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Éducation et didactique

14-3 | 2020
Varia

Processus de modélisation et processus de


problématisation en mathématiques à la fin du
lycée
Une étude de cas dans une perspective de didactique comparée

Corinna Hankeln et Magali Hersant

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/educationdidactique/7776
DOI : 10.4000/educationdidactique.7776
ISSN : 2111-4838

Éditeur
Presses universitaires de Rennes

Édition imprimée
Date de publication : 25 novembre 2020
Pagination : 39-67
ISBN : 978-2-7535-8206-4
ISSN : 1956-3485

Référence électronique
Corinna Hankeln et Magali Hersant, « Processus de modélisation et processus de problématisation en
mathématiques à la fin du lycée », Éducation et didactique [En ligne], 14-3 | 2020, mis en ligne le 05
janvier 2022, consulté le 10 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/educationdidactique/
7776 ; DOI : https://doi.org/10.4000/educationdidactique.7776

Tous droits réservés


PROCESSUS DE MODÉLISATION ET PROCESSUS
DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES
À LA FIN DU LYCÉE

Une étUde de cas dans Une perspective


de didactiqUe comparée

Corinna Hankeln
Westfälische Wilhelms-Universität Münster
(c.hankeln@uni-muenster.de)
Magali Hersant
Université de Nantes, Centre de recherche en éducation de Nantes, CREN, EA 2661,
F-44000 Nantes, France
(magali.hersant@univ-nantes.fr)

Dans cet article, nous mettons à l’épreuve l’hypothèse d’un croisement fructueux de deux cadres théoriques au
bénéfice de l’enseignement et de l’apprentissage de la modélisation : la théorie de la modélisation, développée par les
chercheurs allemands, et le cadre de l’apprentissage par problématisation, conçu par des didacticiens français. Nous
cherchons à répondre aux questions suivantes : dans quelle mesure le cadre de l’apprentissage par problématisation
(CAP) est-il pertinent pour analyser le processus de modélisation d’une situation réelle par un élève ? Qu’apporte
chacun des cadres à la compréhension de l’activité de modélisation de l’élève ? Quelles complémentarités présentent
les deux cadres au regard de la compréhension de l’activité de modélisation des élèves ? Pour cela, nous appuyons sur
une étude de cas : l’analyse de l’activité d’un élève face à une tâche de modélisation d’une situation réelle avec chacun
des deux cadres. Cette étude débouche sur des perspectives pour l’enseignement et l’apprentissage de la modélisation.

Mots-clés : modélisation, problématisation, didactique comparée, lycée, mathématiques.

Éducation & Didactique, 2020, vol. 14, no 3, p. 39-67 39


PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

Corinna Hankeln & Magali Hersant

introdUction La théorie de la modélisation,


un cadre spécifique pour étudier
L’enseignement et l’apprentissage de la modélisa- le processus de modélisation chez les élèves
tion ont fait l’objet d’études dès les premiers travaux
didactiques en France (Chevallard, 1989) et en Cette théorie a été développée dans le but d’ana-
Allemagne (Klein, 1907 ; Freudenthal, 1978 ; Winter, lyser et de comprendre les processus cognitifs à
1981). En France, cette thématique de recherche a l’œuvre dans un processus de modélisation, c’est-à-
été quelque peu délaissée par la suite. Mais les perfor- dire dans un processus d’élaboration d’une réponse à
mances des élèves européens aux études internatio- un problème de modélisation (au sens de la commu-
nales (PISA entre autres) et la volonté politique de nauté allemande) (Blum & Leiß, 2005 ; Borromeo
développer la démarche d’investigation en mathé- Ferri, 2006). Ancrée dans la psychologie cognitive
matiques (rapport Rocard, 2007) qui s’en est suivie (par exemple Skemp, 1987), elle permet entre autres
semblent l’avoir relancée. En effet, les problèmes de reconstruire des cours individuels de modélisation
de modélisation trouvent toute leur place dans la chez des élèves et d’identifier des « blocages » dans
démarche d’investigation (Artigue & Blomhøj, 2013 ; la modélisation. Ces résultats sont ensuite mobili-
Wozniak, 2012) et, dans le cadre de projets euro- sés pour produire des outils pour la formation des
péens visant l’étude et la dissémination d’un ensei- enseignants (Leiß, 2007). Ainsi cela confère à ce
gnement des mathématiques basé sur l’investigation point de vue cognitif une ambition didactique dans
(LEMA, Fibonnacci, PRIMAS), des chercheurs fran- la mesure où il contribue à comprendre les condi-
çais ont travaillé à l’élaboration de tels problèmes et tions et contraintes de la diffusion des pratiques de
des ressources associées pour les enseignants dans le modélisation.
but de développer les apprentissages des élèves dans Dans cette approche, les mathématiques sont
ce domaine (Maß & Artigue, 2013 ; Cabassut, 2010). considérées avant tout comme un outil pour
En Allemagne, l’enseignement et l’apprentis- résoudre un problème en lien avec la vie réelle :
sage de la modélisation ont fait l’objet d’un inté- trouver une réponse stable à la question posée
rêt constant depuis les années 1980 (Greefrath & dans la situation réelle et peser les conséquences
Vorhölter, 2016). Cela a permis la constitution et les limites du modèle priment sur la construc-
d’une communauté de recherche dynamique dans tion de savoirs mathématiques. Par ailleurs, dans
laquelle Blum et Kaiser ont joué un rôle important cette approche où un problème de modélisation
(Kuzniak & Vivier, 2011, p. 10). Cette commu- n’est pas une simple application des mathématiques
nauté allemande a adopté une définition restrictive (Kaiser, 1995), le contexte a un rôle important. En
du problème de modélisation : seuls les problèmes effet, dans un problème de modélisation contraire-
complexes et ouverts issus du monde réel sont ainsi ment à un problème d’application, la situation réelle
considérés comme des problèmes de modélisation évoquée dans l’énoncé n’est pas échangeable et l’ana-
(Kaiser, 1995) ; ils nécessitent une mathématisa- lyse approfondie du contexte est incontournable. Ce
tion horizontale (du monde réel vers un modèle rôle primordial du contexte génère des exigences
mathématique) et une mathématisation verticale (à particulières : les élèves ne doivent pas seulement
l’intérieur des mathématiques) au sens de Treffers maîtriser les outils mathématiques et reconnaître leur
(1978) ainsi que l’interprétation du résultat obtenu pertinence dans une situation non encore mathéma-
dans le contexte de la réalité et l’évaluation de sa tisée mais doivent aussi activer leurs connaissances
pertinence. extra-mathématiques.
Cette communauté allemande s’est dotée d’un Dans ce sens, le processus de modélisation
cadre théorique spécifique développé par Blum et part donc d’une situation de la réalité qui doit être
Leiß (2005) (cf. Leiß et al., 2010) puis par Borromeo comprise. Ce processus de compréhension fait
Ferri (2006, 2007, 2010, 2011) pour étudier l’ap- émerger une représentation mentale de la situation
prentissage et l’enseignement de la modélisation, chez l’élève qui est le résultat de sa perception indi-
cadre que nous désignerons par « théorie de la modé- viduelle de la réalité (Leiß et al., 2010). À l’école,
lisation » dans cet article. dans la plupart des cas, la situation réelle ne peut être
communiquée que par un énoncé écrit ; le modèle de
situation proposé par l’élève est alors aussi le résultat

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de la compréhension d’un texte informatif. Comme Dans les travaux allemands plusieurs types
le modèle de situation est souvent très complexe, il de représentation des processus de modélisation
est nécessaire de structurer les données, préciser sont utilisés, chacun présente des avantages et des
la question et aussi de simplifier la situation pour inconvénients et le choix d’une représentation ou
appliquer des outils mathématiques. Le résultat de d’une autre dépend des objectifs de l’analyse (Blum,
cette structuration et de ces précisions ou simpli- 2015). Le cycle qui comporte sept étapes (figure 1)
fications est nommé modèle réel (Blum, 1985). est reconnu comme le plus pertinent pour l’analyse
Ce modèle réel traduit en langage mathématique cognitive. Il tient compte de travaux sur la modéli-
(mathématiser) permet ensuite de travailler. Mais, sation en mathématiques appliquées (Pollak, 1979 ;
dans le sens proposé par exemple par Blum (1985) Burghes, 1986), en linguistique (Kintsch & Greeno,
et Kaiser-Meßmer (1986), la modélisation en mathé- 1985) et en psychologie cognitive (Staub & Reusser,
matiques ne se limite pas au passage d’un problème 1995). Dans ce cycle, deux domaines distincts, les
de la réalité à un problème mathématique, elle inclut mathématiques et le reste du monde, c’est-à-dire
aussi le travail inverse, c’est-à-dire la mise en rela- la réalité (sans vouloir dire que les mathématiques
tion du raisonnement mathématique et de la réalité. sont quelque chose d’irréel), sont représentés par
Ainsi, interpréter le résultat mathématique que l’on des nuages gris. Dans ces nuages, on retrouve diffé-
a trouvé et lui donner un sens dans le contexte de rents modèles ou résultats de la modélisation issus
la réalité relève aussi du processus de modélisa- du processus de modélisation. Ils sont indiqués dans
tion. Cette interprétation n’achève pas pour autant des rectangles sur la figure 1. Les modèles ou résul-
le processus, il faut aussi valider le résultat et son tats sont reliés par des flèches qui correspondent à
ordre de grandeur, ainsi que le modèle mathématique des phases du processus de modélisation. Ces phases
et les hypothèses ou simplifications sur lesquelles est se caractérisent par les sous-compétences en jeu dans
basé le modèle réel. Si cette validation révèle que le l’activité de modélisation de l’élève ; sur le schéma ces
résultat trouvé ne répond pas suffisamment à la ques- sous-compétences sont indiquées par un codage (a,
tion posée dans la situation réelle, il est nécessaire de b…) à proximité des flèches. Maaß (2006) présente
reprendre la modélisation afin de l’améliorer. Cette une description très précise de ces sous-compé-
succession de phases de modélisation qui permettent tences que l’on peut assimiler à des types particuliers
de décrire des processus de modélisation est souvent d’activité de modélisation. Selon elle, par exemple,
représentée par un cycle de modélisation. la sous-compétence simplifier recouvre les acti-

Figure 1 : Un cycle de modélisation et ses sept étapes (Blum & Leiß, 2005)

