires »

Les hommes et les femmes occupent des secteurs complètement


séparés. Leurs quartiers de résidence sont situés aux étages supé-
rieurs ; les rez-de-chaussée et les entresols étant occupés par des ate-
liers et des services communs et deux unités spéciales. Les détenus
« ordinaires » n'ont donc pas d'accès direct à leur cour intérieure res-
pective.

À Hämeenlinna, comme dans la majorité des prisons construites


depuis les années soixante, les détenus sont répartis par petits groupes,
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 106

dans des quartiers d'habitation distincts des lieux de travail et


d'étude 67 . La distribution en unités de vie relativement réduites per-
met d'appliquer une politique carcérale davantage axée sur la réhabili-
tation et le traitement. En effet, en principe les petits groupes favori-
sent des contacts humains et personnalisés 68 , une tâche qui dépasse la
fonction traditionnelle de gardien de prison. Mais encore faut-il que le
personnel soit préparé à le faire.

Il ne m'a pas semblé que c'était le cas partout à la prison de Hä-


meenlinna. Je n'ai pas observé pendant plusieurs heures la section des
hommes, ni visité les cellules du côté masculin ; ce n'était pas l'objet
de mon séjour en Finlande. Mais j'ai visité l'étage supérieur de leur
aile, là où se trouvent les détenus condamnés aux sentences les plus
longues, les nouveaux arrivants et certains détenus plus violents. Les
lieux n'étaient pas soignés. Au moment où je m'y trouvais, les rela-
tions entre les membres du personnel et les détenus étaient tendues. Le
ton des voix (du personnel et des détenus) était élevé, l'agressivité,
voire l'hostilité, perceptibles. Bien que le groupe était petit (une dou-
zaine de personnes), le personnel masculin, en service à ce moment-
là, ne semblait pas prépare à jouer des fonctions autres que disciplinai-
res. J'aurai la même impression en une autre occasion (voir ci-après).

Du côté des femmes, à l'étage correspondant, les lieux étaient soi-


gnés, le climat était non pas joyeux ni exempt de tensions - les rési-
dantes n'étaient pas tout sourire - mais le ton des voix et le niveau du
bruit ambiant étaient modérés ; les rapports étaient plutôt amicaux en-
tre les détenues et cordiaux avec les membres du personnel. Les em-
ployées féminines intervenaient avec humour quand le ton montait.
Elles parlaient sur un ton réfléchi.

67 L'architecture des prisons construites au début du siècle et celle des vieux mo-
nastères qu'on a transformés en prisons comme à Vechta ne se prêtent pas à la
constitution de petits groupes. Les ailes ou les « planchers » regroupent alors
souvent 50 ou 60 détenus quand ce n'est pas davantage.
68 On verra plus loin, à la section portant sur l'inauguration de la nouvelle prison
provinciale, que les propos de la ministre de la justice et du directeur des insti-
tutions correctionnelles vont encore plus loin dans cette direction. lis insistent
pour que la présence des personnels se fasse sentir à tout moment de la vie des
détenus.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 107

Les unités de vie des femmes

À Hämeenlinna, les chambres sont grandes à comparer avec celles


de la plupart des prisons que j'ai étudiées. Au moment de ma visite,
elles étaient bien tenues, décorées sobrement. Une détenue m'explique
que les règlements sont assez stricts à ce sujet mais que, de toute fa-
çon, les femmes elles-mêmes aiment cela : « We like neatness. » Il y a
des barreaux aux fenêtres, mais espacés de telle sorte que l'air et le
soleil entrent librement. je vois des radios et des téléviseurs dans les
chambres. Dans celles que des détenues me font visiter, j'aperçois des
cafetières et de la nourriture ; sauf erreur, pour ce qui est des cafetiè-
res, nous n'en avons vues dans aucune maison de détention en Améri-
que du Nord. Les appareils électriques sont interdits dans les cellules
au Canada et aux États-Unis.

Les portes des cellules sont pleines, mais laissent place à un judas
qui permet au personnel d'observer l'intérieur des cellules. De son cô-
té, l'occupante peut indiquer que la voie est libre (lumière verte) ou
qu'elle souhaite ne pas être dérangée (lumière rouge), grâce à un sys-
tème de signaux lumineux sur le penne des portes. Quand la chambre
est inoccupée, la résidante peut le signaler et indiquer qu'elle ne sou-
haite pas qu'on entre sans sa permission. Les détenues ont la clé de
leur chambre, mais les verrous sont tirés de l'extérieur la nuit (de 21 à
6 heures). Évidemment, les membres du personnel peuvent pénétrer
dans une cellule lorsqu'elles estiment qu'il le faut. La règle est la sui-
vante : elles frappent à la porte avant d'entrer et se signalent aussi en
parlant à l'occupante. On attend qu'une détenue soit présente pour
faire visiter sa chambre.

En général, les cellules n'ont qu'une occupante mais quelques-unes


sont en occupation double. On peut choisir d'être dans une chambre à
deux et certaines le font. Dans les cas de surpopulation, la direction
impose l'occupation double pour un laps de temps déterminé et de pré-
férence à celles qui y sont le moins opposées.

Les chambres s'alignent sur deux rangées qui se font face, de part
et d'autre d'un corridor assez vaste. Tout converge vers quelques lieux
communs : une cuisine, le secteur des salles de bains et de toilettes
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 108

(propres mais pas très nombreuses à mon avis) et une assez jolie salle
à dîner avec des tables pour quatre convives.

La cuisine est assez petite et intime ; on peut venir y réchauffer un


plat (venu de la cuisine centrale), y confectionner un mets et même un
repas complet. Dans ces derniers cas, les détenues doivent acheter les
aliments avec leur salaire.

Tous ces dispositifs - ailes, cellules en rangées se faisant face,


lieux de vie commune - ressemblent à s'y méprendre à ceux des pri-
sons « ordinaires ». Pourtant, il y a ici quelque chose de différent.
C'est peut-être le caractère informel, amical mais respectueux, des
rapports entre les membres du personnel et les détenues du côté des
femmes et dans le secteur de la formation en particulier. Il est difficile
de savoir ce qui vient de l'influence de madame Villikka, de sa per-
sonnalité et de son autorité, et ce qui relève de traits culturels plus gé-
néraux. Comme mes observations et mes impressions ne me condui-
sent pas aux mêmes conclusions concernant le secteur des hommes
(mais puis-je comparer sans avoir observé plus longuement ?), il faut
peut-être même me demander si ce quelque chose de spécial n'appar-
tient pas à la « sous-culture féminine ».

À l'appui de la première hypothèse, l'influence de madame Villik-


ka, j'apporterai deux faits.

L'un de ces faits s'est produit dans la section des hommes. Nous
circulions dans une de leurs unités de vie vers la fin des heures de tra-
vail et donc la majorité des détenus n'étaient pas encore dans leur
quartier d'habitation. Cependant deux résidants travaillaient dans leur
cellule à ce qui m'a semblé être des travaux scolaires ; ils ne s'intéres-
saient pas à notre présence. Un troisième se tenait, si l'on peut dire, à
la porte de sa cellule. Il avait l'apparence d'un étudiant : cheveux
longs, allure plus intellectuelle que « musclée » et on le sentait dans
un état de bouleversement émotif. Il s'est approché de Pirkko et lui a
raconté avec animation comment on l'avait surpris avec des drogues
sur lui et qu'il avait ainsi perdu la possibilité (dont il était assuré si
tout continuait de bien aller) d'être transféré ces jours-là dans un camp
de travail. Ce transfert lui aurait permis de continuer des études post-
secondaires. je n'ai pas pu saisir l'échange, mais Pirkko m'en a donné
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 109

sa version par la suite. Le problème relevait en partie de sa compé-


tence puisqu'il était question, entre autres choses, des études et que
celles-ci risquaient d'être interrompues ; il était donc assez normal
qu'un détenu s'adresse à la responsable de l'enseignement dans cette
affaire. Mais ce que révélaient dans cet échange le ton et l'attitude du
détenu au-delà du contenu que je ne pouvais saisir, c'était l'état des
rapports entre un prisonnier et la directrice des études : une relation de
confiance. C'était un peu l'attitude qu'un garçon de 19 ou 20 ans aurait
eue avec sa mère, s'il avait eu, avec cette dernière, des rapports d'af-
fection et de considération. Le jeune prisonnier se comportait comme
quelqu'un qui est absolument sûr d'être écouté. Sans doute y avait-il
aussi une tentative de manipulation dans sa démarche. Il m'a semblé
au ton de Mme Villikka qu'elle n'était pas dupe - elle parlait avec tris-
tesse et fermeté - mais que cela ne l'empêchait pas d'entendre la re-
quête. Elle me racontera plus tard qu'elle trouvait que ce jeune homme
s'était mis dans de bien mauvais draps à un bien mauvais moment et
qu'elle le lui avait dit ; elle avait ajouté que la règle était la règle, mais
qu'elle irait aux nouvelles et le verrait dans les jours qui suivent.

L'heure des repas approchait et les détenus revenaient dans leur


unité. J'ai donc pu observer d'autres résidants dans leurs rapports entre
eux et avec Pirkko, ainsi qu'avec les membres du personnel. Quelques
détenus interagissaient de leur chef avec Mme Villikka. De son côté,
celle-ci en interpellait d'autres. Sa présence avait un effet visible et
positif sur quelques-uns : des physionomies s'éclairaient quand on
l'apercevait. Cependant, d'autres résidants l'air fermé, le regard dur,
étaient comme hors d'atteinte. Les membres du personnel masculin
parlaient brusquement, mais moins qu'en l'absence de la directrice ad-
jointe. Il m'a semblé que leur respect envers elle avait quelque chose
d'obligé.

Du côté des femmes, le travail de soutien et d'écoute des détenues


ne reposait pas que sur Mme Villikka.

Les locaux de l'admission du côté des femmes

Les pièces consacrées à l'admission du côté des femmes sont clai-


res, bien ventilées, fenêtres grandes ouvertes, propres, et surtout très
paisibles. De tous ces points de vue, elles diffèrent de ce que nous
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 110

avons observé dans plusieurs prisons, notamment celle de Kingston en


Ontario et celle de Tanguay à Montréal. Dans la toute nouvelle prison
de Burnaby en Colombie-Britannique, les locaux et les douches sont
propres et les effets des arrivantes sont rangés dans des casiers adé-
quats, mais les lieux sont sursécuritaires, tout respire le soupçon, la
méfiance. Tel n'est pas le cas ici. En fait, la section d'admission à Hä-
meenlinna ressemble plutôt à ce que nous avons vu à Shakopee. Cer-
tes, les appareils médicaux sont un peu moins sophistiqués ici qu'à
Shakopee, leur apparence générale moins ultra-moderne. Mais l'aspect
professionnel des lieux et la qualité des personnes en place font que
les deux endroits ont quelque chose de semblable.

L'arrivante doit se départir de ses vêtements à l'admission, mais


ceux-ci lui seront remis quelques heures plus tard et elle pourra les
porter pendant son incarcération.

À l'arrivée, les nouvelles venues sont soumises à un examen médi-


cal et on leur offre de prendre une douche sans les y obliger. Du côté
des femmes, c'est une infirmière qui se charge des premiers contacts et
de l'examen 69 . Celui-ci se fait le jour de l'arrivée si la nouvelle venue
est amenée avant 15 heures, suite à quoi elle est immédiatement inté-
grée dans l'une des unités. Autrement, elle passe la nuit à l'admission
et subit son examen médical le lendemain.

L'officière en charge de l'admission est une personne calme, ou-


verte et sereine que notre présence ne semble pas du tout déranger.
Elle nous explique les procédures d'admission dans des termes sim-
ples comme quelqu'un qui n'a rien à cacher. Je pénètre dans la salle
des douches et dans les douches mêmes qui sont très propres.

En somme, le secteur des admissions du côté des femmes à la pri-


son de Hämeenlinna est un endroit agréable sous la responsabilité
d'une professionnelle ; sous plusieurs aspects, c'est un lieu bien diffé-
rent de ce que nous avons vu dans d'autres prisons, particulièrement à
Tanguay, à Kingston et à Framingham.

69 Je n'ai pas visité le secteur de l'admission du côté des hommes.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 111

Les services médicaux

Les bureaux des médecins et dentistes sont situés dans l'hôpital


psychiatrique sur le campus. Il n'y a pas de gynécologue dans cet hô-
pital. On fait donc appel à ceux de la ville de Hämeenlinna en cas de
besoin. Les prisonnières qui doivent accoucher sont envoyées à l'hôpi-
tal de la ville.

Le sauna du côté des femmes

Le sauna à la prison de Hämeenlinna est très grand et très fonc-


tionnel. Toutes les détenues y sont invitées tous les vendredis pendant
deux heures, de 16 h à 18 h ; même celles qui sont en ségrégation ;
celles-ci y viennent avant la « population générale » 70 . C'est un mo-
ment de fête, me disent Mme Villikka et les employées présentes. Les
détenues, qui ne sont pas familières avec cette coutume nordique, les
étrangères, sont souvent trop timides pour se dévêtir devant leurs
compagnes. « Elles ne sont pas acculturées à notre rituel national »,
disent en riant les membres du personnel.

Questions

Retour à la table des matières

Je demande à Pirkko de m'accorder un peu de temps en tête-à-tête.


Nous prenons le thé dans la salle a manger du personnel. Une pièce
pas très agréable, un peu austère, moins « familiale » que plusieurs
des lieux que j'ai pu observer. Étrange. Le personnel se traiterait-il
moins bien qu'il ne traite les détenues ? Nous ne sommes plus alors
dans la section des femmes, mais dans des locaux communs aux per-
sonnels masculin et féminin.

70 Le sauna en soi ne mérite pas d'intérêt particulier, mais le fait qu'on l'ait inté-
gré au programme de la prison est certainement digne de mention. On n'en
trouve pas à la prison des femmes d'Oslo, en Norvège.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 112

Nous causons. Des membres du personnel travaillant dans la sec-


tion des femmes, qui sont dans leur pause-café, se joignent à nous à
l'invitation de Pirkko. Elles ne se sont pas dirigées vers notre table
d'elles-mêmes. Des employées de la cuisine viennent nous servir le
thé et s'intéressent à notre conversation. Pirkko les invite à répondre à
certaines de mes questions sur les menus, le rythme des repas de fin
de semaine... lorsqu'elle-même n'a pas la réponse.

