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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sadisme sexuel (sans jamais
oser le demander)

Article in Annales Médico-psychologiques revue psychiatrique · November 2023

DOI: 10.1016/j.amp.2023.07.001

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6 authors, including:

Jonathan James Alexandre Gauthier

Université du Québec à Trois-Rivières Université de Montréal
20 PUBLICATIONS 291 CITATIONS 27 PUBLICATIONS 17 CITATIONS

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Etienne Garant Ingrid Ménard

Université de Montréal Université de Montréal
21 PUBLICATIONS 11 CITATIONS 6 PUBLICATIONS 1 CITATION

SEE PROFILE SEE PROFILE

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AMEPSY-3497; No. of Pages 11

Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Entretien

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sadisme sexuel (sans
jamais oser le demander)
Everything you always wanted to know about sexual sadism (but were afraid to ask)
Jonathan James a,d,e, Alexandre Gauthier b,d,e, Étienne Garant b,d, Ingrid Ménard b,d,
Tamsin Higgs c,d,e, Jean-Pierre Bouchard f,g,*
a
Département de psychologie, université du Québec à Trois-Rivières, Trois-Rivières, Canada
b
École de criminologie, université de Montréal, Québec, Canada
c
Département de psychologie, université de Montréal, Québec, Canada
d
Centre International de criminologie comparée, Québec, Canada
e
Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, Montréal, Québec, Canada
f
Psychologie-criminologie-victimologie (PCV), Bordeaux, France
g
Statistics and Population Studies Department, Faculty of Natural Sciences, University of the Western Cape, 7535 Cape-Town, Afrique du Sud

I N F O A R T I C L E R É S U M É

Historique de l’article : Notre perception des individus ayant recours aux pratiques sexuelles sadiques a longtemps été influencée
Disponible sur Internet le xxx par la médiatisation d’infractions sexuelles particulièrement graves, généralement des homicides sexuels
sadiques. En effet, la plupart des gens associent le sadisme sexuel à des noms de meurtriers sexuels en
Mots clés : série tels que Ted Bundy ou Guy Georges. Toutefois, le profil psychologique et les comportements de ces
BDSM (Bondage individus ne sont absolument pas représentatifs du profil des individus qui, dans la population générale,
Domination pratiquent les activités sexuelles sadiques dans un cadre consensuel. Au-delà des individus pratiquant des
Soumission
activités sexuelles sadiques, les résultats scientifiques (ex. : enquête populationnelle), mais aussi certains
sadisme et masochisme)
Consentement
succès de la culture populaire (ex. : livres), mettent en évidence que ce qui pouvait paraı̂tre autrefois
Homicide sexuel comme étant stigmatisés et « déviants » l’a peut-être été de manière injustifiée en raison de l’engouement
Infraction sexuelle populaire que cette thématique peut susciter. Avec plus de 125 millions d’exemplaires imprimées et
Sadisme sexuel électroniques vendus dans le monde en 2015, la trilogie de romans érotiques Fifty Shades of Grey
Troubles paraphiliques (Cinquante nuances de gris) de E.L. James, qui met en avant les pratiques sexuelles impliquant plusieurs
déclinaisons du sadisme, de la servitude et de l’initiation à la soumission sexuelle, est en soi un marqueur
intéressant des possibles nuances de sadisme au sein de la population générale. Dans cet entretien avec
Jean-Pierre Bouchard, Jonathan James, Alexandre Gauthier, Étienne Garant, Ingrid Ménard et Tamsin Higgs
dressent l’état des lieux de cet état du sadisme sexuel, que cela soit notamment en termes de pratiques
sexuelles consentantes ou en termes d’intérêt sexuels coercitif sadique.
C 2023 Publié par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

Our perception of individuals who engage in sadistic sexual practices has long been influenced by media
Keywords: coverage of highly severe sexual offenses, typically sadistic sexual homicides. Indeed, most people
BDSM (Bondage domination submission associate sexual sadism with the names of serial sexual murderers such as Ted Bundy or Guy Georges.
sadism and masochism) However, the psychological profile and behaviors of these individuals are in no way representative of the
Consent profile of individuals in the general population who practice sadistic sexual activities in a consensual
Paraphilic disorders
context. In addition from what seems to be a growing number of individuals engaging in consensual
Seriality
sadistic sexual activities, scientific findings (e.g.: population surveys) and certain popular culture
Sexual homicide
Sexual offense successes (e.g.: books) reflect that what have been stigmatized and ‘‘deviant’’ in the past may have been
Sexual sadism unjustifiably labeled as such. The tremendous success of E. L. James’s Fifty Shades of Grey trilogy of erotic

* Auteur correspondant. Psychologie-criminologie-victimologie (PCV), 33000 Bordeaux, France.

Adresse e-mail : jean_pierre_bouchard@yahoo.fr (J.-P. Bouchard).

https://doi.org/10.1016/j.amp.2023.07.001
0003-4487/ C 2023 Publié par Elsevier Masson SAS.

Pour citer cet article : J. James, A. Gauthier, É. Garant et al., Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sadisme sexuel (sans jamais
oser le demander), Ann Med Psychol (Paris), https://doi.org/10.1016/j.amp.2023.07.001
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J. James, A. Gauthier, É. Garant et al. Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx

novels, which showcases initiation into sexual practices involving several declinations of sadism,
bondage and sexual submission, supports this argument. With over 125 million print and electronic
copies sold worldwide in 2015, it is in itself an interesting marker of an interest towards sexual sadism
within the general population. In this interview with Jean-Pierre Bouchard, Jonathan James, Alexandre
Gauthier, Étienne Garant, Ingrid Ménard and Tamsin Higgs present the current state of knowledge on
sexual sadism, both in terms of consensual sadistic sexual practices as well as the engagement in
coercive and illegal sadistic sexual behaviors.
C 2023 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction Criminologie Comparée. Ses domaines d’intérêts en recherche