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vités suivantes : formuler des suppositions pour le Le cadre de l’apprentissage par problématisation,
problème et simplifier la situation, reconnaître des un cadre possible pour étudier le processus
quantités qui influencent la situation et les nommer de modélisation chez les élèves
ainsi qu’identifier des variables clé, chercher des
informations disponibles et différencier entre ces Dans les travaux allemands, pour qu’un problème
informations. Cette distinction de sous-compétences soit considéré comme un problème de modélisa-
permet de catégoriser les actions de l’élève. tion, il faut qu’il ait un ancrage dans une « situa-
Évidemment, les élèves qui modélisent spontané- tion réelle » (au sens précisé précédemment). En
ment ne suivent pas obligatoirement ces étapes d’une France, le champ des problèmes de modélisation est
manière linéaire : ils peuvent sauter d’une étape à défini plus largement. En particulier, Brousseau et al.
l’autre, refaire des étapes ou en omettre. Ainsi, la (2002) ainsi que Chevallard (1989) considèrent aussi
représentation d’une modélisation sous forme de des modélisations intra-mathématiques.
cycles, comme dans la figure 1, est une vue idéalisée Aucun cadre théorique spécifique à la modélisa-
du processus, nous y reviendrons. tion n’a été développé en France. Les didacticiens
Cependant, cette représentation permet, d’une français travaillent donc la question de l’enseigne-
part, de catégoriser et caractériser les activités des ment et de l’apprentissage de la modélisation avec
élèves au cours d’un processus de modélisation et, différents cadres théoriques. Ainsi, par exemple,
d’autre part, de classifier leurs « blocages ». Ces Prebiski-Yvain fait référence à la théorie des situa-
derniers correspondent, dans le courant allemand, tions didactiques de Brousseau (1998) sur la dévolu-
soit à des moments où le processus de modélisation tion de la mathématisation horizontale (Yvain, 2017 ;
est interrompu, soit à des moments où il y a un retour Modeste & Prebiski-Yvain, 2017 ; Prebiski-Yvain,
en arrière dans les étapes du processus. Ils peuvent 2018 ; Yvain-Prebiski & Chesnais, 2019) tandis
avoir différentes origines : l’élève a des difficultés à que Wozniak (2012) mobilise le cadre de la théorie
se représenter la situation car il ne parvient pas à anthropologique du didactique (Chevallard, 1999)
dégager suffisamment d’éléments pertinents à partir pour analyser des praxéologies de modélisation
du contexte (il pense qu’il manque des données au mathématique à l’école. Cette dernière reprend le
problème) ou, à l’inverse parce qu’il ne simplifie pas modèle du processus de modélisation de Chevallard
suffisamment la situation ; certaines connaissances (1989) et l’interroge en remarquant que les diffé-
mathématiques nécessaires ne sont pas disponibles rentes praxéologies associées à la modélisation qu’elle
(l’élève bloque sur un calcul, ne parvient pas à étudie « ne produisent pas seulement des réponses
retrouver une formule…). Ainsi, l’ancrage psycho- différentes mais des constructions différentes du
logique de la théorie de la modélisation conduit à de problème » (p. 71) et donc des problématisations
nombreuses études de cas (Schukajlow et al., 2018) différentes au sens de Orange (2005). Hersant et
qui visent à dégager les modèles construits succes- Quiniou (2017) ainsi que Hersant et Choquet (2019)
sivement par chaque élève et les « blocages » qui mobilisent le cadre de l’apprentissage par probléma-
surviennent aux différentes étapes du processus. Ces tisation (Fabre & Orange, 1997) pour analyser l’ac-
blocages sont envisagés comme relatifs à une compé- tivité d’élèves cherchant un problème qui requiert,
tence du processus de modélisation ou comme rela- respectivement, la modélisation d’un phénomène par
tifs aux connaissances mathématiques (anciennes) une fonction au lycée professionnel et la modélisa-
des élèves et aux conceptions et obstacles épistémo- tion d’une situation par un modèle géométrique à
logiques associés. Cela conduit les chercheurs alle- l’école élémentaire. Que faut-il entendre par ce terme
mands, le plus souvent, à envisager et à proposer aux « problématisation » et en quoi le cadre de l’ap-
élèves d’abord des aides stratégiques, en lien avec les prentissage par problématisation est-il adapté pour
compétences de la modélisation, puis d’autres types étudier le processus de modélisation chez les élèves ?
d’aide. Des analyses empiriques ont ainsi montré Le cadre de l’apprentissage par problématisation,
que chaque étape de la modélisation peut être source noté CAP dans la suite du texte, a été principale-
d’un obstacle cognitif pour les élèves (Blum, 2002 ; ment développé dans le champ de la didactique des
Galbraith & Stillmann, 2006). Sciences de la Vie et de la Terre (Fabre & Orange,
1997 ; Orange, 2012) pour étudier l’activité d’élèves
ou de chercheurs en situation de résolution de

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problèmes explicatifs. La construction de ce cadre rents éléments problématisants » apparus au cours de


est en partie liée à un questionnement sur la notion l’activité des élèves. La représentation de ces éléments,
de modèle en biologie et à l’étude de la façon dont par le chercheur, « gomme l’aspect chronologique
un élève ou un scientifique construit un modèle […] au profit des relations logiques » (Orange, 2000,
pour expliquer un phénomène (Orange, 1997). Par p. 72). Ce choix est essentiel pour dépasser la « narra-
ailleurs, ce cadre qui a des ancrages à la fois dans la tion » de l’activité de l’élève. Cependant, il ne faci-
théorie de l’enquête de Dewey et dans l’épistémolo- lite pas l’identification des éléments à l’origine de la
gie bachelardienne (Fabre, 2005) postule que savoir dynamique de problématisation, c’est-à-dire de ce qui
ce n’est pas « savoir que » mais « savoir que ça ne va provoquer une rupture d’intelligibilité de la situa-
peut pas être autrement ». Autrement dit l’école doit tion et conduire à la construction des nécessités du
permettre l’apprentissage de savoirs apodictiques et problème (par exemple, une intervention extérieure,
la construction de raisons. Orange (2005) définit la un fait issu de l’expérience, une remise en cause d’une
problématisation scientifique comme la construction explication…). Or, identifier ces éléments permet de
explicite du champ des possibles qui génère, dans préciser l’activité de problématisation des élèves. La
une relation dynamique entre savoir et problème, la notion d’événement de problématisation (Doussot,
construction de savoirs apodictiques et le passage de Hersant et Orange-Ravachol, 2013) est définie dans ce
concepts communs aux concepts scientifiques. but : en référence à la notion d’événement en sciences
Pour rendre compte du processus de problémati- historiques et sociales (Bensa & Fassin, 2002 ;
sation, en référence à Popper et Jacob, Orange (2005, Orange-Ravachol & Orange, 2012), un événement de
2012) distingue trois registres de l’activité scienti- problématisation correspond à ce qui provoque une
fique dont l’articulation va permettre de construire rupture dans l’intelligibilité de la situation et permet
le problème et ses nécessités : une nouvelle intelligibilité, problématisée, de cette
– le registre empirique qui est celui des faits situation. Cet événement est qualifié de problématisa-
provenant d’observations ou d’expériences ; tion pour indiquer qu’il est à l’origine de la construc-
– le registre des modèles qui est celui des tion de nécessités associées au problème, en relation
explications construites pour rendre compte avec une évolution du registre explicatif (noté REX
des faits préjugés pertinents pour le problème parfois dans la suite du texte). S’il est relativement
travaillé et qui contient les nécessités rela-
aisé de mettre en évidence qu’il y a eu un événe-
tives au problème construites au cours de la
ment de problématisation, il n’est pas toujours facile
recherche ;
– le registre explicatif (ou cadre épistémique d’identifier précisément un tel événement. Pour aider
dans Orange, 2005) qui comprend les présup- à circonscrire un événement de problématisation, il
posés considérés comme allant de soi par les est utile d’accéder à la façon dont l’élève parcourt de
élèves et qui leur permettent de produire des façon dynamique le champ du problème, c’est-à-dire
explications, de s’expliquer les choses. les problèmes qu’il rencontre et construit au cours
De façon très schématique, on peut résumer le de sa recherche. L’un de nous a proposé (Hersant,
processus de problématisation de la façon suivante. 2016a) pour cela de représenter la façon dont l’élève
Le registre explicatif initial des élèves constitue le chemine, chronologiquement, entre les grands sous-
paradigme qui permet une exploration du problème problèmes qu’il se pose au cours de sa recherche.
mobilisant des observations ou des expériences géné- Le CAP est aujourd’hui utilisé dans différentes
ratrices de faits, empiriques, dont une sélection jugée disciplines (SVT, éducation physique et sportive,
pertinente va être mise en tension avec certaines histoire, physique, mathématiques…) pour éclai-
nécessités pour construire les explications et d’autres rer l’activité d’apprentissage des élèves. Pour ce qui
nécessités du problème, dans un dédoublement des concerne les mathématiques, les travaux ont montré
données et des conditions (Fabre, 2011). Cette sa pertinence pour accéder à une compréhension fine
construction explicite des nécessités est susceptible de l’activité mathématique d’élèves en situation de
de faire évoluer le registre explicatif des élèves et résolution de problèmes ouverts (Hersant 2010, 2011,
participe donc de la conceptualisation scientifique. 2016a, 2016b ; Hersant & Orange-Ravachol, 2015)
Orange propose d’organiser les éléments associés ou de situations-problèmes (Hersant & Quiniou,
au processus de problématisation dans un « espace 2017 ; Grau, 2017 ; Hersant & Choquet, 2019), en
de contraintes » qui est « une mise en ordre des diffé- particulier dans le cas de problèmes de modélisation

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(Hersant & Quiniou, 2017, Grau, 2017 ; Hersant & situations de modélisation en classe (choix des situa-
Choquet, 2019). En mobilisant les trois registres de tions à proposer, analyse des tâches liées à une acti-
l’activité scientifique critique que propose Orange, vité de modélisation, gestion des multiples solutions
ces travaux ont permis de montrer que ce cadre possibles, interventions et rétroactions à prévoir lors
permet d’accéder aux connaissances élaborées par les d’une mise en œuvre d’une situation d’enseignement
élèves au cours de la construction et de la résolution de la modélisation, identification des difficultés des
de problème de mathématiques et aux éléments qui élèves et réponses à y apporter, évaluation du travail
génèrent leurs raisonnements, y compris les obstacles des élèves) est une pierre d’achoppement pour beau-
épistémologiques ou les représentations erronées coup d’enseignants (Yvain, 2018, p. 226-227).
(voir en particulier Hersant, 2010 ou 2016a). Dans cet article, nous mettons à l’épreuve cette
hypothèse d’un croisement fructueux de la théorie
de la modélisation et du cadre de l’apprentissage par
objectif de l’article et qUestions problématisation au bénéfice de l’enseignement et
de l’apprentissage de la modélisation à partir d’une
Le CAP n’est spécifique ni de la didactique des étude de cas. Nous analysons l’activité d’un élève à
mathématiques, ni de l’apprentissage de la modéli- l’aide de chacun des cadres afin de répondre aux ques-
sation, mais, en appui sur les travaux mentionnés tions suivantes : 1) dans quelle mesure le CAP est-il
précédemment, nous faisons l’hypothèse qu’il est pertinent pour l’analyse du processus de modélisation
pertinent pour étudier le processus de modélisation d’une situation réelle par un élève ? 2) Qu’apporte
de problèmes de la vie réelle qui comprennent une chacun des cadres à la compréhension de l’activité
mathématisation horizontale et une mathématisation de modélisation de l’élève ? 3) Dans une perspective
verticale. comparatiste, quelles complémentarités présentent
Par ailleurs, nous faisons aussi l’hypothèse que les deux cadres au regard de la compréhension de
l’analyse du processus de modélisation chez les l’activité de modélisation de l’élève ? À travers ces
élèves avec le CAP apporte des éléments nouveaux questions nous souhaitons évaluer l’intérêt de la
et complémentaires aux résultats issus d’une analyse conjugaison de ces deux cadres pour la didactique des
avec la théorie de la modélisation. En effet, d’abord, mathématiques, en particulier, au regard des difficul-
car la distinction des trois registres de l’activité tés associées à l’enseignement de la modélisation.
scientifique qui organise l’analyse de la probléma-
tisation fournit des outils pour expliciter différem-
ment la mathématisation horizontale de la situation présentation de l’étUde
qui correspond aux compétences a, b et c dans la
théorie de la modélisation : dans les termes du CAP, Notre analyse repose sur une étude clinique : celle
il s’agit en effet d’identifier les éléments empiriques de l’activité de modélisation d’un élève de classe de
pertinents pour traiter le problème et construire ses Terminale S, Jean, confronté au problème du « phare
nécessités à l’intérieur d’un registre explicatif qui des Baleineaux » (voir figure 2).
peut évoluer par la mise en tension de ces différents Nous avons choisi de situer l’étude au niveau du
éléments. Ensuite, car l’ancrage épistémologique du lycée, parce qu’à ce niveau les élèves disposent déjà
cadre conduit à rechercher les obstacles épistémo- des nombreux outils mathématiques qu’ils peuvent
logiques auxquels se heurtent les élèves au cours de mobiliser (ou non) pour la modélisation, ce qui
la modélisation quand la théorie de la modélisation donne la possibilité de proposer un problème qui a
cherche à identifier des « blocages » au niveau des une certaine consistance.
compétences. Le problème du phare des Baleineaux est un
Suivant cette hypothèse, nous pensons que la problème de modélisation géométrique, en rela-
conjugaison des deux cadres permet d’apporter des tion avec un phénomène physique, dont la réso-
éléments nouveaux à la compréhension du proces- lution s’achève par un calcul. La validation repose
sus de modélisation chez les élèves et d’envisager des sur la plausibilité du résultat au regard du contexte ;
aides à la mise en œuvre de ces situations en classe, il n’y a pas plusieurs réponses possibles à discu-
en particulier de prévoir des interventions auprès ter comme dans certains problèmes (par exemple
des élèves. Nous savons, en effet, que la gestion de le problème « aire de jeux » dans Hankeln (2020)

