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JIDV
126 pages
Sous la direction de
Christophe Herbert,
Directeur de publication, Journal International de Victimologie
(1) Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes
(Cri-Viff), Université de Montréal
Résumé
Dans le cadre de cette recherche qualitative, 18 personnes et 13 organismes ont été interrogés.
L’objectif de l’étude vise à faire le point sur le parcours des femmes immigrantes, victimes de violences
conjugales, parrainées et en attente de parrainage à Québec. Les données sont étudiées sous l’angle
des réponses sociétales, politiques et législatives qui lui sont fournies. La complexité de ce parcours a
été mise en évidence sur trois niveaux d’analyse. Aux difficultés d’ordre personnelles dues au statut
d’immigrante (barrière de la langue, méconnaissance des droits…) s’ajoutent les limites des marges de
manœuvre des intervenantes et des professionnel.le.s (manque de formation de certains d’entre eux,
limites budgétaires etc.). Enfin, la loi sur le parrainage cautionne légalement la dépendance de la
conjointe vis-à-vis de son partenaire, ce qui, en contexte de violence conjugale, peut créer un danger
supplémentaire. Concernant les femmes en attente de parrainage, ces dernières risquent une
expulsion à tout moment si le conjoint décide de retirer la demande de parrainage ce qui peut les inciter
à ne pas porter plainte pour violences conjugales. Les trois niveaux étudiés mettent clairement en
lumière les obstacles et les difficultés à chacune des étapes.
Abstract
In this qualitative research, 18 persons and 13 organizations were interviewed. The purpose of the
study aims to take stock of the course of immigrant women, victims of domestic violence, sponsored
and awaiting sponsorship in Montreal. The data are discussed in terms of societal responses, policies
and laws provided to it. The complexity of this course was demonstrated on three levels of analysis. To
the personal difficulties due to immigration status (language barriers, ignorance of rights) can be added
the limits for maneuver of the interveners and professionals (lack of training, budget limitations etc.).
Finally, the law on sponsorship legally endorses the dependence of the wife toward her partner, which
in the context of intimate partnership violence can create an additional danger. Concerning women
waiting for sponsorship this one can be withdrawn at any time and women risk expulsion, which may
encourage them to not file a complaint for intimate partnership violence. The three levels studied clearly
highlight the obstacles and difficulties at every step.
D’un point de vue purement législatif, il est formateur des autres quartiers de police de
difficile, voire impossible, pour les femmes Montréal), d’un conseiller de la Table de
immigrantes en attente de parrainage et sans concertation des organismes au service des
statut légal de porter plainte contre un personnes réfugiées, de deux agent.e.s de
partenaire violent, sans risque d'expulsion. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et
(Dasgupta, 2000 ; Kurien, 2001 ; Gherghel & de deux conseillères du Ministère de
Gurau, 2005 ; Ammar & Orloff, 2006). Pendant l’Immigration et des Communautés culturelles
cette et période d’attente, plusieurs n’ont droit (MICC).
ni au travail, ni à l’assurance-maladie.
(Beaulieu Nicole, 2005). Le parrainage Les professionnels des organismes interrogés
apparaît comme une reconnaissance "légale" ont été sélectionnés selon leurs compétences
de la dépendance de la femme (Sathoud et leurs connaissances sur la question des
Ghislaine, 2004, Sheppard, 2001 ; Côté, violences envers les femmes immigrantes.
Kerisit & Côté, 2001). Néanmoins, en cas de Pour le choix des personnes à interviewer, j’ai
retrait de parrainage, il est possible de faire fait usage partiellement de la technique de
une demande fondée sur des motifs boule de neige et de la méthode de
humanitaires. Les recherches menées sur l’échantillon théorique. La technique de boule
cette thématique soulignent clairement les de neige consiste en une stratégie
difficultés et craintes des femmes parrainées d'échantillonnage non probabiliste avec
battues, les lacunes en matière de services laquelle des personnes déjà interviewées sont
spécifiques ainsi que le risque de double invitées à fournir les noms des autres
victimisation, en cas de retrait de parrainage. personnes intéressantes pour la recherche,
Tous ces éléments ont été analysés qui sont ensuite approchées et interviewées.
séparément, mais n’ont pas fait l’objet d’une L'échantillon théorique consiste à mener des
étude traitant de la complexité de la question entretiens avec des personnes avec une
dans son ensemble. Il s’agira, en effet, grande connaissance de la thématique
d’analyser le parcours complexe de la femme (Denzin & Lincoln, 2003).
immigrée du point de vue des réponses
sociétales, politiques et législatives qui lui sont Les structures d’accueil et d'hébergement des
fournies. Son parcours ne sera pas mis en femmes ont été choisies selon des critères
évidence sous un seul aspect ce qui ne très précis à partir des connaissances des
suffirait à expliquer les obstacles qu’elle subit, intervenantes sur la problématique des
mais concernera trois niveaux d’analyse, qui violences envers les femmes immigrantes. Les
interagissent et rendent compte du avocat.e.s interrogé.e.s étaient spécialisé.e.s
phénomène dans son ensemble. dans la défense de ces femmes. L’agent de
police est Sergent-Conseiller en violence
Méthodologie conjugale et violence intra-familiale au SPVM
(Service de police de la ville de Montréal).
Les données qui sont présentées dans cet L’ensemble des personnes rencontré au sein
article proviennent d’une enquête de terrain des services forme un panel complet et
que j’ai réalisée. Dans le cadre de cette étude, diversifié permettant d’appréhender la
j’ai privilégié une approche qualitative à travers question sous divers angles et mettant en
des entretiens semi-structurés afin de favoriser évidence les avancées et les obstacles en la
l’expérience humaine. Au total, dix-huit matière selon leurs perceptions en tant que
personnes de treize organismes ont participé à professionnel(le)s avisé(e)s.
cette recherche. Ces entretiens ont été menés
de septembre 2010 à août 2011. Cette L’analyse des entretiens menée auprès de ces
approche permet de laisser une place à la différents services permet d’avoir une
spontanéité étant donné l’importance des approche globale du parcours administratif,
expériences diverses des professionnel(le)s et juridique, social et personnel de la femme
des intervenant(e)s. Ils ont été réalisés auprès immigrante. L'analyse a été conduite en
de cinq intervenantes au sein de trois maisons suivant l’approche de la théorie ancrée
d’hébergement et de quatre intervenantes (grounded theory) (Glaser & Strauss, 1967)
dans les services d’accueil et d’aide juridique, permettant la mise en place de la
de trois avocat.e.s spécialisé.e.s, d’un agent problématique. Elle a été enrichie par la
de police du Service de Police de la Ville de méthode du sociologue Jean-Claude
Montréal (expert en violences conjugales, Kauffman (2004). Si dans la grounded theory,
(conseillère, MICC). Cependant, toutes les conseillères du MIC rappellent les risques et
intervenantes s’accordent sur le fait, que cette les conséquences suite à un défaut de
question n’est pas considérée comme parrainage économique : « si le garant est
suffisamment prioritaire et regrettent le défaillant dans une autre affaire de parrainage,
manque de communication à ce sujet : « je ne il ne pourra plus parrainer et est déclaré
sais pas jusqu’à quel point le gouvernement coupable d’infraction contre la personne »
est sensibilisé, c’est quoi le parrainage, c’est (conseillère, MICC). Cependant, toutes les
quoi les impacts, les effets sur les enfants. intervenantes et avocat.e.s dénoncent le
Pour mieux sensibiliser le gouvernement, ils manque de suivi de l’obligation de paiement :
devraient venir discuter et échanger avec les « Certains hommes ne vont pas payer le
intervenants des maisons d’hébergement» parrainage, qu’ils doivent. Personne ne vérifie
(intervenante, Auberge de transition). Les trois que le conjoint paye bien pour sa femme »
avocat.e.s soulignent les choix orientés (intervenante, Bouclier d’Athéna). Ce
qu’effectuent le gouvernement quant aux cautionnement légal de la dépendance tend à
questions touchant les problèmes de rendre encore plus vulnérables ces femmes :
l’immigration et ayant des impacts néfastes sur « les femmes ont le droit de travailler. Le
ces cas particuliers : « c’est un choix, toute problème est que quand tu es dépendante
notre politique d’immigration est fondée sur psychologiquement de ton conjoint du fait des
une rationalité économique. Il faudrait vraiment valeurs culturelles et traditionnelles de ton
qu’on ait un gouvernement, qui gouverne en pays d’origine et que tu arrives ici et que
fonction d’un cadre normatif basé sur les droits légalement cette dépendance est cautionnée,
de la personne plutôt qu’un cadre normatif on a beau dire que le Canada est un pays
basé sur la compétitivité et le profit » (avocate pour les femmes. Les femmes que l’on a
et directrice des affaires juridiques, rencontrées n’ont pas cette perception »
Association nationale de la femme et du droit à (intervenante, Bouclier d’Athéna). La directrice
Ottawa). Les conseillères du MICC regrettent des affaires juridiques à l’Association nationale
pour leur part une marge de manœuvre trop de la femme et du droit va plus loin et dénonce
étroite pour une meilleure prise en compte des également les effets pervers du
besoins spécifiques : « il n’y a pas de budget remboursement par le conjoint de l’aide
spécifique pour les femmes immigrantes. Tous sociale perçue par les femmes en cas de
les services vont être maintenus en place et séparation : « il va avoir énormément de
c’est un défi. Notre marge de manœuvre est pressions pour ne pas qu’elle le quitte ; faire
limitée, le fédéral détient le pouvoir. Ici on est des menaces, exercer un contrôle, car il ne
au milieu » (conseillère, MICC). voudrait pas devoir rembourser. Ce sont les
effets pervers. C’est pour ça que l’on est
Les questions de parrainage contre le parrainage, car la privatisation de
« Il n’y a pas de politique nationale pour les l’obligation renforce forcément le pouvoir du
femmes victimes de violences conjugales et parrain, étant donné que c’est lui va devoir
notamment pour les femmes immigrées. payer » (avocate et directrice des affaires
L’article 25 est utilisé comme une loi fourre- juridiques, Association nationale de la femme
tout et les agents utilisent cet article de loi et du droit à Ottawa).
fédérale. Le guide IP5 est utilisé dans les cas Les affaires les plus complexes, où les
de violences envers les femmes immigrées femmes risquent réellement une expulsion,
notamment dans le cadre des demandes sont celles où la demande de parrainage est
d’aide humanitaire. L’article 25 crée des en cours, ce qui représente une période allant
règlements d’exception » (agent d’immigration, de 9 à 12 mois à partir du moment où la
CIC). requête a été déposée. Le conjoint est en droit
Toutes les intervenantes et les deux avocates de retirer le parrainage à tout moment. Le
sont en accord sur la question du temps de manque de données statistiques est souligné :
parrainage, qu’elles estiment encore trop « il n’y a pas de protocole d’échange
long : « selon moi, la situation de parrainage, d’information et c’est difficile d’obtenir des
qui a été abrégée de 10 ans à 3 ans, est une statistiques. » (conseillère, MICC) L’aspect
bonne chose ; certainement que cette complètement subjectif du risque de
disposition a aidé, mais personnellement je ne l’expulsion, suite au retrait du parrainage, est
suis pas convaincue d’un réel progrès, trois pointé par toutes les personnes interrogées :
ans d’abus demeure encore très long » « lorsqu’une femme est victime de violences
(avocate, Legault et Boisclair, Montréal). Les conjugales et risque en plus la déportation,
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Auteurs
(1) Unité de Médecine des Violences, Institut universitaire de Médecine Légale, Centre
Hospitalier Universitaire de Lausanne (Suisse).
Résumé
Bien que la violence contre les femmes en général soit actuellement reconnue comme un problème de
santé publique, la sévérité des violences subies par les femmes est une problématique encore peu étudiée.
Cette recherche vise à identifier le profil des femmes victimes des violences les plus graves parmi les
patientes ayant consulté auprès d’une Unité de Médecine des Violences d’un hôpital Universitaire Suisse.
Les données ont été récoltées à partir des dossiers complétés par l’infirmière pour chaque patiente ayant
consulté à l’Unité durant l’année 2006. Une quinzaine de caractéristiques relatives à la victime elle-même
ainsi qu’à l’évènement violent ont été systématiquement documentées par le consultant. Les résultats
montrent que parmi les 183 cas de femmes analysés, 28% ont subi des violences graves et 72% des
violences modérées. Si aucune différence significative entre les deux groupes de femmes n’a été relevée
concernant l’âge, la nationalité, les expériences de violence dans l’enfance et la religion, les femmes
victimes de leur partenaire (actuel ou ex) étaient plus à risque de subir des violences graves que celles
victimes d’un autre agresseur. Les programmes de prévention devraient se centrer sur la gravité potentielle
des actes de violence dans la sphère conjugale.
Mots-clés
Key-Words
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)! 1!
