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Annales Pharmaceutiques Françaises (2021) 79, 216—226

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ScienceDirect
www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

Spécificités épidémiologiques de la
COVID-19 en Afrique : préoccupation de
santé publique actuelle ou future ?
Epidemiological specificities of COVID-19 in Africa: Current or future public
health concern?

É.J.L. Hardy a, P. Flori a,b,∗

a
Biologie Sans Frontières, 31, rue Mazenod, 69003 Lyon, France
b
EA-3064-groupe immunité des muqueuses et agents pathogènes, faculté de médecine,
université Jean-Monnet, 42055 Saint-Étienne, France

Reçu le 29 juillet 2020 ; accepté le 13 octobre 2020


Disponible sur Internet le 19 octobre 2020

HIGHLIGHTS
• L’Afrique (17 % de la population mondiale) ne regroupe en août 2020 que 5 % des cas mondiaux de COVID-19.
• Des facteurs climatiques et démographiques limitent l’épidémie de COVID-19.
• Les données officielles de l’OMS sont impactées par la capacité diagnostique africaine.
• Les projets de santé publique africains (non COVID-19) sont interrompus ou ralentis.

MOTS CLÉS Résumé


COVID-19 ; Objectifs. — L’Afrique est le continent le moins armé pour lutter contre l’épidémie de COVID-
Afrique ; 19. Cependant, l’Afrique qui regroupe 17 % de la population mondiale, ne pèserait que 5 % des
Climat ; cas mondiaux (source : OMS à la date du 04/08/2020). Dans ce travail, les auteurs essaient
Démographie ; d’identifier et de comprendre les raisons de ces données épidémiologiques.
PIB ; Méthode. — De nombreux suivis d’indicateurs ont été réalisés grâce principalement aux rapports
Capacité de l’OMS. Ces données ont été confrontées à la littérature, ainsi qu’à l’expertise de terrain de
diagnostique l’association « biologie sans frontières » en Afrique.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : pierre.flori@chu-st-etienne.fr (P. Flori).

https://doi.org/10.1016/j.pharma.2020.10.011
0003-4509/© 2020 Académie Nationale de Pharmacie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Spécificités épidémiologiques de la COVID-19 en Afrique 217

Résultats. — Les points suivants marquent la singularité de la COVID-19 en Afrique : (1) une capa-
cité diagnostique insuffisante liée au produit intérieur brut, (2) une population jeune réduisant
la population à risque et le nombre de décès, (3) un climat favorable (chaud et humide) limitant
la transmission virale, (4) de nombreux facteurs socioculturels pouvant limiter la déclaration
des cas.
Conclusion. — Aujourd’hui, cette crise sanitaire est médiatiquement omniprésente alors que le
nombre de décès reste limité en Afrique. En parallèle, des actions concernant les réelles priori-
tés de santé publique africaines (paludisme, diarrhées, SIDA. . .) sont ralenties ou interrompues.
© 2020 Académie Nationale de Pharmacie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits
réservés.

KEYWORDS Summary
COVID-19; Objectives. — Africa is the continent which is the least equipped to fight the COVID-19 epidemic.
Africa; However, Africa, which represents 17 % of the world’s population, is estimated to have only 5 %
Climate; of global cases (source: WHO on 2020/08/04). In this work, the authors try to identify and
Demography; understand the reasons for these epidemiological data.
GDP; Method. — Some follow-up indicators have been carried out, mainly through WHO reports. These
Diagnostic capacity data were compared with the literature and the field expertise of the association ‘‘Biologie sans
frontières’’ in Africa.
Results. — The following points mark the particularity of COVID-19 in Africa: (1) insufficient
diagnostic capacity (linked to gross national product), (2) a younger population limiting the
population at risk and the number of deaths, (3) a favourable climate (hot and humid) which is
decreasing viral transmission, (4) some socio-cultural factors that can reduce cases reporting.
Conclusion. — Today, this health crisis is omnipresent while the number of deaths remains
limited in Africa. Simultaneously, actions concerning African public health priorities (malaria,
diarrhoea, AIDS. . .) are interrupted or slowed down.
© 2020 Académie Nationale de Pharmacie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction pas frappées de la même manière par la pandémie. Le conti-