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Figure 2 : Énoncé du problème

ou celui du géant dans Wozniak, 2012. Par ailleurs, tivité du cas étudié n’est pas fondamentale, l’activité
comme nous le verrons dans l’analyse, les connais- de cet élève nous a semblé intéressante à analyser.
sances mathématiques nécessaires pour résoudre le
problème sont familières d’un élève de fin de lycée
(Pythagore, formules de cosinus et sinus). Pour ces Le recueil des données et les choix
raisons, ce problème nous a semblé adapté pour les pour la constitution du corpus
élèves français qui n’ont pas l’habitude de chercher
des problèmes de modélisation. Nous avons recueilli les données de l’étude avec la
méthodologie de « penser à voix haute » (Falardeau
et al., 2014 ; Sandmann 2014) qui permet d’accéder
Une étude de cas au raisonnement de l’élève (Veenmann et al. 2003)
et donc de reconstruire son processus de modélisa-
Le cas étudié est extrait d’une étude plus large tion. La méthode est connue en Allemagne mais peu
qui porte sur un corpus de 19 élèves d’un même en France, c’est pourquoi nous l’expliquons en détail
lycée français confrontés au même problème (voir dans le paragraphe suivant.
Hankeln, 2018). L’activité de modélisation de Jean Ce type d’étude est classique en Allemagne où
est représentative de l’activité de modélisation de l’analyse du processus de modélisation chez les
la plupart des élèves du groupe. En effet, comme la élèves s’effectue principalement à partir d’études de
grande majorité des élèves observés, Jean rencontre cas ; il est cohérent avec une approche ancrée cogniti-
des difficultés dans les différentes étapes du cycle vement. En France, les études didactiques se réalisent
de modélisation. En particulier, comme le tiers des le plus souvent à l’échelle du groupe classe, bien que
élèves du corpus il a une mauvaise représentation les phénomènes de groupes soient assez peu étudiés
de la situation au départ (vue du dessus) et comme d’un point de vue didactique. En fait, ce qui semble
la majorité des élèves, il fait des conjectures erro- important pour la didactique des mathématiques
nées à propos de ce qui empêche de voir le phare. française est l’aspect social de l’apprentissage, aspect
De plus, comme 16 % des élèves, il rencontre des qui ressort en particulier à travers le phénomène de
difficultés dans les calculs. Par ailleurs, comme nous contrat didactique (Brousseau, 1998) et le fait que
le verrons au cours de l’analyse, Jean utilise le théo- les connaissances et savoirs sont des constructions
rème de Pythagore pour la mathématisation verticale sociales. L’étude clinique que nous proposons ne
du problème, comme un élève sur deux dans notre nous semble pas échapper complètement à ces deux
corpus. Ainsi, même si dans cet article qui porte sur aspects sociaux des apprentissages. En effet, l’élève
des questions de didactique comparée la représenta- n’interagit ni avec le maître, ni avec d’autres élèves

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mais les connaissances mathématiques qu’il mobi- une conversation détendue avec des questions sur le
lise ont cependant été socialement construites et les goût de l’élève pour les mathématiques, ses idées au
obstacles épistémologiques qu’elles portent trans- sujet de la modélisation etc. Ces questions visaient à
cendent le cas de cet élève. habituer l’élève à la situation où il était seul avec la
Le corpus est constitué à partir de la captation chercheuse et à recueillir des données sur ses connais-
vidéo de l’activité de l’élève qui permet la transcrip- sances. Ensuite, la chercheuse informait l’élève qu’il
tion de l’entretien avec l’élève et le suivi de l’évolu- n’était pas censé absolument trouver une solution, de
tion de ses traces écrites au cours de la recherche, façon à se qu’il se sente libre de réfléchir tous azimuts
en conformité avec la méthodologie du cadre de et ne se sente pas évalué. Elle mentionnait l’impor-
l’approche cognitive. Ce corpus apparaît satisfaisant tance de verbaliser toutes ses pensées sur le problème
pour analyser en termes de problématisation l’acti- pour lui permettre d’analyser sa démarche. Pour l’ai-
vité de l’élève. En effet, d’une part, le CAP est adapté der à comprendre les attendus, elle lui montrait une
à l’étude du processus individuel de problématisa- vidéo sur laquelle elle résolvait un sudoku en pensant
tion (voir Orange, 2005 qui présente la problémati- à haute voix. Ensuite, elle donnait à l’élève la même
sation de C. Bernard à propos du concept de milieu énigme et lui demandait de le compléter en pronon-
intérieur à partir de l’analyse de ses traces écrites) et çant chaque pensée, comme dans la vidéo. Après cette
d’autre part, le « penser à voix haute » constitue une introduction, la chercheuse soumettait le problème à
activité langagière qui, si elle n’est pas soumise à la l’élève en lui demandant de continuer à penser haute
contradiction de pairs comme l’est une intervention voix. Pendant le travail de l’élève, la chercheuse restait
au cours d’un débat, appelle toutefois une surveil- à côté de lui, l’écoutait et, si nécessaire, lui rappelait
lance du soi (au sens de Bachelard), qui est d’autant de penser à haute voix. Elle n’intervenait pas dans le
plus présente que l’élève se sait observé, et à laquelle processus de l’élève sauf s’il semblait être complète-
s’ajoutent quelques rares interventions de la cher- ment bloqué. Alors, elle lui donnait des indications
cheuse qui peuvent amener de la contradiction. préparées en amont de l’entretien. Elle faisait atten-
tion à lui fournir le moins d’aide possible et mais assez
pour qu’il puisse avancer.
« Penser à voix haute »

L’idée centrale est d’inciter l’élève à prononcer analyse dU problème


chaque pensée qui émerge au cours de son travail.
Ainsi, ses idées spontanées et ses erreurs sont verba- Dans ce paragraphe nous proposons une analyse
lisées et accessibles. Pour que cela fonctionne correc- du problème qui vise à mettre en évidence les
tement plusieurs conditions doivent être réalisées. éléments saillants du processus de modélisation de
D’abord la personne qui mène l’entretien doit être la situation du point de vue de cadre de la modélisa-
rodée à la méthodologie associée. Ensuite, il est essen- tion et du CAP.
tiel que l’élève comprenne bien ce qu’on attend de lui
et qu’il collabore. On peut considérer que des élèves
de lycée sont suffisamment mûrs pour comprendre De la situation réelle au modèle réel
la démarche. Mais leur collaboration requiert une
relation de confiance, indépendante de toute idée Pour construire un modèle réel de la situation
d’évaluation, entre l’élève et la personne qui mène pertinent (figure 2) il faut connaître la fonction
l’entretien. Il est aussi nécessaire de consacrer un peu d’un phare en mer. Contrairement à une idée répan-
de temps à la fois à expliquer à l’élève la méthodolo- due, cette dernière n’est pas d’éclairer les rochers
gie et à lui donner la possibilité de la pratiquer. pour éviter un naufrage mais de donner des repères
Pour l’étude dont est extrait le cas analysé, les par rapport à la côte et, en particulier, d’accéder à
données ont été recueillies par C. Hankeln qui maîtrise la distance entre le bateau et le phare à l’instant où
cette méthodologie (Hankeln, 2018) et connaissait les l’on perçoit pour la première fois la lumière du phare
élèves pour avoir observé leur classe pendant plusieurs (voir figure 3)1.
heures auparavant. Tous les entretiens étaient structu- L’énoncé du problème, qui est adapté d’un
rés de la façon suivante. L’entretien commençait par problème de Borromeo Ferri (2007) et reprend des

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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considère dans le problème, la lumière se propage


Figure 3 : Modèle mathématique no 1 en ligne droite ; son intensité est considérée comme
constante sur la distance parcourue. En d’autres
termes, dans la situation considérée l’intensité lumi-
neuse ne diminue pas avec la distance. Le fait qu’on
perçoit ou pas la lumière du phare ne peut donc pas
être attribué à la distance au phare ; c’est un phéno-
mène lié à la courbure de la Terre. Ces deux expli-
cations alternatives du phénomène de visibilité / non
visibilité de la lumière du phare correspondent à
deux registres explicatifs alternatifs pour penser le
problème. Le premier est associé à une conception
quotidienne du phénomène de propagation de la
lumière, étroitement lié à une expérience de piéton.
Le second correspond à une conception scientifique
du phénomène. Cette dernière conception ne sera
L’échelle n’est pas respectée. Le disque de centre A et pas forcément celle mobilisée d’emblée par les élèves
de rayon EA représente la Terre ; la hauteur de l’eau mais comme les élèves de Terminale envisagent sans
à la surface de la Terre est négligée ; le segment [EG] difficulté le déplacement de la lumière par une ligne
représente le phare à la surface de la Terre et H est le
droite, le registre explicatif erroné devrait être écarté
point à partir duquel on perçoit pour la première fois la
lumière du phare. dès lors que les élèves intègrent la rondeur de la
Terre à leur modèle.
Par ailleurs, la réalité associée au système à modé-
extraits d’articles Wikipédia, est construit pour faire liser se situe à l’échelle de la planète Terre (voir
émerger les représentions initiales des élèves à propos figure 3) et nécessite donc des connaissances spéci-
du fonctionnement d’un phare et permettre, le cas fiques dans ce domaine, en particulier le fait que la
échéant, de repositionner cette représentation. En Terre est ronde et que son diamètre est de 6 371 km.
effet, une représentation correcte du fonctionnement Du point de vue du CAP, la première de ces connais-
du phare est indispensable au processus de modéli- sances correspond à une nécessité du système. En
sation : cette représentation intervient comme un effet, si la Terre n’est pas ronde, la lumière émise par
élément de la réalité (du « système » dirait Chevallard, le phare se propage en ligne droite sans perdre en
1989) et permet une mathématisation de cette réalité. intensité et est donc toujours visible. L’identification
Pour autant, identifier cette fonction du phare ne de cette nécessité du modèle est déterminante pour
constitue pas pour nous un enjeu d’apprentissage. en établir d’autres associées aux propriétés des
C’est pourquoi lorsqu’un élève a une représentation triangles en jeu sur le modèle (égalité des côtés et
erronée d’un phare, nous lui précisons qu’il permet angles droits). Le cadre de la modélisation considère
aux marins de connaître leur distance au phare aussi que c’est un élément de réalité qui a des impli-
lorsqu’ils voient pour la première fois sa lumière. cations fortes dans la mathématisation du système.
Cette aide à la représentation correcte du problème En effet, le fait que la Terre est ronde implique que le
permet à l’élève de situer son activité sur le « bon » marin pourra voir la lumière du phare dès lors que le
problème, elle ne limite ni le travail de modélisation, haut du phare, le bord de la Terre et l’œil du marin
ni le travail de problématisation. seront alignés (figures 3 et 4). Cette connaissance sur
la forme de la Terre est théoriquement disponible
chez un élève de Terminale scientifique2 mais, pour
Des connaissances non mathématiques un élève qui ne pratique pas la navigation, elle est
indispensables à la modélisation susceptible de se heurter à l’expérience quotidienne
du piéton qui ne perçoit pas la rondeur de la Terre.
La modélisation du problème requiert de savoir Cependant, on peut compter sur des éléments empi-
deux choses sur la propagation de la lumière : dans riques, comme le fait qu’on ne voit pas l’Amérique
un milieu homogène transparent, comme on le depuis les côtes bretonnes, pour rendre la connais-

47
PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

Corinna Hankeln & Magali Hersant

sance « la Terre est ronde » disponible chez les


élèves. Figure 4 : Modèle mathématique no 2
Il est moins évident que le diamètre de la Terre
soit connu des élèves mais cette connaissance néces-
saire au calcul de la distance n’intervient qu’au
moment des calculs finaux. Du point de vue du CAP
c’est une connaissance empirique qui n’a pas d’inci-
dence sur la construction de l’explication du phéno-
mène et pour la théorie de la modélisation c’est un
élément de la réalité qui n’intervient pas en tant que
telle dans la construction du modèle. C’est pourquoi
si les élèves ignorent cette distance nous avons prévu
de la leur fournir.