J'attends que nous soyons seules, Mme Villikka et moi, pour abor-
der quelques grandes questions : Comment réagit-elle, elle-même, à
ce que nous voyons ? Quelles sont ses principales critiques, ses insa-
tisfactions, ses préoccupations sur la prison dans son ensemble ? je
m'efforce de ne pas centrer mes questions sur ce qui me préoccupe
particulièrement, par exemple, les conditions de travail et de forma-
tion des femmes.

Sa première réponse est celle d'une directrice-adjointe. Elle dit être


assez satisfaite de la qualité du personnel du côté des femmes, mais
elle l'est moins en ce qui concerne les employés masculins. Parmi ces
derniers, certains travaillent depuis de longues années dans l'institu-
tion et sont davantage portés sur la discipline et la sécurité que sur
« l'éducation » (sic). Ils sont du type « no discussion ». Elle me
confirme que ses fonctions de responsable de la formation s'étendent
au perfectionnement de tous les personnels, ainsi qu'à la formation
initiale des employés nouvellement engagés. Elle fait aussi partie d'of-
fice des comités d'embauche. Ces tâches-là lui tiennent beaucoup à
cœur.

Elle aborde ensuite la critique des conditions d'incarcération des


femmes. Elle déplore l'absence de prisons ouvertes et de maisons de
transition dans leur cas. On 71 a tenté d'ouvrir un centre de ce genre,
mais l'expérience a avorté, l'endroit ou le bâtiment choisi n'étant pas
adéquats. Elle voudrait que les femmes puissent bénéficier des pro-
grammes de libération graduelle qui sont accessibles aux hommes ;
depuis les prisons ouvertes (et récemment dans une maison de transi-
tion près d'Helsinki), pendant la dernière partie de leur sentence ou
même après leur libération, ceux-ci peuvent se chercher un emploi ou

71 Les autorités de la prison, sous la pression des bénévoles et de Mme Villikka.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 113

poursuivre leur formation. Ce sont en fait des « prisons de jour » où


ils ne doivent « rentrer » que le soir pour dormir. Pour compenser un
peu cette lacune, Mme Villikka a récemment amené pendant quelques
jours à la campagne cinq prisonnières dont les sentences sont particu-
lièrement longues. À son ton un peu las et à son air préoccupe, je vois
qu'elle reconnaît la disproportion entre les deux situations : cinq jours
à la campagne plutôt que quelques mois en semi-liberté...

Je reviens sur sa première réponse concernant la préparation et la


formation du personnel et je m'informe des exigences scolaires et pro-
fessionnelles pour entrer dans la fonction d'agent correctionnel en Fin-
lande. La formation se donne dans un collège spécialisé à quelque 30
kilomètres de la ville d'Helsinki ; elle s'étend sur une ou deux années
dépendant de la préparation antérieure des candidats qui doivent de
toute façon avoir le diplôme d'études secondaires. Ces exigences sont
récentes. Auparavant, la formation ne durait que quelques semaines et
encore. Mais cette année (1993), quand le service correctionnel natio-
nal a rendu publiques ses offres d'emploi dans le domaine, 60 candi-
dats qualifiés se sont présentés au concours pour quatre postes dispo-
nibles. Les qualifications des nouvelles recrues sont plus élevées que
par le passé et cela aura des effets à long terme du côté des hommes,
croit-elle. Du côté des femmes, le niveau de préparation et la motiva-
tion étaient déjà convenables. Son jugement global est le suivant :

On the women's side, you can see that none of them (membres du person-
nel) is negative (à l'endroit des détenues). You cannot say the same on the
men's side.

Mme Villikka aimerait que chaque détenu soit pris en charge par
un membre du personnel qui agirait comme son tuteur.

La semaine à la prison

Je reviens chaque jour. La « clôture » n'est toujours pas fermée.


Elle n'est toujours pas électrifiée. J'entre toujours directement en voi-
ture ou à pied dans le stationnement sans que personne ne m'interroge.
Évidemment, pour pénétrer dans l'édifice, je dois m'identifier. On me
conduit au bureau de Pirkko ou dans une unité. On me salue avec une
certaine timidité.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 114

Je prends des photos des lieux à l'extérieur et à l'intérieur chaque


fois qu'on m'y autorise, et quelques photos de Mme Villikka et de
membres du personnel qui s'y prêtent.

Sorties mixtes

La quatrième journée, lorsque nous arrivons en voiture à la prison,


un minibus s'apprête à transporter un groupe de détenus, hommes et
femmes, qui s'en vont suivre un cours. Une très jolie fourgonnette
dans laquelle on aurait envie de parcourir le pays. Je commence à
avoir des réactions de prisonnière, des envies de voyager. Lautobus
dans lequel je monterai quelques jours plus tard avec les directeurs de
la prison n'aura rien de comparable à celui-ci. Le personnel, la haute
direction même, se traitent moins bien qu'ils ne traitent les détenus.

« En général, dit Mme Villikka, les prisonniers ne profitent pas de


ces déplacements pour s'évader. » Cela s'est produit une fois pendant
une excursion qui n'avait pas été bien planifiée : un détenu s'est enfui.
Les autres étaient franchement désolés et disaient : « Nous sommes
toujours là, nous, les sept autres. Ne vous en faites pas ; nous n'allons
pas vous quitter », raconte Pirkko. Elle continue : « The one who es-
caped was just some weeks away from parole. Although he did not do
anything wrong during his escape, his prison sentence was lengthe-
ned. »je sens qu'elle en a souffert autant que lui.

Problèmes que posent les courts séjours en prison

J'ai constaté en étudiant les statistiques de la population carcérale


que le tiers des prisonniers (voir plus haut, dans la section sur la pri-
son) passent en fait moins de six mois à la prison. Je demande s'il n'est
pas difficile d'organiser un programme de travail ou de formation pour
les courts séjours ? « En fait, dit Mme Villikka, nous n'acceptons dans
les programmes de formation importants que les détenus qui sont à la
prison pour plus de quatre mois. Pour le travail, c'est différent ; il n'y a
pas d'échappatoire, tous doivent travailler : c'est la règle, quelle que
soit la durée de leur sentence. Du côté de la formation, pour répondre
aux besoins de ceux dont les sentences sont courtes, nous avons créé
quelques programmes courts, par exemple celui de gestion des affaires
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 115

(business administration) qui dure quatre semaines. Nous avons aussi


un programme de préparation à la sortie qui dure cinq semaines 72 . »

Concernant l'obligation de travailler, la règle est appliquée de fa-


çon stricte. Le refus de travailler (ou d'étudier) est passible de ségréga-
tion. Selon Mme Villikka, le travail en prison n'est pas bien rémuné-
ré ; le salaire est trop bas (3 000 FM, environ 650 $ canadiens par
mois). J'apprendrai plus tard que le salaire des femmes est inférieur à
celui des hommes.

Les emplois à la sortie

Au cours d'un autre de nos échanges, je m'informe des emplois que


les ex-détenus réussissent à occuper en quittant la prison. Grave pro-
blème et pas seulement pour les ex-prisonniers. Le taux de chômage
dans certaines régions du pays était de 19% en 1993.

Les emplois accessibles aux femmes dans la prison

J'apprends que les emplois disponibles pour les femmes en prison


sont plus nombreux et plus variés que je ne l'avais compris les pre-
miers jours. En fait, les femmes peuvent travailler non seulement à la
réparation des vêtements (clothes mending and reparation), mais aussi
à la confection de vêtements, à la fabrication de draps pour les hôpi-
taux, à l'empaquetage (de cartes postales, par exemple), à l'assemblage
d'engins de pêche 73 . Mais ce dernier contrat ira désormais à la nou-
velle prison pour hommes qui s'ouvrira dans quelques jours. Les
femmes détenues perdront donc une des occupations salariées qui leur
était accessible.

Les bénévoles

J'ai constaté, en relisant mes notes, que Mme Villikka doit faire
appel à du personnel extérieur non rétribué pour compenser la relative

72 Cela me semble s'apparenter aux living skills programs dans les prisons cana-
diennes.
73 On a vu ce type de travail proposé aux détenues de Shakopee.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 116

absence d'enseignants rémunérés par la ville. Je comprends de plus en


plus que sa tâche est considérable et qu'elle doit se multiplier.

Je lui demande de me parler du rôle des bénévoles dans la prison.

Elle me sort immédiatement une liste de 20 noms de visiteurs auto-


risés, avec leur photo et leur identité. Ils lui sont envoyés par des as-
sociations que la direction de la prison a d'abord approuvées. Ces as-
sociations sont généralement des regroupements religieux luthériens,
épiscopaliens, adventistes. D'autres viennent de la Croix-Rouge et de
l'Armée du Salut. Mme Villikka forme et coordonne les bénévoles.
D'ailleurs, ceux-ci ont constitué une sorte d'organisation, une amicale
si l'on peut dire. Par exemple, ils prennent des saunas ensemble et
tiennent des groupes de discussion qui peuvent ou non avoir un lien
avec leur travail auprès des prisonniers. C'est avec eux que la respon-
sable des bénévoles et le chapelain de la prison planifient les activités
de loisirs des détenus pour occuper les longues soirées d'hiver.

Je retourne dans les unités pour observer quelques activités.

Réflexions

Retour à la table des matières

1. Il m'apparaît que les femmes condamnées à de longues peines en


Finlande sont traitées de façon discriminatoire à plusieurs égards.

Dans la prison même, non seulement les femmes sont exclues de


plusieurs emplois parmi les plus intéressants comme le jardinage et la
cuisine, et d'autres qui sont bien rétribués comme la buanderie, mais
elles sont limitées à des tâches et des formations très traditionnelles.
Quelques-uns des milieux dont elles sont exclues sont non seulement
des lieux de travail, mais aussi de formation et donnent accès à un cer-
tificat de compétence, comme la cuisine notamment. Les conséquen-
ces de cette discrimination se font d'ailleurs sentir d'autres façons, car
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 117

l'emploi typique accessible aux femmes, la couture, est moins bien


payé que certains des emplois accessibles aux hommes.

En dehors de la prison de Hämeenlinna elle-même, les femmes


sont aussi objets de discrimination puisqu'elles n'ont pas de place dans
les camps de travail - en tout cas pas autant de places proportionnel-
lement qu'il n'y en a pour les hommes -et qu'il n'existe pas de maison
de transition pour elles. Ces deux dernières lacunes les coupent de la
possibilité de poursuivre une formation supérieure. L'absence de mai-
son de transition pour les femmes et le peu d'accès aux camps de tra-
vail leur enlèvent surtout la possibilité de se trouver un emploi rému-
néré au sortir de la prison ou pendant la dernière portion de leur sen-
tence.

2. Au plan structurel, la prison de Hämeenlinna est un établisse-


ment carcéral traditionnel. L’architecture est des plus classique sans
être sursécuritaire et imposante ; l'agencement des lieux comprend
comme dans toutes les prisons des ailes, des rangées, des cellules.
Pourtant, j'ai trouvé dans cet établissement, quelque chose de plus
communautaire que dans d'autres prisons organisées selon ce modèle.
À la prison de Hämeenlinna, les relations entre les détenues et entre
celles-ci et le personnel me paraissent « réelles » du côté des femmes,
alors que cette prison n'est ni moderne, ni originale, si je la compare à
la prison de Burnaby en Colombie-Britannique. Pourtant, dans cette
dernière, qui se prétend à l'avant-garde sur le plan matériel, on a jus-
tement prévu des lieux de rassemblement formels, des agoras qui de-
vaient favoriser les rapports entre détenues, entre membres du person-
nel et détenues. Mais à Burnaby, la méfiance règne, on s'épie. Cela
n'est pas le cas ici.

À quoi tient ce climat plus humain et cette atmosphère communau-


taire à Hämeenlinna ? À des traits nationaux, culturels ? Au caractère
peu urbain du pays ? À la faible densité démographique ? À l'histoire
du pays ? Au fait que la prison elle-même est située loin de la capitale
qui est l'une des deux agglomérations importantes, l'autre étant l'an-
cienne capitale, Turku ?

Pourtant, la « ville » de Kingston est de proportion très semblable à


celle de Hämeenlinna ; en fait, les deux villes ont d'autres points
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 118

communs : elles sont relativement anciennes dans leur contexte res-


pectif, de taille moyenne, paisibles, fières. Les deux établissements, la
Prison de Kingston et celle de Hämeenlinna, datent de la même épo-
que ; le nombre de détenus est assez semblable. Mais la Prison de
Kingston à coté de celle-ci est un enfer.

Du côté des femmes, pour reprendre une expression de Mme Vil-


likka, rien de ce que j'ai pu observer n'était « négatif ». La majorité
des employées travaillent à la prison de Hämeenlinna « parce qu'elles
aiment cela ». Dans l'ensemble, elles sont plus jeunes que les em-
ployés masculins, plus ouvertes, plus éduquées, plusieurs sont bilin-
gues ou trilingues. En effet, depuis dix ans en Finlande, les enfants
apprennent trois langues à compter de la troisième année primaire, ce
qui explique que les employées les plus jeunes sont polyglottes.

3. La seule composante qui mérite ici l'attention et l'admiration,


c'est le secteur de la formation générale et professionnelle, pas seule-
ment ni surtout à cause des programmes offerts - bien qu'ils soient as-
sez variés sans cependant être d'avant-garde -, mais à cause du climat
qui règne dans les locaux scolaires et dans les rapports entre ensei-
gnants et étudiants. Dans chaque prison où nous sommes allées, nous
avons vu des classes et toutes sortes de lieux de formation, mais sou-
vent ces secteurs étaient ennuyeux et/ou inactifs. Sauf à Bredtveit et à
Shakopee, les enseignants et les enseignantes se montraient inintéres-
sés. Tel n'est pas le cas ici. J'ai vu des étudiants interagissant avec les
enseignants, j'en ai vus venir chercher de l'aide auprès de leur tutrice
pour compléter leurs travaux scolaires. Et les étudiants et les profes-
seurs avaient l'air éveillé, intéressé.