nent africain, qui regroupe 17 % de la population mondiale,
Le monde entier connaît désormais cette ville, Wuhan. Capi- ne pèse que 5 % des cas mondiaux de COVID-19. Une catas-
tale de la province d’Hubei, en Chine et point de départ trophe était pourtant attendue en Afrique en raison de ses
de la pandémie de COVID-19 (COronaVIrus Disease 2019). liens commerciaux privilégiés avec la Chine et de la fragilité
Le 31 décembre 2019, la commission sanitaire municipale de son système de santé [6].
de Wuhan signale officiellement la présence d’un groupe Contre toute attente, les données épidémiologiques four-
de cas de pneumonie dans la ville [1]. Les autorités sani- nies par l’OMS indiquent que l’Afrique s’en sortirait mieux
taires chinoises et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) que les autres continents. Les chiffres reflètent-ils la réa-
déclarent conjointement, le 9 janvier 2020, que cette mala- lité de terrain africaine ? Si oui, quelles en seraient les
die infectieuse respiratoire est causée par une nouvelle raisons ? Eclairés par l’observation des données épidémiolo-
souche de bêtacoronavirus, le SARS-CoV-2 (Severe Acute giques de l’OMS et de la bibliographie disponible, les auteurs
Respiratory Syndrome COronaVirus 2) [2]. La séquence de (= association biologie sans frontières, acteur de santé en
ce virus, préalablement appelé 2019-nCoV (Novel COronaVi- Afrique pour le développement de la biologie médicale)
rus), est partagée publiquement par les autorités chinoises discuteront des différentes problématiques et hypothèses
le 12 janvier 2020 [3]. pouvant expliquer la singularité de la situation africaine et
Alors que le SARS-CoV-2 s’est propagé rapidement sur de son évolution.
tous les continents, le directeur général de l’OMS, Dr. Tedros
Adhanom Ghebreyesus, déclare le 11 mars 2020 lors d’une
conférence de presse que « la COVID-19 peut être qualifiée Méthode
de pandémie » [4]. Au moment de finaliser l’écriture de cet
article, le bulletin quotidien de l’OMS du 4 août [5] annonce Pour simplifier l’expression des figures présentées, une
18 millions de cas de COVID-19 répartis dans l’intégralité comparaison de données de 3 continents (Amérique, Europe,
des pays du monde. Bien que l’ensemble de l’humanité soit Afrique) subdivisés en 11 régions est réalisée. Cette
touché, on constate que toutes les régions du monde ne sont comparaison exclut les données concernant les continents
218 É.J.L. Hardy, P. Flori

Figure 1. Nombre de cas cumulés de COVID-19 pour 10 millions d’habitants de différentes régions du monde en fonction du temps.
Cumulative number of cases of COVID-19 per 10 million people in different regions of the world.

asiatique et océanique, continents multiculturels et com- • nombre de cas de COVID-19 par population standardisée
posites. Cette régionalisation est basée sur des critères (Fig. 1) ;
géographiques et diffère de celle de l’OMS basée sur des • « temps de passage » du virus (Fig. 1) ;
critères géopolitiques. • produit intérieur brut (PIB) pondéré par habitant
Pour l’Afrique, 5 régions ont été définies : Afrique du Nord (Tableau 1) ;
(Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Tunisie), Afrique de l’Ouest • nombre de tests réalisés par technique de biologie molé-
(Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’ivoire, Gambie, culaire (RT-qPCR COVID-19) par population standardisée
Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, (Fig. 2) ;
Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo), Afrique Cen- • pourcentage de cas positifs par nombre de tests réalisés
trale (Angola, Cameroun, République Centrafricaine, Tchad, (Fig. 2) ;
Congo, République Démocratique du Congo, Guinée Equa- • nombre de décès de COVID-19 par population standardi-
toriale, Gabon, Sao Tomé-et-Príncipe), Afrique de l’Est sée (Fig. 3) ;
(Burundi, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, • taux de mortalité par population standardisée et taux de
Malawi, Maurice, Mozambique, Rwanda, Seychelles, Soma- mortalité par cas de COVID-19 (Fig. 3).
lie, Soudan, Soudan du Sud, Ouganda, Tanzanie, Zambie,
Le nombre de cas et de décès de COVID-19 par pays est
Zimbabwe) et Afrique du Sud (Botswana, Eswatini, Namibie
extrait hebdomadairement des rapports quotidiens de l’OMS
et Afrique du Sud).
[7], dans un intervalle de temps de 6 mois (du 4 février
Pour l’Europe, 3 régions ont été définies : Europe
au 4 août 2020) et additionné par région. La population de
du Nord (Norvège, Suède, Allemagne, Royaume Uni, Pays
chaque pays provient des estimations des Nations Unies [8].
Bas, Belgique, Autriche, Suisse, Irlande, Danemark, Fin-
Le nombre de cas et de décès de COVID-19 est standardisé
lande, Luxembourg, Islande), Europe méditerranéenne
pour 10 millions d’habitants pour chacune des régions mon-
(Italie, France, Espagne, Portugal, Serbie, Grèce, Bosnie
diales identifiées. Ces données permettent de déterminer
Herzégovine, Croatie, Slovénie, Albanie, Chypre, Malte,
des cinétiques d’évolution épidémiologique exprimées sur
Monténégro, Macédoine) et Europe de l’Est (Hongrie, Slova-
une échelle logarithmique.
quie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Biélorussie,
Un nouvel indicateur a été défini pour caractériser la
Ukraine, Moldavie, Bulgarie, Estonie, Lituanie, Lettonie).
cinétique du nombre de cas de COVID-19 par population
Pour l’Amérique, 3 régions ont été définies : Amérique
standardisée, nommé le « temps de passage ». Celui-ci
du Nord (États-Unis, Canada), Amérique Centrale (Mexique,
correspond au temps nécessaire (exprimé en semaines)
Panama, Honduras, Guatemala, Salvador, Costa Rica, Nica-
pour que le nombre de virus passe de 10 à 1000 cas de
ragua, Belize) et Amérique du Sud (Equateur, Brésil, Pérou,
COVID-19 pour une population standardisée de 10 millions
Colombie, Chili, Argentine, Bolivie, Venezuela, Paraguay,
d’habitants. Cet indicateur « neutre » semble plus adapté
Uruguay, Guyane, Suriname).
que le taux de reproduction (Ro, Re ou Rt) qui est souvent
Dans cet article, des indicateurs simples et compréhen-
plus difficilement compréhensible et interprétable.
sibles par le plus grand nombre (pas seulement par des
Les PIB par habitant proviennent des estimations des
épidémiologistes spécialisés) sont définis :
Nations Unies [9]. Les PIB ont été pondérés en fonction de la
Spécificités épidémiologiques de la COVID-19 en Afrique 219

