UNE EXPANSION PLANÉTAIRE
ÉCLAIRAGE
Le yoga dans le monde
musulman contemporain
Fabrizio Speziale
EHESS-CEIAS, Paris
La pratique du yoga s’est largement répandue dans
les sociétés musulmanes contemporaines, mais il
ne s’agit pas d’une actualisation de formes prémo-
dernes d’assimilation ou d’islamisation du yoga,
telles qu’en a connues l’Asie du Sud pendant la
période des sultanats et de l’Empire moghol*. Ces
dernières ont, en réalité, beaucoup décliné, notam-
ment pendant la période postcoloniale  : les rela-
tions entre les yogis et les soufis sont devenues
rares, les groupes de yogis musulmans ayant été
très marginalisés par la montée des idéologies
identitaires. Compte tenu de la longue tradition
de contacts entre les Nāths et la société musul-
mane, l’émergence et la réussite politique dans
l’Inde actuelle d’un personnage comme Yogi
Adityanath est emblématique de cette rupture. Car
Yogi Adityanath, le mahant (« dirigeant ») de l’im-
portant temple de Gorakhpur, est un membre du
Bharatiya Janata Party ; nommé Premier ministre
de l’Uttar Pradesh en 2017, il est l’instigateur de
violentes campagnes contre les musulmans de son
État**.
Au cours du xxe  siècle, le yoga diffuse dans le
monde musulman principalement comme une
tendance importée de l’Occident et de l’Inde. Le
leader druze libanais Kamal Joumblatt, mort en
1977, a été l’une des premières figures publiques
à pratiquer le yoga au Moyen-Orient. De nos jours,
l’offre de cours est présente en particulier dans les
grands centres urbains, tels Casablanca, Tunis,
Le  Caire, Istanbul, Beyrouth, Amman, Dubaï,
Bagdad, Karachi, Dacca, Jakarta et Kuala Lumpur.
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Des ouvrages récents sur le yoga sont publiés en
arabe, en turc, en indonésien et dans d’autres lan-
gues ; on trouve des articles et des revues sur le
yoga, des émissions et des publicités à la télévi-
sion, ainsi que des cours pour les enfants, les
femmes, dans les entreprises, destinés aux poli-
ciers et aux détenus dans les prisons.
Du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est, les femmes
constituent la cible des nouvelles formes globales
d’exercice du yoga. En Inde même, de nombreuses
femmes musulmanes le pratiquent de nos jours.
Le yoga est populaire également en Arabie Saoudite
et en Iran. En novembre  2017, le gouvernement
saoudien a officiellement approuvé sa pratique
comme activité sportive et en 2020 des ensei-
gnants de yoga sont installés à La  Mecque et à
Médine. En Iran, on trouve des cours dans les
grandes villes, et même dans la ville sainte de
Machhad, bien que, en 2019, à Gorgan, la capitale
de la province du Golestan, les participants à une
séance de yoga aient été placés en garde à vue,
sous prétexte que les activités sportives mixtes
sont interdites par la loi. En Indonésie, le pays qui
compte le plus de musulmans au monde (plus de
200 millions), les cours peuvent se dérouler dans
des espaces publics, comme les jardins de Jakarta.
Bali a émergé comme un nouveau centre multi-
culturel pour l’enseignement du yoga, alors que
les hindous balinais ne le pratiquaient pas. En
outre, des séjours avec sessions de yoga sont
offerts sur la mer Rouge, en Égypte, ainsi que dans
les centres touristiques du Maroc, Marrakech,
Agadir et Essaouira.
Cette large diffusion a suscité des réactions
contraires. Déjà, en 1984, le conseil islamique de
Singapore émettait une fatwa interdisant aux
musulmans de pratiquer les aspects de la disci-
pline qui incluent des éléments du rituel hindou,
tels les mantras. En 2004, le grand mufti d’Égypte
a promulgué, lui aussi, une fatwa interdisant de
pratiquer le yoga, au motif qu’il pouvait contami-
ner la croyance islamique. En 2008, une fatwa
similaire a été émise par les oulémas malaisiens.
L’année suivante, le conseil des oulémas
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 La mondialisation du Yoga

Titre de l’image

Et laborestet aut quideni tatquatus accum rem endeniet atemporum venecup tatiore pudion pa acid ut maionsendae cum
quaturi dio. Itassus. Ipisqui dolut ad estempos excest acepe liquam utestibus ex ex el.

indonésiens en formule une autre, qui n’interdit
pas la pratique physique, mais vise, là encore, les
formes de yoga comportant des éléments religieux,
tels les mantras. On peut s’interroger sur la finalité
réelle de ces fatwas émises en Égypte et en Asie
du Sud-Est : sont-elles motivées, en premier lieu,
par l’exigence de protéger les musulmans de
­l’influence hindoue ? ou par la volonté de limiter,
le plus possible, l­’assimilation de modes de vie
occidentaux, comme dans le cas de celles qui
visent la Saint-Valentin et Halloween ?
D’ailleurs, l’impact de ces critiques et de ces inter-
dictions est mitigé. Les fatwas sur le yoga ont, en
effet, suscité des réactions contrastées dans les
sociétés malaisienne et indonésienne, et elles ont
été critiquées par des religieux musulmans. Malgré
tout, la pratique du yoga reste très populaire parmi
les musulmans d’Asie du Sud-Est, même dans les
groupes qui devraient être les plus attentifs au
discours des oulémas, comme le montre le fait que
de nombreuses femmes qui participent aux cours
de yoga sont des musulmanes pratiquantes qui
portent le voile.
* Voir Speziale, chap.6 et Boivin, chap.7, p. xxx.
** Voir R. Voix, chap.11, p. xxx.

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