Le sadisme sexuel effraye la population générale autant qu’il la
fascine. Il suffit de questionner les membres de notre entourage
pour rapidement réaliser le malaise, l’inconfort, la dérision ou le
jugement critique que cette thématique génère chez autrui. Et
vous, comment réagiriez-vous si l’un de vos proches vous amenait
à répondre à l’une des questions suivantes : « en quoi consistent
exactement les pratiques sexuelles sadiques ? », « est-ce qu’il est
normal pour une personne de recourir aux pratiques sexuelles
sadiques ? », « est-ce que toutes les personnes ayant recours aux
pratiques sexuelles sadiques sont de potentiels agresseurs
sexuels ? ». Auriez-vous ressenti un malaise, un inconfort, un
besoin de tourner la question à la dérision ou d’émettre un
jugement critique envers cette pratique afin de pouvoir y
répondre ? Nous tendons à réagir de ces différentes façons lorsque
nous sommes exposés à des comportements que des semblables
réalisent, mais à propos desquels nous ne comprenons pas l’utilité.
D’autre part, auriez-vous estimé posséder suffisamment de
connaissances sur cette thématique afin de fournir des réponses
complètes et documentées à votre interlocuteur ?
En ajustant le titre d’un célèbre film réalisé par Woody Allen en
1972, dans cet entretien avec Jean-Pierre Bouchard, l’équipe de
chercheurs composée de Jonathan James, Alexandre Gauthier,
Étienne Garant, Ingrid Ménard et Tamsin Higgs, tentent de
présenter Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sadisme
sexuel (sans jamais oser le demander). Ils définissent ce qu’est le
sadisme sexuel, présentent les critères diagnostiques du trouble
sadisme sexuel, évoquent les données épidémiologiques ainsi que
les informations qui permettent de distinguer les pratiques BDSM
(bondage et discipline, domination et soumission, sadomaso-
chisme) des infractions sexuelles sadiques, dressent les profils de
ces différents individus et mettent en évidence l’hétérogénéité de
leurs profils et de leurs trajectoires de vie.
Jonathan James (Ph.D.) est professeur au Département de
psychologie de l’université du Québec à Trois-Rivières, psycholo-
gue à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel de
Montréal, directeur du Laboratoire de psychologie légale et
chercheur au Centre International de Criminologie Comparée. Il
collabore avec le Département des Sciences du Comportement du
Pôle national de la Gendarmerie Nationale. Ses domaines d’intérêts
en recherche portent sur la délinquance sexuelle, la sérialité, la
psychopathie, l’enquête criminelle et les violences conjugales.
Alexandre Gauthier (M.Sc.) est doctorant et chargé de cours à
l’École de criminologie de l’université de Montréal. Il est coordinateur
de recherche pour le Groupe de recherche sur les agresseurs sexuels
ainsi que pour le Centre de recherche de l’Institut national de
psychiatrie légale Philippe-Pinel de Montréal, et est étudiant-
chercheur au Centre International de Criminologie Comparée. Ses
domaines d’intérêts en recherche portent sur la délinquance sexuelle
impliquant des actes à caractère sadique et pédophilique.
Étienne Garant (M.Sc.) est doctorant et chargé de cours à l’École
de criminologie de l’université de Montréal. Il est coordinateur de
recherche pour le Groupe de recherche sur les agresseurs sexuels
ainsi qu’étudiant-chercheur affilié au Centre International de
portent sur les agresseurs sexuels d’enfants, les facteurs de
protection en délinquance sexuelle mais, plus particulièrement,
sur les stratégies d’adaptation employées par les adultes qui
reconnaissent avoir un intérêt sexuel envers les enfants à vivre une
vie épanouissante.
Ingrid Ménard (M.Sc.) est doctorante et chargée de cours à
l’École de criminologie de l’université de Montréal ainsi qu’étu-
diante-chercheure affiliée au Centre International de Criminologie
Comparée. Ses domaines d’intérêts en recherche portent sur les
violences conjugales et, plus spécifiquement, sur les trajectoires de
vie qui mènent ces individus à commettre ce type de violences.
Tamsin Higgs (Ph.D.) est professeure au Département de
psychologie de l’Université de Montréal, psychologue agréée
auprès du Health Professions Council du Royaume-Uni, membre
de l’Ordre des psychologues du Québec, et chercheure au Centre
International de Criminologie Comparée ainsi qu’à l’Institut
national de psychiatrie légale Philippe-Pinel de Montréal. Ses
domaines d’intérêts en recherche portent sur les trajectoires qui
mènent aux délits violents et sexuels, l’évaluation du risque de
récidive, ainsi que sur les interventions fondées sur les données
probantes pour les auteurs de telles infractions.
2. Interview
2.1. Jean-Pierre Bouchard : Pourriez-vous définir à quoi correspond le
sadisme sexuel ?
Alexandre Gauthier et Jonathan James : Historiquement, le
sadisme sexuel a été décrit dès le XIXe siècle par Richard von Krafft-
Ebing [53] comme étant le fait d’éprouver un plaisir sexuel associé
à la réalisation d’actes de cruauté tels que le fait d’humilier, de
blesser ou même de détruire d’autres êtres vivants. Presque cent
ans plus tard, MacCulloch et al. [63] proposèrent à leur tour une
définition du sadisme sexuel, dont l’accent était cette fois-ci placé
sur la fonction que peut avoir le contrôle coercitif exercé sur une
autre personne dans le déclenchement d’un plaisir sexuel. Plus
récemment, Mokros [71] a proposé une description du sadisme
sexuel qui synthétise bien les descriptions précédentes (l’obten-
tion d’un plaisir sexuel face à la constatation qu’une personne, se
trouvant dans une situation de vulnérabilité, est en train de
souffrir) tout en précisant que ce plaisir peut être obtenu par des
actions, mais aussi par le biais de fantaisies, lesquelles peuvent être
définies comme étant des imageries mentales (ex. : pensées,
images, dialogues internes) [41]. En conséquence, un individu
éprouvant un plaisir sexuel, par exemple en s’imaginant torturer
un autre individu, peut alors être désigné comme étant un sadique
sexuel sans pour autant avoir commis une infraction sexuelle.
2.2. Jean-Pierre Bouchard : Quels sont, sur le plan clinique, les points
de repère permettant d’identifier la présence du sadisme sexuel chez
un individu ?
Jonathan James et Alexandre Gauthier : De manière générale, le
Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles mentaux (DSM-5-Tr)