Tableau 1 PIB par habitant en dollars de différentes régions du monde pondéré en fonction de leur population.
Population-weighted GDP per capita in dollars in different regions of the world.
Pays tempérés
Région du monde Pays PIB pondéré par
habitant 2018
Amérique du Nord Canada, Etats-Unis 61,206
Europe du Nord Norvège, Suède, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, 50,444
Autriche, Suisse, Irlande, Danemark, Finlande, Luxembourg,
Islande
Europe Italie, France, Espagne, Portugal, Serbie, Grèce, Bosnie 31,734
méditérané-enne Herzegovine, Croatie, Slovénie, Albanie, Chypre, Malte,
Monténégro, Macédonie
Europe de l’Est Hongrie, Slovaquie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, 11,189
Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Bulgarie, Estonie, Lituanie,
Lettonie

Pays tropicaux

Région du monde Pays PIB pondéré par


habitant 2018
Amérique Centrale Mexique, Panama, Honduras, Guatemala, Salvador, Costa Rica, 8496
Nicaragua, Belize
Amérique du Sud Equateur, Brésil, Pérou, Colombie, Chili, Argentine, Bolivie, 8743
Vénézuela, Paraguay, Uruguay, Guyane, Suriname
Afrique du Nord Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Tunisie 3157
Afrique de l’Est Burundi, Djibouti, Erithrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, 924
Malawi, Maurice, Mozambique, Rwanda, Seychelles, Somalie,
Soudan, Soudan du Sud, Ouganda, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe
Afrique Centrale Angola, Cameroun, République centrafricaine, Tchas, Congo, 1480
République Démocratique du Congo, Guinée Equatoriale, Gabon,
Sao Tomé-et-Principe
Afrique de l’Ouest Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, 1693
Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria,
Sénégal, Sierra Leone, Togo
Afrique du Sud Botswana, Eswatini, Nambie, Afrique du Sud 6381

Figure 2. Évaluation de la capacité diagnostique de différentes régions du monde.


Assessment of diagnostic capacity in different regions of the world.
220 É.J.L. Hardy, P. Flori

Figure 3. Nombre de décès cumulés de COVID-19 pour 10 millions d’habitants de différentes régions du monde en fonction du temps.
Cumulative number of deaths of COVID-19 per 10 million people in different regions of the world.

