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Discrimination et homosexualité

Frédéric Gal
Dans Les Cahiers Dynamiques 2013/1 (n° 58), pages 48 à 53

Article

D ans le cadre d’une journée sur les discriminations organisée à l’ENPJJ,


Frédéric Gal a fait une intervention particulièrement appréciée. En
voici un large extrait où il aborde les notions d’homosexualité et
1

d’homophobie.

On a beaucoup parlé de discrimination, d’homosexualité, surtout ces 2


[1]
derniers mois . Il y a eu de nombreux débats, de remue-ménage. Des
choses qui semblaient tout à fait réglées, tout à fait logiques et tombant
sous le sens, finalement ne tombent pas tant sous le sens que cela et les
préjugés, les stéréotypes sont encore bien présents. Pourquoi parler
d’homosexualité, notamment au niveau de l’ENPJJ ? Le refuge a passé une
convention avec la PJJ en 2011 parce que vous, futurs professionnels, allez
être amenés à rencontrer des personnes, des collègues, des usagers, des
bénéficiaires, qui seront peut-être confrontés à la question de
l’homosexualité et du coup à la question de l’homophobie. Avec une
question centrale : qu’est-ce qu’on peut considérer comme étant de
l’homophobie ? Et, qu’est-ce qu’on peut considérer comme n’en étant pas ?
Est-ce que tous les opposants au « mariage pour tous » sont tous
homophobes ?
:
La peur de l’autre

La phobie, c’est la peur et homo vient du grec homeos, qui veut dire 3
identique. Donc le rejet, la peur de ce qui est identique, la peur de la même
sexualité si on veut faire une traduction très littérale… mais, en quoi est-ce
"
la peur Suivre !
? Je ne sais plus qui a dit que le racisme,Ajouter
c’est la peur de l’autre, la
peur de l’inconnu. Autour de l’homosexualité, il y a d’abord une peur au sein
de la famille. L’homosexualité fait partie d’un tabou familial, évoqué ou pas
et, généralement, il n’est pas évoqué. C’est aussi au niveau de la famille bien
sûr un tabou énorme. Au niveau de la famille la grosse peur vient surtout
du « qu’en-dira-t-on ? ». Que vont dire les voisins ? Qu’est-ce qu’ils vont
penser, raconter ? Que vont dire les amis ? Comment va-t-on leur
annoncer ? Logiquement, les amis demandent au sujet des enfants s’ils
« vont se marier, avoir des enfants ? ». Et c’est un cap à franchir pour les
parents d’oser dire qu’il est amoureux, qu’il est heureux, mais pas d’une
fille, d’un garçon. Et il y a une confusion assez régulière entre
homosexualité, pédophilie et même zoophilie ! Et beaucoup pensent encore
que le sida est une maladie propre à l’homosexualité, qui ne contamine que
les homosexuels, que ça vient d’eux surtout. On essaie d’expliquer que ce
n’est pas aussi simple. Et quand on explique que le virus initialement
provenait du singe, je vous laisse imaginer ce que les jeunes pensent. Ils se
demandent immédiatement comment il s’est transmis de l’animal à
l’homme. C’est expliquer à des gens pour lesquels il est naturel de penser ça,
que la réalité du terrain n’est pas celle-là, que le sida touche
des hétérosexuels et, proportionnellement, beaucoup plus que les
homosexuels.

La religion a également une grande importance en ce qui concerne 4


l’homophobie. Toutes les religions condamnent l’homosexualité. Mais
j’aimerais mettre un bémol dans mon propos. C’est surtout l’interprétation
qui est faite des textes qui condamne l’homosexualité. Il y a des textes qui
ne font pas explicitement référence à l’homosexualité, qui ne citent pas le
terme. La Bible et le Coran n’utilisent pas ce terme au sens strict. Ils
évoquent éventuellement des comportements. Et surtout ces textes sont
anciens, très anciens. Et plusieurs corans s’opposent. Pour prendre les deux
religions principales en France, le christianisme et l’islam… Pour l’islam,
l’association Homos musulmans de France est une association avec un
:
imam réformateur, Ludovic Zaieb. Il est imam, donc musulman et très fier
de l’être. Il prône surtout la tolérance, et même un respect de la personne
qu’il a en face de lui, qu’elle soit musulmane ou pas. Chez les catholiques,
on trouve l’Église Metropolitan Community Churches (MCC) qui rassemble des
chrétiens qui, au-delà de se questionner sur la sexualité, se questionnent
plutôt sur l’amour de l’autre et l’acceptation de l’autre tel qu’il est. C’est la
compréhension du texte qui est primordiale.