2
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J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
[2] définit les intérêts sexuels comme étant normophiliques, c’est-
à-dire « normaux », ou paraphiliques, c’est-à-dire « anormaux ». La
normophilie étant définie comme étant un intérêt sexuel pour la
stimulation génitale, ou les caresses préparatoires, avec des
partenaires humains phénotypiquement normaux, physiquement
matures et consentants. En conséquence, tous les autres intérêts
sexuels sont considérés comme étant des paraphilies, soit des
intérêts sexuels dits déviants. Toutefois, il est important de
souligner que ce qui peut être considéré comme étant anormal
n’est pas nécessairement pathologique et, en conséquence, il est
nécessaire de distinguer ce qui correspond à une paraphilie (tel que
mentionné ci-dessus) de ce qui correspond à un trouble
paraphilique. Ainsi, un trouble paraphilique correspond à l’identi-
fication d’une paraphilie qui cause d’une façon concomitante une
détresse ou une altération du fonctionnement chez l’individu, ou
alors, à l’identification d’une paraphilie dont la satisfaction a
entraı̂né un préjudice personnel ou un risque de préjudice pour
d’autres personnes. Le DSM-5-Tr mentionne ainsi que le fait d’avoir
une paraphilie est une condition nécessaire mais non suffisante
pour présenter un trouble paraphilique et qu’une paraphilie, en soi,
ne requiert pas nécessairement une intervention clinique. Les
troubles paraphiliques les plus fréquemment diagnostiqués sont le
voyeurisme, le fétichisme, l’exhibitionnisme, le frotteurisme, le
transvestisme, la pédophilie, le masochisme sexuel et le sadisme
sexuel, et les troubles paraphiliques sont regroupées en plusieurs
groupes de troubles : le sadisme sexuel fait partie, avec le
masochisme sexuel, des troubles algolagniques (étymologie
associant « douleur » et « rapports sexuels »).
Afin que la paraphilie sadisme sexuel puisse être identifiée
comme étant un trouble sadisme sexuel, il est nécessaire que deux
critères diagnostiques soient identifiés : (a) la présence, pendant
une période d’au moins six mois, d’une excitation sexuelle intense
et récurrente provoquée par la souffrance physique ou psycholo-
gique d’une autre personne, se manifestant sous la forme de
fantasmes, de pulsions ou de comportements, et (b) l’individu a
mis en acte ses pulsions sexuelles avec une personne non
consentante ou les fantasmes, les pulsions sexuelles ou les
comportements entraı̂nent une détresse cliniquement significative
ou entraı̂nent une altération du fonctionnement social, profes-
sionnel ou d’un autre domaine important de fonctionnement de
l’individu. Par la suite, il est recommandé de pouvoir évaluer
l’intensité ainsi que la potentialité exclusive du trouble sadisme
sexuel. Il sera alors demandé à l’individu si ses fantasmes sexuels,
ses envies irrépressibles ou si ses comportements sadiques : (1) ont
une intensité plus faible, égale ou plus forte que ses intérêts et
comportements normophiliques, et (2) annihilent la possibilité
d’atteindre un plaisir sexuel par toutes autres formes d’intérêts
sexuels, qu’ils soient normophiliques ou paraphiliques.
Alternativement aux critères diagnostiques du DSM-5-Tr, la
Classification Internationale des Maladies se distinguait dans sa
version 10, donc jusqu’en 2019, en combinant, au sein d’un unique
trouble, l’aspect de domination du sadisme sexuel avec l’aspect de
soumission du masochisme sexuel, nommant ce trouble le trouble
sadomasochisme. L’individu était alors désigné comme étant
sadique ou comme étant masochiste en fonction de l’aspect qui
était prédominant. Depuis la publication de la version 11 (CIM-11)
[96] le trouble sadomasochiste a été remplacé par le trouble du
sadisme sexuel coercitif, lequel est défini comme se caractérisant :
« . . . par des pensées, des fantasmes, des pulsions ou des
comportements sexuels persistants – qui impliquent d’infliger
une souffrance physique ou psychologique à une personne non
consentante. En outre, pour que le trouble du sadisme sexuel
avec contrainte soit diagnostiqué, la personne doit avoir agi sur
la base de ses pensées, de ses fantasmes ou de ses pulsions, ou
en être profondément bouleversée. Le trouble du sadisme
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Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx
sexuel avec coercition exclut spécifiquement le sadisme et le
masochisme sexuels consensuels. »
Ainsi, ce trouble converge avec celui du trouble sadisme sexuel
proposé par le DSM-5-Tr tout en mettant l’emphase sur la notion
de consentement de l’individu recevant les actes sadiques,
excluant du trouble les configurations dans lesquelles les actes
sadiques sont exercés dans un cadre consensuel. Cet ajustement
résulte des revendications des membres de la communauté
Bondage and Dominance, Dominance and Submission, Sadism and
Bondage (BDSM) [18].
2.3. Jean-Pierre Bouchard : Les descriptions conceptuelles et médicales
que vous présentez du sadisme sexuel semblent faire état d’un
consensus au sein des communautés de chercheurs et de praticiens.
Existe-t-il des points de vue divergeant sur la façon de délimiter ce
qu’est le sadisme sexuel ?
Étienne Garant et Tamsin Higgs : En effet, il existe un dissensus au
sein de la communauté scientifique quant à l’approche conceptuelle
à privilégier lors de l’étude du sadisme sexuel, et cela pourrait avoir
des implications sur le fondement des critères diagnostiques du
trouble sadisme sexuel. Ces dernières années, de nombreux
chercheurs ont remis en question la vision médicale actuelle
(taxonomique/classificatoire) du sadisme sexuel [9,10,52,54,57–
60,66,72,73,75], vision à laquelle s’est référée la majorité des
chercheurs ayant étudié la délinquance sexuelle à caractère sadique.
Le principal argument avancé par ces chercheurs est que le sadisme
sexuel ne possède pas de symptôme qui lui soit spécifique
(pathognomonique) ; symptôme qui par sa seule présence permet-
trait de conclure au diagnostic du trouble sadisme sexuel. À titre
d’exemple, parmi les critères définitionnels du sadisme sexuel, que
l’on retrouve au sein de la littérature, se trouve la domination de
l’objet sexuel. Or, la domination de l’objet sexuel n’est pas spécifique
aux individus sadiques ; on la retrouve aussi chez des individus non
sadiques de la population générale ainsi que chez les individus ayant
commis une infraction sexuelle non sadique.
D’autre part, il a été avancé par plusieurs chercheurs que le
sadisme sexuel constituerait un phénomène dimensionnel qui
devrait être évalué en fonction de son degré d’intensité (faible,
modérée, élevée ; en opposition à sa présence ou à son absence), et
cela, le long d’un continuum de comportements allant de la
pratique sexuelle consensuelle aux comportements sexuels
coercitifs [58,73]. Selon cette vision dimensionnelle, la catégorisa-
tion « sadiques versus non sadiques » serait remplacée par un
spectre sur lequel tous les individus seraient plus ou moins
sadiques. Les implications sur les plans théoriques et de la prise en
charge thérapeutique sont importantes car cela suggère que si le
sadisme sexuel est présent à différents degrés d’intensité dans
l’ensemble de la population, qu’il est alors nécessaire de tenter
d’identifier ce qui explique son exacerbation chez certains
individus plutôt que de tenter d’expliquer son existence.
2.4. Jean-Pierre Bouchard : Que savons-nous de l’épidémiologie du
sadisme sexuel dans la population ?
Ingrid Ménard et Alexandre Gauthier : Nous possédons très peu
d’informations concernant l’épidémiologie des troubles paraphi-
liques dans la population générale. Celle du trouble sadisme sexuel
est inconnue [97]. Cependant, Joyal et Carpentier ont réalisé une
enquête populationnelle via des sondages en ligne et par téléphone
(ce qui, en contraste avec une entrevue réalisée en personne,
favorise le dévoilement de paraphilies chez les participants) auprès
de 1 040 individus résidant au Québec (475 hommes et
565 femmes) [42]. Parmi les questions posées, celle correspondant
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J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
au sadisme sexuel était formulée ainsi : « Avez-vous déjà été
sexuellement excité par le fait de faire souffrir une autre personne,
ou par le fait de la dominer, ou par le fait de l’humilier, que cela soit
psychologiquement ou physiquement ? » Cette question a alors
permis de détecter la présence d’un intérêt pour le sadisme sexuel,
mais non pas d’un trouble sadisme sexuel. Lorsqu’un participant
répondait négativement à cette question, il lui était alors demandé
s’il désirait un jour expérimenter ce type de pratique sexuelle, et
lorsqu’un participant répondait positivement à cette question, il lui
était alors demandé de préciser la fréquence à laquelle il s’était
engagé dans cette pratique sexuelle au cours de sa vie : (1) « une
fois », (2) « de 2 à 10 fois », (3) « plus de 10 fois ». Les résultats
obtenus sont intéressants. Ils mettent en évidence que 7,1 % de la
population ont déclaré souhaiter un jour expérimenter cette
pratique sexuelle, davantage les hommes (9,5 %) que les femmes
(5,1 %), et que 5,5 % ont déclaré s’être déjà engagés au moins une
fois dans cette pratique sexuelle au cours de leur vie, ici aussi,
davantage les hommes (7,4 %) que les femmes (3,9 %). Ces résultats
indiquent donc que le sadisme sexuel est une pratique sexuelle qui,