Un autre signe de l'attention portée à la formation et aux progrès


scolaires des détenus : pendant mon séjour, Pirkko Villikka se rendra
un samedi à la graduation (niveau secondaire) d'un détenu dans l'école
de sa localité. « Elle fait cela régulièrement », me dit le directeur de la
prison. D'ailleurs, elle a vu à ce que les diplômes d'études secondaires
obtenus pendant l'incarcération ne portent pas la marque de la prison
pour ne pas nuire à leurs détenteurs.

Encore un autre exemple : un matin, elle me quitte pour conduire


un nouveau prisonnier, originaire du Kenya, à l'Université de Tampere
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 119

pour qu'il puisse s'inscrire à la session d'automne. Elle a aussi organisé


un cours spécial, intensif, d'administration des affaires pour un détenu
sur le point de quitter la prison.

Malheureusement cet apport à la formation des détenus repose sur


une seule personne. La structure carcérale et extra-carcérale ne sou-
tiennent pas vraiment ses efforts, en tout cas n'accordent pas à ce sec-
teur les ressources requises et un nombre de formateurs décent ; le
vent qui souffle ici tient à la personnalité, à l'énergie et aux aspirations
de l'actuelle directrice de la formation scolaire. Il est à craindre que
ses énergies ne s'épuisent dans ces conditions. En ce qui concerne les
ressources à l'extérieur, la distance qui sépare la prison de l'Université
voisine n'est pas négligeable (80 kilomètres environ) et on a vu que le
déplacement posait des problèmes.

4. Ce qui explique en grande partie le caractère décontracté et


confiant dans les rapports du côté des femmes, c'est l'absence de sur-
veillance et de contrôle 74 . Toute l'atmosphère s'en ressent. Ici, on ne
traite pas les détenues comme des enfants. En fait, pendant les deux
premiers jours où j'ai circulé à travers tous les lieux communs et la
section des femmes, je n'ai rencontré aucune employée en fonction
auprès des résidantes. Il n'y avait aucun membre du personnel dans
l'unité des mères. Aucune employée dans les quartiers d'habitation des
femmes quand j'y suis allée la première fois. Pirkko, qui m'accompa-
gnait partout les premiers jours, ne semblait ni surprise ni gênée par
cette absence de personnes en charge dans les unités et les ateliers.
Elle ne cherchait personne du regard. Elle n'appelait personne.

74 Sur ce point comme sur la plupart, je ne puis parler en détail que de la section
des femmes. Pourtant les observations que j'ai rapportées sur l'absence de rè-
gles fermes concernant la sécurité périmétrique permettent d'inférer l'existence
d'un trait ou d'une philosophie plus générale. Les aléas de la « fortification »
de la clôture, la possibilité pour les détenus de jouer à la balle molle dans un
champ extérieur, etc. témoignent d'un refus de la direction d'imposer la sécuri-
té réglementaire. Le directeur de la prison de Vechta en Allemagne avait ma-
nifesté une résistance semblable devant l'ordre qui lui était donné de hausser
le mur extérieur de la cour et de couper les arbres dont les branches facilitaient
les évasions.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 120

Ce n'est qu'au cours de la cinquième ou de la sixième journée d'ob-


servation que j'ai rencontré des membres du personnel dans les ate-
liers, dans l'unité des mères, au repas dans les unités de vie et au sau-
na. Autrement, les détenues semblaient s'autocontrôler.

Par exemple, la quatrième journée, Pirkko est revenue avec moi


dans l'unité mères-enfants dont je voulais revoir l'organisation physi-
que. Les résidantes étaient ailleurs, au travail ou à l'école; les bébés
étaient sous la garde d'une détenue seule avec eux. Les enfants dor-
maient et elle était occupée à faire un casse-tête. Elle s'est mise à cau-
ser amicalement avec Pirkko, qui l'a aidée à placer quelques pièces.
Comme dans une « maison familiale » normale, l'après-midi 75 .

Une toute nouvelle prison provinciale

C'est aujourd'hui l'inauguration de la nouvelle prison provinciale


pour hommes située à Kylmakoski, à quelque 60 kilomètres de la ville
de Hämeenlinna. J'ai accepté avec plaisir d'être du voyage. Je veux
assister à cet événement historique, visiter la nouvelle prison dont on
m'a dit beaucoup de bien, profiter de ce rassemblement pour échanger
avec d'autres membres du personnel, entendre les autorités pénales et
pénitentiaires parler de la philosophie et des pratiques de leur secteur.
On m'a annoncé que la ministre de la justice et le directeur général des
Services correctionnels prendraient la parole.

Nous prenons place dans un petit bus réservé à la direction géné-


rale de la prison. En route, les officiers supérieurs se taquinent avec
bonne humeur. Le bus dans lequel nous sommes n'est pas particuliè-
rement rapide, ni supermoderne. Les passagers s'en amusent et raillent
le chauffeur qui ne peut guère dépasser 60 kilomètres à l'heure. Ici, la
simplicité et la sobriété sont la règle.

La nouvelle prison est extraordinairement moderne et, franche-


ment, à sa façon, elle est très belle de l'extérieur comme de l'intérieur.

75 Dans le secteur de l'admission et les locaux du sauna, les « responsables »


étaient là et nous avons longuement échangé avec elles mais non en présence
de détenues. D'ailleurs j'imagine qu'on ne m'aurait pas fait visiter ces lieux s'il
s'y était trouvé des résidantes.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 121

Mais les dispositifs de sécurité, sans être toujours visibles et disgra-


cieux, sont omniprésents, les contrôles bloquent l'entrée, la surveil-
lance électronique est supersophistiquée. Tout cela évidemment
contraste avec la discrétion et le caractère archaïque et assez aléatoire
de la sécurité périphérique à Hämeenlinna.

Comment comprendre que la prison centrale « fermée », destinée


aux condamnés soumis aux peines les plus longues, auteurs des cri-
mes les plus dangereux, ne soit dotée que de contrôles sécuritaires
moyens ou faibles selon nos normes nord-américaines, alors que la
nouvelle prison provinciale destinée aux courtes peines présumément
imposées aux auteurs de délits moins graves se paie ces luxueux appa-
reils sécuritaires ?

Paradoxe. Mystère. Ou signe des temps ?

La cour centrale est très harmonieusement paysagée ; des arbres


conservés ou replantés jettent de l'ombre et adoucissent un vaste es-
pace. Mais celui-ci est soigneusement et hermétiquement clôturé.
Pourtant, l'illusion est parfaite : à première vue, la cour est aussi peu
« enfermée » que possible.

L'intérieur a été meublé avec soin et beaucoup de goût. Les meu-


bles sont de bois pâle et de fabrication locale, typique du style finlan-
dais me dit-on. L'entrée est claire ; les corridors sont de dimensions
exceptionnelles, très larges (je n'en ai jamais vus de cette dimension),
très bien éclairés par la lumière du jour qui vient tantôt des fenêtres,
tantôt du toit à l'étage où sont les chambres des détenus. Évidemment,
(dirait Tarja Pösö), il faudrait revenir le soir, l'hiver, ou par un jour de
pluie pour juger de l'éclairage !

C'est le directeur de la prison de Hämeenlinna qui me fait visiter ;


il me fait part de sa connaissance de l'histoire de cette nouvelle prison,
du rationnel qui a présidé à sa construction, à son architecture, car il a
été consulté dans tout le processus de la naissance de l'établissement.

« Cette prison, me dit-il, est la plus moderne d'Europe. Elle a été


construite selon un tout nouveau principe. On n'y voit pas de rangées
de cellules. Certes, il y a des chambres-cellules (huit ou neuf) qui
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 122

s'alignent le long d'un Seul mur, lequel d'ailleurs n'est pas rectiligne -
nous les voyons pendant qu'il m'en parle. Face à ces chambres, se
trouvent non pas d'autres chambres, mais des aires ouvertes avec des
tables et bancs pour quatre ou cinq personnes, invitant au repos et à la
conversation. Cela fait un monde de différence. On a utilise ce genre
d'agencement dans les universités récemment construites. »

Nous assistons à un moment historique dans l'une des salles de ré-


union du personnel : le nouveau directeur, entouré de son bureau de
direction, reçoit une plaque des mains du présent directeur de la prison
de Hämeerdinna. Sur la plaque sont évoqués des événements impor-
tants de la vie des « vieilles » prisons de la province de Hamen, non
seulement celle que j'étudie, mais aussi l'antérieure, une sorte de don-
jon que j'irai voir dans les jours qui suivent. On assiste au transfert
symbolique de la population « provinciale » de Hamen - les délin-
quants masculins condamnés à de courtes peines et les détenus en at-
tente de sentence - aux mains des autorités de la nouvelle prison. Les
deux directeurs prononcent de brefs discours, émouvants si j'en juge
par les expressions des personnes présentes (une trentaine de membres
du personnel des deux institutions). Les deux directeurs se donnent
l'accolade et nous levons nos verres alors qu'ils prononcent des toasts.

Nous nous retrouvons dans une superbe chapelle au rez-de-


chaussée qui sera le lieu de la cérémonie officielle de cette journée
mémorable. La ministre de la Justice et le sous-ministre des Services
pénaux et correctionnels, M. Lang, y prononcent des discours que des
voisins me traduisent. Un chœur de policiers exécute, entre les dis-
cours, des chants typiques de la province de Hamen. Plusieurs partici-
pants se joignent à eux lors des refrains.

Dans leurs discours, la ministre de la justice et M. Lang insistent


sur le fait que quelque moderne que soit la nouvelle prison, si fonc-
tionnelle qu'elle ait été conçue, si belle qu'elle nous semble, rien de
cela ne suffira à aider les détenus à utiliser de façon constructive leur
temps de détention. Il faut, disent-ils, une interaction constante entre
les membres du personnel et les détenus, le personnel doit vivre avec
les détenus, être près d'eux, ne pas se cacher dans ses bureaux ni se
perdre en réunions entre soi. « L'objectif ici, dit la ministre, c'est que
les détenus passent le moins d'heures possible dans leur chambre et
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 123

qu'ils soient pour la majeure partie du temps hors de leur cellule. »


Bien sûr, il est difficile d'organiser des activités pour des prisonniers
soumis à de courtes peines, mais « l'obligation de travail est toujours
présente ». Tous les détenus doivent travailler. Elle répète : « Sans la
présence constante et stimulante du personnel, les détenus organise-
ront leur propre milieu avec sa propre gouvernance (leadership) qui
viendra nourrir leur culture. »

« Mais, dit la ministre, la prison ne peut pas tout faire avec ses seu-
les ressources humaines et économiques. Elle doit établir des liens
solides avec la communauté ambiante comme les écoles (elle insiste
sur la nécessité de pourvoir à l'éducation obligatoire). Nous savons
bien que l'école éprouve de grandes difficultés à réaliser sa mission
auprès des populations carcérales. » La ministre dit qu'elle rentre tout
juste d'Estonie où l'on insiste pour que les établissements scolaires
jouent tout leur rôle dans les prisons et cela marche, dit-elle. « Nous
ne devons pas tenter de récréer les institutions sociales en dedans,
mais forcer celles-ci à remplir leur rôle auprès de nos clientèles. »

Dans l'auditoire je reconnais au premier rang un professeur de droit


pénal de l'Université d'Helsinki, on me désigne des psychologues en-
seignant dans les universités et travaillant dans les services pénaux ;
des professionnels ou des chercheurs engagés par le Ministère. Le
buffet qui suit est abondant, fort bien servi. Les interactions entre les
personnes présentes sont directes, simples.

De retour à la prison centrale de Hämeenlinna

8 juin

Me voici de retour à la prison centrale de Hämeenlinna. J'y reviens


avec un sentiment de plaisir que j'ai rarement éprouve au cours de mes
Séjours dans quelqu'autre prison que ce soit. J'y viens pour compléter
ma collecte d'informations, revoir des lieux importants dont je n'ai pas
bien compris la fonction, poser les questions utiles à Mme Villikka ou
à l'un de ses collaborateurs.

Le soir, j'invite Mme Villikka à dîner ; elle choisit un restaurant du


vieux Hämeenlinna ; nous parlons de sa famille, de l'Afrique, de son
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 124

mari qui est ministre du culte et qu'elle me présentera le lendemain. je


ne puis m'empêcher de lui poser encore quelques questions sur la pri-
son, sur les détenus, sur la Finlande, afin d'arriver à mettre les choses
ensemble et en contexte.

Nous marchons dans la vieille ville ; celle-ci a été construite en


bordure d'un fleuve avec un très beau fort pour assurer sa défense.
J'aperçois le donjon où l'on enfermait autrefois les criminels. Arrivées
au fleuve, nous nous engageons sur un quai et Pirkko m'explique une
coutume locale : dans ce quai, on a pratiqué de larges trous ronds dans
lesquels on place des barils troués afin que l'eau du fleuve y circule.
Au printemps, les femmes viennent déposer leurs tapis dans ces cuvet-
tes, puis elles les ramènent sur le quai pour les battre avec de grands
bâtons pour en faire sortir l'eau. Elle me raconte qu'à certains jours de
mai, on se retrouve ici entre femmes à causer joyeusement tout en tra-
vaillant.

Tenter de comprendre

9 juin

Ce soir, je dîne avec ma consultante universitaire, Tarja Pösö, une


professeure de politique sociale de l'Université de Tampere, qui
connaît bien la prison de Hämeenlinna et qui a, par ailleurs, publié
plusieurs articles sur la question du traitement particulier fait aux
femmes et aux jeunes filles dans le système sociopénal finlandais. Elle
soutient dans ses articles que le traitement imposé aux femmes et aux
filles est fortement marqué par une idéologie « familialiste » et « bio-
logiste ». Comme professeure de politique sociale elle a, par ailleurs,
écrit sur la condition économique, sociale et politique des femmes
dans son pays.

D'une part, je compte échanger avec elle sur ce que j'ai observé
dans l'unité mères-enfants. D'autre part, je voudrais la consulter sur la
situation de droit et de fait des femmes finlandaises concernant la pa-
rité économique, sociale et politique.

Je commence par la seconde question qui en renferme plusieurs au-


tres :
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 125

1. Les pays du nord de l'Europe se sont fait une réputation enviable


concernant l'égalité des sexes. On y croit les femmes émancipées éco-
nomiquement et autrement. Est-ce une réputation surfaite ? Où en est
la Finlande à cet égard ? Si sa réputation n'est pas surfaite, comment
expliquer les inégalités de fait à la prison centrale où règne une situa-
tion de réelle discrimination ? Si la réputation de la Finlande est sur-
faite concernant l'égalité acquise entre les sexes, à quoi faut-il l'attri-
buer ? Quelle est alors la situation réelle entre les sexes ?