BURQUIER, HOFNER, ROMAIN & MANGIN
« L’homme est si bête qu’une violence répétée graves à l’âge adulte est 1,5 fois supérieur pour
finit par lui paraître un droit » Helvétius. les femmes ayant subi des abus physiques dans
l’enfance que pour celles n’ayant pas subi de
Bien qu’une littérature de plus en plus
telles violences. Par blessures graves, il faut
volumineuse traite du thème de la violence à
entendre toute blessure touchant la moelle
l’égard des femmes, thème reconnu actuellement
épinière, le cou ou la tête qui interfère avec les
comme un problème de santé publique (Hofner
activités quotidiennes de la victime (Thompson,
& Mihoubi-Culand, 2008), la problématique des
Arias, Basile, & Desai, 2002). Les auteurs
différents degrés de violence subie par les
soulignent toutefois le lien faible à modéré qui
femmes est encore peu étudiée. Il semblerait
semblent exister entre ces variables (Neumann,
opportun de distinguer, parmi l’ensemble des
Houskamp, Pollock, & Briere, 1996; Roodman
actes d’agression, deux niveaux de violence : les
& Clum, 2001; Stith et al., 2000). La relation
violences considérées comme les plus graves,
entre la violence subie dans l’enfance et celle
notamment celles entraînant une mise en danger
subie une fois adulte pourrait s’expliquer par le
de la vie, et les violences plus modérées. La
fait que les femmes ayant subi ou ayant été
question qui se pose est de savoir s’il existe des
témoin de ces violences dans leur jeune âge
caractéristiques spécifiques des victimes de
considèrent la violence comme faisant partie
violence grave de manière à orienter les
intégrante des relations intimes et familiales.
programmes de prévention destinés à lutter
Elles sont donc excessivement tolérantes face
contre la violence faite aux femmes.
aux mauvais traitements exercés par leur
Les recherches sur le lien qui pourrait exister agresseur. La prise de conscience du caractère
entre les caractéristiques sociodémographiques anormal de la situation serait ainsi plus difficile
des victimes et le fait de subir des violences pour ces femmes qui ne chercheraient pas à se
graves montrent notamment qu’il existerait une séparer de leur agresseur (Bensley, Van Eenwyk,
& Simmons, 2003).
plus grande gravité des violences commises au
sein du couple (par un partenaire ou un ex-
Le statut d’immigrante, ou plus précisément la
partenaire) que celles infligées en dehors du
nationalité étrangère de la victime pourrait
cadre conjugal (Sorenson, UPchurch, & Shen,
également jouer un rôle dans l’apparition de la
1996; Mouzos & Makkai, 2004; Feld & Straus,
violence grave en raison des possibilités
1989). En Suisse notamment, une étude (Office
restreintes qui lui permettraient de quitter la
Fédéral de la Statistique, 2006) portant sur les
relation violente. Barrière du langage, emploi
affaires d’homicide et de tentative d’homicide
précaire, statut légal sont autant de facteurs
rapportées à la police, a mis en évidence que
limitant les possibilités de rupture avec le
c’est dans le cadre familial (relation de couple
partenaire violent (Menjivar & Salcido, 2002).
entre victimes et suspects ou autres liens
Or, la violence commise dans le cadre
familiaux au sens large) que l’homicide ou la
domestique est susceptible de s’aggraver avec le
tentative d’homicide ont les conséquences les
temps (Johnson, 1995). Selon une étude
plus graves. En outre, il apparaît que sur les cinq
américaine (Zachary, Mulvihill, Burton, &
ans considérés par l’étude (entre 2000 et 2004),
Goldfrank, 2001) menée auprès d’un échantillon
28 femmes par an en moyenne sont mortes des
de 611 femmes ayant consulté un service
suites de violence domestique.
d’urgence, les femmes nouvellement immigrées
Outre le contexte conjugal, des violences subies déclarent au cours de la vie moins de violence
dans l’enfance pourraient également être que les femmes nées aux Etats-Unis, mais il
impliquées dans le risque d’une victimisation apparaît que le risque pour ces femmes de subir
sévère à l’âge adulte. Ainsi, une étude des violences augmente avec le temps de
américaine menée en 1996 auprès de 8000 résidence dans ce pays ( > 5 ans). Ces auteurs
femmes de 18 ans et plus, met en évidence que le constatent que « sur les 48 femmes récemment et
risque pour une femme de subir des blessures gravement agressées dans cette étude, 21
2! JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)!
CARACTÉRISTIQUES DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES GRAVES DANS UN ÉCHANTILLON CLINIQUE
(43,8%) n’auraient pas été détectées sur la base des Violences d’un hôpital Universitaire suisse
des facteurs de risque définis dans cette étude afin d’éventuellement prévoir des actions
comme critères à appliquer dans les cas de spécifiques les concernant dans un souci de
violence domestique ». Les auteurs concluent que prévention et de santé communautaire. Un projet
les caractéristiques sociodémographiques interdisciplinaire intégré de dépistage et
étudiées (âge, origine ethnique, niveau d’orientation des adultes victimes de violence
d’éducation, statut professionnel, type de « C’est assez » (Hofner & ViensPython, 2004)
domicile et statut d’immigrante) ne permettent développé de 2001 à 2005 et visant à développer
pas, au sein d’un service d’urgence, une un meilleur dépistage et une amélioration de la
identification précise des femmes subissant des prise en charge des victimes de violences en
violences domestiques graves (menace avec ou milieu hospitalier, a aboutit, en septembre 2005,
utilisation d’un couteau, agression sexuelle, à la création d’une Unité de Médecine des
fractures…). Violences (UMV) au sein de l’Institut de
Médecine Légale (IML) intégré à l’hôpital
Concernant la foi, les violences pourraient Universitaire de Lausanne.
parfois être justifiées par l’appartenance à une
religion. On peut en effet faire l’hypothèse que L’UMV combine des compétences médico-
l’engagement de la victime dans une croyance légales et communautaires en accord avec les
religieuse rend plus difficile une éventuelle recommandations de l’Organisation Mondiale de
rupture avec le partenaire violent. En effet, la la Santé (OMS) visant à améliorer l’accès aux
pratique d’une religion peut favoriser chez les services médicaux-légaux proposant une
victimes une attitude fataliste et une plus grande orientation vers des institutions communautaires
tolérance face à l’injustice et aux comportements de prise en charge. La consultation de l’UMV est
violents de l’homme avec lequel elles vivent ouverte tous les matins, 365 jours par an, aux
(Killias, Simonin, & De Puy, 2005). Or, c’est en hommes et aux femmes de 16 ans et plus ayant
particulier dans le cadre du couple qu’une été victimes de violence interpersonnelle
escalade de la violence est possible et que les physique et/ou psychologique. La violence
conséquences de la violence pourraient être les sexuelle en revanche, n’est pas prise en charge
plus graves. En effet, une étude rétrospective par l’Unité mais orientée vers le département
(Johnson, 1999), sur une base de données des gynécologique de l’hôpital.
années 1970, met en évidence des différences
intéressantes entre deux type d’usage de la Sont pris en compte les événements violents,
violence dans le couple. D’une part, les couples quelque soit le type d’incident (domestique,
où il existe un comportement violent et communautaire, institutionnel), qu’ils soient
dominateur systématique de la part d’un isolées ou partie d’un processus chronique de
partenaire sur l’autre, dans le cadre d’une violence. Les violences communautaires
tactique générale de contrôle, (« patriarchal s’entendent comme un type de « violence entre
terrorism ») et ceux où la violence est exercée des personnes qui ne sont pas apparentés et qui
en tant que comportement spontané face aux peuvent ne pas se connaître. Ce type de violence
conflits entre partenaires, qui peut survenir survient généralement à l’extérieur du foyer ».
occasionnellement en cas de stress ou de dispute Elle comprennent « la violence des jeunes, les
(« common couple violence »). Les premiers actes de violence commis au hasard, les viols et
connaissent une escalade de la violence dans 75 les agressions sexuels commis par des étrangers,
% des cas contre 28 % dans les seconds. et la violence qui se produit en milieu
institutionnel, par exemple, dans les écoles, en
Le but de l’étude présentée dans cet article est de milieu de travail, les prisons et les maisons de
dresser le profil des femmes victimes des retraite » (OMS, 2002, p.6).
violences les plus sévères parmi les patientes
ayant consulté auprès d’une Unité de Médecine
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)! 3!
BURQUIER, HOFNER, ROMAIN & MANGIN
Les patients sont en général orientés à l’UMV La base de données a été crée à partir du logiciel
par les urgences de l’hôpital et Epidata (version 3.1). L’analyse statistique a été
occasionnellement par la police, les médecins de menée à partir du logiciel SPSS (version 15.0).
premiers recours et les autres institutions locales. Le test du X2, test statistique d’hypothèse, ici
avec un seuil alpha à 5%, a été utilisé afin
Dans un premier temps, l’UMV permet aux d’observer une éventuelle différence significative
patients de parler librement de leur propre entre le groupe de femmes victimes de violences
histoire de violence dans un lieu calme et graves et le groupe de celles victimes de
sécurisé. Cela est important parce que la violences modérées.
clarification contextuelle de l’événement violent
est un facteur important dans la prévention Définitions
d’éventuelles conséquences psychologiques.
Dans un second temps, les propos du patient sont Il apparaît que la recherche et la littérature ne
documentés, un examen médico-légal est sont pas unanimes concernant la définition de la
effectué et les plaintes subjectives et lésions du notion de la gravité des violences. En effet, alors
patient sont documentées. Enfin, les besoins que certaines font référence au type d’acte
prioritaires et les ressources disponibles du violent grave tel que défini par les Conflict
patient sont évalués. L’objectif est de fournir le Tactics Scales (Strauss, 1979) d’autres se
meilleur soutien et suivi possible en dehors de réfèrent plutôt aux conséquences des actes de
l’Unité. violence, comme la présence de blessures ou la
gravité de telles blessures chez la victime ou
Les données sont systématiquement consignées encore l’hospitalisation de cette dernière
dans un fichier informatique. L’ensemble de ces (Forjuoh, Coben, & Gondolf, 1998). Dans la
activités est assuré par une équipe d’infirmières présente étude, la notion de violence grave est
supervisée par un médecin spécialisé en définie de la manière suivante :
médecine légale.
a) violences graves
Méthode
Dans la présente étude, sont considérés comme
Le protocole de recherché de l’étude graves les actes suivants :
rétrospective a été accepté par la Commission
d’éthique locale en mars 2007. Les données ont - le fait d’étrangler la victime
été récoltées à partir des dossiers complétés par
- le fait de menacer la victime avec une arme à
les infirmières pour tous les patients ayant
feu ou tout objet (coupant, tranchant, contendant)
consulté à l’UMV entre le 3 janvier et le 31
décembre 2006. Les critères d’éligibilité pour - le fait de tirer un coup de feu ou de frapper la
l’étude incluaient le sexe féminin du consultant, victime avec un objet (coupant, tranchant,
un dossier complet et une consultation relative à contendant).
un événement actuel de violence
interpersonnelle. Les blessures graves pouvant entraîner la mort de
la victime sont également inclues dans cette
L’analyse était limitée aux données disponibles définition ainsi que la présence de menaces de
dans la base et relatives aux caractéristiques de la mort.
victime (âge, nationalité, religion, statut
professionnel et marital, abus dans l’enfance) b) violences modérées
ainsi qu’à celles de l’événement violent (violence
conjugale, communautaire ou institutionnelle, Dans cette étude sont considérées comme
degré de connaissance entre l’auteur et la victime modérées l’ensemble des violences ne répondant
et lieu). pas à la définition des violences graves. A titre
4! JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)!
CARACTÉRISTIQUES DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES GRAVES DANS UN ÉCHANTILLON CLINIQUE
d’exemple, sont considérés comme modérés les Tableau 1 : profil des patientes de l’Unité de
actes de violence suivants : Médecine des Violences pour l’année 2006 en
pourcentage
- Pousser, tordre le bras, tirer les cheveux,
empoigner, traîner
Résultats
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)! 5!
BURQUIER, HOFNER, ROMAIN & MANGIN
l’hypothèse que ces personnes n’ont pas de Tableau 2 : pourcentage des patientes par
médecin de famille stable (barrière du langage type de violence et caractéristiques de la
pour prendre rendez-vous et expliquer les victime
symptômes).
6! JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)!
CARACTÉRISTIQUES DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES GRAVES DANS UN ÉCHANTILLON CLINIQUE
Délégation aux victims, 2009). En Suisse, une d’une consultation médico-légale spécialisée
étude menée en 2003 auprès de 1975 femmes dans la prise en charge des victimes de
résidents en Suisse aboutit aux mêmes violences.
conclusions : « dans le domaine de la violence
physique, les agressions les plus graves sont Nos résultats démontre toutefois, que le fait
celles qui, le plus souvent, impliquent un d’être victime de son partenaire (actuel ou ex)
partenaire, actuel ou ex, alors que les agresseurs plutôt que de tout autre agresseur, augmente
inconnus de la victime jouent un rôle plus significativement le risque pour une femme
important dans des actes d’agression moins d’être victime des violences les plus graves. Ceci
dramatiques » (Killias et al., p. 44). Les auteurs corrobore la thèse du cycle de la violence dont la
soulignent que les actes de violence les plus gravité semble s’amplifier avec le temps. En
graves sont presque toujours commis par des ex- conséquence, les programmes de prévention
partenaires et rarement par des partenaires devraient mettre l'accent sur l'information des
actuels. Ils notent toutefois que leurs résultats ne professionnels de la santé et des patients sur la
permettent pas de répondre à la question de gravité potentielle de la violence dans la sphère
savoir si les violences graves existaient déjà au domestique.
sein du couple, cause de la séparation, ou si elles
Suite à ce constat, il s’agit de prévoir des
sont intervenues dans le contexte de- ou après la
programmes de dépistage et de prévention
séparation.
secondaire de la violence grave, s’adressant en
Implications pratiques priorité aux victimes de violences conjugales, les
informant de l’aggravation potentielle des
Nos résultats pourraient avoir des implications violences.
pratiques dans le cadre de la prévention
secondaire de la violence. La prévention Limites
secondaire est celle qui permet de détecter
Cette recherche présente plusieurs limites. Ainsi,
précocement le problème afin d’en stopper
l'absence d’une unité semblable à l’UMV dans
l’évolution. Il s’agit dans le cadre de l’action
d'autres hôpitaux empêche toute comparaison.
médico-sociale de l’ensemble des pratiques de
Une définition de la gravité ne tenant pas compte
détection et d’orientation des personnes vivant
de l’impact des violences sur la victime
dans un contexte de violence. Ces pratiques
(notamment psychologique) empêche également
permettent de faciliter l’accès à l’information et
la comparaison avec d’autres études et restreint
le recours aux ressources possibles pour la
la portée des résultats. En outre, l’absence de
victime.
données sur les violences sexuelles, principal
Ainsi, les professionnels de santé pourraient, indicateur de la gravité, constitue un biais de
dans le cadre de leur consultation, rendre leurs sélection de la population étudiée.
patientes victimes attentives au fait que les
Bibliographie
violences commises dans le cadre du couple sont
susceptibles de s’aggraver avec le temps. La Bensley, L., Van Eenwyk, J., & Simmons, K. W.
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Conclusion
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Notre étude met en évidence qu’aucune
and desistance of wife assault in marriage.
caractéristique sociodémographique de la victime
Criminology, 27, 141-161.
ne permet la détection des femmes subissant des
violences graves, tout au moins dans le cadre
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)! 7!
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CARACTÉRISTIQUES DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES GRAVES DANS UN ÉCHANTILLON CLINIQUE
JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(V ICTIMOLOGIE(!2009;!8(1)! 9!
Profils de violence dans les relations amoureuses
Alison Paradis1, Martine Hébert1, Francine Lavoie2, Martin Blais1, l’équipe du projet PAJ
[Quebec, Canada]
1
Département sexologie, UQAM, Montréal, Québec, Canada
2
École de psychologie, Université Laval, Québec, Québec, Canada
Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention des Instituts de recherche en santé
du Canada (IRSC #103944). Nous tenons à remercier les adolescents qui ont participé à cette étude, le
personnel des écoles ainsi que Félix Lacerte-Joyal. Veuillez adresser toute correspondance à : Martine
Hébert, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal, Montréal (Québec), Canada, Tél.:
(514) 987-3000 x5697, Fax: (514) 987-6787, H3C 3P8, courriel: hebert.m@uqam.ca.