bien qu’inhabituelle (prévalence inférieure à 15,9 %), n’en est pas
pour autant rare (prévalence supérieure à 2,3 %).
2.5. Jean-Pierre Bouchard : Que savons-nous du profil des individus de
la population générale dont les pratiques sexuelles impliquent des
actes de domination ou de soumission ?
Alexandre Gauthier et Étienne Garant : Au cours des dernières
années, les individus pratiquant le BDSM ont fait l’objet d’une
certaine attention de la part de la communauté scientifique
[12,18,30,77], ce qui a permis de collecter de l’information sur une
diversité d’aspects : (a) sociodémographique ; satisfaction à l’égard de la vie (Satisfaction with Life Scale) [20]
(b) développemental ; (c) interpersonnel ; (d) psychologique ;
(e) psychopathologique, et (f) motivationnel.
Sur le plan sociodémographique, plusieurs études ont rapporté
que ces individus possèdent généralement un haut niveau de
scolarité. Par exemple, aux États-Unis, Connolly a rapporté que
96,9 % d’un échantillon composé de 132 individus avaient terminé
leurs études secondaires, 57,8 % avaient complété un premier cycle
universitaire et que 17,2 % avaient complété un deuxième cycle
universitaire [16]. Aux Pays-Bas, il a été mis en évidence que,
comparativement à la population générale, ils tendent davantage à
compléter des études supérieures 70,1 % versus 34,0 % [95]. Fina-
lement, au Canada, la tendance est similaire, 88,1 % des
participants ont au moins un niveau académique de niveau
secondaire ou universitaire [28].
Sur le plan développemental, les résultats de plusieurs études
ont permis de déconstruire une croyance erronée concernant les
individus pratiquant le BDSM, laquelle consistait à croire qu’il fallait
nécessairement avoir vécu, au cours de son enfance, des situations
de vie adverses afin de développer un intérêt sexuel pour la
domination ou la soumission [18,87]. Ainsi, les individus pratiquant
le BDSM ne diffèrent pas significativement de la population
générale en matière de : (a) négligence ; (b) de victimisation
psychologique ; (c) de victimisation physique ; (d) de victimisation
sexuelle. De plus, Ashok a rapporté qu’il n’y avait pas de lien entre le
fait d’avoir subi des violences physiques ou sexuelles pendant
l’enfance et le fait de pratiquer le BDSM à l’âge adulte [3].
Sur le plan interpersonnel, les études mettent en évidence que
ces individus présentent des niveaux élevés de compétences
relationnelles [92,95], qu’ils tendent à être impliqués dans des
relations intimes stables [16,55], qu’ils tendent à présenter un style
d’attachement sécurisant, une résilience accrue face au rejet, une
plus grande confiance dans leurs relations et un besoin moindre
d’approbation [92,94] ainsi qu’une vision positive de leur
attractivité [43]. Les résultats rapportés par Klement [47] mettent
aussi en évidence qu’ils sont significativement moins susceptibles
4
Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx
que la population générale de faire preuve de sexisme bienveillant,
de croire aux mythes sur le viol et de blâmer les victimes de viol,
tout en ne présentant pas de différences significatives en ce qui
concerne le sexisme hostile et l’acceptation de l’agression sexuelle.
Finalement, au Canada, Hébert et Weaver [28] n’ont observé
aucune différence significative entre ces individus et la population
générale en ce qui concerne la capacité à faire preuve d’empathie,
soulignant ainsi que les pratiques sexuelles impliquant de la
domination ou de la soumission ne signifient pas nécessairement
que les individus ne sont pas concernés par l’impact que peuvent
avoir leurs comportements sur le bien-être physique et psycho-
logique de leur partenaire sexuel.
Sur le plan psychologique, les individus pratiquant le BDSM ont
été évalués à partir d’une diversité d’instruments de mesure. Par
exemple, Parrnio et al. [77] ont mis en évidence que les individus
pratiquant le BDSM (n = 3 080 ; 993 hommes et 2 087 femmes) se
situent dans la fourchette dite « normale » des échelles Honnêteté-
Humilité, Émotivité, Extraversion, Agréabilité et Conscience du HEXACO-
60 [4]. En ce qui concerne les individus dominants, les résultats au
NEO Five Factor Inventory [17], lequel est un outil évaluant des aspects
de la personnalité dite « normale », indiquent, en comparaison des
individus ne pratiquant par le BDSM, qu’ils obtiennent des scores plus
élevés aux échelles Extraversion (ex. : confiance en soi, sociabilité),
Ouverture (ex. : créativité, curiosité) et Conscience (ex. : organisation,
compétence, ambition), tout en obtenant des résultats plus faibles
aux échelles Névrose (ex. : dépression, anxiété, faible estime de soi) et
Agréabilité (ex. : altruisme, crédulité, modestie) [95]. Finalement, les
individus dominants, en comparaison des individus dominés,
présentaient des niveaux de désir de contrôle (Shapiro Control
Inventory [98]), d’estime de soi (Rosenberg Self-Esteem Scale) [89] et de
significativement plus élevés [28].
Sur le plan psychopathologique, les résultats des études
indiquent que les individus pratiquant le BDSM ont une santé
mentale similaire à celle de la population générale. Aux États-Unis,
Connolly [16] a constaté qu’ils obtiennent des résultats équivalents
ou inférieurs à la moyenne normative sur l’ensemble des échelles
du Minnesota Multiphasic Personality Inventory-2 (MMPI-2) [15], du
Millon Clinical Multiaxial Inventory (MCMI-3) [70], de la Beck
Depression Inventory-2 (BDI-2) [8] et du Beck Anxiety Inventory (BAI)
[7] qui évaluent respectivement les symptômes liés aux troubles
mentaux, les traits de personnalité, la dépression et l’anxiété. En
Australie, Richters et al. [87] ont constaté qu’ils présentent des
niveaux normaux de détresse psychologique, tels que l’anxiété, la
tristesse et la nervosité, évalués à l’aide de la Kessler-10 psycho-
logical distress scale [45]. Finalement, au Portugal, Monteiro et
Pascoal ont rapporté qu’ils ont des niveaux de détresse liée au désir
sexuel significativement plus faibles que ceux observés au sein de
la population générale [74].
Finalement, sur le plan motivationnel, les individus pratiquant le
BDSM expliquent que cette pratique consiste principalement en
une activité récréative ou en un loisir [46], comme étant un jeu de
pouvoir plutôt qu’une activité purement sexuelle [94] et, pour les
personnes asexuelles pratiquant le BDSM, qu’il s’agit d’une occasion
de développer des liens émotionnels intenses [40]. Ainsi, bien que
les pratiques BDSM soient généralement associées à une dimension
sexuelle, il est important de noter que les motivations indiquées par
les pratiquants ne se limitent pas à la satisfaction sexuelle.
2.6. Jean-Pierre Bouchard : Tous les comportements de domination ne
constituent donc pas nécessairement une infraction sexuelle. Sur la
base de quels éléments est-il possible de considérer que la domination
et le sadisme sexuel deviennent l’objet du système judiciaire ?
Ingrid Ménard et Tamsin Higgs : Pour répondre à cette question, il
est essentiel de mettre l’emphase sur l’un des dénominateurs
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J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
communs aux articles de loi portant sur les infractions sexuelles,
qu’ils aient été rédigés en France ou au Canada, à savoir, la notion
de consentement. Au-delà de l’âge à partir duquel une commu-
nauté estime qu’un individu a la capacité de fournir un
consentement éclairé (par exemple, au Canada, un individu âgé
de moins de 12 ans, même s’il verbalise consentir à une activité
sexuelle avec un adulte, est considéré comme n’étant pas en
capacité de fournir un consentement libre et éclairé et, en
conséquence, toutes activités sexuelles avec un individu âgé de
moins de 12 ans constituent une infraction sexuelle ; à noter que
des exceptions s’appliquent entre 12 et 15 ans et que 16 ans
correspondant à l’âge du consentement au Canada), le consente-
ment à l’activité sexuelle consiste en un accord formulé
explicitement par les individus à se livrer à une activité sexuelle.
Le consentement n’est valable que s’il est accordé librement, ce qui
signifie, entre autres, que l’activité sexuelle constitue une
agression sexuelle lorsque les comportements sexuels sont
commis avec violence, contrainte, menace ou surprise. En
conséquence, tout acte de domination ou de sadisme sexuel
réalisé sans consentement constitue une infraction sexuelle.
2.7. Jean-Pierre Bouchard : Qu’en est-il des activités sexuelles
impliquant des comportements violents, tels que la torture, mais pour
lesquels les individus ont librement consenti ?
Ingrid Ménard et Jonathan James : Il n’est pas simple de répondre
à cette question étant donné les différents enjeux que celle-ci
soulève. D’un côté, l’enjeu des libertés fondamentales, notamment
la libre disposition de soi qui consiste à garantir à chacun la libre
disposition de son corps. À cela, s’ajoute le principe que toute
personne a droit au respect de la vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance (Article 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme), ce qui inclut ses
pratiques sexuelles. De l’autre côté, des dispositions législatives
mentionnant que le consentement d’un individu n’est pas une
cause de justification de la violence (tel que mis à l’avant dans le
débat lié à l’euthanasie) et que le fait de soumettre une personne à
des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de
réclusion criminelle en France (Article 222-1 du Droit pénal). La