Contre l'hypothèse d'une position d'égalité en droit et dans les faits


j'ai entendu quelques témoignages.

Par exemple, lors de mes contacts informels avec plusieurs femmes


depuis neuf jours - des amies de Pirkko, quelques employées parlant
anglais à la prison, une coiffeuse à mon hôtel, des employées de res-
taurant, des propriétaires de commerces environnants - j'ai constaté
que ces femmes de 25 à50 ans étaient dans l'ensemble moins avides
d'indépendance que je n'avais été amenée à le croire. Parlant parfois
d'elles-mêmes et parfois d'autres femmes, des amies, des sœurs, des
connaissances, ces personnes m'ont dit que les femmes mariées en
Finlande ne tiennent pas à avoir un compte bancaire à leur nom bien
que 80% des Finlandaises aient un salaire. Les femmes mariées dépo-
sent leur salaire dans le compte de leur mari et ne se préoccupent pas
du manque de privacy et d'autonomie que cela entraîne. La lecture
d'articles écrits par des spécialistes des sciences sociales sur la ques-
tion 76 m'avait conduite à croire que le statut égalitaire était sinon ac-

76 Je pense notamment au recueil intitulé Gender and Politics, publié sous la


direction de Marja Keränen, Aldershop, Avebury, 1990. Voir les articles de
Jaana Kuusipalo, « Finnish women in top-level politics », p. 13-36. Voir aussi
dans le même compendium « Behind the formal equality : Finnish women in
State administration » par Helena Karenko, pp. 37-68. - Également, d'Anne
Maria Holli, « Why the State ? Reflections on the Politics of the Finnish
Equality Movement Association », pp. 69-88. Un autre recueil sous la direc-
tion de Hannele Varsa, Shaping Structural Change in Finland : The Role of
Women, Helsinki, Ministry of Cultural Affairs, Series B, Reports, 2/1993.
Dans ce recueil voir en particulier l'article de Tuovi Allen « The Nordic Mo-
del of Gender Equality : The Welfare State, Patriarchy and Unfinished Eman-
cipation », pp. 155-176.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 126

quis en tout cas en très bonne voie et que les aspirations des femmes
des pays d'Europe du Nord allaient plus loin encore. Certes, aucune
des auteures que j'ai lues ne prétend que l'égalité formelle est atteinte
dans toutes les sphères de la vie sociale, économique, politique et fa-
miliale en Finlande, ni que l'égalité formelle suffirait à rendre « réel-
lement » égaux les rapports entre les deux groupes, ni que « l'égalité
est le seul bon objectif ». Mais toutes reconnaissent l'existence dans
leur pays d'efforts de l'État, des organismes parapublics et du mouve-
ment des femmes pour que s'instaurent des conditions plus égalitaires
et surtout plus équitables entre les sexes, dans la vie sociale et écono-
mique. Plusieurs évoquent non seulement des efforts mais des succès
en ce sens.

2. Ma seconde question a trait à l'unité mères-enfants et plus géné-


ralement au traitement « genré » (gendered) des femmes en prison et
dans le système pénal. Les articles de Tarja Pösö sur ce sujet, inspirés
par la perspective du féminisme matérialiste, montrent que la réaction
sociale à la condition « maternelle » la réduit à une condition biologi-
que avec toutes les conséquences que cela a pour les femmes concer-
nées et pour l'image des femmes en général.

Je fais part à Tarja Pösö de mes observations en Allemagne. Il est


vrai que les arrangements matériels dans l'unité mères-enfants à Hä-
meenlinna sont moins surfaits que ceux que j'ai observés à Vechta et
même à Butzow. Mais pourquoi faut-il instituer une unité spéciale
pour mères et enfants dans la prison ? Et si on en crée une, pourquoi
l'isoler du reste de la population ? Pourquoi les résidantes de cette uni-
té bénéficient-elles d'avantages particuliers : plus d'espace, quartier
plus soigné, plus coloré ? Les prisonnières qui n'ont pas leur enfant
avec elles en prison (et qui sont mères pour la plupart) ne méritent-
elles pas autant de considération ? Qu'y a-t-il de spécial ici qui justifie
un traitement privilégié ?

Nous échangeons.

Concernant la discrimination sexuelle évidente en prison, Tarja


Pösö rappelle que cette iniquité est la règle un peu partout dans le sys-
tème correctionnel. Celui-ci est le secteur le plus négligé, le plus ré-
gressif et répressif des appareils de l'État. S'y retrouve une population
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 127

restreinte par rapport à d'autre secteurs de la population, par exemple,


les malades, les étudiants, les chômeurs que l'État doit aussi prendre à
sa charge de quelque façon. Non seulement le secteur correctionnel
est « petit », mais sa clientèle a mauvaise réputation ; si bien qu'il est
difficile de créer des conditions de vie et des programmes décents
dans les prisons sans que la population générale s'inquiète des dépen-
ses encourues à l'exception des régions qui « bénéficient » des retom-
bées économiques de la construction et du voisinage d'une institution
pénitentiaire.

Il est vrai que les institutions pénales sont relativement invisibles


ou en tout cas difficiles à pénétrer malgré les efforts des mouvements
pour les droits des personnes et des détenus. L'État tente de cacher ses
populations pénales et ses prisons.

Politiquement peu importantes, assez étanches aux mouvements de


l'extérieur, les prisons opposent, ou en tout cas sont en situation d'op-
poser, beaucoup de résistance aux changements sociaux. Tout ce qui
s'appelle revendications et droits, par ailleurs, leur est antipathique.
Sans doute le mouvement d'égalité des sexes ne fait-il pas exception à
cette règle générale, même depuis que les chartes nationales des droits
et les conventions internationales sur les prisons fondent un traitement
égal et équitable des condamnés des deux sexes.

Nous nous rejoignons sur le point suivant : aucune des rationalisa-


tions politiques et bureaucratiques, que nous évoquons pour expliquer
la résistance des secteurs pénal et correctionnel à se soumettre aux
règles de droit, ne saurait nous satisfaire intellectuellement. Elles sont
encore plus insatisfaisantes au plan pragmatique et moral. Rien ne
rend acceptable la discrimination de fait qui existe à la prison de Hä-
meenlinna. Le traitement inégal est significatif dans sa réalité maté-
rielle. Il existe un écart bien réel entre les inégalités qui persistent
dans la société et les inégalités supplémentaires que j'observe en pri-
son. Il faut aller chercher le sens de cette différence de traitement en-
tre les hommes et les femmes, entre les prisonnières et les femmes
finlandaises.

Une partie de mes attentes concernant les programmes accessibles


aux femmes à la prison de Hämeenlinna proviennent peut-être d'un
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 128

préjugé. Comme beaucoup de gens, j'assimile la Finlande au bloc


scandinave. Tarja Pösö me dit qu'il est à la fois correct et incorrect de
le faire, car la Finlande ne fait pas vraiment partie de la Scandinavie,
politiquement et historiquement ; toutefois, le pays modèle ses com-
portements économiques sur ses voisins et entretient avec eux des
liens de plus en plus étroits.

La Finlande se distingue de la Norvège, de la Suède et du Dane-


mark sous plusieurs aspects. Ce pays est en fait le moins peuplé des
pays au nord du continent européen. C'est le moins développé au plan
industriel, le plus rural et qui a la moins grande concentration urbaine.
C'était, jusqu'à récemment, un pays plus pauvre que ses voisins (la
Norvège, la Suède et le Danemark), qui a souffert de sa proximité
avec l'ex-URSS, a été dominé par celle-ci à l'occasion, mais a profité
de cette proximité en d'autres temps.

Tarja Pösö me rappelle qu'on y subit (en 1993) un taux de chô-


mage bien supérieur à celui des pays voisins. Par ailleurs, le niveau de
vie est assez élevé, mais les salaires ne le sont pas, la monnaie finlan-
daise est forte, ce qui explique en partie le comportement économique
des familles ou plus exactement des couples.

Nous touchons ici à l'explication de quelques-unes des constata-


tions évoquées plus haut : il faut deux salaires pour arriver à vivre dé-
cemment et assurer l'éducation et l'avenir des enfants. Ici, la règle du
double salaire est vue comme un moyen de survie plutôt que comme
un instrument de libération personnelle. Je me souviens que Pirkko
Villikka m'a tenu des propos semblables. Enfin, le pays est composé
de plusieurs groupes ethniques, les Finlandais étant évidemment le
groupe dominant, mais une importante minorité suédoise y occupe
une place non négligeable, et des revendications autonomistes (en Ca-
rélie notamment) menacent parfois l'unité politique.

Comme je passerai la semaine suivante en Norvège, il me sera pos-


sible de voir si, dans un pays « vraiment » scandinave comme la Nor-
vège, l'égalité de fait est plus avancée, les aspirations des femmes à
l'autonomie plus grandes et si les inégalités dans le traitement carcéral
des hommes et des femmes sont moins évidentes. Nous avons vu au
Danemark un exemple d'effort pour intégrer totalement la clientèle
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 129

féminine parmi les jeunes détenus masculins de la prison de Ringe ;


nous avons constaté que l'identité des programmes et services offerts
ne résout pas le problème. Les conditions prévues pour 75 jeunes
hommes ne peuvent avoir des effets égaux ou même équivalents sur
25 femmes de tous âges, assujetties pour l'essentiel au régime prévu à
l'origine pour les garçons.

D'ailleurs, si l'équité et l'égalité ont été et continuent d'être des ob-


jectifs désirables, les législations nationales qui exigent l'égalité sala-
riale ont eu comme effet pervers d'accroître la ségrégation sexuelle
dans les emplois. Pour être bien certains de ne pas devoir payer les
mêmes salaires aux femmes et aux hommes, on confine les premières
dans des ghettos de femmes : secrétariat, assistance médicale, com-
merce de détail, dans tous les cas des fonctions subalternes sur les-
quelles des hommes ont du pouvoir. La qualification des emplois jus-
tifie le différentiel des salaires. Cela semble bien s'appliquer à la situa-
tion des pays du nord de l'Europe :

Although Nordic countries have succeeded in achieving gender equality in


the labour market - in a fuller meaning than other inclustrialised countries
- there still exist many shortages and backlashes. 1. The Nordic model has
supported or even strengthened segregation and gender division of work.
2. It has made women increasingly dependent on the state instead of hus-
bands : the private patriarchy has transformed to public patriarchy. 3. It
has made women the objects of public policies rather than subjects : Nor-
dic women have been emancipated as wage labourers but they do not have
remarkably greater economic power than other women in Western coun-
tries. In other words, it has become popular to say that, when women enter
the scene, the power withers away. This means that women may advance
to power but they usually enter to shrinking institutions 77 .

L'auteure, Tuovi Allen, si elle a raison, décrit une situation com-


plexe et qui n'a pas grand-chose à voir avec l'égalité réelle. Il s'agit
plutôt d'une « unfinished emancipation » comme elle le dit elle-même.
Les femmes des pays du nord de l'Europe seraient, selon elle, « both
workers-citizens and mother-citizens but not full citizens 78 ».

77 « The Nordic model of gender equality », page 174, in Shaping Structural


Change in Finland : The Role of Women.
78 Ibid.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 130

Nous revenons à l'unité mères-enfants. Tarja propose d'examiner


ce que j'ai observé à la prison dans le contexte plus large de la concep-
tion de la maternité dans une société donnée. Ses recherches dans son
pays l'ont amenée à la constatation suivante : les relations des mères
avec leurs enfants sont construites socialement en termes uniquement
biologiques. C'est sur ce fond de biologie et de « nature » que les re-
présentations sociales se forment et que la « réalité » et la matérialité
des conditions de vie doivent s'interpréter. Par exemple, concernant
les unités mères-enfants dans les prisons et les enfants que la prison
accepte, Tarja Pösö note, preuves à l'appui, que jamais un enfant
adopté, quel que soit son âge, n'a été emprisonné avec sa mère ; on n'a
jamais pensé permettre à la mère d'un jeune enfant adopté de l'avoir
avec elle en prison 79 .

Sur l'importance accordée à la maternité en prison, Tarja Pösö pro-


pose de la considérer dans le contexte plus large des relations familia-
les, qui sont son objet d'études. Ce que l'observateur est amené à voir
dans les unités mères-enfants c'est l'affirmation du modèle de la bonne
mère, la réaffirmation de la valeur accordée (par la société) à ce mo-
dèle. Et encore une fois ce qui est récompensé ici c'est la maternité
biologique seulement. Mais c'est aussi le mariage et la famille qui sont
ici valorisés ; ce sont les épouses mariées depuis longtemps au même
conjoint (long standing spouse) qui ont, seules, le droit de recevoir
des visites conjugales en prison. En somme, les unités mères-enfants
renforcent un certain modèle de soins à l'enfance à travers un arran-
gement qui constitue un mécanisme de conditionnement. C'est un sys-
tème de pression sur les mères biologiques et une représentation pro-
posée aux autres détenues pour les inciter à se conformer aux modèles
établis de reproduction et de maternage.

79 Elle a exposé cette thèse dans sa communication au séminaire de Noordwijk


« Family relations in detention », International Seminar on Women in Deten-
tion, Noordwijk, 1992, page 105 des actes du séminaire.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 131

Prisons pour femmes (1998)

Résumé et conclusion
Marie-Andrée Bertrand

Résumons brièvement nos observations autour de trois thèmes


avant de tirer les conclusions générales de cette étude.

Résumé
Les problèmes communs

Retour à la table des matières

Les problèmes communs observés dans les prisons fermées peu-


vent être résumés en trois mots : excès de sécurité, « centralité », pau-
vreté des programmes.

