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mathématiques au collège
Stéphane Vinatier
L’argumentation qui suit est basée essentiellement sur ma lecture des programmes
du Cycle 4 et ma vision de ce que peut être l’apprentissage de la modélisation et de
la démarche scientifique ; elle est aussi influencée par mon expérience d’enseignement en
licence de mathématiques et master MEEF parcours mathématiques (en particulier la
préparation de leçons d’oral de CAPES portant sur le programme du collège).
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— résoudre ce problème avec les outils mathématiques appropriés 3 , éventuellement en
procédant à des simulations (par exemple calcul sur tableur, utilisation de GeoGe-
bra) 4 ;
— retraduire la solution mathématique en termes de la situation dont le problème est
issu, estimer alors la pertinence de la réponse, c’est-à-dire la validité du modèle choisi
pour représenter et résoudre la question.
La démarche scientifique
Un des enjeux essentiels de la formation citoyenne des élèves est de leur faire prendre
conscience de la différence fondamentale entre la construction scientifique de la connais-
sance et les croyances véhiculées par les religions, traditions ou encore par des rumeurs. Les
heures de sciences permettent une première approche de l’expérimentation et de son usage
pour construire la connaissance : si une nouvelle expérience aboutit, dans des conditions
reproductibles et controlées, à des résultats remarquables, on tentera d’expliquer ceux-ci
à l’aide d’une théorie existante, dont la validité se trouvera alors renforcée par cette nou-
velle capacité d’explication, ou sinon en imaginant les nouvelles lois nécessaires à cette
explication, qui deviendront alors des hypothèses à tester par exemple en imaginant des
expériences ad-hoc. Il est à noter que ces « expériences » peuvent être, au stade ultime,
l’application des lois ainsi construites à la réalisation d’objets technologiques, dont le
fonctionnement lui-même atteste de leur validité.
Un point important et délicat à faire comprendre est que, bien que la validité des
théories scientifiques qui expliquent le monde soit toujours relative (chaque développement
de la connaissance remet partiellement en cause certaines connaissances antérieures), ces
théories n’en restent pas moins beaucoup plus solides que toutes les autres manières
de construire des explications du monde. De fait les remises en cause produites par les
nouvelles découvertes consistent généralement à mieux circonscrire le domaine de validité
des anciennes connaissances, sans rien leur ôter de leur pertinence à l’intérieur de ce
domaine. L’exemple immédiat qui vient à l’esprit est celui de la théorie de la relativité
d’Einstein : elle consiste en une modification des lois établies auparavant par Newton
pour les rendre plus universelles (afin d’expliquer les résultats d’expériences jusque là
« paradoxales »), modification qui n’en est vraiment une que pour des objets dont la
vitesse se rapproche de celle de la lumière, autant dire que les lois de Newton restent
complètement valables dans de très nombreuses situations, en particulier les plus courantes
à notre échelle 5 .
Cette très brève présentation de la démarche scientifique montre que la modélisation
mathématique telle que décrite dans le programme du Cycle 4 en est un cas particulier, en
ce sens qu’elle pourra consister à valider ou invalider un modèle : je fais l’hypothèse que la
problèmes mathématisés. »
3. « Résoudre des problèmes modélisés par des fonctions (équations, inéquations). »
4. Cette phase peut également avoir lieu pour des problèmes qui ne sont pas issus d’une situation
réelle, c’est-à-dire posés dès le départ en termes mathématiques, lors d’une phase de recherche.
5. Notons cependant qu’il faut tenir compte des modifications d’Einstien pour permettre à la locali-
sation GPS de fonctionner, du fait qu’elle associe des données provenant de plusieurs satellites.
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situation réelle que j’étudie se traduit d’une certaine façon en langage mathématique ; les
outils mathématiques dont je dispose permettent alors d’en déduire certaines conséquences
que je peux comparer, une fois retraduites dans le langage de la situation d’origine, aux
observations faites dans celle-ci ; selon que les conséquences et les observations coïncident
ou non, on est amené à valider le modèle mathématique utilisé (au moins pour cette
situation précise) ou à l’invalider et à en chercher un autre. La comparaison de la situation
à un modèle connu est du même acabit : celui-ci donne des lois de comportement que l’on
compare aux observations réelles, une fois traduites dans le langage mathématique de ce
modèle.
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mathématique “rectangle”, autrement dit les très petites différences de longueur des côtés
opposés, qui sont inévitables dans le monde physique, ne seront pas conservées par la mo-
délisation. Plus généralement, pour une grandeur physique qui n’est par définition connue
qu’avec une certaine précision, la modélisation consiste à abandonner l’incertitude de la
mesure physique en fixant la valeur avec la précision qui semble préférable, à déterminer
avec précaution : la validité du modèle peut en dépendre ! 6
Ce qui vient d’être écrit conforte le découpage de la modélisation en trois phases
comme ci-dessus : on doit bien séparer ce qui se produit dans le monde réel et ce qu’on en
fait dans le modèle mathématique, pour comprendre que les conclusions tirées de l’analyse
mathématique ne peuvent être valablement appliquées qu’à un certain niveau d’approxi-
mation : le caractère absolu des vérités mathématiques ne se transfère pas au monde réel,
le terrain de football physique n’est un rectangle qu’à un certain niveau d’approximation.