Cour européenne des droits de l’Homme a eu à statuer sur des
dossiers impliquant des comportements sadomasochistes. La Cour
a alors rappelé que les instances législatives doivent en principe
éviter d’intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles
consenties, qui elles, relèvent du libre arbitre des individus, et
qu’une intervention justifiée devrait se produire lorsque des
raisons particulièrement graves sont identifiées, ici, une absence
de consentement. Cela étant dit, il existe des situations dans
lesquelles un individu adulte, en raison, par exemple, de la
présence d’un trouble mental, est considéré comme n’étant pas
dans la capacité de formuler un consentement libre et éclairé et
dont il était raisonnable, pour un individu dominant, en raison de la
nature des actes sexuels auxquels la personne dominée a consenti,
de questionner la qualité du consentement et, en conséquence, de
ne pas acter. Par exemple, au début des années 2000, en France, un
individu a diffusé une annonce sur Internet dans laquelle il
indiquait rechercher un partenaire afin que celui-ci accepte de lui
couper les parties génitales lors de pratiques BDSM. Un individu
avait répondu positivement à la demande. Dans cet exemple, les
autorités s’étaient substituées à l’individu demandant afin de
déclencher une procédure judiciaire. Les autorités ont alors
outrepassé le respect de la vie privée pour protéger, y compris
contre lui-même, l’individu de dommages corporels. D’autre part, il
est aussi important de souligner que, dans le cadre de pratiques
BDSM, l’individu dominant pourrait être tenu responsable sur le
plan légal des conséquences que pourraient avoir ses gestes sur la
santé de l’individu dominé. En effet, en 2008, dans la région
5
Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx
métropolitaine de Montréal, un individu a été condamné en appel à
la suite du décès de sa partenaire sexuelle lors de pratiques BDSM,
les trois juges indiquant : « Nous en sommes venus à un verdict
unanime, une personne raisonnable aurait su qu’il y avait un risque
à quitter les lieux avec la victime attachée debout, sans possibilité
d’appeler à l’aide. » L’individu avait alors quitté les lieux pendant
une vingtaine de minutes dans le but d’aller à l’épicerie pour
préparer le repas du soir et sa partenaire avait alors été retrouvée
pendue par le cou au bout d’une chaı̂ne. Ainsi, le fait qu’un
consentement ait été formulé ne garantit pas nécessairement aux
individus d’être à l’abri de poursuites judiciaires.
2.8. Jean-Pierre Bouchard : En mettant en avant la notion de
consentement et ses limites, vous venez d’établir la frontière
permettant de distinguer un individu qui pratique le BDSM d’un
individu ayant commis une infraction sexuelle caractérisée par des
comportements sadiques. En nous focalisant sur ces derniers, savons-
nous ce qui mène un individu à développer un intérêt sexuel pour la
coercition sadique et à acter son intérêt dans la réalité ?
Jonathan James et Alexandre Gauthier : De manière générale,
nous connaissons très peu de choses sur l’étiologie du sadisme
sexuel [68]. Néanmoins, plusieurs hypothèses ont été mises en
avant pour expliquer le développement et le maintien de cet
intérêt sexuel coercitif sadique ainsi que le processus psychophy-
siologique aboutissant au passage à l’acte. Avant d’aller plus loin, il
est crucial de souligner que ces hypothèses ont été formulées par
des équipes de chercheurs travaillant dans le domaine d’étude de la
délinquance sexuelle, notamment auprès d’individus ayant
commis des infractions sexuelles particulièrement sévères, des
homicides sexuels, parfois en série, et que, en conséquence, ces
résultats ne sont possiblement pas généralisables aux individus
ayant un intérêt sexuel sadique non coercitif, soit certains
individus pratiquant le BDSM, ou à tous les individus ayant un
intérêt sexuel coercitif sadique et ayant commis une infraction
sexuelle.
Dans le domaine d’étude de la délinquance sexuelle, les
fantaisies sexuelles déviantes ont fait l’objet d’une attention
particulière : elles sont considérées comme ayant une fonction
importante dans le développement d’une propension à la
coercition sexuelle [61] et constituent (les préférences sexuelles
déviantes) le prédicteur le plus fortement associé à la récidive
sexuelle [26]. La récidive étant une des formes de répétition que
peuvent prendre les comportements sexuels coercitifs (avec la
sérialité, qui consiste à agresser plusieurs victimes lors d’événe-
ments criminels distincts, et la fixation, qui consiste à agresser une
même victime sur une certaine période de temps ; en contraste
avec la récidive sexuelle, ces deux formes de répétition n’incluent
pas le critère de condamnation dans leur définition). Cependant,
comme nous l’indiquions plus haut, il est important de souligner
que la présence de fantaisies sexuelles coercitives chez un individu
ne signifie pas nécessairement que celui-ci commettra un jour une
infraction sexuelle [44].
En continuité des études cliniques ayant souligné la prévalence
élevée de fantaisies sexuelles déviantes parmi les individus ayant
commis un homicide sexuel [11,53,63,69,84,86], les premières
études empiriques ayant analysé leur processus de passage à l’acte
ont suggéré que les fantaisies sexuelles déviantes, notamment les
fantaisies sexuelles sadiques, constituaient un facteur étiologique
de l’homicide sexuel [14,78]. En conséquence, il est important
d’identifier l’étiologie de telles fantaisies et de comprendre
comment celles-ci peuvent mener à un passage à l’acte.
Il a été suggéré que l’émergence de fantaisies sexuelles
déviantes serait la conséquence d’un désinvestissement des
relations interpersonnelles (ex. : repli sur soi, isolement social) à
la suite d’événements de vie traumatisants (ex. : un ou plusieurs
G Model
AMEPSY-3497; No. of Pages 11
J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
épisodes de maltraitance infantile sévère) ayant généré une
détresse émotionnelle aiguë chez l’enfant (ex. : anxiété, peur,
sentiment d’impuissance) [14,62]. Ensuite, plusieurs trajectoires
développementales peuvent prendre forme. Récemment, Robert-
son et al. [88] ont identifié que les abus psychologiques et sexuels
pouvaient mener à l’émergence de deux principales trajectoires
développementales associées à l’intérêt sexuel coercitif sadique, ce
qui en soi, est un résultat important ; en effet, ce résultat met en
évidence que, contrairement à la croyance populaire, tous les
individus sadiques n’ont pas tous eu la même trajectoire
développementale. Dans la première trajectoire, l’adversité durant
l’enfance contribue au développement de comportements exter-
nalisés problématiques pendant l’adolescence (ex. : bagarres et
comportements agressifs, délinquance juvénile), qui contribuent à
leur tour au développement du sadisme sexuel à l’âge adulte (ex. :
fantaisies et comportements). Dans la deuxième trajectoire,
l’adversité durant l’enfance contribue au développement de
l’hypersexualité à l’adolescence (ex. : comportements sexuels
compulsifs, préoccupation sexuelle, pulsion sexuelle), laquelle
contribue au développement du sadisme sexuel coercitif à l’âge
adulte (ex. : fantaisies et comportements). Force est de constater
que les événements de vie adverses rencontrés durant l’enfance
peuvent favoriser, chez l’individu, l’impression d’être différent des
autres, le sentiment de ne pas compter, d’être inférieur et, ainsi,
favoriser l’émergence d’une vision négative de leur propre
personne et du monde en général, ce qui les conduit à se détacher,
à se désintéresser d’autrui et à s’isoler socialement [11].
En l’absence de relations amoureuses et intimes, ces individus
développeraient et investiraient alors un monde de fantaisies pour
combler leurs besoins émotionnels, relationnels et sexuels,
lesquels seraient composés d’activités sexuelles qui se déroulent
dans un climat affectif colérique. Les actes sexuels sont alors
accompagnés d’hostilité, d’agressivité et de cruauté. Ainsi, la
fonction première des fantaisies sexuelles déviantes serait d’ordre
psychologique dans la mesure où elles constitueraient une
stratégie internalisée à laquelle les individus recourent lorsqu’ils
sont confrontés à des expériences de vie déplaisantes [11,63]. Ce
repli dans un monde de fantaisies permet aux individus d’acquérir
un sentiment de contrôle et de domination qu’ils ne possèdent pas
dans la réalité. Dans certains cas, les émotions négatives ressenties
dans la réalité (ex. : colère) sont associées à des représentations
sexualisées (ex. : la femme) et sont exprimées sous la forme de
fantaisies sexuelles coercitives (ex. : viol, sadisme, homicide). Plus
les fantaisies sont répétées, plus elles acquièrent de la force, et plus
l’association entre agressivité et excitation sexuelle devient forte
[78]. Dans un second temps, il semblerait que les fantaisies
sexuelles coercitives occupent une place de plus en plus
importante dans le fonctionnement physiologique de l’individu ;
elles permettraient de maintenir l’organisme en état d’homéo-
stasie via la gratification sexuelle (ex. : masturbation) [62]. Ainsi,
en période de stress ou d’anxiété, l’individu aura tendance à se
masturber en imaginant des scénarios sexuels coercitifs afin de
réguler son niveau de tension interne. Toutefois, à terme, les
fantaisies perdraient de leur capacité à provoquer l’excitation