Excès de sécurité

Des 15 prisons fermées, 14 sont des établissements à sécurité éle-


vée entourés de murs d'enceinte de quatre ou cinq mètres ; les prisons
forment des carrés ou des rectangles qui ouvrent sur des cours inté-
rieures murées et même cloisonnées ; les fenêtres des cellules sont
garnies de barreaux ; les portes des chambres percées de judas. Ces
dispositifs ne se justifient pas dans le cas de la très grande majorité
des femmes condamnées. S'il est vrai que parmi celles-ci certaines ont
commis des crimes contre les personnes, leurs infractions sont le plus
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 132

souvent liées à des facteurs singuliers et relationnels qui n'ont pas de


chances de se reproduire. Les évasions sont rares dans les prisons pour
femmes ; quand les détenues manquent à l'appel, c'est généralement
parce qu'elles prolongent des congés autorisés ; la sécurité la plus so-
phistiquée ne saurait réduire ce genre de problème. Il arrive que les
détenues deviennent violentes en prison mais les émeutes sont relati-
vement si rares que les équipes d'urgence chargées d'intervenir dans
les prisons pour hommes commettent des erreurs majeures quand elles
sont appelées dans les établissements pour femmes, comme on a pu
voir dans les incidents qui se sont produits à la prison des femmes de
Kingston en avril 1994. Un petit nombre de détenues requièrent à l'oc-
casion des contrôles stricts parce qu'elles commettent des infractions
en prison ou lors de leurs absences temporaires, ou parce qu'elles
manquent aux règles disciplinaires. Il convient de leur appliquer et à
elles seulement des contraintes sévères.

« Centralité »

Un facteur structurel vient rendre particulièrement injuste le carac-


tère sursécuritaire des prisons pour femmes : dans tous les pays où
nous nous sommes rendues (Finlande, Norvège, Danemark, Écosse,
dans les trois provinces allemandes, au Canada et dans chacun des
trois États américains), il n'existe qu'un établissement central pour les
femmes condamnées à de longues peines. Il arrive même que les
« courtes peines » et les prévenues soient emprisonnées dans le même
établissement que les condamnées aux longues peines. Ces arrange-
ments ne font donc aucune place aux différences dans le statut pénal
ni au niveau d'avancement dans la sentence. Les choses sont bien dif-
férentes du côté des hommes : non seulement les condamnés aux lon-
gues peines sont logés dans des établissements spécialisés mais ils
sont répartis dans des institutions dont la sécurité diffère en fonction
de la peine purgée et du comportement en prison. Il s'agit là d'une dis-
crimination qui a fait l'objet de jugements judiciaires.

La « centralité » a un autre effet néfaste : elle cause la rupture des


liens familiaux qui ont une importance culturelle réelle spécialement
dans le cas des femmes ; elle est donc particulièrement inéquitable.
Des accommodements sont consentis - incarcération dans des prisons
provinciales ou locales dans le cas notamment de condamnées de ré-
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 133

gions très éloignées et/ou appartenant à des minorités culturelles -,


mais jusqu'à récemment, aucun de ces accommodements n'a de statut
formel. Les autorités pénales les pratiquent selon leur bon vouloir.

Pauvreté des programmes

Dans 12 prisons sur 16, les programmes scolaires ne sont àpeu près
pas fréquentés, les classes sont vides.

Sept institutions sur 16 refusent carrément aux femmes l'accès aux


études supérieures. Les prisonniers des mêmes pays fréquentent les
institutions d'enseignement post-secondaire ou disposent de l'appui
nécessaire pour poursuivre ces études depuis la prison.

Quand les prisons pour femmes offrent une formation pratique dé-
bouchant sur un certificat, dans 80% des cas celle-ci se fait dans les
industries du vêtement : réparation, confection, coupe, tissage, chapel-
lerie, buanderie. Le travail rétribué s'effectue dans les mêmes domai-
nes ; s'y ajoutent la cuisine (de l'institution), l'entretien des unités et
des lieux communs, des contrats d'emballage, de fabrication de boîtes,
etc. Les emplois les mieux payés sont réservés aux détenues ayant fait
leurs preuves, aux plus scolarisées, à celles qui sont en fin de sen-
tence. Les arrivantes sont partout préposées à l'entretien des lieux. Le
salaire varie en fonction de la complexité des tâches et de la perfor-
mance (productivité). Parfois aussi, il est fonction de la bonne
conduite...

Commentaire

Nous avons été étonnées de trouver autant de problèmes communs


aux prisons européennes et nord-américaines. Nous avions fait l'hypo-
thèse que les prisons pour femmes en Europe du Nord constitueraient
des modèles enviables, comparées a celles du Canada, aux chapitres
de la sécurité et des programmes (chapitre 1).

Les problèmes communs aux prisons ouvertes et aux ressources


communautaires que nous avons étudiées se résument en deux mots :
caractère tatillon de la surveillance des allées et venues et de l'emploi
du temps hors de la résidence.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 134

Différences les plus frappantes

Les différences les plus évidentes se situent dans les services, les
activités physiques et sportives, et les relations avec les enfants et les
conjoints.

Les services

Au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, en somme dans


les pays de common law, les prisons offrent à l'interne une gamme
complète de services de santé physique. Tanguay fait exception à cet
égard en recourant aux services de santé de la communauté locale.
Une de nos hypothèses concernant la (mauvaise) qualité des services
de santé dans les prisons nord-américaines n'était pas fondée ; en gé-
néral, les services étaient convenables ou même davantage. Les pri-
sons de ces pays abondent en services psychologiques, en ateliers
permettant de parler des problèmes de deuil, de violence subie,
d'agressivité. Les groupes d'entraide (AA, NA) sont partout très actifs.

Les prisons d'Europe du Nord n'ont pas de services de santé impor-


tants à l'interne. Les détenues malades sont envoyées dans les hôpi-
taux locaux ou dans une prison-hôpital centrale. Les services psycho-
logiques sont inexistants. Les groupes d'entraide commencent (com-
mençaient en 1993) à pénétrer dans les établissements. Les malades
mentaux sont envoyés dans des instituts médico-légaux « centraux »,
généralement dans la capitale.

Les activités physiques et sportives

La passivité physique est la règle en Amérique du nord, sauf à


Burnaby, même lorsque les établissements sont dotés d'équipements
sportifs, tandis qu'en Grande-Bretagne, au Danemark, en Norvège, en
Finlande, l'activité physique est valorisée, les équipements sont utili-
sés ; dans les pays scandinaves, des excursions dans la nature sont
proposées fréquemment.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 135

Les relations avec la famille

Dans les prisons d'Europe continentale, la pratique des longs


congés annuels dans les familles est courante (une à trois semaines)
une fois passée la première partie de la sentence. Cette pratique des
longs congés dans les familles diminue en quelque sorte l'importance
des visites familiales et conjugales à l'institution.

Les pays de common law diffèrent des premiers sous ces deux as-
pects. C'est surtout à la prison que se font les rencontres intimes avec
les conjoints et les familles. Il n'y a pas de longs congés d'une ou plu-
sieurs semaines dans les familles.

Les prisons pour femmes en Europe du Nord et en Grande-


Bretagne accueillent les jeunes enfants ; tel n'est pas le cas dans les
prisons fermées canadiennes et américaines que nous avons étudiées.

Formules originales

Repérer les formules originales et novatrices était l'un de nos ob-


jectifs dans cette étude. Nous considérions comme novatrices d'abord
les prisons qui recevraient des prisonniers des deux sexes cohabitant
réellement dans les mêmes unités ; ensuite, les prisons qui
n'« enfermeraient » pas vraiment leurs prisonniers ; enfin celles qui
laisseraient aux détenus une large marge de manoeuvre dans l'organi-
sation de leur vie. Étaient aussi originales, pour nous, Canadiennes,
les unités mères-enfants en prison. Nous avons repéré et étudié des
prisons fermées où chacune de ces formules existe et est bien vivante.
Nous avons donc étudié sur place des prisons fermées qui s'écar-
tent de chacune des règles carcérales qui sont considérées comme
des normes cardinales et intouchables au Canada.

La prison de Ringe au Danemark pratique une réelle mixité. La


prison de Shakopee au Minnesota n'a pas de mur d'enceinte. À la sec-
tion des femmes de la prison de Durham en Angleterre les détenues
peuvent s'autogérer. La gestion démocratique est la règle à Ringe. Plu-
sieurs prisons européennes pour femmes ont des unités pour les mères
et les enfants.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 136

À notre avis, la première formule, la mixité complète telle qu'elle


se pratique à Ringe ne s'avère pas favorable pour les femmes. Mais
contrairement à notre attente et à ce que nous avions lu sur les effets
d'un autre type de mixité - le système cocorrectionnel aux États-Unis -
, le genre de mixité que pratiquent les prisons de Hämeenlinna et
Vechta a des effets positifs sur les populations carcérales féminines.

L'absence de sécurité périmétrique pratiquée à Shakopee nous


paraît adaptée aux populations carcérales féminines ; les faits démon-
trent que les détenues sont aussi bien « gardées »(elles s'évadent
moins) dans ces conditions que depuis les prisons à sécurité élevée.

La politique d'autogestion dans le cas particulier des détenues de


Durham a plusieurs effets bénéfiques. La gestion démocratique prati-
quée à Ringe, la pratique de la responsabilisation individuelle et de
groupe (argent, achats, décisions communes quant au programme de
l'unité) donnent des résultats si intéressants que les autres établisse-
ments carcéraux du pays commencent à en copier les éléments les
plus importants.

Un mot sur Shakopee. En un sens, la prison de Shakopee n'est pas


originale ni novatrice. C'est une vraie prison et son régime est assez
sévère. Mais d'un autre côté, tout y est différent : le dessin architectu-
ral, l'aménagement intérieur, la variété et la qualité des programmes,
et surtout le caractère actif et interactif des échanges sur les lieux de
formation. D'autres établissements peuvent être mieux nantis ou aussi
bien organisés sous l'un ou l'autre de ces aspects, par exemple la pri-
son de Burnaby a des équipements et des services de santé au moins
équivalents à ceux de Shakopee et quelques programmes plus origi-
naux et même plus nouveaux. Mais c'est la réunion des éléments qui
fait de Shakopee un établissement en quelque sorte « décarcéralisé ».

Dans l'ensemble, les prisons pour femmes dans les pays scandina-
ves nous ont déçues. La proportion des femmes parmi les détenus y
est supérieure à celle du Canada si bien que, même si le taux national
de détention est égal à la moitié du taux canadien, le nombre des
femmes en prison est assez élevé. Il est vrai que les secteurs scolaires
et « sportifs » sont bien plus actifs et mieux fréquentés en Norvège et
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 137

en Finlande 80 qu'au Canada et aux États-Unis, mais les ateliers de


travail sont lamentables dans les deux premiers pays ; les personnels
et la direction des établissements l'admettent ouvertement. Au Dane-
mark, le travail et la formation n'ont sûrement pas été pensés pour des
femmes, et encore moins pour des femmes de tous âges.

Les unités pour les mères et les enfants soulèvent plusieurs ques-
tions ; les unes relatives au droit des enfants, les autres touchant les
droits de toutes les détenues y compris les mères. Il est certain que ces
unités, comme elles sont gérées en Allemagne et même en Finlande,
créent deux classes de détenues. Il est évident qu'en Allemagne les
maisons pour les mères et les enfants en prison sont au service des
enfants plutôt que de leur mère. Si les autorités correctionnelles cana-
diennes décidaient que les jeunes enfants doivent rejoindre leur mère
en prison, celle-ci ne devrait pas y être traitée comme un appendice de
son nourrisson, comme c'est le cas en Allemagne, mais comme une
personne ; le régime humain et le cadre agréable autorisés dans les
unités où se trouvent des enfants conviendraient très bien à l'ensemble
de la population carcérale.

Conclusion générale
Les prisons parlent

Retour à la table des matières

Elles parlent d'abord de l'image que l'État veut donner de lui-même


dans l'accomplissement de sa mission correctionnelle. Elles parlent
aussi de la considération ou de l'absence de considération qu'entre-
tiennent le groupe social et ses représentants à l'endroit des détenus.

La mission correctionnelle de l'État est inscrite dans les codes pé-


naux des pays démocratiques ; elle se résume en quelques mots, mais
elle représente tout un programme. Elle consiste à « exécuter les pei-
nes prononcées par les tribunaux, prévoir des mesures de sécurité pour

80 De même qu'à Holloway, d'ailleurs.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 138

assurer la garde des condamnés, favoriser leur réadaptation par des


programmes appropriés en prison ou dans la collectivité afin d'aider à
leur réinsertion sociale ». Comparons ce programme à ce que nous
avons observé dans les prisons pour femmes.

Les lieux physiques

La majorité des lieux physiques dans lesquels les femmes sont dé-
tenues parlent de condescendance et d'infantilisation, d'oubli, de né-
gligence, voire de mépris.

Condescendance, mépris et subordination en Norvège, où les auto-


rités pénales ont mis 18 ans avant d'ouvrir une prison communautaire
pour les femmes. Le ministère des Prisons a fini par « concéder » aux
prisonnières une résidence devant leur servir de prison ouverte, la
maison occupée jusque-là par les détenus masculins, jugée « trop pe-
tite et surtout trop éloignée de la ville pour satisfaire les besoins des
hommes en phase prélibératoire ». Ceux-ci l'ayant laissée dans un état
déplorable, ce sont les futures résidantes qui ont été chargées de net-
toyer leur nouvelle prison communautaire.

Oubli et mépris à Waynesburg, en Pennsylvanie, en 1991, alors


que plus de deux cents prisonnières sont parquées dans un module
temporaire en aluminium, une sorte d'entrepôt très sonore, planté sur
un campus au milieu d'édifices désaffectés. Elles attendent dans ce
garage d'être transférées dans une prison à Pittsburgh. Comme l'État a
décidé de loger des détenus masculins sur ce terrain, le département
des Services correctionnels 81 prépare leur venue en s'affairant à la
construction de nouveaux édifices et à la rénovation des anciens.

Condescendance et chauvinisme mâle à Brême, en 1993, où huit


femmes, en fin de sentence, ont enfin quelques places dans la prison
ouverte : elles ont été autorisées a occuper l'étage supérieur d'un cot-
tage dont le rez-de-chaussée est habité par des hommes dans un com-
plexe inauguré 10 ans auparavant pour les détenus masculins.

81 Le DOC, « Department of Corrections » de l'État.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 139

Oubli, à Hämeenlinna, en 1993, lorsque la prison centrale où sont


détenus des hommes et des femmes est déclarée impropre aux besoins
des détenus masculins. On y laisse les femmes purgeant des longues
peines et on transfère les hommes purgeant de courtes peines dans la
prison « la plus moderne d'Europe ».