De même un objet physique ayant une forme triangulaire, avec des côtés mesurant 3cm,
4cm et 5cm, n’est évidemment pas rectangle si on le scrute avec suffisamment de préci-
sion (à l’échelle atomique par exemple), tandis que le triangle mathématique de côtés de
longueurs 3, 4 et 5 par lequel on peut le modéliser est parfaitement, absolument rectangle.
Cette réflexion nous ramène naturellement au lien entre la modélisation et l’appren-
tissage de la démarche scientifique, qui demande de faire sentir aux élèves que chaque
théorie scientifique a un domaine de validité (ou d’application) qui lui est propre (et
qui peut parfois être remis en question lorsque de nouveaux phénomènes sont observés).
Les mathématiques elles-mêmes ne prennent sens que si on les applique aux objets pour
lesquels elles sont valables, à savoir les objets mathématiques : nombres et objets géomé-
triques pour l’essentiel au niveau du collège. Utiliser le théorème de Pythagore demande
d’avoir une notion de distance entre les points de l’espace ou du plan, au sens mathéma-
tique du terme, en particulier à valeurs dans un ensemble bien choisi (les nombres réels
positifs, même si on ne les appelle pas forcément ainsi, au niveau du collège). C’est avec ces
nombres qu’on teste la propriété « carré de la longueur de l’hypoténuse égal à la somme
des carrés des longueurs des deux autres côtés », et cette égalité n’a de sens qu’avec des
nombres « mathématiques », c’est-à-dire connus avec une précision absolue ; en d’autres
termes, l’égalité ne peut pas être vérifiée pour les longueurs physiques des objets, qui ne
peuvent être connues qu’à un niveau d’approximation plus ou moins grand.
C’est pour cette double raison (domaine de validité d’une théorie ; distinction entre la
réalité physique et son modèle) que je défends l’idée que les unités physiques des gran-
deurs n’apparaissent que dans les phases (1) et (3) de la modélisation, en rapport avec
la situation réelle ; dans la phase (2), ne doivent plus apparaître que les objets mathé-
matiques auxquels la théorie s’applique, nombres ou objets géométriques. Autrement dit,
au Cycle 4 et dans la perspective de maîtriser le sens de la modélisation tout en allant
vers l’apprentissage de la démarche scientifique, on ne devrait pas faire de calculs avec
des grandeurs physiques (avec unités) ou raisonner à l’aide d’outils mathématiques sur
une situation (terrain de football...) qui n’a pas au préalable été modélisée par une fi-
gure géométrique (connue avec exactitude donc). Alors que beaucoup s’accordent à dire
qu’on devrait demander plus de rigueur aux élèves à ce stade de leur scolarité (en accord
6. Une approximation de données météorologiques à la 5e décimale plutôt qu’à la 6e a permis à un
météorologue américain de découvrir l’« effet papillon » dans les années 60 : ce changement infime des
données intiales produisait des prévisions météorologiques radicalement différentes.
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d’ailleurs avec l’orientation des programmes qui veut que l’on commence à construire
des raisonnements argumentés), il me paraît contre-productif de leur laisser croire que
les théories mathématiques s’appliquent à des grandeurs physiques alors qu’on pourrait
facilement leur montrer que, si puissantes soient-elles pour comprendre le réel, elles ne le
font qu’à travers la simplifisation de celui-ci produite par la modélisation.
Enfin, il me semble également que le passage au calcul littéral sera facilité par la
pratique de calcul avec des nombres mathématiques, sans unité physique, la lettre qu’on
introduira ensuite représentant simplement un nombre et non pas cette entité complexe
qu’est le « nombre avec unité ». Le non usage de l’unité dans les calculs est un premier
pas vers l’abstraction, qui facilitera le pas suivant qu’est le remplacement du nombre par
la lettre.
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moment où l’on veut commencer l’initiation à la construction du raisonnement, il est
dommage de ne pas définir les objets sur lesquels on travaille.
Un peu plus haut dans le programme on trouve en exemple de la situation de propor-
tionnalité : « étudier des relations entre deux grandeurs mesurables pour identifier si elles
sont proportionnelles ou non », ce qui se traduit dans certains manuels par une définition
de la situation de proportionnalité ressemblant à : « deux grandeurs sont proportionnelles
si l’on peut passer de l’une à l’autre en multipliant toujours par un même nombre ». Ou
comment donner l’apparence de la rigueur, avec une définition précise, alors que celle-ci
s’appuie sur une notion des plus vagues : il sera difficile de demander ensuite de la rigueur
aux élèves lorsqu’on leur demandera de prouver qu’une situation donnée est une situation
de proportionnalité, il faudrait en effet d’abord vérifier qu’elle fait bien intervenir des
« grandeurs », ce qui est impossible puisqu’on ne sait pas de quoi il s’agit.
Plus précisément, les mathématiques tirent leur force du fait qu’elles sont une construc-
tion auto-suffisante et entièrement déductive, à partir des axiomes que l’on se donne pour
débuter une théorie. Les définitions n’y sont indispensables que dans la pratique, car il
est bien plus commode d’avoir un mot qui désigne les objets vérifiant certaines propriétés
que de devoir énoncer ces propriétés à chaque occurrence de l’objet, à la fois pour la
clarté de la présentation d’un raisonnement et pour aider à forger celui-ci, en permettant
à chacun de développer une intuition sur les objets en question. Donner une définition
faisant intervenir une notion non mathématique dénature complètement la construction
mathématique et ne permettra pas aux élèves de s’en faire une idée juste.