population de chaque pays pour obtenir un PIB moyen d’une Par la suite, le nombre de nouveaux cas de COVID-19 dimi-
région mondiale. nue chaque semaine et tend vers l’absence de nouveau cas,
Le nombre de tests diagnostiques réalisés par pays est ce qui est caractéristique d’une croissance asymptotique.
tiré de la base de données « SARS-CoV-2 test tracker » du site Une absence totale de nouveaux cas serait caractérisée par
FIND [10], additionné par région et standardisé pour 10 mil- une pente horizontale. Dans les régions d’Afrique subsa-
lions d’habitants. Le pourcentage de cas positifs par nombre harienne, on observe un ralentissement très prononcé du
de tests réalisés d’une région est calculé par la somme des temps de passage, de 10 semaines pour l’Afrique de l’Ouest
cas positifs d’une région, rapporté à la somme des tests et l’Afrique Centrale jusqu’à 15 semaines pour l’Afrique de
réalisés. l’Est. L’Afrique du Sud et l’Afrique du Nord sont respecti-
Le taux de mortalité d’une région est calculé par le vement à 7 et 8 semaines alors que l’Amérique du Sud et
rapport entre le nombre de décès de COVID-19 au 4 Août l’Amérique Centrale sont à 4 et 6 semaines.
2020 standardisé pour 10 millions d’habitants ou pour 10 mil-
lions de cas de COVID-19.
Richesse des régions mondiales (PIB) et
saturation diagnostique
Résultats Les régions présentant les temps de passage les plus longs
(courbes oranges et rouges — Fig. 1) correspondent à
Nombre de cas de COVID-19 par population l’ensemble des pays tropicaux et équatoriaux au climat
standardisée et leur évolution (temps de chaud et humide (Amérique Centrale, Amérique du Sud et
passage) Afrique). Elles correspondent également à l’ensemble des
régions mondiales présentant un PIB inférieur à 10 000 dol-
Les données réactualisées de l’OMS ont été compilées afin lars par habitant (Tableau 1). En outre, le PIB des régions
d’obtenir les tendances épidémiologiques de chaque région subsaharienne (Afrique de l’Est, Afrique Centrale, Afrique
africaine et de différentes régions du monde (Fig. 1). La de l’Ouest) qui détiennent des temps de passage maximum
pente de ces courbes (représentant le nombre de nouveaux (10 et 15 semaines) ne dépassent pas les 2000 dollars par
cas cumulés et standardisés pour 10 millions d’habitants) habitant. La même tendance est également observable dans
illustre la vitesse de propagation du virus. Plus la pente est les régions du Nord au climat tempéré (Europe et l’Amérique
verticale, plus le virus se propage rapidement au sein de la du Nord) où plus le PIB d’une région est élevé, plus le temps
population ; plus elle est horizontale, plus la vitesse de pro- de passage du virus est faible. Le PIB serait-il proportionnel
pagation est lente. Nous caractérisons cette pente par un aux moyens médicaux (infrastructures hospitalières, person-
indicateur, le « temps de passage » du virus. Pour chaque nel soignant, accès aux soins. . .) dont dispose ces régions
région mondiale, cet indicateur (encadré vert — Fig. 1) pour lutter contre la COVID-19 ?
permet d’observer la vitesse de propagation du virus dans Afin d’évaluer leur capacité diagnostique, le nombre
son état initial et quasi-parfait en début d’épidémie. Par cumulatif des tests réalisés par population standardisée
exemple, en Amérique du Nord (courbe jaune — Fig. 1) et (Fig. 2a) de chaque région mondiale est comparée [données
en Europe (courbes bleues — Fig. 1), la vitesse de propaga- accessibles sur le site FIND SARS-CoV-2 test tracker [10]]. On
tion croît de manière intense, avec un « temps de passage » observe que les régions d’Afrique subsaharienne caractéri-
du virus de 2 à 4 semaines, soit une augmentation du nombre sée par des temps de passage du virus très long et un PIB
de cas de COVID-19 de presque 1 logarithme par semaine. très faible possèdent une capacité cumulative inférieure à
Spécificités épidémiologiques de la COVID-19 en Afrique 221

50 000 tests pour 10 millions d’habitants. Ce chiffre est 20 à moins d’enfants de moins de 15 ans, pour 3 à 7 fois plus de
70 fois plus faible que celui des 3 régions au temps de pas- personnes âgées de 65 ans et plus.
sage les plus courts et au PIB les plus élevés, soit l’Amérique
du Nord, l’Europe du Nord et l’Europe méditerranéenne, qui
ont dépassé le million de tests pour 10 millions d’habitants.
Discussion
Pourcentage de cas positifs par nombre de Chronologie épidémiologique et impact des
tests réalisés mesures sanitaires