Oubli et négligence qui ont fait l'objet de jugement judiciaire au


Canada, où les femmes sous responsabilité fédérale ont attendu 60
ans, dans un établissement condamné par plusieurs commissions d'en-
quête successives, qu'on reconnaisse leur droit d'être incarcérées dans
des institutions moins éloignées de leur domicile et de leurs proches,
un droit reconnu depuis longtemps dans le cas des prisonniers mascu-
lins.

Infantilisation et mépris à Bredtveit, où on loge les prisonnières


adultes dans une ancienne école de réforme pour jeunes garçons. À
Ringe, où on « minorise » des prisonnières de 18 à 60 ans en les fai-
sant cohabiter avec des jeunes garçons dans des pavillons dont les
chambres, minuscules, sont dépourvues du confort élémentaire dont
les gens de plus de 25 ans éprouvent le besoin de s'entourer : un vrai
lit, une vraie chaise.

Le processus d'appropriation et d'asservissement des femmes par


l'État vient remplacer ici l'appropriation privée dans la vie domestique
et familiale (Juteau et Laurin, 1988 ; Guillaumin, 1978) ; la « minori-
sation », l'infantilisation dont les prisonnières sont l'objet dans le sys-
tème pénal rappellent l'ancien statut de l'épouse et de la mère dans nos
codes civils.

Les occupations

Les programmes offerts aux détenues et ceux qu'on leur refuse par-
lent aussi de la position sociale des femmes, comme l'État entend la
confirmer, avec bien sûr l'assentiment du corps social.

Le caractère discriminatoire des programmes dans les prisons pour


femmes a fait l'objet de nombreux litiges aux Etats-Unis et au Canada.
Plusieurs États américains ont été contraints de redresser la situation
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 140

suite aux décisions judiciaires 82 . Les recours en justice ont leur utilité
et il faut sans doute parfois passer par là, mais cette voie n'est pas tou-
jours la meilleure quand le principe invoqué est celui de l'égalité (la
clause de « protection égale » par exemple, aux États-Unis) qui risque
d'être interprété comme une exigence de « conditions identiques »
alors qu'on devrait plutôt viser des conditions équitables, adaptées aux
besoins des femmes. Comme le montre bien MacKinnon (1989), cela
n'est pas simple, puisque les chartes constitutionnelles nous présument
égaux au départ (chapitre 1, cadre théorique) et puisqu'il faut ensuite
des amendements à la Charte pour corriger les inégalités originelles
ou celles que les institutions sociales ont contribué à édifier, dans
l'emploi, dans les salaires par exemple. Pourtant, la mission pénale des
États démocratiques implique que les services correctionnels « favori-
sent la réhabilitation des détenus par des programmes appropriés en
prison ou dans la collectivité afin d'aider à leur réinsertion sociale ».
Bien rares sont les établissements pour femmes seulement, parmi ceux
que nous avons étudiés, qui offrent aux détenues du travail et des for-
mations qui vont « favoriser leur réadaptation et leur réinsertion so-
ciale ». Rien de ce genre à la Maison Tanguay ni à la Prison de King-
ston au Canada ; ni à Cornton Vale en Écosse 83 ; ni à Bredtveit en
Norvège ou à Hämeenlinna en Finlande en dehors de la formation
scolaire de premier niveau ; non plus à Waynesburg et à Framingham
aux États-Unis. Dans la majorité des prisons étudiées, on maintient les
détenues dans l'ennui, la routine et des tâches dévalorisantes ; dans
quelques prisons, Framingham et Kingston, on n'arrive même pas à
trouver du travail à la majorité d'entre elles ; on parsème les journées
d'ateliers « thérapeutiques ». Dans quelques prisons, à Vechta par
exemple, il existe « un » bon programme de formation, mais seul un

82 Voir les chapitres 1 et 9 concernant les décisions de la Cour fédérale du Cana-


da. Aux États-Unis, en 1988, des litiges impliquant les Services correctionnels
ou des établissements particuliers étaient portés devant les tribunaux de 15
États suite à des plaintes de discrimination en violation du 14e amendement de
la Constitution américaine. Les tribunaux ont fait droit à ces requêtes. Quel-
ques exemples de plaintes : on trouvait cinq programmes de formation profes-
sionnelle chez les femmes contre 20 dans le même domaine, à la prison des
hommes du même État ; les salaires étaient différents selon le sexe des déte-
nus ; chez les hommes, les formations préparaient à de vrais emplois sur le
marché, non chez les femmes, etc. (Rafter, 1990, p. 198).
83 Sauf peut-être le petit atelier de formation au métier de traiteur.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 141

petit nombre de détenues y ont accès. Quand les femmes et les hom-
mes sont détenus sous le même toit, il arrive que la direction réserve
aux hommes les emplois les moins ennuyeux et les mieux rétribués
comme à Hämeenlinna. Concernant l'accès aux études post-
secondaires et même secondaires, partout, sauf à Shakopee et à Hol-
loway, les prisonnières sont traitées de façon discriminatoire, une dis-
crimination explicite au Canada et aux Etats-Unis 84 , en Allemagne en
Norvège et en Finlande, puisque les hommes détenus dans les prisons
de ces pays peuvent fréquenter les institutions universitaires ou suivre
en prison des cours secondaires et post-secondaires par correspon-
dance.

Un lecteur et critique nous dit que les temps sont durs et qu'il en
coûterait « trop cher » pour équiper « maintenant » les prisons pour
femmes, y créer de « véritables » ateliers de travail modernes et des
formations professionnelles utiles aujourd'hui et demain. Il invoque le
contexte économique actuel pour expliquer le refus de l'État d'obtem-
pérer aux décisions judiciaires, le petit nombre ne justifiant pas de tel-
les entreprises : « les prisons centrales pour femmes ne reçoivent que
150 détenues en moyenne »...

À supposer qu'on accepte cette rhétorique économiste, pourquoi


alors ne pas admettre les prisonnières dans les ateliers des prisons voi-
sines pour les hommes ? - Cela se fait avec succès dans plusieurs cen-
tres correctionnels américains.

Mais rien n'est aussi simple et les tentatives de corriger ces diffé-
rences discriminatoires montrent où se situent les résistances. En voici
un exemple parmi plusieurs : la prison des femmes de Kingston est
située au cœur d'un vaste complexe pénitentiaire en Ontario au Cana-
da. Le comité des détenues, soutenu par des conseillères juridiques, a,
depuis 1989, multiplié les pressions afin que les prisonnières « volon-
taires » soient admises à fréquenter les ateliers et les classes des péni-
tenciers voisins ; elles se sont heurtées d'abord au refus de la Direction
fédérale des services correctionnels, puis à celle de la directrice locale,
puis à l'opposition des détenus masculins qui ne voulaient pas de
femmes dans leurs ateliers, enfin à celle du chauffeur du minibus,

84 Et reconnue par les tribunaux comme telle, dans ces deux pays.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 142

chargé du transport des prisonnières volontaires, qui se déclarait ma-


lade tous les deux jours. Peur, mépris, faux prétextes.

Ainsi, dans le refus de doter les prisons pour femmes de program-


mes de travail et de formation susceptibles – comme le veut la mission
correctionnelle,- « de favoriser leur réinsertion sociale », le bras pénal
de l'État, avec la complicité de la société civile, prend ici la relève des
hommes-maris dans la société domestique. Il maintient les détenues
dans des conditions d'hétéronomie. Dit autrement, en ne faisant rien
pour favoriser l'autonomie financière et professionnelle des détenues,
l'État achève de les rendre dépendantes, ce que l'appropriation privée
et l'organisation du travail avaient bien commencé.

Le pré est-il plus vert ailleurs ?

Concernant les prisons pour femmes en Scandinavie et en Allema-


gne, nous écrivions dans notre projet de recherche :

Dans les établissements carcéraux pour femmes en Europe du Nord, no-


tamment en Finlande, en Norvège et au Danemark et dans quelques cas en
Allemagne, nous pourrons observer des conditions moins contraignantes
et des règles moins arbitraires que celles attendues dans les prisons pour
femmes au Canada et aux États-Unis en général ; dans certains cas, les
programmes de formation et de travail seront très proches de ce qui est ac-
cessible à la population locale 85 .

Nos attentes étaient trop élevées. En Scandinavie et en Allemagne,


en Angleterre et en Écosse 86 , les contrôles sont aussi excessifs qu'en
Amérique du Nord ; les emplois et les programmes de formation, aus-
si pauvres et limités aux travaux domestiques. Sous ces deux rapports,
« le pré n'était pas (dans l'ensemble) plus vert ailleurs ».

85 Extrait du projet de recherche présenté au Conseil de recherche en sciences


humaines du Canada en 1990. Pour plus de détails, voir le chapitre 1 où le
contexte est rappelé.
86 Au moment de la rédaction du projet nous ne prévoyions pas nous rendre au
Royaume-Uni ; en conséquence nous n'avions pas formulé d'attentes particu-
lière à propos des prisons anglaises et écossaises.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 143

À propos des relations avec les familles, nous écrivions dans le


projet de recherche :

Dans la plupart des prisons européennes, les contacts avec les conjoints se-
ront statutaires et la présence des enfants auprès de leur mère en détention
sera la règle 87 .

Sous ce rapport, nos attentes n'ont pas été déçues. Ce que nous
n'avions pas prévu, c'est ce que les faits signifient.

La présence des enfants auprès de leur mère est la règle en Alle-


magne, mais tous les établissements ne reçoivent pas les enfants jus-
qu'à leur entrée à l'école. Certains d'ailleurs recourent plutôt au « pla-
cement » des mères de nouveau-nés en prison ouverte dès leur
condamnation pour éviter le séjour des bébés en détention.

En Finlande, en Angleterre et en Écosse, les très jeunes enfants et


ceux nés en prison vivent près de leur mère détenue. Cependant, dans
les prisons fermées de Norvège et du Danemark, on n'accepte pas les
enfants ; seule la prison ouverte de Horserod le fait. Quant aux congés
annuels dans les familles, c'est la règle en Allemagne, au Danemark et
en Finlande. En Norvège, c'est plutôt une pratique.

Nous avions donc surestimé et surgénéralisé « l'humanité », le ca-


ractère ouvert des régimes correctionnels en Europe du Nord, en ce
qui a trait aux rapports avec les conjoints et les enfants. En plus d'être
un peu trop optimistes, nos attentes étaient en partie mal fondées.
Même dans le cas ou les congés annuels dans les familles sont statu-
taires comme en Allemagne, nous avions négligé de prendre en
compte l'impact différent de cette mesure selon le sexe des personnes.
Mme Einsele, la fondatrice des maisons pour les mères et les enfants
en Allemagne, nous a fait voir qu'il suffit, dans le cas des femmes
condamnées, que leur peine soit le moindrement longue, pour qu'elles
se retrouvent sans conjoint et sans enfants, c'est-à-dire que les enfants
d'âge scolaire soient dispersés et qu'il n'y ait plus de famille où aller.
Concernant la présence des enfants en prison, nous avions sous-estimé

87 Texte de notre projet de recherche. Voir le contexte au chapitre 1, Introduc-


tion.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 144

l'utilisation de cette formule à des fins de contrôle sur les mères et sur
les enfants, et le système de classe que cela introduit dans l'établisse-
ment carcéral. Nous avions également sous-estimé l'effet « biolo-
gisant » et l'accent sur la reproduction que cette dernière mesure com-
porte.

Légitimité de la comparaison interpays

Était-il légitime d'entreprendre une étude comparative entre ces


pays-là ? Un lecteur de notre manuscrit, Philippe Rober 88 s'interroge
à ce propos. Il admet que l'Europe et l'Amérique du Nord sont compa-
rables sur les plans économique et politique : les pays de ces régions
sont des démocraties parlementaires et le niveau de vie de leurs habi-
tants est somme toute comparable. Cependant, les différences aux-
quelles il voudrait que nous soyons attentives sont, selon lui, au coeur
de l'objet de notre étude. Il s'agit d'abord du cadre juridico-pénal des
pays concernés et, ensuite, des écarts qui les séparent quant à leur taux
de détention.

Les deux remarques de Philippe Robert sont fondées. J'y répondrai


point par point.

Premièrement, concernant les régimes juridiques : quatre des pays


visités sont des pays de common law dont les codes criminels ont été
inspirés par la tradition britannique ; ce sont les États-Unis, le Canada,
l'Angleterre et l'Écosse. Dans les quatre autres, le droit est d'origine
romano-germanique ; il s'agit de l'Allemagne, du Danemark, de la
Norvège et de la Finlande. Dans les pays de common law, on est pré-
sumé innocent et il appartient à la poursuite (I'État) d'établir qu'on est
coupable. Tel n'est pas le cas dans les pays de droit romano-
germanique. Ces traditions juridiques différentes ont des conséquen-
ces sur le nombre et la durée des détentions avant procès. Cependant,
dans notre recherche, nous ne nous sommes intéressées en Europe
qu'aux prisons centrales et donc aux personnes condamnées ; ainsi ce
facteur de différence ne nous touche pas vraiment. Dans les pays de
common law, quand nous étudiions des établissements qui recevaient

88 Directeur du Groupe de recherche sur les normativités (GERN), Guyancourt,


France.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 145

des prévenues et des détenues (par exemple dans les prisons de Tan-
guay et de Burnaby), nous avons distingué les populations en attente
de procès de celles des condamnées 89 .

Deuxièmement, concernant l'écart dans les taux de détention : c'est


là le problème majeur, aux yeux de notre lecteur. Ce taux se calcule à
partir du nombre de personnes en prison à un moment convenu, géné-
ralement le même pour tous les pays, par exemple le 1er juillet pour
les pays dont les taux sont calculés par le Conseil de l'Europe ; ce
chiffre est mis en rapport avec la population du pays 90 ; on exprime
ensuite le taux par 100 000 habitants. J'ai montré plus tôt (avant-
propos au chapitre 2 et chapitre 6) qu'il existe en effet un écart consi-
dérable, de 6 contre 1, entre les États-Unis et les pays du nord de l'Eu-
rope dans le taux de détention. Aux États-Unis, on trouve par 100 000
habitants six fois plus de personnes en prison qu'on en trouve dans les
pays scandinaves 91 . Le taux au Canada était environ le double de ce-
lui des pays scandinaves en 1991 et en 1993.