Résumé
La présente étude explore la cooccurrence des différentes formes de violence dans les fréquentations
amoureuses (psychologique, physique et sexuelle) dans lesquels les adolescents sont impliqués à la fois
comme victimes et agresseurs. Un échantillon composé de 135 adolescents ayant eu une relation
amoureuse au cours de la dernière année (14-18 ans, M=15,87) a été utilisé pour déterminer si différents
profils de violence pouvaient être identifiés. Les résultats d’une analyse de classification révèlent quatre
profils distincts de violence dans les fréquentations : peu de violence (n = 39), violence psychologique
mutuelle (n = 39), violence infligée (n = 20) et violence mutuelle (n = 37). En comparaison au groupe peu de
violence, les adolescents dans le groupe de violence mutuelle rapportent avoir subi plus de blessures suite à
une dispute avec leur partenaire. Ils présentent également un taux de détresse psychologique plus élevé et
des attitudes plus favorables à l’égard de la violence dans les fréquentations. Les proportions de garçons et
de filles sont similaires dans les quatre profils. Les implications des résultats sont discutées en termes de
retombées pour les recherches futures portant sur la violence dans les fréquentations des adolescents.
Mots-clés: adolescents, relations amoureuses, violence dans les fréquentations, violence mutuelle,
attitudes, profils.
Abstract
This study examines the co-occurrence of multiple types of dating violence (psychological, physical and
sexual) in which adolescents are involved as both perpetrators and victims. A sample composed of 135 high
school students who reported being in a romantic relationship during the past year (aged 14-18, M=15.87)
was used to explore whether different profiles of dating violence could be identified. Results of a cluster
analysis revealed four distinctive dating violence profiles: low violence (n=39), mutual psychological violence
(n=39), perpetration of violence (n=20), and mutual violence (n=37). Compared to the low violence group,
the mutually violent adolescents report having suffered more injuries following a conflict with their partner.
They also present higher rates of psychological distress and more favourable attitudes towards couple
violence. The proportion of boys and girls are similar across the four profiles. The implications of the results
for future research on violence in adolescent dating relationships are discussed.
La violence dans les relations amoureuses augmenterait le risque que ces comportements se
des jeunes est fréquente et les répercussions sur la répètent dans les relations intimes futures. Les
santé physique et mentale qui en découlent font de résultats des travaux de Gomez (2011) ont
ce phénomène un problème de santé publique d’ailleurs mis en évidence le fait que les
important (Banyard & Cross, 2008; Foshee & expériences de maltraitance dans l’enfance et
Reyes, 2011). Les estimations les plus celles de violence dans les relations amoureuses à
conservatrices suggèrent qu’à l’adolescence, au l’adolescence sont des prédicteurs de la violence
moins un jeune sur trois rapporte avoir été victime dans les relations entre partenaires amoureux à
de violence psychologique alors qu’un sur dix l’âge adulte. Plusieurs autres facteurs de risque ont
vivrait de la violence physique au sein de leurs été identifiés (Vézina & Hébert, 2007) dont la
fréquentations amoureuses (Foshee & Reyes, consommation d’alcool et de drogues. Par
2011). La prévalence de la victimisation sexuelle exemple, les résultats d’une méta-analyse récente
varie quant à elle de 1% à 59% selon la définition suggèrent que la consommation d’alcool augmente
considérée (p.ex., viol, coercition, contact sexuel significativement le risque de perpétrer de la
non désiré) (Foshee & Reyes, 2011). Les violence dans les relations amoureuses de jeunes
conséquences de la victimisation dans les relations âgés de 11 à 21 ans (Rothman, Reyes, Johnson &
amoureuses sur la santé mentale, physique et LaValley, 2012).
sexuelle sont nombreuses. En plus des blessures
physiques, les adolescents victimes de violence Les différentes formes de violence (c.-à-d.,
rapportent souvent de la détresse psychologique, psychologique, physique et sexuelle) sont peu
de la dépression, des symptômes de stress post- susceptibles de survenir de manière isolée. De fait,
traumatique, des idées suicidaires et des difficultés plus de la moitié des adolescents qui rapportent
scolaires (Ackard, Eisenberg, & Neumark-Sztainer, avoir infligé de la violence dans leur relation
2007; Banyard & Cross, 2008; Chiodo et al., 2011; amoureuse disent avoir eu recours à plus d’une
Wolitzky-Taylor et al., 2008). forme d’agression (Sears, Byers, & Price, 2007).
Par ailleurs, pour une proportion importante
Contrairement à la violence subie, les d’adolescents, la violence dans les relations
données disponibles concernant la violence infligée amoureuses est marquée par des épisodes de
dans les relations amoureuses des adolescents violence mutuelle où les deux membres du couple
sont moins nombreuses et plus variables. Selon seraient, tour à tour, victimes et agresseurs, et ce,
une recension de Foshee et Reyes (2007) les tant chez les filles que chez les garçons (Gray &
estimations de prévalence concernant la violence Foshee, 1997; Langhinrichsen-Rohling, Selwyn, &
infligée varient entre 14% et 82% dans le cas de la Rohling, 2012; Swahn, Alemdar, & Whitaker,
violence psychologique et entre 11% et 41% pour 2010). En effet, plusieurs études démontrent que
la violence physique. La prévalence de la violence les filles sont tout aussi susceptibles d’infliger de la
sexuelle infligée est généralement plus faible, se violence à leur partenaire amoureux que les
situant entre 3% et 10% (Foshee & Reyes, 2011). garçons. Toutefois, la controverse subsiste toujours
Les données révèlent que les adolescents qui quant à savoir si l’expérience de violence dans les
utilisent des comportements violents dans leur relations amoureuses des jeunes est la même pour
relation amoureuse présentent un haut risque de les filles et les garçons (Hamby, 2009). Certains
récidive (Chase, Treboux, O'Leary, & Strassberg, auteurs suggèrent qu’il est important de faire des
1998; O’Leary & Slep, 2003; Williams, Connolly, distinctions en fonction du contexte des gestes de
Pepler, Craig, & Laporte, 2008). Par exemple, les violence. Par exemple, Hamby et Turner (2012)
résultats de O’Leary et Slep (2003) démontrent que concluent que si les garçons rapportent être
50% des garçons et 75% des filles qui rapportent davantage victimes de violence physique, les filles
utiliser des conduites agressives contre leur sont pour leur part plus nombreuses à déclarer des
partenaire amoureux risquent d’en utiliser à blessures et à manifester des sentiments de peur
nouveau au cours des trois mois suivants suite à un incident de violence. Les filles sont
l’évaluation initiale. Certains auteurs suggèrent également plus susceptibles de recourir à la
également que les habitudes agressives adoptées violence comme moyen d'autodéfense, alors que
dans les fréquentations à l’adolescence peuvent se les garçons auraient principalement recours à des
cristalliser et se manifester ultérieurement dans les gestes de violence dans l’objectif de contrôler leur
relations amoureuses à l’âge adulte (Arriaga & partenaire (Barter, 2009).
Foshee, 2004). La violence infligée dans les
fréquentations amoureuses soulève la possibilité La violence dans les relations amoureuses
que certains adolescents entretiennent ou des adolescents est donc un phénomène qui se
développent des attitudes et des croyances au manifeste sous de multiples formes et contextes.
sujet de la violence dans les relations amoureuses Alors que, jusqu’à récemment, les recherches ont
comme étant normale (Mueller, Jouriles, principalement tenté d’identifier des similarités
McDonald, & Rosenfiled, 2013), ce qui entre les individus qui vivent de la violence dans
Journal International De Victimologie 11(1)
Profils de violence dans les relations amoureuses
et de l’interprétation des regroupements, la solution résultats est présentée à la Figure 1. Une ANOVA
à quatre groupes a été jugée la plus pertinente. associée à des comparaisons post hoc de type
Tukey a permis de constater une différence
Le Tableau 2 présente la fréquence en significative entre les profils Peu de violence et
pourcentage des différentes formes de violence Violence mutuelle pour le score de détresse
pour les quatre profils. Le premier profil comprend psychologique (F(3,130) = 4,055; p < 0,01). En
les adolescents qui rapportent très peu de violence effet, les adolescents du profil de Violence mutuelle
dans leur relation amoureuse. Puisqu’aucun présentent des taux de détresse psychologique
membre de ce groupe ne rapporte vivre de la plus élevée que les adolescents du groupe Peu de
violence psychologique ou physique et que seuls violence. Les profils se distinguent aussi sur le plan
quelques adolescents rapportent des incidents de des attitudes à l'égard de l'acceptation de la
violence sexuelle, ce groupe est nommé « Peu de violence (F(3,130) = 3,13; p < 0,05). Les
violence » (28,9% de l’échantillon). Le deuxième adolescents du profil Violence mutuelle
profil regroupe les adolescents qui ne rapportent entretiennent des attitudes et des croyances plus
pas de violence physique ou sexuelle dans leur favorables au sujet de la violence que les
relation amoureuse, alors qu’ils mentionnent avoir adolescents du profil Peu de violence.
subi et infligée de la violence psychologique. Ce
groupe est nommé « Violence psychologique Discussion
mutuelle » (28,9% de l’échantillon). Le troisième
groupe est composé d’adolescents ayant infligé de L’objectif principal de cette étude était
la violence. En effet, alors que seuls 35% des d’explorer l’hétérogénéité des profils de violence
adolescents de ce groupe rapportent avoir subi de dans les relations amoureuses à l’adolescence en
la violence psychologique, 100% disent avoir infligé fonction de la cooccurrence des différentes formes
de la violence psychologique, physique ou de violence à la fois subie et infligée. Cette étude
sexuelle. Ce groupe est nommé « Violence inclut un large éventail d’expériences de violence
infligée » (14,8% de l’échantillon). Enfin, le (psychologique, physique et sexuelle), dont
quatrième profil est caractérisé par de la violence certains, tels que la violence sexuelle infligée,
mutuelle. Tous les adolescents de ce groupe n'avaient encore jamais été explorés dans une
rapportent au moins une forme de violence subie et analyse typologique. De plus, en s’intéressant à la
une forme de violence infligée. Par exemple, 48,6% violence dans les fréquentations des adolescents,
disent avoir subi et infligé de la violence physique cette étude visait à combler une lacune des travaux
dans leur relation amoureuse. Ce dernier groupe de recherche existants qui se sont intéressés
est nommé « Violence mutuelle » (27,4% de davantage à décrire les profils d’hommes adultes
l’échantillon). très violents.
Les résultats des analyses de khi-carré Les analyses ont ainsi permis de révéler
(Tableau 3) ne révèlent aucune différence quatre profils de violence dans les relations
2
significative entre les profils selon le sexe (χ = amoureuses qui diffèrent en fonction du type de
0,46, p =,927) ou selon le statut de la relation violence rapporté et de la cooccurrence de
amoureuse, c’est-à-dire étant ou non toujours en victimisation et de perpétration. Un premier profil
2
couple (χ = 3,23, p =,358). Toutefois, une comprend les adolescents qui rapportent vivre peu
différence marginalement significative est retrouvée ou pas de violence (29% de l’échantillon); un
2
quant au niveau scolaire (χ = 15,64, p =,075), une deuxième regroupe les adolescents qui rapportent
proportion plus grande d’adolescents en uniquement de la violence psychologique subie et
secondaire III faisant partie du groupe Violence infligée (29% de l’échantillon); le troisième est
infligée alors que les adolescents en secondaire V composé d’adolescents ayant principalement infligé
se retrouvent davantage dans le profil Peu de de la violence (15% de l’échantillon); et enfin, le
violence ou Violence psychologique mutuelle. En quatrième est caractérisé par de la violence
ce qui concerne la consommation d’alcool et de mutuelle (27% de l’échantillon). Ainsi, les données
drogues, seule la consommation d’autres drogues indiquent que la réciprocité de la violence dans les
que le cannabis (c.-à-d., ecstasy, amphétamines, fréquentations intimes des adolescents caractérise
etc.) permet de distinguer marginalement les profils un peu plus de la moitié (56%) de l’échantillon.
2
(χ = 6,78, p =,079). Enfin, les résultats révèlent Toutefois, nos résultats permettent d’approfondir
que les adolescents du groupe de Violence notre compréhension de la violence mutuelle dans
mutuelle rapportent avoir subi significativement les relations amoureuses à l’adolescence et de
plus de blessures physiques suite à une chicane faire une distinction entre la violence mutuelle
(27,0%) de couple que ceux du groupe Peu de uniquement psychologique et la violence mutuelle
2
violence (0,0%) (χ = 18,20, p =,000). qui comprend également les formes de violence
Les résultats de la MANOVA indiquent une physique et sexuelle. En effet, contrairement aux
différence significative entre les profils quant à la autres études sur le sujet qui ont seulement
détresse psychologique et les attitudes à l'égard de examiné la cooccurrence de la violence physique
l'acceptation de la violence (Wilks λ = 0,868, subie et infligée (Gray & Foshee, 1997; Swahn et
F(6,258) = 3,15; p < 0,01). Une synthèse des al., 2010; Whitaker, Haileyesus, Swahn, &
Journal International De Victimologie 11(2)
Paradis et al.