Le pourcentage de cas positifs par rapport au nombre de Les régions européennes et d’Amérique du Nord sont les pre-
tests réalisés (Fig. 2b) [données brutes accessibles sur le mières régions du monde à être touchées par la pandémie
site FIND SARS-CoV-2 test tracker [10]] est un bon indicateur après l’Asie. Lors de l’intervalle choisi pour déterminer le
de présence du virus. Par expérience européenne, ce pour- temps de passage du virus dans ces régions (10 à 1000 cas
centage croît proportionnellement à l’endémicité du virus pour 10 millions d’habitants), le virus se propage librement
pour atteindre (au pic) des valeurs supérieures à 30 %. Les dans la population puisque les mesures sanitaires de lutte
régions à forts revenus (PIB > 10 000 dollars par habitant) contre la propagation du virus ne sont pas encore clairement
présentent un pourcentage moyen de cas positifs par nombre définies et obligatoires. L’établissement de politiques de dis-
de tests réalisés de 2 à 7 %. Ces pourcentages sont plus dispa- tanciation sociale et de confinement, ainsi que l’adoption
rates dans les régions plus modestes (PIB < 10 000 dollars par des gestes barrières, ralentissent drastiquement la vitesse
habitant). Alors que l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, de propagation du virus et viennent « casser » les courbes
l’Afrique Centrale et l’Afrique du Sud présentent des résul- épidémiologiques (situation de mai à août en France).
tats proches de 7 à 15 %, l’Amérique Centrale et l’Amérique Les régions tropicales d’Amérique Centrale, d’Amérique
du Sud atteignent des pourcentages très élevés de respec- du Sud et d’Afrique sont les dernières régions du monde à
tivement 19 et 35 %. À l’opposé, l’Afrique de l’Est possède être touchées par la COVID-19. Cet ordre chronologique a
un pourcentage de cas positifs par nombre de tests réalisés probablement eu un impact sur la pente et sur « le temps
extrêmement faible de 4 %. de passage ». Face à la surmédiatisation de la crise sani-
taire mondiale, les gouvernements étaient sensibilisés et
ont appliqué rapidement des mesures sanitaires, certes par-
Nombre de décès de COVID-19 par population fois minimalistes, suite à l’apparition des premiers cas. Cela
standardisée a probablement contribué au rallongement du temps de
passage, synonyme d’une propagation ralentie du virus, ce
Si le nombre de cas en Afrique subsaharienne par population qui profite aux régions du Sud qui bénéficient de plus de
standardisée est globalement 10 fois plus faible par rapport temps pour organiser rigoureusement leur lutte anti-COVID-
aux régions européennes, le nombre de décès par population 19.
standardisée est encore plus dérisoire avec un facteur diffé- L’évaluation du temps de passage nous permet de
rentiel d’environ 100 (Fig. 3). Bien que réduite, la tendance conclure que la progression du virus est fortement ralen-
est identique pour l’Afrique du Nord qui présente 5 fois tie dans les régions du Sud en comparaison aux régions du
moins de cas et 10 fois moins de décès par population stan- Nord. Le gradient Nord-Sud de cet indicateur est surpre-
dardisée que les régions d’Europe. L’Afrique du Sud, région nant et important. Est-il simplement lié à la précocité des
africaine comptabilisant le plus grand nombre de cas et de mesures sanitaires ou à d’autres paramètres ?
décès par population standardisée en Afrique, déclare 3 fois
plus de cas que les régions européennes et décompte 3 fois
moins de décès que ses homologues européens par popula-
Impact de la chaleur et de l’humidité sur la
tion standardisée. Par ailleurs et de manière indépendante, propagation du virus
il est intéressant de noter un croisement net des courbes de
décès (Fig. 3) entre la région Afrique du Nord (en évolution La saisonnalité de ce nouveau virus respiratoire a été
vers une stabilisation) et Afrique du Sud (en augmentation largement évoquée : la chaleur et l’humidité africaine
régulière) jusqu’à la date du 4 août (fin de la période de seraient-elles partie prenante dans la transmission du virus ?
notre étude). Effectivement, on remarque, que sans exception, les pentes
des pays chauds (courbes rouge et orange — Fig. 1) sont sys-
tématiquement plus basses que celles des pays tempérés
Nombre de décès de COVID-19 et (courbes jaune et bleue — Fig. 1). On remarque aussi un
caractéristique démographique croisement net du nombre de décès entre l’Afrique du Nord
(en ralentissement car débutant la saison estivale) et de
Devant de tels chiffres (facteur différentiel entre le nombre l’Afrique du Sud (en augmentation car débutant la période
de décès des régions de l’hémisphère Nord et celles du conti- hivernale) à partir du mois de Mai (Fig. 3).
nent africain), nous avons voulu voir quelle était l’influence Bukhari et al. observent dans leur étude la même ten-
de la singularité démographique du continent africain. La dance entre les états du Nord et du Sud des États-Unis [11].
population africaine est très jeune, composée de 29 % à 45 % Ils ajoutent que les régions qui ont démontré le plus grand
d’enfants de moins de 15 ans, pour seulement 3 % à 5 % de nombre de nouveaux cas se trouvent dans une fourchette
personnes âgées de 65 ans et plus (Fig. 4). À l’inverse, la de faible température (4 à 10 ◦ C) et de faible humidité (3 à
population européenne est vieillissante et possède 2 à 3 fois 9 g/m3 ). Sajadi et al. arrivent à des conclusions semblables
222 É.J.L. Hardy, P. Flori

Figure 4. Impact de la pyramide des âges de différentes régions du monde sur la gravité, la contagiosité et la charge virale des cas de
COVID-19.
Impact of the age pyramid in different regions of the world on the severity, contagiousness and viral load of COVID-19 cases.