La mathématisation du système

Il y a plusieurs possibilités pour mathémati-


ser le système avec les connaissances d’un élève L’échelle n’est pas respectée. Le disque de centre A et
de Terminale, en ce sens le problème présente une de rayon EA représente la Terre ; la hauteur de l’eau
certaine ouverture. est négligée ; le segment [EG] représente le phare à la
Dans tous les cas, la surface de l’océan est assimi- surface de la Terre ; H est le point où l’on perçoit pour la
lée à un arc de cercle de rayon 6 371 km et de centre le première fois la lumière du phare si l’on est à la surface
de la Terre ; le segment [DF] représente le bateau et le
centre de la Terre (cercle de centre A sur les figures 3
marin sur le bateau.
et 4). Une première possibilité consiste à négliger la
hauteur de l’eau ainsi que celle du bateau et marin
qui perçoit pour la première fois la lumière du phare alignés). Les élèves ne disposent ni de la hauteur du
(figure 3). La rondeur de la Terre implique alors que bateau, ni de celle du marin ; même s’il est aisé de les
l’endroit à partir duquel on peut voir la lumière du estimer, nous n’attendons pas particulièrement cette
phare correspond à un des deux points de tangence procédure.
entre le cercle qui représente la Terre et les tangentes Pour un élève de Terminale, des procédures
à ce cercle passant par le sommet du phare (point mobilisant la trigonométrie sont aussi disponibles.
G). Considérons que le marin est en H (figure 3). Le Par exemple, on peut calculer la valeur de l’angle
triangle AHG est rectangle en H et on peut assimiler alpha (voir figure 5) en utilisant son arccosinus puis
la distance au phare à la distance GH. En utilisant le en déduisant la distance GH : α = arccos (R/R+h) et
théorème de Pythagore, et en notant h la hauteur du GH=sin α×(R+h). On trouve ainsi la même valeur
phare on a que GH2+AH2=GA2 puis GH2=(R+h)2– qu’avec la première procédure.
R2=h(h+2R) soit GH–√h(h+2R). On trouve alors une Il est à noter que dans les calculs finaux, une
valeur approchée au mètre près de 19874 m soit des erreurs possibles est d’oublier d’exprimer les
19,874 km. Nous considérons cette procédure tout à longueurs dans la même unité. Dans ce cas, l’élève
fait satisfaisante pour un élève de Terminale. devra s’interroger sur la plausibilité de son résultat.
Une seconde possibilité prend en compte la
hauteur du bateau et du marin (DF sur la figure 4).
L’endroit à partir duquel le marin perçoit la lumière Le travail mathématique du problème
du phare est alors le point F à la surface la Terre
(figure 4). Le triangle AHD est rectangle, en appli- La solution implique la notion de tangente
quant le théorème de Pythagore on trouve la distance d’une droite à un cercle qu’il faut l’interpréter de
DH : DH=√(DF+R)2–R2, soit DH=√DF×(DF+2R). La deux points de vue différents pour accéder aux
distance à laquelle le marin perçoit la lumière du nécessités du problème. D’une part, une tangente
phare est donc DG=DH+HG (puisque D, G, H sont a un unique point commun avec le cercle auquel

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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la lumière du phare (comment se fait-il qu’elle est


Figure 5 : Modèle mathématique no 3 visible à partir du point H et pas avant ?) et, d’autre
part, d’identifier les propriétés mathématiques sous-
jacentes au modèle (tangentes, triangles rectangles).

étUde avec la théorie de la modélisation

Envisager l’apport respectif de chacun des cadres


à l’analyse du processus de modélisation de Jean
suppose d’effectuer d’abord une analyse de son acti-
vité avec chacun des cadres. Nous rendons compte
dans ce paragraphe de l’analyse avec la théorie de la
modélisation après avoir donné quelques précisions
sur la méthodologie de traitement et d’analyse des
données avec ce point de vue.

Méthodologie d’analyse

elle est tangente : le point H (figures 3 et 4) corres- Le processus de modélisation de Jean est recons-
pond donc au point à partir duquel on voit le phare. truit en deux temps à partir de la transcription de
D’autre part, une tangente à un cercle est perpen- ses pensées à voix haute. D’abord, nous découpons
diculaire à un rayon de ce cercle, (HG) est donc en étapes son cheminement dans le problème. Une
perpendiculaire à (HA) et le triangle AHD est étape correspond à l’établissement d’un modèle ou
rectangle. Les élèves devront donc mobiliser succes- d’un résultat du cycle de modélisation et se termine
sivement ces deux points de vue sur la tangente, ce quand il est construit d’une manière jugée satisfai-
qui n’est pas forcément évident. En effet, les travaux sante. Ensuite, chaque étape est analysée du point
de Castela (1995) ont montré que les élèves de lycée de vue des sous-compétences mobilisées, en réfé-
peuvent développer deux conceptions différentes de rence aux fonctions a à g mentionnées figure 1.
la tangente à un cercle, l’une correspondant à une Toutes les remarques de l’élève et de la chercheuse
grande focale sur la figure et au cas limite de sécante sont catégorisées selon ces sous-compétences. Cette
à un cercle, l’autre correspondant à un zoom et à analyse permet de retrouver des « petits » cycles
la meilleure approximation, localement, d’un de modélisation, pas forcément complets, à l’inté-
cercle par une droite. Dans ce dernier cas, l’uni- rieur chaque étape. En plus de cette analyse, les
cité du point de tangente n’est pas acquise. Dans ce blocages et leurs causes sont identifiés et locali-
problème, on peut donc s’attendre à des difficultés sés en termes de modélisation. Par blocage nous
à cet endroit. entendons un moment où l’élève ne sait plus avan-
cer dans le problème ou se perd dans des réflexions
éloignées des objectifs qu’il s’est fixés (Galbraith &
En conclusion Stillmann, 2006). Le tableau 1 illustre cette analyse
sur un extrait de transcription.
Une fois totalement modélisé ce problème met Dans cet extrait, deux blocages peuvent être iden-
en jeu des connaissances mathématiques de fin de tifiés. Le blocage le plus évident est la difficulté de
collège normalement bien maitrisées en Terminale Jean à retrouver une formule pour calculer un angle
ainsi que le concept de tangente qu’il faut envisager (ligne 26). Ce blocage est associé à un but que Jean
de deux points de vue et qui peut poser problème. En s’est fixé lui-même (calculer l’angle). Le deuxième
revanche, le processus de modélisation du système blocage, plus décisif pour la résolution du problème,
requiert, d’une part, des connaissances non mathé- concerne le fait que Jean ne prend pas en considéra-
matiques pour saisir le phénomène de visibilité de tion que la Terre est ronde. Tout se passe comme s’il

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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Tableau 1 : Analyse suivant le cycle de modélisation

Activité de
Transcription Justification
modélisation
21 – Le phare il est là… pour mieux le voir… plus on s’approche,
mieux on va voir la lumière donc, si on s’en éloigne on va avoir cet Jean identifie l’importance de la
b
angle qui va se former avec le phare (commence à dessiner figure C distance jusqu’au phare
de l’annexe 2)
Jean commence à mathématiser
22 – Il faut trouver un angle selon lequel on ne voit plus le phare…
c des quantités pertinentes et leurs
euh, il faudrait que ce soit un petit angle entre eux
relations.
23 – petit, c’est qu’on va avoir une plus grande distance et on va Jean revient à l’identification des
b
allonger informations importantes.
24 – (commence à dessiner figure D de l’annexe 2) On va faire le
Jean précise la situation qu’il
truc pour 31 qu’on voit devant soi… donc il dépasse à peine de b
analyse.
l’eau peut-être
25 – pour que la distance entre moi et le phare soit… si je le vois à Jean construit une relation entre les
b
peine dépasser, peut-être de 4 ou 5 degré… c’est compliqué… euh variables pertinentes.
26 – Je réfléchis à la taille d’un angle. Je cherche… J’essaie de me Jean cherche un modèle mathéma-
c
souvenir comment je calcule un angle en ayant deux distances. tique.
La chercheuse incite Jean à
27 – C : Bon si on prend ton dessin, tu pourrais allonger cette ligne
b identifier toutes les informations
et finalement arriver en Amérique ?
pertinentes.
28 – non puisqu’il faut… non, la Terre elle se tord quand même, Jean reconnaît l’importance de la
b
elle est ronde, mais… courbure de la Terre.

codes : a comprendre ; b simplifier ; c mathématiser ; d travailler mathématiquement ; e interpréter ; f valider ; g communiquer.

faisait l’hypothèse implicite qu’il n’avait pas besoin Comment se déroule la modélisation de Jean ?
de la courbure de la Terre. C’est l’intervention de la
chercheuse en ligne 27 qui lui permet d’identifier L’analyse du processus de modélisation de Jean
cette information pertinente supplémentaire. Nous donne accès, non seulement à sa démarche de pensée
considérons que ce blocage ne résulte pas d’une pour le problème du phare, mais aussi à la façon dont
hypothèse explicite inadéquate, mais d’un manque il s’approprie petit à petit le principe et des stratégies
de réflexivité envers la situation réelle. implicites de la modélisation. Son travail se structure
Pour rendre compte de cette analyse, nous repré- en trois étapes.
sentons sous la forme d’un cycle de modélisation La première étape se focalise sur la compréhension
chacune des étapes du processus de modélisation de et la simplification de la situation. Elle est résumée par
l’élève et précisons pour chacune des flèches de ce la figure 6 qui fait apparaître, entre autres, que cette
cycle la nature de l’activité (lettre) ainsi que sa posi- étape est marquée par une connexion très forte avec
tion chronologique (nombre). Les modèles ou résul- la réalité. Regardons de plus près les points saillants
tats sont représentés dans les rectangles. Les dessins de l’activité de Jean et la façon dont elle s’inscrit dans
qui figurent dans ces rectangles correspondent à des le cycle de modélisation (les numéros entre paren-
instantanés de ce qu’écrit l’élève. La position des thèses correspondent à la suite des activités de Jean,
rectangles indique de quel modèle (de situation, les lettres aux codages des étapes de la modélisation).
réel ou mathématique) ou de quel résultat (réel ou Jean commence par lire l’énoncé (1, comprendre).
mathématique) il s’agit. Pour faciliter la distinction, Ses remarques (« il y a une lumière en hauteur pour
nous avons distingué les rectangles par couleurs ou qu’elle tombe sur la mer3 ») montrent qu’il comprend
cadres en pointillé, comme dans la figure 1. que le phare permet de voir toutes les zones dange-
reuses près de côtes et assimile donc le phare à une
grande lanterne. Se basant sur cette compréhen-

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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sion il construit un premier modèle réel qui corres- vient et lui demande si l’on peut allonger la distance
pond à une vue du dessus du phare (2, simplifier, entre le phare et le bateau jusqu’à arriver aux côtes
figure B en annexe 2). Il suppose alors que la lumière d’Amérique (8). Cette intervention lui fait venir à
n’éclaire la mer que sur les trois kilomètres indiqués l’esprit le fait que la Terre est ronde.
dans l’énoncé. Il en déduit qu’il suffit d’additionner Cette première étape montre bien les difficultés
ces trois kilomètres (3, mathématiser) pour trou- de Jean avec ce problème inhabituel pour lui, ainsi
ver le résultat (4, travailler mathématiquement). Sa que ses stratégies : il se base surtout sur l’énoncé et sa
remarque « Je pense que ça va être ça » montre bien compréhension des informations données et recourt
qu’il ne voit pas la nécessité de s’interroger sur la peu à ses autres connaissances. Dans ce court moment
validité de sa réponse. La chercheuse explique alors (vingt lignes), il essaie deux fois de mathématiser
qu’un phare fonctionne plutôt comme un signal pour la situation. Il est visible que Jean essaie, comme il
les navires, ce qui renvoie Jean à la construction d’un semble habitué à le faire, de passer très vite au monde
nouveau modèle de situation (5). Avec ces éléments, mathématique. Tout se passe comme si le contexte ne
il comprend qu’il s’agit d’un problème de distance (6, servait qu’à embellir les données dont il a besoin pour
simplifier, figure A en annexe 2) qui ne peut pas être calculer. Cette vision est perturbée par la chercheuse,
représenté par une vue d’en haut. Il mobilise alors qui l’incite par deux fois à s’interroger plus sur la situa-
la notion d’angle (7, mathématiser) pour préciser tion réelle en dépassant les informations de l’énoncé.
le problème (figure C de l’annexe A). Pour lui, « il Après cette première étape qui permet la construc-
faut trouver un angle selon lequel on ne voit plus tion d’un modèle réel, Jean essaie de regrouper ces
le phare » et il l’estime à « quatre ou cinq degrés ». informations importantes dans un modèle mathéma-
Comme il semble être bloqué, la chercheuse inter- tique (figure 7). Il tient compte de la courbure de

Figure 6 : Cycle de modélisation de la première étape de Jean

Les numéros des flèches indiquent l’ordre des activités de Jean ; les flèches pointillées indiquent les aides données par la
chercheuse ; les lettres indiquent le codage de l’activité de modélisation ; les différents modèles ou résultats du cycle de
modélisation sont distingués par des couleurs ou cadres des boîtes (cf. figure 1).