Un autre point important est la place des femmes. L’homophobie, pour une 5
grande part, puise ses fondements dans le sexisme. Au sujet de la place des
femmes dans la société, d’énormes progrès on été faits mais il y a encore
beaucoup de chemin à accomplir. Les chiffres disent que les femmes sont
moins payées, qu’elles ont des postes à moindre responsabilité. Cela est à
mettre en parallèle avec ce qui se passe quand on exclut un jeune qui est
homosexuel… Demandez à des jeunes pourquoi ils ne parlent plus à l’un de
leurs camarades du jour où il aura dit, où qu’ils auront considéré, qu’il est
homosexuel. La réponse est en général : « Parce qu’il fait tout comme une
meuf. » S’il fait tout comme une meuf, cela veut dire qu’il n’est pas un
homme, un vrai. La question serait de savoir ce qu’est un homme, un vrai !
On peut le voir de différentes manières. Il y a ce préjugé que les
homosexuels sont forcément efféminés, les homosexuelles forcément
masculines. Quand on évoque un homosexuel, la première image qui vient
aux jeunes qui disent avoir la capacité de les reconnaître, c’est que
forcément ils vont être très efféminés, porter des vêtements plutôt
féminins, pourquoi pas du maquillage. Il semble fou d’entendre ce langage
mais c’est ce que vous répondent les élèves, collégiens et lycéens, même si
c’est un peu moins pour les lycéens.

Tout est toujours ramené à la question de la sexualité, on ne parle pas de 6


sentiments, avec derrière, une question de féminité, d’appartenance. On
change de genre, ce qui n’est pas admis dans la société puisqu’il faut
obligatoirement appartenir à un genre.

Tous homophobes ?
:
Ce que l’on considère comme étant de l’homophobie, qu’est-ce que c’est ? 7
Des insultes, des violences physiques et verbales. Un copain est dans la cour
de récréation avec ses amis. Il voit un petit jeune un peu « maniéré », qui ne
correspond pas aux critères masculins habituels. S’il se fait traiter de pédé,
est-ce que c’est de l’homophobie ? Est-ce une insulte homophobe ? Dans le
principe, oui. L’insulte homophobe, je vous le rappelle, est punie par la loi.
Et il y a même une circonstance aggravante au niveau des faits et des délits
[2]
qui sont commis. Bruno Wiel a été agressé à Paris par trois jeunes gens
parce qu’il était homosexuel. Ils avaient échangé sur les réseaux sociaux. Ils
avaient visiblement trouvé un moyen de s’entendre tous les trois. Ce jeune
homme s’est retrouvé attaché à un arbre dans un bois. Il a été torturé toute
la nuit, violé, et tout ce qui va avec. Pendant le procès, il a été reconnu que
ces jeunes avaient commis des actes de torture et de barbarie, bien sûr,
mais surtout avec une origine homophobe. La peine s’est trouvée aggravée
pour cette raison.

L’homophobie, c’est l’insulte, c’est refuser que des personnes qui ont une 8
sexualité différente de la sienne, aient les mêmes droits que les autres, à
tous les niveaux. On devrait logiquement dire que les gens qui étaient
contre le mariage pour tous étaient homophobes. Pourtant, l’homosexualité
n’est pas un choix. On entend régulièrement dire « qu’on l’a choisi ». Je ne
pense pas que les Iraniens qui se font pendre l’aient particulièrement
choisi, sauf à être suicidaires. Ce n’est pas un choix, tout comme la couleur
de peau ou l’origine ethnique. Si demain quelqu’un de couleur se présente
pour se marier avec une compagne et que la mairie dit que non parce qu’il
est noir, qu’elle est désolée mais que ce n’est pas possible, j’imagine que la
mairie se fera attaquer, qu’une démarche judiciaire sera entreprise.
Finalement c’est la même chose de priver de droits une personne en raison
de sa couleur de peau ou de son origine ethnique et de priver quelqu’un
d’une reconnaissance juridique d’existence. Cohabitation homo et
cohabitation hétéro existent depuis des années. C’est priver de droits une
personne qui n’a pas choisi ce pour quoi on la prive de droits.
L’homophobie, c’est mettre de côté.

Par ailleurs, l’homophobie intériorisée est un état d’esprit dans lequel 9


finalement la personne victime d’insultes homophobes inclue ces insultes
en elle-même. Au bout de quelques années d’un processus assez long, il se
dit que si tout le monde le traite de pédé, de tapette, de pédale, c’est peut-
:
être que les autres ont raison, que c’est peut-être lui qui n’est pas normal,
qu’il devrait peut-être disparaître. Les jeunes qui sont accueillis au Refuge
ont entendu : « Si j’avais su que tu serais pédé, j’aurais avorté. » Cela fait
quelque chose quand on entend ça à dix-sept ou dix-huit ans. Un père a dit
à son fils : « Ce serait bien que tu te suicides, ça ferait plaisir à ta mère. »
Quand on entend ce genre de choses, il y a deux solutions. Soit on dit
qu’avoir dit ça est dégueulasse, soit cela devient un leitmotiv sans arrêt
répété qu’on inclue inconsciemment en se disant qu’ils ne doivent pas avoir
tort et qu’on ne devrait pas exister. L’homophobie intériorisée, c’est
justement cette notion d’intériorisation de l’insulte, du comportement
négatif, avec comme conséquence un comportement négatif sur soi-même.
Ce sont les dépressions, les conduites addictives, les scarifications et le
suicide. Je vous rappelle que le taux de suicide des jeunes homosexuels est
entre sept et treize fois plus élevé que la moyenne hétérosexuelle. Le rejet
de la société, des amis, de la famille, contribue largement à ces choses-là. Il
y a aussi des homosexuels qui vivent très bien leur homosexualité, qui sont
très heureux de vivre. Je ne veux pas généraliser, je parle surtout des jeunes
que nous recevons.