et observent que les plus gros foyers épidémiques mondiaux Richesse des régions mondiales (PIB) et
se trouvent dans un couloir de température moyenne de 5 à saturation diagnostique
11 ◦ C avec un faible taux d’humidité de 4 à 7 g/m3 [12].
D’un point de vue biologique, la chaleur et le taux Alors que la circulation du virus présente une corrélation
d’humidité sont déjà connus pour avoir un impact négatif inverse à la chaleur, elle semble également reliée à la
sur la transmission des virus respiratoires. Dans le cas de richesse du territoire. En effet, le PIB d’un pays ou d’une
la grippe, les études montrent qu’une hausse de la tempé- région est étroitement corrélé à sa capacité diagnostique,
rature (20 ◦ C et 30 ◦ C versus 5 ◦ C) limite la réplication du facteur déterminant de la gestion de la pandémie. Un pays
virus [13]. D’une part, un faible taux d’humidité assèche au faible PIB n’a pas les ressources matérielles, humaines et
les muqueuses nasales et altère l’intégrité fonctionnelle des technologiques suffisantes pour effectuer le même volume
épithéliums pulmonaires. D’autre part, il favorise la stabilité de tests diagnostiques qu’un pays plus aisé. Les centres de
des particules virales contenues à l’intérieur des goutte- dépistage en Afrique sont trop peu nombreux pour répondre
lettes d’aérosol dans lesquelles elles sont transportées [14]. de manière quantitative à la demande de la population.
La taille des gouttelettes est également impactée par le La réalisation d’un nombre quotidien de tests de détection
taux d’humidité qui modifie leur capacité à persister et à d’ARN viral par RT-qPCR requiert une grande rigueur orga-
se déplacer dans l’air. La hausse du taux d’humidité va pro- nisationnelle et logistique. Dans ce contexte épidémique,
voquer un grossissement de la taille des gouttelettes qui même les pays « riches » se sont heurtés à des probléma-
retomberont plus rapidement au sol après avoir été expul- tiques de pénurie et d’organisation. Les pays d’Afrique sont
sées par l’appareil respiratoire, ce qui réduira ainsi leur confrontés aux mêmes écueils et présentent un risque accru
capacité à infecter un autre hôte [15]. de saturation du système diagnostique, ce qui favoriserait
Les conditions climatiques semblent donc limiter la la circulation « incognito » du virus.
transmission du virus en Afrique. Elles s’associeraient aux On constate effectivement que les régions d’Afrique
mesures sanitaires pour moduler la pente de nos courbes subsaharienne ont réalisé environ 20 à 70 fois moins de
(Fig. 1 et 3) et ralentir notre indicateur de « temps de tests diagnostiques par habitant que les 3 régions occiden-
passage » (Fig. 1). Cependant, l’impact du climat reste tales les plus aisées (Amérique du Nord, Europe du Nord
difficilement évaluable aujourd’hui, mais une ou deux sai- et Europe méditerranéenne) et ont, en parallèle, identifié
sons supplémentaires devraient permettre de modéliser cet environ 10 à 60 fois moins de cas de COVID-19. Par consé-
impact plus précisément. quence, plus une région dépiste à grande échelle, plus elle
Spécificités épidémiologiques de la COVID-19 en Afrique 223

identifie un grand nombre de cas de COVID-19. Une capacité et rénales. . . [17]. Ces facteurs de comorbidité, fortement
diagnostique insuffisante mène nécessairement à une sous- présents dans les pays à fort revenus et chez les personnes
évaluation de la circulation du virus au sein de la population. âgées, sont de plus en plus fréquents en Afrique. Cepen-
La croissance moins explosive du nombre de cas identifiés en dant, leur incidence reste encore beaucoup plus faible qu’en
Afrique et de notre indicateur du « temps de passage » pour- Europe et Amérique du Nord, ce qui limite le nombre de per-
rait être liée à une saturation de leur capacité diagnostique sonnes susceptibles de développer des formes graves de la
et ceci même à la phase précoce de l’épidémie. COVID-19 et d’en décéder.
Le faible pourcentage de cas positifs par nombre de tests De manière associée, les personnes présentant des
réalisés en Europe (environ 3 %) est le résultat d’une cam- formes graves de la COVID-19 (personnes âgées et présen-
pagne de dépistage à grande échelle, cumulée à de fortes tant des facteurs de comorbidité) détiennent une charge
restrictions sanitaires (confinement), limitant efficacement virale plus élevée [18] et seraient de ce fait les plus conta-
la propagation du virus. Un pourcentage 2 fois plus important gieuses [19]. À l’inverse, les cas pédiatriques ne regroupant
en Amérique du Nord semble cohérent avec la progression du que 1 % à 5 % des cas mondiaux [20] développent des
nombre de cas qui continue de croître significativement par formes peu graves [21]. Ils sont rarement retrouvés en réani-
rapport à l’Europe. Les pourcentages d’Amérique Centrale mation [16] et seraient associés à une charge virale plus