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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Figure 7 : Cycle de modélisation de la deuxième étape de Jean

Les numéros des flèches indiquent l’ordre des activités de Jean ; les flèches pointillées indiquent les aides données par la
chercheuse ; les lettres indiquent le codage de l’activité de modélisation ; les différents modèles ou résultats du cycle de
modélisation sont distingués par des couleurs ou cadres des boîtes (cf. figure 1).

la Terre et essaie d’intégrer cette information à son Cependant, au lieu d’intégrer cette information dans
modèle réel. Il conclut qu’« on va être tangent long- son modèle mathématique, comme l’avait envisagé la
temps et au bout, au moins, on finit par redescendre chercheuse, il s’éloigne du travail abstrait et revient à
très lentement » ce qu’il représente dans son modèle la situation réelle en remarquant que le phare ne sera
réel avec une droite qui débouche sur une courbe (9, pas visible de l’autre côté de la Terre. Sans réfléchir
simplifier, figure D en annexe 2). À ce moment-là, plus, il divise alors le rayon par deux (12, mathémati-
clairement, Jean est très lié à la situation telle qu’il ser), confondant, comme le montrent ses remarques,
l’imagine dans son expérience quotidienne de piéton : le rayon avec le diamètre (13, travailler mathémati-
la courbure de la Terre n’est pas perceptible. Il est quement, calcul 1 en annexe 2). Il interprète ce résul-
bien possible que Jean ressente un conflit entre la tat comme la distance entre le bateau et le phare (14,
perspective liée à la situation concrète (comme il a interpréter). Cette fois-ci, il critique son résultat lui-
dû la comprendre pour identifier la courbure de la même et remarque que cette distance est encore trop
Terre comme information décisive) et la perspective grande (15, valider).
plus abstraite qui lui permet d’analyser la question Cette seconde étape de modélisation montre
d’un point de vue mathématique. Quoi qu’il en soit, que Jean est, d’une certaine façon, écartelé entre les
il réussit sans aide à s’abstraire de la situation et à aspects concrets et réels du problème et les aspects
construire un modèle mathématique ainsi qu’à identi- plus abstraits du problème mathématique et qu’il
fier la valeur inconnue « x » (10, mathématiser, début peine à les mettre en relation. La manière dont il
de la figure E de l’annexe 2). Mais, comme il remarque essaie d’intégrer l’information nouvelle du rayon de la
lui-même qu’il doit disposer d’« une autre distance… Terre en est un exemple très clair : au lieu d’assimiler
autre que les 31… », la chercheuse lui indique que l’information qui se réfère à la situation réelle à une
le rayon de la Terre mesure environ 6 371 km (11). information mathématique qu’il aurait pu intégrer à

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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son modèle mathématique, il fait une sorte d’esquive matiser). Il en déduit que l’angle au centre est égal
en employant un modèle de division dans une sorte à 45° (22, travailler mathématiquement). C’est parce
d’essai-erreur. Contrairement à ce qui se produit que la chercheuse lui demande de justifier ce résul-
dans la première étape, Jean essaie plus de prendre en tat, qu’il revient sur la construction d’un modèle
compte la situation réelle telle qu’il se l’imagine. C’est réel et qu’il comprend que cette hypothèse n’est pas
dans la troisième étape qu’il comprend qu’il faut trou- adéquate parce qu’elle impliquerait qu’il y ait « la
ver un équilibre entre les nécessités impliquées par même distance [entre le bateau et le phare qu’entre
la situation réelle et leurs pendants dans le monde le bateau et le centre de la Terre] » (24, simplifier).
mathématique et qu’il commence à comprendre qu’il Jean sait que la distance entre le phare et le bateau
ne peut ni appliquer aveuglément n’importe quel sera plus petite que le rayon de la Terre, il déduit de
modèle mathématique, ni renoncer à un calcul bien cette idée, associée à la situation réelle, deux consé-
réfléchi pour avancer dans le problème. quences mathématiques. D’une part, les angles ne sont
La troisième étape de la modélisation de Jean pas égaux (25, mathématiser, figure E en annexe 2) ;
concerne surtout le calcul et le travail mathéma- d’autre part, comme « sur le côté où c’est le plus petit
tique pour trouver un résultat comme en témoigne j’ai le plus grand angle », l’angle en haut du phare est
la fréquence des codages (c) et (d) sur la figure 9. plus grand que celui au centre (26, travailler mathé-
Après avoir remarqué que son modèle de division matiquement). Avant qu’il puisse remarquer sa confu-
par deux ne l’a pas conduit à un résultat exploi- sion des noms des angles, la chercheuse lui demande
table, Jean revient sur sa représentation précédente pourquoi il cherche des angles (27). Il répond ainsi :
en se demandant « combien de temps la Terre est- [je me souviens] « qu’on peut calculer une distance en
elle plate ? » (16, simplifier). Il revient alors à son utilisant des angles. Si on dispose des deux distances
modèle réel de la Terre plate qui « descend au bout » et qu’on dispose d’un angle et je suis bête parce que je
(17, comprendre, figure D en annexe 2). Pour l’aider suis en train de faire un triangle rectangle et je peux
à abstraire, la chercheuse lui conseille d’intégrer le faire Pythagore ». La question de la chercheuse l’incite
rayon de la Terre dans son dessin (18, ajout à la figure donc à valider son approche et lui permet de remar-
E de l’annexe 2). Le modèle ainsi construit l’aide à quer qu’il dispose d’assez de données pour appli-
traduire la situation en une question mathématique quer le théorème de Pythagore. Il commence donc à
pour laquelle il faut « jouer sur les angles ». Il fait établir une équation et calcule un premier résultat,
alors l’inventaire des distances connues pour pouvoir 395 km, (28, travailler mathématiquement, calcul 2
travailler avec des angles (19, simplifier, figure F en en annexe 2) qu’il interprète comme la réponse à la
annexe 2) : « j’ai deux distances, la distance du haut question (29, interpréter). Encore une fois il ne voit
du phare par rapport au centre de la terre, il y a les pas la nécessité de critiquer son raisonnement. Mais
6 371,031 km et j’ai la distance de la hauteur de mon lorsque la chercheuse lui demande s’il est satisfait de
navire qui est, donc on va dire qu’il est sur l’eau, donc sa solution, il remarque que « cela fait beaucoup » (30,
de 6 371 km. ». Son activité correspond alors à une valider). Ce qui est intéressant, à ce moment, c’est que
construction d’un modèle réel et donc au codage b Jean essaie de relier son résultat à ses connaissances
(simplifier), même si le cycle idéalisé ne prévoit pas du monde réel : même s’il n’a jamais fait du bateau,
de retour d’un modèle mathématique au modèle réel. il a quand même l’impression que son résultat n’est
Cette pensée montre qu’à ce moment-là, Jean réussit pas réaliste. Systématiquement, il s’interroge alors sur
à relier les faits réels et ses besoins mathématiques. Il ses hypothèses : il s’assure qu’il n’a pas confondu le
poursuit son objectif de mathématisation sans perdre rayon de la Terre avec son diamètre, qu’il n’a pas fait
de vue les simplifications nécessaires pour appli- une faute de frappe sur sa calculatrice et enfin qu’il
quer ce modèle. Il est donc capable de continuer son a utilisé un bon modèle (la tangente). À l’aide de la
« jeu des angles » en identifiant l’angle droit dans chercheuse il remarque finalement son erreur d’inat-
son triangle (20, mathématiser). Mais comme son tention dans la formule de Pythagore où il a oublié
objectif est de pouvoir exploiter une relation entre de mettre la variable x au carré (31). Le nouveau
des angles, il n’identifie pas le triangle rectangle et calcul fait émerger une nouvelle réponse (19 km) (32,
cherche d’autres propriétés mathématiques. Comme travailler mathématiquement) qu’il arrondit à 20 km
son dessin en a l’air, il suppose que son triangle n’est (33, interpréter). Cette réponse constitue pour lui la
pas seulement rectangle mais aussi isocèle (21, mathé- réponse finale (34, communiquer).

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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Comme le met bien en évidence la figure 8, la ne voit cependant pas la nécessité de réfléchir aux
dernière étape de la modélisation de Jean se caracté- conséquences de son résultat dans le contexte réel. Sa
rise par une oscillation importante entre le reste du réaction après la demande de la chercheuse montre
monde et les mathématiques qui lui permettent d’affi- pourtant qu’il n’est pas du tout incapable d’une telle
ner son modèle : c’est en se basant sur des contraintes validation. L’absence de validation spontanée peut
de la situation réelle ou de son modèle réel que Jean donc plutôt s’expliquer par son manque d’habitude
représente finalement la situation réelle par un à contrôler ses résultats.
problème mathématique. En faisant cela, il essaie
d’activer divers savoirs mathématiques. Il est notable
que dans cette dernière étape, contrairement aux Conclusion sur l’analyse de l’activité de Jean
autres, le retour aux modèles ou résultats précédents avec la théorie de la modélisation
du cycle de la modélisation résulte de l’initiative de
Jean lui-même et non pas d’une sollicitation de la L’analyse avec la théorie de la modélisation nous
chercheuse (par exemple flèches 19 et 24). Il apparaît a permis de distinguer trois étapes dans la modéli-
ainsi que c’est pendant le travail mathématique qu’il sation de Jean, chacune étant associée à un modèle
a besoin de quelques précisions pour ensuite lui- de la situation qu’il a jugé suffisamment satisfaisant
même retravailler ses approches (flèches 23 et 27). pour aller jusqu’à proposer une réponse au problème
Mais même s’il réussit bien à relier le reste du monde à partir de ce modèle. Les deux premiers modèles ont
aux mathématiques pendant la mathématisation, il été invalidés par Jean soit à partir d’une remarque

Figure 8 : Cycle de modélisation de la troisième étape de Jean

Les numéros des flèches indiquent l’ordre des activités de Jean ; les flèches pointillées indiquent les aides données par la
chercheuse ; les lettres indiquent le codage de l’activité de modélisation ; les différents modèles ou résultats du cycle de
modélisation sont distingués par des couleurs ou cadres des boîtes (cf. figure 5).

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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de la chercheuse, soit parce que Jean a de lui-même équilibre entre la représentation de la situation
trouvé le résultat peu vraisemblable. réelle et le travail mathématique. En outre, les acti-
La catégorisation des activités de Jean selon les vités absentes chez Jean fournissent des informa-
sous-compétences de la modélisation dans les diffé- tions à ce sujet : le manque d’activités de validation
rentes étapes de chacun des cycles de modélisation (f) spontanées indique que Jean ne voit pas la néces-
permet d’identifier, chronologiquement, les change- sité de critiquer ou de réfléchir sur son travail ou ses
ments de nature d’activité de l’élève et ses oscillations résultats. Pourtant, sur la demande de la chercheuse,
entre son activité à l’intérieur des mathématiques et il est souvent capable de modifier sa modélisation.
son activité dans le « reste du monde », caractéris- L’absence de validation spontanée observée peut donc
tiques d’une activité de modélisation d’un problème plutôt être attribuée au contrat didactique (Brousseau,
issu du quotidien. Ainsi, les trois schématisations 1998) et en particulier au niveau macro de sa facette
qui résument chacune des étapes de la modélisa- épistémologique (Hersant, 2014). Pour Jean, ni la
tion de Jean mettent en évidence une évolution de prise en compte de la situation réelle, ni la validation
la nature de son activité : son avancée dans la modé- de son choix de modèle ou des résultats ne semble
lisation et la recherche du problème s’accompagne faire partie du contrat didactique associé à la résolu-
d’une compréhension progressive des règles impli- tion d’un problème de modélisation. Cela explique
cites de la modélisation, c’est-à-dire de la néces- qu’il ait besoin d’interventions ou d’aides qui l’incitent
sité de faire abstraction d’une situation concrète à repenser son modèle réel ou à critiquer son travail.
sans perdre complètement le lien entre son modèle À partir de l’analyse, il est aussi possible de
mathématique et la situation réelle. Cela se perçoit remonter à ce qui permet à Jean de progresser dans
par une densification des allers-retours entre les la résolution du problème ou au contraire à ce qui le
mathématiques et le monde réel entre l’étape 1 et bloque. Ainsi, nous avons montré que Jean réussit
l’étape 3. C’est surtout au début de son investigation à valider le résultat qu’il a trouvé avec une formule
du problème, lorsqu’il a besoin de se plonger dans la de Pythagore incorrecte en se questionnant sur la
situation réelle pour identifier des informations perti- plausibilité de la valeur. C’est lui qui voit la nécessité
nentes et avancer dans la résolution, que son habi- de refaire une partie de sa modélisation et donc de
tude du travail mathématique est bousculée. Jean progresser dans la recherche d’une réponse finale à
lui-même remarque à la fin de l’étude que dans le la question d’origine. Il réussit à valider son modèle
cours des mathématiques qu’il connaît « tout ce dont et ses suppositions, mais ne remarque pas sa faute
on a besoin, on nous le donne aussi d’habitude… d’inattention. L’intervention de la chercheuse l’incite
[…] On nous donne plein de données mais c’est nous à regarder encore une fois son modèle mathématique
qui devons le résoudre ». Cela explique pourquoi, au ce qui l’aide à surmonter ce blocage et à poursuivre
début, il ne s’interroge pas sur le fait qu’il dispose de dans son processus de modélisation.
toutes les données dont il a besoin, mais procède vite
à la mathématisation. Après avoir remarqué, à l’aide
des interventions de la chercheuse, que la situation étUde dU processUs de problématisation
réelle dans cet exercice n’est pas du tout négligeable, chez jean
il change son point de vue et essaie de trouver une
réponse juste à partir de sa représentation de la situa- Analyser le processus de problématisation de
tion (« on ne voit pas le phare depuis l’autre côté de Jean dans cette situation de modélisation implique
la terre »). Mais comme cette approche échoue aussi, d’identifier à partir du corpus les sous-problèmes
Jean cherche à traduire la situation réelle dans un qu’il traite ainsi que les éléments de nature empi-
modèle mathématique tenant compte des contraintes rique qu’il utilise, les nécessités relatives au problème
de la situation qui lui permet de travailler mathémati- qu’il construit et le registre explicatif sur lequel il
quement et efficacement. L’analyse montre comment, s’appuie. Ces éléments nous permettront de décou-
peu à peu, Jean gagne plus de sécurité dans la traduc- per le corpus en phases et épisodes et de rendre
tion en termes mathématiques du reste du monde, compte de sa problématisation à l’aide d’un espace
même s’il n’est pas habitué à ce type de travail. de contraintes et de l’enchaînement dynamique des
Par ailleurs, l’analyse met en évidence et permet problèmes qu’il rencontre.
de caractériser les difficultés de Jean à trouver un