Saltzman, 2007), la réciprocité est ici établie en entretiennent des attitudes et des croyances plus
tenant compte des autres formes de violence. favorables au sujet de la violence que les
adolescents peu violents. Ce résultat est conforme
Les adolescents du groupe de Violence à la théorie sociale cognitive (Bandura, 1986) et
mutuelle sont ceux qui se distinguent le plus des réitère les conclusions de plusieurs chercheurs à
adolescents peu violents. En effet, les adolescents l’effet que la tolérance à la violence augmente la
du profil de violence mutuelle présentent des taux probabilité d’utiliser des comportements violents
de détresse psychologique plus élevée et dans le contexte des relations intimes (p.ex., Sears
rapportent davantage de blessures ou de douleurs et al., 2007). Les résultats de la présente étude
physiques suite à un conflit avec leur partenaire. confirment donc l’importance pour les programmes
Ces résultats sont cohérents avec les études qui de prévention de cibler les attitudes à l’égard de la
ont montré que les conséquences sont plus graves, violence dans les fréquentations (p.ex., Kervin &
et plus fréquentes, chez les adolescents qui vivent Obinna, 2010; Wekerle & Wolfe, 1999). En plus
de la violence mutuelle (Gray & Foshee, 1997; des attitudes, les résultats font également ressortir
Swahn et al., 2010; Whitaker et al., 2007). La la pertinence d’évaluer plus en détail la
violence mutuelle aurait ainsi plus de chance d’être consommation de drogues chez les jeunes. En
qualifiée de « sévère » en raison de l’implication effet, bien que la différence entre les groupes soit
des deux membres du couple dans l’escalade des marginale, les adolescents du profil Violence
conflits, ce qui, en retour, augmenterait la mutuelle semblent rapporter une plus grande
probabilité d’être blessés lors d'incidents de consommation de drogues illicites autres que le
violence (Whitaker et al., 2007). Il est important de cannabis.
noter que presque la totalité des adolescents de
notre échantillon victimes de violence physique ou Cette étude comporte plusieurs forces.
sexuelle se retrouvent dans le profil Violence Notamment, elle confirme l’importance de
mutuelle. Il est possible qu’une part de la violence poursuivre les recherches sur la violence dans les
infligée de ce groupe soit en fait un moyen de relations amoureuses des adolescents, une
représailles ou d’autodéfense face à un épisode de population trop longtemps négligée dans les
violence ou une menace d’agression. Afin de analyses typologiques. Certaines limites de l'étude
clarifier les enjeux impliqués dans les patrons doivent toutefois être mentionnées. D’abord, étant
d’interactions des jeunes couples qui vivent de la donné la structure du questionnaire et la taille de
violence mutuelle, les recherches futures devraient l’échantillon, les variables de chronicité et de
examiner les circonstances, les motifs ou raisons fréquence des actes de violence n’ont pas été
qu’ont les adolescents de recourir à la violence prises en compte dans les analyses. Tel que
dans leurs fréquentations amoureuses. démontré par les typologies existantes permettant
de décrire les profils d’hommes violents (p.ex.,
En termes de caractéristiques individuelles Johnson, 1995; Holtzworth-Munroe & Stuart, 1994),
des adolescents, nous avons examiné les il est possible que de considérer la sévérité des
différences entre les profils en fonction du genre, gestes de violence permettrait de distinguer
du niveau scolaire et des attitudes face à la davantage les profils. Il serait également
violence dans les relations amoureuses. Les intéressant d’explorer les différentes motivations
résultats révèlent qu’il n’y a pas de différence liée liées à la violence en contexte amoureux et de
au sexe. Ce résultat concorde avec les données répliquer cette analyse typologique en tenant
antérieures et suggère que dans le contexte des compte de ces motivations à infliger la violence
premières relations amoureuses, tant les filles que (p.ex., colère, vengeance, autodéfense, etc.). En
les garçons peuvent perpétrer des actes de effet, les variables contextuelles entourant les
violence (Gray & Foshee, 1997; Langhinrichsen- incidents de violence, tels que les motivations,
Rohling et al., 2012; Swahn et al., 2010). Il est seraient d’importants facteurs à considérer afin de
possible qu’une analyse typologique effectuée bien comprendre les manifestations de violence
séparément pour les deux sexes et incluant dans les relations amoureuses (Capaldi & Kim,
d’autres variables, telles que le contexte des 2007).
gestes de violence, ait mené à des résultats
différents. Les résultats de cette étude annoncent Ensuite, une autre limite concerne
également l’importance de prendre en l'utilisation de questionnaires autorapportés. Bien
considération le niveau scolaire dans les que ce type d’instruments soit couramment utilisé
recherches futures. En effet, les différences dans la recherche, il est important de souligner qu’il
marginales observées entre les groupes suggèrent est sujet à certains biais, tels que les biais de
qu’un échantillon plus vaste aurait permis rappel ou de désirabilité sociale, qui peuvent
d’identifier des différences significatives. influencer les réponses des adolescents et la
Les attitudes à l’égard de l’acceptation de validité des résultats. Pour cette raison, et afin de
la violence dans les relations amoureuses favoriser une fiabilité des informations, tous les
contribuent également à distinguer les profils Peu questionnaires de cette étude étaient composés de
de violence et Violence mutuelle. De fait, les questions spécifiques et complétés de manière
adolescents du profil Violence mutuelle anonyme. En outre, les recherches futures
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Journal International De Victimologie 11(2)
Paradis et al.
Tableau 1
Résultats de la classification automatique de SPSS
1 883,080
Tableau 2
Fréquence de violence dans les fréquentations par profils
Profil 2
Profil 1 Profil 3 Profil 4
Violence
Peu de psychologique Violence Violence
Tous violence mutuelle infligée mutuelle
Violence
psychologique
Violence physique
Violence sexuelle
Tableau 3
Statistiques descriptives des quatre profils de violence
Violence
psychologi
Peu de que Violence Violence
violence mutuelle infligée mutuelle 2
Χ /F dl p
n (%) n (%) n (%) n (%)
Sexe
Niveau scolaire
Autre 2 (5,1)
Toujours en couple
Consommation
d’alcool
Consommation de
cannabis
Consommation
d’autres drogues
Blessures suite à
une chicane
Chaque lettre en indice indique un sous-ensemble de profils dont les proportions ne diffèrent pas de
manière significative les unes des autres au niveau ,05.
Figure 1. Niveau de détresse psychologique et d’acceptation de la violence en fonction des quatre profils de
violence dans les fréquentations.
*p < .05
Médecins généralistes et violences conjugales en France
1
Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon
2
Laboratoire EAM 4128, Faculté de Médecine de Lyon
Résumé
Cette étude explore les représentations des médecins généralistes concernant les violences conjugales
et leur prise en charge médico-légale. Nous cherchons à savoir si le contexte conjugal des violences est
considéré comme aggravant par les médecins. Une étude qualitative avec entretiens individuels auprès de
médecins généralistes a été menée. Il en ressort que ces violences sont toujours représentées comme un
dysfonctionnement dans le couple. Le fait que le contexte conjugal soit caractère aggravant dans la loi française
n’est pas connue des médecins de l’étude et seule la moitié d’entre eux l’estime aggravant. Une meilleure
connaissance du mécanisme des violences, de la loi, de la détermination de l’Incapacité Totale de Travail et de
la nécessité de prendre en compte les répercussions psychologiques dans cette détermination permettrait une
meilleure prise en charge de ces violences.
Mots-clés : Données qualitatives, Médecins généralistes, Médecine légale, Vécu subjectif, Victimes, Violences
conjugales
Abstract
This study explores the perceptions of family physicians regarding domestic violence and the medico-legal
care provided. The aim of this article is determine whether the marital context of violence is considered more
negatively than other types of violence by doctors. A qualitative study with individual interviews with family
physicians was conducted. It appears that such violence is always perceived as a malfunction in the couple.
Generally, physicians appear to be unaware that French law considers the marital context of violence to be an
aggravating factor, and only half of them perceive it as such. Better understanding of the mechanisms of
violence, the law, the determination of total incapacity for work and the need to take into account the
psychological aspect in this determination would lead to more efficient treatment of cases of domestic violence.
Key-Words: Qualitative Data; General practitioners; Forensic Medicine; Subjective feeling; Victims; Spouse
abuse.
Les violences conjugales sont largement répandues dans le monde et constituent un enjeu majeur de
santé publique. L’Organisation Mondiale de la Santé parle de « violences entre partenaires intimes » et les
définit comme « tout comportement au sein d’une relation intime qui cause un préjudice ou des souffrances
physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes qui sont parties à cette relation »(« OMS | Rapport
mondial sur la violence et la santé », s. d.).
Le triste constat d’une femme française sur 10 victime de violences conjugales est maintenant bien
connu (Jaspard, s. d.). Ces violences peuvent également toucher les hommes, mais alors que la plupart des
agressions subies par ces derniers ont lieu en dehors du contexte familial, le domicile est le lieu où se produit la
majorité des agressions sur les femmes (Daligand & Gonin, 1993; Garcia-Moreno, Heise, Jansen, Ellsberg, &
Watts, 2005; Organisation mondiale de la santé & Département Genre et santé de la femme, 2005). Au fil du
temps, les lois françaises ont évolué afin de mieux protéger ces dernières, notamment à l’intérieur même de leur
maison.
Depuis 1997, le contexte conjugal est une circonstance aggravante des violences dans le Code Pénal
Français. Néanmoins, certaines études (Cador, 2005) ont montré que les violences conjugales ont tendance à
être sanctionnées moins sévèrement que les violences de droit commun. Les représentations des magistrats
semblaient être en cause, ces violences leur paraissaient comme résultant d’un dysfonctionnement du couple
comportant une part de responsabilité des deux partenaires.
Au niveau mondial, les victimes de violences conjugales consultent leur médecin plus fréquemment que
la population générale (« OMS | Rapport mondial sur la violence et la santé », s. d.). On sait que ces violences
sont malgré tout insuffisamment dépistées par les médecins (François, Moutel, Plu, Fauriel, & Hervé, 2004). En
France, 24% des victimes se confient en premier lieu à un médecin contre 13% à la police ou à la gendarmerie
(Jaspard, s. d.). Des études auprès des professionnels de santé ont pu montrer leurs réticences à poser des
questions intrusives (François et al., 2004; Henrion, s. d.) alors que celles chez les victimes démontraient leur
acceptation voire leur attente de ces questions (Nicolaidis, 2002).
Les médecins sont confrontés à ces violences notamment dans le cadre de la rédaction de Certificats de
Coups et Blessures (CCB). En France, il leur est demandé de déterminer une durée d’Incapacité Totale de
Travail (ITT) exprimée en nombre de jours, critère juridique permettant d’évaluer la gravité des violences
(Manaouil, Pereira, Gigon, & Jardé, 2011). Elle correspond à la durée pendant laquelle une victime de violences
ne peut réaliser normalement les actes de la vie courante (manger, dormir, se laver, s’habiller, faire ses courses,
se déplacer, se rendre au travail) (« Certificat médical initial concernant une personne victime de violences -
Argumentaire.pdf », s. d.; Manaouil et al., 2011). Elle peut être déterminée par tout médecin et permet au
magistrat d’évaluer la gravité des violences exercées sur la victime (Chariot et al., 2013; Doriat, Peton,
Coudane, Py, & Fourment, 2004). Elle est un élément majeur qui est pris en compte lors de leur décision de
sanctions des agresseurs (Cador, 2005). Cette quantification numérique des conséquences des violences
semble être une particularité française. Les autres pays d’Europe notamment ne se servent pas d’un indicateur
équivalent (Gignon, Paupière, Jardè, & Manaouil, 2010).
Quelles sont les représentations des médecins concernant ces violences ? Le contexte conjugal leur
semble-il en être un facteur aggravant ou au contraire minimisant ? Ce contexte peut-il influer sur la rédaction
des Certificats de Coups et Blessures et la détermination de l’ITT ?
C’est pour répondre à ces questions que nous avons décidé de réaliser une étude qualitative auprès de
médecins généralistes. Notre hypothèse est que les violences conjugales sont parfois minimisées par les
médecins du fait de notion de dysfonctionnement du couple et de responsabilité partagée. Nous pensons que
ces représentations peuvent induire la détermination d’une ITT moins sévère que dans des cas de violences de
droit commun.
Méthodologie
Participants
Nous avons interrogé 20 médecins généralistes exerçant en cabinet libéral. Leurs caractéristiques sont
décrites dans le Tableau 1 : Caractéristiques des médecins interrogés. Notre population comportait 10 hommes
et 10 femmes, d’âge (32 à 66 ans), de milieux d’exercice et d’expériences professionnelles de violences
conjugales variés.
Le critère d’inclusion était le fait d’exercer la médecine générale. Les critères d’exclusions étaient les médecins
généralistes ayant une pratique hospitalière seule et les médecins non installés.
Le hasard n’étant pas utile dans les études qualitatives (Olivier de Sardan, 2008), nous avons contacté par
téléphone des médecins sur recommandations de confrères. Ceci a facilité l’acceptation de l’entretien même
lorsqu’ils avaient peu d’expérience dans le domaine étudié. 15 médecins ont refusé de répondre aux entretiens
par manque de temps ou par absence de cas de violences conjugales dans leurs expériences professionnelles.
Nous avons choisi la méthode qualitative selon la théorie ancrée car elle nous semblait la plus adaptée
à l’étude des représentations des médecins.
Les entretiens individuels semi-dirigés ont été réalisés par une enquêtrice, interne en médecine générale et
novice dans la réalisation des entretiens. Ceux-ci ont eu lieu de juillet à décembre 2013 et ont été enregistrés
sur un dictaphone. Des éléments de langage non verbal étaient notés par l’enquêtrice pendant l’entretien. Les
entretiens duraient en moyenne 30 minutes et ont été retranscrits intégralement.
Le canevas d’entretien a été réalisé lors d’une formation portant sur la méthode qualitative et a été testé
sur un médecin. L’entretien commençait par une question très ouverte : « Pouvez-vous me raconter une
situation de violences conjugales que vous avez rencontré au cabinet de médecine générale ? ». Cette question
permettait souvent d’aborder de nombreux thèmes.
Par la suite, les grands thèmes évoqués étaient les représentations des médecins, la prise en charge
médico-légale de ces violences avec la rédaction des CCB et la détermination de l’ITT et la gravité ressentie et
légale des violences conjugales.
Procédure d’analyse
Les retranscriptions sont analysées selon une procédure de plusieurs lectures. Les données complexes
sont réduites en codes empiriques. Leur analyse permet l’émergence d’« unités de significations » ou de
« thèmes » qu’on pourra ensuite diviser ou fusionner et hiérarchiser. La construction d’arbres thématiques
permet le regroupement et une meilleure vision d’ensemble des thèmes abordés (Paillé & Mucchielli, 2012). Le
codage de l’ensemble des entretiens a été réalisé par l’enquêtrice avec un double codage pour la moitié des
entretiens.
Comité d’Ethique
Les avis du Comité d’éthique de Lyon (décision du 3 Septembre 2013) et de la Commission National
Informatique et Liberté (CNIL, déclaration 1675291 du 10 Octobre 2013) ont été favorables. Les participants ont
été informés à l’écrit et à l’oral de l’enregistrement et de l’anonymisation des entretiens. Ils ont signé un
formulaire de consentement de participation à cette étude spécifiant la possibilité de retirer ce consentement à
tout moment.
L’étude est en accord avec les articles L 1121-1 et suivants du Code de la Santé Publique, ainsi que les
articles R 4127-1 et suivants du même code.
Résultats
Les violences physiques ont été évoquées par tous les médecins. Les médecins estimaient avoir affaire
aux cas de violences physiques « peu graves », les cas graves étant en général vus aux urgences.
Les violences psychologiques été évoquées par tous les médecins. Certains d’entre eux ont estimé ces
violences plus difficiles à supporter par les victimes que les violences physiques.