et d’Amérique du Sud sont quand à eux extrêmement éle- réduite [22]. En conséquence et à contrario de la grippe,
vés. Sont-ils le reflet d’une politique de diagnostic associée les enfants et les jeunes adultes, majoritaires en Afrique,
à un meilleur ciblage des personnes malades ou le mar- ne présenteraient qu’un rôle épidémiologique limité dans la
queur d’une circulation virale très importante ? En Afrique, transmission de la COVID-19 [23].
la différence (de 3 % à 15 %) entre des régions à la grande La combinaison d’une population jeune, à une faible pré-
proximité géographique et au faible PIB interroge sur la fia- valence des facteurs de comorbidité dans la population,
bilité et la représentativité des données. Il est étonnant que convergent vers la même tendance épidémiologique concer-
l’Afrique de l’Est qui est la région la plus pauvre possède nant la COVID-19 : un nombre de décès réduit et un frein
un pourcentage de cas positifs par nombre de tests réalisés important dans la transmission du virus (Fig. 4). Cette parti-
semblable à l’Europe qui s’explique par l’application d’un cularité démographique confère ainsi à l’Afrique un bouclier
dépistage de masse. Est-ce que les personnes malades ont naturel qui contribue largement à l’obtention d’un taux de
réellement accès aux tests diagnostics ou le dépistage est-il mortalité significativement moins important qu’en Europe.
un luxe réservé à la tranche la plus aisée de la population ?
Est-ce que les statistiques relatives au nombre de tests et de
cas de COVID-19 sont-ils uniformément traités dans toutes Enjeux diplomatiques, politiques, stratégiques
les infrastructures hospitalières du continent ? Est-ce que et socio-culturels
l’ensemble des pays africains fait preuve de la même trans-
parence et méthodologie lors de la communication de ces La pandémie étant mondiale, la gestion de la crise devient
données sensibles ? un exercice diplomatique des plus périlleux. La crédibi-
Sans la publication d’études africaines multicentriques lité des gouvernements est en jeu et chacun sait que les
et indépendantes, il semble légitime de s’interroger sur la moindres décisions sont disséquées et soumises à la cri-
concordance entre les données communiquées et la réelle tique des médias. Dans ce contexte, il est difficile pour les
propagation du virus sur le continent africain. gouvernements d’admettre qu’ils sont dépassés par les évè-
nements. Les recommandations de l’OMS, aussi soumises à
des critiques populaires systématiques, ne sont pas appli-
Vulnérabilité de la population africaine en quées dans tous les pays et continents avec la même rigueur
fonction de la pyramide des âges et des et la même vitesse d’exécution. L’incapacité de dépister
facteurs de comorbidité à grande échelle la population, de mettre rapidement en
place un confinement total et de faire respecter les gestes
Le faible taux de mortalité lié à la COVID-19 en Afrique barrières ont largement conditionné l’ampleur de la crise.
surprend et déjoue les prédictions [6]. L’état d’urgence Les gouvernements asiatiques ont été très réactifs et ont
sanitaire partagé par de nombreux pays européens en avril mis en place sans tarder les mesures nécessaires, bien que
2020 et marqué par une saturation complète des infra- jugées très restrictives pour les libertés individuelles. Ils ont
structures de réanimation, ainsi que des établissements pu compter sur le soutien de l’ensemble de leur population
funéraires ne s’est pas produit en Afrique. qui, de part leur culture de la catastrophe, est préparée à ce
La singularité de la pyramide des âges africaine, carac- genre de situation et sait appliquer les consignes restrictives
térisée par une population très jeune et un très faible avec une grande discipline. À l’inverse, les gouvernements
nombre de personnes âgées, semble avoir un impact consi- européens et américains bien moins préparés ont mis plus
dérable sur ce plus faible taux mortalité. En effet, en France de temps à réagir. Les questions éthiques et les conséquen-
et par extension dans les pays développés, les personnes ces économiques ont pris une grande place dans les débats
âgées de plus de 65 ans représentent 55 % des cas graves et ont ralenti la prise de décision indispensable à la bonne
de COVID-19 admis en réanimation et 75 % des décès en gestion de l’urgence sanitaire.
réanimation [16]. De plus, une étude britannique de grande L’Afrique a eu quelques semaines de plus pour préparer
échelle publiée dans le journal Nature identifie les facteurs sa stratégie de lutte contre la COVID-19. De nombreux pays
de comorbidité de la COVID-19 associés à la grande majo- africains ont voulu imiter les politiques de confinement et
rité des décès COVID-19 tels que l’obésité, la démence, le d’application des gestes barrières observées en Occident.
cancer ainsi que les maladies cardiovasculaire, pulmonaires Cependant, le contexte africain est totalement différent
224 É.J.L. Hardy, P. Flori