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Méthodologie d’analyse moment de la résolution : plus on s’éloigne du phare,


plus l’angle entre la trajectoire du bateau, supposée
Appuyons-nous sur l’extrait déjà utilisé précé- rectiligne à ce moment de la résolution du problème,
demment (transcription du tableau 1) pour préciser et la droite passant par le bateau et le sommet du phare
notre méthodologie. diminue, donc l’endroit où l’on perçoit le phare pour
Les sous-problèmes que Jean traite sont repé- la première fois est éloigné et l’angle est petit. De la
rables aux questions qu’il se pose ou aux exigences même façon, lorsque Jean déclare « c’est la tangente »
qu’il mentionne dans son monologue. Par exemple et qu’il en déduit que l’angle vaut 90° et donc qu’on est
lorsqu’il dit (22) « Il faut trouver un angle selon lequel dans une configuration de Pythagore il construit bien,
on ne voit plus le phare », il est clair que le sous- explicitement, une nécessité relative au problème.
problème qu’il traite alors est de trouver l’angle que Ces éléments empiriques et ces nécessités vont
fait la trajectoire du bateau avec le sommet du phare nous permettre d’inférer le REX mobilisé par Jean
au moment où l’on voit le phare pour la première fois. au cours de son activité, c’est-à-dire la matrice qui
L’identification de ce sous-problème nous renseigne sous-tend son raisonnement au cours de la résolution
sur la façon dont Jean explore le problème posé, le du problème ou d’une partie du problème. En effet,
construit, et sur les nécessités qu’il envisage. la recherche peut amener Jean à changer de registre
Nous considérons qu’une phase correspond au explicatif pour expliquer le phénomène « lorsque je
traitement d’un problème regroupant plusieurs sous- vois pour la première fois ce phare de 31 m je sais à
problèmes. À l’intérieur d’une phase, nous distin- quelle distance des côtes je suis ». Cette évolution du
guons des épisodes en fonction des éléments des registre explicatif caractérisera alors l’existence d’un
registres empirique et explicatif que Jean mobilise. événement de problématisation donnant accès à une
Par exemple l’extrait du tableau 1 correspond essen- conceptualisation scientifique de ce phénomène.
tiellement à l’épisode b de la phase 2 compris entre
les tours de parole 18 et 26 où Jean vise à trouver un
angle pour calculer la distance cherchée en mobili- Quelle problématisation dans l’activité de Jean ?
sant le fait que la Terre peut être représentée comme
plate et, implicitement, le fait que ce qui empêche Le découpage en phases et épisodes du corpus
de voir la lumière du phare est la distance (idée que figure en annexe 1.
l’intensité lumineuse décroît avec la distance). En 28 Dans une première phase de la résolution, Jean
débute un nouvel épisode à l’intérieur de la phase 2 a une représentation erronée de la fonction d’un
puisque Jean prend en compte à partir de ce moment- phare : il considère que le phare est construit pour
là le fait que la Terre est ronde. éclairer la zone entre le phare et la côte. Le problème
Les éléments du registre empirique sont des faits pour Jean est donc, en quelque sorte, de calculer à
mobilisés, plus ou moins explicitement par Jean, au quelle distance le phare éclaire et non à partir de
cours de son raisonnement ; ils peuvent être fournis quelle distance on voit le phare. Il propose rapide-
par la chercheuse. Ainsi, son intervention en 27 relève ment 6 km comme réponse. Dans cette représenta-
du registre empirique, de même que la précision tion le phare est conçu pour éclairer, strictement,
qu’elle donnera plus tard sur la longueur du rayon de à 3 km à la ronde ; le marin aperçoit donc le phare
la Terre. En effet, ces éléments ne constituent pas des 3 km avant d’y arriver soit 6 km avant la côte. Dans
nécessités du phénomène modélisé, ce sont simple- cette première phase qui se termine par l’intervention
ment des données du problème tel qu’il est alors de la chercheuse pour expliquer le fonctionnement
construit par Jean. De la même façon, lorsque Jean du phare, il n’y a pas de construction de nécessités
mobilise le fait que le phare devient visible, devient relatives au phénomène qui nous intéresse. Nous ne
plus « grand », quand on s’en approche, il ne construit nous y attardons donc pas.
pas une nécessité du problème. En revanche, lorsqu’il En revanche, une fois que Jean a compris le rôle
déduit de cela que plus on s’éloigne du phare, plus du phare (à partir de 18), un processus de probléma-
l’angle diminue (figures C et D de l’annexe 2) et qu’il tisation débute (phase 2). Nous le résumons à l’aide
faut « un angle petit » (27), il construit des nécessités de l’espace de contraintes représenté en figure 9. Dans
(erronées) relatives au problème. En effet, il exprime ce schéma, les cadres en pointillé correspondent à des
ce qui fait nécessité pour ce problème, pour lui, à ce éléments issus de l’intervention de la chercheuse.

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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Figure 9 : Espace de contraintes de la problématisation de Jean :


les lettres majuscules correspondent aux schémas que fait Jean sur son brouillon en annexe 2

Cet espace de contraintes montre qu’il y a bien nécessité que, puisque la lumière se déplace en ligne
construction explicite de nécessités donc probléma- droite dans un milieu sans obstacle, « on est tangent
tisation à partir d’éléments empiriques. longtemps » (28) puis « qu’on a l’air tangent à la
Certaines des nécessités construites par Jean Terre » (58) et enfin à considérer, en rupture avec
sont erronées, nous les avons représentées dans un ces premières nécessités, qu’il y a un seul point de
cadre gris. Nous les faisons figurer dans l’espace tangence (82), conformément à la définition mathé-
de contraintes car elles constituent, à un moment matique de la tangente. Cette propriété de la tangente
donné, des nécessités réelles pour Jean et témoignent est probablement rendue disponible par la figure F
ainsi de la façon dont il progresse dans la construc- (voir annexe 2) qu’il construit. À partir de là, il ne
tion du problème. Au cours de son avancée dans le cherche plus à déterminer la mesure de l’angle pour
problème, ces nécessités se précisent ou se fissurent avoir la distance au phare mais à trouver la distance
jusqu’à être abandonnées ou explicitement reje- entre ce point de tangence et le phare (distance GH
tées. Ainsi, au début de la résolution du problème, sur la figure 2).
Jean considère que c’est uniquement la distance au Cette évolution dans la construction du problème
phare qui va déterminer la possibilité ou pas de voir est sous-tendue par une évolution de la façon dont
la lumière du phare, comme si l’intensité du rayon Jean s’explique le fait qu’on voit ou qu’on ne voit pas
lumineux s’atténuait avec la distance. Il cherche alors le phare, c’est pourquoi nous avons distingué deux
à trouver la valeur d’un angle, petit, pour déterminer registres explicatifs. D’abord, jusqu’à l’épisode 2h,
la distance à laquelle on verra pour la première fois tout se passe comme si, pour Jean, ce qui empêche
le phare. Puis, petit à petit, il prend en compte le fait de voir le phare depuis le bateau est la distance,
que la Terre « se tord ». Cela l’amène à construire la uniquement ; comme s’il y avait une perte de l’inten-

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sité lumineuse avec la distance. Cette explication sité que la Terre est ronde, qu’on « va être long-
renvoie à une conception erronée de la diffusion de temps tangent à la Terre » (épisodes 2c à 2h) et que
la lumière qui correspond plutôt à une expérience la droite est perpendiculaire au rayon. Le troisième
terrestre et quotidienne d’un piéton, où les obstacles associe le registre explicatif « ce qui empêche de
à la vue sont nombreux et empêchent de percevoir la voir la lumière est la rondeur de Terre » (les autres
rondeur de la Terre, et non à une expérience marine. épisodes, en gras sur la figure 10) à la nécessité que la
Mais, à partir de l’épisode 2i, en association étroite Terre est ronde et que le rayon lumineux est tangent
avec une représentation schématique de la situa- à la Terre. La seconde catégorie est intermédiaire
tion (figure F de l’annexe 2), Jean mobilise dans son puisque, à la fois, Jean tient compte du fait que la
modèle une autre explication du phénomène : ce qui Terre est ronde et qu’il va y avoir un phénomène de
empêche de voir le phare est la courbure de la Terre. tangence mais n’en tire pas plus de conclusion. Ici,
Cette seconde explication correspond à une explica- Jean utilise une conception de la tangente où l’unicité
tion scientifique du phénomène. du point commun entre le cercle et la droite tangente
Le passage d’une explication à l’autre marque son est absente. Au stade 2, seul le fait que la droite est
changement de point de vue sur le phénomène et sa perpendiculaire au rayon est pris en compte ; Jean ne
modélisation. Il ne se réalise pas de façon brutale, fait pas le lien entre la perpendicularité avec le rayon
comme une sorte de révélation à partir du moment de la Terre, la tangence de la droite et l’unicité du
où le fait que la Terre est ronde est explicité. En effet, point de contact. Autrement dit, il ne mobilise pas le
Jean remarque en 28 que la Terre est ronde mais ce sens mathématique du mot « tangent » mais un sens
n’est qu’en 80 qu’il place sur sa figure un angle droit plus commun. Cette représentation du problème
sur la figure F (annexe 2) et seulement en 82 qu’il est sollicitée à la fois pour la recherche d’un angle
indique « parce que, vu que c’est la tangente qui (2c, 2e, 2h, 2i) et pour la recherche d’une distance
me permet de voir, je sais qu’il y a un angle droit ». (2d, 2f). Cependant, la recherche de la distance (2f)
Ce changement de registre explicatif témoigne d’un conduit Jean à se poser la question « combien de
événement de problématisation. Peut-on préciser temps la Terre est plate ? » (2g) car pour calculer la
ce qui fait événement en identifiant les obstacles distance au phare il lui faut déterminer un point de
auxquels Jean s’est heurté avant de passer d’un départ. À la suite de cet épisode, Jean associe claire-
registre explicatif à un autre ? ment le fait que la Terre est ronde et le sens mathé-
Pour cela, essayons de comprendre la dynamique matique de la tangente, même s’il oscille entre le sens
de la problématisation à l’œuvre dans l’activité de trigonométrique de ce mot pour chercher l’angle et
Jean. Dans cette phase 2, le raisonnement de Jean son sens géométrique pour chercher une distance.
s’articule autour de trois problèmes principaux : Un « déclic » semble se produire, en lien avec le
quel est l’angle entre la trajectoire du bateau et le processus de modélisation (voir analyse avec la théo-
sommet du phare ? (épisodes 2b, 2c, 2e, 2h, et 2i voir rie de la modélisation), lorsque Jean reprend la figure
annexe 1), quelle est la distance au phare lorsqu’un E en la figure F (voir annexe 2). Cela nous conduit à
marin le voit pour la première fois ? (épisodes 2d, penser que la conception, erronée et imprécise de la
2f, 2j, 2k) et « combien de temps la Terre est-elle tangente mobilisée dans un contexte non mathéma-
plate ? » (épisode 2g). On peut rendre compte de tique, a fait obstacle de façon majeure.
l’enchaînement de ces problèmes dans l’activité de Mais il apparaît aussi que l’abandon du premier
Jean par la figure 10. registre explicatif est associé à l’abandon d’une
Si l’on associe ce schéma avec l’espace de pensée chronologique au profit d’une pensée logique.
contraintes (figure 9) on peut regrouper les éléments En effet, dans les propos de Jean, avant l’épisode 2i,
des registres des nécessités et explicatifs selon trois la notion de temps est prégnante. Dans ce contexte,
catégories qui correspondent à trois « stades » de il cherche une distance, un angle ou un point mais
la problématisation chez Jean. Le premier asso- en lien avec un déplacement dans le temps et l’espace
cie le registre explicatif « l’intensité lumineuse qui explique qu’on aperçoive ou pas la lumière du
diminue avec la distance » et la nécessité, impli- phare. D’une certaine façon, tout se passe comme s’il
cite dans le raisonnement de Jean, que la Terre est y avait un avant et un après à propos de la possibi-
plate (épisode 2b, en italique dans la figure 10). Le lité de voir le phare plus que comme s’il y avait une
second associe le même registre explicatif à la néces- partie de la circonférence de la Terre où l’on voit le