Pour les pénologues, ces écarts sont très importants, car ils témoi-
gnent de politiques pénales bien différentes pour ne pas dire aux anti-
podes ; ces chiffres parlent aussi de pratiques policières et judiciaires,
très répressives aux États-Unis, et bien modérées, en comparaison,
dans les pays d'Europe du Nord.

J'ai démontré la facticité relative des taux de détention dans le cha-


pitre 6 sur le « modèle » scandinave en citant Nils Christie ; en Nor-

89 Voir à ce propos l'article de Julia McLean « Prévenues et détenues logées à la


même enseigne, l'exemple des prisons de Burnaby et de Tanguay ». Crimino-
logie, 1995, XXVIII, 2, pages 43-60.
90 Ce qui constitue une première anomalie puisque seuls les majeurs pénaux sont
en principe susceptibles de se retrouver en prison au sens strict, même s'il est
vrai que les adolescents auteurs de crimes très graves sont déférés devant les
cours pour adultes et peuvent aussi, exceptionnellement, être incarcérés. Mais
ce mode de calcul, sur la population totale, constitue l'une des limites de cette
mesure que les pénologues révèrent. J'en ai signalé d'autres dans le chapitre 6,
sur le modèle scandinave, en montrant combien il serait plus juste de désagré-
ger les données par sexe, puisque les femmes représentent généralement 4 ou
5 de tous les détenus alors qu'elles constituent plus de 50% de la population.
91 Voir l'annexe 3.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 146

vège, il ne se trouvait en 1991 que 2 500 personnes incarcérées au


terme de leur procès pénal, mais la même année 4 500 personnes
condamnées à l'incarcération attendaient pour entrer en prison qu'une
place se libère 92 . Mais malgré ces « corrections », les différences en-
tre les États-Unis et même le Canada, d'une part, et les pays scandina-
ves, d'autre part, sont considérables au chapitre de la répression pé-
nale.

Je répondrai maintenant directement à l'objection de Philippe Ro-


bert : ce que notre étude démontre c'est que, vue depuis ses effets sur
les femmes, la répression pénale présente beaucoup plus de similarités
que de différences entre les pays du nord de l'Amérique et du nord de
l'Europe.

Similarités plutôt que différences


dans le sort des femmes condamnées

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Notre étude démontre que les différences de culture, de régime ju-


ridico-pénal, l'écart dans les taux de détention, sont en quelque sorte,
annulés par le « genre ».

Tout d'abord, le pourcentage des femmes est assez semblable de


pays à pays, sauf aux États-Unis où, ces dernières années, il s'appro-
che de 10% (Annexes 4 et 4a).

Sur le sujet précis de notre étude, les conditions faites aux femmes
en prison, les ressemblances entre les établissements sont frappantes.
Nos observations sont d'autant plus concluantes que nous avions cher-
ché à étudier des milieux différents, des prisons qui échappaient à la
« norme de la platitude », qui offraient autre chose que des tâches do-
mestiques comme travail aux prisonnières, qui se situaient dans des
régions réputées pour leurs pratiques moins répressives ; nous avons

92 Nils Christie, Crime, Control as Industry, London, Routledge, 1993, p. 35.


Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 147

aussi cherché des établissements qui s'étaient dotés de programmes de


formation modernes.

Comme je le rappelais dans l'introduction, nous espérions pouvoir


démontrer que « les choses pouvaient se passer autrement » (chapitre
1). Ce qui se dégage c'est plutôt une tendance lourde.

Voyons concrètement comment opère cette tendance.

Que je sois emprisonnée au Canada ou en Norvège, en Finlande ou


en Écosse, mon régime de vie en prison sera également banal et en-
nuyeux. Les variantes sont mineures. Par exemple, en Norvège, je
pourrai parfois aller en excursion à la montagne avec toute ma famille,
une chose impensable depuis la prison de Tanguay à Montréal dans un
pays où pourtant l'espace ne manque pas ; en Finlande, j'aurai droit à
un sauna collectif le vendredi soir, une activité qui semblerait proba-
blement exotique dans les États puritains de Pennsylvanie ou du Min-
nesota.

Je ne nie pas que mes chances d'être incarcéré, comme homme ou


comme femme, au terme de mon procès pénal, sont trois fois plus
grandes en Pennsylvanie (annexe 5) qu'elles ne le sont dans les pays
scandinaves, et deux fois plus importantes au Massachusetts (Ibid.) ;
mais au Minnesota, je ne cours pas beaucoup plus de risques d'être
condamnée à la prison que dans les pays du nord de l'Europe, puisque
le taux de détention est de 78/100 000 habitants contre 60/100 000
habitants dans ces derniers pays. Et une fois « en dedans », c'est à
Shakopee aux États-Unis, ou à Holloway en Angleterre, ou même à
Burnaby au Canada que je trouverai les occupations les plus intéres-
santes et le programme le moins dévalorisant, plutôt que dans les pri-
sons pour femmes en Scandinavie.

En somme, partout dans le monde, mes « chances » comme femme


d'être incarcérée sont faibles. Ce qui fera la différence, c'est le régime
carcéral.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 148

Shakopee et les États-Unis

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Le seul établissement carcéral qui réussisse à échapper à la grande


majorité des problèmes observés dans les prisons pour femmes est
précisément situé dans ce pays que les pénologues du monde entier
vitupèrent et montrent du doigt pour sa politique pénale et son taux
record d'incarcération. Ce que ces experts oublient, c'est que les taux
d'incarcération ne parlent pratiquement que des hommes ; ce que les
mêmes experts semblent ne pas savoir, c'est que les États-Unis ne sont
ni une entité homogène ni un État centralisé. Les taux nationaux d'in-
culpation, de condamnation et d'incarcération sont des moyennes qui
induisent carrément en erreur s'agissant d'un pays aussi vaste que les
États-Unis et aussi peu homogène 93 . À un point tel que les différen-
ces entre les États sont, de loin, plus considérables que celles obser-
vées entre ce pays pris dans son ensemble et d'autres sociétés nationa-
les. Par exemple, en 1991, les taux d'emprisonnement variaient de
66/100 000 habitants au North Dakota à 1186/100 000 habitants dans
le District de Columbia 94 . Concernant les prisons pour femmes, il
n'est pas possible de résumer ici les conditions particulières qu'on re-
trouve dans 70 établissements d'État et dans une douzaine de péniten-
ciers fédéraux. Nous avions choisi d'étudier en profondeur, aux États-
Unis, une prison exceptionnelle, dans un État réputé pour sa clémence
pénale, et nous sommes conscientes de la non-représentativité de cet
établissement. Par ailleurs, il faut reconnaître que dans le pays tout
entier, plusieurs initiatives sont remarquables ; ce qu'il faut voir, par
exemple, c'est la vitalité du mouvement des femmes et sa longueur
d'avance sur tant d'autres pays 95 . Que certaines initiatives américai-
nes aient des résultats douteux, le chapitre 3 sur les centres commu-
nautaires en fait état, parlant en particulier de Houston House dans

93 La même remarque s'applique, en moins aigu, au Canada. Voir l'annexe 7.


94 Bureau of justice Statistics, Prisoners, 1991.
95 Margaret Shaw, Les Détenues sous responsabilité fédérale, Rapport sur une
étude préliminaire, 1991, 3. Rapport rédigé en vertu d'un contrat pour la direc-
tion des Affaires correctionnelles, ministère du Solliciteur général du Canada.
Version française, page 76.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 149

l'État du Massachusetts. Mais c'est dans un État voisin, celui de Penn-


sylvanie, qu'on trouve, par ailleurs, The Program for Female Offen-
ders que nous serions bien heureuses d'importer au Canada.

Revenant à Shakopee, outre le taux relativement peu élevé de dé-


tention, des faits récents témoignent du caractère progressiste de la
politique pénale de l'État. En avril 1996, le Department of Corrections
(DOC) intégrait à sa politique et finançait un programme de Restora-
tive Justice, programme dont il faisait un élément clé de la formation
de son personnel correctionnel. Les communautés de citoyens, les
écoles primaires et secondaires ont depuis emboîté le pas ; les groupes
Navaho l'appliquent dans leur Peacemaking Courts. Une politique qui
fait penser à celle des Pays-Bas et à celle des Cercles de justice des
Autochtones au Canada. Et à la différence des pays scandinaves, les
responsables de la justice pénale et correctionnelle de l'État du Minne-
sota ne se contentent pas de limiter le nombre de leurs prisonniers, ils
leur offrent en détention des activités susceptibles de concourir à cette
« réinsertion sociale » qui est l'un des éléments de la mission correc-
tionnelle des pays démocratiques.

La métrique pénale

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Les excès de sécurité dans les prisons pour femmes défient plu-
sieurs règles du bon sens et de la bonne gestion administrative. On
voit, par exemple, au chapitre 2 sur les prisons canadiennes que le
coût annuel par détenue à la Prison de Kingston est de plusieurs mil-
liers de dollars plus élevé que celui encouru par l'entretien d'un détenu
masculin dans un établissement de niveau maximum, et que ce coût
représente presque le double des frais annuels de séjour dans un éta-
blissement minimum. Cette absurdité est sans doute un effet de la mé-
trique pénale. Le droit pénal n'énonce pas de critère externe détermi-
nant la gravité des infractions. Le crime est grave parce qu'il com-
mande une lourde peine et cette mesure de la peine se répercute dans
la métrique sécuritaire : lorsqu'on vous condamne à une longue peine,
c'est que vous êtes un criminel dangereux susceptible de récidiver, ou
en tout cas c'est un « signe » que le crime est si sérieux qu'on doit
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 150

vous imposer des mesures de garde très sévères au moins pendant un


temps : le corps social ne tolérerait pas qu'on vous relâche.

Les femmes incarcérées dans les prisons fédérales et centrales qui


écopent de longues peines sont condamnées pour des crimes contre la
vie humaine et des affaires de drogues ; les peines sont longues, en
partie parce que les codes pénaux prévoient qu'elles sont incompressi-
bles à partir d'un plancher minimum. La métrique est aveugle, indiffé-
rente aux personnes et aux circonstances. Mais à l'origine elle avait sa
rationalité. Et c'est ici que la théorie de Catherine MacKinnon (1989)
prend tout son sens. La norme pénale et sa métrique ont été inventées
par des hommes pour satisfaire à la demande de vengeance, de rétri-
bution, à la peur, au sentiment d'insécurité que soulèvent les compor-
tements des « grands » criminels, des hommes, dans l'esprit du législa-
teur et très certainement dans l'opinion publique.

Que penser de la rationalité de cette métrique appliquée aux fem-


mes qui tuent leur conjoint ou leur enfant ? Aux importatrices de dro-
gues qui agissent comme courriers pour leur époux et leur mari ?

La différence

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Notre espoir de trouver « ailleurs » des conditions différentes de


celles, désolantes, observées dans les prisons pour femmes au Canada
n'est pas complètement déçu. Concernant Shakopee, non seulement
nos attentes n'étaient pas exagérées, mais elles ont été dépassées au
moins à deux égards : les programmes et le contexte physique. Au
Danemark, la mixité telle qu'elle se pratique dans la prison ouverte de
Horserod et la présence des enfants dans ce milieu nous ont paru posi-
tives. À Ringe, le caractère démocratique du gouvernement et de la
gestion de la vie quotidienne mérite d'être imité, comme d'ailleurs le
mode d'autogouvernement pratiqué dans le cas d'un petit groupe de
prisonnières de Durham en Angleterre ; dans ce dernier cas, le régime
est plus remarquable encore à nos yeux parce qu'adapté à la condition
d'un groupe de femmes.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 151

En Europe, plusieurs des progrès récents sont des tentatives timi-


des d'assurer aux femmes détenues ce que les hommes ont déjà. Il faut
aller plus loin. Dans le cas des femmes, on pourrait, beaucoup plus
souvent, utiliser de véritables mesures de rechange à l'incarcération,
comme cela se pratique par exemple à la Cour de juridiction crimi-
nelle du district judiciaire de Québec : des juges envoient directement
les femmes qui méritent une peine de prison dans une résidence com-
munautaire ; de là, les mères de jeunes enfants peuvent aller dans leur
foyer, en prendre soin pendant le jour, tout en rentrant pour la nuit à la
résidence en détention.

Après quelques mois ou même quelques semaines, on autorise les


« détenues » à passer les fins de semaine dans leur foyer avec le
conjoint et les enfants, etc. On a vu que la prison allemande de Vechta
utilise une pratique semblable pour les mères de jeunes enfants, qu'on
envoie directement en prison ouverte plutôt que de recevoir les bébés
dans la prison.

Si certaines institutions - rares - et quelques formules -timides -


font brèche dans la platitude du « modèle carcéral féminin », elles n'y
font pas vraiment échec. Même la sortie remarquable de ce modèle
que représente Shakopee, par rapport à la norme traditionnelle, est
fragile. Les déviations n'ont été possibles que grâce au talent, à l'expé-
rience et à l'engagement d'une ou de quelques personnes clés qui sa-
vent s'entourer. Lorsque ces personnes quittent les lieux ou que
l'équipe change, la tendance lourde ne tarde pas à se manifester
comme c'est déjà le cas, nous dit-on, à Shakopee.