et ne permet pas de reproduire à la lettre ces mesures Alors que pendant la même durée de temps (estimation
« occidentales ». Les gestes barrières sont difficilement faite sur les données des années antérieures), il y a eu en
applicables lorsque 2 africains sur 3 ne peuvent pas se laver Afrique :
les mains quand ils le souhaitent par manque d’accès à une • 100 millions de nouveaux cas de paludisme (93 % des cas
source d’eau [24]. La distanciation physique est également mondiaux) et plus de 200 000 décès liés à cette maladie
impossible à respecter dans de nombreux quartiers précaires (94 % des décès mondiaux, exclusivement pédiatriques)
et surpeuplés. De nombreux pays ont choisi d’établir un [25] ;
confinement et ont rapidement dû faire marche arrière. Les • 0,6 million de nouveaux cas de SIDA (60 % des nouveaux
chaînes de production et d’approvisionnement étant plus cas mondiaux) et 400 000 décès liés à cette maladie (65 %
fragiles, l’alimentation en produits de première nécessité des décès mondiaux) [26] ;
n’a pas pu être maintenue à un état acceptable. Une plus • 300 millions de nouveaux cas de diarrhées infectieuses et
large part de l’économie et des revenus gravitent autour plus de 100 000 décès d’enfants de moins de 5 ans [24].
des marchés, du troc et des services de proximité. Sans
les mesures de protection sociale déployées par les gou- La COVID-19 prend tout le terrain médiatique et agrège
vernements occidentaux, une politique de confinement met l’ensemble des financements internationaux au détriment
beaucoup plus en péril les populations précaires africaines des réelles priorités de santé publique africaines (palu-
que ne le fait la COVID-19. disme, diarrhées, SIDA. . .). Les programmes de soins
Spectatrice impuissante de l’« hypermédiatisation » mon- préventifs, curatifs et palliatifs concernant ces maladies
diale de la pandémie, l’Afrique reste dans l’attente et dans sont également perturbés par la pandémie de COVID-19.
la crainte d’être dépassée à son tour. Cela génère une cer- L’OMS estime que le manque actuel d’approvisionnement
taine stigmatisation des personnes atteintes par la maladie. en médicaments anti-paludéens et de moustiquaires impré-
Sans traitement connu à ce jour, l’hôpital est davantage gnées d’insecticide sera responsable d’un doublement des
perçu comme un lieu à risque qu’une structure soignante. décès lié au paludisme en Afrique sub-saharienne en 2020
Cela incite les populations à ne pas se rendre à l’hôpital, [27]. Elle prévoit également un doublement du nombre de
mais plutôt à se soigner en famille, à l’abri des regards. Les décès lié au SIDA si la pénurie d’antirétroviraux qui frappe
rassemblements religieux ont eu un impact majeur dans la l’Afrique sub-saharienne se prolonge durant 6 mois de plus
création de foyers épidémiques (période de Ramadan, fête [28]. La lutte contre la COVID-19 ne doit pas se faire au
de Pâques. . .). La place des aînés dans la société est éga- détriment des priorités de santé publique africaines au
lement différente d’une culture à l’autre. En Afrique, les risque d’observer à la fin de l’année une augmentation des
personnes âgées ne sont pas placées en maison de retraite pertes humaines qui dépasseront très largement celles asso-
mais prises en charge par les familles. Cela limite grande- ciées directement à la COVID-19. Notre étude, ainsi que de
ment le regroupement et la propagation du virus au sein nombreuses autres revues africaines et mondiales [29—31],
de cette population vulnérable, comme observé dans les montrent la singularité de la situation africaine face à la
établissements d’hébergement pour personnes âgées dépen- COVID-19.
dantes (EHPAD ou maison de retraite). Dernier point majeur,
les enterrements profondément ancrés dans la culture et
la tradition africaine sont inconcevables sans le corps du Conclusion
défunt. C’est une raison suffisante pour un grand nombre de
famille africaine de ne pas déclarer un cas suspect qui, s’il Aujourd’hui, l’évolution de l’épidémie de COVID-19 en
est confirmé et décède, serait associé à l’impossibilité de Afrique semble globalement maîtrisée et donc moins inquié-
disposer du corps en l’état. tante qu’en Europe et en Amérique. La jeunesse et la faible
Tous ces facteurs diplomatiques, politiques, stratégiques vulnérabilité de la population africaine nous permettent de
et socio-culturels réduisent encore plus le nombre de décès rester optimiste et de penser que la catastrophe annoncée
déclarés. Le nombre reconnu par les autorités sanitaires en Afrique n’arrivera pas, du moins pas tant que le virus
locales, n’est probablement qu’un reflet parcellaire de la n’évolue pas vers une forme plus virulente. En revanche,
situation africaine. . . il est certain que le manque de moyens (financiers, tech-
nologiques, logistiques. . .) de l’Afrique a un impact sur
l’application des mesures sanitaires, sur le diagnostic, sur
Impact de la COVID-19 sur la santé globale en la prise en charge, mais aussi sur la déclaration de ces
Afrique cas en Afrique. Les publications épidémiologiques de ter-
rain manquent encore, empêchant une vision précise de la
Cependant et malgré l’impossibilité d’obtenir des données situation de chaque pays, zones, ou villes africain(e)s.
épidémiologiques exhaustives et fiables en Afrique (confère Face à cette situation, les décideurs et gouvernements
chapitre précédent), chaque acteur de santé africain doit se africains doivent proposer une stratégie de santé face à
poser la question suivante concernant cette nouvelle pan- la COVID-19 qui soit propre à leur continent. Cela inclut
démie : s’agit-il d’une priorité de santé publique ? Pour d’étendre à l’ensemble de la population des mesures
répondre à cette question, voici quelques chiffres mar- d’éducation et prévention, de fabriquer des masques loca-
quants les 6 premiers mois de la pandémie (février à août lement, ainsi que de miser sur des techniques de diagnostic
2020) pour ce continent : alternatives à la biologie moléculaire utilisant des tests
• 1 million de cas (5,3 % des cas mondiaux) et seulement simples et de qualité. L’Afrique doit prendre les rênes de
20 000 décès de COVID-19 (3 % des cas mondiaux) et prin- sa lutte anti-COVID-19 et déployer des solutions adaptées à
cipalement âgés de plus de 50 ans [7]. ses réalités épidémiologiques et à ses moyens.
Spécificités épidémiologiques de la COVID-19 en Afrique 225

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Cameroun, à Madagascar, au Tchad et au Togo pour leur
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avis de terrain sur cette thématique, au Dr Cognat pour Periodic oscillations in daily reported infections and deaths
son avis éclairés en tant que personnel et spécialiste OMS, for Coronavirus Disease 2019. JAMA Netw Open 2020;3(8),
à l’ensemble du Conseil d’administration de Biologie Sans e2017521.
Frontières pour leur relecture attentive. [12] Sajadi MM, Habibzadeh P, Vintzileos A, Shokouhi S, Miralles-
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