sexuelle et, en conséquence, il a été suggéré que les individus
amplifieraient la nature coercitive de leurs fantaisies et/ou
auraient tendance à les réaliser dans la réalité afin de maintenir
le pouvoir excitant [78]. MacCulloch et al. [63] ont alors tenté
d’expliquer le processus qui part de l’émergence d’une fantaisie
sexuelle sadique à une infraction sexuelle sadique en distinguant
quatre principales étapes : lors de la première, des fantaisies
sexuelles non déviantes émergent et accompagnent l’individu lors
de ses activités masturbatoires, lors de la seconde, l’hostilité et la
colère associées à des types d’individus (ex : les femmes) modifient
la nature des fantaisies, lesquelles deviennent agressives et
cruelles, lors de la troisième, par effet d’habituation, les fantaisies
6
Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx
perdent leur effet stimulant et l’individu est alors à la recherche de
nouveaux éléments excitants, et, lors de la quatrième, des
comportements se substituent aux fantaisies (ex : suivre une
femme dans la rue, infraction sexuelle). En résumé, l’intérêt sexuel
coercitif sadique tendra à se manifester lors d’infractions sexuelles
lorsque les fantaisies sadiques ne seront plus suffisantes pour
combler les besoins sexuels des individus.
Dans le contexte criminel, les fantaisies sexuelles permettent de
structurer le passage à l’acte et, en conséquence, l’infraction
sexuelle sera réalisée en suivant un sexualscript [6]. Étant donné
que la motivation principale de l’individu est de reproduire le
contenu de ses scénarios fantasmatiques dans la réalité, les
comportements pré-crimes (ex : planification du crime), per-
crimes (ex : recours à des moyens de contention pour neutraliser la
victime) et post-crimes (ex : nettoyer les lieux du crime) sont
principalement prédéterminés. Bien que leurs infractions sexuelles
soient généralement bien planifiées, l’infraction n’est jamais la
reproduction parfaite de la fantaisie (ex : la victime résiste plus
qu’anticipé, un tiers intervient) et, en conséquence, ces individus
auront alors tendance à agresser une nouvelle victime [78]. Ainsi, il
semblerait que les fantaisies sexuelles coercitives sadiques
occupent une fonction importante dans le développement d’une
propension à la commission d’une série d’infractions sexuelles.
Étant donné qu’il est suggéré que l’infraction sexuelle des individus
sadiques est en adéquation avec le contenu de leurs fantaisies, il
n’est alors pas surprenant de constater que la plupart d’entre eux
ont éprouvé un plaisir sexuel lié à la coercition qu’ils ont imposée à
la victime. James et al. [38] ont alors suggéré que s’ils ne sont pas
détectés par la police à la suite de la commission de la première
infraction sexuelle, le sentiment d’impunité (absence de punition),
associé au plaisir qu’ils ont éprouvé lors de la commission de
l’infraction sexuelle, pourrait être de nature à renforcer leurs
comportements et les mener à la commission d’une série
d’infractions sexuelles. Ainsi, lorsque le poids des renforcements
prime sur celui des punitions, il est probable qu’en présence de
stimuli similaires (ex. : un événement de vie stressant), l’individu
sadique reproduise les mêmes comportements.
2.9. Jean-Pierre Bouchard : En raison de la nature des comportements,
il est possible que les individus ayant commis une infraction sexuelle
ne souhaitent pas communiquer sur la nature de leur intérêt sexuel
coercitif sadique. Comment peut-on évaluer la présence de cet intérêt
sexuel dans un tel contexte ?
Jonathan James et Étienne Garant : En effet, il est fréquent
d’observer chez ces individus, une fois appréhendés par la police, la
volonté de ne pas divulguer le contenu de leur monde fantasma-
tique, et cela, pour plusieurs raisons. Premièrement, de manière
similaire à la plupart des individus de la communauté, il est
relativement difficile pour les individus sadiques de s’ouvrir,
notamment auprès d’inconnus, sur leur sexualité. Gardons à
l’esprit que la sexualité, notamment la sexualité atypique, qu’elle
soit accompagnée de coercition ou non, demeure un sujet tabou,
qui, lorsqu’elle s’accompagne en plus de coercition, est lourdement
réprimée par l’opinion publique. Il est important de rappeler qu’il
s’agit, pour la plupart, d’individus dont la trajectoire de vie a
favorisé le développement d’une faible estime d’eux-mêmes et que
la révélation au grand jour des détails de leur infraction sexuelle
peut leur laisser craindre de revivre la sensation d’être perçus
comme étant différents, inférieurs, dysfonctionnels sur le plan
psychosocial. Deuxièmement, il est observé que le dévoilement de
leur intérêt sexuel coercitif sadique se produit plus fréquemment
lorsqu’ils ont reçu leur condamnation. Ceci est prévisible : révéler
le contenu de son monde fantasmatique auprès d’enquêteurs ou de
magistrats pourrait mettre en lumière des éléments constitutifs
d’une préméditation de l’infraction et, en conséquence, en contexte
G Model
AMEPSY-3497; No. of Pages 11
J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
présentenciel, exposer l’individu à une condamnation plus sévère.
Finalement, les intérêts sexuels déviants, les préoccupations
sexuelles et l’usage de la sexualité comme mécanisme de
régulation des émotions négatives sont tous des facteurs de risque
de la récidive sexuelle (STABLE-2007) [25]. Par conséquent,
dévoiler le contenu de son monde fantasmatique, ou révéler les
caractéristiques de son style de vie sexuel, pourrait mener
l’individu à recevoir une prise en charge plus intensive en
détention (une prise en charge qui serait ajustée à son degré de
risque de récidive, par exemple, si le risque de récidive est élevé,
alors il sera recommandé que l’individu bénéficie d’une interven-
tion d’intensité élevée). Il ne faut pas se tromper ici, recevoir une
prise en charge qui est ajustée à ses besoins est bénéfique dans la
mesure où celle-ci les accompagnera dans le développement de
stratégies prosociales leur permettant de répondre à leurs besoins
et, en bout de ligne, de diminuer leur risque de récidive sexuelle.
Ainsi, diminuer ce risque pourrait leur permettre d’éviter de
revivre la dure réalité du milieu carcéral et la sensation d’être
coupé de son milieu social. Toutefois, tous les individus ne
ressentent pas le besoin de bénéficier d’une intervention.
Bien que certains individus tentent de dissimuler leur intérêt
sexuel coercitif sadique, des méthodes d’évaluation ont été
développées afin d’être en mesure de les détecter sur la base de
critères objectifs. Dans le cadre du sadisme sexuel, deux principales
méthodes sont à mettre en avant : la pléthysmographie et l’échelle
de détection des indicateurs sadiques lors d’une infraction sexuelle,
le SevereSexualSadismScale (SeSaS). Les tests pléthysmographiques
consistent à mesurer les réponses érectiles masculines obtenues
pendant la présentation de scénarios non sexuels et sexuels, que ces
derniers soient non déviants (ex. : une relation sexuelle consen-
suelle) ou déviants (ex. : la mise en scène d’un enfant ou une
relation sexuelle non consensuelle impliquant un adulte). Cette
méthode est validée sur le plan empirique et est considérée comme
un excellent indicateur d’intérêts sexuels déviants chez un individu
[79]. Toutefois, il est important de souligner que cette méthode
d’évaluation est parfois contestée en raison de son manque de
standardisation et de son approche intrusive [32,90]. Le SeSaS a été
développé afin d’identifier la présence du sadisme sexuel chez un
individu à partir des éléments de l’infraction sexuelle qu’il a commis
[72,75]. Le SeSaS est une échelle composée de 11 items qu’il est
nécessaire de coter comme étant « présent » ou « absent ». Voici la
liste des items : (1) il a été sexuellement excité par l’infraction ? ; (2)
il a exercé du pouvoir, du contrôle ou une domination manifeste sur
la victime ? ; (3) il a humilié ou dégradé la victime ? ; (4) il a torturé
ou accompli des actes de cruauté envers la victime ? ; (5) il a mutilé
les parties génitales de la victime ? ; (6) il a mutilé les parties non
génitales de la victime ? ; (7) il a eu recours à la violence
excessive ? ; (8) il a conservé un trophée ? ; (9) il a enlevé ou
séquestré la victime ? ; (10) il a mis en place un rituel lors de
l’infraction ? ; (11) il a inséré un objet dans l’une des cavités
corporelles du corps de la victime. Ensemble, ces items permettent
de fournir une illustration des comportements classiquement
observés lors d’infractions sexuelles commises par des sadiques.
Il est important de souligner que tous les individus sadiques ne
commettent pas tous ces 11 comportements lors de leur infraction ;
en réalité, cela est assez rare. Cette échelle permet d’obtenir un
score allant de 0 à 11. Un individu est considéré comme étant
sadique lorsqu’il obtient un score égal ou supérieur à 4.
2.10. Jean-Pierre Bouchard : À la lumière des informations décrites ci-
dessus, nous pouvons en déduire que tous les individus ayant commis
une infraction sexuelle liée à un comportement sexuel coercitif ne sont
pas nécessairement sadiques. Pouvez-vous indiquer ce qu’il en est ?
Jonathan James et Ingrid Ménard : Plus de soixante ans de
recherche empirique dans le domaine d’étude de la délinquance
7
Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx
sexuelle ont permis de mettre en évidence une multitude de
facteurs impliqués dans l’étiologie des comportements sexuels