Nous finissons ce livre au moment où l'incohérence des responsa-


bles des services correctionnels au Canada atteint un sommet inquié-
tant. Les nouvelles institutions régionales conçues à l'origine comme
des établissements presque ouverts se voient entourées, après coup et
à grands frais, de hauts murs d'enceinte. Et, retour en arrière, on ap-
prend du même coup que les détenues jugées « dangereuses » ne se-
ront probablement pas détenues dans les institutions régionales. On les
gardera dans des sections des institutions sécuritaires pour hommes.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 152

Prisons pour femmes (1998)

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Prisons pour femmes (1998)

Annexes
Annexe 1.
Notes biographiques sur les auteures

Retour à la table des matières

Marie-Andrée Bertrand est docteure en criminologie de l'Univer-


sité de Californie à Berkeley (1967). Elle est professeure émérite à
l'École de criminologie de l'Université de Montréal où elle a enseigné
de 1967 à 1997. Elle est l'auteure de La femme et le crime (1979) et de
plusieurs articles et chapitres de livres récents sur la question des
femmes et du contrôle social, entre autres : « Le pouvoir des théories
féministes dans la reconsidération radicale des théories du contrôle
social », Canada - Theoretical Discourse/Discours théoriques, Asso-
ciation des études canadiennes, 1994,49-74 ; « The place and status of
feminist criminology in Germany, Denmark, Norway and Finland »,
International Feminist Perspectives on Criminology ; Engendering a
Discipline, N. Rafter et F. Heidensohn, (sous la direction de), 1995, p.
107-124 ; « Women in Prisons, a comparative study », Caribbean
Journal of Criminology and Social Psychology, 1, 1, January 1996, p.
35-58. Elle a codirigé, avec Louise L. Biron, la recherche sur la pro-
duction criminologique sur la question des femmes au Canada (1988-
1990) ; coorganisé et présidé la « Conférence internationale sur les
femmes, le droit et le contrôle social » qui s'est tenue au Mont-Gabriel
en 1991. Elle termine une étude sur Les obstacles au changement dans
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 178

la condition des femmes (CRSH, 1993-1998) tels qu'ils se manifestent


dans le déroulement des carrières de 22 femmes diplômées en crimi-
nologie, au Québec.

Louise L. Biron détient un Doctorat (Ph.D.) en criminologie de


l'Université de Montréal. Elle a enseigné à l'École de criminologie de
1980 à 1997. Ses responsabilités dans la formation pratique et son im-
plication sociale la tiennent en contact étroit avec la pratique de la
criminologie. Elle a agi pendant quelques années comme commissaire
communautaire pour le compte de la Commission des libérations
conditionnelles du Québec. Elle a aussi occupé des postes clés dans
les organismes communautaires qui travaillent auprès des femmes
ayant des démêlés avec la justice ; notamment elle était vice-
présidente nationale de la Société Elizabeth-Fry en 1989 et elle a été
appelée, à ce titre, à faire partie du « Groupe d'étude sur les femmes
purgeant des peines fédérales » en 1989-1990. Elle est l'auteure, entre
autres, de « Les femmes et l'incarcération, le temps n'arrange rien »,
Criminologie, 1992, XXV, 1, p. 119-134, et, avec Catherine Savard,
de Les femmes auteurs de délits graves, (1986), la coauteure du rap-
port de recherche intitulé Analyse de la production sur la question des
femmes dans la criminologie universitaire au Canada, 1990, ainsi que
de la présente étude sur les Prisons pour femmes dans laquelle elle
signe le chapitre 4 sur « Des prisons au Royaume-Uni », les prisons
anglaises de Holloway et de Durham et la prison écossaise de Cornton
Vale.

Concetta Di Pisa a obtenu une Maîtrise (M.Sc.) en criminologie


de l'Université de Montréal, en 1993. Elle a participé à la partie amé-
ricaine de l'étude sur le terrain des prisons pour femmes ; son mémoire
de maîtrise s'intitule Alternatives to the Traditional Incarceration of
Women : Critical Analysis of Two Residential Centre and one A-
Typical Prison for Women in the United States. En 1995-1996, elle a
occupé des fonctions d'agente de liaison au sein de la Société Eliza-
beth-Fry du Québec ; elle était chargée de remanier le programme de
préparation à la sortie pour les femmes qui purgent des sentences fé-
dérales à la prison de Tanguay à Mont-réal. Elle est la coauteure d'un
article soumis au Carribean Journal of Criminology and Social Psy-
chology, intitulé « Research Note : A Follow-up of "Lessons from the
Women's Prisons" » (janvier 1996). Elle est, dans le présent volume,
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 179

l'auteure du chapitre 2 sur « Les solutions de rechange à la prison tra-


ditionnelle aux États-Unis ».

Andrée Bertrand-Fagnan détient une Maîtrise (M.Sc.) en psy-


cho-éducation et une Maîtrise (M.Sc.) en criminologie de l'Université
de Montréal. Elle a participé, de 1988 à 1990, à l'organisation et à la
réalisation de la recherche Inventaire et analyse de la production sur
la question des femmes dans la criminologie universitaire au Canada,
puis à la recherche sur les Prisons pour femmes. Elle a coordonné le
travail de terrain de cette dernière étude comme de la précédente et
elle a participé activement à la recherche sur le terrain au Canada, aux
États-Unis et au Danemark. Elle est l'auteure du chapitre 7 sur « Deux
prisons mixtes au Danemark ». Elle a collaboré de plusieurs façons
avec les organismes communautaires impliqués dans le travail auprès
des ex-détenues. Elle est l'auteure de « De la comparution à la déci-
sion pénale, le profil judiciaire de plus de 1500 femmes », dans Cri-
minologie, XXV, 1, p. 87-100,1992.

Julia McLean a obtenu un Doctorat (Ph.D.) en criminologie de


l'Université de Montréal en 1994. Sa thèse s'intitulait The Power of
Feminist versus other Critical Perspectives in the Analysis of North
American Prisons for Women. Elle a fait partie du Groupe de recher-
che sur la production sur la question des femmes dans la criminologie
universitaire au Canada (1988-1990) et elle a collaboré très active-
ment à la partie canadienne et américaine de l'étude sur les Prisons
pour femmes ; elle est l'auteure d'un article puisant dans les données
de cette dernière étude, intitulé « Prévenues et détenues logées à la
même enseigne, l'exemple des prisons de Burnaby et de Tanguay »,
publié dans Criminologie, XXVIII, 2, p. 43-60, 1995. Elle a travaillé,
en 1995, au Service correctionnel du Canada, à établir le profil des
détenues québécoises de Kingston et de Tanguay en vue de leur trans-
fert vers la nouvelle institution régionale de Joliette. Son emploi ac-
tuel est celui d'agente de recherche pour le Collège canadien de Po-
lice ; elle travaille sur la question des femmes dans la police au Cana-
da. Elle est l'auteure du chapitre 2 portant sur les prisons fermées au
Canada et aux Etats-Unis.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 180

Prisons pour femmes (1998)

Annexe 2.
Lieux étudiés dans le cadre de la recherche
Prisons pour femmes

Retour à la table des matières

Pays Milieux fermés Milieux ouverts

Montréal (Maison Tanguay) Montréal (Maison Thé-


rèse-Casgrain, Soc. E.
Kingston (Prison for Women) Mi-
Fry)
nimum Security Facility - MacNeil
House* Kingston (Joyce Detweil-
Canada ler House, Soc. E. Fry)
Orsainville (Centre de détention de
Québec, secteur féminin) Québec (Centre Expan-
sionFemmes)
Burnaby (Correctional Centre for
Women) Open Living Unit*

Framingham Boston (Neil J. Houston


House, Social justice for
(Massachusetts Correctional Institu-
Women)
tion)
Pittsburgh (The Program
Pittsburgh (County Jail)
Center, The Program for
États-Unis Waynesburg (State Correctional Female Offenders)
Institution for Women)
Shakopee (Minnesota Correctional
Facility)
Independent Living Center*

Durham (Her Majesty's Prison)


Angleterre
Holloway (Her Majesty's Prison)

Cornton Vale
Écosse
(Her Majesty's Institution)
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 181

Pays Milieux fermés Milieux ouverts

(Est) Butzow Bremen


Allemagne
(Ouest) Vechta

Danemark Ringe Horserod

Finlande Hämeenlinna

Norvège Bredtveit Ostensjoveien

N=8 N=16 N=8

Section « ouverte » de la prison fermée, située dans un bâtiment indépendant de


l'édifice principal, accueillant environ une douzaine de détenues en fin de sen-
tence.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 182

Prisons pour femmes (1998)

Annexe 3.
Taux de détention* en 1991 dans les pays sur lesquels
porte notre étude et quelques pays voisins

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États-Unis 504,0
Canada 109,2
Écosse 95,2
Espagne 91,8
Angleterre et Pays de Galles 91,3
France 83,9
Allemagne 78,8
Danemark 63,0
Finlande 62,6
Norvège 59,0
Suède 55,0
Pays-Bas 44,4

(*) Il s'agit de la proportion des condamnés et des prévenus incarcérés à une


date précise par 100 000 habitants, dans la population totale.

Sources : Pour les États-Unis, Prisoners in 1991, US Department


of Justice, Office of Justice Programs, Bureau of Justice Statistics,
1991. Le taux inclut tous les détenus : ceux des prisons locales, d'État
et des prisons fédérales. Pour les détenus des populations locales, il
s'agit d'estimés.

Pour le Canada, la source est Services correctionnels pour adultes


au Canada, Centre canadien de la statistiques juridique. Les chiffres
sont ceux de 1991-1992 pour les populations pénales, 1991 pour la
population totale.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 183

Pour les autres pays, nous utilisons les données publiées dans le
Bulletin d'information pénologique, no 17, décembre 1992, par les
soins du Conseil de l'Europe. La population carcérale était celle au
1.9.1991. Les chiffres pour l'Allemagne ne comprennent pas les pri-
sons d'Allemagne de l'Est.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 184

Prisons pour femmes (1998)

Annexe 3a.
Taux de détention* en 1993 dans les pays sur lesquels
porte notre étude et quelques pays voisins

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États-Unis 529,0
Écosse 115,0
Espagne 114,9
Canada 114,3
Angleterre et Pays de Galles 89,0
France 86,3
Allemagne 81,0
Danemark 71,0
Suède 66,0
Finlande 61,8
Norvège 60,0
Pays-Bas 51,0

(*) Il s'agit du taux des condamnés et des prévenus incarcérés par 100 000 per-
sonnes dans la population totale, à une date précise.

Sources : Pour les pays européens, Conseil de l'Europe, Bulletin


d'information pénologique, nos 19 et 20, décembre 1994-1995. Les
nombres des détenus sont ceux enregistrés au 1.9.93. Pour l'Allema-
gne, cela comprend les prisons d'Allemagne de l'Est.

Pour le Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Servi-


ces correctionnels pour adultes au Canada, 1993-1994.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 185

Pour les États-Unis, Bureau of justice Statistics, Sourcebook of


Criminal justice Statistics - 1993. Aussi Correctional Populations in
the United States, 1993. Aussi Jail Inmates in 1993.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 186

Prisons pour femmes (1998)


Annexe 4.
Pourcentage de femmes parmi les détenus
dans plusieurs pays 1991-1992

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Allemagne 4,6
Angleterre et pays de Galles 3,4
Canada 6,0
Danemark 4,8
Écosse 3,1
États-Unis 5,7
Finlande 3,3
France 4,3
Norvège 4,7
Pays-Bas 3,9
Suède 4,8

Sources : Pour les pays européens, Conseil de l'Europe, Bulletin


d'information pénologique, no 17, décembre 1992, page 25. Le
compte des condamnés est celui du 1.9.91.

Pour le Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Servi-


ces correctionnels pour adultes au Canada, 1991-1992. On connaît le
nombre et le pourcentage des femmes détenues dans les institutions
fédérales. Concernant les institutions provinciales, on ne dispose que
des chiffres concernant les admissions. En 1991, les femmes représen-
taient 7% des personnes admises, comme prévenues et détenues.

Pour les États-Unis, US Department of justice, Bureau of justice


Statistics, Sourcebook of Criminal justice Statistics -1991. US De-
partment of justice, Office of justice Programs, Bureau of justice Sta-
tistics, Correctional Populations in the United States, 1991.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 187

Prisons pour femmes (1998)


Annexe 4a.
Pourcentage des femmes parmi les détenus
dans plusieurs pays, 1993

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Allemagne 4,3
Angleterre et pays de Galles 3,7
Canada 6,5
Danemark 4,8
Écosse 3,0
États-Unis 9,5
Finlande 3,5
France 4,1
Norvège 4,6
Pays-Bas 4,3
Suède 5,2

Sources : Pour les pays européens, Conseil de l'Europe, Bulletin d'information


pénologique, nos 19-20, décembre 1994-1995. Le compte des détenus est celui du
1.9.93

Pour le Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Servi-


ces correctionnels pour adultes au Canada, 1993. Dans les institu-
tions fédérales, il s'agit du pourcentage des femmes parmi tous les dé-
tenus. Pour les institutions provinciales, nous utilisons, faute d'autres
données, le pourcentage des femmes parmi les personnes admises,
détenues et prévenues, qui était de 9% cette année-là.

Pour les États-Unis, Bureau of justice Statistics, Sourcebook of


Criminal justice Statistics - 1993 et Prisoners 1993 et jail inmates.
Les données tiennent compte des femmes présentes dans toutes les
institutions carcérales : fédérales, d'État et locales.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 188

Prisons pour femmes (1998)


Annexe 5.
Taux de détention au Massachusetts,
au Minnesota et en Pennsylvanie en 1991

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Massachusetts 143
Minnesota 78
Pennsylvanie 192

Sources : US Department of justice, Bureau of justice Statistics,


Sourcebook of Criminal justice Statistics - 1992.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 189

Prisons pour femmes (1998)

Annexe 6.
Pourcentage des femmes parmi les détenus au Massachusetts,
au Minnesota et en Pennsylvanie en 1991

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Massachusetts 6,7*
Minnesota 5,5*
Pennsylvanie 4,7*

(*) Pourcentage des femmes parmi les personnes détenues dans les institutions
fédérales et les prisons d'État.

Source : US Department of justice, Office of justice Programs, Bu-


reau of justice Statistics, Bulletin. Prisoners in 1991, p. 4.
Marie-Andrée Bertrand, PRISONS POUR FEMMES, deuxième partie (1998) 190

Prisons pour femmes (1998)

Annexe 7.
Taux d'incarcération des provinces et territoires
du Canada pour 1992-1993

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Province Taux d'incarcération


par 100 000 habitants

Alberta 144,2*
Colombie-Britannique 105,2
Île-du-Prince-Édouard 88,3
Manitoba 139,1*
Nouvelle-Écosse 97,4*
Nouveau-Brunswick 157,7*
Ontario 108,7
Québec 104
Saskatchewan 193,2*
Terre-Neuve 71,2
Territoires-du-Nord-Ouest 496,4
Yukon 285,7

(*) Taux estimé

Source : Services Correctionnels du Québec, Faits et chiffres, Bul-


letin d'information sur la recherche correctionnelle, 3, 1, mars 1995.

Fin du texte

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