Les violences sexuelles sont peu abordées en consultation à la fois par les patientes et par les praticiens. La
barrière entre la normalité et l’anormalité est parfois difficile pour les victimes comme pour les médecins. La
notion de viol dans le couple est parfois nouvelle ou peu intégrée dans l’esprit du médecin. Dr K : je pense que
les violences morales c’est plus…plus traumatisant que les violences physiques (…) ça fait beaucoup plus de
mal parce que ça reste… Dr S : on a l'impression que la patiente elle-même ne met pas bien les limites entre ce
qui est normal et ce qui est anormal (…) Et puis, même en tant que médecin, c'est difficile de mettre une limite.
Il est décrit une violence insidieuse, dont la victime ne se rend pas compte initialement. Elle est
permanente avec des moments d’accalmie qui permettent à l’agresseur de garder un lien avec sa victime. Les
médecins évoquent des mécanismes d’isolement, de manipulation ainsi que le pouvoir et la tyrannie de la part
du conjoint violent. La culpabilisation de la victime est un élément qui ressort fréquemment. Dr R : elle ne se
reconnaissait plus, elle n’avait plus aucune liberté, elle ne pouvait plus penser, elle… enfin y’avait un truc très
violent, de jalousie, d’aliénation.
Dr Q : beaucoup s’auto-culpabilisent (…)c’est elles qui sont responsables, c’est elles qui ont provoqué, c’est
parce qu’elles sont pas assez efficaces, parce qu’elle donnent pas assez de plaisir …
Certains termes employés dans les discours des médecins pour parler de ces violences semblent plutôt
correspondre à des conflits entre conjoints. La notion de dysfonctionnement dans le couple a été évoquée
plusieurs fois. Dr C : Des disputes, des mauvaises ententes disons…
Pour les médecins interviewés, la victime est en général une femme. Ils évoquent des violences
universelles non spécifiques de populations particulières. Néanmoins, ils sont surpris lorsqu’il s’agit de victimes
bien insérées socialement ou d’un bon niveau socio-économique. Ils décrivent une vulnérabilité de certaines
femmes, pouvant favoriser ces violences : soit lors d’antécédents de violences dans l’enfance, soit du fait d’une
« faiblesse » de caractère. Dr R : un profil de victime, des femmes qui savent pas dire non (…) je sens des
fragilités chez elles qui peuvent favoriser ça (…)
Des situations sont évoqués par certains et décriés par d’autres : le faible niveau d’éducation des
femmes, les problèmes psychiatriques. Les femmes immigrées sont considérées plus à risque surtout du fait
d’une vision de la femme machiste dans ces populations. L’isolement, l’éducation des femmes et la vision de la
femme dans la société en général ont aussi été évoquées comme favorisant ces violences.
Les conjoints violents étaient représentés selon plusieurs profils : les hommes autoritaires, les machos,
les pervers narcissiques. Le ressenti négatif du médecin face à ces conjoints était exprimé par ces adjectifs :
sale type, pervers, terrible, horrible, méchant. Les médecins évoquent fréquemment leur surprise d’apprendre le
caractère violent de certains conjoints leur paraissant sympathique ou inoffensif. Les facteurs favorisants ces
violences qui ont été évoqués sont l’alcool, l’éducation des garçons et les hommes connus pour leur violence.
Pour la plupart des médecins, le certificat est rédigé de façon systématique devant des lésions
physiques. Ils n’ont pas de difficulté à le rédiger sauf lorsque les lésions visibles sont discrètes. Les violences
psychologiques et leurs séquelles sont difficiles à décrire sans se montrer subjectifs. Certains évoquent le fait de
« grossir les symptômes » afin de leur donner plus de poids.
Malgré le peu de plaintes déposées à la suite de la rédaction de leurs certificats, les médecins
interrogés ont néanmoins admis leur utilité comme reconnaissance des violences subies. Dr D : l’utilité
essentielle elle est vis-à-vis des femmes(…) : « oui vous êtes reconnue en tant que femme victime ».
Des dangers liés aux certificats sont souvent mentionnés : le risque de manipulation du médecin avec
une utilisation à des fins malhonnêtes et le risque de mettre en danger la victime si l’agresseur trouve le
certificat.
La majorité des médecins interrogés évoquent des difficultés importantes dans la détermination de l’ITT
qui est décrite comme « nébuleuse », « floue », « subjective »… Plusieurs définitions de cette notion sont
données : une incapacité à réaliser les actes de la vie courante, une incapacité totale à réaliser n’importe quelle
activité personnelle ou travail professionnel, une incapacité à aller travailler professionnellement. Certains
déterminaient l’ITT en fonction des retombées judiciaires attendues.
Les durées déterminées par les médecins interrogés sont assez courtes. Peu de certificats atteignent
les 8 jours d’ITT. Les ITT de plus de 8 jours sont associées à des violences graves dans l’esprit des praticiens
interrogés (Tableau 2).
Les implications de cette durée sont mal connues. Seuls deux médecins savent que les violences conjugales
constituent un délit quel que soit l’ITT retenue. Dr I : zéro c’est rare, on essaie toujours de mettre un jour et 5-6
dans le pire des cas… Dr R : je sais qu’à partir de 8 jours… je sais pas exactement ce qu’il se passe enfin…
Pour les médecins de notre étude, une des difficultés essentielles de la détermination de l’ITT est
d’objectiver les séquelles psychologiques de ces violences. La prise en compte des signes physiques seuls
donnera parfois des durées d’ITT très courtes. Pour certains la prise en compte de l’aspect psychologique des
violences est systématique. Pour d’autres, l’aspect psychologique ne fait pas partie de la définition de l’ITT. Dr
J : Ce qui est difficile c’est tout ce qui est psycho, choc psychologique, syndrome de stress etc… ça je sais pas
fixer l’ITT.
Pour certains médecins, leur ressenti est le même quelque soit les violences, qui leurs semblent toutes
intolérables. Pour d’autres, le ressenti est différent avec notamment plus de compassion face aux victimes de
violences conjugales. La permanence de ces violences et la proximité de l’agresseur sont des caractéristiques
qui semblent être des facteurs aggravants de ces violences aux yeux des médecins. Dr J : c’est plus difficile
parce que… y’a toujours cette peur du danger imminent (…) parce qu’on sait qu’ils vivent avec leur agresseur.
Pour d’autres, le fait que la victime « accepte ces violences » est un facteur diminuant leur gravité. Dr
O : la violence conjugale elle existe mais souvent les protagonistes acceptent ce système, il faut le reconnaître
ils l’acceptent !
Deux médecins ont évoqués une modification du cadre légal lors du contexte conjugal des violences.
Les autres ne connaissaient pas la loi. Certains estimaient que le contexte conjugal devrait être un facteur
aggravant, pour d’autres l’auteur de l’agression ne joue pas dans la prise en charge judiciaire. Dr S : je sais
quand même que les violences entre conjoints, c'est quand même une circonstance aggravante pour (…)
l'auteur des violences hein. Dr A : j’en sais rien, dans mon idée ça devrait être plus grave pour les violences
conjugales.
Les violences conjugales leur semblent moins faciles à prouver et à faire prendre en charge
juridiquement du fait de leur caractère privé, de la difficulté de porter plainte contre un proche et de faibles
retombées judiciaires. Pour les médecins, il est indispensable que des sanctions soient appliquées, au minimum
une convocation auprès des services de police.
Impact des représentations des violences conjugales dans la prise en charge médico-légale
Le fait d’exprimer un ressenti intense face aux violences conjugales ou de considérer le contexte
conjugal comme aggravant n’était pas forcément lié à une durée importante d’ITT. Ceci est décrit dans le
tableau 2 : durées d’ITT moyennes déclarées par les médecins et avis concernant le caractère aggravant du
contexte conjugal des violences. En général, même les médecins estimant que ces violences étaient
intolérables déterminaient une ITT inférieure à ce qu’ils pensaient être la limite déterminée par la loi pour être
déféré devant le tribunal correctionnel.
Discussion
Il existe, comme dans toute étude qualitative, un biais de désirabilité. L’interviewé est tenté de montrer
une certaine image de lui-même à l’enquêteur.
On peut également craindre un biais d’intervention lié à l’enquêteur qui peut faire modifier les réponses
en fonction de ses réactions. Un biais de sélection ou d’échantillonnage peut être retrouvé car les médecins
ayant accepté de répondre peuvent être particulièrement intéressés par le sujet des violences conjugales. Il
existe un biais de non-réponse car les personnes ayant refusé de répondre à l’enquête auraient pu apporter des
réponses différentes de ceux ayant accepté.
Les biais d’évaluation ont pu être limités grâce à un double codage de la moitié des entretiens.
Même si les médecins interrogés sont conscients de l’universalité des violences conjugales, il leur est
difficile de les rechercher chez les femmes bien insérées socialement. Les études montrent que les médecins
libéraux s’identifient souvent aux patients ayant un statut social ou un mode de vie équivalent au leur (Henrion,
s. d.; Jaffee, 2005). Ils peuvent alors se protéger de ces violences en pensant qu’elles ne peuvent toucher des
patients auxquels ils s’identifient. Si certaines études montrent que les femmes issues de l’immigration sont
particulièrement touchées par ces violences (Jaspard, 2011), il a été prouvé que les diplômes des femmes ne
sont pas protecteurs (2). L’enquête « VIolence et RApports de GEnre (VIRAGE) » est en préparation en France
et devrait être réalisée en 2015. Elle étudiera le contexte et les conséquences des violences subies par les
femmes mais aussi par les hommes. Elle devrait apporter un complément d’information et une actualisation des
statistiques par rapport à l’étude ENVEFF (« La lettre de l’Observatoire des violences faites aux femmes - n°1 -
nov 2013 », s. d.).
Les médecins interrogés expriment une grande compassion face à ces victimes mais des notions de
vulnérabilité voire de complaisance dans la violence apparaissent dans certains discours. Cette image
vulnérable est expliquée par le Docteur Hirigoyen comme une résultante du statut de la femme dans la société
qui, malgré les évolutions sociales importantes, continue à donner une image de l’homme « actif et dominant »
et de la femme « passive et soumise » (Hirigoyen, 2006). L’évocation de l’acceptation de ces violences introduit
l’idée de « masochisme » de la femme victime. Des auteurs mettent en garde contre leur culpabilisation et
dénoncent la suspicion qui les entoure (Audet & Katz, 2006). De plus, des études montrent que les victimes ne
sont pas passives mais au contraire mettent en place des stratégies actives d’évitement des conflits et de
protection, notamment de leurs enfants (« OMS | Rapport mondial sur la violence et la santé », s. d.).
Notre étude retrouve, à l’instar de la littérature, le profil des conjoints violents qui présentent un
machisme important (Jaspard, 2011) ou un caractère autoritaire (Henrion, s. d.). La jalousie a également été
évoquée dans les entretiens comme favorisant ces violences. Cet élément de personnalité est décrit comme
constant chez l’homme violent (Daligand, 2006).
Le mécanisme d’emprise est connu par certains médecins de notre étude. Sans cette notion, il est
impossible de comprendre la longueur du processus psychologique permettant de s’y soustraire. Dans la
littérature, il est décrit une séduction très active avec des évènements se déroulant très rapidement (vie
commune, mariage), la jalousie de l’agresseur se fait de plus en plus intense avec un isolement et un contrôle
total de la victime (Daligand, 2006). Celle-ci se retrouve emprisonnée psychologiquement par la peur et la honte.
Plusieurs médecins ont décrit les violences psychologiques comme plus difficiles à vivre et à supporter
que les violences physiques. Ils l’expliquent par le caractère permanent de ces violences, leur capacité à rester
gravées et à exercer une destruction profonde de la victime. Ces constatations ont été retrouvées dans les
déclarations des victimes et dans la littérature (Daligand & Gonin, 1993; Hirigoyen, 2006; « OMS | Rapport
mondial sur la violence et la santé », s. d.). Les blessures prises en charge au cabinet sont souvent légères et
les violences physiques peuvent donc être sous-estimées. C’est leur contexte et leur répétition qui en font la
gravité (François et al., 2004).
Les violences sexuelles sont peu recherchées par les médecins de notre étude. La notion de devoir
conjugal reste souvent présente dans les esprits, tant chez les médecins que chez les patientes (« OMS |
Rapport mondial sur la violence et la santé », s. d.), et il leur est difficile de placer la limite du normal et de
l’anormal dans la sexualité du couple. Dans les études mondiales, le fait de refuser d’avoir des rapports sexuels
avec son mari est une des raisons que les femmes avancent le plus souvent comme une des conséquences de
violences de celui-ci (« OMS | Rapport mondial sur la violence et la santé », s. d.; Organisation mondiale de la
santé & Département Genre et santé de la femme, 2005).
Il est difficile pour les médecins interrogés d’aborder ce sujet avec leurs patients. Les freins qu’ils
expriment sont ceux retrouvés dans les études antérieures (François et al., 2004; Tower, 2006) : le sentiment
d’incompétence et d’être démuni face à ces violences, la peur d’être intrusif, le manque de temps. En France,
60% des médecins généralistes se considèrent insuffisamment formés (« Quatrième plan interministériel de
prévention et de lutte contre les Violences Faites aux Femmes », s. d.). Des études montrent que le fait d’avoir
reçu une formation spécifique sur ces violences permet leur meilleur dépistage par les médecins (François et al.,
2004; Jaffee, 2005; Lo Fo Wong, Wester, Mol, & Lagro-Janssen, 2006; Ramsay et al., 2012).
Si les praticiens interrogés déplorent le peu de plaintes déposées après la rédaction des certificats de
coups et blessures, ils leur semblent utiles pour permettre la reconnaissance de l’anormalité de la situation de la
victime. Effectivement, ils permettent de reconnaître une réalité à ces violences et de rompre le silence
(François et al., 2004).
La détermination de l’ITT est difficile pour les médecins qui ne connaissent pas bien sa signification.
Ceci confirme les résultats d’études antérieures qui montrent que seuls 37% des médecins généralistes
connaissent la signification exacte de ce sigle (Barrios et al., 2014).
Le terme « Totale » du sigle est source de confusion. Il n’est pas nécessaire que la victime ne puisse plus
réaliser aucune activité physique pour déterminer une ITT. C’est une « gêne notable » dans la réalisation des
actes de la vie courante et non pas une incapacité absolue (Manaouil et al., 2011). De même, le terme
« Travail » du sigle ne fait pas référence au sens professionnel du terme mais aux activités de la vie courante.
La conférence de consensus de la Haute Autorité de Santé précise bien que cette durée ne doit pas tenir
Journal International De Victimologie 12(1) 46
Médecins généralistes et violences conjugales en France
Cette détermination est d’autant plus difficile devant des violences avec peu de lésions physiques. Peu
de médecins interrogés prenaient en compte les conséquences psychologiques des violences dans cette durée.