coercitifs. Au-delà des facteurs neuropsychologiques (ex. :
flexibilité cognitive, vitesse de traitement de l’information,
attention visuelle), les préférences sexuelles déviantes, le manque
d’empathie et l’antisocialité, les distorsions cognitives, les déficits
d’intimité et la solitude émotionnelle, et les styles d’attachement,
sont autant de facteurs plus ou moins présents, et s’exprimant de
différentes façons chez les individus ayant commis une infraction
sexuelle, qu’il en résulte, en conséquence, une diversité de types
d’agresseurs [37]. Nous ne pouvons pas décrire ici toutes les
classifications, toutefois, il est important de considérer celle
proposée par Knight [48]. Cette classification a permis d’identifier
cinq principaux types d’individus ayant commis une infraction
sexuelle aux États-Unis : les colériques, les vindicatifs, les
opportunistes, les sexuels non sadiques, les sadiques. Ainsi, les
sadiques correspondent à un type d’agresseurs parmi d’autres.
Afin de mettre en évidence le contraste existant entre ces
différents types, voici une description sommaire de ces types.
Les colériques sont décrits comme étant des antisociaux instables
sur le plan émotionnel et relationnel, lesquels ont commis une
infraction impulsive afin d’exprimer la colère qu’ils ressentent
envers les autres en général. Les vindicatifs sont décrits comme
étant des misogynes ayant commis une infraction impulsive afin
d’exprimer la colère qu’ils ressentent spécifiquement envers les
femmes. La violence est de type expressif et a pour objectif de
dégrader, dénigrer, d’humilier et de blesser physiquement la
victime. Toutefois, ils n’exhibent pas de comportements sadiques.
Les opportunistes sont décrits comme étant des narcissiques au
style de vie antisocial, lesquels ont commis une infraction
impulsive afin de satisfaire un besoin sexuel. La violence exhibée
est de type instrumental (un degré de violence minimum est
utilisé afin de contraindre la victime). Les sexuels non sadiques
sont décrits comme ayant des préoccupations sexuelles non
sadiques, lesquels ont commis une infraction préméditée afin de
réaliser une fantaisie sexuelle déviante (ex. besoin de dominer ou
de contrôler la victime). La violence est de type instrumental.
Finalement, les sadiques sont décrits comme étant des anti-
sociaux ayant des préoccupations sexuelles, lesquels ont commis
une infraction rigoureusement préméditée afin de réaliser une
fantaisie sexuelle sadique. La violence est de type expressif et
ritualisé (la séquence violente est organisée en fonction d’un
script sexuel préétabli).
Tout récemment, en 2023, plusieurs auteurs du présent article
ont contribué à la réalisation d’une nouvelle classification
d’individus ayant commis une infraction sexuelle en France,
auprès d’individus ayant commis un homicide sexuel [76]. Leurs
résultats sont en continuité de ceux obtenus par Knight. Ils ont
identifié six types d’individus : quatre parmi les individus non
sériels (les colériques, les opportunistes sexuels, les sexuels non
sadiques, les sadiques) et deux parmi les individus sériels (les
sadiques sévères, les psychopathes). Sans entrer dans les détails de
cette classification, il est intéressant de noter qu’ils ont identifié
deux types de sadiques, l’un chez les non sériels, l’autre chez les
sériels, celui identifié chez les sériels présentant une forme de
sadisme plus sévère que celui des non sériels. Ce résultat est
intéressant car il contribue à mettre en évidence qu’il existe aussi
plusieurs types d’individus sadiques ayant commis une infraction
sexuelle.
2.11. Jean-Pierre Bouchard : Précédemment, vous avez décrit le profil
des individus pratiquant le BDSM. Que savons-nous du profil des
individus ayant commis une infraction sexuelle sadique ?
Alexandre Gauthier et Étienne Garant : Afin de mettre en évidence
le contraste existant entre le profil des individus pratiquant le
G Model
AMEPSY-3497; No. of Pages 11
J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
BDSM et le profil des individus ayant commis une infraction
sexuelle sadique, nous allons présenter le profil de ces derniers en
suivant une structure similaire à ce que nous avons réalisé plus
haut pour les premiers.
Sur le plan développemental, il existe de nombreuses études
ayant mis en évidence que ces individus ont grandi au sein d’un
environnement familial relativement caractérisé par de l’adversité
en ayant été exposés, par exemple, à des parents ayant des
antécédents criminels (un marqueur de l’antisocialité), un
historique de toxicomanie (avec une emphase sur le trouble de
l’abus de substance) ou un historique d’autres troubles mentaux
(ex. : schizophrénie et autres troubles psychotiques, troubles
bipolaires) [19,21,23,27,35,81,85,93]. Pendant leur enfance, ces
individus n’ont pas uniquement été exposés à ces difficultés ; ils
ont aussi généralement été les victimes de violences psychologi-
ques, physiques ou sexuelles [14,19,21–23,27,34,56,62,
64,65,75,81,91,93]. À l’adolescence, ces individus tendent à être
isolés socialement [63,81], à surinvestir la sexualité (ex. : fantaisies
sexuelles déviantes, masturbation compulsive, activités paraphi-
liques, consommation de pornographie) [24,50,51,63,80,82,85] et à
commettre des comportements antisociaux (ex. : conduire en état
d’ébriété) [21,24,31,59,81,88].
Sur le plan sexologique, les individus ayant commis une
infraction sexuelle sadique sont décrits comme ayant peu
d’expériences dans la sexualité interpersonnelle [11,23,56,63], et
cela, en dépit d’un investissement élevé d’autres sphères de la
sexualité, telles que la consommation de pornographie, la
masturbation compulsive et les activités paraphiliques
[1,11,23,27,56,80,81,93]. Il a été suggéré que ce manque d’expé-
rience pouvait être la conséquence d’une détresse sexuelle,
laquelle correspond à un sentiment d’infériorité et à une
insatisfaction sexuelle [11,63,80,81], et que ces individus tendent
à développer un sentiment d’hostilité envers l’objet de leur intérêt
sexuel, généralement les femmes [21,80,81].
Finalement, sur le plan psychologique, la littérature scientifique a
distingué deux principaux profils d’individus ayant commis une
infraction sexuelle sadique : ceux ayant un profil antisocial et
narcissique, lequel est dominé par la surestimation de soi, le charme
superficiel, le détachement émotionnel et l’impulsivité dans la vie de
tous les jours [19,27,48,49,59,67,93] et ceux ayant un profil évitant et
schizoı̈de, lequel est dominé par l’isolement social, la faible estime de
soi, la peur d’être rejeté par autrui et le désinvestissement des
relations interpersonnelles [11,13,21,63,80,81,83].
2.12. À ce jour, possédons-nous les connaissances afin d’expliquer,
non pas qu’un individu en arrive un jour à commettre une infraction
sexuelle sadique, mais l’hétérogénéité de profils sadiques que vous
avez évoqués ?
Alexandre Gauthier et Tamsin Higgs : Lorsque nous constatons
qu’il existe une hétérogénéité de types d’individus (les profils
sadiques) appartenant tous à une catégorie plus générale (les
individus ayant commis une infraction sexuelle sadique), le réflexe
est alors de sonder ce qui dans la trajectoire de vie de ces individus
a pu différer (les variations) sans pour autant différer au point
d’aboutir à des produits différents (d’autres types).
Précédemment, nous avons mis en avant les résultats de
Robertson et al. [88], lesquels sont parvenus à identifier deux
principales trajectoires développementales associées à l’émer-
gence d’un intérêt sexuel coercitif sadique : l’une se distingue
par le développement d’une composante antisociale à l’ado-
lescence, tandis que l’autre se distingue par le développement
d’une composante sexualisée à l’adolescence. Il est intéressant
de noter que la trajectoire antisociale semble pouvoir aisément
être connectée avec le profil psychologique antisocial et
8
Annales Médico-Psychologiques xxx (xxxx) xxx–xxx
narcissique de certains sadiques, tandis que la trajectoire
sexualisée semble pouvoir aisément être connectée avec le
profil évitant et schizoı̈de d’autres sadiques. Pendant de
nombreuses années, les équipes de recherche ayant dressé
des profils différents de l’individu ayant commis une infraction
sexuelle sadique s’opposaient de manière constructive sur ce
qui pouvait sembler être un paradoxe, soit le fait d’avoir deux
profils psychologiques distincts pour décrire un même type de
comportements : le sadisme sexuel. En 2010, Knight [48] en est
venu à la conclusion que ces deux descriptions de l’individu
sadique pouvaient coexister, malgré leur apparence paradoxale,
et cela, en raison de l’hypothèse de l’existence d’une hétéro-
généité d’individus sadiques, lesquels auraient des motivations
différentes pour passer à l’acte. La description du sadique
antisocial principalement proposée par Knight serait motivée
par la recherche de sensations fortes, tandis que le sadique isolé
et mal à l’aise dans sa peau serait motivé par la réalisation de
fantaisies sexuelles sadiques [81]. Ces différentes motivations
peuvent aboutir, logiquement, à des différences sur le plan
comportemental lors de l’infraction sadique : les antisociaux à
la recherche de sensations fortes pourraient davantage avoir
recours à la violence excessive, tandis que ceux étant mal dans
leur peau pourraient davantage avoir recours à la mise en place
d’un rituel.
En 2018, la conception plurielle du sadique sexuel avancée
par Knight a été renforcée par les résultats obtenus par Longpré