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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Figure 10 : Enchaînement des problèmes dans l’activité de Jean

phare et une autre où on ne le voit pas. Sa question distance à partir de laquelle il sera visible en mer.
« combien de temps la Terre est-elle plate ? » nous Dans le cas de ce problème, le processus de modélisa-
semble à cet égard particulièrement significative. On tion demande de construire des nécessités qui sont à
est proche ici de l’obstacle chrono-causal identifié l’articulation de la réalité et des mathématiques. Cela
en histoire par Doussot et Vézier (2016) pour lequel concerne en particulier l’unicité, cruciale, du point
le « registre explicatif […] associe la recherche de de tangence qui correspond, d’une part, au fait que
causes et la logique naturelle du temps qui passe ». Et la lumière se propage en ligne droite et, d’autre part,
on comprend alors l’importance d’une avancée dans au fait que mathématiquement la tangente est défi-
le processus de modélisation pour rompre avec ce nie comme une droite qui a un seul point commun
raisonnement : la figure F en particulier ne porte plus avec un cercle.
de trace de cette idée de déplacement symbolisé par L’analyse de l’activité de Jean avec le CAP nous
des flèches ou des doubles flèches dans les figures a aussi permis d’identifier différents obstacles à la
précédentes, c’est une figure géométrique débarrassée modélisation. Ces obstacles ne sont pas tous d’ordre
de ces aspects chronologiques. Jean peut y poser un mathématique. D’abord des conceptions erronées en
angle droit pour signifier la tangence puis y recon- physique nourrissent le registre explicatif initial de
naître une configuration de Pythagore. l’élève : Jean explique, en partie, le phénomène de
perception ou non perception de la lumière du phare
par l’éloignement au phare parce qu’il considère
Conclusion sur l’analyse implicitement que l’intensité de la lumière décroît
du processus de problématisation chez Jean avec la distance qu’elle parcourt. On identifie ici
une conception erronée d’un phénomène physique,
Cette analyse nous montre d’abord que l’activité probablement nourrie par notre expérience de piéton
de Jean lors de la recherche de ce problème de modé- peu habitué à percevoir des sources lumineuses très
lisation est bien aussi une activité de problématisa- éloignées car des obstacles se dressent entre ces points
tion. En particulier, nous avons montré qu’elle le lumineux et nous. Cette conception renvoie à un
conduit à passer d’une conception quotidienne du obstacle de nature épistémologique. Nous avons aussi
fonctionnement d’un phare à une conception scien- mis en évidence un autre obstacle épistémologique,
tifique de ce fonctionnement lui permettant d’ex- celui du raisonnement chrono-causal : l’élève donne
pliquer comment la hauteur du phare détermine la une dimension temporelle au problème, probable-

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ment parce qu’il l’imagine comme un déplacement, posées au début de l’article. Pour rappel, la première
alors que la variable « durée » n’intervient pas. concerne la problématique du transfert d’un cadre
Cette analyse nous a aussi permis de dégager théorique d’une didactique d’une discipline vers une
trois stades dans le processus de problématisation autre : dans quelle mesure le CAP issu de la didac-
du problème caractérisés chacun une association tique des SVT est-il pertinent pour analyser l’activité
d’un registre explicatif et d’éléments du registre des de modélisation des élèves en mathématiques ? Les
nécessités. Le premier et le troisième présentent une deux autres ont trait à la problématique de la compa-
grande cohérence entre le registre explicatif et les raison des cadres : qu’apporte chacun d’eux à l’ana-
éléments de l’ordre des nécessités. Le stade inter- lyse et quelle complémentarité présentent-ils ? Ces
médiaire se caractérise par l’association du registre dernières questions ne sont pas indépendantes de la
explicatif du stade 1 à de nouvelles nécessités qui ne première, comme nous le verrons. Nous posons cet
sont pas encore comprises en tant que telles. Cette ensemble de questions dans la perspective didactique
évolution témoigne de la résistance du registre expli- d’apporter des pistes pour favoriser l’enseignement de
catif initial en lien avec les obstacles identifiés. la modélisation. Alors, à l’issue de nos analyses, que
Par ailleurs, l’analyse a mis à jour une difficulté pouvons-nous conclure sur ces questions et quelles
importante de l’élève à mobiliser dans un contexte perspectives pouvons nous dégager pour l’enseigne-
non encore mathématisé une conception correcte ment et l’apprentissage de la modélisation ?
dans la notion de « tangente ». Les travaux de Castela
(1995) ont montré que l’unicité du point de tangente
n’est pas toujours acquise à la fin du lycée. Dans l’ac- Pertinence du CAP pour renseigner l’activité
tivité de Jean on retrouve cette difficulté. Il apparaît de modélisation chez des élèves
en particulier, de façon prégnante, que la mobilisa-
tion du sens mathématique d’une notion n’est pas La pertinence du cadre s’évalue d’abord à l’aune
immédiate dans un problème non mathématisé, de la possibilité d’effectuer l’analyse. Le fait même de
même si l’activité est clairement associée au cours de pouvoir réaliser l’étude de cas avec le CAP témoigne
mathématiques. de l’adéquation de ce cadre pour renseigner d’un
Enfin, l’analyse que nous avons déployée met en point de vue didactique l’activité de modélisation
avant les dynamiques de problématisation que nous des élèves. Autrement dit, les outils du CAP sont
pouvons reconstruire et ce qui fait événement de adaptés à ce type d’analyse et permettent de produire
problématisation pour Jean. À partir de l’identifica- des connaissances sur l’activité de modélisation des
tion des « grands » problèmes que se pose l’élève au élèves. Ce résultat n’est pas nouveau puisque des
cours de sa recherche et de l’étude de son chemi- travaux antérieurs (Hersant, Choquet, 2019 notam-
nement dans ses problèmes nous avons identifié ce ment) avaient déjà montré cette possibilité. Cette
qui lui permet d’envisager autrement le problème et nouvelle étude renforce donc ce résultat d’adé-
d’avancer dans son processus de problématisation et quation. Elle le précise aussi puisqu’elle témoigne
de modélisation. de la possibilité de rendre compte du processus de
problématisation associé au processus de modélisa-
tion. En effet, l’analyse est ici effectuée à partir du
conclUsion verbatim de la pensée à voix haute de l’élève et de
l’évolution de ses traces écrites, et non à partir de
Dans cet article, nous nous appuyons sur une productions finales comme c’est le cas dans Hersant,
étude de cas pour mettre au travail des questions de Choquet, 2019. Les éléments empiriques disponibles
didactique comparée relatives à l’enseignement et à ici permettent d’accéder, avec le CAP, au processus
l’apprentissage de la modélisation en mathématiques. de problématisation dans sa dynamique, notamment
Nous avons utilisé la théorie de la modélisation et le avec le repérage des problèmes que se pose l’élève
CAP pour rendre compte du processus de modélisa- et d’événements de problématisation. Ce résultat
tion chez un élève de Terminale. Il s’agit maintenant est relativement cohérent avec la genèse du CAP
de considérer les résultats obtenus avec un nouveau puisqu’il s’agit d’un cadre initialement développé en
point de vue, comparatiste, pour apporter des didactique des SVT en lien avec un questionnement
éléments de réponse aux questions que nous avons sur la notion de modèle en SVT (Orange, 1997).

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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Cette pertinence s’évalue aussi à l’aune des ment dans le champ des mathématiques, mais aussi,
connaissances que l’analyse avec le CAP apporte au selon les problèmes, dans le champ de la physique
domaine, en particulier par rapport aux résultats voire au-delà de ces disciplines scolaires comme on
produits avec la théorie de modélisation qui est un l’a vu avec le raisonnement chrono-causal de l’élève
cadre reconnu au niveau international. caractérisé en histoire par Doussot et Vézier (2016). Il
est possible que cet obstacle qui transcende les disci-
plines soit très partagé chez les élèves et qu’il soit
Quelle complémentarité présent dans de nombreux problèmes de modélisa-
présentent les deux cadres ? tion. Il a en effet été repéré aussi par Grau (2017)
dans les problèmes en lien avec la physique proposée
Comme nous l’avons montré, la théorie de la en mathématiques à la fin du collège et au début du
modélisation, adossée à l’idée de cycle de modéli- lycée. Cet obstacle nous semble, par ailleurs, difficile à
sation, autorise des analyses fines de la démarche identifier pour les enseignants de mathématiques. En
de modélisation des élèves (Borromeo Ferri, 2006 ; ce sens, l’analyse proposée avec le cadre de l’appren-
2007). Ce cadre permet de rendre compte des proces- tissage par problématisation apporte un élément inté-
sus complexes de traduction entre les connaissances ressant et relativement nouveau à la compréhension
de la réalité et le savoir (ou savoir-faire) mathéma- des processus de modélisation des élèves. Par ailleurs,
tique, c’est-à-dire de la mathématisation horizon- l’étude montre que ces obstacles ne sont pas isolés
tale. Il permet de reconstruire l’activité de l’élève en et indépendants. L’analyse avec le CAP permet aussi
termes de cycles de modélisation et de la caractériser d’accéder, grâce à la représentation de l’enchaînement
en référence aux sous-compétences retenues dans la des problèmes et à la dynamique de problématisation,
théorie. Cela rend possible, comme nous l’avons vu à ce qui permet à l’élève de dépasser, au moins au
dans l’analyse, l’identification des étapes du proces- moment de la recherche du problème, ces obstacles.
sus de modélisation de l’élève et la reconstruction Ainsi, le CAP permet de produire des connais-
d’une dynamique du processus de modélisation. En sances sur l’activité de modélisation de l’élève étroi-
effet, la catégorisation des activités de l’élève selon tement liées aux savoirs spécifiques au problème
les sous-compétences de la modélisation, dans les considéré tandis que la théorie de la modélisation
différentes étapes du cycle de modélisation, met en permet de produire des connaissances plus géné-
évidence les changements de nature d’activité de riques sur l’activité de modélisation de l’élève en lien
l’élève, dans leur enchaînement chronologique. Cela avec les sous-compétences de la modélisation qu’elle
permet d’accéder aux oscillations de l’élève entre son retient. Le CAP centre l’étude sur les tensions entre
activité à l’intérieur des mathématiques et son activité les registres empiriques et des nécessités à l’intérieur
dans le « reste du monde », oscillations caractéris- d’un registre explicatif donné quand la théorie de la
tiques d’une activité de modélisation d’un problème modélisation privilégie l’étude des tensions entre le
issu du quotidien. Cette catégorisation met aussi en monde réel et le monde mathématique, caractéris-
évidence les difficultés particulières de l’élève relati- tiques de la mathématisation horizontale.
vement à certaines sous-compétences.
De son côté, la représentation sous la forme d’es-
pace de contraintes dans le CAP permet d’identifier Qu’apporte la conjugaison des approches
les nécessités du problème construites par l’élève à la didactique des mathématiques ?
au cours du processus de modélisation ainsi que les
registres explicatifs qui les sous-tendent. Cette repré- L’association des deux théories permet d’accéder
sentation met ainsi en évidence l’évolution du registre à une compréhension multidimensionnelle de l’avan-
explicatif de l’élève et invite à caractériser l’événe- cée et des difficultés d’un élève en train de modéliser.
ment de problématisation qui y est associé à partir En particulier, comme nous l’avons vu, la distinction
de l’étude de la dynamique des problèmes que l’élève du registre explicatif dans le cadre de la problémati-
construit. Cette analyse conduit aussi à rechercher sation permet de donner une épaisseur épistémolo-
les obstacles épistémologiques auxquels se confronte gique à certaines difficultés de l’élève identifiées avec
l’élève. Ils sont accessibles à partir des conceptions la théorie de modélisation. Les deux cadres théo-
erronées qu’il mobilise et se révèlent être non seule- riques présentent donc une complémentarité dans la