Dans les différents services de médecine légale, leur prise en compte est encore inhomogène (Chariot et al.,
2013). Celles-ci, ainsi que les violences psychologiques qui sont maintenant reconnues comme étant un délit
(Art.L.222-33-2-1 du Code Pénal) , doivent être prises en compte dans la détermination de l’ITT (Abondo,
Bouvet, & Le Gueut, 2012; Chariot et al., 2013).
Dans le cadre des violences conjugales, la durée de l’ITT pourrait avoir moins d’importance du fait du
contexte aggravant de ces violences au niveau juridique. En effet, quelle que soit l’ITT, le dossier est jugé
systématiquement devant le Tribunal Correctionnel et constitue un délit selon les articles 222.7 à 222.13 du
Code Pénal (« Code pénal | Legifrance », s. d.). Seuls deux médecins de notre étude connaissent cette
particularité. Cependant l’ITT continue de jouer un rôle important au niveau juridique et les peines encourues
sont différentes selon les durées déterminées, aussi bien pour les violences physiques que pour le harcèlement
moral au sein du couple (Manaouil et al., 2011) . Dans les études auprès de magistrats, ceux-ci évoquent l’ITT
comme critère entrant systématiquement en compte dans leurs décisions judiciaires face à des violences
conjugales (Cador, 2005).
Dans notre étude, le fait de considérer le contexte conjugal comme aggravant n’est pas forcément lié à
une augmentation de la durée de l’ITT par les médecins. Il ressort de leurs discours qu’ils déterminent une ITT
de moins de 8 jours pour les violences qu’ils estiment peu sévères et de plus de 8 jours pour les violences
estimées « graves ». Or la majorité d’entre eux déclarent déterminer des ITT de moins de 8 jours dans le cadre
des violences conjugales sans connaître le facteur aggravant aux yeux de la loi.
On peut trouver plusieurs explications à cette inadéquation entre le discours des médecins et leurs
actions :
• soit le discours des médecins est faussé par un biais de désirabilité et le contexte conjugal des violences ne
leur semble pas aggravant contrairement à ce qu’ils déclarent. Ainsi, le conjoint violent ne « mérite pas » d’être
sanctionné comme pour un délit si les violences physiques ne sont pas sévères.
• soit les médecins craignent une absence de prise en compte de leurs certificats si les forces de l’ordre
estiment que l’ITT déterminée est trop importante au regard du peu de lésions physiques visibles,
• soit l’absence de prise en compte de l’aspect psychologique des violences limite les médecins dans la durée
d’ITT déterminée.
Conclusion
La particularité de notre étude est de s’intéresser à l’évaluation médico-légale de ces violences par les
médecins. Comme dans la littérature, on observait une méconnaissance de la définition de l’ITT, de ses
retombées pénales (Barrios et al., 2014) et de la nécessité d’inclure les conséquences psychologiques des
violences dans sa détermination (François et al., 2004). On notait une contradiction entre des violences jugées
sévères et des déterminations d’ITT de faible durée. Des études récentes montraient que l’évaluation de ce
critère restait subjective et hétérogène entre les différents praticiens, experts ou non (Chariot et al., 2013).
Une meilleure connaissance du mécanisme des violences, de la loi, de la détermination de l’Incapacité
Totale de Travail et de la nécessité de prendre en compte les séquelles psychologiques dans cette
détermination permettrait une meilleure prise en charge de ces violences.
Auteures
pratique dans ce secteur demeure fermée d’hébergement offrent aux femmes une
aux analyses féministes relatives à la protection contre la violence, l’intimidation et
maternité. La dernière partie de l’article l’utilisation de la force ou de la menace pour
présentera certaines des conséquences de les obliger à retourner auprès de leur
l’invisibilité des femmes dans leur rôle de conjoint violent. La dimension de soutien par
mères lorsqu’elles séjournent en maisons les pairs au sein des maisons d’aide et
d’aide et d’hébergement. d’hébergement – où les femmes hébergées
(et certains membres du personnel) ont subi
Pratique féministe pour contrer la des traitements semblables – est perçue
violence : Intervention dans les maisons comme un moyen de briser le silence et le
d’aide et d’hébergement secret qui caractérisent souvent les
expériences de violence, de témoigner de
Depuis 30 ans, l’attention de la l’approbation aux femmes et de les
population et des spécialistes envers le encourager à situer leur expérience
problème complexe de la violence des personnelle dans un contexte sociopolitique
hommes envers les femmes et les enfants a plus vaste. Comme l’indique Gilman (1988),
connu une augmentation sans précédent. les maisons d’aide et d’hébergement ne
Grâce aux efforts de militantes féministes, transforment pas les femmes, mais elles
ce problème autrefois privé est devenu un planifient pour elles le voyage qui
problème d’intérêt public. Reconnaissant transformera leur vie :
l’omniprésence du problème de la
vulnérabilité des femmes par rapport à la Il s’agit peut-être de la première fois
violence employée par les hommes, les dans la vie conjugale de la femme
militantes ont décidé d’agir. Leurs efforts victime de violence qu’elle est
visaient à sensibiliser la population à ce séparée de son conjoint. Elle est
problème, à mettre en place des maisons protégée contre les influences
d’aide et d’hébergement, à faire valoir le extérieures et elle a droit à un
caractère inacceptable et criminel du moment précieux pendant lequel
problème, à élaborer du matériel elle se sent en sécurité. La distance
d’enseignement et de formation, à concevoir physique et psychologique entre elle
des programmes pour les enfants exposés à et son agresseur est assez grande
la violence, les victimes et les hommes pour lui permettre de réfléchir à sa
ayant des comportements violents, à situation et à son avenir, et de jouir
améliorer la réceptivité des services d’une perspective plus équilibrée
sociaux, des services médicaux et de la (Gilman, 1988).
justice pénale, et à favoriser l’application de
la loi (Dobash & Dobash, 1987; MacLeod, L’apport d’une maison d’aide et
1987). À l’avant-plan de ce réseau d’hébergement, selon une perspective
d’intervention se situent les maisons d’aide féministe, est nécessaire pour affronter et
et d’hébergement pour femmes victimes de régler le cycle de la violence, et en atténuer
violence et leurs enfants. À la fin des ses effets sur les femmes. La
années 80, il y avait plus de 265 maisons conceptualisation de la violence en tant que
d’aide et d’hébergement au Canada et plus cycle est courante dans la pratique féministe
de 1500 aux États-Unis (Gilman, 1988; car elle explique de quelle façon la violence
Johnson, Crowley & Sigler, 1992). est vécue et subie. En bref, le cycle
comprend une phase de montée de la
En tant que principales ressources tension, l’épisode de violence au cours
pour les femmes, les maisons d’aide et duquel l’homme ayant des comportements
d’hébergement procurent aux femmes violents nie ou justifie ses actions, suivi de la
victimes de violence une sécurité immédiate période de lune de miel, caractérisée par
et temporaire, un service d’orientation ainsi l’expression de remords de la part de
qu’un environnement propice au l’agresseur, l’imploration du pardon ou la
développement d’un sens de l’autonomie et promesse de réprimer tout comportement
de l’indépendance. Selon Margolin et violent dans l’avenir (Walker, 1979). Au
Burman (1993), comme leur emplacement cours de ces phases du cycle, la femme
n’est pas révélé, les maisons d’aide et peut se sentir craintive, fâchée, triste,
clé du processus visant à devenir une a été validée, elle est arrivée à comprendre
« survivante » qui a réussi à mettre un terme le cycle de la violence et elle a développé
à la violence dans sa vie. son indépendance et son autonomie. « Je
suis mieux sans lui » et « J’aurais dû le
La femme hébergée reçoit le laisser beaucoup plus tôt ». Selon Earline,
message haut et fort qu’elle n’est pas seule les membres du personnel de la maison
dans cette expérience, qu’elle n’en est pas d’aide et d’hébergement :
responsable et qu’elle a le potentiel pour
briser le cycle de la violence : N’essaient pas de nous dénigrer
parce que nous croyons que c’est
Je crois qu’elles [les intervenantes notre faute, elles nous aident à
de la maison d’aide et améliorer notre estime de soi... [Les
d’hébergement] m’ont aidé à arrêter membres du personnel de la maison
de me blâmer, à mettre le problème d’aide et d’hébergement] m’ont
dans un contexte de société en encouragée, m’ont donné le soutien
général... C’était comme si j’étais dont j’avais besoin. J’essayais de
aux soins intensifs (Hilda); mettre de l’ordre dans ma vie... et
elles m’ont appuyée, m’ont aidée à
La violence est la violence, peu me trouver un avocat, un
importe la forme qu’elle prend. Je appartement et à obtenir de l’aide
ne méritais pas cette violence. Je lui sociale. Elles m’ont même donné
ai toujours trouvé des excuses. quelques chaudrons, des rideaux,
J’avais l’habitude de me blâmer, car quelques vêtements [pour ma fille]
je croyais que je lui donnais des et elles m’ont aidée à commencer
raisons d’être violent avec moi ma nouvelle vie.
(Eunice).
Pendant le mois qu’elle a passé à la
Les principes de base de maison d’aide et d’hébergement, Earline est
l’intervention féministe visant à régler les arrivée à comprendre qu’elle n’était pas à
problèmes de violence contre les femmes blâmer et qu’avec du soutien tant sur le plan
sont détaillés dans l’histoire d’Earline. matériel qu’émotionnel, elle pourrait vivre
Ancienne résidente de la maison d’aide et séparée de son conjoint. Comme le
d’hébergement, Earline a subi de la violence mentionne Earline, les intervenantes de la
verbale, physique et financière, a dû endurer maison d’aide et d’hébergement « sont très
des infidélités, ainsi que la destruction de bonnes avec nous et sont d’un grand
ses effets personnels par son conjoint. L’état soutien. Elles nous aident, nous donnent
de la situation s’est détérioré pendant sa des conseils, ce qui est très appréciable car
grossesse. Au départ, elle attribuait ses nous pouvons retomber dans nos vieilles
agissements à l’alcool. Elle était réticente à habitudes. En tant que parent sans conjoint,
dévoiler son comportement pour de vivant seul, vous pouvez facilement sentir
nombreuses raisons : elle avait peur que que vous avez besoin d’un homme et que
personne ne croit ce qu’elle raconterait sur vous devez retourner auprès de votre
leur relation car celle-ci semblait conjoint. Les intervenantes vous donnent
« charmante » vue de l’extérieur, elle se des conseils à ce sujet ». Cette affirmation
disait « c’est ma faute s’il agit ainsi »; et elle présente la notion que toutes les femmes
avait peur qu’il essaie de la tuer si elle le peuvent, et devraient, vivre sans homme
dénonçait à la police. Bien qu’elle ait tenté (violent) dans leur vie, peu importe leur
de le quitter à dix reprises, elle se disait contexte social, y compris leur rôle de mère.
qu’elle « se retrouverait seule » et qu’il
« sera gentil pendant une mois ». Ce n’est Quitter : La meilleure, si ce n’est la seule,
qu’après avoir parlé de la situation à sa solution
travailleuse sociale pendant sa grossesse
qu’elle a commencé à reconnaître qu’elle Au fil des entrevues pour cette
était victime de violence. Lorsqu’elle est recherche, il s’est avéré évident que
arrivée à la maison d’aide et d’hébergement « travailler sur la violence » signifiait
avec son nouveau-né, l’expérience d’Earline travailler à remettre en question la relation,
soirées qui avaient lieu à l’école ». Bien était apparent lorsque des problèmes relatifs
qu’Hilda se sentait « la bienvenue et en et à la maternité et à la culture étaient
sécurité » à la maison d’aide et combinés, mais l’écart était attribué
d’hébergement et qu’elle « aurait voulu seulement à la culture, et non aux tâches
rester plus longtemps », elle est partie « à maternelles. Comme Missy l’a mentionné :
cause des enfants ». Elle a demandé un
mandat de paix, a changé les serrures des Il y avait des problèmes pour le soin
portes et elle est retournée chez elle avec des enfants car ils devaient se
ses quatre enfants. coucher à 20 h 30 pour laisser du
temps pour le groupe de discussion.
Le modèle d’intervention, bien que Cette façon de faire entrait en conflit
ce soit peut-être de façon non intentionnelle, avec leur culture car pour elles, il
semble mieux répondre aux besoins et aux aurait été normal que les enfants
intérêts des femmes sans enfant. L’histoire soient restés avec leur mère sur le
d’Yvette illustre le besoin désespéré d’une divan, même si celles-ci parlaient de
femme d’obtenir de l’assistance pour les problèmes graves. Malgré cela,
tâches relatives à la maternité dans un l’heure de coucher à 20 h 30
contexte où elle a dû échapper à une demeurait imposée. Elles
relation où régnait la violence. Yvette a n’arrivaient pas à comprendre cette
cherché refuge à la maison d’aide et règle. Je crois qu’elles se disaient :
d’hébergement avec un nouveau-né et un « Je vais me conformer mais je ne
bambin. Elle cherchait « quelqu’un pour comprend pas vraiment cette façon
l’aider avec les enfants… Elle avait besoin de faire et pourquoi celle-ci est
d’une pause ». Aux prises avec ses imposée ».
problèmes, elle savait qu’elle devait « rester
forte pour les enfants ». Bien qu’Yvette n’ait Tout au long de leurs réflexions sur
pas fait directement référence aux l’intervention à la maison d’aide et
règlements et attentes de la maison d’aide d’hébergement, les intervenantes ont très
et d’hébergement, il est facile d’imaginer à peu parlé de la maternité comme d’un
quel point ses responsabilités en tant que facteur influençant la façon de répondre à la
mère et leurs conséquences gênaient sa violence. Nous avons relevé une exception
capacité à se conformer aux règlements et à lorsqu’une intervenante a présenté le désir
bénéficier de son séjour. « Vous ne pouvez d’une femme de préserver la relation père-
pas arriver à 13 h parce que les enfants se enfant comme un exemple de pression
couchent à cette heure-là. C’est à ce culturelle :
moment que vous pouvez décrocher et
reprendre la tâche à 16 h ». En tant que Si un biais culturel les poussent à
mère de jeunes enfants, la routine préserver la famille unie, elles diront
quotidienne d’Yvette était dictée par l’horaire souvent : « Si je n’avais pas
de ses enfants. Le seul moment qu’elle avait d’enfant, ce serait beaucoup plus
pour « nourrir son âme » ou « se libérer », facile, mais j’en ai, et il a le droit de
s’il lui restait assez d’énergie pour le faire, les voir. Je ne veux pas que mes
était lorsque les enfants dormaient. Yvette enfants vivent sans leur père, ce
est demeurée quelques jours à la maison n’est pas normal » [elle lève les
d’aide et d’hébergement puis elle est yeux au ciel en signe
retournée chez elle. À l’insu du personnel de d’exaspération] (Bertha).
la maison d’hébergement, elle est
également retournée avec son conjoint. « Si Toutefois, pour certaines mères, les
je n’avais pas eu d’enfants, j’aurais sans besoins des enfants ont influencé leurs
aucun doute fait d’autres choix. J’aurais réflexions et leurs réactions par rapport à
vendu la maison et je crois honnêtement leur situation :
que nous aurions divorcé ».