L’idée que l’homosexualité est une maladie revient régulièrement, ce qui 10


sous-entend qu’on peut en guérir. Il y a de nombreuses structures, des
associations, pourquoi pas des sectes, qui proposent des stages de
guérison. Ils se font payer très cher. Il y a beaucoup de prières. On fait appel
à Dieu pour beaucoup de choses. Là, c’est pour qu’Il change la sexualité. Et
on fait appel à des techniques de concentration de soi-même du type « je
veux changer ». Une structure aux États-Unis, qui s’appelle Exodus, s’est
efforcée pendant vingt ans de changer l’ordre sexuel des jeunes qui leur
étaient envoyés. Très récemment, celui qui s’en occupait, et qui a
démissionné entre-temps, s’est excusé suite à sa démission, du mal qu’il
avait fait à tous les jeunes qu’il avait pu suivre. Lui-même était arrivé en
étant homosexuel. À Exodus il était devenu hétérosexuel. Et finalement il
s’était rendu compte qu’il était homosexuel et il repartait. Cela a permis de
montrer que, quand on est homosexuel, ce n’est pas un choix.

La conséquence de l’homophobie est parfois le suicide. C’est un acte d’une 11


violence extrême. Mais pour beaucoup il apparaît comme une libération.
Quand il vient suite au harcèlement homophobe, au travail, ou dans la cour
de récréation et qu’il n’est pas forcément stigmatisé par le personnel… Et en
:
lien avec l’actualité, on a surtout constaté un effet « mariage pour tous »
parce que les débats se sont inscrits dans les familles. Dans les familles qui
sont allées manifester, des jeunes se sont retrouvés obligés d’y aller avec
leurs parents alors qu’ils étaient homosexuels et ne l’avaient surtout pas dit
à leurs parents. Je vous laisse imaginer, vu les slogans, l’impact qu’ils
pouvaient avoir sur un jeune de quatorze ans homosexuel qui se dit qu’il
comprend pourquoi personne ne l’aime et pourquoi tout le monde lui dit
qu’il est anormal et qu’il ne peut pas être comme tout le monde. Beaucoup
de jeunes qui étaient sur le point de dire à leurs parents qu’ils étaient
homosexuels ne l’ont finalement pas dit. Mais, malgré cela, et même si, en
termes de représentation de l’autre, on est loin du compte, on avance.

Un lieu d’accueil et de réinsertion

Le Refuge est une structure d’accueil présente sur douze sites au


niveau national qui existe depuis 2003. Elle a trois buts principaux.
Tout d’abord l’hébergement de jeunes victimes d’homophobie, des
jeunes de 18 à 25 ans qui sont rejetés du domicile familial à qui est
proposé un appartement-relais, un accompagnement social, un
accompagnement psychologique, puis une réinsertion
socioprofessionnelle au sein de la société qui les a rejetés.
Le Refuge a aussi une mission de prévention, notamment au niveau
des lycéens depuis trois ans. Il s’agit de parler d’homosexualité et
d’amener les jeunes, non pas à prôner l’homosexualité, ce dont les
chefs d’établissement ont souvent peur, mais le respect de chacun tel
qu’il est et quelle que soit sa sexualité.
Cette structure accueille aussi régulièrement des jeunes mineurs qui
sont placés par décision judiciaire. Généralement ce sont des
placements directs du juge des enfants.
Une convention triennale a été signée en 2011 avec la PJJ, qui vient
d’être reconduite. Cette convention inclue une intervention auprès
des mineurs incarcérés, auprès des professionnels, ce qui a déjà été
réalisé à Reims et à Besançon.
Le refuge intervient également dans les stages de citoyenneté, les
mesures de réparation pour les mineurs.
:
Notes

[1] Frédéric Gal est intervenu à L’ENPJJ à Roubaix alors que le débat autour
du « mariage pour tous » faisait la une de journaux (NDLR).

[2] Cette agression particulièrement violente a eu lieu en 2006. Bruno Wiel


est resté dans le coma quinze jours et a été hospitalisé pendant près de
sept mois (NDLR).

Plan
La peur de l’autre

Tous homophobes ?

Auteur
Frédéric Gal

Frédéric GAL est directeur de l’association Le Refuge dont la vocation est d’offrir
un hébergement temporaire et de soutenir les jeunes majeurs victimes
d’homophobie.

Mis en ligne sur Cairn.info le 02/05/2014


:
https://doi.org/10.3917/lcd.058.0048

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