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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façon dont ils renseignent l’activité de modélisation Autrement dit, la conjugaison des analyses met en
des élèves pour un problème donné. évidence la dépendance des deux processus. En effet,
La multidimensionnalité des résultats ainsi chaque étape ou stade correspond respectivement à
produits a un sens didactique profond. En effet, la une unité dans le raisonnement de l’élève du point
conjugaison des approches met en évidence une de vue du processus de modélisation et du processus
coïncidence dans les analyses effectuées avec les deux de problématisation. Comme le processus de modé-
cadres au niveau du découpage de l’activité de l’élève. lisation se situe dans une tension entre le monde réel
De fait, l’analyse avec la théorie de la modélisation et le monde mathématique tandis que le processus
permet de distinguer trois étapes dans le processus de problématisation se situe dans une tension entre
de modélisation : le registre empirique et le registre explicatif, le lien
– construction d’un modèle réel caractérisée semble plutôt être supporté par le registre explicatif
par le fait que l’élève envisage le problème qui sous-tend à la fois le processus de modélisation
comme un problème mathématique scolaire ; et le processus de problématisation. Ainsi, dans le cas
– construction d’un modèle mathématique présenté, l’identification des deux registres explica-
caractérisée par un appui quasi-exclusif sur la tifs « l’éloignement m’empêche de voir le phare » et
réalité ;
« ce qui m’empêche de voir le phare est la courbure
– construction d’un résultat mathématique
de la Terre » permet d’expliquer les allers-retours
tenant compte du réel, caractérisée par une
identification des éléments pertinents du réel associés à la construction d’un modèle réel adéquat.
et leur traduction mathématique. De la même façon, les difficultés de l’élève dans la
construction d’un modèle mathématique peuvent
Et, l’analyse avec le CAP permet de distinguer trois être expliquées par le fait que la conception quoti-
« stades » dans le processus de problématisation : dienne de la tangente doit évoluer vers une concep-
– 1’élève considère que la Terre est plate et tion mathématique pour que Jean puisse avancer
que l’intensité de la lumière décroît avec la dans sa modélisation.
distance ;
– l’élève considère que la Terre est ronde, que
l’intensité de la lumière décroît avec la dis- Quelles perspectives ouvre cette étude ?
tance et qu’« on est tangent longtemps » ;
– l’élève considère que la Terre est ronde, qu’il
Les possibilités d’analyse offertes par chacun des
y a un point d’intersection entre la surface de
la Terre et le rayon lumineux et que ce qui cadres appellent une première remarque relative à
l’empêche de voir la lumière c’est la courbure une perspective de didactique comparée. L’approche
de la Terre. de la modélisation comme activité mathématique non
spécifique à des savoirs « théoriques » que propose la
Or, le passage d’une étape de modélisation à une théorie de modélisation permet de travailler sur un
autre et celui d’un stade de problématisation à un grand nombre de cas avec de nombreux problèmes
autre coïncident : différents. Cela offre la possibilité de caractériser
– le passage de l’étape – stade 1 à l’étape – les activités et les difficultés des élèves d’une façon
stade 2 est associé au fait de l’élève intègre générale, détachée de problèmes spécifiques. En
dans son modèle réel et dans le registre empi- prenant appui sur plusieurs problèmes cela permet
rique, la rondeur de la Terre suite à une inter- de comprendre plus largement des phénomènes de
vention de la chercheuse ; blocages dans le processus de modélisation chez les
– le passage de l’étape-stade 2 à l’étape-stade 3
élèves (Schukajlow 2006, Galbraith & Stillmann
est associé au fait que l’élève intègre dans son
2006). Le cadre de l’apprentissage par problémati-
modèle mathématique, au rang des nécessités,
le fait qu’il n’y a qu’un seul point de tangence, sation fournit quant à lui un schéma d’analyse appli-
de nouveau suite à une intervention de la cable aux problèmes de modélisation, convoquant
chercheuse. des savoirs issus de différentes disciplines, tout en
préservant un lien étroit avec la spécificité des savoirs
Cette coïncidence révèle un lien fort entre avan- en jeu dans la situation modélisée. La multiplica-
cée de l’élève dans le processus de modélisation et tion des études de cas conjuguant les deux cadres
avancée dans le processus de problématisation. théoriques sur des problèmes distincts permettrait

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PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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de renseigner les liens entre le processus de modé- écoles, d’une part, la distinction entre hypothèses et
lisation et celui de problématisation, non seulement faits apparaît difficile et, d’autre part, l’enjeu semble
à travers le registre explicatif comme nous l’avons plus être l’enseignement de la réponse que celui du
fait dans cette étude, mais aussi à partir de la problé- processus de modélisation. Il resterait à savoir si ces
matisation définie comme un « processus multidi- résultats sont aussi valables pour les enseignants du
mensionnel impliquant position, construction et second degré. Cependant, Yvain-Prebiski et Chesnais
résolution de problèmes » (Fabre & Musquer, 2009, (2019) mentionnent la difficulté des enseignants du
p. 111). Nous n’avons pas exploré cette possibilité secondaire à identifier les connaissances et compé-
dans cet article. tences en jeu dans les problèmes de modélisation,
Par ailleurs, la conjugaison des regards apporte ce qui ne peut que conduire à un rabattement des
une compréhension multidimensionnelle des diffi- mises en commun et synthèses sur la solution. Ainsi
cultés des élèves utile pour penser les aides à la modé- la distinction des registres de la problématisation
lisation. En effet, la coïncidence entre les processus nous semble pouvoir aider les enseignants à distin-
de modélisation et de problématisation permet d’en- guer hypothèses et faits ; le registre empirique corres-
visager l’activité de modélisation aussi comme une pondant à ce que l’on sait de façon empirique et que
problématisation et d’envisager ainsi des aides à la l’on accepte de ne pas remettre en cause pour la réso-
modélisation comme des aides à la problématisation. lution du problème. Et, par ailleurs, « parler » de la
En effet, en dépit du caractère générique de la théo- résolution d’un problème de modélisation à la fois
rie de la modélisation, les aides proposées avec ce comme processus de modélisation et comme proces-
cadre peuvent être contextualisées. Dans notre étude sus de problématisation souligne les connaissances
de cas, elles ont permis à l’élève de surmonter ses qui interviennent dans la résolution du problème
difficultés à passer d’une étape de modélisation à une tout en mettant en évidence leur différence de nature
autre tout en permettant de construire des nouvelles (compétences associées à la mathématisation hori-
nécessités en lien avec son registre explicatif. Ainsi zontale et connaissances associées à construction
pour penser des aides qui permettent de faire avan- d’une solution apodictique en particulier). Enfin,
cer l’élève dans son processus de modélisation tout l’analyse d’un problème avec les deux cadres met
en préservant une activité consistante, la dualité à jour les éléments saillants des deux processus et
du processus invite à penser ces aides comme des permet de mettre en exergue ces éléments dans les
aides stratégiques à la modélisation et des aides à la moments de mise en commun ou de synthèse. Cela
problématisation. En particulier, ces aides pourraient constitue aussi une aide à la gestion des multiples
concerner ce que nous appelons dans les termes du solutions possibles qui semble difficile pour les ensei-
CAP la « factualisation », c’est-à-dire l’identification gnants (Yvain, 2018). En cela ces analyses pourraient
des données pertinentes du problème, qui apparaît servir de points d’appui pour élaborer des ressources
comme un élément important de la mathématisation et des formations à même de rendre disponibles les
horizontale. En effet, Yvain (2016) relève que « choi- infrastructures mathématiques et didactiques néces-
sir des fragments de réalité en lien avec la question saires à la mise en oeuvre de situations de modélisa-
à étudier » est un aspect crucial de la modélisation tion en classe.
qui pose problème aux élèves et est peu travaillé en
classe. Il y a là matière à de futures études.
La diffusion de telles aides auprès des ensei- NOTES
gnants leur permettrait de se sentir plus à l’aise
dans la gestion des situations de modélisation. Mais 1. Le navigateur français Tabarly disait « Vos mères vous
présenter aux enseignants la dualité du processus à ont peut-être dit que les phares sont là pour éclairer les
l’œuvre dans la modélisation nous semble aussi, et océans, n’en croyez rien, ils sont là pour dire aux marins où
surtout, susceptible de contribuer à une meilleure ils sont » (source : [http://augredesbalades.canalblog.com/
compréhension des enjeux associés à l’enseignement archives/2014/06/14/30106120.html])
de la modélisation ; ce qui constituerait une façon 2. Bien que de plus en plus de personnes semblent convain-
de soutenir la mise en place et la gestion de situa- cues que la Terre est plate, voir [https://fr.wikipedia.org/
tions de modélisation en classe. En effet, d’abord, wiki/Flat_Earth_Society].
d’après Wozniak (2012), pour les professeurs des

63
PROCESSUS DE MODÉLISATION ET DE PROBLÉMATISATION EN MATHÉMATIQUES À LA FIN DU LYCÉE

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3. Dans les parties analyses du texte, les éléments entre Doussot, S., & Vézier, A. (2016). L’apprentissage par
guillemets correspondent à des morceaux de phrases problématisation en histoire : proximité et distance
avec la didactique des sciences de la nature. Questions
prononcés par Jean.
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annexe 1: décoUpage en phases et épisodes de l’activité de jean

Tour de
Épisode Sous-problème traité et éléments considérés Notes associées (voir annexe 2)
parole

PHASE 1 : À quelle distance éclaire le phare ?

1a 8-11 Le phare éclaire entre le phare et la côte, il éclaire 3km à la ronde Figure A

1b 12-14 On voit le phare à 6 km Figure B

PHASE 2 : À quelle distance voit-on le phare pour la première fois ?

2a 15-17 Comment fonctionne un phare ?

La Terre est plate, ce qui empêche de voir le phare est la distance ; Figure C sans les notations
2b 18-26
il faut trouver l’angle d’angle droit

2c 28-35 La Terrer est ronde, « on est tangent longtemps », trouver l’angle Figure D

La Terrer est ronde, « on est tangent longtemps », pour trouver


2d 36-44
l’angle il faut une distance

La Terrer est ronde, « on est tangent longtemps », trouver directe-


2e 45-51
ment l’angle

La Terrer est ronde, « on est tangent longtemps », la distance


2f 52-57 Calcul 1
correspond à la moitié de la Terre

Figure E sans le rayon, seul le


2g 58-65 « Combien de temps la Terre est-elle plate ? »
diamètre est dessiné

2h 66-78 Quel est l’angle ? le calculer avec la tangente (au sens trigo) Figure E complète

2i 79-85 Quel est l’angle ? le triangle est isocèle Figure F

la Terre est ronde, un seul point de tangence, reconnaissance de la


2j 86-94 Notes effacées en 2k
configuration de Pythagore, solution avec erreur de calcul

2k 94-113 Pythagore, recherche de son erreur Calcul 2

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annexe 2 : scan dU broUillon de jean

Ce scan correspond au brouillon de Jean à l’issue de l’entretien. Ses notes ont été élaborées au cours de sa recherche,
elles constituent des traces support à ses raisonnements. Pour permettre au lecteur de mieux comprendre l’activité de Jean
nous avons partitionné ces notes (calcul i, figure P) sans en changer pour autant la disposition.

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