... particulièrement une femme qui
Le manque de cohésion entre est dépendante financièrement de
l’intervention à la maison d’aide et son conjoint et qui a de jeunes
d’hébergement et les besoins des mères enfants. Ou encore s’ils vivent dans
comme une femme ou une mère, une permettre aux femmes de moins s’inquiéter
victime ou une survivante, mais jamais tous à propos de leurs enfants et ainsi favoriser
ces qualificatifs à la fois. On prend pour les résultats positifs obtenus par les
acquis que ses caractéristiques existent discussions informelles (c.-à-d. sororité dans
séparément et que son identité est la cuisine). De la même façon, un soutien
fragmentée. Cette fragmentation est, bien concret et continu apporté à la routine des
sûr, entièrement contraire à la réalité de la enfants à l’heure du coucher pourrait
vie de toute femme (Grillo, 1995). Les diminuer le stress pour les enfants et leur
notions de femmes qui se guérissent, qui se mère pendant cette période. On pense par
libèrent et qui deviennent des survivantes exemple au bain, au brossage des dents et
apparaissent comme essentialistes et à l’histoire pour s’endormir. Un tel soutien
semblent nier différents aspects complexes, respecterait le principe féministe de
et même parfois concurrents, de la vie des guérison collective dans un environnement
femmes, particulièrement en ce qui a trait à communautaire mais diffèrerait
la maternité. Un modèle d’intervention qui manifestement de la pratique courante.
traite la « femme » comme une catégorie Contrairement à la conception selon laquelle
unique et incontestée est un modèle la maternité est une responsabilité
d’intervention qui, involontairement, oblige la individuelle et privée, innée à toutes les
femme à choisir un aspect particulier de son femmes, le partage des tâches relatives aux
identité, soit la femme victime de violence. Il soins des enfants dans les maisons d’aide
semble plutôt ridicule de s’attendre à ce et d’hébergement pourrait améliorer la
qu’une femme sépare les différents aspects participation générale des femmes au
de son être, pour devenir une femme victime processus de survie, et permettre de
de violence, une mère, une travailleuse, etc. s’attaquer à la question de l’ethnocentricité
Les mots d’Hilda montrent la résistance à la de la maternité individualisée. Si un tel
fragmentation : « Je pourrais très bien vivre soutien n’est pas possible, il faudrait
dans un petit appartement… mais les envisager d’assouplir les règlements de la
enfants eux? » maison d’aide et d’hébergement pour
s’ajuster aux besoins des mères plutôt que
Dans cette étude, l’intervention de demander aux mères et aux enfants de
féministe à la maison d’aide et se conformer à la structure de la maison
d’hébergement est centrée sur d’aide et d’hébergement.
l’émancipation des femmes par rapport à
des situations d’oppression et de violence. Le soutien apporté aux femmes
Bien que cet objectif soit compréhensible et dans leur rôle de mère ne doit pas être
admirable, ne pas modeler l’intervention afin interprété par celles-ci comme une solution
qu’elle réponde aux besoins des femmes mise en place parce que leur conduite
dans leur rôle de mères risque de les maternelle est problématique ou inadéquate
empêcher de mettre un terme à la violence ou comme un moyen pour elles de se
dans leur vie. Cela nous amène à nous dérober de leurs responsabilités
demander quelle place devrait occuper la maternelles. Le blâme envers les mère
maternité si l’intervention féministe était possède une bien trop longue et
repensée à ce sujet. D’un autre point de douloureuse histoire qu’il est difficile de
vue, si la pratique dans les maisons d’aide remettre en question tant dans la théorie
et d’hébergement exigeait de prendre le rôle que la pratique en relation d’aide (Caplan &
de mère au sérieux, quels changements McCorquodale, 1985; Davies & Krane,
devraient être apportés à cette pratique? 1996). Comme la plupart des mères le
Par exemple, si toutes les femmes constatent, s’il y a un problème avec leurs
continuaient à être responsable de la enfants, elles en seront tenues
préparation des repas collectifs, la responsables. « Cela soumet les femmes à
responsabilité de s’occuper des enfants une pression intolérable… Les mères
pourrait être assumée par la maison d’aide agissent donc toujours sous une tension
et d’hébergement et intégrée à sa routine, intense, ce qui peut les rendre anxieuses et
selon la disponibilité du personnel ou des craintives. Les tâches relatives à la
bénévoles. La mise en place d’une aire de maternité deviennent même plus difficiles
jeu supervisée à proximité pourrait qu’elles ne le sont en réalité » (Caplan &
Auteurs
1 Service régional de médecine légale, victimologie et criminologie, CHU de Clermont-Ferrand
(France)
2 Interne en psychologie, Institut Philippe Pinel, Montréal, Québec (Canada)
Résumé
Après rappel des modalités d’une communication violente, nous préciserons les spécificités
relationnelles qui peuvent favoriser ou perpétuer les violences conjugales. En effet, il apparaît
important dans ces cas de préciser non seulement les deux personnalités en jeu, mais aussi les
interactions au sein du couple et avec l’extérieur, y compris les professionnels du réseau
victimologique. La fonction de la violence doit être approfondie, de même que les effets
psychotraumatiques des violences qui peuvent être à l’origine d’une modification des
représentations psychoaffectives et des compétences relationnelles et sociales, faisant obstacle
à la prise en charge proposée. A partir d’exemples, comme la passion amoureuse ou la relation
d’emprise, nous évoquerons comment une analyse systémique des difficultés est à même de
resituer les violences conjugales dans un contexte plus respectueux d’une éthique de la
souffrance.
Mots-clés
un acte, un type d’agir théorique et une décrit ce processus : il y aurait des moments
structure psychopathologique. Qui dit d’agressivité contre l’objet qui feraient
humain, dit complexité et exceptions. Le émerger une culpabilité précoce et
travail clinique nous montre à quel point il envahissante de la peur d’avoir détruit
est difficile de classer typologiquement et l’objet. Cette culpabilité entraîne une
linéairement un sujet selon ses actes et sa réparation. La réparation ne peut s’effectuer
structure, sujet qui répond peu souvent à que dans la reprise de la destruction de
l’hypothèse de l’homme rationnel (Escard, l’autre (Klein, 1952).
2007). Nous proposons simplement
quelques modalités de compréhension des Pour ce qui est de la dimension de
motivations conscientes et inconscientes la rupture, ce qui essentiel c’est le rapport à
des violences intra-conjugales. l’autre. Dans le passage à l’acte, il n’y a plus
d’altérité, il y a un état d’indifférenciation
La communication violente face à autrui. Les souvenirs sont confus,
incomplets ; en effet, il y a un
Nous constatons que des sujets évanouissement dans l’instant, une éclipse
adoptent plus un mode de communication du sujet.
verbale, d’autres optent plus pour un mode
d’expression comportemental ou somatique. L’acting-out, au contraire, par sa
volonté de démonstration, ne suppose pas
Le comportemental et le somatisé sont la disparition de l’autre mais plutôt que
souvent considérés comme des l’autre change de regard sur lui. L’acting-out
fonctionnements régressifs, et normalement, est un appel à l’autre. En effet, la dimension
ils se contentent de prolonger les pensées. du transfert est fondamentale.
Mais à l’état pathologique, ils les remplacent
par la mise en action du comportement et du « Si cette dimension de recherche
corps, et c’est ainsi que nous débouchons relationnelle n’existe pas, nous nous situons
sur le passage à l’acte. Il apparaît alors dans le registre de la solitude, du
cependant important de dépasser une désespoir, de l’évacuation de l’autre et
conception évolutionniste ou aussi, souvent, de la tentative désespérée
psychogénétique du passage à l’acte qui fait de contrôler l’autre à tout prix et qui
de ce dernier une expression de qualité s’accompagne d’un sentiment
mentale « inférieure » aux élaborations d’omnipotence. C’est ce que nous
passant par le discours, l’acte pouvant aussi appellerons à proprement parler le passage
être créateur d’un changement (Douville, à l’acte» (Millaud, 1998).
1999).
La distinction théorique est tout à fait
L’acte criminel est à concevoir à fondamentale, même si la confusion entre
l’intérieur de deux réalités : celle extérieure les deux termes existe depuis longtemps.
déterminée par les interprétations juridiques L’auteur présente le passage à l’acte
et sociales et une réalité intérieure, comme étant le témoin de la rupture de la
intersubjective, intrapsychique et morale. chaîne logique entre la parole et l’action. Il
Ces deux réalités sont en interaction et existe un défaut de mentalisation.
sous-tendent un carrefour entre plusieurs
champs disciplinaires, tel que la justice, la Ceci dit, l’irruption d’un agir ne peut
psychopathologie et la criminologie. être considérée uniquement comme négatif,
il vient nous renseigner avant tout sur une
Être proche du sujet engendre la faille dans le système parole-action. La
peur de celui-ci d’être l’objet d’une intrusion différence en termes de pronostic se fera à
de la part de l’autre. Il y a donc une crainte travers la fréquence d’utilisation de ce
de l’attaque de l’autre. D’autre part, il existe mécanisme, les conséquences de celui-ci
chez ces patients un rapport apparent à dans le réel, et la capacité du sujet à
l’exclusion et à l’abandon. Cela se traduit identifier ce fonctionnement.
par le fait que toute autonomie du tiers sera
perçue comme de l’abandon ou du rejet. Rappelons-nous que la
Face à ces sentiments, le sujet tentera de mentalisation ne se traduit pas
s’approprier celui qui s’en va. Mélanie Klein nécessairement par la manifestation
suicider ou encore les deux. C’est le Nous ne pouvons pas parler des
développement de l’idée criminelle. En effet, violences conjugales, sans souligner la
que se soit dans le cas d’un « crime fréquence de la manipulation mentale
utilitaire » où le criminel prend toutes ses qu’elle soit positive, égocentrique ou
précautions pour ne pas être découvert, ou destructrice. De nombreuses personnes
bien d’un « crime passionnel vrai » où vivent à l’intérieur du couple une relation
l’impulsion instinctive domine, il y a une d’emprise ou de harcèlement sans même le
résistance intérieure à vaincre et l’idée ne se savoir, qui les « vide » de leur énergie
développe que progressivement. progressivement (Petitcollin, 2007). Après
une première phase de séduction, le
L’assentiment « inefficace » au « prédateur » déstabilise petit à petit son
départ est ensuite formulé avec des partenaire par des microviolences morales,
menaces puis la crise survient. Le sujet est l’isole de différentes manières (dépendance
en état de souffrance immérité, et pour lui le financière, intrusions répétées, dénigrement
coupable de cet état ? c’est sa future en public…), jusqu’à un véritable
victime. Mauvais sommeil, mauvaise conditionnement, tel qu’il a été décrit dans
nutrition, relâchement moral, indifférence, les mécanismes sectaires, où la victime
abandon aux circonstances, le sujet réagit soumise arrive à être en manque de son
au moindre choc. C’est au paroxysme de ce bourreau quand il est parti (Hirigoyen,
climat émotionnel intense qu’intervient 2004). La contre-manipulation proposée par
l’acte. « Mais ce processus peut être certains est très difficile d’application par la
rompu, le futur criminel peut opérer un victime qui a souvent une mauvaise image
redressement à tout moment, pourvu qu’il d’elle–même, une forte perte de confiance,
soit aidé, soutenu, compris. Les caractères une dépendance affective la rendant
qui ne communiquent pas avec autrui, les vulnérable dans le sens médical et juridique
tempéraments schizoïdes, les paranoïaques du terme.
qui ruminent seuls leurs malheurs sont
infiniment plus exposés que les autres à Une approche élargie de la prise en charge
subir le phénomène jusqu’au bout. » (De des violences conjugales
Greef, 1973). Ainsi il n’est pas impossible
d’imaginer avoir une action préventive dans Dans les situations de violences
le domaine des homicides conjugaux. conjugales, la crise peut émerger au niveau
de l’intervention de tiers, proches ou
Il existe un lien étroit entre les professionnels, dont les résonances vont
violences conjugales et les homicides influencer les conséquences de leur
conjugaux. En effet, ces deux agirs intra- intervention. La référence à la Loi va
conjugaux violents sont souvent abordés constituer une référence commune
dans les mêmes ouvrages de façon incontournable, pouvant agir comme un
parallèle de par la ressemblance des levier et une garantie, mais en même temps
processus psychiques impliqués chez ces faire flamber la violence et le risque de
sujets agresseurs. Certains auteurs iront représailles. De plus, les traumatismes
même jusqu’à dire que l’homicide conjugal répétés subis par la victime vont compliquer
serait la dernière étape de l’engrenage la prise en charge, par atteinte de son
cyclique de la violence conjugale, si celle-ci intégrité et de son identité, qui se traduit
n’est pas traitée à temps. Cette remarque souvent par une ambivalence, une
nous interroge et pourrait donner l’essor à incapacité à se défendre seule, une
de nouvelles recherches. Par contre, une confusion des ressentis et pensées amenant
étude récente a repris l’idée que les auteurs la victime à se culpabiliser, se résigner.
d’un homicide conjugal suivi d’un suicide ne L’étude de la responsabilité de l’auteur
représentaient pas la même population quant à ses actes et de la victime quant à sa
d’auteurs de violences conjugales, l’acte protection (et celle de ses enfants) implique
étant dans ces cas beaucoup plus impulsif de bien cerner le type d’attachement et de
et en réaction à une séparation réelle ou relation de couple et la fonction de la
annoncée. La possibilité de prévention est violence dans le couple (Girard, 2004). Les
alors très limitée (Saleva, 2007). violences conjugales en effet se distinguent
des conflits de couple en particulier, pouvant
Partir ou rester?