et al. [59], lesquels ont identifié, à l’aide d’analyses d’équations
structurelles, trois trajectoires développementales menant à
l’infraction sexuelle sadique : la trajectoire de la désinhibition, la
trajectoire de la méchanceté-narcissique et la trajectoire
schizoı̈de. La trajectoire de la désinhibition et celle de la
méchanceté-narcissique sont en continuité de la trajectoire
antisociale et du profil psychologique antisocial et narcissique
présentés précédemment. La trajectoire schizoı̈de est en
continuité et en continuité de la trajectoire sexualisée et du
profil psychologique évitant et schizoı̈de présentés précédem-
ment. Voici une brève description des trois trajectoires
identifiées par Longpré et al. : la trajectoire de désinhibition
correspond à des individus décrits comme ayant un style de vie
antisocial caractérisé par une criminalité polymorphique,
laquelle s’est amorcée à l’adolescence (ex. : problème de
comportements précoces, abus de substance). Longpré et al.
émettent l’hypothèse que les comportements sadiques des
individus de cette trajectoire sont motivés par un profond
mépris des limites d’autrui, des lois et des normes sociales. Selon
ces auteurs, les individus qui s’engagent dans cette trajectoire ne
seraient pas caractérisés par un intérêt sexuel coercitif sadique
et ne seraient pas particulièrement excités par l’infraction
sexuelle en tant que telle. La trajectoire de méchanceté-
narcissique correspond à des individus qui ont une structure
de personnalité étroitement liée au trouble de la personnalité
narcissique (ex. : égocentrisme, idées de grandeur, préoccupa-
tion pour le pouvoir et le prestige) ainsi qu’à la psychopathie
(ex. : détachement émotionnel, plaisir à faire preuve de cruauté,
exploitation d’autrui). Selon Longpré, les individus de cette
trajectoire commettent des comportements sadiques, d’une part,
pour les sensations fortes que ces comportements leur procurent
et, d’autre part, par quête de contrôle et de domination sur
autrui. Finalement, la trajectoire schizoı̈de correspond à des
individus ayant tendance à s’isoler socialement, à posséder une
faible estime d’eux-mêmes et à se sentir inférieurs aux autres.
Selon les auteurs, c’est d’ailleurs leur style de vie, que l’on peut
qualifier de « schizoı̈de », qui les mène à développer et à
entretenir un important monde fantasmatique dans lequel la
cruauté et la sexualité s’entremêlent.
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J. James, A. Gauthier, É. Garant et al.
2.13. Jean-Pierre Bouchard : Cette notion d’hétérogénéité chez les
individus ayant commis une infraction sexuelle sadique est
intéressante. Toutefois, lorsque l’on se focalise sur les individus ayant
commis des infractions sexuelles particulièrement graves, comme les
homicides sexuels, il semblerait que les médias ne la prennent pas en
considération lorsqu’ils décrivent ces individus comme devant
nécessairement être des prédateurs sadiques pour en être arrivés à
commettre ce type d’infraction. Auriez-vous des résultats permettant
de déconstruire cette croyance erronée ?
Jonathan James et Tamsin Higgs : Deux éléments sont à prendre
en considération afin de déconstruire cette croyance erronée :
premièrement, tous les individus ayant commis un homicide
sexuel ne sont pas tous les mêmes [39]. De nombreuses
classifications ont été proposées en ce qui concerne ces individus
et celles-ci mettent toutes en évidence l’hétérogénéité de cette
population, que cela concerne leur profil psychologique ainsi que
leur façon de passer à l’acte (voir une recension systématique
[29]) ; deuxièmement, dans cette hétérogénéité, les individus
sadiques sont minoritaires, que cela soit en valeur absolue lorsque
l’on considère le nombre type mis en évidence (généralement, trois
types sont identifiés, le colérique, l’opportuniste et le sadique), ici,
le type sadique représente un tiers des types ; dans notre étude en
2023 [76], nous avons identifié six types ; parmi eux, deux sont des
types sadiques, soit un tiers des types identifiés) ou en valeur
relative (ex. : dans notre étude en 2023, 31,7 % des individus sont
des sadiques ; dans l’étude de Beauregard et Proulx [5], 44,4 % des
individus sont des sadiques). À la lumière de ces informations, nous
pouvons donc affirmer qu’il est faux de penser qu’un individu
ayant commis un homicide sexuel est nécessairement un sadique.
2.14. Jean-Pierre Bouchard : Finalement, vous indiquiez que les
préférences sexuelles déviantes constituent le prédicteur le plus
fortement associé à la récidive sexuelle. Serait-il exact de penser que
les individus ayant commis un homicide sexuel sadique sont ceux qui
ont le potentiel le plus élevé de commettre une série d’homicides
sexuels ?
Jonathan James et Ingrid Ménard : Nous pensons qu’il s’agit
effectivement d’une affirmation qui est exacte. Il est important de
noter que, au-delà d’études cliniques [11,63], il existe peu d’études
empiriques portant sur les individus ayant commis une série
d’homicides sexuels. Cela est principalement dû au fait qu’il est
difficile de pouvoir constituer un échantillon de taille suffisante, et
de qualité (avoir une diversité de sources d’informations portant
une diversité de domaines de variable), étant donné que l’homicide
sexuel est un phénomène rare, et que la sérialité d’homicides
sexuels, par déduction, est un phénomène qui est encore plus rare
[36]. Afin de réaliser une série d’études sur les homicides sexuels
en France (pour consulter les détails de la méthodologie, [33]),
nous avons constitué un échantillon qui est composé de
120 individus ayant commis un homicide sexuel. Parmi eux,
33 avaient commis une série d’homicides sexuels, ce qui
représente un échantillon relativement grand étant donné la
nature de l’infraction. Sur ces 33 individus, 22 ont obtenu un score
égal ou supérieur à 4 au Severe Sexual Sadism Scale, soit 66,7 % des
individus. En conséquence, force est de constater que les individus
sadiques sont surreprésentés parmi les individus ayant commis
une série d’homicides sexuels, mais attention, ils ne sont pas
responsables de la totalité de ces homicides (il reste un 33,3 % !) et,
en conséquence, il est raisonnable d’indiquer que le sadisme
sexuel, à lui seul, est insuffisant afin d’expliquer l’étiologie de
l’homicide sexuel sériel.
En 2020, avec la contribution de plusieurs collègues (Jean
Proulx, Patrick Lussier, Eric Beauregard, et l’équipe du Départe-
ment des Sciences du Comportement de la Gendarmerie Nationale
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Française : Marie-Laure Brunel-Dupin, Elen Vuidard, Audrey
Renard, Stéphanie Le Maout), nous avons proposé un modèle
théorique de l’homicide sexuel sériel, lequel permet de mettre en
évidence pourquoi le sadisme sexuel semble favoriser l’émergence
de tels comportements. Dans ce modèle, nous faisons le constat
que les homicides sexuels en série sont caractérisés par deux
composantes : l’une organisée et l’autre sadique. Par le biais de la
réalisation de leur script sexuel préparé (ex. : préméditation de
l’homicide), les individus ayant commis un homicide sexuel
sadique semblent complexifier le travail des intervenants de
l’enquête criminelle. Ces homicides semblent parfois être difficiles
à résoudre en raison de l’absence de témoin des faits, de l’absence
de trace forensique permettant de mener à l’identification de
l’auteur de l’infraction, de l’absence d’arme (lorsqu’une arme a été
utilisée). De plus, certains individus sadiques tendent à dissimuler
de manière sophistiquée le corps de la victime. Ainsi, il n’est pas
surprenant de constater que le corps de celle-ci est retrouvé après
un plus long laps de temps et en état de décomposition avancé. De
tels facteurs peuvent en partie expliquer pourquoi les homicides
sexuels commis par des sadiques mettent plus de temps à être
résolus. D’autre part, le modèle met de l’avant que dans certains
cas, les intervenants chargés d’enquêter sur les homicides sexuels
commis par des sadiques échouent davantage que d’autres à
appliquer les pratiques considérées comme étant indispensables à
la résolution rapide des homicides (ex. : enquête de voisinage,
exploitation des traces forensiques si présentes). Cette différence
dans la qualité du fonctionnement de l’enquête criminelle pourrait
en partie expliquer pourquoi certains individus auront la
possibilité de commettre un second homicide sexuel, et donc, de
devenir des sériels. Ainsi, ce modèle suggère que la possibilité de
commettre une série d’homicides sexuels n’est pas seulement
relative aux caractéristiques individuelles de l’individu, ou à la
façon dont il est passé à l’acte, mais est aussi relative à la capacité
des intervenants de l’enquête criminelle à mener l’enquête de
manière optimale. Dans ces cas-ci, la commission d’un deuxième
homicide sexuel pourrait dépendre de l’impact qu’a eu la
commission du premier homicide sexuel sur les fonctionnements
cognitifs et affectifs de l’individu sadique. Comme nous le
soulignons précédemment, le plaisir obtenu via la coercition
(renforcement) associé à l’évitement de la police (évitement de la
punition) pourrait expliquer pourquoi les individus ayant commis
un homicide sexuel sadique se retrouvent dans la possibilité d’en
commettre un deuxième et d’entamer une série d’homicides
sexuels.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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