Facteurs liés à la prise de décision de quitter ou non
une relation violente
DUGAL, N.1 [CANADA]
Auteur
1
École de Criminologie – Université de Montréal
Résumé
Les femmes subissant de la violence au sein de leur couple font face à de nombreuses
incompréhensions quant à leur décision de rester avec leur conjoint ou encore à retourner avec celui-ci
après un séjour en maison d’hébergement. Ces incompréhensions auront d’importantes répercussions
sur leur soutien social et l’aide qui leur sera offerte. Entre le moment où la femme se rend compte qu’elle
est victime de violence conjugale et celui où elle prend la décision de quitter définitivement, il y toute une
prise de conscience et un processus d’une grande complexité qui doit s’opérer et plusieurs facteurs
entrent en ligne de compte. Cet article présente une introduction quant aux différentes théories tentant
d’expliquer ce processus de prise de décision, et des différents facteurs, personnels et situationnels, qui
entrent en jeu. Les limites et implications de ces modèles et facteurs seront ensuite discutés.
Stay or leave? Factors related to decision making or not to leave an abusive relationship
Abstract
Women victims of partner violence face many misunderstandings about their decision to remain with their
spouse or to return with them after a stay in a shelter. These misunderstandings have a significant impact
on their social support and assistance that will be offered. Between the time a woman realizes she is a
victim of partner violence and when she decides to leave permanently there any awareness and a highly
complex process which must take place and several factors come into play. This article is an introduction
about the various theories attempting to explain this process of decision making, and various factors,
personal and situational factors that come into play. The limitations and implications of these models and
factors are then discussed.
Key$words:!Partner!violence;!decision!to!leave.!
388 Journal(International(De(Victimologie(!2011;!9(3)!!
DUGAL, N.
390 Journal(International(De(Victimologie(!2011;!9(3)!!
VIOLENCES CONJUGALES : PARTIR OU RESTER ?
Journal(International(De(Victimologie(!2011;!9(3)!! 391
DUGAL, N.
(Taylor, 2003). Étrangement, Alexander et 1981). Plus la femme est engagée dans la
coll. (2009) trouvent que les femmes étant relation, plus difficilement elle se justifiera
dans un stade de changement moins psychologiquement que quitter est la
avancé reporteront plus de satisfaction meilleure décision (Strube & Barbour, 1983).
quant à leur soutien social, quoi que la taille
du soutien social ne diffère pas, par rapport Les différents styles d’attachement
aux femmes étant dans un stade de peuvent avoir une influence sur la décision
changement plus avancé. Ils expliquent ces de partir. Selon le modèle d’attachement de
résultats par le fait qu’elles auraient peut- l’adulte de Bartholomew, Henderson et
être plus de réticences à exprimer Dutton (2001), les styles d'attachement
l’insatisfaction face à leurs relations sécurisé et évitant seraient sous-
interpersonnelles en général. Cela suggère représentés dans les couples violents, alors
qu’il est primordial de mieux explorer la que les styles apeuré et préoccupé auraient
nature du soutien social qui peut soit faciliter plus de risques de se retrouver dans une
le départ, soit l’interférer. relation abusive. Les femmes étant moins
Les ressources disponibles dans la avancées dans leurs stades de changement
communauté peuvent également venir en auront un style d’attachement plus
aide à une femme qui ne saurait pas où aller préoccupé et moins sécurisé (Alexander, et
après avoir quitté et donc motiver cette al., 2009). L’auteur explique ses résultats
décision. Une étude trouve que les maisons par le fait que les individus avec un style
d’hébergement pour femmes victimes de d’attachement préoccupé seraient plus
violence conjugale n’aideraient pas portés à associer les conflits et l’expression
seulement à partir, mais auraient aussi une de la colère avec l’augmentation de l’intimité
influence à long terme sur le temps qu’une (Fishtein, Pietromonaco, & Fieldman Barrett,
femme passera dans une relation abusive. 1999).
En effet, les femmes qui sont sévèrement
abusées sans être passées par une maison L’expression des émotions
d'hébergement auront plus de probabilités Un stade de départ plus avancé est
de rester dans une telle relation. Les caractérisé par une grande expression des
femmes ayant reçu des services de maisons émotions en général. Les découvertes d’une
d'hébergement vont endurer de plus courtes étude de 2006 suggèrent que les émotions
périodes de violence, même si celles-ci sont jouent un rôle important dans la décision de
plus souvent sans ressources, plus pauvres la femme de mettre fin à une relation
et sans emploi (Panchanadeswaran & abusive. L’expression des émotions pourrait
McCloskey, 2007). donc être considérée comme un motivateur
L’attachement au partenaire essentiel plus qu'un obstacle à la séparation
et étiqueter les émotions dans cette
Un autre important facteur population comme étant pathologiques
influençant la prise de décision de quitter un serait contreproductif. Aussi, des
conjoint violent est l’attachement que la interventions thérapeutiques ou
femme porte à son partenaire. Certaines pharmacologiques qui tenteraient de faire
études disent que la plus importante raison diminuer l’expression des émotions
de retourner avec le partenaire est pourraient avoir l'effet inattendu de faire
l’attachement émotionnel qu’elles ont avec diminuer la motivation de la victime à mettre
lui (Griffing et al., 2002). Aussi, les femmes fin à la relation. D'un autre côté, faire
qui retournent avec le conjoint violent vont reconnaitre et explorer les émotions comme
être plus souvent mariées à leur assaillant, la dépression, l'anxiété et la colère en
dans une relation de plus longue durée et thérapie pourraient être particulièrement
auront vécu un moins grand nombre de avantageux au renforcement de la décision
séparations antérieures (Snyder & Scheer, de partir de la femme (Shurman &
Rodriguez, 2006).
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VIOLENCES CONJUGALES : PARTIR OU RESTER ?
Journal(International(De(Victimologie(!2011;!9(3)!! 393
DUGAL, N.
Daly, 1994). Les amis, membres de la domination de l’un des partenaires sur
famille, ceux qui tentent de l’aider, ainsi que l’autre ou non, et présentant un vaste
le nouveau conjoint de la femme sont aussi éventail d’actes ou de degrés de sévérité
à risque lorsque la femme quitte son (Johnson, 1995). Il est alors possible que si
partenaire violent (Block & Christakos, 1995; la séparation puisse sembler inévitable dans
Hotton, 2001). Ce serait par ailleurs par le certains cas, elle ne le soit pas dans
biais des enfants que la violence post- d’autres. Campbell et coll. (1998) mettent
séparation serait la plus présente (Hardesty, par ailleurs en garde contre la perception
2002). dichotomisée du statut de la femme dans la
relation, allant de « à l’intérieur » à « à
Conclusion l’extérieur » de la relation. En effet, les
femmes qu’ils ont étudiées voient leur
Il est important de faire ressortir de relation et leur attachement à leur partenaire
cette introduction au processus décisionnel en des termes beaucoup plus fluides,
de quitter un conjoint violent que cette prise pouvant par exemple toujours se considérer
de décision n’est pas celle d’une journée. Il en couple sans cohabiter avec le partenaire
s’agit plutôt du fruit d’une longue réflexion, ou vice-versa. Des modèles théoriques
d’un long processus et aussi d’une certaine comportant un plus grand éventail de
préparation. Plusieurs théories tentent finalités telles que le départ mais aussi la
d’expliquer cette prise de décision, certaines consultation par exemple pourrait permettre
en la conceptualisant comme la suite une plus grande généralité.
logique à plusieurs questions que se posera
la femme victime, d’autres en la voyant Finalement, il importe que les
comme une dépendance au conjoint dont la différents intervenants et personnes
femme doit se défaire. Plusieurs facteurs de côtoyant des femmes dans une telle
risque et de protection vont également situation de victimisation comprennent le
influencer cette prise de décision, certains processus qui sous-tend leur prise de
touchant les traits de personnalité de la décision de quitter le conjoint violent afin
femme, d’autres se rapportant davantage à d’être plus en mesure de leur apporter une
sa situation financière ou encore à son aide adéquate et de qualité, et de prévenir
mode de vie. Il importe également de garder un découragement dû à l’incompréhension
en mémoire que lorsque des victimes de du phénomène. Des recherches sont en
violence conjugale font le portrait de leur outre nécessaires afin de rassembler ces
relation, elles rapportent certainement la différents facteurs et théories en une vision
violence et l’abus comme faisant partie de plus globale de la situation des victimes, et
celle-ci, mais la violence ne sera pas le seul de prendre en considération les différentes
aspect qu’elle aborderont, ni souvent le plus catégories de victimes, masculines ou
important (Campbell, et al., 1998). féminines, et selon le type de violence vécu.
Les modèles théoriques présentés Références
dans cet article comportent certaines limites
dont le fait de se baser sur l’assomption que Alexander, P. C., Tracy, A., Radek, M., &
partir de la relation est le seul choix Koverola, C. (2009). Predicting stages of
rationnel qu’elles peuvent faire. D’aucun change in battered women. Journal of
pourraient défendre que la rupture n’est pas Interpersonal Violence 24(10), 1652-
1672.
obligatoire, qu’il s’agit d’un problème qui
Anderson, K. L. (2007). Who gets out? Gender
pourrait se régler en thérapie de couple, par as structure and the dissolution of violent
exemple, ou en référant le partenaire à des heterosexual relationships. Gender &
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comportements d’agressivité. La violence Avni, N. (1991). Battered wives: The home as a
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formes, dans divers contextes de 137-149.
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Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Tome 3, numéro 3 (Avril 2005)
Un décalage entre théorie et pratique? Violence
conjugale et femmes issues des minorités
ethniques*
OXMAN-MARTINEZ, J. (1), KRANE, J.(2) [CANADA, QC]
*
Les données de cet article se basent sur la recherche Competing Conceptions of Conjugal
Violence. Insights from an Intersectional Framework de Jacqueline Oxman-Martinez, Julia
Krane et Nicole Corbin, avec la collaboration de Margot Loiselle-Léonard, Montréal, 2002.
Auteures
(1) Ph.D., Université McGill
(2)Ph.D., Université McGill
Résumé
Mots-clés
Violence conjugale, ethnicité, intersectionnalité, point de vue des femmes victimes, point de
vue des intervenants.
Auteurs
(1)
Psychologue, thérapeute de famille ASTHEFIS, Consultation interdisciplinaire de médecine
et de prévention de la violence, Département de médecine communautaire, Hôpitaux
Universitaires de Genêve,
(2)
Assistante sociale, Ibid.
(3)
Psychologue FSP, Ibid.
(4)
Infirmière en Santé mentale, Ibid.
Résumé
Les violences conjugales: pour une clinique du réel.- Les problématiques de violences conjugales
nous ont confrontés à une mise en question de différents modèles thérapeutiques et à la
nécessité d’en intégrer certains éléments, en tenant compte des niveaux de complexité, dans une
approche clinique adaptée aux phénomènes de violence : la clinique du réel. Celle-ci associe et
prend en compte les caractéristiques présentes dans ces situations: la dimension
psychotraumatique, l’impact des violences sur la santé globale à court, moyen et long terme, la
responsabilité des actes, la responsabilisation quant à la protection et l’engagement relationnel
du couple. Du fait des particularités des problématiques de violence, les auteurs proposent de
traiter ces caractéristiques de façon différenciée dans le temps et les settings.
Abstract
Domestic violence: towards a « clinic of reality ». - Working in the field of domestic violence
confronted us to the necessity of evaluating the levels of complexity of each situation, questioning
different therapeutic models, and integrating specific elements of these models in a clinical
approach adapted to the phenomenon of violence:”clinic of reality”. It associates and takes into
account specific characteristics of each situation: the psychotraumatic dimension, the short,
medium or long term impact of violence on global health, the responsibility of the acts, the
responsabilisation as for protection and relational commitment of the couple. Considering the
peculiarities of violence issues, we propose to address these specific characteristics differently
according to the time and to the settings.
Resumen
Las violecias conjugales: hacia una “clinica del real ». – Las cuestiones de las violencias
conjugales nos han enfrentado a interrogar los differentes modelos terapeuticos y a plantearnos
la necesidad de integrar algunos de sus elementos, considerando los niveles de complejidad, en
una optica clinica adaptada a los fenomenos de la violencia : la clinica del real. Esta vision asocia
Mots-clés
Violences conjugales – Clinique du réel – Santé globale – Complexité – Flexibilité des settings.
Keywords
Palabras claves
Violencias conjugales – “Clinical del real” – Salud global – Complejidad – Flexibilitad de los «
settings ».
Auteures
Université de Montréal
Résumé
Cet article porte sur l’utilisation du cadre conceptuel Processus de production du handicap (PPH)
pour identifier les facteurs de vulnérabilité et de protection à la violence conjugale vécue par les
femmes qui ont des limitations fonctionnelles. Le PPH a été conçu, entre autres, afin de
permettre d’évaluer l’état physique d’une personne et ses aptitudes, d’identifier les divers
paramètres de son environnement qui peuvent l’aider ou lui nuire dans son fonctionnement ainsi
qu’apprécier son fonctionnement lui-même. Or, il s’avère que le PPH est un outil précieux pour
analyser certaines questions relatives à la violence conjugale. Nous avons rencontré en entrevue
des femmes ayant des limitations fonctionnelles qui ont subi de la violence conjugale. À l’aide du
PPH, nous avons classifié les éléments qu’elles ont identifiés comme facteurs de vulnérabilité et
de protection à la violence conjugale, et ce tant au plan personnel qu’environnemental. Cet
exercice met en évidence certaines avenues de prévention et d’intervention. Il permet également
de confirmer que le PPH peut s’avérer très pertinent pour comprendre certains aspects de la
violence conjugale vécue par les femmes qui ont des limitations fonctionnelles, et aussi de celle
subie par les femmes qui n’ont pas de limitations majeures au plan de leur fonctionnement.
Mots-clés
Ce cadre conceptuel n’est pas aux adultes 2002), etc. Ses champs
appliqué seulement aux personnes qui d’application ne cessent de s’étendre.
ont des difficultés motrices ou des
problèmes majeurs de vision ou Le PPH est appelé à connaître une
d’audition, par exemple. Autrement dit, large diffusion et plusieurs milieux
il ne se limite pas au « handicap » tel québécois d’intervention (en
qu’on le conçoit de manière réadaptation ou en santé mentale, par
spontanée. Il fut entre autres utilisé exemple) l’utilisent comme cadre
pour analyser la situation d’individus général guidant les pratiques. Cette
qui ont des problèmes de classification québécoise est d’ailleurs
communication dans leur milieu de reconnue internationalement. Nous
travail (Laroche et al. 1999), celle de sommes profondément convaincues
personnes âgées en perte d’autonomie que le PPH est un outil susceptible
(Robichaud 1999), celle de personnes d’être très utile pour toute personne
qui ont un problème de santé mentale (intervenant ou chercheur) qui cherche
(Binet, Guérette et Simard à penser l’individu (qu’il ait ou non
1999 ; Comité régional de soutien à la d’importantes déficiences ou
transformation et à la consolidation des incapacités) en interaction avec son
services de santé mentale - Services environnement.
Figure 1